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French Pages 286 [288] Year 2017
Sous la direction d’Olivier Agard & de Françoise Lartillot
Max Stirner
L’Unique et sa propriété Lectures critiques
De L’Allemand
© L’Harmattan, 2017 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-343-12800-9 EAN : 9782343128009
Max Stirner : L’unique et sa propriété Lectures critiques
De l’allemand (DA) Collection dirigée par Françoise Lartillot (Germaniste, Professeur de l’Université de Lorraine) et Joël Bernat Comité scientifique : Axel Gellhaus (Aix-la-Chapelle) †, Michel Grunewald (Metz), Eva Koczisky (Budapest, Szeged), Nadia Lapchine (Toulouse), Reiner Marcowitz (Metz), Ina Ulrike Paul (Munich, Berlin), Alfred Pfabigan (Vienne), Uwe Puschner (Berlin), Jean Schillinger (Nancy), Françoise Lartillot (Metz), Joël Bernat (Nancy) Le titre de cette collection fait écho à celui de Mme de Staël, De l’Allemagne, qui voulait diffuser plus largement la littérature et la pensée allemandes en France. La connaissance de l’Allemagne et de ses lettres s’est diversifiée depuis, elle n’est plus, espérons-le, la cause de quelque bannissement ; pourtant il ne semble pas superflu de soutenir par une médiation renouvelée la diffusion de ce qui s’écrit « en allemand » (que ce soit de textes d’Allemagne, d’Autriche, de Suisse alémanique, …). Tel est le sens de « DA » : un premier volant de la collection présente des traductions de textes encore inconnus en France, soit littéraires soit critiques, elle ne négligera pas de présenter à l’occasion des textes qui, pour être déjà connus en langue française, n’en recèleraient pas moins encore quelque secret recouvert par certaines habitudes de lecture et qu’il s’agirait alors d’exhumer. La lecture critique sera au cœur de l’autre volant de « DA », lectures d’œuvres en langue allemande, qui proposeront non seulement des voies d’accès mais aussi une réflexion sur ces voies, qu’elles suivent et feront donc jouer les points de vue. Donc une collection qui se divise en deux séries : des études et recherches universitaires, et des traductions inédites en français.
Sous la direction d’Olivier Agard & de Françoise Lartillot
Max Stirner : L’unique et sa propriété Lectures critiques
Avertissement : Olivier Agard et Françoise Lartillot
L’ouvrage de Stirner, L’Unique et sa propriété, pose bien des questions, tant par sa facture difficile à épingler en une interprétation cohérente que par l’histoire de sa réception, d’abord marquée par son oubli puis par sa résurgence et son omniprésence. Serait-elle le reflet d’une époque où les intellectuels, particulièrement dits « de gauche », n’ont pas bonne presse, le « Vormärz », et où le statut même d’intellectuel est en pleine mutation ? Serait-elle en même temps le reflet d’un positionnement constamment diffracté par une gestuelle rhétorique de l’opposition, prétendant s’approprier les débats théoriques de son époque, les débarrasser d’un reste de religiosité et en même temps s’arcbouter sur des notions « clefs » telles que l’« Unique » et l’« Association ». Rendant nécessaire de bien se représenter les contextes sollicités (contextes immédiats des jeunes hégéliens et des théories du libéralisme contemporaines de son écriture, contextes plus lointains des textes du classicisme ou de l’Aufklärung) l’œuvre ne trouve pas de véritable résolution du fait de son style misant sur l’ouverture et le flottement sémantiques, du moins pourrait-on en faire l’hypothèse. Ce sont ces pistes que les articles réunis ici ont suivies, notre ouvrage étant la transposition d’exposés présentés lors de deux journées d’études, l’une tenue à Metz le 21 janvier 2017 et l’autre à Paris, à la Maison Heine, le 28 janvier 2017. Que soient donc remerciés ici tous ceux qui ont soutenu notre entreprise : le Groupe de Recherche sur la Culture de Weimar et son directeur, Gérard Raulet ainsi que le SIRICE, UMR 8138, le CEGIL EA 3944 (Université de Lorraine) et son directeur Reiner Marcowitz, le pôle scientifique TELL de l’Université de Lorraine et son directeur JeanMichel Wittmann, le DAAD, la maison Heine et sa directrice, Christiane Deussen, l’UFR d’Etudes Germaniques et Nordiques de l’Université Paris-Sorbonne, et son directeur Bernard Banoun, mais aussi le secrétariat à la recherche et à la publication du CEGIL (Laurence Chabeaux et Rebecca Champenois) et le maître d’œuvre de la collection De l’allemand, Joël Bernat.
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En guise d’introduction
Gérard Raulet
Actualité de Max Stirner ?1
Une œuvre oubliée En dépit de quelques articles qui méritent d’être relus - notamment « Le principe inauthentique de notre éducation, ou le matérialisme et le réalisme », publié dans les suppléments de la Gazette rhénane en avril 1842, l’article « Art et religion », également publié dans la Gazette rhénane et les « Quelques remarques provisoires concernant l’Etat fondé sur l’amour » (1844)2 - Stirner est l’homme d’un seul livre : L’Unique et sa propriété, publié fin 1844 (mais daté de 1845). Sa période créative aura duré à peine trois ans, de 1842 à 1844. Il publiera encore en 1845 une « Réponse aux critiques » et une seconde réplique en 1847, sous le titre « Les réactionnaires philosophiques ». Le reste de son œuvre peut être à bon droit passé sous silence : une traduction bâclée du Dictionnaire d’économie politique de J.B. Say et, en 1852, une Histoire de la réaction en deux parties qui n’est qu’une compilation maladroite d’extraits et de commentaires plagiés. Même L’Unique, après son succès initial, tomba rapidement dans l’oubli. Stirner ne fut « redécouvert » qu’à la fin du siècle, par le poète et romancier John Henry Mackay - Allemand malgré son nom et auteur d’un roman intitulé Les anarchistes (1891) -, alors qu’en 1888 il était plongé dans l’étude des mouvements sociaux du 19ème siècle. En 1882 était toutefois parue une réédition de L’Unique, suivie en 1892 d’une édition populaire chez Reclam, à Leipzig. Mackay publia en 1897 Max Stirner. Sa vie et son œuvre, fruit d’une recherche patiente sur la vie de Stirner, qui connut trois éditions et fut réimprimé en 1977 par les soins de la Société Mackay de Freiburg. Malgré quelques études isolées, Stirner n’est plus guère connu aujourd’hui que des marxologues, à travers le « Saint Max » de L’Idéologie
1 Ce texte est issu d’une émission enregistrée pour France Culture le 27/11/1993. Une version modifiée a été publiée sous le titre "L’énergumène et son héritage. A propos d’un jeune hégélien singulier : Max Stirner", in : Françoise Taylor et al. (dir.), Entre la quête de l’absolu et le principe de réalité. Mélanges en l’honneur de Jean-Marie Paul, Paris, L’Harmattan 2003 (pp. 405-422). 2 Ce sont pour l’essentiel les écrits repris dans les Œuvres complètes aux éditions L’Age d’homme en 1972.
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allemande de Marx et Engels3. En France, avant la parution des Œuvres complètes (en réalité incomplètes)4 aux éditions L’Age d’homme, il n’a guère été servi par ses traducteurs Reclaire et Lasvignes - qui traduisirent L’Unique en 1900 dans le contexte de la vogue nietzschéiste du tournant du siècle sur laquelle je vais revenir. La traduction de Lasvignes a fait dire à Gide que L’Unique n’était qu’un « pâté d’arêtes ». Le personnage Stirner fut par bien des côtés un énergumène. Certains critiques n’hésitent pas à qualifier L’Unique de « notes prises par un malade d’esprit » (Schultze)5. Henri Arvon parle plus prudemment d’un cas pathologique6. Bien que les témoignages recueillis par Mackay donnent l’image d’un élève doué, il fallut huit ans à Stirner, après qu’il eut quitté à 20 ans sa ville natale de Bayreuth, pour ne pas mener à bien un cursus universitaire qui demandait en moyenne deux ans. Il est vrai qu’il ne fréquenta assidument l’université - en particulier les cours de Schleiermacher et de Hegel - que pendant les deux premières années. En 28 il se fait « exmatriculer » et entreprend un périple de trois ans et demi à travers l’Allemagne. Il ne revient à Berlin qu’en 1832 et ce n’est qu’en juin 34 qu’il demande à passer les épreuves nécessaires à l’obtention de la facultas docendi. Mackay a retrouvé les deux travaux écrits - une traduction commentée de Thucydide et un mémoire « Sur les lois scolaires » - ainsi que les rapports des examinateurs. L’historien de la philosophie Trendelenburg émet des réserves à propos du « style véhément et décousu » du mémoire et ne se fait pas faute de relever que « l’auteur tente une déduction à partir d’un concept dans laquelle on reconnaîtra l’influence de la jeune philosophie » - à savoir l’hégélianisme. En effet, pour Stirner, toute loi n’est que l’explicitation d’un contenu substantiel, qu’il cherche en l’occurrence dans la formation du moi de l’élève luimême ; c’est en somme le sujet qui se donne les lois auxquelles il soumet son cursus formateur. Cet écrit présente à ce double titre un certain intérêt, biographique peut-être et à coup sûr théorique, et Mackay a sans nul doute raison d’y voir l’embryon de l’œuvre postérieure, entre autre 3 Publiée pour la première fois en 1932. 4 Il manque, entre autres, les répliques et les nombreux articles publié par Stirner dans divers journaux dans les années 1841-44, intéressants par le reflet qu’ils donnent de la vie culturelle et politique allemande du Vormärz. 5 Cf. John Henry Mackay, Max Stirner. Sein Leben und sein Werk, Freiburg i. Br. 1977, p. 21. 6 Henri Arvon, Aux sources de l’existentialisme. Max Stirner, Paris, PUF 1951, p. 7.
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l’essai sur l’éducation. Dans l’essai sur « Le principe inauthentique de notre éducation » - qui est d’abord une prise de position, tout à fait actuelle dans les débats de l’époque, sur les mérites respectifs de l’enseignement humaniste et de l’enseignement « réaliste » (technique) Stirner fait en effet du Moi le seul enjeu et en même temps le véritable principe de toute éducation. Le Savoir doit être réapproprié par le Moi « pour en jaillir irrésistiblement comme Volonté ». Le réalisme et l’idéalisme ne sont que deux étapes d’une évolution qui doit converger dans le Moi. Stirner ne brille guère dans les autres épreuves et n’obtient qu’une facultas docendi limitée. Après un stage non rémunéré dans un établissement d’Etat, il se résout à enseigner pendant cinq ans dans une institution pour jeunes filles, qu’il quitte en 1844, grisé peut-être par la perspective du succès théorique. Stirner se maria deux fois. En 1837 avec la fille de sa logeuse, qui mourut en couches un an plus tard, et en 1843 avec Marie Dähnhardt, une sorte de George Sand au petit pied, rencontrée dans le cercle des « Hommes libres » de Berlin, qui refusera son témoignage à Mackay car, lui dira-t-elle, elle n’éprouve aucun besoin de parler d’un homme qu’elle n’a jamais estimé. Après son éphémère gloire, la vie de Stirner, dès 1846, est une longue déchéance ; il mourra en 56, à l’âge de 49 ans, d’une piqûre de mouche empoisonnée. Il faut la conviction du zélateur pour tenter comme Mackay de faire de cette existence ratée une illustration de « l’égoïsme ». Stirner et Nietzsche La « renaissance » de l’œuvre de Stirner à la fin du siècle dernier fut en vérité l’effet d’un malentendu, que Mackay voudra dissiper en s’opposant notamment au jugement d’Eduard von Hartmann, qui avait brièvement mentionné Stirner dans son Histoire de la philosophie en 1866 et le mentionnera à nouveau dans sa Phénoménologie de la conscience éthique, dans sa Philosophie de l’inconscient et dans un article sur la « nouvelle morale » de Nietzsche publié dans les Annales prussiennes en mai 1891. Hartmann, qui se pose en redécouvreur de Stirner, titre que lui conteste Mackay, a alimenté la fable d’un Stirner précurseur du nietzschéisme. Du fait de la vogue européenne du nietzschéisme dans la dernière décennie du siècle, cette prétendue filiation a contribué, avec l’anarchisme dont je parlerai plus loin, à sortir un temps Stirner de l’oubli plus sûrement que ne pouvaient le faire les efforts de son biographe Mackay. Dans son Stirner et Nietzsche de 1904, Albert Lévy contestera cette légende en montrant qu’il n’y a eu aucune influence directe de Stirner sur Nietzsche ; certes ce 13
dernier a recommandé la lecture de L’Unique à son disciple favori Baumgartner, mais il n’est selon Lévy pas établi qu’il l’ait personnellement lu. En 1906 la publication des écrits posthumes de Franz Overbeck contredira il est vrai les conclusions de Lévy. En fait la question de savoir si Nietzsche a lu ou non Stirner est de peu d’importance. Si la radicalité de la critique stirnerienne semble anticiper la destruction nietzschéenne de la métaphysique, Gide n’en a pas moins, dans une lettre de 1899, résumé parfaitement la différence entre le Surhomme de Nietzsche et l’Unique de Stirner : le premier, dit-il, exalte le maître au détriment de l’esclave, le second prétend faire de l’esclave un maître. Stirner et l’anarchisme Les liens entre Stirner et l’anarchisme sont plus sérieux. La promotion de Stirner au rang de théoricien de l’anarchisme est d’abord l’œuvre de Mackay. Dès 1891, dans son roman alors fort répandu Les anarchistes, il parle du « travail titanesque » de Proudhon et de Stirner et de l’« œuvre immortelle » de ce dernier. Victor Basch prit la suite en 1904 avec L’individualisme anarchiste. Max Stirner. Quant à Henri Arvon, qui lui consacra plusieurs ouvrages, il n’hésite pas à dire que Stirner « semble bien avoir été le penseur le plus original et le plus conséquent de l’anarchisme ».7 Selon Engels lui-même, Bakounine a « mélangé Stirner avec Proudhon et baptisé ce mélange d’anarchisme ». Il existe incontestablement dans l’œuvre de Stirner des thèmes qui se retrouvent au fondement des théories anarchistes, à commencer bien sûr par le célèbre « Ni Dieu, ni maître », qui était d’une certaine façon déjà le mot de ralliement des « Hommes libres » de Berlin et qu’ils utilisèrent certes juvénilement pour « épater le bourgeois » mais qui rejoint aussi l’enjeu profond des années 1840-45 en Allemagne : la lutte tout à la fois contre la religion et contre l’Etat qui scellent un nouveau pacte répressif en 1840 avec l’avènement de Frédéric Guillaume IV et qui sont par ailleurs les deux enjeux clefs de la postérité de l’hégélianisme. Outre cet aspect, c’est sans aucun doute la conception stirnerienne de l’association, qu’il oppose à la société, qui autorise à la situer dans la tradition de la pensée anarchiste. Stirner montre en effet que toutes les formes d’organisation qui visent à réunir les hommes se figent très rapidement en un système oppressif ; elles s’autonomisent et exercent une domination sur ceux qui ne voyaient en elles que le moyen d’un plus 7 Henri Arvon, L’anarchisme, Paris, PUF 1971, p. 38.
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grand épanouissement. Aux liens permanents Stirner oppose donc une libre association résiliable à volonté, qui demeure soumise à la souveraineté inaliénable des Moi. Cette conception, conjuguée au mutuellisme de Proudhon, se retrouve incontestablement dans la tradition mutualiste, d’autant plus que Stirner lui-même n’est nullement hostile à une organisation du travail afin de mettre fin au régime avilissant de la libre concurrence. L’institution de la Bourse du Travail s’inscrit dans cet esprit : structure horizontale, par opposition à l’organisation verticale des syndicats, elle vise à permettre l’émancipation individuelle de l’ouvrier. Stirner, jeune hégélien Penseur original certes, Stirner n’est pourtant en rien un penseur isolé. Si l’on veut comprendre Stirner il faut le replacer dans le contexte de l’éclatement de l’école hégélienne entre 1840 et 1845, avec d’un côté la « droite hégélienne », qui prône la soumission à l’Etat comme réalité de la Raison, et de l’autre la « gauche hégélienne », qui lutte au contraire pour la réalisation de la conscience de soi, l’homme, et fait de cette dernière la véritable réalité du Concept, de la Raison. L’offensive de la gauche hégélienne va se radicaliser à l’avènement de Frédéric Guillaume IV, du fait même du durcissement, en matière politique et religieuse, d’une censure qui contredit les espoirs qu’elle plaçait encore dans l’Etat prussien comme Etat rationnel. Stirner participa à ce combat. Dans une large mesure la maturation de son œuvre se fait au rythme des coups que la censure politique porte au mouvement des jeunes hégéliens, largement représenté dans le cercle des « Hommes libres » qu’il fréquente assidument pendant ses années de création féconde, entre 1842 et 1844. Un mot au passage sur ce cercle. On a sans doute tort de surestimer sa cohérence et son sérieux et de le confondre parfois avec le Club des Docteurs qui réunissait entre autres Karl Marx et les Bauer8. Comme le montre la biographie de Mackay, il s’agissait au fond d’une de ces Stammtische, en l’occurrence la table des habitués de l’estaminet d’un certain Hippel, autour desquelles se retrouvaient autant d’intellectuels que de buveurs, souvent les deux à la fois, ainsi que quelques figures d’affranchis et d’affranchies, comme justement Marie Dähnhardt. Dans 8 Stirner fréquenta les Hommes libres (Die Freien) vers le milieu ou la fin de l’année 1841 ; il n’a donc pu y rencontrer Marx, qui était parti à Cologne au début de la même année.
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une sorte d’épopée héroï-comique intitulée « Le triomphe de la foi », Engels a d’ailleurs tourné en dérision ce milieu et, entre autres, Stirner lui-même : Regardez Stirner, regardez le, le paisible ennemi de toute contrainte/Pour le moment il boit encore de la bière, bientôt il boira du sang comme si c’était de l’eau/Dès que les autres poussent leur cri sauvage ‘A bas les rois’/ Stirner complète aussitôt ‘A bas aussi les lois’. Il n’en reste pas moins que ce cercle fut l’un des lieux où soufflait l’esprit radical et que Stirner s’y retrouva au contact des radicaux. Ainsi il prit position contre l’un des évènements qui cristallisèrent le durcissement de l’affrontement entre le jeune-hégélianisme et l’Etat : la destitution de Bruno Bauer, que le ministre Altenstein avait fait nommer à Bonn. Le maître à penser des jeunes-hégéliens et le « grand homme » du cercle des Hommes libres était dans ces années Bruno Bauer9 ; ce n’est donc pas un hasard s’il est le premier visé par Marx ; c’est également lui qui se révèle le plus proche de Stirner à l’époque de la parution de L’Unique et c’est pourquoi une comparaison de leurs positions permet de prendre la mesure de la radicalité de « l’unicisme » stirnerien. Bauer avait publié en 1840 sa Critique de l’histoire évangélique de saint Jean et en 1841 la Critique de l’histoire évangélique des synoptiques, qui poussent à l’extrême l’historicisation de la religion chrétienne engagée par F.D. Strauss dans sa Vie de Jésus en 1835. En 1841 Bauer publie La trompette du jugement dernier. Contre Hegel, l’athée et l’antéchrist. Un ultimatum. Le compte rendu de ce pamphlet qui paraît dans le Telegraph für Deutschland de Gutzkow (Numéros 6 et 8 de janvier 1842) est le premier texte que Johann Caspar Schmidt signe de son nom de plume Max Stirner. La Trompette est la réponse de Bauer aux violentes attaques de l’orthodoxie religieuse et des hégéliens de droite contre la Critique des synoptiques. Sous les apparences d’une condamnation orthodoxe de la philosophie hégélienne de la religion, elle met en évidence les implications athées de l’hégélianisme. C’est pour le théisme, représenté à Bonn (où fut rédigée cette parodie) par Immanuel Hermann Fichte, que sonne la trompette du jugement dernier. On peut s’interroger sur les raisons pour lesquelles Marx, qui participa à sa conception, ne cosigna finalement pas ce pamphlet. Sans 9 Bruno Bauer était rentré à Berlin après avoir été interdit d’enseignement à Bonn au printemps 1842.
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doute sa contribution fut-elle modeste ; mais peut-être a-t-il aussi pressenti que le geste destructeur de la Trompette n’avait plus grand chose à voir avec la philosophie historique de la conscience de soi. Ecartant toute réalité immanente ou transcendante, cette dernière s’érigeait déjà dans cet écrit en instance absolue. Comme Stirner, Bruno Bauer, après avoir en gros fait sien l’humanisme de Feuerbach dans sa Question juive de 1842, va en juillet 1844 lui tourner brusquement le dos pour affirmer la « critique pure » ou « critique critique » dont l’adversaire est « la masse » ; Bauer entend par là rompre avec l’engluement du libéralisme mais aussi se démarquer du « communisme », qui, à ses yeux, menace la liberté de la conscience de soi critique. La gestation de L’Unique et cette évolution brutale de Bauer sont absolument parallèles et l’on peut supposer que les débats dans le cercle des Hommes libres y ont été pour quelque chose. Stirner, qui attaque dans son livre la critique humaniste, éprouve du même coup le besoin d’ajouter un post-scriptum dans lequel il se démarque aussi de la critique pure en lui reprochant de s’ériger elle aussi en instance suprême à laquelle le Moi se retrouve asservi. Le « jeune-hégélianisme » de Stirner va donc prendre une tournure particulière et extrême. La démarche hégélienne va lui servir à subvertir non seulement le système hégélien mais les réappropriations humanistes auxquelles se résument pour l’essentiel les positions des autres « idéologues allemands », Bauer et Feuerbach. L’Unique est à ce titre le document le plus extrême de la décomposition de l’hégélianisme. Il utilise le schéma de pensée de l’hégélianisme pour le faire exploser de l’intérieur. Il est, d’abord, une attaque en règle contre L’essence du christianisme de Feuerbach, publiée en 1841. Stirner montre que la critique feuerbachienne de la religion se contente en fait de remplacer Dieu par l’Homme, c’est-à-dire l’espèce, et de transférer la transcendance à la conscience de soi. Homo homini deus : cette formule qui conclut L’essence du christianisme provoque la réfutation véhémente de l’humanisme jeunehégélien que constitue L’Unique. Pour Stirner l’espèce n’est qu’un idéal, elle n’est « rien », un fantôme (Spuk), une « illusion », alors même que Feuerbach prétendait dissiper l’illusion religieuse ; l’Homme n’est qu’une abstraction ; seul l’individu existe. L’idée que ce dernier « se dépasse » dans l’espèce, donc le mouvement de la dialectique hégélienne qui conduit de l’individualité « en soi » à la conscience de soi, est récusé par Stirner : lorsqu’il se dépasse, l’individu n’est justement que plus luimême. Le raisonnement de Stirner est foncièrement hégélien et c’est pourquoi il va détruire l’hégélianisme de l’intérieur ; il montre en effet 17
que le jeune-hégélianisme humaniste régresse en deçà de la radicalité de la pensée hégélienne. En parlant d’« essence » du christianisme Feuerbach s’est trahi ; il distingue encore l’essence de l’apparence et rapporte cette dernière à une essence transcendante. Stirner récuse ce dualisme pour identifier en quelque sorte le Moi avec l’Esprit ; plus de gradation menant de l’un à l’autre, sinon l’intensité de l’affirmation du Moi qui est, pleinement assumé, à lui seul l’Esprit. L’Unique remplace l’Esprit comme principe premier, origine et but. Tout le système hégélien se résorbe dans l’individualité qui est à elle-même son propre absolu. Feuerbach reste donc aux yeux de Stirner prisonnier de la religion qu’il prétend dépasser ; il n’offre à l’homme qu’une « libération théologique ». L’amour comme ciment anthropologique de la communauté humaine assume l’héritage de l’amour chrétien. La critique de l’amour feuerbachien avait une portée éminemment politique. Elle avait été préparée par les « Quelques remarques provisoires concernant l’Etat fondé sur l’amour »10 ainsi que par un texte encore moins connu, publié anonymement à Leipzig en 1842, la « Réplique d’un membre de la paroisse berlinoise contre l’écrit des 57 pasteurs berlinois : la célébration chrétienne du dimanche, une parole d’amour à notre paroisse »11. Certes Feuerbach applique à la religion une critique hégélienne : l’illusion religieuse résulte du fait que l’homme investit en Dieu cet autre qu’est l’autre homme ; le dépassement de cette aliénation est la prise de conscience de l’unité de l’espèce, la conscience que Moi et Toi sont Un, qu’il ne s’agit que de la division d’une identité première. Telle est la ligne de résistance qu’il adopte du reste contre L’Unique en 1846 dans L’essence du christianisme en relation avec l’Unique et sa propriété. Pour lui l’Un est l’espèce. Pour Stirner, cette dernière est tout entière contenue dans l’individu unique qui l’accomplit parfaitement en s’accomplissant individuellement. Il est inutile d’entrer plus avant dans le détail de la discussion ; on se rend compte en effet que Feuerbach et Stirner ne pouvaient l’un et l’autre que camper sur des positions aussi hégéliennement assurées, et du reste Feuerbach lui-même a reconnu dans une lettre à son frère de la fin de 1844 la rigueur de L’Unique. Comme du reste Marx lui-même, que Stirner avait traité de feuerbachien et dont la 10 Parues dans l’unique numéro de la Berliner Monatsschrift que Ludwig Buhl publia en 1844. Buhl (Boul) faisait partie du cercle des Hommes libres. Traducteur de Louis Blanc, il avait édité auparavant, en 1842, Der Patriot, qui fut interdit par la censure. Stirner confia également à Buhl un compte rendu des Mystères de Paris d’Eugène Sue. 11 Cf. Œuvres complètes, pp. 11-28.
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contre-attaque ne viendra que lorsqu’il aura trouvé dans l’économie politique une base lui permettant de récuser le « destin pathologique » d’une critique condamnée par son impuissance politique à la radicalité subjective (La Sainte Famille ou critique de la Critique critique. Contre Bruno Bauer et consorts, 1845). On ne saurait exclure, comme Henri Arvon en fait l’hypothèse, que L’Unique ait aidé Marx à dépasser Feuerbach, ainsi du reste que le « socialisme de l’amour », le « socialisme vrai » de Wilhelm Weitling12. Du reste les arguments de la deuxième partie de l’Idéologie allemande contre ce dernier reprennent largement la critique qu’en fait Stirner dans L’Unique. Mais Stirner n’était pas récupérable par le passage qu’accomplit Marx, à partir de 1844 justement, de l’humanisme jeune-hégélien à la praxis organisée, seule à même de réaliser le communisme. L’Unique contient d’ailleurs une critique du communisme aussi virulente, sinon plus, que celle du libéralisme. Concernant ce dernier, Stirner emboite le pas aux jeunes hégéliens et à la Question juive de Marx. Mais à l’émancipation de l’Homme il oppose l’affirmation de l’Unique. Pour Stirner l’Etat libéral résulte de l’évacuation hors de la sphère politique de tout ce qui relève de l’homme privé, au premier chef la religion. Mais par là-même, en distinguant l’Homme et le citoyen, il dépouille ce dernier de toute individualité et aliène le Moi. Quant au communisme, déclare L’Unique, il est libéral le dimanche lorsqu’il voit en toi l’Homme et le frère, mais « selon l’avis qu’il professe tous les autres jours de la semaine, il ne te considère aucunement comme homme tout court, mais comme un travailleur humain ou un homme travailleur ». Il s’efforce « de te convertir à la foi selon laquelle le travail est la ‘destination et la vocation’ de l’homme13 ». Les attaques de Stirner contre le communisme n’épargnent évidemment pas non plus la conception proudhonienne de la propriété (Qu’est-ce que la propriété?, 1840) ; Stirner juge factice la distinction entre la propriété proprement dite et la possession et illusoire l’instauration d’un ordre dans lequel la Société aurait la propriété des moyens de production tandis que l’individu conserverait la libredisposition des fruits de son travail : « Je veux relever la valeur de Moimême, la valeur de ce qui M’est propre, et Je devrais dénigrer la propriété?14 »
12 Les garanties de l’harmonie et de la liberté (1842). 13 L’Unique, in : Œuvres complètes, op. cit., p. 180. 14 Ibid., p. 231.
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Il ne faut donc pas s’étonner que Marx ait consacré son « Saint Max » à cet énergumène du jeune-hégélianisme qui invalidait d’emblée toute les transformations théoriques dont est issue la pratique de la lutte des classes. Stirner devait rester un énergumène, l’avatar pathologique de l’hégélianisme. Actualité de Stirner ? Quels peuvent bien être les aspects de l’œuvre stirnerienne qui conservent un intérêt philosophique dépassant la pure histoire des idées. Au gré des conjonctures les interprètes de Stirner ont tenté d’en faire le précurseur du nietzschéisme, de l’existentialisme, voire, dans les années soixante, de l’idéologie de la « société anonyme », prophète et critique tout à la fois15. Je me garderai de cette démarche et me contenterai peut-être est-ce du reste un signe des temps - de repérer quelques moments de pensée qu’on peut estimer « actuels ». Le repli général sur l’individualisme et le particularisme est la première idée qui vienne à l’esprit. Je n’en ferai que médiatement usage, à travers les thèmes suivants. D’abord la mise en question radicale de la notion de vérité. Pour Stirner « la » vérité n’est jamais que ma vérité ; c’est par un raisonnement foncièrement égoïste que j’érige en norme d’une « communication non détériorée » les exigences de vérité et d’authenticité. Nous sommes alors au cœur du débat suscité par la théorie de l’agir communicationnel de Habermas. Pour Stirner tout consensus est stratégique ; la (ma) vérité n’est qu’un instrument dont je me sers dans mes relations avec ceux que j’en crois digne. Dans l’essai sur l’éducation - qui subvertit en ce sens radicalement la philosophie de la Bildung en reprenant le schéma canonique des trois âges de l’humanité mais en faisant du Moi le troisième - on découvre les linéaments d’une conception de la communication qui est une association libre entre le maître et l’élève, une communication dans laquelle des volontés adverses par nature s’affrontent sans qu’il n’y ait ni triomphe ni défaite au nom d’une vérité supérieure ; seul s’instaure l’équilibre de volontés qui gardent leur indépendance. On est alors très proche de la conception lyotardienne du « différend » socialisateur. Cette conception va de pair avec l’élimination du sujet (théorique et moral tout à la fois) qui, dans la modernité philosophique, est devenu la base d’une refondation de la métaphysique. Pour Stirner le Moi ne prend 15 Hans G. Helms, Die Ideologie der anonymen Gesellschaft, Köln 1966.
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jamais la qualité d’un Je transcendantal, à moins que l’on ne dise que ce dernier n’est autre que le Moi. Il est bien l’axe du monde mais ce monde n’est que son monde, sa propriété, qu’il reprend dès qu’on veut la donner au monde - dès qu’on veut faire du sujet un sujet du monde et d’un quelconque cosmopolitisme. C’est à tort qu’Eduard von Hartmann a voulu inscrire Stirner dans la continuité du Moi de Fichte, qui se pose en s’opposant au Non moi et constitue ainsi son monde. Stirner a mis lui-même les points sur les i : « Fichte parle du Moi absolu, quant à Moi, je parle de Moi, du Moi périssable ». Le Moi de Stirner « détruit tout et se dissout lui-même » ; il se résorbe en même temps qu’il se pose parce que son affirmation n’est en rien universalisable et ne saurait donc constituer un principe transcendantal. Dans une perspective politique le « ni Dieu, ni maître » qui eut son heure de gloire dans l’anarchisme et put se réclamer de Stirner semble en accord avec le retrait de légitimité dont souffrent toutes les formes d’association qui postulent un dépassement de l’individualité et un cosmopolitisme. Le moment philosophico-politique de ce phénomène est celui que Sartre qualifiait de « groupe en fusion » - et il semble bien que Sartre, dans sa refondation de la « raison dialectique », ait consciemment ou inconsciemment repris ou retrouvé une des idées fondamentales de Stirner. La fusion entre la volonté particulière et la volonté générale est pour Stirner foncièrement révocable si je ne veux pas que ma volonté d’hier ne s’érige en tyran de ma volonté d’aujourd’hui. L’action collective, comme la Société et l’Etat, n’est donc que le regroupement de multiples volontés individuelles au nom d’une lutte menée en commun ; l’union est donc continuellement réadaptée aux situations nouvelles. Pour Sartre les libres actions individuelles, avant de se composer en praxis de groupe, se rencontrent comme autant de « Pour soi » face à autant d’« en soi » - une rencontre qui a lieu d’abord dans le regard-projet. En renvoyant à l’autre son regard qui m’objective et me « néantise », je lui apprends que je suis plus qu’un corps, je le contrains à reconnaître la liberté cachée dans ce corps. De cette rencontre découle la fraternité-terreur et le groupe en fusion - fusion de libres praxis individuelles dans leur commun affrontement à un même obstacle qui seul crée l’unité du groupe. Une fois l’affrontement passé se pose du même coup la question de la survie du groupe. Contre le soupçon le groupe s’assermente, établissant la « fraternité-terreur ». C’est très précisément ce moment de l’institutionnalisation de l’association devant lequel Stirner s’arrête. C’est en ce point qu’il requiert que le Moi retire ses billes. 21
Je n’engage pas mon avenir au service de l’association et Je ne lui remets pas Mon âme comme on dit quand il s’agit du diable et comme c’est véritablement le cas quand il s’agit de l’Etat et de toute autorité spirituelle, mais Je suis et Je reste pour Moi plus que l’Etat, l’Eglise, Dieu, etc., donc aussi infiniment plus que l’association16. Là où Sartre développe sa théorie du Parti intervient chez Stirner la récusation du Parti comme forme de lutte politique. C’est là aussi où, contre toute discipline de parti, il invoque le droit à l’apostasie comme une sorte de droit naturel du Moi. Il ne saurait toutefois être question ici de se livrer quelque peu sérieusement à une confrontation de Sartre et de Stirner, encore moins de suggérer qu’il y ait chez Sartre un individualisme anarchiste. Je m’en tiens donc à la question du Parti, importante si l’on veut en revanche situer Stirner par rapport au courant anarchiste qui se l’est approprié et peut-être aussi par rapport à la question incontestablement cruciale de l’action politique aujourd’hui. Stirner ne rejette pas complètement le rôle du Parti ; mais il le soumet au Moi, qui demeure en dernière instance libre de s’associer ou de se retirer. Le Parti est en outre, et pour les mêmes raisons, condamnable en principe dès qu’il veut imposer à l’individu des objectifs généraux dans lesquels ce dernier ne se reconnaît pas, c’est-à-dire qu’il ne pose pas comme siens en même temps. Il y a le bon côté de la chose : le fait que l’unicité revendique le droit à la différence et surtout associe explicitement cette revendication à la possibilité, malgré tout, d’un consensus, en vertu du principe que la tolérance véritable ne naît pas du sentiment que nous sommes tous semblables mais de la certitude que nous sommes tous uniques. Il me semble qu’on devrait relire aujourd’hui, à propos de quelques foulards et autres bonnets, ces lignes de Stirner : Notre faiblesse n’est pas d’être opposés à d’autres, mais de ne pas être radicalement opposés, c’est-à-dire de ne pas être entièrement séparés d’eux, ou de chercher une communauté comme un idéal. Une seule foi, un seul Dieu, une seule idée, un seul bonnet pour tous ! Si tous portaient le même bonnet, personne il est vrai, n’aurait plus besoin de se découvrir17.
16 L’Unique, op. cit., p. 344. 17 L’Unique, op. cit., p. 254.
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Mais Stirner est-il récupérable aujourd’hui ? Y a-t-il chez lui - et on me fera grâce de me soupçonner de donner dans quelque résurrection de l’anarchisme - une conception de la multiculturalité qui pourrait enrichir la rigidité républicaine comme le mutualisme a enrichi la tradition syndicale ? Il n’est pas exclu en tous cas qu’il soit à nouveau en osmose avec certains aspects de l’esprit du temps.
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1. Hegel / Jeunes-hégéliens
Wolfgang Eßbach Ein unentwegtes Skandalon. Max Stirners Kritik des Heiligen und die Phrase des Einzigen Wenn über Max Stirner gesprochen werden soll, so sind einige Vorklärungen nötig, denn die Erinnerung an diesen Autor und seine Zeit, der so genannte Vormärz, ist heute vielfach überlagert und verstellt. Der die ganze Gesellschaft im Jahrzehnt vor der Revolution von 1848 ergreifende religiöse Aufruhr ist ebenso weitgehend aus dem Blickfeld geraten wie die Erschütterungen, die die Lektüre des Buchs Der Einzige und sein Eigentum bei Meisterdenkern wie Marx und Nietzsche hervorgerufen haben (I). Um den Angriffspunkt von Stirners Intervention genauer zu bestimmen, gilt es aufzuzeigen, daß das religiöse Feld seiner Zeit weitaus komplexer strukturiert war, als es das geläufige Schema einer Binarität von Christentum und Säkularität vorgibt. Diese Differenzierung des religiösen Feldes kann helfen, die einleitende Passage von Der Einzige und sein Eigentum: « Was soll nicht alles Meine Sache sein! » und die dann folgende, auf den ersten Blick beliebige Reihe von abgewehrten Zumutungen historisch zu kontextualisieren (II). Ich schlage dann vor, Stirners Angriff auf Hegel in einer religionssoziologischen Perspektive als Kritik der Religion des revolutionären Enthusiasmus zu beschreiben (III). Ihr Kennzeichen sind rätselhafte politisch-religiöse Fusionen, die Marx als Ideologie und Stirner als Sakralisierung in unterschiedlicher Weise aufzulösen sich bemüht haben (IV). Abschließend wird die Frage diskutiert, wie Stirners Materialismus des Selbst seine Sprache gefunden hat. I. Max Stirner im Vormärz, überlagert und verstellt Im Oktober 1844 wurde Der Einzige und sein Eigentum von Max Stirner ausgeliefert. Das Buch gehört zu den großen Skandalen der Geschichte der Intelligenz. Es wurde viel gelesen, aber was die Stirner-Rezeptionen generell charakterisiert: man liest Stirner, läßt sich von ihm inspirieren und beunruhigen, aber man ist vorsichtig mit expliziten Bezugnahmen. Es ist da eine Sorge, in zu schlechte Gesellschaft zu geraten oder einer teuflischen Verführung zu erliegen oder die Brücken zum common sense zu sprengen oder der Sprache eines Größenwahns zu huldigen.
Institut für Soziologie, Albert-Ludwigs-Universität Freiburg i. Br., Postfach, D-79085 Freiburg, [email protected].
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Die Ambivalenz der ersten Reaktionen der Staatsgewalt 1844 auf das Erscheinen von Stirners Der Einzige und sein Eigentum bildet ein bleibendes Muster. Der Zensor verbietet das Buch, denn « alle sociale Verfassung » werde als etwas bezeichnet, das nicht länger existieren dürfe, es werde « die Lüge, der Meineid, Betrug, Mord und Selbstmord gerechtfertigt und das Recht des Eigentums geleugnet. » Der Innenminister dagegen ließ das Buch unzensiert, es werde schon keinen Schaden anrichten, « die Schrift liest sich großenteils sogar wie Ironie und eine schlagende Selbstwiderlegung ».1 Zur klandestinen Wirkungsgeschichte dieses oft lautstark verfemten und heimlich geschätzten Buches gehört insbesondere, daß zwei der Geistesheroen des 19. Jahrhunderts: Marx und Nietzsche unverstanden bleiben, wenn man ihre Auseinandersetzung mit Stirner verdrängt. Das Manuskript St. Max, das Marx und Engels 1845 im Brüsseler Exil verfaßten – eine Stirner-Kritik, die an Umfang dem kritisierten Werk gleichkommt – blieb unveröffentlicht, bis sie Eduard Bernstein 1903/1904 stückweise in der Reihe Dokumente des Sozialismus publizierte.2 Was Nietzsches Stirnerlektüre betrifft, so hat Bernd A. Laska sie mit guten Belegen für das Jahr 1865 angesetzt, d. h. vor jener tiefgreifenden seelischen Krise, die Nietzsche zum Anhänger Schopenhauers werden ließ.3 Die Tagebuchblätter jener Zeit hat Nietzsche vernichtet und den Namen Stirner später in seinen Schriften nirgends erwähnt. Aber in der Zeit der Wiederentdeckung Stirners in den 1890er Jahren waren sich viele Leser sicher, in Nietzsches Texten ein Echo Stirnerscher Auffassungen zu vernehmen; es kam sogar zu einer Plagiatsdebatte.4 Überlagert und verstellt ist nicht nur die Erinnerung an den Autor Max Stirner, sondern auch an das Jahrzehnt vor der 1848er Revolution. Bert Andréas u. Wolfgang Mönke: Neue Daten zur ›Deutschen Ideologie‹, in: Archiv für Sozialgeschichte 8 (1968), S. 5-159, cit. S. 18f. 2 Zur Editionsschichte: Wolfgang Eßbach: Max Stirner – Geburtshelfer und böse Fee an der Wiege des Marxismus, in: Karl Marx/Friedrich Engels. Die deutsche Ideologie, hrsg. von Harald Bluhm, Berlin: Akademie-Verlag, 2010, S. 165-183. 3 Bernd A. Laska: Nietzsches initiale Krise. Die Stirner-Nietzsche-Frage in neuem Licht, in: Germanic Notes and Reviews, 33/2 (2002), p. 109-133; online: http://www.lsrprojekt.de/nietzsche.html (letzter Zugriff: 19.01.2017); ders.: Dissident geblieben. Wie Marx und Nietzsche ihren Kollegen Max Stirner verdrängten und warum er sie geistig überlebt hat, in: Die Zeit vom 27. Januar 2000, S. 49. Hilfreiche Analysen und Informationen finden sich auf der Homepage von Bernd A. Laska : http://www.lsrprojekt.de/ms.html (letzter Zugriff: 19.01.2017). 4 Den Plagiatsvorwurf erhob Eduard von Hartmann: Ethische Studien, Leipzig: Hermann Haake, 1898, S. 60ff. 1
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So ist es schon verwunderlich, daß zum 150jährigen Jubiläum dieser Revolution, das 1998 inmitten einer Welt voller religiöser Konflikte stattfand, nur von wenigen gesehen wurde, daß Religion und Politik die vorherrschenden Themen dieser Zeit waren und daß im Vormärz religiös-politische Massenbewegungen die Szene beherrschten.5 Für den demokratischen Publizisten Robert Prutz stellte sich die Situation 1846 so dar: Wir disputieren über die Dreieinigkeit, erörtern die Glaubhaftigkeit des Evangelisten Lukas und schreiben dicke Bücher darüber, ob der Weg in den Himmel links geht oder rechts, ob man zu Pferde oder zu Esel sicherer dahin gelangt, und ob die Hölle eine Treppe tiefer liegt oder zwei. Da haben wir in Summa die Nationalinteressen des deutschen Volkes Anno vierzig bis sechsundvierzig: der rote Faden, der sich durch das Gewirre dieser Jahre hinzieht, er ist aus geistlicher Wolle gezupft, die Dogmatik ist unser contract social, Geistliche sind unsere Volkshelden, theologische Streitfragen die Fragen der Gegenwart, die Fragen der Nation!6 Und der liberale Arzt Johann Jacoby stellte fest: « Wahrhaftig! Religion ist die epidemische Krankheit unserer Zeit; niemand ist vor Ansteckung sicher. »7 Dieser religiöse Aufruhr mündete in die Revolution von 1848, von der Jonathan Sperber zu Recht gesagt hat, daß diese Revolution « auch eine Revolution der Religion war ». Sie « wies viele Merkmale einer religiösen Revolution auf, vielleicht sogar mehr als je eine Revolution zuvor oder danach ».8 Nimmt man dies ernst, so gilt es, Stirner und die vormärzlichen Intellektuellen in eine religionsgeschichtliche Perspektive zu rücken, in der dann die Parameter der Traditionsbildung der politischen Linken und Rechten, die Fixierung auf die Signal-Namen Marx und Nietzsche in einem neuen Licht erscheinen können. Der Sprung in eine Zeit, für die Religionsfragen an der Spitze der Vgl. Wolfgang Eßbach: Die Junghegelianer. Soziologie einer Intellektuellengruppe, München: Wilhelm Fink, 1988, S. 354ff. 6 Robert Prutz: Theologie oder Politik? Staat oder Kirche?, in: Ders.: Kleine Schriften. Zur Politik und Literatur, Bd. 2, Merseburg: Louis Garcke, 1847, S. 3-51, cit. S. 14f. u. 19. 7 Johann Jacoby an Ludwig Walesrode. Brief vom 26.03.1846, in: Ders. : Briefwechsel 1816-1849, hrsg. v. Edmund Silberner, Bd. 1, Hannover : Fackelträger Verlag, 1974, S. 334. 8 Jonathan Sperber: Kirchen, Gläubige und Politik in der Revolution von 1848, in: Europa 1848. Revolution und Reform, hrsg. von Dieter Dowe, Heinz-Gerhard Haupt u. Dieter Langewiesche, Bonn: Verlag J.H.W. Dietz Nachf., 1998, S. 933-959, cit. S. 956. 5
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öffentlichen Leidenschaft standen, dürfte uns heute, da die Debatten um die Wiederkehr des Themas Religion kein Ende finden, nicht allzu schwerfallen. Die Erinnerung an diese Revolution der Religion ist im Geschichtsbewußtsein der Deutschen ausgelöscht. Der Literaturhistoriker Julian Schmidt stellt 1855 erleichtert fest: In dem Anfange der 40er Jahre schien es fast, als solle sich die erregte Teilnahme der Laien an den theologischen Händeln, die im 17. Jahrhundert Deutschland in seiner Entwicklung so sehr aufgehalten hat, noch einmal erneuern. Wir sind sehr damit zufrieden, daß diese Gefahr von unserer Bildung abgewandt ist, daß die politische Aufregung die religiöse verdrängt hat.9 Diese Erleichterung, daß politische Auseinandersetzungen die religiösen verdrängt haben, steht heute wieder in Frage, wie jeder, der die Nachrichtensendungen einschaltet oder die Zeitungen liest, erfahren kann. II. Die Komplexität des religiösen Feldes Julian Schmidt zieht mit seiner Erinnerung an das 17. Jahrhundert einen aufschlußreichen Vergleich: die Zeit des Vormärz erinnert ihn an die europäischen Glaubenskriege der frühen Moderne. Auch damals standen Religion und Politik im Zentrum des Geschehens. Aber es handelte sich um einen anderen Typus von Religionskonflikten. Um es kurz zu skizzieren: Am Beginn der europäischen Moderne sind zwei gesellschaftliche Prozesse ineinander verflochten: Der Wandel von personaler Herrschaft zu modernen Territorialstaaten und die Entstehung einer neuen Form des Christentums: der Konfessionalismus. Staatbildungskriege und Glaubenskriege bilden eine Einheit. In Europa entstehen die modernen Flächenstaaten in Folge der Reformation als katholische und als protestantische Konfessionsstaaten, die gegeneinander Krieg führen und Andersgläubige verfolgen und vertreiben. Der Zwang zur einheitlichen Konfession im jeweiligen Staatsgebiet verstärkt die Kontrollmacht über die Untertanen. Der Konfessionalismus ist ein neuer Typus von Religion, der sich von den vormodernen regionalen Christentümern der Spätantike und des Mittelalters deutlich unterscheidet. In meiner Religionssoziologie habe 9
Julian Schmidt: Geschichte der deutschen Literatur, Bd. 3: Die Gegenwart, Leipzig: Herbig, 1855, S. 383.
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ich diesen Typus Bekenntnisreligion genannt.10 Gegen diesen christlichen Konfessionalismus richtete sich die Kritik der Intellektuellen, die man der Bewegung der Aufklärung zurechnet. Ihre zentrale Frage lautete: wie kommt man aus dem Fanatismus der Glaubenskriege heraus? Die aufklärerischen Strategien und Argumentationsfiguren sind bekannt, weil sie von Europäern heute dem religiösen Aufruhr in der islamischen Welt anempfohlen werden. Dazu gehören die Entwicklung einer überkonfessionellen Politik, einer vernünftigen Auffassung von Religion und einer öffentlichen Zurückhaltung in Religionsfragen. Demonstratives Zur-Schau-Stellen der eigenen religiösen Überzeugungen wirkt bei aufgeklärten Menschen peinlich. Aber die öffentliche Zurückhaltung in Sachen Religion ist nicht mit Atheismus zu verwechseln. Die Aufklärer setzten gegen die betrügerische Religion der Priester die anthropologisch verbürgte natürliche Religiosität aller Menschen. Rationalreligion habe ich diesen Typus einer aufgeklärten Religion genannt. All dies ist im Vormärz präsent, denn einmal entstandene Formen von Religion verschwinden nicht einfach, sondern finden Fortsetzungen. Dies wird erkennbar, wenn man sich die Mühe macht, die ersten Zeilen von Stirners Der Einzige und sein Eigentum zu entziffern. Dann wird auch deutlich, daß sich der religiöse Aufruhr im Vormärz noch aus einer anderen Quelle speist. Die ersten Zeilen lauten: Was soll nicht alles Meine Sache sein! Vor allem die gute Sache, dann die Sache Gottes, die Sache der Menschheit, der Wahrheit, der Freiheit, der Humanität, der Gerechtigkeit; ferner die Sache Meines Volkes, Meines Fürsten, Meines Vaterlandes; endlich gar die Sache des Geistes und tausend andere Sachen. Nur Meine Sache soll niemals Meine Sache sein. ‚Pfui über den Egoisten, der nur an sich denkt!’11 Es ist zu fragen: Ist diese Aufzählung von Sachen willkürlich oder in einer durchdachten Sequenz formuliert? Dieser Frage will ich im Folgenden nachgehen. Die Sache, das ist zunächst die Streitsache vor Gericht, dann auch die Sache, für die es sich zu kämpfen lohnt, aus der Sache kann Vgl. Wolfgang Eßbach: Religionssoziologie 1. Glaubenskrieg und Revolution als Wiege neuer Religionen, Paderborn: Wilhelm Fink, 2014. 11 Max Stirner: Der Einzige und sein Eigentum, mit einem Nachwort hrsg. von Ahlrich Meyer, durchges. und verb. Ausgabe, Stuttgart: Reclam, 1972, S. 3. 10
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weitergehend ein Auftrag, eine Aufgabe, eine Pflicht werden. Zuerst genannt wird « vor allem die gute Sache ». Dies ist eine Anspielung auf eine Publikation: Die gute Sache der Freiheit und meine eigene Angelegenheit ist der Titel der Streitschrift, die Stirners Freund, der Junghegelianer Bruno Bauer 1842 publizierte, nachdem ihm die venia legendi von der theologischen Fakultät der Bonner Universität wegen seiner Kritik der Evangelien entzogen worden war.12 Bauer bezweifelte die historische Existenz der Person Jesus und erklärte die Evangelien zum freien literarischen Ausdruck der Evangelisten. Nach der Anspielung auf Bauers Streitschrift folgt in Stirners Eröffnung die Sache Gottes und die der Menschheit, womit auf jene Umkehrung des Gott-Mensch-Verhältnisses Bezug genommen wird, die Ludwig Feuerbach in die öffentliche Religionsdebatte eingebracht hatte: Nicht Gott hat die Menschen erschaffen, sondern die Menschen sind Schöpfer ihres Gottes. Also: die gute Sache, die Sache Gottes, die Sache der Menschheit – diese ersten drei Sachen beziehen sich auf die Religionskritiken am Christentum, die Bruno Bauer und Ludwig Feuerbach im Vormärz publiziert hatten. Aber dann folgt eine weitere Reihe, die auf etwas Anderes zielt als den bekenntnisreligiösen Konfessionalismus. Es geht um Ideen, die in dieser Zeit als Ideale gelten: die Sache « der Wahrheit, der Freiheit, der Humanität, der Gerechtigkeit. » Für die Epoche, deren Ende sich im Vormärz abzeichnet, haben Philosophiehistoriker die Sammelbezeichnung ,Idealismusʻ gewählt. Ich komme darauf zurück. Den Idealen schließt sich eine weitere Reihe von Sachen an, die politische Dinge betreffen: « die Sache Meines Volkes, Meines Fürsten, Meines Vaterlandes », eine Reihe, die im Gesamt der Aufrufe als Fremdkörper erscheinen könnte. Die Aufzählung der Sachen schließt mit einem « endlich gar die Sache des Geistes ». Dies zielt nun wieder konkret auf eine Person, nämlich auf Georg Friedrich Hegel. Soweit die Übersicht der Sachen, die in den ersten Zeilen aufgerufen werden. Ich möchte diesem Bündel der Sachen, die Stirner einleitend als Zumutung aufruft, weiter nachgehen und mit der Sache des Geistes, mit Hegel anfangen. Denn die Auseinandersetzung mit Hegels Denken und Glauben ist das Zentrum der Hegel-Schüler der zweiten Generation, eine Gruppe teils arbeitsloser, teils marginalisierter Intellektueller, die in Hinterzimmern und Kneipen zusammenkommt, um in wenigen Jahren 12
Bruno Bauer: Die gute Sache der Freiheit und meine eigne Angelegenheit, Zürich: Verl. des literarischen Comptoirs, 1842.
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intensiver Diskussion ein weites Spektrum von Religionskritik und Sozialphilosophie durchzudiskutieren, das bis heute all die beschäftigt, die mit den Zuständen ihrer Gegenwart unzufrieden sind. Jürgen Habermas hat geurteilt: « Wir verharren bis heute in der Bewußtseinslage, die die Junghegelianer, indem sie sich von Hegel und der Philosophie überhaupt distanzierten, herbeigeführt haben », und dann bemerkt: « Seit damals sind auch jene auftrumpfenden Gesten wechselseitiger Überbietung in Umlauf, mit denen wir uns gerne über die Tatsache hinwegsetzen, daß wir Zeitgenossen der Junghegelianer geblieben sind. »13 III. Die Religion des revolutionären Enthusiasmus Was meint nun Stirner, wenn er am Schluß seine rhetorische Eingangsfrage « Was soll nicht alles meine Sache sein? » auf Hegel zuspitzt und « endlich gar die Sache des Geistes » aufruft? Meine These ist: In diesem Punkt wird man nur weiterkommen, wenn man der Einsicht näher tritt, daß Hegel einen Philosophen zu nennen, nur die halbe Wahrheit ist. Zur Erläuterung möchte ich drei Sätze von Hegel zitieren. In der Einleitung zur Logik schreibt er: « Die Logik ist sonach als das System der reinen Vernunft, als das Reich des reinen Gedankens zu fassen. » Dieser Satz wird wohl auch heute noch bei Philosophen Zustimmung finden können. Im nächsten Satz heißt es: « Dieses Reich ist die Wahrheit, wie sie ohne Hülle an und für sich selbst ist. » Der Horizont der Philosophie ist hier seltsam verschoben. Aus dem System der reinen Vernunft ist die hüllenlose Wahrheit geworden, eine Wahrheit ohne Kostüm, ohne die Hülle der Worte.14 Da könnte es für Philosophen, die einen Diskurs machen wollen, schon schwierig werden. Der folgende Satz lautet: Man kann sich deswegen ausdrücken, daß dieser Inhalt (d.h. der Inhalt der hüllenlosen Wahrheit W.E.) die Darstellung Gottes ist, wie er in seinem ewigen Wesen vor der Erschaffung der Natur und eines endlichen Geistes ist.15 Jürgen Habermas: Der philosophische Diskurs der Moderne. Zwölf Vorlesungen, Frankfurt am Main: Suhrkamp, 1985, S. 67. 14 Vgl. István Drimál: ›Das absolute Verhältnis, welches durch das Seyn des Ganzen hindurchgeht‹. Hegels Bild von Heraklit, in: Vermittlung und Versöhnung. Die Aktualität von Hegels Denken für ein zusammenwachsendes Europa, hrsg. von Michael Quante u. Erzsébet Rózsa, Münster: LIT, 2001, S. 127-156, cit. S. 132. 15 Alle drei Sätze: Georg Wilhelm Friedrich Hegel: Wissenschaft der Logik I., in: Ders., 13
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Man kann es nicht oft genug betonen: Was Hegel getrieben hat, war eben nicht nur Philosophie, sondern zugleich Theologie. Hegel setzt eine Identität von Religion und Philosophie voraus. Dies ist oft gesehen worden. Maurice Merleau-Ponty hat die Philosophie Hegels als « eine ambivalente Mischung aus Theologischem und Anthropologischem » bezeichnet.16 Ich denke, Herbert Schnädelbach hat recht, wenn er schreibt: « Hegels System gehört in die Geschichte der Religion; es ist eine Reflexionsform des Christentums, und wir haben es nicht mehr mit Hegel selbst zu tun, wenn wir meinen, davon absehen zu können. »17 Also halten wir fest: Das « System der reinen Vernunft » ist zugleich «°die Wahrheit, wie sie ohne Hülle an und für sich selbst ist », und dies ist zugleich « die Darstellung Gottes, wie er in seinem ewigen Wesen vor der Erschaffung der Natur und eines endlichen Geistes ist. » Bei Hegel gibt es einen endlichen Geist der menschlichen Wesen und einen absoluten Geist, das ist der Geist Gottes. Der menschliche Geist ist für Hegel wichtig, weil durch ihn der Geist Gottes, der Geist des Schöpfergottes zu sich selbst zurückkehren kann. Diese Rückkehr Gottes aus seiner Schöpfung zu sich selbst ist der Prozeß der Weltgeschichte. Der menschliche Geist ist ein Werkzeug Gottes, ist Geist von seinem Geist, d.h. seit Platon: Gott in uns: enthousiasmós. Um diesen Geist geht es im §1 des Abschnitts über « Die Neuen », d.h. die Modernen, in Stirners Buch. Er schreibt: Darum verachtest Du den Egoisten, weil er das Geistige gegen das Persönliche zurücksetzt, und für sich besorgt ist, wo Du ihn einer Idee zu Liebe handeln sehen möchtest. Ihr unterscheidet Euch darin, daß Du den Geist, er aber Sich zum Mittelpunkte macht, oder daß Du Dein Ich entzweist und Dein ‚eigentliches Ich’, den Werke in zwanzig Bänden, Bd. 5, hrsg. von Eva Moldenhauer u. Karl Markus Michel, Frankfurt am Main: Suhrkamp, 1969, S. 44. 16 Maurice Merleau-Ponty: Das Sichtbare und das Unsichtbare gefolgt von Arbeitsnotizen, hrsg. u. mit einem Vor- u. Nachwort versehen von Claude Lefort, München: Wilhelm Fink, 1986, S. 127. 17 Herbert Schnädelbach: System und Geschichte. Über Grenzen des Hegelianismus, in: Das Interesse des Denkens. Hegel aus heutiger Sicht, hrsg. von Wolfgang Welsch, München: Wilhelm Fink, 2003, S. 217-229, cit. S. 227ff. Dagegen spielt in der philosophischen Hegelrenaissance zu Beginn des 21. Jahrhunderts weniger die Wiederkehr des Themas Religion als die Sackgasse der Analytischen Philosophie eine prominente Rolle. Siehe dazu Hegels Erbe, hrsg. von Christoph Halbig, Michael Quante u. Ludwig Siep, Frankfurt am Main: Suhrkamp, 2004.
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Geist, zum Gebieter des wertloseren Restes erhebst, während er von dieser Entzweiung nichts wissen will, und geistige und materielle Interessen eben nach seiner Lust verfolgt.18 Der eine macht den Geist zu seinem Mittelpunkt, er handelt vornehmlich einer Idee zu Liebe, und damit spaltet er sein Ich in ein ‚eigentliches Ich’, und einen wertloseren Rest. Zu diesen Ideen gehören die Sache « der Wahrheit, der Freiheit, der Humanität, der Gerechtigkeit°», die in der Eingangsfrage von Der Einzige und sein Eigentum aufgerufen werden, und die nicht mehr in den Radius der Christentumskritik von Bruno Bauer und Ludwig Feuerbach passen. Die gute Sache der Freiheit hatte sich Bruno Bauer aufs Panier geschrieben und Ludwig Feuerbach hatte die Fahne der Humanität aufgerichtet. Aber wenn die das ‚eigentliche Ich’ entfremdenden Ideen nicht mehr in das Format der christlichen Bekenntnisreligion und auch nicht in das Format der aufgeklärten Rationalreligion, des Glaubens an die Göttlichkeit der Vernunft passen, auf was für einen Typus von Religion zielt dann die Stirnersche Argumentation? Bekenntnisreligion und Rationalreligion sind nicht die einzigen Typen europäischer Religionen, die im modernen Europa entstanden sind. Mit der Französischen Revolution taucht eine neue Form der Religiosität auf: der revolutionäre Enthusiasmus. Er tönt uns aus vielen Dokumenten der Zeit entgegen. 1791 schreibt Jeanne-Manon Roland, eine Revolutionärin, die 1793 selbst unter die Guillotine gerät, über eine Rede von JacquesPierre Brissot: Er hat die Köpfe überzeugt, die Seelen elektrisiert, seinen Willen auferlegt; das war kein Beifall mehr, es waren Schreie, Ausbrüche; dreimal hat sich die ganze hingerissene Versammlung mit ausgebreiteten Armen, in die Luft geschwenkten Hüten, in unbeschreiblicher Begeisterung erhoben. Verderben über jeden, der diese großen Bewegungen empfunden oder geteilt hat und noch Fesseln tragen könnte!19 Beobachter haben sich gefragt, ob dieser Enthusiasmus nicht der Fanatismus sei, den man aus den Glaubenskriegen kannte. Kant, Hegel und andere kluge Leute waren der Überzeugung, daß hier etwas anderes geschehen ist. Die Enthusiasten sind von einer heiligen Idee in Besitz 18 19
Anm. 11, S. 32. Jeanne-Manon Roland zit n. Briefe aus der französischen Revolution, Bd. 2, hrsg. v. Gustav Landauer, Frankfurt am Main: Literarische Anstalt Rütten & Loening, 1919, S. 37.
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genommen, es sind die Gottrunkenen, von denen bei Platon die Rede ist. « Die Idealität », so heißt es bei Hegel, « kann die Qualität der Unendlichkeit genannt werden », d.h. sie negiert die Endlichkeit.20 Sie ist die Transzendenz in der Immanenz, nein-sagend zur Wirklichkeit. Der Enthusiasmus als eine Form der Religiosität unterscheidet sich von den älteren Religionstypen dadurch, daß Göttliches und Menschliches fusioniert werden. Die Sprache des Religiösen diffundiert in alle möglichen Bereiche und wird in solch einer Art verweltlicht, daß sie sich von bekenntnisreligiösen und auch von rationalreligiösen Profilen, in denen man eine Kohärenz von Religion erkennen konnte, entfernten. Damit geraten Phänomene in den Bezirk des Heiligen, die zuvor nicht in dieser Weise kodiert wurden. Die wilde und elementarische Natur konnte ebenso enthusiastisch erlebt werden wie die Dichtung, aber auch die Gesellschaft, die Kultur, die Bildung, das Vaterland u.a.m. Auf diesen Typus der Religiosität zielt Stirner, wenn er schreibt: Allein wie dem denkenden Ich im Enthusiasmus des Denkens leicht Hören und Sehen vergeht, so hat auch Dich der GeistEnthusiasmus ergriffen, und Du sehnst Dich nun mit aller Gewalt, ganz Geist zu werden und im Geiste aufzugehen. Der Geist ist Dein Ideal, das Unerreichte, das Jenseitige: Geist heißt Dein – Gott, ‚Gott ist Geist’.21 Den Enthusiasten geht es um heilige Dinge. In der Revolutionszeit explodiert die Verwendung des Adjektivs ‚heiligʻ in allen möglichen Zusammenhängen.22 Entscheidend ist, daß in der Erfahrung des revolutionären Enthusiasmus die flottierende Sakralisierung all der Dinge, die Menschen heilig halten wollen, prinzipiell möglich wird. Es ist nicht mehr allein der in einer Kirche lebendige Heilige Geist, auch nicht die Göttlichkeit der Vernunft. « Nein, » schreibt Stirner, « die Vernunft ist ein Buch voll Gesetze, die alle gegen den Egoismus gegeben sind. »23 Im Enthusiasmus werden mehrere Fusionen des Irdischen und Göttlichen möglich, vor allem die Sakralisierung der Kunst, Musik und Literatur, die nun Medien des Göttlichen werden, und die Sakralisierung des Volkes, die Nation, Anm. 15, S. 166. Anm. 11, S. 33. 22 Moriz Heyne: »Heilig« [1877], in: Die Diskussion um das ›Heilige‹, hrsg. von Carsten Colpe, Darmstadt : Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1977, S. 3-26, cit. S. 22ff. 23 Anm. 11, S. 372. 20 21
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denen nun Altäre gebaut werden. So gehört zu den Sachen, die Stirner als Ideale zurückweist, eben auch « die Sache Meines Volkes, Meines Fürsten, Meines Vaterlandes ». IV. Das Rätsel der politisch-religiösen Fusionen Gerade die politisch-religiösen Fusionen der Revolutionszeit sind für die Intellektuellen im Vormärz nicht einfach aufzulösen. Die Fragen lauten: Handelt es sich bei den seltsamen Vermischungen um eine Sakralisierung der Politik oder um eine Politisierung religiöser Glaubensinhalte? Was ist Religion in der Revolutionserfahrung? Ist Religion nur Schale, die zerbrochen werden muß, um den profanen Kern freizulegen, oder liegt das treibende revolutionäre bzw. das reaktionäre konterrevolutionäre Element im Aufbruch religiöser Gesinnungen? Was gibt den Ausschlag? Eine profane Bewegung, die sich selbst in ihrem wirklichen Sein verkennt und bloß religiös verhimmelt, oder eine religiöse Bewegung, die zwar auch profane Elemente und Konsequenzen hat, aber im Kern aus religiösen Antrieben gespeist wird? Gehört der Glaube zu den Kräften, denen eine fundierende Kraft zukommt, oder ist Religion ein phantasmagorisches Epiphänomen? Ist die Revolution, was den Hauptakzent angeht, ein profanes oder ein religiöses Phänomen? Angesichts dieses Bündels von Fragen bilden sich im Vormärz alternative Antworten heraus, von denen diejenige von Stirner und die von Marx zu den folgenreichsten werden. Für Stirner ist die Revolution ein religiös getriebenes Geschehen. Er nimmt den Revolutionären Frankreichs ihre religionskritischen Positionen nicht ab. So bemerkt er: « Als die Revolution die Gleichheit zu einem ‚Rechte’ stempelte, flüchtete sie ins religiöse Gebiet, in die Region des Heiligen, des Ideals. »24 Stirner konstatiert, « daß die Revolutionärsten unserer Tage Uns einem neuen ‚heiligen Rechte’ unterwerfen wollen, dem ‚Rechte der Gesellschaft’, der Sozietät, dem Rechte der Menschheit, dem ‚Rechte Aller’ u. dergl. »25 Dabei zielt Stirner weniger auf die Inhalte selbst als vielmehr auf ihre Sakralisierung. Das neue Heilige wendet sich gegen die Form der alten Religion, indem es eine neue Form der Religion kreiert, in der alles Mögliche sakralisiert werden kann. Dies gilt auch für die Idee der Menschenrechte, die Stirner in abgründiger Ironie « das teure Werk der Revolution » nennt. Für ihn 24 25
Ibid. S. 207. Ibid. S. 205.
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haben die Menschenrechte den Sinn, daß der Mensch in Mir Mich zu dem und jenem berechtige: Ich als Einzelner, d. h. als dieser, bin nicht berechtigt, sondern der Mensch hat das Recht und berechtigt Mich. Als Mensch kann Ich daher wohl berechtigt sein, da Ich aber, mehr als Mensch, nämlich ein absonderlicher Mensch bin, so kann es gerade Mir, dem Absonderlichen, verweigert werden.26 Diese Unterscheidung von Mensch und Ich, die sich als ein roter Faden durch das ganze Buch zieht, ist nicht nur für die Zeitgenossen höchst irritierend gewesen. Sie bleibt ein unentwegtes Skandalon. Die neue Religion erscheint bei Stirner als Religion des Humanismus. So heißt es: « Der Mensch ist der letzte Geist oder Spuk, der täuschendste oder vertrauteteste, der schlaueste Lügner mit ehrlicher Miene, der Vater der Lügen. »27 Die Idealisierung als eine Sakralisierung des Humanismus hat fatale Konsequenzen: « Nicht genug, daß man die große Masse zur Religion abgerichtet hat, nun soll sie gar mit ‚allem Menschlichenʻ sich noch befassen müssen. Die Dressur wird immer allgemeiner und umfassender. »28 Es ist dies ein deutlicher Bruch sowohl mit der rationalreligiösen Aufklärung, mit dem 18. Jahrhundert, als auch mit der enthusiastischen Religiosität der Revolution. Diese Wende, grob gesprochen vom Idealismus zum Materialismus, als erster im Kontext der Junghegelianer vollzogen zu haben, ist das Verdienst Max Stirners. Die Marxisten haben nicht aufgehört, dies Stirner streitig zu machen, und die materialistische Wende Marx zuzuschreiben und allenfalls Feuerbach eine Vorläuferrolle zuzubilligen.29 Um nur ein prominentes Beispiel zu nennen: Louis Althusser hat in den 1960er Jahren einen « coupure épistémologique » zwischen dem frühen, sich an Feuerbach orientierenden, und dem Ibid. S. 352. Ibid. S. 202. 28 Ibid. S. 365. 29 Zur Widerlegung dieser These siehe Wolfgang Eßbach: Die Bedeutung Max Stirners für die Genese des historischen Materialismus. Zur Rekonstruktion der Kontroverse zwischen Karl Marx, Friedrich Engels und Max Stirner, Phil. Diss., Göttingen: Selbstverlag, 1978. Neuausgabe: Gegenzüge. Der Materialismus des Selbst und seine Ausgrenzung aus dem Marxismus – eine Studie über die Kontroverse zwischen Max Stirner und Karl Marx, Frankfurt am Main: Materialis-Verlag, 1982. Vgl. auch Ulrich Pagel: Der beunruhigte Marx. Zur Rezeption Max Stirners in der ›Deutschen Ideologie‹, in: Was bleibt? Karl Marx heute, hrsg. von Beatrix Bouvier, Harald Schwaetzer, Harald Spehl u. Henrieke Stahl, Trier: Friedrich-Ebert-Stiftung, 2009 S. 113-127. 26 27
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reiferen Karl Marx herausgestellt.30 Der junge Marx sei ein Humanist gewesen, der reifere sei durch einen « anti-humanisme » gekennzeichnet. Daß es die Lektüre von Der Einzige und sein Eigentum war, die Marx genötigt hat, sein ganzes Denken umzuorientieren, hat Althusser verschwiegen, obwohl er die wichtige Pionierstudie von Henri Arvon möglicherweise schon früh gelesen hat31. Erst im Nachlaß von Althusser findet man im Manuskript La Querelle de l’Humanisme von 1967 einen bemerkenswerten Hinweis auf Stirners Der Einzige und sein Eigentum als ein Ereignis zwischen den Pariser Manuskripten 1844 und der Deutschen Ideologie. Nur « de rares spécialistes ont apprécié l’importance », bemerkt Althusser, und er verweist hier auf Henri Arvon. Stirners Text « a contribué à faire éclater la catégorie hégelienne d’Homme ». Zu Stirners Anklage gegen Feuerbach, dieser habe einfach Gott durch den Menschen ersetzt und sei so nicht über die Religion hinausgekommen, schreibt Althusser: « cette accusation toucha profondément Marx et Engels ».32 Diese tiefe Beunruhigung, die von Stirner ausgegangen war, kann man auf den 400 Seiten des Manuskripts St. Max nachvollziehen, das als Teil der so genannten Deutschen Ideologie publiziert wurde.33 Marx und Engels folgen darin ihrem Kampfgefährten Stirner sowohl auf der abschüssigen Bahn antiidealistischer Polemik, die auf materialistische Fundierungen zielt, als auch in dem Versuch, über den Feuerbachschen Humanismus hinausgehend einen neuen Materialismus zu begründen. Die Art und Weise dieser Begründung hat dann auch Folgen für die Entmischung der politisch-religiösen Fusionen der Revolutionszeit. Die Marxsche Lösung des Rätsels der politisch-religiösen Fusionen der Revolutionszeit und seine Begründung eines neuen Materialismus ist oft diskutiert. Eine der zentralen Passagen sei in Erinnerung gerufen:
Louis Althusser: Pour Marx, Paris: Éditions F. Maspero, 1965. Henri Arvon: Aux sources de l’existentialisme: Max Stirner, Paris: Presses Univ. de France, 1954. Zur deutschen Übersetzung siehe Wolfgang Eßbach: Späte Gerechtigkeit für Sankt Max, in: Frankfurter Allgemeine Zeitung vom 29. Februar 2012, N3. 32 Louis Althusser: La querelle de l’humanisme, in: Ders.: Ecrits philosophiques et politiques, Tome II, Textes réunis et présentés par Francois Matheron, Paris: Stock, p. 433532, cit. p. 475f. 33 Karl Marx u. Friedrich Engels: Die deutsche Ideologie. Kritik der neuesten deutschen Philosophie in ihren Repräsentanten Feuerbach, B. Bauer und Stirner und des deutschen Sozialismus in seinen verschiedenen Propheten, in: Marx-Engels-Werke, Bd. 3, Berlin: Dietz Verlag, 1969, S. 42. 30 31
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Die Menschen sind die Produzenten ihrer Vorstellungen, Ideen usw., aber die wirklichen, wirkenden Menschen, wie sie bedingt sind durch eine bestimmte Entwicklung ihrer Produktivkräfte und des denselben entsprechenden Verkehrs bis zu seinen weitesten Formationen hinauf. Das Bewusstsein kann nie etwas anderes sein als das bewusste Sein, und das Sein der Menschen ist ihr wirklicher Lebensprozess. Wenn in der ganzen Ideologie die Menschen und ihre Vorstellungen wie in einer Camera obscura auf den Kopf gestellt erscheinen, so geht dies Phänomen ebenso sehr aus ihrem historischen Lebensprozess hervor, wie die Umdrehung der Gegenstände auf der Netzhaut aus ihrem unmittelbar physischen.34 Zu der « ganzen Ideologie » der Menschen, gehören die geistigen Produktion, « wie sie in der Sprache der Politik, der Gesetze, der Moral, der Religion, Metaphysik usw. eines Volkes sich darstellt ».35 Wenn man der Frage nachgeht, wie kommt Marx dazu, diesen weiten Begriff von «°Ideologie überhaupt » zu konstruieren, so wird man rasch entdecken, daß es sich um eine Spiegelung der Stirnerschen Kritik der Sakralisierung handelt.36 So wie Menschen alle möglichen geistigen Dinge sakralisieren können, so kann man alle möglichen Vorstellungen als Ideologie kennzeichnen. Marx’ Ideologiekritik und Stirners Kritik des Heiligen liegen nahe beieinander, wenn man den Umfang dessen betrachtet, was alles darunter subsumiert wird. Freilich gibt es einen wesentlichen Unterschied. Eine Sache eine heilige Sache zu nennen, etwas als absolut zu bezeichnen, ist eine Selbstbeschreibung: ‚Dies oder das ist mir heilig.’ Etwas eine Ideologie im Sinne von Marx zu nennen, ist eine Fremdbeschreibung: ‚Nicht bei meinen Vorstellungen, sondern bei denen von anderen handelt es sich um Ideologien.’ So kann Marx mit dem Ideologieverdacht operieren und Stirner entgegenhalten, es sei verkehrt, « sowohl die heuchlerischen Phrasen wie die Illusionen der Menschen für die wirklichen Motive ihrer Handlungen » anzusehen.37 Anders die Stirnersche Position. Wenn man von der Selbstbeschreibung der Sakralisierung ausgeht, so lassen sich die subjektiven Empfindungen von Gläubigen aller Art ohne Unterstellung hintergründiger Motive eindeutig zur Sprache bringen und daran die Ibid. 26f. Ibid. S. 26. 36 « Ideologie überhaupt » findet sich als Überschrift ibid. S. 17. 37 Ibid. S. 144. 34 35
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Möglichkeit einer Desakralisierung anschließen. So heißt es bei Stirner: Vor dem Heiligen verliert man alles Machtgefühl und allen Mut: man verhält sich gegen dasselbe ohnmächtig und demütig. Und doch ist kein Ding durch sich heilig, sondern durch Meine Heiligsprechung, durch Meinen Spruch, Mein Urteil, Mein Kniebeugen, kurz durch Mein – Gewissen.38 Die Basis der Sakralisierung und ihrer Kritik findet Stirner nicht wie Marx in den hintergründigen materiellen Verhältnissen, in denen Menschen ihr Leben reproduzieren, sondern in einem Selbst, das sich nicht in ein wesentliches und unwesentliches Ich zerspalten will. V. Materialismus des Selbst oder die Phrase des Einzigen Fragen wir zum Schluß nach dem, was viele Leser von Der Einzige und sein Eigentum so nachhaltig irritiert und genervt hat, nach dem Skandal der Stirnerschen Diktion, dieser nicht enden wollenden Rede von « ich », « mir » und « mich », mal groß mal klein geschrieben. Ich denke, man geht fehl, Stirners Unternehmen als eine Subjektphilosophie zu interpretieren. Es ist auch zweifelhaft, ob es sich hier überhaupt um Philosophie in einem herkömmlichen Sinn handelt. Klar positioniert sich Stirner gegen alle Philosophie, die vom Bewußtsein ausgeht, wenn er erklärt: « Vor meinem Denken bin – ich. »39 « Allein zum Denken wie zum Empfinden, also zum Abstrakten wie zum Sinnlichen brauche Ich vor allen Dingen Mich, und zwar Mich, diesen ganz Bestimmten, Mich, diesen Einzigen. »40 Gegen den subjektiven Idealismus Fichtes gewandt heißt es: Wenn Fichte sagt: ‚Das Ich ist Alles’, so scheint dies mit meinen Aufstellungen vollkommen zu harmonieren. Allein nicht das Ich ist Alles, sondern das Ich zerstört alles, und nur das sich selbst auflösende Ich, das nie seiende Ich, das – endliche Ich ist wirklich Ich. Fichte spricht vom ‚absolutenʻ Ich, Ich aber spreche von Mir, dem vergänglichen Ich.41 Diesem Ich ist auch nicht damit geholfen, wenn man ihm raten würde, in einen Prozeß der kritischen Hinterfragung einzusteigen, wie er zur Lieblingsbeschäftigung der Junghegelianer geworden war. Wollte Anm. 11, S. 77. Ibid. S. 395. 40 Ibid. S. 382. 41 Ibid. S. 199. 38 39
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man eine psychologische Perspektive einführen, so könnte man sagen: der vom religiösen, moralischen, und idealistischen Überich und vom Zwang zur Hinterfragung gestresste Intellektuelle hat als letzten point de résistance seinen Körper. So heißt es, der Kritiker wolle durch das Denken die Gedanken auflösen, Ich aber sage, nur die Gedankenlosigkeit rettet Mich wirklich vor den Gedanken. Nicht das Denken, sondern meine Gedankenlosigkeit oder Ich, der Undenkbare, Unbegreifliche befreie mich aus der Besessenheit.42 Wer es unternehmen würde, nach der Genealogie von Acéphale zu forschen, jener von Georges Bataille, Pierre Klossowski und André Masson 1936 gegründeten Zeitschrift, und der gleichnamigen Intellektuellengruppe, an deren Treffen Jacques Lacan und Walter Benjamin teilnahmen, wird über das Dionysische bei Nietzsche die Spur zur Kopflosigkeit des « Einzigen » zurückverfolgen können.43 Ein Ruck tut Mir die Dienste des sorglichsten Denkens, ein Recken der Glieder schüttelt die Qual der Gedanken ab, ein Aufspringen schleudert den Alp der religiösen Welt von der Brust, ein aufjauchzendes Juchhe wirft jahrelange Lasten ab. Aber die ungeheure Bedeutung des gedankenlosen Jauchzens konnte in der langen Nacht des Denkens und Glaubens nicht erkannt werden.44 Wenn man Arvons These, Stirner gehöre neben Kierkegaard zu den Quellen des Existentialismus, dahingehend erweitert, daß Existenz bei Stirner in einem starken Sinne leibhaftig ins Spiel gebracht wird, so erhellen sich auch die Passagen, in denen er eine unbeherrschbare Spontaneität vorführt: Auch Ich wehre Mich vielleicht schon im nächsten Augenblicke gegen meinen vorigen Gedanken, auch Ich ändere wohl plötzlich meine Handlungsweise; aber nicht darum, weil sie der Christlichkeit nicht entspricht, nicht darum, weil sie gegen die ewigen Menschenrechte läuft, nicht darum, weil sie der Idee der Menschheit, Menschlichkeit und Humanität ins Gesicht schlägt, Ibid. S. 164. Vgl. Stephan Moebius: Die Zauberlehrlinge. Soziologiegeschichte des College de Sociologie (1937-1939), Konstanz: Universitätsverlag, 2006; Christa Karpenstein-Eßbach: Georges Bataille (1897-1962): Ein Denken der Transgression, in : Culture Club – Klassiker der Kulturtheorie, hrsg. von Martin Ludwig Hofmann, Tobias F. Korta u. Sibylle Niekisch, Frankfurt am Main : Suhrkamp, 2004, S. 127-144. 44 Anm. 11, S. 164. 42 43
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sondern – weil Ich nicht mehr ganz dabei bin, weil sie Mir keinen vollen Genuß mehr bereitet, weil Ich an dem früheren Gedanken zweifle oder in der eben geübten Handlungsweise Mir nicht mehr gefalle.45 Und an anderer Stelle: « Endlich aber muß man überhaupt sich Alles ‚aus dem Sinn zu schlagen’ wissen, schon um – einschlafen zu können.°»46 Bleibt zu fragen: wozu Stirners renitentes Insistieren auf der Anerkennung der endlichen Vitalität, Fragilität, Akratie, Spontaneität und Sterblichkeit des Selbst? Meine These ist: Es ist der Versuch, die traditionelle Zentrierung des Materialismus auf außersubjektive Gegenständlichkeit zu überschreiten in Richtung auf einen Materialismus des Selbst. Diese Formulierung habe ich als Gegenzug zum Materialismus der Verhältnisse und ihrer Geschichte von Marx eingesetzt.47 Das materielle Selbst ist kein fester Ausgangspunkt, sondern eine unstete Größe, ohne sichere Kohärenz. Es ist ein « sterblicher Schöpfer », nicht nur im Sinne begrenzter Lebenszeit, sondern weil seine Selbstkohärenz verletzbar ist.48 Es handelt sich um einen Situationismus der « Selbstangehörigkeit Meiner ».49 Diese kann zerbrochen werden und zerfallen, zumal in Verhältnissen von Macht und Herrschaft. Jedoch auch in diesen Verhältnissen ist das unstete Selbst ein unzuverlässiges Objekt, ein eigensinniger Knecht ebenso wie ein sich vergessendes Subjekt, ein Herr ohne Zukunft. Denn das feste, authentische Ich ist für Stirner eine wirkliche Illusion, « das Stabilitätsprinzip » ist das «°Lebensprinzip der Religion », das den Individuen die Spontaneität, die schöpferische Unberechenbarkeit raubt.50 Stirners Materialismus des Selbst meint nicht eine prinzipiell unverletzliche Kohärenz des Selbst, vielmehr unterliegt diese einer Dynamik von Zerfall und Neukonstitution. Bei diesem Geschehen handelt es sich nicht um eine Entwicklung im Sinne der Dialektik, Ibid. S. 402. Ibid. S. 375. « Das Reich der Gedanken harret seiner Erlösung, harret gleich der Sphinx des ödipischen Rätselwortes, damit es endlich eingehe in seinen Tod. Ich bin der Vernichter seines Bestandes, denn im Reiche des Schöpfers bildet es kein eigenes Reich mehr, keinen Staat im Staate, sondern ein Geschöpf meiner schaffenden – Gedankenlosigkeit. » Ibid. S. 380. 47 Eßbach 1982, Anm. 29, S. 109ff. 48 Anm. 11, S. 412. 49 Ibid. S. 238. 50 Ibid. S. 379. 45 46
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sondern um eine unruhige Bewegung von gegenläufiger Dekomposition und Kreation einer neuen Grenze des Selbst. Erst der Zerfall entbindet die Energien, in deren Verausgabung Kohärenz wiedergewonnen wird. Der einzelne « ist nur, indem er sich erhebt, er ist nur, indem er nicht bleibt, was er ist; sonst wäre er fertig, tot. »51 Stirners präzise Darstellung des Einzigen als « schöpferisches Nichts » widerspricht jeder Einvernahme in eine Folklore des Authentischen.52 Wenn es überhaupt so etwas wie ein Authentisches im Subjekt gibt – Stirner hat es bewusst verspielt. Stirner benutzt zwar Begriffe wie: « Einzelner », « Egoist », «°wirklicher Mensch », « Ich », « Einziger », aber alle diese Wörter implodieren schon kurz nach ihrer Nennung. Gegen seine Kritiker schreibt er: Es gibt keine Begriffsentwicklung des Einzigen, es kann kein philosophisches System aus ihm, als aus einem ‚Prinzipeʻ erbaut werden, wie aus dem Sein, dem Denken oder dem Ich; es ist vielmehr alle Begriffsentwicklung mit ihm zu Ende.53 Nimmt man dies ernst, so wird vielleicht auch meine Formulierung ‚Materialismus des Selbst’ Stirner nicht ganz gerecht. Denn er insistiert mit einer rhetorischen Energie, die den Nominalismus im Sinne einer fundamentalen Sprachskepsis auf die Spitze treibt, auf seinem unsagbaren Selbst. Stirner sucht aber auch nicht wie ein Mystiker nach einem Jenseits der Sprache, sondern er führt Sprache vor. Seinen Rezensenten, die sich abmühen, ihn sinnsuchend zu interpretieren, erwidert er: « Was Stirner sagt, ist ein Wort, ein Gedanke, ein Begriff; was er meint, ist kein Wort, kein Gedanke, kein Begriff. Was er sagt, ist nicht das Gemeinte, und was er meint, ist unsagbar. »54 Der Materialismus des Selbst ist daher gar nicht nach seinen Inhalten zu definieren. Er ist absolut performativ. Bei Stirners performativen Akten ist es Nebensache, was Stirner sagt, – es geht ohnehin immer nur um das eine, daß etwas mir heilig sein soll – sondern im Zentrum steht die Tatsache, daß er spricht, und damit auf die Zustände in der sozialen Welt, in der die Heiligkeiten herumspuken, Ibid. S. 200. Ibid. S. 412. 53 Max Stirner: Recensenten Stirners, in: Ders. : Kleinere Schriften und seine Entgegnungen auf die Kritik seines Werkes »Der Einzige und sein Eigentum«, Stuttgart, Bad Cannstatt : frommann-holzboog, 1976 (Faks.-Neudr. d. Ausg. Treptow bei Berlin 1914), S. 343-396, cit. S. 346. 54 Ibid. S. 345. 51 52
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Einfluß nimmt. Der Einzige ist eine Aussage, von welcher mit aller Offenheit und Ehrlichkeit eingeräumt wird, daß sie – Nichts aussagt. Der Mensch, der Geist, das wahre Individuum, die Persönlichkeit u.°s.°f. sind Aussagen oder Prädicate, welche von einer Fülle des Inhalts strotzen, Phrasen mit höchstem Gedankenreichtum; der Einzige ist, gegenüber jenen heiligen und erhabenen Phrasen, die leere, anspruchslose und ganz gemeine Phrase.55 Seine Kritiker hätten aus der Phrase des Einzigen einen Anspruch herausgelesen, d.h. ein Ideal, eine Zumutung, eine Norm, irgendetwas sein zu sollen. Die Kritiker meinten, der « Einzige » mache wieder darauf Anspruch, eine heilige, erhabene Phrase zu sein, und bestritten ihm diesen Anspruch. Er soll jedoch nichts, als die gemeine Phrase sein, nur daß er eben dadurch das wirklich ist, was die hochtrabenden Phrasen der Gegner nicht zu sein vermögen, und daß er so die Phrasenmacherei zu Schanden macht.56 In Stirners performativer Inszenierung eines materiellen Selbst ist der dysfunktionale und verfemte Rest einer jeden Sozialtheorie versammelt, und dies macht ihn zu einem unentwegten Skandalon.
