L'Ethique de l'Ere Postmoderne Et Crise de la Theologie (Annua Nuntia Lovaniensia) (French Edition) 9789042935174, 9789042937239, 9042935170

English summary: This book has a remarkable epistemological ambition for the future of theological science in contempora

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L'Ethique de l'Ere Postmoderne Et Crise de la Theologie (Annua Nuntia Lovaniensia) (French Edition)
 9789042935174, 9789042937239, 9042935170

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L’éthique de l’ère postmoderne et crise de la théologie

Katikishi Muzembe

PEETERS

L’ÉTHIQUE DE L’ÈRE POSTMODERNE ET CRISE DE LA THÉOLOGIE

ANNUA NUNTIA LOVANIENSIA

LXXII

L’éthique de l’ère postmoderne et crise de la théologie

par

Katikishi Muzembe

PEETERS LEUVEN – PARIS – BRISTOL, CT

2019

«Tant que l’idée de Dieu sera de telle ou de telle sorte et n’aura pas été remise en question et modifiée s’il se doit, nous n’aurons pas été à la racine ultime d’une situation que nous voulons éventuellement changer» (A. Gesché, Dieu pour penser. t. 5. La destinée, Paris, Cerf, 1995, p. 158).

Cover illustration: Lee Krasner, Burning Candles, © SABAM Belgium 2019 A catalogue record for this book is available from the Library of Congress.

No part of this book may be reproduced in any form, by print, photoprint, microfilm or any other means without written permission from the publisher © Uitgeverij Peeters, Bondgenotenlaan 153, B-3000 Leuven (Belgium) ISBN 978-90-429-3517-4 eISBN 978-90-429-3723-9 D/2019/0602/98

Table des matières Remerciements ..............................................................................

vii

Introduction ..................................................................................



Chapitre I. Contexte et prestige du nouvel ordre éthique............



.. Phénoménologie du nouvel ordre mondial ............................ ... Planétarisation des problèmes de l’humanité ................ ... Primat de l’éthique dans la problématique de gouvernance ............................................................................

  

.. Phénoménologie des défis de l’éthique mondiale ...................  ... Menace de la démocratie et dénie de la justice .............  .... Disqualification des systèmes totalitaires .............  .... Démocratie et régulation sociale .........................  ... Menace de la sécurité internationale et islamophobie ...  .... Dérive du nationalisme .......................................  .... Pseudo-référence à la religion ..............................  ... Menace de la sécurité sociale et afro-pessimisme ..........  .... Crise du néolibéralisme économique ...................  .... Échec des stratégies de la croissance ....................  .... Afro-pessimisme et enjeu de la gouvernance .......  ... Menace de l’environnement et responsabilité écologique  .... La question nucléaire et l’écologie .......................  .... Écologie et problématique du développement .....  .. Désintégration du théologique ...............................................  ... Dépréciation d’un christianisme religieux .....................  ... Désertion inauthentique de la laïcité ............................  Chapitre II. Profil et référents de l’éthique postmoderne ............  .. Problématique et profil d’un nouvel ordre éthique................. ... Une éthique d’enjeu public........................................... ... De la morale privée à l’éthique publique ...................... ... L’horizon universel d’une situation éthique .................. ... Éthique de la responsabilité globale ..............................

    

.. Horizon cosmopolitique d’une éthique mondiale ..................  ... L’éthique dans les standards universels .......................... 

VI

TABLE DES MATIÈRES

... Légitimité et crédibilité d’un consensus éthique ...........  ... La portée normative de l’éthique du consensus ............  ... Le primat de la gouvernance mondiale .........................  .. Difficulté de l’approche théologique en régime de laïcité .......  Chapitre III. Le contrat théologique avec l’éthique de la laïcité ..  .. Suggestions du nihilisme et de la déconstruction ................... ... Le nihilisme et sa fonction émancipatrice en morale .... .... Vertu de délivrance morale dans le nihilisme ...... .... Atout d’une inscription à la laïcité ...................... ... Déconstruction et réhabilitation du régime de la vérité .... Déstabilisation du logocentrisme théologique ..... .... Déconstruction et pouvoir référentiel du théologique ................................................................... .... Laïcité et coïncidence de la valeur spirituelle ...... ... Possibilité des versions alternatives................................ .... La dédramatisation de la sexualité ....................... .... La dé-monopolisation du ministère sacerdotal ....

     

.. Inscription d’une théologie à pertinence publique ................. .. Nécessité d’une articulation sur un cahier de charges............. ... Du théologique à portée sociale.................................... ... Pistes d’une spiritualité à pertinence publique .............. .... L’enjeu d’une spiritualité de l’écologie................. .... La portée sociopolitique d’une spiritualité de l’hospitalité ................................................................. .... De la tolérance religieuse à l’hospitalité illimitée .

    

    

 

Conclusion .................................................................................... 

À Mgr. Félicien Mwanama Ngalumbulula Pour ses 󰀂󰀅 ans de vie sacerdotale et pour son ordination épiscopale

Remerciements Le texte de ce livre est écrit dans le souci de plaider en faveur d’un contrat théologique avec le paradigme du nouvel ordre éthique à l’âge de la postmodernité. L’ambition est tellement forte, que l’hypothèse de ce livre part du constat d’une situation qui révèle que l’activité théologique traverse l’un de ses moments les plus critiques, en raison de ce qui apparait comme la non évidence de sa pertinence au sein du nouvel ordre mondial. Celui-ci s’appuie plutôt globalement sur les standards de l’éthique dite de la laïcité en matière de gouvernance publique, que sur les convictions issues des traditions métaphysiques des religions. La préoccupation de gagner en pertinence publique, obligera le théologique à compter sur un type de partenariat réaliste et lucide avec l’éthique postmoderne, qui s’exprime en termes d’éthique mondiale ou d’éthique planétaire dans l’espace d’une laïcité ouverte, y compris à un pluralisme illimité des convictions et des traditions croyantes. Cette nouvelle perspective permettra à l’herméneutique théologique d’espérer que la poursuite de ses tâches se fasse dans les conditions épistémologiques nouvelles, qui garantiront le renouvellement de sa méthodologie là où il le faudra, et assureront sa crédibilité auprès d’une culture planétaire et d’une société contemporaine à de nouvelles exigences de sens de la vie. Réalisé dans le cadre d’un séjour de recherches postdoctorales à la KU Leuven en Belgique entre aout et novembre 󰀂󰀀󰀁󰀁, ce livre a connu l’appui de l’Office International de ladite Université, en collaboration avec le secrétariat du Décanat de la Faculté de Théologie. Je tiens à remercier le Professeur Lieven Boeve, Doyen de la Faculté de Théologie et Sciences religieuses de la KU Leuven. En tant qu’encadreur de la recherche dont les résultats ont donné le contenu de ce livre, il a accueilli avec enthousiasme le projet de recherche, et a coordonné avec vigilance le déroulement de mon séjour sur le Campus de la KU Leuven. Je rends hommage au Professeur Marc Vervenne, Recteur honoraire de la KU Leuven. Il m’avait facilité le contact avec la Faculté de Théologie et Sciences religieuses de la KU Leuven en vue de me présenter comme

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REMERCIEMENTS

candidat à la recherche postdoctorale. L’aboutissement du projet de ce livre devra beaucoup à son intervention et à son intelligente médiation. Cet acte de remerciement est l’expression de mon estime pour lui, et une occasion de faire mémoire à son père Paul Vervenne, qui allait quitter ce monde quelques jours après mon départ de Belgique, soit le 󰀁󰀈 novembre 󰀂󰀀󰀁󰀁. Je traduis ma reconnaissance au Professeur Leo Kenis de la Faculté de Théologie et Sciences religieuses de la KU Leuven, pour avoir fait apprécier à sa juste valeur le texte de ce livre, et pour y avoir apporté son soutien jusqu’à sa phase de publication. Ma gratitude s’adresse également au Professeur André Kabasele Mukenge, Recteur de l’Université NotreDame du Kasayi, pour sa sympathie. Kananga, le 󰀁󰀇 mai 󰀂󰀀󰀁󰀇

Introduction Il n’est pas surprenant que, jusqu’à notre époque, il soit possible de faire le diagnostic du christianisme en termes de crise, et de réaliser, en effet, à la suite de J. Moingt, qu’«il est de la nature même du christianisme de vivre en état de crise et [que] l’originalité de la situation présente réside dans la conscience aigüe de cette crise». Le propos du présent livre repose sur l’hypothèse de travail qui atteste qu’il s’agit, dans le christianisme contemporain, essentiellement d’une crise de pertinence publique. Mais en rigueur des termes, on parlerait de la crise de l’herméneutique théologique. La théologie porterait plus la responsabilité de la situation critique que traverse le christianisme, du fait qu’on attend d’elle, depuis des âges, l’exercice en permanence de la charge d’ordonnancement du protocole du christianisme en vue de faire gagner à celui-ci, et à toutes les époques, le pari d’intelligibilité et de pertinence intellectuelle face à la conscience humaine. Il s’agirait forcement d’une crise du théologique, là où ce domaine d’interprétation de la vie traverserait, encore aujourd’hui, un moment crucial de «risque de perte» de pertinence, en face d’un ordre mondial décidé à s’appuyer sur l’éthique de la laïcité en vue d’affronter les défis de la planète. Le seul choix possible reste suspendu à la question de savoir, si et dans quelle mesure, le nouvel ordre mondial, qui se réclame de l’éthique déclarée de la laïcité, peut-il être l’occasion de l’avènement d’un nouvel ordre de la théologie? Nous avons démontré ailleurs, que depuis quelques décennies, la théologie est arrivée à un stade où elle se trouve confrontée à une nouvelle situation historique, qui l’oblige à opérer le choix d’assumer au sein de son herméneutique, la «condition postmoderne» de la conscience humaine. C’est dire qu’aujourd’hui, plus qu’auparavant, la théologie est mise en demeure de prendre acte, dans sa démarche d’ensemble au sein de son analyse fondamentale, des transformations que connait le monde, et surtout en s’articulant sur l’éthique de la laïcité, tant il est vrai que la  J. Moingt, Croire quand même. Libres entretiens sur le présent et le futur du catholicisme, Paris, Temps présent, ; cité par R. Lemieux, «Crise, christianisme et société contemporaine», dans Recherches de Science Religieuse  (), p. .  Cf. B. Katikishi Muzembe, Le concept théologique de la postmodernité, Paris, Connaissances et Savoirs, .  Cf. J.-F. Lyotard, La condition postmoderne. Rapport sur le savoir, Paris, Minuit, .

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INTRODUCTION

cité contemporaine traverse l’âge de la «contingence radicale». Il s’agit de penser à un nouveau conditionnement du théologique, qui tienne compte du fait que, aujourd’hui, le christianisme est soit porté à l’ex-culturation – processus qui, progressivement, contribuera à sa propre expulsion hors des cultures séculières – soit poussé à opérer une révision de fond et de forme en direction des protocoles essentiels de ses enseignements et de ses engagements vis-à-vis des défis du monde et de l’humain. Notre époque ressent le besoin d’une théologie qui soit capable d’assurer au christianisme une profonde mutation, là où il semble plus qu’urgent de repenser la question de sa pertinence dans l’espace de la laïcité. Certes, une telle analyse théologique reconnaitra le rôle significatif du christianisme dans la formation morale de la civilisation occidentale. Mais elle montrera aussi que cet avantage historique semble frappé de caducité dans une civilisation de nouvelles orientations éthiques qu’impose le paradigme de nos sociétés pluralistes. Non seulement on devrait se convaincre que l’ordre actuel des choses rend urgent un tournant global du théologique lui-même, mais aussi est-il judicieux de réaliser que, pour que la théologie retrouve sa place dans l’espace des épistémologies postmodernes, elle doit sortir du théologique spécifique, du cadre religieux propre, pour aller au para-théologique, rejoindre les espaces publics, ces différents lieux réels où s’expriment des aspirations et désirs, où se posent des problèmes et où se formulent institutionnellement des solutions aux défis de la vie de nos contemporains. On a l’impression que tout devrait être repensé à partir de la conviction selon laquelle il n’y a pas de théologie dans le théologique, qu’il faut renégocier les contours des tâches et des méthodologies de la théologie hors du théologique. On ne serait pas en train de céder à une logique de simple changement de discours, mais à celle d’un vrai changement de terrain, qui implique la déconstruction des anciens régimes de constitution métaphysique, en fonction de l’éclosion de nouvelles stratégies d’inscription théologique au réel, à l’humain, au social. Face à un tel tournant, la grande partie des versions actuelles du christianisme (à partir duquel la théologie énonce son intelligibilité du réel), participe d’une vision du monde qui, en tant que vision métaphysique et supranaturaliste, est aujourd’hui frappée d’une crise qui se manifeste soit dans le déficit des solutions spirituelles à donner aux nouvelles questions de la vie, soit dans l’absence de pertinence en dehors des espaces liturgico-ecclésiaux, soit encore dans le manque de cohérence et de 

Cf. R. Lemieux, «Crise, christianisme et société contemporaine», p. .

INTRODUCTION

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fécondité dans l’option fondamentale pour l’œcuménique et le dialogue, etc. La théologie sera comme dans une situation d’impasse caractéristique aussi longtemps qu’elle restera encore et toujours liée à la perspective des clivages modernes, qui la ramène et la maintient à l’ordre du religieux et du sacré, et ne l’ordonne que de façon épisodique, selon une mystique spiritualisante, à la sphère de la vie publique, à l’ordre du social entendu dans cette perspective comme ordre du «profane». C’est à l’intérieur d’un tel format de ses tâches, que l’herméneutique chrétienne fait une expérience de choc inévitable, entrainé par le surplomb d’une laïcité envahissant, qui la convoque à une reformulation de ses principes, en vue d’appartenir à un ordre des structures de signification qui soient d’enjeu et de pertinence publique. La théologie est provoquée à la tâche de redéfinir ses méthodes, en vue de rejoindre la dynamique éthique et normative qui porte actuellement les moyens de lutte pour l’épanouissement de la vie: la démocratie et les droits de l’homme, la justice et la bonne gouvernance de la terre et du destin humain dans sa totalité, etc. Le paradigme du nouvel ordre éthique autorise et exige en direction de la théologie, de nouvelles options, qui ordonnent celle-ci à la vérification de sa valeur pragmatique et de son utilité éthique. En dehors de cet enjeu, l’analyse théologique s’expose au risque de demeurer sans impact réel sur la vie concrète, s’il n’émerge que de l’univers «religieux» pour retourner à cet univers. Le spectre de sa signification en situation postmoderne court le danger de rester à un diamètre de faible (voire de nulle) influence au sein de l’espace public, aussi longtemps qu’elle ne pourra pas aller jusqu’aux motifs réels et aux objectifs opérationnels présidant aux nouvelles orientations et aux différents processus décisionnels qui ordonnent la restructuration et la recomposition de nos sociétés pluralistes. En-dehors des espaces politiques intégristes et des milieux religieux fondamentalistes, nos contemporains sont de plus en plus liés à l’idéal d’une nouvelle gouvernance éthique et démocratique, dont la normative issue des résolutions, des traités et des accords internationaux sur des situations précises de la vie, aurait le dessus sur une moralité d’intimité intérieure, car s’y trouvent mises en jeu la réglementation, la régulation et la mobilisation des volontés et des comportements, des institutions, des pouvoirs et des services publics, pour le bien et la protection de tous et de l’ensemble. L’ordre de cette éthique oriente autrement l’interprétation des différents langages des lois républicaines, qui régissent l’ordre institutionnel de la vie publique en vue d’en obtenir les lignes maitresses d’une gouvernance conforme aux enjeux de la démocratie. Il s’ensuit que,

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INTRODUCTION

aujourd’hui, l’humanité n’a jamais eu autant besoin d’un nouvel ordre éthique, qui incite et qui encadre les motivations en direction d’une telle stratégie collective de gouvernance. On a l’impression qu’à travers les options et stratégies diversifiées, le monde veut obtenir partout les conditions d’une vie en commun, politiquement et spirituellement plus viable, matériellement et psychologiquement abordable, en travaillant à l’avènement d’une société internationale démocratiquement juste, moralement décente, et plus pacifique sur le plan sécuritaire. En ce sens, tout semble mobilisé, à l’échelle mondiale, pour faire triompher l’éthique mondiale, avec les exigences de libertés fondamentales, de droits des peuples et de droits humanitaires, sur la déchéance des idéologies dominatrices du paradigme moderne. Partant des précautions au sein des institutions gouvernementales et paragouvernementales, jusqu’aux nouvelles stratégies pour une gouvernance démocratique recommandable; des alliances régionales et mondiales pour un partenariat dynamique et convainquant, jusqu’à la mise en place des standards nouveaux ordonnés à des urgences de régulation; tout est tiré vers le bien ultime de l’homme pris dans chaque région du monde, et vers les conditions écologiques et sociétales nouvelles de son épanouissement selon un horizon cosmopolite, à travers une gestion voulue capable de rendre compte de la cohérence du politique et de la crédibilité des institutions et services publics. Le primat de l’éthique dans les stratégies contemporaines de réorientation de l’ordre mondial de gouvernance, est une dynamique qui soumet la démarche théologique à une dure épreuve quant à la nouvelle conscience de ses responsabilités sociale et politique, tout en ordonnant la nécessaire requalification de son cadre théorique. Déjà éprouvée par l’expérience d’un œcuménisme (pratique) tiraillé entre les prétentions contrastantes d’absoluité et les hypocrisies stratégiques des différentes églises; quelque peu désorientée par le parcours de nouveaux mouvements religieux, qui suivent et proposent des spiritualités alternatives en marge de la grande voie institutionnelle des églises classiques, la théologie semble ne pas être à mesure de rendre compte des tensions multiples dont le christianisme est le théâtre au sein de la société contemporaine. Et pourtant, la théologie doit ré-émerger d’une nouvelle conscience chrétienne: celle d’un rapport radicalement positif du christianisme et des religions à l’espace de la vie publique, en tant qu’espace qui, sur le plan formel et institutionnel, renvoie décidément à la catégorie politique de la «laïcité». Dans le cadre de cette nouvelle conscience théologique, la vraie situation que traverse le christianisme contemporain apparait comme une situation d’un rapport difficile aux orientations du nouvel

INTRODUCTION

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ordre mondial. Le plus essentiel sera de souligner que l’avenir de la théologie est désormais tributaire du contexte global de réelle confrontation aux défis et aux épistémologies de l’âge postmoderne. Il s’agira pour la théologie de prendre en charge les revendications d’un contexte mondial où le christianisme est, comme l’a noté J. Habermas, «contraint à une réflexion sur sa position non exclusive au sein d’un univers de discussion délimité non seulement par le savoir scientifique profane mais encore par les autres religions». H. Küng a, certes, formulé le principe théologique d’un œcuménisme large, comme réponse plus ou moins adéquate au défi du consensus. Mais on ne sait pas jusqu’où peuvent aller les résultats d’une telle démarche, tant que son système d’éthique planétaire souffre d’un relent dogmatique (sans réelle valeur publique), lorsque ce système repose sur la défense des valeurs «acquises», non discutées, retrouvées «disponibles» dans leur état de nature au sein des religions. Cette démarche semble ne pas tenir compte de la permanence des stratégies de surenchère fondamentaliste, qui permet à chaque religion de cramper sur sa position quant à la problématique d’identité et de singularité. La condition du dialogue entre les religions pour l’établissement d’une éthique du consensus, semble une solution encore intenable au regard de ces difficultés. Il y a, notamment, ce phénomène d’islamisation de la planète (même au prix de la violence), dont le résultat ne sera peut-être pas l’établissement d’un hyper-empire musulman à l’échelle mondiale, comme l’a prédit J. Attali. Parallèlement à ce phénomène, il y a en vue toute une orientation du politique, qui ne saura négocier la position quasi-absolue de la charia comme référence en matière des usages politiques à l’échelle d’un nationalisme à visage ultramoderne dans les États musulmans. On ne peut oublier de mentionner la ligne d’un christianisme intransigeant, prosélytiste et puritain, qui se conforte dans le maintien de la logique d’institutionnalisation du religieux et de l’individualisation de la morale, et qui s’expose à la tentation quasi-permanente d’exclusion vis-à-vis d’autres manières de «croire».  J. Habermas, «Fondamentalisme et terreur», dans J. Derrida et J. Habermas, Le «concept» du  septembre. Dialogues à New York (octobre-décembre ) avec Giovanna Borradori, Paris, Galilée, , p. .  Cf. H. Küng, Une théologie pour le troisième millénaire. Pour un nouveau départ œcuménique, Paris, Seuil, .  Cf. H. Küng, Projet d’éthique planétaire. La paix du monde par la paix entre les religions, Paris, Seuil, .  Cf. J. Attali, Une brève histoire de l’avenir, Paris, Fayard, , p. -.

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INTRODUCTION

La deuxième moitié du XXe siècle a connu une recrudescence des travaux significatifs sur la valeur théologique du pluralisme religieux. Mais l’arbitrage des milieux officiels de l’Église, avec le célèbre document Dominus Jesus () de la Congrégation pour la doctrine de la foi, est revenu sur la dogmatique de l’unicité et de l’universalité du Christ dans l’ordre de médiation du salut, telle qu’affirmée de manière totalitariste, au point d’entrainer un blocage inexpliqué en direction d’une herméneutique chrétienne d’interactions, de corrélation (P. Tillich) et de conversation (D. Tracy) entre les religions du monde, au regard des efforts des colloques œcuméniques pour un dialogue productif de nouvelles figures de l’expérience croyante. Dans le cadre de ce paradigme négatif, on a noté le recul de certaines positions, notamment dans le milieu théologique francophone. J. Moingt a soutenu qu’il était possible de respecter les religions sans que la théologie n’ait besoin «de leur attribuer quelque institution divine que ce soit depuis que l’Évangile a mis fin à la pédagogie de la loi mosaïque». J. Doré ne refuse pas seulement la possibilité d’attribuer aux religions «une institution formellement divine, un caractère formel de révélation au sens très précis de ce terme», mais il considère aussi que «rien n’oblige […] à en faire un lieu de révélation ou un champ de salut qui concurrencerait en quoi que ce soit l’unique et universelle médiation de Jésus-Christ». De la même manière que la problématique des droits de l’homme avait été soupçonnée dans les milieux officiels de l’Église, du fait qu’on l’a rattachée à la trilogie liberté-égalité-fraternité de la révolution française, en la taxant de ce fait d’être l’expression de la négation du Droit de Dieu (et donc par-là négation de la position centrale de l’instance de légitimation institutionnelle qu’est l’Église, et de tous les pouvoirs correspondants), de la même manière, l’idée de la laïcité se trouve-t-elle  Cf. J. S. O’Leary, La vérité chrétienne à l’âge du pluralisme religieux, Paris, Cerf, ; J. Dupuis, Vers une théologie chrétienne du pluralisme religieux, Paris, Cerf, ; M. Aebischer-Crettol, Vers un œcuménisme interreligieux. Jalons pour une théologie chrétienne du pluralisme religieux, Paris, Cerf, ; B. Katikishi Muzembe, L’altérité dans l’intelligence théologique du pluralisme religieux, Thèse doctorale, Kinshasa, Faculté Catholiques de Kinshasa, .  J. Moingt, «Rencontre des religions», dans Études  (), p. , tel que cité par N. Provencher, «La présence de Jésus-Christ dans les religions et les cultures. Vers des théologies contextuelles», dans C. Ménard et F. Villeneuve (dir.), Pluralisme culturel et foi chrétienne. Actes du Congrès de la Société canadienne de théologie. Bibliothèque nationale du Québec, Montréal, Éd. Fides, , p. .  J. Doré, «Synthèse théologique finale», dans Spiritus  (), p. , tel que cité par N. Provencher, «La présence de Jésus-Christ dans les religions et les cultures», p. .

INTRODUCTION

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ramenée à une conception qui en gauchit la prégnance, et contribue à maintenir les approches théologiques à l’écart des enjeux de l’espace public. Cela explique, en majeure partie, le fait que la situation de crise que traverse le christianisme soit tributaire du climat inédit de méfiance orchestré par l’espace politique de la laïcité en face de tout ce qui représente des régimes des spiritualités dans l’espace public. Il faut admettre qu’au regard de nouvelles exigences éthiques qui définissent le cadre de gouvernance dans la géopolitique mondiale actuelle, la proposition d’une perspective théologico-politique lancée par P. Valadier ne saura être à la hauteur d’une nouvelle ambition théologique, en dehors du schéma qui verra l’herméneutique chrétienne s’orchestrer dans un réel projet d’articulation aux enjeux de la laïcité. La perspective d’un partenariat assumé avec la laïcité est devenue un chemin incontournable d’une nécessaire requalification des tâches théologiques. Le motif d’un tel tournant ne se limitera pas au souci de voir la communauté politique, passer d’une «laïcité ignorante» à une «laïcité intelligente», en vue de combler le déficit de la culture religieuse dans les milieux sociaux de notre époque. Cette suggestion désespérément avancée par P. Valadier ne rentre malheureusement pas dans le véritable débat auquel la théologie se trouve potentiellement tirée par l’espace de la laïcité. En revanche, plus que pour la sociologie religieuse ou pour l’histoire des religions (et surtout du christianisme et de l’islam), c’est à la théologie que revient aujourd’hui la délicate et périlleuse tâche de rebondir, sur base d’une pédagogie d’intégration historique et pragmatique (selon un mode post-métaphysique de redéploiement de l’interprétation chrétienne), pour se ré-articuler à partir d’un profil plutôt sociopolitique de son herméneutique globale. Il s’agit, pour elle, de se placer au-delà des formes marginales héritées des figures modernes d’un religieux désintégré par rapport à l’ordre du vécu et de la contingence des situations. Dans le cadre d’une évaluation du rapport entre la théologie et le paradigme moderne en contexte de l’économie du marché, H. Assmann a eu raison de noter que «l’impuissance de la théologie face à la modernité constitue un chapitre de l’histoire de la théologie qui représente encore pour nous un défi». Aujourd’hui, tout indique que la théologie n’a jamais eu autant besoin de devenir le lieu d’articulation entre la foi des communautés croyantes et les défis de la société globale. Elle veut se reconstruire à partir d’une 

H. Assmann et F. J. Hinkelammert, L’idolâtrie de marché. Critique théologique de l’économie de marché, Paris, Cerf, .

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approche qui engage radicalement l’essentiel de l’herméneutique chrétienne dans une relation fertile et critique avec les enjeux de la vie publique, pris dans leur fonction de structuration humaine du vivre ensemble. Dans l’ordre de ce tournant, seule sera défendable l’idée de Dieu qui accompagnera notre société-monde dans ce qu’elle veut changer et transformer, au bénéfice d’un processus d’intégration plus réussie de la condition humaine et planétaire totale. Car de tout temps, comme l’a noté A. Gesché, le rapport à Dieu équivaut à une certaine attention sur ce qui, fondamentalement, détermine une certaine image du salut de l’homme et de la société. Par conséquent, on doit se convaincre que, c’est en renégociant le visage du christianisme, qui sera conçu et expliqué désormais en termes de relation au cosmos (et non seulement aux cultures), de réconciliation avec les religions (et non seulement entre les églises) et de partenariat avec la laïcité sociopolitique (au-delà du cadre spécifique des liturgies), que l’herméneutique théologique s’énoncera comme une perspective capable de s’affronter à l’horizon polycentrique, cosmopolite et public de la destinée humaine que suggèrent les lignes majeures de la situation postmoderne. Il ne s’agit pas ici de consacrer la logique qui consiste à proclamer comme «chrétien» tout ce qu’on trouve de bien et de vrai dans l’espace-monde, ni de rapporter à la seule instance d’accomplissement «évangélique» les valeurs de justice, de paix, de charité-miséricorde, selon la perspective d’une certaine doctrine sociale de l’Église aux allures idéologiques. Il faut, en revanche, montrer comment, sur le plan pratique, une perspective théologique d’analyse des défis peut se tailler une place au sein d’une nouvelle approche de l’éthique globale, en se voulant incitatrice de nouveaux élans, mobilisatrice des nouvelles initiatives, et provocatrice de nouveaux projets. Parce qu’il s’agit pour la théologie de sortir d’une crise de plausibilité, ce qui est en jeu dans cette démarche sera vu comme la nécessité de délivrer le christianisme du paradigme moderne de clivages. Benoît XVI a souhaité à juste titre, qu’«à l’autocritique de l’ère moderne, soit associée aussi une autocritique du christianisme». C’est dire que, sur fond des clarifications critiques en direction d’un christianisme inapte quant à la tâche d’accompagner positivement l’éthique de la laïcité, une ré-orientation du théologique est sans doute d’une nécessité croissante. La situation ne 

A. Gesché, Dieu pour penser. T. . La destinée, Paris, Cerf, , p. . Benoît XVI, Lettre Encyclique sur l’espérance chrétienne, Spe salvi, Rome, Librairie Éditrice du Vatican, , n° . 

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devrait pas ressembler à ce que Simon Weil stigmatisait dans les années  lorsqu’elle écrivait: «La croyance qu’un homme peut être sauvé hors de l’Église visible exige que l’on pense à nouveau tous les éléments de la foi, sous peine d’une incohérence complète. Car tout l’édifice est construit autour de l’affirmation contraire, que presque personne aujourd’hui n’oserait soutenir. On n’a pas encore voulu reconnaître la nécessité de cette révision. On s’en tire par des artifices misérables». À notre époque, la laïcité doit représenter une constante d’interprétation théologique de la vie. Elle sera prise, sous cette analyse, dans sa portée non partisane et non polémique. Elle ne sera pas seulement renvoyée à la désignation politique de l’espace public institutionnel. Elle rime avec une postmodernité dont l’approche inclut ce que représente les sociétés pluralistes dans leur besoin d’une éthique globale, ressentie à la fois comme préoccupation essentielle et comme l’enjeu d’une nouvelle énergétique de gestion consensuelle du destin commun de l’humanité et de l’avenir de la planète. De ce fait, à travers la démarche d’une éthique postmoderne, la laïcité convoque l’herméneutique théologique à une nouvelle responsabilité épistémique, parce qu’il s’agit pour celle-ci de se rendre compte que le passage à la postmodernité aujourd’hui est de l’ordre d’une mutation paradigmatique et non pas un simple phénomène épisodique. S’il y a postmodernité, écrit A. Gesché, «c’est parce que la modernité ne rayonne plus assez, et cela parce qu’elle n’est plus (suffisamment) porteuse des questions de destin». Face aux enjeux épistémologiques de la postmodernité, la théologie n’a donc pas rapport à un paradigme intermédiaire. Elle doit connaitre un déplacement, consécutif à l’obligation pour elle de s’articuler sur un paradigme à travers lequel se formulent déjà les orientations de la conduite globale de la destinée humaine, sous la légitimité des requêtes qui fondent une nouvelle approche sur les standards de l’éthique universelle. C’est l’ordre d’un paradigme axé sur un humanisme qui exclut la logique d’égoïsme, sous ses formes de totalitarisme politique, d’utilitarisme économique, et d’autarcie sociale. La déconstruction de tous les systèmes d’égoïsme est devenue le leitmotiv de l’éthique de notre époque. Ces systèmes sont considérés comme générateurs des inégalités sociales, des déséquilibres politiques et des injustices institutionnelles, en face desquelles se dresse une éthique qui  S. Weil, Lettre à un religieux, Paris, Gallimard, , p. , cité par A. Léonard, Dialogue des chrétiens et des non-chrétiens, Paris, Office générale du livre, , p. .  A. Gesché, Dieu pour penser. T. . La destinée, p. .

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en appelle à de nouvelles proportions de régulation, à de nouveaux équilibres de gouvernance. Il s’agit d’une responsabilité au nom de laquelle notre génération est placée sous la crainte de voir le monde basculer dans une grande tricherie, qui coutera lourdement la désintégration des générations à venir. Cette tricherie sera liée, soit à la corruption structurelle du monde politique et des pouvoirs publics, soit à la duperie et aux manœuvres des décideurs financiers à vouloir maintenir le régime libéral, qui empoisonne l’ordre des rapports sociaux en les rendant pour le moins artificiels. Nos contemporains sont comme assis sur une conviction que c’est la conduite éthique des affaires du monde, qui établira le monde et l’humanité dans une grande espérance sans laquelle aucun peuple, aucune nation, aucun État ne peut s’assumer devant de dures situations qui mettent la vie en difficulté de croissance faute de croire profondément, de façon formelle et institutionnelle, aux valeurs de construction communes. Dans ce régime, seul le consensus autour de valeurs fondamentales rassure, du fait que nos contemporains y trouvent la garantie d’une morale publique régulatrice (dans tous les domaines), au service de la seule cause défendable, la cause humano-écologique, qui est à ce titre le leitmotiv de l’éthique mondiale. Si, dans ces conditions, le terme «postmodernité» est déjà présent dans le discours officiel de l’Église, il faut en dédouaner le sens. Sinon, on en restera encore à constater que la théologie se retrouvera dans une situation d’obsolescence et de fébrilité remarquable aussi longtemps qu’elle n’intégrera pas, au prix d’une intelligente réception épistémique, les défis de l’éthique postmoderne. On ne saura vraiment pas mesurer le diamètre de l’influence théologique dans le monde des significations essentielles de l’existence, en dehors de cette relation à des «théologies laïques». Car, au bout de compte, la question reste celle de savoir si la 

Cf. Jean-Paul II, Lettre Encyclique sur les rapports entre la foi et la raison, Fides et ratio, Rome, Librairie Éditrice du Vatican, , n° .  Le Pape Jean-Paul II reconnait, certes, «que les courants de pensée qui se réclament de la post-modernité méritent d’être attentivement considérés». Mais la description qu’il fait de ce courant est restée caricaturale. Il écrit à cet effet: «[…] le temps des certitudes serait irrémédiablement révolu, l’homme devrait désormais apprendre à vivre dans une perspective d’absence totale de sens, à l’enseigne du provisoire et de l’éphémère. De nombreux auteurs, dans leur critique destructrice de toute certitude, ignorant les dispositions nécessaires, contestent également les certitudes de la foi» (Jean-Paul II, Fides et ratio, n° ). Jean-Paul II est allé jusqu’à assimiler la post-modernité au «nihilisme», alors même qu’il définit le nihilisme comme une négation de l’être et de la vérité objective (Jean-Paul II, Fides et ratio, n° ).

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théologie saura prendre et tenir une parole à crédibilité publique au bénéfice de nos contemporains, aussi longtemps que son discours n’émergera pas de ce lieu où se négocient les nouveaux symboles et les nouveaux mots-de-passe de la reconstruction de l’humanité et de la planète. Dans le cadre de cette préoccupation, la relation de la théologie à la sécularité et à tout ce que représente le point d’ancrage de l’interprétation de la vie dans l’univers de la laïcité, n’a rien d’une simple accommodation. C’est l’enjeu d’une perspective d’ensemble, qui révèle à la théologie la nécessité de renégocier l’ordre de ses tâches essentielles et la pertinence de son programme, en ayant la conscience de faire partie de la condition humaine totale, en tant que condition de notre insertion au monde, y compris dans l’espace de la laïcité. La fonction de la théologie consistera ainsi à se doter de nouvelles conditions épistémologiques, dans une approche qui sera capable d’une réinscription en vertu des enjeux du nouvel ordre éthique. Trois chapitres constituent le corps du présent livre. Au premier chapitre, nous essayons de circonscrire la phénoménologie du nouvel ordre éthique dans son double aspect d’un ordre marqué par la planétarisation des défis humains, et par la grande dynamique de convergences et «de l’interdépendance mondiale». Nous décrivons les mécanismes de la nouvelle approche, qui marque la rupture avec le modèle moderne quant à la prise en charge des défis de l’humanité, qui privilégie la voie du consensus comme mode stratégique de recherche de solutions éthiques aux différentes équations que portent les défis de démocratie et de gouvernance, de pauvreté et de crise économique, de l’insécurité et des responsabilités nouvelles face à la question écologique, à l’âge post-libéral. Dans le deuxième chapitre, nous dressons le profil de l’éthique mondiale, en la présentant comme cadre normatif où se formulent et se formalisent la logique et la pertinence de nouveaux standards internationaux destinés à fixer les orientations d’un nouveau type de gouvernance. Dans ce chapitre, nous montrons que l’éthique postmoderne, en opérant à partir d’un horizon qui se donne des buts plutôt pragmatiques, s’institutionnalise de plus en plus, en préservant le statut d’éthique de responsabilité publique et la vocation d’éthique universelle, rendant légitime la problématique des valeurs communes et des normes consensuelles du vivre ensemble dans la cité contemporaine. Au troisième chapitre, nous indiquons des pistes et des motifs épistémologiques d’une théologie qui, aux antipodes de la logique du paradigme métaphysique et logocentrique lié à l’héritage moderne, doit se résoudre de retrouver l’espace public comme nouveau cadre épistémique de son

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inscription. Dans ce chapitre, nous proposons la voie d’un partenariat avec l’éthique de laïcité, comme seule perspective qui permettra à la théologie de sortir de la crise de pertinence, face aux défis éthiques de gouvernance dont se prévaut l’orientation du nouvel ordre mondial à notre époque.

Chapitre I

Contexte et prestige du nouvel ordre éthique Nous nous proposons de démontrer que ce qu’on appelle aujourd’hui les standards de l’éthique mondiale rentrent dans la dynamique d’une approche apparentée au paradigme de convergences. Ce paradigme représente à ces jours l’aboutissement d’une mutation qui a donné lieu aux contours d’un nouvel ordre mondial. Le profil de l’ordre éthique lié à ce paradigme tend à se fixer à partir d’un horizon de gouvernance du destin mondial, qui se veut «universel», et qui se négocie à travers la modalité du consensus global. Aussi l’émergence d’une éthique postmoderne coïncide-t-elle avec la mise en place, depuis quelques décennies, à la fois, d’une nouvelle approche globale du destin de la planète, et des mécanismes d’une gouvernance durable et responsable des ressources. Cette situation a placé l’humanité dans une conscience renouvelée de grands défis, qui pousse à une circonscription nouvelle des schémas pragmatiques des solutions à ces défis, aux antipodes de la logique des politiques de domination et des économies d’assujettissement appartenant au schéma de la modernité. L’enjeu de l’éthique dans l’approche la plus cohérente de gouvernance, coïncide essentiellement avec le projet de la mise en échec de la perspective moderne, qui a réussi à consacrer des logiques politiques et économiques ressenties aujourd’hui comme des systèmes de répression de l’ordre socio-environnemental, et de la sécurité du facteur humain sur la planète. La question à aborder, dans le présent chapitre, est celle de savoir en quoi consiste la portée stratégique du nouvel ordre mondial. L’analyse devra passer par la définition des enjeux qui mènent cet ordre mondial vers des interrogations éthiques en direction d’un nouveau type de gouvernance de la planète.

.. Phénoménologie du nouvel ordre mondial La préoccupation de dresser le contour du nouvel ordre mondial nous place devant un double profil de la situation contemporaine. D’abord, le phénomène de «la planétarisation» des problèmes de l’humanité, qui

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dévoile le visage de l’ordre mondial actuel autour de «l’internationalisation» de défis de la vie. Ensuite, «l’institutionnalisation» de l’engagement éthique, pour une gouvernance de la marche générale de la planète, à partir de la normative de standards universels. Ce second aspect permet au nouvel ordre mondial postmoderne de sortir de la méprise d’une «globalisation» conçue dans la ligne d’une universalisation (violente) du modèle de civilisation piloté par le seul système néo-libéral. ... Planétarisation des problèmes de l’humanité La postmodernité inaugure et installe l’ère d’une dynamique des convergences, dans un monde qui se découvre comme étant multipolaire, et qui aspire à une gouvernance démocratique généralisée, au bénéfice d’un espace mondial qui, cependant, ne jouit pas d’une stabilité réelle, aussi bien sur le plan politique, sécuritaire que sur le plan économique. Dans le monde dit «globalisé», l’analyse ne peut faire abstraction des contrastes comme celui du  septembre , ou comme celui d’une crise économique et écologique qui, depuis de décennies, présente des risques de devenir une crise chronique. À cette époque, on assiste à la recrudescence des évènements dont les indicateurs bousculent toute logique de certitudes, plus qu’ils ne rassurent par rapport à l’avenir de l’humanité et à l’intégrité de la planète. Mais, dans ce monde où, également, le phénomène de rapprochements des civilisations a fini par s’institutionnaliser à travers le régime formel de partenariat, tout semble se cristalliser autour d’une volonté structurée de responsabilité globale, en vue d’une prise en charge consensuelle et conséquente de la marche du monde. Les efforts conjugués d’une référence à une éthique commune, au-delà de la différence légitime des concepts spirituels, et en dépit du constat sur la persistance du système des intérêts contradictoires, viennent consolider le paradigme d’une construction par tous de la destinée humaine. Le processus d’internationalisation, qui laisse suivre la nécessité d’une prise en charge universelle du destin de l’humanité, jouit aujourd’hui d’une telle portée irrévocable (dans l’approche des domaines de la vie sociale et politique, génétique et climatique, économique et écologique), qu’il oblige les tenants et partisans de la dé-mondialisation à atténuer leurs élans, et à revoir leurs pronostics à la baisse. Ce qu’on appelle par exemple aujourd’hui crise économique mondiale, n’est en grande partie que la conséquence d’un effet de contagion généralisé, par rapport à une situation de spéculation ou d’instabilité réelle de la bourse internationale,

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qui affecte le système bancaire mondial, et à travers laquelle sont requis, à la fois, la mise sur pied des structures de solidarité financière et les mécanismes d’une nécessaire régulation. Dans cette situation comme dans d’autres, «le défi planétaire» est un paradigme irréversible dans la logique actuelle de coexistence. En vertu de ce défi, non seulement il existe un horizon mondial des questions, qui couvre les domaines économique et financier, commercial, agricole et alimentaire, ainsi qu’une communauté internationale formelle régulatrice de cet ordre planétaire, mais il faut également constater l’existence d’un nouvel ordre du monde, celui qui n’en reste pas à une approche empirique des relations de coopération, mais qui s’investit dans une approche normative, faisant de l’éthique (d’une éthique structurée en normes universelles), le cheval de bataille contre des systèmes pervers et antidémocratiques. Cette orientation participe de la dynamique des facteurs déclencheurs du mouvement de transition et du processus d’émergence de l’ère postmoderne. Celle-ci touche à la teneur des évènements qui entourent la situation de l’humanité à l’occasion de la première guerre mondiale. L’analyse de H. Küng révèle que c’est l’année  qu’il faut mettre en exergue pour comprendre la portée de cette mutation. En s’appuyant sur J.-F. Lyotard, il note que la définition que celui-ci retient de la postmodernité «désigne l’état de la culture après les transformations qui ont affecté les règles de jeu de la science, de la littérature et des arts à partir de la fin du XIXe siècle». Plus précisément, H. Küng trouve significatif que le mot «postmoderne», à titre de concept définissant une époque de l’histoire du monde, apparaisse à la suite de Friedrich Nietzsche, «le critique le plus perspicace de l’époque moderne, dans le contexte de la crise culturelle de la Première Guerre mondiale». Et, ce sera précisément dans ce contexte de l’après-guerre, précise H. Küng, que A. Toynbee utilisera le terme «postmoderne» en  pour désigner ce tournant que connait la culture mondiale, avec le passage de la politique des États nationaux à l’interaction globale.

 Cf. L. R. Brown, C. Flavin et S. Postel, Le défi planétaire, Paris, Éd. Sang de la terre, ; L. R. Brown, L’état de la planète, Paris, Éd. La Découverte, .  J.-F. Lyotard, La condition postmoderne. Rapport sur le savoir, Paris, Minuit, , p. ; tel que cité par H. Küng, Projet d’éthique planétaire. La paix du monde par la paix entre les religions, Paris, Seuil, , p. , note .  H. Küng fait référence, notamment à R. Pannwitz, Die Krisis der europäischen Kultur, Nuremberg, , t. II, p. ; cf. H. Küng, Projet d’éthique planétaire, p. , note .

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La configuration du nouvel ordre mondial est à situer dans le mouvement global de cette révolution postmoderne, qui a conduit la mutation de notre histoire à l’émergence de l’époque dite contemporaine. Pour le besoin d’étude du vocabulaire, Catherine Kaminsky et Simon Kruk nous permettent de préciser que le concept de «‘nouvel ordre international’ fut un slogan politique lancé par l’équipe Bush au lendemain de représailles exemplaires contre l’agresseur irakien au Koweit». La signification de cette notion renvoie à l’urgence d’un «‘nouvel agencement’ des affaires internationales, conséquence de bouleversements profonds survenus sur le plan politique et économique dans le monde». Tout est bâti sur le constat qu’à l’échelle planétaire, un faisceau d’évènements significatifs a pu générer «une révolution des rapports politiques [en tissant] un réseau d’interdépendances entre les États et les sociétés auquel le bloc soviétique n’a pas pu échapper». Le passage vers le nouvel ordre mondial est ainsi perçu comme le tournant d’une époque marquée par les efforts de construction d’une «nouvelle civilisation globale». C’est un tournant qui consiste dans la responsabilité que se donne aujourd’hui la civilisation mondiale, vis-à-vis d’un processus décisionnel de prise en charge de la situation de l’humanité et de l’avenir de la planète, selon un horizon d’approche globale et polycentrique, articulée sur la pluralité, l’hétérogénéité et la complexité des conditions d’existence. En suivant l’analyse d’Edgar Morin, le monde est marqué par la «conscience que nous vivons une communauté de destin planétaire», où la maitrise ou non des grands défis fera que «le système planétaire est condamné à la mort ou à la transformation». Car, ajoute-t-il, l’«époque de changement est devenue un changement d’époque». Selon cette vision d’E. Morin, ce changement de paradigme doit rendre nécessaire et impérative une «réforme de l’ONU pour combattre les idéologies nocives des États-nations». Ainsi assiste-t-on aujourd’hui à la recomposition de l’espace mondial, qui entraine un reclassement des États dans la course pour s’adapter à cette donne devenue contraignante: dans le monde arabe avec les révolutions du 

C. Kaminsky et S. Kruk, Le nouvel ordre international, Paris, PUF, , p. . Ibid.  H. Cox, Religion in the Secular City. Toward a Postmodern Theology, New York, Simon & Shuster, , p. ; tel que cité par E. Lebeau, «Vers une théologie ‘postmoderne’? Un point de vue américain», dans Nouvelle Revue Théologique  (), p. .  E. Morin, «Si j’avais été candidat…», dans Revue du MAUS permanente, du  mai . 

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«printemps» de ; en Afrique subsaharienne avec le vent d’une démocratisation (difficile) depuis les années , et en Europe de l’Est avec des régimes des libertés démocratiques postcommunistes à la fin des années . Le phénomène le plus révélateur de la transformation de l’ordre du monde, est celui qui résulte du constat selon lequel les problèmes de l’humanité sont devenus de problèmes mondiaux, et que structurellement, leurs solutions doivent être trouvées dans le cadre d’une approche de convergences à l’échelle mondiale. Si, en effet, il y a une communauté politique internationale, il y a également une communauté financière internationale et une économie à dimension mondiale. C’est pourquoi, selon cette vision, les problèmes de l’humanité ont pris un horizon mondial des solutions, de telle sorte que, ce qui est en jeu dans cette orientation de choses, c’est l’idée d’une convergence de gouvernance éthique et démocratique du destin de l’humanité. La culture humaine accède ainsi au cap d’un paradigme durable, qui consacre définitivement un ordre d’une géopolitique mondiale basée sur un idéal de construction d’une civilisation non répressive. L’établissement de l’éthique mondiale, qui prône l’avènement de valeurs universelles, résulte de la mutation postmoderne que connait l’ordre actuel du monde. Dans le cadre de cette circonscription, H. Küng précise que «la politique mondiale, le commerce mondial et le système financier mondial déterminent de façon décisive notre destin international et régional». En ce sens, ajoute-t-il, «malgré un fort éclatement national et régional des intérêts, il y a déjà une interdépendance politique, économique et financière si forte que des économistes parlent d’une société mondiale et des sociologues d’une civilisation mondiale […]», en tant que «réseau d’interactions». Ce processus ressort du besoin, à notre époque, d’un «standard global de civilisation» selon l’expression de Mozaffiri. Il est vu comme un standard global structuré autour d’un ensemble «de lois, de normes, de valeurs, de principes généraux et d’images […] qui définissent le comportement  P. Caleme, «Refonder la gouvernance mondiale pour répondre aux défis du e siècle»,  octobre .  M. A. Peeters, La mondialisation et la révolution culturelle occidentale. Concepts-clefs, mécanismes opérationnels, Janvier , p. .  H. Küng, «Le Christ, la Lumière et les Autres Lumières. De la problématique des religions et de l’éthos mondial», dans Lumière et Vie  (), p. .  M. Mozaffiri, Globalization and Civilization, London, Routledge, , tel que cité par Y. Droz et J. C. Lavigne, Éthique et développement durable, Paris et Genève, IUED et Karthala, , p. .

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civilisé, respectueux des membres de cette société planétaire et de la terre». Il est vu également comme «standard dynamique [qui] offre une vision globale de ce qui est bien et bon pour la planète et pour tous les êtres humains». Au bout de compte, ce qui est visé, c’est le projet de «civiliser la Terre comme maison et jardin communs de l’humanité». E. Morin explique la portée de cette option de notre civilisation en la fondant sur une prise de conscience à quatre dimensions: la dimension anthropologique avec la découverte de l’unité dans la diversité; la dimension écologique avec la découverte des êtres humains comme habitant, avec d’autres mortels, une même sphère vivante; la dimension civique globale, qui porte sur la nécessaire responsabilité et la solidarité avec les autres êtres humains et la Terre patrie, et la dimension spirituelle de la condition humaine par rapport à la place essentielle du travail de la pensée, de la compréhension. La préoccupation de l’établissement d’une civilisation globale pour notre époque ne saurait, à cet effet, être réduite à des appels pour une fraternité universelle. Celle-ci serait prise au plus comme l’expression d’un élan compassionnel et ponctuel où, par exemple, l’aide au développement en faveur des pays de l’hémisphère sud n’aura pour motivation que de garantir la sécurité interne de l’Occident développé. Il s’agit en revanche d’une perspective globale où doivent être mises en œuvre de véritables politiques de solidarité planétaire, dans une préoccupation principale de bâtir des ponts entre les nations, en vue de construire une société planétaire de destin et de destinée, à travers une nouvelle dynamique institutionnelle des relations, fondée sur des régimes d’un partenariat durable liant les continents et les États, les organisations internationales et les gouvernements nationaux. De cette orientation résulte que l’homme de notre âge a conscience que son sort est impliqué et pris en charge dans l’ordre d’un pouvoir normatif qui relève d’une compétence supranationale. Dans une lettre Encyclique consacrée au développement humain intégral, Benoît XVI a consacré une analyse d’un intérêt remarquable pour comprendre cette mutation de l’ordre mondial: «De nos jours, écrit-il, l’humanité apparaît beaucoup plus interactive qu’autrefois: cette plus



Y. Droz et J. C. Lavigne, Éthique et développement durable, p. . E. Morin, La méthode. L’éthique complexe, t. , Paris, Seuil, , p. ; cité par Y. Droz et J. C. Lavigne, Éthique et développement durable, p. .  Ibid., p. ; cité par Y. Droz et J. C. Lavigne, Éthique et développement durable, p. . 

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grande proximité doit se transformer en une communion véritable». Selon Benoît XVI, l’intérêt pour une telle option est lié à la nécessité d’envisager la problématique du développement par rapport au phénomène «de l’inclusion relationnelle de toutes les personnes et de tous les peuples dans l’unique communauté de la famille humaine qui se construit dans la solidarité sur la base des valeurs fondamentales de la justice et de la paix». En admettant que le paradigme dominant à notre époque est celui «de l’interdépendance mondiale», Benoît XVI ne s’empêche pas de préconiser que «l’urgence de la Réforme de l’Organisation des Nations Unies comme celle de l’architecture économique et financière internationale en vue de donner une réalité concrète au concept de famille des Nations, trouve un large écho». L’horizon de l’interdépendance mondiale est jugé d’une telle irréductibilité, qu’il favorise «la recherche d’un ordre politique, juridique et économique, susceptible d’accroître et d’orienter la collaboration internationale vers le développement solidaire de tous les peuples». Benoît XVI relève, par conséquent, que «pour le gouvernement de l’économie mondiale, pour assainir les économies frappées par la crise, pour prévenir son aggravation et de plus grands déséquilibres, pour procéder à un souhaitable désarmement intégral, pour arriver à la sécurité alimentaire et à la paix, pour assurer la protection de l’environnement et pour réguler les flux migratoires, il est urgent que soit mise en place une véritable Autorité politique mondiale […] Cette autorité, ajoute Benoît XVI, devra en outre être reconnue par tous, jouir d’un pouvoir effectif pour assurer à chacun la sécurité, le respect de la justice et des droits». Bref, pour Benoît XVI, «le développement intégral des peuples et la collaboration internationale exigent que soit institué un degré supérieur d’organisation à l’échelle internationale de type subsidiaire pour la gouvernance de la mondialisation et que soit finalement mis en place un ordre social conforme à l’ordre moral et au lien entre les sphères morale et sociale, entre le politique et la sphère économique et civile que prévoyait déjà le Statut des Nations Unies».  Benoît XVI, Lettre Encyclique sur le développement humain intégral dans la charité et dans la vérité, Caritas in veritate, Rome, Librairie Éditrice du Vatican, , n° .  Ibid., n° .  Ibid., n° .  Ibid.  Ibid. Il convient d’apprécier la justesse de cette position du magistère ecclésial au sein de notre analyse. Cependant, le déficit d’une herméneutique théologique conséquente, qui soit le lieu réflexif de prise en charge de cette problématique sous l’horizon de la laïcité, constitue un défi des plus cruciaux pour le christianisme aujourd’hui. C’est

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Accréditée de cette façon dans le discours du magistère ecclésial, l’orientation actuelle de l’ordre du monde place l’ensemble de l’humanité devant un choix des plus salutaires: celui d’une nouvelle approche, qui mettra désormais en exergue les enjeux d’une civilisation de responsabilité globale en matière de gouvernance. Dans la logique de célébration, l’institution du calendrier universel des journées mondiales ou de journées internationales (de la paix, de l’environnement, de l’alimentation, de l’infirmier, de l’aide au développement, etc.), représente la symbolique affirmée de cette nouvelle révolution de responsabilité planétaire. À travers ce phénomène, on a l’impression que l’humanité a, plus que jamais avant dans l’histoire, besoin d’une direction universelle des affaires du monde. La commémoration de la journée mondiale d’alphabétisation (le  septembre de chaque année), par exemple, n’est pas seulement destinée à montrer que l’accès à l’éducation est un droit fondamental (et que l’obligation de l’offrir rentre dans le régime de respect de droits pour un gouvernement), mais aussi à indiquer qu’il s’agit d’un droit et d’un besoin à la portée de tout être humain, et de partout sur la planète. Dans le cadre de cette option, la crédibilité de tout État en contexte postmoderne, se joue à la fois entre le jugement qu’offre le cadre des principes universels des droits et de gouvernance, et la capacité à intégrer la normative de l’éthique dans la gestion de l’espace institutionnel de la vie publique. La finalité éthique de la gouvernance aujourd’hui, semble être ordonnée à l’obligation politique de créer des conditionnements positifs d’épanouissement de la vie, selon l’ordre du destin collectif des populations de par le monde. Il est plus question d’une prise de conscience renouvelée face aux enjeux de la sécurité humaine et de la qualité de vie des populations. Le problème n’est pas, par exemple, de savoir quels pourraient être les défis de l’Afrique à la postmodernité, mais plutôt de savoir quel peut être l’ordre d’un agir public, qui engage la responsabilité africaine collective, en vue d’affronter les défis de la nouvelle géopolitique mondiale, selon la logique de l’éthique globale de gouvernance? Le tournant ainsi compris, résulte d’une nouvelle conscience historique «d’édifier un ordre du monde postmoderne, un ordre nouveau, plus pacifique», que celui de type moderne caractérisé par la fétichisation des paradigmes nocifs dans leurs conséquences: la technique, le libéralisme et l’absolutisation du pouvoir. C’est pourquoi le paradigme postmoderne se laisse circonscrire à partir du schéma critique face à l’ordre ancien ce défi épistémologique, qui structure la préoccupation de la présente étude que nous voulons provocatrice quant à son ambition.

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commandé par la logique d’une modernité technique et industrielle. Les acquis de cette modernité seront certes jugés durablement bénéfiques pour la civilisation mondiale. Mais le constat des ambigüités qui ressort du diagnostic du modèle moderne exige la mise en place d’une vision plus globale, articulée à l’interpellation morale qui structure la conscience de l’humain aujourd’hui. Jean-Paul II a eu raison de noter, à l’occasion d’une allocution prononcée à Prague le  avril , que la civilisation de demain ne peut s’appuyer ni sur une vision matérialiste, ni sur une interprétation uniquement spiritualiste, comme la conception orientale. Il faut, précise-t-il, reconstruire une vision intégrale qui prenne l’homme dans toutes ses dimensions: spirituelle et matérielle, morale et religieuse, sociale et écologique. Le nouveau paradigme se dresse simplement sur la situation de crise que traversent les acquis de la modernité avec leur vision unidimensionnelle de la vie. Dans cet ordre d’idée, H. Küng a montré que les résultats du génie de la raison moderne «ont apporté la science, mais pas la sagesse qui empêcherait les abus de la recherche scientifique […]. Ils ont apporté la technologie, mais pas l’énergie spirituelle qui permettrait de contrôler les risques imprévisibles d’une technologie très efficace à grande échelle […]. Ils ont apporté l’industrie, mais pas l’écologie qui ferait contrepoids à l’économie en constante expansion […]. Ils ont apporté la démocratie, mais pas la morale qui pourrait faire contrepoids à la volonté de puissance insatiable des hommes et des groupes au pouvoir». Le programme du nouvel ordre mondial est donc ainsi structuré sous forme d’une allégation contre toute prétention de la raison discursive à être «la totalité de la potentialité humaine». Ce programme s’établit sur un constat d’échec en direction d’une modernité techniciste, qui a prétendu détenir le monopole du «projet humain». Nous comprenons la logique de rupture et du changement de paradigme, à travers la distinction que nous suggère l’analyse sociologique de M. Freitag entre «postmodernité» et «postmodernisme». Si le premier terme «désigne une forme ou un type de société (globale et objective)», le second terme «désigne une forme subjective du discours (au sens où l’on parle de structuralisme […]). Ici l’existence des manifestations et d’expressions postmodernistes en art, dans la culture et dans les sciences sociales, sera prise comme un signe et comme un symptôme d’une  Jean-Paul II, tel que cité par J.-L. Bruguès, Dictionnaire de morale catholique, Paris, C.L.D., 1991, p. .  H. Küng, Projet d’éthique planétaire, p. -.

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mutation postmoderne de la société, valant autant mais pas plus que d’autres manifestations d’une telle mutation. Leur recensement et leur classification n’ont pas directement valeur d’analyse ni de théorie». L’analyse de M. Freitag renvoie à la nécessité de saisir les choses sous la dimension du changement de paradigme, au-delà d’une simple critique de la logique moderne. Selon cette perspective, Manfred Bischoff a écrit: les transformations structurelles signalant le passage de la modernité à la postmodernité se manifestent en réalité à tous les niveaux de la vie sociale et sociétale contemporaine. Rien ne semble épargné: ni les références de légitimité, ni les formes de l’identité individuelle et collective (la personne, le sexe, la nation, la classe, etc.), ni les concepts existentiels (l’espace, le temps, la durée, le rapport à la nature, au corps, à la vie et à la mort, à soi et à autrui), ni les découpages institutionnels de la vie sociale (le privé et le public, l’économique, le politique, le culturel), ni même les principales méthodologies et épistémologies ainsi que les systèmes conceptuels qui avaient encadré les sciences sociales classiques. C’est principalement sous le signe de la «crise», c’est-à-dire négativement, que les sciences sociales contemporaines ont appréhendé la signification et la portée immédiates des transformations structurelles en cours dans les sociétés dites «avancées».

Il en ressort que la postmodernité représente l’ordre d’un paradigme structurant qui, par sa force de suggestion, conduit la mutation de nouvelles dynamiques sociales, dont le régime nouveau de co-relation à travers le multiculturalisme, caractérise ce qui est convenu d’appeler une «société-monde» ou un «village planétaire». Il faut surtout montrer qu’elle est à la base de la formation et l’épanouissement d’un univers culturel nouveau, où les valeurs de la laïcité semblent être les seules qui réglementent l’espace vital et institutionnel, en tant qu’espace approprié à l’ordre socio-politique de l’existence individuelle et collective. La force et le prestige du «nouvel ordre mondial» participent en tout du mouvement d’ensemble de ce processus de mutation, qui se signale comme paradigme global, porteur d’une théorie globale d’appréciation morale de la situation générale de la planète.

 M. Freitag (avec Y. Bonny), L’oubli de la société. Pour une théorie critique de la postmodernité, Québec, Presses de l’Université Laval, , p. -.  M. Bischoff, «Société de travail et domination totale: l’exemple américain», dans D. Dagenais (dir.), Hannah Arendt, le totalitarisme et le monde contemporain, Québec, Presses de l’Université Laval, , p. , note .

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Par conséquent, le nouvel ordre mondial est un ordre d’une nouvelle culture mondiale, instauratrice de nouveaux schémas d’intégration, aux antipodes des systèmes du déséquilibre planétaire. L’orchestration de cette orientation dans une théorie de paradigme, est constituée d’un contour des concepts dont les principaux sont les suivants: société-monde et responsabilité sociale corporative; biodiversité et gouvernance mondiale de l’écosystème; changement climatique et responsabilité planétaire; gouvernance énergétique et sécurité humaine; connaissance mondialisée et sécurité alimentaire; mondialisation de l’économie et gouvernance démocratique; finances globales et rôle régulateur de l’État; cosmopolitisme et participation citoyenne; nouvelles technologies de l’information et de communication, et relations interculturelles; sortie du nucléaire et gouvernance environnementale durable. C’est dans ce registre conceptuel, tel que dans chaque couple un pôle appelle l’autre, que se dresse l’orientation du nouvel ordre mondial, non pas simplement comme un programme, mais comme une métathéorie qui fait la force et la cohérence voulue d’un paradigme durable. En prenant simplement l’exemple du couple nouvelles technologies de l’information et de communication – relations interculturelles, on peut se rendre compte à quel point, comme le fait remarquer D. Tracy, «d’un côté, les communications modernes peuvent franchir toutes les frontières, briser les systèmes totalitaires et dictatoriaux et renverser toutes les hégémonies politiques, culturelles et ecclésiales. De l’autre côté, elles peuvent aussi ne franchir toutes les frontières que pour niveler toutes les traditions, subvertir toutes les communautés, débiliter toute mémoire de la souffrance». De cette analyse, ressort que, ce qu’on appelle aujourd’hui «nouvel ordre mondial», renvoie à l’ordre de nouveaux pouvoirs qui, à l’échelle mondiale, sont investis du projet éthique, comme projet de conduite du monde vers une autre qualité de gouvernance. ... Primat de l’éthique dans la problématique de gouvernance L’enjeu global du nouvel ordre mondial est axé sur une préoccupation, qui s’exprime en termes de priorité: la nécessité d’une gouvernance éthique de l’humanité. Le programme de la nouvelle éthique compris dans cette préoccupation, semble être coulé dans le «post-» de la postmodernité, qui indique, sans plus, le déplacement qu’effectue le monde comme sortie de la logique moderne dans différents versants de l’espace de la vie publique. 

D. Tracy, «La désignation du présent», dans Concilium  (), p. .

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En effet, l’analyse de la perspective éthique révèle que le «post-» de la post-modernité accompagne l’ordre de la mutation générale que connait l’époque contemporaine, qui se laisse comprendre désormais comme époque: post-métaphysique, dans la ligne d’une philosophie qui sort du régime d’abstraction et d’une prétention de neutralité dans l’approche de la réalité, pour devenir un régime de réflexion à portée fonctionnelle et pragmatique, socio-politique et historique; post-industrielle, pour une culture qui veut se façonner autrement, par l’importance à accorder aux critères éthiques et religieux d’interprétation de l’humanité, au-delà de la simple logique de production, du capital et de la valeur, en tant que logique de clivages et de statuts, de position et de distinction sociales; post-colonialiste, pour une civilisation qui appartient à l’ère de la liberté acquise par tous les États du monde, contre la logique d’une politique d’hégémonie et du paternalisme; précisément comme ère de relation de coopération et de partenariat entre nations, contre la logique moderne de subordination et de domination; post-capitaliste, pour une société qui apprend à sortir de la loi ou de l’idolâtrie du marché, qui représente le régime d’une société de consommation, individualiste et violente; post-chrétienne, là où la culture mondiale se manifeste comme une consécration du mouvement œcuménique entre les églises et de la perspective dialogale entre les religions; post-séculariste: dans le sens d’une situation qui se caractérise par le phénomène du «retour du religieux» et de «la revanche de Dieu», à travers la revitalisation des traditions croyantes, après le règne éphémère de l’athéisme moderne et d’un sécularisme a-religieux; post-raciste, pour un espace mondial lié à un contexte cosmopolite, où les différents peuples se fréquentent et cohabitent, en s’appréciant sur les bases et les critères d’égalité dans la dignité humaine, de citoyenneté et d’unité dans la diversité des situations (géographiques, politiques, culturelles), au-delà des considérations discriminatoires fondées sur la différence de couleur de la peau; post-patriarcaliste, pour un ordre du monde social où semble s’affirmer l’égalité fondamentale du genre humain, à travers la justice faite à la femme, contre tout sexisme d’une civilisation mondiale à dominance andro-centriste. Le «post-» de la «postmodernité» joue ici le rôle de signifiant fondamental, qui explique la portée de la transition vers une approche nouvelle des défis de l’ordre mondial. Il signifie que la postmodernité émerge d’un nouveau projet dont la finalité est essentiellement éthique, du fait qu’il se trouve ordonné à l’idéal de «faire vivre l’homme comme humain». L’éthique sera perçue comme le creuset d’un nouveau type de relation à l’environnement total. Ainsi sera-t-elle retrouvée dans le rôle d’accompagner

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les choix politiques, économiques et sociaux, en situant ces choix dans le rapprochement étroit avec la préoccupation de l’humain et avec la destinée des communautés. La différence d’approche est dès lors remarquable. Il est à noter, en effet, que le paradigme moderne, dans sa forme soit libérale soit réaliste, n’avait pas été forcement traversé par l’interrogation éthique. La grandeur de son projet au bénéfice de la civilisation humaine sera toujours à relever. Dans une description saisissante, H. Küng a montré qu’il s’agit d’un paradigme marqué par «des grandes poussées révolutionnaires – poussées philosophiques, scientifiques, technologiques, politiques et finalement révolution industrielle –, avec la mise en lumière des grandes idées forces de la raison, du progrès, de la nation et de toutes leurs implications pour la société et pour l’individu». Le paradigme moderne se caractérise aussi par les grandes manifestations de «ses phases ultimes: tous les changements sur le front diplomatique et dans les alliances politiques, des innombrables guerres des grandes puissances modernes en Europe et sur d’autres continents, les progrès inouïs de la physique, de la chimie, de la biologie et de la médecine, mais aussi ceux de la philosophie et de l’histoire, des sciences humaines et des arts, du roman à l’opéra, enfin l’explosion démographique, le développement des moyens de transport, l’accroissement de la production, mais aussi le caractère de plus en plus menaçant de la question sociale et les tensions internationales de plus en plus fortes […]». Devant une telle évidence, note H. Küng, l’on ne peut certes pas «contester les acquisitions grandioses de la modernité, avec ses révolutions, dans les sciences, la philosophie, la technologie, l’industrie, l’État et la société en général: elle fut une impulsion sans précédent dans le sens de l’innovation pour les millions d’hommes». Cependant, la force de choses nous oblige de nous appuyer sur l’analyse de H. Küng pour fustiger les contradictions du paradigme de la modernité, en considérant que dans sa manifestation technoscientifique, il a été rendu responsable de la désintégration de la vie sociale et de grandes perturbations des équilibres écologiques de la planète. D’abord, et nous l’avons noté, il apparait aujourd’hui que sous la poussée inévitable de la dynamique des Lumières, à côté du «progrès de la recherche scientifique dans tous les domaines», il n’y a pas eu «le progrès moral  H. Küng, Le christianisme. Ce qu’il est et ce qu’il est devenu dans l’histoire, Paris, Seuil, , p. .  Ibid., p. .  Ibid., p. .

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concomitant qui aurait permis d’éviter les abus dans l’usage de la science (en physique, en chimie et en biologie par exemple)». Ensuite, les bienfaits, à l’échelle mondiale, «d’une technologie très efficace», ne se sont pas accompagnés de «l’énergie spirituelle […] qui aurait pu contrôler les risques de la technologie (qui se font sentir partout dans la vie des populations consommatrices)». Il s’ensuit que la mise en place d’«une économie opérant à l’échelle du monde» ne parvient pas à garantir «les ressources de l’écologie pour faire face à la destruction de la nature provoquée par l’industrialisation». Enfin, après un processus d’«évolution complexe, la démocratie s’est imposée dans nombre des pays non européens». Mais elle n’est pas garantie «par une moralité capable de contrebalancer les intérêts et la soif du pouvoir des dirigeants et des groupes de pression». Il est difficile de revenir, dans le cadre d’un développement plus détaillé, sur ce que la critique des options fondamentales de la modernité (et leurs idéologies correspondantes) a révélé comme faiblesses (et limites) de ce système, au même moment que l’on reconnait le caractère révolutionnaire réel qu’il a représenté en faveur de la condition humaine. Quoiqu’il en soit, actuellement on a besoin d’une nouvelle approche qui soit, elle, d’enjeu global. On découvre que l’être humain n’est pas «seulement le produit des conditions économiques», il n’est pas non plus esclave d’une planification des structures politiques définitivement acquises. L’épanouissement de l’humain exige plus que ce qui a été prévu dans le rêve de la «raison», dans la programmation du «progrès», et dans la planification idéologique du «nationalisme». La conscience postmoderne, en tant que structuration du nouvel ordre mondial, est une conscience essentiellement éthique. Elle a valeur paradigmatique parce qu’elle inscrit une rupture à l’ordre passé. Elle représente cette «conscience contemporaine qui, comme l’a noté J.-L. Bruguès, s’inquiète des développements technologiques qui précèdent toute recherche de sens et récusent toute limitation. Mais en même temps, elle est cette conscience qui admet que les problèmes posés à nos sociétés, analysés jusque-là en termes strictement techniques, sont en réalité des défis moraux». Selon J.-L. Bruguès, «l’actuel regain d’intérêt pour l’éthique recouvre un cri d’alarme». Il appartient à l’ordre d’une révolution, qui 

H. Küng, Le christianisme. Ce qu’il est et ce qu’il est devenu dans l’histoire, p. 1025. Ibid.  Benoît XVI, Lettre Encyclique sur l’espérance chrétienne, Spe salvi, Rome, Librairie Éditrice du Vatican, , n° .  J.-L. Bruguès, Dictionnaire de morale catholique, p. . 

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«vient interrompre le développement tranquillement linéaire des pratiques sociales, industrielles, mais surtout scientifiques et médicales qui vont de l’avant sans s’interroger sur ce qui est nocif sur l’homme. Aujourd’hui, précise J.-L. Bruguès, l’éthique demande si la poursuite du progrès se soucie réellement du bonheur et de la dignité de l’homme, ainsi que de la qualité de l’environnement (écologie)». Face à cette nouvelle conscience éthique, si à partir de la «raison», on peut admettre que le monde a encore besoin de «la rationalité et l’esprit scientifique», et que «même en notre époque historique postmoderne, les méthodes mathématiques et expérimentales, avec leurs idéaux de clarté, d’efficacité et d’objectivité, restent indispensables, de la physique atomique à l’astrophysique, de la microbiologie à la génétique et à la médecine», il apparait néanmoins que «l’homme ne vit pas seulement de la raison» même sous ses formes «du calcul et de la mesure, de l’analyse et de rationalisation». Aujourd’hui, on est en droit de se poser des questions, telles que H. Küng nous permet de les soulever: «les méthodes et la science, au lieu de devenir une fin en soi, ne devraient-elles pas rester des moyens au service de l’humanisation de l’homme? La mathématisation, la quantification et la formalisation suffisent-elles pour saisir dans toutes ses dimensions le monde du qualitatif et des phénomènes proprement humains, comme le rire, la musique, l’art, la souffrance, l’amour?». À côté des énoncés généraux de la raison, n’y a-t-il pas place pour le particulier que la raison ne parvient jamais à saisir totalement: le vécu immédiat, l’expérience authentique, le bonheur de l’instant qui nous comble? Ne faut-il pas aborder, avec leurs méthodes et leur style propre, correspondant à leur objet, les questions de la psyché et de la société humaine, les questions de droit, de la politique, de l’histoire, les questions de l’esthétique et de la religion? Devant le «progrès» moderne, on peut également reconnaitre que l’être humain devra, encore «à l’époque historique postmoderne, compter sur les nouveaux progrès scientifiques et techniques, dont sont tributaires les pays sous-développés» dans le processus de leur possible modernisation. Mais personne n’admet aujourd’hui que ce progrès soit réalisé dans les conditions d’une exploitation non équilibrée de la nature qui est déjà à la base d’une destruction incalculable des écosystèmes et d’une     

J.-L. Bruguès, Dictionnaire de morale catholique, p. . H. Küng, Le christianisme. Ce qu’il est et ce qu’il est devenu dans l’histoire, p. . Ibid. Ibid., p. -. Ibid., p. .

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perturbation climatique sans précédent. La logique d’un «progrès» non soumis à la régulation, est à juste titre rendue responsable des ravages écologiques et de la destruction des fondements naturels de notre vie. L’analyse de H. Küng retient que «la modernité, avec ses lois rigoureuses: ‘toujours plus, toujours mieux, toujours plus vite’ […]», laisse aujourd’hui la forte impression que «le ‘progrès’ économique recherché comme un but en soi, a des conséquences désastreuses à tous égards», en ce qui concerne notamment des situations comme: «pénurie de ressources, problèmes de transport, pollution de l’environnement, destruction des forêts, pluies acides, effets de serre, trou d’ozone, modification du climat, problèmes de déchets, explosion démographique, chômage massif, impuissance des gouvernements, crise mondiale à cause de l’accumulation de la dette, problèmes du tiers-monde, course aux armements, mort atomique…». L’absolutisation et l’exaltation modernes du nationalisme, ont été à la base de «terribles massacres entre nations européennes durant les deux guerres mondiales», à telle enseigne que, selon le jugement éthique qui en découle, ces guerres n’ont pas manqué de fragiliser les fondements de la sécurité pour l’ensemble de l’humanité. Aujourd’hui, il apparait que le déséquilibre politique de la planète n’épargne pas, dans l’ordre de causes, «les deux grandes idéologies typiquement modernes qui ont fini par recouvrir le nationalisme». C’est d’abord le libéralisme, qui n’a pas réussi à réaliser la justice sociale, et, ensuite, le socialisme, qui a bâillonné la liberté individuelle. En référence aux deux lignes idéologiques qui s’y rapportent, le capitalisme et le communisme, «la liberté individuelle et la justice sociale restent de promesses non tenues pour trop d’hommes sur notre globe – en Afrique, en Amérique latine et surtout en Asie». Sous un tel visage, le paradigme de la modernité ne peut plus permettre d’envisager un avenir humain à partir de sa seule logique. Il se trouve fortement contrebalancé à partir de ses fondements. C’est tout l’édifice des idéologies comme bases d’orientation politique dans la gestion du destin humain, qui se trouve remis en question et réinterrogé. De la même façon, la prétention programmatrice des idéologies modernes (capitalisme, socialisme…) tombe sous le coup d’une critique et d’une évaluation, dont le primat de l’éthique ordonne la vision postmoderne du réel et du monde. Dans la perspective de cette critique, Benoît XVI   

H. Küng, Le christianisme. Ce qu’il est et ce qu’il est devenu dans l’histoire, p. . Ibid., p. -. Ibid., p. .

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a écrit: «la condition droite des choses humaines, le bien être moral du monde, ne peuvent jamais être garantis simplement par des structures, quelle que soit leur validité […] Même les structures les meilleures fonctionnent seulement si, dans une communauté, sont vivantes les convictions capables de motiver les hommes en vue d’une libre adhésion à l’ordonnancement communautaire». Pour Benoît XVI, en effet, «s’il y a des structures qui fixeraient de manière irrévocable une condition du monde déterminée – bonne –, la liberté de l’homme serait niée, et, pour cette raison, ce ne serait en définitive nullement des structures bonnes». Et d’ajouter: «les bonnes structures aident mais, à elles seules, elles ne suffisent pas». Dans le même ordre d’idée, on retrouve dans l’enseignement du concile Vatican II, une préoccupation proche de la mentalité qui veut que la construction du nouvel ordre du monde dépende de l’activation des standards éthiques, entendus comme normatives morales et juridiques aux allures universelles: «l’exercice de l’autorité politique, soit à l’intérieur de la communauté comme telle, soit dans les organismes qui représentent l’État, doit toujours se déployer dans les limites de l’ordre moral, en vue du bien commun (mais conçu d’une manière dynamique), conformément à un ordre juridique légitimement établi et à établir». À notre époque, l’ordre de gouvernance n’encourage plus une gestion publique à partir des références purement idéologiques. La crise de ce modèle reste perceptible même là où le «‘socialisme’ (qui a toujours porté des traits collectivistes) est remplacé depuis lors par le mot ‘sociale démocratie’», et que «le concept de ‘capitalisme’ (qui a toujours eu une orientation plus individualiste…) a été remplacé par l’expression ‘économie sociale du marché’». Il en revient qu’actuellement, différentes forces travaillent désormais à la mise en place d’un ordre nouveau, qui préside à «l’entrée du monde dans […] un paradigme post-capitaliste et postsocialiste et – en ce sens – un paradigme postmoderne d’économie de marché écologique et sociale».



Benoît XVI, Lettre Encyclique sur l’espérance chrétienne, Spe salvi, n° a. Ibid., n° b.  Ibid., n° .  Concile Vatican II, Constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps, Gaudium et spes, promulguée le  décembre , n°  §.  H. Küng, Le christianisme. Ce qu’il est et ce qu’il est devenu dans l’histoire, p. . Dans cette perspective d’assouplissement du capitalisme, on lira avec intérêt: M. Cool, Pour un capitalisme au service de l’homme. Paroles de patrons chrétiens, Paris, Albin Michel, .  H. Küng, Le christianisme. Ce qu’il est et ce qu’il est devenu dans l’histoire, p. . 

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Ici se révèle l’enjeu d’une nouvelle approche basée sur un ordre de responsabilité globale, et qui lève durablement l’option en direction des fondamentaux d’une nouvelle éthique de gouvernance mondiale du destin de l’humanité. Dans ce contexte, le choix idéologique des «-ismes», caractéristique du paradigme moderne, s’avère non seulement rétrograde et paralysant, mais aussi inadapté à l’orientation éthique que s’assigne toute idée de gouvernance à notre époque. Plus les idéologies modernes ont révélé leurs limites quant aux enjeux éthiques de la promotion de l’humain selon une approche multisectorielle, moins se sont-elles révélées capables d’affronter, avec une mesure requise de l’éthique, d’énormes défis de la condition humaine contemporaine. La prise en charge éthique de ces défis fera par conséquent partie de ce qu’il y a de spécifique dans la conscience du nouvel ordre mondial.

.. Phénoménologie des défis de l’éthique mondiale Nous voulons consacrer le présent paragraphe à l’explication de la portée éthique des défis auxquels se trouve confrontée l’humanité dans la cité contemporaine. Présenté selon une ligne d’analyse critique vis-à-vis du paradigme moderne, le diagnostic postmoderne de ces défis permet de réaliser la prégnance de la nouvelle approche de gouvernance dans notre monde. Cette analyse touche à quatre défis ci-après: la menace de la démocratie; la menace de la sécurité internationale; la menace de la sécurité sociale, et la menace de la sécurité environnementale. Nous nous garderons de considérer ces défis sous l’angle de différents axes d’un programme politique que se serait assigné l’ordre mondial en matière de gouvernance. Il ne sera pas non plus question de les envisager sous leur mode de traitement systématique au sein de différents carrefours de la communauté internationale. En revanche, ces défis seront analysés comme des constantes à partir desquelles se dresse une nouvelle approche éthico-politique de la gouvernance publique à l’échelle du monde. Au-delà d’un essai de description empirique, nous en expliquerons surtout la portée, dans le cadre de la nouvelle approche de gouvernance, et nous considérerons le cadre de leur analyse comme l’occasion d’une critique dirigée contre la gestion néolibérale du destin de la planète et son caractère de paradigme désuet au sein du nouvel ordre d’évaluation éthique.

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... Menace de la démocratie et dénie de la justice Au sein de l’ordre mondial actuel, le défi politique de la démocratie semble le plus crucial. Il se cristallise autour de la bataille pour l’installation et la défense des régimes de justice et de libertés dans le monde. La démocratie est ainsi ressentie comme le paradigme irremplaçable de gestion de l’espace public au sein des états. Francis Fukuyama en a fait un éloge de grande portée scientifique, contre tous les systèmes des régimes forts et arbitraires. Avec le système démocratique, en effet, toutes les figures du totalitarisme moderne se trouvent radicalement révolutionnées, sapées dans leur fondement, tant il est vrai que, par définition, la démocratie est comprise avant tout «par opposition avec un État totalitaire et une société monolithique». .... Disqualification des systèmes totalitaires La géopolitique mondiale est aujourd’hui comme rangée en ordre de bataille pour faire reculer définitivement toutes les figures du totalitarisme dans le monde. Cette option n’est pas sans rappeler que les méfaits du totalitarisme sous les formes historiques identifiables de Nazisme, du Fascisme, du Léninisme, du Néo-marxisme et de beaucoup d’autres régimes dictatoriaux, participent de la crise de la modernité et de son modèle du politique. Les atrocités meurtrières de la première moitié du XXe siècle, telles qu’elles ont été orchestrées comme menace de la sécurité physique et juridique des personnes, et comme violation des droits fondamentaux et des libertés, ont disqualifié complètement un modèle inhumain du politique. H. Arendt a formulé la critique la plus accomplie de ce modèle du politique rendu sous le concept du totalitarisme. Elle a écrit, en effet: «Le totalitarisme ne tend pas vers un règne despotique sur les hommes, mais vers un système dans lequel les hommes sont de trop». Cette définition du totalitarisme pousse H. Arendt à noter: «il se peut même que les véritables difficultés de notre époque ne revêtent leur forme authentique – sinon nécessairement plus cruelle – qu’une fois le totalitarisme

 Cf. F. Fukuyama, La fin de l’histoire et le dernier homme, Paris, Champs Flammarion, .  J. C. Basset, Le dialogue interreligieux. Histoire et avenir, Paris, Cerf, , p. .  H. Arendt, Les origines du totalitarisme. L’impérialisme, Paris, Fayard, [], , p. ; lire aussi: H. Arendt, Le système totalitaire, Paris, Seuil, [], .

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devenu chose du passé». Dans le sens de cette pensée, R. Garaudy a pu noter que «l’histoire de la vie ne commencera qu’avec la mort des dominations». Fort de cette évidence, l’ordre actuel de notre monde s’érige sur la conviction selon laquelle «le refus du totalitarisme est l’indispensable condition à la fois de la défense de la personne humaine et de la sauvegarde de la véritable essence du politique». Avec raison, H. Arendt a compris le totalitarisme comme un système, politique ou économique, de la «terreur absolue». Mais le contexte de sa pensée sur le totalitarisme appartient à une époque relativement révolue, lorsque l’illustration de ce système se réfère au nazisme et au stalinisme dont il en était le fondement. Le constat de l’effondrement de ces idéologies aujourd’hui, est quelque chose de théoriquement acquis, de sorte qu’on ne peut y revenir que pour des raisons d’aperçu (ou de récit) historique. En revanche, il convient de noter qu’aujourd’hui, toute forme de gouvernance non démocratique (en dehors du système des libertés fondamentales et publiques) est un système totalitaire (et autoritariste). Ce qui rejoint quasi-parfaitement une des caractéristiques que H. Arendt retient du totalitarisme en tant que régime du règne de la «domination totale». Dans cette orientation, il faut prendre les choses par le bout de leur développement du point de vue de l’économie politique. À ces jours, en effet, on n’a plus affaire à des sociétés totalitaires à l’état pur. Celles-ci sont devenues, dans le monde du capitalisme industriel (initiative privée d’entreprendre), des sociétés du travail et du consumérisme, des sociétés dites de la démocratie libérale. En restant dans l’analyse de H. Arendt, il requiert également de relever que le paradigme des sociétés libérales est aussi fustigé, même lorsqu’il a évolué du système de la «domination totale» à celui de la «domination sociale». Dans ces sociétés, explique H. Arendt, le règne du social «déploie toute sa toute-puissance, transformant l’individu en une sorte d’‘homme unidimensionnel’». Dans le cadre du système de «domination sociale», précise H. Arendt, la société constitue l’organisation publique du processus vital, de telle sorte que, les collectivités modernes sont toutes transformées en sociétés des travailleurs et d’employés:



H. Arendt, Les origines du totalitarisme. L’impérialisme, p. -. R. Garaudy, Vers une guerre de religions. Le débat du siècle, Paris, DDB, , p. .  R. Coste, Les communautés politiques, Paris, Desclée, , p. .  H. Arendt, citée par M. Bischoff, «Société de travail et domination totale: l’exemple américain», p. . 

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[…] La société est la forme sous laquelle on donne une importance publique au fait que les hommes dépendent les uns des autres pour vivre et rien de plus; c’est la forme sous laquelle on permet aux activités concernant la survie pure et simple de paraître en public. […] Le règne du social, dans lequel le processus vital a établi son domaine public, a déclenché, pour ainsi dire, une croissance contre nature du naturel; et c’est contre cette croissance, non pas simplement contre la société, mais contre un domaine social toujours grandissant, que le privé et l’intime d’une part, et le politique (au sens strict du mot) d’autre part, se sont montrés incapables de se défendre.

Dans le cadre d’une telle hypothèse, on peut défendre la légitimité d’une critique dirigée contre le système de domination sociale, là où ce système est ressenti comme la résultante d’un autre système de domination absolue qu’est le capitalisme industriel, avec la préséance que ce dernier accorde au régime du marché libre. Elle sera cependant une hypothèse à relativiser, là où elle fait croire à une dissolution de l’économique et du politique dans le «social». Le système de domination sociale ne sera pas non plus défendable lorsqu’il est compris comme cadre de transition d’un État libéral à l’État-providence. Dans certains cas, le second modèle d’État pourrait même être le prolongement du premier en matière de garantie de droits de citoyenneté reconnus aux sujets, surtout dans le domaine dit de la protection sociale. Sous le régime d’équilibres que représente l’État postmoderne, la logique protectionniste ne peut pas être évacuée là où elle souligne, contre l’excès du libéralisme, le renforcement du rôle de l’État en tant que rôle de régulation. Elle se trouvera cependant subsumée dans la notion de participation citoyenne, à travers des mécanismes d’une démocratie participative. Ce système de démocratie totale offre la possibilité de soumettre l’État institutionnel (dans son modèle de démocratie représentative constitutive des institutions républicaines) au jugement d’une base structurée, en privilégiant somme toute le modèle type de la société civile. La démocratie, selon ce paradigme, supportera les approches politiques ascendantes dans leur vertu d’être axées sur des problèmes sociaux de la base et dans les possibilités qu’elles offrent de s’investir dans la participation citoyenne pour des solutions à ces problèmes. Cette perspective de la démocratie justifie le passage, à notre époque, d’une rationalité instrumentale, technico-économique, qui détermine une société de domination, à une rationalité normative, éthico-politique,  

H. Arendt, Condition de l’homme moderne, Paris, Calmann-Lévy, , p. -. M. Bischoff, «Société de travail et domination totale: l’exemple américain», p. .

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qui caractérise l’approche postmoderne. La nouvelle approche est ainsi orchestrée comme moment d’une interruption vis-à-vis de la modernité avec tous ses idéaux, ses modalités d’auto-compréhension, de légitimation et d’intégration sociétale, pour leur substituer ceux constitutifs du nouveau type de société et de la socialité que nous appelons «postmoderne», et qui selon H. Arendt, renvoient à la nouvelle forme de domination totale qui émerge avec le «règne du social». En tirant cette orientation jusqu’au bout de sa logique, l’analyse doit aller à l’encontre de H. Arendt pour considérer que le passage de la modernité à la postmodernité signifie finalement «que l’avènement du capitalisme, et donc du travail salarié, ou de la ‘société de travail’, a généré un ensemble des contradictions sociales et sociétales, qui n’ont pu être surmontées que moyennant des réformes structurelles d’une nature et d’une ampleur telles qu’elles ont mené à la constitution d’un type tout à fait inédit de la société que l’on pourrait appeler: ‘système social’ (postmoderne), et qu’il faut alors distinguer formellement de la ‘société’ (moderne) et de la ‘communauté’» (traditionnelle). M. Freitag s’appuie sur la dynamique de cette mutation, qui culmine dans l’enjeu du social, pour expliquer les transformations que connaissent les sociétés contemporaines dans leur passage à l’ère postmoderne. Il considère que «le passage des mouvements politiques aux mouvements sociaux marque le début du procès de transition de la modernité à la postmodernité, en même temps que se produit dans la modernité établie politiquement, l’élargissement de l’exigence de participation sociétale du domaine politique au domaine social», transformation dans laquelle le politique finira lui-même par se redéfinir comme capacité de gestion sociale. La démonstration de M. Freitag s’articule sur quelques évènements historiques. D’abord en ce qui concerne le mouvement féministe, M. Freitag explique que ce mouvement «évolue […] d’une exigence d’égalité dans tous les domaines à une revendication de reconnaissance de la féminité (ou féminitude) comprise comme une donnée existentielle irréductible». Ensuite, dans le cas du «mouvement de Noirs» aux USA, lorsqu’il passe de la revendication des droits civiques (Luther King) à la multiplication des mouvements d’affirmation de la «négritude», de

  

M. Bischoff, «Société de travail et domination totale: l’exemple américain», p. . Ibid., p. -. M. Freitag, L’oubli de la société, p. .

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l’«africanité» (Black is beautiful). Enfin, pour M. Freitag, «le mouvement ouvrier est sans doute le premier et le plus puissant mouvement social profondément attaché à l’universalisme politique proprement moderne. Son unité se noue en effet autour des revendications des droits politiques pour les travailleurs». L’importance de ce cas dans la transformation des sociétés modernes en sociétés postmodernes, oblige M. Freitag à considérer que, finalement, «le mouvement ouvrier pourra établir, normativement et expressément, une équation entre le statut de travailleur et celui de citoyen, alors qu’une société fondée sur la possession, puis sur la propriété, tendait principalement à les disjoindre, en évoquant le rapport de dépendance du travailleur vis-à-vis du ‘maître’ et donc son hétéronomie statutaire voire existentielle». Dans cette dynamique, M. Freitag s’intéresse également aux changements sociaux dus à la contraignante «mutation de la société politicoinstitutionnelle moderne en une société (ou système) décisionnelleopérationnelle postmoderne». À partir de la catégorie ouvrière qu’il considère dans sa dimension de catégorie sociale, M. Freitag note: «En raison du fondement purement social et structurel du mouvement ouvrier (ni ‘naturel’, ni ‘culturel’, ni ‘psychologique’ ou ‘existentiel’), cette transformation sociétale va signifier sa disparition. L’universalisme concret, auquel se référaient les concepts mêmes d’‘ouvrier’, de ‘prolétaire’, et ultimement ceux de ‘classe sociale’ et de ‘lutte de classes’, fait place à l’universalisme désincarné de la condition juridico-économique de ‘salarié’, d’‘employé’, qui ne trouve de référent collectif concret que dans la multiplicité de modes et des échelons de la participation conventionnelle, organisationnelle, statutaire, corporative et curriculaire. Ainsi, précise M. Freitag, le mouvement ouvrier classique se dissout-il dans le nouveau mode de fonctionnement de la société ‘décisionnelle-opérationnelle’, ce qui veut dire qu’il cesse d’être un mouvement social pour se décomposer et se recomposer en toutes sortes de groupes de pression organisés. Il devient ainsi un élément interne et ‘fonctionnel-opérationnel’ de la nouvelle forme postmoderne d’existence collective». L’analyse de M. Freitag n’aboutit pas au constat d’une mutation radicale dont participe ce modèle de société. C’est une analyse qui ne voit dans cette transformation qu’une marque d’enrichissement du modèle    

M. Freitag, L’oubli de la société, p. . Ibid., p. . Ibid., p. -. Ibid., p. -.

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antérieur. De notre point de vue, la présentation de M. Freitag s’offre comme une occasion de réaliser que la caractéristique politique des sociétés postmodernes, résulte de l’aboutissement et de la fixation de ce processus de transformation. M. Freitag indique certes que «l’espace dans lequel se meuvent les mouvements sociaux caractéristiques du début de cette transition reste encore l’espace commun politique; et vu d’un certain côté, cet espace public politique parait seulement s’être enrichi doublement de la participation de diverses catégories sociales qui avaient jusque-là été tenues à l’écart de la vie politique ou formellement maintenues sous un statut de ‘minorité’, ainsi que divers aspects de la vie sociale qui étaient restés jusqu’alors dans l’ombre de la ‘vie privée’». Mais nous devons retenir que, dans leur configuration face au politique aujourd’hui, les différentes couches de la société postmoderne ont acquis un statut fonctionnel de «société civile». Ils sont traités comme tels, du point de vue politique, là où ils ont acquis le statut juridique et social de mouvements associatifs, y compris en ce qui concerne les différents syndicats dans les milieux professionnels. Il en ressort que ce qui caractérise ces transformations, c’est à la fois la permanence de la revendication pour l’effectivité du système de la démocratie totale, et l’aspiration collective à ce système des libertés et de justice, ressenti comme condition de tout épanouissement sociétal. Cette orientation concerne à la fois l’enjeu d’une démocratie qui s’exprime dans le fonctionnement des institutions républicaines et dans l’établissement des lois, et surtout l’enjeu d’une démocratie réglée sur le social. .... Démocratie et régulation sociale À partir de l’analyse de Manfred Bischoff, nous pouvons affirmer que la lutte contre tous les systèmes de «domination totale» se formalise aujourd’hui autour de «la construction d’un nouveau mode d’intégration et de reproduction de la société qui sonne le glas du politique et de sa logique de citoyenneté, ou ce que H. Arendt désigne comme l’avènement du ‘règne social’». La différence de perspective est ici notable. Elle nous permet à ce titre, d’expliquer les enjeux d’un processus qui s’est cristallisé en système de démocratie qui doit supporter le régime de régulation sociale. 

M. Freitag, L’oubli de la société, p. . Cf. M. Bischoff, «Société de travail et domination totale: l’exemple américain», p. . 

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En effet, la démocratie moderne, du point de vue social, se confondait avec l’idéal d’une organisation sociétale autour de la conception proprement politique de l’élargissement et de concrétisation des droits du citoyen. Ce qui est révolu dans une telle conception de la démocratie, c’est, ainsi que l’a noté Manfred Bischoff, «sa conception de la participation». Dans cette conception, le pouvoir d’État interviendra toujours en tant que «(principe d’un) pouvoir qui transcende, tout en les représentant, les intérêts individuels toujours particuliers et contradictoires de la société civile, et qui, par son action propre doit justement viser à préserver l’unité du corps social, à maintenir la solidarité sociale, en effectuant la synthèse réfléchie des finalités politiques à travers laquelle les intérêts collectifs de la communauté comprise comme nation trouvent leur représentation politique». En postmodernité, la conception du politique et l’exercice des pouvoirs publics, sont tournés vers la nouvelle forme de «domination sociale» (entendue comme règne du social). Dans le cadre de ce paradigme, il apparait que l’équilibre du politique et la crédibilité des services publics, sont essentiellement garantis par le service du «social» et de «l’humain» dans la société. C’est dire que l’action politique est soumise, aujourd’hui plus que jamais avant, au jugement social; elle ne vaut que par rapport à sa capacité de planification des activités qui mènent au développement humain, telle que celui-ci se donne à vérifier et à vivre dans la qualité de services sociaux qui en résultent. C’est pourquoi, comme l’a noté Sébastien Godinot, «la démocratie est aujourd’hui le seul mode d’organisation politique s’inscrivant dans le développement durable». Ce qui est mis en évidence dans les orientations actuelles du rapport entre la politique et la dynamique sociétale, c’est l’enjeu de la «gouvernance démocratique», qui va au-delà de la simple «législation» et du simple jeu de seules élections. Certes, le rapport de  du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), qui établit la relation entre «droits de l’homme et développement humain», montre qu’aujourd’hui, presque tous les pays ont institué le suffrage universel pour tous les adultes, et que «entre  et ,  pays sont passés d’un régime autoritaire à un système multipartite». Mais le même rapport indique 

M. Bischoff, «Société de travail et domination totale: l’exemple américain», p. . Cf. J. Rawls, Paix et démocratie. Le droit des peuples et la raison publique, Paris, La Découverte, .  S. Godinot, «Les institutions financières contestées», dans A.-M. Ducroux (dir.), Les nouveaux utopistes du développement durable, Paris, Éd. Autrement, , p. . 

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qu’aujourd’hui, «une quarantaine de pays sont toujours dépourvus d’un système démocratique multipartite. Ailleurs la démocratie reste fragile: dans les années quatre-vingt-dix, plusieurs pays ont replongé dans la dictature». Le rapport révèle aussi qu’«à l’échelle planétaire, les femmes ne détiennent que  % des sièges parlementaires», et qu’«en , près de  journalistes et professionnels des médias ont été tués dans l’exercice de leur métier». Cela révèle que le changement démocratique n’est pas encore un pari gagné. La marche sur le totalitarisme doit s’effectuer à travers le passage vers le mode sociopolitique substitutif de la démocratie, d’une «démocratie intégrative», qui doit se transformer en «gouvernance démocratique». En tant que telle, la démocratie sera vue comme un système qui repose sur le renforcement des mécanismes sociaux garantissant le respect des droits de l’homme, et comme une pratique du politique qui suppose la légitimité des institutions et la consolidation d’«une culture des normes sociales et de l’éthique» qui viendront «étayer les structures juridiques». Dans son déploiement, ce modèle de démocratie qui devient une stratégie et une méthode de gouvernance, «va largement au-delà de l’efficacité des institutions et des règles», parce qu’elle laisse la possibilité «de se demander si ces institutions et ces règles sont équitables, et si les individus ont leur mot à dire dans leur fonctionnement». Il est notable que, sur cette base, le rapport  du PNUD définisse la «bonne gouvernance» en la considérant quasiment comme une «gouvernance démocratique», qui signifie que: «– les droits de l’homme et les libertés fondamentales sont respectées, ce qui permet à chacun de vivre dans la dignité; – les individus ont leur mot à dire sur les décisions qui affectent leur vie; – les populations sont à même de demander des comptes aux décideurs; – la vie en société est gouvernée par des pratiques, des institutions et des règles équitables et applicables à tous; – les femmes sont les égales des hommes dans les sphères publique et privée de la vie en général et de la prise de décision en particulier; – les individus échappent à toute discrimination fondée sur la race, l’origine ethnique, la classe sociale, le sexe ou toute autre caractéristique; – l’action publique d’aujourd’hui tient compte des besoins des générations futures; – les politiques économiques et sociales s’attachent à répondre  PNUD, Rapport mondial sur le développement humain. Droits de l’homme et développement humain, Bruxelles, De Boeck Université, , p. .  Ibid., p. .  PNUD, Rapport mondial sur le développement humain. Approfondir la démocratie dans le monde fragmenté, Bruxelles, De Boeck Université, , p. .

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aux besoins et aux aspirations des individus; – les décisions économiques et sociales visent à éradiquer la pauvreté et à élargir les choix accessibles à tous». À ce titre, la gouvernance démocratique ne peut fonctionner en dehors de la dynamique sociétale de participation citoyenne. Le rapport  du PNUD indique, en effet, que «la participation favorise l’action individuelle et collective». Le rapport juge cette option comme étant primordiale, du fait que «l’action collective, par l’intermédiaire des mouvements politiques et sociaux, fait souvent progresser des aspects centraux du développement humain: protection de l’environnement, égalité entre femmes et hommes, droits de la personne humaine». Les conditions de cette participation, c’est à la fois «la liberté politique [qui] permet aux individus de faire valoir leurs droits économiques et sociaux», et «l’instruction [qui] accroît leur capacité à exiger des politiques économiques et sociales qui répondent à leurs priorités». Toute forme de concentration du pouvoir dans les institutions dirigistes, selon un ordre politique transcendant, appartient au mode suranné du totalitarisme. Les efforts d’éradication du totalitarisme reposent aujourd’hui sur une motivation éthique. Il s’agit de chercher à retrouver la part importante des équilibres entre les services publics et la société vivante, telle que celle-ci est constituée des sujets de l’ordre politique que sont les citoyens concrets. En d’autres termes, la recherche de cet équilibre démocratique vise à sauvegarder la dimension de la participation citoyenne à tous les processus et systèmes décisionnels de la gouvernance, contre la permanence des systèmes de violence institutionnelle et industrielle. Il ne sera pas inutile de renvoyer à Thomas Hobbes, que H. Arendt considère comme le père spirituel du totalitarisme, en vue de démasquer la dérive fondamentale de ce système politique. On sait que Th. Hobbes a pu penser le rôle de toute coercition politique et républicaine en lien direct avec la légitimité de la terreur de l’État sur les personnes. Dans le Leviathan, la machine politique fonctionne comme un système de violence officielle, voulue comme légitime, qui met le pouvoir étatique dans une position de force majeure en vue de contenir les conflits (des conflits interétatiques ou des conflits entre le pouvoir de l’État et d’autres

 PNUD, Rapport mondial sur le développement humain. Approfondir la démocratie dans le monde fragmenté, encadré ..  Ibid., p. .

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forces). À ce système de domination de l’État, Bernard Williams oppose l’argument suivant: la seule existence du pouvoir étatique ne permet pas de contenir les conflits, à moins que les gens qui y vivent soient dans une certaine mesure motivés à les éviter. Tant pour l’existence de cette motivation que pour l’action de limiter les conflits potentiellement illimités, on est fondé à penser qu’une disposition nettement non-utilitariste est nécessaire: une disposition à limiter ses réactions, même si dans le cas particulier son coût peut s’avérer élevé. En d’autres termes, les hommes doivent être motivés, voire même l’être profondément, à ne pas recourir aux moyens nécessaires et suffisants pour prévenir, dans le cas particulier, l’issue la plus défavorable. Un système de dispositions contre les actions préventives – même en cas d’une forte provocation à adopter une conduite utilitariste – a des chances de limiter les conflits; et un tel système requiert que les hommes soient élevés et fortifiés dans la disposition à ne pas penser les situations en termes utilitaristes.

De plus en plus, la nouvelle forme de société est axée sur les efforts de mobilisation, en direction de l’institutionnalisation et de l’universalisation, à travers des mécanismes de gouvernance ordinaire, du système de libertés: «– liberté de vivre sans souffrir de discrimination, qu’elle soit fondée sur le sexe, la race, l’appartenance ethnique, l’origine national ou la religion; – liberté de vivre à l’abri du besoin, c’est-à-dire de bénéficier de conditions de vie correctes; – liberté de développer et de réaliser ses potentialités; – liberté de vivre sans souffrir de la peur, de menaces sur sa sécurité personnelle, de la torture, d’une arrestation arbitraire et d’autres formes de violence; – liberté de vivre sans souffrir d’injustice et de violations de la légalité; – liberté de participer à la prise de décision, d’exprimer son opinion et de former des associations; – liberté de travailler sans être exploité». L’établissement de ce système est ordonné à la visée fondamentale de la démocratie dans le monde, qui n’est autre que le bien-être et la dignité de tout homme, dans l’équité pour tous et la participation de tous, contre des systèmes de la tyrannie et d’exclusion. En direction de cette visée, les politiques démocratiques sont jugées à mesure d’assurer et de garantir la légitimité d’un pluralisme d’expressions et d’associations, la  Cf. J. J. C. Smart et B. Williams, Utilitarisme. Le pour et le contre, Genève, Labor et Fides, , p. .  Ibid.  PNUD, Rapport mondial sur le développement humain. Droits de l’homme et développement humain, p. .

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nécessité du débat public selon les règles précises du consensus, et la possibilité d’une entente sociale autour des normes communes, en fonction d’un climat de clarté et de transparence du jeu sociopolitique. Dans son vrai visage, le régime de démocratie totale passe encore comme un défi et un pari à gagner dans le monde. La permanence de régimes totalitaires sous couvert de fausses institutions démocratiques, demeure un obstacle majeur à l’émergence et à l’épanouissement des espaces de la démocratie. À la suite de H. Arendt, on découvre encore que l’un des traits caractéristiques des régimes totalitaires, est leur recours systématique à l’idéologie en vue de masquer la vraie fonction ainsi que la finalité véritable du politique dans la société. Pour l’expliquer, H. Arendt écrit: «Le Totalitarisme est le régime politique où l’idéologie a la mainmise absolue sur le social». L’idéologie elle-même est, selon cette présentation, «une forme de pensée catastrophée […] qui est capable de plus grande cohérence, qui est capable de convaincre des masses, mais qui manque de la seule chose qui permet à la pensée d’être telle: un critère quelconque de vérité». Le totalitarisme fait fonctionner la politique comme masque de la vérité, notamment la vérité de l’indétermination et de la conflictualité, de la contradiction et de la fragilité (dans l’exercice) du pouvoir d’État, par rapport aux différentes déterminations sociales auxquelles tout pouvoir public reste soumis. C’est la conception du politique placée au cœur de la dynamique sociétale et au centre de l’ordre social, qui permet de découvrir le défaut du totalitarisme sous ses formes variées. Comme l’a écrit P. Ricœur, «la démocratie n’est pas un régime politique sans conflits, mais un régime dans lequel les conflits sont ouverts et négociables selon les règles d’arbitrages connues». P. Ricœur précise, de ce point de vue, que dans «une société de plus en plus complexe, les conflits ne diminueront en nombre et en gravité, mais se multiplieront et s’approfondiront». De telle sorte que, «pour la même raison, le pluralisme des opinions ayant libre accès à l’expression publique n’est ni un accident, ni une maladie, ni un malheur; il est l’expression du caractère non décidable de façon scientifique ou dogmatique du bien public», d’autant plus qu’«il n’existe pas de lieu d’où ce bien puisse être aperçu et déterminé de façon si absolue que la discussion puisse être tenue pour close».  Cf. D. Dagenais (dir.), Hannah Arendt, le totalitarisme et le monde contemporain, Québec, Presses de l’Université Laval, .  P. Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, , p. .  Ibid., p. -.

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Dans le cas où elle peut fonctionner désormais comme une pratique institutionnalisée, la démocratie est une exigence de la discussion, en vue d’une recherche plurielle et consensuelle des solutions aux défis de la gouvernance publique. Elle déloge les régimes politiques de tout sentiment d’absoluité, du fait que le genre démocratique repose sur une prise de conscience formelle de l’«indétermination dernière quant aux fondements du pouvoir, de la loi et du savoir, et au fondement de la relation de l’un avec l’autre sur tous les registres de la vie sociale». Dans ce sens, la démocratie ne saurait être autre chose que «le régime qui accepte ses contradictions au point d’institutionnaliser le conflit». Selon C. Lefort, «la démocratie [est] la société historique par excellence, société qui, dans sa forme, accueille et préserve l’indétermination en contraste remarquable avec le totalitarisme qui […] s’agence en réalité contre cette indétermination, prétend détenir la loi de son organisation et de son développement et se dessine secrètement dans le monde moderne comme société sans histoire». La notion de l’«indétermination» appartient en outre à la conscience postmoderne de la relativité. À travers cette notion, la réalité du pouvoir – politique et institutionnel – est fonction de l’affirmation de seules exigences soumises à des raisons de vivre: «ces raisons sont celles-là même qui sont constitutives du vouloir vivre ensemble» d’un peuple (ou des peuples), en dépit de l’hétérogénéité génératrice d’antagonismes sociaux. Dans son régime véritable et idéal, la démocratie ne fonctionnera que là où ses mécanismes sont constamment référés aux droits fondamentaux de l’être humain, et lorsqu’elle est articulée sur une régulation éthique à travers la catégorie de justice. C’est ce schéma qui rend authentiques les propriétés classiques de la démocratie: «d’une part, partant de la valeur humaine, l’idée que le peuple des citoyens est la réalité de laquelle émane et par rapport à laquelle s’exerce le pouvoir et, d’autre part, en découlant de certains principes qui sont autant de valeurs ‘démocratiques’: dialogue et participation, respect de l’intérêt général».  C. Lefort, Essais sur le politique, Paris, Seuil, , p. ; cité par P. Ricœur, Soimême comme un autre, p. .  P. Ricœur, Soi-même comme un autre, p. .  C. Lefort, Essais sur le politique, p. ; cité par P. Ricœur, Soi-même comme un autre, p. .  P. Ricœur, Soi-même comme un autre, p. .  H. N’Gbanda Nzambo-Ko-Atumba, Afrique: démocratie piégée, Kinshasa, Éd. Équilibres aujourd’hui, , p. -.

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Ainsi la démocratie peut-elle se confondre à une praxis sociopolitique basée à la fois sur la solidarité participative, la recherche du consensus social et la consolidation du partenariat politique avec tous les acteurs qui entrent en jeu dans toute situation de gouvernance. Il en revient qu’en situation postmoderne, la démocratie sera chaque fois considérée dans ses vertus d’éthique politique pour être vécue essentiellement, ainsi que le note L. Boff, comme une «atmosphère vitale», comme un état d’esprit fondé sur un principe de base, la volonté que «ce qui concerne tout le monde doit pouvoir être pensé, discuté et décidé par tous». Car, en ce sens, «la démocratie (elle-même) signifie fondamentalement la construction en commun du bien commun», dans le sentiment puissant et légitime d’appartenance à un univers vital commun. La grandeur du défi démocratique implique la nécessité d’une mise en place des sociétés justes, fondées sur de réels équilibres sociaux et politiques, et qui s’ordonnent à des mécanismes d’une gouvernance non répressive, d’une coexistence excluant toute forme de violence. Le système démocratique vise ainsi l’instauration des sociétés des libertés, dont le rôle principal sera de rendre constamment compte de la sécurité physique et juridique des citoyens, en dépassement des régimes répressifs qui se confondent au règne du terrorisme d’État. Cela indique le motif pour lequel la nouvelle approche privilégie l’émergence d’une démocratie participative. La préoccupation en est de marquer un point d’arrêt à la folie des institutions politiques, en vue d’assurer et de maintenir le contrôle de l’ordre normatif sur l’indispensable climat politique et social de respect de droits de l’homme dans tout régime de gouvernance. La gestion du défi sécuritaire dans le monde dépendra en grande partie de la conduite de la problématique de l’universalisation de la démocratie comme paradigme de gouvernance. ... Menace de la sécurité internationale et islamophobie La situation relative à la sécurité humaine sur la planète est aujourd’hui des plus préoccupantes dans les différentes options du nouvel ordre mondial. On a l’impression que la communauté des nations est actuellement plus structurée, en vue de faire face à ce défi. La dimension du défi sécuritaire est ainsi fonction de l’inquiétude grandissante au regard de la multiplication et la répétition des facteurs de l’insécurité et de la violence 

L. Boff, La terre en devenir. Une nouvelle théologie de la libération, Paris, Albin Michel, , p. .

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au sein des États, ainsi que de la menace du terrorisme international. Les civilisations ont, certes, de tout temps, toujours nourri et entretenu des velléités de domination les unes sur les autres. Mais ce qui est nouveau, est qu’à notre époque post-nationaliste, c’est surtout la polarisation du sentiment d’insécurité internationale autour de l’arabo-islamo-phobie, qui gagne les esprits au sein de nos sociétés pluralistes de la laïcité. Les analyses de J. Attali sont d’une forte attestation de cet état de chose, surtout lorsqu’elles prévoient l’avènement d’un «hyper-conflit» dû au «choc des civilisations» arabo-islamiques et occidentale dans la ligne prédite par S. Huntington. Nous sommes convaincu que la réflexion éthique en direction du défi sécuritaire, devrait aller à la recherche des facteurs qui expliquent la montée et l’exacerbation d’un nationalisme exclusif. .... Dérive du nationalisme L’approche consacrée par le nouvel ordre mondial a eu l’avantage de trouver dans le nationalisme moderne, le facteur majeur de l’instabilité et du déséquilibre de la planète, et la cause principale des conflits et de l’insécurité dans le monde. Il est vrai qu’une certaine conception du nationalisme est tenue comme étant à la base de la résurgence des Républiques de la violence dans le monde. Sur ce point précis, tout nationalisme excessif doit être considéré comme inadéquat au climat qui préside à la nouvelle dynamique de la politique internationale. Ce type de nationalisme doit être jugé comme appartenant à une philosophie politique rétrograde. Non seulement que le nationalisme sera considéré comme fondé sur le défaut d’un souverainisme désuet, mais aussi devrat-il être considéré comme modèle du politique qui porte en permanence les germes de la négation de l’altérité. Le nationalisme implique forcement la légitimité de la déconstruction de cette notion et de sa pratique dans la structuration des institutions républicaines. Il faut admettre que la philosophie de la violence totale que soutient l’idéologie du terrorisme de ces dernières années, constitue à juste titre une menace permanente contre la sécurité internationale. Mais, on ne peut se permettre de penser que les réseaux terroristes les plus connus  Sur cette description, lire: M. Kalulambi Pongo, Terrorisme international et marchés de violence, Québec, Presses de l’Université Laval, .  J. Attali, Une brève histoire de l’avenir, Paris, Fayard, , p. .  Cf. K. Prémont (dir.), La politique étrangère des grandes puissances. L’impossible convergence des intérêts, Québec, Presses de l’Université Laval, .

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sont des organisations neutres, sans motivations légitimes, même là où ils se présentent sous la forme d’une nébuleuse à des frontières illisibles. L’analyse de P. Valadier a été tentée de verser dans cette considération. En soutenant que le terrorisme international appartiendrait à un mode d’institutionnalisation de la violence, qui déborde toute théorie classique de la guerre, P. Valadier estime, en effet, que le terrorisme jouit du «caractère non étatique [quant à] l’origine des attaques». De sorte que, pour P. Valadier, «le terrorisme frappe sans base territoriale ou étatique repérable et revendiquée comme telle». Il installe les esprits dans une situation de guerre où «l’ennemi [est] indiscernable, indéchiffrable, inaccessible et partout présent». Pour appuyer cette hypothèse, P. Valadier note que, dans le phénomène du terrorisme international, «l’invisibilité de l’ennemi coexiste avec l’indétermination de ses intentions. […] alors que le terrorisme nationaliste revendique un territoire ou une indépendance politique, négociable éventuellement, le terrorisme actuel n’offre aucune prise ni à la discussion, ni à la négociation quant aux fins poursuivies». En ce qui concerne les effets de ce type de terrorisme, P. Valadier relève que «l’attaque tombe sur des populations civiles hors de toute déclaration de guerre, de toute demande précise, sauf à tenir compte de menaces secrètes adressées aux autorités publiques». P. Valadier ajoute, en référence à Antoine Garapon concernant la difficulté que peut éprouver l’approche juridique, que «l’impuissance de la justice internationale est patente à l’endroit du terrorisme», si bien qu’elle est restée sans réponse, la question de «savoir si le terrorisme relevait ou non du ‘crime contre l’humanité’». Cette position de P. Valadier mérite d’être nuancée, au regard d’une vision stratégique qui en appelle à la nécessité de dresser la géopolitique du terrorisme international. L’analyse de P. Valadier pourrait, dès lors, être taxée de nihiliste du fait qu’elle n’entrevoie aucune lisibilité de ce phénomène, ni sur le plan logique, ni sur le plan géographique. À l’encontre de cette position, notre analyse se propose d’admettre que l’activisme des réseaux terroristes repose essentiellement sur une revendication d’ordre  Cf. Ch.-P. David et B. Gagnon (dir.), Repenser le terrorisme. Concepts, acteurs et réponses, Québec, Presses de l’Université Laval, ; Ch.-P. David, La guerre et la paix. Approches contemporaines de la sécurité et de la stratégie, e édition, Paris, Presses de Sciences Po, .  P. Valadier, «La barbarie dans la civilisation. Réflexion sur le terrorisme international», dans Revue théologique de Louvain  (), p. .  Ibid., p. .  Ibid., p. , en référence à A. Garapon, Des crimes qu’on ne peut ni punir ni pardonner. Pour une justice internationale, Paris, Odile Jacob, , p. -.

