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French Pages 452 [456] Year 2019
DU MÊME AUTEUR Le Ritz à cinq heures (roman), Olivier Orban, 1982. Prix de l’Académie de Bretagne, sélection Goncourt. La Lettre à Alexandrine (Mémoires apocryphes de Charlotte Corday), Olivier Orban, 1985. Couronné par l’Académie française, prix de la Ville de Caen. Regulus 93 ou la Véritable Histoire du citoyen Haudaudine (théâtre), Pierre Gauthier, 1988. La Dernière Favorite, Zoé du Cayla, le grand amour de Louis XVIII, Perrin, 1994. Prix de biographie de l’Académie française, prix des Maisons de la Presse. Le port de Nantes a 3 000 ans, Giotto, 1995, rééd. 1996. Aimée du Roi (Mémoires apocryphes de Mme de Montespan), Plon, 2001. Le Lieutenant de la frégate légère (histoire de la Méduse), Albin Michel, 2005. Couronné par l’Académie de la Marine, prix Lions Club International, 2006. Khyber Pass, Albin Michel, 2008. Juliette Récamier, l’art de la séduction, Perrin, 2013. Prix des Écrivains combattants, 2014.
Crédits des illustrations du cahier couleur : 1/2/4/8/10. © Interfoto/LA COLLECTION – 3. © Interfoto/Gerald Schwabe – 5. © Collection Sirot-Angel/Leemage ‒ 6/13. © Imagno/ LA COLLECTION – 7. © Interfoto/TV Yesterday ‒ 9. © Interfoto/Marco Schneider ‒ 11. © Interfoto/Marc Schäfer – 12. © Costa/Leemage. En couverture : Louis II de Bavière. Photo : Josef Albert © Interfoto/Austrian National Library/LA COLLECTION Création graphique : Antoine du Payrat ISBN : 978-2-213-68887-9 © Librairie Arthème Fayard, 2019.
« Toutes les illusions romantiques que j’avais pu entretenir consciemment ou inconsciemment se sont rapidement dissipées, quand j’ai commencé à étudier les documents de première main, gardés jalousement secrets jusqu’ici… L’histoire est sombre, tragique, pitoyable, terrifiante. » Desmond Chapman-Huston
« Il me montra un jour le journal intime qu’il tenait depuis sa jeunesse… Tout le livre n’était – aussi loin que j’ai pu le feuilleter rapidement – qu’un appel au secours, un cri, un chant provenant de “L’Enfer” de Dante ! » Ludwig von Bürkel
Table des matières Couverture Page de titre Page de Copyright Du même auteur I. Les jeunes années d’un roi II. La passion Wagner III. Les secrets d’un roi IV. Les horreurs de la guerre 1866 V. Les malheurs de Sophie VI. Exit Wotan VII. La vie est un songe I Un château en Bavière VIII. Finis Bavariae ? 1870-1871 IX. Des journées entières dans les arbres
X. Sans famille XI. Sissi XII. Paul, Richard, Lambert et les autres XIII. La vie est un songe II Deux châteaux en Bavière XIV. Le voyage à Bayreuth XV. La vie est un songe III Trois châteaux en Bavière XVI. Les travaux et les jours XVII. La dernière illusion Joseph Kainz 1881 XVIII. Mort à Venise 1883 XIX. La course à l’abîme XX. L’homme traqué janvier-8 juin 1886 XXI. La main au collet mercredi 9 juin-samedi 12 juin 1886 XXII. Un long dimanche de Pentecôte 13 juin 1886 XXIII. La vérité sur l’affaire Louis II de Bavière Les thèses complotistes I L’assassinat du roi Les thèses complotistes II Du meurtre à l’homicide accidentel
Généalogies Notes Chronologie Bibliographie Index Remerciements Cahiers Hors-Texte
AVANT-PROPOS
Louis II de Bavière a écrit qu’il entendait « demeurer une éternelle énigme pour lui et pour les autres » et ce but a été atteint. Il est pour toujours le Märchenkönig, le roi de légende dont l’image s’affiche dans les rues de Munich, attire les foules vers les châteaux de Bavière et semble encore glisser dans la coque d’un traîneau tiré par six chevaux blancs. Entré au jour de sa mort dans la légende, il est devenu le sujet d’une littérature considérable, devançant ses cousins au destin également flamboyant et tragique, Sissi et son fils Rodolphe. Entre le héros romantique épris d’absolu, d’art et de solitude, victime de l’intolérance générale et le grand malade dont il était temps d’arrêter la course, chaque auteur a placé le curseur où il voulait et, parfois, où il pouvait. Louis étaitil fou, demi-fou, pas plus fou que vous et moi ou pas fou du tout ? Fut-il un mécène, un grand artiste ou un pâle imitateur qui construisit d’étranges châteaux avant de les emplir d’un bric-à-brac terriblement kitsch ? Quels furent ses liens avec Sissi, l’impératrice d’Autriche dont il faillit épouser la plus jeune sœur après s’être attaché à l’un de ses frères ? On sait qu’il ne séjournait guère dans les châteaux qu’il fit construire et détestait Munich, alors où vivait-il exactement et que faisait-il ? Même sa mort reste un mystère. Louis a-t-il été assassiné ? Par qui ? Pourquoi ? Fut-il un meurtrier ? Car au soir du 13 juin 1886, ce furent bien deux corps que l’on retrouva sur les rives du lac de Starnberg. Il se dégage d’une historiographie volumineuse et extrêmement variée, souvent polémique, sans parler du théâtre, de la poésie, du roman et de l’art cinématographique qui s’emparèrent du personnage, que la figure du héraut du romantisme aux prises avec la banalité de la pensée matérialiste et du confort bourgeois l’emporte de beaucoup et vise à relativiser, voire à
nier, tout aspect pathologique du personnage. Pour nombre d’auteurs, Louis est l’homme libre par excellence, le ténébreux, le veuf, l’inconsolé, celui qui se moqua du scandale et paya le prix de son originalité et de son indépendance. Quelques-uns en font purement et simplement le martyr d’une sexualité vécue hors des normes de l’époque. D’autres encore, tournant la difficulté, ont tenté de dérouler cette vie comme si la question de la maladie mentale ne se posait pas ou qu’il fût impossible d’y répondre. On dispose pourtant sur Louis II, mort en 1886, de nombreux témoignages, d’une vaste correspondance et du Journal qu’il tint à partir de 1869, encore que celui-ci ait été, on ne peut à présent l’ignorer, fortement remanié pour ne pas dire falsifié après la mort du roi. Une telle somme de textes permet aujourd’hui à des médecins étudiant le sujet d’avancer, sans grand risque d’erreur, un diagnostic. Si le roi fut réellement atteint d’une pathologie mentale grave, bien d’autres questions se posent, la principale étant de savoir quelle fut finalement la part de liberté de celui qui passe pour le souverain libre par excellence. Et si le roi fut sérieusement malade, comment s’y prit-il pour que l’on puisse aujourd’hui encore en douter ? Comment traversa-t-il deux guerres et dirigea-t-il son pays durant plus de vingt et un ans ? Les approches très diverses du personnage rendent l’étude de la vie de Louis II de Bavière à la fois passionnante et déconcertante. Il n’est guère dans cette histoire un document qui ne soit contredit par un autre. Il faut ajouter qu’il se trouve bien peu d’hommes qui dans des temps proches du nôtre donnent autant de prise à la légende. Louis II est masqué par cette légende et a tout fait pour cela. Il faut dire qu’en histoire la fable, souvent porteuse d’éléments symboliques, parle à l’imagination, s’y développe aisément et se trouve presque toujours préférée à la réalité. Plonger dans la vie de Louis II équivaut à tomber dans un monde extraordinaire, avec ses mystères, ses initiés, ses dogmes et ses excommunications, ses dédales et ses voies sans issue, ses surprises aussi, en somme un monde qui échappe vite à l’Histoire au risque de ne plus être, selon l’expression de Jean Lacouture, qu’un « immense berceau d’hypothèses ». Il n’en reste pas moins que l’Histoire n’est pas affaire de foi, mais de faits, eux seuls résistent ou doivent à la fin résister. Mais, bien sûr, rien n’empêche qu’à côté de la vérité le mythe demeure. L’Histoire a souvent plusieurs étages, et si Louis II mérite d’être connu, il est également digne à plus d’un titre d’entrer dans la légende.
I
Les jeunes années d’un roi C’était le plus beau jeune homme que j’aie jamais vu. Comte A. Friedrich von Schack
Pour le peuple de Bavière, l’histoire commence à Munich, le 14 mars 1864, avec les coups lancinants du glas accompagnant le cortège funèbre du roi Maximilien II vers l’église des Théatins. Le monarque était mort à cinquante-neuf ans d’une fluxion de poitrine qui l’avait emporté en quelques jours au grand étonnement de ses médecins. Derrière le char funèbre, à quelque distance de son frère cadet et fort en avant des princes de la famille royale, des représentants des cours étrangères et des dignitaires du royaume, le fils aîné du défunt, tête nue, conduisait le deuil. Stupéfaite, la foule découvrait un jeune homme très grand et très mince dont les yeux bleus se levaient souvent vers le ciel. La chevelure noire et bouclée, rejetée en arrière, faisait ressortir un teint pâle et des traits fins. Sur l’habit militaire, le dolman bleu oscillait au rythme des pas. La marche du jeune homme, spectaculaire, tant il levait lentement chaque jambe, tenait de l’exercice de parade et aussi de la danse. Deux jours auparavant dans la salle du trône de la Residenz, le manteau du sacre posé sur les épaules, la main gauche appuyée sur l’épée à poignée d’or, le jeune homme avait prêté serment de fidélité à la Constitution. Cette promesse l’avait fait roi à dix-huit ans. Médusés, les Munichois ne quittaient pas des yeux un prince qu’ils ne connaissaient que par de rares photographies où, la main sagement posée sur un livre, Louis semblait encore un enfant. La beauté, quand elle atteint
un certain point, surprend. « C’était, écrit le comte Friedrich von Schack*1 reçu en audience par le kronprinz l’année précédente, le plus beau jeune homme que j’aie jamais vu… Eût-il été mendiant, que je l’aurais remarqué. » Les diplomates présents à Munich crurent bon d’informer leurs gouvernements de la nouvelle : le nouveau roi était beau. Les journalistes l’écrivirent dans leurs journaux, les photographes firent des portraits et, bientôt, toute la Bavière éblouie ne murmurait plus qu’une chose : le Prince charmant était monté sur le trône. L’apparition marqua tellement les esprits qu’elle resterait comme une tache lumineuse dans les regards. En ce printemps de 1864, les Bavarois furent conquis par leur roi ; ils ne lui retireraient jamais tout à fait leur amour. Le roi qui montait sur le trône au printemps de 1864 n’était que le quatrième souverain du royaume*2. La famille des Wittelsbach, beaucoup plus ancienne que celle des Hohenzollern, avait reçu le duché de Bavière des mains de l’empereur Frédéric Barberousse en 1180, alors qu’elle était déjà illustre depuis au moins deux siècles. La dynastie devait offrir une reine à la France, la fameuse Isabeau de Bavière*3, née Élisabeth de Wittelsbach, tout comme la non moins célèbre Sissi. La famille donna aussi plusieurs empereurs au Saint Empire romain germanique. Ce fut Napoléon Ier qui, en 1806 – moins de quarante ans avant la naissance du futur Louis II –, érigea le duché de Bavière en royaume et fit de l’Électeur Maximilien Joseph le roi Maximilien Ier. L’empereur des Français, vêtu de sa redingote grise, assista en personne à la lecture de la proclamation qui, le 1er janvier 1806, créait un royaume. Maximilien Joseph de Wittelsbach était né en 1756 dans la branche cadette des ducs de Deux-Ponts-Birkenfeld qui régnait sur le Palatinat. La mort de son frère aîné, puis celle de son oncle, tous deux sans descendance, firent de lui en 1799 le duc électeur de Bavière, Maximilien IV. Le nouvel Électeur comprit vite que, dans l’Europe napoléonienne qui se formait à coups de canon, la Bavière pouvait représenter une troisième force entre l’Autriche qui avait des vues sur la Bavière et la Prusse dont la force militaire commençait à effrayer. Le premier souverain de Bavière était un homme pragmatique que la postérité devait surnommer « le Henri IV bavarois », tant il sut manœuvrer avec finesse à l’heure où Napoléon jouait avec les États allemands comme
avec un jeu de quilles. Maximilien Ier s’allia avec Napoléon tant qu’il put en tirer parti et agrandir son royaume. L’alliance du nouveau roi avec la France fut scellée par le mariage en janvier 1806 d’une fille de Maximilien, Augusta, avec le beau-fils de Napoléon, Eugène de Beauharnais. Pour entrer dans la famille de l’Empereur, Maximilien n’avait pas hésité à casser les premières fiançailles de sa fille avec le grand-duc de Bade. De ce côté, les choses s’arrangèrent, puisque Eugène et Augusta se plurent au premier regard et formèrent un couple heureux. Le plus grand mérite de Maximilien Ier fut de garder à ses côtés le baron, puis comte de Montgelas, qu’il avait pris très jeune comme conseiller avant d’en faire un ministre du nouveau royaume. Maximilien de Montgelas fut le plus grand homme politique que connut la Bavière ; il sut en peu de temps faire passer un duché encore moyenâgeux à l’époque moderne. Né à Munich d’un père issu de la noblesse de Savoie, élevé à Nancy et Strasbourg, cet Européen épris des Lumières parla et écrivit toute sa vie le français plus naturellement que l’allemand. Il fut très tôt persuadé, comme le fut Napoléon, que la Bavière pouvait être une troisième force entre l’Autriche et la Prusse et que l’intérêt bien compris du pays voulait que celui-ci s’appuyât sur la France. Cette adhésion à la politique étrangère française le fit passer pour un traître aux yeux des partisans de l’Allemagne, ce qui n’effrayait pas ce grand seigneur toujours aussi cynique que les circonstances le demandaient. La politique de Maximilien Ier et de Montgelas fut très discutée par une opinion qui souffrait de la conscription et leur reprochait de ne pas être « patriotes ». L’entente avec la France se révéla payante puisque l’Autriche, vaincue par Napoléon, dut, au traité de Presbourg (1805), reconnaître la fondation du royaume de Bavière. Fidèle à l’alliance napoléonienne, la Bavière participa à la campagne de Russie où elle perdit trente mille hommes. La chute de Napoléon devenant inévitable, Montgelas entra dans la coalition antinapoléonienne. Cette volte-face valut à la Bavière lors du congrès de Vienne la confirmation de l’érection du duché en royaume et des avantages territoriaux. Infatigable travailleur, Montgelas réorganisa le pays en le centralisant sur le modèle français1. Il dirigea une politique d’annexion des villes libres, des petites seigneuries et des terres d’Église, supprima les douanes intérieures et imposa des examens pour entrer dans l’administration,
enlevant en partie les hautes charges à la noblesse. Les antiques chambres furent remplacées par des ministères modernes, le servage supprimé, la torture abolie, un code civil et un code pénal fondèrent l’égalité de tous devant la loi et imposèrent la liberté de culte. La scolarisation devint obligatoire. Le pouvoir royal fut entièrement séparé du monde judiciaire comme du système financier, le roi et sa famille vivant désormais des revenus d’une liste civile votée par le Parlement. Homme des Lumières, mais n’ayant pas oublié les excès de la Révolution française et tenant à avoir les coudées franches, Montgelas se méfiait de la représentation parlementaire. En 1808, il publia une Constitution, mais argua de la guerre omniprésente pour ne pas réunir le Parlement. En raison de l’hostilité de l’héritier du trône qui reprochait au ministre de ne pas être « patriote », Montgelas fut renvoyé en 1817. L’année suivante, un acte additionnel à la Constitution instituait le bicamérisme en Bavière. Montgelas devait siéger à la Chambre haute jusqu’à sa mort en 1836. La Bavière lui éleva en 2005 une statue étincelante – tout en aluminium – sur la Promenadeplatz de Munich. L’homme providentiel de la Bavière était né en 1759, Bismarck viendrait au monde en 1815. On peut regretter que plus de deux générations les aient séparés, car le face-à-face eût été intéressant. Pour contrer le petit hobereau, Montgelas eût certainement cherché à renouer avec l’alliance française, seule capable de faire de la Bavière une troisième force en Allemagne. Qui l’eût emporté alors du chancelier qui gouvernait par le fer et par le feu ou du ministre dont l’esprit de finesse, la puissance de travail et le pragmatisme pourvoyaient à tout ? Le fils aîné de Maximilien Ier lui succéda en 1825 sous le nom de Louis Ier. Né à Strasbourg en 1786, il avait eu pour marraine la reine Marie-Antoinette. L’homme avait une conception autoritaire de la monarchie. Il était aussi nettement plus fantaisiste que son prédécesseur, pour ne pas dire tout à fait fantasque. À dix-huit ans, il avait fait le voyage d’Italie et s’était pris de passion pour l’antiquité classique. Cet amour le poussa à aller quatre-vingts fois à Rome, ce qui lui valut le surnom de « roi étranger ». Il achetait statues, médailles et peintures qui, par caisses entières, prenaient le chemin de Munich. Donnant beaucoup de sa fortune personnelle, économisant sur tout, il couvrit sa capitale, dont il voulait faire l’« Athènes de l’Allemagne », de monuments d’inspiration gréco-
romaine. Il fit bâtir la nouvelle Residenz sur le modèle des palais florentins, la basilique et l’université où il transféra les facultés jusque-là fixées à Landshut. Il fit encore édifier la Pinacothèque pour abriter sa splendide collection de tableaux tandis que la Glyptothèque recevait les statues grecques et romaines. La gigantesque porte des Propylées était la réplique exacte de celle qui gardait l’Acropole d’Athènes. On trouve ici les premiers exemples de l’historicisme architectural qui sera tant pratiqué par Louis II. Le résultat fut parfois un peu marchandise mêlée, car le roi, également féru d’idéal germanique, entendait marier l’art gréco-romain et l’art gothique ou baroque. Il lui fallait fondre la rigueur du classicisme au bouillonnement du romantisme, ce qui ne gêna en rien le roi, tout en lui attirant des railleries. Cependant, la ville, faisant sauter ses remparts, devint une belle capitale bientôt reliée par le chemin de fer au reste du pays, ce qui fit taire les critiques. Louis Ier serait mort sur le trône si l’aventurière Lola Montès n’était venue semer le désordre dans la vie du roi qui, la soixantaine passée, avait gardé un cœur d’adolescent. Lola arrivant à Munich « pour se trouver un prince » traînait avec elle un passé très chargé. Née en Irlande d’un père officier de l’armée britannique, élevée aux Indes, elle s’était enfuie à dixsept ans avec l’amant de sa mère. Cela préluda à une vie de courtisane qui la conduisit dans nombre de cours européennes d’où elle se fit chasser à force de scandales ; elle avait dû fuir Londres, Varsovie et Berlin. En Saxe, elle avait été la maîtresse du très distingué Franz Liszt, provoquant la rupture définitive de celui-ci avec la comtesse d’Agoult. Le musicien se lassa vite de la jalousie et des caprices de Lola. À Paris, l’opinion générale fut que celle qui se présentait comme une danseuse espagnole « avait de belles jambes, mais ne savait pas s’en servir ». La société parisienne était sans doute plus indulgente que toute autre devant les fantaisies des courtisanes, mais il y avait des limites. Aussi, quand un journaliste « fils de famille » fut tué en duel après avoir légué une partie de sa fortune à Lola, celle-ci dut reprendre sa course. Après quelques nouveaux esclandres en Allemagne, elle entendit parler du culte que le roi de Bavière portait à la beauté. Louis Ier aimait la beauté féminine au point d’avoir installé dans son château de Nymphenburg une « galerie des Beautés » ornée des portraits des plus belles femmes de son temps, qu’elles fussent grandes dames ou
filles du peuple ; la reine Thérèse n’y figurait pas. Aucune femme n’était parvenue à fixer le cœur du roi, mais Lola demandant audience le séduisit au premier regard. Pâle avec des cheveux très noirs et des yeux turquoise, elle possédait beaucoup d’aplomb et d’expérience. Le roi lui acheta un petit palais sur la Barerstrasse et passa le plus gros de son temps dans cette retraite, délaissant les affaires du pays pour écrire des poèmes. Lola n’était pas la première maîtresse du roi, loin de là. Si elle s’était contentée d’une vie discrète, Louis Ier aurait eu une fin de règne paisible, mais la belle dont la devise était « Whatever Lola wants, Lola gets*4 » était incapable de se tenir tranquille. En dix-huit mois, elle allait réussir à mettre un royaume où tout allait bien sens dessus dessous. L’affaire préfigure ce qu’allait vivre dix-sept ans plus tard le jeune Louis II avec Richard Wagner. Fausse Espagnole et fausse danseuse mais véritable hystérique, Lola n’omit rien pour se rendre impopulaire. Prenant les positions les plus anticléricales et les plus ultra-libérales, elle réussit à faire de sa maison un nid d’opposants au gouvernement du roi. Munich la bouda pendant que la presse ricanait. Louis Ier répondit en donnant à celle qui se proclamait républicaine le titre de comtesse de Landsfeld « pour services artistiques rendus à la Couronne ». Il crut bon d’y ajouter celui de chanoinesse de l’ordre de Sainte-Thérèse, honneur jusque-là réservé aux dames de la plus haute noblesse et – si possible – d’une vertu intacte. L’opinion, humiliée de voir son souverain devenir le jouet d’une aventurière, se cabra. Le gouvernement rédigea à destination du monarque une très longue mise en demeure où tous les arguments furent évoqués, y compris « les torrents de larmes versés par l’archevêque d’Augsbourg », lequel y gagna d’être appelé Niobé. Le roi, outré, renvoya le ministère. Le nouveau gouvernement, très libéral, fut baptisé Lolaministerium. La maîtresse triomphante, mais toujours exaspérée de se voir écartée par la bonne société, crut bon de mêler les étudiants – dont l’un était son amant – à ses provocations. Les échauffourées se multiplièrent dans les rues de Munich tandis que dans le contexte du grand mouvement de libération de 1848, les trônes européens s’effondraient les uns après les autres. Louis dut fermer l’université alors que la ville se couvrait de barricades. La mort dans l’âme, il lui fallut signer l’ordre de bannissement de Lola. Assez libre pour ne pas se laisser dicter sa conduite, mais assez sage pour se préoccuper de sauver sa dynastie, Louis Ier abdiqua le 21 mars 1848 en faveur de son fils aîné, qui devint Maximilien II. Ce roi qui déposait la Couronne, absolutiste pour
la forme quoique beaucoup plus raisonnable sur le fond, eût fait un excellent despote éclairé, malheureusement pour lui, le temps en était passé. Le soir de son départ, il écrivit dans son Journal : « Je l’ai toujours dit, être un vrai roi ou abdiquer. » « Être un vrai roi » est un principe qui devait tourner à l’obsession chez son petit-fils. Quant à Lola, elle partit en Californie où elle se maria, divorça et finit par s’exhiber dans une baraque ambulante où les badauds étaient admis à baiser la main de la comtesse de Landsfeld. Elle pensa trouver l’homme de sa vie en la personne d’un coureur de piste qui la battait, qu’elle suivit et qui mourut. La belle gagna alors l’Australie où sa Spider dance*5 encore nommée tarentula exécutée avec trop peu de vêtements et la sortie d’araignées articulées depuis le corsage de la danseuse fit scandale. Gravement malade et ayant pris de nombreux kilos, elle repartit aux ÉtatsUnis où elle connut une conversion sincère. Le pasteur qui l’assista à la fin témoigna que sa bible était toujours ouverte à l’endroit où le Christ pardonne à Marie Madeleine. Maria Dolores Eliza Gilbert qui fit quelque bruit dans le monde sous le nom de Lola Montès s’éteignit sereinement à New York le 17 janvier 1861 ; elle avait quarante-deux ans. La tourmente passée, Louis Ier revint souvent en Bavière où il avait retrouvé sa popularité. « Il était traité en roi sans avoir les soucis du gouvernement2 », note Jacques Bainville. Ce furent en effet son fils, puis son petit-fils, qui héritèrent des tracas. Le monarque déchu assista même à l’inauguration de sa propre statue sur l’Odeonplatz de Munich en août 1862. Lola, morte l’année précédente, était oubliée et le vieux roi pardonné. Louis Ier préférait toutefois vivre à Nice ou dans sa chère Italie, entouré d’artistes. Sur son lit de mort en 1869, le vieillard amoureux devait jurer que Lola n’avait jamais été sa maîtresse et qu’il ne s’était agi que d’une « communication d’âmes », ce qui n’est pas tout à fait impossible. C’est à ce grand-père singulier, amoureux de l’art, assez irresponsable en politique mais jaloux de son autorité royale que Louis II devait le plus ressembler. On a beaucoup comparé cet esprit fantasque, bâtisseur et esthète à son petit-fils, mais Louis Ier, au contraire de Louis II, aimait s’entourer et voyager, l’homme était un extraverti, alors que son descendant vivra replié sur lui-même et de plus en plus seul. Si Louis Ier fut un original, Louis II fut beaucoup plus que cela. Louis II connut peu son grand-père et ne le prit pas pour modèle, mais il aima cet aïeul autoritaire et fantasque. L’épisode Lola Montès, en faisant
du futur Louis II, trois ans après sa naissance, le prince héritier et en l’isolant considérablement, devait avoir une grande importance dans la vie de celui-ci. Le jour où le jeune homme fut proclamé roi, son grand-père qui se trouvait en Algérie lui écrivit : « Vous montez trop tôt sur le trône3. » Certes, mais à qui la faute ? Les rois de Bavière se succédaient et ne se ressemblaient pas. Si Louis Ier avait pu choquer, son fils n’étonna jamais personne. Maximilien II fut surnommé la Conscience sur le trône. Quel peuple ne rêverait d’être régi par la Conscience en personne ? Élevé très sévèrement par un père qui avait mené ses enfants à la baguette, le nouveau roi aimait le travail et l’étude et avait l’obsession du devoir. Son modèle fut Marc Aurèle ; on ne peut guère viser plus haut, encore que l’empereur philosophe eût totalement échoué avec son fils, le sinistre Commode. Marqué par l’indifférence de Louis Ier qui n’avait jamais cherché à comprendre un jeune homme intellectuel et réservé, Maximilien II manquait de confiance en lui et de ce qu’on appellerait aujourd’hui charisme. La seule fantaisie du nouveau monarque consistait à réunir chaque semaine des théologiens, des historiens ou des savants aux fins d’approfondir ses réflexions, lesquelles étaient assez mélancoliques. Il n’était pas porté vers les beaux-arts comme son père, mais plutôt vers les sciences politiques et naturelles, ce qui lui fit attirer nombre de savants dont le célèbre Justus Liebig en Bavière. Tant de sérieux pouvait à la longue devenir lassant, mais les Bavarois trouvèrent l’alternance reposante. Contrairement à son père, jaloux de son autorité royale, Maximilien II se dit toujours « heureux d’être un roi constitutionnel ». Ce sage avait épousé à trente-quatre ans une princesse protestante, Marie de Prusse, qui en avait dix-sept. Ce fut un mariage d’amour. La jeune fille ayant eu durant les fiançailles une rougeole qui fit repousser la cérémonie, le fiancé refusa de quitter le chevet de la malade tant que celle-ci ne fut pas guérie, multipliant les attentions et les cadeaux. Quand elle arriva à Munich pour le mariage, l’amoureux bousculant le protocole sauta littéralement dans la voiture qui amenait sa fiancée. On remarqua qu’il pleurait d’émotion lors de la messe de mariage où l’épousée rayonnait de bonheur. Issue d’une branche cadette des Hohenzollern, très brune et dotée de
grands yeux bleus comme plus tard ses fils, Marie était jolie et eut son portrait dans la « galerie des Beautés » de Nymphenburg où le peintre Carl Joseph Begas la représenta avec une couronne de roses posée de guingois sur la tête. On l’a sans raison qualifiée de sotte ; il serait plus juste de dire, reprenant le terme que son aîné utilisera plusieurs fois, qu’elle était prosaïque. La reine n’était certes pas une intellectuelle, elle se vantait de ne pas lire, mais elle avait du bon sens et l’esprit pratique. Discrète, elle aimait la vie en plein air, le spectacle de la nature et les excursions en montagne dont elle connaissait parfaitement les plantes et les animaux. Quand son fils aîné eut douze ans, elle fit avec lui l’ascension du Säulig (2 047 m) ; au temps des crinolines, c’était assez remarquable. Elle avait adopté une tenue faite d’un pantalon enfilé sous une jupe pour accomplir ses prouesses et gravit une bonne partie des montagnes bavaroises, y compris les plus hauts sommets. Louis II lui doit sans doute sa passion de la nature. Marie inculqua aussi à ses enfants le souci des pauvres. La reine filait, tissait et cousait habituellement pour les nécessiteux. Elle avait l’habitude d’emmener ses fils dans ses visites aux institutions de charité. Louis était naturellement généreux, il aimait et aimera toujours donner, faire plaisir, soulager les misères. Âgé de quatre ans, il demanda à son père lors d’un voyage à Bayreuth s’il pouvait partager son repas avec la sentinelle qui montait la garde sur la terrasse. Le roi ayant répondu que le soldat ne pouvait manger durant son service, l’enfant finit par obtenir la permission de mettre quelque chose dans la poche du manteau où il déposa son gâteau. La reine apprit encore à ses fils à fréquenter naturellement le monde paysan. Il est rapporté que l’année précédant la mort de Maximilien, Marie fut invitée aux noces d’or d’un ménage de cultivateurs près de Hohenschwangau. Elle s’y rendit avec ses enfants et présida le repas assise entre les époux. Au dessert, tout le monde dansa, les jeunes princes s’amusant comme les autres. Le roi Max, lui aussi animé du souci des plus démunis, devait créer de nombreuses institutions pour leur venir en aide. Ce couple paisible eut deux fils, Louis, né en 1845, et, trois ans plus tard, Otto. Ce fut le lundi 25 août 1845 à minuit trente que naquit au château de Nymphenburg, palais baroque qui servait de résidence d’été aux rois de Bavière, l’héritier attendu. Cent coups de canon annoncèrent l’heureuse
nouvelle à tout Munich. Louis Ier régnait encore sur un pays où Lola n’était pas venue semer le désordre. Une première grossesse de la jeune Marie n’était pas parvenue à son terme, aussi, dans sa joie d’avoir un petit-fils, le roi décora-t-il le médecin de famille, le professeur Gietl, et l’anoblit. Le lendemain, l’heureux grand-père tint l’enfant sur les fonts baptismaux. Un banquet de soixante couverts fut servi au palais. Le parrain, le roi FrédéricGuillaume IV de Prusse, avait eu le temps d’accourir. Le roi Otto Ier de Grèce*6, deuxième parrain, n’avait pu faire le déplacement. On n’avait pas dû suffisamment évoquer la question du prénom, car pendant quelques jours le bébé s’appela Otto, comme les premiers Wittelsbach, mais Louis Ier insista pour que, né le 25 août, comme lui-même et, de plus, le jour de la fête de saint Louis, patron de la Bavière, le nouveau-né portât ce prénom. Otto devint donc Ludwig, première oscillation du destin. Bientôt, le père de l’enfant écrivit à son beau-frère, prince de Prusse, pour lui faire part de l’événement : Nymphenburg, le 29 août 1845 Ces quelques lignes vous apprendront la grande nouvelle : le Seigneur a donné à notre chère Marie un beau petit garçon. L’enfant est né le jour anniversaire de mon père qui en est très heureux […] L’instant où l’enfant poussa son premier cri était merveilleux ! La chère Marie avait soudainement oublié toutes ses douleurs ; elle a souffert beaucoup et longtemps et s’est comportée avec courage et calme. Elle et le petit sont Dieu merci en bonne santé et dorment beaucoup et longtemps ; c’est un sentiment merveilleux d’être père4.
Le cercle de famille applaudit donc à grands cris lors de la venue du petit prince, mais peut-être pas tout le cercle. La famille paternelle du futur Louis II était nombreuse, Louis Ier ayant eu neuf enfants dont quatre fils : Maximilien, Otto, Luitpold et Adalbert. L’aîné, Maximilien, était au moment de la naissance du futur Louis II le kronprinz, héritier du trône. Le second fils, Otto, avait été choisi par les puissances européennes en 1832 pour devenir roi de Grèce, après que ce pays avait fini par échapper au joug turc au prix d’une guerre de libération qui avait duré dix ans ; ce choix devait beaucoup à la passion que professait Louis Ier pour la Grèce, aussi bien antique que moderne. Le roi eût préféré que ce fût son troisième fils, Luitpold, qui devînt roi de Grèce, mais celui-ci avait fermement refusé de se convertir à la religion orthodoxe. Autoritaire et n’ayant pu donner d’héritier au trône, Otto Ier de Grèce devait être chassé par une révolution
en 1862. Il revint en Bavière où il vécut avec son épouse, la reine Amélie, dans le château royal de Bamberg, tandis qu’un prince danois lui succédait sur le trône de Grèce. Le troisième garçon, Luitpold, né en 1821, avait épousé Augusta de Toscane. Cette princesse ambitieuse fut, semble-t-il, assez peu contente de voir son propre fils, également prénommé Louis, éloigné du trône par l’arrivée de son cousin. La « branche Luitpold » était soupçonnée de jalousie envers la branche aînée. Dans une lettre à Cosima von Bülow, le jeune Louis II se plaindra de cette tante Augusta jalouse, mesquine et faiseuse d’histoires « qui causa tant de soucis à mon père ». Dans cette même lettre, Louis II décrit son oncle Luitpold comme un ultramontain peu sympathique. Luitpold était un catholique rigoriste et, sur le plan politique, un conservateur. Louis II n’avait pas l’habitude de cacher ses sentiments, aussi, quand Augusta mourut, peu de temps après Maximilien II, le jeune roi se dispensa d’assister aux obsèques de sa tante en raison, dit-il, de son propre deuil. Il se fit encore porter pâle quand son cousin Louis, fils aîné « des Luitpold », fit un brillant mariage en épousant à Munich l’archiduchesse Marie-Thérèse d’Autriche-Este ; cette fois un mal de dents fut avancé. Le quatrième fils de Maximilien, Adalbert, fut l’oncle préféré de Louis II qui, paraît-il, lui ressemblait, à ceci près que cet oncle était blond. Le prince avait une voix magnifique qui lui permettait de se produire dans des opéras. Cet homme charmant avait épousé une princesse espagnole dont il eut quatre enfants. L’aîné, Louis-Ferdinand, très admiré de Louis II, deviendra à la fois général et médecin, gynécologue obstétricien ainsi que chirurgien. Né à Madrid où il fit une partie de ses études, Louis-Ferdinand avait une quinzaine d’années de moins que le roi qui l’appelait familièrement Luisito. Au contraire du « ménage Luitpold », « les Adalbert » étaient appréciés de Maximilien et des siens, mais n’existe-t-il pas des affinités et des répugnances dans presque toutes les familles ? Les nombreuses sœurs de Maximilien avaient épousé des princes européens : Mathilde était grande-duchesse de Hesse, Aldegonde, duchesse de Modène, etc. Seule la dernière, Alexandra, fort jolie et fort cultivée, mais aussi fort malade, restait au bercail. Louis II aimait cette tante infortunée qu’il évoque plus d’une fois dans ses lettres.
La petite enfance du jeune Louis fut sans histoires. La seule inquiétude signalée fut la mort de la nourrice, atteinte d’une fièvre méningée quand le bébé avait huit mois. L’enfant connut un sevrage brutal et fut malade. Sa mère se trouvait alors à Berlin au chevet de sa propre mère mourante, si bien que Louis fut brusquement coupé de ses principaux attachements à un âge que l’on sait aujourd’hui très sensible aux séparations. Marie réclama son fils, mais Louis Ier refusa, trouvant le nourrisson trop faible pour voyager. Il est difficile de dire ce que cette séparation représenta dans l’existence de l’enfant, ce qui est certain c’est que Louis II recherchera toute sa vie l’attachement parfait, indestructible et introuvable parce que complètement idéalisé. Les inévitables échecs qu’il connaîtra dans ce domaine seront une source intarissable de souffrances. L’entrée de Lola Montès dans la vie du roi Louis Ier en 1846 ne changea certainement rien à l’existence de l’enfant. Mais les folies de Lola combinées à l’autoritarisme et à l’entêtement du roi devaient conduire celui-ci à abdiquer en faveur de son fils aîné, Maximilien, le 20 mars 1848. Louis, âgé de presque trois ans, devint prince héritier. Les événements avaient bouleversé la reine Marie qui mit au monde prématurément son second fils, Otto, le 27 avril 1848. En un mois, Louis avait vu son grandpère quitter précipitamment le pays, son père devenir roi et un petit frère arriver, ce fait le frappa sans doute plus que les autres. Le parrain du bébé fut encore le roi de Grèce, Otto Ier. Ayant accédé au trône, Maximilien et Marie restèrent des parents attentifs. Quand leurs devoirs de représentation le permettaient, ils voyaient leurs enfants deux fois par jour et les emmenaient dans leurs voyages en province où cette jolie famille attirait les applaudissements. Louis et son frère Otto bénéficièrent de la même éducation, celle des princes de leur temps, placée sous le signe de la rigueur, de la privation et, par la volonté de leur père, d’une extrême exigence. Maximilien II tint à ce que ses fils reçoivent l’éducation rigide qu’il avait eue ; il fit même rechercher ses anciens cahiers. Curieusement, on inculqua très tôt à l’enfant qu’on mettait en cage l’idée de la grandeur de sa naissance et des privilèges qui l’accompagnaient. Les domestiques s’inclinaient très bas et appelaient « Votre Altesse » l’écolier mis au pain sec. Il y avait là une contradiction, une faille où la révolte de Louis s’engouffra. Ayant un jour, accompagné de sa gouvernante, dérobé une bourse dans un magasin, il répondit à la remontrance : « Tout ce qui appartient à mes sujets
m’appartient. » Une autre fois, alors que dans le parc de la maison royale de Berchtesgaden il avait tenté d’étrangler son frère dans une bagarre de gamins – avec un garrot tout de même –, il rétorqua quand on les sépara : « Mais Otto est mon vassal. » De telles réactions eussent mérité que l’on insistât sur le lien qui doit exister entre les droits d’un roi et les devoirs qui sont les siens. Cela semble avoir manqué ; Tel est mon bon plaisir fut une maxime qui s’imposa très tôt dans le cœur et l’esprit de l’enfant. Il est à noter que cette éducation fut prodiguée par des gens non seulement de bonne volonté, mais bons et attachés à leur pupille. À l’âge de un an, Louis fut confié aux soins d’une gouvernante. Sybille von Meilhaus sera chargée de son éducation jusqu’en 1854. Elle fut une délicieuse éducatrice, dotée de psychologie et de douceur. Louis l’adorait et il n’est pas faux de dire qu’il la considéra comme sa véritable mère. Il lui fut arraché quand il avait neuf ans et connut un nouveau déchirement. Sybille se maria tardivement avec le général baron von Leonrod, frère du ministre de la Justice, qu’elle suivit à Augsbourg. Jusqu’à la mort de « sa chère Meilhaus », Louis correspondra avec elle, lui gardant un profond attachement. Il conservera aussi une affectueuse estime pour son précepteur. Le comte Theodor Basselet de La Rosée – l’homme avait de lointaines origines françaises – entra en scène quand Louis eut dix ans. Le kronprinz reçut alors un enseignement distinct de celui de son frère. Militaire très conventionnel et assez raide, La Rosée fit de son mieux. De longues discussions avec le roi Maximilien et de multiples avis il résulta que l’on chercherait surtout à faire entrer le plus de connaissances possible dans la tête de l’enfant ; ce que les petits Bavarois devaient apprendre en huit ans, Louis n’aurait que cinq années pour l’ingurgiter. Comme cela se révéla impossible, on transigea sur sept ans. Le programme était d’une lourdeur à épouvanter. L’enfant se levait à cinq heures du matin et se lavait à l’eau froide. Il étudiait ensuite jusqu’à sept heures et demie à la bougie, dans une pièce non chauffée bien entendu, quelle que fût la saison. Le petit déjeuner consistait en un peu de café et de pain. À huit heures commençaient les cours donnés par des professeurs particuliers. Ils duraient jusqu’à midi, coupés par une visite de la reine vers dix heures et ainsi de suite jusqu’à l’extinction des feux à vingt et une heures. Durant les vacances, le programme était simplement allégé. La surveillance était constante, l’obéissance absolue exigée et l’on veillait, afin d’habituer les enfants à la
frustration, à ce que les petits princes ne mangent pas à leur faim. « Influencé par le modèle grec, il était connu que le roi Max II était adepte d’une éducation sévère. Ainsi, sur son ordre, ses deux fils ne devaient jamais manger à satiété pour s’endurcir et ne pas sombrer dans la décadence5 », devait confier Franz Schramm, officier royal gardien du château de Hohenschwangau. À l’époque, de telles exigences ne faisaient pas des parents des petits princes des monstres, mais de scrupuleux éducateurs. Cependant, ces privations devaient aboutir à l’extrême minceur – des contemporains parlent de maigreur – d’un jeune homme qui mesurait près de un mètre quatre-vingt-quatorze, lui donner des « fièvres de croissance », des douleurs articulaires et certainement contribuer à la très mauvaise denture dont Louis II souffrit toute sa vie. À sept ans, Louis apprit à lire, écrire et compter. L’enfant vif, intelligent et doté d’une mémoire exceptionnelle était d’un tempérament rêveur et imaginatif. Il eut beaucoup de mal à se plier aux exigences de professeurs auxquels il s’opposait souvent. À onze ans, il apprit le latin et le grec. L’apprentissage des langues vivantes se limita au français qu’il écrivait et parlait fort bien – il rédigera une partie de son Journal*7 en français – et à l’anglais qu’il lisait couramment. Dans une famille où son grand-père, son père et ses oncles parlaient le français, l’anglais, l’espagnol, l’italien et le grec moderne, cela parut sinon une honte, du moins un échec. Le domaine préféré du prince était l’histoire qui le passionnera toute sa vie. Son amour du passé se nourrissait de lectures dont il disait à Mme von Leonrod : « C’est mon plus grand plaisir qui ne s’épuise jamais. » Louis lira tous les jours de sa vie, inlassablement, dans sa voiture, dans la nature, dans son bain ou à table, suivant les lignes avec une fourchette, tandis que les caisses de livres s’entassaient dans les antichambres de ses châteaux. Son extraordinaire mémoire lui permettait de retrouver non seulement la place d’un ouvrage dans les bibliothèques où il rangeait les livres reliés de cuir blanc frappé d’or, mais aussi la page exacte d’une citation. La musique fut une autre passion qui apparut dès l’enfance. Contrairement à ce que l’on a dit, Louis était mélomane et jouait bien du piano, mais son domaine de prédilection fut très tôt l’opéra qu’on lui fit découvrir à l’âge de sept ans avec Élise et Claude de Mercante, sans doute parce que l’oncle Adalbert y tenait un rôle. En 1860, Louis âgé de quinze ans entendit quatorze opéras, l’année suivante beaucoup plus. En février 1861, Lohengrin joué au Théâtre de la Cour procura à l’adolescent l’un des
grands chocs de sa vie. Il connaissait déjà par cœur tous les livrets de Wagner et dévorait ses ouvrages dont l’abord est pourtant considéré comme ingrat. Le 22 décembre de la même année, la représentation de Tannhäuser le mit littéralement en transe. Le prince s’adonnait encore au dessin et faisait merveille dans le croquis des bâtiments anciens. Tout cela faisait du kronprinz un élève quelque peu inégal. L’enfant avalait ce qui lui plaisait et renâclait pour le reste. La Rosée, qui observait sans cesse son pupille, nota fort bien la mélancolie de Louis, sa « phantaisie » comme son obstination et son manque de volonté. Plusieurs fois, il écrivit aux parents qu’il fallait accroître chez lui le goût et le courage de vivre. Un tel conseil ne semble pas avoir inquiété Maximilien et son épouse. Une éducation si dense et rigide eût été difficilement supportable si la reine n’avait tenu à y ajouter beaucoup d’exercices en plein air. Elle donna très tôt à ses fils le goût des randonnées alpestres, les emmenant dans ses escalades. Redescendant du mont Saülig, le jeune Louis triomphant écrira à son grand-père pour lui décrire les paysages que les alpinistes avaient découverts et l’assurer qu’ils étaient rentrés « sans qu’Otto lui-même se sente fatigué ». Le contact avec la chère nature sera toujours le grand bonheur du roi et son refuge. Nombre de ses lettres chantent la beauté et la pureté de ses montagnes presque toujours opposées à la laideur des villes et à la noirceur des humains. Le 9 août 1878, il écrira à Wagner depuis la Tegelberghütte*8 près de Hohenschwangau : Je vous écris sur les cimes des montagnes, la Lune luit merveilleusement ! Sur les sommets règne la liberté, et partout où l’homme n’intervient pas avec ses tourments ! Je hais la fumée des villes, mon souffle est liberté ; comme Tell, je ne puis vivre dans l’odeur des caves6.
Cette nature chérie, le roi la fréquentera de plus en plus jusqu’à ne pouvoir vivre qu’au milieu d’elle. Amoureux des forêts, adorant les animaux, Louis avait la chasse en horreur, au contraire de son frère et des hommes de la famille. Il ne la pratiquera jamais et interdira même tout coup de fusil à portée de ses oreilles. La famille princière vivait en hiver à Munich au palais de la Residenz qui tenait de la caserne et du couvent, aussi s’échappait-elle parfois pour passer quelques jours dans le petit château de Berg au bord du lac de Starnberg. En 1850, le roi Maximilien acheta la seule île du lac, Roseinsel, l’île aux Roses, à la veuve d’un pêcheur. Il y fit construire la villa Casino
qui, échappant à la passion du roi Max pour le Moyen Âge, fut dotée de fresques pompéiennes. Un parc arboré, des jardins et une somptueuse roseraie firent de l’île un paradis où la famille allait se promener. Dès la belle saison, on partait vers les Alpes bavaroises, dans le château de Hohenschwangau niché au cœur du « Haut pays du cygne » où collines et pitons rocheux couverts de forêts dominent des lacs sur lesquels flotte la légende de Lohengrin, le chevalier du Graal, venu dans une nacelle tirée par un cygne pour sortir la belle Elsa d’un très mauvais pas et l’épouser avant de disparaître comme il était venu, derrière son cygne. Dans sa jeunesse, Maximilien II, touché par le romantisme du château ancestral, l’avait fait en partie reconstruire dans le style féodal assez massif qui était à la mode ; le résultat est un peu lourd, évoquant avec ses quatre tours un éléphant les pattes en l’air. C’était l’époque où les Allemands se détournaient du classicisme pour plonger à corps perdu dans les vieilles légendes germaniques. Le roi chargea le peintre Maurice de Schwind, grand spécialiste de l’Allemagne médiévale et romantique, des fresques de Hohenschwangau. Sur tous les murs, dans les salles, les escaliers, les couloirs, s’ébattent cygnes et chevaliers, ce qui fit dire à Bainville : « [la maison] est touchante par sa simplicité, par l’innocence de son mauvais goût7 ». On retrouve, le pastiche moyenâgeux en moins, altitude et solitude dans la résidence royale de Berchtesgaden*9 où l’on emmenait les enfants durant l’été. Malgré tout, Hohenschwangau restera toujours le refuge familial. L’imagerie fantastique dont on entoura la jeunesse de Louis ne fut pas sans danger pour le jeune prince. L’enfant raffolait des vieilles légendes germaniques et de toute la mythologie allemande qui revenait à la mode. Le monde du Walhalla avec ses dieux sanguinaires, ses héros naïfs et purs, ses vierges guerrières et ses dragons, l’univers de la forêt et ses ténébreuses histoires lui devinrent très tôt familiers. Son idéal se tournait vers ces chevaliers aux armures d’argent dont la candeur portait haut un idéal impossible. Le culte du Moyen Âge romantique allemand étant la seule chose que le père partageait avec son fils, cette passion fut encouragée. L’enfant en devint obsédé. Pour son quatorzième anniversaire, fêté à Berchtesgaden, il reçut un tableau où figurait le chevalier du cygne, tel qu’il se trouvait à Hohenschwangau. À l’une de ses cousines, Anna de Hesse-Darmstadt, il écrira un peu plus tard : « Le professeur Steininger m’a donné l’autre jour un livre sur le saint Graal ; je le lis avec beaucoup
de plaisir8. » La jeune imagination tournait en boucles serrées autour des aventures de la Table ronde et de la légende des Nibelungen. La reine demanda très tôt à Man Anton Müller, le meilleur nageur de la région du Haut Pays du cygne, d’apprendre à nager à ses fils. Bientôt Müller put annoncer à la reine que le kronprinz était capable de traverser l’Alpsee dans les deux sens*10. Longiligne, ne redoutant pas l’eau froide – il s’agit d’une eau de fonte glaciaire –, l’enfant devint un nageur exceptionnel. Le parc du château de Nymphenburg possédant depuis le XVIII e siècle un élégant bâtiment avec une piscine*11, la natation était aussi pratiquée à Munich, en eau non chauffée, toujours « pour éviter de tomber dans la décadence ». Otto, dont la vocation de nageur était moins prononcée que celle de son frère, finit par y prendre goût de sorte que La Rosée pouvait écrire à la reine en 1857 : « Le prince Otto lui-même, qui n’a pas exactement une passion pour l’eau froide, prend son bain avec délices et avec autant d’entrain et de goût qu’une petite grenouille9 […]. » Devenu roi, Louis garda l’amour de la natation ; résidant souvent à Berg, il se baignait régulièrement dans le Starnberg beaucoup plus vaste que l’Alpsee. Les riverains racontaient que vers minuit, souvent beaucoup plus tard, une barque se détachait de la rive. Un guitariste accompagnait la promenade jusqu’à ce que le bruit sourd d’un plongeon troublât la nuit : Sa Majesté était au bain. Quand il se trouvait à Hohenschwangau, Louis aimait pêcher dans l’Alpsee. Il écrivait ensuite à son grand-père pour lui vanter le poids des prises : brochet de neuf livres, de treize livres, etc. Vers 1860, il demanda à être photographié avec le butin du jour. Le poisson que l’adolescent tient à hauteur de la taille arrive presque jusqu’au sol. On peut se demander comment, dans un emploi du temps si chargé et à peine relâché durant les vacances, le jeune prince pouvait trouver le temps de taquiner le poisson. Louis donne la réponse dans son Journal : levé à quatre heures et demie, il courait aussitôt au bord du lac. L’équitation qui préparait les jeunes princes à l’exercice militaire et à leurs futures fonctions était un passage obligé, aussi les juchait-on sur un poney dès qu’ils savaient marcher. Louis adora cet exercice qui le mettait en contact avec la nature et y excella très vite. Il pouvait rester huit heures par jour à cheval et tenir ce rythme une semaine. Bien qu’il aimât tous les animaux, les chevaux furent sa passion ; Friedrich Wilhelm Pfeiffer devait immortaliser les plus beaux. Cette frénésie hippique causa plusieurs
accidents dont les conséquences finirent par limiter puis empêcher toute activité sportive. Cependant bien avant ces mésaventures, la santé du jeune prince laissa à désirer. Les maux de gorge fréquents, joints à de grandes périodes de fatigue, inquiétèrent Maximilien qui, comme nombre de parents de l’époque, redoutait la terrible phtisie. Il convoqua un spécialiste de Berlin. Le docteur Traube assura que les poumons du kronprinz étaient sains et ne trouva qu’une « légère hypertrophie du larynx ». Il ne semble pas que le docteur Traube eût conseillé de quitter « la mode grecque », laquelle consistait à affamer les enfants. Maximilien II était attentif à l’éducation de ses fils, mais, naturellement froid et timide, il était peu à l’aise avec eux et avouait « n’avoir rien de commun » avec son aîné ; il fut un père rigide et assez lointain. La reine était aimante, mais la mode n’était pas à le montrer. Il semble que les deux parents aient eu une préférence pour Otto, plus joueur, plus gai, plus simple, en somme l’enfant qui leur ressemblait. L’aîné, sensible, rêveur et très introverti, les déconcertait. Ils ne comprenaient pas sa frénésie de lecture, ses larmes à l’opéra, son besoin d’apprendre par cœur des livrets de Wagner, son désir d’être seul pour rêver. Un jour, son précepteur le surprenant inoccupé lui demanda s’il ne s’ennuyait pas. « Je ne m’ennuie pas du tout, répondit l’enfant, j’imagine des choses très belles qui m’amusent. » Sous bien des aspects, Louis était un peu le cygne dans une couvée de canards. Très vite il se sentit différent et eut conscience de la fragilité dont il était porteur. La différence qui l’inquiétait le rejetait dans une grande solitude. À qui pouvait-il se confier ? La chère Meilhaus partie, il savait que ses questions eussent effrayé le comte de La Rosée et ses parents. Non seulement il se tut, mais il s’appliqua à être « comme les autres ». Ses lettres d’enfant et d’adolescent sont d’un conformisme étonnant : Louis écrit exactement ce qu’on attend de lui. En fait, enfermé dans son monde intérieur, il donnait le change, rassurant tant les autres que lui-même. L’enfance de Louis II reposa sur un grand déséquilibre entre la fragilité d’une nature hypersensible et une éducation destinée à en faire un érudit comme son père. Il est à porter au crédit des parents de Louis II qu’ils tentèrent de briser l’isolement auquel leur naissance risquait de condamner leurs deux fils. Louis apprit à lire, écrire et compter avec la jeune Hélène de Donniges, fille d’un haut fonctionnaire. Le dimanche, les cousins, Louis et Léopold,
fils de Luitpold, étaient conviés ; on n’aimait certes pas « les Luitpold », mais on ne pouvait les ignorer, eux et leur progéniture. Le fils du docteur von Gietl ou ceux de hauts fonctionnaires étaient également invités. On rassemblait ce petit monde dans des bals d’enfants qui se prolongèrent à l’adolescence. Il est rapporté que les jeunes filles devenaient mélancoliques quand Louis quittait le bal. À Hohenschwangau, la reine n’empêchait jamais les jeux avec les fils de l’officier gardien du château : Max, Franz et Peter Schramm ou à Berg avec le fils du jardinier. Louis et Otto fréquentaient ainsi des familles très simples qui, apitoyées par l’éducation spartiate des petits princes, leur offraient discrètement des collations. Le meilleur compagnon de jeu de Louis restait un frère qu’il aimait. L’aîné fit cependant toujours sentir sa supériorité de prince héritier à son cadet, mais Otto, bon garçon, n’en prenait pas ombrage. Vers l’âge de quatorze ans, l’adolescent eut des hallucinations ; il entendit des bruits violents. Le docteur von Gietl s’inquiéta à juste titre ; il prit soin de noter la description de l’une de ces crises sur un carnet10. Il ne pouvait être que bénéfique de confronter l’adolescent élevé « sous cloche » avec la réalité. Quand Louis eut passé son examen de fin d’études, Maximilien II voulut l’inscrire à l’université de Göttingen qu’il avait fréquentée, mais le kronprinz refusa et la seule possibilité de se frotter à une réalité étrangère disparut. Il suivit à l’université de Munich des cours de droit, d’histoire, de physique, de chimie avec le célèbre Justus Liebig et se passionna pour la philosophie. Une lettre charmante adressée à la chère Meilhaus nous le montre, pêchant dans l’Alpsee tout en lisant Socrate. Pour suivre les cours, le prince demanda à être placé devant les autres étudiants, et seul. Royauté et solitude… Louis gardera le souvenir d’une enfance heureuse. Ses lettres à Mme von Leonrod portent très souvent des allusions « aux jours bénis de mon enfance ». Il est vrai qu’il aimait son ancienne gouvernante, et encore plus faire plaisir… Soucieux qu’il était de se conformer à ce qu’on attendait de lui. La critique envers la sévérité de son père et l’incompréhension dont il se sentit victime ne viendront que tard, quand la maladie aura largement fait son œuvre. Pour son dix-septième anniversaire, Louis fut fait chevalier de l’ordre de Saint-Hubert dont son père était grand maître. Le kronprinz adorait ces cérémonies qui rappelaient des temps disparus. Avec beaucoup de gravité, il revêtit pour la première fois le vêtement qui un jour serait son linceul : tunique et manteau noirs sur des
culottes à la française, grande fraise blanche et ruchés aux poignets. L’année suivante, le kronprinz atteignit ses dix-huit ans, l’âge qui lui permettait de monter sur le trône. La perspective était encore lointaine, son propre père n’était devenu roi qu’à trente-sept ans, et encore, en raison de l’abdication de Louis Ier, lequel était encore en vie. Quelques jours avant son anniversaire, Louis, conscient de l’étape qui allait être franchie, écrivait à Mme von Leonrod : Comme ces dix-huit ans ont passé vite. Les souvenirs de mon enfance sont restés vivants à mes yeux : tous ces beaux jours que nous avons passés ensemble11 !
Le kronprinz voulut que la fête se déroulât à Hohenschwangau. Dans son Journal, il décrit une journée magnifique qu’aucune fausse note ne vint troubler. Levé à quatre heures trente du matin, il alla sur le toit voir le lever du soleil, puis descendit jusqu’à l’Alpsee pour pêcher. Comblé par un brochet de neuf livres, il remonta – joie insigne – lire un passage de L’Anneau des Nibelungen. Les félicitations, vœux et cadeaux furent reçus dans la matinée : la baronne von Leonrod avait fait parvenir un Journal et la tante Augusta détestée, une serviette imprimée des horribles corbeaux de Schwind. Le présent qui lui fit le plus plaisir, offert par les garçons d’écurie, fut « les petits anges que j’avais désirés ». Il y eut aussi vase, encrier, tasse, montre et, bien entendu, images des Nibelungen et épingle ornée d’un cygne. Une délégation arrivée de Munich fut conviée au déjeuner qui commença par une soupe de printemps aux boulettes de volailles assortie d’un vol-au-vent Montgelas et se termina – après dix services – par une crème glacée à la pêche et aux groseilles. On but un madère de 1857, un château-Lafite et du champagne. L’après-midi, Louis monta son cheval préféré – Bélisar – et alla galoper à travers les bois pour s’enivrer de vitesse et des beautés de sa chère forêt… Retour au clair de lune, nota-t-il, doux et beau d’une lueur étincelante. Écuries très bien illuminées, les gens si braves ! Souper, encore sur le toit, clair de lune magique, bercé par un très grand bonheur12. Comme le kronprinz sait bien dire un bonheur qu’il ne connaîtra que peu de temps. Un mois plus tard, ayant regagné Munich, Louis écrira à sa cousine Anna de Hesse : « Je me suis promené en ville pour la première fois tout seul, car maintenant, je suis majeur13. » À dix-huit ans, le prince
n’avait jamais eu l’autorisation de sortir sans être accompagné ; sa majorité le faisait accéder à une liberté à laquelle il aspirait de toute son âme. Il se vit attribuer une suite militaire ainsi qu’un appartement dans la Residenz qui ne comportait que deux pièces : un bureau bleu clair et une chambre d’angle donnant sur l’église des Théatins avec un cabinet de toilette bleu foncé. Louis indique dans une lettre à Mme von Leonrod : « Les tableaux évoquent le chevalier au cygne comme ceux qui ornent les murs de Hohenschwangau. » Décidément, on ne s’en lassait pas… Un postscriptum ajoute que parmi les cadeaux d’anniversaire se trouvaient des boutons de manchettes avec cygnes d’émail blanc (encore) et croix de saphir. Le kronprinz ayant grand soin de son apparence, le présent dut faire plaisir. Le plus souvent, il portait un uniforme militaire qui, en raison de sa minceur, lui allait parfaitement. Doté comme son frère de cheveux lisses, Louis les fit friser pour cacher la seule imperfection de sa personne : des oreilles légèrement décollées. Un coiffeur lui devint indispensable chaque matin et même plusieurs fois par jour, car le jeune homme ne se mettait jamais à table sans être parfaitement coiffé. Enfin, il se parfumait au chypre, si fortement que des dames – dont Sissi – s’en plaindront. Maximilien II n’était pas présent à la fête qui avait marqué la majorité de son fils aîné. Le roi était alors extrêmement occupé par une affaire qui menaçait l’équilibre de l’Allemagne et donc le sort de la Bavière. L’Allemagne où était né Louis II formait toujours une confédération de trente-cinq États ou villes libres, dirigée depuis 1815 par la diète de Francfort, dernier avatar de la vieille diète germanique. L’Autriche, sortie plus forte des révolutions de 1848, en avait gardé la présidence, mais l’antagonisme qui l’opposait à la Prusse s’y faisait de plus en plus sentir. Guillaume Ier, monté sur le trône de Prusse en 1862, venait de prendre pour chancelier un petit hobereau brandebourgeois autoritaire et patriote. Le projet d’Otto von Bismarck était de se débarrasser de l’Autriche et de réunir tous les États allemands – que cela leur plût ou pas – sous l’égide de la Prusse. En relation avec cette lutte sourde, ce qu’on appelle la « question des duchés danois » envenimait depuis 1848 une partie des relations européennes. La position stratégique des trois duchés Schleswig, Holstein et Lauenburg à la racine de la péninsule danoise et la question des
nationalités qui se trouvait au cœur du problème en faisaient un élément particulièrement sensible des relations dans la région, au point que Hegel dira sur son lit de mort qu’un seul homme l’avait comprise, lui, bien qu’il estimât n’y rien entendre. Si la réflexion prouve que le philosophe avait gardé son humour jusqu’à la fin, il n’en reste pas moins que pour qui souhaiterait entrer dans les détails l’affaire forme ce que l’on appelle très ordinairement un « sac de nœuds ». Cette histoire embrouillée allait provoquer deux guerres et bouleverser l’histoire de l’Europe. Le duché de Schleswig dont la population était mi-danoise mi-allemande et celui du Holstein, peuplé surtout d’Allemands, sans parler du duché de Lauenburg, étaient propriétés personnelles du roi de Danemark, mais jouissaient d’une grande indépendance. Alors que le monarque voulait annexer le Schleswig, quitte à abandonner le Holstein, les populations allemandes des duchés voulaient l’indépendance et Bismarck voulait les duchés. En 1852, la convention de Londres laissa le roi de Danemark régner sur les duchés à condition d’y respecter les particularismes allemands ; le feu continua donc de couver sous la cendre. Le roi Maximilien II craignait les ambitions de la Prusse et sentait parfaitement que les choses n’en resteraient pas là. À l’été 1863, peu avant l’anniversaire de son fils aîné, il partit à la diète de Francfort où s’opposaient les partisans d’une grande Allemagne qui comprendrait l’Autriche et ceux qui souhaitaient une petite Allemagne réunie autour de la Prusse et excluant l’Autriche. Bismarck obligea le roi Guillaume Ier à décliner l’invitation à la diète, rendant impossible toute décision. Pendant qu’à Francfort Maximilien II répondait au discours d’ouverture de l’empereur d’Autriche, Bismarck alla prendre le pouls des États du sud de l’Allemagne. En compagnie de Guillaume Ier, il fit une cure thermale à Gastein puis à Baden-Baden et passa par Munich où tous deux s’arrêtèrent les 16 et 17 août. La reine Marie était la cousine germaine du roi de Prusse. En l’absence de son époux, elle dut revenir de Hohenschwangau pour accueillir son cousin et le chancelier. Louis, obligé de quitter la pêche au brochet, accompagna sa mère à contrecœur. Sous une chaleur torride, les voyageurs mirent sept heures pour gagner Munich. Après le thé offert dans le petit pavillon d’Amalienburg, l’une des merveilles du parc de Nymphenburg, Louis écrivit qu’il trouvait Bismarck « des plus intéressants ». Mais que pensa celui-ci du kronprinz ? Le chancelier devait laisser, lui aussi, un témoignage « intéressant » de cette rencontre :
En allant de Gastein à Baden-Baden, nous nous sommes arrêtés à Munich. Le roi Maximilien était déjà parti pour Francfort et il avait chargé sa femme de recevoir ses hôtes. Je ne pense pas que la reine Marie qui était d’un tempérament effacé et ne s’intéressait guère à la politique, ait pu avoir de l’influence sur le roi Guillaume et sur les décisions qui l’occupaient à ce moment-là. Pendant les repas que nous prîmes régulièrement au cours de notre séjour des 16 et 17 août à Nymphenburg, le prince héritier – le futur Louis II – était assis en face de sa mère, à côté de moi. J’avais l’impression que sa pensée vagabondait très loin de la table et qu’il ne se rappelait que de temps en temps son intention de me parler. Nos propos ne dépassèrent point le cadre des bavardages habituels à la cour. Mais même ainsi, il me sembla percevoir dans ses remarques un talent, une vivacité et un bon sens dont devait témoigner par la suite l’évolution de sa carrière. Quand la conversation tombait, il regardait le plafond, derrière sa mère, et, de temps en temps, vidait rapidement sa coupe de champagne. J’eus le sentiment que, par ordre de sa mère, on la lui remplissait assez lentement. Il arriva plusieurs fois au prince de tendre son verre par-dessus son épaule, et on le lui remplit avec une visible hésitation. Ni à ce moment ni plus tard, il ne se laissa aller à des excès de boisson, mais mon avis est que son entourage l’ennuyait, et que le champagne aidait au libre jeu de son imagination. Je pense que c’est quelqu’un de très attirant ; mais je dois avouer que j’ai été un peu vexé de l’échec de mes tentatives pour deviser avec lui, à table, agréablement14.
Bismarck a l’œil vif : rien ne manque à la scène, pas même le regard inquiet de la mère devant les coupes de champagne trop rapidement vidées. Déconcerté, le Prussien sent que « quelque chose ne va pas » et trouve étrange ce jeune homme intelligent qui préfère rêver plutôt que de s’entretenir avec l’homme fort de la Prusse, allant jusqu’à oublier ses devoirs d’hôte envers son puissant voisin. C’est étrange, en effet, et, bientôt, tout le monde note, comme le fait Bismarck, le regard levé du jeune roi, regard qui apparaît sur presque toutes les photos de Louis, complètement détaché de la situation présente et tourné vers le ciel. En ce qui concerne la question des conversations à table, Louis demandera bientôt que dans les repas officiels, sa place soit entourée de bouquets – de gros bouquets – et que l’on joue de la musique afin de le soustraire à la vue et, si possible, aux paroles de ses voisins. Encore un peu de temps et, lors des Conseils des ministres, il ouvrira un parapluie pour s’isoler. Le prince Kraft de Hohenlohe qui accompagnait Bismarck a laissé un témoignage qui vient compléter celui du chancelier. Il insiste sur les qualités de cavalier et sur le courage du kronprinz qui, monté en postillon sur l’un des chevaux de l’attelage de la voiture de la reine, avait réussi à arrêter les bêtes qui s’étaient brusquement emballées tout en cachant la gravité de la situation à sa mère, lui assurant que l’allure avait été « simplement magnifique ».
Louis a donc subi honorablement l’examen de passage devant les Prussiens. À dix-huit ans, le prince est un jeune homme réservé, voire un peu farouche ; d’une courtoisie aussi élégante que parfaite, il n’est en rien un rebelle. Il écrit régulièrement à son entourage de façon affectueuse et aussi convenue que quand il était adolescent. À sa mère, il parle de la beauté des forêts, à sa cousine Anna de ses lectures et des spectacles auxquels il assiste (Antigone, Le Petit Chaperon rouge de Boieldieu ou Guillaume Tell dont il raffole). Avec la chère Meilhaus, il évoque sans se lasser les doux souvenirs de son enfance. « Si vous saviez comme je me rappelle mes jeux d’enfant avec Max Gietl quand nous nous amusions à nous armer chevaliers ! Votre voile bleu m’a servi une fois de manteau15. » Plus que jamais, Louis donne l’impression de vouloir rassurer les autres pour se rassurer lui-même. On le sent plein d’un grand désir de ne pas quitter la bonne voie. La chère Meilhaus lui manque certainement comme lui manque un père qui serait un modèle. Il se cherche à la fois un mentor et une affection forte. Déjà, en 1861 – il avait seize ans –, le kronprinz écrivait à son ancienne gouvernante qu’il lui faudrait « prendre comme modèle un homme de chair et d’os, bon et énergique en tous points, et en faire son guide. Il faut se donner comme tâche et comme devoir de suivre et d’imiter cet homme16 ». Le jeune homme attend ce que ni son père ni son précepteur n’ont pu être : une personne qu’il puisse admirer inconditionnellement et, bien sûr, aimer, car le timide jeune homme est un passionné. Avec un enthousiasme d’adolescent, il a cru trouver ce modèle en la personne de son cousin issu de germain, Charles-Théodore de Bavière, jeune frère de Sissi, que sa famille appelait Gackel, ce qui veut dire « caquet ». Charles-Théodore avait six ans de plus que Louis et allait bientôt épouser la princesse Sophie de Saxe. Tout en conduisant la carrière militaire à laquelle les princes étaient destinés, il devait entamer avec son épouse, dans le cadre enchanteur de Possenhofen, la vie d’un jeune ménage comblé. Seule personne sérieuse et équilibrée dans une famille qui, selon l’expression de Gackel lui-même, « avait un grain », celui-ci restera le point d’appui que tous rechercheront dans les moments difficiles. En 1863, l’année des dix-huit ans de Louis, celui-ci écrivit à la baronne von Leonrod : Connaissant votre bonté et l’intérêt profond que vous portez à tout ce qui m’arrive, je crois de mon devoir de vous apprendre que j’ai trouvé un ami sincère et fidèle, dont je suis moi-même
le seul ami : c’est mon cousin Charles, fils du duc Maximilien*12. Il est en général détesté et incompris, mais moi qui le connais mieux que personne, je sais qu’il a le cœur généreux et une belle âme. Oh ! quelle joie d’avoir un ami chéri et véritable, vers qui l’on peut se tourner dans les tempêtes de la vie et avec qui l’on peut tout partager 17 !
On trouve derrière un enthousiasme presque enfantin les lignes d’un schéma qui restera gravé dans la vie du roi : la recherche d’une affection unique et exclusive ainsi que l’incompréhension, voire la persécution, dont il est victime. Cette première passion ne durera pas et Charles-Théodore sera bientôt supplanté. Il semble qu’il n’y eut pas de période plus heureuse dans la vie de Louis que les quelques mois qui s’écoulèrent après l’anniversaire de ses dix-huit ans. Il suivait à l’université les cours qu’il avait choisis, allait souvent au théâtre – mangeait à sa faim – et profitait d’une liberté qui lui paraissait extraordinaire au regard de ce qu’il avait connu jusque-là. De plus, il était amoureux. Lors de l’été 1863, le kronprinz se vit attribuer des aides de camp. L’un d’eux était, comme Gackel, son cousin issu de germain. Le prince Paul von Thurn und Taxis allait être la première passion de Louis. La famille von Thurn und Taxis était non seulement l’une des plus anciennes de Bavière, mais aussi la plus riche puisqu’elle bénéficiait depuis le XVII e siècle du monopole des postes de l’Empire ; elle avait également le privilège de pouvoir s’unir par mariage à des familles régnantes. Leur château familial de Saint-Emmeran à Ratisbonne était l’un des plus grands palais d’Europe. Le prince Maximilian von Thurn und Taxis, père de Paul, marié deux fois, avait eu quatorze enfants. L’aîné avait épousé la sœur de Sissi, Hélène, dite Néné, dédaignée par François-Joseph. On peut comprendre le refus du jeune empereur, car Hélène, qui avait un front bas et de lourds sourcils noirs, n’était pas la plus jolie des filles du duc en Bavière. Elle avait cependant le sens du devoir, de sorte que le mariage eût sans doute été plus réussi. Jusqu’à la mort prématurée de son mari, Hélène vécut heureuse dans l’immense palais de Ratisbonne ; elle eut deux fils et deux filles. Paul von Thurn und Taxis, né du second lit de son père, avait vingt ans en 1863. C’était un garçon charmant, beau – dans le genre avantageux –, bien élevé, parfaitement loyal et aussi romantique et naïf que Louis. Les deux jeunes gens semblent s’être plu tout de suite. À l’été 1863, Louis obtint de son père l’autorisation d’aller passer avec son ami trois semaines
dans la maison royale de Berchtesgaden. Le ton des lettres qu’ils échangèrent alors ne permet de parler que d’une liaison platonique. À leur retour en octobre, les lettres de Paul sont encore parfaitement sages : Très honoré prince héritier,
C’est souvent, très souvent que je pense à vous. En particulier, je vous associe toujours à mes prières et je demande à Dieu qu’il me rende digne de la confiance que vous avez mise en moi […] J’aimerais pouvoir m’envoler vers vous, et m’absorber dans une de ces conversations affectueuses et sincères qui nous étaient si familières !
Adieu, ami si cher et écrivez bientôt. Votre sincère et déférent Paul 18
Nous sommes loin du délire des sens. Ils sont tous deux romantiques et idéalistes et il est très prématuré de les imaginer « tout nus sur des peaux d’ours ». Les jeunes gens ont marché dans la nature, fait des escalades, ils se sont saoulés de paysages, de poésie et de confidences. À la rentrée, Paul s’installa à Munich dans un appartement de la Türkenstrasse près de la Residenz. Au début de l’année suivante, il partit à Ratisbonne assister aux cinquante ans de mariage de ses parents. Ce fut lors de cette première séparation que la jalousie de Louis éclata. Paul protesta inutilement de son innocence, son ami ne cessant de lui reprocher « une vie frivole ». Il est difficile de suivre les méandres de l’histoire, car la famille de Paul a fait disparaître quantité de lettres. Ce qui est certain, c’est que le kronprinz prenait ombrage de tout et que ses exigences allaient vite perturber la relation des jeunes gens. Le jeune homme, pourtant, était loin d’être insoupçonnable puisqu’il eut au printemps 1864 un véritable « coup de cœur » pour le ténor Albert Niemann qu’il avait admiré dans Lohengrin. Éperdu d’admiration, il confia son enthousiasme à sa cousine Anna : L’autre soir, j’ai chargé quelqu’un de lui lancer des montagnes de fleurs, et je lui ai envoyé des boutons de manchettes ornés de cygnes et de brillants avec aussi une croix qui lui a fait un grand plaisir. Gardez le silence ! Je vous en supplie19.
Certains ont pensé qu’Albert Niemann avait été la première expérience sexuelle de Louis. C’est peu vraisemblable. Le kronprinz, encore très surveillé, restait extrêmement naïf. La lettre écrite à Anna de Hesse fait plutôt penser à un enthousiasme d’adolescent pour une vedette. Niemann était depuis plusieurs années un ami de Wagner, aussi le compositeur dut-il fournir un excellent sujet de conversation quand le prince héritier reçut le ténor. Cette admiration frénétique n’empêcha pas la poursuite, avec des hauts et des bas, de la liaison avec Paul, les ruptures venant toujours de Louis. En août 1865, alors que les deux amis se trouvaient à Hohenschwangau, Paul enfermé dans l’armure de Lohengrin apparut sur le Swansee. Debout dans une nacelle tirée par un cygne de carton, il interpréta la partition, la harpe à la main. Quelques jours après, ils intervertirent les rôles. Louis ne se lassait pas des divertissements qui lui permettaient de confondre rêve et réalité. Paul von Thurn und Taxis notait bien les bizarreries et les excès de Louis : « Il n’y a rien de pire pour votre santé que de vous replier constamment sur vous-même […] Il m’arrive souvent de souhaiter être à vos côtés pour vous calmer et vous empêcher de prendre à cœur toutes ces choses20 », lui écrit-il en novembre 1863. Le jeune homme ne disposait d’aucune des clés susceptibles de lui permettre de comprendre le comportement de son ami, et il était amoureux, ce qui ne rend pas lucide. Les exigences de Louis, guidées par un idéalisme rigide, étaient impossibles à satisfaire. Le jeune homme recherchait l’amour absolu et ne pouvait tolérer la moindre ombre au tableau. Ce « défaut de modulation dans l’affectivité » est propre à la schizophrénie qui se développait. Quant au chapitre des relations sexuelles, il fut, avant même d’avoir commencé, la source d’une immense culpabilité. Sur la première page des Carnets secrets, on trouve cette phrase lapidaire : « Seul l’amour psychique est autorisé, maudit en revanche le sensuel21. » Tel est bien le credo du prince en la matière. Louis fut un homme à la fois culpabilisé et frustré parce que prisonnier d’un idéal. Et son idéal, c’était Lohengrin qui, au soir de ses noces, s’en va derrière son cygne en plantant là la belle Elsa, ou, mieux encore, Parsifal, « l’innocent au cœur pur » qui transforme la vénéneuse Kundry en Madeleine éplorée. Le rôle de Paul était très, très difficile. On sait par les Carnets secrets que le roi était tourmenté jusqu’au délire par l’idée du péché de la chair, se pose donc la question de la présence de ce qu’on a appelé « une névrose chrétienne », née du conflit entre une
sexualité hors des normes de l’époque et une morale trop exigeante, fruit d’une éducation religieuse rigide. Il semble cependant que la hantise de la pureté qui provoquait chez le roi une culpabilité monstrueuse ne soit pas à mettre en lien avec la foi chrétienne. Le monde auquel Louis se réfère, celui où il a tous ses repères est celui de la chevalerie en général et celle du Moyen Âge allemand ; on peut y ajouter ce qu’il appelait « les lys de France ». Les héros de Louis II ne sont jamais des saints, mais Parsifal, l’homme cristal, le pur par excellence, Lohengrin, capable de s’enfuir au soir de ses noces, ou Tannhäuser, que l’on voit au fond de la grotte de Linderhof échapper aux plaisirs frelatés du Venusberg. La légende du roi Arthur et les affreuses peintures de Maurice de Schwind parlaient beaucoup plus au roi que les Évangiles. D’ailleurs, ce ne fut pas un confesseur qui s’imposa près de Louis II – on n’a gardé trace d’aucun –, mais Wagner, l’homme des Nibelungen, qui sut donner vie au monde intérieur du roi. Ce monde était malheureusement autistique et la maladie allait l’y enfermer définitivement. Si la foi de Louis était indiscutablement chrétienne, sa notion du péché était on ne peut plus paganisée et il séparait assez bien les deux choses. Pendant que les amoureux se disputaient, l’affaire des duchés arriva à son paroxysme. En novembre 1863, le roi de Danemark mourut sans successeur direct. Un cousin par alliance, Christian IX, lui succéda, non sans problèmes, car chaque duché disposait d’un candidat au trône. Le nouveau roi annexa purement et simplement le Schleswig. La Prusse et l’Autriche lui déclarèrent la guerre. Le 1er février 1864, les corps d’armée prussiens et autrichiens pénétrèrent au Danemark qui résista courageusement durant cinq semaines avant de capituler. Par la convention de Gastein, le Schleswig, le Lauenburg et le grand port de Kiel sur la Baltique furent confiés à l’administration de la Prusse, le Holstein à celle de l’Autriche. Le Schleswig étant près de la Prusse et le Holstein fort loin de l’Autriche, il y avait là une belle pomme de discorde ou, comme Bismarck l’avait souhaité, un piège auquel l’Autriche ne pouvait guère échapper. Le Danemark qui avait déjà perdu la Norvège en 1814 se trouvait amputé du tiers de son territoire. Quant aux populations, elles ne furent pas consultées. L’affaire des duchés rongeait Maximilien. Pour faire face à la Prusse dont la prééminence économique et militaire devenait écrasante, il
souhaitait réunir les États du sud de l’Allemagne autour de la Bavière pour faire de celle-ci le troisième grand État germanique à la diète. Le temps lui manqua. Le lundi 24 février 1864, un bulletin de santé annonça que Sa Majesté avait été victime d’un refroidissement dont les symptômes étaient « un catarrhe du nez, de la gorge et de la trachée ». Le lendemain, un nouveau bulletin assurait : « Sa Majesté va mieux à tous égards. » On avait donc inquiété la population pour un rhume. Remis du refroidissement, le roi assista à un bal costumé à la cour. Le lundi 7 mars, on annonça une fluxion de poitrine. Le mercredi 9, le roi travailla cependant avec son chef de cabinet. Vers les quinze heures, il ne se sentit pas bien et s’alita. À seize heures, quatre médecins étaient à son chevet. Dans la soirée, la représentation du Théâtre de la Cour fut arrêtée, ce qui est toujours mauvais signe. Comment Louis vécut-il l’affaire des duchés et la maladie de son père ? Il semble qu’il ne se soit rendu compte de rien. Le 7 mars 1864, il écrivait à sa cousine Anna, dans la lettre où il lui confie son coup de foudre pour le ténor Niemann : « Je suis écœuré de cette éternelle histoire du SchleswigHolstein […] Je vous en prie ne montrez cette lettre à personne22 ! » Sage précaution ! Le Danemark était en train d’agoniser sous la botte prussienne, son cousin Charles-Théodore y était parti avec les troupes fédérales, aussi est-il certain que si l’on avait appris que le kronprinz se moquait comme d’une guigne d’une affaire dont dépendait le sort de l’Europe tout entière, et de son pays en particulier, l’effet eût été déplorable. Le jeune homme ne pensait alors qu’au théâtre et au ténor. Le tout premier scandale causé par le futur Louis II fut d’aller en ce dramatique mois de mars 1864 entendre plusieurs fois Albert Niemann auquel il accorda une longue audience à la Residenz au moment où son père tombait malade. On mit cette légèreté sur le compte de la jeunesse, mais le fait surprit et même inquiéta. Les Munichois devaient bientôt avoir d’autres sujets d’étonnement. Dans la nuit du 9 au 10 mars, le docteur von Gietl prévint la reine que son époux était perdu. Maximilien reçut l’extrême-onction et communia. Au matin, tandis que le son du glas se répandait sur la ville, il fit venir ses fils, puis demanda à rester seul avec l’aîné. Le mourant dut éprouver beaucoup d’angoisse à l’idée de laisser la Couronne à un garçon qui ne savait rien des affaires du pays ni du difficile métier de roi. Maximilien ne put manquer de mettre en garde l’héritier du trône contre les ambitions de
la Prusse. Ce dernier entretien ne fut pas long ; au bout d’un quart d’heure le roi entra en agonie et mourut avant midi. Il avait cinquante-trois ans. La reine écrira que sur son lit de mort son époux semblait « comme étonné » ; sans doute ne s’attendait-il pas à disparaître si vite. Quand Louis conduisit sa mère hors de la pièce, un valet s’inclinant fut le premier à l’appeler : « Majesté ». La rapidité avec laquelle était mort Maximilien II donna lieu à des commérages. On parla de poison, sans que rien vienne étayer la rumeur. Cependant, le roi n’était peut-être pas mort d’un refroidissement. Le 7 mars, en prenant son bain, Maximilien qui avait l’habitude de se frotter avec une brosse en chiendent – encore un moyen pour ne pas « sombrer dans la décadence » – s’était écorché au niveau du thorax. Le lendemain, une inflammation large comme une soucoupe était apparue accompagnée de fièvre, puis l’œdème n’avait cessé de s’étendre. Il semble donc que le roi, guéri de son rhume, ait succombé à une septicémie. Les médecins trouvèrent-ils plus élégant de parler d’une fluxion de poitrine plutôt que de dire que le roi était mort pour s’être trop vigoureusement étrillé dans son bain ? Ou, fixés sur le fait que leur patient venait d’avoir une rhinopharyngite, négligèrent-ils la plaie de la poitrine ? La reine nota dans son Journal : « J’ai l’impression d’être morte moi aussi, et dans l’autre monde. Même si la mort nous a séparés, nos cœurs restent unis. » Louis de son côté écrivit un seul mot sur toute la page de son Journal : ROI
*1. Diplomate et écrivain mecklembourgeois. *2. Voir les généalogies des rois de Bavière et de la branche ducale des Wittelsbach p. 402 et 403. *3. Épouse de Charles VI le fol. *4. « Ce que Lola veut, Lola l’obtient. » *5. « Danse de l’araignée ». *6. Otto Ier, frère cadet de Maximilien II et oncle du futur Louis II. *7. Parue dans une version très amputée et « remaniée » sous le titre de Carnets secrets, 1869-1886, Grasset, 1987. *8. L’un des nombreux refuges alpestres du roi. *9. La Maison royale, installée dans une ancienne abbaye, est un château tout à fait distinct des propriétés qu’Hitler possédera dans la commune. *10. Le lac mesure trois kilomètres de long et un de large. *11. Le « Badenberg » fut l’une des premières piscines chauffées et couvertes de l’époque moderne. *12. Maximilien, duc en Bavière, chef de la branche ducale des Wittelsbach.
II
La passion Wagner Ainsi son amitié avec le roi de Bavière, que l’on célèbre habituellement comme l’épisode le plus fabuleux, le plus éclatant, le plus triomphant, comme la réalisation du rêve le plus cher et l’apogée de sa carrière, se révèle en réalité avoir été l’intermezzo le plus misérable, l’intrigue la plus éhontée de toute la vie de Wagner. D’ailleurs les principaux personnages y perdirent la face. Martin Gregor-Dellin
Le jeune roi qui, le 12 mars 1864, ceignait la Couronne de Bavière régnait sur un pays de presque cinq millions d’habitants. Munich, la capitale, comptait alors 170 000 âmes. Le pays était catholique avec cependant une forte proportion de protestants dans les provinces de Franconie et du Palatinat. Le royaume n’était pas d’une seule pièce, au nord-ouest, le Palatinat rhénan, situé sur la rive gauche du Rhin, avait été annexé en 1816. Il était séparé du reste du pays par une partie du royaume de Wurtemberg, du grand-duché de Bade et du grand-duché de Hesse. La Constitution telle que l’avait bâtie Montgelas reposait sur un principe monarchique fort. Le roi avait donné une charte au pays dans le plein exercice de sa souveraineté, il était et restait le chef de l’État, sa personne était inviolable et sacrée. Le Parlement avait été formé de façon qu’à peu près tout le pays fût représenté. La Chambre haute était occupée par une noblesse héréditaire et la chambre des États (Stände), nommée Landtag à partir de 1848, par la bourgeoisie et les classes populaires : artisans et cultivateurs. Le cens électoral étant faible, seules les personnes très pauvres ne payant pas d’impôt étaient privées du droit de vote. Deux partis se partageaient assez harmonieusement le Landtag : à droite, les
catholiques conservateurs – on parlait aussi de parti patriotique – et, à gauche, les libéraux ou progressistes. Le roi pouvait convoquer, dissoudre, voire proroger cette chambre. Il avait un droit de veto sur les lois. Le jeu parlementaire tendait évidemment à augmenter peu à peu le rôle du Landtag. Le monarque arrivant au pouvoir devait donc à l’intérieur défendre ses droits contre le parlementarisme et, à l’extérieur, maintenir l’indépendance de la Bavière à l’heure où se développait un sentiment allemand que la Prusse entendait utiliser à son profit. C’était une lourde tâche pour un roi aussi jeune et inexpérimenté. « Dieu a rappelé auprès de Lui un bon roi », avait résumé sobrement l’archevêque de Munich en quittant le lit de mort de Maximilien II. Celuici avait en effet été un monarque consciencieux qui avait veillé aux intérêts de la Bavière en respectant scrupuleusement la Constitution et en gardant le souci des plus démunis. Qui plus est, au cours des seize ans de son règne, il n’avait jamais causé le moindre scandale, ce qui n’avait pas été le cas de son père et sera encore moins celui de son fils. Louis fut littéralement sidéré par une mort qui le faisait roi à dix-huit ans et demi. Si on lui avait inculqué une culture générale qui touchait à l’érudition, il n’avait pas été préparé à régner. Il décida cependant qu’il serait, lui aussi, un bon roi. Le 12 mars, dans la salle du trône, revêtu de l’uniforme de colonel de son régiment d’infanterie, le manteau du sacre posé sur les épaules, il gravit une douzaine de marches semi-circulaires et vint prendre place devant le trône de Bavière. Sous les regards de la famille royale, des hauts dignitaires de la cour, des représentants de la noblesse, des membres du Parlement et des ambassadeurs étrangers, il prêta serment sur la Constitution. Après avoir signé les registres officiels, il prononça quelques mots : Dieu Tout-Puissant a rappelé à Lui mon père bien-aimé. Je peux à peine exprimer les sentiments qui me traversent. La tâche qui m’attend est lourde et difficile. Je compte sur Dieu pour m’envoyer la lumière et la force de la remplir. Je veux régner fidèle au serment que je viens de prêter sur notre Constitution vieille de cinquante ans. Le bien de mon cher peuple bavarois et la grandeur de l’Allemagne seront le but de mes efforts. Soutenez-moi dans mes lourds devoirs.
C’était encore une fois ce qu’on attendait de lui. Les toutes premières décisions du roi furent de donner le titre de reine mère à la reine Marie et
de promouvoir le comte de La Rosée au grade de major général. Celui-ci devait très vite décéder. Apprenant que son ancien précepteur était à l’article de la mort, le jeune roi courut à son chevet pour le réconforter et l’assurer de sa reconnaissance. Il décida encore d’augmenter les salaires de tous les employés de la cour, écrivant : « Ma volonté est que soit mis un terme aux économies exagérées et à la pingrerie », ce qui laisse entendre que le roi Max tenait serrés les cordons de la bourse. Quant au chapitre des économies exagérées, les Bavarois ne pouvaient imaginer à quel point il était clos. Le jeune homme n’oubliait pas celle qui avait été sa première éducatrice. Écrivant à Mme von Leonrod pour lui annoncer la mort de son père, il ajoutait : « J’apporte tout mon cœur au trône – un cœur qui bat pour mon peuple et ne s’intéresse qu’à son bien-être – tous les Bavarois peuvent en être assurés. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour rendre mon peuple heureux ; son bien-être, sa paix, sont les conditions de mon propre bonheur1. » On ne pouvait être mieux ni plus sincèrement disposé. De plus, cet orgueilleux abordait sa tâche avec humilité. « Je n’ai pas assez appris », dira-t-il à l’écrivain Felix Dahn. Sans cesse il demandait : « Comment mon père faisait-il ceci ou cela ? » Pour apprendre, Louis se jeta à corps perdu dans l’étude : il prit des cours privés de philosophie, potassa le droit international et le droit constitutionnel des nuits entières. Ses journées très occupées étaient minutées. Le roi se levait à six heures. Après la toilette et le petit déjeuner désormais copieux, il « allait à l’église », pour reprendre l’expression de son Journal ; toute sa vie, Louis demeurera fidèle à cette prière du matin. Les secrétaires arrivaient à huit heures et demie et restaient jusqu’à dix heures, laissant la place au secrétaire de la cour, Hoffmann, au moins deux fois par semaine. À onze heures, réception d’un ministre, puis second petit déjeuner, audiences et ainsi de suite jusqu’à neuf heures du soir. Les fins de semaine, le roi partait vers le château de Berg à une vingtaine de kilomètres au sud de Munich où, tout en poursuivant sa tâche, il pouvait admirer ses montagnes et, quand la saison le permettait, plonger dans le lac. Non seulement le roi travaillait d’arrache-pied, mais il ne refusait pas de se montrer au peuple. Quand vint le mois d’octobre qui suivit la mort du roi Max, Louis II participa à la célèbre Oktoberfest*1 où il parut, son frère à ses côtés, dans un carrosse tiré par six chevaux qui eurent bien du mal à
avancer tant la foule enthousiaste bousculait le service d’honneur. Tout cela était parfait ou presque. En fait, Louis était surtout habité par un grand désir de bien faire. Les hommes politiques qui scruteront bientôt avec inquiétude un prince monté sur le trône très jeune relèveront des bizarreries chez ce jeune homme charmant. Bismarck avait bien noté quelque chose d’étrange chez ce voisin qui regardait le plafond en buvant du champagne. L’ambassadeur d’Autriche à Munich, le comte von Blome, qui côtoyait régulièrement le nouveau monarque, émettait déjà certaines appréhensions. Le jeune roi, écrit-il dès septembre 1864, cinq mois après l’accession au trône de Louis II, est encore une énigme ; d’étranges contrastes apparaissent dans ses actes, on ne peut guère prévoir ce qu’il donnera un jour. Aujourd’hui, certes ce sont encore les engouements puérils et les engouements romantiques qui dominent 2.
Une lettre écrite un mois plus tard conforte cette impression : Si je juge bien le jeune prince, la nature l’a doué de plus d’imagination que de bon sens […] Le roi n’admet aucun conseil qu’il n’ait demandé. Sa Majesté s’intéresse surtout à la littérature et à la musique. D’ailleurs ce qui l’attire dans ce domaine, c’est beaucoup plus le texte que la musique en soi, car il est absolument dépourvu de dons musicaux. Le poème de Lohengrin et les autres livrets d’opéra, inspirés du cycle des vieilles légendes germaniques, ont éveillé chez lui le goût de la musique de Wagner3.
Le nom qui circulait déjà dans tout Munich était lâché. Le goût du prince pour les légendes allemandes l’avait, on le sait, porté très jeune vers l’œuvre de Richard Wagner. Il connaissait par cœur les livrets de Lohengrin et de Tannhäuser. Les traités d’esthétisme du musicien l’avaient enthousiasmé. On avait dû remettre à ce jeune homme très surveillé ces ouvrages sans les lire, car ils débordaient d’opinions révolutionnaires. On y développait l’idée selon laquelle « la Révolution dans l’art doit être précédée de la révolution dans la vie » et que « la fin de l’histoire de la rédemption humaine sera le communisme ». Bien que Martin Gregor-Dellin, pape des études wagnériennes, assure dans sa magistrale biographie de Wagner que, dans le principal traité du compositeur, Opéra et Drame, « nombre de passages sont tout à fait lisibles4 », le reste ne l’est guère, ce qui avait dû limiter le zèle des censeurs. Toujours est-il que l’idée d’une œuvre d’art totale qui comblerait
à la fois les sens et l’intelligence enchanta le jeune prince. Il ne manquait que le son. À seize ans, le kronprinz eut la permission d’assister à Munich à une représentation de Lohengrin. Ce fut un choc si violent que le comte von Leinfelder qui l’accompagnait craignit que le prince n’eût une crise d’épilepsie. Louis fut transporté au septième ciel. Quelqu’un avait su donner forme à tout ce qu’il voyait intérieurement. L’illusion devenait une réalité aussi grandiose que dans ses rêves. De toutes les fibres de son être, il adhéra à l’œuvre dans laquelle il pouvait voir vivre ses héros. Il quitta le théâtre complètement ensorcelé et réclama à son père une seconde représentation. Elle eut lieu au mois de juin, mais déjà Louis n’avait qu’un nom, qu’un modèle, qu’une idole en tête : Wagner. En montant sur le trône, Louis, conscient de son inexpérience, avait conservé le cabinet ministériel de son père. Ce faisant, il entreprit d’examiner les affaires de l’État, de lire les dossiers et de recevoir les ministres, bref de s’occuper de tout. Il ne se cachait pas d’avoir pour exemple le Roi-Soleil et le tsar de Russie, lesquels, on le sait, ne prenaient guère conseil de leur entourage. Dès le début de décembre 1864, le roi renvoya le ministre des Affaires extérieures ; d’autres limogeages suivirent. Louis était méfiant et voulait que rien ne lui échappât. Si on lui présentait une objection, il s’obstinait. Cela perturbait un gouvernement à l’égard duquel le roi Max avait eu une confiance aveugle. Aussi quand le roi chercha le nom de Wagner sur la liste des voyageurs qui s’arrêtaient à Munich, puis quand il demanda qu’on lui amenât Wagner, le secrétaire de cabinet, le baron von Pfistermeister, s’empressa d’aller le chercher ; si le compositeur avait été en Papouasie, il s’y serait rendu. Il s’agissait d’accéder aux caprices du jeune roi afin qu’il laissât les ministres tranquilles ; le même calcul avait jadis été fait par Fouquet pour éloigner le jeune Louis XIV des affaires, on sait avec quel succès… Ainsi furent jetées les bases d’un accord tacite dont les intéressés eux-mêmes ne mesurèrent pas la portée. On accorderait au roi ce qu’il désirait : Wagner, une vie privée insolite, un château, deux châteaux, trois… et le cabinet pourrait poursuivre sa route. Franz Seraph von Pfistermeister n’était pas un « second couteau » du gouvernement, mais une pièce maîtresse. Le cabinet, créé par Louis Ier pour faire la liaison avec les ministères, était vite devenu une sorte de ministère personnel du roi, place forte de la maison régnante dont il
défendait les positions et les intérêts en négociant de subtiles alliances avec le Parlement. En cas de désaccord entre le roi et le Parlement, il servait d’organe de régulation. Le baron von Pfistermeister, conservateur calme et travailleur, avait œuvré en parfaite harmonie avec le roi Maximilien II près duquel il s’était acquis « une position granitique5 ». Le rocher bavarois se lança donc à la recherche de Wagner qui n’était pour lui qu’« un artiste de l’avenir », ce qui, dans la vieille Bavière, n’était pas un compliment. Les premières œuvres du compositeur avaient été accueillies sans enthousiasme à Munich. Franz Lachner, qui prépara l’orchestre de la ville à la première du Vaisseau fantôme, résuma l’opinion générale en écrivant que l’œuvre présentait sans doute quelque intérêt mais qu’« un vent incessant soufflait dans la partition ». Quant à la première représentation de Lohengrin en 1854, elle avait déclenché un tel chahut qu’il avait fallu baisser le rideau. Par ailleurs, il devait être extrêmement désagréable au secrétaire du cabinet royal de courir après un homme dont la réputation était sur tous les plans exécrable et qui, pour avoir participé en 1849 aux insurrections de Dresde aux côtés de Bakounine, avait été jusqu’à l’année précédente interdit de séjour dans la plupart des États allemands, un homme qui s’était en outre ouvertement déclaré disciple de l’athée Feuerbach et qui était dorénavant réduit à fuir devant ses créanciers. Oui, une telle quête avait dû paraître une corvée autant qu’une folie au baron. Le secrétaire de cabinet allait avoir le plus grand mal à dénicher le compositeur qui, une nouvelle fois, tentait d’échapper à ses créanciers. Que savait celui que Wagner allait bientôt appeler « Pfi » de l’objet de ses recherches ? Aurait-il déployé tant de zèle s’il en avait su davantage ? Richard Wagner qui allait tenir une si grande place dans la vie de Louis II était né à Dresde en 1813 dans une petite bourgeoisie artiste et cultivée ; sa mère était peut-être la fille naturelle d’un prince de la maison royale de Saxe. Orphelin de père à six mois, le jeune Richard acquit, en dépit d’une enfance assez chaotique, une culture solide et termina ses études comme étudiant en musique à l’université de Leipzig. Devenu directeur musical du théâtre de Magdebourg, il rencontra la jeune première de la troupe – courtisane à ses heures – Minna Player, son aînée de six ans, qu’il finit par épouser, on ne sait pourquoi, car les jeunes gens ne s’entendaient pas et ne s’entendront jamais. Renvoyé de Magdebourg – il
le sera absolument de partout –, Wagner obtint un poste à Riga et écrivit Rienzi sur le modèle ancien de l’opéra. La création du Vaisseau fantôme le fit Kapellmeister du théâtre royal de Dresde. Pour la première fois, Wagner mettait en application l’idée selon laquelle la mélodie orchestrale d’un opéra ne devait pas être un simple accompagnement mais représenter la substance du drame. Sur cette lancée, il créa Tannhäuser à Dresde en 1845. Participant à un club politique, lisant et écrivant sans cesse, Wagner qui se disait républicain sentait « la société en attente d’une grande secousse » et était prêt à y contribuer de toutes ses forces. La révolution qui grondait dans l’Europe de 1848 allait lui en offrir l’occasion. L’insurrection gagna Dresde au printemps 1849 à la grande satisfaction de Richard Wagner qui y participa de façon très active. Prenant la parole régulièrement à l’Union patriotique, il réclamait la disparition de l’aristocratie et celle de l’argent. Il y avait là générosité et utopie, d’autant que la position de Wagner vis-à-vis de l’argent serait à rapprocher de ce qu’en disait le Viennois Johann Nestroy : « Les Phéniciens ont inventé l’argent, mais pourquoi en ont-ils inventé si peu6 ? » Le compositeur rédigea des tracts qu’il fit imprimer et distribuer afin d’appeler à la fraternisation des troupes, fit fabriquer des grenades, distribua les armes d’un collectionneur aux insurgés et surveilla les mouvements des soldats depuis le clocher d’une église. Le matin, il aimait aller marcher dans la campagne aux côtés de Bakounine ; ces deux grands bavards pouvaient s’entretenir durant des heures d’un nouvel ordre du monde. L’ordre ancien revenu, l’activité révolutionnaire du Kapellmeister lui valut un mandat d’arrêt auquel il échappa de justesse. Pris, il eût été condamné à mort et, comme ses amis, eût vu sa peine commuée en dix ou douze ans de prison, lesquels eussent été purgés dans une forteresse sombre et humide. Ayant réussi – de justesse – à fuir, Richard Wagner allait mener durant presque quinze ans une vie errante, parcourant une grande partie de l’Europe, écrivant, lisant et composant beaucoup, tentant toujours de faire jouer ses œuvres. Il vivait de quelques concerts et des largesses de ses amis, les premiers wagnériens, au rang desquels il est juste de compter Liszt. Abrité dans un foyer ami, souvent très généreusement, Wagner était régulièrement saisi du complexe du coucou et s’éprenait de la maîtresse de maison, ce qui finissait par créer des situations dont plus tard Feydeau régalera son public. Il séduisit ainsi la jeune Jenny Laussot, épouse d’un riche négociant en vins de Bordeaux, puis la jolie et romanesque Mathilde
Wesendonck mariée à un négociant en soieries de Zurich. Le cas de Cosima, fille de Liszt, épouse du meilleur élève de Wagner, est à part. Chassé, le compositeur s’installait ailleurs, s’endettait pour draper son appartement de tentures, rideaux et soieries qui lui étaient indispensables, et l’histoire recommençait. À la veille de rencontrer le roi de Bavière, Wagner se trouvait dans une situation très particulière. Il était connu et même célèbre, mais peu joué. La plupart du temps ses œuvres donnaient prise à la critique quand ce n’était pas à la cabale, comme à Paris en 1861, lorsqu’un complot ourdi par les membres du Jockey-Club obligea le compositeur à retirer Tannhäuser après trois représentations. Le statut de proscrit associé à l’art de faire disparaître des fortunes et un caractère très difficile peuvent expliquer la situation. « S’il est exact que Wagner se sent incompris, on peut se demander si quelqu’un pouvait le comprendre », conclut Gregor-Dellin. L’homme était d’un orgueil démesuré, susceptible, fatigant autant par son rythme de vie que par ses exigences, égoïste et parfaitement ingrat. Il faut ajouter que ses drames musicaux*2 étaient difficiles à monter pour de multiples raisons, au premier rang desquelles il convient de placer les exigences de l’auteur. Il faudra la construction du théâtre de Bayreuth pour que le wagnérisme puisse pleinement s’épanouir, mais le rideau ne s’y lèvera sur Le Crépuscule des dieux qu’à l’été 1876… En 1862, Wagner se trouvait tout à fait sans ressources, obligé d’emprunter sans cesse pour rembourser ses dettes et attendant « un prince régnant » pour régler les frais de la Tétralogie dont il rédigeait l’avantpropos. Le projet d’une tournée de concerts en Russie avait échoué et Tristan se trouvait retiré du programme viennois. Il semble que le compositeur ait alors songé au suicide. Menacé de prison pour dettes, il dut, le 23 mars 1864, quitter la capitale autrichienne, déguisé en femme. Malade et sans domicile fixe, il passa le 25, vendredi saint, à Munich où, pour la première fois, il aperçut dans une boutique le portrait du jeune Louis II qui venait de succéder à son père. Il traversa ensuite le lac de Constance et arriva à Stuttgart le 29 avril. Sa bourse ne lui permettant pas de se rendre à la table de son hôtel, il alla manger dans une auberge, confiant à un ami : « Je suis à bout. » Le 2 mai au soir, le conseiller aulique Franz von Pfistermeister se présenta à la pension où le compositeur prenait ses repas. Persuadé qu’il s’agissait d’un créancier, Wagner fit dire qu’il était absent. Le lendemain, il avait bouclé ses valises quand, à dix heures, le secrétaire du cabinet de
Sa Majesté le roi de Bavière se fit annoncer. Une lettre du roi, un portrait de celui-ci et un superbe rubis monté en bague – les créanciers parlent rarement le langage des pierres – eurent raison de la méfiance du compositeur. Pfistermeister lui expliqua qu’il l’avait cherché partout depuis quinze jours et que Sa Majesté qui lui vouait une entière admiration était décidée à le garder près d’Elle comme un ami et à le soustraire pour toujours aux injustices du sort. Un instant foudroyé, Wagner se ressaisit et répondit aussitôt par un télégramme : Cher roi plein de grâces,
Je vous envoie ces larmes de la plus céleste émotion pour vous dire que les miracles de la poésie sont entrés comme une réalité divine dans ma pauvre vie avide d’amour. Les dernières harmonies poétiques et musicales de cette vie – et cette vie même – désormais vous appartiennent, mon jeune roi plein de grâces.
Richard Wagner Stuttgart, 3 mai 1864 7
En principe, cette dernière expression est utilisée pour saluer la Sainte Vierge, mais le ton était donné. Le même jour au déjeuner, Wagner apprit la mort de Meyerbeer, le musicien qui incarnait pour lui les temps désormais révolus et l’homme dont il avait le plus jalousé le succès. Il éclata de rire. À cinq heures de l’après-midi, Richard Wagner prenait avec Pfistermeister le train pour Munich. Une autre vie commençait. Le 5 mai 1864, le petit homme aux jambes courtes – Wagner mesurait un mètre soixante-cinq –, à la grosse tête toujours posée de biais sur les épaules fut reçu par le roi de Bavière dans la salle de réception de la Residenz tendue de brocart bleu. Richard Wagner avait cinquante et un ans, le roi pas encore dix-neuf. Louis confia aussitôt à son invité quelle révélation avait été pour lui le spectacle de Lohengrin quand il avait seize ans ; depuis, ajouta-t-il, Wagner avait été « son unique maître et mentor ». Le compositeur prit assez vite la mesure du jeune prince passionné qui se trouvait en face de lui – l’idéalisme et la candeur du roi crevaient les yeux – tandis que Louis était littéralement hypnotisé par Wagner.
L’entretien dura une heure et demie. Avant de quitter la pièce, le roi ordonna d’aller chercher une plume ayant appartenu au compositeur et commanda l’exécution d’un buste et d’un portrait aux fins de les mettre dans son bureau aux côtés de ceux de Shakespeare et de Beethoven. Wagner dut être satisfait de se retrouver aux côtés de Beethoven, peut-être le seul musicien qu’il admirât réellement. Quelques heures plus tard, Louis II écrivait à son idole : J’écarterai à jamais de votre tête les médiocres soucis de la vie de chaque jour. Je vous ménagerai la paix à laquelle vous aspirez afin que vous puissiez déployer les ailes puissantes de votre génie dans le pur éther de votre art enivrant. Vous avez été, sans le savoir, la seule source de mes joies, et dès mon adolescence, mon ami, celui qui, comme nul autre, aura su parler à mon cœur8.
Quelle solitude avait été celle du jeune roi pour qu’il puisse considérer comme son seul ami un homme qu’il n’avait jamais vu. En ce 5 mai 1864, Wagner touchait enfin au port, car Louis tiendrait sa promesse. Richard Wagner ne connaîtrait plus jamais la misère et l’errance. Il poursuivra son œuvre, achèvera sa Tétralogie et bâtira un théâtre qui lui sera entièrement dédié. Il épousera la femme qui avait su le fixer et élèvera leurs enfants dans une maison splendide, entouré de l’admiration et de la reconnaissance générales, tout cela grâce à l’inlassable générosité de Louis II, générosité très miséricordieuse, car elle saura oublier les ingratitudes, les mauvais procédés et les sollicitations permanentes. Mais le roi, que gagnait-il à cette rencontre ? Il n’est pas exagéré de dire que ce culte voué à Wagner fut pour Louis II une catastrophe et que, s’il ne fut certes pas la cause de sa maladie, il joua un rôle dans son développement. D’une part, la musique agissait de façon très violente sur cet hypernerveux. Le comte de Leinfelder qui servait au roi d’aide de camp lors de la première de Tannhäuser confiera au conseiller ministériel Völdendorf : « Ne crois pas que la musique de Wagner agissait favorablement sur l’âme du jeune prince. Elle avait sur lui une influence démoniaque et le plongeait dans des états fort désagréables… Ainsi chaque fois qu’il écoutait le passage où Tannhäuser retourne au Venusberg, son corps était agité de soubresauts spectaculaires. » Nietzsche qui fut d’abord un ami et un admirateur du compositeur avant de s’en dégoûter écrira dans son ouvrage Le Cas
Wagner : « Wagner est un névrosé. Sa musique est une musique de malade […] Elle triomphe avec les femmes, les nerveux et les adolescents. » Or si Louis II n’était plus un adolescent, il était beaucoup plus qu’un nerveux. Le plus grave n’était pas l’état de transe où la musique pouvait mettre le roi, mais le fait qu’elle l’amenait à s’enfermer dans le monde fantastique et complètement virtuel qui avait été celui de son enfance. À ce jeune homme qui n’avait que trop tendance à se détacher dangereusement de la réalité, Wagner en donnant forme à son rêve offrait le plus troublant des jeux de rôle et versait un poison violent. Sans doute dans les premiers temps l’obsession du roi n’apparut-elle pas dans toutes ses conséquences aux yeux du compositeur, mais il ne put l’ignorer longtemps. Il ne s’en soucia aucunement parce que à ses propres yeux il était le centre du monde. L’homme était de la race des profiteurs et lui importaient d’abord son avantage et son œuvre. Sitôt qu’il eut fait la connaissance de son idole, Louis II partit s’installer au château de Berg. Pour loger Wagner près de lui, il loua la villa Pellet, un faux chalet suisse entouré d’un jardin qui descendait vers le lac, de sorte que chaque jour, souvent deux fois le jour, parfois la nuit, le roi envoyait chercher le compositeur. « Et je vole vers lui comme à un rendez-vous d’amour », écrit Wagner à Mathilde Maier qui fut son amoureuse. Il ajoutera : « Il est celui que nous attendions et qui devait venir », langage qui, une fois encore, provient des Écritures. Que font les deux hommes en ces jours de printemps ? « Il m’aime et je l’aime, écrit Wagner, nos rapports ne sont pas autre chose qu’un commerce d’amour. Il est insatiable d’apprendre à aimer9. » En fait, Wagner se plaint de sa vie passée, lit ses drames et distribue les rôles dans leur relation. « Si je suis son Wotan, il est mon Siegfried10. » On notera que Wotan est le dieu des dieux et Siegfried son jouet et celui de la destinée, laquelle veut qu’il meure tragiquement, frappé dans le dos… Et ensuite, que font le roi et le musicien ? « […] [N]ous restons assis de longues heures à nous regarder, le regard de l’un perdu dans celui de l’autre. » Dès qu’ils sont séparés, Wotan et Siegfried s’écrivent des lettres délirantes qui ressemblent à des dialogues de mauvais théâtre : Le roi : – Mon saint ami adoré, vous me procurez des joies que seul Dieu peut donner.
– Mon sublime ami divin – vous fûtes et vous serez mon tout jusqu’à ma mort. – Il me semble que le ciel est descendu sur la terre. – Un et tout ! Incarnation de ma béatitude ! Source première de la lumière de ma vie. – Ô toi que j’aime d’un brûlant amour que j’adore. Seigneur de ma vie !
Wagner : – Mon immense, ma dernière joie ! – Mon roi, mon ami ! mon perfecteur ! – Mon Siegfried victorieux. Ô saint je t’invoque. – Salut à toi élu de Dieu. Somme de toute beauté, de toute bonté, de toute perfection11.
L’exaltation ne faiblit jamais. Dans l’une de ses dernières lettres, datée du 8 septembre 1882, Wagner poursuit toujours sur le même registre : « Mon tout gracieux Seigneur et ami que j’adore. Oh, torture de l’amour12 ». La missive, écrite à l’heure où les deux protagonistes n’ont plus aucune illusion l’un sur l’autre, se termine ainsi : « Que cette gratitude se confonde avec cette souffrance, pour être offerte comme une fleur tragique du jardin vivant du Saint-Graal de l’adoré. À ses pieds meurt dans un immortel amour, Son éternel et prédestiné, R.W13. » Le ton reste celui qu’emprunte ordinairement le compositeur alors que les lettres du roi, gravement malade, se font plus courtes et plus claires. À lire les deux correspondances, il faut reconnaître que ce n’est pas toujours Louis qui semble le plus fou. L’épouse de Wagner s’étonnera un jour devant des lettres royales. Richard répondra : « Il y règne un ton qui n’est pas bon, mais ce n’est pas moi qui l’ai donné. » Encore que la première lettre de Wagner ait déjà été dans le registre de l’exaltation la plus complète ; de toute façon si « le ton n’était pas bon », pourquoi l’avoir adopté ? Le musicien a bel et bien entretenu la surenchère. On peut avancer que l’on se trouvait en plein romantisme, que Wagner avait été acteur de théâtre et avait mis du théâtre dans leur relation, mais n’était-ce pas à lui, plus âgé et plus solide, de ne pas nourrir ce qui semblait souvent un délire ? Le roi était en train de se prendre dans la toile d’un monde imaginaire et un homme de plus de cinquante ans qui, lui, était fermement ancré dans la réalité, lui écrivait : « Ô mon roi ! Vous êtes plus beau que la beauté – je reste stupéfait et je
prie ! » Martin Gregor-Dellin a raison de parler d’imposture. Le roi qui était jeune et déjà malade avait des raisons de s’exalter, aussi ses lettres sonnent-elles sincèrement, tandis que celles de Wagner s’enfoncent dans le pathos et souvent dans le ridicule. Il organise la surenchère à son profit, totalement suivi en cela par celle qui va devenir sa maîtresse, puis sa seconde épouse, Cosima. Ce n’est pas sans raisons qu’Aldo Oberdorfer écrit : « Plus froidement égoïste que lui, Cosima qui fut de suite à son côté, complice et alliée, l’aida à tourmenter, consciente du mal qu’elle faisait à ce cerveau malade14. » Mensonges, manœuvres et entourloupes en tous genres seront constamment noyés sous des flots de flagorneries pour soutirer de l’argent – cet argent que les Phéniciens inventèrent en quantité décidément insuffisante – à un prince qui apparaît trop souvent comme la victime de deux aigrefins. Wagner pourtant finira par éprouver de l’affection pour Louis. Attendri par « la séduisante pureté de son cœur », il appréciait la dévotion que le roi lui portait et, plus encore, sa générosité. Devant les excès et les effusions échangées entre les deux hommes, la question s’est posée d’une relation homosexuelle. La réponse est non, ce qui ne signifie pas que leur lien ait été totalement privé d’ambiguïté. Wagner n’était, sur le plan sensuel, attiré que par les femmes. Quant à Louis II, s’il était homosexuel, il ne rechercha jamais que des hommes jeunes et beaux. Non seulement Wagner avait largement l’âge d’être son père, mais il était petit, quelque peu difforme et souffrait d’un érésipèle récidivant sur le visage. De plus, sa façon de s’habiller « en peintre hollandais » à grand renfort de satin et de velours paraissait horriblement vulgaire au roi. Il faut ajouter qu’à la date où Louis II rencontra Wagner le roi avait fixé son premier choix amoureux sur le jeune prince Paul von Thurn und Taxis dont il était très épris. La relation entre Wagner et Louis II n’est ni un amour ni une amitié, elle est trop narcissique, en fait doublement narcissique : Wagner aime qui l’admire – et qui paie –, et le roi adore comme un dieu celui qui donne vie à son rêve. Wagner, pour lui, représente bien plus qu’un modèle, il est Wotan, le dieu qui anime le panthéon germanique. Le Journal du roi révélera plus tard que Louis invoque Wagner, prie Wagner agenouillé devant son buste et prête serment par Wagner. Beaucoup plus que devant un amour, nous sommes devant une quasi-divinisation. Au mois de juillet 1864, Louis II partit passer des vacances à Bad
Kissingen où il reçut l’impératrice de Russie, Maria Alexandrovna, et l’impératrice d’Autriche, Élisabeth, toutes deux accompagnées de leurs époux, le tsar Alexandre II et l’empereur François-Joseph. La tsarine était née princesse de Hesse-Darmstadt. Venue au monde alors que sa mère avait une liaison avec un baron français, elle n’avait pas été inscrite sur la liste des princesses à marier. Son extraordinaire beauté l’avait cependant fait distinguer par le futur tsar. Quant à Sissi, Louis la connaissait depuis toujours, puisqu’elle avait été élevée avec ses frères et sœurs dans le palais construit par son père, le duc Max en Bavière, sur la Ludwigstrasse à Munich*3. Une fortune considérable venue de sa mère, une princesse d’Arenberg, avait encore permis au duc Max d’acheter en 1834 le château de Possenhofen sur les rives du lac de Starnberg où la famille passait la belle saison. Flanqué de quatre tours au milieu de roseraies, Posi fait face de l’autre côté du lac, au petit château de Berg, l’une des demeures préférées de Louis. Le garçon avait neuf ans quand sa cousine épousa l’empereur d’Autriche et ne l’avait guère revue par la suite. Lorsqu’il la retrouva à Bad Kissingen, Sissi avait eu trois enfants en quatre ans ; elle avait perdu sa fille aînée de la typhoïde. Malade, tuberculeuse peut-être, mais sûrement dépressive, fuyant une belle-mère autoritaire avec laquelle elle ne s’entendait pas, Sissi était partie à Madère, puis à Corfou, restant absente de Vienne durant près de deux ans. À Bad Kissingen, Élisabeth était une jeune femme dont la personnalité ne s’était pas encore affirmée. D’ailleurs, si Louis avait été très heureux de la revoir, il trouvait l’impératrice de Russie plus belle, en dépit de ses quarante ans, et plus intéressante. La tsarine Maria Alexandrovna n’avait pas trouvé le bonheur dans le mariage. Le tsar Alexandre II, la trompait abondamment et avait plusieurs enfants naturels. L’aîné des huit enfants du couple impérial, le tsarévitch Nicolas, que la famille appelait Nixa, était gravement tuberculeux. La tsarine aurait aimé profiter de l’adoration que lui portait le jeune roi de Bavière pour le fiancer à sa fille, la grande-duchesse Marie, qui n’avait que onze ans. Subjugué par la mère, Louis écrivit à son grand-père pour lui demander conseil. L’aïeul, très inquiet, répondit par retour : « Gardez les mains libres ! », ajoutant quelques généralités sur la gravité de l’engagement du mariage. Louis n’en écrivit pas moins à la baronne von Leonrod que l’impératrice était « une femme charmante et extrêmement intelligente15 ». Il faut croire.
Le roi de Prusse vint à Bad Kissingen rallier ce ludique concert des nations. Sissi avait été rejointe par son père, le duc Max, son frère CharlesThéodore et ses deux plus jeunes sœurs, Mathilde, qui avait épousé le comte de Trani, demi-frère du roi des Deux-Siciles, et la jolie et douce Sophie-Charlotte qui n’avait que dix-sept ans. Concerts, bals, dîners, soirées théâtrales et promenades en calèche se succédaient. Les deux impératrices firent assaut d’élégance : robes de Worth, crinolines, ombrelles, perles, et diamants. Le jeune roi, enfin libre, recevait l’Europe élégante et aristocratique chez lui et semblait aimer cela ; venu pour trois jours, il resta trois semaines. Le séjour à Bad Kissingen terminé, Louis revint à Munich une quinzaine de jours, puis gagna par train spécial Schwalbach où séjournait la tsarine. Il fut heureux de découvrir le Rhin dont il n’avait entendu parler que par l’histoire des Nibelungen*4, ces nains des légendes germaniques ; sa première visite fut pour la petite maison où Wagner avait composé Les Maîtres chanteurs. Le 1er août, il retrouvait l’inoubliable tsarine et pouvait enfin noter dans son Journal : Six heures avec ma mère ! Il ne s’agit nullement de la pauvre Marie, mais de Maria Alexandrovna qu’il considérait comme telle, au point que celle-ci devra le prier très fermement de l’appeler « tante ». Devant la quitter au bout de dix jours, il écrivait le 10 août : « Ô, Sainte ! Pureté de l’Ange, adieu hélas ! […] [C]onstamment près d’elle par la pensée16. » On touche ici à un trait essentiel de Louis II : il a besoin d’admirer et n’admire que ce qui s’élève, monte et transcende. André Fraigneau dans son Journal de raison d’un roi fou fait dire au roi : « Moi qui ne suis pas un ange, je n’aime de cette Terre que ce qui s’en élève17. » Rien n’est plus juste. En Maria Alexandrovna, Louis révère ce qui est noble, grand, pur et sublime. Il l’aura en vain suppliée de venir à Hohenschwangau (où se trouvait sa véritable mère) et lui aura juré de prendre son conseil en tout ; la tsarine avait dû juger que le jeune roi en avait besoin. Il lui avait confié le sentiment de solitude qu’il éprouvait. Elle l’avait invité à transcender toute douleur dans la foi ainsi qu’elle le faisait. Ayant quitté Schwalbach, Louis lui écrivit une lettre que l’on peut qualifier de délirante : « Ô puissé-je porter à votre place toutes les douleurs, toutes les contrariétés qui vous touchent ! Et disparaître sous ce poids ; je ne peux souhaiter une autre mort18. » Le jeune roi prête à la tsarine toutes les qualités qui caractérisent à ses yeux la femme idéale ; celle-ci doit être exceptionnellement belle, pure
comme un ange (donc intouchable), intelligente, très cultivée et animée par une foi et une piété élevées. Lors du premier été de son règne, Louis connut donc deux coups de foudre successifs : Wagner qui prit le rôle de Dieu, et Maria Alexandrovna celui de la Mère ; c’était beaucoup d’ardeur et d’émotion. Le roi revint par Cologne, visitant la cathédrale, sans omettre d’écrire à son grand-père qu’il avait admiré les vitraux que celui-ci avait offerts. Il fut à Hohenschwangau où sa mère (la vraie) s’était retirée après son deuil. Il y fêta son dix-neuvième anniversaire avant de regagner Munich où l’on commençait à jaser sur cette longue absence. Sans doute le jeune roi avaitil songé souvent à Wagner qui, au bord du lac de Starnberg, l’attendait dans une solitude qui ne pouvait qu’être source d’inspiration ; du moins le pensait-il. Richard Wagner était un homme qui aimait la compagnie. À Berg, il avait commencé à se lasser des journées les yeux dans les yeux avant même que le roi ne s’éloignât. Celui-ci parti, il s’ennuya à périr comme il l’écrit à son amie Eliza Wille : « Ma solitude est terrible. Mes relations avec ce jeune roi sont aussi délicates à maintenir que l’équilibre sur l’extrême pointe d’un mont. J’ai eu à déménager, à organiser un ménage, à me mettre en peine de couteaux, de fourchettes, de plats et de pots […]. » Se cherchant une compagne et quelqu’un capable de le délivrer du soin des couteaux et des fourchettes, il fit d’abord appel à Mathilde Maier, sa dernière amoureuse. « Veux-tu venir chez moi tenir ma maison ? » lui écrit-il. Elle refusa de jouer les bonnes ménagères à moins d’être épousée. Cela supposait que Wagner divorçât pour se lier à nouveau, ce dont il n’avait aucune envie. Il répondit qu’il ne pouvait le faire eu égard à la santé de son épouse, mais que si toutefois celle-ci venait à trépasser, il reconsidérerait la question. Il se tourna alors vers son élève, brillant pianiste et exceptionnel chef d’orchestre, Hans von Bülow : « Je t’invite avec femme, enfants et bonne. » Ajoutant dans un élan de tendresse : « En vérité, mes chéris, vous seuls manquez à mon bonheur. » Ce qui manque au compositeur ce n’est ni les enfants, ni la bonne, ni même Hans, mais bien l’épouse de celui-ci, Cosima von Bülow, née Liszt. Cosima allait sauter sur l’occasion, et avec elle entrerait dans la vie de Louis II un personnage qu’il n’attendait certainement pas mais avec lequel il devrait compter.
