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French Pages 202 Year 2019
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“title” — 2019/6/8 — 9:39 — page 1 — #1
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Collection « Une Introduction à » dirigée par Michèle Leduc et Michel Le Bellac
Les planètes et la vie
Thérèse Encrenaz, James Lequeux et Fabienne Casoli
EDP Sciences 17, avenue du Hoggar Parc d‘activités de Courtaboeuf, BP 112 91944 Les Ulis Cedex A, France
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“Copyright” — 2019/7/3 — 16:03 — page 1 — #1
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Dans la même collection Le climat : la Terre et les hommes Jean Poitou, Pascale Braconnot et Valérie Masson-Delmotte, préface de J. Jouzel Aux origines de la masse : particules élémentaires et symétrie fondamentales Jean Iliopoulos, préface de F. Englert Les relativités : espace, temps, gravitation Michel Le Bellac, préface de T. Damour Le temps : mesurable, réversible, insaisissable ? Mathias Fink, Michel Le Bellac et Michèle Leduc La révolution des exoplanètes James Lequeux, Thérèse Encrenaz et Fabienne Casoli À l’orée du cosmos Alain Omont Vertigineuses symétries Antony Zee, traduit par Michel Le Bellac Le temps des neurones – Les horloges du cerveau Dean Buonomano, traduit par Michel Le Bellac Voyage dans les mathématiques de l’espace-temps Stéphane Collion Retrouvez tous nos ouvrages et nos collections sur http://laboutique.edpsciences.fr Imprimé en France ISBN (papier) : 978-2-7598-2354-3 – ISBN (ebook) : 978-2-7598-2398-7 © 2019, EDP Sciences, 17, avenue du Hoggar, BP 112, Parc d’activités de Courtabœuf, 91944 Les Ulis Cedex A Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays. Toute reproduction ou représentation intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit, des pages publiées dans le présent ouvrage, faite sans l’autorisation de l’éditeur est illicite et constitue une contrefaçon. Seules sont autorisées, d’une part, les reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, et d’autre part, les courtes citations justifiées par le caractère scientifique ou d’information de l’œuvre dans laquelle elles sont incorporées (art. L. 122-4, L. 122-5 et L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle). Des photocopies payantes peuvent être réalisées avec l’accord de l’éditeur. S’adresser au : Centre français d’exploitation du droit de copie, 3, rue Hautefeuille, 75006 Paris. Tél. : 01 43 26 95 35.
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“Avant-Propos” — 2019/6/8 — 9:46 — page iii — #1
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Avant-propos Avec une pression de surface de 1 bar et une température moyenne de 15 ◦ C, la Terre est la seule planète du Système solaire où les conditions tempérées autorisent aujourd’hui la présence d’eau liquide à sa surface. En revanche, les conditions de surface des planètes Vénus et Mars présentent une extrême diversité, avec une pression proche de cent fois la valeur terrestre sur Vénus et de moins du centième de bar sur Mars, et une température allant de plus de 460 ◦ C sur Vénus à environ –50 ◦ C sur Mars. Comment ces trois planètes, parties de conditions initiales relativement comparables, ont-elles pu évoluer vers les conditions extrêmes que nous observons aujourd’hui ? La compréhension de l’évolution de l’atmosphère des trois planètes terrestres qui en sont dotées – Vénus, la Terre et Mars – constitue un défi majeur pour la planétologie. Mettre en évidence les facteurs physiques ou chimiques qui sont à l’origine de cette évolution apparaît en effet comme une première étape à franchir pour mieux comprendre le contexte dans lequel la vie a pu apparaître sur la Terre et s’y développer. Cette question prend aujourd’hui une nouvelle dimension avec la découverte, depuis une vingtaine d’années, de milliers de planètes extrasolaires parmi lesquelles de nombreuses exoplanètes dites « rocheuses », c’est-à-dire dotées d’une surface tout comme les planètes terrestres du Système solaire. On les appelle, selon leur masse, « exo-Terres » ou « super-Terres ». Une question s’impose à l’évidence : certaines de ces exoplanètes pourraient-elles abriter la vie ? Avec leur découverte, la question « Sommes-nous seuls dans l’Univers ? », vieille comme l’humanité, ne se cantonne plus à notre Système solaire, mais voit le champ des possibilités s’ouvrir à l’infini. Dans ce nouveau contexte, il est plus que jamais nécessaire de comprendre l’évolution des planètes rocheuses et de mieux cerner les facteurs qui déterminent leur habitabilité, c’est-à-dire leur capacité à permettre l’émergence et le développement de la vie. Ces facteurs peuvent être multiples. Certains sont de nature physico-chimique (pression et température du milieu, composition atmosphérique), d’autres relèvent de l’environnement de la planète (nature de l’étoile, présence d’une magnétosphère) ou de
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ses paramètres orbitaux (ellipticité de l’orbite, obliquité de la planète, vitesse de rotation). Pendant plus de deux millénaires, la quête d’une vie extraterrestre, présente dès les premiers âges de l’humanité, a porté sur des considérations philosophiques. Ce n’est que depuis la fin du XIXe siècle que les astronomes ont pu commencer à aborder la question de manière scientifique, d’abord avec l’observation des planètes qui nous entourent, puis, un demi-siècle plus tard, avec la recherche d’exoplanètes autour d’autres étoiles. La fin du XXe siècle a été le témoin d’une avalanche de découvertes qui s’est poursuivie et amplifiée au cours des deux premières décennies du XXIe siècle. Des missions spatiales planétaires de plus en plus complexes continuent d’explorer le sol et le sous-sol de la planète Mars dans le but d’y rechercher d’éventuelles traces de vie fossile ; d’autres, dans les décennies à venir, iront explorer les satellites des planètes géantes du Système solaire extérieur, dont certains pourraient abriter, sous leur surface glacée, un océan d’eau liquide. En parallèle, dans le domaine des exoplanètes, nous disposons aujourd’hui de moyens nous permettant de déterminer leur nature et, dans certains cas, leur composition atmosphérique. Parmi les exoplanètes rocheuses connues aujourd’hui, plusieurs dizaines d’entre elles pourraient être dotées d’une température compatible avec la présence d’eau liquide. D’ici une ou deux décennies, ces recherches vont s’affiner pour permettre, peut-être, de mettre en évidence sur l’une ou plusieurs d’entre elles l’oxygène ou son dérivé l’ozone, signature possible de la présence de vie. . . Dans ce contexte de recherche foisonnante, en évolution permanente, il nous a paru utile de tenter de mieux comprendre les critères définissant l’habitabilité des exoplanètes rocheuses, celles qui pourraient être à même d’abriter la vie. Ce livre s’inscrit dans la suite de l’ouvrage « À la recherche des exoplanètes », par J. Lequeux, T. Encrenaz et F. Casoli, publié dans la même collection en 2017. Comme le précédent, il s’adresse à tous les publics intéressés par l’astronomie, la planétologie et la recherche d’une vie extraterrestre. Ici, nous nous proposons de partir des planètes que nous connaissons bien, les planètes terrestres du Système solaire dotées d’une atmosphère, pour analyser les divers mécanismes physicochimiques qui ont pu être responsables de leur évolution divergente. Puis nous tenterons d’extrapoler ces résultats à l’exploration des planètes extrasolaires, afin de mieux comprendre les mécanismes possibles d’évolution des exoplanètes rocheuses et de mieux appréhender ce que pourraient être leurs conditions d’habitabilité. Enfin nous conclurons cet ouvrage par une analyse des moyens qui nous pourraient nous permettre de mettre en évidence d’éventuelles traces de vie, voire même de communiquer avec des civilisations lointaines. Nous tenons à remercier Michèle Leduc et Michel Le Bellac pour leur relecture attentive de cet ouvrage, et Sophie Hosotte pour le soin apporté à sa réalisation. iv
Avant-propos
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Table des matières Avant-propos
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1 Introduction 2 La formation des planètes 2.1 Depuis l’Antiquité, le mythe de la pluralité des mondes . . . . . . . . . . 2.2 Le modèle de la nébuleuse primitive . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.3 Idées actuelles sur la formation des étoiles et de leur cortège planétaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.4 Planètes terrestres et planètes géantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.5 La migration des planètes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.6 Le grand bombardement tardif et ses conséquences . . . . . . . . . . . . . . 2.7 La formation des planètes dans les systèmes exoplanétaires . . . . . . 2.8 Les atmosphères primitives des planètes terrestres . . . . . . . . . . . . . . . 2.9 Quelle atmosphère pour les exoplanètes rocheuses ? . . . . . . . . . . . . . .
1 11 11 13 16 19 24 27 28 29 30
3 L’exploration des planètes terrestres 3.1 Premières observations astronomiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2 Le mythe des canaux martiens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.3 La nature physique des planètes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.4 Les débuts de l’ère spatiale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.5 La mission Viking : espoirs et désillusions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.6 De Mars à Vénus. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.7 Le renouveau de l’exploration martienne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.8 Le retour vers Vénus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.9 Les planètes Mars et Vénus aujourd’hui . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.10 Entre Vénus et Mars, la Terre. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.11 Vers une étude comparative des planètes terrestres . . . . . . . . . . . . . .
33 33 35 36 37 39 40 42 47 50 52 56
4 Vénus, la Terre et Mars : une évolution divergente 57 4.1 L’étonnante variété des planètes terrestres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
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4.2 Et pourtant. . . des caractéristiques communes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64 4.3 Les planètes terrestres juste après leur formation . . . . . . . . . . . . . . . . . 69 4.4 Histoire des planètes terrestres : une évolution divergente . . . . . . . 74 5 L’apparition de la vie 79 5.1 Qu’est-ce que la vie ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79 5.2 De la génération spontanée à la soupe primitive . . . . . . . . . . . . . . . . . 80 5.3 Premières expériences de chimie prébiotique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83 5.4 Les briques de base du vivant terrestre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85 5.5 Origine des molécules prébiotiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89 5.6 Croissance de la complexité à partir des molécules prébiotiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92 5.7 La formation des cellules . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93 5.8 Le métabolisme et la question de l’énergie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94 5.9 Le code génétique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96 5.10 L’ancêtre de tous les êtres vivants ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97 5.11 La vie sur Terre comme modèle du vivant sur d’autres planètes ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99 5.12 Les débuts de la vie sur Terre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100 5.13 La vie sur les exoplanètes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101
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6 Le développement de la vie sur Terre 6.1 Le paradoxe du « Soleil jeune » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6.2 Les grandes étapes de l’évolution du climat terrestre . . . . . . . . . . . . 6.3 Quel devenir pour l’atmosphère terrestre ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6.4 Quelles leçons retenir pour l’exobiologie ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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7 La vie dans le Système solaire ? 7.1 La zone d’habitabilité dans le Système solaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7.2 Un océan passé sur Vénus ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7.3 À la recherche de traces de vie sur Mars . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7.4 Les autres niches du Système solaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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8 Les exoplanètes rocheuses : comment y rechercher la vie ? 8.1 La découverte des exoplanètes : où en sommes-nous ? . . . . . . . . . . 8.2 Le concept d’exoplanète : une idée ancienne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8.3 Les premières découvertes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8.4 Les succès de la vélocimétrie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8.5 Une nouvelle étape : la méthode des transits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8.6 Comment rechercher la vie sur une exoplanète ? . . . . . . . . . . . . . . . .
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Table des matières
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“TOC*” — 2019/6/12 — 15:24 — page vii — #3
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8.7 8.8 8.9
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Des satellites autour des exoplanètes géantes ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152 Comment déterminer la composition atmosphérique d’une exoplanète ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153 Comment rechercher la vie à partir de l’étude du spectre d’une exoplanète ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155
9 Conclusions : quelques pistes futures de l’exobiologie 9.1 L’avenir de l’exploration de Mars . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9.2 Comment détecter des traces de vie in situ ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9.3 Vers une exploration habitée de Mars ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9.4 Vers les satellites extérieurs, autres niches possibles pour la vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9.5 L’exploration des exoplanètes : les perspectives . . . . . . . . . . . . . . . . . 9.6 Et si nous n’étions pas seuls ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
161 162 166 167
Glossaire
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Bibliographie
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Index
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LES PLANÈTES ET LA VIE
169 170 175
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Introduction
Au sein du cortège des planètes du Système solaire, nos plus proches voisines, Vénus et Mars, sont sans doute celles qui nous étonnent le plus. Alors qu’elles appartiennent, comme la Terre, à la famille des planètes rocheuses, ou « terrestres », et qu’elles sont comme la Terre dotées d’une atmosphère, elles présentent des conditions de surface radicalement différentes : sur Vénus, la pression avoisine cent fois la pression atmosphérique terrestre et la température atteint 460 ◦ C, alors que sur Mars, la pression de surface est inférieure au centième de bar, et la température moyenne est de l’ordre de –50 ◦ C ! Entre ces deux extrêmes, la Terre occupe une position intermédiaire, avec une pression de surface de l’ordre du bar et une température de surface moyenne de 15 ◦ C (Fig. 1.1). Comment ces trois planètes rocheuses, toutes formées dans le Système solaire interne il y a 4,5 milliards d’années à partir de conditions initiales relativement similaires, ont-elles pu évoluer vers des destins si radicalement divergents ? C’est cette question, l’une des plus fondamentales de la planétologie d’aujourd’hui, que nous allons aborder dans ce livre. Comprendre l’évolution des planètes terrestres du Système solaire n’est pas seulement important pour déchiffrer l’origine et l’évolution de notre propre environnement. Avec la découverte, depuis deux décennies, de milliers de planètes extrasolaires en orbite autour d’étoiles voisines, parmi lesquelles un nombre croissant d’exoplanètes rocheuses, le débat prend une nouvelle dimension. En effet, la question majeure qui se pose au sujet des exoplanètes rocheuses est celle de leur habitabilité potentielle : s’il existe une forme de vie extraterrestre, cette nouvelle classe d’objets n’est-elle pas l’endroit le plus favorable pour la chercher ? Or la première étape de cette recherche consiste à déterminer la température et la pression de leur atmosphère. Un astronome observant les planètes du
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F IGURE 1.1. Vénus, la Terre et Mars : des conditions initiales relativement similaires mais des destins divergents. Les dimensions relatives des trois planètes sont respectées. © NASA.
Système solaire interne depuis l’étoile la plus proche, Proxima du Centaure, serait bien en peine d’imaginer la diversité extrême des conditions qui règnent à la surface des planètes terrestres. C’est dire que les propriétés physiques des exoplanètes rocheuses nous réservent sans doute bien des surprises. . . et à défaut de pouvoir aujourd’hui les étudier en détail, il nous faut comprendre les mécanismes qui sont responsables, dans le Système solaire, de l’évolution divergente des planètes terrestres. Pourquoi la planète Vénus a-t-elle aujourd’hui une température si élevée ? Nous connaissons le responsable, dont on parle beaucoup actuellement au sujet du réchauffement climatique de notre propre planète : c’est l’effet de serre (Fig. 1.2). De quoi s’agit-il ? L’effet de serre se produit lorsqu’une atmosphère est transparente au rayonnement visible, mais opaque au rayonnement infrarouge. C’est ce qui caractérise les parois d’une serre qui laissent passer le rayonnement solaire visible, provoquant l’échauffement de l’intérieur de la serre ; comme les parois de la serre absorbent le rayonnement infrarouge émis par l’intérieur, la température s’y élève et l’effet s’amplifie. Dans le cas d’une atmosphère planétaire, l’effet de serre intervient si les gaz atmosphériques absorbent le rayonnement infrarouge ; c’est le cas du dioxyde de carbone CO2 (aussi appelé gaz carbonique) et aussi de la vapeur d’eau H2 O. Dans le cas de la Terre, les principaux constituants, l’azote N2 et l’oxygène O2 n’absorbent pas l’infrarouge et ne contribuent donc pas à l’effet de serre ; ce sont les émissions croissantes de CO2 qui sont la première cause du réchauffement climatique. D’autres gaz, comme l’eau H2 O, le méthane CH4 et l’ozone O3 contribuent également à l’effet de serre, de manière minoritaire. Dans le cas de Vénus, la situation est différente. Comme pour Mars, le gaz dominant est le dioxyde de carbone, avec une faible proportion (quelques pourcents) d’azote. Comme, de plus, la pression de surface de 2
Chapitre 1. Introduction
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F IGURE 1.2. L’effet de serre. L’atmosphère est transparente dans le domaine visible et le rayonnement solaire atteint la surface. Celle-ci, chauffée, émet un rayonnement infrarouge qui est absorbé partiellement par l’atmosphère si celle-ci contient certains gaz absorbant l’infrarouge, tels que le gaz carbonique CO2 , le méthane CH4 ou la vapeur d’eau H2 O. Dans le cas de Vénus, ce sont CO2 et H2 O (dans le passé de la planète) qui ont été responsables de l’emballement de l’effet de serre au cours de son histoire.