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politique. Cette revendication se résume dans la contestation d’un ordre injuste, et dans le plaidoyer pour l’équilibre planétaire, par la déconstruction de l’hégémonie des nations du pôle de l’Occident au sein de ce qu’on appelle «communauté internationale». Au stade actuelle, c’est la civilisation arabe et, à partir d’elle, quelques organisations spécifiques, qui se sont données des moyens rassurants, en se dotant des ressources humaines conséquentes, en vue d’incarner cette revendication. Le choix du langage de «menace» des intérêts et de la sécurité des nations fortes, est jugé comme la seule méthode d’envergure que la communauté des nations peut facilement entendre. Il existe donc un pôle identifiable des opérations terroristes, sur le plan géopolitique, et une ligne idéologique forte, sur le plan logique, qui alimentent les motivations en direction d’un idéal de lutte. Structurées autour de cet idéal, les réseaux terroristes sont, à ces jours, soutenus par des milieux politiques et des stratégies militaires, qui favorisent l’attraction, facilitent l’intégration, encouragent la formation, organisent des entrainements et supervisent le déploiement de jeunes djihadistes. Tout laisse croire que les réseaux terroristes connus, sont liés à un ou plusieurs pôle(s) géostratégique(s), disposant d’une ligne financière et d’une filière idéologique à lisibilité précise. Le lien d’Al-Qaïda (d’Oussama Ben Laden) avec le régime de Mollah Omar (en Afghanistan), n’est plus quelque chose à démontrer. D’où l’hypothèse selon laquelle, derrière les mouvements terroristes, il y a toute une conception nationaliste du politique et de l’État. La résurgence de la terreur internationale, est en majeure partie imputable à la figure de l’État-national, selon sa forme spécifiquement moderne de constitution de la société. Sur fond d’une critique postmoderne, notre diagnostic du défi sécuritaire dans le monde aujourd’hui, veut remonter à l’histoire du nationalisme moderne pour en comprendre le défaut de logique et des mécanismes, en vue de souligner la valeur d’une approche qui met en exergue la préséance de l’éthique du partenariat dans les sociétés contemporaines. Ce faisant, nous voulons montrer que, à ses racines, le nationalisme moderne est partie liée avec une politique d’exclusion, et partant, de la conflictualité. Selon M. Freitag, en effet, «c’est avant tout dans la Révolution française que le mode d’existence politique de la société moderne (son autoproduction réflexive) a été pensé, et que, c’est donc elle aussi qui a ouvert le champ idéologique dans lequel se sont pensés les mouvements politiques puis sociaux ultérieurs, dans la mesure où leurs objectifs et leurs pratiques impliquaient l’idée non seulement de la légitimité mais encore de la simple possibilité positive d’une transformation réflexive de

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l’ordre social; et donc celle de la transformation de la société par elle-même ou à partir d’elle-même, […] d’une volonté (ou encore d’intérêts) qui siège ultérieurement en son sein et qui s’y déploie de manière conflictuelle parce qu’autonome». Sur le plan politique et juridico-institutionnel de la conception de l’État, la modernité se confond au processus qui a fini par aboutir à l’entité (fiction) de la «nation», avec toute la charge d’obsessions qui résonne sur la notion correspondante de «souveraineté». Au cours de ce développement, si le Nazisme et le Fascisme ont fait surface à titre de réaction à la Révolution française, ils ont été eux-mêmes l’orchestration parfaite d’un nationalisme d’auto-affirmation étatique exacerbé. M. Freitag reconnait que le cadre de compréhension de la notion d’État qui a nourri ces idéologies nationalistes, n’a pas été moins le fruit de la philosophie des Lumières. Plus explicitement, la Révolution française peut être considérée comme la traduction politique de la modernité des Lumières. En elle, comme dans sa philosophie de base quant à la problématique de l’État, se trouve activée la conception de l’unité, une unité affirmée a priori, du peuple (et de la «Nation»). La référence historique au contexte de la Révolution française ne fera pas perdre de vue l’existence d’un acte qui rend formelle la décision en faveur du territoire géographique défini comme État-nation dans sa logique de souveraineté: ce sont les traités de Westphalie en . Selon Jean Pick, en effet, «les traités de Westphalie marquent la fin de l’Allemagne médiévale et la reconnaissance des frontières et de la souveraineté des États». À partir de cette convention, la «Nation» est devenue un acquis dans l’organisation des sociétés. En ce sens, Jean Gottmann a montré que, «ce qui fait l’union des individus ou des communautés qui forment une nation, c’est la vie en commun dans un compartiment donné de l’espace où les gens de l’extérieur sont des étrangers». C’est ce modèle d’État-Nation, qui a connu sa phase d’universalisation, notamment avec le découpage des différents territoires en contexte colonial. Il en résulte que la vieille notion de la démocratie institutionnelle a été pensée en rapport avec l’idée d’une souveraineté étatique sans 

M. Freitag, L’oubli de la société, p. -. Ibid., p.  note .  J. Pick, Histoire du droit et des États. La souveraineté dans le temps et l’espace européen, Paris, Presses de Sciences Po, , p. .  J. Gottmann, La politique des États et leur géographie, Paris, CTHS, e édition, , p. .  Cf. M. Freitag, L’oubli de la société, p. , thèse . 

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partage. Il est arrivé que, jusqu’à notre époque, on soit obligé de garder une attitude de vigilance critique face à la notion de démocratie correspondant à ce modèle d’État, surtout en contexte de colonies. À partir d’une critique portée sur la situation de l’État postcolonial en Afrique, le philosophe congolais Honoré Ngbanda fustige le scepticisme de l’idéologie coloniale, qui avait conclu à l’inexistence en terre et sociétés africaines des institutionnelles démocratiques. Il montre que «la colonisation, même si elle avait prétendu s’être cristallisée sur une ‘terra incognito’ et une ‘terra nullius’, avait trouvé des sociétés autochtones organisées, structurées; certaines en véritables États, royaumes ou empires, avec des institutions, des principes et des normes de nature constitutionnelle», qui n’en révélaient pas moins le socle et le «contenu démocratique» d’une expérience des sociétés proto-étatiques du XIXe siècle (avant la colonisation). Relativement à la situation de l’État en Afrique postcoloniale, Mwayila Tshiyembe propose, par conséquent, une recomposition de l’État moderne en État multinational, c’est-à-dire un État reconstitué sur l’horizon intégrateur de la diversité des ethnies. Même si une telle proposition pourrait être soupçonnée de faire le jeu de la problématique de la balkanisation d’un pays comme la République Démocratique du Congo, problématique au cœur de la guerre régionale qu’a connue ce pays depuis , sa cohérence sur le plan heuristique, révèle pourtant le lien avec la critique du modèle de l’État national dans la réflexion politique contemporaine, notamment avec le sociologue britannique Carl Schmitt. Selon cet auteur, l’élément ethnicité doit entrer en ligne de compte dans la définition et la configuration d’un État, en dépassement du modèle de l’État-Nation. Dans la pensée de Carl Schmitt s’exprime le souci de refreiner les dérives expansionnistes des États républicains, et la préoccupation de recréer l’équilibre voulu sur l’espace international. Telle serait selon lui une des conditions d’une prévention et d’une gestion efficaces des conflits générateurs de l’insécurité. Notre analyse retient la valeur de cette proposition dans la stratégie mondiale contre l’insécurité. Cependant, avant d’en expliquer la portée sur le plan de l’agir collectif, il nous semble convenable d’en prévenir la faiblesse. Maints auteurs ont déjà montré qu’une certaine sociologie de l’ethnicité n’échappe pas au piège de l’exclusivisme nationaliste. Les définitions classiques de l’ethnie disposent celle-ci à être le facteur d’affrontement et de conflictualité plutôt que de cohabitation pacifique au sein de la grande société. En effet, selon Yves Lacoste, une ethnie se  

H. N’Gbanda Nzambo-Ko-Atumba, Afrique: démocratie piégée, p. . Ibid., p. .

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dit d’une communauté de membres qui partagent «une même culture, une même langue, une même religion et les mêmes coutumes», qui «sont liés par des rapports de parenté et par une organisation sociale commune», et qui «admettent une même origine collective et partagent des représentations communes et surtout un même intérêt face aux autres groupes». En tirant quelques conséquences de cette définition de l’ethnie, J. Fr. Mayer relève, à la suite de Donald B. Vought, que les groupes ethniques s’attribuent des caractéristiques qui les distinguent des autres, en tendant parfois à les considérer comme quasiment innées, tandis qu’un groupe ethnique rival investira volontiers son adversaire de défauts et vices non moins intrinsèques. Il s’ensuit que, selon J. Fr. Mayer, «l’ethnisme débouche sur un type de nationalisme potentiellement explosif dans des régions où se côtoient des groupes aux héritages variés: à l’opposé du nationalisme unificateur qui cherche à rassembler dans un élan commun des groupes différents vivant sur un même territoire, le nationalisme ethnique considère les autres groupes comme un corps étranger, au mieux des citoyens de seconde zone […], ce qui débouche sur une attitude exclusiviste». À cet effet, tous les peuples vivent les méfaits d’une cohabitation reposant sur des choix ethniques. En apparence, l’idée de la «nation» parait plus positive que celle de l’«ethnie». Par comparaison de ces deux idées, Pierre Kende note: La nation politique est une communauté de peuples historiquement réunis sur un territoire, un ensemble qui s’organise politiquement selon le modèle de la citoyenneté ouverte à tous. Par opposition, la nation ethno-culturelle n’est réservée qu’à une communauté définie selon les critères de sang ou d’une culture-langue, religion-partagée, à laquelle aucun étranger ne peut accéder, sinon par grâce exceptionnelle. La conséquence première de l’ethnisme est d’introduire la division entre les peuples habitant un même territoire.  Y. Lacoste (dir.), Dictionnaire de Géopolitique, Paris, Flammarion, , p. , tel que cité par J. Fr. Mayer, Religions et sécurité internationale, Berne, Office National de la Défense, , p. . Anthony Smith a perçu également l’ethnie dans le même sens. Il écrit: «l’ethnicité est la conscience de l’existence d’une communauté possédant simultanément les éléments constitutifs suivants: / une collectivité ayant un nom propre; / un mythe au sujet de la descendance commune; / mémoire historique commune; / un ou plusieurs éléments culturels nettement distinctifs; / association avec une terre natale; / existence d’un sens de la solidarité parmi les couches significatives de la population» (A. Smith tel que repris par J. Fr. Mayer, Religions et sécurité internationale, p. -).  J. Fr. Mayer, Religions et sécurité internationale, p. .  Ibid.  P. Kende, «Du nationalisme en Europe centrale et orientale», dans A. Gresch (dir.), À l’Est, les nationalismes contre la démocratie?, Bruxelles, Éd. Complexe, , p. -; tel que cité par J. Fr. Mayer, Religions et sécurité internationale, p. , note .

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En revanche, un autre type d’analyse permet de percevoir dans la notion d’ethnicité, un facteur important de la critique contre le nationalisme à notre époque. On sait qu’au-delà de l’ethnicité, l’humanité tend de plus en plus à institutionnaliser le régime d’appartenance au village planétaire par la notion de la citoyenneté universelle. Mais, nous ne devons pas passer outre l’approche qui s’appuie sur l’ethnicité, en vue de corriger les dérives de la fiction politique incarnée par la notion de l’État-nation, lorsque cette approche vise à rejoindre le peuple effectif et la population concrète, constitué en entités vivantes et en communautés sociologiques déchiffrables à la base. Dans la critique postmoderne se trouve sous-tendue l’idée que l’État doit se réaliser et s’inventer au sein de la société civile. Nous garderons à l’esprit la teneur du débat suscité par J. Habermas face à la pensée politique de Carl Schmitt. J. Habermas s’oppose à la tendance de Carl Schmitt à considérer que «la politique résiderait tout entière dans la capacité d’une identité collective à s’affirmer contre d’autres identités collectives différemment constituées». Pour J. Habermas, cette conception résulte d’une dangereuse «ontologisation de la relation ami/ennemi», qui, à la limite, laisse entendre «que tous les efforts qui sont faits pour donner une forme juridique globale aux relations existant entre les sujets de droit international qui manifestent, à l’égard les uns des autres, des intentions belliqueuses, ne sont jamais, en fin de compte, qu’une manière universaliste de violer des intérêts particuliers». J. Habermas dénonce la faiblesse de cette présentation, dans sa tendance à faire reposer la politique sur des valeurs et des affirmations pré-politiques d’ethnicité et de «communauté de destin», mais également en ce qu’elle diminue la portée du droit international, en le réduisant à une médiation contingente entre acteurs politiques nationaux. Mais, de notre point de vue, un tel débat peut être considéré comme un recul, dans la mesure où il nous semble inutile de mettre en situation d’opposition, des notions et réalités pourtant dialectiques dans le fonc J. Derrida et J. Habermas, Le «concept» du  septembre. Dialogues à New York (octobre-décembre ) avec Giovanna Borradori, Paris, Galilée, , p. . J. Habermas n’est pas d’accord avec C. Schmitt, lorsque celui-ci estime qu’une nation souveraine ne serait pas fondée sur la détermination de ses libertés civiques mais sur le caractère unique d’une nationalité ethnique contre toutes les autres. Pour J. Habermas, une telle définition du politique en vient à «ontologiser» la relation ami/ennemi et à en faire la substance et l’essence de la politique. Ce serait en effet en vertu de cette conviction que C. Schmitt, selon J. Habermas, nourrit le soupçon que le droit international peut être au service des intérêts expansionnistes des plus forts (cf. ibid., p. ).  Cf. ibid., p. -.

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tionnement du politique à notre âge. La défense et la sauvegarde des intérêts des communautés de destin à l’époque où l’on prône la protection des minorités, ne peuvent contredire l’orientation du droit international quant à la préoccupation concernant la sécurité de tout être humain. De la même manière, la perspective d’une législation cosmopolite, qui tend à offrir et à conforter un espace de «fédération des peuples» selon un horizon qui fera de la communauté humaine dans son ensemble une communauté du destin partagé, ne peut être opposée à une politique d’intégration des communautés ethniques. Force nous est d’affirmer que la prise en compte de l’élément ethnicité et l’obligation de son institutionnalisation dans la configuration d’un État postmoderne et dans le régime ordinaire de gouvernance, renforce le régime de la démocratie participative avec la considération du peuple concret. C’est un schéma qui présente un atout non négligeable dans le processus de consolidation d’une conscience de partage de destin à tous les niveaux du vivre ensemble, au-delà du seul sentiment d’appartenance à l’espace unifié, proclamé comme régime émotionnel de souveraineté. J. Attali a eu ainsi raison de relever à l’avantage de notre contexte postmoderne, que nul n’est besoin pour la démocratie de s’accrocher à l’euphorie d’un nationalisme abstrait et territorial, si ce sentiment ne peut se fonder sur «la mise en place d’institutions stables, économiques et politiques, et si n’existe pas un véritable désir des citoyens de vivre ensemble». Faute d’une gestion autrement assumée de la souveraineté tel qu’héritée de la conception moderne de la «Nation», il ne sera pas illusoire d’imaginer, à la suite de J. Attali, que «les États créés artificiellement par la colonisation en Afrique et en Asie voleraient […] en éclat», et que «plus de cents nations nouvelles pourraient naître avant la fin du siècle». Le contexte de la politique internationale ne semble plus admettre une conception de l’État qui se limite à voir en celui-ci l’institution du monopole de la force et de la domination politique légitime. C’est une définition qui offre à l’État le sentiment émotionnelle d’être son propre 

J. Attali, Une brève histoire de l’avenir, p. . Ibid., p. . L’occasion d’un tel tournant consacrera la fin d’un modèle et d’une conception de la souveraineté. C’est à J. Derrida que revient le mérite de montrer, en effet, que «la culture européenne est responsable de l’apparition de l’idéal de l’État-nation à la ‘tête’ duquel se trouve une capitale» (J. Derrida et J. Habermas, Le «concept» du  septembre, p. ).  Cf. M. Weber, Le savant et le politique, Paris, Bibliothèque -, , cité par L. Pelletier-Marcotte et S. Veilleux-Poulin, «Les acteurs de la politique étrangère», dans K. Prémont (dir.), La politique étrangère des grandes puissances, p. . 

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fondement, le fondement de sa propre légitimité en dehors de la référence à tous les autres processus sociaux. Par contre, il faut tenir qu’il n’y a d’autonomie de l’État sans considération de l’ensemble des systèmes qui constituent la société globale. C’est en ce sens que, en vue d’atténuer les excès de la conception coercitive de l’État, Léa Pelletier-Marcotte et Sarah Veilleux-Poulin ont pu écrire: «l’utilisation de la force armée n’est que l’une des nombreuses caractéristiques qui définissent l’entité juridico-politique qu’est l’État. En soi l’État représente l’ensemble des institutions et des services (ce qui inclut les Forces armées mais aussi la poste, la justice, la police et l’administration publique) établis en vertu d’un pouvoir légitime et qui seront administrés par le gouvernement au nom du peuple. En ce sens, l’État doit être différencié du gouvernement puisqu’il met en place les outils qui permettront à ce dernier d’exercer, pour la durée d’un mandat, le pouvoir. L’État est également constitué d’un territoire bien défini, dont les frontières sont généralement reconnues par les autres États: le terme ‘pays’ renvoie d’ailleurs à cette réalité géographique. Le territoire doit être occupé de façon effective par une population qui est soumise à un ordre juridique étatique. En retour, l’État se fait gardien de la société civile et s’assure de l’égalité de tous devant la loi». La pertinence d’une telle conception de l’État, tient aux motifs qui mettent en lumière la problématique de causes de la désintégration sociétale en régime de démocratie libérale. Parmi ces raisons, il y a la primauté de la notion du peuple comme société civile et les exigences de son épanouissement. Face à cette constante, la rhétorique de la démocratie classique a eu à véhiculer un concept abstrait et vague du «peuple». Il faut reconnaitre que le choix de la «forme proprement moderne: la nation comme communauté des citoyens», ne sera pas sans motivation. Avec le recule du temps, on est en droit de se demander si ce choix n’a-t-il pas été effectué pour éviter d’affronter le caractère concret du peuple? En effet, la société moderne, après avoir détrôné la légitimité théocratique, c’est-à-dire la référence ultime à la volonté de Dieu quant à la normativité de l’ordre social, pour finir par subordonner tout à la souveraineté du peuple, considérera que «la référence au ‘peuple’ ne suffit pas à assurer la légitimité du pouvoir et du droit dans la société». Selon ce schéma, on a considéré que «comme entité concrète, le peuple 

L. Pelletier-Marcotte et S. Veilleux-Poulin, «Les acteurs de la politique étrangère»,

p. .  

D. Dagenais (dir.), Hannah Arendt, le totalitarisme et le monde contemporain, p. . M. Freitag, L’oubli de la société, p. -.

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reste une réalité historique contingente et particulière, et il est le siège de multiples conflits et divisions. Ses motivations, ses attitudes, ses intérêts, sa volonté sont donc changeants et contradictoires». Ainsi a-t-on pensé que, de ce fait, «la capacité constitutionnelle puis politico-institutionnelle du peuple doit donc à son tour se trouver légitimée, de manière transcendantale, par une référence ontologique possédant un caractère absolu». C’est la Nation qui doit ainsi représenter le fondement ultime de cette légitimité. En revanche, l’approche postmoderne prend en compte le peuple concret comme catégorie politique, et la population réelle comme notion socio-économique. Dans le cadre de cette approche nouvelle, c’est au niveau des groupements sociologiques des populations, que non seulement on doit ressentir, mais aussi expérimenter et vivre les effets de l’État, et où le peuple réel (populations civiles) participe de l’effectivité de la République, celle-ci étant devenue le lieu concret de partage de destin, au nom du principe de solidarité sociale. La démocratie participative sera mal pensée lorsque l’idée de la société civile qui la sous-tend se limitera à se recouper avec une circonscription qui touche seulement les mouvements associatifs, les syndicats et les autres forces vives constituées en entités provisoirement «apolitiques». On s’achemine vers un modèle d’État qui, tout en gardant sa configuration républicaine, se dépossède en se dépouillant de la prétention d’autosuffisance. L’État est constamment appelé à consolider la conscience de sa consistance en se confrontant à l’épreuve d’une finalité autre que lui-même: le développement durable de la condition humaine globale, dans un environnement physique et sociopolitique intègre. Par conséquent, l’État se comprend désormais en fonction de sa proximité avec le destin concret des populations. Il est État à tous les niveaux de la vie sociale, de telle sorte que, sur le plan politique comme en ce qui concerne l’administration publique, il doit prendre correctement en charge l’option de la décentralisation, non pas seulement par rapport à l’émergence des citoyens libres, en droits et devoirs civiques, au niveau des entités, mais aussi par rapport à la promotion de différentes communautés de vie et de destin à la base. 

M. Freitag, L’oubli de la société, p. . Dans la plupart des cas, en Afrique par exemple, les mouvements de la société civile finissent, dans le chef de leurs acteurs, à faire le jeu politique proprement dit. Ce faisant, ils cessent d’être le contrepoids du pouvoir institutionnel de l’État dans sa prétention à l’absoluité, et par là, ils arrivent à affaiblir, voir à anéantir leur rôle fondamental de forces de pression dans la formation des équilibres démocratiques. 

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Dans la mesure où débats et concertations, options fondamentales et perspectives au sein de l’État quant à la question de gouvernance, pourront être largement influencés par des revendications de la base, et même par de différentes bases communautaires, il sera juste que les entités ethniques soient prises en compte dans le cadre de la démocratie de proximité. La communauté politique des nations s’assurera d’être, enfin de compte, le lieu de la défense de l’homme et de droits de celui-ci, lorsque le sort de chaque être humain ne sera pas détaché de son regroupement sociologique et de son entité sociétale actuelle, qui constitue son milieu natal et vital, et à partir duquel il nourrit le sentiment d’appartenir potentiellement à l’espace planétaire comme citoyen du monde. Cette perspective sera la garantie durable de la sécurité pour tous à l’échelle mondiale. C’est dans un tel environnement que les populations à la base seront poussées à faire des choix sereins et rassurants en matière d’éducation pour la jeunesse, de l’emploi pour tous, de la rémunération équitable, d’accès aux soins de santé et de l’intégration des plus vulnérables. Le régime politique de gouvernance qui s’ensuivra, sera dissuasif vis-à-vis des probabilités de violence et des situations de conflits, pour autant qu’il puisse contribuer à diminuer l’intensité de la frustration sociale et de la désintégration citoyenne. Cette approche a l’avantage de revenir sur la nécessité de traiter la question de la sécurité internationale en étroite relation avec la transposition, sur l’espace international, des réactions de frustration et d’agressivité, qui résultent d’une spirale de désintégrations tant politique, sociale qu’économique que connaissent les populations au sein des États nationaux. En direction de ce constat, Benoît XVI a estimé que l’approche purement technique de la dynamique sociétale ne suffit pas lorsqu’il faut répondre aux interrogations de nos contemporains. Le Pape reconnait, certes, que «bâtir la paix demande que l’on tisse sans cesse des contacts diplomatiques, des échanges économiques et technologiques, des rencontres culturelles, des accords sur des projets communs, ainsi que le déploiement d’efforts réciproques pour endiguer les menaces de guerre et couper à la racine la tentation récurrente du terrorisme». Cependant, note-t-il, «pour que ces efforts puissent avoir des effets durables, il est nécessaire qu’ils s’appuient sur des valeurs enracinées dans la vérité de la vie. Autrement dit, il faut écouter la voix des populations concernées et examiner leur situation pour en interpréter les attentes avec justesse. On doit, pour ainsi dire, ajoute Benoît XVI, s’inscrire dans la continuité de l’effort anonyme de tant des personnes fortement engagées pour promouvoir les rencontres entre les peuples et

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favoriser le développement à partir de l’amour et de la compréhension réciproque». À l’absence d’une telle analyse, la détérioration des conditions de vie dans différentes régions du monde, sera pour longtemps le facteur le plus déterminant de l’insécurité au sein des nations et dans le monde. Car, par un effet de contagion, l’humanité a la conscience de partager, à l’échelle planétaire, l’expérience de la souffrance qui se crée sous le poids des injustices et des inégalités. La persistance de celles-ci est ressentie comme occasionnée par un ordre du monde encore socialement déséquilibré, économiquement déréglée, et politiquement ambigu. Les causes de la vertigineuse croissance de l’émigration sous ses formes diverses, méritent d’être traitées en connexion avec cette problématique. Ainsi, toute justification de l’insécurité et du terrorisme international par une causalité religieuse, passera-t-elle, de ce fait, comme relevant d’un prétexte dérisoire, voire d’une diversion qui cache les vrais problèmes. .... Pseudo-référence à la religion L’approche éthique du défi sécuritaire dans la cité contemporaine a le mérite de soulever plusieurs motifs de crainte du terrorisme. C’est notamment la crainte qui consiste «à se demander si le terrorisme international n’ébranle pas […] les démocraties au point de les entraîner à renoncer à leurs principes et à souscrire elles-mêmes à une barbarie qui répugne à leurs valeurs». En accord avec P. Valadier, la formulation de cette crainte au sein de notre analyse, est autant légitime que la crainte par laquelle on dénoncera l’instrumentalisation des religions dans le jeu de la terreur. À notre époque, en effet, «justifier le terrorisme pour des motifs religieux», doit être considéré comme une perversion. Les convictions fortes qui structurent des rapports positifs à la religion, sont loin de l’admettre au sein de notre civilisation postmoderne. Si la pseudo-référence à la religion constitue un «piège» à une approche démocratique, elle révèle surtout la contradiction dans laquelle se retrouve la civilisation arabe qu’on ne peut manquer d’accuser de verser dans l’islamisation des conflits, au point de ne pas voir que le terrorisme demeure un moyen  Benoît XVI, Lettre Encyclique sur le développement humain intégral dans la charité et dans la vérité, Caritas in veritate, n° .  P. Valadier, «La barbarie dans la civilisation», p. .  Ibid., p. .

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dangereux même pour le monde musulman lui-même. Avec justesse de propos, P. Valadier a écrit: les terroristes sont avant tout une menace pour leur propre camp. Tout le monde sait que les États les plus visés sont les États arabes dits modérés, jugés «apostats», accusation qui vaut condamnation à mort dans le contexte musulman; les menaces les plus graves et les plus immédiates portent sur les musulmans eux-mêmes, sommés de se rallier aux thèses extrémistes de l’islam radical. La confrontation est donc interne à l’islam qu’elle divise profondément.

Les propos de P. Valadier se clarifient d’avantage au regard de la considération selon laquelle «le terrorisme a révélé dans quelle crise profonde se trouve une religion qui engendre de tels radicalismes. Ben Laden, précise P. Valadier, n’est qu’un symptôme, le pire sans doute, mais non le seul, ainsi des Talibans en Afghanistan, ou des divers islamismes qui enflamment nombre de pays musulmans et qui tuent surtout des fidèles du Prophète». La description de la situation de contradiction qui touche à l’exploitation compromettante d’une religion, peut aller jusqu’à désigner tous ces attentats aux explosions, qui tuent fréquemment soit des shiites soit de sunnites, dans des quartiers entiers en Irak, en Palestine et, récemment, en Syrie, relativement à la situation de guerre. En toute justesse d’appréciation, il n’y aura pas de guerre ni de terrorisme à l’échelle du monde sur fond des conflits des religions. Dans la situation de récentes guerres contre des régimes accusés de soutenir les terroristes, en contexte des attentats du  septembre , on ne saura pas établir que ces guerres ont une motivation religieuse directe ni un but religieux légitime. On a su certes que Oussama Ben Laden (mort assassiné par les éléments de la CIA américaine dans la nuit du  au  mai , dix ans après les attentats terroristes du  septembre ) avait taxé les États Unies d’être le «grand Satan»; que les États Unies d’Amérique avaient considéré Ben Laden comme «le diable en personne», et que, par conséquent, la guerre contre l’Afghanistan et contre l’Irak devait être placé sous le symbole de combat de la liberté contre des systèmes du mal. Mais, comme le souligne P. Valadier, cette pseudo-justification religieuse «est invoquée pour mobiliser les masses et donner un alibi honorable au crime et à la barbarie du côté de Ben Laden. Elle est, du côté américain, un aveu facilement déchiffrable que les justifications

 

P. Valadier, «La barbarie dans la civilisation», p. . Ibid., p. .

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rationnelles et raisonnables de la guerre contre le Mal n’ont guère d’assise convaincante en elles-mêmes». Notre analyse est l’occasion de relever que l’interprétation religieuse du terrorisme du côté des réseaux organisateurs des opérations de violence comme du côté des «politiques de répression», rentre dans un schéma des plus simplificateurs dans la voie de la recherche et de l’explication convaincante des facteurs essentiels des situations d’insécurité dans le monde. Ce schéma a le défaut de légitimer l’amalgame entre la civilisation arabo-musulmane avec les réseaux des islamistes radicaux (djihadistes qui en appellent à la guerre), et d’homogénéiser le monde musulman en le réduisant à un pôle unique de l’insécurité et en le considérant comme origine et cause de l’instabilité politique de la planète. C’est une approche, qui tombe dans les dérives de l’injustice et de dénie de droits que l’on peut constater dans l’application de certaines mesures de lutte antiterroriste. Le monde est ainsi appelé à une réévaluation, certes vigilante, mais équilibrée du phénomène de terrorisme, pour éviter de rentrer dans un cycle infernal de violence. Le recours à l’éthique des religions pour légitimer aussi bien le terrorisme que les stratégies (ou les procédures de justice) militaires de réplique, a pu fonctionner ces dernières années comme modalité d’instrumentalisation du langage des croyances, en vue de soutenir des causes à schèmes extrémistes. À la limite, nous pouvons considérer que là où elle est à l’œuvre, une telle référence jouerait un rôle de voile quant aux vraies motivations des conflits armés, y compris dans le cas où ces conflits peuvent être compris selon la théorie dite de «choc des civilisations». À la suite de J. Fr. Mayer, nous admettons que, si la religion peut constituer un facteur particulièrement important de différentiation des lignes des frontières culturelles entre les civilisations, et que si elle peut fournir un élément d’identification puissant, elle n’est, cependant, «qu’un des facteurs qui forgent une civilisation». Cette position permet de relativiser la thèse de S. Huntington, c’est-à-dire le fait «d’interpréter systématiquement des conflits politiques et économiques en termes des conflits ethniques et culturelles, et de les lester d’une charge religieuse». Un regard soutenu de la réalité révèle plutôt que dans toutes les zones des conflits, ceux-ci ne résultent pas de la nécessité de défense d’une religion ou d’une civilisation. Mais ce qui est en jeu, c’est – dans les cas   

P. Valadier, «La barbarie dans la civilisation», p. . J. Fr. Mayer, Religion et sécurité internationale, p. . H. Küng, Le christianisme. Ce qu’il est et ce qu’il est devenu dans l’histoire, p. .

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majoritaires – la conquête «des territoires, des matières premières, le commerce et l’argent, donc […] des intérêts politiques, économiques et militaires». Dans d’autres contextes, une exploitation non démocratique des antagonismes politiques dans la course au pouvoir d’État, est également un facteur non négligeable. Il faut donc souligner que «si des chocs des civilisations doivent se produire un jour, ils n’équivaudront pas nécessairement à des guerres de religions». Cela vaut même pour le terrorisme international, qui laisse l’impression d’un affront entre la civilisation chrétienne (en complicité avec la laïcité) d’un côté, et, de l’autre côté, la civilisation arabo-islamique. Dans l’ensemble, comme l’explique H. Küng, on tiendra que «les grandes civilisations ne représentent pas le paradigme dominant […] des conflits à l’échelle mondiale […] Mais elles représentent la dimension culturelle en profondeur de tous les antagonismes et des conflits entre peuples, une dimension toujours présente et qu’il ne faudrait pas négliger». C’est seulement en ce sens que, comme le fait remarquer J. F. Mayer, «à la fois pour des raisons émotionnelles et parce qu’[il] permet en quelque sorte d’absolutiser l’opposition en la transformant en une lutte de la vérité contre l’erreur, de la justice contre l’injustice, le recours à la référence religieuse sera fréquent dès lors que les deux groupes en conflit ne partagent pas la même foi». Le potentiel religieux se prête autant facilement à un tel usage que les facteurs religieux sont intimement liés aux ethnogenèses. À ce titre, il réveille des réflexes identitaires profonds, le religieux étant par endroit ce «conservatoire privilégié des modèles identitaires». Par conséquent, là où elles existent, en réalité ou en latence, les rivalités ethniques et religieuses représentent les «structures souterraines» des conflits territoriaux, d’intérêts politiques et de la concurrence économique. Ces forces souterraines sont toujours présentes et portent à justifier, à inspirer et à attiser les conflits politiques, économiques et militaires, qui sont en eux-mêmes des véritables motifs des conflits, voir du terrorisme sous ses multiples formes actuelles. Ce qui est requis sera que «chacun de ces conflits doit être situé dans son contexte». Car, à 

H. Küng, Le christianisme. Ce qu’il est et ce qu’il est devenu dans l’histoire, p. . J. Fr. Mayer, Religion et sécurité internationale, p. .  H. Küng, Le christianisme. Ce qu’il est et ce qu’il est devenu dans l’histoire, p. .  J. Fr. Mayer, Religion et sécurité internationale, p. -.  P. Michel, Politique et religion. La grande mutation; cité par J. Fr. Mayer, Religion et sécurité internationale, p. .  H. Küng, Le christianisme. Ce qu’il est et ce qu’il est devenu dans l’histoire, p. . 

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l’évidence, «des conflits particuliers ont des causes diverses et mêlées, qui relèvent de l’économie, de l’évolution démographique, de l’inadaptation d’institutions sociales ou politiques, et de bien d’autres facteurs encore (poids d’une histoire tourmentée, déplacement des populations, rivalités tribales…)». Dans tous ces cas, «la religion, sans être nécessairement la cause première ou ultime de ces luttes, sert de caution aux protagonistes […] elle semble en beaucoup des cas fournir pour le moins des justifications ou des prétextes». Selon P. Valadier, «ces justifications ne constituent pas seulement un alibi extérieur, une couverture plus ou moins factice; elles renforcent les adversaires dans leur détermination; elles motivent leur ardeur parce qu’elles leur font pressentir l’enjeu total de leur lutte en la radicalisant. Leur cause ne devient alors tout à fait, ou seulement la leur, mais elle s’identifie à la cause de la Foi, de la Vérité, de la Tradition – bref à la cause même de Dieu». Dans cette perspective, P. Valadier montre également que «les religions […] peuvent servir de couvertures pour défendre les intérêts nationalistes, pour véhiculer des ambitions collectives ou individuelles, ou pour abriter des peurs qui n’osent pas se dire et qui favorisent ainsi la soumission aux pouvoirs tyranniques ou totalitaires. En tous ces cas, elles font donc le jeu de la violence. Elles avivent alors d’autant plus des oppositions que le conflit devient un enjeu plus total, et partant plus irrationnel, justifiant les radicalisations telles qu’aux yeux des parties prenantes, toute concession, toute armistice ou tout compromis paraissent une trahison de la cause». Le recours au langage des croyances religieuses intervient ainsi en toute situation de violence structurelle et formelle, en tant que force de légitimation exceptionnelle. La motivation est à placer plutôt du côté de la radicalisation des positions de conflictualité entre groupes et communautés, dans une visée aussi bien de manipulation que de justification. Dans la mesure où l’on voudra endiguer les causes de l’insécurité, la stratégie conséquente en appellera en outre à la nécessité d’un travail d’instauration de la paix dans les esprits, par le biais des intégrations régionales, le dialogue des civilisations et des religions, ainsi qu’à l’urgence d’une régulation des rapports de force dans le système établi par un certain ordre international au plan économique et politique (notamment en ce qui concerne la gestion de la logique de ce qu’on a appelé la «Realpolitik»,

 

P. Valadier, Lettres à un chrétien impatient, Paris, La Découverte, , p. . Ibid., p. -.

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comme logique d’une diplomatie basée rien que sur les intérêts, à n’importe quel prix). Aussi longtemps que rien ne sera absolument simple dans l’identification des causes des conflits, ceux-ci résulteront, selon les contextes, aussi bien de la haine interethnique, de la course aux intérêts économiques (contrôle de terres, de l’eau, du pétrole), que d’une certaine rigidité des régimes au pouvoir d’État dans certaines nations. Dans cette direction, Amnesty International a démontré, dans le cas de l’Afghanistan, que le conflit dans ce pays est nourri de nationalisme, de tribalisme, de fondamentalisme religieux, voire d’un système de «coopération» imperméable à toute diplomatie conventionnelle […]. Dans le cadre de ce constat, Amnesty International indique que les pratiques inhumaines (telles les meurtres, torture, viols, prises d’otages, enlèvements suivis de silence, expulsion, exil, emprisonnement, bref toute forme de violation des droits de l’homme dans ce sens) ne sont que les effets déplorables des conflits à causes multiples dont: «haine ethnique ou religieuse, inimitié à l’égard d’individus instruits et favorables à la laïcité, règlements de comptes envers d’anciens fonctionnaires gouvernementaux, vengeances locales, etc.». Le contexte politique de l’Afrique renvoie aux facteurs liés à la gestion autoritariste du pouvoir d’État, à la prédation des richesses locales, à la mauvaise gouvernance des ressources et revenus de l’État. Devant ces faits, les religions n’auraient d’emblée et a priori «qu’une influence réduite», même dans les efforts de pacification dans des relations intra- et internationales des États en conflits. Par-dessus tout, la gestion des dimensions belligérantes du défi sécuritaire s’appuie aujourd’hui sur un ordre judiciaire, qui a acquis une légitimité internationale incontestable. Elle résulte, en effet, du motif de l’instauration des tribunaux et juridictions internationales, comme la Cour pénale internationale (CPI) en  (instituée à partir du Statut de Rome en ). Cette stratégie de justice appartient désormais à l’ordre et à la stratégie du projet global de l’éthique. Il s’agit d’engager la responsabilité humaine dans le combat contre la criminalité dans le  Cf. Amnesty International, «Dossier Afghanistan – Pays mutilé», n° , janvier , p. -; en référence à M. Aguirre, «Guerres civiles, idéologies folles. Conflits armés, fin de siècles», dans Le Monde diplomatique , novembre ; cf. M. AebischerCrettol, Vers un œcuménisme interreligieux. Jalons pour une théologie chrétienne du pluralisme religieux, Paris, Cerf, , p. .  Amnesty International, «Dossier Afghanistan – Pays mutilé», n° , janvier , p. .  M. Aebischer-Crettol, Vers un œcuménisme interreligieux, p. .

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cadre d’une justice dissuasive. Dans le cas d’espèce, il s’agit de traduire et de faire comparaitre devant des juridictions internationales, les auteurs de génocides, de crimes des guerres et de crimes contre l’humanité, surtout dans une situation où la justice de l’État sur le sol duquel ces infractions ont été commises serait jugée déficiente. Cette option repose  Crimes relevant de la compétence de la cours pénale internationale. – Crimes de guerre: Aux termes de l’Article  du Statut, la CPI a compétence à l’égard des crimes de guerre. Ceux-ci incluent la plupart des infractions graves du droit international humanitaire mentionnées dans les conventions de Genève de  et leurs Protocoles additionnels de , commises lors des conflits armés internationaux ou non internationaux. Un certain nombre d’Infractions sont spécifiquement considérées comme des crimes de guerre dans le statut, notamment: Le viol, l’esclavage sexuel, la prostitution forcée, la grossesse forcée et toute autre forme de violence sexuelle; le fait de faire participer activement des enfants de moins de  ans à des hostilités. Certaines autres violences graves de Droit international humanitaire, telles que les retards injustifiés dans le repatriement des prisonniers et les attaques sans discrimination atteignant la population civile ou des biens de caractère civil, qui sont définis comme des infractions graves dans les conventions de Genève de  et le Protocole additionnel  de , ne sont pas mentionnés spécifiquement dans le Statut. Seules quelques dispositions concernent certaines armes dont l’utilisation est interdite aux termes de divers traités existants, et celles-ci ne s’appliquent pas aux conflits armés non internationaux. – Génocide: La CPI a compétence à l’égard du crime de génocide en vertu de l’Article  du Statut, qui reprend les termes qui sont employés dans la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de . Aux fins du Statut, le crime de génocide est défini comme l’un des actes ci-après commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux: Meurtre de membres du groupe; Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe; Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entrainer sa destruction physique totale ou partielle; Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe; Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe. – Crimes contre l’humanité: La CPI a compétence aussi à l’égard des crimes contre l’humanité. En vertu de l’Article  du Statut, ces crimes comprennent les actes ci-après commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile: Meurtre; extermination; réduction en esclavage; déportation ou transfert forcé de population; emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du Droit international; torture; viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée et toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable; persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste, ou en fonction d’autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international, en corrélation avec tout acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la Cour; disparitions forcées; Apartheid; autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale. – Agression: Comme le stipule l’Article , alinéa  du Statut, la CPI exercera sa compétence à l’égard du crime d’agression quand une disposition aura été adoptée qui définira ce crime et fixera les conditions de l’exercice de la compétence de la Cour à son égard. À l’occasion du dixième anniversaire de la création de la CPI, en octobre , le problème s’est posé, celui d’insérer dans les Statuts des amendements sur des crimes d’agression.

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sur la conviction qu’il n’y aura pas de paix et de développement durable sur la planète à l’absence de la sécurité physique et juridique des personnes. L’ordre actuel devra attacher à ce type des mesures, la poursuite légitime des régimes de la terreur et de la tyrannie, pour les remplacer par des politiques des protections des populations civiles à partir des stratégies intelligentes de préventions et de résolution des conflits. L’ambition éthique d’un tel projet est fortement louable. Mais il faut signaler que le processus de sa réalisation ne va pas sans se heurter à quelques limites, aussi bien sur le plan international que sur le plan intérieur des États. Au plan international, notera-t-on, sur les  États signataires du Statut de Rome instituant la CPI, jusqu’à ces jours, les grandes puissances dont la Chine, la Russie et les USA, tous membres permanents du Conseil de sécurité, ne sont pas toujours ralliés à cette Cours. Sur le plan interne des nations, en des zones des conflits, la CPI représente un espace très limité dans les manœuvres d’instruction de crimes imprescriptibles par des enquêtes adéquates. Elle ne dispose pas encore d’une police, dont les interventions permettraient de procéder à l’arrestation des auteurs des crimes. Elle doit s’en remettre chaque fois à la volonté (parfois lâche) des gouvernements nationaux en cette matière. Aussi souhaitera-t-on que dans différents États, l’approche du droit soit accompagnée d’une nécessaire consolidation des institutions judiciaires nationales. Il s’agit de couvrir et de rencontrer le besoin de justice, essentiellement par l’installation de par le monde, non pas seulement des États (dotés des constitutions comme preuve de gouvernance démocratique), mais des États de droit (fondés sur une distribution réelle et équitable de la justice). R. Coste a noté que «la justice constitue l’essence de l’éthique politique». Il en résulte que, dans les efforts et les stratégies pour refreiner les poches de l’insécurité dans le monde, l’intervention de l’approche judiciaire doit jouer à l’équilibre et contribuer à prioriser les stratégies d’entente et de concertation en vue d’éviter de tomber dans la spirale de violence. Elle doit notamment révéler les limites de l’approche américaine en direction de la guerre de la «préemption». Celle-ci a été expliquée comme une stratégie consistant, pour les gouvernements, à «mettre en œuvre toute action nécessaire afin de contrer l’émergence d’organisations terroristes en éliminant leurs sources



R. Coste, Les communautés politiques, p. .

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potentielles de financement, en détruisant leur sanctuaire de même que leur réseau de communication». S’inscrivant dans une logique de conflictualité, la guerre préemptive préconisée par la stratégie américaine dans le cadre de la répression du terrorisme, est jugée comme ne reposant sur «aucune légitimité juridique». Pour P. Valadier, «son cynisme comme sa perversité morale» résident dans le fait d’ériger «le plus puissant […] en seul juge de légitimité de ses attaques» contre les faibles. P. Valadier n’hésite pas de dénoncer le caractère manichéiste de cette doctrine, en précisant qu’«on ne peut la défendre qu’en s’identifiant soi-même au Bien et en rassemblant tous les ennemis virtuels sous l’axe du Mal». Les conséquences d’une telle doctrine seront telles que, «au nom du Bien, on légitime ainsi toute attaque contre l’adversaire identifié au Mal, aucun compromis, aucune tentative de négociation n’apparaissant alors justifiable à l’égard du Mal […] Toute solution pacifique des conflits semble donc perdre son fondement, car comment s’asseoir à une table de négociation avec les puissances des ténèbres?». Le moins que l’on puisse dire est que la logique d’une telle justification de la guerre préemptive repose sur des motivations moralement inadmissibles, là où elle peut se passer de tout diagnostic équilibré en direction des situations et des causes des conflits. Dans l’ordre de la critique en l’encontre de la politique préemptive, David Grondin et Marie-Chantal Locas ont fait remarquer que, même s’il s’agissait en elle d’une stratégie de lutte contre le terrorisme global et contre la prolifération des armes à destruction massive, «elle ouvre la porte à des arrestations préemptives, à la détention et à la déportation des migrants considérés suspects, à la surveillance accrue des moyens de communication et à la collecte de données diverses, qu’il s’agisse des données financières ou des registres d’emprunt des bibliothèques». Pour David Grondin et Marie-Chantal Locas, aussi bien en ce qui concerne la stratégie préemptive que pour ce qui est de la stratégie américaine du  D. Grondin et M.-Ch. Locas, «Comprendre les enjeux de la politique étrangère», dans K. Prémont (dir.), La politique étrangère des grandes puissances, p. ; en référence à D. Grondin, «Guerre préemptive/guerre préventive», dans A. Macleod, É. Dufault et F.-G. Dufour (dir.), Relations internationales. Théories et concepts, e éd., Outremont, Athéna éditions, , p. -. «Par anticipation d’attaques possibles ou simplement de menaces insupportables, un État pourrait prendre les devants et anticiper l’événement en détruisant les possibilités nocives de l’adversaire soupçonné», telle est signification de la preemptive action» (P. Valadier, «La barbarie dans la civilisation», p. ).  P. Valadier, «La barbarie dans la civilisation», p. .  Ibid., p. .

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USA Patriot Act de , qui met le lien entre la lutte contre le terrorisme et le contrôle migratoire, on assiste à une nouvelle notion de la défense, caractérisée «par une surveillance et un profilage accrus basés sur une nouvelle catégorisation des éléments à risque, par une restriction des politiques d’immigration […]», mais qui «a engendré l’érosion des libertés civiles de plusieurs groupes d’individus». En ce sens, deux griefs ont été formulés contre la doctrine stratégique préemptive, telle que mise en œuvre par la politique américaine depuis les attentats du  septembre : il y a, d’une part, le fait que cette stratégie a été érigée «en norme internationale plutôt que d’être considérée en dernier recours» et, d’autre part, le risque d’un effet de contagion, qui verrait d’autres puissances adopter «une attitude unilatéraliste dans la gestion de leurs propres problèmes sécuritaires». Aussi évident que cela puisse paraitre, ce jugement tente de renvoyer à la possibilité pour l’approche européenne de «faire le contrepoids et [de] remettre le primat du droit à l’ordre du jour». En effet, dans le cadre de la stratégie européenne, le mot d’ordre est qu’il faut rendre le monde meilleur, notamment avec l’établissement des régimes de gouvernance démocratique, pour s’assurer de la sécurité et de l’Europe et du monde. Il faut cependant reconnaitre que la doctrine préemptive en matière de sécurité est aussi présente dans les politiques sécuritaires anti-terrorisme européennes. Elle se manifeste dans les mesures de «criminalisation du soutien au terrorisme, l’utilisation accrue et la fusion de plusieurs bases de données ou encore le gel des avoirs de certains groupes ou individus». Cette doctrine fait reconnaitre à la stratégie sécuritaire européenne, le caractère obsolète et désuet du concept traditionnel de défense, «face à un contexte sécuritaire nouveau au sein duquel les menaces sont désormais dynamiques et les risques de proliférations grandissant».

 D. Grondin et M.-Ch. Locas, «Comprendre les enjeux de la politique étrangère», p. , en référence à: A. Ceyhan, «Terrorisme, immigration et patriotisme. Les identités sous surveillance», dans Cultures et Conflits  ().  D. Grondin et M.-Ch. Locas, «Comprendre les enjeux de la politique étrangère», p. .  Ibid., p. .  Ibid., p. .  Cf. Conseil européen de Bruxelles, «Stratégie européenne de sécurité: Une Europe sûre dans un monde meilleur»; document cité par D. Grondin et M.-Ch. Locas, «Comprendre les enjeux de la politique étrangère», p. .  D. Grondin et M.-Ch. Locas, «Comprendre les enjeux de la politique étrangère», p. .  Ibid., p. .

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En tout état de cause, ce qui est en jeu, c’est la nécessité de la mise sur pied d’une coalition mondiale (des alliances et des États), en direction d’une stratégie anti-terrorisme, qui mobilisera tous les acteurs de la politique internationale pour l’établissement de la paix dans tous les aspects de celle-ci, y compris par la recherche permanente des moyens appropriés, pour la résolution pacifique des conflits, à partir d’un exercice d’identification des causes de ces conflits et des mécanismes de leur persistance. La communauté des nations est placée devant une de ses plus graves responsabilités, qui se révèle, notamment, dans l’impératif d’aider les nations fragiles à s’assumer chaque fois dans le choix du leadership réellement rassurant, par rapport à la question de la justice et de la gouvernance, notamment en matière de protection des libertés démocratiques, et par rapport à la promotion de la question sociale, absolument requise à la sécurité humaine comme telle. ... Menace de la sécurité sociale et afro-pessimisme Le programme du nouvel ordre mondial est d’autant plus préoccupé de la sécurité sociale de l’ensemble de la communauté humaine que, depuis quelques années, il a conduit à la mise en place d’une stratégie globale dont l’exécution est assurée par le système de Nations Unies, en tant que stratégie de lutte contre la pauvreté et de combat pour le développement humain. En l’an , à travers une Déclaration dite du millénaire, adoptée et signée par tous les pays membres, l’ONU a réussi à faire culminer ce programme dans la formulation des «Objectifs du millénaire pour le développement». Ceux-ci passent pour être le 

Le contexte des objectifs du millénaire pour le développement (OMD) émane de la dynamique du consensus mondial. Ils ont été célébrés lors du sommet des Nations Unies en septembre  à New York, comme le symbole du nouveau paradigme consensuel du développement. De par son histoire, l’adoption des OMD fait suite à la Déclaration du Millénaire des Nations Unies signée par les dirigeants de la planète en . Dans cette dynamique, on a vu le retour au premier plan de l’ONU dans le débat et la stratégie sur le développement dans le monde, après deux décennies dominées par le rôle des instituions de Breton Woods (Fond Monétaire International et Banque Mondiale) avec leurs politiques d’ajustement structurel. Cette révolution de vision dans la stratégie mondiale du développement a permis aux Nations Unies de reprendre l’initiative. Il est en effet question pour le système des Nations Unies de matérialiser les orientations d’une série des sommets mondiaux, dont celui sur l’enfance à New York en ; celui sur l’environnement à Rio en , et celui sur le développement social en  à Copenhague. Dans cet effort d’aller au-delà des politiques d’ajustement structurel, on situe aussi le travail de PNUD à travers la publication de différents rapports sur le développement humain initiée en . Ce projet de la réforme porté par le système des Nations Unies, se réalise dans les conditions de partenariat, pour son opérationnalisation dans le cadre

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thermomètre du défi social dans toute idée de gouvernance et du développement humain dans l’espace planétaire. Il est vrai que M. Freitag a organisé sa critique de la modernité autour de ce qu’il considère comme «oubli de la société». Mais l’on n’oubliera pas que la pertinence du réquisitoire de l’école de Francfort contre l’idéalisme philosophique et contre certaines manifestations actuelles de la modernité philosophique, a consisté dans la dénonciation du manque de l’horizon de la société à cette philosophie. La postmodernité est ainsi dressée sur la conviction qu’une politique pour elle-même, une économie en soi, et l’oubli de l’homme social, appartiennent à des logiques qui peuvent être taxées de répressives. Dans le cadre d’une approche éthique qui nous préoccupe, l’enjeu de ce postulat se clarifie à travers la dénonciation de grandes orientations du système libéral, cet ordre économique aux commandes de la plupart des conduites politiques au sein de nos sociétés contemporaines aujourd’hui. des stratégies nationales de lutte contre la pauvreté, et à travers la mise en place des dispositifs de suivi de la réalisation des OMD. De plus, l’engagement pris de réaliser les OMD pour , a entrainé au niveau de la coopération au développement, la mise en place des dispositifs ayant pour objectif d’aider les pays pauvres et les bailleurs de fonds à renforcer l’impact de leurs efforts communs en matière de lutte contre la pauvreté. Les OMD sont ainsi un ensemble de  propositions qui ont été retenues par le système de Nations Unies en , dans le cadre de la Déclaration du Millénaire, pour être réalisées en . En termes d’objectifs, elles se formulent de la manière suivante: ) Réduire l’extrême pauvreté et la faim. ) Assurer l’éducation primaire pour tous. ) Promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes. ) Réduire la mortalité infantile. ) Améliorer la santé maternelle. ) Combattre le VIH/Sida, le paludisme et d’autres maladies. ) Préserver l’environnement. ) Mettre en place le partenariat mondial pour le développement. Ainsi, pour la première fois dans l’histoire des Nations Unies, les États signataires de la Déclaration du Millénaire se sont engagés explicitement dans le cadre de la réalisation des OMD à s’attaquer à la fois aux problèmes de la paix, de la sécurité, du développement, des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Cf. Fr. Lapeyre, «Objectifs du Millénaire pour le développement. Outils de développement ou cheval de Troie des politiques néolibérales?», dans Alternatives sud, Objectifs du Millénaire pour le développement. Points de vue critiques du sud, Paris, Éd. Syllepse, , p. -.  Cf. J. Donzelot, L’invention du social. Essai sur le déclin des passions politiques, Paris, Fayard, .  Cf. M. Freitag, L’oubli de la société. Dans ce livre, l’auteur estime que la logique de la domination est présente aussi bien dans la modernité qu’en postmodernité. Nous considérons, cependant, que son analyse qui relève d’une approche de philosophie sociale, est très suggestive quant à la portée de la mutation que représente aujourd’hui la postmodernité.  Cf. H. Marcuse, L’homme unidimensionnel. Essai sur l’idéologie de la société industrielle avancée, Paris, Éditions de Minuit, .  Sur cette problématique en Afrique, on lira avec intérêt l’approche philosophique de Kä Mana, L’homme, la Question éthique et l’Idéologie économique, Kinshasa – Bruxelles, Archipel, .

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.... Crise du néolibéralisme économique La critique postmoderne ouvre des perspectives de compréhension de la société, qui permettent de restituer la vraie logique des mécanismes du suicide social que représentent les différentes politiques des économiques néolibérales. En effet, aujourd’hui, le paradigme du capitalisme mondial est fortement menacé dans son équilibre structurel. Dans la foulée, ce qui est en cause, précisément dans le néolibéralisme qui en assure la continuité, c’est la logique d’un paradigme qui a pour longtemps légitimé sa cohérence à travers l’absolutisation du marché sur toutes les autres fonctions sociales, la fétichisation de l’argent comme critère de jugement de toutes les valeurs humaines, l’accumulation des intérêts au détriment de la préoccupation pour la sécurité humaine, la consécration de la corruption et de la tricherie au nom du régime de concurrence globale. La critique dirigée contre la logique du capitalisme économique aujourd’hui, semble viser la déconstruction de ce système. On le déclare en état critique. On estime que le spectre de sa faillite coïncide avec ce qu’on a taxé d’«horreur globalitaire» ou de «fascination du chaos» (I. Ramonet), et on appelle en sa direction l’urgence de la «régulation». Dans les lignes qui suivent, nous voulons expliquer comment s’effectue ce mouvement de transition critique vers un paradigme alternatif, plus crédible et fiable, en raison des revendications de nouveaux pouvoirs sociaux et de nouvelles références éthiques. Selon M. Freitag, en effet, la mutation de la société n’est plus saisie aujourd’hui à partir de la catégorie d’inspiration marxiste de «mode de production capitaliste». Le déplacement s’effectue à l’intérieur du «mode de reproduction politico-institutionnelle». Pour l’expliquer, M. Freitag fait remarquer que «la modernité se caractérise ainsi, sur le plan épistémologique ou plutôt épistémique, par la mise en place d’un dualisme ontologique radical (sujet-objet, res cogitans – res extensa, individu-société) qui comporte virtuellement, au service d’une liberté individuelle hypostasiée, l’instrumentalisation totale de la nature et de la société (si l’on fait abstraction du politique dans lequel la liberté prend forme objectivement 

Cf. M. Weber, Économie et société, t. , Paris, Pocket, . Sur l’ensemble de la problématique, lire: X. Greffe et J. L. Reiffers, L’Occident en désarroi. Rupture d’un système économique, Paris, Dunod, ; I. Ramonet, Géopolitique du chaos, Paris, Galilée, ; V. Forrester, L’horreur économique, Paris, Fayard, ; P. Artus, Anomalies sur les marchés financiers, Paris, Economica, ; G. Soros, La crise du capitalisme mondial. L’intégrisme des marchés, Paris, Plon, ; A. Cotta, Le capitalisme dans tous ses états, Paris, PUF, .  M. Freitag, L’oubli de la société, p. .

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vis-à-vis d’autrui, et parvient du même coup à médiatiser les droits et les obligations)». M. Freitag souligne à cet effet «le rôle joué historiquement par le christianisme dans cette dévalorisation ontologique du monde et son instrumentalisation d’abord à titre d’‘épreuve’ dans la quête d’un ‘salut éternel’ à caractère déjà essentiellement individuel». Le schéma réductionniste de la modernité avait réussi à faire de la pauvreté une fatalité, une question d’expérience empirique, sociologiquement légitimée dans la logique des classes, et stratégiquement concernée par la condition des pays du Sud dans le dualisme économico-politique NordSud. C’est un schéma qui a évité de traiter de la pauvreté comme d’une question politique. Ainsi a-t-on réussi à cautionner le régime déséquilibré des rapports sociaux, causant à ces jours la désintégration économique de la majeure partie de la population planétaire. Aujourd’hui, la nouvelle approche consacre le traitement de la question de la pauvreté à partir du paradigme du développement humain, qui fait appel, à titre de fondement, au paradigme des droits de l’homme. Étant désormais considérée comme une question fondamentalement politique, la pauvreté exige que l’on quitte les paramètres idéologiques et économiques où le développement était une simple question de croissance des économies des nations, calculée à partir des indicateurs de revenu par habitant et du PIB. Le défi de la pauvreté en appelle ainsi à l’enjeu du développement humain en tant que tel. Au sein de ce paradigme qui rallie développement et droits humains, l’économie retrouve sa vraie place. Elle est en effet «ramenée à son rôle d’instrument au service de la vie dans sa plénitude et référée aux finalités humaines». En ce sens, lutter contre la pauvreté, c’est s’assurer de «l’amélioration du bien-être matériel dans les pays à bas revenu, qu’il s’agisse de l’alimentation, de la santé, de l’éducation, de la durée et de la dignité de la vie». Cette lutte consiste dans «l’instauration pour tous les hommes des conditions fondamentales du maintien et de l’épanouissement de la vie». Traitée en référence au droit de «toute personne […] à un niveau de vie suffisant», selon les articles  et  de la Déclaration universelle des droits de l’homme, la question de la pauvreté en appelle à un type de développement conçu 

M. Freitag, L’oubli de la société, p. . H. Bartoli, «Les droits de l’homme, fondements d’un développement humain durable», dans id., Repenser le développement. En finir avec la pauvreté, Paris, Éd. UnescoEconomica, , p. -.  Ibid., p. .  Ibid.  Ibid., p. -. 

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comme «projet» et comme «cheminement historique» qui concerne, à ce titre, «tous les peuples et toutes les nations». Les orientations actuelles de notre «société-monde» vont dans le sens de consolider ce paradigme. En suivant H. Bartoli, l’analyse de quelques rapports de la Banque mondiale et du PNUD nous en offre la méthodologie d’approche à partir des années . Si dans le rapport de , la Banque mondiale traite de la pauvreté qu’elle qualifie d’«abjecte» qui frappe  milliard d’êtres humains et en face de laquelle il faut engager des stratégies d’élimination, les autres rapports traitent successivement: de stratégies du développement (), du développement et de l’environnement (), de l’investissement dans la santé (), d’une infrastructure pour le développement (), du monde du travail dans une économie de frontières (), du passage de l’économie planifiée à l’économie de marché (), de l’État dans un monde en mutation (). L’analyse consacrée dans tous ces rapports de la Banque mondiale porte sur un soubassement de traitement à deux volets: le volet négatif des stratégies de la lutte contre la pauvreté, et le volet positif des conditions d’un développement humain durable. Dans le cadre du rapport sur l’environnement (), la Banque mondiale indique qu’étant un «impératif moral, la lutte contre la pauvreté est indispensable à une gestion avisée de l’environnement». Si dans le cadre du rapport de , la Banque mondiale rejette l’idée d’un «État minimum», préconise la nécessité de revenir à des tâches traditionnelles de l’État (maintien de la stabilité économique, garantie des services sociaux et des infrastructures de base, protection de l’environnement et des groupes sociaux vulnérables), et souligne la mission de «revivifier les institutions et lutter contre la corruption», c’est pour arriver à soutenir que «l’amélioration du bien-être économique et social devrait en résulter». En tout, l’enjeu demeure le cap du développement humain qu’il faut atteindre dans tous ses secteurs sociaux. Plus que dans les différents rapports de la Banque mondiale, la perspective du développement humain constitue déjà une dynamique de rapports annuels du Programme de Nations Unies pour le Développement (PNUD). Dans les rapports de -, la vision du développement par le PNUD insiste sur la nécessité d’investir dans le potentiel  H. Bartoli, «Les droits de l’homme, fondements d’un développement humain durable», p. .  Ibid., p. .  Ibid.  Ibid., p. .

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humain, à travers les domaines de l’éducation, de la santé et de la formation, en vue de voir les populations locales devenir agents de leur propre développement, en étant impliquées dans les différents processus des changements économiques et politiques dans leurs milieux. Dans le rapport de , le PNUD dégage les enjeux du «développement humain intégral» dans leur relation avec la régénération de l’environnement par «le respect des écosystèmes»; ces enjeux étant: la réduction de la pauvreté, les emplois productifs, l’intégration sociale. Dans le rapport de , le PNUD va au-delà des considérations sur la justice sociale et la pauvreté. Il fustige le paradigme de croissance économique jugé ne pas déboucher sur l’amélioration des conditions de vie des populations. Il critique la perspective qui accentue la politique des «ressources humaines», d’autant plus que l’homme y est considéré comme «facteur» du processus de production, comme «moyen plutôt que comme une fin». Ce rapport considère la perspective du «bien-être social» comme inadéquat, parce qu’elle entretient un système où des personnes sont considérées comme de simples bénéficiaires du processus du développement et non comme des participants actifs. Le rapport plaide pour une conception globale et pluridimensionnelle du développement humain qui recoupe: croissance économique, échanges, emplois, libertés politiques, valeurs culturelles, etc. Dans cette direction, l’approche concerne à la fois les pays en développement et les pays industrialisés. Le rapport  du PNUD consacre cette dernière approche du développement. C’est surtout le rapport de  qui reviendra sur cette perspective, pour insister sur la nécessité d’éradication de l’«extrême pauvreté» qui frappe un quart de la population mondiale. Le rapport de  s’en va en guerre contre le modèle de consommation le plus dominant qui, jusqu’à ces jours, «amenuise les ressources naturelles renouvelables ou même menace leur existence, pollue l’environnement local et planétaire, flatte les besoins préfabriqués par une publicité envahissante, détourne l’attention des besoins légitimes de tous dans les sociétés modernes». Depuis lors, selon l’analyse de H. Bartoli, la lutte contre la pauvreté se confond à la recherche des conditions pour le développement humain durable, là où celui-ci s’évalue, non pas seulement en termes des droits de l’homme, mais aussi en termes de «besoins» humains à satisfaire. Dans  Cf. H. Bartoli, «Les droits de l’homme, fondements d’un développement humain durable», p. -.  Ibid., p. .

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ce paradigme, c’est l’équité qui est recherchée, comme modalité qui permet à notre société-monde de travailler à l’accès de tous les êtres humains à «la satisfaction des leurs besoins essentiels». Rentrant dans la définition qui les considèrent comme constituant «le niveau de vie minimum qu’une collectivité devrait fixer pour tous ses membres les plus pauvres», la couverture de ces besoins, précise H. Bartoli, «suppose que soient remplies pour tous les conditions minimales de consommation dans une famille (alimentation, logement, habillement), mais aussi les conditions d’accès aux services de base (eau, transport, santé, éducation), de jouissance d’un environnement sain, et de participation des populations à l’élaboration des décisions affectant leur existence». En s’inspirant des orientations du Bureau international du travail (BIT), H. Bartoli élargit la notion de «besoins essentiels» aux dimensions de «l’emploi et à l’amélioration de condition de travail», dans la mesure où ce sont des dimensions qui, non seulement «visent l’ensemble des populations des pays en développement», mais aussi en tant qu’elles en appellent à des politiques fonctionnelles d’«augmentation de la production des biens et des services indispensables, sa distribution, la création d’emplois normalement rémunérés et socialement satisfaisants». C’est au compte de ce paradigme nouveau que H. Bartoli place la dynamique de deux forums historiques, qui se sont occupés du développement humain en relation avec les besoins humains et sociaux. D’abord, le Sommet de Copenhague en mars , à l’occasion duquel les Nations unis (avec  chefs d’États et de gouvernements) font reconnaitre «l’importance universelle du développement social et l’amélioration de la condition humaine». Ensuite, la Conférence de Wilton Park en mars  sur la libéralisation du commerce mondial, où l’inclusion d’une «clause sociale» fait reconnaitre, dans le cadre des accords commerciaux, l’obligation de «promouvoir un parallélisme entre la libéralisation des échanges et le progrès social».

 H. Bartoli, «Les droits de l’homme, fondements d’un développement humain durable», p. , citant le propos du Père Lebret à la première Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement (CNUCED), dans La Documentation catholique, du  mai .  Ibid., en référence au Rapport du Directeur général du Bureau international du travail (BIT), intitulé: L’emploi, la croissance et les besoins essentiels, Genève, BIT, , p. .  Ibid.  Ibid., p. .

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Malgré les réserves émises par A.-Ch. Habbard et M. Guiraud sur la définition du développement durable en relation avec la notion des «besoins» humains à satisfaire socialement, l’aboutissement de ce paradigme reste le pôle de bataille de la communauté internationale, notamment avec le Sommet de la Terre de Rio de Janeiro en juin  et le Déclaration du millénaire avec les OMD en septembre . Dans un contexte où les questions environnementales restent préoccupantes, le Sommet de Rio I considère que «les êtres humains sont au centre des préoccupations relatives au développement durable. Ils ont droit à une vie saine et productrice en harmonie avec la nature» (Principe ). En ce sens, le Sommet de Rio souligne que «la situation et les besoins particuliers des pays en développement […] doivent se voir accorder une priorité spéciale» (Principe ). Ainsi en arrive-t-il à considérer le développement durable comme un «mode de développement qui permet de répondre aux besoins du présents – en priorité aux besoins des plus démunis – sans compromettre la capacité des générations futures de  En prenant en compte la définition qui ressort du rapport de Brundtland et de la Déclaration de Rio I, A.-Ch. Habbard et M. Guiraud ont fait remarquer: «le développement durable traduit en fait l’idée d’un monde comme corps quasi biologique, se développant naturellement et organiquement vers un état où les besoins naturels de tous les êtres l’habitant auraient été comblés s’il n’y avait eu les activités nuisibles de l’homme en tant qu’être politique et marchand. C’est là la raison pour laquelle, très logiquement, le terme de besoins a été préféré à celui de droits: les droits supposent de penser à la prééminence de l’être humain sur le monde naturel; le terme de besoins, à l’inverse, réinscrit l’homme dans la naturalité. Or il n’y a rien de naturel dans les besoins, qui sont toujours construits socialement et historiquement; surtout, dans la mesure où les besoins des individus et des ‘peuples’ sont toujours inégaux, le terme même de besoin pourrait mettre en danger l’une des avancées essentielles de ces cinquante dernières années: la reconnaissance de l’égalité en dignité de tous les êtres humains. Cette valorisation de besoins signifie en outre que l’on néglige la liberté: tout être naturel a des besoins, le lapin comme l’homme, alors que seul l’homme est libre – et c’est bien pour cela qu’il a des droits que n’ont pas les autres êtres» (A.-Ch. Habbard et M. Guiraud, «À la recherche des droits perdus», dans A.-M. Ducroux [dir.], Les nouveaux utopistes du développement durable, p. ). Nous estimons, pour notre part, que la crainte d’A.-Ch. Habbard et M. Guiraud ne se justifie pas. Car la satisfaction des besoins essentiels et de besoins primaires pour l’être humain, rentre dans la définition même de ses droits comme être de liberté et de dignité, et ce en référence aux articles  et  de la Déclaration universelle des Droits de l’homme. Cette satisfaction est justifiable dans le cadre du projet culturel et éthique que seul l’homme peur dresser pour sa vie, alors que les autres êtres se servent de la nature de façon instinctive. Il faut placer «droits» et «besoins» dans un même et seul paradigme du développement humain durable. C’est en fonction de cette dernière perspective que le PNUD n’a pas oublié de traiter de «droits de l’homme…» et de la nécessité d’«approfondir la démocratie…» dans la définition du développement humain durable, respectivement dans les rapports correspondant de  et de , avant d’arriver à faire état des «Objectifs du millénaire pour le développement» (dans le rapport sur le développement humain de ).

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répondre à leurs propres besoins» (Agenda ). Il faut noter que le Sommet de Rio vient historiquement après la première conférence des Nations Unies sur l’environnement à Stockholm en . Celle-ci avait constaté les conséquences néfastes du paradigme industriel, dont l’épuisement des ressources naturelles (agricoles et énergétiques) et les pollutions qui seront à l’origine des perturbations climatiques, et s’était limitée à poser le principe du pollueur payeur. Le Sommet de Rio I propose un paradigme alternatif du développement en continuité avec le rapport de la Conférence des Nations Unies Notre avenir à tous de  appelé rapport de Brundtland. Ce rapport qui institutionnalise le concept du développement durable né en , sera marqué par la préoccupation «de parvenir à concilier l’efficacité économique, l’équité sociale et la préservation de l’environnement en privilégiant, par exemple, le développement de nouvelles formes d’énergie ou encore en recyclant les déchets». C’est de ce rapport que nait la définition du développement durable en relation avec la notion de «besoins» humains, et qui inspirera les orientations du Sommet de Rio I. Selon les mots du rapport de Brundtland, en effet, le développement durable est «un processus de changement par lequel l’exploitation des ressources, l’orientation des investissements, des changements techniques et institutionnels se trouvent en harmonie et renforcent le potentiel actuel et futur de satisfaction des besoins des hommes». Dans le cadre des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), le PNUD a réservé un rapport mondial sur le développement humain en  intitulé: Les OMD: un pacte entre les pays pour vaincre la pauvreté. Ce rapport est un appel en direction de tous les pays et, dans les pays, les institutions et services publics, à la nécessité d’ouvrir le champ des opportunités à tous les êtres humains quant à la satisfaction de leurs besoins, de besoins primaires aux besoins essentiels. Le rapport constate que, comme l’éducation, les systèmes de santé souffrent d’un manque de moyens, d’équité dans l’organisation des services et d’efficacité dans le mode de diffusion. Le rapport insiste sur le fait que dans les pays les plus pauvres, les pouvoirs publics doivent privilégier les dépenses de santé au détriment d’autres postes, parmi lesquels la défense. Le rapport invite les  S. Boutillier, «Entrepreneurs et développement durable. Crise de l’industrialisation et nouvelles opportunités», dans B. Laperche (dir.), L’innovation pour le développement. Enjeux globaux et opportunités locales, Paris, Karthala, , p. .  Commission mondial sur l’environnement et le développement, , p.  ou «Rapport Brundtland», cité par S. Boutillier, «Entrepreneurs et développement durable», p. .

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institutions financières internationales à placer les Objectifs du Millénaire pour le développement au centre de leurs efforts d’analyse, de conseil et de financement auprès de chaque pays en développement. C’est dans le cas où «le FMI et Banque mondiale devraient travailler avec les pays pour définir des cadres macro-économiques compatibles avec la réalisation de ces Objectifs». Le rapport incite ces institutions financières à «aider les autorités nationales, non seulement à mobiliser les ressources supplémentaires nécessaires en matière d’aide publique au développement, mais aussi à gérer ces apports sur le plan macro-économique». Il s’avère, en tout état de cause, que le paradigme voulu du développement humain est essentiellement celui qui tient compte de «coûts humains» dans toute idée de progrès et de croissance économique. D’où cette définition du développement que propose H. Bartoli: «la recherche pleine de la couverture des besoins du statut humain de la vie tels qu’ils s’expriment et croissent dans la communauté historique au gré de la civilisation et de la culture, pour tous et, prioritairement, pour les plus pauvres, aux moindres coûts humains, écologiques, et instrumentaux, en englobant dans cette dernière catégorie les coûts matériels et les coûts financiers». Dans cette présentation, le développement humain défini à partir du fondement des droits de l’homme et en fonction du processus social de satisfaction des «besoins humains», constitue le paradigme le plus défendable. En , le rapport de PNUD sur les «droits de l’homme et le développement humain» constate que «la lutte pour le développement humain et la réalisation des droits de l’homme reposent, à bien des égards, sur une même motivation. Elles reflètent un engagement fondamental en faveur de la liberté, du bien-être et de la dignité des individus, dans toutes les sociétés». En vue de montrer cette «compatibilité fondamentale» entre le développement humain et les droits de l’homme, le rapport note: «La notion de développement humain se concentre directement sur les avancées des conditions de vie et du bienêtre des individus. Parce que le bien-être englobe le fait de disposer de libertés individuelles étendues, le développement humain participe directement du renforcement de certaines capacités, c’est-à-dire de l’éventail des possibilités offertes à un individu au cours de sa vie». À cet égard, le rapport prend soins d’indiquer que ces capacités «incluent […] les libertés fondamentales liées à la satisfaction des besoins corporels: 

PNUD, Rapport mondial sur le développement humain. Les OMD: un pacte entre les pays pour vaincre la pauvreté, Paris, PNUD – Economica, , p. .  H. Bartoli, Repenser le développement, p. .

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la possibilité de ne pas souffrir de famine ou de malnutrition, d’éviter certaines maladies ou d’échapper à une mort prématurée». Elles comprennent «également les opportunités offertes, par exemple, par la scolarisation ou par la liberté et les moyens financiers de se déplacer et de choisir son domicile». Dans la série de ces dispositions, le rapport retient enfin «d’importantes libertés ‘sociales’, telles que la capacité de participer à la vie de la collectivité, au débat public, à la prise de décisions politiques, et même la possibilité élémentaire ‘d’apparaître en public sans honte’ […]». Au sein de cette approche, l’essentiel sera de montrer que la conscience éthique de l’humanité est arrivée au point où, au nom de la défense des droits de l’homme dans le monde, elle considère la pauvreté dans tous ses aspects comme un obstacle majeur à l’éclosion du développement humain. C’est pourquoi la communauté des Nations se retrouve en ordre de bataille pour son éradication, dans la mesure où, aujourd’hui, on comprend que même «les droits de l’homme sont compromis par l’extrême pauvreté» écrit H. Bartoli en référence à Leandro Despouy. Celui-ci a montré comment «l’esclavage, l’apartheid et la simple misère» sont caractérisés par «la privation de droits de l’homme», à la seule différence qu’au temps de l’esclavage, les humanistes le contestaient, que l’apartheid a été vivement condamné par les instances internationales, alors qu’actuellement la misère présente avec son multiple visage «peut se promener tranquille». En vue d’atteindre ses objectifs, l’analyse éthique doit endosser le constat selon lequel «la pauvreté est multidimensionnelle». C’est sous cette dimension qu’elle sera jugée inacceptable, autant qu’elle doit engager de nouvelles stratégies de lutte. Traitée selon cette perspective, la notion de pauvreté implique une approche qui ne la «limite pas à l’absence ou au bas niveau de revenu, ou à la non-satisfaction des besoins élémentaires d’existence, au premier rang desquels les besoins biologiques». Mais, la meilleure approche de la pauvreté devra «intégrer à sa définition le manque d’opportunités réelles, pour des raisons individuelles ou sociales, de bénéficier des possibilités les plus essentielles au développement humain: santé, longévité, créativité, conditions de vie et de travail décentes, respect de soi et des autres, accès à ce qui est ‘valeur’».  PNUD, Rapport mondial sur le développement humain. Droits de l’homme et développement humain, p. .  L. Despouy, cité par H. Bartoli, Repenser le développement, p. -.  H. Bartoli, Repenser le développement, p. , en référence au Rapport mondial 1977 du PNUD sur le développement humain.

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Dans le souci d’être plus exhaustif, H. Bartoli énumère, dans le cadre de la définition multidimensionnelle de la pauvreté, «les aspects de la non-couverture des coûts du statut humain de la vie: faim, logement défectueux maintenant les individus ou les familles en situation de vulnérabilité, maladie et incapacités plus ou moins durables, analphabétisme et illettrisme ou (plus généralement) insuffisance de l’instruction et de la formation, incapacité de participer librement à la vie de la communauté en raison des handicaps que l’on cumule». H. Bartoli cite aussi comme expérience de «la pauvreté les multiples blessures de l’enfance, les humiliations et les exploitations déjà subies, l’abandon de la notion d’avenir faute de pouvoir s’en construire un ou par suite de l’expérience mainte fois répétée de l’échec». Dans un autre type d’expérience, «[…] la pauvreté l’est aussi d’une position sociale fragilisée où l’héritage a un rôle par les barrages qu’entraînent la malnutrition pendant l’enfance ou l’adolescence, la mauvaise santé des ascendants ou des descendants, le spectacle quotidien de la laideur et de la misère, la vie agitée et rude de la famille ou du quartier, l’indigence culturelle d’un milieu existentiel ne fournissant pas de stimulations et d’exemples propres à l’épanouissement intellectuel, la haine et la violence contre les particuliers et contre les institutions, la déresponsabilisation des pères et des mères à l’égard de leurs enfants». L’approche éthique se propose de renforcer la perspective de nouvelles responsabilités face aux défis du développement durable, en constatant l’essoufflement de la prétention totalitaire du modèle néolibéral en profonde crise de fiabilité. Il s’agit par exemple, pour l’humanité, d’être confrontée à la nécessité de redéfinir les conditions de l’équité dans la redistribution du revenu mondial dans la société globale. La position de Benoît XVI sur le développement humain intégral, dans sa lettre Encyclique Caritas in veritate, marque le moment important de ce tournant dans le discours de l’Église, à la suite de Populorum progressio du Pape Paul VI. Benoît XVI a fait remarquer, dans un réquisitoire contre le régime néolibéral, que face à la question de la condition sociale, tout devrait être ordonné à l’épanouissement de l’humain à partir d’une gestion responsable du bien commun, dans un climat de justice pour tous. Il écrit, en effet: «Dans une société en voie de mondialisation, le bien commun et l’engagement en sa faveur ne peuvent pas ne pas assumer les dimensions de la famille humaine tout entière, c’est-à-dire de la communauté des 

H. Bartoli, Repenser le développement, p. , en référence à F. Perroux, Les coûts de l’homme. Économie appliquée, Janvier-mars, , p. .

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peuples et des Nations, au point de donner forme d’unité et de paix à la cité des hommes». Selon Benoît XVI, la problématique du développement durable doit être abordée suivant une approche globale, qui en souligne les enjeux humains et sociaux, relativement à la situation «[…] de tout homme et de tous les hommes», aux antipodes des idéologies libérales, qui consacrent la surenchère de la croissance économique et de la logique d’accumulation. La critique du régime libéral révèle que les déséquilibres macroéconomiques, qui sont à la base de la crise financière internationale, sont le fait d’une globalisation à sens unique, d’un modèle financier dominant, et d’un ordre économique et commercial qui n’a pas encore accepté de se soumettre à l’épreuve de la régulation. La question de la pauvreté, qui en résulte, n’empoisonne pas seulement des relations sociales dans le Tiers-monde où elle porte par ailleurs et à juste titre, les allures d’un fléau des plus redoutables de la vie sociale. Elle est une conséquence de la crise économique qui frappe une grande majorité de la population mondiale. Il faut noter que la dimension de cette crise économique mondiale, qui se manifeste par une série de longues récessions, touche de plein fouet aussi bien les économies à marchés financiers, dans les pays les plus industrialisés, que les économies d’endettement, qui sont celles des États fragiles, notamment au sud de la planète. À partir de cet exemple, on sait dire que, même dans des pays les plus économiquement développés, il existe des réseaux nationaux de lutte contre la pauvreté et contre des systèmes d’inégalités sociales. Les mouvements des manifestations et soulèvements des indignés (en octobre ) en Espagne, en Belgique, en Grande Bretagne, et surtout en Grèce et à Rome où il s’en est suivi des émeutes (dans le cadre de ce qu’on a appelé une guérilla urbaine), la montée des stratégies (convergentes) des gouvernements de la zone euro en direction d’un plan commun d’austérité, entendu comme plan de restriction et de rigueur budgétaire, à l’occasion de la crise de la dette (qui se déclenche déjà en  comme une crise financière et économique), sont des exemples éloquents du caractère universel de cette problématique. Il en résulte que la pauvreté constitue un défi éthique crucial à l’échelle de l’humain. Sa dimension économique engendre la violence sociale, sous  Benoît XVI, Lettre Encyclique sur le développement humain intégral dans la charité et dans la vérité, Caritas in veritate, n° .  Ibid., n° ; citant Jean XXIII, Lettre Encyclique Pacem in terris (du  avril ), n° ..

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forme d’agressivité et de frustrations, mais aussi la violence institutionnelle dans les espaces politiques caractérisés par la mal-gouvernance. C’est pourquoi, toute campagne politique pour des fins électoralistes a toujours trouvé son vrai calcul dans le thermomètre de la pauvreté au sein de nos sociétés. Autant celle-ci conditionne la répétition des réformes dans la conduite et la tenue de différentes politiques économiques, financières, commerciales, agricoles des nations, autant elle a toujours été l’occasion du soupçon quant au constat du déséquilibre persistant du niveau de la vie sociale et économique entre les populations du Nord et celles du sud. Le constat est ici d’autant plus plausible que R. Garaudy a estimé avec raison que «le XXIe siècle ne sera pas si se perpétue et s’aggrave l’actuelle polarisation du Nord et du Sud. Les deux pôles du Nord et du Sud sont des terres glacées où ne règnent que la nuit et la mort». Ainsi, nous semble-t-il, si le traitement de la question de pauvreté devrait engager une nouvelle approche, il sera envisagé d’abord à ce niveau du déséquilibre dans des rapports internationaux. En effet, la situation relative à la zone du Sud est toutefois la plus préoccupante, même si, selon D. Wolton, «les pays émergents ont prouvé que le Sud n’est pas homogène, et que les rapports Sud-Sud ne sont pas forcément moins injustes que ceux entre le Nord et le Sud». Sur le plan stratégique, la persistance de la pauvreté dans les pays du Sud révèle un décalage qui compliquera toujours les calculs des experts en relations internationales sur cette question. À partir d’une vision internationale de la situation, un constat retient l’attention des analystes et experts au sujet du changement à opérer dans le traitement du problème de la pauvreté au Sud. Il apparait que la voie de solution, au-delà de la problématique de la réduction de la pauvreté par la réduction de la dette, sera inéluctablement liée à l’émergence des conditions d’un développement durable, moyennant la réglementation des options libérales, ainsi que la relativisation de la dictature des marchés. Dans cette direction, seule une intelligente politique de transparence et de traçabilité, sera lancée comme un défi à des entreprises minières, extractives, pétrolières et forestières, dans l’objectif d’une surveillance qui contribuerait à freiner le pillage des ressources mondiales, de stopper les économies de la prédation et de diminuer, à une échelle considérable, les circuits de la corruption au sein des États et dans l’ordre économique mondial actuel.

 

R. Garaudy, Vers une guerre de religions. Le débat du siècle, p. . D. Wolton, L’autre mondialisation, Paris, Flammarion, , p. .

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B. Lefetey décrit d’une manière la plus satisfaisante, les effets nocifs de la permanence de l’hégémonie économique du Nord sur le Sud. Il énumère les faits suivants: «– les pillages et les destructions provoqués par les pays du Nord durant l’époque coloniale; – l’extraction des ressources naturelles (pétrole, minerais, forêts, ressources marines et patrimoine génétique) qui continue de menacer la survie même de nombreuses populations du Sud; – les termes inadéquats du commerce mondial qui favorisent l’exportation de marchandises sans aucune prise en compte des impacts sociaux et environnementaux générés par leur extraction ou leur production; – l’appropriation intellectuelle et l’usage de connaissances traditionnelles en matière de semences et de plantes médicinales par la biotechnologie et l’agro-industrie moderne et pour lesquels les pays du Sud doivent payer les royalties!; – l’utilisation et la dégradation des meilleures terres et de l’eau pour le développement des cultures d’exportation qui met en péril la souveraineté alimentaire et culturelle des populations du Sud; – la pollution de l’atmosphère résultant des émissions disproportionnées de gaz par les pays industrialisés. Si la population passe à  milliards en , le partage équitable serait de , tonne de CO par habitant (, tonne si elle passe à  milliards ‘seulement’). En , en Europe, la moyenne était déjà de , tonnes de CO par habitant (et , par Français)! Cette situation affecte la couche d’ozone et engendre le changement climatique qui frappe gravement les pays les plus pauvres; – la production d’armes et de substances chimiques et nucléaires ainsi que de déchets toxiques qui sont entreposés un peu partout dans les pays du sud». .... Échec des stratégies de la croissance De ce qui précède, il ressort que c’est l’approfondissement de la critique postmoderne et de ses enjeux éthiques en matière de gouvernance des ressources et de l’équitable répartition à l’échelle planétaire, qui permettra à notre société-monde de se réorienter dans la bonne direction. Aujourd’hui, l’envahissement des pays de l’hémisphère Sud par les entreprises multinationales ou par les firmes transnationales en conquête des marchés et des matières premières, a occasionné l’établissement systématique des économies de la prédation dans beaucoup de pays de ces continents. La conséquence en est que ce système étouffe l’éclosion d’un 

B. Lefetey, «Dette financière contre dette écologique», dans A.-M. Ducroux (dir.), Les nouveaux utopistes du développement durable, p. -.

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espace des États de droits et des régimes démocratiques capables de politiques de transparence dans la gouvernance interne et du véritable partenariat au sein de la communauté internationale. L’avènement de l’éthique postmoderne exige que la tâche de la relance ne soit pas laissée aux seuls «tiers-mondistes» dans la recherche des solutions les plus efficaces et les plus durables en direction du changement. Le problème est devenu planétaire, au point que tous les acteurs de l’espace mondial doivent s’impliquer et se sentir concernés par la nécessité des équilibres qu’entraine la dynamique du partenariat mondial. C’est pourquoi, notre analyse opte de se saisir de la situation de la pauvreté au Sud, pour tenter de l’expliquer en tant que défi à l’éthique mondiale, et à partir du régime du déséquilibre qui marque les relations Nord-Sud depuis les années , dans les domaines de l’économie et des finances. L’enjeu est de révéler le défaut du paradigme libéral, et de présenter la consistance d’une nouvelle approche. En effet, les rapports d’inégalités économiques Nord-Sud, même en contexte dit de globalisation, sont pointés comme constituant le facteur historique le plus décisif de la débâcle africaine. À la suite de D. Wolton, il faut commencer par «rappeler qu’il n’y a pas de multiculturalisme possible, condition de partenariat, sans un minimum de développement économique, [et] de respect mutuel». Il en résulte que dans le cadre d’une approche éthique, on sera obligé de considérer, comme le préconise D. Wolton, que le régime des relations Nord-Sud ne devrait plus être simplement «d’ordre économique, mais de l’ordre de la dignité». Car, il s’agit d’une question qui touche la sécurité de l’humanité sur une partie non négligeable de la planète. La situation réelle révèle que c’est le poids d’une histoire, même la plus récente, de subordination dans les rapports Nord-Sud, qui, en majeure partie, rentre dans l’ordre de cause de la désintégration économique et de la déréglementation du politique pour la majorité de pays du Tiers-Monde. La critique de la globalisation économique ces dernières années a pu reconnaitre, à l’instar de E. Toussaint, que non seulement «les principales puissances du Nord […] ont recours, plus facilement qu’il y a vingt ans, à des interventions militaires dans le Tiers-Monde, notamment grâce à l’assentiment d’une majorité de gouvernements de ces 

D. Wolton, L’autre mondialisation, p. . Ibid., p. -.  Cf. E. Toussaint, «Mondialisation et crise du modèle de développement néolibéral», dans A. Zacharie et E. Toussaint (dir.), Le bateau ivre de la mondialisation. Escalades au sein du village planétaire, Bruxelles – Paris, CADTM – Syllepse, . 

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pays», mais aussi «le terme puissance impérialiste n’a pas perdu de sa pertinence. Il existe toujours des puissances impérialistes, même si leur mode de domination prend d’autres formes qu’au début du e siècle». Dans cette situation, ajoute E. Toussaint, les approches «de type colonial ont été remplacées par de nouvelles relations qui impliquent une subordination parfois extrême […] Il s’agit des relations néocoloniales parce qu’elles impliquent une intervention systématique des multinationales […], des capitales du Nord et de la triade FMI/Banque mondiale/OMC dans les affaires intérieures des États du Sud». La crise de la dette qui touche les économies de la plupart des pays fragiles, résulte de la situation de dépendance financière dans laquelle ces pays ont été placés. Cela peut être démontré à partir des facteurs historiques d’alourdissement de la dette elle-même. À mesure que l’endettement extérieur du Tiers-Monde avait connu un degré de croissance incalculable en chiffres, le facteur décisif sera finalement identifié par rapport à la baisse du niveau des «revenus d’exportations avec lesquels le Tiers Monde rembourse une dette […] dont le service croît à cause de la hausse des taux d’intérêt internationaux». Ces taux d’intérêt connaissent une augmentation vertigineuse au courant des années -, à une époque où chutait les prix des matières premières. La principale ressource du Produit Intérieur Brut pour les pays en voie de développement s’en trouvera ainsi court-circuitée et amoindrie. Par conséquent, lorsque la crise de la dette éclate en , le constat général est qu’elle place impitoyablement «les pays de la Périphérie dans une situation de subordination supérieure à celle des années ». À partir de ce moment, la situation se révèle d’une telle acuité que, pour en sortir, les Pays concernés doivent retourner à la dictature de la Banque mondiale qui en était le principal protagoniste, et ce dans le cadre d’une coopération à l’intérieur de laquelle tout sera ordonné à «la capacité des pays membres d’utiliser notre assistance de manière efficace et de rembourser nos prêts dans les termes et les conditions que nous déterminerons», lira-t-on dans cette conditionnalité.  E. Toussaint, «Mondialisation et crise du modèle de développement néolibéral», p. .  Ibid.  Ibid., p. -.  Ibid., p. .  Lire avec intérêt: E. Toussaint, La Bourse ou la vie. La Finance contre les peuples, Bruxelles – Paris, CADTM – Syllepse, ; A. Zacharie, «L’Afrique sous le joug de la dette et de l’ajustement», dans A. Zacharie et E. Toussaint (dir.), Le bateau ivre de la mondialisation, p. -.

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Nous ne saurons aller plus loin dans l’analyse des torts et conséquences que la logique d’un capitalisme industriel et financier à vitesse déséquilibrée, a causés aux économies des pays fragiles. Le plus important à noter, c’est le fait que, sur le plan géostratégique, ce schéma a entrainé le renforcement de la position hégémonique du Nord contre le Sud, là où tout sera fait pour pousser «les classes dominantes locales au pouvoir à abandonner toute politique favorisant l’indépendance économique de leurs pays». Ainsi apparaitra-t-il, comme l’a noté E. Toussaint, que la crise de l’endettement elle-même «a été gérée au profit des pays les plus industrialisés et du couple FMI/Banque mondiale, institutions financières au service de ces pays. À cela s’ajoute l’OMC (l’Organisation mondiale du commerce qui a succédé au GATT en ), qui deviendra un instrument supplémentaire pour domestiquer, discipliner, augmenter le degré de dépendance des économies de la Périphérie à l’égard des pays du Centre». E. Toussaint énumère les faits qui témoignent de la logique d’hégémonie économique orchestrée par les pays industriellement puissants sur les pays en développement. Ce sont, entre autres: «une domination renforcée à partir des centres de pouvoir des pays les plus industrialisés et des organes qui représentent les intérêts de ces pays; un transfert accru des richesses produites par les salariés et les petits producteurs du Sud au profit des capitalistes du Nord et du Sud (notamment au travers du remboursement de la dette)». Si les gouvernements du Sud sont restés désarçonnés face à la désintégration de leur système de gouvernance, les grandes victimes de ce déséquilibre financier à l’échelle du monde seront comptées parmi les couches sociales dépendantes de l’ordre (organisation) étatique, en tant qu’ordre créateur des emplois et responsable de la division (distribution) du travail. La crise étant essentiellement d’ordre financier, elle a entrainé dans ces pays, l’effondrement des bases de la démocratie, la désintégration sociale des populations en milieu rural comme en milieu urbain, et, par endroit, une faillite de l’État dans sa fonction principale de la promotion de secteurs sociaux. Le cas de la République Démocratique du Congo peut servir d’illustration quant au positionnement stratégique des mécanismes des politiques néolibérales dans la zone-Afrique. Ce pays allait connaitre une expérience vraiment démocratique au début des années , après que cette  E. Toussaint, «Mondialisation et crise du modèle de développement néolibéral», p. .  Ibid., p. .  Ibid.

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expérience avait été interrompue au-lendemain des indépendances par un coup d’État militaire qui installait, en , un régime totalitaire du Colonel Joseph Désiré Mobutu. Se préparant à installer les mécanismes institutionnels d’une gouvernance démocratique et d’un État de droit en contexte de la perestroïka, ce pays sera placé sous le schéma d’autres pays de la région des grands lacs, le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi, dont l’expérience de la guerre interethnique n’avait rien de commun avec le niveau où était le Zaïre de l’époque dans l’apprentissage de la démocratie. Avec l’avènement du multipartisme à la fin des années  et, surtout, avec, en , la tenue d’une Conférence nationale souveraine, qui avait réussi à jeter les bases et à projeter les perspectives d’un nouveau type de gouvernance sous le signe de l’éthique, après trois décennies d’une tyrannie orchestrée par un régime autocratique, ce pays a eu des occasions ratées d’une renaissance de l’État et de la société. Il connaitra une guerre dont, dans la foulée de facteurs, il y a la livraison de la partie Est de ce pays aux différents marchés économiques et à des firmes multinationales par l’entremise du régime Rwandais au pouvoir après le génocide historique de . Les conséquences, sur le plan de la politique interne, seront telles que, en-dehors de lourdes pertes en vies humaines et de l’exploitation incontrôlée des ressources contre toute règle de traçabilité, le pays qui devenait entre-temps République Démocratique du Congo sera confié à la gestion des acteurs «politiques» inexpérimentés, ne possédant aucune idée de gestion d’un État, souffrant, de ce fait, d’une scandaleuse absence de culture politique et d’une carence caractéristique de vision et d’éthique de gouvernance. Depuis , on a retrouvé une classe des dirigeants versés dans des pratiques et des méthodes de gestion qui ne contribueront qu’à accroitre les mécanismes de la prédation des ressources et du pillage du trésor public, au détriment d’une saine administration du bien commun au bénéfice des populations locales. Profitant ainsi du concours des circonstances lié au contexte de belligérance, en tant que contexte de son «surgissement» sur la scène politique, cette classe politique a continué à se maintenir au pouvoir d’État dans les conditions de «légitimité» qui resteront à clarifier au regard des pesanteurs liées à une certaine implication de la communauté internationale, et ce, en dépit des échéances électorales «chaotiques» tenues en  et en . Les experts n’ont pas hésité de considérer ce pays comme un cas d’école en matière de la faillite de l’État. De fait, dans ce pays, l’État 

Cf. T. Treffon (dir.), Ordre et désordre à Kinshasa. Réponses populaires à la faillite de l’État, Paris, L’Harmattan, ; Réforme au Congo (R. D. C.). Attentes et désillusions, Paris, L’Harmattan, .

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n’existe pas. Les dirigeants animent les institutions, mais sont de moins en moins préoccupés d’assurer de la manière qu’il faut les responsabilités d’État. Il y a une persistance insupportable de la situation d’ingouvernabilité entretenue et accentuée par la multiplication des rebellions armées depuis près de  ans, suite à l’absence d’une coercition dissuasive et d’un concept de stratégie militaire bien défini. La généralisation de la corruption dans les secteurs du pouvoir public, caractérise le mode de comportement social et le système de gouvernance à tous les niveaux. Du sommet de l’État jusqu’aux échelons les plus bas de l’administration, la pratique de la corruption a atteint des proportions qui se laissent déterminer par la profondeur du niveau de la faillite économique et d’instabilité sociale. Il s’ensuit que la situation globale de l’inopérabilité et de l’inexistence de l’État a jeté toute une société nationale à la «débrouillardise» et à une espèce de «sauve-qui-peut» pour la majeure partie de sa population active. Le degré élevé de la confusion aux sein des services publics, le laxisme et l’impunité qui en sont les syndromes et constituent la cause de la mal-gouvernance généralisée, ont permis à T. Treffon de décrire la situation de la manière suivante: c’est l’état d’une société qui «ne dispose pratiquement pas d’économie formelle: fantomatique, l’administration est incapable de fournir les services sociaux élémentaires, ou même d’assurer la maintenance des infrastructures; quant à l’hinterland, il revêt de plus en plus l’aspect d’une catastrophe écologique. Les services publics de base ne sont plus que des ‘souvenirs’ […] aux yeux de [la] population, qui vit constamment dans l’expectative d’une nouvelle calamité». T. Treffon précise qu’il s’agit d’une situation d’un peuple, à la limite, «désabusé par les années d’oppression politique, de crise économique et de guerres […] Le coût de la marginalisation, de l’exclusion et de la polarisation qui en découle, ajoute-t-il, est humainement inacceptable». Dans cette situation, les populations sont littéralement privées d’accès aux besoins primaires (la nourriture, le logement, etc.) et aux besoins essentiels (l’éducation, la santé, l’emploi, etc.). Depuis plusieurs années, le pays est classé au bas de l’échelle pour tous les indicateurs du développement humain. Le rapport  du PNUD en dit long. Nous partageons, certes, avec T. Treffon l’idée qu’il s’agit, dans cette situation, d’«une forme bizarre de cannibalisme social où la société devient sa propre proie». Mais l’explication avisée doit aller jusqu’à montrer que  

T. Treffon (dir.), Ordre et désordre à Kinshasa, p. . Ibid.

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les responsabilités d’une pareille situation sont imputables aussi bien au niveau endogène qui accuse l’absence de gouvernance, qu’au niveau des pesanteurs exogènes liés aux jeux d’intérêts économiques dans les différentes négociations politiques qui ont lieu à partir du territoire du Congo/ Kinshasa et ailleurs. Cette hypothèse est confortée par le fait que les congolais sont aussi témoins du regard «complice» de représentations diplomatiques et de décideurs internationaux, et sont portés à croire qu’il s’agit, en ce qui concerne la stagnation de leur destin, d’une situation artificielle, créée et entretenue par des tireurs des intérêts que l’on retrouve dans tous les milieux, au niveau interne parmi les occupants du pouvoir d’État, et au niveau externe parmi les décideurs financiers des économies néolibérales (les institutions internationales, les grandes puissances et les sociétés multinationales). La question sans réponse que d’aucuns n’ont cessé de se poser, est de savoir si la R. D. Congo était placé ou pas sous un complot inédit, qui consiste dans le maintien d’une instabilité continuelle et sans issue, et à quel prix un tel projet devrait-il continuer à être réalisé s’il existait dans les agendas cachés de puissances financières? Serait-il au prix de la violation par tous des libertés fondamentales des congolais, surtout de leur droit en tant que peuple de disposer d’un État à une gouvernance vraiment démocratique, ou au prix de l’exploitation commerciale, dans la continuité de la logique de la Conférence de Belin (en ), qui a vu dans la posture du Congo/Kinshasa non pas une nation mais un territoire livré à quiconque veut y extraire les ressources économiques et industrielles au mépris de l’humain? Au-delà de toute considération, qu’il convienne de relever qu’en vertu du degré de la conscience éthique atteint par la société contemporaine, notamment en matière des droits des peuples, il est immoral de continuer à regarder, de l’intérieur comme de l’extérieur, l’actuelle République Démocratique du Congo comme un espace d’exploitation des ressources industrielles à la manière d’un marché mondial libre, qui ne mériterait pas de bénéficier du cadre d’un État normal et d’une gouvernance nationale à la hauteur du destin d’un peuple humainement qualifié comme tel. À l’instar de la situation que connait la R. D. Congo, la plupart des gouvernements des pays dits sous-développés, sont souvent mis dans l’incapacité d’être comptables devant leurs peuples, quant à la nécessité d’un plan normatif d’intégration stratégique des économies nationales à travers des politiques cohérentes, qui toucheraient ne fût-ce que le chantier de la promotion des infrastructures de base. Celles-ci sont quasi-inexistantes dans beaucoup des pays du Sud. Là où elles existent par endroit, elles sont dans un état de délabrement

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indescriptible. Situation générale dont la dégénérescence est renforcée par l’absence du souci de l’orthodoxie dans la gestion du revenu national et du trésor public, et par un climat malsain de violation structurelle des lois républicaines. Il s’ensuit que l’image de l’État dans maints pays du Sud correspond à une description qui accuse le déficit cruel d’une administration de développement à la hauteur de l’humain. L’enjeu de l’éthique est de taille. Il révèle qu’aujourd’hui, le paradigme postmoderne consacre l’époque d’une nécessaire régulation, qui reposera sur un plaidoyer pour le régime de justes proportions et de nouveaux équilibres au sein du nouvel ordre mondial. L’on devrait en tirer toutes des leçons voulues en dépassement du schéma néolibéral. Celui-ci appelle en sa direction, même par le biais de l’influence et de la vigilance du système des Nations Unies, «l’urgence d’une alternative imposant à la dynamique du capital des limites extérieures à sa logique de profit maximum». On doit arriver à déconstruire des économies de domination au profit de tous les centres humains et sociaux de la planète. Aujourd’hui, chaque nation, chaque culture constitue son propre centre et doit être convaincu de sa consistance. Cette consistance sera perçue comme une exigence du «partenariat», même si celui-ci invite à un décentrage et à la nécessité de convergences entre États et institutions internationales dans les relations gagnant-gagnant, et de façon plutôt formelle, dans un monde devenu réellement multipolaire et interculturel. Le recul sur ce plan est inexcusable quelle qu’en soit la position des protagonistes. Le rôle joué par la Banque Mondiale et le FMI, doit entrer désormais dans un processus souhaité d’une réforme, qui intègrera l’aspect essentiel des impératifs d’équilibre et d’équité dans les relations avec les États et les cultures locales en matière d’orientations pour le développement. Le rapport mondial  du PNUD sur le développement humain intitulé La liberté culturelle dans un monde diversifié, fait de cette option une constante non négligeable du développement humain. On peut y lire: «Les États et les institutions internationales ont besoin de collaborer pour continuer à ajuster les réglementations mondiales et les lois nationales de manière à mieux prendre en compte les préoccupations des populations autochtones, en leur accordant une participation véritable aux flux d’investissements, d’idées et de connaissances». Dans cette optique, le rapport recommande la mise en œuvre de «trois mesures […] 

R. Herrera, «OMD: lutte contre la pauvreté ou guerre contre les pauvres?», dans Alternatives sud, Objectifs du Millénaire pour le développement, p. .

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essentielles: – Reconnaître explicitement les droits des populations autochtones à la propriété physique et intellectuelle. – Exiger des consultations avec les communautés autochtones et leur participation en ce qui concerne l’utilisation des ressources, assurant ainsi leur consentement éclairé. – Autonomiser les communautés en développant des stratégies de partage des bénéfices». Dans le cadre de cette approche, la question de la sécurité sociale et de la pauvreté est devenue l’enjeu d’une problématique, qui exige que l’aide au développement au bénéfice des états fragiles, soit définie en amont, exécutée et contrôlée en aval, selon une visée de stabilité politique en matière de gouvernance au niveau local. Et la quête de cette stabilité passe utilement par l’établissement des institutions démocratiques et des administrations fortes par le bas, dans un climat approprié à l’exigence fondamentale de respect des droits des personnes à la participation politique. Il faut surtout souligner qu’une telle stabilité est la condition même de l’épanouissement des services sociaux de base à l’avantage des populations civiles. Dans ce sens, Benoît XVI a montré qu’il y a «des nations pour lesquelles la construction ou la reconstruction de l’État continue d’être un élément clé de leur développement». Aussi écrit-il: «L’aide internationale à l’intérieur d’un projet de solidarité ciblé en vue de la solution des problèmes économiques actuels devrait en premier lieu soutenir la consolidation des systèmes constitutionnels, juridiques et administratifs dans les pays qui ne jouissent pas encore pleinement de ces biens. À côté des aides économiques, il doit y avoir celles qui ont pour but de renforcer les garanties propres de l’État de droit, un système d’ordre public et de détention efficaces dans le respect des droits humains, des institutions vraiment démocratiques». Notre analyse devra certes reconnaitre la bonne foi des initiatives et des engagements des institutions financières internationales quant à leur volonté marquée de lutter contre la pauvreté dans le monde, notamment dans les mécanismes de réduction de la dette pour les pays en voie de développement. Il y a, de ce point de vue, comme le précise Hellen Wangusa, «l’initiative des ‘pays pauvres fortement endettés’ destinée à favoriser la croissance économique de certains pays afin qu’ils puissent s’acquitter de leur dette, dans le cadre des ‘Documents de stratégie pour  PNUD, Rapport mondial sur le développement humain . La liberté culturelle dans un monde diversifié, Paris, Economica, , p. .  Benoît XVI, Lettre Encyclique sur le développement humain intégral dans la charité et dans la vérité, Caritas in veritate, n° .

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la réduction de la pauvreté’ (DSRP)». En matière des réformes, l’analyse de H. Wangusa nous permet de souligner l’importance de la position de la «Banque mondiale [selon laquelle] toute augmentation des subsides dans le cadre des OMD ne sera efficace que si elle s’accompagne des mesures nécessaires en matière politique et institutionnelle». Du côté du Fond Monétaire International, on peut noter l’insistance sur le fait que «la stabilité macroéconomique d’un pays» sera toujours envisagée en rapport avec son impact sur le système des «dépenses publiques». H. Wangusa nous renseigne que «le FMI envoie également des signaux clairs quant au pays qu’il estime aptes à recevoir de l’aide». Mais il y a lieu de faire observer le manque de cohérence de ces initiatives. La bonne volonté de la Banque Mondiale et du FMI dans la lutte pour la réduction de la pauvreté s’en trouve quelque peu paralysée. C’est notamment dans le cas où il est demandé confusément «aux pays pauvres d’augmenter leurs dépenses pour réduire la pauvreté et améliorer les soins de santé et d’éducation, tout en assurant le service de la dette dans le cadre de l’initiative HIPC, sans perdre de vue les ‘réformes économiques’ ni les DSRP». Avec raison, on peut relever que dans le cas de beaucoup des pays pauvres, depuis les politiques d’Ajustement structurel jusqu’aux OMD, «peu de progrès ont été fait dans la mise à disposition de nouvelles ressources pour le développement, alors même que l’initiative ‘pays pauvres très endettés’ – PPTE (Heavily Indebted Poor Countries – HIPC) visant à réduire la dette n’a pas été un succès». Ainsi le constat de manque de cohérence, qui mène à l’expérience d’échec en direction des initiatives de réduction de la pauvreté au sein des institutions financières internationales, toucherait-il également la situation récente des OMD. H. Wangusa a écrit, à cet effet: Les OMD ont été signés dans un contexte social, économique et politique marqué par de nombreux échecs et crises. La pauvreté, la malnutrition, les épidémies et les taux de mortalité atteignaient des proportions obscènes, tout comme la concentration des richesses dans les mains d’une minorité des nantis. Les OMD ont été imaginés en réponse à cette crise.

 H. Wangusa, «OMD: institutions promotrices, financement et réalités concrètes», dans Alternatives sud, Objectifs du Millénaire pour le développement, p. .  Ibid.  Ibid., p. .  Ibid.

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Il en résulte l’impression de demeurer dans un cercle vicieux, dont l’explication peut être trouvée dans la tension persistante entre la permanence des politiques néolibérales et le changement de paradigme dans la vision du progrès et du développement. Jusqu’à ce point, on ne sait pas si, au regard des agences multilatérales, la priorité doit être accordée à des réformes économiques, à l’aide internationale, ou à la réduction de la dette. Même là où l’approche actuelle semble situer le problème au niveau du déficit de gouvernance politique crédible pour les États prioritairement concernés par les stratégies de relance, les institutions financières internationales ne semblent pas l’exiger systématiquement. Les initiatives en cours au niveau international restent à mi-chemin lorsque la dimension de la qualité de gouvernance au niveau nationale n’est pas prise en compte par nombre de pays dits en développement. Dans ce sens Rémy Herrera a fait remarquer qu’«une partie du problème réside dans le fait que les instruments des politiques économiques dont l’utilisation est recommandée (plans d’ajustement structurel, déréglementations, privatisations, libéralisation de la circulation des capitaux et des marchandises, etc.) place l’État dans une position totalement soumise par rapport aux firmes transnationales de la triade États-Unis/ Europe/Japon». À tel point que, même dans les exigences de réforme de l’État ou de bonne gouvernance données aux nations dans le cadre des mesures d’application pour la réduction de la pauvreté par les institutions de Bretton Woods, ce qui est finalement visé, note R. Herrera, «c’est l’inflexion des politiques des États dans le sens de l’instauration des institutions les plus favorables à l’ouverture des pays du Sud aux marchés financiers globalisés. La bonne gouvernance consiste surtout à ‘libéraliser les systèmes de change, de commerce et de prix’, à ‘limiter les prises de décision ad hoc’ et à ‘éliminer les allocations directes de crédits’ (FMI, ) par l’État; en d’autres termes, la poursuite du néolibéralisme, reflet du pouvoir hégémonique de la finance». D’où la question de savoir «à quelle démocratie peuvent prétendre des États limitant l’expression de la souveraineté nationale à l’ouverture et la libéralisation des marchés et au paiement de la dette et de dividendes sur investissements étrangers?».

 R. Herrera, «OMD: lutte contre la pauvreté ou guerre contre les pauvres?», p. .  Ibid., p. -.  Ibid., p. .

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C’est pourquoi Alejandro Bendana émet des réserves légitimes sur ce qu’on peut attendre «du système commercial et financier mondial», si on doit «éviter de considérer la mal-gouvernance, la faim et l’extrême pauvreté comme des problèmes politiques» en laissant «à des experts ‘techniques’ hautement rémunérés le soin de les analyser». Aussi a-t-il eu raison de le faire observer en écrivant: «La pauvreté, la faim et les problèmes de gestion des affaires publiques ne peuvent être éradiqués sans une démocratisation des processus politiques au niveau le plus local possible. Cette démocratisation serait un élément clé de la gouvernance démocratique. Malheureusement, les processus décisionnels actuels prennent une tout autre direction car, de plus en plus, les décisions appartiennent à un modèle limité d’institutions multilatérales». Il ressort de cette perspective critique que l’approche purement humanitaire, qui prend le dessus dans les relations de partenariat entre les pays de l’hémisphère Nord et les pays dits en développement, s’avère manifestement une approche nécessaire en contexte de violence et de catastrophes, mais limitée et insuffisante pour la stabilisation des économies du développement. La situation de la pauvreté dans le monde requiert un traitement structurel et systémique, quant à l’enquête de ses causes et en ce qui concerne le diagnostic de ses mécanismes, sans laisser de côté l’influence néfaste du système néolibéral de l’économie mondiale, dont la crise de crédibilité donne à tirer les conséquences éthiques d’une impérative régulation au regard des enjeux sociaux dans un système de gouvernance adéquat au paradigme de développement durable. .... Afro-pessimisme et enjeu de la gouvernance À ces jours, l’Afrique constitue un cas privilégié d’illustrations, d’apprentissages et d’expertises en matière de lutte contre la pauvreté, du fait que la situation critique que traversent la majorité des populations de ce continent, participe, depuis peu après les indépendances, du processus de la déliquescence de l’État, d’affaiblissement de la «gouvernementalité»  A. Bendana, «‘Bonne gouvernance’ et OMD: contradictoires ou complémentaires», dans Alternatives sud, Objectifs du Millénaire pour le développement, p. .  Ibid.  La notion est de M. Foucault. Celui-ci définit la «gouvernementalité» comme «l’ensemble constitué par les institutions, les procédures, analyses et réflexions, les calculs et les tactiques qui permettent d’exercer cette forme bien spécifique […] de pouvoir, qui a pour cible principale la population, pour forme majeure de savoir l’économie politique, pour instrument technique essentiel les dispositifs de sécurité» (M. Foucault, «La gouvernementalité», dans Magazine littéraire  (), p. ; tel que cité par J. Fr. Bayart

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et de l’absence de gouvernance par rapport au défi fondamental du développement humain. Dans cette partie de la planète, la «crise de l’État» peut aussi être jugée comme consécutive de la crise du modèle qui a son inspiration dans le paradigme de la modernité. Jusqu’à ces jours, en effet, le modèle néolibéral de l’économie mondiale a fait de l’espace africain un enjeu non négligeable de la géopolitique des grandes puissances. L’Afrique est tellement entrainée dans le mouvement d’internationalisation, peut-être plus qu’à l’époque de la colonisation, qu’elle ne saurait pas échapper à l’emprise des institutions financières internationales pour le fonctionnement des économies tant mondiales que nationales, ni à la manœuvre globalitaire des sociétés multinationales détentrices des capitaux. C’est pourquoi, la crise financière internationale, qui révèle aujourd’hui les contradictions des politiques néolibérales à l’échelle planétaire, est devenue à plus d’un titre un facteur majeur de déstabilisation et de la désintégration de la condition africaine en tant que condition sociale, économique et politique. En vertu de cette hypothèse, il y a certainement à redire sur les craintes qui ont habité Axel Kabou, lorsqu’elle pouvait fustiger le type d’explication à travers laquelle on a essayé d’avancer que «le seul intérêt du problème de la dette paraît être de prouver […] que l’Occident est responsable de la misère de l’Afrique, ou d’admettre que celle-ci, à travers ses chefs d’État et de gouvernement corrompus, est en partie responsable de son sort». Un débat d’intérêt épistémologique vaudrait la peine d’être et A. Mbembe, «Pouvoir, violence et accumulation», dans J. Fr. Bayart et al., Le politique par le bas en Afrique noire, Paris, Karthala, , p. ). La résonnance de cette définition de la «gouvernementalité» en contexte africain de l’État postcolonial a permis à J. Fr. Bayart et A. Mbembe de faire remarquer que cette notion a l’avantage de réconcilier les processus, trop souvent séparés, du pouvoir, de la violence et de l’accumulation. Pour J. Fr. Bayart et A. Mbembe, la régulation des individus, la «disposition» des espaces, des biens et des richesses seraient, dans cette perspective, entendues comme des dimensions constitutives de toute opération de «gouvernement». De telle que «gouverner», c’est assurer l’intervention du pouvoir sur un champ et sur des «cibles», sur un complexe d’hommes, de territoires et de choses. J. Fr. Bayart et A. Mbembe ajoutent qu’une telle intervention, par la pluralité des buts qu’elle se propose d’atteindre, exige la mise en place d’appareils, de relais, et d’instruments divers (J. Fr. Bayart et A. Mbembe, «Pouvoir, violence et accumulation», p. ).  Cf. M. Kuengienda, Crise de l’État en Afrique et modernité politique en question, Paris, L’Harmattan, .  Cf. G. Chaliand, L’enjeu africain. Stratégie des Puissances, Paris, Seuil, .  A. Kabou, Et si l’Afrique refusait le développement?, Paris, L’Harmattan, , p. . Beaucoup d’autres études sont allées dans cette direction. Certaines ont placé le problème de la faillite sociopolitique de l’Afrique du côté de la prétendue faiblesse chronique de la culture africaine à s’adapter à la modernité. On lira, dans ce sens: Kä Mana, L’Afrique va-t-elle mourir? Bousculer l’imaginaire africain, essai d’éthique politique, Paris, Cerf, ;

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engagé sur ce qu’il en reste de l’actualité et de la pertinence de cette position d’A. Kabou, plus de vingt ans après. Qu’il nous suffise de faire remarquer que le défaut de cette approche a résidé dans sa tendance à séparer et, finalement, à exclure, dans la perception de la faillite des économies africaines, la démarche critique dirigée à la fois «contre l’incompétence de […] dirigeants politiques», et contre le fait de «considérer les programmes d’ajustement structurel et les politiques d’austérité […] comme la solution» à la désintégration des économiques africaines. Cette analyse a eu raison de reprocher aux «Africains [de] représenter généralement leur sous-développement comme produit des manigances et de la malveillance des puissances extérieures déterminées à les maintenir dans un état de suggestion depuis quatre siècles». Elle est portée par le souci de savoir si, pour l’Afrique, «la nécessité de se forger une vision mondiale des problèmes de l’humanité» oblige «à gommer des réalités potentiellement riches d’enseignements», comme dans le cas de ce que nous inspire l’absence de volonté de changement qui caractérise les politiques africaines; ou de demander si «sous prétexte de globalisation planétaire, ne passe-t-on pas sous silence les seuls éléments susceptibles d’expliquer sans tours de prestidigitation pourquoi l’Afrique régresse chaque jour davantage?». Ces interrogations gagnent là où elles veulent mettre en évidence le sens de responsabilité et de prévoyance des africains par rapport à l’avenir de leur destin dans le concert des nations. Mais les réponses que A. Kabou donne à cette préoccupation, pourtant soutenable, n’échappent pas au piège d’aveuglement et de simplification. Ces réponses restent en effet dépendantes du cadre théorique de compréhension de l’Afrique, qui repose sur les préjugés faisant de l’africain une personne incapable de réflexion, d’action et de prospective en matière de développement, et qui ignore tout de ce que ça coute encore à l’Afrique, dans le contexte néolibéral du «choc des intérêts», les tentatives d’une difficile intégration dans l’économie mondiale. Il faut D. Etounga-Manguelle, L’Afrique a-t-elle besoin d’un programme d’ajustement culturel?, Paris, Nouvelles du Sud, . On placera aussi dans cette perspective, les études qui n’accusent que la corruptibilité du politique africain (J. Fr. Bayart, L’État en Afrique. La politique du ventre, Paris, Fayard, ), en faisant délibérément l’économie d’une analyse qui serait orientée vers la «tricherie politique» entretenue par une logique des économies néolibérales, en tant que logique réfractaire des régimes réellement démocratiques, les seules capables d’une gouvernance plus responsable et plus redevable.  A. Kabou, Et si l’Afrique refusait le développement?, p. -.  Ibid., p. .  Ibid., p. .

