L'Islam dans l'espace nigérien: Des origines (VIIè siècle) à 1960. Tome 1 2296099823, 9782296099821

L'histoire de l'Islam au Soudan constitue de nos jours un facteur incontournable pour la compréhension des com

273 133 13MB

French Pages 320 [305] Year 2009

Report DMCA / Copyright

DOWNLOAD PDF FILE

Recommend Papers

L'Islam dans l'espace nigérien: Des origines (VIIè siècle) à 1960. Tome 1
 2296099823, 9782296099821

  • 1 1 0
  • Like this paper and download? You can publish your own PDF file online for free in a few minutes! Sign Up
File loading please wait...
Citation preview

L'ISLA~1 DANS L'ESPACE

NIGÉRIEN

Du même autcur

L'iJ!am dam !'eJpace nigérien. De 1960 aux annéeJ 2000 (tome 2), Éditions L'Harmattan, 2009.

@ L'Harmattan,

2009 5-7, rue de l'Ecole polytechnique; 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com [email protected] harmattan [email protected]

ISBN: 978-2-296-09982-1 EAN : 9782296099821

Maïkoréma

ZAKARI

L'ISLAM DANS L'ESPACE NIGÉRIEN Des origines (VIle siècle) à 1960

Tome 1

L'Harmattan

Etudes Africaines Collection dirigée par Denis Pryen et François Manga Akoa

Dernières parutions

Pierre BAMONY, Des pouvoirs réels du sorcier africain, 2009. Motaze AKAM, Une microsociologie du terrain, 2009. Joseph BOUZOUNGOULA, Emploi, entrepreneurs et entreprise au Congo-Brazzaville, 2009.

José P. Castiano, Severino E. Ngoenha et Gerald Berthoud, Histoire de l'Education au }vfozambique de la période coloniale à nos jours, 2009. Fweley DIANGITUKW A, Les grandes puissances et le pétrole africain. Etats-Unis-Chine: une compétition larvée pour l 'hégémonie planétaire, 2009. Fabienne LE HOUEROU, Darfour, le silence de l'araignée, 2009. Bernard PUEPI, Chroniques des pratiques politiques au Cameroun,2009. Séraphin MABANZA, Le Congo sous l'ère de la Nouvelle E~pérance,

2009.

Paterne Y. MAMBO, Droit et ville en Afrique noire francophone. Études de la décentralisation des compétences d'urbanisme dans la République ivoirienne, 2009. Sindani KIANGU, Le Kwi/u à l'épreuve du pluralisme identitaire, 2009. Jean-Bernard OUEDRAOGO et Habibou FOFANA (dir), Travail et société au Burkina Faso, 2009. Alexis GABOU, La constitution en République démocratique du Congo, 2009. Jean-Alexis MFOUTOU, Le français et les langues endogènes au Congo-Brazzaville, 2009. Andréa BEFFAY-DEGlLA, Le Champ du sacré au Bénin. Pensée animiste, pensée vôdun, 2009. Jean-Alexis MFOUTOU, La Langue de la sorcellerie au Congo-Brazzaville,2009. Ngimbi KALUMVUEZIKO, Congo-Zaïre. Le destin tragique d'une nation, 2009. Malick DIENG, Politique sénégalaise de protection sociale de l'enfance,2009.

Dédicaces

A

la mémoire de mon père, Malam

A

la mémoire de mon beau-père,Al Hqjj Badéri MAHAMANE

Zakari lvl0USSA

A mon épouse, Haj;ïa Zeinabou BADÉRI

dit iVlandé

Notation

phonétique

Le c se prononce

tch

Le g est toujours

dur comme dans langue

Le s ne prend jamais la forme de z Le u se prononce

ou.

Remerciements Plusieurs personnes physiques et morales ont contribué à la réalisation de ce travail. Il serait difficile de les lister ici sans risque d'oublis. A tous, nous disons merci. Nous remercions

tout particulièrement:

- le

Professeur émérite Jean-Louis TRIAUD de l'Université d'Aix-enProvence dont les multiples commentaires et observations ont amplement contribué aux mérites de ce travail ;

- tous

ces hommes de religion, ainsi que d'autres informateurs, qui ont bien voulu consacrer une partie de leur précieux temps pour nous transmettre leurs témoignages sur l'histoire de l'islam dans l'espace nigérien;

- toutes

les personnes qui nous ont vivement encouragé et soutenu dans cette entreprise en n'hésitant pas, pour certains, à mettre à notre disposition des documents écrits et sonores en leur possession relatifs à notre sujet;

- Monsieur

Yansambou, Directeur du Service des Archives Nationales du Niger et certains agents de ce service qui nous ont assisté avec beaucoup de sollicitude dans le travail de dépouillement des archives;

- l'Institut

de Recherches en Sciences Humaines, la Faculté des Lettres et Sciences Humaines, la Faculté des Sciences, l'Ecole Normale Supérieure et le Rectorat de l'Université Abdou Moumouni de Niamey, pour leurs multiples appuis matériels et financiers qui nous ont permis de mener à bien les travaux de terrain;

- mon

épouse et mes enfants pour leur compréhension et leur soutien moral au cours de la lutte pour l'accomplissement de ce travail qui m'a conduit parfois loin d'eux, les privant ainsi, momentanément, de mon affection;

- Monsieur

Umaru Ali dit « Dan Fulani», chauffeur à l'Ecole Normale Supérieure qui nous a régulièrement et agréablement conduit au cours de nos missions de recherche.

A toutes ces personnes, ainsi qu'à bien d'autres ici, nous disons que ce travail est aussi le leur. La publication de ce travail a été possible l'université Abdou Moumouni de Niamey sincères remerciements.

que nous n'avons

pu citer

grâce au soutien financier de à laquelle nous réitérons nos

Préface On parle peu du Niger en France et dans le monde. On le confond parfois, notamment dans les pays anglophones, avec son puissant voisin du sud, le Nigeria, six fois plus peuplé que lui. Les Nigériens ont pourtant une forte personnalité, forgée au fù des siècles, aux confms du Sahara et du Sahel. Il est vrai que le Niger, tel qu'il existe aujourd'hui, est une création du partage colonial, mais il y avait là, de longue date, un carrefour de communication fort actif, d'abord entre des terroirs aux identités bien enracinées, à la périphérie des grandes hégémonies politiques de l'histoire - Songhay, Kanem-Bornou, Etats hausa, mais aussi, et surtout, dans le commerce à longue distance, que ce soit entre le nord de l'Afrique (1-1aghreb et Egypte) et ce que les géographes appelaient, au XIxème siècle, le Soudan central, ou que ce le long rythme armes ivoire,

soit, dans le sens ouest-est, entre la boucle du Niger et le lac Tchad, de l'un des axes du pèlerinage vers La Mecque. Nous sommes là au des caravanes sahariennes et sahéliennes. Chevaux, produits finis, et livres, sel saharien descendaient du nord, mil, natron, esclaves, plumes d'autruche remontaient, selon les époques, dans l'autre sens.

C'est un passé de plus de dix siècles qu'il faut ainsi considérer. L'islam faisait aussi partie des « bagages », si l'on nous permet l'expression. Ce sont les commerçants arabo-berbères qui l'acclimatèrent en pays sahéliens, et cela dès le Xlème siècle de notre ère, comme en témoignent les séries épigraphiques relevées et publiées récemment par P.F. de Moraes Farias pour une zone culturellement très proche du Niger actuel, qui est celle du Mali oriental (Adrar des Ifoghas et vallée du fleuve Niger, en amont de Gao, et à Gao même). C'est ce vaste périmètre d'échanges que le Dr Maikoréma Zakari, pour éviter tout risque d'anachronisme, et aussi pour lui donner une dimension géopolitique, a qualifié d'espace nigérien, bien que le fleuve Niger ne soit, en vérité, que sa façade occidentale. Mais la formule est heureuse en ce qu'elle permet de déborder le fixisme des frontières contemporaines tout en soulignant les continuités entre l'espace des temps anciens, plus large, et l'actuelle République du Niger. A l'époque coloniale, le Niger, immense territoire difficile à encadrer (1 267 000 km2), pauvre en cultures de rendement, fut plutôt négligé. Son taux d'alphabétisation à la veille de l'indépendance comptait parmi les plus faibles des territoires de l'Afrique occidentale française. Ce n'était pas une colonie du premier rang. Après son indépendance, ce pays discret sur la scène internationale, d'abord client de la diplomatie française, commença à jouer un rôle qui lui était propre. C'est que, au regard de son environnement, le Niger est apparu comme un lieu stratégique majeur et politiquement rassurant, en dépit de coups d'Etat occasionnels, mais peu - 13 -

L'Islam dans l'espace nigérien: Des origines (VIfème siècle) à 1960

spectaculaires. Situé au contact de l'Algérie, de la Libye, du Tchad et du Nigeria, pays sensibles s'il en est, le Niger fait désormais l'objet de multiples marques d'intérêt de la part des principaux acteurs africains et internationaux. C'est aussi un pays désertique ou aride sur la majeure partie de son territoire, toujours exposé aux aléas climatiques et aux crises de sècheresse, donc à la recherche de partenariats, d'investissements et de solidarité internationale. L'islam au Niger n'a, le plus souvent, pas davantage retenu l'attention. Lorsqu'il est question d'islam au sud du Sahara, on pense plutôt au Sénégal, terrain de prédilection de la plupart des chercheurs en ce domaine. On pense encore au Nigeria, le géant démographique de l'Afrique, dont le nord a été le siège d'un important mouvement de Jïhâd au XIxème siècle ~e califat de Sokoto), et où la revendication de la sharî'a a récemment ému les opinions occidentales, ou bien à la république du Soudan, et maintenant aussi, grâce au travail récent de Marie Miran, à la Côte d'Ivoire. Mais qui parle de l'islam nigérien? C'est, à certains égards, un oublié de la recherche, même si de multiples travaux, plus ponctuels ou localisés, fournissent déjà une solide base documentaire. Il y manquait surtout une synthèse, une vision panoramique, celle qu'apporte précisément cet ouvrage. Le professeur Djibo Hamani a ouvert la voie, en publiant, en 2007, l'Islam au Soudan central. Hixtoire de l'Islam au Niger du VIlli" at! XIxme siècle, longuement mûri puisqu'une première version à diffusion restreinte avait circulé dès 1981. Djibo Hamani s'attache au processus d'islamisation du pays et replace le Niger au sein du monde musulman, du dâr al-ixlam. Aujourd'hui, le Dr Maikoréma Zakari, autre universitaire nigérien de cette université Abdou Moumouni de Niamey, qui est une pépinière d'historiens de qualité, nous livre ce nouvel ouvrage, issu d'une récente thèse de doctorat d'Etat. Il contribue, à son tour, à ce rattrapage nécessaire de nos connaissances. Le Dr Maikoréma assume aussi un rôle essentiel dans la conservation de ce patrimoine car, comme il le souligne, les hommes de religions nigériens, qu'il a longuement consultés, connaissent mal leur propre histoire collective, sinon de façon très parcellaire, dans les limites de leur propre généalogie familiale et scolastique. Ce livre en deux tomes est une véritable somme où le sens de la longue durée s'accompagne d'une attention au moindre détail. L'ampleur des dépouillements d'archives et des recherches bibliographiques, à quoi s'ajoutent nombre d'enquêtes orales étalées sur plus de dix ans, font de ce travail quasi-encyclopédique une véritable mine. On y trouvera même, par exemple, quelques pages, bien informées et iréniques, sur les relations entre l'islam et le petit christianisme nigérien. Le lecteur désireux de belles périodes et de solides structures pourra suivre avec profit le texte principal - 14-

L'Islam dans l'espace nigérien: Des origines (VIfème siècle) à 1960

dans sa continuité. Le chercheur plus spécialisé s'attardera sur les sources infra-paginales, exceptionnellement riches et documentées. Ce livre, qui servira désormais d'ouvrage de référence, vient à son heure. C'est d'ailleurs aussi la fonction de la recherche historique que de répondre aux interrogations du moment. En une génération, en effet, une véritable révolution culturelle s'est produite au Niger. Dans ce pays, dont l'islamisation de masse est [malement relativement récente, même si les premiers contacts furent très anciens, l'islam a envahi tout l'espace public. Cette révolution, survenue en fin de xxème siècle, mérite donc une attention toute particulière. Le Dr Maikoréma montre qu'il existe un véritable modèle nigérien, fort différent de ce que l'on observe, par exemple, au Sénégal. Sans être absent, l'islam confrérique n'occupe pas, dans ce pays, une place majoritaire, ni, pourrait-on dire, statutaire et fonctionnelle comme au Sénégal. Il n'y a pas ici de « grands marabouts» de la même stature que ceux du Sénégal, ou même du Nigeria. Les courants en présence sont d'une autre nature. Il existe, tout d'abord, notamment dans les campagnes, un réseau islamique ancien, structuré autour de familles de lettrés qui assurent les fonctions d'imams et d'enseignants. Ce réseau « traditionnel» a été battu en brèche par des nouveaux venus, ceux du mouvement fondamentaliste Izala, né au nord-Nigeria. Les mêmes combattent aussi vigoureusement, au nom de leur conception littéraliste de l'orthodoxie, la confrérie soufie Tijaniyya, dont la zaouÏa principale se trouve à Kiota, à 125 kilomètres au sud-est de Niamey. Il y a d'ailleurs une cinquantaine de pages, très originales et novatrices, plus particulièrement consacrées à l'histoire, jusqu'ici mal connue, de la Tijaniyya au Niger. Entre ces trois principales composantes de l'islam nigérien, un débat constant a lieu autour de la lecture et de l'interprétation des textes canoniques. Ce débat islamique fait partie de la vie quotidienne. Autre caractéristique de ce modèle nigérien: la prolifération des associations islamiques - associations laïques, en ce sens qu'elles fonctionnent comme des associations de la société civile, sans être nécessairement dirigées par un professionnel de la religion. Il yen a une soixantaine, qui reflètent chacune, à leur manière, des courants internes à l'islam nigérien ou l'influence de personnalités, de milieux sociaux, ou de mécènes, et dont la compétition, et éventuellement la surenchère, entretiennent également les initiatives et le débat. La demande d'islam est générale et elle étonne ceux qui, comme moi, ont vécu au Niger il y a trente ans. La société civile se reconnaît plus volontiers dans ces associations islamiques que dans les partis politiques, qui sont souvent des états-majors sans troupes.