Vénus est très grande, c’est l’effet de serre dû au CO2 qui est responsable de la température de surface très élevée. Pourquoi la composition atmosphérique de la Terre (environ quatre cinquièmes d’azote moléculaire et un cinquième d’oxygène) est-elle si différente de celle de Vénus et de Mars ? C’est ici qu’intervient une autre molécule clé : l’eau. Il est aujourd’hui établi (nous verrons plus loin comment) que les atmosphères primitives des trois planètes, Vénus, la Terre et Mars, étaient globalement similaires, avec de grandes quantités de gaz carbonique et d’eau et une faible proportion d’azote moléculaire. Dans le cas de Vénus, plus proche du Soleil que la Terre, l’eau s’est trouvée à un certain moment de son histoire sous forme de vapeur, contribuant ainsi à l’effet de serre galopant de la planète. LES PLANÈTES ET LA VIE
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En revanche, la distance de la Terre au Soleil est telle que l’eau terrestre s’est trouvée principalement sous forme liquide dans les océans ; le gaz carbonique, lui aussi très abondant, a été piégé au fond des océans sous forme de calcaire ; ainsi ont presque disparu de l’atmosphère terrestre les deux principaux gaz à effet de serre, permettant à la Terre de conserver des conditions tempérées tout au long de son histoire. Comment expliquer l’évolution de Mars ? La planète présente deux différences notoires vis-à-vis de Vénus et de la Terre : étant plus éloignée du Soleil, elle est plus froide que ses voisines (l’eau ne peut pas aujourd’hui y séjourner en surface sous forme liquide) mais elle est aussi plus petite puisque sa masse n’est que le dixième de celle de la Terre. Dotée d’un champ de gravité bien inférieur à celui de Vénus et de Mars, elle n’a pas pu capturer, comme ses voisines, une atmosphère épaisse ; on pense que son atmosphère primitive, aujourd’hui largement disparue par échappement, n’a pas pu dépasser le bar. Du fait de son plus petit volume, son énergie interne, principalement due à la désintégration des éléments radioactifs que contient la planète, était aussi bien moindre que celle de ses voisines, d’où une activité volcanique et tectonique réduite qui a fini par s’éteindre au fil de l’histoire. Si les grandes lignes de l’évolution des planètes terrestres nous semblent bien définies, de multiples questions restent ouvertes, à commencer par celle de leur habitabilité. Mars et Vénus ont-elles pu un jour abriter une forme de vie ? Nous sommes aujourd’hui bien incapables de répondre à cette question. La question se complique encore si l’on prend en compte ce qu’était le rayonnement solaire au début de l’histoire des planètes : c’est le paradoxe du « Soleil jeune ». Les modèles d’évolution stellaire nous apprennent en effet qu’il y a environ quatre milliards d’années, le rayonnement du Soleil en lumière visible (qui correspond au maximum de son énergie) n’était que de 70 % de sa valeur actuelle. Les températures d’équilibre des surfaces de nos trois planètes terrestres étaient donc inférieures à ce qu’elles sont aujourd’hui. D’où une conséquence capitale pour Vénus : la température a pu être compatible avec celle de l’eau liquide, et la Vénus primitive a pu être couverte d’océans, et peut-être même, qui sait, abriter la vie ! Malheureusement, si ces conditions ont existé, elles n’ont pas duré : à mesure que le rayonnement solaire augmentait, l’eau s’est vaporisée (contribuant un temps à l’effet de serre), puis a été dissociée par le rayonnement ultraviolet solaire en atomes d’hydrogène et d’oxygène qui se sont échappés. Si un océan (et a fortiori la vie) a jamais existé au début de l’histoire de Vénus, nous n’en saurons sans doute jamais rien car les traces en ont irrémédiablement disparu : la surface de Vénus est en effet couverte de volcans relativement récents, d’un âge inférieur au milliard d’années.
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Chapitre 1. Introduction
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Ce paradoxe du « Soleil jeune » soulève aussi des questions encore mal résolues dans le cas des autres planètes terrestres. Comment expliquer que la Terre, au début de son histoire, ait échappé à un épisode de « boule de neige globale », sa température d’équilibre étant alors trop basse pour être compatible avec la présence d’eau liquide ? Une hypothèse possible est celle d’éruptions volcaniques relâchant dans l’atmosphère suffisamment de gaz à effet de serre (CO2 et aussi CH4 ). La même question se pose avec encore plus d’acuité dans le cas de la planète Mars. Nous verrons plus loin que de nombreux indices témoignent de la présence d’eau liquide en surface dans le passé lointain de cette planète. Comment l’eau liquide a-t-elle pu séjourner sur Mars alors que sa température d’équilibre était incompatible (de plusieurs dizaines de degrés !) avec la présence d’eau liquide ? La question n’est toujours pas tranchée. Avec la Terre et Mars, nous disposons heureusement d’une piste de recherche : à la différence de Vénus, ces deux planètes conservent à leur surface des archives nous permettant de retracer leur histoire jusqu’à près de quatre milliards d’années. C’est pourquoi la planète Mars fait toujours l’objet d’une exploration spatiale soutenue, avec l’objectif de rechercher d’éventuelles traces d’une vie passée – voire présente. À défaut, les recherches portent sur la caractérisation de sites « habitables », c’est-à-dire réunissant les critères physico-chimiques compatibles avec l’émergence de la vie (Fig. 1.3). Ces critères portent en particulier sur l’acidité du sol (de préférence neutre), sa salinité (modérée), sa composition chimique (incluant les éléments essentiels pour la vie que sont C, H, N, O, P, S). Pourrons-nous aller plus loin ? L’exploration spatiale de Mars continue et l’avenir nous le dira. . . Des planètes terrestres aux exoplanètes rocheuses, il n’y a qu’un pas. Cela fait plus de vingt ans que des planètes, dites « extrasolaires » ou « exoplanètes », ont été découvertes autour d’étoiles proches du Soleil. À la surprise générale, les premiers objets découverts (les plus faciles à mettre en évidence sur le plan observationnel), ont été des exoplanètes géantes très proches de leur étoile ! Cette découverte a créé une véritable révolution conceptuelle, remettant en cause notre propre compréhension du Système solaire. En effet, selon le modèle de formation du Système solaire qui est largement accepté aujourd’hui par la communauté scientifique, les planètes géantes se forment loin du Soleil, par accumulation de gaz autour d’un noyau de glace, alors que les planètes terrestres se forment à partir d’un noyau rocheux plus petit et plus dense. Les premières découvertes d’exoplanètes ont donc montré que le modèle du Système solaire n’était pas universel. L’explication de ce paradoxe trouve son origine dans le déplacement des planètes au sein du disque protoplanétaire : on parle de « migration », un processus jusqu’alors peu pris en compte par les planétologues. Très LES PLANÈTES ET LA VIE
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F IGURE 1.3. La mission spatiale Mars Science Laboratory (MSL), avec son rover « Curiosity », lancée par la NASA en novembre 2011 et en opération à la surface de Mars depuis août 2012, a pour objectif principal de déterminer si des conditions propices à la vie ont pu exister sur Mars, notamment par la recherche de molécules organiques. Le rover a effectivement identifié, à proximité du Mont Sharp, le vestige d’un lac ancien qui aurait pu constituer un environnement habitable. © NASA.
efficace au sein des systèmes exoplanétaires, il s’est avéré également important pour comprendre l’histoire dynamique de note propre Système solaire. Alors que les premières exoplanètes détectées étaient surtout des planètes géantes, identifiées depuis la Terre à partir des oscillations de leur étoile-hôte liées au mouvement de la planète, une nouvelle révolution est intervenue, avec le lancement des missions spatiales CoRoT et surtout Kepler, dédiées à la détection des exoplanètes lors de leur passage (on parle de transit) devant leur étoile-hôte. Kepler a ainsi détecté des milliers de nouvelles exoplanètes, parmi lesquelles des objets de toutes tailles, y compris de nouvelles familles de planètes : « mini-Neptunes », « super-Terres », voire « exo-Terres ». . . Bien que la nature physique de ces planètes ne soit pas encore connue, il est très probable 6
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que de nombreuses exoplanètes rocheuses figurent au nombre des nouvelles découvertes. Les premières mesures de caractérisation des atmosphères des exoplanètes nous montrent que la vapeur d’eau y est souvent présente. Parmi les exoplanètes rocheuses, certaines, situées à la bonne distance de leur étoile-hôte – dans ce que l’on appelle la « zone d’habitabilité » – pourraient abriter l’eau sous forme liquide, et dès lors, peut-être, constituer des niches potentielles pour l’émergence et le développement de la vie (Fig. 1.4). L’exploration des exoplanètes ouvre ainsi des perspectives immenses en termes d’exobiologie.
F IGURE 1.4. Parmi les exoplanètes rocheuses détectées, certaines pourraient connaître un environnement tempéré, compte tenu de la quantité de lumière qu’elle reçoivent de leur étoile-hôte : elle se trouvent dans la « zone habitable » de leur étoile, celle dont la température est compatible avec la présence d’eau liquide à leur surface. Cependant, il reste à identifier la composition de leur atmosphère pour savoir si l’eau est présente, a fortiori sous forme liquide. Cette figure représente un échantillon sélectionné par les chercheurs du radiotélescope d’Arecibo en 2014 ; l’aspect de la surface des exoplanètes est imaginaire.
Une première question s’impose : si jamais la vie existait à la surface d’une exoplanète, comment pourrions-nous la mettre en évidence ? Encore faut-il d’abord définir la vie : nous reviendrons sur cette notion dans le courant de ce livre. Disons simplement que, selon les biologistes, on peut caractériser la matière vivante par la capacité de reproduction, l’aptitude à utiliser l’énergie du milieu, la séparation d’avec le milieu ambiant, la création d’une organisation, et enfin la capacité d’évolution par mutation. Bien entendu, les formes que peut prendre la vie peuvent être infiniment diverses, comme le montre le seul LES PLANÈTES ET LA VIE
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exemple que nous connaissions, celui de la Terre. Nous ne savons toujours pas comment la vie est apparue sur la Terre. Cependant, comme nous le verrons plus loin, les chimistes et les biologistes, toujours sur la base de notre expérience terrestre, s’accordent pour définir quelques conditions essentielles : la présence de carbone, d’eau liquide, d’une source d’énergie, et beaucoup de temps. Ce sont ces critères qui seront retenus dans la quête d’une vie extraterrestre, que ce soit au sein du Système solaire ou au-delà. Comment mettre en évidence la présence de vie en observant l’atmosphère d’une exoplanète ? Compte tenu des distances immenses qui rendent illusoire la perspective d’une mission spatiale, même robotique, qui serait destinée à s’approcher de l’objet en question, nous sommes limités aux méthodes de sondage à distance, dont la plus prometteuse est la caractérisation spectroscopique. Il nous faudra déterminer quels constituants, dans l’atmosphère ou à la surface de l’objet, pourraient trahir la présence de vie. Quelques pistes s’ouvrent d’ores et déjà : dans l’atmosphère, la présence d’oxygène moléculaire O2 , en quantité substantielle, ainsi que son dérivé photochimique, l’ozone O3 , semblent un indice assez probant, mais nous verrons que la réalité est plus complexe et que la présence simultanée d’autres constituants – H2 O, CH4 , CO2 , N2 O. . . – est sans doute également nécessaire à la caractérisation de la vie. À la surface, la présence de chlorophylle serait un diagnostic déterminant mais nous verrons que sa détection spectroscopique n’est pas simple. Et n’oublions pas que la vie sur une autre planète a pu prendre des formes bien différentes de la photosynthèse que nous connaissons sur Terre. Le but principal de cet ouvrage est d’explorer les conditions d’habitabilité des exoplanètes rocheuses, en partant de ce que nous connaissons : les planètes terrestres du Système solaire dotées d’une atmosphère. En observant leur évolution divergente, en étudiant – dans la mesure du possible – leur conditions d’habitabilité passées ou présentes, nous tenterons d’extrapoler ces notions aux exoplanètes rocheuses dont nous savons pour l’instant bien peu de choses. Parmi les exoplanètes actuellement connues, nous tenterons d’identifier les candidates les plus favorables, celles qui semblent le mieux placées par rapport à la zone d’habitabilité de leur étoile. Enfin, nous nous efforcerons de définir les observations qui nous permettraient de conclure à la présence possible ou probable de vie. Notre premier objectif est la recherche de formes de vie à la surface d’une exoplanète susceptible de présenter des similarités avec le développement de la vie sur Terre au cours des 600 derniers millions d’années. Il existe d’autres niches potentiellement favorables à la vie : ce sont les océans d’eau liquide qu’abritent sous leur surface les satellites extérieurs du Système solaire ; c’est le cas, en particulier, d’Europe, satellite de Jupiter, et d’Encelade, satellite de Saturne. De tels environnements pourraient exister autour d’éventuels satellites en orbite autour 8
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d’exoplanètes géantes ; bien que, à quelques exceptions près, ceux-ci restent à découvrir, leur existence est très plausible si l’on en croit les modèles de formation planétaire. Cependant, la détection de formes de vie au sein de ces milieux aqueux semble a priori bien plus difficile que celle qui se serait développée à la surface d’une exoplanète. . . Dans la première partie de cet ouvrage, nous décrivons l’histoire passée des planètes terrestres, à partir du modèle de formation du Système solaire qui nous fera découvrir l’émergence de deux classes de planètes, les planètes terrestres proches du Soleil et les planètes géantes plus lointaines. Ce modèle nous permettra de comprendre la nature des gaz qui étaient présents à l’origine dans les atmosphères de ces planètes. Nous verrons aussi comment la migration des planètes géantes au cours de leur histoire a influencé l’histoire dynamique de l’ensemble du Système solaire. Dans une seconde partie, nous décrirons les trois planètes terrestres dotées d’atmosphères, l’histoire de leur exploration, l’état de nos connaissances à leur sujet et enfin leurs différents scénarios d’évolution. Enfin, dans la troisième partie, nous extrapolerons ces connaissances à ce que nous savons des exoplanètes rocheuses (ou susceptibles de l’être). Nous rechercherons les cibles potentiellement favorables à la recherche de la vie et nous imaginerons les observations qui pourraient nous permettre, d’ici une ou plusieurs décennies, de découvrir enfin, qui sait, les signes d’une vie extraterrestre. Pour conclure, nous présenterons quelques pistes de réflexion pour tenter de définir les étapes futures de l’exobiologie, et nous aborderons la question d’une éventuelle communication avec des civilisations extraterrestres, si nous arrivons à découvrir leur existence.