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Ibid. S. 347. Ibid.
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Norbert WASZEK* Max Stirner und Hegel Über Stirner und die Links- oder Junghegelianer, in anderen Worten die radikalen Schüler Hegels, wie Ludwig Feuerbach und Bruno Bauer, gibt es zahlreiche Studien.1 Demgegenüber wird der Bezug auf Hegel selbst von den Interpreten und Kommentatoren Stirners oft vernachlässigt. Dies mag schon äußerlich damit zusammenhängen, dass die meisten Autoren der Sekundärliteratur zu Stirner nicht aus der klassischen deutschen Philosophie stammen, sondern eher Literaturwissenschaftler, Historiker und Politologen sind. Aber auch inhaltlich ist der Gegensatz zwischen Stirner und Hegel auf den ersten Blick unüberwindlich, z.B. in Anbetracht ihrer wichtigen und so gegensätzlichen Beurteilung des Staates: wenn Stirner schreibt „Ich bin der Todfeind des Staates“ (284), findet sich bei Hegel eine Bewunderung, ja manchmal sogar eine Vergöttlichung des Staates. Der erste Satz von Hegels entsprechendem Abschnitt in seiner Philosophie des Rechts lautet: „Der Staat ist die Wirklichkeit der sittlichen Idee“.2 In seiner Geschichtsphilosophie wird der Staat als „die Verwirklichung der Freiheit“ gefeiert und sogar als „die göttliche Idee, wie sie auf Erden vorhanden ist“ bezeichnet.3 Dennoch offenbart Stirners entscheidender Text, Der Einzige und sein Eigentum, dem unvoreingenommenen Leser vielfältige Hinweise auf Hegel, ausdrückliche Zitate oder auch solche, die Stirner selbst nicht kenntlich machte, sowie diverse Anspielungen auf * Norbert WASZEK, Professeur en Etudes Germaniques et Directeur de l’EA 1577 à l’Université Paris VIII (2, rue de la Liberté ; 93526 Saint-Denis cedex). Mél : [email protected] ; site : http://norbertwaszek.free.fr. Seitenangaben, die in Klammern ohne weitere Hinweise in den Text integriert sind, beziehen sich auf die für die Kandidaten vorgeschriebene Ausgabe von Stirners Text, Der Einzige und sein Eigentum, hrsg. von Ahlrich Meyer, Stuttgart, Reclam, 1981/2011. 1 Berühmt war zum Beispiel das Buch des englischen Politologen und MarxSpezialisten David McLellan, der lange an der Universität Kent gelehrt hat McLellan (1969) – vgl. die vielbeachtete deutsche Übersetzung (1974), darin besonders das Kapitel „Max Stirner“, S. 136-157. Einen historischen Überblick über die Stirner-Forschung bietet die Einleitung zu dem Sammelband: D. Dettmeijer (1979), S. 7-14. 2 G.W.F. Hegel, Grundlinien der Philosophie des Rechts [1820/1821], § 257 – hier und in der Folge werden Hegels Texte nach Hegel, TWA zitiert, hier Bd. 7, S. 398. 3 G.W.F. Hegel, Vorlesungen über die Philosophie der Geschichte; Hegel, TWA, Bd. 12, S. 5758.
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Hegels Philosophie. Die Belege im Text selbst lassen sich durch biographische Hinweise ergänzen, welche unzweifelhaft verdeutlichen, wie gründlich sich Stirner in Hegels Denken und Schriften auskannte. Die erste Aufgabe dieses Vortrags soll es daher sein, solche textinterne Belege und biografische Informationen zusammenzutragen. Zunächst also ein paar Worte über Stirners Studien und Berührungen mit Hegels Philosophie. Schon auf dem Gymnasium in Bayreuth, das er von 1819 bis 1826 besuchte, hätte Stirner mit Hegels Ideen in Kontakt treten können. Das Gymnasium wurde nämlich seit 1821 von Georg Andreas Gabler (1786-1853)4 als Rektor geleitet, der zu Hegels frühen Studenten aus seiner Jenaer Zeit, also ganz am Anfang des 19. Jahrhunderts, gehörte. Ist Gabler auch kein berühmter Philosoph gewesen, sondern eher einer aus der zweiten Reihe, war er doch ein treuer Schüler des Philosophen5 und er konnte immerhin 1835 Hegels seit Ende 1831 verwaisten Lehrstuhl an der Universität Berlin übernehmen. Ob Stirner wirklich schon in Bayreuth etwas über Hegel gelernt hat, ist zwar nicht sicher belegt, aber immerhin möglich.6 Als der zwanzigjährige Stirner aber 1826 in Berlin sein Studium aufnahm, wo er 4 Semester oder 2 Jahre bis September 1828 verblieb, betrieb er ohne Zweifel ein intensives Hegel Studium: wir wissen, dass er, im Unterschied zu anderen Hegelianern der zweiten Generation (etwa David Friedrich Strauß, der im Herbst 1831 extra nach Berlin gekommen war, um bei Hegel zu studieren, doch starb der Philosoph schon kurz nach Beginn des Wintersemesters), Hegels Vorlesungen noch selbst hören konnte. Es ist sicher, dass Stirner drei große Vorlesungszyklen von Hegel belegt und besucht hat: In seinem ersten Studienjahr die Vorlesungen über die Philosophie der Religion und über die Geschichte der Philosophie; in seinem zweiten Studienjahr, 1827, hörte er noch die ‚Vorlesungen über den subjektiven Geist’ – Hegel unterschied bekanntlich zwischen dem ‚subjektiven’, ‚objektiven’ und ‚absoluten’ Geist. Auch die Lehrveranstaltungen anderer Hegelianer, zum Beispiel diejenigen des protestantischen Theologen Philipp Conrad Marheineke (1780-1846)7, Carl von Prantl, „Gabler, Georg Andreas“, in: ADB, Band 8 (1878), S. 293-294. Gablers nicht sehr zahlreiche Schriften offenbaren alle eine Anlehnung an Hegel, z.B.: G.A. Gabler (1827) und (1843). 6 In seiner Biographie behauptet John Henry Mackay jedenfalls, dass Stirner Gablers „Unterricht genossen“ habe: J.H. Mackay (1898), S. 37. 7 Über Marheineke vgl. ADB, Bd. 20 (1884), S. 338-340 (von Julius August Wagenmann) und NDB, Bd. 16 (1990), S. 172-174 (von Kurt Hünerbein). Marheineke wurde bereits 1811 von Heidelberg nach Berlin berufen (als die dortige 4 5
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besuchte Stirner in Berlin regelmäßig. 1828 musste Stirner Berlin aus Geldmangel verlassen. Er schrieb sich dann für das akademische Jahr 1828/29 an der Universität Erlangen ein, wo er weniger Geld brauchte, weil er dort bei Verwandten wohnen konnte. Auch in Erlangen setzte er seine Beschäftigung mit Hegel fort. Dort besuchte er zum Beispiel die Vorlesungen von Christian Kapp (1790-1874), der schon 2 Jahre vorher, 1826, mit einer hegelianisch inspirierten Studie, Das konkrete Allgemeine der Weltgeschichte, hervorgetreten war. Ludwig Feuerbach, der später eng mit Kapp befreundet war8, lebte zur gleichen Zeit wie Stirner in Erlangen und es ist sehr wahrscheinlich, dass sich die beiden Männer in der damals kleinen Universitätsstadt kennengelernt haben, wenngleich es dafür keine Beweise gibt. Als Stirner 1832, nach längerer Abwesenheit, nach Berlin zurückkehrte, wo er den Rest seines Lebens verbringen sollte, setzte jedenfalls eine zweite Phase seiner Beschäftigung mit der Hegelschen Philosophie ein. Er besuchte nämlich einen zweisemestrigen Kurs über Aristoteles, den der Schüler und spätere Herausgeber Hegels, Karl Ludwig Michelet (1801-1893), dort durchführte. Michelet hat zahlreiche Bücher über verschiedene Aspekte des Hegelschen Systems geschrieben, insofern darf er als enger und treuer Schüler des Philosophen gelten.9 Andererseits hat Michelet aber auch versucht, praktische und politische Konsequenzen aus Hegels Philosophie zu ziehen und aus dem philosophischen Lehrsystem eine “Philosophie der Tat” zu entwickeln.10 Bald, vermutlich ab 1841, traten neben die akademische Beschäftigung mit Hegel, die informellen Diskussionen in einer Runde von unruhigen Geistern um die Gebrüder Bauer, Bruno und Edgar. Stirner hatte Bruno Bauer (1809-1882)11 wohl schon 1827 in von beiden Universität erst seit einem Jahr bestand) und sollte noch 35 Jahre dort wirken können. Hatte sich Marheineke schon in Heidelberg besonders für Grenzfragen von Philosophie und Theologie interessiert, geriet er seit 1818 (als Hegel an die Berliner Universität berufen wurde) zunächst in persönlichen Kontakt mit dem Philosophen und wurde bald auch ein überzeugter Anhänger von dessen Philosophie. In seinen Schriften tritt dieser Einfluss Hegels seit der 2. Auflage von Marheinekes christlicher Dogmatik (1827) deutlich hervor. Ab 1835 hielt er auch Vorlesungen über die Bedeutung der Hegelschen Philosophie in der christlichen Theologie, von denen eine Einleitung veröffentlicht wurde (1842). 8 Vgl. Briefwechsel zwischen Ludwig Feuerbach und Christian Kapp: 1832 bis 1848, hrsg. und eingel. von August Kapp, Leipzig, Wigand, 1876. 9 Vgl. Norbert Waszek, “Michelet, Karl Ludwig”, in: NDB. Bd. 17 (1994), S. 447. 10 Vgl. H. Ottmann (1977), S. 234-239; jetzt ausführlicher: M. Moser (2003). 11 Vgl. die neue Studie von Douglas Moggach (2003), die es auch auf Deutsch gibt:
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besuchten Vorlesungen kennengelernt. In diesem Kreis der frühen 1840er Jahre, der Die Freien genannt wurde, und sich locker in den Hinterzimmern von Kneipen und Weinstuben (z.B. bei Hippel12, an der Ecke Dorotheenstrasse/ Friedrichstrasse) traf, befreundete sich Stirner jedenfalls näher mit Bruno Bauer, der bekanntlich auch für den jungen Marx ein wichtiger Gesprächspartner und Mentor war, doch hatte Marx Berlin wohl bereits verlassen, als sich Stirner dem Kreis der Freien anschloss. Friedrich Engels, der zumindest eine Zeitlang ebenfalls bei den Freien verkehrte, hat darüber in Briefen13 und anderen Zeugnissen berichtet (und nicht zuletzt gehören seine Zeichnungen14 zu den ganz wenigen Bildern, die sich von Stirner erhalten haben). Zwar ging es in diesem Diskussionszirkel nicht mehr nur um eine akademische Annäherung an und um eine Aufarbeitung Hegels, sondern bereits um den Versuch, radikale Konsequenzen aus und zur Not auch gegen dessen Philosophie zu ziehen.15 Es wäre aber ein Fehler, Hegels Bedeutung für diesen Kreis zu unterschätzen: auch wenn seine Philosophie dort kritisiert wurde, blieb sie ein grundlegender und bleibender Bestandteil des geistigen Horizonts dieser Gruppe. Der Text von Stirners Hauptwerk, übrigens auch von seinen kleineren Schriften, bestätigt den biografischen Befund überzeugend, denn er belegt, dass Stirner über eine umfangreiche und intime Kenntnis von Hegels Schriften verfügte. Aus dem Text des Einzigen lässt sich zeigen, dass Stirner mit Hegels Hauptwerken, insbesondere mit der Phänomenologie des Geistes, der Enzyklopädie der philosophischen Wissenschaften, der Philosophie des Rechts, und den nach Hegels Tod gedruckten Vorlesungen über die Philosophie der Geschichte gut vertraut war. Auch wenn Stirner selber keinen Personenindex zu seiner Schrift geboten hat, kann man in der digitalen Fassung des Buches (http://www.deutschestextarchiv.de Moggach (2009). Vgl. über diesen beliebten Treffpunkt R. Springer (1850), S. 227-239. 13 Zum Beispiel am 19. November 1844 an den damals nicht mehr in Berlin lebenden Marx; MEW, Bd. 27 (1963; 3. Auflage 1970), S. 13. 14 Es handelt sich zunächst um eine zeitgenössische Zeichnung (Gruppenbild) der „Freien“ in der Weinstube Walburg (Poststr. 28) vom November 1842, auf welcher Engels einige Namen, darunter diejenigen von Arnold Ruge, der Gebrüder Bauer, Stirner (auf dem Bild rauchend) u.a. hinzugefügt hat. Diese Zeichnung wurde reproduziert in: MEW, Bd. 27 (1963), der S. 400 gegenüber. Die zweite Zeichnung von Stirner (Portrait im Profil) hat Engels erst 1892 auf eine Bitte Mackays angefertigt, der sie dann in seiner Stirner-Biographie veröffentlicht hat; vgl. Mackay (1898), S. 222. 15 Vgl. hierzu den Beitrag von Pauline Clochec, in diesem Band. 12
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/stirner_einzige_1845), welche das Deutsche Textarchiv (DTA)16 erstellt hat, nach Namen und Begriffen suchen, übrigens ein sehr nützliches Hilfsmittel nicht nur für diejenigen, welche die agrégation vorbereiten.17 Schon eine einfache Suche nach dem Namen „Hegel“ führt zu dreizehn Seiten der Erstausgabe (darunter einige, auf denen der Name mehrfach erscheint), die in schöner Regelmäßigkeit über das ganze Buch verteilt sind und dabei sind nur diejenigen Seiten gezählt, auf denen der Name „Hegel“ ausdrücklich erscheint, noch nicht jedoch die diskreteren Anspielungen, die nicht belegten Zitate usw.18 Ohne die empirischen Belege für Stirners Vertrautheit mit Hegels Texten hier noch weiter zu häufen, sei zum Abschluss der bisherigen Ausführungen noch zitiert, was Marx im November 1837 seinem Vater schrieb, er hätte “Hegel von Anfang bis Ende, samt den meisten seiner Schüler, kennengelernt”.19 Genau das, Hegel von Anfang bis Ende studiert zu haben, hätte mit ebenso großem Recht auch Stirner von sich sagen können. Damit stellen sich dann die weiteren Fragen, ob und wie Stirners Buch als Reaktion oder vielleicht sogar als Fortsetzung von Hegels philosophischen Bestrebungen gelesen werden könnte. Dass Stirner Hegels Lehre und Schriften bestens kannte, heißt natürlich noch nicht, dass er ein Anhänger dieser Philosophie gewesen wäre. Ist nicht bereits die Form von Stirners Einzigem gänzlich unhegelianisch? Wie jeder Student, der Hegel gelesen hat, weiß, war Hegel offenbar in die Triade, die dreiteilige Form, den Dreischritt als grundlegendes Strukturmerkmal geradezu verliebt – wenngleich es bei ihm auch manchmal vier Teile gibt, z.B. die vier großen Epochen der Weltgeschichte: die orientalische, die griechische, die römische und schließlich die germanische Welt.20 Der Dreischritt ist dennoch so etwas wie ein äußerliches Kennzeichen der Philosophie Hegels. Seine Rechtsphilosophie zum Beispiel strukturiert den Stoff in die drei großen Das Deutsche Textarchiv (DTA) ist Teil des Zentrums „Sprache“ der BerlinBrandenburgischen Akademie der Wissenschaften zu Berlin. 17 Wer z.B. wissen möchte, ob Stirner vorzugsweise den von Hegel geprägten Ausdruck „Pöbel“ benutzt, oder den auf Marx verweisenden Begriff „Proletarier“, findet so schnell eine Antwort – übrigens ein spannendes Spiel, das mit 8:7 Hegel knapp für sich entscheidet: auf acht Seiten verwendet Stirner „Pöbel“, auf sieben Seiten „Proletarier“ – was natürlich nicht alles ist, was man dazu sagen könnte. 18 Selbst die verdienstvolle “ausführlich kommentierte Studienausgabe“ des Einzigen von Bernd Kast (32016) – kann hierbei erst als noch zu ergänzendes work in progress betrachtet werden. 19 MEW, Bd. 40 (1973), S. 3-12, hier S. 10. 20 Hegel, TWA, Bd. 12, S. 142-274; 275-338; 339-412; 413-540. 16
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Teile: 1) „Das abstrakte Recht“ (§ 34-104); 2) „Die Moralität“ (§ 105141); 3) „Die Sittlichkeit“ (§ 142-360).21 Jeder dieser drei Teile ist wiederum in drei Abschnitte gegliedert, die Sittlichkeit z.B. weist die drei Abschnitte „Familie“, „bürgerliche Gesellschaft“ und „Staat“ auf. Und sogar jeder dieser Abschnitte ist wieder dreigeteilt, die Familie z.B. in die Unterabschnitte “die Ehe”, “das Vermögen der Familie” und “die Erziehung der Kinder und die Auflösung der Familie” usw. – es genügt, sich das Inhaltsverzeichnis von Hegels Rechtsphilosophie anzusehen, um sich von der Allgegenwart der Triade zu überzeugen. In Stirners Einzigem ist die Triade nicht abwesend – die Abteilung der Schrift, die sich dem „Ich“ widmet, besteht z.B. aus den drei Abschnitten „Die Eigenheit“ (171-188), „Der Eigner“ (189-406) und „Der Einzige“ (407-412), und auch im ersten Abschnitt des Buches, „Ein Menschenleben“, lassen sich drei Lebensalter unterscheiden, dasjenige der Kindheit, des Jünglings-, dann des Mannesalters – doch gibt es in dem Werk bekanntlich nur zwei große Teile oder Abteilungen: “Der Mensch” und “Ich” und viele Interpreten erläutern, dass sich Stirner damit an Feuerbachs Das Wesen des Christentums (1841) anlehnt, worin die zwei Teile „Gott“ und „Mensch“ gewidmet sind.22 Auch wenn der Stil Stirners mit demjenigen Hegels verglichen wird, dürften die Unterschiede stärker hervortreten als die Ähnlichkeiten. Wenn Friedrich Nietzsche immer wieder in der Sekundärliteratur zu Stirner erwähnt wird – ob es sich dabei um einen Einfluss Stirners handelt, also ob Nietzsche wirklich durch eine Stirner-Lektüre angeregt wurde, oder um einen bloßen Vergleich, braucht hier nicht diskutiert zu werden23 –, würde eine solche Nähe Stirners zu Nietzsche jedenfalls schon ein erstes Indiz dafür sein, dass Stirners Stil von demjenigen Hegel, TWA, Bd. 7, S. 92-202; 203-291; 292-512. Siehe z.B. bei D. McLellan (1974), S. 139. Die genauen Titel des ersten und zweiten Teils lauten bei Feuerbach „Die Religion in ihrer Übereinstimmung mit dem Wesen des Menschen“ und „Die Religion in ihrem Widerspruch mit dem Wesen des Menschen“ (1841, S. 37 + S. 248), doch ist es nicht falsch, den zweiten Teil kurz mit „Gott“ zu bezeichnen, denn es werden darin u.a. die „Existenz“, die „Offenbarung“ und das „Wesen“ Gottes behandelt. 23 Dies ist eine sehr intensiv diskutierte Frage der Nietzsche- und Stirnerforschung. Die analytische Bibliographie, die Richard F. Krummel (1974-2006) vorlegte, enthält bereits für den Zeitraum von 1892 bis 1945 nicht weniger als 169 Publikationen, die auf das Verhältnis von Stirner und Nietzsche eingehen – seitdem sind viele hinzugekommen; vgl. aus der Stirnerforschung dazu Bernd A. Laska (2002), S. 109133. 21 22
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Hegels ganz verschieden ist, denn Hegel und Nietzsche werden meist radikal voneinander abgesetzt.24 Nach diesem ersten Zeichen einer Differenz, mit dem Namen Nietzsche angedeutet, könnte z.B. auch an die Ironie erinnert werden. Hegel und Stirner bewerten die Ironie nicht nur ganz verschieden, sie unterscheiden sich auch stark in ihrer Sprachpraxis, also ob und wie sie ironische Formulierungen benutzen.25 Hegel schrieb selbst nicht (oder nur ganz selten) ironisch, weil er darin eine Herabsetzung für ihn zentraler Werte sah. Bei Stirner gibt es demgegenüber stark ironische Passagen, so z.B. wenn er sich über Hegels erhabenen Geistbegriff mit den Geistern=Gespenstern lustig macht, die der Großmutter „zwischen die Beine“ liefen: Hast Du schon einen Geist gesehen? „Nein, Ich nicht, aber Meine Großmutter.“ Siehst Du, so geht Mir’s auch: Ich selbst habe keinen gesehen, aber Meiner Großmutter liefen sie aller Wege zwischen die Beine, und aus Vertrauen zur Ehrlichkeit Unserer Großmutter glauben Wir an die Existenz von Geistern. Aber hatten Wir denn keine Großväter, und zuckten die nicht jederzeit die Achseln, so oft die Großmutter von ihren Gespenstern erzählte? Ja, es waren das ungläubige Männer und die Unserer guten Religion viel geschadet haben, diese Aufklärer! (36) Obwohl Heinrich Heine in Stirners Einzigem nirgendwo erwähnt wird, erinnert diese Stelle doch sehr an die Späße und Spielereien, die Heine am Anfang des 14. Kapitels seiner Schrift Ideen. Das Buch Le Grand mit dem ebenfalls hegelschen Begriff der „Idee“ anstellt.26 Auch für die Vgl. etwa Gilles Deleuze, Nietzsche und die Philosophie (1985), S. 210: "Zwischen Hegel und Nietzsche ist jeder Kompromiß ausgeschlossen. Nietzsches Philosophie […] ist ihrer Form nach absolut anti-dialektisch“. 25 Es geht dabei also nicht um Hegels spezifisches Verständnis der ‚romantischen Ironie’, für ihn ein terminus technicus, mit dem er die Konzeption eines Friedrich Schlegels in seiner Phänomenologie und seinen ästhetischen Vorlesungen kritisieren will – vgl. hierzu die grundlegende Studie von O. Pöggeler (1956/1999) –, sondern um seine eigene Schreibweise. 26 „Madame, haben Sie überhaupt eine Idee von einer Idee? Was ist eine Idee? »Es liegen einige gute Ideen in diesem Rock« sagte mein Schneider, indem er mit ernster Anerkennung den Oberrock betrachtete, der sich noch aus meinen berlinisch eleganten Tagen herschreibt, und woraus jetzt ein ehrsamer Schlafrock gemacht werden sollte. Meine Wäscherinn klagt: »Der Pastor S. habe ihrer Tochter Ideen in den Kopf gesetzt, und sie sei dadurch unklug geworden und wolle keine Vernunft mehr annehmen.« Der Kutscher Pattensen brummt bei jeder Gelegenheit: »das ist eine Idee! das ist eine Idee!« Gestern aber wurde er ordentlich verdrießlich, als ich ihn frug: was er sich unter einer Idee vorstelle? Und verdrießlich brummte er: »Nu, 24
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Dunkelheit des Stils, die Hegel oft vorgeworfen wurde, kann Stirner kaum getadelt werden; ein Engländer, Herbert Read, fand Stirners Stil z.B. „ungewöhnlich direkt und klar“.27 Gegen diese Unterschiede kann im Hinblick auf Ähnlichkeiten zwar auf ein Charakteristikum hingewiesen werden, welches Hegel und Stirner in ihrem Umgang mit den Worten teilen: Beide verbindet die Neigung, Worte auf ihre Herkunft, ihre etymologischen Wurzeln hin zu untersuchen.28 Beide suchen deutsche Gegenstücke für Fremdwörter, übersetzen Worte aus anderen Sprachen ins Deutsche und wählen dabei oft überraschende, ungebräuchliche Ausdrücke, die dem ursprünglichen Sinn näherkommen oder zumindest den Leser zum Nachdenken anregen sollen. Auch scheinbar geläufige Worte werden unerwartet in ihrem ursprünglichen Sinn verwendet, wenngleich sich der zeitgenössische Sprachgebrauch in eine andere Richtung entwickelt hatte. Dahinter steckte bei beiden die Absicht, nicht an der Oberfläche der Sache stehen zu bleiben und die Intention, das eigene Denken der Leser zu fördern. Hegel übersetzte zum Beispiel vielfach aus dem Griechischen, insbesondere in den Vorlesungen über die Geschichte der Philosophie, in denen er neben die griechischen Originalbegriffe meist seine eigenen und oft originellen Übersetzungen stellte. Auch liebte es Hegel, nicht nur der Herkunft der Worte nachzugehen, sondern sogar die Etymologie eines Wortes selbst zum Gegenstand einer philosophischen Fragestellung zu machen. Ein schönes Beispiel ist es, wenn er am Ende der Phänomenologie des Geistes den Begriff „Erinnerung“ untersucht29 und dabei zur „ErInnerung“ gelangt, womit er ein „Insichgehen“, „Sich-innerlich-machen“ des Geistes meint, sich dabei aber eigenständig vom griechischen Vorbild des Wortes ἀνάμνησις (anámnēsis) entfernt.30 Stirner übersetzte die Begriffe fremdsprachiger Denker ebenfalls selbst ins Deutsche, was schon auf die umfangreiche Übersetzungstätigkeit aus dem Englischen und Französischen verweist, mit welcher er nu, eine Idee ist eine Idee! eine Idee ist alles dumme Zeug, was man sich einbildet.« In gleicher Bedeutung wird dieses Wort, als Buchtitel, von dem Hofrath Heeren in Göttingen gebraucht.“ Heinrich Heine, Ideen. Das Buch Le Grand [1827], zitiert nach DHA, Bd. 6, bearbeitet von Jost Hermand (1973), S. 205. 27 Herbert Read, “Max Stirner” (1960), S. 88. 28 Vgl. D. McLellan (1974), S. 139. 29 G.W.F. Hegel: Phänomenologie des Geistes [1807], Hegel, TWA, Bd. 3, S. 590 f; vgl. seine Vorlesungen über die Geschichte der Philosophie, Hegel, TWA, Bd. 19, S. 44. 30 Vgl. G. Apostolopoulou (1993), hier S. 244.
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sich fast gleichzeitig mit der Publikation des Einzigen befasste.31 Es ist nicht abwegig, den Begriff „Verkehr“, der in Stirners Einzigem eine wichtige Rolle spielt und ihm als Titel eines umfangreichen Abschnitts dient (231-358), in diesen Zusammenhang zu stellen. Zwar ist der „Verkehr“ für Stirner kein eindeutig bestimmter, sondern eher ein mehrdeutiger, schwer durchschaubarer, ja, schillernder Begriff, doch schreibt er ihm unzweifelhaft Konnotationen zu, die aus der Ökonomie stammen: Verkehr wird mit Bedürfnis und Genuss (358), mit Austausch (283), Gegenseitigkeit und Handlung (239) assoziiert. Wenn daran erinnert wird, dass Stirner in der letztgenannten Stelle auch „commercium“ mit Verkehr zusammenstellt, wird es kaum verwundern, dass Stirner auch in seiner Übersetzung von Adam Smith’ Hauptwerk dessen Wort „commerce“ mit „Verkehr“ übersetzt.32 Als Beispiel für Stirners Umgang mit der Etymologie von Worten könnte noch an seine Ausführungen zum Begriff „Gesellschaft“ erinnert werden, bei welchem die abgrenzende Ergänzung zur „SalonGesellschaft“ wiederum seine Ironie belegt (239): Das Wort „Gesellschaft“ hat seinen Ursprung in dem Worte „Sal“. Schließt Ein Saal viele Menschen ein, so macht’s der Saal, daß diese Menschen in Gesellschaft sind. Sie sind in Gesellschaft und machen höchstens eine Salon-Gesellschaft aus, indem sie in den herkömmlichen Salon-Redensarten sprechen.33 Trotz dieser vergleichbaren Aufmerksamkeit für etymologische Fragen, dürften die Unterschiede bei den Schreibweisen von Hegel und Stirner überwiegen. Wenn es weder die Struktur seines Textes noch Stirners Stil ist, der 31 32
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Vgl. Stirners Übersetzungen (mit Anmerkungen) der Werke von Jean-Baptiste Say (1845) und Adam Smith (1846-1847). Unter den vielen Stellen sei hier nur eine berühmte Passage vom Anfang des dritten Buches von Smith’ Untersuchungen nach Stirners Übersetzung zitiert: „Trotz aller abgeschmackten Theorien, die über die Handelsbilanz verbreitet worden sind, ist doch noch von Keinem behauptet worden, dass die Stadt durch ihren Verkehr mit dem Lande verliere.“ Stirner (1846), Bd. 1, S. 155. Welche Quellen Stirner für diese etymologische Erklärung von „Gesellschaft“ herangezogen hat, ist mir nicht bekannt; spätere Analysen der Etymologie des ‘Gesellschaft’-Begriffs durch Soziologen wie Theodor Geiger oder Philosophen wie Manfred Riedel entfernen sich jedenfalls kaum von seinem Befund: Theodor Geiger, „Gesellschaft“, in: Vierkandt, Alfred (Hrsg. 1931), S. 201–211, hier S. 202; vgl. F. Fürstenberg (1978), S. 7 f; Manfred Riedel, „Gesellschaft-Gemeinschaft“, in: GG, Bd. 2 (1975), S. 801-872, hier S. 801 f; vgl. N. Schneidereit (2010), S. 22 f.
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ihn mit Hegel verbindet, bleibt nur noch der Gehalt seines Buches auf diese geistige Berührung hin zu untersuchen. Folgt man der Mehrzahl der Interpreten, von Victor Basch und Henri Arvon in Frankreich34 bis Hans Helms und Bernd Kast in Deutschland35, ist der Befund auch hier gering, denn sie erwähnen Hegel nur am Rande und behandeln ihn kaum. Unter den wenigen Interpreten Stirners – einige werde ich in der Folge nennen –, die sich seinem Verhältnis zu Hegels Philosophie gewidmet haben, lässt sich eine Gruppe dadurch charakterisieren, dass sie Stirners Rückgriff auf Hegel als eine Art „Parodie“ aufgefasst haben. In diese Richtung ging zum Beispiel schon Eugène Fleischmann (19211990), der eine Forschungsstelle im CNRS innehatte und auf Französisch und Englisch über Stirner geschrieben hat36, und darin zum Beispiel ausführte, dass sich Stirner in seiner Behandlung der zwei großen Gegenstände seiner Kritik – Geist und Freiheit – über Hegels Darstellung dieser beiden Ideen lustig macht. In der englischen Fassung seines Aufsatzes spricht er ausdrücklich von “mockery” (‚Verspottung’ oder ‚Nachäffung’ auf Deutsch; moquerie, raillerie ou parodie en français). Er fügt allerdings hinzu, und diese Ergänzung ist wichtig, dass sich Stirner dabei gleichzeitig Hegels begrifflichen Apparat bediente (“tout en utilisant l’appareil conceptuel hégélien”). Vor kurzem ist diese Argumentationslinie von einem belgischen Forscher, Widukind De Ridder, aufgegriffen und verlängert worden. Er spricht ausdrücklich von einer “sorgfältig konstruierten Parodie”, die das bewusste Ziel verfolgt hätte, “den abgenutzten und erschöpften [outworn; auf Französisch könnte man “désuet” sagen] Charakter des Hegelschen Systems offenzulegen”.37 Die Interpretationsrichtung von Fleischmann, De Ridder und anderen ist sicher legitim: wie schon gezeigt wurde, finden sich in Stirners Text tatsächlich zahlreiche Passagen die Ironie beinhalten und also wirklich eine “Parodie” andeuten könnten. Angeregt durch die Arbeiten des amerikanischen Philosophen Lawrence Stepelevich38 wird in der Folge aber eine andere Richtung Vgl. V. Basch (1904; 2eme éd. 1928); H. Arvon (1954/2012). Vgl. Hans G. Helms (1966); Bernd Kast (1979). 36 Cf. E. Fleischmann (1971), hier S. 220 et (1973), hier S. 95. 37 W. De Ridder (2008), p. 285 (abstract): “This article argues in favour of a radically different reading of Stirner considering his magnum opus “Der Einzige und sein Eigentum” as in part a carefully constructed parody of Hegelianism deliberately exposing its outwornness as a system of thought.” 38 Lawrence S. Stepelevich (1985); vgl. auch seine früheren Aufsätze (1976), (1978) und zuletzt (2006). 34 35
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eingeschlagen: es soll versucht werden, Stirners Bezüge auf Hegel einmal ernst zu nehmen. Bei aller Kritik an ihm enthalten viele Stellen, in denen sich Stirner ausdrücklich oder implizit auf Hegel bezieht, doch auch oft ein tiefes Verständnis und, wenn nicht gerade eine Bewunderung für Hegels Position, dann zumindest einen gewissen Respekt. Wegen der gebotenen Kürze – man könnte durchaus ein ganzes Buch über Hegel und Stirner schreiben39 –, kann dies nur exemplarisch getan werden, am Beispiel von drei Textstellen, die besonders signifikant erscheinen. Die erste dieser Stellen stammt noch aus der Zeit kurz bevor sich Stirner der Niederschrift des Einzigen widmete. Es geht um seinen Text über Bruno Bauers Posaune des Jüngsten Gerichts40, den Stirner im Januar 1842 im Telegraph für Deutschland publizierte41, einer Zeitschrift, die damals (seit ihrer Gründung im Jahre 1838 bis Ende 1843) von Karl Gutzkow (1811-1878) geleitet wurde, im Verlag Hoffmann & Campe in Hamburg erschien und auch Friedrich Engels (unter dem Pseudonym „Friedrich Oswald“) und Georg Herwegh (1817-1875) unter ihre Beiträger zählen konnte. Ist der Text des Einzigen für die Kandidaten der agrégation vermutlich schon lang genug, sei die Lektüre dieses kurzen Textes (Stirner, Parerga, S. 59-74) dennoch empfohlen, da er eine präzise Kontextualisierung von Stirners Konzeptionen und seiner Position erlaubt. Am Anfang seiner Laufbahn stand Bauer noch ganz unter dem Einfluss Hegels und dessen bereits erwähnten Weggefährten Ph.K. Marheineke (s.o. Anm. 7): Zu Beginn seines Studiums konnte Bauer Hegels Vorlesungen noch selbst hören, auch empfing er aus der Hand des Philosophen den ersten Preis für seine Antwort auf eine Preisfrage über das Kunstschöne in Kants Kritik der Urteilskraft. Fast ganz am Anfang von Bauers Publikationstätigkeit stand eine Rezension, die bezeichnenderweise in den Jahrbücher[n] für wissenschaftliche Kritik erschien, der zwanzig Jahre lang führenden Zeitschrift Hegelscher Provenienz42, in welcher er die spekulative Theologie Hegels gegen die Evangelienkritik in Strauß’ Leben Jesu verteidigte.43 So war es folgerichtig, dass Bruno Zumindest ein Forscher, Kurt Mautz (1911-2000), hat bereits ein solches Buch geschrieben: K. Mautz (1936); später hat K. Mautz über Adalbert Stifter und Georg Heym gearbeitet. 40 [Bruno Bauer], Die Posaune des Jüngsten Gerichts … (1841). 41 Max Stirner, „Über B. Bauers ‚Posaune des Jüngsten Gerichts“, in: Stirner, Parerga, S. 59-74. 42 Vgl. Ch. Jamme (1994). 43 B. Bauer (1835). 39
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Bauer, auch wenn ihn selbst schon Zweifel an der Versöhnung von Vernunft und Offenbarung quälten, die Verantwortung für die Neuauflage (sie erschien 1840) von Hegels Vorlesungen über die Philosophie der Religion übertragen wurde, als die von Marheineke betreute Erstauflage (erschien bereits 1832, nur kurz nach Hegels Tod) vergriffen war. Richtig und konsequent war es auch, dass D.F. Strauß in seinen Streitschriften des Jahres 1837 Bauer auf die rechte Seite der Hegelschen Schule gestellt hatte.44 Erst um das Jahr 1840 scheint Bauer von der bloßen Verteidigung der Hegelschen Position zu einer radikaleren, junghegelianischen Position übergegangen zu sein.45 Stirners Text über die Posaune von Bauer, mit dem er damals eng befreundet war, enthält mehrere Rückblicke auf Hegel, dessen zentrale Stellung im intellektuellen Leben Berlins, Preußens und des ganzen deutschen Sprachraums keineswegs geleugnet, sondern geradezu herausgestellt wird. Schon über hundert Jahre vor Joachim Ritters einflussreicher Studie46, sah Stirner den engen Zusammenhang zwischen Hegels Denken und der Französischen Revolution und legte so die esoterische, subversive Seite von Hegels Philosophie offen zu Tage: Die Welschen [d.h. Die Franzosen; N.W.] – jenes Volk des Antichrists – hatten mit schamloser Öffentlichkeit, bei hellem Tage, auf dem Markte, angesichts der Sonne, die nie einen solchen Frevel gesehen hat, und vor den Augen des christlichen Europa dem Herrn der Ewigkeit zum Nichtseyn herabgestoßen, wie sie den Gesalbten Gottes mordeten, sie hatten mit der Metze, der Vernunft, abgöttischen Ehebruch getrieben; aber Europa, voll von heiligem Eifer, erwürgte den Greuel und verband sich zu einem heiligen Bunde, um den Antichrist in Fesseln zu schlagen und dem wahren Herrn seine ewigen Altäre wieder aufzurichten. Da kam, nein! – da berief, da hegte und pflegte, da beschützte, da ehrte und besoldete man den Feind, den man draußen besiegt hatte, in einem Manne, welcher stärker war, als das französische Volk, einem Mann, welcher die Dekrete jenes höllischen Konvents wieder zur Gesetzeskraft erhob, ihnen neue, festere Grundlagen gab und D.F. Strauss (1837), Heft 3, S. 100-120. Für weitere Informationen zu Bauer, siehe Moggach 2003/2009; vgl. auch den Forschungsüberblick von M. Lauermann (2011). 46 J. Ritter (1972), S. 18: „es gibt keine zweite Philosophie, die so sehr und bis in ihre innersten Antriebe hinein Philosophie der Revolution ist wie die Philosophie Hegels.“ Vgl. hierzu N. Waszek (1989). 44 45
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unter dem einschmeichelnden, besonders für die deutsche Jugend verführerischen Titel der Philosophie Eingang verschaffte. Man berief Hegel und machte ihn zum Mittelpunkt der Universität Berlin. (Stirner, Parerga, S. 71) Hegels durch die preußischen Behörden erfolgte Berufung an die Universität Berlin, wo er tatsächlich der geistige Mittelpunkt wurde, wäre also ein Missverständnis von Seiten seiner Arbeitgeber gewesen, das exoterische Bild des Staatsphilosophen eine Illusion. Sich der spezifischen Stellung Bauers in einem nach-hegelschen Kontext nähernd, zeigt Stirner aber auch ein tiefes Verständnis der Lage, in welcher sich Hegels Schüler nach dem Tod ihres Meisters befanden. Wenn Stirner in dieser Perspektive ausführt „So erwachte nun nach dem Tode des ‚Königs’ eine Geschäftigkeit unter den ‚Kärrnern’.“ (Stirner, Parerga, S. 64), wendet er das halb ironische, halb ernste Bonmot aus Schillers Xenien über die Ausleger Kants47 auf die verwaisten Hegelianer an. Es blieb ihnen, wie Stirner klar erkennt48, nichts anderes übrig als Hegels umfassendes System, wie er es in seiner reifen Berliner Enzyklopädie der philosophischen Wissenschaften (TWA, Bd. 8-10) vorgelegt hatte, um Einzelheiten zu ergänzen und zu vervollständigen, die Lücken in der Skizze Hegels durch breitere Kenntnisse in den diversen Einzelwissenschaften zu schließen: eine nicht eben attraktive, da wenig kreative Aufgabe! Wie beurteilt Stirner nun aber Bauers Haltung und Aufgabe. Scheinbar unter dem Mantel strenger Gottesfurcht und treuer Unterwerfung unter den preußischen Staat wird von Bauer die Radikalität Hegels „ausposaunt“ – um den Titel Bauers aufzugreifen. Stirner fasst Bauers Intention wie folgt zusammen: Ein Mann der gläubigsten Gottesfurcht [also Bauer], dessen Herz Schiller, „Kant und seine Ausleger“, zuerst veröffentlicht im Musenalmanach für das Jahr 1797, zitiert nach: Schiller, Sämtliche Werke, Bd. I, S. 262: „Wie doch ein einziger Reicher so viele Bettler in Nahrung Setzt! Wenn die Könige baun, haben die Kärrner zu tun.“ 48 „Das Gelüste nach dem Positiven bemächtigte sich derer, an welche das Gebot des Weltgeistes erging, Hegels Werk im Einzelnen fortzusetzen, wozu dieser selbst sie ermahnte, z. B. am Schlusse seiner Geschichte der Philosophie: „Ich wünsche, daß diese Gesch. d. Philos. eine Aufforderung für sie enthalten möge, den Geist der Zeit, der in uns natürlich ist, zu ergreifen und aus seiner Natürlichkeit, d. h. Verschlossenheit, Leblosigkeit hervor an den Tag zu ziehen, und – jeder an seinem Orte – mit Bewußtseyn an den Tag zu bringen.“ (Stirner, Parerga, S. 64 f). Das Zitat von Hegel heute in Hegel, TWA, Bd. 20, S. 462. 47
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von Groll erfüllt ist gegen die verruchte Rotte der jungen Hegelianer, geht auf den Ursprung derselben, auf Hegel selbst zurück, und findet – o Schrecken! – die ganze revolutionäre Bosheit, die jetzt aus seinen lasterhaften Schülern hervorsprudelt, in dem verstockten, scheinheiligen Sünder schon vor, welcher lange für einen Hort und Schirm des Glaubens gegolten. (Stirner, Parerga, S. 62) Stirner fand daran „nichts weiter auszusetzen, als dass dem Gedächtnis des Verfassers [also Bauer] nicht alle brauchbaren Stellen der Hegelschen Werke zu Gebote gestanden zu haben scheinen.“ (Parerga, S. 72). In anderen Worten, Stirner traut sich zu, die Enthüllung des verborgenen Hegels, welche Bauer begonnen habe, aus gründlicherer Textkenntnis noch weiter zu treiben. Damit sind wir in dem sonst oft mit Heine verbundenen Topos eines Zwiespalts der Hegelschen Philosophie, in welchem dem exoterischen, äußerlichen Bild des angepassten Lutheraners und preußischen Untertanen eine esoterische, nur den Eingeweihten offenbare Gestalt eines subversiven Denkers entgegentritt. Diesem subversiven Denker ist Stirner bereit, höchstes Lob zu zollen: Ja, Hegel ist der wahre Verkündiger und Schöpfer der Tapferkeit, vor der die feigen Herzen zurückschrecken. […] Ein wahrhaft deutscher Mann – securus adversus Deum [‚ohne Sorgen gegenüber Gott’; so hatte Tacitus die alten Deutschen charakterisiert; N.W.] – hat es ausgesprochen, das befreiende Wort, das Selbstgenügen, die Autarkie des freien Menschen. (Parerga, S. 67) „In diesem Sinne“, fügt Stirner auf der nächten Seite noch hinzu, „schmettert dann auch die ‚Posaune’ und enthält unter alttestamentlichen Formeln und Stoßseufzern die wahre Tendenz des Hegelschen Systems“ (Stirner, Parerga, S. 68). Bezogen sich diese Ausführungen noch auf einen kurz vor dem Einzigen geschriebenen aber wichtigen Text, entstammen die zwei weiteren Stellen, auf die hier die Aufmerksamkeit der Leser gelenkt werden soll, aus Stirners Hauptwerk selbst, zunächst aus dem Abschnitt über die „Hierarchie“: Bei Hegel kommt endlich zu Tage, welche Sehnsucht gerade der Gebildetste nach den Dingen hat, und welchen Abscheu er vor jeder „hohlen Theorie“ hegt. Da soll dem Gedanken ganz und gar die Wirklichkeit, die Welt der Dinge, entsprechen, und kein Begriff ohne Realität sein. Dies verschaffte Hegels System den Namen des 60
objektivsten, als feierten darin Gedanke und Ding ihre Vereinigung. Aber es war dies eben nur die äußerste Gewaltsamkeit des Denkens, die höchste Despotie und Alleinherrschaft desselben, der Triumph des Geistes, und mit ihm der Triumph der Philosophie. Höheres kann die Philosophie nicht mehr leisten, denn ihr Höchstes ist die Allgewalt des Geistes, die Allmacht des Geistes. (80) Hier geht es um die vielfach diskutierte Frage nach dem Verhältnis von Erfahrung oder Empirie und philosophischer „Spekulation“. Gegen Hegel ist bekanntlich oft der Vorwurf erhoben worden, er hätte sich sozusagen a priori sein philosophisches System zurechtgezimmert und dann die Wirklichkeit diesem System mehr schlecht als recht angepasst und eingefügt.49 Der zweite Satz des Zitates, „Da soll dem Gedanken ganz und gar die Wirklichkeit, die Welt der Dinge, entsprechen“, geht ganz in Richtung dieses Vorwurfs, ebenso auch der folgende Ausdruck von der „Gewaltsamkeit des Denkens“ usw. Doch der erste Satz enthält sicher eine Verteidigung Hegels gegen diesen Vorwurf: „Bei Hegel kommt endlich zu Tage, welche Sehnsucht gerade der Gebildetste nach den Dingen hat, und welchen Abscheu er vor jeder ‚hohlen Theorie’ hegt.“ Hier stellt sich Stirner doch wohl auf die Seite derjenigen HegelInterpreten, die unermüdlich darauf hinweisen, dass Hegel keine „hohle“ sondern vielmehr eine realitätsgetränkte Theorie darbietet. Seine systematische Struktur steht am Ende eines langen und intensiven Studiums der wirklichen Welt, der Empirie. In diesem Sinne konnte einer der bedeutendsten französischen Hegelinterpreten, Bernard Bourgeois, schreiben: „le plus grand spéculatif de l’histoire de la philosophie a aussi été son plus grand empiriste !“50 Die dritte Stelle, in dem langen Abschnitt „Verkehr“, steht genauer in einer Auseinandersetzung mit verschiedenen Konzeptionen des Eigentums (274-289). Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865), dessen von Stirner auch erwähntes Werk, Qu’est-ce que la propriété ? ou Recherche sur le Eine glänzende Kritik an solchen Vorurteilen lieferte D. Forbes (2001), S. 19-42, in dessen Ausführungen (hier S. 29) geradezu eine Erklärung dessen gesehen werden kann, was Stirner mit Hegels „Sehnsucht […] nach den Dingen“ meinte: „Non seulement Hegel respectait, appréciait les faits, et avait un appétit insatiable de pure documentation sur tout sujet quel qu’il soit, ce qui est pratiquement unique dans l’histoire de la philosophie, mais, comme nous l’avons vu, sa philosophie est telle que le fait pur, la contingence y reçoivent un statut philosophique unique.“ 50 B. Bourgeois (1991), p. 120. 49
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principe du Droit et du Gouvernement , kurz vorher erschienen war51, und Wilhelm Christian Weitling (1808-1871), der von W. Seidel-Höppner als „erste[r] deutsche[r] Theoretiker und Agitator des Kommunismus“52 apostrophiert wurde und der damals ebenfalls bereits als Autor hervorgetreten war (W. Weitling 1842), sind hier von Anfang die Zielscheiben, gegen welche Stirner seine Kritik richtet: Proudhon (auch Weitling) glaubt das Schlimmste vom Eigentum auszusagen, wenn er es einen Diebstahl (vol) nennt. Ganz abgesehen von der verfänglichen Frage, was gegen den Diebstahl Gegründetes einzuwenden wäre, fragen Wir nur: Ist der Begriff „Diebstahl“ überhaupt anders möglich, als wenn man den Begriff „Eigentum“ gelten läßt. Wie kann man stehlen, wenn nicht schon Eigenthum vorhanden ist? […] durch das Eigentum erst wird ein Diebstahl möglich. (278) Es geht Stirner aber nicht nur darum, die fehlende Präzision der Begriffe, mit denen Proudhon operiert, zu kritisieren, sondern zentral auch um eine Kritik von damals, zum Höhepunkt des Vormärz, sehr populären Intentionen, das Privateigentum durch kollektive Eigentumsformen („Gemeingut“; 276) zu ersetzen. Am Beispiel Proudhons fasst Stirner derartige Absichten wie folgt zusammen: Proudhon konnte sein weitläufiges Pathos sparen, wenn er sagte: Es gibt einige Dinge, die nur Wenigen gehören, und auf die Wir übrigen von nun an Anspruch oder – Jagd machen wollen. Laßt sie Uns nehmen, weil man durch’s Nehmen zum Eigenthum kommt, und das für jetzt noch uns entzogene Eigenthum auch nur durch’s Nehmen an die Eigentümer gekommen ist. Es wird sich besser nutzen lassen, wenn es in Unser Aller Händen ist, als wenn die Wenigen darüber verfügen. […] Dafür schwindelt er Uns vor, die Societät sei die ursprüngliche Besitzerin und die einzige Eigentümerin von unverjährbarem Rechte; an ihr sei der sogenannte Eigentümer zum Diebe geworden. (La propriété c’est le vol); wenn sie nun dem dermaligen Eigentümer sein Eigentum entziehe, so raube sie ihm nichts, da sie nur ihr unverjährbares Recht geltend mache. (277) Davon abgesehen, dass Stirner Proudhon vorwirft, er negiere somit 51 52
P.J. Proudhon (1841). W. Seidel-Höppner (1961).
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„nur dies und jenes Eigentum, nicht das Eigentum“ (276), erstreckt er seine radikale Kritik an allen Versuchen sein Ich einem kollektivistischen Gängelband zu unterwerfen, auch auf kollektive Eigentumsstrukturen: Alle Versuche, über das Eigenthum vernünftige Gesetze zu geben, liefen vom Busen der Liebe in ein wüstes Meer von Bestimmungen aus. Auch den Sozialismus und Kommunismus kann man hiervon nicht ausnehmen. Es soll jeder mit hinreichenden Mitteln versorgt werden, wobei wenig darauf ankommt, ob man sozialistisch sie noch in einem persönlichen Eigentum findet, oder kommunistisch aus der Gütergemeinschaft schöpft. Der Sinn der Einzelnen bleibt dabei derselbe, er bleibt Abhängigkeitssinn. Die verteilende Billigkeitsbehörde läßt Mir nur zukommen, was ihr der Billigkeitssinn, ihre liebevolle Sorge für Alle, vorschreibt. Für Mich, den Einzelnen, liegt ein nicht minderer Anstoß in dem Gesamtvermögen, als in dem der einzelnen Andern; weder jenes ist das meinige, noch dieses: ob das Vermögen der Gesamtheit gehört, die Mir davon einen Teil zufließen läßt, oder einzelnen Besitzern, ist für Mich derselbe Zwang, da Ich über keins von beiden bestimmen kann. Im Gegenteil, der Kommunismus drückt Mich durch Aufhebung alles persönlichen Eigentums nur noch mehr in die Abhängigkeit von einem Andern, nämlich von der Allgemeinheit oder Gesamtheit, zurück, und so laut er immer auch den „Staat“ angreife, was er beabsichtigt, ist selbst wieder ein Staat, ein status, ein meine freie Bewegung hemmender Zustand, eine Oberherrlichkeit über Mich. Gegen den Druck, welchen Ich von den einzelnen Eigentümern erfahre, lehnt sich der Kommunismus mit Recht auf; aber grauenvoller noch ist die Gewalt, die er der Gesamtheit einhändigt. (285 f) In ihrer Kritik an kollektivem Eigentum berühren sich Stirners Ausführungen aber nicht nur mit Hegels grundlegender Verteidigung des Privateigentums als Ausdruck der freien Person, die sich in der Herrschaft über Dinge „eine äußere Sphäre ihrer Freiheit“ gibt53, sondern auch mit der Kritik solcher Hegelschüler wie Eduard Gans (1797-1839)54 an den frühsozialistischen Theorien zur Aufhebung des Privateigentums. Auch wenn es keinen über alle Zweifel erhabenen Beleg, wie explizite Erwähnungen oder Zitate, für Stirners Vertrautheit mit den Schriften Hegel, TWA, Bd. 7, § 41, S. 102. Die beste Darstellung von Hegels einschlägigen Ausführungen bleibt J. Ritter (1962/1977). 54 Vgl. zuletzt N. Waszek (2015). 53
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von Gans gibt, darf von einer solchen angesichts der Führungsrolle, die Gans in den 1830er Jahren innerhalb der Hegelschen Schule innehatte, wohl ausgegangen werden. Wenn Gans im Jahre 1836 den Schülern und Anhängern von Saint-Simon (1760-1825) in einem prophetischen Wort vorwirft, sie würden indem sie „allen Zufall und alles Besitztum, welches durch Zufall kommt, ausschließen wollen“, letztlich eine „Sklaverei der Aufsicht“ schaffen55, nimmt er Stirners ätzende Kritik an den kommunistischen „Billigkeitsbehörden“, die mit „grauenvoller […] Gewalt“ ein „wüstes Meer von Bestimmungen“ durchsetzt, schon vorweg. Bei den drei erläuterten Passagen handelt es sich nur um Beispiele für Stirners Bezugnahmen und Berührungen mit Hegel. Diese Beispiele, wie wichtig sie, für sich genommen, auch sein mögen, können nicht den Anspruch erheben, das Verhältnis von Stirner zu Hegel vollständig zu behandeln. Vielleicht können sie weitere Detailforschungen anregen. Auf jeden Fall sollten sie die Leser von Stirners Einzigem dazu veranlassen, Hegel bei ihrer Lektüre nicht einfach zu vernachlässigen, wie viele der bisherigen Interpreten dies getan haben: die Debatten derjenigen Autoren, die um 1840 mit Schriften hervortraten, waren zu sehr von Hegel bestimmt, um eine solche Vernachlässigung zu legitimieren. Ganz besonders gilt dies für Stirner, dessen Denkweg mit intensiven HegelStudien begann und der den Philosophen noch 1842 als den Mann auszeichnete, „dem die Aufgabe geworden, eine ganze Welt zu stürzen durch den Aufbau einer neuen, welche der alten keinen Raum mehr lässt“ (Stirner, Parerga, S. 63).
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E. Gans (1836/1995), S. 97+99.