- 15 -

L 1slam dans l'espaœ nigérien: Des origines (VIJèltlésiècle) à 1960

Que s'est-il donc passé? Il y a certes une conjoncture internationale qui, depuis les années 1980, se caractérise, sur tous les continents, et selon des modalités variées, par un retour du religieux - notamment, en ce qui concerne le monde musulman, à partir de la révolution islamique iranienne de 1979. Mais il va aussi de forts déterminants locaux. V oici un pays où l'appartenance à l'islam ne remonte pas à plus de quelques générations, du moins dans certaines zones, et qui se reconnaît aujourd'hui massivement dans cette appartenance. Même si Oqba b. Nafi', le conquérant arabe de l'Afrique du Nord, a fait une brève incursion dans le nord-est nigérien dès 666 de notre ère, l'islamité quasi-générale du Niger ne s'est vraiment imposée qu'à une époque tardive, parfois à l'époque coloniale dans quelques régions. Cette progression lente dans la longue durée culmine dans cette réafftrmation insistante actuelle de l'identité islamique dans l'espace public nigérien. Le besoin d'une grande histoire nationale trouve, en effet, sa réponse dans ce recours à l'islam. Il s'agit d'un pays dont l'identité proprement nationale remonte à un découpage colonial récent. Le Niger fut une marche de l'empire colonial français: territoire militaire autonome, dans un ensemble plus vaste avec le Mali actuel, en 1905, Territoire militaire du Niger distinct en 1911, Colonie du Niger en 1922. Tout cela fait à peine un siècle, dont 17 ans de régime militaire colonial. Il y a là une sorte de faiblesse symbolique, à laquelle il convient d'ajouter des considérations plus matérielles. La faible puissance démographique du Niger (12 millions 500000 habitants - bien que sa population actuelle soit six fois celle des années 1950), ses ressources naturelles médiocres avant l'uranium, son enclavement dû à l'éloignement de la côte, ont composé un territoire insuffisamment doté. Pour sortir de cet isolement, les différents régimes nigériens ont cherché de nouveaux partenaires. Ils ont ainsi obtenu leur intégration à part entière dans l'Organisation de la Conférence Islamique. Cette diplomatie pro-arabe était aussi une alternative à la tutelle française et une manière de rétablir les liens anciens avec le monde musulman. Là encore, l'islam était «dans les bagages », avec les constructions de mosquées et les flux intellectuels et économiques qui s'en sont suivis. Après un régime militaire très pesant, celui de Seyni Kountché (1974-1987), la Conférence Nationale Souveraine, tenue en 1991, va représenter un moment d'accélération majeur. L'Etat nigérien est désormais victime des instructions de la Banque Mondiale et du FMI (privatisation de la santé et de l'éducation). Il est aussi frappé, à partir de 1994, par la dévaluation de moitié du franc CFA et par l'effondrement des cours mondiaux de l'uranium. Contrairement à l'époque de la dictature militaire, l'Etat nigérien n'a plus d'argent. La Conférence Nationale débouche sur une impasse, avec - 16 -

L Islam dans l'espace nigérien: Des origines (VIJèrnesiècle) à 1960

la multiplication inconsidérée de partis politiques pour la plupart impuissants, rapidement réduits au silence ou à la portion congrue par de nouveaux coups d'Etat militaires. Du moins, l'expression démocratique estelle devenue un acquis. C'est dans le domaine islamique, mais aussi dans celui de la presse et des radios, que la chape de plomb s'est brisée le plus nettement et que le pluralisme s'est exercé avec succès. De nombreux Nigériens se sont engouffrés dans ce nouvel espace disponible. Le monopole de l'Association islamique du Niger, organisation officielle, a été balayé. Une soixantaine d'associations islamiques ont fInalement été reconnues. Cette percée s'est accompagnée d'une réislamisation culturelle des institutions et des élites politiques qui vont alors tenter de combiner la laïcité constitutionnelle avec cette vague de fond islamique - renforcée, sinon mise en route, par l'affaiblissement du rôle social de l'Etat. La nouvelle Constitution, celle de 1992, née des débats de la Conférence Nationale, a remplacé le mot diabolisé de laïcité par les termes jugés équivalents, mais moins connotés par le modèle français, de «séparation de l'Etat et de la religion» et de «caractère non-confessionnel de l'Etat du Niger ». Le mouvement islamique contemporain est donc, paradoxalement pour un laïque occidental, la manifestation la plus tangible et la plus durable de la révolution démocratique de 1991. Reste une dernière question. Pourquoi le radicalisme islamique, si fortement présent, comme on le sait, au nord-Nigeria, sans parler de l'autre voisin algérien, a-t-il si peu débordé au Niger, alors que la frontière, au moins avec le Nigeria, est extraordinairement poreuse? C'est l'occasion de rappeler, tout d'abord, à quel point la demande sociale et médiatique exige des chercheurs travaillant sur l'islam contemporain des réponses immédiates à des questions, aussi simples que simplistes, sur les dangers présents et à venir de l'islam en tous points, en tous lieux. La distinction manichéenne entre un « islam modéré» et un «islam radical» réduit en outre le champ d'études et de compréhension, en gommant des combinaisons plus complexes et des évolutions dans le temps. Ce dont il est question ici, à travers les associations islamiques et les formes de réislamisation de la vie sociale moderne, c'est de la forte présence d'islam dans l'espace public, selon un processus légal et endogène, quels que soient les liens des institutions, des groupes et des individus avec le monde araboislamique et le «global» par ailleurs. Ce phénomène ne date pas de plus d'une génération, et c'est ce phénomène là, ce modèle nigérien, dont rend compte, dans son second tome, cet ouvrage. Faut-il en conclure que cet islam est « radical» ou « modéré» ? Il n'y a pas de véritable réponse à une question posée de cette manière, et sur le court terme. Disons que la - 17 -

L'Islam dans l'espace nigérien: Des origines (f/IIème siècle) à 1960

conquête du pouvoir, au nom d'une lecture politique et révolutionnaire de l'islam, n'est pas actuellement à l'ordre du jour. L'une des leçons de ce modèle nigérien, c'est précisément qu'il peut exister un puissant mouvement de réislamisation de masse sans qu'il y ait surgissement concomitant d'un islam politique radical. Surgira-t-il dans l'avenir? L'Etat, malgré ses difficultés, reste le maître du jeu et il n'est personne, aujourd'hui, pour lui contester ce rôle. A une stratégie d'affrontement avec l'État, à laquelle aucune association n'est disposée ni préparée, les nouveaux leaders islamiques préfèrent l'occupation pacifique de la scène publique. Sans doute y a-t-il aussi dans la culture rurale, encore prépondérante, au Niger, une forte tradition de conservatisme qui s'oppose aux « aventures» et aux excès. D'aucuns peuvent estimer que la conquête des esprits est un prélude à la revendication du pouvoir, comme il est arrivé dans d'autres pays musulmans, mais toute projection théorique vers l'avenir reste éminemment conjecturale. Loin de la « laïcité» constitutionnelle des années 1960, le Niger a, en un peu plus d'une trentaine d'années, rétabli l'islam comme une composante essentielle de son héritage et de son identité officiels. Les démonstrations ostentatoires qui accompagnent ce mouvement de réislamisation, par exemple le port du voile par les femmes, représentent comme une seconde décolonisation: la demande d'islam, et celle de langue arabe classique, sont à la mesure des frustrations nées d'une occupation coloniale souvent brutale (qu'on pense à la « colonne infernale» Voulet-Chanoine en 1899 et au massacre des lettrés d'Agadès, réfugiés dans une mosquée, en 1917). Les profits de cette présence coloniale furent, au demeurant, assez limités et la version post-coloniale n'a pas davantage été vraiment gratifiante. Le fait, pour le peuple nigérien, d'avoir retrouvé, en l'islam, sa « langue culturelle », promue au rang d'idiome national, lui donne le sentiment de reprendre son identité et la maîtrise de son destin. En cela, cette présence générale de l'islam dans la cité est, d'abord, un instrument de construction nationale et de réparation d'une image souvent brouillée et bafouée. Pour mieux comprendre cette «longue marche» de l'identité religieuse nigérienne, il convient maintenant de s'en remettre à cet ouvrage savant de l'historien Maikoréma Zakari, qui n'a pas ménagé sa peine pour dépouiller avec minutie et attention les sources les plus diverses et proposer une reconstitution qui fera date et servira d'assise aux recherches futures.

Jean-Louis

- 18 -

Triaud

LIs/am

dans l'espace nigérien: Des origines (VIJèm' siècle) à 1960

L'espace nigérien

~

L'espace

1V\AC.HREI3

________.

,.

OC.pose le progmmme

politique

"Ojjeme

Usman

dan Fodio

«a exposé sans ((}mplaisance !e.r tares'

On petit les classer en ql/atre chapitres qui seraient intitl/léJ: "OppreJJion': au ((}de de l'Islam", En fait, le Kitâb ai-Farq c.rt till cahier de doléances ql/i

- réformiste

- qu'entend

réa/Ùer Uthmân

dan Fodio»

(Kane

0,

1976

: 22).

75Sur ces sujets et l'Histoire du califat de Sokoto d'une manière générale, voir tout particulièrcmcnt

le

travail très documcnté dc Murray Last, The Sokoto Caliphate,Longman, London, 1977 76 L'arrivée, dans la région dc Birnin Konni (Niger) des Toronkmva reconnus pour leur attachcment à l'Islam, remonterait au XVème siècle. A cette même époque, outre les Toronkawa, on notait la présence au Gobir et au Kabi d'autres groupcs pcul : les Sl/llebawact plusicurs autrcs dans de pasteurs peuL - 84 -

L'Islam dans l'espace nigérien: Des origines (VIJème siède) à 1960

des cours d'exégèse du Coran auprès de son oncle Ahmad b. Muhammad et d'un autre ulama, Hashim Bazamfaré, et s'initia aux Hadith auprès d'un autre oncle, Al Hajj Muhammad b. Raji. Au cours de son séjour d'une année à Agadès auprès de son maître Malam Jibril, il suivit également les enseignements de plusieurs autres savants de cette localité. En prenant la période du jihad comme repère, M.A. Al Hajj et M.A. Kani s'accordent à reconnaître trois grandes périodes dans la vie très active d'homme de religion menée par le Shaikh: une première période (17741804) marquée essentiellement par le travail intellectuel (prêches, enseignements, écrits), une seconde (1804-1810) qui constitue le temps des affrontements armés, celui du jihad proprement dit, et une troisième (18101817), consacrée à l'édification de l'Etat islamique (Hamani, 1988 : 108). S'agissant de sa carrière de prédicateur, elle aurait débuté précocement, en 1774, à l'âge de 20 ans, pendant qu'il était en plein apprentissage. C'est ainsi que de 1774 à 1789, on voit le Shaikh Usman dan Fodio sillonner le Gobir, le Zamfara, l'Adar, le Gurma, le Kabi et le Daura, où il enseigne et prêche en plusieurs langues (Arabe, Hausa, Tamashaq...) ; il dénonce à l'occasion l'incompétence des ulama plus enclins à un certain « conservatisme en matière d'interprétation de l'Islam », le charlatanisme pratiqué par certains d'eux, l'insuffisance, voire le « manque d'éducation religieusedu peuple» (ibid: 107). Au cours de cette période, le Shaikh a beaucoup écrit contre ceux qu'il dénonce: « Muhammad Bello rapporte que son père écrilJitplus d'une cinquantaine d'ouvrages pour soutenir son combat contre ces ulama alors sipuissants dans lepqys Hausa » (ibid: 107). C'est pourquoi les premiers écrits du Shaikh étaient essentiellement à caractère didactique: faire comprendre aux musulmans de son pays, les fondements de leur religion. Parmi les ouvrages écrits sur ce plan on peut citer: « Usul ai-din» ou les fondements de l'Islam, « Nasibat al-umma alMuhammadfyya» qui est une contribution à un débat sur croyance et incroyance qui avait cours en pays Hausa, « Bqyan al-Bid'a a-shqytanryya allati ahdathaha al naH fi abwa ai-milia al-Muhammad/lya» où le Shaikh aborde la question des « innovations sataniques» ayant cours dans la umma islamique, « Wathiqat al-Ikhwan» où certaines pratiques (magie, sorcellerie) sont condamnées, et « I~ya' al-sunna wa ikhamad al-bid'a », classé parmi les principaux écrits du Shaikh, où la question de la nécessité de revivre la tradition prophétique et de supprimer les innovations blâmables est largement traitée. En définitive, les travaux écrits du Shaikh qu'il serait long de lister ici, ont porté sur divers domaines: religieux, politique, social,