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La formation des planètes
Depuis l’Antiquité, le mythe de la pluralité des mondes
Depuis l’aube des civilisations, l’homme n’a cessé de se questionner sur sa place dans l’Univers. Dès l’Antiquité, les philosophes grecs se sont opposés sur cette question. Platon, partisan de l’unicité de la Terre, écrit dans Le Timée : « Afin que ce monde soit semblable, en son unité, à une Créature parfaite, son Auteur n’en a pas fait deux, ni un nombre infini, mais ce Ciel est né, demeure et sera à jamais seul et unique ». Cependant, Épicure, un peu plus tard, soutient le concept opposé d’un nombre infini de mondes. Adepte, comme Démocrite avant lui, de la thèse « atomiste » selon laquelle la matière est constituée d’atomes invisibles pouvant se combiner sous formes diverses, il écrit dans une lettre à Hérodote : « Ce n’est pas seulement le nombre des atomes, c’est celui des mondes qui est infini dans l’Univers. Il y a un nombre infini de mondes semblables au nôtre et un nombre infini de mondes différents ». À la même époque, l’astronome et mathématicien Aristarque de Samos, à partir de l’observation des diamètres du Soleil et de la Lune, énonce pour la première fois l’hypothèse de l’héliocentrisme qui est aussi mentionnée par Archimède dans la préface de son traité Arénaire ; mais cette hypothèse, en contradiction à la conception géocentrique d’Aristote tombera, rapidement dans l’oubli. Trois siècles plus tard, le philosophe latin Lucrèce reprend les idées d’Épicure dans son poème De Rerum Natura :
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« Le ciel, la Terre, le Soleil, la Lune, la mer, tous les corps enfin, ne sont pas uniques, mais plutôt infinis en nombre. » Épicure, comme Lucrèce et leurs disciples, est farouchement opposé aux dieux et à la religion. Le développement du christianisme voit leurs théories plonger dans l’oubli pendant près d’un millénaire, jusqu’à la révolution copernicienne. Dans la lignée de Nicolas de Cuze, beaucoup d’astronomes et de philosophes reprennent à leur compte le concept de la pluralité des mondes ; comme leurs prédécesseurs grecs, ils y associent le plus souvent la notion d’habitabilité. Le plus emblématique d’entre eux est sans doute Giordano Bruno qui, dans ses ouvrages Le banquet des Cendres et L’infini, l’Univers et les Mondes, publiés en 1584, postule que les étoiles sont des soleils, sans doute entourées de planètes qui pourraient elles-mêmes être habitées. Condamné au bûcher par l’Église, Giordano Bruno paiera son audace de sa vie. Si les convictions de Giordano Bruno sont surtout d’ordre philosophique, ses idées sont reprises par les astronomes qui, après Galilée, se rallient à l’héliocentrisme. Ainsi Johannes Kepler publie après sa mort un ouvrage de « sciencefiction », le Somnium, dans lequel il envisage une vie sur la Lune. L’idée est reprise, sur le mode philosophique et littéraire, par Francis Goldwin et John Wilkins en Angleterre, puis en France par Cyrano de Bergerac et plus tard par Voltaire. Ces idées sont aussi développées par Christiaan Huygens dans son Cosmotheoros publié en 1695, et par Bernard le Bovier de Fontenelle dans ses Entretiens sur la pluralité des mondes de 1686. Dans la préface d’une réédition de cet ouvrage, Jérôme de Lalande écrit en 1801 : « La ressemblance est si grande entre la terre et les autres planètes, que si l’on admet que la terre ait été faite pour être habitée, on ne peut refuser d’admettre que les planètes le sont également », et plus loin : « Ce que je dis des planètes qui tournent autour du soleil s’étendra naturellement à tous les systèmes planétaires qui environnent les étoiles » Un siècle plus tard, ces idées sont reprises et popularisées par l’astronome Camille Flammarion dans son ouvrage La pluralité des mondes habités publié en 1862, qui entraînera son licenciement de l’Observatoire de Paris par son directeur de l’époque, Urbain Le Verrier. . . En 1892, Flammarion se rallie à la thèse des « canaux martiens » soutenue par Giovanni Schiaparelli et Percival Lowell (voir chapitre 3). Le mythe de la vie sur Mars perdurera jusqu’à l’avènement de l’ère spatiale. 12
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Mais qu’en est-il de l’existence d’une vie hors du Système solaire ? Du côté des biologistes, le débat s’est poursuivi en se déplaçant chez les biologistes qui s’interrogent sur l’origine de la vie. Ainsi Jacques Monod, dans Le Hasard et la Nécessité publié en 1970, exprime la conviction que l’homme est seul dans l’Univers. Mais la recherche d’une vie extraterrestre continue néanmoins sous des formes multiples, dans le Système solaire et au-delà, et les tentatives de communication avec d’éventuelles civilisations extraterrestres se poursuivent toujours par le biais du projet SETI (voir Chap. 9).
2.2
Le modèle de la nébuleuse primitive
Revenons maintenant à la formation du Système solaire. Jusqu’au XVIIe siècle, les connaissances étaient trop rudimentaires et les esprits trop encombrés de considérations métaphysiques pour que l’on ait pu aborder de façon scientifique la cosmogonie, c’est-à-dire la théorie de la formation du Système solaire. Même au XVIIe siècle, où l’on connaît les lois qui régissent le mouvement des planètes, on n’a aucune d’idée des échelles de temps qui sont mises en jeu et l’on ne sait encore à peu près rien, du moins avant Newton, de la physique sur laquelle baser une théorie cohérente de la formation du Soleil et de son cortège planétaire. Cependant René Descartes va s’y essayer, l’un des premiers, dans son ouvrage Le Monde, ou Traité de la lumière. Ce livre a été écrit de 1629 à 1633, mais son auteur a renoncé à le publier de son vivant par crainte de réactions hostiles de la part de l’Église semblables à celles qu’a subies Galilée : il ne paraîtra qu’en 1664. Pour Descartes, ce sont les mouvements et les rencontres de grands tourbillons de matière qui organisent l’Univers à partir du chaos initial, et le Système solaire naît dans un de ces tourbillons, et d’autres systèmes planétaires dans d’autres tourbillons (Fig. 2.1) : les idées hérétiques de Giordano Bruno sur la pluralité des mondes ont fait des émules. Si la cosmogonie de Descartes ne repose sur aucune base physique raisonnable, elle a le mérite de concevoir que l’Univers puisse être en évolution, évolution gouvernée par des lois relativement simples : son état présent garde des traces de son origine et de son histoire, histoire qui s’est déroulée de façon naturelle et sans à coup, sans qu’interviennent des miracles ou des catastrophes. C’est une conception remarquablement moderne pour l’époque, qui préfigure les modèles cosmogoniques évolutionnistes à venir. On peut lui opposer les cosmogonies catastrophistes comme celle que Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon, a exposée dans sa Théorie de la Terre de 1749 puis dans Les Époques de la Nature de 1778. Pour Buffon, le Soleil et les comètes préexistent aux planètes, qui naissent en bloc d’une catastrophe, la rencontre d’une comète avec le Soleil. Les modèles évolutionnistes et les LES PLANÈTES ET LA VIE
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F IGURE 2.1. Pour Descartes, les systèmes planétaires naissent dans des tourbillons. Descartes n’avait décrit que la formation du Système solaire, mais il est clair en le lisant qu’il pense que des systèmes planétaires ont été formés autour des autres étoiles. Ses successeurs, comme Nicolas Bion auquel nous empruntons cette gravure de 1702, les ont représentés de façon explicite (© Bibliothèque de l’Observatoire de Paris).
modèles catastrophistes, d’ailleurs antérieurs à Buffon, s’affronteront longtemps sur la base d’arguments souvent plus idéologiques que scientifiques. Emmanuel Kant adopte une attitude semblable à celle de Descartes. Les connaissances en physique se sont alors améliorées grâce à Newton, et sa cosmogonie est plus élaborée que celle de Descartes. Dans son Allgemeine Naturgeschichte und Theorie der Himmels (Histoire universelle de la nature et théorie du ciel) de 1755, il propose que toute la matière qui forme le Système solaire ait existé à l’origine sous la forme d’une grande masse nébuleuse ; elle se serait contractée en un disque plat en rotation sous l’effet de sa propre gravitation, puis distribuée entre le Soleil et les planètes, nées d’inhomogénéités dans le disque. L’idée du disque en rotation provient évidemment du fait que toutes les planètes tournent dans le même sens sur des orbites situées à peu près dans le même plan. 14
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La théorie de Kant ne lui paraît nullement contraire à la religion, car il proclame que les lois de la physique n’ont d’autre raison que de tendre à remplir le dessein que la sagesse divine s’est proposée, et dont nous voyons aujourd’hui le résultat. Peut-être sans connaître Kant, Pierre-Simon Laplace émet une théorie tout à fait semblable dans son Exposition du système du monde, dont la première édition date de 1796. Il ne cesse de la perfectionner dans les éditions suivantes en y intégrant les nouvelles découvertes, notamment celle des « petites planètes », les astéroïdes qui gravitent autour du Soleil entre les orbites de Mars et de Jupiter. Cette dernière découverte, qui comble un vide dans la distribution des distances des planètes au Soleil, lui paraît une confirmation de l’idée qui domine son œuvre : l’arrangement actuel du Système solaire résulte de son origine, et ne doit rien au hasard. Laplace connaît les observations de William Herschel, qui voit au sein de nombreuses nébuleuses une étoile centrale. Tous deux pensent qu’il s’agit de nébuleuses primitives au sein desquelles un soleil s’est déjà formé, ce qui conforte Laplace dans sa théorie. Et pourtant ils se trompent : nous savons aujourd’hui que la grande majorité de ces objets, les nébuleuses planétaires, sont en fait une étoile en fin de vie qui a éjecté une partie de sa matière sous la forme d’un gaz qu’elle illumine. L’autorité de Laplace et ses talents de vulgarisateur sont si grands que son « hypothèse nébulaire » va dominer sans partage tout le XIXe siècle. Cependant plusieurs problèmes vont surgir. Le plus grave, qui semble avoir été mis en évidence pour la première fois en 1861 par Jacques Babinet, concerne la distribution du moment angulaire (ou moment cinétique) dans le Système solaire. On s’attend en effet à ce que le moment angulaire de rotation se soit conservé pendant la contraction du nuage initial et se retrouve plus ou moins équitablement réparti entre les diverses parties du Système solaire. La réalité est très différente : le Soleil ne tourne que lentement sur lui-même (un tour en 27 jours), et presque tout le moment angulaire se trouve dans la révolution des planètes, particulièrement Jupiter. D’autre part, à la fin du XIXe siècle, on commence avec Poincaré à douter de la stabilité à long terme du Système solaire. Le hasard pourrait peutêtre jouer un rôle dans la formation et l’évolution de ce système, ce qui tend à miner les principes de base de la théorie de Laplace : d’ailleurs, à cette époque où triomphe la théorie darwinienne de l’évolution, pourquoi le Système solaire n’évoluerait-il pas ? Le problème du moment angulaire est à l’origine d’un renouveau de la cosmogonie catastrophique : l’astronome Forest Ray Moulton et le géologue Thomas Chamberlain estiment en 1906 que le moment angulaire orbital des planètes ne peut venir que de l’extérieur, et que le système planétaire doit provenir de matière du Soleil arrachée par l’attraction d’une autre étoile passant à LES PLANÈTES ET LA VIE
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proximité, laquelle aurait communiqué à cette matière le moment angulaire observé.Cetteidée,avatardecelledeBuffon,connaîtsousdifférentesformesungrand succès à l’époque. Une conséquence évidente de cette théorie catastrophique est que, si elle est vraie, les systèmes planétaires comme le nôtre doivent être extrêmement rares puisque le passage d’une étoile très près d’une autre ne peut être qu’exceptionnel, au vu des immenses distances qui séparent les étoiles. Or nous savons aujourd’hui que les systèmes planétaires sont très fréquents. De toute façon, la théorie catastrophique n’attendra pas la découverte des si nombreuses exoplanètes pour s’effondrer, lorsqu’on la soumettra à des analyses fines, notamment à celle de Lyman Spitzer en 1939 : on va donc revenir à Laplace et même, sous une forme bien modifiée d’ailleurs, aux tourbillons de Descartes. Ces tourbillons sont réintroduits plus ou moins simultanément par plusieurs astronomes de renom, particulièrement en 1944 par Carl Friedrich von Weiszäcker, celui-là même qui, avec Hans Bethe, a trouvé l’origine de l’énergie des étoiles. Il imagine que dans le disque gazeux en rotation qui résulte de l’effondrement du nuage initial s’établissent des tourbillons, dont le système rappelle des roulements à bille concentriques. Les planètes ne se formeraient pas au sein des tourbillons comme l’avait imaginé Descartes, mais dans les espaces qui les séparent. Cette théorie ne résistera pas longtemps à la critique : en 1948, son auteur lui-même reconnaît qu’elle doit être abandonnée. Ses collègues en font autant à peu près à la même date. Néanmoins leurs travaux, ainsi que ceux de Gerard Kuiper et d’autres, ont eu le mérite de bien poser les problèmes et de préparer le chemin pour les recherches ultérieures. 2.3
Idées actuelles sur la formation des étoiles et de leur cortège planétaire
Nous savons aujourd’hui que les étoiles et les planètes qui les entourent se forment au sein de nuages interstellaires de gaz et de poussières, ce qui n’était pas connu du temps de von Weiszäcker. L’observation montre que les nuages les plus froids sont le siège de la formation d’étoiles de petite masse. Ces étoiles ne sont pas détectables en lumière visible, mais on peut cependant les observer dans l’infrarouge à l’intérieur du nuage : si les poussières que contiennent ces nuages les rendent opaques à la lumière, elles arrêtent moins les radiations de plus grande longueur d’onde (Fig. 2.2). Les étoiles nouvellement formées apparaissent à la périphérie du nuage lorsqu’il se dissipe sous l’effet de leur rayonnement et du vent qu’elles éjectent. Les nuages interstellaires géants, plus chauds, sont le siège de la formation d’étoiles de toute masse (Fig. 2.3). La formation des étoiles massives paraît être un phénomène contagieux et auto-entretenu : la 16
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F IGURE 2.2. La formation d’étoiles dans deux nuages moléculaires dans la direction de la constellation Lupus, observée avec le satellite européen Herschel. La densité de colonne du gaz est en gris ; remarquer sa structure filamentaire. Les étoiles en formation sont représentées par différents symboles, depuis la condensation protostellaire (cercles verts) jusqu’à l’étoile ayant dissipé son disque protostellaire, les planètes étant entièrement formées (Classe III, étoiles jaunes). Les étapes intermédiaires sont indiquées par des cercles rouges (Classe 0), des triangles violets (Classe I) et des carrés bleus (Classe II). Voir la figure 2.5 pour la définition de ces classes. La formation stellaire est beaucoup plus avancée dans Lupus III que dans Lupus I. D’après Rygl K.L.J. et al. (2013) Astronomy & Astrophysics 549, L1.
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F IGURE 2.3. La formation d’étoiles dans les nuages interstellaires associés à la Nébuleuse d’Orion, telle qu’elle est révélée par l’observation en infrarouge. Cette image en fausses couleurs a été obtenue avec un des quatre télescopes de 8 m de diamètre du Very Large Telescope de l’Observatoire européen austral aux longueurs d’onde infrarouges de 1,24 m (représenté en bleu), 1,65 m (vert) et 2,16 m (rouge). On voit au centre quatre étoiles jeunes brillantes et massives, qui forment le Trapèze d’Orion, et de très nombreuses étoiles moins massives qui se sont formées en même temps, il y a environ un million d’années. On remarque aussi l’émission du gaz et des poussières illuminés par ces étoiles © ESO.
pression et les ondes de choc engendrées par les vents stellaires et par l’explosion finale d’étoiles de générations précédentes facilitent la formation de nouvelles étoiles dans ce qui reste du nuage ou dans les nuages voisins. Les étoiles résultent de l’effondrement de fragments du nuage initial sous l’effet de leur propre gravité. Au cours de cet effondrement, les parties intérieures de ces fragments se contractent plus vite que les parties externes, qui 18
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sont peu affectées. La chaleur qui résulte de la contraction est d’abord évacuée par rayonnement, mais il arrive un moment où le milieu s’échauffe continuellement tandis que sa densité devient très grande. Pendant ce temps, la protoétoile continue de croître grâce à la chute d’une partie de la matière qui l’entoure. Si la masse ainsi rassemblée est suffisante (plus de 0,08 fois la masse du Soleil), la température centrale devient suffisamment élevée pour que les réactions nucléaires puissent s’amorcer et l’étoile est née ; sinon, on a affaire à une étoile avortée, une naine brune. Cependant, la condensation centrale ne pourrait pas aboutir à une étoile s’il n’y avait pas perte d’une grande partie de son moment angulaire. La solution à ce problème est apparue d’une façon inattendue dans les années 1980, par la découverte d’une éjection de matière qui accompagne systématiquement la formation des étoiles : un double jet symétrique de matière, très fin, émerge du centre du disque avec une vitesse de plusieurs centaines de kilomètres par seconde et s’étend à des distances considérables. Le mécanisme de formation de ce jet est complexe et subtil : il utilise le champ magnétique du disque pour pomper une partie de son énergie cinétique de rotation, qui sert à accélérer un jet de chaque côté du disque, le long de son axe de rotation. L’éjection de matière des deux côtés du disque est un phénomène tout à fait général, qui se produit dès les premières étapes de la formation stellaire. L’émission de tels jets paraît être nécessaire à la formation du système disque-étoile. Au bout de quelques centaines de milliers d’années, ce qui reste du nuage où s’est formée l’étoile se disperse, les jets cessent et il ne reste plus que l’étoile centrale entourée d’un disque, moins important qu’auparavant car une partie de sa matière a été éjectée ou a été accrétée par l’étoile. C’est dans ce disque résiduel que se forment les planètes et les comètes (Fig. 2.4).