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Pauline Clochec1 Le jeune hégélianisme de Stirner dans L’Unique Si la teneur jeune hégélienne de l’intertexte de L’Unique et sa propriété est évidente, que cette teneur réside directement dans la discussion de textes jeunes hégéliens ou dans le fait que les intertextes secondaires de l’ouvrage, principalement les pensées libérales, socialistes et communistes, soient discutés à partir de leur réception jeune hégélienne, le rapport de Stirner au jeune hégélianisme dans son principal ouvrage est cependant moins clair. Une première lecture peut ainsi donner l’impression d’un auteur solitaire, réfutant et se tenant à distance de tou.te.s les autres auteur.e.s de son temps2. C’est toutefois un fait que Stirner a d’abord été jeune hégélien. Jeune hégélien, il l’a été socialement, par ses espaces de publication, et théoriquement. Socialement, Stirner a en effet été un Jeune hégélien berlinois, fréquentant les réunions du groupe au café Hippel. Plus précisément, si Stirner a été un ami proche de Bruno Bauer, sa position dans la division des groupes jeunes hégéliens est spécifique. À partir de 1842, le mouvement jeune hégélien se divise en trois groupes distincts : un groupe rhéno-saxon, immigrant bientôt à Paris, centré autour de Ruge et de Marx, et deux groupes berlinois : celui centré autour de Bruno Bauer et celui qui est appelé Freien pendant l’été 1842, regroupant surtout des anciens collaborateurs de la revue Athenäum : Eduard Meyen, Ludwig Buhl, Adolf Rutenberg, Köppen, Theodor Mügge, etc3. C’est à ce dernier groupe, un temps dit des Freien, qu’appartient Max Stirner. Plusieurs textes qui lui sont hypothétiquement attribués depuis les travaux de son biographe Mackay résident d’ailleurs en une justification des Freien et de l’intention d’apostasie volontaire et officielle qui leur était attribuée. En 1842, il rejetterait ainsi la subordination de la pleine citoyenneté à la confession dans « Über die
Université de Bourgogne, Esplanade Erasme, 21000 Dijon. pauline.clochec @outlook.fr 2 Cet apparent isolement est souligné par le titre donné par Tanguy L’Aminot à sa monographie : Max Stirner, le philosophe qui s’en va tout seul, Montreuil : L’insomniaque, 2012. 3 Sur cette division du mouvement jeune hégélien, cf. Wolfgang Bunzel, Martin Hundt, Lars Lambrecht (éds) : Zentrum und Peripherie. Arnold Ruges Korrespondenz mit Junghegelianern in Berlin, Francfort: Peter Lang, 2006, S. 47-48. 1
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Verpflichtung der Staatsbürger zu irgendeinem Religionsbekenntnis4 » et justifierait le caractère strictement philosophique et non révolutionnaire de la démarche de ses ami.e.s dans « Die Freien5 ». Stirner partage avec ceux-ci la pratique du scandale, choquant les bonnes mœurs, comme à l’occasion de son nonchalant mariage avec Marie Dähnhardt6. Il est aussi jeune hégélien par ses organes de publication, écrivant dans les principales revues et journaux du mouvement : la Gazette rhénane dirigée par Rutenberg puis influencée par Marx, les Annales allemandes de Ruge, et la Gazette générale de Leipzig, dirigée par le bauerien Gustav Julius. C’est enfin chez Otto Wigand, l’éditeur jeune hégélien des Jeunes hégéliens, que L’Unique est publié fin octobre 1844. Enfin, cette proximité s’est traduite théoriquement dans les travaux de Stirner. Celui-ci fait ainsi dès janvier 1842 l’éloge de La trompette du jugement dernier de Bruno Bauer, l’ouvrage qui, en 1841 avec L’essence du christianisme de Feuerbach, signait l’émergence du jeune hégélianisme par scission et radicalisation vis-à-vis de la gauche hégélienne7. C’est avec le même Bauer que Stirner projetait un écrit en commun qui ne verra pas le jour8. Dans sa défense des Freien enfin, Stirner se fait le défenseur du corpus thétique le plus classique chez les Jeunes hégéliens, soutenant la possibilité de l’éthicité sans la religion : « Austritt aus der Kirche! Aber Moral, Sittlichkeit, Pflichten gegen Familie, bürgerliche Gesellschaft und Staat.9 » Une telle célébration d’une éthicité libérée de la religion ne peut manquer de surprendre, chez un auteur qui deux ans plus tard dans L’Unique se fait le pourfendeur de toute forme de morale. Cet écart théorique pose la question du caractère encore jeune hégélien ou non de L’Unique. Cet ouvrage constituerait-il une rupture de Stirner, et une sortie du mouvement jeune hégélien, à comparer à ce titre avec L’idéologie allemande de Marx, Engels, Weydemeyer, Hess et Bernays ? Trois thèses principales ont été soutenues à ce sujet. La première fait de L’Unique la quintessence ou la conséquence ultime de la philosophie jeune hégélienne. Cette thèse a Max Stirner: Über die Verpflichtung der Staatsbürger zu irgendeinem Religionsbekenntnis, in Bernd A. Laska (éd.): Max Stirner: Parerga. Kritiken und Repliken, Nuremberg: LSRVerlagn 1986, S. 111-115. 5 Max Stirner: Die Freien, Der Einzige, n° 1 (17), 3 février 2002, p. 28-32. 6 Sur ce mariage, cf. Tanguy L’Aminot : Max Stirner (note 2), p. 25. 7 Max Stirner, Sur la trompette du jugement dernier, in Diederik Dettmeijer (dir.) : Max Stirner ou la première confrontation entre Karl Marx et la pensée anti-autoritaire, Lausanne : L’Âge d’Homme, 1979, p. 23-31. 8 Cf. Tanguy L’Aminot, Max Stirner (note 2), p. 30. 9 Max Stirner : Über die Verpflichtung der Staatsbürger zu irgendeinem Religionsbekenntnis (note 4), S. 115. 4
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généralement été soutenue à charge par des auteurs marxistes tel Auguste Cornu10 voyant chez Stirner une philosophie absurde autant qu’abstraite, simultanément anarchiste et réactionnaire ! La seconde thèse ignore tout simplement le contexte hégélien et jeune hégélien de l’œuvre stirnerienne, situant ailleurs l’originalité de l’ouvrage de Stirner, notamment, pour Émile Armand, dans son prétendu anarchisme individualiste11. La troisième thèse, tout en reconnaissant que les positions de Stirner s’enracinent dans les débats jeunes hégéliens, voit dans L’Unique une rupture et une critique globale de Stirner vis-à-vis des Jeunes hégéliens12. Je chercherai dans mon propos à partiellement préciser et corriger cette troisième approche en soutenant la thèse, premièrement, d’un texte typiquement jeune hégélien par sa méthode, deuxièmement, d’un texte qui constitue un positionnement particulier et explicitement thématisé à l’intérieur d’un jeune hégélianisme qui n’est pas une pensée monolithique mais un espace polémique, et, troisièmement, d’un texte typique d’une phase précise (la dernière) de l’évolution du jeune hégélianisme, appartenance permettant de rapprocher L’Unique d’autres textes jeunes hégéliens chronologiquement proches. I. La méthode jeune hégélienne de L’Unique L’Unique est un ouvrage typiquement jeune hégélien par sa méthode critique, résidant dans une sécularisation de représentations morales, religieuses et politiques qui, d’autorités transcendantes, sont ramenées au rang de produits de l’esprit humain. L’Unique est présenté comme une dissolution générale de toutes les idoles que se donnent les individus, pour reconduire ces derniers à leur propre puissance autonome. Toutes les idées générales sont ainsi critiquées comme une « Götzen 13 » ou une « fixe Idee14 » asservissante pour la personne singulière : « Jedes höhere Wesen, wie Wahrheit, Menschheit usw., ist ein Wesen über Uns.15 » C’est ainsi le pouvoir normatif de tout idéal prétendument universel qui se voit rejeté pour son caractère, d’une part, illusoire, et, d’autre part, Auguste Cornu : Karl Marx et Friedrich Engels. Leur vie et leur œuvre, tome IV, La formation du matérialisme historique (1845-1846), Paris : PUF, 1970, p. 52, 57, 59, 247. 11 Cf. Émile Armand : Le stirnérisme, in Sébastien Faure (éd.) : Encyclopédie anarchiste : http://www.encyclopedie-anarchiste.org/articles/s/stirnerisme.html. Dernière consultation le 27/11/2016. 12 Cf. notamment Tanguy L’Aminot, Max Stirner (note 2), p. 25, 61 ; Éric Vilain : Lire Stirner, Éditions du Cercle d’études libertaires Gaston Leval, 2011, p. 136. 13 Max Stirner: Der Einzige und sein Eigentum, Stuttgart: Reclam, 1972, S. 178, 361. 14 Ibid., S. 46. 15 Ibid., S. 40. 10
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asservissant16. Concernant ce caractère illusoire, Stirner étend la critique jeune hégélienne de la religion à toute norme idéale, réduite à une simple apparence, qu’il désigne par les vocables de spectres, de fantômes17 : le cerveau humain est hanté par ces idoles qui, formellement, suivent toutes le même modèle du « geheimnisvolle Spuk, den Wir höchstes Wesen nennen18 ». Autant de divers fantômes, tous au fond le même, dont Stirner tout au long de L’Unique se fait l’exorciste sans Dieu, ou le « Entheiliger19 ». L’aspect de soumission est quant à lui plutôt soutenu par le vocabulaire de la folie. C’est à ce titre que ces idoles sont aussi décrites comme des idées fixes, au double sens de l’idée figée en dehors de l’agir humain, et de la lubie. Le comportement des hommes en tant que dicté par une telle lubie est maniaque, faisant « souffrir » l’individu « soumis » à une idée fixe20. C’est ainsi en termes de possession et de « Fanatismus21 », ainsi qu’en termes de « Herrschaft22 » idéelle ou d’assujettissement23 que la subjectivité des individus soumis à une idée fixe est décrite, cette manie de suivre une norme idéale conduisant l’individu à son autoreniement ou « Selbstverleugnung24 ». En effet, toute assignation de la vérité de l’individu singulier à une idée générale est une réduction de celui-ci à l’une de ses propriétés – paradigmatiquement : l’esprit, déniant ainsi la réalité corporelle ; le terme de « liberté de l’esprit » est ainsi retourné par Stirner : il ne désigne pas ma liberté mais celle d’un esprit abstrait, conçu comme universel et indépendant des individus réels25. Conséquence plus pragmatique de cette critique générale des normes, Stirner, au plan politique, rejette la légitimité de tout gouvernement26 et de tout État27, et, au plan éthique, opère une critique des mœurs et des bonnes mœurs – non au sens où telles mœurs devrait être critiquées, mais au sens d’une attitude soumise consistant à adopter et à juger certaines mœurs comme bonnes. À ce sujet, Stirner critique notamment toute intervention de Ibid., S. 5. Ibid. S. 42 sqq. 18 Ibid., S. 42. 19 Ibid., S. 202. 20 Ibid., S. 46. 21 Ibid., S. 48. 22 Ibid., S. 52. 23 Stirner emploie le terme de Gebundenheit, l’associant à une explicitation et généralisation de l’étymologie de « religion ». Ibid., S. 51-53 24 Ibid., S. 64. 25 Ibid., S. 53. 26 Ibid., S. 250. 27 Ibid., S. 47. 16 17
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l’État en matière morale (notamment par l’institution du mariage)28. Le procédé critique employé par Stirner envers toutes ces idées fixes réside dans une indifférenciation formelle : toutes ces idées fixes ont des noms et des contenus différents (Dieu, l’être humain, la liberté, la société, le droit, les bonnes mœurs etc.), mais sont formellement identiques. Elles sont en effet de pures idées abstraites (au double sens de séparées et de vides) qui dominent les individus. Ainsi, pour Stirner, en religion comme en politique ou en philosophie, s’opère toujours la sacralisation d’essences ineffectives, « fantômes » dont il dresse régulièrement des listes variables ponctuées d’un « usw.29 » C’est ainsi moins la spécificité des dominations que leur identité de fond qui intéresse Stirner, qui rend par exemple secondaire la distinction hégélienne entre société civile et État, tous deux étant toujours une communauté normée par des règles juridiques et morales transcendantes. De ce fait, Stirner indifférencie aussi les questions sociale et politique, jugeant que l’État, comme le paupérisme, consistant dans la dévalorisation de l’individu, les deux vont toujours de pair30. Le nerf de la critique stirnerienne soutenant ces indifférenciations réside dans sa théorie historique de la substitution : historiquement, toutes les époques ne font que substituer une idole à une autre. Ainsi, telle époque, telle doctrine, tel parti politique ou philosophique ne sont jamais une véritable transformation mais seulement la substitution d’une idée fixe à une autre. Fondamentalement, nous ne sommes jamais sorti.e.s de la bondieuserie et de la domination. Conséquence historiographique : tout ce qui est communément décrit comme une révolution ou une libération, chaque transition d’une époque à une autre n’est jamais qu’un « changement de maître31 » (Herrenwechsel). Cependant, cette théorie de la substitution implique que l’apport théorique de la réflexion historique soit minoré : cette digression sert un propos plus fondamental32. Parfois cependant, un élément d’évolution historique semble être réintroduit, mais dans une lecture à rebours du progrès, identifiant plutôt d’une manière iconoclaste une aggravation de la domination. Ainsi, avec provocation, Stirner juge le jésuitisme (terme polémique servant alors à désigner l’adversaire ultramontain, comme chez le Heine de L’école romantique) moins insupportable que le Ibid., S. 49. Cf. par exemple ibid., S. 46. 30 Ibid., S. 281-282. 31 Ibid., S. 62. 32 Ibid., S. 71. 28 29
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protestantisme, et l’État moderne comme plus asservissant que l’Ancien régime, monarchie véritablement absolue car abolissant les privilèges qui limitaient encore le pouvoir monarchique et instaurant un « Staatsdienst » qui représente un « neue Gottesdienst und Kultus » qui implique le « sacrifice » (Aufopferung) de l’individu33. Dans l’ensemble cependant, la considération qui prédomine dans L’Unique est que le changement historique n’est jamais que superficiel. C’est par conséquent un défaut de radicalité que diagnostique Stirner dans toutes les révolutions antérieures, et notamment la Révolution française : celle-ci n’était pas dirigée contre « l’existant » et « les maîtres » en général, mais seulement contre « cet existant » et « ces maîtres », qu’elle s’est empressée de remplacer34. Pareillement, dans le domaine spirituel, l’esprit n’est que le nouvel « idéal » ou « au-delà » de notre existence individuelle réelle que la philosophie moderne substitue à Dieu35. Stirner propose donc, selon le terme d’Étienne Balibar36, une critique nominaliste de toute idée générale, assignée à la représentation illusoire de ce qui est la seule réalité : les individus singuliers et leur propriété37, ce concept n’étant pas à saisir en un sens uniquement économique, mais plutôt au sens large des propriétés à l’âge classique, incluant mon corps, mes pensées, en plus de mes propriétés matérielles : tout ce dont l’us et l’abus relève de mon arbitre. Ainsi, pour Stirner, « Da ist auch nicht Eine Wahrheit, nicht das Recht, nicht die Freiheit, die Menschlichkeit usw., die vor Mir Bestand hätte, und der ich mich unterwürfe. Sie sind Worte, nichts als Worte38 ». Ce n’est donc que la croyance et le respect qui leur est porté qui soutient les idoles, lesquelles n’existent pas en soi : « ist kein Ding durch sich heilig, sondern durch Meine Heiligsprechung, durch Meinen Spruch, Mein Urteil, Mein Kniebeugen, kurz durch Mein – Gewissen.39 ». Stirner propose donc une genèse subjective de la domination : c’est par la soumission, au sens d’une attitude subjective de « loyalité » et de « servilité », que tient la domination : « Hörte die Unterwürfigkeit auf, so wär’s um die Herrschaft geschehen. 40 » Ainsi, juridiquement, la « loi » n’a pas de pouvoir coercitif tant qu’elle n’est pas Ibid., S. 109. Ibid., S. 121. 35 Ibid., S. 33. 36 Étienne Balibar : La philosophie de Marx, Paris : La Découverte, 2010, p. 33. 37 Max Stirner: Der Einzige (note 13), S. 45. 38 Ibid., S. 390. 39 Ibid., S. 77. 40 Ibid., S. 214. 33 34
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moralement intériorisée, comme un « devoir41 ». Stirner opère ainsi une réduction subjective de la domination à une soumission42 expliquée par une « éducation43 » qualifiée de « dressage44 » que Stirner dénonçait déjà dans son article de 1842 « Le faux principe de notre éducation ». L’abandon de la croyance et du respect dans les idoles suffit à détruire leur domination. Ce résumé de la position critique et de la méthode de Stirner dans L’Unique étant fait, voyons dans quelle mesure elles inscrivent cet ouvrage dans le jeune hégélianisme. Stirner partage avec l’ensemble des Jeunes hégéliens une conscience de l’époque comme étant celle d’une nouvelle rupture historique, d’une transition par la lutte d’une époque à une autre. Ruge dans ses articles des Annales de Halle puis allemandes45, Köppen dans Frédéric le grand et ses adversaires46, Bruno Bauer dans L’Église évangélique de Prusse et la science47… tou.te.s voient dans l’époque présente celle d’un bouleversement qui mettra fin à l’époque chrétienne. Ainsi, pour Stirner, chaque époque se caractérise par le dépassement agonistique d’un maître : de la nature dans l’Antiquité, de Dieu pendant l’époque chrétienne, et désormais de l’homme48. C’est la suppression de toute autorité prétendument transcendante et de tout existant figé justifié par cette transcendance qui doit opérer cette transition. La tâche généralement assignée à la philosophie par les Jeunes hégéliens est donc de contribuer à la libération de l’effectivité en la conceptualisant de la manière la plus immanente qui soit, en la comprenant dans son autonomie. C’est bien de cette tâche de la théorie comme « critique » que continue de se revendiquer Stirner, selon le maître-mot du mouvement jeune hégélien. La philosophie doit être critique et non spéculative, Stirner reprenant à ce titre la thèse feuerbachienne49 d’une transposition
Ibid., S. 215. Ibid., S. 344. 43 Ibid., S. 70, 246. 44 Ibid., S. 373. 45 Arnold Ruge: Die Zeit und die Zeitschrift, in Heinz et Ingrid Pepperle (ed.): Die Hegelsche Linke, Leipzig: Reclam, 1985, S. 384-388. 46 Karl Friedrich Köppen: Friedrich der Grosse und seine Widersacher, in Heinz Pepperle (éd.): Ausgewählte Schriften in zwei Bänden, Berlin: Akademie Verlag, 2003, S. 135. 47 Bruno Bauer: Die Landeskirche Preussens und die Wissenschaft, Leipzig: Otto Wigand, 1840, S. 1, 7. 48 Max Stirner: Der Einzige (note 13), S. 358. 49 Ludwig Feuerbach: « Vorläufige Thesen zur Reformation der Philosophie », in Ludwig Feuerbach, Gesammelte Werke 9, Berlin: Akademie Verlag, 1990, S. 243. 41 42
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et continuation de la théologie par la « philosophie spéculative50 ». Les « idées fixes » doivent ainsi être soumises au « schneidende Messer der Kritik »51. C’est la « domination52 » autant que le caractère de produit de ces idées fixes qu’il s’agit de dénoncer, et leur prétendue « extériorité53 » par rapport à l’immanence humaine. Si le terme d’Entfremdung est peu présent dans L’Unique, le lexique bauerien de l’étrangeté n’y demeure pas moins structurant, Stirner opposant systématiquement fremd et eigen54, psychologisant par-là une critique du donné qui, chez Bauer et la plupart des Jeunes hégéliens, a d’abord un sens historique, politique et théologique. C’est ainsi l’ « existant55 » comme tel, posé comme un donné justifié par sa seule existence, qu’il s’agit de refuser, Stirner se ralliant de la sorte au programme de « critique de l’existant » impulsé par B. Bauer56. Comme ce dernier, Stirner défend en effet l’« auto-activité » et l’°« autodétermination »57. Or, comme le soutient Bauer dès L’Église évangélique de Prusse et la science58, tout produit de cette libre activité a tendance à s’objectiver dans une forme déterminée dont la fixité et la limitation contredisent la liberté, contradiction qui appelle au nouveau dépassement de cette forme. C’est ainsi en suivant Bauer que Stirner peut affirmer que « Der Drang nach einer bestimmten Freiheit schliesst stets die Absicht auf eine neue Herrschaft ein59 ». Conséquence politique de cette critique de l’autorité du donné, Stirner peut dénoncer toute « hiérarchie », se situant ainsi dans la ligne de la critique par Ruge et Echtermeyer d’un principe de hiérarchie établissant une continuité entre, d’une part, la hiérarchie catholique médiévale et, d’autre part, la monarchie et la bureaucratie prussiennes, toutes deux partageant une séparation entre clercs et profanes privant ces derniers de tout pouvoir60. Si, contrairement aux autres Jeunes hégéliens cité plus haut, c’est à même Max Stirner: Der Einzige (note 13), S. 75. Ibid., S. 47. 52 Ibid., S. 52. 53 Ibid., S. 55. 54 Cf. par exemple ibid., S. 71. 55 Ibid., S. 246. 56 Bruno Bauer: « Theologische Schamlosigkeiten », in Hans-Martin Sass (ed.): Feldzüge der reinen Kritik, Francfort, Suhrkamp, 1968, S. 59. 57 Max Stirner: Der Einzige (note 13), S. 76. 58 Bruno Bauer: Die evangelische Landeskirche Preussens und die Wissenschaft (note 47), S. 105. 59 Max Stirner: Der Einzige (note 13), S. 176. 60 Arnold Ruge, Theodor Echtemeyer (anonymement: Von einem Württemberger): Karl Streckfuss und das Preussentum, in Heinz et Ingrid Pepperle: Die hegelsche Linke (note 45), S. 114-115. 50 51
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l’individu singulier et non dans le genre (comme chez Feuerbach) ou dans le procès historique collectif de la conscience de soi (comme chez B. Bauer) que Stirner situe cette réalité profane qui est à désaliéner, les conséquences politiques qu’il tire de son anthropologie individualiste ne visent toutefois pas à un isolement de l’individu. Pour Stirner, l’isolement de l’individu procède bien plutôt de la religion séparant l’être humain du monde dans un ciel imaginaire61. C’est en faveur de relations interindividuelles non soumises à des normes supra-individuelles que se prononce Stirner, sous les concepts d’« association » (Verein) et de « commerce » (Verkehr). Comme chez la plupart des Jeunes hégéliens après la phase de collaboration entre le mouvement jeune hégélien et le mouvement libéral allemand en 1841-42, c’est contre le libéralisme que se tourne notamment la critique stirnerienne, faisant le bilan critique de cette collaboration. Les « libéraux62 » sont en effet acritiques : formellement identiques aux croyants et aux monarchistes, ils croient en un absolu abstrait, celui de l’État et du droit. Ainsi, la critique véritable, si elle a bien une signification politique, ne doit cependant pas s’engager dans le parti libéral, ni même dans aucun parti (au sens de parti pris politique, et non déjà d’organisation centralisée), tout parti reconduisant une nouvelle représentation hypostasiée, comme le dénonçait B. Bauer dans son article « Quel est maintenant l’objet de la critique ?63 ». Le mouvement libéral allemand est ainsi dénoncé comme moralisateur64, mais aussi comme inoffensif vis-à-vis de la monarchie et du gouvernement, se contentant de demandes respectueuses65. Dénonçant, comme le font Engels dans « Libéralismes d’Allemagne du Nord et d’Allemagne du Sud66 » ou Edgar Bauer dans « Le Juste-Milieu67 », la « demi-mesure68 » (Halbheit) du libéralisme. Stirner n’est donc pas l’intellectuel rejetant toute prise de position politique que la plupart des marxistes y ont vu : son type de position contre l’attitude de « mendiant69 » de l’opposition Max Stirner: Der Einzige (note 13), S. 75. Ibid., S. 48. 63 Bruno Bauer: Was ist jetzt Gegenstand der Kritik?, in: Allgemeine Literaturzeitung, juillet 1844, p. 18-26. 64 Max Stirner: Der Einzige (note 13), S. 55. 65 Ibid., S. 56: « Wollen darf sie [l’opposition] die Freiheit nicht; sie kann nur wünschen, darum „Petitionen“, eine „Bitte, bitte“ lallen. » 66 Friedrich Engels : Écrits de jeunesse, volume 1, Paris : GEME, 2015, p. 241. 67 Ibid., p. 391. 68 Max Stirner: Der Einzige (note 13), S. 57. 69 Ibid., S. 59. Une critique proche de l’attitude strictement défensive de l’opposition 61 62
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libérale est à comprendre dans ce cadre de la radicalisation politique des Jeunes hégéliens à partir de fin 1842. Cette communauté méthodologique mais aussi thétique de Stirner avec les autres Jeunes hégéliens ne doit toutefois pas masquer la particularité de sa position. Celle-ci n’est toutefois pas totale, résidant essentiellement en deux points. Premièrement, dans l’égoïsme70 et le singularisme de Stirner : ce qui existe effectivement et doit se libérer des idées fixes n’a rien d’intrinsèquement collectif. Ce sont « les personnes », « les individus singuliers » et non une liberté impersonnelle.71 Deuxièmement, dans la signification et le statut minorés accordés à l’histoire. Son statut n’est qu’illustratif72 et sa signification n’est pas celle d’une libération progressive mais de changements superficiels. Si ces critiques de l’histoire et de la liberté sont propres à Bauer, le reste des critiques de concepts jeunes hégéliens proposées par Stirner se trouve déjà dans les polémiques intra jeunes hégéliennes, l’État ayant déjà été critiqué par Hess et Edgar Bauer, et l’esprit au profit de la sensibilité par Feuerbach critiquant Hegel. La démarche de Stirner dans L’Unique consiste ainsi à soutenir des positions très partiellement en rupture avec le jeune hégélianisme au moyen de la méthode jeune hégélienne de critique sécularisante, poursuivant ainsi cette critique en l’appliquant aux concepts d’homme, de conscience de soi, de liberté. II. Le tableau critique du contexte jeune hégélien dans L’Unique Ce positionnement critique à l’intérieur du mouvement jeune hégélien est thématisé par Stirner dans L’Unique. L’anthropologie générique de Feuerbach est la première cible manifeste de cette critique. Ainsi, une partie des attaques de Stirner contre «"l’être humain" » (der Mensch) sont dirigées contre Feuerbach et les Jeunes hégéliens s’en réclamant, c’est-àdire ceux du groupe constitué autour de Ruge et de Marx (groupe scissionnant début 1844), Feuerbach ayant fait de ce Mensch le nom principiel de sa philosophie. Il n’est cependant pour Stirner qu’« ein höheres Wesen als ein einzelner Mensch73 », et de ce fait n’est qu’une nouvelle illusion d’ordre religieux. La prétendue « libération » permise par Feuerbach est donc « durchaus theologisch, d. h. gottesgelahrt74 ». libérale est conduite par Bernays dans les Annales franco-allemandes. Max Stirner: Der Einzige (note 13), S. 13. 71 Ibid., S. 84-85. 72 Ibid., S. 71. 73 Ibid., S. 40. 74 Ibid., S. 34. 70
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Contre cette nouvelle essence abstraite, l’être humain, Stirner affirme : « Ich bin weder Gott, noch der Mensch, weder das höchste Wesen, noch mein Wesen75 ». L’humanité ou « le genre76 » (die Gattung) n’est qu’« eine unserer Eigenschaften, d. h. unser Eigentum […]77 », et y voir la totalité de notre être ne fait que reconduire le mépris chrétien du moi haïssable. Ainsi, Feuerbach a beau avoir rejeté la croyance en l’immortalité personnelle dans ses Pensées sur la mort et l’immortalité78, Stirner lui reproche d’être toujours en accord « trotz all Deines Atheismus mit dem Unsterblichkeitsgläubigen im Eifer gegen den Egoismus79 ». Les feuerbachiens démocrates et socialistes tels Ruge et Marx qui mettent en avant « l’idée d’égalité80 » contre l’égoïsme ne valent pas mieux. La critique stirnerienne en reste cependant rarement à un seul auteur. Le procédé principal de sa critique intra-jeune hégélienne consiste en effet en des regroupements polémiques : il s’agit d’identifier, comme défendant essentiellement la même théorie fautive, des Jeunes hégéliens appartenant alors à des groupes distincts voire rivaux. L’erreur de l’humanisme est ainsi autant attribuée à Feuerbach qu’à B. Bauer, et ce dès l’exergue de la première section81. Ainsi, après avoir attaqué indistinctement baueriens, démocrates et socialistes jeunes hégéliens pour avoir revendiqué une « "société libre"82 », Stirner passe sans transition à Feuerbach, en faisant le défenseur d’« une nouvelle religion » centrée sur « l’éthique83 » qui aboutirait au même « reniement de soi84 » que les positions précédemment dénoncées. Avant d’encore citer pour les identifier Feuerbach et Bauer85, Stirner se livre à une indifférenciation complète des Jeunes hégéliens et de la religion : Neuere Kritiker eifern gegen die Religion, weil sie Gott, das Göttliche, Sittliche usw. ausser dem Menschen setze oder zu etwas Objektivem mache, wogegen sie eben diese Subjekte vielmehr in Ibid., S. 35. Ibid., S. 189. 77 Ibid., S. 191. 78 Ludwig Feuerbach (anonyme): Gedanken über Tod und Unsterblichkeit, Nuremberg: Johann Adam Stein, 1830. 79 Max Stirner: Der Einzige (note 13), S. 31. 80 Ibid., S. 32. 81 Ibid., S. 7. 82 Ibid., S. 61. 83 Ibid., S. 63. 84 Ibid., S. 64. 85 Ibid., S. 268-269. 75 76
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den Menschen verlegen. Allein in den eigentlichen Fehler der Religion, dem Menschen eine »Bestimmung« zu geben, verfallen jene Kritiker nicht minder, indem auch sie ihn göttlich, menschlich u. dgl. wissen wollen: Sittlichkeit, Freiheit und Humanität usw. sei sein Wesen. Und wie die Religion, so wollte auch die Politik den Menschen »erziehen«, ihn zur Verwirklichung seines »Wesens«, seiner »Bestimmung« bringen, etwas aus ihm machen, nämlich einen »wahren Menschen«, die eine in der Form des »wahren Gläubigen«, die andere in der des »wahren Bürgers oder Untertanen«. In der Tat kommt es auf Eins hinaus, ob man die Bestimmung das Göttliche oder Menschliche nennt.86 Stirner peut donc conclure, à l’encontre de l’ensemble indistingué des Jeunes hégéliens : « Unsere Atheisten sind fromme Leute.87 » La critique jeune hégélienne s’est retournée par manque de critique en religion, et ce principalement lorsque cette critique s’engage politiquement. Elle aboutit alors pour Stirner à une « "religion politique"88 », terme pouvant viser le sens élargi conféré à la religion par Ruge, désignant par-là tout enthousiasme collectif pour une cause politique89. C’est au même Ruge que Stirner reproche d’avoir seulement mis la « raison » à la place d’ « autorité sacrée » occupée antérieurement par l’« Église » ou la « Bible »90, ou d’avoir loué « récemment » avec le poète Herwegh les mérites du « parti »91, ne faisant ainsi que reproduire la forme étatique imposant un tiers dominant au commerce des individus92. Ces regroupements polémiques laissent toutefois temporairement la place, dans le chapitre « Die Freien », qui désigne donc un ensemble beaucoup plus large que le seul groupe berlinois auquel appartenait Bauer, à un tableau des différentes orientations politiques et intellectuelles de l’époque, et parmi elles des différents courants jeunes hégéliens. Ces orientations époquales sont divisées en différentes versions du libéralisme – politique, social et humain. Stirner reprend ainsi le geste du juriste libéral Aretin qui, en 1816, dans son article « Was Ibid., S. 268. Ibid., S. 203. 88 Ibid., S. 52. 89 Arnold Ruge: Die Hegelsche Rechtsphilosophie und die Politik unserer Zeit, in: Heinz et Ingrid Pepperle (ed.): Die Hegelsche Linke (note 45), S. 466. 90 Max Stirner: Der Einzige (note 13), S. 387. 91 Arnold Ruge: Wer ist und wer ist nicht Partei?, in: Heinz et Ingrid Pepperle (ed.): Die Hegelsche Linke (note 45), S. 399-408. 92 Max Stirner: Der Einzige (note 13), S. 259. 86 87
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heisst liberal », dans une nette référence au « Was heisst Aufklärung » de Kant, faisait du libéralisme le principe de l’époque93. Cette identification est toutefois reprise à titre critique : le libéralisme n’est plus vu comme le principe du progrès de l’époque mais au contraire de sa stagnation, se caractérisant par la substitution de l’idole de la liberté à celle de Dieu. Ce mouvement libéral allemand est critiqué comme « libéralisme politique ». C’est ainsi, encore une fois, la collaboration éphémère entre Jeunes hégéliens et libéraux qui est dénoncée a posteriori. Comme Edgar Bauer, Hess ou Marx, Stirner se refuse à restreindre, comme les libéraux dans leur « Mittelmässigkeit94 », la critique à une attaque contre l’absolutisme et la bureaucratie, et revendique une critique du politique comme tel et de l’État95 comportant intrinsèquement une « domination96 ». Citant comme exemple de l’erreur libérale l’article « Sur la participation à l’État » où le Jeune hégélien Karl Nauwerck s’en prenait encore à l’indifférence et l’inaction politiques97, Stirner dénonce en Nauwerck un « croyant en l’État98 » (Staatsgläubige) ne saisissant pas que l’État n’est pas à réformer mais à abolir. La seconde partie des « Freien » vise, sous l’appellation de « libéralisme social » les mouvements socialistes et communistes, approchés et reçus par Stirner et les autres Jeunes hégéliens depuis la publication en 1842 du tableau Le socialisme et le communisme de la France actuelle par Lorenz von Stein99. Comme chez ce dernier, ces doctrines sont saisies par Stirner comme une poursuite du libéralisme politique mettant l’accent sur l’égalité. Ce ne sont pas seulement des Jeunes hégéliens qui sont donc attaqués ici. Stirner mentionne aussi le communisme d’expression religieuse de Weitling100 ou d’August Becker101, mais pour identifier leur religiosité au communisme athée d’une partie des Jeunes hégéliens. Ceux qui sont visés ici, mettant en avant la « "société humaine"102 » sont les représentants du communisme d’inspiration feuerbachienne, nommés Johann Christoph Freiherr von Aretin: Was heisst liberal?, in: Neue Allemannia, t. 1, Sulzbach: Seidel, septembre 1816. 94 Max Stirner: Der Einzige (nte 13), S. 124. 95 Ibid., S. 109. 96 Ibid., S. 119. 97 Ibid., S. 257. 98 Ibid., S. 259. 99 Lorenz von Stein: Der Sozialismus und Kommunismus des heutigen Frankreich, Leipzig: Wigand, 1842. 100 Cf. par exemple Max Stirner: Der Einzige (note 13), S. 238. 101 Ibid., S. 209. 102 Ibid., S. 196. 93
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« humanistes », qui se développe à Paris et en Rhénanie autour de Marx, Hess et de la revue Vorwärts ! à partir de 1844. C’est en ce sens qu’il faut lire la référence à l’« humanité103 » (Menschlichkeit) et aux « besoins104 » (Bedürfnisse) faite par Stirner pour stigmatiser leurs théories. Stirner recourt aussi à la conceptualité du Hess des Vingt-et-une feuilles, soulignant que « die Kommunisten erst die freie Tätigkeit für das Wesen des Menschen erklären105 ». Cette expression de « libre activité » vise en effet probablement Hess qui en fait son principe dans « La liberté Une et entière106 » et dans « Philosophie de l’action107 ». Qu’en est-il de Marx ? Stirner ne le mentionne qu’à une reprise dans L’Unique, se référant à « Sur la question juive » pour illustrer l’anthropologie générique de Feuerbach, Marx y identifiant selon Stirner l’individu à l’« "être générique"108 » (Gattungswesen). C’est donc comme un feuerbachien mineur que Marx intervient, étant de fait à l’époque un Jeune hégélien secondaire, ayant peu publié, et toujours dans l’ombre de plus grands noms comme B. Bauer puis, en effet, Feuerbach. C’est toutefois surtout au « libéralisme humain » que se consacre Stirner, ou à la « "critique pure"109 » qui sera aussi dénoncée par Marx et Engels dans La Sainte Famille. Est ici visé le groupe jeune hégélien berlinois centré autour de Bruno Bauer, et de sa théorie de la « conscience de soi110 » (Selbstbewusstsein), mot d’ordre bauerien, groupe composé principalement, en plus des frères Bauer, de Jungnitz, Faucher, Hirzel et Szeliga et qui trouve alors son organe dans l’Allgemeine Literaturzeitung111. C’est pour Stirner ce « libéralisme "critique" » qui accomplit le libéralisme112. Ceux que Stirner nomme les « "Kritischen" » se voient attribuer deux défauts principaux. Premièrement, ils ne font que sacraliser l’ « éthicité » par les « liberté, humanité, conscience de soi,
Ibid., S. 129. Ibid., S. 130. 105 Ibid., S. 133. 106 Moses Hess, Die Eine und ganze Freiheit, in: Wolfgang Mönke (éd.): Moses Hess. Philosophische und sozialistische Schriften. 1837-1850, Berlin: Akademie Verlag, 1980, S. 228. 107 Moses Hess: « Philosophie der Tat », ibid., S. 222. 108 Max Stirner: Der Einzige (note 13), S. 192. 109 Ibid., S. 140. 110 Ibid., S. 143. 111 Auguste Cornu identifie à tort ce « libéralisme humain » avec « l’humanisme de Feuerbach ». Cf. Auguste Cornu, Karl Marx et Friedrich Engels (note 10), p. 241, 251. 112 Max Stirner: Der Einzige (note 13), S. 136. 103 104
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etc. »113. Deuxièmement, ils sombrent dans un intellectualisme, réduisant la critique au seul « penser114 » face auquel Stirner réhabilite, contre sa critique hégélienne la « présupposition » (Voraussetzung), celle du « moi » de chair et d’os, et son activité d’autoposition permanente115. Si Stirner consacre plus précisément une « Remarque » rajoutée après la rédaction de l’ouvrage à l’article de B. Bauer « Quel est maintenant l’objet de la critique ? »116, c’est surtout sur La question juive117 qu’il concentre ses critiques. Dans ce texte, l’un des plus discutés de L’Unique, Bauer traite en effet de deux points intéressant Stirner : le rapport du particulier (le judaïsme et la religion en général) à l’universel (la citoyenneté et l’humanité), et le libéralisme. La question juive de Bauer devient en effet, à partir de sa publication en 1843, la grande critique jeune hégélienne du libéralisme par rapport à laquelle toute autre critique jeune hégélienne du libéralisme, comme celle de Marx dans les Annales franco-allemandes, doit se situer. Dans La question juive, Bauer critique les intérêts particularistes et exclusifs propres à chaque religion au nom de l’universalité du droit. Contre cette critique, Stirner se propose de réhabiliter « l’exclusivité » : l’Unique exclut en effet toute fin étrangère, « der "Einzelne" ist die Ausschliesslichkeit selber.118 » Le même rejet du particularisme au profit d’intérêts universellement humains voire du désintéressement mis en avant par Edgar Bauer dans sa recension de L’Union ouvrière de Flora Tristan est pareillement dénoncé par Stirner comme une mythologie de l’être humain119. Cependant, après cette distinction de divers courants jeunes hégéliens dans « Die Freien », Stirner les réassimile dans la seconde section, citant indifféremment Bauer, Feuerbach ou Hess pour développer par distinction sa théorie égoïste. Le rapport de Stirner au groupe de Bauer n’en est pas moins particulier. Le chapitre qui y est consacré est le deuxième plus long de L’Unique, probablement car Stirner y discute du groupe jeune hégélien qui est, théoriquement et socialement, le plus proche du sien120. Cette proximité entraine deux spécificités. En premier lieu, la position des Ibid., S. 61. Ibid., S. 162-163. 115 Ibid., S. 167. 116 Ibid., S. 159 sqq. 117 Bruno Bauer: Die Judenfrage, Brunswick: Friedrich Otto, 1843. 118 Max Stirner: Der Einzige (note 13), S. 148. 119 Ibid., S. 136. 120 Sur la proximité de Stirner et B. Bauer, on se rapportera avec profit à Der Einzige, n° 1/2 (29/30), 2005, et tout particulièrement aux articles de Massimilano Tomba et de Bernd Kast. 113 114
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baueriens est présentée comme le degré le plus abouti du libéralisme, celui dont la « contradiction121 » ne peut plus être résolue que par le passage à la position stirnerienne. En second lieu, le « libéralisme humain » est la seule théorie dont il y aurait une leçon à tirer : « Die Kritik bietet Mir diese Gelegenheit durch die Lehre, dass, wenn sich etwas in Mir festsetzt und unauflöslich wird, Ich der Gefangene und Knecht desselben, d.h. ein Besessener, werde.122 » La critique bauerienne fournit ainsi une bonne « instruction » (Weisung) : ne laisser aucune « partie de notre propriété » devenir « stable » et préférer une activité de « dissolution » constante123. Cette leçon s’applique cependant au premier chef aux baueriens eux-mêmes, infidèles à la critique dans leur hypostasie de la conscience de soi et de la liberté. Face à eux, Stirner demeure plus proche du second groupe berlinois, anciennement dit des Freien, dont il ne critique jamais les membres. Conclusions : L’Unique et les autres Le rapport polémique de Stirner aux autres Jeunes hégéliens dans L’Unique ne constitue pas une rupture avec le jeune hégélianisme mais une manière d’être jeune hégélien. Or cette manière n’est pas propre au seul Stirner mais se généralise parmi les Jeunes hégéliens à partir de 1844. Cette nouvelle manière est propre à la troisième phase d’évolution du mouvement, après une première phase d’enthousiasme initial en 1841début 1842, et une phase de division sur les questions politiques et du rapport entre politique et athéisme de l’été 1842 à 1843, division maintenant toutefois un cadre commun. Dans cette troisième phase, le jeune hégélianisme intègre un fonctionnement collectif consistant en une autocritique généralisée : toute prise de position jeune hégélienne se doit de rejeter comme insuffisamment critique l’ensemble du mouvement. Les critiques faites aux adversaires externes du mouvement (conservateurs, ultramontains, etc.) sont ainsi reproduites pour critiquer des membres du mouvement. Le mouvement fonctionne ainsi sur un schéma de crise voire d’autodissolution permanentes : être jeune hégélien, être vraiment critique, c’est proclamer sa rupture d’avec les autres Jeunes hégéliens. Le ton de rejet général de L’Unique est représentatif de cette phase, mais il n’est pas le seul. Ainsi, avant la Max Stirner: Der Einzige (note 13), S. 148. Ibid., S. 157. 123 Ibid., S. 157. 121 122
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publication de L’Unique, les Norddeutsche Blätter de Köppen soulignent déjà le caractère acritique des revendications sociales et politiques (« liberté de la presse », « publicité », « association », « organisation du travail » …) jusqu’alors formulées par les Jeunes hégéliens124. Par ses engagements politiques, le libéralisme de 1841-1842 mais aussi l’engagement socialiste des Jeunes hégéliens parisiens et rhénans à partir de 1843, la critique se serait dégradée en adoptant les idoles ininterrogées d’un peuple que B. Bauer fait tomber de son statut souverain en le qualifiant de « masse125 ». C’est ainsi l’ensemble du mouvement qui aurait pour B. Bauer succombé en 1842, lors de sa collaboration avec les libéraux, à des illusions théologico-politiques. Ce même été 1844, dans ses Manuscrits de 1844 alors impubliés, Marx adopte le même ton d’autocritique du mouvement, rejetant l’ensemble des « théologiens critiques de notre époque » pour leur « manque de radicalité »126. Si cette critique, en 1844 puis en 1845 dans La Sainte Famille ne vise que les baueriens et se réclame de Feuerbach, elle se généralise à l’exemple stirnerien en 1845-1846 dans les manuscrits de L’idéologie allemande. Utilisant la même tactique de regroupement polémique que Stirner, Marx et Engels y brocardent l’ensemble des Jeunes hégéliens, de Bauer à Feuerbach en passant – longuement – par Stirner dont ils reprennent pourtant la réhabilitation de la « présupposition127 », l’appliquant non seulement comme Stirner aux « individus réels128 », mais aussi au mode d’activité productive et aux rapports sociaux et politiques129. Proche de Marx et d’Engels, Hess se fait le critique de Bauer comme de Stirner dans Les derniers philosophes, voyant dans leurs œuvres qu’il juge sévèrement le signe du dépassement de la forme philosophique même130. Enfin, c’est en réaction directe à L’Unique de Stirner que Karl Schmidt publie en 1846 Das Verstandestum und das Individuum, appliquant à Stirner même son argument de la substitution des idoles pour voir dans « "l’unique" » le dernier représentant de « la domination abstraite de "l’esprit" ». Le concept abstrait d’Unique doit donc laisser la place au simple Anonyme: Neue kritische Zeitschriften, in: Norddeutsche Blätter für Kritik, Literatur und Unterhaltung, juillet 1844, premier cahier, S. 121. 125 Bruno Bauer: Was ist jetzt der Gegenstand der Kritik, in: Allgemeine Literaturzeitung (note 63), S. 25. 126 Karl Marx : Manuscrits économico-philosophiques de 1844, Paris : Vrin, 2007, p. 76. 127 Max Stirner: Der Einzige (note 13), S. 167. 128 Karl Marx, Friedrich Engels : L’idéologie allemande, Paris : Éditions sociales, 2012, p. 15. 129 Ibid., p. 19. 130 Moses Hess: Die letzten Philosophen, Darmstadt: Leske, 1845. 124
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« individu »131. Cette troisième phase d’évolution du jeune hégélianisme par autocritique et annonce de la fin du mouvement s’étend donc de l’année de la publication de L’Unique jusqu’à la disparition du groupe vers 1846. Ce fonctionnement collectif peut être diversement apprécié. Une possibilité consiste à n’y voir qu’une « surenchère132 » quelque peu vaine qui aboutirait en Stirner à une négativité généralisée jusqu’à l’absurde133. Il est cependant possible, à l’inverse, de souligner l’extrême productivité théorique que cette surenchère permet aux Jeunes hégéliens dans cette dernière phase de leur évolution en tant que groupe. La contribution de Stirner à cette productivité doit peut-être moins être évaluée d’après ses thèses positives que par son caractère heuristique. Par son nominalisme, Stirner met l’ensemble des Jeunes hégéliens en demeure de justifier de l’immanence et de la sécularité des principes qu’ils emploient. Ainsi, si Stirner a pour partie obtenu une postérité (d’ailleurs restreinte) du fait de la critique que Marx fait de lui dans L’idéologie allemande, c’est bien l’aiguillon stirnerien d’une critique de l’abstraction de l’anthropologie feuerbachienne structurante chez Marx jusqu’à La Sainte Famille qui conduit Marx à modifier ses positions en leur donnant pour présupposition non plus le genre humain mais l’organisation sociale des individus en classes. La critique de « Saint Max » par Marx n’est intelligible que sur le fond de cet apport134.
Karl Schmidt (anonyme): Das Verstandestum und das Individuum, Leipzig: Otto Wigand, 1846, S. 2. 132 Le terme est employé par Yannis Constantinidès qui, s’il saisit bien ce caractère de critique mutuelle de la production théorique jeune hégélienne, manque le caractère chronologiquement spécifique de cette phase de surenchère dans l’évolution du mouvement. Cf. Yannis Constantidinès : "Mir geht nichts über Mich !" La critique paradoxale de l’idéal religieux chez Max Stirner, in : Revue germanique internationale, n° 8 (2008), p. 178. 133 Ce jugement sévère sur Stirner est formulé par Michael Quante : Max Stirners Kreuzzug gegen die Heiligen, oder: Die Selbstaufhebung des Antiperfektionismus, in: Michael Quante, Amir Mohseni (éds): Die linken Hegelianer, München Wilhelm Fink, 2015, S. 262. 134 Sur ce sujet, cf. Wolfgang Essbach: Gegenzüge. Der Materialismus des Selbst und seine Ausgrenzung aus dem Marxismus, Francfort: Materialis, 1982. 131
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Anne Durand* Feuerbach et Stirner, regards croisés sur le Moi Feuerbach est l’un des plus célèbres Jeunes Hégéliens de son temps et a eu une influence considérable sur ses contemporains grâce à sa philosophique anthropologique. Or, c’est sur sa conception centrale du Moi et de l’homme que Stirner et Feuerbach s’opposent radicalement. Il s’agit ici d’exposer les principes fondamentaux de l’anthropologie feuerbachienne puis de la comparer à la conception du Moi de Stirner. I. Feuerbach : du genre humain à la communauté, la question du Moi. La philosophie nouvelle de Feuerbach, celle qui naît avec l’Essence du christianisme s’opposait à la philosophie moderne en général et s’opposait à la philosophie spéculative en particulier, « La conscience de Dieu est la conscience de soi de l’homme, la connaissance de Dieu est la connaissance de soi de l’homme. À partir de son Dieu tu connais l’homme, et inversement à partir de l’homme, son Dieu : les deux ne font qu’un.1 » Telle est « l’essence de la religion en général ». C’est ce postulat qui guide les recherches de Feuerbach dans un sens humaniste et fait de l’Absolu l’humanité elle-même. La Connaissance, la volonté, et l’amour constituent les prédicats de l’homme, que, incapable de les réaliser par lui-même, il va projeter hors de lui dans un être supérieur qu’il appelle Dieu. Ce processus, qui consiste à expulser sa propre essence irréalisable dans le monde fini, constitue au sens propre l’aliénation. Celle-ci n’est pas seulement imputable au christianisme ou à la religion en général, mais aussi à la philosophie spéculative et plus particulièrement à celle de Hegel. Dans la philosophie nouvelle, il s’agit de permettre de rendre à l’homme ses propres qualités, hypostasiées jusqu’alors en Dieu ou dans l’Esprit absolu. Ce faisant, Feuerbach entend répondre à un besoin de son époque, un besoin pratique, une nécessité de posséder une philosophie adéquate à la praxis de son temps. Le contenu de cette nouvelle philosophie est explicité, sous une forme *
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Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Centre d’histoire des systèmes de pensée moderne, 17 rue de la Sorbonne, 75231 Parix cedex 05 / Westfälische WilhelmsUniversität, Arbeitsstelle Internationale Feuerbachforschung, Georgkommende 26, 48143 Münster / [email protected] Feuerbach : L’Essence du christianisme, trad. par Jean-Pierre Osier, 1973. - Paris ? F. Maspero p. 129.
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aphoristique, principalement dans deux textes : les Thèses provisoires pour une réforme de la philosophie2 (1842) et les Principes de la philosophie de l’avenir (1843). Il adopte alors le point de vue de la vie, celui dans lequel le sensible et le spirituel ne sont plus séparés ici-bas ou unis uniquement dans la pensée, mais réellement, concrètement en l’homme. L’homme est à la fois point de départ et but de la recherche. Point de départ, car c’est ce point fixe, cette unité du sensible et du spirituel qui fonde la philosophie nouvelle, mais aussi but, car cette philosophie a pour vocation de permettre à l’homme de réintégrer ses propres qualités et de se réapproprier son monde. C’est pourquoi l’anthropologie feuerbachienne porte principalement sur la théorie de la connaissance et la critique de la religion. Ces deux points permettent à Feuerbach d’esquisser une « philosophie de l’avenir », c’est-à-dire d’anticiper sur une nouvelle époque à venir. Ces textes sont donc écrits en vue d’une praxis, d’une transformation sociale qui rend nécessaire une théorie de l’homme concret. Pour dépasser un rapport de la pensée à l’être qui réduit ce dernier à n’être que pur être logique, il faut partir de l’homme. « Ma philosophie nouvelle est la résolution complète, absolue, non contradictoire de la théologie en anthropologie.3 » Seul ce qui concerne l’homme est l’objet de la nouvelle philosophie. L’unité de la pensée et de l’être n’a de sens et de vérité que si l’on conçoit l’homme comme le principe et le sujet de cette unité. Seul un être réel connaît des choses réelles ; c’est à la seule condition d’être non pas sujet pour soi, mais prédicat d’un être réel que la pensée elle non plus n’est pas séparée de l’être4. L’homme reprend dans la philosophie nouvelle le rôle assumé par Dieu dans la théologie et par l’Esprit absolu dans la philosophie spéculative. Il est l’ens realissimum, « le plus réel des êtres 5 » pour Les Thèses provisoires pour la réforme de la philosophie, ont été publiées en Suisse dans les Anekdota zur neuesten deutschen Philosophie und Publizistik par Arnold Ruge. 3 Feuerbach : Principes de la philosophie de l’avenir, in : Manifestes philosophiques : Textes choisis (1839-1845), trad. L. Althusser, Paris : 1960, § 53, p. 199. 4 Ibid., § 51, p. 198. 5 Feuerbach ? Sämtliche Werke, Bd. VII, hrsg. von Wilhelm Bolin und Friedrich Jodl, Stuttgart, 21960, S. 283. Essence du christianisme, 2ème préface, p. 104. L’ens realissimum hérité de la scolastique, apparaît chez Kant in ? Critique de la raison pure, in ? Oeuvres philosophiques I, Paris : Gallimard, 1980, A 605, p. 1220 et désigne le concept de l’être souverainement réel, Dieu. Le fait d’user du même terme pour désigner l’homme insiste particulièrement sur la transformation de la théologie en anthropologie. 2
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reprendre l’expression de l’Essence du christianisme. Feuerbach cherche à dépasser le dualisme (ou les dualismes) de la philosophie moderne et plus particulièrement de la théologie et de la philosophie spéculative. Ce dépassement s’effectue en l’homme, non pas l’individu humain, mais la communauté des hommes, l’homme générique qui se distingue par la suite dans le je et le tu, ou bien encore l’homme et la femme. En fait, c’est une question complexe que de savoir ce qu’entend Feuerbach par Homme ou humanité, car Feuerbach a évolué sur ce point entre l’Essence du christianisme et les Principes de la philosophie de l’avenir. Sa conception de l’homme lui a été reprochée comme étant un reste d’abstraction théologique ou spéculative (par Stirner notamment). Dans l’introduction de l’Essence du christianisme, le genre était ce qui distinguait l’homme de l’animal, l’homme étant l’essence consciente d’appartenir à son genre, qui a son propre genre comme objet. Mais de quoi précisément l’homme est-il conscient ? Dans le texte Über Philosophie und Christentum6, Feuerbach présente la Gattung comme le Dieu pour nous et en nous, non pas au sens d’un Dieu personnel, mais en tant que dépassement des oppositions. L’opposition entre le corps et l’âme n’est pas tenable même logiquement. Les oppositions tombent avec le seul et même genre (l’essence humaine : Wesensgattung). Le bien est opposé au mal, le genre est la morale, la volonté ; le bonheur est opposé au malheur, le genre est le ressenti (Empfindung), le sucré est opposé à l’acide, le genre est le goût ; l’homme est opposé à la femme, le genre est l’Homme ; l’infini est opposé au fini, le genre est la quantité. Si le corps et l’âme sont opposés, alors en tant qu’espèces7 (Arten) ils relèvent d’un seul et même genre8. Tous les prédicats de l’homme, y compris ceux considérés par la théologie ou la spéculation comme surhumains ou divins, sont en fait des concepts du genre. Les qualités humaines ou les prédicats humains ne Feuerbach : Sämtliche Werke VII, S. 336-337. Pour rendre Gattung et Arten, nous avons traduit par « genre » (ce qui ne fait pas de difficulté) et par « espèce », ce faisant, nous avons repris une terminologie liée à la biologie, sans pour autant souhaiter donner une telle détermination à ces termes. Le terme Gattung est en effet polysémique et il convient de le garder à l’esprit. En revanche, comme en biologie, Gattung et Arten expriment ici une certaine gradation. Rappelons que suivant en cela certains traducteurs dont Althusser, il arrive de traduire Gattung par « espèce », suivant le contexte et quand le terme n’est pas associé à Art. 8 Feuerbach : Sämtliche Werke VII, S. 337. 6 7
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peuvent pas se trouver tous effectivement ou se réaliser en un individu. Feuerbach, dans la Contribution à la critique de la philosophie de Hegel, l’explique en citant Goethe « C’est seulement la somme des humains qui connaît la nature, c’est seulement la somme des humains qui vit l’humain9 ». Le genre est défini comme une somme, il est un pluriel, ce qui a pour conséquence que l’intégralité des qualités du genre ne peut pas se retrouver chez un individu unique. Nous retrouvons alors dans la Contribution à la critique de la philosophie de Hegel la critique propre à l’Essence du christianisme de l’incarnation réelle de l’espèce dans un individu déterminé, autrement dit un Dieu personnel : « L’espèce dans sa plénitude s’incarnant dans une individualité unique serait un miracle absolu, une suppression arbitraire de toutes les lois et de tous les principes de la réalité », c’est-à-dire une suppression de la détermination spatiale et temporelle10. Pourquoi une telle conception du genre humain ? La raison est raison humaine, puisque tout ce qui relève de la pensée (conscience de soi, raison ou entendement) n’est plus détaché de l’homme comme cela était le cas non seulement chez Hegel, mais plus généralement dans le rationalisme de l’époque moderne puisque la pensée y était conçue sous la forme de la monade, du moi ou de l’esprit. Au mieux l’homme était considéré en tant qu’esprit, qu’essence pensante, en tant que sujet rationnel ou du droit, mais jamais comme un homme concret. Pour considérer ce dernier, il faut concevoir le genre, c’est-à-dire dépasser cette conception commune à la théologie et au rationalisme moderne. Mais si Feuerbach s’en prend avec véhémence au rationalisme, y compris dans sa forme la plus élevée — l’hégélianisme — au point de l’associer à la théologie11, il ne s’agit pas de pencher à l’inverse en faveur de l’autre forme de la philosophie moderne, l’empirisme. En effet, si cette dernière forme philosophique possède l’avantage de s’opposer à la théologie, elle ne s’avère pas d’un plus grand secours, car elle ne part pas Feuerbach : Contribution à la critique de la philosophie de Hegel (1839) in : Manifestes philosophiques : Textes choisis (1839-1845), trad. L. Althusser, Paris : 1960, p. 19, traduction modifiée. 10 Feuerbach : Contribution à la critique de la philosophie de Hegel, p. 19. C’est David Strauss dans la Vie de Jésus qui avait posé l’équation : l’Idée de l’humanité = le genre, et l’idée du Messie, le Christ, comme représentation matérielle grâce à laquelle les croyants expriment la vérité universelle de l’unité de Dieu et de l’Homme, autrement dit, de leurs mêmes qualités. 11 Feuerbach : Thèses provisoires pour la réforme de la philosophie, trad. L. Althusser, Paris : 1960, § 52, p. 124 : « Si on n’abandonne pas la philosophie de Hegel, on n’abandonne pas la théologie ». 9
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du sujet actif, elle ne considère l’homme qu’avec le regard « de l’anatomiste ou du chimiste12 ». Ainsi, l’empirisme matérialiste « oublie seulement que le plus important et le plus essentiel des objets des sens humains c’est l’homme lui-même » ; et l’idéalisme a raison « de rechercher l’origine des idées dans l’homme ; mais tort lorsqu’il veut les déduire de l’homme isolé, fixé sous forme d’être existant pour soi, d’âme 13». Le genre humain est le dépassement de l’empirisme et de l’idéalisme, il est union en l’homme de principes a priori contradictoires. L’anthropologie est de fait à la fois une synthèse et un dépassement du matérialisme et de l’idéalisme, ce que Feuerbach réaffirme dans Contre le dualisme « la vérité n’est ni le matérialisme, ni l’idéalisme, ni la physiologie, ni la psychologie ; seule l’anthropologie est la vérité, la vérité du point de vue de la sensibilité et de l’intuition, car seul ce point de vue me donne à la fois la totalité et l’individualité. 14» Après que Feuerbach a accordé une telle importance au genre dès la Dissertation comme organe par lequel la raison agit, par lequel elle se manifeste, puis dans l’Essence du christianisme sans variation ou évolution conceptuelle majeure ou du moins conception contradictoire avec la précédente15 comme ce qui nous distingue de l’animal, décrit les capacités humaines de connaissance et l’horizon mondain de l’homme, on peut s’étonner que ce concept de Gattung disparaisse presque complètement avec les Principes de la philosophie de l’avenir16. Quelle signification peut bien avoir la disparition d’un tel terme, alors même que les Principes de la philosophie de l’avenir posent les fondements d’une philosophie basée sur l’anthropologie ? Feuerbach : Principes de la philosophie de l’avenir, § 41, p. 189. Ibid. p. 189. 14 Feuerbach : Sämtliche Werke II, p. 341. 15 Feuerbach use parfois indifféremment du terme de genre, ou bien d’essence, ou bien encore d’essence du genre, sans qu’une distinction conceptuelle entre les trois expressions soit toujours évidente. 16 Klaus Erich Bockmühl : Leiblichkeit und Gesellschaft, Göttingen : 1961, S. 37 : « Ainsi il [Feuerbach] ne fait absolument plus mention du concept de « genre » dans les Principes de la philosophie de l’avenir ». À vrai dire, on retrouve la Gattung dans les Principes, mais uniquement au § 12, et cela ne concerne qu’une comparaison entre la représentation humaine de Dieu et une représentation humaine de l’individu. Blockmühl décrit p. 35-36 le sens originel de la Gattung dans la Vie de Jésus, où elle équivaut purement et simplement à l’humanité, ce qui lui ôte toute valeur transcendante théologique ou spéculative. Blockmühl semble faire du terme chez Feuerbach une évolution par rapport au premier. Si les deux sens sont effectivement proches, il n’est pas évident que présenter l’un comme s’il marquait une évolution par rapport à l’autre ait une grande signification. 12 13
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Le genre est remplacé par la communauté (Gemeinschaft) et permet à Feuerbach d’insister sur l’importance du rapport Moi-Toi, ou du rapport à autrui, au prochain (Mitmensch). Ce n’est pas la première fois que Feuerbach insiste sur ce qui est commun (dès la Dissertation, l’acte de penser par exemple), mais il a fallu dépasser le dualisme entre idéalisme et matérialisme pour qu’enfin, sur une base purement anthropologique ce soient les rapports à l’autre qui fondent l’Homme. Il rejette alors toutes les abstractions de la tradition moderne qui, avec Descartes déjà, considérait un sujet pensant indépendamment de tous liens existentiels à un autre, et avec la philosophie chrétienne qui ne concevait le rapport à un Toi que transcendant, uniquement divin et négateur des rapports existentiels à son prochain. Henri Arvon a donc raison de noter à propos des Principes de la philosophie de l’avenir que « la plupart des commentateurs, il est vrai, se défendent mal contre la tentation de n’y voir qu’une prolongation de la critique de la philosophie hégélienne, critique dont il avait fixé, comme on le sait, les thèmes principaux dès 1839.17 » Cette communauté prend déjà forme dès le rapport dual entre le Moi et le Toi, notamment dans le rapport sexuel ou dans l’amitié. La communauté est une réalisation effective de l’essence humaine18. L’homme pour soi ne possède en lui l’essence de l’homme ni au titre d’être moral, ni au titre d’être pensant. L’essence de l’homme n’est contenue que dans la communauté, dans l’unité de l’homme avec l’homme, unité qui ne repose que sur la réalité de la distinction du Moi et du Toi19. Cette conception rejette l’idée du philosophe absolu, qui pose un Moi monarque absolu, un Moi isolé. Alors que Feuerbach reprend ici les acquis de l’Essence du christianisme.
Henri Arvon : Ludwig Feuerbach ou la transformation du sacré, Paris :1957, p. 86. Si la Gattung disparaît presque des Principes, l’essence (Wesen) y est omniprésente et apparaît dans ce texte plus que dans aucun autre. (Environ trois cent soixante dix occurrences pour un peu plus de soixante-dix pages). 19 Feuerbach : Principes de la philosophie de l’avenir, § 59, p. 202. Nous reprenons comme Althusser la traduction moi/ toi pour Ich/ Du, sachant que Arvon préfère le Je/Tu qui a certes pour avantage de marquer plus de distance avec le Moi spéculatif, et qui renvoie à une adresse, à un dialogue, mais qui a le défaut en français de paraître assez artificiel quand précisément il ne s’agit pas de s’adresser à quelqu’un. En revanche, nous traduisons Gattung par genre et non par espèce comme il a tendance à le faire. 17 18
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Comme on l’a prouvé historiquement et philosophiquement dans l’Essence du Christianisme, le secret de la vie commune et sociale, le secret de la nécessité du toi pour le moi, il consiste dans cette vérité : qu’aucun être (qu’il soit ou se nomme homme ou Dieu ou esprit ou moi) n’est pour soi seul un être vrai, parfait, et absolu et que seule la liaison, l’unité d’êtres de même essence constitue la vérité et la perfection. Le principe suprême et dernier de la philosophie est donc l’unité de l’homme avec l’homme20. L’intérêt de passer du genre à la communauté tient au fait que le genre, par son caractère universel, semblait être l’héritage de la spéculation ou d’un concept spéculatif que l’on chercherait à humaniser, tandis que la communauté part du rapport concret entre deux individus. Ce principe de communauté définissant non seulement le rapport entre les hommes, mais les faisant hommes est le principe premier de la philosophie de l’avenir c’est-à-dire de l’anthropologie. La difficulté ne réside pas tant dans l’idée de communauté que dans le résultat de l’union des hommes comme réalisation de l’essence humaine qui de prime abord ne semble pas beaucoup moins abstraite que le genre. L’homme, tout seul, individuellement, est imparfait et malheureux, car il est détaché de sa propre essence. Il ressent alors péniblement sa « finitude et sa limitation21 ». Il éprouve le désir de l’autre, car c’est seulement avec l’autre qu’il peut être véritablement homme et dépasser sa limitation. C’est ce désir d’achèvement ou de plénitude qui était la cause partiellement de la croyance en un Dieu personnel, cette expérience du manque et du besoin qu’il s’agissait de combler. La philosophie nouvelle est aussi religion en ce sens qu’elle permet de combler réellement ce vide sans s’aliéner en un Dieu autre, car « l’homme avec l’homme, l’unité du moi et du toi, c’est Dieu22 ». Le problème posé est : de quoi la communauté est-elle communauté ? En ne conservant que l’essence humaine est-ce que Feuerbach ne crée pas quelque de chose de plus abstrait encore que le genre ? C’est du moins une critique qui lui a été adressée par nombre de ses contemporains. Avant d’apporter crédit ou non à cette critique, il est nécessaire de définir précisément ce que signifie l’homme. Dans les années quarante, le mot d’ordre qui pourrait définir la Feuerbach : Principes de la philosophie de l’avenir, § 63, p. 203. Feuerbach : Principes de la philosophie de l’avenir, § 60, p. 202. 22 Ibid. 20 21
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philosophie de Feuerbach serait « retour à l’homme 23». En effet, le dépassement de l’aliénation religieuse, particulièrement dans sa dernière forme, le protestantisme, n’avait pas d’autre but que de ramener l’homme aliéné ici-bas. La démarche était la même à l’égard de la philosophie spéculative, il s’agissait de ramener l’homme de son abstraction de res cogitans ou d’esprit en homme spirituel et sensible, en un homme total qui ne serait plus divisé en lui-même. Or ce que la théologie, et la philosophie spéculative nient le plus en l’homme, c’est sa sensibilité et sa corporéité (Leiblichkeit). Nous avons vu que l’anthropologie était une tentative de dépasser le dualisme entre idéalisme et matérialisme24, encore faut-il que l’anthropologie elle-même ne penche pas plus du côté spirituel que corporel de l’homme. Comment ne pas reproduire dans cette anthropologie le dualisme entre l’âme et le corps ou l’esprit et la chair ? C’est là que se situe toute la complexité du concept de corporéité et qu’intervient celui de sensibilité [Sinnlichkeit] pour penser l’homme concret ou total. Pour le dire avec Ursula Reitemeyer : « L’activité rationnelle de l’homme présente toujours déjà une unité du sujet et de l’objet en l’homme et ce principe d’unité est représenté comme un passage automatique de l’esprit à la matière et de la matière à l’esprit25 ». Ce faisant, nous pouvons parler d’une « nouvelle raison », qui dépasse l’opposition habituelle entre une matière sans esprit ou un esprit immatériel. Feuerbach considère le spirituel comme l’activité du corporel : « l’auto activité qui prend corps (verleiblichen) dans l’existence humaine, n’est plus un principe métaphysique, mais au contraire la réalité sensible, l’activité vitale évidente 26» pour cette raison que ce qui n’est pas sensible, n’est pas. Pour autant, la Sinnlichkeit s’entend aux deux sens du terme sensible, c’est-à-dire de la perception sensible des objets extérieurs et de l’intuition en l’homme, de la sensibilité.
Klaus Eich Blockmühl : note 17, p. 39. Pour cette raison, le terme de « matérialisme anthropologique » utilisé par Alfred Schmidt, meme s’il est repris à Feuerbach lui-même, pour désigner la philosophie nouvelle est problématique, parce qu’elle ne sous-entend pas le dépassement de l’opposition idéalisme-matérialisme, même en considérant le matérialisme auquel Feuerbach s’en prend est surtout l’empirisme anglo-saxon ou bien le mécanisme de d’Holbach. 25 Ursula Reitemeyer : Philosophie der Leiblichkeit, Frankfurt am Main : Suhrkamp Verlag, 1988, p. 66. 26 Ibid., p. 67. 23 24
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Nous sentons par contact non seulement les pierres et du bois, de la chair et des os ; nous sentons par contact aussi des sentiments lorsque nous pressons les mains ou les lèvres d’un être sensible […] C’est donc non seulement l’extérieur, qui est objet des sens, mais aussi l’intérieur, non seulement la chair, mais aussi l’esprit, non seulement la chose, mais aussi le moi27. Le défaut de l’empirisme et de l’idéalisme est de nécessairement nier le moi ou le monde concret au profit de l’autre. L’empirisme tire les idées des sens et du sensible, mais nie le moi, tandis que l’idéalisme cherche l’origine des idées dans le moi abstraction faite d’un toi et des sens. Tandis que pour Feuerbach, l’esprit lui-même est défini à l’intérieur de la sensibilité. Du reste, la négation de l’intégration de l’esprit dans la sensibilité, la séparation entre l’esprit et la sensibilité est possible théoriquement, mais aucunement en pratique, car comme tout ce qui est réel effectivement est sensible, cela reviendrait à nier toute réalité à l’esprit. Mais s’il s’agit de dépasser les apories de l’idéalisme et de l’empirisme, il apparaît tout de même une certaine primauté de la sensibilité sur l’esprit, puisque l’on parle d’intégrer l’esprit à la réalité ce qui semble contredire cette volonté. En effet, le sens est premier, mais pas exclusif. Ce sont les sens qui me permettent d’accéder au monde et c’est par là que commence la philosophie pour reprendre le reproche que Feuerbach adressait à J. Reiff dans Du commencement en philosophie. Il faut […] reconnaître l’activité empirique pour philosophique, admettre que voir est aussi penser et que les instruments des sens sont également organes de la philosophie. La philosophie nouvelle se distingue justement de la scolastique en ce qu’elle réconcilie l’activité empirique avec la pensée et oppose à la pensée séparée des choses réelles le principe suivant. Le philosophe doit se laisser guider par les sens. […] La philosophie ne finit pas par découvrir la réalité, mais au contraire commence par la réalité28. Si l’on ne part pas des sens alors on ne philosophe pas sur le réel, mais sur des chimères. Le mouvement même de la pensée commence soit avec une pensée, et il s’agit alors d’une abstraction, car la pensée s’enferme dans la pensée, soit avec les données sensibles. 27 28
Feuerbach : Principes de la philosophie de l’avenir, § 41. Ludwig Feuerbach : À propos du « Commencement en philosophie », in : Pour une réforme de la philosophie, trad. Y. Constantidinès, Paris : 2004, p. 10-11.
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II. L’opposition de Stirner à Feuerbach Or ce commencement ne concerne pas uniquement une certaine définition de la philosophie, mais aussi notre possible abstraction dans le domaine moral ou dans les rapports intersubjectifs. Pour s’en rendre compte, il est nécessaire de s’arrêter sur l’opposition entre Stirner et Feuerbach. Dans l’Unique et sa propriété, en 1844, Stirner, même s’il vise l’ensemble de ses camarades Jeunes Hégéliens, et a fortiori les Freien (Affranchis de Berlin), a pour cible principale l’Essence du christianisme29. La réponse que Feuerbach lui adresse L’Essence du christianisme » dans son rapport à « l’Unique et sa propriété », date de 1845. Elle est donc postérieure à la Nécessité d’une réforme de la philosophie, ou aux Principes de la philosophie de l’avenir et permet de ce fait d’éclairer encore un peu ces derniers. Par ailleurs, dans la réponse à Stirner, le concept de genre réapparaît, comme si le concept de Gemeinschaft dans les Principes de la philosophie de l’avenir avait certes éclairé la position de Feuerbach et le caractère absolument non transcendant de sa pensée du rapport Moi-Toi, mais qu’il était moins satisfaisant que celui de genre. Si le genre semble efficace pour mettre fin à certaines apories et permet le dépassement du dualisme entre empirisme et idéalisme, il n’en demeure pas moins un concept problématique qui fait l’objet de critiques tant de la part d’un contemporain comme Stirner dans L’Unique et sa propriété que de la part de commentateurs plus tardifs comme Michel Henry30. Le genre apparaît certes comme un concept philosophique central de la philosophie de Feuerbach, mais il ne ferait que prendre la place du Dieu de la théologie. C’est pourquoi Stirner range les amis du genre 29 Pour
l’inscription de l’Unique et sa propriété dans le contexte philosophique, notamment moral, des Jeunes Hégéliens, voir Yannis Constantinidès : “Mir geht nichts über Mich !” . La critique paradoxale de l’idéal religieux chez Max Stirner, in : Revue germanique internationale 8 (2008) , p. 175-193. 30 Michel Henry : La critique de la religion et le concept de genre dans l’essence du christianisme , in : Revue internationale de philosophie, 3, (1972) : à propos du concept de genre de Feuerbach, M. Henry parle « de l’absurdité de son concept de genre » p. 394, puis de « l’inanité du concept feuerbachien de genre » p. 398. L’article finit par : « Dans ses moments de semi-lucidité la pensée de Feuerbach (qui représente, paraît-il, l’un des deux pôles de la réflexion humaine entre lesquels il faut choisir : « Feuerbach ou Spinoza » !) Michel Henry fait ici référence à la présentation de J. P. Osier de l’Essence du christianisme avoue que la critique de la religion qu’il a prétendu instituer n’a aucun sens et que son contenu n’est qu’une pâle réplique de l’ontologie hégélienne. » (sic) Nous cherchons, encore et toujours, dans quel texte Feuerbach aurait fait un tel aveu…
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humain, au premier rang desquels Feuerbach, parmi les athées pieux. Mais l’homme ne représentant qu’un autre être suprême, ce dernier n’a fait en réalité que subir une métamorphose, comme la crainte de l’homme n’est qu’une autre forme de la crainte de Dieu. Nos athées sont des gens pieux31. Ce texte L’Unique et sa propriété, très critique à l’égard des « gueux socialistes » (l’expression est de Stirner) ou libéraux, reproche à ces derniers de ne pas avoir achevé réellement la critique religieuse et d’avoir laissé se subsister un idéal collectif fortement inspiré du christianisme qui continue à oppresser l’individu. Pire encore, par leur défense de grands idéaux tels que la liberté, l’État, etc., les Jeunes Hégéliens se font complices théoriquement de l’aliénation et de l’asservissement de l’individu. Si la religion aliénait la conscience humaine et rendait caduc le monde d’ici-bas, les théories socialisantes ou de tendance communiste promettent, selon Stirner, de détruire plus encore la liberté individuelle en justifiant politiquement une oppression étatique. Du reste, aliénation religieuse et oppression étatique sont liées, puisqu’elles contiennent l’une et l’autre l’appareil idéologique pour soumettre l’individu d’un point de vue moral. Le même idéal demeure. Avec une difficulté plus grande toutefois, car « cette aliénation du cœur et de l’esprit [est] d’autant plus redoutable qu’elle n’est pas perçue comme telle, puisqu’on se croit définitivement guéri de l’illusion religieuse.32 » C’est la marque des Jeunes Hégéliens, selon Stirner, de penser s’être libérés ou que chacun soit libéré une fois l’aliénation religieuse dénoncée. Pourtant, il n’en est rien, car les mêmes valeurs demeurent malgré la proclamation de la mort de Dieu. Feuerbach, entre tous, maintient les mêmes valeurs morales telles que la solidarité, l’humanisme, l’amour comme valeur cardinale (comme dans les Évangiles). Stirner oppose à Feuerbach et à son humanisme à peu près ce que ce dernier reprochait à la religion révélée. Dans le monothéisme, l’homme doit s’appauvrir pour enrichir Dieu (toutpuissant, omniscient, etc.), dans l’humanisme feuerbachien l’enrichissement de l’Homme (au sens de genre humain) et dans sa réalisation politique l’enrichissement de l’État, se fait au moyen de l’appauvrissement de l’individu qui doit se dessaisir ou renoncer à ce qui lui est propre. Stirner prend l’exemple du droit. Le communisme nous Stirner : L’Unique et sa propriété, in : Œuvres complètes : l’Unique et sa propriété et autres écrits, Lausanne, 2012, p. 234. 32 Yannis Constantidinès : note 30, cit., p. 177. 31
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dit-il « admet que les hommes « ont par nature des droits égaux » et que donc il n’y a pas de droit des parents sur leurs enfants par exemple. Sauf que pour Stirner cette conception qui emprunte à la Révolution française est de nature profondément religieuse. Elle prétend créer un ordre nouveau, mais en fait « ” l’égalité des droits ” telle que la Révolution l’a établie, n’est qu’une autre forme de ” l’égalité chrétienne ” 33» que la Révolution n’a fait que séculariser en l’appelant droit humain ou droits de l’homme. Mais l’origine religieuse suffit-elle à remettre en cause ce principe d’égalité des droits ? Pour Stirner, la réponse est positive dans la mesure où ce droit va être tout autant que le droit religieux imposé à chacun. Un « sens du droit » ou de « la légalité » de ce genre est si fort ancré dans la tête des gens que les plus révolutionnaires, de nos jours, veulent nous soumettre à un nouveau « droit sacré », le « droit de la société », de « l’humanité », le « droit de tous » et autres du même genre. Le « droit de tous » doit passer avant Mon droit34. Stirner ne reconnaît alors pas d’autre droit que ce que le Moi reconnaît pouvoir s’autoriser, car, « que ce soit la nature qui Me donne un droit, ou Dieu, ou le choix du peuple, etc. c’est toujours le même droit étranger, un droit que Je ne Me donne ni ne prends.35 » Seul l’Unique, l’individu affranchi de tout lien peut être dit réellement libre, car lui seul est sa propre cause, lui seul est véritablement libre de ses choix. Cependant, même cette liberté est conçue de façon non pas idéale, mais en totale opposition avec ses camarades Jeunes Hégéliens, de façon tout à fait prosaïque, comme la propriété de soi. Le divin est la cause de Dieu, l’humain la cause de « l’homme ». Ma cause n’est ni le divin ni l’humain, ni le Vrai, ni le Bon, ni le Juste, ni le Libre etc., mais seulement le Mien ; elle n’est pas générale, mais…Unique, comme je suis unique. Pour Moi, il n’est rien au-dessus de Moi !36 Seul ce qui m’appartient, ce qui m’est propre a une quelconque valeur pour Moi. Aucun intérêt moral n’est alors commun. Certes, plusieurs individus peuvent avoir le même intérêt. Ils peuvent le cas échéant se regrouper en association d’égoïstes (Verein der Egoïsten), mais cette dernière Stirner : L’Unique et sa propriété, p. 237. Ibid., p. 236. 35 Ibid., p. 239. 36 Stirner : L’Unique et sa propriété, p. 81. 33 34
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ne demeure que tant que chacun y trouve son compte et elle ne peut pas contraindre ou engager à quoi que ce soit. L’amour lui-même, s’il est possible entre deux égoïstes, n’engage à rien. Il en va de même pour la communication et en premier lieu pour l’ouvrage de l’auteur : Écrirais-je par amour pour les hommes ? Non, J’écris parce que Je veux mettre au monde Mes pensées et leur y donner vie, et si Je prévoyais qu’elles vous feraient perdre votre repos et votre paix, si J’y voyais germer les guerres les plus sanglantes et la ruine de nombreuses générations – Je ne les en sèmerais pas moins37. Il s’agit alors plus d’expression que de véritable communication, car l’autre n’est pas un interlocuteur, il est réduit au rang de moyen, sollicité en fonction de son utilité : « Quand je trouve le monde sur ma route – et Je le trouve partout sur ma route – Je le consomme pour apaiser mon égoïsme. Tu n’es pour Moi que mon aliment, même si Je suis, Moi aussi, utilisé et consommé par Toi. 38» Stirner ne prône donc pas la vie en ermite et la misanthropie. Il ne nie pas la vie commune des individus. Mais il refuse d’en faire autre chose que des individus uniques et égoïstes auxquels s’imposeraient des règles morales qui transcenderaient ces individus. Ce faisant, il prône l’exact contraire des morales chrétiennes puis libérales (dans leur version sécularisée), le contraire de l’altruisme, le désintéressement, l’amour du prochain, etc. Il ne s’agit pas non plus d’une quelconque perfectibilité, de s’élever vers un idéal moral d’ascèse ou de puissance. La seule morale reconnue par l’égoïste, c’est la réappropriation de sa propriété. Chaque unique est en soi perfection lorsqu’il n’est pas aliéné par la société qui l’entoure. Il s’agit donc de partir du Moi comme cause et de se réapproprier toutes les propriétés de ce Moi. Le Moi est alors le début et la fin, l’Alpha et l’Omega de la morale de l’Unique : Je suis donc le noyau, qui doit être libéré de toutes ses enveloppes, de toutes les écales qui l’enserrent. Que reste-t-il, quand Je me suis libéré de tout ce que Je ne suis pas ? Moi seulement, et rien que Moi. […] Pourquoi donc, s’il est vrai que l’on recherche la liberté par amour pour le Moi, ne pas le choisir lui-même comme point de départ, centre et fin ? Est-ce que je ne vaux pas plus que la liberté ? N’est-ce pas Moi qui me fait libre, ne suis-Je pas ce qui est au commencement 39? Ibid., p. 334. Ibid. 39 Stirner : L’Unique et sa propriété, p. 216. 37 38
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Comme le relève justement Yannis Constantidinès dans « Mir geht nichts über mich ! la critique paradoxale de l’idéal religieux chez Max Stirner », l’affirmation de soi de Stirner fonctionne sur le même mode que le Moi absolu fichtéen dénoncé dans À propos du commencement en philosophie de Feuerbach40. Ce Moi indéterminé n’est que l’héritage de l’abstraction idéaliste. D’où vient sinon ce Moi ? Qu’est-ce qui permet son autosuffisance ? Il est remarquable que Feuerbach prenne l’Unique et sa propriété comme une remise en cause principalement de l’Essence du christianisme. Mais, en tout état de cause, il la prend très au sérieux41. Tellement au sérieux d’ailleurs, que loin de l’abandonner, il reviendra sur cette notion d’égoïsme dans les Leçons sur l’essence de la religion et tentera de définir un « égoïsme existentiel fondé sur l’essence de l’homme »42. Stirner avait fait reproche à Feuerbach de ne pas quitter le domaine de la théologie en faisant des prédicats de Dieu des prédicats purement humains. Le divin, à défaut de Dieu, subsisterait (l’Amour est divin, par exemple). Feuerbach justifie ces prédicats qu’il n’a pas maintenus en tant que prédicats de Dieu, mais « en tant que prédicats de la nature et de l’humanité 43». Dieu n’est qu’un composé des ces derniers, placés hors de la nature et hors de l’homme. Ce faisant, la croyance en Dieu trouve une explication que ne fournit pas Stirner et si les hommes s’aliènent selon lui aussi en Dieu, c’est un mystère de savoir pourquoi sous cette forme. Un autre reproche de Stirner à l’égard de Feuerbach serait le maintien d’une transcendance, la distinction entre un Moi essentiel et un Moi inessentiel. Bref, Feuerbach scinderait l’homme en deux. Or cette distinction entre le Moi essentiel (l’essence de l’homme) et le Moi inessentiel tenait au contraire au maintien de la croyance en un Dieu personnel transcendant. La religion révélée place l’essentiel de ce qui est humain hors de l’homme, mais révèle en même temps, ce qui est essentiel comme Feuerbach l’a montré par l’importance accordée à la nourriture par exemple dans les sacrifices. Les distinctions entre ce qui est essentiel et ce qui ne l’est pas sont donc en fait des distinctions intrinsèques à l’homme. Yannis Constantidinès : note 30, cit., p. 192. Contrairement aux autorités qui n’avaient même pas fait interdire l’ouvrage, le Ministère de l’Intérieur jugeant « le livre trop absurde pour être dangereux ». cf. Stirner : L’Unique et sa propriété, « Notes préliminaires », p. 8. 42 Anne Durand : Judaismus und menschliche Tätigkeit bei Feuerbach, in : Feuerbach und der Judaismus, Münster, New York : Waxmann Verlag, 2009, S. 197. 43 Feuerbach : « L’Essence du christianisme » dans son rapport à « l’Unique et sa propriété », in : Manifestes philosophiques, p. 225. 40 41
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En revanche, Feuerbach ne commet pas l’erreur logique de Stirner d’affirmer l’individu comme un être absolu ce qui est le propre de la religion révélée. Feuerbach l’avait montré dès les Pensées sur la mort est l’immortalité. Stirner transpose cette erreur ici-bas et prête à l’Unique ce qui est dans la religion le fait de Dieu : un être moralement parfait et exclusif. Il nie alors à l’individu « son identité et sa communauté avec les autres individus ». Or selon Feuerbach, dans « L’Essence du christianisme » dans son rapport à « l’Unique et sa propriété », « Être un individu veut sans doute dire être « égoïste », mais cela veut dire aussi en même temps et sans le vouloir, être communiste. […] Chasse-toi de la tête l’« Unique » céleste, mais chasse-toi aussi de la tête l’« Unique » terrestre. 44» L’Unique terrestre est en effet le résultat de l’abstraction totale de l’homme. Pour le dire avec Albert Camus dans l’Homme révolté « « rien qu’un moi dressé contre toutes les abstractions et devenu lui-même abstrait à force d’être séquestré et coupé de ses racines »45. Certes, Stirner nie qu’il existe une essence humaine, mais il nie en même temps l’existence d’une quelconque communauté et ce qui permet cette dernière. Cette double négation est possible, car l’Unique en ne faisant aucun cas des sens peut penser un Moi qui ne repose sur rien (ce en quoi il a raison d’affirmer qu’il repose sur le néant !). Mais justement, c’est là que pointe la contradiction, car Stirner ne va pas jusqu’à condamner son Unique au solipsisme ou à la vie d’ascète. Il reconnaît que l’Unique peut aimer un autre être unique lui aussi. Mais cet autre être n’est jamais considéré réellement. Il s’agit bien de cet Unique-ci, mais il n’est jamais décrit comme un être humain, comme un être sexué, une femme… Stirner envisage donc l’amour entre deux êtres uniques sans considérer qu’ils sont êtres de la même espèce, ni sans envisager une quelconque sexualité. C’est en cela, que pour Feuerbach, le Moi asexué de Stirner n’est qu’un « reste non digéré de l’ancien surnaturalisme chrétien 46». On ne peut pas penser un individu sans en penser plusieurs puisqu’un individu est par définition limité, et ces individus se distinguent d’un point de vue sensible au minimum entre hommes et femmes. Ce développement permet à Feuerbach de préciser alors ce qu’il entend par genre. 44Feuerbach
: « L’Essence du christianisme » dans son rapport à « l’Unique et sa propriété », in : Manifestes philosophiques, p. 231. 45 Albert Camus : l’Homme révolté, Paris : 1985, p.72. 46Feuerbach : « L’Essence du christianisme » dans son rapport à « l’Unique et sa propriété », in : Manifestes philosophiques, p. 232.
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[Le genre signifie] seulement le toi en face du moi singulier fixé pour soi, l’autre, et en général les individus humains qui existent hors de moi. Quand on lit par exemple chez Feuerbach : l’individu est limité, le genre est illimité, cela ne veut rien dire que : les limites de cet individu-ci ne sont pas aussi les limites des autres, les limites des hommes présents ne sont pas pour autant les limites des hommes à venir47. Nos limites, en tant qu’individus, sont spatiales et temporelles. La pensée du genre permet de viser quelque chose de plus élevé que nous sans qu’il s’agisse pour autant d’une quelconque transcendance dans un au-delà idéal. Mais de même qu’il faut deux êtres pour se reproduire et en faire un troisième, de même ce que peut faire le genre humain, compris comme totalité des individus est plus grand que ce que peut accomplir un individu isolé. C’est donc paradoxalement en « obéissant aux sens » (mantra répété ad libitum par Feuerbach dans ce texte) que chacun peut prendre conscience de sa limitation en tant qu’individu et que ce qu’il place consciemment au-dessus de lui n’est en fait que ce qui ne peut être réalisé que collectivement ou avec d’autres. L’éthique qui découle de cette reconnaissance de l’autre n’est donc pas non plus une morale transcendante qui s’imposerait aux hommes du fait de telle ou telle autorité (religieuse ou politique), mais elle est au contraire à la mesure de l’homme, elle ne vise que le rapport de l’homme à l’homme. Feuerbach finit par une affirmation qui clôt l’échange, mais permet aussi plus précisément de définir le rôle de la sensibilité dans l’économie générale de sa philosophie : Seul le sensible est vérité, être et réalité. […] Feuerbach n’est donc ni matérialiste, ni idéaliste, ni philosophe de l’identité. […] Il est dans ses pensées ce qu’il est en fait, en esprit ce qu’il est en chair, en essence ce qu’il est dans les sens : homme ; ou plutôt, comme il transpose dans la communauté seulement l’essence de l’homme – Feuerbach est homme communautaire, communiste48. Être homme signifie alors se poser soi-même dans son rapport aux autres et ce faisant être capable de dépasser ses intérêts personnels au 47 48
Feuerbach : « L’Essence du christianisme » dans son rapport à « l’Unique et sa propriété », p. 233 : traduction modifiée. Feuerbach : « L’Essence du christianisme » dans son rapport à « l’Unique et sa propriété », p. 240-241.
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profit d’intérêts communs c’est-à-dire que son individualité propre ne se définit plus comme pour Stirner dans l’abstraction de toute autre individualité et donc de l’ensemble de la société. Au contraire, l’individu feuerbachien se constitue au sein de la totalité de la société. Feuerbach, dans sa 24ème Leçon sur l’essence de la religion, insiste sur l’importance de l’État et de la pluralité des hommes, sur le collectif. Pour ma part, je ne donnerai pas un kopeck pour la liberté politique tant que je suis esclave de mes représentations et préjugés religieux. La véritable liberté n’est que là où l’homme est aussi libéré de la religion. La véritable culture n’est que là où l’homme s’est éloigné de ses préjugés religieux et de ses représentations imaginaires. L’État ne peut pas avoir d’autres buts que de former des hommes complets, au sens de complètement libres, et non dans un sens purement imaginaire. Un État donc dont les citoyens bien que non libres religieusement sont dans des institutions politiques libres, ne peut en aucun cas être un État humain et libre. L’État ne fait pas les hommes, ce sont les hommes qui font l’État. Tels que sont les hommes, tel est l’État49. Tandis que Stirner, aboutit à une critique de l’État tel qu’il est conçu par les libéraux progressistes et les autres Jeunes hégéliens car il serait une entrave insupportable plutôt qu’une réalisation : Si l’État est une société d’hommes et non une réunion de Moi dont chacun n’a en vue que lui-même, il ne peut subsister sans la moralité. (...) Ainsi, l’État est moi sommes nous ennemis. Le bien de cette société humaine ne me tient pas à cœur, à moi l’égoïste, je ne me dévoue pas pour elle, je ne fais que l’employer, mais afin de pouvoir pleinement en user, je la convertie en propriété, j’en fais ma créature, c’est-à-dire que je l’anéantis et que j’édifie à sa place une association des Égoïstes. 50 III. Pour en finir définitivement avec Feuerbach...Stirner Dans son ouvrage Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande, en 1890, Engels montre à quel point l’attente à l’égard de Feuerbach a été immense et surtout à quel point les notions d’homme et 49Feuerbach
: Vorlesungen über das Wesen der Religion, (1848), in : Sämtliche Werke, VIII, hrsg. von Wilhelm Bolin und Friedrich Jodl, Stuttgart : Fromann Verlag, 21960, S. 272. 50 Stirner : L’Unique et sa propriété, p. 230-231.
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de nature étaient centrales dans la pensée de Feuerbach : C’est alors que parut l’Essence du christianisme de Feuerbach. D’un seul coup, elle réduisit en poussière la contradiction en replaçant sans détour le matérialisme sur le trône. La nature existe indépendamment de toute philosophie ; elle est la base sur laquelle nous autres hommes, nous-mêmes produits de la nature avons grandi ; en dehors de la nature et des hommes, il n’y a rien, et les êtres supérieurs créés par notre imagination religieuse ne sont que le reflet fantastique de notre être propre. L’enchantement était rompu ; le « système » était brisé et jeté au rancart, la contradiction résolue, car elle n’existait que dans l’imagination. – Il faut avoir éprouvé soi-même l’action libératrice de ce livre pour s’en faire une idée. L’enthousiasme fut général : nous fûmes tous momentanément des « feuerbachiens »51. Cependant, si l’enthousiasme a été général, il n’a eu qu’un temps et il est passé notamment par l’influence des écrits de Stirner. Ainsi, lorsqu’Engels entreprend de faire à Marx un compte-rendu de l’Essence de la religion, non seulement l’engouement pour l’auteur de l’Essence du christianisme est passé, mais il ne reste pas la moindre trace de considération pour son auteur. Tout d’abord, l’ouvrage semble « coulé dans le vieux moule », c’est-àdire ne rien proposer de très nouveau, mais Engels promet à Marx de le lire de près au cas où il pourrait servir à Marx pour son Feuerbach52. Un mois plus tard, Engels exprime la difficulté qu’il éprouve à « recopier les extraits de Feuerbach. Ici, à Paris, ce truc-là vous paraît tout à fait vaseux. 53» Enfin, Engels se met à la tâche et dresse de l’ouvrage un portrait peu flatteur54. Le jugement n’est pas particulièrement plus positif venant des autres lecteurs habituels de Feuerbach. Ainsi, l’Essence de la religion, quand elle n’est pas durement critiquée, est simplement ignorée par ceux-là mêmes Engels : Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande, Paris : éditions sociales, 1979, p. 27. La contradiction dont il est ici question concerne, au sein du mouvement des Jeunes Hégéliens, le matérialisme anglo-français et le système idéaliste de Hegel. 52 Engels : Lettre à Marx du 19 août 1846, in : Marx, Engels, Correspondance Tome I (18351848), Paris : Éditions sociales, 1997, p. 400. Engels fait ici référence à la préparation de l’Idéologie allemande. 53 Engels : Lettre à Marx du 18 septembre 1846, Ibid., p. 416. 54 Engels : Lettre à Marx du 18 octobre 1846, Ibid., p. 425. 51
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qui avaient encensé l’Essence du christianisme, alors qu’elle est censée en être le complément55. Tout semble se passer comme si, au sein des Jeunes Hégéliens, la critique formulée par Stirner dans l’Unique et sa propriété avait définitivement mis un terme à l’enthousiasme suscité par les thèses de Feuerbach, comme si le charme était alors rompu et qu’il fallait passer à autre chose. C’est, du reste, ce que laisse entendre Engels lorsqu’il exprime dans sa lettre à Marx du 19 novembre 1845 « l’impression faite sur lui par le jugement de Stirner »: Stirner a raison de rejeter « l’homme » de Feuerbach, du moins celui de l’Essence du christianisme ; « l’homme » de Feuerbach est déduit de Dieu ; après avoir posé Dieu Feuerbach a posé « l’homme », et ainsi « l’homme » est encore, il est vrai, couronné de l’auréole théologique de l’abstraction. Pour aboutir à « l’homme », c’est le chemin inverse qui est le vrai. Nous devons partir du Moi, de l’individu empirique en chair et en os, non pour en rester prisonnier comme Stirner, mais pour nous élever de là progressivement vers « l’homme ». Il ne s’agit pas alors pour Engels de renoncer théoriquement à l’homme, mais de renoncer à Feuerbach comme moyen d’y parvenir. C’est en cela que la critique de Stirner de la philosophie feuerbachienne a été déterminante. Ces lectures croisées décrivent un chemin de lutte contre l’aliénation morale et politique qui passe de la réappropriation des propriétés de l’homme par l’homme à la réappropriation des propriétés du Moi par l’individu, chemin dont chacun des auteurs est un jalon.
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Francesco Tomasoni : Ludwig Feuerbach und die nicht-menschliche Natur, Stuttgart-Bad Cannstatt : Frammann-Holzboog, 1990, S. 21.
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2. Contextes
Anne Lagny* Stirner et la critique de la religion dans l’horizon des Lumières allemandes L’époque du Vormärz peut être considérée comme un seuil d’époque, Epochenschwelle, où la religion est en train de se dévitaliser, à la manière dont les dieux antiques, dans le recueil Nordsee de Heine, prennent congé du poète, tout en demeurant des figures et des motifs à l’horizon de sa poésie. De sorte que, même lorsque l’on évacue la religion, cela ne peut se faire qu’en reconnaissant une forme d’allégeance vis-à-vis d’elle, et dans un cadre structuré par elle. Zarathustra n’est-il pas le 5e Evangile ? Le texte de Stirner est saturé de culture religieuse, comme en témoigne l’abondance des citations bibliques. Un auteur comme lui n’a que la Bible à la bouche, son style, autant que sa pensée, s’est forgé dans l’intimité avec le texte biblique : de la simple citation, de l’emprunt de formules, maximes, sentences à la parodie ou à la subversion, ou à la reprise de la violence verbale/des imprécations de l’Evangile de Matthieu, ou des exhortations des épîtres pauliniennes, etc. Pour la génération du Vormärz et des Jeunes Hégéliens, il faut commencer par s’attaquer à la religion pour frayer le chemin de l’émancipation politique et sociale. Le premier bastion à renverser, c’est celui de la religion, celui des autorités religieuses, ce sont elles qu’il faut ébranler pour accéder à l’horizon politique et social. Il s’agit d’ausculter le rapport religieux/chrétien au monde, la construction de ses figures d’autorité, qu’il s’agisse de l’autorité des textes sacrés et des dogmes, ou de celle des Eglises et de leurs impératifs et normes en matière d’éthique, et de façon générale dans le domaine de l’action. C’est à cet endroit que la référence aux Lumières est décisive. La démarche de la génération du Vormärz témoigne de la reconnaissance d’une dette envers l’œuvre des Lumières allemandes, en matière de critique de la religion notamment : - le combat contre les délires de la superstition et du fanatisme ou de l’enthousiasme ; - le desserrement des liens entre la rigueur de la vérité dogmatique et l’agir moral : on peut agir bien et mener une vie droite sans avoir une *
IHRIM (UMR 5317). Ecole Normale Supérieure de Lyon. Site René Descartes 15 Parvis René Descartes, BP 7000 69342 Lyon Cedex. [email protected]
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croyance orthodoxe ; et à l’inverse, on peut se croire en possession de la vérité religieuse, sans pour cela avoir la capacité de faire le bien. - la critique du texte biblique : la distinction entre les vérités historiques contingentes et les vérités de raison nécessaires. On saisira l’occasion de rappeler ici que dans l’horizon des Lumières allemandes, à la différence des Lumières françaises, l’idée d’une conciliation entre raison et révélation est préservée, et que les deux s’articulent plus qu’elles ne s’opposent. A lire Der Einzige de Stirner, on peut avoir l’impression d’assister à la liquidation de l’esprit des Lumières allemandes. Mais il est certain que cette liquidation ne serait pas possible s’il n’avait pas pu s’appuyer sur l’œuvre des Lumières. David-Friedrich Strauss (1808-1874), l’auteur qui a suscité un scandale avec la publication de La Vie de Jésus en 1835, et qui a été à l’origine des premières entre la « droite » et la « gauche » de la postérité de Hegel, est une figure clé pour illustrer l’inspiration des Lumières dans la génération du Vormärz. Non seulement en effet la Vie de Jésus peut être considéré comme un héritage de l’œuvre théologique des Lumières, mais la référence à des figures des Lumières reste inscrite dans son œuvre jusqu’à une période avancée. Strauss en effet a consacré un texte important à la figure de Reimarus (cité par Stirner), une conférence à Nathan le Sage, six conférences à la personnalité de Voltaire. Ce faisant, il est préoccupé d’inscrire son époque dans l’horizon de l’Aufklärung, après la rupture introduite par l’évolution romantique de la religion. Se référer à ces textes postérieurs à l’œuvre de Stirner a l’avantage de montrer la solidité de la référence aux Lumières, tout en faisant ressortir les lignes de force qui se dégagent avec le recul du temps. Strauss, la grande figure de ce seuil d’époque, est particulièrement intéressante parce que son but, en rédigeant Das Leben Jesu, n’est pas de renverser la religion, mais bien de la consolider en procédant aux ajustements indispensables, compte tenu des exigences scientifiques qui sont celles des temps nouveaux. Cette vaste entreprise d’examen est nécessaire « pour défendre avec succès l’autorité divine de la Bible contre les objections et les railleries de ses adversaires »1. C’est le paradoxe d’un livre qui n’était pas fait pour la polémique, et déclenche un scandale à l’échelle européenne. Dans la préface à la troisième édition, Strauss 1
David Friedrich Strauss : Vie de Jésus, ou Examen critique de son histoire, traduite de l’allemand sur la troisième édition par E. Littré, Paris, Librairie de Ladrange, 1839, p. 46. Noté par la suite : Vie de Jésus… suivi des références de pages. [Id. : Das Leben Jesu Dritte mit Rücksicht auf die Gegenschriften verbesserte Auflage, Tübingen : Verlag von C. F. Osiander, 1839].