- 85 -

L Ys/am dans i'ejpace nigérien: Des o~gines (VIfème .riède) à 1960

économique. A ce jour, plus d'une centaine l'auteur, sont identifiés (ibid: 108)ï7.

de titres d'ouvrages

dont il est

78

rend le Shaikh La pertinence de ses prêches et de ses différents écrits populaire et un monde de plus en plus important de fidèles commence à l'entourer dans son village de Degel (Gobir). Bien évidemment, cette situation n'est pas sans susciter la méfiance et l'hostilité, à l'égard d'Usman dan Fodio, du souverain du pays hôte: Yunfa, le roi du Gobir79. Pour se mettre à l'abri des menaces de celui-ci, Usman dan Fodio quitte Degel en 1804 et va installer sa communauté à Gudu, près de la frontière du Gobir, dans la région de Birnin Konni: c'est la «hijra» ~'hégire) d'Usman dan Fodio. C'est là, à Gudu qu'il écrivit sa « Wathiqat ahl-al-Sudan lva Jha Allah min aUkhwan » qui est un appel lancé aux musulmans pour faire le jihad: au point XII de cet écrit, il est notifié que «faire la guerre à un roipaïen qui ne dira paJ (( la ilaha dai-Allah )) eJt obligatoire Jelon l'ijma et prendre le pouvoir deJ maim de ce roi eJt obligatoire» (Bivar A. D. 1961 : 234). Ses partisans le proclament « Amir-al-Mu 'minin» ou « S arkin MUJulmi» en langue hausa. Quatre années plus tard, en 1808, après avoir conquis les Etats de Katsina, Kano, Bauchi et 77Pour avoir une idée complète de la production littéraire des « Fodiawa}) 0es membres de la famille d'Usman dan l'odio), il faut ajouter aux écrits du Shaikh ceux de son jeune frère Abdullahi dan Fodio, de son fils Muhammad Bello et de ses filles: Khadija 0'ainée) et surtout, Nana Asma'u que Jean Boyd, en sous-titre de l'ouvrage qu'il lui a consacré, qualifie «d'enseignante,depoète et de leaderislamiqu/!!> (Boyd J. 1989). Les FodiaJJJaécrivaient en au moins trois langues: l'arabe, le fulfuldé et le hausa. Les ouvrages rédigés en arabe étaient destinés à un public restreint maîtrisant l'arabe classique. Quant à ceux rédigés dans les deux autres langues, ils étaient conçus dans un but de vulgarisation: expliquer à un public plus large ignorant l'arabe des notions de droit, de théologie, d'eschatologie de l'Islam. On trouvera une liste partielle, mais déjà considérable numéricluement parlant, des écrits de Shaikh Usman dan POLho, de son fils Muhammad Bello, dans la partie annexe de l'ouvrage de Murray Last, 1977. Voir aussi à ce sujet (Hiskett M, 1975) et (lTunwick J, 1995). lTamani, 1988, donne aussi une sélection des principaux ouvrages à caractère didactique que le Shaikh a rédigés: ouvrages dans les quels, il fait « un exposé des fOndements de la religion lJtusubJtane telle que les fidèles devraient les compreudre et les

Stlivm>(Hamani D, 1988: 108). 78 Dans son travail de prédication Shaikh Usman dan Fodio adopte une méthode plus souple que celle de son maitre Jibril: en bon pédagogue et psychologue, il se garde bien de condamner fermement les pêcheurs, mais au contraire de les conduire par un travail de persuasion patiemment mené, sur la bonne voie, celle de l'Islam (Baldi S, in Piga A, éd. 2003 : 235). 79 A la fin du XYIIIèmc siècle, lorsque Usman dan Fodio menait son intense activité religieuse, \c royaume du Gobir était épuisé suite à son excès de bellicisme qui le conduisit à essuyer plusimrs défaites face à ses voisins: lesTuareg de l'Aïr en 1771, le Katsina en 1789 et 1796, entre autres. Les sarakuna du Gobir n'arrivaient plus à assurer une stabilité interne permanente de \cur royaume. C'est ainsi que le Sarkin Gobir Bawa Jangworzo (1771-89), sans doute dans l'incapacité de contraindre [Jsman dan Fodio (qu'il avait nommé précepteur royal en 1780, eharge qui lui permettait d'être bien renseigné sur \cs intrigues de la cour, ainsi que les traitements que les souverains du Gobir faisaient subir à leurs administrés), à cesser ses prêches qui ne sont pas sans lui poser problème, tenta vainement de le corrompre en lui proposant 500 mithkals d'or en 1788 à Magani. Le Shaikh refusa et continua d'appeler les gens à j'Islam. Ses successeurs, les sarakzma (sing. Sarkt) Yakuba (1789-96), Bunu Nafata (1797-1802) et Muhammad Yunfa, cherchèrent vainement à briser le mouvement (Mahaman, 1999 : 7). La situation interne des autres Etats Hausa n'était pas reluisante non plus. - 86 -

L'Islam dans l'espace nigérien: Des origines (VIlèllle siècle) à 1960

occupé une bonne partie des royaumes de Daura, de Zazzau (Zaria) et du Kabi, les hommes du Sarkin Musulmi, s'emparent d'Alkalawa, la capitale du Gobir. A ces premières conquêtes s'ajoutent, entre 1808 et 1810, celles de l'Adamawa, du Nupé et de l'Oyo. Cette action, ainsi que nous le disions plus haut, eut des répercussions non négligeables sur plusieurs plans dans une grande partie du Sudan central. Ainsi, sur le plan politique, on assista à l'émergence d'une vaste entité politique, le califat de Sokot080, regroupant une trentaine d'Emirats jouissant chacun d'une large autonomie même si, il est vrai, une certaine suprématie de Sokoto s'exerçait sur chaque émirat à travers notamment la gestion de la question d'investiture, le paiement de tributs annuels ou bisannuels, l'observance de la Shari'a et l'aide mutuelle à apporter en cas de guerre. Sur le plan social, dans le cadre du jihad qui fut un mouvement transethnique, la division sociale se fit surtout sur une base purement idéologique: entre musulmans et non musulmans, jetant par là même les bases d'une véritable communauté des croyants. Par ailleurs, le jihad suscita aussi l'avènement d'une nouvelle couche dirigeante constituée essentiellement d'hommes de religion dont la légitimité du pouvoir reposait uniquement sur leur piété et leur savoir religieux. Le jihad consacrait ainsi le triomphe de l'islam et des hommes de religion sur les anciennes autorités politiques. Dorénavant, dans cette partie du Sudan Central (pays hausa et environs), toute autorité politique qui tenait à son maintien ou à son renforcement ne pouvait passer sous silence les questions islamiques dont la gestion échappait d'ailleurs de plus en plus aux souverains locaux pour devenir l'apanage des seuls ulamas. Mais reconnaître cela ne veut aucunement dire que la fondation du califat de Sokoto à elle seule consacrait une victoire totale et définitive des principes islamiques. S'il est vrai qu'avec l'apparition du califat, un progrès en matière d'administration du droit musulman fut enregistré, qu'une certaine unité politique naquit du fait de l'allégeance (bqy'a) de pays différents, parfois opposés, à un seul et même guide, l'imam ou le sarkin musu/mi de Sokoto ou du Gwandu (selon qu'on est dans la partie Est ou Ouest de l'empire), reconnu comme chef spirituel, il n'en demeure pas moins vrai que tout ne se fit pas toujours au seul profit de l'Islam. En effet, on sait que dès 1806 Abdullahi dan Fodio et certains musulmans avaient dénoncé certaines déviations par rapport aux idéaux du jihad. Ces 80 En 1812, le Shaikh Dsman sous la responsabilité de son SOlISses fils Abubakar Attiku En 1815, il quitta Sifawa pour

dan Podia divisa le califat de Sokoto en quatre parties, plaçant l'Ouest frère Abdullahi, l'Est sous celle de son fils Muhammad Bello, le Sud et Muhammad Bukari, le Nord sous celle de son beau-frère Ali Jedo. s'installer à Sokoto où il mourut le dimanche 20 Avril 1817. - 87 -

L'!Jlam dam l'espace nigérien: Du origines (VIliJrlesiècle) à 1960

déviations continuèrent après la fondation du califat, notamment sur le plan administratif où, pour contenter les nombreux membres d'une classe dirigeante parasite, on procéda tout simplement à l'extension d'institutions et de réseaux de dignité et de charge propres aux anciens Etats Hausa. Ce faisant la responsabilité d'une charge ne s'acquiert pas forcément selon le mérite ou la compétence: comme par le passé, le pouvoir s'hérite et on assiste à la naissance de nouvelles dynasties dans les différents émirats qui virent le jour après le jihad. Sur le plan économique aussi, les relations de production iniques héritées de l'ordre ancien furent maintenues et même renforcées dans certains cas. L'éducation religieuse, comme par le passé, demeurait une affaire d'individus, le califat n'ayant pas établi un programme précis sur ce plan. Bref, la conduite des affaires par le califat suscitera à la longue un désenchantement et des mécontentements qui s'exprimèrent à la fin du XIxème siècle par « des mouvements mahdistes dirigéspar deJ"uléma ruraux, qui seront sévèrement répriméspar les autonNs de Sokoto» (I\1ahaman, 1999 : 29). Mais il est certain qu'au tout début, la réussite du jihad d'Usman dan Fodio en pays Hausa suscita beaucoup d'espoir chez certains hommes de religion. Elle contribua indubitablement à renforcer l'esprit d'émulation entre érudits musulmans perceptible déjà à la fin du ),.'\TlIIème siècle dans certaines régions du Sudan. En effet, en pays Hausa comme dans les contrées voisines (Bornu, pays Yoruba, pays Zarma, Aïr) que le mouvement religieux avait fmi par gagner, nombreux furent les ulamas que la réussite de Shaikh Usman dan Fodio et ses partisans avait encouragé à entreprendre pacifiquement, ou par la voie des armes, le travail de réforme islamique. S'agissant de l'espace nigérien, les répercussions du jihad furent immédiates et importantes surtout dans ses parties centrale (pays Hausa) et occidentale (pays Zarma/Songhai), où certains hommes de religion et leurs partisans épousèrent très tôt la cause des jihadistes. Dans l'ouest nigérien, c'est le chef religieux Bubakar Ludduji de Garuré, appuyé par ses disciples Zarma, qui engage les hostilités seulement deux semaines après le déclenchement du Jihad au Gobir. Il n'eut pas trop de peine à s'imposer en pays Zarma où on ne notait la présence d'aucune forte autorité politique et militaire, où les anciennes chefferies villageoises épuisées par des querelles intestines, étaient très mal préparées à faire face à un état de guerre endémique. L'émirat de Bubakar Ludduji, qui serait le premier de la région, daterait de 1804. Cet homme de religion aurait même eu à effectuer, au tout début du jihad, un déplacement au Gobir, où il aurait rencontré Usman dan Fodio qui lui aurait décerné à l'occasion le titre de Lamido Zarma (Alkali M.B, 1969: 227). Pour (Laya D, 1991), Bubakar Ludduji a été nommé «Amir Zabarma» en 1809 par Abdullahi dan Fodio, de .88.