2.4
Planètes terrestres et planètes géantes
Comment apparaissent les planètes dans le disque qui entoure l’étoile en formation ? Dans les années 1960, deux types de modèles s’affrontent. Dans l’un, dont le principal promoteur est le canadien Alastair Cameron, le disque a une masse voisine de celle du Soleil ; les planètes se forment directement à partir du gaz et des poussières de ce disque par instabilité gravitationnelle, puis une grande fraction (environ 85 %) de la matière du disque est balayée par le vent intense issu du Soleil en formation, tandis que ce qui reste est accrété par l’astre central. Les planètes les moins massives peuvent ultérieurement perdre leur gaz, conservant principalement les éléments lourds solides ou liquides. LES PLANÈTES ET LA VIE
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F IGURE 2.4. Les étapes de la formation d’une étoile et de son disque circumstellaire. Sous l’effet de la gravité, une partie d’un nuage interstellaire s’effondre sur elle-même, plus vite dans ses régions centrales, formant un cœur dense. Lorsque la chaleur engendrée par l’effondrement ne peut plus être évacuée de ce cœur, la température s’y élève jusqu’au déclenchement des réactions nucléaires et l’étoile s’allume (t = 0). Tandis que de la matière continue à être accrétée par l’étoile, un jet bipolaire évacue une partie de la matière avec son moment angulaire, ce qui ralentit la rotation de l’étoile (protoétoile de Classe 0). Puis le disque circumstellaire se forme, tandis que le jet s’atténue (Classe I). Le jet cesse et l’accrétion diminue ; des planètes commencent à naître dans le disque qu’on peut maintenant appeler protoplanétaire (Classe II), dont la poussière et le gaz sont finalement expulsés par le vent et le rayonnement de l’étoile. Après quelques millions d’années, il ne reste plus qu’une étoile jeune et des planètes dans un disque de débris (Classe III). Schéma des auteurs, d’après Philippe André.
L’autre modèle, celui du russe Victor Safronov, envisage un disque de masse bien plus faible, environ un centième de la masse du Soleil. Lorsque le disque se refroidit, les éléments lourds se condensent en poussières qui se collent entre elles grâce aux forces électrostatiques pour former des particules de quelques centimètres, puis des corps solides de quelques kilomètres de diamètre, les planétésimaux. Ceux-ci s’agglomèrent pour former des corps plus massifs, les planétoïdes. Comme dans le modèle précédent, le gaz est éjecté du disque, entraînant ce qui reste de poussières. Cependant, les planétoïdes suffisamment massifs peuvent retenir du gaz au passage, donnant ainsi les planètes géantes. Le modèle de Safronov a actuellement la faveur des astronomes, du moins en ce qui concerne le Système solaire, car beaucoup de ses prédictions sont confirmées par l’observation. Cependant, les mécanismes de collage nécessaires à la formation des planétésimaux ne sont pas encore bien compris. La suite est mieux décrite par les simulations numériques : quelques planétésimaux peuvent croître grâce à leur interaction gravitationnelle qui favorise collisions, destruction et accrétion. Au terme de ce scénario dominé par les collisions multiples, après quelques millions d’années, des planétoïdes se sont formés. Ces corps entrent aussi en collision entre eux. Le Système solaire actuel est le résultat de ce jeu de billard. La nature des planètes ainsi formées dépend de la nature de la matière solide disponible pour former les premiers noyaux. Or, celle-ci dépend fortement 20
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de la température, donc de la distance au Soleil ; en effet, les molécules lourdes se condensent généralement plus vite que les molécules légères (voir encadré E.2.1). Au début de l’histoire du Système solaire, jusqu’à environ 3,5 fois le rayon actuel de l’orbite terrestre dans les modèles classiques, la température due à l’échauffement par le proto-Soleil est telle que l’eau est sous forme de vapeur, de même que l’ammoniac, le méthane et d’autres composés volatils qui ne peuvent se condenser : dans cette région intérieure, les planètes sont donc principalement formées d’éléments réfractaires comme les silicates. Elles sont denses, et comme les éléments réfractaires forment moins de 1 % de la masse de la nébuleuse, elles sont petites : c’est le cas de Mercure, de Vénus, de la Terre et de Mars, planètes essentiellement formées de roches : on les appelle planètes telluriques ou planètes terrestres. Plus loin du Soleil, au-delà de ce qu’on nomme la ligne des glaces, l’eau est sous forme de glace car la température est basse, puis un peu plus loin encore d’autres composés volatils comme l’ammoniac, le méthane, le dioxyde de carbone et, plus loin encore, le monoxyde de carbone sont gelés ; comme l’eau et ces composés sont très abondants dans le milieu interstellaire, les noyaux planétaires sont plus gros, de l’ordre de dix fois la masse de la Terre. Leur gravité est telle qu’ils peuvent retenir l’hydrogène et l’hélium qui forment 98 % de la masse de la nébuleuse primitive : c’est ainsi que se forment les planètes géantes comme Jupiter et Saturne, qui ont un noyau de glaces et d’éléments réfractaires entouré d’une région où l’hydrogène, très comprimé, est sous forme d’un océan métallique (les observations récentes avec la sonde Juno montrent cependant que Jupiter n’a pas de noyau distinct), puis d’une enveloppe gazeuse, constituée essentiellement d’hydrogène et d’hélium, qui contient l’essentiel de la masse. La densité moyenne de ces planètes est inférieure à 2 g/cm3 , alors que celle des planètes telluriques est nettement plus élevée. Encadré E.2.1 La composition de la matière primitive : gaz et poussières interstellaires La composition chimique de la matière à partir de laquelle s’est formé le Système solaire est bien connue, car c’est aussi celle de la photosphère du Soleil, qui n’a pas été contaminée par les éléments synthétisés dans les profondeurs de l’astre ; seuls quelques noyaux atomiques fragiles comme le lithium, le béryllium et le bore ont partiellement disparu. En ce qui concerne les éléments réfractaires, l’analyse d’une classe particulière de météorites, les chondrites carbonées, donne des informations qui permettent de confirmer et même d’améliorer les résultats obtenus sur le Soleil. Le tableau E.2.1 donne la version la plus récente de cette composition, pour les éléments qui nous intéressent le plus ici.
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TABLEAU 2.1. Abondance des principaux éléments dans la photosphère du Soleil et dans les chondrites carbonées, d’après Asplund M., Grevesse N., Sauval A.J. et Scott P., Annual Review of Astronomy & Astrophysics 47, 481 (2009). Les écarts éventuels entre les abondances solaires et météoritiques du carbone, de l’azote et de l’oxygène proviennent de ce que ces éléments volatils ne se sont que partiellement condensés sous forme solide.
Élément
Logarithme décimal de l’abondance solaire (nombre d’atomes, H = 12)
Logarithme décimal de l’abondance météoritique, normalisée au silicium
H
12
He
10,93 ± 0,01
C
8,43 ± 0,05
7,39 ± 0,04
N
7,83 ± 0,05
6,26 ± 0,06
O
8,69 ± 0,05
8,40 ± 0,04
Na
6,24 ± 0,04
6,27 ± 0,02
Mg
7,60 ± 0,04
7,53 ± 0,01
Al
6,45 ± 0,03
6,43 ± 0,01
Si
7,51 ± 0,01
7,51 ± 0,01
S
7,12 ± 0,03
7,15 ± 0,02
K
5,03 ± 0,09
5,08 ± 0,02
Ca
6,34 ± 0,04
6,29 ± 0,02
Ti
4,95 ± 0,05
4,91 ± 0,03
Cr
5,64 ± 0,04
5,64 ± 0,01
Mn
5,43 ± 0,04
5,48 ± 0,01
Fe
7,50 ± 0,04
7,45 ± 0,01
Co
4,99 ± 0,07
4,87 ± 0,01
Ni
6,22 ± 0,04
6,20 ± 0,01
Pb
1,75 ± 0,10
2,04 ± 0,03
U
-0,54 ± 0,03
Ces éléments se trouvaient sous forme gazeuse et sous forme de grains de poussière dans la nébuleuse protosolaire. Certains, comme les gaz rares, n’existaient que sous forme gazeuse, encore qu’une petite quantité ait pu être emprisonnée dans les grains. L’oxygène, à l’inverse, était à la fois sous forme de gaz, de composés réfractaires comme les silicates ou de composés volatils comme l’eau, le monoxyde et le dioxyde de carbone, éventuellement déposés sur les grains sous forme de glace ou même inclus dans les grains. Il en est de même du carbone qui peut se trouver sous forme gazeuse comme le méthane, ou sous forme d’oxydes et de très nombreux composés
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solides. Quant à l’azote, il forme de nombreux composés gazeux ou solides comme l’ammoniac et la molécule N2 qui ne peut guère se condenser sur les grains. Ces deux éléments sont donc fortement déficients dans les météorites. Ce n’est pas le cas de l’oxygène qui n’est déficient que par un facteur incertain de l’ordre de 2, ce qui signifie que la moitié environ se trouve sous forme de silicates et d’oxydes et l’autre moitié sous forme gazeuse : eau, monoxyde de carbone et autres molécules oxygénées plus rares, avec aussi un peu d’oxygène moléculaire. Pour y voir plus clair, de nombreux auteurs ont déterminé les abondances des principaux éléments dans le gaz interstellaire. Dans le milieu interstellaire diffus et même dans les nuages interstellaires ordinaires, où il n’y a pas beaucoup de molécules en raison de l’émission ultraviolette des étoiles chaudes qui les détruisent en partie, on constate que l’abondance du carbone gazeux par rapport à l’hydrogène est d’environ la moitié de celle dans le Soleil et que celle de l’oxygène est d’environ les trois cinquièmes de l’abondance solaire, le reste se trouvant dans les grains. En revanche, l’azote semble presque entièrement à l’état gazeux. Quant au magnésium, au silicium et au fer, ils sont très déficients à l’état gazeux et se trouvent donc presque entièrement dans les grains. Ces résultats sont corroborés par la comparaison entre les abondances solaires et météoritiques présentées dans le tableau E.2.1, qui montre cependant qu’il y avait encore davantage de ces éléments dans les grains lors de la formation du Système solaire. L’explication de ce fait est simple : les éléments étaient encore plus condensés sur les grains dans le nuage protosolaire, plus dense et plus opaque que les nuages interstellaires ordinaires. Seuls les éléments volatils que sont le carbone, l’azote et l’oxygène sont restés partiellement à l’état gazeux, presque totalement d’ailleurs pour l’azote. Un cas particulièrement intéressant est celui de l’eau. Cette molécule est presque entièrement photodissociée dans le milieu interstellaire diffus et dans les nuages interstellaires ordinaires et y est à peu près inobservable. Dans les nuages plus denses, elle se forme par réactions chimiques sur la surface des grains, où elle subsiste sous forme d’un manteau de glace, ainsi d’ailleurs que beaucoup d’autres molécules comme CO. La plus grande partie de cette glace se sublime dans les étoiles en formation sous l’effet des chocs, ce qui a bien été observé par le satellite Herschel. Cependant, une petite partie du H2 O reste incluse dans les grains et se retrouve donc dans les chondrites carbonées. Le reste de la vapeur d’eau primitive n’a pas subsisté dans la région où sont nées les planètes terrestres, de même d’ailleurs que tous les autres gaz : pendant la formation du Système solaire, l’eau ne s’est trouvée qu’à l’état solide au-delà de la ligne des glaces, là où se sont formés les planètes géantes et les astres glacés, dont les noyaux cométaires. Ce sont les météorites et les comètes qui ont apporté l’eau sur les planètes telluriques, surtout lors du Grand bombardement tardif : c’est cette eau qui a notamment formé les océans terrestres.
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2.5
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La migration des planètes
On a longtemps pensé que les planètes se trouvent encore aujourd’hui à la distance du Soleil où elles sont nées. En fait, ce n’est pas le cas ! Dès qu’elles se sont formées, leur interaction gravitationnelle avec ce qui reste du disque protoplanétaire de gaz, de poussières et de fragments plus ou moins gros les a forcées à se rapprocher ou à s’éloigner du Soleil. Ceci a été compris dès 1980 par ChiaChiao Lin, John Papaloizou, Peter Goldreich et Scott Tremaine, mais l’idée a mis du temps à s’imposer. C’est la découverte du mécanisme de migration dans les systèmes exoplanétaires qui a motivé les recherches sur les effets de migration au sein du Système solaire. Dans le cas d’une planète massive comme Jupiter, son action gravitationnelle creuse dans le disque protoplanétaire un sillon circulaire autour de son orbite, où elle se trouve bloquée (Fig. 2.5). Elle va donc suivre le mouvement radial de la matière du disque. Dans les parties internes de ce disque, la planète se rapproche de l’étoile tant que celle-ci continue à accréter la matière résiduelle du disque, et il en est de même des petits corps solides et des planètes terrestres qui sont en train de s’y former. Depuis le début de notre siècle, l’étude de la formation des planètes a considérablement progressé, notamment avec l’élaboration du modèle de Nice (Nice model en anglais) par des scientifiques initialement réunis à l’observatoire de la Côte d’Azur à Nice. Dans ce modèle, on suppose que Jupiter, qui va déterminer l’essentiel de l’évolution ultérieure en raison de sa masse considérable, se forme rapidement juste au-delà de la ligne des glaces, à une distance au Soleil de 3,5 unités astronomiques (ua, la distance moyenne Soleil-Terre) ; comme la quantité de matière disponible y est maximale, il est logique d’y faire naître Jupiter. La masse de la planète dépasse rapidement une centaine de masses terrestres, ce qui entraîne sa migration vers l’intérieur du Système solaire. Cette migration ne s’arrêterait pas si un autre phénomène n’intervenait : Saturne, qui se forme à 4,6 ua du Soleil, atteint à son tour une masse suffisante pour déclencher également sa migration vers l’intérieur, plus rapide que celle de Jupiter, jusqu’à ce qu’elle entre en résonance 3:2 avec cette dernière planète, trois périodes de révolution de Jupiter étant alors égales à deux périodes de Saturne. Jupiter est alors au niveau de l’orbite de Mars, à 1,5 ua du Soleil. Les deux planètes, qui creusent maintenant un sillon commun dans le disque, entament alors une lente migration vers l’extérieur, tout en restant bloquées en résonance 3:2, grâce à un mécanisme découvert en 2001 par Masset et Snellgrove et bien reproduit par les simulations numériques : si la planète lointaine (ici Saturne) est moins massive que la planète proche de l’étoile (Jupiter), le transfert de moment angulaire avec le disque vers l’extérieur du sillon est moins important que le transfert vers 24
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F IGURE 2.5. Simulation numérique de la structure d’un disque protoplanétaire où s’est formée une planète massive, après 99 périodes orbitales de celle-ci. La densité du disque est représentée en fausses couleurs, du noir au blanc. La planète (point blanc) crée une perturbation plus dense (lignes spirales claires) dans le disque protoplanétaire, perturbation qui freine la planète et creuse dans ce disque un sillon circulaire presque vide (en noir). La planète se trouve alors bloquée dans ce sillon. © Observatoire de Paris, LESIA, Philippe Thébault.
l’intérieur, si bien que l’ensemble des deux planètes, qui restent en résonance, gagne du moment angulaire : elles vont donc s’éloigner de l’étoile. C’est ce que les auteurs du modèle appellent la « grande virée de bord » (le « Grand Tack » en langage de marins anglophones), qui amène les deux planètes géantes à faire marche arrière comme deux voiliers de course tournant autour d’une balise. Précisons que ce modèle n’est pas unique, mais il a l’avantage de bien rendre compte d’un certain nombre de propriétés dynamiques des petits corps du Système solaire : d’autres scénarios, aussi issus de la simulation numérique, sont actuellement à l’étude pour tenter de reproduire au mieux l’ensemble des observables dont nous disposons. Quelles sont les conséquences de ces migrations sur la formation des planètes terrestres ? Au moment de la grande virée de bord, Jupiter a comprimé le disque protoplanétaire interne jusqu’à un rayon d’environ 1 ua : c’est dans ce disque de planétésimaux et de planétoïdes que vont se former les planètes telluriques (Fig. 2.6). Leur formation va prendre une centaine de millions LES PLANÈTES ET LA VIE
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F IGURE 2.6. Évolution possible du Système solaire jusqu’à 500 000 ans après la formation de Jupiter, d’après les simulations numériques du modèle de Nice. En haut, état initial avec les planètes géantes (cercles noirs) et des planétésimaux glacés en bleu et rocheux en rouge ; Jupiter est entièrement formée tandis que Saturne, Uranus et Neptune grossissent. 70 000 ans plus tard, Jupiter a migré, poussant devant elle la plupart des planétésimaux rocheux et quelques planétésimaux glacés ; l’essentiel de ces planétésimaux est dispersé et acquiert des excentricités importantes. Quelques embryons de planètes rocheuses se forment (cercles vides). Après 100 000 ans, Saturne complètement formée a rejoint Jupiter en résonance 3:2, elles vont entamer leur mouvement commun vers l’extérieur : c’est la « grande virée de bord » ; Jupiter a poussé les planétésimaux jusqu’à environ 1 ua du Soleil. Après 300 000 ans, Jupiter et Saturne se sont éloignés et ne sont plus en résonance ; les pointillés délimitent ce qui sera la ceinture d’astéroïdes entre Mars et Jupiter. À 500 000 ans, certains des embryons de planètes rocheuses ont grossi en capturant des planétésimaux pour former progressivement les planètes telluriques, tandis que d’autres ont été et seront détruits par collisions. Le modèle reproduit avec succès les masses relatives des quatre planètes telluriques, et notamment la masse relativement petite de Mars et de Mercure, ainsi que la ceinture d’astéroïdes (schémas du bas). La capture de planétésimaux initialement glacés a pu apporter de l’eau sur les planètes telluriques. D’après Walsh K.J. et al. Nature 475, 206 (2011).