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présente son ouvrage en soulignant le caractère dépassionné de son entreprise, animée par « un cœur et un esprit affranchis de certaines superstitions religieuses et dogmatiques »2 : « […] le ton du livre qui est soumis ici au jugement du public contraste grandement avec le ton de dévotion édifiante ou d’inspiration mystique qui règne dans des livres modernes sur des objets semblables, […] le fanatisme et le zèle des bigots n’y interviennent pas »3. – Puisque l’on cite ici La Vie de Jésus dans la traduction française de l’époque, on saisira ici l’occasion de rappeler qu’il y a une réception contemporaine de Strauss en France. Le traducteur de La Vie de Jésus est Emile Littré (1801-1881), disciple d’Auguste Comte, républicain modéré, qui participe à la Révolution de 1830 et se retranche dans le silence sous le Second Empire. Il traduit La Vie de Jésus sur le texte de la troisième édition (1839). Un compte rendu substantiel, dû à Edgar Quinet (18031875), est publié dans la Revue des Deux Mondes en 18384. Un choix de textes, comportant une conférence sur Nathan le Sage et des extraits de l’étude sur Reimarus, est traduit et édité dans les années 70, avec une préface de Renan. Celui-ci, en dépit des tensions nationalistes exacerbées par l’issue de la guerre franco-allemande de 1870, plaide pour la pérennité des échanges scientifiques5. – La Vie de Jésus en dépit de la rupture qu’elle introduit, a été interprétée comme l’aboutissement de tout le travail de critique historique accompli par les théologiens de l’Allemagne protestante depuis l’époque des Lumières ; à ce titre, l’ouvrage présente un caractère de nécessité fort bien perçu par Quinet dans son article de La Revue des Deux Mondes. En s’engageant dans la voie de la critique historique du texte biblique, la théologie protestante rénovée pose de manière urgente la question du statut de la religion et du destin de l’Eglise : On a souvent demandé d'où peut venir l'immense retentissement de l'ouvrage du docteur Strauss. Cette cause n'est point dans le style de l'écrivain. Ce langage triste, nu, géométrique, qui, pendant quinze cents pages, ne se déride pas un moment, ce n'est point là la Vie de Jésus…(note 1) , p. 7-8. Vie de Jésus…(note 1), p. 8. 4 Edgar Quinet, La vie de Jésus-Christ, du Docteur Strauss. Article présenté et annoté par Philippe Dufour, in : Flaubert [En ligne], 4 (2010). Article mis en ligne le 15 décembre 2010. Consulté le 09 janvier 2017. URL : http://flaubert.revues.org/1218. 5 David-Frédéric Strauss, Essais d’histoire religieuse et mélanges littéraires. Traduits par M. Charles Ritter avec une introduction par M. Ernest Renan, Paris 1872. 2 3
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manière d'un amateur de scandales. Quant à ses doctrines, il n'est pas, je crois, une de ses propositions les plus audacieuses qui n'ait été avancée, soutenue, débattue avant lui. Comment donc expliquer le prodigieux éclat d'un ouvrage qui semble fait de la dépouille de tous ? Je réponds que cet éclat vient précisément de ce que le système nouveau s'appuie sur tout ce qui l'a précédé, et que son manque d'originalité dans les détails est ce qui fait la puissance de l'ensemble. Si cet ouvrage eût paru être la pensée d'un seul homme, tant d'esprits ne s'en seraient pas alarmés à la fois. Mais, lorsqu'on vit qu'il était comme la conséquence mathématique de presque tous les travaux accomplis audelà du Rhin depuis cinquante ans, et que chacun avait apporté une pierre à ce triste sépulcre, l'Allemagne savante tressaillit et recula devant son œuvre. C'est là ce qui se passe dans ce pays depuis trois ans.6 Strauss, avec le recul, mesure le choc pour l’homme d’Eglise, la dimension du scandale : « Ce livre s’éloigne des opinions de la plupart des théologiens, et même du reste du public, et il s’en éloigne dans une affaire où une contrariété de pensée est ordinairement regardée comme un sacrilège : à sa première publication, il n’a donc pu que faire naître, dans les esprits non préparés, un étonnement mal défini qui allait jusqu’à l’horreur. »7 Dans ses préfaces, Strauss décrit son projet comme l’extension naturelle, « nécessaire » de la thèse du mythe, de certaines parties de la Bible – ce qui était le cas jusqu’alors – à l’ensemble du texte sacré. Ce qui frappe, dans cet ouvrage, et qui en fait la nouveauté, c’est le caractère radical et systématique de l’examen de la Bible, fondé sur les principes de la critique historique des sources et de l’établissement des faits, sans admettre de limites à cet examen. Cela veut dire, non que toute l’histoire de Jésus doive être considérée comme mythologique, mais que chaque partie en doit être soumise à l’examen de la critique, afin que l’on sache si elle ne renferme rien de mythologique. L’ancienne interprétation de l’Eglise partait de deux suppositions, la première, que les évangiles renferment de l’histoire ; la seconde, que cette histoire est une 6 7
Edgar Quinet, La vie de Jésus-Christ, du Docteur Strauss (note 4), p. 4. Vie de Jésus… (note 1), « Préface à la seconde édition », p. 23. Voir Erik Linstrum : Strauss's "Life of Jesus": Publication and the Politics of the German Public Sphere, in : Journal of the History of Ideas, Vol. 71, No. 4 (October 2010), p. 593-616. (http://www.jstor.org/stable/40925951, consultation le 20 avril 2017).
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histoire surnaturelle ; le rationalisme, rejetant la seconde de ces suppositions, ne s’en attachait que plus fortement à la première, savoir, qu’il se trouve dans ces livres une histoire, mais une histoire naturelle. La science ne peut ainsi rester à mi-chemin ; il faut encore laisser tomber l’autre supposition ; il faut rechercher si et jusqu’à quel point nous sommes, dans les évangiles, sur un terrain historique ; c’est là la marche naturelle des choses ; et, de ce côté, l’apparition d’un ouvrage comme celui-ci est non seulement justifiée, mais encore nécessaire.8 Si l’on reprend les éléments principaux du projet scientifique ainsi décrit, avec la dimension du scandale, qui mobilise les autorités religieuses dans une contre-attaque violente, on se trouve rappelé à l’un des épisodes les plus marquants de l’Aufklärung, la « Querelle des Fragments » (Fragmentenstreit), déclenchée par la publication des « Fragments de l’Anonyme » due à Lessing, alors bibliothécaire à Wolfenbüttel, à partir de 1774.9 On sait que l’interdiction de poursuivre la controverse avec son adversaire majeur, le pasteur hambourgeois Johann Melchior Goeze, ramena Lessing à son « ancienne chaire », le théâtre, où il répondit aux théologiens de son temps par la composition de Nathan le Sage. Hermann Samuel Reimarus (1694-1768), professeur à Hambourg où s’est déroulée toute sa carrière, est l’auteur des Abhandlungen von den vornehmsten Wahrheiten der natürlichen Religion [Traités des principales vérités de la religion naturelle] (1754),10 considéré comme le classique et la référence du déisme allemand. Le but de cet ouvrage est de faire pièce à l’athéisme, au libertinisme répandu par des brochures polémiques qui tournent en dérision la religion et la morale, et de soutenir la raison humaine, qui est faible en lui donnant une direction, donc de fixer les éléments, les vérités premières de toute religion, telles qu’elles peuvent Vie de Jésus…(note 1), « Préface à la seconde édition », p. 29. Voir Georges Pons : Gotthold Ephraim Lessing et le christianisme, Paris : Didier, 1964 ; Nathan le Sage/Nathan der Weise. Edition bilingue, traduction de Robert Pitrou, présentation par Anne Lagny, Paris : Flammarion, 1997 ; les sections sur Reimarus et Lessing dans Wolfgang Fink, Fabrice Malkani : Critique de la religion dans la pensée allemande de Leibniz à Freud. Textes traduits par Fabrice Malkani et présentés par Wolfgang Fink, Paris : Librairie générale française, 2011, p. 57-79. 10 Hermann Samuel Reimarus : Die vornehmsten Wahrheiten der natürlichen Religion in zehn Abhandlungen auf eine begreifliche Art erkläret und gerettet von Hermann Samuel Reimarus Professor in Hamburg. Dritte verbesserte und stark vermehrte Auflage. Hamburg, bey Johann Carl Bohn. 1766. 8 9
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être accessibles à la saine raison (« die ersten Wahrheiten aller Religion, nach gesunder Vernunft ») : « Meine einzige Bemühung ist dahin gerichtet gewesen, alles, so weit es sich durch gesunde Vernunft thun läßt, verständlich und deutlich zu machen, daß die Wahrheit und Wichtigkeit der Sachen einem jeden, der nur etwas denken kann, einleuchten möchte. [Tout mon effort a tendu à rendre toutes choses compréhensibles et claires, pour autant que cela puisse se faire par la saine raison, de manière à ce que la vérité et l’importance des matières apparaissent évidentes à tout homme dès lors qu’il commence à penser. »11. L’ouvrage se distribue en plusieurs sections : à partir de considérations générales sur l’origine de l’homme et des animaux, laquelle ne peut pas être naturelle puisque le monde physique, inanimé, ne peut avoir de perfection en soi (I-III), l’auteur en vient à examiner les intentions divines dans le monde, pour ce qui concerne les animaux (IVV). Il passe ensuite aux hommes, qu’il envisage du point de vue de leur âme (Seele) pour s’interroger sur leur destination, par opposition à celle de l’animal (VI-VII). Les deux sections suivantes sont consacrées à la Providence et aux doutes qui peuvent s’élever contre elle (VIII-IX). Enfin, sont abordées les questions de l’immortalité de l’âme et des avantages de la religion : l’homme apprend à se connaître dans la perfection de sa nature et voit que le sens de sa vie est garanti par une Providence divine (X). C’est précisément cet argumentaire qui est visé par Stirner dans la suite d’un développement critique sur la philosophie de Feuerbach. Selon lui, Feuerbach n’a fait qu’inverser, sans bouleverser, l’ordre de la religion en proclamant que la divinité de l’homme réside dans son humanité, et en convertissant la transcendance divine en immanence humaine : dès lors, l’humanité devient le nouvel absolu, objet de la même « sanctification », aussi intangible que les anciennes « hiérarchies ». Stirner inclut l’œuvre théologique de l’Aufklärung dans la même condamnation : tout l’effort accompli pour remédier à la disjonction radicale entre foi et raison et frayer la voie à une religion éclairée par la raison, à la suite de Leibniz et de Christian Wolff en Allemagne, avec la réception du déisme, bien loin de consacrer l’émancipation de l’homme raisonnable vis-à-vis d’une forme d’oppression religieuse, n’a pour résultat, de fait, que d’étendre l’empire de la religion à l’esprit humain, voire à l’homme tout entier : alors que la théologie ancienne réservait la révélation des vérités religieuses à la seule partie spirituelle de l’homme – son âme ou son cœur comme organes de la foi –, la philosophie nouvelle prétend rendre ces 11
Hermann Samuel Reimarus : Die vornehmsten Wahrheiten (note 10), Vorbericht, S. 19.
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vérités accessibles à la raison humaine, consacrant ainsi l’emprise de la religion sur l’homme tout entier, son être physique, psychique et moral. So kann hier beiläufig der aufklärenden Richtung gedacht werden, die, nachdem die Theologen lange darauf bestanden hatten, nur der Glaube sei fähig, Religionswahrheiten zu fassen, nur den Gläubigen offenbare sich Gott u. s. w., also nur das Herz, Gefühl, die gläubige Phantasie sei religiös, mit der Behauptung hervorbrach, daß auch der „natürliche Verstand“, die menschliche Vernunft fähig sei, Gott zu erkennen. Was heißt das anders, als daß auch die Vernunft darauf Anspruch machte, dieselbe Phantastin zu sein wie die Phantasie. In diesem Sinne schrieb Reimarus seine „Vornehmsten Wahrheiten der natürlichen Religion“. Es mußte dahin kommen, daß der ganze Mensch mit allen seinen Fähigkeiten sich als religiös erwies; Herz und Gemüth, Verstand und Vernunft, Fühlen, Wissen und Wollen, kurz Alles am Menschen erschien religiös.12 Reimarus, distingué représentant du déisme en Allemagne, auquel la renommée attribue le mérite de défendre la religion contre l’athéisme venu de France, est aussi l’auteur d’un ouvrage non publié de son vivant, Apologie oder Schutzschrift für die vernünftigen Verehrer Gottes, rédigé entre 1735 et les années1767/68 et considéré par lui comme l’œuvre de sa vie.13 Dans cette Apologie pour les adorateurs raisonnables de Dieu, Reimarus s’exprime librement sur les questions religieuses qui le préoccupent et les doutes qu’il entretient en privé, mais il choisit de ne pas publier ce manuscrit de son vivant, estimant que les consciences ne sont pas assez avancées pour supporter l’expression de ce trouble. Lessing, qui a eu connaissance du manuscrit par les enfants de Reimarus, en publie des extraits choisis anonymés, dans le cadre d’une série de Beiträge zur Geschichte und Litteratur. Il présente cette série comme une action de valorisation des fonds rares et inédits de la bibliothèque de Wolfenbüttel, et bénéficie à ce titre de la dispense de censure accordée par le duc Charles de Brunswick. Il va exploiter cet avantage pour introduire les questions théologiques dans l’espace public. Après la publication d’un plaidoyer en faveur de la tolérance vis-à-vis des déistes (Von Duldung der Deisten), Lessing conçoit une nouvelle livraison composée de fragments 12 13
Max Stirner : Der Einzige und sein Eigentum, Reclam, p. 52. Le texte n’est connu dans son intégralité que depuis 1814, par le don qu’en a fait le fils de Reimarus à la bibliothèque de Hambourg, voir Georges Pons, Lessing et le christianisme (note 9), p. 277.
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touchant directement à la question de la religion révélée, et exposant certaines difficultés soulevées par la critique textuelle de la Bible. Cette offensive contre le christianisme – contestation de l’inspiration divine de l’Ecriture sainte, négation des prophéties et des miracles, refus de reconnaître la doctrine de Moïse comme une Révélation – culmine dans le dernier fragment publié (Von dem Zwecke Jesu und seiner Jünger), où l’auteur veut présenter Jésus comme un imposteur ambitieux d’exercer un pouvoir temporel, et ses disciples comme les responsables de la falsification de son enseignement. La ligne directrice de l’ouvrage, tel qu’il a été conçu par Reimarus, est, conformément à son titre, une défense de la religion naturelle, contre la tyrannie insupportable d’un certain christianisme, ennemi de la raison et tenant d’une foi aveugle. De ce point de vue, il y a bien continuité entre les deux versants de son œuvre, le versant public et le versant des doutes privés. L’apologie de la religion naturelle impose l’exercice critique de la raison, en tout premier lieu l’application de la critique historique au texte biblique pour faire l’épreuve de sa résistance. De fait, ni l’Ancien, ni le Nouveau Testament ne résistent à un examen approfondi, comme le montre, pour ne prendre qu’un exemple, le récit de la Résurrection, et les versions différentes, voire contradictoires qu’en donnent les évangélistes : les divergences notables observées sont impossibles à réduire, et si le critique les met sur le compte de la fragilité du témoignage humain, il ouvre une brèche dans la doctrine de l’inspiration divine de la Bible. L’ouvrage de Reimarus est représentatif d’une impasse de la théologie à l’époque des Lumières, et de l’épreuve que constitue pour elle la nouvelle philosophie : « En vérité, la Schutzschrift de Reimarus illustre bien la gravité de la crise née du divorce entre les progrès du rationalisme et le conservatisme du biblicisme officiel. »14 En présentant et commentant ces fragments, Lessing esquisse une réponse à ce défi : il y a des positions de défense qu’il faut abandonner pour sauver la religion, et l’orthodoxie luthérienne ferait bien de ne pas se cramponner à la thèse de l’authenticité historique des récits évangéliques, laquelle devient peu à peu indéfendable, lorsqu’elle est confrontée à des exigences scientifiques accrues. L’important n’est pas tant de sauvegarder la lettre que de rester fidèle à l’esprit. Aussi Lessing se sert-il de ces fragments pour tracer la nouvelle frontière de la religion. Il faut désormais passer à l’offensive, fustiger l’attitude timorée des chrétiens qui redoutent l’épreuve de vérité. Celle-ci ne peut affecter que le théologien, l’homme des hypothèses et des raisonnements, non 14
Georges Pons, Lessing et le christianisme (note 9), p. 293.
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pas le véritable chrétien, celui qui fait l’expérience vivante de son christianisme et se trouve instantanément conforté par l’évidence de sa régénération spirituelle, même s’il ne peut se rendre un compte exact des causes auxquelles l’attribuer. Le doute sur l’authenticité du texte biblique ne doit pas empêcher le chrétien de faire l’expérience de ce qui fait le cœur de sa religion, d’une solidité à toute épreuve. La religion cesse de se confondre avec les textes canoniques sur lesquelles elle s’appuyait jusqu’alors, elle peut tenir sans le secours de ces témoignages censés renforcer sa crédibilité auprès des croyants. Und nun genug dieser Fragmente. Wer von meinen Lesern mir sie aber lieber ganz geschenkt hätte, der ist sicherlich furchtsamer, als unterrichtet. Er kann ein sehr frommer Christ sein, aber ein sehr aufgeklärter ist er gewiß nicht. Er kann es mit seiner Religion herzlich gut meinen: nur müßte er ihr auch mehr zutrauen. Denn wie vieles läßt sich noch auf alle diese Einwürfe und Schwierigkeiten antworten! Und wenn sie auch schlechterdings nicht darauf antworten ließe: was dann? Der gelehrte Theolog könnte am Ende darüber verlegen sein: aber auch der Christ? Der gewiß nicht. Jenem höchstens könne es zur Verwirrung gereichen, die Stützen, welche er der Religion unterziehen wollen, so erschüttert zu sehen; die Strebepfeiler so niedergerissen zu finden, mit welchen er, wenn Gott will, sie so schön verwahret hatte. Aber was gehen den Christen dieses Mannes Hypothesen und Erklärungen und Beweise an? Ihm ist es doch einmal da, das Christentum, welches er so wahr, in welchem er sich so selig fühlet. – Wenn der Paralytikus die wohltätigen Schläge des elektrischen Funkens erfährt: was kümmert es ihn, ob Nollet, oder ob Franklin, oder ob keiner von beiden Recht hat? – Kurz: Der Buchstabe ist nicht der Geist, und die Bibel ist nicht die Religion. Folglich sind Einwürfe gegen den Buchstaben und gegen die Bibel nicht eben auch Einwürfe gegen den Geist und gegen die Religion. Denn die Bibel enthält offenbar mehr, als zur Religion gehöriges: und es ist bloße Hypothese, daß sie in diesem Mehrern gleich unfehlbar sein müsse. Auch war die Religion, ehe eine Bibel war, ehe Evangelisten und Apostel geschrieben hatten. Es verlief eine geraume Zeit, ehe der erste von ihnen schrieb; und eine sehr beträchtliche, ehe der ganze Kanon zu Stande kam. Es mag also von diesen Schriften noch so viel abhängen: so kann unmöglich die ganze Wahrheit der Religion auf ihnen beruhen. War ein 119
Zeitraum, in welchem sie bereits so ausgebreitet war, in welchem sie bereits sich so vieler Seelen bemächtiget hatte, und in welchem gleichwohl noch kein Buchstabe aus dem von ihr aufgezeichnet war, was bis auf uns gekommen; so muß es auch möglich sein, daß alles, was Evangelisten und Apostel geschrieben haben, wiederum verloren gänge, und die von ihnen gelehrte Religion doch bestände. Die Religion ist nicht wahr, weil die Evangelisten und Apostel sie lehrten: sondern sie lehrten sie, weil sie wahr ist. Aus ihrer innern Wahrheit müssen die schriftlichen Überlieferungen erklärt werden, und alle schriftlichen Überlieferungen können ihr keine innere Wahrheit geben, wenn sie keine hat. Dieses also wäre die allgemeine Antwort auf einen großen Theil dieser Fragmente. La distinction fondamentale entre une enveloppe périssable et une essence pérenne – l’écorce et le noyau – se retrouve chez Friedrich David Strauss, et c’est ce qui lui permet aussi d’aborder sereinement l’entreprise de la Vie de Jésus, avec la conviction que l’examen critique des textes à la lumière de la raison, même radical, est d’une autre nature que l’essence de la foi, et que la religion ne s’effondre pas avec la remise en cause de la véracité historique de la Révélation : L’auteur sait que l’essence interne de la croyance chrétienne est complètement indépendante de ses recherches critiques. La naissance surnaturelle du Christ, ses miracles, sa résurrection et son ascension au ciel, demeurent d’éternelles vérités, à quelque doute que soit soumise la réalité de ces choses en tant que faits historiques. Cette certitude seule peut donner à notre critique repos et dignité, et la distinguer des explications naturelles des siècles précédents ; explications qui, songeant à renverser aussi la vérité religieuse avec le fait historique, étaient nécessairement frappées d’un caractère de frivolité.15 Avec Friedrich David Strauss, s’opère la construction hégélienne de la position des Lumières allemandes dans l’histoire : l’Aufklärung apparaît dans la continuité de la Réforme, comme l’approfondissement et l’élargissement du progrès engagé avec elle : Si l’on excepte le siècle de la Réformation, aucun siècle de l’ère moderne n’a plus fait pour le progrès de l’humanité que le dixhuitième. Après l’arrêt et le recul du dix-septième, il reprit les pro15
Vie de Jésus…(note 1), p. 8.
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blèmes du seizième dans un esprit plus large, et il arriva fort près de leur solution, autant du moins que le permettent les allures compliquées de l’histoire, qui ne clôt rien d’une manière absolue. On ne parla plus de réformation, mais de progrès des lumières, – de foi, mais de pensée et de conscience, – de chrétiens, mais d’hommes, – de sujets, mais de citoyens.16 Le XIXe siècle doit recueillir le legs de l’Aufklärung, nié ou faussé par toute la période qui l’a suivi, le XIXe siècle, sans doute, mais surtout le romantisme. Le dix-neuvième siècle avait fait un riche héritage, mais rarement héritier fut aussi ingrat envers son bienfaiteur. Presque jusqu’au milieu de notre siècle, il a été de bon ton de dédaigner le siècle précédent. On se serait cru dénué d’esprit, si l’on n’avait traité de plate et de bornée l’époque des lumières, et souvent on s’imaginait que, pour faire preuve de profondeur, il suffisait de railler la pauvreté et la sécheresse du rationalisme. Le dix-huitième siècle paraissait superficiel, parce qu’il était clair ; et parce qu’il avait beaucoup de bon sens, il paraissait avoir peu d’esprit. Il manqua d’impartialité, cela est certain ; mais un ferme parti pris a toujours été le caractère des périodes de progrès dans l’histoire, tandis qu’une molle impartialité est le propre des époques stationnaires. Le dixhuitième siècle ne comprenait pas le passé ; il ne comprenait guère au fond que lui-même ; mais aussi il savait d’autant plus clairement ce qu’il voulait, ce qu’il devait faire.17 Le romantisme est inséparable de la restauration monarchique, qui a su capter le mouvement de réveil religieux à son profit, pour préserver l’ordre ancien. Pour Strauss, « le romantique sur le trône », c’est le monarque prussien, Frédéric-Guillaume IV, celui qui est l’agent de la répression qui frappe la presse libérale : Un philosophe berlinois a récemment nommé Frédéric-Guillaume IV « une intelligence historique ». Puisse l’esprit de l’histoire lui pardonner un tel blasphème ! Ce qui est vrai, c’est que ce prince est bien le représentant exact du dix-neuvième siècle en tout ce qu’il a d’hostile au dix-huitième. De l’esprit autant et plus qu’il ne 16 17
David Frédéric Strauss : Le XVIIIe et le XIXe en face du christianisme. A propos de Reimarus, in : Essais d’histoire religieuse et mélanges littéraires (note 5), p. 60. David Frédéric Strauss : Le XVIIIe et le XIXe en face du christianisme. A propos de Reimarus, in : Essais d’histoire religieuse et mélanges littéraires (note 5), p. 60.
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faut, mais peu de bon sens ; beaucoup trop de sensibilité et pas assez de caractère ; plus de magnanimité que de sentiment du juste ; de la dévotion, mais pas de vrai sérieux ; une grande affectation de dilettantisme historique, mais non une véritable intelligence de l’histoire, non le désir et la force de marcher d’un pas ferme vers l’avenir, au lieu de se divertir sans cesse aux images du passé. Est-il donc possible de saluer du titre d’« intelligence historique » le prince qui veut précisément rayer du livre de l’histoire le passé le plus récent, – qui croit comprendre et aimer le moyen âge, mais méconnaît l’époque de Frédéric et de Joseph, de la critique allemande et de la Révolution française, – qui même chez un Luther et un Calvin ne sait apprécier que leurs tendances révolutionnaires, reste du moyen âge ?18 La période du Vormärz marque un retour à l’esprit des Lumières, après la Restauration, où la réaction monarchique, succédant à l’occupation de l’Allemagne, se sert du réveil religieux pour asseoir son œuvre de restauration du passé : « […] ils se jetèrent résolûment dans les bras de la réaction et se servirent du réveil religieux pour hâter cette œuvre de restauration du passé, qui était l’objet de tous leurs vœux ».19 La construction d’une opposition entre Lumières et romantisme est au fondement de la lecture hégélienne de cette période. En s’affranchissant de la dévotion édifiante, ou délirante, du romantisme réactionnaire, les penseurs du Vormärz répètent le geste de l’Aufklärer engageant le combat contre les rigueurs du dogme, d’un côté, les délires de la superstition et du fanatisme, de l’autre. En dépit de sa critique fondamentale, Stirner reconnaît la portée de l’œuvre accomplie par les Lumières : l’ébranlement du monopole des théologiens par le déisme et la religion naturelle. Mais si les théologiens ne sont plus en mesure de discipliner les fidèles, la conquête de l’esprit par lui-même ne signifie pas pour autant émancipation définitive. Bien au contraire : l’homme spiritualisé ou divinisé, doué de la « liberté de penser » se trouve uniformisé sous le régime de l’esprit, privé de la diversité des accès à la réalité qui constitue son Moi, et donc des chances 18
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David Frédéric Strauss : Le XVIIIe et le XIXe en face du christianisme. A propos de Reimarus, in : Essais d’histoire religieuse et mélanges littéraires (note 5), p. 60-61. Traduction partielle de : id. : Hermann Samuel Reimarus und seine Schutzschrift für die vernünftigen Verehrer Gottes, Leipzig : F. A. Brockhaus, 1862. Lichtenberger : Histoire des idées religieuses en Allemagne depuis le milieu du XVIIIe siècle jusqu’à nos jours. Tome II : Deuxième période. De Schleiermacher à Strauss, Paris : Sandoz et Fischbacher, 1873, p. 6.
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de confrontation avec la réalité qui l'entoure. Le déisme, qui a pu être, dans l’horizon des Lumières, une solution à la crise profonde de la religion, n’apporte pas de réponse convaincante à la question de l’homme : il laisse subsister, ou plutôt il renforce l’assujettissement à l’esprit qui, pour Stirner, représente sans doute un mal plus grand que la domination des théologiens : l’homme dominé peut encore développer une confrontation productive avec son environnement, une stratégie individuelle de résistance, l’homme centré sur son esprit et occupé exclusivement de lui n’est plus en mesure de percevoir le monde concret qui l’entoure, puisqu’il s’enferme dans un nouveau système d’illusion. Il est bien « libre », mais sa liberté est ineffective et vide de sens. Ainsi pourra-t-on trouver chez Stirner, à partir de la démarche qui a été celle des Lumières, une évolution vers l’analyse de processus d’aliénation moins apparents, mais qui remettent en cause l’image même du sujet construite par la philosophie des Lumières. Reimarus und Alle, welche gezeigt haben, daß auch Unsere Vernunft, Unser Herz u.s.w. auf Gott führe, haben damit eben gezeigt, daß Wir durch und durch besessen sind. Freilich ärgerten sie die Theologen, denen sie das Privilegium der religiösen Erhebung nahmen, aber der Religion, der Geistesfreiheit eroberten sie dadurch nur noch mehr Terrain. Denn wenn der Geist nicht länger auf das Gefühl oder den Glauben beschränkt ist, sondern auch als Verstand, Vernunft und Denken überhaupt sich, dem Geiste, angehört, also auch in der Form des Verstandes u. ſ. w., an den geistigen und himmlischen Wahrheiten Theil nehmen darf, dann ist der ganze Geist nur mit Geistigem, d. h. mit sich beschäftigt, also frei.20
20
Max Stirner : Der Einzige und sein Eigentum, Reclam, p. 53.
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Maurice Schuhmann Max Stirners Goethe-Rezeption. Weiterentwicklung von Goethes Denken oder Legitimationsbasis für die eigene Philosophie?
Warum mir aber in neuster Welt
Anarchie gar so wohl gefällt? Ein jeder lebt nach seinem Sinn, Das ist nun also auch mein Gewinn.
Ich lass’ einem jeden sein Bestreben, Um auch nach meinem Sinne zu leben. (Johann Wolfgang von Goethe, Zahme Xenien) Im Kontext der hitzigen Debatten im Kreis der Freien, einem losen Zusammenschluss von Intellektuellen in Berlin, verfasste Max Stirner 1844 sein Hauptwerk Der Einzige und sein Eigentum. Das Werk ist weitgehend als eine Positionierung zu den Debatten in jenem Kreis und somit über weite Strecken als eine fundierte Kritik an den Positionen Hegels und seiner (linken) Schüler zu lesen. Daraus resultiert – entgegen allen sonstigen Differenzen in der Interpretation seines Werkes – ein Konsens über die Art und Weise ihn zu lesen – nämlich im Kontext des Junghegelianismus. Ein anderer zeitweilig präferierter Zugang ist in der Rezeptionsgeschichte Stirners dabei weitgehend in Vergessenheit geraten – der Zugang über seine Rezeption von Johann Wolfgang von Goethe. Goethe als der große Vertreter des Sturm und Drang gehörte zum klassischen Bildungskanon jener Zeit und bot mit seinen progressiven Ideen für die rebellische Generation des deutschen Vormärz einen fruchtbaren Boden. Die Rezeption von Goethe durch Stirner ist m.E. weder auf eine reine bildungsbürgerliche Aneignung seines Werkes noch auf die Legitimierung seines Werkes durch Goethes Worte zu reduzieren. Stirner hat sich partiell der Autorität Goethes bedient, aber mehr als das hat er streckenweise Goethes Denken radikalisiert, in dem er dessen Begriffe aufgreift und seine zentralen Gedanken in dessen Worten ausdrückt. Diese, hier von mir vorgeschlagene Lesart steht dabei nicht in Opposition zu der Lesart Stirners als Junghegelianer, sondern soll 125
lediglich die, durch die Fokussierung auf den Junghegelianismus aufgekommenen blinden Flecken in der Rezeption eingrenzen. Literatur zur Goetherezeption Stirners Die Auseinandersetzung in der Sekundärliteratur mit der Rezeption Goethes bzw. der Weiterentwicklung des Denkens von Goethe durch Stirner ist recht überschaubar, obwohl das Thema bereits ab den 90er Jahren des 19. Jahrhunderts immer wieder in Sekundärtexten angesprochen wird.1 Die Bezugsgröße stellte dabei häufig der von beiden Denkern propagierten Individualismus und Egoismus dar. Weiterhin tauchte in jenem Zeitraum bereits redundant der Verweis auf den Ursprung von Stirners zentraler Aussage « Ich stell’ mein’ Sach’ auf Nichts » auf. Beispielhaft lässt sich hierfür Felix Dubois anführen, der in Die anarchistische Gefahr in Bezug auf den russischen Anarchisten Michael Bakunin anmerkte: Schon vor ihm hatte Max Stirner in seiner nihilistischanarchistischen Philosophie ebenfalls auf Goethe Bezug genommen. Aus dem bekannten Gedicht ‘Vanitas! vanitatum et omnia vanitas’ hat er den Vers „Ich hab’ mein’ Sach’ auf Nicht gestellt.“ entlehnt und seinem Werke ‘Die Zukunft des Individuums’ (sic !) als Motto vorgestellt.2 (Rolf Engert) Eine erste inhaltliche Auseinandersetzung mit der Frage nach dem Verhältnis des Denkens der beiden Autoren lässt sich bei dem Freiwirt und Stirnerianer Rolf Engert finden. Im Jahr 1935 erschien in der Beilage zum Journal Schule der Freiheit unter dem Titel Goethe der ‚große Egoist’ sein Beitrag zu ihrem Verhältnis. Für ihn stellt sich die Philosophie Stirners als eine Weiterführung des Denkens von Goethe da. Den Anknüpfungspunkt sieht er dabei im Konzept der « Selbstsucht » und des « Egoismus ». Der Egoismus wurde partiell wie von Stirner auch positiv besetzt. Weiterhin stellte Engert in seiner Broschüre Wohlauf Ich! (1947) fest: « Mit Goethes Faust erkennt auch Stirners Einziger: Wie ich beharre, bin ich Knecht. »3 1 Vgl. z.B.: Moritz Kronenberg, Max Stirner. Erstaunlicherweise taucht in der ersten Welle der Stirnerrezeption nirgends ein Verweis auf dessen Goethe-Rezeption auf. (Vgl. Kurt W. Fleming, Max Stirner’s Der Einzige und sein Eigentum). 2 Félix Dubois, Die anarchistische Gefahr, S. 9. 3 Rolf Engert, Wohlauf Ich!, S. 4.
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Es ist eine Reminiszenz auf die Aussage Stirners: « [D]ass, wenn sich etwas in Mir festsetzt und unauflöslich wird, Ich der Gefangene und Knecht desselben, d. h. ein Besessener, werde »4, er vertritt damit die These, dass Stirner Goethe weitergedacht und –entwickelt hat. (Carl August Emge) Die zweite wesentliche Etappe stellt der Beitrag des deutschen Rechtsphilosophen Carl August Emge dar. Dieser widerspricht den von Rolf Engert vertretenen Ansicht, dass es sich bei Stirner um eine Weiterentwicklung Goethes gehandelt habe. Er schreibt ihm widersprechend: Wir sind auch überzeugt, dass sein Durchdrungensein vom Gefühl für das Maß Goethe zu einer schroffen Ablehnung von Stirners These (»Mir geht nichts… ») geführt hätte.5 Sowohl Engert als auch Emge haben die 1912 erstmalig publizierte Goethe-Monographie von Georg Simmel – Goethe – als Bezugspunkt für ihre Auseinandersetzung gewählt, obwohl er selber, der das Werk Stirners kannte, ihn an keiner Stelle darin erwähnt. Ohne direkt auf einzelne Passagen in dieser Monographie im Rahmen ihrer Texte einzugehen, lässt sich mutmaßen, dass sich die Auseinandersetzung bei beiden Autoren auf das Kapitel über Individualismus bezieht. (Bernd Kast) Als weiterer Meilenstein kann die Dissertation des Germanisten Bernd Kast Die Thematik des Eigners in der Philosophie Max Stirners gelten, welche knapp vierzig Jahre später noch einmal in einer überarbeiteten Fassung unter dem Titel Max Stirners Destruktion der spekulativen Philosophie als Neuauflage erschien. Er hat eine Reihe von GoetheReferenzen in Stirners aufgezeigt, aber diese leider nicht näher untersucht. Eine nähere und systematische Analyse der Bedeutung Goethes für Stirners Denken steht insgesamt noch aus. Literaturgrundlage für Stirners Goethe Rezeption Dank der akribischen Forschung Bernd Kasts lässt sich qualifizieren, 4 Max Stirner, Der Einzige und sein Eigentum, S. 150. Diese Referenz fehlt in der Studienausgabe von Bernd Kast. Im kommenden werde ich Stirners Hauptwerk jeweils nach der von Bernd Kast editierten Studienausgabe zitieren. 5 Carl August Emge, Max Stirner, S. 4. Vgl. auch Ibid., S. 9.
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dass Stirner in seinem Werk direkt oder indirekte auf folgende Texte Goethes akquiriert6: Gedichte: Das Geheimnis; Vanitas! Vanitum vanitas! Prosa-Texte: Faust, Wilhelm Meisters Lehrjahre, Satyros oder der vergötterte Waldteufel Spruchsammlungen: Zahme Xenien, Venezianische Epigramme Gespräche: Gespräche mit J. P. Eckermann Daneben gibt es noch den Fund von Max Stirners Biograph John Henry Mackay von einer Ausgabe von H. Düntzer: Göthe’s Faust in seiner Einheit und Ganzheit wider seine Gegner dargestellt. Nebst Andeutungen über Idee und Plan des Wilhelm Meister und zwei Anhängen : über Byron’s Manfred und Lessing’s Faust, F.C. Eisen Köln 1836 mit dem Besitzvermerk Stirners, obgleich er sich bezüglich dessen Authentizität nicht ganz sicher war.7 Spuren der Goethe-Rezeption Namentliche Verweise auf Goethe finden sich bei Stirner lediglich in drei Texten: Rezension zu Theodor Rohmers Deutschlands Beruf in der Gegenwart (1842) Der Einzige und sein Eigentum (1844) Die Recensenten Stirners (1845) Daneben finden sich aber nach Auffassung von Bernd Kast auch schon in der Artikelreihe Das unwahre Prinzip unserer Erziehung (1842) Referenzen auf Goethe. Im Gegensatz zur Auseinandersetzung mit seinen direkten Zeitgenossen, den Junghegelianern, sucht man in Stirners Werk eine inhaltliche Diskussion von Goethes Ansichten umsonst. Dennoch ist sein Gebrauch nicht wie z.B. der von Friedrich Schiller auf den Aspekt der literarischen Referenz zu reduzieren, sondern ist durch die bereits oben angesprochene Verwendung der Terminologien geprägt. Rezension zu Theodor Rohmers Deutschlands Beruf in der Gegenwart In den Zeitungskorrespondenzen von Stirner findet sich lediglich in seiner für die Zeitschrift Die Eisenbahn publizierten Rezension zu Theodor Rohmers Deutschlands Beruf in der Gegenwart eine Erwähnung Goethes. Für das Journal schrieb er zwischen 1841 und 1842 mehrere Beiträge. 6 Cgl. Bernd Kast, Stirner Bibliographie. 7 Vgl. Jon Henry Mackay, Max Stirner, S. 223.
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Stirner erwähnt Goethe in dem betreffenden Beitrag lediglich namentlich – und verweist auf dessen Konzept der « freien Selbstbetätigung ». Diese Passage sagt aber nichts über Stirners eigene Position aus. Diese Passage ist daher zu vernachlässigen. Das unwahre Prinzip unserer Erziehung Bernd Kast hat in seiner Dissertation die Nähe zwischen der folgenden Passage aus Goethes Gesprächen mit J. P. Eckermann und den Grundideen aus dem Unwahren Prinzip postuliert: „Ich dächte“, erwiderte Goethe, „jeder müsse bei sich selber anfangen und zunächst sein eigenes Glück machen, woraus denn zuletzt das Glück des Ganzen unfehlbar entstehen wird. Übrigens erscheint jene Lehre mir durchaus unpraktisch und unausführbar. Sie widerspricht aller Natur, aller Erfahrung und allem Gang der Dinge seit Jahrtausenden. Wenn jeder nur als einzelner seine Pflicht tut und jeder nur in dem Kreise seines nächsten Berufes brav und tüchtig ist, so wird es um das Wohl des Ganzen gut stehen. Ich habe in meinem Beruf als Schriftsteller nie gefragt: was will die große Masse, und wie nütze ich dem Ganzen? sondern ich habe immer nur dahin getrachtet, mich selbst einsichtiger und besser zu machen, den Gehalt meiner eigenen Persönlichkeit zu steigern, und dann immer nur auszusprechen, was ich als gut und wahr erkannt hatte. Dieses hat freilich, wie ich nicht leugnen will, in einem großen Kreise gewirkt und genützt; aber dies war nicht Zweck, sondern ganz notwendige Folge, wie sie bei allen Wirkungen natürlicher Kräfte stattfindet. Hätte ich als Schriftsteller die Wünsche des großen Haufens mir zum Ziel machen und diese zu befriedigen trachten wollen, so hätte ich ihnen Histörchen erzählen und sie zum besten haben müssen, wie der selige Kotzebue getan.8“ Seiner Argumentation nach deckt sich dies mit den Grundgedanken der folgenden Passage aus dem Unwahren Prinzip: Ohne unser Zuthun bringt die Zeit das rechte Wort nicht zu Tage; wir müssen Alle daran mitarbeiten. Wenn aber auf uns dabei so viel ankommt, so fragen wir billig, was man aus uns gemacht hat und zu machen gedenkt; wir fragen nach der Erziehung, durch die man uns zu befähigen sucht, die Schöpfer jenes Wortes zu werden. 8 J. P. Eckermann, Gespräche mit Goethe, S. 673f.
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Bildet man unsere Anlage, Schöpfer zu werden, gewissenhaft aus, oder behandelt man uns nur als Geschöpfe, deren Natur blos eine Dressur zuläßt? Die Frage ist so wichtig, als es eine unserer socialen nur irgend sein kann, ja sie ist die wichtigste, weil jene auf dieser letzten Basis ruhen. Seid etwas Tüchtiges, so werdet ihr auch etwas Tüchtiges wirken; sei ‚Jeder vollendet in sich,’ so wird eure Gemeinschaft, euer sociales Leben, auch vollendet sein. 9 Die von Bernd Kast gezogene Verbindung zwischen Goethes Worten und denen von Stirner scheint mir etwas weit hergeholt zu sein. Ich werde sie daher im weiteren Verlauf meiner Untersuchung ausklammern. Der Einzige und sein Eigentum In Stirners Hauptwerk finden sich: Terminologien, die auf Goethe verweisen (fixe Idee, Eigenheit) wörtliche und abgewandelte Zitate Anspielungen auf Werke Goethes Anspielungen auf die Biographie Goethes Bernd Kast konnte in der Studienausgabe vom Einzigen über 15 Zitate und Querverweise auf Goethe nachweisen. Diese Auflistung sollte bei weitem noch nicht als abgeschlossen gelten. Goethes Terminologien in Stirners Werk Zentral für die Annahme, dass Stirner in der Tradition Goethe steht bzw. sich bewusst in dessen Tradition stellte, sind die von Goethe entliehenen Terminologien. An erster Stelle steht der Begriff der « Eigenheit ». Dieser wurde von Goethe in zweifacher Hinsicht benutzt. Das Goethe Wörterbuch benennt als Bedeutungen des Begriffs: 1. das Wesen der eigentüml. Charakter einer Person od. Sache, auch im Sinne von Originalität (...) 2. einzelner Wesenszug, spezifisches Merkmal einer Person, einer Sache, auch einer Gattung10 Im zuerst genannten Sinne benutzt Stirner ihn, wenn er beispielsweise erklärt: Die Eigenheit schließt jedes Eigene in sich und bringt wieder zu 9 Max Stirner, Das unwahre Prinzip unserer Erziehung, S. 75. 10 Goethe Wörterbuch, S. 1407.
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Ehren, was die christliche Sprache verunehrte. Die Eigenheit hat aber auch keinen fremden Maßstab, wie sie denn überhaupt keine Idee ist, gleich der Freiheit, Sittlichkeit, Menschlichkeit u. dgl.: sie ist nur eine Beschreibung des – Eigners.11 Die Prägung des Begriffs « Eigenheit » durch Goethe wird auch im von den Gebrüdern Grimm herausgegebenen Deutschen Wörterbuch betont.12 Neben diesem verweist auch u.U. der Begriff « fixe Idee » auf Goethe, obwohl dieser zu jener Zeit ein in intellektuellen Kreis verbreiteter Fachbegriff gewesen sein dürfte. Er findet sich auch im Werke Novalis und Ludwig Feuerbachs.13 Im diesbezüglichen Eintrag im Goethe Wörterbuch heißt es über die Verwendung bei Goethe: « (krankhafte) Zwangsvorstellung, auch für dauerhaft vertretene (falsche Theorie). »14 Auch hier zeigt sich, dass Stirner den Begriff im Sinne Goethes verwendet – auch wenn er dabei seine eigene Definition findet – « Eine Idee, die den Menschen sich unterworfen hat. »15 Er benutzt somit den Begriff im damals – wie auch bei Goethe – gängigen Sinn als Wahnvorstellung. Zentrale Aussagen in Goethes Worte verpackt Für seine beiden zentralen Aussagen – « Ich hab’ mein’ Sach’ auf Nichts gestellt »16 und – « Mir geht nichts über mich! »17, greift Stirner auf wörtliche bzw. leicht modifizierte Aussagen aus Goethes Werken zurück. Der Satz « Ich hab’ mein’ Sach’ auf Nichts gestellt » ist eine Verszeile aus Goethes Gedicht « Vanitas! vanitatum, vanitatis! ». (In Robert Giserkes Roman Moderne Titanen findet sich im zweiten Abschnitt « Berliner Genies » eine Referenz darauf.18) Goethes Gedicht beruht auf einem alten Kirchenlied - « Ich hab’ mein’ Sach’ Gott heimgestellt » und erschien erstmalig im Rahmen der Veröffentlichung der Geselligen Lieder.19 Die Originalstrophe in jenem Gedicht lautet: 11 Max Stirner, Der Einzige und sein Eigentum, S. 178. 12 Vgl. Deutsches Wörterbuch, S. 97f. 13 Vgl. Bernd Kast, Max Stirners Destruktion der spekulativen Philosophie, S. 145. 14 Goethe Wörterbuch, S. 1474. 15 Max Stirner, Der Einzige und sein Eigentum, S. 53. 16 Ibid., S. 13; in abgewandelter Form S. 15. 17 Ibid., S. 15. 18 Vgl. Robert Giserke, Moderne Titanen, S. 259. 19 Vgl. Johann-Christoph Emmelius, « Ich hab’ mein’ Sach’ auf Nichts gestellt. ».
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Ich hab’ mein Sach auf Nichts gestellt, Juchhe! Drum ist’s so wohl mir in der Welt; Juchhe! Und wer will mein Camerade sein, Der stoße mit an, der stimme mit ein, Bei dieser Neige Wein.20 Die dem Begriff « Nichts » zugeordnete Bedeutung unterscheidet sich dennoch grundlegend voneinander. Bei Stirners Begriff handelt es sich um ein « schöpferische Nichts » und nicht um jenes nihilistische Nichts, welches Goethe in seiner Kirchenliedparodie ausdrückt. Zwei Aspekte stechen dabei vorrangig ins Auge: - inhaltlich: der blasphemische Aspekt Goethe parodiert in diesem Gedicht ein religiöses Kirchenlied. Auch Stirners Text mit seiner immanenten Kritik am religiösen Prinzip weist blasphemische Inhalte auf, die u.a. zu einer Zensur seines Werkes führten.21 Der von ihm gewählte zweiteilige Aufbau seines Werkes wurde vereinzelt mit dem der Bibel (Altes und Neues Testament) assoziiert.22 - formell: der Aufbau der beiden Texte Goethe lässt in der ersten Strophe seines Gedichtes seinen Protagonisten das Fazit seiner Erfahrungen nennen – « Ich hab’ mein’ Sach’ auf Nichts gestellt » –, bevor er seine Entwicklung dorthin berichtet. Eine ähnliche Struktur weist Stirners Werk auf. Auch Stirner stellt seinem Werk sein Fazit in Form eines Vorworts voran, bevor er die Entwicklung beschreibt. Unter Umständen ließen sich auch noch Parallelen bei den Punkten finden, die Goethes Protagonist im Gedicht verwirft: Geld und Gut Frauen / Liebe Reis’ und Fahrt Ruhm und Ehr’ Kampf und Krieg Alle diese Aspekte können als fixe Ideen aufgefasst werden – 20 Johann Wolfgang von Goethe, Vanitas!, S. 335. 21 Vgl. John Henry Mackay, Max Stirner, S. 126f. 22 Vgl. z.B. Karl Marx / Friedrich Engels, Die deutsche Ideologie.
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besonders die Idee des Vaterlandes (Patriotismus), die ja auch von Stirner verworfen wird.23 Das Gedicht wurde in ähnlicher Weise wie von Stirner auch von Karl Grün, der ebenfalls zeitweilig dem linkshegelianischen Spektrum zugehörig war, aufgefasst. Dieser interpretierte die Passage in Über Göthe vom menschlichen Standpunkt wie folgt: « Sein Sach auf Nichts stellen, das ist der Weg zur menschlichen Freiheit, das ist die Freiheit selbst, denn die Freiheit besteht im Freisein. »24 Der Verweis auf die Herkunft jenes Leitmotivs ist mittlerweile fester Bestandteil der Rezeptionsgeschichte Stirners. Die Aussage an sich hat Stirner sowohl den Vorwurf des Narzismus (Wolfgang Eßbach) als auch den des Nihilismus (Ludgar Lütkehaus) eingebracht. Der Satz « Mir geht nichts über mich » ist eine leicht modifizierte Aussage aus Goethes Satyros oder der vergötterte Waldteufel. Hierin heißt es wörtlich: « Mir geht in der Welt nichts über mich: (/) Denn Gott ist Gott und ich bin ich! ».25 Stirner variiert diesen Satz leicht, aber die Referenz ist unverkennbar. Auch dieser Text hat einen blasphemischen Charakter. Goethes Satyr vergöttert sich selbst – ähnlich wie es ein Stück weit der Eigner Stirners tut, in dem er nichts über sich anerkennt. Dies zeigt, dass das zentrale, dem Einzigen vorangestellte Geleitwort sowohl mit den Worten Goethes beginnt als auch endet. Die Quintessenz seines Denkens drückt er somit in den Worten Goethes aus. Goethe ist darüber hinaus als Vertreter des aufkommenden Individualismus ein durchaus wichtiger Vorläufer von Stirner. Ob Goethe den Konsequenzen Stirners gefolgt wäre (Engert) oder nicht (Emge) sei dahingestellt. Goethe als Referenz und Beispiel Neben der Übernahme des Goethe’schen Vokabulars und dem Ansatz, seine zentralen Gedanken in Goethes Worten auszudrücken greift Stirner wiederholt auf seine Werke zurück26 oder führt ihn als Beispiel an27. Bis auf Goethes Faust, auf den er wiederholt akquiriert, werden die jeweiligen Texte nur einmal benutzt. Charakteristisch für diesen Gebrauch Goethes steht die folgende Passage: « Bist Du an Deine vergangene Stunde gebunden, musst 23 Vgl. z.B. Max Stirner, Der Einzige und sein Eigentum, S. 40, 70, 290. 24 Karl Grün, Göthe vom menschlichen Standpunkt, S. 256f. 25 Johann Wolfgang von Goethe, Satyros oder der vergötterte Waldteufel, S. 7. 26 Vgl. Max Stirner, Der Einzige und sein Eigentum, S. 47, 92 150, 197, 282, 300, 363. 27 Vgl. z.B. Ibid., S. 172, 328.
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Du heute plappern, weil Du gestern geplappert hast. »28 Es handelt sich nach Erkenntnis von Bernd Kast um eine Variation eines venezianischen Epigramms Goethes. Er fügt sie gekonnt in den Gedankenfluss ein. Allerdings dient diese Passage nicht wie die beiden oben genannten Passagen dazu, Stirners eigene Postulate auszudrücken. Sie bettet sich lediglich in seine Argumentationslinie ein und ließe sich u.U. durch Textpassagen anderer Dichter ersetzen. Inhaltlich bieten diese Passagen wenig Relevantes für die hiesige Fragestellung. Sie sind verstreut in seinem Werke zu finden – wie auch Anspielungen auf Friedrich Schiller – ohne dabei eine wesentliche, inhaltliche Bedeutung zum Verständnis Stirners zu haben. In ihrer Quantität und auch Vielfalt in Bezug auf die verwendeten Texte wird die Bedeutung Goethes für das Denken von Max Stirner deutlich. Alleine im Einzigen konnte Bernd Kast Anspielungen auf sieben Goethe-Texte nachweisen. Der souveräne Umgang mit ihnen unterstreicht darüber hinaus die guten Kenntnisse des Goethe’schen Werkes und legen eine intensive Rezeption dieses nahe. Recensenten Stirners Stirners Antwort auf seine Rezensenten endet mit der Erwiderung auf Moses Hess Missverständnis über sein Konzept des « Vereins von Egoisten ». Als Referenz für sein Konzept führt Stirner Goethe auf. Ein andres wäre freilich, wenn Hess egoistische Vereine nicht auf dem Papiere, sondern im Leben sehe wollte. Faust befindet sich mitten in solchen Vereinen, wenn er ausruft: Hier bin ich Mensch, hier darf ich’s sein.29 Es handelt sich um einen Vers aus dem Kapitel « Vor dem Tor » und bezieht sich auf eine Gruppe von geselligen Bauern auf dem Weg in eine Kneipe. Bernd Kast erläuterte den Rückgriff Stirners auf Goethe mit den Worten: Faust kommt, Stirner zufolge, zu dieser intensiven Selbsterfahrung erst durch den Verkehr mit anderen, und doch war sein Ziel ausschließlich ich-gerichtet, egoistisch: er suchte diese Intensität der Erfahrung, Mensch zu sein, im Umgang mit anderen und methodenbewusst ausschließlich für sich.30 28 Ibid., S. 47. 29 Max Stirner, Recensenten Stirners, S. 105. 30 Bernd Kast, Max Striners Destruktion der spekulativen Philosophie, S. 327f.
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Diese Passage lässt sich dahingehend deuten, dass Stirner sich hier lediglich auf die Autorität Goethes zurückzieht, um seinen Ideen mehr Gewicht zu verleihen. Fazit Der Rückgriff auf Goethe ist bei Stirner mehr als nur ein Rückgriff auf einen Autor des bildungsbürgerlichen Kanons, um seine eigenen Überlegungen zu legitimieren. Er zitiert Goethe zwar lediglich ein paar mal häufiger als dessen Zeitgenossen Friedrich Schiller, aber einzelne Textpassagen mit Goethebezug sind im Gegensatz zu jenen, in denen er Schiller bemüht, zentral für das Verständnis seines Werkes. Es handelt sich um die prinzipiellen Ideen, die er mit Goethes Worten ausdrückt. Ein weiterer Hinweis auf die Bedeutung Goethes für sein Denken ist die Struktur vom Einzigen. Die spezifische Struktur, dass er mit seinem Fazit in Form einer Vorrede beginnt, um danach die fixen Ideen zu analysieren, von denen es sich zu befreien gilt, ähnelt auffällig der Struktur von Goethes Vanitas!-Gedicht. Diese Aspekte verdeutlichen, dass Goethe, mehr als gemeinhin angenommen, Einfluss auf das Denken Stirners ausgeübt hat. Für die Stirner-Rezeption ergibt sich daraus die Notwendigkeit, einen (fast) vergessenen Zugang zu seinem Werk wieder in den Fokus zu nehmen und den gängigen Lesarten Stirners als Junghegelianer, Anarchisten und / oder Existenzialisten noch als « Schüler » Goethes zu lesen.
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Olivier Agard La religion de l’humanité et sa critique par Marx et Stirner L’Unique et sa Propriété est un ouvrage fondamentalement polémique, et pour le comprendre, il est essentiel de bien voir qui sont les cibles de Stirner dans le livre. Cette dimension polémique et agonale est caractéristique de l’hégélianisme de gauche, et de sa logique de surenchère dans la quête de la réalité : dans les écrits des hégéliens de gauche, bien souvent, ce sont tout autant les concurrents sur le terrain de la critique que l’ennemi réactionnaire qui sont visés. Il me semble que dans l’Unique, le cœur de cible est l’humanisme de Feuerbach, qui fait de l’homme l’objet d’une nouvelle religion, supposée remplacer la religion transcendante révélée, et fournir le principe du progrès politique et social, conçu comme un épanouissement de toutes les potentialités de l’espèce humaine. C’est assurément une grande singularité de Stirner d’avoir attiré l’attention sur les limites de cette religion de l’humanité qui faisait pourtant a priori l’objet d’un large consensus dans le camp progressiste, aussi bien dans son versant libéral que son versant socialisant ou communisant. Cette religion de l’humanité suscitait en revanche un rejet fondamental dans la pensée conservatrice et contrerévolutionnaire, mais Stirner est jusqu’à plus ample informé le premier qui la critique du point de vue d’une pensée de l’émancipation de l’individu. Quelles que soient les maladresses et les contradictions de sa pensée, il y a là un geste très fort, qui explique la réception importante de l’Unique au moment où cette religion de l’humanité progressiste est entrée en crise, la fin du XIXe siècle. Dès la parution de l’ouvrage, Engels puis Marx ont vu l’importance de ce geste, et il n’est pas resté sans impact sur l’évolution du marxisme, comme l’a démontré Henri Arvon dans son important ouvrage de 1954 sur Stirner (Aux sources de l’existentialisme : Max Stirner1). Aux yeux de Stirner, l’inventeur de cette religion de l’humanité était certes Feuerbach, mais pour comprendre la signification historique de la démarche de Feuerbach et les débats qu’elle a suscités, il est important de la resituer dans un contexte qui commence avec l’Aufklärung : ce sera l’objet d’une première partie. Dans un second
Université Paris-Sorbonne. Centre Malesherbes, 108 Boulevard Malesherbes 75017 Paris 1 Henri Arvon : Aux sources de l’existentialisme : Max Stirner, Paris : PUF, 1954.
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temps, nous examinerons l’argumentation de Stirner, avant de nous pencher sur les échos de cette critique chez Marx et sur ses prolongements à la fin du XIXe siècle. Du tournant anthropologique de l’Aufklärung à la religion de l’humanité. Comme beaucoup de commentateurs l’ont noté, il y a un lien fort entre les jeunes hégéliens et la tradition de l’Aufklärung2. Ils se pensent à bien des égards comme les continuateurs de cette tradition, comme le montre notamment l’exemple d’Arnold Ruge. L’élément de continuité le plus manifeste est celui de la critique de la religion, qui a dans le contexte allemand une coloration particulière. En effet, à la différence des Lumières françaises, plus portées à dénoncer la religion comme une entreprise obscurantiste de duperie du peuple, l’Aufklärung allemande allait globalement dans le sens d’une sécularisation visant à extraire de la religion un contenu de vérité rationnel universel, ce qui impliquait une tension, mais aussi une conciliation, entre révélation et raison, perceptible par exemple dans L’Éducation du genre humain/ Erziehung des Menschengeschlechts de Lessing. Hegel tente de résoudre cette tension en faisant de la religion un moment de l’esprit absolu : la philosophie formule d’une autre façon, par le biais du concept, ce que la religion chrétienne avait déjà compris de façon symbolique : la liberté constitue l’essence même de l’esprit et tous les hommes sont libres par définition. Aux yeux des hégéliens de droite, la philosophie hégélienne est donc une justification philosophique de la religion chrétienne. En revanche, pour les jeunes hégéliens, à l’image de Bruno Bauer, dans son célèbre texte Die Posaune des jüngsten Gerichts, dont Stirner a écrit une recension3, la philosophie hégélienne peut et doit être mise au service de l’athéisme. Dans le désir de rompre avec un conservatisme politique, qui s’appuie sur la religion, les jeunes hégéliens posent à nouveaux frais la question de la sécularisation, qui était celle de Lessing ou Kant, mais en partant de 2
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Voir par exemple Helmut Reinalter : «Die Aufklärung bei den Junghegelianern », in : Helmut Reinalter (dir.), Die Junghegelianer, Aufklärung, Literatur, Religionskritik und politisches Denken, Frankfurt/Main: Lang, 2010, p. 9-18. Bruno Bauer : « Die Posaune des Jüngsten Gerichts über Hegel: den Atheisten und Antichristen (1841) », Aalen, Scientia, 1983 ;. La recension, intitulée « Über B. Bauer’s Posaune des juengsten Gerichts », se trouve in : Max Stirner : Kleinere Schriften und seine Entgegnungen auf die Kritik seines Werkes «Der Einzige und sein Eigentum» (herausgegeben von John Henry Mackay), Frommann-Holzboog :Stuttgart,.1976, p. 11-25.
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Hegel, c’est-à-dire en se focalisant sur la conscience religieuse, et en retournant contre celle-ci la dialectique hégélienne, afin trouver, derrière ce que Hegel appelle l’« esprit », la réalité matérielle véritable. Ils radicalisent ainsi une tendance remontant déjà à l’Aufklärung, celle d’une humanisation de la religion : l’homme prend la place de Dieu, et à l’horizon transcendant et cosmologique se substitue un horizon fondamentalement humain. La philosophie hégélienne de l’esprit devient donc une anthropologie. Certes, l’Aufklärung allemande avait été le lieu d’un « tournant anthropologique », caractérisé par la prise en compte de l’homme dans sa totalité, à rebours du dualisme traditionnel du corps et de l’âme4, mais le rapport de la grande tradition idéaliste issue de l’Aufklärung à l’anthropologie était ambigu, car le sujet idéaliste, chez Kant ou chez Fichte, a vocation à réaliser une raison qui n’est pas réductible à l’homme empirique, ni à l’espèce humaine. L’idéalisme, tout en partant du sujet, récuse l’anthropologisme, c’est-à-dire la réduction de la vérité, de la chose en soi, de l’absolu, aux structures contingentes et humaines de la pensée. Tout en cherchant des médiations entre la raison et la sensibilité, cette tradition idéaliste reste marquée par un dualisme constitutif qui oppose ces deux dimensions l’une à l’autre. Kant trouve cette médiation entre liberté et nature dans le domaine du jugement esthétique, et Friedrich Schiller, délaissant le terrain de la pure théorie de la connaissance, élabore sur cette base dans les Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme une anthropologie philosophique, dans laquelle le moment esthétique, défini comme moment du jeu, est central5. Mais Schiller est un auteur à la périphérie de la philosophie et pour le paradigme idéaliste, l’anthropologie, tout en étant importante, n’est pas essentielle. On peut dire la même chose de Hegel, pour qui l’anthropologie est dans le système de la philosophie un moment de l’esprit subjectif : l’anthropologie, ce sont alors les faits humains considérés indépendamment de leur dimension culturelle, politique, institutionnelle. 4
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Hans-Jürgen Schings (dir.): Der ganze Mensch : Anthropologie und Literatur im 18. Jahrhundert : DFG-Symposion 1992, Stuttgart: Metzler, 1994. Voir aussi : Jörn Garber /Heinz Thoma (dir.) : Zwischen Empirisierung und Konstruktionsleistung. Anthropologie im 18. Jahrhundert (Hallesche Beiträge zur Europäischen Aufklärung 24), Tübingen: Niemeyer, 2004. Pour une présentation des enjeux de ce geste schillérien, voir : Wolfgang Riedel : « Philosophie des Schönen als politische Anthropologie. Schillers Augustenburger Briefe und die Briefe über die ästhetische Erziehung des Menschen », in : Olivier Agard/Françoise Lartillot (dir. : L’éducation esthétique selon Schiller : entre anthropologie, politique et théorie du beau, Paris : L’Harmattan, 2013, p. 67-125. Voir aussi : Wolfgang Riedel : Die Anthropologie des jungen Schiller:Zur Ideengeschichte der medizinischen Schriften und der "Philosophischen Briefe", Würzburg : Königshausen und Neumann, 1985.
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Dans son introduction à l’anthropologie philosophique, Christian Thies dresse une typologie des rapports possibles entre philosophie et anthropologie6. Il y a tout d’abord les courants philosophiques pour lesquels, il existe une sorte d’interdit anthropologique, et qui considèrent que la réflexion anthropologique n’apporte rien à la philosophie, voire détourne de l’essentiel, comme dans le cas de Heidegger, Derrida ou Habermas. Il y a ceux pour qui l’anthropologie est une discipline centrale, sans constituer le tout de la philosophie, et selon Thies, il faut classer là les auteurs de ce qu’on appelle l’anthropologie philosophique, au sens d’un courant de pensée du XXe siècle, représenté notamment par Scheler, Gehlen et Plessner. Enfin, il y a le cas de Hegel et Kant, que nous venons d’évoquer : l’anthropologie se situe pour eux comme on l’a dit à la périphérie de la philosophie. Feuerbach opère donc une rupture radicale à cet égard : il fait de l’anthropologie la clé de voute de tout savoir, et incarne donc un dernier type de rapport entre philosophie et anthropologie, c’est-à-dire la tendance à mettre l’anthropologie au centre de la philosophie. Feuerbach plaide ainsi pour un anthropologisme assumé, évacuant toute transcendance extra-humaine, pour la remplacer par l’immanence anthropologique, en premier lieu dans le domaine de la religion : « Der Mensch ist Anfang der Religion, der Mensch der Mittelpunkt der Religion, der Mensch das Ende der Religion7 ». Cette humanisation ne concerne pas seulement la pensée religieuse, mais la pensée philosophique en général, en tant qu’elle persiste à placer l’homme dans un horizon extra-humain, en l’occurrence, dans le cas de Hegel, celui de l’esprit. En effet, pour Feuerbach, l’objet de la philosophie ne peut être que l’homme : Die neue Religion, die Religion der Zukunft ist die Politik. In religiöser, allgemeinster Form ausgesprochen ist ihr Prinzip: Der Glaube an den Menschen als die höchste und letzte Bestimmung des Menschen und ein diesem Glauben gemäßes leben für den Menschen mit dem Menschen. Diesem gemäß muss das Prinzip der Philosophie auch ein reales Sein; ihre Aufgabe ist, den Menschen als absolutes Wesen zu fassen und zu konstruieren.8. Christian Thies: Einführung in die philosophische Anthropologie, Darmstadt: Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 2009, p. 15-17. 7 Ludwig Feuerbach: Das Wesen des Christentums, in : Sämtliche Werke, Bd. 6, Frommann Holzboog : Stuttgart, 1960, p. 222. 8Ludwig Feuerbach: Notwendigkeit einer Veränderung, cité in : Carlo Ascheri : Feuerbachs Bruch mit der Spekulation. Kritische Einleitung zu Feuerbach: Die Notwendigkeit einer Veränderung, Frankfurt/Main: Europäische Verlagsanstalt, 1969, p. 158. 6
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Le fondement de la morale n’est donc pas pour Feuerbach une raison pure absolue, mais les liens d’amour concrets entre les hommes. Sur la question de la religion, Feuerbach s’inscrit à certains égards dans le sillage de David Friedrich Strauss qui avait déjà considéré que Jésus n’était au fond que le symbole de l’humanité. Mais en faisant de Dieu une projection de l’homme, qui s’est détachée de lui et qu’il s’agit de reconquérir, Feuerbach introduit une dimension dialectique axée sur la notion d’aliénation et de réappropriation (même s’il emploie relativement peu le terme de Entfremdung) : c’est en déconstruisant dialectiquement la religion révélée, qu’on peut poser les bases de la religion humaine authentique. Toutefois, à l’intérieur de cet anthropologisme, et en introduisant une distinction entre l’individu empirique, toujours limité, et l’espèce en tant que somme de toutes perfections humaines, Feuerbach maintient au cœur de l’immanence une tension entre réalité immédiate de l’individu et idéal humain, et il n’est donc pas si loin de Kant, pour lequel les potentiels humains devaient être pensés au niveau de l’espèce. L’anthropologie de Feuerbach reste de ce point de vue une anthropologie philosophique, distincte des anthropologies naturalistes, qui livrent l’homme au règne de la nécessité et de la contingence, même si en faisant de l’homme le couronnement de la nature, elles fondent aussi, à leur façon et à l’intérieur de l’immanence, une pensée de l’éminence de l’homme. C’est pourquoi Feuerbach a finalement soutenu le camp matérialiste lors de la querelle du matérialisme du milieu des années 1850, en expliquant selon une formule devenue célèbre : « Der Mensch ist, was er isst 9». Cette religion de l’humanité, tendue vers un idéal, semble être l’expression d’une époque confiante dans le progrès humain. À la même époque, en France, Auguste Comte fonde lui aussi une religion de l’humanité, et certains observateurs soulignent la parenté entre les deux entreprises, comme Émile Saisset dans la Revue des deux mondes en 1850 : « M. Feuerbach à Berlin, comme M. Auguste Comte à Paris, propose à l’Europe chrétienne l’adoration d’un dieu nouveau, le genre humain10 ». Si elle peut légitimer la confiance positiviste dans le progrès, cette religion de l’humanité inspire aussi ceux qui s’inquiètent des conséquences du progrès technique, et sont attentifs à la souffrance sociale qu’induit l’industrialisation et sont donc désireux mettre cette 9
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Voir sur cette querelle : Kurt Bayetz, Myriam Gerhard, Walter Jaeschke : Der Materialismus- Streit (Weltanschauung, Philosophie und Naturwissenschaft im 19. Jahrhundert ; Band 1), Hamburg : Meiner, 2007. Cité in : Henri de Lubac : Le drame de l’humanisme athée, Paris : Union générale d’éditions, 1963 (10/18), p. 111.
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dernière au service de l’épanouissement de l’humanité. La religion de l’humanité est aussi à l’arrière-plan des premières utopies socialistes qui se développent en France. Ces utopies partent en effet souvent de l’idée qu’il y a une essence de l’homme, et que dans les conditions qui sont celles de la société industrielle naissante, l’homme ne peut pas réaliser cette essence (ce qui les conduit parfois à remettre en cause la dynamique du progrès elle-même). Chez Pierre Leroux, par exemple, la pensée politique a clairement un fondement anthropologique, comme le manifeste le titre de son ouvrage principal, paru en 1840 : De l’Humanité, de son principe, et de son avenir, où se trouve exposée la vraie définition de la religion et où l’on explique le sens, la suite et l’enchaînement du Mosaïsme et du Christianisme. Comme le note Laurent Fédi, l’humanité est pour Leroux à la fois notre « mère » commune, et un idéal tendu vers l’avenir, une perspective de développement infini pour chaque homme11. Comme Feuerbach, Leroux insiste sur les liens qui unissent les individus : il valorise la « communion » et la « charité » : « Un homme ne fait pas un acte et n’a pas une pensée qui n’intéresse plus ou moins le sort des autres hommes. Il y a donc nécessairement et divinement communion entre les hommes12 ». Ces termes à connotation religieuse montrent bien que cet humanisme est encore largement imprégné de valeurs chrétiennes. Chez Saint-Simon également, il y a un arrière-plan anthropologique : dans la société industrielle, l’humanité réalise sa nature. Plus que Leroux, SaintSimon insiste cependant sur le caractère évolutif et historique de cette nature humaine : l’homme est caractérisé par son pouvoir créateur, qui lui est conféré par la nature, et en ce sens, sa vision est moins anthropocentrée que celle de Leroux. Même si elle fait donc l’objet de débats, et suscite le cas échéant des réticences, on peut considérer que la religion de l’humanité était une sorte de plate-forme commune autour de laquelle la philosophie sociale française et la critique de la religion allemande pouvaient se rencontrer, d’où le sentiment d’une complémentarité entre la France et l’Allemagne, chez beaucoup de représentants du jeune hégélianisme, qui connaissaient les socialistes français par l’entremise de l’ouvrage de Lorenz von Stein Die sozialistischen und kommunistischen Bewegungen seit der dritten französischen Revolution (1842). Laurent Fédi : « La démocratie religieuse de Pierre Leroux, ou les Esséniens du monde », Le Télémaque, 1/2001 (n° 19), p. 47-56. URL : http://www.cairn.info/revue-le-telemaque-2001-1-page-47.htm DOI : 10.3917/tele.019.0047 (consulté le 9 avril 2017). 12 Pierre Leroux : De l’individualisme et du socialisme (1833), Paris-Genève : Slatkine Reprints, 1996 (préface de B. Viard), p. 68. 11
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Ainsi pour Arnold Ruge également, l’État devait être l’accomplissement de l’humanisme philosophique et n’avoir d’autre but que la réalisation de l’essence humaine. C’est sans doute Moses Hess qui a formulé plus clairement l’idée de la complémentarité franco-allemande, comme la rappelle Henri Arvon : L’esprit français et l’esprit allemand, proclame encore Moïse Hess, ont réalisé le principe fondamental des temps modernes. Mais pour faire triompher cette vérité dans la vie, ces deux moments, à savoir la liberté personnelle et l’égalité sociale, doivent s’unir. Sans le communisme français d’une part, sans l’athéisme allemand d’autre part, ni la liberté personnelle ni l’égalité sociale ne peuvent devenir une vérité réelle13. Les divers intervenants ont donc le souci de se situer par rapport à la religion de l’humanité, que ce soit pour l’approuver ou la nuancer, comme dans le cas de Proudhon par exemple, un auteur qui joue certainement un rôle important pour Stirner. Proudhon critique en effet explicitement l’humanisme en tant que divinisation de l’homme : cet humanisme fige à ses yeux l’essence humaine et ne voit pas qu’elle n’existe qu’en acte dans son actualisation sociale et collective. À l’humanisme essentialiste et spéculatif de Feuerbach, Proudhon oppose comme le fera Marx d’une autre manière un humanisme pratique. Comme l’explique Pierre Macherey, Il récuse en conséquence la thèse selon laquelle l’idée de Dieu ne serait rien d’autre qu’une image en miroir de moi-même, ce qui revient à lui attribuer le statut d’une représentation se rapportant à un objet existant, même si elle se trompe sur la nature de cet objet : le seul miroir dans lequel l’homme puisse se reconnaître, c’est la société dans laquelle il s’investit non seulement en pensée mais en acte, sous une forme non pas représentationnelle ou théorique mais pratique, ce dont témoigne son engagement dans les contradictions économiques14. Toutefois, il n’en est pas moins vrai que Proudhon s’est intéressé de près aux « humanistes » allemands, et a considéré qu’ils constituaient « la Henri Arvon : « Proudhon et le radicalisme allemand ». In : Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 6è année, N. 2, 1951. pp. 194-201. www.persee.fr/doc/ahess_03952649_1951_num_6_2_1944 (consulté le 9 avril 2017). 14 Pierre Macherey : « Le quasi-hégélianisme de Proudhon (3) », http://philolarge.hypotheses.org/951 (consulté le 9 avril 2017). 13
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partie la plus intelligente » du socialisme allemand, et ouvraient une voie « nouvelle15 ». S’il critique les humanistes allemands pour leur nouvelle religiosité, il est lui-même considéré comme trop religieux par Edgar Bauer, précisément parce qu’il n’est pas allé assez loin dans la sécularisation humaniste de la religion, et la critique philosophique de celle-ci. Ces cercles progressistes franco-allemands débattent donc, parfois de façon critique, autour de la religion de l’humanité, mais la critique la plus fondamentale ne vient pas de ces milieux qui ont pour ambition commune la conciliation du développement industriel avec la créativité et les aspirations humaines, mais de la pensée réactionnaire et contre-révolutionnaire, qui dénonce la surestimation de l’homme dont cette religion est l’expression. Dans un passage célèbre de ses Considérations sur la France, Joseph De Maistre s’adresse aux français dans les termes suivants : Dans tous vos plans de création et de restauration, vous n’oubliez que Dieu ; ils vous ont séparé de lui, ce n’est plus que par un effort de raisonnement que vous élevez vos pensées jusqu’à la source intarissable de toute existence. Vous ne voulez voir que l’homme, son action si faible, si dépendante, si circonscrite, sa volonté si corrompue, si flottante ; et l’existence d’une cause supérieure n’est pour vous qu’une théorie16. Il est intéressant de voir que De Maistre dénonce comme le fera Stirner l’abstraction du concept d’humanité qui sous-tend la déclaration des droits de l’homme : La constitution de 1795, tout comme ses aînées, est faite pour l’homme. Or, il n’y a point d’homme dans le monde. J’ai vu, dans ma vie, des Français, des Italiens, des Russes, etc. ; je sais même, grâces à Montesquieu, qu’on peut être Persan : mais quant à l’homme, je déclare ne l’avoir rencontré de ma vie ; s’il existe, c’est bien à mon insu17. Toutefois, il est clair que De Maistre ne critique pas l’universalisme au nom de l’individu, comme le fera Stirner, mais au nom de la diversité des Pierre Haubtmann : « P.J Proudhon et la pensée allemande », École pratique des hautes études, Section des sciences religieuses, Année 1958, Volume 71, Numéro 67, p. 126-128. 16 Joseph De Maistre : Considérations sur la France, suivi de : Essai sur le principe générateur des constitutions politiques (présentation de Pierre Manent), Bruxelles : Éd. Complexe, 2006, p. 135. 17 Ibid., p. 87. 15
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peuples, c’est-à-dire des communautés naturelles voulues par Dieu. La critique stirnérienne est donc d’inspiration bien différente. L’antihumanisme de Stirner. L’originalité de cette critique est en effet qu’elle se situe du point de vue d’une philosophie de l’émancipation individuelle, alors que chez de Maistre (ou Burke), la critique de la religion de l’humanité est étroitement liée à une critique de l’ambition émancipatrice elle-même, au nom de l’idée que l’homme n’est rien sans Dieu, et que l’idéal d’autonomie est l’expression d’une hybris humaine, d’une vaine tentative de s’arracher à l’ordre divin et naturel. On sait que Stirner écrira par la suite une histoire de la réaction, qui est en fait pour l’essentiel une compilation d’extraits18, et il y a dans son anti-libéralisme, certaines affinités avec cette pensée, qui explique aussi sa réception ultérieure chez certains auteurs de droite, comme Carl Schmitt19. Il me semble qu’il est toutefois exagéré de considérer comme Henri Arvon, dans une intervention datant des années 1960 que les opinions politiques et sociales de Stirner seraient foncièrement réactionnaires20. En effet, Stirner dans sa critique de la religion de l’humanité ne recourt pas à l’argument des limites de l’homme et celui de sa dépendance à Dieu. En réalité, il se situe clairement dans l’horizon des jeunes hégéliens, et l’ouvrage semble bien être le résultat direct de discussions internes au cercle des « hommes libres », que Stirner a fréquenté de près à Berlin.21 Ainsi, sur la question de la religion de l’humanité, Stirner dialogue avec Feuerbach : la structure même de l’ouvrage, avec une première partie consacrée à l’homme et une seconde partie consacrée à l’Unique, reprend et parodie la structure de Das Wesen des Christentums, qui se composait aussi de deux parties, sauf que le point d’aboutissement de la dialectique chez Feuerbach, c’est-à-dire l’homme, est chez Stirner le point de départ, le stade qui doit être dépassé. En effet, dans la première partie de son ouvrage, intitulée « Gott », Feuerbach déconstruisait la figure divine, montrant qu’il s’agissait d’une projection de l’homme en tant qu’espèce, avant d’expliquer dans une seconde partie, consacrée à l’homme, que le moment était venu de se Max Stirner : Geschichte der Reaction, Berlin : Allgemeine deutsche Verlags-Anstalt, 1852. 19 Sur la réception de Stirner par Schmitt : Bernd A. Laska: "Katechon" und "Anarch". Carl Schmitts und Ernst Jüngers Reaktionen auf Max Stirner. Nürnberg: LSR-Verlag, 1997. 20 Henri Arvon : « L’actualité de la pensée de Max Stirner », in : Diederik Dettmeijer (éd.) : Max Stirner - ou la première confrontation entre Karl Marx et la pensée antiautoritaire. Lausanne : L’Âge d’Homme 1979, p. 87-91. 21 Voir la contribution de Pauline Clochec dans le présent volume. 18
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réapproprier ces prédicats divins et d’instaurer l’humanité comme véritable sujet de ses prédicats. Pour Feuerbach, Dieu est le double fantomatique d’une humanité qui aurait réalisé tous ses potentiels, et c’est avec l’homme qu’on atteint la réalité, cette quête de la réalité étant ce qui motive en profondeur les hégéliens de gauche, qui sont tous d’accord sur le fait que Hegel, en dépit de son ambition de réconcilier l’idéal et le réel, passe à propos de la réalité vraie, la « wahre Wirklichkeit », pour reprendre une expression que l’on trouve sous la plume de Stirner (mais sous une forme ironique)22. Le problème est alors de définir cette « wahre Wirklichkeit », et c’est là qu’apparaît le désaccord. En effet, pour Stirner, et bien que Feuerbach prétende réhabiliter la sensibilité, l’homme en tant qu’espèce, même défini par l’amour et les sensations, reste chez lui un spectre, un fantôme, et il faut donc poursuivre la dialectique et la dynamique de réappropriation. La seule réalité est pour Feuerbach celle de l’Unique, c’est-à-dire de l’individu mettant en œuvre ses forces singulières et lieu d’une volonté, et ce n’est plus une « wahre Wirklichkeit », au sens emphatique d’une philosophie de l’essence, car cette volonté singulière est imprévisible et ne se laisse pas définir. Cet Unique n’est plus le sujet intellectuel de l’idéalisme mais l’homme dans son entier : la volonté, qui définit l’individu, est en effet au-delà du dualisme de l’âme et du corps. Cette volonté n’est pas comprise dans un sens intellectuel et moral, comme une volonté bonne, tournée vers le vrai : elle a un ancrage sensible et strictement individuel. Dans un passage marquant de l’ouvrage, Stirner, partant de Descartes, critique le constructivisme intellectualiste et moral, qui occulte la réalité matérielle de l’individu, en lui substituant un sujet de la connaissance abstrait, qui est aussi le sujet moral. Il me semble que Stirner est le premier penseur à dresser une véritable généalogie de cette conception du sujet, en insistant sur l’imbrication de la théorie idéaliste de la connaissance et d’une vision morale du monde, qui est par ailleurs l’expression des intérêts bien compris de la bourgeoisie, en tant qu’elle justifie in fine des hiérarchies sociales très concrètes. Il y a ainsi pour Stirner une ligne qui mène de Luther et de son individualisme religieux à la démarche cartésienne qui part du moi pensant, une ligne qui aboutit à la philosophie spéculative hégélienne, et son postulat d’une identité de la pensée et de l’être. Cette démarche généalogique, dont on pourrait bien sûr discuter la pertinence, anticipe les raisonnements de penseurs de la fin du XIXe siècle et du début du XXe tels que Nietzsche ou Max 22
Max Stirner: Der Einzige und sein Eigentum, Stuttgart: Reclam, 2011, p. 75.
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Scheler. Par sa critique de la religion de l’humanité et de tous ses présupposés moraux et cognitifs, Stirner prend à contre-pied la vision dominante de la modernité dans les cercles progressistes allemands. En effet, chez Stirner, c’est principalement le protestantisme qui se voit incriminé, alors que la plupart des progressistes allemand saluaient Luther comme un précurseur des lumières et un penseur qui était allé dans le sens de la sécularisation. Ainsi Hegel considérait que l’Allemagne n’avait pas eu besoin d’une révolution politique, du fait du protestantisme. Heine lui-même voyait en Luther un précurseur du rationalisme des lumières23. Pour Stirner, non seulement cette sécularisation est en trompe-l’œil mais elle accomplit la vérité profonde du christianisme, pour lequel Dieu s’est fait homme. Le protestantisme dédouble l’homme en distinguant l’homme intérieur qui accède à l’absolu par la foi, et l’individu extérieur, empirique et contingent. La distinction que construit Feuerbach entre « Gattungswesen » et sujet individuel ne fait que reformuler la distinction luthérienne, et en exprime même la vérité profonde. Ce dédoublement fonde également l’opposition entre citoyen et bourgeois : le citoyen est l’homme intérieur, soumis à sa conscience, tandis que le bourgeois est l’homme extérieur animé par l’égoïsme. Sur le plan politique, l’État sécularisé moderne est donc l’accomplissement ultime de l’État chrétien, un raisonnement que Stirner reprend en l’occurrence au Marx de la Question juive. C’est ce raisonnement qui explique que de façon provocante, il affirme que le Saint Empire romain germanique était une structure de pouvoir moins opprimante que l’État moderne, la pire dictature étant celle du devoir intérieur. En même temps, malgré cette déconstruction radicale du progressisme philosophique, et comme chez beaucoup de néo-hégéliens, le rapport de Stirner à cette tradition idéaliste est ambivalent. En effet, si l’on comprend bien, c’est par le biais de la philosophie de l’histoire que Stirner prétend démontrer le caractère inéluctable de l’avènement du règne de l’Unique. La première partie de l’ouvrage est en effet l’exposé du mouvement dialectique qui mène à ce stade. Pourtant, par définition, la philosophie de l’histoire, telle qu’elle s’est développée à la fin du 23
Voir par exemple son éloge de Luther, in : Heinrich Heine: Zur Geschichte der Religion und Philosophie in Deusschland, Historisch-kritische Gesamtausgabe der Werke 8/1(bearb. von Manfred Windfuhr), Hamburg : Hoffmann und Campe, 1979, 1981, p. 36 : « Indem Luther den Satz aussprach, dass man seine Lehre nur durch die Bibel selber, oder durch vernünftige Gründe, widerlegen müsse, war der menschlichen Vernunft das Recht eingeräumt die Bibel zu erklären und sie, die Vernunft, war als oberste Richterin in allen religiösen Streitfragen anerkannt ».