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noter que l’argumentaire de A. Kabou reconnait que l’on ne peut reprocher aux africains d’être mal à l’aise avec les théories économiques capitalistes et industrielles en crise, du seul fait qu’«à l’époque où celles-ci ont été élaborées (-), l’histoire économique et surtout culturelle de l’Afrique était presqu’inconnue». Elle reconnait également que jusqu’au lendemain des indépendances, l’africain «est loin de rendre compte de la complexité des réalités culturelles africaines qui ont autorisé la traite négrière et la colonisation». Mais elle se refuse d’ajouter que dans tous les contacts historiques avec la civilisation occidentale, l’africain ne sait pas qu’il y a un cahier de charges de domination économique, portée par les idéologies et les philosophies du «sujet occidental moderne» dans un projet totalitaire d’assimilation vis-à-vis du reste du monde et cultures. C’est bien l’ensemble de ces considérations qu’il faut expliquer, non seulement la prétendue faiblesse du sous-développé et tiers-mondiste africain, mais aussi la malice et l’hypocrisie de l’Occident moderne puissant, qui continue à mener subtilement le jeu des intérêts à travers un type de partenariat assujettissant pour l’Afrique. La logique hégémonique de l’Occident sur les économies africaines même après le contexte des indépendances politiques, est une logique qui a réussi à mettre à contribution sa puissance industrielle, militaire et stratégique éprouvée, pour changer des régimes à sa guise en Afrique, soit par des élections de façade, soit par une pratique surannée des coups d’États, qui cachent les enjeux de différentes batailles pour le contrôle et l’exploitation du pétrole et des minerais, des forêts et du bois. Elle empêche ainsi le régime de vrais équilibres dans les tentatives d’intégration africaine à la communauté internationale utile. La critique dirigée par les postmodernistes à la modernité occidentale dans tous les domaines épistémologiques, en fournit la preuve, surtout que cette critique est essentiellement elle-même occidentale. Jusqu’à ces jours, l’Afrique n’a jamais été elle-même, et ne le sera jamais, tel que l’a prétendu Tidiane Diakate. Fondamentalement, la situation sociopolitique de l’Afrique postcoloniale nécessite un changement de paradigme dans le traitement des questions relatives à la pauvreté et au sous-développement sur la planète. L’approche adéquate est celle qui prend les choses à partir du contexte global d’échec des politiques néolibérales à assurer les conditions du   

A. Kabou, Et si l’Afrique refusait le développement?, p. . Ibid. Cf. T. Diakate, L’Afrique malade d’elle-même, Paris, Karthala, .

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développement durable dans le monde, étant donnée la permanence du paradigme d’accumulation connue sous l’expression de «croissance économique». L’approche actuelle est aussi celle qui regarde en face le côté pervers de la géopolitique des «intérêts» des grandes puissances au détriment d’une intégration utile des pays du Sud dans l’économie mondiale comme dans leurs propres économies. Positivement, cette approche émerge à partir des appels en direction de la bonne gouvernance et de ses exigences de lutte contre la pauvreté et de combat pour le développement durable. La nouvelle perspective permet de rejoindre le cadre d’analyse qui propose l’idée d’«une nouvelle économie» pour les pays en développement. Cette option a le mérite de faire de la «pauvreté», le point de départ d’une stratégie alternative pour l’Afrique. Dans cette stratégie, préséance est accordée à une «économie populaire» qui ne sera pas appelée «secteur informel» ni secteur «non structuré». C’est une stratégie qui représente, d’une manière relativement adéquate, la «réponse à la rareté et à la pauvreté» pour des milieux sociaux qui, dans l’incapacité où elles sont de s’insérer dans l’économie dite «moderne», s’inventent une autre économie, immergée dans le jeu social, conférant à l’échange une fonction de circulation et de redistribution plus que d’accumulation. A. Tevoedjre avait déjà réussi à poser la problématique de la nécessité de «réinventer l’économie» spécialement au bénéfice du développement dans les sociétés africaines. Dans cette proposition, l’analyse dénonçait le paradigme qui ne s’appuie que sur l’aspect quantitatif de l’économie, celui qui mesure le calcul de la croissance en dollar américain à partir de l’indice du Produit National Brut par habitant (PNB/H en $). En s’appuyant sur les recherches de l’organisme américain Overseas Development Council (ODC), A. Tevoedjre a souhaité que soit opéré le passage vers un paradigme qui facilitera l’intégration de l’économie du bien-être dans l’économie des produits et des profits. Cette perspective serait pensée, en substitution du modèle de la croissance économique, comme enjeu d’un paradigme qui inscrit la finalité du développement humain dans toute économie digne de ce nom, qui s’appuie sur «l’indice du bien-être  Cf. Ph. Engelhard, L’Afrique noire miroir du monde? Plaidoyer pour une nouvelle économie, Paris, Arléa, .  Ibid., p. .  D. Théry, cité par H. Bartoli, Repenser le développement, p. .  Cf. A. Tevoedjre, La pauvreté, richesse des peuples, Paris, Éd. Ouvrières, , p. -.

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populaire», et qui fait le calcul à partir de l’indice de la qualité de vie. Il est question, non pas d’apprécier en soi le progrès d’un pays en matière de productivité, de l’accumulation, et de consommation, mais de rendre compte de cette croissance telle qu’elle doit être jugée à la capacité de satisfaire, de façon équitable, les besoins humains fondamentaux de la majorité de la population. Au centre de la préoccupation de A. Tevoedjre s’est trouvée, finalement, la nécessité d’encadrement de l’«économie populaire» connue sous l’expression de «secteur informel», pour qu’elle permette aux paysans de participer à la productivité, de gérer des revenus, et surtout d’accéder à un même minimum social comportant l’ensemble des services sociaux de base (soins, école, animation rurale). Les conditions de cet encadrement exigent la mise en place et le fonctionnement d’un ordre de gouvernance, dont les mécanismes ne peuvent pas être imaginés en-dehors de la responsabilité politique de l’État en Afrique. C’est pourquoi A. Tevoedjre a soulevé le besoin d’associer aux indicateurs sociaux du bien-être populaire, dont l’espérance de vie, la mortalité infantile et l’alphabétisation (ou la nourriture et le logement, le vêtement et la santé), d’autres indicateurs de la qualité de vie, dont la justice, la liberté politique, le sentiment de participation. L’enjeu de cette proposition renvoie à la critique et à la relecture de l’affaiblissement de la «gouvernabilité» dans la zone-Afrique postcoloniale. Dans ce contexte, les paradigmes conjoints de la lutte contre la pauvreté et du combat pour développement durable impliquent «tous les éléments nécessaires à la substitution […] au néolibéralisme économique: démocratie, droits civils et politiques, droits économiques et sociaux, obligation pour l’État de mettre en valeur la Ressource humaine, équité […]». En dépassement du modèle de croissance-accumulation, et aux antipodes des tentatives d’«humanisation du programme d’ajustement structurel», le paradigme de la gouvernance démocratique décourage les extrêmes constitués d’un côté par la privatisation à outrance de grands secteurs économiques, qui diminue les prérogatives de l’État et, de l’autre,  A. Tevoedjre, La culture, chemin de lutte contre la grande pauvreté. Dix expériences de terrain pour sortir des situations d’exclusion, Paris, ONG/UNESCO, Éd. Présence africaine, , tel que commenté par H. Bartoli, Repenser le développement, p. -.  Cf. A. Tevoedjre, La pauvreté, richesse des peuples, p. -.  H. Bartoli, Repenser le développement, p. , en commentaire de R. Jolly.  M. Camdessus, «Habiter la cité globale. Stratégies et institutions économiques», dans Notes et Documents, septembre-décembre , p. , cité par H. Bartoli, Repenser le développement, p. .

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par une excessive concentration des pouvoirs de l’État sur l’économie nationale selon le modèle soviétique périmé, qui nuit à l’espace d’initiatives privées propre à l’épanouissement des entreprises de production et de créations des richesses. Le paradigme de gouvernance permet ainsi de prévenir l’État et les pouvoirs publics du risque de corruption et de perversion de leur rôle au détriment des intérêts communautaires des populations, au sein de la conjoncture générale de l’économie mondiale. H. Bartoli a indiqué, à juste titre, que: Les pouvoirs publics sont malfaisants quand ils soutiennent les monopoles et les cartels plutôt que les petites entreprises à forte intensité de main-d’œuvre ou les petites exploitations agricoles, interdisent aux paysans certaines activités lucratives au bénéfice d’un consortium de grands propriétaires fonciers, faussent les mécanismes du marché […] et concèdent des privilèges au plus offrant, se préoccupent davantage de dépenses militaires, préludes à des coups d’État, ou à des guerres absurdes, que du bien-être des populations, construisent des usines insusceptibles d’utiliser leur pleine capacité de production, négligent l’entretien des infrastructures. Toutes ces dérives confirment que le développement a impérativement besoin d’un gouvernement responsable, légitime, ayant pour préoccupation majeure la croissance et l’équité.

Cette description qui touche la situation des pays en développement, dépeint le type de comportement de l’État et des institutions républicaines pour la majorité des pays dans la zone Afrique. La perversion du politique en Afrique a atteint un tel niveau de gravité, qu’elle est allée jusqu’à transformer l’État africain en instrument de la violence sur la société et ses sujets, au lieu d’être instrument du développement social et humain. J. Fr. Bayart et A. Mbembe ont montré que la gouvernementalité en Afrique procède d’une logique perverse de désintégration de l’État, lorsque «le ‘droit de tuer’ apparait dans ce contexte comme un moment (sans doute dramatique) de maximalisation ou d’intensification des tactiques par lesquelles on cherchera, par exemple, à produire davantage des richesses ou à s’assurer le plus de subsistances possibles». À cet effet, J. Fr. Bayart et A. Mbembe ajoute que «les ‘instruments pour tuer’ (que ce soient les armes, la loi, le tribunal, la police, la prison ou autres) seraient, eux-mêmes, indissociables des ‘tactiques’ générales de la ‘gouvernementalité’».  

H. Bartoli, Repenser le développement, p. . J. Fr. Bayart et A. Mbembe, «Pouvoir, violence et accumulation», p. .

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Notre analyse fera l’économique du type de violences historiques, comme la traite négrière et la colonisation, pour ne retenir que la description du type antidémocratique, caractéristique de la République postcoloniale en Afrique. Ce dernier type est à situer sur deux versants de la violence: sociopolitique et économique. Sur le compte du versant sociopolitique, la violence de l’État est constamment retrouvée dans les actes ci-après: «purges, arrestations, passages à tabac, transferts de force, incarcérations dans des camps spéciaux, extraditions, peines de mort, châtiments divers, guerres proprement dites, tueries, massacres et autres formes d’affrontements au quotidien». Le versant économique concerne «les violences participant de diverses configurations de l’exploitation, soit par les réseaux étatiques (le fisc par exemple), soit en deçà de l’État (appropriation foncière, droits d’exploitations et redevances diverses payés aux divers types d’autorité – coutumières, militaires, gendarmes, administratives)». Tous ses actes de violence visent la confiscation et la monopolisation de la force politique et économique au détriment d’autres forces politiques, des groupes de pression dans la société civile et de la population elle-même. Des Républiques de la violence en Afrique ont eu ainsi tendance à déserter les vraies responsabilités des pouvoirs publics, et à éviter de se confronter aux impératifs de vrais motifs de l’exercice des charges de l’État. Ainsi sera-t-il attendu du politique africain d’adopter le paradigme de la gouvernance démocratique, en tant que nouveau mode de responsabilité d’État. Ndeshyo Rurihose, Ntumba Luaba et Dhendonga Dheda avaient circonscrit les contours de cette responsabilité politique atour de cinq constantes, dons les deux principales ont été énoncées de la manière suivante: ) La capacité de l’instance politique à trier les exigences, les besoins et les désirs qui viennent de la population, à les hiérarchiser selon un certain ordre de priorité et à les orienter vers le centre de conversion approprié. C’est en fait le management dans le processus des solutions. Mais plus précisément, il s’agit de la prévision, de la programmation et de la planification: prévoir et anticiper sur l’avenir, programmer les priorités et les étapes, et enfin planifier les moyens, les étapes et les finalités. ) La capacité du politique à susciter et à entretenir le soutien en ressources humaines (adhésion de la population au programme gouvernemental) et matérielles qui permettent de répondre aux exigences

 

J. Fr. Bayart et A. Mbembe, «Pouvoir, violence et accumulation», p. . Ibid., p. , note .

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de la population, donc la participation et d’une certaine manière, la démocratie. De ce qui précède, il ressort que le débat qui s’est cristallisé autour de ce qu’on a désigné par l’expression «afro-pessimisme» nous semble un problème mal posé. Les facteurs qui expliquent la condition actuelle des sociétés africaines sont énormes et de plusieurs ordres. Ils dépendent essentiellement de pesanteurs qui répondent de la logique de domination orchestrée par des pouvoirs économiques dont la gestion échappe aux africains. L’évacuation de ces pesanteurs est un problème de temps, qui reste toutefois suspendue à l’exigence d’établissement de vrais partenariats, de vrais équilibres dans l’espace planétaire d’intégration économique et environnementale. Ce processus fait appel, du côté des décideurs africains, à une dynamique de révolution de la mentalité politique en direction des enjeux de responsabilité éthique et de vigilance critique dans la conduite des institutions et de pouvoirs publics, sous la houlette des mécanismes de gouvernance démocratique. Point n’est besoin de rester accroché au constat selon lequel, suite à la crise socio-économique et politique du continent noir, comme crise aux allures chroniques, les africains auraient cultivé un sentiment du défaitisme au niveau de leur imaginaire collectif et de leur psychisme profond, au point de bloquer les élans et le dynamisme de leurs volontés quant à la capacité de nourrir de nouvelles espérances pour l’avenir. Au regard de notre analyse, la question de l’«afro-pessimisme», posée en ces termes, peut être taxée de faire le jeu de la tendance à simplifier le diagnostic des causes de la situation africaine. L’approche critique et systémique, selon un horizon planétaire, aura l’avantage de remettre à la surface les raisons les plus objectives qui expliquent les contrastes d’une situation de sous-développement sur un continent qui représente encore l’enjeu économique mondial en matière de ressources et de réserves écologiques. Aborder cette question sous l’angle de l’éthique mondiale, c’est demander à la communauté des nations d’aider l’Afrique à s’assumer comme il le faut. Les acteurs de la scène politique internationale ainsi que les décideurs non étatiques du sort économique de l’Afrique dans le monde, devraient comprendre que face au défi de l’«afro-pessimisme», la seule réponse est d’aider les africains à ordonner l’action politique, en tant qu’action de gouvernabilité, à des stratégies de la bonne gouvernance, avec tout ce que cela implique au plan d’une requalification des politiques publiques y compris par 

R. Ndeshyo et al., L’antidérive de l’Afrique en désarroi, Kinshasa, Presses universitaires du Zaïre, , p. .

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l’adoption du sens de responsabilité d’État, du respect des droits humains et du bien commun. La perspective éthique d’une telle réorientation du politique voudra, par exemple, que l’Afrique aujourd’hui, a plus que jamais besoin de l’avènement d’une classe des dirigeants, qui ne pourront jamais tricher avec les intérêts communs, mais qui feront de l’exercice du pouvoir d’État, le lieu de la défense et de protection des services sociaux, selon les exigences d’une gouvernance structurelle ordonnée à l’enjeu du développement humain durable, en dehors de toute fixation idéologique, fanatique et partisane. L’Afrique a besoin d’un leadership responsable et responsabilisant, qui représentera, face aux enjeux d’une gouvernance stratégique, le cadre charismatique d’impulsion permanente pouvant entrainer les citoyens et l’ensemble des opérateurs sociaux, dans une série d’assainissements des conditions de la vie publique: – assainissement d’une mentalité du développement, à partir d’une gestion responsable de l’environnent économique (avec en premier lieu l’organisation durable et la redistribution équitable du travail) et sociale (par une politique adéquate d’aménagement de l’habitat, de construction et de maintenance des infrastructures sanitaires, éducatives, communicationnelles, etc.); – assainissement dans le domaine d’entreprenariat, qui s’accompagne du vrai sens d’investissement dans les petites et moyennes entreprises, dans les coopératives de commerce et de production agricole à grande échelle; ce qui requiert un climat des affaires favorable à tous, dans le cadre d’une politique qui, non seulement encourage, mais accompagne, par les subventions (et les crédits), les initiatives privées; – assainissement en matière de gestion financière, avec la promotion du sens de l’épargne sans lequel toute planification prospective de projets multisectoriels sera difficile à réaliser; – assainissement de la mentalité spirituelle, contre les fausses théologies, qui perturbent l’ordre social et décourage toute éthique de responsabilité publique, en ramenant plusieurs centaines de milliers des personnes à une psychologies d’enfants, en les tournant vers les arrières-monde pour espérer de trouver des solutions miraculeuses aux problèmes de la vie; il s’agit des théologies qui, en faisant régner des croyances faciles à consommation psycho-pathologique comme moyen de consolation et d’illusion, démobilisent les volontés à s’investir dans la sphère de l’action transformatrice de la société; – assainissement de la mentalité de  Cf. J. M. Ela, Repenser la théologie africaine. Dieu qui libère, Paris, Cerf, ; C. Cikongo, Libérer la théologie africaine. Questions et propositions, Paris, Éd. du Cerdaf, .

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gouvernance politique et administrative, concernant cette tendance généralisée à faire la politique pour «ses» satisfactions égoïstes, qui a contribué à faire de la corruption une méthode de gestion des biens et institutions publiques, limitant l’action politique à un jeu de pratiques et de manœuvres qui n’engage ni l’État ni la société, et ne représente ni les intérêts de la population ni le bien commun. Face à cet enjeu d’assainissement, le débat sur ce qu’on a appelé «afro-pessimisme», a quelque chose qui relève soit d’une diversion, soit d’une banalisation, soit d’une sous-estimation de la situation réelle des blocages économiques et de la faillite sociale que connaissent la majorité des populations africaines. Qu’il s’agisse à son sujet d’une théorie qui correspondrait à un méta-discours sur la crise africaine, ou d’un courant de catastrophistes dans la description de la situation africaine postcoloniale, ce débat cache la réponse qui convient au problème africain: l’impérieuse nécessité d’un diagnostic serré, d’une analyse de fond, et des mesures de choc portant sur les exigences et les conditions d’une gouvernance recommandable au sein du nouvel ordre mondial. Une des tentatives osées dans la ligne d’une réponse stratégique au défi du développement en Afrique, c’est le plan du NEPAD (Nouveau partenariat pour le développement économique de l’Afrique), qui a été élaboré pour permettre aux États africains de se rendre compte que toute possibilité envisageable de relance et d’émancipation économique pour le continent noir, passe par l’impératif d’une gouvernance disciplinée et redevable, c’est-à-dire par la préservation d’un climat éthique, politique et managérial propice à la promotion des services publics et à l’administration des affaires, en matière de production comme en matière d’investissements. Ainsi doit-on réaliser que, contrairement aux différents pronostics qui ont nourri les espérances africaines au seuil de la période des indépendances, aujourd’hui l’analyse de la situation renvoie à l’absence des politiques publiques cohérentes et adéquates à la situation sociale réelle des populations. Non seulement la grande majorité des populations africaines dans l’arrière-pays, c’est-à-dire au-delà des limites des centres 

Cf. J. F. Bayart, L’État en Afrique. La politique du ventre. Cf. J. F. Bayart, La criminalisation de l’État en Afrique, Bruxelles, Éd. Complexe, ; S. Latouche, L’Autre Afrique, Paris, Alain Michel, ; K. Mukeba, «Dénonciation et afro-pessimisme dans la littérature africaine», dans Actes du colloque international «-, bilan et tendances de la littérature négro-africaine», Lubumbashi (- janvier), , Lubumbashi, Presses universitaires, 2005, p. -.  Cf. A. Kourouma, Le soleil des Indépendances, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, . 

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urbains, sont confrontées au déficit d’un État de droit (pas de police de proximité pour dissuader les actes de criminalité, pas des tribunaux viables pour une redistribution équilibrée de la justice, pas d’armée de protection de la souveraineté et de sécurisation des frontières…), mais aussi elles sont abandonnées au sort et à l’arbitraire des administrations expéditives, sans moyens de leur «politique». Dans ce contexte, la violation de droits de l’homme ne concerne pas seulement des mesures policières liberticides en matière des droits politiques et démocratiques (liberté d’expression et d’association…). Elle est surtout une violation de droits fondamentaux à la vie (l’accès à l’alimentation, à l’éducation, aux soins de santé, à la sécurité physique et judiciaire…). Le politique en Afrique repose en grande partie sur une criminalité structurelle contre les droits des peuples au sein des États. À cela s’ajoute l’immobilisme institutionnel de la Commission africaine de droits de l’homme et des peuples (CADHP) au sein de l’Union africaine (UA), situation qui participe de l’inefficacité et de l’absence de visibilité de l’ancienne Organisation de l’unité africaine (OUA) qui, depuis sa création en , ne dispose ni de gouvernement fédéral, ni d’armée structurelle ni de parlement continental. Il en résulte que la pauvreté sur le continent africain tient, non pas tellement au défaut d’une industrialisation de l’économie, mais surtout à la défaillance de l’État, qui trahit, compromet son rôle et triche avec ses fonctions en les pervertissant dans leur finalité d’être l’art de conduire les institutions et les services publics en fonction de la promotion des secteurs sociaux dans un environnement de développement durable au bénéfice des populations. Si la situation de crise et d’instabilité qui prévaut dans la majeure partie des États africains peut être imputable à l’absence de vision stratégique et d’une volonté politique plus marquée pour le changement, au cœur de l’accusation, sur le plan interne, se trouve la carence de l’éthique politique. Ainsi, lorsque dans beaucoup des pays africains, on déplore le caractère défavorable du climat propice aux affaires, il ne suffit pas de pointer du doigt la situation de l’insécurité qui résulte des guerres interethniques qu’on a vécues depuis les indépendances. L’analyse judicieuse doit aller aux facteurs majeurs, dont le désordre administratif de l’appareil de l’État (aussi bien sur le plan judiciaire que sur le plan fiscal), qui résulte d’une gestion catastrophée des services publics, notamment suite à la généralisation des pratiques de la corruption et à l’incivisme qui en est la conséquence. C’est en vertu de tels contextes que le rapport mondial  sur le développement humain du PNUD consacré à la démocratie, note que «promouvoir le développement humain ne constitue donc pas uniquement

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un objectif social, économique et technologique: il s’agit aussi d’une mission institutionnelle et politique». Ce constat est dû au fait que, pour le PNUD, «nombre des problèmes persistants du développement reflètent un échec de la gouvernance»; et dans beaucoup de cas, «l’insuffisance de la gouvernance» est tenue «pour responsable de l’enracinement de la pauvreté et des retards pris par le développement». Le rapport du PNUD indique même que cette «crise de la gouvernance transparaît dans la corruption endémique, l’inefficience des services publics et une multitude d’autres problèmes», avec comme «conséquences […] pour les citoyens ordinaires: des écoles sans professeurs, des tribunaux sans justice, des fonctionnaires locaux exigeant des pots-de-vin à la moindre occasion». L’Afrique souffre de mal-gouvernance. Elle souffre d’un climat du déficit de l’éthique et de la discipline vis-à-vis du destin public et du bien commun. Elle souffre de la carence du sens de responsabilité collective et du manque de la vigilance morale. Par conséquence, les potentialités économiques de maints pays africains sont livrées aux exploitations incontrôlées, illégales et non réglementées, qui coïncident avec des politiques prédatrices de bradage des services publics. Situation qui se trouve aggravée par l’institutionnalisation de la corruption, et accentuée par la recrudescence des solidarités politiciennes négatives (basées, non pas sur des choix cohérents et projets adéquats, mais sur des «structures corporatistes» de nature clanique et tribaliste, partisane et idéologique) dans la gestion de la chose publique. C’est un ensemble de pratiques qui a contribué à créer un climat malsain de gestion de l’espace public des institutions, et qui a conduit à la perversion du politique dans le sous-continent africain. Tout un faisceau de facteurs négatifs ont affecté les ressorts et les fondements de l’État, à un niveau tel que, dans nombre de pays africains, l’État n’est pas ressenti, notamment dans sa fonction de producteur et de distributeur des richesses, ainsi que dans son rôle de garant de la sécurité sociale des populations. Alors que selon les orientations du nouvel ordre du monde, l’État, dans son rôle de régulation, qui n’équivaut à sa position d’«État minimum», est appelé à exercer ses fonctions, entre autres à travers des mesures (mêmes fiscales) de protection des classes moyennes, par des stratégies politiques et des équilibres économiques  PNUD, Rapport mondial sur le développement humain. Approfondir la démocratie dans un monde fragmenté, p. .  Selon L. Pelletier-Marcotte et S. Veilleux-Poulin, «l’État se fait gardien de la société civile et s’assure de l’égalité de tous devant la loi» («Les acteurs de la politique étrangère», p. ).

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subtils dans la valorisation du travail et de l’emploi, en Afrique, un Pays comme la R. D. du Congo, compte à ces jours plus de  % de sansemplois. Ce pays est le seul au monde qui n’alloue pas plus de % de son budget annuel au secteur de l’éducation selon les directives de l’Unesco. À partir de l’Indicateur du développement humain (IDH), ce pays occupe la dernière position sur la liste de  selon le classement du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), dans son rapport sur le développement humain de mars . Face à un tel tableau, on peut s’imaginer le degré de la catastrophe sociale que connait une telle nation depuis plusieurs années. Il en revient que la crise africaine, qui plonge ses racines dans l’immoralité du politique, est plus qu’une crise économique de ressources et de potentialités. Elle résulte du refus de la bonne gouvernance. Elle est devenue à la limite, la forme la plus aigüe de la criminalité contre les droits des populations à la vie. Certes, on note avec non moins de satisfaction que l’Afrique est un continent où, dès la décennie , un grand nombre des pays font l’expérience de la démocratie sur le plan de la forme, avec le multipartisme et les vraies-fausses élections. Mais c’est en Afrique où l’absence de bonne gouvernance demeure un défi éthique, qui interpelle l’ordre mondial, à partir du défi de la pauvreté. La pauvreté est à ces jours un paradigme, qui rend légitime tout réquisitoire contre la logique des politiques néolibérales, qui rend crédibles, au sein des États africains, l’engagement, la participation et la vigilance des mouvements sociaux dans les différents processus politiques décisionnels. La situation de l’Afrique est ici également à considérer comme un cas d’école à matière d’apprentissage et de mise en place des stratégies pour l’éradication de la pauvreté, celle-ci ne constituant «pas seulement un objectif de développement», mais «aussi un défi central pour les droits de l’homme au XXIe siècle». C’est la question de la «dignité» de l’être humain, qui est en jeu dans la situation africaine globale. Karel Vasak a montré, à juste titre, que «de quelque côté que l’on aborde les problèmes africains, c’est l’homme que l’on rencontre». En face de cette situation, moyennant la conscience postmoderne de la fragilité et de la vulnérabilité de la vie, tout se passe 

PNUD, Rapport mondial sur le développement humain. Droits de l’homme et développement humain, p. .  K. Vasak, «Les droits de l’homme et l’Afrique (pour une convention Africaine des droits de l’homme)», dans Revue juridique et politique indépendance et coopération  (), p. ; tel que cité par J. F. Mole Gbamanzango, «De l’OUA à la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples. Itinéraire d’une quête de liberté et d’unité revisitée», dans Revue Africaine de Droit Canonique  (), n° , p. .

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comme si la communauté humaine est appelée, par «devoir de justice», à s’engager dans une guerre contre toute forme de souffrance infligée à la dignité de l’homme. Le Pape Benoît XVI a eu des mots justes pour constater que «la mesure de l’humanité se détermine essentiellement dans son rapport à la souffrance et à celui qui souffre. Cela vaut pour chacun comme pour la société». Le Pape précise qu’il s’agit d’une souffrance assumée dans une action collective où, finalement, chacun est porté «à trouver un sens à la souffrance, un chemin de purification et de maturation, un chemin d’espérance». On doit arriver à lever l’option d’une souffrance partagée, la seule qui mobilise plus, au nom d’un «amour inconditionnel» dont les humains ont besoin; le seul qui permet de réaliser en permanence que «la capacité d’accepter la souffrance par amour du bien, de la vérité et de la justice est constitutive de la mesure de l’humanité […]». Le risque du mensonge permanent que peuvent entretenir structurellement les pouvoirs publics et les animateurs des institutions, engendrerait des situations extrêmement périlleuses qui freineront toutes possibilités de transformation des conditions de la vie. Ainsi, le défi éthique vis-à-vis de la pauvreté, renvoie-t-il à la nécessité de bâtir des politiques sociales qui incarneront la lutte contre les antivaleurs en matière de gouvernance. La moralité devrait être placée en amont de tous les projets sociaux et de toute activité de portée publique. C’est pourquoi, à l’échelle mondiale, le besoin de l’éthique est tout autant perceptible dans ce qui est devenu le défi écologique de notre époque. ... Menace de l’environnement et responsabilité écologique La problématique écologique se formule aujourd’hui sous une grande question, dont l’enjeu touche à l’impérieuse préservation de l’équilibre environnemental, face à la menace de destruction due à la surexploitation des ressources naturelles, et à la crainte d’un réchauffement climatique accentué, quelles qu’en soient les origines et les causes. C’est une question soulevée en étroite relation avec celle de la responsabilité éthique de l’humanité vis-à-vis de l’avenir de la planète. Le défi écologique fait 

Benoît XVI, Lettre Encyclique sur l’espérance chrétienne, Spe salvi, n° . Ibid., n° .  Ibid., n° .  Cf. J. Tinbergen, Pour une terre vivable. Notre dernière chance de survie, Paris, Sequoia, .  Cf. A. Deléage, Une histoire de l’écologie, une science de l’homme et de la nature, Paris, Éd. La Découverte, ; L. Ferry, Le nouvel ordre écologique, Paris, Grasset, . 

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ainsi appel à la conscience morale collective de l’humanité, quant à la nécessité d’adopter des comportements requis et des mesures adéquates à la sauvegarde de l’intégrité de l’écosystème, contre différentes tentatives de destruction orchestrées par une modernité de progrès économique et industriel. Posé en ces termes, le problème requiert deux approches: l’approche qui part de la question nucléaire, et celle qui prend en compte l’enjeu du développement durable. .... La question nucléaire et l’écologie Considéré dans sa dimension stratégique, le débat écologique se concentre surtout sur les nouvelles perspectives de gestion du nucléaire. Dans cette direction, la question touche à l’enjeu de la sécurité internationale lorsque cet enjeu sécuritaire implique l’évaluation éthique de la conduite du nucléaire. Le sentiment «souverainiste» cultivé par certains États puissants, est de plus en plus mis en cause et considéré comme facteur défavorable à l’aboutissement d’un consensus universel dans la gestion de cette question. Le souvenir de l’échec du sommet de Copenhague en décembre , montre que la volonté politique des Pays industriellement puissants n’est pas encore en phase de s’engager vers des options éthiques dans la gestion de l’environnement, notamment face à question de réduction du nucléaire. L’échéance que certains États ont arrêtée pour leur engagement en direction de la réduction en pourcentage des émissions du gaz, ou même pour la sortie relativement complète du nucléaire, peut être jugée de faible proportion, lorsqu’on considère les conséquences à moyen et à long terme que ces émissions auront entrainé sur l’avenir de la planète. Cela ne va pas sans compter avec le rapport de l’OMS du  septembre , qui fait état de plus de deux millions de personnes qui meurent de la pollution de l’environnement, suite aux émissions des substances et produits à gaz chimique et métallurgique, surtout dans des pays à développement rapide comme le Japon, la Chine et l’Inde. En traitant de la question du nucléaire à partir de seuls paramètres économiques, on en reste dans le vertige du capitalisme industriel. Notre analyse plaide en faveur des mesures de révision profonde de ce paradigme, avec son système de compétitivité, qui ne considère, avant toute chose, que la course à la croissance et à l’accumulation de la plus value (ou de la valeur ajoutée), et n’accorde préséance qu’à la logique de concurrence pour l’accroissement du PIB, celui-ci fonctionnant, par ailleurs, comme le facteur le plus important du test de la croissance économique des États modernes. En revanche, lorsque cette situation en appelle à une évaluation éthique,

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elle interpelle avant tout les pouvoirs publics régulateurs. Au regard des conséquences dues à l’activité nucléaire sur les conditions naturelles d’épanouissement de la biosphère, les règles de protection de l’environnement et de la santé des populations sont en voie de prendre le dessus sur toute considération d’ordre économique, énergétique ou militaire. Le politique, en s’abstenant du jeu et du calcul des intérêts économiques des États, est obligé à influer sur les opérateurs de la filière nucléaire pour, non seulement obtenir de ces derniers, les compensations nécessaires à la création des énergies renouvelables, mais aussi exiger d’eux des garanties de réduction systématique des activités à émissions radioactives nocives. C’est véritablement un appel à la vigilance politique qui est ici en jeu. C’est une vigilance qui va jusqu’à concerner la gestion de la question nucléaire, même en ce qui concerne les règles de l’incinération des déchets nucléaires. Ceux-ci sont considérés comme portant des effets radioactifs (à travers des particules), bien qu’à faible intensité. Cette vigilance devrait se transformer en une véritable responsabilité politique, même là où certains prétendent que c’est par le nucléaire que l’on trouve des solutions écologiques de protection de l’environnement, en vertu du «principe pollueurs-payeurs», principalement en ce qui concerne les taxes produisant des frais qui contribueraient à la dépollution. Sur le plan pédagogique, il est requis de savoir avant tout de quel nucléaire il s’agit. Les scientifiques répondront à cette question avec des hypothèses qui n’auront peut-être pas de rapport avec ce qu’il en est de la réflexion éthique qui nous préoccupe. Le questionnement éthique porte, en effet, sur le nucléaire industriel, le nucléaire militaire et les déchets nucléaires à radioactivité des usines et des centrales. Dans le cadre de cette évaluation éthique, la grande hypothèse repose sur le constat selon lequel tous les nucléaires encore identifiables sont pollueurs. Cette pollution touche l’espace de la vie, l’eau et l’air, avec un éventail des risques pour la vie: – risques cancérogènes et génétiques sur l’espèce humaine, animale et végétale, quelle que soit la dose de l’émission du gaz pollueur; – risque du réchauffement climatique, comme dans le cas du danger de la canicule (en France à l’été ) qui en résulte, avec la perturbation de la couche d’ozone rendue ainsi inoffensive face à l’agressivité des émissions du CO; – risques d’accidents nucléaires dont les conséquences sont des plus redoutables (voire fatales) pour la vie  À propos du débat sur le nucléaire, lire: Cl. Dubout, Je suis décontamineur dans le nucléaire, Nantes, Paulo-Ramand, ; Th. Garcin, Le Nucléaire aujourd’hui, Paris, LGDJ «Axes», .

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humaine, comme dans le cas de l’explosion d’un four sur le site nucléaire de Marcule (le  septembre ) en France, entrainant un mort et quatre blessés, avec les éventualités de fuite des particules radioactifs; et le cas de l’accident du centre nucléaire de Fukushima au Japon le  mars . Par son intensité et ses conséquences, l’accident nucléaire de Fukushima a représenté une des pires catastrophes nucléaires que l’histoire de l’humanité ait connues dans la série de Mayak et Tchernobyl. Dans la série des dégâts causés par l’accident nucléaire de Fukushima, on dénombre, sur plusieurs mois, le rejet massif de la radioactivité; la contamination en série qui affecte même les aliments; les évacuations des populations proches du site, etc.; – risques, dans le cas du nucléaire militaire, d’élimination des vies humaines, par l’obsession et la prolifération de fabrication de la bombe, à travers un procédé qui va du retraitement de l’uranium irradié pour en tirer le plutonium qui sert directement à cette fabrication. Par rapport à ce type de risques, la campagne du désarmement a quelque chose d’une exigence éthique, en ce qu’elle décourage la guerre, et donc toute tentation à l’utilisation cruelle des armes nucléaires contre les personnes humaines. – Il y a également à signaler le risque de l’accroissement du terrorisme nucléaire, qui cultive l’obsession dans la fabrication de la «bombe radiologique», et la récurrence des actes de détournement des matières radioactives, pour une utilisation en forme de toxique dans les explosifs. Les efforts actuels dans la mise en place des stratégies de régulation pour une gestion responsable du nucléaire dans le monde, s’ordonnent à l’enjeu de sécurité de la biosphère. Vis-à-vis de cet enjeu, l’évaluation responsable et vigilante saura découvrir qu’il y a toujours des retombées radioactives, des risques de contaminations et des risques d’accidents dans chaque déploiement de n’importe quel type du nucléaire. De sorte que, le domaine du nucléaire n’est jamais rassurant. Dans tous les cas où il y a usage et intervention du nucléaire, il faut en appeler à la responsabilité des autorités de régulation en amont. La vigilance sera de mise, même lorsqu’il faudra, à cet effet, prendre en considération les actes d’autorisation en matière d’utilisation du nucléaire (militaire) pour des fins stratégiques. C’est une orientation que l’on peut retrouver dans les closes du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (qui prévoie que 

Cf. Ch.-Ph. David, La guerre et la paix, . C’est un traité international conclu en  et signé par un grand nombre des pays. Il vise à réduire le risque que l’arme nucléaire se répande à travers le monde, et son application est garantie par l’Agence internationale de l’énergie atomique. 

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«les avantages des applications pacifiques de la technologie nucléaire, y compris tous les sous-produits technologiques que les États dotés d’armes nucléaires pourraient obtenir par la mise au point des dispositifs nucléaires explosifs, devraient être accessibles à des fins pacifiques, à toutes Parties au traité, qu’il s’agisse d’États dotés ou non dotés d’armes nucléaires»), autorisant en droit des emplois civils des dispositifs nucléaires explosifs. L’option de la décision éthique touche le cadre d’une recommandation qui peut aller dans trois directions, quant à ce qui concerne l’engagement des autorités de régulation. Il sera demandé, en effet, de: 1) Encourager la consolidation d’une franche collaboration des États, en vue d’une gestion en synergie et en partenariat de la problématique nucléaire. Dans cette direction, il sera jugé urgent d’engager la responsabilité planétaire face à la question du nucléaire dans tous ses aspects (c’est notamment dans le cas d’une coopération indispensable, en vue de mettre en place une politique internationale contraignante de «réduction drastique des budgets militaires»244), tout en privilégiant à tout prix la voie du «dialogue» entre les États les plus impliqués, surtout dans le nucléaire militaire. Le climat de dialogue sera requis pour un partenariat dissuasif en la matière. Ce dialogue résultera du constat selon lequel l’âge de la révolution nucléaire doit nécessairement s’accompagner des stratégies de luttes anti-missiles impliquant la négociation de tous les partenaires en présence. 2) Accélérer la recherche en matière des critères de régulation, débouchant sur des mesures alternatives d’application, dans le domaine de la productivité électrique. Dans ce domaine précis, on devra compter sur l’apport de la bioénergie, qui permettra l’accroissement de la production des biocarburants, comme en ce qui concerne la mise au point des produits pharmaceutiques à base des éléments de la nature. À cette fin, une nouvelle approche du domaine d’«exploitation» forestière, sera mise à contribution, dans le cadre d’une campagne de production et d’utilisation des énergies renouvelables, qui permettront de contourner au maximum la technologie des réacteurs électriques. Cette stratégie peut aller, dans certains pays, jusqu’à la dotation en primes, de ceux qui recourent aux différentes techniques de l’énergie solaire (panneaux solaires…), pour toute alimentation en électricité. 3) Envisager une approche juridique, qui permettra de préciser par quelles modalités de droit international, les trans- ou multi-nationales et les différentes entreprises seront tenues pour répondants de toute pollution résultant de leurs activités industrielles, et devant quelles juridictions 

Cf. H. Küng, Projet d’éthique planétaire, p. .

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(qui seront probablement à créer). Positivement, de telles dispositions du droit international auront la charge de définir les orientations, les mesures d’application issues des recommandations de différents sommets écologiques, comme celle en rapport avec la promotion de l’«économie verte» et le développement durable, du sommet de Rio II + 20 de juin 2012, 20 ans après Rio I en 1992. D’où tout l’intérêt qu’il y a de traiter la question écologique en relation avec le paradigme du développement durable. .... Écologie et problématique du développement L’analyse du défi écologique ne peut passer sans rappeler que depuis le contexte du sommet de Rio en , l’enjeu environnemental participe de la définition du développement durable. À cet effet, il a été retenu, comme idée régulatrice, l’adoption d’un mode de «développement qui permet de répondre aux besoins du présent – en priorité aux besoins des plus démunis – sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs» (Agenda ). Il s’agit d’une option levée au milieu des problèmes environnementaux discutés à Rio: changement climatique, désertification, déforestation, perte de la biodiversité, pollution des eaux, épuisement des sols, etc. En suivant Olivier Godard, la portée de cet Agenda de Rio I se clarifie, dans le cadre de l’analyse du défi écologique, en rapport avec le concept du développement durable. Deux principes entrent en jeu pour le comprendre. Il y a «d’abord un principe de non-dictature intergénérationnelle: ni dictature du présent, qui manifesterait une indifférence pour l’avenir, même lointain, ni dictature du futur, qui imposerait le sacrifice des générations actuelles». Dans cette optique, «se soucier de l’avenir, ajoute O. Godard, ne consiste pas à vouloir le planifier sur une longue durée, mais à préserver les capacités des générations successives à faire leurs propres choix, ce qui écarte par exemple l’idée d’imposer les orientations technologiques de grande portée et totalement irréversibles». Du point de vue éthique, la catégorie dite de «générations futures» que l’on retrouve dans le principe de responsabilité de H. Jonas, est ici comprise en termes de «communauté humaine intergénérationnelle qui ne résulterait pas seulement de la succession contingente et biologique». Dans cette mise au point due à O. Godard, se trouve véhiculer l’idée 

Cf. B. Lefetey, «Dette financière contre dette écologique», p. . O. Godard, «Durabilité du développement et principe de précaution», dans A.-M. Ducroux (dir.), Les nouveaux utopistes du développement durable, p. . 

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d’évacuer toute dictature du présent sur l’avenir autant qu’elle permet de reconnaitre que «l’incertitude du temps long apparaît […] comme le gage de la liberté que nous voulons reconnaître aux hommes de demain». Ainsi, le principe de non-dictature intergénérationnelle adjoint-il de défendre, non pas l’idée d’une transmission du patrimoine naturel à l’état intouchable, mais, comme l’a noté O. Godard, il renvoie à l’idée d’ une responsabilité particulière [qui] incombe à chaque génération quant au devenir des milieux et des ressources naturels, que l’homme ne peut pas reproduire. En présence d’une incertitude forte sur les préférences et usages futurs, l’exigence de durabilité comporte une obligation de transmission intergénérationnelle d’un patrimoine naturel qui sauvegarde la capacité des générations futures à habiter ce monde.

Le second principe, qui résulte du premier, est «le principe de précaution». Celui-ci consiste, selon O. Godard en une «nouvelle norme sociale», qui souligne l’«obligation de se soucier de façon précoce des risques potentiels qui peuvent affecter de façon grave l’environnement et, par extension, la santé publique et la sécurité alimentaire». À la suite de l’énonciation de 1ce principe, O. Godard en explique la portée d’une manière qui en révèle la pertinence et les conséquences éthiques. En effet, pour O. Godard, il s’agit de préciser que le «souci précoce des conséquences possibles pour l’avenir étend les démarches de précaution aux situations pour lesquelles on ne dispose pas de certitudes scientifiques sur l’existence des dangers et sur les relations de cause à effet en jeu. Cependant, précise O. Godard, le principe de précaution ne saurait se confondre avec une règle d’abstention qui obligerait à refuser toute perspective de risque». Et ce d’autant plus qu’on ne saurait, dans n’importe quel contexte scientifique, technologique ou industriel, «faire du dommage zéro une norme sociale» tant il est vrai «que cela est impossible 

O. Godard, «Durabilité du développement et principe de précaution», p. 186. Ibid., p. .  Ibid. O. Godard nous renseigne que le principe de précaution a été inscrit dans le principe  de la Déclaration des États au sommet de la Terre de Rio de Janeiro en juin . Il est également un des principes reconnus par le traité de Maastricht créant l’Union européenne. Il a été intégré en  dans le droit français, par la loi Barnier de renforcement de la protection de l’environnement, comme l’un des principes qui doivent inspirer les actions de protection de la nature et de restauration des milieux naturels dans la perspective d’un développement durable. Il a reçu à cette occasion la définition suivante: «principe selon lequel l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption des mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement, à un coût économiquement acceptable» (cf. art. L. - du Code français de l’environnement). Cf. ibid.  Ibid. 

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dans un monde de moyens économiques limités et de besoins nombreux», autant «la preuve définitive de l’innocuité ne pourrait être apportée que par un savoir scientifique achevé dans un monde fini». O. Godard nous renseigne également que, tenant compte de situations en présence et des types des solutions à envisager ou à apporter, le principe de précaution exige finalement la mise en œuvre «des mesures proportionnées», autant qu’il «en appelle au jugement au cas par cas afin d’apprécier les risques qu’il faut refuser et ceux qu’il est souhaitable de prendre malgré tout. Expertise et débat public, ajoute-t-il, sont les deux piliers sur lesquels s’appuyer pour en juger. L’une et l’autre ont à considérer le niveau de sécurité visé, le niveau de gravité possible des dangers, le coût des mesures de précaution envisagées et le niveau de consistance et de plausibilité des hypothèses sur les risques potentiels». Le mérite de cette présentation de O. Godard, c’est d’aller jusqu’à indiquer deux modalités proposées dans le débat en cours sur la mise en œuvre du principe de précaution. Il y a d’abord la modalité de portée «tactique, [qui] vise à gérer le provisoire et l’attente d’un meilleur niveau de connaissances scientifiques». Dans cette modalité, il est prévu qu’«en contrepartie d’une prise en compte précoce de risques potentiels, les autorités ont une obligation de recherche afin de lever les incertitudes sur la réalité des dans dangers». À cet effet, précise O. Godard, on relèvera qu’«inscrites dans le provisoire, les mesures de précaution doivent alors être révisées périodiquement, à la hausse ou à la baisse selon ce qu’on apprend. Elles doivent donc être conçues pour être révisables. Rien de définitif ni d’irréversible ne peut alors être justifié». Il y a ensuite, la modalité de portée «stratégique», qui «fonde sur la précaution une stratégie à long terme d’éradication de toutes les sources de risque d’atteinte à l’environnement». Il s’agit de reconnaitre que «la complexité et la menace d’irréversibilité des dommages», est un ensemble de situations qui «ne permettrait pas au progrès des connaissances scientifiques de jouer un rôle central dans la définition des stratégies de prévention, car la science ne parviendrait jamais à apporter des conclusions définitives à temps». Dans cette situation, «ce sont les possibilités scientifiques du moment et les coûts en jeu qui déterminent alors le calendrier de cette stratégie d’éradication du risque environnemental». O. Godard précise que ce qui est en jeu dans cette disposition, c’est, d’un côté,  

O. Godard, «Durabilité du développement et principe de précaution», p. -. Ibid., p. .

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l’enjeu de la «protection […] vis-à-vis des rejets polluants potentiellement toxiques» et, de l’autre côté, la nécessité de «la référence du droit communautaire aux ‘meilleurs technologies disponibles’ dans la lutte contre la pollution industrielle». À ce titre, la gestion de la question écologique renvoie toujours à plus de vigilance stratégique. Elle implique de tenir à l’esprit que «l’existence durable de l’humanité dépend, plus encore que des quantités de charbon, de pétrole et de gaz disponibles, de la stabilité de son atmosphère, du point de vue notamment de sa composition chimique, de son système thermique et de sa stabilité climatique», sans que soit négligé «le problème de la solidarité intergénérationnelle, qui est un des postulats du développement durable». En ce sens, H. Bartoli a écrit également: l’attention ne doit pas se porter seulement sur la pollution de l’air ou de l’eau, la destruction des sols, des forêts, ou des espèces, ou l’effet de serre, mais aussi sur les cycles climatiques et hydrologiques dans leur dépendance envers les interventions humaines, sur la capacité d’assimilation des déchets et de recyclage des nutriments, sur la pollinisation des cultures, sur le maintien de la diversité génétique, sur toutes les transformations qui retentissent sur les mécanismes internes de commande des écosystèmes et sur la diversité fonctionnelle.

Il s’ensuit qu’au-delà de ce qui est inscrit au programme du «principe de non-dictature intergénérationnelle» et à celui du «principe de précaution», la portée réelle du défi écologique relève d’une préoccupation éthique. Car, pris dans leur entendement stratégique, ces principes portent le risque d’atténuer l’urgente et la contraignante préoccupation, au niveau de la conscience collective, en direction de la nécessaire protection de la nature et de l’inconditionnelle préservation de ce qui reste de son intégrité. Tout dans le sens du défi écologique, en tant que défi planétaire, doit être repensé, moyennant régulation et exigence d’équilibre et de proportionnalité, en raison d’une gouvernance transversale. Comme l’affirme H. Bartoli, «le développement n’est ‘durable’ (viable) que s’il ne porte pas atteinte à la résilience de l’économie et de la biosphère, c’est-à-dire à leur capacité de régénération et de reconstitution de leur potentiel après libération et dépense de l’énergie et des matériaux antérieurement accumulés». Il faut montrer que «moins une technique menace 

O. Godard, «Durabilité du développement et principe de précaution», p. . M. Mousel, «Le climat, un équilibre», dans A.-M. Ducroux (dir.), Les nouveaux utopistes du développement durable, p. .  H. Bartoli, Repenser le développement, p. .  Ibid., p. . 

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la fourniture des services écologiques essentiels en outrepassant le seuil de résilience de l’écosystème, plus la viabilité du système est forte». Ainsi le défi écologique en développement implique-t-il de considérer «des relations d’interaction entre le système de production et de consommation et l’environnement», telle qu’elles «ne se limitent pas à l’économie et à l’environnement naturel», mais telles qu’«elles s’étendent aussi, du fait de la complexité du développement, à ses autres dimensions: sociales, technologiques et culturelles, chacune appréhendée selon sa spécificité». L’analyse de H. Bartoli indique que cette orientation stratégique appartient à un nouveau paradigme. Dépassant le paradigme où les êtres humains se sentent propriétaires de la planète dans la charge de sa mise en valeur, et le paradigme où il est question pour les hommes d’agir en bons intendants respectant toute forme de vie, le nouveau paradigme insiste en revanche sur le fait que, ce n’est pas tant «le respect de la vie qui compte, bien qu’essentiel, mais ce qui est réellement dicté par la vie ensemble, la coexistence mutuelle, et l’évolution partagée». Dès lors, avec raison, H. Bartoli estime que «les exigences d’une gestion assurant la protection et la transmission du patrimoine naturel et de la résilience aux générations futures sont soumises à des contraintes éthiques qui imposent des limites à la recherche d’une efficience selon les critères et les mécanismes du marché». La perspective d’une gestion responsable du défi écologique aujourd’hui devient un enjeu global. Car il s’agit de soumettre à une nouvelle épreuve le modèle libéral de l’économie, en le ramenant au modèle du développement humain, qui exige de prendre en compte le facteur social, et qui s’assigne à être envisagé dans une approche éthique. C’est pourquoi, prévient H. Bartoli, il convient de prendre distance avec «le postulat selon lequel il existe une relation mécanique entre le taux de croissance et les taux d’exploitation de la nature, entre développement économique et la destruction de l’environnement». En revanche, l’on considéra surtout «les modalités et les usages de la croissance compatibles avec le progrès social, et la saine gestion des ressources et du milieu; ce n’est pas l’arrêt de la croissance». L’on considérera «la ‘prudence écologique’ et la découverte

    

H. Bartoli, Repenser le développement, p. -. Ibid., p. . Ibid. Ibid., p. . Ibid.

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de formes de gouvernance adéquates aux niveaux mondial, international, et local». À partir de vues de R. Passet, H. Bartoli nous propose une démarche plus globale. Il écrit: Une tâche considérable de «construction sociale» s’impose, où l’économie a sa place, qui consiste à «donner un prix et un coût au vivant», mais où elle ne peut remplir son office que si, envisageant les ressources naturelles pour ce qu’elles sont – des réalités physiques et biologiques – elle demeure dans les limites établies par les lois écologiques et les lois élémentaires de la physique, de la thermodynamique et de la biologie, afin que les écosystèmes soient préservés et que dans l’éventualité d’épuisements il soit tenu compte de délais nécessaires aux relais par de nouvelles ressources.

Notre société-monde est, à cet effet, appelée instamment à s’investir plus efficacement dans le travail d’éducation auprès des milieux professionnels comme auprès des populations civiles, en matière de comportements écologiques. En vertu de cette éducation, chaque communauté sera convoquée à conduire ses membres et, structurellement, ses institutions, sur la voie de contraignantes directives d’une éthique respectueuse de l’environnement et de son intégrité. Cette dimension pédagogique, qui n’épargne pas d’autres instances de réflexion et d’approche, nous permet d’apprécier le rôle historique du discours théologique dans la vie sociale, et de réinterroger la valeur publique de ce discours quant à son impact sur la réflexion contemporaine en matière d’éthique, en recoupement avec les orientations essentielles du nouvel ordre mondial.

.. Désintégration du théologique En voulant réinterroger l’instance de la réflexion théologique par rapport à la question de sa pertinence au sein du nouvel ordre mondial, la préoccupation est sans doute de savoir, dans quelle mesure et sous quelle perspective épistémologique, l’herméneutique chrétienne peut-elle se constituer en lieu de prise en charge de la situation éthique de l’humanité face aux défis de la gouvernance publique. La réponse à cette préoccupation nous ramène au cœur de l’hypothèse majeure de la présente analyse: la possibilité d’identifier les mécanismes de crise d’un discours théologique  H. Bartoli, Repenser le développement, en référence à: I. Sachs, Stratégies de l’écodéveloppement, Paris, Éd. Ouvrières, , p. .  Ibid., citant: R. Passet, L’économie et le vivant, Paris, Economica, , p. s.

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(appartenant au modèle libéral), et d’envisager, pour la théologie, les voies de sortie du paradigme qui désintègre son propos vis-à-vis des enjeux de l’éthique universelle. D’où est-il nécessaire d’indiquer les marges d’un rapport devenu pour le moins difficile de la théologie aux nouvelles orientations de l’éthique. ... Dépréciation d’un christianisme religieux Le primat que le nouvel ordre éthique accorde aujourd’hui à la sphère publique de la vie, conduit à la dépréciation de la version supra-naturaliste et individualiste du christianisme dans l’expérience de nos contemporains. Ce constat permet également d’attester que la version importante du théologique se caractérise encore à ces jours par la désertion de la laïcité. Pour la même raison, la sphère de la laïcité semble se contenter d’un climat de divorce avec les structures de signification religieuses, en restant dans une position qui condamne les langages théologiques de religions à l’ordre des expériences privées, de convictions de l’intériorité, et par là, insignifiantes dans l’ordre de la sphère publique. Deux facteurs inséparables peuvent expliquer la désintégration actuelle du langage théologique face aux enjeux de la vie publique. Il y a, d’une part, la relégation de la vie morale à la sphère de vie privée et, d’autre part, la rigidité des principes de la morale chrétienne, qui résulte du régime d’institutionnalisation de la religion. C’est une situation qui a contribué à figer l’éthique chrétienne et la théologie, en les détournant de leur vocation de vecteur de la réflexion vis-à-vis des enjeux de la vie publique. Au sein de ce paradigme, l’herméneutique théologique a été, pour longtemps, rendue inapte et incapable d’une liberté créatrice et d’une possibilité de production des versions nouvelles, éthiquement responsabilisant dans le vaste champ de la pratique et de l’activité humaine. Aujourd’hui, la désertion de l’espace de la laïcité par le domaine du théologique est ressentie comme un lourd héritage de l’orientation moderne du christianisme, précisément en ce qui concerne la conception de la vie morale. Ainsi est-il vrai d’affirmer que les origines de la désintégration du théologique dans la culture postmoderne sont à rechercher dans «les composantes fondamentales des temps modernes». De ce point de vue, la problématique de l’orientation individualiste et formaliste de l’essentiel de la pratique chrétienne dans l’histoire, consiste à se demander, à la suite de Benoît XVI, 

Benoît XVI, Lettre Encyclique sur l’espérance chrétienne, Spe salvi, n° .

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CHAPITRE I

comment l’idée que le message de Jésus est strictement individualiste et qu’il s’adresse seulement à l’individu a-t-elle pu se développer? Comment est-on arrivé à interpréter le «salut de l’âme» comme une fuite devant la responsabilité pour l’ensemble et à considérer par conséquent que le programme du christianisme est la recherche égoïste du salut qui se refuse au service des autres?

Face à cette question, l’analyse de Benoît XVI met en exergue la figure de Francis Bacon, l’un des protagonistes de la littérature chrétienne des temps modernes naissants. Selon Benoît XVI, en effet, tout part de la tentative de légitimation par F. Bacon de la soustraction du domaine de la foi aux exigences des épistémologies de la connaissance scientifique. Dans cette logique, précise-t-il, le changement d’époque se signalait par «la nouvelle corrélation entre expérience et méthode qui met l’homme en mesure de parvenir à une interprétation de la nature conforme à ses lois». Ce paradigme allait se développer dans un esprit d’exclusion de l’univers des épistémologies, tout ce qui ne pouvait faire l’objet d’une approche relevant de méthodes expérimentales et mathématiques. L’application théologique par F. Bacon de la nouvelle vision consistera dans une approbation d’une telle orientation, là où l’auteur pouvait attester que la «corrélation entre science et pratique signifierait que la domination sur la création, donnée à l’homme par Dieu et perdue par le péché originel, serait rétablie». Par cette position, F. Bacon offrait ainsi une caution théologique à une perspective épistémologique qui rendait superflu le domaine de la foi religieuse dans l’univers complexe de l’expérience. Au regard de Benoît XVI, la position de F. Bacon allait contribuer à la réduction du domaine de la foi et de la religion à une sphère non concernée par l’expérience. Sans être «niée» comme telle, la foi est «déplacée à un autre niveau – le niveau strictement privé et ultra-terrestre – et, en même temps, elle devient en quelque sorte insignifiante pour le monde». Benoît XVI poursuit: «cette programmatique a déterminé le chemin des temps modernes et influence aussi la crise actuelle de la foi qui, concrètement, est surtout une crise de l’espérance chrétienne». Le constat de Benoît XVI porte ici sur un lieu commun, à savoir l’idée que la majorité a eu à se faire de ce qu’allait devenir l’âge moderne: l’âge du «règne de l’homme», l’homme expérimental, l’homme scientifique,     

Benoît XVI, Lettre Encyclique sur l’espérance chrétienne, Spe salvi, n° . Ibid. Ibid. Ibid., n° . Ibid.

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l’homme de la liberté, et non l’homme des convictions religieuses et de piété en matière de connaissance sur la nature. C’est en cela qu’a consisté la nouveauté de la modernité par rapport à l’âge de la tradition. Les découvertes scientifiques et les conquêtes techniques, qui allaient préparer le triomphe de l’âge industriel et de la technologie, se sont passées du pouvoir et de l’emprise du cadre religieux traditionnel. La révolution des temps modernes allait consister, sans aucun doute, dans «ce passage de la foi de l’Église à la foi rationnelle». La question pour nous est plutôt de savoir ce qui a fait que la théologie chrétienne se maintienne dans cette position désarticulée, à la faveur du destin de la raison aux antipodes avec le domaine du religieux dans l’expression publique? Cela d’autant plus que, faut-il le rappeler, par une épreuve de force remarquablement décisive, Thomas d’Aquin venait de conquérir l’autonomie de la science théologique, en laissant celle-ci, opérationnellement, en instance d’interaction, par le biais de l’analogie, avec les sciences de la nature, la psychologie, l’anthropologie, la morale et la politique, dans les marges d’une alliance avec l’épistémologie dominante du système aristotélicien sur le plan explicatif et argumentatif. Thomas d’Aquin ouvrait ainsi un paradigme qui aura permis à la théologie, spécialement dans le domaine de l’éthique, de retrouver les catégories comme celle de «vertu» qui ont permis de définir les assises de la morale fondamentale. On retiendra que l’émergence d’une version supranaturaliste du système chrétien, est liée au rétrécissement de ce système du religieux sous la menace du projet moderne. Benoît XVI a écrit, à cet effet: «le christianisme moderne, face au succès de la science dans la structuration progressive du monde, ne s’était en grande partie concentré que sur l’individu et sur son salut. Par-là, il a restreint l’horizon de son espérance et n’a même pas reconnu suffisamment la grandeur de sa tâche, même si ce qu’il a continué à faire pour la formation de l’homme et pour le soin des plus faibles et des personnes qui souffrent restent important». Benoît XVI relève également que dans la logique de la modernité, «la foi chrétienne est individualisée et elle est orientée surtout vers le salut personnel de l’âme», pendant que «la réflexion sur l’histoire universelle […] est en grande partie dominée par la préoccupation du progrès».

  

Benoît XVI, Lettre Encyclique sur l’espérance chrétienne, Spe salvi, n° . Ibid., n° . Ibid.

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CHAPITRE I

À la suite de ces considérations de Benoît XVI, force nous est de faire remarquer que la désintégration théologique par rapport aux différents systèmes de la vie en général, résulte de la logique qui a présidé à l’accentuation de l’horizon métaphysique dans l’interprétation du système chrétien. C’est de là, essentiellement, que provient l’inadaptation des structures de signification théologique à l’âge de la laïcité. À notre époque, en effet, les études comme celles d’E. Troeltsch, ont été conçues comme un effort pour rendre au christianisme sa valeur historique complète. Le principe de «corrélation» mis en valeur par le système de P. Tillich, va être déployé pour faire retrouver à l’herméneutique chrétienne sa capacité de relation créatrice avec l’altérité dans toutes ses figures. La naissance d’une théologie de l’espérance, et la proposition d’une théologie politique dans les travaux connus d’un J. Moltmann et d’un R. Coste, appartiendront à ce mouvement de redécouverte de la condition historique et sociale de l’herméneutique chrétienne. On a pu, certes, reprocher au paradigme de la théologie politique, la tendance à vouloir adapter le message chrétien aux idéologies séculaires révolutionnaires d’émancipation ou de libération. C’est une mise au point qui est allée jusqu’à dénoncer dans la théologie politique, le risque d’une «paraphrase religieuse superflue des processus modernes du

 Dans une conférence d’E. Troeltsch écrite pour être donnée à l’université d’Oxford en , mais qui ne sera jamais tenue suite à son décès intervenu quelque temps avant: «The place of Christianity among the World Religions», l’auteur se préoccupe de ressortir aussi bien «le caractère singulier du christianisme historique» que le fait qu’il est dans «chacune de ses phases et ses dénominations […], le produit des circonstances et des conditions changeantes de la vie. Qu’on le prenne dans l’ensemble ou dans ses différentes formes, il s’agit toujours d’un phénomène purement historique, particulier, relatif, qui ne pouvait se développer que sur un terreau de culture classique et parmi les peuples latins et germaniques» (cité par M. Aebischer-Crettol, Vers un œcuménisme interreligieux, p. ).  J. Moltmann, Théologie de l’espérance. Essai sur les fondements et les conséquences d’une eschatologie chrétienne, Paris, Cerf-Mame,  (J. Moltmann a écrit: «Le salut […] doit aussi être compris, au sens de l’Ancien Testament, comme le shalom: ce qui ne veut pas dire salut de l’âme, délivrance individuelle hors d’un monde mauvais, consolation seulement pour une conscience éprouvée, mais de plus réalisation d’une espérance eschatologique de justice, d’humanisation de l’homme, de socialisation de l’humanité, de paix dans toute la création», p. , tel que cité par C. Geffré, Le christianisme au risque de l’interprétation, Paris, Cerf, , p. ); R. Coste, Les communautés politiques. Avec grand intérêt, l’on reviendrait sur l’interprétation politique que fait J. B. Metz de la mémoire («dangereuse et libératrice») de la souffrance du Christ dans ce qui doit être tenu pour acceptable par notre société (J. B. Metz, «La mémoire de la souffrance, facteur de l’avenir», dans Concilium  [], p. ; Pour une théologie du monde, Paris, Cerf, ; La foi dans l’histoire et dans la société, Paris, Cerf, ).

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monde». Cependant, de notre point de vue, il ne sera ni inadéquat ni anachronique de relire les intuitions fondamentales de cette perspective du théologique, peut-être pour en redécouvrir l’élan d’engagement auquel elles provoquent toute conscience chrétienne, conformément aux revendications d’un nouvel âge de la foi. On verra surtout dans ces perspectives, l’esquisse osée d’un déplacement post-métaphysique de l’herméneutique chrétienne, pour autant que cette orientation ait permis d’entrevoir le nouveau destin de la théologie selon les exigences des épistémologies postmodernes. Il convient toutefois de faire remarquer que la problématique et le cadre théorique de l’option propre à la théologie politique, n’avaient pas encore entrainé toute une dynamique concernant la nouvelle vision du destin chrétien et religieux sur l’espace public. Les versions théologiques dominantes sont encore restées celles d’un christianisme vécu comme une affaire de vie privée, selon une orientation libérale, individualiste. Jusqu’en plein milieu du XXe siècle et même à l’époque qui a suivi le deuxième concile de Vatican, on a continué à faire face à la rigidité d’un christianisme institutionnel, dont on a eu besoin de bousculer la position dans le cadre d’une restructuration et d’une recomposition de son contenu, en vue d’obtenir des herméneutiques convenables en contexte des luttes de libération en Amérique latine. Le terrain de ces luttes ayant été essentiellement sociopolitique, a rendu nécessaire l’émergence des options théologiques et pastorales qui rendaient ainsi nécessaires, d’un côté, la disqualification du modèle courant de la pratique chrétienne et, de l’autre côté, la perspective d’une nouvelle alliance (libératrice) avec les revendications sociales. Le spectre du platonisme et de la gnose qui affecte le christianisme dans son processus d’hellénisation, ne peut pas être tenu comme étant à l’origine du visage supranaturaliste de la théologie. Le langage de St. Paul qui met en position de binôme chair-âme, monde-esprit, ténèbres-lumières, sera plutôt à replacer dans la préoccupation globale de penser la nouvelle condition du chrétien. Ce langage appartient à un style qui répond d’un motif lié à la défense de la transcendance du régime de la foi dans la phase de sa généalogie. Comme langage instituant, il appartient vraiment à la période cruciale de la formation du christianisme lui-même.  J. B. Metz, tel que cité et commenté par C. Geffré, Le christianisme au risque de l’interprétation, p. .  Du titre d’E. Dussel (dir.), Les luttes de libération bouscules la théologie, Paris, Cerf, .

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Il représente, à plus d’un titre, le moment des plus œcuméniques de la Tradition chrétienne dans son ensemble, parce qu’il est le socle et du catholicisme et de l’orthodoxie et du protestantisme. La diversité au sein de la famille chrétienne se rapporte à ce langage de base comme à une terre nourricière, la matrice de sa commune Tradition. Mais elle ne devrait pas non plus être tenue pour la seule figure paradigmatique du christianisme de tous les âges. Le paradigme concomitant du «merveilleux échange» avec les cultures, doit continuer à fonctionner, en vue de donner lieu à d’autres figures chrétiennes, comme celle qui devront découler de la relation avec la culture actuellement dominante de la laïcité. Ainsi, en remontant plus loin dans la recherche des facteurs ayant contribué à entrainer la théologie vers le désintérêt de la sphère publique de la vie, on pourrait, au-delà du facteur fatal de la partition moderne, pointer l’explication traditionnelle de la notion du péché telle qu’elle est issue de l’interprétation augustinienne de la chute. P. Valadier considère cette conception du péché comme celle qui est à la base de l’élaboration de la «fausse théologie civile». Cette dernière a consacré une approche qui voit dans la nature corrompue de l’être humain, la justification de la domination de l’homme sur l’homme dans la cité terrestre. C’est une interprétation du péché, qui a conduit vers une tendance à la diabolisation systématique ou passagère du monde politique. Selon P. Valadier, ce que l’on peut enregistrer comme une perturbation du dessein politique du christianisme n’est pas sans lien avec la «fécondité d’une erreur théologique» qui, comme dans le cas de la disqualification de la sexualité et de la vie des sentiments, a favorisé plutôt le régime des légitimations de l’autorité politique, celle-ci réclamant l’obéissance et la subordination, pendant que le message du salut chrétien pouvait continuer à ne fonctionner que dans la logique d’une autre cité. Il en va également de cette tendance des religions à «se refermer sur elles-mêmes, ne songeant qu’au maintien de leurs institutions, de leurs constitutions et de leurs hiérarchies, de leur pouvoir», tendance qui a engendré au sein d’une grande tradition chrétienne, le désintérêt vis-à-vis 

Cf. Concile Vatican II, Décret sur l’activité missionnaire de l’Église, Ad gentes, n° . P. Valadier, Détresse du politique, force du religieux, Paris, Seuil, , p. .  Sur ce point, Benoît XVI a noté que pour F. Nietzsche, le christianisme aurait donné du venin à boire à l’éros qui, si en vérité il n’en est pas mort, en serait venu à dégénérer en vice (Benoît XVI, Lettre Encyclique sur l’espérance chrétienne, Spe salvi, n° ).  Cf. P. Valadier, Détresse du politique, force du religieux, p. , à travers la recension de ce livre telle que faite par W. Lesch, dans Revue théologique de Louvain  (), p. .  H. Küng, Projet d’éthique planétaire, p. . 

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de l’environnement humain, ainsi que la défiance face à la sécularité. L’institutionnalisation des systèmes de croyances résultera d’un sentiment de résignation en face du faste de la rationalité moderne. Elle aura pour conséquence, l’éloignement de l’interprétation chrétienne du cadre des philosophies et théologies inspirées de la tradition aristotélicienne, dans la mesure où cette tradition est en grande partie marquée par «une approche plus bienveillante de la création et des structures du réel». De tous ces facteurs, c’est le choix général de la modernité de faire de la religion un domaine du pur sacré, qui aura largement contribué à coincer le christianisme dans la sphère du strict religieux, à l’expulser en dehors la sphère publique, et à délester l’essentiel des essais et conclusions théologiques du jeu des oppositions (dans la vision du réel). P. Gisel a montré, en s’appuyant sur E. Käsemann, que la théologie est restée pour longtemps liée à un régime de «fausses alternatives que l’esprit moderne […] n’a cessé de décliner dans différents registres, éthique, anthropologique, psychologique, théologique, herméneutique: liberté et obéissance […], idéal et empirie […], être et apparence […], forme et matière […], corps et âme […], intérieur et extérieur […], foi et monde […], lettre et esprit […], droit et esprit […], théologie et anthropologie […]». À partir du jeu de rapport antinomique entre différents couples, la version majoritaire du savoir religieux et de l’enseignement chrétien a versé aussi bien dans la dévalorisation du pôle de la contingence, que dans la dépréciation de l’histoire, au profit de l’accentuation du régime supranaturaliste et métaphysique. Le mode d’expression théologique qui en résulte, aura été celui qui, comme l’explique P. Gisel, «consacre, d’un côté, le christianisme – plus largement: le religieux – dans ce qu’il a de plus ‘conventionnel’ et de ‘doxique’; dans ce qu’il a, en d’autres termes, de fidéiste, non sujet à débat, ni à régulation et à critiques externes», et qui «exclut, d’autre part, l’ordre de la croyance de l’humain global», et ce en désertant «l’irréductibilité des différences d’instances présidant à l’être et à l’agir concret de l’humain (comprenant entre autres le religieux, le juridique, le culturel, le scientifique, etc.)».



P. Valadier, Détresse du politique, force du religieux, p. , à travers la recension de ce livre telle que faite par W. Lesch, dans Revue théologique de Louvain  (), p. .  P. Gisel, Vérité et histoire. La théologie dans la modernité: Ernst Käsemann, Paris, Beauchesne, , p. .  P. Gisel, «Résonances et mise en perspective. La théologie en condition postmoderne», dans P. Gisel et P. Evrard (dir.), La théologie en postmodernité, Genève, Labor et Fides, , p. .

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CHAPITRE I

Le visage du christianisme appartenant à ce paradigme doit être taxé de marginal. Il revêt un caractère arbitraire et artificiel, non conforme au régime authentique du fait chrétien de par sa généalogie. Ce modèle marginal du christianisme est pourtant celui qui, profitant du prestige de la culture occidentale, a eu le privilège historique de traverser les frontières sous ce profil, surtout en contexte colonial. La critique africaine, telle qu’elle se trouve orchestrée notamment dans la pensée du pasteur Luthérien Kä Mana, en dévoile les ressorts essentiels lorsque celui-ci le traite de «christianisme de la catastrophe». Tel qu’il fonctionne dans l’imaginaire du chrétien moyen sur le continent africain, par exemple, il apparait à la fois comme: un christianisme de la puissance, qui a conçu sa mission dans un contexte politique, économique, militaire et spirituelle de domination, en dehors de toute logique de dialogue; un christianisme du monopole de la vérité, qui a eu pour projet d’imposer sa vision du monde comme l’essence absolue de la réalité et de l’histoire contre toute possibilité de concertation dialogique; un christianisme de la duplicité, qui opère par un processus de multiplication des masques par rapport à son intention réelle, par un envoie constant à des textes fondateurs constamment gauchis, trahis, réinterprétés au gré des intérêts, sans relation directe avec l’essentiel même que le texte donne à vivre; un christianisme du capital, porté par des philosophies mercantilistes et nourri par l’idéologie du marché; un christianisme de spectacle et de folklore, essentiellement théâtral et soucieux de multiplier à l’infini le nombre des figurants, «d’acteurs» visibles dans les représentations publiques, mais qui sont incapables d’être vraiment acteurs de leur destinée profonde par la maitrise de leur réalité sociale; un christianisme du salut individualiste et égoïste, qui mise sur des «au-delà» qui chantent au bénéfice de l’individu seul, sans s’interroger sur le statut communautaire de la société africaine en tant que corps social à sauver en Jésus-Christ; un christianisme de la division, qui opère par des conflits confessionnels et des antagonismes dogmatiques, avec l’intention manifeste pour chaque confession de faire le plus d’adeptes possible au détriment d’autres confessions. On conviendra que c’est cette perspective globale, qui, ayant consacré un modèle libéral du rapport au religieux par-delà le spectre du platonisme, a entrainé le christianisme dans un régime supranaturaliste, en le condamnant à ne représenter que la sphère du religieux sans référence ni à l’histoire réelle ni à l’effectivité de la vie. C’est une conception moderne  

Kä Mana, La nouvelle évangélisation en Afrique, Paris, Karthala, , p. . Ibid., p. -.

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du spirituel, qui aura engagé la théologie dans des approches métaphysiques à consommation spiritualiste, orientées vers le soin de l’intériorité subjective, pour le besoin, par endroit, «idéologique», d’organisation stratégique de la vie en églises. Celles-ci vont passivement faire le jeu de cette orientation, en se retirant de l’espace de la discussion publique, en vue de s’assurer une protection en face de la prétention totalitaire d’une Raison écrasante, et d’un ordre politico-séculier qui a acquis son autonomie et, progressivement, le devoir de gestion de toute la sphère publique de la vie. L’âge des Lumières va ainsi accentuer le régime de dichotomie entre l’appartenance du théologique à l’instance du strict «sacré» ou de la seule sphère de révélation surnaturelle, et l’appartenance de la rationalité publique à l’ordre de la vie réelle, au point de faire oublier que l’espace de la révélation n’autorise pas à l’homme d’être Dieu, ni d’appartenir à la sphère de Dieu avant de s’acquitter de ses responsabilités publiques d’homme par rapport à d’autres semblables, socialement considérés. Dans des situations précises (Lot qui ne doit pas se retourner lorsque la ville brule: Genèse ,–,; Jésus qui conditionne l’accès à la vie de Dieu par l’inconditionnelle attention au prochain: Évangile de Matthieu ,-), maints exemples bibliques ne connaissent pas ce clivage. Tout ce qui répond de Dieu, pour être pertinent et crédible, est et doit être inscrit à l’ordre de la vie, en tant qu’ordre public de la contingence, historique ou sociopolitique. La fuite de responsabilité publique qui caractérise la morale chrétienne (et par ricochet la théologie) héritée de la modernité (une modernité qui a façonné l’idéalisme, le théisme – doctrine de Dieu à la manière d’un Esprit absolu – ), a fini par faire passer l’athéisme, à la longue, comme l’expression du refus d’un cadre divin justificateur de l’ordre injuste des choses: «L’athéisme des XIXe et XXe siècles, écrit Benoît XVI, est, selon ses racines et sa finalité, un moralisme: une protestation contre les injustices du monde et de l’histoire universelle. Un monde dans lequel existe une telle quantité d’injustice, de souffrance des innocents et de cynisme du pouvoir ne peut être l’œuvre d’un Dieu bon. Le Dieu qui aurait la responsabilité d’un monde semblable ne serait pas un Dieu juste et encore moins un Dieu bon. C’est au nom de la morale qu’il faut contester ce Dieu. Parce qu’il n’y a pas de Dieu qui crée une justice, il semble que l’homme lui-même soit maintenant appelé à établir la justice». Le contexte de la critique athée de la religion, n’est pas autre que celui qui concerne le christianisme bourgeois de la modernité tardive. 

Benoît XVI, Lettre Encyclique sur l’espérance chrétienne, Spe salvi, n° .

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CHAPITRE I

J. Moltmann a eu le mérite de montrer que c’est sur l’arrière-plan de la critique de la religion moderne, représentée par Feuerbach, Marx, Freud et Nietzsche que la théologie dialectique (avec K. Barth, E. Brunner, F. Gogarten et R. Bultmann) avait réussi à imposer le régime de la distinction entre la foi et la religion, en considérant qu’avec les prophètes et les apôtres, la foi biblique elle-même est éminemment critique de la religion dans ses aspects de superstition, d’idolâtrie de puissance et de bonheur, du pharisaïsme. L’analyse de J. Moltmann nous permet de découvrir que cette critique de la religion est née au contact de la société bourgeoise; de sorte que la théologie dialectique elle-même se sera développée dans le contexte de l’«effondrement du monde chrétien bourgeois», dont l’idée de Dieu proclamé était devenue pour le moins une référence aliénante, non praticable. L’athéisme et sa fin dans notre civilisation révèlent à quel point, aux antipodes du paradigme moderne de l’idée de «Dieu», d’un «Absolu» métaphysique ou d’un déisme anhistorique, la profondeur de l’approche éthique touche le cœur de l’humanité dans le cœur même de Dieu, du vrai Dieu. A. Gesché a indiqué, à juste titre, que «la protestation athée de Feuerbach et de Sartre fut, sous la forme d’une protestation contre Dieu, une protestation en faveur de l’homme: il faut supprimer Dieu pour que l’homme soit». Il s’agit de l’homme tel qu’il doit être, plein de responsabilité vis-à-vis de l’altérité qui s’exprime dans la contingence du sociopolitique. L’éthique est de l’ordre de l’agir. Mais d’un agir qui renvoie la conscience individuelle et collective à des responsabilités publiques, et qui est capable de répondre de ces responsabilités dans des situations précises. Cependant, la formalisation de la morale chrétienne durant des siècles a plutôt penché vers le formalisme, au point que l’orientation de notre culture en éprouve la lassitude et le manque d’intérêt. Le jugement qui en résulte fait état de ce que la modernité chrétienne aura été témoin de la proclamation des valeurs évangéliques, qui deviendront des idéaux sans force d’action dans la pratique. Nos contemporains sont de plus en plus conscients d’une série d’actes qui, au fil des années, révèlent les contradictions et les ambigüités des églises et de leurs agents, dans le domaine des valeurs humaines réelles. L’analyse des faits est ici complexe. Mais elle nous oblige à retenir la complicité historique du religieux dans les actes   

J. Moltmann, Théologie de l’espérance, p. . Ibid. A. Gesché, Dieu pour penser. T. . La destinée, Paris, Cerf, , p. .

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de violence, de guerre, et même de génocide, bien que dans la plupart des cas, ces actes résultent du contexte d’instrumentalisation des religions à des fins de belligérance. Toute une tradition des églises et des religions requiert un diagnostic de fond eu égard aux nouvelles exigences de l’éthique publique. On sait jusqu’à quel point les milieux des églises sont loin de rivaliser les cultures démocratiques fortes dans la course pour la défense de droits de l’homme, comme dans le cas du combat contre le racisme et le sexisme. Le catholicisme d’une époque récente avait préféré l’intégrité de la doctrine droite et correcte («orthodoxie» formelle) à la priorité d’un engagement en faveur des droits des pauvres dans l’ordre d’une option prophétique au  J. Delumeau a écrit non sans raison: «On ne peut ignorer qu’historiquement les religions ont souvent motivé ou couvert des entreprises belliqueuses, à commencer par la conquête de le ‘Terre promise’ racontée par la Bible. L’expansion musulmane sur trois continents entre le VIIe et XVIe siècle a cherché ses justifications dans le Coran et le mot djihad, primitivement synonyme d’‘effort’, a pris au cours des siècles et conserve encore trop souvent aujourd’hui le sens de ‘guerre sainte’. En revanche, la diffusion du christianisme durant les trois premiers siècles de son existence s’est effectuée sous le signe de la non-violence. Mais les chrétiens, ensuite, se sont, hélas, rattrapés: croisades, Inquisition et guerres de Religion ont pendant six cents ans au moins déshonoré la croix du Christ. Enfin, les pires guerres de Religion de l’histoire se sont déroulées entre hindous et musulmans. Celle qui a suivi la partition de l’Inde en  a mis sur la route douze millions de réfugiés et engendré le massacre de plus d’un million de victimes». J. Delumeau ajoute: «L’Église catholique, au seuil du XXIe siècle, a eu le courage de reconnaître à la face du monde ses péchés historiques d’intolérance et violence. Mais jusqu’à présent, à l’échelle mondiale, cet aveu et ce repentir ont été peu imités. De sorte que nos contemporains sont tentés de penser que ‘tout dogme suinte intolérance’ et pousse vers l’intégrisme, dont le régime de Talibans a donné le plus sinistre modèle. Les religions ont donc une pente à remonter pour convaincre le monde de leur volonté de paix» (J. Delumeau, Guetter l’aurore. Un christianisme pour demain, Paris, Grasset et Fasquelle, , p. ). La pertinence de ce constat avait déjà permis à H. Küng à en tirer les conséquences. Il écrivait en : «J’ai pris de plus en plus conscience, évidemment, que l’explication avec les autres religions du monde était d’une importance vitale pour la paix du monde. Les luttes politiques les plus fanatiques, les plus cruelles, ne sont-elles pas colorées, inspirées et légitimées par les religions? Combien de souffrances auraient souvent été épargnées aux peuples concernés si les religions avaient reconnu à temps leur responsabilité à l’égard de la paix, de l’amour du prochain et de la non-violence, de la réconciliation et du pardon, si, au lieu de contribuer à attiser les conflits, elles les avaient dénoués!» (H. Küng, Une théologie pour le troisième millénaire. Pour un nouveau départ œcuménique, Paris, Seuil, , p. ). Dans le même ordre d’idée, H. Küng fait remarquer: «Aucune autre question, dans l’histoire des Églises et des religions, n’a conduit à autant de luttes, de conflits sanglants, de ‘guerres de religions’ même, que la question de la vérité. De tout temps et dans toutes les Églises et toutes les religions, un zèle aveugle de la vérité a blessé, brûlé, détruit et tué sans retenue. […] Une histoire riche en conflits sanglants a appris aux Églises chrétiennes à dépassionner le combat pour la vérité et à trouver des réponses communes dans un esprit œcuménique, qui devraient enfin porter des fruits pratiques» (ibid., p. ).

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nom de l’évangile. C’est, en revanche, dans l’espace de la laïcité que nos contemporains se mobilisent pour défendre les valeurs fondamentales de l’humain, en marge d’un enseignement chrétien dont les références sont devenues pour le moins redondantes au regard des défis éthiques de notre âge. L’essentiel de l’enseignement religieux classique est vu aujourd’hui comme le produit d’une tendance à la réification des idéaux de fraternité, de charité, de solidarité, etc., et comme la traduction de ces principes dans des versions n’intéressant que le régime d’une spiritualité de l’intériorité individuelle, qui exclut la confrontation avec l’extériorité, et qui évite de prendre le risque de la rencontre libératrice avec la condition humaine réelle. Notre époque aura plus que jamais besoin d’une parole théologique qui accompagnera les efforts de nos contemporains, pour rendre l’humanité plus humaine, une spiritualité qui fournit au nouvel ordre éthique les motifs de son engagement dans l’espace de la laïcité, pour y être le vecteur de la libération. Mais sur terrain, l’on a affaire à un régime théologique qui déserte l’espace de la laïcité, et qui n’est pas à la hauteur d’une articulation conséquente aux défis de l’éthique mondiale. 1.3.2. Désertion inauthentique de la laïcité La construction d’un monde juste et démocratiquement stable, sera du ressort de la seule laïcité publique. Aussi longtemps que les «structures de signification» religieuses continueront à être reléguées (ou à se maintenir) dans la sphère de l’intériorité au bénéfice de la vie privée, le modèle libéral de la référence morale et du théologique éloignera de plus en plus le christianisme et les religions de l’enjeu de leur pertinence publique. La mutation postmoderne de notre culture n’autorise pas pourtant de considérer cette perspective comme étant envisageable. À notre époque, on doit déplorer l’attitude (officielle) des partisans d’une laïcité «idéologique», qui sont encore loin d’accepter un dialogue profond avec les représentants des structures de croyances (religieuses), en vue d’un compromis sur le contenu et la conduite de l’éthique publique de structure planétaire. La position de P. Colin mérite d’être prise en compte, d’un côté, lorsque il reconnait que «la conception classique de laïcité garde une importance capitale pour éviter de confondre la nation avec une simple association de communautés ethniques, culturelles et religieuses» et, de l’autre côté, lorsqu’il préconise que «la neutralité religieuse d’un État démocratique doit permettre l’émergence dans l’espace public de discussion des différentes options métaphysiques et

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religieuses, avec les institutions qui les portent, et avec les traditions que ces institutions véhiculent et transmettent». Dans cet ordre d’idée, l’espace de la laïcité ne sera pas vu seulement comme cet espace qui favorise la libre option en matière de convictions (religieuses), et qui permettra «la coexistence pacifique et le dialogue mutuel». Il sera surtout un régime de partenariat entre la société politique et ce qui se propose de l’éthique dans le rôle pédagogique des religions. H. Küng nous renseigne que dans le cadre du colloque de l’Unesco (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture) tenu à Paris, du  au  février , on a reconnu «que les progrès vers plus de ‘fraternité’ […] parmi les nations, vers une meilleure prise en compte de droits de l’homme et une responsabilité plus lucide face à la paix, pouvaient se faire non pas contre mais avec les religions». H. Küng précise qu’au courant de ce forum, Federico Mayor, alors Directeur général de l’Unesco, souligna, dans son allocution d’ouverture, l’importance des religions du monde pour le programme «éducation aux droits de l’homme». La pertinence de cette proposition constitue un défi lancé aux institutions porteuses des croyances religieuses. Celles-ci se trouvent invitées à s’engager dans une nouvelle vision de la laïcité. Il faut montrer que la peur de la laïcité qui a gagné différents milieux officiels des églises et religions, n’appartient pas au régime authentique de la foi et de l’éthique chrétienne. En suivant P. Gisel, nous tenons que le christianisme doit être «chaque fois considéré[e] comme l’institutionnalisation socio-culturelle des données anthropologiques larges, ou sa crise et sa recomposition». Nous devons, par conséquent, admettre que le devoir de repenser le destin contemporain du christianisme face à l’enjeu d’un nouveau partenariat avec la laïcité, reste constitutif de sa généalogie. Dans ce nouveau visage, le christianisme ne peut être autre chose qu’un système «religieux effectif», pensé et vécu «en termes de socialisation dans une situation historique donnée». C’est avec ce profil que son impact sera

 P. Colin, «L’individu et le croyant dans le trouble et l’effervescence des nations», dans id. et al., L’individu, le citoyen et le croyant, Bruxelles, Facultés universitaires SaintLouis, , p. .  Ibid.  H. Küng, Projet d’éthique planétaire, p. . .  Ibid.  P. Gisel, «Tâche et fonction actuelles de la théologie. Déplacement et perspective dans le contexte contemporain», dans Revue théologique de Louvain  (), p. .  Ibid.

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continuellement ressenti, même dans sa fonction classique de formation des esprits et des consciences humaines au sein des civilisations. Il en résulte que le christianisme concerné par la critique postmoderne, est celui de la version moderne. Nous l’avons vu, cette critique est dirigée surtout vers un christianisme de structuration moderne, éloigné, passivement ou activement, des préoccupations de la vie publique et des engagements sociopolitiques. La critique postmoderne ne plaide pas pour la restauration de l’âge absolutiste, où, comme en contexte médiéval, l’Église est «la vraie république, la société parfaite» dans laquelle le Pape «détient la plénitude du pouvoir (plenitudo potestatis)», ou dans laquelle le «souverain […] prouve sa souveraineté en donnant des commandements religieux». Il s’agit moins de revenir sur le rôle politique de l’Église dans l’histoire des civilisations, que de souligner le profil religieux du christianisme quant à ses possibilités d’articulation sur le champ du politique. De par sa généalogie, le christianisme se prête à un profil politique et social. Selon P. Gisel, ce n’est «qu’en modernité classique, que le statut et la fonction impartis au religieux changent […] et qu’on va alors entendre par religion un système de croyance, avec sa doctrine, son organisation et ses références, un système différent d’autres, réellement ou potentiellement concurrents». Le rôle correspondant du théologique, durant toute la période de l’Aufklärung jusque dans la modernité tardive de notre époque, a été presqu’uniquement celui d’établir et de préserver l’évidence et la légitimation de cet ordre du religieux exclusif, selon une perspective de réflexion apologétique de clôture, face à une extériorité de la vie publique et de tout autre rationalité considérée comme envahissante. Sur le plan moral, nous pouvons nous permettre de signaler qu’en pleine modernité, notamment sous l’influence de Voltaire, les pratiques de la tradition et de la vie chrétienne ont subi un traitement qui allait les ramener à un noyau essentiel, adapter à un usage simplifié et facile d’application dans la vie individuelle de chaque personne. Dès lors, le système chrétien «immunisé» contre tout frottement avec l’altérité, sera réduit à un schéma qui se défendra à l’intérieur de lui-même, en dehors de toute préoccupation réitérée de pertinence au fil du changement des

 P. Manent, «Christianisme et démocratie. Quelques remarques sur l’histoire politique de la religion, ou, sur l’histoire religieuse de la politique moderne», dans P. Colin et al., L’individu, le citoyen et le croyant, p. .  Ibid., p. .  P. Gisel, «Tâche et fonction actuelles de la théologie», p. .

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mœurs. L’historicité de l’homme ainsi que la situation réelle de la vie publique seront ainsi écartées de toute préoccupation de la vie spirituelle. On a pu comprendre que nos contemporains aient été conduits, depuis la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, à fustiger complètement, au sein de la critique la religion (telle que radicalisée par les protagonistes de la «philosophie de soupçon»), la conception de Dieu héritée du système moderne. Décidément, ils se déclarent non concernés par une définition de Dieu, qui ne porte pas avec elle, par implication directe ou indirecte, le destin total de l’être humain dans sa condition effective, en tant que condition à la fois sociale et affective, politique et spirituelle, économique et sexuelle. Ce qui a poussé Y. Congar à émettre ce constat: «les hommes veulent une humanité sans Dieu, parce que nous leur avons présenté une théologie qui ne dictait pas immédiatement une anthropologie». Il ne s’agit pas de considérer que des questions comme celle de «Dieu» ou de l’existence de Dieu soient jugées superflues et sans importance à notre époque. La résurgence et l’afflux du phénomène religieux, qui sont l’une des marques les plus perceptibles de la postmodernité en tant que paradigme postséculier, contredisent cette hypothèse. Il faut en revanche maintenir avec A. Gesché que les questions de Dieu à notre époque revendiquent d’être soulevées autrement, en passant par «un autre chemin». Ce sont des questions posées désormais à partir d’un lieu qui n’est plus métaphysique. C’est à ce titre qu’A. Gesché estime que «chaque époque, chaque culture a ses lieux privilégiés d’intelligibilité. Celui qui est le nôtre a tout autant ses droits». Notre époque est conduite par une autre dynamique, celle dans laquelle nos contemporains sont particulièrement liés à la vie dans sa sphère publique. Celle où ils sont principalement préoccupés de l’organisation des structures de la vie selon cette dimension collective et publique. De sorte que, même leur recherche de Dieu dans le régime éclaté du christianisme, reste largement conditionnée par cette quête d’un contact pragmatique avec l’idée provocatrice de Dieu. Elle est voulue comme une idée provocatrice, parce qu’elle est censée engager dans une spiritualité de responsabilité publique et d’insertion novatrice dans le cours même de la vie. On éprouve le besoin d’un «Dieu» dont l’annonce confirme, appuie et fait aboutir cette quête. 

Y. Congar, cité par A. Gesché, Dieu pour penser. T. . La destinée, p. -. A. Gesché, Dieu pour penser. T. . La destinée, p. , en référence à l’évangile de Matthieu ,.  Ibid., p. . 

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L’intégration psychologique de l’homme semble à ce point clairement plus dépendre de l’épanouissement matériel, social et affectif dans les institutions publiques, que même l’idée classique de Dieu devrait connaitre un déplacement de signification essentielle. À notre époque, la théologie est appelée à retravailler ses référents métaphysiques, pour espérer sortir la pensée chrétienne et la pratique croyante d’un rapport artificiellement rendu difficile, voire conflictuel, avec une laïcité sociopolitique significative pour tous. La mutation du sens de l’idée de Dieu qui en résultera, aura le mérite de révéler qu’il n’y a pas de fixité de «Dieu», et d’attester qu’on ne peut avoir prise sur Dieu, mais qu’on a rapport à Dieu. Quitte à ce que les référents de la relation voulue vivante avec Dieu se constituent en répondants relativement forts, quant à l’enjeu de la prise en charge des aspirations d’un contexte social porteur de nouvelles espérances. Les référents métaphysiques de l’époque moderne sont jugés aujourd’hui faibles pour fonctionner dans un contexte de contingence radicale et d’une laïcité détenant le monopole de la gouvernance sociale. En raison de la versatilité du langage historique, qui rend impossible la stabilité d’une référence à «l’être de la plus haute réalité», la notion moderne de Dieu (considérée selon la version métaphysique du théologique) exige d’être mise à l’épreuve d’une légitime «objection». C’est une objection qui ne se confondra pas à un rejet systématique de l’idée de «Dieu» à la manière de l’a-théisme idéologique. Elle sera voulue comme une des constantes de la déconstruction, qui, elle, implique l’idée d’un déplacement, d’une rupture instauratrice. L’enjeu c’est d’arriver à ressortir, dans toute leur nouvelle force de persuasion, aussi bien la légitimité de l’acte théologique en postmodernité, que la portée sociale et politique de notre rapport à la notion de «Dieu». Le passage à la solution postmoderne implique ici une alternative à travers laquelle «la théologie […]», ainsi que l’explique P. Gisel, resterait soit, comme d’ordinaire, «intelligence interne d’une tradition donnée parmi tant d’autres (un intellectus fidei)», soit serait-il envisagé autrement comme «rationalité plus large des rapports multiples et historiquement  C’est une des définitions importantes que E. Kant donne de «Dieu», au-delà d’une approche qui en ontologise la réalité à partir d’une définition essentialiste, dont la tendance, platonicienne par ailleurs, est de répondre à la question de structure métaphysique: «qu’est-ce que…». Cf. E. Kant, Critique de la raison pure A  / B ; tel que cité par F. Fédier, «Qu’est-ce que Dieu?», dans Qu’est-ce que Dieu? Philosophie / Théologie. Hommage à l’abbé Daniel Coppieters de Gibson (-), Bruxelles, Facultés universitaires Saint-Louis, , p. .  Cf. A. Gesché, Dieu pour penser. T. . Dieu, Paris, Cerf, .

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différenciés de l’humain et de ses dieux, ou de l’humain hanté / tenté par l’absolu». Selon la logique de la seconde manche de l’alternative, l’on préciserait l’articulation selon laquelle il faudra repenser la théologie face à d’autres savoirs, politiques ou sociaux, comme de façon plus rapprochée, face ou en interaction avec les sciences religieuses et une philosophie de la religion. Non sans prévoir «aussi ce qui va se jouer là en fait d’acculturations, de recompositions ou de sectarisations». Ce schéma correspond à ce qu’il y a d’authentique à l’avènement et au déploiement du théologique dans l’univers des savoirs. L’épistémologie théologique supporte, en effet, le régime d’indétermination, qui la laisse être une activité scientifique et une quête croyante de la nouvelle expérience de l’humain continuellement reprises. C’est un profil du théologique qui se recoupe avec la vocation du christianisme, là où le déploiement de celui-ci implique chaque fois la conscience de ses limitations, en admettant, même sur fond de crise, la révision de ses versions traditionnelles. En pratique, la possibilité de la révision du christianisme à notre époque, apparait comme un défi lancé aux différents opérateurs chrétiens, dans leur devoir de revenir, à partir «de leurs connaissances et de leurs expériences», sur la pertinence de «ce qu’ils ont à offrir au monde et ce que, à l’inverse, ils ne peuvent pas offrir». Ainsi que le précise Benoît XVI, il conviendra «que, à l’autocritique de l’ère moderne, soit associée aussi une autocritique du christianisme moderne». Dans notre civilisation, cette critique sera précisément dirigée vers le christianisme déserteur de l’espace de la vie sociale. C’est l’image d’un christianisme jugé incapable d’une insertion adéquate dans l’espace de dialogue avec les fondamentaux d’une éthique à profil public et vocation universelle. L’articulation sur la laïcité sera vue comme une porte d’entrée dans un nouvel ordre de l’herméneutique théologique. Celle-ci sera l’orchestration d’une nouvelle redistribution du donné chrétien, en vue de lui permettre une intégration responsable à l’espace global de la vie et aux différents défis de la situation du monde, pris dans leur formulation spécifique au sein de nos sociétés pluralistes. Notre analyse endosse l’idée de la «laïcité» telle qu’elle ressort de la signification qui la rapporte à la notion correspondante de «la sécularité». À ce titre, la laïcité n’est pas du ressort de la seule sphère politique du sociétal. La conduite de tous les secteurs de la vie qui s’expriment sur  P. Gisel, «La postmodernité: mise en place et enjeux», dans P. Gisel et P. Evrard (dir.), La théologie en postmodernité, p. .  Benoît XVI, Lettre Encyclique sur l’espérance chrétienne, Spe salvi, n° .

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l’ensemble de l’espace public, participent de la définition de la laïcité. Selon cette appréhension, en dehors du schéma où elle est abordée sous des traits idéologiques et militants, la question de la laïcité ne correspond ni à un agnosticisme du politique, ni à un espace où l’on voudrait soit se passer de Dieu, ou se débarrasser de toute référence à l’ordre du transcendant. Il est inadéquat d’ériger aujourd’hui la laïcité de l’État en une nouvelle «thèse» contre celle de l’«État chrétien». En revanche, l’idée de la laïcité implique que la référence religieuse ne constitue plus le fondement d’un pouvoir d’État. Il importe ainsi de restituer la notion dans sa signification originaire. Positivement définie, la laïcité a été vue au départ comme «l’expression juridique de la liberté de la foi» dans un climat de respect (et non d’indifférence inconsidérée) vis-à-vis de l’autonomie et de la spécificité reconnue à l’ordre public de la société et de l’État, tel que géré et réglementé par les institutions et lois républicaines. Cette conception devenue courante de la laïcité ressort notamment des analyses de J. Baubérot qui voit en elle, à la fois, la perte de pertinence sociale des univers religieux par rapport à la culture commune, la place et le rôle social de la religion dans le champ institutionnel, la diversification et les mutations sociales de ce champ, en relation avec l’État et la société civile. Au-delà d’une  Comme l’a observé A. Léonard, «contrairement à la tradition jacobite française qui place son premier article de foi politique dans la raison, les États Unis exprime ce premier article dans la foi à la souveraineté de Dieu sur les nations et les individus. Depuis Lincoln jusqu’à Eisenhower, l’Amérique est considérée comme une ‘nation under God’, une nation guidée par Dieu». A. Léonard précise cependant que toute cette reconnaissance publique d’un principe religieux dans une société très pluraliste n’implique pas que des avantages. Un observateur attentif de la mentalité religieuse aux États Unis (W. Herberg, Protestant, Catholic, Jew. An Essay in American Religious Sociology, Garden City, NY, Doubleday, ) a fait remarquer que des professions publiques de foi n’impliquent aucunement la profondeur ou l’authenticité de l’esprit religieux, et que cette «religion civique» de «l’américanisme» devrait être sérieusement mise en question par l’homme de foi. «La religion civique a toujours signifié la sanctification de la culture et de la société dont elle est le reflet, et c’est une des raisons pour lesquelles la foi judéochrétienne a toujours considéré une telle religion comme incurablement idolâtre». La reconnaissance officielle d’un minimum religieux, dans lequel toutes les religions pourraient se reconnaitre, est grosse d’ambigüités. «La religion devient, en fait, le culte d’une culture et d’une société, dans laquelle le ‘bon’ ordre social et les valeurs culturelles reçues sont divinisés en étant identifiés au dessein divin» (A. Léonard, Dialogue des chrétiens et des non-chrétiens, Paris, Office générale du livre, , p. ).  Cf. «Christianisme et laïcité», dans Esprit, Octobre , n° , p. - ou Novembre , n° , p. -.  Cf. J. Baubérot, Laïcité -, Entre passion et raison, Paris, Seuil, , p. . Voir également les titres suivant du même auteur: Histoire de la laïcité en France (Que sais-je?, ), Paris, PUF, ; Les Laïcités dans le monde (Que sais-je?, ), Paris, PUF, ; Laïcité sans frontières, Paris, Seuil, . Voir aussi: G. Delfaue et

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analyse qui se consacrerait à faire un état de lieu sur le modus vivendi de la laïcité dans les différentes régions du monde, il nous importe ici de maintenir un concept de laïcité qui n’en reste pas simplement au principe de séparation des pouvoirs entre, d’un côté, le régime de l’État et, de l’autre côté, la religion. L’on maintiendra que la signification la plus partagée de la laïcité actuellement est celle qui renvoie à l’ordre d’un espace public où les institutions d’État ne sont soumises ni à aucune contrainte ni à aucun fondement de nature religieuse, spirituelle ou théologique. En dehors du principe de l’inexistence d’une religion d’État, qui donne forme définitive à la notion de la laïcité, celle-ci ne s’exprime pas aujourd’hui comme une notion exclusive des convictions croyantes, individuelles ou communautaires. Elle garantit plutôt l’expression libre de ces convictions sous la vigilance neutre et équitable de l’ordre public, celui-ci n’étant l’otage d’aucune religion. L’analyse théologique suivra les lignes d’une conception de la laïcité dressées par la doctrine récente du catholicisme contemporain. À la suite de la Déclaration Dignitatis humanae du Concile Vatican II, sur la liberté religieuse, en effet, nous devons considérer que les temps sont révolus où on a «préconisé l’idéal du catholicisme comme religion d’État». Ce privilège dont a joui le catholicisme féodal était «la conséquence logique et la condition normale de la vitalisation chrétienne de tous les secteurs de l’activité humaine et de la collaboration étroite de deux pouvoirs (politique et religieux)». Il était ainsi normal, pour le catholicisme romain, d’avoir «maintenu la ‘thèse’ suivant laquelle […] l’État devrait rendre publiquement hommage à la vérité catholique». En revanche, à l’époque de nouveaux équilibres qui est la nôtre, l’on doit constater que

M. Halpern (dir.), La laïcité: ciment de la République, valeur universelle, actes du colloque du  décembre  au Sénat à Paris, Paris, Éditions maçonniques de France, ; J. M. Ducomte, Regards sur la laïcité, Paris, Edimaf, ; E. Poulat, Notre Laïcité publique, Paris, Éd. Berg International, .  Nous retenons la portée de cette déclaration conciliaire, notamment à partir de l’affirmation suivante: «Si, en raison des circonstances particulières dans lesquelles se trouvent les peuples, une reconnaissance civile spéciale est accordée dans l’ordre juridique de la cité à une communauté religieuse donnée, il est nécessaire qu’en même temps pour tous les citoyens et toutes les communautés religieuses, le droit à la liberté religieuse soit reconnu et respecté» (Dignitatis humanae, n° ; cité par R. Coste, Les communautés politiques, p. .  Ibid., p. .  Ibid.  P. Colin, «L’individu et le croyant dans le trouble et l’effervescence des nations», p. .

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les deux pouvoirs – politique et religieux – tirent des avantages de ce tournant de la laïcité. À cet effet, R. Coste a eu raison d’écrire: en règle générale, dans la situation actuelle de l’humanité, il vaut mieux, par souci de fidélité à la Parole de Dieu, le système de la laïcité (bien comprise) de l’État que celui de sa confessionnalité.

Dans une démarche d’explicitation de la pensée sur le caractère bénéfique du régime de la laïcité, R. Coste s’appuie sur un certain nombre de constantes. Selon R. Coste: ) La laïcité, conçue dans un esprit chrétien, n’est pas autre chose que l’affirmation que les citoyens ne sont pas comptables de leurs options spirituelles personnelles devant César, et la déduction des conséquences de cette affirmation sur le plan institutionnel; ) En garantissant à tous la liberté de croire selon les exigences de leur conscience, la liberté de manifester leurs croyances publiquement, la laïcité ne professe nullement l’indifférentisme religieux, le libéralisme philosophique; elle professe que l’État n’a pas qualité ni mandat pour dire où est la vérité religieuse, elle affirme l’autonomie de l’ordre spirituel par rapport à César, elle affirme que l’État n’est pas l’organe d’expression de la communauté des croyants, que cette communauté se superpose exactement ou non à la communauté nationale; ) Par la contrainte étatique qu’elle met au service de cette liberté des consciences et des manifestations des croyances contre tout attentat, la laïcité instaure un ordre de respect mutuel qui est une condition de l’authenticité des démarches spirituelles, personnelles ou communautaires. ) La laïcité établit ainsi l’État dans l’une de ses plus importantes fonctions de protection: l’exigence du «respect de la liberté des consciences et de la transcendance du spirituel». Fondamentalement, «c’est à cette exigence que la laïcité de l’État répond». À ce titre, elle n’équivaudra ni à «une perspective d’indifférentisme, de libéralisme philosophique», ni à «une perspective d’hostilité envers la foi et ses exigences». Le rôle de l’État dans le régime de la laïcité est tout autant reconnu tel du côté de l’Église. Dans cette direction, Jean XXIII avait estimé qu’il s’agit, dans le rôle de l’État, du «devoir fondamental des pouvoirs publics d’ordonner les rapports juridiques des citoyens entre eux, de manière que l’exercice des droits chez les uns n’empêche ou ne compromette pas chez les autres le même usage, et s’accompagne de l’accomplissement des devoirs correspondants. Il s’agit enfin de maintenir l’intégrité des droits 

R. Coste, Les communautés politiques, p. . Ibid., p. -, note , en référence à L. De Naurois, «État confessionnel ou État laïque?», dans Les cahiers du droit  (), p. -. 

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pour tout le monde et de la rétablir en cas de violation». Le régime de la laïcité permet ainsi «l’émergence d’un espace public, qui accueille à la fois le principe de liberté et le principe du pluralisme, comme nouveau mode de cohabitation dans les sociétés contemporaines, autant qu’il contribue à l’épanouissement d’un espace politique où l’État jouit d’une indispensable neutralité (dans la promotion du droit et des droits), nécessaire, y compris pour l’épanouissement des religions, à une profitable régulation des mécanismes de «coexistence au sein d’un espace commun de discussion». Du reste, en poussant plus loin avec sa logique, notre analyse prend également en compte l’acception qui fait de la laïcité aujourd’hui, l’ordre d’une macro-culture, qui émerge de l’affirmation des sous-cultures représentant les tendances sociales spécifiques: celle des jeunes et des femmes; celle des autochtones et des itinérants; celle des réfugiés politiques, économiques (et bientôt climatiques); celle des personnes âgées et celle des groupes sociaux balafrés par les fractures sociales, etc. La phénoménologie globale de la laïcité se rapporte ainsi à l’émergence d’un ordre séculier, qui se construit en étant essentiellement ordonné à l’intégration mondiale des situations, à la régulation éthique de la dimension sociale globale, et à la conscience des responsabilités politiques en matière de gouvernance publique. La notion de la laïcité ainsi comprise, correspond à la description que nous offre Ph. Weber. En suivant l’horizon universel de l’éthique de la laïcité, Ph. Weber note que la morale laïque n’est que «l’expression de la nature rationnelle de l’homme». Elle s’attache – sans prétendre avoir abouti de façon définitive – à susciter un consensus maximal autour de quelques principes susceptibles de promouvoir le bien de l’homme. L’horizon laïc se proclame résolument eudémoniste, là où il s’attache à l’idéal du «bonheur de chacun [comme] florissant au sein du bonheur général». Selon cette présentation de Ph. Weber, la laïcité se veut sensible aux dimensions et aux retombées sociales des décisions personnelles.  Jean XXIII, Lettre Encyclique Pacem in terris (du  avril ), n° ; tel que cité par R. Coste, Les communautés politiques, p. .  P. Colin, «L’individu et le croyant dans le trouble et l’effervescence des nations», p. .  Cf. R. Lemieux, «Crise, christianisme et société contemporaine», dans Recherches de Science Religieuse  (), p. .  Ph. Weber, «Laïcité et christianisme», dans Qu’est-ce que Dieu? Philosophie / Théologie. Hommage à l’abbé Daniel Coppieters de Gibson (-), p. ; en citant Marc-Aurèle qui écrivait: «si notre raison est commune, alors il y a une loi commune».  Ibid., p. .

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CHAPITRE I

C’est pourquoi la laïcité plaide pour un civisme actif et critique, soucieux d’intégrer l’avertissement de Montesquieu: «une injustice faite à un seul est une menace faite à tous». Dénonçant «l’agressivité et la dureté des sociétés dites avancées», l’éthique de la laïcité préconise l’instauration d’une démocratie dans laquelle chacun serait intensément «respectueux du droit d’autrui». Il ressort de cette description que, ce que renferme la dynamique contemporaine de la laïcité et de son éthique, correspond à la phénoménologie d’un nouvel ordre du monde que les politiques de nations se proposent d’intégrer dans la gouvernance institutionnelle de la destinée de l’humanité, de la société et du monde. Cette conception de la laïcité sera loin de se poser en rivalité avec les structures de significations religieuses, qui ont du reste leur espace d’expression au sein d’un pluralisme des religions garanti et protégé par l’ordre public. Elle ouvre plutôt une perspective dans laquelle la théologie systématique et la manière de la faire se trouvent provoquées à une nouvelle attitude de responsabilité sociale et scientifique, en direction d’un climat de dialogue permanent, autant avec les autres religions qu’avec la laïcité elle-même. Dans cette perspective, se trouve mise en jeu, une des figures majeures de la postmodernité éthique: le partage de la communauté des valeurs de civilisation. Une tradition importante du catholicisme qui est prise en relai par le concile Vatican II dispose la théologie à cette aptitude. Selon A. Léonard, en effet: la doctrine catholique […] a toujours reconnu la valeur du monde terrestre, la dignité de l’homme fait à l’image de Dieu que le péché ne supprime pas, l’existence d’une histoire profane. La tâche purement humaine de l’homme est de s’humaniser en humanisant le monde et de créer les valeurs de la technique, de la science, de la culture et de la morale qui rendent le monde plus digne de l’homme. Le sens de l’histoire profane est de monter vers cet univers plus juste de la reconnaissance de l’homme par l’homme […] La vocation chrétienne de l’histoire et de l’homme ne suppriment pas leur vocation humaine…

Hormis tout ce qui s’y donne comme option de christianisation unilatérale de l’ordre du monde, le cadre doctrinal du concile Vatican II offre des orientations plus éclairantes pour une compréhension moins 

Ph. Weber, Laïcité et christianisme», p. . Cf. P. Plateau, «Laïcité, espace de liberté», dans Documentation catholique  ().  A. Léonard, Dialogue des chrétiens et des non-chrétiens, p. -. 

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obsessionnelle de la laïcité. On y trouve affirmée, sans ambiguïté, l’idée que «tout ce qui compose l’ordre naturel: les biens de la vie et de la famille, la culture, les réalités économiques, les métiers et les professions, les institutions de la communauté politique, les relations internationales et les autres réalités du même genre, leur évolution et leur progrès, n’ont pas seulement valeur de moyen par rapport à la fin dernière de l’homme. Ils possèdent une valeur propre mise en eux par Dieu Lui-même, soit qu’on regarde chacun d’entre eux, soit qu’on le considère comme parties de l’ensemble de l’univers temporel». Contre toute tendance à la survalorisation de l’ordre surnaturel au sein d’une longue tradition chrétienne, le concile affirme que la «distinction» entre les réalités naturelles et les réalités surnaturelles (Col ,), «loin de priver l’ordre naturel de son autonomie, de ses fins, de ses lois propres, de ses moyens, de son importance pour le bien des hommes, rend au contraire plus parfaites sa force et sa valeur propre; elle la hausse en même temps au niveau de la vocation intégrale de l’homme ici-bas». La doctrine du concile Vatican II nous permet ainsi de considérer, à la suite de R. Lemieux, que «l’émergence de l’âge séculier, dans lequel l’expérience humaine (chrétienne) est désencastrée d’un pouvoir supérieur, n’est pas le fruit d’un complot diabolique, mais le résultat d’un processus de civilisation, logique et symbolique, qui vise la formation d’un citoyen convivial». Il reviendra à l’approche théologique d’en tirer tout le profit qui convient au sein d’une analyse qui ne pourra nourrir, par ailleurs, aucune prétention d’instruire la laïcité des principes religieux du Christ. Si, en régime de chrétienté, l’Empereur a eu une part importante dans la conduite des affaires ecclésiales, ce processus a abouti à la montée de la prépondérance du système chrétien sur les sociétés occidentales. À un stade le plus considérable, les principes du christianisme ont influencé la formation de la civilisation occidentale, ainsi que la constitution de la généalogie des cultures européennes. Ainsi est-il judicieux de relever à la suite de S. Escobar, que l’équité en politique nationale ou internationale, la compassion qui vient en aide aux nations  Concile Vatican II, Décret sur l’apostolat des laïcs, Apostolicam actuositatem, promulgué le  novembre , n° .  Ibid.  Cf. R. Lemieux, «Crise, christianisme et société contemporaine», p. , citant Ch. Taylor, L’âge séculier, Montréal, Boréal; Paris, Seuil, .  Latourette a soutenu qu’«aucune civilisation n’a jamais incarné les idéaux du Christ». K. S. Latourette, The Christian Outlook, New York – Londres, Harper, , p. ; tel que cité par S. Escobar, La mission à l’heure de la mondialisation, Marne-la-Vallée, Éditions Farel, , p. .