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d’années, à partir de planétoïdes relativement massifs ; la dernière phase est un jeu de billard entre ces planétoïdes dont certains sont détruits et d’autres croissent pour former les quatre planètes telluriques. L’impact d’un gros planétoïde sur la Terre est responsable de la formation de la Lune, entre 60 et 100 millions d’années après la formation de Jupiter. Le modèle de Nice prévoit la faible masse de Mercure et de Mars comparée aux masses de Vénus et de la Terre car Mercure et Mars se sont formées au bord du disque de planétésimaux et ont donc manqué de matériau ; de plus, dans le scénario du « Grand Tack », la croissance de Mars est interrompue par l’irruption de Jupiter au moment de la « virée de bord ».
2.6
Le grand bombardement tardif et ses conséquences
Six cents mille ans après la formation de Jupiter, il ne reste plus guère de gaz autour du Soleil, beaucoup de planétésimaux se sont rassemblés en planétoïdes et en planètes qui sont maintenant totalement formées. Un important disque de débris subsiste au-delà de l’orbite des planètes géantes. Dans le modèle de Nice, sa masse est supposée égale à 35 fois celle de la Terre. Ce disque est formé des planétésimaux et planétoïdes glacés laissés pour compte lors de la formation des planètes géantes : blocs de glace, planètes naines et noyaux de comètes. Jupiter agit gravitationnellement sur ces fragments en éjectant ceux qui se trouvent à proximité ; il perd ainsi de l’énergie et se rapproche lentement du Soleil. Saturne et les deux autres planètes géantes, Uranus et Neptune, n’en sont pas capables, et gagnent au contraire du moment angulaire au détriment des débris, lesquels se trouvent principalement au-delà de leur orbite : ils s’éloignent donc lentement du Soleil, et la résonance 3:2 entre Jupiter et Saturne est rompue. Un bouleversement total a lieu lorsque Saturne et Jupiter, en s’éloignant l’une de l’autre, parviennent à la résonance 2:1, la période de révolution de Saturne étant alors le double de celle de Jupiter : leur effet gravitationnel sur les planètes et planétoïdes est fortement amplifié. Selon le modèle de Nice, cet événement se produit environ 880 millions d’années après la formation de Jupiter, soit il y a 3,7 milliards d’années. Les orbites des planètes géantes sont alors profondément modifiées et prennent leur aspect actuel, tandis que celles des planètes telluriques ne subissent que peu de changement. Le disque de planétoïdes se disperse complètement : une partie se retrouve sous forme d’astres glacés à l’extérieur du Système solaire, formant ainsi la ceinture de Kuiper et le lointain réservoir de comètes, le nuage de Oort. Une autre partie bombarde les planètes et leurs satellites : c’est ce que l’on appelle le Grand bombardement tardif. Une fraction majeure des cratères que l’on voit sur la Lune, sur Mercure et sur les LES PLANÈTES ET LA VIE
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astéroïdes eux-mêmes résulte de ces impacts. On ne voit presque plus de tels cratères sur Vénus, la Terre et Mars car l’érosion et le volcanisme les ont effacés. Sur la Lune, ils subsistent entièrement sur la face cachée mais ont été en partie recouverts par la lave volcanique sur la face visible, où la croûte est plus mince. On pense qu’une grande partie de l’eau des planètes terrestres a été apportée par ces fragments : en effet, ces planètes étaient tellement chaudes à leur formation que l’eau s’était alors complètement évaporée et n’avait subsisté que sous forme d’inclusions dans des solides. Depuis cette époque, la configuration du Système solaire a, semble-t-il, peu varié. 2.7
La formation des planètes dans les systèmes exoplanétaires
Que savons-nous du mécanisme de formation des planètes en dehors du Système solaire ? Les premières découvertes ont mis en évidence l’importance du phénomène de migration, qui rapproche des exoplanètes géantes formées loin de leur étoile jusqu’à la proximité immédiate de celle-ci. Nous verrons plus loin (Chap. 8) que les exoplanètes géantes proches de leur étoile, les « Jupiters chauds », découvertes en premier car plus facilement détectables que les autres, ne sont pas la majorité dans la population des exoplanètes. Sur les quelque 4 000 exoplanètes connues, la plupart semblent avoir une masse comprise entre 10 et 30 masses terrestres ; elles appartiennent à deux classes distinctes : celle des « super-Terres » (les exoplanètes rocheuses) et à celle des « Neptunes » (les exogéantes glacées). Bien entendu, il y a problablement là aussi un biais observationnel : beaucoup d’exoplanètes rocheuses de masse comparable à celle de la Terre restent sans doute encore à découvrir. Toujours est-il que les Jupiters chauds sont loin de constituer la majorité des exoplanètes découvertes. Si l’on compare la structure du Système solaire à celle des systèmes exoplanétaires, on peut se poser la question : pourquoi le Système solaire n’a-t-il pas connu une migration complète de Jupiter jusqu’à proximité du Soleil, comme nous l’observons dans les systèmes exoplanétaires ? Selon le modèle de Nice, c’est la présence simultanée de Jupiter et de Saturne, avec leurs masses et leurs positions de départ relatives, qui a empêché Jupiter de s’approcher à proximité immédiate du Soleil, ce qui aurait eu pour effet de balayer le Système solaire interne. La probabilité d’une telle occurrence est sans doute très faible au sein des systèmes extérieurs, ce qui expliquerait que nous n’ayons pas encore détecté, à ce jour, de système exoplanétaire comparable au nôtre. La bonne nouvelle que nous apprend l’exploration des exoplanètes, en revanche, c’est la présence en très grandes quantités d’exoplanètes de masse 28
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inférieure à la dizaine de masses terrestres, dont beaucoup pourraient être rocheuses. Il faudra sans doute encore attendre une ou deux décennies avant de pouvoir déterminer sans ambiguïté la nature de ces objets, grâce à l’analyse de leur atmosphère, mais la situation actuelle nous incite à un certain optimisme quant à la possibilité de découvrir un jour beaucoup d’exoplanètes habitables. 2.8
Les atmosphères primitives des planètes terrestres
Du fait de leur scénario de formation et de leur séparation en deux classes, les planètes rocheuses et les planètes géantes, les atmosphères des planètes sont de deux types bien distincts. L’atmosphère des planètes géantes, composée d’une enveloppe épaisse d’hydrogène et d’hélium, est dite primaire : elle a été capturée au moment de leur formation, et le champ de gravité des planètes géantes est suffisant pour qu’elle demeure stable sur la durée de vie du Système solaire. Les planètes géantes n’ont pas de « surface » au sens que nous connaissons : la pression augmente vers l’intérieur jusqu’à atteindre plusieurs millions de bars. Le cas des planètes terrestres est différent : leur champ de gravité est insuffisant pour conserver les molécules les plus légères comme l’hydrogène et l’hélium. Leur atmosphère, dite secondaire, a été acquise après la formation du noyau initial. Elle résulte de deux mécanismes : le dégazage du globe et le bombardement météoritique. Il y avait certainement une atmosphère autour de la Terre primitive, provenant d’éléments volatils échappés des solides. Cependant, le Grand bombardement tardif survenu 800 millions d’années après la formation de la Terre, bien que n’apportant que peu de matière et n’affectant guère la composition chimique globale du manteau, a dû modifier sensiblement cette atmosphère. Pouvons-nous estimer ce qu’a été la composition des atmosphères planétaires au début de leur histoire ? Pour cela, il faut pouvoir estimer sous quelle forme chimique se trouvaient les éléments les plus abondants après l’hydrogène et l’hélium, c’est-à-dire l’oxygène, le carbone et l’azote. Il est possible de le faire à partir des réactions d’équilibre thermochimique, qui permettent de prédire les abondances relatives des différentes molécules susceptibles de se former. Dans le cas du carbone et de l’azote, ces réactions s’écrivent comme suit : CH4 + H2 O ↔ CO + 3H2 2NH3 ↔ N2 + 3H2 Ces réactions favorisent la formation de CH4 et NH3 à basse température et haute pression (ce qui correspond aux conditions des planètes géantes), tandis qu’elles évoluent vers la formation de CO et N2 (et aussi de H2 ) dans les LES PLANÈTES ET LA VIE
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conditions opposées (qui correspondent aux conditions des planètes terrestres). Il n’est donc pas surprenant que les planètes géantes contiennent, en plus de l’hydrogène et de l’hélium, les molécules hydrogénées que sont le méthane, l’ammoniac et aussi l’eau. L’équilibre thermochimique prévoit donc que l’atmosphère des planètes terrestres est dominée par CO et N2 , suite à l’échappement de l’hydrogène. Une autre réaction intervient entre le monoxyde de carbone et la vapeur d’eau : CO + H2 O ↔ CO2 + H2 On attend donc, pour l’atmosphère primitive des planètes terrestres, à une composition à base de gaz carbonique, d’azote, de monoxyde de carbone et d’eau. Nous verrons que l’ensemble des informations dont nous disposons suggère, pour Vénus, la Terre et Mars, une atmosphère primitive riche en gaz carbonique et en vapeur d’eau, avec une contribution mineure d’azote moléculaire. Nous verrons plus loin comment ces atmosphères, de composition comparable à l’origine, ont ensuite évolué, en fonction de facteurs spécifiques, vers des destins radicalement différents. 2.9
Quelle atmosphère pour les exoplanètes rocheuses ?
En utilisant notre expérience des planètes du Système solaire, pouvons-nous tenter d’imaginer ce que pourrait-être l’atmosphère des exoplanètes ? À nouveau, les réactions de l’équilibre thermochimique nous livrent une piste. Des exoplanètes, nous connaissons en général deux paramètres : la masse et la distance à leur étoile-hôte. Connaissant le type spectral et les caractéristiques de cette étoile, nous pouvons connaître le rayonnement qu’elle émet, et donc la température d’équilibre de l’exoplanète. Cette température d’équilibre peut être considérée, en première approximation, comme la température moyenne de surface de l’exoplanète. À partir de ces deux paramètres, il est possible de présenter une classification simple des exoplanètes (Fig. 2.7). Les objets de petite masse (moins de 10 masses terrestres) et de basse température (moins de 200 K environ, soit –73 ◦ C) sont les analogues des petits corps glacés que nous connaissons (satellites et objets trans-neptuniens) : on peut s’attendre à des atmosphères de N2 (produit de la photo-dissociation de NH3 par le rayonnement UV de l’étoile), CH4 et CO. Toujours pour des masses inférieures à dix masses terrestres, dans la région tempérée (entre 200 et 500 K), nous trouvons les exoplanètes rocheuses, exo-Terres ou super-Terres, avec des atmosphères riches en CO2 , H2 O et N2 (avec peut-être, en cas d’émergence de la vie, l’apparition de O2 ). À plus haute température, nous trouvons de petits objets plus proches de leur étoile, 30
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F IGURE 2.7. Une classification simple de la nature des exoplanètes en fonction de leur température et de leur masse. Les objets à température élevée (très proches de leur étoile-hôte) n’ont pas leur équivalent dans le Système solaire. Les « Jupiters chauds » pourraient être le résultat d’un phénomène de migration. La Terre entre dans la catégorie des planètes rocheuses tempérées ; la composition de son atmosphère s’est modifiée en raison de la présence des océans, de la tectonique des plaques et de l’apparition de la vie.
dénués d’atmosphère : c’est le cas de Mercure ou, exemple encore plus extrême, la planète CoRoT-7b dont la surface côté jour pourrait être sous forme de magma visqueux, la température pouvant excéder 2 000 K. Passons maintenant aux planètes massives ; nous savons qu’elles sont constituées principalement d’hydrogène et d’hélium. À basse et moyenne température, nous trouvons les analogues de nos planètes géantes, où le méthane et l’ammoniac pourraient être présents. À haute température, nous avons les Jupiters chauds, inconnus dans notre Système solaire mais relativement nombreux dans les systèmes exoplanétaires. Pour les objets les plus proches de leur étoile (à moins de 0,05 ua pour une étoile de type solaire), l’équilibre thermochimique pourrait favoriser la formation de N2 et CO au détriment de CH4 et NH3 . Bien entendu, cette classification simple n’est qu’une première ébauche : l’équilibre thermochimique ne constitue qu’une hypothèse simplificatrice, et d’autres mécanismes peuvent intervenir, comme la photochimie induite par l’irradiation de l’étoile-hôte ou les phénomènes de dynamique engendrant des mouvements verticaux. De plus, n’oublions pas que la température de surface d’une exoplanète rocheuse peut être différente de sa température d’équilibre : c’est le cas, en particulier, des planètes à effet de serre comme Vénus. Enfin, les planètes (et les exoplanètes) peuvent connaître des migrations susceptibles de faire évoluer leur température de surface, et donc leur composition. Nous verrons plus loin comment la spectroscopie nous permet aujourd’hui, dans les conditions les plus favorables, de déterminer la composition atmosphérique des exoplanètes.
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L’exploration des planètes terrestres
Du fait de leur proximité à la Terre, les planètes terrestres, visibles à l’œil nu, ont été observées depuis l’Antiquité. Dans le cas de Mercure et de Vénus, leur apparition au lever ou au coucher du Soleil a d’abord fait croire, dans chaque cas, à deux objets distincts ; puis, grâce à des observations répétées, chaque planète a été identifiée comme un objet unique précédant ou suivant le Soleil, et leurs trajectoires répertoriées. Celles-ci ont été interprétées dans le cadre du modèle géocentrique développé par les Grecs et mis au point dans sa forme la plus aboutie par Ptolémée, au IIe siècle avant notre ère. Il fera autorité pendant plus de quinze siècles, jusqu’à l’avènement de l’époque copernicienne. Proposé d’abord par Nicolas Copernic dans son ouvrage De revolutionem Orbium Celestium publié en 1543, le modèle héliocentrique se trouve conforté par les observations de Galilée et les travaux de Kepler qui mèneront, en 1687, à la théorie de la gravitation énoncée par Isaac Newton dans son ouvrage Philosophiæ Naturalis Principia Mathematica. 3.1
Premières observations astronomiques
L’observation des planètes terrestres en tant qu’objets physiques (et non seulement d’objets ponctuels dans le ciel) commence en 1610 avec Galileo Galilei, dit Galilée, lorsque celui-ci tourne pour la première fois sa nouvelle lunette vers le ciel. Dans son Sidereus Nuncius, dont la renommée dépasse très vite les frontières, il annonce la découverte des quatre principaux satellites de Jupiter qui
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porteront ensuite son nom, ainsi que l’observation de montagnes sur la Lune. Un an plus tard, Galilée met en évidence l’existence de phases de Vénus, analogues à celles de la Lune en orbite autour de la Terre (Fig. 3.1). Cette dernière découverte est capitale car elle montre que Vénus est en orbite autour du Soleil, ce qui est incompatible avec le système de Ptolémée. Galilée note aussi que la taille apparente de Mars varie avec sa position orbitale.