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XVIIIe siècle, en particulier en Allemagne entretient un rapport étroit à l’idée d’espèce humaine et à la perspective de valeurs universelles, communes à toute cette humanité. Kant insiste ainsi dans l’Idée d’une histoire universelle sur le fait que c’est bien l’espèce humaine qui est le sujet de l’histoire. Dans l’écrit fondateur qu’est Erziehung des Menschengeschlechts, Lessing parlait d’éducation du genre humain, et même Herder, pourtant critique d’une certaine forme d’universalisme, parle également en termes d’histoire de l’humanité. Par ailleurs, cette philosophie de l’histoire postule là aussi par définition l’idée d’un progrès humain, et donc la réalisation des dispositions naturelles de l’humanité, de l’essence humaine, et cela vaut y compris pour Herder, pourtant attentif à la diversité des cultures. Hegel se situe dans la continuité de cette démarche, dans une tentative de dépasser la coupure kantienne entre réalité et idéal, qui faisait que chez Kant, le progrès restait une idée invérifiable, une mise en perspective a priori des faits historiques. En essayant de montrer que l’histoire est fondée dans la logique de l’esprit, il s’agissait aussi de ne pas retomber dans le dogmatisme d’un Herder. Il paraît donc à certains égards paradoxal de fonder le règne de l’égoïsme sur une philosophie dialectique de l’histoire comme semble vouloir le faire Stirner dans la première partie de l’ouvrage, où il explique que l’égoïsme est la synthèse dialectique entre le réalisme de la philosophie antique et l’idéalisme de l’esprit. L’égoïste est en effet celui qui sait utiliser la réalité à son profit, et a donc une certaine distance envers elle, venue de l’idéalisme, mais qui utilise cette distance pour gérer la réalité à son profit. Ce modèle ontogénétique est ensuite appliqué à la phylogénèse de l’humanité, la philosophie antique étant assimilée à l’attitude réaliste, et l’ère chrétienne étant vue comme celle de l’idéal et de l’esprit. Pourtant, si dans les deux premières phases, c’est l’humanité qui est le sujet collectif, la troisième phase marque une rupture : on change de plan, on passe à une perspective existentielle centrée sur l’Unique, en un geste de rupture avec la philosophie de l’histoire, qui peut rappeler Schopenhauer ou Kierkegaard. Bien sûr, on pourrait dire que cette philosophie de l’histoire est à certains égards aussi une anti-philosophie de l’histoire, qu’elle comporte un moment fortement ironique, voire parodique : Gert Lueken a défendu l’idée que Stirner se cacherait derrière un masque : Ich glaube, Stirners Philosophie hat wenige positive Botschaften zu bieten; Stirners Philosophie ist, so wie ich sie lese, weniger politische Philosophie oder Geschichtsphilosophie, sondern eher Sprachkritik und Metaphysikkritik, Kritik an den großen 150
Erzählungen und Rechtfertigungsdiskursen24. Sans aller jusqu’à prétendre que Stirner ne prend pas sa propre argumentation et donc sa propre philosophie de l’histoire au sérieux (nous suivons sur ce point Michael Quante25), il est permis de considérer qu’il met en scène une sorte d’autodestruction des prétentions de la philosophie de l’histoire à embrasser la réalité. Stirner indique lui-même qu’il ne faut pas prendre la seconde version de sa reconstruction de l’histoire de l’humanité, qui raisonne en termes de races, complètement au pied de la lettre. Il s’agirait juste d’une manière de s’adresser à l’imagination : Die geschichtliche Reflexion über Unser Mongolentum, welche Ich an dieser Stelle episodisch einlegen will, gebe Ich nicht mit dem Anspruche auf Gründlichkeit oder auch nur auf Bewährtheit, sondern lediglich darum, weil Mich dünkt, sie könne zur Verdeutlichung des Übrigen beitragen26. Par ailleurs, la philosophie de Hegel est prise ironiquement à rebours : le « Geist » n’apparaît pas comme le progrès de la liberté, mais au contraire comme un principe de répression de cette liberté. Cela apparaît en particulier dans le lien que Stirner établit entre l’esprit et la phase dite asiatique, mongole de l’histoire, c’est-à-dire à la phase qui correspond chez Hegel à un moment où il n’existe en réalité aucune conscience de la liberté. Dans cette partie de l’ouvrage, tout en empruntant à Hegel une structure ternaire et une apparence dialectique, Stirner est en réalité déjà dans un autre paradigme que la philosophie de l’histoire issue de l’Aufklärung. Quarante ans avant Nietzsche, il ébauche à grands traits, et de façon inévitablement simplificatrice, une sorte de généalogie de l’occultation de l’individu concret et de ses intérêts matériels dans la tradition culturelle et morale chrétienne, et plus particulièrement protestante. À la différence de Nietzsche, ce n’est pas par le biais d’une philosophie de la vie, qu’il remet en cause la philosophie progressiste de l’histoire, mais par celui d’une forme d’existentialisme, comme le note Michael Quante : Gert Lueken: « Stirner als Sprachkritiker »; in: K. W. Fleming (Hg.), Stirner-Treffen (= Stirneriana 25); Leipzig (Max-Stirner-Archiv) 2003, p. 55-67. 25 Michael Quante, « Max Stirners Kreuzzug gegen die Heiligen, oder, Die Selbstaufhebung des Antiperfektionismus », in: Michael Quante, Amir Mohseni (dir.), Die linken Hegelianer : Studien zum Verhältnis von Religion und Politik im Vormärz, Paderborn : W. Fink, 2015, p. 261. 26 Max Stirner: Der Einzige und sein Eigentum, Stuttgart: Reclam, 2011, p. 71. 24
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Diese Kritik macht ihn zu einem Vorläufer des Existenzialismus, der die These vertritt, dass individuelle Autonomie nur möglich ist, wenn die Existenz der Essenz vorausgeht und sämtliche normative Setzungen ausschließt, durch die individuelle Entscheidung (den Entwurf) legitimiert werden können27. En même temps, Stirner ne partage pas le rapport à l’angoisse et la négativité qui est propre aux existentialismes du XXe siècle. À la source de l’identité, il y a une singularité créatrice : chez Stirner, le néant est créateur (« schöpferisches Nichts28 »). Et c’est pourquoi cet individualisme stirnérien, s’il se démarque de la religion de l’humanité, dont j’ai essayé de montrer comment elle appartenait au contexte du protestantisme sécularisé, emprunte quand même des impulsions à un certain libéralisme allemand marqué par ce même contexte : ainsi, la méfiance envers une philosophie de l’histoire qui occulterait l’individu au profit de la Gattung apparaît en Allemagne dès les lumières tardives et elle est constitutive de toute la tradition de la Bildung. C’était déjà un point important dans l’argumentation des Lettres sur l’éducation esthétique de l’Homme : Schiller reprochait à Kant de se focaliser sur l’espèce et de négliger le coût du progrès pour l’individu. Chez Wilhelm von Humboldt aussi, dans l’Essai sur les limites de l’État, la liberté était définie comme l’exercice individuel de forces singulières, à rebours d’une définition de la liberté comme adhésion à la raison et ses préceptes universels. L’autonomie apparaissait alors comme le développement et la mise en œuvre active d’une singularité. Toutefois, chez tous ces auteurs subsistait un horizon raisonnable et transcendant : ils ne renonçaient pas à l’idée d’un accomplissement éthique de l’humanité en tant qu’espèce, même s’ils insistaient sur le fait que cet accomplissement passait par les individus. Par ailleurs, et c’était là l’originalité du libéralisme allemand, cet accomplissement humain avait une dimension esthétique. Cette dimension esthétique n’est pas totalement absente chez Stirner, qui évoque parfois la créativité ou la génialité de l’Unique29, mais elle n’est Michael Quante: « Max Stirners Kreuzzug gegen die Heiligen, oder, Die Selbstaufhebung des Antiperfektionismus », p. 248. 28 Max Stirner: Der Einzige und sein Eigentum, Stuttgart: Reclam, 2011, p. 412. 29 Cf. Max Stirner: Der Einzige und sein Eigentum, Stuttgart: Reclam, 2011, p. 179, où Eigenheit et Genialität sont associées : « Die Eigenheit erschuf eine neue Freiheit; denn die Eigenheit ist die Schöpferin von Allem, wie schon längst die Genialität (eine bestimmte Eigenheit), die stets Originalität ist, als die Schöpferin neuer weltgeschichtlicher Produktionen angesehen wird ». Dans un autre passage (p. 298), Stirner associe égoïsme et travail créateur : « Die Organisation der Arbeit aber 27
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plus aussi nette que dans le libéralisme esthétique de Schiller ou Humboldt. Cette dimension esthétique impliquait chez eux une sorte d’harmonie de la personnalité, alors que chez Stirner, la création de soi est toujours recommencée et interrompue, le moi ne cessant de se défaire et de se refaire. Par ailleurs, contre la perspective morale de Humboldt et Schiller, propre au libéralisme allemand, Stirner en revient de façon provocante à un thème du libéralisme anglo-saxon, celui de l’égoïsme. En parlant d’Eigentum ou d’Eigenheit, il s’inscrit en faux contre l’idéalisme de la Bildung allemande, et cela est cohérent avec le fait qu’il fait un éloge appuyé de la tradition empirique anglo-saxonne. Contrairement à Humboldt, Stirner n’idéalise pas l’égoïsme : en effet, si Humboldt se faisait le chantre de l’individu et de son développement, et semblait rejoindre Adam Smith et ce qu’on appelle le libéralisme au sens restreint, avec lequel il partage évidemment la critique de l’État, cet égoïsme des individus prenait chez lui l’aspect d’une aspiration des individus à la Bildung, c’est-à-dire au développement de leur singularité, et non pas celui d’une poursuite exclusive d’intérêts matériels. Stirner prend pour sa part le parti de la réhabilitation de ces intérêts matériels égoïstes. Cela en fait-il cependant, comme le considère toute une tradition marxiste un penseur ultra-libéral, on dirait aujourd’hui libertarien, qui mènerait jusqu’à son terme la logique individualiste de la « société civile » (« bürgerliche Gesellschaft ») ? C’est ne pas voir qu’il critique aussi l’idéologie de la libre concurrence des individus, et que par ailleurs, comme le montre le concept d’« association » (Verein) des égoïstes, il a une certaine confiance dans le fait que des individus émancipés, qui ne sont plus obsédés par des idées fixes et des passions destructrices, parviendront dans des formes d’association souple à concilier leurs intérêts. L’intérêt n’exclut pas par ailleurs l’amour ou la sympathie. De ce point de vue, certains considèrent Stirner comme un des fondateurs de l’anarchisme individualiste. En réalité, comme le montre bien l’étude d’Alexander Stulpe, le livre de Stirner a alimenté des conceptions
betrifft nur solche Arbeiten, welche Andere für Uns machen können, z.B. Schlachten, Ackern usw.; die übrigen bleiben egoistisch, weil z.B. Niemand an deiner Statt deine musikalischen Kompositionen anfertigen, deine Malerentwürfe ausführen usw. kann: Raphaels Arbeiten kann Niemand ersetzen. Die letzteren sind Arbeiten eines Einzigen, die nur dieser Einzige zu vollbringen vermag, während jene “menschliche“ genannt zu werden verdienten, da das Eigene daran von geringem Belang ist, und so ziemlich “jeder Mensch“ dazu abgerichtet werden kann ».
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contradictoires de l’individu30 : individualisme égoïste de l’ultralibéralisme, individualisme coopératif et solidaire d’une certaine forme d’anarchisme, mais aussi individualisme positif du créateur génial et de la bohème artistique, ou individualisme destructeur du révolté nihiliste (c’est ce nihilisme que lui reproche Albert Camus31), et on pourrait y rajouter le narcissisme hédoniste du sujet post-moderne32. La réception de Stirner est comme une coupe transversale dans les discours que la modernité a produits sur l’individu. L’impact de l’Unique sur Marx. Nous rejoignons Henri Arvon sur le constat que cette remise en cause de la religion de l’humanité n’est pas restée sans conséquence sur Marx et l’évolution de sa pensée. Dans un premier temps, Engels est positivement impressionné par Stirner, et sa mise en avant de l’individu, ainsi qu’il l’écrit à Marx : Stirner hat recht, wenn er “den Menschen“ Feurbachs, wenigstens des Wesens des Christentums vorwirft: der Feuerbachsche Mensch ist von Gott abgeleitet, Feuerbach ist von Gott auf den Menschen gekommen, und so ist “der Mensch“ allerdings noch mit einem theologischen Heiligenschein der Abstraktion bekränzt. Der wahre Weg zum “Menschen“ zu kommen, ist der umgekehrte. Wir müssen vom Ich, vom empirischen, leibhaften Individuum ausgehen, um nicht wie Stirner, drin steckenzubleiben, sondern uns von da aus zu “dem Menschen“ zu erheben. “Der Mensch“ ist immer eine Spukgestalt, solange er nicht an den empirischen Menschen seine Basis hat. Kurz, wir müssen vom Empirismus und Materialismus ausgehen, wenn unsere Gedanken und namentlich unser “Mensch“ etwas Wahr sein sollen33. Par la suite, Marx et Engels prennent conscience que Stirner peut alimenter une remise en cause radicale du communisme, tel qu’ils commencent à le théoriser. Dans son essai sur la Question juive, dans les thèses sur Feuerbach (1845) et dans les Manuscrits de 1844, Marx reste Alexander Stulpe: Gesichter des Einzigen: Max Stirner und die Anatomie moderner Individualität, Berlin: Duncker & Humblot, 2010. 31 Albert Camus : L’Homme révolté, Paris : Gallimard, 1992, p. 84-88. 32 Philippe Corcuff : La question individualiste : Stirner, Marx, Durkheim, Proudhon, Latresnes, Le bord de l’eau, 2003, p. 37-41. 33 Karl Marx, Friedrich Engels: Werke, Band 27, (Briefe Januar 1842 bis Dezember 1851), Berlin: Dietz, 1984, p. 11-12. 30
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encore marqué par une forme d’humanisme, dont la lecture de Stirner va le détourner, dans un processus qui n’est pas sans ambivalence. Dans La question juive, il ouvre la perspective de l’émancipation humaine (« menschliche Emanzipation »), et défend l’idée d’une nature humaine universelle, en dépit des variables historiques et culturelles. Cet humanisme reste manifeste dans les Manuscrits de 1844, où il est lié à l’application de la figure de l’aliénation à la situation du travailleur dans le capitalisme, Marx considérant à la suite de Engels et de Moses Hess, qu’au stade présent du développement économique, l’homme ne s’est pas encore retrouvé lui-même, qu’il est coupé de sa propre essence, et donc incapable de réaliser son potentiel de créativité et de bonheur. Comme on l’a souvent noté, Marx en revient ici à Hegel pour réfuter la conception de Feuerbach, car de même que Hegel définissait l’homme par sa capacité à travailler la réalité et travailler sa propre nature, qui s’extériorise dans l’esprit objectif, culminant dans la Sittlichkeit, Marx définit l’homme comme un être social transformant son environnement et se transformant lui-même. Comme Stirner, il explique que l’homme de Feuerbach est un fantôme, mais la réalité, ce n’est pour lui pas tant l’individu singulier que les conditions sociales, qui déterminent l’exercice des forces productives humaines, tout en en étant le produit (c’est Moses Hess qui avait le premier défini l’essence humaine comme un ensemble de forces, et avait introduit cette idée d’un processus dynamique d’interaction avec la nature). Il est frappant de constater que Marx continue toutefois d’employer le terme de « Mensch », ou d’essence humaine (« Menschliches Wesen »), comme dans la célèbre sixième thèse sur Feuerbach (1845) : Feuerbach löst das religiöse Wesen in das menschliche Wesen auf. Aber das menschliche Wesen ist kein dem einzelnen Individuum innewohnendes Abstraktum. In seiner Wirklichkeit ist es das Ensemble der gesellschaftlichen Verhältnisse34. On trouve le même genre d’énoncés dans les Manuscrits de 1844, ou l’essence humaine est à la fois affirmée et, dans le même temps, ouverte sur la société et l’histoire, dans une sorte de décentrement : Das Individuum ist das gesellschaftliche Wesen. Seine Lebensäußerung - erscheint sie auch nicht in der unmittelbaren Form einer gemeinschaftlichen, mit anderen zugleich vollbrachten Lebensäußerung 34
Karl Marx, Thesen über Feuerbach, in: Karl Marx, Friedrich Engels, Werke, Band 3, Berlin: Dietz, 1990, p. 6.
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- ist daher eine Äußerung und Bestätigung des gesellschaftlichen Lebens. Das individuelle und das Gattungsleben des Menschen sind nicht verschieden35. La perspective reste donc humaniste, mais l’accent se déplace de l’homme en tant que Dieu sécularisé vers l’homme en tant qu’il s’accomplit pratiquement dans un processus d’humanisation de la nature extérieure et de naturalisation de lui-même, processus au terme duquel il y a le communisme : Der Kommunismus als positive Aufhebung des Privateigentums als menschlicher Selbstentfremdung und darum als wirkliche Aneignung des menschlichen Wesens durch und für den Menschen; darum als vollständige, bewusst und innerhalb des ganzen Reichtums der bisherigen Entwicklung gewordene Rückkehr des Menschen für sich als eines gesellschaftlichen, d. h. menschlichen Menschen. Dieser Kommunismus ist als vollendeter Naturalismus Humanismus, als vollendeter Humanismus Naturalismus, er ist die wahrhafte Auflösung des Widerstreites zwischen dem Menschen mit der Natur und mit dem Menschen, die wahre Auflösung des Streits zwischen Existenz und Wesen, zwischen Vergegenständlichung und Selbst-bestätigung, zwischen Freiheit und Notwendigkeit, zwischen Individuum und Gattung. Er ist das aufgelöste Rätsel der Geschichte und weiß sich als diese Lösung36. C’est ce que Marx appelle parfois un humanisme pratique, lié à un dynamisme naturel. La perspective d’une réalisation de l’essence humaine, point d’aboutissement de ce dynamisme, a une dimension utopique : Marx suppose qu’il existe une forme sociale dans laquelle les potentiels humains se réalisent, même si certains commentateurs relativisent cette dimension utopique et soulignent qu’il ne faut pas y voir la vision irénique d’une sorte d’harmonie universelle37. Certes, à partir de l’Idéologie allemande. Marx prend de façon accrue ses distances avec l’humanisme de son temps, trop associé selon lui à une vision morale de l’humanité, et il faut voir là les prémisses de ce qu’Althusser a appelé la « rupture épistémologique », à laquelle Stirner n’est pas étranger, si on en croit Arvon : 35 36 37
Karl Marx: Ökonomisch-philosophische Manuskripte (Kommentar von Michael Quante), Frankfurt/Main: Suhrkamp, 2009, p. 119. Karl Marx: Ökonomisch-philosophische Manuskripte (Kommentar von Michael Quante), Frankfurt/Main : Suhrkamp, 2009, p. 116. David Leopold, The young Karl Marx : German philosophy, modern politics, and human flourishing, Cambridge : Cambridge university press, 2007, p. 243.
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En provoquant tout particulièrement Karl Marx à se défier de ses illusions humanistes, il (Stirner, OA) a exercé une pression non négligeable sur l’évolution de la pensée socialiste. C’est pourquoi l’Idéologie allemande, qui dans l’esprit de Marx devait révéler l’inconsistance de la philosophie stirnérienne, constitue, au contraire, le témoignage irrécusable de sa valeur historique38. Il ne s’agit pas ici de rentrer dans un débat marxologique complexe, mais comme Michael Quante, il nous semble difficile de soutenir qu’il n’y a par la suite aucune continuité entre l’humanisme dialectique de l’aliénation dans les Manuscrits de 1844 et les analyses du Capital, en particulier quand on compare le marxisme a d’autres traditions philosophiques qui insistent sur le fait qu’il n’y a pas d’identité sans aliénation, comme l’anthropologie philosophique allemande, pour laquelle le fait que l’homme n’existe qu’à travers les masques qu’il crée (Plessner), et qu’il a besoin d’institutions (Gehlen) qui, loin de l’aliéner, lui permettent d’échapper au subjectivisme et au chaos des pulsions, dont ces institutions le soulagent, le déchargent dans ce que Gehlen décrit comme un processus de « Entlastung39 ». Il est toutefois clair que Marx rompt avec l’humanisme moral de Feuerbach, et que dans le contexte du milieu des années 1840, la pensée marxienne de la société et la figure stirnérienne de l’Unique représentent deux façons concurrentes de dépasser la religion de l’humanité, fondées sur deux définitions de la réalité, de la base matérielle, comme le note Wolfgang Eßbach : Aber Materialismus kann etwas höchst Verschiedenes bedeuten. Bei Marx werden religiöse Phänomene auf die Ebene eines Materialismus der Verhältnisse und ihrer Geschichte, bei Max Stirner auf die Ebene eines Materialismus des eigensinnigen Selbst bezogen. Bei Marx ist der brutale und stumme Zwang der Verhältnisse, bei Stirner die brutale Faktizität des Einzigen, meine Faktizität der Ursprung von Ideologisierung, bzw. Sakralisieriung40. Henri Arvon : Aux sources de l’existentialisme : Max Stirner, Paris : PUF, 1954, p. 147. Christian Thies: Die Krise des Individuums. Zur Kritik der Moderne bei Adorno und Gehlen. Rowohlt: Reinbek 1997. 40Wolfgang Eßbach : « Von der Religionskritik zur Kritik der Politik: Etappen jungehegelianischer Theoriediskussion», in : Helmut Reinalter (dir.), Die Junghegelianer, Aufklärung, Literatur, Religionskritik und politisches Denken, Frankfurt/Main: Lang, 2010 p. 61 (voir également : Wofgang Eßbach : Gegenzüge : der Materialismus des Selbst und seine Ausgrenzung aus dem Marxismus : eine Studie über die Kontroverse zwischen Max Stirner und Karl Marx : mit einem Anhang, Sexualität und 38 39
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La religion de l’humanité et son dépassement autour de 1900. L’impact de Stirner sur le marxisme reste de l’ordre d’une sorte d’impulsion négative : Stirner a sans doute contribué à détourner Marx de Feuerbach. Mais si l’on s’intéresse aux conséquences du geste stirnérien, on trouve une appropriation beaucoup plus positive à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, précisément lorsque les limites du progressisme inhérent à la religion de l’humanité deviennent manifestes, au moment où se développe une forme de Kulturkritik, de critique de la civilisation moderne, qui s’interroge sur la part d’ombre du processus de civilisation, montrant comment l’émancipation peut se retourner en oppression de l’individu et en paralysie de ses forces créatrices. Je me concentrerai ici sur quelques aspects de la réception philosophique de Stirner, en laissant de côté la réception plus proprement politique dans les milieux anarchistes. Les auteurs que je vais évoquer ne se réfèrent pas forcément de façon explicite à Stirner, mais ils partagent avec lui une méfiance vis-à-vis de l’humanisme progressiste, qu’ils critiquent au nom de l’individu. Comme on le sait, Nietzsche a été à cet égard un précurseur : au culte de l’homme, qui est pour lui le culte du trop humain et à la quête du bien-être collectif caractéristique du « dernier homme », il oppose la perspective du surhomme, qui ne peut s’incarner que dans des individus d’exception, et s’appuie sur la dynamique de la vie, réprimée par la morale et la religion. Cette dynamique est une dynamique du dépassement, tandis que la religion de l’humanité enferme l’homme dans son propre horizon. Dans les années 1900, Bergson ouvre comme Nietzsche la perspective du surhomme dans l’Evolution créatrice, et le philosophe français Emile Boutroux, sans doute influencé ici par Bergson, critique au nom de la capacité de l’homme au dépassement la religion comtienne de l’humanité : Là est le point contestable de la doctrine de Comte. Son positivisme clos et absolu serait légitime, si la nature humaine était une chose donnée une fois pour toutes. Il n’est que la fixation artificielle d’une phase transitoire de la vie de l’humanité, si l’homme est un être qui se cherche, qui se modifie et qui se recrée sans cesse41.
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Gesellschaftstheorie, Frankfurt/Main: Materialis, 1982, p. 109 et suivantes Émile Boutroux : Science et religion dans la philosophie contemporaine, Paris : Flammarion, 1908, p. 76.
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Pour Boutroux comme pour Pascal, l’homme passe infiniment l’homme. On ne trouve pas chez Nietzsche, Bergson, ou Boutroux de citation explicite de Stirner. En revanche, Max Scheler, un auteur, marqué par la philosophie de la vie de Nietzsche et Bergson, qui dénonce l’emprise de la religion de l’humanité, se réfère explicitement à Stirner. Pour Scheler, l’Homme est un «X » qu’il faut renoncer à définir par son essence42, et dans Vom Ewigen im Menschen, il écrit, notamment à propos du positivisme de Comte : Es gab in Europa bis zur Stunde eine weitverbreitete Denkrichtung – sie hieß Positivismus in der Philosophie, und war auch in Dichtung und Kunst lebhaft tätig Diese Denkrichtung hat all die Verehrung und Liebe, die der ältere Mensch seinem Gotte, seinen unsichtbaren Herrn und Schöpfer entgegenbrachte, auf das “große Wesen“ - wie es A. Comte nannte - , auf die Menschheit geworfen “Gott war mein erster, die Vernunft mein zweiter, der Mensch , mein letzter Gedanke“ - so sprach auch im Deutschland der sechziger Jahre des 19. Jahrhunderts Ludwig Feuerbach. Zu einem Heiligen und Fernen, den man nur in scheuer Ehrfurcht zu nahen habe, wurde emporgeschraubt, was also Comte, Feuerbach, Zola der Menschheit “großes Wesen“ nannten. Bei Friedrich Schiller findet sich- zumal in der Frühzeit seines Schaffens -ein analoges, fast religiöses Menscheitspathos43. Il a été peu relevé qu’on trouve chez Scheler des références assez nombreuses à Stirner qui a eu pour lui le grand mérite de valoriser l’individu, en dépit d’un présupposé matérialiste qui lui fait ignorer la dimension spirituelle de celui-ci, dimension chère au personnaliste qu’est Scheler : In einer ganz falschen Richtung zwar, aber auch aus einem berechtigten Motiv heraus, hat Max Stirner an den Lehren des Rationalismus Kritik geübt und daraufhin seinen anarchischen “Individualismus“ entwickelt ; er hatte ganz richtig gesehen, dass die Vernunftperson », die in allen dieselbe und doch nicht dieselbe sein soll, ein unmöglicher Begriff ist, und dass zur Person die Individualität wesensmäßig gehöre (…) Für allen “Auslebeindividualismus“ bleiben trotz der philosophischen UnbeMax Scheler: « Zur Idee des Menschen » (1915), in: Vom Umsturz der Werte: Abhandlungen und Aufsätze (GW 3), Bern und München, Francke, :1972, p. 171-195. 43 Max Scheler: Vom Ewigen im Menschen (GW 5), Bouvier: Bonn, 2000, p. 104. 42
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deutendheit seiner Lehre die Quelle und die Art seiner Irrtümer sehr lehrreich. Zeigt sich doch, dass seine Lehre und jene Kants und seiner Nachfolger ebendenselben Mangel zur Grundlage haben: das Nichtsehen der geistigen Individualität und die Annahme, dass erst die Leiblichkeit die Person individualisiere44. Même si l’arrière-plan philosophique de Scheler n’est évidemment plus celui du jeune hégélianisme mais plutôt celui d’une phénoménologie teintée de philosophie de la vie, et de catholicisme, on trouve chez lui des réminiscences évidentes de Stirner, dans la critique du versant répressif de la modernité, et comme Stirner, Scheler incrimine en particulier le protestantisme, et dénonce la répression de la vie dans le capitalisme puritain protestant, qui lui paraît un recul par rapport à une tradition chrétienne, en particulier thomiste qui se refuserait à diaboliser le corps et, insiste sur l’unité qu’il forme avec l’âme : dans le puritanisme, la raison est devenu un système d’espionnage et de police contre toutes les impulsions naturelles (« Spionage und Polizeisystem gegen alle natürlichen Regungen45 »), et alimente la méfiance de chacun envers son prochain, ainsi que la méfiance envers l’organisation pulsionnelle humaine (« Trieborganisation »). On peut mettre en rapport ce texte avec ce passage de Stirner, qui valorise (d’une façon toute relative cependant) le catholicisme au dépend du protestantisme, et utilise également l’image de la surveillance policière : Der Protestantismus hat den Menschen recht eigentlich zu einem “Geheimen-Polizei-Staat“ gemacht. Der Spion und Laurer “Gewissen“ überwacht jede Regung des Geistes, und alles Tun und Denken ist ihm eine “Gewissenssache“, d.h. Polizeisache46. On comprend donc comment la critique stirnérienne peut rencontrer un terrain favorable à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, et on comprend également que la comparaison entre l’Unique et le surhomme nietzschéen constitue un point de passage obligé des études sur Stirner qui paraissent à l’époque, notamment en France. Cette comparaison est notamment l’objet de l’ouvrage d’Albert Lévy Stirner et Nietzsche, de Max Scheler: Der Formalismus in der Ethik und die materiale Wertethik: Neuer Versuch der Grundlegung eines ethischen Personalismus (GW 2) Bern u. München: Francke, 1980, p. 504. 45 Max Scheler: « Der Bourgeois und die religiösen Mächte », Vom Umsturz der Werte: Abhandlungen und Aufsätze (GW 3), Bern u. München: Francke, 1972, p. 376. 46 Max Stirner: Der Einzige und sein Eigentum, Stuttgart: Reclam, 2011, p. 97. 44
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190447. Selon lui, il manque à l’égoïste stirnérien cette dimension héroïque qui caractérise en revanche l’Übermensch. L’Übermensch se fixe un but supérieur, et pour l’atteindre, se soumet à une discipline : Selon Stirner, le Moi n’a ni devoir, ni vocation, ni mission : il n’a qu’à jouir de soi (…). Nietzsche, au contraire, substitue au Dieu mort le Surhomme, dont il veut préparer la naissance ; il a besoin de voir un but devant lui ; l’âme héroïque ne veut pas renoncer à sa plus haute espérance ; la liberté lui est indifférente si elle ne permet pas une grande œuvre (…). Stirner veut, en déclarant que le Moi est surhumain, l’affranchir de tout idéal humain ; tandis que Nietzsche, en prêchant le Surhomme, veut précisément révéler à l’humanité l’idéal qui lui fait défaut, depuis la mort de Dieu surtout48. Nietzsche en appelle au développement d’une nouvelle aristocratie, là où Stirner se révolte contre toute forme de hiérarchie : Tandis que Stirner nie toute tradition au nom de la liberté, Nietzsche s’efforce de concilier la stabilité nécessaire à tout organisme et l’aptitude au progrès ; tandis que Stirner invite chaque individu à rejeter les chaînes du passé, Nietzsche croit devoir réserver la liberté à une élite d’esprits supérieurs49. Victor Basch rejoint tout à fait ce jugement dans son ouvrage sur Stirner, lorsqu’il explique que Nietzsche se réfère à des valeurs positives, aristocratiques qui supposent une discipline50. Pour Lévy et Basch, Nietzsche donne en réalité une forme politiquement plus réaliste et directement utilisable à l’individualisme radical de Stirner. Il est remarquable que Basch et Levy sont clairement de gauche, de sensibilité socialiste, mais considèrent qu’il y a dans l’individualisme anarchique de Stirner et Nietzsche, et dans leur éloge de la force créatrice des individus, une part de vérité, dans la mesure où ils estiment que la logique égalitaire dont la modernité est porteuse, à travers l’idée de l’État de droit, et de l’État social devrait faire davantage d’espace à la force créatrice des individus. Comme on le lit dans une recension contemporaine de l’ouvrage de Basch, ce dernier
Fac-Similé : Albert Lévy : Stirner et Nietzsche (1904), Paris : Stalker, 2006. Albert Lévy : Stirner et Nietzsche (1904), Paris : Stalker, p. 66-67. 49 Albert Lévy : Stirner et Nietzsche (1904), Paris : Stalker, p. 72-73. 50 Victor Basch : L’Individualisme anarchiste, Max Stirner, Paris : Alcan, 1904. 47 48
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montre que l’individualisme absolu de Stirner et le socialisme égalitaire expriment deux tendances irréductibles de la nature humaine. Ses préférences vont à une doctrine qui, réservant à chaque individu, selon la force qui réside en lui, sa part de vie et de joie, mais le garantissant aussi contre les énergies déchaînées des autres individus, unirait, en une synthèse plus parfaite que notre droit actuel, ce qu’il y a d’humainement vrai dans l’anarchisme et dans le socialisme51. Basch et Lévy retiennent de Nietzsche et Stirner une impulsion susceptible de corriger les effets négatifs de la dynamique égalitaire moderne, car ce sont des auteurs qui apportent « un contrepoint individualiste dans une évolution socialiste de l’histoire52 ». In fine, dans ce type de réception, dans les années 1900, Stirner est récupéré dans une vision qui n’abandonne au fond pas la perspective du progrès collectif et de l’épanouissement de l’humanité, ou plutôt de la surhumanité. En effet, cette critique de la religion de l’humanité s’accompagne de ce que Vladimir Jankelevitch appelle au sujet de Bergson un « anthropocentrisme supérieur53 », qui met en valeur la capacité créatrice de l’humanité, son aptitude à rompre avec les déterminismes, mais considère toutefois que cette aptitude se manifeste prioritairement chez des individus exceptionnels (par exemple le grand mystique, dans Les deux sources de la morale et de la religion). François Azouvi évoque à propos de la réception de l’Evolution Créatrice de Bergson (parue en 1907), cette invocation de l’homme nouveau54. Il cite un article de 1913 d’André Colomer, animateur d’une éphémère revue d’inspiration nietzschéenne et intitulée Action d’art. Pour Colomer, le vrai Bergson est le compagnon de Max Stirner, et Colomer décrit ainsi le mot d’ordre de l’héroïsme individualiste :
Voir le commentaire d’A Rivaud dans sa recension de l’ouvrage de l’ouvrage de Basch : « L’individualisme anarchiste. Max Stirner », in : Annales de Bretagne. Tome 19, numéro 4, 1903. pp. 646-648. www.persee.fr/doc/abpo_0003391x_1903_num_19_4_4088-t1-0646_0000_2 (consulté le 9 avril 2017). 52 Michel Espagne, « Lecteurs Juifs de Nietzsche en France autour de 1900 », in : Dominique Bourel, Jacques Le Rider (dir.) : De Sils-Maria à Jérusalem : Nietzsche et le judaïsme, les intellectuels juifs et Nietzsche, Paris : Cerf, 1991, p. 237. 53 Vladimir Jankélévitch : Henri Bergson, Paris : PUF, 1959, p. 52. 54 François Azouvi, « Le magistère bergsonien et le succès de l’élan vital », in : Anne Fagot-Largeault, Frédéric Worms (dir.) : "L’évolution créatrice" 1907-2007 : épistémologie et métaphysique, (Annales bergsoniennes ; 4), Paris : PUF, 2008, p. 85-93. 51
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Être des hommes nouveaux, en restant soi-même héroïquement… Que chacun de nous repousse la vieille peau usée de l’homme social, pour se dresser plus fort, plus beau, avec au front la fleur nouvelle de son idéal personnel55. On est je pense ici assez loin de l’horizon intellectuel de Stirner, car l’Unique n’est pas un mégalomane qui a de grands projets pour l’humanité, mais quelqu’un qui préfère exercer ses forces sur ce qui est réellement à sa portée, et qui accepte ses limites, car c’est la meilleure façon de ne pas être assujetti à des idées fixes. Si la notion de dépassement est bien présente, par exemple dans la critique de Feuerbach56, elle est liée au fait que l’unique ne se laisse jamais enfermer dans une identité, qu’il est constamment dans la rupture, dans la destruction et la reconstruction. Cette reconstruction a certes un aspect créateur, mais il ne s’agit pas là d’une mission à l’échelle de l’humanité. C’est le XIXe siècle finissant qui accentue la dimension héroïque, surhumaine dans la critique de la religion de l’humanité.
André Colomer : « Soyons des hommes nouveaux », L’Action d’Art, 25 septembre 1913, p. 1. 56 « Allein die Gattung ist nichts, und wenn der Einzelne sich über die Schranken seiner Individualität erhebt, so ist dies vielmehr gerade Er selbst als Einzelner, er ist nur, indem er sich erhebt, er ist nur, indem er nicht bleibt, was er ist», Max Stirner : Der Einzige und sein Eigentum, Stuttgart: Reclam, 2011, p. 200. Dans le même passage, Stirner explique qu’il est préférable de ne pas arriver à grand-chose en agissant par ses propres moyens que de se laisser dicter des buts ambitieux par d’autres que soi. 55
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Christina Stange-Fayos* Der Einzige und sein Eigentum im politischen und sozialen Kontext des Vormärz
Der Einzige und sein Eigentum von Max Stirner erschien Ende Oktober 1944 in Leipzig vordatiert auf 1845 beim liberalen Verleger Otto Wiegand, während des sogenannten Vormärz ─ einer Auf- und Umbruchszeit, sowohl im politischen als im wirtschaftlichen Bereich. Selbst wenn man die Anfänge dieser Periode im allgemeinen in das Jahr 1815 zurückverlegt, kann der eigentliche „Vormärz“ – als Vorbereitung der Märzrevolution – auf die Periode zwischen 1840 und 1848/49 reduziert werden1. Das Jahr 1840 markiert tatsächlich einen Wendepunkt in der deutschen Geschichte, und zwar aus drei verschiedenen Gründen. Erstens: wegen der durch die Rheinkrise von 1840 ausgelösten nationalen Begeisterungswelle. Diese lässt sich in ihrer Intensität nur mit den hochgepeitschten Nationalgefühlen der Befreiungskriege vergleichen. Zweitens: wegen der Hoffnungen, die sich mit der * Université Toulouse 2 Jean Jaurès, CREG /EA4151. 1 „Was ist nun Vormärz wirklich? Im Hinblick auf die Literatur lassen sich dabei etwa fünf Phasen innerhalb der Periode zwischen 1815 und 1848 unterscheiden. Die erste Phase wäre die Zeit zwischen 1815 und 1820, die durch den Geist der enttäuschten Befreiungskriege und Burschenschafter charakterisiert wird. Ihre Aktionen, und zwar das Wartburg Fest 1817 und die Ermordung Kotzebues 1819, führten zu den Karlsbader Beschlüssen und schließlich zur Wiener Schlussakte 1820, durch welche die Unterdrückung jeder nationalen Prägung und sogar in der Bundesverfassung verankert wurde. Darauf folgte zwischen 1820 und 1830 eine relativ ruhige Zeit, d.h. ein Jahrzehnt strenger Zensur, das zu einer ersten Ausbreitung biedermeierlichen Geistes führte. Mit dem Jahr 1830, ausgelöst durch die Pariser Juli Revolution, beginnt dann die jungdeutsche Periode. Ihr Merkmal ist ein wesentlich liberalerer Ton, der erst durch das 1835 im Frankfurter Bundestag ausgesprochene Verbot jeder Form von Tendenzpoesie wieder auf ein Minimum reduziert wird. Die Jahre zwischen 1835 und 40 wirken daher – rein äußerlich betrachtet – ebenso biedermeierlich wie die zwanziger Jahre. Doch trotz aller Zensur macht die Literatur dieser Ära einen viel gespannteren Eindruck, da sich zu den nationalen Ressentiments gegen die Metternichsche Restauration nun auch in gesteigerte Maße politisch liberale Widerstände gesellen. Was für den eigentlichen Vormärz übrig bliebe, wäre nach dieser Einteilung lediglich die Zeit zwischen 1840 und 1848, also die unmittelbare Vorbereitung der März Revolution und der Wahlen zum Frankfurter Paulskirchenparlament.“ Jost Hermand (Hrsg.), Der deutsche Vormärz, Reclam: Stuttgart, 5 1985, S. 359.
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Thronbesteigung Friedrich Wilhelms IV. von Preußen verknüpften. Dieser erließ im August 1840 eine Amnestie für alle politischen Vergehen, und im Dezember 1841 eine Lockerung der Zensurbestimmungen in Preußen. Drittens: wegen des Auftretens der Jung- und Linkshegelianer um 1840, deren neuer Radikalismus die jungdeutschen Bestrebungen plötzlich als harmlos erscheinen ließ2. Die Linkshegelianer wenden sich mit ihrer ‚kritischen Kritik’ gegen eine Wirklichkeit, die dem Menschen so fremd geworden ist, dass er in ihr sein eigentliches Wesen nicht wiedererkennen kann. So wird bei ihnen Entfremdung zu einem gesellschaftskritischen Befund. Mit ihrer Zeitkritik ohne Versöhnung beginnt die Destruktion des hegelschen Überbaus der Versöhnung3. Diese „Zeitkritik ohne Versöhnung“ zielt auf die „deutschen Zustände“: politisch die Restauration und die noch ungelöste nationale Frage, sozial der Pauperismus im Zuge der beginnenden Industrialisierung, ideologisch die Religion nach der Dekonstruktion Gottes, den Feuerbach durch die Menschheit ersetzt hatte. Das Individuum ist nach der Auflösung der auch sicherheitsstiftenden Standesunterschiede und Standesschranken verunsichert. Angesichts dieser Verunsicherung (Entfremdung) und Krisenstimmung glauben die Junghegelianer nicht daran, dass das Bestehende vernünftig ist oder werden kann. Die Auseinandersetzung mit der Wirklichkeit als neue, praxisorientierte Aufgabe der Philosophie steht im Mittelpunkt der sogenannten Kritik. Auch bemerkt der Herausgeber, Ahlrich Meyer, im Nachwort zur Neuauflage des Einzigen 1981, er würde heute die Betrachtungen nunmehr insbesondere „auf den Zustand der ‚deutschen Ideologie’ im Vormärz richten, in jenem […] Spannungsfeld von frühindustrieller Massenarmut, Massenrevolten und den 1848erKonzepten der Modernisierung, der Entwicklung des Fabriksystems und der bürgerlich-demokratischen Etappe […]“4. Es soll im Folgenden jedoch nicht darum gehen, Max Stirner in eine Zeitlichkeit zu zwängen, insbesondere als seine Auflehnung ja gerade gegen den Zwang an sich gerichtet ist. Er kritisiert weniger die Inhalte, als die erzwungene Anerkennung der Inhalte als Macht über das Ich – und somit alle 2 Ebda. S. 360-361. 3 Georg Bollenbeck, Eine Geschichte der Kulturkritik Von J.J. Rousseau bis G. Anders, Beck: München, 2007, S.132. 4 Max Stirner, Der Einzige und sein Eigentum, Reclam: Stuttgart 2011, S. 462. (Ab nun, Abk. EE.)
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Zwänge; insbesondere jedoch auch die kollektiven Zwänge, die seine Epoche (im Zuge der neuen Herrschaft der Menschheit) charakterisieren. I. Die ungelöste nationale Frage: Der Autor des Einzigen erwähnt des Öfteren die Nationalbewegung und ihre Vertreter, die „Nationalen“ – z.B. auf S. 270: „Durch die heurigen [heutigen] „Nationalen“ ist der Streit wieder rege geworden zwischen denen, welche bloß menschliches Blut und menschliche Blutsbande zu haben meinen [die „Humanen“, laut Stirner], und den andern, welche auf ihr spezielles Blut und die speziellen Blutsbande pochen [die „Nationalen]“5 In der Tat flammte das Nationalbewusstsein in den 1840ger Jahren wieder auf. Nach einer Niederlage der französischen Orientpolitik entfachten französische Nationalisten nämlich Anfang 1840 eine Kampagne, in der sie den Rhein als die „natürliche“ Grenze zwischen Deutschland und Frankreich propagierten. Sie lösten somit in Deutschland ein Zustand nationaler Erregung aus. Diese Empörung drückte sich vor allem durch eine Reihe von Deutschland-und Rheinliedern aus, die noch durch viele Jahrzehnte hindurch den deutschen Nationalismus und den antifranzösischen Affekt nährten. Auch andere Gelegenheiten, wie zum Beispiel das Kölner Dombaufest 1842 oder die „Tausendjahrfeier des Reichs“ 1843 stärkten die Nationalbewegung von neuem. Preußen, wo seit 1840 Friedrich Wilhelm IV. herrschte, spielte dabei eine führende Rolle6. Ende des 18. Jahrhunderts waren in ganz Europa politische Bewegungen entstanden, die sich für nationale Einigung auf freiheitlicher Grundlage einsetzten; in Deutschland setzte diese Entwicklung vergleichsweise spät ein. Im „Heiligen Römischen Reich deutscher Nation“ wurden die politischen Verhältnisse noch ganz von den überkommenen Strukturen des spätabsolutistischen Obrigkeitsstaats bestimmt. Zwar hatte es auch in den deutschen Territorien verschiedentlich Kritik am Ancien Régime gegeben, aber Entwicklungen, die die bestehende Ordnung ernsthaft in Frage stellten, waren lange Zeit nicht zu erkennen. Erst die napoleonischen Expansionen Anfang des 19. Jahrhunderts erschütterten die alten Regime und setzten einen umfassenden politischen Modernisierungsprozess in Gang7. Reformen in 5 EE, S. 270 [Anm. C. S.-F.]. 6 Gilbert Krebs / Bernard Ploni (Hrsg.), Volk, Reich und Nation 1806-1918, PIA: Asnières, 1994, S. 72. 7 Max Stirner bemerkt, Napoleon (dessen Willen er bewundert – würde er zu den
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den von Frankreich okkupierten Rheinbundstaaten sowie die Einsicht in die offensichtliche Unterlegenheit der alten Ordnung lösten auch in anderen deutschen Staaten, allen voran in Preußen, Reformbemühungen aus. Zugleich trug der Widerstand gegen die französische Okkupation zur Formierung einer deutschen Nationalbewegung bei, die nicht nur eine Befreiung der französisch besetzten Gebiete anstrebte, sondern auch Forderungen nach nationaler Einheit und politischer Selbstbestimmung propagierte. Schon ab Seite drei findet man im Text das Wort „Vaterland“ (insgesamt 28 Okkurrenzen im EE): „Was soll nicht alles meine Sache sein! Vor allem die gute Sache, die Sache Gottes, die Sache der Menschheit […]; ferner die Sache Meines Volkes, Meines Fürsten, Meines Vaterlandes […]8“.Vaterland wird bei Stirner mit Volk (auf S. 325) und Patriotismus (S. 327) in Verbindung gesetzt, doch nicht im positiven Sinne: „Vaterlandsliebe, als Patriotismus ‚gepredigt’“, die Wahl des Verbs „predigen“ ist aufschlussreich9. Vaterlandsliebe sei nämlich eine „religiöse Liebe“ und wie jede „uneigennützige Liebe“ (in „“ im Text) – eine Selbsttäuschung). A.a.O. liest man, das Vaterland sei „heilig“ (S. 46) – wenn auch das hier nicht unbedingt mit „christlich“ gleichzusetzen, sondern als fixe Idee dem religiösen Prinzip zugeordnet werden kann. Dennoch ist für das deutsche nationalpolitische Denken dieser Epoche die Verbindung von Nationalität und Christlichkeit charakteristisch.10 Als paradigmatisches Beispiel dafür erscheint Theodor Körner, im EE von Stirner namentlich zitiert: „[…] wie Körner für Gott, König u Vaterland stirbt“11. Tatsächlich war der 22jährige in den Befreiungskriegen gefallen. Davor hatte er in einem Brief an seinen Vater geschrieben: « Deutschland steht auf. […] Meine Kunst seufzt nach ihrem Vaterland… Lass mich ihr würdiger Jünger sein.“ 12 Ferner bemerkt der Autor de EE: „Die Nationalität ist meine Eigenschaft, die Nation aber meine Eignerin und Herrin“ (S. 270). Ihm geht es um die Befreiung des Einzigen von fixen Ideen - und die Idee der Nation ist eine solche. Darüber hinaus erscheint die Egoisten gehören?) habe „sich den Kontinent geholt“. EE, S. 288. 8 EE, S.3. 9 EE, S.327. 10 Wolfgang Hardwig / Helmut Hinze (Hrsg.), Vom Deutschen Bund zum Kaiserreich 18151871, Deutsche Geschichte in Quellen und Darstellung Bd. 7, Reclam: Stuttgart 2011 [1997], S. 247. 11 EE, S. 65. 12 Krebs/Poloni (Anm. 6), S. 26. Herv. C. S.-F.
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Nationalbewegung nicht als Macht, die das Rad der Geschichte nicht vorantreibt (die Geschichte ist im Werk Stirners, der bei Hegel studiert hat, allgegenwärtig). Jedenfalls verweigert der Egoist die Vaterlandsliebe als „Liebesdienst“ (S. 258); in diesem Sinne wird er sich überhaupt nicht am Staatswesen beteiligen: „Alle Staaten sind aber religiöse und respektive ‚christliche Staaten’ und setzen ihre Aufgabe darin, die Unbändigen, die ‚Egoisten’, unter das Band der Unnatur zu zwingen, d.i. sie zu christianisieren. Alle Anstalten des christlichen Staates haben den Zweck der Christianisierung des Volkes“13. Doch die Nichtbeteiligung am Staat hat in fine andere Ursachen als das Zurückweisen der Vaterlandsliebe. Der Staat ist ein fixes Gebilde, was konträr zur freien Vereinigung im Sinne des „Vereins von Egoisten“ steht. Der Staat: das war seit 1815 und dem Wiener Kongress – zur Zeit des Entstehens sowie der Veröffentlichung des EE – der „Deutsche Bund“. Nach den Befreiungskriegen14 und dem Sieg über Napoleon verhandelte der Wiener Kongress von September 1814 bis Juni 1815 über eine Neuordnung der europäischen Staatenwelt. Die Verhandlungen wurden wesentlich von dem Bemühen um eine Wiederherstellung (Restauration) der vorrevolutionären Ordnung geprägt. Während außenpolitisch die Wiederherstellung des Machtgleichgewichts der europäischen Staaten angestrebt wurde, sollte im Innern das monarchische Staatsprinzip möglichst ohne Zugeständnisse an liberale und demokratische Ideen wieder zur Anwendung gebracht werden. Statt des von vielen erhofften Nationalstaats riefen die deutschen Fürsten den Deutschen Bund ins Leben. Dieser umfasste 37 Fürstentümer und vier Freie Städte. Einziges Bundesorgan war die unter dem Vorsitz Österreichs tagende Bundesversammlung in Frankfurt am Main, die später den Namen 13 EE, S. 247-248. 14 Von einer Erhebung zu sprechen wäre übertrieben. Doch das gebildete Bürgertum die akademische Jugend hatte aktiven Anteil an dieser nationalen Bewegung. Daher ist es verständlich, dass in diesen Kreisen die Zukunftserwartungen und die Enttäuschung am größten waren. In diesen Jahren wurden unzählige Überlegungen, Vorschläge, Entwürfe über die Zukunft Deutschlands angestellt: „An dieser Diskussion beteiligte sich die gesamte deutsche Intelligenz. Sie hatte sich für die Befreiung vom fremden Joch eingesetzt, getragen von der Hoffnung auf ein kommendes Reich der (nationalen) Einheit und der (verfassungsmäßigen) Freiheit und Gleichheit. Diese Erwartungen und Hoffnungen konnten in der Folgezeit nur enttäuscht werden durch die vom Wiener Kongress versuchte Restauration und durch die Haltung vieler Regierungen, die nicht nur die meisten ihrer Versprechungen vergaßen, sondern auch vielfach versuchten, schon eingeführte Reformen wieder rückgängig zu machen.“ Krebs/Poloni (Anm. 6), S. 10.
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„Deutscher Bundestag“ erhielt. Obwohl die Gestaltungsmöglichkeiten des Deutschen Bundes angesichts der Schwerfälligkeit seiner institutionellen Einrichtungen eingeschränkt waren, erwies er sich lange Zeit als ein effektives Instrument zur Unterdrückung oppositioneller Bestrebungen. Den führenden Staatsmännern auf dem Kongress ging es darum, eine gemeinsame Position gegen die liberalen und nationalen Bewegungen zu beziehen15. Noch zu erwähnen bleibt in diesem Kontext die Schließung der Heiligen Allianz: Auf Veranlassung von Zar Alexander I. wurde im September 1815 zwischen Russland, Österreich (Kaiser Franz I.) und Preußen (Friedrich Wilhelm III.) die so genannte Heilige Allianz geschlossen. Die Staaten sollten nach den „Grundsätzen des Christentums, der Gerechtigkeit und der Liebe“ geleitet werden. Das christliche Friedensgebot sollte als Richtschnur außenpolitischen Handels fungieren – diese Allianz diente natürlich auch der Machtsicherung. Schwebte Alexander I. tatsächlich zunächst eine Solidarität der Völker vor Augen, machte Fürst von Metternich (Kanzler des Deutschen Bundes), der dem Projekt skeptisch gegenüber stand, aus dieser eine Solidarität der Monarchen. Die Mitgliedstaaten bekannten sich zum Gottesgnadentum, zur Gültigkeit aller derzeit bestehenden monarchischen Rechte und zu einem patriarchalischen Verständnis von Herrschaft. Die im Vertragstext noch unverbindlich formulierte Beistandsabrede zur Wahrung des territorialen und politischen Status quo in Europa wurde in den folgenden Jahren präzisiert und führte dazu, dass die Allianz das Interventionsprinzip vor allem gegen revolutionäre Erhebungen festschrieb16. Die Heilige Allianz ist somit eine politische und ideologische Entscheidung zugleich; mit ihr beginnt die Zeit der Restauration („Ära Metternich“), d.h. die Unterdrückung des politischen Liberalismus. Im EE kommt der Begriff „Christentum“ 88 Mal vor (zählt man die Okkurrenzen von Christ, (un)-christlich, Christenmensch usw. mit, sind es über 300.) Trotz noch so kühner Theorien unterliegen laut Stirner alle der christlichen Weltanschauung (die „Liebe“ – auch äußerst häufig verwendet). Alle, d.h. die Hegel und Feuerbach, die Liberalen und die Kritiker oder „Freien“… Das Christentum schlägt sie alle in seinen Bann. Ihm geht es seinerseits darum, den „Zauberkreis der 15 Auf S. 270 oben spielt Stirner mit den Wörtern „Bund“ und „Band“; er parodiert somit womöglich Hoffmann von Fallerslebens Gedicht Der deutsche Zollverein. (Erstausgabe der Politischen Lieder 1840/41 bei Campe). 16 Hardwig / Hinze (Anm. 10), S. 58.
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Christlichkeit zu brechen“17. Die Fokussierung auf das Christentum ist allerdings nicht gegeben. Es ist eher die Religion an sich, die Stirner hier im Sinne des Christentums diskutiert; die Relevanz des Begriffs Christentums ergibt sich aus der Tatsache, dass er sich mit den beiden Religionskritikern Feuerbach und Bauer explizit auseinandersetzt, deren Religionskritik auf das Christentum fixiert blieb. Faktum ist also, dass die Zeitgenossen sich von den Grundideen der Religion bzw. des Christentums nicht vollends lösen (obwohl sie glauben, es zu tun): der Liberalismus z.B. erscheint somit im EE als die Fortsetzung des Protestantismus. II. Die Liberalen Im dritten Abschnitt der ersten Abteilung („Der Mensch“) geht der Autor des EE auf drei zeitlich aufeinanderfolgende geschichtliche Formen des Liberalismus ein18; keine Liberalismen im heutigen Sinne allerdings, er behandelt vielmehr den Liberalismus, den Sozialismus und den Humanismus. Liberalismus, vom Latein (frei), bezeichnet eine Weltanschauung, die vom Primat der individuellen Freiheit ausgeht, vom Recht auf freie Entfaltung des Einzelnen. Dennoch wird sie von Stirner kritisiert (er glaubt nicht an die Freiheit als „Idee“19). Spezifisch für Deutschland erscheint, dass die liberale Bewegung eng verbunden mit der nationalen erscheint (man spricht von „Einheits-und Freiheitsbewegung“). Hier könnte man auch zwischen drei Etappen unterscheiden: den Befreiungskriegen, der Restauration, und den Jungdeutschen in den dreißiger Jahren – einem Frühliberalismus, der sich dann radikalisiert, und den vierziger Jahren, die ihrerseits als „Flegeljahre des Liberalismus“ galten. Überblick: Stirner und „die Freien“, EE S. 106 -167. *§ 1 Der politische Liberalismus als politische Gegenbewegung zum Absolutismus. Markiert den Anfang der Befreiung aus der jahrhundertlangen Bevormundung des Menschen in der Spätaufklärung, d.h. im letzten Drittel des 18 Jahrhunderts: 1776 amerikanische Erklärung der Menschenrechte, 1789 französische Erklärung der Menschenrechte. Getragen vom aufsteigenden Bürgertum. Bekämpfte 17 EE, S. 410. 18 EE, „Die Freien“, S. 106 -167. 19 EE, S. 401; siehe auch S. 387-388.
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im Zuge der französischen Revolution die Vorrechte von Adel und Geistlichkeit sowie die Allmacht des absolutistischen Staates. Auf der politischen Ebene will das liberale Bürgertum den Rechtsstaat durchsetzen, sowie die Menschenrechte: Meinungs-und Gewissensfreiheit, Pressefreiheit, Gleichheit aller vor dem Gesetz. Auf der wirtschaftlichen Ebene steht freie Konkurrenz im Mittelpunkt: freie Betätigung des einzelnen, Abschaffung von Zunftwesen und Zollschranken20... *§ 2 Der soziale Liberalismus ist die nächste untersuchte Form des Liberalismus, die sowohl Kommunismus als auch Sozialismus umfasst. Ebenfalls aus dem Ausland kommend, aus England (industrielle Revolution) und Frankreich, Saint Simonisten und frühsozialistische Denker: Fourier, Babeuf, welche deutsche Autoren beeinflussten, wie Wilhelm Weitling, mit dem sich Stirner mehrfach auseinandersetzt21. Kommunismus und Sozialismus wollten sich im Vormärz mit der Arbeiterklasse beschäftigen, ihre Lebensbedingungen verbessern, eventuell mit staatlicher Hilfe umfassende Bekämpfung des Kapitalismus. Sozialdemokratie wollte menschenwürdige Lebensverhältnisse in einem republikanischen Volksstaat fordern. Stirner bekämpft Forderungen der frühen Sozialisten und Kommunisten als „Sozialreformer“ im Namen des Einzelnen22.
20 EE, S. 120. 21 Weitling wird im EE 16 Mal zitiert. Siehe auch Grundsatzerklärung des „Bundes der Gerechten“ 1838, in Hardwig / Hinze (Anm. 10), S. 235: „Diese Grundsatzerklärung wurde 1838 im Auftrag des Bundes von Wilhelm Weitling, einem Schneidergesellen aus Magdeburg, der sich autodidaktisch weiter gebildet hatte, verfasst. Sie spiegelt die für die Anfänge der deutschen Arbeiterbewegung charakteristische Übergangssituation zwischen traditioneller Handwerkermentalität und utopisch-kommunistischer Gesellschaftstheorie wieder. Weitling spielt auf einen urchristlichen Kommunismus an, begründet sein Organisationsmodell der Gütergemeinschaft aber ökonomisch-sozial auf der Forderung nach gleichem Recht für alle auf Arbeit und Genuss.“ 22 Zum Thema Sozialreform, meinte Moses Hess im Rückblick auf den hoffnungsvoll gestimmten Liberalismus der Dreißigerjahre: "Das Gerede von Freiheit und politischen Reform ist abgenutzt. Mit der Republik, den Geschworenen, der freien Presse kommt man immer nicht weiter als zur Tyrannei der Besitzenden und zur Sklaverei der Mehrheit. Alle, auch die radikalsten politischen Reformen sind ohnmächtig gegen die Grundübel der Gesellschaft und interessieren die Welt nicht mehr. Der Inhalt alles und jedes Interesses ist die Sozialreform." Jost Hermand (Anm. 1), S. 385.
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*§ 3 Der humane Liberalismus, mit dem der Autor sich im dritten Abschnitt besonders ausgiebig auseinander setzt, in bewusstem Gegensatz zu ihren Positionen, bezieht sich auf den engeren Kreis der Junghegelianer23. Die Kritik muss ihrer Meinung nach auf das Volk ausgeweitet werden, da die Intellektuellen selbst unfähig sind, zu kämpfen24. Anstoß zu dieser kritischen Debatte waren Gespräche bei den „Freien“, einem Berliner Kreis, zw. 1842-44. Die Freien waren die Fortsetzung des so genannten Dr. Clubs, auch ein oppositioneller Kreis, dem sich der junge Marx angeschlossen hatte. Die Freien bezeichnen nicht nur die Liberalen im Allgemeinen, sondern eben auch diese Gesellschaft von radikalen Intellektuellen um Bruno Bauer, die sich allabendlich in einer Weinstube trafen (Bei Hippel). Max Stirner nimmt an der Diskussion teil25.
Der Reformeifer machte nach Gründung des Deutschen Bundes bzw. mit dem Erlass von Verfassungen in Baden, Bayern, Württemberg und Hessen-Darmstadt 1818/19 der Restauration Platz. Da der Geist der Befreiungskriege (insbesondere zwischen 1815 und 1820) noch herrschte, wünschten die Monarchen die Mitspracherechte eines Teils der Bevölkerung wieder einzuschränken. Willkommenen Anlass hierzu boten die politisierten Studenten, in den seit 1814 gegründeten Burschenschaften26 mit der Wartburgfeier 181727 und der Ermordung Kotzebues durch den Studenten Sand. Dieses bekannte Ereignis wird im EE erwähnt (S. 54): der radikale Jenaer Burschenschaftler Karl Ludwig Sand erdolchte 1819 den Dramatiker August von Kotzebue, der auch im russischen Geheimdienst tätig war, weil er in seinem Literarischen Wochenblatt die patriotischen Ideale der Burschenschaften ins Lächerliche zog und dadurch als „Verräter“ (Sand) und Gegner der deutschen Einheit und der liberalen Bestrebungen galt. „Der Zweck sittlich, das 23 EE S. 427-432 (Nachwort des Hrsg.). 24 Man kann hier eine Parallele zur Spätaufklärung ziehen, die mit der Volksaufklärung ihre Basis erweitern wollte. Die Kritik nahm dort auch einen wichtigen Platz ein. 25 Zeitgenosse Friedrich Sass interpretiert die philosophischen Abstraktionen der Freien ganz im Kontext des politisch indifferenzierten Berlin und des literarischen Cafés. Friedrich Sass, Berlin in seiner neuesten Zeit und Entwicklung, Leipzig 1846, S. 72 ff. 26 Hardwig / Hinze (Anm. 10), S. 63. 27 Ebda., S. 66-69.
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Mittel unsittlich“, bemerkt Stirner. Sand selber rechtfertigte die Tat unter Rückgriff auf ältere Traditionen des Tyrannenmords und stellte die individuelle Überzeugung über die geltenden moralischen Normen28. Jedenfalls erlaubt dieser erste politische Mord modernen Stils in Deutschland es den konservativen Eliten, Meinungs-, Vereinigungs- und Lehrfreiheit drastisch einzuschränken, mit dem Erlass der Karlsbader Beschlüsse 181929. Diese legten die politische Opposition für lange Zeit lahm und beschnitten die (gerade erst gewonnene) Freizügigkeit des öffentlichen Lebens; strenge Zensur war angesagt. Das Wort „Zensur“ erscheint 16 Mal im Text und Stirner selber fiel ihr zunächst zum Opfer. Als der EE im Jahre 1844 erschien, wurde das Werk verboten, weil den Zensoren zufolge „darin nicht allein Gott, Christus, die Kirche und die Religion überhaupt, sondern auch alle sociale [sic] Verfassung, Staat und Regierung als etwas, das nicht länger existiren [sic] dürfe, bezeichnet, die Lüge, der Meineid, Betrug, Mord und Selbstmord gerechtfertigt und das Recht des Eigenthums [sic] geleugnet wird“ und das Buch sich „grossentheils [sic] wie Ironie und eine schlagende Selbstwiederlegung“ liest. In der Reclam-Ausgabe des EE, liest man in der Zeittafel (S. 420-421): „Ende Oktober 1844: Der Einzig und sein Eigentum erscheint in Leipzig mit der Jahresangabe 1845; Beschlagnahme und Vertriebsverbot durch die sächsische Kreisdirektion am 28. Oktober“; ferner: „Aufhebung des Verbots durch den Minister des Inneren am 2. November: Von dem Buch sei wahrhaftig keine nachteilige Wirkung auf die Leser zu erwarten, vielmehr zeige es die beklagenswerten Resultate der Philosophie, die der Verfasser selbst anwende, und es werde auf Abscheu stoßen. Die ‚religiös-sittliche Ansicht des Lebens’ 28 Ebda. S. 69 und EE, S. 54. 29 Beschlüsse der Karlsbader Ministerkonferenzen vom 20. September 1819; Bundes-Pressgesetz, Bundes-Untersuchungsgesetz, Bundes-Universitätsgesetz. Die Bundesgesetze vom 20. September 1819 verschärften die konservativ-reaktionäre Wende im Deutschen Bund und verformten eine freie Entwicklung der politischen Öffentlichkeit bis zum Ausbruch der Revolution (März 1848). Das Pressegesetz sollte dem Missbrauch der Presse vorbeugen und ordnete eine Vorzensur für Zeitungen, Zeitschriften und alle Bücher mit einem Umfang von weniger als zwanzig Druckbogen (320 Seiten) an. Das Untersuchungsgesetz installierte eine eigene Zentralbehörde in Mainz, die alle „revolutionären Umtriebe und demagogischen Verbindungen“ aufdecken sollte – wobei diese Begriffe großzügig ausgelegt wurden. Das Universitätsgesetz ermöglichte den Regierungen tiefe Eingriffe in die universitäre Selbstverwaltung und in die Lehrfreiheit. Hardwig / Hinze (Anm. 10), S. 71. Zur Unterdrückung jeder nationalen Regung : s. auch Wiener Schlussakte 1820, ebda., S. 43-55.
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könne kaum wirksamer gefördert werden als durch Bekanntmachungen dieses niedrigen und beschränkten Standpunktes.30 Es erfolgte allerdings auch ein Verbot in Preußen, welches offiziell nie aufgehoben wurde. Die Jahre zwischen 1820 und 1840 können trotz verstärkter Freiheitsbewegungen ab 1830 (französische Julirevolution31, Hambacher Fest32) insgesamt als Zeit strenger Repression und Zensur betrachtet werden (siehe die „Sechs“ und dann die „Zehn Artikel“ 183233). Die Diskussion um Pressefreiheit kommt wieder verstärkt in der Diskussion der vierziger Jahre vor, aufgrund einer zeitweiligen Lockerung der Zensur in Preußen nach der Thronbesteigung Friedrich Wilhelms IV. . Stirner entlarvt die Forderung nach „Pressefreiheit“ als kindisches Geschrei34; doch seine Anspielung auf den neuen König bleibt verschlüsselt, um die Zensur zu täuschen35. Die liberale Attitüde 30 EE, S. 421. 31 Der Zeitraum von 1815 bis 1830 gilt als Zeitalter der Restauration. Die Pariser Juli Revolution 1830 und die von ihr ausgelösten Veränderungen – Sturz der Bourbonen, revolutionäre Begründung des belgischen Staats, Freiheitskampf in Polen, Aufstände in Italien, soziale und politische Unruhen in England – unterbrachen die Restaurationsperiode in Europa. Auch im Deutschen Bund fachte die Juli Revolution die während der zwanziger Jahre abgeschwächten Spannungen zwischen den Regierungen und der „Bewegungspartei“ wieder an. 32 Nach der französischen Julirevolution von 1830 erhielt die deutsche Nationalbewegung starken Auftrieb. Zahlreiche Versammlungen erhoben vor allem im süddeutschen Raum verstärkt demokratische Forderungen. Den Höhepunkt dieser Phase der nationalen Bewegung stellte das Hambacher Fest von 1832 dar. Zwischen 20 und 30.000 Teilnehmer zogen zur Burgruine Hambach. Hardwig / Hinze (Anm. 10), S. 97. Spätestens mit dem Hambacher Fest im Jahre 1832 beobachtet man eine zunehmende Differenzierung der politischen Positionen im deutschen Liberalismus: die Forderungen des Hambacher Festes stießen im liberalen Bürgertum nämlich zum Teil auf heftigen Widerspruch. Dort wurden nationale Demokratie und liberale-republikanische Solidarisierung der europäischen Nationen in einem Völkerbund gefordert. Ebda. 33 Ebda. S. 99-102. 34 « Das Geschrei der ‚Freisinnigen’ um Pressfreiheit läuft gegen ihr eigenes Prinzip, ihren eigentlichen Willen. Sie wollen, was sie nicht wollen, das heißt sie wünschen, sie möchten gern. Daher fallen sie auch so leicht ab, wenn einmal so genannte Pressfreiheit erscheint, dann möchten sie Zensur. Ganz natürlich. Der Staat ist auch ihnen heilig, ebenso die Sitze usw. Sie betragen sich nur als ungezogene Bälge gegen ihn, als pfiffige Kinder, welche die Schwäche der Eltern zu benutzen suchen. Der Papa Staat soll ihnen erlauben, manches zu sagen, was ihm nicht gefällt, aber der Papa hat Recht, ihn durch einen strengen Blick einen Zensurstrich in ihr vorlautes Gewäsch zu ziehen. Erkennen sie in ihm ihren Papa, so müssen sie sich in seiner Gegenwart die Zensur der Rede gefallen lassen, wie jedes Kind.“ S. 219. 35 EE, S. 57. Er vergleicht ihn mit Nero. „Nero, 37-68, römischer Kaiser, war
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Friedrich Wilhelms IV. war nämlich in Wirklichkeit nur eine unverbindliche Geste. Sie widersprach zutiefst seinem reaktionären, klerikal- romantischen Denken. Um Friedrich Wilhelm IV. scharte sich eine hochkonservative Kamarilla (mit insbesondere Friedrich Julius Stahl). Grundlegend insbesondere für den preußischen Hochkonservativismus war die religiöse Fundierung des Staates als „äußeres Reich Gottes. Wie die Kirche, so galt der Staat als göttliche Stiftung, woraus sich die letztlich religiöse Legitimierung des „monarchischen Prinzips“ ergab36. Daraus ergab sich eine gefährliche Ambivalenz. So wie der neue König hier den Druck einmal lockerte, schaffte er dort sofort einen neuen. Nur ein Beispiel: 1842 empfing er den jungen Georg Herwegh in vertraulicher Audienz und hörte sich seine Tiraden mit gewissem Wohlwollen an, ließ ihn jedoch schon wenige Tage später unter Polizeibegleitung über die Grenze schaffen. Ebenso schwankend verhielt er sich in Fragen des Pressewesens. So wurden 1842 liberale Blätter wie die Rheinische Zeitung, die Deutschen Jahrbücher, oder die Triersche Zeitung noch geduldet. Ein Jahr später galten sie jedoch als verbrecherisch und wurden auf die Verbotsliste gesetzt. Immer wieder beobachtet man, wie Friedrich Wilhelm IV. Angst vor dem eigenen Mut bekommt – und gerade das zurücknimmt, was ihm kurze Zeit vorher noch als Gnadenbeweis erschienen war. Den Jungen Liberalen wurde auf diese Weise reichlich Gelegenheit gegeben, sich zu exponieren und somit zu Märtyrern zu werden. Herwegh, Ruge, Marx, Engels, Weitling, Hoffmann von Fallersleben, Freiligrath, Dingelstedt, Drohnke, Hess, eigentlich alle Vertreter dieser Bewegung sind mindestens einmal im Exil gewesen. Schon nach wenigen politischen Gehversuchen sahen sie sich meistens gezwungen, ihre Operationsbasis nach Zürich, Brüssel, Paris oder London zu verlegen, um nicht verhaftet und eingekerkert zu werden. Kein Wunder, dass in ihren Schriften eine ganz andere Gereiztverantwortlich für politische Morde, Christenverfolgungen, Tyrannenmaßnahmen und (sexuelle) Ausschweifungen; auch wurde er mit dem Brand von Rom in Verbindung gebracht. Vom Senat, der Oberschicht und immer breiteren Bevölkerungsteilen gehasst, kam es in den letzten Regierungsjahren zu Aufständen gegen ihn. Er begann schließlich Selbstmord, als Soldaten ihn verhaften wollten, nachdem er vom Senat zum Staatsfeind erklärt worden war. Ausführlichkeit der Darstellung und Kontext sprechen dafür, dass mit Nero und den Römern tatsächlich Friedrich Wilhelm IV und die oppositionellen Kritiker gemeint sind - um die Zensur zu täuschen“, Bernd Kast (Hrsg.), Der Einzige und sein Eigentum. Ausführlich kommentierte Studienausgabe, Karl Alber: Freiburg / München 20016 [2009], S. 63. 36 Hardwig / Hinze (Anm. 10), S. 223.
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heit, ja Schärfe herrscht, als in den liberalen Äußerungen der Dreißigerjahre. Hatte man dort ein mehr oder minder amüsantes Versteckspiel mit der Zensur gespielt, stieß man hier im gesellschaftlichen Vakuum des Exils zu immer radikaleren Positionen vor. Und zwar entwickelte sich dabei, wie in so vielen revolutionären Bewegungen, zwischen den einzelnen Fraktionen dieser Richtung ein unerbittlicher Bruderkampf. Jeder versuchte, den anderen an Schärfe und Konsequenz zu überbieten, manchmal sogar dann wenn er dadurch die Gesamtbewegung infrage stellen musste. Die politischen und sozialen Überzeugungen der Vormärzemigranten wurden daher von Jahr zu Jahr, von Monat zu Monat immer steiler, immer abstruser und rücksichtsloser. Immer mehr Widersprüche klafften auf, was schließlich zu einem Vernichtungskrieg aller gegen alle führte. „Herwegh verurteilt Feiligrath. Engels zieht gegen Heine zu Felde. Heine macht sich über Dingelstedt, Börne und Herwegh lustig. Marx trennt sich von Ruge, kritisiert Feuerbach, Bauer und Stirner und verwirft sogar Weitling und Hess als nicht ‚radikal’ genug“37. Zu behalten bleibt also, dass die Lockerung der Zensur um 1842 zwar eine Welle liberaler Publizistik ermöglicht hatte, aber schnell wieder zurück genommen wurde. Das Ergebnis war jedoch, dass sich die politischen Positionen radikalisierten: „die (Berliner) Junghegelianer wandten sich gegen den Staat überhaupt und in eine Richtung, die bei Bauer und Stirner endet“38. Die kommt im EE insbesondere am Beispiel der sozialen Frage zur Geltung – wenn auch Stirners Staatskritik nicht auf dieser Basis beruht, soll nun auf diese eingegangen werden, um den sozialen Kontext, in dem das Werk erschien, zu beleuchten. III. Die (Diskussion über die) „soziale Frage“ Die Wichtigkeit dieser Debatte unterstreicht der Autor des EE selber, indem er bemerkt, die Gegenwart zeige für keine Frage einen so lebendigen Anteil wie für die „soziale“ (Anführungsstriche i.O.)39 – was allerdings auch von einer gewissen Distanzierung seinerseits zeugt. Dennoch wird er insbesondere das dazugehörende Phänomen des „Pauperismus“ ansprechen. Wie schon erwähnt, befand man sich damals in einer Umbruchszeit, insbesondere im wirtschaftlichen Bereich. Die Industrialisierung 37 Jost Hermand (Anm. 1), S. (361-)362. Vgl. dies mit den Angaben der Jury. 38 EE, S. 429 (Nachwort des Hrsg.) 39 EE, S. 231.
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zeichnete sich seit Anfang des 19. Jahrhunderts in „Deutschland“ ab: zunächst mit dem Übergang zu agrarkapitalistischer Produktion40, dann dem Übergang von Agrar- zu Industriegesellschaft. Etwa ab 1830 setzte der Industrialisierungsprozess in Deutschland ein, d.h. phasenverschoben und noch vor Gründung eines einheitlichen Wirtschaftsraumes. Gründe für diesen zeitlichen Rückstand (insbesondere England gegenüber) lassen sich aus der besonderen historischen Situation des Landes erklären. Ungefähr tausend acht hundert Zollschranken erschwerten den Handel in einem Wirtschaftsgebiet, das sich als ein Konglomerat kleiner und autarker Märkte mit starren Ständegesellschaften präsentierte. Noch um 1800 lebten vier Fünftel der Bevölkerung in und von der Landwirtschaft, deren Organisationsform die adlige Gutsherrschaft war. Erst die Bauernbefreiung, die Einführung der Gewerbefreiheit (die Gewerbefreiheit und ihre Folgen, insbesondere die Reform der Zunftordnung, beschäftigen den Autor des EE durchaus41) und die staatlich geförderte technische Ausbildung in den ersten Jahrzehnten des 19. Jahrhunderts führten dazu, dass der Prozess einsetzte. Doch trotz Napoleons „Flurbereinigung“ bestand der Deutsche Bund noch immer aus einer großen Anzahl souveräner Staaten mit eigenen Zöllen, Maßen und Währungen. Erst durch den Zusammenschluss des preußischen und süddeutschen Zollvereins 1834 entstand ein einheitlicher deutscher Wirtschaftsraum. Der Übergang zur industriellen Produktion vollzog sich etwa gleichzeitig mit dem Bau von Eisenbahnen der, ähnlich wie die Textilindustrie in England, eine entscheidende Schubwirkung auf die deutsche Wirtschaft hatte, d.h. sie ankurbelte42. Der Eisenbahnbau bewirkte den Zustrom großer Massen ehemals ländlicher Arbeiter in die entstehenden industriellen Zentren und schuf darüber hinaus die weiträumigen Märkte für die industrielle Massenfertigung. Die Folgen der Industrialisierung waren nicht nur auf den wirtschaftlichen und technischen Wandel begrenzt, sie erfassten vielmehr die gesamte Gesellschaft und veränderte die sozialen 40 Hans Ulrich Wehler, Deutsche Gesellschaftsgeschichte zweiter Band, 1815-1845/49, Beck: München, 2008 [1987], S. 27 ff; Hardwig / Hinze (Anm. 10), S. 116. 41 Wehler (Anm. 40), „Das alte Handwerk in der Krise“, S. 54-64. Siehe auch Hardwig / Hinze (Anm. 10), S. 124; im EE führt der Autor 9 Mal das Beispiel der Zünfte an (siehe z.B. S. 306). 42 Stirner zitiert (ironisch) den deutschen Schriftsteller und Philosophen Moritz Carrière (1817-1895): „Carriere ruft begeistert aus: ‚Die Eisenbahnen sind dem tieferblickenden Auge der Weg zu einem Volksleben, wie es in solcher Bedeutung noch nirgends erschienen ist.“ EE, S. 255.
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Kategorien, Lebensformen, Lebensräume, Lebensstile usw. Durch die Lösung der Industrie von traditionellen Standorten im Zuge des Ausbaus der Verkehrswege und der Nutzung neuer Energieformen entstanden industriell geprägte Ballungsräume und neue soziale Schichten; die Verstädterung wurde zum äußeren Merkmal dieses Wandlungsprozesses43. Die radikale Änderung der Lebens-und Arbeitswelt stürzte weite Teile der unteren Bevölkerungsschichten in soziales Elend. Es war vor allem der Übergang von der Ständegesellschaft zur Leistungsgesellschaft mit ihren besonderen- und Gratifikationsbedingungen, der die soziale Frage zum zentralen gesellschaftlichen Problem des Jahrhunderts werden ließ.44 Die Veränderung der Lebensformen brachte eine Entwurzelung weiter Teile der Bevölkerung mit sich, in der die alten Sozialbindungen aufgelöst wurden. Niedrige Einkommen, hervorgerufen durch ein Überangebot an Arbeitskräften, setzte weite Kreise der Bevölkerung existenzgefährdender Armut aus. Zu den negativen Auswirkungen des technischen Fortschritts in der ersten Hälfte des 19. Jahrhunderts gehörte die verstärkte Einbeziehung von Frauen und Kindern in den Produktionsprozess. Sie wurden schlechter bezahlt als die Männer und drückten in der Konkurrenz um die Arbeit auch den Lohn der Männer45. Die Güterproduktion stellt die Frage der Güterverteilung, d.h. auch die (im EE zentrale) Eigentumsfrage – wenn auch der Autor einen mehrschichtigen Eigentumsbegriff benutzt. Eigentum wird für Stirner durch Gewalt bedingt46. Der Autor setzt sich nämlich sowohl mit den Liberalen auseinander, die das Privateigentum befürworten47, auch mit
43 Wehler (Anm. 40), „Die Konstituierung der industriellen Arbeiterschaft und die städtischen Unterschichten“, S. 241-281. 44 So behauptet zum Beispiel Bebel in Die Frau und der Sozialismus, 1879, die Frauenfrage sei nur ein Teil der sozialen Frage. 45 Hardwig / Hinze (Anm. 10), S. 137. Sehr anschaulich das Fabrikleben beschreibend, erscheint der zeitgenössische Text von Georg Weerth „Lohnauszahlung bei Preiss & Co“, Fragment eines Romans, Sämtliche Werke II, Berlin 1956. 46 Der Eigentumsbegriff ist bei Stirner zweifellos zentral. Er muss allerdings in der spezifischen Doppeldeutigkeit Stirners diskutiert werden - sowohl als Selbstangehörigkeit als auch im Sinne von materiellem Besitz. 47 „Eigentum im bürgerlichen Sinne bedeutet heiliges Eigentum, der Art, dass ich dein Eigentum respektieren muss. Respekt vor dem Eigentum! Daher möchten die Politiker, dass jeder sein Stückchen Eigentum besäße, und haben durch dieses Bestreben zum Teil eine unglaubliche Parzellierung herbeigeführt. Jeder muss seinen Knochen haben daran er was zu beißen finde.“ EE, S. 274
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den Kommunisten, die das Privateigentum abschaffen wollen, was zur allgemeinen „Lumpengesellschaft“48 führt: Im Gegenteil, der Kommunismus drückt Mich durch die Aufhebung eines persönlichen Eigentums noch mehr in die Abhängigkeit von einem andern, nämlich von der Allgemeinheit oder Gesamtheit, zurück, und so laut er immer auch den ‚Staat’ angreife, was er beabsichtigt, ist selbst wieder ein Staat, ein Status, ein meine freie Bewegung hemmender Zustand, eine Oberherrlichkeit über Mich. Gegen den Druck, welchen ich von den einzelnen Eigentümern erfahre, lehnt sich der Kommunismus mit Recht auf; aber grauenvoller noch ist die Gewalt, die er der Gesamtheit einhändigt49. Erste Ansätze wurden mit der Gütergemeinschaft gemacht, das „System der Zukunft“ – für ihre Anhänger. Dem Individualitätsanspruch (der Liberalen) stellte der Kommunismus den Gleichheitsanspruch aller Menschen gegenüber, strebte somit also eine Homogenität der Gesellschaft an, die Stirner missfallen musste. Man muss hier bemerken, dass der Kommunismus-Begriff von Stirner weitgehend auf den Handwerkerkommunismus von Weitling ausgerichtet ist (1839-1843)50. Die Entwicklungen begannen in Frankreich, mit den damals grassierenden Problemen des Pauperismus (extreme Armut bis zur Grenze des Verhungerns). Durch die einsetzende Industrialisierung waren viele Menschen gezwungen, ihre reine Arbeitskraft unter Aufgabe der Individualität an denjenigen zu verkaufen, der gerade den entsprechenden Hungerlohn bezahlte. So entstand der 4. Stand, oder „Proletariat“: der Ausdruck ist bei den frühsozialistischen Autoren insbesondere bereits ein selbstverständlich gebrauchter Begriff. Man findet ihn (nur) achtmal bei Stirner; dieser verbindet Proletariat und Pauperismus (S. 124) und scheint sie gleich zu setzen. In der Tat markieren die 1840ger den Höhepunkt der Krise des „Pauperismus“: „Pauperismus“ - das war eines der furchterregenden, grellen Reizworte, die in der schier unübersehbaren Diskussion über die gesellschaftliche Krise in den rund anderthalb Jahrzehnten vor der Revolution eine herausragende Rolle spielten. Mit ihm verband 48 „Gegen die Konkurrenz erhebt sich das Prinzip der Lumpengesellschaft, die – Verteilung.“ EE, S. 294 (Herv. i.O.). 49 EE, S. 285-286. 50 Siehe Anm. 21.