L Islam dans l'espace nigérien: Des origines (T/IIèmesiècle) à 1960

retour de son expédition du Gurma, les musulmans Zarma du Boboye.

suite à l'acte d'allégeance

que lui fIrent

Mais Bubakar Ludduji n'avait pas que des préoccupations religieuses: il commettait des exactions et ses actions n'étaient pas toujours dénuées de désirs expansionnistes. Bref, il voulait transformer « une autorité morale religieuseen une sujétionpolitique» (Idrissa, 1994 : 177). C'était précisément pour contrecarrer de telles ambitions que les Zarma de l'Est et leurs voisins combattirent Ludduji et ses hommes: ce dernier fut chassé du Boboye et sa capitale fut incendiée en 1811 (Gado B, 1988: 74). Il est certain que dans le cadre de ces hostilités, le jeu des alliances a pleinement fonctionné et contribué à leur donner une dimension trans-ethnique : les Zarma de l'Est et leurs voisins Arawa étaient des alliés du Kanta du Kabi alars ennemi de Sokoto, l'allié du Gwandu dont la suzeraineté était reconnue aussi bien par les Peul du Boboye que leurs partisans Zarma de la région du fleuve. A partir de 1820, le @s de Bubakar Ludduji, Abul-Hassan, revient au Boboye et donne à l'émirat une nouvelle capitale: Tamkalla qui, contrairement à Garuré, jouera un rôle plus politique que religieux. L'émirat du Boboye dont les frontières avaient été délimitées par Abdullah dan Fodio, s'étendait d'Est en Ouest de la rive Est du dallol Mawri à Sansané Hausa sur la rive gauche du fleuve Niger, du Nord au Sud, de Tounfalis à Tanda (Hama B, 1969 : 75). Il a en charge, la protection des routes menant du fleuve au Gwandu. Plus à l'Ouest, sur la rive droite du Niger, cinq émirats reconnaissant la suzeraineté du Gwandu, tous dirigés par des religieux peul, font leur apparition. Le premier d'entre eux à voir le jour est l'émirat des Bittimkobé dont le fondateur, Usrnane Mamane Tako, se rendit en 1806, à la demande de son oncle Alfa Sory Beldo Hare basé à Tirga, à Sifawa auprès de Shaikh Usman dan Fodio qui lui décerna le titre d'Amir Bittimkq;ï, avec comme insignes de son pouvoir un turban, un sabre et un étendard. Après un bref règne (1806-1809), à cause de l'insécurité provoquée par les Gurmance, les Touareg et les Songhai, l'émirat est condamné à changer de capitale à trois repriscs, passant successivement de Tirga à Tulware, puis Kareygoru et, cn fm de compte, N éni, libéré par le Mau17"kqy qui s'installe sur la rive gauche du fleuve (S. Balogun, 1970 : 76). En 1809, il y eut l'émirat du Liptako (Dari), avec comme premier amir, Ibrahim Sa'id. Sa fondation est suivie, en 1810, par celle de l'émirat de Torodi dont Mu'adh fut le premier amir, (idem: 76). Après ces émirats, deux autres émirats qu'on peut, compte tenu de leur création tardive, qualifter « d'émirats de la seconde génération », virent le jour vers 1833 : Say ct Kunari. - 89 -

L'Islam dans l'espace nigérien: Des origines (VIfème siècle) à 1960

L'émirat de Kunari dont la fondation remonterait vers 1833, est le fmit des contradictions qui virent le jour entre, d'une part son fondateur, Gelajo Hombodejo en désaccord avec son suzerain, Shaikh Ahmad Lobbo, responsable du califat de Hamdullahi qui voulait imposer ses réformes dans le cadre de la Dina et, d'autre part, ce dernier qui refusa de confumer sa bqy'a, à Sokoto après la mort du Shaikh Usman dan Fodio en 1817 (Brown W.A. 1969). Le Gwandu mit ce contexte à profit pour faire de Gelajo Hombodeja, amir de Kunari. Cet émirat doté de mousquets sera d'une grande utilité pour le Gwandu dans la conquête du Gurma et dans ses guerres contre les Kabawa alliés au Zarma de Doso (Mahaman, 1999 : 12). Quant à la localité de Say, elle doit sa réputation de centre islamique uniquement à Alfa Mahamman Jobbo, savant originaire du Macina. Bien qu'au moment de son installation à Say vers 1812, cette localité était déjà dans la zone placée sous la juridiction du Gwandu, Alfa Mahaman Jobbo se garda de se faire nommer amir par les autorités de Gwandu. Tout en entretenant des relations suivies avec les autorités musulmanes de cette localité, il préféra se consacrer essentiellement à son travail de propagation d'un islam pur qui se fit exclusivement de manière pacifique. Conseiller, guide spirituel et médiateur à la fois, son influence avait gagné toute la sous région: l'Est du Mali, une partie du Burkina Faso et l'Ouest du Niger, particulièrement la vallée du fleuve et le pays Zarma dans son ensemble. Même si Alfa Mahamman Jobbo n'a pas laissé des écrits, l'impact de sa prédication fut considérable auprès des populations concernées. C'est surtout sous son fils Modibbo Abubakar (1834-1860) que Say devient un émirat entretenant des relations officielles avec le Gwandu. Quoi qu'il en soit, le constat c'est qu'au cours du XIxème siècle, l'ouest nigérien connut d'une part, un processus d'étatisation prononcé à travers l'œuvre des Wangaari ou chefs de guerre (Issa Korombé tout particulièrement) et, d'autre part, une pénétration assez significative de l'Islam dans les masses populaires grâce à l'action de quelques hommes de religion locaux81. Au niveau des couches dirigeantes, les chefs de diverses 81Selon ldrissa (1981 : 43-44), qui distingue "trois grandes phases" dans le processus d'islamisation

de

l'ouest nigérien: une "phase Sonay (XVlème siècle), une "phase peu]" (XIXème siècle) et une "phase coloniale" (XXème siècle), il semble qu'avant le XlXème siècle, entre la fin ùu XVlème siècle et la fin du XVIIFme siècle, l'islam ait connu un recul dans cette région au profit de l'animisme. C'est seulement à partir du début du XlXème siècle, dans la foulée du jihad de Shaikh Usman dan Fodio, que ]e processus d'islamisation reprit dynamisme et vigueur sous l'impulsion essentiellement de religieux peul. Mais cette progression de l'islam n'a pas connu partout la même ampleur, si bien que, seJon le même auteur, le tableau de l'islamisation de l'ouest nigérien au XIXème siècle, peut se résumer comme suit:

«.. .les r~gions sitllées Sllr leflmve

bases. Par contre, des zones en est de même

des zones

ollles

zones de passage

comme le zarmaganda,

rejitge dll Gubey

l'Aréwa,

et du Malvrey.

(daiM l'Anzuru,

Enfin,

- 90 -

Boso) sont celles oÙ l'islami.ration le Kuifey.

. . Jont reJtéeJ fortement

a eu de .rolide.r animistes.

toHte la zone S onay, depuis la chute de l'emPire

Il et la

L'Islam dans l'espace nigén'en: Des origines (VIIime siècle) à 1960

localités Zarma (Kuré, N'Dunga, Liboré" ,), cherchèrent à prouver leur adhésion à l'Islam en troquant leur ancien titre de Kqy contre celui tout récent d'Amiru et en acceptant comme lieux d'investiture Gwandu ou Say et N'dunga pour les cas de moindre importance (Zakari ,1988: 42). Dans la partie centrale de l'espace nigérien, c'est de l'Adar et de la région de Birnin Konni que le jihad reçoit ses premiers soutiens. En effet, bien avant son déclenchement, on notait la présence, dans l'entourage immédiat du Shaikh à Gudu, d'un groupe d'Adarawa (gens de l'Adar) et des Tuareg KelAyaé2 basés dans l'Adar et le Gobir-Tudu, parmi lesquels, Muhammadan, le fils de Malam Jibril b. Umaru et Agali, un faqih Kel-Gress, qui joua un rôle important dans le ralliement de ses frères à la cause du Shehu. Le groupe d'Aghali a combattu dans les rangs des jihadistes lors de la première grande bataille qui opposa ceux-ci aux hommes du Sarkin Gobir Yunfa, le 21 Juin 1804 à Tapkin Kwatto, au Sud-Ouest de Gudu, et qui s'acheva par une cuisante défaite de ces derniers. Une des conséquences de cette victoire des hommes d'Usman dan Fodio fut le ralliement des Tuareg de l'Adar et des Kel-Ayar au jihad (Hamani, 1989 : 340-42). Toujours au cours de la même année 1804, Birnin Konni est conquise par les hommes du Shaikh grâce à la complicité d'un prince de cette localité, Sha'aibu, qui fut alors nommé amir (émir) de cette ville. Plus au Nord, à Birnin Adar, les contradictions au sein du lignage dirigeant font également qu'un des protagonistes, le prince Al-Mustapha, se range du côté du Shaikh Usman dan Fodio, pendant que son frère et rival Hamidin s'allie au Gobir. Mais en Adar, c'est surtout en Muhammad al-Jilani que les jihadistes trouvent leur principal allié. Muhammad al-Jilani, né en 1777, est issu du milieu des Tuareg Attawari de l'Azawak, une tribu religieuse longtemps dominée par une aristocratie non islamisée. Cet érudit, sans doute le plus éminent de sa région, inspiré très tôt par l'œuvre d'Usman dan Fodio qu'il considère comme un modèle à suivre, appelle l'aristocratie tuareg à se conformer aux règles de l'islam. Dans ces prêches il dénonce vivement les inégalités sociales, les discriminations raciales, l'exploitation des couches défavorisées, toutes ces tares qui avaient bien cours dans sa société. Le refus de répondre positivement à cet appel [mit par susciter, à partir de 1809, des conflits armés entre les partisans d'AIJilani et les réfractaires. Dans l'Azawagh comme dans l'Adar les hommes d'AI-Jilani triomphent, et ce dernier installe un pouvoir islamique. Mais son intransigeance amène toutes les aristocraties tuareg des régions concernées à formation Jont Simler, 82 Entendre

de ce qu'on Alfa par

a appelé

Klvara,

le S onCf} de la résistance,

KaJoni,

là les Tuareg

à la suite du passage

comtitue

un bloc animiste

de A10hamman

de l'iVr.

- 91 -

Dioft»

(ibid:

farouche, 49).

Les

îlots J'islamisation

L'Islam dans l'espace nigérien: Des origines (VIlime siècle) à 1960

se liguer contre lui, à le combattre vers 1821(Hamani, 1989 : 371)83.

et à le condamner

à se réfugier

à Sokoto

Avec l'Aïr, au moment du jihad, les contacts furent plutôt privés: des individualités ou des communautés avaient directement établi des relations avec le Shaikh, soit en prenant part au jihad, soit en lui adressant des correspondances. Ainsi, s'agissant des échanges épistolaires, trois cas au moins sont connus:

-

une lettre datée de 1805 du Shaikh au chef de la communauté Kel Ferwan, dans laquelle l'auteur invitait les membres de ladite communauté « à être tOl!Joursavec les musulmans, du côté des musulmans. .. de faire JeJïhad puisque leJïhad est une obligation pour tout musulman» (cité par Mahaman, 1999 : 14) ;

- une lettre d'un certain Shi-Summas b. Ahmad, qui semble même avoir participé au jihad, dans laquelle treize questions relatives à la responsabilité des ulama au sein d'une communauté, sont posées au Shaikh 84;

-

une troisième lettre émanant de Yusuf ibn Isamat, chef de la communauté de Maganga (Aïr) dans laquelle l'auteur exprime son allégeance au Shaikh et lui demande une fatwa au sujet d'un certain Hamma qui s'est proclamé Mahdl5.

Quant au sultanat de l'Ayar, bien que ses vassaux de rAdar et les Kel Ayar installés en pays Hausa se soient impliqués très tôt dans le jihad, sa réaction en faveur de ce mouvement de réforme religieuse fut tardive: elle n'intervint qu'après la prise d'Alkalawa, lorsque le sultan de l'époque, Muhammad al- Baqri (1797-1809) se décida de rendre visite au Shaikh Usman dan Fodio à Gudu où il y séjourna un mois durant. Après cette visite, il prit le ferme engagement de combattre les ennemis du Shaikh aussi bien dans son pays qu'à l'extérieur; c'est d'ailleurs dans cette voie qu'il périt en 1809 au Bornu. Son successeur Muhammad Guma (1810-1835) rend également visite au Shaikh et renouvelle la bqy'a faite par Al-Baqri qui place l'Aïr dans la mouvance de Sokoto. Pourquoi le soutien au jihad des vassaux, de certains ulama et communautés de l'Aïr, a devancé celui de leur sultanat? La réponse se trouve dans la situation sociopolitique qui prévalait en Aïr à cette époque. En effet, après 83 Pour de plus amples

détails

sur l'épopée

d'AI-Jilani

et la situation

à cette époque

de l'Adar/Azawak

d'une manière générale, voir Hamani (1975 : 166-169) et (1989 : 363-372). 84 En guise de réponse, le Shaikh a écrit un traité spéci~ù intitulé: «AI-Aiwibah al-A1uhatTara an-al-as'ila-muqarrara fi wathiqat-Shi-Summas» (ibid: 15). 8>La réponse à cette correspondance est l'écrit suivant daté de 1814: «Tahdhir al Ikhwan », dans lequel le Shaikh

donne

son avis sur la question

de la Madhiyya d'une

- 92 -

manière

générale

(Mahaman,

1999 : 15).