F IGURE 3.1. Les phases de Vénus, telles que Galilée les a observées en 1611. Elles démontrent que Vénus doit tourner autour du Soleil, la taille maximale étant atteinte lorsque Vénus est devant le Soleil (le disque est alors presque entièrement dans l’ombre) et la taille minimale étant atteinte lorsque Vénus est au-delà du Soleil (le disque est alors complètement éclairé par le Soleil). Ce dessin est extrait de l’ouvrage de Galilée Saggiatore (L’essayeur), publié en 1623. © Bibliothèque de l’Observatoire de Paris.
En 1639, l’astronome anglais Jeremiah Horrock décrit pour la première fois le transit de Vénus devant le Soleil, un phénomène exceptionnel : celui-ci se produit par paires séparées de huit ans, elles-mêmes séparées de plus d’un siècle. Horrock met à profit son observation pour déterminer le diamètre de Vénus et obtenir, en utilisant la troisième loi de Kepler, une première estimation, très approximative, de la distance Soleil-Terre (c’est-à-dire l’unité astronomique), environ 30 % plus faible que la valeur admise aujourd’hui (150 millions de kilomètres) mais bien supérieure à ce que l’on croit à l’époque. Le disque de Mars présente des structures qui sont observées par plusieurs observateurs, dont Christiaan Huygens qui, en 1659, en dessine la première carte ; il déduit aussi la période de rotation de la planète, proche de 24 heures, 34
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une valeur confirmée et précisée par Jean-Dominique Cassini. Celui-ci, nommé en 1671 à l’Observatoire de Paris nouvellement créé et observateur exceptionnel, étudie la planète Vénus mais ne peut déterminer sa période de rotation, faute de structures sur le disque qui pourraient servir de points de repère. En revanche, il a l’idée d’utiliser l’observation simultanée de Mars par rapport aux étoiles, à Cayenne et à Paris, pour mesurer la distance de Mars à la Terre et en déduire ainsi la distance Soleil-Terre. Le résultat (138 millions de kilomètres) est inférieur de moins de 10 % à la valeur actuelle, ce qui constitue un exploit vu les limitations de l’instrumentation de l’époque. Un résultat encore plus précis (à 1 % près) sera obtenu en 1769 en observant le transit de Vénus à partir de différents points du globe. Le transit précédent de Vénus, en 1761, a par ailleurs permis à l’astronome russe Mikhael Lomonosov de déduire l’existence probable d’une atmosphère dense autour de la planète. Les calottes polaires de Mars, sans doute observées pour la première fois par Huygens en 1672, sont ensuite systématiquement étudiées par plusieurs observateurs dont Giacomo Maraldi puis William Herschel qui, en 1781, note leur variabilité et mesure avec précision la période de rotation et l’inclinaison de la planète. Un peu plus tard, l’astronome français Honoré Flaugergues met en évidence l’existence de tempêtes de poussières. Avec l’amélioration de la qualité des télescopes, les observations de Mars se succèdent au XVIIIe et au XIXe siècles. En 1877, l’astronome américain Asaph Hall découvre deux petits satellites autour de Mars ; ils seront nommés Phobos et Deimos. 3.2
Le mythe des canaux martiens
En 1877, l’astronome italien Giovanni Schiaparelli crée la surprise en annonçant que la surface de Mars est sillonnée par des traînées rectilignes appelées « canaux » (« canali »). La fièvre s’empare de certains astronomes, tels Camille Flammarion et Percival Lowell, qui n’hésitent pas à attribuer ces canaux à la présence d’êtres intelligents luttant contre la sécheresse. Cependant, d’autres observateurs restent sceptiques. C’est le cas d’Edward Maunder, Edward Barnard et surtout Eugène Antoniadi qui, à partir de la grande lunette de Meudon, obtient des images d’une résolution inégalée qui démontrent que les « canali » ne sont que des illusions d’optique (Fig. 3.2). Cependant, Lowell ne désarme pas et le mythe des canaux martiens perdurera jusqu’à l’avènement de l’ère spatiale. Ce sont les premières images des sondes Mariner 4, Mariner 9 et Viking qui ont définitivement enterré les canaux martiens. Schiaparelli ne s’est pas contenté d’observer Mars : au début des années 1880, il obtient aussi les premières images de la partie éclairée de Mercure et croit LES PLANÈTES ET LA VIE
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F IGURE 3.2. Les « canaux » de Mars, observés en 1877 par Schiaparelli (à gauche) et ré-observés par Antoniadi avec un instrument plus performant dans les années 1920. Dans les deux cas, il s’agit de dessins. Celui d’Antoniadi montre que les lignes identifiées comme des canaux par Schiaparelli ne sont que des illusions d’optique. © Bibliothèque de l’Observatoire de Paris.
mettre en évidence des détails fixes dans le temps. Il en conclut que la planète est en rotation synchrone autour du Soleil, c’est-à-dire qu’elle tourne toujours vers lui le même hémisphère, comme le fait la Lune vis-à-vis de la Terre. En fait cette conclusion est fausse : nous savons aujourd’hui, grâce à des mesures radar réalisées un siècle plus tard, que la période de rotation de Mercure est de 58 jours, soit les deux tiers de sa période de révolution. 3.3
La nature physique des planètes
Le développement de l’astronomie infrarouge dans le courant du XXe siècle donne accès à un autre paramètre important, la température des planètes. En 1924, les astronomes Edison Pettit et Seth Nicholson mesurent pour la première fois la température du sol de Mars ; celle-ci est inférieure à celle de la Terre, particulièrement aux pôles. En 1926, ils mesurent sur Vénus une température proche de celle de la Terre : c’est celle de la couche nuageuse. Le côté éclairé de Mercure est proche de 400 ◦ C. Par ailleurs, grâce à l’avènement de la spectroscopie, dans la première moitié du XXe siècle, il devient possible d’obtenir des informations sur la nature des atmosphères planétaires. La vapeur d’eau, longtemps recherchée sur Mars, est détectée dans les années 1950 en très faibles quantités. Vers les années 1960, il apparaît que, sur Mars et sur Vénus, le gaz carbonique est le constituant dominant, tandis que Mercure est dépourvue d’atmosphère. La nature des calottes polaires 36
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de Mars est identifiée : il s’agit de dioxyde de carbone qui condense alternativement aux pôles en fonction du cycle saisonnier de la planète. Dans les années 1970, on découvre que les nuages de Vénus sont composés d’acide sulfurique, tandis que la vapeur d’eau y est quasiment absente. Au milieu du XXe siècle, le développement de la radioastronomie va aussi apporter son lot de surprises. En 1958, les premières mesures de Vénus dans le domaine centimétrique apportent un élément nouveau : elles permettent en effet de mesurer la température de surface de la planète, car les ondes radio traversent les nuages alors que ceux-ci absorbent le rayonnement visible et infrarouge. La surprise est énorme : la température de surface de Vénus est très élevée, de l’ordre de 460 ◦ C ! Quelle peut en être la cause ? Dans un premier temps les astronomes s’interrogent, puis émerge l’idée d’un effet de serre extrême, alimenté par le gaz carbonique de l’atmosphère profonde, une idée qui sera développée et confirmée dans les décennies suivantes. Avec son atmosphère torride et ses nuages d’acide sulfurique, Vénus ne peut plus être considérée aujourd’hui comme un monde habitable, et les espoirs se tournent à nouveau vers Mars, alors que l’exploration des planètes entre dans l’ère spatiale. 3.4
Les débuts de l’ère spatiale
Les années 1960 voient les débuts de la conquête spatiale, dans un contexte de concurrence acharnée entre les États-Unis et l’Union Soviétique. Ce sont les Soviétiques qui connaissent les premiers succès avec, en 1958, le lancement dans l’espace du premier satellite, Spoutnik et, en 1962, celui du premier cosmonaute, Youri Gagarine. Les États-Unis ripostent en se lançant à la conquête de la Lune, qui culmine avec le succès de la mission Apollo 11 qui dépose le premier homme sur la Lune le 21 juillet 1969. Les échantillons lunaires rapportées par les missions Apollo donneront de précieuses informations sur l’âge du Système solaire en fournissant une échelle de datation absolue. Il faut noter cependant qu’il n’était pas nécessaire d’envoyer un homme sur la Lune pour obtenir ces échantillons, puisque les Soviétiques en ont rapporté suite aux Américains, à partir de missions robotisées, en quantités bien moindres cependant. Toujours est-il que le contexte politique est favorable à l’avènement de l’exploration spatiale des planètes qui nous entourent. Dès les années 1960, à côté de la conquête de la Lune, Mars et Vénus sont les cibles privilégiées des ÉtatsUnis et de l’Union soviétique qui envoient une série de sondes robotisées vers les deux planètes. Les échecs sont multiples de part et d’autre. Du côté de la NASA, un premier succès est obtenu avec, en 1962, le survol de la planète Vénus par la sonde Mariner 2 qui confirme la température très élevée de la surface. LES PLANÈTES ET LA VIE
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En 1964, Mariner 4 envoie les premières images du sol de Mars, mettant définitivement un terme au mythe des canaux martiens. Les étapes les plus importantes de l’exploration de Mars sont ensuite les missions Mariner 9 en 1972 (Fig. 3.3), puis Viking en 1975 qui réalisent une exploration approfondie de la surface et de l’atmosphère de Mars. La mission Viking, en particulier, est un véritable chefd’œuvre technique. Elle est constituée de deux orbiteurs et de deux modules de descente identiques qui fonctionneront pendant plusieurs années ; la base de données qui en est issue fait encore référence aujourd’hui. Cependant, la mission Viking, en dépit de son immense succès scientifique et technique, apporte une grande déception : elle n’a pas trouvé de trace de vie, alors que c’était sa motivation principale. Les conséquences sur le programme d’exploration planétaire de la NASA seront très importantes : le programme martien sera interrompu pendant vingt ans !
F IGURE 3.3. Première image des volcans de Tharsis prise par la sonde Mariner 9 en 1972. Lancée par la NASA le 30 mai 1971 et mise en orbite autour de Mars en novembre 1971, la sonde a dû attendre plusieurs mois la fin d’une tempête de poussières globale avant de pouvoir envoyer à la Terre des images de la surface. Avec les premières images envoyées quelques années auparavant, elles ont contribué à tuer définitivement le mythe des canaux martiens. On voit ici les trois volcans du plateau de Tharsis : de bas en haut Arsia Mons, Pavonis Mons et Ascraeus Mons. Leur âge est supérieur à trois milliards d’années et leur altitude est comprise entre 15 et 18 km. © NASA.
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La mission Viking : espoirs et désillusions
Viking est la seule mission spatiale ayant embarqué à son bord une instrumentation susceptible de détecter la vie sur une planète autre que la Terre. Lancés au cours de l’été 1975, les deux orbiteurs Viking 1 et 2 se sont insérés en orbite martienne moins d’un an plus tard et ont procédé sans encombre à la descente des deux atterrisseurs. En plus de la panoplie classique des instruments destinés à l’étude de la surface et de l’atmosphère, dont un GC-MS (chromatographe en phase gazeuse et spectromètre de masse) destiné à la détection de molécules organiques, ils contenaient trois expériences de biologie dédiées à la recherche de la vie (Fig. 3.4). Dans la première, nommée Gas Exchange Experiment (GEE), des échantillons de sol étaient placés en chambre d’incubation en présence d’eau, de CO2 et de gaz inertes pour mettre en évidence d’éventuelles traces de métabolisme. Dans la seconde, appelée Labeled Release Experiment (LRE), un échantillon de sol était mis en présence d’eau et d’une solution nutritive contenant du glucose avec des atomes de 14 C, un atome radioactif du carbone, utilisés comme traceurs. En cas de présence de micro-organismes, ceux-ci auraient consommé la solution nutritive et émis des atomes de 14 C. Enfin la troisième expérience, nommée Pyrolytic Release Experiment (PRE) recherchait des signes de photosynthèse en mettant les échantillons de sol martien en présence de lumière et d’eau dans une atmosphère de CO et CO2, enrichie en 14 C. En cas de formation de biomasse, celle-ci aurait été ensuite détectée par le 14 C. Les expériences furent menées pendant six ans sur le site de Viking 1, et trois ans et demi sur le site de Viking 2. Les premiers résultats suscitèrent un grand enthousiasme, suite en particulier à la détection inattendue d’un dégagement d’oxygène dans l’expérience GEE. Cependant, il s’est avéré que ce dégagement subsistait après stérilisation par chauffage de l’échantillon, ce qui a finalement suggéré une origine chimique pour l’apparition de l’oxygène. Les autres expériences apportèrent aussi des résultats ambigus qui soulevèrent de nombreux débats. Le coup de grâce vint du chromatographe GC-MS qui, à la surprise générale, ne détecta pas la moindre molécule organique jusqu’à un taux d’une partie par milliard. L’explication la plus couramment admise aujourd’hui est que l’oxygène produit dans l’expérience GEE provenait de l’oxydation chimique de la matière ; elle a ainsi mis en évidence la nature particulièrement oxydante du sol martien. Ainsi, après de longues controverses, la communauté scientifique s’est généralement ralliée à l’explication selon laquelle le sol de Mars est dénué de toute matière organique, à la fois à cause de sa nature oxydante et à cause du rayonnement solaire ultraviolet qui pénètre jusqu’à la surface. L’un des agents oxydants potentiels est le peroxyde d’hydrogène (eau oxygénée) H2 O2 , produit de la dissociation de H2 O LES PLANÈTES ET LA VIE
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F IGURE 3.4. L’instrumentation des atterrisseurs Viking destinée à la recherche de la vie sur le sol de Mars. À gauche : « Gas Exchange Experiment » vise à détecter les gaz produits par des micro-organismes martiens suite à l’ingestion d’un liquide nutritif. Au centre : « Labeled Release Experiment » vise à détecter le gaz carbonique, marqué au 14 C, issu de la transformation de matière organique. À droite : « Pyrolytic Release » recherche l’assimilation de CO2 par l’échantillon suite à une réaction de photosynthèse. D’après F. Forget et al. « La planète Mars : Histoire d’un autre monde », Belin, 2006.
par l’ultraviolet solaire. H2 O2 fut découvert bien plus tard dans l’atmosphère martienne, au début des années 2000, avec une concentration inférieure à une partie par million. La mission Viking a donc montré que la surface de Mars exposée au rayonnement solaire n’est pas propice au développement de la vie. Cependant, on ne peut pas complètement exclure l’existence possible, dans le passé, de niches localisées, abritées de la lumière solaire ou en sous-sol. C’est pourquoi, lorsque la NASA reprendra l’exploration spatiale de Mars à la fin des années 1990, l’objectif se focalisera sur les endroits où l’eau liquide a pu séjourner dans le passé. 3.6
De Mars à Vénus. . .
Revenons à la fin des années 1970. L’Union soviétique s’est concentré sur Vénus avec le programme Venera. Lancée en 1967, la sonde Venera 4 obtient les premières mesures de composition atmosphérique. En 1970, Venera 7 arrive à se poser à la surface et à mesurer la température et la pression – un exploit compte tenu des conditions hostiles qui règnent à la surface ! La pression y avoisine la centaine de bars, et la chaleur est telle que les instruments ne survivent pas longtemps. Plus tard, en 1975, d’autres sondes Venera envoient des images 40
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de la surface (Fig. 3.5) et en réalisent une première cartographie par radar, dévoilant de grandes plaines volcaniques. En 1985, le programme Venera culmine avec le lancer de deux ballons dans l’atmosphère de Vénus : c’est la mission Vega (Venera-Halley) constituée de deux sondes qui, après avoir lâché leur ballon sur Vénus, iront ensuite à la rencontre de la comète de Halley, en mars 1986.