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les plus pauvres, ont leurs racines dans la longue histoire de l’influence des chrétiens dans l’élaboration des législations et la mise en place d’institutions qui incarnent ces deux idéaux». Le christianisme a certes été, même à l’âge de la modernité tardive (en contexte de la colonisation), le facteur significatif, non seulement de la formation morale, mais aussi de l’éducation de la personnalité au cours de la civilisation qu’il a contribué à façonner. Cependant, cette constatation ne devrait pas voiler le fait que «la conciliation des idéaux chrétiens et du monde a toujours fait problème». Il s’ensuit que, aujourd’hui, plus que dans le passé, le climat de tension entre l’espace de la sécularité et les choix des églises devrait être atténué et relativisé. La nouvelle option devrait permettre au christianisme et à la théologie d’assumer de nouveaux déplacements d’une civilisation globalement séculière. Et dans cette orientation, la théologie sera poussée à prendre acte du fait que le règne de la laïcité s’accompagne, à la fois, d’une exigence de liberté en matière d’expression publique des confessions et des convictions croyantes et, pour les religions et autres formes de courants idéologiques, de la nécessité d’une nouvelle formulation, qui corresponde et réponde aux critères contemporains de pertinence publique, socialement et éthiquement. Cela pousse la théologie systématique à l’obligation épistémologique de revisiter les différentes formes de signification culturelle du christianisme, tant il reste vérifiable qu’au sein de la civilisation de la laïcité, pour une raison ou pour une autre, les objets donnés à l’expérience chrétienne, ces trésors déposés par des générations des croyants, peuvent s’en trouver périmés, ainsi que l’a écrit S. Escobar, comme les mots d’une langue qu’on a désappris à parler. Dans cette nouvelle situation, la théologie sera portée par une de ses préoccupations essentielles: la nécessité de mesurer l’ambition de ses tâches à la taille des défis éthiques de l’ordre du monde actuel, afin de se 

S. Escobar, La mission à l’heure de la mondialisation, p. . Cf. P. Berger, La religion dans la conscience moderne, Paris, Centurion, ; Jérome Baschet, La civilisation féodale. De l’an mille à la colonisation de l’Amérique, Paris, Aubier, .  R. Lemieux, «Crise, christianisme et société contemporaine», p. .  Le débat autour de la perception de la laïcité comme expérience universelle, au-delà des particularités liées aux dispositions des lois de différentes nations est soulevé dans l’étude de P. Eyt (card.), «Le principe de laïcité est-il universel?», dans Documentation catholique  (). On lira également: J. Baubérot, Laïcité sans frontières; G. Delfau et M. Halpern (dir.), La laïcité: ciment de la République, valeur universelle; E. Poulat, Notre laïcité publique.  R. Lemieux, «Crise, christianisme et société contemporaine», p. . 

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réaliser, au sein d’une herméneutique large et ouverte, jusqu’à quel point la parole chrétienne peut-elle encore jouer les chances de sa pertinence dans l’espace public de la vie, en concurrence ou en dialogue avec le nouvel ordre éthique. En tout état de cause, la pertinence du théologique lui-même doit être encore démontrée face à l’épreuve du nouvel ordre du monde. Ainsi n’a-t-on pas des raisons de maintenir la réflexion et l’analyse théologique éloignées des grands centres et secteurs de la laïcité. Elle doit prendre sa place dans ce grand espace où se décident les orientations essentielles de construction du destin de nos contemporains. Mais seulement, au-delà de toute tendance à la moralisation (ou à la christianisation) systématique des espaces de la vie publique, la théologie suggérera une approche en mesure de capitaliser les nouvelles dynamiques de l’éthique de notre époque, dans une réflexion et une praxis qui auront pour mission d’accompagner, voire de pousser l’éthique mondiale à aller plus loin dans la quête des conditions justes de l’épanouissement de l’humain total, contre la récurrence des systèmes injustes de domination.

Chapitre II

Profil et référents de l’éthique postmoderne Dans ce chapitre, nous nous proposons d’analyser les orientations de l’éthique postmoderne, en démontrant les enjeux de son profil, la spécificité de sa vocation universelle et de sa perspective pragmatique. Nous entendons expliquer la nature de cette éthique, à partir de sa visée publique et de son horizon mondial. En effet, aujourd’hui, l’institutionnalisation de l’éthique, à travers la mise en place d’une normative régulatrice de tous les mécanismes de gouvernance, résulte d’une vaste conviction selon laquelle «la mondialisation sans valeurs ni régulation est un facteur de guerre». Ainsi parle-t-on, en situation postmoderne, des standards internationaux dans la gestion de tous les secteurs de la vie publique. De cette façon, faire un choix en direction de la postmodernité, c’est lever une option non conciliable en faveur de l’éthique publique, sa fonction normative, son rôle régulateur et sa finalité pragmatique, relativement à toute idée de gouvernance. La formation de ce nouvel ordre éthique dépend surtout de l’importance qu’a prise, ces dernières années, la dynamique du partenariat et du consensus, à travers l’idée régulatrice de la gouvernance mondiale. Quels peuvent en être les contours?

.. Problématique et profil d’un nouvel ordre éthique Le souci d’une normative universelle a engagé notre époque dans la recherche et la mise en place des valeurs communes, ordonnées à la nécessité de vigilance éthique et à la responsabilité planétaire en matière de gouvernance. La référence à l’éthique, soit par le biais d’une régulation juridique soit par le canal des protocoles consensuels, constitue une garantie de contrôle qu’imposent la dynamique de convergences et la contrainte de la responsabilité transnationale dans la conduite du destin humain et du sort de la planète terre, à travers les institutions publiques et la gestion des rapports sociaux.



D. Wolton, L’autre mondialisation, Paris, Flammarion, , p. .

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CHAPITRE II

... Une éthique d’enjeu public Le fait que l’éthique postmoderne se dote d’un profil public n’est pas sans lien avec l’importance prise, ces dernières années, par les notions de l’«espace public» et de la «société civile» au sein de la réflexion sociopolitique et philosophique. Quelle peut être la portée réelle de ces notions dans le macrocosme politique de l’ordre mondial actuel? Pour expliquer les mutations survenues à notre époque sous l’influence de la notion de l’«espace public», M. Freitag écrit: «dans la réflexion politique classique, l’espace public, le koinon, se réfère depuis les grecs à l’espace de la liberté des citoyens dans lequel s’exerce leur capacité de participation critique à la gestion des affaires communes, un espace qui est soustrait à la domination et soumis au principe de délibération. Cet espace ou ce domaine s’oppose à celui de l’idion qui, de son côté, est régi par le principe du dominium, de la puissance privée et patrimoniale. Le domaine public, toutefois, n’échappe pas à la nécessité d’une régulation impérative, qui est de nature juridico-politique, de sorte que la participation à l’espace public se trouve polarisée par la participation des citoyens à la constitution et à l’exercice du pouvoir ainsi qu’à la vie de l’ensemble des institutions ‘publiques’. C’est donc l’exercice du pouvoir et ses conditions qui y représentent l’enjeu suprême des interactions, des conflits et de délibérations». Aujourd’hui, on est de plus en plus conscient que le destin de l’homme, la stabilité des sociétés, l’avenir du monde et l’équilibre de la planète sont suspendus à une gestion cohérente de l’espace public (sociétal et institutionnel). Dans ce contexte, le recours à la moralité d’institution publique s’impose à la conscience de l’humanité. Elle est voulue comme un ordre fonctionnel et pragmatique de réglementation de la gouvernance, par des mécanismes normatifs consensuels. L’enjeu de cette orientation nous renvoie au cadre de la définition de l’éthique avancée par P. Ricœur. L’éthique est présentée comme l’«exemplarité de la vie bonne (visée du bien), avec et pour les autres, dans les institutions justes». Il est important de noter que cette définition philosophique de l’éthique, qui fait école depuis quelque temps, intervient dans le contexte d’une distinction que P. Ricœur a tenu à maintenir entre l’éthique et la morale. Selon J.-L. Bruguès, il s’agit d’une distinction dans laquelle la  M. Freitag (avec Y. Bonny), L’oubli de la société. Pour une théorie critique de la postmodernité, Québec, Presses de l’Université Laval, , p. .  Cf. P. Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, .

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morale ne concernerait que «le domaine des obligations et des interdictions». J.-L. Bruguès estime, cependant, que l’on a affaire à une distinction qui fait problème, dans la mesure où l’on doit savoir en quoi «la mise en place d’institutions justes, le rapport aux autres et le choix d’un style de vie personnel comporteraient moins d’obligations ou d’interdictions que la ‘morale’». Dans le cadre de cette discussion, J.-L. Bruguès nous renvoie au cadre de la définition de l’éthique donnée par M. Foucault. Celui-ci distingue entre deux modèles d’éthique. Il y a d’abord le modèle d’«une éthique soucieuse avant tout de conformer la vie humaine à un code, entendu comme ‘un ensemble de valeurs et de règles d’action qui sont proposées aux individus et aux groupes par l’intermédiaire d’appareils prescriptifs divers, comme peuvent l’être la famille, les institutions éducatives, les Églises, etc.’». Ensuite, il y a le côté du modèle où «l’éthique est un ‘art de l’existence’», qui renvoie à «des pratiques réfléchies et volontaires par lesquelles les hommes, non seulement se fixent des règles de conduite, mais cherchent à se transformer eux-mêmes, à se modifier dans leur être singulier, et à faire de leur vie une œuvre qui porte certaines valeurs esthétiques et réponde à certains critères de style». Au-delà de la problématique du vocabulaire («morale» ou «éthique»), le style postmoderne assigne à l’éthique (ou à la morale) un dessein différent. À notre époque, en effet, un scientifique comme J. Bernard montre que «l’éthique […] est la garantie de l’harmonie qui résulte de la bonne tenue de toute chose, de tout acte». À partir d’une telle définition, l’éthique sera certes «une considération régulatrice des mœurs humaines», mais c’est une régulation entièrement tournée vers la gestion de l’espace public des institutions en charge de la gestion de la vie en général. Ce qui n’exclut pas de voir dans l’éthique un ensemble des valeurs qui informent nos convictions en matière de choix. Depuis toujours, l’éthique repose et fonctionne sur base des valeurs. Celles-ci seront ainsi à entendre comme ces tendances qui nous poussent «à préférer un certain état des choses à un autre». Il s’agit également de considérer ces 

J.-L. Bruguès, Dictionnaire de morale catholique, Paris, C.L.D., , p. -. M. Foucault, L’usage des plaisirs (Histoire de la sexualité, ), Paris, Gallimard, , p. ; cité par J.-L. Bruguès, Dictionnaire de morale catholique, p. .  Ibid., p. -, cité par J.-L. Bruguès, Dictionnaire de morale catholique, p. .  J. Bernard, cité par J.-L. Bruguès, Dictionnaire de morale catholique, p. .  J.-L. Bruguès, Dictionnaire de morale catholique, p. .  G. Hofstede, Vivre dans un monde multiculturel. Comprendre nos programmations mentales, Paris, Éditions d’Organisations, , p. . 

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CHAPITRE II

valeurs telles qu’elles sont coulées en normes, en vue de rendre contraignant le cadre de leur référence. Du fait qu’en elle-même, «la norme est absolue», elle indique et formalise le cap du désirable, quels que soit le contexte et les sociétés de référence et d’application. Par ailleurs, on a défini l’éthique comme une «doctrine philosophique ou théologique relative aux valeurs et aux normes qui doivent guider nos décisions et nos actes». Le piège d’une conception de l’éthique qui ressort de cette définition, réside dans la réification de la morale et, éventuellement, dans la relégation des principes moraux à la sphère privée de l’individu. Le défaut de cette tendance consiste également à maintenir les valeurs morales dans un état de nature, en référence à quelques fondements métaphysiques prétendus intangibles. En revanche, dans le conditionnement postmoderne, les normes seront toujours des supports référentiels formels des valeurs. Mais elles appartiendront à un contexte qui leur procurera la capacité de résister à la tentation de devenir un ensemble des «codes» rigides, destinés à guider la conduite des comportements individuels. Elles seront considérées comme des orientations normatives, pour fonctionner à «des fins pragmatiques», prioritairement en régime de régulation de l’espace public de gouvernance. Le paradigme postmoderne ramène ainsi l’éthique à son lieu propre: le domaine de «l’agir humain» pour le surgissement du neuf. L’éthique ici correspond à la définition que nous tenons du P. Sertillanges: «la science de ce que l’homme doit être en fonction de ce qu’il est». À ce titre, l’éthique engage la responsabilité personnelle ou collective vers le bien des personnes et des communautés. Elle est essentiellement ordonnée à l’épanouissement de la gestion des institutions publiques, au-delà des aspects techniques. Étant de l’ordre du désirable, l’éthique, en tant que «domaine de l’agir», engage la volonté vers la nécessité de recommencer et de produire du nouveau. En ce sens, l’éthique est dynamique. Benoît XVI le reconnait lorsqu’il écrit: dans le domaine de la conscience éthique et de la décision morale, il n’y a pas de possibilité équivalente d’additionner, pour la simple raison que la liberté de l’homme est toujours nouvelle et qu’elle doit toujours prendre à nouveau ses décisions. Elles ne sont jamais simplement déjà  G. Hofstede, Vivre dans un monde multiculturel. Comprendre nos programmations mentales, p. .  H. Küng, Projet d’éthique planétaire. La paix du monde par la paix entre les religions, Paris, Seuil, , p. .  Cité par M. Oraison, Une morale pour notre temps, Paris, Librairie Athème Fayard, , p. .

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prises pour nous par d’autres – dans un tel cas, en effet, nous ne serions plus libres. La liberté présuppose que, dans les décisions fondamentales, tout homme, chaque génération, est un nouveau commencement.

Cette affirmation de Benoît XVI peut être considérée comme l’une des plus éclairantes sur le débat de fondement en morale. Elle nous renseigne qu’on ne peut parler de fondement dans ce contexte sans ouverture à des nouvelles possibilités ni sans élan de créativité. Le langage de fondement ne peut plus renvoyer, même en morale chrétienne (ou religieuse), à un régime naturel des codes fixés. Il y a une part importante qui doit être reconnue à la créativité de générations actuelles. Celles-ci, écrit Benoît XVI, «peuvent assurément construire sur la connaissance et sur les expériences de celles qui les ont précédées, comme elles peuvent puiser au trésor moral de l’humanité entière. Mais elles peuvent aussi le refuser, parce que ce trésor ne peut pas avoir la même évidence que les inventions matérielles». Et Benoît XVI de préciser: «Le trésor moral de l’humanité n’est pas présent comme sont présents les instruments que l’on utilise; il existe comme invitation à la liberté et comme possibilité pour cette liberté». De telle sorte que «la liberté nécessite une conviction» et que, «une conviction n’existe pas en soi, […] elle doit être toujours de nouveau reconquise de manière communautaire». De cette façon, écrit Benoît XVI, «la liberté doit toujours de nouveau être conquise pour le bien. La libre adhésion au bien n’existe jamais simplement en soi». En vue d’expliciter ce raisonnement, Benoît XVI ajoute: la recherche pénible et toujours nouvelle d’ordonnancements droits pour les choses humaines est le devoir de chaque génération; ce n’est jamais un devoir simplement accompli. Toutefois, chaque génération doit aussi apporter sa propre contribution pour établir des ordonnancements convaincants de liberté et de bien, qui aident la génération suivante en tant qu’orientation pour l’usage droit de la liberté humaine et qui donnent ainsi, toujours dans les limites humaines, une garantie assurée, même pour l’avenir.



Benoît XVI, Lettre Encyclique sur l’espérance chrétienne, Spe salvi, Rome, Librairie Éditrice du Vatican, , n° .  Ibid.  Ibid.  Ibid.  Ibid.  Ibid., n° .

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C’est le lieu d’indiquer que M. Oraison avait déjà énoncé le principe d’une morale «en situation», selon une perspective qui oblige de repenser le statut de la morale fondamentale classique. Si la force de cette proposition repose sur le constat selon lequel l’«objectivité de la morale» est étroitement liée à l’«autre» et à «la relation à l’autre» en fonction des situations précises, elle gagne aussi dans le courage de souligner le caractère dynamique qui frappe toute condition de la morale, suite à une série d’évolutions: «évolution de l’univers vivant et de la race humaine, évolution de la civilisation et de la pensée, évolution dynamique de la personnalité singulière…». L’enjeu sera, pour M. Oraison, «de faire remarquer à quel point l’effort à faire à propos de la morale s’inscrit dans le travail beaucoup plus général qui consiste à formuler une ‘vision du monde’ à la fois scientifique et chrétienne, dans une théologie dont le support conceptuel et verbal ne soit plus enlisé dans un système archaïque et fixiste». Il en résulte que dans le cadre du nouveau paradigme de l’éthique, on ne peut postuler un ordre de valeurs à l’état naturel, soit-il à titre de fondement, de la même manière qu’on ne devrait pas envisager une méta-éthique en amont de l’utilitarisme pragmatique. À ce niveau se précise la ligne de démarcation avec les prétentions de l’ancien ordre éthique. J. J. C. Smart a, en effet, montré avec raison, «que les systèmes d’éthique normative conceptuellement clairs et émotionnellement attractifs pouvant se présenter comme des solutions de remplacement à l’utilitarisme, ne sont pas aussi nombreux qu’on le croit volontiers». Dans le cadre de ce raisonnement, J. J. C. Smart a tenu à préciser que «plusieurs systèmes éthiques très communs reposent en partie sur des prémisses métaphysiques et peuvent donc être récusés au travers d’une critique philosophique de ces bases», et «cette critique concerne également la soi-disant éthique du ‘droit naturel’, parce qu’elle présuppose une métaphysique quasi-aristotélicienne» quant au postulat d’un fondement des valeurs morales. La tentation du fixisme et du formalisme en matière de valeurs, est tout autant grande, même là où, comme le montre J. J. C. Smart, «toute éthique déontologique, c’est-à-dire toute éthique qui ne fait pas appel aux conséquences de nos actes mais à leur conformité avec certaines règles de devoir, prête le flanc à un genre d’objection très fort qui pourrait bien 

M. Oraison, Une morale pour notre temps, p. . s. Ibid., p. .  Ibid.  J. J. C. Smart et B. Williams, Utilitarisme. Le pour et le contre, Genève, Labor et Fides, , p. .  Ibid., p. . 

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convaincre ceux qui ont à cœur le bien-être de l’humanité», notamment quant au risque d’un «conflit» résultant d’une confusion, ou d’un culte superstitieux de la règle, ou de la conformité à cette règle. En tout état de cause, nous admettons qu’en vertu de son profil public, l’éthique postmoderne requiert la part d’une approche utilitaire. Cela en va d’une disposition essentielle à son déploiement, qui rentre par ailleurs dans sa ligne pragmatique, en vertu de sa fonction de régulation. À en croire B. Williams, «les pères de l’utilitarisme avaient conçu leur doctrine essentiellement comme un système de décision politique et sociale en tant qu’elle offre un critère et une base de jugement pour les législateurs et les magistrats». Cette situation correspond, à quelque degré près, à l’actuel contexte de la crise économique internationale. Du fait que cette crise en appelle à la nécessité d’une réforme du système financier international à partir de nouvelles règles d’éthique politique et économique, elle exige l’intervention d’une autorité publique de régulation à compétence universelle, en convergence avec l’autorité des gouvernements. Avec B. Williams, on reconnaitra que «les décisions du gouvernement affectent généralement un plus grand nombre des personnes que les décisions privées. […] Même si cela est regrettable, il est légitime que les citoyens privés aient des croyances ou des idéaux anti-utilitaristes; en revanche, le gouvernement d’un État laïc doit être laïc et comme il doit recourir à un système des décisions dont l’engagement, au-delà de celui intrinsèque à sa fonction de promouvoir le bien-être de ses citoyens, est minimal. De sorte qu’on peut penser que l’utilitarisme fait partie intégrante du contrat de gouvernements». En ce sens, dans une perspective d’engagement et de responsabilité publique, la prise en compte de la dimension éthique permet d’obtenir un climat sain et propice, rassurant quant aux résultats voulus dans l’espace défini par le bien-être, à l’intérieur d’un système global des besoins et satisfactions, voire d’aspirations légitimes et réelles, latentes et exprimées. Il n’est donc pas étrange de voir que dans la nature de l’éthique publique, entre en jeu la notion sociologique de la maximisation de l’utilité moyenne, qui a le mérite de renseigner que l’ordre «moral est impersonnel et s’abstrait de nos intérêts personnels pour considérer une situation dans un esprit universel». Il en va de la situation de l’éthique publique, comme en droit international humanitaire, où il est question    

J. J. C. Smart et B. Williams, Utilitarisme. Le pour et le contre, p. 11. Ibid., p. . Ibid. Ibid., p. .

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de «règles de traitement humain minimal à tout individu», applicables en tout temps et en tout lieu, qui permettent de pallier à toutes les insuffisances qui subsisteraient en termes de droit. Selon l’analyse de B. Williams, cette orientation des options éthiques «équivaut au fait d’exiger que, lorsque nous choisissons entre des états sociaux, nous soyons indifférents à quel individu particulier nous sommes». En conséquence, nous pouvons affirmer que l’éthique postmoderne, étant de portée publique, se déploie en fonction de la situation d’ensemble, en tant que situation qui se dégage des situations communes et récurrentes à la condition d’un plus grand nombre. C’est à ce titre qu’elle implique rigoureusement la notion de «responsabilité» chère à la réflexion de H. Jonas, notamment à propos de ce que celui-ci appelle «obligation inconditionnelle d’exister de l’humanité». La caractéristique de l’éthique est ainsi d’être une normative régulatrice de l’espace publique en fonction de la survie de l’humanité, sous le prisme du sens de responsabilité dans chaque surgissement de l’agir humain. Ce sens de responsabilité se formule chez H. Jonas de la manière suivante: – «Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre». – Que les effets de ton action «ne soient pas destructeurs pour la possibilité future d’une telle vie – sache que l’avenir indéterminé est le véritable horizon de ta responsabilité et non le temps contemporain de ton action – ne mets jamais en jeu dans les paris de ton agir l’existence ou l’essence de l’homme dans son intégralité. Toute jonglerie suicidaire avec notre existence est interdite par un véritable impératif catégorique». En vertu de la portée publique de la responsabilité humaine, tout se passe aujourd’hui comme si nos contemporains n’avaient besoin ni d’un éthique «nouvelle» ni d’une «morale» extérieure à ce qui est inscrit à leurs devoirs d’État ou aux impératifs de la gouvernance publique. On a parlé d’une éthique «conséquentialiste» et d’une éthique «déontologique» pour souligner la portée d’une orientation essentiellement publique. La morale qui est restée privée, celle de «vertus», n’a de place qu’à l’intérieur de deux ordres précédents. Ces deux modèles d’éthique publique requièrent sans



J. J. C. Smart et B. Williams, Utilitarisme. Le pour et le contre, p. . H. Jonas, Principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, Paris, Cerf, , p. .  Cf. ibid., p. .  H. Jonas, tel que cité par H. Bartoli, Repenser le développement. En finir avec la pauvreté, Paris, Éd. Unesco-Economica, , p. . 

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doute d’être portés par un élan indispensable de «sollicitude», du fait que l’éthique vise finalement à gagner des dispositions de volonté et de cœur pour le service d’autrui au sein des institutions publiques, dans le cadre d’une véritable responsabilité sociale. Mais la cohérence d’un tel ordre moral accorde le primat à tout ce qui relève de l’activité professionnelle et qui en appelle, de ce fait même, à la nécessité de la régulation par un régime opérationnel des valeurs correspondantes. D’où cette émergence des concepts nouveaux: éthique médicale; éthique politique; éthique nucléaire; éthique des droits de l’homme; éthique commerciale; éthique écologique; éthique des affaires; éthique des relations internationales. L’éthique est ainsi un domaine à conjuguer au pluriel, du fait qu’elle ne se conçoit en-dehors des secteurs de la vie publique, sur le plan professionnel. Cette mutation qui voit le domaine de l’éthique investi d’un profil d’universalité et d’institutionnalité, est tout autant attestée au sein de l’analyse de Benoît XVI, qui souhaite, par ailleurs, que soit mis en place «un critère valable de discernement», là où, selon lui, «on note un certain abus de l’adjectif ‘éthique’ qui, employé de manière générale, se prête à désigner des contenus très divers, au point de faire passer sous son couvert des décisions et des choix contraires à la justice et au véritable bien de l’homme». Il importe de relever que la remarque de Benoît XVI est à relativiser, en vertu du caractère irréversible de l’orientation publique de l’éthique. On soulignera seulement qu’il n’y a rien de purement fonctionnel, ni de fusionnel, qui réduirait une telle orientation de l’éthique au terrain de la déontologie. Étant de l’ordre de l’agir, l’éthique ne peut avoir qu’une portée pratique. Elle est tournée vers l’altérité qui s’exprime dans les services et les institutions de la vie publique. Par conséquent, une éthique pour soi et en soi relève de l’absurde. Le domaine de la liberté et de la volonté qui commande l’acte moral ne peut fonctionner à vide. L’existence humaine ne peut s’épanouir que dans un conditionnement qui la relie forcement à l’espace d’expériences et à la dimension publique de l’environnement total, sociétal et climatique, culturel et géographique. La psychologie générale de l’être humain ne peut être imaginée en dehors de cette insertion à l’espace public de la 

Ce concept de «sollicitude» est proposé par W. Hubert qui intervient à ce niveau du débat pour corriger le caractère élitiste de la notion de responsabilité propre à l’analyse de H. Jonas: W. Hubert, cité par H. Küng, Projet d’éthique planétaire, p. - note .  Cf. R. Löw, «Brauchen wir eine neue Ethik?» («Avons-nous besoin d’une nouvelle éthique?»), dans Universitas (), p. -.  Benoît XVI, Lettre Encyclique sur le développement humain intégral dans la charité et dans la vérité, Caritas in veritate, n° .

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collectivité, des institutions et du monde social. C’est pourquoi, en situation postmoderne, la définition de l’éthique implique ce lien indissoluble avec la notion de responsabilité, d’autant plus qu’elle met en exergue l’idée fondamentale des «obligations morales que nous devons respecter envers tous les êtres humains et qui s’imposent à nous indépendamment de nos désirs ou de nos intérêts». Dans cet ordre d’idée, H. Küng a montré que la spécificité de l’éthique postmoderne est d’être liée à «une préoccupation publique», alors qu’en modernité (ou selon le style moderne), l’éthique est considérée comme une affaire privée. La modernité, observe D. Tracy, n’a laissé aucun espoir; même pas «pour un domaine public – le domaine où peuvent entrer toutes les personnes raisonnables pour discuter du sens et des espoirs de vie bonne, de bonheur pour l’histoire et la société – si les moyens seuls, et jamais les fins, peuvent porter une discussion rationnelle». Ainsi est-il vrai d’affirmer qu’en contexte du triomphe de la raison technique, ajoute D. Tracy, «les questions politiques classiques de bonheur, de vie bonne, de sens de l’histoire, se sont aussi privatisées et sont donc devenues aussi peu rationnelles par essence que les questions classiques de religion et de l’art». La découverte, en postmodernité, de l’enjeu éthique de l’existence, révèle le défaut de la rationalité des Lumières à cet effet. Cette modernité a péché d’avoir sapé les différents fondements de la vie morale au profit d’un système scientifique où «la raison est réduite à une pure fonction technique», qui ne laisse aucun espace pour permettre de «discuter de la vie bonne, de la vocation au bonheur, d’un besoin, d’un sens à l’histoire et au temps». Aujourd’hui, le régime de l’éthique publique s’impose à la conscience sociale de nos contemporains, si bien qu’en tout devoir d’analyse, il nous revient de rendre compte de sa portée, au sein de la problématique qui indique les enjeux du passage d’une éthique privée à l’éthique publique. ... De la morale privée à l’éthique publique L’effort d’explication du passage de la morale privée de «codes» de conduite, à l’éthique publique de régulation des comportements collectifs  Cf. M. Provencher, Petit cours d’éthique et politique, Montréal, Chanelière Éducation, , p. .  H. Küng, Projet d’éthique planétaire, p. .  D. Tracy, «La désignation du présent», dans Concilium  (), p. .  Ibid., p. .  Ibid., p. .

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en régime de gouvernance, s’éclaire au regard du débat opposant, d’un côté, les représentants du courant libéral et, de l’autre, les protagonistes de la mutation en cours. Les tenants de l’autodétermination en matière de comportement moral, avancent que toute proposition d’une éthique publique de valeurs communes laisserait libre cours à un système de dictature sociale, et porterait l’allure de bafouer la plus grande valeur moderne: la liberté. Celle-ci est considérée comme un acquis d’un processus de conquête au bout duquel la sécularisation et son répondant politique, la laïcité, ont triomphé du régime de domination d’«une vérité doctrinale ou morale officielle», imposée de l’extérieur, et ont instauré, en conséquence, un monde d’initiative (privée) catalyseur du «jeu démocratique» et de la croissance économique. Tous les représentants de la ligne libérale restent ainsi convaincus que toute «quête d’une morale commune est […] inutile». Car, indiquent-ils, «nos sociétés libérales ont promu la valeur de l’individu en tant que tel. C’est elle qui désormais mesure et juge les autres valeurs. Elle est, si l’on y tient, notre valeur commune, mais elle l’est parce qu’elle renvoie chacun à la libre et entière disposition de soi, à l’aptitude à penser et à décider par soi-même; [évoluant] dans le sens d’un progressif démantèlement des inégalités reçues par l’habitude, la tradition ou les systèmes de domination […]». Dans l’optique de cet argument, la morale consensuelle (conventionnelle) que subirait la «conscience ramènerait la personne humaine à sa seule appartenance au groupe et, au nom du ‘consensus’, lui interdirait d’invoquer une source de légitimité morale plus haute et absolue». Poussée plus loin, la logique de cette argumentation irait jusqu’à dénoncer la relativisation de la découverte par Vatican II de la voie de la conscience, qui témoigne de «la présence d’une loi qu’elle ne s’est pas donnée et dont la voix ne cesse de la presser d’aimer et d’accomplir le bien, et d’éviter le mal». Exprimée de cette façon, la position du libéralisme éthique tient à affirmer «qu’il revient à chacun de déterminer librement (par lui-même) sa vie privée, les conduites qu’il entend suivre, les systèmes de croyances auxquelles il estime bon d’adhérer, et donc de chercher son bonheur ou la satisfaction de ses aspirations selon les canons qu’il se fixe souverainement». Il s’agit, somme toute, d’une perspective qui ne va pas sans    

P. Valadier, Inévitable morale, Paris, Seuil, , p. -. Ibid., p. . J.-L. Bruguès, Dictionnaire de morale catholique, p. . P. Valadier, Inévitable morale, p. .

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rappeler la valeur de la découverte par E. Kant de l’«autonomie du sujet moral» en pleine modernité des Lumières. Mais tout le problème reste aussi, selon P. Valadier, de tenir soit à «identifier l’individualisme dominant à l’égoïsme ou même au narcissisme», soit de considérer à juste titre, qu’aux antipodes de l’égocentrisme et de l’auto-déterminisme, «la référence à l’individu comme pôle de décision et de réflexion constitue une valeur positive et dynamique». Dynamique puisque la décision morale ne peut se soustraire du jeu de la relation, dans la mesure où toute identité subjective présuppose, implique et postule l’altérité (de la société qui éduque, de la culture qui forme et oriente, de l’environnement qui encadre). L’on devra également chercher à savoir jusqu’où la référence à E. Kant, dans la considération du principe de l’autonomie en morale, ne peut laisser de côté, par rapport à ce même système, la portée relationnelle des maximes qui traduisent le contenu de ce qu’on a appelé «impératif catégorique»? Dans toute situation où la vie est concernée, le sujet moral ne saurait être le fondement de ses propres démarches. L’intersubjectivité communicationnelle (J. Habermas) et l’altérité structurelle (E. Levinas) sont des donnés anthropologiques inéluctables pour toute existence. Et le régime de relations est une donnée incontournable dans la construction de la vie personnelle et collective. Par conséquent, le libéralisme devient une tendance dépourvue d’assises fiables dans l’ordre de justification. Ainsi que le fait remarquer P. Valadier, toute objection contre l’éthique du consensus qui vise à écarter le rêve «de références communes», voudra s’en remettre, pour toute régulation et toute adaptation sociale, à un certain «ordre spontané» que, dans le système libéral, l’on croit être générateur de ses propres «règles de juste conduite»; celles-ci ne seraient ni arbitrairement construites, ni posées de l’extérieur, ni formellement publiques. Ignorant tout de la vertu du consensus qui met les sujets 

P. Valadier, Inévitable morale, p. . Ces deux maximes qui résument l’impératif catégorique de E. Kant sont formulées de la manière suivante: ) «Agis de telle sorte que la maxime de ta volonté puisse toujours valoir en même temps comme principe d’une législation universelle» (E. Kant, Critique de la raison pratique, trad. de F. Picavet, Paris, , p. ); ) «Agis de telle façon que tu traites toujours l’humanité, en ta propre personne comme en la personne de tout autre […], en même temps comme une fin, jamais comme un pur moyen» (E. Kant, Fondement de la métaphysique des mœurs (telles que citées par H. Küng, Projet d’éthique planétaire, p. ).  P. Valadier, Inévitable morale, p. , citant un des représentants de ce «libéralisme doctrinaire»: Friedrich Hayek, Droit, Législation et Liberté. Une nouvelle formulation des principes libéraux de justice et d’économie politique, Paris, PUF, . 

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ensemble pour discuter et délibérer, le système libéral soupçonne la montée «des sociétés autoritaires dans lesquelles les pouvoirs publics s’estiment en droit de légiférer à tout propos et hors de propos, imposant ainsi un carcan de réglementations qui paralyse la libre initiative des individus et multiplie indéfiniment les règles». En considération de cette critique, P. Valadier renvoie également à la pensée de Pierre Manent. Celui-ci a écrit: «La société éprouve qu’elle peut exister sans être commandée, et que sa liberté nouvelle n’est nullement synonyme de désordre. Chacun trouve en elle les motifs et les informations qui lui permettent d’agir de façon autonome, selon son ‘intérêt’, tout en vivant en harmonie avec ses concitoyens, eux aussi à la recherche de leur intérêt. Elle n’a nullement besoin de la loi du Prince, puisqu’elle a en elle-même sa loi ou ses lois. Ces lois ne sont pas des ordres que certains hommes donnent aux autres, mais des règles infrangibles de fonctionnement comparables en quelque façon aux ‘lois de la nature’: les ‘lois du marché’». P. Valadier voit dans ces considérations, la formulation la plus accomplie d’une objection contre ce qui s’y trouve taxé de «constructivisme arbitraire» de l’État en tant que tel. Les objections contre les principes communs de l’éthique trouvent leur cohérence dans la force redoutable d’un paradigme: le libéralisme. Mais la réponse qui convient à ce système libéral ne sera autre que le déplacement que connait notre culture planétaire, vers le tournant post-libéral de la civilisation humaine contemporaine. Nous restons en accord avec P. Valadier, qui considère que, dans ce contexte, «on ne voit pas comment nos sociétés pourraient se passer de référence morale commune». Aussi rétrograde et anachronique que représente la position du libéralisme, il faut opposer à son individualisme éthique l’idée forte d’une laïcité pluraliste (certainement rebelle de toute perspective unificatrice), qui représente l’espace partagé de gestion de différentes convergences dans tous les domaines de la vie publique. La découverte par notre civilisation postmoderne de la valeur de partenariat, permet ainsi d’organiser la gouvernance du destin humain à partir «des valeurs partagées, condensées et solennellement proclamées dans les chartes des droits de



P. Valadier, Inévitable morale, p. . P. Manent, Les Libéraux, Paris, Hachette,  vol., , t. , p. ; cité par P. Valadier, Inévitable morale, p. 207-.  P. Valadier, Inévitable morale, p. .  Ibid. 

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l’homme», y compris le droit à la liberté d’entreprendre, de s’exprimer, de se réunir en associations, d’opérer des choix en matière de convictions religieuses (ou idéologiques). La nouvelle approche post-libérale de l’éthique réalise à quel point le libéralisme économique a, au XXe siècle, contribué à bafouer les libertés des personnes et leurs droits sociaux. En dehors de tout processus de régulation, cette perspective meurtrière continuerait à présider à la logique moderne du «règne de l’homme seul» et de ses intérêts, une logique qui, à ces jours, a conduit à une «issue perverse de toutes choses», dont la déréglementation des rapports sociaux et la perturbation de l’écosystème. En des mots plus forts, F. Houtart a noté qu’il s’agit de cette «logique du profit, telle qu’elle a été développée par le capitalisme», qui «fait éclater les cadres sociaux, épuise les ressources naturelles, détruit l’environnement». En restant dans les observations de P. Valadier, on voit bien que dans le domaine comme celui de la bioéthique, «des interventions par le droit et la puissance publique s’imposent, […] on doit décider, même de manière minimale, en référence à certains idéaux socialement ou largement partagés». Si non, à travers «la position libérale», on laisserait faire le jeu de «la domination technique. Sous prétexte de donner toute initiative à l’individu, on l’incline[ra] devant les initiatives techniques de tous ordres, sans contrôle ni maîtrise par la société». La perspective du libéralisme est donc aveuglante quant aux désastres dont continuerait à être responsable «l’emprise technicienne», même lorsqu’elle «prétend[ra] servir les intérêts et le bonheur de l’individu […]». Bien plus, dans notre monde, des situations et des problèmes humains sont devenus d’une telle ampleur et d’une telle complexité que, comme le note P. Valadier, «le désir individuel se heurte à d’autres attentes et à d’autres valeurs». En sachant que c’est la vie humaine qui est en jeu dans toute démarche éthique, en tant que facteur qui oriente «des principes de choix et des motifs d’actions», et en tant que critère de toute moralité digne de ce nom, le sens de l’humain ne peut être 

P. Valadier, Inévitable morale, p. . Cf. Déclaration universelle de droits de l’homme: art. ; ; .  Benoît XVI, Lettre Encyclique sur l’espérance chrétienne, Spe salvi, n° .  F. Houtart, Délégitimer le capitalisme. Reconstruire l’espérance, Bruxelles, Colophon Éditions, , p. .  P. Valadier, Inévitable morale, p. .  Ibid., p. .  Ibid. 

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confondu à un quelconque culte du subjectivisme, qui empêcherait la société-monde à «rechercher des solutions humaines, donc morales, à ses problèmes». À ce niveau, nous constaterons que la sortie de la modernité signifie la disqualification du «je» moderne, d’un ego à la limite désastreux et autodestructeur, là où il n’est pas encore, moralement (et socialement), déconstruit par l’«altérité» structurelle et le «nous» institutionnel de la postmodernité. Il sera, de ce fait, absurde de continuer à poser le principe d’autonomie en morale sans rapport dialectique avec le principe d’hétéronomie. P. Valadier l’a bien compris lorsqu’il écrit: «L’autonomie ou la liberté ne sont jamais sans conditions, et ces conditions, le sujet moral ne se les donne pas: il les trouve». P. Valadier ajoute «que la présence de l’inconscient oblige à faire le deuil d’une autonomie acquise une fois pour toutes», de telle sorte que «blessé dans sa constitution même, le sujet doit toujours se mobiliser pour désirer son autonomie, et il n’est jamais assuré de ce désir de liberté morale, ni de son aptitude à devenir moral. […] autonomie et hétéronomie ont partie liée de manière intrinsèque». À la suite de P. Valadier, nous soutenons qu’en face de toute «sorte d’idolâtrie de la libre disposition de soi qui livre l’individu au risque de ses caprices et de la déraison», on doit contester «d’un point de vue anthropologique cette dissociation opérée entre individu et société». La mentalité de notre époque ne peut cautionner cette dichotomie. Car, comme le précise P. Valadier, «l’individu est socialisé par le langage et déjà par son corps né d’une union sexuelle; la société de son côté est lésée quand l’un de ses membres est lésé, méprisé, souffrant, abandonné, ou qu’elle le laisse se vendre comme une marchandise, car elle accepte alors que se développent en son sein des attitudes et des valeurs indignes». Il ne s’agit pas de défendre la logique inverse d’une «contrainte sociale et étatique», qui peut déboucher sur la dictature de l’ordre public sur les consciences individuelles et sur les droits et libertés des personnes. Ce qui est en jeu, c’est plutôt l’idée que tout ce qui est à l’avantage de l’individu soit «introduit et maintenu dans l’univers du discours social, […] que ses désirs et ses options soient mises à l’épreuve de la discussion, de l’argumentation et de la confrontation avec autrui». En ce sens, on     

P. Valadier, Inévitable morale, p. 211. P. Valadier, Éloge de la conscience, Paris, Seuil, , p. . Ibid., p. . Ibid. Ibid., p. .

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doit tenir également que «la conscience peut se tromper, et elle oblige en ce cas, mais la conscience se construit et se forme dans le dialogue; elle se détruit et se pervertit dans l’isolement et le retrait du dialogue social». Même l’exaltation de la conscience chez J. J. Rousseau ne peut être considérée comme allant de soi et sans nuance. La conscience humaine implique l’exigence de l’éducation. Le fait que J. J. Rousseau reconnaisse le caractère «timide» de la conscience et recommande qu’elle soit délivrée des «penchants mauvais», montre finalement que le domaine de la conscience n’appartiendrait pas à l’ordre de cette spontanéité naturelle et infaillible. Dans Lettres à B. Christophe de Beaumont, J. J. Rousseau montre que «la conscience est nulle dans l’homme qui n’a rien comparé, et qui n’a point vu ses rapports». Il va jusqu’à admettre que la conscience peut se tromper si on la place dans la pure spontanéité infaillible et «si l’on pense que son recours dispense de tout un travail de lutte contre les passions et de mise à l’écart des préjugés». La sphère de la conscience jouit d’un caractère inéluctable en morale, en tant qu’instance d’intériorité, de désir et de décision. Il faut le soutenir avec P. Valadier, en précisant que, de ce domaine de la conscience, le vicaire Savoyard renseigne qu’il s’agit d’un «instinct divin» auquel l’on a rapport d’intimité, et la dogmatique catholique et d’autres religions la donnent comme «la voix de Dieu» (Thomas d’Aquin a considéré la conscience comme l’instance d’inscription de la loi divine). Selon P. Valadier cette référence de la conscience à l’intimité divine dans la vie de l’être humain, voudra simplement souligner «que le rapport de l’homme à Dieu (ou la présence de Dieu à l’homme) n’est pas d’abord un rapport d’extériorité ou d’hétéronomie, mais d’intériorité fondatrice; à la source même de ses jugements, l’homme peut expérimenter une présence fécondante et structurante». L’homme est ainsi présenté comme un être dont l’expérience est constamment confrontée à l’«appel à être à la hauteur du projet qu’est l’homme même». La conscience, affirme P. Valadier, «est donc bien appel, mais appel qui ne fait rien



P. Valadier, Éloge de la conscience, p. 211. Cf. J. J. Rousseau, «Profession de foi du Vicaire Savoyard», dans Émile, livre IV (Œuvres complètes, ; Bibliothèque de la Pléiade), Paris, Gallimard, , p. ; cité et commenté par P. Valadier, Éloge de la conscience, p. -.  Cf. J. J. Rousseau, «Profession de foi du Vicaire Savoyard», dans Émile, livre IV, p. -.  P. Valadier, Éloge de la conscience, p. .  Ibid., p. . 

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d’autre que de sommer ou de porter l’homme à advenir à lui-même». Selon cette explication, P. Valadier estime qu’il en va du domaine de la conscience comme «d’une fondamentale passivité: l’être humain a moins l’initiative de la vie éthique qu’il ne reçoit un appel à devenir moral, et qu’il ne s’éprouve comme de toujours interpellé. […] la conscience est ce lien qui noue l’homme à lui-même et à plus que lui-même, au point que trahir ce lien ou ne pas le respecter équivaut à une sorte de reniement de soi et de désappropriation de ce qu’on tient pour essentiel». L’auto-affirmation de la conscience (morale) dans une sorte de volonté de puissance relève d’une illusion. P. Valadier a voulu établir ce fait en indiquant, et il est vrai, que «le contexte de naissance de la subjectivité moderne n’est pas avant tout celui de l’affirmation prométhéenne de soi et d’une activité sûre de soi». P. Valadier précise, du point de vue de la critique de la modernité, que «Nietzsche a particulièrement bien vu le paradoxe qui fait que l’individu n’accède à lui-même, ne peut formuler ce qu’il a de plus secret qu’à travers un système de signes totalement extérieur à lui. La conscience qui constitue ce qu’il appelle ironiquement ‘le génie de l’espèce’ ‘n’a pu se développer que sous la pression du besoin de communiquer’, et donc grâce à ‘des signes de communication’, au point […] que ‘le développement du langage et le développement de la conscience […] vont la main dans la main». En restant à l’intérieur de l’approche sociopolitique qui nous préoccupe ici, il nous revient que «l’intériorité sociale» fait partie de la définition d’une personne. Le surgissement de celle-ci à soi, doit toujours être tenu comme confronté inéluctablement à «tout un éthos déjà organisé et structuré […] un univers culturel entièrement articulé». À partir de la pensée de M. Mauss, P. Valadier soutient à juste titre que même «la relation corporelle de soi à soi est en réalité médiatisée par l’être social, puisque l’individu ne s’approprie son propre corps qu’à travers les règles reçues», de telle sorte qu’il y a inévitablement une «intériorité du social et de l’individuel au sein même de ce que l’individuel a de plus intime, la façon d’assumer son propre corps». L’intériorité dite sociale  P. Valadier, Éloge de la conscience, p. ; en référence à M. Heidegger qui écrit: «L’appel vient de moi et pourtant il me dépasse» (M. Heidegger, Être et Temps, Paris, Authentica, , p. ).  P. Valadier, Éloge de la conscience, p. .  Ibid.  Ibid., p. , citant F. Nietzsche, Le Gai Savoir, § .  P. Valadier, Éloge de la conscience, p. .  Ibid., p. -.

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est celle qui, ainsi que le précise P. Valadier, «équivaut à l’intériorisation de normes de conduites, elles-mêmes porteuses des régulations éthiques; tout individu apprend au cours des apprentissages élémentaires des règles d’assomption de son propre corps comment il convient de se comporter. La morale sous la forme de l’éthos (donc l’éthique) lui apparaît d’abord dans cette inculcation première et fondamentale qui fait corps avec lui-même». En tout état de cause, l’éthique postmoderne émerge de cette option fondamentale pour le régime de responsabilité sociale. Axée essentiellement sur une préoccupation publique, ainsi que l’a fait remarquer H. Küng, l’éthique de la laïcité oscille entre deux refus: le refus «d’un libéralisme sans principes, qui ne vit que dans l’instant et se contente de s’adapter à la situation » du moment (c’est la tentation du modernisme postmoderniste), et le refus «d’un légalisme sans liberté, qui ne se soucie aucunement de la situation concrète pour s’en tenir à la lettre de la loi» au détriment des variables des situations concrètes et effectives, qui font sens dans la vie sociale en général. Ainsi le caractère public de l’éthique postmoderne fait-il surface comme une option de structuration formelle d’une normative régulatrice de l’espace publique des instituions et de la vie en général. Placée au cœur de la problématique de gouvernance à notre époque, la promotion de l’éthique publique ne correspondra pas à la nécessité de mettre «des experts en éthique dans les différentes institutions sociales». Mais cette orientation révèle que dans la complexité des problèmes, l’éthique elle-même requiert son institutionnalisation (notamment à travers des codes éthiques spécifiques, relativement à la nécessité de régulation de différents secteurs de la vie). À partir du déplacement que connait aujourd’hui l’univers de l’économie mondiale, H. Küng note que «l’opinion selon laquelle le seul devoir d’une entreprise serait de réaliser des gains, un gain maximal étant sa meilleure et sa seule contribution à la prospérité de la société, est de plus en plus considérée comme dépassée par les économistes et les spécialistes de l’entreprise». De ce constat, H. Küng soutient que si aujourd’hui «l’entreprise ne peut, sans plus, se décharger de la responsabilité sociale et écologique sur les politiques, elle ne peut simplement se décharger de sa

   

P. Valadier, Éloge de la conscience, p. . H. Küng, Projet d’éthique planétaire, p. . Ibid., p. . Ibid.

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responsabilité morale, éthique, sur la religion». En vue de montrer la nécessité de l’institutionnalisation de l’éthique publique à partir de cet exemple, H. Küng en conclut: un comportement éthique ne peut se réduire à un supplément éthique privé face aux idées qui régissent le marché, aux stratégies de la concurrence, aux bilans écologiques et sociaux: il doit au contraire représenter le cadre naturel de tout comportement humain social. […] l’économie du marché elle-même, si nous voulons qu’elle fonctionne socialement et qu’elle soit régulée écologiquement, a besoin des hommes, qui sont mûs par des convictions et des attitudes bien déterminées.

À ce titre, l’éthique postmoderne se définit, dans ses orientations fondamentales et ses applications concrètes, à partir d’un horizon d’universalité. ... L’horizon universel d’une situation éthique La solidarité planétaire est le maitre-mot qui guide la recherche d’une éthique qui vaut pour la gouvernance du destin de l’ensemble de l’humanité. La notion est différente de la proclamation par la modernité des Lumières d’une «universalité» fondée sur l’unité abstraite du genre humain. Le besoin d’expliquer la portée éthique et les implications pragmatiques de la notion de solidarité planétaire, nous permet de revenir sur l’essentiel de la critique postmoderne qui «comporte un refus des modes abstraits d’une identité impliqués dans la société bourgeoise». M. Freitag note qu’«à l’individu abstrait, rationnel, […] insensible à toute solidarité et à toute réciprocité communautaire», la mutation postmoderne «oppose la personne et la personnalité en même temps affective, sensuelle, culturelle, communautaire». À l’humanité abstraite et désincarnée, et au «peuple» tout aussi abstrait des citoyens, elle oppose les peuples réels, associant et harmonisant leurs différences dans une vaste polyphonie universelle et cependant concrète, singulière, des cultures. Il en résulte que l’éthique de la postmodernité refusera de céder à la notion «d’une Humanité standardisée, vouée à marcher d’un seul et même pas sur le chemin du Progrès guidée par une uniforme raison». L’éthique postmoderne veut prendre en charge, politiquement et socialement, l’enjeu de l’humain en tant qu’identité qui se réfléchit du même   

H. Küng, Projet d’éthique planétaire, p. . Ibid. Cf. M. Freitag, L’oubli de la société, p. .

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coup dans l’altérité et qui se construit en elle. Pour expliquer cette idée, M. Freitag écrit: «dans la modernité, l’altérité ‘interne’ fondatrice de l’identité collective la plus large, la plus englobante et la plus déterminante expressivement et normativement est constituée sous le mode d’une Raison universelle, à valeur transcendantale, qui est en même temps ‘objective’ (l’intelligibilité ou la légalité de la nature selon le déterminisme universel, qui s’exprime dans le ‘Principe de raison’ […]), et subjectivement commune par principe à tous les êtres humains en qui elle s’accomplit dans l’exercice du jugement libre et éclairé, comme liberté métaphysique». Dans cette analyse, M. Freitag montre que «l’identité collective caractéristique de la modernité est elle aussi à son niveau le plus radical, universaliste: de par son mode formel de constitution, l’État moderne tend de manière utopique vers l’État universel (Kant) englobant l’ensemble de l’Humanité et impliquant une ‘citoyenneté universelle’ (toutes les utopies modernes, depuis Campanella et Thomas More, pointent d’une ou d’une autre façon dans ce sens, y compris bien sûr l’utopie communiste marxiste). Et cet État universel est posé lui-même, selon son propre mode normatif de constitution, comme devant être idéalement en accord avec le mode déterministe de la nature, et en cela aussi ‘rationnel’». En revanche, l’idée régulatrice de notre argumentaire repose sur un constat, à savoir que notre époque se caractérise par un tournant dans l’approche philosophique de la catégorie de l’«universel». Contre le système d’abstraction moderne, J. Habermas a eu le mérite de relever que «chaque exigence d’universalisation devrait rester impuissante s’il ne résultait pas de l’appartenance à une communauté idéale de communication, la conscience d’une inamovible solidarité, la certitude de la coappartenance fraternelle à un contexte de vie commun». Il est significatif de montrer que, dans la culture de notre époque, l’universel n’est posé et postulé que comme horizon d’un polycentrisme qui s’exprime à la fois comme «pluralité radicale» au sens de Wolfgang Welsch, ou comme «hétérogénéité radicale qui rayonne au sein de la pluralité» avec Jean-François Lyotard, ou encore comme particularité radicale des identités prises en situation d’«actualisation insurpassable» par le dispositif des récits ouverts. 

M. Freitag, L’oubli de la société, p. . Ibid., p. .  J. Habermas, De l’éthique à la discussion, Paris, Cerf, , p. , tel que cité par P. Valadier, Éloge de la conscience, p. , n. .  Cf. L. Boeve, «La conscience critique dans la condition postmoderne. De nouvelles possibilités pour la théologie?», dans Nouvelle Revue Théologique  (), p. . 

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En continuité avec la philosophie de l’intersubjectivité communicative (J. Habermas) et celle de l’inéluctable altérité (E. Levinas et P. Ricœur), qui ont le mérite de souligner la portée irréductible de la dimension relationnelle et sociétale de l’être humain, la notion de la solidarité en postmodernité est liée à l’idée d’une altérité concrète et différenciée, dont la permanence à toute identité personnelle appelle la nécessité d’une vie de large communion. En remontant même jusqu’à E. Kant, il y a lieu de percevoir dans la maxime de l’«impératif catégorique» une clé de compréhension du caractère universel de l’éthique de communion. J. M. Domenach en démontre la portée révolutionnaire («Agis de telle façon que tu traites toujours l’humanité, en ta propre personne comme en la personne de tout autre […], en même temps comme une fin, jamais comme un pur moyen») lorsqu’il indique que le cadre de référence à cette maxime aura servi de théorie crédible de dénonciation d’une «colonisation, dont l’aspect impérialiste et prédateur ne doit pas cacher qu’elle fut inspirée par une sorte de messianisme occidental qui prônait l’universalisation d’une civilisation moralement, juridiquement et matériellement supérieure». Prise négativement, la portée actuelle de la maxime Kantienne révèle à la conscience de notre époque, le caractère «suicidaire du mythe d’une programmation totale de l’humanité par elle-même […] que nous a légué la modernité», et ce dans la mesure où, en vertu de ce mythe, la modernité, ainsi que le précise J. M. Domenach, a été empêché «d’accomplir son œuvre la plus haute: l’universalisation de l’éthique, puisqu’il n’y aurait eu d’humains que ceux qui relevaient d’une seule et même culture». En outre, la reconnaissance de l’humanité en tout homme relève d’un tournant décisif dans l’orientation postmoderne de l’éthique. Cette reconnaissance permet de nous réaliser aujourd’hui, que l’impératif catégorique Kantien peut être compris comme une transposition, sous la forme de rationalisation, de laïcisation et de modernisation de la «règle d’or» dont la formulation est différemment attestée dans presque toutes les cultures religieuses séculaires. Dans le christianisme: «aimes ton prochain comme toi-même». Si, en toute juste considération, l’impératif catégorique peut être mis en rapport avec le «cosmopolitisme» de Kant en contexte moderne, à notre époque, cette préoccupation est plus rendue explicite par un appel structurel et institutionnel à la fraternité universelle de l’humanité et à la solidarité internationale de par le monde.   

J. M. Domenach, Une morale sans moralisme, Paris, Flammarion, , p. . Ibid., p. . H. Küng, Projet d’éthique planétaire, p. .

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Il faut aller jusqu’à montrer que cette notion philosophique de «solidarité», reliée à la notion politique correspondante de «partenariat», spécifie le statut de l’éthique postmoderne. Ce qui s’y joue, c’est la nécessité de la régulation de tous les systèmes, pour une gouvernance ordonnée à la justice dans le partage du patrimoine mondial. L’idée régulatrice d’un tel système est que, dans et par une politique d’intégration mondiale, tout doit être destiné à la satisfaction des besoins de tous et à la garantie de la sécurité pour tous. On saura par exemple que les appuis et aides destinés aux populations des pays en développement sont, certes, le fait de la coopération active entre les États. Mais dans l’ensemble, ils sont l’œuvre d’une collecte des donations reçues de personnes et organisations qui, de par le monde, croient, par altruisme, en des valeurs humaines fortes. Cette dynamique semble s’accompagner d’une conviction selon laquelle «la vie dans son sens véritable, on ne la possède pas en soi, ni par soi tout seul». En postmodernité, la vie est vie dans la communion de la communauté humaine tout entière, et en fonction de cette communion à construire et à consolider sagement, sur les bases solides de la paix et de la sécurité, de la prospérité et de l’hospitalité. La nécessité d’une régulation transnationale structure les orientations du projet de l’éthique mondiale. Selon ce projet, la communauté politique mondiale doit se soumettre à l’épreuve d’une nouvelle réglementation. Celle-ci est un appel à une moralisation structurelle de l’espace public, à partir de laquelle se trouvent mises en jeu la protection et la croissance de la vie pour tous et partout. L’orientation éthique consacrée dans ce régime de partenariat est en phase de taxer d’immorale toute tendance de vivre et de survivre en sacrifiant systématiquement les intérêts des autres. En postmodernité, l’altérité est structurellement interpellante. C’est avec raison, en effet, que la consistance de l’éthique de la laïcité implique, comme nous l’avons noté avec Ph. Werber, le fait d’être «sensible aux dimensions et aux retombées sociales des décisions personnelles». Nous ne pouvons pas prétendre que le paradigme moderne ait été caractérisé par l’absence d’une «volonté» politique s’exprimant dans le domaine social. E. Kant a prôné l’usage public de la raison. P. Manent a fait remarquer que «l’histoire de la philosophie moderne, de Machiavel à Nietzsche, apparaît comme orientée et animée par l’élaboration du concept de volonté. Ensuite, le cœur intellectuel de la démocratie moderne est constitué par la notion de volonté rationnelle, mise au point, au centre de cette histoire, par Rousseau, Kant, et Hegel. Enfin, 

Benoît XVI, Lettre Encyclique sur l’espérance chrétienne, Spe salvi, n° .

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ajoute P. Manent, les premières et décisives affirmations de la volonté, de l’homme comme volonté, ont été conçues et formulées dans une relation polémique explicite avec l’institution ecclésiale et la compréhension catholique du monde humain». Mais, pour marquer le tournant postmoderne de cette notion de volonté, P. Manent écrit, à la suite de Tocqueville: L’homme démocratique a spontanément le sentiment que la volonté humaine, en tant que volonté du peuple, a le droit de tout vouloir; il approuve volontiers cette «maxime impie» que «tout est permis dans l’intérêt de la société».

La force de l’éthique postmoderne consiste dans la capacité de soumettre les institutions et associations, les organismes étatiques et paraétatiques, au crible du jugement sur le sens de l’humain dans les différents programmes d’actions et dans les différentes expressions de la volonté. La conscience accrue de la vulnérabilité et de la fragilité humaine, au regard de la persistance du triple défi sécuritaire, écologique et social, a permis d’accentuer l’horizon universel de l’éthique et de suspendre tout à la vigilance de l’ordre éthique mondial. De telle sorte que, aujourd’hui, la crédibilité de tout État de droit et la valeur de tout exercice des pouvoirs publics, se jouent à la fois entre le jugement qu’offre le cadre des principes universels de gouvernance, et la capacité d’intégrer cette normative de l’éthique globale dans une gouvernance nationale de l’espace institutionnel de la vie publique. L’enjeu étant d’ordonner tout à l’urgence de créer des conditionnements positifs pour l’épanouissement de la vie en général. La notion de responsabilité publique est donc au cœur de la définition de l’éthique en contexte postmoderne. ... Éthique de la responsabilité globale L’impuissance de l’humanité face à la multiplication de formes redoutables «de négation de l’humain», et la recrudescence des forces destructrices de l’équilibre planétaire, sont des paramètres qui expliquent l’urgence du nouveau paradigme éthique à notre époque. Le défi qui en résulte exige que la responsabilité de l’humanité soit structurellement  P. Manent, «Christianisme et démocratie. Quelques remarques sur l’histoire politique de la religion, ou, sur l’histoire religieuse de la politique moderne», dans P. Colin et al., L’individu, le citoyen et le croyant, Bruxelles, Facultés universitaires Saint-Louis, , p. .  Ibid., p. ; citant A. de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, t. , e partie, chap. .

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engagée d’une façon totalement nouvelle. De cette conscience émerge et se réitère à chaque instant, aujourd’hui, l’appel en direction d’un partenariat plus large, ainsi que le plaidoyer pour une justice universelle, qui imposeront de nouvelles stratégies de régulation à l’ordre économique et politique dominant. Sous l’influence des analyses de H. Jonas, une nouvelle orientation de l’éthique fait du chemin. Dans ce déplacement, «la responsabilité devient l’objet de l’éthique» (P. Ricœur). Le principe de responsabilité sous sa forme habituelle, juridique et morale, s’y trouve ainsi révolutionné. Ce tournant a permis de fustiger l’ambigüité d’une «éthique de progrès», qui vise la réussite à n’importe quel prix. Cette «éthique de progrès», telle que soutenue notamment par G. Hontois, reste suspendue à la logique de «l’impératif technicien», c’est-à-dire à l’idée que tout ce qu’on peut faire doit être fait, la capacité de faire étant ainsi la mesure de l’éthique. Se trouve également fustigée, la logique d’une «éthique de l’intention», du fait qu’elle expose au danger de l’abstraction par rapport aux impératifs de la situation concrète. En revanche, la mutation d’une éthique de responsabilité intervient dans le contexte où la conscience de l’humanité est tournée vers la nécessité d’une vigilance globale vis-à-vis des menaces qui pèsent sur les ressources de la vie, la sécurité de l’espèce humaine, la stabilité des institutions publiques et l’intégrité de l’écosystème. Ce contexte impose la logique d’une éthique de responsabilité parce qu’il s’agit de prendre en charge la vulnérabilité de la vie, en face de dangers possibles et probables de nuisance, mais surtout vis-à-vis de l’horizon de l’avenir, en fonction des générations futures. En tant qu’éthique de responsabilité globale, elle intègre la dimension du principe de précaution, autant qu’il impose l’urgence de la normative d’une éthique universelle, dont l’observance permettra d’éradiquer les causes de la désertification, de la pauvreté et de l’insécurité, à savoir: la déforestation gratuite, l’absence de l’équité, et la prolifération du nucléaire. Les récentes situations économiques nous offrent la possibilité de mesurer, à sa juste proportion, la nécessité d’un engagement éthique en matière de responsabilités publiques. En effet, la crise de la dette que traversent les pays de la zone euro montre que l’ultralibéralisme des finances, des banques et des économies (industrielles) a plus que jamais  

.

Cf. H. Küng, Projet d’éthique planétaire, p. . . . Cf. F. Ewald, C. Collier et N. De Sadeleer, Le principe de précaution, Paris, PUF,

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besoin d’une régulation; et que, dans ce processus qui engage pour cela une nouvelle approche, le pouvoir d’État doit se remettre au centre, cependant en dehors de tout fondamentalisme politique. Dans cet environnement, l’analyse doit viser davantage ce qu’il en est de la position de l’État dans le nouveau paradigme. En 1997, la Banque mondiale s’opposait à l’idée d’un «État minimum». Et, depuis lors, elle s’attache à l’idée de la réforme institutionnelle, qui rentre dans la nécessité de «repenser» le rôle permanent de l’État. Dans ce processus, la Banque mondiale s’appuie sur la disparité de modèles d’États et sur la diversité des systèmes idéologiques, pour «esquisser une réforme de l’État reposant sur une redéfinition de ses attributions en fonction des choix d’intérêt collectif qui doivent guider les stratégies de développement, un accroissement de ses capacités d’action, une amélioration du fonctionnement de ses institutions et un renforcement de leur prestige, une meilleure écoute des populations et, à cette fin, un élargissement de la participation et de la décentralisation». La consistance de cette proposition émane de la définition que la Banque mondiale réservait à la notion de «gouvernance» en  sous la responsabilité de l’État comme «la manière dont sont gérées les ressources économiques et sociales d’un pays à l’appui de son développement». C’est l’énoncé d’une définition qui rappelle que la notion correspondante de «gouvernance mondiale» ne rendra pas inopérant le rôle de l’État. Au-delà du rêve «d’un gouvernement mondial comportant des ministères, une banque centrale, un trésor, tous mondiaux», la catégorie de «gouvernance mondiale» souligne plutôt «la nécessaire prise en charge par la société internationale d’un certain nombre de tâches que, pris isolément, les États ne veulent pas, ou ne peuvent pas, assumer». Il en résulte que, dans le contexte que nous avons qualifié d’internationalisation, de convergences et du consensus planétaire, le rôle de l’État demeure irremplaçable, pour la simple raison que «la société internationale est loin d’avoir atteint un degré d’intégration comparable à celui des États», et que, par conséquent, à l’absence d’une réforme du système des Nations Unies, dans ses structures et ses mécanismes de fonctionnement 

H. Bartoli, Repenser le développement, p. . Governance, The World Bank’s Experience, Washington, The World Bank; cité par H. Bartoli, Repenser le développement, p. .  H. Bartoli, Repenser le développement, p. . Ce rêve se trouve formulé chez J. Tinbergen, Rapport mondial sur le développement humain de . Une administration mondiale pour le XXIe siècle, Paris, Economica, , p. .  H. Bartoli, Repenser le développement, p. . 

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actuel, «la traduction en acte d’un ‘nouveau paradigme’ dépend au premier degré des institutions», des institutions étatiques, essentiellement. C’est à ce titre que la problématique de la bonne gouvernance mérite d’être soulevée, non pas par rapport à la question «de bons systèmes» à adopter, mais par rapport à «la mise en place de mécanismes institutionnels et à la bonne administration des systèmes de protection sociale». Cette option en direction de la «bonne gouvernance» n’échappe pas pourtant au soupçon de «l’impérialisme» des institutions de Bretton 

H. Bartoli, Repenser le développement, p. . Si dans le cadre d’une préoccupation éthique, la démarche de notre étude soutient le paradigme d’internationalisation de tout ce qui touche au destin humain et planétaire, même dans la perspective du cosmopolitisme, pour la même préoccupation, notre analyse endosse les considérations qui vont dans le sens de la consistance de l’État, celui-ci étant considéré comme le lieu irremplaçable d’identification de besoins des communautés et du déploiement des responsabilités publiques dans la gestion du bien commun. Dans cette direction, nous soutenons, à la suite de H. Bartoli, qu’ «aucun ordre international, aucune gouvernance au niveau global, n’est envisageable sans la participation des États nationaux» (H. Bartoli, Repenser le développement, p. ). C’est aux gouvernements des États qu’«il appartient de dégager quelque chose comme une ‘rationalité politique’, expression d’une ‘convenance collective’ conciliant les critères d’un calcul économique élargi grâce à la prise en considération des coûts humains et des coûts écologiques, et les critères des valeurs auxquelles, bien que non unanime, la communauté politique adhère» (ibid., p. ). Dans cette logique, H. Bartoli estime que «ni la nation, ni l’État, ne sont des catégories périmées», et que «nul action de gouvernance de l’économie ne peut être envisagée sans implication des États» (ibid., p. -). À l’appui de cette position, H. Bartoli évoque R. Reich, qui refuse tout cosmopolitisme ignorant le rôle des États, et qui se prononce pour une prise de responsabilité par les citoyens de chaque nation dans l’amélioration de la capacité de leurs concitoyens de rendre leur vie plus pleine et plus productive, sans que cela se fasse au détriment du reste de l’humanité (ibid., p. , en référence à R. Reich, L’économie mondialisée, Paris, Dunod, , p. ). D’où, pour H. Bartoli, «nulle politique de développement conforme au ‘nouveau paradigme’ n’est possible et viable sans l’existence d’un État vigoureux et actif». Par rapport aux «stratégies de développement», on devra continuer de retrouver l’État dans «le rôle principal d’agent de transformation des structures et d’une régulation dont il était estimé que ni le profit, ni la monnaie, ne pouvaient être le moteur exclusif». H. Bartoli estime que ce rôle demeurera intact «dans les pays (Afrique subsaharienne) où il n’existe pas encore de classe capable d’être porteur d’un projet national d’industrialisation ou/et d’essor des services». Ce rôle de l’État concerne même «les pays intégrés à l’économie mondiale du fait de leurs ressources (pétrole), mais aussi soucieux de construire la nation au sens économique du terme (Arabie saoudite, Émirats arabes unis…» (H. Bartoli, Repenser le développement, p. ). Le problème restera sans doute celui de savoir dans quelles conditions de gouvernance et de partenariat, l’État assurera-t-il l’exercice de ses pouvoirs et ses fonctions régaliennes? C’est une question qui laisse supposer que la préoccupation de bonne gouvernance est voulue dans les conditions démocratiques d’exercice de pouvoirs politiques à notre époque.  BIT, Rapport sur le travail dans le monde (). Sécurité du revenu et protection sociale dans un monde en mutation, Genève, Bureau International du Travail, , p. . 

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Woods et de leurs politiques économiques néolibérales sur l’État. La critique vise la logique qui fait «de la croissance économique l’élément central de leurs interventions». Ce qui est en jeu c’est «la doctrine libérale tenace qui sous-tend cette politique, dite ‘consensus de Washington’, [et qui] conduit à considérer que les deux autres piliers du développement durable (social et environnemental) découle mécaniquement de la croissance, qui repose sur la libéralisation des échanges et la promotion du secteur privé». Et, c’est cette logique qui est contenue dans la définition de la «bonne gouvernance» issue du consensus de Washington. Selon cette définition «la bonne gouvernance consiste essentiellement en l’administration politique des orientations économiques suivantes: dérégulation des échanges, du commerce et des systèmes de prix, priorité donnée aux investisseurs privés (individus et entreprises) et suppression de l’intervention de l’État en matière d’octroi de subsides». Dans cette approche se manifeste la tendance à éviter de mettre ensemble les critères requis dont les droits de l’homme et la responsabilité, la démocratie et la participation, l’État de droit et la transparence, le respect du bien commun et l’éthique politique, comme conditions indispensables à une gouvernance recommandable en contexte du développement durable. Selon A. Bendana, on ne peut pas ignorer que, dans ce contexte, «les politiques néolibérales sont à l’origine d’une forte augmentation du nombre de pauvres et d’extrêmement pauvres». Il est vrai qu’on devra tirer les conséquences du constat selon lequel les politiques et les stratégies des institutions financières internationales se sont soldées par «un échec» manifeste. Pour le démontrer, nous nous appuyons sur le constat de S. Godinot qui écrit: Si le commerce international a été multiplié par , et le développement économique par  entre  et , la pauvreté n’a pas baissé dans les mêmes proportions, au contraire: selon le PNUD, depuis  «le déclin ou la stagnation économique a affecté une centaine de pays, réduisant les revenus de , milliards de personnes». Au sein de la BM elle-même, l’OED (département d’évaluation des opérations) constate: «La pauvreté a empiré […]. Le nombre de pauvres vivant 

S. Godinot, «Les institutions financières contestées», dans A.-M. Ducroux (dir.), Les nouveaux utopistes du développement durable, Paris, Éd. Autrement, , p. .  Ibid.  A. Bendana, «‘Bonne gouvernance’ et OMD: contradictoires ou complémentaires», dans Alternatives sud, Objectifs du Millénaire pour le développement. Points de vue critiques du sud, Paris, Éd. Syllepse, , p. -.  Ibid., p.  note .

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avec moins d’un dollar américain par jour est passé de , milliard en  à , milliard en ». Depuis , l’espérance de vie a baissé dans  pays. Même dans les pays industrialisés, le Bureau international du travail souligne que  millions de personnes sont désormais sans emploi, et une centaine de millions sans domicile fixe. Si, comme le disait en  J. D. Wolfensohn, président de la BM, «notre objectif commun doit être d’éradiquer la pauvreté, promouvoir l’inclusion et la justice sociale», il y a matière à s’interroger sur les politiques conduites depuis et le pari fait sur le développement et le commerce pour y parvenir. Pour ce qui est de la BM, on voit que le développement crée aussi de la pauvreté. Quant au FMI, on observe qu’«il a toujours donné la priorité aux critères de stabilité financière et monétaire au détriment de toutes autres préoccupations. Ses programmes d’ajustement structurel tristement célèbres ont infligé (pendant près de vingt ans) à plus de  pays en développement des réformes économiques drastiques aggravant la pauvreté de millions de personnes».

Ce qui fait problème, selon l’analyse A. Bendana, c’est la position de la Banque mondiale selon laquelle «la bonne gouvernance doit garantir le bon fonctionnement d’une économie de marché caractérisée par des droits de propriété stables, des contrats exécutoires, un niveau de transparence élevé et un faible niveau de corruption. La création d’institutions efficaces est vue comme un contrepoids aux pouvoirs arbitraires ou ‘populistes’, dans des États où les institutions financières internationales (IFI) seraient relayées à travers la mise en place d’un vaste agenda de démocratisation et de participation, principalement axé sur le rôle de la corruption. La lutte contre la corruption ne fait cependant pas partie d’un projet de démocratisation, elle sert plutôt à garantir la stabilité macroéconomique (consolidation du secteur financier, privatisation, etc.)». C’est pourquoi, avec raison A. Bendana fait remarquer que «séparer la notion de gouvernance de celle de démocratisation et de souveraineté n’est pas seulement une erreur, c’est une erreur dangereuse». Dans ce contexte «la ‘bonne gouvernance’ […] vise à renforcer le paradigme/ discours hégémonique qui encadre le développement et qui empêche de remettre en question l’orthodoxie néolibérale quant au lien qui existe entre croissance et démocratie». A. Bendana note que finalement en ce qui concerne «la gouvernance, la Banque mondiale multiplie les lignes 

S. Godinot, «Les institutions financières contestées», p. -. A. Bendana, «‘Bonne gouvernance’ et OMD: contradictoires ou complémentaires», p. .  Ibid., p. .  Ibid., p. -. 

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directrices (et les conditions) comme elle le fait en matière d’environnement, de gestion des conflits, de réduction de la pauvreté, de genre et de développement durable, et ce en favorisant le développement de la recherche, la diffusion et l’expérimentation de ses résultats, autant des moyens mis en œuvre pour soutenir ses politiques». Et pourtant, souligne A. Bendana à la suite de Carlos Santiso, «la manière dont la Banque mondiale conçoit la bonne gouvernance continue de refléter des préoccupations davantage liées à l’efficacité de l’État plutôt qu’à l’équité du système économique et à la légitimité de la structure du pouvoir». C’est une perspective qui permet à Stephen Gill de faire remarquer qu’«au sein des nouveaux cadres constitutionnels du paradigme néolibéral, les politiques publiques s’appuient de plus en plus souvent sur des principes visant à garantir la sécurité de la propriété privée (et des propriétaires) et à rassurer les investisseurs en plaçant, par exemple, les populations et les gouvernements sous surveillance constante». Faisant écho, de façon judicieuse, de l’approche critique, A. Bendana écrit: «à l’instar des régimes politiques, le commerce international et les systèmes financières sont extrêmement inégaux, ils manquent de transparence et sont repartis de manière disproportionnée, s’affirmant surtout du côté des pays riches. La plupart des approches de la gouvernance et des OMD prennent bien soin d’écarter cette réalité essentielle. Gouvernements et gouvernance semblent ignorer la possibilité d’explorer d’autres modèles de développement politiques qui donnent structurellement priorité à l’élimination de la pauvreté et de la faim ainsi qu’à des politiques de redistribution pour contrer les inégalités grandissantes et l’apathie politique». Ainsi s’exprime la teneur d’une approche alternative qui comprend, notamment à la suite de Armatya Sen, que la pauvreté est une question de «privation de capacités», et que, de ce fait, «il convient de s’attaquer au problème de la répartition inégale du pouvoir et de garantir pour les populations l’accès aux services de base».

 A. Bendana, «‘Bonne gouvernance’ et OMD: contradictoires ou complémentaires», p. .  C. Santiso, cité par A. Bendana, «‘Bonne gouvernance’ et OMD: contradictoires ou complémentaires», p. .  S. Gill, cité par A. Bendana, «‘Bonne gouvernance’ et OMD: contradictoires ou complémentaires», p. .  A. Bendana, «‘Bonne gouvernance’ et OMD: contradictoires ou complémentaires», p. .  A. Sen, cité par A. Bendana, «‘Bonne gouvernance’ et OMD: contradictoires ou complémentaires», p. .

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La catégorie de la bonne gouvernance exigera ainsi d’être repensée. Même dans notre contexte, on devrait continuer à montrer qu’à travers l’influence des entreprises et sociétés transnationales, la survalorisation du paradigme de «croissance économique» au détriment du paradigme de «l’équité et l’égalité, par conséquent, [de] la gouvernance démocratique» ne favorisera pas l’épanouissement du paradigme de développement durable, dans ses versants de lutte contre la pauvreté et de préservation de l’environnement. Et ce, d’autant plus que, la «bonne gouvernance» selon la formule des IFI ne permet pas aux «gouvernements d’intervenir directement pour réguler, pour atténuer et pour prévenir tout impact négatif sur la vie sociale». L’analyse de A. Bendana offre la possibilité de constater la persistance des «contradictions entre les objectifs affirmés d’éradication de l’extrême pauvreté et de la faim et les politiques de développement prônées par les bailleurs, les IFI et l’ONU. Les politiques et les stratégies économiques prônées par les IFI, les banques régionales et les donateurs/ créditeurs bilatéraux entrent souvent en contradiction avec les conventions de l’ONU sur le développement et les droits de l’homme, ce qui entrave l’engagement des Nations Unies». Par conséquent, on doit cesser «de croire que la nature du capital privé et des transnationales qui le détiennent peuvent fournir aux pauvres de meilleurs services à des prix abordables et ainsi répondre à leurs revendications pressantes». A. Bendana est convaincu que «ce système de gouvernance mondiale et nationale d’inspiration néolibérale fait pour enrichir quelques privilégiés et leur donner davantage de pouvoir en leur permettant de guerroyer quand bon leur semble, ne peut pas, en même temps, éradiquer la pauvreté, sauvegarder l’environnement et empêcher de nouveaux conflits». Dans ce sens, pour A. Bendana, «le terrorisme, la pauvreté, la faim et la mal-gouvernance sont loin d’être des phénomènes soudains. Ils trouvent leurs racines dans les processus historiques de marginalisation, de mal-développement, d’expropriation, d’exploitation, autant de facteurs porteurs de désespoir. S’attaquer à ces problèmes ne va pas sans s’attaquer aux forces et aux processus sociaux, culturels, politiques et économiques qui entretiennent la vulnérabilité, la marginalisation et la corruption. La bonne gouvernance comme les bonnes intentions des OMD doivent  A. Bendana, «‘Bonne gouvernance’ et OMD: contradictoires ou complémentaires», p. .  Ibid.  Ibid., note .  Ibid.  Ibid., p. .

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remettre en question et non masquer ces structures et ces systèmes qui génèrent d’énormes inégalités et qui sont responsables de l’oppression et de la misère qui touchent la majeure partie des habitants de la planète». La conscience actuelle de cette critique, renvoie plutôt à la nécessité d’envisager la réédition des OMD, en en fixant une nouvelle échéance de réalisation progressive, notamment en fonction de l’horizon , et en en formulant d’autres, pour être réalisés dans les conditions d’assainissement des obstacles dus à la persistance des économies d’accumulation dans notre monde. Cependant la critique en cours sur les OMD de l’horizon  a l’avantage de tirer au clair ce que doit être le rôle de l’éthique mondiale. Celle-ci représente l’instance d’un pouvoir normatif de régulation des économies et des services publics, sans prétention de remplacer le rôle de l’État, en inspirant à celui-ci et à d’autres acteurs en partenariat, une nouvelle logique de conduite politique, qui résultera de la censure exigée par l’interaction entre l’enjeu humain, l’enjeu social et l’enjeu environnemental du développement durable. Par rapport à l’enjeu humain, l’éthique du développement inscrira à tout système de pouvoir politique et à toute politique économique, l’exigence de restituer à tout être humain le droit le plus fondamental à la sécurité et à l’épanouissement. Ce qui implique que la stratégie du développement le plus porteur n’en restera pas à privilégier les notions, certes, utiles, mais abstraites, de «ressources humaines» et du «bien-être social»; elle ira jusqu’à intégrer le processus global qui va de la recherche des conditions requises pour la satisfaction par tous les besoins vitaux, au régime de défense et de respect des libertés individuelles et collectives, ainsi qu’à la dimension de l’intégration dans les valeurs culturelles et  A. Bendana, «‘Bonne gouvernance’ et OMD: contradictoires ou complémentaires», p. -.  Dans son livre intitulé Les communautés politiques (Paris, Desclée, ), R. Coste nous offre une description, sous une forme la plus achevée, aussi bien de la finalité du politique, qui s’exprime dans le devoir de «prise en charge du bien commun» (p. ), que de la mission de l’État, qui s’étend à des secteurs aussi divers du politique que: la politique de la population, qui inclut la politique de la croissance, de la santé, de la famille, de la culture, etc.; la politique économique, où se recoupent initiative et intervention de l’État pour la croissance, les infrastructures, l’emploi, l’habitat, le logement et l’urbanisme, politique industrielle et agricole, etc.; la politique sociale, où interviennent la protection des travailleurs, la promotion de la participation active à la gestion des entreprises, la politique des revenus, la promotion sociale, l’action en faveur des catégories les plus défavorisées, etc. (Les communautés politiques, p. -).  Cf. D. Pollheimer, Objectif Qualité de vie. Développement durable: une exigence écologique, une stratégie économique, un processus social. Rapport final du programme Prioritaire Environnement Suisse, .

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éthiques les plus humanisantes. Dans le processus de quête pour un nouveau type de développement, Ignacy Sachs estime que «développer, c’est construire une civilisation de l’être dans le partage équitable de l’avoir». Le développement soutenable ne peut ainsi fonctionner que comme un type intégré qui vise un seuil acceptable de la qualité vie dans le processus d’accomplissement total de l’humain. L’enjeu du développement sur le plan éthique remet ainsi sur la scène «les concepts de capital humain et de capital social [qui] contribuent de plus en plus à l’appréhension du bien-être», en tant que «bien-être humain». Dans le cadre de l’enjeu social, l’éthique du développement soulignera la priorité d’une politique de promotion des institutions, des services publics et des infrastructures de bases pour être ordonnés avant tout à la croissance de la qualité de vie de tous. Si la stratégie correspondante interpelle la qualité de la gouvernance quant à ce qui touche l’organisation sociale globale, elle repose sur l’amélioration des structures de formation et d’accès aux différents services sociaux, dont l’éducation et la santé; elle implique la promotion de «libertés ‘sociales’, telles que la capacité de participer à la vie de la collectivité, au débat public, à la prise de décisions politiques […]», la promotion des processus décisionnels, cet «ensemble de réseaux, des normes et valeurs qui contribuent à aider les divers acteurs et institutions à atteindre les objectifs communs», ainsi que le renforcement des «dispositions politiques, institutionnelles et juridiques», qui accompagnent et consolident les options collectives en matière des finalités d’une gouvernance conséquente. En direction de l’enjeu écologique, c’est le système de sécurité de l’environnement global qui est mis en exergue. Il en appelle à la cohérence et à la sincérité des politiques nationales et des instances transnationales en matière d’engagements quant à l’observance des mesures juridiques et économiques de préservation des écosystèmes sur lesquels reposent l’équilibre total et la sécurité durable du système globale de la vie. La conscience éthique de cet enjeu rappelle que le système écolo «Une civilisation de l’être. Entretien avec Ignacy Sachs», dans A.-M. Ducroux (dir.), Les nouveaux utopistes du développement durable, p. .  S. Côté, «Rechercher autre chose, mesurer autrement», dans A.-M. Ducroux (dir.), Les nouveaux utopistes du développement durable, p. -.  PNUD, Rapport mondial sur le développement humain. Droits de l’homme et développement humain, Bruxelles, De Boeck Université, , p. .  S. Côté, «Rechercher autre chose, mesurer autrement», p. .  Ibid.  Cf. E. Rodary et al. (dir.), Conservation de la nature et développement durable. L’intégration impossible, Paris, Gret-Karthala, .

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gique est jugé d’autant plus crucial qu’il fonctionne comme préalable d’intégration de tout autre système de la vie aujourd’hui. B. Lefetey a estimé par exemple que «la dégradation de l’environnement peut également avoir des effets indirects sur l’accès à l’éducation et à la santé». C’est dire que sur le système écologique s’articulent, s’intègrent, tout comme peuvent se désintégrer et se désagréger, les systèmes humain et social, économique et matériel. Dans cette démarche globale, une gouvernance informée de ses conséquences éthiques se négociera à partir du respect de l’équilibre liant les inévitables «interactions entre le capital humain, le capital institutionnel et le capital spirituel (culturel), c’est-à-dire des règles du jeu social, de l’organisation de la société, de la gouvernance, de la participation, de la justice», tout en restant opérante à partir d’une dynamique où, comme le souligne H. Bartoli, «le social doit être aux commandes, l’écologique constituer une conditionnalité nouvelle, l’économique, si important soit-il, étant ramené à son rôle d’instrument». C’est à ce prix que H. Bartoli reste convaincu que notre époque est aussi celle de la redécouverte du rôle des institutions de Bretton Woods, en tant rôle «d’instruments au service du développement économique et humain». Désormais, précise H. Bartoli, «ce n’est pas à l’économie au sens étroit, encore moins au monétaire et au financier, de faire la loi au social, pas davantage à celui-ci de leur dicter sa propre loi. Le social est par nature le lieu d’émergence et de détection des fins, l’économique celui de la connaissance et d’utilisation des moyens permettant de les atteindre». Ce paradigme, nous l’avons vu, a permis la définition des contours de la notion du «développement durable», qui en appelle à la problématique de la responsabilité sociale des entreprises, et qui compte sur l’expertise des ONG relativement à l’étude des situations concrètes du développement humain. La stratégie du développement durable implique, à cet effet, le traitement simultané de «toutes les sphères du développement humain: le progrès social et les droits, les équilibres écologiques, la viabilité économique, la diversité des cultures, la participation de tous les groupes d’acteurs, notamment des sociétés civiles». La démarche consacre ici un mode transversal d’approche, qui intègre «simultanément les aspects  B. Lefetey, «Dette financière contre dette écologique», dans A.-M. Ducroux (dir.), Les nouveaux utopistes du développement durable, p. .  H. Bartoli, Repenser le développement, p. .  Ibid., p. .  Y. Nicolas, «Genre et développement durable», dans Genre et développement. Les acteurs et actrices des droits des femmes et de la solidarité internationale se rencontrent et

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politiques, économiques, technologiques, sociaux, environnementaux, culturels du développement». Le défi social est relativement crucial. Il participe du mouvement de déploiement de l’idée du développement durable, et exige, en direction de celle-ci, «un terrible effort de pensée de synthèse sociétale». Dans le cadre de cette problématique, l’option éthique coincera tout système de gouvernance à «être fortement impliqué et engagé dans le fonctionnement du social». En ce sens, on le voit, l’intervention de l’éthique publique ne se fera pas dans les conditions de massification des besoins des communautés humaines, mais elle sera le cadre de vérification de la qualité d’une gestion jugée capable d’assurer à tous, de façon différenciée, une juste accession à des besoins fondamentaux. Cela a permis à Alain Marciano d’écrire: les sociétés humaines se caractérisent par un bien commun à l’humanité des hommes et auquel participe chaque vocation. Chaque être humain est donc un élément indispensable au fonctionnement de la société et à la poursuite du bien commun; dans ce sens, les hommes sont égaux. Cependant, toutes les contributions ne sont pas identiques; une hiérarchie structure les relations entre les hommes donnant naissance à des rapports à autrui non pas choisis mais imposés. Ce n’est donc pas sur l’égalité (essentielle) des hommes que doit s’organiser la société mais sur les inégalités (apparentes) donnant à chacun une place en fonction de ses capacités.

Cette constatation d’A. Marciano vaut pour être comprise aussi dans sa portée éthique. La recherche des solutions à des problèmes de l’humanité rentre dans la responsabilité de la communauté mondiale. En vertu de la nouvelle conscience de cette responsabilité, les différents systèmes de gouvernance au niveau national et local devraient permettre à tout être humain sur la planète terre de s’assurer que son sort est impliqué et pris en charge dans l’ordre d’un pouvoir normatif qui relève d’une vigilance supranationale. C’est à cette condition que la notion de la responsabilité mondiale acquiert un visage réel, là où elle s’est assignée une ligne échangent sur leurs pratiques. Actes du colloque régional,  et  mars , Lille – Paris, L’Harmattan, , p. .  Y. Nicolas, «Genre et développement durable», p. .  Cf. Ch. Comeliau (dir.), Le défi social du développement. Globalisation et inégalités. Paris, Karthala, .  Cf. F. Baddache, Entreprises et ONG face au développement durable. L’innovation par coopération, Paris, L’Harmattan, , p. .  A. Marciano, Éthiques de l’économie. Introduction à l’étude des idées économiques, Paris – Bruxelles, De Boeck & Larcier, , p. .  Ibid., p. .

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précise dans l’ordre de ses préoccupations: de la sécurité des personnes à la sécurité de la biodiversité; de la vigilance vis-à-vis de l’énergie atomique à la préoccupation quant à la question du changement climatique; de la transparence dans l’exploitation des ressources (comme l’eau, les minerais et les forêts) à la traçabilité de leurs revenus pour la sécurité sociale (alimentation, santé, éducation, libertés politiques) des personnes au sein des États. La vocation universelle de l’éthique postmoderne, tient essentiellement au principe de la responsabilité sur le système global de la vie, autant qu’elle excède le cadre du présent. H. Küng précise que le profil de l’éthique postmoderne se mesure surtout face à «responsabilité de la société planétaire à l’égard de son propre avenir! Responsabilité à l’égard de nos contemporains et de l’environnement, mais responsabilité aussi à l’égard de la postérité». Face à cette révolution de responsabilité, l’éthique interpelle la conscience de l’humanité de manière nouvelle. Elle permet d’aller au-delà de toute considération sur la conscience de responsabilité sur soi. C’est l’orientation d’une responsabilité collective qui se trouve la plus sollicitée. Toute personne y est invitée à comprendre, comme l’a écrit K. Rahner, que la conscience des devoirs «envers autrui revêt des responsabilités qui, débordant de plus en plus le cercle de [la] vie individuelle, intéresse le destin d’un nombre croissant d’hommes, si bien que chacun finit par être, de la façon la plus réelle, responsable de tous les autres». Dans le même ordre d’idée, H. Küng a estimé que toute personne est appelée à mettre en jeu «son potentiel humain en vue d’une société aussi humaine que possible et d’un environnement aussi intact que possible». Ceci explique combien l’ordre actuel du monde ne se limite plus à exalter la dignité de l’être humain en termes d’identité personnelle. La tendance actuelle est d’aller au-delà du sens «de la responsabilité à l’égard de soi-même» pour accentuer l’idée «de la responsabilité à l’égard du monde, de la responsabilité à l’égard du prochain, de la société et de la nature». Le facteur de l’humain, perçu comme l’enjeu crucial, comme «le but ultime, […] la fin et le critère» de cette responsabilité globale, est en même temps perçu comme celui qui ordonne à l’équilibre de tout. En conséquence, le capitalisme industriel et la production     

H. Küng, Projet d’éthique planétaire, p. . K. Rahner, Est-il possible de croire?, Paris, Mame, , p. . H. Küng, Projet d’éthique planétaire, p. . Ibid. Ibid.

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technologique, les institutions républicaines et les idéologies politiques, les pouvoirs publics et les diverses formes de «superstructures» (même dans leur manifestation religieuse), ne sont plus autorisés de pousser plus loin dans la considération de leur «légitimité», qu’en référence à ce qu’exigent l’intégrité de la vie humaine et l’équilibre des écosystèmes. Tout choix en direction de l’ultra-modernisme, mais qui aura comme conséquence la perturbation de l’équilibre environnemental et la destruction du potentiel humain, s’exposera à un jugement éthique sévère. La conscience de la responsabilité éthique vis-à-vis de la sécurité de l’humain dans tout homme et de stabilité écologique, révèle surtout ce qu’il en est du climat de «complicité» qui devrait régner entre l’humanité et l’environnement naturel. Dans une Exhortation à l’Afrique, Benoît XVI constate qu’aujourd’hui «de graves atteintes sont portées à la nature et aux forêts, à la flore et à la faune, et d’innombrables espèces risquent de disparaître à tout jamais». Dans ce contexte, Benoît XVI invite les décideurs politiques et sociaux à tout mettre en œuvre pour «protéger les biens fondamentaux que sont la terre, l’eau, pour la vie humaine des générations présentes et futures et pour la paix entre les populations». La sacralité de la vie humaine et l’inviolabilité de l’équilibre de cette vie sur la planète terre, seront affirmées jusqu’au point où l’on doit arriver à percevoir que dans le régime de compétitivité du système de l’économie libérale, par exemple, «le gain n’est pas un but, mais un résultat». De la même façon devra-t-on concevoir toute organisation du pouvoir politique et toute stratégie de gouvernance comme «moyen» qui conduit au service de l’humain. Si, en outre, la défense de l’humain a toujours engagé une responsabilité globale depuis «l’invention des outils, l’organisation des communautés, l’avènement des traditions», aujourd’hui, c’est essentiellement le registre des droits de l’homme et des peuples, qui s’impose comme front crucial du combat éthique dans cette direction. Il n’appartient pas au cadre de cette analyse d’aller jusqu’à soutenir que les chances d’une réintégration des États suite à ces différents changements, seraient soumises à la tutelle d’un certain universalisme idéologique. Nous sommes en parfait accord avec Philip Pettit qui disqualifie

 Benoît XVI, Africae Munus. Exhortation apostolique post-synodale sur l’Église en Afrique au service de la réconciliation, de la justice et de la paix, Rome, Librairie Éditrice du Vatican, , n° .  H. Küng, Projet d’éthique planétaire, p. , citant Peter Drucker (spécialiste du management américain): «Facing the ‘New and Dynamic’», dans Time-Magazine  (janvier ).

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une telle orientation. Ce qui résiste à toute nouvelle approche est plutôt l’idée que tout ce qui s’appelle démocratie dans les régimes des États nationaux, est aujourd’hui soumis à «de ressources normatives qu’elle ne peut gérer elle-même». Ainsi est-il requis que, dans l’ordre de la gouvernance, tout ce qui répond du politique et de l’administration publique, sur le plan institutionnel, soit actuellement mis à l’épreuve d’une censure morale en fonction de la centralité de l’humain et d’une évaluation éthique en vertu de la primauté de l’écologie. La question éthique ici consiste à se demander, ainsi que l’a noté H. Küng, «à quelles conditions fondamentales pourrons-nous survivre, survivre comme hommes sur une terre habitable et donner forme humaine à notre vie individuelle et sociale? À quelles conditions la civilisation humaine pourra-t-elle être sauvée et faire son entrée dans le troisième millénaire? À quel principe fondamental devront obéir les forces vives de la politique, de l’économie, des sciences et aussi des religions? Mais aussi à quelles conditions l’individu pourra-t-il accéder à une existence heureuse et accomplie?». On sait jusqu’à quel point, sur maints espaces sociaux, l’homme est continuellement confronté à des régimes d’inhumanité, d’atteintes et de violations des droits à la vie, du droit aux conditions vitales respectueuses de sa dignité de personne: déni de justice (comme dans le cas des conditions carcérales exécrables et cruelles, de torture, etc.), privation des conditions sociales dignes (malnutrition, analphabétisme, asservissement de la femme pour une plus grande partie de la population mondiale), etc. En contexte d’États africains par exemple, certains penseurs n’ont pas hésité à avancer quelques facteurs explicatifs de cette situation. A. Mononi et E. Koli ont estimé en effet que «les conditions dans lesquelles plusieurs de ces États ont accédé à l’indépendance (lutte armée); l’évolution des structures étatiques (tendance vers le monopartisme); les oppositions internes et l’influence ethnique […]; les influences étrangères, ont fait que les États africains ont donné plus d’importance aux problèmes de sécurité, de développement économique et social, qu’à la protection des droits de leurs citoyens». Cependant, l’analyse n’en reste pas moins 

Cf. P. Valadier, Détresse du politique, force du religieux, Paris, Seuil, , p. -. Ibid., p. -.  Ces questions sont formulées de cette façon par H. Küng dans son livre Projet d’éthique planétaire, p. .  A. N. Mononi et E. M. Koli, L’organisation de l’unité africaine vingt ans après. Des espoirs déçus?, Kinshasa, Mafundiso Mateya, , p. ; tel que cité par J. F. Mole Gbamanzango, «De l’OUA à la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples. 

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à retenir qu’à ces jours, comme va le faire observer E. Mbaya, «le sombre tableau de la situation des droits de l’homme en Afrique […] constitue un défi à la morale internationale et à la conscience humanitaire». La situation du continent africain, comme celle de beaucoup d’autres espaces sociaux de notre planète, exige que, de toute urgence, les différents opérateurs et décideurs politiques soient conscients d’être comptables de la gestion du destin de l’humain, en comprenant que la question des droits de l’homme (et de droits humanitaires) est devenue le test de crédibilité de toute action de gouvernance. De plus en plus, la conduite des pouvoirs publics et l’orientation des pratiques sociales ne sont défendables qu’en fonction de l’idée de ce qu’est et devrait être l’être humain. Cette idée ne concerne que le «bien de l’homme» dans un environnement viable. Ce ne sont pas les institutions en soi qui offrent cette idée, ni les différents cadres de la seule légalité. C’est la mesure éthique du fonctionnement des institutions qui en donne la garantie. Comme le note H. Küng, «c’est toujours le bien et la dignité de l’homme qui sont ainsi mis en avant comme principe fondamental et motivation de l’ethos». Il en ressort que la problématique des droits de l’homme ne saurait être considérée simplement comme un chapitre ou un chantier d’une gouvernance préoccupée de gagner en réputation en matière de démocratie. Elle doit être considérée comme une question au cœur même de la gouvernance globale. Elle en est l’axe principal, dans la mesure où c’est elle qui est sensée commander les actions de la gouvernance vers leur seule finalité: l’épanouissement de l’humain. Du point de vue éthique, le respect des droits de l’homme devient ainsi un a priori fondamental en direction de différents programmes politiques du développement qui se veut durable. En ce sens, travailler pour le développement humain durable, c’est rendre justice et faire droit à l’être humain et aux communautés humaines dans une société démocratique. De ce fait, toute idée de réforme des lois et des institutions publiques sera fondamentalement, Itinéraire d’une quête de liberté et d’unité revisitée», dans Revue Africaine de Droit Canonique  (), n° , p. .  E. Mabaya, «Symétrie entre droits et devoirs dans la charte africaine des droits de l’homme», dans Le Supplément  (), p. ; tel que cité par J. F. Mole Gbamanzango, «De l’OUA à la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples. Itinéraire d’une quête de liberté et d’unité revisitée», p. .  M. Borghi et P. Meyer-Bisch (dir.), Éthique économique et droits de l’homme. La responsabilité commune, Fribourg/Suisse, Éditions universitaires, .  Cf. H. Küng, Projet d’éthique planétaire, p. . .  Cf. ibid., p. . -.

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voire uniquement, ordonnée à cette fin. Cet horizon de la réforme institutionnelle devra être ressenti comme procédant de l’exigence de moralité politique, qui soumet tout régime de gouvernance, au-delà des options idéologiques, à la contrainte de rejoindre et d’intégrer stratégiquement le cahier de charges de défense de droits des personnes et de leurs libertés fondamentales. À travers cette problématique des droits de l’homme, la notion postmoderne de «partenariat» se clarifie davantage, en ce qu’elle est devenue une donnée contraignante de la gouvernance au sein des États démocratiques. Dans le cadre de la nouvelle approche, en effet, tout acteur (au niveau national ou international, individuel ou corporatif ) œuvrant au sein des organisations de droits de l’homme (et de droits humanitaires) est «partenaire» dans toute opération et tout déploiement de la gouvernance. Le système des Nations Unies dans ses aspects d’intervention, est, de façon irremplaçable, partenaire de tous les États membres. Il est utile de rappeler que c’est dans son rôle de garantir la sécurité et la paix, d’empêcher que soient commis sans excuses des crimes contre l’humanité, d’intervenir en cas des catastrophes humanitaires, d’assurer l’assistance et la protection des populations civiles en situations de conflits, de reconstruire ce qui peut l’être en faveur des populations en situations postconflits, que l’Organisation des Nations Unies (ONU) est, partout, le partenaire privilégié du contrôle, de l’exécution et de l’évaluation du nouvel ordre éthique dans le monde. Son influence exige qu’au niveau des États s’amorcent des réformes conséquentes, surtout dans le secteur épineux de la justice, axe fondamental de toute démocratie. Le travail de réappropriation des principes de l’éthique universelle dans de différents systèmes de gestion publique, doit ainsi déboucher sur la création, la valorisation et la consolidation des espaces de conscientisation des acteurs sociaux, en tant qu’espaces de formation des opérateurs politiques, et de mobilisation de l’opinion publique en général, quant à l’impératif de vigilance en matière de droits de l’homme. L’importance d’une telle stratégie consistera dans la vérification du niveau de la prise en compte de la valeur humaine au sein de différentes politiques économiques et sociales. Le jugement éthique sera ainsi préoccupé d’établir la conformité de toute gouvernance aux prescrits de standards universels sur la responsabilité des institutions et du politique vis-à-vis de l’humain. Le principe de bonne gouvernance, en tant qu’il se fonde sur l’orientation et la vérification éthique de tout régime de gestion publique, visera en tout état de cause, la promotion de l’humain dans le traitement du sort de tout homme par rapport aux droits à la vie

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bonne et épanouie. Il en ressort que c’est l’éthique du service de l’homme et de l’apostolat dans les services publics de base, au sein d’une gouvernance redevable, qui rendra les États viables et fréquentables, et non forcement le «scandale» de leurs ressources potentielles (forêts, eau, minerais, terres cultivables…). La vraie bataille pour l’épanouissement de l’humain est essentiellement d’ordre éthique, lorsqu’elle intègre l’horizon de l’avenir de toute la planète.

.. Horizon cosmopolite d’une éthique mondiale L’éthique mondiale émerge aujourd’hui du paradigme qui assure et conduit le passage du droit international classique, appartenant au paradigme de l’État-nation du XIXe siècle, à un ordre de droit cosmopolite «dont les institutions multilatérales et alliances continentales [constituent] les véritables acteurs politiques». Ici se situe tout l’enjeu de la réactivation, en contexte postmoderne, de la pensée d’E. Kant sur la nécessité d’accentuer, au-delà de tout souverainisme constitutionnel des États, l’idée de «la citoyenneté mondiale» et celle du «droit cosmopolite». Dans la pensée d’E. Kant, cette idée implique que vienne à se dresser une communauté universelle dans laquelle tout être humain pourra «faire partie de la société en vertu du droit de possession commune de la surface de la terre», et qui permettra de construire les conditions de «la paix perpétuelle» entre les humains, à travers la possibilité «de se rapprocher continuellement». Non pas que l’on soit obligé, par la force de choses, de prendre position contre toute idée «de souveraineté étatique», alors qu’à la suite de J. Derrida, nous devons estimer que, encore aujourd’hui, «l’État reste la meilleure protection contre des forces et des dangers multiples». Mais il s’agit d’admettre que le processus de «déconstruction» en cours, soumet à une nouvelle épreuve l’idée de l’État reçue de la modernité des Lumières. L’on précisera, avec J. Derrida, que le régime de la déconstruction ne vise pas la «suppression de l’État souverain». Elle vise à imposer 

J. Derrida et J. Habermas, Le «concept» du  septembre. Dialogues à New York (octobre-décembre ) avec Giovanna Borradori, Paris, Galilée, , p. .  Ibid., p. .  Ibid., citant E. Kant, Vers la paix perpétuelle. Essai de philosophie, tr. fr. J. Darbellay, Paris, PUF, , p. . .  J. Derrida, «Auto-immunités, suicides réels et symboliques», dans J. Derrida et J. Habermas, Le «concept» du  septembre, p. .

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«l’idée et même la mise en œuvre pratique d’un partage de souveraineté, c’est-à-dire d’une limitation de la souveraineté». Tout se passe comme si, dans la configuration actuelle de l’espace politique, les nouvelles conceptions de la société, exigeraient la mise en place d’une tournure nuancée et d’un profil révisé de l’État. Sans que cette démarche ne ressemble à un processus de «dépolitisation», elle consiste essentiellement en une sorte de requête pour «une alliance au-delà du ‘politique’ tel qu’il a depuis toujours été déterminé (privilège accordé à l’État ou à l’appartenance citoyenne dans une nation liée à un territoire)». C’est dire que le nouvel ordre mondial n’admet plus le totalitarisme politique dans les différents systèmes de gouvernance. On s’achemine vers une perspective où l’évaluation des responsabilités publiques implique une grande part de la démarche éthique. Il n’est pas fortuit de constater qu’il existe déjà une nouvelle projection de l’ordre du monde, qui peut se réclamer tributaire d’une normative éthique d’origine et d’horizon cosmopolite. Même si les auteurs et les agents du droit dit cosmopolite sont des législateurs anonymes, remarque-t-on dans les milieux des spécialistes du droit international, la normative de ce droit recouvre, sous un horizon d’universalité, les orientations fondamentales de l’éthique mondiale, telle que la préoccupation de celle-ci reste articulée sur la défense de la vie humaine avec toutes ses implications. C’est pourquoi, l’idée d’une éthique cosmopolite requiert l’exercice constant du consensus dans la démarche de sa formalisation et de sa mise en œuvre, telle qu’elle se rapporte aux prescrits des standards internationaux dont l’opérationnalité est assurée par le système des Nations Unies, et par tant d’autres organisations internationales. ... L’éthique dans les standards universels Sous ce point, nous voulons expliquer l’idée selon laquelle, ce qui s’entend de l’éthique postmoderne, participe de la définition des principes universels qui dressent et accompagnent la normative de la gouvernance publique, au-delà des prescrits de différentes constitutions des États ou des lois républicaines. Les principes de l’éthique jouissent du statut de standards normatifs en matière de régulation de la vie publique. L’éthique 

J. Derrida, «Auto-immunités, suicides réels et symboliques», p. . Ibid., p. .  Cf. Alain Caillé, «Fragments et esquisses d’une éthique mondiale», dans Revue du MAUS permanente, . 

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y trouve un point d’ancrage, qui l’ordonne à un régime d’«institutionnalisation» et à un horizon d’«universalisation», en lui permettant de prendre corps dans la vie de tous et dans les structures publiques de la gouvernance globale. Le contexte de la mondialisation a, de nos jours, permis de soumettre «à une nouvelle urgence», non seulement le traitement de la question éthique, mais surtout la considération de son statut d’éthique globale. À la suite de H. Küng, nous retenons que sur l’espace mondial de conduite des affaires publiques, «la performance n’est vraiment pas tout […], l’État comme l’économie ont besoin pour le bien commun d’une prise de responsabilité, fondée sur un plan éthique». De ce fait, insiste H. Küng, «la globalisation fait apparaître qu’en éthique également il doit être question de globalisation». L’enjeu en est la mise en place des principes éthiques communs pouvant «lier» et relier toutes les sociétés pluralistes, à telle enseigne qu’aujourd’hui, les résultats de la gouvernance «doivent être obtenus d’une manière compatible avec certains standards d’ordre social et environnemental, ce qui nécessite une réflexion des standards éthiques globaux». Au fondement de cette orientation éthique, il y a un déplacement que connait notre société-monde, en matière de responsabilités publiques pour la sécurité et l’équilibre de la planète. Nos sociétés pluralistes croient fermement dans l’efficacité d’un accord large sur les questions de gouvernance dans le monde. C’est à ce titre que la culture politique mondiale est en train de se doter d’un cadre formel des valeurs communes, qui définissent l’ordre de ce que nous appelons éthique postmoderne. En raison de son caractère publique et pragmatique, cette éthique n’est pas à prendre simplement comme un ensemble de «procédures grâce auxquelles les parties prenantes s’entendraient sur un minimum d’exigences et attendraient des pouvoirs publics qu’ils s’en tiennent au strict respect des règles que se donnent les acteurs sociaux». Elle ne sera pas non plus considérée comme simple protocole des règles destinées à la conduite d’un «débat public» vers l’entente sur «un accord minimal» en situations précises de coopération entre nations.        

H. Küng, Projet d’éthique planétaire, p. . J. M. Domenach, Une morale sans moralisme, p. . H. Küng, «Entreprises globales et éthos global», dans Concilium  (), p. . Ibid., p. . Ibid., p. -. Ibid. P. Valadier, Inévitable morale, p. . Ibid.

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L’éthique mondiale est en revanche un cadre permanent et fonctionnel de référence à des valeurs largement partagées et reconnues comme principes normatifs et régulateurs d’une gouvernance commune relativement concertée, du destin de l’humanité et de la marche des affaires du monde. Sans nul doute, à ces jours, c’est le registre des droits de l’homme et des citoyens, comme l’explique P. Valadier, qui est considéré comme l’espace-cadre «de cette référence morale ultime, au nom de laquelle sera appréciée une politique, condamnée une pratique policière, jugée une nouvelle loi». Aussi est-il important de faire remarquer que la formation et la formulation de l’éthique globale postmoderne en principes universels, participent de ce mouvement qui, depuis le moment inaugural de la charte de l’ONU de , témoigne de l’engagement des États-nations à souscrire, «par tout un ensemble d’accords et de protocoles complémentaires», à des «valeurs morales» inspiratrices, à ce titre, d’une approche éthique dans la direction réglementaire des affaires publiques au sein des États. Dans le contexte de la gouvernance éthique, on ne peut manquer de dénoncer l’activation d’une politique inadaptée, qui s’exprime à travers le maintien dans les États non démocratiques, du régime de domination (politique, économique, ou institutionnelle), et qui, souvent, est portée à se cacher derrière cette échappatoire qui «trouve à identifier ces chartes à une conception occidentale de l’homme pour les vider de leur contenu». Nous devons le reconnaitre avec P. Valadier, en dépit de la part importante de «divergences d’interprétation, les contradictions que peuvent receler les listes de droits, les dangers d’une application politique immédiate qui ignorerait le poids des situations historiques et les enjeux culturels, cette référence aux droits de l’homme constitue de nos jours comme l’idéal commun de l’humanité». L’ensemble de l’humanité est décidée d’aller dans un combat stratégique et intelligent contre les sources naturelles et les structures culturelles (surtout) de dégradation de la condition humaine et de dépréciation de la biosphère, et ce sur la base de ce que nous offre, en fondement universel de jugement éthique, le principe de l’inviolabilité de la vie et de la dignité de la personne humaine. Le double principe d’inviolabilité de la vie et de respect absolu de la dignité humaine, offre la base d’une référence historique et dynamique à toute normative de l’éthique en condition postmoderne. Ainsi que    

P. Valadier, Inévitable morale, p. . Ibid., p. . Ibid. Ibid.

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l’a noté P. Valadier, ce double principe prend la place de «ce que la philosophie politique classique appelait le droit naturel, c’est-à-dire une norme qui juge les normes, une loi non écrite qui juge les lois écrites, une référence métajuridique et métahistorique qui permet d’ordonner droitement le juridique et l’historique». L’éthique postmoderne se propose de couper court à toute idée d’un certain ordre naturel en matière de droit et de morale. Le principe de la dignité de la personne humaine représente à plus d’un titre une référence «autrement plus rigoureuse et exigeante que l’appel à une nature que chacun imagine à sa façon et qu’on risque de confondre avec les données biologiques ou ‘naturalistes’». Dans cette ligne d’analyse, la position de Benoît XVI, qui émerge par ailleurs d’une contradiction remarquable là où il réaffirme, à titre de fondement de l’éthique, «la valeur transcendante des normes morales naturelles», ne passe pas sans reconnaitre que dans la gestion des secteurs de la vie publique, dont l’économie, par exemple, la préoccupation éthique fait prévaloir l’être humain et sa dignité dans les conditions historiques précises. Benoît XVI écrit à cet effet: Répondre aux exigences morales les plus profondes de la personne a aussi des retombées importantes et bénéfiques sur le plan économique. […] pour fonctionner correctement, l’économie a besoin de l’éthique; non pas d’une éthique quelconque, mais d’une éthique amie de la personne.

De manière plus large, en vertu de la proclamation en elles de la centralité de la personne humaine, toutes les chartes de droits de l’homme s’identifient et se signalent comme étant ordonnées à une préoccupation éthique, du fait qu’elles consacrent et fondent le principe même de l’éthique: la valeur absolue de l’être humain dans la condition de toute humanité (et dans toute l’humanité). Avec raison, Jacques Étienne a fait 

P. Valadier, Inévitable morale, p. . Benoît XVI, Lettre Encyclique sur le développement humain intégral dans la charité et dans la vérité, Caritas in veritate, n° . À travers une telle affirmation, Benoît XVI n’échappe nullement à la tentation du «naturalisme éthique» à l’âge de l’éthique du consensus. Cela se perçoit plus explicitement là où il note: «Il faut œuvrer – et cette observation est ici essentielle! – non seulement pour que naissent des secteurs ou des lignes ‘éthiques’ dans l’économie ou dans la finance, mais pour que toute l’économie et toute la finance soient éthiques et le soient non à cause d’un étiquetage extérieur, mais à cause du respect d’exigences intrinsèques à leur nature même» (Benoît XVI, Lettre Encyclique sur le développement humain intégral dans la charité et dans la vérité, Caritas in veritate, n° ).  Benoît XVI, Lettre Encyclique sur le développement humain intégral dans la charité et dans la vérité, Caritas in veritate, n° . 

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observer que «les ‘droits de l’homme’, tels qu’ils sont proclamés et protégés par des conventions ayant force de loi, relèvent à la fois de l’exigence éthique et de son expression juridique». Dans cette direction, la portée éthique et normative de droits de l’homme est relevée dans le rapport du PNUD sur le développement humain  en ces termes: Les droits de l’homme constituent des créances morales sur le comportement des agents, individuels et collectifs, et sur la structure des dispositifs sociaux. Ils sont réalisés lorsque les personnes concernées bénéficient d’un accès garanti aux libertés ou aux ressources (protection appropriée contre la maladie, liberté d’expression…) couvertes par le droit correspondant. Dans de nombreux cas, des droits conférés par la loi peuvent constituer le meilleur moyen de favoriser la réalisation des droits de l’homme. Il convient toutefois de ne pas confondre droits conférés par la loi et droits de l’homme – et de ne pas présumer que les premiers suffisent pour que les seconds soient réalisés.

En traduisant sous la forme des principes formels l’exigence de ce caractère absolu de l’humain, c’est-à-dire l’homme dans sa dignité de personne, les différentes chartes des droits de l’homme offrent un cadre consensuel et contraignant d’une normative transnationale et trans-juridique, de portée universelle. La normative de l’éthique qui en résulte est ressentie, à juste titre, comme étant décidément «féconde parce que c’est elle qui doit guider la discussion publique et fonder le jugement quant aux décisions politiques et juridiques que l’on prend», autant qu’elle est destinée à «entrer en composition avec les normes éthiques inhérentes aux rôles sociaux, car, à la limite», précise P. Valadier, «personne ne rencontre jamais l’homme en tant que tel». Il en résulte que, de nos jours, l’éthique sera toujours voulue dans sa portée publique, car les humains sont tels, aussi du fait de leur insertion sociale et non pas seulement du fait de leur faculté de pensée. Les hommes se côtoient et coexistent à travers des rôles et des positions sociales définies et qualifiées (déjà à partir de la relation matrimoniale, parentale et familiale jusqu’aux fonctions politiques et professionnelles). C’est à travers des fonctions précises que chacun se sait porter par une



J. Étienne, «Droit d’ingérence», dans Revue théologique de Louvain  (), p. . Cette considération de J. Étienne offre de quoi relancer la problématique du rapport entre l’éthique et le droit, telle qu’elle se retrouve présentée et expliquée dans la pensée d’Éric Weil (cf. E. Weil, Philosophie morale, Paris, Vrin, ).  PNUD, Rapport mondial sur le développement humain. Droits de l’homme et développement humain, p. -.  P. Valadier, Inévitable morale, p. .