Cosima était le second enfant né de la liaison entre Liszt et la comtesse Marie d’Agoult qui avait laissé un mari, deux filles et un salon très prisé pour suivre le génial et beau pianiste. Marie ne s’intéressa que très peu aux trois enfants qui naquirent de cette liaison, Blandine, Cosima*5 et Daniel. Liszt veilla à leur éducation autant que le lui permettait une célébrité qui lui faisait courir l’Europe entouré d’un essaim d’adoratrices. Les incartades du pianiste trop sollicité finirent par faire éclater le couple. Les trois enfants furent élevés à Paris par leur grand-mère paternelle, puis par une gouvernante austère, avant que les deux filles soient expédiées à Berlin chez la baronne von Bülow, dont le fils était le meilleur élève de Liszt. Hans von Bülow, déjà pianiste exceptionnel, allait devenir le premier chef d’orchestre de son temps. Élevé à la prussienne, ce garçon sérieux et même sévère était fragile, tourmenté, hypocondriaque et, pour utiliser le terme de l’époque, tout à fait neurasthénique. Cosima devait le réconforter souvent. Quand il lui avoua qu’elle lui était devenue indispensable, la jeune fille réfléchit. Non seulement sa naissance était illégitime – son père n’avait pu la reconnaître que quand elle avait sept ans –, mais, en dépit de grands yeux bleus et d’une lourde chevelure châtain clair, elle n’était pas belle. Grande et maigre – on l’appelait la cigogne –, elle avait les joues creuses, le grand nez de son père et la bouche près de l’oreille. Elle éprouvait le besoin de se dévouer et encore plus celui d’être aimée. Les jeunes gens se marièrent à Berlin au mois d’août 1857 ; elle avait dix-neuf ans, lui vingtsept. Pour son voyage de noces, le ménage von Bülow partit en Suisse pour rendre visite à Wagner qui vivait dans une maison prêtée par ses riches voisins, les Wesendonck. En voyant la belle et languissante Mathilde Wesendonck, Cosima comprit que la place d’égérie était occupée. Bülow passa les premiers jours de son voyage de noces à déchiffrer au piano les esquisses de Siegfried, tandis que Cosima écoutait, les yeux grossis par les larmes. L’année suivante, le couple retourna chez Wagner où une scène venait d’éclater entre Minna (l’épouse un peu vulgaire faisait des apparitions rares mais marquantes) et Mathilde, la muse très distinguée. Otto Wesendonck brutalement mis au courant emmena sa femme en Italie après avoir prié le séducteur de quitter les lieux. Pour fuir une atmosphère aussi agitée que pénible, Cosima alla se promener sur le lac de Genève en compagnie d’un autre élève de Wagner, Karl Ritter. Tout en ramant, celui-ci conta ses
malheurs conjugaux, ce qui autorisa Cosima à en faire autant, après quoi elle lui demanda de l’aider à se noyer. Le jeune homme répondit qu’il se tuerait ensuite. Cosima renonça et, après avoir regagné la maison où Wagner faisait ses valises, pleura abondamment sur la main du compositeur qui la prit pour une folle. En 1860, le ménage Bülow eut une fille. Cosima, qui venait de perdre son frère, l’appela Daniela. Elle donnera à sa seconde fille le prénom de Blandine en hommage à sa sœur aînée, morte en mettant un enfant au monde. Le frère et la sœur de Cosima avaient été les seuls points fixes de sa jeunesse, aussi se trouva-t-elle terriblement seule. Hans était un mari rigide, distant et irritable. Si Cosima fut très tôt amoureuse de Wotan, on ignore quand Wagner fut touché. Elle eut la sagesse d’attendre, l’emprisonnant patiemment dans les filets d’une admiration inconditionnelle. La jeune femme intelligente et très cultivée était une pianiste douée. On ne peut enfin oublier que, si, pour le monde, Cosima était une bâtarde, au royaume de la musique, la fille de Liszt était princesse. Le 28 novembre 1863, alors que le compositeur ne connaissait que revers et ruine, Wagner et Cosima purent se parler seul à seul au cours d’une promenade dans un parc de Berlin. « Dans les larmes et les sanglots nous scellâmes notre aveu de nous appartenir exclusivement l’un à l’autre », devait écrire Wagner dans son autobiographie19. Avec Cosima, tout se passait toujours dans « les larmes et les sanglots ». Les pleurs coulent presque à toutes les pages dans le Journal qu’elle tint régulièrement. Le terme « exclusivement » ne fut pas compris sur l’heure par Wagner qui voyait encore Mathilde Maier et gardait deux fers au feu – et même trois, avec la cantatrice Frédérique Mayer. Mais cela ne devait pas durer. Une fois entrée dans la maison louée par Louis II au bord du lac de Starnberg, Cosima sut que son heure était venue et n’était pas femme à la laisser passer. Les amoureux tombèrent dans les bras l’un de l’autre et connurent dix jours de délices dans le faux chalet suisse. Ces retrouvailles furent suffisamment décisives pour que Wagner estimât nécessaire d’écrire à Mathilde Maier afin de l’avertir que, même dans le cas où son épouse viendrait à périr, elle ne devait plus compter sur lui. Puis Bülow arriva. La nouvelle situation provoqua une grave détérioration de sa santé. Le pauvre Hans eut des migraines, des étouffements, des syncopes, des paralysies, partielles ou totales. Impavide, Cosima poursuivait sa route. Wagner se
refusa à brusquer son élève par des révélations officielles. Entendant conserver Cosima près de lui, il voulait faire nommer Bülow à Munich. Pour cela, il devait le faire entrer dans les bonnes grâces du roi, car il était hors de question d’exposer un ménage à trois aux yeux de ce prince « si pur et si naïf ». Quand Louis II revint, très satisfait, de Schwalbach, Wagner alla lui présenter le baron von Bülow au château de Berg. Hans plut immédiatement au roi. Il fut engagé comme pianiste personnel de Sa Majesté et chef d’orchestre au Théâtre royal de Munich avec un confortable salaire annuel. Wagner lui demanda aussi de familiariser Louis II avec la littérature musicale et même avec la musique tout court, car, disait-il, « il ne connaît presque rien », ce qui n’était pas tout à fait exact. De son côté, Cosima alla parler à son père. Liszt, qui avait l’âge de Wagner, avait été pour lui un ami de la première heure et un soutien indéfectible, ne ménageant ni ses deniers ni ses interventions pour l’aider. L’aveu de sa fille lui causa un choc d’autant plus fort qu’il se préparait à recevoir les ordres mineurs et ne plaisantait plus avec la loi du Seigneur. Bien que très mal placé pour donner des leçons en matière d’adultère, il tenta en vain de mettre la coupable devant ses responsabilités. Dès la mi-octobre 1864, Wagner fut installé à Munich non loin de la résidence royale dans une splendide maison de la Briennerstrasse, presque en face de celle où avait logé Lola Montès, regrettable coïncidence. Le roi paya le loyer de ce logis seigneurial bâti sur un plan carré avec une loggia surmontée d’une coupole. Wagner le meubla avec luxe, fit venir un immense piano et convoqua sa couturière favorite, une dame Bertha qui se précipita depuis Vienne avec des flots de soie, de satin, de velours, pour transformer le petit palais en bonbonnière. Elle confectionna, toujours en soie et en satin, des robes de chambre ouatinées – Wagner en avait ordinairement vingt-quatre – ainsi que chemises et autres pièces de garderobe. Furent également livrés des flacons de Rose du Bengale, le parfum préféré du Maître dont il inondait sa personne et sa maison. Les factures étaient envoyées à Pfistermeister qui, trouvant le procédé désinvolte, fit des remarques. Le roi n’attendit pas pour tenir la promesse qu’il avait faite à Wagner de
le délivrer de tout souci financier. Dès le lendemain de leur rencontre, il lui fit donner 4 000 florins et lui assura une pension mensuelle du même montant, ce qui représentait le salaire mensuel d’un conseiller ministériel. Wagner convint avec Sa Majesté qu’il serait convenable de n’avouer publiquement qu’environ le tiers de ces libéralités. En décembre, cette pension fut portée à 5 000 florins ; ce ne fut pas suffisant, ce ne le serait jamais. L’argent fondait entre les mains du compositeur plus vite que beurre en broche. Qu’importe ! Wagner redemandait ; il avait l’art de pleurer misère non seulement avec grâce, mais sans une ombre de gêne. N’avait-il pas dit à Mme Wille qui l’avait abrité dans sa dernière fuite : J’ai les nerfs fragiles, il me faut de la beauté, de l’éclat et de la lumière. Le monde me doit ce dont j’ai besoin. Je ne peux pas rester vissé sur ma chaise d’organiste comme votre maître Bach ! Est-ce vraiment trop demander si je pense que le peu de luxe auquel j’ai droit devrait venir à moi ? Moi qui réserve au monde, à des milliers de gens, de telles jouissances20.
Le 10 juin, le roi, qui avait le plus grand respect pour les nerfs fragiles du compositeur et aucun sens de ce que coûtaient les choses, lui fit verser, en espèces, 16 000 florins, puis à nouveau 4 000 pour frais de déménagement. Le 18 octobre, Louis II accepta un contrat par lequel Wagner toucherait 30 000 florins d’honoraires pour la composition du Ring, la fameuse Tétralogie. La moitié de la somme fut payée immédiatement. Que tout cela fût trop n’effleura pas un instant Wagner : « Le monde me doit ce dont j’ai besoin. » Encore une fois, le compositeur se montra timide dans ses remerciements : « Quand m’a été faite l’annonce de la gratification que vous m’avez octroyée, tout a paru peser plus gravement et plus lourdement encore sur moi et j’ai sombré dans un silence profond21 », écrit-il. Louis n’en fut certainement pas choqué. Pour lui, l’argent était un simple attribut de la royauté, aussi lui paraissait-il normal qu’il coulât des mains royales aussi naturellement que les sources jaillissaient au pied des montagnes bavaroises. Grâce à cette divine propriété des mains du roi, celui-ci peut obliger qui il veut autant qu’il le veut ; en douter serait un crime de lèse-majesté. Cette attitude du roi vis-àvis de l’argent fut celle qui causa le plus directement sa perte. Louis, qui commençait à s’éloigner des réalités en s’enfonçant toujours plus profondément dans ses rêves, était comme un enfant auquel on aurait donné une baguette magique lui permettant d’exaucer les souhaits de ceux
qu’il aime. Non seulement il ouvrait largement sa bourse, mais, sensible au désir de Wagner de voir un jour construire un théâtre grandiose qui deviendrait le temple de son œuvre, il voulut exaucer ce vœu dès le 26 novembre 1864. Il décida de faire édifier sur une colline au-delà de l’Isar un théâtre aux dimensions pharaoniques, ce qui demanderait de démolir un quartier et de construire un pont. Le budget était chiffré à 5 millions de florins pour la construction du seul théâtre. Le musicien imposa un architecte étranger, le Suisse Gottfried Semper qu’il avait connu à Zurich. Les travaux devant durer six ans et les œuvres du Maître ne pouvant languir, on construirait – qu’à cela ne tienne – un second théâtre, plus petit, afin d’attendre la réalisation du premier. Devant un tel programme, les membres du gouvernement s’inquiétèrent. Pfistermeister fit encore des remarques. Le baron von Pfordten, nouveau chef du gouvernement, également ministre des Affaires extérieures, avait été au service du roi de Saxe, aussi avait-il particulièrement à l’œil « l’homme des barricades ». Il advint donc que le dossier de l’architecte Semper et ses 5 millions de florins se perdissent dans les méandres de l’administration, lieu où, chacun le sait, un dossier peut voyager très longtemps, et même disparaître. La famille Bülow s’installa dans une maison de la Luitpold Strasse, proche de celle de Wagner. Au prix d’une vie épuisante – une double vie –, Cosima prit en charge les deux « foyers » ; rien n’aurait arrêté cette femme de fer. Le matin, elle dirigeait son ménage, puis vers midi gagnait la Briennerstrasse où elle se conduisait en maîtresse de maison. Les amis notèrent l’ascendant qu’elle prenait sur Wagner. Elle ouvrait ses lettres, rédigeait sa correspondance, de sorte qu’on ne put bientôt accéder au compositeur que par elle. Louis, d’abord quelque peu étonné, la prit pour une bénévole particulièrement zélée. N’était-il pas normal que la fille de Liszt, l’épouse du chef d’orchestre du Théâtre royal, se consacrât à la musique ? Poliment, il prenait des nouvelles de celle qu’il appelait comme Wagner : « l’Amie ». La rumeur publique qui assurait que le compositeur vivait ouvertement avec l’épouse de son chef d’orchestre et qu’elle attendait un enfant de lui n’atteignit pas ses chastes oreilles. À la fin de l’année, la première de Tannhäuser à Munich se passa bien. Le 31 décembre, le roi écrivit à son idole : « L’année qui sera bientôt écoulée aura été la plus belle de ma vie. Elle a été tout entière enivrante et heureuse22. »
Beaucoup trop sûr de « son » roi, vaniteux au point de ne tenir aucun compte du rôle que pouvait encore jouer l’entourage de celui-ci, Wagner ne se gênait plus, si tant est qu’il eût jamais fait des efforts en ce sens. Le roi commençait pourtant à prêter attention aux réflexions de son cabinet quant au montant des dépenses causées par le nouveau venu. Louis était également sensible à tout manquement à la courtoisie et au bon goût, or Wagner ne s’embarrassait guère de délicatesse. Au début de l’année 1865, le compositeur ayant décidé de lui offrir son portrait, Louis II proposa de le faire réaliser par le peintre de la cour. Wagner préféra l’un de ses amis et fit envoyer la note au palais où Pfistermeister sortit de ses gonds. Le compositeur assura qu’il s’agissait d’un malentendu et régla la facture. Mais, quand le 6 février il se présenta à une audience prévue, on le renvoya en lui disant qu’il avait mécontenté Sa Majesté. Une semaine plus tard, le roi n’assista pas à la représentation de Tannhäuser et le bruit d’une disgrâce du Maître se répandit. Le 19 février paraissait dans l’Allgemeine Zeitung le premier article – anonyme – ouvertement dirigé contre le compositeur que bien des Munichois avaient déjà surnommé Lolus. Le texte dénonçait les exigences, l’ingratitude et la vie de sybarite de Wagner, « à tel point qu’un grand seigneur oriental n’aurait pas craint de lui demander l’hospitalité dans son palais près des Propylées23 ». On soulignait aussi, et c’était plus grave, le trop grand désintéressement du jeune roi ; entre les lignes on pouvait lire l’inconscience de Louis II. Le bon sens, en Bavière comme ailleurs, veut que tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se brise. Même le théologien Ignaz von Döllinger que ses menées libérales commençaient à faire connaître et qui était un ami et un défenseur du roi se sentait envahi par le doute : Notre maître royal vit et flotte continuellement au cœur des légendes, de la poésie, de la musique, des drames, écrit-il. Le théâtre est son univers, c’est la substance de toute merveille pour lui. Du reste du monde et de sa prose, il ne veut rien savoir et préfère s’en tenir éloigné le plus possible. […] Qu’adviendra-t-il de tout cela ? Et c’est justement maintenant, à cause du développement politique en Allemagne, que nous avons un besoin urgent d’un souverain qui possède jugement et volonté24.
Si les personnes les plus bienveillantes envers Louis II raisonnaient ainsi, qu’en était-il des autres ? Malgré tout, devant les demandes incessantes du musicien, jointes à une volonté affichée de se mêler des
affaires politiques du pays, les illusions royales commençaient à vaciller. Wagner, affolé par une disgrâce à laquelle il ne s’attendait pas, submergeait le roi de lettres de plusieurs pages. Le 9 mars, après avoir écrit un long passage sur le dégoût que lui inspiraient les araignées (autrement dit les délateurs qui l’avaient calomnié), il menaça Louis de partir. Le recours au chantage deviendra son arme favorite. « Je sens ce que je suis pour l’Ami. Lui seul peut me dire : pars. Moi je ne le puis. Que dois-je faire à présent ? » Avant de conclure : « Je dépose cette solennelle déclaration aux pieds de mon Rédempteur. Puisse-t-il grâce à elle poser encore sur moi son regard. Car il me faut encore conquérir la libre jouissance sans entraves de la présence enivrante de mon ami, et de mon Roi plein de grâces »25. Louis répondit le 11 mars : « Restez. Restez ici. Tout sera magnifique comme avant. Je suis occupé26. » Et Wagner d’expédier des pages délirantes qui invoquaient le vendredi saint et le Dieu des douleurs. L’adoration de Louis pour Wagner prit rapidement le dessus et Tristan put être monté, non sans difficulté. Le 15 mai, au matin de la première, un huissier se présenta chez Wagner avec la note d’une vieille dette que le compositeur avait négligé de payer. Louis empêcha la saisie de corps et de biens en versant 2 400 florins. L’après-midi, la cantatrice qui tenait le rôle d’Iseult prit un bain trop chaud qui le rendit aphone, ce qui fit repousser la représentation au 22 mai. Le roi assista seul dans sa loge à la première ; il ne pouvait supporter que quiconque fût à ses côtés durant ces moments d’extase. Dans les loges adjacentes se trouvait la famille royale au grand complet : le grand-père du roi, l’ex-roi Louis Ier, le duc Max en Bavière et la duchesse Ludovica étaient présents. Le ténor Ludwig Schnorr von Carolsfeld que Wagner considérera toujours comme le plus grand de ses interprètes combla tous les espoirs. Le public fut ému et les chanteurs sanglotèrent sur la scène quand le rideau tomba. Une fois le roi parti, Wagner vint saluer le public depuis la loge royale, ce qui scandalisa les courtisans. Ceux-ci avaient une autre cause d’indignation. L’épouse du chef d’orchestre, la baronne von Bülow, avait mis au monde le 12 avril une petite fille baptisée Isolde dont Bülow avait endossé la paternité. L’humeur du mari trompé en était devenue plus difficile. Brutal avec ses musiciens, il battit sa femme, du moins c’est ce qu’elle rapporte dans son Journal, notant : « Il était indigné par l’indifférence et le calme avec lesquels je supportais ses coups. » On imagine très bien Cosima en madone
impassible. Elle racontait ces scènes à Wagner tout en jouant pour le reste du monde l’épouse parfaitement dévouée à son mari. Telle une flèche lancée vers la cible, Cosima filait vers son but. Les remords viendraient en leur temps ; en attendant, elle avait adopté l’adage qui assure que qui veut la fin veut les moyens. Lors de la création de Tristan, ce fut donc le front haut, souriante et couronnée de roses qu’elle assista au triomphe de son amant tandis que son mari dirigeait l’orchestre. Louis fut enthousiasmé, on pourrait dire électrisé, par Tristan ; avant même d’avoir assisté à la soirée, il écrivait à Wagner au matin du 15 mai : Un Et Tout. Somme de ma béatitude. Jour ineffable. Tristan ! J’attends le soir dans la joie. Puisse-t-il ne pas tarder ! Quand le jour s’abîmera-t-il dans la nuit ? Quand le flambeau s’éteindra-t-il ? Quand la nuit sera-t-elle dans la demeure ? Aujourd’hui, aujourd’hui. Comment y croire ? Pourquoi me louer, me célébrer. C’est lui qui est le miracle du monde. Que suis-je sans lui ? […] Oh ! comment faire enfin fleurir pour lui, sur la terre le repos, une paix éternelle, une joie toujours vivante27 ?
Depuis Berg, le roi exalté se rendait à Munich par train spécial, dans un wagon peint, capitonné, sculpté, chantourné, portant sur le toit une gigantesque couronne dorée. Ce train, surnommé « le Versailles sur roues*6 », allait recevoir des aménagements de conte de fées durant six années avant d’être remplacé par un autre plus discret permettant de voyager incognito. Le roi assista à deux représentations de Tristan et, n’ayant pu se trouver à la troisième, en réclama une quatrième. Submergé par l’émotion, tout à fait hors de lui-même, Louis faisait arrêter le convoi sur le trajet du retour pour se promener dans la forêt et terminait le voyage juché à l’avant de la locomotive. L’univers de passion et l’amour impossible de Tristan qui conduisaient ses héros vers la perdition et la mort étaient les siens. Les représentations terminées, il partit vers l’un de ses refuges de montagne d’où il écrivit à son Maître : « Je suis épuisé, je suis entièrement conquis ; je brûle de revivre les premières délices […] Gloire à leur Créateur ! je m’agenouille devant lui […] je vous supplie de ne pas abandonner celui qui n’a que Dieu vers qui se tourner – Vous et Dieu ! Jusqu’à la mort, et après la mort dans le royaume de l’Au-delà28. » La mort n’était pas pour eux, mais pour le jeune chanteur Ludwig Schnorr von Carolsfeld qui mourut à Dresde le 21 juillet d’une pneumonie. Wagner partit dès qu’on sut le chanteur malade et envoya au roi un récit
apocalyptique de la fin du ténor qui, selon lui, aurait expiré dans ses bras en criant : « Mon Richard m’a aimé, je meurs heureux. » Ce mourant très tonique chantait aussi des passages du Crépuscule des dieux, lequel n’avait pas encore été mis en musique. Des amis révélèrent qu’en fait Wagner arriva trop tard pour les obsèques. Le roi fut très assombri par cette fin brutale. La magie engendrée par Tristan se brisait sur la mort. Louis II n’en continua pas moins de délirer dans des lettres auxquelles Wagner s’efforçait de répondre sur le même ton. Sa Majesté invita même celui-ci à passer – honneur insigne – une semaine à Hohenschwangau au début de novembre. Le compositeur vint avec un petit orchestre. Un beau dimanche, Louis fut éveillé par des cuivres postés sur les tours qui jouaient le réveil du deuxième acte de Lohengrin, quand les soldats se répondent d’une tour à l’autre. Chaque jour, les amis se promenaient dans la forêt dans une voiture attelée à quatre chevaux. Ils lisaient des opéras, bâtissaient des rêves d’avenir et le soir écoutaient les musiciens. Wagner lut au roi le début de ses Mémoires. Sa Majesté l’entretint des projets de l’architecte Semper concernant l’édifice monumental de l’avenir et, comme le compositeur faisait allusion à l’opposition que le projet suscitait, il lui fut répondu : « Tout doit être accompli. » Louis, plein d’un bonheur exalté, écrivit à Cosima : « Je suis au ciel ! Ah, quelles journées sublimes ! Il est heureux, ô comble du bonheur ! Promettons-nous solennellement l’un à l’autre de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour lui sauvegarder la tranquillité acquise… de l’aimer, de l’aimer de toutes les forces que Dieu a conférées à l’âme ; Oh ! il est divin, divin29 ! » Wagner, de son côté, écrivit à Cosima : « Prie pour le pauvre Hans »… À la fin du séjour le roi reconduisit le compositeur à la gare dans un magnifique équipage, ce qu’il ne devait faire que pour une personne royale, et lui offrit des boutons de manchettes porteurs de cygne ainsi qu’une montre décorée de l’inévitable volatile. Le succès de Tristan poussa Wagner à négliger toute prudence, donc à exiger encore plus et surtout à se mêler de politique. Quand il réclama la création d’une école allemande de musique destinée à former les musiciens qui interpréteraient son œuvre, Pfistermeister bondit. Afin de priver ce dernier de toute influence, Wagner demanda la création d’une charge d’intendant pour tout ce qui concernerait l’art en Bavière, en somme un poste de ministre de la Culture. Il poussa la légèreté jusqu’à écrire au roi au sujet du secrétaire de cabinet de Sa Majesté : « Mon étrange destin veut
que jamais je n’aie eu affaire dans les échanges purement extérieurs de ma vie à des natures raffinées et élevées, mais seulement à l’espèce humaine la plus basse30. » Louis ne réagit pas, pas plus qu’il ne réagira en recevant une lettre qui lui réclamait le bénéfice à vie d’un capital de 200 000 florins, 40 000 devant être versés immédiatement, le reste en rente annuelle de 5 % sur la somme restante. Le roi avait horreur de parler argent ; ce fut Pfistermeister qui conduisit les négociations avec Cosima et celle-ci ne lâchait rien. Il fut finalement décidé que Wagner recevrait les 40 000 florins immédiatement et que la rente annuelle serait de 8 000 florins. Wagner expliqua au roi que Cosima, « qui se réjouissait comme un enfant du beau geste de votre part », était allée elle-même chercher la somme. « Elle regretta seulement que ce grand bonheur m’eût été annoncé par un bref avis de votre secrétaire. Elle aurait souhaité que vous-même, très cher, m’eussiez en personne fait parvenir le présent. Je souriais de son ingénuité […]. » Donc indélicatesse du roi et grande délicatesse de Cosima, peinte comme une enfant de Marie légèrement niaise tout de même. Toute la lettre écrite par Wagner le 14 juillet 1866 est de cette eau31. Au passage, le compositeur morigénait le roi. Le caissier de la banque ne s’était-il pas permis de parler à Cosima avec des « mots secs et rudes » ! La banque, il est vrai, avait réservé un tour à sa façon : au lieu de papier monnaie, elle avait préparé deux gros sacs de pièces. Qu’à cela ne tienne, la baronne von Bülow décida « de faire honte par sa patience à ces indignes exécuteurs de la faveur royale ». Elle envoya donc sa bonne d’enfant chercher deux fiacres et aida à charger les sacs. Après quoi, l’ingénue déposa le butin chez Wagner où elle « raconta gaiement les efforts qu’il lui avait fallu déployer ». Le fait donna lieu à une très fâcheuse publicité. La lettre de Wagner se terminait non sur des remerciements pour la somme faramineuse, mais par quelques explications sur le fait que Cosima « enfermée, solitaire, seule sans protection dans sa maison et qui craint de perdre la raison » habitait désormais avec lui. Le roi avala l’épître, mais les Munichois, beaucoup moins innocents, ne parlaient plus que du couple de sangsues qui vidait la liste civile. Quant aux 40 000 florins, ils disparurent en quatre mois ; nul ne sut jamais comment. La façon dont Wagner dilapidait les sommes reçues reste un insondable mystère. Il semble tout de même que la dame Bertha en ait emporté une grande partie en échange de capitons de soie, de robes de chambre de satin, de courtepointes, de tentures et de tapisseries.
Dès le début de leur rencontre, Louis II avait demandé à son héros comment il pouvait unir ses idéaux politiques et son amitié avec un roi. Le compositeur répondit par un Traité sur l’État et la religion où il reconnaissait « que sa seule erreur avait été de confondre l’art et la vie ». Autrement dit, il n’était révolutionnaire qu’en musique, ce qui était rassurant pour Sa Majesté. Wagner développa tout de même l’idée – si utopique qu’elle en devenait innocente – selon laquelle il fallait tendre à remplacer le travail par des occupations qui deviendraient forcément un jour ou l’autre artistiques, ce qui leur donnerait un caractère ludique. L’agriculture par exemple ne serait plus qu’un jardinage festif. On ne sait si le roi pensa qu’il pourrait un jour inciter les Bavarois à « batifoler en remuant du foin ». Le compositeur donnait aussi le conseil de ne tenir aucun compte de l’opinion publique, car celle-ci suivait la presse, laquelle était cause d’une regrettable perte des valeurs et de la décadence générale. Wagner recommandait au roi de se tourner plutôt vers la religion et de fortifier sa foi. Ce fatras dut tranquilliser Sa Majesté en lui donnant à penser que le compositeur était un utopiste parfaitement inoffensif. Inoffensif pour Louis voulait dire qui ne touchait pas à son pouvoir royal. Ce fut à partir du mois de septembre que Wagner jugea que l’heure était venue de révéler au monarque quel devait être son rôle en ce monde. Le roi reçut donc des feuillets publiés plus tard sous le titre : Qu’est-ce qui est allemand ? L’ancien républicain s’y muait en professeur de souveraineté absolue. Wagner avait la fibre professorale et sans doute fut-il sincère quand il crut voir en ce jeune homme plein d’illusions le seul prince allemand ayant le sens de la royauté et capable de réunir les idéaux artistiques et nationaux. Il apprit au roi que ce qui était allemand, c’est-àdire noble et désintéressé (Louis dut quand même sursauter), s’incarnait dans la personne de Bach (l’organiste vissé à son tabouret). La pureté allemande étant menacée par la « démocratie franco-germano-juive », le roi avait reçu pour mission du Tout-Puissant de conduire le peuple allemand qui avait le plus grand besoin d’être sauvé vers une rédemption, car ce malheureux peuple, coincé entre les Junkers prussiens et les Juifs, ne pouvait trouver son salut qu’avec lui. Louis devrait donc repousser les Prussiens, faire disparaître les Juifs (Wagner parle bel et bien d’anéantissement) et remettre la presse à une place modeste qu’elle n’aurait jamais dû quitter. Ensuite, il lui faudrait abattre une à une les barrières qui séparaient le monarque du peuple, à commencer par la caste
militaire. Mais, bien entendu, avant que tout cela ne fût accompli, le roi devait réaliser la première mission qui lui était confiée par le ToutPuissant : aider le compositeur à créer l’œuvre d’art absolue. On lit ainsi à la date du 19 janvier 1866 : « Soyez un roi tout royal. Il le faut, pour donner au monde mon œuvre32. » Il n’est pas sûr du tout que Louis ait cru à ces sottises ni même qu’il ait cherché à y comprendre quelque chose. Il s’était déjà opposé et s’opposera jusqu’à son dernier souffle à l’antisémitisme militant de Wagner, il savait aussi que la Bavière disposait d’une armée d’opérette et n’avait aucune envie de se frotter à la Prusse. Quant à l’idée de rédemption, que l’on trouve présente dans presque toutes les œuvres de Wagner, elle demeurait étrangère au roi qui, comme tous les Bavarois, se trouvait en bon catholique très satisfait que le Christ fût venu se charger de cette question. Cependant, désireux de ne pas casser l’enchantement, le jeune monarque laissa le compositeur à ses élucubrations, aussi tous deux continuèrent-ils à rivaliser d’hyperboles. Louis, en fait, n’avait jamais demandé à Wagner que d’incarner son univers intérieur. Loin de désirer construire un monde nouveau, le roi voulait retrouver l’ancien, celui de l’antique chevalerie. Si Wagner l’avait compris, il serait resté à Munich. Non content de piller la liste civile, le favori et son équipe manifestaient le plus complet mépris envers les malheureux Munichois. Wagner répétait qu’il était « là pour éduquer le goût du public ». Quant à Bülow, en bon Prussien, il prenait de haut les Allemands du Sud. Le jour où on lui reprocha de retirer une rangée de fauteuils dans le Théâtre royal, il lança : « Quelle importance si deux douzaines de pourceaux ne trouvent pas place au parterre. » La presse relayait la fureur des cochons payants et donnait des chiffres. C’était toujours le compositeur qui était visé, mais le roi se trouvait atteint. On remarqua que Sa Majesté était désormais absente de sa capitale six ou sept mois par an. On en conclut qu’elle était tombée aux mains d’un couple d’aventuriers. La question des dépenses consenties par Louis II devenait toujours plus insupportable. Wagner avait fait si bien que moins de une année après son arrivée à Munich il avait été pris en grippe par la presse et par l’opinion publique convaincues qu’il ne cherchait qu’à profiter de la jeunesse et de la naïveté du roi ; que ce fût au profit d’une œuvre musicale d’envergure n’était pas la préoccupation des Bavarois qui réglaient les frais de l’opération. Le monde me doit ce dont j’ai besoin. Le monde, peut-être… mais pourquoi la Bavière ?
Le séjour à Hohenschwangau de l’automne 1865 avait fini d’aveugler Wagner sur son pouvoir. Il avait complètement oublié que le pays était doté d’une Constitution et d’un gouvernement, lequel correspondait avec le roi via un cabinet que le compositeur avait tout à fait négligé. Les sommes versées par Louis II à Wagner étaient prises, bien entendu, sur la liste civile, laquelle était contrôlée par le secrétaire de la Caisse civile. Celui-ci avait accepté que le roi payât les dettes du compositeur, puis les sommes énormes versées annuellement. Il avait encore avalé le contrat d’achat de la Tétralogie, mais butait nettement sur l’idée de construire deux théâtres wagnériens. La liste civile atteignait alors 2 millions de florins, dont le quart était réservé à l’ex-roi Louis Ier, toujours en vie. Les donations, charités et divers engagements de la Couronne prenaient une bonne partie du solde. Il restait au roi 300 000 florins par an, et le théâtre dont Wagner confiait la construction à un étranger devait demander au bas mot 5 millions, sans parler de ce que coûteraient la destruction d’un quartier, l’édification d’un pont sur l’Isar et la construction d’un théâtre provisoire. Cela était pour les chiffres, la question politique devenait aussi plus embarrassante. Louis II avait cru bon de montrer à son cabinet les feuillets sur lesquels Wagner notait ses leçons de souveraineté absolue, ce qui atterra les ministres. D’autant que si rien encore n’avait transpiré qui fût relatif à la santé mentale du roi, les membres du gouvernement commençaient à se douter fortement que « quelque chose n’allait pas ». On ne pouvait laisser un roi si fragile entre les mains d’un homme si avide. Descendant des Alpes bavaroises enivré de bonheur après le séjour à Hohenschwangau, le compositeur tomba de haut. Un article très violent du Neue Bayerische Courier le comparait, lui et son entourage, aux gros nuages de sauterelles « qui obscurcissent durant des mois le soleil ». On accusait l’ancien barricadier de séparer le roi du peuple. Wagner, furieux, demanda à Louis II de renvoyer Pfistermeister. Contre toute attente, Louis II refusa. Le compositeur, surpris, crut bon de riposter dans un article anonyme où il affirmait son pouvoir, décrivant le roi comme une marionnette entre ses mains. Le scandale fut immense. Wagner, complètement inconscient, exigea du roi le renvoi non seulement de « Pfi », mais de tout le ministère. Il désirait que le libéral Neumayr constituât un nouveau gouvernement, ajoutant : « Mais mon roi, il faut faire vite et avec décision », ce qui laissait entendre que Louis II en
manquait. La presse maintenait sa pression. Une caricature parut dans la revue Puntsch. Wagner au piano faisait danser des sacs de mille guldens qui quittaient le coffre-fort royal pour se diriger vers celui du pianiste. D’autres articles firent remarquer que Wagner vivait séparé d’une épouse qu’il laissait dans la misère. Furieux, le compositeur écrivit au roi une lettre de mise en demeure afin qu’il publiât une déclaration assurant que les assertions des journaux étaient mensongères. En humiliant le monarque présenté comme son jouet, Wagner avait franchi une limite. Louis II, qui se trouvait à Berg, regagna Munich en catastrophe et prit conseil. Il vit sa mère, son grand-oncle le prince Charles, l’archevêque de Munich, des représentants de la noblesse, des fonctionnaires… Tous parlèrent de l’abîme que Wagner était en train de creuser entre le jeune roi et son peuple, tous rappelèrent le regrettable précédent de Lola Montès. Mais le mal était fait. Après avoir rendu à Louis II le très mauvais service de l’enfoncer dans ses rêves, après avoir pillé la liste civile, Wagner avait réussi à faire d’un prince adoré dix-huit mois plus tôt un homme que l’on jugeait faible et dont on mettait les capacités en doute. Une pétition demandant le départ du compositeur recueillit rapidement quatre mille signatures. Le 6 décembre 1865, les ministres se réunirent et mirent le marché entre les mains du roi : c’était Wagner ou la démission du cabinet. Louis, aux cent coups, demanda à son médecin de lui prendre le pouls. Von Gietl concéda qu’il battait trop vite. Le roi était malade en effet, mais ce n’était pas une question de rythme cardiaque et Gietl qui soignait Louis depuis l’enfance devait le savoir. Ce fut bien le médecin qui emporta la décision en lui disant que le peuple craignait que l’influence de Wagner ne s’étendît à tous les domaines. Le roi répondit : « Vous avez raison, il s’est permis d’empiéter sur mes droits. » Telle était la limite sacrée à ne pas franchir. Le désespoir au cœur, il signa l’ordre d’éloignement de Wagner et chargea Johann von Lutz, second secrétaire du cabinet, de le porter aussitôt. Le compositeur qui ne s’attendait pas le moins du monde à cela eut un accès de rage tandis que Cosima tentait de s’évanouir. Wagner écrivit à Louis : « Mon roi, il me déplaît que vous souffriez alors que le simple exercice de votre autorité royale pourrait me procurer la paix. » On pense à Marie Mancini se cramponnant au jeune Louis XIV : « Sire vous êtes roi, je pars et vous pleurez. » Dans les lettres échangées durant deux jours avec Sa Majesté, les questions financières ne furent pas oubliées : l’argent déjà perçu et les
8 000 florins de rente annuelle resteraient acquis au compositeur. Le 10 décembre, à cinq heures du matin. Wagner, son chien et un serviteur partirent pour la Suisse. Cosima sanglotait sur le quai de la gare. À la Residenz, le roi semblait un mort vivant. Le 15 janvier 1866, toujours désespéré, il écrivait à Wotan : « Quel dénouement terrible, quel sort affreux que d’être contraint de vivre séparé de l’Unique. Non, non mon ami, j’espère, je crois, j’aime. Ah tout doit-il s’effondrer ? […] Quand je pense que mon destin est maintenant d’user ma vie dans les regrets et les soucis, séparé pour longtemps, pour toujours peut-être, de l’Unique qui sur terre soit aimé de moi 33. » Le plus grave était que l’homme qui s’éloignait laissait une opinion inquiète. Un journal libéral évoqua « ce que le pays a appris au sujet du caractère de Sa Majesté » et beaucoup commençaient à se poser des questions relatives aux bizarreries du jeune roi. Des rumeurs d’abdication circulaient ainsi que les premiers soupçons sur la santé mentale de Louis II. Ils étaient fondés : le roi n’avait pas supporté une séparation qu’il considérera toujours comme imposée par la force. Il en voulut à sa mère, aux Noirs*7, aux ministres, à la ville de Munich qu’il n’avait jamais aimée et qu’il prit en horreur. À partir de ce déchirement, il développa un sentiment de persécution qui ira s’accentuant. La maladie prenait le dessus.
*1. La fête de la Bière – aujourd’hui la plus grande fête foraine du monde – avait été créée en octobre 1810 à l’occasion du mariage du futur roi Louis Ier. *2. Après Rienzi, Wagner rejettera, pour ses œuvres, le terme d’opéra, préférant celui de drame musical. *3. De ce palais détruit pendant la Seconde Guerre mondiale ne reste que la porte monumentale. *4. « Ceux du monde d’en bas ». *5. Née au bord du lac de Côme, le 25 décembre 1837. *6. Deux des wagons se trouvent aujourd’hui au musée des Transports de Nuremberg. *7. Les ultramontains.
III
Les secrets d’un roi Louis II était né dans une famille dont la santé psychique avait très mauvaise réputation et à propos de laquelle il convient toujours d’évoquer « la lourde hérédité des Wittelsbach ». Une image si négative doit un peu à la présence d’illustres névrosés dans la branche cadette de la famille, celle des ducs en Bavière. Élisabeth, la ravissante Sissi, son anorexie, son spleen et ses lubies, ont fait beaucoup pour alimenter cette mémoire ; son fils Rodolphe, dépressif et opiomane, n’a pas arrangé les choses. Mais la névrose n’est pas folie et son caractère héréditaire est loin d’être établi. De toute façon, Louis naît dans la branche aînée des Wittelsbach qui semble – à première vue – assez saine. Des tentatives ont bien été faites pour enrôler Louis Ier, grand-père de Louis II, dans les rangs des « rois fous de Bavière », mais couvrir sa capitale de beaux monuments et se compromettre avec une courtisane n’est pas folie ; l’homme était au plus un original. Son fils, le roi Maximilien II, et son épouse, Marie de Prusse, parents de Louis II, étaient si équilibrés qu’ils en paraissaient ennuyeux. Sans doute un cousin germain de Marie, le roi Frédéric-Guillaume IV de Prusse, est-il souvent qualifié de fou, mais c’est encore inapproprié, le monarque ayant été victime d’un accident vasculaire cérébral qui le laissa en partie paralysé et privé de ses facultés intellectuelles. Alors, où se trouve la folie des Wittelsbach ? Elle est là cependant, un peu cachée tout de même, et c’est Louis II qui la révèle en parlant plusieurs fois dans ses lettres de la chère tante Alexandra dont la maladie nerveuse, à l’évidence, le terrifie. Alexandra de Bavière n’apparaît pas dans toutes les généalogies. Elle est la dernière des huit enfants du roi Louis Ier, la plus jeune sœur du roi Maximilien II, la tante de Louis. Schizophrène, elle connut sa première
crise à vingt ans et dut être internée à Illenau. Cette jeune femme très mince, toujours vêtue de blanc par obsession de la propreté, connaissait des répits durant lesquels elle se consacrait à la littérature – elle traduisait les grands auteurs français et écrivait des contes pour enfants – avant de retomber dans la maladie ; dans ses moments de délire, elle croyait avoir avalé un piano de verre. Alexandra est sans doute, et sur plusieurs générations, la seule « folle » de la famille, mais les parents de Louis étaient cousins issus de germains, ce qui multipliait les risques, d’autant que les princes et les princesses allemands avaient l’habitude de se marier entre eux depuis la nuit des temps. Si l’on voulait avancer vers l’œil du cyclone, on trouverait sans doute la famille de Hesse, surtout la branche Hesse-Darmstadt. Deux des arrière-grand-mères de Louis étaient nées princesses de Hesse-Darmstadt. Sur le délicat sujet de la santé mentale du roi, quantité de personnes – historiens, romanciers, wagnériens patentés et même poètes – ont donné leur avis. On n’a pas assez demandé celui des médecins. On avancera, et ceci a été souligné plus d’une fois, qu’aucun psychiatre n’a jamais pu examiner Louis II avant l’internement de celui-ci, mais, encore une fois, la masse de témoignages et d’écrits que l’on possède permet à un spécialiste d’établir les grandes lignes d’un diagnostic. Il faut dire que la façon dont le roi « géra » sa maladie, réussissant en partie à la cacher, la lente évolution du processus pathologique et le fait que Louis eût gardé jusqu’au bout une grande partie de ses facultés intellectuelles et sa mémoire ont fait douter de la nature et de la gravité des troubles. Quelques études médicales ont cependant été conduites, la plus complète étant une thèse soutenue en 1974 par Jean Adès1. Ce dernier perçoit assez tôt les prémices de la maladie chez celui qui n’était encore que le kronprinz, sans pouvoir dire toutefois si l’on se trouve alors devant une personnalité « simplement » schizoïde ou s’il s’agit d’un processus schizophrénique débutant. La schizophrénie, jadis appelée démence précoce, se déclare à la sortie de l’adolescence ou chez le jeune adulte. Elle est marquée par la dissociation de la personnalité qui éloigne peu à peu le malade de la réalité. Le mal a une causalité interne, mais des facteurs extérieurs peuvent devenir ce qu’on appelle des « facilitateurs ». Au premier rang de ces facteurs, au moins chronologiquement, se trouve chez le jeune Louis II une éducation rigide et surtout une jeunesse coupée de la vie réelle qui avaient conduit le jeune garçon à se replier sur un monde de rêves qu’il allait préférer à la
réalité. La rencontre avec Wagner en piégeant le roi dans ce rêve provoqua un basculement décisif. L’importance de la rupture avec le compositeur qui lui avait été imposée fut longtemps tue par le roi. Il ne devait le confier que tardivement, dix-huit ans plus tard, à l’écrivain Felix Dahn. Celui-ci, alors poète fort connu, était allé remercier Louis II qui lui avait accordé une autorisation de divorce. Au mois d’août 1873, il fut autorisé à le rejoindre dans son chalet de Schachen – le Schachenschloss – où le roi avait fait installer une salle turque. Dahn atteignit péniblement la maison. Émergeant de la forêt, il avait croisé un jeune taureau dont il avait dû se défendre avec son parapluie. La conversation avec Sa Majesté dura plusieurs heures. Le poète précise que Louis II sautait d’un sujet à l’autre sans aucun fil conducteur. Cette longue et extraordinaire confidence donne l’impression d’une libération ou, plus exactement, d’un débordement. Le roi, surexcité, parlait de plus en plus fort « et de manière stridente » en arpentant la pièce tandis que « les veines gonflaient sur son cou et que son visage se congestionnait », au point que Felix Dahn « n’excluait pas tout à fait la survenue d’une attaque cérébrale »2. Après s’être emporté contre la Prusse, le kronprinz prussien détesté, les ultramontains, le roi lança que ce qui l’avait amené à rompre avec la société avait été le renvoi de Wagner : Ils ont monté ces crétins de philistins à la bière de Munich contre Wagner et moi, lança-t-il. Ils reprochaient à Wagner d’exercer sur moi une influence politique dangereuse. Il m’aurait prussianisé […] Et ils m’ont fait croire – j’étais encore si jeune ! – que si Wagner était resté près de moi, une révolution aurait éclaté à Munich. Ah ! les misérables […] Ils m’ont dit qu’il était aussi haï par le peuple que Lola Montès en son temps ! On l’appelait même ma Lola. J’ai donc capitulé, cruellement trompé. Et le pire de tout cela, c’est qu’elle […] elle y a participé3.
Dahn fit préciser : le roi parlait bien de la reine mère que, devant le poète horrifié, son fils, en plein délire, couvrit d’injures. Louis gardait le sentiment d’une trahison. Déchiré par le départ de l’Unique, il allait s’éloigner presque définitivement de Munich à qui il ne pardonna pas d’avoir chassé l’idole. Dès que les premières difficultés causées par Wagner étaient apparues, le roi s’était réfugié à Berg. L’ambassadeur de Hanovre, le baron de Ompteda, écrivait le 30 juin 1865, alors que Louis ne régnait que depuis un peu plus de un an : « Le roi réside à Berg. J’entends dire partout de manière unanime que Sa Majesté s’isole presque complètement de son entourage proche, et trouve son plaisir dans de longues chevauchées parfois de plusieurs jours, dans le plus strict
incognito4. » Le petit château, aménagé par son père dans un style Walter Scott assez laid, devint son premier refuge. Cependant, à la date où Wagner lui était arraché, Louis n’était pas seul. Depuis l’été 1863, le prince Paul von Thurn und Taxis était entré dans la vie du jeune roi. À la demande de son père, le prince Maximilian-Karl, il avait été nommé sous-lieutenant au 2e régiment d’infanterie bavarois, avant de devenir en mai 1863 l’un des officiers d’ordonnance du jeune kronprinz. Les jeunes gens se plurent aussitôt. La liaison, traversée de nombreuses et brutales ruptures du fait des exigences et des humeurs de Louis, se poursuivit après l’accession au trône du roi. En raison de l’idéalisme et de la naïveté des deux intervenants, elle demeura chaste longtemps. Paul n’avait qu’un peu d’expérience avec des femmes et fut toujours terriblement intimidé par le jeune roi, il n’était en rien un initiateur. Il fut un amoureux timide et tendre, complètement subjugué par l’homme dont les caprices le décontenançaient. La lettre qu’il écrivait à la fin du mois d’avril 1866 trouve un écho dans beaucoup d’autres : Notre conversation de cet après-midi m’a attaché plus étroitement à vous que jamais. Après vous avoir fait une confession sincère, j’ai reconnu en vous l’ami équitable et magnanime. […] Moi aussi, je vais être heureux maintenant et j’aurai une raison de vivre, puisque je vivrai pour vous, sachant que je vous suis cher et que je le serai toujours. Sur tout ce que j’ai de plus sacré, je vous jure fidélité et amitié éternelles […] Vous serez ma pensée suprême. Vous êtes tout pour moi. Puisse Dieu vous accorder sa bénédiction de telle sorte qu’aucune force sur la terre ne parvienne à nous séparer. Vous pouvez construire sur moi comme sur le roc. Je ne vous décevrai jamais5.
Hélas ! l’homme qui ne pouvait décevoir Louis II n’était pas né. L’homosexualité de Louis II, qui est une tout autre question que celle de sa maladie, fut aussi un secret. Elle a été cachée, parfois ignorée par ses premiers biographes qui ne font que quelques allusions à des « racontars malveillants ». Jacques Bainville décrit le roi comme un ange tombé étourdiment sur la Terre. « Est-il même certain qu’il n’ait pas jusqu’à son dernier jour, espéré qu’il rencontrerait une épouse d’élection ? […] Cette princesse n’est jamais venue6 ! » écrit-il. C’est la version masculine de « Un jour mon prince viendra ». Puis Bainville de batailler tant et plus pour
défendre la vertu du roi en citant une ancienne biographie où apparaît un mystérieux valet de Louis II qui assurait que : « Le roi n’a jamais eu de maîtresses. Jamais il n’a reçu de dames dans sa chambre. Il a toujours observé la plus ascétique chasteté7. » Ce valet candide se trompe sur les deux points. Comme on le verra, Louis a reçu au moins une femme dans sa chambre, et si manquer à la chasteté lui coûta, il passa outre assez souvent. À l’inverse, quand l’homosexualité du roi est reconnue, elle sert presque toujours à nier la folie, car l’auteur conclut que l’on taxe de fou celui qui est simplement singulier. Dans Le Journal de raison d’un roi fou, le poète André Fraigneau transforme Louis II en martyre de la différence. Le roi aurait été condamné et même assassiné parce que homosexuel. « Le turban de la folie, écrit-il, est vite enroulé autour de la tête dont le seul défaut est d’être étrangère. » On oublie que si l’homosexualité pouvait condamner un homme du peuple ou un bourgeois jusqu’à faire de sa vie un enfer, elle était beaucoup mieux acceptée dans l’aristocratie et encore plus sur le trône. En France, Jean le Bon et Henri III (en dépit de la mode actuelle de la nier pour ce dernier) étaient homosexuels ou bisexuels et cela ne dérangeait pas grand monde. L’homosexualité de Philippe duc d’Anjou, frère de Louis XIV, pourtant tout à fait affichée, ne l’aurait certainement pas empêché de régner si son aîné était mort avant d’avoir un fils. Quant à Frédéric II de Prusse, il vécut si bien son orientation sexuelle que l’on forgea pour lui et ses nombreux amis le terme de Potsdamite. Pour prendre des exemples dans une période contemporaine du roi Louis II, deux frères de l’empereur d’Autriche François-Joseph, l’archiduc Louis-Victor et, certainement, l’archiduc Maximilien, étaient homosexuels ; cela ne fit pas obstacle à ce que Maximilien montât sur le trône du Mexique et s’il ne put y rester, ce ne fut pas pour cette raison. Quant au duc de Cadix, François d’Assise, qu’un mariage en 1846 avec sa cousine, la reine Isabelle II d’Espagne, avait fait roi consort, c’était un homosexuel déclaré. La reine trouva des consolateurs. Elle eut onze enfants dont les pères furent variés. À une amie qui lui reprochait sa légèreté, Isabelle II aurait répondu : « Que diriez-vous si, au soir de votre mariage, vous vous étiez retrouvée au lit avec un homme qui porte plus de dentelles que vous ? » L’opinion n’en voulut pas au roi consort, mais bien à la reine dont le manque de vertu devait en partie causer la déchéance. Dans les hautes sphères, un minimum de discrétion ne protégeait certes pas des rumeurs, mais permettait de faire ce que l’on voulait. Homosexuel
ou pas, Louis II serait resté sur le trône de Bavière s’il n’avait été atteint d’une grave maladie mentale. La liberté du roi de vivre une sexualité qui le privait de descendance était d’autant plus grande qu’il avait un frère. Quand celui-ci sera déclaré incapable de régner, resteront les oncles paternels du roi. L’aîné, Otto, avait certes renoncé à ses droits sur le trône de Bavière en devenant roi de Grèce, mais demeuraient les princes Luitpold et Adalbert qui, tous deux, avaient des fils et, bientôt, des petitsfils. Louis n’avait donc pas à se soucier de laisser le trône vacant, il y aurait toujours un oncle ou un neveu pour lui succéder. Il est certain en revanche que l’homosexualité du roi, très mal vécue par celui-ci, jamais acceptée parce que en désaccord avec son éducation et surtout avec les rêves de pureté et de chevalerie qui l’habitaient, développa chez lui une énorme culpabilité et augmenta sa tendance au repli et à l’isolement. Par la voie de la mauvaise conscience et de l’autopunition, elle devint une source constante d’angoisse. La liaison avec Paul n’avait pas empêché le roi de rester fasciné par l’acteur Albert Niemann au moment où la guerre faisait rage au Danemark et à l’heure où mourait son père. De tels engouements étaient à craindre, le roi confondant l’homme avec l’acteur, et tous deux avec le rôle. Au mois d’octobre 1865 – six mois après l’épisode Niemann –, Louis s’enthousiasma pour Emil Rohde qu’il avait applaudi dans le Guillaume Tell de Schiller. L’acteur, engagé depuis un an au Théâtre de la Cour, avait alors vingt-six ans et s’illustrait dans les rôles héroïques dont le roi raffolait : Guillaume Tell mais aussi Roméo ou Don Carlos. Suivant un schéma appelé à se reproduire, Louis II invita le jeune homme à déclamer à Berg, puis l’entraîna dans un voyage en Suisse sur les pas de Guillaume Tell – le roi de Bavière adorait les fiers républicains helvétiques – avec excursion au mont Rütli*1 et à la Tellskapelle*2, où il s’engagea à faire restaurer les peintures. Les deux jeunes gens passèrent quelques jours dans l’auberge où l’histoire – ou plutôt la légende – plaçait la maison du héros. L’homme qui incarne la résistance des paysans suisses contre les ducs d’Autriche et leurs sinistres baillis est aujourd’hui considéré comme mythique. L’ardent et courageux Guillaume n’en fut pas moins l’une des figures préférées de Louis II ; par trois fois le roi entraînera sur ses traces celui qui occupait son cœur. Si on examine bien la chronologie, il est raisonnable de penser que ce fut Emil Rohde qui initia le roi et que cette initiation fit évoluer ses relations avec Paul von Thurn und Taxis. À son
retour, Louis envoya une lettre enthousiaste à la baronne von Leonrod. Le texte fait penser à un extrait de guide touristique quelque peu hyperbolisé. Le roi y décrit longuement les beautés de la nature sans mentionner Emil bien entendu, avant de philosopher : « perdu dans la contemplation des extraordinaires beautés de la nature, on en vient à prendre conscience de la sainteté de l’espèce humaine et du caractère exaltant et sublime de la création ; l’âme se sent plus proche de l’éternité ; elle éprouve le besoin profond d’adresser le tribut de son adoration et de ses louanges au Dieu tout-puissant, qui, tel un père aimant, nous a créés et veille sur nous. Malheureusement les Suisses sont moins idéalistes que le paysage qui les entoure. Ils sont religieux et travailleurs, mais sans rien d’éminent ; et ils manquent tout à fait d’enthousiasme8 ». Les Suisses ne sont certes pas réputés pour leur exaltation, mais qui eût pu en ce domaine soutenir la comparaison avec le roi de Bavière ? Quant à Sybille, c’était un cœur pur, aussi dut-elle être très émue par la lettre de son ancien pupille. Il fallut peu de temps à Louis pour s’apercevoir qu’Emil n’était pas Guillaume Tell ; il devait donc l’oublier. L’année suivante c’est avec Paul que le roi s’enfuira en Suisse. La Bavière était alors sur le point d’entrer en guerre contre la Prusse, mais son jeune roi ne songeait qu’à fêter l’anniversaire de Wagner, chassé de Munich six mois plus tôt. Un mois après cette escapade, Paul revenu chez Wagner écrivit au roi : « Hans*3 a eu la gentillesse de s’en aller afin que je puisse occuper la chambre que vous connaissez si bien. Ô magnifique souvenir. » Comme il est précisé dans la même lettre que les deux jeunes gens avaient partagé cette chambre, le doute n’est guère possible quant à l’évolution de leur relation. L’amour de Paul était sincère, profond, désintéressé, mais celui du roi fut toujours exalté, despotique et sans aucune nuance. Il revenait à Paul d’incarner un rêve d’amour absolu et si le malheureux venait un tant soit peu à faillir, il se trouvait violemment rejeté. Louis investit toujours ses conquêtes de façon démesurée, proposant d’emblée à des jeunes gens qui n’en demandaient pas tant d’abdiquer en leur faveur ou de mourir pour eux. Le jeune roi, en fait, « ne peut fixer son affectivité sur un objet extérieur à lui-même9 », l’autre n’a pas d’existence réelle, il est un prolongement de lui-même ; en l’occurrence ce n’est pas tant Paul qu’il aime que le fantasme incarné par le jeune homme. Cela est si vrai que Louis éprouva toujours le besoin de changer le nom de ses amants. Paul
devint Frédéric*4 et, bien entendu, épousa l’obsession wagnérienne de Louis. On se rappelle comment, déguisé en Lohengrin, le jeune Thurn und Taxis monta dans une barque tirée par un cygne en carton sur le Swansee. La susceptibilité de Louis était inexplicable, ses foucades et ses revirements aussi. Un froncement de sourcils ou un sourire mal interprété et c’était le drame. Le malheureux Paul ne comprenait pas, il tremblait, s’humiliait et demandait pardon quand sa seule faute était de ne pas être Parsifal, Lohengrin ou Tannhäuser. Dans ses lettres, le roi lui reproche souvent ses « faux pas », mais qu’est-ce à dire ? En général, des broutilles : Paul était passé devant le roi et non à sa suite, lui avait pris le bras sans son autorisation ou s’était rendu à une invitation où se trouvaient des femmes. Le 1er juillet 1866, Paul s’inquiétait encore : Bien-aimé Louis Venez arracher votre fidèle Frédéric à l’horrible tristesse dans laquelle l’a jeté votre brusque revirement. Ô Ciel ! Faut-il qu’un mot vienne, de nouveau, détruire mon beau rêve ? Faut-il que le pauvre Frédéric perde tout une fois encore ? […] Pour l’amour de Dieu, adoucissez ma peine. Faites à votre malheureux ami la faveur de lui parler de cet incident ; ainsi seulement pourrai-je retrouver la paix10.
Une réconciliation réconforta momentanément Paul qui écrivit de Berg, le 17 juillet : Bien-aimé ami ! si profondément mien ! Pardonnez-moi, je vous prie, de ne répondre que maintenant à votre chère lettre, mais son contenu m’a bouleversé à tel point qu’il m’a fallu un certain temps pour me remettre. Ange de noblesse, ô trésor de mon âme, vous savez combien j’apprécie votre sincère et brûlant amour. Vous savez que je vous le rends bien et que je voudrais tout partager avec vous – les choses agréables comme les désagréables […] Courage et persévérance, ô esprit magnanime […] Comme j’ai hâte de me retrouver près de vous. Je suis si bien quand je suis avec vous. Vous savez que je ne vis que pour vous. Avec amour je vous presse sur mon cœur fraternel. Frédéric 11
Les lettres de Paul, toujours tendres, ne font jamais allusion qu’à des sentiments fraternels et respectueux, ce qui a pu étayer la thèse des partisans du clan « de la vertu », lesquels à la suite de Jacques Bainville
nient l’homosexualité du roi. Il faut se rappeler que celui-ci considérant l’amour physique comme « maudit » et toute « chute » comme un échec, ses conquêtes étaient tenues de maintenir la fiction d’une entente purement sentimentale, laquelle était la seule qui fût acceptable. De plus, les lettres de Louis II et nombre de lettres de Paul ont disparu, sans doute parce qu’elles ne maintenaient pas cette fiction. En octobre, Paul fut expédié chez ses parents à Ratisbonne. Il ne savait pas en quoi il avait déplu et ne le saura jamais comme le montre la dernière lettre qu’il écrivit au roi à la fin de 1866 : Cher et Bien-aimé Louis, au nom de tous les saints, que vous a fait votre Frédéric ? […] Qu’a-t-il pu dire pour qu’on lui refuse une poignée de main, un « bonsoir », un « Au revoir » ? Je ne peux dire ce que je ressens : le tremblement de mon écriture vous révélera peut-être mon bouleversement intérieur […] Pardonnez-moi, soyez bon de nouveau pour moi, je crains le pire, et cette pensée m’est insupportable. Pardonnez à votre malheureux Frédéric12.
Paul von Thurn und Taxis fut relevé de ses fonctions d’aide de camp au mois de novembre 1866 et Louis II cessa de répondre à ses lettres. Les passions du roi seront le plus souvent violentes et presque toujours éphémères. Louis demandait l’impossible. À chaque rencontre, il pensait avoir trouvé l’oiseau rare et, très vite, rejetait l’homme qui, immanquablement, l’avait déçu. Cette « affectivité rigide », incapable de la moindre nuance, est propre à la maladie qui se développait. Qu’il fût sous le coup d’une flambée amoureuse ou pas, le grand homme de la vie de Louis II restait Wagner. Dès l’instant où ce dernier avait été expulsé de Munich, l’idée fixe du roi fut de l’y faire revenir. Louis l’avait chassé à son corps défendant et lui envoyait des lettres désespérées, si débordantes d’exaltation qu’il convient de parler de délire. Le roi qui régnait depuis plus de un an écrivait au compositeur : « Je prie à genoux devant votre buste qu’une abondance de fleurs anime d’un parfum magique, et je verse des larmes, des larmes amères quand je pense qu’un jour vous n’existerez plus13. » Et d’ajouter qu’au moment où le cher Ami viendra à trépasser il veut lui aussi « sombrer dans l’au-delà ». Et Wagner de répondre : « Mon protecteur, mon trésor, ami très aimé, mon doux seigneur […]. » En tout cas, le banni se portait bien et n’envisageait pas du tout sa fin. Il s’installa d’abord dans la villa Les Artichauts près de Genève.
Au début du mois de mars 1866, Cosima vint l’aider à chercher un établissement moins provisoire. Ils choisirent, au sud de Lucerne, la maison Tribschen située au milieu d’un parc dans le site enchanteur d’une presqu’île du lac des Quatre-Cantons. Louis II réglait le loyer et une considérable pension mensuelle. De là, le compositeur continuait d’abreuver le roi de ses conseils, lesquels revenaient tous à lui demander de se débarrasser des personnes de son entourage qui ne songeaient qu’à leurs intérêts personnels. Il fallait « la longue vue de l’amour tout-puissant [celui de Wagner] pour discerner à travers tant de miasmes accumulés l’authentique éclat de votre étoile ». Ces insinuations augmentaient l’angoisse du roi. L’éloignement, en le privant de sa drogue, développait un sentiment de persécution soigneusement entretenu par Wagner dans le style : « vous et moi contre le monde entier ». « Je vous en prie, je vous en conjure, dites-moi quelles calomnies on trame contre moi. Ô sombre monde chargé de vices ! Rien ne lui est donc sacré14 ! » demandait le roi au début de 1865. Louis aura toujours très peur que l’on ébruite son homosexualité et encore plus qu’on le considère comme un malade mental. Avec le départ de Wagner, le repli sur soi, que les spécialistes qualifient d’autistique, s’accentua. Terré au château de Berg, Louis II songeait désormais à abdiquer. Le roi de Bavière désirait vivre en Suisse puisque l’Aimé s’y trouvait. Cette perspective épouvantait Wagner qui n’avait aucune envie de voir un homme fortement perturbé vivre à ses côtés ; il exhortait Sa Majesté à garder la « couronne d’épines », puisque tel était son devoir et menaçait de se suicider si Elle devait y renoncer. L’éloignement de Lolus n’avait pas suffi à désarmer la presse qui s’inquiétait de l’attitude du roi. On remarquait non seulement l’absence, mais l’indolence de Sa Majesté. Celle-ci ne cachait pas que le métier de roi ne lui plaisait plus autant. Dans ses lettres à son ancienne gouvernante, il se plaignait de n’avoir plus de temps, soulignait son besoin de prendre l’air, d’aller au théâtre, d’avoir des vacances. Le roi confia à Pfistermeister son désir d’abdication, lequel, très inquiet, prévint le docteur von Gietl : « Tout ceci concourt à son idée d’abdiquer en faveur de son frère Otto, à présent majeur, pour aller rejoindre Wagner en Suisse, plutôt que de rester dans une telle affliction sur le trône15. » Les journaux signalèrent que le roi ne recevait plus que Bülow, autrement dit l’ancien élève de Wagner. La chose étonnait et inquiétait à la fois. Une guerre se préparait entre la Prusse et l’Autriche. La Bavière se trouverait prise en tenaille entre les deux
puissances, il lui faudrait choisir son camp et la montée du danger ne distrayait pas le roi de son obsession. Dans un moment où il importait de resserrer les liens entre les différentes parties du royaume, surtout celles où existait un séparatisme, Louis II refusa de participer aux cérémonies qui célébraient le cinquantenaire de l’union entre la Bavière et le Palatinat, ce Palatinat dont on était séparé par d’autres États allemands. L’opinion fut stupéfaite. Les membres du gouvernement multiplièrent les suppliques, peine perdue. Et le ministre Bomhard de conclure : « Les belles filles saines, en costume de fête, ne l’intéressent pas16. » Le 22 mai était le jour de l’anniversaire de Wagner. Alors que la crise internationale était à son maximum, Louis n’y tint plus. Accompagné de Paul, il partit au matin, galopa jusqu’à la gare, prit l’express pour Lindau, traversa le lac et le soir se présenta sous un faux nom à la villa Tribschen. Divine surprise ! Ce fut alors qu’on chassa Bülow de sa chambre pour loger les deux visiteurs. La fugue en Suisse ne fut pas du tout appréciée des Munichois. Quand, à son retour, Louis dut se rendre à l’ouverture du Landtag où il prononçait chaque année un discours, les députés lui réservèrent un accueil glacial. Il fut sifflé dans les rues. Furieux, le roi changea le préfet de police et alla se réfugier avec Paul dans l’île aux Roses. Les oncles du roi vinrent à nouveau sermonner leur neveu. Pour la première fois, on parla d’un conseil de famille qui déposerait le jeune écervelé. Mais le remplacer par qui ? L’héritier légitime, le frère du roi, n’avait que dix-huit ans et allait encore plus mal que son aîné. À l’adolescence, Otto était devenu bizarre. Sujet à des colères immotivées, il traversait des périodes de surexcitation qui alternaient avec d’inquiétants moments d’abattement. Le jeune prince était un grand motif d’inquiétude pour Louis qui fit très tôt le rapprochement entre l’état de son frère et celui de la chère tante Alexandra. La presse, n’osant s’en prendre ouvertement au roi, tomba sur Cosima qui, durant l’absence de Wagner, avait pris une grande importance aux yeux du roi, jusqu’à devenir une sorte de ministre occulte de la Culture. La baronne von Bülow décidait des nominations et imposait les œuvres qu’il convenait de jouer pour être fidèle aux vœux du Maître. On eût dit que le destin facilitait les vœux de Cosima. Minna, l’épouse légitime de Wagner, mourut brutalement à Dresde le 25 janvier 1865. Son
médecin télégraphia à Wagner : « Ton épouse morte la nuit passée, sans maladie précédente ni agonie ; que faire ? » Rien du tout. Le compositeur répondit qu’une inflammation du doigt l’empêchait de se déplacer. Le roi, innocent et courtois, envoya des condoléances un peu excessives, parlant au veuf de « l’étendue de la perte qu’il venait d’éprouver17 ». Depuis Munich, Cosima écrivait à Wagner : « mon esprit flotte au-dessus de toi ». Elle parut en grande toilette au théâtre où on lui trouva un « air triomphant ». Trois mois plus tard, elle vint s’installer à Tribschen avec ses enfants : les deux filles de Bülow et celle de Wagner. Six domestiques l’aidaient dans la maison. Le baron qui avait remis sa démission au roi y avait sa chambre. Wagner aimait les enfants. Dans la villa aux murs tendus de velours violet selon la mode de l’époque, le compositeur, baignant dans une vie familiale nouvelle pour lui, était heureux comme un poisson dans l’eau. La situation du pauvre Hans ne le gênait pas. Le Maître travaillait à la partition des Maîtres chanteurs. L’installation de Cosima près de Wagner n’avait en rien changé l’innocence du roi sur la question ni la rancœur de la presse qui s’avisa de révéler « le départ du pigeon voyageur ». L’intéressée en fut outrée. Wagner demanda donc au roi de se porter garant de l’honneur de la baronne von Bülow, faute de quoi, il romprait à tout jamais avec Sa Majesté, ce qui valut au roi, le 6 juin 1866, une lettre où le compositeur évoque « la noble épouse sacrifiée dans un sentiment d’extraordinaire dévouement, traînée publiquement dans la fange et recouverte d’une honte qui souillerait jusqu’aux anges de l’innocence ». Wagner oubliait de dire que grâce à ses soins un quatrième innocent était en route. Si l’on publie un jour une anthologie de la Tartufferie, quelques lettres de Wagner pourraient y figurer en bonne place. Celles de Cosima aussi, laquelle n’hésitait pas à supplier le roi d’intervenir. Ayant quitté son mari et Munich pour vivre avec Wagner à Lucerne, elle écrivait à Louis II : À deux genoux, je supplie humblement mon roi d’envoyer à mon mari un témoignage en ma faveur, afin que nous ne soyons pas obligés de quitter le pays dans le déshonneur et dans la honte […] Comment serait-il possible à mon mari de travailler dans une ville où l’on aurait mis en doute l’honneur de sa femme ? Mon royal maître, j’ai trois enfants à qui je dois transmettre sans tache le nom honorable de leur père18.
Si ahurissant que cela paraisse, le roi se trouvait sommé de défendre
l’honneur de la vertueuse baronne dans une lettre ouverte au mari cocu, laquelle devrait être publiée dans la presse. Pour plus de sûreté, Wagner fournit le modèle écrit par Cosima. Bon prince, Louis recopia la lettre qui le ridiculisait. Les Munichois sidérés purent donc lire dans Le Messager une lettre de Sa Majesté disant à Bülow : J’ai la connaissance la plus exacte du noble caractère et du grand cœur de votre honorable épouse, qui n’a cessé de soutenir l’ami de son père et le maître de son mari avec une âme compatissante. Il ne Me reste plus qu’à chercher à éclaircir l’inexplicable au sujet de ces calomnies publiques criminelles19.
Ingénument ou non, le journal ajoutait : « Naturellement notre journal ne trouve pas opportun de discuter cet autographe royal. » Dans le même numéro et pour la honte du roi étaient publiées la nouvelle de la déclaration de guerre de l’Autriche à la Prusse et celle de la signature d’un traité militaire entre celle-ci et la Bavière. Il serait intéressant de savoir ce que Wagner et sa comparse pensaient d’un roi qu’ils manipulaient si facilement. Le croyaient-ils naïf à ce point ? sot ? malade ? Aucun texte ne le précise, et ce n’est que plus tard que Wagner parlera du « crétinisme du roi ». Diagnostic d’ailleurs faux, car Louis était loin d’être stupide. Il est probable que les deux amants se souciaient peu des raisons qui maintenaient le roi sous leur tutelle. Son orgueil aidant, Wagner trouvait naturel que son pouvoir sur le roi fût sans limites. L’attitude de Cosima est plus étrange, car elle savait fort bien qu’elle ne ferait pas changer l’opinion munichoise à son sujet. Alors pourquoi extorquer ce ridicule certificat de vertu au malheureux Louis ? La jeune femme était une grande hystérique, or l’hystérie est toujours frustrée de pouvoir, ce pouvoir dont les femmes furent si longtemps privées. Il dut être très agréable à la femme humiliée par une situation fausse de faire plier le roi de Bavière. En obtenant que Louis II consentît à ce communiqué mortifiant, elle ne cherchait pas à faire croire aux Bavarois qu’elle était une « honnête femme », elle leur criait : « Votre roi m’obéit », ce qui mit peut-être un baume sur la plaie de Cosima. Quelqu’un allait se charger d’ouvrir les yeux de Louis II. Malvina Schnorr von Carolsfeld, veuve du ténor mort brusquement, avait été nommée, grâce au roi, professeur à l’école de musique de Munich. Wagner s’était montré peut-être trop louangeur envers l’Isolde de Tristan. Toujours
est-il qu’amoureuse du compositeur elle entendait l’épouser. Elle se rendit donc à Lucerne avec une amie, Isolde von Rutter, médium de son état qui, à moitié folle, se croyait destinée à épouser le roi. Il n’était pas besoin d’être douée de double vue pour découvrir le pot aux roses et s’apercevoir que Wagner n’était pas un homme esseulé. De retour à Munich, Malvina alla directement trouver Louis II et, sans aucun ménagement, lui dit ce qu’il en était des relations de l’Ami et de l’Ange qu’elle avait trouvée enceinte jusqu’aux dents. Cette fois, le roi fut ébranlé. Wagner, furieux, devait réclamer en vain que Malvina fût chassée de Bavière. Comme pour tout le reste, il finira par obtenir ce qu’il voulait. La cantatrice fut privée de sa pension et obligée de quitter le pays. La lucidité du roi ne dura pas. Louis, à nouveau, se conforta dans l’idée que les racontars qui couraient sur Wagner et la baronne von Bülow étaient pure calomnie. La déception avait quand même été forte, d’abord parce que pour le roi la pureté était une valeur absolue. Il avait aussi été trompé, ridiculisé de surcroît. Le mensonge fut très long à accepter et ne le sera jamais tout à fait. Le charme était tout de même rompu et désormais rien ne serait plus jamais comme avant. L’année suivante, le roi dira à son nouveau secrétaire de cabinet, Lorenz von Düfflipp, que les éternelles querelles et plaintes venant de Wagner, Bülow et consort l’exaspéraient et que sa patience était à bout. Il est vrai que d’autres questions réclamaient alors son attention.
*1. Là où les trois Suisses se seraient unis par serment pour résister aux baillis autrichiens. *2. La chapelle de Guillaume Tell au bord du lac Huri. *3. Hans von Bülow vivait alors dans la chambre d’amis de la villa Tribschen qui abritait Wagner et Cosima. Quand cette chambre était occupée par un invité, il partait à l’hôtel. *4. Allusion à l’empereur Frédéric Barberousse.
IV
Les horreurs de la guerre 1866 Je tiens éloigné de moi tout ce qui pourrait me rappeler la vie et la réalité. Louis II à Wagner
Louis II eut la malchance de devoir faire face très jeune à deux guerres qui toutes deux mettaient en question l’indépendance de son pays et les droits de sa Couronne. Au contraire de l’unité italienne, l’unité allemande ne fut pas l’œuvre de la nation tout entière, mais de la Prusse qui l’imposa au reste de l’Allemagne, parfois contre la volonté des peuples. L’essor économique avait accru, surtout dans la bourgeoisie, un désir d’unité, mais deux États, Autriche et Prusse, désiraient la réaliser en leur faveur. Il était presque impossible à l’Autriche, affaiblie par le désir d’indépendance des nombreuses nationalités qui la composaient, d’y prétendre. Ce fut donc la Prusse, conduite par la volonté de fer de Bismarck, qui l’opéra en deux temps. Il lui fallut d’abord écarter l’Autriche. La guerre de 1866 vint uniquement du désir du chancelier – qui allait parfois à l’encontre de celui du roi Guillaume Ier – de chasser l’Autriche de l’Allemagne. Le gigantesque coup de « pousse-toi-de-là-que-je-m’y-mette » fut minutieusement préparé sur le plan militaire par le général von Moltke qui mit sur pied une armée nombreuse, bien équipée et entraînée. Puis Bismarck sut par une habile politique de provocations pousser à bout le gouvernement de Vienne et obtenir la guerre dont il avait besoin. Comme les autres États allemands, la Bavière se trouva obligée de choisir entre les deux puissances. En matière politique, Louis avait à la fois un excellent
jugement et une totale incapacité à décider et à agir. Le prince Chlodwig von Hohenlohe le rencontra le 11 avril 1866, alors que l’on sentait l’affrontement inévitable et que l’attente se faisait très éprouvante. Il tenta de lui faire comprendre que la Prusse se contenterait peut-être de la suprématie sur l’Allemagne du Nord. Le roi lui répondit : « Elle s’en contentera pour l’instant ; mais avant peu, elle demandera davantage1. » Le jeune homme, bien conscient du fait que l’indépendance de son pays était en jeu, était le premier des souverains allemands de second ordre, il avait donc un rôle important à jouer. Son père, Maximilien II, avait songé à créer dans l’Allemagne du Sud une hégémonie au profit de la Bavière, pareille à celle que la Prusse avait organisée dans le Nord. Il eût fallu pour cela une armée digne de ce nom et un roi énergique ; le royaume n’avait ni l’une ni l’autre. Ce fut alors que se débattait au Parlement de Munich la question capitale du choix de l’alliance autrichienne ou prussienne que Louis ordonna que l’on donnât pour le cinquante-troisième anniversaire du détesté Wagner une représentation de Lohengrin, puis qu’en compagnie de Paul il fila rejoindre le compositeur en Suisse. Le particularisme bavarois étant encore très fort, la Bavière avait pris fait et cause pour l’indépendance des duchés danois afin qu’ils ne tombent pas dans l’escarcelle de la Prusse. Une ligue patriotique s’était formée à Munich pour défendre les droits des États allemands et les conservateurs souhaitaient l’affrontement avec la Prusse. Et le roi ? Il est bien difficile de suivre l’attitude politique de Louis II, car elle était à la fois autocratique sur le fond et libérale dans la forme. Par principe, le roi se voulait monarque absolu comme l’avait été Louis XIV qui était en la matière son modèle. Louis II tenait non seulement au système monarchique, mais à une forme d’absolutisme qui correspondait à l’idée tout à fait sacrée qu’il avait de la royauté : « C’est Dieu qui fait les rois », rappelait-il. Cet absolutisme offrait encore l’avantage de le protéger en lui permettant de fuir les relations humaines et de s’isoler pour dissimuler ses « bizarreries », en somme de s’abriter derrière le trône. Être roi lui permettait aussi, et ce n’était pas incompatible, de vivre pleinement sa maladie en réalisant ses rêves. Louis II ne recherchait pas le pouvoir pour lui-même, mais pour garder à tout instant la possibilité de s’extraire de la réalité. Au début de son règne, il se montra nettement libéral, peut-être par opposition à son père. En tout cas, il donna un gage aux libéraux en reconnaissant, dès décembre 1865, le nouveau royaume d’Italie, ce qu’avait refusé
Maximilien II. La décision navra les catholiques et les conservateurs. Sissi le lui reprocha amèrement, lui rappelant que sa sœur Marie, à peine devenue reine du royaume des Deux-Siciles, avait vu disparaître celui-ci sous les coups de Garibaldi. Seulement le parti libéral bavarois, favorable à l’unité italienne, était aussi partisan de l’unité allemande et donc de la Prusse, ce qui n’était pas le cas de Louis II, très jaloux de l’indépendance de son pays. Face à la guerre qui se profilait entre Prusse et Autriche, Louis eût souhaité demeurer neutre, mais le Parlement – à une voix de majorité – refusa cette neutralité. Alors, conservant le ministère de Ludwig von der Pfordten, Louis mit ses pas dans ceux de son père et se rangea – mollement – aux côtés de l’Autriche. Il semble bien qu’entre le jeune roi et Bismarck un calcul fut fait de façon tacite. La Bavière participerait le moins possible aux opérations, elle se battrait certes du côté de l’Autriche, mais « pour du beurre », à la suite de quoi la Prusse saurait se montrer reconnaissante. La guerre austro-prussienne éclata le 14 juin 1866. Chacun attendait que le roi qui portait si bien l’habit militaire prît la tête de son armée et échauffât le courage de ses sujets par des revues et proclamations. Pourtant, après une brève visite à l’état-major de Bamberg, Louis disparut. Ce fut son grand-oncle, le prince Charles*1, âgé de plus de soixante-dix ans, qui fut mis à la tête de l’armée. L’oncle de Louis, l’ex-roi Otto Ier de Grèce, bien qu’en très mauvaise santé, accompagna le 6e régiment de chevau-légers et les jeunes cousins du roi s’enrôlèrent tandis que Louis s’enfermait à Berg. En dépit du calcul de Bismarck qui désirait ne pas trop éprouver la Bavière, les débuts furent très difficiles. Le transport des troupes par voie ferrée, employé pour la première fois à grande échelle, permettait à l’armée ennemie d’être très mobile et le fusil à tir rapide rendit les combats inégaux. Les Prussiens envahirent la Franconie. Après la défaite de Kissingen qui, le 7 juillet, ensanglanta la petite ville où le roi jeune roi avait, deux ans auparavant, reçu toute l’Europe, ce fut la débandade. L’angoisse et la confusion régnaient et Louis se terrait toujours. Bientôt le peuple murmura que la seule participation de son roi à la guerre avait été l’installation d’une ligne télégraphique entre Berg et Munich. Le prince
Chlodwig von Hohenlohe, stupéfait, avait écrit dans son Journal le 3 juin : Tant que le roi se sentira encouragé dans ses caprices par les flatteries de ses courtisans et les membres du gouvernement, il continuera à se considérer comme un demi-dieu qui a le droit de faire exactement ce qu’il lui plaît et à s’imaginer que le reste du monde – tout au moins la Bavière – a été créé pour sa situation personnelle2.
Hohenlohe exprime ici l’opinion générale selon laquelle Louis est un enfant gâté, inconscient de ses responsabilités. Ni Hohenlohe ni l’opinion n’avaient la bonne grille de lecture puisqu’ils ignoraient que le roi était atteint d’un trouble grave qui non seulement le poussait à se détourner d’une réalité qui lui déplaisait, mais lui permettait de l’ignorer. Peu de personnes se doutaient alors que cet étrange comportement relevait d’une maladie mentale. Quelques initiés avaient compris : le docteur von Gietl qui avait connu Louis enfant, les membres du gouvernement que le roi refusait désormais de recevoir et les serviteurs les plus proches, mais l’on n’en parlait qu’à mots couverts. En 1865 pourtant, la schizophrénie avait fait une nette poussée. Décrivant très bien ce qui était le propre de sa folie, Louis écrivait à Wagner : « Je tiens éloigné de moi tout ce qui pourrait me rappeler la vie et la réalité3. » Il y arrivait malheureusement très bien. On appelle autisme cette plongée dans une vie intérieure où le malade finit par être muré. Cependant, bien que de plus en plus enfermé dans un monde imaginaire, le roi était capable de tenir compte du réel pour se conduire, ce qui permettait de douter du sérieux de son état, si bien que nombre de personnes le jugeaient mal. L’impératrice d’Autriche, la chère Sissi, tout à fait révoltée en apprenant que son cousin – et allié – n’était plus dans sa capitale durant le terrible été de 1866, écrivait à sa mère : « J’entends dire que le roi est à nouveau absent. Il pourrait tout de même s’occuper un peu plus de gouverner en un moment où les affaires vont si mal4. » Qu’auraitelle pensé si elle avait su que Louis II ne pensait alors qu’à abdiquer, non parce que les armées prussiennes envahissaient son pays, mais parce qu’il était séparé de Wagner qui vivait alors fort heureux à Lucerne ? Plus que jamais le roi voulait devenir un simple particulier et demander la nationalité suisse pour rejoindre son dieu. Sachant que l’idée n’enchantait pas Wagner, le roi écrivit à Cosima afin qu’elle poussât l’Aimé à accepter qu’il déposât la Couronne et s’installât près de lui. Le 21 juillet – le pays était encore en guerre et la Bavière envahie –, Louis II envoya une longue
lettre à l’Amie : Là où il n’est pas, je suis abandonné et seul. Il nous faut être réunis pour toujours. Ce monde qui ne nous comprend pas, en quoi nous touche-t-il ? Très chère amie, je vous prie de préparer le bien-aimé à ma décision de déposer la Couronne. Qu’il soit miséricordieux. Qu’il n’exige pas de moi de supporter plus longtemps ces infernales souffrances. Ma vraie, ma divine destinée est de demeurer auprès de lui en ami, en ami aimant et fidèle5.
Le délire, car c’est bien ce dont il s’agit, s’étire sur plusieurs pages… Wagner eut très peur. Il était en train de fignoler avec l’architecte Semper les plans du théâtre que l’on devait construire à Munich. Louis devenu un particulier ne serait plus d’aucune utilité et deviendrait une gêne. Il fallait que la poule aux œufs d’or restât sur le trône. Il écrivit au roi la plus longue lettre que nous possédions dans leur correspondance6, le manœuvrant de toutes les façons, faisant semblant d’acquiescer d’abord pour mieux retourner « l’être merveilleux, le doux génie de mon âme » aux fins de lui enjoindre finalement de rester sur le trône. La lecture de la missive est pénible tant le compositeur use des plus grosses ficelles, y compris la menace, celle de ne le revoir jamais, pour berner un homme qui se laissait conduire comme un enfant. Quant à Paul, informé des tractations, il aimait le roi et savait que, hors du trône, Louis ne serait plus qu’un esprit errant qui ne pourrait plus réaliser ses rêves. Il insistait donc pour que son ami ne renonçât pas à la Couronne. Pour qui ignorait la maladie du roi, l’attitude de celui-ci était évidemment incompréhensible. Le jour de la déclaration de guerre, les envoyés du Landtag cherchèrent leur souverain pour obtenir sa signature. Ils trouvèrent les portes du château de Berg fermées. Ayant, à force d’insistance, forcé le passage, ils furent frappés de stupeur en découvrant Louis II, déguisé en Frédéric Barberousse, écouter Paul qui, enfermé dans l’armure de Lohengrin, lui débitait des paroles d’amour. Dans ces conditions, il devenait difficile de préserver le monde diplomatique des bavardages. L’ambassadeur d’Autriche à Munich écrit alors à Vienne : « On commence à considérer que le roi est fou7. » Mais c’étaient des mots que l’on glissait dans des dépêches destinées à demeurer secrètes. Pas plus que le roi ne peut être nu, il ne peut être fou. Surtout quand le pays est en guerre. Louis avait toutes les laideurs et les réalités de la guerre en horreur ; la
seule idée d’une blessure le révulsait. Il refusa d’aller passer en revue les troupes, de visiter les blessés – la reine mère s’en chargea – et même d’aller accueillir la dépouille d’un général tombé au champ d’honneur. Pas question, en dépit de l’insistance des membres de son gouvernement, d’assister aux obsèques solennelles du valeureux général. Le 21 septembre, la Wiener Freie Presse rapporta que le roi n’avait pas voulu recevoir son grand-oncle le prince Charles qui revenait du front avec son armée. Et encore ignorait-on que, tandis que Bismarck peaufinait les conditions de la reddition du pays, le roi était appliqué à tout autre chose. Le prince de Hohenlohe écrit dans ses Mémoires à la date du 18 août 1866 : « Le roi est occupé à trouver les décors pour Guillaume Tell, et il se fait faire des costumes d’opéra qu’il revêt et avec lesquels il se promène dans sa chambre. Cependant, il est question d’enlever du royaume de Bavière trente mille habitants en Franconie et sept cent mille dans le Palatinat. » Ce n’étaient pas des propos en l’air. Guillaume Ier, enivré par les succès militaires, envisageait de larges annexions sur les royaumes voisins en échange de compensations prises sur la Bavière. Louis II était aussi très absorbé par les querelles d’amoureux qu’il entretenait de plus en plus avec Paul. Tous deux vivaient la plupart du temps en compagnie du palefrenier Völk dans la délicieuse île aux Roses où, le soir, le roi faisait brûler des feux de Bengale et tirer des feux d’artifice. Sa Majesté refusait les dépêches et ne voulait pas voir les ministres. Le peuple bavarois ne pouvait s’empêcher de faire de pénibles comparaisons. On louait la bravoure du vieux roi Georges de Hanovre qui, aveugle, s’était fait porter sur le champ de bataille. On célébrait le courage du jeune duc en Bavière, Charles-Théodore, qui ne quittait le théâtre des opérations que pour réconforter les blessés dans les hôpitaux, sans parler du cousin germain du roi, Louis de Bavière, fils aîné du détesté Luitpold, blessé lors de la terrible bataille de Helmstedt. Le jeune roi était désormais moqué, méprisé dans les journaux et les conversations. Autour de Louis, chacun fit ce qu’il pouvait pour le tirer de son rêve. Malvina Schnorr von Carolsfeld envoya une longue et admirable lettre, une lettre maternelle où elle suppliait le roi de remplir ses fonctions. La tsarine elle-même intervint et, par sa sœur, la reine Olga de Wurtemberg, fit dire à Louis : « elle souhaite du fond du cœur vous voir prendre conscience de vos devoirs royaux et vous en acquitter avec un inlassable dévouement ». Ce fut peine perdue.
Paul von Thurn und Taxis à son tour écrivit : Le but principal de cette petite lettre, ô unique étoile de ma vie, est de vous suggérer le moyen de révéler un beau trait de votre nature en exprimant votre sympathie aux braves soldats de votre armée et en leur montrant l’intérêt que vous portez à leurs blessures8.
Sachant bien que le roi était incapable de faire un geste pour les militaires, il proposait d’y aller à sa place, et de visiter en son nom les hôpitaux de Munich et les autres aussi, si le roi le voulait bien. « On dirait que le roi a envoyé son aide de camp prendre des nouvelles de ses soldats, et c’est le prince de Taxis, son ami et favori, qu’il a choisi. Il faudrait le faire annoncer dans un journal bavarois afin que le peuple soit mis au courant de cet acte de libéralité du roi. » L’idée que le peuple eût été ravi de voir le jeune favori remplacer le souverain est sans doute optimiste, mais c’était mieux que rien. Louis consentit et ce fut donc l’ami du roi – un garçon de vingt-trois ans – qui fit la tournée des popotes et des hôpitaux pendant que Louis, dans le chalet de l’île aux Roses, dessinait des costumes et des décors d’une représentation théâtrale. Il continuait aussi d’écrire à Wagner pour le supplier d’accepter qu’il abdiquât ; c’était l’obsession ou plutôt le délire du moment. La supériorité prussienne étant écrasante, la lutte, heureusement, fut courte. Après les défaites, Louis, loin de montrer un esprit de résistance, accepta tout ce que voulait le vainqueur. Cette bonne volonté lui valut, la paix venue, la bienveillance du chancelier. Le 3 juillet 1866, l’armée autrichienne, renforcée des bataillons saxons, fut écrasée en Bohême à Sadowa. Cette bataille où luttèrent quatre cent cinquante mille hommes fit en une journée de la petite Prusse une puissance de premier ordre. L’affolement régnait dans la capitale autrichienne où l’impératrice accueillait chaque jour les milliers de blessés qui ne cessaient d’arriver à la gare du Nord. Le gros de l’armée prussienne ne se trouvant plus qu’à 50 kilomètres de la capitale, l’empereur décida d’envoyer sa famille en Hongrie. Une grande partie des archives impériales, les manuscrits précieux, des tableaux et les emblèmes du sacre les suivirent par voie d’eau. À Vienne comme à Munich, on eut très peur. Des histoires terrifiantes sur la conduite des troupes ennemies circulaient et toutes n’étaient pas des fables. L’armistice devenu inévitable fut signé le 22 juillet à Nikolsburg. La Prusse avalait les duchés danois, le royaume de
Hanovre, le duché de Nassau, l’État de Hesse-Cassel et la ville libre de Francfort, sans qu’il y ait eu la moindre consultation des populations. La Confédération germanique était dissoute, remplacée par la Confédération d’Allemagne du Nord dont le président était de façon inamovible le roi de Prusse. Après plus de mille ans de vie commune, l’Autriche était chassée de l’Allemagne. Bismarck, en homme qui préparait soigneusement ses coups, avait rencontré Napoléon III à Biarritz en 1865 pour s’assurer de la position de la France. L’empereur, habité par le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, avait largement sous-estimé le petit junker prussien pour lequel de telles idées n’étaient que de stupides rêveries romantiques. De plus, Napoléon III, pensant que la guerre entre Prusse et Autriche serait longue, pariait plutôt sur une victoire de l’Autriche. Sans même exiger de contrepartie, il avait laissé les mains libres au chancelier. Le jour de l’armistice, le Premier ministre von der Pfordten chercha vainement le roi qu’il pensait revenu à la Residenz. Il ne s’agissait de rien de moins que de la signature de la paix prusso-bavaroise. On lui apprit que Sa Majesté était repartie secrètement la veille pour Berg. Il télégraphia au secrétaire de cabinet, Pfistermeister, qui accompagnait le roi. Pfi chercha Sa Majesté dans le château avant d’apprendre qu’Elle était partie pour l’île aux Roses en défendant qu’on la dérangeât. Le secrétaire regarda le télégramme décrypté : « La signature de la paix a lieu aujourd’hui […]. » Estimant que la nouvelle méritait que l’on prévînt le roi, il prit une barque pour rejoindre l’île aux seize mille rosiers. Précédé par le valet Völk, Pfistermeister s’approcha de la villa Casino où des frondaisons apportaient un peu de fraîcheur. Quelle ne fut pas sa surprise d’entendre la voix de Louis II : — Cet Indien est un coureur de notre armée, il ne doit pas vous inspirer la moindre inquiétude. Il m’a proposé de vous conduire par un chemin plus court.
Pfi se montra derrière le valet. Assis dans un fauteuil à bascule, Sa Majesté lisait à haute voix Le Dernier des Mohicans. Völk toussota. Le roi leva la tête : — Qu’est-ce qu’il y a ? Ne t’ai-je pas dit de ne me déranger sous aucun prétexte ?
— M. le Secrétaire de cabinet est là…
Pfistermeister fit deux pas : — Sire, la signature de la paix a lieu aujourd’hui.
Le roi ferma son livre en soupirant. Le sort fait à la Bavière fut relativement doux. Bismarck avait dû batailler avec Guillaume Ier pour obtenir sa mansuétude, jouant de tous les registres, y compris d’une crise de larmes à laquelle le roi ne sut résister. Le chancelier souhaitait ne pas trop humilier les États qui devaient rester – pour le moment – hors de la nouvelle Confédération. D’autre part, Napoléon III, qui allait tenter inutilement de monnayer sa neutralité bienveillante durant la guerre, avait tout de même exigé que les quatre grands États du Sud – Bade, Wurtemberg, Hesse et Bavière – restassent indépendants et hors de la nouvelle Confédération. Louis II qui avait pu craindre de perdre toute la Franconie put s’estimer heureux. Le pays se voyait seulement amputé de trois cantons et devait payer une indemnité de guerre de 30 millions de guldens. Bismarck imposait cependant une terrible condition, laquelle, comme les œuvres des ténèbres, devait rester secrète. La signature d’un traité d’alliance défensif et offensif lierait complètement le sort de la Bavière à celui de la Prusse. Désormais, quelle que fût la guerre dans laquelle Bismarck désirerait se lancer, la Bavière devrait suivre, que ce fût son intérêt ou pas. Soulagé que tout fût fini, Louis signa et, pour le faire élégamment, proposa même à son cousin, le roi de Prusse, de partager avec lui la propriété de la vieille forteresse de Nuremberg afin que les deux drapeaux flottant sur la plus haute tour soient « le signe que la Prusse et la Bavière sont les gardiennes de la grande Allemagne ». Guillaume trouva l’idée excellente et Bismarck dut sourire. Si Paul von Thurn und Taxis ne se trouvait plus à l’île aux Roses lors de la signature de la paix, c’était que Louis venait de l’envoyer incognito à Lucerne avec mission d’obtenir de Wagner la permission d’abdiquer. Paul répondait au roi le 7 août : « Le Maître est très nerveux et a besoin de repos. Mme Vorstal*2 et lui envoient leur affection la plus profonde. Que Dieu vous protège et vous maintienne sur le trône : c’est le vœu qu’ils forment – et que je forme aussi9. » Wagner était en plein travail, il
entendait poursuivre la composition des Maîtres chanteurs et demandait qu’on le laissât tranquille. L’opinion générale en Bavière fut que l’on s’en tirait bien. On commença même à murmurer que l’hégémonie de la Prusse en Allemagne était un fait inévitable et que la voie moyenne choisie par le roi n’avait peut-être pas été la plus mauvaise. L’impression que l’on avait échappé au pire tourna vite au soulagement et même à la liesse générale, quand les ministres, soucieux de redorer l’image de Louis II, eurent l’idée de lancer l’invisible jeune roi dans une tournée réparatrice en Franconie. Wagner, dans le dessein de sortir Louis II de ses idées d’abdication, poussa à la roue et dut encore menacer : ou Sa Majesté allait visiter ses gracieux sujets franconiens ou Elle ne le reverrait de sa vie. Louis et sa suite partirent le 10 novembre dans le train royal précédé d’un convoi emportant cent chevaux, sept carrosses, une vingtaine de cuisiniers et une foule de palefreniers. Le voyage commença à Bayreuth où le roi ne pouvait se douter que dix ans plus tard Wagner installerait le théâtre dont ils avaient rêvé tous les deux. Partout, le charme de ce roi de vingt et un ans cavalcadant à la tête d’un peloton de cent officiers agit de façon presque magique. La guerre de quatre semaines semblait un mauvais rêve que l’on avait plaisir à oublier. À Bamberg, Louis II fut reçu par son oncle, l’ex-roi Otto de Grèce, qui y avait trouvé refuge. On banqueta et on dansa. L’écrivain Georg Fuchs décrira bien plus tard l’émotion de son aïeul qui vit alors le jeune roi de Bavière : Au cours d’un repas des officiers, la porte à double battant de la grande salle s’ouvrit brusquement et entra dans la salle un jeune homme en tenue bleu argenté portant sur les épaules un vaste manteau plissé de cavalier et ressemblant encore plus par l’éclat de ses yeux bleu sombre à un véritable chevalier du Graal. Il était si beau, d’une beauté si surnaturelle qu’il me coupa littéralement le souffle. J’étais tellement ébloui qu’un sentiment d’angoisse me saisit : ce jeune homme divin était trop beau pour ce monde10 !
Partout les municipalités organisèrent des bals où le roi dansait « avec des personnes de toute condition » jusqu’à quatre heures de suite. La visite de l’hôpital de Würzburg fut moins heureuse. Horrifié, le roi décommanda les festivités qui suivaient. À Kissingen, il visita le champ de bataille, se recueillit devant chaque tombe et laissa une grosse somme pour les
familles des disparus. Tout au long de son voyage il remit des décorations et récompensa les conduites héroïques. Louis fut si heureux d’être applaudi, louangé, fêté, qu’il fit venir son frère afin qu’il partageât son bonheur. Banquets, processions aux flambeaux, défilés et cavalcades, visites de fabriques, concerts et opéras se succédaient. Il écrivit à Wagner : « L’amour et la fidélité de mon peuple ne sont pas les seules choses qui me rendent heureux ; ce qui fait mon bonheur c’est de penser que je satisfais votre volonté11. » Le point d’orgue fut atteint avec l’entrée dans la ville de Nuremberg où le roi visita la vieille et légendaire forteresse. Enthousiasmé, il pensa faire de la cité sa capitale. Le 10 décembre, il expliquait dans une lettre au compositeur : « Je ne me sens dans aucune ville pareillement à l’aise. La population est intelligente et noble et se distingue si avantageusement de la plèbe munichoise… Nous ne nous heurterons jamais ici à la malfaisance unie à la sottise, c’est ici que devra s’élever un jour le grand temple de l’art, c’est ici que nous fonderons l’école allemande de l’art12. » Cette idée devait passer, comme bien d’autres. Le 10 décembre, ce fut à contrecœur que Louis revint de ce qui devait être son seul véritable voyage dans son royaume. Conforté par sa tournée triomphale, le jeune roi ne pensa qu’à reprendre le dessus sur ceux qui avaient tenté de lui dicter sa conduite et l’avaient obligé à chasser Wagner. L’heure de la reprise en main avait sonné. Le baron von Pfistermeister qui incarnait la résistance avait déjà été prié de donner sa démission ; le chef du gouvernement, von der Pfordten, offrit la sienne afin d’éviter qu’on ne la lui réclamât. Louis le remplaça par le prince Chlodwig von Hohenlohe-Schillingsfürst qui représentait le parti prussien, ce qui stupéfia le pays. Les Hohenlohe faisaient partie des princes médiatisés que l’entrée de Napoléon en Allemagne avait privés de leurs principautés. Celle des Hohenlohe avait été réunie au nouveau royaume de Bavière où ils siégeaient à la Chambre haute, ce qui ne les fit si peu bavarois qu’en 1844 le prince Chlodwig écrivait à sa mère : « Je me trouve sans patrie dans le monde et il faut que je poursuive avec zèle la destination qui s’accommode le mieux d’un tel manque13. » Le frère aîné, Victor, était entré au service de la Prusse et avait été doté de titres prussiens ; Chlodwig lui-même avait commencé à servir la Prusse ; c’est dire si sa désignation comme chef du nouveau gouvernement pouvait choquer. La détestation du jeune roi pour le vainqueur avait pourtant
augmenté jusqu’à atteindre sa mère, qu’il n’appelait plus que « la Prussienne » ou « la cousine du roi Guillaume ». En toute logique, le roi eût dû se tourner non vers les libéraux, mais vers les conservateurs, très nationalistes. Seulement la nomination du prince von Hohenlohe était réclamée par Wagner. À Tribschen, Wagner, Bülow et Cosima avaient fêté au champagne les victoires prussiennes. Et ce fut bien Wagner, proprussien, épaulé par Bülow, prussien tout court, qui avait exigé Hohenlohe comme chef du gouvernement. Ce dernier ne s’y trompa pas qui écrivit dans son Journal14 : « Je ne puis me dissimuler que le désir du roi de m’avoir comme ministre vient de sa passion pour Wagner et il espère sans doute que je rendrai son retour possible15. » Le choix du prince de Hohenlohe devint officiel après la tenue d’une entrevue secrète entre Louis II et Bismarck. Le chancelier désirait juger par lui-même le jeune roi qu’il n’avait fait qu’entrevoir lors d’un banquet deux ans auparavant et entendait placer son candidat près de lui. Les tractations se firent par l’intermédiaire du comte Holnstein qui menait un rôle d’entremetteur entre le roi et le gouvernement prussien ; certains parleront bientôt d’une place d’espion. Le comte Max von Holnstein est souvent présenté comme un ami d’enfance, voire un compagnon de jeu de Louis II. Il avait dix ans de plus que le roi et n’avait certainement jamais joué avec lui. Il devait sa place de grand écuyer à la cour à la puissance de sa famille, issue par voie de bâtardise de celle des Wittelsbach. Le comte avait accompagné Louis II durant tout le voyage de Franconie et était parfaitement au courant de la fascination que Wagner exerçait sur lui. La rencontre entre Bismarck et le roi eut lieu autour d’un thé, vraisemblablement au palais Holnstein. Entre le grand jeune homme hypersensible, savamment coiffé, et le chauve massif qui était l’un des plus habiles manœuvriers de l’Histoire, les armes n’étaient pas égales. Louis parla certainement de son désir de maintenir l’indépendance de son pays ainsi que les droits de sa Couronne, et il ne dut pas être difficile à Bismarck de le rassurer. En tout cas, le prince Chlodwig von Hohenlohe, candidat de Bismarck, devint Premier ministre le 31 décembre. Peu après, Louis écrivit à Cosima : « Je considère les lamentations stupides de Pfordten comme les derniers spasmes d’un ver abject rampant dans la poussière16. » Ce qui était assez ingrat pour l’ancien chef de gouvernement, mais dut ravir Wagner qui haïssait « Pfo ». Il est certain que la droite catholique et, plus largement, le parti nationaliste
furent offusqués par le choix royal. Le fossé qui se creusa alors ne devait pas se refermer. La Chambre refusera régulièrement sa confiance à un Premier ministre qui pour beaucoup incarnait la trahison, mais Louis était plus que jamais sous la coupe du compositeur. Force est de constater que bien qu’ayant quitté la Bavière Wagner y faisait la pluie et le beau temps. Le 20 octobre, Louis II écrivait à Cosima que l’Ami était « un dieu descendu du ciel pour annoncer aux hommes le nouveau message destiné à les rendre heureux […] Je suis élu par lui pour faire part de sa volonté à mon prochain17 ». Hohenlohe voyait juste au sujet de sa nomination. La première chose que Louis demanda au nouveau chef du gouvernement fut la date à laquelle il lui semblait possible de faire revenir Wagner à Munich. Le prince répondit qu’il était préférable d’attendre la fin de la session du Landtag, soit le mois de mars, peut-être même un peu plus tard… La fin de l’année 1866 fut triste pour le jeune roi qui se sépara brutalement de Paul von Thurn und Taxis qu’il torturait de ses caprices et de ses rejets depuis plusieurs mois. Les deux ans de passion avaient été un vaste malentendu et un enfer d’où Paul sortit détruit. Il sombra dans l’alcool, se perdit aux yeux de sa famille par son mariage avec une jeune chanteuse juive dont il avait eu un enfant et devint une épave. Quittant l’armée, il changea de nom, fut un temps acteur en Suisse avant de mourir tuberculeux, à Cannes, en 1879, abandonné de tous, y compris de son épouse, enfuie avec un officier prussien. Ce fut après le renvoi du jeune Thurn und Taxis que Louis II entendit que sa proche famille et la rumeur publique le fiançaient à la duchesse Sophie-Charlotte, dernière fille du duc Max en Bavière. Il en fut d’abord épouvanté et fit savoir à sa grand-tante, la duchesse Ludovica, mère de l’intéressée, qu’elle ne devrait rien espérer de son côté. Mais le rôle de prince charmant qu’il venait de jouer en Franconie l’avait enchanté. Brusquement l’idée le traversa que ce triomphe pourrait avoir une suite, ce serait l’histoire d’un roi jeune et beau qui, à la plus grande joie de son peuple, épouserait une jolie princesse. Enfin on ne parlerait plus d’aventuriers, de guerre, de scandales, d’argent, mais de carrosses, de couronnes et d’amour. On l’applaudirait, on le bénirait, il serait heureux et comblerait les vœux de son peuple ; ce serait comme une belle pièce de
théâtre, un grand et glorieux spectacle.
*1. Frère cadet du roi Louis Ier de Bavière. *2. Nom de code de Cosima.
V
Les malheurs de Sophie Pourquoi m’avez-vous mis, ô mon Dieu, en contradiction avec Vous ? Livre de Job
Les enfants que Louis et Otto avaient le plus naturellement côtoyés dans leur enfance étaient les huit cousins issus du mariage du duc Max en Bavière et de la duchesse Ludovica. Celle-ci étant la demi-sœur du roi Louis Ier, donc la grand-tante de Louis II, le jeune roi et Sophie que sa famille appelait Sopherl étaient cousins. Les enfants de Max et Ludovica vivaient l’hiver à Munich dans le palais construit par leur père et l’été dans le château de Possenhofen qui fait face au château de Berg, sur l’autre rive du lac. Louis avait admiré son cousin Charles-Théodore, il adorait la beauté de Sissi, il apprécia la douceur de Sophie-Charlotte avec laquelle il entretenait une correspondance très animée puisque le sujet en était Wagner. Deux des filles de la duchesse Ludovica étaient ravissantes, la célèbre Sissi et Sophie-Charlotte qu’une beauté parfaitement régulière et de grands yeux bleus mettaient au rang de son aînée à laquelle elle ressemblait. Sans doute n’avait-elle pas le piquant, l’éclat, l’extraordinaire élégance, l’audace – il faudrait parfois dire le culot – et la forte personnalité de Sissi, elle était douce, prêtait attention aux autres et avait acquis peut-être plus de profondeur que son aînée mariée trop jeune. La duchesse Ludovica avait été blessée dans son propre mariage. Fille du roi Maximilien Ier de Bavière, elle avait vu ses sœurs mariées à un empereur et à des rois et avait dû se contenter d’un duc qu’elle n’aimait pas et qui l’aimait encore moins. Le jeune homme lui avait précisé à la veille
de leur mariage qu’étant amoureux d’une jeune bourgeoise de Munich il n’éprouvait aucun sentiment pour elle et pensait ne jamais en avoir. La mariée avait montré tout le déplaisir que lui procurait cette union en enfermant son mari lors de sa nuit de noces dans une chambre dont elle garda la clef tandis qu’elle allait dormir dans une autre. Le duc Max était un hédoniste, un fantaisiste et un artiste extrêmement cultivé. Sa bibliothèque comportait près de vingt-sept mille volumes. Grand voyageur et très libre dans ses manières, il disparaissait pendant des mois. À son retour, il invitait ses maîtresses et ses enfants illégitimes à déjeuner au palais où il avait fait installer une piste de cirque et un café-concert. La pauvre Ludovica assurait n’avoir connu le bonheur en ménage qu’après ses noces d’or. Elle trouva cependant de la satisfaction et une forme d’équilibre dans ses enfants ; sur les dix qu’elle mit au monde, huit vécurent qu’elle éleva avec une diligence et une fébrilité de mère poule. Pourvoir à l’établissement de ses cinq filles fut la grande affaire de la vie de Ludovica : dans ce domaine, elle avait une revanche à prendre. La première à quitter le nid fut Sissi qui, en devenant impératrice d’Autriche, plaça, si l’on ose dire, la barre très haut. Âgée de seize ans, elle épousa le 24 avril 1854 son cousin germain François-Joseph, qui la préféra à sa sœur aînée, Hélène, dite Néné, la moins belle des filles de Ludovica. Raisonnable et généreuse, Hélène se consacra à des œuvres charitables. Quand elle eut vingt-deux ans, Ludovica, inquiète de ne pas voir arriver de soupirant, arrangea un mariage avec Maximilien, prince héritier de la famille von Thurn und Taxis et demi-frère de Paul. Le roi de Bavière, Maximilien II, très sourcilleux sur les alliances, refusa d’abord son autorisation, la famille Thurn und Taxis n’étant pas souveraine, puis céda devant l’intervention de Sissi et celle de l’empereur d’Autriche qui avait peut-être gardé quelque remords d’avoir jadis planté là la jeune fille. Néné se maria donc à Posi au mois d’août 1858. Elle n’en avait jamais voulu à Sissi de lui avoir volé un empereur, et si la jeune impératrice n’assista pas aux noces de sa sœur, ce fut parce qu’elle venait de mettre au monde un petit prince héritier : Rodolphe. Hélène casée, Ludovica reprit sa tâche avec méthode. Marie, dite Maddy, fut unie par procuration au mois de janvier 1859 au prince héritier du royaume des Deux-Siciles qu’elle n’avait vu que sur une miniature. La jeune fille – elle avait alors dix-sept ans – était si peu enthousiaste que Ludovica écrivit à sa sœur Sophie : « L’idée d’appartenir à un homme qui
ne la connaît pas et qu’elle ne connaît pas la rend terriblement anxieuse […] Qu’il ne soit pas joli garçon, ça elle le sait déjà. » La fiancée ignorait aussi à quel point l’intelligence de son promis était limitée : en fait, il était presque idiot. De plus, atteint de la même infirmité que le jeune Louis XVI, il se trouvait impuissant, mais cela, Marie ne le découvrit qu’après son mariage. Le beau-père de Marie mourant bientôt, la jeune femme devint reine du royaume des Deux-Siciles aux côtés de son époux François II. Être reine, voilà ce dont Ludovica avait rêvé pour sa fille. Cependant, Marie jouait de malchance, car l’Italie entrait alors en effervescence et l’épopée de Garibaldi mit rapidement fin au royaume de Naples. Le ménage se réfugia à Rome où la jeune femme entama une liaison avec un gentilhomme français – zouave de son état –, dont il résulta une grossesse gênante. Marie partit à Possenhofen où ses sœurs accoururent pour la réconforter tandis que le médecin de famille bombardait le mari de certificats assurant qu’une maladie de poitrine empêchait la jeune femme de rentrer chez eux. Tout bêta qu’il était, l’époux dut quand même se demander pourquoi le climat rigoureux de la Bavière convenait mieux à son épouse que le soleil romain. Le duc Max ne prit pas l’affaire au tragique. Toutefois, agacé par les jacasseries de ses filles, il finit par les chasser, impératrice comprise. Il fut bientôt annoncé que la reine Marie allait se reposer dans le calme d’un couvent d’Augsbourg. La raison officiellement avancée était que la santé de la jeune femme avait été ruinée par la perte de son royaume ; c’était donc la faute de Garibaldi. Marie mit secrètement au monde en novembre 1862 une petite fille qui fut confiée à son père. Après quoi, la fausse malade put regagner Rome et retrouver un mari auquel elle avoua tout. L’exemple catastrophique de Marie n’empêcha pas Ludovica de marier sa quatrième fille, Mathilde, dite Moineau, au demi-frère de François II, le comte Luigi Trani qui, s’il était joli garçon, était aussi une nullité, doublée d’un coureur de jupons. Le ménage chassé du royaume des Deux-Siciles fut rapidement condamné, comme celui de François II et Marie, à vivre en exil tandis que la comtesse Trani imitait sa sœur en prenant un amant. Il est curieux de constater que Ludovica, qui avait tant souffert du mariage qui lui avait été imposé, ne pensa jamais au bonheur de ses filles à l’heure de les marier, mais uniquement à la grandeur de l’alliance qu’elle leur faisait contracter. Il faut croire que l’orgueil blessé de la duchesse parla toujours plus haut. Quand Moineau eut épousé le comte Trani à l’été 1861,
Ludovica soupira d’aise : quatre de ses filles étaient mariées dont une à un empereur et une autre à un roi, déchu certes, mais roi tout de même. Ne restait que Sophie-Charlotte qui lui donnait du fil à retordre. À vingt ans, Sopherl était jolie, fine et très ingénue. Elle entendait faire un mariage d’amour et avait refusé d’épouser le roi Louis Ier de Portugal de même que le prince Philippe de Wurtemberg pour la raison qu’ils ne lui plaisaient pas. Ludovica imagina alors, avec la complicité de Sissi, de lui présenter le plus jeune des frères de François-Joseph, l’archiduc LouisVictor. En l’épousant, Sophie serait devenue la belle-sœur de son aînée, laquelle aurait été heureuse d’attirer sa chère Sopherl à Vienne. LouisVictor vint donc au mois de mai 1866 à Possenhofen faire sa cour. L’archiduc était charmant, drôle, très cultivé et artiste, mais il était aussi doté du menton prognathe des Habsbourg. Le jeune prince était homosexuel, comme il ne le cachait guère, on peut se demander quelle étrange idée avait eue Sissi. Il faut dire que le monde en général et les jeunes femmes en particulier avaient alors peu de connaissances sur la question. Sophie-Charlotte repoussa ce prétendant comme elle avait repoussé les autres. Apprenant que sa fille refusait un Habsbourg, Ludovica fut atterrée et envoya une lettre d’excuses à sa sœur, l’archiduchesse Sophie, mère du prétendant : « Il m’en a coûté bien des larmes, un tel gendre aurait été pour moi un bonheur », lui écrivit-elle avant de se remettre à battre les buissons. Une proie magnifique venait justement se promener dans les jardins de Posi. La guerre de l’été 1866 approchant, Louis II vint plusieurs fois à Possenhofen chercher un soutien auprès de Gackel qui, après son mariage avec Sophie de Saxe, s’y était installé. Le roi aimait prendre le thé avec ses cousins tandis que Sophie-Charlotte, très musicienne, jouait des thèmes de Wagner au piano. Elle avait une voix ravissante, aussi lui demandait-on souvent de chanter. La jeune fille était fraîche et spontanée ; elle était aussi le seul membre de la famille qui avait pris le parti du compositeur adoré quand celui-ci avait été chassé. Les cousins correspondaient régulièrement et échangeaient des cadeaux. Louis fit parvenir à Sophie une image du ténor Albert Niemann en souvenir d’un opéra et un joli éventail qui rappelait un bal. Elle recopiait pour lui des poèmes. Il l’invita plusieurs fois à Berg afin de l’entretenir de Wagner dont elle parlait avec d’autant plus d’intérêt qu’elle était devenue quelque peu amoureuse de son beau
cousin. Ludovica prenant son désir pour des réalités se trompa sur ce qu’on appelait les « intentions du jeune homme ». Le 12 août, surprenant Louis et Sophie en train de bavarder dans un salon, elle saisit une main du roi et celle de sa fille pour les réunir dans un geste de bénédiction. Le résultat ne se fit pas attendre : Louis se sauva comme s’il avait vu le diable. Le lendemain, il écrivit à Sophie une lettre très ferme au sujet de la « désagréable interruption », précisant que « l’impression que j’en ai retirée fut pour moi si fatale que je ne viendrai probablement plus de tout l’été ». Pour plus de sûreté, il chargea Gackel de préciser son point de vue à la duchesse. Charles-Théodore lui répondit par un mot très sec disant que sa mère avait cru « que ton attitude justifiait d’autres attentes ». Il assurait qu’elle avait compris et qu’il serait désormais inutile d’en parler davantage. Sophie relança habilement la machine. Elle écrivit à son cousin qu’ayant déjà connu une déception elle allait sans doute entrer au couvent. Louis répondit : « Si tu t’éloignes d’ici, cela me désolera beaucoup plus que tu ne le crois peut-être1. » Leurs échanges épistolaires redevinrent fréquents. « Si tu t’éloignes, qui me fera communier avec les héroïnes du divin Ami ? » plaidait le roi, précisant qu’il retournerait volontiers à Possenhofen « s’il n’est pas envahi ». Redoutant les entreprises de Ludovica, il partit se réfugier à Hohenschwangau, puis vint l’euphorisante tournée en Franconie, durant laquelle il ne cessa d’écrire à la jeune fille. Extraordinaire marque de confiance et faveur insigne, il lui fit même lire les lettres de Wagner par l’intermédiaire de Paul von Thurn und Taxis. L’automne se passa ainsi. Ludovica, incapable de renoncer à faire de sa fille une reine de Bavière, trouvait que l’on revenait un peu trop à la case départ. Poussa-t-elle Sophie à mettre le roi dans l’obligation de se décider ? C’est fort possible ; de toute façon la jeune fille vivait péniblement une situation qui risquait de s’éterniser. À l’approche d’un grand bal qui devait avoir lieu à la cour le 19 janvier 1867, Sopherl joua son va-tout en écrivant à Louis qu’ils devaient cesser de correspondre. Celui-ci répondit qu’il souffrirait beaucoup si sa chère Sophie ne lui écrivait plus, mais qu’il ne pouvait lui offrir que de l’amitié. Il lui précisa que l’objet de leurs échanges avait toujours été Wagner et que son destin sur terre était d’aider celui-ci à accomplir son œuvre. On ne sait ce que pensa la jeune fille d’un roi qui assurait que sa seule tâche en ce monde était de faire triompher l’œuvre musicale d’un ami. Elle eût dû pour le moins y réfléchir, mais Sophie
voulait être épousée, les mises en garde et les retraits du jeune roi n’avaient fait que stimuler son désir de le faire changer d’avis. Louis terminait son épître par « Sois heureuse et souviens-toi de moi », avant de l’assurer de sa profonde amitié. C’était clair, honnête et peu encourageant. Aimait-elle vraiment le roi ? La reine mère en doutait. Il est difficile de connaître les sentiments de Sophie, car nous ne disposons pas de ses lettres qui furent, suivant l’usage du temps, rendues par le fiancé après la rupture. Au début, elle fut certainement éprise de son cousin, mais elle avait aussi parfaitement conscience qu’un tel mariage comblerait les vœux d’une famille qu’elle souhaitait ne pas décevoir. Louis était le plus beau parti du temps ! Les jeunes filles qui désirent se marier ont parfois de vives inspirations. Au lieu de s’effondrer devant la lettre qui était une fin de non-recevoir, Sophie se fit habiller et coiffer pour se rendre au bal de la cour qui avait lieu le soir même. Elle y parut vêtue d’une robe de mousseline blanche nouée de rubans bleus, les cheveux tressés en diadème comme les portait Sissi. Elle était non seulement belle, mais infiniment gracieuse. Le duc Max ne répétait-il pas à ses filles : « Vous devez apprendre à vous mouvoir comme des anges avec des ailes aux pieds. Vous ne devez avoir devant les yeux qu’un seul exemple : les papillons » ? Le 21 janvier, nouveau bal et nouvelle apparition ailée, cette fois dans la salle du musée de la Promenadeplatz. À la surprise générale, Louis se précipita pour accueillir sa cousine, la combla d’attentions et dansa le cotillon avec elle, ce qui pour l’époque valait une déclaration publique. Quelle qu’en fût la raison, le jeune homme avait été touché. Rentré à la Residenz, Louis ne put dormir de la nuit. Debout à cinq heures du matin, il écrivit à Sophie une demande en mariage : Ma chère Sophie, Ce dont j’avais parlé alors que j’avais à peine quitté l’enfance et que j’étais encore prince héritier, je te le répète clairement en tant qu’homme et en tant que roi : je t’aime et je te jure fidélité, veux-tu être à moi ? […] Veux-tu m’aimer pour toujours ? Veux-tu être ma femme ? La compagne de mon trône ? Reine de Bavière ? Je le crois fermement : nous serons heureux ensemble. Ne pensons pas à ce sombre destin, il n’arrivera peut-être pas, peut-être qu’un dieu bienveillant le détournera de moi. Ô écris-moi vite ! Je conclus par les mots que Siegfried dit à sa Brunehilde : « Ô, bénie soit la mère qui t’a mise au monde. Gloire à la terre qui me nourrit, qui m’a permis de voir le regard qui me fait resplendir de bonheur. »
Ton Louis fidèle qui t’aime profondément2.