F IGURE 3.5. Premières images du sol de Vénus, prises par les caméras des atterrisseurs Venera 9 et 10 en 1975. On distingue en bas des images le socle de la sonde. Le sol apparaît recouvert de roches basaltiques. D’autres images du sol de Vénus seront envoyées par les sondes Venera ultérieures, entre 1980 et 1985. © CCCP.
Entre temps, la NASA, déçue par l’absence de détection de vie sur Mars, s’intéresse de nouveau à Vénus. C’est la mission Pioneer Venus, lancée en 1979, équipée d’un orbiteur et de quatre sondes de descente qui feront des mesures de la composition atmosphérique jusqu’à une altitude de 12 kilomètres. Plus tard, la mission Magellan, un orbiteur simplement doté d’un radar, effectuera, entre 1992 et 1994, une cartographie complète du sol de Vénus (Fig. 3.6). Celle-ci révèle que le sol est entièrement recouvert de volcans relativement récents, dont l’âge n’excède pas 500 millions d’années. Quant à l’Union soviétique, elle change aussi d’objectif après le succès de la mission Vega : à la fin des années 1980, elle se tourne de nouveau vers Mars avec la mission Phobos, avec un succès très limité. Plus tard, la Russie lance Mars-96 et Phobos-Grunt, mais le contexte politique et économique a changé. Ces deux dernières tentatives seront des échecs ; c’est le déclin de la puissance spatiale soviétique.
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F IGURE 3.6. La mission Magellan de la NASA apporte une avancée majeure dans notre connaissance de la surface de Vénus. Grâce à un radar placé en orbite autour de la planète, capable de sonder au travers des épais nuages d’acide sulfurique, la sonde Magellan parvient à cartographier, entre 1992 et 1994, la quasitotalité de la surface de la planète. Cette image en fausses couleurs représente Maats Mons, le volcan le plus élevé de la planète. © NASA.
3.7
Le renouveau de l’exploration martienne
Nous voici maintenant à la fin des années 1990. La NASA se tourne à nouveau vers Mars avec une nouvelle piste. Si la mission Viking n’a pas détecté la vie à la surface de Mars, on ne peut exclure que celle-ci ait existé – voire qu’elle existe encore – dans certains sites privilégiés, protégés des rayonnements ultraviolets qui détruisent la matière organique. Les images de Viking ont en effet montré la présence de réseaux fluviaux ramifiés, suggérant que l’eau liquide a pu couler en abondance dans le passé. Le climat de Mars pourrait-il avoir été plus chaud et plus humide au début de l’histoire de la planète ? La stratégie de la NASA se bâtit désormais autour du slogan « Follow the water ! » : il s’agit de mettre en évidence des sites où l’eau liquide a pu séjourner, créant un environnement « habitable ». L’engouement pour Mars a aussi bondi grâce à une annonce spectaculaire faite par la NASA en 1996 : des traces de vie fossilisée auraient été découvertes dans une météorite provenant de Mars, découverte en 1984 en Antarctique ! De telles météorites martiennes ont déjà été identifiées dans le passé : il s’agit du groupe des SNC (shergottite, nahklite, chassignite), ainsi appelées d’après le nom du site où elles sont tombées. On en compte un peu plus d’une centaine, soit une infime fraction (environ deux millièmes) de la population totale des météorites. Leur origine martienne est établie, avec une très grande probabilité, par 42
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F IGURE 3.7. La météorite martienne ALH84001. Elle a été découverte dans les Allan Hills en Antarctique (d’où son nom) en décembre 1984. D’un poids d’environ deux kilogrammes, elle aurait été éjectée de Mars il y a environ 16 millions d’années, et serait tombée sur Terre il y a 13 000 ans. L’âge de sa formation (4,5 milliards d’années) fait de ALH84000 la plus vieille météorite martienne connue. Elle est célèbre pour la controverse suscitée par l’observation de tubulures présentant des analogies avec des nano-bactéries. L’explication généralement admise aujourd’hui par la communauté scientifique est une contamination par l’environnement terrestre. © Wikipedia (https://fr.wikipedia.org/wiki/ALH_84001).
les similitudes de composition chimique et isotopique avec les mesures de l’atmosphère martienne réalisées par les sondes Viking. Suite à de violents impacts, des blocs de roche ont été éjectés de la surface de Mars et voyagent dans le Système solaire ; certains d’entre eux finissent happés par le champ gravitationnel terrestre. Dans le cas présent, la météorite ALH84001 (Fig. 3.7) est exceptionnelle par son âge. C’est l’une des plus anciennes météorites répertoriées : elle se serait formée il y a plus de 4,5 milliards d’années, puis aurait été éjectée de la surface de Mars suite à un autre impact violent il y a 16 millions d’années, pour être capturée par la Terre après un long voyage interplanétaire. L’équipe de David McKay, auteur de la découverte, annonçait la présence de traces de vie fossile dans la météorite sur la base de plusieurs arguments : (1) la présence de globules carbonatés et de structures proches de celles de matériaux terrestres biogéniques carbonatés, découverts dans les fissures de la roche où l’eau se serait écoulée il y a quelque 3,6 milliards d’années ; (2) la présence de molécules organiques complexes, les « PAH » (polycyclic aromatic hydrocarbons, ou hydrocarbures aromatiques polycycliques) qui pourraient résulter d’une altération microbienne ; (3) l’existence de particules de magnétite et de sulfure de fer qui pourraient provenir de réactions impliquant la chimie biologique LES PLANÈTES ET LA VIE
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sur Terre ; (4) la présence de structures ovoïdes ou en forme de vers (les « nanobactéries ») ressemblant à d’anciens microbes fossilisés, mais cependant beaucoup plus petits que ceux-ci. Du faisceau d’arguments proposé par les auteurs, aucun élément ne constituait une preuve définitive en soi, et chaque indice a fait l’objet de vives controverses. L’origine endogène des biomarqueurs observée a été contestée, certaines études concluant à une forte probabilité de contamination de la météorite en Antarctique par des matériaux organiques environnants. À l’heure actuelle, la communauté scientifique se rallie dans son ensemble à cette interprétation. L’existence de cette météorite exceptionnelle n’en reste pas moins très importante pour notre compréhension du passé lointain de Mars. Formée au tout début de l’histoire de la planète, dans un milieu tempéré, humide et réducteur, ALH84001 nous apprend que Mars a connu, dans ses premiers âges, des conditions initiales plus favorables à la vie que celles d’aujourd’hui, puisque des molécules organiques ont pu y séjourner sans être immédiatement oxydées et détruites. À la fin du XXe siècle, la scène est donc en place pour un renouveau de l’exploration spatiale martienne. Cependant, l’aventure commence mal. La sonde Mars Observer, lancée en 1992, a perdu le contact avec la Terre alors qu’elle arrivait à proximité de l’orbite martienne. Cet échec incite la NASA à s’orienter vers des missions moins coûteuses, quitte à être plus risquées : c’est le concept « faster, better, cheaper », qui conduit au lancement de deux missions à la fin 1996 : l’orbiteur Mars Global Surveyor et le module de descente Mars Pathfinder, équipé d’un petit robot capable de se déplacer, Sojourner. En effet, pour étudier en détail l’environnement, il ne suffit plus de se poser en un point de la surface : il faut pouvoir se déplacer pour rechercher l’environnement le plus propice. D’où une nouvelle génération de missions incluant des orbiteurs et des modules de descente, mais aussi des véhicules de surface. Cette fois, les deux missions sont couronnées de succès. À l’actif de Mars Global Surveyor, il faut mentionner deux découvertes remarquables : d’une part, celle d’un champ magnétique rémanent dans les terrains les plus anciens de l’hémisphère sud, témoin de l’existence d’une dynamo interne au début de l’histoire de la planète ; d’autre part, la mise en évidence d’une « ligne de rivage », s’étendant à altitude constante sur plus d’un millier de kilomètres, qui pourrait témoigner de la présence d’un océan boréal il y a plus de trois milliards d’années (Fig. 3.8). Quant à la mission Mars Pathfinder, surtout conçue à des fins technologiques, elle remplit elle aussi sa mission, et le robot Sojourner se déplace avec succès à la surface de Mars. Cependant, deux ans plus tard, avec la mission Mars Surveyor 98, la NASA connaît à nouveau un double échec. L’orbiteur Mars Climate Orbiter, lancé en décembre 1998, est perdu lors de sa mise en orbite, en septembre 1999 ; on découvrira peu après que l’erreur provient d’une confusion entre les deux 44
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F IGURE 3.8. Cartographie de l’altimétrie de Mars, réalisée avec l’expérience de radar-altimétrie de la mission Mars Global Surveyor. On voit que la planète présente une asymétrie notable, l’hémisphère nord ayant une altitude moyenne sensiblement inférieure à celle de l’hémisphère sud ; la cause de cette asymétrie n’est pas comprise. La « ligne de dichotomie », proche de l’équateur, séparant les plaines du nord des reliefs plus anciens du sud présente par endroits une altitude rigoureusement constante. Elle suggère le vestige possible d’une ligne de rivage qui aurait marqué le contour d’un océan boréal d’eau liquide il y a quelque trois milliards d’années. © NASA.
systèmes d’unité différents (système américain et système métrique) utilisés par les constructeurs du satellite et les responsables de la navigation de la NASA ! Quant à la sonde Mars Polar Lander, lancée en janvier 1999, elle est aussi perdue en décembre 1999 lors de son entrée dans l’atmosphère martienne. Ces échecs, auxquels s’ajoutent ceux de la sonde russe Mars-96 et de la sonde japonaise Nozomi lancée en 1998, illustrent que, vingt ans après le succès de la mission Viking, il reste extrêmement difficile de réussir une mise en orbite autour de Mars, et a fortiori de se poser à sa surface. . . surtout à haute latitude. Heureusement, avec le passage au nouveau millénaire, la NASA renoue avec le succès. C’est d’abord l’orbiteur Mars Odyssey, lancé en 2001, qui découvre, grâce à son spectromètre à rayons gamma, une importante quantité d’eau LES PLANÈTES ET LA VIE
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F IGURE 3.9. Cartographie de l’abondance d’eau contenue sous le sol de la surface de Mars, obtenue par le spectromètre en rayons gamma de la mission Mars Odyssey. Par analyse du rayonnement gamma émis par la surface, l’instrument a pu mettre en évidence des atomes d’hydrogène (liés à la présence de la molécule H2 O) en quantités importantes sous les pôles de la planète. L’eau est piégée sous la surface sous la forme de pergélisol ou de glace d’eau. © NASA.
piégée sous les calottes polaires (Fig. 3.9). Puis l’année 2003 voit le lancement de deux rovers identiques, Spirit et Opportunity, qui fonctionneront pendant plusieurs années : Spirit jusqu’en 2010, Opportunity jusqu’en 2018. Après quinze ans de fonctionnement, le robot Opportunity a ainsi parcouru plus de 45 kilomètres, bien au-delà des objectifs initiaux de la mission. L’année 2003 voit aussi l’entrée de l’Agence spatiale européenne dans l’exploration de Mars avec l’orbiteur Mars Express, qui reprend en partie l’instrumentation de la mission Mars-96. En dépit de l’échec de son module de descente Beagle 2 qui s’écrase au sol, l’orbiteur Mars Express, toujours en opération aujourd’hui, est un plein succès. Trois instruments sont particulièrement innovants : le spectromètre imageur fonctionnant dans l’infrarouge, qui permet d’étudier la minéralogie de la surface, le spectromètre UV/IR observant l’atmosphère martienne lors des occultations solaires et stellaires, et enfin le radar permettant de rechercher l’eau présente sous la surface. La complémentarité des mesures de Mars Express et des rovers martiens s’est avérée très importante pour l’étude de la minéralogie martienne et de l’histoire de l’eau dans les premiers âges de la planète. 46
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Les succès s’enchaînent du côté de la NASA, avec l’orbiteur Mars Reconnaissance Orbiter (MRO), lancé en 2005, puis le module de descente Phoenix, lancé en 2007 et déposé à proximité du pôle nord, suivi du Mars Science Laboratory avec son rover Curiosity, un ambitieux laboratoire mobile destiné à rechercher des traces de vie passée ou, à défaut, les signes d’un environnement habitable. S’il ne trouve pas ou très peu de molécules organiques, Curiosity découvre des roches sédimentaires stratifiées témoignant de l’existence d’eau liquide passée et d’un environnement habitable il y a trois à quatre milliards d’années (Fig. 3.10). Autre résultat remarquable, le robot détecte une émission temporaire de méthane, qui pourrait confirmer d’autres résultats plus anciens et sujets à controverse. En 2013, c’est le lancement de l’orbiteur MAVEN (Mars Atmosphere Volatile EvolutioN), destiné à la mesure de l’échappement atmosphérique ; l’objectif est cette fois de déterminer ce qu’a pu être l’atmosphère primitive de la planète pour mieux comprendre les mécanismes de son évolution. Les missions Curiosity et MAVEN sont encore en opération, de même que Mars Express et l’orbiteur MRO qui assure le relais et le transfert des données vers la Terre. Du côté de l’Europe et de la Russie, on prépare aussi la suite de Mars Express. C’est le programme ExoMars, composée de deux volets. Le premier est l’orbiteur Trace Gas Orbiter, destiné à rechercher les gaz atmosphériques les plus minoritaires, à commencer par le méthane dont l’existence n’est pas encore vraiment prouvée. Lancé en mars 2016, le vaisseau spatial réussit sa manœuvre d’insertion en octobre 2016 mais l’atterrissage du module de descente Schiaparelli se solde par un échec. Le second volet est le robot ExoMars 2020, actuellement en développement, qui devrait entrer en opération en même temps que le véhicule Mars2020 de la NASA, programmé pour la même date. Directement dérivé du robot Curiosity, Mars2020 aura pour premier objectif le choix et la collecte d’échantillons du sol martien, destinés à être rapatriés sur Terre dans le cadre d’une mission ultérieure dite Mars Sample Return. Celle-ci, extrêmement ambitieuse et coûteuse, est actuellement en phase de définition (voir chapitre 9).
3.8
Le retour vers Vénus
Vingt ans après la dernière mission spatiale soviétique vers Vénus – la mission Vega et ses ballons – et dix ans après la mission américaine Magellan, c’est l’Europe qui se tourne à nouveau vers Vénus. En novembre 2005, elle lance la mission Venus Express qui opèrera en orbite autour de la planète entre 2005 et 2015. Son objectif principal est de comprendre la circulation atmosphérique de la planète, qui est caractérisée par une rotation longitudinale accélérée de l’atmosphère par rapport à la surface, avec un tour en quatre jours. La sonde Venus LES PLANÈTES ET LA VIE
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F IGURE 3.10. Le site de Yellowknife Bay, dans le cratère Gale, a été identifié par le robot Curiosity comme un environnement « habitable », c’est-à-dire réunissant les critères nécessaires à l’apparition de la vie : milieu neutre, salinité faible (eau douce), présence des éléments clés (C, H, N, O, P, S), et présence de fer et de soufre dans différents états d’oxydation. Les strates minéralogiques témoignent de la présence d’un lac il y a quelque trois à quatre milliards d’années. © NASA/JPL-Caltech/MSSS.