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vocation de «s’ouvrir à l’interrogation morale» sur l’humanité de l’homme. Cette constatation tient également de l’idée que dans leur fonction d’organiser l’espace public et de gérer la vie sociale, les institutions et les pouvoirs publics rentrent dans la définition de ce que sont les êtres humains. Par conséquent, le traitement éthique du principe de la dignité absolue de l’être humain exige d’être envisagé selon une orientation pragmatique. Il ne suffit pas de l’envisager selon la seule perspective normative. Ainsi que l’a écrit P. Valadier, «le respect des droits de l’homme, de tout homme comme homme ayant droit au respect, modifie le regard ou change l’optique sur les problèmes humains». L’on se situe ici dans l’ordre d’un tournant qui permet de soumettre les notions comme celle de «devoirs (d’État)» et des «droits» à une nouvelle explication. Ces notions doivent ainsi retrouver leur pleine signification en rapport avec l’enjeu d’une gouvernance attentive et active en direction du vécu des populations, dans les domaines concernés directement par la sécurité sociale. Un gouvernement ou tout autre institution publique, qui ordonne son action en correspondance avec les préoccupations vitales des populations, respecte la logique de besoins biologiques exprimés, en s’acquittant de ses obligations envers la dignité des citoyen(e)s dans leur droit d’accès soit à une alimentation décente, soit aux soins de santé, soit à une digne éducation (par la scolarisation des jeunes), dans les conditions requises à la dignité humaine. Le caractère pragmatique d’une éthique qui se conçoit à partir du primat de la dignité humaine, sera lié également au fait que «les droits de l’homme ne font peut-être rien d’autre que d’organiser et de rationaliser [l’] inacceptable dans le monde». Le langage des droits de l’homme a pour fonction de fustiger un état permanent de situations et conditions d’inhumanité, qui condamnent l’homme dans le mal être et dans la précarité de son existence. C’est pourquoi les réglementations supplémentaires (accords, traités, conventions, articles constitutionnels…) relatives aux différentes chartes des droits de l’homme, surgissent dans le cadre d’un travail perpétuel de précision, de renforcement des mesures et des convictions, et de consolidation des conditions maximales, en vue d’offrir aux différents opérateurs (privés comme institutionnels), des instruments d’appuis nécessaires, qui permettront d’œuvrer pour cet idéal,   

P. Valadier, Inévitable morale, p. . Ibid., p. . Ibid., p. .

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avec les moyens d’en braver les obstacles soit d’ordre économique (en cas d’absence de régulation) soit d’ordre politique et culturel. Il faut reconnaitre qu’il y a, par rapport à la question de la gouvernance mondiale, la part d’influence non négligeable, et parfois ambigüe, des organisations internationales et continentales (comme le G, la Banque Mondiale, le FMI, l’O.P.E.P. – Organisation des Pays Producteurs du Pétrole –, l’Union européenne, etc.) dans la marche des affaires politiques et économiques de la planète. Mais à côté de ce régime d’influence, la normative de l’éthique universelle, qui s’occupe de la réglementation transnationale de solutions aux multiples problèmes de l’humanité et du monde, est devenue une donnée irréversible. Elle repose sur un consensus fondamental, entendu comme base et horizon d’une entente universelle, engageant la coresponsabilité mondiale. Aujourd’hui, affirme C. Duquoc, l’on croit de plus en plus que la charte de Droits de l’homme signée et ratifiée par les grandes démocraties, soutenues par l’émergence des idéaux de solidarité et de fraternité, assurera un accord majoritaire sur les questions fondamentales de vivre ensemble. L’éthique mondiale est ainsi liée au cahier de charges de droits de l’homme comme à sa source fondamentale. Elle repose sur le constat de la vulnérabilité de la vie, notamment par rapport aux différentes et multiples menaces à la sécurité et à l’intégrité de l’être humain. Sa légitimité est essentiellement ordonnée à la croyance en l’égalité morale fondamentale de tous les humains par-delà la diversité irréversible des cultures, des religions, des peuples, des philosophies et des visions du monde. La Déclaration universelle des droits de l’homme, les Pactes internationaux relatifs aux droits civils et politiques, aux droits économiques et sociaux, les différents traités régionaux, comme la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, la Convention américaine sur les droits de l’homme et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, constituent des options continentales en direction d’un type du vivre ensemble qui tienne les droits humains pour le fondement d’une éthique de gouvernance globale du destin de l’humanité. La Déclaration du Millénaire, adoptée en  par tous les États membres des Nations Unies, a réaffirmé l’engagement du monde envers les droits de l’homme, les libertés fondamentales et le respect des mêmes droits pour tous sans distinction, comme nouveau paradigme durable de la gouvernance globale.



Cf. C. Duquoc, L’unique Christ. La symphonie différenciée, Paris, Cerf, , p. .

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Aussi apparaitra-il que le combat universel pour le règne de l’éthique mondiale ait réussi à fonder sa démarche sur les éléments suivants: – L’équité, qui fait reconnaitre l’égalité de tous les individus, quels que soient leur classe, leur race, leur sexe, leur communauté ou leur génération, et qui englobe le besoin de protéger l’environnement et les ressources naturelles pour les générations futures. – Les droits de l’homme et les responsabilités, dont la préoccupation principale est de protéger l’intégrité de tous les individus des menaces à la liberté et à l’égalité. – La démocratie, qui inspire un paradigme de gouvernance de l’espace public et de l’espace politique basé sur la sauvegarde des droits fondamentaux et la création des conditions requises pour la pleine participation des citoyens et de toutes les couches des populations aux différents processus décisionnels en matière de gouvernance sociale et de développement humain, en toute justice et sans exclusion. – La protection des minorités, par laquelle l’éthique mondiale s’insurge contre toute forme de discrimination (privation des droits politiques, exclusion socioéconomique, violence), en garantissant la reconnaissance des mêmes droits à des catégories précises des personnes dans la communauté nationale, ainsi que la promotion de la tolérance à leur endroit. – La résolution pacifique des conflits et la négociation équitable, qui sont des piliers méthodiques par lesquels l’éthique mondiale prend en charge les désaccords politiques, les différends sociaux (ou intercommunautaires) et les inégalités économiques, en vue d’instaurer le consensus, la paix et le développement comme solutions aux différents problèmes qui menacent les équilibres du vivre ensemble. Si telles peuvent être les sources de l’éthique mondiale, il faut en identifier les acteurs, c’est-à-dire les instances chargées de mener son programme à ses fins essentielles. Dans une analyse saisissante, M. A. Peeters montre qu’au cœur du paradigme de l’éthique mondiale, se situe la marge de manœuvre de l’Organisation des Nations Unies (ONU). C’est à elle que revient la charge de piloter cette perspective de gestion éthique de l’humanité, en assurant un pouvoir normatif mondial et en se positionnant au centre stratégique de la gouvernance mondiale. En vue d’assumer cette charge, l’ONU a réussi à organiser une série de grandes conférences intergouvernementales, couvrant tous les aspects de la vie en société: l’éducation (Jomtien, ), les enfants et leurs droits (New York, );  Nous nous référons ici à la formulation des sources de l’éthique mondiale, dans le Rapport mondial  du PNUD sur le développement humain intitulé La liberté culturelle dans un monde diversifié, p.  (Encadré .).

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l’environnement (Rio, ); les droits humains (Vienne, ); la population (Le Caire, ), le développement social (Copenhague, ); les femmes (Pékin, ); l’habitat (Istanbul, ) et la sécurité alimentaire (Rome, ). Les résultats de ces conférences ont été coulés en traités et proposés à l’adhésion, à la ratification et à la signature de tous les États membres. L’objectif de ce processus étant de construire un nouvel ordre mondial sur les normes, les valeurs et les priorités pour la communauté internationale du e siècle. Il s’ensuit que la nouvelle approche de problèmes du monde, se définit désormais à travers des concepts nouveaux, qui constituent les fondamentaux de l’éthique globale et qui consacrent l’enjeu du tournant postmoderne. En effet, comme l’a rendu M. A. Peeters, actuellement, dans le cadre de ce tournant, l’on parle: du développement durable et de la stabilité plutôt que du développement comme croissance; de la responsabilisation à la base (bottom-up) plutôt que de l’imposition par le haut (top-down); de la gouvernance plutôt que du gouvernement. L’on est passé de la démocratie représentative à la démocratie participative; de l’approche sectorielle à l’approche globale (holisme); de la confrontation au dialogue; du vote de la majorité au consensus; des valeurs universelles aux valeurs mondiales; du pouvoir des institutions aux droits des individus; du contrôle de la population au droits sexuels et reproductifs; du court terme au long terme; de l’intergouvernemental au pluri-actionnaire; de la souveraineté nationale à la gouvernance mondiale; des connaissances objectives aux compétences (life skills); de l’autorité à l’habilitation (autonomisation); de la hiérarchie à l’égalité radicale; du centralisme du pouvoir à la décentralisation; du Leadership de subordination au Leadership d’intégration; du pouvoir du marché à l’autorité de l’éthique mondiale; du pouvoir ‘sur’ au pouvoir ‘avec’; de la sécurité internationale à la sécurité humaine; de réponses-certitude-dogme à question-tolérance; du bonheur à la qualité de vie; de la famille traditionnelle à la famille sous toute ses formes; du patriarcat à l’égalité des sexes; du droit international au droit cosmopolite; de gagnant-perdant au gagnant-gagnant; de la citoyenneté nationale à la citoyenneté mondiale; de la vie humaine à la vie sous toutes ses formes; de la religion à la spiritualité; de l’imposition à l’internationalisation (appropriation); de l’éducation à la formation (training); de l’identité culturelle à la diversité culturelle; de la tradition à la liberté  Cf. M. A. Peeters, La nouvelle éthique mondiale. Défis pour l’Église, Marguerite A. Peeters, , p. ; ead., La mondialisation et la révolution culturelle occidentale. Concepts-clefs, mécanismes opérationnels, Janvier .

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culturelle; de l’époux au partenaire; de la vie à la vitalité; du contenu au processus; des instructions (ordres) aux conseils (à la facilitation); du directeur (président) au facilitateur (accompagnateur); des parents aux lanificateurs (accompagnateurs); du dogme au libre choix; de la vérité au droit à l’erreur; des nations homogènes au multiculturalisme. Le faisceau de ces termes et expressions, constitue le contenu de la mutation vers les nouveaux standards de la gouvernance, et révèle les enjeux de l’éthique postmoderne. Il en ressort que là où la modernité semblait avoir triomphé et être devenue l’horizon indispensable de l’humanité, et suite au constat de la pauvreté, de la dégradation environnementale, de la croissance démographique, de l’inégalité hommesfemmes, et des abus des droits de l’homme, une nouvelle approche s’impose en vue de refreiner ces dérives. Dans le cadre du nouveau paradigme éthique, l’on veut remonter la pente de la modernité à partir d’un diagnostic qui en récuse la logique, en tant que logique qui participe de «l’effondrement des traditions, de l’absence d’un sens global de la vie, des critères éthiques inconditionnels et du manque de buts nouveaux, avec leurs conséquences psychiques désastreuses». Selon l’analyse de H. Küng, il s’agit d’un tournant à comprendre comme moment d’une conscience nouvelle de la crise de la modernité morale, en tant que crise d’absence de référence, dans sa dimension réelle de «crise d’orientation». C’est une crise qui se signale là où nombre de nos contemporains «ne savent plus selon quelles options fondamentales ils doivent prendre les grandes et les petites décisions quotidiennes qu’appelle leur vie, quelles préférences ils doivent respecter, quelles priorités reconnaître et quels modèles choisir». L’éthique post-libérale, en tant qu’éthique du consensus autour des valeurs communes de gouvernance à l’échelle planétaire, inscrit ainsi une interruption remarquable au libéralisme désespéré de la modernité sur le plan moral. C’est précisément sur le constat de la méga-crise du paradigme moderne que s’édifie le grand projet éthique de la postmodernité. La signification de celle-ci ne sera pas confondue avec l’esprit d’un certain postmodernisme de tendance nihiliste, qui prône l’anéantissement en direction de valeurs morales au profit du libéralisme de l’individu. Ce postmodernisme qui prône un «pluralisme radical» et diffus, nébuleux,     

Cf. M. A. Peeters, La nouvelle éthique mondiale, p. -. Ibid. Ibid. H. Küng, Projet d’éthique planétaire, p. . Ibid.

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illimité et sans direction, conduisant au relativisme, est caractéristique d’une «modernité tardive […] désintégrée», avec comme marques: «l’arbitraire, la pluralité, le mélange de tout et de n’importe quoi, l’anarchie des orientations de pensée et de style, le principe esthétique et littéraire du collage…, l’idée qu’est ‘moral tout ce qui plaît’, etc.». Nous retenons, à ce niveau d’analyse, que ceci ne correspond pas au style postmoderne (entendu au sens paradigmatique par rapport au style moderne). Il ne serait là question que de la modernité apparentée au libéralisme immoral, camouflée en post-modernité. Ce postmodernisme ne peut être l’alternative de la modernité, du fait qu’il se conçoit comme un développement ultérieur de la modernité sous sa forme marginale. C’est un modernisme qui distille l’idée d’«une diversité relativiste sans unité», jusqu’au point où il doit être traité comme étant autant marginal en postmodernité, que le conservatisme antimoderne qui est porté par l’idée d’«une unité totalitaire sans diversité». La postmodernité, elle, sur le plan éthique, s’entend à proprement parler, de cette nouvelle orientation du monde, basée sur la promotion des valeurs fondamentales de référence commune, qui servent de standards universels de l’éthique dans le processus de transformation des défis planétaires en enjeux et projets de reconstruction d’un avenir stable et pacifique à partir du consensus global. L’éthique postmoderne sera ainsi vue comme un ensemble de nouveaux paradigmes s’exprimant à travers un nouveau langage, avec des constantes comme: mondialisation au visage humain, citoyenneté mondiale, consensus, développement durable, partenariats, société civile, ONGs, bonne gouvernance, démocratie participative, qualité de vie, éducation pour tous, accès équitable, autonomisation des femmes, santé et droits sexuels et reproductifs, choix informé, sexospécificité, égalité des sexes, égalité de chance, accès égal et universel, clarification des valeurs, construction des capacités, meilleures pratiques, responsabilité sociale des entreprises, sécurité humaine, diversité culturelle, approche des droits, éducation à la paix, parlement des enfants. L’orientation de ce paradigme est décidément celle qui consacre le primat d’une éthique de responsabilité publique et globale à partir des valeurs partagées, dans la gestion du destin de l’humanité. L’idée du consensus détermine ainsi la spécificité même de cette nouvelle orientation éthique.  H. Küng, Le christianisme. Ce qu’il est et ce qu’il est devenu dans l’histoire, Paris, Seuil, , p. .  Ibid.  M. A. Peeters, La mondialisation et la révolution culturelle occidentale, p. .

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... Légitimité et crédibilité d’un consensus éthique L’éthique mondiale ne tient pas son horizon d’universalité du postulat de l’unité du genre humain. Ce qui ressemblerait à un fondement posé comme un a priori à toute quête de valeurs. En revanche, dans le processus de sa formalisation, l’éthique universelle participe du processus de la mise en œuvre du «partenariat» mondial, à travers les différents accords entre les institutions internationales et les États nationaux. Étant donnés la disparité des intérêts entre les acteurs de la politique internationale, ainsi que le caractère différencié des orientations idéologiques et culturelles en matière de perception, c’est le «consensus» qui fait fonctionner les différents cadres du partenariat mondial, qui permet de définir le profil de la normative des principes communs de gouvernance, et qui rend possible la formation, la formulation et la formalisation des standards éthiques dans leur forme contraignante pour tous. Dans cette partie de notre analyse, nous voulons expliquer la légitimité de cette option du «consensus» pour la consistance et la crédibilité de l’éthique postmoderne. Nous voulons montrer que la voie du «consensus universel» est devenue, depuis quelques années, le cadre et la méthodologie de formulation de l’éthique mondiale, dans son contenu et ses orientations majeures. Dans cette perspective, on est de plus en plus convaincu qu’il n’y a pas d’état de nature «comme moment de l’histoire des hommes». L’histoire des fossiles dans le processus d’évolution de l’humanité peut nous renseigner que depuis l’homme préhistorique (homo habilis, homo erectus…) jusqu’à l’homme moderne, l’homme a déjà le sens de l’humain lorsqu’il apparait dans la civilisation; il est trouvé comme un homme organisé à rechercher des conditions requises d’une vie digne de sa condition d’homme et de son avenir. C’est un homme déjà lié à une culture tel qu’il est découvert vivant. P. Ricœur a eu raison de montrer qu’«au niveau humain, la vie n’est plus simplement un équipement génétique en chaque individu, mais c’est aussi un vouloir vivre et un vouloir survivre». P. Ricœur précise que «là où il y a un équipement instinctuel chez les animaux, pour nous, c’est la culture qui tient la place d’un certain vide instinctuel». En reprenant E. Kant, P. Ricœur ajoute «que l’homme est l’animal le moins bien équipé pour survivre et que c’est son projet culturel qui doit remplir cette



A. Marciano, Éthiques de l’économie, p. .

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fonction-là». Ainsi pouvons-nous soutenir que depuis l’invention des outils, l’organisation des communautés, l’avènement des traditions, l’humanité est suspendue à l’impératif de créer les conditions d’humanisation, y compris par la mise en place des règles à suivre pour y arriver. De telle sorte que, comme le fera remarquer P. Ricœur, «la vie n’est plus inscrite comme un programme dans le vivant, mais […] elle devient un projet». La gestion de la vie requiert ainsi que soit continuellement mise en jeu la conscience de la responsabilité. Et il s’agit là d’une dynamique qui ne doit souffrir d’aucune interruption, soit-il par la postulation a priori de quelque fondement stable en matière de responsabilité culturelle et éthique. Ceci nous ramène à la problématique de l’«état de nature» (ou de fondement naturel) dans le domaine de l’éthique. Dans tous les cas, il apparait de plus en plus que, même chez Th. Hobbes, ce qui s’impose, c’est la référence à des «situations historiques». Ce ne sera finalement pas la détermination biologique de l’ordre purement empirique, qui offre le cadre d’analyse sur la référence à la «condition naturelle» de la raison humaine, d’où découlerait le «droit de nature», entendu au sens de fondement des «lois naturelles» (tenues longtemps pour le soubassement des lois morales). Si, en effet, la référence au «droit de nature» chez Th. Hobbes peut encore garder sa valeur historique sur le plan heuristique, elle interviendra pour justifier (à titre de fondement) un état de choses qui, dans la vie publique, malgré tout, n’a rien de spontané, de directement empirique ni de simplement naturel. Cette référence signifiera, dans la pensée de Th. Hobbes, la nécessité de la coercition dans la gestion des États en vue de permettre que la recherche du bien par l’homme n’entraine pas à la violence permanente (là où ce bien a tendance à rejoindre l’intérêt individuel par la mise à mort des intérêts des autres).

 P. Ricœur, «L’éthique, le politique, l’écologie. Entretien avec Paul Ricœur». Propos recueillis par Édith et Jean Paul Deléage, dans Écologie politique. Sciences, Culture, Société  (), p. . .  Ibid., p. .  Cf. Th. Hobbes, Du citoyen ou les fondements de la politique, e section, chap. , §III, Paris, Flammarion, ; voir aussi e section, chap. , § XXXI, p. - et e section, chap. , § XIII et IX, p. -; tel que cité et commenté par P. Valadier, Éloge de la conscience, p. -.  Pour P. Valadier, «la position de Hobbes est essentielle, car, comme on sait, ce philosophe a posé certaines des justifications intellectuelles des États modernes souverains et il a largement ouvert une pensée du droit encore dominante» (P. Valadier, Éloge de la conscience, p. ).  Ibid.

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À proprement parler, même dans la logique de l’analyse de Th. Hobbes, la «condition politique» n’est pas naturelle, elle résulte du choix pour la contrainte en matière de lois civiles qui en appellent à l’obéissance du citoyen pour la sauvegarde de la vie des tous. C’est comme si la concorde républicaine et l’intérêt commun devraient passer par l’exigence de la loyauté de chaque citoyen envers l’État. Dans le cadre de cette philosophie politique, P. Valadier estime que la conscience individuelle est vouée à obéir aux lois de la République du fait qu’elle découvre que celles-ci assurent mieux la survie individuelle que «la condition naturelle». De cette façon, commente P. Valadier, «l’entrée dans la ‘condition politique’ se paie par une limitation de la ‘liberté naturelle’», de telle sorte «que la liberté politique ne va pas sans des chaînes qui viennent brider et limiter la ‘liberté naturelle’». En conséquence, selon cette perception, «la ‘condition politique’ n’est pas ‘naturelle’, mais implique le choix délibéré de la contrainte des lois civiles, préférée à la menace mutuelle de mort», suite à des conflits et des tensions consécutifs à la course pour la défense des intérêts privés. P. Valadier démontre que cette conception de l’ordre public est allée tellement loin dans la considération du rôle régulateur de la coercition, que Th. Hobbes était parvenu «à comparer le citoyen entré dans la ‘condition politique’ à un esclave, à ceci près que le citoyen obéit au public tandis que l’esclave obéit au particulier». Avec raison, P. Valadier a cru trouver qu’une telle philosophie «mérite attention» du fait «qu’elle fournit […] les bases intellectuelles des États libéraux, ou des États de droit dans lesquels nous vivons». Cependant, ce qui doit être relevé dans cette problématique, ce n’est pas tant la question du fondement naturel d’un ordre républicain en matière de coercition, que le constat selon lequel, à notre époque, l’individualisme moderne fondé sur un droit naturel, ne résiste pas à l’enjeu de l’insertion publique de toute existence humaine socialement raisonnable. Nous convenons donc, à la suite d’A. Marciano, que «l’État de nature n’est pas situé historiquement. […] La conception hobbesienne de l’état de nature fait référence inéluctablement aux situations que Hobbes a vécu dans l’Angleterre du e siècle». Il devient ainsi absurde que cette notion «d’état de nature» continue à être jugée comme fournissant un 

P. Valadier, Éloge de la conscience, p. . Ibid., p. 99-, citant Th. Hobbes, Leviathan, chap. , Londres, Penguin Books, , p. ; Du citoyen ou les fondements de la politique, e section, chap. , §IX, Paris, Flammarion, , p. -; e section, chap. , § XV, p. -.  Ibid., p. .  A. Marciano, Éthiques de l’économie, p. . 

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argument de fondement à des situations dont la portée ne sera que purement historique, et qui demandent, à ce titre, un ordre de régulation éthique en référence à la force des évènements. Autant l’on ne peut postuler un ordre d’État à l’état naturel, autant, sur le plan éthique, la situation postmoderne repose-t-elle sur la conviction que, au sein des diversités culturelles constituant une pluralité des pôles des valeurs, le climat de convergences qui caractérise les approches actuelles, oblige à rechercher constamment un consensus. Richard Rorty parle d’un «équilibre réfléchi» entre les positions diverses, en estimant, à juste titre, qu’«il n’existe nul ordre naturel où inscrire la justification des croyances, nulle ligne d’argumentation prédestinée et qu’il ne resterait qu’à suivre». À cet effet, notre «société-monde» est, pour ainsi dire, placée devant des défis qui font du compromis autour d’une nouvelle approche, une question urgente à l’échelle planétaire. L’analyse de Geert Hofstede nous rend plus sensible à ces situations qui, à l’échelle mondiale, nécessitent la mise en place des stratégies ou «des actions concertées», là où «les différences de valeurs culturelles nous portent au désaccord plutôt qu’à l’entente». Il convient de noter avec G. Hofstede que la complexité de ces situations humaines à notre époque indique que «la coopération interculturelle est devenue une condition primordiale de la survie de l’humanité». Les solutions et les précautions que ces défis appellent en direction de la conscience éthique contemporaine, exigent que les «décisions [soient] impérativement prises à l’échelle mondiale, les pays, groupes ou individus qui ne les respecteraient pas devant pouvoir y être forcés». Pour y avoir consacré toute une analyse au premier chapitre de la présente étude, il ne sera pas inutile pour nous de revenir sur la portée exacte de ces défis dans la condition contemporaine de l’existence, selon la synthèse qui se dégage des vues de G. Hofstede. D’entrée de jeu, G. Hofstede envisage le défi que constituent ces problèmes sous l’angle de la critique postmoderne, c’est-à-dire selon une perspective de dénonciation de la position de domination de l’homme moderne. «L’humanité, écrit-il, est menacée aujourd’hui par un grand nombre de catastrophes déclenchées par l’homme; les catastrophes dues à la culture ont remplacé les catastrophes naturelles auxquelles nos ancêtres étaient périodiquement exposés. Tout vient de ce que l’homme   

R. Rorty, cité par P. Valadier, Inévitable morale, p. . G. Hofstede, Vivre dans un monde multiculturel, p. . Ibid., p. .

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est devenu à la fois trop productif et trop intelligent pour la taille limitée du globe». G. Hofstede précise que la productivité de l’homme moderne s’est accompagnée d’énormes problèmes: «les problèmes économiques: coopération ou bien concurrence économique internationale; répartition des richesses à l’échelon national et international. […] les problèmes liés à la technologie» qui font que, aujourd’hui plus que hier, «l’homme doit décider si certaines des choses qu’il est à même de faire doivent être faites, et si oui, avec quelles précautions». Plus explicitement, sur le plan technologique, G. Hofstede pense «à certaines utilisations de l’énergie nucléaire, tant pacifiques que bellicistes; à certains processus et produits chimiques; à certaines utilisations de l’informatique; à certaines applications des manipulations génétiques». À notre époque, la pertinence de toutes les pratiques technologiques sera établie à partir de nouvelles sensibilités éthiques, du fait qu’elles portent des implications sociales et cultuelles indéniables. Leur validité est désormais soumise à une évaluation éthique, non seulement en ce qui concerne l’orientation des conditions dans lesquelles se vérifient leurs résultats, mais aussi par rapport à la problématique de la légitimité même de leur usage. 

G. Hofstede, Vivre dans un monde multiculturel, p. . Cette analyse ne perd rien dans l’ordre de sa pertinence en face de cette autre constatation tirée de la réflexion de M. Freitag, qui veut que la situation de productivité relève d’une condition ontologiquement commune à toute humanité, et non seulement le propre de la condition moderne. Selon M. Freitag, il est insuffisant de faire de la critique de la modernité sur fond de ce conditionnement qui détermine la position de chaque humanité quels que soient les époques et les espaces. Ainsi écrit-il: «Que l’on parle, à ce sujet, d’une réalisation de la modernité, d’une modernité inachevée, ou d’un échec de la modernité, relève d’une appréciation subjective, plutôt que de l’analyse théorique formelle» (M. Freitag, L’oubli de la société, p. ). Pour M. Freitag, «cela implique bien sûr que l’on continue à penser ou à croire (en restant par ce moment critique, et par cela seulement, toujours encore ‘moderne’) qu’il appartient aux êtres humains de juger de la valeur de la société ou du système social dans lequel s’inscrit leur vie, et ceci parce que, de par leur constitution ontologique, ils participent eux-mêmes, activement ou passivement, à l’exercice de cette société ou de ce système» (M. Freitag, L’oubli de la société, p. , note ). M. Freitag poursuit: «cette participation des êtres humains à l’existence, à la reproduction et à la formation de leur société et plus largement du monde dans lequel ils vivent, n’est pas un privilège ou un particularisme de la modernité, puisqu’il s’agit là d’une donnée anthropologique universelle qui tient fondamentalement à notre mode d’exister symbolique et à la liberté, à la responsabilité et à l’engagement subjectif qu’il comporte ontologiquement. Seuls changent, mais d’une manière qui peut être radicale, les modes formels selon lesquels cette participation est demandée et exercée. Ce qui caractérise alors la modernité, c’est la forme réfléchie et critique qu’elle a acquise sous le mode historique de la responsabilité éthique et de l’engagement politique» (ibid.).  G. Hofstede, Vivre dans un monde multiculturel, p. -.  Ibid., p. . 

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Sur le plan écologique, G. Hofstede émet les considérations suivantes: «l’effet combiné de l’augmentation de la population mondiale, de la croissance économique et du développement technologique sur l’écosystème mondial n’est que partiellement connu. Les pluies acides ont déjà commencé à détruire la forêt dans plusieurs parties du monde. On connaît le problème de la diminution de la couche d’ozone, mais pas son degré de gravité. Des modifications à long terme des climats, du fait de l’effet de serre, se font déjà sentir et même si nous arrêtions aujourd’hui d’émettre des gaz nocifs comme le gaz carbonique, il faudra des dizaines d’années avant que l’effet de serre disparaisse». Bien plus, «l’effet de serre peut être diminué, poursuit G. Hofstede, si les pays tropicaux conservent leurs forêts: la plupart de ces pays sont pauvres et leurs gouvernements tiennent aux revenus tirés de la vente du bois. Pourrait-on créer un fonds mondial de compensation qui leur permettrait de préserver ce qui reste de ces forêts?». Par conséquent, pour G. Hofstede, tous ces «problèmes […] demandent une recherche et une prise de décision politiques mondiales dans des domaines où aussi bien les intérêts nationaux perçus que les valeurs culturelles apparaissent souvent contradictoires». Pour autant qu’ils doivent être considérés comme menace de «l’humanité entière», ces problèmes se constituent en même temps en «ennemi commun à combattre». Ce combat sera, pour ainsi dire, «le moyen le plus efficace d’amener des leaders et des groupes aux valeurs et aux intérêts divergents à coopérer». Sur le plan politique, l’éducation à la démocratie demeure un défi qui exige un minimum d’accord sur son conditionnement dans certains pôles du monde où se côtoient allégrement «régimes totalitaires» et «régimes autoritaires». Selon l’explication de G. Hofstede, les régimes totalitaires «sont fondés sur le fondamentalisme politique […], ils cherchent à contrôler tous les aspects de la vie des citoyens»; tandis que les régimes autoritaires, eux, «sont fondés sur une grande distance hiérarchique et représentent une concentration du pouvoir dans les mains de quelques personnes». La persistance de ces régimes de domination au sein de maints États, étouffe l’éclosion et la croissance d’une gouvernance conforme à des règles de transparence et de moralité politique, et    

G. Hofstede, Vivre dans un monde multiculturel, p. 308. Ibid. Ibid. Ibid., p. .

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pose pour cela un véritable problème à la conscience éthique du monde. G. Hofstede a tenu à préciser, à cet effet, que là où on a prétendu que la démocratie à l’occidentale était un lux que seuls les pays riches pouvaient se permettre, ou que les populations illettrées et mal nourries ne feraient pas de bons démocrates, la réalité démontre que «tous les pays riches ne deviennent pas automatiquement des démocraties, comme le montrent Singapour, Hong Kong et les émirats pétroliers. La richesse est une condition nécessaire mais non suffisante de la démocratie». Au-delà de tout préjugé quant à la question de démocratie dans la conscience postmoderne, G. Hofstede estime, à juste titre, que l’évolution de la politique internationale ne devrait pas faire de la «coopération interculturelle à l’échelon mondial», le «synonyme de la démocratie mondiale». Le travail à faire doit déboucher, moyennant la dynamique du partenariat, sur la réussite de la démocratie, qui implique la disparition complète des régimes totalitaires et autoritaires. La lutte dans ce sens doit continuer à être menée, et la vigilance dans ce domaine doit demeurer une donnée permanente. On sait par exemple que dans les pays du Sud, la démocratie est devenue un a priori à toute idée de développement durable, et la garantie d’une cohabitation pacifique entre les communautés. Les mécanismes de son opérationnalisation doivent aller jusqu’à faire correspondre la pratique démocratique avec la participation de la société civile et de forces vives au contrôle et à la gestion de l’espace politique de manière formelle. Dans cet ordre d’idée, G. Hofstede fait remarquer que par démocratie à l’Occidentale, il faut entendre le modèle libéral de la démocratie. Il admet aussi que l’expansion du paradigme de démocratie est liée à un minimum de développement économique, dans la mesure où, expliquet-il, «quiconque veut faire du monde une grande démocratie doit assumer les conséquences économiques et écologiques de cet objectif». Le motif en est que «le niveau de vie actuel des pays riches implique un niveau de pollution de l’environnement et d’apprivoisement des ressources qui rend pratiquement impossible l’extension de ce niveau de vie à l’ensemble de la population mondiale». Ainsi doit-on retenir que «pour offrir la démocratie à tout le monde, il faut donc modifier complètement la gestion de notre écosystème et parvenir à conserver la qualité de vie des pays riches tout en réduisant considérablement son coût   

G. Hofstede, Vivre dans un monde multiculturel, p. 309. Ibid. Ibid., p. .

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écologique. De ce point de vue, précise G. Hofstede, le concept de croissance économique est peut-être déjà obsolète». L’enjeu de cette problématique est d’une telle actualité que, depuis le protocole de Kyoto en , jusqu’à l’accord difficilement conclut à Durban dans la nuit du  au  décembre  (à l’occasion de la  Conférence sur le climat), pour le ralentissement des émissions du gaz à effets de serre, la bataille s’avère non encore gagnée. En restant dans l’analyse de G. Hofstede, nous pouvons relever également qu’en dehors de l’épineuse question du réchauffement climatique, la liste des problèmes qui constituent une menace pour la sécurité de la planète et dont la gestion nécessite une approche appuyée de l’éthique du consensus général, peut être complétée par la disparité (et le décalage) du jeu des intérêts dans le monde. On sait que la définition de la notion du «rationnel», comme celle de l’«éthique» elle-même, dépendra sans nul doute de la position des valeurs culturelles. Mais l’on ne perdra pas de vue, comme le fait remarquer G. Hofstede, que «la position des valeurs est bousculée davantage par les intérêts et [que] l’on constate une forte tendance, en politique internationale, à l’emploi des normes éthiques différentes vis-à-vis des pays étrangers». Le constat du déséquilibre concerne, notamment, le cas de certains commerces qui méritent d’être taxés d’illicites. En effet, «du trafic de drogue», par exemple, rappelle bien ce qu’on a appelé au e siècle la «guerre de l’opium» menée par le Royaume Uni contre la Chine. Selon G. Hofstede, en prenant les choses du point de vue «des valeurs, il est difficile de prétendre que le commerce des armes est plus défendable du point de vue éthique que celui de la drogue. À la différence du trafic de la drogue où les vendeurs sont les pays pauvres, dans le trafic d’armes, les pays vendeurs sont riches. Les pays riches gagnent plus d’argent en vendant les armes aux pays de Tiers-Monde qu’ils n’en dépensent pour les aider à se développer. Il est bien évident, ajoute G. Hofstede, que vendeurs et acheteurs sont à blâmer, pareillement, mais il serait plus facile aux pays riches de briser ce cercle vicieux». Lorsqu’on prend au sérieux cette dernière considération de G. Hofstede, l’illustration la plus parfaite de ce que coute au monde et à l’humanité, les différents réseaux de vente et achat d’armes, est celle fournie par les statistiques qui ont révélé que «chaque minute, l’ensemble des pays du   

G. Hofstede, Vivre dans un monde multiculturel, p. -. Ibid., p. . Ibid., p. .

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monde dépensent , million de dollars pour les armes et les armements». En revanche, l’engagement en direction de la cessation de ce trafic dissuaderait des tendances «aux guerres civiles, au terrorisme et au meurtre». À ces abus s’ajoute la tendance des régimes de la terreur, en tant que régimes répressifs, à «bafouer les droits de l’homme», par une utilisation abusive (et politicienne) des armes. La régulation éthique du secteur de trafic d’armes, consistera dans des mesures d’interdiction, voire de criminalisation de ces opérations commerciales. Cette démarche permettra un meilleur climat de respect des droits de l’homme dans le monde, aussi longtemps qu’il sera difficile «d’espérer aujourd’hui que tous les pays puissent devenir des démocraties». Sur le plan socioreligieux, G. Hofstede ne manque pas d’aligner parmi les défis de l’époque postmoderne, la persistance du «fondamentalisme religieux». En tant que phénomène dans lequel la part de la psychologie humaine est considérable, il est à la fois «l’expression du contrôle de l’incertitude» et l’«expression élémentaire de l’anxiété humaine». Sous cette forme de manifestation, le fondamentalisme durera à mesure que cohabiteront, dans le cadre d’une gestion responsable des conflits au sein des espaces intra- ou inter-religieux, d’un côté les «pragmatiques, tolérants, libéraux et ouverts au monde moderne» et, de l’autre côté, les «dogmatiques, intolérants, fanatiques et fondamentalistes» (ceux pour qui il n’y a qu’une seule Vérité et nous la possédons). La situation postmoderne rend la position de ces fondamentalismes religieux, autant que celle des idéologies, beaucoup plus intenable qu’à l’époque des Lumières. Leurs élans aujourd’hui «se heurtent en effet à la grande variété de valeurs», qui fait ressentir la relativité de «leur prétention à l’absolu», sans compter avec l’affaiblissement de leurs systèmes tel que causé par

 H. Küng, Projet d’éthique planétaire, p. ; en référence au document préparatoire au rassemblement mondial des Églises chrétiennes à Séoul, en  sur le thème de Justice, Paix et protection de la création (ibid., p. , note ).  G. Hofstede, Vivre dans un monde multiculturel, p. .  Ibid.  Ibid., p. .  Ibid., p. . Nous renvoyons ici à notre étude, qui est revenue sur les facteurs psychologiques du fondamentalisme religieux et sur la nécessité d’une stratégie théologique interreligieuse dans la réinterprétation des classiques des religions: B. Katikishi Muzembe, «Une dynamique dialogale interreligieuse. Réponse aux intolérances fondamentalistes», dans L. Santedi Kinkupu et M. Malu Nyimi (dir.), Épistémologie et théologie. Les enjeux du dialogue foi-science-éthique pour l’avenir de l’humanité. Mélanges en l’honneur de S. Exc. Mgr Tharcisse Tshibangu Tshishiku pour ses  ans d’âge et  ans d’épiscopat, Kinshasa, Facultés Catholiques de Kinshasa, , p. -.

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«les germes de leurs propres divisions internes et de leur échec». Quoiqu’il en soit, et nous l’avons souligné, la dynamique de convergences qui caractérise le mouvement du nouvel ordre mondial, fait que l’essentiel de perspectives œcuméniques actuelles sonne le glas du caractère désuet des fondamentalismes religieux quels qu’ils soient. À ces jours, les regards de l’humanité sont rivés sur l’horizon d’un consensus voulu large, quant aux enjeux humains de gouvernance, qui en appellent à une perspective plutôt réconciliatrice des religions et des cultures. Sur le plan d’une reprise théologique, soutenant «la perspective d’une éthique visant à réconcilier l’homme avec l’humain», A. Chouraqui estime, à la suite de René Cassin, que «la Déclaration universelle des droits de l’homme était un décalogue laïque et donc recevable par tous les peuples quelle que soit leur foi», et que cette Déclaration devrait être entendue dans sa portée «universelle plutôt qu’internationale, l’accent principal étant mis, dans sa rédaction, sur la personne humaine plutôt que sur l’État». Tout bien considéré, la galaxie de tous les problèmes qui constituent des défis du monde postmoderne, révèle le caractère absolument irréversible d’un consensus autour des standards de l’éthique mondiale. Si le point de départ de ce nouveau paradigme éthique a été l’adoption de la charte de  (Déclaration Universelle des Droits de l’Homme), rien ne dérange dans le constat que son aboutissement soit issu d’une évolution tragique de l’histoire des peuples et États occidentaux. Aujourd’hui, toute l’humanité se retrouve dans le protocole normatif qui encadre la stratégie d’une nouvelle gestion de la destinée des communautés. Nous sommes dans une dynamique de gouvernance éthique que rien ne peut arrêter. Face à d’énormes défis de la vie humaine et du destin de la planète, «aucun gouvernement, comme le note G. Hofstede, n’est assez puissant pour réduire au silence Amnesty International, par exemple». Henri Rouillé d’Orfeuil est convaincu que «les rapports entre l’ONG et l’État peuvent s’avérer compétitifs mais, dans le cas de relations plus harmonieuses, ces dernières peuvent servir à proposer une voix unifiée sur la scène internationale». En dehors du terrain de droits de l’homme,  

G. Hofstede, Vivre dans un monde multiculturel, p. . A. Chouraqui, Les dix commandements aujourd’hui, Paris, Robert Laffont, ,

p. . 

Ibid., p. . G. Hofstede, Vivre dans un monde multiculturel, p. .  H. Rouillé d’Orfeuil, La diplomatie non gouvernementale: les ONG peuvent-elles changer le monde?, Lausanne, Édition d’en bas, , p. . 

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il faut montrer, comme le souligne H. Rouillé d’Orfeuil, que «l’un des domaines où le dialogue entre les entreprises multinationales et l’État se fait plus présent est certainement la question de la réglementation environnement». Toutefois, le travail des ONG des droits de l’homme est aujourd’hui ressenti comme un travail de vigilance et de pression vis-à-vis des décideurs politiques. L’appui et l’impact de différents monitorings de situations de terrain en ce qui concerne les actes de violations des droits humains, ont valeur dissuasive sur le politique au sein de différents États. À ce titre, l’apport des ONG est partie liée de la responsabilité éthique dans la gestion du vivre ensemble que représente la nouvelle dynamique de nos sociétés pluralistes. La notion de partenariat sera ainsi élargie au régime de relations des ONG avec les gouvernements de différents États dans le monde. C’est la normative de l’éthique mondiale, prise dans ses différents standards, qui assurera en permanence la médiation de ce partenariat, tout au moins sur le plan des principes, et fonctionnera comme garantie d’une gouvernance fréquentable. ... La portée normative de l’éthique du consensus L’enjeu du «consensus» résulte de la constatation selon laquelle, le nouvel ordre du monde requiert l’émergence d’un ordre moral «universellement» contraignant. Fort de cette constante, H. Küng a noté qu’à l’absence des «normes éthiques s’imposant à tous», c’est-à-dire fonctionnant comme des «standards globaux», on se dirigera vers une situation où «les nations courent le danger, par suite de l’accumulation des problèmes, de s’effondrer pendant de décennies dans une crise risquant de conduire en fin de compte à l’effondrement national, c’est-à-dire à la ruine économique, à la dislocation sociale et à la catastrophe politique». Nous avons déjà montré que notre monde s’édifie sur le régime d’internationalisation des situations humaines, y compris les différents systèmes de recherche de solutions. Ce tournant représente surtout l’ordre d’un paradigme qui exige que la vigilance éthique soit le mode requis de gouvernance à l’échelle planétaire. Tout se passe comme si un accord durable sur les standards éthiques, et l’application de ces derniers dans tous les secteurs de la vie publique, en consonance aves les lois des États, constitue la garantie irremplaçable de la sécurité et de la justice dans le monde.  H. Rouillé d’Orfeuil, La diplomatie non gouvernementale: les ONG peuvent-elles changer le monde?, p. .  H. Küng, Projet d’éthique planétaire, p. .

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Si telle en est la finalité, dans son orientation générale, l’éthique du consensus devra ainsi s’assurer d’être suffisamment «neutre dans sa conception du monde». Sa perspective normative doit correspondre au paradigme démocratique, du fait que ce modèle lui permet, s’il le faut, de se placer au-dessus des doctrines religieuses, de contourner les pièges des idéologies politiques et des tendances philosophiques, en vue de gagner en efficacité sur le terrain de la gouvernance. Cette neutralité signifie, comme en tout régime démocratique juste, et au profit de la stabilité de nos sociétés pluralistes, à la fois, que la place soit reconnue aux «différentes conceptions du monde», et que, pour cette même raison, l’on ait à mettre en place un consensus éthique fondamental sur les grandes options de la vie publique. H. Küng précise qu’il s’agit d’un «consensus fondamental minimal relatif à certaines valeurs, normes et attitudes», à défaut duquel «une vie en commun digne de l’homme n’est pas possible», et sans lequel la démocratie elle-même «ne pourra pas non plus fonctionner: elle s’effondrera dans le chaos ou dans la dictature». H. Küng va plus loin pour situer la nécessité d’une éthique commune par rapport au règne d’un «monde technologique d’une incroyable complexité», autant que ce contexte est celui d’une «société industrielle […] ébranlée par la surinformation et la désinformation, d’une communication extrêmement ouverte». Quoiqu’il en soit, la problématique de l’éthique universelle relève essentiellement d’une préoccupation politique, du fait de son rapport direct à la question de gouvernance dans le monde. Dans l’ordre de cette préoccupation, H. Küng fait remarquer que «tous les États du monde ont leur réglementation économique et juridique, mais dans aucun État du monde elle ne fonctionnera sans consensus éthique». En vertu de cette dynamique, «la société internationale des nations elle-même s’est déjà dotée des structures juridiques transnationales, transculturelles, transreligieuses (sans lesquelles les contrats internationaux seraient pure illusion)». Avec raison, H. Küng estime que «l’humanité postmoderne a besoin de valeurs, de perspectives, d’objectifs, d’idéaux commun». On s’accordera ainsi à noter que, dans notre contexte, il n’y aura que, dans notre contexte, «pas de survie de la société humaine sans éthos, soit,      

H. Küng, Projet d’éthique planétaire, p. . Ibid., p. . Ibid., p. . . Ibid., p. . Ibid., p. . Ibid.

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concrètement, pas de paix intérieure si l’on ne s’accorde pas à résoudre les conflits sociaux sans violence; pas d’ordre économique et juridique sans volonté commune de respecter un ordre déterminé et des lois déterminées; pas d’institutions sans accord au moins tacite des citoyens et citoyennes concernés». L’éthique du consensus sera universelle, dans sa visée et dans sa portée. Elle reposera, non pas sur une unité abstraite du genre humain, mais sur la considération d’une altérité de véritables différences, appelant à une dynamique de convergences, à chaque fois dans une gestion structurelle, par le dialogue et la concertation (au sein des Conférences et des Conventions). Il faut reconnaitre que, selon cette logique, ce qui s’impose à notre conscience et à notre expérience historique, ce sont des situations spécifiques d’insertion dans la vie et qui font que chacune des traditions identitaires, dans un pluralisme «différencié se dresse dans une singularité irremplaçable». Ceci doit être souligné, en accord avec P. Ricœur, «pour autant que l’altérité véritable des personnes fait de chacune de celles-ci une exception». Et cette exception étant d’ordre historique, décourage toute idée d’universalité hors de cette histoire. Il existe, pour ainsi dire, des conditions «afférentes aux contextes historiques et communautaires d’effectuation», qui déterminent et garantissent la singularité irréductible de chacun de ces contextes. Toute tendance à tenir hors du jeu la particularité des conditions sociales, culturelles et religieuses, peut conduire à la tentation de réduire le pluralisme à un universalisme plat, qui offrirait une idée extraordinairement pauvre de la condition humaine réelle, même par rapport à l’idée et au fonctionnement du consensus en direction de l’éthique commune à l’humanité. La permanence de l’altérité implique qu’on soit en mesure de prendre en considération «la gangue contextuelle d’une culture historique» en corrélation avec d’autres, dans la dynamique des inévitables convergences. Étant le déterminant de la position relationnelle de chaque identité, le principe d’altérité suggère la reconnaissance des conditions réelles de notre existence historique dans son caractère d’incomplétude. La prise en compte de ce principe, permet d’éviter toute tendance à assimiler une condition historique à la réalité comme telle, même s’il est tout autant vrai d’affirmer que la réalité est insaisissable en dehors d’une     

H. Küng, Projet d’éthique planétaire, p. . P. Ricœur, Soi-même comme un autre, p. . Ibid., p. . Ibid., p. . Ibid., p. 

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constellation d’évènements et de langages précis. L’altérité dispose donc ainsi à sortir de «l’idolâtrie de soi». Pour P. Ricœur, la considération de l’altérité installe dans la vertu essentielle du dialogue en vue d’un consensus, dans la mesure où le crédit de celui-ci repose sur l’enjeu de la «reconnaissance mutuelle au plan de recevabilité, c’est-à-dire de l’admission d’une vérité possible, de la proposition de sens qui nous sont d’abord étrangers». La question du consensus a ainsi besoin d’être clarifiée à partir de la problématique concernant la portée «universelle» de différentes chartes des droits de l’homme. Dans ce débat, se trouve fustigé le déséquilibre du caractère d’«universel» reconnu à la thématique des droits de l’homme. Pour P. Ricœur, toute prétention d’universalité en cette matière, ne passe pas sans impliquer la pratique constante de la discussion, comme préalable à toute idée de consensus. En vue d’expliquer l’enjeu de cette tournure, P. Ricœur fait remarquer, au sujet des droits de l’homme, que «ceux-ci», pris au niveau des textes déclaratifs et non proprement législatifs, peuvent être tenus pour des dérivés bien argumentés de l’éthique même de cette argumentation. Aussi bien ont-ils été ratifiés par la quasi-unanimité des États; et pourtant le soupçon demeure qu’ils sont seulement le fruit de l’histoire culturelle propre à l’Occident, avec ses guerres de religions. Son apprentissage laborieux et jamais terminé de tolérance. Tout se passe comme si l’universalisme et le contextualisme se recouvraient imparfaitement autour des valeurs peu nombreuses, mais fondamentales telles celles qu’on lit dans la Déclaration universelle des Droits de l’homme et du citoyen. Mais, qu’en est-il des législations précises qui garantissent l’exercice de ces droits? Celles-ci sont bel et bien le produit d’une histoire singulière qui est en gros celle des démocraties occidentales. Et dans la mesure où les valeurs produites dans cette histoire ne sont pas protégées par d’autres cultures, l’accusation de l’ethnocentrisme rejaillit sur les textes déclaratifs eux-mêmes, pourtant ratifiés par tous les gouvernements de la planète. Il faut, insiste P. Ricœur, refuser cette dérive et assumer le paradoxe suivant: d’une part, maintenir la prétention universelle attachée à quelques valeurs où l’universel et l’historique se croisent, d’autre part offrir cette prétention à la discussion, non pas à un niveau formel, mais au niveau des convictions insérées dans les formes de vie concrètes. Dans cette discussion, il ne peut rien résulter, si chaque partie prenante n’admet pas que d’autres universels en puissance sont enfuis dans des cultures tenues pour exotiques. 

J. S. O’Leary, La vérité chrétienne à l’âge du pluralisme religieux, Paris, Cerf, ,

p. .  

P. Ricœur, Soi-même comme un autre, p. . Ibid.

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À la suite de P. Ricœur, nous tenons que la clarification de la notion du «consensus» à partir des situations d’existence concrètes et relatives, requiert une méthodologie qui soit en mesure d’intégrer la «notion d’universels potentiels ou inchoatifs». Moyennant l’apport d’une telle notion, on peut assurer la communicabilité à large échelle des principes de l’éthique du consensus, et offrir la garantie de crédibilité aux standards de l’éthique mondiale dans différents contextes particuliers de la vie publique. Il ne s’agit pas, à ce niveau de notre analyse, de consacrer le cadre du «modèle assimilationniste de la compréhension», qui a sa formulation chez Rorty et McIntyre. C’est le modèle «selon lequel une interprétation radicale signifierait soit une assimilation à ses propres critères de rationalité, soit une conversion, c’est-à-dire une soumission à la rationalité d’une image du monde qui nous est complètement étrangère». Pour notre part, l’institutionnalisation des espaces du dialogue, débats et concertations, à travers la tenue de différents Sommets, Conférences et Conventions, tels que organisés par le système des Nations Unies, doit être perçue à juste titre comme un des chemins obligés du succès de l’éthique universelle à notre époque. Dans ce régime, toute situation qui exige d’être repensée sera ordonnée à la nécessité d’«élargir (les) perspectives» à partir des expériences en interaction, et selon une orientation qui permettra de «les amener à coïncider», en se retrouvant dans «une symétrie fondamentalement requise par toutes les situations de parole». Ce processus aboutit à «la dynamique d’adoption mutuelle des perspectives». À partir de cette dynamique «peut [ainsi] se développer un horizon commun d’interprétation», laquelle n’est acquise ni par ethnocentrisme ni au prix d’une conversion, mais comme une nouvelle situation inter-subjectivement partagée. Les orientations de l’éthique du consensus universel obéissent pour ainsi dire à ce mouvement. L’éthique du consensus sera ainsi vue comme «l’institution du langage que l’on s’engage à sauvegarder, voire la référence à quelque pacte social au nom duquel peut régner entre les membres de la société une confiance mutuelle 

P. Ricœur, Soi-même comme un autre, p. . Nous reprenons cette critique en suivant la mise au point de J. Habermas, «Fondamentalisme et terreur», dans J. Derrida et J. Habermas, Le «concept» du  septembre, p. .  Ibid., p. .  Ibid.  Ibid.  Ibid.  Ibid. 

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préalable» à toute réciprocité, menant à une possibilité d’entente pardelà la confrontation. Il en ressort que le contenu de l’éthique du consensus n’est pas disponible comme une donnée tranquille à établir à partir d’un fondement soit naturel soit théocratique. L’éthique doit être construite, essentiellement, de façon à être l’émanation de la dynamique de l’entente universelle. Elle doit correspondre à la stratégie de large concertation, en vue de représenter le consensus de la communauté mondiale autour des valeurs à partager, entendues comme standards universels, applicables à toute situation qui requiert redressement ou régulation, et ce dans tous les secteurs de l’espace public concernés par la gouvernance. La situation de l’éthique postmoderne par rapport à l’enjeu du consensus qui définit son profil, s’éclaire à partir de l’explication de ce que J. Habermas a taxé d’«exigences de validité (dans la production des actes de langage supposant une norme (ou une règle))», supposant l’obéissance à une ou plusieurs norme(s) de vie collective. En rapport avec cette référence, la formulation en normes de l’éthique mondiale visera toujours des situations concernées par un jugement morale universellement valable, c’est-à-dire qu’elle prévoira une large possibilité d’appréciation, «supposant que n’importe qui dans une situation comparable fasse appel à la même norme pour émettre un jugement». Tout le problème 

P. Ricœur, Soi-même comme un autre, p. . J. Habermas, Morale et communication. Conscience morale et activité communicationnelle, Paris, Cerf, , p. . Dans cet ouvrage, J. Habermas nous propose le génie du consensus à partir d’un schéma qui repose sur les assertions suivantes: ) Par rapport à la communication (à rétablir): «J’appelle communicationnelles les intentions dans lesquelles les participants sont d’accord pour coordonner en bonne intelligence leur plan d’action; l’entente ainsi obtenue se trouve alors déterminée à la mesure de la reconnaissance intersubjective des exigences de validité» (p. ). ) Par rapport à la norme (ou aux normes): «Vis-à-vis des jugements moraux (ou juridiques), cette exigence de cohérence implique que quiconque, avant d’invoquer une norme définie pour étayer son jugement, doit vérifier s’il lui est possible d’exiger que n’importe qui dans une situation comparable fasse appel à la même norme pour émettre un jugement» (p. ). ) Par rapport à l’entente (ou consensus): «En entrant dans une argumentation morale, ceux qui y prennent part poursuivent, dans une attitude réflexive, leur activité communicationnelle afin de rétablir un consensus qui a été troublé. Les argumentations morales servent donc à résorber dans le consensus des conflits nés de l’action» (p. ). ) Par rapport au lien entre attente normative et validation par des raisons, la discussion pratique est une discussion réelle: «Dans un tel processus, chacun fournit à l’autre des raisons par lesquelles il peut souhaiter qu’une manière d’agir soit rendue socialement obligatoire. Chaque personne concernée doit donc pouvoir se convaincre que la norme proposée est ‘également bonne pour tous’. Or ce processus, nous l’appelons discussion pratique» (p. ).  Ibid., p. . 

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restera celui d’en tirer les implications sur la gouvernance publique, en confrontation avec les conditions d’application de ces standards fondamentaux aux différents cadres de réglementation au sein des institutions formelles des États. Il n’appartient pas au cadre de notre analyse de revenir sur le constat déplorable de la sous-représentation de pays dits en voie de développement, aux instances réelles des décisions dans le système global des Nations Unies. On peut s’autoriser de voir dans ce déséquilibre un facteur relativement suffisant de la distorsion des conditions du consensus éthique pour l’ensemble de la communauté politique des nations. Mais, ce qui convient d’être souligné à ce stade, c’est le fait que le nouvel ordre mondial semble s’établir sur de nouveaux équilibres qui confortent de plus en plus la conscience d’un vivre ensemble à l’échelle planétaire. Cela implique que les grandes forces actuellement agissantes en matière de politique internationale et de gouvernance mondiale, devraient davantage se préoccuper de favoriser un type de convivialité vraiment dynamique et réellement inclusive des différents pôles de la planète. De la même manière, les pays de la planète sont aujourd’hui comme contraints moralement à faire de grands pas en direction d’une gouvernance interne qui soit décidément conforme aux règles de base de la démocratie, et qui, pour cela, doive intégrer les standards éthiques, notamment en ce qui concerne le respect des droits de l’homme, l’équité dans la gestion de secteurs sociaux de la vie, l’équilibre et la transparence dans la conduite des politiques chargées de protéger ce qu’il en reste de l’intégrité de l’écosystème. La mutation vers des régimes de gouvernance démocratique constitue l’option non négociable du paradigme éthique à notre époque. La position des États africains sera d’une grande illustration à cet égard. Plus récemment, en effet, les printemps arabes dans le Maghreb, qui ont coïncidé, à partir de l’année , avec la revendication populaire en faveur des régimes démocratiques, a abouti, par des actions soutenues de désobéissance civile, à la chute des régimes autoritaires dans cette partie du continent. Le vent de la démocratisation qui a soufflé sur le sous-continent noir au début des années , a permis à certains États d’accéder à l’âge postcolonial, en vue de correspondre à la requête de l’âge de la liberté démocratique, au-delà de la revendication de souveraineté qui a caractérisé la période de la décolonisation. Cependant, les deux étapes de la postmodernité africaine, celle de la décolonisation (dans l’ère postcoloniale) et celle de la démocratisation (dans l’ère post-idéologique), souffrent encore de l’absence de véritables

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régimes de libertés fondamentales. On déplore que, jusqu’à ces jours, le déficit des marges considérables d’une pratique efficiente de la justice ainsi que la recrudescence de l’impunité plongent encore maints États africains dans de graves situations de violation systématique des droits de leurs propres peuples, à la faveur du maintien – contre toute règle démocratique – de la politique de la tyrannie et de la prédation. C’est cette situation qui se trouve de plus en plus rattrapée par les orientations actuelles de l’éthique mondiale. La fonction de celle-ci étant d’en appeler à la vigilance et à la responsabilité de la communauté mondiale, dans son devoir d’accompagner des États fragiles à se reconstruire sur des assises d’une gouvernance plutôt moralement admissible, selon les normes du nouvel ordre mondial par-delà toute velléité impérialiste. ... Le primat de la gouvernance mondiale Le tournant postmoderne, faut-il le rappeler, se confond avec l’émergence d’une confiance renouvelée dans «un avenir commun», pour l’ensemble de l’humanité. Mais l’humanité a conscience que cet avenir doit être construit à partir «d’une convergence des facteurs», qui révèlent un horizon mondial aux problèmes de la vie. Il est ainsi normal que le nouvel ordre éthique engagé dans une telle responsabilité, soit aussi doté des agents réels ainsi que des moyens conséquents en vue d’opérer et d’agir à la hauteur de l’horizon universel de tous les défis humains et écologiques. Dans l’analyse qui va suivre, nous entendons expliquer comment le monde est actuellement organisé, en ressources humaines et en structures stratégiques, dans la recherche des solutions aux problèmes de l’humanité. Il s’agit pour nous de désigner les acteurs chargés de l’opérationnalisation de l’éthique de régulation, ainsi que leur profil collectif par-delà les devoirs classiques relevant des fonctions d’États, des charges professionnelles ou des rôles sociaux. Les analystes situent le point de départ d’une stratégie mondiale de gouvernance universelle dans l’avènement de l’Organisation des Nations Unies. Selon Dominique Wolton, «dans les années , la naissance de l’ONU a été le grand moment de la renaissance de l’universalisme, après la barbarie de deux guerres mondiales. Les hommes devaient réagir face à la mondialisation du mal qui avait si bien réussi entre  et , et seule la volonté de réinscrire l’idéal de l’humanité au sommet des valeurs occidentales pouvait fonder un nouvel 

P. Valadier, Inévitable morale, p. .

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espoir en l’homme». À partir de ce constat, D. Wolton situe la naissance de l’ONU au seuil d’un programme «de ré-humaniser l’humanité» après les échecs des idéologies modernes. Il écrit, en effet: «Si les exactions du communisme ont permis – à juste titre – au capitalisme de défendre ses valeurs, cela ne peut faire oublier comment ce capitalisme, lui-même bien peu regardant sur les Droits de l’homme, a mille fois trahi les valeurs dont il se voulait porteur». De là, la considération que l’ONU est, dès le départ, le porte-étendard d’une nouvelle approche de l’éthique en postmodernité, est d’une grande plausibilité. Au regard de cette problématique, le rôle de l’ONU s’est précisé ces dernières années, comme rôle d’incarnation active du pouvoir régulateur de l’éthique mondiale. C’est un rôle qui s’appuie sur trois axes: – L’axe de formalisation de la normative de cette éthique, à travers l’organisation des conférences internationales sur des questions précises de la vie sociale et de la sécurité environnementale, dans le cadre d’un processus de légitimation universelle, qui aboutit à l’adhésion, la ratification et la signature des accords y relatifs par des États membres, ainsi qu’à l’insertion de leurs contenus dans les différents programmes des gouvernements de pays concernés. – L’axe d’exécution du pouvoir normatif par la vulgarisation de standards de l’éthique mondiale, à travers des programmes de formation et d’éducation des masses tels qu’exécutés par les experts de l’ONU et ceux de différents pays en partenariat. – L’axe de contrôle, à travers les différents monitorings et observatoires tels qu’orchestrés par les ONGs et les différentes agences des Nations Unies. La visée de cette macro-stratégie n’est autre que celle d’assurer l’entrée dans une nouvelle ère de réconciliation de la pluralité des cultures, de la diversité des peuples, de la disparité des intérêts, et de l’antagonisme des traditions, à partir d’un partenariat fécond et durable. Il s’agit précisément d’un ordre nouveau de construction d’un partenariat de tous, contre les injustices dans le traitement des êtres humains et contre les inégalités dans la considération de la dignité humaine, quelle que soit la disparité des conditions effectives d’existence. Sur le plan formel, cette perspective universelle de réconciliation repose sur des valeurs partagées par notre civilisation globale: la paix et la sécurité, comme conditions d’une coexistence humaine et sociale basée sur l’hospitalité; la promotion de    

D. Wolton, L’autre mondialisation, p. . Ibid. Ibid. Cf. H. Küng, Projet d’éthique planétaire, p. . .

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solidarité entre peuples, comme facteur indispensable à une productivité crédible, destinée au partage et non à l’exploitation au niveau des relations entre États; le respect de l’environnement, par un comportement écologique requis, en tant qu’a priori d’une industrialisation ou d’un progrès technologique humainement acceptable. La dynamique qui préside ainsi à l’établissement d’un monde plus juste, doit arriver à minimiser, sans les contourner, les impondérables qui fragilisent les actions, les opérations et les interventions de l’ONU dans le monde: la recrudescence des guerres civiles; le principe de la noningérence; la préséance du rôle humanitaire; l’interférence des grandes puissances (avec l’institutionnalisation de la diplomatie d’intérêts); les problèmes financiers. L’on devra compter, dans cette ligne d’analyse, avec la conviction selon laquelle la stratégie de l’ONU est déjà entrée dans l’imaginaire socioculturel des peuples de par le monde. La visibilité de ses actions, surtout dans les domaines les plus vitaux du développement économique et social dans les pays fragiles, a rendu de plus en plus populaires et fréquentables les agences de l’ONU: FAO (alimentation et agriculture); OMS (santé et hygiène); UNICEF (enfance); UNESCO (éducation, science et culture); PNUD (aide au développement); HCR (protection et assistance aux réfugiés et déplacés). Dans la grande stratégie du système des Nations Unies figure également le partenariat avec les Organisations de défense des droits de l’homme dans le cadre de différents programmes de promotion et de vulgarisation de mesures de respect des droits humains dans le monde. Il est même prévu que l’action de l’ONU s’étende jusqu’à la possibilité d’établir des institutions démocratiques à la place des régimes tyranniques dans les différents États en situation post-conflits. Dans le domaine de partenariat avec le secteur privé des entreprises, on a noté du côté de l’ONU, la traduction de sa préoccupation éthique dans les recommandations du «Global compact». Il s’agit de l’initiative de «partenariat public-privé pour le développement», prise par le Secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, à Davos, en . Cette initiative consiste dans une convention morale passée entre les milieux d’affaires et l’ONU pour «donner au marché globalisé un visage humain» en veillant à ce que des «valeurs et principes partagés» relatifs aux droits de l’homme, à la législation du travail et à l’environnement, soient respectés par les transnationales. Une telle intervention de l’ONU dans le domaine aussi fluctuant que celui des entreprises et firmes transnationales, montre 

Cf. H. Küng, Projet d’éthique planétaire, p. .

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le niveau le plus haut qu’ont atteint les engagements de cette organisation internationale dans l’exécution de son mandat éthique. Elle révèle, à ce titre, que rien ne peut arrêter la marche triomphante du système des Nations Unies et la mission universelle de régulation qu’il assure dans le monde pour la cause globale de la paix et de la sécurité humaine. Il en ressort que l’idéal de la paix et l’enjeu de la sécurité mondiale, qui participent de l’acte de naissance de l’ONU, rendent, pour le moins, la présence et les activités de celle-ci plus que jamais impératives, aussi bien pour la stabilité que pour l’équilibre de la planète. Le monde, à travers l’ONU, est constamment appelé à contrecarrer l’avènement redoutable d’un «hyper-conflit», tant il est vrai que la persistance de la menace de la sécurité humaine tient à des facteurs dont l’actualité demeure inestimable. Ainsi que l’a fait remarquer D. Wolton, avec «l’élargissement des thèmes de conflit, où culture, idéologie, intérêts économiques et fondamentalisme religieux, stratégies militaires s’entremêlent de manière douteuse, s’ajoute l’impact de la mondialisation de l’information», comme autant facteurs du rebondissement de l’insécurité. La prédiction d’un conflit mondial par S. Huntington, suite à un possible choc des civilisations conforte cette hypothèse. En référence à une étude de Curt Gasteyger, l’éventualité d’un «hyper-conflit» peut également résulter de six obstacles visibles, en nette progression, sur la voie de la paix dans le monde: le déplacement de l’agressivité de la scène internationale à l’intérieur des sociétés, l’effritement de l’autorité étatique, la globalisation de la communication, le déséquilibre démographique croissant, la nouvelle distribution de puissance et de pauvreté, la stagnation des efforts de désarmement. Face à la constellation des facteurs négatifs identifiables sur le chemin de la sécurité, la perspective d’analyse éthique plaide pour la consolidation de l’équilibre mondial. Sur le plan stratégique, cette préoccupation doit aller jusqu’à inscrire dans la marge de manœuvre de l’ONU, la transformation du régime de ses rapports, parfois difficiles, avec la diplomatie de grandes puissances. La place tenue par les intérêts des pays puissants, avec l’exacerbation de la logique de la real politic, reste pour le moins le facteur le plus perturbateur et même torpilleur du rôle de l’ONU. L’on notera par exemple que ce qui a été qualifié d’échec de 

D. Wolton, L’autre mondialisation, p. . C. Gasteyger, «Entre paix et guerre: la communauté internationale de demain», tel que cité par M. Aebischer-Crettol, Vers un œcuménisme interreligieux. Jalons pour une théologie chrétienne du pluralisme religieux, Paris, Cerf, 2001, p. 156 note 1.  Ibid. 

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Copenhague sur le réchauffement climatique en décembre , sera en grande partie lié à l’intransigeance des USA sous Barack Obama, à s’obstiner dans la voie de la défense des intérêts américains sur le plan industriel, contre la voie impérative de négociations des termes de référence sur la réduction du nucléaire. Nous admettrons avec D. Wolton, que «le sommet de Johannesburg sur l’environnement en septembre , même s’il n’a pas débouché sur aucune décision contraignante, a été un facteur essentiel de sensibilisation». Il est également juste de faire remarquer, à la suite de D. Wolton que, du fait que «les États-Unis, première puissance polluante du monde», étaient absents de ce sommet, «pas plus qu’ils n’ont signé le protocole de Kyoto, a un effet désastreux» dans les efforts entrepris pour réduire les risques d’une implosion écologique de la planète. Le leadership reconnu à l’ONU, notamment dans sa mission de faire respecter la normative de l’éthique mondiale, doit être vu comme rentrant dans l’ordre d’une stratégie internationale, qui permet à l’«universalisme» des valeurs, d’échapper à la dérive de l’«occidentalisme, c’est-à-dire une défense habile des seuls intérêts de l’Occident». Le soupçon de l’«occidentalisme» dirigé vers les orientations du nouvel ordre mondial, repose essentiellement sur l’accusation du maintien, par les puissances occidentales, des manœuvres impérialistes sous la couverture d’une globalisation «idéologique». Aussi longtemps que n’émergera pas, de façon plus lisible, la volonté de lever les équivoques sur l’accusation d’impérialisme, d’hypocrisie et, dans certains cas, d’extravagance de l’Occident libéral, la conséquence de l’interprétation qui voit dans le rôle de l’ONU la caution de l’expansion d’une culture «puissante», sera d’autant plus «préjudiciable que nombre de régimes dictatoriaux, terroristes ou fondamentalistes, se servent des dérapages de l’Occident pour invalider davantage le bien-fondé des valeurs universelles». Dans ces conditions, ajoute D. Wolton, «le relativisme historique s’impose comme moyen de contester toute référence à une norme supérieure». À défaut d’une mise en place des mécanismes d’un partenariat équilibré entre le système des Nations-Unies et certains blocs des États forts, comme le G., la fragilisation des actions de l’ONU se maintiendra toujours dans un cap difficile à surmonter. M. Aebischer-Crettol estime,    

D. Wolton, L’autre mondialisation, p. . Ibid., p. -. Ibid., p. . Ibid.

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en effet, que sur le plan politico-juridique, «la fondation de l’Organisation des Nations-Unies et des organismes qui en découlent», a été présidée par la volonté de résolution des conflits en direction de la paix à partir d’une instance transnationale. Mais, précise M. Aebischer-Crettol, «la portée et l’action de ces institutions sont limitées aussi bien par les principes mêmes des structures que par le défaut de volonté politique des adhérents de les rendre vraiment efficaces». Il y a certainement beaucoup d’avancées qui attestent que l’autorité éthique qu’incarne aujourd’hui le système des Nations unies ne relève pas d’une fiction politique quant à l’idée de la communauté internationale aux contours vagues. Ainsi que l’explique D. Wolton, en , «la création de la Cour pénale internationale (CPI), compétente pour juger les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et les génocides, est une victoire dans l’ordre de l’émergence d’une conscience morale et juridique mondiale». Mais ce constat doit être suivi d’un autre. Il existe de pesanteurs nocifs, qui fragilisent la manœuvre de l’ONU, dans son rôle d’assurer la régulation des équilibres géopolitiques, nécessaires au maintien de la sécurité et de la démocratie, y compris par le régime de la normative éthique qui informe les standards universels de gouvernance. Dans cet ordre d’idée, J. Habermas a relevé que dans le domaine des «relations internationales jusqu’à ces jours […], le médium du droit, dont la fonction est de contenir la violence, ne semble jouer comparativement, qu’un rôle secondaire. Et dans les relations interculturelles, il ne sert au mieux qu’à créer des cadres institutionnels visant à accompagner formellement les recherches d’entente – par exemple, la conférence de Vienne sur les droits de l’homme organisée par les Nations unies». Dès lors, poursuit J. Habermas, «l’idée d’une communauté internationale qui met fin à l’état de nature entre les États en pénalisant effectivement les guerres d’intervention, le génocide et les crimes contre l’humanité en général, et en punissant les atteintes aux droits de l’homme, est [certes] une idée qui a pris une certaine forme institutionnelle, dans  Avec M. Aebischer-Crettol, Vers un œcuménisme interreligieux, p. , on peut relever les faiblesses de l’ONU à travers l’inefficacité de ses interventions même dans des crises africaines. Le plus remarquable est l’exemple de la guerre des États Unis d’Amérique en Irak au début du XXIe siècle, guerre décidée unilatéralement après que l’administration Busch ait foulé aux pieds les directives et les dispositions de l’ONU sur le désarmement de l’Irak.  Cf. F. Ramel et D. Cumin, Philosophie des relations internationales, Paris, Presses de Sciences Po, .  D. Wolton, L’autre mondialisation, p. .  J. Habermas, «Fondamentalisme et terreur», p. .

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l’ONU et ses différents organismes». J. Habermas précise qu’il s’agit d’une idée qui, de façon visible, s’affirme en pratique, et ce au regard des exemples suivants: «Le tribunal de la Haye agit contre Milosevic, un ancien chef d’État. Les juges suprêmes de Grande Bretagne ont été à deux doigts d’empêcher le rapatriement de Pinochet, un ancien dictateur criminel. […] Les résolutions du Conseil de sécurité ont ôté au gouvernement irakien la libre disposition de son propre espace aérien. Les Casques Bleus garantissent la sécurité du gouvernement de l’après-taliban à Kaboul». Cependant J. Habermas ne s’empêche pas de noter qu’un constat massif en direction de l’ONU retient que celle-ci ne vaut «souvent qu’un tigre de papier». Elle apparait comme une organisation largement tributaire «de la coopération des grandes puissances». De telle sorte que, là où «le Conseil de sécurité est complètement bloqué dans ses résolutions, comme ce fut le cas à propos du conflit du Kosovo, et si c’est une coalition régionale, comme l’OTAN, qui agit à sa place sans mandat, l’inévitable différentiel de puissance qui existe entre l’autorité légitimante – mais faible – de la communauté internationale et celle des États-nations militairement puissants mais agissant dans leur propre intérêt, devient une réalité criante». La torpeur du Conseil de sécurité des Nations unies est donc une réalité manifeste là où se joue la bataille de sauvegarde des intérêts de grandes puissances de la planète. Une alternative palliative à un tel manquement se trouverait, comme le propose H. Schneider, dans les possibilités qu’offre un modèle de «patriotisme constitutionnel» du genre Union Européenne. L’enjeu d’une telle organisation continentale résidera dans le fait de prendre en compte, non seulement des défis et tâches qui incombent à la communauté internationale, mais aussi «des éléments constitutifs de l’ordre politique qui méritent reconnaissance et engagement au service de la dignité humaine». En se situant sur le plan culturel, l’Unesco a été constitué pour poursuivre l’objectif de consolidation de la paix. Le préambule de la Charte de cet organisme de l’ONU précise l’enjeu de cette option en ces termes: «les guerres sont amorcées dans les têtes des hommes et des femmes, c’est dans les têtes que les précautions nécessaires pour éviter le mal doivent être semées et cultivées». Dans cet idéal, le «désarmement culturel» est 

J. Habermas, «Fondamentalisme et terreur», p. . Ibid.  H. Schneider, «Patriotisme et nationalisme», dans Concilium  (), p. ; cité par M. Aebischer-Crettol, Vers un œcuménisme interreligieux, p. .  M. Aebischer-Crettol, Vers un œcuménisme interreligieux, p. . 

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posé comme condition de la paix là où «les cultures passent pour être trop souvent belligérantes et traitant les autres en ennemi, en barbare, en goï». Mais l’élan de cette visée est à tout instant court-circuité par la logique de fabrication d’armes développée au cœur de «la civilisation occidentale» ultralibérale. R. Panikkar explique qu’il s’agit, pourtant, d’une logique inhérente à cette culture comme l’envers de la médaille de ses «qualités», dont: son esprit de compétition, la recherche constante de solutions «meilleures», sa créativité technocratique au dépend de la subjectivité et du monde des sentiments, ses complexes de supériorité et d’universalité, etc. Le diagnostic de la situation révèle les obstacles qui empêchent l’ONU d’exercer son mandat d’assurer l’exécution des options fondamentales de la communauté internationale dans la conduite des principes de l’éthique universelle. Ce mandat éthique de l’ONU s’impose aujourd’hui, au regard de la série de facteurs négatifs dressés sur le chemin de la sécurité humaine. Les considérations du philosophe français J. Derrida sur la globalisation en disent long. Selon cet auteur, en effet, «là où […] la mondialisation a lieu», il y a certes des effets bénéfiques: «les discours, les savoirs, les modèles se transmettent mieux et plus vite. La démocratisation y trouve plus de chance. À l’Est de l’Europe, les mouvements de démocratisation récents doivent beaucoup […] à la télévision, aux transports des modèles, des normes, des images, de la marchandise informationnelle, etc. Les institutions non gouvernementales sont de plus en plus nombreuses et mieux connues ou reconnues». Paradoxalement, note J. Derrida, c’est juste «à cette époque où […] l’hétérogénéité des sociétés humaines, les inégalités sociales et économiques n’ont sans doute été plus graves et plus spectaculaires […] dans l’histoire de l’humanité. Alors que le discours en faveur de la mondialisation insiste sur la transparence rendue possible par les télé-technologies, l’ouverture des frontières et du marché, l’égalisation des chances, etc., il n’y a jamais eu dans l’histoire de l’humanité, en chiffres absolus, autant d’inégalités, de malnutrition, de désastres écologiques, d’épidémies sans recours (…sida en Afrique)». Bien plus, l’évaluation quantitative de la mondialisation laisse voir que «seuls certains pays, et 

R. Panikkar, «Neuf Sûtras sur la Paix», dans Les voies de l’Orient, p. . , cité par A. Nayak, «Études des religions dans le contexte interculturel d’aujourd’hui», dans Enseigner l’histoire des religions dans une démarche laïque, Besançon, CNDP, 1992, p. -.  Ibid.  J. Derrida, «Auto-immunité, suicides réels et symboliques», p. -.  Ibid., p. .

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dans certains pays certaines classes, bénéficient pleinement des processus de mondialisation. Les pays riches, au Nord, détiennent les capitaux et contrôlent les instruments des décisions économiques (G, FMI, Banque mondiale, etc.)». La recrudescence des facteurs négatifs rend ainsi le défi de l’éthique un phénomène d’enjeu crucial dans l’ordre mondial actuel. Le tournant postmoderne sera considéré comme moment d’interruption radicale, en même temps comme instaurateur d’un ordre de vigilance éthique face à une situation internationale jugée encore ambiguë et déséquilibrée. C’est une vigilance éthique qui implique la nécessité d’une prise de conscience, non seulement des enjeux, mais aussi des obstacles. Parmi ces obstacles, on ne peut passer outre ce qu’il en est de l’ordre politique du monde établi sur le décalage «entre le devoir et le pouvoir, entre le droit et la force, (qui) met sous un […] mauvais jour à la fois la crédibilité de l’ONU et la pratique interventionniste des États». Sur le plan stratégique, il y a également comme obstacle, la «dissension entre les pays anglo-saxons et les pays continentaux», qui permet de nous réaliser qu’actuellement, «l’idiome anglo-américain» domine l’ordre mondial, «là où cet idiome se lie indissolublement au discours politique qui domine la scène mondiale, au droit international, aux institutions diplomatiques, aux médias, à la plus grande puissance techno-scientifique, capitalistique et militaire». Il en résulte une «tension entre les orientations d’inspiration plutôt réaliste et celles d’inspiration plus fortement normativiste». Dans le cadre du pôle ultra-libéraliste, celui qui accentue la logique des intérêts en la faisant passer comme l’enjeu de toutes les relations entre les nations du monde, il ne sera pas rare de constater que, au sein de ce pôle, le pouvoir réel de décideurs revient aux entreprises multinationales, et non pas aux dirigeants des États dits forts. Aujourd’hui, on en appelle à une régulation de l’ordre économique mondial. Cet appel ne concerne pas seulement les régis bancaires. Il vise une certaine traçabilité dans le chef des entreprises minières, forestières, extractives, pétrolières, quant à la nécessité du contrôle de leur impact social et écologique. Si le régime de cette régulation est décidément d’ordre gouvernemental et politique, il n’en demeure pas moins que l’influence     

.

J. Derrida, «Auto-immunité, suicides réels et symboliques», p. . J. Habermas, «Fondamentalisme et terreur», p. . J. Derrida, «Auto-immunité, suicides réels et symboliques», p. . J. Habermas, «Fondamentalisme et terreur», p. . Cf. Th. Coste, Le vrai pouvoir d’un lobby: des politiques sous influence, Paris, Bourin,

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des multinationales reste, dans les coulisses, un obstacle redoutable au règne de l’éthique universelle et au déploiement du mandat de l’ONU. Pour arriver à surmonter la constellation des facteurs négatifs, l’enjeu de la régulation éthique doit conduire à la recomposition de la communauté internationale. Non seulement dans la perspective de l’idée devenue classique d’une nécessaire réforme de l’ONU, mais surtout dans le sens qui concerne l’urgence d’un élargissement des espaces de représentation géostratégique et culturelle au sein de l’actuelle communauté internationale, en vue de «décentraliser la gouvernance mondiale». J. Habermas propose une telle recomposition de l’espace politique international, en préconisant que «de grandes alliances continentales comme l’UE (Union Européenne), l’ALENA (Accord de Libre-échange nord-américain) ou l’ANSEA (Association des nations du Sud-Est asiatique), deviennent des acteurs disposant d’une capacité d’action suffisante pour passer des conventions transnationales et prendre en responsabilité un réseau transnational toujours plus dense, qui intègre des organisations, des instances des discutions et des pratiques». C’est dans cet esprit que Serge Antoine avance une proposition à trois directions, relativement à la problématique du développement durable. Dans la première direction, S. Antoine propose une stratégie qui «consiste à s’attacher non à l’organigramme, au poids relatif des instances et au champ de leurs attributions, mais à l’amélioration du système relationnel entre des entités […]. Le développement durable est ‘transversal’, précise S. Antoine, il doit mobiliser plusieurs instances internationales, et cela, d’une autre manière». Dans la deuxième direction, S. Antoine préconise la «décentralisation d’un système mondial» qu’il juge actuellement «beaucoup trop ‘centralisé’ au niveau d’institutions chapeaux». Dans cette direction, «la gestion du monde» exige la prise de conscience du fait que «la planète est comme un grand ballon glissant», et qu’en conséquence, un processus de «démultiplication est à encourager à différents niveaux: celui des États, […] celui des grandes régions institutionnelles, comme par exemple l’Union européenne, et celui des ‘écorégions’ telles que la Méditerranée, le Pacifique et la Caraïbe», en les considérant comme de bons terrains d’expérience à peine reconnus par les Nations Unies. Elles pourraient contribuer, mieux que les continents de l’ONU, à une vraie gouvernance. Dans la troisième direction, S. Antoine pense que le  S. Antoine, «Vous avez dit ‘développement durable’?», dans A.-M. Ducroux (dir.), Les nouveaux utopistes du développement durable, p. .  J. Habermas, «Fondamentalisme et terreur», p. .

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processus de la «décentralisation doit aller plus loin […] aux États par la mise en œuvre d’un système d’observance des engagements, mais aussi aux collectivités territoriales et à la société civile tout entière: entreprises et associations doivent être les nouveaux fantassins du système planétaire et l’appel au partenariat se situe dans cette perspective». Le contexte africain est ici fortement interpellé par le défi que constitue la configuration actuelle de l’Union africaine (UA) créée en juillet . En remplacement de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA), l’Union africaine compte aujourd’hui  pays membres. À ces jours, elle est confrontée à un double défi: le défi lié à son objectif initial en tant qu’organisation continentale, celui de créer une union économique et monétaire de l’Afrique; et le défi lié aux enjeux actuels du développement durable. Ce contexte stratégique provoque l’Union africaine à la conscience renouvelée de ses nouvelles responsabilités. C’est un contexte qui en appelle à la recomposition et au renforcement de différents organes de cette plate-forme africaine. Il en exige la redynamisation de ses orientations fondamentales, dans une perspective qui contribuera à en faire une structure réellement opérationnelle, et non simplement symbolique, quant à la détermination d’un leadership africain en matière d’options, de propositions et de perspectives crédibles de relance et de reconstruction, aussi bien face à des situations africaines que face à celles de la communauté mondiale. L’Union africaine (UA) ne réussira pas un tel pari en-dehors d’une politique globale de synergie avec les organisations sous régionales telles que la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la Communauté économique des pays des Grands Lacs (CEPGL); la Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC); la Conférence pour le développement de l’Afrique australe (SADEC); Union du Maghreb arabe (UMA). C’est à cette condition que l’Afrique entière s’assurera les conditions d’un partenariat stratégique intelligent, efficace et durable sur la scène internationale, notamment avec l’ONU. C’est aussi, dans l’autre sens, comme l’a noté J. Habermas, à partir du moment où «ce genre de global players sera en mesure d’offrir un contrepoids politique à l’expansion galopante des marchés, que l’ONU trouvera un socle capable de supporter la mise en œuvre de programmes et de politiques au service des idées généreuses». L’orientation globale du déplacement entrepris par le paradigme de l’éthique mondiale, renseigne  

S. Antoine, «Vous avez dit ‘développement durable’?», p. -. J. Habermas, «Fondamentalisme et terreur», p. -.

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à notre conscience collective qu’aucune culture, aucune religion ou tradition, aucune instance de signification, n’est ni autosuffisante, ni capable de résoudre à elle seule les problèmes de l’humaine et du monde à partir de son espace, ni de fournir des réponses universelles, parce que les problèmes et les questions ne seront pas les mêmes partout. Décidément, la stratégie d’un partenariat rassurant à l’échelle mondiale, vise la mise en place des conditions d’une complémentarité, qui engagera les États dans la logique de nouveaux équilibres qu’exige le cadre du consensus permanent avec les organisations continentales et régionales, non-gouvernementales et para-étatiques. La généralisation du climat de consensus sur les principes d’actions, permettra d’optimiser, à chaque fois, l’opérationnalisation des standards de l’éthique planétaire, au bénéfice d’une nouvelle géopolitique mondiale. L’ordre de l’éthique globale sera ainsi ressenti, à juste titre, comme une perspective irréductible, à telle enseigne que la position d’une certaine formulation théologique, lorsqu’elle sera désintégrée vis-à-vis de l’enjeu crucial de ce paradigme postmoderne, se révèlera en manque de pertinence, quelles que soient ses prétentions au sens total dans la démarche interprétative de ses traditions.

.. Difficulté de l’approche théologique en régime de laïcité Face à l’immensité du défi éthique auquel l’humanité est confrontée aujourd’hui, la théologie, dans son format classique, court le risque de se retrouver dans une situation de dépréciation, symbole des discours qui suscitent de moins en moins de l’intérêt en direction des réponses adéquates. La cohérence et le prestige du nouvel ordre mondial, sous la conduite de l’éthique universelle, placent le christianisme dans une situation d’épreuve fondamentale, autant qu’ils rendent les solutions théologiques provisoirement non évidentes. Dans cette partie de notre analyse, nous voulons expliquer les facteurs de ce qui apparait comme une situation critique de l’approche théologique vis-à-vis du règne de l’éthique de la laïcité. En voulant poser le diagnostic de la position inconfortable du christianisme et de la théologie en face des options universalistes de l’éthique postmoderne, nous retrouvons le cadre de l’analyse de P. Valadier qui a lancé, en toute hypothèse crédible, et ce d’un point de vue phénoméno

M. Aebischer-Crettol, Vers un œcuménisme interreligieux, p. .

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logique, que les monothéismes juif et chrétien n’ont pas automatiquement favorisé la transposition du religieux vers le politique, parce que dans ces deux cas, il y a une distance critique à l’égard du régime politique qui est l’objet de l’évaluation morale. Aussi avisé que puisse paraitre cet argument, il ne saurait être maintenu comme le seul motif qui expliquerait la désintégration éthique du système chrétien. La situation touche plutôt à la déficience de la théologie. Celle-ci est mise au défi d’aligner le cadre d’une nouvelle théorie de la religion, éloigné de l’horizon métaphysique dans lequel la modernité des Lumières l’a coincée. Aujourd’hui, elle doit assumer l’horizon éthique au cœur de son herméneutique, pour être capable de s’assurer le cadre d’une analyse et d’une réflexion qui lui permette de tenir des engagements face aux nouvelles responsabilités publiques de la foi à notre époque. La conjoncture mondiale actuelle nous oblige à rejoindre le diagnostic posé par Ch. Duquoc, spécialiste de la réflexion sur l’Église et sur le Christ dans la culture contemporaine. Cet auteur nous permet de saisir la dimension réelle de l’état critique dans lequel se trouve la pensée chrétienne face au défi éthique que traverse l’humanité. Il écrit, en effet: notre époque adore le consensus. Nos contemporains, précise-t-il, choqués par l’inaction de Dieu lors des stratégies meurtrières du XXe siècle, n’attendent pas de garantie divine pour assurer un avenir serein; ils estiment pour la plupart, que la charte de Droits de l’homme signée et ratifiée par les grandes démocraties, soutenues par l’émergence des idéaux de solidarité et de fraternité, assurera un accord majoritaire sur les questions fondamentales de vivre ensemble.

Dans ce contexte, le recours à la pensée chrétienne (ou à celle de toute autre instance religieuse) est ressenti comme relevant d’une intrusion, et ce du fait que, comme le note Ch. Duquoc, «on craint que l’intolérance dogmatique, se recommandant de la seule vérité divine, écrase les convictions, les croyances, les pratiques qui ne se réclament pas de la même foi. Aussi préfère-t-on l’institution de la tolérance légale, garantie par la légitimité démocratique: elle permet à chacun de vivre selon ses opinions et d’en argumenter le bien-fondé dans un débat d’où, par principe, sont rejetées intimidation et violence». En restant lié à cette ligne d’argumentation, Ch. Duquoc ajoute: «L’avenir paraît davantage garanti par les institutions politiques et sociales,   

P. Valadier, Détresse du politique, force du religieux. Ch. Duquoc, L’unique christ. La symphonie différenciée, p. . Ibid.

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CHAPITRE II

régulées par la charte des Droits, que par les prétentions religieuses. On ne nie pas que les religions soulèvent des questions dignes d’une attention sérieuse, on récuse leur tendance à la domination idéologique et à l’unification des croyances». Dans cette situation, en conséquence, «le christianisme, poursuit Ch. Duquoc, affronte un environnement difficile […]. On le juge antidémocratique dans sa visée, on soupçonne que sa conversion à la charte des Droits provienne davantage d’une démarche tactique que d’une authentique conviction». Fort de ce constat, le cadre de notre analyse veut être l’orchestration d’un plaidoyer en faveur du déplacement épistémologique à partir du terrain théologique. La reconnaissance de la situation critique que traversent les versions chrétiennes au sein de la nouvelle mutation de l’histoire contemporaine, exige d’être transformée en défi d’une nouvelle approche de l’herméneutique du christianisme. Le paradigme de l’éthique mondiale provoque et coince, en effet, la théologie à affronter les défis nouveaux à partir du terrain de la laïcité. Pour autant que, c’est sur ce terrain que se définiront, de manière durable, les grandes options comme les orientations majeures d’un nouvel ordre de gestion du destin de l’humanité et de l’avenir de la planète, il requiert à la théologie de se disposer à opérer une mutation significative au sein des instances dominantes de ses épistémologies. L’enjeu d’une nouvelle perspective globale de sa démarche, consistera dans l’effort constant d’accompagner le tournant actuel de l’éthique, en le percevant comme un paradigme salutaire, s’il continue à être placé hors de toute tentative de récupération idéologique, et en conférant au système de l’éthique universelle, les motifs sublimes de sa légitimité. L’époque d’une relation troublée entre la pensée chrétienne et la laïcité doit être considérée comme révolue au sein de l’herméneutique théologique postmoderne. Le monde et la laïcité doivent devenir l’horizon d’une interprétation chrétienne soucieuse de gagner le prix et le prestige en matière de pertinence publique à notre époque post-métaphysique. C’est le lieu de déplorer la résignation de la théologie et le retard que prend souvent sa méthodologie, lorsqu’il s’agit d’intégrer rigoureusement l’analyse sociale et politique des défis de la vie réelle et d’en faire positivement le creuset d’une nouvelle expérience chrétienne. Le souvenir de la problématique du modernisme au début du XXe siècle est encore frais à cet effet. Aujourd’hui, c’est la question du pluralisme et de la laïcité  

Ch. Duquoc, L’unique christ. La symphonie différenciée, p. . Ibid.

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qui en appelle à une analyse théologique conséquente et consciente de sa nouvelle condition d’énonciation, d’autant plus que ces deux concepts constituent la marque d’un espace qui structure d’une manière nouvelle la formulation des aspirations fondamentales de nos contemporains, et l’enjeu d’un paradigme qui justifie l’orientation des lignes importantes des épistémologies postmodernes. La perspective nouvelle de la dynamique théologique est aussi appelée à intégrer les préoccupations de l’éthique mondiale. De ce fait, on ne se permettra pas de percevoir dans l’éthique postmoderne une éthique contre «Dieu», comme cela fut le cas dans une certaine interprétation chrétienne des droits de l’homme au milieu du siècle dernier. L’éthique de la laïcité est tout simplement réfractaire des spiritualités de la dérobade, épistémologiquement parlant. Le contexte humain actuel ne s’y prête pas non plus. On n’aura plus vraiment besoin d’une théologie de la résignation quant au devoir d’une relation responsable aux défis de la vie publique; tout comme elle est devenue inutile l’option de la théologie d’accomplissement, d’auto-affirmation logocentrique et identitaire, de la violence doctrinaire, dans laquelle tout semble se jouer à partir d’un horizon métaphysique à prétention clôturante, bloquant ainsi toute possibilité d’ouverture et de liberté créatrice que prévoient les marges d’interprétations plurielles du christianisme. Dans le nouveau contexte d’analyse des défis de la vie, le format métaphysique de la théologie se maintiendra, pour son isolement, dans un rapport difficile à la vie publique et à l’horizon du monde. La théologie est ainsi invitée à un changement radical de paradigme, assorti d’un contrat durable, ambitieux, stratégique, et intelligent, aussi bien avec le régime de la laïcité qu’avec les enjeux de l’éthique mondiale, en vue de s’assurer une pertinence qui la rendra plus fréquentable, au-delà du régime de confessionnalité, dans les nouveaux espaces d’engagements et de lutte pour le sens de l’existence et la qualité de la vie en général.



.

Cf. M.-F. Renoux-Zagamé, Du droit de Dieu au droit de l’homme, Paris, PUF,

Chapitre III

Le contrat théologique avec l’éthique de la laïcité Dans ce chapitre, nous voulons démontrer que la nécessité d’un partenariat durable du théologique avec la laïcité et, par-là, avec le nouvel ordre de l’éthique mondiale, est une donne qui s’impose à la conscience que le christianisme a de lui-même aujourd’hui. Le motif qui préside à cette requête résulte de l’état critique dans lequel se retrouvent les interprétations théologiques en vogue, vis-à-vis de la situation présente de l’humanité, dans notre culture globale et dans notre société-monde. Il y a bel et bien crise du théologique en contexte actuel du christianisme. Mais ce qu’il convient d’entendre par crise de la théologie à l’époque de revendications postmodernes, n’est pas à confondre avec une crise de la religion. Les sondages placent plutôt les religions et l’art en position favorable au sein de la mutation sociale postmoderne en cours. En faisant un diagnostic de l’âge postmoderne, E. Cox conforte cette position. Il affirme: «plutôt qu’une époque de sécularisation larvée et [du] déclin de la religion, il sera une ère de renouveau religieux et de retour au sacré». Ce qui est évident, et D. Tracy le note à juste titre, est que «la religion, suivant le schéma évolutionniste subconscient de la modernité, était censée disparaître tranquillement, dans les réduits privés de la consolation et de la nostalgie et dans les espoirs affaiblis du sujet bourgeois naissant. Mais le vide qu’a laissé la modernité en nivelant toutes les traditions a finalement abouti à la résurgence explosive de la religion sous ses formes pré-modernes les plus traditionalistes». La crise de la théologie dans un contexte postmoderne ne se confondra pas à l’idée de la faillite ni de la déchéance des discours sur la foi. Mais il faut entendre par là que la théologie est dans un état critique face aux avancées de l’éthique de la laïcité. L’éthique dite mondiale est aujourd’hui en position de force, du fait qu’elle se conforte, à juste titre, dans le prestige d’être l’instance privilégiée de formulation de nouvelles  H. Cox, Religion in the Secular City. Toward a Postmodern Theology, New York, Simon & Shuster, , p. ; tel que cité par E. Lebeau, «Vers une théologie ‘postmoderne’? Un point de vue américain», dans Nouvelle Revue Théologique  (), p. .  D. Tracy, «La désignation du présent», dans Concilium  (), p. .

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CHAPITRE III

réponses et de nouvelles possibilités de transformation de la destinée humaine au milieu de nouveaux défis. Il s’ensuit que reconquérir une nouvelle position dans l’univers des épistémologies à portée éthique et à signification pragmatique, doit être la mission de la théologie aujourd’hui. En vertu de cette mission, les herméneutiques théologiques seront provoquées au courage de retrouver le régime d’un rapport fécond et réconcilié avec la laïcité. Dans un nouveau paradigme, la théologie sera perçue comme un «lieu» autre d’une nouvelle énonciation de l’herméneutique de la vie. Aussi sera-t-il légitime d’envisager pareil dessein de la théologie à partir des ressources épistémologiques nouvelles (mêmes les plus radicalement critiques, comme le nihilisme et la déconstruction), en vue d’en déterminer de nouveaux modes de responsabilité face aux enjeux à thématiser.

.. Suggestions du nihilisme et de la déconstruction De manière générale, l’univers théologique est caractérisé par une méfiance affichée contre le paradigme de la postmodernité. Dans beaucoup de milieux où le conservatisme culturel et le fondamentalisme religieux sont à la mode, l’entendement qu’on a gardé du postmodernisme place celui-ci dans une position d’alliance pour le moins douteuse (selon ce jugement) avec la «déconstruction» des valeurs et avec le «nihilisme» qui en découle. Mais dans le cadre de la visée inscrite à la démarche de notre requête au sein de la présente analyse, le nihilisme et la déconstruction représentent un ordre des épistémologies critiques qui revendiquent un nouveau mode de rapport au réel, en tant que mode de manifestation épisodique, graduelle et concrète, de signifiance différenciée, discontinue et illimitée, suivant un mouvement qui n’échappe pas à la détermination de la responsabilité humaine dans le processus de fixation des enjeux de l’existence en général. Le nihilisme et la déconstruction méritent, à ce titre, d’être pris en compte dans la méthodologie théologique aujourd’hui. La théologie doit sortir le christianisme du climat de la dramaturgie (et de la résignation) face à des figures de radicalité que représentent ces deux axes de l’épistémologie postmoderne. Elle est invitée d’intégrer la «déontologie» du nihilisme et la «pédagogie» de la déconstruction à l’ordre de sa pensée et de son action, pour les transformer en véritables lieux de «renégociation» de l’émergence du format «réaliste», éthique et pragmatique de l’herméneutique chrétienne.

LE CONTRAT THÉOLOGIQUE AVEC L’ÉTHIQUE DE LA LAÏCITÉ

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On le sait, du point de vue épistémologique, le dessein du nihilisme et le programme de la déconstruction se ramènent à la perspective d’une critique radicalisée, visant à bousculer le plus possible la logique de certitudes concernant les règles convenues dans le jeu éthique comme dans différentes constructions des régimes des discours chrétiens. Intégrés à la démarche théologique, ils permettent à celle-ci de sortir de la grande crispation dans laquelle la majorité de ses versions classiques héritées l’ont figée, en la rendant inadéquate dans le traitement des questions qui requièrent une éthique nouvelle pour l’humanité. Il faut d’abord montrer que, dans une vision éthique des choses, le nihilisme peut avoir une fonction de délivrance, qui inciterait plutôt à un changement de paradigme en théologie. ... Le nihilisme et sa fonction émancipatrice en morale Dans l’opinion chrétienne largement partagée, le nihilisme doctrinaire n’est pas autre chose qu’une philosophie de l’absurde, qui se révèle comme une tendance extrême à saper tous les systèmes des valeurs et comme un état d’ébranlement de l’idéal et du sens, enfin comme le refus de toute idée d’absolu. L’imaginaire chrétien le considère souvent comme la radicalisation de la défiance en direction de toute situation morale, là il prônerait la fébrilité de références morales ou de repères éthiques. À ce titre, il est de plus en plus assimilé à un processus d’anéantissement des valeurs morales, qui renvoie à la figure du postmodernisme comme à un règne de l’arbitraire, au triomphe de l’idée qu’est ‘moral tout ce qui plait’. Nous avons déjà montré que cette image du nihilisme ne peut renvoyer au vrai profil de la postmodernité sur le plan moral, autant l’ordre de la pensée théologique sera à côté de son analyse en relation avec une éthique postmoderne continuellement gauchie et faussement réduite à cette figure d’une modernité tardive. En revanche, ce qui est derrière l’enjeu du paradigme nihiliste, c’est la proposition d’un nouveau type d’approche de la situation éthique contemporaine, au sein d’une herméneutique théologique qui se laisse délivrer par un nouvel horizon d’interprétation. D’où la question de savoir de quelle façon peut-on envisager le nihilisme théorique dans l’ordre d’une épistémologie plutôt fertile, quant à la conception et au déploiement de l’éthique dans la vie? 

H. Küng, Le christianisme. Ce qu’il est et ce qu’il est devenu dans l’histoire, Paris, Seuil, , p. .

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CHAPITRE III

.... Vertu de délivrance morale dans le nihilisme Avant de poser que le nihilisme dispose d’une vertu «thérapeutique» en morale, il convient d’en avoir une perception qui prenne en compte sa valeur pédagogique réelle, du point de vue épistémologique. Sous cet angle, le nihilisme correspondrait plutôt à une autre signification, celle que Gianni Vattimo ramène à la fonction de délivrance (d’émancipation) de toute tendance à la démission, à la défaillance, et au pessimisme de la volonté ou, dans l’autre sens, contre l’arrogance, l’extravagance et le gonflage des prétentions en direction des valeurs idéalisées. Le nihilisme représenterait alors, au plan éthique, une critique de la modernité en matière de durcissement des valeurs, dans leur format d’idéaux les plus élevés et les plus rehaussés (inadéquats au comportement simple et concret), là où on les découvre finalement comme des systèmes de montage et de projection humaine dépourvus d’horizon pragmatique. Certes, dans l’appréhension courante, le nihilisme expose au danger du scepticisme, du pessimisme, ou de la vanité, ainsi qu’au sentiment d’absurdité en direction de toute possibilité de détermination de ce qui est juste, vrai, adéquat et bien à partir des principes établis. Mais le cadre de notre analyse veut proposer de sortir de ce lieu commun, qui incite à ne voir dans le nihilisme que le refus de la morale et la relativisation d’une régulation de la vie à partir des normes. Il est vrai que dans son vrai visage, le nihilisme doctrinaire récuse le durcissement des règles établies, observable dans toute situation d’une morale instituée. À ce titre, le nihilisme est plutôt suggestif d’une démarche critique, dans une situation où «sont dévalués les principes fondateurs de l’éthique», et dans un contexte où «l’homme a cessé de croire que ces principes donnaient sens à ses efforts et à son existence». Relativement au contexte philosophique marquée par la critique des idéologies, qui a présidé à la logique de son émergence en relation avec les intuitions de base dues à F. Nietzsche, le nihilisme ainsi perçu était inévitable en tant que théorie de contestation radicale du paradigme moderne de l’éthique judéo-chrétienne. Il importe ainsi de montrer pourquoi l’édifice de ce paradigme de la morale allait subir l’épreuve d’une telle réfutation critique. En effet, dans son mouvement de remise en question radicalisée de systèmes des valeurs, le nihilisme doctrinaire  Cf. G. Vattimo, La fin de la modernité. Nihilisme et herméneutique dans la culture postmoderne, Paris, Seuil, . G. Vattimo est le protagoniste de ce qu’il appelle «la pensée faible», qui correspond au conditionnement post-moderne de la raison.  J.-L. Bruguès, Dictionnaire de morale catholique, Paris, C.L.D., p. .

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vise le profil jugé controversé du modèle dominant de la morale classique, qui a toujours oscillé entre une double portée: une «éthique de la construction de soi» et une «éthique de code». En ce sens, peut-on lire chez J.-L. Bruguès, l’éthique de la construction de soi’, fondée sur les concepts sapientiels de «voie» et de «vertu», caractérisa la théologie patristique et une bonne partie de la théologie scolastique. Elle n’ignorait ni les principes, ni les codes des lois, certes, mais leur imposait une forme simple. L’organisation des systèmes pénitentiels, au début du XIIIe siècle, puis le triomphe de la casuistique, à la fin du XVIe siècle, et la mise en place des «systèmes de la conscience», au siècle suivant, provoquèrent une forte «juridification» de la morale catholique. Ainsi s’instaura la suprématie d’une «éthique du code».

La rupture d’avec ce système légaliste et formaliste de la morale chrétienne sera occasionnée par une mutation qui prend aujourd’hui la forme d’un renversement de perspective, à la suite de la critique nihiliste dans un monde devenu pluraliste. Pour P. Valadier, «avec le pluriculturalisme […] patent au niveau de la planète, on ne peut plus penser la morale comme l’imposition d’un ensemble d’idéaux bien ficelés, transposables sous toutes les latitudes. Cette rigidité conduit tout droit au relativisme dès lors qu’on aperçoit le caractère intenable, irréel, destructeur pour les cultures, de cette rigidité». Par contre, ajoute P. Valadier, «le principe d’universalisation lié à la morale proprement dite parce qu’il est formel […] n’impose aucun contenu; voilà pourquoi il peut informer tout contenu, le prendre au sérieux et le transmuer progressivement». La critique nihiliste offre la possibilité de saisir et d’envisager la morale chrétienne sous sa vraie dimension d’une morale sans morale, c’est-à-dire d’une morale dépourvue d’un modèle préétabli à proposer à toute nouvelle situation, autant il faut tenir que, dans son visage authentique, «la foi chrétienne opère à frais nouveaux», dans n’importe quelle situation comme dans n’importe quel domaine de la vie. Aussi devons-nous considérer que la radicalité de la critique qui se déploie dans le nihilisme, révèle la régionalité du paradigme métaphysique en morale chrétienne. Elle permet de réaliser à quel point «la crise métaphysique et religieuse

   

J.-L. Bruguès, Dictionnaire de morale catholique, p. . P. Valadier, Inévitable morale, Paris, Seuil, , p. . Ibid., en référence à Éric Weil. Ibid., p. .

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touche à la racine». De cette critique ressort, en toute rectitude, que «la pensée (morale entre autres) doit être une pensée planétaire». Avec justesse de propos, P. Valadier précise cette pensée en indiquant que «la solidarité des questions entre elles est d’une nature telle que les ‘nouveaux philosophes’ dont Nietzsche souhaite la venue, auront à élever leur pensée au niveau d’une maîtrise de la terre. En ce sens, ajoute Valadier, loin d’être étroitement individualiste, la pensée de Nietzsche, surtout si l’on est attentif à sa réflexion morale, porte à considérer les problèmes sous l’angle d’une solidarité planétaire». Il s’ensuit la nécessité pour notre analyse de souligner l’enjeu d’une relation épistémologique positive et assumée avec le nihilisme doctrinaire. En effet, dans le projet de celui-ci, se trouve inscrite la fonction émancipatrice de la condition morale en général, là où le nihilisme doit être perçu comme l’expression du paradigme critique contre toute forme d’absolutisation des systèmes classiques de valeurs, tout en prévenant du danger du «pessimisme par déception à l’égard d’un idéal estimé inaccessible». P. Valadier en fait une application en considération du contexte contemporain de l’éthique, qui est un contexte d’une insurmontable «complexité des questions à peu près dans tous les domaines, [avec] l’impossibilité de trouver des solutions fermes (sous-développement, environnement), les risques des effets pervers, l’impuissance de l’individu et même des institutions (parlements, ONU, commissions diverses)». Selon P. Valadier, lorsque «tout cela conduit à désespérer, donc à ‘abandonner les valeurs les plus hautes – puis rien d’autre’», en entrainant dans une «lassitude qui détourne de ‘faire quelque chose’», voire en valorisant «l’abandon au fil du courant», il s’installe un climat du «nihilisme passif». Dans cette situation, deux solutions sont les seules possibles selon P. Valadier: ou l’«on proclame le retour à la barbarie ou l’on répète qu’une société sans fondement chrétien ne peut aller qu’à la dérive». P. Valadier en conclut qu’une telle situation correspond à un «discours (du) nihiliste», du fait que, selon une définition qu’en donne Nietzsche, «le nihiliste est

 P. Valadier, «Penser la morale aujourd’hui: Nietzsche, le précurseur?», dans Qu’est-ce que Dieu? Philosophie / Théologie. Hommage à l’abbé Daniel Coppieters de Gibson (), Bruxelles, Facultés universitaires Saint-Louis, , p. .  Ibid., p. .  Ibid., p. .  P. Valadier, Inévitable morale, p. .  Ibid.  Ibid., citant F. Nietzsche, dans Œuvres philosophiques complètes, t. XIII,  (), Paris, Gallimard, .

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l’homme qui juge que le monde tel qu’il est ne devrait pas être, et qui juge que le monde tel qu’il devrait être n’existe pas». Le nihilisme pessimiste vis-à-vis du monde des valeurs correspondra, pour ainsi dire, à une philosophie de la promotion du «en vain», qui pourra conduire finalement la volonté à se découvrir vaine et vide, d’autant plus que ce mode de nihilisme repose sur le «constat d’une impuissance essentielle de la volonté à se constituer». Si, dans cette situation, le christianisme de temps moderne a pensé jouer à la conservation de sa survie et au confort de son identité, il faut avouer que cette opération s’est effectuée moyennant une solution qui se révèle aujourd’hui inappropriée, celle qui avait consisté dans la proclamation d’idéaux plus hauts et des principes plus élevés de moralité. Ce constat a permis à P. Valadier d’estimer, non sans raison, que «le moraliste, qui diagnostique le nihilisme comme l’épreuve majeure du temps, doit dénoncer, sous les fondamentalismes divers et les idéalismes moraux, la présence cachée de ce mal». Commentant la pensée de Nietzsche, à cet effet, P. Valadier écrit: L’ambiguïté et la fausseté virtuelle du langage des valeurs conduisent à se réfugier dans des croyances insoupçonnables. Elles alimentent donc la volonté de croyance que nous voyons aisément à l’œuvre dans les grandes idéologies du XXe siècle: là s’offrent des certitudes ‘scientifiques’ fondées, des possibilités de mobilisation des vouloirs militants, des projets sociaux transformateurs d’une société condamnable et condamnée. L’homme faible et impuissant croit détenir grâce à l’idéologie le levier qui soulèvera le monde, mais qui d’abord permet de le dénoncer, et de dénoncer avec lui les ennemis, les opposants, les exploiteurs et supposés tels. En ce sens l’idéal alimente l’agressivité et multiplie l’esprit de vengeance; il oblige aux prises de parties exclusives par lesquelles les seuls bons et les seuls justes se reconnaissent par leur aptitude à condamner en effigie l’ennemi du peuple et du progrès … Il conduit à croire aux solutions globales et accuse comme complices du désordre condamnable toute perspective appelant la transmutation patiente des choses.

Dans la ligne de cette réflexion, l’on ne peut plus se contenter de ne voir le nihilisme que dans «celui qui valorise le rien ou la mort, qui prétend que rien ne peut être fait». Le nihilisme concerne aussi «celui qui propose les ‘valeurs les plus hautes’ d’une manière telle qu’il les dévalorise    

Nietzsche, ibid., t. XIII,  (), cité par P. Valadier, Inévitable morale, p. . P. Valadier, Inévitable morale, p. . Ibid. P. Valadier, «Penser la morale aujourd’hui: Nietzsche, le précurseur?», p. -.

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(c’est la définition nietzschéenne), en n’indiquant pas les moyens concrets d’effectuation et les voies d’accès». Et, dans ce cas, explique P. Valadier, «l’idéalisme moral n’est pas seulement lié au nihilisme, il en est l’expression même, d’autant plus pervers qu’il peut être aimable, vigoureusement contestataire ou qu’il se targue d’être ‘prophétique’». Le nihilisme signifierait alors que «les ‘valeurs les plus hautes’ sont comme rien, sont le rien, puisque la volonté ne peut pas les vouloir – ou qu’on les proclame inaccessibles aujourd’hui, mais porteuses de vérité pour demain». Cette perception du nihilisme est suggestive d’une nouvelle approche en morale. Elle permet de constater, à la suite de P. Valadier, que «le danger d’un vide de sens, de valeurs et de normes guette aussi bien les croyants que les incroyants», lorsque ce vide peut conduire, pour ainsi dire, «à la perte des anciennes traditions et instances d’orientation et à la crise de l’orientation, extrêmement grave qui en découle». Cela est d’autant plus soutenable que la personne, dotée de liberté et de volonté humaine, ne peut se porter «au-dessus du bien et du mal». Il y a une facticité humaine qui touche le profil de toutes les valeurs morales, et qui dénie à toute voie de praticabilité de ces valeurs la prétention d’être au-dessus des aspects de passions et de désirs. Il n’y aura pas de moralité qui pourra se passer des structures de la psychologie individuelle et collective. La morale chrétienne des béatitudes est restée longtemps l’expression d’un idéalisme déconcertant, dont le bilan des réalisations concrètes ne peut correspondre à la profusion d’enseignements au sein de différentes traditions de la pratique croyante. Il sera, par exemple, embarrassant de réaliser que, même au nom de l’idéal moral le plus idéalisé de l’amour, les chrétiens ne sont vraiment pas de ceux qui ont incarné cette disposition vertueuse dans les structures d’organisation de la vie publique, sauf là où il sera toujours question de l’élan de «générosité» caritative, active dans quelques cercles des fidèles dans les églises. L’insistance de Benoît XVI sur cette dimension de la pratique chrétienne fournit une belle illustration à ce constat.



P. Valadier, Inévitable morale, p. . Pour toutes les citations. H. Küng, Projet d’éthique planétaire. La paix du monde par la paix entre les religions, Paris, Seuil, , p. .  Cela est perceptible dans la préoccupation de Benoît XVI lorsque, à l’aube du XXIe siècle et au seuil du troisième millénaire du christianisme, il consacre sa première communication officielle d’envergure, l’Encyclique Deus caritas est, à la thématique de l’amour, laissant supposer que dans le monde qui nous entoure, cette valeur reste un défi pour les chrétiens, prioritairement (Benoît XVI, Lettre Encyclique sur l’amour chrétien, Deus caritas est, Rome, Librairie Éditrice du Vatican, ). 

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De par l’histoire, les chrétiens peuvent gagner en réputation d’être les plus organisés et les plus structurés des croyants. Notre époque reconnaitra, certes, le rôle du christianisme dans le développement de la civilisation humaine en Occident, notamment dans le domaine de l’éducation. Mais, le bilan le plus vigilant ne saura pas faire de cet avantage historique du christianisme, l’attestation d’une civilisation de l’amour globalement réussie. Pour le démontrer, E. Schillebeeckx a noté, non sans raison, que «leur foi en Dieu ne rend pas les chrétiens plus humains que les autres». On sait voir aujourd’hui que certaines sociétés démocratiques sont allées plus loin dans la lutte contre le racisme ou contre le sexisme, autant que les églises devraient se mettre en position de se faire interpeller sur ce qu’il en reste de la crédibilité des idéaux chrétiens d’«égalité» en dignité de fils de Dieu, et de «fraternité» sur fond de la charité universelle. Rien n’aura servi de proclamer les idéaux les plus hauts selon le jeu d’un christianisme bourgeois, si ces principes élevés ne peuvent pas être transformés en véritables enjeux de responsabilité publique ou en règles de gouvernance équitable au bénéfice de tous. Le christianisme du XXe siècle ne se dissimule pas le visage face à cette critique au sein des églises. Le document final du sommet (œcuménique) des Églises européennes à Bâle en  s’était livré à un diagnostic sévère, dans lequel les églises se sont accusées: – de n’avoir pas témoigné de l’amour de Dieu pour toutes et chacune de ses créatures; – de n’avoir pas surmonté les divisions […], mais d’avoir abusé de l’autorité et du pouvoir […] pour renforcer les fausses solidarités, telles que le racisme, le sexisme, et le nationalisme; – d’avoir causé des guerres et de n’avoir pas œuvré pour la réconciliation et la médiation; – de n’avoir pas mis en question avec suffisamment de cohérence les systèmes politiques et économiques qui abusent de leur pouvoir et de leur richesse, qui exploitent les ressources de la Terre dans leur propre intérêt et qui perpétuent la pauvreté et la marginalisation; – d’avoir péché en considérant l’Europe comme le centre du monde et nous-mêmes comme supérieurs aux autres dans le monde; de n’avoir pas su constamment témoigner de la dignité de la vie et de son caractère sacré, du respect dû également à



E. Schillebeeckx, L’histoire des hommes, récit de Dieu, Paris, Cerf, , p. . Les travaux de J. Comblin sur les perspectives d’une théologie révolutionnaire offrent à ce sujet une importante contribution dans la ligne de clarification du jeu d’un christianisme bourgeois, dont les velléités se manifestent aux prises avec la critique issue des théologies de la libération. 