Tandis qu’une estafette portait la missive – où avait pris place une citation de Wagner –, Louis se précipita chez sa mère qu’il réveilla pour lui demander de courir chez le duc Max demander la main de SophieCharlotte. La reine mère n’aimait pas Sophie et ne le cachait pas ; elle la jugeait fausse. Elle se fit toutefois habiller et se précipita au palais ducal où elle réveilla tout le monde pour transmettre la demande tant espérée. Puis Louis vint très protocolairement faire la démarche. Ludovica au comble du bonheur voyait s’accomplir le plus cher de ses rêves : elle avait dû, fille du roi de Bavière, condescendre à épouser un duc en Bavière, mais sa fille bien-aimée effacerait l’affront, sa Sopherl serait bientôt reine de cette chère Bavière. Quelle douce revanche sur le sort. Le soir même, la famille royale et la famille ducale assistèrent à une représentation de Lohengrin à l’Opéra au cours de laquelle le roi quitta sa loge pour aller chercher SophieCharlotte. La jeune fille pénétra dans la loge royale au bras de Louis II et fit une profonde révérence à l’assistance qui applaudit, émue : le prince charmant avait trouvé sa princesse. L’annonce officielle des fiançailles du roi Louis II de Bavière avec la duchesse Sophie-Charlotte-Augusta, fille du duc Maximilien en Bavière, parut le lendemain. Elle combla de joie un pays qui sortait de l’épreuve courte, mais douloureuse, de la guerre. On fut surtout rassuré. L’épisode Wagner et autres bizarreries, mises sur le compte de la grande jeunesse du roi, furent balayés. Tout rentrait dans l’ordre. La fiancée, jolie, modeste, parfaitement bien élevée, catholique et surtout bavaroise serait la reine idéale. Une nouvelle page allait s’écrire. Subsiste encore aujourd’hui une question. Que s’était-il passé entre le 19 et le 21 janvier 1867 qui ait pu transformer un garçon de vingt-deux ans, bien décidé à demeurer célibataire, en un fiancé impatient ? Il est certain que Louis porta toute sa vie le remords de ne pas se résoudre au mariage que l’on attendait de lui aux fins de donner un héritier à la Couronne. Il parla de ce lourd devoir dès le moment de son accession au trône avec le ministre von Bomhard, concluant la conversation par : « Je n’ai pas le temps de me marier. Voyez cela avec Otto. » Seulement, la santé mentale d’Otto se dégradant très rapidement, l’héritier du roi devenait le détesté oncle Luitpold et sa descendance tout aussi honnie. Ce devoir dynastique
pesa certainement dans la balance. On a aussi évoqué la jalousie du roi visà-vis de l’archiduc Louis-Victor, mais Sophie avait refusé celui-ci, huit mois plus tôt. On a parlé de l’amertume du roi apprenant une liaison de Paul von Thurn und Taxis avec une actrice. Mais là encore les dates ne concordent pas. De toute façon, quand Louis avait rayé quelqu’un de sa vie, il se moquait complètement de la suite. Le plus vraisemblable est que le roi, extrêmement sensible aux impressions et au décorum, fut victime lors de ces bals de ce que l’on pourrait appeler un effet Cendrillon. Il avait toujours vu sa cousine vêtue de façon simple, entourée d’une fratrie chahuteuse et, tout d’un coup, il la découvrait en princesse de conte de fées. L’image s’imposa comme une évidence et la réalité rejoignit dangereusement la fiction. Sophie, parée, magnifiée, devenait la compagne indispensable à un roi, la future reine. « Intolérable dans la réalité, elle est l’objet du désir dans l’imaginaire », écrit Jean Adès. Cela est si vrai que dorénavant le roi n’appela plus jamais Sophie par son prénom. Il la rebaptisa d’abord Eva, du nom de l’héroïne des Maîtres chanteurs de Nuremberg que Wagner était en train de terminer. Bientôt, il changera ce prénom et distribuera les rôles, toujours en termes wagnériens. Sophie deviendra Elsa, la chaste héroïne de Lohengrin, mais Louis se gardera bien de prendre le rôle principal, celui de l’amoureux, et se contentera du rôle d’Heinrich, l’empereur Henri l’Oiseleur que l’action concerne finalement assez peu. Guy de Pourtalès en racontant l’histoire des fiançailles du roi pose cette question : « Quelle victoire voulait-il remporter sur luimême3 ? » Dès le lendemain, Louis télégraphia à Wagner : « Walther est heureux d’annoncer au cher Sachs qu’il a rencontré sa fidèle Eva et que Siegfried a trouvé sa Brunehilde4. » La bénédiction du compositeur arriva par retour. Dans la lettre qui suivait, le roi précisait à l’Ami que ce dernier demeurait son unique passion et qu’il avait d’ailleurs prévenu Sophie qu’il ne vivrait que jusqu’à la mort de celui-ci. L’ex-roi Louis Ier, grand-père du fiancé, exultait. Depuis Rome, il écrivit à Louis tout le bonheur qu’il aurait à tenir dans ses bras son premier arrière-petit-fils et composa un poème sur le sujet. On n’en était pas là. Le mariage fut d’abord fixé au 15 mai, date de la fête de la fiancée, puis remis au 25 août, jour des vingt-deux ans du roi et de sa fête. Les préparatifs allaient bon train. Louis fit décorer pour sa future épouse les
appartements de la Residenz donnant sur la Hofgarten avec le motif du cygne mille fois interprété : cygnes par-ci, cygnes par-là. Il envoya chercher meubles et bijoux à Paris et essaya sur la tête de sa fiancée la ravissante couronne de perles jadis confectionnée pour la première reine de Bavière par l’orfèvre de Napoléon Ier. Il éprouva le besoin de tirer du coffre royal quantité de diamants pour enrichir cette couronne. Deux somptueux manteaux de cour de velours rouge brodés aux armes de la Bavière et doublés d’hermine furent façonnés dans un atelier munichois tandis que l’on frappait la médaille gravée des deux profils. Louis adorait ces préparatifs auxquels il accordait la plus grande attention. Il se montrait un fiancé attentif, écrivant presque chaque jour à sa fiancée, lui faisant porter des fleurs ou les portant lui-même, invitant très régulièrement son Elsa à dîner à la Residenz. Ses valets transportaient la nuit missives et cadeaux. Le roi exigeait que les porteurs reviennent immédiatement avec le mot de remerciements de la jeune fille. Si celle-ci, endormie, n’avait pu répondre, elle se faisait réprimander. En jeune homme facétieux (mais un peu gamin tout de même), il plaisanta longuement à propos de l’ex-roi Otto de Grèce et de son épouse la reine Amélie, appelant son oncle « ce pauvre sourd complètement piqué », sa femme « la grosse nouille » et sa propre mère « la veuve de mon père ». « Que les reines peuvent être dissemblables ! » écrivait-il à Sophie. « D’une part, une créature aussi épaisse et bavarde que la grosse et informe majesté grecque, de l’autre, une reine telle que tu vas le devenir : un ange, une fleur, belle et pleine d’esprit5 ! » Mais les anges, on le sait, ne sont pas sexués, et cet ange, il ne l’embrassait pas, ne le touchait pas. En Sophie il aimait la future reine, non la femme. Ayant obtenu la demande en mariage tant espérée, Sophie commença à s’inquiéter. Courtois et prévenant, le roi gardait ses distances, ses lettres même se terminaient par des formules telles que « Bénédictions du plus profond du cœur ». La jeune fille était naïve, mais pas sotte. En dépit d’un père fort original, elle vivait dans une famille aimante et dit très vite aux siens : « Ne voyez-vous pas qu’il ne m’aime pas ? Pour lui ce n’est qu’un jeu. » Le mot était bien choisi, il s’agissait d’un jeu théâtral, d’un jeu de rôles dont le roi allait bientôt se trouver prisonnier. La première photographie officielle du couple, prise au début du mois de février, laisse deviner ce malaise. Sophie, mal fagotée, fait face avec un sourire figé. Elle a un petit air crâne et sa main posée sur la manche de son fiancé montre une imposante bague de fiançailles. Quant à Louis, habillé
de vêtements deux fois trop grands, il s’écarte, regarde en l’air et semble vouloir s’échapper du cadre. Une autre photographie montre la jeune fille en train de lire, debout – toujours mal habillée –, baissant les yeux, tandis que le roi – toujours engoncé dans des habits trop grands –, assis le coude appuyé sur un guéridon, semble se demander ce qu’il fait là. Dès la fin du mois de janvier, Sophie avait fait part de ses doutes à l’une de ses dames d’honneur. La dame s’empressa de le répéter à Ludovica, laquelle, sans doute un peu inquiète, le rapporta à la reine mère qui en parla à son fils. Le roi, contrarié – qu’allait-on interférer dans la pièce qui se jouait –, protesta aussitôt auprès de sa fiancée : « Maman m’a dit, écrit-il, avoir su par ta mère que tu aurais dit à une de tes dames que tu ne crois pas à mon amour et que tu crains quelque chose. Mais pourquoi donc, chère Sophie, doutestu ainsi de mon amour si profond et si fidèle ? J’en suis très mécontent. J’espère que ta mère part d’un malentendu6. » Les craintes gagnèrent nombre de personnes de la cour quand, à la fin du mois de janvier, le prince Chlodwig von Hohenlohe, nouveau chef du gouvernement, donna un bal somptueux en l’honneur des fiancés. Le goût du roi pour l’exotisme s’étant exprimé dans la façon dont il avait aménagé le Jardin d’Hiver, le prince avait fait reconstituer une forêt tropicale dans son palais où se pressaient sept cent cinquante invités : plafond dissimulé sous des lianes et des guirlandes d’orchidées, chanteurs des chœurs de l’Opéra déguisés en sauvages et palmiers émergeant de la neige des jardins. Après avoir expédié deux danses, le roi demanda l’heure et, plantant là l’ensemble de la compagnie, fila au théâtre pour voir la fin de la Marie Stuart de Schiller qu’il avait déjà vue une bonne dizaine de fois. De telles façons ne purent qu’ancrer le prince von Hohenlohe dans l’idée que Louis était un enfant gâté. Il était surtout un garçon perturbé qui ne pouvait agir autrement que comme la maladie l’y contraignait. Durant les fiançailles, la famille de Sophie fut éprouvée par de grands deuils. Le 9 mars, l’épouse de Gackel, la jeune Sophie de Saxe, mal remise de la naissance d’une petite Amélie, mourut brusquement de la grippe dans le palais ducal de Munich. Charles-Théodore avait fait un mariage d’amour et son désespoir fut total. La disparue qui n’avait que deux ans de plus que Sophie-Charlotte était devenue sa meilleure amie ; vivant sous le même toit, les deux Sophie ne se quittaient guère. Le roi prit d’abord légèrement la chose, écrivant à sa fiancée bouleversée : « Je suis en train d’essayer de
me débarrasser de la mère de mon frère et de la veuve de mon père avant que vous n’arriviez mercredi. J’imagine que vous serez passablement effrayée par l’odeur du cadavre entouré de sa famille en larmes7. » Sophie, choquée, dut lui parler du désespoir de son frère et de sa propre douleur, car, le 13 mars, Louis changea de ton : Oh, mon Dieu ! En dépit de tout mon bonheur, Elsa, mon cœur est déchiré. Gackel qui m’est si cher que je me jetterais au feu pour lui sans trembler pour moi-même est blessé. Ah ! je voudrais être près de lui dans le danger. Je supporterais pour lui toute la douleur du monde. Comme je souffre ! Il n’y a personne sur terre qui soit mon supérieur, personne qui peut me donner d’ordres, mais s’il voulait régner, lui, j’abandonnerais le trône, oui, j’irais jusqu’à lui donner la Couronne. Je le servirais, j’obéirais avec bonheur à tous ses désirs, je ferais n’importe quoi pour lui, pour lui seul sur cette terre ! […] oh ! mon Dieu ! il n’y a personne sur cette terre à qui il puisse être plus cher qu’à moi, pas même sa mère. Il m’est intolérable d’envisager la possibilité de sa mort. J’en perdrais la raison8.
Il semblait l’avoir déjà un peu perdue. Que pensa la jeune fille de ces excès ? Rien de bon sans doute, d’autant que la lettre commençait par parler de Wagner et se terminait encore sur Wagner. Wagner, toujours Wagner. Si Sophie avait pu espérer que l’intimité entre les fiancés ferait faiblir l’obsession royale, il n’en était rien. La seule idée du roi en cette période de deuil était de présenter sa fiancée au compositeur, secrètement bien sûr, puisqu’on ne pouvait encore laisser réapparaître à Munich l’homme le plus détesté du pays. Dès que leurs fiançailles étaient devenues officielles, le roi avait demandé à Sophie d’écrire au divin Ami ; il y avait là comme un examen à passer. La jeune fille réussit à tourner une lettre débordant d’admiration qui ne fût pas trop plate. Le véritable but de la venue à Munich de Wagner n’était pas de bénir des fiançailles, mais de négocier avec le roi le rappel de Bülow à son poste. Il avait absolument besoin du chef d’orchestre pour la création, envisagée pour le mariage du roi, des Maîtres chanteurs. De plus, il lui fallait éloigner l’époux de Cosima de Lucerne, où la jeune femme avait mis au monde au mois de février la seconde fille de Wagner. On avait prénommé le bébé Eva, du nom de l’héroïne des Maîtres chanteurs. Après la naissance, Bülow était venu s’asseoir sur le lit de sa femme en disant : « Je pardonne. » Cosima avait répondu : « Il ne faut pas pardonner, il faut comprendre. » Que l’homme de sa vie était Wagner et que depuis le veuvage de celui-ci, elle ne pensait qu’à divorcer pour l’épouser. Elle
désirait aussi avoir la garde des deux filles qu’elle avait eues avec Bülow. À Munich, Wagner vit d’abord le prince de Hohenlohe pour discuter directement avec lui de l’avenir de la Bavière sur lequel le compositeur avait des idées sinon précises, du moins bien ancrées. Toutes revenaient à dire que la Confédération germanique, animée par ce qu’il appelait l’esprit allemand, ne pouvant être sauvée par la Bavière faute d’une armée efficace, devrait l’être par la Prusse. La difficulté serait d’en convaincre non Hohenlohe, tout acquis à la cause, mais le roi. Wagner trouvait tout à fait normal de donner ce genre de directives au chef du gouvernement qu’il avait imposé à Louis II ; s’il ne le fit pas davantage, ce fut parce que l’édification de son œuvre l’intéressait plus que le sort d’un pays qui n’était pas le sien. Quant à Cosima, elle correspondait assidûment avec Louis II et continuait à remplir le rôle de ministre de la Culture. Pour que Wagner pût voir Sophie, les conspirateurs avaient aménagé une rencontre secrète chez le frère aîné de la jeune fille, Louis-Guillaume, qui avait son propre palais à Munich. Suivant le témoignage de la fille de celui-ci, la rencontre fut très exaltée – on s’en serait douté – et ce fut en termes non moins excessifs que Wagner en rendit compte au roi, lui assurant qu’il avait pu plonger son regard « jusqu’au fond de votre destin, etc. ». Quelques phrases un peu inquiètes évoquent tout de même « des espaces peuplés de contrariétés absurdes » qui s’étendraient entre les deux fiancés. Il semble que Wagner qui connaissait bien le roi eût éprouvé un peu de pitié pour la charmante jeune fille qui allait vers de grandes désillusions. Le lendemain, le compositeur retrouva Louis II qui lui parut très changé. Le roi n’était plus aussi mince qu’à son avènement et le beau visage était devenu légèrement poupin. Le discours surtout se faisait plus exalté et moins logique, sautant sans raison d’un sujet à un autre. Plusieurs personnes avaient déjà remarqué que le roi posait quantité de questions sans jamais écouter les réponses. La rencontre entre les deux hommes fut néanmoins fructueuse. Hans von Bülow retrouvait le poste qu’il avait occupé et Sa Majesté fit verser 12 000 florins à Wagner. Après ces rencontres, la présence du compositeur à Munich devint le secret de Polichinelle. La presse ironisa et Louis, furieux, s’enfuit à Berg. C’est de là qu’il exprima ses premiers doutes à Sophie au sujet de leur mariage. « On m’a présenté le programme des cérémonies de notre
mariage, lui écrit-il le 14 mars. C’est magnifique mais terrible. Tout cela serait tellement plus beau dans une petite église près du Starnberger See9. » Ainsi le roi qui faisait tisser de somptueux manteaux de cour et sertir une couronne de diamants souhaitait désormais un mariage intime dans une église de campagne. Louis parlait aussi d’emmener Gackel à Rome pour le distraire de son chagrin. Ou de partir avec sa chère maman pour la Terre sainte. « Il est probable que je me mettrai en route samedi – non pas pour Rome, mais pour le pays où Notre Sauveur a souffert et où il est mort pour Nous, à Jérusalem10 », écrit-il le 3 avril à sa fiancée, précisant dans un autre billet daté du même jour : « Je suis comme Godefroy de Bouillon, plein d’enthousiasme, transporté. » Seulement Godefroy de Bouillon n’était pas parti en Terre sainte pour éviter de se marier. À quel régime Sophie était-elle soumise… Comment, après de tels propos, la jeune fille n’aurait-elle pas pensé que l’homme qu’elle devait épouser avait l’esprit dérangé ? La lettre de Wagner annonçant son arrivée fit heureusement oublier le projet de pèlerinage. En fait, le piège se refermait sur Louis qui commençait à se sentir très mal dans la comédie qui était lancée. « On pourrait penser, note le docteur Gilbert Robin, que le roi luttant contre ses tendances qui ne s’étaient que trop clairement révélées dans sa liaison avec Paul de Taxis faisait un mariage de raison ; même pas ; il faisait un mariage d’illusions11. » Après avoir idéalisé Sophie, il la trouvait désormais terne, coquette et superficielle, incapable de le comprendre, et se plaignait amèrement à Wagner. Une nouvelle fois, l’idéalisation des débuts ne résistait pas à la réalité. Ses fiançailles n’empêchaient d’ailleurs nullement Louis d’écrire à l’impératrice d’Autriche qui séjournait au mois de juin à Possenhofen une lettre si pleine de passion que son auteur se sentit obligé de conclure par : « Je te demande de tout cœur de pardonner le contenu de cette lettre mais je ne pouvais m’en empêcher. » Très gênée par l’admiration de son futur beau-frère, Sissi chargea son mari de répondre. Qu’eût dit cet entourage inquiet s’il avait su que le fiancé venait de partir en voyage avec un homme dont il était amoureux ? Ce fut le 11 mai que le roi rencontra le nouvel écuyer de sa Maison pour lequel il se prit aussitôt de passion. Richard Hornig, issu d’une vieille famille prussienne, loin d’être un « palefrenier », était le fils du Grand Maître des écuries de Maximilien II. Ce beau jeune homme, grand, blond,
sérieux et psychologiquement solide, avait six ans de plus que le roi. Son travail consistait à fournir à Louis II et à la famille royale les chevaux de selle ou d’attelage et à les entretenir. La tâche était lourde, circulant beaucoup entre ses châteaux et ses « cabanes » de montagne, Louis II avait en permanence cinq cents chevaux à sa disposition. L’achat et l’entretien de tous les carrosses et voitures nécessaires aux déplacements relevaient aussi du Maître des écuries. Commencée au mois de mai 1867, la liaison de Louis II avec Richard Hornig, vécue sur différents modes, ne s’arrêta que deux ans avant la mort du roi ; par sa durée, elle tient une place unique dans la vie du souverain. Louis, dès leur rencontre, offrit un anneau à Richard et partit avec lui pour ce que l’on pourrait appeler un voyage de noces. Ils allèrent d’abord à Eisenach visiter la Wartburg où Wagner avait situé le tournoi des chanteurs de Tannhäuser. De là, ils se rendirent à Paris où Napoléon III invita le roi de Bavière à visiter Pierrefonds dont la restauration enchanta le visiteur. Les deux souverains déjeunèrent ensuite à Compiègne où Louis II crut sentir « l’esprit de Jeanne d’Arc ». Il fut subjugué par la visite de l’Exposition universelle d’où il devait rapporter le ravissant pavillon mauresque qu’il fera plus tard installer dans les jardins de Linderhof. Ce voyage d’amoureux n’empêcha pas le roi d’écrire le 25 juin à sa fiancée : « Bientôt, nous ne serons plus Sophie et Louis ; nous serons Lohengrin et Elsa. » La mort de son oncle Otto de Grèce, le 26 juillet, obligea le jeune roi à revenir en Bavière. Il profita du deuil pour annoncer que le mariage serait repoussé au 12 octobre. Le 18 août, il présenta sa fiancée à Napoléon III et à Eugénie qui, sur la route d’Augsbourg, s’étaient arrêtés à Munich, puis partit s’enfermer avec Richard à Hohenschwangau d’où, à la fin du mois d’août, il écrivit à Sophie pour lui dire à quel point « il sera magnifique de se retrouver Tous Deux dans la solitude idéale de Hohenschwangau ». Encore une fois, Louis écrit ce qu’on attend de lui. En fait, l’idée d’une vie maritale le révulsait, mais comment mettre fin à la comédie ? Sophie passa l’été à Possenhofen où les drames s’accumulaient. L’éphémère empereur du Mexique, Maximilien, frère de François-Joseph et neveu de Ludovica, avait été fusillé le 19 juin à Queretaro. Sa mère, l’archiduchesse Sophie, se réfugia auprès de sa sœur dans le cher Possenhofen. Le 26 juin, le prince Max von Thurn und Taxis, mari d’Hélène, mourut brusquement dans son palais de Ratisbonne où venait de
naître son quatrième enfant. Hélène, effondrée, revint près des siens à Posi où Gackel pleurait toujours sa jeune épouse. Trois disparitions tragiques en quelques mois, c’était beaucoup. La pauvre Sophie, tout en compatissant à ces malheurs, vivait alors un drame très personnel. Abandonnée avant l’autel et ayant perdu toutes ses illusions sur la personne de Louis II, elle avait eu un coup de foudre pour le fils du photographe de la cour, Edgar Hanfstaengl, qui multipliait les clichés du ravissant visage et trouvait la jeune fille extrêmement désirable. Cet amour ne fut révélé qu’en 1986 dans un livre qui contenait les lettres écrites par Sophie à Edgar12. Celui-ci était un beau garçon, grand, blond, très différent de ceux que pouvait rencontrer la princesse. Associé de son père, il avait fait des études commerciales à Stettin et en Angleterre avant de séjourner en Chine. Appartenant à une famille assez fortunée, c’était un jeune homme moderne, dynamique, doué de beaucoup d’humour. Il semble avoir montré très vite son admiration à la princesse, laquelle attendit quatre mois pour lui accorder un rendez-vous qui eut lieu au château de Pähl, propriété des Hanfstaengl non loin de Possenhofen. La première entrevue, surveillée par des dames d’honneur complices, eut lieu le 27 juin. Curieusement, ce fut Gackel qui y conduisit sa sœur. Il n’est pas impossible qu’ayant mesuré la gravité des troubles que présentait Louis II le jeune homme ait favorisé une intrigue capable de détourner Sopherl d’un mariage qu’il jugeait catastrophique. Les amoureux se revirent le 16 juillet. Sophie fit alors passer à Edgar une lettre où, sous le style quelque peu « fleur bleue », perce un grand désarroi. Il n’y a pas d’espoir pour nous. Que nous reste-t-il ? Renoncer. Je regarde l’avenir en tremblant ; le jour de mon mariage se dresse comme une ombre noire devant mon âme, je voudrais fuir devant l’impitoyable destin ! Pourquoi a-t-il fallu que je fasse ta connaissance alors que ma liberté est rivée dans les chaînes ? Je t’aime si profondément, mon Edgar ; lorsque tu es près de moi, je ne peux te dire combien ta chère image repose au fond de mon cœur, si profondément que j’en ai oublié honteusement tous mes devoirs envers mon pauvre Roi ! Rassure-toi, tes lettres sont bien à l’abri. Le monde ne doit pas soupçonner ce qui se passe entre nous : personne ne doit porter sur toi un jugement défavorable. Adieu ! Adieu mon Edgar. Je me rends demain en ville pour quelques heures afin de faire des courses. Pourrais-tu venir à cinq heures au Palais ? S’il te plaît, pas plus tôt, car jusqu’à cette heure-là il y aura des gens près de moi. Je rentrerai avec le dernier train. Le temps nous est vraiment compté, mais nous devons nous en contenter13.
L’entrevue de Munich s’étant déroulée dans des conditions délicates et frustrantes, Edgar partit pour Cobourg, ce qui désespéra la jeune fille. Pourquoi très cher Edgar avoir mal interprété mon attitude ? N’est-ce pas par amour que j’ai réprimé mes sentiments passionnés ? Ô Edgar, avant tout, je vous le demande instamment, revenez bientôt, à chaque moment, je suis prête à vous voir. Certainement, lorsque nous serons à nouveau l’un près de l’autre, cela ira mieux. Vous ne pouvez pas, non, pas douter de mon fidèle amour. J’ai souffert de façon indicible au cours de ces journées […] Je ne peux pas tout vous dire par écrit ; j’ai le cœur si plein qu’il va éclater. Je ne peux pas continuer ainsi14 !
Il fallait que la correspondante fût bien amoureuse pour confier de telles lettres à des intermédiaires. Edgar revint à Munich où Sophie alternait les entrevues avec le fiancé officiel et l’amoureux caché. Les lettres suivantes, de plus en plus ardentes, disent à quel point la jeune fille se trouvait dans une impasse. Je voudrais mourir dans tes bras et que mon nom disparaisse, que le monde oublie que la fiancée du roi de Bavière a vécu. Je t’embrasse mille fois. Ne m’oublie pas. Oh si tu savais Ta S.C. Ne m’oublie pas15.
À mille lieues de se douter de la liaison de Louis II avec Richard Hornig, la malheureuse était bourrelée de remords à l’idée de son infidélité. Elle gardera ce scrupule toute sa vie et restera persuadée que la rupture de ses fiançailles avec le roi était venue de ce que celui-ci aurait eu vent de sa passion pour Edgar. Alors que les cadeaux ne cessaient d’arriver à Munich : bijoux, argenterie, objets d’art, dons en argent des grandes villes, les deux fiancés ne pensaient plus à leur mariage qu’avec terreur. Le 1er septembre fut annoncé un nouveau report « de quelques semaines ». La raison avancée était que la fameuse couronne des reines de Bavière ne pourrait être prête à temps. Le 10 septembre, Sophie écrivit une dernière lettre, toute de résignation, à Edgar : « Adieu de tout mon cœur. J’aurais encore tellement de choses à dire, mais il vaut mieux pas. » Que pouvait-elle faire sinon renoncer ? Quitter le roi pour un photographe était du domaine de l’impensable pour cette jeune princesse. Elle avait certes sous les yeux l’exemple de son frère aîné, Louis-
Guillaume, qui, passionné de théâtre, avait, après une liaison de plusieurs années et la naissance d’une petite fille, épousé une jeune actrice, Henriette Mendel. Pour contracter un mariage morganatique, Louis-Guillaume avait dû renoncer à son droit d’aînesse, au titre ducal, aux avantages de fortune qui accompagnaient ce titre, ainsi qu’à son droit de succession au trône de Bavière. En dépit d’une brève résistance de la famille, l’union fut une réussite. La jeune femme, titrée baronne de Vallersee, simple et discrète, fut vite appréciée. Louis-Guillaume avait fait construire son propre palais à Munich où il vivait avec sa famille, s’occupant toujours de théâtre. Il avait reçu de son père le château de Garatshausen sur les rives du lac de Starnberg où il passait une bonne partie de l’année ; sa sœur Sissi aimait y séjourner. La fille de Louis-Guillaume et Henriette, la jeune Marie-Louise, future comtesse Larisch, allait devenir la nièce préférée de l’impératrice, leur commune passion des chevaux les rendant très proches jusqu’à ce qu’un drame les séparât pour toujours. Il est certain, pour en revenir au cas douloureux de Sopherl, que ce qui avait été possible pour un jeune homme ne l’était pas pour une jeune fille, surtout quand celle-ci se trouvait fiancée au roi de Bavière. On peut aussi penser que la passion de Sophie pour Edgar n’était pas assez forte. Mais comment aurait-elle pu juger de ses sentiments alors qu’elle se heurtait aux incohérences d’un fiancé pour le moins étrange et qu’elle devait essuyer les pleurs de trois personnes qui venaient de perdre un être cher ? Et pouvait-elle envisager de désespérer sa mère qui avait alors assez de sujets d’affliction ? Dans la tourmente où elle se trouvait, avoir renoncé à Edgar était une preuve de sagesse. Celui-ci se mariera quinze ans plus tard. Il aura cinq enfants dont une fille, Erna, qui permettra la publication des lettres jadis envoyées à son père par une princesse amoureuse. Disparu en 1910, le bel Edgar avait pourtant laissé cette instruction sur les missives : « À brûler après ma mort. » Le 27 septembre 1867, Les Dernières Nouvelles annonçaient que les noces royales auraient lieu le 28 novembre. Des rumeurs commençaient à circuler. Quant au roi, il écrivait des lettres affolées à Wagner et pleurait près de sa mère. Le compositeur chercha à lui faire avouer son homosexualité avec une insistance un peu lourde : La peine, le mécontentement, le souci, l’inquiétude, la peur n’habitent-ils pas votre cœur ?
[…] Une voix intérieure ne vous presse-t-elle pas d’ouvrir ce cœur à l’Ami ? À qui l’ouvrir autrement ? […] Quel est l’Unique auquel vous avez reconnu le don de vous connaître et de vous comprendre ? Ouvrez-moi votre cœur, je ne vis que pour vous. Révélez-moi ce qui vous oppresse16.
Le roi eut la sagesse de n’en rien faire. Dieu sait ce que le couple Wagner-Cosima eût pu réaliser avec un tel levier. Jamais le roi ne confiera son secret, mais ce secret trop grand, trop lourd, trop en opposition avec son idéal de pureté ne cessait de le ronger. Apprenant le nouveau report de la date du mariage, le duc Max se fâcha et écrivit au roi : la dignité de sa famille et l’honneur de sa fille ne pouvaient souffrir plus longtemps, ce serait le mariage en novembre ou la rupture. Louis, furieux qu’un sujet osât lui parler ainsi, trouvait enfin une raison de rompre. Sautant sur l’occasion, il envoya une note à Sophie : « Tes parents veulent rompre nos fiançailles et j’accepte la proposition. » Quelques jours plus tard, la jeune fille reçut une longue lettre calme et affectueuse dont le roi avait dû peser chaque mot, une belle lettre, la plus sincère de toutes celles que le roi envoya à sa fiancée, dans laquelle il quittait enfin le rêve pour s’en tenir à la réalité. Une lettre qui analysait parfaitement la situation sans aller toutefois jusqu’au bout de la vérité : Ma bien-aimée Elsa, Étant donné que l’on m’a contraint à fixer la date du mariage, un peu comme on oblige une plante de serre à fleurir, après m’avoir déjà contraint à fixer la date des fiançailles, je considère comme un devoir sacré de vous parler, maintenant qu’il en est temps encore. Vous m’avez toujours été précieuse et chère, et je vous aime d’une affection vraie et sincère ; je vous aime comme une tendre sœur. Ce sentiment qui est profondément enraciné dans mon cœur ne me quittera jamais ; aussi je vous supplie de continuer à m’accorder votre précieuse et aimable affection ; si vous vous souveniez de moi avec tristesse et amertume, j’en aurais une peine profonde. Parce que nous nous écrivions beaucoup l’été dernier et que je vous avais donné des preuves de mon amitié et de ma confiance, votre mère m’a harcelé afin de me contraindre à prendre une décision ; elle pensait que je vous avais rendue amoureuse de moi, car elle ne croyait pas à la possibilité d’une amitié sans amour « véritable ». Rappelez-vous la réponse que j’ai faite à votre mère (et à vous-même) par l’intermédiaire de Gackel. Quand j’ai appris combien vous étiez malheureuse, que vous seriez obligée de partir et que vous ne me reverriez plus, j’en ai eu beaucoup de chagrin ; j’ai été infiniment touché par les preuves d’amour sincères que vous me donniez ; mon affection pour vous est devenue plus profonde et je me suis laissé entraîner à demander votre main. Si j’ai ordonné tous les préparatifs du mariage, si je vous en ai entretenue verbalement et par lettre, et si je les ai remis sans me décider à les abandonner, ce n’était pas pour vous bafouer ou, comme vous pourriez le penser, pour me dégager lentement et
progressivement, non, je ne voulais pas vous tromper. Il n’en était absolument pas question. J’ai agi avec la ferme conviction que tout aboutirait à une conclusion satisfaisante. À présent, j’ai eu le temps d’éprouver mes sentiments et de réfléchir à la situation ; et je sais qu’il y aura toujours pour vous, enfoui au plus profond de mon âme, un amour fraternel, véritable et fidèle. Mais je sais aussi que ce n’est pas la sorte d’amour indispensable à une union matrimoniale17.
Il eût été préférable d’en tenir compte plus tôt, mais il est vrai que le roi, avait été soumis à des pressions. Il faut aussi porter à son crédit qu’en renonçant à un mariage pour lequel il n’était pas fait il avait protégé sa cousine. La lettre de rupture était signée du prénom emprunté par Louis durant ses fiançailles : Heinrich. Quelques auteurs et Sophie elle-même ont pensé que la rupture avait été causée par la révélation au roi de l’intrigue entre Sophie et Edgar Hanfstaengl. Si cela avait été le cas, Louis, ravi de tenir enfin le motif de séparation tant souhaité, en aurait parlé franchement à sa cousine, même si, par égard pour elle, il eût certainement gardé le secret pour le public. Sa longue lettre de rupture, parfaitement sincère, n’y fait pas la moindre allusion. Le roi, certes, demandera à son secrétaire de cabinet Lorenz von Düfflipp : « Faites en sorte que le grand déballage soit évité », seulement ce déballage risquait fort de concerner le peu de hâte qu’avait montré le roi à se marier, ce qui aurait conduit à évoquer sa grande amitié pour Richard Hornig et son homosexualité. La rupture fut officiellement annoncée le 10 octobre. À la fin de sa lettre, le roi, ne tenant pas à avoir affaire à la redoutable Ludovica, avait demandé à Sophie « de porter à la connaissance de ses parents les points essentiels ». Sissi laissa exploser sa colère dans un mot à sa mère. Le ton tendrait à montrer que l’impératrice fut toujours assez lucide sur son cousin. Mon indignation est à son comble comme celle de l’empereur, écrit l’impératrice. Il n’est pas d’expression pour qualifier pareille conduite. Je ne comprends même pas que Louis ose encore, après tout ce qui s’est passé, se montrer à Munich ! Mais je suis contente que Sophie prenne aussi bien les choses. Dieu sait qu’elle n’aurait jamais été heureuse avec un pareil homme18.
Sophie-Charlotte sortit très meurtrie d’une douloureuse histoire. Il lui était par-dessus tout pénible de décevoir ses parents et les Bavarois. Fiancée déchue, elle n’osait plus paraître à Munich. Sissi eut beau lui
rappeler que c’était à lui d’avoir honte, Sopherl se cachait à Posi. Quant au roi, il écrivit à la baronne von Leonrod pour lui confier : « l’impression de bonheur que j’éprouve à présent que je me suis débarrassé de ces chaînes accablantes n’est comparable qu’à celle éprouvée par un convalescent respirant enfin un peu d’air pur après une grave maladie19 ». L’affaire lui servira de leçon, car il se tiendra de plus en plus éloigné des femmes. Il avait fait part bien entendu à Wagner de la « guérison de sa maladie mortelle », ajoutant : « heureux comme autrefois, je me tourne vers mon ami avec jubilation ». Il n’est pas sûr que la nouvelle ait enchanté l’Ami. Bientôt une lourde tristesse – on parlerait aujourd’hui d’épisode dépressif – succédera au soulagement. Au mois de novembre, réfugié à Hohenschwangau, le roi confia au compositeur : J’écris ces lignes dans ma chambre gothique seulement éclairée par une petite lampe. Dehors, c’est la tempête de neige. Dieu soit loué, je suis enfin seul ici, loin de la mère qui, l’été dernier, m’était devenue à nouveau si pesante, qui par son attitude prosaïque m’a complètement gâché mon séjour ici, autrement si agréable, loin de l’ex-fiancée qui m’aurait rendu indiciblement malheureux et misérable. Devant moi est posé le buste de l’unique, de l’ami aimé jusque dans la mort qui m’accompagne partout, qui m’insuffle du courage et de la persévérance, pour lequel je suis prêt à mourir et à supporter toutes les souffrances. Oh, si seulement je pouvais mourir pour vous 20 !
Louis avait conscience d’avoir désappointé le peuple bavarois. La rupture des fiançailles causa une grande déception à Munich. On comprit qu’il n’y aurait de longtemps pas de reine en Bavière et pas de petit prince non plus. On constata aussi que cet échec marquait pour le roi un nouvel éloignement de sa capitale et un repli plus total à Berg. La peur et l’angoisse endurées pour sortir de ces malencontreuses fiançailles furent payées d’un nouveau pas dans la maladie. Tandis que la famille ducale, offensée par l’attitude du roi, rompait toute relation avec la Maison royale, Ludovica s’empressa d’expédier SophieCharlotte chez sa sœur, la reine de Saxe, qui venait de perdre sa fille, l’épouse de Gackel ; sur les six filles qu’avait eues le couple royal, cinq étaient mortes. En consolant sa tante, Sophie relativisa son propre chagrin. Elle dut regagner Munich pour l’enterrement de l’ex-roi Louis Ier. Celui-ci avait coutume de dire qu’il ne mourrait pas ; il trépassa tout de même le 29 février 1868 à Nice. L’homme qui avait perdu sa Couronne pour Lola
Montès était le demi-frère de Ludovica : les deux familles furent obligées de se revoir lors des obsèques qui se déroulèrent par un temps glacial. Une tempête fit s’envoler fleurs et drapeaux sur le parvis de la basilique SaintBoniface que le roi bâtisseur avait fait construire et où il fut enterré. Ludovica ne songeait plus alors qu’à marier rapidement Sopherl afin que la page des fiançailles désastreuses fût tournée. Son choix s’arrêta sur la personne du duc d’Alençon, un d’Orléans venu avec son père le duc de Nemours l’été précédent à Possenhofen. Le but – non avoué – de la visite du duc de Nemours était de caser sa fille, Marguerite, avec Gackel. Le jeune veuf, héritier depuis le renoncement de son frère aîné au titre ducal, attirait l’attention des pères des princesses à marier, mais la démarche était pour le moins prématurée, pour ne pas dire inopportune. CharlesThéodore, désespéré, allait se sortir de l’épreuve autrement. Son impuissance devant la maladie qui avait emporté sa femme comme celle qu’il avait éprouvée devant les blessés des champs de bataille le poussèrent à quitter l’armée pour faire des études de médecine, ce qui stupéfia sa famille. Il ne se remarierait que sept ans plus tard avec une jeune princesse de son choix. La visite des d’Orléans ne devait toutefois pas demeurer inutile, car Ludovica avait remarqué que Sophie et d’Alençon avaient sympathisé. Le jeune homme, petit-fils de Louis-Philippe, appartenait à la Maison royale de France, laquelle n’avait aucune chance d’approcher le trône. Âgé de vingt-trois ans, grand et blond, avec les yeux pâles, Ferdinand était un beau garçon qui semblait solide et équilibré. Avec l’accord de sa fille, Ludovica mit en marche ses nombreuses sœurs pour arranger une entrevue entre les deux jeunes gens. Celle-ci eut lieu le 4 juin 1868 à Dresde. Sophie s’entretint avec un jeune homme bardé de principes et très religieux ; tant de sérieux lui plut. Ils se fiancèrent le lendemain. Le duc d’Alençon écrivit à son ancien précepteur, Jules Gauthier : « Elle fera une fille tendre et respectueuse pour mon père, pour moi une femme telle que je la souhaite. » On voit quel était l’ordre des facteurs. La révolution de 1848 ayant brutalement détrôné Louis-Philippe, les d’Orléans avaient trouvé refuge en Angleterre. Cette famille était affectueuse, mais manquait nettement de fantaisie. Après les originalités de Louis II et celles – dans un autre genre – d’Edgar Hanfstaengl, le changement était radical. Ferdinand d’Alençon qui avait perdu sa mère très jeune avait été élevé par son père de façon rigide. La « défenestration » qui terminait les leçons de gymnastique n’en était qu’un exemple, elle
consistait à jeter les enfants – tout de même retenus par une corde – depuis le deuxième étage. L’exercice était censé être un puissant antidote à la peur. Le mariage de Sophie-Charlotte et Ferdinand fut célébré à Possenhofen le 28 septembre 1868. Louis II qui avait vu les fiancés la veille dira qu’il ne s’était « jamais autant ennuyé » que lors de cette visite. Il plut un peu lors du mariage, où Sophie parut très calme. Pendant le repas, on écouta le chœur des noces de Lohengrin. Contrairement à ce qui fut dit, le roi de Bavière ne parut pas ; il n’avait d’ailleurs pas été invité. La veille, Louis II avait reçu sa chère tsarine dans l’île aux Roses, donnant pour elle un somptueux feu d’artifice qui illumina les rives du lac de Starnberg. Les invités de la noce en profitèrent. Un peu de délicatesse eût peut-être demandé que l’on tirât moins de fusées. Après le mariage, le jeune ménage gagna Bushy House, une grande bâtisse rouge sur la rive gauche de la Tamise*1 où la reine Victoria logeait la tribu du duc de Nemours. L’inlassable sollicitude de la reine envers les familles qui régnèrent sur la France est à souligner, car Victoria sut trouver assez de châteaux pour abriter en 1830 les Bourbons jetés sur les routes de l’exil puis, dix-huit ans plus tard, les d’Orléans et, enfin, un quart de siècle plus loin, Napoléon III, sa femme et le petit prince. La jeune duchesse d’Alençon commença à l’automne 1868 une vie de famille strictement régie par le duc de Nemours. L’homme était bon et droit, mais un caractère autoritaire et tatillon le poussait à se mêler de tout ; c’était aussi un inquiet, un hypocondriaque qui faisait porter le poids de ses angoisses sur son entourage. D’Alençon, entièrement sous la coupe de son père, ne songeait pas un instant à se libérer. Sophie n’avait pas un tempérament rebelle, aussi s’occupait-elle en écrivant à sa famille. Le 9 juillet 1869, elle mit au monde une petite fille, Louise, et se releva très lentement. Prise de langueur, elle toussa. La toux, souvent signe de la redoutable phtisie, a précédé la mort de quantité de malheureux au XIX e siècle ; elle a aussi sauvé quelques jeunes femmes qui s’ennuyaient. Elle avait été très utile à Sissi, lui permettant de partir à Madère puis à Corfou, et joua le même rôle pour Sophie. Non que les jeunes femmes eussent été des malades imaginaires, mais le corps a ses raisons et sait parfois les faire entendre. Le médecin de famille préconisa un air sec et du soleil. Le duc d’Aumale, frère cadet de Nemours, mit aussitôt à la disposition du jeune ménage son palais de Palerme. Ferdinand et Sophie y partirent avec la
petite Louise, commençant sans le savoir une existence errante, car, dès que l’on remontait vers le nord et que l’on dépassait la latitude de la Bavière, la santé de Sophie s’altérait. La jeune femme séjourna à Schönbrunn près de Sissi qui appelait sa cadette Sarolta (Charlotte en hongrois) et plus encore à Méran sur le haut Adige où l’impératrice la rejoignait. Ce fut là que la duchesse d’Alençon mit au monde au mois de janvier 1872 son second enfant, Emmanuel. Sissi vint tenir son neveu sur les fonts baptismaux. Sophie resta si dolente que son médecin déclara que d’autres maternités seraient néfastes à la santé de la jeune femme. Celle-ci, n’ayant pas la vocation maternelle de sa mère, ne s’intéressa pas beaucoup à l’éducation de ses enfants. Fragile, comme la plupart des filles de Ludovica, elle devait souffrir toute sa vie de neurasthénie : dépression et angoisses mêlées, contre laquelle elle ne cessera de lutter. La seule chose qui rendait le sourire à Sophie, c’était de retrouver le cher Posi où ses sœurs se précipitaient pour reformer autour de Ludovica l’indestructible tribu. Sa courte intrigue avec un beau et entreprenant photographe laissa toute sa vie une grande culpabilité à Sophie-Charlotte. Apprenant près de vingt ans plus tard la mort tragique du roi de Bavière, elle se serait écriée : « M’a-t-il pardonné ? » De tels scrupules étaient peut-être superflus, car Louis II, sur le chapitre de la fidélité, était loin d’être innocent. Non seulement il enleva, durant ses fiançailles, Richard Hornig dont il était tombé amoureux pour l’emmener en France, non seulement il écrivit une lettre passionnée à Sissi, la sœur de sa fiancée, mais il fréquenta aussi une actrice, une femme qui attendait dans l’ombre et qui espéra durant six ans prendre une place près de lui. Le roi apprécia toute sa vie les actrices, les seules femmes qu’il n’éloignait pas immédiatement de son chemin, encore qu’il s’agît toujours d’un malentendu, puisque Louis II ne voyait pas en elles la femme, mais le personnage interprété : Marie Stuart, Marion de Lorme ou MarieAntoinette. Tout ce qu’il attendait d’elles quand il les convoquait, c’était de les entendre réciter en costume. Beaucoup s’illusionnèrent et furent vivement repoussées. Celle qui prit un jour la liberté de s’asseoir sur le même sofa que le roi vit Sa Majesté se lever et lui montrer la porte ; elle fut ensuite renvoyée du Théâtre royal. La cantatrice Josephine Schefsky
était laide, mais avait une voix ravissante. Le roi la faisait venir dans le Jardin d’Hiver et l’écoutait derrière un rideau de plantes vertes. Ayant conçu quelques espérances, elle tenta de jouer son va-tout en se jetant dans le petit lac où elle hurla : « Mon roi, sauvez-moi ! » Louis sonna et ordonna au valet accouru : « Veuillez sortir cette dame de l’eau et faites-la sécher. » Lila von Bulyowsky eut un rôle tout à fait à part, car Louis en fut un peu amoureux, assez en tout cas pour être tenté de franchir un pas qui lui faisait très peur. Le fait fut noté par le secrétaire de la cour, Ludwig von Bürkel, qui confia au journaliste Felix Philippi : « Il adorait en secret une princesse de théâtre qu’il avait vue sur la scène du Théâtre royal21. » La « princesse de théâtre » avait onze ans de plus que le roi et gardait de son origine hongroise un accent charmant et une légère difficulté à parler l’allemand, ce qui ne l’empêchait pas d’interpréter Goethe et Schiller. Enlevée à la cour de Saxe et engagée au Théâtre de la Cour par le roi Maximilien II – qui, semble-t-il, l’avait particulièrement appréciée –, elle n’arriva à Munich qu’au début du règne de Louis II. Après l’avoir entendue dans Marie Stuart de Schiller, le jeune roi, bouleversé, fit ouvrir sur l’heure l’église de Tous-les-Saints afin d’y prier pour le repos de l’âme de la reine d’Écosse ; on ne sait ce que le curé, réveillé en pleine nuit, pensa de ce brusque élan de piété. La fascination du roi pour les reines ayant péri sur l’échafaud devait durer toute sa vie, sans toutefois s’étendre aux deux femmes qu’Henri VIII fit mourir sous la hache. Anne Boleyn et sa consœur, ayant chassé la reine légitime et attiré le roi par des procédés luxurieux, n’étaient à ses yeux que de méprisables créatures qui n’avaient eu que ce qu’elles méritaient. Il ne faut pas oublier que l’idéal féminin du roi resta toujours « la femme pure comme un ange » et que toute idée sensuelle salissait définitivement une femme à ses yeux, ce qui donne à penser que le roi ignora ce que fut la vie de la véritable Marie Stuart. Le ministre Pfordten rapporta qu’en 1865, l’année des vingt ans du roi, celle où il rencontra Lila, Louis lui avait confié : Ce que vous avez dit au sujet des femmes m’a beaucoup intéressé ; soyez persuadé que je ne sous-estime nullement leur valeur. La sensualité se mêle étroitement chez la plupart des jeunes gens à l’affection pour le sexe opposé. C’est cela même que je maudis. Que Dieu merci je n’en aie jamais fait l’expérience renforce d’autant plus je crois ma vénération pour la pureté des femmes22.
Le roi fit donc une exception pour Lila, car, outre que celle-ci avait laissé derrière elle un mari, l’écrivain hongrois Gyula von Bulyowsky, et quatre enfants dont elle semble s’être peu souciée, elle avait navigué dans le milieu assez libre du théâtre. De plus, elle se livra sur la personne du roi à des offensives qui éloignaient toute comparaison avec les anges. La dame n’était cependant pas une courtisane, plutôt une coquette. Alexandre Dumas qu’elle alla trouver à Paris en 1856 afin de solliciter ses conseils en témoigna dans un charmant roman, Une aventure d’amour23. Ce petit livre très sage – presque un récit de voyage – raconte comment Alexandre et Lila firent ensemble un long périple à travers la Belgique avant de remonter le Rhin jusqu’à Mannheim où Dumas confia la jeune femme à une grande actrice, Mme Schröder, qui se chargea de sa formation. Lila ayant mis les choses au point avant le départ et précisé à Dumas qu’elle entendait rester fidèle à son mari, la chasteté fut de rigueur entre les deux voyageurs bien que le désir et la séduction fussent toujours présents, de sorte que, n’ayant pas oublié la troublante pérégrination, Dumas écrira deux ans plus tard : « Il est incroyable ce que j’éprouvais de charme inconnu dans ce voyage. C’était la première fois que se présentait cette étrange séduction : de l’intimité sans la possession, et de la familiarité sans l’amour. » Avoir résisté à un tel séducteur est un brevet de vertu pour Lila. Il est vrai qu’elle n’avait alors que vingt-trois ans et que Dumas, devenu à cinquante-cinq ans très bedonnant, n’avait rien d’un Apollon. Avec Louis II, les rôles s’inverseraient, Lila avait onze ans de plus que le roi et c’était lui qui campait solidement sur les rives de la vertu. Un programme concernant la pièce Marie Stuart est parvenu jusqu’à nous avec un portrait de Lila. L’actrice a un joli visage entre des anglaises brunes et porte avec grâce un costume noir dont la jupe tient plus de la crinoline à la mode que des lourds atours élisabéthains. Luise von Kobell*2 parle de l’actrice comme d’une femme « ravissante », après quoi elle ajoute : « Elle n’était pas sans avoir de petits défauts, un peu radine, un peu snob, un peu mesquine, mais amusante, pleine d’esprit et même une amie dévouée. » Seigneur gardez-moi de mes amis ! Louis II, ignorant les « petits défauts », fit immédiatement faire le portrait de l’actrice, commandant au peintre de la cour Franz Heigel, en changeant trois fois d’avis, d’abord une aquarelle représentant Lila en Marie Stuart, puis un portrait en pied grandeur nature, enfin un tableau de taille moyenne. Pour que le peintre puisse prendre des croquis depuis la loge royale, on allumait
les lustres du théâtre de la Residenz le matin à 10 heures, puis Lila, toujours dans le costume de Marie Stuart, allait poser dans l’atelier de l’artiste, lequel eut nettement l’impression que la jeune femme souhaitait que la faveur dont elle était l’objet ne restât pas cachée. Le portrait obtenu, le roi commanda une nouvelle séance, afin que Heigel pût vérifier s’il avait été parfaitement fidèle. En fait, Louis II voulait un portrait de la reine d’Écosse, pas de la reine du Théâtre royal. Le roi vécut avec Lila selon le même schéma attrait-rejet qu’avec ses amoureux. Tantôt le roi s’emportait contre « cette garce de Bulyowsky » et l’actrice était priée de quitter Munich dans les vingt-quatre heures – ce qu’elle se gardait de faire –, tantôt elle se trouvait conviée à Hohenschwangau, honneur insigne qu’elle fut la seule femme à connaître ; elle séjourna même trois jours de suite dans le château familial. Le roi lui faisait réciter des pièces de Schiller ; si elle oubliait un seul mot, Louis qui avait une mémoire infaillible corrigeait. Un jour ils récitèrent Le Comte d’Egmont, œuvre (de jeunesse) de Goethe. Cela se termina dans la chambre du roi où Lila affecta de trouver les gravures qui décoraient la pièce érotiques. Louis répliqua qu’il avait un talisman contre les tentations et sortit d’un petit autel un portrait de Lila en Marie Stuart. Il existe plusieurs versions de la suite ; il semblerait qu’ils se soient assis sur le bord du lit où le roi confia qu’il n’avait jamais connu de femme, ce qui le tracassait, mais que, la nuit, en pensant à son amie, il couvrait son oreiller de baisers. Lila fit ce qu’elle pouvait pour faire évoluer la situation, mais dut se contenter de serrer la tête du roi contre sa poitrine. Les scènes de ce genre se reproduisirent, y compris au fond d’un traîneau où les tentatives de Lila plongèrent le roi dans la perplexité. Tout cela donne à penser que Louis attendait une initiation et que l’échec ne doit pas être incombé à l’actrice. À son retour à Munich, Lila reçut une magnifique corbeille de fruits qu’elle fit jeter de peur d’être empoisonnée, ce qui tendrait à prouver qu’elle avait des doutes sur l’équilibre de son soupirant. Craignait-elle que le roi qu’elle avait bien sûr jugé étrange ne cherchât à supprimer celle qui en savait trop ? C’était présomptueux, mais Lila ne manquait ni d’audace ni d’optimisme. Louis demeurait cependant déchiré entre le personnage qu’elle incarnait sur scène et la femme bien réelle. Les lettres qu’il lui envoie sont toujours signées du nom de Mortimer – le confident de Marie Stuart qui, dans la pièce de Schiller, se suicide après la mort de la reine –
ou encore Roméo. Luise von Kobell qui vit ces lettres détruites durant la Seconde Guerre mondiale parle d’« une masse de lettres d’amour en bonne et due forme », débordant de citations tirées de Roméo et Juliette et de Marie Stuart. Guy de Pourtalès qui eut aussi le privilège de les lire assurait qu’« elles auraient enflammé le papier ». Mais le roi les envoyait-il à Lila ou à Marie Stuart ? D’agaceries en refus et de lettre enflammée en réponse hyperbolique, la relation se poursuivit durant les fiançailles royales. Louis invita même l’actrice à Berg quand sa fiancée s’y trouvait, puis fit part à Lila de sa rupture avec Sophie-Charlotte en des termes qui laissèrent quelque espoir à la jeune femme. Il est certain qu’elle rêva d’une union morganatique et que le roi ne l’en dissuada pas assez. Elle fut invitée à plusieurs reprises – autre extraordinaire privilège – dans l’île aux Roses. La première fois, Lila s’y rendit en robe assez légère. Louis lui fit visiter la villa Casino où il lui montra sa chambre ; l’entêtement du roi à faire admirer son lit à Mme von Bulyowsky prouve que Louis faisait preuve soit d’une naïveté déconcertante, soit d’un certain goût du risque. Lila se livra alors à une tentative qui fit courir le roi vers une sonnette et crier au domestique accouru : « Mme von Bulyowsky demande sa voiture ! » Scandalisé, le rescapé raconta l’aventure à Richard Hornig, qui se trouvait aussi dans l’île aux Roses. Lila, comblée de cadeaux, fleurs et bijoux, prit des façons d’enfant gâtée. Ayant eu l’insigne privilège d’être invitée une seconde fois dans l’île aux Roses, elle bouda parce qu’il avait plu et que la promenade abîmait le bas de sa robe. Nous avons ici un aperçu de ce que Mme von Kobell qualifie de « radinerie », car Lila avait tout simplement peur qu’on ne lui remboursât pas les effets abîmés. Le roi lui ayant offert de couper des roses, elle refusa de salir ses gants sur les tiges mouillées (encore la radinerie…). « Je réparerai cela », dit le roi avec un sourire. Lila attendait pour le moins que l’on fît travailler le bijoutier de la cour. Elle reçut un charmant sous-verre abritant des roses séchées que, folle de dépit, elle lança contre le mur. L’intermède Louis II-Lila von Bulyowsky dura tout de même six ans. Comme il risquait de s’éterniser et que l’on jasait, la reine mère convoqua l’actrice et la pria de quitter Munich dès que son contrat serait terminé. Elle lui aurait affirmé que le roi ne se marierait pas tant qu’elle serait là. Lila qui raconte l’histoire a peut-être arrangé l’explication à son profit. Louis
fut, paraît-il, furieux, ce que l’on croit aisément : c’était la seconde fois que sa mère intervenait pour le séparer d’une personne qui lui était chère. « Dire que tout cela est la faute de cette dinde stupide ! » aurait-il crié. Une photo du photographe de la cour, le père du séducteur de Sophie-Charlotte, laisse un portrait peu flatteur de Mme von Bulyowsky à cette époque. L’ancienne jeune première a grossi et, sous une coiffure chichiteuse, le visage s’est empâté. Le roi n’aimait que ce qui était beau, aussi la séparation fut-elle sans doute rendue plus facile par ce qu’on appelait les « ravages du temps ». Lila, qui avait mesuré que son amoureux n’allait pas bien, n’insista pas et, tenant parole, quitta Munich au mois de mars 1872. Elle devait finir sa carrière sur les planches du Théâtre royal hongrois. Elle pensa à publier les lettres royales puis, par pitié pour l’esprit malade de Louis, y renonça. Elle restera persuadée qu’elle avait été victime d’une intrigue de cour tissée par Maximilian von Holnstein dont elle aurait refusé l’alliance, ce qui n’est pas impossible, vu ce que l’on sait du comte. Elle soutiendra toujours que le roi qui lui avait fait la cour n’était pas homosexuel et que, ne connaissant ni hommes ni femmes, il se contentait de ce qu’elle appelait la « troisième solution ». Cela est en partie confirmé par la lecture des Carnets secrets et donne à penser que Lila von Bulyowsky avait bien connu le roi. Une autre actrice eut un rôle bien différent dans la vie de Louis II. Marie Dahn-Hausmann avait été engagée très jeune au Théâtre de la Cour où elle excellait dans les rôles shakespeariens. Elle avait fait l’admiration du roi Louis Ier qui lui envoyait – respectueusement – des poèmes. Louis II prendra la suite de son grand-père en ce qui concerne l’attachement. Jolie, fine et cultivée, Marie avait seize ans de plus que le roi ; l’âge fut toujours un facteur rassurant pour celui qui recherchait près des femmes une affection maternelle beaucoup plus qu’amoureuse. Mariée à l’acteur Friedrich Dahn, Marie eut une fille unique qui, mariée à quinze ans, devint folle durant son voyage de noces. Louis II qui venait d’offrir un somptueux cadeau à la fiancée envoya une très belle lettre à la mère effondrée. Depuis longtemps, ils échangeaient une correspondance grave et confiante dans laquelle il évoque leur « Seelenverwandtschaft », soit l’affinité entre leurs âmes : Je comprends que mon cœur n’est pas encore mort à tous les sentiments, chaque fois que je
vous vois, que je parle avec vous et que je lis vos lettres d’où s’élève une chaleur qui me fait du bien, une fascination qui vous est toute personnelle24.
Ce fut à Marie Dahn-Hausmann qu’il écrivit une phrase demeurée célèbre : On peut comprendre que je sois souvent saisi d’une vraie fièvre de colère et de haine et que je m’éloigne plein de fureur d’un monde extérieur qui m’offre si peu, qui est perdu irrémédiablement. Peut-être un jour ferai-je la paix avec ce monde lorsque tous les idéals dont j’attise avec soin le feu sacré seront détruits. Mais n’espérons pas y parvenir. Je veux rester pour moi-même et les autres une éternelle énigme*3.
L’idée de présenter une épouse au roi de Bavière allait encore occuper quelques cours allemandes. La plupart de ces tentatives étaient rapidement découragées. La dernière dont on ait trace fut celle de la jeune Emma von Waldeck und Pyrmont, fille du prince de Waldeck et nièce de la reine de Wurtemberg. Celle-ci invita Louis II vers 1875 à Friedrichshafen sur le lac de Constance. Est-ce parce que la reine Olga de Wurtemberg était la bellesœur de la chère tsarine que Louis se rendit incognito à l’invitation ? La jeune fille, née en 1858, n’avait que seize ou dix-sept ans ; le roi en avait trente. Sans doute un peu dodue, elle était intelligente, très musicienne et admirative de l’œuvre de Wagner. La journée se passa si heureusement qu’Emma put concevoir quelques espérances pour la suite. Pourtant, au soir, le roi prit congé assez brusquement, monta sur le vapeur qui l’attendait et disparut à jamais de la vie de la jeune fille. Celle-ci devait devenir la seconde épouse du roi Guillaume III des Pays-Bas. Le veuf était un horrible noceur et un homme à scandales. La longévité d’Emma triomphera de tout. Elle sera la mère de la reine Wilhelmine et assurera pour sa fille une régence de huit ans. Après 1875, les cours européennes renoncèrent à présenter leurs filles à Louis II, moins en raison des rumeurs concernant l’homosexualité du roi que de celles relatives à son état mental. Si, dans le cercle européen des têtes couronnées, Louis II sortit peu à peu de la liste des épouseurs possibles, il resta jusqu’au bout l’objet des fantasmes d’une nuée d’admiratrices. Les gardes devaient régulièrement repousser les plus enhardies, qui tentaient de pénétrer dans les parcs royaux. Ce fut au secrétaire de cabinet que revint la lourde tâche de
recevoir les lettres, poèmes, gants parfumés, ouvrages de dames et autres témoignages auxquels le roi ne jetait jamais un coup d’œil. Il faut dire que les grandes romanesques, les frustrées, les idéalistes et les folles de toute l’Allemagne et d’une bonne partie de l’Europe trouvaient dans ce courrier adressé à un roi jeune, beau et célibataire une possibilité de rêver dont elles ne se privèrent pas. Le roi ne se montrant plus, ces admiratrices forcenées ignorèrent que le prince charmant était devenu un homme bedonnant et le poursuivirent jusqu’à la fin ; l’eussent-elles su que cela n’eût sans doute rien changé, tant cette sorte d’espoir a besoin de peu de chose pour prospérer. Ce fut au mois de septembre 1882 qu’une certaine Maximiliana qui s’affirmait comtesse von P. envoya au roi une lettre que reprennent presque toutes les biographies de Louis II, lequel ne la lut sans doute jamais. La comtesse commençait par réclamer un mot, un signe de vie de la part de l’invisible monarque : Nous femmes de Bavière avons besoin de ce mot, nous l’attendons comme une manifestation de rédemption. Et, si Votre Majesté le désire, je me tiendrai devant Elle sans parler et agenouillée devant Votre Majesté. Que je puisse seulement voir tes yeux resplendissants et je mourrai ensuite. Mourir : ma mission serait accomplie et avec elle mon suprême désir. Mon âme heureuse entrera dans le Nirvâna. Tu es roi, tu ne peux être que le roi, et tu ne peux que régner sur les hauteurs, sur les pics et les neiges, où les ondes de la misère grise ne viennent pas ; tu dois régner sur les cimes lumineuses voisines du Soleil : telle est ta place. Et, si la volonté de Votre Majesté est que je n’apparaisse pas devant Elle, je vous prie de vous montrer sur le pont et de faire un signe à votre servante ; etc.
Louis n’était pas homme à aller faire des signes à une folle au-dessus des gorges de la Pöllat. Quelques-unes de ces amoureuses passionnées ont cependant laissé une trace. On cite Sophie Laurentieff, dite la Dame voilée, qui aurait rôdé pendant vingt ans autour du château de Berg avant d’aller fleurir chaque année la tombe du roi en déposant dans la crypte mortuaire une gerbe portant l’inscription « À l’Inoubliable ». La Dame aux lys envoyait tous les ans une gerbe de ces fleurs au mois de mai. Le choix du symbole de pureté et aussi de la royauté française toucha le roi qui chercha à savoir le nom de l’inconnue. Seul son secrétaire Friedrich von Ziegler connaissait une identité qu’il refusa de dévoiler. Louis le soupçonna d’en être amoureux et poursuivit de l’interroger. Comment l’inconnue se coiffait-elle ? Comment s’habillait-elle ? En Bavière, elle avait le bon goût de ne porter que les couleurs nationales :
robe blanche et rubans bleus. Louis alla visiter l’auberge où elle descendait et interrogea l’aubergiste qui lui apprit que la dame dessinait et qu’elle avait bon cœur. Le roi finit par apprendre le nom de l’inconnue mais, respectueux de son désir de discrétion, ne le révéla pas. Les valets racontaient que le roi évoquait souvent l’inconnue. La dernière corbeille de fleurs de la Dame aux lys arrivera une semaine avant la mort du roi. Dans un tout autre registre se place la baronne von Truchsess, la plus célèbre de ces excessives. La légende en a fait une véritable folle, quand ce n’est pas une vieille sorcière un peu ridicule ; la réalité est tout autre. Née en Russie d’un père basque espagnol et d’une mère née princesse de Lebanoff et Rostoff, Esperanza da Sarachaga appartenait à l’une des familles les plus riches d’Europe. Ayant perdu ses parents très tôt, elle fut élevée par sa grand-tante, la princesse Narischkine, qui lui fit parcourir toute l’Europe. Elles séjournèrent un temps à Paris où elles furent proches du cercle de Lacordaire. Jolie, cultivée, parlant plusieurs langues, la jeune fille épousa un diplomate munichois, le baron Friedrich von TruchsessWetzhausen, près duquel elle donnait de brillantes réceptions. Louis II la désigna pour devenir dame d’honneur de la future reine. Une fragilité et sans doute la liberté avec laquelle elle proclamait sa vénération pour le roi de Bavière lui valurent quelques séjours à l’asile de Kaufbeuren. Apprenant en 1886 la composition d’une commission chargée de préparer le rapport médical destiné à destituer Louis II, elle tentera de le sauver. La baronne von Truchsess consacrera le reste de sa vie à créer de nombreuses fondations caritatives. Quant à la célèbre courtisane Cora Pearl – encore un autre registre –, Anglaise officiant à Paris, elle envoya des offres de service qui furent immédiatement repoussées. L’histoire – ou la légende – veut que, subjuguée, elle eût offert de travailler gracieusement. Si le roi fut mis au courant, cela dut lui rappeler très désagréablement l’histoire de Lola Montès.
*1. Aujourd’hui dans Londres. *2. L’écrivain Luiz von Kobell, épouse du secrétaire de Cabinet August von Eisenhart, a laissé de nombreux souvenirs sur Louis II. *3. La phrase est tirée de La fiancée de Messine, de Friedrich von Schiller dans laquelle Marie Dahn-Hausmann se produisait souvent.
VI
Exit Wotan Le soulagement qu’apporta au roi la rupture de ses fiançailles fut de courte durée. Conscient d’avoir déçu l’attente populaire, Louis se terra à Berg ou à Hohenschwangau, berçant un sentiment de persécution qui allait croissant, la maladie prenant un tour paranoïaque : « Ce n’est pas une petite affaire que d’être seul, et méconnu dans le désert d’un monde désolé, écrit-il à Wagner en octobre 1869. Je plaisais dans les premiers temps de mon accession au trône par un certain charme de nouveauté. Malheur à ceux qui ont affaire aux masses […] Oh ! j’ai appris, croyezmoi, à connaître les hommes. J’allais à leur rencontre avec un amour vrai et je me sentis repoussé. De pareilles blessures sont longues, très longues à guérir1. » À vrai dire, Louis n’avait été repoussé par personne et il n’était jamais allé à la rencontre que de Wagner, mais l’Ami le décevait plus que tout le monde. Le premier choc était venu de la révélation de l’adultère WagnerCosima. Durant des années, Louis II allait encore croire ou faire semblant de croire aux mensonges que continuaient de lui prodiguer les deux amants ; il fallait absolument que le rêve l’emportât sur une réalité qui le perturbait trop. Bien que l’interrogatoire d’un proche du compositeur – peut-être un domestique – eût fini de le renseigner, la vérité fut très longue à accepter. Des années après la révélation, il s’écriera quand on lui en parlera : « Si cela était vrai, ce serait épouvantable […]. » Il fallait au moins sauver les apparences. Dans une lettre qu’il écrivit à Cosima, le roi lui demanda fermement de revenir habiter avec son mari à Munich. La jeune femme dut obtempérer, ce qui perturba beaucoup Wagner qui s’était
habitué à la vie familiale qu’on menait à Tribschen. Tous firent donc perdurer la fiction d’une simple amitié entre Wagner et sa maîtresse. Selon son habitude, le compositeur exagéra. Le 25 juillet 1868, ayant entendu parler de propos malveillants portés aux oreilles du roi, il poussa de hauts cris. Louis II répondit : Celui qui m’a fait savoir les honteuses calomnies répandues contre vous et Mme de Bülow n’est pas, comme vous le pensiez, un de vos ennemis, mais un brave homme loyal qui a souffert en son âme de devoir entendre pareilles diffamations. Soyez persuadé que les enfants des ténèbres et du mal n’iront pas loin avec leurs grossières inventions. Je vous conjure d’empêcher Mme de Bülow de quitter Munich cet hiver. Ce départ apporterait de l’eau au moulin des malintentionnés2.
La mise en garde finale aurait dû avertir Wagner que la plaisanterie avait assez duré, mais le couple s’était si bien enferré dans le mensonge qu’il lui était difficile d’en sortir, d’autant que Bülow refusait le divorce. Son mariage avait eu lieu en Prusse et, le droit prussien ne reconnaissant pas la séparation par consentement mutuel, on ne pouvait recourir qu’à un divorce pour faute, laquelle incomberait à Cosima. Hans von Bülow ne tenait pas à voir son statut de mari trompé officiellement reconnu. De plus, l’union ayant été célébrée dans la religion catholique, elle était, sur le plan religieux, indissoluble, ce qui n’arrêtait pas Cosima qui envisageait de se convertir à la religion luthérienne, peinant son père, le très religieux Liszt. Il ne faut pas s’y tromper, la longue imposture du couple WagnerCosima fut la véritable raison qui sépara le roi de son dieu. Le processus mit beaucoup de temps pour arriver à son terme. La page que Louis avait écrite avec Wagner finit par être arrachée, millimètre par millimètre et jamais complètement. N’ayant pas la force de se soustraire à l’attraction que le compositeur exerçait sur lui, le roi dut attendre que la vénération et l’amour qu’il lui portait s’usent peu à peu. À cette profonde déchirure vinrent s’ajouter des heurts lors de chacune des créations munichoises de l’œuvre de Wagner. Ces chocs étaient prévisibles étant donné le sens de la toute-puissance que possédait Louis II et le caractère autoritaire de Wagner. Conformément au contrat qui avait été passé entre les deux hommes, l’œuvre devrait être montée à Munich où le compositeur entendait être entièrement maître de la réalisation. Mais, en vertu du vieux principe qui veut que les payeurs soient aussi les conseilleurs, Louis II pensait avoir son mot à dire et ses volontés étaient
parfois irrationnelles. La préparation d’une représentation de Lohengrin au mois de juin 1867 donna lieu aux premières difficultés. Le chevalier au cygne était le héros auquel le roi s’identifiait le plus volontiers. En découvrant que le rôle devait être tenu par le ténor Joseph Tichatschek, un Dresdois de soixante ans à la forte bedaine, le roi se mit en colère. Il est pourtant habituel d’accepter sur une scène d’opéra des cantatrices qui ne sont pas des sylphides et des chanteurs dont le physique n’évoque plus le jeune premier, mais Louis vénérait la beauté. L’horreur que lui procurait la laideur était telle qu’il imposera bientôt le port d’un masque à un valet dont il trouvait le visage ingrat. Avoir choisi pour incarner Lohengrin un homme qui lui semblait un vieillard était bien pire qu’une faute de goût : une monstruosité, voire un crime. Tichatschek traité de « chevalier à la triste figure » fut renvoyé. Wagner, furieux, n’assista pas à la représentation et rentra à Tribschen. Les deux hommes restèrent un moment sans correspondre, jusqu’à ce que le roi fasse le premier pas, écrivant au compositeur : « Je baise la main qui m’a frappé », ce que Wagner considéra comme la moindre des choses. La réconciliation obtenue au prix de l’humiliation royale fut brève. À la fin de l’année 1867, Wagner publia anonymement une série d’articles – quinze étaient prévus – dans le Süddeutsche Presse, journal soutenu par le prince de Hohenlohe. Le sujet en était : Art allemand et politique allemande. Wagner y développait l’idée que l’art allemand, incarnation du fameux esprit allemand qui l’obsédait, avait fait la force et la réussite de la Prusse, ce qui devait pousser la Bavière à suivre son exemple. Au passage, toute l’action de Maximilien II en matière culturelle, laquelle aurait permis « que l’on continuât à fainéanter en toute quiétude, comme c’est le cas encore aujourd’hui3 », était méthodiquement démolie. Louis II n’aimait pas son père mais tenait au respect, au moins pour la forme, de son œuvre. Les articles attirant quantité de protestations de Munichois qui avaient flairé le retour du « barricadier », Louis arrêta leur publication. Cette fois, le roi résista un mois avant d’écrire à son idole : « je ne supporte plus d’être sans nouvelles de vous ». Wagner avait terminé Les Maîtres chanteurs, aussi, fort désireux d’arranger les choses, se précipita-t-il à Munich où Sa Majesté refusa de le recevoir. Le coup fut d’autant plus dur que, dans la lettre où le roi lui annonçait la rupture de ses fiançailles, il le prévenait que, les préparatifs des noces ayant entraîné de considérables
dépenses, la construction du grand théâtre réservé aux œuvres de Wagner et celle du petit théâtre devaient être repoussées. « Semper en particulier sera désagréablement affecté par cet état des choses4 », concluait assez légèrement Sa Majesté. C’était peu dire ! L’architecte que Wagner abandonna vite à son sort allait réclamer en vain ses honoraires. La première des Maîtres chanteurs eut lieu le 21 juin 1868. Dès le 20 mai, Wagner arriva à Munich où Louis II lui fit l’honneur de l’emmener à bord du Tristan sur le lac de Starnberg déjeuner dans l’île aux Roses. De prestigieux invités venus de toute l’Europe assistèrent à la représentation qui fut un grand succès. Cet « opéra d’art bourgeois » qui se situe dans la société marchande du XVI e siècle est une charmante comédie. Dès le prélude, considéré comme l’un des plus réussis de Wagner, le roi envoya chercher le compositeur qui assista au spectacle dans la loge royale. En dépit d’un accueil très mitigé de la critique – Truhn parla d’un « rat colossal » –, l’œuvre, très loin des pompes, des grandeurs et des coups de cymbales du Ring, est toujours considérée comme l’une des plus fines et des plus accomplies du compositeur. De retour à Lucerne, Wagner, éloigné de Cosima, connut un moment de dépression, d’autant que le roi avait eu vent une fois de plus de « racontars » déplaisants (après des années d’une liaison quasi officielle et deux enfants, on peut se demander ce que les Munichois avaient encore à raconter). Le compositeur eut idée d’un drame : Les Noces de Luther, dont le thème était la rédemption du péché dans une union heureuse. Il abandonna finalement le projet et fit bien, le mariage d’un moine et d’une nonne étant au XIX e siècle un sujet délicat. Au lieu de cela, il partit à la miseptembre avec Cosima pour un voyage en Italie, pays où la jeune femme était née et auquel elle devait son prénom. Ils conçurent leur troisième enfant au Saint-Gothard avant d’échapper à de catastrophiques inondations, mais pas aux « commérages » puisque à Gênes ils furent reconnus par un groupe de Munichois. Au retour, Wagner se décida à franchir le Rubicon et écrivit au roi une lettre d’aveu assez tarabiscotée, pour ne pas dire tout à fait confuse, laquelle commence par une évocation des éléments déchaînés dans le style Hauts de Hurlevent : Les efforts les plus extraordinaires pour fuir les lieux menacés, des marches de six lieues à travers les rochers inondés ont été partagés avec moi par une femme souffrante, par l’amie, pour qui j’avais, afin de la distraire d’un douloureux état d’âme, imaginé cette course en Italie,
le pays de sa naissance. Vous pouvez juger de l’état d’épuisement et d’émotion profonde dans lequel j’ai enfin regagné mon asile suisse. La vie dans une terrible gravité s’est montrée à nous, au bord de la destruction, illuminée par de longs éclairs. Aucune illusion ne tenait plus ; regarder la mort en face fait découvrir la vérité. Sauver l’éternel qui est en soi signifie qu’il faille tourner le dos à toute imposture. L’amie est rentrée il y a deux jours, une fois encore à Munich, avec ses enfants, pour régler ses affaires et pour exécuter dans la dignité ses irrévocables décisions. Ma bénédiction l’accompagnait. Elle est l’être le plus accompli qui soit entré dans mon expérience humaine et appartient à un ordre cosmique. Je n’ai rien d’autre à faire que de me tenir à ses côtés. Puissiez-vous, Être sublime et bon, me soutenir fidèlement en tout ceci5.
L’Être sublime et bon commençait à en avoir plus qu’assez de Wagner, de sa famille et de ses mensonges. Cependant, en faisant de Cosima – sur qui le compositeur se défausse complètement – l’élément moteur de l’affaire, Wagner dit bien la vérité ; c’est elle qui avait, dès le début, décidé de leur couple et qui, dans la douleur, l’avait peu à peu façonné et imposé. Cette création, Cosima la poursuivra « jusqu’à ce que la mort les sépare », et bien au-delà, car elle survivra près d’un demi-siècle au compositeur. La lettre qu’il avait dû être bien difficile de composer demeura sans réponse ; cette fois, Louis cessa d’écrire durant plusieurs mois. Wagner sollicita à nouveau une entrevue ; elle fut refusée. Rentrée à Munich pour accomplir ce qu’elle avait résolu, la « femme cosmique » prit avec elle les deux filles qu’elle avait eues de Wagner et, laissant les deux aînées à leur père, partit s’installer à Tribschen où elle arriva le 16 novembre 1868. Après trois ans d’une éprouvante liaison et pour ne plus être séparée de l’homme auquel elle avait dédié sa vie, Cosima accepta d’être une réprouvée. Wagner pour sa part consentait à ce que son union lui coûtât l’adoration du roi de Bavière et une grande part de la manne financière qui l’accompagnait. Le troisième enfant de Wagner et Cosima naquit le 5 juin 1869 à Tribschen alors que le jeune Nietzsche, ébloui, rendait visite au compositeur. Tandis que les deux hommes papotaient au salon – tous deux étaient intarissables sur Schopenhauer –, Cosima, à l’étage, supportait les premières douleurs. Dans la nuit, l’énergique parturiente descendit sa literie dans une chambre du rez-de-chaussée proche de celle de Wagner, car elle avait toujours maintenu pour ses enfants la fiction des chambres séparées. Un fils naquit avec le jour. Fou de bonheur, le compositeur courait dans toute la maison en criant : « Ein Sohn ist da*1 ! » Il fut baptisé du même nom que l’opéra que son père termina dix jours plus tard :
Siegfried. Bülow apprit par le journal la naissance de l’enfant qui portait officiellement son nom. Une lettre de Cosima demandant fermement le divorce suivit. Hans répondit avec une élégance qui bouleversa la jeune femme : Ton esprit, ton cœur, ton amitié, ta patience, ton indulgence, ta compréhension, tes encouragements, tes conseils, et par-dessus tout ton regard, ta parole, constituaient l’essence de ma vie. Quand j’ai perdu ces biens précieux, dont je n’ai pleinement réalisé la valeur qu’après les avoir perdus, j’ai été brisé comme homme et comme artiste. Tu as préféré consacrer les trésors de ton esprit et de ton cœur à un être supérieur. Loin de te critiquer, je t’approuve. Tu as raison […] Je te jure que le seul rayon de lumière qui, de temps en temps, brille dans mes ténèbres est une pensée : « Par-dessus tout, Cosima est heureuse »6.
Elle ne l’était pas. L’expiation avait commencé sous la forme d’une terrible culpabilité que la grandeur d’âme – tardive certes, mais bien réelle – de Bülow ne fit qu’accentuer. Hans accorda le divorce aux conditions voulues par Cosima qui put reprendre ses deux aînées. La famille de Wagner se trouva portée à cinq enfants. Le divorce tant attendu fut prononcé au mois de juillet 1870. La nouvelle fit verser des torrents de larmes à Cosima. Un mois plus tard, vêtue d’une robe de dentelle, elle épousait Richard Wagner dans le temple protestant de Lucerne. Il est curieux de constater qu’alors que s’accomplissait la séparation de Louis II d’avec le couple Wagner les trois protagonistes du drame entamaient ou poursuivaient de plus belle un récit. Richard Wagner avait commencé à dicter ses Mémoires à Cosima à Munich, en 1865. « Ce qu’il voulait, écrit Martin Gregor-Dellin, c’était une prolongation, une multiplication de lui-même par la postérité7 », autrement dit, un peu d’immortalité, car il n’était pas alors certain que son œuvre lui survivrait. Ce récit, très contrôlé, fut encore filtré par Cosima. Il s’arrête le 3 mai 1864, au moment où Pfistermeister vient frapper à la porte du compositeur pour l’emmener voir le jeune roi de Bavière, juste avant que ne commence le mensonge autour de l’adultère. Car si la dissimulation ne semble avoir rien coûté à Cosima, elle ne fut pas toujours facile pour Wagner. À Tribschen, son épouse le trouva un jour en larmes à cause de ce roi « qui savait tout, partageait tous ses sentiments et l’avait abandonné […] et le laissait là avec ce seul mensonge qu’il emmènerait dans sa tombe8 ». Cette phrase donne à penser qu’en dépit de son avidité et de quelques autres défauts Wagner avait aimé le roi de Bavière.
Cosima prit la suite de ce qui aurait pu être un roman familial puisqu’elle commença son Journal le 1er janvier 1869 après son départ définitif de Munich. La longue confidence – elle allait remplir cinq mille pages – est un cri d’amour, mais aussi de douleur. Ayant obtenu ce qu’elle désirait le plus au monde : vivre aux côtés de celui qu’elle appelle son génie tutélaire, le sauveur de son âme, la jeune femme bascula dans une culpabilité si envahissante qu’elle en devint pathologique. La vie de Cosima Wagner fut une longue et silencieuse expiation ; jamais elle ne s’absoudra d’avoir abandonné Bülow. Sa totale inaptitude au bonheur trouve sans doute sa source dans la vie de sa mère, laquelle s’était toujours présentée à ses enfants comme au reste du monde en martyre. Ma mère a eu le cœur calciné, dira Cosima qui ne s’autorisa jamais à laisser le sien en paix. Non seulement – cela a été dit plus d’une fois – elle portait un cilice intérieur, mais elle y prenait plaisir, comme elle le confiait à son Journal le 1er mars 1876 : « Je ne souhaite pas pour moi que les choses aillent mieux. Plus ma souffrance est profonde, et plus j’éprouve sa nécessité et y trouve ma volupté9. » Cette culpabilité, Cosima la fit porter à ses filles. Éducatrice impitoyable, elle demanda à Daniela âgée de treize ans de consacrer sa vie à son père… Bien entendu,Wagner ne sut jamais rien de la souffrance de son épouse. « Mon devoir est de le rendre gai », écrit-elle. Cosima avait décidé d’être la compagne idéale. Elle fut celle qui admire sans réserve, flatte, réconforte, console, distrait et idolâtre. Le seul sujet de crise restant la présence de jeunes admiratrices dans le sillage du Maître. La sculpturale et très cultivée Judith Gautier, fille de Théophile Gautier, épouse divorcée de Catulle Mendès et aguicheuse patentée, l’inquiéta un temps. La belle Judith devait cependant bientôt s’apercevoir qu’il n’était pas raisonnable de s’en prendre à Cosima. Chaque soir, que la journée eût été agréable ou pas, celle-ci attendait que l’aimé fût endormi pour pleurer. Quand il avait exprimé ne serait-ce qu’un simple contentement, elle pleurait aussi, mais de joie. Si la fille de Liszt était entrée au couvent, elle eût pu devenir une grande mystique. C’est aussi en 1869 que débute, pour ce que nous en avons aujourd’hui, un Journal de Louis II édité pour la première fois en 1925 au Liechtenstein, puis dans une traduction française en 1986 sous le titre Carnets secrets. Les Carnets tels qu’ils furent publiés ne contiennent que les deux derniers Journaux d’un ensemble qui en comportait neuf.
Louis commença de tenir son Journal en juin 1858 ; il avait treize ans. Les sept premiers Journaux du roi se trouvaient rangés à Berg quand Louis II fut interné. Ils sont aujourd’hui dans les archives privées des Wittelsbach et n’en sortiront sans doute pas de sitôt. Les deux derniers journaux, soit les tomes VIII et IX, étaient à Neuschwanstein où le roi fut arrêté. Le valet Mayr les remit à la commission ministérielle qui l’entendit. Ils resteront trois ans entre les mains du chef du gouvernement, Johann von Lutz ; durant cette période le texte fut assez considérablement « remanié ». Le volume VIII demeuré entre les mains de Lutz, puis de son fils, disparaîtra sous les bombardements d’avril 1944. Le volume IX revint aux Wittelsbach. Le petit-fils du prince-régent Luitpold, le prince Rupprecht, le fit détruire. Aujourd’hui ne restent donc dans les archives familiales que les sept premiers volumes. Dans les années 1920, le gendre de Lutz, Edwin Riedinger, qui avait trouvé une copie du volume VIII et des extraits du IX, également en copie chez son beau-père (les deux textes ayant été obtenus par décalcomanie), décida de les publier dans le dessein tout à fait annoncé dans la préface de « convaincre tout de monde de la maladie mentale du roi ». L’objectif était de blanchir la régence qui avait destitué Louis II et plus encore le ministre von Lutz qui avait été une pièce maîtresse dans la décision d’interner le roi. Il fallait donc que la maladie mentale se lût à chaque ligne du Journal. « Devant un fou toutes les critiques s’éteignent », conclut un peu rapidement l’auteur qui utilise l’anagramme d’Edir Grein. La critique ne fut pas longtemps dupe du procédé, Otto Riedner écrit en 1935 : Ces documents appellent de bien sévères réserves. Il s’agit des Carnets intimes de Louis II de Bavière, publiés il y a dix ans par un petit éditeur étranger inconnu, rassemblés par Edir Grein. C’est un travail bâclé, basé sur un abus de confiance des plus grossiers […] L’auteur a formé son pseudonyme avec les lettres de son véritable nom, Riedinger. Bien entendu, il ne peut pas reproduire les Carnets intimes comme le font croire abusivement les notes accompagnatrices. Il ne s’agit que d’une quantité infiniment restreinte d’extraits de différents feuillets, reproduits hors de leur contexte10.
Depuis, les patients travaux de Marianne Wörwag-Parizot11 puis d’Élisabeth Fontaine-Bachelier12 ont permis de déceler nombre de falsifications dans ces Carnets secrets : pages interverties brouillant la datation, passages d’une écriture différente, signatures du roi bizarrement superposables, etc. Cela doit rendre le lecteur des Carnets extrêmement
prudent. De plus, Marianne Wörwag-Parizot s’est livrée à une étude méticuleuse qui lui a permis de mettre en évidence des phrases qui peuvent paraître étranges, alors qu’elles ne sont sous la plume du roi que des citations de Tannhäuser (trois fois), de Tristan et Iseult, de Parsifal, de Lohengrin, du Faust de Goethe, de l’opéra Lalla Rookh de Félicien David, du drame Jeanne d’Arc de Friedrich Gottlob Wetzel ou de La Fiancée de Messine de Schiller. Marianne Wörwag-Parizot a même retrouvé les dates auxquelles Louis II assista aux représentations dont il cite des extraits dans son Journal. Ces textes écrits dans le style emphatique propre aux opéras peuvent évidemment induire en erreur si on croit que le roi en est l’auteur. Ainsi quand celui-ci parle de devenir « un esprit entouré par le pur éther » il ne fait que citer Jessonda de Louis Spohr13. Même en sachant que les fameux Carnets secrets ne contiennent que des extraits falsifiés des deux derniers Journaux de Louis II dont les originaux ont disparu, même en possédant les clés que donne Marianne WörwagParizot, il reste tout de même difficile de prendre ces pages pour celles d’un original, d’un fantaisiste ou d’un précurseur. Lutz n’a pas tout inventé. Une pensée monomaniaque sur le thème de la culpabilité sexuelle laisse une impression extrêmement pénible. L’auteur est un homme que sa raison abandonne et qui, ne pouvant s’arracher au monde autistique où il s’enfonce, se confie au papier dont il pense qu’il ne le trahira pas. On songe à ces voyageurs piégés dans des sables mouvants tels que la littérature du XIX e siècle les peignait avec leurs cris aussi désespérés qu’inutiles. Quant à l’homosexualité que nient énergiquement Marianne WörwagParizot comme Élisabeth Fontaine-Bachelier, elle est évidente. On ne peut admettre très longtemps qu’un baiser soit dans la pensée du roi « une métaphore symbole de l’enthousiasme pour un individu », que les « embrassements » restent de simples accolades, les « chutes » qualifiées par Louis d’« épouvantables » ou de « totales » uniquement de l’autoérotisme, etc. De toute façon l’homosexualité comme d’ailleurs l’hétérosexualité sont des inclinations sexuelles profondes, ce qu’en fait ensuite la personne est une autre affaire. Il est certain que Louis II ne fut pas en matière sexuelle ce que l’on pourrait appeler un gros consommateur, toute « chute » étant pour lui une catastrophe et un échec monstrueux, le prix à payer était trop cher. De plus il s’enflamma parfois pour des hommes qui ne partageaient pas ses goûts. Ce que le roi attendait
de l’amour n’était pas d’abord le plaisir – il dit plusieurs fois ne pouvoir l’éprouver – mais la découverte complètement narcissique et toujours exaltante d’un autre lui-même, c’est la raison pour laquelle quelques-unes de ses liaisons restèrent peut-être chastes. Alors que les relations entre le roi et le compositeur se tendaient sérieusement, Wagner crut bon de rééditer au mois de mars 1869 son Judaïsme dans la musique. Le roi qui avait détesté la première édition fut très mécontent. Le texte, totalement irrationnel et très violent, souvent haineux, plein du délire d’une conspiration juive qui aurait poursuivi le compositeur, avait choqué une première fois et choqua davantage, l’auteur étant désormais connu. Nombre des amis de Wagner dont Liszt et Théophile Gautier furent horrifiés. La ville de Breslau décommanda un festival et Les Maîtres chanteurs furent sifflés à Mannheim. Il y eut des manifestations à Paris tandis qu’en Prusse le député Lasker fit promulguer une loi qui établissait l’égalité des droits entre les différentes confessions religieuses. Nouvelle étape dans la séparation qui s’accomplissait entre Wotan et Siegfried, la création à Munich de L’Or du Rhin se fit dans la douleur. Après des mois de silence, Louis avait réclamé une reprise de Tristan dès le printemps et la création de L’Or du Rhin pour l’été 1869. Le contrat signé avec le compositeur lui en donnait le droit, mais Wagner avait toujours refusé que ce drame fût détaché du cycle de L’Anneau qui avait pour lui une « unité granitique ». À le lire, L’Or du Rhin séparé du Ring devenait une opérette. Durant les préparatifs, le roi fit pourtant preuve de bonne volonté et avança 10 000 florins. Le Valhalla déplaisait au Maître ? On refaisait le Valhalla. L’ordonnance du théâtre ne convenait pas ? On le fermait un mois afin de créer un parterre qui plairait au Maître. Les chanteurs, les décorateurs, les machinistes même, faisaient la navette jusqu’à Lucerne, le Maître refusant de se déplacer. La répétition générale fut une catastrophe. Bülow étant malade, Wagner interdit à Hans Richter qui dirigeait l’orchestre de remplir son contrat. Richter obéit et Louis le renvoya. Wagner furieux se précipita à Munich. Le roi fila aussitôt vers ses montagnes, écrivant au conseiller Düfflipp : La conduite de Wagner et de toute cette racaille de théâtre est véritablement criminelle et honteuse ; c’est une révolte ouverte contre ma volonté et c’est plus que je ne puis souffrir. Lors
des intrigues de Wagner, cette canaille montra de plus en plus d’audace si bien qu’il ne fut plus possible d’y mettre un frein […]. Il faut déraciner la mauvaise herbe. Je n’ai jamais vu pareille impertinence14.
L’Or du Rhin fut joué avec un mois de retard devant le roi et quatre cents invités dont Pauline Viardot, mais sans Wagner, sans Richter et sans succès. Le Müncher Vaterland traita la scène des Filles du Rhin dans le fleuve d’« aquarium à putains », ce qui lui valut un procès avec le ténor, époux de l’une des chanteuses. On avait aussi abusé d’effets de fumée alors que l’on venait d’apprendre le dramatique incendie du théâtre de Dresde. Deux jours plus tard, Louis exigea d’avoir La Walkyrie en décembre. Wagner, refusant toujours d’abaisser le Ring « au rang de performance d’un misérable théâtre de répertoire », fit la sourde oreille. L’opéra fut monté quand même. Wagner supplia en vain pour que la représentation eût lieu en privé. La première à Munich, le 26 juin 1870, fut un grand succès bien que Liszt qui voyait dans certaines scènes la peinture des amours de sa fille ne cessât d’y sangloter. Non seulement le roi ne parut pas aux premières représentations, mais il réclama Siegfried. Wagner cessa aussitôt d’y travailler. Le compositeur se voyait pris en étau : ou il acceptait que le Ring fût monté par morceaux à Munich ou il ne l’achevait pas. Restait une troisième solution, créer ailleurs son propre théâtre et son festival. Il semble que ce fût Cosima qui souffla le nom de Bayreuth, jolie petite ville de Franconie que Wagner avait traversée trente-cinq ans auparavant. Ils achetèrent un livre et découvrirent que la cité possédait un petit théâtre qui permettrait d’attendre. La création de La Walkyrie consomma la rupture entre le dieu et son adorateur. Louis II restera huit ans sans voir le compositeur, se dérobant à toutes ses demandes de visite. Leur correspondance s’espacera jusqu’à cesser presque complètement. Dépité et s’apercevant qu’il n’avait plus de prise sur Louis II, Wagner lui écrivit ces mots : « Hors mon œuvre, vous ne voulez plus rien de moi. » C’était exact. Trop de mensonges avaient dégoûté Louis et détruit sa confiance. Il ne s’intéressait plus à l’homme, mais continuait de reconnaître le génie. Cependant, le rêve que Wagner avait su faire vivre par sa musique, le roi allait l’inscrire dans la pierre, et ce serait ineffaçable. Le désir de bâtir apparut chez Louis II alors que prenait fin la relation avec Richard Wagner. Dans les années 1868 et 1869, trois projets monumentaux d’inégale
importance furent lancés dont les plus connus sont les châteaux de Neuschwanstein et de Linderhof. Ils font oublier que Louis commença par faire édifier sur le toit de la Residenz à Munich le Jardin d’Hiver qui devait être démantelé après la mort du roi. Imaginée dès 1867, mais construite pour l’essentiel durant l’été de 1869 au-dessus de l’aile nord-ouest du palais, cette immense serre, tout en verre et métal, était la préfiguration de ce que sera – dans une tout autre dimension – le Grand Palais de Paris à la fin du siècle. Le cœur en était un lac artificiel de plus de vingt mètres de long ; la reine mère qui avait bon caractère s’amusait parfois de ce que des infiltrations aspergeaient régulièrement ses appartements situés en dessous. Le Jardin fut le refuge du roi quand il venait dans le détesté Munich. Les rares visiteurs qui y furent admis dirent avoir eu l’impression de traverser à la fois les jardins de l’Alhambra et la Nouvelle-Guinée. Ils parlèrent d’un kiosque arabe, d’un lac, d’un pont japonais, de grandes peintures représentant l’Himalaya, d’un perroquet savant et de paons circulant au milieu des palmiers. Il est rapporté que des gentilshommes curieux de voir cette partie interdite du royaume se déguisaient en jardiniers afin d’y pénétrer. Ce privilège fut réservé à l’infante Maria de la Paz, fille de la reine d’Espagne, peu après son mariage avec le prince Louis-Ferdinand, lui-même fils aîné d’Adalbert (la branche préférée…). Elle décrivit ainsi les lieux à sa mère : Devant moi s’étendait un immense jardin illuminé à la mode vénitienne, avec des palmiers, un lac, des ponts, des pavillons et des bâtiments crénelés. « Entrez », dit le roi, et je le suivis fascinée comme Dante suivant Virgile au Paradis. Un perroquet qui se balançait sur un anneau d’or me cria : « Guten Abend », tandis qu’un paon passait à côté de moi de sa démarche grave et fière. Nous traversâmes sur un pont de bois rustique un petit bassin brillamment éclairé et nous aperçûmes devant nous, sous un marronnier, un village hindou. À ce moment, une musique militaire invisible attaqua la Marcha des Infantas […]. Nous arrivâmes alors à une tente de soie bleue décorée de roses dans laquelle un siège supporté par deux éléphants sculptés reposait sur une peau de lion. Le roi, nous entraînant plus loin, nous fit descendre par un étroit sentier jusqu’au bassin dans lequel se reflétait une lune artificielle, éclairant d’une lumière douce des nénuphars et des plantes aquatiques. Un bateau comme ceux dont se servaient les troubadours dans l’ancien temps était attaché à un arbre. Nous arrivâmes à une cabane hindoue : des éventails et des armes du pays pendaient au plafond. Je m’arrêtai machinalement, mais le roi se remit en marche, et brusquement je crus avoir été transportée par magie à l’Alhambra. La petite pièce mauresque où nous étions entrés, et au centre de laquelle jaillissait un jet d’eau entouré de fleurs, m’avait un instant ramenée dans ma patrie. Contre le mur s’allongeaient deux magnifiques divans. Dans un petit pavillon attenant, et séparé de nous par une arche mauresque, le souper était servi15.
La jeune femme à peine assise vit bientôt se lever un arc-en-ciel… Elle revint éblouie et aussi bouleversée par les attentions de ce roi « devant lequel tout le monde tremblait16 ». Mais les rêves de Louis II ne pouvaient tenir dans cette étrange bulle reposant sur un toit. Dès le 13 mai 1868, Sa Majesté annonçait à son Conseil qu’Elle allait restaurer un vieux burg en ruine près du château qu’Elle possédait déjà dans le Haut pays du Cygne. Elle écrivit à Wagner : Il est dans mon intention de reconstruire la vieille ruine du château de Hohenschwangau près des gorges de la Pöllat dans le style authentique des vieux châteaux des chevaliers allemands17.
Plus d’un conseiller dut se réjouir de la nouvelle. Il valait infiniment mieux que le roi s’amusât à bâtir un château plutôt que de jeter l’argent dans les poches d’un compositeur détesté.
*1. « J’ai un fils ! »
VII
La vie est un songe I Un château en Bavière À l’origine de la construction des châteaux de Louis II, il y eut beaucoup plus que l’amour d’un passé que le roi eût voulu ressusciter, une véritable haine du présent, et la fuite de la réalité qui était au cœur de sa maladie. « Projeté dans un présent que je hais où je me sentirai toujours un étranger », écrit-il. En cela, les châteaux destinés à isoler le roi dans le décor de ses rêves, à modeler dans la pierre ses fantasmes et à transformer le réel sont bien les « châteaux d’un roi fou ». Ils vont contribuer pour une grande part à faire naître la légende du Märchenkönig et surtout à la fixer. Curieusement, les châteaux destinés à « falsifier l’imaginaire », donc à laisser se déployer la maladie, à la flatter et à l’assouvir, furent aussi un moyen de la combattre. La création était un espace où Louis pouvait apaiser ses souffrances en trouvant un contact avec un réel qu’il fuyait par ailleurs. Le monde de la chevalerie, tel que le roi l’imaginait, n’avait jamais existé, contrairement à celui des architectes, des dessinateurs, des maçons et des artisans avec lesquels il travaillait. Ils seront jusqu’à trois cents à œuvrer sur l’à-pic de Neuschwanstein. À propos de ces extraordinaires édifices, Jean Adès écrit : « Tous sont des musées voués à ses obsessions. » Pour Louis II, le propos ne fut jamais d’habiter ses châteaux, mais uniquement de les bâtir, de voir l’imaginaire prendre forme. Le rêve devenu réalité n’avait ensuite plus d’intérêt, il fallait enchaîner avec une autre construction. Chacun de ces bâtiments fut voué à un aspect de l’univers symbolique du roi. Neuschwanstein veut être le monde de la chevalerie, « l’esprit politique et béni de l’apogée du Moyen Âge », écrit-il
à la baronne von Leonrod ; Linderhof, celui de la monarchie française depuis Louis XIV jusqu’à la chère Marie-Antoinette, ce que le roi appelait la Sainte Trinité des Lys de France : Louis XIV, Louis XV et Louis XVI. Herrenchiemsee, copie conforme de Versailles, sera le complément indispensable de Linderhof, un « zoom », dirait-on aujourd’hui, sur l’univers du Roi-Soleil. À la veille d’être interné, Louis II faisait commencer les travaux d’un quatrième château, Falkenstein, qu’il entendait édifier dans les Alpes bavaroises, près de la frontière autrichienne, sur les ruines d’un vieux burg très haut perché. Les croquis montrent que le roi revenait au monde de la chevalerie sous une forme plus libre, gracieuse et quelque peu échevelée. Neuschwanstein correspondait le plus aux vœux de cette âme tourmentée, car édifié « dans le style authentique des vieux châteaux des chevaliers allemands ». Dans la demeure légendaire des chevaliers de la Table ronde, le roi, logique en sa folie, voulut imposer une vérité historique. Plongé dans les ouvrages de médiévistes, il faisait inlassablement recommencer une clef de voûte, redessiner une épée ou le détail d’un écusson qui ne lui semblaient pas correspondre à ce qui avait été. Le monde fantastique que le roi édifiait était à ses yeux le seul qui existât vraiment, il devait donc être réalisé avec la plus grande fidélité, que ce fût par de grands artistes ou des barbouilleurs n’avait guère d’importance. Pour Louis II, l’œuvre d’art ne servait qu’à représenter son univers intérieur, à le faire vivre, il tentait donc de le créer avec un soin maniaque. En raison de cette application tatillonne, le château qui allait jaillir de la montagne est considéré aujourd’hui comme le plus parfait exemple d’« historicisme » en matière d’architecture. Le nouveau burg eut un avantage aux yeux du roi, celui d’être incorporé à une nature complètement sauvage. Louis II a décrit le site devant son Conseil comme il l’avait fait pour Wagner, un piton rocheux émergeant d’épaisses forêts, au-dessus de la gorge de la Pöllat, offrant une vue qui s’étend jusqu’aux monts enneigés du Tyrol. Rien ne lui plaisait tant que le spectacle de ses chères montagnes. « Au sommet de la montagne, l’âme approche de son Créateur », écrit-il à son ancienne gouvernante. Le mysticisme du roi fut beaucoup plus fort qu’on ne l’a dit, si présent que pour être agréable à son Seigneur, Wagner, qui ne croyait ni à Dieu ni à diable, dut se tortiller dans presque toutes ses lettres pour glisser un peu de Ciel dans ses pages.
Une question se pose quant à la situation de Neuschwanstein. Pourquoi le roi qui possédait dans le Haut Pays du cygne le château de Hohenschwangau, déjà rebâti par son père dans le style « des vieux châteaux des chevaliers allemands », en a-t-il édifié un second, si proche que depuis les fenêtres de l’un on voit les fenêtres de l’autre ? Louis d’ailleurs n’appellera jamais la nouvelle construction que le « nouveau château de Hohenschwangau ». La réponse se trouve dans la lettre adressée à Wagner : ce Burg sera de toute manière plus beau et plus habitable que Hohenschwangau qui est plus loin vers le bas et qui est profané chaque année par la prose de ma mère ; ils auront leur vengeance, les dieux profanés et viendront vivre avec nous sur les hauteurs élevées, respirant l’air du Ciel1.
Quelle est cette prose maternelle ? Le Journal que tenait la reine mère chaque jour ? Les billets pleins d’affection qu’elle envoyait à son fils ? La malheureuse reine suscitait un véritable délire. On a dit qu’il détestait en elle « la Prussienne », mais il avait aussi écrit à Sophie : « elle m’étouffe avec son amour ». Le seul mérite qu’il lui trouvait encore était d’être la mère du roi, ce qui, reconnaissait-il, ne pouvait lui être ôté. En fuyant un amour maternel devenu importun, il cherchait aussi à cacher sa maladie et, bien sûr, son homosexualité vécue comme un crime. Sans doute voulait-il encore dissimuler au regard maternel qu’il buvait trop et mangeait comme un ogre. Il faut préciser que cette haine n’est ressentie et manifestée que hors de la présence de la reine. Il s’agit d’un délire qui cesse dès que sa mère devient une réalité. Louis se montre alors un fils aimable et attentionné. Le roi allait donc élever à côté « du château de sa mère » – il serait plus juste de parler de celui de son père, puisque Maximilien II l’avait largement remanié – un château « plus scénique qu’architectural » dont la célèbre silhouette sera immortalisée par Walt Disney dans le logo du château de la Belle au bois dormant. On a évoqué une filiation avec la célèbre Wartburg qui domine la ville d’Eisenach. Quand Louis l’avait visitée en compagnie de Richard Hornig en 1867, il avait reçu un choc violent. N’était-ce pas là que Wagner fidèle à la légende du jeune troubadour racheté par le sacrifice d’une fiancée « inébranlable et pure » avait placé la scène du tournoi des chanteurs de Tannhäuser ? La Wartburg
reste cependant une forteresse médiévale dont la sévère architecture exclut toute fantaisie, et si Louis II envoya ses architectes en relever les plans, ce n’est pas du côté d’Eisenach qu’il faut chercher le modèle de Neuschwanstein. Quand Louis II s’était rendu en France en 1867 pour visiter l’Exposition universelle, Napoléon III, après l’avoir reçu à Compiègne, lui avait fait visiter le château de Pierrefonds, alors en reconstruction. De l’immense forteresse moyenâgeuse détruite sur ordre de Louis XIII, puis vendue comme bien national sous la Révolution, il ne restait qu’une ruine romantique. Prosper Mérimée avait suggéré à l’empereur d’en confier la reconstruction à Viollet-le-Duc. L’architecte se livra non à une restauration, mais à un travail de recréation où il donna libre cours à son imagination. Louis II, enthousiasmé, dévora les traités de l’architecte. On ne peut douter que la vision d’un style médiéval néogothique capable de rendre gracieuses les plus lourdes forteresses eût profondément influencé le jeune roi qui fut encore intéressé par la façon dont Viollet-le-Duc imposait son « historicisme » dans les détails de la décoration intérieure. Aujourd’hui, le château de Pierrefonds émergeant des frondaisons de la forêt de Compiègne, avec ses tours, ses minarets, ses poivrières pointues et ses mâchicoulis, semble un frère aîné de Neuschwanstein. Construit par la volonté d’un seul homme pour un seul homme, le « nouveau Hohenschwangau » est devenu l’un des châteaux les plus visités au monde. En dépit des difficultés imposées par le site, il fut bâti en toute hâte tant Louis bouillait d’impatience de voir son rêve se matérialiser. Après avoir fait dynamiter la montagne pour abaisser de huit mètres le socle de deux anciens burgs, le roi fit creuser une route d’accès dans le roc. La première pierre dans laquelle on avait scellé tout un bric-à-brac – portraits du roi, plans du château et monnaies du règne – fut posée le 5 septembre 1869. À Eduard Riedel, son architecte préféré, Louis II avait adjoint le peintre de l’Opéra royal, Christian Jank, et surtout Georg von Dollmann, décorateur du Théâtre de la Cour dont les croquis évoquent Gustave Doré et Victor Hugo. Avec une grande liberté, ils mélangèrent le style roman tardif voulu par le roi avec le néogothique, ajoutant au passage des éléments byzantins. Le résultat fut unique, flamboyant, « une jouissance des sens plus que de l’intelligence2 ». À l’extérieur, émergeant d’une forêt dense sur des falaises à pic, c’est une débauche de créneaux, de tours, de clochetons d’où jaillit un minaret qui file vers le ciel. À l’intérieur
ce sont des salles démesurées et vides, telle cette salle des chevaliers, imitée de la Wartburg, qui déroule sur ses murs la légende de Parsifal peinte par un élève du redoutable Moritz von Schwind, et d’autres pièces, plus intimes, couvertes de boiseries, encombrées de meubles, de sculptures, de tableaux ; c’est fou, c’est kitsch, cela éloigne de toute réalité et c’est exactement ce qu’avait souhaité Louis II. Dans cette construction, presque entièrement vouée au monde wagnérien, deux salles disent l’essentiel au sujet du bâtisseur. La salle du trône, sur deux étages, est une église, plus exactement une basilique bâtie sur le plan de Sainte-Sophie à Constantinople, ceinte de somptueuses colonnes de porphyre bleu, mais cette église curieusement n’a pas d’autel ; à la place sera le trône. Louis XIV n’y aurait pas pensé. Neuf marches de marbre blanc conduisent vers l’emplacement sacré. Mais pourquoi ce chiffre dans un édifice où tout est symbole ? Louis l’expliquera au cours de l’année 1878 dans le Journal qui tient une comptabilité impitoyable de ses chutes : Les vœux et le baiser de l’Empereur […] et du Roy entravent les effets pernicieux de cette chute, ils apportent réconfort et salut et ont en germe la victoire et la paix. – vaut pour 1878. avant que soit accompli le nombre XII des années de règne, avant donc le règne de ce nombre 13, ce nombre misérable et fatal, se produisit « la dernière » chute ! avant même que j’aie atteint 33 ans (33 (3×3 :) 9 le nombre de marches du Trône. Aurai la force pour surmonter lorsque ce nombre sera atteint), tous très proches de 31 (13, dernier nombre des chutes), maintenant c’en est fini. Il est grand besoin de pénitence 3 !
Ce genre de calcul ésotérique et d’autres, tout à fait hermétiques, se retrouvent à maintes reprises dans les Carnets. Prévu tout en or et ivoire, le trône ne fut jamais réalisé. On peut le regretter, mais il est fort probable que le roi l’aurait contemplé et ne s’y serait pas assis. Car le siège dont il avait rêvé pour la grande salle de Neuschwanstein n’était pas le sien, mais celui d’Henri l’Oiseleur, de Frédéric Barberousse, d’Amfortas et du roi Arthur, ou encore de Saint Louis, de saint Étienne, de saint Casimir et de tous les rois canonisés dont les portraits entourent l’autel. Cette partie du palais est le saint des saints. On trouve la part intime du côté de la chambre du roi. Recouverte de boiseries sombres, elle est infiniment travaillée ; quatorze sculpteurs y œuvrèrent durant quatre ans. Au-dessus du lit, le baldaquin porte une forêt d’aiguilles et de stalagmites. Les peintures
racontent l’histoire de l’amour impossible de Tristan et Isolde, afin que le roi ait toujours sous les yeux le spectacle de la malédiction et de la mort qui s’abattent sur l’amour coupable. L’idée ne le quittait jamais. L’année où l’on commençait Neuschwanstein, Louis II ouvrait son Journal ainsi : Puissé-je être damné et mes idéaux avec moi si je devais encore tomber en tentation. Grâce à Dieu cela n’arrivera pas. La volonté divine et la parole sublime du roi *1 me protègent 4 !
Louis XIV n’était peut-être pas l’intercesseur le mieux placé pour protéger du péché de la chair, mais qu’importe, toutes les pages des Carnets secrets expriment la même détresse et ce jusqu’à la fin. Dans le palais moyenâgeux, le roi qui aimait ses aises avait fait installer un confort très moderne pour l’époque. Le chauffage était assuré par un système d’air chaud, renforcé en hiver par de gros poêles de faïence. La cuisine et le cabinet de toilette du roi étaient équipés d’eau froide et d’eau chaude. Le roi avait encore veillé à ce que deux gros tournebroches automatiques rôtissent les viandes que des monte-charge conduiraient dans les étages où des réchauffoirs tenaient les assiettes au chaud. Les chevaliers du Graal étaient peut-être des ascètes, mais pas le roi de Bavière. Le gros œuvre de l’immense bâtiment fut terminé vers 1880. La décoration intérieure avait déjà commencé. Les peintres devaient réaliser directement les fresques d’après de petites esquisses qu’on leur distribuait sur papier calque ; la tâche était d’autant plus délicate que les salles et les corridors où ils reproduisaient les vieilles légendes étaient très sombres. Quand Sa Majesté venait se rendre compte de l’avancement des travaux, ils devaient disparaître pendant que le géant « montait sur les échafaudages et promenait son regard de myope le long des peintures fraîches ». Le roi ne vit pas Neuschwanstein terminé puisque le Kemenate, partie réservée aux femmes, ne fut bâti qu’après sa mort. Il put toutefois y loger à partir de 1884. Le 14 octobre 1885, il alla surprendre sa mère qui se trouvait à Hohenschwangau ; déjà couchée, elle se leva avec joie pour l’accueillir. Le lendemain, jour des soixante ans de Marie, il lui fit visiter le château illuminé ; elle fut la seule personne à qui il fit l’honneur du palais des chevaliers. La fièvre bâtisseuse du roi était sans fin. Alors qu’il faisait terminer le
Jardin d’Hiver et commençait Neuschwanstein, le roi écrivait le 7 janvier 1869 à la baronne von Leonrod : Près de Linderhof, à proximité d’Ettal, j’ai l’intention de construire un palais, pas très grand mais qui sera orné d’un beau jardin style Renaissance : je voudrais que l’ensemble ait la magnificence et la solennité grandiose du palais de Versailles. Il n’a jamais été si nécessaire de créer des décors où l’esprit puisse se réfugier dans une sorte d’asile poétique pour y oublier les angoisses de notre affreuse époque5.
Mais la guerre de 1870 et les angoisses de notre affreuse époque allaient obliger le roi à surseoir quelque temps à la construction de ce second château. Louis II, à une exception près, ne devait se lier à aucun des artistes qui travaillèrent pour lui. Exigeant beaucoup d’eux, il avait aussi des égards, allant jusqu’à porter une collation aux peintres qui s’acharnaient sur les plafonds de Linderhof, mais ces hommes, chargés d’exécuter ce que lui voyait intérieurement, étaient pour lui interchangeables. Peu importait qu’ils expriment une sensibilité ou une originalité particulières. Il les considérait comme des artisans au service de son rêve. Seule le sculpteur Elisabet Ney échappa à la règle et sut créer une relation toute particulière avec le roi de Bavière. Comme toutes les femmes que le roi a admirées et qu’il a admises près de lui, Elisabet était plus âgée que lui, exactement de huit ans. Née à Münster dans la famille d’un carrier, elle était la petite-nièce du maréchal Ney. Douée d’une forte personnalité, ayant senti très tôt une vocation artistique, elle refusa que sa condition de femme l’obligeât à y renoncer et fit une grève de la faim pour obtenir d’aller à Munich étudier les BeauxArts. Le peintre Kaulbach l’accepta dans une classe de peinture ; elle devait poursuivre ses études à Berlin. Parfois qualifiée d’aventurière en raison de son audace, elle ne l’était nullement et s’imposa rapidement comme l’un des premiers sculpteurs de son temps. Ses bustes de Schopenhauer, de Garibaldi ou du savant Liebig la firent connaître. Elle exposa un Faune endormi lors de l’Exposition universelle de 1867 à Paris où les Tuileries s’ouvrirent devant la petite-nièce du prince de la Moskova. De retour à Munich, elle n’eut plus qu’une idée en tête : faire le buste du
jeune roi de Bavière qu’elle bombarda de demandes rédigées dans les termes hyperboliques qu’il affectionnait. Le siège allait durer deux ans. Curieusement, Louis II, désireux de fixer l’artiste à Munich, commença par l’installer dans une maison qu’il fit construire dans un style toscan quelque peu voyant au cœur du quartier chic de Schwabing, sur la MariaJosefa Strasse. Le portrait de son maître Kaulbach qui la représenta nous montre une jeune femme grande et mince, les cheveux bouclés sous un grand front bombé. Très cultivée et particulièrement libre, elle recevait beaucoup, arborant souvent des tenues orientales ; elle portait aussi des pantalons et montait à cheval comme les hommes. Féministe en avance sur son époque, elle professait que mariage et maternité étaient des charges dont les femmes avaient bien tort de s’encombrer. Quant aux tâches ménagères, elle se vantait de les éviter : « Regardez-moi : je dors dans un hamac qui ne demande aucun soin, casse un œuf au matin, le gobe, puis je fais de la limonade dans un verre, le rince et mon ménage est fait pour la journée. » Ennemie de toute langue de bois et détestant le couple Wagner, Elisabet s’écria, en apprenant que Cosima se flattait d’avoir été choisie par le destin pour inspirer le compositeur : « Mais, la moitié de la population féminine de l’Allemagne l’a déjà inspiré ! » Elle terminait le buste de Bismarck commandé par Guillaume Ier quand Louis II accepta de poser, exigeant que les séances se déroulent sans spectateurs et dans un silence absolu. L’artiste demanda si elle pourrait lire ou réciter des vers, ce qui lui fut accordé. Ce fut donc au rythme de l’Iphigénie de Goethe qu’Elisabet Ney commença en 1868 le fameux buste qui se trouve aujourd’hui au Musée national bavarois. L’œuvre est splendide et la physionomie du roi, assez tourmentée, rend parfaitement compte des tempêtes qui devaient traverser cette tête. Louis II, complètement amadoué, avait mis à la disposition de l’artiste l’Odyseussal de la Residenz qui donnait sur les jardins intérieurs du palais et faisait fleurir la salle quotidiennement. Très satisfait du buste, il accepta de poser pour une statue en pied dans le grand costume des chevaliers de Saint-Georges*2. Les broderies, les franges et les dentelles durent créer quelques problèmes à l’artiste, laquelle avec un style resté classique s’était fait une spécialité de la richesse et de la perfection des détails. À vingtquatre ans, le roi était encore très mince. Une main sur la hanche, il pose dans une attitude pleine d’élan et de grâce. La tête, rejetée fièrement en arrière, laisse voir les grandes orbites tournées vers le ciel qui ont quelque
chose d’inquiétant. Les séances de travail furent assez longues pour que le roi, peu à peu, s’ouvrît à cette femme intelligente et intuitive. Une correspondance s’établit entre le modèle et l’artiste dont il ne reste que les lettres d’Elisabet. La jeune femme savait écouter. Elle reçut de grandes confidences dont certaines l’effrayèrent, témoin ce mot qu’elle écrivit au roi en décembre 1869 : Votre Majesté me demande : « Comment puis-je, après tant de désillusions, avoir encore confiance en l’humanité ? » C’est avec une tristesse indicible que je vois le contact avec la réalité, avec la vie s’amenuiser chaque jour chez Votre Majesté. Déjà vous ne la percevez plus que dans les brumes des lointains. Notre grave conversation d’hier soir m’a permis de comprendre que Votre Majesté est la première à s’en rendre compte, et non sans terreur […] Elle sait qu’il lui faudra dominer par un effort suprême de sa volonté les pensées – fussent-elles les plus nobles – et les émotions – fussent-elles les plus tendres – qui isolent Votre Majesté de la vie. Ayez le courage de choisir maintenant […] avant que Votre Majesté ne soit irrémédiablement plongée dans l’anéantissement de soi qu’est la torture de la solitude. Hier soir, Votre Majesté m’a dit : « Existe-t-il un seul homme en la générosité et le désintéressement de qui je peux vraiment croire ? […] » Ah ! prenez garde, ne laissez pas les noirs démons du scepticisme s’emparer entièrement de votre esprit. Tendez la main – il en est temps encore – à une autre main pleine de vie6 […].
Elisabet pensait-elle à sa propre main ? Ce n’est pas certain. Elle avait épousé secrètement un médecin écossais, Edmund Montgomery, avec qui elle vivait. Desmond Chapman-Huston, qui eut accès à cette correspondance, pense que la main secourable serait plutôt celle du célèbre chimiste Justus von Liebig que Louis II admirait beaucoup. Mais Liebig avait alors soixante-sept ans – il devait mourir trois ans plus tard –, ce qui en faisait à l’époque un vieillard et ne correspond pas à l’idée que l’on peut avoir d’une main « pleine de vie ». Ce qu’écrit la jeune femme dans cette lettre est presque un bulletin médical qui décrit parfaitement l’autisme et peint la douleur du malade qui voit la réalité lui échapper sans pouvoir réagir, sans même comprendre ce qui lui arrive. L’artiste commet seulement l’erreur que tous faisaient à l’époque de penser que la volonté pouvait jouer un rôle quelconque dans l’histoire. Dans une lettre suivante, Elisabet Ney dira au roi : J’ai pensé toute la nuit à vos paroles : « Dieu nous a faits tels que nous sommes. Ce n’est pas nous qui nous sommes créés. Nous pouvons donc reconnaître librement ce que nous sommes »7.