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sich die Vorstellung von grauenhaftem Elend, ländlichem und städtischem Proletariat, politischer Radikalisierung, anwachsenden „kommunistischen Tendenzen“, zunehmend dann die Furcht, dass all dies, wenn staatliche Reformpolitik nicht hilfreich eingreife und neue ökonomische Chancen sich eröffneten, auch auf deutschem Boden eine Revolution auslösen, ja in die ‚soziale Revolution’ einmünden werde.51 Vor 1848 verschlechterte sich überall in Deutschland die Lage des Heimgewerbes – besonders schroff im Fall der schlesischen Weber –, aber auch von Handwerksgesellen und so genannten Einzelmeistern. Dagegen entstanden vor allem in den Bau-und Nahrungsgewerben vielfach bereits größere und erfolgreiche Betriebe mit mehreren Gesellen. Zur Krise des Handwerks trugen vor allem die durch das Bevölkerungswachstum bedingte „Übersetzung“ des Gewerbes und die zunehmende Konkurrenz durch industriell gefertigte Produkte (vor allem im Textilgewerbe) bei52. In den dreißiger und vierziger Jahren geriet die ländliche Textil-Heimarbeit in eine tiefe Krise, die durch die aufkommende maschinelle Produktion noch verstärkt wurde. Die Löhne sanken unter das Existenzminimum. Trotz Arbeitszeiten bis zu 16 Stunden pro Tag lebte die Masse der Weber in großem Elend (siehe zum Beispiel die Holzschnitte von Kubitz oder Käthe Kollwitz zum „Weberelend“, welche die unerträglichen Lebensverhältnisse der schlesischen Weber in den 1800 vierziger Jahren veranschaulichen). Den „Prozess der Proletarisierung“ beschreibt u.a. der frühsozialistische Autor Friedrich Sass am Beispiel der Situation des Berliner Handwerks um 184053. Vor dem Hintergrund eines ungehemmten Laissez-FaireKapitalismus54 ignorierte man lange Zeit die Verelendung großer Bevölkerungsteile. Hinzu kamen zyklische Konjunktureinbrüche, die 51 Wehler (Anm. 40), S. 281. 52 Hardwig / Hinze (Anm. 10), S.130. 53 Friedrich Sass (Anm. 25) ; Hardwig / Hinze (Anm. 10), S.139-139. 54 Zurückzuführen auf Adam Smiths’ Wirtschaftsliberalismus: das Interesse des einzelnen ist die Triebfeder des wirtschaftlichen Erfolges; wenn jeder seinen individuellen Nutzen sucht, ist das Ergebnis zum Nutzen aller; an der Produktion sind Kapital, Arbeit und Boden beteiligt. Die Produktivität wird durch Arbeitsteilung erhöht. Der Staat soll nicht in den Marktmechanismus (Angebot und Nachfrage) eingreifen. Stecknadelfabrik S. 131; das Beispiel der Stecknadelproduktion, EE S. 131, entlehnt ST von Adam Smith, An Inquiry into the Nature and Causes oft he wealth of Nations, Edinbug 1828. Stirner übersetzte selber Adam Smith ins deutsche - und hat nach Mutmaßung von Bernd Kast auch den Begriff des Eigners („owner“) von ihm übernommen.
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Massenarmut und Verelendung verstärkten und den sozialen Frieden sowie die Leistungsfähigkeit der Gesellschaft gefährdeten. Der Staat sah sich daher in fine doch vor die Notwendigkeit gestellt, in der sozialen Frage Abhilfe zu schaffen. Hier bringt Stirner geschickt seine Kritik am Staat an: Man fordert von den Staaten, sie sollen den Pauperismus beseitigen. Mir scheint, das heißt verlangen, der Staat solle sich selbst den Kopf abschneiden und vor die Füße legen; denn solange der Staat das Ich ist, muss das einzelne Ich ein armer Teufel, ein Nicht-Ich sein. Der Staat hat nur ein Interesse daran, selbst reich zu sein; ob Michel reich und Peter Arm ist, gilt ihm gleich; es könnte auch Peter reich und Michel arm sein. Er sieht gleichgültig zu, wie der eine verarmt, der andere reich wird, unbekümmert um dies Wechselspiel55. Im Gegenteil fördere die „Staatsmaschine“, in welcher der Mensch nur ein Räderwerk ist, den Pauperismus56. Stirner bleibt jedoch bei der Kritik stehen, er greift nicht in die eigentlichen Debatten ein – im Gegensatz zu dem von ihm abgelehnten Liberalen und Proto-Sozialisten, macht er selber nämlich keine konkreten Lösungsvorschläge (nimmt man den „Verein von Egoisten“ als Allheilmittel aus). Weder ergreift er eindeutig Partei für Arm noch Reich, er stellt sich eher abwechselnd auf diese oder jene Seite. Sich selber rechnet er zu den „Vagabunden“57, die er am anderen Ort auch als „Lumpen“ bezeichnet. Die Definition des Lumpen lautet bei ihm wie folgt: ein Lump sei ein Mensch von nur idealem Reichtum58. Auch schließt er sich in die Gruppe der Proletarier ein („Die Bourgeoisie hat das Evangelium des Weltgenusses, des materiellen Genusses verkündet und wundert sich nun, dass diese Lehre unter Uns Armen Anhänger findet; sie hat gezeigt, dass nicht Glaube und Armut, sondern Bildung und Besitz selig macht: das begreifen Wir Proletarier auch“), was jedoch keinem „Klassenbewusstsein“ gleich kommt – die Forschung hat manchmal aufgrund der Verbindung zwischen „Vagabund“ und „Proletarier“ auf ein „romantisches Klassenbewusstsein“ spekuliert… Der Begriff des Klassenbewusstseins steht jedoch völlig konträr zum Denken Stirners. Es ist nämlich wieder eine Allgemeinbegrifflichkeit, die seinem Individualitätsgedanken völlig 55 EE, S. 280. 56 EE, S. 281-282. 57 EE , S. 46. 58 EE, S. 303.
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entgegensteht. Dennoch bleibt die Kritik am Bürgertum im EE die schärfere: Wie sehr würde man irren, wenn man dem Bürgertum das Verlangen zutraute, die Armut (Pauperismus) nach besten Kräften zu beseitigen. Im Gegenteil hilft sich der gute Bürger mit der unvergleichlich tröstlichen Überzeugung, dass ‚die Güter des Glücks nun einmal ungleich verteilt seien und immer so bleiben werden – nach Gottes weisem Ratschluss’. Die Armut, welche ihn auf allen Gassen umgibt, stört den wahren Bürger nicht weiter, als dass er höchstens sich mit ihr durch ein hingeworfenes Almosen abfindet, oder einem ‚ehrlichen und brauchbaren Burschen’ Arbeit und Nahrung verschafft. Desto mehr aber fühlt er seinen ruhigen Genuss getrübt durch die neuerungssüchtige und unzufriedene Armut, durch jene Armen, welche sich nicht mehr stille verhalten und dulden, sondern zu extravagieren anfangen und unruhig werden. Sperrt den Vagabunden ein, steckt den Unruhestifter ins dunkelste Verlies! Er will im Staate ‚Missvergnügen’ erregen und gegen bestehende Verordnungen aufreizen – steiniget, steiniget ihn!59 Die biblischen Akzente (man denkt an das Matthäusevangelium) klingen hier besonders ironisch. Weder der Staat noch seine Bürger gedenken, eine bessere, gerechtere, d.h. hier wirtschaftlich ausgewogenere Gesellschaft anzustreben. Das Argument des freien Wettbewerbs, mit seinem Gleichheitspotential („die égalité ist die – freie Konkurrenz“, EE. S. 290), lässt Stirner auch nicht gelten: vielmehr beweist er, auch am Beispiel eines Fabrikanten und dessen notwendigen Startkapitals und eines Professors und dessen notwendigen Diploms, dass die sogenannte freie Konkurrenz in Wirklichkeit nicht frei sei, sondern der staatlichen Kontrolle unterliegt60. Trotz allem erscheint die soziale Frage – nicht mehr als die Nationale – als explizites Themenfeld bei Stirner. Ihn interessiert Gesellschaft an sich nicht, sofern nicht die Eigenheit tangiert wird. Ebenso beruht die Staatskritik Stirners nicht auf Überlegungen zu diesen für die Epoche brennend aktuellen Fragen – er benutzt sie, mit polemischer Absicht61. 59 EE, S. 124. 60 EE, S. 290-291. 61 Mit dem Durchbruch der Industrialisierung nach 1849 verschwand übrigens die für die Übergangszeit zwischen 1815 und 1848 charakteristische Überbevölkerungsund Ernährungskrise des Pauperismus. Hardwig / Hinze (Anm. 10), S.130.
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Am Staat (und dessen Institutionen) stört Stirner vor allem die Tatsache, dass er (bzw. sie) sich als „Mittler“ zwischen die Individuen stellt und direkte zwischenmenschliche Verhältnisse verhindert62. Auch befindet sich der Stirnersche Egoist im Konflikt mit den meisten sozialen Institutionen und Praxen, da sie für Stirner stets die Unterwerfung von Individuen beinhalten63. In seinem Hauptwerk überfliegt er sozusagen die Fragen der Zeit, ohne sich näher mit ihnen auseinanderzusetzen. Daher würde sich eine Einordnung Stirners in den Vormärz besser unter Einbeziehung seiner kleineren Schriften vornehmen lassen, in denen er sich zu politischen Fragen seiner Zeit äußert64. Wäre Der Einzige und sein Eigentum einzuordnen, dann hätte das eher im Kontext der Auseinandersetzung mit seinem direkten intellektuellen Umfeld (Hegel und den Junghegelianern) und den in diesen Kreisen diskutierten Denkern (den Frühsozialisten) zu erfolgen. Obwohl der politische und soziale Kontext sich im EE widerspiegelt, und eine gute Kenntnis des Vormärz insgesamt zum Textverständnis beitragen kann, darf man dessen Wichtigkeit nicht überschätzen. Stirners Thesen zur Entfremdung und Befreiung des Individuums, denen die Idee des zu überwindenden (moralischen) Zwanges zugrunde liegen, erscheinen allgemeingültig und beziehen sich sowohl auf die Gegenwart, als auch auf die Vergangenheit – und die Zukunft: man denkt hier insbesondere an seine geniale Vorwegnahme des freudschen Über-Ichs65.
62 EE, S. 228. 63 Maurice Schuhmann, „Individualanarchismus - Staatskritik und alternative Gesellschaftsorganisation“, in: Peter Seyferth (Hrsg.): Den Staat zerschlagen! Nomos Verlag: Baden-Baden, 2015, S. 65-84. Herrn Schuhmann danke ich an dieser Stelle auch für seine fachmännischen Anregungen, insb. zum Thema Vormärz und Stirners Publizistik. 64 Z.B. Stirner, [Max]: Einiges Vorläufige vom Liebesstaat. In: Berliner Monatsschrift. Hrsg. v. Ludwig Buhl. Erstes und einziges Heft, Juli 1843. (Selbst-Verlag) Mannheim 1844, pp. 34-49.) Siehe auch Stirners journalistische Schriften. Alle diese Schriften finden sich im Internet unter: http://www.max-stirner-archiv-leipzig.de/ 65 Selbst wenn man diese a priori schon bei Feuerbach findet, Yannis Constantinidès, « « Mir geht nichts über Mich! ». La critique paradoxale de l’idéal religieux chez Max Stirner », Revue germanique internationale [En ligne], 8 | 2008, mis en ligne le 30 octobre 2011, consulté le 14 octobre 2012. URL : http://rgi.revues.org/384 ; DOI : 10.4000/rgi.384.
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Alexandre Dupeyrix La critique du libéralisme par Max Stirner
La critique du libéralisme est au cœur de l’ouvrage de Max Stirner, L’Unique et sa propriété. Elle occupe, concrètement, les trois sous-chapitres placés à la fin de la première partie ; elle forme en outre la dynamique de toute la réflexion de Stirner. On peut en effet définir le libéralisme de manière très générale comme une pensée de la liberté et de l’émancipation (c’est en tout cas ainsi que le définissent à l’époque les libéraux eux-mêmes) ; or, ce que propose Stirner dans son ouvrage est une alternative aux conceptions de la liberté et de l’émancipation défendues par les trois types de libéralisme qu’il identifie dans son livre (libéralismes politique, social et humain), alternative qu’il développe longuement dans la seconde partie de son ouvrage. A cet égard, un passage joue un rôle pivot dans l’argumentation de Stirner ; il est situé, logiquement, au tout début de la seconde partie, lorsque Stirner prend congé de conceptions selon lui inopérantes voire aliénantes de la liberté et s’apprête à expliciter sa propre conception. La citation n’est pas seulement programmatique, elle témoigne également de l’inscription de Stirner dans un univers de pensée empreint d’hégélianisme. Stirner exhorte en effet ses lecteurs à abandonner le concept de liberté (« Freiheit ») et toutes les mauvaises habitudes qui lui sont associées et à se saisir, dans un geste salutaire d’autodétermination, de leur singularité (« Eigenheit »). Mais ce que précise Stirner dans un mouvement de conservation-dépassement typiquement hégélien, c’est que la liberté reste l’enjeu essentiel - mais une liberté bien comprise : Freiheit ist die Lehre des Christentums. […] Müssen wir etwa, weil die Freiheit als ein christliches Ideal sich verrät, sie aufgeben? Nein, nichts soll verlorengehen, auch die Freiheit nicht; aber sie soll unser eigen werden, und das kann sie in der Form der Freiheit nicht. Welch ein Unterschied zwischen Freiheit und Eigenheit!1 Stirner conçoit l’émancipation comme relevant d’une démarche 1
Université Paris-Sorbonne ; courriel : [email protected] Max Stirner : Der Einzige und sein Eigentum, Stuttgart: Reclam, 2008, S. 173.
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personnelle : c’est à la fois un retour à soi, une réappropriation de soi et l’affirmation assumée de sa particularité. Stirner préfère d’ailleurs renoncer au terme même d’émancipation qui suggère trop fortement l’affranchissement d’une autorité extérieure et porte le mouvement libératoire vers des combats collectifs où l’individu se perd et se donne de nouvelles idoles ; à la place, il utilise les concepts de « libération de soi » (« Selbstbefreiung ») et d’« autodétermination » (« Selbstbestimmung »), comme dans ces deux extraits : Hier liegt der Unterschied zwischen Selbstbefreiung und Emanzipation (Freisprechung, Freilassung)2. Die « individuelle Freiheit » über welche der bürgerliche Liberalismus eifersüchtig wacht, bedeutet keineswegs eine vollkommen freie Selbstbestimmung, wodurch die Handlungen ganz die Meinigen werden, sondern nur Unabhängigkeit von Personen3. Notons que le terme d’« émancipation », suspect aux yeux de Stirner d’entretenir la sujétion, est l’un des leitmotive politiques et philosophiques de l’époque du Vormärz. Il est bien sûr utilisé par les jeuneshégéliens comme l’un des termes de l’alternative devant laquelle ils voient l’être humain placé : ou bien l’« aliénation » (« Entfremdung ») qui déshumanise, particularise, limite, réifie ou bien, donc, l’« émancipation », susceptible de redonner (de donner ? - l’a-t-elle jamais possédée un jour ?) à la personne humaine sa pleine et entière humanité. Et tandis que cette réalisation est attendue comme une étape décisive produite par le courant d’une Histoire qu’une poignée d’intellectuels activistes aurait su canaliser et orienter dans la bonne direction, Stirner démonte en quelques phrases l’illusion psychologique consistant à croire que l’on sera plus libre et plus heureux dans un avenir débarrassé de telle ou telle autorité ; s’il garde, notamment dans les premières pages de son ouvrage, un schéma évolutif en trois étapes (enfance, adolescence, âge adulte) qu’il applique à la fois à l’individu et à la société européenne, c’est pour mieux se dégager de toute philosophie de l’histoire et constater qu’il n’y a au fond qu’une seule alternative : être mûr (et comprendre que la libération ne peut venir que de soi) ou immature (et continuer à donner crédit à toutes les formes d’autorité). Quoi qu’il en soit, le terme « émancipation » n’est pas l’apanage des jeunes-hégéliens. Il est en fait utilisé depuis le dernier quart du XVIIIe 2 3
Ibid., S. 185. Ibid., S. 117.
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siècle par des philosophes, des juristes, des hommes politiques de sensibilité libérale qui revendiquent, une plus grande – sinon complète – égalité civique et civile entre tous les sujets (masculins) des Etats allemands. L’émancipation en question renvoie explicitement à une accession aux mêmes droits pour tous (« Gleichstellung », « Gleichberechtigung »). Le terme est notamment employé en lien avec la question de l’intégration des Juifs dans la société allemande – nous allons y revenir. On peut faire l’hypothèse que les discussions qui ont alors lieu autour du concept d’émancipation, ainsi que les réflexions que mène Stirner luimême sur des notions relevant du même champ sémantique (liberté, libération, indépendance, autodétermination…) sont caractéristiques de l’époque, une « époque charnière » (« Sattelzeit »), pour reprendre le concept cher à l’historien Reinhart Koselleck et qui désigne, dans des bornes fixées approximativement entre les années 1750 et 1850, le passage progressif d’une Europe féodale et d’une « société d’ordres » (« Ständegesellschaft ») à une Europe transformée par les révolutions politiques et industrielles4. Selon Koselleck, la signification des concepts se trouve modifiée par des réalités sociales, politiques et culturelles nouvelles. « Mensch », « Bürger », « Freiheit », « Recht », pour prendre des exemples qui nous intéressent directement, se chargent alors de connotations nouvelles. Ce que Koselleck met en évidence, c’est l’historicité des concepts. La citation de Bruno Bauer que Max Stirner met en exergue de son livre : « Der Mensch ist nun erst gefunden » est à cet égard emblématique : cette redécouverte de l’être humain n’est pas seulement le résultat d’une réflexion philosophique interne au courant hégélien ; elle directement tributaire de ce cadre historique en mutation. Nous souhaiterions reprendre dans les grandes lignes la critique stirnérienne du libéralisme en la replaçant dans son contexte historique. Notre exposé est structuré en quatre parties : - d’abord nous donnerons quelques éléments de définition du libéralisme durant le Vormärz (1) ; - ensuite nous reprendrons la typologie de Stirner, et tenterons d’éclairer ses réflexions à la lumière d’un enjeu historique et politique particulier. Nous montrerons en l’occurrence que : - sa critique du « libéralisme politique » est directement liée au développement du monarchisme constitutionnel dans la période du Vormärz (2) ; 4
Voir par ex. Reinhart Koselleck, Begriffsgeschichten, Frankfurt/ Main: Suhrkamp, 2006.
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- sa critique du « libéralisme social » renvoie aux théories socialistes et communistes sur le démantèlement de la société d’ordres (3) ; - sa critique du « libéralisme humain » s’inscrit dans des discussions de l’époque qui portent sur la possibilité de pouvoir jouir de droits universels indépendamment de l’appartenance à un rang, à un ordre ou à une religion. C’est notamment la question du statut des juifs qui sert de catalyseur à ces discussions (4). I. Le libéralisme sous le Vormärz Le Vormärz est certes une période de restauration mais elle débouche sur un printemps de révolutions. De fait, le libéralisme est, dans cette première partie de XIXe siècle, l’idéologie politique dominante. Il porte deux revendications principales : une émancipation politique des sujets et la généralisation de monarchies constitutionnelles5. Selon l’historien Lothar Gall6, ce « premier libéralisme », surtout politique et porteur de réformes constitutionnelles, semble représenter les aspirations d’une bonne partie de la société face à un Etat qui, après les épisodes révolutionnaires de la fin du siècle précédent, apparaît autoritaire. La « restauration » qui a eu lieu à partir de 1815 ne peut pas signifier un retour pur et simple à l’avant 1806 (date de liquidation du Saint-Empire). Le libéralisme alors en vogue correspond donc aux aspirations de beaucoup d’Allemands. Ce n’est pas un libéralisme socialement clivant, comme il le sera davantage dans la seconde partie du XIXe siècle lorsque le développement de la société industrielle accentuera les antagonismes de classe7. Les idées libérales ne trouvent alors pas forcément à s’exprimer dans des structures politiques, le libéralisme étant un mouvement peu organisé, sans grande expérience et sans grande pratique. Il est de fait limité dans ses moyens d’expression et d’organisation par une réglementation de la vie publique assez stricte, où la censure demeure importante, notamment depuis les décrets de Karlsbad (1819) et du fait d’un système politique qui ne connaît pas de véritable pluralisme : si certains Etats du Sud comptent des fractions parlementaires, il faudra attendre l’unification allemande pour qu’un relatif pluralisme politique trouve une représentation au sein du Reichstag. Wolfgang Schieder, « Probleme einer Sozialgeschichte des frühen Liberalismus in Deutschland », in W. Schieder (Hg.), Liberalismus in der Gesellschaft des deutschen Vormärz, Göttingen: Vandenhoek & Ruprecht, 1983, S. 9. 6 Cité par W. Schieder, ibid., p. 9 sq. 7 Ibid., S. 9-21. 5
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A défaut d’une organisation politique structurée, le libéralisme se diffuse à travers un réseau associatif (« bürgerliches Vereinswesen ») qui tend à remplacer en partie l’organisation par corporations de la société d’ordres. Il se développe justement entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle, comme l’ont montré dans leurs travaux T.°Nipperdey et O. Dann8. Ce sont concrètement des associations à but scientifique, artistique, économique, caritatif, des clubs de lectures ou encore des loges maçonniques (particulièrement actives au XVIIIe siècle). L’« association des égoïstes » (« Verein der Egoisten ») que préconise Stirner dans son ouvrage s’inscrit au fond dans cette réalité sociale. En dehors de ces réseaux, les idées libérales ont été proclamées à plusieurs reprises durant le Vormärz lors de grands rassemblements bourgeois et estudiantins : les fêtes politiques de la Wartburg en 1817, de Hambach en 1832 ou encore de Cologne en 1842, où affluent des milliers de participants, ont contribué à fédérer l’opposition républicaine et démocrate autour de mots d’ordre mobilisateurs : liberté, égalité, combat contre la censure, unité nationale. Enfin, il existe également un « Beamtenliberalismus » diffus mais bien présent au sein de la fonction publique, et qui est attaché aux principes de l’Etat de droit : c’est notamment le cas en Prusse et dans les Etats constitutionnels du Sud, où certains fonctionnaires se considèrent comme les garants du respect de la constitution. Quelle est la composante sociale des libéraux ? A raison, Stirner affirme dans son ouvrage que l’époque de la bourgeoisie et celle du libéralisme coïncident9. De fait, il existe bien une relation directe entre les idées libérales et la bourgeoisie montante. La fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle voient en effet l’essor de la bourgeoisie et de ses valeurs. Pour désigner celles-ci, les historiens utilisent le concept de « Bürgerlichkeit »10, qui recouvre notamment les idées d’individualité, d’autonomie, de rationalité, de goût pour un ordre moral rationnel. En s’appuyant sur les productions littéraires alors en vogue et les idéaux d’humanité qui y sont représentés, ils ont mis en évidence l’émergence de « caractères », renvoyant à une identité morale, prévalant sur l’identité d’ordre, caractéristique de la société traditionnelle11. Une autre spécificité Ibid., S. 13. Stirner, op. cit., S. 115. 10 Alexa Geisthövel, Restauration und Vormärz, 1815-1847, Paderborn: Schöningh UTB, 2008, S. 154-155. 11 James J. Sheehan, Wie bürgerlich war der deutsche Liberalismus?, in Dieter Langewiesche (Hrsg.), Liberalismus im 19. Jahrhundert, Göttingen: Vandenhoek & Ruprecht, S. 31. 8 9
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des représentations bourgeoises est la confiance en un progrès moral rendu possible par la formation (« Bildung »). Ce progrès moral est également attendu de l’obtention complète de droits civils et politiques. Il est ainsi question dans divers textes à teneur philosophique et juridique de « bürgerliche Verbesserung ». Cette perspective de progrès n’est pas seulement individuelle, elle est aussi collective : la réforme morale est attendue pour le plus grand nombre (idéaux de « Volksbildung », de « Volksbefreiung »)12. Les valeurs bourgeoises articulent ainsi autonomie individuelle et universalité, articulation que l’on retrouve précisément dans la conception libérale. James Sheehan exprime cette orientation universaliste en quelques formules qui correspondent bien au tableau que brosse Stirner lui-même du libéralisme : « Liberale vertraten keine Sonderinteressen, sie sprachen im Namen des Allgemeinwohls ; liberale vertraten keine bestimmte Meinung, sie repräsentierten die aufgeklärte Meinung als solche […] »13. Le libéralisme est indiscutablement un mouvement bourgeois, mais son idéal, précise l’historien Dieter Langewiesche, n’est pas le bourgeois, mais le citoyen : ce qui confère aux idées libérales une attractivité qui dépasse les classes sociales (c’est, comme nous l’avons mentionné plus haut, seulement dans un second temps que les clivages de classe seront davantage marqués) : [...] das liberale Ideal des Staatsbürgers zielte auf den Citoyen, nicht auf den Bourgeois. Darauf beruhte die klassen- und schichtenübergreifende Attraktivität des Liberalismus, die in dem Maße zurückging, in dem das frühliberale Wunschbild der Mittelstandsgesellschaft angesichts der industriekapitalistischen Klassengesellschaft seine Glaubwürdigkeit einbüßte14. Quelle est concrètement la composition sociale des tenants du libéralisme ? La bourgeoisie de culture et de patrimoine (« Bildungs- et Besitzbürgertum »), ainsi que la petite bourgeoisie formée de commerçants, maîtres-artisans, propriétaires immobiliers, banquiers, fonctionnaires15. Cela rassemble en fait une large classe moyenne (contrairement à ce qui se passe en France et à l’Angleterre où a émergé plus précocement une classe bourgeoise supérieure). Ibid., S. 38. Ibid. 14 D. Langewiesche, Deutscher Liberalismus im europäischen Vergleich. Konzeption und Ergebnisse, in Langewiesche (Hrsg.), Liberalismus im 19. Jahrhundert, op. cit., S. 17. 15 Ibid., S. 17. 12 13
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La grande revendication politique des libéraux (dont Stirner fait largement état dans la première partie de son ouvrage) est la constitutionnalisation de l’ordre étatique : il s’agit concrètement de mettre en place dans tous les Etats de la Confédération germanique (« deutscher Bund ») des constitutions incluant un catalogue de droits fondamentaux. Cette disposition est d’ailleurs prévue par les textes juridiques qui fondent la Confédération (« Bundesakte »), mais elle est appliquée de manière très incomplète (la Prusse n’aura pas de constitution avant 1848, par exemple). La Confédération connaît deux « vagues constitutionnalistes » (« Verfassungswellen »)16 : - dans les premières années du Deutscher Bund : des petits Etats, surtout dans le Sud, mais pas uniquement, se dotent d’une constitution : Duché de Nassau, Bavière, Grand-Duché de Bade, Wurtemberg, HesseDarmstadt ; - dans les années 1830, après la révolution de juillet : Royaumes de Saxe, de Hannovre, Duché de Braunschweig, Hessen-Kassel. Précisons que dans la société d’ordres qui est alors en transformation les Etats possédaient en général une constitution qui définissait l’organisation des pouvoirs et des différentes formes de représentation : « Land- » ou bien « altständische Verfassung ». Les libéraux revendiquent quant à eux une « Konstitutionelle Verfassung » et un système représentatif plus égalitaire (dans les faits, il s’agit souvent d’un système bicamériste, où la chambre de représentants disposant des plus grands pouvoirs est encore structurée selon la société d’ordres)17. Pour les libéraux constitutionnalistes, le rôle de l’Etat reste cependant prépondérant. Cette prévalence provient d’une longue tradition juridique qui met en son cœur l’Etat et insiste davantage sur les devoirs des sujets politiques (impôts, défense) que sur leurs droits. L’historien G. Birtsch considère que cette conception est nourrie par le protestantisme et son éthique du devoir, couplé à une conception absolutiste de l’Etat comme garant de l’ordre et du bon fonctionnement de la société18. Ces analyses rejoignent celles de Stirner pour qui le libéralisme, du fait de son absence de médiation avec l’autorité politique et du fait de l’intériorisation des droits fondamentaux valant comme devoir absolu, est l’accomplissement politique du protestantisme. A. Geisthövel, op. cit., S. 12-43. Ibid., S. 22. 18 Günter Birtsch, Gemäßigter Liberalismus und Grundrechte. Zur Traditionsbestimmtheit des deutschen Liberalismus von 1848/49, in W. Schieder (Hg.), Liberalismus in der Gesellschaft des deutschen Vormärz, op. cit. S. 27. 16 17
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Quelques remarques pour clore cette rapide évocation du libéralisme sous le Vormärz : - les formes de libéralisme varient selon les régions (Etats constitutionnels du Sud, Prusse sans constitution, libéralisme rhénan porté par la grande bourgeoisie…). - Le libéralisme, on l’aura compris, n’est pas homogène et il est loisible, à l’instar de Stirner, d’en faire des typologies. Karl-Georg Faber a par exemple distingué trois types de libéralisme préindustriel : un libéralisme bureaucratique (incarné par un fonctionnariat respectueux des principes de l’Etat de droit), un libéralisme constitutionnel (porté par les libéraux modérés revendiquant, comme nous venons le voir, la reconnaissance de droits fondamentaux et une véritable égalité civique) et un libéralisme radical ou démocratique, comme celui des jeuneshégéliens, potentiellement révolutionnaire et incluant à côté de revendications politiques des revendications sociales19. - Le mouvement libéral évolue durant le Vormärz, avec des phases de plus grande activité et revendication, notamment au début des années 1830, sous l’influence des événements français ; et au début des années 1840 avec l’arrivée au pouvoir en Prusse du roi Frédéric-Guillaume IV qui déçoit rapidement les espoirs de réformes placés en lui en refusant d’accorder une constitution. Cela va conduire à une polarisation entre un libéralisme modéré et un libéralisme démocratique20. C’est dans ce contexte que prennent place les discussions des jeunes-hégéliens. II. Critique du libéralisme politique Maintenant que le cadre historique est posé, détaillons la critique que Max Stirner fait du libéralisme. Le premier volet de sa critique concerne le « libéralisme politique ». Il le présente sous trois aspects. D’abord, Stirner définit le libéralisme comme une revendication de liberté politique (« Die politische Freiheit, diese Grundlehre des Liberalismus […] »21.). Le libéralisme marque de fait l’avènement de la figure du citoyen, telle que consacrée par les Déclarations françaises des droits de l’homme et du citoyen et la Déclaration d’indépendance américaine. Cet avènement signifie la fin des privilèges (« Vorrechte » – thème discuté notamment dans les pages 110 et suivantes de L’Unique) : l’individu ne se distingue plus par sa naissance, son rang, son métier, mais acquiert le statut Ibid., S. 17. Ibid., S. 18. 21 Stirner, op. cit., S. 116. 19 20
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universel de citoyen. Par ce nouveau statut, il devient un Homme véritable. Selon Stirner (dont les analyses rejoignent par exemple celles de G. Birtsch présentées plus haut), le libéralisme politique valorise excessivement la notion d’intérêt général, garanti par l’Etat, ou encore la Nation, autre représentation conceptuelle de l’unité fictive de la collectivité politique, et il étouffe par cette survalorisation les intérêts particuliers. Stirner ne croit pas aux théories du contrat et à toutes les théories de la citoyenneté moderne qui essaient de faire coïncider volontés particulières et volonté générale. Kant est notamment visé (et ses projets de « meilleure constitution possible »22) ; Hegel et ses Principes de la philosophie du droit sont aussi évidemment la cible des critiques23. On ne développera pas ici la philosophie du droit de Hegel, mais l’on se souviendra que l’Etat est le troisième niveau de manifestation de l’« Esprit objectif » dans le milieu de la « vie éthique » (« Sittlichkeit »), après la famille et la société civile : il est justement la sphère dans laquelle ou grâce à laquelle les volontés individuelles, qui se déploient dans les activités sociales et économiques, éprouvent la substance de leur liberté en faisant coïncider intérêts particuliers et intérêt collectif, droits et devoirs. Illusionnisme, selon Stirner : ma volonté ne peut être que Ma volonté propre, spécifique, irréductible. Le deuxième aspect de la critique de Stirner porte sur la composante sociale du libéralisme. Pour lui, comme pour ses comparses jeuneshégéliens, la Révolution a été une révolution bourgeoise. Libéralisme et bourgeoisie, comme nous l’avons évoqué plus haut, se recoupent : « Mit der Zeit der Bourgeoisie beginnt die des Liberalismus »24. L’égalité des droits dissimule le fait que la Révolution a été une révolution de propriétaires, qui ne voulaient plus prêter d’argent à l’Etat sans disposer en retour d’une reconnaissance politique : telle fut en effet la revendication issue des Etats généraux au printemps 1789 et qui enclencha le processus révolutionnaire25). En outre, si le passage d’une société d’ordres à une société libérale conduit progressivement à une disparation des intermédiaires (états, rangs, corporations) auxquels sont attachés des statuts, des droits, des privilèges à chaque fois particuliers, tous les ordres n’ont pas pour autant disparu ; un ordre subsiste et s’impose, sous les dehors de l’universalisme politique : la bourgeoisie. La bourgeoisie s’est niée en tant qu’« état » (« Stand »), argumente Stirner, pour mieux s’imposer en tant qu’« Etat » (« Staat ») : « Er [Der dritte Stand] entschloß sich, nicht mehr ein Ibid., S. 108. Ibid. 24 Ibid., S. 115. 25 Ibid., S. 109-110. 22 23
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Stand neben anderen Ständen zu sein und zu heißen, sondern zur „Nation“ sich zu verklären und zu verallgemeinern »26. A la même page, Stirner explique que le Tiers-Etat ne s’était proclamé nation que pour demeurer le seul état encore existant : « … nicht ein Stand neben anderen Ständen zu bleiben, sondern der einzige Stand zu werden. Dieser einzige Stand ist die Nation, der „Staat“ (status) ». Notons que l’on retrouve au même moment la même idée chez le jeune Marx, notamment dans La Question juive (1844)27. Troisième aspect du libéralisme politique visé par la critique de Stirner : le fondement religieux du nouvel ordre politique. En effet, l’émancipation et l’égalité politiques produisent, du fait de la disparition des corps intermédiaires, une absence de médiation entre les citoyens et l’Etat. Ceux-là sont directement responsables devant celui-ci. Pour Stirner, nous l’avons déjà suggéré, cette absence d’autorité intermédiaire dépersonnalise le lien au pouvoir et à la loi et le spiritualise – de même que, dans le protestantisme, l’individu, dans sa croyance, est directement confronté à Dieu et développe une obéissance d’autant plus grande qu’il n’existe plus de paliers de décompression intermédiaires – le croyant accueille en sa conscience « l’Etat policier intérieur »28. Stirner présente ainsi le libéralisme politique comme la « seconde phase du protestantisme »29. C’est pour cela que Stirner croit pouvoir affirmer que le « roi constitutionnel est le roi chrétien », soumis à un principe spirituel supérieur, ou encore que la monarchie constitutionnelle représente « la vie accomplie d’un Etat chrétien »30. Ainsi, non seulement le constitutionnalisme est loin d’être la règle unanime au sein de la Confédération germanique, mais quand il est appliqué il trahit de toute façon son but ou s’illusionne sur lui-même puisqu’il représente l’intérêt d’une classe sociale et établit un nouveau rapport de sujétion. Notons que l’on retrouve le même schéma historico-philosophique chez Marx, plus développé, notamment dans La Question juive : l’émancipation politique, consacrée dans l’Etat libéral bourgeois est l’aboutissement de l’Etat chrétien, et témoigne, paradoxalement, de « l’essence profane du christianisme »31.
Ibid., S. 113. Karl Marx, La Question juive, in K. Marx, Philosophie, Paris : Gallimard, Folio-Essais, 1982. 28 Stirner, op. cit. S. 97. 29 Ibid., S. 116. 30 Ibid., S. 118. 31 Marx, op. cit., p. 55sq. 26 27
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III. Critique du libéralisme social Stirner vise par cette critique le socialisme et le communisme, c’est-àdire un libéralisme radical, démocratique, révolutionnaire qui se porte sur le terrain social. Deux références apparaissent dans L’Unique et sa propriété : le socialisme français à travers la figure de Joseph Proudhon32 et notamment de son ouvrage publié en 1840 Qu’est-ce que la propriété ?; et le communisme allemand incarné par Wilhelm Weitling, de fait l’un des premiers communistes, se réclamant de Gracchus Babeuf et l’un des membres fondateurs de la Ligue des justes (Bund der Gerechten) en 1836, à Paris, par des activistes exilés (Ligue qui remplace d’ailleurs le Bund der Geächteten – la Ligue des bannis fondée en 1834). La Ligue des justes sera rebaptisée Bund der Kommunisten en 1847 à Londres, où Weitling rencontre Marx et Engels. Karl Marx n’est pas mentionné dans L’Unique : il est de fait encore jeune (né en 1818, il est de douze ans le cadet de Stirner), quoique déjà actif dans ces années 1840, et Stirner, qui ne l’a jamais rencontré, le considère alors certainement comme une figure secondaire des jeunes-hégéliens. L’argument principal des socialistes est que l’émancipation politique n’est pas complète (l’Etat émancipé par le libéralisme politique est un Etat bourgeois) : il faut réaliser l’émancipation sociale (émanciper la société des ordres qui la structurent). Stirner critique cette conception qui lui apparaît aussi utopique que simpliste. Pour lui, la transformation ne peut venir que de chacun de nous : il est vain et immature de l’attendre d’un ordre social supérieur. Il critique avec ironie la volonté des communistes de remplacer le hasard par la nécessité, de créer des hommes libres en éradiquant le hasard : il y a là un paradoxe que Stirner s’amuse à débusquer. Il s’applique en outre à désamorcer la condamnation morale portée par les socialistes : pour eux, la société bourgeoise est une société d’égoïstes. Le mot revient souvent sous la plume de Marx, par exemple dans sa critique des économistes libéraux. Pour lui, comme pour les autres jeunes-hégéliens, l’anthropologie implicite véhiculée par le libéralisme favorise la possession égoïste, l’atomisation sociale et l’appauvrissement de l’être humain. A contrario, Stirner assume de manière provocatrice une forme de vie égoïste : l’individu égoïste est en réalité vraiment émancipé – il n’est pas diminué, ni limité. Par ailleurs, Stirner assume pleinement l’idée de propriété. Etre libre, c’est être libre de posséder. Posséder permet la 32
Sur la critique de Proudhon par Stirner, nous renvoyons à la contribution de JeanChristophe Angaut.
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satisfaction de désirs, permet de jouir de la vie, d’exprimer sa singularité. La liberté a besoin d’un contenu - qui peut être très concret, très particulier : être libre, c’est être libre d’avoir quelque chose. Et la première propriété est donnée par le corps, première affirmation d’une existence qui se pose indépendamment des essences. En s’opposant à la critique de la propriété conduite par les socialistes, Stirner aperçoit le danger d’une dépossession qui signifierait plus qu’une simple dépossession matérielle. IV. Critique du libéralisme humain Le troisième type de libéralisme que Stirner identifie et soumet à sa critique est le « libéralisme humain ». Ce libéralisme considère que le citoyen (qui est un bourgeois) et le travailleur (qui ne représente qu’une partie de l’Humanité laborieuse et de l’Humanité en général) sont encore prisonniers de particularités ; il prétend poursuivre et achever la critique et dégager l’essence de l’humanité dans l’individu. L’interlocuteur privilégié de Stirner est ici Bruno Bauer. On sait que Bauer fut la personnalité saillante et fédératrice du groupe d’intellectuels qui se retrouvent depuis le début des années 1840 au Café Hippel à Berlin et que l’on désigne du surnom des « Freien ». On sait aussi que Stirner et Bauer furent de bons amis (et le demeurèrent même après les critiques que le premier a adressées au second dans son ouvrage), qui s’étaient rencontrés à Berlin, en 1827, à l’occasion des cours de Hegel. La critique que Stirner adresse au libéralisme humain qu’incarne selon lui Bauer se focalise, dans L’Unique, sur la « question juive » que Bauer a abordée dans deux textes parus en 1842-184333. Avant de présenter les arguments de Bauer, ceux de Stirner et également ceux de Marx, qui a également pris part aux discussions concernant le statut des Juifs et dont l’essai La Question juive (1844) est une réponse aux textes de Bauer, nous souhaiterions replacer ces débats dans leur contexte historique. De fait, la « question juive », comme il n’est alors pas rare de désigner le problème du statut des Juifs dans la société allemande, constitue, dans les années 1840, une question d’actualité – qui plonge ses racines dans les débats politiques et philosophiques des années 1780. En 1842, le gouvernement de Prusse travaille au projet d’accorder une plus grande autonomie aux communautés juives. Ce projet suscite un débat, dont les 33
Bruno Bauer, Die Judenfrage (d’abord paru dans les Deutsche Jahrbücher, nov. 1842) ; Die Fähigkeit der heutigen Juden und Christen, frei zu werden (paru dans 21 Bogen aus der Schweiz, 1843).
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termes sont, en la matière, récurrents : est-il préférable d’accorder une autonomie collective à une communauté religieuse ou suffit-il d’accorder à ses membres des libertés individuelles et des droits politiques identiques à ceux des autres citoyens ? La reconnaissance politique et juridique doit-elle favoriser un fonctionnement autonome ou au contraire une assimilation et une dissolution des spécificités ? Ces questions sont également d’actualité en France dans les années 1840 : trois Juifs entrent en effet à l’Assemblée nationale en 1842 : Crémieux, Cerfberr et Fould. Des discussions, dont Bauer et Marx se font l’écho dans leurs écrits34, sont alors engagées, avec des interrogations du type : est-il possible pour un Juif d’aller à l’Assemblée le samedi (jour de sabbat) ? Faut-il cesser de faire du dimanche un jour à part ? La question de la spécificité de l’appartenance religieuse et plus précisément du statut des Juifs est en fait débattue depuis plusieurs décennies et elle s’inscrit dans une réflexion sur les fondements de la modernité politique : comment définir désormais les rapports entre Etat et Eglises ? Comment articuler les droits particuliers et les droits universels ? Comment passer d’une société où existaient de nombreux statuts et privilèges particuliers à une société d’égaux ? La question juive se pose alors concrètement dans les termes d’une « émancipation » (« Emanzipation ») possible ou impossible35. L’historien Reinhard Rürup évoque des documents juridiques datant de 1817 portant sur « die Emanzipation der Juden ». Le philosophe Wilhelm Traugott Krug (successeur de Kant à Königsberg) publie en 1828 un texte intitulé : „Über das Verhältnis verschiedener Religionsparteien zum Staate und über die Emanzipation der Juden“36. Rappelons que les Juifs ont alors un statut particulier : ils vivent en dehors de l’organisation sociale en ordres - « ständisch ». Ils ne peuvent exercer certains métiers (comme travailler dans l’administration, l’armée ou l’enseignement) ; ils ne peuvent bénéficier de droits civiques complets ; ils paient des taxes particulières pour voyager, se marier, exercer leur métier. Vers 1800, l’on compte environ trois-cent-mille Juifs (soit 1% de la population), dont la moitié vit en Prusse. La question de l’émancipation politique et sociale des Juifs en Allemagne (et en Europe) se pose de manière aiguë à deux moments particuliers de l’histoire récente : K. Marx (op. cit., p. 51) cite justement Bauer évoquant ces questions. Pour plus de détails, voir : Geisthovel, op. cit., S. 69 sq. 36 Ibid. 34 35
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- une première phase de réformes a lieu entre 1780 et 1815, autour de la Révolution française. On sait que l’Assemblée constituante a accordé une pleine égalité des droits aux Juifs en 1791. Dans ce mouvement, auquel participent, avec des visées à la fois humanistes et utilitaristes, le roi de Prusse Frédéric II et l’empereur d’Autriche-Hongrie Joseph II, un certain nombre d’Etats allemands libéralisent le statut des Juifs, accordant des droits partiels ou complets de vote, de participation aux représentations communales, de métier, d’installation : le Grand Duché de Berg, le Royaume de Westphalie, les territoires situés sur la rive gauche du Rhin (sous domination française), le Grand Duché de Hesse, le royaume de Mecklemburg-Schwerin, la Prusse (partie non rhénane – qui publie un « Judenedikt » en 1812) ou encore la Bavière (1813). - une deuxième phase d’émancipation a lieu dans les années 1840. Entre les deux, à partir de la restauration de 1815, on assiste à une stagnation voire à une régression de la situation politique et juridique des Juifs. Dans les Etats administrés par les Français pendant l’occupation napoléonienne, les gouvernements reviennent sur l’égalité des droits qui avait été accordée. En Prusse, par exemple, les Juifs ne peuvent plus exercer de métiers dans la fonction publique. Ce retour en arrière est aussi le contrecoup d’une plus grande visibilité des Juifs, du début de leur émancipation, qui provoquent des réactions antisémites : par exemple en 1819 avec les émeutes ou « pogroms hep-hep » qui partent de Würzburg et se répandent dans différents Etats de la Confédération. Ces événements historiques et politiques vont de pair avec une réflexion philosophique menée depuis les années 1780 sur les fondements de l’émancipation, et qui oscille entre arguments pragmatiques et arguments normatifs37. Pour ne citer que deux noms connus, mentionnons ici Christian Wilhelm von Dohm et Moses Mendelssohn. Ils appartiennent à ce qu’on a pu appeler les « vraies Lumières » (« die wahre Aufklärung »), ces années 1780-1785 où le projet rationaliste de l’Aufklärung, fragilisé par les critiques, tente de s’affirmer contre ses adversaires. Von Dohm est un juriste, haut-fonctionnaire prussien de la cour de Frédéric II. Proche de Mendelssohn, il rédige, sur la demande de celui-ci, à destination d’un juriste français, un ouvrage sur la situation actuelle des Juifs en Allemagne : Über die bürgerliche Verbesserung der Juden (1781). Il y mêle deux types d’approche : une 37
Voir sur ces débats philosophiques : Maiwenn Roudaut, Tolérance et reconnaissance en débat. Des Lumières allemandes à l’Ecole de Francfort, Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, 2015.
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approche utilitariste d’une part - il considère qu’il est de l’intérêt de la Prusse, pour son développement et son enrichissement, que les Juifs soient mieux intégrés socialement ; une approche jusnaturaliste d’autre part – il pense l’émancipation des Juifs dans le cadre d’une réflexion sur les droits de l’homme. Il cherche à combattre les préjugés tenaces sur la corruption des Juifs : c’est en intégrant ceux-ci qu’ils perdront leurs défauts sociaux et moraux. Von Dohm rompt ainsi avec la représentation très courante d’une corruption ontologique des Juifs38. La méthode préconisée par von Dohm est une intégration politique et juridique progressive, laquelle permettra une « amélioration » sociale et morale des Juifs – suggérée dans le titre de son ouvrage. Il s’oppose ainsi à une conception et une pratique souvent préconisée à l’époque et considérée comme la seule garantie de l’intégration des Juifs dans la société allemande : la conversion au christianisme. Moses Mendelssohn, le grand représentant des Lumières juives allemandes (« Haskala ») tente quant à lui de fonder en raison l’émancipation des Juifs, c’est-à-dire de la fonder sur les principes du droit naturel, notamment sur la reconnaissance de la liberté de conscience39. A la religion (à la pensée, à l’opinion) ne peut être attaché aucun privilège. Il passe d’un discours pragmatique (que l’on retrouve chez les monarques éclairés, comme chez von Dohm) à un discours normatif. Il insiste en même temps sur le fait que la question religieuse n’est pas seulement d’ordre privé : l’Etat lui-même, les structures, les mentalités, sont chrétiens. Ce sont les mêmes questions qui se reposent dans les années 1840 : les juifs peuvent-ils s’émanciper ? Peuvent-ils se défaire de leur identité juive ? Comment peuvent-ils s’intégrer au sein d’une société foncièrement chrétienne ? Pour Bruno Bauer, l’émancipation des Juifs : est avant tout une question religieuse, théologique. Les Juifs sont responsables de leur marginalité car ils refusent de se définir indépendamment de ce particularisme. L’émancipation des Juifs passent par une émancipation vis-à-vis de la religion. Et ce du reste à double titre : les Juifs sont prisonniers de leur identité religieuse et l’Etat allemand est un Etat chrétien. Il est impossible pour les Juifs de recevoir l’émancipation, comme il est impossible pour l’Etat allemand de la leur accorder. La conviction de Bauer est que l’opposition entre deux identités religieuses 38 39
Ibid., p. 74. Ibid., p. 88.
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est insurmontable : « Il est et reste Juif, bien qu’il soit citoyen et vive dans des conditions humains communes à tous : sa nature juive, donc limitée, l’emporte toujours finalement sur ses obligations humaines et politiques »40. La seule issue consiste donc à abolir la religion. Quels sont les arguments de Marx à l’encontre de la thèse de Bauer ? Bauer affirme que les Juifs ne peuvent s’émanciper politiquement sans s’émanciper du judaïsme. Marx répond que cette émancipation est possible, mais cette émancipation politique n’est pas l’émancipation humaine. La seule issue est l’émancipation vis-à-vis de l’Etat. Marx développe sa thèse en examinant la nature des droits de l’homme. Pour Bauer, les Juifs ne peuvent bénéficier des droits de l’homme car ceux-ci procèdent d’une histoire et d’une culture particulières auxquelles les Juifs sont étrangers. Pour Marx, au contraire, les Juifs peuvent tout à fait disposer de ces droits : d’une part, ils consistent en partie en des droits de participation politique (droits du citoyen) et Marx ne voit pas quel obstacle empêcherait les Juifs de participer activement à la vie publique ; d’autre part, ce sont pour partie des droits civils (par ex. la liberté de conscience, la liberté de culte : les « droits de l’homme » à proprement parler) : de même, Marx ne voit pas ce qui devrait tenir les Juifs éloignés de la jouissance de ces droits. Au contraire, affirme-t-il : « Le privilège de la foi est un droit universel de l’homme »41. Le problème est donc ailleurs. Il est profondément social et économique. Examinant les droits fondamentaux proclamés dans les Déclarations françaises et américaines (liberté, égalité, sûreté et propriété), Marx en vient à la conclusion que ce sont les droits de membres particuliers de la société civile, les droits d’hommes égoïstes, de « monade[s] isolée[s] et repliée[s] sur elle[s]-même[s] »42. Ce sont les droits des bourgeois. Dans ces Déclarations de droits inaliénables, le bourgeois est pris pour l’Homme véritable. Pourquoi cette sacralisation des droits de l’homme ? Cela tient au changement de société. Dans le système de la société d’ordres, la société civile est, selon Marx, politique : elle définit un rapport de l’individu au tout de l’Etat, mais via des sociétés particulières (les corporations). La Révolution a supprimé le caractère politique de la société civile43, lequel s’est reconfiguré au sein d’une sphère politique générale (l’Etat, la figure du citoyen). Les activités sociales sont quant à elles désormais découplées de la vie politique. Cité par Marx, op. cit., p. 51. Ibid. p. 70. 42 Ibid., p. 71. 43 Ibid., p. 76. 40 41
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L’Homme égoïste apparaît clairement, qui est la condition de l’Etat politique. Et celui-ci lui octroie en retour des droits de l’homme. Ainsi, l’émancipation politique scinde l’Homme en deux : individu égoïste d’une part, citoyen, personne morale d’autre part. L’homme réel doit retrouver en lui l’Homme générique dans sa vie empirique, c’est-à-dire dans son travail et ses rapports individuels, seule possibilité pour accéder à une existence véritablement émancipée. Au fond, conclut Marx, la différence entre l’homme religieux et le citoyen est de la même nature que la différence entre le commerçant, le propriétaire foncier et le citoyen : elle renvoie à la différence « entre individu vivant et citoyen », entre bourgeois et citoyen. Ce sont ces « oppositions profanes » qui sont au cœur de la question juive ; or Bauer ne les prend pas en compte, mais se contente de polémiquer contre des formes religieuses44. Stirner a probablement eu connaissance du texte de Marx, strictement contemporain de la rédaction de L’Unique et paru à Paris dans les Annales franco-allemandes en 1844. Mais il ne l’évoque pas et préfère répondre à Bauer, alors figure centrale des jeunes-hégéliens. Il le fait à sa façon directe et anti-académique, sans entrer dans des raisonnements socioéconomiques qui lui semblent être des arguties visant à démontrer une idée (fixe) tout bonnement fausse (en l’occurrence qu’il y aurait une forme d’humanité supérieure aux autres, dépouillée des particularités, considérées comme autant de limitations) : Tu es certes plus que juif, plus que chrétien, etc… mais tu es aussi plus qu’homme. Idées que tout cela, alors que toi tu es de chair et d’os. Penses-Tu donc pouvoir jamais devenir « homme en tant que tel » ? Crois-Tu que nos descendants n’auront ni préjugés ni barrières à abattre, pour lesquels nos forces n’auront pas suffi ? Ou T’imagines-Tu être arrivé en la quarantième ou cinquantième année, si loin que les jours suivants n’aient plus rien à défaire en Toi et que Tu sois homme ?45 Stirner dénonce avec ironie le fantasme d’un état futur où l’être humain serait enfin dépouillé de particularismes censés nier son humanité. Il en appelle à l’inverse à la spontanéité créatrice (cf. l’avantpropos de l’ouvrage), à la capacité à ne fonder son existence sur aucune cause particulière à laquelle elle serait subordonnée. Il invite à se défier 44 45
Ibid., p. 55. Stirner, op. cit., S. 139.
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de toute identité unique, figée, collective, abstraite. Sur fond de débats politiques suscités par le bouleversement social et économique en cours, Stirner défend un existentialisme exhortant l’individu à agir selon sa propre mesure : En va-t-il autrement des juifs d’aujourd’hui ? S’ensuit-il de ce que Vous avez découvert l’idée d’humanité que chaque juif puisse s’y convertir ? S’il le peut, il n’y manquera pas et, s’il y manque, c’est qu’il ne le peut. Que lui importe, en effet, votre exigence et cette vocation d’être homme que Vous lui intimez ?46.
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Ibid., p. 140.
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3. Réception
Jean-Christophe Angaut* Stirner et l’anarchie Erst mit der letzten Separation endigt die Separation selbst und schlägt in Vereinigung um1 Trois raisons au moins incitent à examiner le rapport de Max Stirner à l’anarchie. La plus évidente, c’est que dans la plupart des histoires de l’anarchisme, figure un chapitre consacré à Max Stirner, considéré comme l’ancêtre de l’individualisme anarchiste. Mais c’est aussi que la question se pose aussi pour d’autres membres du mouvement jeune hégélien, dont certains (Michel Bakounine, Moses Hess ou Edgar Bauer) peuvent être qualifiés d’anarchistes à un moment de leur parcours, de sorte que l’on peut ainsi contribuer à éclairer le rapport plus général des jeunes hégéliens à l’anarchie2. Enfin, il s’agit de rendre compte du fait que, dès qu’est apparu un courant anarchiste dans le mouvement ouvrier, ses adversaires au sein de ce mouvement ont estimé que Stirner en constituait une source. Si nous évoquons ici l’anarchie et non l’anarchisme, c’est que celui-ci, en tant que mouvement identifié, se constitue trois décennies après la publication de L’Unique, de sorte qu’il y a au minimum un anachronisme à parler d’anarchisme à propos de cet ouvrage. À ce titre, le recours au mot « anarchie » présente au moins deux avantages : il permet de rendre compte de l’usage de ce terme à l’époque par Stirner et d’autres jeunes hégéliens ; il fait signe vers l’usage qu’en ont fait des anarchistes individualistes se réclamant de Stirner au tournant des XIXe et XXe siècles3. Les données du problème peuvent être réparties en trois rubriques. Il s’agit d’abord de montrer le rôle joué par la réception anarchiste de École Normale Supérieure de Lyon, UMR5206 Triangle, 15 parvis René Descartes, BP 7000 69342 Lyon Cedex 07, [email protected] 1 Sauf indication contraire, toutes les citations de L’Unique et sa propriété renvoient à l’édition allemande : Max Stirner, Der Einzige und sein Eigentum, Stuttgart : Reclam, 2011 (abrégé dans le texte en R, suivi du numéro de page : cit. R254). 2 Pauline Clochec, Les jeunes hégéliens et l’anarchisme, in Dissidences, vol. 14, Lormont, 2015, p. 55-66. 3 Notamment ceux du journal l’anarchie, où, d’une manière peut-être très stirnérienne, la majuscule était bannie pour éviter de sanctifier même l’anarchie *
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Stirner dans sa redécouverte et dans son association à l’anarchisme. Il faut ensuite interroger le rapport effectif que Stirner, dans L’Unique, entretient avec la notion d’anarchie et avec des auteurs que l’on peut considérer à l’époque comme anarchistes (principalement Proudhon). C’est à partir de là qu’il est possible de se demander ce qui, chez Stirner, fournit une prise à sa réception anarchiste, et donc ce que serait un anarchisme stirnérien. I. Réception anarchiste de Stirner et réception de Stirner comme anarchiste Il faut toutefois, pour commencer, souligner le rôle qu’a pu jouer le marxisme dans l’association de Stirner à l’anarchisme. Avant que des anarchistes ne la revendiquent, on trouve en effet chez Marx et Engels plusieurs indications sur la figure de Stirner comme l’une des sources de l’anarchisme naissant auquel ils s’opposaient au sein du mouvement ouvrier. Dès 1874, dans ses notes en marge d’Étatisme et anarchie de Bakounine, Marx estime que celui-ci « a simplement traduit en langue tartare sauvage l’anarchie de Proudhon et de Stirner »4. Quelques années plus tard, alors qu’il revient sur son passé hégélien, son ami Engels propose un rapprochement similaire, notamment dans une lettre à Max Hildebrand du 22 octobre 1889 : Eine Wiedergeburt hat Stirner erlebt durch Bakunin, der übrigens zu jener Zeit auch in Berlin war […]. Die harmlose, nur etymologische Anarchie (d. h. Abwesenheit einer Staatsgewalt) hätte nie zu den jetzigen anarchistischen Doktrinen geführt, hätte nicht Bakunin ein gut Teil Stirnerscher ‘Empörung’ in sie hineingegossen5. On notera toutefois que dans ce texte, pas plus que dans d’autres6, 4 Karl Marx et Friedrich Engels, Werke, , Bd. 18, Berlin : Dietz Verlag, 1976, p. 637. 5 K. Marx et F. Engels, Werke, Bd. 37, Berlin : Dietz Verlag, 1967, p. 293. On retrouve cette argumentation dans un article d’Eduard Bernstein, Die soziale Doktrin der Anarchismus. II. Max Stirner und ‘Der Einzige’, in Die Neue Zeit, 10ème année (1891), vol. I, n° 14, p. 421-428. 6 Voir aussi Ludwig Feuerbach und der Ausgang der klassischen deutschen Philosophie (K. Marx et F. Engels, Werke, Bd. 21, Berlin : Dietz Verlag, 1962, p. 291) : « Stirner blieb ein Kuriosum, selbst nachdem Bakunin ihn mit Proudhon verquickt und diese Verquickung ‘Anarchismus’ getauft hatte ». Cela fait beaucoup d’erreurs en une seule phrase : Bakounine, qui ne l’a jamais fréquenté, ne cite le nom de Stirner qu’une seule fois dans son œuvre (dans une liste de jeunes hégéliens : Étatisme et anarchie, Paris, Champ Libre, 1974, p. 316). Et le mot « anarchisme » n’est jamais
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Engels ne fait de Stirner un anarchiste, puisque selon lui, l’anarchisme découle bien plutôt de la rencontre, dans Bakounine, de l’anarchie proudhonienne et de la révolte stirnerienne. S’il y a donc bien une tradition qui associe Stirner à l’anarchisme, et qui est hostile aussi bien à l’un qu’à l’autre, il s’agit moins pour elle de le disqualifier comme anarchiste que de disqualifier l’anarchisme en y associant Stirner7. L’examen de la réception anarchiste de Stirner montre ensuite que si le concept d’anarchisme a souvent été utilisé pour qualifier la doctrine de Stirner, c’est assez rarement à son encontre. Bien au contraire, c’est parce que certains anarchistes, à la fin du XIXe siècle, ont cru pouvoir reconnaître dans l’auteur de L’Unique l’un de leurs devanciers, ou un devancier de certains de leurs compagnons, qu’ils en sont venus à l’intégrer à une tradition anarchiste. Il ne saurait ici être question de faire le tour de la foisonnante réception anarchiste de Stirner et des discussions qu’elle a engendrées dans tous les pays où le mouvement anarchiste était implanté. Quelques grandes tendances peuvent néanmoins être dégagées. La renaissance de Stirner, dont le livre était tombé dans l’oubli après 1848 et avait dû attendre 1882 pour connaître une réédition, est principalement due à l’intérêt que des anarchistes lui ont porté à la fin du XIXe siècle8. Le rôle qu’a joué pour cette redécouverte son biographe, John Henry Mackay, lui-même de sensibilité libertaire, n’est plus à rappeler9. Sa fameuse biographie de Stirner10, publiée en 1898, est employé par Bakounine – ni par personne en son sens actuel avant le milieu des années 1870. 7 Quelques années après Engels, le philosophe marxiste russe Gueorgui Plekhanov fait de Stirner, plus que de Proudhon, « der Vater der Anarchie » : Anarchismus und Sozialismus, Berlin : Vorwärts, 1894, p. 17. Plus significative encore est sans doute la première publication en 1903 par E. Bernstein du manuscrit dans lequel Marx critique Stirner quelques mois après la sortie de L’Unique (manuscrit qui sera plus tard publié comme une partie de L’idéologie allemande). 8 Littéralement, le premier anarchiste à avoir parlé de Stirner est aussi le premier auteur à s’être déclaré anarchiste : Proudhon le mentionne en effet en 1852 (« comme représentant la religion du moi individuel ») dans ses Carnets et dans les ébauches d’un Cours d’économie qui ne verra jamais le jour. Ces textes sont cités par Pierre Haubtmann, La philosophie sociale de P.-J. Proudhon, Grenoble : PUG, 1980, p. 116117. Il est très probable que Proudhon ait été informé du contenu du livre de Stirner par Karl Grün à Paris dès 1845. 9 Sur la figure attachante de John Henry Mackay, on peut notamment se reporter à Ruth Kinna, The Mirror of Anarchy : the Egoism of John Henry Mackay and Dora Mardsen, in Saul Newman (ed.), Max Stirner, New York : Palgrave Macmillan, 2011, p. 42-64. 10 John Henry Mackay, Max Stirner. Sein Leben und sein Werk, Berlin 1898.
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l’aboutissement d’une décennie de recherche et de propagande en faveur de Stirner, qu’atteste déjà son roman à succès Die Anarchisten en 1891 dans lequel Stirner est cité dans la préface aux côtés de Proudhon comme l’un des pères de l’anarchie11. Mackay a toutefois été devancé dans cette redécouverte de Stirner par des anarchistes américains comme Benjamin R. Tucker, qui affirme l’avoir étudié dès 1884, publie une série d’articles à son sujet dans son journal Liberty à partir de 1886 et rencontre personnellement Mackay dès 188912. Mais Mackay n’est pas non plus le seul anarchiste allemand de l’époque à s’intéresser à Stirner. Dès le début des années 1890, le jeune Gustav Landauer le cite favorablement13. Dans le monde germanophone, l’un des premiers auteurs à tenter explicitement de situer Stirner dans la tradition anarchiste est Paul Eltzbacher qui, dans son ouvrage de 1900 Der Anarchismus14, présente Stirner comme l’un des sept penseurs majeurs de l’anarchisme (aux côtés de Godwin, Proudhon, Bakounine, Kropotkine, Tucker et Tolstoï). Tout un chapitre lui est consacré et l’ouvrage, écrit par un juriste plus sympathisant que militant, tente par ailleurs de le situer dans une série de classifications des doctrines tournant autour de leurs fondements doctrinaux, de leurs rapports au droit, à l’État et à la propriété et des moyens de réalisation qu’elles envisagent15. En France, c’est dans les milieux anarchistes, et plus particulièrement chez les individualistes et dans toute une bohème littéraire, que L’Unique et sa propriété a été pour la première fois traduit intégralement en français : d’abord par l’anarchiste Robert L. Reclaire16 puis par Henri Lasvignes l’année suivante17. Mais il en a existé des traductions partielles à partir de 1894 (la première par Henri Albert18, par ailleurs traducteur de Nietzsche), et plus généralement, on trouve quantité de mentions de 11 L’ouvrage ayant été traduit en français dès 1892, il est possible d’y voir l’une des sources de l’intérêt précoce pour Stirner en France. 12 Hubert Kennedy, Introduction, in J. H. Mackay, Dear Tucker. The Letters from John Henry Mackay to Benjamin R. Tucker, San Francisco, Peremptory Publications, 2002. 13 Voir les articles Morgen oder übermorgen ? (30 septembre 1893) et Zur Entwicklungsgeschichte des Individuums (8 février 1896) in Gustav Landauer, Anarchismus, Ausgewählte Schriften, Band 2, Berlin : Verlag Edition AV, 2009, cit. p. 42 et p. 65. 14 Paul Eltzbacher, Der Anarchismus, Berlin 1900. L’ouvrage fut traduit dans une demiedouzaine de langues (dont le français) au cours de la décennie suivante. 15 Voir respectivement les ch. 5 (p. 82-101) et 10 (p. 244-257). 16 Max Stirner, L’Unique et sa propriété, Paris : Stock, 1899. 17 Max Stirner, L’Unique et sa propriété, Paris : Éditions de la Revue Blanche, 1900. 18 Max Stirner, Je n’ai mis ma Cause en personne, trad. H. Albert, Mercure de France, t. XI, n° 53 (mai 1894), p. 28-31.
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Stirner dans les années 1890 dans un certain nombre de revues françaises (La Revue Blanche, La Revue Bleue ou Le Mercure de France) où s’expriment des voix (notamment symbolistes) proches d’un anarchisme littéraire19. Rapidement, Stirner est évoqué comme l’un des inspirateurs, ou des précurseurs de l’individualisme anarchiste20. Dans cette première réception anarchiste de Stirner, on trouve un premier paradoxe : ce sont ses promoteurs qui contestent d’emblée le caractère anarchiste de sa doctrine. Alors qu’un théoricien communiste anarchiste comme Pierre Kropotkine, tout en signalant ses différends théoriques avec lui et en estimant que sa doctrine séduit essentiellement les milieux artistes, mentionne Stirner comme anarchiste dans son article de 1910 sur l’anarchisme dans l’Encyclopaedia Britannica21, parmi les représentants de l’individualisme anarchiste qui se réfèrent à lui, tous sont loin de le reconnaître comme anarchiste. C’est le cas notamment chez ses deux premiers traducteurs français. Reclaire explique ainsi que Stirner n’a fait qu’entrevoir « le fond positif et fécond de sa pensée » et que « c’est à nous, Anarchistes, à aborder au port », pour ne pas en rester à « un nihilisme purement théorique »22. Quant à Lasvignes, il estime qu’il « y aurait erreur […] à assimiler Stirner aux anarchistes de notre temps », en raison de son « positivisme glacé »23 qui s’oppose à l’idéalisme de ceux-là. Dans la réception anarchiste de Stirner, la lecture qu’en fit Gustav Landauer se distingue par sa consistance. Tout en alternant au cours de sa vie éloignements et rapprochements avec l’auteur de L’Unique, il 19 Ainsi le germaniste Charles Andler publie en 1892 (sous le pseudonyme de Théodore Randal) un éloge du livre Stirner comme « le plus complet manuel d’anarchisme qui se puisse » (Le livre libérateur, in Entretiens politiques et littéraires, septembre 1892, p. 128). Sur la réception symboliste de Stirner, voir Thierry Roger, « Art et anarchie à l’époque symboliste : Mallarmé et son groupe littéraire », Fabula / Les colloques, De l’absolu littéraire à la relégation : le poète hors les murs (juin 2011), page consultée le 26 janvier 2017, URL : http://www.fabula.org/colloques/document2443.php, 20 Ce dont témoigne par exemple Victor Basch, L’individualisme anarchiste : Max Stirner, Paris 1904. En Italie, L’Unique est publié en 1902 par un éditeur anarchiste (Max Stirner, L’Unico, Milan : Fratelli Bocca, 1902). Dans sa préface (puis dans son ouvrage L’anarchia, Turin 1907) le traducteur Ettore Zoccoli rapproche Stirner des anarchistes. Le fait que Zoccoli ait lui-même été anarchiste est vivement contesté par G. Landauer (note 12), p. 99. 21 Article repris dans Peter Kropotkin, The Conquest of Bread and Other Writings, Cambridge University Press, 1995, p. 240. 22 M. Stirner (note 15), p. xv. 23 M. Stirner (note 16), p. xxii.
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estime que celui-ci doit être compté parmi les anarchistes24, même s’il fait partie de ceux (comme Bakounine et E. Bauer) qui n’ont qu’une conception négative de l’anarchie, comme transition destructrice et non comme nouvel ordre social25. Mais Landauer loue aussi en Stirner « der letzte große Nominalist »26, dont la doctrine est « die pratktische Anwendung der Sprachkritik »27. Le paradoxe signalé plus haut se résorbe dès lors que l’individualisme anarchiste est clairement identifié comme l’une des tendances du mouvement anarchiste. L’un de ses représentants, E. Armand, rédige en 1934 l’article « Stirnérisme » pour L’encyclopédie anarchiste coordonnée par Sébastien Faure. Écartant tout ce qui, dans L’Unique et sa propriété, « est relatif à l’époque où ce livre a été écrit », il estime que le livre représente « un arbre robuste et bien planté, une doctrine parfaitement cohérente et on ne s’étonne plus qu’elle ait donné naissance à tout un mouvement. »28 Et c’est aussi alors qu’on trouve plus nettement, chez les anarchistes qui ne se reconnaissent pas dans l’individualisme, une contestation de l’inscription de Stirner dans la tradition anarchiste, aux motifs que cela l’affaiblirait idéologiquement, que cela nuirait à sa radicalité (Stirner étant un partisan de l’insurrection, mais pas de la révolution) et que cela rendrait poreuse la barrière entre anarchisme et libertarianisme29. Mais les paradoxes de la réception anarchiste de Stirner s’expliquent assez bien si on considère que l’individualisme anarchiste, avant d’être une tendance du mouvement anarchiste (aux côtés du communisme anarchiste et de l’anarcho-syndicalisme), consiste dans des pratiques individuelles de propagande (éventuellement par le fait) en faveur du communisme anarchiste. On peut l’illustrer par un exemple, qui présente l’avantage d’annoncer un passage de L’Unique que nous analysons plus bas : le propre du premier individualisme anarchiste sera de nier la propriété en pratiquant le vol (la « reprise individuelle »). L’indivi24 G. Landauer, Ausgewählte Schriften, vol. 3.1, Antipolitik, éd. Siegbert Wolf, Berlin : Verlag Edition AV, 2010, p. 311. 25 G. Landauer, Zur Geschichte des Wortes ‘Anarchie’, 1er juin 1909 (note12), p. 76 sq. 26 G. Landauer, Skepsis und Mystik, Ausgewählte Schriften, Band 7, Berlin : Verlag Edition AV, 2011, p. 52. 27 G. Landauer, Individualismus, 15 juillet 1911 (note 12), p. 85 28 Article consultable en ligne (consulté le 26 janvier 2017) : http://www.encyclopedie-anarchiste.org/articles/s/stirnerisme.html 29 Michael Schmidt and Lucien van der Walt, Black Flame : The Revolutionary Class Politics of Anarchism and Syndicalism, Oakland: AK Press, 2009, p. 18. Voir aussi Éric Vilain [René Berthier], Lire Stirner, disponible en ligne à l’adresse http://mondenouveau.net/spip.php?article291 (consulté le 26 janvier 2017), p. 5.
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dualisme est d’abord un individualisme de l’action30. Ce n’est que dans un second temps qu’il s’élève au rang de doctrine et en vient à se chercher des cautions philosophiques – principalement Stirner et Nietzsche, ce qui poussa d’ailleurs un germaniste de l’époque à leur consacrer sa thèse31. II. Rapport de Stirner à l’anarchie et aux anarchistes Cette réception de Stirner par les anarchistes et en tant qu’anarchiste peut-elle s’autoriser de ce que l’on trouve dans L’Unique ? Avant de se demander ce qu’il y a d’anarchiste dans l’égoïsme théorique radical défendu par L’Unique, il importe examiner ce que l’ouvrage dit de l’anarchie et des anarchistes. À première vue, l’exploration de ce que Stirner dit de l’anarchie, dans les quelques rares pages où il emploie ce terme, a quelque chose de décevant. Quantitativement tout d’abord, puisque le terme n’apparaît que deux fois dans l’ouvrage. Mais sur le fond aussi puisque les deux occurrences associent simplement l’anarchie à l’absence de loi (Gesetzlosigkeit). La première fois, Stirner dit du libéralisme politique : « Sein Ziel ist eine ‘vernünftige Ordnung’, ein ‘sittliches Verhalten’, eine ‘beschränkte Freiheit’, nicht die Anarchie, die Gesetzlosigkeit, die Eigenheit. Herrscht aber die Vernunft, so unterliegt die Person » (R115). La seconde, il écrit : « Mit den ‘guten Bürgern’ verkommt auch der gute Staat und löst sich in Anarchie und in Gesetzlosigkeit auf. » (R263) L’anarchie n’a donc, chez Stirner, que la signification négative qu’elle possédait avant le retournement32 auquel Proudhon l’a soumise dans Qu’est-ce que la propriété ? en 184033. Simple désordre qui découle de 30 Gaetano Manfredonia, Anarchisme et changement social, Lyon : ACL, 2007 souligne notamment que « tous les militants individualistes français […] se sont prononcés pour une société communiste » (p. 22). 31 Albert Lévy, Stirner et Nietzsche, Paris 1904, dont l’introduction se termine par la question suivante : « Est-ce à bon droit qu’on rattache Nietzsche à Stirner, et qu’on parle d’un courant individualiste, anarchiste ou immoraliste ? » (p. 8). 32 Pour une analyse de ce retournement dans le contexte français, voir Marc Deleplace, L’anarchie de Mably à Proudhon (1750-1850), Lyon : ENS éditions, 2000. 33 P.-J. Proudhon, Qu’est-ce que la propriété ? (1840), éd. E. Castleton, Paris : Livre de Poche, 2009. Dans ce texte, Proudhon se définit comme anarchiste, « quoique très ami de l’ordre » (p. 421), et après avoir affirmé que « comme l’homme cherche la justice dans l’égalité, la société cherche l’ordre dans l’anarchie », il définit cette dernière comme « absence de maître, de souverain » (p. 428). Plus loin, il explique encore : « la liberté est anarchie, parce qu’elle n’admet pas le gouvernement de la volonté, mais seulement l’autorité de la loi, c’est-à-dire de la nécessité » (p. 433) et la conclusion de l’ouvrage porte que « la plus haute perfection de la société se trouve dans l’union de l’ordre et de l’anarchie » (p. 439).
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l’absence de lois, c’est une situation d’anomie. À cet égard, Stirner ne diffère pas de la plupart des autres jeunes hégéliens qui ont connaissance des théories de Proudhon et qui, même lorsqu’ils tentent de se les approprier, ne reprennent jamais pour eux-mêmes le qualificatif d’anarchistes34. Ceux-ci sont tributaires de Lorenz von Stein, principale source en Allemagne sur le socialisme français, qui, confronté à la revendication anarchiste proudhonienne, demandait : « Kann es ein innerlich verkehrteres Resultat, einen hoffnungloseren Gedanken geben ? »35 Stein estimait même que cette revendication était simplement un résultat de la conséquence de Proudhon, soucieux de montrer où conduisait le principe de la liberté individuelle pris dans son exclusivité. Seuls trois jeunes hégéliens reprennent à l’époque positivement la notion d’anarchie : Edgar Bauer, qui évoque l’anarchie comme un état de transition souhaitable sans lequel rien de bon ne peut se faire ; Moses Hess, qui identifie positivement le communisme et l’anarchie, et le jeune F. Engels, ami de Hess, qui se montre encore plus enthousiaste dans un article en anglais sur les progrès de la réforme sociale sur le continent36. Avant même qu’on envisage ce que Stirner dit des deux premiers auteurs, il est bien clair que la question de l’anarchie n’a rien de central dans son propos. Toutefois, les deux passages mentionnés ne font pas de l’anarchie un état à déplorer ou à éviter. Si l’anarchie est ce qui excède l’ordre légal et rationnel désiré par les libéraux, si en outre elle se signale comme le règne de l’Eigenheit, il semble bien plutôt qu’elle soit la désignation négative de ce que recherche l’Unique en tant que son intérêt est contraire à celui de l’État. De sorte qu’au même titre que les deux auteurs mentionnés, il semble que Stirner aurait pu donner plus d’ampleur à son usage positif du mot anarchie – mais il ne le fait pas, et surtout, il n’associe pas cette anarchie à un programme social, pas plus qu’il n’utilise le terme pour qualifier positivement une situation dans laquelle l’Unique pourrait librement s’épanouir. Or dans la mesure où Stirner a connaissance de tentatives allant dans ce sens, il faut conclure qu’il s’y refuse ou qu’il n’est pas en mesure de les reprendre à son compte. Il devient donc nécessaire d’examiner ce que Stirner dit des auteurs qui, à l’époque, se revendiquent explicitement de l’anarchie, ce qui nous amène aux passages de L’Unique et sa propriété qui mentionnent les textes 34 Pauline Clochec (note 2). 35 Lorenz von Stein, Der Socialismus und Communismus der heutigen Frankreichs, Leipzig 1842, p. 329. 36 F. Engels, Progress of Social Reform on the Continent (1843), in Karl Marx et Friedrich Engels, Gesamtausgabe, I/3, Berlin : Dietz Verlag, 1985, p. 496-503.
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anarchistes de Proudhon, et dans une moindre mesure de Moses Hess et d’Edgar Bauer. Ce que Stirner dit de ces deux derniers auteurs paraît devoir redoubler la déception que provoque son usage parcimonieux de la notion d’anarchie : de même que la notion d’anarchie n’a rien de central, la discussion des anarchistes est périphérique et n’est jamais conduite comme telle. Stirner a connaissance des deux textes dans lesquels Hess professe, à la suite de ce qu’il comprend de Proudhon, un communisme qu’il identifie à l’anarchie37 : les articles Philosophie der Tat et Socialismus und Communismus publiés en 1843 dans le volume coordonné par Georg Herwegh, Ein und zwanzig Bogen aus der Schweiz38. Mentionnant le second article (R269), Stirner n’y relève que le mot d’ordre « absolute Freiheit », dont il estime qu’il possède la même existence chaotique et fantomatique que tout autre absolu, et il cite Hess pour qui cette liberté absolue devait « in der absoluten menschlichen Gesellschaft realisierbar sein ». Stirner souligne que pour Hess, cette effectuation de la liberté absolue est une vocation (Beruf), qu’il définit l’éthicité (Sittlichkeit) comme liberté, ou encore qu’il affirme que le règne de la justice et de l’éthicité doit commencer. Toutefois, il ne développe pas sa critique, ne dit rien de ce que défend par ailleurs Hess dans cet article, de sorte que l’auteur de la Triarchie européenne semble simplement renvoyé au libéralisme humaniste de ceux qui oppriment chaque individu humain en voulant libérer l’être humain – c’est-à-dire, conformément au schéma hiérarchique que nous analyserons par la suite, ceux qui, prônant la liberté de l’humain, oppriment tous les êtres humains au nom du concept d’être humain, les empêchant d’être autre chose que ce qu’ils ont de commun, leur humanité. Quant à Edgar Bauer, s’il est davantage cité dans L’Unique, ce n’est précisément pas pour les textes où il fait l’éloge de l’anarchie, Stirner préférant s’attaquer à son éloge de l’État libre (qualifié aussi de populaire ou de républicain). Peut-être l’a-t-il regretté puisque c’est notamment à 37 Moses Hess, Socialismus und Communismus, in Philosophische und Sozialistische Schriften, Berlin : Akademie Verlag, 1961, p. 199 : « der Communismus, oder, wie jetzt Proudhon sich präziser ausdrückt, die Anarchie, d. h. die Negation jeder politischen Herrschaft, die Negation des Begriffes Staat oder Politik. » 38 Georg Herwegh, Einundzwanzig Bogen aus der Schweiz, Zürich/Winterthur 1843. De ce recueil, Stirner cite également l’article de Karl Reinhold Jachmann (attribué par l’édition Reclam à un autre philologue, Carl Witt), Preußen seit der Einsetzung Arndt’s bis zur Absetzung Bauers. Par ailleurs, de Hess, il cite aussi Die europäische Triarchie (R197).
