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French Pages 104 [108] Year 1973
LOGIQUE MODERNE Fascicule
III
ÉCOLE P R A T I Q U E DES HAUTES É T U D E S — SORBONNE SIXIÈME SECTION: SCIENCES ÉCONOMIQUES
ET
SOCIALES
MATHÉMATIQUES ET S C I E N C E S D E L ' H O M M E XXII
M O U T O N / G AUTHIER-VILLARS
Jean-Blaise G R I Z E
LOGIQUE
MODERNE
Fascicule III
IMPLICATIONS-MODALITÉS LOGIQUES POLYVALENTES LOGIQUE COMBINATOIRE O N T O L O G I E ET M É R É O L O G I E DE LESNIEWSKI
MOUTON/GAUTHIER-VILLARS
©
1973 École Pratique des Hautes Études M o u t o n Éditeur Éditions Gauthier-Villars
Printed in the
Netherlands
INTRODUCTION
Toute une partie de la logique moderne, celle que l'on convient généralement de faire débuter avec The mathematical analysis of logic de George Boole (1847), a été conduite à se préoccuper essentiellement des fondements des mathématiques. Faite le plus souvent par des mathématiciens et pour eux, elle a donné lieu à des considérations de plus en plus rigoureuses et abstraites. Certaines de ses parties ne se distinguent guère de la mathématique elle-même. Toutefois, et comme en marge de ce qui est devenu sa vocation principale, la logique n'a jamais cessé de se poser d'autres problèmes: ceux de décrire, d'expliquer, parfois de régler tous les raisonnements et non seulement ceux qui relèvent exclusivement de l'esprit de géométrie. Cette «logique parallèle» a moins de prestige que l'autre. Elle est plus timide, parfois un peu naïve, elle est moins connue, elle s'enseigne peu souvent. Ce n'est pas que ceux qui s'en sont occupé aient eu moins de talent : leurs problèmes étaient plus complexes et leurs lecteurs plus rares. Ceux-ci ne pouvaient guère se recruter, en effet, que parmi les philosophes, les psychologues, les linguistes, gens fort longtemps allergique à tout ce qui avait quelque odeur du soufre mathématique. Frege (1848-1925) lui-même, qui n'a d'ailleurs pas encore trouvé place dans le «Grand Larousse Encyclopédique », l'a durement vécu de son temps et J. Vuillemin dans son ouvrage récent 1 doit encore penser au lecteur que rebute le symbolisme de la logique formelle. Les choses toutefois sont en train de changer. Les sciences humaines se servent de plus en plus souvent de l'instrument logique et il n'est nullement déraisonnable de penser que, sous leur 1. J. Vuillemin, Le Dieu d'Anselme et les apparences de la raison. Paris, Aubier, 1971. Voir, p a r exemple, la note 1, p. 53.
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Introduction
pression, bien des thèmes sont à la veille de connaître de nouveaux développements. C'est dans cette perspective que nous présentons ici quelques systèmes logiques dont nous pensons qu'ils offrent de riches possibilités en dehors des mathématiques (même si l'un d'entre eux est fondamental en logique mathématique au sens strict du terme). Nous en avons choisi cinq. Première partie: On s'aperçoit facilement que la relation d'implication engendrée par l'opérateur classique de conditionnelle (r>) reflète assez mal l'idée naïve de «si ... alors». Ce problème n'est pas nouveau et les Stoïciens y avaient déjà consacré de nombreuses réflexions. Il semblait donc intéressant de montrer comment les modernes l'ont abordé et par quel biais ils l'ont traité. Deuxième partie: Les considérations sur l'implication font le plus souvent appel à la nécessité ou à la possibilité. Comme par ailleurs les logiques modales ont connu depuis les travaux de Lewis et Langford un grand développement, nous décrivons quelques-uns des systèmes les plus connus. Troisième partie: Sitôt que l'on introduit des modalités, on quitte la logique bivalente du vrai et du faux. Cela ne signifie pas qu'il soit possible pour autant de remplacer l'ensemble {0,1} par un autre {0,l,2,...m|. En revanche, si l'on part d'un ensemble de vérité à plus de deux valeurs, il est possible d'interpréter certains opérateurs comme des modalités. Ces logiques, dites polyvalentes, offrent des perspectives nombreuses. Assez peu utilisées actuellement, elles doivent permettre de construire des modèles facilement adaptables aux comportements observés. Il paraissait d'autant plus utile d'en présenter le principe que la longueur assez rebutante des calculs ne fait plus obstacle depuis que tout chercheur peut avoir accès à un ordinateur. Quatrième partie: Elle constitue l'exception signalée plus haut. La logique combinatoire dont elle présente quelques-unes des notions, a été créée pour éclairer les fondements des mathématiques. Toutefois, elle apoussé l'analyse assez loin pour rejoindre ce qui constitue apparemment quelques-unes des opérations les plus fondamentales de l'intelligence rationnelle. Quelques applications en ont déjà été faites en psychologie et en linguistique et nous avons jugé utile d'en esquisser les aspects les plus simples. Cinquième partie: L'ontologie et la méréologie de Lesniewski, sommairement exposées ici, ont répondu d'abord à des problèmes relatifs à la théorie des ensembles. Cependant, la façon dont ces systèmes