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toutes les personnes et de la nécessité d’offrir à tous la possibilité d’exercer leurs droits […]. Selon H. Küng, un tel acte de reconnaissance témoigne d’une nouvelle conscience par les églises d’appartenir à un nouvel âge de l’histoire humaine, l’âge postmoderne, qui réclame une nouvelle structuration de la vision que les églises doivent avoir du christianisme et de sa fonction au sein de nos sociétés pluralistes. Dans la perspective de cette nouvelle conscience ecclésiale, le christianisme ne perdra pas en revenant sur ses méfaits du passé. J. Delumeau indique en effet que «l’Église catholique, au seuil du XXIe siècle, a eu le courage de reconnaître à la face du monde ses péchés historiques d’intolérance et violence», même si, jusqu’à ces jours, ajoute J. Delumeau, «nos contemporains sont tentés de penser que ‘tout dogme suinte l’intolérance’ et pousse vers l’intégrisme». Certes, sur un ton apologétique d’une analyse plutôt stratégique, J.-F. Mayer a vu dans l’Église catholique, plus que dans tout autre plate-forme chrétienne (comme le Conseil Œcuménique des Églises et l’Orthodoxie), la force d’un potentiel à se faire entendre comme instance de réflexion et de proposition d’une morale contraignante à notre époque, une époque à des repères diffus quant aux critères de jugement personnel. Mais en prenant les points chauds de cette ligne morale,  Nous nous référons ici à la présentation de H. Küng (Projet d’éthique planétaire, p. ), tel que lui-même reprend ces déclarations du texte original du document intitulé: Paix et Justice pour la création entière. Textes du Rassemblement œcuménique européen de Bâle, - mais , Paris, .  J. Delumeau, Guetter l’aurore. Un christianisme pour demain, Paris, Grasset, , p. . Pour J. Delumeau, cette situation concerne «diverses religions de la planète» qui, «soit à cause des conflits passés, soit en raison des antagonismes actuels, se trouvent […] convoquées ensemble devant le même tribunal pour répondre du crime de violence, étant vrai toutefois que les dictatures communistes et le nazisme ont fait bien pire qu’elles» (ibid., p. ).  Nous pouvons lire allégrement chez J. F. Mayer: «Il ne faut pas pour autant surestimer les possibilités du Vatican, mais il incarne un modèle suffisamment original pour retenir l’attention». Il ajoute: «Si l’on observe les développements des dernières années, on constate que Rome a identifié une faiblesse des États modernes séculiers: s’ils sont prêts à défendre certains principes (démocratie, droits de l’homme, etc.), ils se montrent en revanche de plus en plus réticents à promouvoir les valeurs fermes et intangibles, car un tel discours irait nécessairement à l’encontre d’une recherche de consensus dans des sociétés aux convictions très individualisées. Les réactions parfois vives rencontrées dans des pays occidentaux ne découragent pas le Vatican de tenir un discours très net sur les questions morales, par exemple, tout en sachant bien que nombre de fidèles catholiques ne suivent pas ces percepts, mais l’essentiel ne se joue pas là. La publication des encycliques Veritatis splendor en  et Evangelium vitae en  est un signe de l’importance capitale accordée à ces questions, de même que l’active présence du Saint-Siège aux conférences du Caire et de Pékin. Malgré les remous passagers, cette stratégie ne peut que renforcer le poids de Rome sur la longue durée: face aux développements actuels, le besoin

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notamment en matière d’euthanasie et d’avortement ou dans le cas de la manipulation génétique, il y a lieu de se poser la question de savoir jusqu’à quel point nos contemporains, hors mis le scrupule (dans le cadre d’un système assimilable à une violence psychologique) de certaines âmes pieuses, peuvent-ils aller jusqu’à intérioriser les principes de cette morale qu’ils taxent de catholique, et dont la formulation fait penser à des idéaux utopiques? L’indifférence et, dans certains cas, le sabotage affiché face à des principes idéalisés par maints de nos contemporains, parmi eux les croyants, ne peuvent-ils pas s’expliquer par la création des formules alternatives, dont l’expression «assistance au suicide» (pour éviter le terme «euthanasie» dans la situation des pays comme la Suisse où celle-ci est pénalement répréhensible), et l’expression «interruption volontaire de grossesse» (pour éviter le terme «avortement» dans les pays où celui-ci est nettement autorisé par une caution légale)? Cela ne signifie pas que notre société aujourd’hui soit décidée de se détourner de la relation avec des questionnements ultimes sur le sens de la vie humaine. Le problème réside dans le fait que cette quête, pour être authentique, n’a pas besoin d’être précédée et canalisée par des principes intangibles et institués, qui finissent par devenir irréalisables dans des situations intenables où la présence même de tels principes peut plutôt entrainer vers un pessimisme suicidaire. Aussi longtemps que la pensée chrétienne ne tirera pas profit des suggestions du nihilisme en vue de repenser le système de la morale classique, elle se retrouvera en train de faire le jeu du nihilisme en favorisant le règne paralysant du pessimisme en face d’un idéal à atteindre. Les situations qui provoquent cette attitude fondamentale (du point de vue psychologique par rapport à la volonté, à la liberté, et à la responsabilité), ne pourront s’évanouir, comme le note P. Valadier, «qu’avec la disparition de ce qui [les] rend possible[s] du côté des structures de la société et du côté des défaillances de la volonté». Du moment qu’il n’existe ni d’époque de critères éthiques se renforce et rares sont les instances qui peuvent en proposer avec autorité. Au-delà des aspects ‘sensationnalistes’ exploités par les médias, cela explique certainement en partie l’intérêt suscité par la publication du ‘nouveau catéchisme’ de l’Église catholique: l’existence d’une institution qui n’hésite pas à dire où se trouvent (selon elle) le bien et le mal, le vrai et le faux, étonne et fascine à la fois. Si l’opinion publique s’intéresse avant tout aux déclarations romaines sur la morale sexuelle ou la peine de mort, les préoccupations pontificales sont beaucoup plus globales: en juin , l’un des dicastères romains, ‘Justicia et Pax’ a publié une prise de position sur le commerce d’armes conventionnelles, c’est-à-dire sur une question relevant directement de politique de sécurité, et insistant sur les limites à y mettre» (J. Fr. Mayer, Religions et sécurité internationale, Berne, Office National de la Défense, , p. -).

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ni de société, ni d’église ni de religion où l’on a su contourner la cohabitation avec l’«ambigüité» (ce mélange du bien et du mal, du vrai et faux, du saint et du diabolique…), et que le monde se découvre formellement constitué de cette façon, l’herméneutique théologique a mission de combattre «l’idéalisme» sous toutes ses formes, en privilégiant les marges d’une analyse à la fois patiente et vigilante face à des défis qui interpellent d’une manière nouvelle la conscience morale aujourd’hui. Une telle analyse est de fait présente dans l’enseignement ecclésial de notre temps. Elle apparait sous la plume de Benoît XVI qui a écrit: Puisque l’homme demeure toujours libre et que sa liberté est également toujours fragile, le règne du bien définitivement consolidé n’existera jamais en ce monde. Celui qui promet le monde meilleur qui durera irrévocablement pour toujours fait une fausse promesse; il ignore la liberté humaine. La liberté doit toujours de nouveau être conquise pour le bien. La libre adhésion au bien n’existe jamais simplement en soi.

Il s’agit là d’une logique implacable, sous la poussée de laquelle on constate, même à partir des traditions spirituelles accordées à l’approche soit métaphysique soit philosophique, que l’humanité de toujours, d’aujourd’hui comme celle d’il y a trois millions d’années, aspire toujours à plus de vie, à cultiver et à accroitre des bonnes conditions d’épanouissement de la vie. Cependant, dans l’espace de cette vie se côtoient, d’un côté, cette aspiration au «bien-être» entendu comme bonne santé physique, psychologique et social, et au «bonheur» entendu comme expérience heureuse du plaisir, de satisfaction des besoins par rapport à ses aspirations, et, de l’autre côté, l’expérience du mal-vivre, du malêtre physique, psychologique, moral et social, à travers les maladies, les conflits sociaux, les catastrophes naturelles et atmosphériques, bref des  Toute approche critique de la situation humaine et historique, parce que critique, ne peut atteindre des résultats pertinents pour aujourd’hui, si elle escamote la conscience selon laquelle «il n’existe pas de tradition non ambiguë» (D. Tracy, Pluralité et ambiguïté. Herméneutique, religion et espérance, Paris, Cerf, , p. ). L’exemple d’une telle analyse critique de la vie de l’Église peut être trouvé chez les auteurs comme: H. Küng, Être vrai. L’avenir de l’Église, Paris, Desclée de Brouwer, ; L. Boff, Église: charisme et pouvoir, Paris, Lieu commun, .  L’on peut engager audacieusement l’interprétation de la parabole biblique de l’Ivraie (Évangile de Matthieu ,-) dans les écritures chrétiennes dans cette direction.  Benoît XVI, Lettre Encyclique sur l’espérance chrétienne, Spe salvi, Rome, Librairie Éditrice du Vatican, , n° b.  Cf. Th. Janssen, Un défi positif. Une autre façon de parler du bonheur et de la bonne santé, Bruxelles, Éd. Les liens qui libèrent, .

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moments inévitables d’obscurcissement de l’expérience personnelle et collective, individuelle et sociétale. Cette situation conditionne le spirituel, au point où, finalement, on doit considérer que le salut doit germer de la terre, à travers une approche réaliste, équilibrée, et surtout déterminée, en direction des solutions durablement efficaces à des défis humains. La tradition chrétienne (au-delà du modèle moderne de clivages) est bien préparée à admettre cette approche, dans la mesure où la notion de l’incarnation renseigne que Dieu se fait allier de l’humanité à partir de cette planète pour accompagner, si on le perçoit, la recherche saine des solutions dans tout ce qui constitue le socle de la vie humaine, les institutions publiques et sociales existantes. En dehors des aspects personnalistes qui touchent au mystère de Jésus-Christ, l’incarnation est une doctrine chrétienne qui prône la proximité de Dieu dans la contingence de situations tant historiques que sociales. Par conséquent, l’effectivité du salut n’a rien de mythologique en référence à un «ailleurs paradisiaque» au-dessus de la vie. Il consiste dans un engagement réaliste pour un combat de propositions des solutions aux divers et complexes problèmes de la vie, celle-ci étant dotée en elle-même d’une valeur spirituelle et sacrée. La fonction d’une approche théologique sera de rappeler que la volonté humaine doit continuellement s’investir dans une recherche à la fois éthique, technique, spirituelle, et que, au-delà de tout optimisme béat, nos contemporains doivent compter sur les grandes forces de l’être humain et les ressources dont dispose la société, tout en luttant contre toutes les autres émotions désagréables, et leur tendance à la démoralisation et à la démobilisation. P. Valadier indique que l’approche théologique sera ainsi en droit de mettre à profit «tout ce qui peut contribuer à déconsidérer l’idéalisme moral et à proposer des démarches morales effectives, vérifiables, honnêtes, rigoureuses, tout ce qui évite les emballements inconsidérés ou les condamnations globales et prétentieuses, [qui] sert à détourner la volonté des découragements et à trouver les chemins d’un exercice sérieux et modeste de la responsabilité». Dans cette direction, la théologie trouve la voie de réinscrire sa tâche d’explicitation, sur fond d’analyse concomitante du religieux et du social, sans rien anticiper dans une version utopique qui pourrait faire penser à une fuite de responsabilité vis-à-vis des sollicitations du nouvel ordre éthique. De ce fait, un rapport positif au nihilisme s’impose aujourd’hui à l’entreprise théologique. La fonction du nihilisme sera perçue dans cette approche comme une invitation «à 

P. Valadier, Inévitable morale, p. .

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retrouver les bases essentielles de la décision morale», autant qu’elle permettra de nourrir la conviction que la présence permanente et inévitable de l’ambigüité dans la vie est tout aussi une forme d’appel à de nouvelles responsabilités. Cette vision du nihilisme a l’avantage de permettre à la conscience humaine de se convaincre qu’«une issue peut et doit être trouvée, que le bien et la justice doivent être recherchés», selon une perspective qui fera de ces valeurs, des enjeux permanents du travail illimité de la théologie au nom de la foi, du fait que le régime de celle-ci ne peut tourner et fonctionner sans un rapport juste à la volonté, à la liberté, à l’histoire. Le mérite d’une telle perspective théologique est de rappeler que la théorie critique de Nietzsche a pris naissance à l’intérieur de la tradition chrétienne, et a visé certainement le cadre de cette tradition éthico-religieuse, dont les références dans le domaine de l’éthique n’étaient plus facilement praticables sous leur forme codifiée et institutionnalisée. Il ne s’agit pas, pour nous, de rejoindre la position de S. Escobar, théologien missionnaire évangélique, là où il montre que «dans une situation de postchrétienté, les chrétiens ne peuvent plus compter que la société facilite un genre de vie qui corresponde aux principes moraux chrétiens», et que «cette situation de postchrétienté signifie que ces idéaux eux-mêmes sont abandonnés et remplacés par le pragmatisme du marché et du profit qui seuls, établissent les règles du jeu». Ce qui est soutenable, à la suite de S. Escobar, c’est l’idée que, sous la pression de la nouvelle culture postmoderne, les rapports sociaux et les déterminants religieux se trouvent profondément transformés, à un point tel que «l’abandon des valeurs chrétiennes est un aspect d’une attitude générale qui rejette les idéologies et les conceptions du monde nées des Lumières et couramment désignées sous le terme de modernisme […]». Dans le cadre de cette considération, S. Escobar estime, à juste titre, que le «modernisme offrait des mythes porteurs d’une espérance et d’un but à atteindre», mais qu’aujourd’hui, «l’absence de tout rêve utopique est précisément le propre du postmodernisme».



P. Valadier, Inévitable morale, p. . Ibid.  S. Escobar, La mission à l’heure de la mondialisation, Marne-la-Vallée, Éditions Farel, , p. .  Ibid., p. -.  Ibid., p. .  Ibid., p. . 

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L’enjeu de cette réflexion se comprend davantage en rapport avec la notion de «généalogie» chez Nietzsche. Cette notion ne rappelle pas le rapport de chaque évènement historique à son origine. En revanche, comme l’explique P. Gisel, dire généalogie entraîne autre chose que dire simplement genèse et déploiement: une généalogie traverse des discontinuités et est mobilisée pour une naissance au présent. Une généalogie, ainsi, n’est pas la linéarité, même seconde, d’une fidélité. Elle s’articule à un ordre de problèmes, à un champ de forces, à la disposition d’une économie. Elle passe donc par une description, historique, et par une énonciation disant des enjeux, des enjeux humains, incarnés.

Ainsi décrite, la notion de la généalogie permet pour le moins à la théologie chrétienne de revisiter la pédagogie de la foi. La théologie doit réapprendre qu’en régime chrétien, la foi «permet à l’homme de découvrir que sa fidélité à Dieu passe par la reconnaissance des possibles dans le présent», et qu’«à l’exigence maximale et intenable du mieux, la foi oppose la patience et la rigueur de la tâche concrète et souvent peu glorieuse qui s’impose». De la même manière, proportionnellement à la pédagogie de la foi (une pédagogie qui invite à la modestie plutôt qu’à l’extravagance), la notion de «généalogie» permet à la théologie de réaliser «à quel point l’idéalisme (ou la suffisance) des grands récits conduit à la décomposition de la volonté et au repli sur soi», à travers l’éloignement de la conscience des conditions concrètes et des évènements effectifs à interpréter. Telle a été pour longtemps, la situation de la morale chrétienne: l’idéalisme de ses principes a joué, non seulement à son auto-isolement, mais aussi à sa relativisation. Une telle position a contribué à l’entrainer dans une situation de désertion de sa responsabilité vis-à-vis de la sphère publique de la vie, à force de s’accoutumer à diaboliser et à anathématiser, avec éclat et triomphalisme, toute perspective d’alliance du langage religieux avec les questions de la laïcité. L’articulation du théologique à la pédagogie du nihilisme ne conduira donc pas forcement à une dénégation des valeurs. Elle implique la nécessité de requalifier le cadre et l’horizon des valeurs héritées, pour les rendre, à la mesure de l’agir humain, actuellement praticables. Il ne s’agit pas de proposer l’ordre d’une éthique où «la confession chrétienne en soit  P. Gisel, «Tâche et fonction actuelles de la théologie. Déplacements et perspectives dans le contexte contemporain», dans Revue théologique de Louvain  (), p. .  P. Valadier, Inévitable morale, p. .  Ibid.

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relativisée, ni réduite à des vérités communes». Mais ce qui est en jeu, c’est l’idée d’une recomposition ou d’une redistribution de la dogmatique classique relative aux valeurs morales, pour arriver à «penser les possibles qui surgissent et ouvrent des voies à l’action», au-delà de toute idéalisation dont l’effet «démobilisateur […] paralyse l’initiative à cause d’une ambition démesurée». C’est la possibilité pour toute activité théologique «de penser le pensable possible», qui rendra plus crédible tout engagement dans un comportement authentique, conçu comme possibilité réelle d’«une réponse humaine» adéquate à des situations qui font sens ou qui dérangent. Seul, pour la théologie, un rapport positif au nihilisme permettra de guérir de la «tentation nihiliste», c’est-à-dire de cette «oscillation vertigineuse entre l’attente idéaliste la plus haute et la déception devant l’idéal». Selon cet objectif, ce qui compte aujourd’hui, c’est la nécessité pour la théologie et le christianisme de disqualifier toute logique de bouclage des vérités de foi et de durcissement institutionnel de doctrines. De ce fait, l’herméneutique chrétienne n’a pas d’autre choix que de s’effectuer dans les marges significatives de ce que suggère à notre imaginaire, l’horizon de l’éthique de la laïcité. .... Atout d’une inscription à la laïcité Nous avons montré au chapitre précédent de la présente étude, que la logique de clivages entre le temporel et spirituel, le naturel et le surnaturel, a été pour la théologie une réponse inappropriée à l’avènement de la rationalité moderne, et que cette logique n’appartiendrait pas au régime authentique de la foi chrétienne et du christianisme. Sous la poussée des révolutions politiques modernes, le processus de sécularisation à l’époque des Lumières, avait réussi à radicaliser cette logique d’exclusion des référents spirituels et des signifiants religieux en les vidant de leur pertinence publique quant à leur rôle dans l’organisation des sociétés. Il faut noter qu’aujourd’hui, c’est cette perspective moderne de clivages religion-laïcité, qui se trouve déconstruite au profit de l’enjeu de responsabilité publique et politique, sociale et environnementale, à l’intérieur    

H. Küng, Projet d’éthique planétaire, p. . P. Valadier, Inévitable morale, p. . Ibid., p. . . Ibid., p. .

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d’une approche éthique consacrée par la critique postmoderne, et qui permet, par ailleurs à l’épistémologie théologique contemporaine de s’émanciper du règne de la métaphysique. P. Valadier explique cette mutation en commentant la pensée de Nietzsche: le problème moral est identiquement le problème métaphysique même: une fixation maladive sur des valeurs non discutées ou tenues pour indiscutables n’est qu’un symptôme d’un désarroi métaphysique fondamental. En cela Nietzsche est bien un précurseur parce que sa méditation sur l’effondrement de la métaphysique dualiste et l’effacement du christianisme le conduit à entrevoir ce siècle, le nôtre, où les problèmes de fond se poseront à la surface, où le superficiel (les choix techniques, l’organisation de la ville, le rapport au corps…) sera le fondamental. Le débat technique ou politique deviendra tacitement métaphysique ou religieux, trouvant là, ou pouvant trouver là si les hommes acceptent de voir, sa vraie profondeur qui est, comme on sait, toute de surface. Vraie profondeur, tragique profondeur en effet puisque dans une société où les références ultimes sont perdues ou brouillées, le fondement même du Bien et du Mal, la référence à un bien qui ne serait que bien (ou à un mal qui ne serait que mal) s’estompe, laissant la volonté dans une indécision paralysante, ou la déportant vers ces substituts de la croyance […] Dès lors n’est-on pas tenté de faire crédit aux rationalismes, techniques par exemples, dont l’efficacité s’impose en écartant les pseudo-problèmes métaphysiques?

Il en ressort que notre époque post-libérale revendique l’établissement d’un régime d’alliance entre théologie et laïcité et, à travers celle-ci, avec la contingence des situations. C’est pourquoi notre analyse se proposera d’endosser la signification de la laïcité, selon le sens large où il signifiera l’espace général d’effectuation et de gestion de la vie publique. À ce titre, la signification de la laïcité participe de la définition de «notre société postmoderne qui se caractérise essentiellement par l’expérience de la contingence radicale». Par-delà les définitions techniques de la notion de «laïcité», qui ont fait leur chemin dans l’univers juridique ou selon une approche sociologique, la catégorie philosophique de «contingence» désigne ici l’ordre 

P. Valadier, «Penser la morale aujourd’hui: Nietzsche, le précurseur?», p. . Cf. L. Boeve, «La conscience critique dans la condition postmoderne. De nouvelles possibilités pour la théologie?», dans Nouvelle Revue Théologique  (), p. -, p. .  Dans tous les cas de figure, toutes les définitions devenues classiques de la laïcité ne sont pas si éloignées de la description qui la rapproche de la «tendance vers la sécularisation de l’ordre politique [qui] accompagne naturellement le développement de l’industrialisme moderne. Il s’agit, en particulier, précise P. Berger, d’une tendance à séparer, dans les institutions, l’État et la religion. Qu’il s’agisse là d’une question pratique, sans lien, 

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du monde dans sa condition globale non seulement d’habitation, mais aussi de formation matricielle de significations des évènements de la vie. Le sens de cette notion renvoie à ce qui relève du séculier, du siècle, c’est-à-dire le monde en tant que contingence du lieu ou de ce qui a lieu en lui. Au-delà d’un simple jeu de clarification du sens des mots, il faut considérer que la prégnance de cette notion de «contingence» résulte de la redécouverte de la signification qu’il faut donner à la laïcité au sens large. C’est surtout selon une démarche préoccupée à souligner que le paradigme de l’éthique postmoderne se construit sur un projet qui assume pleinement les défis de l’«âge séculier». Étant liée au paradigme d’une éthique qui prend en charge la régulation de l’espace public dans sa totalité, la laïcité ne saurait être vue comme «le fruit d’un complot diabolique, mais le résultat d’un processus de civilisation, logique et symbolique, qui vise la formation d’un citoyen convivial». La laïcité sera donc vue comme l’affirmation d’un paradigme qui assume l’ordre du monde en tant que sécularité structurelle et contingence radicale. Cette perspective consonne avec la tradition théologique la plus ancienne, celle qui nous apprend que le monde est le lieu significatif de l’avènement même de Dieu (c’est la valeur de la dogmatique de l’incarnation, c’est-à-dire Dieu à même la contingence des évènements du monde). Suivant ce paradigme, la relation de la théologie à la contingence, à la facticité, au monde, au séculier, ou à la donne politique de la laïcité, devient le régime contraignant de l’herméneutique chrétienne; car son articulation au monde doit la placer à un niveau d’une épistémologie qui l’oblige à se comprendre autrement, c’est-à-dire comme épistémologie de la contingence même de Dieu à travers les évènements et les défis de la vie publique. Pour expliquer la portée de cette articulation, P. Gisel a noté que «seule la question ou l’expérience de Dieu – parce que Dieu n’est jamais originellement, avec un anticléricalisme idéologique, comme en Amérique, ou qu’elle soit liée à un laïcisme anti-clérical ou même anti-religieux, comme en France, cela dépend de facteurs historiques particuliers à l’œuvre dans les différentes sociétés. La tendance globale, ajoute P. Berger, semble être dans tous les cas l’émergence d’un État émancipé de la tutelle soit d’institutions religieuses, soit de raisons religieuses de l’action politique» (P. Berger, La religion dans la conscience moderne, Paris, Centurion, , p. ).  P. Gisel, «Résonances et mise en perspective. La théologie en condition postmoderne», dans P. Gisel et P. Evrard (dir.), La théologie en postmodernité, Genève, Labor et Fides, , p. .  Ch. Taylor, L’âge séculier, Montréal, Boréal-Paris, Cerf, .  R. Lemieux, «Crise, christianisme et société contemporaine», dans Recherches de Science Religieuse  (), p. .

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là, ‘arrivé’ ou présent’ – fait reconnaître ou expérimenter la contingence». Et «que c’est en entrant radicalement en contingence – à même la chair ou à même le monde – qu’on est porté à honorer Dieu». C’est ici également que P. Gisel n’hésite pas de relever que l’incarnation ne dit pas autre chose que d’être «à même le monde et investie du monde». Il en résulte que, pensée à partir de la catégorie sociopolitique de la laïcité, la valeur théologique de la contingence, le cadre de la sécularité en tant que telle, nous rappelle également que, sur le plan phénoménologique, le christianisme tient sa généalogie d’un processus mondain. Le christianisme, explique P. Gisel, est essentiellement l’émanation d’un processus de «recomposition du judaïsme exposé à l’acculturation, et il s’inscrit dans une mouvance plus large, hellénistique et gnosticisante, corrigée par le motif d’une ‘récapitulation de la création’: le créé est traversé d’une dramatique que le ‘salut’ prend en charge et porte à son achèvement». Dans le cours de sa formation comme religion, «une vaine platonicienne s’y greffera, notamment pour penser l’horizon transcendantal du procès à l’œuvre et empêcher que la dramatique du salut ne soit idéologisé ou matérialisé». En suivant ce processus, précise P. Gisel, le christianisme n’apparait «ni comme une religion universaliste d’une raison générale […], ni comme religion des données et des fonctionnements du cosmos»; il est, en revanche une «mise en perspective du donné mondain et des antécédences historiques existantes, pour les prendre en charge sur un mode délibérément instaurateur et institutionnel». De cette constatation, il ressort que la prise en compte du donné mondain global, appartient à l’ordre constitutif même du christianisme, et que cette modalité devrait être prise en relai par la théologie à cet âge de la laïcité. À l’encontre de toute tendance à la faire fonctionner comme une idéologie de l’État, qui exclut toute référence religieuse publique ou en public, notamment en ce qui concerne la problématique du voile en France, la laïcité sera vue comme la caractéristique marquante de nos sociétés pluralistes. Sa juste perception correspondra à l’espace global des institutions publiques et des dynamiques sociales de gestion du destin commun à l’intérieur de la cité. Dans cette espace de la laïcité, si les religions et les traditions spirituelles peuvent se prétendre d’une certaine  P. Gisel, «Résonances et mise en perspective. La théologie en condition postmoderne», p. .  P. Gisel, «Tâche et fonction actuelles de la théologie», p. -.  P. Gisel, La théologie, Paris, PUF, , p. .

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«plausibilité», c’est dans la mesure où elles contribueront à rehausser la valeur des préoccupations publiques au sens positif. Tel est le destin postmoderne de ce que P. Berger a appelé «structures de plausibilité». En effet, c’est sur fond d’une dynamique de réconciliation avec la laïcité qui marque la marche de notre civilisation aujourd’hui, que les religions, et le christianisme en particulier, devront, «sans qu’il soit besoin de surenchère idéologique ou religieuse», continuer à enseigner qu’«il y a de l’inacceptable dans le monde, il y a des pratiques ou des rôles devant lesquels on se sent tenus de dire non». Dans ce contexte encore, une approche éthique de la vie commune à partir du langage religieux gardera sa légitimité; les églises et les religions sont en droit de poursuivre, bien que d’une façon plus pragmatique telle que le recommande la dialectique de la laïcité, leur tâche d’éducation et de formation des consciences aux valeurs. En conformité avec ce qu’elles tiennent pour leur mission, les églises porteront toujours la charge publique de former à la résistance, aussi bien contre les structures sociales du mal, que contre toute forme de corruption dans nos cultures. Elles partageront pour cela une conviction, celle selon laquelle «une conscience non moralement éduquée, qui n’aura pas été éveillée à la révolte devant certaines réalités inhumaines, restera sans réaction devant les pires méfaits, voire même les trouvera conformes au cours de choses». C’est dans ce sens que, rappelant la distinction (et non la séparation) de compétences entre la société civile et l’Église, Jean-Paul II affirmait que la contribution spécifique de l’Église est de fortifier les bases spirituelles et morales de la société, d’aider toute action à s’inscrire dans la logique plus fondamentale et plus large de la morale. Dans cette responsabilité publique, précise Jean-Paul II, l’Église obéit à une logique plus fondamentale des consciences.



Cf. P. Berger, La religion dans la conscience moderne. Dans le cadre de cette réconciliation, on peut noter du côté de l’Église certaines déclarations approbatives, comme celle que nous tenons de Benoît XVI: «le christianisme et l’Église, dès les origines, ont également eu une dimension et une vertu publiques». À cet titre, sans nourrir l’ambition d’«être un agent politique […] elle a [cependant] un intérêt profond pour le bien de la communauté politique, dont l’âme est la justice, et elle lui offre à un double niveau sa contribution spécifique» (Benoît XVI, Discours aux Participants au IVe Congrès National de l’Église qui est en Italie, à Verona, le jeudi  octobre .  P. Valadier, Inévitable morale, p. .  Ibid.  R. Heckel, Pourquoi et comment l’Église intervient en matière socio-politique. Texte de Jean-Paul II, Cité du Vatican, Typographie Polyglotte Vaticane, , p. . 

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Mais, dans le contexte post-métaphysique qui est le nôtre, il y a comme une nécessité pour les églises, de renégocier les conditions acceptables du devoir de formation éthique des consciences, dans un monde de liberté et du consensus. Il apparait que, aujourd’hui, la légitimité de ce devoir et la crédibilité matérielle de cette mission d’éducation (et pas de moralisation), sont soumises à une nouvelle épreuve. Celle-ci ne correspond pas seulement au règne de la pluralité de références ou de la diversité des réseaux de sens, mais surtout à la permanence d’une éthique laïque qui détermine les orientations actuelles de la conduite collective, même par rapport à l’enjeu de la gouvernance institutionnelle de l’espace public. Sans doute qu’il faut également compter avec un espace public où d’un côté, il n’y a plus d’États théocratiques ni confessionnels et, de l’autre côté, le fait que les États anti-confessionnels sont devenus de plus en plus rares. L’enjeu reste celui, pour l’herméneutique théologique, de mettre à profit ce climat de neutralité pour faire gagner à la pensée religieuse contemporaine un surcroit de bénéfice en pertinence publique. Les églises doivent devenir capables d’imaginer de nouvelles initiatives et de mettre en place de nouvelles dynamiques «prophétiques» dans l’analyse critique des situations inédites au sein de la société-monde. Au nom de leur ouverture aux grandes perspectives de l’éthique de la laïcité, les églises et les religions devront, à ce titre, se sentir concernées par le destin du monde et de toute la communauté humaine, ainsi que par les problèmes de sociétés dans tous leurs états de manifestation comme dans tous leurs aspects de formulation. Leurs nouvelles stratégies discursives seront suffisamment renseignées que «la morale ne relève pas […] d’une option pour l’indicible, mais elle doit, sous peine de stérilisation, aider l’homme, les hommes rassemblés, à choisir et à ordonner leur vivre-ensemble». Une analyse théologique conséquente fera savoir que l’espace de ce vivre ensemble est essentiellement social et politique. Vouloir escamoter cette réalité, c’est continuer à donner raison à la critique de Machiavel sur le christianisme. En effet, selon la synthèse de P. Valadier, la critique de Machiavel touche ce système chrétien qui, «fixant à l’homme des buts transcendants, le détournant des choses de ce monde, l’appelant à comprendre l’histoire à partir de l’au-delà de l’histoire, pervertit l’ordre politique et prépare la tyrannie».

 

P. Valadier, Inévitable morale, p. . P. Valadier, Éloge de la conscience, Paris, Seuil, , p. .

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Dans la ligne de cette critique se trouve impliquée la déconstruction de toutes les formes historiques du «théocentrisme», là où cette conception du monde est apparue chez Machiavel comme un ordre «destructeur de la substance politique et démobilisateur des libertés». La relativisation de la vision théocratique du monde renvoie ainsi à la nécessité de «reconnaître avec plus de réalisme et de rigueur les lois et les règles de la sphère politique, donc à admettre les conditions rigoureuses et peu enthousiasmantes par lesquelles passe une liberté politique effective». Par contre, la persistance de la vision théocratique dans le jugement de l’ordre public sera une façon d’arroser le terrain de la critique de Machiavel, qui a vu dans le christianisme, la tendance à «tourner la tête à l’homme en lui promettant trop, ou en l’ensorcelant par un imaginaire qui l’éloigne de la ‘vérité effective de la chose’». Le paradigme des épistémologies postmodernes permet de retenir comme praticable l’herméneutique théologique qui s’investira dans la position de dialogue et de confrontation fertile avec l’espace de la laïcité. La circonscription d’une telle théologie correspondra à l’analyse sociale de la religion en vue de s’étendre à la sphère publique de la vie en général. Son analyse de la situation tirera toutes les conséquences du constat selon lequel, aujourd’hui, «l’Église, devant les objectifs étendus de l’État et les besoins globaux de la société, n’a plus de lieu propre». La théologie porte ainsi la responsabilité de sauver l’éthique chrétienne de la tentation qui la laisse «être confiée à la sphère du privé et de la pure intériorité, [et] qui la confine fortement au domaine de l’introspection et d’une invisible spiritualité». La modernité a fait le jeu d’une telle position de la religion. La postmodernité préside à une nouvelle dynamique, qui engage la religion dans une alliance inséparable avec ce qui relève de la contingence du social, du politique et de l’affectif. Dans un esprit d’alliance avec la laïcité, la pensée chrétienne accueillera positivement le mouvement de la sécularité comme «processus au cours duquel les arrières-mondes ayant tous disparus, il ne reste plus que le monde historique, social, humain et fini». Toute tentative de 

P. Valadier, Éloge de la conscience, p. . Ibid., p. -.  Ibid., p. , citant Machiavel, Le prince, chap. XV.  Mgr K. Lehmann, «L’Église et la foi dans une société pluraliste», dans Conseil des Conférences Épiscopales d’Europe, La religion, fait privé et réalité publique. La place de l’Église dans les sociétés pluralistes, Paris, Cerf, , p. .  Ibid.  J. Sperna Weiland, «Qu’est-ce que la sécularisation?», dans E. Castelli (dir.), Herméneutique et tradition. Actes du Colloque international, Rome, - janvier , Rome, Istituto di studi filosofici; Paris, Vrin, , p. . 

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maintenir la conception de la laïcité selon la logique d’un mouvement antireligieux, se condamnerait à faire le jeu de la logique d’une modernité de type primaire. Ainsi que l’indique C. Geffré, «autre chose est d’affirmer la laïcité de nos sociétés […], la perte d’influence culturelle, politique et morale des églises historiques et d’en conclure qu’il n’y a plus de sens du sacré et que l’homme moderne est devenu totalement irréligieux». La sécularité consacre le style d’une culture de la laïcité, qui correspond à l’irréductibilité de l’espace public sociopolitique et du pluralisme de visions dans la réalité du monde. Elle modifie les rapports d’autorité théocratique dont se prévalait jadis le christianisme féodal sur la marche des sociétés dans tous les domaines de la vie publique. En situation postmoderne, la signification de la laïcité ne se réduira pas à la désignation politique de l’espace public. Sa portée correspond à l’ordre d’une dynamique qui, au bout du processus de la sécularisation, participe de la définition du visage et du profil de nos sociétés pluralistes. Selon le Card. Miloslav Vlk, en effet, «les démocraties pluralistes se trouvent surtout confrontées de façon de plus en plus dramatique à la question des fondements communs de la culture, de la société et de l’éthique. […] Les églises n’ont aucun monopole dans cette consolidation des fondements. Elles sont obligées de prendre part à la discussion générale, de concert avec les différents courants spirituels». Nous sommes d’accord avec P. Valadier, lorsqu’il propose d’abandonner l’idée d’une laïcité à la française. La laïcité doit échapper au modèle d’une définition intolérante, qui suit la logique «de l’idéologie révolutionnaire centralisatrice, suspectant toute particularité», et qui «prétend ouvrir un espace neutre accueillant à tous, pour peu qu’ils abandonnent dans le ‘public’ leurs opinions ‘privées’ et qu’ils acceptent les valeurs de la laïcité». À proprement parler, et nous l’avons noté, la signification authentique de la laïcité participe de la définition de l’espace-monde où socio-politiquement se jouent les enjeux de la vie publique et où se décident les orientations fondamentales du destin des communautés humaines. Nous voulons l’entendre de cette façon, parce que cette conception de la laïcité nous permet de réaliser à quel point celle-ci 

C. Geffré, «Le pluralisme religieux et l’indifférentisme ou le vrai défi de la théologie chrétienne», dans Revue théologique de Louvain  (), p. ; en référence à D. HervieuLéger, La Religion pour mémoire, Paris, Cerf, .  Card. Miloslav Vlk, «Vivre l’Évangile au service de la société», dans Conseil des Conférences Épiscopales d’Europe, La religion, fait privé et réalité publique. La place de l’Église dans les sociétés pluralistes, p. .  P. Valadier, Inévitable morale, p. -.  Ibid., p. .

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accueille et engage, de façon irréductible, toutes les instances de responsabilité sur la destinée humaine, la stabilité des sociétés et l’équilibre de la planète, y compris l’instance de l’analyse théologique et éthique. Le contexte de la postmodernité consonne avec cet entendement de laïcité en tant qu’espace pluraliste et ouvert à la conjonction des régimes de responsabilité collective. À ce titre, le concept de laïcité clarifie la position de la contribution des églises et des religions, l’enjeu de leur réinsertion à l’espace public à travers leur capacité à s’impliquer dans les voies de réponse aux défis de la société-monde, et d’être prises en compte comme socles de «traditions morales» fiables, dans le contexte des sociétés pluralistes. Celles-ci auront toujours besoin d’un surplus de signification dans la confrontation avec les questionnements ultimes. C’est bien vrai que, encore aujourd’hui, dans les traditions religieuses et ecclésiales, «des hommes puisent des raisons de nouer des liens ensemble et de fortifier leur goût de vie commune», autant que ce qui les réunit en communautés de foi rentre dans l’ordre de cause supérieure au nom et à partir de laquelle la vie elle-même s’évalue comme bonne, en tirant de là son «fondement» de dignité. L’enjeu de leur réinsertion à l’espace public et sociopolitique de la laïcité, offre ainsi aux églises chrétiennes et aux religions la conscience d’appartenir à un nouveau printemps, qui participe du mouvement de construction et/ou de consolidation de la culture postmoderne en général. Cette option n’aura pas de commune mesure avec la persistance d’un régime d’accointances avec un «dogmatisme» qui ne sera pas prêt à admettre les approches conjointes et relationnelles. Il faut reconnaitre que le nouveau sort de la pensée chrétienne, en tant que pensée religieuse, est aujourd’hui irrésistiblement lié à la capacité de «se confronter aux rationalités présentes», dans un contexte où le pluralisme et le débat publique rendent inutile (en elle) toute prétention à la «domination sociale», soit dans le sens de l’intégrisme du religieux dans la société, soit dans celui du totalitarisme de l’État dans les espaces de croyances. En dehors de sa prétention fondamentaliste, l’espace de la laïcité, en tant qu’espace d’ouverture à toute conviction digne de foi, représente le lieu où les rites, les classiques des religions, ainsi que les différentes  En étant en accord de vues avec P. Valadier sur cette approche de la laïcité, nous marquons cependant notre distance en restant accroché au paradigme de la postmodernité, vis-à-vis de la perspective de la «modernité» dont P. Valadier fait la réception à titre de concept opératoire de la philosophie morale qu’il propose dans ses différents écrits.  P. Valadier, Inévitable morale, p. .  Ibid.

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philosophies de la vie, ont «à jouer le rôle de puissances éthiques de propositions», même là où ces instances apparaissent déjà comme des «minorités de choc prophétiques», au milieu des réalités d’une vie courante continuellement en proie à des nouvelles situations de distorsion structurelle et d’ambigüité systématique. La théologie doit trouver dans le paradigme de la laïcité, de nouvelles marges de ses responsabilités épistémiques. Elle pourra jouir d’une position qui engagera ses approches dans un contrat réaliste également avec les suggestions de la déconstruction. Celle-ci appartient à l’ordre d’une épistémologie postmoderne, dont la méthodologie permet d’assurer une mutation bénéfique à toute tentative judicieuse de définition de la vérité à notre époque. ... Déconstruction et réhabilitation du régime de la vérité La déconstruction est apparue dans l’histoire récente de la pensée, non pas comme un projet d’anéantissement de tout ce qui est construit, mais comme possibilité de réexamen critique de tout ce qui, dans la construction, prétend valoir comme fondement définitivement acquis, expliquant l’équilibre de toute la suite. Si le nihilisme doctrinaire a représenté un système de remise en question radicale d’une morale de volonté de puissance exprimée par le sujet faussement plein de certitudes (dans le progrès, dans la réussite, dans la conscience imperturbable de soi, à travers l’énonciation des principes plus élevés), le paradigme de la déconstruction négocie avec des mécanismes de «déplacements» permettant de quitter les épistémologies encore tributaires du cadre métaphysique de pure présence et de pleines «significations» au profit des épistémologies plus fonctionnelles et pragmatiques. La fonction de la déconstruction se comprend ainsi comme mode de déstabilisation de toute forme de logocentrisme qui marque la majeure partie des constructions théologiques. .... Déstabilisation du logocentrisme théologique L’alliance avec la déconstruction est devenue une option inévitable et salutaire au profit du redéploiement de la méthodologie théologique. Elle permettra d’engager la pratique de la théologie dans la voie d’un changement de paradigme à notre époque. La déconstruction veut placer les approches théologiques dans la perspective de renversement des 

P. Valadier, Inévitable morale, p. .

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tendances et de rupture instauratrice, ainsi que dans la possibilité de revisiter radicalement et littéralement, ce qu’il en est aujourd’hui du modèle de construction logocentrique, qui a accompagné durant des siècles, le processus d’énonciation des vérités chrétiennes. La déconstruction pousse les instances théologiques à réinterroger les protocoles classiques des énonciations dogmatiques, et à les considérer forcement comme étant situés eux-mêmes dans les traditions et les motifs précis de leur généalogie. Mais il faut noter que la surenchère des schèmes logocentriques dans la dogmatique chrétienne, est l’œuvre du paradigme moderne du théologique. C’est à juste titre que P. Gisel peut considérer, en effet, que par-delà la modernité comme époque, une version majoritaire du christianisme participe du modèle de construction propre aux Lumières. Dans la ligne de ce constat, P. Gisel fait remarquer que, ce qui est en cause dans l’alliance de la théologie avec le projet moderne, c’est finalement «une matrice nouée autour du motif d’accomplissement», selon une présentation qui finit par accentuer le messianisme de la raison subjective (dans l’histoire de la pensée et de la science), installant tout dans l’«anthropocentrisme». La pensée de la déconstruction révèle que c’est ce schéma qui est en crise (et mise en crise par les figures du postmoderne), du fait qu’il ne supporte ni pluralité ni particularité, ni hétérogénéité ni singularité; il unifie les perspectives selon une orientation totalitaire en direction de la seule raison, et exclut l’horizon d’indétermination; il est indifférent à l’horizon cosmique et à l’ordre de la société et des cultures. En science théologique, la déconstruction se déploiera comme démarche consistant à diagnostiquer, à démasquer et à dévisager le totalitarisme de la raison subjective, dans sa prétention d’épuiser toute possibilité de signification humaine de la religion, de la révélation et de la foi dans la seule captation du logos. Tout le projet de J. Derrida a eu pour visée de mettre en ballotage le régime de la métaphysique de présence pure, tel qu’il a continué à s’exprimer aussi bien dans la phénoménologie de l’intentionnalité, dans la dialectique d’unification des contraires et des différents, dans un structuralisme prônant le primat du signifiant dans un jeu qui se trouve finalement tiré par le signifié, et dans toute herméneutique du sens arrêté et des contextes constitués en clôtures de significations. Ces instances du  P. Gisel, «La postmodernité: mise en place et enjeux», dans P. Gisel et P. Evrard (dir.), La théologie en postmodernité, p. .  J. Derrida explique la portée de cette démarche à partir de ce qu’il taxe de «traits nucléaires» de la déconstruction, dans son ouvrage Les marges de la philosophie, Paris, Minuit,  p. -. Lire aussi: J. Derrida, L’écriture et la différence, Paris, Minuit,

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savoir philosophique contemporain, n’ont pas manqué d’affecter différents régimes du savoir théologique. Ainsi, en se portant au-delà de la critique de l’onto-théologie, la déconstruction de J. Derrida est l’opération la plus décisive, qui vise plutôt à dialoguer à nouveaux frais avec Dieu dans l’espace religieux et au-delà. J. Habermas a écrit à cet effet: La critique de la métaphysique chez Derrida a […] une autre signification que chez Heidegger. Le travail de déconstruction a pour fonction inavouée de régénérer un dialogue avec Dieu, interrompu dans les conditions modernes d’une onto-théologie désormais sans force d’obligation.

Selon ce dessein, la fonction fondamentale de la déconstruction en théologie, et nous l’avons noté, est de délivrer celle-ci de schèmes du logocentrisme et de ne plus la construire selon les schèmes métaphysiques de la présence. D. Tracy a eu le mérite de montrer que le logocentrisme n’est autre chose qu’une forme de suffisance du logos à «établir comme sûre et certaine la ‘fondation’ sans présuppositions de toute pensée et, partant, de toute réalité». Le logocentrisme s’exprime comme un projet de domination totale du logos, prétention qui veut que l’Esprit soit réductible au logos, que la Réalité soit totalement intelligible, que la théorie recouvre la Réalité et que la Pensée épuise l’Être (dans sa totalité). L’univers théologique est à prédominance tributaire de la partition moderne du régime de la pensée logocentrique. Il participe à cet effet d’un processus achevé d’onto-logisation de différentes doctrines du christianisme. À travers ce processus, le christianisme a fini par se présenter, dans plusieurs de ses aspects, sous des versions essentialistes. Il sera de plus en plus conçu et compris comme un corps doctrinal qui requiert gloses, commentaires, et par la suite, légitimation intellectuelle. La foi, dont ; De la grammatologie, Paris, Minuit, ; Positions, Paris, Minuit, ; La dissémination, Paris, Seuil, ; Psyché. Inventions de l’autre, Paris, Minuit, ; Parages, Paris, Galilée, ; F. Nault, Derrida et la théologie. Dire Dieu après la déconstruction, Paris, Cerf; Montréal, Médiaspaul, .  J. Habermas, Le Discours philosophique de la modernité. Douze conférences, Paris, Gallimard, , p. . Cf. J. Derrida, «De l’esprit» (), dans Heidegger et la question, Paris, Flammarion, , p. . Pour cette référence, voir: P. Gisel, «Résonances et mise en perspective. La théologie en condition postmoderne», p.  notes  et .  D. Tracy, «Au-delà du fondamentalisme et du relativisme. L’herméneutique et le nouvel œcuménisme », dans Concilium  (), p. .  Cf. R. Panikkar, «La religion de l’avenir», e partie, dans Interculture  (), p. ; cité par: A. Charron, «Du culturel à l’interculturel: incidences sur l’intervention chrétienne et le service pastoral», dans C. Menard et Fl. Villeneuve (dir.), Pluralisme culturel et foi chrétienne. Actes du Congrès de la société canadienne de théologie, Québec, Éd. Fides, , p. .

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le concept est «central dans le christianisme», sera considérée, selon une conception majoritaire, comme «le fait de tenir pour vraies un certain nombre des données ou des propositions, pouvant s’ordonner en corps des doctrines et être référées à un moment fondateur ou à une révélation». La signification de la foi a gardé ici une résonnance propositionnelle, partageant le cadre d’une conception qui n’aura pas échappé de se prêter à un usage idéologique, et de tomber dans la dérive du conservatisme. En restant dans l’analyse de P. Gisel, nous admettrons la signification alternative de la foi. Selon P. Gisel, en effet, la foi est foi pour «donner lieu à une connaissance – la connaissance des ‘mystères de Dieu’, qui est connaissance du cœur, via expérience et épreuve – et être objet d’une connaissance, aussi vraie que l’humain comme tel y est engagé, voire transformé». L’enjeu de la foi sera perçu comme possibilité offerte d’une dynamique relationnelle par mode de «participation» à des données vitales. Dès lors, on ne dispose pas de la foi comme d’une substance à essence propre; la foi indique que l’on participe d’une situation religieuse et spirituelle qui entraine l’ordre global de la vie, c’est-à-dire la vie dans toutes ses marques psychologique et affective; non seulement politique et sociale, mais aussi culturelle et cosmique. En soulignant le caractère d’engagement au plan existentiel et la dimension d’attitude fondamentale que représente l’acte anthropologique de croire, A. Gesché comprend, avec raison, que le régime normal et authentique de la foi, même en tant comportement, attitude ou adhésion, c’est d’être à la fois un «langage performatif» et un «langage auto-implicatif». C’est dans l’héritage moderne du théologique qu’il faut ainsi chercher la conception essentialiste de la foi. À notre époque, ce lien est, de toute évidence, perceptible au sein de la critique postmoderne de la religion. P. Gisel a indiqué, dans cette direction, que «ce qu’on entend le plus souvent aujourd’hui par théologie vient du moment classique de notre modernité, marquée par les divisions confessionnelles et l’avènement des Lumières». De ce fait, précise P. Gisel, la théologie elle-même s’«entend souvent [comme] un ensemble de représentations organisées, de croyances et des doctrines» en position de stabilité imperturbable. Le changement de perspective est en revanche lié à la révolution postmoderne. À travers ce tournant, et au regard de la découverte de sa situation herméneutique,   

P. Gisel, «Tâche et fonction actuelles de la théologie», p. . Ibid. A. Gesché, Dieu pour penser. T. . L’homme, Paris, Cerf, , p. .

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qui participe de la conscience de sa structuration linguistique et historique, «la théologie sait que les représentations sont changeantes» et qu’elle se sait elle-même aujourd’hui «sans cesse relancée par des discontinuités socio-culturelles». L’activité théologique doit cesser d’être ramenée à un essai de formalisation propositionnelle, à partir de laquelle elle a toujours été liée à un régime univoque et monolithique d’interprétations, calqué sur le style moderne dans lequel le christianisme est souvent présenté comme n’étant concerné ni par l’affectif ni par le profane, ni par le séculier ni non plus par ce qui relève de l’intellectuel. À notre époque, la théologie et le régime de la foi ne seront pas présentés sous une figure d’idéologie religieuse, extérieure (et étrangère) à «l’espace social et scientifique», selon un mouvement réflexif qui les fait résulter d’une description des phénomènes supranaturalistes. Jusqu’à l’époque des existentialismes, qui ont ramené l’essentiel du débat théologique à l’intérieur du rapport entre la subjectivité et la transcendance, notamment sous l’inspiration de Kierkegaard, les traits dominants du christianisme contemporain attestent que le logocentrisme doit avoir des symptômes généralisés, et de manière diversement variée, dans le corpus théologique, même à notre époque d’historicité radicale. C’est pourquoi, la déconstruction entend être un cadre théorique d’une critique radicale s’étendant jusqu’à tout projet de réappropriation; elle se constitue en un programme de disqualification systématique des théologies appartenant au modèle existentialiste. En outre, les théologies existentialistes représentent le spectre d’une culture du moi subjectif à prétention totalitaire, qui n’offre aucune possibilité de «déplacement» ni d’ouverture, en fonction de perspectives nouvelles, notamment sur le terrain alternatif de l’altérité. Contre ce modèle d’enfermement et de clôture, D. Tracy a écrit: aucun des modèles du moi moderne et de l’époque actuelle de la modernité ne peut plus suffire: ni le moi purement autonome de l’Aufklärung, ni le moi expressionniste des romantiques, ni le moi angoissé des existentialistes, ni le moi transcendantal des philosophies transcendantales et des théologies de la conscience. Tous ces modèles sont inadéquats, car ils sont tous trop profondément liés au moi de la modernité batailleur et s’illusionnant lui-même.

  

P. Gisel, «Tâche et fonction actuelles de la théologie», p. . Ibid. D. Tracy, «La désignation du présent», p. -.

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La déconstruction, elle, conforte plutôt l’enjeu de l’altérité en régime postmoderne de la théologie. Celle-ci a affaire aujourd’hui à une altérité qui s’exprime surtout sur le terrain englobant de la laïcité, et non pas seulement sur l’espace interreligieux. D. Tracy l’a bien perçu lorsqu’il note qu’en théologie, «le problème doit être éthico-politique: le visage de l’autre véritable devrait nous délivrer de tout désir de totalité et nous ouvrir à un vrai sens de l’infini. Le visage de l’autre devrait aussi nous ouvrir, parmi les réalités constitutives de notre culture, aux juives plutôt qu’aux grecques. Car le visage de l’autre peut nous ouvrir à la responsabilité éthique et même à l’appel des prophètes, à l’action politique et historique». Il s’ensuit que sous la conduite de la déconstruction, le programme de la théologie à l’âge postmoderne prendra des écarts considérables vis-à-vis de différents schémas de la modernité intellectuelle. Dans cette démarche, on considérera que «bien de compréhensions modernes de Dieu, tant philosophiques que théologiques, sont des traductions d’un signifié transcendantal» et que «bien des anthropologies, y compris théologiques, sont des humanismes anthropocentriques déguisés, où la réalité théocentrique de la foi chrétienne est tranquillement désavouée». Il ne s’agira pas d’une démarche de restauration de l’âge des théologies de la libération, celles qui se sont spécialisées dans des lectures spécifiques des écritures bibliques en fonction des démunis sociaux, ainsi que dans une manière d’être églises relativement à l’urgence de l’engagement pour l’émancipation des milieux pauvres. Pour peu, ces théologies sont restées dépendantes de la critique d’une théologie autoritaire issue du magistère ecclésial. Elles donnent l’impression d’avoir stagné sous l’effet néfaste de cette critique, et par le déficit remarquable de nouveaux agents attitrés. Les théologies de la libération sont aujourd’hui convoquées à la nécessité de retrouver un souffle nouveau, en adoptant des perspectives alternatives que nous offrent de nouvelles ressources épistémiques. Dans leur statut actuel, elles partagent le profil des théologies «inculturées» et «contextualisées», qui ont certes franchi le cap de leurs problématiques de fond en étant devenues, en Afrique, en Asie et en Amérique latine, des herméneutiques chrétiennes appliquées à de différentes situations des cultures du monde. Mais c’est en reprenant conscience des enjeux du contexte post-colonial et post-métaphysique de notre âge, qu’elles doivent se  D. Tracy, «La désignation du présent», p. , en référence à E. Levinas, Totalité et infini. Essai sur l’extériorité, La Haye, Nijhoff, .  D. Tracy, «La désignation du présent», p. .

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défaire de la tendance à «idéologiser» leurs propos, là où elles sont ellesmêmes asservies par l’idolâtrie d’une vision fixe et figée de la culture ou du contexte de la libération. Il importe, dès lors, de montrer qu’en situation postmoderne, les théologies sont poussées à reconstruire leurs discours à partir d’une méthodologie de confrontation courageuse à la pédagogie de l’analyse politique et sociale. Mais elles le feront dans un élan assumé du dialogue utile avec l’ordre de l’éthique mondiale qui est du ressort de l’espace de la laïcité. Dans cette option, les théologies contextuelles sont soumises à l’épreuve d’une nouvelle perspective épistémologique. Elles doivent quitter le profil des herméneutiques de simple réappropriation, en vue d’engager l’essentiel de leurs approches dans la direction d’une large ouverture à la nouvelle situation de nos sociétés pluralistes. Le conditionnement postmoderne de l’existence et de la vie, nous oblige ainsi à compter sur des élaborations théologiques comme sur des stratégies discursives provisoires mais efficaces, qui apprennent elles-mêmes à s’affranchir de la programmation du «logos moderne», moyennant leur entrée dans un processus de révision critique de cet héritage, en vue de resurgir comme des herméneutiques solidement articulées sur un horizon plus large. Les approches théologiques rejailliront ainsi d’une nouvelle pertinence, notamment sur l’espace de la laïcité, d’une façon qui permettra de «faire réentendre Dieu en tant que Dieu», dans sa dimension foncièrement spirituelle et relationnelle (face au monde du créé), aux antipodes des «-ismes» à la limite anti-relationnels, anti-sociaux, et anhistoriques dans lesquels la modernité a confiné la référence au Dieu de la vraie histoire. La méthodologie consécutive à la préoccupation de la relance théologique, sera ainsi celle qui saura mettre en jeu l’inévitable confrontation avec ce qui appartient au régime de l’épistémologie postmoderne du «sublime», quant à la question de Dieu et de la révélation. L’enjeu sera de maintenir la théologie dans un pouvoir référentiel utile, là où elle est attendue pour être un allié privilégié d’une réflexion portant sur les défis de l’éthique publique.  Il s’agit précisément de ce «logos moderne, cet horizon d’intelligibilité condensé dans la révolution scientifique moderne et l’orientation moderne vers le sujet chez Descartes et Kant, culminant dans les révolutions démocratiques modernes classiques et l’émergence de la conscience historique moderne» dans les mailles desquelles «la réalité de Dieu a été refondue en question moderne afin d’être convenablement comprise par un esprit moderne» (D. Tracy, «Le retour de Dieu dans la théologie contemporaine», dans Concilium  [], p. ).  D. Tracy, «Le retour de Dieu dans la théologie contemporaine», p. .  Ibid., p. .

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.... Déconstruction et pouvoir référentiel du théologique Dans le régime de la déconstruction, l’approche théologique a beaucoup de chance de reconquérir sa véritable fonction, celle de rendre à la réalité que désigne le concept «Dieu», son authentique pouvoir référentiel dans la compréhension du vécu, du créé et de l’historique. Aux antipodes du régime logocentrique, où la référence à Dieu se confond à des assertions arrêtées, la théologie fonctionnera comme une interprétation des instances de la contingence. Elle permettra à la question de Dieu, en tant que question de la transcendance, de rejaillir à partir des données anthropologiques et sociales qui font sens dans la vie, tout en délivrant «Dieu» du circuit de l’ontologie de pure présence, circuit qui a toujours fait de «Dieu» une réalité définissable dans des catégories fixées. Nous avons déjà eu l’occasion de démontrer la portée épistémologique de la catégorie du «sublime». Nous en retrouvons l’explication chez J. F. Lyotard. Cette catégorie permet d’opérer une mutation en direction d’un rapport plus approprié à «l’incommensurabilité de la réalité par rapport au concept». La notion du «sublime» nous apprend que, de la réalité, «il y a quelque chose que l’on peut concevoir et que l’on ne peut pas voir ni faire voir». Fort de ce constat, J. F. Lyotard a affirmé que «l’absolu n’est pas présentable», pas plus qu’il ne saurait être objectivable dans une transparence conceptuelle toute faite. Le problème reste de savoir comment accéder à la connaissance d’un tel mode de rapport à l’absolu (ou à la réalité même). Pour résoudre cette équation, J. F. Lyotard explique que dans la conscience du «sublime», la réalité (ou la vérité) «découvre une autre manière de venir au contact des pensées, une manière de se laisser toucher par l’être comme par ce qui se donne toujours sans jamais se donner». Selon cette démarche, la compréhension de Dieu peut correspondre à ce qui est donné dans l’énoncé ci-après: (le concept) «Dieu» n’est pas (la réalité) Dieu, il est plutôt ce qui donne à poser la question sur (la réalité) Dieu auquel (comme concept) il renvoie sans le saisir définitivement. J. Derrida a eu raison de préciser que «le sublime se trouve  Cf. B. Katikishi Muzembe, Le concept théologique de la postmodernité, Paris, Connaissances et Savoirs, , p. -.  Cf. J. F. Lyotard, Le postmoderne expliqué aux enfants, Paris, Galilée, , p. ; on lira aussi: J. F. Lyotard, Leçons sur l’Analytique du sublime, Paris, Galilée, .  Ibid.  J. F. Lyotard, Le différend, Paris, Minuit, , p. . À ce sujet, J. F. Lyotard estime qu’«avec le sublime […], Kant aura toujours raison d’un Hegel» (ibid.).  J. F. Lyotard, Pérégrinations: loi, forme, événement, Paris, Galilée, , p. -.

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[…] dans un objet sans forme et le sans-limite se représente en lui ou en son occasion, donnant toutefois à penser la totalité du sans-limite». En réalité, la théologie à notre époque doit s’effectuer selon la pédagogie de ce qui est donné dans la notion du sublime. C’est la possibilité laissée ouverte par la liberté du cadre de référence à «Dieu», et qui renseigne, aux antipodes du régime d’abstraction, religieuse ou métaphysique, que «Dieu» ne sera jamais évoqué sans aucune référence à une situation précise de la vie. La force de la référence à Dieu se mesurera ainsi à l’aune de l’événementiel dans la contingence radicale qui frappe cette référence comme force du langage. De cette façon, «‘Dieu’ entre dans l’histoire postmoderne, non comme un ‘isme’ consolant, mais comme […] ‘espérance contre toute espérance’ […] non comme une spéculation nouvelle […] mais comme Dieu». Dans cette pédagogie, la théologie s’efforcera de retrouver l’horizon de la transgression du Dieu ontologique, en faveur du Dieu sans être, Dieu comme «excès» et comme «un pur don». Il s’agit d’apprendre à connaitre Dieu, non «à partir du concept, mais bien à partir de Dieu lui-même», selon une structure de manifestation où sont en jeu, un comportement, une relation (création, parole, grâce…), et où se trouve maintenue la distance inauguratrice. Prenant acte de la force de cette orientation en théologie, C. Geffré indique pour sa part que «dans une culture déjà postmoderne, on assiste à un retour des questions les plus fondamentales concernant la justice, l’amour, la liberté, la mort…». Ce tournant permet de replacer les différents sens de la question de Dieu au cœur du vécu religieux authentique. En tant qu’expérience, la référence à Dieu se dérobe du sens métaphysique du transcendant, pour ne tourner que dans la confrontation avec le sens des évènements et la portée des situations. Les propos de J. S. O’Leary sont des plus éclairantes sur cette problématique. Il écrit: Le «Dieu est amour» de saint Jean doit s’interpréter, peut-on croire, de manière plus modeste – non pas comme définition de Dieu en soi, 

J. Derrida, La vérité en peinture, Paris, Flammarion, , p. . D. Tracy, «Le retour de Dieu dans la théologie contemporaine», p. .  Ibid., p. .  J.-L. Marion, «La double idolâtrie», dans Heidegger et la question de Dieu, Paris, Grasset, , p. ; cité par A. Gesché, Dieu pour penser. T. . Dieu, Paris, Cerf, , p. -.  Cf. A. Gesché, Dieu pour penser. T. . Dieu, p. .  Cf. J.-L. Marion, sous le commentaire de A. Gesché, Dieu pour penser. T. . Dieu, p. .  C. Geffré, «La théologie européenne à la fin de l’européocentrisme», dans Lumière et Vie  (), p. . 

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mais comme appréhension contemplative du mode dans lequel Dieu est connu et ressenti par les fidèles, et cela non pas comme une intuition toujours valable mais comme un style local et historique de perception. Ici rien de spéculatif, seulement la dénomination d’une situation vécue; il en est de même pour les énoncés: «Dieu est lumière» ( Jn ,) ou «Dieu est Esprit» (Jn ,). Le caractère contingent de ces énoncés se comprend mieux quand on remarque qu’ils témoignent d’un triomphe: la lumière divine n’est pas une chose en soi, c’est le nom d’un événement, le triomphe sur les ténèbres; de même l’amour ne se révèle pas comme chose en soi, mais une victoire sur la haine ou la peur; de même encore la dimension de l’Esprit n’émerge que conquise sur la rigidité charnelle. À ces événements correspond chaque fois un comportement communautaire précis. Lumière, amour, esprit restent impensables hors ces processus concrets.

On le voit, en situation postmoderne, la théologie aura conscience d’être infiniment praticable dans des régimes disséminés de signifiants concrets, forts et suggestifs de nouvelles expériences de «Dieu». Dans le cadre de cette mutation, D. Tracy estime qu’à notre époque, «le désir, le corps, l’amour, le don ont tous fait retour pour tenter de permettre que Dieu-en-tant-que Dieu soit nommé de nouveau». Ainsi, ajoute D. Tracy, «la théologie postmoderne, dans ce qu’elle a de meilleur, n’est pas un ensemble de propositions rivales opposées à la théologie moderne. C’est quelque chose de différent: la recherche des formes substitutives tout à fait autres. Même lorsqu’elle est spéculative, la pensée postmoderne est moins propositionnelle qu’elle n’est un effort pour créer de nouvelles formes de langage traduisant l’excès, le don, le désir, la prière». L’enjeu d’une telle approche est de légitimer la perspective théologique qui s’offrira dans l’articulation à tous les langages disponibles. C’est la logique d’un paradigme qui pousse l’herméneutique théologique à s’effectuer sur les chemins de «Dieu» aussi bien à partir de différentes ressources des traditions croyantes, qu’à travers les traces et les défis de la «sacramentalité» de Dieu dans les différents rapports sociaux. L. Boeve estime que dans le cadre de ce paradigme, l’acte théologique lui-même sera désormais articulé au sein d’une tournure qui «applique la relation du récit particulier à l’ineffable, à l’événement même, dans le but de saisir conceptuellement la relation entre l’homme et Dieu, sans être forcé d’assigner à Dieu une place ancrée dans la métaphysique ou garantie par

 J. S. O’Leary, La vérité chrétienne à l’âge du pluralisme religieux, Paris, Cerf, , p. -.  D. Tracy, «Le retour de Dieu dans la théologie contemporaine», p. .

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elle – ce qui veut dire: dans un univers conceptuel structuré ontologiquement et reflétant le monde ‘extérieur’». L’effondrement de l’horizon métaphysique doit coïncider avec l’affirmation du profil postmoderne de la théologie. Il en va d’une question de pertinence, de crédibilité et de survie pour la théologie elle-même dans l’espace des usages actuellement croyables. La théologie s’assurera que, à l’époque post-libérale, «les doctrines ne se conçoivent plus comme règles de discours, d’attitude et d’action auxquelles une communauté adhère». De sorte que tout ce qui a trait au religieux et au théologique, devrait être expliqué en suivant le régime linguistico-culturel («cultural-linguistic») des données signifiantes, en amont du régime de «la théologie technique et de la doctrine officielle». À ce niveau, précisément, G. Lindbeck est convaincu, et il est vrai, que «des emplois de première intention du langage religieux […], on ne réussit que rarement, sinon jamais, à faire des affirmations de portée ontologique, mais on s’occupe plutôt d’expliquer, de défendre, d’analyser, et de régler les modes de parole et de pratique au-dedans desquels ont lieu de temps en temps ces affirmations». J. S. O’Leary fustige la tendance de G. Lindbeck à vouloir opposer «la doctrine en tant que règle normative à la revendication d’une référence ontologique des énoncés doctrinaux». En s’appuyant sur l’exemple de la dogmatique sur la trinité, J. S. O’Leary écrit: «Lindbeck semble confondre deux choses distinctes: d’une part la nécessité de faire certains énoncés sur l’être de Dieu pour garantir l’intégrité de la structure trinitaire du langage chrétien, et d’autre part le jeu spéculatif qui essaie de tracer l’archétype céleste des fonctions et des rapports trinitaires manifestés dans l’économie néotestamentaire. Ce dernier suppose un horizon métaphysique qui embrasse du regard l’être divin pour le mettre en rapport avec sa manifestation dans l’économie, ce qui établit une perspective dénaturante. Mais on ne sort pas de l’horizon de la révélation en affirmant que Père, Logos, et Esprit sont divins, qu’il n’y a qu’un seul Dieu, et que pourtant leurs distinctions ne sont pas éphémères mais révèlent leur nature même. Si l’on confine la doctrine de la trinité à ces énoncés



Cf. L. Boeve, «La conscience critique dans la condition postmoderne», p. . Cf. G. Lindbeck, The Nature of Doctrine. Religion and Theology in a Postliberal Age, Philadelphie, PA, Westminster Press, , tel que cité par K. Blaser, La théologie du XXe siècle. Histoire-Défis-Enjeux, Lausanne, Éd. L’Âge de l’homme, , p. .  G. Lindbeck, cité par J. S. O’Leary, La vérité chrétienne à l’âge du pluralisme religieux, p. -. 

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essentiels […], poursuit J. S. O’Leary, on ne se fourvoie sur aucun chemin de spéculation douteuse». Cette critique vaut pour le besoin de la discussion. Elle n’enlève rien à la consistance d’un paradigme structurant qui supporte aujourd’hui l’émergence d’une dynamique nouvelle de la réflexion théologique, celle qui a le mérite de libérer le pouvoir de suggestion que représente la réalité «Dieu», en l’articulant sur la pluralité infinie de références dans la vie croyante comme sur l’espace de la laïcité. E. Levinas a soutenu, en outre, que «la présence de Dieu dans son Nom reste libre à l’égard de tout contexte de l’histoire. Verbe, toujours se désincarnant, même de la chair qu’il semble revêtir dans le discours». Et J. S. O’Leary de préciser: «le nom même qui sert à garder cette liberté divine dépend d’une fonction concrète». Le Nom divin, dans le Talmud, «reçoit un sens à partir des situations humaines où il est invoqué». Ainsi donc, «dire le Nom Dieu n’est pas un savoir. Mais la situation humaine où le Nom est dit donne un sens positif à la négativité de ce non-savoir». En se situant du point de vue d’une élaboration théologique qui tient compte de nouvelles conditions épistémologiques d’énonciation, J. S. O’Leary va jusqu’à proposer l’idée de «désubstantialiser Dieu». Il considère le traitement «des questions sur l’être de Dieu et ses rapports intratrinitaires» comme relevant d’un paradigme désuet et caduc. Actuellement, écrit-il, «le tact théologique décourage tout discours sur les rapports entre les Personnes [divines] éternelles (même si de rares versets, tels Jn , et , y invitent), en ramenant l’attention contemplative au langage biblique du logos et de l’Esprit à l’œuvre dans la création et dans les événements de l’histoire du salut». Sur le même type d’argumentation, H. Küng a montré qu’au-delà de toute forme de répétition «des doctrines classiques relatives à Dieu et à la Trinité», ainsi que de toute tentative «de les moderniser en faisant appel aux connaissances sociologiques, voire gynécologiques, actuelles» en voulant se passer de la critique de leurs origines, «un chrétien doit croire dans le Père, le Fils et l’Esprit, 

J. S. O’Leary, La vérité chrétienne à l’âge du pluralisme religieux, p. . E. Levinas, tel que cité par J. S. O’Leary, La vérité chrétienne à l’âge du pluralisme religieux, p. .  J. S. O’Leary, La vérité chrétienne à l’âge du pluralisme religieux, p. -; en référence à J. Derrida, Psyché: inventions de l’autre, Paris, Galilée, , p. -.  J. S. O’Leary, L’art du jugement en théologie, Paris, Cerf, , p. .  Ibid.  Ibid., p. . 

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mais il n’est pas tenu de croire à une spéculation trinitaire». Selon H. Küng, Le «cœur» («dogme central») de la foi chrétienne n’est pas une théorie théologique, mais […] la foi dans la Révélation, le salut et la libération que le Père opère parmi nous, par son Fils Jésus-Christ, dans son Esprit. Une théorie théologique ne doit pas embrouiller cet énoncé fondamental, mais rester un instrument permettant une compréhension sans cesse renouvelée de cet énoncé, en fonction d’horizons spirituels changeants.

En ramenant ainsi la question de Dieu à son pouvoir de dissémination signifiante, le nouvel horizon de l’herméneutique chrétienne autorise une prise en charge spirituelle des enjeux de l’éthique de la laïcité. Tel est le lieu authentique du déploiement du langage théologique. P. Gisel pense, à cet effet, que «foi et théologie chrétiennes se développent au cœur du créé. Elles ne sauraient […], dans leur évocation de Dieu et dans le penser qui lui correspond, dépasser un ordre d’analogies constitué à partir d’une habitation concrète du monde. C’est dire qu’elles ne désignent Dieu que par renvoie indirect […]; mais c’est dire aussi que le passage par la contingence des corps, des lieux et des moments particuliers du monde est requis». Le modèle d’une théologie en forme d’idéologie figée devient par conséquent un modèle inadéquat au paradigme voulu pour dialoguer avec l’éthique de la laïcité. Dans sa fonction de dialogue, la théologie ne sera plus «ni renvoi à un supranaturalisme, ni entreprise de légitimation d’une institution donnée et des […] fondements à propos desquels il n’y aurait ni débat ni problématisation à proprement parler, sur mode comparatif et selon appréciations diverses quant aux enjeux humains en cause». Sur le plan épistémologique, la théologie sera à retrouver dans le profil d’une entreprise continuellement reprise, affranchie de toute détermination, du fait qu’elle n’aura plus affaire à un donné théologal tel que posé dans une vision métaphysique du réel, mais à des données anthropologiques telles que structurées dans un espace public de gestion du vivre ensemble. La théologie est ainsi mise en demeure de laisser percevoir qu’il n’y a d’ordre de la révélation divine que celui qui se donne à approcher dans les appréciations de situations humaines effectives, qui interpelle et 

H. Küng, Le christianisme. Ce qu’il est et ce qu’il est devenu dans l’histoire, p. . Ibid., p. .  P. Gisel, «Vérité et tradition historique», dans B. Lauret et F. Réfoulé (dir.), Initiation à la pratique de la théologie. T. . Introduction, Paris, Cerf, , p. .  P. Gisel, La théologie, p. . 

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CHAPITRE III

appelle dans la direction d’un ordonnancement novateur de l’espace habitable, et qui sera une instance incitatrice à la production d’un nouvel horizon de relation à des évènements de la vie à transformer. L’espace de la laïcité rentre ainsi dans ce qui appartient au déploiement du théologique, d’autant plus que, depuis toujours, «l’horizon de la théologie est celui du monde». De telle sorte que la prise en charge spirituelle du monde devrait «être pensée et mise en œuvre comme question générale» dans laquelle «la vérité […] dont on témoignera ne sera dès lors pas spécifiée comme contenu, ou révélation particulière, mais élaborée et pensée à même le monde et l’humain, comme question qui leur est propre». Il en résulte que la théologie ne pourra plus se mettre hors-jeu du terrain de la laïcité, d’autant plus que son statut ne peut plus renvoyer à un système de pensée qui ferait d’elle un ordre d’un savoir à part. Elle gardera de spécifique, sur le plan formel, seulement le fait d’être traversée par une interrogation de l’absolu dans ses différents regards du monde. Selon cette perspective, la théologie aura la charge de relancer la matrice signifiante du christianisme, en tenant que celui-ci renvoie à l’ordre d’une instance religieuse qui se sait issue d’un processus de recompositions successives. Elle sera toujours avisée sur le fait que le christianisme restera un mode du religieux qui se sera constitué suite à une série d’articulations à des traditions fonctionnant comme des systèmes du langage, et ayant fait sens à travers des références et des renvois inévitables au grand système du monde, des sociétés et des cultures. Il sera alors requis pour la théologie, de voir dans le paradigme de la laïcité un nouvel horizon contraignant de son herméneutique. À la suite de P. Gisel, nous allons reconnaitre que l’enjeu essentiel de la démarche théologique pour notre temps, est désormais inséparable des approches qui ont affaire à «l’ensemble de la situation socio-culturelle dans laquelle nous sommes», et dont «le christianisme religieusement et socialement identifiable (…) n’est qu’un aspect de cette situation». De cette condition, ne prendre en compte que «le seul christianisme religieusement, socialement identifiable, c’est s’exposer à en idéologiser la donne» et, par conséquent, «ne pas se montrer à la hauteur de ce que requiert la situation socio-culturelle d’aujourd’hui en fait de rapport au religieux, aux dieux ou à l’absolu». L’horizon métaphysique du religieux ayant formellement disparu, l’herméneutique chrétienne de la vie doit triompher des «arrières-monde» et des vestiges du seul religieux. Elle devra s’effectuer  

P. Gisel, «Tâche et fonction actuelles de la théologie», p. . Ibid., p. .

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dans l’horizon du politique et du social, de l’environnemental et de l’éthique. L’espace public, en tant qu’espace global de la laïcité, appartient tout autant au cadre des épistémologies théologiques, certes de façon transversale, mais aussi de manière constitutive. Le plus grand défi de la théologie à cette époque est de prendre acte de cette mutation. L’épistémologie théologique constatera que les coordonnées métaphysiques qui ont présidé à la constitution de ses différentes versions historiques – celles des sagesses articulant des rapports et ordonnancement entre le cosmos, les dieux ou l’humain (dans les traditions patristique et médiévale), ou celles logocentriques accordant le primat à la liberté subjective (notamment dans la modernité classique) – «ne peuvent plus, pour nous, être lieu de vérité». P. Gisel estime que ces coordonnées métaphysiques de la théologie peuvent être tout au moins étudiées à titre d’illustration des «expressions ou d’images significatives de postures et d’identités passées». En ce sens, elles n’acquièrent qu’une valeur classique, à ne considérer que sur le plan didactique. En revanche, dans son déplacement post-métaphysique, la théologie est tenue à «réinsérer constitutivement la donne religieuse dans une réflexion portant sur le jeu social et culturel global», pour être elle-même pensée comme capacité d’intégration à l’horizon public de la vie, surtout par rapport à ses enjeux éthiques. Face au questionnement éthique, en effet, la théologie ne sera plus une activité rationnelle de légitimation d’une «morale de code», dans sa dimension de morale de bonnes œuvres pour la sanctification et la rédemption individuelle. La théologie morale ne sera plus une idéologie de spiritualisation distante, de jugement des conduites et des comportements, dans la préoccupation d’en vérifier la conformité ou nom à des normes intangibles. Dans son visage d’une herméneutique des enjeux éthiques de la vie, la théologie devient un lieu réflexif autre, qui se propose de prendre en charge les interrogations actuelles de l’humanité et les tentatives de leurs solutions, selon une perspective qui permettra de rendre compte de la valeur spirituelle et de l’orientation pragmatique de différentes approches. Elle sera elle-même une approche liée à la dimension sociétale de la vie, qui l’engagera dans une alliance utile avec l’espace de la laïcité, en vue de fonctionner selon un ordre de médiatisation «entre le savoir, le croire, le moral, le politique, le civil, etc.».   

P. Gisel, «Tâche et fonction actuelles de la théologie», p. . Ibid. Ibid., p. .

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CHAPITRE III

Le champ d’une théologie structurée à partir de l’interrogation éthique concernera désormais tous les domaines de la vie publique: notamment ceux qui touchent à la sécurité sociale (la santé – biologique et clinique –, l’alimentation et l’habitat, l’environnement et l’éducation, etc.) et à la dimension de la gouvernance institutionnelle (la justice, la démocratie, les droits de l’homme, en relation avec de nouvelles formes d’économies non répressives, de nouvelles logiques du partenariat et de coopération destinées à l’implémentation des objectifs et des stratégies du développement durable, selon une perspective qui exige la mise en place de nouvelles politiques de gestion de l’État); les questions relatives à la nouvelle situation anthropologique des humains (la sexualité – même dans ses nouvelles formes «d’expression» –, la condition postsexiste de la femme et post-raciste dans la cohabitation entre les communautés; la sécurité, la paix et la consolidation d’une gouvernance démocratique dans nos sociétés; l’hospitalité inconditionnelle dans les nouvelles formes de solidarité par le dialogue des cultures et des civilisations autour de l’exigence d’équité dans le partage des intérêts, surtout en situations de prévention des conflits, de gestion des conflits, et de lutte contre la violence absolue due au terrorisme international). Ces réalités ne seront pas perçues comme de différents chapitres qui requièrent un approfondissement spécifique à la lumière de l’Évangile biblique et des clarifications théologiques. S’articulant sur elles, l’approche théologique s’y rapportera comme à de différents champs d’analyses des enjeux en présence, comme à de différents régimes de signification spirituelle de la vie à élaborer. Sur le plan méthodique, ces domaines de la vie pourront fonctionner, au sein de l’analyse théologique, à titre des présupposés fondamentaux en amont, et des terrains d’applications en aval d’une herméneutique qui se concevra désormais à partir de ce qu’il en est de différents enjeux politiques et économiques, psychologiques et organisationnels, exigeant finalement des choix et des modèles plus responsabilisant en matière de gouvernance de la destinée globale de l’humanité et de l’intégration planétaire. De ce fait, l’insertion du théologique dans l’espace sociopolitique et économique mondial, représente un enjeu épistémologique à notre époque, lorsqu’une telle insertion peut garantir la possibilité d’une pertinence publique aux différentes partitions des langages religieux. Le destin de la théologie aujourd’hui, semble si éloigné de l’horizon d’une «métaphysique de la rédemption», que la nouvelle orientation de l’herméneutique chrétienne est de plus en plus assurée de trouver sa place dans son articulation au champ global de l’humain, qui médiatise à la

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fois, un «espace d’expérience» vital, environnemental, culturel et public, et un «horizon d’attente» fait des projets à transformer en solutions de destinée collective. .... Laïcité et coïncidence de la valeur spirituelle Comment la théologie en situation postmoderne sera-t-elle ordonnée à la tâche de prise en charge spirituelle des questions de la laïcité? Serat-elle capable d’exercer cette fonction sans tomber dans le fondamentalisme, sans céder à la logique de légitimation des doctrines? À partir de quels canons de son herméneutique est-elle autorisée à amorcer une telle démarche de prise en charge spirituelle de l’ordre de la laïcité? Si elle ne sera plus une opération de moralisation à moindre frais du cours de la vie, la théologie se maintiendra dans sa fonction originelle de rendre compte de la valeur spirituelle du mouvement de la vie. Elle retiendra que la relation à la vérité découle des choses elles-mêmes, dès lors que les évènements de la vie peuvent être perçus comme étant toujours placés sous la force de l’Esprit. Il en résulte la nécessité d’une révision dans l’art de présenter la vérité chrétienne en relation avec l’ordre du monde. La perspective relationnelle et dialogique parait être l’option préférable qui puisse faire retrouver à la vérité sa véritable portée universelle. Par conséquent, la présentation de la vérité en contexte pluraliste des sociétés postmodernes, doit dénoncer et démasquer les velléités du despotisme ecclésiocentrique, qui avait réussi à étouffer le régime de connexion de la thématique de révélation à la réalité et du pluralisme d’interprétations disséminées au sein du système chrétien, au profit de la seule logique de christianisation systématique des mentalités et des cultures, en dehors de toute forme de concession et de toute déontologie du dialogue. Aujourd’hui, même la référence à la seule personne historique de Jésus-Christ, sera considérée comme frappée de régionalité. Les faits et actes se rapportant au destin de Jésus-Christ, y compris l’interprétation de sa mort et de sa résurrection, sont à considérer comme également frappés d’historicité, lorsqu’on les comprend comme faits corrélatifs aux différents contextes chrétiens.

 Ces expressions d’«espace d’expérience» et d’«horizon d’attente» sont reprises de l’interprétation qu’en donne P. Ricœur. C. Geffré les analyse à nouveaux frais en vue de repenser le destin de la théologie à notre époque. (C. Geffré «Le pluralisme religieux et l’indifférentisme ou le vrai défi de la théologie chrétienne», p. ).

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Nous devons marquer notre désaccord avec H. Küng, là où son analyse confère à la figure de Jésus-Christ une universalité sans partage, même s’il a raison de considérer cette figure religieuse comme étant «centrale» au christianisme. L’approche la plus judicieuse nous semble, à ce niveau, celle d’A. Gesché, qui démontre que même la foi des disciples mise en jeu dans l’interprétation de l’évènement Jésus-Christ, en tant qu’évènement pascal, est un moment et un acte qui participent de la valeur historique des évènements du salut. Selon A. Gesché, en effet: «La manière dont Jésus a été compris par la foi comme Christ, Fils de Dieu, présence incarnée de Dieu, est, d’une certaine manière, tout autant un fait historique, un fait qui appartient à l’histoire, ne fût-ce que parce qu’elle a marqué celle-ci et l’a faite. Ce n’est pas encore décider si la foi a eu raison, mais c’est-à-dire que l’identité dogmatique de Jésus – on pourrait dire ici: son identité culturelle – appartient bel et bien à l’histoire». L’universalité concerne essentiellement le régime de l’Esprit. Elle doit coïncider avec le «sans limite» de l’Esprit même de Dieu à l’œuvre dans le monde. L’herméneutique théologique est ainsi obligée de devenir le lieu réflexif de médiatisation du régime de correspondance à l’ordre général de la vie. Non seulement qu’elle doive reconnaitre la valeur d’autres figures qui participent de l’universalité de l’Esprit, comme dans le contact avec la culture actuelle de la laïcité, mais aussi devra-t-elle inscrire à ses tâches, la possibilité de reproduire des figures significatives au contact de nouvelles tentatives de réponses aux défis humains et planétaires. Il n’est pas question d’envisager l’universalité des situations humaines selon une logique chrétienne de compatibilité et d’accomplissement visà-vis de la dynamique des valeurs qui s’expriment en dehors des traditions chrétiennes. Dans notre contexte pluraliste, seule vaut, l’approche théologique qui se charge de constater et de considérer que la dynamique créatrice de la laïcité coïncide avec à la mouvance de l’Esprit de Dieu dans les cultures et dans les sociétés. Il faut donc thématiser cette expérience «spirituelle» à l’œuvre à travers une «théo-logie» non théologique, c’està-dire, comme l’a noté E. Schillebeeckx, une «théo-logie» possible en dehors de la christologie.



Cf. H. Küng Le christianisme: ce qu’il est et ce qu’il est devenu dans l’histoire, p. . A. Gesché, Dieu pour penser. T. . La destinée, Paris, Cerf, , p. -.  Cf. Jean-Paul II, Lettre Encyclique Redemptoris Missio, sur la valeur permanente de la mission, n° .  Cf. E. Schillebeeckx, L’histoire des hommes, récit de Dieu, p. . 

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La position d’E. Schillebeeckx mérite d’être explicitée à partir d’un argumentaire qui confère à la laïcité elle-même une interprétation théologique. Elle doit être traitée comme une position qui résulte du changement de perspective en cours dans la démarche théologique. En effet, E. Schillebeeckx part du constat de la fin du monopole de l’Église dans la proclamation unilatérale de l’ordre de médiation quant à la question du salut. C’est ainsi que, dans la nouvelle situation du pluralisme (religieux), E. Schillebeeckx trouve comme seule adéquate et soutenable, l’affirmation «hors du monde, point de salut». Dans la logique de cette affirmation, l’histoire humaine, en tant que faisceau des évènements dits profanes, a valeur de salut. Selon E. Schillebeeckx, «l’expérience contrastante fondamentale et son implication de refus de l’injustice, ainsi que sa perspective ouverte sur quelque chose de meilleur, deviennent pour les chrétiens le lieu où s’accomplit l’histoire, en tant que don de Dieu». Les évènements de la vie, qui structurent les sociétés et les cultures, se constituent en interrogations permanentes, aboutissant à des interprétations libératrices et parfois à leur contraire. Tout «sens religieux» intervient, au nom d’une tradition d’interprétation, comme moment d’explicitation de l’enjeu du salut en rapport avec la foi en Dieu. E. Schillebeeckx l’a ainsi compris lorsqu’il écrit: le discours de la foi en un Dieu qui intervient dans l’histoire a comme base empirique une manière humaine d’agir dans le monde et dans l’histoire des hommes. Parler de la transcendance divine n’a finalement pas d’autre fondement que notre «contingence», c’est-à-dire les limites de notre nature humaine, notre histoire changeante et précaire d’hommes et de femmes.

L’approche de Schillebeeckx laisse supposer que la préoccupation des systèmes de gouvernance sur l’espace de la laïcité, lorsqu’elle est bien orientée, coïncide avec «la signification d’un agir consciemment humain, libérateur, réparateur et créateur de communication qui est en jeu», de sorte que toute «interprétation de la foi veut clarifier ce que cela signifie de s’exprimer, en termes de promesses divines de salut, au sujet de notre monde et de notre culture ‘profane’ de tous les jours». Il en ressort que dans notre contexte, seule sera admise comme pertinente, l’approche théologique qui se consacrera à la tâche d’éclairement et d’accompagnement    

Cf. E. Schillebeeckx, L’histoire des hommes, récit de Dieu, p. . Ibid., p. . Ibid., p. -. Ibid., p. .

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de tous les processus positifs de transformation de notre situation au monde, en connivence avec toutes les formes de régulation que proposent les perspectives de l’éthique de la laïcité. La théologie ne sera pas seulement le lieu de thématisation de la pédagogie de Dieu et du Christ, mais elle sera surtout le cadre d’écoute de multiples défis de l’existence, en vue de finir par être la systématisation de diverses «théo-logies» qui proposent des orientations de vie commune à notre culture contemporaine, y compris à travers des éthiques laïques. Dans tous les cas, la relation spirituelle au monde, à la nature, aux évènements de la vie, est ce qui est de plus christologique que le supranaturalisme. De manière plus concrète, nous pouvons retrouver l’application de cette interprétation dans ce que Ch. Duquoc considère comme rôle de l’Esprit dans l’histoire humaine. Il écrit: Jésus donne l’Esprit, en dehors et au-dedans des religions, pour susciter des hommes et des femmes qui retiennent l’histoire de basculer dans l’abîme par la violence et l’injustice qui s’y multiplient. La maîtrise du Christ sur l’histoire ne saurait donc être définie par un pouvoir qui agirait de telle sorte que les effets de la malfaisance et du hasard soient repoussés ou évincés, elle consiste en une donation qui est accueilli de telle sorte que l’injustice ne menace pas en dernière instance la survie du monde. Le sens christique de l’histoire se révèle dans cette capacité, sans contrainte et sans violence, au cœur des événements les plus tragiques et des actions les plus pernicieuses, de susciter des hommes et des femmes qui en limitent les conséquences destructrices sans user de moyens de puissance, sans reproduire la haine et la ruse de ceux qui idolâtrent le pouvoir.

Ch. Duquoc reste encore dans une ligne de présentation liée à une tradition croyante, qui ramène à la figure de Jésus-Christ, la donation officielle de l’Esprit dans l’histoire, et même par rapport aux religions. Cette position est justifiable seulement du point de vue de l’interprétation chrétienne du mouvement de l’Esprit. Mais, une théologie qui tire les conséquences d’une interprétation pluralise de l’histoire religieuse de l’humanité, doit tenir qu’il y a plutôt un régime de dissémination du mouvement de l’Esprit et de ses actions dans le monde. Cette dernière perspective de compréhension est sans doute celle qui est mise à contribution par Ch. Duquoc lorsqu’il s’appuie sur l’évangile de Jean (,: «Le vent souffle où il veut, et tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va…») pour noter, d’une part, «que l’Esprit est le signifiant de



Ch. Duquoc, L’unique Christ. La symphonie différenciée, Paris, Cerf, , p. -.

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l’action divine dans le monde» et que, d’autre part, «l’Esprit dévoile la trame de notre histoire profane ou religieuse». Dans le même ordre de pensée, L. Boff a compris que «l’Esprit-Saint» est «l’imagination divine dans les cultures», dans la mesure où, écrit-il, «l’Esprit, à la manière du Verbe éternel et préexistant, est toujours présent dans l’histoire, vivifiant les dynamismes de vie et de croissance». C’est, finalement, aussi l’avis de J. Moltmann, qui fait de «l’Esprit, la puissance de vie de Dieu». Il devient ainsi nécessaire de penser la légitimité de la présentation d’une christologie sous la force de l’Esprit, pour que le langage central de l’incarnation soit rendu de façon phénoménale. Ce schéma permettra à une théologie digne de ce nom, de faire du cadre de la laïcité, le creuset de sa fertilité. En suivant la pédagogie de Jésus-Christ à partir des Évangiles, la connaissance de sa personnalité résiste et échappe à une définition de son identité en tant que référence bio-ontologique fixe. Ce que Jésus-Christ signifie sera un renvoie indéterminé à des évènements dont le sens et la signification font parole de vie, de façon universelle et pragmatique. La notion grecque de Logos appliquée à Jésus ne sera perçue dans le sens logocentrique d’une parole de la conscience subjective (réifiée), qui doit conduire les évènements selon un horizon fixe de sens. Mais cette catégorie, des plus théologiques par ailleurs, devrait fonctionner comme un ordre créateur et instaurateur de nouvelles références, qui détermineront à l’intérieur des évènements de la vie, les options essentielles en direction des valeurs, celles-ci étant entendues comme ces tendances qui nous poussent «à préférer un certain état des choses à un autre». À travers la notion du Logos, la référence christique sera une énergétique spirituelle, qui pousse vers la radicalité du pouvoir émancipateur de la normative des valeurs, prenant en compte le processus humain d’appréciation et d’interprétation des évènements dans leur portée vitale. Les illustrations peuvent être tirées de l’évangile de Jean que l’on croit trop en proie au langage métaphysique. Dans un évènement de rencontre autour de la mort, Jésus conseille Marthe et Marie de ne pas se rapporter 

Ch. Duquoc, L’unique Christ. La symphonie différenciée, p. . Ibid., p. .  L. Boff, La nouvelle évangélisation. Perspective des opprimés, Paris, Cerf, , p. .  J. Moltmann, L’Esprit qui donne la vie. Une pneumatologie intégrale, Paris, Cerf, , p. s.  G. Hofstede, Vivre dans un monde multiculturel. Comprendre nos programmations mentales, Paris, Éditions d’Organisations, , p. . 

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à lui autrement que comme «résurrection et vie» (Jn ,), pour rappeler que la mission liée à son destin est de révéler un ordre de chose où la fatalité est déjouée, et où, à partir de ce qu’on entend par salut, on devrait comprendre que rien n’est irrémédiable: tout peut être sauvé, tout peut recommencer, et être réinventé. En nous appuyant sur P. Valadier, nous notons que la relation spirituelle de Jésus aux évènements interprétés sous le prisme du paradigme chrétien, est en quelque sorte une invitation à «vivre la résurrection comme ce possible latent dans toutes les impasses, et même la mort», là où la signification de cette vérité ne fonctionne pas comme un «dogme massif, mais comme une expérience à faire ou une sagesse». Le destin du Christ renvoie donc au déploiement d’une promesse, celle de «faire toutes choses nouvelles», dans la perspective de l’avènement des «nouveaux cieux et d’une nouvelle terre». Perçu dans ce sens, le destin de Jésus-Christ n’aura rien à voir avec une identité ontologique stable ni définissable une fois pour toutes, fut-elle liée ou pas à la communication des idiomes au sein d’une seule et même hypostase. Le destin de Jésus-Christ résistera toujours à une présentation ontologique, pour demeurer compréhensible en tant que projet de vie dans la vie des humains qui s’y réfèrent comme à une énergétique de dé-fatalisation face à la persistance du mal moral et social, du mal occulte (métaphysique) et spirituel, du mal physique et clinique, voire de l’évènement de la mort elle-même. Cette problématique se clarifie même à partir d’une parole que la tradition chrétienne a retenue comme étant un enseignement de Jésus sur «Dieu». Dans un évènement de rencontre avec une femme samaritaine qui s’interroge sur le sens de l’absolu, après un passé particulièrement agité par la jouissance du plaisir féminin à travers une pleine satisfaction sexuelle (lieu par lequel l’être humain féminin a conscience de réussir ou pas sa vie comme telle), Jésus révèle que Dieu est Esprit et Vérité 

Cf. A. Gesché, Dieu pour penser. T. . La destinée. P. Valadier, Inévitable morale, p. .  À en croire D. Reuben, la libido féminine, c’est le tout de sa vie; tout ce qui compte dans sa vie: ses grossesses, ses humeurs, ses problèmes menstruels ou leur absence, ses enfants, son bonheur, tout ceci est, en grande partie, influencé par la qualité de la relation sexuelle avec son mari. Pour D. Reuben, même si l’on admet qu’une «épouse sur quatre commet l’adultère au moins une fois dans sa vie, c’est ordinairement avec la plus grande réticence qu’une femme abandonne la sécurité conjugale pour tomber dans les bras d’un nouveau partenaire qu’elle connait plus ou moins. En réalité, la plupart ne deviennent infidèles que lorsqu’elles sentent que quelque chose d’essentiel leur échappe (D. Reuben, «Pourquoi trompent-elles leur mari», dans Sélection du Reader’s Digest [octobre ], p. ). 

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(Jn 4,24); Il est ce souffle insaisissable qui conduit la vie dans la direction du vrai. Jésus veut révéler à cette femme que la vie ne peut s’épuiser dans la seule dimension du plaisir lié au corps sexuel, mais que, dans sa judicieuse signification, elle est un cheminement, un processus de construction de soi dans un corps social impliquant un engagement collectif en direction des valeurs libératrices de la condition humaine globale. Jésus-Christ sera donc expérimenté comme «destin» novateur dans la destinée des personnes. Il est un «projet» de nouveauté dans les aspirations des croyants. Dans toute référence spirituelle à son mystère de vie, ce sont des situations (de la vie publique comme de la vie privée) qui font sens, qui en appellent à des valeurs et à des convictions dans une expérience ouverte à l’activité illimitée (et incontournable) de l’Esprit (Jn ,). Il s’agit de cet Esprit qui, selon la structuration de la foi chrétienne, est de Jésus (Jn ,; Jn ,; Lc ,; Ac ,-: la personne de l’Esprit n’est envoyée et donnée qu’après la glorification du Christ), mais qui, finalement, même vis-à-vis de Jésus, se trouve être l’Esprit de l’Absolu («Dieu»). En ce sens, Jean-Miguel Garrigues a écrit: «l’Incarnation du Fils a été préparée par l’Esprit ‘qui a parlé par les prophètes’ (credo) et opérée par lui quand il est ‘venu sur Marie’ (Lc ,) à l’Annonciation. Les évangiles, celui de Luc en particulier, montrent aussi […] l’action constante de l’Esprit dans l’humanité du Christ, lui que ‘Dieu a oint d’Esprit et de puissance’ (Ac ,) de sa conception à sa résurrection».

 J.-M. Garrigues, Le Saint-Esprit sceau de la Trinité. Le Filioque et l’originalité trinitaire de l’Esprit dans sa personne et dans sa mission, Paris, Cerf, , p. ; en référence à R. Cantalamessa, L’Esprit Saint dans la vie de Jésus. Le mystère de l’onction, Paris, Mame, ; Fr.-X. Durrwell, Jésus, Fils de Dieu dans l’Esprit Saint, Paris, Desclée, . J.-M. Garrigues renvoie aussi au document du Vatican sur la procession du saint Esprit: «La clarification romaine sur le Filioque», du  septembre  (dans L’Osservatore Romano du  septembre ). L’avènement de ce texte est lié au souhait du Pape JeanPaul II qui, dans son homélie du  juin  dans la basilique Saint-Pierre, en présence du patriarche œcuménique Bartholomeos Ier, avait estimé que soit clarifiée «la doctrine traditionnelle du Filioque, présent dans la version liturgique du credo latin, pour pouvoir mettre en lumière sa complète harmonie avec ce que le concile œcuménique de Constantinople, en , confesse dans son symbole: le Père comme source de toute la Trinité, seule origine et du Fils et du Saint-Esprit». Il faut noter que si la préoccupation de la Clarification romaine était de maintenir la parfaite réciprocité trinitaire entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit, elle souligne en plus, d’une part, que «l’Esprit-Saint oriente dans l’amour toute la vie de Jésus vers le Père dans l’accomplissement de sa volonté» et, explique, d’autre part à partir de nombreux passages du Nouveau Testament, que «le caractère original de la Personne de l’Esprit comme Don éternel de l’amour du Père pour son Fils Bien-aimé manifeste que l’Esprit, tout en découlant du Fils dans sa mission, est celui qui introduit les hommes dans la relation filiale du Christ à son Père …».).

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CHAPITRE III

À la lumière de cette présentation, l’évènement Jésus-Christ appartient totalement à l’activité et à l’œuvre de l’Esprit. Cela a valeur paradigmatique. La méthodologie théologique est ici invitée à s’investir dans l’ordre événementiel vaste de choses en vue de retrouver les traces insoupçonnées et inédites de l’Esprit à même le monde et la contingence. La théologie devra se déployer, à ce titre, sur l’espace de la laïcité, en vue de proposer, non pas seulement des alternatives plus crédibles dans la conduite de l’ordre du monde, mais aussi dans le but d’offrir un regain de crédibilité à l’ordre éthique qui se construit en dehors des sphères croyantes. Pour cette raison, l’univers théologique tend à voir dans l’esprit de notre époque, le déploiement de l’âge du règne de l’Esprit, éventuellement à l’encontre d’une modernité plutôt christocentrique. C’est pourquoi P. Gisel estime nécessaire de soustraire l’activité de l’esprit du monopole des manifestations religieuses, pour la rendre une réalité à la fois irréductible et jouissant d’une autonomie évidente vis-à-vis du réel dans sa complexité, ses ordonnancements et ses ambivalences. Si, en effet, à la suite de P. Tillich, P. Gisel constate que «la religion refuse d’être considérée comme la synthèse des fonctions de l’esprit», l’enjeu d’une telle position n’est rien d’autre que de placer l’esprit, et cela à juste titre, «au cœur de toute réalité de la vie». Dans cette perspective, l’esprit sera considéré «comme une dimension foncière de la vie, présente constitutivement, en interférence avec d’autres dimensions (‘l’inorganique, l’organique, le culturel et le religieux’)».  Selon P. Gisel, la «reconnaissance d’une dimension de l’esprit inscrite dans la vie même (son irréductible réalité et son autonomie)», nous permet, d’une part, de «recevoir théologiquement les pluralités diverses inscrites en l’homme» aussi bien que «les pluralités déployées au gré de

 Le projet théologique de la modernité avait fait le choix vers le paradigme christocentrique, en vue de se maintenir dans le cadre de défense de l’idéologie unitaire pour l’Église et pour l’expansion du modèle de celle-ci dans le monde, sans ménagement des cultures et des religions. L. Boff a eu raison d’affirmer que le «christocentrisme (christocratie, concentration de tout le mystère chrétien en Christ) est en partie responsable de l’incapacité des missionnaires à voir dans les autres religions les chemins ordinaires des cultures vers Dieu» (L. Boff, La nouvelle évangélisation. Perspective des opprimés, p. ).  P. Gisel, tel que cité sous le commentaire de M. Aebischer-Crettol, Vers un œcuménisme interreligieux. Jalons pour une théologie chrétienne du pluralisme religieux, Paris, Cerf, , p. -.  P. Gisel, «Faire face aux pluralités religieuses», dans J.-P. Jossua et N.-J. Sed (dir.), Interpréter. Mélanges offerts à Claude Geffré, Paris, Cerf, , p. .  Ibid.; selon le commentaire de M. Aebischer-Crettol, Vers un œcuménisme interreligieux, p. .

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différentes cristallisations culturelles et historiques». D’autre part, elle nous révèle que l’«Esprit» ne «réside» pas en l’homme, mais il pousse l’homme «à s’accomplir au cœur et au gré de ses structures de vie naturelles, humaines et rationnelles». Cette option nous révèle également ce qu’il en est de la démarche fondamentale du christianisme, en ce qui concerne son rapport à l’homme et au monde. Selon P. Valadier, en effet, la foi chrétienne prend l’homme dans son humanité pour le faire vivre selon un certain souffle (Esprit du Christ). Elle s’articule donc toujours sur un jeu de relations sans jamais supprimer l’un des termes: l’homme est appelé à la divinisation, non à l’exténuation de son humanité ni à l’encadrement de cette humanité dans une série de prescriptions culturelles ou morales révélées. L’Esprit anime et transforme un donné […].

L’idée selon laquelle le christianisme ne jouit d’aucune spécificité quant au contenu des normes éthiques, est devenue un lieu commun en théologie morale. Le contenu moral du christianisme consiste essentiellement dans une relance ou dans une mise en perspective de différentes matrices – religieuses, humanistes et laïques – relatives percepts des civilisations antérieures et encore vivantes, que la foi chrétienne ramène à une logique de profondeur et de radicalité (contre le formalisme), selon une démarche qui n’a de novateur que la vision de l’Esprit du Ressuscité. Selon P. Valadier, dans son vrai visage, «la morale chrétienne ne consiste pas en un corps des principes révélés, mais dans le travail de transformation et d’animation de [l’]humanité selon les requêtes de l’Esprit (amour de Dieu et du prochain). Elle suppose une articulation entre ce que le chrétien reçoit de sa culture, des rôles sociaux qu’il assume, des mœurs de son pays, et ce qu’il ‘insuffle’ d’Esprit dans ces réalités-là». Dans cette réflexion, P. Valadier ajoute qu’il serait «vain de chercher un ‘modèle’, puisque c’est chaque fois dans une situation, une



P. Gisel, «Faire face aux pluralités religieuses», p. . Ibid., p. . .  P. Valadier, Inévitable morale, p. .  C’est dans cette orientation qu’il conviendra de lire l’ouvrage intéressant d’A. Chouraqui, Les dix commandements aujourd’hui, Paris, Robert Laffont, . Au-delà de toute idée de spécificité chrétienne, A. Chouraqui est convaincu que «le patrimoine religieux de l’humanité ne se réduit pas aux deux pôles Orient et Occident. Chaque tradition religieuse peut apporter sa contribution à l’émergence de l’éthique globale» (p. ). 

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culture ou une humanité différentes que la foi chrétienne opère à frais nouveaux». Si l’herméneutique théologique doit connaitre un tournant, celui-ci devra consister dans la mise en place des approches capables de rendre compte de l’activité de l’Esprit à l’œuvre dans l’ensemble des activités humaines. Ce faisant, la théologie aura la conscience de découvrir, à travers les différentes options éthiques de notre époque, les variantes des «théo-logies» appartenant à l’espace de la laïcité. Elle sera de plus en plus convaincue que ces «théo-logies» opèrent avec une efficacité évidente, moyennant des concepts spirituels d’un univers qui se veut plutôt humanitaire que croyant au sens classique. Aussi longtemps que la théologie ne s’investira pas suffisamment dans la vie publique et dans l’ordre des phénomènes dits contingents, plusieurs dimensions de l’activité de l’Esprit à l’œuvre dans les œuvres et les initiatives de nos contemporains préoccupés à faire avancer le cosmos du bon côté, lui échapperont. En cherchant à en spiritualiser à moindre frais et à tout prix les manifestations, la théologie négociera si mal la logique de sa pertinence, que nos contemporains seront de plus en plus poussés à se consacrer à la lecture des romains de la vie, à se faire inspirer par des options éthiques qui les engagent dans les différents carrefours de l’existence. Ainsi devons-nous noter que la proposition d’un contrat théologique avec la laïcité n’a rien d’une tentative visant la moralisation des orientations éthiques de notre époque. Elle veut que l’entreprise théologique s’engage dans la voie qui peut mener utilement vers la découverte de la valeur spirituelle des évènements en général, en en assurant la médiation d’une interprétation qui devra toujours compter, à titre d’apport, sur la force suggestive des religions. C. Geffré a fait remarquer, à juste titre, que dans le cadre «de l’idéologie du libéralisme, on croyait volontiers que la négation de Dieu était la condition de la construction du monde et de la lutte contre les fatalités de l’histoire». Aujourd’hui, dans le cadre d’une herméneutique théologique de la laïcité positivement assumée, on admettra que la valeur publique de la foi corresponde à une pédagogie (religieuse) «qui invite à la résistance et au combat pour la libération et la défense des opprimés». En dehors de tout militantisme, la dynamique d’une telle perspective théologique s’avouera d’être obligée de porter la responsabilité spirituelle et sociale de différentes luttes pour l’établissement de la justice et du respect inconditionnel des droits de l’homme, à travers la défense  

P. Valadier, Inévitable morale, p. . C. Geffré, «La théologie européenne à la fin de l’européocentrisme», p. -.

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des standards de l’humain, qui s’accompagne de l’analyse socio-politique des enjeux éthiques y relatifs. Le choix d’un tel destin pour la théologie n’a rien d’une tâche ponctuelle. Il est question d’une option fondamentale, qui définit le cadre d’une mutation où l’ensemble de l’herméneutique chrétienne sera une approche essentiellement politique de la vie, du fait qu’une théologie digne de ce nom doit viser la transformation de la marche du monde. Hors de cet enjeu, la théologie va courir le risque de signer l’acte de son insignifiance face à une éthique de la laïcité beaucoup plus rassurante par rapport au pari de la liberté et de la justice. Dans ce contexte, loin de la caduque tendance à la surenchère de christianisation de l’espace public, on admettra à la suite de V. Cosmao que, «comme pratique et comme discours, l’Évangile est facteur d’analyse des sociétés». Sur le plan d’une démarche de systématisation théologique, V. Cosmao nous renseigne que c’est «en participant à l’analyse des structures à transformer et à la négociation de leur transformation [que la théologie], loin de s’éloigner de l’Évangile, se met en situation de mieux l’entendre et de le faire parler» d’une façon nouvelle et adéquate. Pour V. Cosmao, il ne s’agit «pas tant de se référer à l’Évangile qui importe […] que de faire advenir les situations, les comportements ou les attitudes qui rendent intelligible et signifiant le message qu’elle porte». Ce ne sera vraiment pas en qualifiant de chrétien tout ce qu’il y a de valeurs (de vrai, de bon, de beau) et d’humain dans le monde, que le système chrétien accompagnera positivement les requêtes de la laïcité. Il faut que l’élaboration théologique trouve dans le paradigme de laïcité un point d’ancrage, le lieu d’une énergétique inédite, et l’occasion de reformulation de ses problématiques, par une modalité épistémologique de déplacement, même si cela peut conduire «à la perte des anciennes traditions». ... Possibilité des versions alternatives Le «déplacement théologique» est aujourd’hui la vraie situation que doit orchestrer l’herméneutique chrétienne, comme réponse à l’épistémologie de la déconstruction. Dans cette perspective, on retiendra que «déplacer» rentre dans l’une des définitions que J. Derrida donne à la déconstruction. Le fait de déconstruire révèle la possibilité (en régime   

V. Cosmao, Changer le monde. Une tâche pour l’Église, Paris, Cerf, , p. . Ibid., p. . H. Küng, Projet d’éthique planétaire, p. .

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d’écriture) de se réaliser «à partir d’un non-lieu identique». Si pour Derrida, «déconstruire […], c’est d’abord, à un moment donné, renverser la hiérarchie», cela implique que la stratégie globale de la déconstruction consiste dans la nécessité de poser un «certain dehors», d’autant plus qu’«un ébranlement radical ne peut venir que du dehors». En accord avec cette pensée de J. Derrida, P. Gisel fait remarquer qu’il ne s’agit nullement dans l’opération de la déconstruction, de réaffirmer ce qui était nié (l’hétéronomie), mais c’est à la fois le jeu de l’autonomie et de l’hétéronomie qui va se trouver lui-même mis en scène, réinterrogé. Il l’est alors «obliquement» ou à partir d’une «marge». Plus précisément, toute pensée qui est mise en instance de prendre en charge le donné global de l’existence «ne va pas sans en appeler à une hétérogénéité ou à une extériorité radicale». L’horizon de la déconstruction rallie ainsi deux perspectives de son déploiement comme l’enjeu d’une méthodologie globale: celle qui implique la mise en lumière de la généalogie des doctrines, des théories classiques et des idéologies instituées, selon une démarche de clarification nouvelle; et celle qui consiste dans le renversement de la dialectique et de la hiérarchie des couples de catégories signifiantes. La première perspective nous ramène au cœur de notre préoccupation par rapport à l’idée selon laquelle, «pour répondre aux problèmes internationaux propres à notre époque, la critique sociale et la responsabilité éthique requièrent la déconstruction d’idéaux faussement neutres et potentiellement hégémoniques». L’analyse doit porter sur la nécessité pour notre contexte, «de démasquer […] les usages des discours universalistes qui occultent leurs sources idéologiques». Même là où ces discours peuvent être encore considérés comme porteurs des valeurs et de signification nouvelle en fait d’héritage herméneutique, la démarche serait, estime J. Derrida, non pas de «les amoindrir ou les détruire», mais de parvenir à «interroger et [à] refondre ces axiomes et principes, les raffiner et les universaliser sans fin, 

J. Derrida, Positions, Paris, Minuit, , p. . J. Derrida, «Les fins de l’homme», dans Marges de la philosophie, Paris, Minuit, , p. .  P. Gisel, «Résonances et mise en perspective. La théologie en condition postmoderne», p. . P. Gisel se réfère à l’image de l’«oblique» telle qu’il la tire de J. Derrida (Passions, Paris, Galilée, , p. s et ).  P. Gisel, «Résonances et mise en perspective. La théologie en condition postmoderne», p. .  J. Derrida et J. Habermas, Le «concept» du  septembre. Dialogues à New York (octobre-décembre ) avec Giovanna Borradori, Paris, Galilée, , p. .  Ibid., p. . 

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sans se laisser décourager par les apories par lesquelles un tel travail ne manquera pas de s’embarrasser». En seconde perspective de son déploiement, la déconstruction est une opération de transformation dont la démarche vise de transformation, à travers une démarche visant «à désunir et à démonter tout discours qui s’énonce comme une construction». Selon cette compréhension, la déconstruction ne porte pas en soi sur «des idées, des croyances et des valeurs édifiées au sein d’un projet conceptuel». En revanche, «ce qui est déconstruit, c’est leur assemblage dans un projet donné». Se distinguant ainsi «d’une méthode générale ou d’un processus analytique, la déconstruction représente un type d’intervention extrêmement individualisé qui vise à déstabiliser les priorités structurelles d’une construction particulière». Selon le constat de J. Derrida, en effet, nombre de «constructions philosophiques», théologiques et idéologiques dépendent «de façon inconsidérée d’oppositions tranchées et de couples conceptuels irréductibles: le spirituel et le matériel, l’universel et le particulier, l’éternel et le temporel, le masculin et le féminin». En face de la logique d’exclusion et du déséquilibre que consacre ces régimes de constructions philosophiques renforcés par les perspectives binaires du savoir moderne, l’intervention de la déconstruction s’inscrit dans une démarche de «déstabilisation» (et non de «consolidation» dans une synthèse dialectique). Elle s’engage à en suspendre l’imposture pour deux raisons soutenables: «/ d’abord, du fait de leur rigidité extrême, tout ce qui ne s’inscrit pas parfaitement dans le rapport d’opposition tend à être marginalisé ou même supprimé; / ensuite, du fait que ces oppositions imposent un ordre hiérarchique. Ainsi, dans la structure platonicienne que la pensée chrétienne s’est plus tard appropriée, la vérité et la bonté correspondent-elles à l’aspect spirituel, universel, éternel et masculin de l’opposition au détriment de l’aspect matériel, particulier, temporel et féminin». Du point de vue méthodique, l’épistémologie de la déconstruction cherche [d’abord à] identifier la construction conceptuelle d’un champ théorique donné – qu’il s’agisse de religion, de métaphysique, de théorie éthique ou politique – qui utilise habituellement un ou plusieurs  J. Derrida et J. Habermas, Le «concept» du  septembre. Dialogues à New York (octobre-décembre ) avec Giovanna Borradori, p. .  Ibid., p. .  Ibid., p. .  Ibid.  Ibid.

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couples irréductibles. Elle met ensuite en lumière l’ordre hiérarchique des couples. Enfin, elle inverse ou bouleverse cet ordre en montrant que les termes du dessous – le matériel, le particulier, le temporel et le féminin […] – peuvent être avec raison disposés dessus – à la place du spirituel, de l’universel, de l’éternel. Comme l’inversion révèle que l’ordonnancement hiérarchique reflète certains choix stratégiques et idéologiques plus qu’il ne correspond à des caractères intrinsèques aux couples, la quatrième et la dernière action consiste à apporter un troisième terme à chaque couple en opposition, ce qui complique la structure porteuse originelle et la rend méconnaissable. Si les deux premières actions consistent à décrire une construction conceptuelle donnée, les deux suivantes visent à la déformer, à la réformer, et finalement à la transformer.