L'Islam

dans l'espace nigérien: De.!' origines (VIJème siècle) à 1960

une période de splendeur au cours des XVlème et xvnème siècles marquée par de longs règnes, l'ouverture du pays vers l'extérieur (le Sud, le pays hausa notamment), des victoires sur certains voisins (Tigidda totalement détruite vers 1561 après une douzaine de combats et le Kabi qui, après sa défaite de 1674 face aux Ab~nawa, perd sa suzeraineté sur rAdar), l'Aïr connaît au cours des siècles suivants (XVlnème - Xlxème) un état d'instabilité quasi-chronique dû aux luttes entre les différentes confédérations Tuareg du massif et aux rezzous ou attaques en provenance de l'extérieur (Arabes, Tubu et Tuareg expulsés de l'Aïr). Cette situation provoque des départs vers le Sud de certaines tribus Tuareg (K.el-Gress et ltesayan au Gobir-Tudu, lllisawan et lmiskikiyan dans l'Adar, Kel-Garus, Kel-Tamat, Imuzurag et Ikaskazen au Damargu)86, la perte par Agadès de sa prospérité et de son statut d'important carrefour commercial et l'affaiblissement du sultanat: le dernier sultan de l'Ayar du ~rylnème siècle, Muhammad al-Baqri (mentionné plus haut), accède au trône alors qu'il vivait au Sud en pays Hausa. Il ne regagne Agadès que 7 ans après son avènement. Jusqu'à la fin du XIXème siècle, les sultans de l'Ayar dont le rôle politique était insignifiant, séjourneront plus en pays Hausa qu'à Agadès (Zakari, 1988: 40). C'est sans doute cette situation qui explique l'influence en Aïr des hommes de religion pendant le XIxème siècle. Certes, compte tenu de l'état d'instabilité précédemment évoqué, il n'est pas certain que l'Islam ait connu une large expansion en Aïr au XIxème siècle. En effet, le témoif,>1lage de Mohammad Bello rapporté par (Hamani,1989 :191) sur la situation de cette religion au début du XIXètne siècle chez les Kel Ayar et les Kel Denneg, laisse bien ressortir, qu'en dépit de sa présence multiséculaire, l'islam était seulement l'affaire d'une minorité de gens «Pieux et in.rtruits» (ibid), les Ineslemen, très respectés, à cause de leur savoir religieux et « leur capacité àfaire des miracles» (ibid), par la grande masse des infidèles constituée par l'aristocratie et les gens du commun. Il s'agissait bien d'un islam minoritaire, mais influent dans la mesure où ses représentants sont consultés et leur arbitrage est accepté tant qu'il «ne lèse paJ leurs intérêt.r fondamentaux (les intérêts des Tuareg) et ne remet paJ en ('CluseleJ mutumen) (ibid). Un autre fait qui témoigne de la considération que les Kel Ayar accordent aux lettrés musulmans, c'est le choix porté sur un Jharil (un descendant du Prophète Muhammad) pour fonder le sultanat de l'Aïr. Il est aussi rapporté que « deJ rmseignements nombreux et mncordants» (Triaud, 1983: 252) attestent de l'influence des ineJlemen en Aïr dans la seconde moitié du XIxème siècle et au début du L"{ème siècle. Parmi les personnalités allemand religieuses de l'Aïr au milieu du XIxème siècle, l'explorateur 86 Voù: les détails

de ces déplacements

dans (Hamani,

- 93 -

1989 : 269-280).

L'Islam dans l'espace nigérien: Des origines (VIJèJliesiècle) à 1960

Henrich Barth cite Malam Azari, qu'il présente comme le « sage de l'/lir» (S. Bernus, 1972), «qui, du fait de son savoir, est respectécomme un ptince dans tout le pqys» (ibid: 72). Il fait également cas de la très influente communauté des ineslemen de Tintaghodé qui fait partie d'un complexe de trois villages (les deux autres sont Iférouane et Selufiet), auquel on donne le nom d'Eghazer. Ce complexe abrite une célèbre zâwrya, la «zaoZ!Jet Sidi Ahmed» qui appartient à des marabouts Tuareg; elle constitue un lieu de «Pèlerinage» et un « asile» qui donne « la sécurité la plus complèteà ceux qui l'approche» (Daumas & Chancel, 1848, cité par Triaud, 1983 : 252). A la fin du XIXèmc siècle, Eghazer qui réserve un bon accueil à la colonne française Foureau-Lamy, perd son prestige au bénéfice d'Aguellal (Agallal), « un desprincipaux lieux saints du pqys », qui offre une résistance aux membres de ladite colonne (ibid: 253). Si l'influence des ineslemen en Aïr au XIxème siècle ne fait l'objet d'aucun doute, rien par contre n'atteste que ceux-ci aient, à un moment ou à un autre, même tenté de remettre en cause le leadership politique et religieux de Sokoto sur l'Aïr. Cette suprématie est davantage confirmée après la victoire des troupes de Sokoto, le 29 mars 1836, à Gawakuke (Gobir-Tudu), sur la coalition composée par les Tuareg d'Ibra ag-Alwali8i, les hommes du Sarkin Gobir Ali, ainsi que ceux du Sarkin Katsina Rauda de Maradi88. En effet, après cette éclatante victoire de Muhammad Bello, il est rapporté: « désotmaiJ~ les Kel Ayar du Sud (Itesqyan et Kel-Geres), les Kel Denneg, les sultans de l'/ldar et ceux d'/lgadès faisaient allégeanceau Sarkin MttSulmi» (ibid: 372). Du côté Nord, c'est justement au Gobir et au Katsina que Sokoto connaît toutes les difficultés pour asseoir sa tutelle. Bien que se considérant musulmans, le Gobir et le nouvel Etat de Katsina, reconstitué à partir de Maradi par les descendants des souverains Habé de l'ancien Etat de Katsina qui furent expulsés de leur capitale suite à sa conquête par les hommes d'Usman dan Fodio, restent hostiles aux autorités de Sokoto et du Gwandu. Aussi, pendant une bonne partie du XIxème siècle, ces deux Etats

87Ibrahim ag-Alwa!i, plus connu sous le nom d'Ibra, est un anes!emTimisbridda basé dans l'Ouest du Damargu. Il fut opposé à AI-Jilani par les Tuareg Kel-Gress qui présentèrent ce dernier comme étant le meurtrier dc son père qui était venu lui dcmander pourquoi il soutient que les Kel-Gress était de mauvais musulmans. Ibra convaincu par les dires des Kcl-Gress dirigea la coalition qui chassa AIJilani de l'Adar. Par la suite, Ibra devenu l'homme fort de toute la région allant de l'Azawak à l'Ouest, au Damargu à l'Est, s'allia au roi du Gobir pour chercher à nuire à Sokoto qui a donné asile à son adversaire. Pour plus de détails sur ce personnage voir (Hamani, 1989 : 370-372). 88A l'occasion de cette bataille appelée la « bafal!!edes rois», Muhammad Bello rassembla l'ensemble des forces armées de ses vassaux de l'Est (I(ano, Zaria, Bauci, Katsina) ainsi que les Kel-Gress, Illisawan et Adarawa de Sokoto. La coalition cnnemie de son côté comportait, outre les éléments précités, les archers de l'Adar, de Jibalé, Mashidi et Gidan Bada (idcm : 372). - 94 -

L'Islam dans l'espaœ nigérien: Des origines (VIlèJnesiècle) à 1960

constituèrent-ils de Sokoto.

une source constante

de préoccupation

pour les dirigeants

Dans le cas du Gobir, c'est seulement après 1859 que Sokoto réussit à freiner les attaques en exploitant les difficultés intenses que connait l'Etat: il encouragea Dan Halima, un prince du Gobir, à fonder une nouvelle capitale, Sabon-Birni (dans la vallée d'Alkalawa), opposée à Tsibiri. Sokoto fut cependant obligé de reconnaître un Etat tampon Gobirawa entre le Califat et Tsibiri. Avec Maradi qui lançait des raids aussi bien contre Sokoto que Katsina, Daura, Kano et Zaria, il faut attendre le règne de Sarki Dan Magojé (187780), souverain reconnu pour sa piété, pour voir s'amorcer une politique de tapprochement avec Sokoto, même si celle-ci suscita une certaine hostilité du Gobir vis-à-vis de son allié. En tous les cas, c'est seulement à partit de 1880 que les attaques de Maradi et du Gobir contre Sokoto diminuèrent nettement (R.F. Adeleye, 1971-72: 58). Quelle a été la conséquence de cette situation conflictuelle sur l'avancée de l'Islam au niveau de ces deux Etats? A l'état actuel de nos connaissances, nous ne disposons d'aucun élément de réponse précis à cette question. Mais le fait qu'officiellement ces Etats se réclament de l'Islam, laisse croire que leurs activités guerrières n'étaient pas menées contre l'Islam en tant que tel, mais contre la suprématie de leurs tombeurs, les dirigeants de Sokoto. Par conséquent, rien n'interdit de penser que l'Islam ait gagné du terrain même au cours de cette période de troubles. Du côté Est, le Bornu, pays de longue tradition islamique, ne fut pas à l'abri des attaques des jihadistes, essentiellement des Peul qui y résidaient de longue date. Ils commencèrent leurs attaques dès 1805 à partit de deux foyers: un foyer occidental dirigé par Umar ibn Abdur, le chef des Peul de Hadeija, son cousin Ardo Lerlima, beau-fils et serviteur d'un haut dignitaire bornuan, le Ga/dima Dunama de N'Guru, et Malam Ibrahim Zaki, un lettré Peul, sans doute le plus cultivé des trois; un foyer méridional centré autour de la localité de Deya et tenu par deux lettrés Peul: Al Bukhari et Goni Mukhtar. Officiellement, deux raisons furent évoquées pour justifier les attaques des Peul contre le Bornu: le secours qu'aurait apporté ce dernier pays à ses voisins Hausa païens guerroyant contre les hommes de Shaikh U sman dan Fodio d'une part, l'impiété des Bornuans et le manque d'orthodoxie de leur Islam d'autre part (Muhammad Bello cité par Urvoy, 1949 ; 98). - 95 -

L'I.rlam dans l'espace nigérien: Des origines (VIJém, siècle) à 1960

Il est vrai que dans la seconde moitié du XVlIIème siècle déjà, le Bornu présentait des signes évidents d'affaiblissement avec, d'une part, la perte de ses salines du Kawar au profit de l'Aïr qui le défit en 1759 et, d'autre part, sa lamentable défaite en 1781 devant le petit Etat du Mandara. Au début du XIxème siècle, sa situation militaire ne s'était guère améliorée, et cela, les Peul n'étaient

pas sans le savoir.

Quoi qu'il en soit, le vieux Maï Ahmad (1792-1808) du Bornu, reconnu par ailleurs pour sa piété exemplaire: le Diwan le présente C01ll1lle un « savant...(qui) aimait les savants et la religion» (Lange, 1977: 82), n'avait d'autre choix que de faire face aux agresseurs. Les premiers affrontements se soldèrent par la mort de deux des leaders Peul (Umar ibn Abdur et Ardo Lerlima) et du Galdima Dunama, la fuite du Maï Ahmad et le sac de N'Guru, la capitale du Galdima en 1807. En 1808, l'attaque menée par Goni Mukhtar contre la capitale du Bornu est couronnée de succès: Birni Gazargamu est abandonnée aux Peul et Mai Ahmad s'enfuit vers l'Est. Devenu trop vieux, il abdique en faveur de son f1ls Dunama. Celui-ci, dans l'incapacité de refouler les Peul, fait appel à AIHajj Muha1ll1llad Al Amin ibn Muha1ll1llad Al Kanémi. Qui est ce personnage? Connu au départ sous le nom de Malam Laminu, Al Kanémi est né au Fezzan d'une mère arabe et d'un père Kanembu, Muhammad Ninka, reconnu à Fahi (son village natal situé à peu de distance à l'Est de Mao), comme un « mallam» d'une grande réputation. Pendant sa jeunesse, Al Kanémi étudia à Murzuk, puis Tripoli. Par la suite, il fit, en compagnie de son père, un pèlerinage à La Mecque. Après le décès de celui-ci, en 1790 à Médine, il resta plusicurs annécs en Arabie avant de prendre le chemin de retour. Il passa successivement au Wadai, au Kanem, au Baguirmi qu'il quitta pour venir s'installer à N'Gala (Bornu), où il épousa une princesse de cette localité. Là, il avait acquis à la fois la distinction d'un ulama renommé, comme celle d'un chef militaire capable, pour avoir eu à repousser, à maintcs reprises, des attaques lancécs par les Peul de la région. Il était également cntré en correspondance avec les leaders Peul du sud du Bornu, leur demandant de justifier leurs différentes agressions (Brenner, 1973 : 18, 26, 39). C'est donc à un homme averti à la fois sur le plan religieux que sur le plan militaire que Maï Dunama b. Ahmad fit appel. L'armée bornuane réorganisée et fortifiée par le ralliement dcs h01ll1llcS d'Al Kanémi, n'eut aucune difficulté à reprendre Birni Gazargamu: Goni Mukhtar, dont les hommes ont été mis en déroute, est tué, et Maï Dunama est installé dans son palais moins de deux mois après la défaite de son père. - 96 -

L Islam

dans l'espace nigérien: Des origines (VIJème siècle) à 1960

En 1809, Birni Gazargamu est occupée à nouveau, cette fois-ci, par les troupes de Malam Ibrahim Zaki de Katagum (un Etat vassal du Bornu). Elles furent défaites précisément par Al Kanérni, intervenant toujours sur appel du même Maï Dunama. Après cette vigoureuse riposte, les jihadistes se gardèrent d'intervenir au Bornu. Néanmoins, leurs actions eurent des conséquences non négligeables dans ce pays: non seulement Birni Gazargamu saccagée à deux reprises et trop proche des atteintes étrangères est abandonnée et une nouvelle capitale, Birni Kaféla, construite, mais le Bornu perdait aussi Hadeija, Katagum ainsi que de larges portions du territoire relevant de l'autorité du Galdima, au profit de Sokoto. Mais le fait le plus grave, c'est l'enlisement de l'empire dans une situation politique des plus difficile avec l'existence en son sein de deux autorités: celle des Sefuwa d'une part, et celle d'Al Kanérni qui, compte tenu de ses faits d'armes, ne cessait de prendre du prestige d'autre part. Après la mort de Maï Dunama intervenue en 1820 au cours d'une guerre contre le Baguirrni, Al Kanerni est le véritable gouverneur du Bornu, même si les Sefuwa continuent à maintenir leur cour à Birni Kaféla, et cela, jusqu'à leur élimination de l'arène politique en 1846 par le fils et successeur d'Al Kanérni, le Shehu Umar89. Mais pour consolider sa nouvelle autorité, Al Kanérni doit absolument reconquérir les Etats vassaux qui profitèrent de l'affaiblissement du pouvoir central occasionné par les attaques des Peul pour rejeter la tutelle du Bornu, puis gagner à sa cause, au besoin en usant de la force, certains habitants de ce pays restés fidèles à l'ancien pouvoir. Dans ce cadre, ce sont d'abord le retiennent son attention. On le voit série d'expéditions contre d'une part, qui, sous la direction de Muhammad continuent à contester ouvertement Gumel et le Galdima Umar de N'Guru.