Par cette confidence, le roi semble se disculper. À quoi faisait-il allusion ? La perte de contact avec la réalité qui le terrorisait et dont il avait parlé à la jeune artiste ou son homosexualité ? Les deux sans doute. Louis se sentait doublement différent et portait en permanence deux blessures ; au moins avait-il pu en évoquer une avec Elisabet. L’amitié qui était née entre le roi et la jeune femme fit d’autant plus jaser que celle-ci attendit un enfant l’année suivante. On murmura qu’il était du roi. L’artiste résolut de quitter l’Europe, on ignore pourquoi, car elle n’était pas femme à fuir les racontars. Louis tenta de la retenir. Elle répondit au secrétaire de cabinet August von Eisenhart qui insistait pour qu’elle restât à Munich : « Tout cela ne sert plus à rien. Sa Majesté le roi doit maintenant avoir la grâce de me laisser partir ! Je ne peux plus, je ne peux plus, je ne peux plus attendre davantage. » Pourquoi cette femme si libre se sauvait-elle ? Et pourquoi si loin ? Le plus vraisemblable est qu’il en aurait trop coûté à l’amour-propre d’Elisabet de reconnaître qu’elle se trouvait prise dans les filets du mariage et de la maternité qu’elle avait tant décriés. Le couple partit pour les ÉtatsUnis et s’installa d’abord en Géorgie qu’un ami leur avait peinte comme une Terre promise. L’enfant d’Elisabet, un petit Arthur – le nom du roi des chevaliers de la Table ronde –, ne devait vivre que trois ans. Quand le couple eut un second fils, l’artiste, installée dans une plantation non loin de Houston, cessa pendant près de vingt ans de travailler pour l’élever, puis, installée à Austin qui devait lui consacrer un musée, elle reprit le ciseau et le burin, sans jamais retrouver aux États-Unis la célébrité qu’elle avait connue en Europe. On dit qu’avant le départ de son amie Louis II lui avait fait porter des bijoux et des fleurs. Elle aurait pris les fleurs et abandonné les parures, ce qui lui ressemblerait assez.
*1. Louis XIV. *2. Elisabet Ney ne put réaliser que la statue en plâtre. Le marbre, exécuté huit ans plus tard, se trouve aujourd’hui à Herrenchiemsee.
VIII
Finis Bavariae ? 1870-1871 Mon règne si court a déjà vu deux guerres ! C’est très dur pour un souverain pacifique. Louis II à Mme von Leonrod
Après la guerre de 1866 et la rupture de ses fiançailles l’année suivante, Louis II délaissa de plus en plus ses devoirs de monarque. Non qu’il eût renoncé à travailler, mais il refusait tout ce qui concernait la représentation et la fréquentation d’une cour qui allait peu à peu disparaître, faute de la présence du souverain. En 1870, alors que l’horizon diplomatique de la Bavière s’assombrissait, l’ambassadeur de France à Munich écrivait : Ce jeune souverain semble prendre à tâche de s’aliéner la confiance et l’affection de ses sujets en se soustrayant à tous les devoirs de la royauté. Doué des plus brillantes qualités d’une intelligence remarquable, il paraît vouloir rester étranger à tout ce qui touche aux affaires et aux intérêts de son pays1.
À cet homme étonné, il ne manque que la cause de l’attitude du roi. Louis percevait de plus en plus les autres comme étrangers et dangereux. Craignant que ses réactions ne révèlent sa maladie, il fuyait. Le tour de force de Louis II fut d’arriver à dissimuler presque entièrement de graves troubles mentaux à la plus grande partie du pays, mais pas à tous. La surprise exprimée par l’ambassadeur de France l’est de façon diplomatique et le jugement reste implicite, mais l’ambassadeur n’était pas seul à se poser des questions. Depuis longtemps, beaucoup ressentaient devant le roi un malaise d’autant plus gênant qu’il était difficile à définir.
Ceux qui approchaient Sa Majesté se trouvaient devant une dissonance provoquée par la dissociation propre à la schizophrénie. On pourrait comparer le cerveau malade à une roue dentée qui, s’écartant du mécanisme qu’elle doit saisir, n’agrippe plus la réalité. Le roi, conscient de l’embarras qu’il provoquait, évitait les occasions de rencontre, mais ne pouvait toujours se libérer de son devoir. La guerre de 1870 allait surprendre Louis II en pleine fièvre constructrice. Depuis Sadowa, chacun savait que, pour Bismarck, la formation de la Confédération de l’Allemagne du Nord organisée par ses soins après la guerre de 1866 n’était qu’une étape dans la construction de l’unité allemande sous l’égide de la Prusse. La résistance, notamment celle des partis conservateurs, était forte en Bavière, dans le pays de Bade et au Wurtemberg. Sous l’influence de Wagner, pour ne pas dire sur son injonction, Louis II avait pourtant choisi comme chef de gouvernement le prince Chlodwig von Hohenlohe qui représentait le parti proprussien ; ce grand aristocrate lui en imposait par sa distinction, sa franchise et sa lucidité. À l’automne 1869, une campagne de presse très hostile au chef du gouvernement amena celui-ci à offrir une démission que le roi refusa. Le prince se présenta alors devant la Chambre haute qui émit un vote de défiance. Pour garder Hohenlohe, Louis renvoya la Chambre. Les élections amenèrent à nouveau une majorité conservatrice. Le roi, furieux, interdit aux princes de la famille royale qui avaient « mal voté » – Luitpold en était – de reparaître à la cour. Au début de février, Louis dut finalement accepter la démission du prince de Hohenlohe, remplacé par le comte Otto von Bray-Steinburg. Ce conservateur affiché était en fait le candidat de Hohenlohe et s’empressa de chercher l’assentiment de Bismarck. L’Autriche battue et évincée de l’Allemagne, Bismarck n’ignorait pas que la réalisation de l’unité allemande passerait par une guerre avec la France. Restée dans une neutralité bienveillante en 1866, celle-ci avait compris un peu tard les desseins du chancelier et s’inquiétait d’autant plus que l’échec de l’expédition du Mexique avait désorganisé son armée et révélé ses faiblesses. La guerre faillit éclater en 1867 quand Napoléon III voulut acheter le Luxembourg, alors possession personnelle du roi de Hollande ; elle ne fut évitée que parce qu’une conférence internationale décida de neutraliser le
petit pays. Au début de l’été 1870, la candidature du prince Léopold de Hohenzollern-Sigmaringen au trône d’Espagne, vacant après que la reine Isabelle II (celle qui avait eu onze enfants de pères variés) en eut été chassée, mit le feu aux poudres. La presse française, très inquiète, dénonça le retour de l’empire de Charles Quint. Léopold de Hohenzollern retira sa candidature, mais on sait comment Bismarck, en raccourcissant une dépêche que lui avait envoyée Guillaume Ier, réussit à donner à celle-ci un ton offensant et à affoler le « taureau gaulois ». Bien que connaissant l’impréparation de l’armée, Napoléon III, très malade, ne put réagir aux pressions d’une épouse peu lucide, d’un gouvernement aveuglé et d’une opinion chauffée à blanc. Aussi la France déclara-t-elle la guerre à la Prusse le 19 juillet 1870. Le taureau gaulois fonçait tête baissée sur le chiffon rouge, tandis que le comte von Bray tentait vainement une médiation par l’entremise du gouvernement britannique. La France partit en guerre avec l’espoir que les États d’Allemagne du Sud ne mobiliseraient pas. Cependant, ceux-ci s’étaient vu imposer après la guerre de 1866 une alliance militaire avec la Prusse ; ne pas la respecter eût été suicidaire. Louis II, très contrarié à la perspective des difficultés qui s’annonçaient, partit dès le début de l’affaire vers ses refuges de montagne. Son secrétaire de cabinet, August von Eisenhart, dut avoir recours à Richard Hornig pour l’obliger à rentrer. Louis revint à Berg juste avant la déclaration de guerre pour entendre Eisenhart lui dire que le Conseil des ministres lui demandait d’ordonner la mobilisation générale. Comme en 1866, le roi répétait : « N’y a-t-il pas moyen d’éviter cela ? » Le lendemain, le comte Berchen, ministre de la Guerre, fit savoir à Sa Majesté encore couchée qu’étant donné l’effervescence qui régnait dans les rues de Munich il ne répondait plus de rien si on ne mobilisait pas. Il précisa que les drapeaux allemands, mêlés aux drapeaux bavarois, mais en plus grand nombre, fleurissaient sur toutes les façades. Quand il fut reparti de Berg, Eisenhart se permit ce conseil : « Sire, aidez vite, c’est aider doublement. » « Bis dat, qui cito dat », répéta le roi qui ordonna – en français – de rédiger l’ordre de mobilisation. Contrairement à ce qui a été dit, les scrupules envers la France n’étaient pas venus troubler Louis II. Son affection ne portait que sur la monarchie française depuis Louis XIV jusqu’à Louis XVI. Il refusa cependant d’accompagner ses ministres à Munich. Le lendemain, 17 juillet, il dut se résoudre à gagner sa capitale et parut au balcon de la Residenz où les acclamations l’obligèrent à revenir chaque
fois qu’il se retirait. L’excitation était telle que même les conservateurs se trouvaient emportés par la fièvre belliqueuse. Tandis que la foule déambulait dans les rues en chantant des refrains guerriers, le roi alla assister à une représentation de La Walkyrie. À l’entrée de Sa Majesté, l’orchestre entama l’hymne national, suivi de longs applaudissements. La décision du roi de Bavière – si l’on peut appeler cela ainsi – entraîna celle des autres princes allemands. Le 27 juillet, Louis fut obligé d’accueillir son cousin détesté, Frédéric, prince héritier de Prusse, venu se mettre à la tête de l’armée allemande méridionale. Le parti conservateur bavarois avait vainement protesté contre l’union des armées. Le roi dut aller à la rencontre de son cousin, supporter de voir les drapeaux bavarois mêlés aux drapeaux prussiens avant d’assister à une représentation du Camp de Wallenstein de Schiller aux côtés du kronprinz qu’il dut – suprême horreur – serrer dans ses bras. Avant de se retirer, Louis remit à Frédéric une lettre pour « son auguste père ». Le roi y demandait formellement des garanties pour l’indépendance de la Bavière. Guillaume, mécontent, laissa la lettre sans réponse, tandis que le kronprinz écrivait dans son Journal : « Il serait peut-être prudent de respecter quelques petites caractéristiques des États de moindre importance. » Lors de son arrivée à Munich, le prince avait noté avec surprise à quel point le roi de Bavière avait changé. Louis avait perdu toute sa beauté, écrit-il, soulignant que ses dents de devant manquaient. Il lui avait paru très pâle et, ce qui le choqua le plus, parlait d’une façon nerveuse et saccadée, n’attendant jamais la réponse à la question posée, en lançant toujours des nouvelles sans rapport avec les précédentes. Louis n’avait que vingt-cinq ans, mais la maladie avait été capable de transformer le prince charmant que l’on avait découvert six ans auparavant en un homme lourd dont le teint blafard, les dents gâtées et la parole hachée disaient la mauvaise santé. Le roi était désormais sujet non seulement à des maux de dents, mais à de fortes migraines et à une insomnie permanente. La France fut atterrée par la décision de la Bavière. Les seuls alliés possibles restaient pour elle l’Italie et l’Autriche qui se gardèrent de bouger. Une totale impréparation transforma la mobilisation en une monstrueuse pagaille qui laissait mal augurer de la suite. Le massacre de l’armée française occupa tout le mois d’août. Louis II avait laissé le général Ludwig von der Tann-Rathsamhausen, ancien héros de la guerre du Schleswig, prendre la tête des régiments bavarois forts de cent
cinquante mille hommes. Comme en 1866, il avait absolument refusé de visiter état-major, camps et hôpitaux. Bien conscient que les soldats bavarois qui formaient le tiers de l’armée engagée se battaient « pour le roi de Prusse », il reçut sans aucun plaisir les nouvelles des victoires prussiennes ; chacune lui arrachait un morceau de sa couronne. Alors que l’on attendait des nouvelles de la bataille de Woerth qui devait voir capituler Mac-Mahon, von Eisenhart dit au roi qui se préparait à partir en voiture : — Votre Majesté doit attendre encore un peu. — Un roi ne doit jamais faire une chose, rétorqua Louis furieux.
Il sortit et revint plus tard qu’à l’ordinaire. La 3e division d’infanterie bavaroise fournit le gros des troupes aux batailles de Wissembourg, Frœschwiller et Woerth comme au siège de Sedan. Le 2 septembre, la reddition de la ville livrait à la Prusse cent mille hommes et Napoléon III. À Munich, le peuple en liesse défila dans les rues, mais ce fut la reine mère qui parut au balcon de la Residenz. Le roi avait fui à Berg, exigeant qu’il ne flottât sur les monuments que le drapeau bavarois ou à la rigueur pas de drapeau du tout, « étant donné qu’il pleuvrait ». La guerre allait durer encore six mois, jusqu’à ce que Paris capitule le 27 janvier 1871. Les combats ayant cessé, restait à régler la question de l’État national allemand que la Prusse entendait bâtir autour d’elle. Louis II fit très rapidement savoir qu’il ne se rendrait pas à Versailles où l’on devait arranger la paix. Il entendait prétexter une indisposition quelconque : entorse ou foulure. Comme on lui fit remarquer qu’un roi pouvait glorieusement clopiner, il se rabattit sur le mal de dents. Le prince de Hohenlohe nota : « Le roi fait n’importe quoi pour qu’on le laisse tranquille. Les ministres font n’importe quoi pour conserver leurs portefeuilles. » En fait, Louis II temporisait. Quand le président de la Confédération d’Allemagne du Nord et l’ambassadeur de Wurtemberg se présentèrent à Munich, le roi les amusa en leur parlant longuement du dogme de l’infaillibilité pontificale qui venait d’être proclamé et contre lequel il s’élevait vigoureusement. Fort étonnés des connaissances du roi en matière de droit canon, les visiteurs repartirent gros Jean comme devant. Un peu d’espoir parut demeurer tant que les traités qui devaient fonder
la nouvelle Allemagne sur un principe fédératif n’avaient pas été signés. Louis s’empressa de réclamer des compensations territoriales, à savoir le Palatinat badois qui avait été, lors du congrès de Vienne, ôté à la Bavière en faveur du duché de Bade et une indemnité de guerre de 2 millions de guldens. Ce fut refusé. Acculé, le roi souhaita que la Couronne impériale fût portée alternativement par le roi de Prusse et le roi de Bavière. Cette idée de couronne itinérante dut faire sourire Bismarck qui, après beaucoup de cajoleries et de manifestations de gratitude, répondit que « la chose était hors du domaine des réalités politiques ». Le chancelier de fer avait cependant besoin du roi du second État de l’Allemagne pour entériner le grand coup qu’il avait de longtemps préparé. Afin de donner une allure presque légitime au tour de passe-passe qui s’accomplissait, il voulait que ce fût le chef de la maison de Wittelsbach qui offrît la Couronne impériale au chef de la maison de Hohenzollern. Que Louis II fît trop de difficultés et d’autres États, Saxe et Wurtemberg, risquaient de le suivre. Le roi de Bavière fut donc très aimablement, mais aussi très instamment prié de se trouver à Versailles le jour de la proclamation solennelle du Reich. Sentant que le souverain serait une noix dure à casser, Bismarck chargea le ministre Delbrück d’aller porter la demande à Munich. Louis reçut le plénipotentiaire mais, totalement sourd à son discours, ne l’entretint encore que du dogme de l’infaillibilité pontificale. Le quartier général allemand fut transféré à Versailles au début du mois d’octobre 1871. Les ministres bavarois arrivèrent le 20 octobre. Apprenant que son frère s’y trouvait, Louis exigea son retour immédiat et le reçut très fraîchement. Comme dans tous les moments difficiles, le roi songeait à abdiquer ; il avait même fait préparer le décret rendant possible son départ. Il s’aperçut vite que son cadet, agité, hagard, était en plus mauvais état que lui. Cette porte de sortie lui était fermée. Bismarck, changeant de tactique, invita alors le roi de Bavière à venir à Fontainebleau rencontrer son cousin le roi de Prusse. Louis refusa une fois de plus : les dents… Cette dérobade fut une erreur. Guillaume Ier, beaucoup moins entreprenant que son chancelier, trouvait que ce dernier le menait à trop grandes guides. Un homme habile et surtout résolu, faisant appel aux liens du sang et aux droits d’une ancienne couronne tout en s’appuyant sur les autres États du Sud, eût sans doute pu obtenir des concessions. Connaissant le goût du roi de Bavière pour Trianon, Bismarck crut adroit d’offrir au jeune roi de l’y loger. Terrible erreur ! Le château de la
reine martyre ! Sacrilège ! Louis, offusqué et réellement en proie à ses fréquentes rages de dents, se mit au lit. Depuis sa chambre, il fit renouveler par le comte von Bray sa demande de compensations territoriales, celle d’une indemnité colossale et le projet fou d’une Couronne impériale zigzaguant entre deux têtes royales. Autour de lui, ministres, diplomates et famille se liguaient pour qu’il cédât, mais le statut de prince médiateur et surtout de vassal qu’on voulait lui imposer l’humiliait trop profondément. La patience de Bismarck avait cependant des limites. Il fit savoir que si le roi de Bavière ne pouvait se déplacer, il lui suffirait d’offrir la Couronne impériale à son cousin par écrit. Et d’un seul jet, le chancelier rédigea sur un coin de bureau la lettre que Sa Majesté n’aurait qu’à recopier. Il confia le papier au comte Holnstein. Toujours grand écuyer à la cour de Bavière, le comte était déjà intervenu entre les deux hommes. Avec lui revient en scène un personnage de premier plan, bien que souvent négligé. La plupart des historiens allemands parlent de lui comme d’une éminence grise auprès de Louis II. Cette importance est confirmée par ce qu’écrivit l’ambassadeur de Bavière à Berlin, le comte Hugo von Lerchenfeld auf Köfering und Schönberg : « Seul un homme à côté de Richard Wagner joua un certain rôle dans la vie de Louis II, ce fut le comte Max von Holnstein. » L’important est bien entendu de savoir en quoi consistait ce rôle. Maximilien von Holnstein aus Bayern était né dans l’une des plus grandes familles du royaume. Son grand-père était le fils illégitime, mais reconnu, de l’Électeur de Bavière et futur empereur Karl-Albrecht2. Le blason des Holnstein est fièrement barré du bâton rouge de bâtardise qui loin d’être une marque d’infamie était au contraire la preuve d’une ascendance illustre, fût-elle de la main gauche. Le père de Maximilien avait la charge de grand chambellan à la cour. Son épouse, Caroline, née baronne von Spiering, était l’une des plus belles femmes de son temps et, à ce titre, figure en bonne place dans la célèbre galerie des Beautés. On murmurait qu’elle était la fille illégitime du prince Charles, grand-oncle du roi. Si cela est vrai, le comte Holnstein était lié aux Wittelsbach par son père et sa mère. Il devait lui-même épouser une petite-fille du prince Charles. Né en 1835 dans le palais Holnstein à Munich, Maximilien connut la famille royale très tôt. Quand la trop belle comtesse quitta son mari pour un baron, l’époux abandonné se montra généreux, accordant une pension à
la coupable et acceptant que son fils unique fût élevé avec les enfants qui allaient naître de cette union. Les contemporains évoquent le mauvais caractère du comte Holnstein, sa brutalité et un manque très net de délicatesse. Desmond Chapman-Huston parle du personnage presque avec horreur et n’hésite pas à écrire qu’il « savait employer les moyens les moins scrupuleux ». Élisabeth Fontaine-Bachelier évoque le « sinistre comte Holnstein ». Le fait est que plus un ouvrage est documenté sur la question, plus le jugement de l’auteur est sec. À la cour, Holnstein était surnommé Roßober, soit l’« Excellence rouge », par allusion à ses cheveux roux, couleur des traîtres, comme chacun sait. Dès sa jeunesse le comte donna des exemples d’un certain manque d’honnêteté. En 1863, il eut une vilaine affaire de duel où il fut question de pistolets intentionnellement déchargés. Condamné en 1866 à plusieurs années d’emprisonnement, il fut gracié par le jeune Louis II qui lui donna la place de grand écuyer qui revenait à sa famille. Il est certain que Holnstein fut proche du roi qu’il impressionnait par son audace et son énergie, pour ne pas dire son culot. Certains auteurs ont suggéré une proximité plus physique, mais Alfred Wolfsteiner qui l’a affirmé dans un ouvrage fort innocent sur le Palatinat s’est vu intenter un procès par le petit-fils de l’Excellence rouge, SiegfriedRichard von Holnstein. Bien que l’éditeur et l’auteur eussent aussitôt offert de retirer la phrase litigieuse, le procès eut lieu. Il semble que la cour régionale de Munich devant laquelle l’affaire fut plaidée au mois de septembre 2005 se soit surtout occupée de savoir jusqu’à quelle date il était raisonnable de remonter pour défendre l’honneur – ou ce que l’on considérait comme tel – de ses ancêtres et que la question n’ait pas été véritablement tranchée. De telles incidences expliquent pourquoi les jugements des historiens sur Roßober, tout en étant sévères, restent dans une prudente réserve. Le comte Holnstein avait commencé par s’entremettre dans les délicats rapports entre le roi et Wagner. Il est fort possible que le compositeur qui devait arriver à hauteur de la poitrine de l’irascible comte se soit alors montré plus accommodant sur les questions financières. En imposant au roi de plusieurs façons – il a été avancé, mais sans preuves, que étant entré en possession des lettres passionnées de Paul von Thurn und Taxis, il aurait pu faire chanter Louis II –, le comte devint rapidement un conseiller politique. Lors de la crise de 1870, Holnstein conduisit directement les négociations avec Bismarck. Celui-ci s’était tout de suite assuré ses bons
offices par une prime de 164 000 marks. De plus, une redevance annuelle de 17 000 marks devait lui être versée si les choses se terminaient heureusement pour la Prusse. Enfin, au cas où il faudrait soudoyer le roi – ce qui a été envisagé –, une somme s’élevant à 10 % de la gratification destinée à Sa Majesté lui reviendrait3. Ce fut le 19 novembre 1870 que l’ambassadeur de Prusse à Munich envoya un télégramme à Bismarck4 : Très secret – Le roi de Bavière a de grandes difficultés financières. Six millions de florins seraient les bienvenus à condition que le gouvernement ne le sache pas. Pour cette somme, il serait prêt à accepter la proclamation de l’Empire et à se rendre à Versailles. Le but du voyage du comte Holnstein est d’évoquer cette question avec votre Excellence.
Ce télégramme ne reflétait que la façon de voir – très optimiste – de l’ambassadeur et surtout les dires du comte Holnstein. En fait, la décision du roi était prise depuis un moment. Déjà il a confié à son frère que puisque toute résistance était inutile, il devrait se soumettre dans l’intérêt du pays. Otto, aussi patriote que Louis, lui répondit aussitôt : Écoute encore une fois ma voix. Je t’en supplie, ne fais pas l’horrible ! Quelle force impérative pourrait donc obliger un roi à abandonner son indépendance et à reconnaître audessus de lui un autre supérieur que Dieu 5 ?
Quand la reine mère, voulant réconforter un fils qu’elle savait déchiré, souhaita le voir, Louis répondit : « Je ne suis pas d’humeur à recevoir une princesse prussienne. » Pendant que le roi tentait encore de gagner du temps, Holnstein arrivait à Versailles où, le 25 novembre, il rencontra Bismarck à l’insu des autres négociateurs bavarois. Il repartit avec la lettre que le chancelier avait écrite afin qu’elle fût recopiée par le roi. Bismarck avait pris soin de faire précéder le texte d’un paragraphe lyrique destiné à panser l’orgueil blessé de Sa Majesté. Puis Holnstein repartit aussi discrètement qu’il était venu. Il fut à Hohenschwangau le 30 novembre à 10 heures du matin. Le roi qui souffrait plus que jamais des dents n’accepta de le recevoir qu’à 16 heures. Pénétrant dans la chambre empestée de vapeurs de chloroforme, Holnstein annonça fermement qu’il devait repartir à 18 heures pour rendre compte à Bismarck de leur entrevue, ce qui laissait peu de temps à la réflexion. Après avoir écouté son grand écuyer, Louis II lut lentement la lettre qui lui était destinée puis, sans mot dire, se leva et alla la recopier sur un bureau.
Votre Altesse toute-puissante ! Bienveillant frère et cousin ! L’entrée de l’Allemagne du Sud dans la Confédération va étendre sur tous les États allemands les droits de présidence que possède Votre Majesté. J’ai déjà approuvé l’idée de leur réunion en une seule main dans la conviction que ce changement répondrait aux intérêts de la patrie commune et de tous les princes alliés ; ayant en même temps confiance que ces droits qui, d’après la Constitution, sont l’apanage de la présidence fédérale, demeureront, après la restauration de l’Empire allemand et de la dignité impériale, les droits qu’exercera Votre Majesté au nom de la patrie entière en vertu de l’union des princes. En conséquence, je me suis tourné vers les princes allemands pour leur proposer en ma compagnie d’inviter Votre Majesté à joindre le titre d’Empereur allemand à l’exercice des droits de la présidence fédérale. Dès que les princes alliés m’auront fait connaître leur volonté, je chargerai mon gouvernement de faire le nécessaire pour établir les conventions correspondantes. Avec l’assurance de ma haute considération et amitié, je reste le bienveillant cousin, frère et neveu de votre Majesté. Louis Hohenschwangau, le 30 novembre 1870 6
Ce Kaiserbrief écrit de la main de Louis II est considéré comme l’acte de naissance de l’Empire allemand. La copie faite et, sans plus barguigner, le roi recopia une seconde lettre, également préparée par Bismarck, par laquelle il invitait tous les princes allemands à suivre son exemple. Le chancelier de fer ne l’avait pourtant pas ménagé, lui faisant transcrire : Je suis fier à la pensée que ma situation en Allemagne et l’histoire de mon pays m’appellent, à ce qu’il me semble, à faire le premier pas pour le couronnement de l’œuvre de l’unité allemande.
Mais le vin était tiré, il fallait le boire et Louis s’exécuta. Tentant une dernière manœuvre dilatoire, il tendit la lettre à Holnstein accompagnée d’un mot pour le pauvre Eisenhart qui devait la sceller. Le roi donnait toute latitude à son secrétaire de cabinet pour changer la rédaction du texte et même pour le déchirer s’il le jugeait bon. Eisenhart n’était pas un héros et n’avait nulle envie de faire des confettis du document qu’attendait le
terrible chancelier. Il apposa le sceau royal et le comte repartit pour Versailles. Le 3 décembre, le prince Luitpold alla porter la lettre au roi Guillaume qui gémissait sous le poids de la Couronne impériale. Bismarck satisfait envoya un télégramme de félicitations à Louis II « pour sa nouvelle conduite et ses sentiments patriotiques ». Le roi qui souffrait mille morts chargea Luitpold d’aller rappeler à Guillaume ses anciennes propositions et, d’abord, celle d’une Couronne impériale alternant entre les Hohenzollern et les Wittelsbach. Cette tentative désespérée se heurta à un refus glacial. Toutes les demandes du roi furent repoussées, mais la proposition financière du comte Holnstein fut retenue. Afin d’éviter de perpétuelles demandes de fonds, la somme versée par Bismarck au roi de Bavière le fut sous forme d’une rente annuelle. À partir du premier versement en 1871 jusqu’à la mort du roi en 1886, 300 000 marks partirent chaque année de Berlin vers Munich, le paiement se faisant par l’intermédiaire du comte Holnstein. À la suite d’un accord personnel passé entre celui-ci et le roi, Bismarck ne sut pas que Sa Majesté reversait 10 % de la somme à son Oberstallmeister ; il faut dire que le roi de son côté ignorait que Bismarck versait également ce pourcentage à Holnstein. Ce furent donc 60 000 marks que Max von Holnstein reçut chaque année pour ses bons services. La somme versée au roi de Bavière était importante puisqu’elle doublait à peu près le montant de sa liste civile, mais n’était pas considérable au regard des dépenses engendrées par les constructions royales. Bismarck puisait cet argent sur des fonds secrets qui n’avaient de secret que leur utilisation. Appelés les fonds Welfs (Welfenfonds), ils désignaient les biens pris au royaume de Hanovre quand, en 1866, George V – le roi aveugle – s’était engagée du côté de l’Autriche de façon beaucoup moins timide que ne l’avait fait Louis II. L’Autriche battue, Hanovre avait été annexé par la Prusse et la fortune du roi confisquée. La Chambre de Prusse en laissa l’entière disposition au gouvernement afin de « lutter contre les ennemis du pays », ce qui laissait une grande latitude quant à leur destination. Bismarck ayant assuré qu’il détruirait « ces reptiles », les fonds furent aussi appelés les « fonds reptiliens » (Reptiliens fonds). Le chancelier puisa souvent dans cette caisse noire pour acheter des soumissions. En spécialiste de la manipulation de la presse et de l’opinion, il l’utilisa aussi pour corrompre les médias.
Pour tenter de défendre la mémoire de Louis II et assurer que si Holnstein avait été corrompu le roi avait gardé les mains pures, il a été avancé que la construction des châteaux n’était pas assez avancée pour que celui-ci eût besoin d’argent. L’argument n’est pas valable, car, si le Jardin d’Hiver se trouvait terminé, Neuschwanstein était toujours un immense chantier et les travaux de Linderhof débutaient. Déjà le roi méditait d’édifier un troisième château. De toute façon, donner une connotation morale à la reddition de Louis II n’a guère de sens. Le roi n’a pas été acheté au sens où on l’entendrait normalement. Il était fort peu intéressé par l’argent, lequel n’avait aucune réalité pour lui. L’argent n’était qu’un attribut de la royauté qui devait arriver dans ses caisses aussi naturellement que la Couronne était tombée sur sa tête. Louis II avait aussi compris qu’il lui fallait passer sous les fourches caudines de la Prusse. Perdu pour perdu, autant que la Prusse paie. À son oncle Luitpold, il écrira à propos de celui qu’il appelait toujours « le roi de Prusse » : « J’espère qu’il s’acquittera convenablement de la dette de reconnaissance qu’il me doit, à moi et à la Bavière ! » Le paiement très régulier du pays honni explique qu’en dépit de sa haine de la Prusse le roi non seulement n’appellerait jamais à former un gouvernement antiprussien, mais ne prendrait plus un seul ministre probavarois dans son gouvernement. Holnstein veillait, il est vrai, à ce que ce point du programme fût respecté. La présence continue du comte près du souverain fit certainement partie de la négociation, car le roi garda près de lui presque jusqu’à la fin un homme qu’il détestait, comme il le confiera en 1873 à Felix Dahn. Les éminences grises sont en principe choisies par celui pour lequel elles travaillent, Holnstein – l’homme de Bismarck – fut subi par Louis II. Un débat très vif dont Bismarck redoutait l’issue se déroula au Landtag de Munich du 11 au 25 janvier 1871. Il fallait une majorité des deux tiers pour entériner l’adhésion de la Bavière au Reich ; elle ne fut dépassée que de deux voix. L’ancien ministre Pfordten écrivit : « Il y a soixante-dixhuit ans, les Français ont assassiné leur roi ; aujourd’hui les députés bavarois ont livré leur roi et leur pays à la suprématie militaire prussienne. Finis Bavariae ! » Le 18 janvier 1871, la cérémonie de la proclamation de l’Empire allemand se déroula dans la galerie des Glaces à Versailles, laquelle avait servi d’hôpital pour les blessés allemands. Un tableau d’Anton von Werner
a immortalisé la scène. Campé au centre de l’œuvre, sanglé dans un uniforme blanc au milieu des uniformes noirs, Bismarck semble illuminer la galerie où l’on distingue à peine, sur le côté et de profil, le nouvel empereur. La question du titre qu’il devait porter fut débattue. Guillaume voulait celui d’empereur d’Allemagne quand Bismarck tenait pour celui d’empereur allemand qui respectait davantage l’amour-propre des princes. Frédéric de Bade prêta le serment au nom de ses pairs ; il s’en tira heureusement en criant : « Longue vie à Sa Majesté impériale et royale, l’empereur Guillaume7. » Quand il descendit de l’estrade, le nouvel empereur, furieux, passa devant Bismarck sans le regarder. Les rois de Saxe et de Wurtemberg, ayant imité Louis II, étaient absents. Le prince Otto de Bavière et son oncle, le prince Luitpold, représentaient le roi. Après la cérémonie, Otto écrivit à son aîné : Hélas, Louis, je ne puis te dire avec quelle douleur infinie j’assistai à cette cérémonie ; combien chaque fibre de mon être se révoltait contre ce que je vis et entendis. […] J’étais oppressé dans cette grande salle et c’est seulement en sortant à l’air que je repris mon souffle8.
Lors de la signature des traités, Louis II allait obtenir que la Bavière conservât ses ambassades, son armée, ses postes et ses chemins de fer. Il n’était cependant plus question d’indépendance ; on parlait désormais d’autonomie. Le roi avait sans doute sauvé ce qui pouvait l’être, mais ni lui ni son frère ne se remettront de l’épreuve. L’empereur proclamé, Louis II dut boire le calice jusqu’à la lie et subir les échos de l’enthousiasme populaire, lire les journaux où on l’appelait « Louis le patriote » ou « Louis l’Allemand », ce qui le révulsait. Il écrivit à Mme von Leonrod qu’il redoutait le retour des troupes, car « elles répandront encore plus dans le peuple, déjà suffisamment contaminé, ces maudites idées proprussiennes et mensongères sur l’Allemagne9 ». Le 16 juillet, dernier supplice, il lui fallut recevoir à Munich son cousin détesté, l’arrogant kronprinz, pour un défilé de la victoire devant une foule qui exultait. « C’est ma première chevauchée de vassal », dit-il en montant à cheval. Deux ans plus tard, en 1873, il confiera au poète Felix Dahn, alors que tous deux se trouvaient au chalet de Schachen : Le prince héritier, après le défilé de mes troupes dans ma capitale – ah je ne lui pardonnerai jamais cette heure ! –, a dit à la gare d’Augsbourg à un officier : « Regardez, Monsieur, dans
quelques années j’aurai annexé ce beau pays10 ! »
Dahn, proprussien, protesta et finit par se taire, horrifié « lorsque les flammes d’une haine terrifiante, mortelle et abyssale envers le kronprinz flambèrent de ce cœur malade11 ». Le lendemain de l’arrivée du kronprinz à Munich, Louis II ne prononça que quelques mots lors du dîner qui avait été prévu sur l’île aux Roses. Par courtoisie, il offrit à son cousin le titre de colonel dans l’un de ses régiments. Frédéric répondit qu’il devait en référer à son père. Il ajouta, voulant peut-être être aimable, que son embonpoint se glisserait mal dans la finesse de l’uniforme des uhlans. Louis ne goûta pas la plaisanterie. Très pâle, il se leva : l’empereur commandait donc partout, même ici, chez lui, le roi de Bavière ! Il sortit, lançant au chef de cabinet qui tentait de le retenir : « Si vous croyez que c’est agréable d’être avalé ! » Le lendemain, il créa un nouveau scandale en refusant de paraître au banquet de neuf cents couverts qui devait avoir lieu au Glaspalast. Toutes les prières et les instances furent inutiles ; les princes Luitpold et Adalbert représentèrent le roi. À quatre heures du matin, Louis II monta dans une voiture et s’enfuit à Berg. « L’évasion est mon instinct essentiel », avait-il écrit. Le roi humilié courait se réfugier au sein de sa chère nature. Louis dut, un mois plus tard, recevoir l’empereur Guillaume à Hohenschwangau. À peine aimable, le roi ne parla durant tout le repas que de fous et de folie… En 1874, tiré et poussé par son gouvernement, il se trouva contraint d’aller saluer l’empereur à la gare de Munich où il ne l’entretint que du risque que présentaient les Hohenzollern pour les Wittelsbach. Cette plaie vive ne se fermera jamais. La royauté était pour le roi de Bavière irréfragable et sacrée, s’il n’était pas un « vrai roi », selon l’expression de son grand-père, il n’était plus rien. La perte de l’indépendance de la Bavière aggrava considérablement l’état du roi comme celui de son frère. Sorti désespéré et profondément dépressif de cette seconde guerre, Louis devait désormais haïr à la mort tout ce qui était prussien. Il refusera de prêter au kronprinz la maison royale de Berchtesgaden pour des vacances et se mettra en rage contre les autorités de Bad Kissingen et d’Augsbourg qui recevront le cousin détesté ; plus tard, il songera à le faire tuer. Le roi refusera même d’être soigné par
un dentiste prussien, fût-il le meilleur de l’époque. On n’ose penser quelle eût été sa réaction s’il avait appris qu’on lui destinait une princesse prussienne. Louis ignora que, aux fins de resserrer les liens entre Prusse et Bavière et, surtout, de le surveiller, l’épouse du kronprinz avait eu l’idée de proposer à Chlodwig von Hohenlohe de faire épouser au roi la fille du prince Frédéric-Charles de Prusse, neveu du nouvel empereur. Hohenlohe répondit prudemment que « cette douce et jolie jeune fille n’avait pas l’énergie nécessaire pour exercer une influence sur le roi ». On ne sait si le prince expliqua plus longuement pourquoi l’idée n’était pas excellente, toujours est-il que la princesse Louise-Marguerite n’avait pas quinze ans et que l’affaire fut enterrée. Quant au kronprinz tant haï, il ne survivra que deux ans au roi de Bavière. Devenu Frédéric III en mars 1888, alors qu’il était gravement malade, il sera « l’empereur de quatre-vingt-dixneuf jours ». L’aversion du roi pour tout ce qui était prussien n’épargnera qu’en partie Bismarck qui, de son côté, manifesta toujours respect et estime à l’égard de Louis II. Ayant obtenu ce qu’il voulait, le chancelier aura beaucoup d’égards pour un prince qui, à ses yeux, n’avait fait en lui résistant que son devoir, alors que tant d’autres s’étaient couchés. Il soigna autant qu’il le put l’orgueil blessé, allant jusqu’à imaginer un ancien vasselage des Bismarck envers les Wittelsbach. Le chancelier sollicitera chaque année du roi de Bavière l’autorisation d’aller faire sa cure à Bad Kissingen et le remerciera par de longues lettres aussi chaleureuses que déférentes. Plus d’une fois, il lui écrira pour l’informer d’une situation. Louis lui en fut reconnaissant, de même qu’il se montra convenable quand, au mois de juillet 1874, Bismarck fut victime d’une tentative d’assassinat durant sa cure sur les terres bavaroises. La lettre qu’il lui adressa à cette occasion fut aussi élégante que concise. Tenace, le roi trouva le moyen de placer dans une situation pourtant délicate (la balle du fanatique avait manqué Bismarck de peu) la question des droits de la Bavière : « Je place fermement en vous ma confiance et je crois comme vous l’avez dit vousmême à mon ministre… que vous emploierez à fond votre influence politique à faire du principe fédéral la base du nouvel état des choses en Allemagne12. » Aller plus loin et peindre le roi oublieux du drame de 1871 et presque admiratif du chancelier serait faux comme le prouve une lettre écrite à Wagner le 9 août 1878 : « Ce misérable Empire allemand tel qu’il se présente, grâce au froid prussianisme sans idéal, et à la direction de ce
Junker brandebourgeois me fait, à moi aussi, horreur au dernier point13. » Dire que le roi de Bavière n’avait aucune considération pour les junkers brandebourgeois serait rester très au-dessous de la vérité. Le 10 mai 1871, le traité de Francfort acheva l’œuvre de la guerre en ôtant à la France le nord de la Lorraine et toute l’Alsace. Le vaincu devait en outre régler une très forte indemnité. À Tribschen, Wagner et Cosima avaient fêté fort joyeusement la défaite de la France. Bien que née de mère française et élevée à Paris, la jeune femme exultait. Le couple souhaitait que la France « reçût un coup pour chaque mesure de Tannhäuser », l’opéra jadis sifflé dans la capitale. Richard aurait voulu que Paris, comparé à la « prostituée du monde », fût brûlé en vue de cette régénération qui lui était si chère. Pour se moquer du pays vaincu qui pourtant l’avait abrité, il composa une sinistre pochade, Eine Kapitulation, où les Parisiens étaient comparés à des rats sortant des égouts. Songeant à changer de mécène et à remplacer le petit roi de Bavière par l’empereur victorieux, Wagner se précipita à Berlin avec une belle Kaisermarsch sous le bras. Il fut reçu par Bismarck qui, sidéré par tant de présomption (selbstbewusstsein), devait écrire : « J’admets que je ne manque pas d’estime de moi-même, mais jamais je n’ai observé chez un Allemand un développement aussi ample de cette particularité que chez Wagner. » Il eut la malice d’assurer au compositeur que, s’il ne pouvait satisfaire ses demandes de subsides, c’était aux fins de ne pas offenser le roi de Bavière. Wagner comprit qu’il n’avait rien à attendre du chancelier : « Nous ne pouvons que nous contempler réciproquement », écrivit-il avec son habituelle modestie. Bismarck conseillera à Guillaume Ier de garder ses distances et son argent ; celui-ci n’était ni artiste ni dépensier et tint le plus grand compte de cet avis. Wagner proposera encore de composer une œuvre en l’honneur des soldats tombés au champ d’honneur ; on l’en dispensa. Le Norddeutsche Allgemeine Zeitung écrivit même que le compositeur ne devait pas se prendre pour le fermier général de l’esprit allemand ; ce fut la fin des tentatives de musique militaire de Wagner.
IX
Des journées entières dans les arbres Ce furent vingt ans de solitude soigneusement entretenue pendant lesquels ce prince […] organisa à son usage une extraordinaire existence d’ermite couronné. Jacques Bainville
La Constitution imposait au roi de résider quatre mois dans sa capitale. Après la guerre de 1870, Louis II poursuivit un temps de sacrifier à une obligation qui lui était extrêmement désagréable en février-mars, puis en octobre-novembre. Il passait ce temps de pénitence calfeutré entre ses appartements et son Jardin d’Hiver. Bien qu’ayant lancé les chantiers de Neuschwanstein et de Linderhof avant la guerre et fait l’acquisition, dès 1871, de l’île de Chiemsee afin d’y bâtir le « Versailles bavarois », il demeurait fidèle au petit château de Berg qui restait « sa base ». La bâtisse que Maximilien II avait fait flanquer de lourdes tours néogothiques était plus une maison noble qu’un véritable château. Dans cette demeure qu’il avait aimée dans son enfance, le roi n’apporta pas la moindre fantaisie : pas de grotte, de cabinets des glaces ou de maison orientale ; il se contenta d’ajouter une chapelle dans le parc. Louis ne toucha pas non plus à l’île aux Roses. À Berg, le roi menait une vie très ordinaire comme l’atteste la description que laissa l’ambassadeur à la cour de Bade, Robert von Mohl, qui y vint pour la première fois au mois d’octobre 1871 : Je m’attendais à trouver des merveilles dans le château et le jardin et j’ai été très déçu. Le jardin, si l’on excepte quelques parterres de fleurs, se réduit à un bois en pente au pied duquel serpente un étroit sentier qui suit le bord du lac. Le château est petit, étriqué, et extrêmement
simple. L’appartement du roi, en particulier, contraste étonnamment avec celui de la Residenz, qui est surchargé d’ornements. La domesticité m’a paru des plus bizarres. Je savais que le roi vivait tout seul à Berg, avec quelques serviteurs et, en tout et pour tout, deux personnages officiels : l’aide de camp, qui est logé à part et que le roi reste parfois des semaines sans rencontrer, et le secrétaire du cabinet qui est également logé dans un cabinet séparé. Je n’en ai pas moins été surpris de constater que le château n’est absolument pas gardé, et qu’il y règne le plus grand désordre. […] Pour occuper le temps, j’inspectai un peu l’installation. Je fus frappé par la simplicité des pièces du premier étage : très peu d’œuvres d’art ; médiocres ou quelconques ; pas (ou très peu) de meubles anciens. Dans les couloirs et les vestibules j’ai aperçu une cohorte de valets, de laquais, de marmitons, etc., revêtus de livrées assez peu reluisantes. La maison entière dégageait une odeur déplaisante de produits chimiques utilisés en photographie*1. Bref, le mélange de dignité royale, de retraite monastique et de célibat on ne peut plus bohème me parut tout à fait étrange1.
Tous les témoignages concordent. Le roi qui construisait des palais fastueux vivait seul dans une maison glaciale, laide, mal meublée et qui sentait mauvais. Qu’aurait dit l’ambassadeur de Bade s’il avait su que le roi de Bavière, quand il ne se trouvait pas à Berg, vivait dans des « cabanes », de petites maisons de montagne, très difficilement accessibles, et qu’il passait la plus grande partie de son temps à courir de l’une à l’autre à travers les forêts qu’il aimait ? Le château de Berg avait été, au début du règne de Louis II, un excellent point de départ pour les longues chevauchées que le jeune roi affectionnait. Certaines pouvant durer huit jours, le cavalier faisant halte dans des auberges de campagne ou des relais de chasse du roi Maximilien II. Louis en fit restaurer quelques-uns, en construisit d’autres. Près de vingt-cinq « cabanes » ont été recensées, certaines ont disparu, d’autres se visitent encore aujourd’hui. Les contemporains parlent de cabanes ou de hüttes, mais on trouve tous les modèles, de la plus modeste petite maison de rondins jusqu’à la villa du Schachen qui avait le titre de maison royale. Il faut ajouter à ces logements alpestres plusieurs chambres ou petits appartements loués à l’année dans des auberges. Louis avait pris goût très jeune aux cabanes, la reine mère emmenant souvent ses fils au Bleckenau situé à une petite heure de marche de Hohenschwangau. Dans ce faux chalet suisse construit par son époux, on se régalait de pommes de terre au four et de brochets que la reine avait elle-même pêchés. Marie avait aussi tissé les serviettes sur lesquelles on
s’essuyait les doigts, avant de boire le café qu’elle servait de ses blanches mains. C’était dans ce Trianon alpestre et rustique que Louis II invitait tous ses domestiques le jour de la fête des Rois. Toutes les cabanes du roi Louis II sont situées en montagne, voire en haute montagne, généralement juste au-dessus de l’étage forestier qu’il fallait franchir ; toutes sont devant un panorama magnifique et à proximité d’un petit lac. Ainsi le roi qui voyagea très peu – il fit trois courts séjours en France et trois en Suisse – ne tenait pas en place. Louis II fut un roi itinérant, courant sans cesse de ses châteaux à ses chères hüttes. Il fuyait la ville qu’il vivait comme une prison et les hommes dont l’autisme l’écartait de plus en plus. Dans la montagne, le roi, entouré de beauté, vit à sa guise et n’est soumis à aucun jugement. À Mme von Leonrod qu’il venait de retrouver, il écrivit depuis sa cabane de l’Halbammer, aujourd’hui détruite : Ce fut pour moi une véritable joie de te revoir et de pouvoir parler longuement avec toi, tu me comprends si bien et ils sont peu à en être capables. Je suis et je resterai incompris, si bien que je me sens toujours plus écœuré du monde et que je me replie sur moi2.
Le refrain « les hommes sont mauvais et la nature est bonne » revient dans presque toutes les lettres de Louis II qui, après le choc de 1871, s’enfuyait précipitamment de ses châteaux dès qu’un visiteur se trouvait annoncé. L’archiduc Rainier d’Autriche le fit détaler de Hohenschwangau comme le prince Napoléon, le kronprinz prussien et l’empereur d’Autriche le chassèrent de la Residenz. Le roi donnait comme raison à ces départs précipités son besoin de « respirer l’air des montagnes ». Ces évitements répétés ne manquaient pas d’étonner. Parce qu’il recherchait ses chères montagnes, Louis II ne vécut que dans la partie méridionale de son pays. On pourrait dessiner un triangle n’ayant guère plus de 60 km de côté dont une pointe serait appuyée au nord sur Munich – ou Berg – et dont la base irait du château de Hohenschwangau au sud-ouest jusqu’à celui de Linderhof à l’est. Au milieu de ce triangle se trouve le lourd massif toujours enneigé de la Zugspitze et ses 2 962 m qui en font le point culminant non seulement de la Bavière, mais de toute l’Allemagne. Le palais de Herrenchiemsee où le roi n’alla pas dix fois est, plus à l’est, en dehors de ce domaine d’élection. Quant à la villa royale de Berchtesgaden, proche de la frontière autrichienne, Louis n’y retourna plus
après l’été de 1864 et son séjour avec Paul von Thurn und Taxis. En fait, le roi tournait autour du grand massif alpestre comme un écureuil dans sa roue. Les déplacements avaient lieu à la belle saison en voiture. Les routes, se rétrécissant en chemins, puis en petits sentiers, appelaient plusieurs changements ; aussi passait-on du carrosse à la calèche et de celle-ci à une voiture basse à deux roues. Louis prévenant toujours de son départ au dernier moment, les relais devaient être prêts, quel que fût le temps. En hiver, le roi adoptait le célèbre traîneau dont les habitants des Alpes bavaroises ont gardé un souvenir ébloui*2. Les paysans guettaient son passage. Quand on entendait les clochettes d’argent tinter, les vieux « s’éloignaient du poêle en boitant », les jeunes filles abandonnaient leurs rouets et les parents réveillaient les enfants qui se précipitaient à la porte d’entrée discrètement entrebâillée. La légende du Märchenkönig traversant la nuit dans son traîneau de conte de fées, tiré par quatre chevaux blancs – parfois six –, naquit bien avant la mort du roi. La gracieuse coque bleu, argent et or, ciselée, festonnée, ornée de tritons, filait à travers les forêts. Une élégante victoire tenait une couronne qui semblait suspendue audessus du voyageur. Par un procédé inédit, elle était éclairée à l’électricité, ce qui faisait scintiller l’or des statues, des harnais et jusqu’au magnifique diamant qui ornait le chapeau du roi. Les piqueurs, porteurs de torches et les écuyers en costume Louis XV grelottaient de froid, tandis que Louis, enveloppé dans une couverture de zibeline offerte par le tsar de Russie, poursuivait son rêve. Tous ces voyages n’étaient pas sans danger, car le roi aimait aller vite et ne tenait aucun compte du temps qu’il faisait. La course de l’attelage fut souvent arrêtée par de monstrueuses congères. Vingt chevaux étaient parfois nécessaires pour tirer le chasse-neige. Louis II connut maints accidents. Près de Linderhof, il échappa de peu à l’avalanche qui ensevelit le fourgon des cuisines ; les paysans de la région de Linderhof mirent trois jours à le dégager. Comme on ne peut décrire ici vingt-cinq cabanes, il suffira de dire que l’une des plus modestes, sinon la plus modeste était la Hochkopfhütte utilisée dès le début du règne comme étape au cours de longues chevauchées. Louis l’appréciait tant qu’il incita vivement Wagner à aller s’y reposer après la création de Tristan au mois d’août 1865. Le compositeur n’avait pas l’âme bucolique, il tenait beaucoup à son confort
et même à un confort douillet, aussi fut-il épouvanté par le caractère rustique de l’installation. Accompagné d’un domestique, il avait fait péniblement l’ascension pour arriver au soir, épuisé et trempé de sueur, dans une bicoque sans lumière et sans eau. L’aménagement était sommaire puisque le roi évoque dans ses lettres des « paillasses ». Vêtu de sa chemise de nuit de soie blanche, Wagner erra une partie de la nuit à la recherche d’un peu d’eau. « C’était la confusion totale, on marchait à tâtons dans la montagne, dans la forêt. En vain ! » raconte-t-il dans son Journal. La hutte n’était pas son genre, aussi se sauva-t-il promptement de l’inconfortable Hochkopf en jurant que l’on ne l’y reprendrait pas, ce qui n’empêcha pas le roi de s’y rendre pour chaque anniversaire du compositeur d’où il lui écrivit : « Cette cabane est pour moi sacrée comme un temple du Seigneur. » Louis II tentera encore de prêter l’une de ses hüttes à Wagner qui préférait pour ses vacances un palais vénitien. La cabane du Pürschlinghaus perchée sur une aiguille au-dessus du château de Linderhof ou la Pappenheimhütte à mi-chemin entre ce château et Hohenschwangau étaient aussi des bicoques. D’autres, sans être plus confortables, disposaient de quelques bâtiments annexes qui pouvaient servir de cuisine et d’écurie. À l’opposé, le Schachen accéda au titre de « villa royale ». Bâtie sur les pentes du massif du Wetterstein au sud de Garmisch-Partenkirchen, la maison avait une vue sublime. Louis II l’avait fait construire à partir de 1869 sur le plan d’un chalet suisse à deux étages. Tout en bois et très découpée, la villa a la grâce d’une pagode. Le roi y donna libre cours à sa passion du décor, faisant aménager au premier étage une salle octogonale à l’orientale avec divans, narghilés, fontaine de marbre, plumes d’autruche et vitraux de couleur qui baignaient la pièce dans une lumière mauve. Louis se rendait deux fois par an au Schachen où il passait l’époque de son anniversaire – et de sa fête – le 25 août, cela après l’enfermement de son frère, car auparavant la tradition familiale voulait que la famille se trouvât ce jour-là réunie à Hohenschwangau. Le roi ne recherchait sans doute pas le confort bourgeois dans lequel prospérait Wagner, mais il ne partait pas non plus dans ses montagnes pour camper. Sa Majesté entendait maintenir dans les hüttes une partie de son train de vie et surtout de ses habitudes. Pour commencer, l’hygiène du roi, très rigoureuse, ne tolérait aucune entorse. Sa Majesté devait pouvoir se plonger dans un bain chaud quand Elle arrivait sur les sommets. L’eau – et la baignoire – étaient donc
transportées. Des toilettes étaient toujours astucieusement dissimulées dans un mur, la rapidité d’action des domestiques – de l’autre côté du mur – devant alors pallier le manque d’eau. Un repas chaud – que l’on qualifierait aujourd’hui de pantagruélique – devait être rapidement servi. Le train de porteurs et de serviteurs qui suivait le roi était proportionnel à l’importance des cabanes et, bien que l’on mît beaucoup à contribution la population locale, nombre de textes décrivent une véritable caravane apportant tout le nécessaire, lequel comprenait l’argenterie et un service en porcelaine de Chine. Un billet adressé le 17 septembre 1879 par le contrôleur Zanders, qui en voyage servait de majordome au garde forestier responsable du Schachen, précise : Comme Sa Majesté se rendra le vendredi 19 de ce mois sur le Schachen, j’adresse ci-dessous à vos bons soins les recommandations que vous aurez la bonté de bien vouloir mettre en œuvre : 1 – Donner l’ordre au chauffeur Lödermann de convoyer très tôt le 19 sur le Schachen 300 litres de bière, 80 livres de viande de veau, 14 grosses miches de pain de seigle. 2 – Le 19 après-midi à 3 heures à Elmau, 16 porteurs pour les cuisines doivent se tenir prêts, et à 8 heures du soir, à nouveau 10 hommes pour les valets de chambre. 3 – Je vous demande de faire pomper 4 hommes durant toute la journée dans la réserve d’eau. 4 – Le 19 dans la matinée envoyer deux jeunes filles au Schachen*3. 5 – Le vieux Groll doit se procurer 6 litres de lait et 6 litres de crème3 […].
Le cuisinier Hierneis accompagnait souvent le roi dans ses pérégrinations. Il rapporte le menu servi le 24 août 1885 au Schachen pour le dernier anniversaire que le roi y fêta : Potage aux herbes liées Écrevisses au beurre Bœuf aux champignons Choux-raves aux ris de veau Ponche à la glace Chevreuil rôti Crêpes aux pommes
Œufs à la neige Glace aux bananes 4 Ce menu qui utilise au mieux les produits locaux était considéré comme extrêmement simple. Selon l’habitude du roi, un punch glacé était souvent servi avant le rôti, à la façon d’un « trou normand », l’alcool étant censé libérer l’estomac. L’été de 1885 sera le dernier que le roi passera au Schachen. La villa existe toujours et se visite après une marche (de trois ou quatre heures) sur un sentier forestier où Louis II s’est certainement promené. Qu’il se trouvât dans l’une ou l’autre de ses cabanes, le roi allait chaque jour marcher à travers sa chère forêt. La nature était son refuge, sa consolation et un sanctuaire qu’il protégeait jalousement. Écologiste avant l’heure, le roi s’opposa à tout projet qui pouvait y porter atteinte. En 1884, Richard Hornig lui apprit qu’une société s’était formée pour chercher du pétrole et entreprendre des sondages dans la réserve du Vorderriß, le but étant de créer une usine de paraffine près de ce que l’on appelait les « fosses à pétrole ». Le roi alerta immédiatement le ministre de l’Industrie ; quatre jours plus tard le projet était interrompu. Louis s’opposa aussi vigoureusement à une étude ferroviaire autrichienne dont le propos était de franchir les Alpes pour passer en Bavière. Le journaliste Anton Memminger, responsable du programme, fut convoqué. L’homme était une forte personnalité. Journaliste et imprimeur remuant, très ouvert aux questions sociales et, par ailleurs, expert en matière de voies ferrées, il se passionnait aussi pour les druides. Son amitié avec Feuerbach et des propos incendiaires tenus sur la tombe de celui-ci lui avaient coûté un exil en Suisse ; le roi l’avait gracié. Après lui avoir rappelé le nombre de voies ferrées qui traversaient déjà les cols alpins, Louis II ajouta : Cela suffit encore pour longtemps. Je ne pense pas que le bonheur d’un peuple dépende du nombre de ses voies ferrées, et encore moins de l’avenir de la Bavière et du Tyrol. Je refuse la destruction de la solitude idyllique et de la nature romantique, qui est encore plus belle en hiver qu’en été, par des voies ferrées et des usines. Indépendamment de moi viendra aussi pour les autres l’époque où ils seront heureux de pouvoir encore se réfugier sur des territoires que la cupidité, la technique et la précipitation du monde moderne n’ont pas encore contaminés et qui offrent loin du bruit, de la cohue, de la fumée et de la poussière des villes encore de nombreux havres de paix5.
Ces paroles prononcées à l’hiver 1878 étaient visionnaires. Le roi mit un veto très ferme au projet ferroviaire qui fut abandonné. Louis II passait souvent la frontière du Tyrol, très proche de ses châteaux de Linderhof et de Hohenschwangau. La reine mère avait une maison à Elbigenalp où ses fils l’accompagnèrent puisque l’on trouve sur le chambranle d’une porte les traits qu’elle creusa dans le bois pour marquer leur taille. Louis mesurait alors un mètre quatre-vingt-dix ; ce sera dans cette petite station de montagne que la malheureuse apprendra la mort de son aîné. Le roi séjournait dans de nombreuses auberges, sa préférée étant celle du Fernstein. Il y louait à l’année un petit appartement : deux chambres et une cuisine, et avait chargé son décorateur, Dollmann, de l’aménager. Une chambre fut tendue de satin damassé rose, l’autre de satin bleu. Louis y fit accrocher, comme dans plusieurs de ses cabanes, un portrait de Marie-Antoinette. Le roi était certes attiré par la beauté du site, mais aussi par la spécialité culinaire de l’auberge que Hierneis dut apprendre à réaliser puisqu’elle devint le plat préféré du roi. Le Hechtenkraut n’était pas, à vrai dire, une recette pour débutants. Le brochet devait d’abord être cuit au four et refroidi afin que l’on pût enlever jusqu’à la plus petite arête. Après quoi, la chair était détaillée en petits morceaux. Puis l’on faisait rissoler les oignons avant d’alterner dans un plat couche de brochet et couche d’oignons. Il suffisait alors de saupoudrer l’appareil de queues d’écrevisse soigneusement décortiquées et de chapelure avant de recouvrir le tout d’une sauce au beurre et d’enfourner une demi-heure. On sait que la cuisine de la fin du XIX e siècle était assez riche, mais celle du Tyrol mérite certainement une mention spéciale. C’était seul, bien entendu, que le roi dégustait son brochet, seul qu’il se promenait dans la forêt et seul qu’il repartait vers une autre cabane, un autre panorama, un autre lac. Louis suivait presque toujours le même itinéraire et à la même date. En 1880, alors qu’il se trouvait à Linderhof, le secrétaire de cabinet Bürkel prenant ses ordres lui demanda : — Votre Majesté a-t-elle encore un souhait particulier ? — Selon mon Journal, je dois me trouver demain sur le Schachen, et si Dieu le veut, également l’année prochaine. Veillez donc, mon cher Bürkel, à mettre en œuvre les préparatifs pour mon départ demain.
De là cortège de porteurs, commande de trois cents litres de bière,
pompage de l’eau, etc. À plusieurs reprises, le roi fit remarquer qu’il était « réglé comme une montre ». Il en confiera la raison à Felix Dahn lors du long entretien qu’ils eurent en 1873 au Schachen : Si je n’avais pas réglé ma vie comme une montre, je ne supporterais pas la solitude.
Piégé dans sa roue, Louis confiait encore : Non, je ne peux plus sortir de la solitude ! parfois quand je suis trop fatigué et lorsque tout est si calme, je ressens un besoin irrésistible d’entendre une voix humaine. Je fais appeler alors n’importe quel valet qui doit me parler de son pays et de sa famille, sinon je perdrais même l’usage de la parole6.
Richard Hornig dira que le roi avait pourtant besoin de contacts humains. Il ne les trouvait que dans le monde des paysans et des forestiers. Louis II entrait facilement dans une auberge ou devant une ferme, s’arrêtait pour interroger les habitants sur leur famille et leur travail. Quand il pouvait garder l’anonymat, il était aux anges. Un aubergiste du Tyrol qui ne l’avait pas reconnu l’amusa beaucoup en l’entretenant des chevreuils qu’il allait régulièrement voler au roi de Bavière. Un berger, qui, voyant s’échapper une vache, somma le promeneur qui passait de l’aider, fut bien heureux que celui-ci ramenât la bête égarée. Le dimanche, le roi assistait à la messe dans de petites chapelles de montagne à côté des villageois. Les paroissiens laissaient sortir en premier ce grand homme au regard doux qui acceptait avec beaucoup d’affabilité les bouquets que lui offraient parfois des enfants. Le monde des montagnes l’adorait et ne recevait de lui que de belles attentions. La bonté du roi était connue de tous ; qui allait demander une grâce l’obtenait. Le roi ne refusa jamais son pardon qu’aux violeurs ; attenter à la pureté était pour lui le pire des crimes. Le pouvoir qu’il avait de gracier lui causait un profond tourment. Un soir de Noël, la reine mère, surprise de voir lors de la messe Louis pleurer le visage dans ses mains, fit signe au prince Luitpold assis auprès du roi. En réponse à ses questions, Louis murmura le nom d’un assassin qui allait être exécuté ; c’était la seule grâce refusée sur une période de plus de dix ans. La bienveillance de Louis II s’accompagnait d’une extraordinaire générosité. Il a été écrit qu’on ouvrirait plusieurs musées avec les cadeaux offerts par le cher Märchenkönig. Pièces d’or, bagues, montres, pendules et portraits ont été
transmis de génération en génération. L’extrême délicatesse avec laquelle le roi oblige est touchante. Apprenant que la femme de l’hôtelier chez qui il descendait était tombée malade alors qu’elle se trouvait à Munich, le roi écrivit à son propre médecin pour qu’il allât la visiter puis, au retour de la dame, lui fit offrir une aubade par un petit orchestre, ce dont elle fut si heureuse que, chaque année, ce fut renouvelé. L’affaire la plus émouvante est peut-être celle de la vieille Liesi, domestique de la Residenz. Le roi l’ayant informée qu’il irait à Hohenschwangau pour la semaine sainte où elle devrait le suivre s’aperçut de sa déception. Interrogée, Liesi avoua qu’elle se réjouissait de rester à Munich pour aller sur les tombes. Louis répliqua qu’il avait besoin d’elle et l’affaire semblait close quand il revint dire à la servante qu’il resterait à Munich – la capitale détestée – pour ne pas contrarier ses projets. Louis II était un homme foncièrement bon. Les paysans l’aimaient en Bavière comme au Tyrol où l’on affirmait volontiers : « notre vrai roi est celui de Bavière ». Tous seraient allés au feu pour lui et le prouveraient quand on tentera de l’arrêter. Il est à retenir que ces paysans et ces forestiers seront très étonnés quand on leur parlera de la folie du roi. Les témoignages en ce sens étant assez nombreux, plusieurs auteurs les utilisent pour montrer un roi – certes doté d’un peu d’originalité – mais, somme toute, parfaitement normal. Cela appelle une précision. La lettre qui fut adressée le 8 juin 1886 par le prince Luitpold à l’empereur d’Allemagne pour l’avertir de la destitution de Louis II précise que « depuis longtemps Sa Majesté ne fréquente plus les personnes de sa condition ». Le roi, qui affirmait : « tout contact avec le monde me blesse », parlait avant tout de son monde, celui de la ville, de la cour, du gouvernement, non des forêts et des campagnes où il se trouvait relativement à l’aise. Le monde de Munich le jugeait fou, celui des Alpes le portait aux nues. Cela n’a rien d’étonnant tant les relations entretenues par Louis avec ces deux milieux étaient bien différentes. Avec le monde des campagnes, le roi n’avait que des entretiens très brefs que Sa Majesté pouvait interrompre quand Elle le voulait. Les interlocuteurs émus osaient à peine lever les yeux vers leur bienfaiteur, leur Märchenkönig. Près d’eux, le roi se sentait respecté et aimé. Avec les « gens de sa condition », il se sentait jugé. Ceux-là étaient au courant de ses diverses bizarreries, lesquelles ne pouvaient pas toutes être mises sur le compte de l’originalité. Il n’était évidemment pas normal de faire ouvrir une église au milieu de la
nuit afin de prier pour Marie Stuart, de faire asseoir son cheval pour qu’il mangeât dans une assiette au sein d’une grotte copiée sur celle de Capri, d’embrasser les colonnes et d’offrir son trône au premier beau garçon venu. La presse existait et le monde de la ville n’ignorait pas que le roi fuyait ses devoirs de représentation, qu’il refusait de voir les membres de son gouvernement, les ambassadeurs, les princes étrangers et qu’il s’absentait de sa capitale jusqu’à n’y plus paraître. Il n’avait pas non plus oublié les folies faites pour Wagner et la façon dont le roi s’était laissé humilier par le couple détesté. Il s’étonnait de la course perpétuelle entre les cabanes, comme de la construction en « fondu enchaîné » de châteaux grandioses dont la liste semblait ne pas devoir finir. La fréquentation du peuple des montagnes était sans doute un réconfort pour le roi. En lui permettant d’exercer sa bonté naturelle, elle le gratifiait, mais ce ne pouvait être une compagnie. Lui restait-il le refuge qui subsiste pour la plupart des hommes : une famille ?
*1. Louis II avait fait installer une salle de développement. *2. Il exista au moins quatre exemplaires du fameux traîneau, dont l’un se trouve aujourd’hui au musée des Carrosses de Munich. *3. Elles devaient procéder au ménage avant l’arrivée du roi.
X
Sans famille Après l’humiliation de 1871-1872, le roi s’éloigna non seulement de la cour, mais aussi de sa famille. Il aimait pourtant les siens – certains d’entre eux – mais ceux-ci sortaient tout simplement de son monde, comme si un courant les avait emportés. Pour s’isoler, le roi utilisa l’étiquette. L’idée très haute qu’il avait de la royauté avait été très durement battue en brèche lors des traités de 1872, ce qui le poussa à s’accrocher à des formes extérieures comme à autant de petites forteresses à défendre. Plus le roi sentait le talon de la Prusse l’écraser, plus il devenait sourcilleux sur les questions de protocole. Le grand-duc de Weimar s’étant permis dans une lettre de lui parler de « leurs liens et devoir communs », Louis entra en fureur. Ce minuscule grand-duc se permettait de le conseiller et de lui parler de devoirs ! Un roi ne reçoit pas de conseils et, par-dessus tout, un roi n’a pas d’obligation. Un roi n’est obligé à rien, un grand-duc, peut-être. Que pouvaient avoir de commun un grand-duc et un roi, un véritable roi, comme Louis XIV, Louis XV et Louis XVI ? Tout ce qui lui semblait une atteinte à ses droits faisait désormais bondir Louis II toutes griffes dehors. Restant toujours courtois, il fit une réponse qui, dans son esprit, restait mesurée ; elle dut tout de même laisser Charles-Alexandre de SaxeWeimar-Eisenach pensif : Il se peut que Votre Altesse royale n’ait pas eu l’intention de prendre le rôle d’un conseiller en parlant de devoirs, en tout cas, c’est l’apparence ; elle n’est pas de nature à me faire plaisir. Je ne puis que déplorer que vos désirs se soient exprimés d’une façon si étrange qui me procure un étonnement que je ne puis cacher. Votre Altesse royale constate donc que, si Sa lettre devait me procurer du plaisir, elle a manqué son but1.
Quant à la charmante Maria de la Paz, si délicatement reçue après son mariage avec Louis-Ferdinand, le cousin très estimé du roi, il lui fut demandé par l’intermédiaire d’une dame d’honneur de faire des révérences plus profondes devant Sa Majesté. La jeune femme fit répondre que, ne connaissant en fait de monarques que sa mère et son frère*1, elle ignorait comment elle devait se conduire en de telles circonstances. La signature du roi était désormais toujours suivie de ces mots : « YO EL REY », soulignés, ornés de fioritures presque à chaque page des Carnets secrets. Des ordres furent donnés aux journaux afin que tous les pronoms concernant Sa Majesté commencent par une majuscule. Dans ses lettres, le roi ne parlait plus de lui-même qu’à la troisième personne. Les princes de la famille royale (surtout le détesté Luitpold et sa progéniture) durent demander des autorisations pour lancer des invitations (chez eux…) ou se déplacer. La liste des exigences, mesquines si on ne les savait sorties d’un cerveau malade, serait sans fin… Otto n’échappa pas au nouveau régime. Après 1871, le roi ne tutoya plus son frère, lui parla à la troisième personne et l’appela « Votre Altesse royale ». Le malheureux, atteint de troubles mentaux, ne put malheureusement être d’aucune aide à son aîné. Dès la fin de la guerre, Louis II, lui-même très mal, dut faire face à la démence de son frère. La folie d’ Otto, au contraire de celle du roi, n’a jamais été niée par les historiens, car elle fut beaucoup plus spectaculaire. Comme le note Jean Adès, Otto est le « vrai fou », le fou caricatural, celui dont les enfants se moquent et qui finit dans une cellule capitonnée. Otto est tellement fou qu’il a dispensé son frère de l’être : la foudre ne peut frapper deux fois au même endroit. Justement si, puisque la génétique joue un rôle dans l’affaire. On ne pouvait alors simplement imaginer que la folie pût se manifester de façon si différente chez les deux frères. En 1871, Otto avait vingt-trois ans. Il était, lui aussi, un beau jeune homme (certains contemporains l’estiment plus beau que son frère), grand et mince, aux yeux bleus et aux cheveux châtain clair parfaitement lisses. Né un mois après la révolution qui avait chassé son grand-père Louis Ier du trône, il fut élevé dans une grande proximité avec son aîné. Comme tous les cadets royaux, il suivit une carrière militaire, entrant dès quinze ans au service de l’armée bavaroise avec le grade de sous-lieutenant. En 1864, il intégra le corps des cadets, obtenant rapidement le grade de lieutenant. Nommé capitaine à sa majorité, il commença son service actif dans le
régiment d’infanterie de la garde et prit part à la guerre austro-prussienne de 1866, puis à celle de 1870 durant laquelle il dirigea le 5e régiment de chevau-légers bavarois. Il semble avoir été un jeune homme simple et charmant sur qui l’histoire ne s’attarde guère ; à peine parle-t-on d’un coup de cœur pour une jeune baronne, laquelle, lors d’un pique-nique, lui aurait offert deux fraises que le garçon conserva toute sa vie dans une boîte sur sa poitrine. L’histoire veut que la jeune fille eût été rapidement dirigée vers un couvent… Ce qui est certain c’est que Thérèse-Charlotte de Bavière, troisième enfant et seule fille du prince Luitpold, fut amoureuse de son cousin. Jolie, équilibrée, très cultivée, Thérèse de Bavière ne se mariera pas et se vouera à sa passion des voyages, de l’ethnologie, de la zoologie et de la botanique, domaines dans lesquels ses travaux seront reconnus. Depuis l’adolescence, Otto connaissait des crises de délire plus prononcées et plus fréquentes que celles de son frère. Elles redoublèrent à partir de 1871. Le 6 janvier de cette année, soit avant que ne se déroulât la cérémonie qui vit la proclamation de l’Empire allemand dans la galerie des Glaces, Louis II écrivit à la baronne von Leonrod qui avait élevé les deux enfants : C’est vraiment un spectacle terrible de voir Otto souffrir ainsi ; son état s’aggrave de jour en jour. À certains égards, il est encore plus nerveux et surexcité que la tante Alexandra, ce qui n’est pas peu dire ! Il reste parfois quarante-huit heures sans aller se coucher. Songez que pendant huit semaines, il n’a pas enlevé ses chaussures ; on dirait un fou : il fait des grimaces épouvantables, il aboie comme un chien, il lui arrive même de dire les pires grossièretés. Et puis, de nouveau, il redevient normal2.
Et c’est ce garçon sujet à de graves épisodes délirants que Louis envoya assister à sa place au triomphe du roi de Prusse à Versailles. Avant de quitter cette ville, Otto fut reçu par le kronprinz prussien qui fut stupéfait de trouver son cousin fiévreux, hagard, secoué de tremblements. À la fin de la même année, Louis écrivait à sa tante, la reine Amélie de Grèce : Otto est dans un état déplorable. Si cela continue, il va devenir comme la tante Alexandra. Il souffre d’une surexcitation morbide proprement effrayante3.
Les médecins conseillèrent une cure à Elbigenalp dans le Tyrol autrichien, laquelle n’amena aucune amélioration, puis parlèrent d’un
semi-enfermement. On choisit pour cela le château de Nymphenburg, alors un peu en dehors de Munich, où la tante Alexandra se trouvait déjà internée. Louis lui fit part de sa décision par lettre : Je me suis décidé à ordonner que Votre Altesse aille dans les trois jours à Nymphenburg et s’installe dans l’appartement que Votre Altesse royale a déjà habité.
En août 1873, le trio familial se réunit pour le vingt-huitième anniversaire de Louis. Le roi amena son frère à Hohenschwangau où leur mère les attendait. Cette année-là, tous trois fêtèrent Noël ensemble ; ce fut la dernière fois. Bientôt, la maladie du cadet ne connut plus de rémission, alternant périodes de prostration totale durant lesquelles Otto demeurait mutique, refusant de se nourrir, et périodes délirantes. Le pauvre prince sortait encore, quoique rarement. Le 30 mai 1875, jour de la fête du Corpus Christi, Otto déclencha un scandale dont fut témoin l’ambassadeur d’Angleterre, sir Robert Morier qui, le 30 mai 1875, rapportait l’incident à son gouvernement : Le roi, qui est en froid avec l’Église, avait refusé d’y assister et il n’avait pas accordé aux princes l’autorisation d’y prendre part. L’esprit du prince Otto semble avoir été troublé (ses hallucinations ont pris récemment un tour religieux). Au moment où la procession entrait dans la cathédrale, il força le barrage des soldats qui contenaient la foule, se précipita dans l’église, vêtu d’une veste de chasse et d’un chapeau à larges bords, et se jeta sur les marches de l’autel aux pieds de l’archevêque en entonnant à tue-tête une confession générale de ses péchés. On eut toutes les peines du monde à l’emmener dans la sacristie et à lui faire retrouver un peu de calme4.
Les fautes dont s’accusait le malheureux étaient d’ordre sexuel et blasphématoire. Avant même ce scandale, Louis, épouvanté, avait acheté le joli château jaune et blanc de Fürstenried, isolé dans un parc de Munich, où Otto fut interné en 1878. Il y restera jusqu’à sa mort. Le roi veilla à ce que son frère fût traité avec les égards dus à son rang, mais n’alla jamais visiter le pauvre fou ; la peur était trop forte, l’humiliation aussi. Le roi lisait les rapports médicaux et suivait les progrès d’un mal qui le touchait également. Otto enfermé à Fürstenried, la tante Alexandra à Nymphenburg où Louis était né, les châteaux de Munich devaient-ils tous servir à garder les fous de la famille ? En cette maudite année de 1875, la tante Alexandra mourut à l’âge de quarante-neuf ans. Alors que les théâtres fermaient en
signe de deuil, le roi scandalisa l’opinion en se faisant jouer pour lui seul sa pièce préférée sur Louis XIV. Il écrivit ensuite à sa tante, la reine de Grèce : Bien que les survivants soient toujours attristés par la disparition définitive d’un membre du cercle de famille, dans le cas de la chère tante Alexandra, ç’a été vraiment un bien. Les souffrances continues dues à sa maladie nerveuse n’étaient que trop rarement interrompues par des moments de bonheur5.
« C’est une délivrance », dit en pareil cas le bon sens populaire. Alexandra de Bavière était si jolie que le roi Louis Ier, son père, avait placé son portrait dans la galerie des Beautés, si cultivée qu’elle se faisait un jeu de traduire les grandes œuvres littéraires françaises, mais elle était schizophrène, comme Otto, comme le roi, plus que jamais débordé par la peur de la folie. Le 15 juin 1876, l’état de son frère évoluant vers une régression psychotique incurable, Louis dut approuver sa radiation de l’armée. En 1878, la maladie mentale d’Otto fut officiellement reconnue. Comme il l’avait avoué à Elisabet Ney, le roi se savait condamné au même destin, mais il tentait de toutes ses forces de repousser la vérité et filait, fuyait, se terrait. Louis était roi, c’était sa raison d’être, mais si on le découvrait malade, il connaîtrait le sort d’Otto et d’Alexandra, on l’enfermerait, on ferait de lui un mort vivant et « le dernier des valets pourra lui montrer le poing ». Alors, « utilisant la royauté comme un refuge6 », il cachait son mal comme jadis un lépreux cachait sa lèpre et se débattait seul dans une souffrance qui ne pouvait avoir de répit. À qui se confier ? Qui pouvait-il interroger ? Les psychiatres qui soignaient Otto ne lui parlaient que d’un mal sans remède qui irait en empirant. Une fois cependant, en février 1882, le roi, s’entretenant avec l’écrivain américain Lew Vanderpoole, se serait laissé aller à des confidences. L’emploi du conditionnel est nécessaire puisque cette interview parue à la fin de 1886, peu après la mort du roi, dans un respectable mensuel de Philadelphie7, reprise – avec délices – par presque tous les biographes de Louis II est depuis peu suspectée d’être un faux. Vanderpoole, venu en France pour des recherches généalogiques, aurait eu accès au roi de Bavière grâce à une lettre d’introduction de Gambetta. Jusque-là rien d’impossible, Gambetta étant alors chargé du ministère des Affaires étrangères. Certes, le ministre incarnait l’esprit de résistance français face à
l’Allemagne, mais pour Louis II, cette Allemagne était la Prusse abhorrée. La conversation aurait d’abord concerné Edgar Allan Poe. C’est encore vraisemblable. Le roi connaissait certainement son œuvre ; plusieurs histoires de Poe avaient été traduites en allemand et Louis, qui parlait parfaitement le français, avait eu accès à la traduction faite en 1857 par Baudelaire des Histoires extraordinaires. Il aurait donc confié à Vanderpoole : « je donnerais mon trône pour parler une heure avec Edgar Allan Poe afin de connaître les pensées uniques et étranges qui l’ont apparemment poursuivi durant toute sa vie, avant d’ajouter : […] je crois qu’il existe entre la nature de Poe et la mienne une certaine similitude8 ». L’inclination de l’écrivain à la solitude et à la rêverie et, surtout, son goût pour le fantastique auraient suscité chez le roi un très grand intérêt. Ce dernier aurait, au cours de cette longue conversation, livré bien plus : Ni mon père ni ma mère n’avaient une sensibilité anormale ni ne devaient lutter contre des scrupules exagérés. Autant que je puisse le juger, ils prenaient la vie comme elle vient. Je crois que c’était aussi le cas des parents d’Edgar Allan Poe.
Les parents du grand écrivain américain étaient des comédiens pauvres qui payèrent un lourd tribut à l’alcool : le père, gravement alcoolique, mourut prématurément, Edgar devint alcoolique comme l’était également son frère ; quant à leur jeune sœur, handicapée mentale, elle resta toute sa vie sous tutelle. Mais si l’alcoolisme pouvait être curable, la schizophrénie – qui n’était pas encore nommée – ne l’était pas. Le roi chercha constamment les raisons de son état. Pourquoi était-il différent ? Pourquoi fuyait-il ses semblables ? Pourquoi le moindre contact avec le monde le blessait-il, selon sa propre expression ? Il n’aurait pas eu tort de chercher du côté de ses parents, mais on ignorait tout alors des lois de la génétique et l’homme demeurait seul avec ses interrogations et ses terreurs. C’est vraiment un malheur d’être comme je le suis, aurait poursuivi Louis. Je suis pourtant ainsi parce qu’une volonté plus forte que la mienne m’a ainsi fait. C’est ma seule consolation et l’unique justification de mon existence. Si tout ce que j’ai lu et personnellement observé ne me trompe, une bonne partie de ce que l’on appelle “folie” n’est en vérité qu’une hypersensibilité.
Que Louis II ait ou non prononcé ces mots, il n’en reste pas moins que, s’il est une grandeur au personnage, elle se trouve dans la lutte qu’il mena seul contre la folie et dans le tribut de souffrance que cela représenta. Par
ailleurs, une autre similitude existe entre Edgar Allan Poe et le roi Louis II de Bavière : tous deux devaient mourir dans des circonstances aussi tragiques que mystérieuses. Plusieurs faits relatifs à la réalité de cet entretien suscitent actuellement des interrogations. L’absence du nom de l’écrivain américain sur la liste des étrangers présents à Munich lors de l’interview n’est en rien décisive. Vanderpoole peut avoir ignoré la démarche ou l’avoir négligée. Dans quelle langue les deux hommes se seraient-ils entretenus ? Vanderpoole précise dans son article qu’il parle français, or le fait n’est pas certain. Louis II savait cependant assez d’anglais pour s’exprimer dans un tête-àtête. Pourquoi l’auteur américain a-t-il attendu la mort du roi pour publier leur conversation ? Parce que Louis aurait très bien pu accepter de ne recevoir l’écrivain qu’à la condition que rien ne transpire de leurs échanges. L’élément le plus délicat reste que, l’année suivant la parution du fameux article, Lew Vanderpoole fut convaincu d’escroquerie littéraire pour avoir vendu la traduction d’un roman que George Sand n’avait jamais écrit, mais qui était, paraît-il, remarquable. Cette Princess Nourmahal provoqua l’arrestation du coupable à Long Island. La méfiance qui avait totalement fait défaut pendant cent trente ans allant aujourd’hui grandissant, la connaissance par Louis II de l’œuvre d’Edgar Poe est également mise en doute, ce qui serait aller un peu vite. Le roi lisait toute la journée, en allemand, en français et même en anglais puisque l’on sait qu’il dévorait Shakespeare dans le texte. Les livres arrivaient par caisses à Berg, à Linderhof et dans tous les châteaux où il se trouvait. Sa dernière demande, faite au docteur von Gudden le matin de sa mort, fut « de faire transférer sa bibliothèque du Nouveau Château de Hohenschwangau9 » à Berg. Il serait tout à fait étrange que Louis, attiré par le fantastique, eût ignoré Edgar Poe. Par-delà la controverse qui s’est déclenchée à la fin de 2017, il n’en demeure pas moins que le texte publié par Lew Vanderpoole en 1886 montre une telle connaissance de la psychologie de Louis II qu’il n’a pas suscité de soupçon. Robert Lutz, l’éditeur qui en publia pour la première fois la traduction en allemand à Stuttgart en 1887, à la suite d’un ouvrage de psychiatrie, avait tout de même fait précéder l’article d’une note : L’appendice en annexe a été publié à Philadelphie dans la revue Lippincott’s Magazine ; puisque son contenu porte le sceau de la vraisemblance et qu’aucune autre raison n’existe pour
justifier l’existence d’une mystification, nous avons cru bon de porter à nos lecteurs cet article psychologiquement intéressant.
Tout le problème résidait dans ce « sceau de la vraisemblance », lequel est parfois bien différent du sceau de la vérité. Si l’entretien entre le roi et Vanderpoole est effectivement un faux, un mystère demeure. Comment l’écrivain fit-il pour avoir une connaissance si fine, si intime de Louis II dès la fin de 1886 ? Se non è vero, è ben trovato ! Quant à Otto, il ne recevait plus que les visites de sa mère, laquelle attendait dans un salon, parfois des heures, que son pauvre fils, toujours entre prostration et fureur, fût en état de la voir. Elle rendait compte à Louis de l’état dans lequel elle avait trouvé le malade ; le roi ne cessa jamais de correspondre avec elle sur le sujet. Elle nota dans son Journal que le docteur Solbrig, psychiatre qui avait la confiance de la famille, étant mort au mois de mai 1872, la surveillance médicale d’Otto fut confiée à partir de la fin de l’année au docteur Bernhard von Gudden. Pour la première fois apparaît le nom de l’homme qui accompagnera Louis II dans la mort. L’attitude du roi vis-à-vis de sa mère fut en grande partie déterminée par la maladie. S’il l’évitait tant que possible ce n’était pas uniquement en raison des multiples reproches qu’il pouvait lui faire. Le fils entendait aussi lui cacher sa maladie et sa façon de vivre. Les lettres qu’il lui envoie sont courtes, mais toujours pleines de déférence et souvent tendres. En 1884, le roi s’étant « énervé » en présence de la reine mère, lui écrivit aussitôt une lettre pour tenter de s’expliquer, l’une des seules dans lesquelles il s’excuse. Le contexte permet de la dater du 25 août, jour de l’anniversaire et de la fête du roi : J’éprouve le besoin de vous remercier une fois encore de vos merveilleux cadeaux qui m’ont fait infiniment plaisir. Je les admire beaucoup, et je vous exprime ma plus profonde gratitude. Parce que j’avais passé une mauvaise nuit à Partenkirchen – je m’étais couché tard – j’étais assez énervé ce matin. Je me suis laissé aller à parler du plan de Herrenwörth (dont je parle très rarement) et qui malheureusement ne sera pas prêt avant longtemps ; je vous supplie de ne rien dire à personne de ce que j’ai discuté avec vous ce matin. Avec mes remerciements renouvelés, ma chère mère, et mes meilleurs souhaits de bonne nuit, je suis en toute affection
Votre fils reconnaissant Louis 10
La construction du château de Herrenwörth – le troisième que Louis II faisait édifier – se heurtait à des problèmes d’argent, cette difficulté était pour le roi à la fois incompréhensible et tragique, aussi évoquer la question avait-il certainement induit une phase de délire. Ce qui lui importait en s’expliquant auprès de sa mère était que celle-ci se tût sur les folies débitées. Il pouvait être tranquille, la reine Marie était discrète. Courageuse elle aussi, elle endura avec patience et dignité la maladie de ses deux enfants. Louis vit sa mère pour la dernière fois à la mi-octobre 1885. De bon matin, le roi partit de Linderhof dans un carrosse d’apparat pour se rendre à Hohenschwangau fêter le soixantième anniversaire de la reine mère. Ils passèrent une journée ensemble durant laquelle le roi fit les honneurs de Neuschwanstein. Ils se dirigèrent ensuite vers la « cabane » du Bleckenau. Ils partagèrent ce qui devait être leur dernier dîner dans le petit chalet suisse. Le fils dormit la nuit suivante dans le château familial et repartit le lendemain pour Linderhof. Louis et Marie continueront de correspondre mais ne se reverront plus. Le roi Louis II de Bavière eut en fait trois mères. La reine Marie le mit au monde. Sybille Meilhaus fut la nounou qui accompagne, sécurise, cajole et console. Le roi devait lui conserver toute sa vie une grande tendresse et une entière confiance. Le 27 août 1872, il lui écrivait depuis l’un de ses chalets de montagne : « Tous ces chers objets me parlent de vous, à qui je dois tant depuis ma plus tendre enfance. Jamais, jamais, je ne l’oublierai […] cela me fait tant de bien de vous parler, à vous que mon cœur chérit d’un amour fidèle et profond depuis les jours heureux et bénis de mon enfance11. » Elle lui répondait toujours avec douceur, se préoccupait de sa santé et, le roi lui ayant rappelé comme il s’amusait avec Peter, le fils du jardinier, avouait : « Votre Majesté jouait si volontiers avec lui que je devais constamment livrer de grands combats avec mon cœur quand je devais vous séparer de lui. » La baronne von Leonrod ramenait Louis au vert paradis des bonheurs enfantins. Elle incarnait la tendresse maternelle, la bonté et le dévouement ; sa mort en 1881 fut un grand chagrin pour le roi qui fit édifier sur sa tombe un monument de marbre où il était rappelé que la gisante fut la seule nounou du roi Louis II de
Bavière. La tsarine Maria Alexandrovna fut la mère de la maturité, le modèle vénéré, la personne à laquelle on peut ouvrir son cœur et dont on attend les conseils. Depuis l’été 1864 et le premier et merveilleux séjour à Kissingen, le roi vouait à la tsarine une adoration à la fois filiale et passionnée. Maria Alexandrovna était une femme austère, réservée, qui sut traverser de grandes épreuves avec courage ; or susciter l’admiration était l’un des plus sûrs moyens d’accéder au cœur de Louis. Le roi s’émerveillait de sa sagesse, de sa force et surtout de la façon dont sa foi lui permettait de sublimer les épreuves. La tsarine avait perdu sa première fille à l’âge de six ans. La tuberculose tua en 1865 son aîné, le tsarévitch Nicolas. L’impératrice avait emmené son fils à Nice où il mourut à l’âge de vingtdeux ans alors qu’il venait de se fiancer à la princesse Dagmar de Danemark. Les parents firent construire une chapelle sur le lieu du décès où se trouve aujourd’hui la cathédrale orthodoxe de Nice. Le frère cadet du défunt, Alexandre, épousera la belle et hiératique Dagmar avant de succéder à son père ; ils seront les parents du dernier tsar, Nicolas II. Dans l’année qui suivit la mort de Nixa, le tsar, visitant l’Institut Smolny où l’on éduquait les jeunes filles de la noblesse, tomba amoureux de la princesse Catherine Dolgorouki, de trente ans sa cadette*2. Il enleva la jeune fille, entamant une liaison dont allaient naître quatre enfants. Peu soucieux de délicatesse, il devait installer sa seconde famille dans un appartement du palais situé juste au-dessus de celui de la tsarine. Non seulement Maria Alexandrovna endura la situation sans se plaindre, mais elle s’abstint de se joindre aux sarcasmes de la cour et de critiquer « la favorite ». En 1868, Louis II retrouva le couple impérial à Kissingen et fut plus que jamais sous le charme de la tsarine. Revenu à Berg, complètement bouleversé, il la bombarda de lettres débordant d’adoration : J’ai rempli autant que j’ai pu la promesse que je vous fis durant ces jours de tout mettre en œuvre pour entretenir de bonnes relations avec ma mère, mais il m’était et il me sera impossible d’éprouver pour elle les sentiments que j’ai pour vous dans mon cœur, ma chère tante ; Car je vous aime avec le même feu sacré qu’éprouvait pour vous Nixa et que rien ne peut éteindre, avec un amour dont je sais que même la mort ne peut le détruire, cet amour qui par sa pure puissance réunit dans l’autre monde ceux qui ont été séparés dans la vie, en ces lieux de félicité éternelle que Dieu promet à ceux qui L’aiment12.
Maria Alexandrovna représentait pour lui l’idéal de pureté qui fut toujours celui qui l’exaltait le plus. Dès 1865, il écrivait à son ministre Pfordten : « Cette femme si profonde fit sur moi l’impression d’une sainte. L’aura de la pureté l’environne. » La tsarine était aussi une femme forte, sans doute la seule qui osât lui parler fermement. Le roi la vénérait. C’est d’un cœur qui déborde qu’en 1868 le jeune homme la supplie, alternant comparaisons mystiques et supplications enfantines, de venir à Berg après sa cure. Courtois, il ajoute : « Certainement que l’empereur se plaira également ici. » Celui-ci préféra regagner rapidement Saint-Pétersbourg où l’attendait Catherine Dolgorouki. Maria Alexandrovna, peu pressée de retrouver une situation pénible, accepta l’invitation du roi de Bavière. Pourquoi Louis II convia-t-il une souveraine habituée au faste des palais impériaux russes dans le petit manoir de Berg, plutôt qu’à la Residenz ou à Hohenschwangau ? Le roi détestait Munich, et sa mère – la vraie – résidait à Hohenschwangau ; il ne pouvait être question de confronter la sublime Maria avec la prosaïque Marie. Louis choisit donc d’accueillir la tsarine dans sa maison de célibataire, comptant sur les beautés du lac de Starnberg pour charmer son invitée. Dès que, le 20 septembre, celle-ci eut annoncé sa venue, ce fut le branle-bas de combat. Se retirant dans une annexe, le roi décida de laisser à son invitée la disposition de l’ensemble de la maison. Il fallut évacuer les caisses de livres qui envahissaient l’espace et, surtout, tenter de recréer la disposition de l’appartement dont l’impératrice avait l’habitude. Celle-ci avait des exigences précises. Elle voulait des chaises cannées ; il n’en existait pas dans le château de Berg, aussi eut-on recours au mobilier de l’appartement du jardinier en chef. Même chose en ce qui concernait la présence près du lit d’une table volante demandée en plus d’une table de nuit. Le roi n’eut que six jours pour opérer de véritables miracles. Le 26 septembre, très nerveux suivant ses propres dires, il alla au-devant de la voyageuse qu’il emmena jusqu’à Berg sur son vapeur, le Tristan, abondamment pomponné et fleuri. Il note dans son Journal : « La chère contrée sanctifiée par Elle, oui c’est par Elle qu’elle reçoit la vraie consécration ; au travers des délices et des suites heureuses qui m’ont épanoui, je tirerai encore longtemps, longtemps une force sacrée13. » Le roi offrit ce soir-là à son invitée un souper avec musique et chants, puis causerie en se promenant dans le parc. Transporté, Louis écrira qu’ils s’étaient entretenus de ce qui faisait l’âme de la monarchie dont Maria Alexandrovna avait une conception aussi élevée que religieuse. Le
lendemain, après la messe, le roi put de nouveau converser avec la tsarine. Il nota : « heureux auprès d’elle ». Après le déjeuner le Tristan emmena les invités jusqu’à l’île aux Roses. Là, une nouvelle divine promenade qui fit écrire à Louis : « incarnation de la bonté et de la pureté, bénédiction sur sa tête aimée ». L’impératrice, qui pratiquait admirablement le pardon, l’exigeait de ceux qui quêtaient ses avis. S’étant mis en tête de réconcilier les deux branches des Wittelsbach fâchées depuis la rupture des fiançailles royales, elle demanda à Louis d’aller offrir ses vœux à Sophie-Charlotte et à LouisFerdinand qui devaient s’unir le lendemain à Possenhofen. Bien que l’affaire fût délicate et qu’il lui en coûtât, le roi fit mettre le cap sur Posi où il rencontra le duc d’Alençon qu’il jugea très ennuyeux. Les d’Orléans n’étaient certes pas ce que l’on appelle communément de joyeux drilles, mais voir arriver l’ancien fiancé de Sophie à la veille de ses noces n’avait pas dû ravir le jeune homme. Cette corvée accomplie, le Tristan repartit vers l’île aux Roses où l’on arriva à la tombée du jour. On dîna en écoutant les chœurs de l’Opéra royal. Les illuminations commencèrent à la nuit tombée. L’on put voir alors depuis l’île le petit château devenu féerique tandis qu’une flottille de barques lâchait des ballons incandescents sur le lac et qu’à flanc de montagne l’antique forteresse de Berg émergeait lentement d’une ceinture de feu. Des traits « pareils à de l’argent fondu » couraient sur l’eau. Quand les invités repartirent vers Berg à bord du Tristan le manoir scintillait au milieu de tonnelles multicolores et les feux de Bengale jaillissaient des pelouses. Cela n’était qu’agréables préliminaires. Le vrai feu d’artifice ne se déchaîna qu’à l’instant où Leurs Majestés parurent sur le grand balcon. Alors, une multitude de fusées filèrent vers le ciel d’où elles retombèrent en une interminable pluie d’or, tandis qu’une immense gerbe d’eau jaillissait du lac où s’élevait lentement le chiffre de la tsarine. Les invités du duc en Bavière réunis à Posi pour le mariage de SophieCharlotte bénéficièrent du feu d’artifice. La coïncidence entre les deux fêtes est un peu étrange, pour ne pas dire gênante, encore qu’il semble bien que ce fût la tsarine qui ait décidé de la date de sa venue à Berg. Le lendemain, Louis, la mort dans l’âme, raccompagna la divine impératrice jusqu’à Innsbruck. Celle-ci renouvela ses conseils. Louis devait se rapprocher de sa mère, faire des efforts pour être plus sociable et plus présent à sa cour, pardonner à ses ennemis et jeter toutes ses souffrances en
Dieu. Le cœur brûlant, il promit. Maria Alexandrovna devait revenir l’année suivante à Munich, accompagnée de sa fille. La grande-duchesse Maria avait alors seize ans. Cette présence et les intentions qui l’accompagnaient assombrirent le roi qui remarqua que la jeune fille portait une semelle compensée à l’une de ses chaussures. Le roi amoureux de la beauté ne pouvait un instant imaginer une reine bancale. Il n’en reçut pas moins magnifiquement les visiteuses qui assistèrent à une représentation des Maîtres chanteurs et les raccompagna dans son train spécial jusqu’à la frontière. Après leur départ, une lettre du prince de Hohenlohe devait ôter toute illusion matrimoniale à la tsarine. En 1878, Louis II, sachant sa chère tsarine malade, décida de faire le voyage jusqu’à Saint-Pétersbourg, ce qui représentait, pour un homme qui n’avait quitté son pays que pour de brefs voyages en France et en Suisse, un grand saut dans l’inconnu. Au dernier moment, l’épidémie de variole qui sévissait en Russie fit annuler l’expédition. Louis II et Maria Alexandrovna ne se reverront pas. Atteinte de tuberculose, la tsarine mourut le 3 juin 1880 à Saint-Pétersbourg. Six semaines plus tard Alexandre II épousera Catherine Dolgorouki. Le délai fut jugé un peu court. Le tsar fit savoir qu’il agissait « comme un particulier qui répare le tort fait à une jeune fille ». Son fils en jugera autrement. Devenu le tsar Alexandre III, il fera dire à Catherine Dolgorouki que sa présence n’était plus souhaitée en Russie ; elle se retirera à Nice. Depuis l’expérience de ses fiançailles manquées, le roi savait qu’il ne se marierait pas. Otto ayant été reconnu en 1878 inapte à régner, l’héritier du trône de Louis II devenait le second frère de Maximilien II, l’oncle Luitpold. Né en 1821, le prince était un homme de devoir, assez sévère, consciencieux, sans beaucoup d’originalité. Il avait trois fils pour assurer l’avenir de la dynastie. Louis n’aimait pas cet oncle toujours qualifié d’ultramontain et le tenait à distance. On se rappelle que, lors du mariage célébré en grande pompe à Munich du fils aîné de Luitpold, le prince Louis, né la même année que lui, avec l’archiduchesse Marie-Thérèse de Modène, il s’était fait excuser. Louis II ne pouvait ignorer que, ni lui ni son frère n’ayant de descendance, le marié serait un jour le roi Louis III et cette idée ne lui était pas agréable.
À Luitpold et à sa descendance, Louis II préférait le plus jeune de ses oncles, Adalbert, et ses enfants, surtout l’aîné, Louis-Ferdinand, qui avait choisi, comme Gackel, le métier de médecin, sans renoncer pour cela à la carrière militaire. Artiste, philanthrope, général dans la cavalerie bavaroise, Louis-Ferdinand de Bavière était chirurgien et gynécologue obstétricien. Quand il épousa à Madrid l’infante Maria de la Paz, fille de la reine d’Espagne Isabelle II, Louis II se fit communiquer le déroulement des cérémonies, envoya un cadeau à la mariée et lui écrivit une lettre charmante. À l’étonnement général, il donna dans le Jardin d’Hiver un grand dîner en l’honneur de la jeune femme. Maria de la Paz écrivit aussitôt à sa mère pour faire part de sa stupéfaction. On pénétrait dans le célèbre Jardin par les appartements privés de Louis dont, grâce à elle, nous avons une description : Nous entrâmes dans une petite pièce tendue de velours rouge. Au centre, un dais brodé d’or et bordé d’hermine surmontait un fauteuil Louis XIV ; devant le fauteuil il y avait une table couverte d’un tissu, lui aussi richement brodé ; sur la cheminée un buste de marbre de MarieAntoinette et d’autres œuvres d’art, des vases chinois, des vases d’albâtre. De là, nous passâmes dans le bureau […] Devant une des fenêtres se trouvait une jardinière couverte de plantes au milieu desquelles se trouvait un buste de Richard Wagner. La chambre était aussi de style Louis XIV, avec des tentures et un ciel de lit décoré à profusion. L’impression écrasante et presque étouffante est indescriptible. Après avoir traversé une autre pièce également surchargée, nous arrivâmes devant une porte masquée par un rideau. Le roi, en souriant, tira le rideau, et je ne pus en croire mes yeux. Devant moi s’étendait un immense jardin illuminé à la mode vénitienne, avec des palmiers, un lac, des ponts, des pavillons, des bâtiments crénelés ; « Entrez », dit le roi et je le suivis fascinée14.
Ce fut donc à cette jeune femme qu’il n’avait jamais vue, que Louis réserva ce que tout Munich rêvait de découvrir. Durant le dîner, tandis que l’orchestre jouait une habanera, le roi entretint son invitée en français de l’Espagne, de Cuba, des œuvres de Calderón de la Barca et de Lope de Vega. Il lui demanda de réciter des poèmes qu’elle avait composés dans la langue espagnole puis de les lui traduire en français ; enfin, honneur suprême, il lui proposa de visiter le château de Herrenchiemsee, ce qui fit écrire à son invitée : Ainsi je ne rêvais pas, et l’homme qui était assis à côté de moi était le roi de Bavière devant lequel tout le monde tremblait ! Et il était en train de m’inviter à visiter ce nouveau château qu’il prenait tant de soin à cacher à tout le monde15.
La soirée finie, Louis II prit la peine de raccompagner le couple dans sa propre voiture – un attelage à la Daumont – jusqu’au château de Nymphenburg où il logeait ; bien qu’enrhumé, le roi refusa de se couvrir en présence de la jeune femme. Maria de la Paz et son époux visiteront Herrenchiemsee guidés par une dame d’honneur après que celle-ci eut remis de la part du roi un énorme bouquet aux couleurs de la Bavière à la visiteuse. La générosité de Louis envers ses cousins n’eut qu’une seule limite : il demanda discrètement à Louis-Ferdinand de lui épargner la visite de sa belle-mère. Non que la présence de la reine nymphomane devenue énorme l’eût choqué, mais Isabelle, même déchue, était reine, et il eût fallu la recevoir avec un protocole et des cérémonies auxquels il n’entendait pas se soumettre. Son affection pour « les Adalbert » ne devait jamais cesser. Quand le premier enfant de Louis-Ferdinand et Maria de la Paz naquit au mois de février 1885, Louis se rendit chez eux sans se faire annoncer. Comme ils étaient absents, il demanda à voir le petit Ferdinand-Marie qu’il contempla longuement pendant qu’il dormait. Sans doute eût-il préféré que son héritier fût un jour cet enfant plutôt qu’un rejeton du détesté Luitpold. Le lendemain, il écrivit aux parents pour se faire pardonner son intrusion, avançant qu’il n’avait jamais vu de nourrisson. Pour fêter l’heureux événement, il invita ses cousins à la Residenz et donna pour eux le dernier dîner officiel de son règne. Quand deux ans après naîtra un autre garçon, le roi acceptera que la reine Isabelle vînt, à titre privé, voir sa fille. Si les relations de Louis II avec la branche cadette des Wittelsbach – celle des ducs en Bavière – cessèrent après la rupture de ses fiançailles avec Sophie-Charlotte, le roi fit toujours preuve de confiance et d’admiration à l’égard de son cousin Gackel. Après sept ans de veuvage, Charles-Théodore se remaria au mois d’avril 1874 avec Marie-Josée de Bragance, fille de l’ex-roi Michel de Portugal. La mariée n’avait que seize ans, dix-huit ans de moins que son mari, mais déjà beaucoup de maturité et de bonté. Louis réserva à la jeune femme un accueil charmant et fit donner en son honneur une représentation de Lohengrin à laquelle elle assista, éblouie, à la droite du roi. Le lendemain, celui-ci lui fit parvenir des fleurs et des extraits de la partition pour la remercier d’avoir écouté. Après ses études de médecine, Gackel avait ouvert son premier cabinet à Possenhofen afin de soigner les paysans. En 1878, un début de tuberculose le fit séjourner à Menton où il rencontra un célèbre ophtalmologiste russe,
ce qui fut l’occasion d’une nouvelle vocation. Le frère de Sissi devint l’un des grands chirurgiens ophtalmologistes de son époque. Gardant sa réputation de médecin des pauvres, il ouvrit à Munich avec l’aide de sa femme une clinique où il opérait gratuitement. Ayant formé son épouse et ses filles à l’assister, le duc opérait aussi quand il se trouvait en vacances à Méran comme en Algérie. À une époque où la cataracte condamnait à la cécité la plupart de ceux qui en étaient atteints, il sauva la vue de milliers de patients. Charles-Théodore resta le recours de la famille dès qu’une question médicale se posait. Hélène l’appela quand, après avoir perdu son mari, elle dut faire face à la maladie de son fils aîné. Accouru à Ratisbonne, Gackel ne put empêcher la mort du jeune prince ni la grave dépression et les troubles mentaux qui s’ensuivirent chez Néné, pourtant la plus solide des filles de Ludovica. On fera plus tard appel à lui quand s’ouvrira un chapitre violent dans la vie de Sophie-Charlotte. Louis II s’était totalement désintéressé de son ancienne fiancée ; de toutes ses cousines, il n’avait jamais révéré que Sissi*3.
*1. La reine Isabelle II d’Espagne et son fils, le roi Alphonse XII. *2. Le film Katia, avec Romy Schneider et Curd Jürgens dans les rôles principaux, retrace l’histoire en couleur de rose. *3. Le diminutif s’écrit et se prononce Sizi, ce fut le cinéma français qui en fit Sissi.
XI
Sissi Ne pense pas à ce que le monde peut dire ou écrire ; qui peut nous toucher ? Nous pouvons tout nous permettre. Élisabeth d’Autriche à Louis II de Bavière
Louis avait été depuis toujours un grand admirateur de sa cousine Élisabeth. Si le roi était profondément misanthrope, il n’était en rien misogyne. Il se méfiait des entreprises de séduction des femmes parce qu’il refusait tout commerce charnel avec elles, toutefois il était sensible à leur beauté, à leur intelligence, à leur culture ou à leurs dons artistiques. Il aimait les femmes éclatantes, les personnalités originales. Telles étaient la tsarine Maria Alexandrovna, le sculpteur Elisabet Ney et, bien entendu, la merveilleuse Sissi. On pourrait ajouter à la liste Cosima Liszt-von BülowWagner dont la force finit par le fasciner. Louis qui avait une sensibilité très féminine admirait les femmes viriles. L’admiration du roi pour une cousine qui était son aînée de huit ans semble avoir toujours existé. Alors qu’il se trouvait fiancé à la sœur de Sissi, ne rappelle-t-il pas à l’impératrice dans une lettre assez brûlante écrite en mars 1865 « les sentiments d’amour sincère et respectueux […] que je te portais déjà quand j’étais petit garçon » ? Cette adoration, parfois frénétique, il ne manquera jamais une occasion de la lui remémorer. Les huit années qui faisaient de Sissi son aînée séparèrent les cousins dès leur enfance. Sissi se maria et partit pour Vienne quand Louis avait huit ans. Il ne semble pas que le jeune garçon eût assisté au mariage de sa cousine. Quand le roi monta sur le trône, l’un des premiers actes du
nouveau monarque fut de reconnaître le royaume d’Italie, ce qui choqua profondément la jeune impératrice dont la sœur Marie, reine des DeuxSiciles, avait vu sa couronne s’envoler. Elle chargea l’ambassadeur de Vienne à Munich d’informer le roi de sa déception et de lui rappeler que les Maisons princières déposées comptaient toutes des Wittelsbach dans leurs rangs ; en fait, c’était la politique de l’Autriche en Italie qui se trouvait invalidée. Louis la supplia de ne pas lui en vouloir, car il avait été obligé de faire son devoir. Sissi accorda son pardon du bout des lèvres. Le ressentiment de Sissi s’apaisant, la relation entre le roi de Bavière et l’impératrice d’Autriche connut des hauts et des bas, relation bien difficile à qualifier, car elle fut parfois trop passionnée du côté de Louis pour parler d’amitié. De la part de Sissi, il s’agissait plutôt d’une sorte de flirt en raison d’une certaine légèreté et aussi de la provocation qu’elle mit dans une histoire dont la chasteté formait l’infranchissable limite. L’impératrice devait connaître – en tout bien, tout honneur – deux autres épisodes de cet ordre, reposant l’un et l’autre sur une vive et réciproque admiration ainsi que sur le vertige de l’interdit, d’abord avec le comte hongrois Gyula Andrassy, puis avec le cavalier britannique Bay Middleton, en compagnie duquel elle se compromit tant – toujours en tout bien tout honneur – que son fils Rodolphe devait faire une scène à sa mère (et une autre à Middleton). Élisabeth passe pour avoir été très froide, ses portraits par Winterhalter, tels qu’ils trônent à la Hofburg, épaules nues et cheveux déployés jusqu’aux reins, évoquent plutôt une sensualité qui n’eut pas l’occasion de se révéler. Du côté de Louis II, la chose est plus difficile à définir. Ses sentiments, la plupart du temps passionnés, dépendaient du rythme que lui imposaient les troubles dont il souffrait. Il s’éloignera de Sissi quand ses maux devinrent difficiles à cacher, mais il est indéniable qu’il fut amoureux de sa cousine et que cela toucha, intéressa autant que cela amusa celle-ci. Dans les débuts du règne de Louis, Sissi rencontrait son cousin presque chaque été lorsqu’elle séjournait sur les rives du lac de Starnberg, soit dans le château de son frère aîné à Garatshausen soit, le plus souvent, à l’hôtel Strauch à Feldafing. L’impératrice s’installait rarement à Possenhofen, car, contrairement à ce qui est souvent rapporté, la jeune femme ne s’entendait pas avec son père. Quand celui-ci fut frappé d’une crise d’apoplexie alors qu’elle se trouvait à Corfou, l’infatigable voyageuse hésita à partir. Elle ne bougea pas davantage quand, quelques jours plus tard, elle apprit la mort
du duc Max. Les deux caractères forts se heurtaient et sans doute en voulait-elle à un père qui avait largement vécu en marge de sa famille et rendu sa mère malheureuse. Il faut considérer aussi que l’impératrice d’Autriche se déplaçait souvent avec une suite d’une trentaine de personnes et qu’il lui était difficile de loger à Posi où elle allait très souvent en visiteuse quand elle résidait à Feldafing. Louis II accourait dès qu’il savait l’impératrice arrivée en Bavière. Une lettre écrite par Sissi au jeune Rodolphe en 1865 nous peint la scène en ces termes : « Hier, le roi m’a fait une longue visite et si enfin grand’maman*1 n’était survenue, il serait encore là. Il est tout à fait réconcilié*2, j’ai été très gentille avec lui et il m’a tellement baisé la main que tante Sophie, qui regardait par la porte, m’a demandé ensuite si je l’avais encore. Il était de nouveau en uniforme autrichien et tout parfumé de chypre1. » Sophie-Charlotte avait dix-huit ans, dix de moins que Sissi, et devait envier l’admiration que son aînée suscitait. Le roi ne venant que pour Élisabeth demandait souvent à ne pas rencontrer le reste de la famille. Toujours parfaitement peigné, frisé, lourdement parfumé, il portait par délicatesse l’uniforme autrichien (changeant au dernier moment la casquette pour le shako). La grand-croix de l’ordre de Saint-Étienne (distinction hongroise, toujours la délicatesse…) lui barrait la poitrine sous une large étole militaire. La comtesse Marie Festetics, dame d’honneur de l’impératrice qui nous a laissé, quelque peu étonnée, cette description dans son Journal, ajoute : « Il était pareil à un roi de théâtre. » Remarquable notation ! À Feldafing, le roi se faisait annoncer par un énorme bouquet de fleurs. Il débarquait au petit embarcadère où l’avait devancé une calèche qui le conduisait à l’hôtel. Les visites avaient toujours lieu à minuit. Cet horaire nocturne convenait à un roi qui vivait la nuit et fort peu à Sissi qui, disait-elle, « aimait bien le roi, mais préférait son lit ». On bavardait en prenant le thé, puis Louis, le plus tard possible, s’en allait comme il était venu. Peu de temps après l’accession au trône de Louis II, les cousins s’étaient retrouvés une première fois à Bad Kissingen, lors de la brillante saison qui avait réuni une partie des monarques européens. Sissi avait subi la lourde concurrence de la sainte et splendide tsarine. Ce fut avec Maria Alexandrovna que Louis s’afficha et ce fut elle qu’il suivit à Salzbach. Retournant l’année suivante à Kissingen, Sissi écrivit à sa fille Gisèle : « J’ai reçu une très gentille lettre du roi, dans laquelle il me dit que les
médecins lui ont défendu de venir […] Je pourrai donc vivre en toute tranquillité sans risquer d’être dérangée2 », ce qui sent un peu son dépit. En 1867 se produisit la fâcheuse affaire des fiançailles ratées du roi et de Sophie-Charlotte. Tandis que l’on préparait le mariage, Louis fit avec Élisabeth qui partait se faire couronner reine de Hongrie un bout de chemin dans son wagon privé. Seul avec elle, il s’enflamma. « Les heures que nous avons passées ensemble en voiture à cette occasion comptent parmi les plus belles de ma vie, lui écrivit-il. Jamais ce souvenir ne s’éteindra en moi. Tu m’as autorisé à venir te voir à Ischl ; si vraiment approche ce moment pour moi si heureux où cet espoir pourra se réaliser, je suis le plus heureux des mortels3. » Sissi, assez ennuyée de l’enthousiasme exprimé par le fiancé de sa sœur, chargea son mari de répondre. Il semble que François-Joseph ait mis son épouse en garde, car désormais celle-ci prendrait soin d’écrire dans ses lettres à son mari des notations du genre : « Si seulement le roi de Bavière pouvait me laisser en paix. » Peu après l’incident, la rupture des fiançailles de Louis et Sophie scandalisa l’impératrice qui, très en colère, coupa toute relation avec le coupable. Si l’on omet une brève visite du roi à Sissi dans le ravissant château de Garatshausen, il semble que Louis n’osa véritablement reparaître devant sa cousine qu’en 1872. Durant ces années de pénitence, Louis II remplit le vide en correspondant avec Rodolphe, le bombardant de lettres où il lui parlait de littérature et de Wagner, l’assurant qu’il avait mis les portraits de l’impératrice et de son fils qui sont « parmi les personnes qu’il aime le plus au monde » à côté de celui du compositeur. « Que ton bonheur est enviable, lui écrit-il, toi à qui il est donné de tant séjourner auprès de l’impératrice adorée ! Oh, je t’en prie, jette-toi à ses pieds et supplie-la en mon nom d’avoir une pensée bienveillante pour son fidèle esclave, qui l’adore depuis toujours et pour toujours4. » Il semble qu’Élisabeth n’ait pas eu de pensée bienveillante très tôt ; de plus, après l’affaire du wagon, elle adopta une attitude prudente ; quand elle accepta de revoir le roi, elle garda presque toujours avec elle l’une de ses filles, Gisèle ou Marie-Valérie, ou encore sa nièce Marie, la jeune baronne de Wallersee, ou même une dame d’honneur. La réconciliation eut lieu en septembre 1872 avec une grande visite du « roi de théâtre » à Possenhofen. L’année suivante, Gisèle se maria. À seize ans, elle épousait le second fils du détesté Luitpold. Élisabeth avait entièrement manigancé cette union. Le terme convient puisque le jeune
homme, qui portait aussi le prénom de Luitpold, était fiancé à une autre princesse dont le plus jeune frère de Sissi, Max-Emmanuel, était éperdument amoureux. Pour « libérer » la jeune Amélie de Saxe-Cobourg, Sissi offrit à Luitpold sa propre fille. François-Joseph protesta bien un peu, l’alliance avec le cadet d’une branche cadette des Wittelsbach lui semblant modeste, mais il n’avait jamais rien su refuser à son épouse. L’archiduchesse Sophie, amère, écrivit : « Comme parti, ce mariage ne compte pas. » Il fut pourtant célébré à Vienne au mois d’avril 1873 où Sissi, dans une robe brodée d’argent, éclipsa tout le monde. Louis II fêta si magnifiquement l’arrivée du jeune couple à Munich que l’ambassadeur de Prusse à Vienne en prit ombrage. Un mois plus tard, Rodolphe vint voir sa sœur à Possenhofen, Louis passa le saluer et le raccompagna jusqu’à la frontière, se donnant la peine de parler le « dialecte autrichien », ce qui fit encore froncer les sourcils de l’ambassadeur prussien. Quand le premier enfant de Gisèle naquit au début de 1874, faisant de Sissi une grand-mère de trente-six ans, celle-ci vint voir sa fille à Munich. À cette occasion, l’impératrice rendit visite à la reine mère à la Residenz. Otto assistait à l’entretien au cours duquel sa mère s’amusa des fuites causées dans son salon par le lac installé dans le Jardin d’Hiver. Otto raccompagna l’impératrice jusqu’à sa voiture ; Sissi dira qu’elle mourait de peur qu’il ne la précipitât au bas des marches… Toujours en proie à des curiosités un peu étranges, souvent morbides, Sissi voulut absolument visiter un hôpital de cholériques, puis ce fut l’asile de fous de Munich qu’elle parcourut de fond en comble avec la reine mère. Louis II qui souffrait alors de fluxions dentaires se rendait, la joue enflée, chez sa cousine logée dans le palais paternel. Excédée par ses interminables visites, Sissi finit par monter avec l’aide de sa dame d’honneur une petite comédie devant la débarrasser de l’importun. La comtesse Festetics fut chargée de venir dire combien l’heure tardive à laquelle se couchait l’impératrice l’inquiétait. Tout en jetant un « mauvais regard » à la comtesse, le roi maugréa : « J’oublie le temps ici. » L’envahisseur enfin parti, Sissi fit remarquer qu’ils avaient tous deux une tendance à la mélancolie et le goût de la solitude. Les cousins avaient surtout du mal à s’adapter à la vie réelle et tendance à « falsifier l’existence et à vivre dans un imaginaire suscité5 ». Ils suivaient leurs goûts et leurs caprices, se moquant du qu’en-dira-t-on, quand ils ne prenaient pas plaisir à le provoquer. Misanthropes, ils se situaient, l’un comme l’autre, tout à
fait au-dessus de la portée ordinaire, inclinant à la mégalomanie. « Ne pense pas à ce que le monde peut dire ou écrire ; qui peut nous toucher ? Nous pouvons tout nous permettre », écrivait Sissi à son cousin qui n’en était que trop persuadé. Enfin, tous deux avaient la même attitude face à une vie jugée inadaptée : fuir. On a dit qu’Élisabeth était pour le roi un double, mais ce qui relevait chez elle d’une originalité cultivée était chez l’autre une pathologie. Sissi, tout originale qu’elle fût, faisait partie des gens présents au monde et à sa réalité ; entre la maladie du roi et les troubles qu’elle connaissait, la différence n’était pas une question de degré, mais de nature. Sans doute l’impératrice était-elle d’une anxiété morbide et somatisait-elle ses peurs en douleurs et maladies de toutes sortes. D’une humeur plus que changeante, sujette à de nombreuses manifestations hystériques, Sissi était une grande narcissique, toujours hantée par la peur de vieillir ; on sait que son désir de demeurer mince entraîna une anorexie récurrente. L’impératrice était une grande névrosée, peut-être même avaitelle selon certains psychiatres une personnalité schizoïde, mais elle n’était pas psychotique. Même si elle l’altérait et le modifiait à plaisir, le monde dans lequel elle vivait était bien réel, ce n’était plus le cas de son malheureux cousin. Élisabeth se rendit compte assez vite de l’état pathologique de Louis et, nous dit Marie Festetics, éprouvait une « immense pitié » pour lui, confiant à sa dame d’honneur : « Il n’est pas assez fou pour être enfermé, mais trop anormal pour vivre sans problèmes dans le monde des gens raisonnables. » Elle avait pris l’exacte mesure de la situation. Gisèle mariée à un prince bavarois, les visites de Sissi sur le lac de Starnberg furent plus fréquentes. Les Wittelsbach passaient leur été à se visiter les uns les autres. Entre Garatshausen, Posi et Feldafing, le va-et-vient était incessant. Son temps de pénitence fini, Louis II alla régulièrement voir Sissi, ce qui nous est rapporté par sa nièce Marie, devenue comtesse Larisch par son mariage. Une union morganatique avec une actrice avait permis au frère aîné de l’impératrice, Louis-Guillaume, de reconnaître sa fille tout en laissant celle-ci dans une situation sinon fausse, du moins intermédiaire, l’enfant légitimée ne pouvant en aucun cas accéder au rang des familles princières. Marie portait d’ailleurs non pas le nom de son père, mais celui de sa mère, titrée baronne de Wallersee après son mariage. Le goût de l’équitation avait si bien rapproché la nièce et l’impératrice que celle-ci avait donné Marie pour compagne de jeu à sa fille Marie-Valérie
quand celle-ci avait cinq ans et la jeune fille quinze, ce qui avait fixé Marie à la cour de Vienne. Dans ses Mémoires, Marie décrit comment, à l’été 1877, elle vit arriver Louis II à Posi dans une somptueuse calèche tirée par quatre chevaux blancs richement harnachés lancés à grande allure et précédés d’un piqueur. Deux jours après l’impératrice rendit sa visite au roi qu’elle alla trouver à Berg en compagnie de la jeune fille ; toutes deux étaient en tenue d’amazone, car elles avaient fait la route à cheval. Marie fut laissée dans le parc. À son grand étonnement, un laquais vint la chercher pour l’introduire dans un salon où elle eut du mal à réprimer un fou rire en découvrant Sa Majesté perdue dans un fauteuil, le visage couvert de cataplasmes tenus par des « mètres et des mètres » de bandages. Tante Sissi ayant expliqué que « le pauvre homme » souffrait des dents, celui-ci pria Marie de se mettre au piano. Il désirait entendre la partie d’Elsa dans Lohengrin. La bouche complètement sèche, la jeune fille demanda un verre d’eau et, trouvant une partition, exécuta « aria sur aria », n’étant coupée que par les applaudissements du roi et de l’impératrice. Enchanté, Louis II demanda à sa cousine de revenir avec sa nièce. La jeune fille passa donc les jours suivants à répéter toutes les arias de Wagner, puis les deux femmes retournèrent à Berg où, débarrassé des cataplasmes, le roi ne fut que louanges et remerciements. En le voyant debout près de sa cousine, Marie se fit la réflexion qu’ils formaient un couple magnifique. Raccompagnant ses visiteuses, Louis baisa la main de Sissi en murmurant : « Au revoir Élisabeth. » Il dut être particulièrement tendre, car Marie fut troublée. Sur le chemin du retour, l’impératrice rappela avec insistance à la jeune fille que « le silence est d’or ». Peu de temps après, et de façon brusque, Élisabeth maria sa nièce au comte Georges de Larisch-Moennich, issu d’une vieille maison de HauteSilésie. Marie vivait depuis longtemps à la cour et dans la familiarité de l’impératrice. Dotée d’une grande beauté – les photos montrent une ressemblance étonnante avec l’actrice Romy Schneider –, elle avait d’autres rêves. Le 20 octobre 1877, la jeune fille, âgée de dix-neuf ans, dut épouser, sur ordre, dira-t-elle, un homme qu’elle connaissait à peine. Quelques jours avant, la fiancée avait confié à sa tante qu’elle s’était déjà disputée avec ce fiancé très colérique. Sissi se contenta de répondre que dorénavant « elle devrait tenir compte de cette légère irritabilité en adaptant son comportement6 ». La noce qui eut lieu au château de Gödöllö
près de Budapest fut magnifique et les cadeaux somptueux : broche de diamants et collier de perles offerts par l’empereur, caisses d’argenterie envoyées par la princesse von Thurn und Taxis, etc. Le comte Larisch trompa sa femme dès leur voyage de noces ; de plus c’était un joueur impénitent et un homme difficile à vivre. Plusieurs raisons ont été invoquées pour tenter d’expliquer la mauvaise action de Sissi, laquelle devait avoir d’incalculables conséquences. On a parlé du rôle de la comtesse Festetics qui aurait jalousé Marie, on a dit que l’impératrice de nature capricieuse s’étant lassée de sa nièce avait par ce mariage trouvé le moyen de s’en débarrasser. La vérité est que l’impératrice avait été la première à s’apercevoir que Marie était tombée amoureuse de Rodolphe et avait décidé d’éloigner la jeune fille. Celle-ci ne le pardonnera jamais. Un an après la visite au château de Berg, la jeune femme devenue comtesse Larisch fut invitée avec son mari à un dîner à la Residenz. Elle trouva le roi considérablement grossi, le visage empâté. Un défaut de prononciation fortement accentué rendait les paroles royales presque incompréhensibles. Louis parut heureux de revoir la jeune femme : — Êtes-vous toujours passionnée de musique, Marie ? La jeune comtesse le regarda droit dans les yeux : — Votre Majesté […] je n’ai plus le cœur à en faire. Le roi hésita un temps, puis se penchant, chuchota à l’oreille de son invitée : — Quel dommage, Marie, il y a des heures que nous n’oublierons jamais7.