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son propos qu’il signale que sa critique a été rédigée immédiatement après la parution des textes qu’elle cible (R250, remarque qui avait déjà été faite à propos de Bruno Bauer, R159). Or en août 1843, Edgar Bauer publie Der Streit der Kritik mit Kirche und Staat où il attaque frontalement l’Église et l’État et fait l’éloge de l’anarchie39, ce qui lui vaudra quatre ans de prison. Sur le fond, Stirner discute principalement40 les Liberale Bestrebungen in Deutschland (R250-253 et R318), texte de janvier 1843 qui représente une critique de gauche des compromissions auxquelles sont prêts les libéraux allemands. Les remarques de Stirner sur ce texte sont assez révélatrices de ce qui le sépare des jeunes hégéliens en cours de radicalisation politique. Elles procèdent en deux temps. Tout d’abord, Stirner repère une contradiction sous la plume de Bauer, qui parle de « gouvernement populaire » (Volksregierung) à propos de la république qu’il appelle de ses vœux, avant de retirer ce mot de gouvernement quelques pages plus loin en soutenant que dans la république, il n’y a pas de gouvernement mais seulement un pouvoir exécutif qui procède du peuple sans en être indépendant41. Stirner a alors beau jeu de souligner que ce qui procède du peuple en devient nécessairement indépendant. Puis il s’attaque à l’idée de peuple souverain qui sous-tend cette dénégation de l’autonomie du gouvernement par rapport au peuple, en soutenant que dans la république, ou État libre, en tant qu’il s’agit d’un État populaire (Volksstaat), je suis opprimé par le fantôme du peuple (en tant que je considère le peuple comme davantage que la collection d’individus qui le composent), et il signale qu’à tout prendre, le constitutionnalisme, en tant qu’il représente l’État en cours de dissolution, est préférable. Stirner 39 Edgar Bauer, Der Streit der Kritik mit Kirche und Staat, Charlottenburg 1843, p. 294, à propos de la période qui suit immédiatement la destitution de Louis XVI : « Jetzt, glaubte man, wäre der freie Staat, die echte Republik errungen. Die Anarchie, welche aller guten Dinge Anfang ist, war wenigstens da […]. Aber jene Anarchie war eine Anarchie innerhalb des Staates […] Und das war der Fehler, der einzige Fehler der Revolutionsmänner. Sie glaubten, die wahre Freiheit ließe sich im Staat verwirlichen und sie sahen nicht, daß alle Freiheitsbestrebungen vom Anfang der Revolution an ihrem Wesen nach gegen den Staat gegangen waren. » 40 On peut laisser de côté la mention de deux recensions anonymes dans l’Allgemeine Literatur-Zeitung qu’il attribue par erreur (mais l’erreur est corrigée dans l’édition Reclam) à son frère Bruno (l’une de Flora Tristan R136, l’autre d’un livre de Béraud sur la prostitution à Paris, R138), et les deux citations qu’il donne de Bailly (R110 et R257), tirées du livre que lui a consacré Edgar Bauer, Bailly und die ersten Tage der Französischen Revolution, Charlottenburg 1843. 41 Edgar Bauer, Die liberale Bestrebungen in Deutschland, Zürich 1843, p. 50 et p. 69.
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voit donc dans le démocratisme d’Edgar Bauer une aspiration à remplacer une puissance contingente (le prince) par une autre (le peuple), sans remettre en question l’État. Par opposition, Stirner n’hésite pas à se dépeindre en ennemi du peuple : Für mich ist jedenfalls das Volk eine – zufällige Macht, eine NaturGewalt, ein Feind, den Ich besiegen muß. […] Die Verbannung der Iche, der Ostrazismus, macht das Volk zum Selbstherrscher. (R253). Il reste que cette critique est davantage adressée au démocratisme qu’à l’anarchie, et que Stirner en a peut-être lui-même senti les limites eu égard aux écrits ultérieurs d’Edgar Bauer. Ce qui pourrait dès lors être le plus révélateur dans le rapport de Stirner à l’anarchie, ce sont les nombreux passages qu’il consacre à Proudhon, dont il cite deux ouvrages, sans pour autant qu’il soit certain qu’il en ait une connaissance de première main42 : Qu’est-ce que la propriété ? (1840) et De la création de l’ordre dans l’humanité (1843). Pour saisir l’écart entre Stirner et (ce qu’il comprend de) Proudhon, on peut répartir la demi-douzaine de passages de L’Unique qui évoquent Proudhon en deux catégories. En premier lieu, le Proudhon de la Création de l’ordre est visé par la critique plus générale de ceux qui sont attachés à l’inviolabilité de la morale (R50), estiment que nous avons des devoirs envers la société (R135) et promeuvent aussi un certain ordre social en affirmant l’impossibilité d’une société « acéphale » (R253), et qui de ce fait contribuent à la perpétuation de ce que Stirner nomme hiérarchie. Cela conduit à l’inclusion de Proudhon dans une liste de figures et de personnages dont la disparition serait celle de la hiérarchie (R393). En second lieu, Stirner propose une critique circonstanciée de la fameuse formule de Proudhon : « la propriété, c’est le vol ». Cette formule scandaleuse est citée une première fois dans la première partie du texte (R84), au sein d’une critique plus large du caractère sacré de la morale. En substance, Stirner explique que c’est bien parce que Proudhon considère le vol comme un crime qu’il pense flétrir la propriété en la ramenant à un vol. Cette notation est intéressante, parce qu’elle contribue à éclairer l’absence de condamnation de l’anarchie comme 42 Stirner connaît peut-être le contenu de ces deux textes par Edgar Bauer, qui les citait dans son article Proudhon (Allgemeine Literatur-Zeitung, n° 5, avril 1844, p. 37-52 – ce numéro est mentionné plusieurs fois dans L’Unique). Voir Maurice Schumman, Max Stirner’s Critiques of Pierre-Joseph Proudhon, in Philosophica, n° 41, Lisbonne 2013, p. 5769.
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Gesetzlosigkeit par Stirner dans le reste du texte – ce que la suite vient confirmer. Mais les différents aspects de l’affrontement de Stirner avec la critique proudhonienne de la propriété se concentrent dans un long passage qui vaut d’être analysé pour lui-même (R275-278). Stirner aligne d’abord trois arguments contre Proudhon. Le premier renvoie à « der verfänglichen Frage, was gegen den Diebstahl Gegründetes einzuwenden wäre » (R278), question qui semble vouée à demeurer sans réponse. Le deuxième consiste à souligner que le vol suppose la propriété, ce qui permet à Stirner de rapprocher Proudhon du communiste Weitling : c’est parce que tous deux supposent que tout est la propriété de tous que l’appropriation individuelle devient un vol. Le troisième s’en prend à l’incomplétude de la critique proudhonienne de la propriété. Proudhon ne remplace le propriétaire par le possesseur ou l’usufruitier que pour le sol, mais pas pour le bénéfice que chacun en tire : « Also negiert Proudhon nur dies und jenes Eigentum, nicht das Eigentum. » (R276) Vient alors la seconde ligne d’arguments, qui consiste à rectifier la critique proudhonienne et à lui substituer une maximalisation de la propriété et du geste d’appropriation qui la sous-tend. Partant de la reconnaissance que toute propriété découle, sinon d’un vol, du moins d’une appropriation, Stirner suggère à Proudhon de prôner le vol et la jouissance commune du produit de ce vol : Proudhon konnte sein weitläufiges Pathos sparen, wenn er sagte : Es gibt einige Dinge, die nur Wenigen gehören, und auf die Wir übrigen von nun an Anspruch oder – Jagd machen wollen. Laßt sie Uns nehmen, weil man durch’s Nehmen zum Eigentum kommt, und das für jetzt noch uns entzogene Eigentum auch nur durch’s Nehmen an die Eigentümer gekommen ist. Es wird sich besser nutzen lassen, wenn es in Unser Aller Händen ist, als wenn die Wenigen darüber verfügen. Assoziieren wir Uns daher zu dem Zwecke dieses Raub (vol). (R277) Stirner substitue ainsi à une lutte contre la propriété une lutte pour l’appropriation collective qui, loin de remettre en cause la propriété en supposant une chimérique propriété originelle par l’humanité, consiste à pousser jusqu’à ses extrêmes conséquences le principe de l’appropriation privée, qui est à la fois exclusive (au sens où elle exclut tout autre de la jouissance du bien approprié) et pouvoir d’user et d’abuser (ce que Proudhon dénonçait précisément dans l’institution propriétaire). Ce passage mérite d’être comparé à la défense circonstanciée que propose Locke, dans le ch. V du Second traité du gouvernement civil, de certaines 216
institutions de propriété collective, contre les enclosures43. Plus généralement, une confrontation entre les théories lockienne et stirnérienne de la propriété fait apparaître que, si tous deux établissent une continuité entre la propriété que j’ai de mon propre corps et celle que j’ai des choses que je m’approprie, Stirner ne peut parler de droit de propriété et permet en revanche l’us et l’abus (mais pas comme des droits). Au contraire, en faisant de la société le possesseur originel, dépossédé par le propriétaire individuel, Proudhon dépossède les individus réels au profit du fantôme « der Sozietät als einer moralischen Person ». Lui et les communistes, en ce qu’ils combattent l’égoïsme, sont simplement « Fortsetzungen und Konsequenzen der christlichen Prinzips, des Prinzips der Liebe, der Aufopferung für ein Allgemeines, ein Fremdes. ». Mais cette réponse à Proudhon n’est possible que si est détecté, derrière la dénonciation proudhonienne de la propriété, un désir secret de propriété. Ainsi se comprend la dernière référence à la critique proudhonienne de la propriété comme vol (R353), dont Stirner explique qu’elle ne vise que l’aliénation (Entfremdung) de la propriété, et donc que l’étrangeté (Fremdheit que Stirner transforme en Fremdentum pour l’opposer à l’Eigentum), de sorte qu’elle n’est en fait que le déguisement humanitaire d’un désir d’appropriation : Man reklamiert das Fremde nicht im eigenen Namen, sondern in dem eines Dritten. Nun ist der ‘egoistische’ Anstrich weggewischt und alles so rein und – menschlich ! À propos de Proudhon est ainsi esquissée une critique de l’idéologie : celle-ci consiste à tenter de légitimer des désirs égoïstes en les travestissant sous une forme universelle44. 43 Locke, Le Second traité du gouvernement civil, §35, trad. J.-F. Spitz, Paris : PUF, 1992, p. 190. Contrairement à ce qu’indique le traducteur, Locke n’est pas un partisan sans nuance des enclosures (ce mouvement souvent violent d’expropriation des terres communes au profit de quelques grands seigneurs), mais il les critique en arguant que les terres visées ne sont pas communes au sens de la propriété commune originelle du sol, mais sont des propriétés privées collectives (« si ces terres sont communes par rapport à certains hommes, elles ne le sont pas par rapport à l’ensemble du genre humain »). 44 Cette critique mérite d’être rapprochée de celle que Marx et Engels adressent à la notion d’intérêt général peu après leur lecture de Stirner. À propos de l’impact de la lecture de Stirner sur Marx et Engels dans l’ensemble de manuscrits ensuite rassemblés sous le titre Die deutsche Ideologie, voir Wolfgang Eßbach, Max Stirner – Geburtshelfer und böse Fee an der Wiege des Marxismus, in Harald Bluhm (éd.), Karl Marx / Friedrich Engels, Die deutsche Ideologie, Berlin : Akademie Verlag, 2010, p. 165-183 .
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Plus largement, la réponse à Proudhon doit se lire sur le fond de la critique stirnérienne du droit, qui propose finalement45 de substituer à la notion de droit celle de pouvoir ou de puissance (Macht). Tout droit suppose une structure hiérarchique, weil Recht nur von einem Geiste erteilt werden kann, sei es der Geist der Natur oder der der Gattung, der Menschheit, der Geist Gottes oder der Sr. Heiligkeit oder Sr. Durchlaucht usw. Dès lors, il faut bien plutôt dire : Was Ich ohne einen berechtigenden Geist habe, das habe ich ohne Recht, habe es einzig und allein durch meine Macht. (R230) C’est en s’appuyant sur des passages de ce genre que Gustav Landauer fera l’éloge de Stirner comme d’un anarchiste qui invite les opprimés à cesser de réclamer au nom d’une idole et de se plaindre de la méchanceté des puissants, et à passer à l’acte, ici et maintenant, c’est-à-dire à se montrer eux-mêmes puissants46. Le caractère anti-juridique de la pensée de Stirner est aussi ce qui rend difficile sa mobilisation par les libertariens et les anarchocapitalistes, chez qui la référence lockienne au droit de propriété comme un droit inaliénable de la personne humaine est centrale – or pour Stirner, dire que j’ai, en tant qu’être humain, droit à la propriété, c’est dire que le fantôme de l’humanité me donne ce droit, puisqu’il n’est de droit que conféré et garanti. III. Un anarchisme stirnérien ? Qu’y a-t-il dès lors d’anarchiste chez Stirner ? Si la réception d’une œuvre n’est pas totalement arbitraire, mais actualise au moins partiellement les potentialités qu’elle contient, n’y aurait-il pas finalement un anarchisme stirnérien, qui ne se résume pas à la compréhension toute négative qu’il a du concept d’anarchie, et tienne moins encore à une communauté de vues avec les anarchistes de son temps ? Prendre cette question au sérieux (avec toutes les précautions nécessaires) implique de considérer la place qu’occupent chez Stirner la critique de la hiérarchie et la possibilité d’une association d’égoïstes. 45 De sorte, précise Stirner, que lorsqu’il a parlé jusqu’alors de son droit, ce n’était qu’une « halbe Ausdrucksweise ». 46 G. Landauer (note 12), p. 77. La reprise de la critique stirnérienne de l’idolâtrie s’étend, chez Landauer, à ces contre-idoles militantes que sont le capital ou l’État, qui doivent moins être considérés comme des êtres que comme des types de rapports entre individus.
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Stirner tire les éléments de sa critique de la hiérarchie du jeune hégélianisme, mais il la retourne contre les membres de ce mouvement. La dimension anti-hiérarchique du jeune hégélianisme, ce que l’on a pu appeler son « anarchisme de principe »47 n’est plus à démontrer, et elle est particulièrement sensible chez des auteurs qui, comme Ruge, n’en restent pas à une critique de l’autorité de l’État chrétien, mais insistent sur le nécessité de critiquer cette autorité en tant qu’elle est sacrée, donc l’État prussien comme hiérarchie48. La spécificité de Stirner tient à ce qu’il étend cette critique anti-hiérarchique en en faisant le type même de la critique anti-autoritaire : il n’est pas d’autorité sans sacralisation, car c’est la sacralité qui transforme une simple puissance en autorité intouchable. L’Unique consacre un paragraphe, particulièrement important dans l’économie générale du texte, à cette critique de la hiérarchie, définie comme « Gedankenherrschaft, Herrschaft des Geistes » (R79). Cette domination exercée par l’esprit s’observe aussi bien lorsque nous sommes opprimés comme individus et par d’autres individus au nom de Dieu, de l’État, de l’humanité ou du genre que lorsque nous vivons « für eine große Idee, eine gute Sache, eine Lehre, ein System, einen erhabenen Beruf » (R82). À la hiérarchie, Stirner oppose le point de vue de l’homme profane (weltlich) et non-philosophique (R93). Il propose également une histoire de l’extension de la hiérarchie, dont il estime que bien loin d’avoir été remise en cause par la Réforme, elle a été intériorisée et s’est donc approfondie puisque les puissances terrestres sont désormais traitées, et sans la sanctification expresse d’un clergé (ce qui différencie la Réforme du catholicisme : R99), comme des expressions de l’esprit – or la « liberté de l’esprit » est synonyme de « domination des esprits » (die Geisterherrschaft oder Geistesfreiheit, R91). Le libéralisme se contente de prolonger cet enracinement de la hiérarchie en proposant de nouveaux concepts à sanctifier : l’humanité à la place de Dieu, l’État à la place de l’Église ou la science au lieu de la foi (R105). De fait, la critique des différentes espèces du libéralisme, au chapitre suivant, viendra simplement s’inscrire dans cette matrice générale : le libéralisme politique correspond à la domination par l’idée d’État, le libéralisme social (qui inclut au moins les socialistes comme Proudhon, suivant la leçon de Stein, qui estime que socialisme et communisme 47 Pauline Clochec (note 2). 48 Voir A. Ruge et T. Echtermeyer, Karl Streckfuss et la prussianité, in Hallische Jahrbücher, n°262-264, 1, 2, 4 novembre 1839, in H. & I. Pepperle, Die Hegelsche Linke, Leipzig : Reclam, 1985, p. 114-115.
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reprennent la revendication libérale d’égalité) à la domination par l’idée de société et le libéralisme humain (au travers duquel sont visés les frères Bauer) à la domination par l’idée d’humanité. Un passage de la fin de L’Unique donne une idée de la centralité de cette thématique antihiérarchique dans la pensée de Stirner : Aber die Macht der Gedanken und Ideen, die Herrschaft der Theorien und Prinzipien, die Oberherrlichkeit des Geistes, kurz die – Hierarchie […] wird dauern, solange man an Prinzipien glaubt, denkt, oder auch sie kritisiert : denn selbst die unerbittlichste Kritik, die alle geltenden Prinzipien untergräbt, glaubt schließlich doch an das Prinzip. (R392-393). Ce refus du principe n’est-il pas, étymologiquement du moins, anarchiste ? On touche ici à ce qu’il y a peut-être de plus profond et de plus radical dans L’Unique, mais aussi à ce qui vient limiter le rattachement de Stirner à la tradition anarchiste. Profondeur parce que le nominalisme décapant de Stirner vient remettre en cause non seulement les fantômes qui oppriment le moi, mais aussi les luttes qui ont besoin de postuler l’existence de ces fantômes pour les affronter et les remplacer par d’autres. Radicalité parce cette attaque fournit des armes théoriques contre une domination s’exerçant au nom d’entités impersonnelles en rappelant que cette domination n’en demeure pas moins toujours celle d’individus sur d’autres individus. Mais d’un point de vue pratique – et sur ce point, certains des premiers lecteurs anarchistes de Stirner ne s’y sont pas trompés – cette attaque peut aussi paraître n’assigner comme horizon à L’Unique et sa propriété qu’une libération de la pensée. Cette expression doit s’entendre comme le fait pour chacun de se libérer d’une domination exercée par la pensée, d’une domination des pensées sur le moi : il s’agit de se débarrasser de la pensée comme instance d’oppression, et Stirner peut faire l’éloge de l’absence de pensée (Gedankenlosigkeit, R164) comme seule à même de nous sauver de la domination des pensées. Cet éloge va de pair avec celui du corps, qui fait mon unicité dans le monde et dont il est nécessaire de repartir pour devenir créateur de soi, après s’être défait des oripeaux dans lesquels la pensée l’enserre. On comprend aussi pourquoi Stirner peut écrire : « Erst mit der letzten Separation endigt die Separation selbst und schlägt in Vereinigung um » (R264)49. 49 On peut suivre la postérité de cette idée dans l’essai de Gustav Landauer, Durch Absonderung zur Gemeinschaft (note 26), p. 131-147. Pour Landauer, le nominalisme
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L’action théorique spécifique qui définit l’entreprise stirnérienne dans L’Unique est donc toute négative, destructrice. En matière de philosophie, l’ouvrage ne saurait proposer autre chose qu’une philosophie négative, une anti-philosophie prônant la réhabilitation du corps, du profane et du monde contre des philosophes qui ne sont que l’équivalent moderne des prêtres (R93). Ce qui suit cette destruction, c’est-à-dire le développement effectif de l’individu dans son commerce avec les autres (dont on ne saurait dire qu’ils sont ses semblables) ne relève plus à proprement parler de la philosophie mais dépend des goût de chacun, d’où le refus stirnérien de proposer quelque programme positif que ce soit. Ainsi peut s’expliquer la déception qu’ont pu ressentir certains lecteurs anarchistes de Stirner, leur critique de son « nihilisme théorique » et de l’incomplétude de sa doctrine : c’est qu’il est pour Stirner des développements qui ne relèvent plus de la doctrine ni de la philosophie, il est même essentiel pour lui de faire place nette pour le non-philosophique. Reste la mention de l’association d’égoïstes dans le chapitre « Mein Verkehr » (le plus long de l’ouvrage), que les auteurs libertaires soucieux d’inscrire Stirner dans l’histoire de l’anarchisme, n’ont pas manqué de relever chez l’auteur de L’Unique en ce qu’elle leur semblait marquer une conciliation possible entre individualisme et communisme50. Stirner ne prône pas une telle association : elle n’est qu’un fait, découlant des besoins, des désirs et des goûts de l’Unique. De surcroît, elle ne contient aucune dimension juridique (d’où aussi son opposition au mariage, désigné comme « die Fixirung eines interessanten Verhältnisses trotz der Gefahr, daß es uninteressant und sinnlos werde »51), et ne suspend pas non plus les rapports de pouvoir ou de puissance entre individus. Voici comment Stirner décrit la manière dont s’unissent deux êtres humains qui s’intéressent l’un à l’autre : séparateur de Stirner n’accomplit qu’une tâche négative et aboutit nécessairement au constat que l’individu isolé n’est rien – ce qui du reste converge avec la fameuse déclaration qui ouvre l’ouvrage de Stirner (« Ich hab’ Mein Sach’ auf Nichts gestellt », R3) et avec la justification ultérieure qu’on trouve dans la réponse de Stirner à Szeliga, Feuerbach et Hess (« der Einzige ist […] die leere, anspruchslose und ganz gemeine Phrase », Max Stirner, Recensenten Stirners, in Kleinere Schriften, Berlin 1914, p. 347). 50 C’est à cette condition que Daniel Guérin, communiste libertaire, a pu défendre l’inclusion de Stirner dans la tradition anarchiste (L’anarchisme, Paris : Gallimard, 1965, p. 32-35). 51 Stirner (note 49), p. 352
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Wenn Ich ihn gebrauchen kann, so verständige Ich wohl und einige Mich mit ihm, um durch die Übereinkunft meine Macht zu verstärken und durch gemeinsame Gewalt mehr zu leisten, als die einzelne bewirken könnte. In dieser Gemeinsamkeit sehe Ich durchaus nichts anderes als eine Multiplikation meiner Kraft, und nur solange sie meine vervielfachte Kraft ist, behalte Ich sie bei. So aber ist sie ein – Verein. (R349) Cependant, lorsqu’il répond aux critiques qui lui ont été adressées, Stirner souligne qu’un être humain qui ne goûterait pas les joies qui naissent de notre participation à la vie des autres serait « ein Mensch, der unzählige Genüsse entbehrte, also eine – arme Natur. »52 Mais celui qui les goûte n’est pas moins égoïste que celui qui les dédaigne. On comprend aussi pourquoi Stirner accorde moins d’importance à la notion de liberté (car, de ce qu’on est toujours confronté à d’autres puissances dont la plupart nous dépasse, « Beschränkung der Freiheit ist überall unabwendbar », R344) qu’à celle de singularité, de spécificité, de ce qui m’est propre (Eigenheit). L’association d’égoïstes ne se distingue de l’État qu’en tant qu’elle ne sacrifie la liberté qu’à la singularité. De ce fait, elle offre bien « ein größeres maß von Freiheit », mais pas la liberté absolue, qui est une chimère. Chez Stirner, la thématique libertaire est donc subordonnée à celle de la singularité. Ainsi, confronté à l’évolution de certains de ses camarades vers le socialisme et le communisme, Stirner prétend dépouiller leurs professions de foi de leurs apprêts humanitaires pour montrer d’une part comment elles aussi découlent d’un égoïsme fondamental (ainsi de la prétendue négation de la propriété qui n’exprime que le désir d’avoir part collectivement à l’appropriation du monde) et d’autre part combien elles seraient plus libératrices si elles parvenaient ainsi à se présenter sans fard. On touche là encore à ce qu’il y a de déroutant, et peut-être de décevant dans la pensée de Stirner qui est très radicale dans sa dénonciation de toutes les formes de hiérarchie, mais qui, se voulant en même temps une description froide des motifs égoïstes qui gouvernent les actions, ne semble finalement déboucher que sur une assomption de l’égoïsme53. D’un autre point de vue, parmi les figures du mouvement jeune hégélien, Stirner apparaît comme celui qui n’a pas opéré le tournant politique et 52 Ibid., p. 374. 53 Dans la polémique avec Moses Hess, Stirner précise que cette assomption doit être comprise comme un accord de l’égoïste avec lui-même, et non dans les termes d’une conscience de l’égoïsme (ibid., p. 389).
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social vers la démocratie et le socialisme et qui s’en est tenu à une radicalisation conséquente de son premier anarchisme de principe. Ainsi considéré, L’Unique et sa propriété se présente comme la fixation théorique d’une phase de ce mouvement par ailleurs en constante évolution. On ne peut donc faire grief à la tradition anarchiste de s’être intéressé à Stirner, ni même d’avoir vu en lui un devancier. Le tort serait de plaquer rétrospectivement sur lui des caractéristiques de ce mouvement, voire simplement des idées que l’on a sur lui. Mais il n’y a pas non plus à dénigrer cette tradition en faisant de Stirner l’une de ses sources infâmes, ni à minorer l’apport qu’a pu représenter la lecture de Stirner pour certains anarchistes. Il faut simplement reconnaître que Stirner n’a pu ou voulu se dire anarchiste : ceux qui à son époque se revendiquaient de l’anarchie étaient précisément ceux qui s’éloignaient de lui, le laissant à son destin de « philosophe qui s’en va tout seul »54.
54 Suivant la belle formule de Tanguy L’Aminot, Stirner, le philosophe qui s’en va tout seul, Montreuil : L’Insomniaque, 2012.
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Joël Bernat* Le sujet Stirner et son Moi1 « Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes et qui, en conséquence, est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ? » Voltaire2
Dans un premier temps, je souhaite vous présenter un résumé d’une lecture de la théorie de Max Stirner pour tenter d’en représenter le mouvement et le contenu de pensée (et non la forme) pour en comprendre le mécanisme, selon huit points agencés en une suite me paraissant logique. Ensuite, je vous proposerais un commentaire critique selon une réflexion psychanalytique dite freudienne, commentaire qui pourrait représenter ce que Freud aurait pu penser de cette thèse de Stirner. « Aurait pu », puisque l’on ne trouve pas d’ouvrage de Stirner dans la bibliothèque de Freud, si l’on se réfère au catalogue qui en fut fait3, ni de références à son nom dans ses écrits. Et je me cantonnerais à ce point de vue psychanalytique, n’ayant pas les moyens de faire une lecture philosophique de cet auteur. I. Un trajet pour la « réalisation de "soi" » Un trajet pour la réalisation de « soi », c’est de façon très résumée ce que m’inspire ma lecture de la théorie de Stirner, que je résume de la façon suivante. Psychanalyste, Nancy/Metz, membre de l’Association Internationale Interactions de la Psychanalyse ; [email protected] 1 Lectures de Der Einzige und sein Eigentum de Max Stirner. Journée d’études du CEGIL, Université de Lorraine, Metz, le samedi 21 janvier 2017. 2 Voltaire, Dictionnaire philosophique, éd. Imprimerie nationale, coll. La Salamandre, Paris, 1994, article Fanatisme, p. 256. 3 Voir : Freud’s Library. A Comprehensive Catalogue, Compiled and edited by J. Keith Davies, London : The Freud Museum, 2006 ; Freuds Bibliothek Vollständiger Katalog, Bearbeitet und herausgegeben von Gerhard Fichtner, Tübingen : edition diskord 2006. *
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1. il y aurait du « Un » Le premier point marquant dans la pensée de Stirner est celui d’une affirmation qui a un effet fondateur pour l’ensemble de sa conception : un Moi, lui et lui seul, assurerait l’unité de l’être comme étant son lieu central : le Moi n’est pas seulement un, unique, il est l’Unique. Il est pensé représentant une valeur singulière, une propriété exclusive, quelque chose d’inaltérable : on retrouve là ce que les latins nommaient : individu (du latin individuum, c’est-à-dire ce qui est indivisible, équivalent latin du mot grec : atome). Si la formule n’était pas équivoque, il y aurait ainsi un Moi atomique (au sens premier du terme, bien sûr). C’est à partir de cette affirmation disons princeps que Stirner, me semble-t-il, localise et théorise le point d’origine dans la psyché de ce qui serait une sorte de processus d’auto-réalisation, d’assomption, et nous en donne, en quelque sorte, la marche à suivre dans un livre « unique » … : L’unique et la propriété4. 2. le Moi comme centre de l’être Du fait d’être ainsi pensé comme origine et donc centre de l’être, et peut-être du seul fait d’être ainsi posé, il en découle logiquement l’affirmation selon laquelle le Moi aurait des droits, et que les droits du Moi seraient absolus, tel un droit divin : le Moi a le droit de se développer comme bon lui semble et selon un schéma que lui seul connaît et rien ne devrait venir s’y opposer. Or, bien au contraire, beaucoup de choses viennent s’y opposer et de ce fait chercher à contraindre le Moi à soumission, à renoncer à son plan. Par exemple : morale, religion, institution, dogmes, etc., autant de registres qui sont nommés : fantômes et idoles, c’est-à-dire désignés comme obstacles opposés à l’épanouissement du Moi, et comme obstacles d’origine externe qui ainsi entravent depuis le dehors. Il n’y aurait pas d’obstacle dans le Moi. 3. une question de force Ainsi posé, le Moi est pris dans une conflictualité de base constituée par tout ce qui serait non-Moi. Il y a donc une forme de rapport symétrique de forces générant un conflit fondamental dont l’issue dépendrait dès lors d’une force, ce qui ferait écho à une thèse de Hegel : La force des grands caractères consiste précisément en ce qu’ils ne 4
Max Stirner, L’Unique et sa propriété (Der Einzige und sein Eigentum, 1845), J.J. Pauvert, Paris, 1960.
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choisissent pas, mais sont d’emblée et depuis toujours ce qu’ils veulent et accomplissent. Ils sont ce qu’ils sont, et ils le sont éternellement, et c’est en cela que réside leur grandeur5. En tout cas, notons qu’après le droit, voici la force comme outil pour appliquer le droit. 4. des déplacements et des fantômes Le parcours vers la réalisation de l’être comme être unique n’est donc pas donné mais passe par une sorte d’opération d’appropriation, selon un principe de « nettoyage », ainsi qu’Henri Arvon l’indique : « Une fois extrait de la gangue des idoles, des fantômes, des idées fixes qui le rendaient méconnaissable, le moi découvre son caractère d’unicité6. » Ces fantômes sont créés par l’esprit humain et utilisés par certains pour contrôler les autres. Ils sont donc des obstacles à la réalisation de soi d’autant que, par ailleurs, elle ne peut se faire en recourant à des modèles quels qu’ils soient, fut-ce un modèle hégélien comme celui de l’Esprit, dont se moque Stirner. Par exemple : As-tu déjà vu un Esprit ? Moi ? non, mais ma grand-mère en a vu. C’est comme moi : je n’en ai jamais vu, mais ma grand-mère en avait qui lui couraient sans cesse dans les jambes ; et, par respect pour le témoignage de nos grands-mères, nous croyons à l’existence des esprits. Ou encore, désignant un autre modèle mais moins visible celui-ci : « L’Homme n’a tué Dieu que pour être lui-même le seul Dieu dans les cieux7. » La dissolution des fantômes passe donc en premier lieu par la compréhension qu’ils ont été créés par des humains et qu’ils ne sont donc pas un état de fait, mais inventés selon des opérations de déplacements d’un objet sur un autre, transferts ou déplacements qu’il Hegel, Esthétique (1835), IV, 282-283, Flammarion, Paris, 1984. Henri Arvon, Stirner Max, 1806-1856, in Encyclopedia Universalis, 21, 2002, p. 644. 7 De même : « La crainte de Dieu proprement dite est, depuis longtemps ébranlée, et un "athéisme" plus ou moins conscient, reconnaissable extérieurement à un abandon général du culte, est devenu involontairement la note dominante. Mais on a reporté sur l’Homme ce qu’on a pris à Dieu, et la puissance de l’Humanité s’est accrue de ce que la piété à perdu en importance : "l’Homme" est le Dieu actuel, et la crainte de l’Homme a remplacé l’ancienne crainte de Dieu. Mais comme l’homme ne représente qu’un autre être suprême, l’être suprême n’a fait que se métamorphoser, et la crainte de l’Homme n’est qu’une autre forme de la crainte de Dieu. Nos athées sont de pieuses gens. » 5 6
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s’agit donc, dans un second temps, de défaire, de retourner, ce qui permet d’accéder à l’égoïsme, c’est-à-dire Moi affirmé comme centre : donc, dé-couvrir son Moi, recouvert par des fantômes et des idoles tels que, par exemple : Dieu, Chef, Pape, Patrie, Travail, Famille, Science, Roi, Reine, etc. ; autant de figures supposées normales et naturelles ; ou encore l’État qui « ne poursuit jamais qu’un but : limiter, enchaîner, assujettir l’individu, le subordonner à une généralité quelconque ». Bref, dans le projet de Stirner, l’être débarrassé des fantômes est réalisé, et donc recentré sur lui-même : c’est l’égoïsme, en un sens non moral bien sûr. Cet égoïsme devient l’agent de destruction du sacré et des fantômes, ce qui permet à l’individu de se dé-couvrir du coup derrière ces pensées, ce qui le rend créateur et surtout propriétaire, c’est-àdire metteur en scène de sa vie propre. 5. une auto-réalisation Il ne s’agit donc surtout pas, comme on le voit, d’un épanouissement qui viendrait de l’extérieur ou par appui sur quelque chose d’externe (comme on le pense habituellement : par exemple l’effet d’un contexte facilitant ou non, d’une éducation ou d’une instruction) mais d’une autoréalisation. C’est-à-dire, là encore, que la force ne vient pas de l’extérieur mais est supposée déjà là, à l’intérieur (sur le modèle de l’épanouissement végétal par exemple). Cette auto-réalisation va être théorisée par Stirner en prenant appui sur la triade hégélienne8 qui postule que : 1. la conscience s’occupe de l’objet ; 2. la conscience de soi est en rapport avec l’idée ; Ces deux points entrent donc en conflit, alors : 3. c’est un élément tiers qui porte la solution : la Raison donne à la conscience la certitude d’être toute la vérité. Stirner va appliquer ce schéma au développement de l’individu : 1. l’enfant est attaché aux objets : c’est le temps du réalisme ; 2. l’adolescent s’attache aux idées : c’est le temps de l’idéalisme ; Ces deux phases sont celles de l’immaturité ; ensuite : 3. l’homme mûr accède à la phase de l’égoïsme. Ce schéma semble une clef de voûte de la pensée de Stirner. S’il en fallait une preuve, nous pourrions la trouver dans l’extension ou l’application généralisante que fait Stirner de cette tiercéité à d’autres sphères telles que : - un schéma historique qui oppose Antiques et Anciens aux 8
Voir Hegel, La phénoménologie de l’Esprit, Flammarion, Paris, 1996.
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chrétiens et aux Modernes ; un schéma géographique qui oppose Afrique et nègres à Asie et Mongols ; où Modernes et Mongols incarneraient la victoire de l’Esprit sur l’immaturité… Bref, une sorte de hiérarchie des forts et des faibles selon la force de la Raison. Mais du coup, nous retrouvons là des hiérarchies… Enfin, l’égoïsme stirnérien n’est malgré tout pas sans référence ni sans modèle. Par exemple : Dieu et l’humanité ne se préoccupent de rien, de rien que d’euxmêmes. Laissez-moi donc, à mon tour, m’intéresser à moi-même, moi qui, comme Dieu, ne suis rien pour les autres, moi qui suis mon tout, moi qui suis l’unique. -
6. une question de droit Nous pourrions prendre deux phrases comme illustration générale de ce processus d’auto-réalisation : « J’ai le droit d’être ce que j’ai la force d’être ». Ce qui est quand même une sacrée formule : parle-t-on ici de la force du droit au sens où le droit fait loi, ou bien du droit à la force au sens ou la force fait loi ? Et puis : « Je n’ai à reconnaître aucun devoir. C’est de moi seul que dérivent tout droit et toute justice. » Voici un propos anarchiste, au sens du refus de tout pouvoir externe. Nous y entendons que ce processus d’auto-réalisation est souvent associé par Stirner à une question de : droit. Ce droit se nourrit d’un constat : « Moi seul suis en chair et en os. Et voici, je vais prendre le monde pour ce qu’il est, le mien, ma propriété. Je rapporterais tout à moi-même9. » Et Stirner de faire de cette aliénation une spécificité humaine puisque : « un mouton ne s’efforce jamais de devenir un "vrai mouton" ni un chien un "vrai chien". Nul animal ne se prend pour un devoir, pour une idée qu’il lui faudrait réaliser10. » Donc, voici un modèle à suivre. 7. l’individu ou le groupe « Vous liez la volonté et vous osez vous appeler libres. Que vous êtes donc habitués à l’esclavage11. » Mais qui est moi-même ? Page 301 de l’édition J.J. Pauvert de 1960. 11 Propos de Stirner rapporté par Friedrich Engels, in Le Triomphe de la foi, épopée héroïcocomique, 1842, qui est une caricature des réunions des Libres. Voir les Écrits de jeunesse, tome 1, 1839-1842, le jeune Allemand hégélien, collection Geme, Les Éditions sociales, 9
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Ce droit est là pour s’opposer ou opposer l’individu singulier au groupe qui, lui, est soumis aux fonctionnements hiérarchiques, et donc au principe de soumission des individus : car les Moi se dissolvent dans les groupes, sauf rarement si ces groupes arrivent à rester de véritables « associations », car, comme l’écrit Stirner : Lorsqu’une association s’est cristallisée en société, elle a cessé d’être une association, vu que l’association est un acte continuel de réassociation. Elle est devenue une association à l’état d’arrêt, elle s’est figée. [...] Elle n’est plus que le cadavre de l’association ; en un mot, elle est devenue société communauté. En effet, nous devons différencier la libre association des êtres d’avec l’institutionnalisation et la massification ou l’uniformisation en groupes ou en sociétés qui se fait selon le primat d’une règle externe. Ce qui sous-entendrait que la force de l’individu est proportionnelle à son besoin ou non des autres tout comme à son besoin de croyances. Bref. L’égoïsme réalisé pourrait avoir la figure du vagabondage selon Stirner. En effet, il écrit ceci : Tout vagabondage déplaît d’ailleurs au bourgeois, et il existe aussi des vagabonds de l’esprit, qui, étouffant sous le toit qui abritait leurs pères, s’en vont chercher au loin plus d’air et plus d’espace. Au lieu de rester au coin de l’âtre familial à remuer les cendres d’une opinion modérée, au lieu de tenir pour des vérités indiscutables ce qui a consolé et apaisé tant de générations avant eux, ils franchissent la barrière qui clôt le champ paternel et s’en vont, par les chemins audacieux de la critique, où les mène leur indomptable curiosité de douter. 8. le mythe du « bon civilisé » Mais si se réaliser c’est accéder à l’égoïsme, comment va-t-on pouvoir co-exister puisque le problème est que, dans la réalité externe, l’autre existe aussi… et comme le disait un jour, avec justesse me semble-t-il, Paul Auster, chacun vit dans son monde, ce qui fait six milliards de mondes, mais la difficulté est que tous nos corps sont sur la même planète ! Stirner contourne la question de la collision des Moi et de leurs frictions en une confiance totale en la nature humaine12, ce qu’avait 12
Paris, mai 2015, p.247sq. Voir Michel Lacroix, Se réaliser. Petite philosophie de l’épanouissement personnel, Robert Laffont, Paris, 2009.
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remarqué Arvon qui écrivait que : « Les anarchistes ont fait de la bonté innée de l’homme une pétition de principe13. » II. Commentaires Avec Stirner, nous sommes dans une pensée qui prolonge le mouvement des Lumières quant au dégagement du religieux. Mais cela ne se fait pas aisément, une simple réfutation n’y suffit pas. 1. Le Un de Dieu et du monisme Du fait de l’affirmation première qui postule qu’il y aurait du Un et du Un dès et à l’origine, la thèse de Stirner relève d’une conception moniste, ce qui l’inscrit dans la tradition de Plotin, philosophe néoplatonicien du IIIe siècle, pour lequel l’Un est l’unité première dont chaque chose dérive, disons à l’image de l’atome de Démocrite (Ve av. J.C.) ou de la khôra de Platon14 : c’est ainsi une sorte d’au-delà de l’être. C’est cette idée du Un originel qui est le lit de la pensée moniste (telle qu’on la trouve par exemple chez Carl-Gustav Jung). Le Un de Plotin semble donc nourrir la conception du Moi de Stirner. Le souci du Un n’est pas nouveau, mais au XIXe siècle quelque chose s’amplifie avec le déclin des croyances religieuses sous l’effet du mouvement des Lumières. Avec le recul des croyances religieuses se perd aussi la croyance en une unité, un tout. Ce que l’on peut alors observer dans certains systèmes de pensée est un simple déplacement : - d’un objet sacré, supraterrestre, figuré par un Dieu Un et Unique censé représenter l’unité, la cohérence et le centre du monde (ce dont il tire sa puissance), détenteur d’un schéma de la création, - vers un objet profane mais terrestre et humain, c’est-à-dire un transfert de Dieu à l’humain, inversant ainsi le trajet des anciens, fait de projections totémiques et animistes de l’humain sur la figure des dieux ; - alors que le mode de relation à l’objet reste le même, perpétuant ainsi le mode de relation religieuse d’une soumission et d’une croyance (ce qui dévoile le besoin de croire propre à l’humain – ce qui est différent d’une soumission ou alors c’est une soumission volontaire -). Car à postuler un principe 13 14
Henri Arvon, L’anarchisme, Que sais-je ?, Paris, 1959. Voir Platon, Timée, Garnier-Flammarion, Paris, et le commentaire de J. Derrida J., Khôra, Galilée, Paris, 1993.
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fondateur, on répète une soumission obligée à un plan qui, ici, s’il n’est plus divin, n’en est pas moins inconnu. Stirner remarque à juste titre que ce déplacement de la relation religieuse de croyance a reversé la hiérarchie divine dans la société humaine, et introduit et produit la morale dans l’individu. Remarquons que cela est indiqué dans le terme même de hiérarchie, composé du grec hieros, sacré et de arkhê, pouvoir, commandement ; or, en philosophie, ce terme d’arkhê marque l’origine du monde, le premier principe de toute chose ainsi que le commentait Anaximandre : le principe est ce qui commence, le principe est ce qui commande. Anarchie signifie simplement l’absence, an°, de commandement. Ainsi, du fait de ce déplacement, au lieu de se soumettre à un commandant Dieu du ciel, l’on se soumet à une hiérarchie commandante humaine, avec la même promesse que dans la religion : les bons citoyens jouiront d’un paradis terrestre comme les bons croyants gagnaient jadis le Paradis céleste. Pour illustrer ce mouvement de transfert du sacré sur le profane, Feuerbach est convoqué par Stirner en exemple, Stirner l’accuse d’avoir remplacé Dieu par l’homme tout en conservant l’esprit religieux, c’est-àdire le mode de lien à l’objet, ce qui fait que, dans sa théorie philosophique, l’homme reste aliéné. Or, si je me souviens bien, Feuerbach avait critiqué Hegel en ces mêmes termes : en effet, pour Feuerbach, le mépris de la nature dans la philosophie moderne est un héritage de la théologie chrétienne, une conception qui fait de cette philosophie rien d’autre que de la « théologie dissoute et transformée en philosophie ». Hegel serait ainsi un travesti et sa doctrine (la Réalité est posée par l’Idée) n’est que l’expression rationnelle de la doctrine théologique (la Nature est créée par Dieu) : c’est ainsi qu’échoue toute philosophie spéculative, l’Idée prenant la place de Dieu15. Bref, un autre mode du transfert du sacré sur le profane. 2. le Moi est-il le centre de l’être ? Mais si, comme, entre autres, Jean Rostand l’écrivait16 : « chaque individu lui-même est sans pareil », il y a néanmoins un saut particulier Voir Feuerbach, L’essence du christianisme, notamment la préface, Vorwort, Gallimard, Paris, 1992. 16 Jean Rostand, in Pensées d’un biologiste, Paris, Stock, 1978, p. 94, l’exprime ainsi : « (…) quant à l’humanité, il y a apparence que nous autres, hommes terrestres, en sommes les seuls représentants ; et, dans cette espèce qui sans doute ailleurs n’a point sa pareille, chaque individu lui-même est sans pareil. Chacun de nous représente un objet certainement unique dans un groupe vraisemblablement unique » (Nos italiques). 15
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que fait Stirner en passant de l’individu au Moi. Celui-ci : - n’est plus une totalité faite d’une somme progressivement construite, qui donnerait un être en un résultat singulier, ce dont nous sommes tous d’accord je pense, - mais un lieu qui serait source de cette unicité, un noyau premier. Stirner ne postule pas vraiment un résultat ou une somme sans fin, mais un point d’origine et aussi d’arrivée selon un schéma classique du monisme, celui de la retrouvaille. Ici, retrouver le plan initial sous les couches de fantômes. Une telle conception serait, pour Freud, du religieux déplacé, mis au service d’une revendication narcissique : le monisme est une manifestation du narcissisme en ce que c’est bien Narcisse qui désire l’unité, être Un. Et faire Un permet d’éviter la fameuse blessure narcissique, celle qu’après Copernic et Darwin, la psychanalyse inflige à l’être humain : la Terre n’est pas le centre du monde, ni le soleil, l’humain n’est pas le centre de la création et au fond de son être psychique, il n’est pas Un, il n’y a pas de Un. Le Moi de Stirner correspondrait en fait au Narcissisme de Freud. En occupant cette place de l’Unique, le Moi stirnérien hériterait ainsi de la puissance supposée accordée aux dieux, puissance tirée du fait d’être du Un, c’est-à-dire de ne pas être divisé, car il y a toujours eu un lien imaginaire très fort entre unité ou unicité et omnipotence ou omniscience, ce qu’Aristophane avait merveilleusement montré avec son mythe de l’Androgyne17. Par exemple, Freud remarquait dès 1897 que, dans l’hystérie, les fantasmes sont indépendants ou contradictoires18, alors que dans la paranoïa, ils sont systématiques et concordants (de là la possibilité de produire des systèmes et des théories où prime la synthèse du Un), sorte de réaction à un mode de blessure narcissique. Mais aussi ceci quant à l’origine de la religion :
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Ainsi que Platon le rapporte dans le Banquet, Garnier-Flammarion, Paris, 1964. Voir Sigmund Freud, le manuscrit 25 de mai 1897 in La naissance de la psychanalyse, P.U.F 1969, Paris, p. 181.
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On distingue encore un animatisme19 qui est la doctrine de la vivification de la nature que nous trouvons inanimée et auquel se rattachent l’animalisme20 et le monisme”, “conditions préalables de toutes les religions”. Il correspondrait au stade narcissique, si l’on tient compte de la grande valeur (...) que le primitif et le névrosé attribuent aux actions psychiques 21. Freud prolongeait ici une pensée de Hume : Il existe dans l’humanité une tendance universelle à concevoir tous les autres êtres comme semblables à l’homme et à attribuer aux objets toutes les qualités qui sont familières à l’homme et dont il est intimement conscient22. Le monisme prône donc qu’il y aurait du Un, un principe premier et de base, en opposition, au dualisme freudien tel celui d’Éros et Thanatos, qui a ses fondements dans le biologique : dualisme auquel Freud tenait comme garantie, voire comme défense, contre le retour du religieux dans la pensée scientifique23, c’est-à-dire le retour de l’animisme. Un autre destin de cette pensée moniste est régulièrement celui de la religion ou de la métaphysique qui promettent la réalisation de ce fantasme : s’élever à un principe universel et invisible, en une apothéose. C’est en cela qu’il y a à entendre ce que certains nomment l’entêtement de Freud à maintenir un dualisme pour certains désuet, face à tout monisme au service de la dissolution des frontières entre le moi et le monde. Stirner a donc déplacé à son insu la croyance religieuse sur du profane, ce qui transforme l’objet dieu en objet Moi. Intellectuellement, comme bon nombre des esprits des Lumières, il le sait ou le pressent, puisqu’il écrit, par exemple : « L’Homme n’a tué Dieu que pour être lui-même le seul Dieu dans les cieux. » L’animatisme ou pré-animisme est la croyance qui attribue par projection des forces occultes et des propriétés vitales à des objets inanimés (voir la note 31) suivi d’adoration, vénération, offrandes, etc. selon une pensée magique. C’est une forme de fétichisme. 20 L’animalisme est un anthropomorphisme : attribuer des valeurs humaines et humanistes à toutes les espèces animales. 21 Freud : Le retour infantile du totémisme, in Totem et tabou, Gallimard, 1993, Paris. 22 Hume : Natural History of Religion, Tylor, Primitive Culture, 1, p. 477. L’histoire naturelle de la religion et autres essais sur la religion, Vrin - Bibliothèque des Textes Philosophiques, Paris, 1980. 23 Voir Joël Bernat, Transfert et pensée (La transmission de pensées en psychanalyse), collection « Perspectives Psychanalytiques », Bordeaux, L’esprit du temps - P.U.F., octobre 2001. 19
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Mais s’il en est conscient au niveau des objets, il ne l’est pas pour ce qui en est de la relation à ces objets, et ainsi que nous allons le voir, la relation à Dieu va devenir la relation au Moi stirnérien, maintenant les composants de l’objet sacré dans l’objet profane, notamment l’idée d’une origine et le mode de croyance. Ce déplacement permet simplement de « récupérer » ce qui fut projeté sur l’idée d’un dieu : origine, toute-puissance, unicité, etc. mais ne dégage pas de la croyance. Le maintien de ces ingrédients est au service du narcissisme. Chez Freud, c’est Narcisse qui se croit au centre de l’être. Du moins, c’est son vœu. Quant au Moi de Freud, il est tout sauf un centre ! Il est tel un héros tragique grec, il « n’est pas maître dans sa propre maison » et « il en est réduit à se contenter de renseignements rares et fragmentaires sur ce qui se passe en dehors de sa conscience, dans sa vie psychique24 ». En tant qu’instance, sa fonction est de concilier et rechercher des compromis en permanence entre de maîtres exigeants : le ça comme lieu pulsionnel, le surmoi comme lieu de la conscience morale et de la culpabilité, et les réalités du monde externe ; ce qui fit dire à certains que le moi est sujet mais au sens latin premier de sub-jectus, c’est-à-dire jeté sous ou sous-mis. Et il n’est pas vraiment non plus une conscience qui pilote l’être. De plus, le Moi freudien n’est absolument pas premier, mais le résultat progressif de la rencontre du biologique et du pulsionnel avec le monde externe : il est donc situé entre, ce qui ne signifie pas au centre. Autre point, la délicate question de l’interprétation de la soumission : on peut se penser soumis à tout comme à rien : par exemple se penser soumis au langage… en opposition, on peut dire que je jouis du langage, des autres, etc. il n’y a donc pas là une vérité mais une seule interprétation des choses fonction de notre rapport au monde. Par ailleurs, observons que dans toute pensée logique, binaire, dès que l’on pose un élément, le droit par exemple, cela sous-entend immédiatement son envers, une opposition. Dès que je pense blanc ou vide, il y a noir ou plein. Ce que Piaget a nommé réversibilité du langage25 et donc le désignant ainsi comme seul effet du langage26. Ainsi, dès que Sigmund Freud, Introduction à la psychanalyse, Petite Bibliothèque Payot, n°.6, Paris. Voir Jean Piaget, par exemple : Le langage et la pensée chez l’enfant, Delachaux et Niestlé, Neuchâtel, 1976. 26 Voir Sigmund Freud, Sur le sens opposé des mots originaires, in L’inquiétante étrangeté, Gallimard, Paris, 1985 ; Émile Benveniste, Catégories de pensée et catégories de la langue, in 24 25
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Stirner pose des droits, cela crée des oppositions. Dès lors, l’affirmation moniste première est sans cesse contredite et défaite par ces dualités de pensée. Ou peut-être à l’inverse : la thèse moniste pourrait-elle servir à s’extraire de ces dualités, telle l’utopie comme échappatoire à la mélancolie ? Mais reste la question du droit : d’où vient-il ? 3. la question de la force Pour répondre à la question de l’origine des droits du Moi, Stirner va en fait déplacer la question, ou éviter d’y répondre – si l’on peut le faire ! – Le droit se retrouve ainsi inféré à la force, force qui reste néanmoins d’origine mystérieuse, quasi ex nihilo, ainsi que sa distribution, ce qui pose question. Question disons évacuée, balayée par l’idée d’une distribution, tenue pour naturelle, en caractères forts et faibles… Or, il me semble que cette affaire de force est assez centrale dans la thèse de Stirner, une sorte de clef de voûte , disons, « silencieuse ». Le recours à Hegel produit un étrange effet : le Moi a des droits qui sont proportionnels à sa force et sa force est liée à la taille de son caractère et de ses actions, etc. Comme on dit depuis l’Antiquité, il y a des natures plus ou moins bien faites, mais de revenir à ce constat hypothèque le projet de Stirner dès le départ. Mais cela fait néanmoins poser une question importante : d’où vient l’énergie psychique et sa quantité ? L’on sait que Freud y répondra en inventant le concept de libido, c’est-à-dire une énergie psychique qui est l’écho mental de l’énergie biologique. Et qu’il y a bien des énergies différentes selon les physiologies, ce qui autrefois se disait, remarquonsle, comme résultat d’une distribution divine. 4. sur les déplacements et fantômes Les idoles et les fantômes27 dénoncés par Stirner sont, selon lui, créés Problèmes de linguistique générale, I & II, Gallimard, Paris, 1966. Cela fait penser au mythe de la Caverne de Platon, mais aussi et surtout à Lord Francis Bacon (1561-1626), Novum Organum (1620), section II, Aphorismes V, VI, VII, P.U.F. 1986 : « Les idoles de la caverne sont celles de l’homme considéré individuellement ; chacun d’entre nous possède son antre personnel qui brise et corrompt la lumière de la nature par suite des différences d’impression qui se produisent dans un esprit prévenu et déjà affecté. » « Il y a des idoles que nous appelons les idoles de la place publique. Car les hommes s’associent par le discours, mais un usage faux et impropre des mots dénature l’entendement, les mots s’imposant avec une force absolue à l’entendement et 27
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par l’esprit humain et utilisés par certains pour contrôler les autres : c’està-dire les plus forts…. On tourne en rond… ou alors, cela viendrait indiquer une sérieuse impasse : si l’on se débarrasse de nos idoles et que l’on devient un esprit fort, la collision avec d’autres esprits forts sera inévitable, de même que la soumission des esprits faibles. Car l’on ne peut exister de façon autiste. Stirner en donne un bel exemple avec le Protestantisme, dont il nous dit qu’il : a proprement organisé en l’homme un véritable service de "police occulte". L’espion, le guetteur "Conscience", surveille chaque mouvement de l’esprit, et tout geste, toute pensée est à ses yeux une "affaire de conscience", c’est-à-dire une affaire de police. C’est cette scission de l’homme en "instincts naturels" et "conscience" (canaille intérieure et police intérieure) qui fait le Protestant. La question des idoles et des fantômes est une sérieuse question : pour Freud et à la différence de Stirner, toutes les instances externes qui visent à soumettre un individu tirent leur pouvoir de la projection de nos instances internes à l’extérieur. Cela est en lien et est renforcé par deux autres éléments : 1 : l’immaturité de l’être humain à sa naissance, du fait de son inachèvement biologique, le maintien dans une dépendance vitale (soins, protection, etc.), dont il se dégage très progressivement et pas totalement, d’où le recours à des instances externes de soins, protection, etc. et donc de dépendance et soumission ; 2 : le surmoi est une instance psychique qui installe l’autorité et la morale parentale et culturelle à l’intérieur de la psyché individuelle, ce qui veut dire que l’être est aussi soumis de l’intérieur… Il « convient d’admettre l’existence du surmoi partout où, comme chez l’homme, l’être a dû subir, dans son enfance, une assez longue dépendance28. » Et : Les particularités des relations entre moi et surmoi deviennent compréhensibles si on les rapporte aux relations de l’enfant avec ses parents. Ce n’est évidemment pas la seule personnalité des parents qui agit sur l’enfant, mais transmises par eux, l’influence des traditions familiales, raciales et nationales, ainsi que les exigences du milieu social semant la confusion en toute chose. » « Les idoles du théâtre, propagées par les divers systèmes des philosophes et par les lois dénaturées de la démonstration, se sont implantées dans l’esprit humain. Jusqu’à présent toutes les philosophies ont été autant de pièces de théâtre et n’ont montré que des univers fictifs et théâtraux. » 28 Sigmund Freud, Abrégé de psychanalyse, PUF, Paris, 1973, p. 6.
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immédiat qu’ils représentent29. S’il y bien une répression des pulsions par la société afin de créer une possibilité de groupe, cela ne doit pas faire perdre de vue que chaque individu a un rapport singulier à ces lois et qu’il adhère à celles dont il a besoin, c’est-à-dire celles qui viennent l’aider à maintenir et renforcer ses refoulements, ce qui reste, pour Freud, l’acte premier. Mais il y a quelque chose de précieux dans ce qu’indique Stirner sous la forme de tous ces corps étrangers implantés dans l’individu, dont il y a à se défaire pour se connaître : c’est là aussi le projet de la psychanalyse de Freud, celle du projet pindarique, du « connais-toi toi-même »30, etc. 5. sur l’auto-réalisation Nous retrouvons, pour expliquer l’auto-réalisation, les notions de droit, et de force mais d’une force qui serait interne, intrinsèque, sans doute à l’image du végétal, chacun ayant son quota spécifique de force. Quoique, si l’on est Mongol, on aurait plus de force que si l’on est Africain et là, Stirner semble se contredire puisqu’il en fait une question de culture, c’est-à-dire d’influence externe des fantômes, qui plus est, prise dans la croyance en un progrès de l’humain, ce qui reste très incertain. Qui plus est, il dépasse la question de l’être individu et l’on se retrouve dans des catégories plus vastes, le Un des Mongols – ou alors le Moi Mongol ? – contre le Un Africain, c’est-à-dire dans une pensée qui défit complètement ce que Stirner avançait comme auto-réalisation de soi et qui recrée des hiérarchies. Je pense que cela indique qu’il s’agit là de la vision-du-monde de Stirner, et que lui comme nous, faisons le mélange dont on a besoin pour vivre. Ce que Freud dénommait « mythes endopsychiques31 ». Ibid., 73, p. 5. C’est, dit-on, un des sept sages présocratiques, Chilon de Sparte (-620, -471 av J.C.), qui inscrivit au fronton du temple de Delphes le fameux « Connais-toi toi-même » dont on sait quelle importance il eut par exemple pour Socrate : voir Pline l’Ancien, Histoire naturelle, VII, 32 ; Le poète thébain Pindare (-578, - 438) : « Puisses-tu devenir qui tu es en l’apprenant » (IIe Pythique, vers 72) que, entre autres, Nietzsche reprendra, etc. 31 « (...) Imagines-tu ce que peuvent être les mythes endopsychiques ? (...) L’obscure perception interne par le sujet de son propre appareil psychique suscite des illusions qui, naturellement, se trouvent projetées au dehors et, de façon caractéristique, dans l’avenir, dans l’au-delà. L’immortalité, la récompense, tout l’au-delà, telles sont les conceptions de notre psyché interne... C’est une psycho-mythologie. » Freud S., lettre à Fließ du 12.XII.1897, in La naissance de la psychanalyse, P.U.F, Paris, 1969, pp. 210-211. 29 30
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Reste que ce mouvement d’expansion de soi ou de réalisation de soi est chez Freud complètement lié à la poussée d’Éros, cette force qui pousse un individu vers l’extérieur, vers le nouveau et ainsi, outre la découverte du monde et de l’altérité, vers la découverte de soi. 6. sur la question du droit du Moi On ne peut s’empêcher d’y entendre une revendication narcissique sinon presque mégalomaniaque (notions qui n’existaient pas encore à l’époque). Pourtant, c’est une revendication de tous temps : par exemple, se réapproprier son corps qu’un État s’approprie. L’on peut être en accord avec cela. Mais supposer que l’animal serait exempt d’aliénation et de soumission, parce qu’il serait au plus près de la Nature, ce que par exemple l’éthologie a depuis radicalement infirmé, me semble peu soutenable, d’autant qu’il y a là une sorte de raisonnement qui ne repose que sur le présupposé d’une frontière radicale entre l’humain et l’animal, ce qui est là aussi un vestige de pensée monothéiste et un reste narcissique, ou encore entre une Nature bonne et une culture néfaste. Car, après tout, peut-être que le mouton ne peut devenir un vrai mouton du seul fait de sa pulsion grégaire ? Reste néanmoins la délicate question de l’instinct ou pulsion dont la civilisation nous libère en partie au prix de frustrations afin de sublimations, c’est-à-dire au prix de certains fantômes... afin d’assurer un minimum de sécurité pour tous. Il y a là encore une revendication narcissique au lieu de la reconnaissance du deal permanent moi – groupe, et du jeu du refoulement et de la sublimation. Mais surtout, une confusion entre la réalité externe et de la réalité psychique lorsque Stirner écrit qu’il va prendre le monde pour ce qu’il est, le sien, sa propriété, et tout ramener à lui-même 7. sur l’individu ou le groupe Je ne peux qu’être en accord avec Stirner sur ce qu’il souligne quant au rapport individu - groupe ; Schiller avant lui, la Psychologie des groupes après lui, et bien d’autres, ont fait ce constat : l’intégration à un groupe se paye du renoncement d’une partie de soi, et il reste ainsi très difficile d’être pleinement soi-même parmi les autres… Pour éviter, me semble-t-il, la délicate question de la co-habitation des égoïsmes et de la question des Moi forts, Stirner en déplace la cause et le problème, non plus du côté des individus eux-mêmes et non comme résultat de l’égoïsme mais comme résultat de systèmes externes. Par exemple : « Dans une république tous sont maîtres, et chacun tyrannise 239
les autres. », observation valable aussi pour le protestantisme. La théorie de Stirner semble être strictement individuelle, voire même un refus de tout groupement (sauf à être une véritable association). Mais comment cela peut-il co-exister avec les autres ? On trouve l’explication possible suivante. 8. sur le mythe du « bon civilisé » Pour expliquer ou peut-être contourner le paradoxe théorique que crée, non pas la question de l’égoïsme, mais celle des égoïsmes et de leurs frictions, Stirner a recours à une présupposition classique, celle qu’au fond de l’être règne la bonté comme première. Thèse souvent retrouvée, par exemple chez Wilhelm Reich ou J.J. Rousseau avec son mythe du bon sauvage, qui repose sur l’idéalisation des hommes vivant au contact de la Nature et la respectant. Le bon sauvage vivrait dans un paradis terrestre. Thèse qui s’est développée au XVIIIe siècle et qui a animé les explorateurs et conquérants de la Renaissance (assez brièvement puisqu’ils ont massacré les bons sauvages !) et qui tire son inspiration, sinon sa force, d’un état biblique supposé d’avant le péché originel ou encore de l’Age d’Or des Grecs d’avant la femme : c’est-à-dire qu’ici on pourrait retourner la critique de Stirner envers la religion contre luimême : sa thèse est la résurgence des mythes de l’Age d’Or et autres Paradis déplacée sur de nouveaux objets : le Paradis est-il en Moi ? Conclusions La pensée de Stirner est remarquable, et sans aucun doute courageuse, en ce qu’elle est une tentative, dans le fil des Lumières, de dégagement de la main mise religieuse sur la pensée, et d’une conquête de l’individuation. Si l’on ne peut qu’être d’accord avec lui sur l’importance de s’individualiser, se différencier, on ne peut pas le suivre quant aux présupposés de sa construction théorique et à sa vision-du-monde dans la mesure où celles-ci perpétuent, malgré les déplacements, une pensée monothéiste quant à un point d’origine, un Moi quasi divin (ex nihilo), et un point d’arrivée, une sorte d’apothéose32 (que l’on retrouve aussi dans la théorie moniste de Jung) ou de position héroïque. Mais il nous semble qu’en fait la démarche de Stirner est strictement individuelle, ne revendique aucune action de groupe (qui serait dés-individualisante), à 32
C’est-à-dire devenir divin, vraie obsession d’une partie de l’humanité en ce que le divin est défini comme être entier, c’est-à-dire omniscient et omnipotent.
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l’image du vagabond qui, s’il est bien parmi les autres, reste malgré tout à l’écart. Position qui éviterait les frictions des Moi. L’application des vues freudiennes à cette conception indiquerait qu’il s’agit ici d’une thèse narcissique au service donc de l’assomption de Narcisse vers son unité retrouvée, quelque chose d’anti-dépresseur dirions-nous aujourd’hui. Thèse narcissique quant à son énoncé premier (le Moi comme Un et Centre) mais qui se rapproche, de par le trajet à faire, de quelque chose qui serait la construction très progressive du Moi chez Freud. Par ailleurs, il est dommageable que le terme d’anarchisme soit accolé à cette conception car il risque de prédéterminer la réception de cette pensée. D’autant plus que, dès que l’on pense à l’individu, nous sommes dans une position an-archiste plus ou moins importante ! Ce terme ne serait-il pas la manifestation d’un fantôme ? D’un essai de refoulement ?
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Alexander Stulpe Der Einzige und seine diskursive Funktion in der Stirner-Renaissance I. Die Stirner-Renaissance und das Interesse am Einzigen In seiner Schrift Ludwig Feuerbach und der Ausgang der klassischen Deutschen Philosophie erinnerte Friedrich Engels 1888, am Vorabend der später so genannten ‚Stirner-Renaissance’ (Friedell 1927–31: 1073), an Max Stirner, indem er ihn zu einem ‚Propheten des Anarchismus’ erklärte, ohne dessen Ideologie der ‚Empörung’ der Anarchismus Bakunins und seiner zeitgenössischen Anhänger gar nicht denkbar sei (Engels 1888: 271, 291). Engels’ eher beiläufige Bemerkung, Bakunins Anarchismus sei wesentlich durch Stirner inspiriert, verdankte sich der Intention des Mitbegründers des Historischen Materialismus, anlässlich seines philosophiegeschichtlichen Rückblicks, gewissermaßen im Vorbeigehen, seinen und Marx’ alten Rivalen um die politische Führung und programmatische Deutungshoheit innerhalb der internationalen Arbeiterbewegung dadurch zu denunzieren, dass er ihm und allen zeitgenössischen Anarchisten jenen ‚kuriosen’ Ahnherrn Stirner zuwies. Insofern handelt es sich um einen zeittypischen Diskurssplitter, der auf die deutungshegemonialen Kämpfe zwischen Marxisten und Anarchisten um die richtige Programmatik und Strategie zur revolutionären Überwindung der bürgerlich-kapitalistischen Gesellschaft im Ende des 19. Jahrhunderts verweist, wie sie sich organisatorisch beispielsweise in der 1890 erfolgten Gründung der Zweiten Internationale unter Ausschluss anarchistischer Gruppen materialisierten (vgl. Abendroth 1973: 41-65). Engels’ Erwähnung des 1856 verstorbenen Stirner in diesem Zusammenhang mag gleichwohl dazu beigetragen haben, die von zeitgenössischen Beobachtern als plötzlich und breit einsetzend wahrgenommene Aufmerksamkeit für Stirners Buch von 1844, Der Einzige und sein Eigentum, auszulösen und nach Jahrzehnten seiner Vergessenheit jene ‚Stirner-Wiederentdeckung’ der 1890er Jahre einzuleiten, um deren Verdienst sich dann wiederum andere Autoren
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stritten, prominent vor allem der Stirner- und Nietzsche-Verächter Eduard von Hartmann und der (in dieser Frage letztlich siegreiche) Stirner-Biograph und -Verehrer John Henry Mackay. Der Psychiater Ernst Schultze (1903) nennt in seinem Artikel über Stirner’sche Ideen in einem paranoischen Wahnsystem, in dem er die Psychose seiner ‚Patientin S.’ als Fall von ‚Einzigkeit’ beschreibt, vier Faktoren, um die Bekanntheit Stirners seit den 1890er Jahren zu erklären: neben der leicht zugänglichen Reclam-Ausgabe des Einzigen von 1892 vor allem die schriftstellerischen Aktivitäten Mackays, aber auch das, durch Anschlagsserien beförderte, zeitgenössische Interesse am Anarchismus und den praktisch zeitgleich einsetzenden Nietzsche-Kult. Schultze mag hier weniger die Ursachen als die Themen der Stirner-Renaissance beschreiben, insbesondere die beiden Leitthemen des Anarchismus und des zeitgenössisch mit Nietzsche assoziierten Individualismus, unter dem auch die Frage nach Nietzsches Stirner-Kenntnis bzw. -Epigonalität und dem Verhältnis der individualistischen Positionen beider heftig diskutiert wurde, wie eben auch die Frage nach der Stirner-Wiederentdeckerschaft. Aber schon der Hinweis auf die zeitgenössisch mit Stirner und der Figur des ‚Einzigen’ verbundenen diskursiven und thematischen Verknüpfungen weist den Weg zum Verständnis am Ende des 19. Jahrhunderts registrierten, sprunghaft ansteigenden diskursiven Interesses an Stirner, das dann übergeht in dessen Etablierung als gängiger Referenzautor, der nicht erst ‚entdeckt’ und dessen prinzipielle Relevanz nicht mehr eigens begründet werden muss. Im weiteren Verlaufe des 20. Jahrhunderts entfällt genau diese Voraussetzung der Voraussetzbarkeit Stirners als (jenseits bestimmter Expertendiskurse) bekannt und relevant, und in diesem Sinne lässt sich dann wieder davon sprechen, dass er ‚vergessen’ worden ist. Ähnliches gilt auch für die Zeit vor der Stirner-Renaissance: Der Einzige und sein Eigentum war unmittelbar nach seinem Erscheinen Gegenstand von Rezensionen und kritischen Auseinandersetzungen, insbesondere von junghegelianischer Seite (Feuerbach 1845; Hess 1845), und von philosophiegeschichtlichen Beiträgen (Erdmann 1866; Lange 1866), aber es fehlte die Art von nachhaltiger diskursiver Prominenz, die dann die Stirner-Renaissance auszeichnet: die Voraussetzung der Bekanntheit, Relevanz und Aktualität Stirners, die als solche in deren Beiträgen häufig reflektiert wird.1 – Im Gegensatz zu dieser 1
Gerade diese Thematisierung der allgemein wahrgenommenen Aktualität und Relevanz Stirners durch die zeitgenössischen Beiträge der Stirner-Renaissance sind ein Beleg für diese in den 1890er Jahren plötzlich einsetzende und für einige Jahrzehnte anhaltende diskursive Konjunktur Stirners, von der Friedells Wort von
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konsensuellen Relevanzzuschreibung war jedoch die Frage, wie Stirner zu interpetieren sei, also wofür der von diesem in seinem Text von 1844 entwickelte ‚Einzige’ steht, hochgradig umstritten. Im Folgenden soll in Form eines analytischen Systematisierungsvorschlags ein kursorischer Überblick über die Vielfalt und Heterogenität der Thematisierungsweisen des Einzigen in der Stirner-Renaissance gegeben werden, der zugleich darauf zielt, die Stirner-Renaissance zwar nicht ursächlich zu erklären, aber zu verstehen, wieso Stirner und sein Einziger für ein paar Jahrzehnte in der klassischen Moderne eine bemerkenswerte diskursive Attraktivität erlangen konnten. Ein Teil der Antwort liegt in der bereits früh von Georg Simmel (1901: 56) geäußerten Beobachtung, dass Stirner im Einzigen die bloße ‚Tatsache der Individualität’ und somit die reine, ‚inhaltsleere Form des Individualismus’ beschrieben hat – also eine hochgradig deutungsoffene Struktur, die um die Reflexion des Individuums kreist. der ‚Stirner-Renaissance’ zeugt, ebenso wie Beiträge aus den 1930er Jahren, wie Sveistrup (1932) und Mautz (1936). Der vorliegende Beitrag legt den Fokus auf die deutschsprachige Stirner-Rezeption in den Anfangsjahrzehnten der StirnerRenaissance vor dem Ersten Weltkrieg, im Interesse an der Durchsetzungs- und Etablierungsphase des Autors Stirner und der Konstruktion des Einzigen in einem durch gegenseitige Referenzen und geteilte Kontexte verbundenen diskursiven Feld. – Der aus der Analyse des rezeptionsgeschichtlichen Textmaterials qualitativ gewonnene Befund zum konjunkturellen Verlauf der Stirner-Rezeption wird quantitativ durch die Zahl der einschlägigen Veröffentlichungen bestätigt, die Hans G. Helms in seiner chronologischen Bibliographie anführt (vgl. Helms 1966: 507600), und die sich beispielsweise aus einer mit dem Google Ngram Viewer durchführbaren Frequenzanalyse zum Stichwort ‚Stirner’ im deutschsprachigen Textkorpus des 19. und 20. Jahrhunderts ergibt: ein sprunghaftes, steiles Ansteigen der Kurve über die 1890er Jahre mit deutlichem peak um 1900, der dann in ein Hochplateau übergeht, das dann im Verlaufe des 20. Jahrhunderts langsam wieder abflacht, zu einem Tal um 1940; deutlich kleinere peaks finden sich davor um 1845, also in Folge der Erstveröffentlichung des Einzigen (vgl. Fleming 2001), und danach noch einmal, langsamer ansteigend und auslaufend, Ende der 1970er Jahre, also nach (und wohl auch infolge von) Helms (1966) und als Niederschlag des zeitgenössischen Interesses an Marx und dem Junghegelianismus (vgl. z. B. Löwith 1962; Lübbe/Saß 1975; Maruhn 1982; Eßbach 1982; Pepperle/Pepperle 1985). Die Validität der Ergebnisse der Anwendung von solchen in den Digital Humanities gängigen Verfahren des distant reading (Moretti 2016) qua Textmining ließe sich durch eine gegenüber dem Google Ngram Viewer kontrolliertere Zusammenstellung des Textkorpus steigern (vgl. Kath et al. 2015), aber dennoch ist – gerade in Kombination dieses quantitativen distant reading mit dem qualitativen Befund des close reading (vgl. Stulpe/Lemke 2016) – bereits diese Evidenz symptomatisch für den konjunkturellen Verlauf der Stirner-Rezeption im deutschsprachigen Raum.
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Diese Struktur des Textes von 1844 ist das Ergebnis der Stirner’schen Intervention im diskursiven Kontext des Junghegelianismus (vgl. Pleger 1996). Sie ergibt sich als Effekt eines ‚diskursiven Manövers’ (Skinner 2009), das, der Intention Stirners nach, auf die Kritik und Überbietung der junghegelianischen Religionskritik zielte, für die paradigmatisch Ludwig Feuerbach (1841) mit seinem in Das Wesen des Christentums anthropologisch geführten Nachweis steht, dass die Menschen in ihren historischen Gottesvorstellungen immer nur die Projektionen ihrer eigenen ‚Gattungswesenheit’ angebetet und sich so ihrem eigenen Selbstentfremdungsprodukt unterworfen haben und mit dieser atheistischen Erkenntnis diese Selbstentfremdungsgeschichte der Menschheit überwunden sei. Gegen die emanzipatorische, von Junghegelianern wie Arnold Ruge oder seinerzeit Marx und Engels begeistert aufgenommene Formel des Feuerbach’schen Humanismus, nun sei ‚der Mensch des Menschen höchstes Wesen’ richtet Stirner seinen Einzigen mit seinem ‚egoistischen’ Credo: „Mir geht nichts über Mich!“ (Stirner, EE: 5).2 ‚Der Mensch’ sei ebenso eine unwirkliche Illusion wie vormals Gott und die heidnischen Götter, eine für ‚heilig’ gehaltene ‚Idee’, wie im übrigen auch ‚die Freiheit’ und alle darauf sich berufenden zeitgenössischen, von Stirner ‚Liberalismus’ genannten politischen Ideologien und deren Leitideen: Der Staat, die Nation, das Recht und die Moral des ‚politischen Liberalismus’, die Gesellschaft, der Kommunismus und das Gemeinwohl des ‚sozialen Liberalismus – und eben auch der humanistische Atheismus bzw. ‚humane Liberalismus’ der Feuerbachianer (EE: 103-167). Wirklich sei aber ausschließlich das ‚Ich’, das konkrete Individuum in seiner endlichen Existenz (EE: 199). Daher sei, wer sich diesen Ideen und ihren Bindungsansprüchen unterwerfe, ein ‚Besessener’(EE: 36-69). Der Einzige dagegen ‚empört sich’, indem er – im Bewusstsein der ausschließlichen Wirklichkeit seiner Existenz – diese Ansprüche zurückweist, sich, in selbstbewusstem ‚Egoismus’ seinem ‚Selbstgenuss’ widmet und die ihn umgebende Welt als ‚sein Eigentum’ betrachtet, über das er, ohne ‚heilige’ Scheu, lediglich nach Maßgabe seiner ‚Macht’ frei verfügen kann (EE: 202-226, 353-379); bei Bedarf bildet er zum Zwecke der Interessendurchsetzung ‚Vereine’ mit anderen ‚Egoisten’, für die aber gleichfalls gilt, dass sie ihn, anders als ‚gesellschaftliche Bünde’ wie Partei, Staat, Kirche usw., nicht ‚binden’ und 2
Die im Folgenden vorgestellten Leitmotive und –begriffe des Einzigen ziehen sich – mit unterschiedlichen Akzentuierungen – durch Stirners gesamten Text und werden deswegen jeweils nur mit wenigen, exemplarischen Belegstellen bzw. Textpassagen nachgewiesen; vgl. auch Stulpe (2010: 20-22).
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ebenso seinem prinzipiellen Verfügungsanspruch unterliegen, wie die anderen Individuen – sofern es seine ‚Macht’ zulässt (EE: 231-237, 342351). Die skizzierten Leitdifferenzen des Textes von 1844, allen voran die zentrale von ‚Einziger vs. Besessener’ (Schultheiss 1906), aber auch ‚Eigentum vs. Heiliges’, ‚Egoismus vs. Liberalismus’, ‚Verein vs. Bund’ und ‚Empörung vs. Revolution’3 bilden den textuellen Kontingenzspielraum, auf den sich dann die rezeptionsgeschichtlichen Beiträge der Stirner-Renaissance in ihren Interpretationen des Einzigen beziehen. Als ein solcher Kontingenzspielraum stellen diese Leitunterscheidungen, neben weiteren Begriffen und Motiven des Einzigen, textuelle Evidenzen bereit, die die rezeptionsgeschichtlichen Beiträge in ihren aktualisierenden Interpretationen des Einzigen zur Plausibilisierung ihrer jeweiligen Deutungen des Einzigen nutzten. Wie der Einzige in diesen Interpretationen dann jeweils erscheint, hängt davon ab, welche dieser Leitbegriffe und Motive jeweils verwendet werden, wie sie akzentuiert und insbesondere bezüglich ihrer jeweiligen Gegenbegrifflichkeit inhaltlich bestimmt werden. Die spezifisch polemische Einfassung der Gegenbegriffspaare im Einzigen, die durch die normative Asymmetrie der zentralen Leitdifferenz gegeben ist – die Überlegenheit des Einzigen gegenüber dem Besessenen – legt es nahe, den Einzigen im Blick auf das zu interpretieren, von dem er sich distanziert oder gegen das er opponiert. Insbesondere die Konkretion der jeweiligen ‚Besessenheiten’ und ihrer Derivate im Rekurs auf zeitgenössische diskursive Kontexte oder sozialphänomenologische Evidenzen, erlaubt es den Beiträgen der Stirner-Renaissance, die Aktualität des Einzigen zu plausibilisieren. Die Interpretation des Einzigen ergibt sich dann aus der aktualisierenden Spezifikation des jeweiligen ‚Heiligen’, gegen das er sich ‚empört’ (z. B. das moralische Sollen schlechthin oder nur eine bestimmte, z. B. ‚bürgerliche’ Moral), der jeweiligen ‚Besessenen’, gegen die er sich abgrenzt (z. B. den ‚Bourgeois’ oder den ‚autoritären Kommunisten’), des jeweiligen gesellschaftlichen ‚Bundes’ (z. B. des Staates), den er aufzulösen und durch seinen ‚Verein’ zu ersetzen gedenkt und des ‚Liberalismus’ (der kollektivistischen Ideologie), dessen Vereinnahmung er sich ‚egoistisch’ (individualistisch) entzieht. 3
Die ‚Revolution’ zielt, Stirner (EE: 354) zufolge, im Gegensatz zur ‚Empörung’ auf neue ‚Einrichtungen’, also Institutionen mithin individuell unverfügbare, ‚heilige’ Strukturen.