Baguirrni, le Kanem et les Peul qui ainsi, entre 1825 et 1830, mener une les Peul de la région Deya/Damaturu Manga, flis du défunt Goni Mukhtar, son autorité, et, d'autre part, Hadeija,

Du côté Nord et Nord-Ouest de l'empire qui correspond en gros à l'actuel Sud-est nigérien, Al Kanérni n'eut à faire qu'à une seule sérieuse révolte: celle des Manga de la région de Maillé-Soroa, dirigés par Malam Fannaamy. A ce sujet l'explorateur anglais Dixon Denham qui se trouvait dans la région au moment des événements témoigne: « Ses habitants Qes habitants de l'Est du Mangari, ajouté par nous) très nombreux n'avaient jamais reconnu complètement la suprématie du cheikh,. la levée du tribut chez eux ne s'était jamais Jàit sans difficulté et sans ~jjùsion de sang. Mais

89

Al Kanémi et ses successeurs ont préféré le titre de Shehu (Shaikh) à celui de Mai' habituellement porté par les souverains du Bornu. - 97 -

L'Is/am dans l'espace nigérien: Des origines (VIIème siède) à 1960

récemment, ils avaient rejeté toute contrainte et mis à mort une centaine de Chouâa du Cheikh, en déclarant qu'ils ne voulaientpitts Itti obéir,parce qtte le sultan dtt Bomu était lettr roi,. commandés par tin fighi très pttissant, Ils avaient pillé et brûlé les villes dtt Cheikh voisines de lettrpqys» (Denham et a!. 1964-66 : II, 2). Le 23 mai 1824, Al Kanémi marcha contre eux à la tête d'une importante armée de 14 000 hommes. Mais, sur le terrain, l'usage des charmes aurait prévalu sur la confrontation armée: le chef de la rébellion, Malam Fannaamy qu'on présentait comme « un personnage extraordinaire, qtti l'emportait sttr le Cheikh en connaissance et en talent d'écrire des charmes (avoua) qu'il était intttile de résister à ttn Cheikh dtt Koran qtti pottvait oPérerde tels miracles, et qtte c'était même un péché» (ibid: 43)90. Du côté des vassaux du Nord-Ouest (Muniyo, Kutus, Tsotsébaki et Damagaram), il n'est fait cas d'aucune remise en cause de la suprématie bornuane. Cela se comprend aisément lorsqu'on sait, qu'au début du XIxème siècle, au Muniyo, Maï Ibram (1806-1810) était plus préoccupé par la réalisation de l'unité politique de son pays, et que le Kutus était en état de belligérance quasi-permanent avec les Tuareg. Quant au sultanat du Damagaram qui était à ses débuts, il se garda de combattre les jihadistes, mais n'hésita pas à donner asile aux fugitifs des dynasties déchues de Katsina, de Kano et de Daura (Nicolas G, 1979c : 89). Selon les traditions locales, le chef de l'Etat Tsotsébaki, Abdullahi (18001806) a été approché, au début du jihad, par le Shaikh U sman dan Fodio qui lui proposa un étendard, comme symbole d'adhésion à son mouvement. Mais celui-ci refusa l'offre et réitéra son allégeance au Bornu. Par la suite il se rendit à Birni Gazargamu auprès du Mai" qui le nomma le « Sarkitl yaki» de l'Ouest (Mahaman, 1999: 17). En résumé, aucun vassal du Nord-Ouest du Bornu n'épousa la cause du jihad, aucun non plus n'apporta une aide directe au Bornu, ni ne rejeta sa tutelle. En défmitive, avec sa tentative manquée, en 1827, de porter la guerre à Sokoto, Al Kanémi se résolut à convenir une politique de coexistence pacifique avec le nouveau califat. Le Bornu a pu sauvegarder l'essentiel de son territoire. Pour ses dépendances du Sud-est nigérien, tout au long du XIxème siècle, il continuera, comme ce fut le cas au cours des siècles passés, à être le foyer par excellence

de propagation

de l'Islam.

En effet, les populations du Sud-est dans leur majorité, s'accordent à reconnaître que c'est à partir du Bornu, dont l'influence sur ce plan est nette même de nos jours, que l'islam gagna leur région, non pas de façon violente, mais lentement et pacifiquement, par « irradiation », à partir des principaux 9(JPour plus ùe ùétails sur ces événements,

voir (Zakari, - 98 -

1985 : 143).

L'Islam dans l'espace nigén'en : Des origines (VIJème siècle) à 1960

centres du Bomu. Car, c'était à Birni Gazargamu ou d'autres centres religieux du Bomu (N'Guru, Machina, N'Gashua, Kukawa...) que se sont formés la plupart des u/ama qui, par la suite, allèrent s'installer dans d'autres régions de l'empire, soit de leur propre initiative, soit sur invitation d'un monarque quelconque, ou sur instructions express~s des .lWaï de Birni Gazargamu, et se livrer à un intense travail de propagation de l'islam. Sur ce plan, nous avons déjà évoqué les cas de l'ancêtre des marabouts de Lasuri et de Malam Laya Awami à Malumdi (cf supra: 69-70) Un autre exemple bien connu, c'est l'arrivée de Limam al-Borkowi ou Limam Barkoma à Guré, sous le second règne du Mttnryoma Koso (1831-1854)91. Au départ, Limam Barkoma résidait dans la capitale du Bornu, Kukawa. Mais, par la suite, il préféra quitter cette ville afIn d'être à l'abri des intrigues de ses pairs de la cour royale. La tradition entoure d'un certain mystère les conditions dans lesquelles s'était effectué le déplacement de Limam Barkoma et les siens de Kukawa à Barka, une petite localité bomuane située au Nord du village de Geidam92. Pour des raisons non précisées, Limam Barkoma et les siens décidèrent de continuer leur déplacement. C'est ainsi qu'après un séjour à Machena (capitale du petit royaume du même nom, vassal du Bornu), ils arrivèrent à Curé, capitale du royaume du Muniyo. L'intention de Limam Barkoma était d'y effectuer une brève escale, son objectif étant de se rendre à Tombuctu, puis à Fez. Mais le Munryoma Koso, convaincu du haut niveau d'instruction de Limam Barkoma qui eut l'occasion de lui en administrer la preuve en traduisant, avec beaucoup d'aisance, le contenu d'une missive en provenance de Kukawa (ce que les marabouts de sa cour avaient été incapables de faire), fInit par le convaincre de demeurer à Guré pour, d'une part, améliorer l'état d'islamisation de son pays et, d'autre part, lui servir de scribe93. Mais selon d'autres sources, Limam Barkoma est venu à Guré sur instruction du Shehu Umar du Bornu auprès duquel le Munjyoma Koso avait formulé le vœu d'avoir à ses côtés un lettré de haut rang, capable à la fois de lui servir de scribe et d'instruire valablement ses sujets sur les questions islamiques (Zakari, 1985 : 148-149). L'intérêt que le Mttnryoma Koso porte pour l'islam est aussi attesté par le témoignage suivant qui laisse croire que cc souverain entreprenait certaines de ses campagnes militaires au nom de l'islam: 91 Le premier rèbTfle de Ko~o ~e situe entre 1810 et 1827, 92 Pour les détails à ce sujet, voir (Zakari, 2000 : 238), 93 A cette époque, les correspondances officielles entte le souverain rédigés en arabe,

- 99 -

du 130mu et ses vassaux

étaient

L 'J.dam dans l'espace nigérien: Des origines (VIJéme siède) à 1960

« On alla dire au Shehu dN BornN qNe la seNle occNPationdN MNnjyoma Koso dans le Norl4, c'est de lJendredes hommeJ libreJ. Le ShehN le convoqNaet lé fit Javoir qNe cela n'est pas sérieux. Le MNnjyoma dit alors au Shehu qu'zl n'a lJendu qNe des infidèles. PONrpreNve, illNi JlIpgéradefaire venir qllarante chl!fi'de lignage originaireJ ch régions concernéeset demander à chaclln, d'lIne part, de réciter la ((fatiha )), la première JONrate dN Coran qtle tout bon musulman doit prononcer pOlir accomplir .,esprières quotidienneJ, d'autre part, de ltli montrer son chapelet. AlIcllne des qllarante perJonneJ convoqlléeJne parvint à répondre à ces dellx demandes. SlIr ce, le Shehll dit: MlInjyoma, tu avais ejjèctivementZJendNdes infidèleJ» (ibid: 149). Cette anecdote nous donne tout de même une idée du caractère superficiel de l'islamisation des régions concernées. Vraisemblablement, très peu de leurs habitants pratiquaient effectivement l'islam et cette minorité le faisait beaucoup plus par conformisme, par crainte d'être vendu comme esclave, que par conviction. Quoi qu'il en soit, pour revenir au cas de Limam Barkoma et sa famille, il faut reconnaître que Guré également ne constitua, sans leur vouloir, qu'une étape en plus pour eux: des considérations d'ordre politique vont faire XIXème siècle, les hôtes du sultan du qu'ils seront, dans le dernier quart du Damagaram. En effet, dans le Bornu de la première moitié du XIxème siècle, le Muniyo sous Koso, avait [mi par acquérir une position politique de premier plan auprès de son suzerain, le 5 hehll du Bornu. Koso était parvenu non seulement à unifier politiquement le Muniyo (ce qu'aucun de ses prédécesseurs en dehors du fondateur du royaume, Kazalma Bundi Sayémi, n'avait pu faire), mais aussi à dominer militairement tous les Etats et contrées voisins (Kutus, Etats Tsotsébaki, Gumel, Machina, Hadeija, Mangari et Damagaram). Dans le cas de ce dernier Etat, il y a lieu de préciser qu'après deux attaques infructueuses contre le Muniyo, son ancien sultan Tanimun95, de passage au Muniyo pour se rendre à Kukawa en 1844, fut arrêté par le Mtmjyoma Koso qui lui infligea, à l'occasion, un mauvais traitement et ordonna même à un de ses principaux lieutenants, Alanga, de l'exécuter. Il dut la vie sauve à ce dernier qui préféra, à l'insu de son souverain, l'assigner en résidence surveillée à Wazak, localité située à une quinzaine de kilomètres au nordouest de Guré. C'est de là qu'il fut autorisé, sur ordre du Shehu Umar du Bornu, renseigné entre temps par le roi de Gamu, à continuer son voyage à Kukawa oÙ, après un séjour de deux ans, il fut réintronisé sultan du Damagaram en 1851.

94 Le Nord 95 Tanimun

désigne ici le Mangari et le Kurus. a eu à occuper le trône du Damgaram

à deux reprises:

- 100 -

entre

1841-43

et entre

1851-84.