Les conséquences de ce mariage catastrophique seront terribles. Humiliée et pleine de rancœur, Marie deviendra la maîtresse de son cousin Rodolphe, comme de l’archiduc Jean Salvator et de quelques autres. Entretenue par Rodolphe et ne dédaignant pas le rôle d’entremetteuse, elle lui présentera un jour la jeune baronne Marie Vetsera. Élisabeth d’Autriche qui considérait le mariage comme « la bêtise humaine la plus répandue » fut une impénitente marieuse. Ayant casé Gisèle pour arranger son plus jeune frère, elle songea à placer MarieValérie. L’impératrice avait voulu ce quatrième enfant dans l’espoir de donner un roi à la Hongrie, mais ce fut une fille qui naquit à Budapest en 1868 et fut élevée dans la langue hongroise, au point qu’à l’âge de
quatorze ans l’adolescente demandera timidement à son père la permission de s’adresser à lui en allemand. Alors que les aînés du couple impérial avaient été éduqués par la mère de l’empereur, Marie-Valérie resta près de Sissi dont elle fut la kedvesem (chérie, en hongrois) et sans doute la seule personne que l’impératrice aima véritablement. Elle ne le cachait pas à sa fille, à laquelle elle écrivait : Au fond, je n’aime vraiment que toi ; si tu me quittes, j’en aurai fini d’aimer. Dans une vie pareil amour ne se retrouve pas […] Je ne puis comprendre qu’on puisse aimer plusieurs êtres. Sophie a pris ma place de mère auprès de mes autres enfants, mais pour toi, je savais dès le début qu’il en irait tout autrement. Il fallait que tu fusses mon enfant, mon propre enfant, mon trésor, que personne d’autre n’eût de droit sur toi. Ce qu’il y avait d’amour dans mon cœur, fermé jusque-là, c’est sur toi que je l’ai répandu8.
C’était parfaitement étouffant. Marie-Valérie en souffrit mais, par une chance extraordinaire, resta une merveille d’équilibre, de gentillesse et de patience envers une mère à laquelle elle servit longtemps de béquille. Cette mère, tout en redoutant le jour où sa fille se marierait – elle lui avait assuré que ce jour-là elle serait morte pour elle –, commençait à ourdir des plans de mariage. Dès que Marie-Valérie eut treize ans, elle ne manqua pas une occasion de parler d’elle au roi de Bavière. L’envoi d’une photo de la fillette étonna le roi – décidément bien naïf – qui écrivit à sa mère : « Je ne comprends vraiment pas pourquoi l’impératrice me harcèle avec sa Valérie, qui voudrait bien me voir, ce qui n’est pas mon cas9. » Comment Sissi, qui non seulement savait à quel point son cousin allait mal, mais avait vu de près l’échec des fiançailles de sa sœur et ne pouvait guère douter de l’homosexualité du roi, avait-elle pu envisager un seul instant cette union ? Certainement comme sa propre mère, Ludovica, qui l’avait mariée à seize ans, comme Maria Alexandrovna qui proposait aussi sa propre fille, en faisant passer l’orgueil d’une alliance avant tout. De toute façon, l’idée de pousser sa fille vers un homme très amoureux d’elle n’était pas saine. Il faut dire pour la défense de l’impératrice que l’homosexualité était alors considérée comme une maladie que le mariage pouvait guérir. Le 18 juin 1881, l’impératrice obtint après une promenade d’une heure et demie à Posi de présenter enfin la « petite archiduchesse » à Louis. Marie-Valérie raconta dans son Journal comment, toute tremblante, elle se vit remettre rapidement par sa mère un bouquet de jasmin – l’affaire devait
avoir un côté impromptu – avec mission de l’offrir au roi avec un gros compliment. Bien que très émue, elle remarqua que Louis II semblait aussi embarrassé qu’elle et souligna à quel point il était difficile à comprendre. Sissi proposa qu’ils se tutoient : « Oui, mais alors réciproquement », répondit aimablement le roi. L’impératrice, ravie, dut commencer à faire apprendre les airs de Wagner à sa fille, quand Louis lui rendit une nouvelle fois visite le 27 juin. Il trouva Marie-Valérie près de Sissi. Quand celle-ci demanda si la fillette devait sortir, le roi dit que oui, ce qui fit ajourner les projets matrimoniaux de la mère, d’autant que les troubles et les bizarreries du roi augmentant, celle-ci dut réaliser que son idée présentait des inconvénients. Elle n’en resta pas moins proche de son cousin. L’impératrice avait toujours été attirée par ceux qui avaient franchi la limite avec laquelle elle se mesurait constamment et dont pourtant elle avait peur. À plusieurs reprises, elle demanda à visiter des asiles d’aliénés. Un jour où son mari s’enquérait de ce qui lui ferait plaisir comme cadeau d’anniversaire, elle répondit : un médaillon ou un asile pour les aliénés ; il semble que le médaillon l’ait emporté. Chaque fois que l’on parlait de la santé mentale de Louis devant elle, elle faisait l’éloge de la folie. Le thème est maintes fois repris dans ses poèmes : Tant les fous que les prophètes Sont honorés des Orientaux Mais ici, dans notre pays, On les accable les uns les autres10. L’impératrice fit un jour remarquer à son professeur de grec moderne que chez Shakespeare les déments sont les seuls êtres sensés. Elle aimait cultiver un paradoxe qui lui permettait de s’approcher un peu plus de la mystérieuse et dangereuse frontière et de plonger dans un spleen qui faisait ses délices. « Ma tristesse, écrit-elle, m’est plus précieuse que ma vie entière. » Je suis malheureuse, donc je suis… Très cultivée, intelligente et fine, animée d’une rare curiosité intellectuelle, parlant cinq langues et nourrie des plus grands auteurs, Sissi souffrait cependant d’une immaturité que l’on peut attribuer à un mariage trop précoce avec un homme qui ne mit jamais aucune barrière aux fantaisies de son épouse. La névrose non
maîtrisée et cultivée comme l’un des beaux-arts se déploya librement. Mariée à seize ans, heurtée par les façons de maîtresse d’école de sa bellemère, Sissi se considéra toujours comme une victime : du mariage, de sa belle-mère, de la cour, de sa condition de femme. Incapable de dépasser cette position, elle choisit comme son cousin la fuite. Madère, Corfou, la Hongrie, l’Angleterre, l’Irlande et même la France, la virent passer, la plupart du temps, à cheval. Sa santé finit par être sérieusement altérée par le mode de vie qu’elle s’imposait. En 1875, alors qu’elle séjournait en Normandie, une grave chute de cheval la rendit inconsciente plusieurs heures (affolant le gouvernement français dans une période où la France se trouvait très en froid avec l’Autriche), lui laissant de fréquents maux de tête, tandis que l’équitation pratiquée à outrance lui infligeait une sciatique parfois invalidante. Le régime alimentaire très carencé de l’impératrice eut de lourdes conséquences : les dents perdues l’obligèrent à sourire la bouche fermée, des enflures apparurent aux articulations, puis sur tout le corps et le beau visage se flétrit avant l’heure. À quarante ans, Élisabeth commença à se cacher des photographes derrière un éventail. À partir de 1880, l’état de santé de Louis II l’obligea à réduire ses visites à sa cousine. De son côté, Élisabeth ne pouvait plus faire d’équitation comme par le passé. Ils se retrouvèrent encore quelques fois dans l’île aux Roses, lieu de rendez-vous des cousins qui a donné lieu à des développements romanesques. Ces rencontres furent en fait peu nombreuses. En 1881, Sissi se rendit dans Roseinsel avec le Noir Rustimo, un page qui lui aurait été offert par le shah de Perse. L’impératrice revint de l’île en barque avec le roi tandis que Rustimo grattant une guitare chantait « des chants exotiques », ce dont Louis le remercia avec une bague. Il semble que ce fût la dernière fois que les cousins se virent. Après un séjour en Hollande où elle était allée faire une cure pour soigner sa sciatique, l’impératrice retourna sur l’île en 1885. Le souvenir de la mer du Nord lui inspira un long poème sur le thème de L’Aigle et la Mouette11 : Ô toi, l’aigle qui planes sur les montagnes, Reçois de la mouette des mers Le salut des vagues écumantes Aux hautes neiges éternelles.
Autrefois, nous nous sommes rencontrés Devant une éternité d’un gris originel, Au miroir du plus charmant des lacs Au temps florissant des roses. Muets, nous glissions, l’un près de l’autre, Abîmés dans une paix profonde Sans autre compagnon qu’un Noir et ses chansons. Par la grâce de ce poème, le couple est pour toujours devenu aigle et mouette. Le pauvre aigle était pourtant bien faible et on ne sait si un oiseau aussi commun et piaillant que la mouette peut servir d’image à l’éblouissante Sissi. Louis n’étant pas à l’île aux Roses, Élisabeth y laissa le poème que le roi devait aller chercher – ou faire chercher – plus tard. Il répondit qu’il y avait des années qu’il n’était allé dans Roseinsel et envoyait ses « remerciements profonds et sincères », joignant quelques vers sur le même thème : Le salut de la mouette de son rivage A trouvé le chemin qui mène à l’aire de l’aigle, Il portait le doux battement de ses ailes Le souvenir du temps passé. Le 20 juin de la même année, on a trace d’une autre visite que Sissi fit, en compagnie de ses deux filles, dans la petite île où le roi ne se rendait plus. La légende veut que le roi et l’impératrice aient correspondu pendant un temps au moyen de billets laissés dans le tiroir d’un meuble de la villa Casino. Rien n’est moins sûr. En fait, l’intérêt extraordinaire qu’Élisabeth porta au roi n’interviendra qu’après la mort de celui-ci. Le lendemain du drame, un triste lundi de Pentecôte, Sissi encore ignorante de ce qui s’était passé se trouvait à l’hôtel Strauch à Feldafing, quand Gisèle entra, complètement bouleversée, et l’entraîna dans une autre pièce : « Maman, j’ai quelque chose à te dire […]. » La réaction de Sissi devant la mort de Louis II fut déraisonnable, on peut dire folle. Rodolphe lui-même s’en inquiétera lors de l’enterrement de Louis II. Désormais, la figure du roi qu’elle avait trouvé si souvent importun prendra une place croissante dans son esprit, dans son cœur et
surtout dans son imaginaire. Elle sera alors bien proche de franchir la frontière qu’elle avait cherché à approcher si souvent. Plus que jamais elle aimait vivre parmi les ombres. Louis deviendra son fantôme préféré. Ses mères d’élection disparues, son frère enfermé, la famille du roi parut s’effacer dans la brume. Il n’avait pu créer son propre foyer. Sans femme, sans enfants, sans même cette belle cousine devant laquelle il n’osait plus paraître, le roi s’enfonçait dans la solitude. Restait l’amour, bien entendu.
*1. La duchesse Ludovica. *2. Après la reconnaissance du royaume d’Italie par Louis II.
XII
Paul, Richard, Lambert et les autres La vie sentimentale de Louis II de Bavière se déroula selon un schéma qui resta inchangé, mais fut de plus en plus rapidement parcouru. La recherche de l’âme sœur qui le comblerait entièrement et réparerait toute blessure tournait toujours court. À une montée émotionnelle si rapide qu’elle en était parfois effrayante succédaient quelques jours heurtés, marqués au coin de la susceptibilité, puis le vibrato sentimental s’éteignait aussi brusquement qu’une torche plongée dans l’eau. Ces attachements violents furent toujours liés à un élément de la pensée symbolique du roi. Paul von Thurn und Taxis, entré en fonction auprès du kronprinz à l’été 1863, était resté – avec une infinité de hauts et de bas – présent dans la vie du roi jusqu’en octobre 1866, date à laquelle il fut envoyé en disgrâce à Ratisbonne. Les caprices du roi, sa susceptibilité qui entretenait une tension nerveuse permanente avaient rapidement rendu leur relation chaotique et surtout douloureuse. Si l’épisode dura trois ans, ce fut parce que Paul bénéficia du cœur neuf du roi, mais surtout parce que cette liaison se place au début de la maladie de Louis et que celui-ci avait encore la liberté de se lier quelque temps. Les conquêtes suivantes passeront plus vite. Il est toutefois un homme qui par sa présence continue près du roi tient une place toute particulière. Richard Hornig avait rencontré Louis alors que celui-ci était fiancé à Sophie-Charlotte. Il devait rester dix-huit ans à ses côtés. Le roi ne rompra avec lui – sur un prétexte très futile – que deux ans avant sa mort. Cette longévité est due au dévouement de Richard Hornig, pour ne pas dire à son sacrifice dont il est difficile de connaître
exactement la raison. On peut ajouter que l’homme avait des nerfs d’acier et une patience à toute épreuve. Hornig fut une base solide et permanente à laquelle le roi put s’accrocher quand le vent soufflait trop fort. Les flambées de passion pour Richard se situent dans les moments les plus difficiles ; ce fut près de l’Ami adoré que Louis se réfugia après l’humiliation que lui infligea la visite du kronprinz en 1871. L’écuyer est le seul nom qui apparaisse régulièrement dans le Journal, le seul qui ait son patron sur un vitrail dans la chapelle construite par le roi, le seul avec lequel il partagea fictivement sa royauté dans une page des Carnets : Vivat Rex et Richard in aeternum Pereatmalum in aeternum 1 Et le roi d’ajouter : « Encore deux mois et cela fera cinq ans que, depuis cet heureux 6 mai 18672, nous nous connûmes pour ne plus jamais nous quitter, pour ne plus nous séparer jusqu’à la mort. » Sous leurs signatures, figurent le L et le R entrelacés. Il est difficile de faire entrer Richard Hornig dans une catégorie précise, car entre les flambées passionnelles il redescendait au rang d’un domestique. Il fut, c’est certain, un compagnon de vie. Par son équilibre, sa vigilance, son dévouement et sa fidélité, il rendit tout simplement la vie du roi possible. Sans lui, le système se serait écroulé beaucoup plus tôt. Quand Richard Hornig, ayant accepté son renvoi, ne pourra plus jouer son rôle protecteur, la fin sera proche. Hornig sut à la fois rassurer le roi et se rendre indispensable. Dans les premières années, il fut l’amant auquel le roi fit signer ou cosigner de nombreux pactes de chasteté, mais aussi l’écuyer (ayant la charge de cinq cents chevaux), le factotum, le secrétaire, l’infirmier. C’était lui qui se tenait la nuit à la portière du traîneau royal, sautant dix fois à terre pour arranger les couvertures, lui qui réglait en partie la correspondance du roi, revenant toujours à la charge pour que Sa Majesté fît les réponses indispensables, lui qui partit chercher à Paris les meubles, les bronzes, les œuvres d’art dont Elle entendait emplir ses châteaux, lui qui alla deux fois à Capri observer la grotte bleue afin que celle que le roi faisait creuser dans les montagnes de Bavière lui ressemblât, lui qui accompagna l’architecte Dollmann à la Wartburg dont le roi entendait avoir la réplique à Neuschwanstein. Ce fut encore Hornig qui écoutait les ministres et les
éconduisait le plus convenablement possible. Il remplit auprès du gouvernement ce rôle très délicat avec assez d’intelligence et de tact pour que les membres du cabinet lui gardent leur estime. Ses lettres au secrétaire de cabinet Friedrich von Ziegler qui devint son ami montrent que les deux hommes se parlaient d’égal à égal ; elles témoignent aussi de l’absence totale d’illusions de Richard Hornig au sujet de la santé mentale du roi. En dehors des périodes d’amour délirantes qui iront s’espaçant, le roi n’avait aucun soin de son écuyer qu’il traitait comme un domestique, c’està-dire mal. Le jour où, dans la grande galerie de Herrenchiemsee, copie de la galeries des Glaces de Versailles, le roi se promena de neuf heures du soir jusqu’à six heures du matin, tenant des discours sur le quatrième château qu’il entendait construire, Hornig, obligé de demeurer debout, finit par s’écrouler sur le sol. Richard Hornig se mariera en 1881 avec une jeune fille d’excellente famille. Louis II lui offrit une belle villa à Seeleiten, à côté du château de Berg. Un chemin au bord de l’eau permettait de s’y rendre à pied, une petite grille séparant le parc royal du jardin de la famille Hornig. Le roi séjournait presque chaque semaine chez son ami, emmenant avec lui un chef cuisinier, un marmiton et un valet afin de soulager la maîtresse de maison. Le ménage Hornig eut trois enfants que le roi combla de cadeaux. Après le dîner, le roi et Richard montaient sur la petite colline derrière la maison et s’installaient dans une cabane de bois pour fumer. Cette vie quasi familiale apaisait Louis II. La question des rapports entre Richard Hornig et le comte Holnstein reste sans réponse. Comment s’entendirent l’altier Oberstallmeister et le Stallmeister ? Il est probable que le comte prit de haut l’écuyer-amant-ami comme il est à peu près certain que ce mépris glissa sur les solides épaules de l’écuyer. La façon dont Hornig supporta les « tocades » et autres coups de cœur de Louis II est un autre sujet. En réalité, Hornig avait parfaitement compris que l’état mental du roi relevait du pathologique ; il le dira lors de l’enquête qui permettra la déposition de Louis II. Si l’écuyer fut souvent éclipsé par des astres qui passèrent comme des étoiles filantes, on peut aisément parier qu’il n’en était guère affecté, voire que cela le reposait. En fait, on ne sait pas grand-chose de celui qui connut certainement le mieux le roi Louis II de Bavière. Richard Hornig, fidèle à la discrétion dont il fit preuve toute sa vie, n’a laissé, en dehors des propos tenus devant la commission d’enquête de juin 1886, aucun témoignage.
L’une de ces étoiles filantes illustre à merveille ce que furent les passions de Louis II. La liaison assez courte que le roi entretint avec le jeune baron Lambert von Varicourt est uniquement liée au nom d’origine française du jeune homme. Elle se déroula au printemps 1873, alors que les pensées délirantes du roi se font plus nombreuses et l’angoisse plus prégnante. Les préoccupations de Louis quittent alors le domaine du Moyen Âge pour celui de la monarchie française ; Louis XIV et MarieAntoinette remplacent Parsifal et Lohengrin. La perte par Louis II d’une partie de son pouvoir royal était bien entendu la cause de ce redéploiement du champ des obsessions. Les lettres du roi envoyées au baron von Varicourt3 ainsi que les Carnets permettent de suivre très exactement l’évolution de cette rencontre. Louis II remarqua le baron un vendredi de mars 1873. Âgé de vingt-neuf ans, Lambert von Varicourt avait servi dans les chevau-légers, puis les cuirassiers, régiments qui avaient été engagés dans les guerres de 1866 et de 1870. Le cavalier était sans doute ce qu’il est convenu d’appeler un bel homme. Si, pour Louis II, cette condition était nécessaire, elle était loin d’être suffisante ; le roi n’était pas seulement un croqueur d’éphèbes. La réaction de Louis devant le jeune cuirassier lors de leur première rencontre fut : « Salut ! à celui qui porte un tel nom ! » Trois jours après, Varicourt devenait aide de camp. Il ne put se faire aucune illusion sur sa brutale faveur, car Sa Majesté lui écrivit : « Vous savez mieux que personne que vous devez votre nomination d’aide de camp à l’intérêt que je porte à l’histoire de l’ancien régime en France. » Le jeune homme fut immédiatement invité par une lettre du roi à voir des pièces jouées à la Residenz, « une sur Louis XV, une sur Louis XVI ». Il s’agissait de mauvais drames fabriqués rapidement pour satisfaire le caprice royal et joués pour un seul spectateur. Varicourt vit donc les œuvrettes dans la loge royale surplombant un théâtre vide ; après quoi, il lui fallut remercier Sa Majesté, ce qu’il fit sans la chaleur suffisante. Les reproches du roi étant très amers, le malheureux dut reprendre la plume : « L’idée que j’ai pu, en choisissant mal mes mots, faire naître dans l’esprit de Votre Majesté – ne fût-ce que quelques instants – le moindre doute sur mes sentiments de félicité et d’exaltation m’emplit de remords et j’en demande humblement pardon », etc. On croirait lire les lettres du malheureux prince von Thurn und Taxis.
Le roi calmé lança une nouvelle invitation au théâtre suivie d’une discussion dans le Jardin d’Hiver. Très satisfait, il fit porter au jeune homme des boutons de manchettes ornés – grande délicatesse – de fleurs de lys et non de cygnes ; le bijoutier de la cour travaillait à la demande. Le roi, qui avait fait faire cette parure de diamants pour son propre usage, précisa qu’il l’offrait volontiers, car « un Varicourt est mille fois plus digne de les porter, étant le descendant de deux gentilshommes qui ont souffert héroïquement pour ce noble emblème des rois de France […]. » Le jeune baron qui s’était jusque-là peu soucié de généalogie avait eu recours en urgence à son père qui lui avait expédié quelques renseignements sur sa famille, laquelle semble avoir été assez obscure, réussissant à trouver tout de même deux aïeux présentables sous le règne de Louis XVI dont un, merveille ! aurait participé à la défense des Tuileries le 10 août 1793 et donc défendu la chère Marie-Antoinette. L’enthousiasme de Louis ne connut plus de bornes. Tandis que Varicourt tentait vainement de faire entendre au roi qu’il était d’un naturel peu sociable et tenait plus que tout à son indépendance, Louis II le noyait sous une avalanche de lettres qui, toutes, ne parlaient que des ancêtres des Varicourt, gens merveilleux de courage, d’honnêteté, de franchise, de bravoure. Sa Majesté en vint même à écrire : Je ne me considère pas comme votre vrai roi – votre véritable maître est en fait Henri V, roi légitime de France et de Navarre*1 […] Le 6 octobre de cette année, vous recevrez un buste en marbre de ma chère reine Marie-Antoinette que j’adore comme si elle était encore en vie. Elle était pure et noble comme un ange du bon Dieu. Que Dieu vous bénisse.
Lors de la rencontre suivante, nouvelle susceptibilité du roi qui trouva son ami « très différent de ce qu’il était l’autre jour ». Pour que ce fût bien clair, Louis résuma : « Le sentiment d’amitié que vous éprouvez pour moi a des racines profondes et sacrées dans le royalisme ; mon amitié pour vous, de même, a pris naissance dans la lecture de livres sur l’histoire royale. » Dans un post-scriptum, il ajoutait : Votre caractère n’est que noblesse et élévation ; tout ce que vous m’avez dit hier en a été une nouvelle preuve. Mourir pour vous serait pour moi la mort la plus belle, la plus souhaitable ! Oh ! comme je voudrais que cela se produisît vite, vite ! Cette mort serait pour moi plus désirable que tous les présents de l’univers.
Varicourt qui n’en demandait pas tant commençait à perdre pied. Obligé de répondre au courrier sous lequel il était enseveli, il se tortillait pour un maigre résultat. Seul Wagner pouvait rejoindre, voire dépasser le roi sur les cimes de l’exaltation littéraire. Cette lenteur d’écriture, après avoir un temps irrité Louis, fit redoubler sa passion. Il suppliait le jeune homme de le tutoyer et de l’appeler par son prénom. Bien que d’ascendance française, le garçon n’avait pas hérité des finesses et subtilités qui, dans l’esprit du roi, devaient accompagner tout ce qui se rattachait à Versailles. Varicourt était même d’un caractère rugueux et d’une nature peu portée aux délicatesses, pour ne pas dire un peu fruste. Il se sentait de plus entraîné dans une affaire où il aurait préféré ne pas se trouver. C’est alors qu’arriva un incident au cours duquel il s’emporta. Louis détruisit la lettre que le baron lui avait écrite pour présenter des excuses, mais nous possédons la réponse du roi, en date du 25 avril 1873 : Il y a un passage dans votre lettre à propos duquel je ne cesse de m’interroger. Vous m’écrivez que vous appréciez très hautement – c’est ainsi que vous vous exprimez – mes faveurs d’une nature purement spirituelle. Expliquez-moi, je vous prie, pourquoi vous insistez sur ce point, alors que leur nature purement spirituelle ne fait aucun doute. Et cependant vous y insistez tout spécialement ! Écrivez-moi pour m’en donner la raison s’il vous plaît. C’est pour moi une énigme que je ne peux absolument pas résoudre.
Tout indique que le roi avait voulu passer des faveurs spirituelles à d’autres qui l’étaient moins et que le jeune homme avait refusées, mettant le roi épris de pureté dans une situation très délicate. Louis II convoqua le coupable afin qu’il s’expliquât, aussi Varicourt dut-il se débattre et manier les idéaux de pureté durant quatre heures. Il faut croire qu’il ne s’en tira pas trop mal, car cela lui valut la lettre la plus délirante de toutes celles qu’il reçut : Soyez béni, vous qui avez su préserver l’or pur des sentiments au milieu du tourbillon de la vie qui dégrade tant de gens […] en mon âme vous régnez en roi absolu. Mon cœur vous appartiendra jusqu’à mon dernier souffle. J’ai l’impression de vivre en un rêve enchanté depuis que je vous connais. Durant ces dernières semaines, j’ai été transporté dans les sphères les plus hautes de l’éther […] Vos lettres me sont plus précieuses que tout ce que je possède, que tous mes châteaux, tous mes tableaux. Je vous aime fidèlement, aujourd’hui et à jamais, avec une ferveur sacrée […] et je ne serai séparé de vous que par la mort. Je suis et resterai jusqu’à mon dernier souffle votre sincère et loyal ami – non pas votre roi, car c’est vous qui, en réalité, êtes le mien4.
Là-dessus, l’amoureux passionné invita Varicourt à passer huit jours à Berg. Ils partirent ensuite à Linderhof. Dans son Journal, Louis II note qu’ils dînèrent dans le kiosque mauresque. 8 jours à Berg le 15 soupé dans le Kiosque avec le bar. de Varicourt puis promenade ensemble au clair de lune le long du lac de 10 heures à 3 heures 3/4 du matin. Penser à l’ami adressé par la Providence, lever les yeux vers le nom noble et magique qu’il porte. Varicourt sans cesse me cuirassera5.
La pensée du roi, souvent magique, cherche toujours à tirer un bénéfice de ses obsessions. Mais le ton du récit semble dire que l’heure du sublime est passée, même si la promenade au clair de lune fut longue. Varicourt sortit de ces petites vacances certainement moins satisfait que Louis. Il fit remarquer au roi que l’escapade lui avait fait manquer un rendez-vous et confia à Holnstein, toujours en embuscade, qu’il pensait au suicide. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le bonheur n’était pas au rendez-vous. L’idée de se donner la mort était pour Louis II admirable et pouvait donner lieu à d’interminables développements et échanges épistolaires, mais la sotte plainte concernant un rendez-vous manqué était un crime de lèse-majesté. Le 16 juin, le roi écrivait encore : « Je crois fermement en TOI comme en l’esprit du bien, et en la Puissance de la Pureté et de la Noblesse. » Le 25 juin, tout était fini. Le roi partait et le nom de Varicourt retombait dans l’oubli. Sa Majesté écrivait à l’homme pour lequel Elle voulait mourir avec joie la semaine précédente : Je prends la plume pour vous remercier cordialement de votre dernière lettre et vous adresser mes meilleurs vœux au moment de vous quitter, car je m’en vais à la montagne pour quelque temps. Il est certainement inutile que je vous dise que je penserai souvent à vous ; vous connaissez mes sentiments d’amitié pour votre personne […] Je vous envoie mes salutations les plus chaleureuses et mes vœux les meilleurs pour votre prospérité6.
Pourquoi cette fin rapide ? L’indélicatesse de Varicourt avait-elle suffi ou le roi avait-il enfin obtenu les fameuses faveurs ? L’affaire avait duré exactement treize semaines et finissait de façon abrupte. Tout donne à penser que Varicourt poussa un soupir de soulagement. Après un tour dans ses cabanes de montagne, le roi redescendit à Hohenschwangau où il fêta selon la tradition son anniversaire – le vingt-huitième – avec sa mère et
Otto qui allait bientôt rejoindre le Schloss Fürstenried pour ne plus en sortir. Le court passage du baron von Varicourt dans l’histoire de Louis II pose la question de la vie sexuelle du roi que les auteurs ont analysée très différemment. Certains défendent sa vertu avec une énergie farouche, s’accrochant à l’idée du roi vierge et bataillant pour nier une homosexualité qui ne fait aucun doute. Il s’agit plutôt de savoir si le roi fut un homosexuel pratiquant ou demeuré chaste. N’en déplaise aux tenants de la vertu royale, il est tout de même difficile de prétendre que les baisers signalés dans le Journal du roi se résument à de simples accolades et les chutes uniquement des recours à l’onanisme. Ceux qui, à l’opposé, imaginent le roi allant d’orgie en orgie, tel un Romain de la décadence, se trompent aussi et sans doute davantage. D’abord parce que nous n’avons aucun témoignage en ce sens, surtout parce que les fous ont leur logique et celle du roi ne conduisait pas à la débauche. Les confidences fournies par le Journal du roi sur sa vie intime sont précieuses. Les pages des Carnets furent certes falsifiées, mais le ou les manipulateurs qui opérèrent n’auraient pas caché un aspect aussi négatif du roi puisque leur but était de le disqualifier afin de justifier son internement. Chaque chapitre du Journal souligne au contraire l’idéal de pureté de Louis II, idéal obsessionnel qui implique tout l’imaginaire et toute la personne du roi. Les chutes mentionnées sont en fait peu fréquentes ; le roi payait trop cher en scrupules et en remords le moindre manquement. De plus, choisissant ses conquêtes à partir d’obsessions relatives à un aspect de sa pensée symbolique et non sur un attrait réciproque, il s’éprit plus d’une fois d’hommes qui ne partageaient pas ses goûts. Louis II fut un homosexuel honteux, malheureux et parfois repoussé. Il faut ajouter que l’aventure avec Varicourt comme la lecture des Carnets donnent l’impression que Louis II n’était pas un grand sensuel. Ce que Louis aimait dans ces rencontres, c’était de réaliser l’imaginaire dans le domaine amoureux et de voir ses aspirations au sublime s’incarner dans un prince charmant. Seul Richard Hornig en acceptant un statut qui le mettait tantôt au niveau des chevaliers, tantôt au rang d’un grand domestique survécut au moment où le prince redevint crapaud.
L’élu suivant fut le jeune comte Georges-Alfred von DürckheimMontmartin souvent oublié. Il joua cependant un rôle dans la vie de Louis II, et ce jusqu’à la fin. Si une partie de son nom indique une origine française, il ne semble pas que le roi ait déliré sur le patronyme du nouvel élu comme il l’avait fait pour le précédent. Il remarqua ce beau militaire de vingt-quatre ans durant l’été de 1875 et en fit son aide de camp. Cette façon de fabriquer des aides de camp déplut au ministre de la Guerre qui s’en plaignit. L’avis général reste que le jeune homme, pour brave et honnête qu’il fût, n’avait pas un esprit au-dessus de la portée ordinaire. Il est vrai que le comte provoqua moins l’enthousiasme royal que Varicourt et ne reçut, semble-t-il, ni buste de Marie-Antoinette ni boutons de manchettes mais un album de Linderhof sur lequel il s’extasia dans une longue épître. Dürckheim était un homme loyal et parfaitement fidèle ; la suite montrera qu’il était aussi très courageux. Le roi allait l’utiliser comme factotum ; Hornig ne pouvait pas tout faire. Louis le chargea notamment d’aller à Nymphenburg, puis à Fürstenried afin d’obtenir des rapports sincères sur l’état de son frère. Le jeune homme acquit rapidement la confiance du roi et celle-ci fut bien placée. Dürckheim ne se découragera même pas quand il se trouvera chargé de trouver des candidats « aimables et dociles » pour remplir des postes ministériels, voire celui de chef de cabinet. Les lettres du comte montrent qu’il mit un zèle naïf à chercher les oiseaux rares, mais n’en trouva aucun qui eût toutes les qualités demandées. Le roi remercia le comte von Dürckheim-Montmartin en le faisant grand chambellan, ce qui était la première charge de la cour, jusque-là réservée à des familles plus illustres et à des hommes plus mûrs. Sérieux et plein de bonne volonté, le comte fit de son mieux pour s’acquitter de sa tâche, il avait toutefois le défaut d’être bavard et embrouilla souvent les affaires du roi. Le baron von Hirschberg eut son heure en 1880. L’histoire dit qu’il était très idéaliste, ce qui convenait à la situation, malheureusement il lui fut reproché un manque d’imagination qui mit fin à l’aventure. Le baron von Varicourt comme le comte von Dürckheim-Montmartin bénéficièrent d’un passage à Linderhof. Le château qui marque la réorientation des obsessions du roi vers la monarchie française devint celui où il conduisit les hommes auxquels il lançait le mouchoir, ce qui signifie peut-être qu’il y fut heureux. C’est en tout cas la seule de ses constructions où il vécut.
*1. Le comte de Chambord, alors seul prétendant au trône de France pour les légitimistes.
XIII
La vie est un songe II Deux châteaux en Bavière En 1869, Louis II avait averti son ancienne gouvernante qu’il faisait construire dans la région de Garmisch-Partenkirchen, à Linderhof, « un palais pas très grand » qui devait lui servir « d’asile poétique pour oublier les angoisses de notre affreuse époque » ; il ignorait encore combien l’époque serait terrible. L’absorption de son pays dans le Reich allait atteindre profondément Louis dans son image de roi. En réaction, sa folie le conduisit à se projeter dans le siècle de la monarchie absolue. Trianon et Versailles succédèrent au château féodal. Le temps de l’« historicisme français » était venu. Chacun de ces châteaux fut une violente protestation contre le pangermanisme qui contestait les droits sacrés de sa Couronne. Le nouveau fantasme royal avait germé dans l’esprit de Louis lors du voyage en France qu’il fit en 1867 – un an après le premier triomphe de la Prusse – en compagnie de Richard Hornig. Aimablement accueilli par Napoléon III, le jeune roi avait été ébloui par Pierrefonds. Il ne put cependant voir Versailles et Trianon à propos desquels il avait de grandes connaissances livresques. Un jour, il rebâtirait les trois châteaux dans ses montagnes de Bavière. Tout à son désir de « réaliser l’imaginaire » et malgré sa répugnance pour les voyages, il décidera de se rendre à Versailles en 1874. Le regard de la France sur la Bavière avait malheureusement changé. Entre-temps, il y avait eu des milliers de morts, le siège de Paris, des provinces occupées, l’Alsace-Lorraine perdue et 5 milliards d’indemnités à payer aux vainqueurs dont la Bavière faisait partie. Il était certain que le moment était mal choisi pour qu’un roi
allemand allât se promener en France. On essaya de lui faire entendre raison, mais l’intéressé s’entêta. Le prince Chlodwig von Hohenlohe, alors ambassadeur d’Allemagne, en référa à Bismarck qui accepta de céder au caprice royal. Afin d’ôter tout caractère officiel à la démarche, il fut prévu que l’escapade aurait lieu quand le président Mac-Mahon serait absent et l’ambassadeur de Bavière à Paris en vacances. Louis II serait logé à l’ambassade d’Allemagne où un conseiller de légation le suivrait comme son ombre. De plus, le comte Holnstein accompagnerait le roi et un commissaire de police français veillerait nuit et jour à sa sécurité. Le voyage commença par Reims où Louis visita la cathédrale qui avait vu le sacre des rois de France. Les Français, bons princes, se montrèrent plus étonnés que choqués par la venue de Louis II, seules les grandes eaux déclenchées à grands frais dans le parc de Versailles suscitèrent l’ire de la presse. Le Figaro se contenta d’en sourire : « Ce n’est pas un méchant prince, il n’a jamais accompagné ses soldats que sur le piano. » Quelques gamins suivirent le roi dans le parc en se moquant d’une démarche affectée qui lui faisait poser la pointe du pied en premier comme s’il voulait écraser une bestiole. Louis eut le privilège de passer deux jours et une nuit à Versailles où il fêta son vingt-neuvième anniversaire. Rentré en Bavière, il enverrait, comme il l’avait fait en 1868, une commission chargée de copier Trianon et Versailles. On ne sait comment elle se débrouilla, mais le parfait classicisme de Trianon devait inspirer un petit château rococo en diable ; le baroque allemand l’avait emporté sur la simplicité et l’élégance françaises. Le site du nouveau château royal partageait avec les autres résidences un environnement sauvage et superbe. Louis adorait l’endroit d’où, tout jeune roi, il écrivit le 21 juin 1865 l’une de ses plus belles lettres à Wagner : Je vous écris cette lettre d’une haute terre de montagne et loin de l’agitation des hommes. Je pense à vous dans le temps et dans l’éternité. […] Voici que depuis longtemps déjà les lumières du jour ont sombré derrière les hautes chaînes de montagnes, la paix règne dans les vallées profondes, le tintement des sonnailles d’un troupeau, le chant du berger, montent jusqu’à ma divine solitude, la tendre clarté de l’étoile du soir luit doucement au loin, montre son chemin au voyageur errant dans la vallée, et me fait penser à mon bien-aimé et à son œuvre divine. L’église d’Ettal construite par l’empereur Louis le Bavarois, d’après les plans du temple de Graal à Montsalvat, se dresse, voilée de sombres sapins au bout de la vallée1.
À l’origine, Linderhof était une ferme qui servait de relais de chasse près du monastère d’Ettal. Maximilien II l’avait fait agrandir et, en 1860, y
avait emmené son fils aîné, lequel avait été conquis. L’architecte préféré de Louis II, Georg von Dollmann, allait y édifier ce qu’on a souvent qualifié de « meringue », multipliant colonnes, fioritures et volutes pour suivre le goût du roi, lequel différait beaucoup de celui de Louis XIV. Louis II, toujours désireux que l’on obéisse à sa vision intérieure, logea souvent sur place durant les travaux. Le projet devait d’ailleurs beaucoup évoluer, car à Linderhof Louis n’édifia pas un château ex nihilo comme à Neuschwanstein. Entendant conserver le relais de chasse de Maximilien, il procéda par étapes. L’idée de construire un château autour du bâtiment paternel, comme Louis XIV l’avait fait à Versailles, n’était pas pour déplaire au roi. Cependant, le site ne se prêtait pas à un grand développement de constructions, aussi l’idée de bâtir un nouveau Versailles fut-elle abandonnée au profit de Trianon, du moins sur le site, car, l’édification d’un Versailles bavarois ne pouvant attendre, les plans de Herrenchiemsee furent arrêtés dès 1870. Les trois châteaux qui devaient contribuer à la célébrité de Louis II s’élevèrent presque en même temps. Sa Majesté avait le rêve impatient. À Linderhof, Louis commença par agrandir la petite maison existante dont le jardin fut agrémenté d’un bassin, cela lui suffit jusqu’en 1870. Puis d’élargissement en ajout, il dut consentir à construire un nouveau bâtiment à l’emplacement du premier, lequel, démonté, fut finalement rebâti à quelques centaines de mètres. L’essentiel fut terminé en 1876. Un an avant sa mort, le roi fit encore agrandir la chambre à coucher royale, de sorte qu’il ne vit pas la fin des ultimes travaux. Devant le château, Louis avait eu soin de préserver un grand tilleul centenaire ; il fit installer dans ses branches une plate-forme sur laquelle il montait pour lire ou déjeuner. Le 20 août 1876, il pouvait écrire à Wagner qu’il venait de revoir à Bayreuth : Seigneur de ma vie, divin ami, Je vous écris aujourd’hui […] installé dans un tilleul étrangement beau, où je me suis fait un siège et une table. L’endroit d’où je contemple mes terres bien-aimées de Linderhof est d’une merveilleuse beauté. Le pavillon que j’habite et les jardins sont à peu près dans le style de l’idyllique Ermitage2 […].
Wagner qui ne savait pas être en reste répondit :
Mon divin Seigneur et ami adoré, Ce que rien n’aurait pu faire, l’expression vivifiante de votre lettre céleste l’a obtenu en me touchant au plus profond de mon âme3.
Linderhof, le plus petit des châteaux de Louis II – il n’eut d’ailleurs droit qu’à la qualification de « villa royale » – fut dès son achèvement le préféré de Louis II. Le secrétaire de cabinet Friedrich von Ziegler a raconté comment se déroulait la journée du roi quand il venait retrouver celui-ci pour des rapports gouvernementaux qui devaient être extrêmement détaillés ; certains duraient six heures, le secrétaire devant représenter tous les ministres y compris le chef du gouvernement. Quand Ziegler arrivait au début de l’après-midi, le château était aussi endormi que celui de la Belle au bois dormant. L’arrivant se réfugiait dans une petite pièce du rez-dechaussée où se trouvaient deux lits : un pour le Stallmeister – Richard Hornig –, l’autre pour l’intendant ; autrement dit Hornig prêtait sa chambre au chef de cabinet pour patienter, car le roi ne supportait pas que quiconque se trouvât dans ses jardins, pas davantage dans ses salons et divers cabinets quand il était là. À dix-sept heures, Ziegler entendait « les pas lourds de Sa Majesté » qui se levait et prenait son premier petit déjeuner. Alors les jets d’eau jaillissaient des fontaines et le roi sortait pour s’amuser avec les cygnes. Suivant un chemin toujours identique, il montait vers les terrasses pour saluer le buste de Marie-Antoinette et atteindre le temple de Vénus qui couronne la perspective. Revenu au château, il parcourait journaux et illustrés avant de prendre un second petit déjeuner, non sans communiquer ses réactions à son chef de cabinet enfin admis en sa présence, lesquelles consistaient en plaintes amères contre les sociauxdémocrates. Selon le temps que Sa Majesté passait à table, le rapport ne commençait qu’à huit, voire neuf ou dix heures du soir. Ensuite le dîner était servi, parfois dans la cabane de Hundig, l’une des étranges constructions annexes au Linderhof. Le roi n’allait se coucher que vers deux ou trois heures du matin, souvent plus tard. Ziegler insiste sur « l’effrayante régularité » de cet emploi du temps, régularité dont ont témoigné bien d’autres contemporains et qui affectait plusieurs aspects du comportement royal. La jeune Julie Thurner, fille d’un domestique, a laissé des souvenirs fort précis4. L’adolescente était frappée quand, depuis les fenêtres du château, elle voyait le roi se « découvrir plusieurs pas avant un calvaire et remettre son chapeau le même nombre de pas après l’avoir
dépassé ». Le roi saluait aussi régulièrement des arbres et embrassait des colonnes du hall d’entrée. Cela était pour les beaux jours, mais Sa Majesté se rendait souvent « au Linderhof » en hiver. La neige y tombait en si grande quantité qu’un homme pouvait s’y enfoncer jusqu’aux épaules. Le château étant situé à 1 000 m d’altitude, il était très difficile de garder la route carrossable, aussi le roi que le mauvais temps n’arrêtait jamais frôla la mort plus d’une fois : avalanches, attelage glissant au bord de l’abîme ou rocher tombant sur la route. La voie n’étant praticable que pour une voiture, il était impossible de croiser les chariots chargés de troncs qui l’empruntaient ; ceux-ci devaient alors décharger très vite dans le fossé et s’écarter comme ils pouvaient. Louis II suivit de très près le chantier de Linderhof, harcelant architecte et artisans. Il critiquait, discutait, prenait s’il le fallait un crayon pour s’expliquer ; il lui arriva de saisir une craie pour jeter un croquis sur l’habit d’un valet. Les meilleurs matériaux furent recherchés dans toute l’Europe. Les soies et les velours qui devaient tapisser la fameuse chambre du roi furent tissés à Lyon. Dès le vestibule du château, la statue équestre de Louis XIV attendait le visiteur sous la devise royale « Nec pluribus impar*1 ». Un cuisinier, qui se cacha pour voir arriver Louis II, rapporta que celui-ci saluait chapeau bas la statue de son confrère et modèle. Le premier étage était réservé à Louis XV, lequel aurait été surpris par cette débauche de bronzes dorés, de marbres, de volutes, de lapis-lazulis, de lustres tarabiscotés et autres porcelaines de Sèvres, de Saxe ou de Meissen. Et puis partout de l’or, de l’or, de l’or à foison au point que l’on ne sait où poser les yeux. Il a été parfois avancé que le roi ayant les « yeux faibles » avait besoin de forcer la note. Aldo Oberdorfer, après une énumération essoufflante des tableaux, tableautins, cheminées et différents vases, sans oublier un piano surdoré, concluait : « On n’y respire pas. » Comme si cela ne suffisait pas, le roi fit réaliser un cabinet des Glaces qui multipliait ce qui était déjà un peu trop multiple. Il eut un jour l’idée d’y faire entrer un chamois apprivoisé qui fit des bonds affolés sur le tapis en plumes d’autruche avant de fracasser un miroir. Le roi aimait les animaux. Son cheval préféré, Cosa rara, fut admis à déjeuner dans la somptueuse salle à manger où, jetant ses naseaux dans la porcelaine, il causa quelques dégâts. Ziegler fut étonné de le voir galoper en liberté sur les pelouses que lui n’avait pas le droit d’approcher et plus stupéfait encore de trouver Cosa rara assis dans la grotte bleue à côté du
roi pour dîner dans une assiette. Le moins que l’on puisse dire est que la bête avait été bien nommée. Au milieu d’une succession de cabinets très colorés, une grande pièce tapissée de pièces des Gobelins est presque reposante. Elle porte le nom de salle du Conseil ; le roi de Bavière ne réunissait pas de conseil, mais les rois de France étaient censés ne pouvoir s’en passer. La plus grande pièce du château est la chambre, agrandie et refaite trois fois, tendue d’un velours bleu tellement surbrodé d’or qu’il est difficile d’apercevoir la couleur de l’étoffe, laquelle se déploie librement dans les rideaux du lit et sur l’immense dais surmonté d’une couronne. Une balustrade cintrée et, bien entendu, fort dorée sépare le lit, symbole du péché, du reste de la pièce. Les Carnets portent une infinité de serments de ne pas passer « l’infranchissable barrière » à laquelle Louis II accordait un pouvoir magique. Le « franchissement » se faisait pourtant, déclenchant chaque fois un déluge de remords et de promesses. Le 21 janvier 1877, une notation – parmi tant d’autres –, Louis II écrit dans son Journal5 : De Par le Roy Je jure aujourd’hui le 21 janvier de terrible mémoire, l’anniversaire de l’assasinat [sic] du Roy de France et de Navarre Loui XVI du nom, qu’hier la dernière nuit c’était la dernière Fois pour jamais, racheté par le Sang Royal ! – (le saint graal) absolument la dernière fois sous peine de cesser d’être Roy ! – juré le 21 janvier 1877.
Louis avait fait installer dans la salle à manger de Linderhof un système qui permettait de faire descendre la table, la fameuse Tischlein deck’Dich, jusqu’aux cuisines d’où elle remontait chargée de plats. En réalité le délicat mécanisme servit très peu, car chaque service aurait demandé que le roi s’éloignât durant la manipulation. Il faut plutôt voir dans ce meuble dont l’effacement servait à libérer l’espace une variante de ces tables volantes qu’au XVIII e siècle on déplaçait selon les jeux et les envies dans quantité de châteaux français. Linderhof, dont il faut parfois oublier l’aspect « meringue dorée », est surtout remarquable par ses jardins constitués de terrasses animées de fontaines, de cascades et de statues et par toutes ses annexes qui semblent autant de décors créés pour de rutilantes opérettes du Châtelet. On pense aussi à des maisons que construiraient des enfants débordant d’imagination, mais, faute de moyens, les enfants abandonnent leurs
constructions mal achevées ; le roi de Bavière fignolait très précisément les siennes. Les annexes furent réalisées avec un soin maniaque, chacune devant représenter à un détail près, à une teinte près, ce que Sa Majesté voyait intérieurement. Quand le roi fit construire la célèbre grotte bleue, il expédia deux fois Richard Hornig à Capri afin de vérifier si le ton donné à l’eau convenait. L’ingénieur chargé de la réalisation fut à la torture : le bleu, trop foncé ou trop clair, trop profond ou pas assez, décevait toujours. L’appareillage qui permettait d’illuminer la grotte était d’une modernité extraordinaire ; pour la plupart des contemporains il relevait de la pure magie. L’inventeur de la dynamo électrique, Werner von Siemens, construisit pour le Capri bavarois un générateur doté de vingt-quatre dynamos livrant l’électricité nécessaire aux illuminations et à la formation de vagues qui devaient bercer la nacelle du roi. Les nombreuses annexes du château constituent autant de rêves éparpillés. Ces décors furent parfois édifiés, comme la grotte bleue et le pavillon mauresque – à ne pas confondre avec la maison marocaine –, à proximité immédiate du pavillon central. Ou alors, réservés à une retraite plus intime : hutte de Hundig et ermitage de Gurnemaz, ils se cachent en pleine forêt, à une dizaine de kilomètres du Linderhof. Le roi aimait les grottes au point de ne pouvoir s’en passer : il en existait déjà une dans le Jardin d’Hiver, une autre à Neuschwanstein. Seul Herrenchiemsee, le Versailles bavarois, y échappa ; le roi devait ignorer que Louis XIV, construisant Versailles, avait fait édifier la somptueuse grotte de Thétis devant la façade du château avant d’ordonner de la détruire. La symbolique sexuelle de la grotte – cavité, stalactites et stalagmites – a échappé à peu d’auteurs, d’autant que le fond de celle de Linderhof est occupé par une grande peinture représentant une bacchanale du Venusberg – le fameux monde frelaté du Venusberg – d’où s’enfuit, non sans difficulté, Tannhäuser. Ce monde qui, pour le roi, symbolisait la lutte du bien et du mal illustrait sa lutte intime. La grotte bleue, aujourd’hui peut-être plus célèbre que celle de Capri, est devenue le lieu emblématique de Linderhof, ce n’est que justice puisque sa représentation se trouve au cœur de la pensée symbolique du roi. Là, Louis II fut à la fois metteur en scène, acteur et spectateur de son propre rêve, réalisant parfaitement l’imaginaire auquel il ne savait ni ne voulait échapper. Bien que Louis n’invitât que quelques privilégiés dans sa grotte, il existe plusieurs témoignages contemporains. Julie Thurner, appelée à
prêter main-forte pour tendre une mousseline devant la peinture du Venusberg dont les couleurs avaient été jugées trop vives, se cacha dans une niche pour assister à la visite du roi : Monsieur l’Administrateur amena les deux cygnes, indice que Sa Majesté ne tarderait plus. Tout était empreint d’une agitation fébrile, car beaucoup dépendait de l’humeur du roi. Les lampes à arc électrique étaient recouvertes de plaques de verre coloré, et la grotte était illuminée de manière féerique […]. D’un pas majestueux et avec une allure impressionnante, le roi arriva accompagné de l’écuyer Hornig. […] Après avoir effectué un petit tour, le roi monta dans la barque en forme de coquillage et son accompagnateur canota le long du petit lac ; de chaque côté un cygne suivait comme un petit chien fidèle6.
Luise von Kobell dont l’époux en tant que chef de cabinet fut admis dans la grotte ajoute que, pendant qu’une machinerie agitait l’eau : « une série de cinq lumières colorées devait alterner et chacune était programmée sur une durée de dix minutes pour que le roi puisse profiter suffisamment de l’effet produit. Des vagues aux reflets fantastiques, des barrières de rochers, des cygnes, des roses, l’embarcation en forme de coquillage, et le roi de conte de fées glissant à l’intérieur. Mais pour qui aurait voulu jeter un coup d’œil dans les coulisses aurait trouvé une prose mélancolique, un électrotechnicien en nage, un poêle chauffé en permanence par sept ouvriers qui pouvait amener l’ensemble à une température de 16 degrés Réaumur*2 ». Ajoutons que tout ce petit monde devait être chaussé de feutre ; pour rêver, Sa Majesté devait avoir le sentiment d’être seule. Elle dînait parfois dans sa grotte, une branche de corail en guise de table. Cette fantaisie mettait le service des cuisines au supplice, comme chaque déplacement du roi, qui gagnant l’un de ses châteaux ou l’une de ses lointaines « cabanes » exigeait d’y trouver un service impeccable. Les cuisiniers, toujours sur le qui-vive, devaient réaliser des miracles. Theodor Hierneis, qui commença à quatorze ans une vie de commis de cuisine, devint le chef cuisinier de Louis II et le resta jusqu’à la mort du roi. Il servit ensuite le régent avant d’ouvrir charcuteries et épiceries fines. Ses souvenirs*3 fourmillent des angoisses provoquées par le mode de vie du roi. Theodor s’effrayait devant : les difficultés d’avoir à servir à manger dans la grotte bleue. Il y avait notamment la
difficulté à juger à quel moment sortir la nourriture du four, afin de pouvoir l’emballer dans un large panier plat prévu à cet effet et l’expédier jusqu’à la grotte. Cela était déjà assez compliqué mais ce qui empirait encore les choses, c’était que les souhaits du roi ne nous étaient transmis qu’au dernier moment. Pour couronner le tout, ces repas devaient être servis avec la porcelaine, l’argenterie et le linge adéquats, et de nombreux plats ne pouvaient recevoir la touche finale qu’au tout dernier moment. […] Préparer et servir la nourriture dans des plats en or était particulièrement compliqué dans cet endroit, puisque l’espace était bien évidemment très restreint et que nous n’avions que le plus petit de tous les fours7.
Theodor met fin à la légende du roi se contentant de quelques pommes de terre sous la cendre et de poissons à la broche. Il parle du « prodigieux appétit du roi », appétit que les photos de Louis II suffisent à confirmer. En revanche, il précise que Louis II n’était pas un gourmet : « Pour lui, se nourrir ne semblait pas être autre chose qu’une déplaisante mais nécessaire interruption de son activité mentale. Jamais il n’a fait d’éloges sur sa nourriture, mais il ne s’en est jamais plaint non plus. » Le pavillon mauresque, acheté lors de l’Exposition de Paris en 1867, avait été remonté près du château et somptueusement décoré dans le style oriental qu’aimait le roi. Louis II s’y faisait servir des collations en rapport avec le lieu : tartes aux dattes servies avec un punch à la violette obtenu en faisant macérer les racines de la fleur dans du champagne. Pour orner son pavillon, le roi avait fait fabriquer à Paris trois paons (grandeur nature) dont la queue était constellée de joyaux ; des lumières électriques faisaient étinceler les pierres. Ce petit temple fut profané le 8 septembre 1878 par des voleurs. Les divans furent lacérés et, horreur dont les journaux se firent l’écho, « leurs pompons en angora arrachés ». Les pierres précieuses de la queue des paons, un carillon et les éventails en plumes d’autruche disparurent. Les oiseaux furent réexpédiés à Paris afin d’y retrouver leur splendeur ; le roi ne revint dans le pavillon qu’après leur retour. L’un des cambrioleurs fut arrêté ; la queue des paons, les plumes d’autruche et les pompons lui coûtèrent huit ans de prison. Les autres pavillons, sortis de la geste wagnérienne, furent édifiés près de la frontière autrichienne, au sein de la forêt, après que le roi fut allé voir à Bayreuth la fameuse Tétralogie. Il aimait s’y rendre la nuit, en plein hiver, dans le célèbre traîneau. La cabane de Hundig, du premier acte de La Walkyrie, fut bâtie en rondins autour d’un frêne, l’épée de Nothung plantée au milieu du tronc,
des peaux de bêtes jonchant le sol en terre battue. Un petit lac creusé devant la porte berçait une petite barque. Quand le roi prenait ses repas sur une rustique table de bois, il se servait de salières en forme de hiboux et buvait de l’hydromel dans des cornes sous les têtes d’aurochs empaillées. L’histoire, relayée par le talent de Visconti, a placé des orgies dans cette cabane. Nous possédons sur le sujet deux témoignages. Celui de Luise von Kobell qui connut la cabane de Hundig, puisque son époux, le secrétaire de cabinet von Eisenhart, fut plusieurs fois invité à Linderhof. « Sa Majesté s’y asseyait de temps à autre seule pendant des heures, écrit-elle, plongée dans une quelconque lecture. Ou Elle se délectait de tableaux vivants offrant des orgies composées à la demande dans la pure tradition germanique. » Tous les traducteurs précisent qu’« orgies » a ici le sens d’abondance de mets et de boissons. Il n’est pas extraordinaire que le roi de théâtre, celui qui faisait représenter avec une précision maniaque des scènes de la vie de Marie Stuart ou de Louis XIV, fît de même pour des banquets de paysans de son mythique Moyen Âge avec force hydromel, cornes d’aurochs, cuissots de chevreuil et certainement sangliers rôtis. S’il y avait eu des orgies au sens érotique du terme, il est évident que Luise von Kobell qui était une dame assez collet monté n’en aurait pas parlé, d’autant que son mari, du fait de ses fonctions, aurait couvert ces agissements. Le second témoignage vient de Richard Hornig qui, en 1886, s’exprimera devant la commission médicale chargée de poser un diagnostic sur l’état du roi. Nul n’a vu les faits d’aussi près et son rapport permet de nuancer ou, plus justement, d’étaler ces faits dans le temps. Il y eut sans doute de sérieux débordements au début du règne. Ils se situèrent autour de Berg où le jeune roi séjournait souvent. Hornig raconta à la commission que, « au tout début, lors des chevauchées nocturnes qui eurent lieu le plus souvent au clair de lune, des fêtes furent organisées en pleine forêt et que l’on y convoquait de jeunes domestiques affectés aux écuries et aussi des laquais. Sous les tentes, on trinquait jusqu’au matin : on faisait encore passer le temps en s’amusant à de petits jeux, par exemple cacher une bague ou encore “Tailleur prête-moi tes ciseaux”. Plus tard ces occupations cessèrent mais, alors que Sa Majesté séjournait au Schachen, des palefreniers devaient parfois la rejoindre dans une pièce aménagée à la turque. On y restait assis à l’orientale, buvant du sorbet en compagnie du roi fumant des pipes turques. Les choses se passaient de la même façon dans la dénommée maison de Hunding, située près de Linderhof ; vautré
sur des fourrures, le personnel s’abreuvait d’hydromel dans des chopes en corne8 ». Cette évolution est notée par les médecins comme le signe d’une progression vers un autisme plus sévère. Si les soirées du début du règne semblent avoir été agitées, les jeux de demoiselles de pensionnat, celles du Schachen et de la maison de Hundig respirent plutôt l’ennui et correspondent au goût du roi pour les reconstitutions. En profitait-il pour jeter le mouchoir à tel ou tel palefrenier ? C’est possible, mais pas certain. L’ermitage du pieux Gurnemanz où le pur Parsifal allait chercher d’inutiles conseils fut construit à côté de la cabane de Hundig, dans une prairie fleurie. Les cerfs et les biches venant la nuit brouter les fleurs du pré, le jardinier les faisait remplacer tous les matins. Ne manquent dans ce lieu de méditation ni le lit de pénitence ni un grand et rustique crucifix. L’endroit est accolé à une chapelle et rien n’étant plus éloigné de Louis II que l’idée de sacrilège, l’endroit est pur de tout soupçon. La cabane de Hundig, détruite deux fois par un incendie, fut reconstruite en 1990 dans le parc du château. L’ermitage, deux fois effondré, fut lui aussi rebâti. S’il semble difficile de penser que Linderhof ait abrité des orgies, on peut se demander s’il fut une retraite amoureuse pour le roi. Il y vint presque toujours avec Richard Hornig. La chapelle du château porte un vitrail représentant saint Richard, personnage que l’on voit rarement, pour ne pas dire jamais, dans les édifices religieux. Les deux hommes de sa vie portant le même prénom, le roi peut aussi avoir pensé à Wagner en commandant l’œuvre mais, au sortir de la guerre de 1870 et de l’épreuve que représenta la visite du kronprinz tant haï, ce fut bien « au » Linderhof, alors loin d’être terminé, que Louis II se précipita pour revoir « l’ami adoré après une longue séparation ! Divins embrassements – Heures de bonheur, jardin, assis dans la grotte, fidélité jusqu’à la mort – Serment en pensée devant la balustrade du futur lit de lys royal9 ». On sait que le roi emmena plusieurs fois ses coups de cœur à Linderhof. Le baron von Varicourt, le comte von Dürckheim-Montmartin et l’acteur Joseph Kainz eurent les honneurs des jardins et de la grotte bleue. Le séjour ressemblait moins à une consécration qu’à un test. Comment le nouvel ami résisterait-il à une plongée dans l’imaginaire royal ? En général, mal. Non seulement Louis II amena ceux qu’il aimait à Linderhof,
mais il aima ceux qui appréciaient son château, témoin cette lettre adressée en 1877 au chef de cabinet Friedrich von Ziegler : Cher Monsieur von Ziegler, vous avez exprimé si chaudement, hier et avant-hier, la joie que vous a procurée tout ce que vous avez vu à Linderhof, que l’expression de votre félicité me remplit moi-même de joie. Je sais que vous êtes infatigable à me servir […] et à cette occasion, je ressens le besoin de vous exprimer mon entière reconnaissance10.
Mais si quelques favoris et chefs de cabinet passèrent à Linderhof, la vérité fut que, la plupart du temps, le roi, plongé dans sa lecture ou sa rêverie, condamné à ses petits cérémoniaux maniaques, s’y trouvait effroyablement seul.
*1. Généralement traduit par : « Parmi les meilleurs ». *2. 20 °C. *3. Un film de Hans-Jürgen Syberberg fit connaître l’ouvrage en 1972.
XIV
Le voyage à Bayreuth Un fou douloureusement compatissant te rachètera. Louis II de Bavière à Richard Wagner
L’autisme éloignant Louis II de toute société et presque de tout contact humain, les attachements se défirent inexorablement autour de lui ; la malchance eut sa part dans cet isolement. Le frère du roi fut enfermé sans espoir de guérison, sa mère se résigna à n’avoir avec son fils aîné que des relations aussi formelles qu’espacées et la chère tsarine, vaincue par la maladie, s’effaça dans les brumes du Nord. Richard Hornig endossa de plus en plus l’habit de grand valet, plutôt que celui de l’ami ou de l’amant ; enfin, les passions amoureuses du roi, tentatives désespérées d’une fusion salvatrice, ne furent que des flambées de plus en plus brèves. Quant à celui qui avait été l’Unique, le dieu révéré, il s’était éloigné avec la femme qu’il avait finalement pu épouser. Mais si les mensonges de Wagner joints à ses exigences avaient eu raison de l’attachement pathologique du roi, l’admiration de Louis restait intacte. La préparation de La Walkyrie, montée à Munich au mois de juin 1870, avait consommé la rupture entre Louis II et le compositeur. Encore une fois, Wagner avait tenté d’intimider le monarque : « Cassez maintenant le bâton au-dessus de ma tête, si vous le pouvez1. » Louis avait définitivement jugé que cette tête était trop dure. Ne restait à Wagner qu’à créer son festival dans son propre théâtre. Cosima souffla le nom de Bayreuth ; ils y coururent. La petite ville-bibelot qui ne comptait que 17 000 habitants au milieu de vertes collines les séduisit. Le merveilleux
théâtre-bijou, chef-d’œuvre baroque construit par la margravine Wilhelmine, sœur de Frédéric II, fut jugé trop petit. Il permettrait toutefois d’attendre la construction du fameux théâtre que Louis avait jadis promis de bâtir à Munich. L’édification du Festspielhaus fut chiffrée à 300 000 thalers ; il devait en coûter 400 000, somme à laquelle il convient d’ajouter le prix de la construction de la propre maison de Wagner. Au printemps 1873, la famille du compositeur quitta la Suisse pour Bayreuth et vint le rejoindre à l’hôtel Fantaisie. Louis II avait reçu le 1er mars 1871 un plan complet des projets du compositeur. Il répondit que le projet « était divin » après avoir dit au conseiller Düfflipp qu’il le trouvait détestable. Le choix de Bayreuth dans la protestante Haute-Franconie déplut – on peut dire souverainement – à Louis II, la petite cité ayant la réputation d’être proprussienne. Le compositeur lui avait fait part de sa décision dans une de ces lettres très ampoulées dont il avait le secret, avançant que la ville se trouvait en Bavière ; à le lire, il ne pouvait pas exister de ville plus située en Bavière que Bayreuth. Il ajoutait que la cité n’étant pas une ville d’eaux, elle ne serait pas encombrée de touristes et que l’on n’y viendrait que pour la musique. Il avait annoncé le premier festival pour 1873 ; c’était très optimiste. Pour trouver les fonds nécessaires, Wagner, durant quatre ans, allait devoir multiplier les tournées de concert, les suppliques aux banquiers, les créations d’amicales et les souscriptions. Il composera même une marche pour le centenaire de l’indépendance américaine, morceau jugé assez « tonitruant » et, à bout de ressources, lancera un appel à l’empereur Guillaume qui, sur l’indication de Bismarck, lui conseillera de s’adresser au Reichstag, ce qui valait une fin de non-recevoir. Le compositeur doutera plus d’une fois de réussir. Épuisé par son érésipèle, des troubles oculaires, digestifs et, déjà, les signes de l’angine de poitrine qui devait l’emporter, il dut repousser plusieurs fois la date fixée. Tout en rappelant que ses finances ne lui permettaient plus de soutenir le festival, Louis II avait souscrit pour 20 000 thalers au début de l’aventure et offert le terrain où s’édifierait la maison du compositeur. Elle fut baptisée Wahnfried – terme généralement traduit par « la paix des illusions », le propriétaire ayant fait graver au-dessus de la porte monumentale : « Ici, où mes illusions trouvèrent la paix – Wahnfried – ainsi je nomme cette maison. » Ces largesses octroyées, le roi qui, en raison de ses propres constructions, connaissait de grosses difficultés financières avait décidé que les questions
d’argent n’interféreraient plus entre le compositeur et lui. En novembre 1873, Wagner se rendit à Munich dans l’espoir de le fléchir. Il ne put voir que le conseiller Düfflipp, qui refusa tout nouveau subside, expliquant que Sa Majesté n’avait toujours pas admis que Munich ne fût pas le lieu de la création du Ring comme le prévoyaient les contrats. En guise de consolation, Louis II fit remettre à Wagner les insignes de l’ordre de Maximilien. Malheureusement, il les donna aussi à Brahms que Wagner appelait « le jeune âne », ce qui gâcha le plaisir du premier bénéficiaire. L’argent ne venant toujours pas, une dernière souscription fut lancée : une seule personne se manifesta. Très amer, Wagner écrivit à Louis II que la noblesse allemande se moquait de l’esprit allemand et préférait jeter son argent dans « des projets juifs et jésuites ». Si près du but, il voyait celui-ci se dérober quand, à la fin du mois de janvier 1874, une lettre arriva de Hohenschwangau : Non, non et encore non, ce n’est pas ainsi que cela doit finir. Il faut que l’aide arrive. Notre projet ne doit pas échouer. Parsifal connaît sa mission et mettra en œuvre tout ce qui est en son pouvoir. Ne désespérez pas et rendez-moi heureux par une lettre2.
Le roi, offrant un prêt de 100 000 thalers, le sauvait. Ne lui avait-il pas écrit un an auparavant un court billet qui se terminait par une phrase tirée du début de Parsifal : Un fou douloureusement compatissant te rachètera3.
Le 24 avril 1874, Wagner achevait le Ring commencé vingt-six ans auparavant. Les répétitions furent lancées au mois de juin. Dans une longue lettre au roi, le compositeur expliqua l’organisation des trois cycles des Nibelungen selon un schéma encore en vigueur aujourd’hui. Chaque représentation commencerait à quatre heures de l’après-midi, la deuxième à six heures et la troisième à huit, de façon à ménager un temps de repos et de déambulation auquel mettrait fin un appel des trombones. Les tracas et imprévus de toutes sortes obligèrent Wagner à repousser plusieurs fois la première du Ring, des plus graves aux plus cocasses. Au dernier moment, le cou du dragon géant, envoyé à Beyrouth au lieu de Bayreuth, se perdit. L’humeur impérieuse de Cosima heurta le ténor Albert
Niemann qui faillit partir et le chef d’orchestre Hans Richter qui, lui, claqua la porte. Wagner qui souffrait d’abcès dentaires vivait sur les nerfs. Il déversait son impatience et sa fureur sur les artistes qu’il embrassait un instant après. Le costumier ne livrait que des horreurs : tuniques en peaux miteuses et perruques grotesques. Le compositeur, qui redoutait que tout ne soit prêt à temps, était dans l’angoisse au sujet de la venue du roi. Touchant enfin au but, il se trouvait saisi de remords à l’idée des chagrins qu’il lui avait procurés. Mon ami tant aimé, si je vous ai causé de la peine, des contrariétés et d’angoissants soucis, j’espère gagner votre pardon quand vous serez face à face avec mon œuvre. Oh ! pourquoi êtesvous si loin […]. Vous m’avez donné et gardé ma force, je dépose en hommage à vos pieds ce qui a pu être forgé par elle, et je salue en vous son créateur4.
Mieux vaut tard que jamais. Le vieil ingrat reconnaissait ce qu’il devait à Louis II. Il parlera bientôt d’une cocréation. La bénédiction du roi lui paraissait de plus en plus indispensable à son sacre. Le compositeur ne l’avait pas vu depuis huit ans. Pouvait-il imaginer à quel point celui-ci avait changé ? Tiraillé entre sa passion pour l’œuvre wagnérienne et la gêne de montrer à l’Ami l’homme qu’il était devenu, paralysé par sa phobie des contacts sociaux, Louis tergiversait interminablement. La première du Ring avait été fixée au 7 août 1876. Le roi céda au dernier moment puis, effrayé par la publicité que le compositeur donna à sa venue, voulut renoncer. Wagner lui proposa d’assister à une répétition générale où il serait absolument seul. Louis II posa ses conditions : Tout ce qui ressemble à une ovation de la part de la population doit m’être épargné y compris les banquets, les audiences et les visites de personnalités étrangères. Je déteste tout cela de toutes mes forces. Je viens pour m’enivrer, pour m’enthousiasmer de votre grande création, pour me rafraîchir l’esprit et le cœur, non pour me produire devant les badauds et devenir une victime d’ovations5.
Le roi, présent, devrait donc être invisible. Pour éviter qu’il ne devînt « victime d’ovations », il fut organisé qu’il arriverait de nuit, et encore Louis prit-il l’initiative de faire arrêter le train trois quarts d’heure avant la ville de Bayreuth où tout était pavoisé pour l’accueillir. Dans la nuit du 6 août, le train royal, bleu argent et or – trois voitures pour le roi, une pour
les domestiques, un fourgon pour les bagages –, s’arrêta en rase campagne. Un laquais sauta du train pour ouvrir la porte de la voiture-salon et le roi, drapé de noir sous un chapeau noir, parut. Le petit homme qui attendait marcha vers lui, les larmes aux yeux. Une accolade maladroite fut esquissée avant que les deux hommes ne se serrassent la main. Aucun mot ne fut prononcé. Une calèche dont les chevaux coupèrent à travers champs vint les chercher pour les conduire toujours en silence au petit palais de l’Ermitage, ancienne résidence des margraves. La gêne devait être l’invitée principale dans la voiture. Wagner qui se sentait encore fautif restait intimidé par cet homme gros et pâle. Ce fut encore une voiture fermée qui les emmena au Festspielhaus dont les lignes raides jaillissaient de la colline. Devant huit cents places vides, Louis II assista aux côtés de Richard Wagner aux quatre générales dans l’extraordinaire théâtre tout en bois, y compris les fauteuils « où tout wagnérien doit accepter de souffrir pour l’amour de l’acoustique ». Le roi contempla les trente gradins circulaires qui s’élevaient depuis la large scène sous laquelle se dissimulait la fosse d’orchestre. Tout ici avait été calculé pour que le son, lancé vers le plafond, fût renvoyé vers l’auditeur. Ce fut avec une ferveur religieuse que le roi suivit les épisodes de la Tétralogie, histoire d’un sombre affrontement de clans qui s’entredéchirent comme des bêtes sauvages. L’affaire prend une quinzaine d’heures réparties sur quatre soirées jusqu’à ce que l’héroïne s’immole sur un bûcher tandis que le Walhalla prend feu et que le Rhin déborde en vue d’une submersion générale. La dernière onde de gaze agitée à la fin du Crépuscule des dieux, Sa Majesté accepta que Cosima et les enfants, tout endimanchés, viennent la saluer dans sa loge, mais refusa d’aller visiter la grandiose maison du compositeur. Louis II repartit le 9 août aussi discrètement qu’il était venu. Ce fut de Hohenschwangau qu’il exprima sa joie et son admiration. Non seulement le roi n’en voulut pas à Wagner d’avoir créé ailleurs l’œuvre qu’il avait jadis commandée et payée, mais il ne dit rien de la mise en scène qu’il avait détestée, comme tout le monde. Le dragon amputé de sa tête et les canassons effrayés des Walkyries avaient provoqué le fou rire des spectateurs. Louis II émerveillé redit à Wagner les paroles de Tannhäuser : « Vous êtes l’Homme-Dieu, le véritable artiste de droit divin qui apporte sur la terre le feu sacré pour éclairer, pour lui donner le bonheur, pour la racheter. […] Heureux le siècle qui a vu naître un génie sans pareil6. » Il lui avoue que ses nerfs ont été tant surexcités qu’il a eu une pénible
congestion à la tête, laquelle n’a pas cédé à un bain dans le lac. Wagner qui ne veut pas être en reste confie que le brusque départ du roi lui a donné une fièvre violente « qui l’a contraint de s’abandonner aux soins de quelques amis ». L’un et l’autre ont été bouleversés par leurs retrouvailles. Le lendemain du départ de Louis II, l’empereur Guillaume arriva à la gare de Bayreuth. Point habitué à finasser, il déclara à Wagner en guise de félicitations : « Je ne croyais pas que vous y arriveriez. » Ce fut le 13 août que les trompettes sonnèrent pour la première fois afin d’appeler la foule des invités. Deux empereurs : Guillaume Ier et Pedro II du Brésil, le roi de Wurtemberg et une bonne partie de l’Europe aristocratique et artistique étaient présents : Tchaïkovski, Saint-Saëns, Liszt bien sûr. Quand le brouhaha fut retombé, Louis demanda à revoir le cycle des Nibelungen. Sachant que, cette fois, il ne pourrait avoir une séance particulière, il ajoutait : « je vous prie de m’isoler par une cloison des princes qui pourraient venir dans ma loge ou les en empêcher, au besoin par des gendarmes, de s’approcher de moi pendant les entractes ». Wagner assura au farouche monarque qu’il disposerait d’une loge et d’une galerie pour lui seul, sans qu’il fût nécessaire d’appeler des gendarmes, et le prépara dans une longue lettre à l’idée d’accepter les regards du public et de remettre quelques décorations. « Ne vous dérobez pas, car c’est ainsi que vous répandrez sur moi et sur mon action l’ultime éclat. Tout serait comme inachevé si cette suprême gloire me manquait. Laissez-moi annoncer ouvertement que vous venez. Et cette dernière représentation consacrera toute mon action7. » Wagner avait besoin du prestige que lui apporterait la présence du roi de Bavière, mais aussi d’une onction plus personnelle et plus intime, en somme le pardon de l’homme qu’il avait tant fait souffrir. Louis II revint à Bayreuth du 27 au 30 août pour une nouvelle série de représentations. À la fin de la troisième, Wagner prit la parole pour remercier le roi et le déclarer coauteur de son œuvre, ce qui n’était que justice. Le public, qui avait été admis à condition de demeurer silencieux, applaudit à tout rompre, aussi le roi, les larmes aux yeux, dut-il s’approcher du bord de la loge. Il applaudit à son tour, remit quelques décorations, distribua des bagues aux cantatrices puis, à la prière instante de Wagner, consentit à traverser la ville de nuit, ovationné par une foule enthousiaste et émue qui s’accrochait aux portières de la voiture. Ensuite, il s’entretint longuement avec Wagner sous les tilleuls des allées du palais de
la margravine. À son retour à Munich, Louis donna des ordres pour qu’il ne soit plus jamais question de voyage, que ce fût à Bayreuth ou ailleurs. Si Louis II avait un instant fendu l’armure de Lohengrin, il venait, cette fois, de refermer la visière ; elle ne se lèverait plus. Quittant Hohenschwangau pour Linderhof, il assura à Wagner : « Tant que je vivrai, je vous servirai. » Il n’y avait jamais manqué. L’œuvre créée à Bayreuth se distinguait trop de ce que la critique musicale avait coutume d’entendre, aussi celle-ci se montra-t-elle assez dévastatrice. Wagner n’en fut pas troublé, car il avait alors la tête tournée par la jeune Judith Gautier, fille du poète Théophile Gautier. Cette brune très cultivée et très libre, divorcée de Catulle Mendès, allait faire pleurer un peu plus qu’à l’habitude la malheureuse Cosima. La jeune femme sera la dernière passion de Wotan et la seule ombre qui approcha l’union parfaite des Wagner. Le Journal de Mme Wagner porte alors de grands appels à la mort, mais toute dévastée qu’elle fût, Cosima savait que le couple qu’elle avait forgé était indestructible. Son mari ne lui avait-il pas écrit : « Des réussites comme la nôtre, il n’y en a pas une sur cinquante mille » ? Cette réussite faisait rayonner la fille de Liszt, mais toujours de façon altière. Vêtue de soie et de perles, Cosima régnait sur Wahnfried ; le mot n’est pas trop fort. Elle exigeait que ses enfants lui baisent la main quand elle entrait dans une pièce et si elle idolâtrait son fils, ses façons avec ses filles étaient si dures – brimades et châtiments corporels – que Wagner ne put le supporter et confia leur éducation à une gouvernante. Ce soir-là, son épouse écrivit dans son Journal : « Tu veux me faire haïr le devoir. […] J’espère profondément la mort8. » De telles femmes sont impérissables. Cosima mourra à quatre-vingt-dix-sept ans. De ses quatre filles, seule Blandine qui se mariera jeune en Italie échappera au malheur qui devait être le lot de ses sœurs. À lire la correspondance entre Louis II et Richard Wagner, on ne peut que constater que le voyage du roi à Bayreuth fut une excellente chose pour tous les deux. Ils furent visiblement apaisés, et si leurs lettres s’espacèrent, elles devinrent plus confiantes et plus douces. Wagner peint intarissablement son bonheur. Bavard impénitent, il envoyait des lettres de vingt pages pour décrire sa maison, la faisant visiter pièce par pièce. Sous sa plume, la grande demeure devint une « petite maison dans la prairie » aussi modeste que naïve. Construite dans un style classique autour d’un hall surmonté d’une verrière qui la traverse sur trois étages, Wahnfried est
une demeure magnifique ; son classicisme poussé jusqu’à l’épure évoque avant l’heure le style Art déco*1. Le buste en bronze de Louis II trône sur une stèle de granit devant le perron. Wagner qui pensait à tout avait fait aménager dans une petite clairière du parc l’espace où se trouveraient sa tombe et celle de Cosima. Ses journées sont racontées depuis la toilette du matin jusqu’au baiser du soir. Inlassablement, il prend le roi pour témoin de son bonheur familial, avec un soin qui semble parfois indélicat tant son interlocuteur s’en trouve privé. Père gâteux du petit Siegfried, il évoque ses craintes de voir un jour ce fils adoré faire un service militaire que, par avance, il refuse énergiquement. L’ancien disciple de Bakounine écrit avec quel soin il prépare l’avenir de l’enfant, de façon que celui-ci n’ait jamais à travailler pour gagner sa vie. La suite prouvera que cette éducation ne devait pas donner que d’heureux résultats. Apaisé et en partie délivré de l’égoïsme farouche qui l’avait habité, Wagner s’inquiète sincèrement de la santé du roi. Dans un éclair de lucidité, il se demande tout de même « si par l’amplitude des détails énumérés il n’avait pas lassé son gracieux protecteur ». D’une courtoisie remarquable, le roi remercie, assure qu’il est « extraordinairement captivé », réclame une photo de la famille et s’extasie devant celle de Blandine et de son fiancé. En fait, le roi répond peu à ce flot épistolaire. Ses lettres, toujours courtes et dépourvues du délire qu’il jetait jadis sur le papier, sont désormais très contrôlées. Parfois, on trouve trace d’une interruption : « Il y a huit jours que j’ai commencé cette lettre […]. » En fait, Louis II n’a repris la missive que pour écrire une formule de politesse et signer. Il se confie encore, avec précaution, mais Wagner est sans doute le seul à qui il glisse quelques réflexions personnelles. Sans cesse, il revient sur la plainte obsessionnelle qu’il nourrit contre l’humanité laquelle « est en gros une species méchante, plate et sans idéal9 ». Wagner ne le contrarie jamais sur ce point : oui, l’humanité est immonde. Plusieurs fois, le roi évoque le bonheur et la paix qu’il trouve dans ses montagnes, revient sur « les suites de 70-71 qui m’empoisonnent l’existence », glisse quelques réflexions politiques : « Les lois semblent faites pour laisser ouverte une petite porte de derrière à tout ce qui est mal, à tout ce qui sape le respect, l’autorité, la religion, de façon que bientôt l’anarchie et la barbarie puissent sans pudeur élever leurs têtes10. » Rien qui ne pût choquer le compositeur, le temps de la révolution était loin.
En 1877, Richard Wagner commença son dernier grand opéra, Parsifal, dont le troublant personnage de Kundry doit beaucoup à Judith, la belle tentatrice dont il restait amoureux. Le 3 mai 1879, il annonçait à Louis II que l’œuvre était achevée. En ce qui concerne sa création, ni l’un ni l’autre ne céderont sur ce qui leur importait vraiment. Wagner refusera que l’opéra fût créé à Munich – pour le théâtre duquel il avait été commandé et payé – et Louis II ne consentira pas à retourner à Bayreuth. Le compositeur accéda toutefois à la prière du roi de créer le Prélude – uniquement le Prélude – à Munich. Wagner rentrant d’Italie arriva dans la capitale bavaroise le 31 octobre 1881. Il assista à une représentation du Vaisseau fantôme puis de Tristan et Iseult où il fut très applaudi. Le 10 novembre, Louis II l’invita à une représentation privée de Lohengrin. « La présence de Richard Wagner déplaît profondément à Sa Majesté qui se sent totalement arrachée au sublime », s’empressa d’écrire le valet Huber au secrétaire de cabinet von Bürkel. Louis ne supportait même plus l’Ami divin à ses côtés pour écouter son œuvre. En fait, il semble que Wagner ait eu à souffrir d’un fort retour de flamme du roi à l’égard de Richard Hornig avec lequel il dîna ensuite en tête à tête, dans le Jardin d’Hiver ; Louis note dans son Journal : « Longtemps ensemble. » Le surlendemain, le Maître en personne dirigeait l’orchestre pour le fameux Prélude de Parsifal. Sa Majesté se fit attendre et Wagner qui, comme Bismarck l’avait remarqué, ne se prenait pas pour le premier venu, se montra très irrité par ce manque d’égards et monta au pupitre assez nerveux. Louis, bouleversé par la pureté de l’œuvre, demanda à la réentendre immédiatement, ce que le compositeur accepta « avec répugnance ». Pour lui chaque représentation était une création unique, vouloir la « dupliquer » était un crime. Mais quand le roi désira « pour comparer » entendre à la suite le Prélude de Lohengrin, le compositeur, furieux « de tant d’insatiabilité naïve », jeta sa baguette au chef Hermann Lévi et s’en fut. Les deux hommes ne se reverront pas. Le lendemain, le roi assista avec Richard Hornig à une représentation privée de l’Aïda de Verdi sans qu’il fût davantage question de Wagner qui repartit le 17 novembre sans avoir salué Sa Majesté, laquelle s’en souciait peu. Louis avait raccompagné Hornig à la gare, terminant son récit par ces mots : Salut et prospérité à sa tête bien-aimée – moi, clair de lune.
Dernière chute après le chiffre doublé de mes dix-huit ans.
Le roi qui avait eu trente-six ans le 25 août ajoutait dans son Journal qu’il avait toujours entendu dire qu’il n’y avait aucune amitié possible entre un prince et ses sujets, mais que lui et Richard bien-aimé-de-moncœur donneraient la preuve du contraire. En somme, Wagner était mal tombé. Quand Parsifal fut créé à Bayreuth en 1882, Louis II mit à la disposition de son Ami les costumes, les chœurs et le chef d’orchestre de Munich, mais aucune supplication ne put le faire repartir vers les collines de HauteFranconie pour applaudir l’histoire du pur chevalier qui incarnait les rêves de sa jeunesse. Dans une lettre du 8 juillet 1882 où la description de son mauvais état de santé aurait attendri les pierres, Wagner lui écrit : « C’est la plus grande déception de ma vie, car je m’aperçois à présent que le désir de Votre Majesté ne se limite plus à une représentation privée (que vous seriez en droit d’exiger à n’importe quel moment), mais qu’il s’agit plutôt d’un refus d’assister à une représentation à Bayreuth. » Et d’ajouter : « Ah ! pourquoi n’a-t-on pas construit jadis à Munich11. » Louis ne répondit pas. Comme le note Marianne Wörwag-Parizot : « Le pontlevis entre lui et le monde était relevé. » La promenade que Louis II avait faite avec « le cher Ami adoré » dans les jardins du palais de la margravine avait été leurs derniers pas côte à côte, « sa dernière échappée dans la réalité, dont à partir de ce moment, il s’évada tout à fait12 ». Louis II n’entendit Parsifal à Munich qu’un an après la mort de Wagner. Les costumes et les décors arrivèrent de Bayreuth dans douze wagons par le chemin de fer. Isolde Wagner, fille aînée du compositeur, fut autorisée à rester pour la générale. Le lendemain, 3 avril 1884, le roi assista seul à la première représentation. Quand le rideau retomba sur la grande extase mystique finale, Louis bouleversé dut songer qu’il n’avait plus personne auprès de qui exprimer l’émotion et l’admiration dont il débordait, plus une âme à laquelle confier la résonance que trouvait en lui l’histoire de l’« innocent au cœur pur », plus d’ami à louer et à remercier des larmes que lui tirait ce chef-d’œuvre. Pensa-t-il à la lettre qu’il avait écrite à Wagner alors que celui-ci s’installait à Bayreuth : « et quand enfin nous aurons atteint le but sacré que, dès le commencement, nous nous étions proposé […] nous rendrons compte de nos actes dont le sens et l’objet étaient de répandre sur la terre cette lumière, et aussi de conduire
l’humanité dans le sens de sa perfection en la faisant participer aux joies éternelles13 ». En ce soir d’avril 1884, le génie du compositeur avait encore une fois su faire écho à l’idéalisme de son roi. Parsifal n’avait été donné à Munich que pour un seul spectateur. Pour Louis II, la chose allait de soi. Après le choc de 1871 et l’atteinte faite à la royauté magique dans laquelle il vivait, le seul but du monarque avait été de donner vie à son monde intérieur, un monde fantasmatique. Il a souvent été écrit que le roi avait conçu toute sa vie comme un spectacle, certes, mais dont il voulait être l’unique spectateur. Louis II avait aimé très jeune le théâtre. Au temps des marionnettes enfantines, il s’improvisait régisseur. Plus tard, il mit en scène les apparitions de Paul von Thurn und Taxis déguisé en Lohengrin sur l’Alpsee. L’adolescent se précipitait à l’opéra ou au théâtre – et avec quelle émotion – chaque fois qu’on l’y autorisait. Devenu roi, il exprima très vite la gêne que lui procurait un public auquel il reprochait sa curiosité. Il fit garnir sa loge de rideaux, ce qui eut pour résultat de multiplier les coups de lorgnette des spectateurs. Ne pouvant supporter d’être observé, le roi quitta un soir le théâtre au beau milieu du spectacle. Le régisseur Ernst Possart convoqué reçut l’explication : « Tant que les gens me dévisagent sans cesse et suivent avec leurs jumelles chacune de mes mines, je ne peux avoir aucune illusion au théâtre14. » Ce que le roi voulait cacher était moins sa personne que ses émotions. La curiosité des spectateurs – laquelle ne pouvait être qu’augmentée par le fait que le roi ne paraissait qu’exceptionnellement en public – était ressentie comme un viol de son intimité. De plus en plus mécontent, Louis demanda au début de 1872 à assister à une répétition de Marie Stuart incognito. « Ce fut une matinée difficile », conclut Possart. Qu’à cela ne tienne, Sa Majesté décida que dorénavant il y aurait des représentations au théâtre de la Residenz comme au Théâtre royal de la cour pour lui seul, ainsi il serait libre de ses mines, personne ne pourrait lire ses sentiments sur son visage. C’était bien sûr fausser l’un des principaux ressorts de l’art théâtral, celui-ci étant fait pour un public dont les acteurs sentent les réactions. Jouer pour un seul homme, est-ce encore du théâtre ? La grande actrice viennoise Charlotte Wolter
confia à un journaliste autrichien ce qu’elle éprouva, le 9 mai 1885, en jouant le rôle de cette favorite dans Narcisse, lors de l’une des dernières représentations privées données pour Sa Majesté : « À onze heures trente, les acteurs se réunirent sur la scène. Il régnait un silence absolu. Les ouvriers du théâtre portaient des chaussures de feutre. À travers le judas dans le rideau, on ne voyait que le proscenium illuminé, la salle était complètement sombre. À minuit précis, un son de cloche retentit, le roi quitte son palais et se rend à travers un corridor qui reste dans une semipénombre à sa loge. Un second coup de cloche annonce l’entrée du roi et aussitôt le rideau se roule et se relève. Un tremblement nerveux m’envahit. Comment vais-je jouer devant cette salle vide et sombre ? Finalement, je m’avançai sur la scène. Je m’efforçai de voir à travers l’obscurité, ne serait-ce que les contours de mon unique spectateur. Rien. Il me manquait le contact électrique qui s’établit entre le public et les acteurs15 […]. » C’est-à-dire l’essentiel. La première représentation privée se déroula au Théâtre de la cour le 6 mai 1872, la dernière, treize ans après. Les deux cent neuf données pour la plupart au grand Théâtre de la cour coûtèrent près de un million de marks à la cassette royale. Le refus de la curiosité publique n’était pas la seule raison pour laquelle le roi avait exigé des manifestations privées. Il voulait voir des pièces que l’on plierait entièrement à sa vision. Quand les œuvres publiées en langue allemande ne suffiront plus, notamment pour le répertoire français, il les fera traduire ; enfin, quand ce fonds lui aussi sera épuisé, il fera fabriquer des pièces entièrement à façon. Ce deus ex machina participait largement à la mise en scène, dirigeait le choix des acteurs et plus encore leur interprétation, s’occupait des décors, des costumes, des effets spéciaux sur lesquels il ne lésinait pas. Non seulement le roi restait présent à chaque étape de la création, mais, durant la représentation, il prenait des notes afin de les communiquer au régisseur, de sorte qu’il était fréquent qu’à l’entracte un aide de camp partît de la loge royale pour faire corriger quelque chose sur la scène. Ce fut Ernst Possart qui eut la lourde charge de collaborer avec le roi durant treize années. Entré au Théâtre de la cour en 1864, il avait brillé dans Les Brigands de Schiller. Possédant une bonne connaissance du théâtre et aussi des humeurs du roi, il fit preuve de toute la souplesse qu’exigeait la situation ; en 1877, le titre de directeur des théâtres royaux vint récompenser ses services.
Possart explique dans ses Souvenirs que ce n’était pas toujours en croyant aller au-devant des désirs de Sa Majesté qu’on les exauçait. Il raconte comment, tenant le rôle de Mazarin dans La Jeunesse de Louis XIV de Dumas père, trônant sur la scène en grande conversation avec Molière, il fut pris de peur en voyant le roi quitter sa loge dès le début de la pièce. La fin de la représentation se déroula devant une salle vide. Le lendemain Possart fut convoqué par le conseiller Düfflipp, homme fort aimable au demeurant, chargé de la pénible tâche de lui reprocher son insubordination. Interloqué, Possart demanda en quoi il avait pu ne pas se conformer aux désirs de Sa Majesté. Et Düfflipp de lui rappeler que Celleci avait expressément demandé que Mazarin s’exprimât dans un allemand très pur en raison « du sérieux et de la dignité du grand homme d’État ». Hélas ! croyant bien faire, Possart s’était évertué à parler allemand avec l’accent italien. De plus, il avait fait les plus grands efforts pour adopter la voix nasillarde souvent prêtée au Cardinal. Une nouvelle représentation devant avoir lieu, l’acteur se fit un devoir de réviser son rôle dans le sens voulu par le roi quand, au dernier moment, Düfflipp vint lui dire que, finalement, Sa Majesté préférait la version italianisante… Les petites pièces faites « à façon » pour satisfaire le caprice royal, souvent mises en avant, ne doivent pas faire oublier que les grandes œuvres du théâtre allemand, anglais, espagnol et surtout français furent elles aussi adaptées. Le roi connaissait ce répertoire par cœur et malheur à l’acteur qui se trompait ou s’autorisait des coupures. Nombre de comédies de Molière furent représentées. Quant à Victor Hugo, presque toutes ses œuvres furent jouées, encore que Louis II déplorât que le grand écrivain s’amusât trop souvent à « calomnier la royauté » – ce dont l’auteur, il est vrai, ne se privait pas, c’était même l’une de ses spécialités. Le roi eut le désir de faire représenter l’injouable Cromwell. On ne sait pourquoi Louis II se passionna pour l’histoire de ce fanatique régicide. Il est vrai que de Marie Stuart à Marion de Lorme, les échafauds ne manquent pas dans les œuvres favorites de Louis. Cromwell a toujours été considéré comme impossible à monter parce que beaucoup trop long avec près de sept mille vers, soixante-dix personnages et d’incessants changements de décor*2. La pièce n’est passée à la postérité qu’en raison de sa Préface considérée, en 1827, comme un véritable manifeste en faveur du drame romantique. Qu’à cela ne tienne, le roi exigeait son Cromwell sans aucune coupure et décida que la pièce serait jouée en deux soirées. En 1885, il
demanda que l’on traduisît les sept mille vers en alexandrins… Les traducteurs blêmirent, mais l’idée qu’une chose qu’il désirait fût impossible à réaliser n’effleura jamais Sa Majesté qui devait mourir avant que le travail ne fût accompli, peut-être même commencé. Avec le temps, une moindre exigence de qualité se fit dans le choix des pièces. Victorien Sardou dont la Théodora coûta une fortune supplanta Corneille. Par la suite, le répertoire des grands écrivains n’étant pas extensible, le roi commanda des pièces à des auteurs qui confectionnaient du sur-mesure ; il écrivit lui-même trois œuvres qui ne furent pas jouées. La qualité artistique ne comptant plus, on ne cherchait que la réalisation très minutieuse des obsessions royales. Louis ne voulait voir que des pièces historiques et uniquement sur ses sujets de prédilection. Jacques Bainville le souligne : « L’important était d’obtenir une image même grossière des âges abolis, afin d’échapper à son propre temps. » On évita le Moyen Âge parce que le roi estimait que Wagner avait épuisé le sujet et qu’il serait très difficile, voire blasphématoire, de passer après lui, et l’on se rabattit sur la royauté française. On fabriqua : Une fête sous Louis XIV, Le Comte de Saint-Germain, La Vieillesse d’un grand roi, Le Duc de Bourgogne, Le Testament de Charles II, La Duchesse de Châteauroux, Un bal sous Louis XV, etc. Si le roi jugeait que la sacro-sainte réalité historique n’avait pas été scrupuleusement respectée, tout le théâtre retentissait de sa colère. Que dans L’Esther de Racine au collège de SaintCyr le prince de Galles se trouvât à droite de Louis XIV au lieu d’être à sa gauche, et c’était un drame. Que Charlotte Wolter incarnât la Pompadour assise sur un divan Second Empire, cela en était un autre (de fait…). Selon le témoignage de l’actrice, la fin des représentations était étrange : Quand, vers quatre heures du matin, le dernier acte fut terminé et le rideau tombé, on nous donna l’ordre de rester sur la scène, sans un mouvement, afin que le Roi ne soit pas dérangé. Il a en effet l’habitude de rester dans sa loge pour réfléchir à ce qui vient de se passer, comme quelqu’un à qui il en coûterait de revenir à la réalité16.
Charlotte Wolter voyait juste : le roi peinait de plus en plus à regagner cette rive. Il ne faut pas oublier que les acteurs circulaient dans toute l’Europe et, avec eux, la nouvelle que le roi de Bavière était étrange. Mark Twain publia un article comique pour se moquer du goût de Louis II pour les décors de théâtre et les machineries compliquées. La réputation du roi
de Bavière avait gagné l’Amérique. Les représentations théâtrales terminées, la mise en scène ne s’arrêtait jamais. Le roi dînait dans le jardin de l’Alhambra sur les toits de la Residenz, circulait dans un traîneau de conte de fées, glissait en barque dans la grotte de Capri, fumait le narguilé dans la lumière mauve du Schachen ou lisait, allongé sur les peaux d’ours de la hutte de Hundig. Mais la meilleure façon de ne pas quitter son monde intérieur consistait toujours à fixer l’imaginaire dans la pierre ; être roi lui donnait ce pouvoir et semblait l’assurer de garder le pouvoir. Une fois édifiée, la grande coquille n’offrait plus d’intérêt. Il fallait statufier un autre rêve, le faire entrer de force dans le marbre et abolir le temps de sa construction, la ligne qui sépare le fantasme de la réalité et le monde des fous de celui des hommes qui ne le sont pas.
*1. Presque entièrement détruite par une bombe en avril 1945, Wahnfried fut reconstruite à l’identique. Elle abrite aujourd’hui un musée Wagner. *2. Cromwell ne fut créé qu’en 1956, avec de nombreuses coupures, dans la Cour carrée du Louvre.
XV
La vie est un songe III Trois châteaux en Bavière C’est un délire de grandeur employé à imiter et à surpasser un modèle déjà délirant. A. Oberdorfer
Afin de « lever un pont-levis entre lui et le monde », Louis II recherchait des sites aussi beaux que difficiles d’accès. Neuschwanstein est juché sur un pic et Linderhof tapi dans un vallon forestier à plus de 1 000 m d’altitude. Pour Herrenchiemsee, Sa Majesté choisit une île. Le lac de Chiemsee, le plus grand du pays, d’où son nom de « mer Bavaroise », baigne à l’est du pays le pied des Alpes avec lesquelles il forme un panorama somptueux. Ses eaux limpides portent trois îles. Herreninsel et Fraueninsel, l’île aux Hommes et l’île aux Dames, accueillirent jadis des couvents, tandis que la plus petite, Krautinsel, l’île aux Choux, servait à nourrir moines et moniales. Louis II acheta Herreninsel en 1873 pour éviter, dit-on, un projet de déforestation ; il allait y faire couper bien des arbres. Il est plus probable que, Linderhof qui devait incarner le rêve de Versailles se transformant en Trianon baroque, le roi ait très tôt choisi Chiemsee pour implanter son Tmeicos-Ettal*1. Comme le château de Versailles, sa version bavaroise fut édifiée sur un site plat et marécageux où Louis II dut plier la nature à son caprice. Les travaux préliminaires : déforestation, assèchement, construction d’un chemin de fer et d’un petit train pour transporter les matériaux, ainsi que l’édification de baraquements pour loger les ouvriers retardèrent la construction.
La première pierre de Herrenchiemsee fut posée le 31 mai 1878, l’année où Otto fut déclaré fou et inapte à régner. Plus que jamais, le roi humilié avait besoin de se réfugier dans une royauté éclatante, inaccessible et protectrice. Le palais du Roi-Soleil sera la délirante réponse de Louis II à la vassalité à laquelle il se trouvait réduit par la proclamation lue dans le palais même de Versailles. Le château, comme les précédents, était aussi la riposte lancée à un siècle qu’il jugeait matérialiste et surtout mesquin – le mot revient souvent sous sa plume. Afin que la moindre idée de mesquinerie n’effleurât pas l’architecte Georg von Dollmann et le décorateur Christian Jank, ils travailleront sur les plans du véritable Versailles que son secrétaire, Lorenz von Düfflipp, avait rapportés de Paris. L’argent ne leur fut pas non plus mesquinement compté ; du moins pendant un certain temps. L’île de Chiemsee, située à 90 km au sud-est de Munich, se trouvait hors du domaine que Louis II parcourait habituellement et dont il détestait s’éloigner ; aussi fut-il peu présent sur le nouveau chantier. En janvier 1881, il écrivait à Mme von Leonrod : « Dans le courant de l’année, je pense me rendre là-bas pour examiner les travaux en cours, et je me réjouis de ce qui est déjà commencé. Je n’y suis pas allé depuis cinq ans1 », ce qui suppose que le roi avait été absent lors de la pose de la première pierre au printemps 1878. Louis n’ira par la suite à Chiemsee qu’une semaine chaque année à la fin du mois de septembre, sa dernière visite ayant lieu en 1885. Cela ne l’empêchait pas de s’enquérir de l’avancement des travaux et de rester très attentif aux détails. Tous les plans étaient annotés par Sa Majesté qui bombardait de billets Dollmann et Jank. Les critiques pleuvaient : « Les pieds du roi n’ont pas une position naturelle », « Les cheveux des dames doivent être poudrés », « Les couleurs des drapeaux ne sont pas celles-ci », « La photographie que le photographe Braun a faite de l’eau-forte Marie-Antoinette descend à l’Hôtel de Ville étant plus petite que l’original, que le photographe Albert se rende immédiatement à Paris pour reprendre une photographie de l’aquarelle qui appartient à Goncourt et dans les dimensions identiques à l’original »2. Edmond de Goncourt vit donc arriver chez lui un photographe envoyé par le roi de Bavière pour prendre un cliché d’une aquarelle dont le roi possédait déjà la photo, mais point dans les dimensions originales. Marie-Antoinette fut cependant peu présente à Chiemsee où l’on trouve en revanche cinquante portraits du RoiSoleil.
L’annonce des visites royales semait la panique sur le vaste chantier car les délais imposés par le roi étaient impossibles à tenir. On trichait avec des leurres provisoires. Ainsi les bassins n’étant pas encore réalisés, encore moins reliés à des canalisations, installait-on de grandes tôles remplies d’eau. Si le roi s’apercevait d’une tromperie, c’était le drame. Découvrant qu’une série de tables n’était qu’un décor de plâtre, il les fracassa à coups de canne. De même, une orange reliée par un fil métallique à l’oranger fut lancée contre le mur par un homme hurlant : « Mensonge ! » Le chroniqueur ajoute qu’il fut heureux que Louis n’eût pas vu que l’arbre avait été rapidement coupé et ses racines massacrées afin qu’il entrât dans un pot. Un incident de ce genre causera la rupture avec Richard Hornig. L’idée que l’on pût tenter de le duper dans la réalisation du rêve qu’il poursuivait relevait pour Louis II de la profanation. « À Herrenchiemsee, tout est Versailles et tout est plus que Versailles », a écrit Oberdorfer. Le problème est dans ce plus. Tout est tellement Versailles que le roi fit retirer en 1882 tous les symboles qui pouvaient rappeler la Bavière : « y compris les lions de la balustrade ». Fleurs de lys et soleils évinceront donc les lions. Salon de la Paix et salon de la Guerre, toutes les salles de Versailles sont reproduites, avec plus de dorures, de boiseries, de trophées, de candélabres, de bougies, de bronze, ainsi que la salle des Gardes, où Turenne, Condé, Villars et Vauban semblent un peu surpris par cette débauche d’or. L’escalier des Ambassadeurs qui n’existe plus à Versailles*2 se trouve à Herrenchiemsee. La galerie des Glaces qui est l’orgueil de Versailles – 77 m – mesure à Chiemsee 5 m de plus. Trente-six lustres de cristal et presque autant de candélabres font rutiler les ors et étinceler les glaces. Quant à la chambre du roi, elle aurait certainement fait froncer le sourcil de Louis XIV qui avait désiré que la sienne inspirât un sentiment de grandeur et non la stupéfaction. Rouge et or, brodée, brochée, rebrodée, elle porte, par ordre de Louis II, le bord du baldaquin royal à 6 m du sol, lequel supporte lui-même une immense couronne dorée. Il est cependant une partie du château que l’on ne saurait trouver en France. Les petits appartements furent ordonnés suivant le goût de Louis II qui ne les commanda qu’en 1883 quand la partie Louis XIV fut achevée. La chambre du roi – la deuxième du château – en est le cœur ; toute bleu et or, plus or que bleu à vrai dire, elle reste l’étincelant chef-d’œuvre du décorateur Julius Hoffmann qui succéda à Christian Jank. Au pied du lit
folâtrent Adonis et Vénus. La déesse, jugée lascive dans nombre d’ouvrages, est l’une des formes que prend Kundry, la tentatrice. Selon Luise von Kobell, Adonis aurait eu les traits de Louis II avant de prendre ceux du Roi-Soleil. À la tête du lit, Louis XIV triomphe du vice, c’est-àdire du péché de la chair, combat qui pourtant n’était pas le sien, mais la tapisserie était un talisman censé aider le roi de Bavière dans la lutte qu’il menait inlassablement contre lui-même. Pour le rappeler encore et toujours, une splendide balustrade, rutilante d’or et admirablement cintrée, isole le lit du reste de la pièce. Le dessus de lit de la chambre où le roi passa une seule nuit demanda sept ans de travail à un atelier de brodeuses. Près de la couche, un globe bleu surmonté d’une bougie était destiné à jeter quelques sombres lueurs dans la pièce. Le peintre Otto Steinger, qui avait déjà « fait le bleu » de la grotte de Linderhof, mit plus de un an à trouver le ton qui convenait à Sa Majesté. Un bureau, copie fidèle du magnifique secrétaire à cylindre de Louis XV, l’une des plus célèbres réalisations du mobilier français, est le trésor du cabinet de travail. Comme à Linderhof, la salle à manger est dotée d’une table montante sous un immense lustre en porcelaine de Meissen. Hierneis, le cuisinier, dira qu’à l’heure du souper on posait le potage sur la Tischlein deck’Dich avant son ascension ; elle demeurait en place pendant le reste du repas servi plus ordinairement par la porte. À l’étage au-dessous, l’immense salle de bains chauffée par huit bouches d’air comporte un bassin de natation ovale ; le roi aimait nager, il ne faut pas l’oublier. Cette salle évoque, encore qu’elle n’en ait pas la somptuosité, l’appartement des bains de Versailles où Louis XIV avait fait installer un bassin octogonal de marbre alimenté en une eau chaude parfumée d’herbes aromatiques, raffinement que dut ignorer Louis II, car sinon on l’eût trouvé à Chiemsee. La salle de bains de Louis II ouvrait sur un ravissant cabinet des Miroirs qui n’existe pas à Versailles. Les valets de Louis II affirmaient que celui-ci pouvait passer des heures à se regarder fixement. Toujours selon le précieux témoignage de Theodor Hierneis, le roi avait ajouté sa « touche personnelle » à Herrenchiemsee, laquelle consistait à peupler le château d’une foule de bibelots précieux comme il s’y était appliqué à Linderhof. Il semble qu’ils aient disparu très vite après la mort du roi avec toute la vaisselle d’or. Très rares furent les personnes admises du vivant du roi à visiter le
palais. Maria de la Paz et son époux Louis-Ferdinand eurent ce privilège. En formalisant l’invitation dans une lettre, Louis II prévenait Luisito : « N’en attends pas trop. » Il demandait à ses cousins le silence le plus strict sur cette visite et précisait : « avant et après ». Le roi ne les conviait pas pour donner à son château une publicité quelconque, mais pour leur faire plaisir et pour se faire plaisir, grâce à deux visiteurs « sûrs », dont il pourrait considérer l’avis comme sincère. Le couple méritait la confiance royale et se tut. Leur fils cadet, Adalbert, évoquera, dans ses Souvenirs, la visite de ses parents au mois de septembre 1883. Louis-Ferdinand et Maria de la Paz demeureront quatre jours sur l’île. Sur ordre du roi, le secrétaire Bürkel leur fit découvrir dès le premier soir, à la nuit tombée, le palais entièrement illuminé de centaines de bougies. La visite fut plusieurs fois renouvelée, de jour, de nuit, puis en examinant les détails, enfin en tenant à la main un ouvrage sur le château de Versailles afin de pouvoir se livrer à des comparaisons. L’inspection devait être limitée à trois jours, mais Luisito, infatigable, demanda une quatrième journée qui fut accordée. Le roi avait chargé Bürkel de lui rapporter fidèlement les impressions des visiteurs. Dans sa lettre, le secrétaire reproduit toutes les exclamations admiratives des jeunes mariés, en ajoutant peut-être quelques unes : « Que c’est beau ! Que c’est grand ! Que c’est noble ! » Louis-Ferdinand aurait même fait remarquer qu’en comparaison « Versailles apparaissait comme une demi-ruine, à la splendeur défraîchie, avec des peintures saturées de fumées et de poussière3 ». Il est sûr que Chiemsee devait encore fleurer la peinture et que le véritable Versailles traversait une longue période de purgatoire que l’occupation par les troupes prussiennes n’avait pas adoucie. Adalbert conclut son court récit par cette phrase mélancolique : « Ma mère se sentait un peu seule dans tout ce faste artificiel sur une petite île. Chaque soir, sur ordre du roi, on amenait dans sa chambre un grand bouquet de fleurs ; Elle était très touchée, mais contente de rentrer à la maison4. » On la comprend. Nombre de visiteurs, en arpentant ce château qui ne fut jamais terminé, jamais habité non plus, ont ressenti ce malaise. Aldo Oberdorfer décrit un trouble « semblable à celui que procurerait un bal dans une maison de fous5 ». Car on ne peut imaginer Versailles qu’avec les courtisans, les fêtes, les concerts, les intrigues, un monde grouillant de vie alors que Herrenchiemsee est un palais construit pour un homme seul qui vint très rarement errer de nuit dans la galerie où Richard Hornig se tint debout, neuf heures de suite, avant de s’écrouler, épuisé, sur le sol.
Herrenchiemsee est un cénotaphe, a-t-on dit, ou, du moins, une coquille vide, le délire d’un homme qui en a fait le symbole d’une toute-puissance qui lui échappait chaque jour un peu plus. Ce fut une folie très onéreuse. Vingt millions de marks. Lorenz von Düfflipp, secrétaire de la Caisse royale, avait subi le Jardin d’Hiver, Neuschwanstein, Linderhof et ses multiples annexes. Quand les travaux de Herrenchiemsee avancèrent, il donna sa démission et disparut. Au grand désespoir du roi, la construction du Versailles bavarois fut arrêtée pour des raisons financières en 1885. Le château devait être prolongé par deux grands corps latéraux. Une aile ne fut pas terminée, l’autre jamais commencée. Les jardins en dépit du grand miroir d’eau et de la fontaine de Latone ne sont en rien comparables à ceux du modèle français. Louis II devait passer la dernière année de sa vie à chercher les emprunts nécessaires à la fin des travaux. Le troisième château du roi, cette bâtisse incongrue et grandiose d’où il se tenait éloigné et qu’au fond il n’aimait pas, allait le mettre en grand péril.
*1. Anagramme de « l’État c’est moi ». *2. Louis XV le fit détruire au milieu du XVIIIe siècle pour installer les appartements de ses filles.
XVI
Les travaux et les jours La comparaison entre l’éclatant Roi-Soleil et le roi invisible de Bavière ne peut être soutenue bien longtemps. Ils ont cependant un point commun : tous deux entendaient vivre à leur guise et pratiquaient un égocentrisme total. « Je n’aime point à être gêné », répondait Louis XIV à ses ministres comme à ses maîtresses. L’idée de la supériorité de sa naissance avait conduit Louis II enfant à considérer que « les rois font ce qui leur plaît ». Sissi l’avait conforté dans l’idée que « toi et moi pouvons tout nous permettre ». La maladie dominant le roi de plus en plus, il n’existait pas de frein à une évolution qui l’amena à avoir une conduite qui le coupait du monde et correspondait fort peu à ce que l’on attendait d’un roi à la fin du e XIX siècle. Très vite Louis II se mit à vivre la nuit. Il ne se justifia jamais à ce sujet, reconnaissant tout de même que c’était à ce signe qu’il avait compris que son frère devenait fou. Jeune roi, il notait : « Je me lève à six heures. » Quinze ans plus tard, Friedrich von Ziegler qui attendait dans un salon de Linderhof écrit qu’il entendait le lever de Sa Majesté à dix-sept heures. L’horaire passa peu après à dix-huit heures. Ce décalage horaire était particulièrement perturbant pour les domestiques. Theodor Hierneis se plaint de sa fatigue ; le roi et sa suite voyageant souvent durant le jour le cuisinier qui devait travailler la nuit se trouvait toujours avec une dette de sommeil. À Neuschwanstein, pour éviter de s’endormir, le malheureux allait s’asseoir par tous les temps sur la terrasse d’où il pouvait voir les petits renards grimper l’à-pic de la Pöllat pour manger les restes de cuisine. Wilhelm Rutz, valet de pied de Sa Majesté, nota : « Celle-ci respectait très
précisément son temps de sommeil qui était de neuf heures et quarante minutes1 » ; un papier posé sur la table de chevet le rappelait. Ce long passage dans les bras de Morphée était obtenu grâce à du chloral. Propre et soigné jusqu’à la maniaquerie, Louis prenait un bain, souvent froid, dans un cabinet de toilette qui devait être maintenu à 17o en hiver, pas davantage. Les brosses à dents et autres ustensiles de toilette devaient être nombreux et renouvelés souvent. Le roi étant d’une pudeur farouche, les servantes qui aéraient la chambre et changeaient chaque jour les draps de soie blanche avaient l’obligation de disparaître avant le retour de Sa Majesté. Celle-ci était alors habillée par deux valets dont l’un dressé sur la pointe des pieds – le roi était très grand – s’efforçait de nouer une cravate dont les deux pans devaient être strictement égaux ; comme tous les domestiques, il devait opérer sans regarder le roi. Les biographes du roi de Bavière se sont lamentés sur le fait que ce prince si raffiné, si amoureux du beau, eût toujours porté des vêtements mal coupés et trop grands, pour ne pas dire informes. Tous accusent « les tailleurs munichois », ce qui est porter l’opprobre sur un certain nombre de personnes quand il n’y eut peut-être qu’un tailleur coupable. Il est vrai que les grands « faiseurs » se trouvaient alors à Milan, Londres ou Paris. Le tableau de James Tissot Les Membres du Cercle de la rue Royale*1, peint en 1868, donne une idée de ce qu’était alors un homme élégant. À côté de ces beaux messieurs, le roi de Bavière ressemble à un petit bourgeois mal attifé, certains auteurs, irrités, poussent la comparaison jusqu’à parler d’un « boutiquier ». Est-ce un patriotisme vestimentaire qui conduisit Louis II à s’en remettre aux « tailleurs munichois » ? Le roi faisait faire quantité d’achats à Paris, aussi est-il douteux qu’il eût renoncé à l’élégance pour ne pas froisser l’amour-propre de ses sujets, lesquels, de toute façon, ne le voyaient pas. Ou bien, ne fréquentant presque personne et n’ayant pas de cour, ignorait-il tout simplement la mode ? Il y a là un mystère de plus dans la vie du Märchenkönig. Une fois habillé, parfumé au chypre, Louis se faisait coiffer avec des exigences précises. Les cheveux devaient être entièrement frisés et la raie, sans partir du milieu du front, ne devait pas paraître non plus comme étant sur le côté. La séance durait exactement trente minutes. Sa Majesté passait à nouveau entre les mains d’un figaro avant de se mettre à table, « sinon il ne pouvait prendre goût au moindre repas ». Le choix de l’artiste était donc capital aussi ; de crainte de manquer d’un coiffeur, Louis faisait former des valets à l’art capillaire.