L’opération de la déconstruction permet ainsi une «reconnaissance des limites [qui] protège la pensée du dogmatisme autant que d’un excès de confiance en soi, en même temps qu’elle insuffle un salutaire sentiment d’inachèvement et de doute systématique». De ce fait, en tout régime de déconstruction se trouve consacrée la perspective d’«une manière de voir pluraliste» et disséminée, qui démontre que «la recherche ne devrait pas porter sur le seul et unique moyen d’avancer». Ce qui est en jeu, c’est l’ordre d’un paradigme qui inscrit une interruption dans «l’obsession» pour les épistémologies dominatrices, «de trouver le sens tout entier dans la seule histoire». La crise de pertinence qui frappe la majeure partie des «coutumes» liées à des traditions chrétiennes (des églises), participe de ce fixisme unitaire. Ainsi, loin d’anéantir radicalement des données essentielles de ces traditions, la déconstruction ouvre les marges de nouvelles possibilités, tout autant significatives et raisonnables, que le constat de l’insignifiance du sens «conservé», contribuera à orchestrer le caractère absurde de toute construction théorique qui souffrirait du complexe d’achèvement ou d’accomplissement. Dans le cadre de l’enseignement chrétien ecclésial, il conviendra, par exemple, de repenser l’anthropologie chrétienne de la sexualité, et de revisiter ce qui apparait comme le monopole ministériel du «sacerdotalisme» masculin dans les églises. Deux domaines «névralgiques» qui requièrent d’être placés sous l’épreuve de la déconstruction.  J. Derrida et J. Habermas, Le «concept» du  septembre. Dialogues à New York (octobre-décembre ) avec Giovanna Borradori, p. -.  Ibid., p. .  D. Tracy, Pluralité et ambiguïté. Herméneutique, religion, espérance, Paris, Cerf, , p. .  Ibid.

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.... La dédramatisation de la sexualité Par le biais d’une approche théologique qui veut prendre largement en compte l’enjeu éthique de la «question sexuelle» aujourd’hui, la démarche d’ensemble doit se saisir de la distorsion systématique qu’a connue le traitement de cette question au cours d’une longue tradition ecclésiale, et qui peut être perçue comme cause de la désintégration humaine manifeste dans la résurgence des formes inédites de la sexualité à notre époque. L’analyse considèrera en sens divers les conséquences de cette distorsion dans le vécu des membres de l’Église. Elle constatera, par exemple, que la dramatisation de la «sexualité» dans la vie de ceux et celles qui exercent le ministère sacerdotal ou qui sont consacrés dans l’Église selon les vœux de la religion, a engendré d’énormes problèmes, jusqu’à être identifiée comme le facteur principal de la perte des vocations pour le choix de ce ministère au sein des églises d’Europe. Elle notera également que l’idéalisation du célibat sacerdotal vécu dans le régime d’un cléricalisme extrême, et la confusion de cette forme de vie avec ce que l’on a appelé «continence sexuelle» ou «chasteté parfaite», ont créé un climat généralisé d’hypocrisie, caractérisant ainsi les manifestations d’une spiritualité qui s’est révélée inauthentique et inappropriée à l’existence humaine. En argumentant par la négative, ce que Benoît XVI taxe d’«abus sexuels», bien que dans une situation particulière des églises d’Irlande, révèle le drame qui résulte de cette gestion incommode de la vie humaine dans sa relation avec ce qui lui est fondamentalement irréductible: sa structure sexuelle. L’orientation unilatérale des doctrines chrétiennes construites sur le modèle acharné de la «chasteté parfaite», par le biais de la méfiance du corps et du sensuel en général, rattrape aujourd’hui plus que jamais les milieux des églises, dont les pratiques sexuelles déviantes des membres sont classées parmi les crimes irrésistibles de droit public. Benoît XVI parle de cette situation comme d’un ensemble de «facteurs, qui ont eu des conséquences si tragiques […] et qui ont assombri la lumière de l’Évangile à un degré que pas même des siècles de persécution ne sont parvenus à atteindre». La question reste de savoir par quel bout faudra-t-il repenser théologiquement les enjeux humains, sociaux et ecclésiaux de la sexualité, tant les réponses d’une grande tradition chrétienne se sont avérées incohérentes et non porteuses?



Benoît XVI, Abus sexuels. Lettre de Benoît XVI aux catholiques d’Irlande, n° .

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À l’âge de la déconstruction, l’analyse de la question sexuelle résiste à la tentation d’une approche simpliste de spiritualisation, qui confère encore toute sa légitimité à la critique de «la morale sexuelle chrétienne et surtout catholique». Selon la synthèse qu’en fait X. Thévenot, le cadre de cette critique révèle, et cela est encore vérifiable, que «les exigences du christianisme sont le fruit d’un véritable obscurantisme incapable de faire droit aux découvertes des sciences contemporaines, et imposant aux personnes des normes irréalistes qu’elles les conduisent au mal de vivre, voire à la névrose. La morale sexuelle ecclésiale est bien peu chrétienne […] parce qu’en définitive elle est bien peu humaine». Ainsi, si par rapport à son contenu et à son orientation, le cadre de la morale chrétienne est «soupçonné d’être au service de normes inhibitrices», cette morale est surtout disqualifiée à partir de sa tendance «fondée sur une méconnaissance de la dimension sexuée de l’homme et sur une fuite des pulsions, notamment par le maniement du thème de l’eschatologie». De cette critique ressort l’impression générale selon laquelle, aujourd’hui, l’appréciation correcte de la sexualité, ainsi que l’exercice de réévaluation «de la qualité chrétienne de la vie sexuelle», semblent dépendre des nouvelles orientations qui se négocient, éthiquement, sur l’espace de la laïcité. L’analyse de X. Thévenot s’inscrit dans une démanche exigée par la déconstruction des anciens cadres chrétiens de compréhension. Il propose, en effet, dans le cadre de cette démarche, de «faire résolument un retour aux sources bibliques en reconnaissant certains gauchissements et errements de la tradition en matière de morale et d’anthropologie sexuelles [et de] prendre acte que certaines divergences subsistent toujours […] entre la compréhension chrétienne de la sexualité et celle d’un grand nombre de nos contemporains». Si, dans cette situation, l’on devra s’abstenir de faire dépendre la vision biblique du jugement de la pensée contemporaine sur la sexualité, X. Thévenot en convient également qu’il ne revient pas à «la morale sexuelle vraiment chrétienne» d’élaborer «des normes concrètes supra-humaines indiscernables». La seule tâche utile que X. Thévenot assigne à la pensée de la révélation, c’est à la fois, celle de «mieux percevoir les impasses éthiques» de la question sexuelle à notre  X. Thévenot, Repères éthiques pour un monde nouveau, e éd., Strasbourg, Éditions Salvator, , p. .  Ibid., p. -.  Ibid., p. .  Ibid., p. .  Ibid., p. .

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temps, et de «se libérer de certaines de ses obscurités ou pesanteurs qui l’empêchent de trouver la meilleure façon pour l’homme de se réaliser comme liberté sexuelle». Il s’ensuit que dans le traitement de la question sexuelle, l’approche théologique est attendue pour se réaliser dans une perspective épistémique, qui ne sera autre que celle qui s’articulera sur le dialogue entre la pensée de la foi et les nouvelles convictions de la réflexion contemporaine. Dans cette approche, on est tenu à garder à l’esprit deux préalables d’un côté comme de l’autre. D’une part, contre tout discours qui, au nom de la foi, a tendance à idéologiser l’expérience biblique, on tiendra, ainsi que le précise X. Thévenot, qu’«il n’existe pas […] une vision biblique de la sexualité. L’Écriture ne comporte, ni dans sa totalité ni dans un de ses livres, une réflexion phénoménologique ou éthique très élaborée sur la vie sexuelle. C’est toujours à l’occasion de telle réflexion d’ordre théologique, ou en réponse à des questions pratiques posées par des communautés, ou encore à propos d’observations sur les conduites des hommes et des femmes, que vient au jour une péricope biblique parlant de la sexualité. Les synthèses de la morale sexuelle biblique ont donc toujours un aspect factice qui facilite leur gauchissement par les présupposés idéologiques et les désirs inconscients de leurs auteurs». D’autre part, contre toute tendance d’unification de modèle en matière de sexualité, X. Thévenot évoque la contrainte de «la multiplicité des compréhensions culturelles», si bien que toute approche théologique qui voudra en clarifier la donne, partira forcement «de ce qui lui apparaît humain dans sa propre culture». À ce niveau, l’approche théologique se verra confrontée à «des compréhensions scientifiques et philosophiques de la sexualité variées et parfois mêmes contradictoires», à telle enseigne qu’il sera difficile de dire au nom «de quelles précompréhensions», ou de quels «savoirs anthropologiques» conviendra-t-on d’arrêter une décision à portée universelle quant à une éthique de la sexualité. L’analyse que nous propose X. Thévenot a le mérite de révéler le caractère non décidable de l’éthique chrétienne (ou des éthiques religieuses) en matière de comportement sexuel. Plutôt que de parler d’une certaine «errance de la pensée chrétienne» sur ce sujet, c’est la nécessité d’une    

X. Thévenot, Repères éthiques pour un monde nouveau, p. -. Ibid., p. . Ibid., p. . Ibid., p. .

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prise de conscience des difficultés d’approches et de choix qui émerge d’une telle pensée. Dans le cadre de ces difficultés, en effet, X. Thévenot montre que, même lorsqu’on est porté à s’appuyer sur «ce qui est conforme à l’humain», cette option est d’autant plus parsemée «d’un certain nombre d’aléas», qu’elle ne manque de révéler son caractère «perspectiviste». De telle sorte que, non seulement l’«humain», qui fonctionne comme critère de l’existence dans le domaine de la sexualité, apparait à la limite comme une «catégorie très essentialiste», mais qu’il n’offre aucune garantie d’être «immédiatement opératoire». Pour expliquer cette position, X. Thévenot relève que «l’humain qui sert de précompréhension à la lecture de l’Écriture ou de l’existence chrétienne est constitué par une certaine image de l’homme sexué qui s’impose à tel moment de l’histoire dans telle société». De là est-on porté à prendre en compte à la fois, le cadre des savoirs «anthropologiques et philosophiques sur la sexualité», et «les mœurs sexuelles ambiantes qui, plus que tout discours, imposent subrepticement une vision de l’homme et de la femme». Selon cet horizon, l’élaboration de «telle ou telle conception de l’équilibre sexuel humain relève non de l’évidence mais d’une critique éthique qui aboutit seulement à une certitude morale». En admettant que la catégorie de l’humain peut bien fonctionner dans le jugement d’une sexualité acceptable, X. Thévenot ajoute que c’est dans le cas où cette catégorie peut être pensée selon une triple portée. La portée positive, par laquelle l’on est orienté vers des constantes de la vie, qui fonctionnent comme «des passages obligés de l’épanouissement humain», et qui reposent sur «les invariants» touchant au sort et au destin de «tout individu, quels que soient ses conditionnements historicoculturels; invariants dont il faut respecter l’existence sous peine de déstructurer totalement ou partiellement l’être humain». La portée critique, qui renvoie à la nécessité de tenir compte, d’un côté, du fait que «l’extension universelle de la catégorie d’humain empêche celle-ci de proposer à chaque individu […] un modèle très étroitement défini de conduite sexuée» et, de l’autre côté, du fait que «l’exigence d’universalité que porte la revendication d’une conduite qui soit vraiment humaine pourra, comme un ‘tribunal’, manifester que tel comportement sexuel est incompatible avec l’avènement de la liberté en société». La portée dyna    

X. Thévenot, Repères éthiques pour un monde nouveau, p. . Ibid., p. . Ibid. Ibid., p. -. Ibid., p. .

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mique (et ouverte), en fonction de laquelle «la compréhension de ce qu’est l’homme sexué et de ce qu’il doit être dans le concret de son devenir ne peut qu’être une tâche toujours reprise, affinée, modifiée par le surgissement des nouveaux savoirs […] dans le domaine de la sexualité». Par-dessus tout, X. Thévenot propose à toute approche théologique cohérente de la sexualité, la nécessité de commencer par considérer celle-ci comme une détermination irréductible de la condition humaine comme telle. Dans un sens, la sexualité marque toute la vie de l’être humain et, dans un autre sens, elle est le lieu de l’expérimentation de la finitude de l’homme. Pour l’expliquer, X. Thévenot écrit: La biologie établit que toutes les cellules humaines sont déterminées sexuellement. La psychanalyse montre que toutes les relations humaines au cosmos, aux autres et aux images de Dieu sont marquées par la sexualité. Les sciences sociales soulignent que les phénomènes sociaux sont en interaction étroite avec la façon dont les hommes et les femmes assument leur sexualité. Ainsi, l’homme n’existe pas hors d’une détermination sexuelle. […] la sexualité est une réalité indépassable qui constitue pour l’être humain une des manifestations les plus claires de sa finitude.

X. Thévenot s’appuie également sur la structure anthropologique de l’être humain, là où elle implique à la fois: la différenciation et la dépendance vis-à-vis de l’autre; l’évidence des désirs du corps et «l’inévitable surgissement du trouble»; la présence «en soi des désirs de ‘contre-ordre’» qui riment par moment «avec la violence» et la marque essentielle «de pulsions partielles» continuellement en quête d’assouvissement. Poussant plus loin la réflexion, X. Thévenot note, en se situant du point de vue clinique, que «même lorsque ces pulsions [sexuelles] ont fini par s’ordonner à la rencontre d’un partenaire de sexe opposé considéré dans sa totalité […], il subsiste [toujours] des pulsions partielles mal intégrées». L’analyse du fait sexuel exige ainsi de garder à l’esprit le caractère non programmable de ce domaine de la vie humaine. Cette analyse montrera toujours «que la sexualité humaine est une réalité en devenir, capable de régression, de fixation, de progression». Elle constitue ce domaine où «il y a une parenté entre le normal et l’anormal» et qui permet de réaliser en permanence qu’«aucune personne n’a une sexualité bien ‘en place’ une     

X. Thévenot, Repères éthiques pour un monde nouveau, p. 127. Ibid., p. -. Ibid., p. . Ibid. Ibid., p. -.

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fois pour toutes». X. Thévenot en conclut que le fait sexuel implique, dans la vie d’une personne, «la reconnaissance de sa finitude», et que, par conséquent, «toute tentative de dénier cette finitude est foncièrement inhumaine». De ce qui précède, il ressort que le défaut et l’errance de la solution chrétienne à l’équation de l’éthique sexuelle, sont liés à cette méconnaissance de l’irréductibilité de la sexualité dans la vie humaine et de la dimension de finitude que le fait sexuel impose à toute réflexion. En s’articulant sur l’expérience biblique, la pensée chrétienne de la sexualité sera plutôt invitée à se rendre compte que dès les origines de l’humanité, le motif de la «relation sexuée homme-femme», constitue décidément «le sommet de l’acte créateur». Sur cette base, la question de la sexualité doit être traitée dans les limites de son «statut pleinement séculier». Deux positions extrêmes sont ainsi à exclure d’une approche responsable de la question sexuelle: d’un côté, la tendance à «la dévalorisation du sexe qui surgit paradoxalement de la banalisation excessive de sa mise en œuvre» et, de l’autre côté, le maintien du régime d’une spiritualisation démesurée de la question sexuelle, suite à l’effet exagéré des précautions liées à des traditions révolues des églises, des religions et des cultures. L’eschatologisation de la sexualité dans la tradition, représente l’expression la plus accomplie de cette spiritualisation, qui a abouti à l’argument ecclésial évoqué en justification de la discipline du célibat consacré. À la suite de R. Brague, X. Thévenot indique que dans le cadre de cet argument de la tradition catholique, le célibat religieux serait «une anticipation de ‘la vie eschatologique où la plénitude de la charité serait telle qu’elle n’aura plus besoin du détour par les corps’». L’on ne manque pas à ces jours des approches très rationalisées de l’argument eschatologique en faveur du célibat religieux et de la chasteté parfaite, au détriment du régime normal de la sexualité humaine. À travers les considérations que nous propose Ghislain Lafont, il y a un effort marqué de souligner l’idée que «la sexualité» doit être considérée en définitive, comme «l’ultime facteur de distinction entre les états de vie»       

X. Thévenot, Repères éthiques pour un monde nouveau, p. . Ibid. Ibid. Ibid., p. . Ibid. Ibid. G. Lafont, Imaginer l’Église catholique, Paris, Cerf, , p. .

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au sein des églises, voire dans les différents rapports sociaux. G. Lafont reconnait certes l’irréductibilité de la sexualité pour toute vie humaine. Il estime «qu’il s’agit en effet d’une expérience immédiate de désirs à la fois orientés sur une autre personne – désir de l’amour, désir de la rencontre, de la communication… –, réfléchi sur soi-même – désir du plaisir, de tendresse, de la reconnaissance… –, et ouvert sur une naissance: désir de l’enfant. Dans la sexualité, ajoute G. Lafont, il y a ensemble une certaine perception de son propre corps dans sa sensibilité comme lieu de toutes les rencontres humaines, mais aussi peut-être de la rencontre divine». Cependant, en vertu du motif eschatologique, G. Lafont ne s’empêche pas de renforcer la distinction entre l’état de vie où la pratique de la sexualité est admise, et celui où cette pratique est forcément proscrite. Dans le premier état de vie, le «mariage, il s’agit, écrit-il, de la formation d’un couple, avec ce que cela entraine d’une part comme style de vie évangélique et de l’autre comme insertion sociale. C’est au travers d’une famille, d’un travail, d’un logement, d’un état civil, d’une nécessaire possession de ressources, de relations sociales, etc. que se poursuit la quête évangélique, de sorte qu’il y a continuellement à discerner comment se réalise la rencontre de l’Évangile avec les données concrètes dont est faite la vie humaine: on pourrait dire aussi que, dans cet état de vie, l’Évangile inspire mais est réciproquement marqué par la gérance du temps et de l’espace». Dans l’état de vie concerné par la privation de l’exercice ordinaire de la sexualité, G. Lafont note qu’«il s’agit d’une vie seul, c’est-à-dire où le célibat est déterminant et où le rapport à l’espace-temps est […] manifestement divers: le célibataire termine une généalogie et ne laisse pas de descendance, ce qui colore essentiellement sa relation présente au milieu humain et cosmique; logement, travail, ressources, relations sociales existeront aussi mais autrement et l’impact évangélique sera différemment modelé. L’expérience joue ici sur un double plan, précise G. Lafont: celui, plus immédiatement spirituel, de l’attente indivisée du Royaume de Dieu, d’une offrande de soi incluant le corps dans la perspective d’une recherche de l’union à Dieu, de la vie en sa présence; l’expérience de l’Église, mais, peut-être aussi sur un autre plan, des hommes vraiment religieux dans le monde non chrétien, démontre l’affinité du célibat et de la vie en recherche de Dieu (voir Gandhi). Il y a ensuite, ajoute G. Lafont, une  

G. Lafont, Imaginer l’Église catholique, p. -. Ibid., p. .

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affinité non moins réelle entre le célibat et la vie apostolique et missionnaire, en sorte que l’urgence de l’annonce de l’Évangile, du service des hommes, de la mission […] est telle qu’on n’envisage pas de ne pas s’y consacrer exclusivement». Aligné définitivement sur l’argument eschatologique, qui fournit le motif de séparation des états de vie à partir de la pratique ou non de la sexualité, G. Lafont reconnait, à juste titre, que dans tous ces états de vie se trouve concerné «une spiritualité», peut-être des plus authentiques dans beaucoup de cas. Mais son approche reste tributaire du schéma de la tradition, là où elle plonge finalement dans l’exaltation du célibat comme état «privatif» de la sexualité. Il écrit: «l’insertion moindre du moine dans l’espace-temps permet une certaine immédiateté de l’impact évangélique dans le style de vie et définit une manière propre de se référer, pour soi-même, avec et pour les autres, à Dieu et aux réalités humaines. C’est en ce sens objectif, ‘corporel’, comme disaient les Pères de l’Église, que l’on peut admettre une relative ‘supériorité’ de l’état religieux sur l’état du mariage». X. Thevénot s’est employé à dénoncer le caractère absurde d’une telle dépréciation de la sexualité, qui a marqué les esprits et les comportements au cours d’une longue tradition chrétienne et ecclésiale. Il estime que «l’eschatologie inchoative […] ne demande pas que l’on dépasse sa condition corporelle sexuée pour vivre dès ici-bas comme des anges. Elle opère plutôt un double mouvement de confirmation et de relativisation de l’engagement dans le monde». Dans le mouvement de confirmation, l’eschatologie ne signifie nullement fuite du monde, dépossession du corps ni désertion de ses responsabilités. Elle rappelle à l’homme, dans la ligne de l’impératif de transformation du monde présent, la nécessité «de déployer dès maintenant toutes ses capacités créatrices et toutes ses puissances sexuées d’aimer». Si, «par la médiation de l’amour conjugal», ceux qui sont dans le mariage sont appelés «à vivre pleinement les trois dimensions relationnelle, érotique, procréatrice, attribuées par l’anthropologie et par l’Écriture à la sexualité», l’accueil du Règne de Dieu par ceux qui sont «dans le projet religieux ou presbytéral» s’exerce selon un «style de vie qui s’efforce de donner sens à un célibat non désiré», qui ne signifie ni refus, ni dévalorisation,     

G. Lafont, Imaginer l’Église catholique, p. -. Ibid., p. . X. Thévenot, Repères éthiques pour un monde nouveau, p. . Ibid. Ibid.

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ni disqualification, ni invalidation de la sexualité. Il est impossible de «vivre la continence […] pour occulter la finitude corporelle en anticipant une condition de ressuscité qui serait asexuée». Ce qui est mis en exergue dans la signification eschatologique par rapport à la sexualité est précisément l’idée fondamentale de la nécessité pour tous, dans la suite du Christ, de rester «cohérent avec la logique du Règne de Dieu qui est une logique du service du plus pauvre et du respect de l’autre». Dans le mouvement de relativisation, conformément à la conviction selon laquelle «la figure de ce monde passe» (Co ,), «la sexualité», explique X. Thévenot, «doit subir […] la relativisation eschatologique», autant que «tous les attachements sexués de l’être humain» là où «ces liens ont souvent tendance à être survalorisés voire absolutisés». Il en résulte que, pour obtenir un climat de dédramatisation de la sexualité dans l’imaginaire ecclésial de notre époque, la démarche doit consister à prendre, le plus correctement et le plus honnêtement possible, la mesure d’une conséquente compréhension des données bibliques et d’une vigilante ré-visitation des doctrines chrétiennes, en connivence avec l’exigence du bon sens qui se déploie au sein de l’éthique de la laïcité. En suivant encore les vues de X. Thévenot, l’on doit arriver à comprendre que la chasteté serait […] ce qui permet à un sujet de vivre sa sexualité de façon telle qu’il construit ses relations aux autres et au cosmos, dans la reconnaissance des différences radicales qui le structurent. La chasteté est donc, dans le domaine de la sexualité, refus de la toute-puissance, de l’indifférenciation, de l’emprisonnement dans l’imaginaire. […] est non chaste, une amitié ou amour qui se bâtit sur un monde fusionnel; est non chaste une vie qui cherche à fuir tout plaisir; en effet, celui-ci, dans la mesure où il fait perdre momentanément la maîtrise de la volonté, est rappel de la non-toute-puissance du sujet; est non chaste une vie sexuée qui refuse l’altérité du temps en ne tolérant pas les lenteurs de l’évolution de l’autre et de soi-même ou en évitant tout engagement; est non chaste une parenté qui utilise l’enfant pour saturer le désir, etc.

Dès lors, il n’est pas moralement responsable de faire de doctrines propres aux religions le cadre approprié du traitement de la question sexuelle pour n’importe quelle catégorie des personnes, autant qu’il ne    

X. Thévenot, Repères éthiques pour un monde nouveau, p. . Ibid., p. -. Ibid., p. . Ibid., p. .

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serait pas requis d’attendre des religions, sauf en cas d’imposture et de charlatanisme, une thérapie efficace sur les troubles psychosomatiques d’origine non occulte. Il faut reconnaitre que les cultures séculaires et les religions ont eu et continuent à jouer un rôle important, notamment dans la pédagogie de l’interdit et de l’inceste, quant à l’enjeu d’une indispensable régulation de la pratique sexuelle. Cette régulation est, du reste, socialement exigée pour la survie et la sécurité durables de l’espèce humaine. Le Pape Benoît XVI a eu des mots justes pour admettre qu’en contexte africain par exemple, en matière de sexualité comme dans d’autres secteurs de la vie, on devrait continuer à sauvegarder la dimension pédagogique des valeurs formatives, celles qui «ont servi de matrice pour façonner des sociétés vivant dans une certaine harmonie, car portant en leur sein des modes traditionnels de régulation pour une coexistence pacifique». Nous restons en accord avec Benoît XVI sur cette suggestion. Il est vrai que la réalité de la vie sur terrain oblige à tenir compte des canons traditionnels de régulation, qui ont fait leur preuve dans la structuration de différentes éthiques sociales des peuples, notamment en matière de gestion du phénomène sexuel. Mais aujourd’hui, c’est décidément sur l’espace de la laïcité que les approches théologiques s’accoutumeront à réajuster et à renégocier le sens des enseignements de leurs classiques, en fonction des savoirs anthropologiques et sociaux, cliniques et psychologiques qualifiés. Il ne sera pas question de faire de l’anthropologie le critère de la théologie dans la décision éthique sur le fait et le comportement sexuel. La démarche doit plutôt consister à montrer jusqu’à quel point le principe de «l’amour», tenu de manière fonctionnelle, «constitue une constante invitation à prendre au sérieux toutes les médiations humaines» dans la mise en œuvre d’une éthique de la sexualité. Dans le cadre d’une préoccupation qui veut placer la vie sexuelle des humains hors de toute barbarie, l’articulation «entre les exigences éthiques d’une réflexion anthropologique sur ce qu’est l’humain sexué et les exigences d’un christianisme» débarrassé des tares métaphysiques et des vestiges surnaturalistes, apparait aujourd’hui comme le lieu d’une nouvelle négociation du propos théologique.  Benoît XVI, Exhortation apostolique post-synodale Africae munus, sur l’Église en Afrique au service de la réconciliation, la justice et la paix, Rome, Librairie Éditrice du Vatican, , n° .  X. Thévenot, Repères éthiques pour un monde nouveau, p. .  Ibid.

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Par-dessus tout, le processus de dédramatisation du fait sexuel dans les différents milieux des églises, requiert une liberté de pensée, d’option et de pratique. Ce régime de liberté ne se confondra nullement à une libéralité proche de la perversion. Il renvoie plutôt à la conscience du sens d’engagement et de responsabilité personnelle, sociale et ecclésiale, selon que cette conscience devra finalement s’ordonner à une «régulation éthique», elle-même articulée sur les effets d’une régulation séculaire dans les cultures, les sensibilités et les mentalités morales différenciées des peuples. L’enjeu de la régulation suppose que l’on soit tout de même obligé d’«imposer» à la sexualité un certain ordre dans la pratique, sur le plan social, et que l’on garantisse le sens de l’honorabilité des partenaires, sur le plan moral, mais sans entourer ce domaine délicat de la vie, des énigmes absurdes, qui seraient liés à des interdits ayant tendance à en déshumaniser la portée, sur le plan existentiel. L’absence d’une telle vision éthique, réaliste et équilibrée, de la sexualité dans les milieux des croyants, a entrainé un climat pathologique, et parfois embrouillé, dans la gestion humaine et psychologique du phénomène sexuel. Dans un régime généralisé d’hypocrisie «ecclésiastique», si les tentatives de solutions catéchétiques faciles ont fini par produire des spécialistes de la pédophilie et de l’homosexualité en Occident, elles ont contribué à entretenir des experts du sexe et de concubinages clandestins en Afrique et en Amérique latine, du fait de la dramatisation à outrance de la pratique sexuelle dans la vie des consacrés. Il est inutile de rechercher la cause de cette situation dans les prédispositions génétiques, qui exposeraient certaines personnes à des formes «marginales» de la sexualité, ni dans une certaine déchéance de l’état spirituel, qui rendrait beaucoup de «consacrés» inaptes à la continence, faute d’un exercice droit de la liberté et de la volonté par rapport à l’engagement dans le célibat. Cette approche pêche toujours par le déficit du diagnostic de multiples facteurs qui expliquent la subversion contre le régime d’un célibat impliquant le renoncement à la sexualité. C’est une approche qui ne tient qu’à la préoccupation de camoufler la responsabilité des églises, dont la rigidité dogmatique contre la vie des sentiments, rentre dans l’ordre des causes majeures de la dégradation de la condition sexuée et psychologique de ceux qui sont dans les services religieux impliquant le célibat.



X. Thévenot, Repères éthiques pour un monde nouveau, p. .

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Les sondages actuels révèlent que, depuis quelques décennies, le refus de voir dans la sexualité une expérience ordinaire et une pratique indispensable pour tout être humain, ainsi que l’acharnement apologétique à maintenir le régime d’incompatibilité du mariage avec le ministère sacerdotal, sont en majeure partie les raisons les plus avancées pour expliquer les cas de défections et de désaffection de plusieurs jeunes vis-à-vis du service «sacré» dans la prêtrise selon la formule catholique d’Église. Les analyses spécialisées n’ont pas manqué de voir dans le climat de déchéance et de déséquilibre psychologique de membres de l’Église, la conséquence de la «névrose chrétienne» et de l’immaturité d’un rapport non assumé à l’exercice de la sexualité. Pour en expliquer la nature, le docteur Pierre Solignac a écrit: L’Église, par l’éducation qu’elle dispense, est en partie responsable de la société inhumaine dans laquelle nous vivons. Par l’inhibition, le refoulement et l’angoisse, elle crée des adultes tendus, insatisfaits et culpabilisés, incapables de s’aimer et de s’accepter. Beaucoup de comportements antisociaux ou simplement nuisibles au bon équilibre du groupe sont dûs à une sexualité mal intégrée et déséquilibrée.

Contre la rigidité du magistère catholique, un grand nombre d’essais de grande facture épistémologique ont démontré que le lien entre le ministère de prêtre et le célibat, ou que l’incompatibilité de la prêtrise avec le mariage (lieu officiel de la sexualité humaine), ne sont pas des options soutenables théologiquement. En dehors d’une justification qui se fonde sur la discipline canonique ecclésiastique, le célibat sacerdotal et la désapprobation de la sexualité dans cet état de vie, ne méritent d’engager aucune approche théologique légitime. Il sera par exemple étonnant que, dans le cadre d’une Encyclique où se trouvent mises en lien étroit deux dimensions de l’amour, éros et agapè, Benoît XVI fasse porter à l’Ancien testament «une image strictement métaphysique de Dieu», tel que ce Dieu est pensé dans les traditions philosophiques grecques en termes d’«absolu» et de «source originaire de tout être […] principe créateur de toutes choses – le Logos, la raison primordiale –». On sait que l’évocation de cette tradition théologique au cours de différentes époques, ne semble pas avoir résolu le problème de la conception traditionnelle – aussi protectrice et préventive soit-elle – que les générations chrétiennes ont eu de la sexualité. Précisément, parce que c’est suite 

Dr. P. Solignac, La névrose chrétienne, Paris, Éd. de Trévise, , p. . Benoît XVI, Lettre Encyclique sur l’amour chrétien, Deus caritas est, Rome, Librairie Éditrice du Vatican, , n° . 

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à la survalorisation de la tradition métaphysique dans le rapport à la vie au sein du christianisme institutionnel, que la sexualité s’est retrouvée pour le moins classée dans l’ordre d’une pratique dévalorisée, de la même manière que tout ce qui appartient au biologique et à la dimension du corps. Si, aujourd’hui, il apparait nécessaire d’entrer dans le régime de la déconstruction de la tradition métaphysique du christianisme officiel, c’est notamment parce qu’il faut laisser s’exprimer l’espace de la laïcité, qui est le terrain approprié non seulement du traitement réaliste de la question sexuelle dans tous ses formes d’hétéro- et d’homo-sexualité, mais aussi de l’amorce d’un processus de régulation des formes violentes et abusées de la sexualité des personnes. On notera que les traditions (croyantes) qui, depuis des siècles, ont maintenu la conception vitaliste de l’absolu (Dieu), offrent le témoignage d’une expérience qui tient à célébrer la «vie» dans la sexualité, en préservant la valeur de celle-ci en soi. Une juste appréciation de l’actualité des traditions vitalistes, reconnaitra que celles-ci demeurent plus positives et plus responsabilisant vis-à-vis de la sexualité que des traditions métaphysiques et onto-théologiques. Benoît XVI reconnait à la dynamique des traditions vitalistes, le fait de célébrer la sexualité «sous la forme de cultes de fertilité, auxquels appartient la prostitution ‘sacrée’, qui fleurissait dans beaucoup de temples», et où «l’eros était célébré comme force divine, comme communion avec le Divin». Il a été relevé, vis-à-vis de ces traditions, que la nouveauté de l’expérience biblique a notamment consisté dans la «dédivinisation» de la sexualité par la réduction de celle-ci «à un statut pleinement séculier». Mais l’analyse de Benoît XVI se dévoie lorsqu’elle perçoit dans cette conception vitaliste de la vie, un modèle «opposé» à la présentation judéo-chrétienne, alors que celle-ci, devrait-on le reconnaitre, n’est pas non plus une présentation «accomplie» quant à la maitrise de la question sexuelle. Aujourd’hui encore, sous l’influence néfaste et controversée de la tradition métaphysique judéo-chrétienne, la sexualité dans et autour de nouveaux temples (les espaces ecclésiaux), qui dégénère jusqu’aux «abus sexuels», ne dédouane pas une telle tradition prétendue achevée, de fondement biblique soit-elle. La seule évidence en matière de sexualité humaine et du processus de socialisation qui correspond à la logique de la tradition judéo-chrétienne, qui résiste à l’épreuve du temps et à la diversité de conceptions culturelles,  

Benoît XVI, Lettre Encyclique sur l’amour chrétien, Deus caritas est, n° . X. Thévenot, Repères éthiques pour un monde nouveau, p. .

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et qui mérite une authentique interprétation théologique en lien avec les approches issues de l’espace de la laïcité, consiste dans «l’idée que l’homme serait en quelque sorte incomplet de par sa constitution, [et que c’est] à la recherche, dans l’autre, de la partie qui manque à son intégrité, à savoir l’idée que c’est seulement dans la communion avec l’autre sexe qu’il peut devenir ‘complet’». Cette constante dit ce qu’est la condition humaine en général. Elle ne saurait être considérée comme étant spécifique au judéo-christianisme, là où, sur le plan moral, elle n’est qu’une traduction de l’expérience que partage la vie de tout être humain, telle qu’attestée de façon différenciée dans les traditions des religions ainsi que dans les différentes civilisations de peuples. L’anthropologie chrétienne en matière de sexualité doit connaitre une révision, ou une réorientation. Dans sa situation actuelle, elle tire ses racines d’une tradition fort pessimiste, caractérisée par une étrange diabolisation des expressions du corps humain (taxées de vie de la chaire) et par une culpabilisation gratuite de la vie des sentiments (taxée de jouissance du plaisir), ayant conduit, somme toute, à une dépréciation inadmissible de la vie amoureuse, après avoir réduit le corps à un simple «instrument de l’esprit». Au sein de cette approche, la méprise peut se faire remarquer dans les affirmations comme celle-ci: la sexualité humaine est, entre autres choses, un langage du corps […]. Le corps sexué nous est donné pour que l’esprit s’y manifeste. Mais la sexualité est peut-être un des lieux où se manifeste le plus la fragilité de notre unité corps-esprit; car l’instinct y parle fort et ses exigences peuvent étouffer les appels de l’esprit. C’est pourquoi, l’humanisation d’une sexualité est une tâche, à vrai dire jamais terminée.

La tradition chrétienne la plus rependue est restée tributaire de cette présentation de la sexualité, depuis les explications hasardeuses du péché dit originel par Augustin d’Hippone, avec la doctrine de la concupiscence. Cette perspective d’enseignement est celle qui entrainera dans une interprétation tendancieuse des souches patriarcalistes et androcentriques des récits du livre biblique de la Genèse (chapitre ), jusqu’à des approches canoniques et disciplinaires dictées par le motif «sacerdotal-lévitique» de pureté cultuelle au sein des églises sous le  Benoît XVI, Lettre Encyclique sur l’amour chrétien, Deus caritas est, n° . C’est le sens de cette assertion importante: «À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme et tous deux ne feront plus qu’un» (Gn ,; repris dans Mt ,-).  J. P. Mensior, Chemins d’humanisation. Essai d’anthropologie chrétienne, Bruxelles, Lumen Vitae; Montréal, Novalis, , p. .  Ibid., p. .

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paradigme de la féodalité papale. Il restera légitime de dénoncer cette tradition chrétienne d’avoir entretenu «plus qu’une méconnaissance: une dévalorisation voire un mépris du corps» et d’avoir «été spécialement répressive vis-à-vis de cette dimension de toute personne humaine qu’est la sexualité». De la clarification critique de cette tradition dogmatique, dépendra l’avènement d’une nouvelle perspective de l’herméneutique chrétienne, qui soit en faveur d’une façon plus humaine d’envisager et de concevoir la vie sexuelle. La nouvelle perspective s’attèlera d’abord à lever des équivoques qui empoisonnent les conditions d’une approche dynamique et participative de l’idée de communion au sein des églises, quant au partage et à l’exercice différencié, non exclusive, des ministères sacrés à notre époque. Cette ré-visitation de la tradition ecclésiastique opposée à la l’exercice de la sexualité chez les prêtres dans les milieux catholiques romains, aura le mérite de reconnaitre le caractère contingent et daté de la position conservatrice en ce qui concerne l’interdiction du mariage des ecclésiastiques. On verra bonnement en elle une position liée à un contexte d’une impérative régulation disciplinaire, par une décision des actes du synode du Latran de , renforcée par le Pape Grégoire VII (), rendue canoniquement définitive, universelle et obligatoire par le deuxième concile du Latran en , qui allait mettre fin au «désordre», notamment dans la gestion des critères de succession aux différents offices ecclésiastiques. Ce contexte permettait ainsi à l’autorité ecclésiastique d’adopter une solution de portée plutôt canonique que théologique en direction de l’imposition de la discipline du célibat obligatoire et non voulu aux candidats et pratiquants du ministère de prêtre au sein de l’Église catholique romaine. C’est une option qui sera renforcée à la longue par l’enseignement non forcement «théologal» de la chasteté parfaite impliquant la continence sexuelle formelle, lequel enseignement finira lui-même par trouver l’argument proprement biblique à partir de la formule «à cause du Royaume des Cieux» (Mt 5,19), telle qu’elle est remise en valeur particulièrement par le concile Vatican II. 

J. P. Mensior, Chemins d’humanisation. Essai d’anthropologie chrétienne, p. . Dans ce contexte, on peut encore revenir à des hypothèses qui ont conduit les récentes recherches d’E. Drewermann, quant à la nécessité d’une autopsie psycho-religieuse, qui permettrait de diagnostiquer les syndromes de la névrose chrétienne résultant de l’amalgame dans la réduction de la conception du ministère ecclésial à la question de la pratique sexuelle.  Cf. H. Küng, Le christianisme. Ce qu’il est et ce qu’il est devenu dans l’histoire, p. -.  Concile Vatican II, Constitution sur l’Église, Lumen gentium, n° . 

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Le travail d’endoctrinement et d’éducation à travers la répétition des retraites et récollections, des sessions et prières, a certes contribué à consolider structurellement une tradition du célibat, de la chasteté parfaite, et de la continence sexuelle dans la vie de plusieurs générations des personnes. Mais la continuité et le «succès» de ces mesures d’interdiction formelle de la pratique sexuelle chez les hommes et les femmes consacrés dans l’Église, n’ont pas empêché de faire éclater à notre époque, de graves scandales autour des abus sexuels multiformes, dont les juridictions extra-canoniques se saisissent comme de divers cas de criminalité au sein de notre société contemporaine. L’Église catholique et son leadership, à tous les niveaux de leur juridiction dans le monde, sont constamment appelés à répondre de crimes liés aux «abus sexuels» commis de manière active et passive par les «ecclésiastiques». Les membres de différents clergés et de différentes congrégations sont confiés à des tribunaux civiles chargés de prononcer le jugement dans les cas de crimes sexuels dont la procédure n’a nullement été prévue par la compétence du droit ecclésiastique. Il convient de continuer à considérer que cette situation est en majeure partie la conséquence inattendue du règne d’une spiritualité répressive, qui a marginalisé la normalité de la sexualité dans la vie de ceux et celles qui se consacrent à la «diaconie» de Dieu dans l’Église. C’est une spiritualité marginale, qui a dangereusement exposé les hommes et les femmes d’Église à des formes anormales d’hypocrisie dans ce domaine, à des pratiques sexuelles frauduleuses, et à des choix pernicieux de gestion de leur affectivité. Elle a contribué à empoisonner les relations pastorales et les rapports sociaux des consacrés avec le monde, pour autant qu’elle a produit dans la vie des clercs les marques d’une anthropologie sexuelle et d’une psychologie affective inadéquates à l’ordre commun et universel d’intégration de l’humain. Un retournement de perspective s’impose. L’église devra certes accepter de sortir des pièges d’une culpabilisation facile de la sexualité ordinaire dans la vie normale de ses membres. Elle devra apprendre à s’associer aux options éthiques de notre époque pour combattre toute forme de perversion dans notre culture globale, mais elle se gardera de faire de la sexualité le seul champ du drame humain qui en appellerait à un traitement particulier des «ecclésiastiques». Là où les mesures et les précautions canoniques se sont révélées inefficaces pour avoir consacré la logique de la fuite du monde, la nouvelle perspective consistera à rejoindre le terrain de la laïcité en matière de régulation de la sexualité dans tout état de vie en société. Le terrain de la spécificité des états de vie dans l’Église doit être abandonné pour que l’importance soit accordée

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à des marges d’une gestion humaine de la psychologie sexuelle de tous. Il s’ensuit que, envisagée selon un processus de laïcisation, la sexualité sera reconnue et valorisée dans sa dimension totale, comme condition d’épanouissement psycho-affectif de l’être humain, du fait que cette condition participe du mouvement global de l’intégration sociale de la personne, de la manifestation à soi et à l’environnement effectif de l’humanité. En lieu et place du régime de tabous et interdictions, les églises et les religions au sein de la société globale, doivent privilégier les mécanismes de régulation, notamment sur le plan conjugal et matrimonial, contre toute sorte de libertinage. Nous ne pouvons pas aller jusqu’à solliciter une caution des unions homosexuelles par une proposition de légalisation universelle. Ceux des États qui ont prévu des dispositions légales dans cette direction ne peuvent pas non plus être pris à partie par un quelconque jugement éthique. Les actes légaux sont des plus humains, du fait qu’ils sont de plus raisonnables, là où ils sont surtout considérés comme l’émanation du consensus, selon une visée de sécurisation et de protection des libertés de partenaires homosexuels. Mais ce qu’il convient de maintenir, c’est la nécessité de rendre à la vie sexuelle et à la pratique de la sexualité leur valeur humaine et biologique complète, non seulement en en préconisant un exercice consciencieux et responsable, dans les conditions d’honorabilité et du respect de la dignité humaine des partenaires en présence, mais aussi en en fournissant des mesures justes de protection quant au droit de tous à une vie sexuelle digne de la condition humaine libre. En dehors d’une telle option, il sera difficile de reconduire dans le contexte de cette culture globalement laïque, et pour tous les contextes des églises catholiques romaines, la conception gnosticisante de la sexualité; laquelle conception, on le sait, participe du processus du refus du monde, de la dépréciation du corps et de la marginalisation de tout ce qui a trait au plaisir en tant que tel. C’est le lieu d’indiquer que la relativisation du mariage (ou de la vie conjugale) par St. Paul ( Co ,.), n’a rien d’un motif théologique, ni d’une disposition morale ni non plus d’une précaution pastorale. Elle se situe dans le prisme de cette tension «eschatologique» d’une spiritualité d’attente imminente de la parousie du Christ, horizon apocalyptique  Dans cette orientation, nous pouvons retenir la position de J. Derrida qui a suggéré en , dans le journal Le Monde, d’éliminer le mot «mariage» du code civil français pour résoudre le problème du statut juridique des couples homosexuels. Cf. M. A. Peeters, La nouvelle éthique mondiale: Défis pour l’Église, Marguerite A. Peeters, , p. .

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qui paralyse la vie en rendant, pour le moins, inutile, toute activité humaine et, passager, l’horizon du monde. L’approche chrétienne doit privilégier la dimension éthique en acceptant de souligner les enjeux d’honorabilité et de responsabilité, en vue de rendre à la sexualité sa valeur humaine complète, contre toute tendance à en diaboliser systématiquement la pratique. L’approche canonique (disciplinaire) doit être déconstruite dans ses effets nocifs: elle a contribué à exacerber les frustrations et l’hypocrisie, à affaiblir la psychologie féminine et masculine de l’amour, et a entretenu un régime de répression injustifiée de la vie des sentiments pour les membres de l’Église. Les temps se prêtent à des options qui obligent les églises et les religions à considérer les choses au-delà de la dramatisation de la «question sexuelle». Elles sont poussées à la tâche de reconquérir de nouvelles façons pour elles d’être présentes au monde, notamment par leur implication explicite pour le service du bien dans les espaces publics, et par leur participation formelle à la lutte pour le règne de la justice structurelle, contre les régimes politiques de la répression et de domination totale. Finalement, le message qui structure les enseignements des religions n’est-il pas lié à l’avènement et à la concrétisation, par des conditions éthiquement humanisantes, du «règne de Dieu», qui n’est pas autre chose que «la paix, la justice, et réconciliation» (Rm ,-)? Ici se trouve posée la nécessité pour les églises et les religions de retrouver, par le biais d’une réflexion théologique correspondante, un profil qui les maintienne dans une position idéale d’ouverture et de dialogue avec les différentes options concertées au sein de nos sociétés pluralistes et démocratiques. Cet horizon pousse également vers la ré-visitation de la question de la ministérialité au sein des églises, conformément aux enjeux du pluralisme et de l’esprit démocratique qui structurent la mentalité de notre époque. .... La dé-monopolisation du ministère sacerdotal Le traitement postmoderne de la problématique du partage des rôles dans l’Église est confronté à la nécessité de proposer des alternatives crédibles face à deux pratiques: la sacerdotalisation des ministères et la masculinisation du sacerdoce. L’opportunité du «déplacement» que crée  Cf. Y. Congar, Ministères et communion ecclésiale, Paris, Cerf, ; A. Lemaire, Les ministères à l’origine de l’Église, Paris, Cerf, ; E. Schillebeeckx, Les ministères dans l’Église, service de présidence de la communauté de Jésus Christ, Paris, Cerf, ; Plaidoyer

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le débat sur cette question est consécutive à la dénonciation de l’imposture de ces deux systèmes d’occupation des fonctions ecclésiales durant une longue tradition d’inégalités dans les critères socio-théologique d’accession au différentes charges dans l’Église. Il apparait aujourd’hui que le paradigme de la répression sexuelle et de la dramatisation de la question sexuelle au seuil de la modernité occidentale, notamment à travers l’exaltation unilatérale du célibat sacerdotal, participe du mouvement de durcissement de la masculinisation exclusive des ministères, de la concentration des services sacrés et de la monopolisation de leur exercice dans et par le seul sacerdoce ministériel (à trois degrés: épiscopal, presbytéral et diaconal). Le modèle d’Église qui a accompagné cette pratique s’est exposé, ces dernières années, à une critique théologique qui n’a pas manqué d’en révéler le caractère absurde de ses présupposés, comme dans le cas de l’exclusion systématique des femmes dans le munus ecclesiae. Le moment semble être arrivé où l’organisation de la vie ecclésiale devrait reposer sur les bases d’une «réelle communion» entre les membres et dans le partage des responsabilités sacrées. Le concile Vatican II a eu, certes, le mérite d’inaugurer, au milieu du XXe siècle, l’âge postconstantinien de l’Église, qui correspond à l’âge œcuménique et démocratique dans les différents rapports religieux vis-à-vis de l’environnement social. En vertu de ce tournant, on a parlé de la collégialité dans l’exercice hiérarchique du pouvoir dans l’Église. Il s’agit d’une option qui place les églises devant l’obligation de rendre effectif l’idéal de la vraie communion ministérielle. Celle-ci implique certes le respect et la promotion de la diversité des charismes au sein du peuple de Dieu dans les églises, mais elle exige surtout la mise en œuvre d’un «rééquilibrage» des hiérarchies au sein des communautés croyantes. Il s’agit, pour les églises, de s’engager dans une opération de redistribution des fonctions, selon un style plus pour le peuple de Dieu. Histoire et théologie des ministères dans l’Église, Paris, Cerf, ; J. P. Déloupy, Laïcs et prêtres. Les idées pour demain, Paris, Centurion, ; D. Gonneaud, «Hypothèses et questions autour du ministère», dans Nouvelle Revue Théologique  (), p. -; E. Gossmann, «La femme prêtre?», dans Concilium  (), p. . Pour une approche conservatrice de la sacerdotalisation-masculinisation des ministères, on lira avec intérêt: P. Grelot, Le ministère de la nouvelle alliance, Paris, Cerf, ; Ministères et célébration de l’Eucharistie (Studia Anselmiana, ), Rome, Anselmiana, ; Église et ministère pour un dialogue critique avec Édouard Schillebeeckx, Paris, Cerf, .  J. Famerée, «Plus de démocratie dans l’Église catholique. Par fidélité à l’Évangile», dans J. Beauberot et al. (dir.), Démocratie dans les Églises. Anglicanisme-CatholicismeOrthodoxie-Protestantisme. Conférences de la Faculté de théologie, Université catholique de Louvain, Bruxelles, Lumen Vitae, , p. . .

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participatif et sans exclusive, notamment en ce qui concerne le ministère de présidence de l’eucharistie. Pour autant que le ministère de présidence concerne la fonction de prêtre dont le charisme se confirme à travers le sacrement de l’ordre selon le paradigme catholique d’Église, il sera envisagé et géré selon les critères disciplinaires et théologiques non exclusifs de son déploiement en réponse aux besoins spirituels immenses de nos contemporains. Si la communion ministérielle représente un enjeu ecclésial crucial, elle doit être ressentie comme une loi en instance d’être traduite en actes; elle doit produire des effets à travers la mise en place des structures concrètes et des pratiques osées de réhabilitation et d’intégration des personnes mariées et des femmes dans l’exercice plénier du ministère sacerdotal. Depuis la tenue du deuxième concile de Vatican, les résultats peuvent être jugés insuffisants quant à l’évaluation de ce chapitre de la doctrine chrétienne. Les personnes mariées et les femmes continuent à exercer, bien qu’avec plus de lisibilité qu’avant, les responsabilités ecclésiales périphériques. Le cléricalisme masculin continue à faire sa loi au sein des églises diocésaines aux antipodes des appels de l’éthique de la laïcité en direction d’un rééquilibrage sur la question socio-anthropologique du genre et de la parité homme-femme, qui doit devenir à plus d’un titre une question théologique. Les instances de décision, les conseils épiscopaux et les structures de consultations en matière d’orientations majeures de direction et de gestion des affaires ecclésiastiques, sont en majorité et de façon injustifiée l’apanage des hommes à l’exclusion des femmes. Aux antipodes de cette logique non évangélique d’exclusion et de marginalisation, notre analyse en appelle à la mise en place des projets réalistes de responsabilisation de toutes les catégories des personnes et de leur intégration dans les sphères essentielles de la diaconie ecclésiale, y compris au niveau de la fonction de présidence de l’Eucharistie. La réalisation de ces projets passera forcément par une opération de déconstruction de l’anthropologie chrétienne discriminatoire et par la disparition d’une sociologie ecclésiale de stigmatisation spirituelle de la condition féminine et matrimoniale, au profit du passage vers de nouvelles formes intégratives et inclusives de la pratique ministérielle. À partir de la conviction selon laquelle le Nouveau testament et l’ensemble du récit biblique n’encouragent en aucun cas la marginalisation des laïcs ni l’exclusion des femmes dans la «diaconie» du Christ, même en ce qui concerne les 

En partant des récits comme Co ,; Rm ,-; Ph ,s; Ac , et surtout la finale de l’épitre aux Romains, où l’on découvre combien étaient nombreuses les

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ministères de présidence des assemblées chrétiennes de foi et de prière, l’on considérera que c’est pour des raisons d’ordre culturel et non pas d’ordre théologique, qu’il faudra relativiser et réviser en profondeur la pratique courante de centralisation et de monopolisation des ministères ecclésiaux, ainsi que de leur administration par les seuls clercs masculins et célibataires. La perspective contemporaine d’une herméneutique chrétienne des ministères dans les églises ne peut nullement assumer un régime de confiscation par un «clergé institutionnel», de la «part d’héritage» commune dévolue à toutes les catégories du peuple de l’alliance universelle quant à l’exercice des fonctions sacrées et de leurs tâches respectives. La question qui se pose est celle de savoir ce que représente aujourd’hui le motif non théologique de la «pureté cultuelle» du sacerdoce lévitique, qui préside à l’exclusion de la femme et des personnes mariées de l’exercice du ministère de prêtre, face à la vaste question éthique concernant la source du mal à l’époque où l’on parle même du «péché structurel», et face aux transformations qu’ont subies les différentes conceptions culturelles en matière de relations conjugales et d’expressions affectives au regard du développement actuel de l’anthropologie sexuelle? On le sait, le processus de la «lévitisation» qu’a subie l’orientation du sacerdoce nouveau au cours de l’histoire, est due à une décision univoque de l’Église cléricale, qui n’aura pas pris en compte les conditions et les fluctuations de cette institution sacerdotale en Israël, en tant que fruit d’une évolution mêlée de beaucoup d’épisodes conflictuels qui avaient abouti à une fixation figée. En contexte œcuménique, une pratique équilibrée dans le domaine du partage des services sacrés, y compris en ce qui concerne la présidence de l’eucharistie, s’impose à la conscience chrétienne. Elle permettra de remettre un climat de vraie communion entre les églises comme entre les femmes qui participaient à la prédication de l’Évangile, il est évident qu’au début du mouvement chrétien, ainsi que l’a écrit Schüssler-Fiorenza, «les femmes étaient des apôtres au même titre que Paul. Elles enseignaient, prêchaient et participaient à la course de l’Évangile. Elles ont fondé des Églises domestiques, et en tant que bienfaitrices influentes, ont pu user de leur crédit en faveur d’autres missionnaires et chrétiens» (Schüssler-Fiorenza, En mémoire d’elle. Essai de reconstruction des origines chrétiennes selon la théologie féministe, Paris, Cerf, , p. . Lire aussi J. Colson, «Désignation des ministères dans le Nouveau Testament», dans La Maison-Dieu  [], p. -; Les fonctions ecclésiales. Aux premiers siècles, Paris, DDB, ; J. Daniélou, «Le ministère des femmes dans l’Église ancienne», dans La Maison-Dieu  [], p. -; J. Delorme [dir.], Le ministère et les ministères selon le Nouveau Testament. Dossier exégétique et réflexion théologique, Paris, Cerf, ).

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baptisés. Cela est devenu un problème qui relève d’une préoccupation d’ordre éthique, et qui oblige les églises à être en mesure de rendre compte du principe d’égalité et d’autonomisation de tous les baptisés face aux dons et charismes reçus de l’Esprit de Dieu pour le service du peuple des croyants. En plus qu’elle contribue à escamoter et à torpiller de façon inadmissible la richesse de la diversité ministérielle de l’expérience biblique, l’absolutisation de la tradition catholique et de son schéma unilatéral, simpliste et figé dans la conception et dans la pratique des fonctions ecclésiales, comporte des conséquences désastreuses sur la continuité de la communion ecclésiale et sur la stabilité de la communion œcuménique. Quelques cas peuvent être évoqués en illustration de ce constat. Dans la communion avec les églises réformées, le point d’achoppement demeure la non reconnaissance, par le magistère catholique, de toute compétence dans la présidence de l’eucharistie ou de la cène, chez les ministres n’ayant pas bénéficié du sacrement de l’ordre. La lettre Encyclique du Pape Jean-Paul II sur l’Eucharistie dans son rapport à l’Église (Ecclesia de Eucharistia), refuse de reconnaitre la valeur réelle de la cène dans les assemblées protestantes, en s’appuyant sur la seule conception du ministère de présidence qui lie celui-ci au sacrement de l’ordre. Jean-Paul II affirme: «un fidèle catholique ne pourra pas recevoir la communion dans une communauté qui n’a pas de sacrement de l’ordre valide». Ensuite, malgré les avancées significatives dans l’expérience de communion entre Catholiques et Anglicans dans la période postconciliaire, notamment depuis la constitution en  de la Commission mixte permanente internationale (ARCIC), on sait avec quelle virulence la lettre apostolique Ordinatio sacerdotalis du Pape Jean-Paul II réfute l’initiative anglicane de l’ordination des femmes. Ces prises de position ont eu tendance d’inscrire une entorse et de créer un climat de refroidissement dans les initiatives de communion œcuménique avec d’autres églises, autant qu’elles peuvent être accusées de n’avoir pas suffisamment tiré toutes les leçons de l’évolution des recherches en ecclésiologie postconciliaire. Ces recherches indiquent que les nouvelles chances du christianisme se jouent, sous la force de l’esprit de l’Évangile, dans la dynamique de créativité des différents peuples qui ont foi en la Parole du Christ au sein des églises locales diocésaines,  Jean-Paul II, Lettre Encyclique sur l’Eucharistie dans son rapport à l’Église, Ecclesia de Eucharistia, Rome, Librairie Éditrice du Vatican, , n° .  Cf. J. Laporte, L’œcuménisme et les traditions des églises, Paris, Cerf, , p. .

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paroissiales – et surtout, à base échelle, dans des communautés de bases; autant que ces chances se jouent dans la promotion et la sauvegarde d’un esprit de véritable communion œcuménique de toutes les églises chrétiennes dans la célébration vivante du Christ. La théologie doit engager l’herméneutique de la foi dans un processus de laïcisation des rôles et services sacrés aux sein des églises, en vue d’obtenir pour les communautés chrétiennes éloignées des centres paroissiaux, la possibilité et la légitimation d’une pratique autorisant des laïcs investis du pouvoir de sacrement de l’ordre, à célébrer les sacrements, et surtout à présider l’eucharistie. Jusque dans la période dite postconciliaire, on a continué à déplorer le fait, pour plusieurs centaines de milliers des catholiques vivant dans le monde paysan africain et latinoaméricain, d’être privés, pendant plusieurs mois, de la communion eucharistique, faute de présidents des assemblées eucharistiques qualifiés par l’Église. Tout se passe comme si on ne devrait pas reconnaitre la qualité d’«églises» à ces différentes assemblées chrétiennes sans «prêtres» et sans eucharisties, là où on ne s’empêche pas de proclamer que c’est l’eucharistie qui fait l’église, que «l’église vit de l’eucharistie (Ecclesia de Eucharistia vivit)» et que la responsabilité de la célébration eucharistique «incombe surtout aux prêtres». En toute loyauté théologique, «principe communautaire et principe ministériel de présidence ou de primauté apostolique sont tous deux indispensables à la vie ecclésiale». Il s’ensuit que dans le cadre de la requalification que doivent connaitre les rôles sacrés dans l’Église, le célibat dit sacerdotal ne peut plus passer comme préalable pour la promotion à l’«ordre» ministériel des candidats et des candidates qui en ressentent la vocation et expriment le désir d’y accéder. La laïcisation des fonctions sacrées dans les églises, qui doit correspondre au processus de décléricalisation ou de dé-lévitisation des ministères, devra permettre à quelques couples légalement mariés et, probablement, à des femmes qualifiées, qui se verraient confier la charge, le pouvoir et le mandat sacré de présider à la destinée spirituelle des baptisés dans tous ses aspects de la célébration. Là où se trouvent réunies les différentes assemblées des baptisés, on doit retrouver l’effectivité de la vie ecclésiale: la proclamation de la Parole  Jean-Paul II, Lettre Encyclique sur l’Eucharistie dans son rapport à l’Église, Ecclesia de Eucharistia, n° .  Ibid., n° .  J. Famerée, «Plus de démocratie dans l’Église catholique», p. .

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de Dieu, en tant qu’Évangile de la Vie, à travers la promotion des ministères attitrés; la célébration des mystères de la foi que sont les sacrements, y compris l’eucharistie, qui exige que soit admise l’extension du ministère de présidence à de différentes catégories de personnes, quels que soient leurs états de vie et leurs sexes; et une structuration institutionnelle qui laisse finalement une large place à l’expression de ce que «l’Esprit continue à dire et à faire au sein de différentes églises locales» quelles que soient leurs dimensions et leurs situations matérielles. Dans une telle approche théologique, la notion d’égalité hommefemme, affirmée sur le plan ontologique par la dogmatique chrétienne traditionnelle, doit subir un déplacement de sens. La référence à un texte, pourtant d’orientation patriarcaliste, du livre biblique de la Genèse (chapitre ), ne suffit pas pour contenir les revendications du «genre» dans leurs formes actuelles. L’interprétation théologique classique de cette notion d’égalité finit par aboutir dans une signification qui s’arrête à la simple idée de la «complémentarité» entre l’homme et la femme. Dans le cadre de la nouvelle approche, le présupposé porte sur l’impérative autonomisation de la femme. La signification de cette autre notion, implique l’idée de la responsabilisation totale de la femme dans des milieux professionnels (avec tous ses droits à la participation aux différentes fonctions de l’espace public en société), ainsi que l’idée de son autodétermination décisionnelle quant à sa position en matière de choix sexuel et de régime matrimonial. Il s’ensuit que le traitement biblique de la notion d’égalité entre l’homme et la femme, conduit à l’affirmation d’une «parité» selon la perspective volontaire. Au sein de la nouvelle approche, la question de la «parité» excède le cadre du traitement volontaire, pour s’exprimer à partir du cadre contraignant de la normative éthique qui a pour référence fondamentale le registre des droits de l’homme et de la justice. La doctrine de la «parité» ne repose pas simplement sur la notion vague et tranquille de l’égalité homme-femme; elle doit jouir d’une résonnance plus opérationnelle, qui requiert l’effectivité des conditions d’une réelle autonomisation de la femme, à travers l’équité dans le partage des pouvoirs, des droits et devoirs au sein de la société globale, y compris au sein des églises. Si la théologie ne peut pas contribuer à impulser la dynamique de transformation de l’image sociologique de la femme et de sa position politique dans nos sociétés, elle continuera à mettre l’enseignement chrétien en retard de vue et d’éthique, par rapport au tournant que connait notre civilisation, là où les mouvements associatifs sont déjà à l’œuvre

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pour imposer ce changement. L’évolution de l’approche éthique sur le statut et le rôle des femmes dans la laïcité, doit encore instruire la démarche théologique, en révélant le défaut de l’attachement de différents langages religieux à la culture andro-centrique. Dans la ligne de la normative éthique, l’évolution actuelle indique qu’en , l’Organisation des Nations Unies (l’ONU) réaffirmait, au cours de la quatrième Conférence mondiale des femmes à Pékin, la nécessité de la mise en place des politiques et des programmes publics en faveur de l’avancement des droits des femmes. Le Conseil de sécurité adopta le  octobre , la résolution  sur les femmes, la Paix et la Sécurité, dans laquelle il demandait aux États membres de faire que les femmes soient davantage représentées à tous les niveaux de prise de décisions dans les institutions et organismes nationaux, régionaux et internationaux, pour la prévention, la gestion et le règlement des différends. L’idée doit être considérée comme ayant fait du chemin. Quatre ans après la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, qui proclamait déjà en  en son article , l’égalité en dignité et en droits de tous les êtres humains, l’Assemblée Générale des Nations Unies avait adopté une Résolution  (VII) du  décembre , relative à la Convention sur les droits politiques de la femme. En son art. , cette Convention reconnaissait aux femmes, dans les conditions d’égalité, le même droit que les hommes d’occuper et d’exercer toutes les fonctions publiques établies en vertu de la législation nationale, sans aucune discrimination. Il faut y ajouter l’art.  du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui affirme le droit et la possibilité de la femme de prendre part à la direction des affaires publiques, de voter, d’être élue et d’accéder, dans les conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques. La Convention pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, adoptée par l’Assemblée Générale des Nations Unies, dans sa Résolution / du  décembre 1979 avait ainsi levé, l’option d’inscrire le principe de l’égalité des hommes et des femmes dans les Constitutions nationales ou dans

 La proclamation chrétienne, selon le style moderne abstrait, du principe «universel» de l’égalité du genre humain, est pourtant restée, pendant plusieurs siècles, inapte à défendre les droits des femmes au vote jusqu’à une date récente où, pour les régions arabes du monde, et dans la foulée du mouvement des révolutions arabes de , le roi Abdalah de l’Arabie Saoudite venait enfin d’annoncer, sur un ton de restriction, le  septembre , la possibilité pour les femmes de son pays de participer au vote (pour les élections municipales seulement), à la fois comme éligibles et comme électrices.  Cf. Nations unies, Rapport de la quatrième conférence mondiale sur les femmes, Beijing, - septembre .

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toute autre disposition légale, et d’assurer par voie de législation ou par d’autres moyens appropriés, l’application effective dudit principe (art. ). En accord avec ce processus, Marie-Thérèse Van Lunen-Chenu a estimé que l’ONU était une institution «garante d’une nouvelle anthropologie éthique entre les sexes», du fait qu’elle s’est engagée à déstabiliser tous les systèmes arbitraires de discrimination de la femme, que ça soit au motif de la «naturalité», qui entraine soit à «la hiérarchisation des sexes», soit à la «spécialisation systématique». Pour M.-Th. Van LunenChenu, une telle révolution constitue un «défi éthique de la culture à la foi» autant qu’elle doit être considérée comme un défi «des droits de l’homme à l’Église». Pour démontrer la portée de ce défi, M.-Th. Van Lunen-Chenu explique la différence d’approches du côté de l’ONU et du côté de l’Église. Elle écrit, en effet: si l’ONU, sans nier ou amoindrir la fonction maternelle, évite cependant de déterminer par celle-ci le statut de la femme, il n’en va pas de même pour l’Église qui continue de typer sur un portrait «maternel» la fonction des femmes dans la société, la psychologie personnelle des femmes, leur rapport à l’homme et leur rôle dans l’Église. Là où la nouvelle Convention de l’ONU recommande que l’aide due par la société à la famille et les «conseils relatifs à la planification de la famille» (art. ) concernent les deux parents, l’Église, elle, continue à lier féminité et fécondité, fécondité et «naturalité», comme l’a prouvé le document Humanae vitae. Elles sont aussi peu précisément définies que récurrentes, ces références aux «prérogatives propres» de la femme dans la famille, ou à la «maternité» comme «vocation fondamentale de la femme», et à la «féminité» comme «vocation à la tendresse et à la pitié dont l’humanité aura toujours besoin».

Dans le cadre de cette présentation, M.-Th. Van Lunen-Chenu précise que la «spécificité ‘maternelle’ de la femme se double encore du fait que, dans une anthropologie théologique andro-centrée, la femme reste définie par rapport à l’homme […]. La femme conserve donc pour l’Église à la fois un statut ecclésial d’exceptions […] et un statut personnel (qui s’attache à elle partout) typé sur une spécificité ‘maternelle’ qui continue de déterminer son type de complémentarité par rapport à l’homme». 

M.-Th. Van Lunen-Chenu, «Femmes, féminisme et théologie», dans B. Lauret et F. Réfoulé (dir.), Initiation à la pratique de la théologie. T. . Pratique, Paris, Cerf, , -, p. .  Ibid., p. .  Ibid., p. .  Ibid., p. -.  Ibid., p. .

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C’est dans cet état d’esprit, précise M.-Th. Van Lunen-Chenu, que l’Église continue à soutenir qu’«il ne convient pas que la femme agisse ‘au même titre que l’homme. Tous les deux gardent cette ‘inégalité de fonctions’ décrite comme découlant ‘d’un ordre fondé sur l’essence des personnes […] d’une beauté qui a pour origine la sagesse ontologique de la nature, c’est-à-dire du Dieu Créateur’». M.-Th. Van Lunen-Chenu fait remarquer que dans le système de l’Église, «à la femme ne sont pas reconnus les mêmes droits qu’à l’homme». Ainsi, précise-t-elle: là où l’ONU envisage un développement social pour chaque être, l’Église reste crispée sur «ce qui convient ou ne convient pas à la femme et qui s’étend à la précieuse fonction qui est la leur dans l’ensemble du plan pour le royaume de Dieu et ainsi pour le royaume temporel». Là où l’ONU pense que l’égalité des droits, laquelle implique l’égalité des chances d’éducation et de développement, est un substrat qui ne suppose – ni comme cause ni comme effet – un «identitarisme» entre l’homme et la femme et, de ce fait, s’abstient de dicter à ceux-ci leur différence, l’Église, bien qu’elle s’en défende explicitement, confond l’égalité des droits et identité de la personne.

Il s’ensuit que, pour M.-Th. Van Lunen-Chenu, «ce que l’Église revendique comme un statut d’exception pour la femme, l’ONU le nomme très précisément un ‘sexisme’ et le condamne». À cet effet, on serait devant «une aventure absolument nouvelle que ce défi des Droits de l’homme au christianisme» constitue une occasion pour celui-ci, de se situer «le plus souvent dans une avancée prophétique par rapport à la société profane, pour défendre la dignité de l’Homme-femme». Aujourd’hui, précise M.-Th. Van Lunen-Chenu, «la situation est […] radicalement inversée: la société des nations et de multiples instances nationales ou supranationales se dotent d’outils législatifs nouveaux pour pouvoir poursuivre le sexisme qu’elles condamnent comme une atteinte la dignité humaine». La nécessité de prendre en compte dans l’approche théologique la clarification de l’ONU sur le statut de la femme du point de vue des droits de l’homme, implique une nécessaire articulation de la pensée chrétienne sur l’éthique de la laïcité. En ce sens, l’approche théologique doit redécouvrir le caractère révolutionnaire et authentique de la notion    

M.-Th. Van Lunen-Chenu, «Femmes, féminisme et théologie», p. -. Ibid., p. . Ibid. Ibid.

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de «communion ecclésiale participative» en ce qui concerne la possibilité d’intégration de toutes les catégories de membres du peuple de Dieu dans les services sacrés. Elle a l’opportunité de réactiver cette notion, d’en assurer l’optimisation et l’opérationnalisation à partir du principe correspondant d’égalité en dignité de tous les baptisé(e)s face à l’enjeu du partage équilibré et de l’exercice inclusif des responsabilités ecclésiales. Une telle option conduira les églises et les religions à créer des espaces significatifs d’expression, de réflexion et d’action, qui permettront aux croyants de faire correspondre le dynamisme de leur engagement à la découverte, par notre culture, de l’importance de la société civile, celle-ci étant liée au régime de la démocratie participative. Dans cette direction, l’ecclésiologie catholique la plus récente offre l’occasion de rendre plus opératoire et plus dynamique la notion de l’«Église peuple de Dieu», à la lumière de la notion de démocratie participative. J. Famerée a fait remarquer en effet que le concile Vatican II (-) avait consacré, pour le christianisme catholique, la sortie officielle de l’ère constantinienne, en tant qu’ère d’une monarchie absolue, hiérarchique et institutionnelle de la vie de l’Église. À l’avantage d’une nouvelle ère, J. Famerée relève la réémergence des réalités théologiques et ecclésiales comme l’égalité radicale de tous les baptisés, leur sacerdoce baptismal et prophétique, leur «sens de la foi» […] leurs charismes et donc la mission en paroles et en actes qu’ils ont à accomplir dans l’Église et dans le monde, la compréhension du ministère ordonné comme un service du peuple chrétien et non une domination autoritaire exercé sur lui, la réinsertion partielle de l’évêque au sein de son Église locale diocésaine, la réinsertion partielle du pape au sein du collège épiscopale […] Dans cette perspective théologique, ajoute J. Famerée, non seulement chaque fidèle redevient un sujet parlant et agissant au sein de son Église locale et dans l’Église universelle, mais chaque Église locale devient une Église-sujet […] dans le concert des autres Églises-sujets.

Ce tournant représente l’aboutissement d’une aspiration où, précise J. Famerée, «les fidèles catholiques, comme leurs contemporains, ont de plus en plus été gagnés par la soif de démocratie, de cogestion, voire parfois d’autogestion, à tous les niveaux de la vie sociale, y compris dans l’Église». Le défi était tel que l’on devait savoir si l’Église «saura-t-elle faire davantage place en son sein à des procédures de type démocratique, 

J. Famerée, «Plus de démocratie dans l’Église catholique», p. -.

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à des formes de participation plus effective aux destinées de l’Église catholique, et plus globalement du christianisme?». Il n’est donc pas exclu que la transformation de l’image classique de l’Église en un modèle démocratique, soit rendue possible au sein de la pensée chrétienne, en référence à la notion laïque de démocratie participative. Cette référence aura l’avantage d’entrainer la notion de «communion ecclésiale» dans un processus de déconstruction, qui assurera le passage à une effective décentralisation du pouvoir ecclésiastique, aussi bien à travers la considération des responsabilités des laïcs, qu’à travers la prise en compte des qualités exceptionnelles de la composante «femmes». Dans ce processus, il sera mis en cause clairement, le modèle d’une Église où l’administration «des canaux de la grâce» se négocie entre les seuls «clercs», dans un régime de gestion qui a longtemps tenu les fidèles laïcs dans une position de mineurs passifs. Le processus de déconstruction du modèle cléricaliste d’Église, du reste, inapproprié à l’époque de la laïcité, permettra de considérer le peuple concret, non seulement en tant que peuple qui célèbre en peuple de croyants, mais en tant qu’il est constitué en véritable «force historique de changement» par sa participation de qualité à la vie sociale de tous les jours. Il faut reconnaitre que notre époque plaide pour l’émergence, au sein des églises et des religions, d’une nouvelle conscience de participation des croyants, y compris les femmes, à l’organisation de la vie publique, au-delà du monopole des structures hiérarchiques. C’est dire que, des mesures courageuses devraient être arrêtées au niveau de différents états-majors des églises et des religions, pour constater la caducité et le caractère paralysant du modèle andro-centrique du sacerdoce dirigeant, en vue de favoriser, de renforcer et de consolider le modèle d’une «communion» plus participative et plus mobilisatrice des capacités créatrices et des actions novatrices de tous. Ce climat contribuerait à créer un espace d’une plus grande expression du génie féminin, mêmes dans les cercles et circuits décisionnels en matière de foi, de doctrine et des mœurs chrétiennes. Il revient ainsi à la théologie, la responsabilité d’ordonner la pensée chrétienne dans son ensemble à l’enjeu de cette mutation, en espérant que la logique de celle-ci présidera à l’éclosion de sa nouvelle pertinence publique au sein de la société globale.



J. Famerée, «Plus de démocratie dans l’Église catholique», p. .

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.. Inscription d’une théologie à pertinence publique Cette partie constitue le point de chute de notre analyse. L’argumentaire qui structure ce niveau de notre réflexion, repose sur l’hypothèse suivante: le défi que constituent, d’un côté, les épistémologies postmodernes et, de l’autre côté, les appels d’un nouvel ordre éthique, engage l’approche théologique dans le seul choix possible de son destin postmoderne, celui pour elle de devenir une approche à pertinence publique. Nous venons de montrer ce que la vertu du nihilisme et le génie de la déconstruction suggèrent à l’herméneutique théologique de notre époque. La perspective pragmatique d’une science théologique qui doit devenir une analyse sociale de la révélation, en dialogue avec les structures de l’espace public, et qui doit, en conséquence, réviser les ressorts essentiels de sa démarche, doit beaucoup à la capacité d’intégrer la vraie logique de la revendication qu’expriment les épistémologies du nihilisme et de la déconstruction. La théologie est invitée à se rapporter au régime de ces épistémologies, en le considérant, non pas comme épistémologies parallèles, mais transversales, dans le déploiement de sa propre rationalité et de son approche des situations. Que la théologie soit ainsi invitée à inscrire son programme d’analyse dans les orientations de l’éthique de la laïcité, n’a rien d’une proposition fortuite, qui répondrait à un besoin de correspondre aux impératifs de la mode. Nous l’avons vu, le christianisme dans sa constitution essentielle n’a rien d’une religion supranaturaliste. Il est une instance religieuse de proposition de la vérité selon un mode référentiel dans l’évaluation des évènements de l’histoire et de la vie. En devenant ainsi une herméneutique en situation d’alliée à l’horizon de la laïcité, la théologie est comme mise en demeure de prendre en charge le programme de la situation éthique de notre culture mondiale, et de s’engager à faire du christianisme une religion d’enjeu et d’utilité politique en contexte postmoderne. À l’intérieur de cette réflexion, il est légitime de mettre en exergue la pensée de Benoît XVI lorsqu’il affirme: «La religion chrétienne et les autres religions ne peuvent apporter leur contribution au développement seulement si Dieu a aussi sa place dans la sphère publique, et cela concerne les dimensions culturelle, sociale, économique et particulièrement politique». Il ajoute: «L’exclusion de la religion du domaine public, comme, par ailleurs, le fondamentalisme religieux, empêchent la rencontre entre les personnes et leur collaboration en vue du progrès de l’humanité. La vie publique s’appauvrit et la politique devient opprimante et agressive. Les droits humains risquent de ne pas être respectés soit parce qu’ils sont privés

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de leur fondement transcendant soit parce que la liberté personnelle n’est pas reconnue».

Cette position de Benoît XVI sur ce que doit devenir la religion dans la culture de la laïcité, est d’autant plus compréhensible et provocatrice à première vue, qu’elle correspond à la position de ceux qui pensent que nous appartenons à une époque dite du «droit de Dieu», en tant qu’époque postmoderne. Mais, sous une telle affirmation, c’est une position qui ne peut passer sans en appeler notamment à quelques deux considérations au sein de notre analyse. Dans le cadre de la première considération, il s’agit de savoir dans quel sens convient-il de comprendre la portée de cette suggestion quant à l’urgence de placer Dieu dans la sphère publique. Si c’est dans le sens d’une riposte (ou d’une revanche) contre l’âge d’une «raison moderne, dominatrice du réel […] en sa totalité», qui ne laisse aucune place à l’expression d’aucun autre type de rationalité dans l’approche du réel, l’affirmation de Benoît XVI peut être vue comme l’exemple d’un «diagnostic» inapproprié à l’âge de l’éthique publique, tel que ce diagnostic est orchestré dans des milieux chrétiens apocalyptiques, sur le plan moral. Dans ces milieux, en effet, l’on ne cesse de penser, ainsi que le note P. Valadier, qu’«ayant perdu son fondement chrétien, l’État […] ne peut que glisser à la décomposition progressive et donc avec lui la société moderne», et que, de ce fait, «seule une réaffirmation publique de Dieu et la référence des droits de l’homme à Dieu pourraient ‘sauver’ du pire qui, sans cela, reste le plus sûr». On le voit, la suggestion d’une expression de la religion dans la sphère publique de la vie et de la cité, fait déjà l’objet d’un réquisitoire lorsqu’elle est avancée dans une perspective pessimiste et apocalyptique vis-à-vis de l’ordre éthique actuel. Si cette critique existe à la date de la publication du livre de P. Valadier qui en fait état, on ne saurait comprendre que  ans après, l’Encyclique de Benoît XVI reprenne l’affirmation concernant la valeur publique de Dieu et de la religion dans la cité, sous la forme où elle fait problème, bien que ce style puisse notamment être considéré comme étant lié au langage missionnaire dont la fonction classique est de proclamer Dieu dans toute circonstance. Ce qui s’y trouve  Benoît XVI, Lettre Encyclique sur le développement humain intégral dans la charité et dans la vérité, Caritas in veritate, Rome, Librairie Éditrice du Vatican, , n° .  Cette «raison technicienne [qui] n’accepte aucune limite (morale par exemple) à son emprise: [qui] saccage aussi bien l’environnement naturel qu’elle installe progressivement le règne de l’eugénisme humain» (P. Valadier, Inévitable morale, p. ).  P. Valadier, Inévitable morale, p. .

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mis en cause, ne peut certainement pas tant concerner la valeur spirituelle de la démarche éthique dans la gestion des situations historiques et sociales, que cette façon unilatérale de revendiquer, à la limite du fondamentalisme, la référence à Dieu dans la sphère publique, en dehors de toute postulation de dialogue ou de regard croisé avec la laïcité ellemême. Il faut noter que, sous sa forme d’une affirmation unilatérale, cette revendication de la référence à Dieu dans la culture globale, telle qu’avancée par Benoît XVI, se trouve pourtant appuyée par une position théologique que nous retrouvons chez P. Magnard. Celui-ci estime que, face à la persistance du paradigme libéral à l’échelle universelle, «si Dieu seul dénoue tous nos liens, il est manifeste que l’univers mondialisé, entravé dans des rets de plus en plus étroits, a, plus qu’aucun autre, besoin croissant de Dieu. Seule la religion rassemble dûment, car seule elle est capable de délier». En seconde considération, il faut montrer que, autant cette proclamation par Benoît XVI de la valeur publique de Dieu, ne devrait pas être perçue dans une seule direction comme proposition d’un régime alternatif à la laïcité moderne, autant l’espace politique ne peut s’y ordonner à moindre frais. Les églises et les religions doivent plutôt promouvoir de nouvelles approches de la question de Dieu au sein des herméneutiques se rapportant aux instances de leurs différents langages. Cette option leur permettra de mesurer à l’épreuve du temps, la pertinence même de cette question de «Dieu» à l’âge de l’éthique publique. C’est par la suite, qu’en toute bonne approche théologique, on montrera la nécessité de préserver le pouvoir de la référence spirituelle, et de faire prévaloir ce qu’il en est de sa pénitence, probablement au sein d’une approche qui aura pour tâche de soutenir et d’accompagner les aspirations légitimes exprimées au sein de la démarche éthique sur l’espace de la laïcité. Nous avons montré que l’éthique mondiale, qui se formule essentiellement à partir du terrain de la laïcité, tend à imposer un régime universel de gouvernance globale ordonnée en priorité à la promotion des droits de l’homme à travers la généralisation à l’échelle des nations de la démocratie, en vue d’obtenir l’optimisation des conditions humains et économiques, sociales et écologiques du développement durable. Mais il n’appartient pas à cette espace de la laïcité, ainsi que l’a suggéré P. Valadier, «de convoquer les forces culturelles et spirituelles à l’œuvre  P. Magnard, «Qu’est-ce qu’est la religion?», p. , tel que cité par C. Trottmann, «Qu’est-ce qu’est la religion? Autour du livre de Pierre Magnard. – La religion et l’identité qui vient», dans Revue théologique de Louvain  (), p. .

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en son sein pour les provoquer à tenir un discours responsable et à confronter leurs propositions dans la communication organisée». Cette position est pourtant imprudemment reprise, de manière apocalyptique tout autant, par P. Valadier, qui dénonce le règne d’une laïcité ignorante (de la situation des religions) en France et qui, à la suite de Régis Debray, préconise la nécessité d’un passage d’une «laïcité incompétente» vers une «laïcité d’intelligence». Dans le cadre de ce débat, le problème est à situer surtout du côté des religions et de différents cadres de leurs herméneutiques de la situation humaine. Elles sont vouées à amorcer une démarche salutaire de déconstruction sur le dogmatisme et le fondamentalisme de vieilles doctrines concernant le salut et la libération. On peut admettre que dans leur destin postmoderne, les religions soient ressenties comme des cadres formels de convocation ou de provocation de la volonté humaine à «s’élever jusqu’à Dieu pour voir l’homme semblable à l’homme». Cependant, dans la mesure où elles sont invitées à jouer pleinement leur rôle de cadres de «valorisation de la vie humaine», en étant consacrées à la promotion en elles d’une perspective où toutes les formes et les figures de l’altérité doivent devenir objets «d’un amour effectif et efficace», leurs stratégies discursives doivent devenir des instances théologiques d’expression et de traduction des préoccupations sociales, sociétales et politiques touchant les enjeux de la destinée humaine globale. C’est par là que la possibilité d’un nouveau contrat théologique avec l’éthique de la laïcité, sera envisagée comme le cadre d’une nouvelle donne épistémique de l’herméneutique chrétienne dans son ensemble. Il ne sera pas question de préconiser, à la manière de P. Magnard, «l’inscription du sacré dans le fonctionnement de l’État», à l’idée que ce serait «précisément l’absence de Dieu qui est la racine la plus profonde de la souffrance». Nous ne saurons pas non plus faire passer l’idée 

P. Valadier, Inévitable morale, p. . P. Valadier, Détresse du politique, force du religieux, Paris, Seuil, , p. .  P. Magnard, «Qu’est-ce qu’est la religion? Autour du livre de Pierre Magnard. – Religion, chemin d’humanité», dans Revue théologique de Louvain  (), p. .  J. Leclercq, «Qu’est-ce qu’est la religion? Autour du livre de Pierre Magnard. – Le religieux et ses paradoxales résurgences», dans Revue théologique de Louvain  (), p. .  P. Magnard, «Qu’est-ce qu’est la religion? Autour du livre de Pierre Magnard. – Religion, chemin d’humanité», p. . Sur ce point, P. Magnard a écrit avec une remarquable justesse de propos: «il n’est d’humanité rassemblée sans une transcendance qui lui impose ses devoirs et détermine son orientation de la marche en avant» (ibid., p. ).  Benoît XVI, Lettre Encyclique sur l’amour chrétien, Deus caritas est, n° . 

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que la théologie a besoin de se transformer en une anthropologie chrétienne en vue de reconquérir sa crédibilité sur l’espace public. Mais on conviendra qu’au-delà d’un dogmatisme de quelques principes isolés, la charge de rendre pertinent et de faire prévaloir, sur la sphère de la laïcité, le traitement des problèmes humains à partir de ce que nous inspire la référence authentique à l’idée inévitable de transcendance et à la question inéluctable de Dieu, revient essentiellement à la stratégie discursive de la théologie. Peut-être importera-t-il de reconnaitre que la nécessité d’une perspective politique globale d’écriture théologique concerne plus le régime du christianisme. Et ce d’autant plus que, jusque-là, une telle perspective du théologique au sein du christianisme a suivi l’ordre d’un engagement prophétique d’interpellation du politique, sans toutefois favoriser la transposition du religieux global vers le politique. P. Valadier a indiqué, nous l’avons noté, que les monothéismes juif et chrétien n’ont pas été prédisposés à la transposition directe de leurs paroles sur les champs du politique, parce que dans les deux cas, il y a une distance critique à l’égard du régime politique qui est l’objet de l’évaluation morale. La carence d’une herméneutique théologique du politique au sein du christianisme, constitue probablement le motif qui a poussé D. Bonhoeffer à avancer, dans Résistance et soumission, l’idée d’un «christianisme non religieux», en envisageant une réorientation de sens public du concept de transcendance dans l’expérience chrétienne: «Être pour les autres, écrit-il, est l’unique expérience de la transcendance». L’enjeu d’une telle perspective de réflexion théologique, consiste à nous ramener à l’horizon de notre culture où les rapports sociaux, institutionnellement structurés, imposent une logique de gouvernance globale, qui est du ressort de la sphère publique sur l’espace de la laïcité. Il en résulte, pour l’herméneutique théologique, que la relation à la laïcité ne relève plus d’une démarche volontaire, mais d’une contrainte épistémologique. Dans tous les cas, il revient à l’analyse théologique de s’engager dans une démarche de réconciliation avec la laïcité, en transformant les défis de l’espace public en ses propres questions; non pas seulement en tant que questions d’orientation fondamentale, telles que celles d’altérité et d’intersubjectivité, qui s’expriment dans le social et le sociétal, ou celles de la diversité culturelle et de la solidarité, qui en appellent à un climat d’hospitalité, ou encore celles liées à l’horizon mondial de gestion de la vie, 

P. Valadier, Détresse du politique, force du religieux, à travers la recension de ce livre telle que faite par W. Lesch, dans Revue théologique de Louvain  (), p. .

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là où cet horizon ouvre à de nouvelles perspectives. Mais elle doit apprendre à s’articuler sur les questions d’effectuation sociopolitique concernant l’éducation à la citoyenneté, à la gouvernance de l’environnement, à la santé publique, à un habitat et à une intégration sociale digne de l’humain, etc. Il apparait aujourd’hui qu’aux antipodes des églises et des religions, le terrain de l’éthique de la laïcité offre beaucoup plus de chance et de garantie de succès à la recherche des solutions aux défis du respect de l’égalité homme-femme, de formation au respect des droits humains (contre le racisme, la torture, la criminalité sous toutes ses formes, les injustices socioéconomiques et politiques inadmissibles), d’éducation au respect des cultures dans l’hétérogénéité du cosmopolitisme. Le contrat théologique avec la laïcité ne prendra peut-être pas la forme d’une alliance entre le théologique et le politique dans le cadre de ce que P. Valadier appelle «permanence du théologico-politique». Si contrat il y a, il sera envisagé dans le sens d’une nouvelle situation d’option théologique, qui engagera l’herméneutique chrétienne, de manière la plus résolue possible, dans une nécessaire et indispensable articulation au politique ainsi qu’à l’ensemble de la sphère publique. Une théorie post-métaphysique de la religion sera mise à contribution dans cette approche. Cette théorie fera, certes, respecter la spécificité de la religion en tant que «processus de symbolisation et visée de l’absolu» (P. Gisel). Mais sa fonction sera surtout de permettre à la théologie, à la fois, d’œuvrer «sur un horizon précisément de l’absolu» et de s’investir dans une démarche d’analyse politique, en considérant celle-ci comme un terrain approprié à l’enjeu global de son propre programme théorique en tant que tel. Il s’agit là d’un paradigme qui offrira à l’herméneutique théologique aujourd’hui, la possibilité de s’énoncer sous le format d’un véritable programme d’analyse, ordonné à la tâche de construction permanente d’un monde à la hauteur d’homme, c’est-à-dire de l’humain authentique, sur base des présupposés de l’éthique universelle, qui dressent à notre époque les grandes orientations normatives et juridiques de la gouvernance éthique du destin humain dans son ensemble. D. Tracy a montré que, si de tout temps, il y a du théologique là où il y a entreprise d’éclairement, systématique et intellectuelle, sur fond du religieux, des questions ultimes de l’humanité et du monde, en postmodernité, «les grandes questions humaines de la finitude, de la culpabilité, de l’angoisse et de la mort doivent être éclairées dans une théologie digne 

Cf. P. Valadier, Détresse du politique, force du religieux; et surtout: La morale sort de l’ombre, Paris, DBB, .

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de ce nom». Et cette théologie digne est celle qui, actuellement, devrait se convaincre que «ces questions […] ne peuvent vivre qu’à condition de devenir explicitement historique et politique». Dans le même ordre d’idée, P. Gisel note, qu’à partir d’une rationalité inséparablement analytique et critique, qui révèle que toute religion n’est pensable qu’à l’articulation d’une opération d’institutionnalisation et d’une visée de transcendance, la théologie sera une opération typique de réconciliation et de reconversion en «rationalité publique». Il s’agit de se réaliser que la théologie «touche à la modalité de l’interrogation ou au type de regard, couplé à une conscience historique en principe particulièrement accusée et à un rapport au réel». Explicitant cette pensée, Y. Labbé relève que l’acte théologique obéit à une opérationnalité qui a pour charge de reprendre les acquis des sciences humaines, mais avec une perspective transversale parce que transcendantale. Et, il prolongera aussi l’intention de la réflexion philosophique, mais avec le souci de la réinscrire dans l’historique, le social et le culturel. Dans le cadre de ce tournant, la démarche va consister à déjouer la tendance générale à «limiter […] la recherche théologique à l’élucidation de la communauté ecclésiale», tendance qui a fait «le jeu de ceux pour qui les convictions individuelles et communautaires n’ont plus aucune prise sur l’universel», celui-ci étant «réduit au fonctionnement systématique de la technique, du marché et des médias». Cette dernière conception de l’herméneutique chrétienne, est restée longtemps celle concernée par la partition de la rationalité moderne et sa tendance à «renvoyer la théologie à la seule intelligence d’une foi donnée, de son histoire et de sa pratique». À travers ce dessein moderne, «la théologie» est restée comme coupée «d’une pertinence publique», en œuvrant en dehors d’«un horizon qui soit commun» au monde et à l’humanité effective. C’est pourquoi elle sera vue toujours comme «affaire d’Église (s) et d’une décision en définitive privée, subjective, arbitraire».



D. Tracy, «La désignation du présent», p. . P. Gisel, La théologie face aux sciences religieuses. Différences et interactions, Genève, Labor et Fides, , p. .  P. Gisel, La théologie, p. .  Cf. Y. Labbé, «Théologie ecclésiale, théologie universitaire», dans Revue théologique de Louvain  (), p. -.  Ch. Théobald, Le christianisme comme style. Une manière de faire la théologie en postmodernité, Paris, Cerf , p. .  P. Gisel, «Résonances et mise en perspective. La théologie en condition postmoderne», p. . 

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Aujourd’hui, la théologie traverse l’âge de sa nouvelle conscience quant à ses responsabilités face aux défis de l’histoire contemporaine du monde. L’urgence pour elle d’accompagner positivement les efforts et les projets, les requêtes et les actions de l’humanité sur les perspectives éthiques de transformation du destin de la planète, rentre dans la définition de sa tâche essentielle. En contexte de réponse au défi du marxisme, Teilhard de Chardin a eu le grand mérite d’assigner à la théologie la tâche de capter les forces vivantes de notre époque et d’intégrer l’herméneutique de la foi dans une vision dynamique du mondain. En tenant compte du fait que le phénomène humain est enserré dans le prisme de l’environnement tant naturel que social, cette invitation de Teilhard de Chardin allait entrainer le concile Vatican II dans une mutation qui assurerait le passage d’un «christianisme du dédain du monde, d’évasion, et de défiance à l’égard de la science, pour un christianisme du dépassement de soi et de dialogue profond avec le monde». Cette approche conserve encore sa pertinence, là où elle nous permet de réaliser que c’est dans le monde, et nulle part ailleurs, que tout semble se jouer pour la destinée de l’humanité, y compris l’ouverture à la révélation de l’absolu et l’enjeu du salut dans tous ses aspects. Si Dieu est Dieu, objet d’aspiration ultime, c’est parce qu’il y a le monde en tant lieu où tout a lieu, y compris la rencontre de cet Absolu. L’idée de transcendance devient corrélative à celle de la contingence radicale. Ainsi ne vivonsnous plus le moment où la théologie devrait se tenir à l’écart ou à distance des enjeux de l’existence humaine dans ses processus vitaux de réalisation. Si bien que, sans subir, selon leur logique, les orientations fondamentales de l’éthique de la laïcité, la théologie devrait s’en saisir comme tremplin et source indispensable d’une nouvelle énergétique de réinterprétation chrétienne de la vie. Autant la consistance de la révélation divine dans l’histoire tiendra-t-elle de cette réinsertion dans le vécu et dans la trame de l’épaisseur démocratique de l’espace public, autant la situation de la théologie demeurera fébrile à l’absence de cette articulation à l’espace global de la laïcité. Ch. Theobald a eu raison de relever que le régime de la foi dans le christianisme doit être tenu comme «inséparable d’une manière de

 R. Garaudy, Vers une guerre de religions. Le débat du siècle, Paris, DDB, , Annexes, p. .  Cf. À la lumière du livre biblique des Actes des Apôtres, chapitre ,-: tout de Dieu, dons, grâces et bénédictions, se reçoit à partir du monde créé et dans l’histoire, bref, à partir de l’environnement naturel et social d’éclosion et de promotion de la vie.

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procéder et de se situer dans l’existence». En expliquant la portée de cette pensée, B. Bourgine fait remarquer, à l’encontre de Von Balthasar, que la normativité du canon des Écritures n’est pas tant constituée par le centre unique de la figure du Christ, que par la relation entre lui et les siens. Il faut en tirer toutes les conséquences sur le mode du déploiement du théologique. Tout régime de rationalité de la foi doit en effet fonctionner comme rappel du fait que Jésus n’a rien codifié d’avance dans l’ordre de la pratique, et que le style du christianisme comme mode d’habiter le monde fut inauguré dans le jeu relationnel noué par lui avec ses proches et d’autres protagonistes de son existence et de sa mission. La théologie chrétienne de l’âge postmoderne sera dans sa vraie position, lorsqu’elle adoptera le style d’un mode public d’inscription, lequel mode la liera, d’une façon ou d’une autre, à la pédagogie de la laïcité. L’approche styliste du christianisme tire ainsi des Évangiles bibliques l’exemple de la «capacité d’apprendre» du Messie auprès des disciples et de tous ceux qui l’entourent, y compris les foules qui le suivent. Il ne s’agit pas seulement de la «capacité d’apprendre» que les disciples croient en ses paroles et actes, mais aussi d’apprendre que les personnes à sa suite ont faim et de trouver comment et de quoi les nourrir (Jn ,-), d’apprendre qu’ils recherchent une bonne santé et d’agir pour guérir (Jn ,-). Ce qui renseigne que le christianisme authentique ne consiste pas dans la mise en scène figurante de Jésus seul (y compris comme Christ), mais, à la manière des Évangiles, il est la jonction (dialectique et interactive) du style messianique et eschatologique de Jésus, son hospitalité au quotidien et sa posture d’apprentissage, qui portent et relancent toujours de nouveau la dynamique chrétienne, supposant et impliquant tout à la fois les horizons de différentes relations et connexions à l’humain et au social, au politique et au culturel. En admettant que l’approche styliste du christianisme «conduit à renouveler le champ théologique en fonction d’un ajustement toujours plus fidèle à ses sources et à son contexte culturel», nous voulons également souligner la nécessité pour le mode du théologique de rentrer dans cette capacité d’apprentissage du christianisme, telle que cette capacité résulte de la posture d’apprentissage de Jésus. La théologie doit ainsi rejoindre le processus d’insertion globale dans le procès d’apprentissage  Ch. Theobald, Le christianisme comme style. Une manière de faire la théologie en postmodernité, p. .  B. Bourgine, «Recension», dans Revue théologique de Louvain  (), p. .  Ibid., p. .  Ibid., p. .

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de l’histoire des sociétés, des cultures et des religions. À l’instar de cette pédagogie, la théologie aujourd’hui n’a pas de choix lorsqu’elle est invitée à s’investir dans la nouvelle tournure épistémologique qui prenne en charge et en relai la réflexion sur les défis de l’éthique mondiale en vue de les transformer en enjeux théologiques et pratiques, au plan sociopolitique, écologique et sécuritaire. Il devient légitime pour la réflexion théologique de se retrouver là où notre civilisation est résolument engagée dans le combat pour la défense de la vie dans toutes ses dimensions. L’articulation de la pensée chrétienne aux standards de l’éthique universelle, essentiellement à travers la promotion du cahier de charge des droits humains, doit déterminer la démarche globale de la théologie. Cette perspective convoque l’herméneutique théologique à adopter une pédagogie de formation à de différentes «contingences» de la vie, en révisant en profondeur les enjeux d’un nouveau rapport à la foi (à la religion), sans qu’il ne soit possible pour elle de retomber «ni dans le supranaturalisme et le fondamentalisme de ses références, ni dans le positivisme de ses doctrines et de ses institutions, ni dans le fidéisme». L’âge de la déconstruction pousse ainsi l’herméneutique théologique à assumer toutes les conséquences de ce qui advient au régime de son héritage classique, à se délivrer de l’enfermement religieux qui résulte du maintien de l’ordre de «frontières entre discours propres, rationalités instituées ou ‘intérêts’ spécifiques», à se défaire de la logique moderne de binarité (religieux-laïc, transcendance-immanence, sacré-profane, facticité-Absolu, naturel-surnaturel), et à se retrancher de quelques autres tendances de la raison moderne, dont l’«unidimensionnalité, réduction à soi, propension totalitaire». Nous l’avons noté, une grande partie de l’histoire de la théologie est restée tributaire de l’horizon métaphysique, en tant qu’horizon à travers lequel la pensée chrétienne a été conçue comme «un projet de domination», de fondement dernier et de présence pure, fonctionnant en «mode d’opposition» et d’exclusion par rapport à l’ensemble du monde créé. En épistémologie postmoderne, tout ce qui est placé en mode des «couples» différenciés et en jeu d’opposition par la logique de la rationalité moderne, dit et révèle pourtant ce qu’est, en vérité, notre condition 

B. Bourgine, «Recension», p. . P. Gisel, «La postmodernité: mise en place et enjeux», p. .  Ibid.  Ibid., p. .  P. Gisel, «Résonances et mise en perspective. La théologie en condition postmoderne», p. . 

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humaine globale. Le tournant postmoderne en théologie consiste précisément dans une démarche critique et déconstructive de ces oppositions, là où elles ont maintenu l’horizon de la laïcité dans une position de subordination à l’intérieur d’un discours religieux délesté, et là où elles constituent à ces jours un danger pour la théologie de continuer à s’abstraire de la réalité de notre condition terrestre , en tant que condition du monde et de l’humain. Dans son nouveau conditionnement, la théologie devient «une réflexion radicalisée sur la condition humaine en général». C’est en effet à l’intérieur d’un tel format de réflexion que se trouvera «réinterrogée la finitude et ses différents marquages». Ce qui implique que la démarche de la théologie aujourd’hui, ainsi que le précise P. Gisel, sera globalement envisagée dans une relation d’intégration à tout ce qui appartient à «l’économie de toute existence humaine aux prises avec une contingence ou une facticité irréductible, non maîtrisable et bonne, une contingence et une facticité que tout à la fois on ne peut que reconnaître et honorer, parce qu’il y a du mal, parce qu’il du Dieu, et parce qu’il y a, à jamais, des différends (hors consensus)». Les marges de la présente analyse nous renvoient à la légitimité d’une perspective théologique, qui doit correspondre à la condition véritable du rapport au système du religieux et de la foi. Cette perspective sera celle qui réussira à ordonner l’acte théologique à la fonction de figuration de la vie (dans le social, le culturel, le politique, l’axiologique), du monde et de l’histoire, en quête d’une vraie et juste direction, sur fond du surgissement de l’absolu. En s’élaborant sous ce style, l’herméneutique théologique saura par exemple que «toutes les pratiques sociales ne sont pas des pratiques religieuses». Mais elle apprendra à être un modèle d’une herméneutique qui suit l’ordre du système religieux effectif, en ayant fondamentalement «affaire à la totalité des pratiques humaines». L’orientation globale sera celle d’une pensée théologique qui, sur fond de l’absolu (comme excès) ou de la religion dans son visage authentique, ne pourra fonctionner qu’en restant alignée sur une  P. Gisel, «Résonances et mise en perspective. La théologie en condition postmoderne», p. .  Ibid.  J. Joncheray, «Compte rendu de: P. Gisel et J.-M. Tetaz (dir.), Théories de la religion. Diversité des pratiques de recherche, changement des contextes socio-culturels, requêtes réflexives (Religions en perspective), Genève, Labor et Fides, », dans Revue théologique de Louvain  (), p. .  Ibid.

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modalité anthropologique s’exprimant à travers l’acte existentiel de «croire», sans aucune marque d’exclusion et d’opposition face à l’ordre du monde en général. C’est pourquoi le génie de cette méthodologie théologique consistera essentiellement en «une mise en forme symbolique des données anthropologiques ainsi» qu’à «une inscription de divers jeux de partitions des ordres de la raison et des modes de structuration du monde, de la vie et de l’humain». En tant qu’activité de systématisation de ce qui est donné dans les religions, la théologie ne se limitera pas, comme l’explique P. Gisel, à un «déploiement de l’intelligibilité interne d’une foi donnée, un intellectus fidei». Son activité s’étendra à un «débat touchant notre identité socio-culturelle globale», dans le cadre d’«une compréhension du religieux, bien sûr, mais une compréhension du social aussi». C’est toute la structure de l’herméneutique théologique, qui doit être conçue aux antipodes de la considération de savoirs religieux sous le mode propositionnel de légitimation des doctrines énoncées. Les épistémologies postmodernes permettent en revanche d’activer un régime d’épistémologie théologique, qui s’élaborera au sein d’une problématique large, qui se formulera dans un projet global, parce qu’elle sera obligée de devenir une approche résolument «ordonnée à des réalités anthropologiques et sociales […] de tous», pour être en mesure de «rendre compte de son approche dans des termes globalement humains et selon une argumentation ou une rationalité […] de pertinence publique». À travers la déconstruction, en effet, l’entreprise théologique tend à se concevoir comme une tâche d’ébranlement des régimes de fixation dogmatique. Elle s’ordonne, positivement, à la tâche de constater la perte de pertinence au sein de notre culture, de modèles de la pensée chrétienne alliée à la «métaphysique spéculative, qui croyait pouvoir démontrer l’existence d’un Être suprême au-delà du monde». Elle a conscience que, aujourd’hui, c’est l’horizon du monde, qui se constitue en véritable défi de sa méthodologie. Par ce schéma, la théologie tirera à son profit 

P. Gisel, La théologie face aux sciences religieuses, p. . Ibid., p. ; «Penser la religion aujourd’hui. Données et tâches à assumer à partir de la tradition théologique», dans P. Gisel et J.-M. Tetaz (dir.), Théories de la religion, Genève, Labor et Fides, , p. .  P. Gisel, La théologie face aux sciences religieuses, p. .  Ibid., p. .  Ibid., p. .  J. Richard, «Société pluraliste, identité nationale et foi chrétienne», dans C. Menard et Fl. Villeneuve (dir.), Pluralisme culturel et foi chrétienne. Actes du Congrès de la société canadienne de théologie, Québec, Éd. Fides, , p. . 

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les motifs qui l’autorisent à se déployer sous l’horizon d’ouverture et d’articulation à la laïcité de la société globale. En dehors de l’exercice de clarification des doctrines de base (propres aux religions) au fil de l’évolution des sciences, la tâche essentielle de la théologie ne se prête plus à une explication le l’ontologie identitaire des mystères de la foi ou des objets de croyance. Dans sa nouvelle démarche, l’épistémologie théologique est portée à constater que le rapport à Dieu, à Jésus-Christ et à l’Église, ne sera pas garanti par la seule préoccupation identitaire, qui lie aux fondamentaux de la foi. Ce rapport, pour être ressenti comme vital, doit être élaboré, en vertu de la dimension anthropologique essentielle, en fonction de la nécessité de prise en compte de l’insertion sociétale et politique, telle que cette insertion est elle-même reliée à la problématique de gouvernance de l’espace public à la faveur de toutes des communautés humaines au-delà du religieux. Le modèle de cohabitation propre aux sociétés pluralistes, ne permet pas de percevoir les communautés confessantes, ecclésialement constituées, dans un rapport de face à face avec les communautés humaines, sociologiquement structurées. L’espace-monde est constitué de communautés de destin, socialement et politiquement parlant. Au sein de ces communautés de vie et de destinée, il y a certes une diversité des convictions et disparité d’intérêts. Mais structurellement, les différents rapports sociaux sont réglés par le partage d’un ordre de gouvernance publique touchant aux questions communes de justice et de démocratie, et à la problématique de besoins vitaux et de droits fondamentaux. La dimension du défi théologique se situe au niveau d’un engagement humain total, de telle sorte qu’une théologie qui a pris l’habitude d’analyser des problèmes dits extra-religieux, juste pour le besoin de la mission d’évangélisation, devrait faire place à l’émergence d’une dynamique théologique en alliance d’intelligence globale avec la laïcité pour le service de la société et du monde. À partir des mécanismes qui président à une restructuration de son tissu formel en contexte postmoderne, la théologie offre le potentiel et la capacité d’un tel redéploiement, sur base d’une assimilation opérationnelle des données d’analyse relatives aux défis de notre époque. La conscience du nouveau conditionnement épistémologique ne sera pas considérée «comme la pire épreuve», mais elle doit «devenir la plus grande chance» pour la poursuite de l’activité théologique en situation de contingence radicale. 

P. Magnard, «Religion, chemin d’humanité», dans Revue théologique de Louvain  (), p. .

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Il en va pour la théologie, de la nécessité de retrouver, de façon qui corresponde aux attentes des sociétés en mal de gouvernance ou en proie à la corruption structurelle, une position «charismatique» lui permettant à la fois, de bénéficier d’un crédit public, et de provoquer de l’intérêt, non seulement auprès de la nouvelle conscience croyante, qui devient de plus en plus exigeante, mais aussi à l’intérieur de la masse d’hommes et des femmes, qui se côtoient et se rassemblent autour de l’idéal de lutte pour faire triompher les valeurs fondamentales au nom d’une seule conviction: la transformation positive de la planète. À cet égard, la théologie doit voir ses ambitions augmenter, en se dotant d’une méthodologie et d’un cahier de charges à la hauteur des enjeux de sa nouvelle énonciation à travers une courageuse imprégnation des problèmes de la vie publique. Dans cette posture, elle doit avant tout relever le défi crucial de sa réconciliation avec l’espace global de la laïcité, en vue de s’assurer de son rôle positif et actif en faveur de cet espace humain dans ses options fondamentales et ses engagements légitimes pour la formation d’une «communauté morale consistante», à l’échelle mondiale et de portée universelle.

.. Nécessité d’une articulation sur un cahier de charges Le contexte postmoderne de l’existence croyante, nous l’avons noté, exprime le besoin d’une texture théologique totalement nouvelle, celle qui puisse se mesurer à la nécessité de prendre en charge, dans une réflexion chrétienne d’impact visible et durable, la dimension sociale et les enjeux éthiques de la gouvernance publique. L’approche théologique voulue sera celle qui s’assignera la tâche d’accompagner, selon les marges d’une contribution d’intérêt public, les nouvelles formulations collectives de besoins et aspirations d’une réintégration sociopolitique réussie des humains, en face de nouveaux défis de l’existence liés à l’époque de la planétarisation des problèmes et d’une recherche consensuelle des solutions durables. En direction de cette requête, nous ne préconisons pas l’idée de refaire une théologie du politique (J. B. Metz), ni une théologie du travail (M. D. Chenu), ni non plus une théologie du social (R. Coste) selon les pistes disponibles. Dans cette entreprise, nous resterons vigilant quant au piège d’un «puritanisme» qui, selon Tocqueville, «se caractérise 

P. Valadier, Détresse du politique, force du religieux, p. , en référence à JeanMarc Ferry.

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par un certain type de confusion du religieux et du politique». En revanche, notre souci de voir la théologie, dans toute sa dimension d’entreprise de systématisation des questions de la vie à partir de la sphère du religieux vivant, et dans sa portée globale de déploiement, être envisagée selon la perspective sociopolitique, comme une sorte d’opération d’accompagnement positif et de légitimation critique des options éthiques défendables à notre époque qui se caractérise par une recherche concertée de nouveaux équilibres humains et écologiques, politiques et socioéconomiques à l’échelle de la planète. ... Du théologique à portée sociale En partant de ce qui a été taxé de «théorie critique» dans l’histoire contemporaine de la pensée, un courant philosophique s’est investi dans une démarche de dénonciation de l’oubli de la société et du social dans la méthodologie du modèle libéral (et idéaliste) de la rationalité moderne. Le présupposé de cette critique c’est la conviction que la dimension sociale de l’existence humaine dans la gestion de la vie en général représente, et il est vrai, le front crucial de réalisation historique et d’accomplissent public de l’être humain sur le chemin de sa destinée. En direction de ce constat, le paradigme libéral connait aujourd’hui une profonde crise de légitimité et de plausibilité. Sur le plan épistémique, l’approche théologique se réorganise et préconise l’idée d’une réception intelligente du paradigme pragmatique en tant que théorie de la vérité chez C. S. Peirce (sur le plan éthique) et chez Dewey (sur le plan sociopolitique), en vue de couper avec les amarres d’une ontologisation systématique de différentes thématiques du phénomène religieux dans tous ses aspects de révélation et d’assignations dans les cultures. À la suite de la théorie critique, D. Tracy a soutenu que toute théorie de connaissance en situation herméneutique, doit être en mesure de s’évaluer sur le plan de la valeur pragmatique, qui détermine l’horizon et la visée de la vérité qu’elle construit ou qu’elle prétend démontrer. La pertinence de cette proposition est d’une telle acuité que le besoin de rendre compte 

Selon A. de Tocqueville, «le puritanisme n’était pas seulement une doctrine religieuse; il se confondait encore en plusieurs points avec les théories démocratiques et républicaines les plus absolues» (A. de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, t. , e partie, chap. ; tel que cité par P. Manent, «Christianisme et démocratie. Quelques remarques sur l’histoire politique de la religion, ou, sur l’histoire religieuse de la politique moderne», dans P. Colin et al., L’individu, le citoyen et le croyant, Bruxelles, Facultés universitaires Saint-Louis, , p. .

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des fruits éthiques et des conséquences sociopolitiques de toutes les possibilités de connaissance, marque la majeure partie des épistémologies à notre époque. Au sein d’une approche théologique, l’analyse de D. Tracy a eu le mérite de montrer la valeur paradigmatique de l’orientation pragmatique dans toute interprétation de la vérité. Son analyse indique que la rupture opérée par le pragmatisme classique avec la conception passive de la connaissance, constitue une contribution remarquable aux discussions contemporaines sur les critères rationnels pour l’évaluation. Il s’agit, pour le moins, d’une perspective à utilité épistémologique considérable. Elle révèle la nécessité d’évaluer la cohérence ou l’incohérence de toutes les prétentions concernant la connaissance commune, relativement la plus adéquate qui soit à notre possession. L’orientation pragmatique participe ainsi de la mutation significative dans laquelle se définissent les marges qui encadrent le déplacement de notre époque, en tant qu’époque post-libérale. De M. Freitag, nous tenons que, là où «la modernité politico-institutionnelle tendait partout à séparer de manière ‘catégorique’ les modalités de l’action humaine (cognitive, normatives, esthétiques) ainsi que les champs institutionnalisés de l’action collective (les ‘instances’ politiques, économiques, culturelles, par exemple), en les soumettant chacun à des principes et à des procédures de régulation formels spécifiques, à caractère universalistes, […] la postmodernité tend [à relativiser] les frontières entre les modes d’action, les instances et les institutions, puisque chaque lieu d’action organisée de manière autonome, décentrée et excentrée, ressaisit librement-pragmatiquement tous les éléments et aspects de l’environnement concret qui sont pertinents du point de vue de la réalisation de ses objectifs». Il importe de noter que la démarche de M. Freitag est portée par la préoccupation de démontrer aussi bien le caractère idéologique de la modernité, que le danger d’aliénation que comporte la postmodernité. Cependant, son analyse nous permet de réaliser à quel point les modalités de la transition, qui assurent le passage à la postmodernité, forment  D. Tracy, Pluralité et ambiguïté, p. ; en référence à J. Dewey et G. Deledalle, Le pragmatisme (Textes choisis et présentés par), Paris – Montréal, Bordas, ; H. M. Eze, A Critical Examination of Instrumentalism in John Dewey’s Pragramatism, Roma, P.U.G., ; C. S. Peirce, Collected Papers of Charles Sanders Peirce. Vol. : Pragmatism and Pragmaticism, Cambridge, MA – Londres, The Belknap Press of Harvard University Press, .  M. Freitag (avec Y. Bonny), L’oubli de la société. Pour une théorie critique de la postmodernité, Québec, Presses de l’Université Laval, , p. .

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le faisceau de la réalité telle qu’elle se manifeste sur le plan socio-historique actuellement. La postmodernité repose ainsi sur une vision holiste et réconciliatrice de différentes manifestations et de diverses productions de la culture globale. Elle encourage le sens de la mesure et d’équilibres entre les instances de la vie, en dehors de toute logique des extrêmes et d’oppositions. L’accent est mis ici sur l’importance d’une perspective éthico-pragmatique, en tant que paradigme opérationnel dans tout processus de savoir et d’accès à la vérité, là où ce processus vise un minimum de pertinence publique dans ses résultats, en vertu de l’appréciation qui s’ensuit sur le plan sociopolitique. Dans sa progression, le pragmatisme a entrainé des transformations remarquables sur la configuration de différents processus décisionnels et de modes organisationnels classiques. Selon M. Freitag, «les paradigmes organisationnels sont très submergeant, les théories de l’influence se substituent aux théories du pouvoir, les schèmes actionnalistes d’analyse sont reformulés en termes de modèles communicationnels, interactionnels, informatiques, cybernétiques et systémiques, et on voit prédominer dans presque toutes les disciplines une approche ‘pragmatique’ et ‘opérationnelle’». Ce schéma consacre des régimes et des systèmes du savoir qui aboutissent ou qui font aboutir à des résultats ayant valeur opérationnelle, et requièrent une «consommation» pour un public plus large. Si elle doit endosser la ligne du pragmatisme, la théologie en contexte postmoderne devra accepter de rompre, au fond de son système, avec le règne du «savoir tranquille» en matière de connaissance religieuse. Dans ce paradigme, toute activité de réflexion théologique, qui aura conscience de s’ériger sur le «pouvoir prophétique» des religions (impliquant, au-delà du militantisme, l’éveil au sens de la critique et l’ouverture à une dynamique d’engagement), ne pourra aucunement représenter le cadre d’un savoir passif et neutre. L’enjeu de cette mutation fera retrouver à la théologie le terrain authentique de sa définition comme science spécifique. En effet, A. Gesché a montré que dans le concert des sciences, la théologie a qualité d’une «science des surplus». Cherchant à identifier le réel et à l’expliquer, précise A. Gesché, l’univers des sciences (en général) sera toujours préoccupé par l’horizon du savoir. La philosophie pour sa part, soucieuse de faire une monstration du réel à partir  M. Freitag (avec Y. Bonny), L’oubli de la société. Pour une théorie critique de la postmodernité, p. .  Cf. J. Greisch et al., La crise contemporaine. Du modernisme à la crise des herméneutiques, Paris, Beauchesne, , p. .  E. Jünger, cité par A. Gesché, Dieu pour penser. T. . L’homme, p. .