L'Islam

dans l'espace nigérien: Des origines (VIJèllle sZ"ècle)à 1960

Son trône une fois retrouvé, Tanimun mit à profit les contradictions internes de la classe politique du Muniyo pour prendre sa revanche et annexer carrément ce dernier pays qui était alors dirigé par le Muniyoma Mamadu, le fils aillé du Muniyoma Koso, décédé en 1854. Après un seul affrontement selon les uns, deux affrontements (en 1861, puis 1870) selon les autres, le Muniyoma Mamadu fut vaincu et exécuté par les hommes de Tanimun qui, à l'occasion, annexa son royaume. C'est donc suite à cette victoire du Damagaram sur le Muniyo que Limam Barkoma et les siens furent transférés de Guré à Zinder. Aux dires de certains, Tanimun connaissait déjà Limam Barkoma pendant que ce dernier était en résidence à Kukawa. D'autre part, il est rapporté aussi que ses marabouts et conseillers lui auraient prédit une victoire certaine sur le Muniyo à condition qu'il traitât avec déférence Limam Barkoma et les membres de sa famille. Ce qu'il ne manqua effectivement pas de faire: Limam Barkoma et les siens furent conduits avec beaucoup de sollicitude à Zinder où ce serait le sultan Tanimun en personne qui aurait défini, non loin de son palais, l'aire d'occupation de la famille de l'illustre homme de religion. A Zinder, Limam Barkoma fonda une importante zâwiya où furent formées plusieurs personnalités religieuses de la région. Parallèlement, il eut aussi à exercer les fonctions de cadi et de conseiller en matière islamique à la cour des sultans de Zinder. C'est d'ailleurs dans cette localité qu'il périt, sept ans après son arrivée, en 1877 (Zakari, 2000 : 239-240). Son fùs aîné, Malam Mamadu Shétima I1sse là d'une tradition montée tardivement par Shaykh Musa d'Eghandawal (Aïr) en vue de remettre en cause « le monopole» de la Qadiriyya qui « était devetlttesttjfisammentji1milière dans le maSJif (de l'Aïr) pour qu'on la considérâtSalivent comme la mère du soufisme local », et de conférer

« à S haykh lvlusa un magistère qui dépa.rse de loin celui de.r écoles

traditionnellen). C'est du moins la thèse défendue par JL. Triaud (1983 : 274). Mais il faut reconnaître que la Khalwatiyya n'est pas totalement inconnue au Sudan central dans la mesure où Malam Jibril b. Umar, le maître d'Usman dan Fodio, l'a pratiquée: il a reçu le wird Khalwati précisément auprès d'un certain Ahmad b. Dardir au Caire. Usman dan Fodio lui-même y a été initié et son frère Abdullahi dan Fodio est auteur d'un ouvrage sur les enseignements de la Khalwatiyya : « Bayan al-arkan )Va'l.rhumt Ii'! tariqa al-.rufzyyaal-kha!)Vatiy)'a»(friaud, ibid: 267). Avant le nom de :\1alam Jibril, la chaîne de transmission des FodiaJJJacite les noms de deux .rhaykh égyptiens: Ibrahim al-Dassuqi (XVIIemc siècle) et Murtada al-Zabadi (XVIWme siècle) (I-liskett, 1984: 247). - 112 -

L'Islam dans l'e.pace nigérien: Des origines (VIJème siède) à 1960

al-Najib b. Muhammad d'Anu-Samman, qui fut aussi l'enseignant du soufi Malam Abdullahi Sikka de Kano. C'est surtout avec le développement de la madraJa de Kulumbardu au XVIIèmc siècle que la présence de la Qadiriyya au Bornu devient manifeste. En effet, ses principaux Shaikh: Muhammad alJarmiya al-Tarqi et Abd Allah al-Barnawi, étaient tous les deux de la Qadif'!jya. Il est avéré que le dernier entretenait même des relations suivies avec les milieux Qadiri de l'Aïr et de la vallée du Nil et que Kulumbardu au XVIIème siècle était au centre d'un réseau parcouru par les soufi qui reliait cette vallée à l'est à Fez à l'ouest en passant par le Bomu et l'Aïr. A la fin du XVlIIème siècle, suite à l'installation à N'Gala, du Shaikh Muhammad alKanémi, reconnu comme un fervent adepte de la Qadiriyya, la situation de cette confrérie se renforce davantage (Hiskett, 1984: 249-250). Cependant, à partir du XIxème siècle, à l'échelle de l'ouest africain, la Qadirjyya perd progressivement

du terrain au profit de sa cadette:

la Tijâniyya.

Cette nouvelle voie spirituelle apparaît à la fin du :x.vIIlème siècle, à un moment où le monde musulman, marqué par le déclin de l'empire ottoman, menacé par les visées impérialistes de l'Occident, abritant en son sein un courant rigoriste (le Wahhabisme), connaît un renouveau religieux et confrérique. La Tijâniyya a été fondée précisément en 1196 H ou 1781/82 de l'ère chrétienne, par un mystique algérien, Ahmad al-Tijâni104, suite à sa vision du Prophète Muhammad, en l'état de veille, :à Abû Samghûn, une oasis algérienne.

104

Shaikh Abû-I-Abbas Ahmed ibn Mohammed ibn al-Mukhtâr ibn al Salim al-Tijânî est né en 1150

H (1738) à Ain Madi, à 72 kilomètres à l'Ouest de Laghouat, dans le Sud algérien. Présenté comme un enfant prodige qui récite le Coran par cœur à 15 ans, il devint orphelin de père et de mère en 1753, suite à une épidémie de peste qui les emporta le même jour. Avant de créer sa voie spirituelle, il fut affilié à plusieurs autres voies (Qadiriyya, Nasiriyya, Tc!yyibiyyaet Khalwatryya). En 1187 H (1774/5), il accomplit le pèlerinage aux lieux saints de l'islam. En 1191 H, il retourne en Algérie où, après de nombreuses pérégrinations entre Fès et Tlemcen, il s'installe à Abû Samghûn au Sud de Géryville ou El Bayed Sidi Cheikh: localité à l'ouest de Laghouat et au Nord-Est d'Ain Sefra, non loin du Djebel Amour, en Algérie. C'est donc là qu'eut lieu la vision du Prophète qui lui révéla sa sainte mission: « Abandonne tOlitesles voies qlle tu as suivies, sois mon vicairesur terre,prvc!ame ton indépendante des (( thiottkh )) qui t'ont initié à leurs doctrines mYJ.tiques. Je .ferai ton interte.fJeur auprès de Dieu et ton guide auprès de,'fidèles qui

s'inspirerontde !es conseilset suivront ta voie» (fraon:, A. 1983 : 35). Cela s'était passé en 1196 H (1781-82). A cette époque, l'Algérie était sous la domination de la Sublime Porte dont les représentants n'appréciaient guère l'esprit d'indépendance affiché par la nouvelle confrérie. Cheikh Ahmed Tijâni connaît alors plusieurs tracasseries de leur part: sa ville est assiégée par les troupes du bey d'Oran qui lui impose une forte redevance annuelle et lui-même ainsi que les siens sont soumis à de multiples persécutions. Finalement, il se retire, en 1799, à Fès où il eut un accueil chaleureux de la part du sultan Mûlây Slimân bm Sîdî Mohammed ben Abdallah. C'est dans cette localité où il fonda une importante zâlvrya que se trouve son tombeau qui est régulièrement visité par de nombreux adeptes de sa voie. - 113 -

L'Islam dans l'espace nigérien: Des origines (f/IJim' siède) à 1960

L'introductem de cette voie au Sud du Sahara est le savant mamitanien lOS Muhammad al-Hafiz de la tribu des Idaw Ali qui, après son pèlerinage, rencontra Shaikh Ahmad Tijâni en 1789. Lorsque Al-Hafiz memt en 1830, sa tribu est majoritairement acquise à la Tijâniyya qui fait aussi une percée en direction du Sud (Sénégal, Guinée), grâce à l'action de deux importants hommes de religion: un érudit mame du nom de Mawlud Val et Karîm alNâqil, un savant peul du Fûta Jallon.Tous les deux ement à initier AI-Hajj Umar TaI à la Tijâniyya. Mais le principal instructeur de celui-ci dans la voie tijânie est sans conteste, Muhammad al-Ghâli, un disciple direct du fondatem de la voie, qu'il rencontra à La Mecque lors de son pèlerinage. AIHajj Umar demema deux ans (1828-30), auprès de cette personnalité tijânie qui fit de lui khalifa de la voie pour l'ouest africain. AI-Hajj Umar qui, une fois de retour dans sa région natale, lança le Jihad en 1852, est considéré comme le principal propagatem de la Tijâniyya au Sudan occidental et central. Dans cette dernière région, il séjourna sur le chemin de retour de son pèlerinage, quelques années en pays Hausa, à Sokoto, où il éveilla un certain intérêt de Muhammad Bello pom la Tijâniyya, bien qu'il ne soit précisé nulle part que celui-ci se soit aff1lié à cette voie. La véritable propagation de la Tijâniyya en pays Hausa est postérieure au passage d'AI-Hajj Umar à Sokoto; elle est plutôt l'œuvre de lettrés locaux, entre autres: Malam Muhammad al-Raji du Gwandu dont l'affùiation à la Tijâniyya remonterait aux années 1830, et Malam Umar b. Ahmad al-\\7ali, plus connu sous le nom de Malam Umaru Wali, affilié à la Tijâniyya dès l'âge de 15 ans par un certain Malam Shi'itu, à Zaria (Hiskett, 1984 : 253-54). Au Bornu par contre, les premières affiliations à cette voie qui se fIrent essentiellement dans les rangs des sympathisants de l'ancienne dynastie déchue des Sefuwa, ement effectivement lieu lors du passage d'AI-Hajj Umar dans ce pays, sm le chemin de retom de son pèlerinage (ibid: 256) Il est dit aussi que la Tijâniyya doit en partie son succès à la grande tolérance qui caractérise son enseignement (l'amom du prochain) et à la simplicité de son wird qui n'astreint ses adeptes qu'à des obligations peu rigomeuses106. 105Au sujet de ce personnage et sa contribution à la propagation de la Tijâllryya, voir Dedoud QuId Abdellah, inJ.L Triaud et D. Robinson (éds), 2000, pp. 69-100 106Le wird tijâni comporte trois principaux éléments: le « lazimi », exercice individuel au cours duquel l'adepte récite 100 fois chacune des trois formules suivantes: la demande de pardon à Dieu (astagJir-Allah), les salutations sm le Prophète Muhammad (salatilfatih) et la proclamation de l'unicité de Dieu (la ilaha il-Allah) ; cet exercice est accompli deux fois au cams de la journée: après la prière du matin et la deuxième prière de l'après-midi (ast) ; la « wazj.fa», exercice collectif de préférence, au cams duquel les adeptes récitent en chœur 30 fois la formule de demande de pardon à Dieu, 50 fois celle de salutations sm le Prophète, 100 - 114 -

L 1slam dans l'espace nigérien: Des origines (VIJime siècle) à 1960

La Tijâniyya sous sa « forme umarienne» (celle des douze grains)lOï aurait été introduite dans l'espace nigérien au tournant des XIxème et xxème siècles, à partir de deux pôles:

-

au Sud-Ouest Umar;

(région du fleuve), par Ahmadu

Sheku, ftis d'AL-Hajj

- à l'Est (de Zinder à N'Gigmi) par «l'imam Bargouma (Barkoma), lettré originaire du Bornu» (Beyries, 1954 : 6), par Malam Pakki un « marabout bornouan qui avait reçu l'Ouird du Cheikh AI Hacfj Brahim venu de la Mecque à Koukaoua.