Ceux qui lui donnaient satisfaction prendront une place très importante jusqu’à se mêler de gouvernement. Toilette et séance de coiffure se déroulaient toujours en silence ; aucun domestique n’était autorisé à s’adresser au roi. Hierneis racontera qu’après avoir fait une erreur dans le service du vin il dut faire passer par le valet Mayr qui avait la confiance de Sa Majesté sa lettre d’excuses très plate et très humble. Habillée, parfumée et coiffée, Sa Majesté regagnait sa chambre pour un temps de prière. Les repas restaient essentiels pour Louis II parce qu’ils donnaient un rythme à sa vie en y apportant une occupation régulière. Le premier petit déjeuner était accompagné de « délicates pâtisseries ». Une promenade suivie de la lecture de la presse permettait d’attendre un second petit déjeuner qui durait une heure, offrant, outre de nouvelles viennoiseries et pâtisseries, des tartines accompagnées de confitures variées, miel, ainsi que différentes sortes de jambon et des œufs. Le repas de midi était pris à la nuit tombée. La carte du menu, écrite en français, portait de douze à quatorze plats ; ce n’était pas un choix, le roi mangeait de tout. Il est commun de souligner le fait que Louis II était extrêmement sobre. Ce n’est pas l’avis de Hierneis qui prend soin d’indiquer que l’on disposait toujours une carafe de vin du Palatinat et une de Bordeaux sur la table royale et que l’on on tenait « les vins du Rhin les plus fins » à la disposition de Sa Majesté. Le roi prisait les vins de dessert dont ses caves étaient pleines. Il buvait du champagne occasionnellement, faisant recouvrir la surface pétillante d’une couche de violettes. Il est encore précisé que, « en toute circonstance », on servait à la fin du repas un cognac mousseux qui venait de France. Louis appréciait tant le cognac que l’on en préparait toujours un verre sur sa table de nuit. Si le roi n’était sans doute jamais – ou rarement – ivre, dire qu’il était sobre comme un chameau semble très excessif. Le rapport médical qui collectera plusieurs témoignages à la fin de sa vie et permettra son internement rapportera que Sa Majesté, qui haïssait banquets et sorties, se plaignait des jours, voire des semaines à l’avance quand Elle devait « aller à l’échafaud ». Pour armer son courage, le roi buvait alors huit ou dix verres de champagne avant de s’exécuter ; le fait avait été noté par Bismarck. De même, ce furent bien les excès de table qui produisirent l’embonpoint qui frappa les contemporains à partir de 1875 ; le roi avait alors trente ans. Cet homme devenu fort, à la limite de l’obésité – il pèsera près de cent vingt kilos au moment de sa mort –, garda sa vie durant une démarche peu ordinaire qui ne peut être la
conséquence de la grave chute de cheval survenue en 1880, puisque cette lente désarticulation avait été notée le jour où le jeune Louis II suivit le cercueil de son père. Elle le rendit singulier lors de sa visite à Versailles, des gamins s’attachant aux basques royales pour singer cette drôle d’allure. Gottfried von Böhm, auteur d’une célèbre biographie de Louis II2, conclut : « Cette démarche étrange franchissait les limites du naturel. Il y avait dedans l’ivresse du sentiment de majesté. » On ne saurait trop en revenir à ce que disait Marie Festetics, la dame d’honneur de Sissi, qui, voyant arriver le roi de Bavière frisé, calamistré, parfumé et vêtu d’un uniforme autrichien, affirmait : « C’est un roi de théâtre. » Louis II composait son personnage comme il composait le décor de sa vie. « L’affectation était devenue pour lui une seconde nature3 », notera Felix Philippi. Le journaliste vit Louis II en août 1879, juste avant que le roi ne monte vers son chalet du Schachen, et nota : « Il s’avançait comme un acteur qui apparaît dans un drame royal shakespearien dans le cortège du couronnement. » La scène se déroulant à cinq heures du matin, dans le petit village de Partenkirchen où attendait le carrosse de Sa Majesté, tiré par « quatre chevaux blancs richement harnachés et semblables à des chevaux de cirque avec leur aigrette sur la tête », avait de quoi surprendre. Une nourriture trop riche et l’abus de sucreries provoquèrent très tôt des maux de dents dont le roi souffrit toute sa vie. Louis ayant perdu jeune une grande partie de sa denture – il fut constaté après sa mort que la mâchoire supérieure n’avait plus aucune dent –, Hierneis dut mettre au menu hachis, boulettes et purées. Le roi, coquet, s’efforçait de sourire la bouche fermée et tentait de parler sans montrer son infirmité, ce qui le rendait de plus en plus inaudible. Le malheureux, pourtant méfiant envers le monde médical, dut plus d’une fois convoquer des dentistes en urgence. L’un d’eux, appelé après la chute d’un plombage, fut très étonné du bavardage ininterrompu d’un patient qui l’interrogea sur sa famille et ses amis, commenta la fuite de l’impératrice Eugénie en 1870, se plaignit de ses yeux qu’il demanda au praticien de regarder et ainsi de suite durant quatre heures avant d’en venir au but de la visite ; il ne fut pas le seul interlocuteur frappé par la loquacité et la véhémence du roi. Après les soins, Sa Majesté offrit au dentiste d’aller se former à Londres « aux techniques dentaires supérieures » ; il ne semble pas que le Munichois se fût lancé dans l’aventure. En 1884, un autre spécialiste, appelé lui aussi de façon urgente, rapporta qu’il restait très peu de dents, « l’ensemble des vides étant comblé par des dents
artificielles attachées assez lâchement par de la ficelle ». Devant l’ampleur des dégâts, il conseilla un « palais artificiel », c’est-à-dire un dentier. Choqué, le roi refusa, demandant toutefois si Louis XIV avait porté un tel appareil. Le dentiste, tout en bricolant les dents restantes avec une « mince ficelle », répondit que deux cents ans auparavant Louis XIV n’avait pas eu cette chance. Avant de congédier l’homme de l’art, le roi le pria de « réfléchir rapidement à un traitement pour des états nerveux désagréables ». Hélas ! pas plus au XIX e siècle qu’aujourd’hui les dentistes n’étaient formés à la psychiatrie. La séance ayant eu lieu à Hohenschwangau, le praticien alla dormir à l’hôtel du village. À quatre heures du matin, un chasseur de Sa Majesté vint le réveiller pour lui rappeler qu’il « devait s’exercer à attacher les dents avec du fil et réfléchir à un traitement pour les états nerveux désagréables ». Cela en dit long sur l’isolement de Louis II face à la maladie. La folie prenait une forme paranoïde qui allait grandissant, le poussant à voir partout des intrigues, des complots, bientôt à redouter l’assassinat et à ne plus sortir qu’avec des gardes armés. Ce mal qui entraînait des insomnies, des maux de tête et des angoisses torturantes, il devait le cacher, car, de toutes les terreurs qui assaillaient Louis II, l’idée d’être percé à jour et interné comme son frère était la pire. À côté de cela, une forte myopie qui ne semble pas avoir été corrigée (un roi ne doit pas plus porter de lunettes qu’un palais artificiel), des troubles digestifs et une hernie qui imposait des bandages quotidiens semblent peu de chose. Si le roi endura de grandes souffrances au niveau des dents avec les risques infectieux que cela comportait, ce fut en partie parce qu’il refusa de se faire soigner régulièrement. Wagner lui vantera en vain les dentistes saxons… Louis II appelait toujours le praticien quand la douleur devenait insupportable et fit de même pour les médecins. Le roi avait pourtant deux médecins personnels. Le docteur Franz Xaver von Gietl, déjà médecin du roi Maximilien II, avait présidé à la naissance de Louis, ce qui lui avait valu sa particule. Ce spécialiste des maladies infectieuses était depuis 1838 professeur de clinique médicale à l’université de Munich où il dirigeait un hôpital. Suffisamment proche de la famille pour que son fils, Franz, devienne l’un des compagnons de jeu du kronprinz, il soigna chez l’enfant et l’adolescent de fréquents maux de gorge et des douleurs articulaires. Le premier, il s’inquiéta des moments durant lesquels l’adolescent entendait des voix. Il disparut malheureusement de l’entourage de Louis II après la
grande crise de 1865 qui le vit jouer un rôle déterminant dans le renvoi de Wagner. Louis ne devait jamais pardonner à ceux qui avaient contribué à cette séparation. De toute façon, la crainte d’être percé à jour le poussait à écarter tous les acteurs du milieu médical. Le docteur von Gietl poursuivit ses autres activités et cessa de rencontrer le roi. Une maladie de cœur devait l’obliger à s’arrêter au début de 1885, à l’âge de quatre-vingt-deux ans. Il devait conserver le titre de médecin personnel du roi, lequel, depuis longtemps, n’était qu’une coquille vide. Le docteur Maximilien-Joseph Schleiss von Löwenfeld, chirurgien et « ophtalmologue », s’était formé dans toute l’Europe, notamment à Paris. Comme Gietl, il avait été le médecin et le chirurgien personnel de Maximilien II avant d’être reconduit dans ses fonctions par Louis II. Proche du roi Maximilien avec lequel il chassait, il restera plus longtemps que Gietl dans l’entourage du fils, car il aimait la pêche, d’où des invitations à Hohenschwangau. Schleiss se vantera d’y avoir séjourné onze jours, ce qui représente la totalité des invitations faites sous les règnes de Maximilien II et de Louis II. Il fut écarté plus doucement que Gietl, mais dès le début des années 1870 n’aura plus de relation médicale avec Louis II. Cet ophtalmologue conseilla-t-il le port de lunettes au roi myope ? Dans ce cas, il ne fut pas plus entendu que le dentiste qui suggéra le port d’un « palais artificiel ». Le roi souffrant se dispensa rapidement de son rôle de représentation. Quand, en 1871, il refusa de se rendre au dîner donné au Glaspalast, en l’honneur du kronprinz détesté, ce fut un geste définitif. Il disparut presque totalement de la vue du peuple ; désormais seuls quelques paysans voisins des cabanes où il se réfugiait pourront le rencontrer. Si Louis II, tenu par la Constitution, venait à Munich deux fois par an, c’était pour se terrer dans ses appartements de la Residenz et son Jardin d’Hiver d’où il ne sortait qu’après vingt heures dans une voiture fermée, précédée et suivie de gendarmes. La petite caravane prenait toujours des directions différentes pour se rendre au Jardin anglais où Sa Majesté marchait environ « trois quarts de lieue », toujours encadrée par des gendarmes. Ludwig von Bürkel tenta en vain de faire descendre le roi de son Aventin pour le grand jubilé célébré en 1879, à savoir les sept cents ans de la dynastie des Wittelsbach. « Je ne peux pas ! Je ne peux pas ! » lui répondit le roi désolé et, face à l’insistance de Bürkel : « Je ne peux pas sortir de ma solitude. »
Les prières de Bürkel et de ce qu’il restait de l’entourage royal provoquèrent « une excitation et une angoisse allant croissant », sans que le roi puisse se résoudre à se rendre à une manifestation qui le regardait au premier chef. Qui pouvait comprendre que l’autisme l’avait enfermé dans un cercle aussi invisible qu’infranchissable ? Les uns pensaient qu’il était paresseux, irresponsable, un égocentrique qui ne supportait aucune contrainte, la plupart le jugeaient bizarre, quelques-uns avaient compris que son état était grave. Pas plus qu’il ne voyait le peuple bavarois, Louis II ne voyait ses ministres. Tous, même le chef de son gouvernement, devaient passer par le secrétaire de cabinet dont le rôle était particulièrement ingrat, les ministres ne pouvant accéder à Sa Majesté s’en remettant à lui. Le malheureux se trouvait toujours plongé dans des situations très délicates, pour ne pas dire tout à fait surréalistes. On a souvent dit qu’il était à la fois Atlas et Simon de Cyrène, à vrai dire, plus souvent Simon, le porteur de croix. Le secrétaire de cabinet qui résista le plus longtemps au régime imposé par Louis II fut Friedrich von Ziegler. Entré en fonction en 1877, il « tint » jusqu’en 1888, soit onze années, dont deux après la mort du roi. Il succédait à August von Eisenhart, resté huit ans. Comme ses prédécesseurs, Ziegler s’épuisa à tenter de pallier les conséquences de la folie du roi et à conserver l’apparence d’un fonctionnement normal à un gouvernement coupé de sa tête. Juriste et avocat de profession, Ziegler était aussi peintre et poète à ses heures. Louis II tissa avec cet homme souple et psychologue des liens complexes et affectueux qui ressemblent parfois, l’exaltation en moins, à ceux qu’il entretenait avec Wagner. Le 30 octobre 1878, Louis écrivait à son secrétaire de cabinet : Du plus profond de mon cœur, recevez mes mercis les plus cordiaux pour vos chères lettres […] Une lettre de vous me rend toujours indiciblement heureux. Heureux […] mon cœur bat pour vous d’une très sincère et très fidèle amitié amoureuse […] Mon cœur auquel vous êtes inoubliablement et éternellement cher, brûle pour vous des flammes de reconnaissance qui ne s’éteindront jamais. Mais dans les derniers jours de mon séjour à Berg, je vous ai trouvé si étrange avec moi, si changé, que je n’ai pas pu encore m’en expliquer les raisons. Pendant que vous étiez à Paris, je me sentais si oppressé qu’une espèce de nuage sombre pesait sur mon séjour en montagne. Je ne l’ai pas mérité pourtant4 !
Nombre des lettres adressées par le roi à Ziegler étant de cette eau-là, le
gendre de ce dernier devait en supprimer une partie pour que l’on ne croie pas à une liaison amoureuse entre les deux hommes. L’hypothèse est à écarter comme elle l’est pour Wagner, ne serait-ce que parce que Ziegler était plus âgé que le roi et plutôt laid. Louis II ne fit aucune exception dans ce domaine, mais il plaçait toutes les relations sur le plan de l’affectivité, laquelle, très personnelle, était fougueuse et surtout oscillante. Friedrich von Ziegler fut certainement le « punching-ball » le plus solide de ceux dont devait user Louis II. Toujours prêt en habit et chemise amidonnée, souliers vernis et haut-de-forme, il devait répondre à tout instant à l’appel de Sa Majesté qui le faisait patienter parfois jusqu’à cinq heures d’affilée dans une antichambre glacée. Pendant onze ans, Ziegler résuma pour le roi les dossiers les plus difficiles, calma l’amertume des ministres écartés, rédigea la correspondance, qu’il s’agisse d’écrire une lettre à Bismarck ou un mot de remerciements pour un paysan qui avait envoyé du gibier. Il répondait aux demandes les plus étranges du roi, tancer l’empereur Guillaume Ier qui n’avait pas envoyé de vœux d’anniversaire ou chapitrer le général Prank qui s’était permis d’envoyer les siens par télégramme. Si un dossier ou une lettre étaient jugés mal écrits, Ziegler devait les refaire sur-le-champ. Quand le roi partait en montagne, fait très ordinaire, le secrétaire de cabinet devait le rejoindre sur des routes cahoteuses par un trajet dont il était prévenu au dernier moment. Luise von Kobell a peint en quelques lignes une curieuse réunion tenue avec son mari au bord du Walchensee*2. Louis II, portant une toque écossaise, est assis devant une petite table hâtivement déployée alors que, debout, en habit, Eisenhart claironne les propositions des ministres, accompagné par la cloche d’une vache et les aboiements des chiens. Le secrétaire de cabinet était un homme puissant : tout passait par lui et son pouvoir sur un esprit malade demeurait certain, mais cela se payait très cher. Les humeurs du roi étaient insupportables. Il fallait écouter interminablement, ne jamais interrompre et ruser parfois des jours entiers pour obtenir une signature. Toute phrase qui n’était pas enrobée des indispensables flatteries était offensante. Sa Majesté questionnait sans cesse et n’écoutait pas la réponse, changeant à tout instant l’objet de la conversation. Les renvois et les ruptures étaient brusques, inexplicables. Il arriva que le roi restât cinq mois sans voir son secrétaire de cabinet. À la fin, il ne le recevra plus du tout, pas plus que le secrétaire de la Caisse civile, chargé de ses dépenses. Le rapport médical rédigé pour destituer le
roi précise que Friedrich von Ziegler « fut le dernier homme cultivé avec lequel Sa Majesté eut coutume encore d’entretenir des relations suivies et de traiter en personne de sujets d’importance et sérieux, il n’y avait plus de rapport personnel sur les affaires de l’État. On ne saurait croire quel était le traitement réservé à ces dernières5 ». Le plus dur, semble-t-il, fut de devoir passer par des « domestiques subalternes », perruquiers ou valets, pour accéder au roi. Le baron Hertling, aide de camp de Sa Majesté, ne supporta pas de recevoir des ordres au moyen de billets rédigés par des laquais ; il demanda à être relevé de ses fonctions. Le roi, furieux, donna l’ordre de le tuer6. En 1881, Ziegler apprit que le palefrenier Hesselschwerdt avait été chargé par le roi de lui trouver un successeur et, pour cela, avait déniché la photo de deux étudiants viennois, beaux garçons. À la fin, Louis ne transmettait ses ordres qu’à travers une porte fermée à clef. Un grattement à cette même porte était le signal que Sa Majesté avait été comprise. Les valets admis à entrer ou obligés de le faire devaient paraître profondément inclinés devant le roi, ne pas le regarder, ne pas dire mot, se faire comprendre par signes et, s’ils n’y parvenaient pas, faire mine d’écrire. Ils étaient alors autorisés à aller tracer le message en question dans l’antichambre, puis à le transmettre à Sa Majesté. Si Friedrich von Ziegler résista à un tel régime, ce fut parce qu’il avait, comme Richard Hornig, des nerfs solides. Les deux hommes s’entendirent pour s’entraider. Ziegler eut l’intelligence de ne pas traiter de haut son compagnon d’infortune, ils se tutoyaient et leur correspondance, quoique toujours respectueuse à l’égard du roi, montre qu’ils savaient avoir affaire à un malade. Il est certain que Ziegler s’attacha à ce roi souffrant et en eut pitié. Louis le comprit fort bien. Ziegler fut la seule personne à laquelle il demanda pardon, avec sa mère : « S’il est arrivé parfois que je me sois mis en colère contre toi et que j’aie été peu aimable, lui écrit-il, je te prie, mon cher Friedrich, de me pardonner ! Si jamais tu devais devenir froid avec moi, si ton cœur devait me manquer j’en serais indiciblement malheureux, plongé dans un vrai désespoir. Reste bon pour moi, comme tu l’as toujours été, reste-le maintenant et toujours7. » Le cher Friedrich restait bon, mais s’épuisait. Ses amis notèrent des moments de dépression. Ne pouvant parfois plus soutenir le regard du roi qui devenait celui d’un fou, il fut agité par des tics des paupières. Après la mort de Louis II, Friedrich von Ziegler occupera son poste encore deux ans
avant de devenir gouverneur du Haut-Palatinat, ce qui dut lui paraître reposant. Louis était monté sur le trône pour faire « son métier de roi » et s’y était fortement appliqué au début, il ne s’en dégagea jamais. Contrairement à ce que dit la légende, il ne fut pas un roi fainéant, mais très rapidement les questions politiques le déçurent et surtout l’irritèrent. Le roi avait aussi un lourd handicap : intelligent, il embrassait rapidement les situations, mais, victime d’une impuissance propre à la maladie, se montrait incapable d’agir. Lors des deux guerres qu’il connut, son premier réflexe fut de s’enfuir vers ses montagnes. Revenu au dernier moment sous le coup d’un chantage – la démission du gouvernement – et sa signature enfin accordée sur les papiers indispensables, il alla se cacher. En 1866, il partit dans l’île aux Roses lire Le Dernier des Mohicans et faire tirer des feux d’artifice. En 1871, il resta couché à Hohenschwangau, laissant le comte Holnstein manœuvrer. En acceptant l’argent de Bismarck et surtout en le laissant passer par les mains du comte, il se mit sous une surveillance dont il ne pourra se défaire et entre les mains d’un personnage qui contribuera, on ne sait exactement jusqu’à quel point, à sa perte. Pour expliquer ce qu’il faut bien appeler des manquements à son devoir de roi, il faut tenter de se mettre à la place de Louis II. La maladie aidant, il eut toute sa vie le sentiment de souffrir d’une inadéquation entre ce qu’il était et son époque. Il le répète à Wagner, s’en plaint constamment à Mme von Leonrod : « Il est lamentable que je vive en des temps comme ceuxci. » Pour Louis II, s’il a existé un âge d’or des rois, celui de Louis XIV, il est désormais trop ingrat de régner. Il a une très haute idée de la royauté, une idée sacrée, c’est Dieu qui fait les rois : « être roi est la chose la plus belle, la plus noble du monde », écrit-il à son frère, mais cette idée confrontée à la réalité avait durement été battue en brèche par l’humiliation subie en 1871. Cependant, l’époque n’était pas seule en cause. Cette royauté que Louis revendiquait et derrière laquelle il se barricadait, il s’en sentait indigne. Toutes les pages de ses Carnets le crient. Il aspire à devenir « toujours plus digne de la Couronne que Dieu m’a donnée », mais porte une épine dans sa chair : en raison de ses chutes, il ne mérite pas d’être roi puisque par son impureté il salit la royauté. Sans cesse, il lui faut négocier avec lui-même
pour tenter de retrouver sa dignité royale et s’abriter sous une protection sacrée : celle de Louis XIV, de la reine martyre, du vendredi saint ou d’un anniversaire religieux, et promettre de ne plus jamais recommencer. Même en tenant compte des « modifications » apportées aux Carnets, on ne peut ignorer que le roi vivait sur le triptyque : serment, chute et remords, suivis immédiatement d’une nouvelle promesse. Ainsi à l’automne 1885 : Le 16 octobre anniversaire du Martyre de l’auguste et noble reine Marie-Antoinette, certainement derniers baisers sensuels et profanes – vers le grand crucifix (Oberammergau) baisers, qui doivent tuer la Force et les suites des autres qui sont défendus à jamais et défendus très sévèrement – messe de deuil […] Que la mémoire du martyre et de la Sainte mort de la grande Reine me donne la force à dompter le mal que je maudis auquel je veux renoncer à jamais ! jamais ! jamais !!! dix ans après Reims (25 août 1875-/85) Louis L.M*3. le 1- octobre [sic] derniers baisers juré devant l’image du Grand Roy terassant le mal !!! [sic] 16 nov. 8
La protection de la reine martyre, celle du grand Roy et celle – ô combien sacrée – de Reims ne serviront à rien. La répétition, page après page, des promesses aussi vives qu’inutiles est poignante. « Louis est condamné tant qu’il vivra à gémir, promettre, tomber, jurer, souffrir9. » Devant ce roi tourmenté jusqu’au délire par l’idée du péché de la chair se pose la question d’une « névrose chrétienne », née du conflit entre une sexualité hors de la norme de l’époque et une morale trop exigeante, fruit d’une éducation religieuse rigide. Il semble que la hantise de la pureté qui provoquait chez Louis II une culpabilité monstrueuse ne soit à mettre que très partiellement en lien avec sa foi chrétienne. Le monde auquel Louis se réfère est celui de la chevalerie en général et celle du Moyen Âge allemand en particulier ; on peut y ajouter ce qu’il appelait « les lys de France ». Toutefois, ni Louis XIV ni Marie-Antoinette n’ont prétendu à la canonisation. Les héros de Louis II ne sont jamais des saints, mais Parsifal, l’homme de cristal, le pur par excellence, Lohengrin, capable de s’arracher aux bras de la vénéneuse Kundry, ou Tannhäuser, que l’on voit au fond de la grotte de Linderhof échapper aux plaisirs maudits du Venusberg. La
légende du roi Arthur et les peintures de Maurice de Schwind parlaient beaucoup plus au roi que les Évangiles. D’ailleurs, ce ne fut pas un confesseur qui s’imposa dans la vie de Louis II – on n’a trace d’aucun – mais Wagner, l’homme des Nibelungen, celui qui sut donner vie au monde intérieur du roi. Si la foi de Louis était chrétienne, sa notion du péché était on ne peut plus paganisée et il séparait assez bien les deux choses. Il n’en reste pas moins que ce roi torturé, souffrant dans sa chair et dans son esprit, s’efforça de faire son travail. Le fait qu’il eût dit et répété que la politique « était des foutaises » montre plus un profond mépris du monde des gouvernants qu’un désengagement face à son devoir. « Le roi réglait ses affaires avec une ponctualité maniaque », témoignera le forestier Aschwanden qui le guida lorsqu’il fit un voyage en Suisse à l’été de 1881. Il rapporte que Louis II, pourtant en vacances, travaillait et écrivait une partie de la nuit et que, dès son lever, il prenait connaissance des portefeuilles avant même de prendre son petit déjeuner. Le cuisinier Hierneis écrit que, quand le roi se trouvait à Hohenschwangau ou dans l’une de ses cabanes, un messager venait de Munich chaque semaine avec un portfolio et que c’était toujours une « brutale interruption du rêve dans lequel vivait Sa Majesté ». L’entourage en subissait les conséquences, car l’humeur royale devenait exécrable. Le repas était repoussé jusqu’à ce que le dernier document eût été examiné et les cuisines devaient se débrouiller pour que, la corvée terminée, le déjeuner fût servi aussitôt. À Hohenschwangau, l’éloignement des cuisines compliquait les choses, aussi les domestiques avaient-ils mis au point un système de signaux lancés depuis les fenêtres à grands coups de serviette. Louis, loin d’être négligent, fut en fait un roi presque besogneux. Consciencieusement il annotait les dossiers et signait imperturbablement, jusqu’à deux cents fois par jour, les actes législatifs et administratifs qu’on lui soumettait : promotions, décorations, nominations des officiers, fonctionnaires et curés, contrats de mariage, etc. Bien qu’ayant une idée sacrée de la royauté, il n’avait jamais rêvé être un monarque absolu. Il expliquera à Felix Dahn admirer Louis XIV pour la « poésie de la royauté » ; il voulait parler de sa grandeur. En fait, Louis II eut, comme son père, le respect de la Constitution et un certain sens de la démocratie ; en tout cas, il voulut être un monarque éclairé, attentif au sort des plus humbles. « J’estime que la résolution de la question sociale dans mon
pays, écrit-il, est plus importante que d’être considéré comme le Seigneur de l’Europe grâce à la gloire militaire, et je ne voudrais pas être tenu pour responsable de la vie de l’un de mes sujets à cause d’un but personnel10. » Dès son avènement, il créa des écoles, augmenta le salaire des instituteurs et multiplia les fondations charitables. On pourrait qualifier sa charité de « sensible », car toute misère constatée était instantanément soulagée. Cette façon de procéder avait malheureusement ses limites. Après 1871, la situation politique de Louis II devint inconfortable, le roi rencontrant désormais de vives oppositions, ce dont il se souciait comme d’une guigne. Les proprussiens, que l’on peut assimiler aux libéraux, lui reprochaient de ne pas aimer la « patrie allemande » quand les conservateurs, qu’il appelait les Noirs, méprisaient son « manque de patriotisme bavarois » ; de plus, ils étaient rendus furieux par l’opposition du roi à l’égard de Rome, laquelle se manifesta amplement lors de la crise suscitée par la proclamation de l’infaillibilité pontificale. Louis II avait certes songé, notamment quand Bismarck obtint le retrait des Jésuites, à se défaire du ministère libéral qu’il avait gardé après la guerre de 1870 et à gouverner avec le centre catholique, pour la bonne raison que ce parti conservateur était majoritaire. Sans compter que défendre le catholicisme revenait à narguer la Prusse. Finalement, Louis II conserva le ministère libéral de Johann von Lutz jusqu’à sa mort. Les conservateurs refusant de voter leur confiance à ce ministère, le roi fit tout simplement éconduire la délégation qui lui apportait le résultat du vote et écrivit au président de la Chambre : « Il ne me semble pas opportun d’accueillir l’adresse de la Chambre. Du reste, le ton que certains orateurs ont cru devoir prendre pendant la discussion m’a grandement étonné. » Pour expliquer l’obstination royale, il faut tenir compte de l’horreur du changement qui habitait Louis II et aussi de l’argent qui quittait tous les ans Berlin pour Munich. Au cas où le roi l’aurait oublié, le comte Holnstein veillait à lui rappeler qu’il était l’obligé de Bismarck, lequel s’était lancé dans une lutte très vigoureuse contre le catholicisme qui lui résistait en Pologne, en Bavière et en Alsace-Lorraine où les habitants avaient eu la malice d’envoyer l’évêque de Metz, Mgr Dupont des Loges, siéger comme député protestataire au Reichstag. « Catholique et ennemi de la Prusse sont deux termes synonymes », répétait le chancelier de fer. Les mesures du Kulturkampf dirigées contre l’Église engendrèrent des luttes violentes dans les régions catholiques où nombre d’ecclésiastiques furent emprisonnés,
quantité d’églises fermées, les couvents d’hommes supprimés, la Compagnie de Jésus dissoute et huit évêchés sur douze laissés sans titulaire. Ayant maintenu sa confiance au parti libéral, le roi tirait celui-ci vers le centre, poursuivant finalement la politique de son père. En fait, deux questions seules l’intéressèrent. La première fut celle de l’indépendance de son pays et des droits de sa Couronne. Il les rappelait dans toutes ses lettres à Bismarck, lequel le rassurait par de bonnes paroles, ce qui rendait le roi heureux quelques heures, assurent les témoins. La question religieuse sut également l’enflammer. Non seulement Louis II s’intéressa à ces problèmes, mais il prit parti dans des questions fort épineuses. Cerner les convictions religieuses du roi n’est pas très compliqué. Il est un peu rapide de réduire sa foi à une forme de « panthéisme » au prétexte qu’il priait ou « sentait son âme s’élever » devant les paysages de montagne. Louis était catholique, d’abord par éducation. Le brillant théologien Ignaz von Döllinger, professeur d’histoire des religions à la Ludwig Maximilian Universität, eut le soin de sa formation religieuse qu’il conduisit de façon très ouverte. La présence aux côtés du kronprinz d’une mère protestante permit encore à celui-ci une plus grande liberté de pensée. Louis II était aussi, c’est l’évidence, catholique parce que bavarois, les prétentions de la Prusse protestante n’ayant fait que renforcer un vrai particularisme religieux. Ce catholique pratiquant priait et allait à la messe. Louis II dotera toutes les constructions royales d’une chapelle. Le château de Berg n’en possédant pas et se trouvant trop petit pour en abriter une, le roi alla durant plusieurs années entendre la messe à Oberberg. Les villageois avaient l’habitude de voir arriver ce grand homme vêtu de noir qui suivait la cérémonie avec piété. Plus tard, le roi, devenu plus sauvage, fit édifier une chapelle dans le parc de Berg. Ce catholique était pieux, mais sans excès. La superstition qui aurait pu l’envahir semble même limitée. Maria de la Paz raconte cependant que le roi, ayant, dans son appartement de la Residenz, fait tomber un reliquaire, fit incruster une croix de marbre à l’endroit de la chute. L’importance que Louis II attachait au Jeu de la Passion, un festival sacré qui se déroulait dans le petit village d’Oberammergau situé sur la route qui menait à Linderhof, témoigne encore de sa foi. En 1870, les villageois qui interprétaient les rôles s’adressèrent au roi, bien ennuyés : l’homme qui devait jouer le Christ avait été appelé sous les drapeaux.
Louis écrivit immédiatement au ministre de la Guerre : le Christ fut libéré avec dix-sept autres interprètes et quelques villageois qui avaient manifestement profité du miracle. La guerre empêcha tout de même la représentation qui n’eut lieu qu’en 1871 ; ce fut un spectacle privé. Louis s’y précipita, invitant Eisenhart, alors secrétaire de cabinet. Il reçut ensuite les artistes, tous des villageois de Linderhof, et, s’arrêtant devant celui qui avait le rôle, ô combien ingrat, de Judas, l’apostropha : « Judas ! Qu’as-tu ressenti lorsque tu as trahi le Seigneur ? » Étrange question ! Mais les faits qui semblent prémonitoires ne sont pas rares dans la vie de Louis II. Le roi offrit une cuiller en argent à chaque invité alors que Judas ne reçut rien… L’acteur qui jouait le rôle du Christ fut invité plusieurs fois au château. Le roi devait un peu plus tard faire demander par l’intermédiaire de Joseph Kainz une autre représentation de La Passion. Il lui fut répondu que les villageois étant dans les alpages, cela n’était pas possible. Louis se soumit à la loi des alpages, mais revint chaque année à Oberammergau. En 1872, il alla visiter la grande crèche de l’église. Personne ne devant le voir, le curé se claquemura dans la sacristie et le diacre alla se réfugier dans un confessionnal. En 1873, Louis emmena Otto dont ce fut l’une des dernières sorties. Au fil des années, Louis multiplia les dons au village où il fit édifier un immense calvaire (beaucoup parlent d’un monument « pharaonique »), dont il choisit l’emplacement au mois de septembre 1873 sur une colline, près d’un carrefour de vallées d’où la vue était splendide. Les travaux devaient durer deux ans ; comme à Neuschwanstein, on utilisa des wagonnets à vapeur pour gravir la pente. Le roi inaugura très solennellement le calvaire le 15 octobre 1875, jour anniversaire de la reine Marie, à laquelle il fit don du monument par acte authentique. Ce geste est à mettre en parallèle avec la conversion de la reine au catholicisme, officialisée par une modeste cérémonie un an auparavant, le 12 octobre 1874, dans la petite église de Waltenhofen près de Hohenschwangau. Le roi n’y parut pas pour ne pas choquer la minorité protestante du pays et apaiser Bismarck, furieux de l’apostasie d’une ancienne princesse prussienne. Il a été dit que Louis II était opposé à cette conversion. Il semble au contraire qu’il ait voulu marquer l’événement par un geste aussi religieux que grandiose, d’autant que le roi avait choisi pour ce calvaire le moment des paroles : « Mère, voici ton fils. » Louis II devait revenir tous les 15 octobre à Oberammergau. Il s’arrêtait d’abord pour se recueillir à
l’endroit où un tailleur de pierre, assommé par la tête de saint Jean, avait trouvé la mort durant les travaux puis, laissant son escorte, allait prier au pied de la croix. Les années passant, le roi qui ne vivait plus que la nuit se recueillait à la lumière des étoiles. Un témoin raconte avoir vu la voiture dorée, précédée de cavaliers en habit bleu et argent portant des lanternes au bout de perches, s’arrêter au pied de la colline où Louis II monta seul à pied pour s’agenouiller son chapeau à la main, et « s’absorber longuement dans une prière silencieuse ». Le choix de la nuit du 15 au 16 octobre pour ce recueillement interroge, car, si le 15 octobre est bien le jour anniversaire de la naissance de la mère du roi, le 16 est celui de la mort de la chère Marie-Antoinette et le rapprochement entre Oberammergau et la reine martyre est bel et bien fait dans les Carnets secrets. Louis liait sa foi chrétienne et son paradis particulier, lequel l’emportait de beaucoup. Deux raisons allaient pourtant opposer fortement ce roi pieux à l’Église de son temps. Souverain absolu, Louis II craignait que le pouvoir de cette Église, considérable dans la Bavière du XIX e siècle, et celui du pape n’empiètent sur le sien. Les liens qu’il tissa dans sa jeunesse avec Ignaz von Döllinger expliquent aussi l’attitude royale. Il existe presque toujours une raison affective aux décisions de Louis II et, si celui-ci se montrait reconnaissant envers ses éducateurs, le comte de La Rosée comme le chimiste von Liebig, von Döllinger tint une place particulière. Ce fut lui que le tout jeune roi désigna pour prononcer l’oraison funèbre de son père. Le théologien avait défendu les droits du nouveau souverain et appelé à lui faire confiance. Quand Louis II accéda au trône, Döllinger avait soixante-cinq ans et une vie marquée par une longue évolution. Ultramontain dans sa jeunesse, il s’était converti aux idées libérales de Félicité de Lamennais, Lacordaire et aussi de Montalembert qu’il avait reçu à Munich. Lors des luttes pour l’indépendance de l’Italie, il fut de ceux qui s’opposèrent au pouvoir temporel du pape. En 1863, il réunit un congrès à Malines où il prononça un discours inaugural en forme de déclaration de guerre au parti conservateur. Le pape Pie IX avait connu un parcours exactement inverse ; après des débuts très libéraux, il avait pris sous la pression des événements de 1848 un tournant résolument conservateur. Il ordonna la fermeture du congrès de Malines et, montrant une grande méfiance envers les idées modernes, publia en 1864 avec le Syllabus la liste de quatre-vingts
propositions condamnées par l’Église : communisme, rationalisme, darwinisme, etc. Hostile au socialisme, il réprouva avec la même vigueur le capitalisme libéral. Louis II étudia le Syllabus et, dans un premier temps, demeura sur la réserve. Pie IX réunit à la fin de l’année 1869 le premier concile œcuménique qui prit le nom de Vatican I. La prise de Rome par les troupes de Garibaldi le 20 septembre 1870 devait y mettre un terme. Entre-temps, le concile avait proclamé le dogme de l’infaillibilité pontificale. Cette infaillibilité qui agita tant l’Allemagne et une bonne partie de l’Europe et pour laquelle on se battit ne concernait qu’une prise de position très solennelle et très rare du pape, dite « ex cathedra », relative à un point de dogme sur la foi ou les mœurs. Elle ne devait être utilisée qu’une fois par Pie XII qui, officialisant une tradition remontant aux premiers siècles de l’Église, proclama, le 1er novembre 1950, le dogme de l’Assomption de la Vierge. Louis II, comme nombre de ses contemporains, se passionna pour la question. Alors que son pays était en guerre contre la France, il interrogeait toute personne qu’il rencontrait, militaire ou diplomate, sur le sujet. Ignaz von Döllinger avait pris position contre l’infaillibilité pontificale. Plus d’un nota que le théologien qui défendait les droits du souverain attaquait ceux du pape. Le bouillant professeur réunit en août 1870 un congrès qui émit une résolution opposée à celle du concile ; quarante-trois professeurs et théologiens la signèrent. L’évêque de Munich, Grégoire von Scheer, était un ardent défenseur de la cause pontificale. Pour soutenir son ancien professeur, le roi fit l’immense effort d’inviter l’évêque à un dîner au cours duquel il fut morigéné. Döllinger, sommé de se soumettre à la décision du concile, refusa. Son excommunication, le 28 mars 1878, souleva une forte émotion au sein de l’université de Munich. Des quarante-trois signataires de la motion rebelle, trois seulement persistèrent dans leur refus. Louis II, navré, devait écrire à son ancien professeur : Je n’ai pas besoin de vous dire combien je suis heureux de votre attitude décidée dans la question de l’Infaillibilité. Le fait que l’abbé Haneberg se soit aveuglément soumis, malgré ses convictions les plus intimes, m’a produit une impression des plus pénibles. […] Je suis heureux de ne pas m’être trompé à votre sujet. J’ai toujours dit que vous étiez mon Bossuet, et lui, mon Fénelon. L’attitude de l’archevêque est lamentable il est très vrai que sa chair est forte et son esprit faible, comme il l’a écrit un jour par erreur dans l’une de ses lettres pastorales11 !
Non seulement Louis maintint Döllinger dans sa chaire d’université,
mais il voulut lui faire restituer ses charges ecclésiastiques, ce que le théologien n’accepta pas afin ne pas provoquer un conflit avec Rome. Quand la partie du clergé catholique qui refusait l’infaillibilité pontificale invita un évêque de l’Église vieille-catholique des Pays-Bas à venir à Munich pour consacrer un évêque dissident, Döllinger ne se joignit pas au mouvement, enrayant la progression du schisme des vieux-catholiques*4. En 1878, le théologien devait condamner l’autorisation donnée aux prêtres de cette Église de se marier. Il consacra le reste de sa vie à nouer des dialogues avec l’Église d’Angleterre, l’Église vieille-catholique et certaines Églises orientales. La question religieuse empoisonna longtemps la vie politique bavaroise et celle de nombreux pays d’Europe. Pie IX mourut en février 1878, achevant le plus long pontificat de l’histoire*5 après celui de saint Pierre. Quand la dépouille du pape, dernier souverain des États pontificaux, fut portée vers la basilique Saint-Laurent-hors-les-Murs où elle devait être inhumée, des opposants politiques arrachèrent le cercueil au cortège et le jetèrent dans le Tibre, signe d’un certain échauffement des esprits. En France, plusieurs années auparavant*6, la question de la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception avait provoqué l’assassinat de l’archevêque de Paris, Mgr Sibour, poignardé par un illuminé dans l’église Saint-Étienne-du-Mont. Les passions furent longues à retomber. En 1878, année jubilaire, l’évêque de Munich se livra à des comparaisons fort désobligeantes avec le jubilé de 1826, célébré lors du règne du bien-aimé Louis Ier. En guise de représailles, Louis II refusa de figurer désormais dans la solennelle procession de la Fête-Dieu, seule manifestation qu’il honorait encore de sa présence. Louis s’intéressait à nombre de religions, notamment au bouddhisme. Il montra à l’égard de toutes la plus grande bienveillance, particulièrement pour les juifs, achetant de ses deniers le terrain nécessaire à l’édification de la synagogue de Munich. Sa correspondance avec Wagner porte à maintes reprises l’écho de ses craintes devant un antisémitisme montant. Le 11 octobre 1881, le roi écrivait : J’espère que les artistes munichois dont vous souhaitez la collaboration feront honneur à leur réputation. Il est bon, bien-aimé, que vous ne fassiez aucune différence entre chrétiens et juifs à propos de la représentation de votre grande œuvre sacrée : rien n’est plus nauséabond ni plus malfaisant que de semblables querelles. Les hommes, malgré les différentes confessions, sont frères12.
Wagner devait répondre par des propos antisémites d’une bêtise et d’une méchanceté confondantes. Quand Louis II disparaîtra, la communauté juive, consciente de ce qu’elle perdait, lui rendra un sincère hommage. Il est certain que, sous le règne de Louis II, la Constitution qui était solide – grâces en soient rendues au comte de Montgelas – fut respectée et la machine gouvernementale fonctionna, mais on ne peut ignorer que le zèle des secrétaires de cabinet et le dévouement incessant de Richard Hornig durent accomplir de plus en plus de miracles pour maintenir une certaine normalité ; ceux-ci ne pouvaient durer toujours. L’amour du siècle de Louis XIV prit peu à peu le dessus sur la volonté démocratique du roi. Les témoignages du rapport médical, dont celui de Richard Hornig, indiqueront que le roi donna l’ordre à un ancien sous-lieutenant de l’armée de fonder une « coalition », c’est-à-dire de recruter une troupe pour rétablir en Bavière un gouvernement absolu ; le grand conseiller gouvernemental von Müller, choisi pour prendre la tête de la coalition, avait refusé cet honneur. La Constitution eût été abolie, la représentation nationale supprimée. À cette époque, la signature du roi se faisait de plus en plus alambiquée au bas des documents qu’on lui présentait et les arabesques qui l’accompagnaient suivies des mots « Yo, el Rey ».
*1. Ancêtre du Jockey-Club. *2. L’un des plus grands lacs des Alpes bavaroises. *3. Le roi enlace l’initiale de son prénom à celle de Marie-Antoinette. *4. Le terme vieux-catholique, attribué à ceux qui se séparèrent de Rome, peut prêter à confusion, puisqu’ils représentaient le mouvement le plus libéral et la pensée la plus « moderne ». De plus, cette Église n’existait que depuis cent cinquante ans. *5. Trente et un ans. *6. Le 5 janvier 1854.
XVII
La dernière illusion Joseph Kainz 1881 « Mon cœur n’est pas encore mort à tous les sentiments », avait écrit le roi à Marie Dahn-Hausmann dans la nuit du 25 avril 1876. Cependant les élans de ce cœur s’affaiblissaient et le roi ne croyait plus guère à la venue de l’homme providentiel. À l’été 1880, Anton von Hirschberg, plus jeune que le roi de huit ans, fut brièvement l’« ami idéal ». Le roi l’emmena au Schachen, ce qui fut considéré comme un signe de faveur tout à fait extraordinaire. L’ami rêvait d’être au ministère des Affaires étrangères. Il fut nommé conseiller de légation et reçut le titre de comte. L’ennui fut que Hirschberg, fort intelligent et pratique, « ne quittait jamais le terrain de la réalité, il lui manquait les ailes de l’imagination pour entreprendre avec Louis II des escapades dans le royaume des idéaux », précise le commentateur des Carnets1. Autrement dit, l’incompatibilité entre les deux hommes était totale. Ils se contentèrent donc d’excursions dans les montagnes. Le roi rapporta dans son Journal qu’il avait monté un cheval nommé Molière ; rien d’autre. Après avoir mécontenté tous les fonctionnaires du ministère auxquels il avait grillé la politesse, Anton von Hirschberg et son esprit rationnel disparurent de l’entourage du roi presque aussi vite qu’ils y étaient entrés. À cette rupture succéda l’échec de la dernière rencontre du roi avec Wagner venu à Munich pour diriger le Prélude de Parsifal. Le Maître, très
mécontent des demandes royales, avait jeté sa baguette et, ainsi qu’il est coutume de dire dans certains romans, était parti sans se retourner. Après avoir accompli au début de 1881, comme chaque année, le temps de pénitence munichois imposé par la Constitution, le roi gagna Linderhof. Ce fut là qu’il reçut la photo d’un jeune comédien que venait d’engager Ernst von Possart, directeur du Théâtre de la Cour. Joseph Kainz avait vingt-trois ans et la réputation d’exceller dans Shakespeare. Le roi ordonna que l’on fît immédiatement répéter la Marion de Lorme de Victor Hugo avec le beau garçon de la photo dans le rôle de Didier. Avant même qu’il ne l’eût rencontré, Joseph Kainz était Didier et ce fut de Didier que Louis tomba amoureux. Enfermé dans son univers autistique, le roi était incapable de s’intéresser à Kainz. Il voulait rencontrer le héros de Victor Hugo, tel qu’il l’imaginait, personne d’autre. De l’avis général, Marion de Lorme n’est pas le drame le plus réussi de Victor Hugo. Un peu lourd et bavard, il n’a pas la rutilance d’autres pièces de l’auteur et dut une grande part de son succès à la personnalité de Marie Dorval qui créa le rôle de la belle courtisane rachetée par l’amour, Didier incarnant le jeune homme pur et sans tache dont elle tombe éperdument amoureuse. Le pauvre garçon est tellement naïf qu’il ne se doute pas un instant du vrai métier de Marion. Un critique de l’époque écrivit qu’il avait eu envie de bondir sur la scène pour donner des claques au bêta, lequel finit par se battre avec un marquis, ancien amant de Marion. Les duels étant interdits, Didier est condamné à l’échafaud. Louis XIII (impitoyable, autoritaire et cruel) refuse sa grâce à Marion, laquelle, ne voulant pas que son amoureux meure dans le mensonge, lui révèle qu’elle est une prostituée. La pièce aurait pu s’appeler : « Toute vérité n’est pas bonne à dire ». Absolument horrifié, le malheureux finit par pardonner du bout des lèvres et, assez content de sortir de ce méli-mélo, monte à l’échafaud, main dans la main avec l’ancien amant de Marion, le marquis de Savigny, également condamné. C’est à ce dernier que Louis II choisit de s’identifier, choix curieux, car le personnage est intellectuellement assez limité et n’a pas grande importance dans l’histoire. On remarquera que l’admiration du roi pour les lys de France ne commençait qu’avec Louis XIV et que Louis XIII en était tout à fait exclu. Le 31 avril 1881, le roi vit le jeune homme de la photographie jouer dans Marion de Lorme. Didier lui fit une si forte impression que Joseph Kainz reçut un saphir monté en bague. Il remercia par la première des
cinquante-cinq lettres qu’il devait envoyer à Louis II. Le garçon avait dû être prévenu de la façon dont il convenait de s’adresser au roi et même de l’état mental de celui-ci : Très Gracieux et très Puissant Roi ! Très Gracieux Roi et Maître ! En toute humilité, je prends la liberté de déposer aux pieds de Votre Gracieuse Majesté ma plus profonde gratitude pour la précieuse bague que Votre Très Gracieuse Majesté m’a fait l’honneur de m’envoyer […]. Défaillant d’humilité, Je suis le plus humble, le plus fidèle, le plus dévoué serviteur de Votre Très Haute et Puissante Majesté2.
Le 4 mai, le roi demanda une nouvelle représentation de Marion de Lorme, après laquelle Didier reçut une chaîne d’or portant un cygne. Le 9, privilège insigne, le roi invita le favori dans son théâtre, mais non dans sa loge, à une représentation toujours privée d’une pièce de commande. Louis eut l’amabilité de lui faire parvenir le texte du navet et des jumelles. Kainz applaudit La Marquise de Pompadour, ce qui dut le changer de Shakespeare et de Victor Hugo. Le 10 mai, coup de tonnerre, on annula la représentation des Maîtres chanteurs pour donner à nouveau Marion de Lorme. Kainz l’emportait sur Wagner et Didier sur Lohengrin. Ce soir-là le roi écrivait dans les Carnets : adieu aux Reiche Zimmer *1 et au Trône 3
Il songeait donc à abdiquer non pour un jeune homme auquel il n’avait pas encore adressé la parole, mais pour le héros pur et naïf de Victor Hugo. Certes, le roi s’était déjà enflammé, mais il y avait longtemps que ce n’était plus arrivé. Après une nouvelle représentation, Didier reçut une gravure représentant la Poésie et une montre ornée de diamants. Le jeune homme remerciait, remerciait, n’en pouvait plus de remercier. Ayant très bien compris le fonctionnement du cerveau malade, il terminait par : « Oh ! je voudrais pouvoir mourir pour Votre Majesté ! » Voilà qui pour le roi préludait au sublime. Enchanté, Louis envoya un exemplaire d’Hernani et une invitation à le rejoindre au Linderhof.
Né en Hongrie dans une famille modeste, Kainz avait suivi des cours de théâtre à Vienne où il avait débuté. Ce beau garçon était plutôt petit et encore fluet. Une voix puissante, « au charme métallique », disait Bürkel, allait contribuer à son succès. Joseph Kainz était cultivé et pas sot, mais il manquait de l’éducation qui eût été nécessaire en de telles circonstances. La brusque faveur royale effraya ce jouvenceau qui se plaignit au roi des bruits que sa faveur faisait naître. Sa Majesté lui demanda de citer les noms des jaloux, car il entendait épargner à son ami « tout souci et tout chagrin ». Ce fut le 30 mai dans la nuit que Kainz arriva à Linderhof. Bürkel le conduisit aussitôt à la grotte bleue où le garçon, saisi et tout penaud, resta coi. Louis le vit alors tel qu’il était : un peu gringalet, mal attifé (toujours les tailleurs munichois…) et terrorisé. Bien que déçu, Louis lui montra aimablement la grotte illuminée, les jardins et le laissa au petit jour pour ordonner à Bürkel de le ramener à Munich. Le secrétaire réclama un peu d’indulgence, insinuant qu’un retour si rapide pourrait nuire à la carrière du garçon. Connaissant bien le roi, il souffla au jeune homme : « Jouez ! Mais jouez donc ! » Kainz entendit le conseil et, redevenant Didier, fit réapparaître le prince charmant. Bouleversé, le roi lui fit visiter le Kiosque, la maison de Hundig, l’ermitage, le promena en barque sur l’étang, déjeuna avec lui en haut du vieux tilleul et nota : « beaucoup raconté dans la maison marocaine ». Puis, bateau à vapeur sur le Plansee, Temple de Vénus et excursions multiples dans les environs. Et partout, absolument partout, Didier devait déclamer des rôles dont la liste reproduite dans les Carnets, titres et auteurs mêlés, est impressionnante : Byron, Aspasia, Hamerling, Don Carlos « à fond », Phaéton, le Décaméron « avec beaucoup d’entrain », Médée, la fiancée de Messine (dans le tilleul), Marion de Lorme bien entendu. Le roi écoutait les yeux fermés, maintenant toujours une certaine distance entre eux afin que « la voix portât ». Kainz revenait épuisé de ces sorties. Que sa mémoire vînt à faillir ou qu’il lui parût nécessaire de faire une coupure et le roi corrigeait aussitôt. Il écrivit à sa mère : « J’aurais pu endurer n’importe quoi si seulement il m’avait laissé dormir. » Endurer n’est pas un terme qui révèle l’enthousiasme. Il faut se mettre à la place d’un jeune homme qui avait séduit à son insu un prince dont sa carrière dépendait et dont, nous dit Maria de la Paz, « tout le monde avait peur ». Se pose pour Kainz comme pour Varicourt la question de la nature de ses relations avec
le roi. Certes, dans les Carnets, Louis II note : « heures précieuses » et « sommes redescendus bras dessus bras dessous comme dans un rêve », mais on trouve cent notations de ce genre dans sa correspondance avec Wagner. En revanche, pour Varicourt comme pour Kainz, aucune trace des habituelles « chutes » ni des remords et conjurations qui suivent ordinairement ; pas un mot de leur correspondance ne donne à penser qu’ils furent amants, en tout cas à ce moment. De plus, si tel avait été le cas, Kainz se serait-il plaint à sa mère d’avoir été empêché de dormir ? Cette mère à laquelle il écrivait tous les jours en lui demandant des nouvelles de sa fiancée, une certaine Léna. Le jeune homme quitta Linderhof doté de trois montres et d’un étui à cigares en ivoire. Il remercia avec une « lettre de château » à laquelle le roi répondra par un mot tout à fait dépourvu des délires jadis envoyés à Varicourt : Je vous salue cordialement, monsieur Kainz, je vous tends ma main fraternelle et reste votre Louis bienveillant, admiratif et plein d’estime. Si un destin favorable avait permis la réalisation du voyage auquel j’ai tant pensé, il nous aurait certainement beaucoup réussi puisque les impressions de voyage éloignent les risques d’une discorde qui nous est, Dieu merci, jusqu’à présent épargnée4.
Ces lignes sont une mise en garde : le niveau d’exigence du roi est grand, il ne faut pas le décevoir. Elles montrent un homme devenu méfiant parce que trop souvent déçu dans son rêve d’amour parfait. Ce voyage dont à l’évidence ils ont parlé, le roi veut pourtant le faire. Sa Majesté avait choisi l’Espagne à cause de Calderón dont on allait célébrer le bicentenaire de la mort et avait chargé Kainz d’entreprendre le secrétaire Bürkel sur le sujet. Celui-ci se montra intraitable. En 1881, l’état de Louis II faisait craindre qu’il n’embarrassât le roi d’Espagne, obligé de le recevoir. L’acteur s’en tira en expliquant au roi : « Oui, j’ai parlé avec beaucoup d’ardeur, mais plus ardente encore est la terrible chaleur de l’Espagne qui dépasse trente-six degrés centigrades à l’ombre ; si bien que toutes mes paroles ont été réduites en cendres5. » N’ayant aucune envie d’aller s’époumoner sur les mesetas torrides en récitant Marion de Lorme et La vie est un songe*2 – un titre qui ne convenait que trop bien à Louis II – le jeune homme avait peint la péninsule Ibérique comme un désert brûlant ravagé par les épidémies. Le roi ne fut pas dupe et prit ombrage du procédé. Cet épisode donne à réfléchir sur ce qu’était devenu le pouvoir
d’un monarque réduit à solliciter via son favori le droit de partir en voyage. En 1881, l’entourage de Louis II protège un malade qui accepte d’être surveillé. Kainz fut choqué et fit remarquer au roi que Bürkel n’était que le conseiller et lui le Maître. Louis s’enfonçant dans des considérations générales d’où il ressortait qu’il n’était pas facile d’être roi, l’acteur lâcha une énormité : si le poids de la Couronne pesait à Sa Majesté, Celle-ci pouvait toujours abdiquer. Abasourdi, puis furieux, Louis II remit le ver de terre à sa place. Il n’avait aucune envie d’abdiquer et resterait roi quoi qu’il arrivât. Didier n’en dormit pas de la nuit et le lendemain vint implorer très platement le pardon royal, évoquant un abus de vin qui lui aurait brouillé l’esprit. L’escapade en Espagne étant refusée, Louis se rabattit sur le pays de Guillaume Tell où il avait autrefois emmené l’acteur Emil Rohde, puis Paul von Thurn und Taxis. Bürkel fit quelques difficultés et tenta d’imposer la compagnie d’un gentilhomme avant d’y renoncer. « Plus le départ approche, plus le brave Bürkel paraît angoissé… Il voulait absolument me coller un cavalier noble », écrit le roi au comédien, tel un pensionnaire à la veille des vacances. Toutefois, la Suisse n’ayant pas de roi, les questions d’étiquette ne se posaient pas ; le pays était de plus proche de la Bavière, ce qui permettrait un rapatriement rapide en cas d’incident. Louis II invita donc Joseph Kainz a un voyage au bord du « sublime lac des Quatre-Cantons ». Le mot n’est pas trop fort tant le paysage qui oppose l’immensité d’un lac bleu azur bordé de prairies émeraude à des sommets couverts de neige est inoubliable. Sur les rives bordées de villages fleuris se trouvent les traces des mythes fondateurs de la Suisse. C’est là que serait partie la flèche de Guillaume Tell qui, le premier, aurait secoué le joug des baillis de l’empire des Habsbourg, c’est là aussi que les Trois Suisses, représentants de trois vallées, se seraient unis par un serment solennel sur la prairie du mont Rütli. Il est curieux que, partant pour le lac des Quatre-Cantons, Louis II n’eût pas cherché à voir l’un des monuments les plus célèbres de la Suisse, à savoir la sculpture qui, à Lucerne, évoque le sacrifice de six cents gardes suisses qui moururent le 10 août 1792 en défendant les Tuileries, donc MarieAntoinette. Mark Twain disait de ce lion couvrant de sa patte un bouclier portant la fleur de lys qu’il s’agissait de la sculpture « la plus émouvante et la plus triste du monde ». Cela était totalement indifférent au roi de Bavière qui ne s’occupait que de retrouver les traces des fiers républicains suisses
et, peut-être, le lieu de ses premières amours. Le voyage devant se faire incognito, les passeports furent établis aux noms du marquis de Savigny et de M. Didier. Le pauvre Didier se doutaitil qu’il partait interpréter le Guillaume Tell de Schiller dans ses décors naturels et que les montagnes helvétiques étant hautes, ce ne pouvait être qu’éprouvant ? Le pèlerinage allait durer quinze jours, de la fin du mois de juin jusqu’au 14 juillet. On connaît bien le périple grâce à l’écrivain Konrad Beyer qui recueillit nombre de témoignages6. Le couple partit pour Lucerne en wagon spécial, accompagné de huit membres de l’entourage royal et d’une dizaine de domestiques. Karl Hesselschwerdt, que l’on devait voir de plus en plus près du roi, était de la partie. Les voyageurs, descendant dans la petite gare d’Ébikon, comprirent que garder l’incognito serait impossible au colosse qu’était Louis II, surtout avec une suite de vingt personnes. Sur le vapeur, les égards du capitaine et de l’équipage indisposèrent vivement le marquis de Savigny. Il multipliait pourtant les caprices, exigeant que le bateau s’arrêtât devant la chapelle de Tell*3 où des rochers empêchaient d’accoster. Après bien des négociations et des allées et venues, un ponton fut improvisé mais, le roi ayant changé d’avis, ce fut Kainz qui alla seul, cigare aux lèvres, visiter le sanctuaire où un peintre le prit pour Louis II. Arrivé à l’Axenstein, alors l’hôtel le plus luxueux du pays, Louis II fut rebuté par la nuée de touristes qui l’attendait. Plongé dans une grande agitation, il plia bagage et jeta son dévolu sur la villa Gutenberg, grand chalet au milieu d’un parc. Elle appartenait à un libraire amateur d’art, heureusement « d’une nature noble », qui non seulement prêta sa maison, mais refusa d’être dédommagé. Cet homme charmant faisait livrer quotidiennement des bouquets que le roi alignait dans sa chambre jusqu’à ce qu’il y en ait une bonne douzaine, après quoi les plus fanés gagnaient le salon. Kainz disposait d’un appartement de trois pièces luxueusement meublé avec une vue magnifique sur le lac. Il n’eût pas beaucoup le temps d’en profiter, car commencèrent des excursions quotidiennes. Le roi décidait du trajet et des horaires au dernier moment. Kainz ayant évoqué incidemment, et imprudemment, un roman à la mode de Walter Scott, Sa Majesté le lui fit lire en entier de quatre heures de l’après-midi jusqu’à onze heures du soir ; il fallait des cordes vocales en acier et beaucoup de souffle. Le livre plut au roi qui se le fera lire à nouveau dans le train du retour. Naturellement, Louis II se promenait surtout la nuit. Les trajets sur le lac au clair de lune le ravissaient ; de
temps à autre, il demandait que l’on jouât du cor sur les prairies avoisinantes. À trois reprises, des sites enchanteurs lui donnèrent même l’idée d’y bâtir un château, mais chaque endroit présentait quelque difficulté, et comme on se trouvait en pays étranger, force fut d’y renoncer. L’accueil des Suisses fut chaleureux. Un hôtelier fit tirer un feu d’artifice en l’honneur du visiteur. Quand sept « jolies jeunes filles » vinrent trouver Louis II pour lui demander de financer leur départ en Amérique du Nord, le roi se trouva dans une situation délicate dont il se tira habilement en faisant répondre qu’il aimait trop le peuple suisse pour lui enlever sept de ses plus jolies demoiselles. Dans cet environnement splendide, Louis pouvait donner libre cours à son amour de la nature, à son goût du romantisme, à sa quête des fameuses « sphères célestes » où il entendait évoluer avec son ami. Konrad Beyer, après de longs développements sur ce qu’il nomme avec ferveur l’idéalisme du roi, qu’il oppose « aux envieux, aux égoïstes et à la médiocrité », concluait par cette phrase lapidaire : « L’aigle vole seul, les corbeaux volent en bande. » L’aigle avait tout de même emmené un compagnon – un jeune aiglon – pour partager ses émotions, d’ailleurs l’écrivain ajoutait : « Ô, il avait tellement besoin de Kainz. Il lui criait comme à un allié combattant pour l’idéalisme, réjouissez-moi par une pensée que nul n’influence, que nul ne détourne, ne salit ! La masse grouillante avec sa vue limitée, son égoïsme, elle dort ! » L’ennui fut que Kainz, épuisé par cette vie nocturne, dormait aussi. Au moment où Louis, porté par la beauté du lieu, avait le plus grand besoin de partager son exaltation, Joseph, mort de fatigue, sombrait dans un profond sommeil. La plupart des sorties du roi avaient pour destination le mont Rütli où le gardien Aschwanden les conduisait vers la fameuse prairie du serment des Trois Suisses. Au sommet, trois bancs – peut-être un par Suisse – entourés de sapins permettaient d’admirer le panorama. Kainz devait alors réciter Guillaume Tell avant de lire à haute voix les nouvelles de la presse. Désireux que le jeune homme parcourût tous les chemins décrits par Schiller, le roi élabora un parcours autour du lac comportant force escalades. Konrad Beyer indiqua que se joignit à l’expédition « l’acteur Häußer, protégé de Kainz, sans que le roi le sache ». La notation est d’autant plus curieuse que ce nom n’apparaît pas dans la liste officielle des accompagnateurs. Le Kainz du voyage, qui fume le cigare, dort quand il veut et emmène un compagnon clandestin, tranche avec le jeune homme
paralysé par la timidité à Linderhof. Toujours est-il qu’après avoir accompli le parcours prévu par le roi, tous revinrent épuisés – et aussi un peu saouls, car ils avaient emporté « douze bouteilles de petite fleur de Moselle » et trois autres d’un excellent mousseux. Le rendez-vous au retour avec le roi fut manqué. Louis, très irrité, ne pensait qu’à une nouvelle et solennelle déclamation sur le Rütli pour laquelle il avait loué les services de souffleurs de cor. Sans laisser reposer Didier, il le traîna le soir même vers la sacro-sainte montagne. Sur le vapeur, Louis demanda aux souffleurs le « ranz des vaches », vigoureuse rengaine qui fit fuir tous les passagers dans la partie opposée du bateau. Quand les musiciens eurent fini, Kainz se coucha sur le pont et s’endormit ; le roi, plein de sollicitude, le couvrit de son manteau. On accosta à onze heures du soir. Arrivé au mont Rütli, le jeune acteur se coucha et, roulé dans une couverture, s’endormit à nouveau. Louis, déconcerté, ne dit rien et rentra seul. Le lendemain, il fit tout de même bonne figure au jeune homme qui vint le trouver l’oreille basse. Les jours suivants furent consacrés à chercher les traces de Guillaume Tell. Le roi ayant fini par admettre l’idée que Schiller n’avait jamais mis les pieds en Suisse, le séjour se poursuivait au mieux. Tout devait se terminer en apothéose le 11 juillet sur la prairie du Rütli. Hélas ! le vapeur, retardé, n’accosta qu’à deux heures du matin. On marcha jusqu’aux bancs entre les sapins où Louis, impatient, réclama Schiller. Contre toute attente, Kainz refusa. Il était trop fatigué, il ne pouvait plus déclamer, c’était ainsi. Le roi qui s’était assis pour écouter parut de nouveau stupéfait. Il sembla hésiter, puis se leva, les larmes aux yeux : « C’est bon, dit-il, reposezvous. » Il redescendit jusqu’au bateau et donna l’ordre de partir. Il était quatre heures du matin quand Kainz trouva une barque pour le reconduire. Le lendemain, il dormit jusqu’à trois heures de l’après-midi. À cinq heures, il vit par la fenêtre le roi qui partait, suivi de ses bagages. Vers neuf heures du soir, Zanders vint dire à Kainz que Sa Majesté ne reviendrait pas. L’attitude de résistance du jeune homme est quelque peu étonnante. Était-ce une manière de faire entendre au roi qu’il n’était pas à sa disposition ? L’acteur avait parfaitement compris que Louis était malade, il avait vu la façon dont Bürkel le traitait et pensait avoir quelque pouvoir sur lui. On peut comprendre aussi que la vie nocturne de Louis II ne convenait pas à un garçon qui, après douze jours et presque douze nuits de marche et de déclamation, n’en pouvait plus. D’ailleurs, reprenant un bateau le soir
même, Kainz s’endormira à nouveau sur le pont. Errant autour du lac, il finit par retrouver le roi à Ébikon où il se confondit en excuses que Louis interrompit d’un : « C’est bon… » Tous deux firent une promenade avant d’aller se faire photographier. Les deux hommes restèrent quatre heures dans le studio de l’artiste. Deux des clichés nous sont parvenus. Sur l’un, le roi est debout et Kainz assis sur une chaise, sur l’autre, les positions sont inversées. Alors que l’on se trouve à la mi-juillet et que le temps est particulièrement chaud, le roi porte son éternel pardessus trop grand sur un pantalon qui tirebouchonne et Kainz, un costume trois pièces froissé (celui dans lequel il a beaucoup dormi) et des chaussures éculées (celles avec lesquelles il a beaucoup marché). Un biographe a écrit que l’on croirait voir « un boutiquier et son commis ». On pense davantage à l’Ogre et au Petit Poucet tant Louis semble gros et Kainz fluet. Beaucoup d’encre a coulé pour savoir si Kainz, debout derrière le roi, se serait permis de poser la main sur l’épaule royale, ce qui paraît douteux. S’appuyait-il sur le dos de la chaise ? De toute façon, la photo a été retouchée, ce qui rend le bras gauche de Kainz un peu atrophié. Le chapeau à la main, tous deux ont l’air emprunté et lorgnent sur le côté comme s’ils guettaient une issue. Le regard vide et terne du roi dit la profonde désillusion. Le retour se fit en train, dans des wagons différents. À l’arrivée, le roi donna une accolade à l’acteur qu’il ne reverra plus. Contrairement aux tentatives précédentes, la rupture ne fut pas brutale et Louis II prit plusieurs fois la peine de calmer les remords ou la susceptibilité blessée de Joseph Kainz. La scène du Rütli restait marquée au fer rouge dans la mémoire du comédien qui écrivit aussitôt une lettre de repentance dont le roi prit acte en répondant : Mon séjour ici m’est actuellement doublement cher puisqu’il me rappelle par le nom*4 votre visage, bien que je n’ai pas besoin de ce rappel permanent, puisque même sans cela je pense beaucoup à vous. Je me souviens de notre séjour en Suisse comme d’un rêve avec certes des impressions joyeuses, mais aussi des impressions pénibles. Je me suis beaucoup réjoui de notre longue rencontre du 14*5, car les impressions pénibles des dernières journées de notre séjour dans les environs de Brunnen que vous avez considérablement gâché, me furent ce jour-là autant qu’il était encore possible, adoucies7.
Le roi était clair. Il était amoureux en raison du beau visage, mais le
garçon avait tout gâté. Kainz devait remercier de l’envoi des photos « le sanctuaire et le Palladium de ma future famille ». La remarque est curieuse ; s’il y eut aventure sexuelle, c’est une étrange idée que prendre comme porte-bonheur ou protection de son foyer la photo du couple formé avec un amant. Dans sa bonté, le roi enverra encore au jeune homme qui devait aller voir son aïeule près de Vienne son wagon particulier bleu et or. Kainz se répandit à nouveau en regrets pour son « impardonnable faute ». Il recevra un mot à la fin de juillet et onze bouteilles de champagne, puis ce sera le silence. En octobre 1882, Louis II fit annuler une représentation des Burgraves où jouait Joseph Kainz qui, profondément humilié, parla d’une « honte publique ». Pour se faire pardonner, le roi lui fit parvenir un tableau représentant le lac des Quatre-Cantons. L’acteur renvoya le présent avec un mot désagréable. Bürkel s’écria : « Nous serons tous décapités ! » Pourtant, le roi, d’abord effaré, affirma simplement qu’il fallait traiter l’ingrat « comme un cher malade ». En fait, Louis avait été touché par la révolte de Kainz, laquelle lui parut la marque d’un cœur noble. Ils échangèrent de nouveau des lettres « célestes ». Pour lui rendre la considération de la troupe du Théâtre royal, Louis offrit au jeune homme d’assister à une représentation privée dans une loge au-dessous de la sienne, ce qui fut accepté. Dans la lettre suivante, le roi assura Didier qu’en dépit de la « coupe d’amertume » qu’il avait eu à vider, il gardait un beau souvenir d’un voyage qui l’avait entraîné « dans les sphères supérieures », ajoutant qu’ils étaient « frères unis par un lien plus fort que celui de la nature ». C’était ce que proclamaient en effet Didier et Saverny, montant main dans la main à l’échafaud pour les beaux yeux de Marion de Lorme. Que demander de plus ? Didier s’apaisera et sa dernière lettre à Louis II, écrite en mai 1883, sera un hymne au théâtre. Le roi n’avait pas renouvelé le contrat de Joseph Kainz et refusé d’accorder une audience d’adieu. Parfois, il parlait du bel acteur en disant qu’il était « talentueux et grossier ». Mais une meilleure résistance au sommeil du garçon et de plus belles manières n’eussent pas protégé leur relation bien longtemps puisque Joseph n’était ni Didier, ni Guillaume Tell, ni l’un des Trois Suisses. Ce jeune acteur fut la dernière tentative de Louis II pour se lier à un autre être humain et ce fut avec un triste et profond découragement qu’il y renonça.
*1. Il s’agit des appartements royaux de la Residenz où se trouvait la salle du trône, ce qui indique son désir d’offrir ce trône au nouvel élu. *2. Pièce de Calderón de la Barca. *3. Édifiée à l’endroit où Guillaume Tell aurait échappé aux sbires du bailli Gessler en sautant à l’eau. *4. Le roi se trouvait à la Kenzenhütte. *5. 14 juillet, jour où les photos furent prises.
XVIII
Mort à Venise 1883 Je suis à mon Seigneur et Ami pour l’éternité. Wagner à Louis II de Bavière
L’année 1881 avait été très dure pour Louis II. Le 1er mars, l’assassinat du tsar Alexandre II, époux de la tsarine adorée, plongea dans la terreur un homme en proie à des craintes paranoïaques. Déjà, en 1879, lisant dans un journal d’Augsbourg qu’une organisation protégeait le tsar, Louis s’était inquiété d’installer la même en Bavière. Après la mort tragique d’Alexandre II, il fut rapporté que lors de sa venue en France en 1867 une tzigane – douée mais peu délicate – lui aurait prédit qu’il y aurait six tentatives d’assassinat contre lui et que la septième réussirait. Le 1er mars, Alexandre échappa à une bombe qui déchiqueta son escorte ; c’était la sixième tentative. Sans doute pensa-t-il être quitte, au moins pour la journée. Une autre bombe l’attendait un peu plus loin qui le coupa en deux. Mauvais mari, mais empereur attentif à son peuple, Alexandre II allait promulguer une charte parlementaire ; avec lui disparaissait l’empereur le plus libéral qu’eût connu la Russie. Très marqué par l’événement, Louis multiplia les précautions autour de sa personne sans voir qu’un empire où régnait encore le servage n’avait rien de commun avec la paisible et démocratique Bavière. Il se mit à haïr et à soupçonner de tous les maux la social-démocratie sans que l’on sût ce qu’il mettait exactement sous ce terme. Un casque tombant lors de la messe de Noël le mettait en fuite. Les horaires de ses déplacements étaient gardés secrets et changés à maintes
reprises. Il refusait de voir même ses proches et commença à communiquer avec les domestiques au moyen de billets glissés sous les portes. La baronne von Leonrod mourut le mois suivant à Augsbourg. Le roi ne pourra plus écrire, comme dans presque toutes les lettres qu’il lui adressait régulièrement : « vous qui me comprenez si bien ». À la mi-juillet, la séparation d’avec Joseph Kainz le fit renoncer à l’union parfaite et exaltante dont il rêvait. Ce fut au début de 1883 que Kainz dont le contrat n’avait pas été renouvelé quitta Munich pour Berlin où un engagement l’attendait. Il écrivit à Louis II : « Je n’oublierai jamais ce que le roi a fait pour le pauvre inconnu que j’étais ; et je me rappellerai éternellement avec une gratitude affectueuse la générosité et l’amour dont j’ai été abreuvé1. » Plus mûr, étoffé, le jeune homme allait devenir le premier acteur d’Allemagne. Une fois encore, Louis II avait su distinguer des dons extraordinaires. De Richard Hornig qui restait encore près de Louis II, on ne sait rien, sinon qu’il était alors marié et père de famille. Plus que jamais, Louis s’enfonçait dans la solitude. En 1879, Wagner commençait une de ses lettres par : « Mon sublime solitaire, si profondément aimé2 ». Pour comprendre Louis II, entendre ses aspirations à l’absolu et tout simplement l’aimer, il ne restait que lui. Les deux hommes correspondaient toujours, mais le roi écrivait plus difficilement. En avril 1881, après la première du Prélude de Parsifal, Louis avouait : « Bien que je sois souvent contrarié et que je n’écrive guère ». Les problèmes financiers résultant des constructions royales devenaient criants et « contrariaient » d’autant plus le roi que celui-ci estimait que ces questions n’auraient jamais dû se poser. Wagner restait bavard, on le devine plus détendu, même s’il se plaignait souvent de « crampes de poitrine » dont en 1881 il avouait souffrir depuis cinq ans. Il savait encore flatter le roi, mais l’hyperbole était sa façon de s’adresser à Louis II et si le compositeur la maniait avec plus d’habileté et de délicatesse qu’autrefois, beaucoup d’affection se devine désormais dans les longues dissertations. Il se rendait presque chaque année en Italie pour se reposer. La brillante description qu’il livre des grandes familles siciliennes lors de son séjour à Palerme fait penser au Guépard. Auguste Renoir vint le voir et fit un portrait dont le compositeur, mécontent, écrivit qu’il évoquait « un embryon d’ange gobé par un épicurien3 ». Le Maître termina Parsifal à Naples au mois de juillet 1882. Il se livra à
un harcèlement en règle du roi pour que celui-ci vînt à Bayreuth voir l’œuvre dont il avait écouté le Prélude à Munich. Louis commença par se rabattre sur le prétexte habituel : « il se sent incommodé » et il lui faut l’air pur des montagnes. Wagner répondit assez sèchement qu’il ne croyait pas un instant à cette raison. De fait, c’était l’impossibilité d’aller vers les autres qui ligotait le roi ; l’immense effort fait à grand-peine en 1876 pour se rendre à Bayreuth ne pouvait être renouvelé. Wagner eut beau promettre que Sa Majesté aurait une représentation privée, partielle si Elle le désirait, et serait préservée de tout contact avec la ville, rien n’y fit. La première représentation de Parsifal le 26 juillet 1882 fut un triomphe et une apothéose. Hermann Lévi, le « bon Juif » des Wagner, dirigeait l’orchestre, mais lors de la dernière représentation, le 29 août, le Maître en personne vint saisir sa baguette. Les préparatifs et la forte déception que lui causa l’absence du roi avaient épuisé le compositeur. Sans doute pensa-t-il que Louis n’avait pas tout à fait oublié que l’œuvre avait été achetée pour être jouée à Munich. Le remords, joint à une profonde affection, faisait de l’avis du roi le plus important, peut-être le seul qui comptât vraiment, mais il n’eut pas cette indispensable bénédiction. Ni cette absence ni une attaque cardiaque qu’il dissimula n’empêchèrent le compositeur de flirter avec les filles-fleurs du second acte, toutes de jolies sopranos, lors de la réception qu’il donna à Wahnfried. Ayant conscience qu’il avait mené à bien son ouvrage, il écrivit à Louis II qu’il « lui faut encore dix ans de santé », ensuite son fils pourra maintenir « le succès spirituel et éthique de son œuvre ». Là-dessus, le Maître partit se reposer avec sa famille à Venise où ils arrivèrent au milieu d’inondations. Wagner avait loué un somptueux appartement de quinze pièces dans le palais Vandramin. Liszt vint le voir, entraînant avec lui un flot de visiteurs qui indisposa son hôte. De plus l’invité, que tous appelaient « bon-papa », avait le mauvais goût de gagner quand les deux hommes jouaient au whist. Ils se disputèrent et, pour la première fois, Cosima prit le parti de son père. Wagner se fâcha et l’épouse pleura. Liszt finit par partir et un peu de paix revint au foyer. Pas pour longtemps, car le Maître avait invité Carrie Pringle, l’une des filles-fleurs du deuxième acte de Parsifal, à venir le voir. Cosima fit une scène qui contraria le compositeur. Le mardi 13 février, Wagner travailla toute la matinée à un essai, De la femme dans l’humanité ; il s’attaquait aux mariages de convenance et exaltait le véritable amour, celui qui peut se libérer des conventions et qu’il
avait eu la chance de connaître. Au salon, Cosima jouait – en pleurant – L’Éloge des larmes de Schubert. Désireux de poursuivre son travail, Wagner demanda que l’on passât à table sans lui. À peine s’était-on assis qu’une femme de chambre vint en courant chercher Madame : « S’il vous plaît rendez vous tout de suite auprès du Maître. » Cosima se précipita si vite qu’elle défonça une boiserie au passage. Le docteur Keppler, aussitôt appelé, ne put rien faire. Wagner mourut sans avoir repris connaissance vers quatre heures de l’après-midi. Il avait soixante-neuf ans. Cosima, étreignant le corps de son mari, demeura hagarde pendant une journée, refusant de parler, de bouger, de boire, de manger. Les médecins réussirent à l’éloigner pour la prise du masque mortuaire et un bref embaumement. On la laissa ensuite revenir près du corps où on la trouva évanouie. Le médecin vénitien qui signa le certificat de décès témoigna : « Je ne connaissais pas ces gens-là, mais je sais qu’aucun homme ne fut jamais autant aimé par sa femme. » Lors de la mise en bière, elle coupa ses cheveux pour les mettre sur le corps. Le couvercle posé, la désespérée se jeta sur le cercueil, se reprochant de ne pas être morte, car si elle avait disparu elle était certaine que son mari n’aurait pas survécu. Liszt fit demander si sa fille désirait sa présence, elle fit répondre que non. Le 16 février, un cortège drapé de noir traversa Venise portant le sarcophage du défunt. Cosima, toujours prostrée, suivait, invisible, dans une gondole. Elle fit le voyage de retour dans un compartiment aux fenêtres fermées. Ce fut Bürkel qui porta à Louis II le télégramme qui lui apprenait la nouvelle. Le choc fut terrible : « Horrible… effrayant… Laissez-moi seul. » Au bout de quelques heures, il rappela Bürkel : « Le corps de Wagner m’appartient. Rien ne doit être fait à Venise pour son rapatriement sans mon ordre. » Cosima en avait décidé autrement. Les époux avaient depuis longtemps prévu l’emplacement de leurs tombes à Wahnfried où se trouvaient déjà les tertres sous lesquels reposaient les chiens que le Maître avait aimés. Le roi chargea Bürkel d’aller rejoindre le convoi. Lorsque le train spécial qui rapportait la dépouille de Wagner passa la frontière à Kufstein, le secrétaire remit à Cosima une lettre que Daniela lut à sa mère : Soyez assurée, chère et vénérée amie, que je comprends au plus profond de mon âme votre douleur atroce face à la perte si précoce de l’aimé transfiguré, que je la partage avec vous et
avec vos chers enfants comme un ami toujours fidèle. Ô puisse le Tout-Puissant vous donner la force de supporter ce coup terrible et de vous préserver pour vos enfants qui ont tant besoin de leur mère […] Comme je vous aime pour la force de l’amour que vous n’avez jamais cessé de lui donner, à lui, l’inoubliable. Vous n’avez jamais cessé d’embellir sa vie et de le rendre heureux4 !
Bürkel rapportera qu’il avait trouvé la « veuve du Maître » presque morte de douleur, squelettique et insensible au monde extérieur. À l’aube du 17 février, le convoi s’arrêta à Munich, où le comte Lerchenfeld remit de la part du roi une couronne de palmes portant les couleurs de la Bavière tandis qu’un orchestre militaire jouait une marche funèbre. Le 18 février, une cérémonie se déroula à Bayreuth. Cosima n’y parut pas. Puis le cercueil, porté par douze fidèles, dont Hermann Lévi et Richter, pénétra dans le parc de Wahnfried. Alors, tel un spectre, l’épouse sortit pour assister à l’inhumation. Elle avait quarante-six ans et ne rejoindrait son mari que le 1er avril 1930. Quarante-sept ans plus tard. Il semble que dans les jours qui suivirent – Chapman-Huston l’affirme – Louis II fût allé secrètement se recueillir de nuit sur la tombe de son ami, accomplissant enfin le second voyage à Bayreuth tant souhaité par Wagner. Le géant en manteau noir dut pleurer sur la tombe de celui dont le génie l’avait envoûté alors qu’il avait quinze ans, le demi-dieu qui avait incarné tout au long de sa vie son rêve de pureté, de beauté et de grandeur. Le roi avait dès le premier instant reconnu son génie, l’avait soutenu et, plusieurs fois, sauvé ; grâce à lui, l’œuvre avait pu s’accomplir. Trois jours avant sa mort, Wagner avait écrit à Louis II une lettre qu’il terminait sur ces mots : C’est ainsi que je referme aujourd’hui le cercle de ma vie, pénétré du noble sentiment des grâces dont j’aurai joui, et dans lequel je meurs, et je suis à mon Seigneur et à mon ami, pour l’éternité5. Venise, le 10 janvier 1883
En partant, Wagner laissait une œuvre accomplie, une femme inconsolable et un homme muré dans la solitude.
XIX
La course à l’abîme Le dernier ami disparu, la plongée dans la maladie s’accéléra. Désormais les séjours du monarque à Munich, à l’automne et au début du printemps, ne dureront qu’une dizaine de jours ; après l’été de 1885, ils seront supprimés définitivement. Louis II avait donné son dernier dîner officiel au mois d’avril 1883 dans le Jardin d’Hiver à l’occasion du mariage de son cousin préféré. À cette date, il ne voyait presque plus son secrétaire de cabinet sur lequel reposait toute la communication avec le gouvernement et se repliait sur un entourage composé d’une poignée de valets. Ses interlocuteurs seront bientôt réduits au perruquier Hoppe, au fourrier Hesselschwerdt et aux valets Mayr et Weber ; c’est par eux qu’il communiquait avec le secrétaire de cabinet pour donner ses directives aux ministres. Son aversion du genre humain se transformait en haine. Il vomissait Ziegler, Eisenhart, Riedel et tant d’autres. Il frappait ses domestiques, même si la légende a sans doute exagéré les faits. Le compte rendu qui permettra l’internement du roi fera état de trente personnes maltraitées. On a beaucoup évoqué le cas du valet Rothenanger au sujet duquel le rapport psychiatrique de juin 1886 mentionne : « Le valet de chambre Welker va même jusqu’à raconter que le piqueur Rothenanger, un jeune homme frêle et chétif, à cause d’une faute dérisoire, fut frappé par le roi, bousculé et projeté vers le mur avec une telle violence que les gardes du corps se trouvant dans l’antichambre faillirent faire irruption dans la pièce… Ils craignirent que le valet ne fût battu à mort. Il n’est pas exclu que le décès de Rothenanger, survenue dans l’année, ne soit la conséquence des sévices qu’il a endurés. » Le rapport se poursuit avec un autre témoignage : « Un garçon boucher que Sa Majesté a violemment
giflé1 », etc. En 1986, un neveu de Rothenanger assura que son oncle, bien qu’ayant été puni par le roi, « était mort d’une congestion pulmonaire et que la domesticité du roi lui était acquise ». Les témoignages de bons traitements existent en effet, mais pour les temps plus anciens, car le laquais Sauer fut bel et bien promené sur un âne autour de Hohenschwangau et le nommé Buchner, que le roi trouvait sot, porta sur le front un sceau de cire à cacheter pour indiquer qu’il avait l’esprit fermé. Les billets qu’écrit le roi à cette époque deviennent inquiétants, ainsi fin 1885 : Rutz*1 s’étant comporté de façon trop honteuse, je ne veux plus entendre parler de lui. Quinze jours au pain et à l’eau […] Exprimer à Rutz mon horreur la plus absolue. Ce qu’il a fait est irréparable […] Cracher sur lui trois fois, parce qu’il a été grossier au point de ne pas écrire ce que je lui ai ordonné […] encore une fois, bien tirer les oreilles à ce lamentable Rutz et ne lui donner que peu de choses à manger2.
Il est de toute façon un fait qui s’impose : en 1884, le service du roi ne fut plus assuré par des domestiques, mais par des chevau-légers. Des historiens y voient une manœuvre destinée à couper le roi de son milieu habituel afin de le plonger davantage dans la folie. Le gouvernement ou le futur régent, le prince Luitpold, aurait imposé ce changement machiavélique. C’est oublier qu’en 1884 on ne pouvait rien imposer au roi, tout juste aurait-on pu lui suggérer ce changement. D’autres pensent que la décision vint de Louis II qui, désireux de se fournir facilement en amants, aurait pu les choisir « par quatre » parmi les soldats de service. Il s’agit de fantasmes d’auteurs et non de ceux du roi. La décision d’employer des chevau-légers ne put être prise qu’avec l’accord de Louis II qui le donna non pour se procurer une réserve de « chair fraîche », mais parce qu’il était de plus en plus difficile de dénicher des domestiques pour suivre un prince itinérant, un homme qui vivait la nuit et dont les réactions étaient aussi imprévisibles qu’inquiétantes. Le colonel du régiment de cavalerie préféré de Louis II, le 4e chevau-légers, alors en garnison à Augsbourg, envoya donc de simples soldats pour remplacer la plupart des domestiques. Les textes donnent à penser que ce fut bien le roi qui imposa un changement devant lequel les membres du gouvernement se montrèrent rapidement très critiques. Le service de ces valets improvisés fut d’autant plus difficile que le roi n’acceptait plus d’être regardé. Déjà une gravure datant du début du
règne montre le roi partant dans son magnifique traîneau tandis que, sur le perron, les valets se cachent le visage dans leur coude. Quelques années plus tard, lorsqu’il acceptait encore de recevoir Friedrich von Ziegler, Louis II lui reprochait de l’avoir « dévisagé d’un regard inconvenant et singulier ». Sitôt après le rapport, Ziegler devait se justifier « et ces justifications lui coûtaient un temps indicible ». Les châtiments tombaient sur les ministres comme sur les domestiques que le roi, à partir de 1884, ordonnait de mettre en prison, de jeter aux oubliettes ou de déporter en Amérique. Jacques Bainville, très soucieux de blanchir le roi, écrira qu’il s’agissait de « jeux de prince shakespearien ». Peut-être ! mais le temps en était passé. Dans nombre de maladies psychiques, le contact avec la réalité peut permettre au malade de se comporter normalement et de donner le change. Louis savait admirablement dissimuler son mal, ce qui fait que bien des personnes soutiendront de bonne foi qu’il n’était pas fou ; aucune n’a vécu dans son intimité ou ne l’a fréquenté assez longtemps. L’image du roi malade peut être comparée à l’iceberg dont la partie la plus considérable et la plus périlleuse demeure cachée. L’état de santé du roi était ignoré de la grande majorité du pays. La presse, discrète, ne disait rien. Et si l’héritier du trône, Luitpold, et sa famille s’inquiétaient à juste titre, ils se taisaient également, de sorte que les choses auraient pu suivre leur cours un certain temps si ce qu’on appelle communément le « char de l’État » n’était venu buter sur une pierre. La crise financière qui, en raison des constructions royales, couvait discrètement depuis 1877, éclata en 1884. Avec l’édification du Versailles bavarois, les dettes du roi s’accumulèrent au point qu’il devint très difficile, voire impossible, de trouver des prêts. L’affaire, bien que grave, aurait pu être résolue, mais Louis étant incapable d’arrêter ses constructions interprétait tous les refus d’argent comme des agressions et les demandes d’économies comme des crimes de lèse-majesté. Assurer que Louis II était un homme dépensier serait peu dire, jamais peut-être l’expression « dépenser sans compter » ne fut plus adaptée. Louis ne comptait pas parce qu’il n’imaginait pas avoir à le faire. « Les rois font ce qu’il leur plaît » était une composante de son délire. La mise à disposition des sommes jugées nécessaires ne se discutait pas. Il faut
préciser que toutes les dépenses royales le furent sur ce qu’on appelle la caisse privée ou encore la caisse civile, la Constitution interdisant au monarque – ce fut heureux – de toucher au budget de l’État. Le souverain n’avait même pas la libre disposition de la caisse privée, celle-ci, surveillé par un secrétaire de la caisse civile, souvent appelé secrétaire de la cour, étant soumise à une commission gouvernementale qui devait présenter les dépenses à l’assentiment du gouvernement. Si la machine avait un peu grincé au temps de Louis Ier et de sa folle passion pour l’antiquité grécoromaine, puis pour Lola Montès, tout était rentré dans l’ordre avec le sage et économe Maximilien II. La fortune de Louis II était considérable. Les revenus du roi encaissés par la caisse civile entre 1864, année de son avènement, et 1886, année de sa mort, sont évalués à 91 180 000 marks. À cela il faut ajouter : – 60 millions de marks hérités de familles de paysans du Palatinat devenus biens familiaux au XVIII e siècle. Apprenant la provenance de cette fortune, Louis II refusa de la garder, mais des objections juridiques s’étant présentées, elle lui resta acquise. – 280 000 marks versés annuellement par Bismarck à partir de 1870 (après prélèvement du comte Holnstein). – 400 000 marks, revenus d’un fonds spécial créé par Maximilien II pour ses fils, versés annuellement à partir de 1877. Élisabeth Fontaine-Bachelier indique que les archives bavaroises communiquant en 1982 sur la fortune de Louis II à la fin de sa vie évaluent l’ensemble de ses revenus et de sa fortune à près de 159 millions de marks3. Le coût des trois châteaux construits par Louis II a été estimé à 32,3 millions de marks, ce qui est sans doute inférieur à la réalité. Car c’est sans compter tous les « bibelots » dont le roi peuplait ses châteaux : 65 000 marks pour un bureau Louis XV venu de Paris, 28 000 pour « l’encrier aux deux médaillons », etc. Il ne faut pas oublier que Linderhof et Herrenchiemsee étaient bourrés d’objets précieux, sans parler des livres, anciens ou non, qui emplissaient les bibliothèques royales. Tout cela n’a pas été évalué et il serait impossible d’avancer des chiffres. Il aurait dû rester tout de même, une fois les châteaux bâtis et meublés, un excédent considérable au roi. Qu’est-il devenu ? Certes Louis II avait des dépenses, pour la plupart difficiles à chiffrer. On peut citer les sommes colossales
données à Wagner ou encore les séances de théâtre privées qui furent à la charge de Sa Majesté ; à l’époque, elles attirèrent beaucoup plus de critiques que les châteaux. Comme son père, mais moins que son grandpère, le roi contribua aussi à titre personnel à diverses constructions dans sa capitale – achat du terrain et contribution à l’édification d’une synagogue, agrandissement de l’école polytechnique, bâtiment de l’Académie des beaux-arts de Munich – ou hors de sa capitale – calvaire d’Oberammergau et diverses chapelles. Les cadeaux de ce monarque très généreux furent aussi nombreux. Il est commun de dire que les Noël du roi Maximilien coûtaient 60 000 florins, ceux de son fils 300 000. Les dons aux œuvres charitables furent toujours substantiels. Cependant, il semble peu plausible que tout cela eût fait disparaître un crédit considérable. Force est pourtant de constater que le roi dont la fortune était immense laissera à sa mort 14,3 millions de marks de dettes. On a évoqué le « coulage » considérable qui régnait autour d’un prince désintéressé qui n’attachait aucune importance à l’argent. Karl Möckl, dans son ouvrage sur L’Époque du prince régent4, met en cause le comte Holnstein que l’on trouve décidément dans bien des situations déplaisantes. Aidé par sa maîtresse Hildegard Rixinger, à la fois courtisane et faussaire (qui se ressemble s’assemble), il aurait obtenu en imitant la signature du roi des sommes importantes de la caisse civile. La première crise financière éclata en 1877. Wagner avait obtenu un prêt considérable pour mener à bien son premier festival à Bayreuth et construire Wahnfried. Le conseiller de la cour chargé de la caisse civile, Lorenz von Düfflipp, se permit d’alerter le roi et de parler de banqueroute. Le ministre des Finances, Emil de Riedel, n’appuya pas la sagesse de Düfflipp et donna l’ordre de laisser faire. La thèse complotiste voit dans cette décision la main du gouvernement, lequel aurait décidé de laisser le roi courir à la ruine pour imposer une régence. On ne peut nier la volonté d’écarter Louis II ; l’important est aujourd’hui de chercher quand le phénomène commença. En 1877, la question d’une régence ne se posait pas encore et le troisième château, le plus coûteux, n’était pas commencé. Quand Riedel comprendra que les constructions ne s’interrompraient jamais, il changera d’avis et suppliera le roi d’arrêter les frais. En attendant, l’honnête Düfflipp donna sa démission. Ludwig von Bürkel lui succéda et laissa se creuser le gouffre financier. De toute façon, il n’avait
pas le choix. Le roi ne souffrait aucune restriction à ses dépenses, il fallait trouver les prêts ou se retirer. Au début de 1884, Bürkel fut relayé par Philipp Pfister qui fit l’affaire jusqu’en avril. Il faut dire que Pfister (que les Munichois surnommaient « le Paon ») avait cru bien faire en rédigeant un mémoire qui, menant une comparaison un peu hasardeuse entre Louis II et le Roi-Soleil, s’achevait sur les paroles que ce dernier aurait adressées sur son lit de mort au futur Louis XV : « Surtout, mon enfant, ne me suivez pas dans mon goût pour les bâtiments*2. » Le Paon demeura très satisfait de sa trouvaille jusqu’à ce qu’à minuit un valet vînt lui faire part du très grand mécontentement du roi, ce qui lui fut confirmé quand le même valet revint pour lui rendre son mémoire sous forme de confettis. Hermann Gresser, un capitaine en retraite, lui succéda. Louis le chargea de courir au Trésor de la Residenz se faire donner diamants et pierres précieuses. Le gentilhomme qui avait la garde du Trésor refusa. Le roi remplaça Gresser par Ludwig von Klug auquel il interdit de s’entretenir plus de une heure avec son prédécesseur. Les dettes de Louis II s’élevant alors à 8,3 millions de marks, les banques refusèrent de nouveaux prêts. À Neuschwanstein, les ouvriers non payés cessèrent le travail. Le roi stupéfait s’emporta contre l’architecte, le secrétaire de cabinet, le ministre des Finances, etc. Le 17 mai 1884, il écrivait à Hornig : Cher Richard,
D’après ce que vous m’avez dit récemment, il est clair que les lamentables individus dont dépendent les arrangements : je veux dire Effner*3, Dollmann*4, Bürkel, et surtout Pfister, ont été et sont encore une entrave à tous mes plans ; je vous ordonne de me débarrasser de cette clique ; Dollmann à la fin de l’été et Pfister le mois prochain, dernier délai […] Mettez tout cela au point avec Mayr*5 […] Dépêchez-vous de me trouver un secrétaire de la cour ; j’en veux un docile5.
Des bruits concernant l’état des finances royales et aussi la santé mentale de Sa Majesté commençaient à courir dans les milieux diplomatiques. Au mois de janvier, l’ambassadeur de Prusse à Munich, Georg von Werthern, proche de Bismarck, écrivait à Berlin que l’on se « dirigerait graduellement vers une régence ». Que pouvait-il penser d’autre ? Il n’était pas besoin d’être grand clerc ni au fait d’obscures machinations pour se douter que cela ne pourrait durer longtemps. Quand
on se penche sur la fin du règne de Louis II, ce qui étonne n’est pas que le roi ait été déposé, mais qu’il ne l’ait pas été plus tôt. La question de la méthode qui fut employée est une autre affaire. Les appels à Hornig demeurant sans effet, Louis commença à s’inquiéter sérieusement. Au mois d’avril 1884, il écrivit au ministre des Finances Riedel de lui procurer 7,5 millions de marks. Le 19 avril, le ministre répondit non au roi, mais au secrétaire de la cour, Pfister, de façon très ferme : La situation de la caisse royale est si accablante que je suis accablé de soucis depuis que je m’en occupe. Si les dettes actuelles ne sont pas amorties le plus rapidement possible, il est à craindre que des centaines ou encore plus d’existences soient économiquement ruinées*6, et ce fait seul comporte le grand danger que les plaintes alors justifiées dépassent finalement les frontières de la Bavière […] Mais cela n’est pas tout. La caisse civile peut, selon les lois bavaroises, être traduite en justice et être par conséquent au moins partiellement saisie […] Cela ne pourra être évité à mon avis que par un emprunt suffisant et rapidement remboursable, par le remboursement méthodique des créanciers et surtout par l’évitement total des dettes6.
La menace d’être traîné en justice par des créanciers, voire des usuriers, était bien réelle. Il en serait résulté une saisie sur les biens de la Couronne et une publicité catastrophique. Louis, effrayé, réagit en écrivant à Hornig : Tu m’as écrit l’autre jour que tu m’obéis aveuglément, ce qui est parfait. Le secrétaire de la cour, Pfister, est réprouvé ! Il est un mauvais sujet et une canaille qui ne mérite rien d’autre que d’être traité en mon nom très sévèrement. L’empereur d’Autriche pourra peut-être m’avancer quelques millions qui, de toute façon, lui seront remboursés dans quelques années. Dis à Pfister de ma part qu’il est incapable de trouver de l’argent et propose-moi quelqu’un pour remplacer cet imbécile ! Détermine avec précision les millions nécessaires pour terminer les châteaux et procure-moi cette somme en souvenir du 30 août 667.
Ce fut Bürkel qui sauva momentanément la situation en obtenant le 30 mai 1884 du directeur de la Bayerischen Vereinsbank un prêt de 7,5 millions de marks. La famille du roi ne fut pas ravie de voir arriver cette poire pour la soif ; c’était à l’évidence reculer pour mieux sauter. De fait, Louis donna à Riedel l’ordre formel, non de rembourser les dettes, mais de poursuivre les constructions. Le ministre assura qu’on ne pouvait se permettre de nouvelles dépenses. Recevant une lettre furieuse du roi, il sollicita l’autorisation de démissionner. Le gouvernement se solidarisant
avec lui, Louis II le garda et s’adressa au chef du gouvernement von Lutz pour lui demander un prêt de 20 millions afin de poursuivre ses travaux. Le roi avait aussi envoyé Pfister à Berlin pour quêter auprès de Bismarck. Le chancelier de fer répondit qu’il pourrait avancer 2 millions sur les fonds des invalides (on prendrait sur des sommes revenant normalement aux malheureux estropiés…) mais que cela ne suffirait pas ; il conseillait donc de s’en remettre au talent du ministre des Finances. Riedel avait sans doute bien des qualités, mais pas celle de faire jaillir l’argent en tapant du pied et encore moins celle de convaincre Sa Majesté d’arrêter ses constructions. L’attitude de Bismarck a été diversement interprétée, il semble qu’elle ait été finalement protectrice. En effet, le kronprinz prussien, rendant haine pour haine à son cousin, ne cachait pas qu’il avait l’intention de profiter de la situation pour installer en Bavière un régime favorable à la Prusse, voire pour annexer le royaume, projet qu’il résumait en disant de Louis II : « Il devra danser quand nous sifflerons, car nous pourrons le ruiner à n’importe quel moment. » Grâce à Guillaume Ier, Pfister obtint tout de même un prêt de un million qui servit à poursuivre les travaux. Ce ballon d’oxygène permit au roi de passer un été plus paisible. Il se rendit au bord du Plansee, proche de Linderhof. Il aimait ce lac si profondément enchâssé dans de hautes montagnes qu’il paraît toujours sombre. Il voulait l’acheter depuis longtemps, mais le propriétaire, un Tyrolien, persistait dans son refus. Sur l’une des pentes, couverte de forêts, qui filait vers les eaux noires, le roi avait fait bâtir une hütte. Il descendait aussi à l’auberge Seespitz où une barque restait à sa disposition pour naviguer la nuit. Le chevau-léger Thomas Ostrauer qui promena le roi les deux derniers étés raconte qu’il lui fallait avancer très doucement parce que Sa Majesté ne voulait pas entendre le bruit des rames. Glissant sur l’eau au clair de lune, Louis II méditait de construire un palais chinois sur la rive est du lac. Le roi désirait célébrer son trente-neuvième anniversaire à Herrenchiemsee. Toutefois, les travaux ayant pris trop de retard, il se rendit comme à l’habitude au Schachen. La même habitude le fit aussi gagner Hohenschwangau le 15 octobre pour les soixante ans d’une mère qu’il ne reverra plus. Il passa la nuit dans le vieux château familial et, dès le lendemain, regagna Linderhof.
En 1885, les dettes augmentèrent jusqu’à atteindre de nouveau 6 millions de marks à l’été. Neuschwanstein et Herrenchiemsee restaient à achever, sans compter que le nouveau Versailles devait être décoré et meublé. Le 29 août, Louis II ordonna à Riedel de régler définitivement la situation de la caisse : C’est ma volonté royale que les constructions que j’ai entreprises soient continuées et achevées comme il a été établi dans les dispositions que j’ai prises […] je vous charge, monsieur le Ministre, de faire les démarches nécessaires à la régularisation des finances et de favoriser de cette façon mes entreprises8.
Le ministre des Finances avait envisagé la situation avec le prince Luitpold et les membres du cabinet. Ils pouvaient certes menacer le roi d’une démission, mais les ministres n’avaient aucune envie de lâcher leurs portefeuilles. Depuis des années, ils jouissaient de tous les avantages dus à leur position tout en ayant largement la bride sur le cou. Le 3 septembre, Riedel répondit directement au roi que le trône serait en danger si Sa Majesté ne limitait pas ses dépenses en arrêtant ses travaux. Louis ne pouvait pas plus renoncer à bâtir qu’un homme ayant complètement sombré dans l’alcool ne peut se passer de boire. Les châteaux étaient la preuve de sa royauté, « Yo, el Rey », voilà les mots qu’il écrivait tous les jours sous sa signature et, plus on limitait son pouvoir, plus il éprouvait le besoin de se réfugier dans l’inviolabilité symbolique qu’offraient les constructions. Le système tournait malheureusement en boucle. Le 7 décembre 1885, Louis II acheta dans le sud de la Bavière, près de Pfronten, les ruines du vieux burg de Falkenstein, le « rocher des Faucons ». Le site ne fut pas choisi par hasard, le château situé sur un pic à près de 1 268 m serait inexpugnable. Georg von Dollmann, chargé des plans, fit l’admirable dessin d’un château de conte de fées, fortifié et pourtant gracieux. L’aménagement intérieur devait être féerique. Des mosaïques de pierres précieuses couvriraient les sols et l’on n’utiliserait que les bois de rose et de violette. Décidément il n’y avait plus rien de possible entre le roi qui projetait de paver son nouveau palais de gemmes fabuleuses et les malheureux Pfister, Riedel, Klug, Lutz ou Hornig – on peut ajouter Luitpold – qui se débattaient avec de tristes réalités. Imperturbable, Louis lança les travaux pour amener l’eau sur le rocher des Faucons. Quand le merveilleux Falkenstein serait terminé, il bâtirait un
palais chinois où, comme dans l’empire du Milieu, les serviteurs ne vivraient que prosternés devant leur souverain. Puis il construirait un palais byzantin pareil à celui du Basileus. Un vieil habitant de Krün raconta à ce propos qu’alors qu’il n’était qu’un jeune palefrenier il avait été chargé d’apporter son repas au roi dans la « cabane » du Soiernhäuser où la cuisine était à quelque distance de la hütte. S’approchant, il vit le roi aller et venir dans la pièce en répétant des mots mystérieux. Ne les comprenant pas, il les consigna en phonétique dans un carnet, puis les montra à plusieurs personnes jusqu’à ce qu’un vieux magistrat qui savait le grec fût capable de traduire : Nimi Basileis, « Je suis Roi. » Voilà ce que marmonnait le malheureux qui délirait dans une cabane accrochée au flanc des Alpes. Louis tomba de très haut en recevant la lettre de son ministre des Finances et envoya un valet lui demander sa démission. À nouveau, le cabinet fit bloc autour de Riedel. Le roi écrivit alors au chef du gouvernement, évoquant pour la première fois un possible recours au Parlement. Von Lutz, qui n’en voulait à aucun prix, répondit par une lettre de sept pages. À travers cent flagorneries, il utilisa la peur. Il professait que le roi n’était pas courageux et, en un sens, avait raison. Seul, acculé par une logique qui le dépassait, Louis était terrorisé. Von Lutz écrivit que si Sa Majesté avait recours au Parlement pour le vote de crédits, les députés pourraient être amenés à faire des comparaisons pénibles entre les dépenses du père et celles du fils. Ils diraient combien les Munichois regrettaient la vie retirée de Sa Majesté qui les privait des plaisirs et des bénéfices d’une cour, certains même pourraient se faire « l’écho de choses mal interprétées », fondées sur de vilains bruits. Alertés par le tapage, les créanciers ne manqueraient pas de se tourner vers les tribunaux. Alors, rien n’empêcherait que l’on mît sous séquestre les biens de la Couronne et qu’on les vendît. On ne pouvait être plus dur. Vendre les châteaux, c’était arracher au roi sa raison d’être. Sur un cerveau malade, ce fut ravageur. La mise à mort de Louis II commençait. Affolé, le roi se tourna vers le ministre de l’Intérieur, n’hésitant plus à s’humilier : Mon cher ministre de l’Intérieur, baron Feilitzsch. La situation tragique de la caisse telle que vous la connaissez a été provoquée par la négligence de mes secrétaires, notamment du dernier, cet infâme Gresser, qui avait même osé me faire des assurances complètement fausses,
impudiquement menteuses […] Mais le pire serait – je vous demande du fond du cœur de chercher à l’éviter – que l’on ne pût empêcher la mainmise sur mes biens. Si on ne pouvait l’éviter, j’en aurais une telle honte que, ou bien je me tuerais ou qu’en tout cas je quitterais tout de suite et pour toujours le lamentable pays où une telle chose aurait pu se produire9.
Et le roi d’expliquer que si on éteignait sa dette sans lui permettre de poursuivre ses constructions, « ce ne serait ni une aide ni un service ». Le baron ne put que répondre : plus de dépenses, surtout plus de dépenses. Ces joutes entre le roi et son gouvernement s’étaient déroulées dans la discrétion la plus grande et à peine évoquait-on à mots couverts les difficultés financières de Sa Majesté dans ce qu’il est convenu d’appeler les « milieux bien informés ». Les choses changèrent quand, le 17 septembre 1885, le Berliner Börsen-Courier, sous le titre « La situation en Bavière », mena une charge en règle. Il révélait 25 millions de dettes de la caisse civile (ce qui était très exagéré), faisant remarquer qu’une personne privée agissant de la sorte serait depuis longtemps mise sous tutelle. Il ajoutait que le roi, n’étant pas en possession de ses facultés mentales, ne pouvait plus se trouver à la tête de l’État ; il fallait donc que la Bavière, ou au besoin la Prusse, imposât des mesures radicales. La thèse complotiste voit ici une manœuvre propre à précipiter la chute de Louis II. C’est possible, comme il est également possible que l’audace d’un journaliste eût suffi. En tout cas, Bismarck qui avait fermement demandé qu’on ne se mêlât pas des affaire intérieures de la Bavière ne fut pas entendu. Le chancelier paraissait encore douter de la folie de Louis II. Faisant sa cure annuelle à Kissingen à l’été 1885, il lui écrivit une lettre qui semble un tantinet décalée, l’entretenant doctement du libéralisme de Gladstone et de la candidature du prince de Hohenlohe au gouvernement de l’Alsace-Lorraine. La presse bavaroise, choquée par l’article berlinois, releva le gant dès le 19 septembre et défendit son roi. Le Neueste Nachrichten de Munich écrivit : Nous croyons nous trouver en accord complet avec l’ensemble de l’opinion publique en Bavière quand nous décidons de protester vivement et énergiquement contre une description aussi frivole d’affaires internes à la Bavière […] Si les penchants du roi Louis l’entraînent à côté des sentiers du commun et de l’habituel, jamais son noble et perpétuel sens du devoir n’a eu à en souffrir […] Celui qui sait à quel point et avec quelle fidélité le roi Louis dans la solitude royale de ses châteaux règle les affaires de l’État et cela jusque dans les moindres détails, ne pourra qu’être indigné par les fausses affirmations et les conclusions erronées de
cette feuille berlinoise. On devrait au contraire considérer en Allemagne du Nord et dans les cercles libéraux, tout ce que le roi de Bavière a fait pour le Reich10.
Tout cela était joliment dit dans un récit fort incomplet, car il n’en demeurait pas moins que le roi s’était désormais totalement coupé du monde. La Bavière était encore gouvernée, mais le château de cartes commençait à osciller dangereusement et pouvait s’effondrer d’un jour à l’autre. Qu’adviendrait-il alors ? Le devoir du prince Luitpold était de s’en inquiéter. Luitpold de Bavière était le troisième fils du roi Louis Ier, le seul encore en vie. De son mariage avec une princesse de Habsbourg-Toscane, il avait eu trois fils et une fille. Son aîné, Louis, assez ambitieux, le poussait à intervenir. Le cadet, Léopold, avait épousé l’archiduchesse Gisèle, fille de Sissi. En 1886, Luitpold avait soixante-cinq ans ; il avait refusé d’être roi de Grèce pour ne pas renoncer à la religion catholique et vivait assez discrètement. Ce n’était sans doute pas un esprit remarquable, il restait très buté sur ses positions ultramontaines, mais il avait le sens du devoir et n’était pas fondamentalement ambitieux. Avide de pouvoir, Luitpold eût pu écarter son neveu plus tôt. Il n’avait pas profité de la grave crise de 1865 survenue à cause de Wagner, pas plus qu’il n’était intervenu quand la santé mentale de Louis s’était dégradée dans les années qui avaient suivi la guerre de 1870. Il faut ajouter que Louis II n’avait depuis longtemps aucun contact avec son neveu. Comment celui-ci pouvait-il juger de l’état et des réactions d’un homme invisible et insaisissable ? Avec la parution de l’article berlinois, les digues lâchèrent, tant dans les journaux que dans les cercles privés. Ce fut le 17 septembre 1885, juste après l’événement, que Luitpold prit l’initiative de convoquer le chef du gouvernement, Johann von Lutz ; peut-être l’avait-il rencontré secrètement durant l’été. Il lui demanda si, au vu de la situation, le gouvernement comptait intervenir. Lutz répondit franchement que le roi réagirait à la moindre tentative par le renvoi de ce gouvernement et qu’aucun des ministres n’avait envie de perdre son portefeuille ; leur maintien au pouvoir comptait avant tout. Luitpold assura que s’il lui fallait intervenir ces messieurs garderaient leurs ministères. Lutz dut pousser un grand soupir de soulagement. En effet, le gouvernement libéral que le roi maintenait depuis la guerre aurait bien pu, en cas de régence, être destitué
par un prince conservateur, d’autant que la majorité de la Chambre l’était aussi. L’accord entre les deux hommes se trouvant scellé, Luitpold précisa qu’il ne ferait rien tant que la démence du roi n’aurait pas été constatée par des médecins, ce dont Lutz était d’accord. Il allait bientôt prendre contact avec son ami, le professeur Bernhard von Gudden, psychiatre réputé qui soignait le prince Otto. De ce jour, le prince Luitpold et le gouvernement de Sa Majesté travaillèrent de concert en parfaits conspirateurs, employant des moyens qui se rattachent à ce qu’on appelle les « œuvres de ténèbres ». Il n’existait peut-être pas de nobles façons d’arriver à une destitution du roi ; en tout cas, une voie plus humaine ne fut pas cherchée. En cette délicate année 1885, Louis II rompit avec celui qui était son dernier appui, Richard Hornig. Le roi s’aperçut en visitant Herrenchiemsee qu’une colonne qui aurait dû être en marbre n’était que plâtre peint. La colère tomba sur Hornig qui, traité de menteur, de voleur et de bien d’autres choses fut sommé de sortir de la vie du roi. Ce n’était certainement pas la première fois, mais Hornig qui était à bout prit le roi au mot, ce qui fut une catastrophe. Sans le bouclier que représentait Richard depuis presque vingt ans, Louis se trouvait très exposé. L’homme qui parait à tout, qui acceptait tout, qui lui servait de famille, n’était plus là ; ce fut non seulement un vide immense, mais peut-être la dernière possibilité de garder un lien avec un peu de réalité. Le moment venu Richard Hornig sera appelé à témoigner devant la commission médicale chargée de constater la démence du roi. Les tenants de la non-folie du roi lui reprocheront amèrement d’avoir chargé le roi et d’être coupable de traîtrise. Hornig avait servi vingt ans dans les conditions les plus difficiles, il avait toujours fait preuve d’équilibre, de solidité, de dévouement. Nul ne connaissait le roi mieux que lui, il est donc probable que, interrogé, il ait dit la vérité, jugeant que l’on avait atteint le fond et qu’il était désormais nécessaire pour le roi, pour le pays, pour lui aussi, d’en finir. « Richard-bien-aimé-de-mon-cœur » parti, le roi se trouva totalement livré à un quarteron de valets, auxquels il faut ajouter le coiffeur Hoppe ; presque tous étaient payés par le comte Holnstein. Sur le plan affectif et sur le plan des mœurs, ce départ fut aussi une catastrophe. Les fautes sensuelles qui troublaient tellement l’esprit de Louis II se firent plus nombreuses dans les Carnets. Cette troupe de valets stipendiés, en apparence soumise, s’était formée autour de Louis II dans les dernières
années. Jean Adès note : « Ses idées de persécution, sa crainte obsédante d’être trahi, son aversion pour toute relation humaine authentique trouvent un compromis tolérable dans ce commerce avec les domestiques ; il les considère comme des inférieurs, dont l’obéissance servile lui donne la représentation permanente d’une toute-puissance monarchique qui symbolise pour lui un havre de sécurité11. » Près du monarque menacé ne demeure que son ancien favori et toujours aide de camp, le comte Alfred von Dürckheim-Montmartin, qui paiera bientôt le prix de son dévouement. Le roi ne s’adresse à lui qu’en lui faisant porter lettres ou billets. Cet honnête homme laissa d’intéressantes notes sur La Catastrophe de 188612 : Ceux qui ont vécu cette triste époque en Bavière, notamment à Munich, se souviendront comment les discussions au départ si loyales et discrètes dans le pays, et particulièrement à la Residenz, sur Sa Majesté le Roi, ses particularités, son penchant pour la solitude et sa passion de construire prirent, petit à petit, une mauvaise tournure.
Dürckheim insiste sur le fait qu’au mois de novembre 1885 le roi s’abstint de venir à Munich. Louis aurait pourtant quitté sa cabane du Vorderriß pour se rendre dans sa capitale mais, à mi-route, changeant d’avis, aurait ordonné de faire demi-tour. On s’est beaucoup interrogé sur les raisons de ce revirement. Ne pas paraître dans la capitale, c’était manquer à la Constitution et donner matière aux rumeurs. DürckheimMontmartin évoque sans grande conviction la question des représentations théâtrales privées auxquelles le roi prévoyait d’assister. Elles agitaient fortement l’opinion en raison de leur coût, aussi avait-on, en plein accord avec le roi, changé rapidement le programme du Théâtre de la cour. L’officier se rallie plutôt à l’idée qu’un valet corrompu, sans doute Hesselschwerdt, le plus audacieux de la bande, se serait chargé de faire peur au roi en lui assurant qu’il risquait des manifestations publiques d’hostilité, voire des atteintes à sa personne. La thèse complotiste est ici sans doute proche de la vérité. En mettant Louis II dans son tort, on hâtait le dénouement espéré, à savoir la destitution. Les partisans du complot vont plus loin et voient dans la chute d’un rocher qui sur une route faillit tuer Sa Majesté cette année-là une tentative d’assassinat. Le roi qui sillonnait à longueur d’année les chemins de montagne, voire les pistes de haute montagne, ne s’en émut pas. Il est peu
probable que des assassins potentiels eussent choisi un mode de destruction si aléatoire. De toute façon, l’on n’imagine pas Luitpold ni les membres du gouvernement solliciter ce genre d’intervention. À la fin de l’année, Louis II envoya le comte von DürckheimMontmartin à Berlin chez le comte von Lehndorff, militaire de vieille noblesse prussienne, proche du pouvoir, dans le dessein d’obtenir un nouveau prêt ; ce fut inutile. Louis passa Noël seul dans sa cabane du Fernstein, torturé par l’idée qu’on pouvait l’empêcher de finir ses châteaux ou, pis, vendre ceux qui existaient.
*1. Wilhelm Rutz, postillon du roi. *2. Ce qui prouve que « le Paon » connaissait mal l’histoire de France ou l’avait arrangée à sa façon, puisque les paroles de Louis XIV furent : « Ne me suivez pas dans le goût que j’ai eu pour la guerre. » *3. Paysagiste. *4. Architecte. *5. Valet. *6. Les centaines d’ouvriers qui travaillaient sur les chantiers des châteaux.
XX
L’homme traqué janvier-8 juin 1886 La manière dont on a agi avec le roi de Bavière est à faire dresser les cheveux sur la tête. Guillaume Ier
Séparé de toute personne qui pût le ramener à la réalité, se sentant menacé dans le refuge qu’était jusqu’alors la royauté, le roi vivait cramponné à ses châteaux comme à des enfants qu’on eût voulu lui arracher. Le 28 janvier 1886, il demandait à Dürckheim-Montmartin de prendre des mesures radicales, quoique vagues : S’il est impossible d’obtenir dans environ quatre semaines une certaine somme, Linderhof et Herrenchiemsee, mes propriétés, seront judiciairement saisies ! Je vous conjure, mon cher Comte, de former un nouveau contingent qui me sera fidèle en toute circonstance, qui ne se laissera pas intimider et qui, en cas d’extrême, si la somme nécessaire reste introuvable, mettra tout simplement à la porte la racaille judiciaire rebelle1.
Le roi envoya des émissaires quêter pour ses châteaux. On a exagéré le nombre de personnes auxquelles il tenta de soutirer des fortunes, mais si on lit le rapport médical qui sera bientôt établi, le chiffre reste impressionnant. Hesselschwerdt, le principal quêteur, fut expédié chez le prince von Thurn und Taxis, l’homme le plus riche du pays, demander 20 millions. Puis ce fut le tour de l’empereur d’Autriche, sollicité non par l’entremise de Sissi, mais par le second fils de Luitpold, le
duc Louis, gendre de François-Joseph. Le palefrenier ayant refusé d’aller mendier auprès des rois de Norvège et de Suède, un aide de camp en fut chargé, sans résultat aucun. D’autres personnes devaient aller voir l’empereur du Brésil, le shah de Perse, le sultan de Constantinople. Des auditions de Hesselschwerdt et de Welker il ressort qu’en cas de refus de ces emprunts le projet était de cambrioler des banques à Stuttgart, Francfort, Berlin et Paris ; on ignore pourquoi Londres échappait au holdup. On sait par ailleurs que le roi s’adressa personnellement au prince de Lippe et à d’autres princes allemands, tous refusèrent. Le fait que le roi aurait sollicité la famille d’Orléans (alors l’une des plus riches d’Europe) contre promesse de ne pas se battre contre la France en cas d’engagement de celle-ci avec l’Allemagne a été démenti par Dürckheim-Montmartin. L’idée en vint peut-être au roi, en tout cas on le dissuada, comme on l’avait fait pour le duc de Westminster qui passait pour l’homme le plus fortuné d’Angleterre. Presque chaque jour, Louis II écrivait à son cousin, LouisFerdinand, pour le supplier de lui trouver un emprunt : « Je suis désolé de vous harceler ainsi de mes lettres […] Je vous supplie instamment de faire l’impossible pour éviter par-dessus tout la mise sous séquestre de mes châteaux2. » Le témoignage de Richard Hornig devant la commission médicale montrera à quel point le délire en était arrivé : « Sa Majesté envisageait de céder le pays à Son Altesse royale le prince Luitpold contre le versement d’une forte somme ou de le vendre à la Prusse3. » Le conseiller privé von Loher reçut pour mission de se mettre en quête d’un autre royaume dans lequel il serait possible d’installer un système de gouvernement absolu. Il fit donc plusieurs voyages outre-mer, revenant toujours bredouille. Von Ziegler devait témoigner dans le même sens. Louis envoya même des valets auprès de personnages imaginaires dont ces Scapin lui avaient fait miroiter la fortune. Ils racontaient au roi que telle personne inconnue de Perse ou de Naples ne demandait qu’à obliger Sa Majesté ; touchant de gros frais de déplacements, ils disparaissaient quelque temps et revenaient en disant que le bonhomme était mort. Dürckheim-Montmartin raconte que, ayant demandé à Hesselschwerdt de remettre une lettre au roi, il s’entendit répondre par le palefrenier : « Monsieur le Comte devra m’excuser, mais je ne peux rien remettre au roi aujourd’hui, car je suis supposé être à Naples. » Profitant de la folie du roi, une clique de valets se moquait ouvertement de lui. Comblés de cadeaux, ils amassaient notes et papiers pour les
transmettre au comte Holnstein qui les remettait au docteur von Gudden que von Lutz avait chargé du rapport médical. Le médecin pouvait lire : Cette canaille de Brüller recevra, une fois de plus, l’ordre d’attraper le gros bourdon. 1er- 5 avril Hohenschwangau Enfermer Nagel pendant deux heures. Lui dire que je suis mécontent de lui. Écrire à Klug qu’il est un ignoble individu ; pour la dernière fois, écrire à ce scélérat, directement d’ici, qu’il se méfie s’il continue à mal se conduire. C’est son devoir de se conduire intelligemment. (sans date) Eberholz doit être plus propre, se soigner davantage ; des trois nouveaux venus *1 , c’est lui qui a les mouvements les plus gracieux ; mais il s’y prend mal pour incliner la tête. Une paire de claques à l’exécrable Brüller. Tout encore mal fait4 !
Et le 24 avril : Me rappeler que je dois avoir l’air plus heureux demain. Le noter. Haüsler aussi.