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d’un métalangage, s’intéressera encore à l’horizon du sens. La théologie, elle, en parlant du salut, exprime le souci de la destinée et s’occupe fondamentalement du sort de l’homme. La théologie poursuit le sort de l’homme tel qu’il est convenablement ou non pris en charge socialement, politiquement et spirituellement, selon que le recommandent l’ordre d’une éthique de la dignité des personnes humaines et les exigences de la défense (ou du service) de cette dignité dans les espaces de la révélation historique. En restant dans la parfaite cohérence de sa fonction fondamentale, la théologie sera construite aux antipodes du modèle fidéiste du vécu religieux. Après avoir eu le privilège de frayer «sa place dans l’univers croyant, mais aussi […] dans l’espace de la culture en général», elle gardera désormais son statut d’une rationalité de la foi. À ce titre, elle parlera de l’homme en étant toujours une herméneutique de la foi, qui aura pour tâche de maintenir vivante «la spécificité de sens et d’agir, pour que les croyants puissent être et rester des véritables croyants […] pour qu’ils puissent ainsi s’annoncer à eux-mêmes […] un discours sur l’homme qui soit spécifique et qu’ils ne peuvent galvauder et laisser se perdre en croyances […] aberrantes et en pratiques aliénantes, sous peine d’assassiner cette foi dans le cœur et dans l’esprit des hommes». Mais, dans cette fonction même, la théologie a la responsabilité de délivrer la notion de «Dieu» de la conceptualisation métaphysique. Cette conceptualisation a présidé à l’«ontologisation» des «objets» de la foi, en favorisant le règne d’un surnaturalisme dégradant de la religion et des spiritualités morbides en contexte de la modernité. À travers un tel processus théologique de déconstruction de l’univers métaphysique, la tâche sera de retrouver la vraie et authentique fonction de toute «référence à Dieu», en tant que fonction auto-implicative et performative touchant la dimension du vécu et des comportements au plan socioreligieux et sociopolitique ainsi qu’au plan de l’environnement global. Il en résulte que, imaginer une utilité sociale ou un rôle politique de la religion, de la foi et de la théologie, ne serait pas quelque chose de fortuit dans le mouvement de la pensée. En effet, ainsi que l’a fait remarquer A. Gesché, «dans le mot ‘Dieu’ se trouve ultimement symbolisée, rassemblée et déterminée toute une manière de comprendre l’homme et la société, le type d’homme  

A. Gesché, Dieu pour penser. T. . La destinée, p. . J. Ladrière, «Science et théologie», dans Revue théologique de Louvain  (),

p. . 

A. Gesché, Dieu pour penser. T. . La destinée, p. .

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et la société qu’on veut ou qu’on ne veut pas». La question de Dieu renvoie fondamentalement à une certaine image du salut de l’homme et de la société. C’est dire que l’idée de Dieu ne saura fonctionner comme une idée ‘innocente’, posée dans toute neutralité phénoménologique. Ainsi que l’a affirmé A. Gesché, «toute image de Dieu commande et implique partiellement une certaine idée de la société et de l’homme». Dans la mesure où la théologie se préoccupe essentiellement de la question du salut, elle offre du même coup, avec l’idée même de Dieu, une clé fondamentale d’appréciation et de jugement adéquats portés sur le sort et l’avenir de l’être humain en connexion avec ce qu’il en est de la vie et de la société en général. Pour expliquer cette pensée A. Gesché écrit: «tant que l’idée de Dieu sera de telle ou de telle sorte et n’aura pas été remise en question et modifiée s’il se doit, nous n’aurons pas été à la racine ultime d’une situation que nous voulons éventuellement changer». La pratique théologique est ainsi mise en demeure de se maintenir dans un profil fonctionnel, qui permet de faire réentendre «Dieu» d’une manière qui peut permettre d’anticiper et de hâter la transformation de l’ordre de choses du bon côté. La mutation que doit connaitre la méthodologie théologique aujourd’hui, devra s’effectuer dans l’objectif de rejoindre les différents lieux de luttes et les options de notre société-monde pour le triomphe de l’éthique universelle. Dans cette perspective, il ne sera pas judicieux de condamner à juste titre la torture ou un quelconque aspect autre de violation des droits de l’homme, en insistant sur un traitement «spécifiquement» chrétien de ces questions. Mais la théologie envisagera ces questions d’une manière qui sera référée aux contours de l’éthique mondiale dans son orientation d’ensemble. Cette référence permettra à l’insertion des initiatives chrétiennes dans des situations concrètes à sauver, de s’assurer à chaque fois de la pertinence de l’influence et de l’utilité de la contribution de la religion sur le cours des évènements, d’une manière qui corresponde aujourd’hui à l’enjeu public du cadre formel de l’éthique mondiale dans ses enjeux de régulation. C’est dans ce sens que nous voulons comprendre et situer l’intuition de Benoît XVI, lorsqu’il recommande que dans la gestion des questions liées aux «abus sexuels» sur les enfants, l’Église soit prête à «coopérer avec les autorités civiles dans le

  

A. Gesché, Dieu pour penser. T. . La destinée, p. . Ibid. Ibid., p. .

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domaine de leur compétence», notamment en vue d’«établir une approche claire et cohérente de ces questions». Le régime de connivence et de partenariat avec le cadre formel de l’éthique mondiale dans ses aspects normatifs liés aux différentes résolutions des Nations Unies telles que ratifiées par les États, sera d’une telle utilité stratégique au sein de l’approche théologique, qu’il n’est plus pertinent d’envisager la pensée chrétienne en toute autonomie. L’on ne saura plus poser comme contraignant, l’ordre d’une «manière chrétienne» spécifique de parler de l’éthique. La nouvelle approche théologique devra promouvoir une «manière éthique» d’envisager les défis et les motifs de l’engagement chrétien dans le monde et dans la société. À vrai dire, on saura par exemple que la catégorie de «dialogue social» est liée à la notion postmoderne de la démocratie participative. Elle est, certes, une constante éthique dont on peut retrouver des équivalences dans les discours chrétiens, mais elle ne sera pas vue comme une valeur «spécifiquement» chrétienne. La référence à cette notion de démocratie participative, parce qu’elle encourage la dynamique participative dans toutes les actions de la vie en commun, peut faire fonctionner à merveille les catégories analogues dans les protocoles de discours et de la pratique chrétienne. Ainsi, la découverte à notre époque de l’idée que la théologie doit émerger d’une conscience renouvelée des problèmes sociaux et des questions politiques, constitue-t-elle une invitation à estimer, à sa juste valeur, l’impact des questions de la vie et des analyses correspondantes au sein de l’espace de la laïcité, sur la psychologie chrétienne. La nouvelle conscience théologique sera celle qui s’habituera à percevoir dans toute image de Dieu, une conception précise du salut, et dans toute idée de salut, un ordre de principes mobilisateurs et des pratiques incitatrices au changement de l’ordre du monde, à la hauteur de l’enjeu sociopolitique et de la dimension écologique de ce salut. L’espace du christianisme contemporain a engendré une psychologie religieuse en forte situation de dépendance vis-à-vis des intérêts et des modèles sociaux qui sont les nôtres. Du fait que la conscience théologique 

Benoît XVI, Lettre pastorale aux catholiques d’Irlande, sur les abus sexuels, du  mars , n° .  A. Gesché nous ramène loin dans le passé pour retrouver une telle répercution de l’image idéologique de la religion sur la société. Il montre en effet qu’au nom d’une théologie qui souligne en Dieu le Maître Tout-Puissant, le Père monarchique qui veut de l’ordre et la soumission, on va, au XVIIe siècle, légitimer théologiquement un ordre social où le droit du roi, un droit ‘divin’ est omnipuissant et omniprésent (cf. A. Gesché, Dieu

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soit de plus en plus mobilisée en direction de la destinée et du sort de l’homme, la question de Dieu qui la structure, subit aujourd’hui un nouveau type de traitement. Il s’agit d’un traitement post-métaphysique, qui n’autorise plus d’envisager la question de Dieu à travers le rapport «foi et science». Selon A. Gesché, le problème est devenu pour une grande part, celui du rapport «foi et société» ou celui de «Dieu et société». La question la plus pertinente devient: «Quelle société voulons-nous? Et donc quel Dieu voulons-nous?». On est d’avantage avisé qu’«une théologie consciente de sa responsabilité est obligée de réfléchir de manière critique aux implications psychologiques et politiques de ses paroles, de ses images et de ses symboles». L’approche sociopolitique de la religion ici préconisée, ne sera pas vue comme une tentative de ramener l’ensemble de l’activité théologique à l’idée fixe, voire «idéologique», qu’on a gardée d’une théologie de la libération. A. Gesché estime qu’il ne s’agit pas pour la théologie de cesser de parler de Dieu pour s’adonner à la lutte des classes ou à un processus d’humanisation. Ce qui est en jeu et qui convient d’être souligné, c’est, en revanche, l’idée qu’en postmodernité, il n’y a pas d’autonomie de Dieu (ni de la foi, ni de comportement religieux) à poser vis-à-vis de l’autonomie du monde. Étant lié au paradigme moderne du théologique, ce schéma a été consacré comme tel, durant ces dernières années, par l’orientation de différentes théologies de la sécularisation et celles de la libération. A. Gesché fait remarquer, à juste titre, que ce schéma a eu à contribuer à l’échec du projet de la libération elle-même. Car, en effet, dans leur prétention de fournir une réponse libératrice et d’assurer, de ce fait, une chance nouvelle pour la foi, ces théologies «interdisaient en quelque sorte au discours de la foi d’avoir quelque chose à prononcer sur la société. Se fondant, dans cette foulée, sur la séparation assez abrupte entre foi et monde, ces théologies prônaient une telle autonomie du monde et de la foi qu’elles interdisaient finalement à celle-ci le devoir et le droit d’interpeller le monde, de le juger dans sa logique parfois ‘humaine, trop humaine’». En situation postmoderne, la question de Dieu sera posée comme question à même le monde et la société. Il en résulte que l’acte théologique, pour penser. T. . La destinée, p. -; lire aussi: «Le salut dans la société», dans La Foi et le Temps  [], p. -).  A. Gesché, Dieu pour penser. T. . La destinée, p. .  J. Moltmann, tel que cité par A. Gesché, Dieu pour penser. T. . La destinée, p. .  Cf. A. Gesché, «Dieu et société», dans Revue théologique de Louvain  ().  A. Gesché, Dieu pour penser. T. . La destinée, p. .

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dans sa démarche fondamentale, ne pourra plus être déployé «en dehors d’une certaine vérification publique». La conscience de cette perspective du théologique doit se former sur la nécessité de la déconstruction du motif qui a présidé à l’avènement des «théologies existentielles». En direction de ces théologies, A. Gesché reconnait que la requête du «sens» (sens de l’existence, des valeurs, de la personne, etc.), qui détermine l’enjeu essentiel de leur démarche, justifie leur position de dépassement et de «progrès» par rapport aux théologies essentialistes et spéculatives, qui se sont, elles, focalisées sur la question du «savoir» des mystères chrétiens. La perspective consacrée par ces deux types d’approche théologique, le type existentiel et le type spéculatif, se contente de penser Dieu dans les catégories trop exclusivement personnalistes. À la longue, ces catégories théologiques se sont avérées inefficaces quant à l’opérationnalité de la question du salut de l’homme concret et de la transformation positive de l’environnement sociétal dans son ensemble. Aujourd’hui, c’est la «destinée» humaine, pensée selon une perspective globale de son accomplissement, qui doit structurer le questionnement théologique. En contexte post-libéral, elle sera une destinée inséparable aux enjeux sociopolitiques et écologiques de réintégration féconde et de prise en charge plus responsable de la vie et de la situation humaine globale dans les différentes sphères de l’espace public de gouvernance. Cette conception de la destinée humaine ne sera nullement opposée à l’idée de l’éternité. La différence d’approche voudra qu’on insiste sur le fait que ce ne soit pas l’idée de la vie éternelle «qui donne sens, comme de l’extérieur et en surcroît, à la vie, mais bien plutôt celle-ci qui possède en soi, intrinsèquement, capacité d’éternité». Il est vrai, explique A. Gesché, que la foi chrétienne, l’Écriture et sa tradition, parlent de la terre comme du lieu d’un «pèlerinage vers la patrie» (cf. He ,;  P ,). Mais ce langage requiert d’être considéré dans sa valeur symbolique. Il doit être entendu dans le sens où il veut dire que «la vie sur terre n’est pas frappée de non-sens», et qu’en toute bonne théologie, «l’accès à la vie éternelle suppose qu’on se soit efforcé de vivre pleinement toute logique propre à cette vie-ci». En ce sens, l’idée de la vie éternelle invite énergiquement à «vivre cette vie-ci selon toutes les exigences qu’elle

    

A. Gesché, Dieu pour penser. T. . La destinée, p. . Ibid., p. -. . Ibid., p. . Ibid. Ibid.

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implique», et ce d’autant plus que «l’éternité n’est pas là pour meurtrir le temps, mais pour le confirmer» dans sa vocation de plénitude. La vie humaine n’est donc pas saisissable en dehors du processus de ses différentes incarnations aux conditions historiques et aux réalités mondaines. Elle ne peut pas non plus être appréhendée en dehors de son insertion dans les situations effectives de sa réalisation, en tant qu’opportunités économiques et socioculturelles qui lui offre la possibilité de croissance inclusive et d’épanouissement en permanence. C’est dans ce conditionnement global que la vie comporte une dimension inaliénable de destin. À ce titre, la vie est irrémédiablement reliée aux valeurs transcendantes, y compris par la voie de l’interprétation qu’en offre le langage des traditions, des cultures et des religions. A. Gesché explique, à ce sujet, que l’être humain ne détient pas seulement un secret, sublime, de grandeur terrestre, et qui est celui de son intelligence, de sa vie amoureuse, de sa dignité éthique, de la part unique qu’il prend en ce monde par son action. Mais il cache en lui, dans le temps, un secret de destinée divine sur lequel s’ouvre son avenir. Dans cette articulation, l’idée d’éternité n’inscrit pas l’homme hors du temps, mais «elle inscrit dans le temps des valeurs d’éternité, valeurs d’éternité qui poussent jusqu’au bout les valeurs inscrites dans la réalité du temps». L’analyse théologique doit émerger du cœur des structures et des préoccupations majeures de nos sociétés. Tout ce qui se trame et se joue sur l’espace public de gouvernance normative, de pratiques créatrices, et d’actions transformatrices devient, à juste titre, un lieu du déploiement de la science théologique comme telle, non pas au sens de la définition de son objet au plan formel, mais dans la mesure où elle participe du mouvement de la réflexion sur la destinée dans ses implications historiques et sociopolitiques. La théologie sera signalée dans cet espace comme moment indispensable de clarification ultime des impératifs éthiques d’accomplissement de l’existence. Sur le plan éthique, en effet, c’est le motif de la défense acharnée des droits de l’homme et de la promotion courageuse des valeurs y relatives, qui pourra valoir comme le leitmotiv de la démarche globale de la théologie. Celle-ci fera de cette perspective, l’enjeu crucial de son engagement public, au sein d’une réflexion assumée à partir des défis de la vie en général, et le critère    

A. Gesché, Dieu pour penser. T. . La destinée, p. 100. Ibid. Ibid., p. -. Ibid., p. .

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d’évaluation de toutes ses approches de la destinée humaine. Il est bien question d’une perspective où la théologie ne sera pas réduite à une activité de légitimation d’un messianisme temporel confondu à l’ordre de luttes socioculturelles et politiques. La théologie évitera d’être derrière les stratégies d’un combat séculariste, qui porte le risque de voir les enseignements chrétiens sur le salut se transformer en des emblèmes des revendications culturelles ou des idéologies socioéconomiques. Il sera hors de question pour elle, de procéder à la «récupération de la transcendance du salut dans l’immanence des conflits humains». Notre analyse veut défendre la valeur paradigmatique d’une approche qui assurera l’articulation du théologique sur la normative d’un nouvel ordre éthique. L’activité théologique a plus que le devoir de prendre en charge l’examen des problèmes à dimension publique, à partir d’une exégèse contemporaine pertinente et constamment renouvelée de la question de Dieu dans la société. À ce titre, la théologie n’a pas seulement pour fonction, comme à la manière des religions, de soulever les questions ultimes de la vie (assimilables aux questions métaphysiques), ou, comme en théodicée, en rapport avec la question même de Dieu (sens de l’existence, le mal et son origine, le sens de l’amour, l’énigme de la mort). Elle doit surtout réactiver sa fonction de révéler, d’inspirer, de provoquer, voire d’impulser l’art de nouvelles habitations du monde et de notre culture. À tel point qu’elle sera tenue de soumettre sous une nouvelle épreuve de sens, les référents de la révélation (et de son canon d’enseignement). La pratique théologique peut ici ne pas se confondre à l’horizon d’une interprétation matérielle du réel. Dans la mesure où «le christianisme est effectivement le plus matérialiste des spiritualismes, du fait de l’incarnation et du soutien de Jésus aux nécessiteux», son cadre d’interprétation ne saura cependant pas exclure son aspect «spirituel comme message de vie qui, en outre, ne rend pas caducs les discours concrets de la charité et de la justice». Dans ce sens, l’essentiel de notre préoccupation n’est pas de soutenir l’idée d’une herméneutique de la révélation et de la foi,  B. Sesboüé, Jésus-Christ dans la tradition de l’Église, Paris, Desclée, , p. . . Critique reprise par le magistère catholique à l’endroit des théologies latino-américaines de la libération: Instructions sur quelques aspects de la théologie de la libération, de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Rome, Librairie Éditrice du Vatican, , ou dans Documentation Catholique, n° , du  octobre , p. -; Instruction sur la liberté chrétienne et la libération, de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Rome, Librairie Éditrice du Vatican, , ou dans Documentation Catholique, n° , du  avril , p. -).  A. Gesché, Dieu pour penser. T. . La destinée, p. .

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qui soit forcement capable d’un impact direct sur le sens des évènements de l’histoire de l’humanité, perspective qui maintiendrait encore l’herméneutique théologique en dehors et à distance de la vie commune. Notre démarche ne peut pas non plus être comprise comme une requête en direction d’une théologie qui favoriserait un climat propice à l’inculturation ou à la contextualisation de la pensée chrétienne dans les mœurs politiques et éthiques de l’heure, en vertu du principe de plus de fraternité, de plus de justice, de plus de compassion, de plus de charité, et de plus d’égalité. Ce qui est en jeu dans la présente analyse, ne correspond pas à l’effort de renforcement de l’option préférentielle pour les pauvres, dans le cadre d’une herméneutique chrétienne préoccupée exclusivement à rechercher dans les écrits de l’Ancien et du Nouveau testament, les références qui renvoient à la défense de la justice sociale, à partir de ce qui se donne à interpréter comme engagement prophétique parole et œuvre de Jésus historique. En revanche, notre démarche se propose d’être l’orchestration d’une revendication des plus légitimes: le christianisme dans la cité contemporaine en appelle à la mise en place d’une large perspective d’analyse sociale, politique et critique du théologique, en vue de l’élaborer en connaissance de cause des enjeux post-métaphysiques et postlibéraux de ce qui se donne formellement à connaitre comme l’éthique mondiale à notre époque. L’herméneutique théologique est comme obligée de rejoindre et d’accompagner, au sein d’une analyse nourrie, l’horizon nouveau d’espérance et d’engagement, qui repose sur le nouvel ordre éthique, ordonné lui-même à la requête d’un nouveau type de gouvernance du destin politique et écologique de l’homme et du monde. À l’avantage d’une telle option du théologique, E. Schillebeeckx a soutenu que «l’herméneutique du Royaume de Dieu consiste avant tout à rendre le monde meilleur». Cette affirmation en dit long sur le pourquoi de l’engagement théologique dans une perspective d’analyse éthique, de portée pragmatique. Rendre la vie et le monde meilleurs relève d’une tâche «éthique» et se trouve ordonné à un agir constamment libérateur. La théologie ne peut s’empêcher aujourd’hui de se structurer autour d’un cahier de charges, assigné

 Cette méthode d’approche peut avoir comme illustration le livre d’A. Pieris, Une théologie asiatique de la libération, Paris, Centurion, ; on lira aussi: L. Boff, JésusChrist libérateur. Essai de christologie critique, Paris, Cerf, .  E. Schillebeeckx, tel que cite par R. Garaudy, Vers une guerre de religions, p. .

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à des objectifs précis, proportionnel à l’enjeu de sa responsabilité publique dans le champ du monde et des sociétés. En activant pour elle-même la conscience herméneutique d’être le lieu d’une prise en charge réflexive du tournant postmoderne du système chrétien aujourd’hui, la théologie, plus que la science historique des religions, se retrouvera replacée dans l’ordre d’une épistémologie à laquelle l’on reconnaitra la légitimité de disposer d’un programme d’analyse des situations d’existence à portée publique et sociale. Car, de par son profil, elle ne peut représenter le cadre d’une science «neutre». Elle sera au minimum un régime d’interprétations conduisant à des actes de responsabilité vis-à-vis de la foi, qui l’engage devant Dieu et la rapporte continuellement à l’homme social. En s’appuyant sur Donald Wiebel, J. Scheuer indique qu’il est hors de question pour la recherche scientifique dans le domaine des religions de «se mettre au service d’objectifs» comme ceux d’éducation à la paix, compréhension interreligieuse…. Cette différence d’approche, notamment par rapport à la théologie, est liée au fait que l’étude déployée par la science historique des religions consiste dans «une enquête documentaire, selon les règles de la science historique», et pas plus. J. Scheuer reconnait que c’est à la théologie (et à la philosophie) que revient le soin de se prononcer éventuellement sur la vérité et la valeur des religions dans le comportement individuel comme dans la vie collective des personnes croyantes. Aux antipodes de la démarche théologique, la science des religions n’assume nullement la tradition qu’on étudie, «ni pour la reproduire fidèlement, ni pour tenter de la rapprocher d’un idéal […] ni pour la réinterpréter ou la faire évoluer». J. Scheuer a noté une tendance à souligner l’«utilité sociale» de l’histoire des religions dans l’orientation de Mircea Eliade, là où ce dernier s’est prévalu d’apporter «un nouvel humanisme, un humanisme toujours plus large, une sorte de nouvelle Renaissance». Et, en ce sens, on irait jusqu’à attendre de la science des  J. Scheuer, «Sciences des religions, théologies, Dialogue interreligieux», dans J.-M. Sevrin et A. Haquin (dir.), La théologie entre deux siècles. Bilan et perspectives (Cahiers de la Revue Théologique de Louvain, ), Louvain-la-Neuve, Faculté de théologie, , p. ; citant: D. Wiebel, The Politics of Religious Studies. The Continuing Conflict with Theology in the Academy, New York, Palgrave, .  J. Scheuer, «Sciences des religions, théologies, Dialogue interreligieux», p. .  Ibid., p. -.  Ibid., p. .  M. Eliade, «History of Religions and a New Humanism», dans History of Religion / (Summer ), p. -.  J. Scheuer, «Sciences des religions, théologies, Dialogue interreligieux», p. .

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religions un rôle éthique, qui consisterait, «face à ce qui est perçu comme une crise, un déclin, voire une absence de valeurs et repères, [à] proposer un noyau universel – ou du moins universalisable – de convictions et de valeurs». J. Scheuer refuse que de telles attentes soient formulées en vue d’obtenir une utilité sociale de l’histoire des religions. Cet auteur ne s’empêche pas de mettre en garde contre le danger d’instrumentalisation de l’histoire des religions. Aussi relève-t-il «que le dommage serait irrémédiable si les requêtes qui lui sont adressées – si généreuses soient-elles – venaient altérer la rigueur de ses méthodes. Le dommage, en outre, pourrait être grand si le cahier des charges qu’on voudrait lui imposer, la formulation des questions qu’on lui soumet ou la nature des commandes qu’on lui passe aboutissaient à créer de sérieux déséquilibres dans la manière d’envisager son objet d’études: une préoccupation excessive d’utilité sociale ou de rendement immédiat risquerait en effet de focaliser l’étude sur des thèmes ou des domaines particuliers». En tout état de cause, J. Scheuer reconnait tout de même qu’il soit «permis de penser que des préoccupations exprimées par la société, des évolutions de la culture, voire des questions soulevées par l’actualité, seront de nature à relancer une discipline guettée, comme toute discipline, par la routine ou par des préjugés inavoués. Ainsi l’urgence de régler au mieux des conflits entre communautés peut-elle rendre attentif aux représentations que les religions se sont faites les unes des autres au cours de l’histoire. De même le mouvement de décolonisation a-t-il permis – et même exigé – que d’autres types de documents soient exploités et que de nouvelles voies soient entendues. On devrait en dire autant du mouvement féministe». Mais dans l’ensemble, de telles préoccupations doivent être situées au cœur de la démarche théologique dans toute sa dimension épistémologique. Depuis la découverte de son orientation fondamentale, pour une théologie qui doit s’effectuer à la frontière avec des problèmes de la culture, en tant que problèmes politiques et sociaux, notamment dans les approches de J. B. Metz et de R. Coste, il faut avouer que l’on n’a pas encore obtenu ce caractère pragmatique, cette perspective de portée 

J. Scheuer, «Sciences des religions, théologies, Dialogue interreligieux», p. . Ibid., p. . .  Nous avons, par exemple, dans le cas de R. Coste, des approches récentes, qui méritent attention. Cf. R. Coste, Les dimensions sociales de la foi. Pour une théologie sociale, Paris, Cerf, ; Les fondements théologiques de l’Évangile social, Paris, Cerf, ; Théologie de la paix, Paris, Cerf, . 

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publique, ou cette dimension éthique de la théologie que réclame le destin postmoderne du nouvel âge du christianisme. Pour y arriver, les différentes méthodologies théologiques devront se doter d’un ou de plusieurs cahiers de charges. Et ce dans le cadre d’une stratégie globale permettant à la théologie d’entrer dans un nouveau régime d’élaboration systématique des questions, pour ambitionner de produire des paroles qui ouvrent sur les exigences de l’éthique publique, et qui ordonnent à des actions cohérentes dans la pratique. Elle sera, par conséquent, productrice de nouvelles dynamiques spirituelles, informées par la trame de la problématique de l’éthique mondiale, et consommables sur l’espace publique. ... Pistes d’une spiritualité à pertinence publique L’exemple d’une approche théologique articulée sur des questions de la société et dressée à partir d’une position qui engage un discours en instance religieuse, est à tirer de la situation de crise bancaire en tant que crise de la dette qui a frappé les pays de la zone euro il y a quelques années, et qui a mené à un sommet extraordinaire de  pays membres à Bruxelles entre le  et le  octobre  ainsi qu’à d’autres sommets semblables par la suite. Dans le cadre des propositions de sortie de crise, on a enregistré sur internet (latribune.fr, du mardi  octobre ) un titre suggestif: «Crise financière: la solution miracle du Vatican». Ce titre faisait allusion à un document de  pages intitulé: «Pour une réforme du système financier international dans la perspective d’une autorité publique à compétence universelle», que le Conseil pontifical pour la Justice et la Paix soumettait aux responsables politiques des pays de la zone euro. Dans la foulée de différents appels en direction des mesures à mettre en place en vue de juguler la crise de l’euro, soit par la politique d’assainissement, d’assouplissement ou de discipline budgétaire à imposer aux pouvoirs publics, soit par l’adoption d’une politique de recapitalisation des banques ou d’une nécessaire solidarité entre les pays membres, le site latribune.fr, du mardi  octobre , note que l’importance du document du Vatican tient à la force et à l’originalité de son analyse de la situation. De son contenu, le document du Conseil pontifical pour la Justice et la Paix préconise l’urgence d’«un discernement approfondi des principes et des valeurs culturelles et morales qui sont à la base de la vie sociale en commun». Le document s’insurge «contre l’idolâtrie du marché et l’idéologie néolibérale selon laquelle les problèmes actuels seraient exclusivement techniques». Le document montre que «la crise a révélé

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les attitudes égoïstes de cupidité collective et d’accaparement des biens sur une vaste échelle», et que «les économies mondiales devraient assumer une éthique de la solidarité entre pays pauvres et riches». Le document alerte que, faute de «remède contre l’injustice, les effets sur le plan social, politique et économique seront de nature à engendrer un climat d’hostilité croissante et même de violence, jusqu’à miner les bases même des institutions démocratiques; celles qui sont également considérées comme les plus solides et les plus sûres». À ce niveau d’analyse, nous devons reconnaitre que l’histoire contemporaine des églises et la situation présente des religions, révèlent une certaine maturité et une ouverture certaine dans la prise de position de différents «magistères» sur des questions sociopolitiques dans le monde. Le compendium de la doctrine sociale de l’Église du côté catholique, comporte une vision chrétienne cohérente et suggestive quant aux enjeux politiques et sociaux du vivre ensemble à notre époque. Si en milieux islamiques, la communication politique comporte des liens directs avec des stratégies de la communication religieuse, en milieux chrétiens, l’Église catholique, qui a une expérience éprouvée dans l’attention au politique quant à ses relations avec les États (à travers les différentes représentations diplomatiques – nonciatures – ainsi que par l’existence de différents concordats), n’a pas attendu l’avènement de la Constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps, Gaudium et spes, du deuxième concile du Vatican, pour lancer une vision chrétienne du politique. Ce qui est nouveau aujourd’hui, est que le contexte postmoderne revendique une totale et permanente implication des approches en instances théologiques et religieuses dans une réflexion sur des questions de gouvernance, dont dépend la destinée globale de la vie des personnes et des communautés. L’héritage moderne de la communication théologique (et magistérielle), avec son poids du surpranaturalisme, fait que différentes interventions des églises sur le sociopolitique, soient ressenties comme des discours ponctuels et à faible impact, du fait qu’ils sont tenus comme à distance ou en dehors de l’espace des institutions publiques de la «laïcité». En revanche, le contexte actuel requiert une nouvelle stratégie de l’écriture théologique. Celle qui fera la grande perspective des approches sur le contenu de la foi, sur différentes partitions de compréhension de la révélation, ainsi que sur des comportements religieux, ne prenne pas le dessus sur les analyses théologiques des défis qui préoccupent nos sociétés pluralistes, quant à l’urgence d’une intégration planétaire et d’une régulation éthique en matière de gouvernance juste de l’ordre du monde en fonction des impératifs du développement et

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de la sécurité durables, d’une croissance économique et financière réellement inclusive à l’échelle des nations. On est en droit d’attendre des approches théologiques qu’elles soient ordonnées à la clarification de la question des droits de l’homme et de ses retombées positives dans la gouvernance publique. Du moment que l’on peut percevoir cette question comme celle qui structure l’ordonnancement et l’engagement du nouvel ordre éthique, une grande perspective du théologique doit s’investir dans cette problématique. Non seulement parce que le monde a besoin d’une spiritualité des droits de l’homme, mais aussi parce que les discours en instance religieuse doivent se préoccuper de la conduite des politiques de gestion des institutions et services publics, en vue de rejoindre cet espace de la laïcité dans sa marche sur la voie de la lutte pour le triomphe de l’éthique, contre la permanence et la généralisation de la tricherie, qui menace l’équilibre de notre planète. En face de ce défi, la théorie de la doctrine sociale de l’Église est devenue un cadre limité par rapport au besoin d’une éthique religieuse systématiquement appuyée et engagée dans l’ordre du théologique global. La pertinence publique de la réflexion théologique pourra se vérifier suffisamment lorsque les églises, les religions et leurs agents pourront être sollicitées ouvertement à faire de leurs théologiens des spécialistes (et experts) de grandes questions de la civilisation postmoderne. Il est en effet devenu légitime que la théologie s’investisse dans des approches nouvelles, sur les questions de réchauffement climatique, des droits humains, de la démocratie, de la pauvreté et du tiers-monde. Les différentes missions diplomatiques de l’Église catholique et les services correspondants que constituent les nonciatures apostoliques dans le monde, ne devraient pas continuer à être gaspillés en restant réduits à la fonction classique de contrôle «policier» pour le besoin du conservatisme catholique auprès des évêques responsables des églises diocésaines dans les différents pays. Cette diplomatie devrait sortir de ses tâches traditionnelles pour être transformée en lieu d’orchestration ecclésiale des analyses et des discussions, de concertations et de l’expertise avec et auprès des milieux politiques, nationaux comme internationaux. L’option est d’une portée pédagogique indéniable. Elle permet aux différents espaces des églises, et à tous les échelons de celles-ci, de se donner une consistante nécessaire à l’enjeu d’un partenariat solide avec le système du nouvel ordre mondial, moyennant un discours théologique totalement intégré 

Il existe des essais en ce sens: J. F. Collange, Théologie des droits de l’homme, Paris, Cerf, ; M. Barlow, Pour une théologie de la tolérance, Paris, DDB, .

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et inséré dans les exigences de nouvelles approches de l’éthique de gouvernance en tant que telle. Cette perspective de communication théologique en fonction de nouveaux enjeux de l’éthique, interpelle aussi le Conseil œcuménique des églises (COE). N’étant jusqu’à ces jours à la solde d’aucune dogmatique ecclésiale particulière, cette plate-forme œcuménique, la plus représentative de l’espace chrétien à l’échelle mondiale, a l’avantage de s’inscrire largement, avec une analyse théologique d’envergure, dans les problèmes de la laïcité, qui sont ceux qui mobilisent le plus nos contemporains. Dans le domaine des droits de l’homme, nous tenons de cette organisation chrétienne quelques déclarations courageuses comme celle-ci: «la lutte pour l’abolition de la torture implique que l’on œuvre au niveau le plus fondamental, à l’édification d’une société sans structures injustes». C’est peut être le lieu de relever que le COE a donné l’impression d’aborder des problèmes d’évangélisation et d’églises en restant trop prisonnier du paradigme dit dialectique, où la Parole de Dieu est considérée d’une manière «pure», sans considération des mutations sociales, sans conciliation avec les enjeux de la réflexion sur la vie publique. L’éthique postmoderne sera considérée comme cette nouvelle perspective globale, qui engagera l’analyse du christianisme dans la voie d’une réinterprétation de nouveaux critères de la vie à transformer. L’énonciation du théologique sera dès lors poussée à mettre en relief, de manière qui soit permanente, de nouveaux types de spiritualité, notamment en rapport avec deux dimensions fondamentales: la dimension cosmique et environnemental, et la dimension anthropologique et sociopolitique. Dans la mesure où elles représentent les enjeux d’une réflexion à la fois d’ordre éthique et religieux, ces deux dimensions de l’analyse théologique appartiennent, certes, à ce qu’il y a de classique sur le plan thématique, mais requièrent l’agenda d’une nouvelle approche. .... L’enjeu d’une spiritualité de l’écologie À la suite de l’analyse de H. Küng, nous admettons, en ce qui concerne la dimension cosmique de la spiritualité contemporaine, que «la science et la technologie modernes ont permis un progrès énorme dans la maîtrise de la nature». Mais, dans le cadre d’une approche théologique responsable,  Déclaration du COE, du //, tel que cité dans G. Aurenche, L’aujourd’hui des droits de l’homme, Paris, Nouvelle cité, , p. .  Nous suivons ici le cadre d’analyse que nous offre H. Küng, Le christianisme. Ce qu’il est et ce qu’il est devenu dans l’histoire, p. .

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on doit relever avec lucidité qu’«une exploitation incontrôlée de la nature a miné les fondements même de la vie humaine: pollution de l’air, des mers et des lacs, terres empoisonnées, mort des forêts, menaces pesant sur la faune et la flore». Dès lors, la conscience contemporaine du défi écologique doit engager l’approche théologique dans une démarche d’explicitation des enjeux d’une nouvelle alliance entre l’homme (de la rationalité technologique) et la nature. Dans cette approche, les mécanismes d’une action humaine non encore suffisamment régulée, qui entraine à chaque instant les conséquences d’une gravité incalculable émanant «de l’exploitation et de la destruction» des ressources de la biodiversité par le biais d’une industrialisation de l’économie dans tous ses aspects, seront considérés comme la cause principale de la dégradation progressive du tissu environnemental de la planète terre. Ainsi cherchera-t-on à savoir dans quelle mesure le christianisme, les religions et la théologie, aujourd’hui, peuvent-ils «contribuer, dans la ligne d’une religiosité cosmique, à cette prise de conscience planétaire […] à une synthèse globale toute nouvelle entre la sphère scientifique et technologique, d’une part, la sphère éthique et religieuse, d’autre part; à une symbiose pacifique entre toutes les créatures et donc à une dimension écologique?». Il faut reconnaitre que la problématique de l’écologie a connu une certaine avancée en théologie au cours de l’époque récente. Envisagée sous une perspective de relecture des récits bibliques de la création, l’herméneutique chrétienne de la question écologique a eu comme objectif de convaincre l’humanité à s’engager dans la voie d’une nouvelle «alliance avec la création», en optant de s’investir dans le processus illimité d’amélioration et de viabilisation des conditions humaines d’habitation de la planète terre, y compris socialement et culturellement, mais en décidant de respecter les exigences d’une juste conservation et d’une judicieuse protection de la diversité de ressources naturelles que regorge le cosmos pour les générations successives, contre les menaces d’une technologie dévastatrice. Au cœur de la réflexion on retrouve le souci de créer les conditions de l’équilibre entre les exigences d’une croissance inclusive et du développement durable des sociétés pluralistes, et les impératifs de respect inconditionnel de l’intégrité d’un environnement naturel en proie à l’épuisement et à la dégradation durable de ses ressources essentielles.



H. Küng, Le christianisme. Ce qu’il est et ce qu’il est devenu dans l’histoire, p. . F. Van Gaver, L’écologie selon Jésus-Christ, Paris, Édition de l’Homme Nouveau, , p. . 

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L’analyse théologique ne dissimule à ces jours le caractère mythique, et donc non scientifique, du récit biblique de Gn –, en tant que «description symbolique de la réalité». Cette narration est reconnue dans ses limites de récit étiologique à travers lequel «le mythe de la création […] cherche des raisons ultimes du monde». La visée théologique de ce récit est de faire de la création l’émanation d’une volonté supérieure fondatrice et d’une intelligence suprême organisatrice. Ainsi que l’a noté F. Van Gaver, «la question du commencement et celle de l’intention, du sens véritable, elle est la question de l’origine et du fondement, et celle de la cohérence et de la destination de tout». L’interprétation la plus partagée est celle qui tient que «le récit de la création exprime avant tout une confiance fondamentale en la bonté intrinsèque de la réalité: l’ordonnance du monde voulu par Dieu en fait un lieu de vie et non de mort, un cosmos et non un chaos». Le mérite de cette perspective d’analyse est de faire émerger une nouvelle interprétation théologique des récits bibliques de la création en fonction du défi écologique. Mais la perspective d’ensemble de l’herméneutique chrétienne est restée celle qui se contente de ramener le traitement de la question écologique à des tentatives de réponse fournies par une vision biblique et christocentrique probabiliste de la création et par un horizon eschatologique chancelant de la rédemption. Elle doit être jugée comme une perspective qui offre trop peu de chances de réussite à la solution de la crise écologique, celle-ci étant considérée dans son épaisseur vaste comprenant les défis de plusieurs ordres sous l’effet controversé de la recherche effrénée, par notre civilisation techniciste et libérale, de la croissance à tout prix dans la production des richesses, ainsi que sous l’effet de l’augmentation toujours plus croissante de la démographie à l’échelle mondiale. Ces défis écologiques se formulent en termes de menaces: – menace de la Planète bleue: pollution de l’eau, de l’air, de la nature; effet de serre, pluies acides; dommages subis par la faune et par la flore; risques d’accidents causés par les technologies nucléaires, etc.; – menace de destruction de l’écosystème, de la biosphère et de la couche d’ozone, – menace de disparition des forêts, des cours d’eau et d’épuisement des sols; – menace de perturbation des équilibres par rapport aux éléments ci-après: l’air qui soulève les tornades; l’eau qui 

F. Van Gaver, L’écologie selon Jésus-Christ, p. . Ibid.  Ibid.  Cf. Mgr M. Stenger (dir.), Écologie et création. Enjeu et perspective pour le christianisme aujourd’hui, Paris, Parole et Silence, . 

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provoque les tempêtes, les inondations et les orages; le feu qui entraine les irruptions volcaniques et le réchauffement climatique; la terre ellemême, qui connait des tremblements et des éboulements. En face de cette complexité de problèmes relatifs à la sécurité de la terre, la vision biblique et la réponse christique sont jugées à la limite insignifiantes, du fait qu’elles se situeraient à un niveau d’interprétation théologique appartenant à l’horizon historique de la centralité de la relation de réciprocité entre le pôle divin et le pôle l’humain, plutôt qu’à un horizon cosmique beaucoup plus englobant qui intéresserait le débat écologique de notre époque. D’où est-il remarquable que le schéma de l’enseignement chrétien le plus classique, demeure tributaire d’une théologie de la création, qui se préoccupe de préciser la place, la responsabilité et la grandeur de l’être humain au sein de l’univers créé, comme être préféré du Créateur en vertu de l’offre du salut. C’est dans le cadre de cette préoccupation que l’on peut situer l’enjeu de cette remarque du magistère catholique: considérer la nature comme plus importante que la personne humaine elle-même est contraire au véritable développement. Cette position conduit à des attitudes néo-païennes ou liées à un nouveau panthéisme: le salut de l’homme ne peut pas dériver de la nature seule, comprise au sens purement naturaliste. Par ailleurs, la position inverse, qui vise à sa technicisation complète, est également à rejeter car le milieu naturel n’est pas seulement un matériau dont nous pouvons disposer à notre guise, mais c’est l’œuvre admirable du Créateur, portant en soi une «grammaire» qui indique une finalité et des critères pour qu’il soit utilisé avec sagesse et non pas exploité de manière arbitraire.

En revanche, la dimension du défi écologique à notre époque est telle que la problématique correspondante exige d’être élargie, au cœur même de l’analyse théologique, à des aspects spécifiques, qui préoccupent la communauté des nations, et qui en appellent à la mise en place des mécanismes et stratégies de gestion conformes aux standards du nouvel ordre éthique. Ce sont notamment les aspects liés à ce que Benoît XVI appelle «problématiques énergétiques». La clarification théologique de ces nouveaux aspects du défi écologique ne peut se faire qu’en lien avec une analyse fiable des facteurs du réchauffement climatique, ou encore avec la question de l’économie de préservation des ressources naturelles



Benoît XVI, Lettre Encyclique sur le développement humain intégral dans la charité et dans la vérité, Caritas in veritate, n° .

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pour les générations futures. Pour être fructueuse, elle ne se limitera pas à des considérations de moralisation des postions des experts en cette matière. Elle sera à l’écoute de nouvelles découvertes et laissera se poursuivre les recherches sur de possibles manifestations et transformations cosmo-climatiques qui excèdent le cadre étroit des résultats d’une interprétation historique, qui est la seule à être autorisée par la vision biblique et christique de la réalité, dans les limites du système solaire accessible jusque-là. La démarche théologique la plus appropriée au traitement de la question écologique aujourd’hui, pourrait être celle d’une démystification des approches chrétiennes sur la complexité de défis du donné cosmique, et celle d’une réception positive des conséquences éthiques et des retombées socioéconomiques résultant de différentes recherches en cours. Elle devra se fier à ces recherches, là où celles-ci se préoccupent de mettre judicieusement en application des mesures et des mécanismes subtils de régulation sur les avancées du modèle libéral de productivité et d’administration des biens et des services, dans l’unique souci de rendre toujours plus accessible, y compris pour les générations successives, l’espace cosmique de ressources et plus abordable l’univers climatique d’habitation, au-delà de la surenchère de toute logique de plus d’industrialisation pour plus de production des richesses. En matière de décisions politiques, l’approche théologique réaliste de la question écologique sera prête à apprendre que dans la marche de la société-monde vers une transition énergétique, par exemple, le problème de l’environnement a des relations avec l’économie, la démographie, le développement, le désarmement comme questions qui structurent les différentes politiques nationales et internationales des États. De telle sorte que la problématique de gestion de l’écologie n’échappe pas aux clivages et aux enjeux politiques et idéologiques. En ce sens, les analyses théologiques se structureront à partir d’une prise de conscience objective de la fragilité ou de l’absence du consensus planétaire en matière de déforestation, de désertification, de trous dans la couche d’ozone, d’exploitation des ressources, de préservation de l’Amazonie, de l’Antarctique, de la Méditerranée. L’approche théologique apprendra que la conscience du défi écologique et les engagements qui en résultent se présentent à géométrie variable, étant tributaires des intérêts nationaux divergents relativement à l’épineux problème relatif à l’obligation pour les États de s’engager dans la voie de réduction sensible 

Benoît XVI, Lettre Encyclique sur le développement humain intégral dans la charité et dans la vérité, Caritas in veritate, n° -.

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des économies industrielles génératrices des substances qui contribuent à l’accentuation du réchauffement climatique, et cela dans un monde où «la position des valeurs est bousculée davantage par les intérêts» (G. Hofstede). L’analyse théologique se placera ainsi, pour le besoin de la cause, dans une position qui lui permette de proposer des modalités d’une possible médiation ou des mécanismes d’un arbitrage équilibré sous la vigilance de responsables d’églises et de religions, aussi bien dans les efforts consensuels de confection du cahiers de charges, que dans les arrangements subtils entre les États et les puissances nucléaires en matière de concessions sur les intérêts de parties prenantes. Mais elle ne peut se permettre de laisser aux seuls experts l’analyse des enjeux éthiques et sociaux, politiques et économiques du processus de résorption de ce qui est circonscrit aujourd’hui comme «crise écologique», qui n’est rien d’autre que le constat de la rupture des équilibres écologiques fondamentaux, et qui porte les risques de l’effondrement des rythmes et cycles de l’évolution et de la stabilité de la planète Terre. La démarche théologique sera appelée à accroitre, en toute modestie, le côté interpelant du message des classiques de religions sur le caractère sacré et harmonieux de toutes les composantes de l’œuvre créatrice. En étant consciente de demeurer au service d’une base constituée de croyants et de citoyens à vocation écologique, elle s’investira dans une pédagogie de formation à la responsabilité écologique dans les comportements individuels et collectifs: à travers les précautions à prendre vis-à-vis de certaines pratiques et de certaines inventions à répercutions nocives sur l’épaisseur de la planète des humains; à travers des actions droites et contraignantes d’assainissement des milieux vitaux et des espaces d’habitation (recyclage des déchets, nouvelles stratégies du déboisement-reboisement; préservation des aires protégées; lutte contre les érosions; etc.). L’analyse théologique sera consciente de traverser une époque d’appels pressants au changement des mentalités en vue d’obtenir de toutes les couches qui composent nos sociétés pluralistes, l’obligation d’entrer dans une nouvelle culture: la culture écologique. En restant dans son style d’interpellation, l’analyse théologique s’articulera sur une évidence pédagogique selon laquelle la Terre a besoin d’«éco citoyens», c’est-à-dire d’hommes et des femmes formés, informés, éduqués à la gestion responsable de l’environnement, autant que l’écologie requiert aussi une nouvelle pratique du politique et un nouveau déploiement de l’économie. Dans son cahier de charges, la méthodologique théologique ne pourra pas négliger la dimension politico-stratégique de la solution au défi écologique. Elle se souciera de

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proposer, sans aucune prétention de donner des leçons ni de proférer des invectives aux opérateurs majeurs de la conduite des politiques économiques du monde, des analyses pouvant contribuer à la consolidation du modèle démocratique nécessaire à la gouvernance de ressources. La question écologique étant de dimension planétaire, en effet, son traitement exige que soit imaginées de nouvelles bases du compromis entre leaders et groupes d’intérêts divergents, ainsi qu’un autre mode de partenariat qui ne portera de préjudices au droit d’aucun peuple, d’aucune communauté, ni d’aucune nation à disposer de ses ressources, de les utiliser et de les partager en vue d’implémenter les enjeux du développement durable. Dans le cas de la protection des forêts en Afrique, par exemple, l’éducation à la démocratie demeurera un défi, aussi longtemps que les populations ne seront pas mises au centre de décisions dans l’exploitation de ressources et dans la préservation d’autres. Dans cette partie du monde, le règne des économies de la prédation destructrices de l’intégrité de l’environnement, résulte en grande partie de la persistance des régimes de domination politique, qui tiennent à contrôler tous les aspects de gestion de la question écologique au profit des multinationales et de grandes puissances économiques, ou à les laisser gérer par un groupe de décideurs à l’insu de la population et au détriment des intérêts locaux. Dans la mesure où l’écologie peut devenir une école de la démocratie, elle pourra introduire de nouveaux équilibres entre pays riches et pays pauvres sur le plan économique. Cette orientation permettra de sortir graduellement du piège de la démocratie selon le modèle libéral. La critique dirigée contre de l’imposture du paradigme libéral de l’économie politique dans le monde devra faire l’objet d’une reprise théologique sans équivoque. Cette critique comporte des implications éthiques très explicites, qui poussent l’analyse théologique à s’en saisir comme en relai ‘un discours d’interpellation. En effet, ainsi que nous l’avons noté avec G. Hofstede, «quiconque veut faire du monde une grande démocratie doit assumer les conséquences économiques et écologiques de cet objectif». Il y a comme une obligation pour les pays riches de stopper le modèle consumériste de la production et de la consommation des biens, en tant que modèle du gaspillage, là où ce modèle entraine «un niveau de pollution de l’environnement et d’apprivoisement des ressources qui rend pratiquement impossible l’extension de ce niveau de vie à l’ensemble de la population mondiale». À ce niveau également l’analyse théologique devra apputer, dans le sens de l’exigence d’équité et du sens de coresponsabilité, l’idée que «pour offrir la démocratie à tout

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le monde, il faut modifier complètement la gestion de notre écosystème et parvenir à conserver la qualité de vie des pays riches tout en réduisant considérablement son coût écologique». Enfin, la théologie proposera son analyse du défi écologique en adoptant la ligne d’une pédagogie ouverte à l’école de valeurs éthiques qui s’élaborent à l’occasion de différentes conférences mondiales sur le climat, en vue d’opérer une reprise des options fondamentales, et de rester dans son style d’interpellation pour les présenter sous formes d’obligations de conscience, chargées de réguler nos engagements en faveur de la nécessité d’implémenter durablement une civilisation écologique mondiale. L’analyse théologique proposera un schéma de traduction de ses engagements en chantiers d’action droite pour tous les partenaires de la gestion du défi écologique. Ce sont, entre autres: la dénucléarisation complète de nos énergies en vue de la diminution sensible des émissions polluantes notamment du gaz à effet de serre; l’accélération de la stratégie destinée à la création du fond mondial sur le climat, qui doit permettre non seulement la préservation des forêts et des airs protégées, mais aussi la mise sur pieds des industries créatrices des économies vertes; la création des emplois verts et la généralisation des énergies alternatives à un cout abordable pour le contexte des pays fragiles. Ainsi est-il légitime de trouver dans l’analyse de Benoît XVI, quelques suggestions dans le réexamen de l’alliance entre l’être humain et l’environnement dans la gestion post-industrielle de celui-ci: / La nécessaire exploitation de la nature pour le maintien de la vie humaine: «Il est juste que l’homme puisse exercer une maîtrise responsable sur la nature pour la protéger, la mettre en valeur et la cultiver selon les formes nouvelles et avec les technologies avancées, afin que la terre puisse accueillir dignement et nourrir la population qui l’habite. Il y a de la place pour tous sur la terre: la famille humaine tout entière doit y trouver des ressources nécessaires pour vivre correctement grâce à la nature elle-même». / La nécessaire préservation pour les générations futures, qui révèle la «conscience du grave devoir que nous avons de laisser la terre aux nouvelles générations dans un état tel qu’elles puissent elles aussi l’habiter décemment et continuer à la cultiver».  Benoît XVI, Lettre Encyclique sur le développement humain intégral dans la charité et dans la vérité, Caritas in veritate, n° .  Ibid.

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/ Une série de mesures à l’intention de la communauté internationale, dont l’application permettra de «contrecarrer efficacement les modalités d’exploitation de l’environnement qui s’avèrent néfastes»; c’est entre autres: – le fait que «les coûts économiques et sociaux dérivant de l’usage des ressources naturelles communes soient établis de façon transparente et soient entièrement supportés par ceux qui en jouissent et non par les autres populations ou par les générations futures»; – la conscience que «la protection de l’environnement, des ressources et du climat demande que tous les responsables internationaux agissent ensemble et démontrent leur résolution à travailler honnêtement, dans le respect de la loi et de la solidarité à l’égard des régions les plus faibles de la planète». La question écologique exige également la prise en compte de l’aspect sociétal et culturel. Benoît XVI le fait remarquer en ces termes: «la nature est tellement intégrée dans les dynamiques sociales et culturelles qu’elle ne constitue presque plus une donnée indépendante. La désertification et la baisse de la productivité de certaines régions agricoles sont aussi le fruit de l’appauvrissement et du retard des populations qui y habitent. En stimulant le développement économique et culturel de ces populations, on protège aussi la nature. En outre, combien de ressources naturelles sont dévastées par des guerres? La paix des peuples et entre les peuples permettrait aussi une meilleure sauvegarde de la nature. L’accaparement des ressources, spécialement de l’eau, peuvent provoquer de graves conflits parmi les populations concernées». Dans le cadre de cette constatation de Benoît XVI, nous soutenons avec lui qu’une «écologie de l’homme […] est nécessaire». Il faut préciser qu’il s’agit de l’homme social, qui a des relations aussi bien avec l’environnement naturel qu’avec l’écologie politique. Dans une telle approche écologique se trouve préconisée la nécessité d’une révision de la conception biblique et judéo-chrétienne du cosmos. La positivité biblique de la création reste insuffisante face notamment à des découvertes astronomiques, qui révèlent encore l’énigmatique complexité du système solaire auquel appartient la planète terre. Il s’ensuit que l’écologie chrétienne devrait connaitre un déplacement de sens. Pour la simple raison que la dogmatique de l’Église est restée longtemps  Benoît XVI, Lettre Encyclique sur le développement humain intégral dans la charité et dans la vérité, Caritas in veritate, n° .  Ibid., n° .  Ibid.

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dans les étroites limites d’un géocentrisme aux contours confus, et d’un anthropocentrisme inadéquat, dont la portée théologique se révèle aujourd’hui de moindre utilité dans la problématique de la sécurité de la planète terre et de l’équilibre de l’ensemble du cosmos. Depuis longtemps, l’on a su que «la connaissance scientifique moderne a pour condition préalable le renoncement formel à l’attribution d’une valeur cognitive au sentiment d’intimité avec le monde». Il faut ajouter avec M. Freitag, qu’une telle option, c’est-à-dire «cette séparation et ce rejet avaient déjà été préparés par le christianisme, mais la Renaissance les avait refusés en renouant avec l’idée et le sentiment antiques du cosmos». En revanche, l’âge de l’écologie vient inaugurer le régime de la relation totale, sans lequel la vie elle-même sera intenable, et son épanouissement impossible. .... La portée sociopolitique d’une spiritualité de l’hospitalité Le contexte postmoderne de la théologie exige la mise en place d’une herméneutique chrétienne qui s’investisse plus largement dans la dimension sociétale de l’environnement. Il s’exprime par-là le besoin d’une interprétation de la foi, du christianisme et de la religion, telle que ces derniers sont insérés dans la sociologie des peuples, et tels qu’ils doivent rendre compte de leur responsabilité face à certains comportements collectifs en relation avec tel ou tel environnement politique. Le cadre d’une telle approche théologique rappelle qu’en contexte de la Réforme, la principale revendication théologique d’un régime adéquat et plus approprié à la justification de l’être humain devant Dieu, telle qu’elle trouvera en Luther sa formulation radicale et la plus crédible, sera entourée d’une nouvelle lecture de l’«histoire sociale de la religion». H. Küng a considéré, à juste titre, par rapport à ce contexte, que «la description des forces sociales à l’œuvre […] est donc de toute première importance», et que, de ce fait, «l’action de Martin Luther montre de façon éclatante combien l’histoire factuelle des événements contingents et des actions des personnes ne reste pas superficielle, combien au contraire elle est profondément enracinée dans le processus de l’histoire de la société». La prise en compte de l’histoire sociale du fait religieux aujourd’hui se présente comme la dimension la plus cruciale de l’intégration théologique,  

M. Freitag, L’oubli de la société, p. . H. Küng, Le christianisme. Ce qu’il est et ce qu’il est devenu dans l’histoire, p. .

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non seulement parce qu’elle comporte la nécessité d’une mise en évidence des ressources des sciences humaines, mais surtout parce qu’elle implique, à un niveau considérable d’une responsabilité épistémologique avérée, l’intervention appuyée des analyses des sciences sociales. En postmodernité, cette approche doit aller jusqu’à permettre l’alignement de la réflexion chrétienne sur les exigences d’une gouvernance institutionnelle éthiquement responsable du sort de l’être humain, des exigences de sa liberté, de sa dignité, voire de sa destinée au sein des sociétés démocratiques. Il en ressort que l’analyse théologique est tenue à la tâche de rejoindre et d’appuyer la démarche de l’éthique publique, là où celle-ci a la charge d’évaluer constamment la cohérence des pouvoirs publics et la consistance des services publics dans la gestion du destin des personnes et des communautés. Au début des années , L. Boff a consacré, dans une étude à un titre suggestif, une explication convaincante touchant en tout à la grandeur du climat démocratique, le considérant comme le plus approprié au régime d’une gouvernance ordonnée à la justice dans nos sociétés pluralistes. Ainsi l’approche théologique devra-t-elle constater que «l’établissement de la démocratie à l’époque moderne a permis un progrès sans pareil en matière des libertés civiques et de droits de l’homme: liberté de la conscience et liberté religieuse, liberté de se réunir, liberté d’expression, liberté de la presse». Mais elle doit souligner que cette démocratie est voulue en postmodernité sous un format qui intègre la dimension de la justice. À notre époque, en effet, on doit relever les limites de «la façon trop individualiste» de se rapporter aux principes de «liberté, égalité, fraternité», pour rentrer dans le paradigme de la solidarité, qui permet de mettre en relief le devoir institutionnel de faire justice. C’est à l’intérieur de ce paradigme que l’on trouve de l’espace pour «en finir avec les différences qui séparent les pauvres et les riches, les puissants et les faibles», pour rompre avec «les structures qui engendrent la faim, le dénuement et la mort», pour lutter contre «le chômage de millions d’hommes», et pour tourner le dos à «un monde où les droits de l’homme sont bafoués». En vertu du paradigme de la justice en démocratie, l’analyse théologique sera exigeante à l’endroit des effets nocifs des économies déséquilibrées dans le monde, face au constat de la montée scandaleuse en  L. Boff, La terre en devenir. Une nouvelle théologie de la libération, Paris, Albin Michel, .  H. Küng, Le christianisme. Ce qu’il est et ce qu’il est devenu dans l’histoire, p. .  H. Küng, Projet d’éthique planétaire, p. .

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chiffres absolus du phénomène de la pauvreté. Elle reconnaitra, certes, à la suite de H. Küng, que «l’industrialisation caractéristique de l’époque moderne a permis un progrès fantastique du bien-être des masses, progrès sans pareil dans l’histoire de l’humain. Mais cette industrialisation a en même temps conduit à un terrifiant antagonisme entre les couches pauvres et les riches, à l’intérieur de la société moderne, et, à l’échelle mondiale, entre les pays pauvres et les pays riches». Ainsi reviendra-il à la théologie de préconiser, non seulement la légitimité d’«un partage international plus équitable pour tous les peuples et tous les hommes», mais aussi «l’urgence [de] mettre fin à l’opposition entre Nord et Sud». Et là, nos contemporains sont en droit de savoir comment le christianisme, les religions et la théologie peuvent-ils «contribuer, dans la ligne d’une religiosité libératrice, à une prise de conscience à l’échelle du monde et à la prise en compte de cette dimension sociale dans le paradigme de l’‘après-moderne’?». Informée méthodiquement par la démarche de l’éthique universelle, la théologie devra réexaminer la pertinence de la notion individualiste de la «charité». Celle-ci sera soumise à l’épreuve de la géopolitique mondiale en matière d’économie et de commerce, pour permettre de repenser les classiques religieux à partir de la façon appropriée de surmonter ce que J. Derrida désigne en termes de «paradoxe d’une marginalisation et d’une paupérisation dont le rythme est proportionnel à l’accroissement démographique». La situation de la pauvreté touche effectivement les personnes individuelles. Mais elle doit être traitée en profondeur comme d’une question politique, liée à des causes structurelles de mauvaise gouvernance du bien commun, dans un régime déséquilibré des relations d’exploitation entre nations ou à l’intérieur des nations. D’où le constat selon lequel les «processus de modernisation radicalement accélérés» n’ont pu conduire ni à une réelle participation universelle ni à un véritable partage de richesses à l’échelle de la planète. En conséquence, «la société mondiale est divisée entre trois types de pays: ceux qui y gagnent, ceux qui en tirent profit et ceux qui y perdent». Le cadre de l’analyse théologique va se saisir de cette situation du déséquilibre planétaire, en la considérant dans toute sa dimension comme cas d’illustration en matière d’absence de justice et de carence d’une 

H. Küng, Le christianisme. Ce qu’il est et ce qu’il est devenu dans l’histoire, p. . J. Derrida, «Auto-immunités, suicides réels et symboliques», dans J. Derrida et J. Habermas, Le «concept» du  septembre, p. .  J. Habermas, «Fondamentalisme et terreur», dans J. Derrida et J. Habermas, Le «concept» du  septembre, p. . 

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charité opérante dans le monde. À l’intérieur d’une approche à portée publique, l’analyse porterait sur les mécanismes des relations entre les nations, pour expliquer comment la majorité de populations dans le monde, «ne sont pas seulement privées de l’accès à […] la démocratie […], elles sont même dépossédées des richesses dites naturelles qui se trouvent sur [leur] sol». La théologie sera à côté des populations, une parole et une énergétique qui poussent à des engagements précis et cohérents, au sein du nouvel ordre mondial. Elle doit représenter la symbolique de la lutte d’émancipation, aussi bien contre l’impérialisme de réseaux internationaux d’exploitants, contre l’immoralité des structures nationales de prédation, que contre la multiplication illicite des alliances dans les différents actes de bradages des richesses locales, sources de violence et d’insécurité sociales. Le paradigme de la justice permet également d’aborder le principe d’égalité du genre humain d’une manière plus fonctionnelle. À ce niveau, le nouvel ordre éthique rend caduques et immorales «les divisions et les séparations nourries de discrimination raciale, ethnique et culturelle», sans que soient laissés de côté «le mépris et la marginalisation» d’autres parties géographiques et culturelles du monde, ainsi que «l’antisémitisme». Durant ces dernières années, le sentiment d’arabo-islamo-phobie est devenu le facteur le plus redoutable de l’insécurité sur notre planète. Face à cette situation, la réponse théologique passera par l’intégration d’une pensée dialogale interreligieuse, qui tienne compte des appels à une mondialisation accueillante des solidarités plus larges touchant le droit à l’expression des identités particulières, au-delà de toute surenchère communautariste. L’impératif d’une gouvernance politique juste des espaces de solidarité à l’échelle mondiale des intérêts et de la communication, doit structurer l’analyse théologique. Celle-ci devra faire de l’éthique «d’hospitalité inconditionnelle», le socle d’une pédagogie sociale de lutte permanente contre la résurgence des formes actuelles d’exclusion et de discrimination, qui constituent les germes de frustrations sociales et les motifs souterrains de la violence structurelle dans les différents modes sociologiques du vivre ensemble. Le paradigme de la justice exige que soient pris en compte au sein d’une juste analyse théologique, les déplacements d’une anthropologie inclusive non sexiste dans la redéfinition de la condition actuelle de la femme au sein de sociétés démocratiques. L’herméneutique théologique 

J. Habermas, «Fondamentalisme et terreur», dans J. Derrida et J. Habermas, Le «concept» du  septembre,  Cf. H. Küng, Projet d’éthique planétaire, p. .

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traverse l’âge d’une nette conscience de la féminité et d’autonomisation, qui oblige de laisser s’exprimer les différentes ambitions que portent les femmes «à tous les niveaux [de] responsabilité» au sein de services publics et des pouvoirs d’État. Le contexte d’une nouvelle éthique n’autorise plus de reconduire la mentalité de «la dépréciation» de la condition et du rôle de la femme en société, ni de laisser passer la routine concernant des «stéréotypes des hommes et des femmes fixés une fois pour toutes par les idéologies». Nous devons constater qu’en continuant à subordonner la femme à l’homme, le paradigme moderne n’a pas fait droit à cette autre moitié de l’humanité. Au sein d’une approche postmoderne, l’on doit savoir dans quelle mesure le christianisme, les religions et la théologie peuvent-ils «contribuer, dans la ligne d’une religiosité féministe, à la prise de conscience globale qui s’impose dans le paradigme après-monde; à la réalisation des droits de l’homme, politiques et sociaux, et donc à l’instauration d’un véritable partenariat entre hommes et femmes?». Le paradigme d’une éthique et d’une spiritualité de la justice sous la médiation de l’analyse théologique, fera de l’idée de la solidarité et de la «coexistence» entre peuples dans les frontières nationales, un idéal du vivre ensemble dans le respect strict des différences des identités et du principe d’égalité des chances. Mais cette option sera considérée comme insuffisante en dehors de véritables perspectives pour la «paix». En prenant conscience que la cohabitation entre peuples et communautés souffre à la fois de la récurrence des tensions et de la recrudescence de la violence absolue, la théologie fournira une réflexion équilibrée, mais fort appuyée, touchant à la nécessité d’une recherche «des solutions pacifiques aux conflits». Cette réflexion sera donnée en appui des initiatives, des structures et des actions de médiation à mener en direction de différentes voies de sortie des crises multiformes dans le monde, tout en étant précédée par la perspective d’une herméneutique théologique «engagée», à la fois contre les «idéologies» bellicistes, contre «les structures concrètes de la violence et du militarisme», et aussi contre toute course à «l’armement». L’expérience de l’œcuménisme dans l’espace chrétien, et celle du dialogue dans l’espace interreligieux, permettront de consolider l’approche de réconciliation, en débouchant notamment sur la déconstruction du concept de la tolérance.

   

Cf. H. Küng, Projet d’éthique planétaire, p. . H. Küng, Le christianisme. Ce qu’il est et ce qu’il est devenu dans l’histoire, p. . H. Küng, Projet d’éthique planétaire, p. . Cf. ibid., p. .

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.... De la tolérance religieuse à l’hospitalité illimitée À la suite de J. Derrida, nous voulons relever le fait qu’en contexte de mondialisation, la montée de l’insécurité et du spectre de la violence structurelle en appelle à des propositions de solutions plus larges. En ce sens, la généralisation de la démocratie, de l’ordre marchant et des régimes du respect de droits de l’homme ne suffit pas à elle seule pour contenir les facteurs négatifs de l’intolérance sociopolitique et idéologique dans le monde. La géopolitique des conflits démontre à quel point la solidarité humaine est tordue, minée et reste explosive lorsqu’elle continuera à dépendre d’une philosophie de coexistence pacifique fondée sur tolérance légale. L’analyse théologique et stratégique de variables sécuritaires dans le monde sera obligée de prendre des distances face au concept de «tolérance», tant il est vrai que la notion chrétienne de tolérance est issue d’un faux pluralisme et d’une mauvaise philosophie de coexistence. Mais, avant de montrer comment notre époque impose un régime de déplacement vers le concept d’«hospitalité», nous devons d’abord reconnaitre que, replacé dans son contexte d’émergence, le concept de tolérance représente une avancée non négligeable dans l’histoire de la relation interreligieuse. En effet, le paradigme de tolérance émerge d’un processus positif de pacification des relations entre coreligionnaires. Selon H. Bost, «en tant qu’elle porte à favoriser la paix, la tolérance est liée à l’irénisme ecclésiastique, au dialogue, aux tentatives de réunion du christianisme». Dans le même temps, elle est intervenue dans un processus des efforts pour stopper une série des pratiques liées à un mouvement répressif des libertés, qui permet à J. Derrida de constater que «toutes les figures de l’intolérance (anathème, excommunication, censure, marginalisation, défiguration, contrôle, programmation, expulsion, exil, emprisonnement, prise d’otage, menace de mort, exécution et assassinat, etc.) ne [sont] pas nouvelles», autant qu’elles «[n’ont] jamais été dissociables du mouvement même de la culture, de la tradition, des processus de légitimation des communautés en général, [ou] en particulier des institutions ecclésiastiques et étatiques». L’intelligence même actuelle de la notion de tolérance suppose, pour ainsi dire, cette conscience du contexte de guerre des religions à partir du XVIe siècle, en tant que contexte marqué par des tensions de doctrines opposées et des attaques dogmatiques concurrentes.  H. Bost, «Le refuge huguenot, un laboratoire de la tolérance?», dans N. Piqué et G. Waterlot (dir.), Tolérance et réforme. Éléments pour une généalogie du concept tolérance, Paris, L’Harmattan, , p. .  J. Derrida, «Auto-immunités, suicides réels et symboliques», p. .

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En raison de ce passé, le paradigme de la tolérance a été une véritable révolution contre les mentalités et les pratiques intolérantes qui se trouvaient enracinées dans les structures mêmes de cohabitation. Mais, à notre époque, sous l’effet de la mondialisation, qui a entrainé une tendance marquée de porosité des frontières nationales, plusieurs paradigmes positifs et constructifs de cette cohabitation, supportent le régime d’un pluralisme relationnel, tout en faisant subir au concept de «tolérance», l’inévitable processus de déconstruction. L’enjeu, par rapport à ce déplacement, est «d’analyser ce qui, aujourd’hui ne dépend plus des mêmes conditions ni de la même axiomatique» qu’à une époque où un faisceau de problèmes avait nécessité l’intervention de la notion de tolérance dans le processus de pacification des esprits au milieu de fortes tensions religieuses. Avec J. Derrida, l’on considérera en effet qu’ un tremblement de terre a bouleversé le paysage dans lequel l’idéal de la tolérance a pris au moins une première figure, il y a quelques siècles. Il faudrait, ajoute J. Derrida, analyser toutes ces mutations: dans la structure de l’espace public, dans l’interprétation de la démocratie, de la théocratie et de leurs rapports respectifs avec le droit international (dans son état actuel, dans ce qui le pousse et l’appelle à se transformer et donc dans ce qui, en lui, reste largement à venir), dans les concepts de l’État-nation et de sa souveraineté, dans la notion de citoyenneté, dans la transformation de l’espace public par les médias qui, à la fois, servent et menacent la démocratie, etc.

En préconisant ainsi la révision du concept de «tolérance», J. Derrida insiste sur la nécessité d’amorcer ce processus en se plaçant «à l’échelle internationale», en suivant «les modes nouveaux, mais toujours en analysant et en discutant les fondements mêmes de notre responsabilité, ses discours, ses héritages, ses axiomes». S’il faut aller jusqu’à «en interpréter l’héritage», la raison de le faire sera liée à l’histoire même du mot «tolérance». À en croire J. Derrida, en effet, le concept de «‘tolérance’ est d’abord marqué par une guerre des religions entre chrétiens; ou entre les chrétiens et les non-chrétiens». Dans ce contexte, «tolérance» a fonctionné comme «une vertu chrétienne et en l’occurrence catholique», signifiant essentiellement que «le chrétien doit tolérer le non-chrétien, mais, surtout, le catholique doit laisser vivre le protestant». Même à 

J. Derrida, «Auto-immunités, suicides réels et symboliques», p. . Ibid., p. -.  Ibid., p. .  Ibid., p. . La circonscription du contexte chrétien de naissance de la notion de «tolérance» renvoie le plus souvent, et de manière datée, à une décision juridique historique, qui n’est autre que l’édit de Nantes de , par lequel Henri IV, roi de 

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notre époque où l’on peut encore se réaliser que «l’allégation religieuse est au cœur de la violence […]», et que, à ce titre, «tolérance» est entendue comme un appel: «que les musulmans acceptent de vivre avec des juifs et des chrétiens, que les juifs acceptent de vivre avec les musulmans, que des croyants acceptent de tolérer les ‘infidèles’ ou les non believers». La clarification de ce double contexte historico-religieux du concept de «tolérance», permet de reconnaitre que la notion a porté l’enjeu de toute une démarche d’entente: «La paix, écrit J. Derrida, ce serait la cohabitation tolérante». Cependant, en suivant cette présentation de la notion de «tolérance» par J. Derrida, on comprend que les contours de signification y relatifs s’exposent à un processus de déconstruction en vue d’être replacés dans une nouvelle perspective du pluralisme intégral et de la solidarité sans frontières, qui en démontre les limites quant à son étroite portée éthique dans la géopolitique mondiale actuelle. Sur le plan de l’éthique politique en postmodernité, ces limites peuvent être liées au fait que le discours de «tolérance» représente aujourd’hui «un discours aux racines religieuses», et surtout parce que le discours qu’il autorise peut être jugé comme «tenu du côté du pouvoir, toujours avec quelque concession condescendante». C’est, explique J. Derrida, un type de discours qui se place toujours «du côté de ‘la raison du plus fort’ […] une marque supplémentaire de souveraineté […] bon visage de la souveraineté qui, depuis sa hauteur, signifie: je te laisse vivre, tu n’es pas insupportable, je te laisse une place chez moi, mais ne l’oublie pas, je suis chez moi». Sans se confondre à l’hospitalité, la tolérance ainsi entendue signifie: «je tiens à limiter mon accueil, à garder le pouvoir, et à contrôler les limites de mon ‘chez moi’, de ma souveraineté [mon territoire, ma maison, ma langue, ma culture, ma religion, etc.]» L’étranger y aurait accès dans un cadre formel précis relevant du seuil du tolérable. À l’âge France, a permis aux Huguenots, c’est-à-dire à une minorité religieuse, de professer leur confession et d’exercer leur culte à l’expresse condition de ne contester ni l’autorité du trône ni la suprématie du catholicisme (tel que le précise J. Habermas, «Fondamentalisme et terreur», p. ). Dans ce contexte immédiat, la minorité protestante était ainsi «tolérée» à condition qu’elle renonce à toute prétention au pouvoir politique et à toute opposition à la majorité catholique (cf. J. Derrida et J. Habermas, Le «concept» du  septembre, p. ). D’où la permanence du syndrome du paternalisme, qui accompagne toute évocation de la «tolérance» en contexte postmoderne des sociétés pluralistes et démocratiques.  J. Derrida, «Auto-immunités, suicides réels et symboliques», p. -.  Ibid., p. .  Ibid.

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de l’émigration globalisée, où l’on tend à reconnaitre le statut juridique au choix de la citoyenneté par-delà son territoire d’origine (et d’héritage) identitaire, et où il est préconisé que soit élaborée «une juridiction internationale à partir d’une nouvelle vision cosmopolite» de la cohabitation, en vue d’assurer, comme le souhaitait E. Kant, «le passage du droit international classique à un ordre juridique cosmopolite», J. Derrida a bien raison de dénoncer dans les discours de la tolérance, le règne de l’idéologie, la tentative de légitimation de la «rhétorique organiciste» et la justification d’une «politique ‘naturaliste’». C’est dire qu’en considérant les contextes de son usage politique courant, surtout le contexte des pays occidentaux, la «tolérance» signifie que l’«on accepte l’étranger, l’autre, le corps étranger up to a certain point, dans les conditions très limitatives»; de telle sorte que toute idée de tolérance correspondra à «une hospitalité conditionnelle, circonspecte et prudente». J. Derrida précise à cet effet que «la tolérance reste une hospitalité surveillée, sous surveillance, avare, jalouse de sa souveraineté. […] On offre l’hospitalité à la condition que l’autre observe nos règles, nos normes de vie, voire notre langue, notre culture, notre système politique, etc.». La notion de tolérance devient, pour ainsi dire, inadaptée au contexte de l’éthique universelle. Elle sera jugée comme étant conservatrice d’une psychologie de cohabitation qui accepte l’altérité en la redoutant en même temps; qui la reçoit sans l’intégrer complètement: l’autre y demeure une menace, tolérable dans les limites de l’acceptable pour moi. Notre analyse plaide en outre pour l’abandon de la notion juridique de tolérance au regard de son caractère inhumain, limitatif et répressif des libertés. Comme l’a écrit J. Habermas: l’État de droit démocratique sape précisément la prémisse à partir de laquelle le sens paternaliste de la tolérance est dérivé. Au sein d’une entité politique dont les citoyens s’accordent réciproquement les mêmes droits, il n’y a plus de place pour une autorité qui fixerait le seuil de ce qui est unilatéralement tolérable. Sur la base de l’égalité en droits et de reconnaissance réciproque entre les citoyens, personne ne possède plus de privilège de poser les limites de la tolérance à partir de sa propre conception des valeurs.

    

J. Habermas, «Fondamentalisme et terreur», p. . J. Derrida, «Auto-immunités, suicides réels et symboliques», p. . Ibid. Ibid. J. Habermas, «Fondamentalisme et terreur», p. .

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Ainsi, la déconstruction que suggère le cadre de l’analyse de J. Derrida en direction de la «notion politique de tolérance», veut être une opération pouvant s’effectuer sous le mode instaurateur de la notion d’«hospitalité pure et inconditionnelle». Il s’agit de l’«hospitalité» entendue au sens d’une visitation sans conditionnalité, celle qui convient à la gestion des relations multiples au sein de nos sociétés pluralistes, voire dans les espaces de la cohabitation interreligieuse. La notion «d’hospitalité» déstabilise, d’une façon plus efficace qu’avec la notion de «tolérance», les manifestations de l’intolérance dans toutes leurs dimensions de réduction et d’assimilation de l’altérité. Elle permet, en outre, de démasquer l’intolérance dans ses manifestations structurelles les plus redoutables: dans sa forme politique d’intégrisme répressif, dans le totalitarisme libéral manipulateur, ainsi que dans le fondamentalisme de positions dogmatiques à tendance assimilationniste. À travers ces manifestations, l’intolérance passe pour un système néfaste de violence et d’exclusion exercée sur l’altérité, système de négation déclarée et de violation systématique des libertés. Ce qu’a pu relever M. Barlow pour parler de «théologie de la tolérance», doit être retenu comme une base pertinente de la spiritualité d’hospitalité. C’est dans la perspective de cette spiritualité d’hospitalité que peut résister, trouver place et peut légitimement se défendre, «la conviction absolue que tout homme – quelles que soient ses particularités physiques, psychiques, culturelles ou sociales – demeure fondamentalement un homme», et qu’en vertu de cette conviction, l’humanité doit arriver à désapprouver, «en théorie comme en pratique toute mesure d’exclusion ou de discrimination». L’idée régulatrice de cette option est essentiellement celle de «l’universel humain considéré comme un absolu». À ce niveau, M. Barlow note, à juste titre, que «c’est précisément l’acceptation ou le refus de cette référence à l’universel humain qui trace la frontière entre la démocratie et le totalitarisme». Aujourd’hui, la défense du caractère absolu de «l’universel humain» est devenue le leitmotiv d’une lutte qui se réclame de l’éthique de la laïcité. C’est de la responsabilité du théologique d’admettre avec sérénité que le contexte et le sens religieux du concept de «tolérance» (même selon ses usages dans les discours politiques), «en font le vestige d’une démarche paternaliste dans laquelle l’autre n’est pas accepté sur le plan   

M. Barlow, Pour une théologie de la tolérance, p. . Ibid., p. . Ibid., p. -.

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d’égalité mais en subordonné, peut-être assimilé». Par conséquent, bien que trouvant ses «racines profondes dans la notion chrétienne de charité, [elle] empêche toute prétention à l’universalisme». La position du sens classique de la «tolérance» a valu à cette notion, déjà avec H. Marcuse, une critique qui en rejette l’acception libérale devenue courante. Selon H. Marcuse, en effet, «ce qu’on appelle aujourd’hui tolérance, et ce qu’on pratique sous ce nom, sert dans la plupart de ses manifestations réelles la cause de l’oppression». Il ajoute: «La tolérance, parce qu’elle constitue l’élément vital et la garantie d’une société libre, ne saurait être un cadeau des puissants en place». J. Habermas a continué à plaider pour le maintien du concept de «tolérance» et à exiger qu’il soit mis à l’abri de toute démarche de déconstruction. Pour J. Habermas, «la tolérance est défendable si elle s’exerce dans le contexte d’une communauté démocratique», en tant que «contexte d’égalité des droits des citoyens entre eux», dans lequel la notion a acquis «un profil dialogique». Selon cette analyse de J. Habermas, la notion de tolérance peut encore garder sa pertinence dans un contexte où elle ne peut plus être proclamée «de façon unilatérale ou monologique, mais dialectique, dans un échange rationnel entre les citoyens». Elle garderait également sa pertinence en référence au cadre de la Constitution, qui représente «le seul critère commun» de traitement et de considération entres citoyens, dans la mesure où ce cadre renvoie à l’idéal d’«une société dans laquelle l’accord de tous les partenaires, libres et égaux, est obtenu sans contrainte ni manipulation». Mais J. Habermas semble oublier qu’une certaine référence à la Constitution, ou même certaines conditions de mise en application des dispositions constitutionnelles (surtout dans le contexte des pays à faible expérience démocratique), peuvent être assorties d’une manipulation intolérante au regard des intérêts en jeu, tout comme elles peuvent conduire à la répression des libertés, au nom d’une certaine évocation de la sureté de l’État et de la sécurité des institutions. On ne pourra pas arriver à soutenir que là où le cadre des lois françaises parle de la 

J. Derrida et J. Habermas, Le «concept» du  septembre, p. . H. Marcuse et al., Critique de la tolérance pure, tr. fr. L. Roskopf et L. Weibel, Paris, Didier, , p. . , tel que cité par J. Derrida et J. Habermas, Le «concept» du  septembre, p.  note .  J. Derrida et J. Habermas, Le «concept» du  septembre, p. .  Ibid., p. . . «La constitution est, pour J. Habermas, la concrétisation politique de l’idéal d’une communauté morale dont les normes et les pratiques sont pleinement acceptées par ceux qui leur sont soumis» (ibid., p. ). 

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tolérance, le sens de celle-ci n’a pas de commune mesure avec le relent d’intolérance qui se manifeste dans l’interdiction stricte du «voile». Dans ce sens, le choix de J. Habermas fait tomber dans un cercle vicieux, surtout lorsqu’il est question pour lui de chercher à maintenir cette terminologie de «tolérance» en ayant à l’esprit que sa signification ne sera jamais gauchie si l’on est fidèle à une Constitution républicaine qui soit en mesure de protéger les droits de chaque citoyen. Sur le plan d’une analyse à portée éthique, la notion de «tolérance» souffre d’une ambigüité de sens quant aux conditions actuelles de son usage. Elle doit subir, nous l’avons noté, l’épreuve de la déconstruction. Dans cette orientation, la notion substitutive d’«hospitalité», avancée par J. Derrida, convient pour être élaborée comme concept heuristique de la nouvelle gestion des modes, plus humains, du vivre ensemble. Selon J. Derrida, «l’hospitalité elle-même s’ouvre, elle est d’avance ouverte à quiconque n’est ni attendu ni invité, à quiconque arrive en visiteur absolument étranger, en arrivant non identifiable et imprévisible, tout autre». J. Derrida précise qu’il doit être bien question d’une «hospitalité de visitation et non d’invitation». J. Derrida est conscient de la difficulté que peut rencontrer l’application de cette notion d’«hospitalité» dans la pratique, surtout lorsqu’elle se définit comme hospitalité de visitation, cela à l’idée qu’une «visite peut être très dangereuse». Mais il la considère, malgré tout, comme la notion la plus prégnante, du fait qu’«une hospitalité sans risque, une hospitalité garantie par une assurance, une hospitalité protégée par un système d’immunité contre le tout autre», ne saurait être la «vraie hospitalité». Pour la même raison, J. Derrida reconnait la difficulté pour cette notion de passer à un «statut juridique ou politique», et d’être inscrite, à ce titre, dans des lois d’un État. Mais seulement, J. Derrida démontre à quel point, «sans cette pensée de l’hospitalité pure (pensée qui est aussi, à sa manière, une expérience), on n’aurait même pas l’idée de l’autre, de l’altérité de l’autre, c’est-à-dire de celui ou de celle qui entre dans votre vie sans y avoir été invité. On n’aurait même pas l’idée de l’amour ou du ‘vivre ensemble’ avec l’autre dans un ‘vivre ensemble’ qui ne s’inscrit dans aucune totalité, dans aucun ensemble». Pour J. Derrida, l’«hospitalité inconditionnelle, qui n’est encore ni juridique ni politique, c’est pourtant la condition du politique et du juridique». Elle ne saurait non plus être prise pour une «éthique, dans la  

J. Derrida, «Auto-immunités, suicides réels et symboliques», p. . Ibid.

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mesure où elle ne dépend même pas d’une décision», mais pourtant, elle passe tout autant pour une conditionnalité indispensable de l’éthique quelle qu’elle soit. En tout état de cause, selon J. Derrida, «l’hospitalité inconditionnelle est transcendante au regard du politique, du juridique, voire de l’éthique», même si, ajoute-t-il, il y a comme une obligation, pour son effectivité, de «réinscrire l’inconditionnel dans les conditions» précises d’hospitalité. Ce, d’autant plus que «les responsabilités (politiques, juridiques, éthiques) ont lieu, si elles ont lieu, dans cette transaction […] entre ces hospitalités, l’inconditionnelle et la conditionnelle». Il s’ensuit qu’un engagement de prise en charge par l’herméneutique théologique de la catégorie d’hospitalité inconditionnelle, devra coïncider avec l’élargissement de la thématique de la charité illimitée et agissante, qui ne limitera plus au niveau du sentiment psychologique de compassion, mais qui doit devenir une contrainte éthique impliquant des obligations d’actions et des impératifs de la responsabilité humaine et humanitaire dans l’ordre de l’agir. L’enjeu est de taille lorsque, dans l’ordre d’opérationnalisation d’une éthique de la charité structurelle illimité, l’approche théologique doit prendre une posture, qui soit ressentie comme une réponse adéquate aux défis de la criminalité et de la tricherie dans les structures de gouvernance dans le monde. En effet, dans la foulée des stratégies de lutte antiterroriste menées par la coalition des puissances économiques et militaires, les différentes options se sont faites accompagnées de mesures conservatoires au sein des États occidentaux, concernant la restriction des politiques d’immigration et le contrôle migratoire ayant pour cibles certaines communautés et pour conséquence inadmissible l’érosion drastique des libertés civiques des personnes. Sous la menace du terrorisme international, certains États, pour une raison ou pour une autre, ont adopté un autre concept de la défense jusqu’à favoriser la résurgence d’un nationalisme excessif, à des traits protectionnistes, doublé d’une politique étatique isolationniste de fermeture de frontières, et d’une conception de la société qui tient d’autres peuples comme des envahisseurs. On doit ainsi considérer que toute situation d’insécurité politique et de conflits armés dans un territoire national s’accompagne le plus souvent des actes de criminalité exercée sur la condition humaine. Fort du principe d’«hospitalité inconditionnelle», contre l’idée d’une «coexistence pacifique» fondée sur la simple notion de tolérance, le   

J. Derrida, «Auto-immunités, suicides réels et symboliques», p. . Ibid., p. . Cf. Cl. Delmas, La coexistence pacifique, Paris, PUF, .

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cadre de notre analyse retrouve la marge requise du déploiement de la notion de solidarité dont la portée universelle et publique est signalée dans la perspective donnée par l’enseignement chrétien de Jean-Paul II qui en a fait une «vertu personnelle et sociale». L’analyse théologique doit se saisir de cette explicitation de la notion de solidarité pour ratisser large dans la logique de sa signification au regard de la gravité des défis actuels de la paix face à l’institutionnalisation de l’intolérance, de la violence et de l’insécurité. L’approche théologique tiendra pour évidente l’option qui veut que le paradigme de solidarité-hospitalité inconditionnelle en appelle à l’exigence de réouverture des frontières. Le langage du cosmopolitisme et de la globalisation indique déjà abondamment que le brassage des peuples et la rencontre des cultures seraient le fait de la porosité des frontières nationales. On sait également que la résurgence du nationalisme d’extrême droite dans des grandes démocraties, le retrait des communautés dans les fondamentalismes de leurs cultures et de leurs religions à l’époque d’une terreur qui suscite un sentiment arabo-islamophobie plus fort, sont des phénomènes qui démontrent à suffisance que les frontières ne sont pas assez ouvertes à l’accueil des personnes humaines en quête de réintégration à l’époque de multiples flux migratoires. Il existe encore des mesures administratives et des lois nationales restrictives, qui ne facilitent pas assez le déplacement et la circulation des personnes dans les différents territoires de refuge écologique et politique ou de prédilection économique. Sous l’effet du paradigme de solidaritéhospitalité, ces lois doivent connaitre un allègement, un assouplissement pour rendre beaucoup plus humanisées les conditions de déplacement et d’asile des populations. Il faut précisément trouver des mécanismes qui assurent l’équilibre entre les subtilités d’ordre sécuritaire à des frontières en tant que mesures préventives face à des menaces terroristes, et l’obligation d’offrir à chaque personne, au nom de sa liberté de choix, la possibilité de vivre dans un territoire national qui lui offre le plus d’opportunités au nom du principe d’égalité de chances. D’où est-il important de préciser qu’il s’agit de l’ouverture de toutes les formes de frontières: les frontières physiques liées aux limites géographiques des États-Nations, et les frontières ethnoculturelles qui laissent suffisamment d’espace pour l’expression d’autres convictions et d’autres modes d’existence en tant que visions du monde. L’ouverture de ces frontières doit être faite à la hauteur de la  Cf. D. L. Vieira, La solidarité au cœur de l’éthique sociale. La notion de solidarité dans l’enseignement social de l’Église catholique, Paris, Éd. Mare et Martin, ; en référence à Jean-Paul II, Sollicitudo rei socialis, du  décembre .

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circulation des biens de consommation et de commercialisation autant que de nouvelles technologies d’information et de communication. À l’échelle la plus réduite de la société, dans une perspective de prévention durable des conflits, l’enjeu de l’hospitalité inconditionnelle exigera que les communautés ethniques dans les espaces nationales soient confrontées à la notion républicaine de citoyenneté, la seule qui soit en mesure de tisser des solidarités d’appartenance à un héritage national contre le communautarisme ethnique. Le statut de citoyen fait de chaque individu sur un territoire national, le sujet de tous les droits et obligations, tant il est vrai que les différentes références à des appartenances ethniques dans le contexte des conflits politiques et sécuritaires créent de fragmentations nocives et meurtrières au sein de la société autant qu’elles étouffent l’exercice des libertés civiques des personnes sur un territoire national. Il faut également noter que le paradigme de solidaritéhospitalité décourage des modes de cohabitation basés sur ce qu’on a pu appeler métissage culturel. Le faisceau des évènements autour du phénomène de la violence terroriste et des stratégies de lutte antiterroriste ont révélé que l’arabité comme civilisation a traversé les frontières de nations musulmanes et continue à survivre autour des identités personnelles même dans territoires d’une civilisation ultramoderne en Occident. Le mode préférable de cohabitation doit être fondé sur l’accueil et le respect de différences identitaires, sur l’enjeu du dialogue, de réciprocité des styles et modèles, ainsi que sur débat publique concernant les questions d’intérêts commun. Décidément, dans la ligne du Rapport mondial sur le développement humain du Programme des Nations Unies sur le développement (PNUD) de 2004, intitulé La liberté culturelle dans un monde diversifié, le dialogue s’impose là où, finalement, les différents espaces humains de cohabitation en sociétés pluralistes et démocratiques «doivent promouvoir, plutôt qu’étouffer les libertés culturelles», autant qu’ils doivent permettre l’accès de tous aux «flux mondiaux de biens, d’idées, de personnes et de capitaux», ainsi que la protection de la liberté culturelle de communautés, et l’élargissement des choix humains. À partir du paradigme de solidarité-hospitalité inconditionnelle, «la mondialisation ne peut élargir les libertés culturelles que si tous les individus développent les identités multiples et complémentaires en tant que citoyens du monde de même que citoyens d’un État et membres d’un groupe culturel», de la même manière qu’un État culturellement divers peut bâtir une unité sur des identités multiples et complémentaires». Par conséquent, «les interactions mondiales intensifiées d’aujourd’hui ne peuvent fonctionner correctement

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que si elles sont régies par des liens de valeurs partagées», selon une méthodologie qui implique le respect du «patrimoine culturel de milliers de groupes culturels dans le monde». À défaut de ce modèle différencié et dialogal de cohabitation, les relations interhumaines seront explosives, parsemées de possibilités des tensions et de conflits divers, qui mineront les bases de la solidarité, de la paix et de la sécurité même à l’intérieur des frontières nationales. C’est pourquoi, là où les tensions existent déjà, la solidarité a pris la forme agissante d’interventions humanitaires pour protéger et sauver des vies humaines du danger d’extermination. D’un point de vue qui touche à l’engagement de l’éthique mondiale, l’approche de la solidarité humaine tend à prendre la forme la plus concrète en appelant à la déconstruction du principe cher au droit international classique, celui relatif à la «non-ingérence» dans les affaires d’un État tiers. Aujourd’hui, l’impératif de défense des droits de l’homme et des peuples (sur le plan humanitaire) et de la promotion de la démocratie (sur le plan de la justice) fait reconnaitre comme légitime et défendable, l’idée du «droit d’ingérence». C’est le lieu de rappeler que la doctrine du «droit d’ingérence» a un fondement éthique, qui se dégage de l’obligation morale face à la «responsabilité de protéger» les vies humaines menacées d’extermination en contexte de conflits violents ou en contexte d’une gouvernance de domination totale se caractérisant par la violence, la tyrannie et la criminalité de l’État, et qui inclut la responsabilité de réagir et la responsabilité de reconstruire. Dans cette perspective, le concept de «R2P» a été entériné dans le rapport de septembre 2005 de l’ancien secrétaire général des Nations Unies, Koffi Annan, intitulé Dans une liberté plus grande, qui appelait les chefs d’États et de gouvernements à «adopter le principe de la responsabilité de protéger comme fondement de l’action collective face aux génocides, nettoyages ethniques et crimes contre l’humanité». Les effets de différentes situations de conflit dans la cité contemporaine, révèlent, en effet, que le principe du «droit d’ingérence» est applicable dans le contexte du droit international humanitaire. Pour expliquer la portée de ce principe, J. Étienne indique qu’il «est étroitement lié au devoir de se montrer solidaire d’êtres humains en danger». À ce titre, ajoute J. Étienne, «la solidarité ainsi évoquée ne connaît pas de frontières, elle vise la dignité commune à tous».  J. Étienne, «Droit d’ingérence», dans Revue théologique de Louvain  (), p. -; en référence à Charles Zorgbibe, Le droit d’ingérence (Que sais-je?, ), Paris, PUF, .  Ibid., p. .

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Cherchant à démontrer la portée éthique du principe du «droit d’ingérence», J. Étienne en trouve l’illustration dans les propos de Jean-Paul II, qui a parlé de l’«ingérence humanitaire», dans un discours prononcé le  décembre  à Rome, à l’occasion de la Conférence internationale sur la nutrition. Dans ce discours, Jean-Paul II a affirmé que, lorsqu’une population risque de mourir de faim, on doit de toute façon assurer les aides humanitaires et sanitaires, et lever tous les obstacles, y compris ceux qui viennent de recours arbitraires au principe de non-ingérence dans les affaires intérieures d’un pays. La conscience de l’humanité, désormais soutenue par les dispositions du droit international humanitaire, demande que soit rendue obligatoire l’ingérence humanitaire dans les situations qui compromettent gravement la survie de peuples et de groupes ethniques entiers: c’est là un devoir pour les nations et la communauté internationale.

On le voit, l’explication du principe du «droit d’ingérence», implique un entendement élargi au terrain politique. L’application de ce principe, qui relève à la fois du domaine de l’éthique et du droit, intervient dans les contextes où la persistance des régimes politiques répressifs des libertés, doivent se rappeler à tout moment que l’absence de gouvernance démocratique peut avoir des effets jugés tellement néfastes sur la vie des populations locales, que la communauté des nations peut, à un moment donné, opter pour la solution de briser le prétexte du principe de la «non-ingérence», notamment pour ne pas être accusée de non-assistance des personnes en danger. Il s’agit de sauver la vie menacée de s’éteindre suite à la violation répétée des droits humains, y compris par exemple les droits à la paix et au développement. On le sait, en vue d’échapper à l’accusation d’interventionnisme, qui prêterait le flanc du règne d’un nouvel impérialisme des États sur d’autres États, le principe du «droit d’ingérence» visant le rétablissement des conditions de paix et de sécurité en situation de belligérance, doit réunir des conditions juridiques requises qui sont: le seuil d’une cause juste; l’usage de la force comme solution de dernier recours; la proportionnalité de l’intervention armée à la vraie dimension du conflit par rapport aux cibles. En accord avec J. Étienne, nous admettons que «‘l’ingérence’ ne peut constituer qu’une application marginale de la solidarité universelle et que celle-ci doit s’exprimer avant tout sous la forme de la collaboration 

Cité par J. Étienne, «Droit d’ingérence», p. ; cf. La Documentation catholique, n°  (), p. .

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multilatérale en vue de réduire les inégalités les plus criantes et d’instaurer partout dans le monde des conditions d’existence moins indignes des êtres humains». En ce sens, précise J. Étienne, «l’ingérence n’est crédible que si elle fait partie d’un effort global pour servir en tout lieu la cause des personnes». En outre, dans le domaine humanitaire, le principe du «droit d’ingérence» fonctionne depuis plusieurs années comme un allant de soi. Au-delà de la préoccupation portant sur le statut juridique international, qui confère, notamment à la Croix rouge internationale (par les quatre conventions de Genève du  aout ), une mission de service public international, le «droit d’ingérence» est devenu un principe applicable sur le terrain des Organisations non gouvernementales (ONG). Cependant, parce que l’esprit universaliste du droit humanitaire doit tenir compte des particularités et des circonstances relatives aux situations politiques des États, d’un côté, «il devient impératif de redéfinir clairement les champs d’intervention respectifs de l’État et des ONG, et les finalités respectives de leurs actions» et, d’autre part, l’on doit souligner que «les généreuses interventions d’une ONG ne peuvent dispenser l’État de mener une politique étrangère efficace». La question touche à l’orientation globale du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme par rapport à un but précis: «la protection de l’individu pour des motifs d’humanité». C’est fondamentalement une orientation qui a affaire aux conditions pratiques d’opérationnalisation de l’éthique de droits de l’homme sous sa dimension formelle. Il en résulte que le régime d’un partenariat équilibré et efficace entre les États et les Organisations Internationales (comme le CICR, le HCR etc.) doit demeurer le mot d’ordre d’une gouvernance, qui se charge de la mise en œuvre du droit des interventions humanitaires. Du côté des États, cette option implique la déconstruction de la notion de «souveraineté». Celle-ci devra retrouver sa nouvelle connotation 

J. Étienne, «Droit d’ingérence», p. -. J. Étienne rappelle, à juste titre que, pour des motifs d’ordre humanitaire, le groupe des Médecins sans frontières, est né suite à la terrible guerre qui sévit au Nigéria en -, à l’occasion de laquelle surgit un puissant mouvement de protestation, mené dans la seule préoccupation des victimes, contre l’inertie des États. Ibid., p. .  Ch. Zorgbibe, Le droit d’ingérence, p. -, tel que cité par J. Étienne, «Droit d’ingérence», p. .  J. Étienne, «Droit d’ingérence», p. .  Marco Sassoli, Mise en œuvre du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme: une comparaison, Zürich, Schulthess Polygraphischer Verlag, , p. , ou dans Annuaire suisse de droit international, vol. XLIII, . 

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en référence à la notion classique de «subsidiarité», là où cette notion renvoie au «jeu subtil entre indépendance et interdépendance». De telle sorte que pour J. Étienne, «le ‘droit d’ingérence’ peut être considéré comme une application-limite de l’interdépendance, entreprise au nom de la justice et du droit». Pour la même raison, A.-Ch. Habbard et M. Guiraud estiment qu’à titre de «fondement et norme suprême du droit international», le droit international des droits de l’homme possède un caractère contraignant. Il ne peut «être considéré comme une simple option laissée au libre arbitre des uns et des autres, tant la Déclaration universelle des droits de l’homme souligne en effet la nécessité que ‘tous les individus et tous les organes de la société s’efforcent […] de développer le respect de ces droits et libertés et d’en assurer […] la reconnaissance et l’application universelles et effectives’». À ce titre, «le droit international des droits de l’homme constitue le seul cadre cohérent à même de garantir [le] développement que l’on recherche tant, un développement qui ne saurait être compris que comme la réalisation des droits de l’homme, de tous les droits – civils, politiques, économiques, sociaux et culturels». Dès lors, l’idée de la révision que doit subir la notion de «souveraineté» implique sa confrontation avec ce qui se donne d’une bonne intelligence du «principe de subsidiarité». J. Étienne note, à cet effet: Si, malgré tout, on maintient le terme de souveraineté sans lui conférer une valeur absolue, il ne peut désigner qu’une autonomie que l’on peut qualifier de présomptive: dans les circonstances ordinaires, il est préférable de laisser chaque État gérer ses affaires; c’est le principe de subsidiarité appliqué aux États. Mais les circonstances peuvent survenir où le jugement s’inverse, où l’État n’est plus qualifié pour gérer seul ses affaires, notamment lorsqu’il abuse de son pouvoir, lorsqu’il traite indignement ses citoyens ou certains groupes établis sur son territoire.

Il ressort de ce qui précède, que la perspective du vivre ensemble dans les sociétés pluralistes et démocratiques s’accompagne d’une complexité des défis dont la prise en charge constitue le leitmotiv de la responsabilité et de réorganisation du nouvel ordre mondial. L’enjeu d’une solidarité active, fondée sur la constante de l’hospitalité inconditionnelle à 

J. Étienne, «Droit d’ingérence», p. . A.-Ch. Habbard et M. Guiraud, «À la recherche des droits perdus», dans A.-M. Ducroux (dir.), Les nouveaux utopistes du développement durable, Paris, Éd. Autrement, , p. .  J. Étienne, «Droit d’ingérence», p. . 

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l’intérieur des limites nationales et dans les espaces d’échanges internationaux à l’époque de l’insécurité et de l’instabilité politique, nous semble être l’axe principal et la conditionnalité d’une recherche consensuelle des solutions en direction de la réintégration des peuples, des personnes et des communautés dans les espaces vitaux de leurs choix. Autant la communauté internationale actuelle est ordre de bataille sur le front du droit et de la justice, autant le règne de l’éthique mondiale impose à l’approche théologique le devoir de ratisser large dans la tâche d’élaboration d’une spiritualité postmoderne de l’hospitalité, au sein d’une réinterprétation plus fonctionnelle et politique, plus structurelle et opérationnelle de ses protocoles classiques de langages à l’échelle de la société-monde. La théologie doit avoir conscience d’appartenir à l’époque de redéfinition de ses responsabilités épistémologiques à l’intérieur même de l’ordre mondial. Dans son rôle d’accompagnement des enjeux éthiques de la cité contemporaine, elle doit rejoindre les stratégies de la géopolitique mondiale dans la définition des défis humains et dans la proposition des solutions appropriées. Il s’agira, en particulier, de travailler à l’institutionnalisation du paradigme d’hospitalité inconditionnelle, à partir du modèle du dialogue permanent autour des intérêts partagés, au-delà des asymétries culturelles et économiques que représentent les différents pôles du monde.

Conclusion La stabilité et la sécurité de la planète, par un type de gouvernance globale qui suit les standards de l’éthique universelle, en relation avec l’inconditionnalité des droits de l’homme; l’équilibre et l’intégration internationale par la consolidation des alliances plus solides et la promotion des convictions à partir des valeurs partagées considérées comme des standards universels; la régulation de l’économie et du commerce par des politiques sociales, visant l’établissement des principes justes; la survie de l’humanité et l’intégrité de l’écosystème, par la constance et la précaution dans la lutte contre le réchauffement climatique, à travers des stratégies concertées de coopération en direction de l’inévitable réduction de la menace nucléaire; tels sont les axes sur lesquels nos sociétés pluralistes construisent les enjeux d’un nouvel ordre mondial, en se fixant des objectifs à partir des options qui rentrent dans l’ordre d’une éthique universelle pour y parvenir. Cette perspective rend de plus en plus crédibles, les analyses de la situation mondiale, parfois en dehors de l’influence des herméneutiques basées sur les messages des religions. Dans la foulée, l’herméneutique théologique n’échappe nullement au constat de perte de pertinence face au prestige du nouvel ordre éthique de l’humanité dans la cité contemporaine. Face aux orientations d’un ordre éthique, qui élève légitimement la prétention de conduire les nouveaux enjeux politiques en matière de gouvernance des affaires du monde, la théologie, ainsi que le langage qui l’institue, traversent un moment inévitable de crise de plausibilité. Non pas qu’il s’agisse d’une crise de légitimité épistémologique, mais d’une crise de pertinence publique, sociale et spirituelle, qui oblige, pour en sortir, d’imaginer les voies et les conditions d’un contrat théologique fécond avec l’éthique de la laïcité. Le présent essai s’est inscrit dans la préoccupation de plaider en faveur d’une nouvelle articulation du théologique, en tant qu’herméneutique (religieuse et humaine) sur l’ordre de la contingence, qui structure actuellement la marche de la destinée humaine et de l’ordre du monde. Ce tournant est ressenti comme la seule réponse adéquate de la démarche théologique à la grande question que lui pose l’éthique postmoderne. L’approche théologique de l’éthique universelle est invitée à intégrer dans l’ordre global de ses analyses et de ses présupposés, les défis sociaux et

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CONCLUSION

politiques, économiques et culturels, éthiques et écologiques, selon une perspective qui engage toute sa dimension d’une herméneutique d’existence croyante (et non croyante). Elle devra s’articuler essentiellement sur la formulation de ces défis tels qu’ils sont appréhendés sur le champ de la laïcité, en vue d’assurer à l’interprétation chrétienne de la vie, une crédibilité publique. L’orientation globale de la théologie en postmodernité appartient désormais à ce destin précis. Dans le cadre d’un tel programme, le contexte de la société contemporaine aspire à l’émergence d’une théologie en situation permanente de «relation». Elle sera rendue possible aussi bien par une nouvelle logique de sa réinsertion aux problèmes de l’espace mondial, structurellement organisé en communauté des nations, que par son engagement renouvelé d’être le lieu où s’exprime la pensée du dialogue sur l’espace interreligieux, légitimement accordé au pluralisme religieux, qui sert de point d’intersession à des questions ultimes que se posent de millions des croyants dans le monde. Le déplacement théologique consécutif, suivra la nécessité pour l’humanité, de chercher des solutions éthiques aux problèmes des humains, en dialogue avec les différentes forces vives de l’ensemble de la cité contemporaine. La théologie s’inscrira ainsi dans la logique d’une perspective qui tiendra compte de l’orientation planétaire des solutions aux problèmes de l’humanité, en même temps qu’elle permettra de rendre compte de la spécificité de chaque religion, de chaque culture et de chaque région quant aux enjeux cruciaux de ces problèmes, éventuellement au nom des convictions et ou de la dynamique croyante en présence. La théologie se constituera en lieu sûr d’une invitation à «prendre en compte et la constance normative universelle et les variables de la situation particulière». Ainsi sera-t-elle une  Pour H. Küng, c’est de la particularité de chacune des religions que devrait se poser la vérité d’une éthique universelle. Ainsi, observe-t-il à juste titre: «il n’existe pas de peuple sans religion, et encore moins de peuple sans éthique, c’est-à-dire sans des valeurs et des critères tout à fait déterminés» (H. Küng, Petit traité du commencement de toutes choses, Paris, Seuil, , p. ). De cette manière, «dans les cultures tribales on trouve des normes non écrites, non formulées dans des propositions, une éthique de la famille, du groupe, du clan, transmise dans des récits, des paraboles et des comparaisons, une éthique qui – lorsqu’elle est reconnue ‘bonne’ – s’universalise». Prise dans cette logique, elle se présente sous forme: – d’«un sens de la réciprocité, de la justice, de la générosité (par exemple dans le don mutuel)», – d’«un profond respect de toute vie (par exemple lors des règlements de conflits, de la punition pour des violences, de rapports avec la nature)»; – des règles pour la vie commune entre les sexes (tels l’interdiction de l’inceste et le rejet du libertinage); – d’«un grand respect devant les vieux (en même temps que l’attention portée aux enfants)» (ibid., p. -).  H. Küng, Projet d’éthique planétaire. La paix du monde par la paix entre les religions, Paris, Seuil, , p. .

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théologie qui, en accréditant l’orientation mondiale des réponses au défis écologiques en connexion avec les préoccupations économiques et sociales, élaborera les questions de la vie dans le respect des différences au sein de nos sociétés pluralistes. Autant ne sera-t-elle pas portée à confondre le principe d’universalité avec la tentation d’universalisation des modèles puissants, autant fera-t-elle attention au danger d’absolutiser l’horizon universel, qui peut faire retomber dans l’abstraction, et qui peut tendre à imposer des pratiques sociales précises au nom d’une idée unilatérale que l’on s’est constituée sur ce que devrait être l’être humain. La théologie prendra en compte la spécificité et les sensibilités des cultures. Pour cela, elle maintiendra un horizon cosmopolite, postulé à partir des expériences singulières. L’orientation éthique s’impose donc au dessein actuel de l’herméneutique théologique. Celle-ci, au risque d’être rendue inutile par la démarche fascinante du nouvel ordre éthique, doit chercher à rendre au christianisme et aux religions, au cœur des problèmes du monde, une crédibilité dont l’humanité aura autant besoin, en s’inscrivant à l’ordre des problèmes de la laïcité concernant spécialement les questions éthiques. L’éthique étant la chose la mieux partagée au monde, l’espace de la laïcité est, pour cette raison, le cadre le plus approprié du partage universel des valeurs organisatrices de la vie, à travers une régulation mondiale en matière de gouvernance du destin humain. C’est pourquoi la laïcité requiert une élaboration théologique, qui devra aboutir à un régime de contrat entre les standards de l’éthique et les convictions normatives issues des traditions croyantes. L’herméneutique théologique prendra, de cette façon, le format du consensus global, pour être le lieu réflexif d’explicitation de l’horizon du dialogue avec le nouvel ordre mondial. Par conséquent, la théologie de l’âge postmoderne sera conviée à la tâche de prendre en charge les revendications en faveur d’un nouveau rapport à la religion et au «sacré». Ce rapport est voulu plus vivant et engageant, plus participatif et libérateur de l’ordre des choses, assumant «techniquement» la médiation du traitement des questions humaines et des situations de la planète dans toutes leurs phases de manifestation et tous leurs niveaux d’expression. La théologie saura que la situation qui provoque et justifie l’avènement de nouvelles spiritualités, se structure surtout à partir de la psychologie actuelle de l’espace public, telle que cette psychologie se trouve conditionnée par l’enjeu de la sécurité sociale des personnes et des communautés. Tout ce qui s’exprime dans l’ordre du religieux voudra retrouver son régime normal d’explication et de légitimation critique de l’ordre de

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CONCLUSION

la vie en général à partir du postulat de l’idée d’Absolu, hors de toute ontologie supra-naturaliste et de toute représentation métaphysique. La théologie devra se saisir de cette situation, pour envisager l’essentiel de sa démarche et de ses tâches sous l’ordre du paradigme qui donne cohérence à l’«âge séculier», à partir de l’impératif de relier à la question de Dieu, la nécessité d’une réinterprétation du monde et de la vie en général. L’élaboration d’une nouvelle herméneutique théologique, qui soit une réponse adéquate au défi de l’éthique postmoderne, n’aura rien du statut d’une «théodicée», d’une tentative rationnelle d’«explication de […] phénomènes en termes de légitimation religieuse». Il ne s’agira pas de passer d’un modèle de conceptualisation métaphysique, qui a servi jadis à la captation des mystères de la foi et de la révélation, à un modèle qui aura la prétention de rendre les mystères selon une conceptualisation à portée plutôt sociopolitique. E. Schillebeeckx considère de telles approches comme étant «étrangères à l’Évangile». L’idée qui se déploie, cependant, dans l’ensemble de notre analyse, est celle de maintenir l’élan d’une théologie qui a atteint le profil d’«une science du destin divin de l’homme», et dont l’essentiel de l’herméneutique consistera dans une démarche globale d’articulation aux données qui structurent socialement et organisent politiquement ce destin humain. À l’âge qui est le nôtre, la méthodologie de la pensée théologique conférera à la démarche de l’éthique publique toute sa portée libératrice. Elle tiendra pour évidente, la constante selon laquelle «toute histoire humaine, dans la mesure où elle libère dans l’homme l’humain vrai et bon, dans le plus grand respect d’autrui», devrait être continuellement reprise et thématisée comme «histoire du salut», comme histoire de la destinée humaine dans ses quêtes quotidiennes de réalisation, au milieu des contradictions sociopolitiques et religieuses à lever, des contraintes climatiques et environnementales à juguler. Tout se passe comme si, aujourd’hui, par le biais d’un nouveau rapport à la religion, la définition théologique de l’humanité et du sort de l’homme, impliquait essentiellement la prise en compte du destin global 

Cette définition de la théodicée, voulue plus large, nous la tenons de P. Berger, La religion dans la conscience moderne, Paris, Centurion, , p. .  E. Schillebeeckx, L’histoire des hommes, récit de Dieu, Paris, Cerf, , p. .  Th. Tshibangu Tshishiku, «Les tâches de la théologie africaine. Questions aux théologiens africains», dans Bulletin de Théologie Africaine  (), n° , p. .  E. Schillebeeckx, L’histoire des hommes, récit de Dieu, p. .  Ibid.

CONCLUSION

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de la planète et de l’ordre du monde. Ainsi, par la médiation d’une réflexion théologique à portée publique, doit-on arriver à voir dans le diagnostic de la crise moderne, l’enjeu de la réactivation du profil historique et de la fonction sociale de la religion dans notre culture mondiale. L’herméneutique théologique sortira de sa propre crise, à la seule condition d’intégrer à sa juste conscience épistémologique, la responsabilité scientifique de clarifier, en le soulignant dans toutes ses approches, la portée politique et sociale des enjeux normatifs et éthiques, qui justifient la mise en place actuelle de nouvelles stratégies de convergences et du consensus, et qui organisent la dynamique des orientations du nouvel ordre mondial. Dans ce contexte, la pratique théologique assurera la communication de la foi, à partir d’une nouvelle texture et de nouvelles formes d’énonciations dogmatiques, assorties des épistémologies de la déconstruction et du nihilisme. De sorte qu’aujourd’hui, la conquête d’une nouvelle pertinence pour la théologie, passera forcément par la transmutation de son herméneutique d’ensemble en une perspective de discours et d’enseignement, de réflexion et d’action, qui épousera la logique du service (diaconie) des humains dans nos sociétés pluralistes. La théologie sera désormais dans la pleine conscience d’une épistémologie féconde, appartenant à l’ordre d’un paradigme d’accompagnement serein des résolutions et de la stratégie de notre société-monde en face des défis qui exigent la mise en marche d’une gouvernance plus éthique de la destinée humaine, dans un environnement bio-socio-politique en voie de réconciliation. Dans cette fonction, la théologie prendra l’option d’accueillir positivement les options de l’éthique postmoderne et de rejoindre l’espace de la laïcité qui est le lieu de leur élaboration. Elle est obligée de réorienter son cahier de charge en fonction de ses nouvelles responsabilités épistémologiques selon un ordre d’une analyse conjointe et critique des défis qui président à la gouvernance de l’écologie globale de l’humain.

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