Il en reçut peu après les pouvoirs de consécrateur. Ses prédications,

son exemple, ses ciffiliationJ~ ont puÙsamment répandu la voie de Gouré au l'chad» (IVIarty, 1931 : 186). Dans la seconde moitié du XIxème siècle, une autre voie spirituelle, la Sanûsiyya, est introduite dans l'espace nigérien. Cette tariqa fut fondée en 1837 près de La Mecque par un mystique algérien émigré: Muhammad b. Ali al-Sanûsî. Sa zone d'expansion est le Sahara oriental et le projet initial de son fondateur c'est « de créer un refuge loin despouvoirs irifidèles ou ryranniques, et d'enseigner !1slam aux populations ignorantes» (Triaud, 1987: 15). La confrérie s'épanouit surtout en Cyrénaïque et au Nord du Tchad où elle recrute ses principaux adeptes parmi les Tubu et les Arabes Awlad Sulayman. Elle s'organise en s'appuyant sur un certain de zâw!Ja (AI-Baida, ]aghûb, Wau AIKabir, Kufra, Gouro, Aïn-Galaka, Bir-Alali, Chemidour, pour ne citer que les plus importantes à la fin du XIxème siècle), « qui sont de véritables centres urbains oit s'or;ganÙentleJ'études, l'acmezl des commerçants et des courrieTJ,et la mÙe en exploitation par les eJc!aveJdes terres cultivables environnantes. Certaines de ces Zâw!Ja - deux d'entre elles au moinJ au Tchad - Jont devenues des placeJ'1ortes pour fairefare à la menace extétÙure» (ibid: 167). Maîtresse de la rout:: commerciale reliant directement la côte de Cyrénaïque au royaume du Wadaï, elle contrôle étroitement le trafic caravanier qui se déroule le long de cette voie. Durant les trente premières années du xxème siècle (1901-1931), elle pose

fois la proclamation de l'Unicité de Dieu et 12 fois une formule spéciale ùe salutations sur le Prophète: la (Coran, IV : 1). Ce faisant, il y a une égalité intrinsèque entre les «Banu Adam> ~es descendants d'Adam) auprès desquels, le degré de piété est le seul critère d'hiérarchisation: } (ANN, Fonds DAPA, 193-21, 1947-1953, P.H.G Scott, Etude de l'Islam au Nigeria en 1952: 6). 133Madani est le fils d'Amadu Shekel, fils d'Al-Hajj Umar; du côté matèrnel, il a aussi des liens avec la famille des sultans de Sokoto. A la fin du XIXème siècle, il s'installa au Nigeria septentrional où il séjourna précisément à Sokoto, Katsina, Geïdam et Hadeija. C'est un adepte de la Tijâniyya, et le terme «madanismi!»désigne ici les idées ou les enseignements de cette confrérie dispensés par Madani. A Hadeip, Madani avait fini par acquérir un prestige local: il passait pour « tinpuissant chefreligieux dam l'orbite duquel Je trouvaient certaineJpopulationJ nigérienneJ)}(Salifou, ibid: 602). Il entretenait tout particulièrement des liens étroits avec Malam Abba Tchillum de Kolori[(olo, dans le cercle de Guré. Ce dernier, un moqaddam de la Tijâniyya, d'une renommée certaine dans l'Est nigérien (pour plus de détails sur cet homme de religion, cf infra: 226-229), donna d'aiHeurs, en 1930, sa fille Hadiza Kugu, en mariage à Umoru, le tus de Madani. En 1931, Madani aurait émis le désir de venir s'installer avec les siens dans la colonie du Niger, et il aurait demandé à Malam Abba Tchilum de lui indiquer un bon site à cet effet Ç'vIahaman, 1997 : 300). Par ailleurs il est aussi rapporté que Madani n'est pas tout à fait inconnu dans les milieux hamallistes : «Cherif Ilamallah était en liaison avecun petitfiÙ d'El Hadj Omar, El - 151 -

L'Islam dans l'espace nigérien: Des origines (VIIème siède) à 1960

Mais l'autorité coloniale française ne semble pas être pleinement rassurée pour autant: en Octobre 1923, le nouveau sultan de Zindcr, Sarki Mustapha, est sommé de rcndre compte de ce qu'il en est exactement de la situation du mahdisme dans la région de Zinder. Cette autotité traditionnelle confIrme qu'il n'y a aucune trace de mahdisme à Zinder et ses environs où les musulmans, pour la plupart, ne sont affiliés à aucune secte islamique particulière (Glew R, 1998 : 138). Le 5 jui.n 1927, le poste administratif de Tasawa est attaqué par onze hommes armés, venus du village d'Amouss, dans la colonie anglaise du Nigeria. Seulement trois d'entre eux sont originaires de la colonie du Niger. Ccrtes, l'attaque a été repoussée, mais d'un côté comme de l'autre, on déplore des pertes en vie humaine: deux gardes et Dronet, un surveillant des travaux publics de passage à Tasawa, du côté des Français, trois hommes chez les assaillants. Cet événement malheureux conforte le pouvoir colonial français dans ses soupçons: les milieux islamiques sont immédiatement indexés, surtout lorsqu'on sut que le cerveau de l'opération est un marabout du nom de Malam Musal34. Mais, c'est surtout le sultan Barmu de Tasawa dont le comportement dans cette affaire est, aux yeux des Français, pour le moins suspect, qui écope la plus lourde sanction: à aucun moment il n'a daigné avertit l'achninistration de ce qui se préparait et, lors de l'attaque, ses cavaliers n'ont apporté aucun appui. aux défenseurs du poste135. Par décision n° 53 7 du 15 septembre 1927,

Hadj

Madani

inJta!!é

à Hadeija,

per.ronnage

connu pour

.ron intramigeanœ

et .re.r tendanm

xénophobe.\)}

(ANN,

Fonds DAPA, 193-6, 1941-1945, Circulaire n0339/APA du 18/9/42 du Gouverneur p.i du Niger: 4). C'est probablement pour toutes ces raisons que les Français voyaient en Madani une éventuelle source d'instabilité. 134Malam Musa est natif de Kanambakashé (Niger). Il appartient au groupe des Kambarin-Barebari, et son père est un proche collaborateur du sultan Barmu de Tasawa. Il aurait effectué une grande partie de sa carrière religieuse auprès de Said b. Hayatu dont il serait un des principaux disciples. Malam Musa fait partie des hommes de religion expulsés en 1918 de la localité de Gamda, au Katsina, par l'émir de ce dernier pays. Après un séjour à Madobi, dans la région de Kano, il alla à Dumbulwa, porteur d'un courrier adressé par Malam Mahaman de Madobi à Said b. Hayatu. Il quitte cette dernière localité en octobre 1923, suite à l'arrestation de ce dernier, et passe son temps à se déplacer entre plusieurs localités situées entre Birni Katsina et Kwargom (région de Tasawa). Il était dans cet espace au moment de l'attaque du poste de Tasawa. Contrairement à la nouvelle qui avait été répandue, Malam Musa ne fait pas partie des décédés lors de l'attaque. Après l'échec des assaillants, il se serait plutôt réfugié chez les Tuareg du Damargu, plus précisément à Walaléwa, puis Tanamari. Selon Malam Baturé, un des rescapés parmi les assaillants du poste de Tasawa, arrêté le 23 octobre 1927 à Karasua (Bornu), Malam Musa leur aurait annoncé l'apparition très prochaine du Madhi. Il leur aurait également dit qu'il est un prophète de Dieu, et qu'en cas de victoire à Tasawa, il comptait attaquer le Damagaram, Maradi, Katsina et Zaria (Mahaman, 1997 : 304-5) ni Le refus du sultan Barmu de coopérer avec l'autorité française à cette occasion se comprend aisément, lorsqu'on sait que depuis les années 1925/26, les rapports entre celui-ci, accusé de pressurer les populations et rappelé vertement à l'ordre, parfois en public, et les Français n'étaient pas toujours au beau fixe. Par ailleurs, le 21 février 1927, la ville du sultan Barmu, Tasawa, avait perdu sa qualité de - 152 -

L'Islam

dans l'espace nigérien: Des origineJ (VlIème Ùècle) à 1960

il est suspendu de ses fonctions et, par arrêté n02430 du 29 septembre de la même année, il est condamné à effectuer, en compagnie de dix de ses serviteurs, un exil à Nara, au Sudan français, avec comme moyen de subsistance, une pension annuelle de 3 000 francs. Par décision nOS49 du 3 novembre 1928 du Gouverneur, il est déchu de son titre et de ses fonctions de sultan qui, aux termes des dispositions de l'article 2 de la même décision, . sont suppnmes '136 . L'attaque du poste de Tasawa pousse aussi les Français à redoubler de vigilance tant à l'intérieur, qu'à l'extérieur de la colonie. C'est ainsi que, sur le plan extérieur, ils décident, d'un commun accord avec les Britanniques13ï, de renforcer leur coopération le long de la frontière entre la colonie du Niger et celle du Nigeria, à travers notamment l'orgapisation de patrouilles mixtes, l'établissement d'un contrôle étroit des déplacements des personnes et des biens, ainsi que des échanges plus réguliers d'informations. Cette coopération renforcée leur a effectivement permis de mieux cerner les contours aussi bien de l'attaque du poste de Tasawa, que du meurtre de Clements, qui étaient loin d'être des faits isolés. En effet, selon un rapport établi le 31 mars 1930 par la partie anglaise, il y avait bel et bien une main étrangère à la base de ces deux tristes évènements: "In connution with the two outJtanding politiral events of 1927 and 1928 - Tassawa raid and Clements mttrder - fitrther information prove that certain outside influences were at work at that period, Katsina

Afn'rd'

endealJOuring to persuade

the Sultan

of Sokoto

and Emir

of

to rl!ject BritiJh rule and support a general ronflic! against European power in

(AHAK

File 1109G/Vol.

II Northern

Provinces

of Nigeria:

summary of Intelligence Reports of he quarter ending 31st March 1930, cité par Mahaman A, ibid: 315). Ces influences extérieures proviendraient d'Afrique du Nord, de Tunisie précisément, où cinq personnes: Abdu Turki, Muhammad ben Nila, Abdul

chef-lieu de cercle au profit de Maradi. Tous ces faits pourraient expliquer un «refroidissement» de Barmu à J'égard de l'autorité coloniale française. 136 Pour de plus amples informations sur l'attaque de Tasawa et le sultan Barmu, on consultera utilement (ANN, 2E2.47, 1927-1931), et (Villaudière, 1991). 137Ceux-ci étaient tout disposés à coopérer avec les Français d'autant plus que l'insécurité avait fini aussi par gagner leur territoire. Car, un mois après les évènements de Tasawa, leur administrateur à Minna, Thurley, fut attaqué et grièvement blessé à l'arme blanche, au niveau du bras droit par un certain Umaru alias «AUahbamu», présenté comme un «fanatique». Quelques mois plus tard, le 3 mars 1928, un autre de leurs ressortissants, Clements, un contremaître de la société des chemins de fer, est assassiné dans des conditions obscures sur la route de Kuria, à 7 miles au sud de Kawra Namoda (Mahaman A, ibid: 314). Ces évènements avaient bien évidemment éveillé une certaine inquiétude chez les Britanniques et les avaient poussés à plus de vigilance. - 153 -

L Islam dans l'espace nigérien: Des origines (VIIèJJlesiècle) à 1960

Mejid, Ahmet et Mohammadu Muhtari, avaient été envoyés138 en février 1927 pour, selon l'un d'entre eux (.Muhtari), œuvrer en vue de mettre un terme à la domination européenne en pays Hausa. Ils atteignent Katsina après douze mois de voyage, en passant par l'Egypte, El Fasher, le Wadai, N' Gigmi, et le Damagaram. Abdu Turki, qui avait déjà eu à combattre les Français aux côtés de I} et ,Œchiroma

(Fluehard, ibid: 60). - 279 -

Tarldey,

un ldeux

notable peul,

trè.r populaim>

L 1s1am dans l'espace n£2,érien : Des origines (VIIème siècle) à 1960

général et le RDA contre l'autorité française. Pour celle-ci, cette « mllusion» qui est évidente dans la boucle du Niger en général, se justifie d'autant plus qu'ils ont des points communs: « .. .le senJ de ce parti répond à l'a.rpiration e.uentielle de.r Hamalli.rteJ, son p.reudo nationalisme antifranftlis rrjoint la xénophobie et l'exc!uJÙJismedeJfidèleJ de Hamallah ; le point d'attirance et le point d'alliance sont tout trouvéJ: SItS à l'occupant, pense le RDA, et, att Hamallisme il dit: sus à l'infidèle» (ANN, Fonds DAPA, 140-8, 1949: 3). Dans le cas précis du Niger, l'existence les passages ci-après: «Au Niger, les relations hamalliJtes-RDA

de cette collusion

serait attestée par

ont été concrétiJéespar le Jéjour à Dari des

deux leaders du RDA, MAMADOU DJIBRlUA MAIGA288 et BAKARI DJIBO. IlJ ont pu y prendre contact avec les deux maraboutJ hamallisteJ leJ pÙtJ importantJ: SAMBA AMADOU etAMIDOU ALOU (ibid: 13). « Il semble bien prouvé que leJ hamalliJteJ de Dari trmJaillent en étroite collaboration avec le RDA dont l'ex-conseiller de la République, Mamadou D)ïbrilla est l'animateur local. D'aprèJ les diverJ intetTogatoireJ et les dépoJitionJ des membreJ du RDA de Dari euxmêmes, il est prouvé que la mqjorité des hamallistes de Don' possèdent des cartes du RDA et que les deux chifs defile, Mamoudou et Amidou Alou sont despropagandisteJ RDAfanatiques auprès de leurs adeptes religieux» (ANN, Fonds DAPA, 140-13, 1949, J Baudot, Commandant du cercle de Gao, Note au sujet de l'activité de Matnadou Djibrilla , ancien Conseiller de la République, agitateur RDA à Dari, Gao, 10 mai 1949).

288Mohamadu

Djibrilla Maïga, issu de la famille des chefs de Coruwol, est un membre influent du PPN/RDA Il a servi l'administration coloniale en qualité de commis expéditionnaire en basse et haute Côte d'lvoire. Candidat malheureux à la chefferie du canton de Goruwol en 1932, puis aux élections à l'Assemblée Nationale française du 10 novembre 1946, il est finalement élu en décembre 1946, Conseiller de 1a République, poste qu'il perd en novembre 1948 au profit de Bâ Omar. En décembre 1951, il quitte le PPN/RDA pour rallier l'UNIS où i1 siège au sein du Comité Central comme secrétaire social. En 1954, il est radié de cette structure pour «indisciplinecaradéri.rél!» (Fluchard C, op. cit : 132). Un rapport administratif de 1949 mentionne que Mohamadu Djibrilla Maïga fait partie des milieux hamallistes :