Les auteurs qui nient la folie du roi parlent de « billets écrits par un célibataire » ; certes, mais un célibataire fou. Comment aurait-il eu l’air heureux ? Louis était devenu l’homme aux yeux bandés du jeu de colinmaillard auquel tous peuvent donner une tape, mais dont les gestes désordonnés n’attrapent personne. À sa mère, que pourtant il ménage, il fait part de sa « mélancolie », de sa « contrariété ». Le silence qui l’avait si longtemps protégé était bien fini. Les loges de théâtre, les restaurants, les dîners, les champs de courses étaient des lieux de commérage. Parti de questions budgétaires, le clabaudage s’étendait maintenant à la personne du roi, à sa santé mentale et à ses mœurs. Les chevau-légers et les mauvais traitements aux domestiques étaient au centre de discussions malsaines. Le comte Holnstein, qui dans cet exercice donnait beaucoup de sa personne, aborda de nouveau Dürckheim-Montmartin dans le dessein d’obtenir des lettres de Louis II. Il se heurta à un refus scandalisé. Le dernier fidèle assure dans ses Notes sur la catastrophe de 1886 que l’Excellence rouge, le ministre des Finances, Riedel, et le ministre de l’Extérieur, Crailsheim, se réunissaient régulièrement dans une cave pour renverser le roi5. Pourquoi une cave ? Ils se réunissaient certainement, mais plutôt dans le
bureau ou l’un des salons de ces messieurs. En février, Louis II manqua de nouveau à son devoir de présence à Munich. Il avait peur du gouvernement, de Holnstein qu’il avait pourtant éloigné, des journaux (dont on ne lui donnait que des revues de presse expurgées), des Munichois, de la social-démocratie, des assassins et, surtout, surtout, de perdre ses châteaux. La reine mère lui offrit de venir le voir, il refusa : « Je suis désolé, mais votre séjour ne serait pas agréable en un moment où je souffre tellement […] C’est mieux ainsi », lui écrit-il au début du printemps. Si le roi avait alors gagné la Residenz, assisté à une seule manifestation publique et fait savoir que dans le dessein de ménager la caisse civile il arrêtait ses constructions, tout aurait pu rentrer dans l’ordre, mais le malheureux ne pouvait accomplir un seul point de ce programme. Terrorisé, il se tourna vers Bismarck, ordonnant – toujours par écrit – le 3 avril à Hesselschwerdt : Un homme de confiance chez Bismarck, tout de suite. Toutes les impudentes conditions posées par la Chambre et les ministres sont de la cochonnerie. Travailler la Chambre vite et habilement. Si elle s’entête, qu’elle s’en aille ! En former une autre, dissoudre celle-ci. Pensez-y beaucoup, beaucoup6.
Le billet étant resté lettre morte, le 6 avril, Louis II écrivit directement à Bismarck pour lui demander conseil, ce qui était reconnaître une suzeraineté qu’il haïssait, mais, depuis un certain temps, le « hobereau brandebourgeois » incarnait à ses yeux une figure paternelle. Après en avoir référé à l’empereur, le chancelier répondit le 14 avril en donnant l’excellent avis d’aller devant le Parlement où Sa Majesté rappellerait que son aïeul, le roi Louis Ier, avait jadis obtenu un prêt considérable pour ses constructions. Comptant sur l’antique attachement du peuple bavarois à la dynastie, Sa Majesté pourrait encore faire valoir qu’Elle laisserait à la Bavière un magnifique patrimoine. Dans la situation créée par Louis II, l’intervention, même discrète, de Bismarck était dangereuse. On savait le chancelier plutôt favorable au roi, toutefois avec lui tout était possible. Qu’arriverait-il si, profitant de la situation, Bismarck venait à s’occuper trop directement de la Bavière ? Le kronprinz n’avait-il pas parlé de la « liquidation du trône bavarois » ? Si Luitpold était proprussien, il n’envisageait pas un instant la fin du règne des Wittelsbach. Et si, tout compte fait, Bismarck ne préférait pas un roi
fou qui conserverait un ministère libéral à un régent qui s’appuierait sur un ministère jésuite ? La démarche de Louis II poussait Luitpold à mettre en place la régence le plus rapidement possible. Louis II ne vit qu’une chose dans la réponse de Bismarck, un prêt de 20 millions accordé par le Parlement lui permettrait de poursuivre ses constructions. Le 17 avril, il écrivit à son gouvernement pour lui ordonner de déposer immédiatement un projet de loi relatif à la caisse civile. Les Chambres risquaient fort d’accorder au roi ce qu’il demandait ; les ministres eurent peur. Pour parer le coup, ils eurent l’idée de remplacer la convocation redoutée par la réunion « des plus éminentes personnalités des Chambres », autrement dit quelques députés choisis par ces messieurs. Il n’était absolument pas légal de remplacer l’appel aux Chambres voulu par le roi et prévu par la Constitution par la consultation d’un petit club de députés amis ou obligés. Ces « plus éminentes personnalités » se réunirent le 30 avril et tombèrent d’accord pour dire qu’il était inutile de convoquer le Parlement parce qu’il refuserait les crédits. Le 5 mai, Lutz écrivit au roi pour lui rapporter les résultats de la conférence dans un texte en forme d’avertissement destiné à l’humilier le plus possible. Aldo Oberdorfer que l’on ne peut soupçonner de défendre Louis II parle d’un « luxe de méchancetés ». Était surtout agitée la crainte d’une faillite de la caisse du cabinet dont l’effet serait si catastrophique que ces messieurs se demanderaient « si dans ces conditions Sa Majesté pourra encore garder les rênes de l’État ». En conséquence de quoi les ministres du gouvernement de Sa Majesté se déclaraient incapables d’exécuter l’ordre du 17 avril et demandaient à Sa Majesté de le retirer. Ils ajoutaient qu’aucune aide extérieure ne pourrait remplacer les plus grandes économies, lesquelles devaient s’étendre à toutes les constructions qu’il convenait d’arrêter immédiatement, de même que les représentations théâtrales privées. Le roi devait encore restreindre ses cadeaux à sa propre famille comme ses déplacements hors de Munich. Là-dessus, il était formellement prié de rentrer dans sa capitale, de renvoyer les chevaulégers et de daigner accepter toutes les propositions. Le gouvernement outrepassait complètement ses droits, frisant la lèsemajesté, mais il fallait pousser Louis II à bout. Le but d’un tel mémoire était aussi de servir de quitus à un gouvernement qui depuis le 23 mars faisait discrètement travailler un aliéniste afin que celui-ci déclarât fou un homme qu’il n’avait jamais vu. Quand le roi serait interné, le rapport de
Lutz permettrait de dire aux députés qui demanderaient des comptes : « Voyez donc, n’avons-nous pas tout fait pour prévenir Sa Majesté et la retenir au bord du gouffre ? » Lors d’une séance qui se tiendra après la mort du roi, le 26 juin, deux députés de l’opposition devaient d’ailleurs faire valoir que, si le résultat de la conférence du 30 avril avait été positif, Louis II serait toujours en vie. Le roi ordonna des économies de fonctionnement, mais pas l’arrêt des constructions. De toute façon, la camarilla gouvernementale qui avait pris la direction des opérations empêchait désormais toute résolution du problème. Plusieurs prêts furent alors proposés à Louis II, tous furent interceptés. Kleeberg, directeur d’une puissante société d’assurances de Francfort, offrit de prêter 20 millions et ne reçut pas de réponse. Il écrivit à Bismarck le 19 mai : On se livre à un jeu étrange avec le roi de Bavière, à la grande joie des démocrates et des ultramontains et pour le plus grand malheur de la monarchie. La calamité financière de la caisse royale de cabinet pourrait être aplanie à l’instant et tous les intérêts pourraient s’en trouver satisfaits immédiatement, si toutefois il est bien dans les intentions de certaines personnes de faire cesser le scandale public […] Il n’y a guère de doute sur le fait que de sourdes intrigues sont en marche contre ce prince allemand, envers lequel l’ensemble du peuple allemand doit être redevable7.
Décidément les moyens employés présentent, sur le plan humain comme sur le plan moral, un aspect choquant. Le gouvernement de Louis II s’est joué sans aucune miséricorde d’un esprit malade, agissant dans l’ombre et surtout pour ses seuls intérêts ; la régence ne s’en relèvera pas. La critique est bien sûr plus aisée que la proposition. Une abdication était-elle possible ? A priori non, l’obsession du roi étant axée sur la royauté. Pourtant, après une première tentative d’arrestation sur sa personne, Louis II dira au valet Weber avec lequel il eut sa dernière conversation d’homme libre : « Que l’on m’enlevât ma couronne, je pourrais en prendre mon parti, mais que l’on m’ait déclaré dément, je n’y survivrai pas8. » Il eût peut-être été possible de faire jouer auprès du roi le précédent de son aïeul Louis Ier qui avait renoncé au trône « pour être un vrai roi ». À ce sujet, il est curieux de voir que, dans la nuit du 5 au 6 avril, évoquant l’abdication de leur aïeul commun, Louis II écrivait à son cousin LouisFerdinand : « Le peuple comprend maintenant ce que notre grand-père avait fait pour lui, mais tant qu’il a été sur le trône, on s’est conduit
honteusement à son égard. On n’a cessé de contrarier ses aspirations artistiques […] et pas seulement celles-là9 ! » Le roi comparait donc leurs situations. Ce cousin médecin aurait été le mieux placé pour faire entendre à Louis II que des raisons de santé devaient le conduire à renoncer au trône. Il ne fut pas sollicité ; il semble que ce médecin qui était aussi général dans l’armée bavaroise fût allé plus volontiers au feu que devant son cousin pour lui demander d’abdiquer. La mère du roi eût pu également intervenir comme elle l’avait fait lors d’une crise précédente. Et pourquoi pas Ignaz von Döllinger, que le roi révérait ? Cela aurait été encore le rôle des docteurs Gietl et Schleiss, restés médecins officiels du roi, même si ceux-ci avaient perdu tout contact avec lui depuis longtemps. Tous eussent été fort mal reçus, le délire de persécution eût conduit le roi à des crises violentes. Malgré tout, petit à petit, l’idée qu’une libre abdication valait mieux qu’un enfermement aurait peut-être pu se frayer un chemin dans l’esprit malade. Il faut se rappeler que, en décembre 1865, lors de la grande crise résolue par le renvoi de Wagner, les interventions conjointes de plusieurs personnes, depuis la mère du roi, en passant par l’archevêque de Munich, jusqu’au docteur Gietl, avaient fini par faire entendre raison à un roi qui tenait alors aussi follement à Wagner qu’il tenait présentement à ses châteaux. Mais vingt années s’étaient écoulées et la maladie avait évolué. Personne n’eut le courage de parler avec cet homme « dont tout le monde avait peur ». L’actuel responsable des archives secrètes de la Maison de Wittelsbach a analysé les minutes des discussions des réunions et conseils des 7, 8 et 9 juin 1886 où il fut question d’incapacité et de régence entre les membres du gouvernement et le professeur von Gudden. Il souligne que le chef du gouvernement, von Lutz et le docteur von Gudden – qui étaient de grands amis – ont rejeté les autres solutions, dont l’abdication volontaire, et poussé à la destitution. Une démarche du chef du gouvernement auprès du roi pour demander son abdication eût été la solution la plus honorable. Elle impliquait la menace de la démission du gouvernement ; le roi acculé l’aurait acceptée, ce dont le gouvernement en place, cramponné à ses charges, ne voulait à aucun prix. À la mi-avril, la reine mère partit pour Elbigenalp au Tyrol où elle faisait de longs séjours. Louis lui écrivait régulièrement des lettres affectueuses. Il prolongea son séjour à Hohenschwangau durant la semaine sainte. Le vendredi saint, il se rendit à quelques kilomètres du château, au petit bourg
de Füssen, où se trouvait un calvaire, et médita longuement devant chacune des quatorze stations, les yeux levés vers le ciel. Le curé qui l’observa rapporta qu’il pleurait ; le roi avait commencé son propre chemin de croix. Le 26 avril, il contait à sa mère : J’ai passé très paisiblement la semaine de Pâques, mais malheureusement cette période, comme celle qui s’est écoulée depuis le mois d’août, a été entrecoupée de mauvaises nouvelles. Ce que vous me dites de l’amour des Munichois me fit grand plaisir. Je ne doute pas qu’il y en ait beaucoup de bons, mais hélas ! ils sont mêlés à la foule des mauvais. Tout pourrait se réaliser – mais d’une manière inacceptable10.
La manière inacceptable signifiait, bien entendu, l’arrêt des constructions. Marie répondit qu’elle faisait dire des messes. Elle offrit l’argent qu’elle possédait, ses bijoux. Il refusa : « Tu es trop bonne, garde tout cela. » Il lui raconta qu’il avait dû encore faire venir un dentiste, lequel l’avait rendu encore plus malade qu’avant. Quelques jours après, le 21 avril, le mal de dents avait disparu « mais pas la cause de ma mélancolie, car la situation au lieu de s’améliorer ne fait qu’empirer ». À cette date, le malheureux n’avait pas reçu le rapport de von Lutz du 5 mai. Dès qu’il l’eut en main, il rédigea une lettre pour Hesselschwerdt : Fais bien attention et règle correctement cette affaire. Parle longuement à Ziegler. Dis-lui que les ministres actuels doivent partir, ils se sont rendus impossibles à mes yeux. […] Si les Chambres se butent, les dissoudre, en réunir d’autres et bien travailler le peuple. Mais vite. Dis-lui d’ajouter quelques millions au reliquat ; les autres, trouve-les toi-même. Dis-lui que les constructions sont la principale joie de ma vie, que je suis très malheureux depuis que tout est honteusement arrêté, que je songe sans cesse à abdiquer, à me suicider, que cet état doit prendre fin, qu’il ne faut plus que les constructions soient arrêtées, que, s’il arrange tout, il me rendra littéralement la vie […] Il est facile d’ordonner les choses à ce sujet en avançant rapidement la chambre à coucher de Linderhof, le pavillon de Saint-Hubert et l’achèvement des travaux de Herrenwörth et de Falkenstein. Le bonheur de ma vie en dépend. Monsieur von Ziegler le comprendra certainement11.
On voit que le roi, lui, ne comprenait plus rien, n’entendait plus rien. Le palefrenier remit la missive à Ziegler qui la fit porter au docteur von Gudden. Louis l’avait écrite à Berg où il passa deux jours ; il ne devait revenir dans le château de son enfance que pour y mourir. De là, il fila vers le Vorderiß où il resta quelques heures. Le 16, il fut à Hohenschwangau, le 18 au bord du Plansee. Il dormit à l’hôtel Seespitz et, le 19, gagna Linderhof où il demeura jusqu’au 30 mai. On a là un parfait échantillon
des déambulations royales. Dans le petit château baroque, il fut heureux de retrouver le valet Alphons Weber, un chevau-léger qui avait quelque peu remplacé Hornig. Tous deux déjeunèrent dans la grotte bleue. Ce fut Weber qui, le 6 mai, signa de son prénom la dernière promesse de chasteté du roi. C’est sur ce mot : Alfons inscrit au-dessus du sceau royal que s’achève le Journal de Louis II. À la fin du mois de mai, Holnstein rencontra le comte von DürckheimMontmartin au Königsplatz. De nouveau, il demanda à l’aide de camp de lui communiquer les lettres et billets du roi. De nouveau, il affirma : « le roi est complètement fou, il sera destitué », et cette fois il ajouta : « Il est maintenant grand temps d’agir. » La situation pourrissait en effet. Que Louis II vînt à renvoyer son gouvernement dans les formes ou que Bismarck, profitant de la situation, prît les devants et l’histoire pouvait mal tourner pour le gouvernement en place. Avant de passer à l’offensive, ledit gouvernement se préoccupa d’obtenir l’accord du chancelier que l’ambassadeur de Bavière à Berlin, le comte von Lerchenfeld, rencontra chez lui à Friedrichsruh, les 23 et 24 mai. Après avoir de nouveau exprimé l’estime qu’il portait au roi de Bavière, Bismarck demanda : « Avez-vous des preuves incontestables ? » L’ambassadeur montra une lettre de Louis II envoyée à Ziegler, sans doute celle remise par Hesselschwerdt. Le chancelier la rendit avec gêne : « Cela suffit. » Bismarck devait plusieurs fois exprimer son mépris pour la façon dont on avait collecté les papiers du roi « jusque dans les cabinets ». Guillaume Ier de son côté concédera que « la manière dont on a agi avec le roi de Bavière est à faire dresser les cheveux sur la tête ». Cette délicatesse politique honore l’empereur et son chancelier bien que tous deux aient été assez mal placés pour donner des leçons en la matière. L’ambassadeur Lerchenfeld fut rappelé à Munich pour s’entretenir avec le président du Conseil, Lutz, et le ministre de l’Extérieur, Crailsheim. Il suggéra, certainement à la demande de Bismarck que, afin de laver le gouvernement de tout soupçon d’intérêt particulier, celui-ci démissionnât avant d’engager le processus de destitution ; cette solution eût été effectivement élégante et eût évité la plupart des reproches qui furent faits ensuite à la régence. La proposition fut énergiquement repoussée par des ministres plus agrippés que jamais à leurs portefeuilles.
L’appui de Bismarck acquis, Luitpold écrivit le 1er juin au président du Conseil von Ziegler pour lui demander officiellement un rapport « aussi exact que possible sur l’état mental de Sa Majesté le roi ». Il ajoutait : « Comme vous avez été longtemps dans l’entourage immédiat de Sa Majesté, vous devriez être en mesure de relater les faits patents qui constitueraient un précieux témoignage psychologique. » Depuis la fin du mois de mars, il avait confié la rédaction du rapport au professeur von Gudden, lequel n’avait jamais été « dans l’entourage immédiat de Sa Majesté ». Le médecin avait vu Louis II une seule fois lors d’une audience déjà lointaine et n’avait de relation thérapeutique depuis une douzaine d’années qu’avec le frère du roi. À ce titre, von Gudden allait voir le prince Otto à Fürstenried où le roi ne se rendait jamais, cela jusqu’en décembre 1884, date à laquelle il fut remplacé par son adjoint, le docteur Franz Carl Müller. Louis II n’avait aucun échange écrit avec le professeur et ne recevait des nouvelles du malade que par sa mère ou un émissaire spécialement détaché. Le problème du docteur von Gudden, cela a souvent été évoqué, fut qu’il eut à examiner une maladie et pas de malade. Il eût été infiniment préférable, voire indispensable, qu’il y eût une consultation ; ce n’était pas envisageable et c’est un point que personne n’a contesté. Le roi redoutait d’être percé à jour, il se tenait éloigné des médecins en général et des aliénistes en particulier. Il est à noter que l’impossible consultation aura finalement lieu, quand le roi sera interné ; le moins que l’on puisse dire est que cela changea singulièrement le cours des choses. Le professeur Bernhard von Gudden était à soixante-deux ans l’aliéniste le plus réputé du pays. Né à Clèves – une partie de l’opinion bavaroise ne lui pardonnera pas d’être un « homme du Nord » –, il avait suivi des études de neuropathologie et de psychiatrie dans les meilleures universités de Bonn, Hall et Berlin, avant d’exercer la psychiatrie dans plusieurs asiles d’aliénés. En 1855, il avait pris la direction de l’asile de Werneck en Franconie et allait appliquer dans ce petit château niché au milieu d’un parc la toute nouvelle méthode du no-restraint. Très opposé à la méthode dite d’intimidation en usage jusque-là, en fait un impitoyable dressage, Gudden défendit qu’on attachât les malades. Dès que ceux-ci étaient calmés, il autorisait les sorties dans le parc, puis au-dehors, pratiquant ce qu’on a appelé l’open door. Les patients pouvaient aussi déambuler
librement dans l’asile, y compris dans les bureaux des médecins. Cela faisait du docteur von Gudden un humaniste très courageux, ses méthodes rompant complètement avec celles de l’époque. L’homme était d’abord un chercheur, un neuroanatomiste ; son plus célèbre élève, Ernest Krapelein, dira : « Le seul chemin vers la connaissance du labyrinthe psychiatrique lui semblait être le découpage anatomique de plus en plus fin du cerveau. Il abhorrait l’observation clinique qui lui semblait parsemée de mille pièges. Aussi concentra-t-il, sans jamais se lasser, toute son énergie scientifique sur le cerveau du lapin12. » Cette négligence de l’aspect clinique devait coûter cher au docteur von Gudden. Il est vrai que la psychiatrie sortait à peine des limbes. Georges Lantéri-Lauda rappelle que de nombreuses pistes de recherche s’ouvraient et que « le travail se trouvait accompli par des hommes qui maîtrisent plus d’une pertinence et s’avèrent à la fois cliniciens et anatomistes, neurologues et expérimentateurs, psychiatres et histologistes13 ». Tel était bien le docteur Bernhard von Gudden. En 1869, il obtint une chaire de psychiatrie et la direction d’un asile à Zurich, puis les mêmes fonctions à Munich où il arriva en 1882. Cet homme aimable, tolérant, nombre de ses contemporains précisant, comme si c’était une originalité, qu’il « supportait la contradiction », ressemblait physiquement à Pasteur. Père de onze fils et d’une fille qui épousa l’un de ses élèves, il était politiquement proche du parti libéral et devint l’ami de Friedrich von Lutz, chef du gouvernement. Il fut anobli en 1884. Il est certain que le professeur von Gudden fut flatté d’être désigné par le prince Luitpold pour établir le rapport qui permettrait la destitution du roi. La confiance accordée était en effet immense, une bonne partie de l’affaire reposant sur lui. Le psychiatre accepta immédiatement une démarche très complexe et œuvra avec zèle dans le sens que l’on attendait. Il posa un diagnostic qui en l’état des connaissances n’était pas faux, mais le fit de façon assez péremptoire et se prêta avec une grande souplesse à la résolution des problèmes constitutionnels posés. La délicate position du médecin qui n’avait pas vu le malade qu’il devait expertiser et dont le rapport allait reposer sur les déclarations de témoins dont beaucoup étaient sujets à caution eût demandé plus d’investigations et une attitude plus nuancée et plus prudente. Le professeur von Gudden travailla du 24 mars au 8 juin, date à laquelle il remit un rapport argumenté. On entendit sept témoins, ce qui est peu,
d’autant que tous furent à charge. Les deux membres du gouvernement, le secrétaire ministériel Theleman et l’ancien secrétaire de cabinet Müller déposèrent par écrit et sous serment. Le témoignage des domestiques, le palefrenier Hesselschwerdt, le valet d’écurie Welcker et le laquais Mayr, fut dicté ; au moins deux de ces hommes étaient payés par Holnstein. Les premières dépositions furent reçues du 18 au 25 mai. Notons que von Gudden ne rencontra pas les témoins et donc ne les questionna pas. Von Lutz devait trouver le premier rapport insuffisant pour convaincre les Chambres. Il y eut donc une deuxième série d’interrogatoires début juin où furent entendus pour la première fois Richard Hornig et Friedrich von Ziegler qui avaient passé de longues années près de Louis II ; leurs témoignages se révélèrent accablants. La correspondance du roi, pour la part qui avait été rédigée de façon normale, et des témoignages de domestiques, dont Mayr et Weber, plus favorables au roi, ne furent pas mentionnés, ce qui n’a pas manqué de faire crier au complot et à la manipulation. Rappelons que von Gudden n’avait pas à instruire un procès d’ordre juridique et que le roi n’était pas un prévenu dont il eût fallu mesurer le degré de culpabilité. Louis II était un homme dont le médecin devait dire s’il était malade et si cette maladie l’empêchait de régner. Von Gudden avait de longtemps reconnu ce mal qui empêchait le roi d’avoir accès à la réalité. « Son siège était fait », aussi ne multiplia-t-il pas les interrogatoires dont beaucoup se recoupaient. Le rapport médical fait encore état d’un délire de persécution, de mégalomanie, d’agitations motrices (danses et bondissements, balancements), d’états d’excitation sous forme d’accès de fureur (le roi s’arrache les cheveux et la barbe), de haine (l’exemple donné est celui du kronprinz que Louis II aurait voulu faire enchaîner dans une grotte où il aurait subi « un luxe de tortures inouï »). L’aversion pour la ville de Munich est plusieurs fois évoquée, Sa Majesté ayant souhaité « mettre le feu aux quatre coins de ce maudit trou ». On signale aussi que le roi revêtait en cachette le costume des rois de France, s’agenouillait devant un tableau du temps de Louis XIV devant lequel Hesselschwerdt devait aussi se prosterner, qu’il mangeait en maculant ses vêtements, se regardait dans la glace pendant des heures en se peignant et que des hallucinations lui faisaient entendre des bruits ou des paroles et voir des objets qui n’étaient pas là. Pour von Gudden, la messe était dite. Dans la nuit du 7 au 8 juin, il écrivit seul le rapport qui constatait la folie du roi et concluait en ces
termes : Nous déclarons à l’unanimité : 1 – Que l’esprit de Sa Majesté le roi est parvenu à un état de trouble très avancé ; que Sa Majesté souffre de cette forme de maladie mentale, bien connue par expérience des médecins aliénistes et que l’on nomme « Paranoïa ». 2 – Considérant la nature de cette maladie, son développement lent et continu et sa longue durée, qui comprend déjà un assez grand nombre d’années, nous devons la déclarer incurable et l’on peut même prévoir que, de plus en plus, Sa Majesté perdra ses forces intellectuelles. 3 – La maladie ayant complètement détruit chez Sa Majesté l’exercice du libre arbitre, il faut la regarder comme incapable de conserver le pouvoir, et non pas pendant une année seulement, mais durant le reste de sa vie14.
Autrement dit, le roi était fou, incapable de régner et son état ne ferait qu’empirer. Von Gudden avait travaillé seul, mais après une dernière nuit de rédaction, il fit un rapport détaillé devant trois autres psychiatres : le docteur Haagen, professeur extraordinaire de psychiatrie à Erlangen, le docteur Hubrich qui avait succédé à von Gudden à la tête de l’asile modèle de Werneck, et le benjamin, le docteur Grashey, qui avait été l’assistant de Gudden à Werneck avant de devenir son gendre. Ils entendirent leur confrère, compulsèrent les documents et contresignèrent le rapport. Il est tout à fait remarquable que dans cette affaire on n’ait pas demandé l’avis, ne serait-ce que pour des raisons déontologiques, des deux médecins attitrés du roi, les docteurs von Gietl et Schleiss von Löwenfeld, après tout les mieux placés pour avoir une opinion sur la question. La santé de von Gietl l’avait obligé depuis un an à prendre sa retraite. Quant à Schleiss, on le savait totalement dévoué au roi. De plus, l’un et l’autre avaient connu le roi au temps de sa jeunesse et leur témoignage risquait d’aller à contrecourant des autres déclarations, on se dispensa de le recueillir. Le diagnostic de paranoïa surprend aujourd’hui, mais il est le seul qui pouvait être porté à l’époque, le terme de schizophrénie qu’Eugène Bleuler*2 élaborera en 1909 n’existant pas, le concept de paranoïa regroupait alors tous les grands états délirants. De plus, les témoignages dont disposait von Gudden portaient sur une époque récente où dominaient les idées de grandeur et de persécution. Cette paranoïa (en allemand Verrücktheit), Gudden était certain, bien avant de rédiger son rapport, que le roi en était atteint, aussi « son document se lit-il comme une thèse d’éloquence où il s’agit de développer des arguments pour étayer une
vérité formulée a priori15 ». Cela ne signifie pas que le diagnostic du psychiatre était faux, mais que von Gudden, en raison de tout ce qu’il avait entendu rapporter sur Louis II, notamment par Lutz et Ziegler, témoins directs, s’était fait depuis longtemps une opinion. Quand, en mai 1886, Lutz lui avait parlé de la santé mentale du roi, n’avait-il pas dit : « Le roi est atteint de paranoïa originaire, mais il reste extraordinairement habile à cacher tout ce qu’il veut16 », ce qui résumait bien la situation. La façon dont le caractère incurable de la maladie est pronostiqué surprend également et même choque, d’autant que le malade n’avait pas été examiné. Von Gudden avait voulu à l’évidence répondre à une nécessité de la Constitution qui prévoyait qu’une régence n’intervenait que si le monarque était empêché de régner pendant plus de un an. En déclarant le roi incurable, le médecin « voyait large » et assurait l’avenir de la régence, ce qui n’aurait pas dû être sa préoccupation. Disposant d’un certificat médical, Luitpold ne perdit pas de temps. Le jour même, il envoyait une lettre officielle à l’empereur Guillaume et aux princes allemands pour les informer de la destitution de Louis II, de ses causes et de la mise en place d’une régence selon les formes constitutionnelles. Sa Majesté le roi Louis II a durant ces dernières années pratiquement rompu tout contact avec son fidèle entourage. Il est inaccessible pour les membres de la famille royale tout comme pour les conseillers de la Couronne, pour les secrétaires et les adjudants, invisible pour son peuple. Il n’entre en contact qu’avec des subalternes, des soldats, des domestiques, par la médiation desquels sont réglées les affaires de l’État. Depuis plus de un an, Sa Majesté n’est pas retournée dans sa capitale, et a abandonné depuis longtemps tout devoir de représentation de la Couronne. Les coûts très élevés de ses constructions ont mené la caisse de cabinet à une crise qui ne put être empêchée il y a deux ans que par l’intercession des agnats*3 de la maison royale. Mais cette crise a atteint aujourd’hui une telle ampleur que tous les moyens courants semblent à présent exclus pour la régler. Les contre-propositions pressantes n’ont eu aucun effet. Le roi exige la poursuite des constructions et entame de nouveaux projets. Différents prêts ont été cherchés dans tous les pays causant ainsi de grands dommages au prestige de la Couronne […] Cette déplorable situation est du plus mauvais effet dans la presse et dans l’opinion. Après une expertise unanime des autorités médicales compétentes, le fait est désormais établi que les anomalies du comportement de Sa Majesté ont pour origine une maladie mentale qui a atteint un tel degré qu’elles empêchent Sa Majesté de remplir les tâches du souverain17.
Les raisons financières étaient évoquées, mais c’était bien les conséquences de l’autisme, notamment l’impossibilité de communiquer
avec son entourage en général et son gouvernement en particulier, qui rendaient le roi impropre à régner. Le seul mensonge réside dans le pluriel utilisé pour parler des « autorités médicales compétentes » puisque, en dépit des quatre signatures, on n’avait eu recours qu’au travail de von Gudden. La suite déroulait une logique implacable : comme le prévoyait la Constitution, la maladie du roi devant durer plus de un an, une régence était mise en place, laquelle, en raison de la maladie du frère du roi, revenait au prince Luitpold, second dans l’ordre de succession au trône. Le régent s’engageait à informer le pays par une proclamation et, comme le voulait la Constitution, à demander au Parlement d’approuver la décision. Le Premier ministre et le gouvernement entérinèrent discrètement la régence le lendemain. Le roi fut déclaré sous tutelle, ses tuteurs étant le comte von Törring-Jettenbach et le comte von Holnstein. Le roi détestait Holnstein ; l’aversion étant fondée, on aurait pu lui épargner cette avanie. Louis II se trouvait alors à Neuschwanstein et ne se doutait de rien, ce qui en dit long sur son degré d’isolement. Restait à apprendre au roi qu’il était fou et qu’on devait l’interner.
*1. Sans doute des chevau-légers. *2. Ce psychiatre suisse (1857-1939), élève de Charcot et collègue de Jung, a inventé et introduit dans le vocabulaire les termes de schizophrénie et d’autisme. *3. Des parents.
XXI
La main au collet mercredi 9 juin-samedi 12 juin 1886 Une commission composée de cinq hommes fut formée dès le 9 juin afin d’accomplir le plus difficile de la tâche : aller trouver Louis II pour lui annoncer qu’il était fou, destitué, et que son oncle très peu aimé, le prince Luitpold, allait prendre sa place tandis qu’il serait enfermé en un lieu qu’il n’aurait pas choisi. Le ministre de l’Extérieur, von Crailsheim, présidait la délégation composée du baron von Washington qui avait connu le roi dans son enfance, du secrétaire Rumpler ainsi que des nouveaux tuteurs du roi, les comtes Törring-Jettenbach et Holnstein. Pour la partie médicale, on ajouta le docteur von Gudden et son assistant le docteur Müller. Avoir inclus dans le groupe qui devait procéder à l’internement du roi à la fois le détesté comte Holnstein et le docteur Gudden qui traitait la folie du prince Otto n’était pas une bonne idée. La commission était accompagnée de quatre solides infirmiers dont Bruno Mauder, garde personnel d’Otto. Il est certain qu’au moment de faire passer directement un homme du statut de roi à celui de prisonnier, on ne s’était guère embarrassé de délicatesse, pas plus qu’on n’avait conduit la moindre réflexion stratégique. Cette commission prit le temps de déjeuner chez le régent avant de monter dans le train de seize heures pour Füssen ; le trajet durait six heures. Une voiture conduisit ensuite les voyageurs jusqu’à Hohenschwangau d’où ils purent admirer la silhouette gracieuse de Neuschwanstein où séjournait Louis II. Le programme était simple : on irait – les sept membres de la délégation et les quatre infirmiers musclés – au petit jour réveiller Sa Majesté pour lui signifier sa déposition et son
internement. On avait d’abord pensé enfermer Louis II à Linderhof, mais la proximité de la frontière autrichienne et surtout le fait que von Gudden entendait ne pas s’éloigner de Munich avaient finalement fait choisir le petit château de Berg, plus facile à garder et plus proche de la capitale. Le docteur von Gudden avait ordonné des aménagements en vue de l’internement. Le docteur Schleiss qui avait été les voir était revenu horrifié par les judas percés dans les portes, les fenêtres condamnées et les grilles. Tout étant en ordre, ces messieurs dînèrent copieusement à minuit. Des truites à la hollandaise, du poulet Marengo, une terrine de foie gras et un cuissot de chevreuil arrosés de quarante litres de bière et de dix bouteilles de champagne confortèrent les membres de la délégation. Après le dîner, le comte Holnstein alla traîner du côté des écuries où le cocher Osterholzer attelait la voiture du roi pour sa promenade nocturne. Le comte ordonna sèchement d’arrêter les préparatifs. Devant l’étonnement du cocher, Holnstein lui apprit que désormais le roi n’avait plus rien à commander et que le prince Luitpold était le Maître. Le comte parti, Osterholzer fila à Neuschwanstein où il se fit introduire vers une heure trente du matin près du roi qui, étonné, murmura que si quelque chose avait été en train de se tramer Hesselschwerdt l’aurait prévenu ; le candide monarque n’imaginait pas un instant que le fourrier eût pu trahir. Louis ordonna toutefois de garder la porte du château et fit appeler le bataillon de gendarmerie de Füssen qui arriva à deux heures trente du matin. Pendant ce temps, le valet Niggl allait réveiller le maire et les sapeurs-pompiers du village ; une quarantaine d’entre eux furent au château dès trois heures. La baronne de Truchsess, la toute dévouée Esperanza, logeait à l’auberge ; son époux étant proche des milieux gouvernementaux, elle avait eu vent du changement qui se préparait, aussi était-elle venue veiller sur son roi. La folle Esperanza est souvent présentée comme une vieille dame pitoyable ; elle avait quarantesept ans, était plutôt jolie et pas si folle puisque le roi, au temps de ses fiançailles, l’avait choisie pour être dame du palais de la future reine. Réveillée, elle monta elle aussi la côte conduisant au château de conte de fées. Les allées et venues finirent par attirer l’attention du comte Holnstein. Comprenant qu’il avait été joué, il réveilla tout le monde et jeta la commission dans une voiture : « Vite, vite, le roi pourrait s’enfuir ! » Il en aurait eu le temps en effet. Du balcon du Söller, Louis II observa la berline qui vint s’arrêter devant la porte désormais gardée par les gendarmes du
brigadier Heinz. Une pluie fine tombait sur une aube grisâtre. Des villageois armés de fourches et de bâtons arrivaient. Holnstein et Crailsheim, descendant de voiture, tentèrent d’impressionner Heinz. Le ministre agita vainement la lettre écrite par Luitpold où, après un exercice bien difficile, le prince assurait à son neveu qu’il « demeurait dans un dévouement indéfectible à sa sainte personne, son humble et fidèle oncle ». Holnstein qui tentait de faire le matamore fut arrêté net par le canon d’un fusil. Ce fut manu militari que les gendarmes repoussèrent l’assaillant. Une bouteille de chloroforme tenue par un infirmier – on avait donc pensé à tout ou presque, en tout cas à l’éventualité d’endormir le roi pour l’emmener de force – se brisa, ce qui créa un désordre au milieu duquel la baronne de Truchsess agitait son parapluie en criant : « Comte Törring, vos enfants auront honte de leur père ! » Pendant que la délégation remontait dans la voiture qui redescendit la côte sous les huées, von Gudden constata : « Nous sommes ridiculisés. » Pour terminer le vaudeville, Esperanza réussit à s’introduire dans le château et alla trouver le roi auquel elle nomma tous les membres de la commission avant de lui assurer qu’elle voulait le ramener en sécurité à Munich. Louis, stupéfait, assura qu’il s’en voudrait de solliciter l’aide d’une dame. Celle-ci insistant, il parla de faire appeler le baron, afin que celui-ci vînt retirer son épouse du théâtre des opérations. Esperanza alla attendre dans le vestibule d’entrée où elle monta farouchement la garde jusqu’à midi. Débarrassé de la baronne, Louis II fit appeler le commandant de gendarmerie Boppeler qui lui conseilla de gagner Munich au plus vite et de s’adresser au Parlement. Le roi refusa, ordonna d’arrêter les membres de la commission et de les ramener au château. Boppeler demanda un ordre écrit et fila. Il arriva vers cinq heures du matin à Hohenschwangau où il discuta âprement avec le docteur Gudden, puis avec le ministre Crailsheim qui se conduisit comme un fou furieux, hurlant, offrant de l’argent, suppliant qu’on les laissât partir et qu’on les protégeât de la foule. Ce fut donc avec la protection du commandant, mais sous les injures des paysans qui promettaient de crever les yeux de ceux qui venaient prendre leur roi, que la délégation reprit le chemin de Neuschwanstein où, à sept heures du matin, elle se trouva enfermée sous bonne garde dans le bâtiment
d’entrée. Les prisonniers auront le temps d’y laisser des graffitis. Un gendarme racontera que, si le roi avait ordonné de les fusiller, sa compagnie l’aurait fait. Ces militaires, liés au monarque par un serment personnel de fidélité, n’étaient au courant ni de la proclamation de la régence ni même de la folie de leur kini dont l’originalité et le goût pour les montagnes leur plaisaient. Le roi, rendu à son délire, multipliait les billets furibonds : « Ils n’auront rien à manger ni à boire ! Qu’ils meurent de faim ! Crevez-leur les yeux ! Interdiction de se laver ! Qu’ils crèvent dans leur saleté ! Retirez leurs uniformes ! Accompagnez-les aux toilettes. » Le docteur Müller raconta comment, prisonnier dans la même pièce que von Gudden et Washington, ils entendaient les infirmiers restés dans le corridor « se goinfrer » tandis qu’eux ne recevaient rien. Ils réussirent à payer un valet qui leur apporta du pain et trois saucisses enveloppés dans du papier journal. Louis avait encore quelques cartes en main. Il pouvait tenter de gagner Munich, ou, ce qui eût été plus sûr, la frontière autrichienne. Toutefois le temps travaillait contre lui ; que la proclamation de la régence fût connue et le devoir d’obéissance changerait de camp. Le retournement de situation vint du télégraphiste de Füssen qui, recevant des ordres contraires, s’enquit de la situation. À cinq heures quarante-cinq, il envoya une dépêche à Munich pour demander s’il était exact que le prince Luitpold était devenu régent et s’il devait, comme le lui avait demandé Son Excellence le ministre Crailsheim, intercepter désormais toutes les dépêches adressées au roi ou émanant de lui. L’ordre d’obéir en tout à Son Excellence arriva une heure plus tard. À treize heures, la régence fut officiellement annoncée et la proclamation placardée dans les rues de Munich tandis que des télégrammes partaient vers toutes les administrations du pays. Le 11 juin, à deux heures trente du matin, Crailsheim verrouillait les stations télégraphiques de Haute-Bavière et de Souabe désormais interdites au roi. Le rôle de la poste et des télégraphes fut capital dans l’opération en cours. Louis étant complètement isolé, les dés étaient jetés. La gendarmerie de Füssen reçut l’ordre de libérer les prisonniers du château, ce qui fut fait à quatorze heures sans que le roi en fût informé. Les membres de la délégation, politiques et médecins, dégringolèrent la route sans demander leur reste et regagnèrent la gare de Füssen pour rentrer à Munich tandis que les sapeurs-pompiers et les paysans repartaient à leur tour. Le roi avait fait appeler le bataillon de chasseurs de Kempten, mais le
télégramme fut intercepté. Il fit chercher son dernier fidèle, le comte von Dürckheim-Montmartin, qui se reposait à Steingaden ; celui-ci arriva à quinze heures. Louis lui résuma la situation. Le comte suggéra de partir pour Munich où le peuple l’acclamerait. Le roi s’abrita derrière sa fatigue, puis avança que son train n’était pas prêt, enfin évoqua la Fête-Dieu toute proche à laquelle il ne voulait pour rien au monde participer. Dürckheim proposa de traverser la frontière du Tyrol, ce qui était encore possible ; en une heure le roi pouvait être hors de son pays, mais libre. L’embarras – considérable – serait pour François-Joseph. Le roi argua encore de sa lassitude, ajoutant qu’au bout du compte il y aurait effusion de sang, ce dont il ne voulait à aucun prix. Le risque d’échauffourées n’était en effet pas à écarter. Tous deux expédièrent à Bismarck et à François-Joseph des télégrammes. Le chancelier conseilla, comme il l’avait déjà fait, de se rendre à Munich et de s’adresser au Parlement. Il dira avoir pensé que si le roi était sain d’esprit il suivrait son conseil, mais que s’il était fou il ne se montrerait pas ; la seconde option l’emporta. À vingt heures, le bataillon de gendarmes de Füssen qui gardait le château fut remplacé par un bataillon venu de Munich. Le roi était désormais prisonnier. Louis II et Dürckheim rédigèrent alors une contre-proclamation qu’ils antidatèrent du 9 juin, afin qu’elle prévalût sur la proclamation de la régence le 10 juin : Moi, Louis de Bavière, je me vois contraint d’adresser à mon cher peuple bavarois et à la nation allemande tout entière cette proclamation. Le prince Luitpold a l’intention de s’élever contre ma volonté à la dignité de régent de mon pays, et ceux qui jusqu’à présent ont été mes ministres ont trompé mon cher peuple par de fausses nouvelles sur mon état de santé et ont commis des actes de haute trahison.
Ils seront donc responsables devant les tribunaux ou une cour martiale. Je me sens sain de corps et d’esprit comme tout autre souverain et cette trahison préparée de longue main arrive tellement à l’improviste que je n’ai pas eu le temps de prendre les mesures nécessaires pour réprimer les intrigues du gouvernement.
Le roi oublie de dire que ce gouvernement ne pouvait avoir aucun contact avec lui depuis longtemps. Sa réflexion sur les corps et les esprits
sains des autres souverains n’est pas dépourvue d’humour. Au cas où les violences projetées devraient se réaliser et si le prince Luitpold usurpait le pouvoir contre ma volonté, je charge mes fidèles de défendre mes droits par tous les moyens et à n’importe quel prix.
Le roi a changé d’avis sur le sang versé… mais il joue son va-tout et ne ménage rien : J’attends de tous les fonctionnaires bavarois, et spécialement de tous les officiers, qu’ils aient le sens de l’honneur, et j’attends de tous les soldats qui m’ont juré fidélité qu’ils tiennent leur serment et soient à mon côté dans la lutte contre les traîtres. Chaque Bavarois fidèle est invité à combattre le prince Luitpold et le gouvernement coupable de haute trahison.
L’appel au peuple et à l’armée se poursuit sur le même ton, non sans mentionner le rôle joué par Louis II en 1871 : « J’ai eu ma bonne part dans la constitution de l’Empire » et assurer qu’il « livrerait les traîtres aux tribunaux de mon pays1 ». Ce texte, diffusé quarante-huit heures plus tôt, eût pu avoir une efficacité redoutable. Il ne fut imprimé que par un journal de Bamberg aussitôt saisi. Il était bien trop tard. Le secret, puis la rapidité avec laquelle avait agi le gouvernement gagnaient la partie. L’attitude de l’armée eût pu être décisive, mais elle avait été trop privée de la présence comme des signes d’intérêts du roi. Après son retour pitoyable à Munich, la commission participa à un conseil extraordinaire réuni autour de Luitpold. Tous avaient sous-estimé le roi et aussi la réaction populaire. Ils tremblaient à présent, car, si un soulèvement laissait Louis II à sa place, les uns risquaient le conseil de guerre, les autres un tribunal qui pourrait les condamner à mort. Pendant ce temps, Louis II tentait de se reposer. À minuit, il fit appeler Dürckheim-Montmartin pour lui annoncer sa décision de partir pour Munich. Le comte lui apprit que le château était gardé et les routes surveillées. Un ordre du ministre de la Guerre arriva ordonnant à Dürckheim de se rendre. Il voulut rester, Louis lui demanda d’obéir. Ils discutèrent longtemps. « Je retourne à Munich pour vous sauver », conclut
le dernier fidèle qui partit après quatre heures du matin. Il fut arrêté dès son arrivée à la gare de Munich et emprisonné. L’affaire terminée, il sera accusé de haute trahison. Bismarck interviendra fermement pour le faire libérer. Il reste qu’Alfred von Dürckheim-Montmartin n’eut pas un seul instant pour courir à Berg, alerter Sissi et organiser les complots qu’on lui a prêtés pour délivrer le roi. À Neuschwanstein, l’aube du 11 juin, celle des heures de l’attente, se leva. Louis parla au brigadier Boppeler : « J’aurais pu supporter la perte de la Couronne, mais je ne me laisserai pas enterrer vivant. » Le sort de son frère lui faisait horreur. Il affirmera la même chose au valet Weber. Il pouvait accepter le vol de la Couronne, pas la honte d’être déclaré fou. Louis II vécut alors les heures les plus terribles de sa vie. Toute la journée, il erra dans le château, parlant à haute voix, s’arrêtant longuement dans la salle du trône, buvant aussi beaucoup pour se donner du courage. On peut imaginer la déambulation de cet homme seul dans les vastes pièces, les couloirs où les domestiques fuyaient comme des ombres. Sur les murs, Tannhäuser, Amfortas, Lohengrin, Parsifal, Tristan et Yseult le regardent. Louis salue une dernière fois les héros du monde dans lequel il a vécu. « Il doit y avoir une punition des péchés, car il n’est pas possible que ce que l’on me fait souffrir reste impuni », dira-t-il à Weber. « Que mon sang retombe sur ceux qui m’ont jugé et trahi. » Il lui donna de l’argent – beaucoup –, une boucle en diamants et son livre de prières : « Prie pour moi, Alfons. » Pensa-t-il au suicide ? Louis II aurait réclamé la clef de la grande tour du château à Weber qui lui aurait répondu qu’on ne la trouvait pas. Le point est douteux, car cette tour Nord n’a pas de porte, et pour la petite entrée qui servait aux domestiques, le roi disposait d’un passe. De toute façon, on pouvait se tuer en se jetant d’à peu près toutes les fenêtres de Neuschwanstein. Louis a-t-il demandé du cyanure à son coiffeur ? Le roi eut largement la possibilité de se donner la mort : défenestration, ouverture des veines, dose mortelle de somnifères ou arme à feu, les moyens ne manquaient pas. Il parla peut-être de suicide pour exprimer son désespoir, mais la pulsion de vie qui avait toujours été très forte chez lui – il n’avait jamais fait aucune tentative pour se supprimer – persistait. Tandis que les heures s’écoulaient dans le château silencieux, Louis fit
appeler le docteur Köpf de Füssen qui fut autorisé à entrer. Le roi lui demanda s’il le considérait comme fou. Mis dans une situation ô combien délicate, le médecin s’en tira avec honneur : « Je pense que nous sommes tous fous, car durant ma longue expérience de médecin, je n’ai encore jamais rencontré quelqu’un qui fût parfaitement normal. » Louis eut un petit sourire : « Je ne suis donc pas plus fou que les autres. » Là restait la plus grande douleur : être un fou à qui « le moindre valet pouvait montrer le poing », se trouver condamner à être perpétuellement humilié, soumis aux volontés et au pouvoir de l’oncle qui lui « volait la Couronne ». Le désir de vie était si fort qu’à vingt et une heures trente, Le malheureux fit appeler Niggl pour lui demander de l’aider à s’enfuir. Le valet, à genoux, lui assura qu’il était trop tard. À maintes reprises, le roi alla sur le Söller pour guetter l’arrivée de ceux qui viendraient le prendre. Pour la première fois, il ordonna que le dîner fût servi dans la salle des chanteurs, désirant que son dernier repas d’homme libre fût pris en compagnie de Parsifal, le pur, l’ultime héros de Wagner. Quand tout fut prêt à vingt-trois heures, il renonça : il n’avait pas faim. Ce ne fut que vers une heure du matin qu’il se décida à aller se mettre à table. Peut-être ne viendrait-on pas s’emparer de lui avant le jour ? Peut-être la nuit lui appartiendrait-elle encore ? Pendant que le roi parcourait son calvaire, Luitpold, à Munich, avait rédigé une procuration par laquelle il chargeait le docteur von Gudden de se rendre à Hohenschwangau, « de ramener Sa Majesté au château de Berg et de prendre, à cet effet, toutes les dispositions médicales ». Les autorités civiles et militaires étaient priées de l’aider. Il n’était pas question que des membres du gouvernement se ridiculisent à nouveau, aussi la seconde commission devant repartir à l’assaut fut-elle purement médicale. Le professeur von Gudden était accompagné du docteur Müller, que l’on présente souvent comme un jeune interne. Franz Carl Müller était en fait le premier assistant de Gudden au Münchener Kreisirrenanstalt et avait remplacé celui-ci auprès du prince Otto. Aliéniste confirmé, il se situe luimême, selon le très intéressant témoignage qu’il laissa2, dans le mittel Age et raconte comment, dès le 8 juin, le professeur von Gudden était venu lui demander de se préparer à partir deux semaines, prévenant : « vous allez avoir des jours sombres ». Gudden n’imaginait pas à quel point. À minuit et demi, médecins et infirmiers arrivaient à Neuschwanstein où ils entrèrent sans résistance. Quand, à une heure du matin, le 12 juin, le roi se dirigea vers la salle des chanteurs pour y dîner, les membres de la
commission se trouvaient embusqués dans le grand escalier qu’il devait emprunter. À l’instant où Louis s’avança, suivi de Mayr, deux infirmiers bondirent et lui saisirent les bras. Le roi poussa des exclamations de surprise tandis qu’on le conduisait dans sa chambre où les infirmiers se postèrent devant les fenêtres. Müller à ses côtés, von Gudden débita le discours préparé et commença le sinistre dialogue que reproduisent toutes les biographies de Louis II3 : — Sire, j’accomplis aujourd’hui la mission la plus triste de ma vie. Le cas de Votre Majesté a été expertisé par quatre aliénistes et le prince Luitpold assure à présent la régence. J’ai reçu l’ordre d’accompagner cette nuit même Votre Majesté au château de Berg. Si Votre Majesté l’ordonne, la voiture sera prête pour quatre heures.
Gudden rappela au roi l’audience qui lui avait été accordée en 1874. Louis s’en souvenait parfaitement, comme il se souvenait qu’un fils du docteur Gudden avait eu un bras brûlé accidentellement. Très calme, il demanda : — Comment pouvez-vous me déclarer fou alors que vous ne m’avez pas examiné ? — Ce n’était pas nécesssaire, Majesté, les preuves sont quasiment écrasantes.
Louis, poursuivant méthodiquement son interrogatoire, s’enquit : — Qui assure désormais la régence ? — C’est Son Altesse royale le prince Luitpold. — Ah, cher Luitpold ! C’est de toute façon l’époque des grands parjures, c’est un complot, l’affaire de Luitpold est très bien arrangée, c’est une belle comédie, Luitpold est rusé, je connais les dires et les écrits mensongers à son sujet.
Et, l’esprit plus clair que jamais, de reprocher à Gudden ce qu’on lui reproche encore : — Comment pouvez-vous en tant que médecin et sans l’ombre d’un scrupule me déclarer incurablement aliéné alors que vous ne m’avez pas revu depuis douze ans ! Vous n’avez pas honte de décider ainsi d’une vie humaine sur les affirmations d’individus corrompus ! Je pense que cela ira beaucoup plus vite, on peut agir comme avec le sultan *1 , il est facile de supprimer un homme. — Sire, mon honneur m’interdit de répondre à cette question.
Cet honneur lui permettait de faire passer du trône à une chambre verrouillée un homme qu’il n’avait pas examiné, pas plus que ne l’avaient fait les experts qu’il citait. La réaction du roi était celle d’un homme sain d’esprit. Très calme, Louis n’eut ni cris, ni gestes, ni même outrance, si l’on excepte l’allusion au mode successoral de la Sublime Porte, allusion qui n’était peut-être pas tout à fait déplacée si l’on songe à la suite des événements. Louis interrogea ensuite longuement le docteur Müller qui soignait son frère. En vain, il demanda plusieurs fois à rester seul. Franz Carl Müller n’était pas un homme particulièrement sensible, mais le récit qu’il laissa montre un observateur précis. Le roi me paraissait fortement imprégné, dans le vestibule, il y avait du punch, et ça sentait fortement le schnaps. Le roi chancelait légèrement vers les côtés, vers le devant et l’arrière. Son discours montrait aussi certaines hésitations4.
Le médecin ayant réclamé un verre d’eau fut étonné de voir avec quel cérémonial on le servit : Le gaillard m’apporta un verre d’eau sur un plateau d’argent en rampant à quatre pattes et récita sa leçon : — le valet Niggl a l’honneur d’offrir un verre d’eau à monsieur le docteur Müller. — Après que j’eus vidé le verre, il recula comme une écrevisse vers la porte, visa avec précaution afin de ne pas rater la sortie, et disparut5.
Le roi ayant souhaité se reposer, les médecins le laissèrent avec les infirmiers. Louis réclama du vin chaud et de l’eau. Durant trois heures et demie, il marcha de long en large dans sa chambre. À quatre heures, il demanda si les voitures étaient prêtes. Le valet Mayr lui passa manteau et chapeau. Il remercia Boppeler. Dans la cour intérieure il serra la main de Niggl : — Adieu Niggl, conservez ces pièces comme des lieux sacrés, ne les laissez pas profaner par les regards des curieux, car j’ai vécu ici les heures les plus pénibles de ma vie. Je ne reviens plus ici.
Quatre voitures attendaient. Le roi monta seul dans la troisième dont on avait ôté les poignées intérieures. Les sangles prévues pour parer à toute agitation ne furent pas utilisées. À quatre heures trente la voiture quitta Neuschwanstein sous une pluie battante.
Le voyage qui conduisit le roi jusqu’à Berg dura huit heures. On fit trois haltes, la première vers six heures à Steingaden où Louis s’arrêtait souvent pour changer les chevaux. Il avait une chambre retenue en permanence à l’auberge Zur Post où il s’était installé lors de la construction de Neuschwanstein : nombre des réunions de chantier s’y déroulèrent. On fit halte pour la seconde fois un peu avant huit heures à Peissenberg où le roi avait aussi son auberge. Quelle douleur et quelle humiliation que de revenir en prisonnier et en fou là où il se rendait jadis en souverain. Vers onze heures le convoi fit un court arrêt à Seehaupt sur les hauteurs du lac de Starnberg. Anna Vogl, patronne de l’auberge Post où le roi avait l’habitude de prendre un rafraîchissement, lui servit un verre d’eau. Selon certains, elle aurait aussitôt fait prévenir Sissi qui se trouvait à Feldafing ; par le passé, le roi aurait déjà plusieurs fois remis des lettres à l’aubergiste pour qu’elle les fît passer à l’impératrice ; cela n’est pas prouvé. Louis avait en effet ses piqueurs et des moyens beaucoup plus sûrs pour faire parvenir du courrier à qui bon lui semblait. Cette façon de correspondre avait peut-être pu l’amuser une fois ou deux, mais de là à conclure que l’impératrice, alertée par Mme Vogl, se serait mise à ourdir un complot pour libérer son cousin… Que pouvait en effet faire Sissi ? En Bavière, l’impératrice d’Autriche séjournait en pays étranger, qui plus est dans un État relevant du redoutable Reich allemand. En intervenant, elle aurait mis son époux en grande difficulté, sans compter que le régent Luitpold était le beau-père de sa fille Gisèle. En matière politique, Élisabeth n’était pas inconséquente. De plus, elle avait été l’une des premières à se douter de la folie d’un homme qu’elle n’avait pas revu depuis des années. L’installation d’une régence ne dut pas la surprendre. Elle en fut avertie alors qu’elle se trouvait en visite chez son frère aîné dans le château de Garatshausen en compagnie de la duchesse Ludovica ; celle-ci plaignit la reine Marie d’avoir deux fils fous tandis que Sissi exprimait des doutes quant à un véritable état de démence. Ludovica répliqua que, dans ce cas, le roi avait fait preuve d’une terrible légèreté. Sissi regagna Feldafing très contrariée, mais peu étonnée, encore moins bouleversée. Nul doute que, par la suite, elle fût intervenue pour adoucir les conditions d’enfermement du malade et eût demandé à le voir, mais l’idée de contrecarrer un fait politique de cette importance ne lui vint certainement pas à l’esprit. Le convoi arriva à Berg à douze heures quinze. Environ trente-cinq
personnes, gendarmes, infirmiers, domestiques, s’affairaient au château sous les ordres du comte Holnstein, du comte Törring, du conseiller von Klug et du baron von Washington. Les médecins présents étaient le docteur von Gudden, son gendre le docteur Grashey et son assistant le docteur Müller. Le roi monta au second étage que Grashey avait fait rapidement aménager. Les poignées intérieures des portes avaient été retirées, des judas s’y trouvaient percés et les volets demeuraient fermés. Dans la même pièce que le roi, deux infirmiers ne devaient pas le quitter des yeux. Louis ne protesta pas et commanda le déjeuner pour treize heures trente. Quand on le servit, il toucha les couverts dont aucun n’était tranchant : « Est-ce que je commence par les fruits ? » s’enquit-t-il avec un léger sourire. Vers quinze heures, il réclama deux verres d’arak et un somnifère. Pendant qu’il dormait, les médecins, ainsi que Holnstein, Törring et Washington examinèrent les bords du lac qui, offrant un accès possible par voie d’eau, présentaient une faiblesse dans le dispositif de sécurité. Décision fut prise de faire border la rive d’un grillage et de mettre des barreaux aux fenêtres du château. Cela infirme quelque peu une partie des thèses complotistes : si l’on avait décidé de supprimer le roi, pouquoi engager des travaux que l’on savait inutiles ? Louis II se réveilla peu avant minuit. On lui refusa ses vêtements, car von Gudden avait prescrit le retour à un rythme de vie normal. Il arpenta sa chambre en chemise, avant de demander ses chaussettes, un bout de pain, une orange et de retourner docilement se coucher. Le docteur Grashey écrira que dans la soirée son beau-père se montra très satisfait de la tournure prise par les événements. Bien carré dans un fauteuil, fumant un cigare, le professeur von Gudden tira un premier bilan : Il se félicitait du cours heureux que prenait l’affaire, il m’entretenait de la maladie du roi ainsi que de l’aménagement confortable du château de Berg, car il fallait bien se résoudre à garder le roi à Berg […] Il fallait donc le traiter avec égards et noblesse, il fallait lui éviter toute émotion et l’empêcher d’abuser de boissons alcoolisées. Il fallait encore arracher le roi à son isolement, lui faire effectuer des promenades régulières en compagnie des médecins ou de l’entourage, stimuler son goût pour l’occupation, le surveiller le jour et le laisser dormir la nuit6.
Telle fut la dernière ordonnance du docteur von Gudden.
Pendant que les aliénistes, à Berg, se félicitaient, à Munich, un autre médecin protestait et se démenait comme un beau diable. Le docteur Schleiss von Löwenfeld avait très mal pris la nouvelle de la déposition du roi. Vent debout contre l’idée que Louis II était fou, il trouva peu d’oreilles pour l’écouter et finit par télégraphier une longue protestation au Allgemeine Zeitung qui la mit au panier. Ne se tenant pas pour vaincu, Schleiss fit paraître l’appel dans un journal viennois plus enclin à lui ouvrir ses colonnes. Ce texte qui s’articule autour de trois thèmes mérite d’être connu. Premier thème : le roi n’est pas un malade mental. De Hohenschwangau où j’ai séjourné onze jours, j’ai adressé au Allegemeine Zeitung un télégramme priant la rédaction de bien vouloir publier ma désapprobation concernant l’expertise des psychiatres. Le Roi est à mon avis souffrant mais pas un malade mental. Mon télégramme ne fut pas imprimé dans le journal. Je connais le Roi depuis quarante ans, depuis sa naissance. Le docteur Gietl et moi-même étions ses uniques médecins. Nous sommes tous les deux convaincus que le Roi n’est pas un malade mental.
Schleiss a donc pris l’avis de Gietl et sans doute lu le rapport rédigé par von Gudden. Il faut rappeler ici que ni l’un ni l’autre n’ont vu le roi depuis le début des années 1870. Le médecin donne donc l’opinion de quantité de personnes qui, n’ayant pas fréquenté Louis depuis longtemps, furent stupéfiées par l’annonce de sa folie comme le seront aussi les paysans et villageois qui ne voyaient leur Märchenkönig que de loin en loin. Schleiss concède tout de même que « le roi est souffrant ». Mais de quoi ? Deuxième thème : le roi est un original dont les erreurs furent provoquées par son entourage. Mon avis est le suivant : Le Roi a ses particularités, il est dépensier, bon jusqu’à l’excès et passionné pour les constructions et les beaux-arts. Ses excentricités sont la faute de ceux qui constituent depuis des années son entourage, ces créatures corrompues, égoïstes et menteuses qui ont délibérément favorisé toutes ses fantaisies, déclaré tous ses désirs réalisables et l’ont volontairement poussé dans toutes ses passions. En l’incitant ainsi à des dépenses énormes, les créatures de son entourage en tirèrent habilement et scandaleusement profit. Aucun de ses actes ne fut jamais un acte de folie. Il a toujours négocié avec les artistes et les artisans, exprimé clairement ses désirs, imposé son goût élevé et manifesté des connaissances et une circonspection exceptionnelles. Celui même qui donna en 1870 l’ordre de mobilisation de l’armée bavaroise et contribua considérablement à l’issue finale de la guerre est prétendu fou ? Non.
On comprend pourquoi l’entourage du roi, à savoir les Holnstein, Lutz, Riedel et autres créatures corrompues, n’avait pas dû beaucoup insister auprès de la commission médicale pour qu’elle prît l’avis du docteur Schleiss. Le pillage des deniers royaux n’est mis en doute par personne, mais il était la conséquence de la folie du roi, non l’origine du mal. Cela achève de convaincre que ce médecin courageux était bien peu renseigné sur l’évolution de la maladie de son patient. Sur ce point, Louis II a remporté une victoire. La ligne de défense qu’adopte le docteur Schleiss reste la version la plus élégante et la plus écoutée de ce que fut la vie de Louis II de Bavière. Elle est encore celle de plusieurs auteurs. Troisième thème : on martyrise le roi. Non, malgré le traitement qu’on lui inflige, le Roi n’est pas un malade mental. Avec le traitement qu’on lui inflige, il pourrait par contre le devenir. Les pièces ont été aménagées comme pour un fou furieux, les encorbellements ont été murés ou rendus inaccessibles, les fenêtres sont munies d’espagnolettes. Le tout ressemble à un asile d’aliénés. Le roi dispose seulement de deux pièces, la chambre à coucher et le salon. La pièce à côté est occupée par le docteur qui le surveille constamment. Le parc est barré et le Roi complètement isolé. Mon pauvre Roi, comment pourrais-je à mon âge, encore survivre à toute cette peine qui s’est abattue sur toi7.
Le médecin était cette fois parfaitement renseigné. On sait qu’il s’était rendu à Berg dès qu’il avait appris la décision d’internement. On ne peut que partager son indignation. Faire transiter si brutalement le roi du trône à l’asile était une solution aussi maladroite que cruelle. Contrairement à ce qu’il pensait, le docteur Schleiss qui avait alors soixante-dix-sept ans allait survivre onze ans à la mort de « son pauvre Roi ». Ce médecin récalcitrant et courageux sera invité, en tant que médecin personnel du roi Louis II, a assister à son autopsie dont il signera le rapport, ce qui, sur le plan de la crédibilité de ce rapport, est un point rassurant.
*1. Allusion à la cour de Constantinople, où l’assassinat réglait la succession.
XXII
Un long dimanche de Pentecôte 13 juin 1886 L’évasion est mon instinct principal. Louis II de Bavière
Le dimanche de Pentecôte fut aussi froid et pluvieux que les jours précédents. Le roi ouvrant les yeux à huit heures quinze s’étonna auprès de l’infirmier Mauder qu’on ne l’eût pas réveillé à minuit comme il l’avait demandé. C’étaient les ordres ! Il voulut ensuite parler au professeur von Gudden, puis au docteur Grashey, posant et reposant les questions qui le hantaient. Grashey rapporta leur conversation. Louis tenait des propos cohérents, évoquant un complot et redoutant de rester prisonnier des années. Le médecin répondit comme on répond aux malades ou à un enfant : « Mais non, Majesté, ce n’est pas un complot puisque Son Altesse royale le prince Luitpold n’a accepté la régence qu’à contrecœur » (c’était beaucoup dire…). Et comme le roi demandait à quels conseils il devait s’attendre, il lui fut répondu qu’il lui faudrait mener une vie calme, ne pas abuser de l’alcool, faire des exercices de plein air et choisir une occupation régulière. Louis eut alors un cri du cœur : « Faites transporter alors ma bibliothèque du Nouveau Château de Hohenschwangau*1. » En dépit de ce que la situation présentait de terrible, le patient n’était pas complètement abattu. En sortant, Grashey dira que le cas ne lui semblait pas du tout désespéré. Comme son beau-père, il était agréablement surpris.
Les médecins partis, Louis organisa sa toilette. Il se lava à l’eau froide et s’habilla avec l’aide de l’infirmier Mauder avant de s’inquiéter d’une personne capable de le coiffer. Mauder offrit ses services et, guidé par le roi, donna toute satisfaction : « C’est aussi bien que Hoppe ! » En ce dimanche de Pentecôte, le roi demanda à entendre la messe. La chose n’avait pas dû être envisagée ; on ne s’attendait pas à se trouver devant un malade non seulement calme, mais dévot. Il eût fallu trouver un prêtre, organiser le trajet jusqu’à la chapelle, surveiller la cérémonie. Il fut répondu que la fête de la Pentecôte serait remise au dimanche suivant. La venue du Saint-Esprit attendrait une semaine. Louis prit un petit déjeuner qui dura trois quarts d’heure. L’omniprésence des infirmiers lui était un supplice. Il confiera à von Gudden que cette perpétuelle observation était le plus pénible à supporter ; elle était infligée à un homme qui, depuis des années, ne pouvait plus souffrir la présence d’autrui. Inquiet, le roi demanda à Mauder de revenir souvent dans la pièce. Et le programme fut mis en route. Le roi s’entretint encore une demi-heure avec von Gudden qui avait décidé que, malgré la pluie, ils iraient se promener. Le médecin demanda à l’infirmier Hack de les suivre « à distance raisonnable ». Le parc du château de Berg, de forme oblongue, s’étendait au bord du lac sur près de un kilomètre et n’avait guère plus de 200 m de large. Une grande allée le bordait ; à partir de cette voie, plusieurs petites sentes perpendiculaires traversaient les bosquets. Le chemin du bord de l’eau se terminait par une grille qui communiquait avec le jardin de la villa des Hornig. Devant l’entrée principale du château, le décor se limitait à une grande pelouse agrémentée d’un bassin et d’un jet d’eau. Le créateur des magnifiques jardins de Linderhof et de Herrenchiemsee n’avait pas touché à la propriété paternelle. Comme on craignait une fuite du roi et surtout une intervention étrangère venue le secourir, quatre à six gendarmes patrouillaient sous les ordres de l’officier Zanders et surveillaient les sorties. Le dispositif était très inorganisé, les militaires déambulant un peu au hasard entre les bosquets. Von Gudden avait toutefois fait jurer à Zanders de « ne pas inciter le roi à fuir », on n’est jamais trop prudent. Les gendarmes en patrouille gâchèrent quelque peu la promenade matinale du roi et de son médecin. À la vue des militaires comme de
l’infirmier qui les suivait pas à pas, Louis demanda : « En veut-on à ma vie ? Est-ce que je cours un danger ? » Von Gudden s’efforça de soulager une angoisse qui le mettait mal à l’aise. Depuis le début de l’internement de ce malade modèle, le psychiatre se trouvait pris entre ses idées humanistes et les responsabilités d’ordre politique qui lui incombaient. Il souhaitait accomplir la mission qu’il avait acceptée, mais aussi atténuer les souffrances de son patient. Louis avait été soumis à un régime d’internement très strict. Enfermé, séparé de ses derniers familiers et obligé de vivre dans la même pièce que des infirmiers, il était servi par des inconnus qui ne recevaient pas leurs ordres de lui. On avait privé un homme raffiné jusqu’à la maniaquerie de la plus grande partie de ses vêtements, et réglé son emploi du temps d’une façon qui bouleversait complètement sa façon de vivre. Von Gudden s’était efforcé d’adoucir la situation. Il avait demandé au personnel d’observer la plus grande déférence envers le malade auquel il offrit toutes les occasions de parler, ne se dérobant à aucune question, quitte à n’y répondre que très imparfaitement, et à en être fatigué. La réaction très positive de Louis et, sans doute, un sentiment de culpabilité incitaient le médecin à poursuivre de la manière bienveillante qui avait toujours été la sienne. Très satisfait d’avoir tissé rapidement un lien de confiance avec son patient, il ne voulut pas risquer de le rompre et décida que la promenade suivante se déroulerait dans des conditions moins angoissantes et, surtout, moins humiliantes pour le roi. Au retour, le médecin et son patient convinrent d’une autre promenade après le dîner vers dix-huit heures. Tandis que le roi partait déjeuner au second étage, Gudden alla se mettre à table dans un bâtiment de service avec les docteurs Grashey, Müller et le baron von Washington. Il leur annonça que la sortie de la fin d’après-midi se ferait sans la présence d’un infirmier. Müller devait écrire : Washington et moi faisions alors état de nos craintes et je déclarai ne jamais prendre la responsabilité de me promener seul avec le roi. Gudden, avec le pouvoir charismatique qu’il exerçait sur les malades, pouvait se le permettre, mais moi, je n’oserais jamais. Gudden se mit à rire et me lança : Vous êtes un pessimiste 1 !
Le partisan du no-restraint et de l’open door pensait réussir dans le petit château de Berg comme dans le château de Werneck. Tout allait si bien
qu’à seize heures le docteur Grashey repartit pour Munich. Son beau-père le reconduisit jusqu’à la voiture en lançant : « Adieu, à demain soir ! » Von Gudden croyait pouvoir aussi regagner la capitale pour y reprendre ses tâches ordinaires, le docteur Müller et un interne assurant à tour de rôle la surveillance du malade. Responsable de la cure, il reviendrait en superviseur. Toujours sûr de lui, il télégraphia à Munich : Ici tout va merveilleusement bien. L’examen personnel n’a fait que confirmer l’expertise écrite.
Le praticien donne toutefois l’impression d’avoir joué son va-tout. Quant au roi, chacun s’accorde à dire qu’en quarante-huit heures « il avait gagné le pari de la ruse » et endormi la méfiance de son médecin, ou plus exactement de l’un de ses médecins. Il est vrai que Gudden connaissait encore mal son patient et peut-être n’avait-il pas parfaitement diagnostiqué une maladie qui, n’ayant pas encore été définie, avait été jetée dans le vaste fourre-tout de la Verrücktheit ou paranoïa. Le roi était cependant bien un malade mental et sa déposition justifiée ; l’autisme et le délire étaient patents. Un aspect particulier de la schizophrénie avait cependant été négligé. Dans certains cas, elle n’évolue pas vers « un affaiblissement intellectuel précoce, global et irréversible. […] La conservation tardive, chez Louis II, d’une mémoire, d’une intelligence, de facultés de raisonnement apparemment intactes, coexistant avec le délire, a troublé les observateurs et les historiens les conduisant à mettre en doute le caractère pathologique des autres symptômes2 ». Louis avait toujours su dissimuler sa folie. Déchu, prisonnier, livré aux médecins et dévoré d’angoisse, il réussit à s’adapter à la situation et attendit son heure. L’optimisme du professeur von Gudden avait rassuré les gouvernementaux qui étaient repartis pour Munich. Le ridicule de la retraite de Neuschwanstein avait servi de leçon. Le roi étant déposé et la régence assurée, le sort de Louis II n’était plus qu’une affaire purement médicale. Le 13 juin, seul le baron von Washington représentait les autorités à Berg. En cas de difficulté, il devait en référer à Munich au comte Törring. Le roi, remonté dans son appartement – en fait une chambre et un petit
salon –, déjeuna sobrement. Il demanda ensuite à interroger l’officier Zanders qui commandait les gendarmes, ce qui fut accordé. Ses questions furent précises. Serait-il encore prisonnier dans un an ? Combien de gendarmes patrouillaient dans le parc ? Tireraient-ils sur lui ? Leurs fusils étaient-ils chargés ? Louis craignait-il d’être assassiné ou se renseignait-il dans l’idée de fuir ? Difficile de le dire. Il attira ensuite l’officier dans un coin, comme s’il semblait vouloir se confier. Zanders, se rappelant la promesse faite à von Gudden, demanda à se retirer et alla aussitôt répéter la conversation au médecin qui lui demanda que les gendarmes soient autant que possible dissimulés dans les bosquets lors de la promenade du soir. Vers quinze heures quinze, Louis voulut s’entretenir avec le docteur Müller. S’il est une chose qu’on ne peut reprocher aux aliénistes, c’est de lui avoir refusé une « cure de paroles ». Le malade put parler avec ses médecins autant qu’il le souhaitait. S’il n’y avait pas eu d’entretien avant l’internement, il y en eut quantité après. Müller dira qu’il passa trois quarts d’heure avec le roi et fut plus interrogé que durant ses examens de médecine3 : — Où avez-vous fait vos études ? — À Würzburg, Majesté. — Vous êtes aliéniste ? — Oui, Majesté. — Vous soignez mon frère. Comment va-t-il ? — Il n’y a eu aucune amélioration ces dernières années. — De la même façon que vous m’avez fait des rapports sur lui, vous écrivez maintenant au prince Luitpold, n’est-ce pas ? — Je n’ai reçu aucun ordre en ce sens, Majesté. — Vous écrivez sans doute que je vais très mal, n’est-ce pas ? Il se réjouit sans doute de ma maladie ! — Majesté, je suis convaincu que le prince Luitpold et le peuple bavarois se réjouiraient plutôt d’une amélioration de votre état ! — Oui, il est facile d’ajouter quelque chose dans la soupe pour que je ne me réveille plus […], etc.
Le médecin fut frappé par la récurrence des idées de persécution et des craintes d’assassinat que Louis II éprouvait déjà depuis longtemps. Le roi
parla encore de sa bibliothèque, expliquant que Gudden lui avait assuré que son assistant pourrait s’en occuper, celui-ci accepta volontiers et confia qu’il avait « des occupations littéraires ». Il révéla qu’à Berg il serait relayé par un interne, ce qui fit renaître de grandes inquiétudes : — Il trouvera bien le moyen de m’éliminer. — Majesté, un médecin doit guérir, non tuer ! — Oui, je vous fais confiance, mais les autres […].
Müller sortit épuisé de l’entrevue et, affirma-t-il, encore plus convaincu de la maladie du roi. Ce dernier, toujours servi par son infirmier, prit un dîner copieux et bien arrosé. Bruno Mauder écrivit que le roi mangea beaucoup et but un verre de bière, deux verres de « vin de liqueur », trois verres de vin du Rhin, ainsi que deux verres de schnaps, ce qui donne à penser que, sur la question de l’alcool, la prescription avait été adoucie. Le roi s’attabla durant une heure et sortit de table environ à dixsept heures trente. Pendant ce temps, Washington et Gudden recevaient un reporter américain. Celui-ci leur demanda des informations sur la santé du malade, puis ô stupeur, questionna : — Est-il vrai que demain de bonne heure, le lundi de Pentecôte, le roi doit réapparaître à Munich ? Gudden l’arrêta : — Mais où avez-vous entendu cette ânerie ? — Dans une auberge où causaient des paysans. La rumeur d’un enlèvement du roi circulait en effet. Rassuré, Gudden assura que l’histoire n’avait aucun fondement et renvoya le journaliste. Il se plaignit des questions dont le roi allait l’assommer. Quittant la pièce, il lança à Washington : — À vingt heures pour le dîner. Vers dix-huit heures, von Gudden alla dire un mot à Müller en train d’écrire dans une chambre décorée de « nombreuses images de Wagner » que le professeur examina un moment. L’infirmier Mauder vint l’interrompre pour dire que Sa Majesté attendait. Pendant que le médecin sortait pour se préparer, Müller demanda à Mauder quel infirmier devait accompagner les promeneurs. Cherchait-il à vérifier si son patron s’obstinait dans son idée de partir seul avec le malade ? En tout cas le
projet l’inquiétait ; le docteur Müller n’était pas du tout open door. Mauder répondit que c’était le tour de l’infirmier Schneller, puis alla aider le roi à revêtir son manteau. Von Gudden revint et Mauder accompagna les deux hommes dans l’escalier. Louis II portait son habituelle houppelande noire et son chapeau à bords roulés toujours orné d’une agrafe en brillants ; le médecin était en frac et haut-de-forme. Sur le perron, le roi demanda à l’infirmier de rouler son parapluie et de le lui donner. Mauder allait revenir au château quand von Gudden, qui suivait le roi, se retourna et dit avec un geste de la main : « Aucun infirmier ne doit nous suivre. » Bruno Mauder précisera que l’ordre fut donné à mi-voix et qu’il n’était pas certain que le roi eût entendu. Il remonta toutefois voir le docteur Müller pour lui répéter les paroles de von Gudden. « Bien », répondit simplement le médecin. Il avait fait ce qu’il pouvait et l’idée de remettre en question la décision du professeur ne lui vint certainement pas à l’esprit. De plus, plongé dans un travail d’écriture, il appréciait d’avoir une heure et demie de tranquillité. Ce dut être aussi le cas de l’infirmier Schneller prévenu par Mauder que l’on se passerait de ses services. Le gendarme Lauterbach, qui patrouillait dans le parc, rapportera qu’il vit le roi et le docteur von Gudden quitter le château par la porte arrière ; une sentinelle s’avança pour les suivre ; il eut l’impression qu’elle fut renvoyée. Lauterbach aperçut les deux promeneurs s’éloignant vers le chemin du lac. Après quoi il alla rechercher le gendarme Klier « qui n’était pas encore très familiarisé avec les lieux ». Il semble qu’il n’y ait eu alors que quatre gendarmes en patrouille dont un au moins ne connaissait pas le site. Johann Lauterbach précisera qu’ils n’avaient pas été prévenus de la sortie du roi. Il fut le dernier à avoir vu Louis II et son médecin en vie. Quand on évoque la fin de Louis II, il convient de demeurer prudent. Jusqu’à plus ample information – de miraculeuses découvertes sont toujours possibles – personne n’a vu ce qu’il s’est passé ou personne n’a voulu ou pu en témoigner. De plus, force est de reconnaître qu’aucun scénario ne donne totalement satisfaction, tous conservent des zones d’ombre, mais enfin, plus ou moins… Le mieux est donc de ne s’en tenir qu’aux faits avérés et, à partir d’eux, de tenter de reconstituer ce qui est vraisemblablement arrivé, l’un de ces faits, trop souvent négligé, étant la réalisation d’une autopsie du corps de Louis II, le 15 juin à Munich, en présence de douze médecins.
Le 13 juin 1886 à dix-huit heures quarante-cinq, le temps était gris, l’averse menaçait et le lac se hérissait de vaguelettes. La pluie se mit bientôt à tomber avec violence, ce qui n’alarma personne au château, mais dut ralentir le zèle des gendarmes sans doute plus tentés de s’abriter que de jouer à cache-cache avec le roi. Le docteur Müller travailla jusqu’à dixneuf heures trente avant de se rendre dans le bâtiment de service où la faim commençait à rendre Washington grognon. À vingt heures, la pluie redoubla et Müller s’inquiéta. Retournant au château, il envoya un, puis deux gendarmes inspecter le parc, lui-même restant en faction près de la porte. Le temps passant, d’autres gendarmes, puis les infirmiers et le personnel se joignirent aux recherches. Accompagné de l’intendant Huber, le médecin alla inspecter les rochers de la rive. Quand la première patrouille revint, il dit à Washington : « Ils sont morts. » Ce dernier voulut prévenir Munich. Müller refusa. Ce ne fut qu’à vingt-deux heures que, de plus en plus alarmé, il fit télégraphier : Le roi et Gudden sont allés marcher dans la soirée. Pas encore revenus. Le parc est fouillé.
L’effet dut être glaçant. À Berg, la fouille des bosquets se poursuivait sans succès. La nuit était tombée, il pleuvait, les domestiques, qui avaient pour la plupart été changés, ne connaissaient pas les lieux et n’avaient pour se guider que des lanternes. D’autre part, les rives du lac de Starnberg ne forment pas une plage continue. Un rivage en pente, couvert de buissons, de fourrés, de rochers, rend la plupart du temps l’accès à l’eau peu aisé, voire impossible. Enfin, à vingt-deux heures trente, un domestique appela : il avait trouvé, au bord du lac, le chapeau du roi, trempé et déchiré, reconnaissable à sa broche de brillants. On courut avec des lanternes vers une petite grève caillouteuse. Un peu plus loin, on aperçut le haut-de-forme de von Gudden, enfin, le manteau et la veste de Louis II, presque immergés ; la montre du roi qui sortait de la poche de sa veste avait son cadran empli d’eau. Le parapluie du docteur von Gudden fut ramassé à quelques mètres de la berge. Huber, l’intendant du château, courut chercher le jeune pêcheur Jacob Lidl – il faut retenir ce nom – qui habitait à proximité. Aidés du docteur Müller, ils détachèrent une barque et y montèrent. Très vite, Huber cria : « Arrêtez ! » Il se jeta à l’eau qui lui arriva à la poitrine. Le corps du roi reposait à une profondeur d’environ un mètre vingt. Louis était en bras de chemise,
Müller tirant et Huber poussant, on le hissa à bord. À peine l’avait-on déposé dans l’embarcation qu’on trouva « à une longueur de table » le corps de von Gudden complètement immergé lui aussi. Les infirmiers qui, depuis la rive, vinrent aider à le mettre dans la barque eurent de l’eau jusqu’aux hanches. Depuis le rivage, les corps étaient invisibles ; ce qui peut expliquer le temps mis pour les retrouver. Puis Lidl guida l’embarcation jusqu’à la berge où l’on étendit les deux hommes côte à côte. Müller envoya un gendarme prévenir le château et demander du secours. Il nota qu’il ne trouvait ni pouls ni souffle et que la rigidité cadavérique avait commencé. Néanmoins, il tenta une réanimation sur le roi et Mauder sur le docteur von Gudden. Durant une heure, le médecin pratiqua le « souffle artificiel », exerçant de vigoureux massages et des pressions sur la poitrine dont l’autopsie trouvera la trace. Il écrira qu’il savait ses efforts inutiles, mais ne voulait pas qu’on pût lui reprocher d’avoir renoncé. Quand l’horloge de Starnberg sonna minuit, il les déclara morts tous les deux. Les corps furent portés dans un hangar à bateaux où on coupa les vêtements pour les déshabiller et les sécher avant de les recouvrir d’un drap. Müller note que le visage du docteur von Gudden portait des égratignures, des marques de coups dont une grosse ecchymose à l’œil droit, l’un de ses ongles était retourné. Le corps du roi ne présentait aucun signe de violence, simplement des éraflures au-dessous des genoux, sans doute advenues quand on avait hissé le corps sur la barque. La montre de Louis II dont le boîtier avait été noyé était arrêtée à dixhuit heures cinquante-quatre, donc presque au début de la promenade. Le cadran de la montre de von Gudden était brisé et les aiguilles indiquaient vingt heures six. Cette différence a fait couler beaucoup d’encre et induit bien des scénarios. Un ami de Gudden, le juge Jehle, dira que le médecin oubliait souvent de remonter sa montre. Müller précisera que le professeur l’utilisait peu et n’avait pas même de clef pour la remonter. Il est aussi possible que cette montre ne se soit pas arrêtée tout de suite au moment de l’immersion. En présence de ces éléments, il est permis d’imaginer le scénario suivant : dès que les promeneurs se trouvent hors de vue, Louis courant vers l’eau, jette parapluie et chapeau, puis, ayant atteint la rive, se débarrasse de son manteau et de sa veste. Von Gudden, un instant saisi par ce qui arrive, lance à son tour haut-de-forme et parapluie pour rattraper le
fuyard. Les deux hommes se battent alors dans une lutte très inégale. Louis était un colosse, il avait vingt ans de moins que le médecin et voyait ses forces décuplées par l’énergie du désespoir. Il se défend donc contre l’homme qui tente de le retenir et, dans sa fureur, voire son délire, l’assomme ou lui maintient la tête sous l’eau et, ainsi délivré, reprend sa marche vers le large. Le roi était un remarquable nageur, ce que von Gudden sans doute ignorait. Si l’on accepte ce scénario, la première question qui vient à l’esprit est celle d’une tentative de fuite ‒ que ce fut ou non pour rejoindre d’éventuels complices ‒ ou d’une volonté de suicide. La plupart des auteurs penchent pour une pulsion suicidaire. Louis II se serait précipité à l’eau pour se noyer, ce qui est pourtant difficile quand on sait très bien nager. Si le roi avait recherché la noyade, se serait-il débarrassé de ses vêtements les plus encombrants, les plus lourds, ceux qui, gorgés d’eau, l’auraient entraîné vers le fond ? De plus, à Neuschwanstein, le roi avait eu durant deux terribles journées toute possibilité de se tuer et ne l’avait pas fait. Il ne faut pas oublier que le prisonnier avait choisi de se jeter à l’eau non loin de l’endroit où une barque était attachée. Louis II avait écrit : « L’évasion est mon instinct principal. » L’élan qui le fit courir vers l’eau ressemble à celui qui dirigea toute sa vie : fuir, toujours fuir. Ce qui frappe d’ailleurs quand on regarde l’ensemble de la vie du roi Louis II, c’est cette force de vie qui ne l’abandonna jamais. Tel fut l’avis du docteur Müller qui écrivit peu après le drame à l’ambassadeur d’Autriche, von Bruck : « Il devait être dans les projets du roi de tenter une fuite par voie lacustre. » La reinemère ne s’y trompa pas. Apprenant la mort de son fils, Marie dira : « Il a voulu fuir », et n’en démordra pas. Ce ne fut certainement pas une pulsion de mort, mais bien de vie qui fit courir le roi vers l’eau. Il convient de revenir au bord du lac de Starnberg où, après avoir aidé à installer les corps sur le sol d’un hangar, le docteur Müller se concerta avec la seule autorité présente. Ce fut à minuit quarante que le baron von Washington expédia un télégramme au prince régent : Sa Majesté et le professeur von Gudden morts tous les deux.
Luitpold éclata en sanglots. L’affaire tournait mal. Il envoya aussitôt sa fille Thérèse – la jeune fille qui avait été amoureuse d’Otto – à Elbigenalp
où séjournait la reine mère. On a dit que c’était pour retenir celle-ci au Tyrol. Il n’avait certainement pas envie de regarder en face une femme qui venait de perdre son fils à cause de ce qu’il avait tenté. Sans doute voulaitil aussi offrir un réconfort à la mère effondrée. Celle-ci fut avertie par télégramme à cinq heures trente. Le lundi 14 juin, à huit heures du matin, une proclamation du régent fit part du décès du roi et du (petit) changement qui en résultait : La Maison royale de Bavière et son peuple fidèle dans le bonheur comme dans le malheur sont frappés par un terrible coup du sort. De par les décrets insondables de Dieu, Sa Majesté, le roi Louis II, n’est plus.
On ne saurait être plus sobre. Pas un mot sur la façon dont Dieu avait exercé ses insondables décrets. À cause de ce décès qui plonge tout le pays dans la plus terrible des douleurs, le royaume de Bavière unifié et ses différentes provinces rattachées voient échoir, en vertu de la Constitution et des lois héréditaires de primogéniture, à notre bien-aimé neveu, le frère de feu Sa Majesté le roi Louis II, Son Altesse royale le prince Otto , le titre de Majesté.
Les Bavarois avaient donc changé un roi fou pour un autre encore plus fou. Puisque le nouveau roi est empêché d’assumer sa charge de souverain en raison de ses longues souffrances, nous prenons la régence du royaume en tant que plus proche membre apte à lui succéder, en vigueur des traités de la Constitution, et de l’administration du royaume. La session du Parlement appelée dans ce cas est déjà demandée45.
Cette session avait été convoquée pour entériner le passage du fanal de Louis II à Luitpold. Une petite modification à la Constitution aurait pu autoriser Luitpold à prendre la Couronne ; il ne le fit pas. Remords ? Scrupules ? Plusieurs « observateurs » pensèrent que le gouvernement n’aurait pas été favorable à une transmission directe du titre, lequel aurait donné beaucoup plus de pouvoir au nouveau maître de la Bavière. Habitués depuis longtemps à diriger leurs affaires comme ils l’entendaient, les ministres, comme le chef du gouvernement, tenaient à continuer. On peut ajouter que l’opinion publique se serait raidie devant un tel changement. Elle rendit Luitpold responsable de la mort de son neveu et le
régent traîna toute sa vie le poids d’un internement qui avait provoqué cette mort, sans parler de ceux qui sous-entendaient que le prince avait commandé l’exécution du roi ou qu’on l’avait tué pour lui être agréable. Se saisir de la Couronne eût été extrêmement maladroit, il est d’ailleurs probable que cela ne soit jamais entré dans le propos d’un homme qui resta régent jusqu’à sa mort, à l’âge de quatre-vingt-douze ans en 1912. Le pauvre Otto Ier vivait toujours dans une chambre du château de Fürstenried. Au décès de Luitpold, son fils aîné pensa qu’il était temps que la Couronne changeât de tête. À l’âge de soixante-sept ans, il prit le nom de Louis III. Les légitimistes refusèrent de lui faire allégeance et les superstitieux prédirent de grandes catastrophes ; elles approchaient en effet. Après quatre ans de guerre, la République proclamée au mois de novembre 1918 mit fin au règne des Wittelsbach. Dans le hangar à bateaux où ils avaient été transportés, les corps du roi et de son médecin reposaient sous des draps. Un peu avant deux heures du matin arriva le prince Philip Eulenburg, ministre de Prusse, autrement dit l’œil de Bismarck. Il assurera avoir vu des marques de strangulation sur le cou de von Gudden et fut le seul ; le premier rapport médical du Dr Müller n’en fait pas mention, pas plus que l’autopsie. Le prince ne cherchait qu’à présenter au mieux une affaire très dérangeante. Il est probable que l’idée que Louis II eût étranglé son médecin lui parut plus convenable que celle d’un roi maintenant la tête de l’assaillant sous l’eau. Le corps du docteur von Gudden n’ayant pas été autopsié, il est impossible d’en savoir davantage. Une commission médico-légale réunie rapidement arriva peu après le ministre de Prusse. Elle comprenait le juge Jehle, le conseiller juridique Hermann Arnold et deux médecins, le docteur Maag souvent qualifié de médecin légiste, car il était le médecin officiel du district de Starnberg, et son adjoint, le docteur Weiss. Le docteur Rudolph Maag confirma ce qu’avait déjà dicté le docteur Müller : aucune lésion sur le corps du roi, des plaies sur le front, un hématome près de l’œil droit et un ongle retourné sur celui de von Gudden. Les tenants de thèses complotistes avancent que plus tard, sur son lit de mort, le docteur Maag aurait dicté à sa fille, Anna Maag, une rétractation ainsi rédigée : Puisque je serai bientôt devant le trône du Seigneur, je dois soulager ma conscience. Je ne
veux pas apparaître devant Dieu comme un menteur et je tiens à dire à présent la vérité : dans la déclaration de décès du 14 juin 1886 était écrit que je n’ai vu sur le cadavre du roi que quelques éraflures en dessous des genoux. J’étais obligé de la rédiger ainsi sur l’ordre du gouvernement, mais ce n’était pas la vérité puisque j’ai bel et bien découvert de terribles blessures de balles dans le dos. Telle est la vérité6.
Ce texte est l’un de ceux qui retiennent l’attention dans les documents cités par les partisans du complot. Les histoires de mourants révélant de lourds secrets à leurs descendants ne manquent pourtant pas dans les récits de la fin de Louis II ; ils éveillent toujours une certaine méfiance. Pourquoi ces personnes n’ont-elles pas parlé plus tôt ? Un peu de courage que diable ! Que risquaient-elles ? Malheureusement, le papier sur lequel Anna Maag prit la dictée paternelle a disparu ; c’est trop souvent le cas dans cette histoire. Alors que croire ? Ce papier a-t-il existé ? Qui a pu en témoigner ? Dans quelles conditions se serait-il volatilisé ? Le docteur Rudolph Maag était connu de Louis II ; médecin et chirurgien de la ville de Starnberg, il avait le même âge que le roi et avait joué aux échecs avec lui dans la villa du docteur Eisert, un dentiste dont le roi fut sans doute le patient juste après son accession au trône, quand Louis II fréquentait encore quelques amis. Rudolph Maag se rendit parfois à Berg dans une voiture à quatre chevaux. Il faisait tant de politesses que le roi lui disait : « C’est bon Maag, je n’aime pas les cérémonies. » Le médecin mourut le 8 octobre 1921 ; à cette date la révolution socialiste de 1918 avait mis fin à la monarchie en Bavière et Rudolph Maag aurait pu faire sa déclaration en toute tranquillité, voire la déposer chez un notaire pour qu’elle soit lue après sa mort ; les médecins légistes ont l’habitude de travailler avec des hommes de loi. Et pourquoi le billet n’est-il pas plus précis ? Si Maag a fait au matin du 14 juillet 1886 une fausse déclaration, ce fut sur l’ordre d’une personne qui se trouvait présente, non « du gouvernement ». Par ailleurs, il semble qu’un médecin dirait au moins combien de blessures il a découvertes. L’affaire se complique avec l’adjoint de Maag, le docteur Weiss, qui faisait partie de la délégation. Le docteur Müller écrit que celuici crut trouver un pouls sur la personne du roi avant de reconnaître que, troublé, il n’avait senti que son propre pouls. Weiss se releva en disant : « defunctus est7 ». C’était tout ce qu’on attendait de lui. L’histoire du billet laissé par le docteur Maag est d’autant plus sujette à caution qu’elle se trouve contredite par un autre texte. Le récit que fit le conseiller juridique Hermann Arnold qui accompagnait la commission,
donc les docteurs Maag et Weiss, dit en effet : La commission fut accueillie d’une manière effarante. Les cadavres étaient allongés sur le sol du hangar et recouverts de draps. Le médecin légiste n’avait ni le droit de les découvrir ni celui de les examiner. Il devait seulement constater officiellement leur décès. L’objection du juge Jehle que les morts auraient dû être autopsiés dans l’état où ils étaient arrivés ne fut même pas prise en compte8.
Sans doute Maag comme Weiss furent-ils simplement autorisés à constater la mort – ils venaient pour cela – en prenant le pouls sur un poignet qui dépassait du drap. Si le docteur Maag n’eut pas le droit de découvrir les corps et de les examiner, comment put-il constater les « terribles blessures dans le dos » ? Le docteur Müller, première personne à avoir examiné le corps de Louis II, et devant plusieurs témoins (Mauder, Huber, Lidl, des gendarmes et des infirmiers), n’avait relevé que des égratignures sous les genoux. Franz Carl Müller devait persister et signer dans son témoignage, puisque, en 1888, deux ans après la mort du roi, il publia : Les derniers jours de Louis II de Bavière. Rapport d’un témoin oculaire9. L’ouvrage, très précis, confirme les premières déclarations du médecin : à part quelques égratignures sous les genoux, le corps du roi était intact. Entre un papier qui peut avoir existé, mais qui a disparu, et le témoignage d’un « témoin oculaire », que croire ? On voit ici la difficulté d’une question où se sont agitées tant de passions qu’il est difficile de démêler le vrai du faux. Le comte Törring arriva le 14 juin à quatre heures du matin. Suivirent von Klug, conseiller à la cour, Kobell, administrateur du département, et le baron Malsen qui avait été aide de camp de Louis II. Les corps du roi et de son médecin furent levés avec un semblant de solennité et portés au château dans des chambres du premier étage. Le roi placé sur le lit de sa mère fut à demi recouvert par une courtepointe de satin bleu. On disposa des fleurs. Deux gendarmes le veillèrent, quatre infirmiers accomplissant le même office auprès de la dépouille de von Gudden. La foule put défiler une partie de l’après-midi. À dix-sept heures un sculpteur vint prendre l’empreinte du masque mortuaire et de la main droite du roi. Durant toute la journée se déroulèrent les interrogatoires des infirmiers et des domestiques. Les empreintes trouvées au bord du lac furent
marquées de petits drapeaux rouges. Le comte Törring fit exécuter un relevé précis des lieux. Vers seize heures, les ministres et différentes personnalités arrivèrent qui voulurent voir les corps. Le ministre Crailsheim demanda au docteur Müller de se rendre le lendemain au ministère des Affaires étrangères pour déposer un rapport. Le médecin acquiesça d’autant plus volontiers qu’il avait, dit-il, « enfin une raison de rentrer à Munich ». Il demanda au chapelain de Berg de venir donner une bénédiction. Au début de la nuit, la dépouille du roi partit dans un train spécial pour Munich où elle arriva à deux heures du matin. Le corps du docteur von Gudden suivit, un peu plus tard. Franz Carl Müller et le baron von Washington avaient envoyé plusieurs télégrammes à la famille du docteur von Gudden, sans recevoir de réponse. Le docteur Grashey était parti pour Würzburg où se trouvaient son épouse et sa belle-mère. Müller ne put regagner Munich qu’après deux nuits blanches. Il eut la mauvaise surprise, en retrouvant l’hôpital où il exerçait, de voir le corps de von Gudden déposé sur son lit. Bernhard von Gudden fut enterré le 17 juin, dans le cimetière Auer de Munich. Une centaine de couronnes mortuaires témoignèrent de l’émotion de ses confrères et des regrets des malades. Deux officiers représentaient le gouvernement. Le prêtre qui officiait broda sur le thème du dévouement et du devoir. Bien que le médecin fût aussi mort que le roi et que sa mort contînt une partie du mystère qui entoure la fin des deux hommes, le pays ne lui accorda aucune importance. Il était la personne par qui le scandale était arrivé, le médecin tout-puissant qui avait décidé de l’internement du bien-aimé Märchenkönig ; de plus, il restait un homme du Nord et, à ce titre, n’était pas aimé. Ce fut d’ailleurs le sens des premières paroles que le roi lui avait adressées à Neuschwanstein : « Vous êtes prussien n’est-ce pas ? » Ses confrères jugèrent qu’en renvoyant les infirmiers il s’était montré imprudent. Dans la nécrologie qu’il consacra à son beau-père, le docteur Grashey prit seul sa défense : Je ne pense pas que Gudden voulait être seul avec le roi dans ce coin perdu du parc […] Je suis d’avis que les infirmiers n’avaient pas à se faire renvoyer, ni par un geste de la main, ni même par une éventuelle parole prononcée en présence du roi malade. Avec de telles directives, ils devaient rester dans le voisinage, sans toutefois se faire apercevoir […] Et si bien même de la part des infirmiers, Gudden ne pouvait s’attendre à de tels raisonnements, il devait au moins compter sur son assistant, le docteur Müller, présent au château et qui, d’après ma
connaissance, vit en effet revenir les infirmiers10.
Donc Grashey ne confond pas « s’éloigner » et aller vaquer à ses occupations. Müller, absolument furieux, publia immédiatement une réponse dans Archiv für Psychiatrie und Nervenheilkunde : La nécrologie de Gudden , rédigée par le professeur Grashey , m’oblige à faire la déclaration suivante : Je suis persuadé que Gudden n’a pas agi de façon irréfléchie et légère ; je me trouve ici d’accord avec tous ceux qui connaissaient bien Gudden de son vivant. Mais je dois m’opposer à la conception que ses derniers ordres furent mal interprétés.
C’était signé : depuis le Château royal de Fürstenried, le 18 novembre 1886 Dr. Franz Carl Müller 1erMédecin assistant de l’asile de Munich, actuellement médecin traitant de Sa Majesté le roi Othon de Bavière11.
Müller avait obtenu le titre du professeur von Gudden et ne le laissait pas oublier. Ce fut en vain que l’infirmier Mauder confirma que les ordres donnés par von Gudden avaient été clairs. Rien n’y fit, Grashey accusa Müller d’avoir préféré rejoindre Washington à table plutôt que de faire son devoir. Les échanges peu amènes devaient se poursuivre un certain temps. Le docteur von Gudden avait été en fait victime de son humanité autant que d’une trop grande confiance en lui. On peut se poser la question de savoir qui, du patient ou du psychiatre, eut, ce jour-là, une pulsion de mort. Le médecin avait brûlé les étapes en rédigeant assez légèrement un rapport sur la santé mentale d’un homme qu’il n’avait pas examiné puis, rencontrant son patient, avait jugé trop vite de son état. On oublia von Gudden sans difficulté, sa mort eût rappelé que le roi avait peut-être été un meurtrier et par là démontré qu’il était bel et bien fou. L’autopsie du corps du roi eut lieu le mardi 15 juin dans une salle de la Residenz depuis huit heures du matin jusqu’à treize heure trente de l’aprèsmidi. Elle fut exécutée par le professeur Rüdinger, assisté du professeur Rückert. Le rapport d’autopsie fut rédigé par le professeur et conseiller von
Ziemssen « avec l’aide des autres experts présents*2 ». Assistèrent à cette autopsie : Pour le gouvernement : – Friedrich von Crailsheim, ministre des Affaires extérieures – Le comte zu Cassel, grand maître de la cour. Pour les médecins : – Le docteur Hubrich, directeur de l’asile d’Unterfranken – Le docteur Grashey, médecin-chef du Juliusspital de Würzburg et professeur – Le docteur Hagen, directeur de l’asile d’Erlangen – Le professeur et conseiller Ziemssen – Le professeur Kupfer – Le conseiller et professeur von Schleiss, médecin personnel du roi – Le conseiller et médecin Brattler – Le docteur Halm, médecin de la cour – Le docteur Becker, médecin de la cour – Le superviseur, docteur Kerschensteiner Avec deux politiques avaient été sollicités douze médecins, pour beaucoup professeurs d’université, trois d’entre eux au moins étant des aliénistes, parmi eux le docteur Grashey, gendre du professeur von Gudden. Deux médecins de la cour, c’est-à-dire de la famille royale, étaient là de plein droit, ainsi que le docteur Schleiss, seul médecin personnel du roi. Le docteur Gietl, qui avait encore ce titre, avait cessé ses activités. L’autopsie fut faite avec, certes, les moyens de l’époque, mais méthodiquement et avec un soin particulier pour le cerveau. On se rend compte rapidement que s’il existe une inquiétude des médecins, ce n’est pas de dissimuler les raisons de la mort, ni même de les trouver, mais de démontrer que le roi présentait des anomalies cérébrales qui justifiaient sa déposition et son internement. Le rapport commence comme il se doit par l’examen extérieur. Il indique que « l’on ne constate aucune plaie au niveau des enveloppes corporelles, notamment pas d’érosion de la peau au niveau du cou et du visage. On ne retrouve que quelques petites excoriations au niveau des
genoux sous la rotule ». Le corps de Louis II fut examiné sur ses deux faces puisqu’il est précisé que « le dos est gras […] le thorax normalement voûté ». S’il y avait eu « de terribles blessures par balles dans le dos », nombre d’organes, poumons, cœur, etc., eussent été lésés. Tous furent examinés et tous se trouvaient en bon état. L’appareil respiratoire fut bien examiné. Il est noté la présence « d’un peu de liquide gastrique dans les voies respiratoires, présence probablement dues aux tentatives de réanimation », lesquelles furent, on le sait, très vigoureuses. En revanche, les poumons ne recelaient ni eau ni débris provenant du lac, seules « les cavités pleurales contiennent un peu de sérum rougeâtre ». Apparemment, le roi ne serait pas mort noyé. À vrai dire, et le fait est troublant, aucune cause du décès n’apparaît, question qui, encore une fois, semble avoir été le dernier souci des médecins. Ce qui leur importe est le cerveau royal où là, rien ne va plus : « le crâne est anormalement petit par rapport à la taille corporelle [cela apparaît en effet sur plusieurs photos]. Il est un peu asymétrique de sorte que la bosse frontale gauche se trouve déviée par rapport à celle de droite », etc. La description de la dure-mère (la membrane fibreuse qui entoure le cerveau) à elle seule est une horreur : « très épaissie vers le bord coronaire du frontal […] Elle est rouge, hyperémiée, dure et rugueuse sur sa face externe ». Dans la cervelle du roi, tout était atrophié, épaissi, réduit. On songe parfois aux médecins de Molière, et encore le docteur Schleiss dut-il s’opposer à ce que l’on peignît en couleurs trop affreuses le cerveau de son « cher roi ». Mais que pouvait dire un professeur d’ophtalmologie à des aliénistes qu’une science médicale encore débutante enivrait quelque peu et qui cherchaient, comme von Gudden, les traces de la folie dans le cerveau du lapin ? Afin que ce rapport, jugé peut-être un peu technique, allât droit au but, lequel était de prouver scientifiquement que Louis II était fou, une Interprétation de l’autopsie par les experts fut signée le 20 juin, au lendemain des funérailles du roi. On ignore lesquels des « experts » l’élaborèrent, sans doute les aliénistes ; ce fut l’Obermedicinalrath docteur Kerschensteiner qui la signa. Cette Interprétation commence par reconnaître que, « dans la plupart des troubles mentaux, on ne constate aucune modification anatomopathologique à l’ouverture des cadavres ». Dans le cas du roi, si ! « On est tout de suite frappé par l’abondance des modifications pathologiques du crâne et de son contenu […] cette impression restera gravée dans la
mémoire de tous ceux qui étaient présents à l’ouverture de la boîte crânienne. » Les modifications qui frappent ces professeurs pourtant aguerris sont nombreuses et réparties en deux groupes distincts : 1 – Les anomalies congénitales du crâne et du cerveau ; 2 – une série d’états pathologiques acquis. En accumulant l’inné et l’acquis, le cerveau royal était présenté comme un véritable atlas des catastrophes provoquées par la « paranoïa ». Il en découlait bien entendu que : Le résultat de l’examen anatomo-pathologique du crâne et de son contenu de Sa Majesté, le roi Louis II de Bavière, sert à éclaircir les manifestations pathologiques observées du vivant de Sa Majesté.
Donc, le gouvernement avait bien fait de déposer Louis II. Quant à la fin malheureuse, elle découlait logiquement de la folie de Sa Majesté. Peu importaient les détails. Restait tout de même une grande question : de quoi était mort le roi de Bavière ? Le rapport d’autopsie écrit en juin 1886 a été soumis en février 2018 à un expert de médecine légale près de la cour d’appel de Rennes*3. Après avoir noté que le compte rendu est particulièrement consacré à l’autopsie du système nerveux central parce qu’on croyait à cette époque à un parallélisme anatomo-clinique qui permettrait de justifier la folie du roi et donc son internement, le médecin en vient aux causes possibles de la mort : 1 – Ce n’est sans doute pas une agression, aucune trace de coups et blessures n’est rapportée, ni aucune lésion de défense. 2 – Ce n’est pas une mort par submersion : l’eau n’a pas envahi les voies respiratoires entraînant une asphyxie. 3 – Tout laisse à penser qu’il s’agit d’une hydrocution dont le mécanisme est représenté par l’enchaînement suivant : syncope primitive, puis inhibition, puis mort par arrêt des fonctions respiratoires et circulatoires. Il s’agit d’un noyé blanc, victime d’une mort subite réflexe par inhibition à l’inverse d’un noyé bleu, cyanosé, victime d’une mort par submersion. Quelle est l’origine de la syncope primitive ? […] Il s’agit certainement d’une syncope thermodifférentielle. Louis II était manifestement alcoolisé. […] Le contact avec l’eau froide a brusquement entraîné une vasoconstriction des vaisseaux repoussant le sang vers la circulation de retour et causant une syncope dans l’eau.
Autrement dit, quand Louis, très échauffé et très alcoolisé, se jeta dans
l’eau froide, une brusque vasoconstriction désamorça la pompe cardiaque. Les termes « noyé blanc » employés par le légiste font penser à la remarque que fit le diplomate prussien présent dans la nuit fatale devant le corps du roi : « seul un sourire bizarre illuminait sa bouche pâle12 ». Ce médecin émet ensuite l’hypothèse que le même phénomène – une hydrocution – ait pu provoquer la mort du docteur von Gudden, affolé, « tabassé », puis tombé dans l’eau froide. Les thèses complotistes ne tiennent bien sûr aucun compte du rapport d’autopsie qui n’est pour eux que mensonges et billevesées. Ces ouvrages n’expliquent pas comment douze médecins auraient non seulement signé un texte mensonger, mais gardé le silence leur vie durant. Certes, les postes de plusieurs de ces médecins dépendaient du gouvernement. Le ministre von Crailsheim – pas le plus commode – était présent, ce qui pouvait limiter le courage. De là à fermer les yeux sur « de terribles blessures par balles » et à entériner ce qui aurait été le meurtre ou l’assassinat d’un roi… On peut en tout cas être sûr de la vigilance du docteur Schleiss, s’il y avait eu supercherie, il aurait passé le reste de sa vie à le crier. Il est également certain que si l’autopsie était fallacieuse, on y aurait indiqué que les poumons étaient pleins d’eau, puisque le roi était censé s’être noyé en voulant s’enfuir ou en tentant de se suicider. Rien de cela dans le rapport d’autopsie où, finalement, aucune cause de la mort n’apparaît. Le corps du roi fut ensuite embaumé, le cœur placé dans une urne dorée qui, pour respecter la tradition, fut portée dans le sanctuaire d’Altötting. Il fut revêtu du costume noir de grand maître de l’ordre de Saint-Hubert. Le visage apaisé du roi porte moustache et une courte barbe noire, sa main droite émergeant d’un poignet de dentelle serre un petit bouquet de jasmin, vite fané, sur sa poitrine. L’histoire veut que Sissi l’eût fait porter, mais ce pourrait aussi être la reine Marie si discrète et qui aimait tant les fleurs. Le soir, le roi fut mis en bière dans un cercueil ouvert et porté dans la chapelle royale de la Residenz où, le lendemain dès quatre heures trente, le public fut admis à défiler. On vint de tout le pays en si grand nombre qu’on dut ne laisser entrer qu’une quarantaine de personnes à la fois, chaque ouverture des portes donnant lieu à de terribles bousculades. Trois rangées de cierges brûlaient sur les côtés du cercueil dans une chapelle envahie de fleurs blanches. Le kronprinz prussien vint saluer le corps du cousin détesté ; le fait eût révulsé Louis II. Frédéric écrira à la reine Marie, sa cousine, demeurée à Elbigenalp : « L’affluence de toutes les classes de la société
était impressionnante et continuait sans interruption. La foule était triste, et comme abasourdie de ce qui arrivait. » Les journaux rapportent que beaucoup de personnes venues des quatre coins du pays, ne trouvant pas à se loger, marchèrent dans les rues durant toute la nuit qui précéda les obsèques du roi. Les funérailles très solennelles du roi Louis II de Bavière se déroulèrent le samedi 19 juin. Pour laisser au plus grand nombre la possibilité de se recueillir sur la dépouille du roi, les portes de la chapelle royale ne furent fermées qu’à neuf heures du matin. À midi, le cortège quitta la Residenz pour gagner l’église Saint-Michel. Le roi Louis II n’alla pas rejoindre un père qu’il avait pris en horreur à la fin de sa vie dans l’église des Théatins, vieille nécropole des Wittelsbach. Il fut inhumé dans l’église Saint-Michel, autre nécropole de la famille royale. Louis Ier, décédé des années après son abdication, avait été enterré dans l’abbaye Saint-Boniface qu’il avait fondée. Trois rois, trois lieux de sépulture et trois histoires bien différentes. Comme vingt-deux ans auparavant, les coups lancinants du glas s’écoulèrent sur la ville où les magasins étaient fermés et les volets clos. Le ciel était sombre et la pluie menaçait au-dessus d’une foule en habits de deuil. Les pénitents noirs, tenant des cierges croisés sur la poitrine, précédaient un corbillard si chargé de fleurs qu’on eût cru voir s’ébranler un grand bosquet blanc. Le cheval du roi, tenu à la main par Hesselschwerdt, suivait, une botte fichée dans l’étrier. Le prince Luitpold conduisait le deuil aux côtés de son fils aîné. Le kronprinz Frédéric représentait l’empereur Guillaume et l’archiduc Rodolphe, l’empereur François-Joseph. Très peu de femmes figuraient dans le cortège ; ce n’était pas la coutume. La reine mère était restée à Elbigenalp et Sissi à Feldafing. Un jeune écolier du lycée Wilhelm dont les élèves avaient eu le privilège de former une haie d’honneur le long du cortège racontera comment, scandalisé par le bavardage de deux officiels, il se permit de les foudroyer du regard ; il comprendra un peu plus tard qu’il s’agissait de l’archiduc Rodolphe et de Bismarck. Le cortège fut accueilli sur le seuil de l’église par l’archevêque de la ville. Tous les journaux rapportèrent qu’un violent orage éclata peu après. Das Bayerische Vaterland écrivit : Quand le corbillard entra dans l’église et alors qu’à l’intérieur on chantait des cantiques, de grands nuages noirs s’amoncelèrent au-dessus de la cité. Le dernier char du cortège funèbre
venait à peine de disparaître, les troupes étaient juste parties, qu’une énorme gerbe de feu, qu’un brillant éclair s’abattirent sur l’église Saint-Michel sous les yeux de la foule terrifiée. Vint ensuite l’épouvantable foudre. L’éclair ne fit pas de dégâts, seules quelques personnes furent projetées vers les murs de l’église13.
Cet épisode wagnérien terminé, la dépouille du roi fut portée dans la crypte et placée dans un grand tombeau de marbre noir surmonté d’une couronne. Il est encore régulièrement fleuri aujourd’hui. Sur le lac Starnberg, une croix fichée au bord de l’eau indique l’endroit où fut retrouvé le corps du roi. La reine Marie fit édifier une chapelle votive près du château de Berg. À mi-chemin entre ce petit édifice et l’endroit où avait disparu son fils, elle fit élever un pilier porteur d’une lanterne et d’une croix. C’est sur la pelouse qui l’entoure qu’est commémorée chaque année la mort du roi Louis II.
*1. Neuschwanstein. *2. Ce rapport figure en annexe. *3. Le docteur Hervé Lerat.
XXIII
La vérité sur l’affaire Louis II de Bavière Un jour le roi dans l’eau d’argent Se noya puis la bouche ouverte Il s’en revint en surnageant Sur la rive, dormir inerte Face tournée au ciel changeant Guillaume Apollinaire, « Alcools »
L’annonce de la mort de Louis II fut pour la Bavière un immense traumatisme qui intervint à peine trois jours après le choc causé par celle de la déposition et de l’internement du roi. La version officielle satisfit peu de monde. La disparition de Louis II semblait venir un peu trop à point pour installer une régence dont le pays n’avait pas toujours compris la nécessité. En parvenant à cacher sa maladie au grand public, Louis II avait sans le savoir « savonné la planche » pour son oncle. « Nous n’avons appris qu’il était fou qu’après sa mort », dira un vieux paysan, exprimant une opinion assez générale. La version officielle de la mort qui faisait du roi un meurtrier augmentait l’indignation. La régence, déjà soupçonnée de s’être débarrassée du roi, le fut encore de vouloir salir sa mémoire. Le bruit d’un assassinat se répandit très vite. Rien ne pouvant être prouvé, chacun s’appropria cette rumeur sourde, persistante, et la modela à son idée. Les scénarios se multipliant, bientôt chaque journaliste, chaque historien, chaque famille bavaroise et même chaque Bavarois eut le sien. Leurs descendants en parlent encore avec de lourds sous-entendus. Si la version la plus logique veut que le roi soit mort en entrant dans l’eau glacée après s’être débarrassé de façon violente du médecin qui
voulait le retenir, les autres thèses soutiennent que le roi fut atteint d’une ou de plusieurs balles dans le dos alors qu’il tentait de s’enfuir. Les variantes sont innombrables et on ne retiendra ici que les ouvrages historiques et non la quantité de romans qui s’emparèrent de la vie de Louis II, encore que la frontière entre histoire et fiction ait été très souvent franchie à son sujet. On peut rassembler ces thèses complotistes en deux grandes catégories. D’abord, celle de l’assassinat prémédité et organisé. Un nom manque souvent à cette version : celui de l’assassin. Une autre thèse évoque une « bavure », tentative d’enlèvement ou de fuite du roi qui aurait mal tourné et provoqué le tir d’une personne trop zélée. Dans ce cas, la présence du corps de von Gudden à côté de celui du roi pose un problème. Comment est-il mort ? Une bavure est possible, mais deux… Avant d’illustrer ces scénarios par quelques exemples, il convient d’en écarter définitivement Sissi. L’impératrice avait appris à Garatshausen, où elle se trouvait avec sa mère, la déposition et l’internement du roi. Sissi avait pris immédiatement le parti de son cousin, se fâchant avec Ludovica qui avait gardé sur le cœur l’histoire des fiançailles rompues. La duchesse avait été alertée très tôt par son fils médecin sur la nature des troubles que présentait Louis II et ne confondait pas folie et originalité. Le soir, l’impératrice regagna Feldafing, où elle s’était installée comme presque chaque été avec sa cadette, MarieValérie, ses dames d’honneur et ses domestiques. Ce fut dans cette auberge que sa fille aînée, Gisèle, fit irruption au matin du 14 mai 1886 tandis qu’on passait à table. L’air complètement défait, elle attira sa mère dans une pièce à côté. Quand Sissi revint, pâle comme une morte, elle annonça : « Le roi s’est jeté dans le lac. » Toute la journée, Élisabeth pleura et protesta que le roi n’était pas fou, seulement un homme perdu dans ses rêves et que si on l’avait traité avec plus de ménagements on n’en serait pas arrivé là. Ludovica, accourue, contredit fermement sa fille au point que les deux femmes se quittèrent fâchées. Le soir, Marie-Valérie, allant faire la prière avec sa mère, la vit se jeter sur le sol. La jeune fille s’accrocha à elle jusqu’à ce que toutes deux fussent prises de fou rire. Sissi qui ne faisait rien simplement expliqua : Pleine de remords et d’humilité, je voulais demander pardon à Dieu pour mes idées de révolte. J’ai tant réfléchi aux insondables décrets de la Providence, au temps et à l’éternité, au châtiment et à la récompense dans l’au-delà que fatiguée de ces ratiocinations stériles et
interdites, je veux, dès que m’assaillira un doute, m’écrier, humiliée : Jéhovah, tu es grand ! Tu es le Dieu de la vengeance, tu es le Dieu de la grâce, tu es le Dieu de la sagesse1.
Comme Luitpold, Sissi invoquait les « décrets insondables de Dieu ». Durant les jours suivants, elle se montra si troublée que Marie-Valérie eut peur qu’elle ne perdît la raison. Charles-Théodore tenta de la calmer et de lui expliquer qu’il ne pouvait y avoir de doute au sujet de la folie du roi. Élisabeth se réfugia dans des explications superstitieuses. Un moine n’avait-il pas prévu que l’année 1886 serait porteuse de catastrophes parce que Pâques était tard ? N’avait-il pas prédit la fin très proche du règne des Wittelsbach ? L’archiduc Rodolphe qui devait représenter l’Autriche aux funérailles vint voir sa mère. Il rapporta qu’à Vienne on assurait que von Gudden, obéissant à des ordres du gouvernement, aurait tué le roi. Frappé par l’état de Sissi, il fut moins froid avec elle qu’à l’ordinaire. Élisabeth n’assista pas aux obsèques de Louis II. Elle fit chanter une messe de requiem en l’église de Feldafing et alla quelques jours plus tard se recueillir sur la tombe du roi où elle déposa une couronne. C’était l’été et les visites de famille entre Wittelsbach reprirent autour du lac de Starnberg. La période était douloureuse pour tous. Le comte de Trani, époux de Mathilde, quatrième fille de Ludovica, s’était donné la mort cinq jours avant le drame de Starnberg et Ludovica n’était pas d’humeur à entendre gémir sur le « roi de légende ». Sissi, critiquant de plus en plus le gouvernement bavarois, se brouilla avec elle. Elle rompit complètement avec Luitpold qu’elle refusa de voir quand il se rendit officiellement à Vienne. L’impératrice avait tout de suite embrassé le mythe du roi martyr et y resta fidèle. Louis devint le symbole de ce qu’elle pensait être, une âme incomprise et solitaire demeurant très au-dessus du troupeau. La figure du héros romantique dont triomphe injustement ce qu’elle appelait dans un poème la « lâche racaille » exaltait l’impératrice et l’abattait à la fois. Un état dépressif, des discours peu cohérents et les pratiques superstitieuses auxquelles elle avait de plus en plus recours inquiétèrent son entourage. La fille aînée de Charles-Théodore, Amélie, écrivait : « Je redoute qu’elle n’aille pas tout à fait bien […]. » Tout à la fin du mois de juin, un grave incident vint, pour un temps, délivrer Sissi de la pensée d’un cousin qu’elle n’avait vu – tous ses biographes en conviennent – que quelques fois. Sophie-Charlotte, devenue, comme son aînée, une âme vagabonde, avait
appris la mort de son ancien fiancé alors qu’elle se trouvait à Posi. Les remords la submergèrent. « M’a-t-il pardonné ? » se serait-elle exclamée, repensant à son coup de cœur pour Edgar Hanfstaengl. Après la mort du comte de Trani, son beau-frère, et celle de Louis II, elle apprit qu’une loi d’exil votée à Paris frappait les d’Orléans. Là-dessus, elle attrapa une scarlatine qui se compliqua d’un phlegmon. Quelques jours après la mort de son ancien fiancé, Sophie-Charlotte faillit le rejoindre. « Le meilleur chirurgien de Munich » vint l’opérer et la sauva de justesse. Ignorant que sa tante était malade, Marie-Valérie, désireuse d’échapper à l’atmosphère morbide que sa mère faisait régner à Feldafing, se rendit à Possenhofen d’où on la chassa aussitôt pour éviter toute contagion. En apprenant la nouvelle, l’impératrice entra en fureur et écrivit une lettre accusatrice à sa sœur qui, pour n’avoir pas prévenu de sa maladie, avait mis sa fille en danger. Sissi quitta immédiatement Feldafing, obligeant pendant des jours Marie-Valérie, terrifiée, à se gargariser au phénol. Élisabeth mettra beaucoup de temps à pardonner « son inconscience » à Sophie-Charlotte et restera longtemps fâchée avec sa mère. Elle quitta la Bavière sur le mode : « Je secoue la poussière de la semelle de mes souliers », avec un poème d’adieu : Adieu mon lac ! Aujourd’hui je jette ma patrie au fond des eaux, Et je pars une fois de plus, Errante et sans attaches.