Introduction
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cherchent à rendre compte du verbe ÊTRE, la formalisation de la relation de partie à tout (distincte naturellement de l'inclusion), la notion de classe collective qui contraste avec celle usuelle de classe distributive, l'attitude épistémologique même de Lesniewski en face des systèmes formels - tout cela nous a paru fondamental pour les sciences humaines. Nous avons ainsi visé à introduire le lecteur dans quelques domaines que nous espérons utiles à ses propres travaux, mais à l'introduire seulement. Cela signifie que ce Fascicule III ne se présente pas exactement comme les deux premiers. Nous avons cherché à faire connaître l'existence de certaines logiques, à présenter la façon d'aborder les questions sans prétendre écrire un « manuel » au sens courant du terme. Il s'en suit plusieurs conséquences. 1. Nous n'avons pas toujours suivi le mode de présentation des auteurs dont nous traitons, non plus que toutes leurs techniques. Mais, dans les cas où notre formulation d'un système logique s'écarte de la formulation originale, elle peut être démontrée équivalente. 2. Les cinq parties, si elles ne sont pas conceptuellement toutes indépendantes, peuvent néanmoins se lire indépendamment les unes des autres. 3. Comme certains problèmes ont connu peu de développements depuis qu'ils ont été formulés, il nous est arrivé de faire usage de textes déjà anciens - ce qui ne signifie donc pas dépassés. 4. La bibliographie, placée à la fin de chacune des parties, n'est évidemment qu'indicative et n'est pas homogène. Cela signifie qu'il nous arrive de citer aussi bien un mémoire original qu'un traité. Ceci découle de ce que nous voulions à la fois citer nos sources et permettre au lecteur de compléter son information. Notons encore que dans chaque chapitre nous avons signalé par un astérique un ouvrage qui contient une riche bibliographie. 5. Selon les cas, nous avons fait usage aussi bien de la déduction naturelle, que des tables de vérité et de la méthode axiomatique. Nous avons simplement visé à utiliser la présentation la plus éclairante et la plus commode. Ajoutons enfin que la lecture de ce fascicule présuppose une certaine familiarité avec les deux premiers auxquels nous renvoyons par les indications (/, p. η), (II, p. n). Les autres renvois sont internes.
PREMIÈRE
PARTIE
L'IMPLICATION
1.1 Le problème de l'implication Le calcul des propositions contient un opérateur que nous avons noté , lu «si ... alors», qui peut être défini par la table de vérité ci-contre et (I, p. 53 et 52). (II, p. 7) ou introduit et éliminé par les règles Ρ 1 1 0 0 1 0 1 0 Q P^Q
1 0
1
1
A partir de cet opérateur nous avons introduit une relation, notée -> et dite relation d'implication logique, en posant (I, p. 26; II, p. 11): P-* Q· = df - l · ? Q En d'autres termes, nous avons posé que « Ρ implique Q » si et seulement si la proposition « si Ρ alors Q » est une tautologie ou, ce qui revient au même (II, p. 35 et 36), un théorème. Le problème qui se pose maintenant est. de savoir si cette notion d'implication est suffisante pour recouvrir un usage normal. Notons tout de suite qu'il s'agit-là d'une question nécessairement peu précise, dans la mesure où la notion d'usage normal est très mal déterminée. Il semble cependant que l'on puisse se donner au moins une exigence minimale. Si Ρ implique Q, il doit être possible de déduire Q de P. Dans ces conditions, la définition de -»· paraît convenable. En effet, Ρ -* Q signifie I-P Q, expression qui résulte de Ρ h Q par => i. Or, la notation Ρ l· Q signifie tout justement que Q est déductible de Ρ par les règles de la logique des propositions. C'est ainsi, par exemple, que l'on peut écrire : • q λ ρ ouhp λ q q λ ρ ou ρ λ q\- q λ ρ {\, p. 19). ρ λ q
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L 'implication
Ceci n'empêche pas que certains théorèmes, une fois interprétés, peuvent être ressentis comme paradoxaux, c'est-à-dire comme s'accordant assez mal avec l'idée intuitive que l'on se fait de l'implication. Tel est en particulier le cas des théorèmes formés à partir des schémas : (1) \-P = (Q 3 P) (2) h = > ( / > = » β ) Illustrons la chose par l'exemple fameux de Lewis-Langford (1959, p. 242 sq). Posons: Ρ = df le vinaigre est acide Q = df certains hommes portent la barbe En substituant dans (1) on a: «le vinaigre est acide» implique «si certains hommes portent la barbe alors le vinaigre est acide». Comme il se trouve que Ρ est une proposition vraie, la règle =>e conduit à considérer comme vraie la proposition Q => P: «si certains hommes portent la barbe, alors le vinaigre est acide». Certes, la