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Darüber hinaus ist der textuell gegebene Kontingenzspielraum bedingt durch eine prinzipielle Alternative, die sich aus der Konzeptualisierung der Sozialdimension des Einzigen, also seines Verhältnisses zum sozialen Andern bezüglich der Einzigkeit, ergibt: Kommt in der sozialdimensionalen Unterscheidung von Ego und Alter ‚Einzigkeit’ nur auf einer oder auf beiden Seiten der Unterscheidung vor? Ist der Einzige der alleinige Einzige unter lauter Nicht-Einzigen, also Besessenen, oder ist er sogar als Einziger ganz allein mit sich in seiner Welt (der solipsistische Grenzfall)? Oder ist auf beiden Seiten der Unterscheidung von Ego und Alter mit Einzigen zu rechnen, ist mithin jedes Individuum zumindest potentiell jeweils ein Einziger, sodass Einzige jeweils anderen Einzigen begegnen – auch wenn es weiterhin ‚Besessene’ geben mag? Der Einzige kann entweder nach dem Schema der ‚Je-Einzigkeit’, das eine prinzipielle Symmetrie zwischen Ego und Alter bezüglich der Einzigkeit voraussetzt, oder nach dem sozialdimensional asymmetrisch konzipierten Schema der ‚All-Einzigkeit’ interpretiert werden (Stulpe 2010). Diese Struktur ermöglichte als textueller Kontingenzspielraum nicht nur die Vielzahl verschiedener und gegensätzlicher Interpretationen des Einzigen, die sich jeweils unter Berufung auf die Evidenzen des Stirner’schen Originaltextes plausibilisieren konnten. Sie machte darüber hinaus Stirners Text und die in ihm entwickelte Figur des Einzigen zu einem fungiblen Bezugspunkt für die diskursive Auseinandersetzung mit dem modernen Individuum, seiner Individualität und dem Individualismus, wie sie seit dem späten 19. Jahrhundert mit besonderer Dringlichkeit geführt wurde. In diesem Diskurs fungiert der Einzige gewissermaßen als Zeichen, das zeitgenössisch aktuelle und kontrovers diskutierte Themen wie den Anarchismus und den Individualismus auf der begrifflichen und auf der sozialphänomenologischen Ebene miteinander zu verknüpfen erlaubte und symbolisch verdichtete. In Anlehnung an Freges (1892) zeichentheoretische Unterscheidung von ‚Sinn und Bedeutung’, also Intension und Extension, lässt sich sagen, dass der Einzige durch die aktualisierende Deutung Stirners in einer Weise interpretiert wurde, die intensional auf den Begriffsapparat, also die Semantik als Sinnvorrat der Gesellschaft (Luhmann 1993), verwies und ihm extensional einen sozialphänomenologischen Referenzbereich zuordnete – sodass beispielsweise die interpretative Verbindung des Einzigen mit dem ‚Anarchismus’ das Phänomen anarchistischer Attentate aufrief. In dieser Zeichenhaftigkeit konnte der Einzige zum Medium diskursiver Auseinandersetzung nicht nur um die ‚richtige’ Stirner-Deutung, sondern um die Deutung, Bewertung und Gestaltung 248
der so mit dem Einzigen jeweils bezeichneten Aspekte der zeitgenössischen modernen Gesellschaft werden. Gerade weil dieses Symbol ‚der Einzige’ für eine Vielfalt auch gegenläufiger plausibler Deutungen der damit bezeichneten, diskursiv umkämpften Realität in Anspruch genommen werden konnte, war es in besonderem Maße als diskursives Medium dieser Auseinandersetzungen geeignet. Dieser Aspekt der Stirner-Renaissance begründet, in methodologischer wie substantieller Hinsicht, ein modernitätsdiagnostisch motiviertes genealogisches Interesse am Einzigen, das sich bezüglich seiner Relevanz jenseits rein philologischer oder philosophiegeschichtlicher Fragestellungen verortet. Denn umgekehrt bietet sich damit in der Betrachtung der historischen Interpretationen des Einzigen zugleich ein exemplarischer Zugang zu den semantischen Strukturen ihrer zeitgenössischen Gesellschaft, die diese Interpretationen mit Plausibilität versorgen und durch diese artikuliert werden. Insofern enthält jede dieser Interpretationen Informationen über ihren historischen Kontext: über den diskursiven Kontext (Skinner 2010; Pockock 2010), über den semantischen Apparat (Luhmann 1993), den die Gesellschaft zeitgenössisch zur Verfügung stellt und der in den verwendeten Termini und theoretischen Deutungsangeboten zum Ausdruck kommt, aber auch über den historischen Erfahrungsraum (Koselleck 1976) als sozialphänomenologisches Feld von konkreten Realitätsbeobachtungen und Assoziationen, die die Interpretationen mit evidenzbasierter Relevanz und weiterer Plausibilität ausstatten, sie veranschaulichen und spezifizieren. II. Der Einzige im Begriffsfeld von Anarchismus und Individualismus In den aktualisierenden diskursiven Thematisierungen des Einzigen in der Stirner-Renaissance4 wird der Einzige bzw. Stirner typischerweise als ‚Anarchist’ und/oder als ‚Individualist’ behandelt und so sowohl (intensional) mit den Begriffsfeldern als auch (extensional) mit der sozialen Phänomenologie des Anarchismus und des Individualismus verknüpft. Der Einzige fungiert so als Zeichen oder Symbol, das bestimmte Phänomene der gesellschaftlichen Realität mit bestimmten 4
Angesichts des begrenzten Raums werden im folgenden Überblick aus darstellungspraktischen Gründen nur exemplarisch einige wenige, einschlägige Autoren genannt; für die ausführliche Darstellung der jeweiligen Argumentationen dieser und weiterer Interpreten und der jeweiligen Kontexte sei auf die entsprechenden Abschnitte in Stulpe (2010) verwiesen, insbesondere die Kapitel IV.2.-3., V., VI. und VII.2.-3.
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begrifflichen Deutungsangeboten verbindet und verdichtet und in dieser Sinn- und Bedeutungszuweisung diskursiv verwendbar wird. Auf der intensionalen Ebene der Begriffe lässt sich zunächst jeweils zwischen einer engeren und einer weiteren Verwendung sowohl des Anarchismus- als auch des Individualismus-Begriffs in der StirnerRenaissance unterscheiden. Im spezifischen Sinne bezieht sich ‚Anarchismus’ auf eine (sozialrevolutionäre) politische Programmatik und Bewegung, die mit emanzipatorischem Anspruch auf ‚Anarchie’ als herrschaftsfreie soziale Ordnung zielt, und ‚Individualismus’ auf eine ethische, mit ‚weltanschaulichem’ bzw. philosophischem Reflexivitätsanspruch auftretende Position, die den Wert von Individualität begründet und geltend macht. Gegenüber dem politischen Anarchismusund dem ethischen Individualismus-Begriff lassen sich auch unspezifischere Verwendungen beobachten: ein Anarchismus-Begriff, der stärker von einem pejorativen Verständnis von ‚Anarchie’ als Regellosigkeit und Chaos ausgeht und typischerweise kulturkritisch und auch im übertragenen Sinne auf nichtpolitische Bereiche angewendet wird; und ein Individualismus-Begriff, der in typischerweise zeit- und gesellschaftsdiagnostischer Absicht auf ein breites Spektrum von praktischen wie ideologischen Phänomenen Anwendung findet, die als Ausdruck einer zeittypischen Sichtweise gelten, für die das Individuum die maßgebliche Realität und Quelle von Legitimität ist. Der spezifische Anarchismus-Begriff umfasst selbst eine Pluralität von hinsichtlich ihrer konkreten Programmatiken und Strategien verschiedenen Ausprägungen. Im Hinblick auf die anarchistische Strategie wird der Einzige vor allem bezüglich der zeitgenössisch besonders virulenten Frage revolutionärer und terroristischer Gewaltanwendung diskutiert, im Hinblick auf die Programmatik geht es um die Bedeutung des spezifisch ‚individualistischen’ Anarchismus. Die prinzipielle Zuordnung Stirners zur anarchistischen Tradition kann sich, neben der präsumtiven Utopie des Vereins, auf die explizite ‚Staatstodfeindschaft’ des Einzigen berufen (EE: 284), und die Motive des ‚Kriegs aller gegen alle’ (EE: 286-288) und der ‚Empörung’ unter dem Aspekt einer revolutionären Transformation der Gesellschaft deuten. Zu der von den Interpreten regelmäßig zentral diskutierten Frage nach dem Verhältnis des Einzigen zur Gewalt, in der sich die zeitgenössische Problemwahrnehmung des Anarchismus und seiner ‚Attentatsstrategie’ insbesondere in den 1890er Jahren widerspiegelt (vgl. Adler 1898; Stammler 1894; Plechanow 1911), gibt es ein breites Spektrum von gegensätzlichen Auskünften. Unter Berufung insbesondere auf Stirners berüchtigte Textpassage, in der sich der Einzige zu 250
Mord und Totschlag selbst ermächtigt (EE: 208), und die auch in anderen thematischen Zusammenhängen regelmäßig als Beleg für dessen Antisozialität herangezogen wird, erscheint der Einzige als prinzipiell militant, gewaltaffin oder sogar gewaltverherrlichend. Einigen Interpreten gilt Stirner als Vertreter eines ‚kritisch-eudämonistischegoistischen, anomistischen, spontanistischen, indoministischen und revolutionär-insurgenten’ Anarchismus, der revolutionäre Gewaltanwendung befürwortet (Eltzbacher 1900), oder sogar als Begründer der anarchistischen Gewaltdoktrin, die alle revolutionären Gewaltexzesse rechtfertigt und in die von Netschajew, Bakunin, Most, Kropotkin und anderen formulierte und zeitgenössisch medienwirksam von anarchistischen Attentätern wie Émile Henry terroristisch praktizierte ‚Propaganda der Tat’ mündet (Adler 1898; Plechanow 1911; vgl. Holitscher 1925). Für andere Interpreten hingegen ist Stirner der paradigmatische Vertreter eines dezidiert gewaltfreien, ‚idealistischen’ Anarchismus (Zenker 1895) und friedfertige Theoretiker einer auf freier Vereinbarung ohne Rechtszwang beruhenden ‚Konventionalgemeinschaft’ (Stammler 1894), der seine Ziele auf ebenso friedlichem Wege zu erreichen sucht und der von diesen Interpreten – bei aller Skepsis gegenüber der Realisierbarkeit dieser Ziele – gegen den Vorwurf der Gewaltaffinität verteidigt wird. Demnach ist das terroristische Erscheinungsbild des zeitgenössischen Anarchismus eine Folge der ‚russischen’ und ‚romanischen’ Einflüsse in dieser Bewegung und eng mit deren ‚kollektivistischer’ bzw. ‚kommunistischer’ Programmatik verknüpft, die nichts mit Stirners ‚individualistischem Anarchismus’ zu tun habe (Zenker 1895; vgl. Mackay 1891). Diesen letztgenannten Einschätzungen, die in der programmatisch ‚individualistischen’ Ausrichtung des Stirner’schen Anarchismus die wesentliche, qualitative Differenz zum zeitgenössisch dominanten ‚kommunistischen Anarchismus’ bzw. ‚Libertärkommunismus’ Peter Kropotkins sehen, stehen solche Deutungen gegenüber, die zwischen diesen Formen allenfalls graduelle Unterschiede erkennen. Sie verstehen, wie schon Engels, den Anarchismus insgesamt – auch in seiner ‚kommunistischen’ Variante – als individualistische Ideologie und Stirner daher als deren paradigmatischen Theoretiker (Plechanow 1911; Adler 1898, 1907). Dagegen wird von Kropotkin (1902, 1913), also aus autoritativ-anarchistischer Sicht, Stirner gerade wegen seines ausgeprägten ‚Individualismus’ aus dem anarchistischen Kanon ausgeschlossen, und zwar mit der Begründung, dass – in Übereinstimmung mit der marxistischen Ideologiekritik – dieser ‚Individualismus’ eine effektiv konterrevolutionäre ‚bürgerliche 251
Ideologie’ sei; nur, dass dies eben nach der herrschenden marxistischen Lehre für den Anarchismus insgesamt gilt (Plechanow 1911), während sich Kropotkin, als ‚kommunistischer Anarchist’ bzw. ‚libertärer Kommunist’, gegen diesen Vorwurf seitens der ‚autoritären’, marxistischen Rivalen gerade durch die Distanzierung von Stirner zur Wehr setzt. Zugleich finden sich auf beiden Seiten auch Positionen, die Stirner für die eigene Perspektive in Anspruch nehmen und ihn gegen die Vorwürfe aus dem eigenen politischen Lager verteidigen: Für Max Adler (1914) ist Stirner – entgegen Plechanows Einordnung – ausdrücklich kein Anarchist, sondern ein bedeutender ‚Wegweiser des Sozialismus’, dessen psychologische Einsichten er als wichtige Ergänzung des Marxismus empfiehlt. Und für Max Nettlau (1925, 1926) ist Stirner – entgegen Kropotkins Verdikt – ein geschätzter Repräsentant der ‚antiautoritären’ Tradition des Anarchismus. Jenseits der Debatte um die Stellung und Bedeutung Stirners innerhalb der politisch-ideologischen Tradition des Anarchismus im engeren Sinne wird der Einzige auch unter einem weiteren, weniger spezifischen Anarchismus-Begriff thematisiert, der ‚Anarchie’ nicht als politisch-utopisches Projektziel einer herrschaftsfreien Gesellschaftsordnung versteht, sondern das Assoziationsfeld des Chaos, der Gewalttätigkeit und des Aufstands gegen jegliche Ordnung aufruft und ‚Anarchie’ mit ‚Ordnungslosigkeit’ gleichsetzt. Affirmative Bezugnahmen auf den Einzigen als Anarchisten in diesem Sinne, wie etwa bei Oskar Panizza (1895, 1898), erfolgen typischerweise in provokativer Absicht im Kontext demonstrativer Antibürgerlichkeit und führen in dieser Intention (‚épater le bourgeois’) oft weitere Identifikationsangebote aus dem Motiv-Arsenal der symbolischen Aggression mit, wie beispielsweise das des Verbrechers oder des ‚Satanisten’.5 Typisch ist in diesen Zusammenhängen die Verbindung Stirners mit Nietzsche, dem anderen großen Boheme-Philosophen (vgl. z. B. Przybyszewski 1926). In der kritischen-polemischen Bezugnahme auf den Einzigen als Anarchisten in dieser unspezifischen Begriffsverwendung werden dann beide in ihrer unsittlichen, moralfeindlichen, kulturzersetzenden und insgesamt ‚gefährlichen’ Bedeutung als ‚anarchistische’, mordlüsterne Psychopathen vorgeführt, die Gewalt predigen und Grausamkeit verherrlichen (Türck 1899) – auch wenn Nietzsche, der ‚brutale Anarchist’, schlimmer ist als sein präsumtiver Lehrmeister Stirner, der ‚kindliche Anarchist’ (Hartmann 1891). In der übertragenen Verwendung zielt dieser mit 5
Vgl. Fähnders (1987: 154-168); Kreuzer (2000: 301-339); Asholt/Fähnders (1993).
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Unordnung, Regellosigkeit und Zerstörung assoziierte AnarchismusBegriff auf den Bereich der ‚Kultur’ insgesamt, insbesondere der Moral, aber auch der Erkenntnistheorie, angewandt und wird mit auf diesem semantischen Feld verwandten Begriffen verbunden. So erscheint Stirner beispielsweise – neben Nietzsche – nicht nur als ‚sozialer’, sondern auch als ‚ethischer’ und ‚logischer Anarchist’, aber auch als ‚Nihilist’ (Lucchesi 1906). Oder er wird – neben Kropotkin und Nietzsche – als radikaler Vertreter des ‚ethischen Skeptizismus’ präsentiert, der die Existenz des Guten oder zumindest dessen Vorrang vor dem Bösen negiert (Kreibig 1896). Aus dieser Sicht nimmt damit der Einzige selbst die Position des ‚radikal Bösen’ ein (Hartmann 1922), eine solipsistische Position reiner Selbstbezüglichkeit, die ‚illusionistisch’ (Panizza 1895; Hartmann 1897, 1922) die Existenz oder zumindest die eigenständige Daseinsberechtigung und den Eigenwert einer vom Individuum unabhängigen äußeren Welt, inklusive anderer Individuen, annihiliert und damit – etwa bei Panizza (1895) unter Berufung auf ‚dämon(ist)ische’ Getriebenheit – jeden antisozialen Akt rechtfertigt. Auf diesem intensionalen Feld ist das Interpretationsschema der AllEinzigkeit am deutlichsten aufweisbar: Hier erscheint der Einzige als ‚Psychopath’ und ‚Paranoiker’ (Schultze 1903; Pannizza 1895), der mitunter (wie bei Panizza) zugleich Anarchist und Attentäter ist und sich (im Anschluss an Cesare Lombroso) einer psychiatrischkriminologischen Deutung zuführen lässt, aus der sich ergibt, dass für den anarchistischen Attentäter oder sonstigen Gewalttäter die politische Ideologie nicht der eigentliche Beweggrund seiner Taten ist und er vielmehr primär von Größenwahn, Ruhmsucht oder anderen narzisstischen Motiven getrieben ist (Adler 1898; vgl. Zenker 1895).6 Insbesondere durch Referenzen auf Phänomene augenscheinlich politisch motivierten Terrors wird die Antisozialität und Destruktivität des All-Einzigen extensional assoziiert mit intensional gegebenen Verständnissen von Je-Einzigkeit: Auch wenn der ‚individualistische Anarchismus’ Stirners eine je-einzige Angelegenheit sein mag, ein dem Selbstverständnis nach emanzipatorisches Projekt, das auf die herrschaftsfreie Ordnung des ‚Vereins’ zielt, so kann dennoch der alleinzige anarchistische Attentäter, Fanatiker, Terrorist sozialphänomenologisch diesem Anarchismus zugerechnet werden. 6
Mit Panizza ergibt sich die Pointe, dass auch die charismatische Führer-, Prophetenoder Genie-Gestalt nur eine, allerdings sozial erfolgreiche, Variante grandiosnarzisstischer All-Einzigkeit ist (vgl. Stulpe 2010: 293-345).
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Gleichwohl wird der Einzige bei den kursorisch dargestellten Subsumptionen unter den engeren, spezifisch politischen AnarchismusBegriff, anders als beim unspezifischeren Anarchismus-Begriff, auf der intensionalen Ebene ausschließlich nach dem Interpretationsschema der Je-Einzigkeit gedeutet, bedingt durch das diesen Begriff bestimmende Konzept der Anarchie als soziale Ordnung und den textevidentiellen Bezug auf den ‚Verein der Egoisten’, der einige Interpreten veranlasst, Stirner sogar als ‚Sozialtheroretiker’ (Adler 1907) oder ‚Soziologen’ (Sveistrup 1928) zu verstehen. Auch bezüglich des Individualismus-Begriffs lässt sich im Kontext der Stirner-Renaissance zwischen einem spezifischen und einem allgemeineren Gebrauch unterscheiden. Im allgemeineren Sinne wird der Individualismus-Begriff zeit- und gesellschaftsdiagnostisch verwendet, um eine zeitgeistige Tendenz zu erfassen, deren Prinzip formelhaft verdichtet wird als „Souveränität des Individuums“.7 Der Einzige war mit seinem egoistischen Leitsatz ‚Mir geht nichts über Mich’ der Inbegriff dieses individualistischen Prinzips, dem zufolge das Individuum sich in seiner Ungebundenheit und Selbstbehauptung die einzige Quelle legitimer Handlungsorientierungen und Präferenzbildungen, Ziel- und Zwecksetzungen versteht. ‚Individualismus’ und ‚Egoismus’ (Dix 1899) galten in den 1890er Jahren als ‚Epochenworte’ (Fähnders 1987: 10-20), und in diesem Sinne fungierte auch die formelhafte Zusammenstellung der Namen ‚Stirner und Nietzsche’ zeitgenössisch als diskursive Signatur dieser sich selbst so verstehenden Epoche (Messer 1907; Ruest 1906; Dix 1899). Der diagnostische Individualismus-Begriff wurde ebenso in kulturoder ideologiekritischer Absicht (Hartmann 1891; Plechanow 1911) wie auch affirmativ (Messer 1907; Ruest 1906) eingesetzt. ‚Individualistisch’ aus dieser begrifflichen Perspektive war sowohl der Anarchismus, mit seiner Strategie der ‚rohen Selbsthilfe’ und Selbstermächtigung zur Gewalt (Adler 1898), als auch die bürgerlich-kapitalistische Konkurrenzgesellschaft, deren Angehörige sich in ihrem Profitstreben frei von moralischen Skrupeln in einem Stirner’schen ‚Krieg aller gegen alle’ befinden und deren ‚ideologischer Überbau’, der Liberalismus, dementsprechend im Anarchismus nur seine Radikalisierung erfährt (Plechanow 1911). Das individualistische Prinzip wurde aber auch im Emanzipationskampf der Frauenbewegung (Dix 1899; Ruest 1906) und 7
Exemplarisch: Adler (1898: 326); Mackay (1891: 13) und (1898: 176); Adler (1914: 177).
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in der ‚Ästhetik des ‚l’art pour l’art’, der Dekadenz und des Symbolismus’ (Hart 1899) und anderen zeitgenössischen Phänomen erkannt, nicht zuletzt in einem modisch-‚attitüdenhaften’ (Ruest 1906), vor allem in Künstlermilieus und anderen Subkulturen beobachteten, Hang zur demonstrativen Kultivierung eigener Originalität und Nonkonformität, etwa in der Selbstinszenierung als ‚Genie’ oder ‚Bürgerschreck’ oder durch andere Distinktionspraktiken (Plechanow 1911; Messer 1907; Adler 1914). Der weitere Individualismus-Begriff erfasst somit auch die unter den Anarchismus-Begriffen behandelten Phänomene, aber er verweist auch jenseits des Anarchismus auf spezifischere Ausprägungen der Stirner zugeschriebenen philosophischen Positionen, etwa auf den Pragmatismus (Sveistrup 1928, 1932) und den Existentialismus (Löwith 1928) – und auch auf ein spezifischeres Verständnis von ‚Individualismus’. Im spezifischen Fall werden mit ‚Individualismus’ die moralischethischen Positionen und Weltdeutungsangebote von ihrem Selbstverständnis nach ‚individualistischen’ Avantgarden und Intellektuellen bezeichnet. So wie beim politischen Anarchismus-Begriff das Konzept der Anarchie als Projektziel einer herrschaftsfreien Ordnung (und nicht als ‚Regellosigkeit’ usw.) bestimmend ist, ist beim ethischen Individualismus-Begriff das Konzept von Individualität als normativer Leitwert bestimmend, der als solcher beglaubigt und bezüglich seiner Implikationen reflektiert wird. Es geht also, anders als beim weiteren, diagnostischen Individualismus-Begriff, hier nicht um das Prinzip des souveränen Individuums schlechthin, sondern darum, durch welche Art von Individualität sich ein Individuum auszeichnen sollte, um diesen Anspruch legitimer Weise geltend zu machen; denn es ist – wie etwa die antisozialen Fälle vor Augen führen – nicht wünschenswert, dass jedes Individuum ‚sich selbst verwirklicht’ (Wille 1894). Deshalb ist für diesen Individualismus die Frage zentral, was als ‚Individualität’ in einem ethisch prägnanten Sinne gelten darf, und welche programmatischen Konsequenzen sich für den Individualismus daraus ergeben. Die damit implizierte Differenzierung von Individuen nach den Wertunterschieden ihrer jeweiligen Individualität bedingt eine prinzipiell elitäre Position des ethischen ‚Individualismus’ als ‚Aristokratismus’ (Ruest 1906; Simmel 1902), der die aufgrund ihrer Individualität ethisch höherwertigen Individuen, die Wenigen, der Masse der Vielen entgegensetzt, dies in Gegenbegriffen wie ‚Sozialismus’ und ‚Demokratismus’ reflektiert (Dix 1899; Hart 1899) und, im Sinne Stirner’scher Einzigkeit, nonkonformistisch gegen die zeitgenössisch wahrgenommenen ‚Besessenheiten’, ‚heiligen’ Ideen und ‚gesellschaft255
lichen’ Bindungszumutungen opponiert, die der Selbstbehauptung und Entfaltung der wertvollen Individualität im Wege stehen: die nivellierenden Tendenzen der modernen Massengesellschaft, kollektivistische Ideologien und Organisationsformen, die Mediokrität der bourgeoisen Kultur und deren Moralvorstellungen. Die ‚mittelmäßige’ bürgerliche Kultur und ihre konventionalistische Moral gelten mit ihrem Konformitätsdruck als Inbegriff heteronomer und repressiver Einschränkungen der legitimen individuellen Selbstverwirklichungs- und Selbstbestimmungsansprüche, und die politischen Alternativangebote kommunistischer oder sozialdemo-kratischer Provenienz erscheinen in ihrer kollektivistischen und ‚autoritären’ Prägung als ebenso individualitätsfeindlich (Wille 1894; Hart 1899; Steiner 1899). Die aristokratisch-individualistische Leitunterscheidung der Wenigen und der Vielen ermöglicht verschiedene typologische Ausprägungen des Individualismus, je nachdem, wie das Verhältnis der Individualisten zu der sie umgebenden Gesellschaft und deren nicht-individualistischen Individuen konzipiert wird (vgl. Stulpe 2010: 652-676). Als zwei Hauptrichtungen lassen sich ein ‚avantgardistischer’ und ein (im engeren Sinne) ‚aristokratischer’ Individualismus unterscheiden. Die avantgardistische Variante zielt ihrem Selbstverständnis nach projektiv auf die Überwindung der Differenz zwischen den Wenigen und den Vielen, indem Sie eine zukünftige individualistische Gesellschaft in ihrer gegenwärtigen Programmatik und Lebensform vorwegnimmt und in pädagogischer Absicht exemplarisch propagiert. Projektziel ist also die individualistische Emanzipation aller, mithin ein egalitärer Individualismus als ‚Synthese’ individualistisch-aristokratischer und sozialistisch-demokratischer Bestrebungen (Hart 1899; Wille 1894). Einem solchen ‚Sozialaristokratismus’ konzeptionell entgegengesetzt ist ein im engeren Sinne ‚aristokratischer Individualismus’, der sich terminologisch und konzeptionell, stärker die ‚natürliche’ Wert-Ungleichheit der Individuen betonend, von der einflussreich von Georg Brandes (1888) vorgenommenen Charakterisierung der Nietzsche’schen Philosophie als ‚aristokratischen Radikalismus’ ableitet (vgl. Aschheim 1996: 17-50). Dieser Individualismus geht von der prinzipiellen Unaufhebbarkeit des Gegensatzes von den Wenigen und den Vielen aus, weil es immer eine moralisch-ethisch erhebliche Ungleichwertigkeit zwischen den Individualitäten der Individuen geben wird, auf der die Wenigen ihren gesellschaftlichen Herrschafts- und kulturellen Führungsanspruch gegenüber den Vielen beglaubigen – und gegebenenfalls auch den
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projektiven Anspruch, die gesellschaftliche Ordnung, die dieser ‚natürlichen’ Ungleichheit entspricht, erst herzustellen,8 also eine neoaristokratische Ordnung der Ungleichheit, in der die ‚Aristokraten’ – anders, als die alteuropäische Aristokratie – ihre ethische Höherwertigkeit und ihren gesellschaftlichen Herrschaftsanspruch nicht aus ihrer Herkunft, sondern aus ihrer überlegenen Individualität beglaubigen (vgl. Sloterdijk 2014: 433-435; Stulpe 2010: 662-663). Inwieweit auch Stirners Individualismus als Vorprägung des ‚aristokratischen Individualismus’ Nietzsches (Lachmann 1914) gelten kann, war umstritten (vgl. z. B. Simmel 1901, 1902; Ruest 1906). III. Sozialphänomenologische Evidenzen des Einzigen Indem dem Einzigen extensional bestimmte sozialphänomenologische Referenzen zugeordnet werden, wird seine Bedeutung, insbesondere seine zeitgenössisch aktuelle Relevanz, konkretisiert und, vor allem bezüglich seiner Bewertung, mit Evidenzen versehen. Die so konstruierte soziale Phänomenologie des Einzigen präsentiert sich als Spektrum von konkreten, namentlich bezeichneten Personen und Personengruppen, sozialen Typenbezeichnungen oder auch fiktionalliterarischen Figuren, die aufgrund der verschiedenen intensionalen Gegebenheiten des Einzigen – als Anarchist oder Individualist dieser oder jener Couleur – extensional dessen Referenzbereich zugeschrieben werden. Im Falle der realen Personen geschieht dies nicht immer in Übereinstimmung mit deren Selbstverständnis. Schultzes Patientin S. oder anarchistische Attentäter wie Émile Henry beispielsweise werden als konkrete Manifestationen eines sozialen Typus angeführt, der als Verkörperung des Einzigen gilt, ohne dass angenommen wird, dass sie sich auf Stirner berufen. Andere, wie beispielsweise Mackay, Stanislaw Przybyszewski und andere Schriftsteller aus dem Kreis der Berliner Boheme der vorletzten Jahrhundertwende (Przybyszewski 1926), verstanden sich selbst in der einen oder anderen Form als Anarchisten bzw. Individualisten und Stirner – in der Regel neben Nietzsche – als ‚ihren’ Philosophen und artikulierten und kultivierten dies literarisch, etwa in der Erschaffung von Figuren wie der diskussionsfreudige individualistische Anarchist ‚Auban’ aus Mackays Die Anarchisten oder der anarchistische Terrorist ‚Gordon’ aus Przybyszewskis Satans Kinder 8
Aus diesem Grund lehnte Kropotkin den Individualismus nicht nur Nietzsches, sondern auch Stirners als ‚autoritär’ ab, während Nettlau Stirner dagegen als ‚antiautoritären’ Individualisten verteidigte.
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(Fähnders 1987: 161-168).9 Zugleich gaben sie ihrem Individualismus bzw. Anarchismus subkulturellen Ausdruck in öffentlich in Cafés wie dem ‚Schwarzen Ferkel’ oder im ‚Café Größenwahn’ zur Schau gestellten, ostentativ antibürgerlichen, subkulturellen Lebensentwürfen und sozialexperimentellen ‚Vereinsbildungen’, wie der aus dem Friedrichshagener Dichterkreis hervorgegangenen ‚Neuen Gemeinschaft’ der Brüder Heinrich und Julius Hart (Hart/Hart 1900; Mühsam 1904), sodass der Bohemien als sozialer Typus selbst wesentlich durch diese Verkörperungen des Einzigen geprägt ist.10 Diskursiv dienen die sozialphänomenologischen Referenzen der Illustration und Relevanzverstärkung der jeweiligen begrifflichen Deutung des Einzigen, indem sie dessen Implikationen in der sozialen Realität aufrufen. Dabei ist für die diskursive Zeichenhaftigkeit des Einzigen und ihre polemische Fungibilität von entscheidender Bedeutung, dass einerseits eine je bestimmte ‚empirische’ Verkörperung des Einzigen mit unterschiedlichen begrifflichen Sinngebungen verbunden wird, sodass verschiedene Interpreten diskursiv um die Deutung derselben Realität konkurrieren. Laurent Tailhades zeitgenössisch vielzitiertes Bonmot über den anarchistischen Attentäter Auguste Vaillant, angesichts dessen ‚schöner Geste’ es auf die Opfer nicht ankomme,11 konnte beispielsweise als Ausdruck der individualistischen Dekadenz der ‚bürgerlichen Gesellschaft’ gedeutet werden, die in symptomatischer Weise auf deren revolutionäre Überwindungsbedürftigkeit hinweist (Plechanow), als Beispiel anarchistischer Gewaltverherrlichung (G. Adler), aber auch als Beleg dafür, dass ein derartiger Literaten-Individualismus in seiner Frivolität Generell ist allerdings gerade für fiktional-literarische Verkörperungen des Einzigen in der Regel nicht zu erwarten, dass die Stirner-Referenz im Text explizit gemacht wird, ein entsprechender Einfluss auf den jeweiligen Autor – und damit die Zugehörigkeit des Textes zur Stirner-Rezeptionsgeschichte – muss kontextuell, insbesondere biographisch, erst erschlossen werden. Schließlich gehört es auch nicht zur Aufgabe von Literaten, ihre philosophischen Quellen im Werk zu nennen. Vor diesem Hintergrund lässt sich aber, gerade angesichts der zeitweiligen Bedeutung Stirners in bestimmten Schriftstellerkreisen, von einer sehr weitreichenden Rezeption Stirnerscher Motive innerhalb der Literatur ausgehen, die ohne Nennung Stirners auskommt. 10 Zu Stirner als Boheme-Philosoph und Inspirateur literarischer Avantgarden vgl. z. B. Machinek (1986); Stein (1982); Lehner (1988); Kreuzer (2000); Schutte/Sprengel (1997). 11 Adler (1898: 315); Plechanow (1911: 82); Holitscher (1925: 71); vgl. Kreuzer (2000: 309). 9
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nichts mit dem Anarchismus zu tun hat (Kropotkin). Andererseits drückt sich diese Deutungskonkurrenz um die Realität (Mannheim 1928) auch dadurch aus, dass – insbesondere von Interpreten, die Stirner im engeren Sinne des politischen Anarchismus- oder des ethischen IndividualismusBegriffs verstanden wissen wollen und als solchen schätzen – bestimmte sozialphänomenologische Referenzen des Einzigen zurückgewiesen werden: Der etwa von Türck (1899) als Verkörperung des Einzigen beschriebene ‚bornierte Egoist’ mit psychopathischen Tendenzen ist dann gerade, wie Rudolf Steiner (1900) geltend macht, das Gegenteil eines recht verstandenen Stirner’schen Individualisten und darf demzufolge nicht gegen den Einzigen ins Feld geführt werden. Prinzipiell ruft die Nennung des ‚Individualisten’ oder ‚Anarchisten’ Stirner diskursiv ein breiteres sozialphänomenologisches Assoziationsfeld des Einzigen auf, als durch diese oder jene Spezifikation des Individualismus- bzw. Anarchismus-Begriffs gedeckt ist, und zwar deswegen, weil dieses Assoziationsfeld generell immer umfassender ist als die jeweiligen Explikationen des Referenzbereichs in den einzelnen Interpretationen. Vieles bleibt implizit, weil es von den Autoren als selbstverständliches Hintergrundwissen beim Publikum vorausgesetzt werden kann. Wer beispielsweise in der interpretativen Auseinandersetzung mit Stirner die antisozialen Implikationen des Anarchismus als einer individualistischen Ideologie nachweist, kann dies unter Berufung auf die zeitgenössische Evidenz anarchistischer Gewalttaten dadurch plausibilisieren, dass er die Motivlage der Gewalttäter im Sinne seiner Interpretation des Einzigen rekonstruiert, und damit zugleich die Relevanz dieser Thematisierung Stirners zum Verständnis eines aktuellen gesellschaftlichen Problems beglaubigen. Ob dabei im jeweiligen Text bloß pauschal vom ‚gewalttätigen Anarchismus’ oder der ‚anarchistischen Propaganda der Tat’ gesprochen wird, ob explizit von anarchistischen Attentaten ‚in jüngster Zeit’ oder, noch konkreter, von den „Pariser Dynamiteurs“ (Adler 1898) der 1890er Jahre die Rede ist, macht im Hinblick auf die diskursive Konstruktion der sozialen Phänomenologie des Einzigen keinen Unterschied. Denn das Wissen um jene zeitgenössisch prominenten Pariser Attentäter – Ravachol, Vaillant, Henry (vgl. Holitscher 1925) –, die mit ihren Anschlägen in den 1890er Jahren massenmediale Aufmerksamkeit erregten und dadurch, ganz im Sinne des tatpropagandistischen Kalküls, eine Welle von Nachahmungstaten inspirierten (vgl. Demandt 1999), konnte seitens der jeweiligen Stirner-Interpeten bei ihrer Leserschaft als bekannt vorausgesetzt werden, sodass bereits mit der Deutung des Einzigen als eines anarchistischen Gewalttäters die konkrete empirische Evidenz im 259
zeitgenössischen Kontext evoziert wurde. Insgesamt ergibt sich so ein breites, heterogenes sozialphänomenologisches Spektrum des Einzigen, auf das in den rezeptionsgeschichtlichen Beiträgen unter verschiedenen begrifflichen Perspektiven selektiv und mit unterschiedlichen Akzentuierungen zur Evidenzerzeugung zugegriffen wurde, das aber insgesamt das Assoziationsfeld bestimmt, das bei der diskursiven Verwendung des Einzigen als Zeichen prinzipiell mitgeführt und aufgerufen wurde. Es umfasst – konkret und typologisch generalisiert – prominente anarchistische Attentäter wie Ravachol, Vaillant, Henry und zahllose ihrer Nachahmer, außerdem anarchistische Terrorstrategen, die, wie Johann Most, in ihren Schriften beispielsweise Dienstboten zur heimtückischen Ermordung ihrer Herrschaften mit vergifteten Nägeln aufforderten und somit exemplarisch die ‚rohe Selbsthilfe des Individuums’ als ‚revolutionäre’ Tat propagierten (Adler 1898). Hinzu kommen Salon-Anarchisten und Boheme-Künstler, die in ‚Literatencafés für Übermenschen’ (Adler 1914: 177) die anarchistische Gewalt ästhetizistisch verklärten, wie Tailhade, oder, wie Przybyszewski oder Erich Mühsam, Individualität als Dekadenz und Opposition subkulturell inszenierten und literarisch in der Identifikation mit den antibürgerlichen Rebellen und moralisch Stigmatisierten, in der Parteinahme für die Attentäter, Verbrecher und Außenseiter kultivierten (vgl. Kreuzer 2000: 202-216, 281-363; Fähnders 1987) – die als literarische Figuren selbst zu Verkörperungen des Einzigen wurden. Es umfasst aber auch jene Gruppen von Bohemiens, Schriftstellern, Aktivisten und Intellektuellen, die sich in ihrem Selbstverständnis als Anarchisten und Individualisten von ‚roher individualistischer Gewalt’ und ‚anarchistischer Attentatsstrategie’ distanzierten und zugleich, wie Mackay oder Bruno Wille, literarisch und publizistisch gegen die individualitätsfeindliche Repressivität der bürgerlichen Gesellschaft opponierten, sich aber auch jenseits der ‚kollektivistischen’, ‚autoritären’ Organisationen der Arbeiterbewegung verorteten. Damit klingt das Motiv eines ‚dritten Weges’ an, abseits von bürgerlicher Gesellschaft und proletarischer Klassenorganisation bzw. jenseits von Kapitalismus und Sozialismus, der als praktische Alternative in Zeitschriften propagiert und in individualistischen Vereinigungen, sozialexperimentellen Gemeinschaftsformen und lebensreformerischen Siedlungsprojekten projektiert wurde,12 die weitere sozialphänomenologische Evidenzen nicht nur des 12
Vgl. Hepp (1992); Asholt/Fähnders (1993); Helms (1966: 408-420); Kreuzer (2000:
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Einzigen, sondern auch seines Vereins lieferten:13 Dazu zählen neben ‚Sozialaristokraten’ wie Wille und seinen Friedrichshagener Mitstreitern um die Brüder Hart und deren ‚Neue Gemeinschaft’ auch ‚freiwirtschaftsbewegte’ Stirnerianer wie Rolf Engert (Helms 1966: 415-420), oder der völkische Kommunengründer Ernst Hunkel, der Stirner und Gesell um antisemitische Motive ergänzte (vgl. Neusüss 2016: 35-58). Die Namen des ‚Sozialaristokraten’ Wille und der ‚völkischen Schlüsselfigur’ Hunkel (Neusüss 2016: 36) markieren die Breite des politisch-ideologischen Spektrums von ‚Individualisten’, die aufgrund von Selbst- wie Fremdzuschreibung im sozialphänomenologischen Referenzbereich des Einzigen auftauchen. Ähnliches wiederholt sich in der individualistischen Frontstellung gegen die asymmetrisch-polare Geschlechterordnung der bürgerlichen Moral seitens der zeitgenössischen Frauen- und der Homosexuellenbewegung (vgl. Mosse 1987), wenn unter Berufung auf den Stirner-Nietzsche-Individualismus ein individualistischer Anspruch auf Selbstbestimmung und Selbstverwirklichung in Zurückweisung heteronomer Moralvorstellungen und repressiver gesellschaftlicher Rollenzuschreibungen artikuliert wurde. Dementsprechend macht der Feminismus als emanzipatorischer Individualismus die egalitären Implikationen Stirner’scher Je-Einzigkeit geltend und reklamiert die individuellen Selbstverwirklichungschancen, die bislang von Männern monopolisiert wurden, auch für die andere, weibliche Hälfte der Menschheit (Brennert 1899). Daraus folgt die Forderung nach gleichen gesellschaftlichen Teilhabe- und Partizipationsrechten, insbesondere im Bereich der Bildung und auf dem Arbeitsmarkt, weil nur die eigene Erwerbstätigkeit auch individuelle Unabhängigkeit gewährleistet – damit wird die ‚New Woman’ dem sozialphänomenologischen Spektrum des Einzigen hinzugefügt –, aber auch der Anspruch auf sexuelle Selbstbestimmung (Stöcker 1893; vgl. Aschheim 1996: 86-94). Der letzte Aspekt bildet auch den Anschlusspunkt männlicher homosexueller Stirner-Anhänger wie Mackay, die im Einzigen auch die individualistische Beglaubigung einer ‚libertären Sexualmoral’ (Mosse 1987: 230) erkannten und so der moralischen Stigmatisierung der eigenen Homosexualität die ethisch höherstehende individualistische Moral der ‚Freien Liebe’ entgegensetzten, die es jedem Individuum selbst überlässt, mit wem es wie
13
216-301). Eine nennenswerte Ausnahme bietet Max Adler (1914), der den Stirner’schen Verein in jeder Form der ‚proletarischen Organisation’ verwirklicht sehen will.
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‚verkehrt’ (Mackay 1891: 149-150, 1898: 145-147). Nicht nur Mackay dachte dabei allerdings auch an seine eigenen pädosexuellen Neigungen, die Mackay unter dem Pseudonym ‚Sagitta’ in seinen Büchern der namenlosen Liebe bekannte,14 und von Aktivisten wie Adolf Brand wurde der individualistische Angriff auf die bürgerliche Sexualmoral zudem offensiv misogyn-antifeministisch und – wiederum – antisemitisch gewendet (Mosse 1987: 56-57). Brand repräsentiert mit der von ihm herausgegebenen Zeitschrift Der Eigene die Anfänge einer subkulturellen Tradition, die das darin propagierte ‚Übermenschen’-Ideal homosexueller Virilität mit dem vermeintlichen ethischen und pädagogischen Wert der ‚Päderastie’ und der Verachtung ‚des Weiblichen’ verbindet und sich völkisch und antisemitisch beglaubigt (Mosse 1987: 54-62; Pausch 2017). Dass – neben psychopathischen Attentätern und dekadenten SalonAnarchisten – auch derartige sozialphänomenologische Evidenzen diskursiv mitgeführt wurden, wenn kulturkritisch von individualistisch bedingten gesellschaftlichen Auflösungs- und Degenerationserscheinungen die Rede war, zeigt Hartmanns (1891) Anspielung auf ‚effeminierte Männer’, die das ‚Übermenschen-Ideal’ als homoerotisches ‚Zerrbild der Männlichkeit’ verehren – und im Übrigen aufgrund ihrer, durch ‚unmännliche’ Angst und Schwäche bedingten Frauenverachtung für das (von Hartmann beklagte) Entstehen der Frauenbewegung verantwortlich sind. Man sieht an solchen und anderen sozialphänomenologischen Referenzen, was im Diskurs der Stirner-Renaissance aus Sicht der Diskursteilnehmer auf dem Spiel stand, wenn unter Bezugnahme auf den Anarchismus und Individualismus des Einzigen über die Deutung und Bewertung der gesellschaftlichen Realität gerungen wurde. Wer jeweils – aufgrund von Selbst- oder Fremdzuschreibung – als sozialphänomenologische Verkörperung des Einzigen identifiziert wurde, sagt nichts über Stirners ‚eigentliche’ Intention aus und mag in einigen Fällen wenig mit seiner ‚recht verstandenen’ Philosophie zu tun haben.15 Aber es sagt einiges aus über die diskursive Funktion des Einzigen als Zeichen, mittels dessen in der StirnerRenaissance nicht nur um die ‚richtige’ Stirner-Interpretation, sondern auch um die Bedeutung und die gesellschaftlichen Konsequenzen des modernen Individualismus gestritten wurde.
14 15
‚Namenlos’ wie der Einzige (Stirner, EE: 412; vgl. Stulpe 2010: 539-541). Abgesehen von seinem Diktum im Einzigen: „Macht damit, was Ihr wollt und könnte, das ist Eure Sache und kümmert mich nicht“ (EE: 331).
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IV. Perspektiven der Stirner-Rezeption und der Nutzen des Einzigen In der Konkurrenz rivalisierender Hegemonialansprüche auf die Deutung der modernen Individualität und der individualistischen Aspekte der modernen Gesellschaft dient der Rekurs auf Stirner nicht nur der Kennzeichnung bestimmter Aspekte der Realität, sondern auch der Generierung und Delegitimierung diskursiver Autorität. In Anlehnung an einen Vorschlag Nietzsches in Vom Nutzen und Nachteil der Historie für das Leben (Nietzsche, KSA 1: 243-334) lassen sich diesbezüglich zwei prinzipielle Strategien im diskursiven Einsatz des Einzigen unterscheiden: eine ‚monumentale’ und eine ‚kritische’.16 Der ‚monumentale’ Zugriff auf Stirner zielt in diesem Sinne primär auf die Generierung der diskursiven Autorität des Interpreten, der ‚kritische’ auf die Delegitimierung der Autorität diskursiver Rivalen.17 Die ‚monumentale’ bzw. monumentalistische Strategie nimmt die Autorität Stirners im präsentistischen Rekurs auf dessen philosophische bzw. ‚weltanschauliche’ Positionen in Anspruch. Hierzu zählen zum einen Beiträge, die diese diskursive Autorität Stirners ‚charismatifikatorisch’ (Stulpe 2010: 199-259) erst erzeugen, indem sie dessen Genialität bezeugen – durch quasi-hagiographische Darstel-lungen, kultische Praktiken und persönliche Erweckungserlebnisberichte (z. B. Engert 1921, 1934, 1939) oder den Nachweis, dass ein anderer Kultautor wie Nietzsche wesentliche Inspiration von Stirner bezogen hat, weswegen Stirner ein mindestens ebenso bedeutendes, wenn nicht das größere Genie sei (Mackay 1898; Przybyszewski 1926). Zum andern zählen dazu auch solche Beiträge, die diese Autorität voraussetzen und sie dadurch einerseits affirmieren und andererseits für den Aufbau eigener Autorität nutzen. Letzteres geschieht typischerweise in Verbindung mit dem Anspruch, zugleich autoritativ über die maßgebliche Deutung Stirners – also die ‚Wahrheit’ seiner Lehre – zu verfügen. Der Anspruch auf den Titel des ‚Stirner-Wiederentdeckers’, um den vor allem Mackay und Hartmann stritten, konnte hierzu ins Feld geführt werden, weil ja auch derjenige, der die Genialität eines ‚vergessenen’ bzw. lange Zeit verkannten Genies zu erkennen in der Lage ist, zumindest ein besonderes Sensorium dafür haben muss. In jedem Fall färbt die Autorität des ‚Meisters’ auf den ‚Jünger’ ab. Zumindest implizit wird 16 17
Auf die dritte Herangehensweise, die Nietzsche als ‚antiquarische’ bezeichnet, wird anschließend kurz eingegangen. ‚Primär’ deswegen, weil ja mit der Delegitimierung der Autorität des diskursiven Gegners zugleich die Behauptung des eigenen Autoritätsanspruchs verbunden ist (und umgekehrt).
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dieser Zusammenhang kommunikativ mittransportiert, wo der Bezug auf Stirner monumentalistisch im Sinne der präsentistischen Auseinandersetzung mit dessen als zeitlos wahr vorgestellter Lehre oder deren immer noch aktuellen und in ihrer Relevanz und Dringlichkeit noch nicht hinreichend gewürdigten Botschaft erfolgt, wie dies typisch war für die skizzierten ethischen Positionen der Jahrhundertwende-Boheme und anderer intellektueller Avantgarden, die ihren ‚Individualismus’ noch mit den Namen ‚großer Männer’ wie Stirner und Nietzsche beglaubigten. Die ‚kritische’ Strategie verfährt zunächst gewissermaßen umgekehrt, indem sie die diskursive Autorität Stirners destruiert (oder deren Illegitimität voraussetzt), um andere Autoren dann dadurch zu denunzieren, dass sie diese der Stirner-Epigonalität bezichtigt. Konkret und prototypisch lässt sich diese Herangehensweise in der großen Tradition historisch-materialistisch inspirierter Ideologiekritik beobachten, stilbildend verdichtet in Engels’ eingangs erwähnter Diffamierung der Anarchisten als intellektuelle Nachfahren Stirners. Durch die Herstellung seiner Verbindung mit der ‚Ideologie’ des Einzigen wird der diskursive Rivale selbst als ‚ideologisch’ entlarvt und so bezüglich der von ihm in Anspruch genommenen diskursiven Autorität desavouiert – ‚Ideologie’ im strikt ideologiekritischen Sinne eines in seiner spezifischen gesellschaftlichen Bedingtheit ‚verkehrten’, ‚falschen’, bereits epistemologisch und deswegen in jeder weiteren Hinsicht ‚bornierten’ Bewusstseins, also einer Perspektive, die strukturell unfähig ist, die gesellschaftliche Realität adäquat zu erfassen,18 und die deswegen auch bezüglich ihrer politischen Gestaltungsansprüche als effektiv (wenn nicht intentional) ‚konterrevolutionär’ bzw. antiemanzipatorisch decouvriert wird. Dies ist die Pointe der langen Tradition marxistischer Ideologiekritik nicht nur an selbstbewusst ‚konservativen’ politischen Positionen, sondern vor allem an rivalisierenden, dem Selbstverständnis nach alternativen progressiven Projektangeboten, die als bestenfalls ‚utopistische’, typischerweise ‚kleinbürgerliche’ Radikalismen und ‚Rebellionen’ entlarvt werden. Ist der Einzige in seiner Ideologiehaftigkeit bereits etabliert, reicht es, den (vermeintlichen) Traditionszusammenhang herzustellen, um in der intendierten Weise die diskursive Autorität des Gegners zu delegitimieren. Engels verzichtet dementsprechend in der zitierten 18
Diesen Nachweis führten Marx und Engels bekanntlich bereits in ihrer seinerzeit unveröffentlicht gebliebenen ‚Selbstverständigungsschrift’ (Marx 1859: 14), der Deutschen Ideologie von 1845/46, mit Stirner als einem Hauptgegenstand ihrer Kritik, die aber vollständig erst 1932 veröffentlicht wurde.
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Schrift darauf, eigens die Ideologie Stirners als solche zu analysieren, weil für ihn der ‚Fall Stirner’ in evidenter Weise erledigt ist, aber die Verbindung beider Komponenten dieser kritischen Strategie – ideologiekritische Analyse des Einzigen insbesondere bezüglich seiner sozioökonomischen Voraussetzungen und Herstellung des Traditionszusammenhangs – verstärkt die denunziatorische Wirkung. In diesem Sinne wird der Einzige von marxistischer Seite nicht nur gegen den Anarchismus (paradigmatisch: Plechanow 1911) ins diskursive Feld geführt, sondern dann, im weiteren Verlaufe des 20. Jahrhunderts, auch gegen den Existentialismus (Herzberg 1968a), die Kritische Theorie der Frankfurter Schule (Gedö 1970; Steigerwald 1970) und die ‚Neue Linke’ der 68er-Bewegung (Herzberg 1968b), die allesamt als ideologische Variationen einer kleinbürgerlich-radikal-individualistischen ‚Abenteuerlichen Rebellion’ (Holz 1976) verabschiedet werden. Dabei bleibt der Einsatz des Einzigen als ‚kritisches’ Medium zur Delegitimierung diskursiver Autorität kein Monopol des Marxismus, sondern wird auch von denjenigen betrieben, die von marxistischer Seite selbst als (uneingestandene) Stirnerianer diffamiert werden. Beispielhaft hierfür ist Kropotkin, der sich von den selbsternannten ‚individualistischen Anarchisten’ distanzierte, aber auch aus der Perspektive der Frankfurter Schule argumentierende Ideologiekritiker wie Hans G. Helms (1966), der die Ideologie des Einzigen und die Stirnerianische Tradition als ‚faschistisch’ entlarvt, deren Fortwirken in der Bundesrepublik Deutschland kritisiert und den Existenzialismus als deren aktuelle philosophische Erscheinungsform denunziert hat – wie vor ihm Günther Anders (1947), der den Einzigen insbesondere gegen die ‚nihilistische’ Existenzphilosophie Martin Heideggers ins Feld führte. Die dritte, von Nietzsche ‚antiquarisch’ genannte Perspektive, die ihren historischen Gegenstand in seiner Historizität in dem Blick nimmt, spielte in den hier behandelten rezeptionsgeschichtlichen Interpretationen des Einzigen keine Rolle, aber nicht deswegen, weil es solche historisch-kontextualistisch verfahrenden Stirner-Interpretationen zur Zeit der Stirner-Renaissance nicht gegeben hätte (vgl. z. B. Joël 1898; Mayer 1913). Sie wurden deswegen nicht thematisiert, weil für die hier behandelte Frage nach der Bedeutung der Stirner-Renaissance, dem in dieser sich ausdrückenden Interesse an Stirner und für die daran anschließende Frage nach der diskursiven Funktion des Einzigen in diesem historischen Kontext gerade solche Interpretationen von Interesse sind, die nicht auf die Historizität des Einzigen zielen, sondern, wie dargestellt, seine zeitgenössische Relevanz und Aktualität herausstellen. 265
Während also die hier betrachteten historischen Interpretationen Stirners nicht ‚antiquarisch’, sondern, indem sie gerade auf die Aktualität und gegenwärtig-diskursive Nutzung des Einzigen zielten, teils ‚monumentalistisch’, teils ‚kritisch’ in ihrem Zugriff auf Stirner verfahren, könnte man die in dem vorliegenden Aufsatz19 angewandte Herangehensweise als ‚antiquarisch’ bezeichnen – und zwar insoweit, als sie nicht nur den historischen Autor Stirner in dessen junghegelianischem Kontext verortet, sondern auch die historischen Beiträge zur Stirner-Renaissance in ihren zeitgenössischen Kontexten betrachtet, und zwar gerade deshalb, weil es sich um aktualisierende Interpretationen des Einzigen handelt: einerseits, um diese Interpretationen in ihrer historischen Bedeutung zu verstehen, andererseits, um über die Symbolhaftigkeit des Einzigen diese Kontexte zu erschließen. Allerdings lässt sich, anderthalb Jahrhunderte nach Nietzsches Einteilungsvorschlag und zugleich von seinem späteren, genealogischen Ansatz (Nietzsche, KSA 5: 245-412) mitinspiriert, ein erweitertes Kontextverständnis geltend machen, das die kontextualistische Perspektive aus der von Nietzsche beklagten historistischen Selbstbeschränkung entlässt und insbesondere diskursive und soziale Kontexte in den Blick nimmt, sodass der zunächst und vordergründig ‚antiquarische’ Blick durch diskursgeschichtliche (Skinner 2010; Pocock 2010) und wissenssoziologische (Mannheim 1929; Luhmann 1993) Perspektiven erweitert wird (vgl. Stulpe/Lemke 2016: 18-38). Eine solche Betrachtung, die hier nur angedeutet werden konnte, zielt in genealogischem und modernitätsdiagnostischem Erkenntnisinteresse auf die exemplarische Rolle, die Stirner, sein Einziger und dessen diskursive Umkämpftheit in der semantischen Registratur und Konstruktion moderner Individualität und in der Durchsetzung des modernen Individualismus gespielt haben (vgl. Stulpe 2010). Die genealogische und modernitätsdiagnostische Intention begründet weiterhin den Wert der Auseinandersetzung mit Stirner, die die Relevanz seines Einzigen als einer Schlüsselfigur des modernen Individualismus, seiner Genese und seiner Gesellschaft erweist (vgl. Sloterdijk 2014: 452470; Neusüss 2016: 59-91). Als eine solche Schlüsselfigur – wenn auch nicht die einzige – könnte der Einzige an Relevanz gewinnen. Denn neben der gesellschaftsstrukturellen Bedingtheit individualistischer Semantik durch die Exklusionsindividualität, in der die moderne Gesellschaft aufgrund ihrer funktionalen, nicht hierarchisch-stratifika19
Und die Monographie, auf der er in weiten Teilen basiert, vgl. Stulpe (2010).
266
torischen Differenzierungsform die Individuen in ihrer Identitätsfindung sich selbst überlässt (Luhmann 1997: 618-776; Stulpe 2010: 28-44), scheint gegenwärtig insbesondere die technologisch vorangetriebene kommunikationsmediale Entwicklung die Attraktivität individualistischer Semantik zu verstärken, die aktuell in einer ‚Kultur der Digitalität’ (Stalder 2016) beobachtbar ist. Insofern ist mit einer anhaltenden Präsenz des Einzigen – ob mit oder ohne Stirner – zu rechnen. Literatur Abendroth, Wolfgang, 1973: Sozialgeschichte der europäischen Arbeiterbewegung, 9. Aufl., Frankfurt/M. Adler, Georg, 1898: Anarchismus, in: Handwörterbuch der Staatswissenschaften, Bd. 1. Hrsg. von J. Conrad, L. Elster, W. Lexis, E. Loening, 2. Aufl., Jena 1898, S. 296–327. Adler, Georg, 1907: Stirners anarchistische Sozialtheorie, in: Festgaben für Wilhelm Lexis. Zur siebzigsten Wiederkehr seines Geburtstages. Dargebracht von G. Adler, O. Arendt, L. v. Bortkiewicz, M. Kandt, A. Manes, G. Mayer, C. Neuburg, W. Stieda, Jena 1907 (Reprint Frankfurt/M. 1989), S. 1–46. Adler, Max, 1914: Max Stirner, in: ders.: Wegweiser. Studien zur Geistesgeschichte des Sozialismus, Stuttgart 1914 (Reprint Berlin, BonnBad Godesberg 1974), S. 173–199. Anders, Günther, 1947: Nihilismus und Existenz, in: Die Neue Rundschau 58 (1/1947), S. 48–76. Aschheim, Steven E., 1996: Nietzsche und die Deutschen. Karriere eines Kults, Stuttgart, Weimar. Asholt, Wolfgang/Fähnders, Walter, 1993: Nachwort, in: dies. (Hrsg.): Fin de siècle. Erzählungen, Gedichte, Essays, Stuttgart 1993, S. 417–436. Brandes, Georg, 1890: Friedrich Nietzsche. Eine Abhandlung über aristokratischen Radikalismus, in: ders.: Nietzsche. Mit einer Einleitung von Klaus Bohnen, Berlin 2004, S. 25–102. Brennert, Hans, 1899: Vom Egoismus in der Liebe, in: Dix, Arthur (Hrsg.): Der Egoismus, Leipzig 1899, S. 219–302. Demandt, Barbara, 1999: Das Attentat auf Kaiserin Elisabeth von Österreich am 10. September 1898, in: Demandt, Alexander (Hrsg.): Das Attentat in der Geschichte, Frankfurt/M. 1999, S. 317–349. Dix, Arthur, 1899: Einleitung, in: ders. (Hrsg.): Der Egoismus, Leipzig 1899, S. 1–8. Eltzbacher, Paul, 1900: Der Anarchismus, Berlin (Reprint Berlin 1977). Engels, Friedrich, 1888: Ludwig Feuerbach und der Ausgang der klassischen deutschen Philosophie, in: Marx/Engels: Werke, Bd. 21 (MEW 21). Hrsg. 267
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273
« De L'Allemand »
1. Achim Geisenhanslüke, Le sublime chez Nietzsche, 2000. 2. Friedrich Hölderlin, Le Fardeau de la Joie, traduit de l’allemand et commenté par Kza Han et Herbert Holl, 2002. 3. Alfred Gulden, Sans Toit, roman traduit de l’allemand par Françoise Lartillot, 2003. 4. Nadia Lapchine, Poésie et histoire dans l’œuvre tardive d’Erich Arendt (1903-1984), tomes I & II, 2003. 5. Alexander Kluge, De la grammaire du temps, recueil de textes traduit par Anne-Elise Delatte, 2003. 6. Françoise Lartillot (dir.), Ernst Cassirer, Lectures d’une œuvre : Geist und Leben, 2004. 7. Herbert Holl et Günter Krause (dir.), Heiner Müller et Alexander Kluge : Le grouillement bariolé des temps, (Actes du colloque international CRINI/Université de Nantes), 2004. 8. Alain Cozic et Jacques Lajarrige (dir.), Traversées du miroir. Mélanges offerts à Erika Tunner, 2005. 9. André Combes et Françoise Knopper (dir.), L’opinion publique dans les pays de langue allemande, 37ème Congrès de l’Association des Germanistes de l’Enseignement supérieur (AGES), Université de Toulouse-Le Mirail (26-28 mai 2004), 2006. 10. Pierre Béhar, Françoise Lartillot et Uwe Puschner (dir.), Médiation et Conviction. Mélanges offerts à Michel Grunewald, 2007. 11. Françoise Lartillot et Reiner Marcowitz (dir.), Révolution française et monde germanique, 2008. 12. Hilda Inderwildi et Catherine Mazellier (dir), Écritures en décalage. Le théâtre contemporain de langue allemande, 2008. 13. Françoise Lartillot (dir.), Lectures d’une œuvre. Norbert Elias : études sur les Allemands, 2009. 14. Carl Sternheim, Scènes de la vie héroïque des bourgeois (La Cassette – La Culotte – Schippel, le Bourgeois, suivis de trois articles), traductions de Catherine Gicquel-Bourlet, 2009. 15. André Combes, Alain Cozic et Nadia Lapchine (dir.), Tournants et (ré)écritures littéraires, 2010. 16. Kurt Tucholsky (1890-1935) Armé d’une machine à écrire. Édition bilingue de textes traduits par Elke R. Bosse et Catherine Desbois. Préface de Fritz Joachim Raddatz, 2010. 17. Olivier Agard & Françoise Lartillot (dir.), Kant : l’anthropologie et l’histoire, 2011.
275
18. Frédéric Teinturier (dir.), Berlin Alexanderplatz. Un roman dans une œuvre, Une œuvre dans son temps, 2012. 19. Ralf Zschachlitz & Fabrice Malkani (dir.), Pour une réelle culture européenne ? Au-delà des canons culturels et littéraires nationaux ? Enjeux et perspectives d'un canon culturel européen, 2012. 20. Mechthild Coustillac et Françoise Knopper (dir.), Jeu, compétition et pouvoir dans l'espace germanique, 2012. 21. Georg Heym, Œuvre poétique 1910 – 1912, traduit et présenté par Dominique Iehl, 2013. 22. Bénédicte Terrisse & Frédéric Teinturier (dir.) : « Ich » de Wolfgang Hilbig. Littérature, identité et faux-semblants, 2013. 23. Olivier Agard & Françoise Lartillot (dir.), L'éducation esthétique selon Schiller : entre anthropologie, politique et théorie du beau, 2013. 24. Frédéric Teinturier, Sylvie Arlaud, Mandana Covindassamy, (dir.), W. G. Sebald, Récit, histoire et biographie dans Die Ausgewanderten et Austerlitz, 2015. 25. Olivier Agard & Françoise Lartillot (dir.), Le libéralisme de Wilhelm von Humboldt, Autour de l'Essai sur les limites de l'action de l'État, 2016. À paraître :
- F. Teinturier & J.F. Laplénie (dir.), Lectures des récits et nouvelles de jeunesse de Thomas Mann (1893-1912). - Chantal Puech, Ludwig Winder (1889-1946). De l’etat de dependance vers une ethique de l’action et du devoir.
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Table des matières AVERTISSEMENT : OLIVIER AGARD ET FRANÇOISE LARTILLOT ....... 7
EN GUISE D’INTRODUCTION
GÉRARD RAULET : ACTUALITÉ DE MAX STIRNER ? ...............................11 Une œuvre oubliée ....................................................................................................... 11 Le personnage ............................................................................................................... 12 Stirner et Nietzsche ...................................................................................................... 13 Stirner et l’anarchisme ................................................................................................. 14 Stirner, jeune hégélien .................................................................................................. 15 Actualité de Stirner ? .................................................................................................... 20 1. HEGEL / JEUNES-HÉGÉLIENS
WOLFGANG EßBACH : EIN UNENTWEGTES SKANDALON. MAX STIRNERS KRITIK DES HEILIGEN UND DIE PHRASE DES EINZIGEN ............................................................................................................................... 27 I. Max Stirner im Vormärz, überlagert und verstellt ............................................... 27 II. Die Komplexität des religiösen Feldes................................................................. 30 III. Die Religion des revolutionären Enthusiasmus ................................................ 33 IV. Das Rätsel der politisch-religiösen Fusionen ..................................................... 37 V. Materialismus des Selbst oder die Phrase des Einzigen ..................................... 41 NORBERT WASZEK : MAX STIRNER UND HEGEL ................................... 47
PAULINE CLOCHEC : LE JEUNE HÉGÉLIANISME DE STIRNER DANS L’UNIQUE............................................................................................................. 71 I. La méthode jeune hégélienne de L’Unique ........................................................... 73 II. Le tableau critique du contexte jeune hégélien dans L’Unique ......................... 80 Conclusions : L’Unique et les autres.......................................................................... 86 ANNE DURAND : FEUERBACH ET STIRNER, REGARDS CROISÉS SUR LE MOI ................................................................................................................. 89 I. Feuerbach : du genre humain à la communauté, la question du Moi. ............... 89 II. L’opposition de Stirner à Feuerbach .................................................................... 98 III. Pour en finir définitivement avec Feuerbach...Stirner .................................... 105
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2. CONTEXTES
ANNE LAGNY : STIRNER ET LA CRITIQUE DE LA RELIGION DANS L’HORIZON DES LUMIÈRES ALLEMANDES ............................................ 111
MAURICE SCHUHMANN : MAX STIRNERS GOETHE-REZEPTION. WEITERENTWICK-LUNG VON GOETHES DENKEN ODER LEGITIMATIONSBASIS FÜR DIE EIGENE PHILOSOPHIE? ................. 125 Literatur zur Goetherezeption Stirners ................................................................... 126 Literaturgrundlage für Stirners Goethe Rezeption ................................................127 Spuren der Goethe-Rezeption .................................................................................. 128 Rezension zu Theodor Rohmers Deutschlands Beruf in der Gegenwart .......... 128 Das unwahre Prinzip unserer Erziehung ................................................................ 129 Der Einzige und sein Eigentum ............................................................................... 130 Goethes Terminologien in Stirners Werk ............................................................... 130 Zentrale Aussagen in Goethes Worte verpackt ..................................................... 131 Goethe als Referenz und Beispiel ............................................................................ 133 Recensenten Stirners .................................................................................................. 134 Fazit.............................................................................................................................. 135 Literatur ....................................................................................................................... 136 OLIVIER AGARD : LA RELIGION DE L’HUMANITÉ ET SA CRITIQUE PAR MARX ET STIRNER ................................................................................ 139 Du tournant anthropologique de l’Aufklärung à la religion de l’humanité. ....... 140 L’antihumanisme de Stirner. ..................................................................................... 147 L’impact de l’Unique sur Marx. ................................................................................ 154 La religion de l’humanité et son dépassement autour de 1900. ........................... 158 CHRISTINA STANGE-FAYOS : DER EINZIGE UND SEIN EIGENTUM IM POLITISCHEN UND SOZIALEN KONTEXT DES VORMÄRZ ................ 165 I. Die ungelöste nationale Frage:.............................................................................. 167 II. Die Liberalen ......................................................................................................... 171 III. Die (Diskussion über die) „soziale Frage“ ....................................................... 177 ALEXANDRE DUPEYRIX : LA CRITIQUE DU LIBÉRALISME PAR MAX STIRNER ........................................................................................................... 185 I. Le libéralisme sous le Vormärz............................................................................. 188 II. Critique du libéralisme politique ......................................................................... 192 III. Critique du libéralisme social ............................................................................. 195 IV. Critique du libéralisme humain .......................................................................... 196
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3. RÉCEPTION
JEAN-CHRISTOPHE ANGAUT : STIRNER ET L’ANARCHIE ................. 205 I. Réception anarchiste de Stirner et réception de Stirner comme anarchiste.... 206 II. Rapport de Stirner à l’anarchie et aux anarchistes ............................................ 211 III. Un anarchisme stirnérien ? ................................................................................. 218 JOËL BERNAT : LE SUJET STIRNER ET SON MOI ................................. 225 I. Un trajet pour la « réalisation de "soi" » .............................................................. 225 II. Commentaires ....................................................................................................... 231 Conclusions ................................................................................................................. 240 ALEXANDER STULPE : DER EINZIGE UND SEINE DISKURSIVE FUNKTION IN DER STIRNER-RENAISSANCE ........................................ 243 I. Die Stirner-Renaissance und das Interesse am Einzigen .................................. 243 II. Der Einzige im Begriffsfeld von Anarchismus und Individualismus ............ 249 III. Sozialphänomenologische Evidenzen des Einzigen ....................................... 257 IV. Perspektiven der Stirner-Rezeption und der Nutzen des Einzigen .............. 263 Literatur ....................................................................................................................... 267
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Langues aux éditions L’Harmattan Dernières parutions Initiation à l’arabe littéral 30 leçons pour débutant
Bensebaa Djamila
L’idée de créer une méthode de langue arabe est née de la nécessité de faire face au très fort engouement de nombreux élèves pour cette spécialité, pourtant toujours perçue à l’heure actuelle comme une « langue rare » et difficile. La réédition de cette méthode en 30 leçons, accompagnée d’un CD, permettra à l’élève de bénéficier d’un enregistrement vocal, tout en progressant à son rythme ; l’étude du système graphique servant de tremplin aux plus ambitieux qui souhaitent aborder, en seconde partie, la grammaire et la conjugaison. (28.00 euros, 228 p.) ISBN : 978-2-343-08461-9, ISBN EBOOK : 978-2-14-001531-1 Learning Arabic easily in all its forms Initiation method to reading and writing (2 DVD included)
Kenanah Faisal - Foreword by Michel Neyreneuf Traduit du français par Mélanie Tarpey
Ever felt like learning to read and write those mysterious signs ? If you are eager to discover the basics of the Arabic language, then, this method is made for you ! Wether you are a student in secondary school, high school, university or simply eager to learn, the steps in the book will suit your expectations. Very simple laid out and accessible to all, this efficient method will guide you all the way and provides individual tutoring thanks to the video clips illustrating each exercise. With over 300 filmed exercises and corrections, this is the best and easiest way to learn how to read and write in Arabic. (29.50 euros, 158 p., Illustré en couleur) ISBN : 978-2-343-09229-4, ISBN EBOOK : 978-2-14-001525-0 arabe (L’) dans toutes ses formes Méthode d’initiation à l’écriture et à la lecture – DVD inclus
Kenanah Faisal Préface de Michel Neyreneuf ; Calligraphies de Faisal Kenanah
Envie d’apprendre à écrire et à lire ces caractères qui semblent si mystérieux ? Curieux de connaître les bases de la langue arabe ? Ce manuel très simple et accessible à tous guide l’apprenant pas à pas et lui offre un suivi personnalisé grâce à 300 exercices filmés et corrigés. Il permet non seulement de maîtriser l’écriture et la lecture, mais également d’acquérir le vocabulaire, les expressions du quotidien et quelques proverbes illustrés en calligraphie. (DVD inclus). (29.50 euros, 150 p.) ISBN : 978-2-343-04590-0, ISBN EBOOK : 978-2-336-36437-7 Dictionnaire thématique français-tibétain du tibétain parlé (Langue standard) – Volume 2 : L’Homme, fonctions sensorielles et langage
Sous la direction de Anne-Marie Blondeau, Fernand Meyer, Françoise Robin, Namgyal Lhadze et Tenzin Samphel
Ce deuxième volume, consacré au vocabulaire lié à l’homme, traite du langage et des fonctions sensorielles. Il déborde la terminologie propre aux cinq sens de la tradition occidentale et fournit,
quand cela est nécessaire, le sixième sens de la tradition bouddhique indo-tibétaine. Chaque terme français est proposé dans sa traduction en tibétain parlé et littéraire, et peut être suivi d’une glose linguistique, grammaticale ou sociologique. Les entrées sont complétées par des expressions apparentées et des proverbes. (34.00 euros, 314 p.) ISBN : 978-2-343-04396-8, ISBN EBOOK : 978-2-336-36410-0 Parlons abkhaze Une langue du Caucase
Malherbe Michel
L’abkaze a la réputation d’être l’une des langues les plus difficiles du Caucase, pourtant réputées pour leur complexité. On se souvient que l’Abkhazie, riveraine de la mer Noire, jadis partie intégrante de la Géorgie, est devenue indépendante après la guerre menée par la Russie en 1992. Toutefois, son indépendance n’a été reconnue que par quatre États : la Russie, le Nicaragua, le Vénézuela et Nauru. Peu connu, ce pays mérite d’être exploré, aussi bien pour sa langue que pour sa culture. (Coll. Parlons, 22.00 euros, 226 p.) ISBN : 978-2-343-04462-0, ISBN EBOOK : 978-2-336-36041-6 le bété pas à pas Un livre pour apprendre à lire et à écrire le bété
Zoko Habib
Le bété est une langue africaine parlée dans le sud-ouest de la Côte d’Ivoire. Ce livre est un outil pratique et convivial pour apprendre le bété. Il offre un panorama important de la richesse de cette langue. L’apprentissage des sons est très progressif : de la lettre à la syllabe, de la syllabe au mot, du mot à la phrase, de la phrase au texte. Dans un style tonique, l’auteur met en scène l’alphabet bété accompagné d’illustrations en couleur pour donner plus de relief. (15.00 euros, 80 p.) ISBN : 978-2-343-04579-5, ISBN EBOOK : 978-2-336-35950-2 Parlons maya classique Déchiffrement de l’écriture glyphique (Mexique, Guatemala, Belize, Hondura)
Hoppan Jean-Michel
Forte de plusieurs millions de locuteurs, la famille de langue maya est l’une des principales familles de langues amérindiennes vivantes. C’est aussi celle dont on connaît le plus de témoignages écrits remontant à l’époque antérieure à l’arrivée des Européens en Amérique, transmettant ainsi de précieuses informations sur l’histoire précolombienne et sur les états anciens de la langue. Cet ouvrage est une introduction à la lecture des textes en maya classique et est enrichi d’un DVD : «Les Mayas, le calendrier et le 21/12/2012». (Coll. Parlons…, 36.00 euros, 338 p., Illustré en couleur) ISBN : 978-2-343-03546-8, ISBN EBOOK : 978-2-336-35948-9 Parlons Xokleng / Laklano Langue indigène du sud du Brésil
Alves Junior Ozias
Cet ouvrage présente l’histoire d’indigènes du sud du Brésil, les Xokleng, qui s’appellent euxmêmes les laklano, et qui furent chassés «comme des animaux» par des chasseurs connus sous le nom de burgeiros aux XIXe et XXe siècles. Ces indigènes ont inspiré la fondation du Service de protection des indigènes du Brésil (SPI). Sauvée par l’indigéniste Eduardo Hoerhann à partir de 1914, cette tribu de 536 individus vit aujourd’hui dans une réserve de la région de José Boiteux, à l’intérieur de Santa Catarina, au sud du Brésil. (Coll. Parlons…, 25.00 euros, 250 p.) ISBN : 978-2-343-03627-4, ISBN EBOOK : 978-2-336-35881-9
tamoul (Le) parlé (DVD inclus)
Chanemougas Soundiram
Vous êtes débutant ou faux débutant ? Cette méthode de langue progressive a été conçue pour vous aider à lire et à parler le tamoul, ainsi que pour vous permettre de vous débrouiller dans toutes les situations de la vie quotidienne. Chaque leçon comprend un dialogue, sa traduction, des points de grammaire, de vocabulaire, un exercice de traduction ou un exercice de grammaire. Les leçons enregistrées sur le DVD permettent d’apprendre à prononcer le plus correctement possible. (29.00 euros, 288 p.) ISBN : 978-2-343-01072-4, ISBN EBOOK : 978-2-296-53935-8 Diccionario comunicativo del español Soy competente
Tiako Youadjeu Christian
Este libro es un conjunto integrado de saberes encaminados hacia el desarollo de la competencia comunicativa del aprendiz. Verdadera gramática en usa, este programa de estudios, que abarca los campos de la vida familiar y social, del bienestar, de la salud y del medio abiente, los mass media, de la comunicación, la vida económica y la ciudadanía, integra une plétora de elementos léxicos de uso frecuente y propicia así la habilidad discursiva en estos cinco ambitos imprescindibles de la vida social. (Harmattan Cameroun, Coll. Harmattan Cameroun, 15.00 euros, 130 p.) ISBN : 978-2-343-00926-1, ISBN EBOOK : 978-2-296-53916-7 Parlons baloutche
Malherbe Michel, Naseebullah
Le baloutche est une langue indo-européenne proche du persan et parlée par près de 7 millions de personnes sur un vaste territoire, qui couvre 43 % de la surface du Pakistan ainsi qu’une province de l’Iran et une vaste zone au sud de l’Afghanistan. La langue est cependant rarement écrite, ce qui développe de nombreuses variétés dialectales. L’ouvrage a choisi un baloutche «moyen», compréhensible sur l’ensemble du domaine. (Coll. Parlons…, 14.00 euros, 132 p.) ISBN : 978-2-343-00069-5, ISBN EBOOK : 978-2-296-53126-0 Parlons Kabiyè Togo
Roberts David
Le kabiyè est parlé par plus d’un million de personnes dans les monts des environs de la ville de Kara, dans le nord du Togo. Cet ouvrage fait partager la langue kabiyè et la culture qu’elle véhicule. (Coll. Parlons…, 36.00 euros, 362 p.) ISBN : 978-2-343-00026-8, ISBN EBOOK : 978-2-296-53597-8 Dictionnaire tsigane Dialecte des Sinté – français-tsigane /tsigane -français
De Gouyon Matignon Louis
Les Tsiganes établis en Europe de l’Ouest se donnent le nom de Sinté. Leur langue se trouve aujourd’hui menacée. Le but de cet ouvrage, témoignage historique mais aussi culturel, est de préserver, et dans un même temps de présenter au plus grand nombre, la grande diversité et la richesse de la langue des Sinté. (25.00 euros, 246 p.) ISBN : 978-2-336-00096-1, ISBN EBOOK : 978-2-296-50720-3 Parlons Coréen (Édition revue et augmentée)
Malherbe Michel, Tellier Olivier
Premier ouvrage de la collection» Parlons», qui compte plus de 180 titres publiés à ce jour, cette édition élargie comprend un lexique coréen-français, indique comment procéder pour écrire les lettres du hangul avec l’informatique et s’enrichit de photos. (Coll. Parlons…, 26.50 euros, 266 p.) ISBN : 978-2-296-99095-1, ISBN EBOOK : 978-2-296-50116-4
Parlons Routoul Caucase, Daghestan
Makhmudova Savetlana
Les Routouls sont un peuple du Daghestan, cette République caucasienne de Russie des bords de la mer Caspienne. Ils sont au nombre de 35 000 environ, mais les bons locuteurs de la langue sont peut-être seulement 20 000. Le routoul est apparenté au tchétchène. Ce n’est que l’une des quelque 40 langues du Daghestan, considérée par les Arabes comme la « montagne des langues ». (Coll. Parlons…, 17.00 euros, 164 p.) ISBN : 978-2-296-99107-1, ISBN EBOOK : 978-2-296-50225-3 Initiation à l’arabe parlé au Maroc (Nouvelle édition)
Jalaly Az Eddine
Vous projetez d’apprendre l’arabe parlé au Maroc, niveau de langue employé pour les besoins de la vie de tous les jours (on parle d’arabe dialectal) ; l’objet de ce manuel est l’initiation à ce niveau. Pour le non-arabophone, l’apprentissage des deux niveaux (littéral et dialectal), bien entendu en fonction de ses besoins, s’impose comme une évidence. Destiné aux arabisants, étudiants ou confirmés, aux populations issues de l’immigration, aux expatriés européens, il permet également un travail en autoapprentissage. (CD inclus). (35.00 euros, 288 p.) ISBN : 978-2-296-96810-3 Guide de conjugaison en fang
Akomo-Zoghe Cyriaque Simon-Pierre - Préface de Claver Bibang
Ce livre est un précis qui tente de simplifier l’art de conjuguer en fang. Il répond parfaitement à l’exigence qui consiste à mettre en place une série d’ouvrages scolaires et parascolaires dans le but de vulgariser la langue fang et la rendre plus accessible auprès des locuteurs. Voici un document pionnier dans les études linguistiques relatives à la langue fang en Afrique centrale. (Coll. Harmattan Cameroun, 14.00 euros, 130 p.) ISBN : 978-2-296-99263-4 enseignement (L’) des langues vernaculaires : défis linguistiques, méthodologiques et socio-économiques
Sous la direction d’El Mountassir Abdallah, Dorais Louis-Jacques
Cet ouvrage dessine les grands défis auxquels se voit partout confronté l’enseignement de langues minoritaires et vernaculaires telles le catalan, l’amazigh, le wolof, le kanak, l’inuit... Au-delà de la situation particulière de chacune d’entre elles, les langues vernaculaires participent toutes d’un même destin : continuer à transmettre l’identité d’un peuple malgré les assauts d’une globalisation langagière qui cherche à les étouffer. (30.00 euros, 294 p.) ISBN : 978-2-296-99261-0 Parlons Shor Langue turcique de Sibérie
Daniyarova Saodat, Daniyarova Barchinoy, Daniyarov Shodiyor
Le peuple shor fait partie de la grande famille turque. Il habite la Sibérie orientale, à l’est du lac Baïkal, dans l’important district de Kemerovo, au Kuzbass. Le nombre de locuteurs est de l’ordre de 15 000 personnes, soit 0,4% de la population du district. Cet ouvrage est le premier en français sur ce peuple qui mérite d’être mieux connu. (Coll. Parlons…, 19.00 euros, 192 p.) ISBN : 978-2-296-96497-6
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Max Stirner
L’Unique et sa propriété L’ouvrage de Max Stirner semble un incontournable de l’histoire des idées philosophiques allemande et pourtant insaisissable du fait de sa facture. Cite-t-on son titre qu’aussitôt on lui associe les auteurs du Vormärz, jeunes hégéliens, dont Marx et Engels qui n’étaient pas encore bien connus, les cercles anarchistes ensuite dont son biographe, John Henry Mackay, mais aussi Frédéric Nietzsche, Georg Adler ou même Günter Anders, Karl Löwith ou Hans Magnus Enzensberger pour n’en citer que quelques-uns. Pourtant à quel titre les cite-t-on ? Que peut-on retenir d’une œuvre qui semble plonger ses racines dans le classicisme allemand, mais aussi se nourrir de Hegel pour mieux se différencier en même temps des milieux intellectuels jeunes-hégéliens dont était proche Max Stirner ? L’œuvre est-elle simplement le reflet des fractures de l’époque ou estelle en même temps novatrice du fait d’une mise en scène de jeux de langage qui sont autant de jeux de dépendance qu’elle déconstruit ? Et que propose-t-elle alors à cette époque si paradoxale, si ce n’est ces notions que sont « l’unique » et l’« association » ? Autant de questions que les auteurs dont les contributions sont réunies ici essaient de résoudre. Olivier AGARD est maître de conférences à l’université Paris-Sorbonne (Paris IV), et spécialiste de l’histoire des idées en Allemagne au XXe siècle. Il est notamment l’auteur de : Kracauer. Le Chiffonnier mélancolique (CNRS éditions, 2010). Françoise LARTILLOT est Professeur de littérature et d’histoire des idées modernes à l’Université de Lorraine – Metz. Elle est l’auteur de plusieurs publications portant sur la relation entre poésie et philosophie mais aussi sur l’histoire culturelle du 18e au 21e siècle.
Illustrations de couverture : Max Stirner, dessin de Friedrich Engels, 1892.
ISBN : 978-2-343-12800-9
29.50 €