Le seul être au monde auquel tenait Sissi, sa fille cadette, échappa à la scarlatine. Délivrée de sa terreur, l’impératrice qui avait besoin d’un drame pour exister se replongea dans le culte de l’Aigle et exprima sa révolte en strophes : Oui, j’étais un roi de légende Trônant sur un haut rocher, Un lys gracile était mon sceptre, De scintillantes étoiles ma couronne. ………………………………….. Mais la lâche racaille de la Cour Et la famille elle-même en secret
Tissaient perfidement leurs filets Ne souhaitant que ma chute2.
Sissi se rendit rapidement à Bayreuth où une représentation de Parsifal la bouleversa. Elle s’entretint longuement avec Cosima qui nota la similitude entre Louis II et sa cousine. Celle-ci, loin de fuir l’aspect morbide de la situation, s’y abandonna à plaisir. Dans l’espoir de communiquer avec le disparu, elle versa dans le spiritisme. « Je ne suis pas de ceux dont les facultés spirituelles sont muettes », expliqua-t-elle à sa nièce Marie Larisch qui devait s’en douter. Rodolphe s’était toujours opposé à la façon qu’avait sa mère de convoquer les morts ou de lire l’avenir en cassant des œufs dans l’eau. Élisabeth affirmait avoir eu plusieurs apparitions de Louis II qu’elle évoqua avec Marie-Valérie et Marie. Le phénomène, décrivait-elle, commençait avec un bruit d’eau : Peu à peu, ce léger chuintement envahit toute la pièce, et je vécus toutes les affres de la noyade. Râlant, étouffant, je me débattis pour trouver de l’air ; puis l’horreur prit fin et, rassemblant mes dernières forces, je pus m’asseoir dans mon lit et reprendre souffle. La lune s’était levée et éclairait la chambre comme en plein jour. Je vis alors la porte s’ouvrir lentement et Louis entrer dans la pièce. Ses vêtements étaient trempés, l’eau qui en ruisselait se répandait en petites flaques sur le parquet. Ses cheveux mouillés étaient collés à son visage blême ; pourtant c’était bien Louis, tel qu’il était avant sa mort.
Elle ajoutait : Mais pendant que je parlais, la forme disparut ; j’entendis à nouveau le bruissement d’une eau invisible. Je fus prise d’épouvante, car je sentais la proximité des ombres de l’autre monde, tendant leurs bras de fantômes pour attirer la consolation que peuvent leur apporter les vivants3.
Sissi n’imaginait pas l’autre monde plus rassurant que celui-ci. Elle parlait souvent de suicide à sa fille, si possible au bord du lac de Starnberg : Chaque vague me murmurait doucement Laisse donc ton corps épuisé Trouver calme et repos dans nos eaux de jade.
À force de se complaire dans les catastrophes, elles arrivent. Deux ans et demi après la mort de Louis II, l’archiduc Rodolphe se donnait la mort à Mayerling. L’impératrice se montra très courageuse dans cette épreuve et apporta un soutien sans faille à son mari. Penser que cette femme fragile et très égocentrée eût pu organiser ou même participer à un complot visant à faire évader Louis II, que ce fût en barque ou en voiture, est absolument irréaliste. Comment Sissi aurait-elle pu, en deux jours à peine, imaginer et organiser l’enlèvement du roi ? De quelle façon Louis II en eût-il été informé ? Il a été avancé qu’il lisait des messages écrits sur l’envers des assiettes dans lesquelles on le servait. Nous nous trouvons ici dans la cellule d’Edmond Dantès et non dans une pièce du château de Berg où deux infirmiers surveillaient le roi en permanence. Sissi n’alla même pas à Berg se recueillir sur le corps de son cousin. La dame en noir venue de nuit déposer un bouquet sur la poitrine de Louis appartient aussi à la légende. Ayant écarté Sissi de la participation à un quelconque complot, il convient de dire que toutes évoquent une mort par arme à feu. Assassinat ou simple « bavure », le mode opératoire reste le même : que ce fût pour le supprimer ou pour l’empêcher de fuir, on aurait tiré dans le dos du roi. Nombre de ces démonstrations reposent sur les dires de la comtesse Joséphine de Wrbna-Kaunitz qui aurait gardé jusqu’à sa mort en 1973 le manteau porté par Louis II le jour de son décès soigneusement plié dans un « vieux coffre » posé dans son entrée. Après la mort du roi, ce manteau aurait d’abord été la propriété de Louis-Ferdinand. Il est curieux que les assassins eussent laissé cette preuve accablante entre les mains de la « branche Adalbert », celle qui ne s’entendait pas avec Luitpold. Admettons… À la mort de Louis-Ferdinand, en 1949, la comtesse Kaunitz, épouse de l’administrateur de la lignée Adalbert, aurait récupéré la malle contenant tous les vêtements que Louis aurait portés le jour de sa mort. Dans la chemise, la veste et le manteau on aurait découpé, à l’endroit des impacts de balle, de petits carrés qui se superposaient facilement. Recevant ce lourd héritage, la comtesse n’aurait gardé que la chemise et le manteau. Pourquoi cette sélection ? Que fit-elle de la veste qui devait porter aussi la trace des balles ? En 1952, l’une de ses amies, Mme Utermülhe de Prien, rendant visite à la comtesse Kaunitz à Munich, aurait vu le manteau « gris en loden […] avec deux impacts de balle entourés d’une bordure noire ».
Mme Wirth, de Bad Reichenhall, l’aurait également examiné en 1950 et parle d’« impacts de balle », précisant : « je pus voir nettement les deux trous ». Alors impacts de balle ou petits carrés découpés ? La couleur aussi pose un problème. La comtesse Kaunitz aurait montré un loden gris, Élisabeth Fontaine-Bachelier assure qu’il s’agissait d’un manteau d’été beige. Tous les autres auteurs racontent que le roi portait le jour de sa mort son habituel manteau noir. La comtesse Wrbna-Kaunitz mourut en décembre 1973 à Munich, intoxiquée par la fumée d’un incendie, ce qui ajoute aux soupçons des tenants des thèses complotistes. Le manteau du roi qu’elle avait conservé tant d’années aurait disparu pour être remplacé par un manteau noir, sans impacts de balle. Tout se passe comme s’il existait dans l’affaire Louis II de Bavière un « nettoyeur » attaché à supprimer les preuves de l’assassinat du roi. Ce nettoyeur est extrêmement patient, car la comtesse Kaunitz mourut quatre-vingt-sept ans après Louis II. De toute façon, l’histoire de la comtesse Kaunitz et du manteau troué est mise à mal par une déclaration du prince Joseph Clemens de Bavière*1, petit-fils d’Adalbert et neveu de Louis-Ferdinand. En 1986, le prince confia au journal Bild que la chemise portée par le roi Louis II lors de sa mort révélait deux impacts de balle. Mais il ajoutait que « les vêtements du roi furent immédiatement brûlés après la tragédie pour éliminer toute trace du meurtre ». Dans ce cas, que contenait la malle de la comtesse Kaunitz ? Quoi qu’il en soit, le prince Josef Clemens, né en 1902, seize ans après le drame de Berg et dans la branche Adalbert, soigneusement tenue à l’écart des événements de juin 1886, n’a pu rapporter que des ouï-dire.
Les thèses complotistes I L’assassinat du roi La thèse de l’assassinat fut la première qui se présenta après la mort du roi. On a vu l’archiduc Rodolphe raconter qu’à Vienne on disait que von Gudden avait commis l’assassinat sur ordre du gouvernement. Cette thèse disparut ensuite pour revenir en force à la fin des années 1960. Elle est liée à l’histoire d’un tableau remis en 1967 par un juriste de Francfort pour restauration au professeur Siegfried Wichmann, conservateur en chef des peintures du Land de Bavière. Il s’agissait d’un triptyque qui aurait été l’œuvre du peintre Friedrich Kaulbach, portraitiste renommé de la haute société dont on s’arrachait les peintures un peu éthérées à la mode à la fin du XIX e siècle. Rien d’éthéré dans l’œuvre étrange que découvrit le professeur Wichmann. Au centre, le portrait de Louis II mort est à épouvanter. L’horrible image*2 est encadrée des visages de Richard Hornig éploré et du docteur Schleiss, ricanant. Le conservateur fit des photos de la peinture. Les clichés en couleur auraient fait apparaître la présence de sang dans la bouche du roi, ce qui prouverait une exécution par arme à feu. Peu de temps après, le mystérieux juriste qui semble n’avoir été qu’un intermédiaire revint prendre la toile et disparut sans que l’on pût retrouver sa trace. Le triptyque accusateur aurait par la suite brûlé avec le château de la comtesse qui le possédait. Encore un incendie ! Le professeur Wichmann, qui avait toujours été intéressé par la question de la mort du roi, acquit le journal du docteur Schleiss et sa précieuse couverture d’ivoire sculpté, jadis offert au médecin par le jeune roi. Sous la fine dentelle, il trouva un papier par lequel Schleiss s’adressait au peintre Kaulbach pour le complimenter du réalisme de son œuvre, compliment qui n’implique pas que le peintre eût pu voir le roi mort. Un tableau peut bien entendu avoir été peint n’importe quand (et aussi n’importe comment). Le scénario que mit alors au point le professeur Wichmann implique les frères Hornig. Richard, présent sur le triptyque, avait un frère, Edward, plus jeune de deux ans, qui avait fait un brillant mariage en épousant une parente du comte Rambaldi, propriétaire du château
d’Allmannshausen sur les bords du lac de Starnberg. Dans l’après-midi du 13 juin 1886, la comtesse Rambaldi se serait étonnée de voir son mari partir en barque avec les frères Hornig en dépit du mauvais temps. Demandant à son mari la raison de cette escapade, elle s’entendit répondre par le comte : « Parce que cela nous plaît. » Richard Hornig, brûlant de faire évader le roi (alors qu’il avait contribué à le faire interner), aurait fait prévenir Louis II de son projet et se serait procuré une barque où il serait monté avec son frère et le peintre Kaulbach, ou avec le comte Rambaldi, ou avec le docteur Schleiss. À leur arrivée sur la berge du parc de Berg, les frères Hornig auraient trouvé le roi exécuté d’un coup de revolver et von Gudden en train de maquiller la scène en accident. Richard Hornig furieux se serait battu avec le médecin et l’aurait tué (coup de sang surprenant chez un homme dont la solidité était légendaire). Après quoi, les trois hommes seraient repartis en laissant les deux corps qu’ils auraient pris la peine d’immerger ; pas vus pas pris. Cette thèse ne correspond pas avec ce que l’on sait des principaux protagonistes. Pourquoi von Gudden, le psychiatre humaniste, serait-il devenu un assassin ? Il est expliqué qu’il aurait « œuvré pour le gouvernement ». Les thèses soutenant l’assassinat du roi incriminent rarement Luitpold, mais plutôt les ministres qui entendaient garder leurs postes. La Prusse est aussi souvent pointée du doigt ; cependant, Bismarck était trop fin renard pour agir si stupidement. De toute façon, von Gudden n’avait aucun intérêt à supprimer le roi. Avec Louis II, il aurait perdu non seulement son plus illustre patient, mais celui qui l’aurait tenu en liaison constante avec le pouvoir. Quant à Hornig, il venait de témoigner contre le roi en sachant fort bien que cela conduirait à la déposition du monarque et à son internement. Pourquoi aurait-il tenté de le libérer au risque de le voir recouvrer son trône ? Le seul avantage de ce scénario assez rocambolesque est d’expliquer la présence de deux corps dans les eaux du lac et de rendre compte de la différence des heures indiquées par les montres, dix-huit heures cinquante-quatre pour celle du roi, vingt heures six pour von Gudden. Le médecin aurait eu ainsi une heure et dix minutes pour maquiller le crime. C’est beaucoup. Et que veut dire ici « maquiller » ? Porter le corps du roi à une petite profondeur ? Le médecin ne pouvait certainement pas traîner le colosse. Quant à la question de l’heure, on a vu qu’elle pouvait se
résoudre simplement. Le professeur Wichmann a publié un ouvrage pour exposer sa théorie4 puis, à la suite d’« attaques de gens visiblement dérangés par cette version des faits », a décidé de passer à autre chose. À côté du nettoyeur semble exister parfois un « intimidateur ». Une autre version faisant état d’un assassinat veut que le comte Holnstein – désigné directement ou par allusion – eût tué Louis II d’un coup de revolver, puis étranglé l’aliéniste, histoire de faire place nette. La rumeur fut si forte que lors des obsèques royales on veilla à ne pas exposer l’Excellence rouge à la colère de la foule. Holnstein, par sa brutalité et son manque de scrupules, était certainement une présence inquiétante près du roi. Cependant, le docteur Müller ne signale pas cette présence à Berg au soir du 13 juin où toutes les décisions sont prises par Washington, seul représentant des autorités. Le grand écuyer n’était certainement pas un prix de morale, mais pour quel bénéfice serait-il devenu un criminel ? Car toutes les rumeurs qui font de la Prusse, de Luitpold, des membres du cabinet ou de hauts dignitaires comme Holnstein, des assassins en font aussi des idiots tant il est évident que si l’on avait voulu se débarrasser du roi, il eût fallu attendre que la régence fût bien installée et le remue-ménage oublié. Il est certain que deux morts violentes, arrivant juste après l’internement de Louis II, donnaient une désagréable impression de désordre dont la régence se serait bien passée. Et pourquoi tuer le roi ? En dépit de l’énorme effet de surprise et du trouble causé par l’annonce de sa déposition, la nécessité d’une régence n’était pas discutée. Tout le monde savait que Louis II était étrange. Son absence de Munich, l’influence que Wagner avait exercée sur lui, la distance prise avec tous, la construction des châteaux, avaient peu à peu préparé l’opinion qui savait le frère du roi depuis longtemps interné. En revanche, la mort mystérieuse de Louis II créa une sorte de remords collectif qui le réhabilita immédiatement, lui accordant l’auréole du martyre et faisant de ceux qui avaient causé, même indirectement, sa mort des bourreaux. Le roi original, le roi absent, le roi invisible, devint le Roi-Vierge, le roi artiste, le roi martyr, Hamlet-roi. La régence et, peut-être, la Couronne de Bavière, ne se relèveront pas de cet épisode catastrophique. Le comte Holnstein doit pouvoir être tenu pour quitte de l’assassinat
de Louis II. Avant de se retirer dans le Palatinat, il aurait répondu aux premières accusations portées contre lui : « Que je perde la vue si j’ai fait du mal au roi. » Il devint aveugle à soixante ans. On devine chez quantité d’auteurs que les « décrets insondables de la Providence » s’accompagnent parfois de la Justice immanente de Dieu. Il n’est pas certain que cette justice se soit exercée si rapidement, car Holnstein garda son titre de grand écuyer à la cour jusqu’en 1892. Il se retira alors dans son château du Haut-Palatinat qu’il avait fait agrandir de façon grandiose et y mourra deux ans plus tard.
Les thèses complotistes II Du meurtre à l’homicide accidentel Aux thèses mettant en scène un assassinat succédèrent des scénarios plus modérés évoquant une mort semi-accidentelle. Cette « bavure » se trouve toujours liée à une tentative d’évasion du roi. Reste le problème posé par la présence de von Gudden, car, si le roi a été tué en voulant rejoindre des sauveteurs, que devient le psychiatre ? Marianne WörwagParizot5 termine assez abruptement son récit en disant que Louis II fut abattu par un gendarme lors d’une tentative d’évasion, le médecin connaissant le même sort quelques secondes après. Il ne s’agit plus tout à fait d’une bavure… Errare humanum est, perseverare diabolicum. Élisabeth Fontaine-Bachelier a pour sa part dessiné un scénario beaucoup plus élaboré. L’auteur utilise l’équipe de sauveteurs déjà mise en scène par Siegfried Wichmann, les frères Hornig, le comte Rambaldi, et ajoute Sissi. Ils auraient chargé le jeune pêcheur Jacob Lidl de s’approcher en barque de la rive lors de la promenade du roi afin de l’enlever. Ensuite, Louis II aurait été conduit en un point de la côte où l’aurait attendu une voiture qui serait partie pour le Tyrol (bonne surprise pour François-Joseph) d’où il serait revenu à Munich. Au soir du 13 juin, le roi prévenu se serait donc précipité vers la barque du pêcheur Lidl. Mais le professeur von Gudden avait embusqué des gendarmes sur le parcours « avec pour consigne expresse d’intervenir au moindre mouvement suspect6 ». Le fait serait pourtant très étrange, car, primo, le docteur von Gudden ne commandait pas aux gendarmes qui relevaient des « gouvernementaux », secundo pourquoi un homme qui pour ne pas effrayer le roi écartait les infirmiers aurait-t-il donné des consignes si dangereuses à des militaires ? Le scénario se poursuit : alors que le roi s’échappe pour entrer dans l’eau et rejoindre la barque de Lidl, un « gendarme embusqué », obéissant aux ordres, tire sur lui. Louis tombe tête la première dans le lac, sa montre s’arrête, et le pêcheur Lidl s’enfuit, va se coucher et s’endort. Ce qui suppose une nature très calme. Mais von Gudden, l’encombrant von Gudden, reste lui bien vivant sur la rive avec sa montre en bon état. En médecin consciencieux, il tire le corps du roi hors de l’eau, découvre qu’il vit
encore et envoie chercher de l’aide (par qui ? le gendarme meurtrier ?). Les responsables politiques, le comte Törring, le conseiller Klug et le comte Holnstein, ne perdent pas la tête. Ils décident de laisser mourir le roi et envoient le gendarme inciter Gudden a ne pas intervenir. Il faut noter qu’aucun de ces responsables n’était présent à Berg ce soir-là. Comment alors ont-ils pu prendre de telles décisions et transmettre les ordres qui les accompagnaient ? Toujours est-il que von Gudden, pris de scrupules un peu tardifs, proteste, veut fuir, se bat avec le gendarme qui le tue « par accident » à huit heures six. Les gouvernementaux, gardant toujours la tête froide, en dépit des deux cadavres qu’ils ont sur les bras, mettent au point le scénario officiel : le roi tentant d’échapper au médecin l’a tué, puis est mort de noyade ou d’une crise cardiaque. Toujours fort calmement, ils se livrent à la mise en scène nécessaire. Ils font disparaître le manteau troué, habillent le roi avec des vêtements intacts et disposent sur le sol son habituel manteau noir ainsi que les chapeaux de ces messieurs. Pendant ce temps, tout le personnel est parqué dans un bâtiment de service, sans lumière, et avec défense de bouger. Vers vingt-deux heures trente, un domestique feint de découvrir le chapeau et les parapluies, puis on va réveiller le pêcheur Lidl qui monte dans sa barque. On découvre les corps et le docteur Müller fait mine de se livrer à une réanimation, cet extraordinaire comédien faisant durer l’exercice près de une heure. Le médecin local, le docteur Weiss, arrivé vers minuit, détecte le pouls du roi, car le malheureux vit encore. Toutefois le docteur Weiss ne s’aperçoit pas que le roi a deux balles dans le dos. Le lendemain matin, à Munich, le premier ministre von Lutz réunit tous les intervenants de la veille dans un bâtiment de la Residenz et leur fait jurer sur la Bible de garder le silence. Si on estime à une trentaine de personnes celles qu’on dut ainsi intimider, auxquelles il faut ajouter les douze médecins qui assistèrent à l’autopsie, cela fait beaucoup de monde pour garder un très gros secret. On peut ajouter que le catholicisme n’étant pas une religion du Livre, les catholiques n’ont pas l’habitude de jurer sur la Bible, laquelle est une façon protestante. Élisabeth FontaineBachelier souligne que presque tous les protagonistes du drame de Berg, du moins les plus obscurs, connaissent ensuite un sort tragique : un aide de cuisine qui a participé aux recherches se suicide dans l’Isar, un domestique doit être interné dans un asile, deux gardes « meurent peu
après », un autre « disparaît et ne sera jamais retrouvé », le gendarme Lauterbach entré aux chemins de fer périt la tête écrasée entre deux wagons, un autre est poussé à s’expatrier en Amérique. La malédiction des Pharaons n’est rien à côté de celle qui s’abattit sur l’humble personnel du château de Berg. Les hauts dignitaires Washington, Crailsheim, Lutz, sans parler du régent mort dans son lit à quatre-vingtdouze ans, y échappèrent. Quant à Jacob Lidl, le jeune pêcheur, tout à fait exempté de la vengeance divine, il aurait été traité aux fins de garantir son silence « avec un mélange d’intimidations et de gratifications » : on lui offrit sa bicoque et il devint maire du village. Le pêcheur s’est tu, mais a écrit dans un cahier ce qu’il avait vécu dans la soirée du 13 juin 1886. Il aura soin qu’après sa mort, arrivée en 1933, ce cahier fût conservé par son beau-frère, Martin Mertl, qui mourut en mars 1963. Le chercheur Albert Widemann guettait le cahier depuis longtemps, mais quand il se rendit au domicile du regretté Martin, une voisine lui expliqua que des messieurs étaient venus la veille fouiller et « tout retourner ». Le ou les nettoyeurs – des gens tenaces – étaient donc passés, cinquante-sept ans après la mort du roi. Heureusement, Martin Mertl avait déjà remis à Albert Widemann un carnet écrit par Jacob Lidl. Ce carnet dont l’original existe et dont l’écriture a été soumise à une analyse graphologique est reproduit dans quelques bibliographies7. Marianne Wörwag-Parizot en a assuré une traduction8. Il évoque la fin de Louis II en soixante et une courtes lignes numérotées. Pas une ne mentionne un roi tué à coups de feu. Le carnet débute par une menace faite au jeune Jacob. Ce passage précédé de la date « 1879 » se place sept ans avant la mort du roi. Le comte Holnstein, à cette époque encore en service auprès de Louis II, se chargeait de transmettre les ordres – toujours de façon brutale – afin que Sa Majesté fût laissée tranquille. 1879 13 – Excellence m’a dit que je dois dire 14 – Que Sa Majesté était absente 15 – sinon je serai immédiatement 16 – mobilisé chez les pionniers.
Puis vient l’année fatidique : 22 – 1886 Quatorze jours avant la mort du Roi, 23 – le Dr. Schleiss , médecin personnel m’a déclaré 24 – Imagine, Jakob, cette bande veut maintenant 25 – déclarer notre roi fou 26 – alors qu’il n’a rien du tout.
Ces lignes font référence au docteur Schleiss qui, apprenant que le roi allait être déposé pour cause de folie, puis interné, s’agitait comme un beau diable et se rendit à Berg aux fins de voir les installations que l’on préparait pour « son roi ». Vient ensuite le plus important : 27 – Je fus réveillé le 13 juin vers 22h30.
L’affirmation corrobore la version officielle. C’est bien l’heure à laquelle Huber, intendant du château, et le docteur Müller allèrent trouver le pêcheur Lidl afin qu’il les emmenât dans sa barque chercher les disparus. Les versions proassassinat ou proaccident imaginent que Lidl se serait approché en barque de la rive vers dix-huit heures quarante-cinq. Le pêcheur aurait vu le roi qui tentait de le rejoindre être blessé par un coup de feu. Lidl se serait alors enfui, puis serait rentré se coucher et se serait endormi. Il aurait été réveillé à vingt-deux heures trente par Huber venu le chercher pour fouiller les bords du lac. 28 – Je croyais d’abord aider à la fuite.
Par ces propos, Lidl confirme qu’il avait, comme tout le monde, entendu parler d’un enlèvement possible du roi. Donc, quand l’intendant vient le chercher, il pense qu’il doit prendre sa barque pour aider le roi à s’évader, ce qui invalide toutes les thèses disant qu’il aurait assisté préalablement à l’assassinat du roi. De plus, le pêcheur ne parle pas une seule fois de coups de feu ni de blessures. 38 – Donc pas de lutte
39 – Le roi fut chloroformé ou anesthésié par un autre moyen 40 – Soit il a succombé à une crise cardiaque.
Lidl précise que le corps de Louis II était intact, ce que confirmera l’autopsie. En évoquant une crise cardiaque, le pêcheur est proche de la vérité puisqu’il s’agit sans doute d’une hydrocution. L’idée du chloroforme fut l’une de celles qui circulèrent pour expliquer l’absence de blessures. En fidèle de Louis II, Lidl assure que dire que « le roi ait assassiné Gudden est un pur mensonge ». Il n’explique pas cependant comment le médecin est mort. Le carnet de Lidl est donc un témoignage en faveur de la thèse officielle, il répond exactement aux constatations du docteur Müller et à celles d’une autopsie dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle ne fut pas effectuée en catimini. Pour tourner la difficulté et sauver leurs théories, les tenants de l’assassinat ou du meurtre expliquent que, le pêcheur Lidl ayant juré de ne rien dire, « il faut savoir lire entre les lignes » de son carnet. Encore faut-il commencer par lire les lignes. Le témoignage du pêcheur Lidl, humble fidèle du roi, conforte celui du docteur Müller qui n’éprouvait aucune empathie pour le monarque. Les deux hommes arrivés les premiers sur la scène du crime disent la même chose. Jusqu’à plus ample information, le roi Louis II de Bavière est mort au soir du 13 juin 1886, frappé d’hydrocution en entrant dans l’eau froide du lac de Starnberg alors qu’il était alcoolisé et très échauffé pour s’être battu avec le docteur von Gudden et, peut-être, après avoir tué celui qui avait vainement tenté de le retenir. Le duc Franz, descendant du régent Luitpold et du dernier roi de Bavière, Louis III, chef actuel de la maison de Wittelsbach, détient ses archives. Il a toujours affirmé qu’il n’a « aucune preuve que le roi ait été assassiné ». Erich Müller dans la préface qu’il a consacrée à la réédition du témoignage de son père rappelait que deux sortes d’historiens se sont intéressés à la vie et à la mort de Louis II, les « factuels » et les « fantaisistes ». Cela n’est pas si simple. La personne de Louis II a suscité des adhésions violentes qui, la plupart du temps, ne sont pas d’ordre politique, mais profondément et sincèrement affectif.
En disparaissant sans qu’il y eût de témoin, Louis II allait permettre à la légende d’éclore. La mort du roi lui ressemble, elle est insaisissable, porteuse d’énigmes. L’idéalisation romantique s’empara instantanément sur le personnage. À travers une passionnante revue de presse, Jean Adès mesure l’écho de l’événement dans les journaux français de la fin du mois de juin 18869. Si les monarchistes nient énergiquement la maladie de Louis II et concèdent tout juste un peu d’originalité au personnage, les républicains admettent très volontiers la folie d’un monarque. Ainsi dans Le Radical du 18 juin : « Depuis 22 ans tout un peuple était gouverné par un fou. Ce fou signait des décrets. Ce fou donnait des ordres. Ce fou décidait de la paix et de la guerre. Les sages obéissaient. Telle est la monarchie dans toute sa beauté. » Heureuses donc les républiques d’échapper à des monarques cinglés. Cependant, lorsqu’elle est reconnue, cette folie n’est jamais attribuée à une maladie dont la cause serait interne à l’individu. Elle relève toujours d’une cause extérieure qui varie selon la sensibilité politique du journal. La Croix du 17 juin accuse le protestantisme : « Voilà en effet un roi dont l’esprit mal équilibré s’est prêté, il y a vingt ans, aux influences funestes du Kulturkampf. » Dans Le Figaro, Albert Wolf aligne plusieurs raisons dont l’écartèlement du jeune roi entre les Habsbourg (des gens civilisés) et les Hohenzollern (des brutes). Quant à L’Événement du 15 juin, il attribue la folie à l’influence exercée par Wagner : « La wagnéromanie a, on peut le dire, engendré la folie de cet être affaibli et exsangue. Wagner le colosse artiste a eu facilement raison du roi pygmée. » Et d’assener : « Les wagnéromanes ne se marient pas et n’ont pas d’enfants, ou quand ils en ont, par hasard, n’ont que des filles. » Voilà qui est définitif. Ces errements s’expliquent par les orientations politiques des auteurs, mais aussi par le peu de connaissances médicales dont on disposait à l’époque. Le mal dont était atteint Louis II de Bavière n’avait pas même de nom. Quantité d’hommes de lettres approfondirent rapidement le sillon tracé par les journalistes. Ferdinand Bac, Maurice Barrès, Jacques Bainville firent du roi disparu l’incarnation de l’individu libre et incompris, assumant le prix de ses désirs et de ses particularités, en un
mot un grand héros romantique. Jacques Bainville, qui livra en 1900 la première biographie en langue française de Louis II, défendit son personnage sur le ton de la vertu offensée. La mauvaise réputation du roi venait de la jalousie que sa supériorité provoquait : « Les hommes cultivés de Munich et des environs ne pardonnaient pas à Louis II de se passer si volontiers de leur compagnie. Le roi vivait familièrement avec quelques-uns de ses domestiques. Il se prenait d’affection pour des inconnus. Il faisait assister à des représentations des soldats qu’il avait remarqués pour leur bonne tenue et il leur montrait son Jardin d’Hiver10. » C’est pourquoi « on lui a attribué des vices infâmes ». Cette naïveté est curieusement reprise aujourd’hui dans des ouvrages dont le côté « Blanche-Neige » étonne à l’heure où l’homosexualité n’est plus un « vice infâme ». Quant à l’isolement du roi et aux brutalités qu’il exerça dans la dernière partie de sa vie, Bainville y voyait une ironie suprême, une sorte de raffinement plein de distinction. Tout est pardonné au roi shakespearien, ainsi le fameux incident du valet écrasé. « On l’accusa d’avoir tué l’un de ses domestiques parce que, dans un mouvement de colère, il avait violemment – et involontairement peutêtre – serré le malheureux entre deux portes11. » Outre le fait qu’il paraît difficile de serrer involontairement quelqu’un entre deux portes, il s’agit toujours des façons d’un esprit supérieur réduit à se confronter à un monde sottement prosaïque. Suivant cette pente, Bainville fait de Louis II le chantre de la civilisation face à la barbarie allemande. Le goût du roi pour le classicisme français, exprimé à Herrenchiemsee, devient « un défi à l’Allemagne enivrée de ses victoires, résolue à s’affranchir de son aînée en civilisation… mais nous, Français, ne devons-nous pas garder de la reconnaissance à ce confédéré de l’Empire, pour le témoignage qu’il a porté en faveur de la primauté de notre civilisation et de nos arts12 ? » En 1900, les Français n’avaient pas oublié que les troupes du roi de Bavière avaient déferlé sur la Lorraine avant d’assiéger Paris et pris toute leur part dans la victoire allemande de 1871, ce qui dut limiter leur reconnaissance. Il est toutefois certain qu’il exista toujours de ce côté du Rhin un capital de sympathie pour le roi si beau qui fit bâtir un Versailles au pied des Alpes et dont le destin fut aussi mystérieux que tragique. La veine d’un roi incompris et persécuté fut féconde. Le poète André Fraigneau publia en 1968 un journal apocryphe de Louis II13. Dans un
ouvrage traversé de superbes fulgurances, l’auteur nie la folie, Louis II devenant non seulement l’incompris, mais l’étranger, le différent par excellence. Pour Fraigneau, le roi s’apparente à un esprit supérieur, à l’étroit dans les conventions sociales, un surhomme, mû par un orgueil sublime, ce qui ne va jamais sans un profond mépris pour le reste de l’humanité. D’un revers de la plume, le processus pathologique qui mine le roi est encore balayé. En niant la folie du roi, ces auteurs refusent ce qui fait toute la richesse du personnage, sa véritable originalité : avoir assumé sa maladie, l’avoir vécue pleinement tout en réussissant à la cacher. Si Louis II était bien fou, « plus fou que roi14 », il arriva cependant à régner près de vingt-deux ans. Là se trouve l’exploit, le tour de force, dans la souffrance endossée, dans le prix d’angoisse et de solitude qu’entraîna le double poids de la folie et de la Couronne. Avec un courage et une sorte de génie quotidien, Louis II a accompli l’une des plus belles mystifications de l’histoire, mystification dont l’auteur eut rarement conscience. Une fin tragique et auréolée de mystère devait apposer son cachet à cette vie hors du commun. Si Louis II avait été comme son frère*3, enterré vivant pendant plusieurs dizaines d’années avant de mourir oublié, il ne serait pas devenu le Märchenkönig. Ce fut bien du bord du lac de Starnberg, au pied de la croix qui indique le point où cessèrent de longues souffrances, que s’envola la légende. Cette légende est si forte qu’elle cache jusqu’aux réussites du roi malade de Bavière. Alors que se constituait autour de la Prusse un Reich écrasant, Louis II a sauvé tout ce qui pouvait l’être de l’indépendance de son pays, tout en obtenant l’estime de Bismarck, laquelle ne se donnait qu’avec parcimonie. Roi sensible à la grandeur et à la beauté, il a permis au génie de Wagner de s’épanouir et de mener à bien une œuvre gigantesque. Il a bâti trois châteaux magnifiques qui aujourd’hui encore attirent les foules vers les montagnes qu’il aimait tant. En dépit de la maladie qui le condamnait à vivre de plus en plus séparé de ses semblables et dans les tortures de l’angoisse, il a été, autant qu’il était en son pouvoir de l’être, un homme bon cherchant à apporter du soulagement autour de lui. Enveloppant son lourd handicap dans un nuage impénétrable, il a su, au prix d’une stratégie de fuite incessante et
dans une solitude quasi totale, dissimuler son mal et, ce qui est plus incroyable, le faire finalement tourner au bien et à l’éclat de la royauté. Après plus de vingt et un ans de règne, Louis II était arrivé au bout du stratagème. La mort en venant le prendre fut sans doute clémente.
*1. Le prince Josef Clemens de Bavière (1902-1990), grand historien d’art, était le fils du prince Alphonse de Bavière et de Louise d’Orléans.
*2. https://fr.wikipedia.org/wiki/Max_Joseph_Schlei%C3%9F_von_L%C3%B6wenfeld#/media/File:Hermann_von_Kaulbach_Ludwig_II_Zeichnu *3. Le prince Otto, devenu fictivement le roi Otto Ier de Bavière au jour de la mort de son frère, mourut le 11 octobre 1916 au château de Fürstenried, après trente-huit années d’enfermement.
Généalogie
L’AUTOPSIE DE LOUIS II DE BAVIÈRE1
Rapport de l’autopsie du cadavre de Sa Majesté le roi Louis II de Bavière, autopsie faite à la résidence royale de Munich le 15 juin 1886 à 8 heures du matin. Sont présents : Son Excellence le ministre des Affaires étrangères, Freiherr von Crailsheim, Son Excellence l’Obersthofmeister comte zu Castel. M. le Docteur Hubrich, directeur de l’asile d’Unterfranken ; le professeur docteur Grashey, médecin-chef du Juliusspital à Würzburg ; le Hofrath docteur Hagen ; le Geheimmrath professeur docteur von Ziemssen ; le professeur docteur Kupfer ; le Geheimrath docteur von Schleiss, médecin personnel ; le Medicinalrath docteur Brattler ; le docteur Halm, médecin de la cour ; le docteur Becker, médecin de la cour ; l’Obermedicinalrath docteur Kerschensteiner. L’autopsie fut exécutée par le docteur Rüdinger professeur à l’Université, assisté par le professeur docteur Rückert. Le rapport de l’autopsie fut rédigé par Geheimrath von Ziemssen avec l’aide des autres experts présents. RAPPORT Le cadavre de Sa Majesté est à peine défiguré, seuls le visage et le cou
sont un peu bouffis ; au niveau de la partie dorsale du tronc et des extrémités, la peau est recouverte de taches livides diffuses ; les deux pavillons de l’oreille ainsi que les régions avoisinantes sont très cyanosés, le corps est un peu gonflé, la paroi antérieure recèle une coloration brunâtre de la taille de deux mains (pouvant provenir des tentatives de réanimation). Les tissus adipeux sont fort développés, les muscles sont très puissants, la rigidité cadavérique a disparu. On ne constate aucune plaie au niveau des enveloppes corporelles, notamment pas d’érosion de la peau au niveau du cou et du visage. On ne retrouve que quelques petites excoriations au niveau des genoux sous la rotule. Il existe une chair de poule au niveau de la cage thoracique droite et de l’extrémité supérieure droite ; une partie de l’épithélium central de la cornée a disparu, les pupilles sont moyennement dilatées, de taille égale. Les organes génitaux externes sont bien développés, il n’existe pas de phimosis, le testicule droit est légèrement atrophique. Hernie hiatale droite, non réduite, d’importance moyenne, munie d’un bandage herniaire. La langue est partiellement coincée entre les dents, le maxillaire supérieur n’a pratiquement plus de dents, il est muni d’une pièce dentaire ; le maxillaire inférieur compte encore quelques dents mal insérées (4 incisives et 2 canines). Taille corporelle : 191 cm ; périmètre thoracique en dessous des omoplates : 103 cm ; périmètre abdominal : 120 cm. Les mains, à part une légère cyanose des ongles, ne montrent pas d’anomalies, notamment pas de plaies. Le cuir chevelu est très épais (8,5 mm), il montre une énorme hyperémie veineuse ; le péricrâne externe dans sa totalité est richement vascularisé, il est des deux côtés légèrement épaissi au niveau de la région pariétale ; les muscles temporaux sont peu développés et pâles. Le crâne est anormalement petit par rapport à la taille corporelle (les mesures précises sont indiquées en annexe). Il est un peu asymétrique, de sorte que la bosse frontale gauche se trouve déviée par rapport à celle de droite, de même que l’écaille temporale gauche se trouve déviée par rapport à celle de droite. Le diamètre diagonal (allant du front gauche à l’occiput droit) est de 172 mm, le diamètre diagonal controlatéral étant de 179 mm. Le demipérimètre horizontal droit est de 25,5, le demi-périmètre horizontal gauche de 24,5, le périmètre horizontal total étant de 50,0. L’écaille supérieure de l’occiput s’élève nettement au-dessus du pariétal. La voûte crânienne est extraordinairement fine, la diploé manque presque complètement (minimum : 2,5 mm ; maximum : 3,0 mm).
Les sillons cérébraux sont cependant assez profondément développés ; les sutures coronaires et sagittales sont complètement calcifiées à l’intérieur de la voûte. À la face interne de la moitié droite de l’os frontal, à 2 cm de la tubérosité, on note une excroissance osseuse, longue de 10 mm et large de 5 mm. Une autre excroissance osseuse, de forme ronde et de la taille d’une graine de lin, se trouve à la face interne de la moitié gauche du frontal, à 1 cm à peu près de la ligne médiane. Vers le bas et l’avant de ce même côté il existe deux autres excroissances osseuses de la taille d’une tête d’épingle. Au niveau de l’angle antéro-médian du pariétal gauche on remarque une excavation de la taille d’une pièce de un mark. À cet endroit la voûte crânienne montre le maximum de faiblesse. Le sinus longitudinal supérieur est large, il s’élargit surtout vers la région occipitale, rétrécissant vers l’avant au voisinage de la crista galli. À l’intérieur du sinus, on trouve cinq groupes de granulations de Pacchioni, de taille différente, bourgeonnant jusque dans la lumière du sinus. La dure-mère se trouve très épaissie vers le bord coronaire du frontal, dans la région de la suture sagittale. Elle est rouge, hyperémiée, dure et rugueuse sur sa face externe. L’épaississement est maximal dans la région du frontal, des deux côtés du sinus longitudinal. À peu près au milieu de la grande faux, près du sinus longitudinal, existe un dépôt osseux plat, de la taille presque d’un petit pois. À la partie déclive de la base du crâne se trouve une exostose de forme épineuse qui s’élève jusque dans la boîte crânienne à plus de 2 mm au-dessus du niveau de la dure-mère. La moitié droite de la selle turcique comporte une anomalie congénitale. Du côté gauche, à la face antérieure de la pyramide du rocher, se trouve une protubérance dont le diamètre basal est d’à peu près 1 cm et qui se dresse vers le haut. Une cavité de même diamètre lui répond au niveau de la circonvolution temporale du cortex. La selle turcique est épaissie et très ostéoporotique, de même que base antérieure du crâne. Tous les sinus veineux de la base du crâne sont abondamment remplis d’un sang de couleur sombre, liquide, non coagulé. Le poids du cerveau est de 1 349 g, y compris les enveloppes molles (sans la dure-mère). L’arachnoïde est épaissie sur 9 cm des deux côtés des hémisphères, elle a la couleur trouble du blanc laiteux. Les différents épaississements s’étendent de la ligne médiane latéralement sur les deux hémisphères : à droite, ils forment un
îlot de 5 cm au niveau des circonvolutions frontale et temporale, à gauche ils sont moins étendus, mais au niveau de l’amincissement de la voûte crânienne sus-citée on trouve un dépôt bien plus important, dû notamment à l’épaississement de l’arachnoïde et de la pie-mère. Cet épaississement se trouve au niveau de la terminaison médiane de la circonvolution centrale antérieure et de la naissance de la première circonvolution frontale. L’hémisphère gauche compte des circonvolutions atrophiées à trois endroits : 1) à la naissance des deuxième et troisième circonvolutions frontales ; 2) à la naissance de la première circonvolution frontale ; 3) à la terminaison médiane de la circonvolution centrale postérieure et des circonvolutions avoisinantes du lobe pariétal. L’hémisphère droit montre lui aussi trois atrophies importantes, à savoir : 1) à la naissance des deuxième et troisième circonvolutions frontales ; 2) à la naissance de la première circonvolution frontale et à l’extrémité médiane de la circonvolution centrale antérieure ; 3) dans la région de la partie centrale du sillon postrolandique. Les tissus du cerveau sont de consistance assez molle, blancs, renfermant en moyenne de nombreux points hyperémiés. Le cortex gris est légèrement réduit, les sinus et plexus sont normaux, de même que les parties basales du cerveau et du cervelet. La cavité buccale, le larynx et la trachée ne montrent rien d’anormal, à l’exception de la présence de liquide gastrique dans les voies respiratoires, présence probablement postérieure au décès et due aux tentatives de réanimation et au transport. Les cartilages thyroïde et cricoïde ainsi que les autres cartilages de la trachée supérieure sont ossifiés de manière très anormale. Le thorax est normalement voûté, on ne note pas de fracture de côte, les cavités pleurales contiennent un peu de sérum rougeâtre, les poumons n’y adhèrent en aucun endroit. Ils sont dans l’ensemble de couleur sombre, avec quelques parties claires fortement gonflées. Aux extrémités, on trouve quelques légers rétrécissements pleureux [sic], de nature cicatricielle. Les tissus renferment dans l’ensemble peu d’air et sont de consistance plus ferme que d’habitude ; en incisant on trouve un peu de sang aqueux, à la pression latérale on trouve un petit échappement d’air. Même dans les régions emphysémateuses les tissus contiennent peu d’air
et de sang. Le cœur est bien développé, un peu lâche, les cavités sont légèrement dilatées, l’épaisseur des parois, la consistance et la couleur du muscle cardiaque sont normales. Il n’y a que peu de dépôt adipeux au niveau de l’épicarde, les valvules sont toutes indemnes, de même que l’aorte et l’artère pulmonaire. L’estomac contient de faibles quantités d’aliments solides et semiliquides ; la muqueuse est de couleur ardoisée, légèrement épaissie. L’intestin grêle dans son ensemble est de couleur rouge, les follicules de Payer et solitaires sont de couleur rose. Le foie, de couleur brun-rouge, est de forme et de consistance normales ; la vésicule biliaire contient un peu de bile liquide, la rate est hypertrophiée (longueur : 18 cm, largeur : 10,5 cm), sa consistance est molle, la pulpe de couleur brunâtre. On note un début de pourriture. Les reins sont enveloppés dans une épaisse capsule adipeuse, ils sont de grande taille, leur surface est lisse, la capsule s’enlève facilement, la couleur montre une cyanose superficielle et interne. Pour le reste, le tissu rénal est normal, le pelvis est légèrement congestionné. La vessie est faiblement remplie, normale dans son ensemble. ANNEXE Le crâne, sans les méninges, a une épaisseur de 8,5 mm ; la circonférence horizontale au-dessus de la base du crâne est de 565 mm et de 500 mm après l’enlèvement des muscles temporaux. La circonférence sagittale de la racine du nez à la protubérance externe est de 315 mm ; la circonférence transversale (juste au-dessus des oreilles) est de 305 mm ; le diamètre longitudinal de la racine du nez à la protubérance occipitale est de 171 mm, le diamètre transversal reliant les deux tubérosités pariétales est de 140 mm, le diamètre transversal au-dessus des oreilles est de 131 mm. La largeur du front est de 9 mm, le diamètre diagonal de la tête, reliant la tubérosité frontale gauche au point le plus avancé du crâne postérieur gauche est de 179 mm ; la demi-circonférence horizontale droite est de 255 mm, la demi-circonférence gauche est de 245 mm. Le poids de la voûte crânienne est de 222 g.
L’autopsie est terminée à une heure quart. L’embaumement du cadavre est entrepris dès la fin de l’autopsie par le prof. Rüdinger. Pour confirmation ce rapport fut signé par tous les médecins présents. (Édition allemande in : Schmidbauer Wet Kemper J., Ein ewiges Rd’rätsel will ich bleiben mir und auderen, Munich, Bertelsmann, 1986, p. 181-188.)
Notes I
Les jeunes années d’un roi 1. Sur ces questions, voir Françoise Knopper et Jean Mondot, L’Allemagne face au modèle français, de 1789 à 1815, Presses universitaires du Mirail, Toulouse, 2008. 2. Jacques Bainville, Louis II de Bavière, Bartillat, 2009, p. 16. 3. Cette lettre figure, avec de nombreuses autres, dans l’ouvrage de Desmond Chapman-Huston, Tragédie fantastique, la vie de Louis II de Bavière, Hachette, 1957, p. 68. En raison de ses liens avec la famille royale, l’éditeur et historien avait pu consulter avant la Seconde Guerre mondiale les archives secrètes de la maison de Wittelsbach, partiellement détruites lors d’un bombardement en 1944. 4. Desmond Chapman-Huston, Tragédie fantastique, la vie de Louis II de Bavière, op. cit., p. 19. 5. Élisabeth Fontaine-Bachelier, Louis II de Bavière, itinéraire(s) d’un roi, É. FontaineBachelier, Elbeuf, 2013, (désormais : II) p. 14. 6. Blandine Ollivier, Richard Wagner et Louis II de Bavière. Lettres, 1864-1883, Plon, 1960, p. 421. 7. Jacques Bainville, Louis II de Bavière, op. cit., p. 36. 8. Desmond Chapman-Huston, Tragédie fantastique, la vie de Louis II de Bavière, op. cit., p. 40. 9. Ibid., p. 35. 10. A. Oberdorfer, Louis II de Bavière : la légende et la vérité, 1845-1886, Payot, 1983, p. 4. 11. Desmond Chapman-Huston, Tragédie fantastique, la vie de Louis II de Bavière, op. cit., p. 47. 12. Élisabeth Fontaine-Bachelier, II, op. cit., p. 18. 13. Desmond Chapman-Huston, Tragédie fantastique, la vie de Louis II de Bavière, op. cit., p. 49. 14. Otto, 1er prince von Bismarck, Mémoires, recueillis par Maurice Busch, éd. Fasquelle, 18981899 (la traduction du passage figure pour la première fois dans l’ouvrage de ChapmanHuston, p. 48).
15. Desmond Chapman-Huston, Tragédie fantastique, la vie de Louis II de Bavière, op. cit., p. 41. 16. Ibid., p. 45. 17. Ibid., p. 46. 18. Ibid., p. 56. 19. Ibid., p. 61. 20. Ibid., p. 55. 21. Louis II de Bavière, Carnets secrets, 1869-1886, préface de Dominique Fernandez, Grasset, 1987, p. 55. 22. Desmond Chapman-Huston, Tragédie fantastique, la vie de Louis II de Bavière, op. cit., p. 61.
II
La passion Wagner 1. Desmond Chapman-Huston, Tragédie fantastique, la vie de Louis II de Bavière, op. cit., p. 66. 2. Comte Egon César Corti, Élisabeth d’Autriche, Payot, 1998, p. 123. 3. Ibid. 4. Martin Gregor-Dellin, Richard Wagner : sa vie, son œuvre, son siècle, Fayard, 1981, p. 318. 5. Aldo Oberdorfer, Louis II de Bavière : la légende et la vérité, 1845-1886, op. cit. 6. Martin Gregor-Dellin, Richard Wagner : sa vie, son œuvre, son siècle, op. cit., p. 213. 7. La quasi-totalité des extraits de lettres échangées entre Louis II et Richard Wagner figurant dans cet ouvrage est tirée du livre préfacé et commenté par Blandine Ollivier, petite-fille de la sœur de Cosima : Richard Wagner et Louis II de Bavière. Lettres, 1864-1883, Plon, 1960. 8. Blandine Ollivier, Richard Wagner et Louis II de Bavière. Lettres, 1864-1883, op. cit., p. 12. 9. Aldo Oberdorfer, Louis II de Bavière : la légende et la vérité, 1845-1886, op. cit., p. 43. 10. Ibid. 11. Blandine Ollivier, Richard Wagner et Louis II de Bavière. Lettres, 1864-1883, op. cit. 12. Ibid., p. 473. 13. Ibid., p. 477. 14. Aldo Oberdorfer, Louis II de Bavière : la légende et la vérité, 1845-1886, op. cit., p. 48. 15. Desmond Chapman-Huston, Tragédie fantastique, la vie de Louis II de Bavière, op. cit., p. 81. 16. Élisabeth Fontaine-Bachelier, II, op. cit., p. 340. 17. André Fraigneau, Le livre de raison d’un roi fou, Paris, Plon, 1968, p. 168. 18. Élisabeth Fontaine-Bachelier, II, op. cit., p. 340. 19. Richard Wagner, Ma vie, Buchet & Chastel, 1983. 20. Martin Gregor-Dellin, Richard Wagner : sa vie, son œuvre, son siècle, op. cit., p. 516.
21. Ibid., p. 119. 22. Blandine Ollivier, Richard Wagner et Louis II de Bavière. Lettres, 1864-1883, op. cit., p. 39. 23. Martin Gregor-Dellin, Richard Wagner : sa vie, son œuvre, son siècle, op. cit., p. 539. 24. W. Girrbach, Das Bach Ludwig, p. 86, dans É. Fontaine-Bachelier, I, op. cit., p. 59. 25. Blandine Ollivier, Richard Wagner et Louis II de Bavière. Lettres, 1864-1883, op. cit., p. 56. 26. Ibid., p. 39. 27. Ibid., p. 75. 28. Desmond Chapman-Huston, Tragédie fantastique, la vie de Louis II de Bavière, op. cit., p. 89. 29. Marianne Wörwag-Parizot, Sa Majesté le roi Louis II de Bavière : 1845-1886, Brunoy, Éditions du Montsalvat, 1996, p. 72. 30. Ibid., p. 70. 31. Blandine Ollivier, Richard Wagner et Louis II de Bavière. Lettres, 1864-1883, op. cit.., p. 191. 32. Ibid., p. 155. 33. Ibid., p. 153.
III
Les secrets d’un roi 1. Jean Adès, Louis II de Bavière : de la réalité à l’idéalisation romantique, Rueil-Malmaison, Geigy, 1984. 2. Cette conversation est rapportée intégralement dans l’ouvrage de Marianne Wörwag-Parizot (Sa Majesté le roi Louis II de Bavière : 1845-1886, op. cit.) et dans celui d’Élisabeth Fontaine-Bachelier, Louis II de Bavière : étude d’une vie, É. Fontaine-Bachelier, 2003 (désormais : I), p. 114-115. 3. Ibid. 4. Ibid. 5. Desmond Chapman-Huston, Tragédie fantastique, la vie de Louis II de Bavière, op. cit., p. 99. 6. Jacques Bainville, Louis II de Bavière, op. cit., p. 175. 7. Ibid. 8. Desmond Chapman-Huston, Tragédie fantastique, la vie de Louis II de Bavière, op. cit., p. 92. 9. Jean Adès, Louis II de Bavière : de la réalité à l’idéalisation romantique, op. cit., p. 86. 10. Desmond Chapman-Huston, Tragédie fantastique, la vie de Louis II de Bavière, op. cit., p. 112-115. 11. Ibid., p. 99.
12. Ibid., p. 115. 13. Blandine Ollivier, Richard Wagner et Louis II de Bavière. Lettres, 1864-1883, op. cit., p. 160. 14. Ibid. 15. Élisabeth Fontaine-Bachelier, I, op. cit., p. 73. 16. Aldo Oberdorfer, Louis II de Bavière : la légende et la vérité, 1845-1886, op. cit., p. 83. 17. Blandine Ollivier, Richard Wagner et Louis II de Bavière. Lettres, 1864-1883, op. cit., p. 159. 18. Martin Gregor-Dellin, Richard Wagner : sa vie, son œuvre, son siècle, op. cit., p. 563. 19. Ibid., p. 564.
IV
Les horreurs de la guerre 1866 1. Desmond Chapman-Huston, Tragédie fantastique, la vie de Louis II de Bavière, op. cit., p. 105. 2. Ibid. 3. Aldo Oberdorfer, Louis II de Bavière : la légende et la vérité, 1845-1886, op. cit., p. 98. 4. Brigitte Hamann, Élisabeth d’Autriche, Fayard, 1985, p. 234. 5. Blandine Ollivier, Richard Wagner et Louis II de Bavière. Lettres, 1864-1883, op. cit., p. 211. 6. Ibid., p. 204. 7. Brigitte Hamann, Élisabeth d’Autriche, op. cit., p. 234. 8. Desmond Chapman-Huston, Tragédie fantastique, la vie de Louis II de Bavière, op. cit., p. 110. 9. Ibid., p. 112. 10. Marianne Wörwag-Parizot, Sa Majesté le roi Louis II de Bavière : 1845-1886, op. cit., p. 85. 11. Blandine Ollivier, Richard Wagner et Louis II de Bavière. Lettres, 1864-1883, op. cit., p. 233. 12. Ibid., p. 234. 13. Théodore de Wyzewa, « Un fonctionnaire allemand, le prince Clovis de HohenloheSchillingsfürst », Revue des Deux Mondes, 5e période, t. 36, 1906, p. 456-467. 14. Hohenlohe-Schillingsfürst (Chlodwig zu), Denkwürdigkeiten des Fürsten Chlodwig zu Hohenlohe-Schillingsfürst, 2 vol., Stuttgart, deutsche Verlags-Anstalt, 1906. 15. Aldo Oberdorfer, Louis II de Bavière : la légende et la vérité, 1845-1886, op. cit., p. 122. 16. Élisabeth Fontaine-Bachelier, I, op. cit., p. 91. 17. Martin Gregor-Dellin, Richard Wagner : sa vie, son œuvre, son siècle, op. cit., p. 570.
V
Les malheurs de Sophie 1. Dominique Paoli, Sophie-Charlotte, duchesse d’Alençon, Bruxelles, éditions Racine, 1995, p. 38. 2. Élisabeth Fontaine-Bachelier, I, op. cit., p. 266. 3. Guy de Pourtalès, Louis II de Bavière ou Hamlet-roi, Gallimard, 1928, p. 41. 4. Blandine Ollivier, Richard Wagner et Louis II de Bavière. Lettres, 1864-1883, op. cit., p. 237. 5. Desmond Chapman-Huston, Tragédie fantastique, la vie de Louis II de Bavière, op. cit., p. 120. 6. Dominique Paoli, Sophie-Charlotte, duchesse d’Alençon, op. cit., p. 48. 7. Desmond Chapman-Huston, Tragédie fantastique, la vie de Louis II de Bavière, op. cit., p. 122. 8. Ibid., p. 124. 9. Ibid., p. 125. 10. Ibid., p. 126. 11. Gilbert Robin, Louis II de Bavière vu par un psychiatre, psychanalyse de Louis II, Namur, Wesmael-Charlier, 1960. 12. Heinz Gebhardt, König Ludwig II und seine verbrannte Braut. Unveröffentlichte Liebesbriefe Prinzessin Sophie’s an Edgar Hanfstaengl, Pfaffenhofen, W. Ludwig, 1986. 13. Dominique Paoli, Sophie-Charlotte, duchesse d’Alençon, op. cit., p. 59. 14. Ibid., p. 60. 15. Ibid. 16. Blandine Ollivier, Richard Wagner et Louis II de Bavière. Lettres, 1864-1883, op. cit., p. 265. 17. Desmond Chapman-Huston, Tragédie fantastique, la vie de Louis II de Bavière, op. cit., p. 133. 18. Brigitte Hamann, Élisabeth d’Autriche, op. cit., p. 401. 19. Desmond Chapman-Huston, Tragédie fantastique, la vie de Louis II de Bavière, op. cit., p. 182. 20. Marianne Wörwag-Parizot, Sa Majesté le roi Louis II de Bavière : 1845-1886, op. cit., p. 119. 21. Élisabeth Fontaine-Bachelier, I, op. cit., p. 421. 22. Ibid., p. 275. 23. Réédité en 1993 (Plon). 24. Aldo Oberdorfer, Louis II de Bavière : la légende et la vérité, 1845-1886, op. cit., p. 165.
VI
Exit Wotan
1. Blandine Ollivier, Richard Wagner et Louis II de Bavière. Lettres, 1864-1883, op. cit., p. 310. 2. Ibid., p. 284. 3. Martin Gregor-Dellin, Richard Wagner : sa vie, son œuvre, son siècle, op. cit., p. 578. 4. Blandine Ollivier, Richard Wagner et Louis II de Bavière. Lettres, 1864-1883, op. cit., p. 267. 5. Jacques de Decker, Wagner, Gallimard, 2010, p. 191. 6. Françoise Giroud, Cosima la sublime, Pocket, 1998, p. 109. 7. Martin Gregor-Dellin, Richard Wagner : sa vie, son œuvre, son siècle, op. cit., p. 594. 8. Ibid., p. 596. 9. Ibid., p. 601. 10. Otto Riedner, « Buchbesprechungen », Zeitschrift für bayerische Landesgeschichte, t. viii, 1935, p. 483. 11. Marianne Wörwag-Parizot, Sa Majesté le roi Louis II de Bavière : 1845-1886, op. cit., p. 267-290. 12. Élisabeth Fontaine-Bachelier, I, op. cit., p. 248-260. 13. Marianne Wörwag-Parizot, Sa Majesté le roi Louis II de Bavière : 1845-1886, op. cit., p. 270. 14. Martin Gregor-Dellin, Richard Wagner : sa vie, son œuvre, son siècle, op. cit., p. 613. 15. Desmond Chapman-Huston, Tragédie fantastique, la vie de Louis II de Bavière, op. cit., p. 224. 16. Ibid., p. 223. 17. Blandine Ollivier, Richard Wagner et Louis II de Bavière. Lettres, 1864-1883, op. cit., p. 277.
VII
La vie est un songe I Un château en Bavière 1. Blandine Ollivier, Richard Wagner et Louis II de Bavière. Lettres, 1864-1883, op. cit., p. 278. 2. Aldo Oberdorfer, Louis II de Bavière : la légende et la vérité, 1845-1886, op. cit. 3. Louis II de Bavière, Carnets secrets, 1869-1886, op. cit., p. 93. 4. Ibid., p. 55. 5. Desmond Chapman-Huston, Tragédie fantastique, la vie de Louis II de Bavière, op. cit., p. 144. 6. Ibid., p. 149. 7. Ibid.
VIII
Finis Bavariae ?1870-1871 1. Jean Adès, Louis II de Bavière : de la réalité à l’idéalisation romantique, op. cit., p. 114. 2. 1697-1745. 3. Sur la façon dont Bismarck acheta le Kaiserbrief, voir : Lothar Gall, Bismarck, Berlin, Ullstein, 1997, p. 518 ; Otto Pflanze, Bismarck, Munich, O. Beck, 1997, p. 518 ; et Franz Herre, Ludwig II, Munich, Heyne, 2001, p. 268. 4. Franz Herre, Ludwig II, op. cit., p. 268. 5. Marianne Wörwag-Parizot, Sa Majesté le roi Louis II de Bavière : 1845-1886, op. cit., p. 158. 6. Ibid., p. 160. 7. Jean-Paul Bled, Bismarck, de la Prusse à l’Allemagne, Paris, Perrin, 2011, p. 159. 8. Aldo Oberdorfer, Louis II de Bavière : la légende et la vérité, 1845-1886, op. cit., p. 146. 9. Marianne Wörwag-Parizot, Sa Majesté le roi Louis II de Bavière : 1845-1886, op. cit., p. 165. 10. Ibid., p. 166. 11. Élisabeth Fontaine-Bachelier, II, op. cit., p. 277. 12. Desmond Chapman-Huston, Tragédie fantastique, la vie de Louis II de Bavière, op. cit., p. 189. 13. Blandine Ollivier, Richard Wagner et Louis II de Bavière. Lettres, 1864-1883, op. cit., p. 420.
IX
Des journées entières dans les arbres 1. Desmond Chapman-Houston, Tragédie fantastique, la vie de Louis II de Bavière, op. cit., p. 165. 2. Élisabeth Fontaine-Bachelier, II, op. cit., p. 260. 3. Mario Praxmarer et Peter Adam, König Ludwig II. in der Bergeinsamkeit von Bayern und Tirol, p. 61 dans Élisabeth Fontaine-Bachelier, II, p. 266. 4. Marianne Wörwag-Parizot, Sa Majesté le roi Louis II de Bavière : 1845-1886, op. cit., p. 217. 5. Anton Memminger, Der Bayernkönig Ludwig II, Würzburg, Gebrüder Memminger, 1919, p. 8. Dans Élisabeth Fontaine-Bachelier, II, op. cit., p. 287. 6. Marianne Wörwag-Parizot, Sa Majesté le roi Louis II de Bavière : 1845-1886, op. cit., p. 175.
X
Sans famille 1. Aldo Oberdorfer, Louis II de Bavière : la légende et la vérité, 1845-1886, op. cit., p. 152. 2. Jean Adès, Louis II de Bavière : de la réalité à l’idéalisation romantique, op. cit., p. 46. 3. Desmond Chapman-Huston, Tragédie fantastique, la vie de Louis II de Bavière, op. cit.,
p. 166. 4. Jean Adès, Louis II de Bavière : de la réalité à l’idéalisation romantique, op. cit., p. 47. 5. Desmond Chapman-Huston, Tragédie fantastique, la vie de Louis II de Bavière, op. cit., p. 192. 6. Ibid. 7. Le Lippincott’s Monthly Magazine, vol. 38, juin-décembre 1886. 8. Le texte de Vanderpoole est reproduit dans Élisabeth Fontaine-Bachelier, I, p. 234-235. 9. Neuschwanstein. 10. Desmond Chapman-Huston, Tragédie fantastique, la vie de Louis II de Bavière, op. cit., p. 227. 11. Ibid., p. 171. 12. Élisabeth Fontaine-Bachelier, II, op. cit., p. 144. 13. Ibid., p. 148. 14. Desmond Chapman-Huston, Tragédie fantastique, la vie de Louis II de Bavière, op. cit., p. 222. 15. Ibid., p. 223.
XI
Sissi 1. Egon C. Corti, p. 124. 2. Ibid., p. 125. 3. Brigitte Hamann, Élisabeth d’Autriche, op. cit., p. 404. 4. Ibid., p. 406. 5. Jean Adès, Louis II de Bavière : de la réalité à l’idéalisation romantique, op. cit. 6. Erika Bestenreiner, Sissi, ses frères et sœurs, Pygmalion, 2004, p. 113. 7. Marie-Louise von Wallersee, Mon passé. Le drame de Meyerling, Émile Paul, 1916. 8. Journal de Marie-Valérie, dans Egon César Corti, Élisabeth d’Autriche, op. cit., p. 350. 9. Élisabeth Fontaine-Bachelier, II, op. cit., p. 170. 10. Brigitte Hamann, Élisabeth d’Autriche, Paris, Fayard, 1985, p. 409. 11. Élisabeth Fontaine-Bachelier, I, op. cit., p. 276.
XII
Paul, Richard, Lambert et les autres 1. Louis II de Bavière, Carnets secrets, 1869-1886, op. cit., 6 mars 1872, p. 65. 2. Il semble, en fait, que la rencontre ait eu lieu le 11 mai. 3. Desmond Chapman-Huston, Tragédie fantastique, la vie de Louis II de Bavière, op. cit.,
p. 174 et suivantes. 4. Desmond Chapman-Huston, Tragédie fantastique, la vie de Louis II de Bavière, op. cit., p. 177. 5. Louis II de Bavière, Carnets secrets, 1869-1886, op. cit., p. 88. 6. Desmond Chapman-Huston, Tragédie fantastique, la vie de Louis II de Bavière, op. cit., p. 183.
XIII
La vie est un songe II Deux châteaux en Bavière 1. Blandine Ollivier, Richard Wagner et Louis II de Bavière. Lettres, 1864-1883, op. cit., p. 86. 2. Le petit château baroque de la margravine où Louis II avait logé lors de son voyage à Bayreuth. 3. Blandine Ollivier, Richard Wagner et Louis II de Bavière. Lettres, 1864-1883, op. cit., p. 25. 4. Erinnerungen aus Linderhof, 1878, p. 6-7, dans Élisabeth Fontaine-Bachelier, II, op. cit., p. 35. 5. Louis II de Bavière, Carnets secrets, 1869-1886, op. cit., p. 90. 6. Theodor Hierneis, The Monarch Dines, the memories of Theodor Hierneis, one-time cook at the court of king Ludwig II of Bavaria, Londres, Werner Laurie, 1953, p. 37. 7. Ibid., p. 37-40. 8. Paul Rauchs, Louis II de Bavière et ses psychiatres : les garde-fous du roi, L’Harmattan, 1998, p. 69. 9. Louis II de Bavière, Carnets secrets, 1869-1886, op. cit., p. 62. 10. Aldo Oberdorfer, Louis II de Bavière : la légende et la vérité, 1845-1886, op. cit., p. 212.
XIV
Le voyage à Bayreuth 1. Blandine Ollivier, Richard Wagner et Louis II de Bavière. Lettres, 1864-1883, op. cit., p. 166. 2. Ibid., p. 359. 3. Ibid., p. 351. 4. Ibid., p. 386. 5. Ibid., p. 387. 6. Ibid., p. 389. 7. Ibid., p. 394. 8. Françoise Giroud, Cosima la sublime, op. cit., p. 135. 9. Blandine Ollivier, Richard Wagner et Louis II de Bavière. Lettres, 1864-1883, op. cit., p. 424.
10. Ibid. 11. Ibid., p. 471. 12. Ibid., p. 340. 13. Ibid., p. 332. 14. Ernst von Possart, Erstrebtes und Erlebtes, Berlin, 1916, p. 256. 15. Michael Petzet, König Ludwig II und die Kunst (dans Jean des Cars, p. 249). 16. Ibid.
XV
La vie est un songe III Trois châteaux en Bavière 1. Élisabeth Fontaine-Bachelier, II, op. cit., p. 119. 2. Aldo Oberdorfer, Louis II de Bavière : la légende et la vérité, 1845-1886, op. cit., p. 236. 3. Élisabeth Fontaine-Bachelier, II, op. cit., p. 128. 4. Ibid. 5. Aldo Oberdorfer, Louis II de Bavière : la légende et la vérité, 1845-1886, op. cit., p. 236.
XVI
Les travaux et les jours 1. Élisabeth Fontaine-Bachelier, II, op. cit., p. 88. 2. Gottfried von Böhm, Ludwig II, König von Bayern. Sein Leben und seine Zeit, Berlin, Engelmann, 1924, p. 708 et suivantes. 3. Felix Philippi, Münchner Bilderbogen, Berlin, Ernst Siegfried Mittler und Sohn, 1912, dans Élisabeth Fontaine-Bachelier, II, p. 265. 4. Aldo Oberdorfer, Louis II de Bavière : la légende et la vérité, 1845-1886, op. cit., p. 212. 5. Rapport médical, dans Carnets secrets, 1869-1886, op. cit., p. 145-175. 6. Ibid., p. 160. 7. Aldo Oberdorfer, Louis II de Bavière : la légende et la vérité, 1845-1886, op. cit., p. 215. 8. Louis II de Bavière, Carnets secrets, 1869-1886, op. cit., p. 128. Ce texte, comme bien d’autres dans les Carnets, est écrit en français. 9. Aldo Oberdorfer, Louis II de Bavière : la légende et la vérité, 1845-1886, op. cit., p. 162. 10. Albert Widemann, König Ludwig II. – heute gesehen, p. 9, dans Élisabeth FontaineBachelier, I, p. 133. 11. Aldo Oberdorfer, Louis II de Bavière, op. cit., p. 208. 12. Blandine Ollivier, Richard Wagner et Louis II de Bavière. Lettres, 1864-1883, op. cit., p. 463.
XVII
La dernière illusion Joseph Kainz 1881 1. Louis II de Bavière, Carnets secrets, op. cit., p. 116. 2. Desmond Chapman-Huston, Tragédie fantastique, la vie de Louis II de Bavière, op. cit., p. 205. 3. Louis II de Bavière, Carnets secrets, 1869-1886, op. cit., p. 112. 4. Marianne Wörwag-Parizot, Sa Majesté le roi Louis II de Bavière : 1845-1886, op. cit., p. 296. 5. Desmond Chapman-Huston, Tragédie fantastique, la vie de Louis II de Bavière, op. cit., p. 214. 6. Conrad Beyer, Ludwig II, König von Bayern, Leipzig, Gustav Fock, 1897, p. 156-170. 7. Élisabeth Fontaine-Bachelier, II, op. cit., p. 382.
XVIII
Mort à Venise 1883 1. Desmond Chapman-Huston, Tragédie fantastique, la vie de Louis II de Bavière, op. cit., p. 220. 2. Blandine Ollivier, Richard Wagner et Louis II de Bavière. Lettres, 1864-1883, op. cit., p. 430. 3. Jacques de Decker, Wagner, op. cit., p. 240. 4. Élisabeth Fontaine-Bachelier, I, op. cit., p. 173. 5. Blandine Ollivier, Richard Wagner et Louis II de Bavière. Lettres, 1864-1883, op. cit., p. 490.
XIX
La course à l’abîme 1. Paul Rauchs, Louis II de Bavière et ses psychiatres : les garde-fous du roi, op. cit., p. 75. 2. Aldo Oberdorfer, Louis II de Bavière : la légende et la vérité, 1845-1886, op. cit., p. 252. 3. Élisabeth Fontaine-Bachelier, I, op. cit., p. 295 et suivantes. 4. Marianne Wörwag-Parizot, Sa Majesté le roi Louis II de Bavière : 1845-1886, op. cit., p. 295. 5. Desmond Chapman-Huston, Tragédie fantastique, la vie de Louis II de Bavière, op. cit., p. 228. 6. Marianne Wörwag-Parizot, Sa Majesté le roi Louis II de Bavière : 1845-1886, op. cit., p. 296. 7. Ibid. 8. Aldo Oberdorfer, Louis II de Bavière : la légende et la vérité, 1845-1886, op. cit., p. 244. 9. Ibid., p. 246. 10. Wolfgang Müller, Ein ewig Rätsel bleiben will ich… Wittelsbacher Schicksale : Ludwig II.,
Otto I. und Sisi, Munich, Koehler & Amelang, 1999, p. 190. 11. Jean Adès, Louis II de Bavière : de la réalité à l’idéalisation romantique, op. cit., p. 85. 12. Marianne Wörwag-Parizot, Sa Majesté le roi Louis II de Bavière : 1845-1886, op. cit., p. 301.
XX
L’homme traqué janvier-8 juin 1886 1. Marianne Wörwag-Parizot, Sa Majesté le roi Louis II de Bavière : 1845-1886, op. cit., p. 313. 2. Desmond Chapman-Huston, Tragédie fantastique, la vie de Louis II de Bavière, op. cit., p. 250. 3. Paul Rauchs, Louis II de Bavière et ses psychiatres, op. cit., p. 73. 4. Desmond Chapman-Huston, op. cit., p. 248. 5. Alfred de Durckeim-Montmartin, Notes sur la catastrophe de 1886, dans M. Worwäs-Parisot, S.M. le roi Louis II de Bavière, op. cit., p. 301-311. 6. Aldo Oberdorfer, Louis II de Bavière : la légende et la vérité, 1845-1886, op. cit., p. 254. 7. Wolfgang Müller, Ein ewig Rätsel bleiben will ich…, op. cit., p. 201 (dans Élisabeth Fontaine-Bachelier, p. 304). 8. Louis II de Bavière, Carnets secrets, 1869-1886, op. cit., p. 140. 9. Desmond Chapman-Huston, Tragédie fantastique, la vie de Louis II de Bavière, op. cit., p. 256. 10. Ibid., p. 251. 11. Aldo Oberdorfer, Louis II de Bavière : la légende et la vérité, 1845-1886, op. cit., p. 261. 12. Paul Rauchs, Louis II de Bavière et ses psychiatres : les garde-fous du roi, op. cit., p. 100. 13. Ibid., p. 99. 14. Jean Adès, Louis II de Bavière : de la réalité à l’idéalisation romantique, op. cit., p. 164. 15. Paul Rauchs, Louis II de Bavière et ses psychiatres : les garde-fous du roi, op. cit., p. 50. 16. Ibid. 17. Wolfgang Müller, Ein ewig Rätsel bleiben will ich…, op. cit., p. 390-391 (dans Élisabeth Fontaine-Bachelier, I, p. 322).
XXI
La main au collet Mercredi 9 juin-samedi 12 juin 1886 1. Aldo Oberdorfer, Louis II de Bavière : la légende et la vérité, 1845-1886, op. cit., p. 285. 2. Franz Carl Müller, Die letzten Tage Ludwigs II : Der letzte Bericht eines Augenzeugen, Hambourg, Severus, 2013. 3. Ibid., p. 41. 4. Ibid., p. 44.
5. Ibid. 6. Paul Rauchs, Louis II de Bavière et ses psychiatres : les garde-fous du roi, op. cit., p. 57. 7. Maximilian Schleiss von Löwenfeld, « Meine Meitung », Auszug aus der Wiener Presse, dans Marianne Wörwag-Parizot, Sa Majesté le roi Louis II de Bavière : 1845-1886, op. cit., p. 352.
XXII
Un long dimanche de Pentecôte 13 juin 1886 1. Franz Carl Müller, Die letzten Tage Ludwigs II : Der letzte Bericht eines Augenzeugen, op. cit., p. 55. 2. Jean Adès, Louis II de Bavière : de la réalité à l’idéalisation romantique, op. cit., p. 21. 3. Franz Carl Müller, Die letzten Tage Ludwigs II : Der letzte Bericht eines Augenzeugen, op. cit., p. 57. 4. Élisabeth Fontaine-Bachelier, I, op. cit., p. 345. 5. Alfons Schweiggert, Der Tod König Ludwig II. von Bayern, p. 166. 6. Marianne Wörwag-Parizot, Sa Majesté le roi Louis II de Bavière : 1845-1886, op. cit., p. 366 (sans note de référence). 7. Franz Carl Müller, Die letzten Tage Ludwigs II : Der letzte Bericht eines Augenzeugen, op. cit., p. 70. 8. Cité dans Élisabeth Fontaine-Bachelier, I, op. cit., p. 353. 9. Franz Carl Müller, Die letzten Tage Ludwigs II : Der letzte Bericht eines Augenzeugen, op. cit. 10. Paul Rauchs, Louis II de Bavière et ses psychiatres : les garde-fous du roi, op. cit., p. 61. 11. Ibid. 12. Rupert von Hacker, Ludwig II von Bayern in Augenzeugenberichten, Munich, Deutscher Taschenbuch, 1972 (dans Paul Rauchs, Louis II de Bavière et ses psychiatres : les garde-fous du roi, op. cit., p. 59). 13. Paul Rauchs, Louis II de Bavière et ses psychiatres : les garde-fous du roi, op. cit., p. 60.
XXIII
La vérité sur l’affaire Louis II de Bavière 1. Egon César Corti, Élisabeth d’Autriche, op. cit., p. 328. 2. Brigitte Hamann, Élisabeth d’Autriche, op. cit., p. 412. 3. Ibid., p. 417. 4. Siegfried Wichmann, Die Tötung des Königs Ludwig II. Von Bayern, autoédition, 2007. 5. Marianne Wörwag-Parizot, Sa Majesté le roi Louis II de Bavière : 1845-1886, op. cit. 6. Élisabeth Fontaine-Bachelier, I, op. cit., p. 348. 7. Marianne Wörwag-Parizot, Sa Majesté le roi Louis II de Bavière : 1845-1886, op. cit.,
p. 368-369, transcription p. 370. 8. Publiée également dans Élisabeth Fontaine-Bachelier, I, op. cit., p. 383. 9. Jean Adès, Louis II de Bavière : de la réalité à l’idéalisation romantique, op. cit., p. 204-210. 10. Jacques Bainville, Louis II de Bavière, op. cit., p. 232. 11. Ibid., p. 233. 12. Ibid., p. 267. 13. André Fraigneau, Le Livre de raison d’un roi fou, La Table ronde, 1994. 14. Jean Adès, Louis II de Bavière : de la réalité à l’idéalisation romantique, op. cit.
L’autopsie de Louis II de Bavière 1. Paul Rauchs, Louis II de Bavière et ses psychiatres : les garde-fous du roi, op. cit., p. 79.
Chronologie
1806 ‒ 1er janvier ‒ Le duché de Bavière est érigé en royaume en présence de Napoléon Ier. L’Électeur Maximilien-Joseph devient le roi Maximilien Ier. 1808 – Une première Constitution est publiée, son exécution reportée. 1817 ‒ Renvoi du comte de Montgelas. ‒ Nouvelle Constitution. 1825 ‒ Décès de Maximilien Ier. Avènement de son fils aîné, Louis Ier. 1842 – Entrée de Lola Montès dans la vie de Louis Ier. – 12 octobre ‒ Mariage du prince héritier Maximilien avec Marie de Hohenzollern. 1845 ‒ 25 août ‒ Naissance à Munich, au palais de Nymphenburg, du premier
fils du kronprinz, Louis, Othon, Frédéric, Guillaume. 1848 – 11 mars ‒ Louis Ier bannit Lola Montès. ‒ 21 mars ‒ Abdication de Louis Ier en faveur de son fils aîné. Avènement de Maximilien II. ‒ 27 avril ‒ Naissance d’Otto, second fils de Maximilien II. 1854 – 24 avril ‒ Élisabeth, duchesse en Bavière, épouse à l’âge de seize ans François-Joseph, empereur d’Autriche. ‒ 1er mai ‒ Le comte Theodor Basselet de La Rosée succède à Sybille Meilhaus dans l’éducation du kronprinz. 1857 ‒ Cosima Liszt épouse Hans von Bülow à Berlin. 1858 – 21 août ‒ Naissance de l’archiduc Rodolphe d’Autriche. 1861 ‒ 2 février ‒ Louis assiste pour la première fois à la représentation de Lohengrin. ‒ 13 mars ‒ Une cabale fait échouer Tannhaüser à Paris. ‒ décembre ‒ Louis voit Tannhaüser à Munich. 1862 ‒ juillet ‒ Louis passe son diplôme de fin d’études. ‒ 25 août ‒ Louis est fait chevalier de l’Ordre de Saint-Hubert. 1863 ‒ Louis lit Opéra et Drame de Wagner et L’Anneau des Nibelungen.
‒ mai ‒ Le prince Paul von Thurn und Taxis est nommé aide de camp du kronprinz. ‒ 16 et 17 août ‒ La reine Marie et Louis reçoivent le roi Guillaume Ier de Prusse et Bismarck à Nymphenburg. – 25 août ‒ Majorité de Louis fêtée à Hohenschwangau. ‒ septembre ‒ Séjour de Louis et de Paul von Thurn und Taxis à Berchtesgaden. ‒ 15 novembre ‒ Mort du roi de Danemark Frédéric VII. L’avènement de Christian IX ouvre une crise aiguë sur la question des duchés danois. 1864 ‒ 1er février ‒ La Prusse envahit les duchés danois. ‒ 10 mars ‒ Mort de Maximilien II. Avènement de son fils aîné. ‒ 12 mars ‒ Louis II de Bavière prête le serment constitutionnel. ‒ 4 mai ‒ Première rencontre de Louis II et de Richard Wagner à la Residenz. ‒ 18 juin-15 juillet ‒ Séjour du roi à Bad Kissingen avec plusieurs souverains européens. ‒ 1er août ‒ Louis II rejoint la tsarine Maria Alexandrovna à Schwalbach, puis court voyage sur le Rhin. 1865 – 10 avril ‒ Naissance d’Isolde von Bülow, fille de Wagner et de Cosima. ‒ 10 juin ‒ Première à Munich de Tristan et Isolde de Wagner. ‒ 20 octobre-2 novembre ‒ Premier voyage du roi en Suisse. ‒ 11-19 novembre 1866 ‒ Louis II et Wagner passent une semaine à Hohenschwangau. ‒ 6 décembre ‒ Le roi renvoie Richard Wagner. ‒ 10 décembre ‒ Départ de Wagner pour la Suisse. 1866 – 25 janvier ‒ Mort de Minna Wagner.
‒ 10 mai ‒ Louis II signe l’ordre de mobilisation. ‒ 22-24 mai ‒ Fugue en Suisse de Louis II et de Paul von Thurn und Taxis pour l’anniversaire de Wagner. ‒ 14 juin ‒ Début de la guerre austro-prussienne. ‒ 3 juillet ‒ L’armée autrichienne est écrasée à Königgrätz (Sadowa). ‒ 10 juillet ‒ Défaite de l’armée bavaroise à Kissingen. ‒ 22 juillet ‒ Armistice de Nikolsburgh. La Bavière est contrainte à une alliance avec la Prusse. ‒ novembre ‒ Renvoi de Paul von Thurn und Taxis. ‒ 10 novembre-10 décembre ‒ Voyage triomphal de Louis II en Franconie. ‒ 15 décembre ‒ Fondation de la Confédération générale d’Allemagne du Nord dont le roi de Prusse est le président héréditaire. 1867 – 22 janvier ‒ Annonce des fiançailles de Louis II et se SophieCharlotte, duchesse en Bavière. ‒ 6 mai ‒ Coup de foudre du roi pour Richard Hornig. ‒ 31 mai-4 juin ‒ Voyage du roi et de Richard Hornig à la Wartburg. ‒ 19 juin ‒ Maximilien Ier du Mexique est fusillé à Queretaro. ‒ 26 juin ‒ Mort de Max von Thurn und Taxis, beau-frère de SophieCharlotte. ‒ 3 juillet ‒ Lettre brûlante du roi à Sissi. ‒ 20-29 juillet ‒ Voyage du roi en France. Visite de l’Exposition universelle, séjours à Compiègne et Pierrefonds. ‒ 10 octobre ‒ Annonce de la rupture des fiançailles royales. 1868 ‒ 29 février ‒ Mort de l’ex-roi Louis Ier à Nice. ‒ 13 mai ‒ Louis II annonce en son conseil la construction du « Nouvel Hohenschwangau ». ‒ Début des travaux du Jardin d’Hiver sur le toit de la Residenz. ‒ 21 juin ‒ Première des Maîtres Chanteurs de Nuremberg à Munich.
‒ 26-28 septembre ‒ Visite de la tsarine Maria Alexandrovna à Berg. ‒ 28 septembre ‒ Mariage à Possenhofen de Sophie-Charlotte avec Ferdinand d’Orléans, duc d’Alençon. 1869 – Achèvement des appartements royaux de la Residenz. Louis annonce à la baronne von Leonrod la construction de Linderhof. ‒ 5 septembre ‒ Pose de la première pierre de Neuschwanstein. ‒ 22 septembre ‒ Création de L’Or du Rhin à Munich. 1870 – 23 avril ‒ Excommunication d’Ignaz von Döllinger. – 26 juin ‒ Première de La Walkyrie à Munich. ‒ 10 juillet ‒ La France déclare la guerre à la Prusse. ‒ 18 juillet ‒ Proclamation du dogme de l’infaillibilité pontificale par le concile Vatican I. ‒ 27 juillet ‒ Louis accueille à Munich le kronprinz prussien Frédéric. ‒ 6 août ‒ La défaite de Frœschwiller livre l’Alsace aux troupes allemandes. ‒ 25 août ‒ Mariage de Richard Wagner et de Cosima Litz-von Bülow à Lucerne. ‒ 20 septembre ‒ Prise de Rome par les troupes de Garibaldi. Interruption du concile de Vatican I. ‒ 2 septembre ‒ Reddition de Sedan. Napoléon III fait prisonnier. ‒ 25 novembre ‒ Le comte Holnstein rencontre Bismarck à Versailles. ‒ 30 novembre ‒ Louis II signe le Kaiserbrief. 1871 ‒ 18 janvier ‒ Proclamation de l’Empire allemand dans la Galerie des Glaces à Versailles en l’absence de Louis II. ‒ 17 janvier ‒ Mort de Lola Montès à New-York. – 27 janvier ‒ Capitulation de Paris. ‒ 3 mars ‒ Rencontre secrète Louis II-Bismarck à Munich.
‒ mars-avril ‒ Le couple Wagner fait le choix de Bayreuth. ‒ 10 mai ‒ Traité de Francfort. ‒ 16 juillet ‒ Louis II est contraint de recevoir le kronprinz Frédéric. ‒ novembre ‒ Otto, malade, quitte l’armée. ‒ Achèvement du Jardin d’Hiver. 1872 – Elisabet Ney part aux États-Unis. – mars ‒ Lila von Buyliowsky quitte Munich. ‒ mai ‒ Surveillance médicale d’Otto confiée au docteur von Gudden. – 6 mai ‒ Début des « représentations privées » au Théâtre de la cour à Munich. – 22 mai ‒ Pose de la première pierre du Festpielhaus à Bayreuth. ‒ 21septembre ‒ Visite de réconciliation de Louis II à Sissi à Possenhofen. 1873 – 21 mars ‒ Coup de cœur de Louis II pour le baron Lambert von Varicourt. ‒ 20 avril ‒ Gisèle, fille de Sissi, épouse à Vienne Luitpold de Bavière, second fils du prince Luitpold. ‒ 25 juin ‒ Renvoi de Varicourt. – Otto est mis sous surveillance à Nymphenburg. ‒ 8 septembre ‒ Louis II achète Herreninsel sur le Chiemsee. ‒ 25 décembre ‒ Louis II, Otto et la Reine mère fêtent pour la dernière fois Noël ensemble. 1874 – Début des grands travaux de Linderhof. ‒ 24 avril ‒ Wagner termine le Ring. ‒ 21-28 août ‒ 2e voyage de Louis II en France. Visite de Versailles et de Trianon.
1875 – 30 mai ‒ Otto fait scandale dans la cathédrale de Munich. ‒ été ‒ Coup de cœur de Louis II pour le comte Georges-Alfred de Dürckheim-Montmartin. ‒ 24-27 août ‒ Bref voyage de Louis II à Reims. ‒ 15 octobre ‒ Louis II inaugure le grand calvaire d’Oberammergau. – 21 septembre ‒ Mort en état de démence d’Alexandra de Bavière, tante de Louis II. 1876 ‒ 25 janvier ‒ Louis II accorde un prêt de 100 000 thalers à Wagner au bord de la faillite. ‒ 6-9 août ‒ Voyage de Louis II à Bayreuth pour assister aux quatre générales de la Tétralogie. ‒ 13 août ‒ Solennelle Première représentation du cycle de la Tétralogie à Bayreuth en présence de Guillaume I er et de plusieurs souverains. ‒ 27-30 août ‒ Louis II revient entendre la Tétralogie. 1877 – août ‒ Achèvement de la Grotte bleue à Linderhof. – Première crise financière. Lorenz von Düfflipp chargé de la caisse civile démissionne. 1878 ‒ Otto est interné dans le château de Fürstenried. ‒ 21 mai ‒ Pose de la première pierre du château d’Herrenchiemsee. ‒ Achèvement de Linderhof. 1879 ‒ 7 février ‒ Mort du pape Pie IX. – Cérémonies pour célébrer les 700 ans de la dynastie des Wittelsbach en l’absence du roi. ‒ 27 juin ‒ Louis II rencontre l’archiduc Rodolphe dans Roseinsel.
1880 ‒ 5 mars ‒ Johann von Lutz devient chef du gouvernement. ‒ 29 avril ‒ Mort de la baronne von Leonrod à Augsbourg. ‒ 3 juin ‒ Mort de la tsarine Maria Alexandrovna à Saint-Petersbourg. ‒ été ‒ Anton von Hirschberg est brièvement « l’ami idéal ». ‒ 12 novembre ‒ Wagner dirige le Prélude de Parsifal à Munich. 1881 – 1er mars ‒ Assassinat du tsar Alexandre II. – 31 avril ‒ Le roi voit Joseph Kainz jouer dans Marion Delorme. ‒ 30 mai ‒ J. Kainz est invité à Linderhof. ‒ juin ‒ Sissi présente Marie-Valérie au roi à Posi. ‒ L’impératrice, Louis II et le noir Rustimo se rendent dans Roseinsel. ‒ fin juin-14 juillet ‒ Séjour de Louis II et de Joseph Kainz en Suisse. 1882 – 26 juillet ‒ Louis II refuse d’assister à la première de Parsifal à Bayreuth. 1883 – janvier ‒ J. Kainz quitte Munich. ‒ 13 févier ‒ Mort de Richard Wagner à Venise. ‒ 17 février ‒ Le convoi mortuaire de Wagner fait une halte à Munich. ‒ 18 février ‒ Obsèques de Wagner à Bayreuth en l’absence de Louis II. ‒ mars‒ Ultime visite du roi à Richard Hornig à Seeleiten. ‒ avril ‒ Louis II donne un dernier dîner officiel pour le mariage de son cousin Louis-Ferdinand avec l’infante Maria de La Paz. 1884 – Transformation de la chambre à coucher de Linderhof. ‒ Le service personnel du roi est effectué par des chevau-légers. ‒ Projet de bâtir un 4e château à Falkenstein.
‒ mai ‒ Louis II habite la partie terminée de Neuschwanstein. ‒ 30 mai ‒ Nouvelle crise financière. Un prêt de 7,5 millions de marks évite la faillite. 1885 – Les banques refusent les prêts. Les travaux d’Herrenchiemsee sont arrêtés. – Projet de bâtir un palais byzantin et un palais chinois. ‒ Rupture définitive de Louis II avec Richard Hornig. ‒ juin ‒ Sissi va seule déposer un poème à Roseinsel. ‒ 25 août ‒ Le roi fête ses 40 ans au Schachen. ‒ 17 septembre ‒ Un journal berlinois révèle « la situation en Bavière ». Le prince Luitpold convoque le chef de gouvernement qui prend contact avec le professeur von Gudden. ‒ 15 octobre ‒ Louis II fête pour la dernière fois l’anniversaire de sa mère à Hohenschwangau. ‒ novembre ‒ Le roi refuse d’aller à Munich. ‒ 7 décembre ‒ Achat de la ruine de Falkenstein pour bâtir un quatrième château. ‒ 25 décembre ‒ Louis II passe Noël dans sa « cabane »du Fernstein. 1886 ‒ janvier ‒ Le roi lance des émissaires dans toute l’Europe pour obtenir des prêts. ‒ février ‒ Louis II s’abstient à nouveau de paraître à Munich. ‒ 24 mars ‒ Le docteur von Gudden travaille à un rapport médical. ‒ 6 avril ‒ Louis II écrit à Bismarck pour demander conseil. ‒ 15 avril ‒ La reine-mère part pour Elbigenalp. Le roi passe la semaine sainte à Hohenschwangau. ‒ 17 avril ‒ Louis II demande au gouvernement un projet de loi relatif à la caisse civile. ‒ 5 mai ‒ J. von Lutz élude dans une réponse en forme d’avertissement. ‒ 6 mai ‒ Fin du Journal de Louis II.
‒ 18-25 mai ‒ Audition des premiers témoins pour le rapport médical. ‒ 14‒ 18 mai ‒ Louis II séjourne dans sa maison forestière de la Vorderriß. ‒ 19‒ 30 mai ‒ Le roi réside au Linderhof. ‒ 2 juin ‒ Louis II arrive à Neuschwanstein. ‒ 8 juin ‒ Le docteur von Gudden achève la rédaction d’un rapport médical concluant à la folie du roi. Luitpold informe Guillaume Ier et les princes allemands de la maladie de Louis II et de la mise en place d’une régence. ‒ 9 juin ‒ Louis II déclaré inapte à régner est mis sous tutelle. ‒ 10 juin ‒ Échec piteux de la commission politico-médicale envoyée à Neuchwanstein. ‒ 11 juin ‒ La régence est officiellement proclamée. Le ministre Crailsheim verrouille les stations télégraphiques. ‒ 12 juin ‒ Une commission purement médicale se rend à Neuschwanstein pour signifier au roi sa déposition et son internement. ‒ Louis II quitte Neuschwanstein pour Berg où il est interné. ‒ 13 juin ‒ Promenade matinale du roi et du professeur von Gudden. ‒ 15 h 15 ‒ Long entretien du roi et du docteur Müller. ‒ 18 h ‒ Seconde promenade. Le docteur von Gudden refuse la compagnie d’un infirmier et s’éloigne en compagnie du roi. ‒ 20 h 30 ‒ Le docteur Müller lance les recherches dans le parc de Berg. ‒ 22h30 ‒ Les corps de Louis II et du professeur von Gudden sont découverts immergés près du bord du lac de Starnberg. ‒ 14 juin ‒ Exposition du corps de Louis II au château de Berg. ‒ 15 juin ‒ Autopsie du corps de Louis II à Munich en présence de 14 médecins. ‒ 16-17 juin ‒ La population défile devant le catafalque du roi dans la chapelle de la Residenz. ‒ 17 juin ‒ Obsèques du docteur von Gudden à Munich. ‒ 19 juin ‒ Obsèques solennelles et inhumation de Louis II dans l’église Saint-Michel à Munich. ‒ 28 juin ‒ La duchesse d’Alençon, atteinte de la scarlatine et d’un phlegmon, frôle la mort à Posi.
‒ 1er août ‒ Les châteaux bâtis par Louis II sont ouverts à la visite. 1889 – 30 janvier ‒ Mort de l’archiduc Rodolphe à Mayerling. – 17 mai ‒ Mort de la reine-mère à Hohenschwangau. ‒ 15 novembre ‒ Mort du duc Max en Bavière à Munich. 1897 – 4 mai ‒ Mort de la duchesse d’Alençon dans l’incendie du Bazar de la Charité. 1898 ‒ 10 septembre ‒ Assassinat de Sissi à Genève. 1912 ‒ 12 décembre ‒ Mort du régent Luitpold à l’âge de 91 ans. Régence de son fils aîné, Louis de Bavière. 1913 ‒ 9 février ‒ Le prince régent devient Louis III de Bavière. 1916 ‒ Mort d’Otto Ier de Bavière. 1918 ‒ 8 novembre ‒ Kurt Eisner proclame la République en Bavière. ‒ 13 novembre ‒ Abdication de Louis III. 1921 ‒ 18 octobre ‒ Mort en Hongrie de Louis III, dernier roi de Bavière.
Bibliographie Ouvrages généraux Adalbert, prince de Bavière, Die Wittelsbacher, Geschichte unserer Familie, Munich, Prestel, 1980. Bled (Jean-Paul), Histoire de la Prusse, Fayard, 2007. Bogdan (Henry), Histoire de la Bavière, Perrin, 2007. —, Histoire de l’Allemagne, de la Germanie à nos jours, Perrin, 2007. Bordonove (Georges), Les Rois fous de Bavière, Robert Laffont, 1964. Dreyfus (François-Georges), L’Unité allemande, Presses universitaires de France, « Que sais-je ? », 1996. Kobell (Luise von), Unter den vier ersten Königen Bayerns, 2 vol., Munich, O. Beck, 1894. Knopper (Françoise) et Mondot (Jean), L’Allemagne face au modèle français, de 1789 à 1815, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2008. Poidevin (Raymond) et Schirmann (Sylvain), Histoire de l’Allemagne, Hatier, 1995. Roth (François), L’Allemagne de 1815 à 1918, Armand Colin, 2000. Biographies de Louis II de Bavière
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« d’un témoin oculaire », à savoir l’assistant du docteur von Gudden, présent à Berg lors de la mort du roi Louis II, est extrêmement précis. Publié pour la première fois deux ans après la mort du roi, il a été réédité plusieurs fois avec une préface d’Erich Müller, fils de l’auteur). Philippi (Felix), Münchner Bilderbogen, Berlin, Ernst Siegfried Mittler und Sohn, 1912. Possart (Ernst von), Erstrebtes und Erlebtes, Berlin, Ernst Siegfried Mittler und Sohn, 1916. Praxmarer (Mario) et Adam (Peter), König Ludwig II. in der Bergeinsamkeit von Bayern und Tirol, Dresde, A. & R. Adam, 2002. Ouvrages médicaux Adès (professeur Jean), Louis II de Bavière : de la réalité à l’idéalisation romantique, Rueil-Malmaison, Geigy, 1984 (issu d’une thèse de médecine, l’ouvrage est un incontournable de la question). Rauchs (Dr. Paul), Louis II de Bavière et ses psychiatres : les gardefous du roi, l’Harmattan, 1998 (L’ouvrage fait le tableau de ce qu’était la psychiatrie en Allemagne à l’époque de Louis II. Il est le seul à contenir intégralement la fameuse « expertise psychiatrique de Louis II de Bavière », qui permettra la déposition et l’internement du roi, ainsi que « l’autopsie de Louis II » et « l’interprétation de l’autopsie par les experts ».). Robin (Dr. Gilbert), Louis II de Bavière vu par un psychiatre, psychanalyse de Louis II, Namur, Wesmael-Charlier, 1960. Journaux intimes
Fraigneau (André), Le Livre de raison d’un roi fou, Louis II de Bavière, Plon, 1968 (Journal apocryphe de Louis II de Bavière).
Louis II de Bavière, Carnets secrets, 1869-1886, préface de Dominique Fernandez, Grasset, 1987 (publication très partielle et fortement remaniée des deux derniers tomes d’un Journal qui en compte neuf). Wagner (Cosima), Journal I à IV (1878-1884), Gallimard, 1977-1979. Wagner Decker (Jacques de), Wagner, Gallimard, 2010. Gregor-Dellin (Martin), Richard Wagner : sa vie, son œuvre, son siècle, Fayard, 1981. Giroud (Françoise), Cosima la sublime, Pocket, 1998. Mistler (Jean), À Bayreuth avec Richard Wagner, Hachette, 1960. Montenz (Nicola), Parsifal et l’enchanteur : Louis II et Wagner, J.C. Lattès, 2013. Nietzsche (Friedrich), Le Cas Wagner, Gallimard, 1974. Introduction et choix par Blandine Ollivier, Richard Wagner et Louis II de Bavière. Lettres, 1864-1883, Plon, 1960 (la petite-fille de la sœur de Cosima, Blandine Liszt, et de l’homme politique français Émile Ollivier a publié et commenté une grande partie de la correspondance échangée entre Louis II et Wagner). Wagner (Cosima), Journal, Gallimard, 1977-1979. Wagner (Richard), Ma vie, Buchet & Chastel, 1983. Bismarck Bismarck (Otto von), Les Mémoires de Bismarck recueillis par Maurice Busch, éd. Fasquelle, 1898-1899. Bled (Jean-Paul), Bismarck : de la Prusse à l’Allemagne, Alvik, 2005. —, Bismarck, Perrin, 2010. Doeberl (Michael), Bayern und die Bismarckische Reichsgründung, Munich-Berlin, R. Oldenbourg, 1925.
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Index Adalbert de Bavière, fils de Louis-Ferdinand de Bavière 1, 2 Adalbert de Bavière, fils de Louis Ier 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 Adès, Jean, professeur de psychiatrie 1, 2, 3, 4, 5, 6 Agoult, Marie d’, comtesse 1, 2, 3 Aldegonde, duchesse de Modène, fille de Louis Ier 1 Alexandra de Bavière, fille de Louis Ier 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13 Alexandre II, tsar 1, 2, 3, 4, 5 Alexandre III, tsar 1 Amélie, reine de Grèce 1, 2, 3 Amfortas 1, 2 Andrassy, Gyula, comte 1 Arthur, roi légendaire 1, 2, 3, 4 Aschwanden, forestier 1, 2 Aspasia, poétesse 1 Augusta-Amélie Louise de Bavière 1, 2 Augusta de Toscanne, tante de Louis II 1, 2 Aumale, duc d’ 1 Bac, Ferdinand 1 Bach, Jean-Sébastien 1, 2 Bade, grand-duc de 1, 2 Bainville, Jacques 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12
Bakounine, Mikhaïl 1, 2, 3 Barberousse, Frédéric, empereur 1, 2, 3 Barrès, Maurice 1 Beauharnais, Eugène de 1, 2 Beethoven, Ludwig van 1, 2 Begas, Carl Joseph 1 Berchen, comte 1 Beyer, Konrad, écrivain 1, 2, 3 Bismarck, Otto von 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92 Bleuler, Eugène 1 Blome, comte, ambassadeur d’Autriche à Munich 1 Böhm, Gottfried von 1 Boieldieu, François Adrien, compositeur 1 Bomhard, Eduard von 1, 2 Boppeler, Ferdinand 1, 2, 3, 4 Bragance, Marie-Josèphe de (Marie-Josée, surnom) 1 Brahms, Johannes 1 Bray, Otto von, comte 1, 2, 3 Bülow, Cosima, baronne von 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 98 Bülow, Daniela von 1, 2, 3 Bülow, Hans, baron von 1, 2, 3, 4 Bulyowsky, Gyula von 1 Bulyowsky, Lila von 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15
Bürkel, Ludwig von 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27 Calderón de la Barca, Pedro 1, 2 Casimir, saint 1 Chapman-Huston, Desmond 1, 2, 3, 4 Charles-Alexandre de Saxe-Weimar-Eisenach 1 Charles-Théodore, duc en Bavière, Gackel 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21 Charles Ier, roi de Wurtemberg 1 Christian IX, roi de Danemark 1 Cobourg, Amélie de 1 Corneille, Pierre 1 Crailsheim, Friedrich Krafft von 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12 Dagmar de Danemark, princesse 1, 2 Dahn-Hausmann, Marie 1, 2, 3, 4, 5 Dahn, Felix 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 Dahn, Friedrich 1 David, Félicien, compositeur 1 Dolgorouki, Catherine, princesse 1, 2, 3, 4 Döllinger, Ignaz von 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 Dollmann, Georg von 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 Donniges, Hélène de 1 Doré, Gustave 1 Dorval, Marie 1 Düfflipp, Lorenz von 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13 Dumas, Alexandre 1, 2, 3, 4, 5, 6 Dupont des Loges, Mgr Paul-Georges-Marie, évêque de Metz 1 Dürckheim-Montmartin, Georges-Alfred, comte von 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21 Effner, Carl von, paysagiste 1 Eisenhart, August von 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 Élisabeth, impératrice d’Autriche, Sissi 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11,
12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99, 100, 101, 102, 103, 104, 105, 106, 107, 108, 109, 110, 111, 112, 113, 114, 115, 116, 117, 118, 119, 120, 121, 122, 123, 124, 125 Emma von Waldeck und Pyrmont 1, 2, 3 Étienne, saint 1 Eugénie, impératrice des Français 1, 2 Eulenburg, Philipp zu, comte von Sandels 1 Feilitzsch, baron 1 Ferdinand-Marie de Bavière 1 Ferdinand, duc d’Alençon 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 Festetics, Marie, comtesse, dame d’honneur de Sissi 1, 2, 3, 4, 5 Feuerbach, Ludwig, philosophe 1, 2 Fontaine-Bachelier, Élisabeth 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 Fraigneau, André 1, 2, 3, 4 François-Joseph, empereur d’Autriche 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12 François II, roi des Deux-Siciles 1, 2, 3, 4 Franz de Bavière, duc 1 Frédéric-Charles de Prusse 1 Frédéric-Guillaume IV de Prusse 1, 2 Frédéric-Guillaume, kronprinz de Prusse, puis Frédéric III, empereur allemand 1 Garibaldi, Giuseppe 1, 2, 3, 4, 5 Gautier, Judith 1, 2, 3, 4 Gautier, Théophile 1, 2, 3 George V de Hanovre 1 Georges-Victor, prince de Waldeck-Pyrmont 1 Gietl, docteur Franz Xaver von 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21
Gisèle, archiduchesse d’Autriche, puis duchesse de Bavière, fille aînée de Sissi 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 Goethe, Johann Wolfgang von 1, 2, 3, 4 Goncourt, Edmond de 1, 2 Gottlob Wetzel, Friedrich 1 Grashey, docteur Hubert 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15 Gravina, Blandine, fille de Cosima von Bülow 1, 2, 3, 4 Gregor-Dellin, Martin 1, 2, 3, 4, 5 Grein (Edir) pseudonyme, voir Riedinger, Edwin 1, 2, 3 Gudden, docteur Bernhard von 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99, 100, 101, 102, 103, 104, 105, 106, 107, 108, 109, 110, 111, 112, 113 Guillaume Ier, roi de Pusse, empereur allemand 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16 Hagen, docteur 1, 2 Hamerling, Robert, poète 1 Hanfstaengl, Edgar 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17 Hegel, Georg Wilhelm Friedrich, philosophe 1 Heigel, Franz, peintre 1 Henri V, comte de Chambord 1, 2 Henri l’Oiseleur (Henri Ier de Germanie) 1, 2 Hesse, Anna de 1, 2, 3 Hesselschwerdt, Karl 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14 Hierneis, Theodor, cuisinier 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 Hirschberg, Anton, baron von 1, 2, 3, 4 Hoffmann, Julius, architecte 1 Hoffmann, secrétaire de la cour 1 Hohenlohe, Chlodwig zu, prinz von Ratibor 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10,
11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28 Hohenzollern-Sigmaringen, Leopold de 1, 2, 3 Holnstein aus Bayern, Maximilian von, comte (Roßober, surnom) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59 Holnstein, Siegfried-Richard von 1 Hoppe, coiffeur 1, 2, 3 Hornig, Richard 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61 Huber, administrateur du château de Berg 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 Hubrich, docteur 1, 2, 3 Hugo, Victor 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 Isabeau de Bavière, née Élisabeth de Wittelsbach 1 Isabelle II, reine d’Espagne 1, 2, 3, 4, 5, 6 Jank, Christian 1, 2, 3, 4 Jehle, juge 1, 2, 3 Josef Clemens de Bavière 1, 2 Kainz, Joseph 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43 Karl-Albrecht, Charles VII, empereur 1 Kaulbach, Friedrich August von, peintre 1, 2, 3, 4, 5 Kleeberg, directeur d’une société d’assurances de Francfort 1 Klug, Ludwig von 1, 2, 3, 4, 5, 6 Kobell, Luise von 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 Krapelein, Ernest 1 La Rosée, Theodor, comte Basselet de 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 Lachner, Franz 1 Lacordaire, Henri, journaliste 1, 2
Lacouture, Jean 1 Lamennais, Félicité Robert de, écrivain 1 Lantéri-Lauda, Georges 1 Larisch-Moennich, comte Georges de 1, 2 Larisch, Marie 1, 2, 3, 4, 5 Laurentieff, Sophie 1 Lauterbach, Johann 1, 2, 3, 4 Leinfelder, comte de 1, 2 Leonrod, August von, baron 1 Lerchenfeld auf Köfering und Schönberg, comte Hugo von 1, 2, 3, 4 Lévi, Hermann 1, 2, 3 Lidl, Jacob 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18 Liebig, Justus von 1, 2, 3, 4, 5, 6 Liesi, domestique 1, 2 Lippe, prince de 1 Liszt, Daniel 1 Liszt, Franz 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18 Lola Montès (ou Montez ; Maria Dolorès Eliza Gilbert, dite) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14 Lope de Vega, Félix 1 Lord Byron, poète 1 Louis-Ferdinand de Bavière, Luisito 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18 Louis-Victor, archiduc, frère de François-Joseph 1, 2, 3, 4 Louis Ier de Portugal 1 Louis XIV, roi de France 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35 Louis XV, roi de France 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 Louis XVI, roi de France 1, 2, 3, 4, 5, 6 Louis III, prince, puis roi de Bavière 1, 2, 3 Louis Ier, roi de Bavière 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15,
16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35 Louise-Marguerite de Prusse 1 Ludovica, duchesse en Bavière, mère de Sissi 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38 Luitpold, prince régent de Bavière 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81 Lutz, Friedrich von 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 Lutz, Johann von 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20 Lutz, Robert 1 Maag, Anna 1, 2 Maag, docteur Rudolph 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 Mac-Mahon, Edme Patrice, comte de, maréchal de France 1, 2 Maier, Mathilde 1, 2, 3, 4 Mancini, Marie 1 Marc Aurèle 1 Maria Alexandrovna, tsarine 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16 Maria de la Paz 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 Marie-Antoinette, reine de France 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14 Marie-Sophie de Bavière 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 Marie-Thérèse d’Autriche, archiduchesse 1 Marie-Valérie, fille cadette de Sissi 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14 Marie Amélie en Bavière, fille aînée de Charles-Théodore 1, 2 Marie de Prusse 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18
Mathilde Caroline Frédérique Wilhelmine Charlotte de Bavière, grande-duchesse de Hesse 1 Mathilde Ludovica, duchesse en Bavière et comtesse de Trani, dite Moineau 1, 2, 3, 4, 5 Mauder, Bruno 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16 Maximilian-Karl, prince 1, 2, 3 Maximilien-Emmanuel en Bavière, frère de Sissi 1 Maximilien Ier, roi de Bavière 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 Maximilien II, roi de Bavière 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41 Maximilien, archiduc, empereur du Mexique 1 Maximilien, duc en Bavière, père de Sissi 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14 Mayer, Frédérique 1 Mayr, valet 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 Meilhaus, Sybille, baronne von Leonrod 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25 Memminger, Anton, journaliste 1 Mendès, Catulle, écrivain et poète 1, 2 Mérimée, Prosper 1 Mertl, Martin 1, 2 Meyerbeer, Giacomo, compositeur 1 Michel de Portugal, roi 1 Middleton, Bay 1, 2 Möckl, Karl 1 Modène, Marie-Thérèse de, archiduchesse 1 Mohl, Robert von, ambassadeur de la cour de Bade 1, 2 Montalembert, Charles de, journaliste 1 Montgelas, Maximilien, comte de 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12 Montgomery, Edmund 1 Morier, Robert, sir 1
Müller, docteur Franz Carl 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42 Müller, Erich 1 Müller, Man Anton 1, 2 Müller, secrétaire de cabinet 1, 2 Napoléon Ier 1, 2 Napoléon III 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 Nemours, Louis, duc de 1, 2, 3, 4, 5 Nestroy, Johann, acteur, chanteur et dramaturge 1 Neumayr, Max von 1 Ney, Elisabet 1, 2, 3, 4, 5 Ney, maréchal 1 Nicolas II, tsar 1 Nicolas, tsarévitch (Nixa, surnom) 1, 2, 3 Niemann, Albert 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 Nietzsche, Friedrich 1, 2 Niggl, valet 1, 2, 3, 4, 5 Oberdorfer, Aldo 1, 2, 3, 4, 5, 6 Olga Nikolaïevna, grande-duchesse de Russie et reine de Wurtemberg 1, 2 Osterholzer, cocher 1, 2 Ostrauer, Thomas 1 Otto Ier, roi de Bavière, frère cadet de Louis II 1 Otto Ier, roi de Bavière, frère cadet de Louis II 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54 Otto Ier, roi de Grèce, frère de Maximilien II, oncle de Louis II 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 Pearl, Cora 1 Pedro II du Brésil 1
Pfeiffer, Friedrich Wilhelm, peintre 1 Pfister, Philipp 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 Pfistermeister, Franz Seraph von 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18 Pfordten, Ludwig von der 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 Philippe de Wurtemberg, prince 1 Philippi, Felix, journaliste 1, 2 Pie XII, pape 1 Pie IX, pape 1, 2, 3 Poe, Edgar Allan 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 Pompadour, marquise de 1 Possart, Ernst von 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 Rainier d’Autriche, archiduc 1 Rambaldi, comte 1, 2, 3 Rambaldi, comtesse 1 Renoir, Auguste 1 Richter, Hans 1, 2, 3, 4, 5 Riedel, Eduard, architecte 1 Riedel, Emil von, ministre des Finances 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12 Riedinger, Edwin 1, 2 Riedner, Otto 1 Ritter, Karl 1 Rixinger, Hildegard 1 Rodolphe, archiduc 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17 Rohde, Emil 1, 2, 3 Rothenanger, valet 1, 2, 3, 4 Rumpler, secrétaire 1 Rupprecht de Bavière 1 Rutter, Isolde von 1 Rutz, Wilhelm 1, 2, 3, 4
Saint-Saëns, Camille 1 Saint Louis, roi de France 1 Salvator, Jean, archiduc 1 Sardou, Victorien 1 Savigny, marquis de 1, 2, 3 Saxe-Cobourg-Gotha, Marie de, grande-duchesse 1, 2 Schack, Friedrich von, comte 1, 2 Scheer, Grégoire von, évêque de Munich 1 Schefsky, Josephine, cantatrice 1 Schiller, Friedrich von 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13 Schleiss von Löwenfeld, Maximilien-Joseph, docteur 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24 Schneider, Romy, actrice 1 Schneller, infirmier 1, 2 Schnorr von Carolsfeld, Ludwig 1, 2 Schnorr von Carolsfeld, Malvina 1, 2, 3, 4 Schopenhauer, Arthur 1, 2 Schramm, Franz, fils de l’officier Franz Schramm 1 Schramm, Franz, officier royal gardien du château de Hohenschwangau 1 Schramm, Max, fils de l’officier Franz Schramm 1 Schramm, Peter, fils de l’officier Franz Schramm 1 Schwind, Maurice de, peintre 1, 2, 3, 4, 5 Scott, Walter, écrivain 1, 2 Semper, Gottfried 1, 2, 3, 4, 5 Shah de Perse 1, 2 Shakespeare, William 1, 2, 3, 4, 5 Sibour, Mgr Marie Dominique, archevêque de Paris 1 Socrate 1 Solbrig, psychiatre 1 Sophie-Charlotte-Augusta, duchesse d’Alençon 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27,
28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86 Sophie de Saxe 1, 2, 3 Sophie, archiduchesse, mère de François-Joseph 1, 2, 3, 4, 5, 6 Spiering, baronne von (née Holnstein, Caroline von) 1 Spohr, Louis 1 Steinger, Otto 1 Steininger, professeur de Louis II 1 Stuart, Marie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 Tann-Rathsamhausen, général Ludwig von der 1 Tchaïkovski, Piotr Ilitch 1 Tell, Guillaume 1, 2, 3, 4, 5, 6 Thérèse-Charlotte de Bavière, fille de Luitpold 1, 2, 3, 4 Thurn und Taxis, Hélène von, Néné, sœur aînée de Sissi 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 Thurn und Taxis, Maximilian, prince von 1, 2, 3, 4, 5 Thurn und Taxis, Paul von 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19 Thurner, Julie, fille d’un domestique 1, 2 Tissot, James 1 Törring-Jettenbach, comte 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 Trani, comte Luigi 1, 2, 3, 4, 5 Traube, docteur 1, 2 Truchness-Sarachaga, Esperanza, baronne von 1, 2, 3, 4, 5 Truhn, Friedrich Hieronymus, compositeur et chef d’orchestre 1 Twain, Mark 1, 2 Utermülhe, Mme 1 Vanderpoole, Lew 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 Varicourt, Lambert von 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26 Vetsera, Marie 1
Viardot, Pauline, compositrice 1 Victoria, reine d’Angleterre 1, 2 Viollet-le-Duc, Eugène 1, 2 Visconti, Luchino 1 Vogl, Anna, patronne de l’auberge Post 1, 2 Völdendorf, conseiller ministériel 1 Völk, valet 1, 2, 3 Wagner, Isolde 1, 2 Wagner, Minna 1, 2, 3 Wagner, Richard 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99, 100, 101, 102, 103, 104, 105, 106, 107, 108, 109, 110, 111, 112, 113, 114, 115, 116, 117, 118, 119, 120, 121, 122, 123, 124, 125, 126, 127, 128, 129, 130, 131, 132, 133, 134, 135, 136, 137, 138, 139, 140, 141, 142, 143, 144, 145, 146, 147, 148, 149, 150, 151, 152, 153, 154, 155, 156, 157, 158, 159, 160, 161, 162, 163, 164, 165, 166, 167, 168, 169, 170, 171, 172, 173, 174, 175, 176, 177, 178, 179, 180, 181, 182, 183, 184, 185, 186, 187, 188, 189, 190, 191, 192, 193, 194, 195, 196, 197, 198, 199, 200, 201, 202, 203, 204, 205, 206, 207, 208, 209, 210, 211, 212, 213, 214, 215, 216, 217, 218, 219, 220, 221, 222, 223, 224, 225, 226, 227, 228, 229, 230, 231, 232, 233, 234, 235, 236, 237, 238, 239, 240, 241, 242, 243, 244, 245, 246, 247, 248, 249, 250, 251, 252, 253, 254, 255, 256, 257, 258, 259, 260, 261, 262, 263, 264, 265, 266, 267, 268, 269, 270, 271, 272, 273, 274, 275, 276, 277, 278, 279, 280, 281, 282, 283, 284, 285, 286, 287, 288, 289, 290, 291, 292, 293, 294, 295, 296, 297, 298, 299, 300, 301, 302, 303, 304, 305, 306, 307, 308, 309, 310, 311, 312, 313, 314, 315, 316, 317, 318, 319, 320, 321, 322, 323, 324, 325, 326, 327, 328, 329, 330, 331, 332, 333, 334, 335, 336, 337, 338, 339, 340, 341, 342, 343, 344, 345, 346, 347, 348, 349, 350, 351, 352, 353, 354, 355, 356, 357, 358, 359, 360, 361, 362, 363, 364, 365, 366, 367, 368, 369, 370, 371, 372, 373, 374, 375, 376, 377, 378,
379, 380, 381, 382, 383, 384, 385, 386, 387, 388, 389 Wagner, Siegfried 1 Washington, lieutenant-colonel, baron von 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15 Weber, Alphons, valet 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 Weiss, docteur 1, 2, 3, 4, 5, 6 Welker, valet de chambre 1, 2 Werner, Anton von, peintre 1 Werthern, Georg von, ambassadeur de Prusse à Munich 1 Wesendonck, Mathilde 1, 2, 3 Wesendonck, Otto 1 Westminster, duc de 1 Wichmann, Siegfried 1, 2, 3, 4, 5, 6 Widemann, Albert 1, 2 Wilhelmine, margravine de Bayreuth, sœur de Frédéric II de Prusse 1, 2, 3 Wilhelmine, reine des Pays-Bas 1 Wille, Eliza 1, 2 Wirth, Mme 1 Wolf, Albert 1 Wolfsteiner, Alfred 1 Wolter, Charlotte 1, 2 Wörwag-Parizot, Marianne 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 Wrbna-Kaunitz, Joséphine, comtesse de 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 Zanders, contrôleur 1, 2, 3, 4, 5, 6 Ziegler, Friedrich von 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35
Remerciements Fidèle à mon habitude, je remercierai individuellement tous ceux qui ont bien voulu m’apporter leur appui dans l’aventure Louis II de Bavière. Je veux cependant exprimer ma particulière gratitude à: Ma conseillère éditoriale, Sophie Grandjean-Hogg et à Pauline Labey
Aux médecins qui m’ont aidée à comprendre la maladie de Louis II et les circonstances de sa mort: Le professeur Jean Adès, psychiatre. Le docteur Jean-Luc Belet, neuropsychiatre. Le docteur Maurice Perrot Le docteur Hervé Lerat (médecine légale), expert près la cour d’appel de Rennes. Merci infiniment à ceux qui ont mis à ma disposition leur connaissance de la langue et de la culture allemande: Angélique de Bodard. Élise Nivaud-Lesage. Philippe Lesage.
Gisèle Nicolas. Jean-Nicolas Olivier. Jean-Philippe Rocourt. Tobias Teuscher. Merci de tout cœur à Alain Pittard.
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