proposition Q => P n'est pas une implication au sens de ->, puisqu'elle n'est pas un théorème logique. Mais, parce que vraie, elle marque bien aussi une certains relation du genre implication entre Q et P, relation qui s'exprime précisément par «si...alors». Appelons cette relation / et posons en conséquence: PIQ • = df · val (P z> Q) = 1 Pour éviter toute confusion, appelons I Yimplication de fait. On voit alors facilement que l'aspect paradoxal résulte de l'absence de liaison sémantique entre les barbus et l'acidité du vinaigre. En effet, si nous avions posé par exemple: Q' = df le vinaigre fait virer au rouge la teinture de tournesol le même raisonnement appliqué à (1) aurait donné: «faire virer au rouge » implique de fait « être acide ». Sans être /Chimiste, on peut penser qu'il est en effet possible de déduire l'acidité à partir du changement de couleur de la teinture en question et le sentiment de paradoxe disparaît. Remarque. Des considérations analogues s'appliquent aux formes paradoxales (2). L'implication de fait I paraît offrir ainsi des difficultés dues à l'absence possible de liens entre l'antécédent et le conséquent, difficultés que n'offrirait pas l'implication -»·. Comment expliquer la chose? Considérons d'une façon générale la proposition P => Q. Le signe 3 est un opérateur - nous venons d'en rappeler la table - et la proposition conditionnelle est tantôt vraie, tantôt fausse. Toutefois, sitôt que
L
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'implication
dans un discours on énonce la proposition « si Ρ alors Q », on l'assume comme vraie (à tort ou à raison, peu importe). Cela signifie que l'on énonce la relation ΡI Q. Si, à ce moment là, on ne sait rien de plus sur la valeur de P, il est impossible de déduire Q de P. Il peut se faire en effet, que Q soit vraie (l r e et 3e colonnes) ou que Q soit fausse (4e colonne). Donc, en présence d'une implication de fait I, la déduction n'est
possible
qu'à
l'aide
de la prémisse
supplémentaire
: val ( P ) =
1,
au
contraire de ce qui se passe pour l'implication ->. La chose tient à ce que Ρ Q, soit h P => Q exprime une tautologie et que, en conséquence, soit Ρ est une contradiction, soit Q est une tautologie, soit l'antécédent Ρ et le conséquent Q contiennent au moins une proposition atomique commune. Exemples ρ
->
ρ, ρ
Λ
q • -> q,
~p
ν
q •
·ρ
=> q, ρ
· q ^ ρ,
~p
-* • ρ
Z>
q
Il s'ensuit deux conséquences. L'une c'est que Ρ Q entraîne ΡI Q, donc que est plus exigeante ou plus stricte que / et l'autre que -»• sera moins sujette à des cas paradoxaux que I.
1.2 L'implication stricte de Lewis et Langford Tout ce que nous avons dit de l'a été dans la métalangue du calcul classique des propositions, que nous désignerons désormais par la lettre if. Dans les expressions suivantes les signes —*• et I- n'appartiennent, en effet, pas à : Ρ -» Q Ρ implique Q hp ν ~p «ρ ν ~p » est une tautologie Mais rien n'empêche de construire un calcul plus riche (nommons-le S£) qui permette d'exprimer de tels faits. C'est en particulier ce qu'on trouve dans Lewis (1918) et dans Lewis-Langford (1932). Il est possible de raisonner de la façon suivante. 1 Tout calcul logique des propositions se construit à l'aide de variables propositionnelles et de certains opérateurs. Nous avons ici besoin d'au moins un nouvel opérateur qui ne saurait donc être l'un des 16 de ^ (II, p. 14). Comme ceux-ci épuisent la combinatoire des valeurs de vérité
1. Je ne suis pas la présentation des auteurs et même je présente un calcul plus fort que le système original qui était S, (cf. Deuxième partie).
L'implication
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1 et 0, le système ne pourra être extensionnel au sens où nous l'avons dit de V (II, p. 4, 7 et 41). Nous cherchons à rendre compte de l'idée de tautologie. Or, si une proposition est tautologique, c'est qu'elle épuise tous les cas possibles, c'est en d'autres termes, qu'elle est nécessaire. Introduisons donc un opérateur noté • , et tel que • P puisse se lire Ρ est nécessaire, Ρ est une tautologie, Ρ est un théorème de rig. Dans ces conditions, si on avait à propos de Ρ Q ou \-P => Q, on aura dans ££ : •(/> => Q ) . Posons enfin: Df< Ρ < Q - = d f - D ( P = Q) Si l'on adopte le point de vue de la déduction naturelle (Fascicule I), le problème revient à se donner une règle convenable pour éliminer • et une pour l'introduire. L'élimination de • ne fait aucune difficulté. Si, en effet, on a D P , cela signifie que Ρ est nécessaire parce que tautologique. Or si Ρ est « toujours vraie », elle est vraie et nous poserons sans plus : Règle D e
DP Ρ
η, Uè
On aura déjà les schémas de théorèmes suivants :
Ά I-AP
En effet : I
Ρ
hyp
Q (Ρ Q. Il suffit alors de procéder comme en (β), (oc) Ρ hyp 1
η η + 1
Ρ => Q i)
η η + 1 η + 2 η + 3
•
n,=>i
hyp Preuve (a) = Q Q)
Ρ
1 -
i 1 - (n + 1), • / η + 2, rep df