Express doit aussi étudier la structure nuageuse et sa variabilité, et rechercher des indices d’une activité volcanique présente, afin de mieux comprendre l’effet de serre sur la planète. Placé sur une orbite très elliptique favorisant l’observation rapprochée des pôles de Vénus, le vaisseau spatial est équipé de la panoplie classique d’instruments de sondage à distance (caméra, spectromètres fonctionnant dans l’ultraviolet et l’infrarouge, magnétomètre), avec en complément la possibilité pour un spectromètre d’observer des occultations solaires et stellaires ; cette technique, très sensible, permet d’acquérir les profils verticaux des paramètres atmosphériques au-dessus de la couche nuageuse. Parmi les principaux résultats de Venus Express, il faut citer la première observation du vortex géant du pôle Sud, similaire à celui du pôle Nord découvert par Pioneer Venus, l’observation détaillée des ondes et des cellules de convection présentes dans les couches nuageuses, la caractérisation des champs de température et de vitesse, la découverte d’émissions d’oxygène et de gaz carbonique à haute altitude du côté nuit de la planète (Fig. 3.11), la mise en évidence probable, en certains endroits, d’un volcanisme récent de quelques centaines de milliers d’années au plus, et enfin la découverte non ambiguë d’éclairs observés dans le domaine radio. Parallèlement à l’initiative européenne, l’agence japonaise JAXA lance en mai 2010 la mission Akatsuki. Comme Venus Express, il s’agit d’un orbiteur 48
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F IGURE 3.11. La sonde Venus Express, en orbite autour de la planète Vénus, a étudié en détail les mécanismes de sa circulation atmosphérique. En particulier, elle a mis en évidence l’existence d’une circulation sub-solaire – antisolaire, transportant les atomes d’oxygène provenant de la photodissociation du gaz carbonique CO2 sur le côté jour. Ces atomes, transportés du côté nuit, se recombinent dans la haute atmosphère pour produire de l’oxygène O2 excité, détectable sur le côté nuit par son rayonnement de fluorescence à 1,27 µm de longueur d’onde. © ESA/VIRTIS/Venus Express.
dédié à l’étude de l’atmosphère de Vénus, placé cette fois en orbite équatoriale, de façon à compléter les mesures européennes. Malheureusement, en décembre 2010, Akatsuki échoue dans sa manœuvre d’insertion en orbite planétaire et part en orbite autour du Soleil pour une durée de cinq ans. En décembre 2015, à l’occasion d’un nouveau passage à proximité de Vénus, les scientifiques japonais réalisent l’exploit de réinsérer Akatsuki en orbite vénusienne. Grâce à ses passages à proximité immédiate des zones équatoriales, la caméra d’Akatsuki obtient des images spectaculaires de la complexité des couches nuageuses et de leur évolution. Elle met aussi en évidence pour la première fois, dans la basse atmosphère de Vénus, la présence d’ondes de gravité modulées par la topographie de la surface.
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3.9
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Les planètes Mars et Vénus aujourd’hui
Au terme de cinquante années d’exploration spatiale, que savons-nous de nos voisines planétaires, Mars et Vénus ? C’est ce que nous allons tenter de résumer ci-dessous. Avec sa période de rotation et son cycle saisonnier proches des valeurs terrestres, la planète Mars apparaît bien comme notre voisine la plus proche en termes de conditions d’exploration et d’habitabilité. Certes, la température y est fort basse, la pression très faible et la vapeur d’eau quasiment absente, mais les cycles diurnes et saisonniers rappellent ce que nous connaissons sur Terre. L’évolution atmosphérique de Mars, au rythme du cycle saisonnier de deux années terrestres, est marquée par trois cycles. Le premier est celui du gaz carbonique, le constituant atmosphérique majeur qui se condense alternativement pour former des calottes polaires en hiver, induisant des variations de 30 % de la pression atmosphérique moyenne ; le second est celui de l’eau qui, bien que très peu abondante en phase gazeuse (moins du millième de la pression totale), se condense, elle aussi, alternativement aux pôles, créant des calottes saisonnières. Enfin le troisième cycle est celui de la poussière. Il est dû à l’excentricité (proche de 10 %) de l’orbite martienne, qui se traduit par des étés particulièrement chauds dans l’hémisphère sud à proximité du périhélie ; les différences de température entre les hémisphères nord et sud génèrent alors des vents violents, susceptibles de produire des tempêtes de poussières qui parfois recouvrent l’ensemble de la planète. La composition atmosphérique de Mars est dominée, nous l’avons vu, par le gaz carbonique CO2 et l’azote moléculaire N2 . S’y ajoutent l’argon (dans les mêmes proportions que N2 ), l’oxygène moléculaire et d’autres constituants à l’état de trace, dont la vapeur d’eau H2 O et le monoxyde de carbone CO. Les missions Mariner 9 et Viking ont révolutionné notre connaissance de Mars. Elles nous ont fait découvrir ses énormes volcans, les plus hauts du Système solaire, ainsi que l’immense canyon Valles Marineris. Elles ont montré que la planète ne possède pas de champ magnétique intrinsèque ; en revanche, la mission Mars Global Surveyor a découvert l’existence d’un champ magnétique fossile dans les terrains les plus anciens, preuve de l’existence d’une dynamo interne au tout début de son histoire. Enfin, l’exploration spatiale de Mars a aussi mis en évidence une énigme qui n’est toujours pas résolue : l’histoire de l’eau sur la planète. Les premières images des sondes spatiales ont en effet montré la présence de réseaux fluviaux dans les terrains les plus anciens, ainsi que de vallées de débâcle, attestant d’épisodes d’inondations catastrophiques dans un passé plus récent. Les missions spatiales suivantes n’ont fait qu’apporter d’autres indices, tous convergents, en faveur de la présence d’eau liquide dans le passé 50
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lointain de la planète ; nous y reviendrons. L’eau liquide a donc coulé à la surface de Mars au cours de l’histoire de la planète, mais comment réconcilier ces faits avec les conditions actuelles de l’atmosphère martienne qui rendent impossible la présence d’eau liquide aujourd’hui ? C’est ce que nous discuterons dans le chapitre 4. Bien que plus proche de la Terre que Mars, à la fois par sa distance et par ses dimensions, Vénus nous apparaît d’emblée radicalement différente. Nous avons vu que la pression écrasante et la température torride qui règnent à sa surface, alliées à la présence d’un plafond nuageux d’acide sulfurique à une altitude de 60 km, rendent son exploration in situ très difficile ; de plus, Vénus présente d’autres singularités. À l’inverse des autres planètes du Système solaire (à l’exception d’Uranus dont l’axe de rotation est très proche du plan de l’écliptique), l’axe de rotation est orienté de presque 180◦ par rapport à l’écliptique, ce qui implique qu’elle tourne dans le sens rétrograde ; les raisons de cette particularité ne sont pas clairement établies. La planète est aussi en rotation très lente sur elle-même, puisque sa période de rotation est de 243 jours, alors que sa période de révolution autour du Soleil est de 225 jours. Cependant, un phénomène de super-rotation accélère les vents pour culminer à l’altitude des nuages avec une période d’environ quatre jours ; ce phénomène, sans doute lié à la très faible vitesse de rotation du globe et à l’épaisseur de l’atmosphère, reste aujourd’hui mal compris. Comme l’atmosphère martienne, l’atmosphère de Vénus est dominée par du CO2 et N2 , avec des traces de H2 O et de CO. À la différence de Mars, on y trouve aussi des espèces soufrées : SO2 , H2 O, OCS et bien sûr les nuages d’acide sulfurique H2 SO4 . Enfin, comme Mars, Vénus est dénuée de champ magnétique. Les recherches menées aujourd’hui dans le cadre de l’exploration de Vénus visent à mieux comprendre les mécanismes de sa circulation atmosphérique, en particulier la nature des tourbillons (vortex) qui entourent les pôles en permanence. Une autre question qui fait débat est la présence ou non d’un volcanisme actif aujourd’hui à la surface de Vénus. En effet, il est extrêmement difficile de sonder la surface de Vénus puisqu’elle est masquée par une couche nuageuse épaisse. Il existe, dans l’infrarouge proche, quelques fenêtres spectroscopiques dans lesquelles le rayonnement pénètre jusqu’au sol, mais la diffusion par l’atmosphère rend les images floues, si bien que la précision en surface ne peut être meilleure que la centaine de kilomètres. Certaines mesures de la sonde Venus Express semblent indiquer la présence d’un volcanisme relativement récent (moins de quelques millions d’années). Les variations de l’abondance du dioxyde de soufre, observées au sommet des nuages depuis quelques dizaines d’années, pourraient aussi être la signature d’une activité volcanique présente ; mais il ne s’agit que d’une hypothèse. Nous aborderons dans le chapitre 5 la question de LES PLANÈTES ET LA VIE
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l’évolution de Vénus au cours de son histoire, suite à l’effet de serre qui a radicalement transformé la Vénus primordiale pour l’amener aux conditions extrêmes d’aujourd’hui. 3.10
Entre Vénus et Mars, la Terre. . .
Essayons maintenant de replacer la planète Terre par rapport à ses voisines. L’histoire de son exploration n’a évidemment rien à voir avec celle de Mars et de Vénus, mais elle est, elle aussi, jalonnée d’étapes qui nous ont fait découvrir la nature de son atmosphère et de sa structure interne. Comme dans le cas des autres planètes terrestres, notre connaissance de l’atmosphère remonte aux premières études de Galilée, suivies des mesures de température et de pression, faites par Evangelista Torricelli et Blaise Pascal. La composition atmosphérique, avec ses principaux constituants N2 et O2 , date de la fin du XVIIe siècle, notamment grâce à Antoine Lavoisier. Les découvertes se multiplient du XVIIe au XIXe siècle, grâce à l’envoi de nacelles et de ballonssondes, jusqu’à la découverte de la stratosphère en 1899. Dans la première moitié du XXe siècle, l’emploi de radio-sondes permet de retransmettre les mesures de température et de pression depuis la haute atmosphère, et un réseau de surveillance se met en place pour étudier les conditions météorologiques jusqu’à la stratosphère, à une altitude d’environ 40 kilomètres ; c’est le niveau de formation de la couche d’ozone, dont la présence a été mise en évidence en 1913. Enfin, les années 1960 voient l’essor de l’exploration spatiale, dont notre planète est la première bénéficiaire. Après les fusées qui permettent de sonder la haute atmosphère jusqu’à 150 km, les satellites en orbite terrestre permettent une surveillance permanente des conditions météorologiques sur l’ensemble de la planète. L’exploration de la structure interne de la Terre a pris plus de temps que celle de son atmosphère. Si le rayon de la Terre est connu depuis les travaux d’Eratosthène, sa masse n’a été déterminée qu’à la fin du XVIIIe siècle suite aux travaux de Newton, de Nevil Maskelyne et de Henry Cavendish. Notre connaissance de la structure interne terrestre date du XXe siècle. Elle s’est d’abord appuyée sur les études minéralogiques et géologiques de la surface terrestre. La minéralogie a mis en évidence la variété des silicates, associant au silicium et à l’oxygène divers éléments (Al, K, Ca, Fe. . . ) et aussi l’eau, quand ils sont sous forme hydratée. Les oxydes sont également abondants, comme l’oxyde de fer Fe2 O3 et le carbonate de calcium CaCO3 , présent au fond des océans. Les observations géologiques ont permis d’étudier les déformations des couches plissées et de sonder la croûte terrestre (jusqu’à 15 km, et jusqu’à plusieurs 52
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centaines de kilomètres avec l’étude des laves) et la couche océanique (jusqu’à trois kilomètres). En parallèle, des expériences de laboratoire ont permis de reconstituer des conditions de température et de pression élevées (5 000 ◦ C, 1 Mbar). Mais notre vision de l’intérieur de notre planète s’est considérablement améliorée dans le courant du XXe siècle, grâce à deux progrès majeurs, l’étude des ondes sismiques et celle de la dérive des continents. Les ondes sismiques sont de deux types. Les ondes internes (ou volumiques) se déplacent avec des vitesses dépendant du milieu rencontré ; il s’agit des ondes de pression qui vibrent longitudinalement, ou des ondes de cisaillement qui vibrent transversalement. Les ondes superficielles se déplacent à vitesse constante quelle que soit la nature du milieu qu’elle traversent. Dès le début du XXe siècle, des réseaux de sismomètres ont été mis en place pour étudier la structure interne de la Terre à partir des ondes sismiques produites lors des tremblements de terre. Au vu de la discussion du chapitre précédent sur la formation des planètes terrestres, à quoi pouvons-nous attendre pour la composition du globe terrestre, ainsi que pour celle des planètes voisines ? On peut admettre que la composition chimique élémentaire des planètes telluriques ne diffère pas de celle du Soleil et des chondrites carbonées en ce qui concerne les éléments réfractaires. À leur formation, les planètes étaient très chaudes en raison de l’énergie apportée par les collisions entre les fragments solides dont elles se sont formées, et étaient donc liquides : on estime que la température initiale de la Terre était d’environ 4 700 ◦ C. Alors, les atomes et les composés se sont triés par gravité, les plus lourds se concentrant dans les régions centrales : c’est la différenciation. Les éléments les plus lourds que sont le fer, le cobalt, le nickel et les éléments réfractaires suivants du tableau de Mendeleïev, se sont amassés en un noyau central tandis que le reste flottait au-dessus tout en se refroidissant. La différenciation a concerné tous les objets de la partie interne du Système solaire suffisamment gros pour que leur gravité soit appréciable. La structure interne de la Terre (Fig. 3.12) résulte de ce processus de différenciation, compliqué par la gigantesque collision qui a formé la Lune environ 50 millions d’années après la naissance de la Terre. L’étude de la propagation des ondes sismiques a permis de déterminer la structure interne de la Terre (Fig. 3.12), et aussi de savoir si le milieu est solide ou liquide. Les discontinuités dans leur vitesse de propagation indiquent des changements de phase. C’est ainsi que l’on constate que le noyau est solide dans sa partie centrale en raison d’une pression très élevée, jusqu’à environ 1 000 km de rayon, puis devient liquide jusqu’à sa limite à 3 400 km de rayon : c’est dans cette partie liquide, conductrice de l’électricité et animée de mouvements convectifs, que l’effet dynamo engendre le champ magnétique terrestre. LES PLANÈTES ET LA VIE
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F IGURE 3.12. La structure interne de la Terre. À gauche, vitesse des ondes sismiques en fonction de la profondeur. Les ondes P sont des ondes de pression analogues aux ondes sonores. Les ondes S sont des ondes de cisaillement pour lesquelles les particules oscillent perpendiculairement à la direction de propagation de l’onde. À droite, les différentes couches. La chute subite de la vitesse des ondes P au contact du manteau et du noyau indique le passage de l’état solide à l’état liquide, dans lequel les ondes S ne peuvent pas exister. La partie solide de la surface de la Terre (continents et fond des océans), la lithosphère, flotte sur le manteau supérieur, dont la plasticité permet la dérive des continents. D’après PierreAndré Bourque (1940-2006), Université Laval, Québec.
Quant au manteau qui surmonte le noyau, il comporte deux couches : un manteau supérieur de 700 km d’épaisseur surmontant un manteau inférieur épais de 2 300 km. Le tableau 2.1 (p. 22) montre que les éléments les plus abondants y sont le magnésium, le silicium et le soufre, avec un peu moins d’aluminium et de calcium. Cependant, certains éléments très lourds comme l’uranium s’y rencontrent aussi car ils se sont combinés avec d’autres éléments du manteau avant de pouvoir descendre dans le noyau. Pour des raisons analogues, il subsiste aussi un peu de fer dans le manteau, et une quantité non négligeable d’éléments 54
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F IGURE 3.13. La dérive des continents, d’après A. Wegener, L’origine des continents et des océans, 1930. La figure du haut représente l’ère secondaire (-200 millions d’années), celle du milieu l’Eocène (-45 millions d’années) et celle du bas le début du Quaternaire (-2 millions d’années). © Wikipedia Commons.
légers se trouvent dans le noyau. Les éléments du manteau sont principalement sous la forme de silicates, par exemple dans le manteau supérieur l’olivine (Fe, Mg)2 SiO4 , le magnésium étant dominant. C’est un changement de phase qui produit la différenciation entre le manteau supérieur et le manteau inférieur, où l’olivine se décompose en pérovskite (Fe, Mg)SiO3 et en magnésiowurstite (Fe, Mg)O. Le manteau supérieur ou asthénosphère est relativement plastique et présente de la convection, ce qui permet les mouvements de la croûte qui le LES PLANÈTES ET LA VIE
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surmonte, la lithosphère. C’est ici qu’intervient la seconde grande découverte du XXe siècle : la dérive des continents. Son auteur, Alfred Wegener, s’est basé sur plusieurs arguments, en particulier la similitude du tracé des côtes de part et d’autre de l’Atlantique sud et de l’océan Indien (Fig. 3.13), et l’identité de formations géologiques et d’espèces fossiles rares présentes sur des continents très éloignés aujourd’hui. Cependant, l’hypothèse de la tectonique des plaques fut (à tort) réfutée en son temps, car le mécanisme responsable de la dérive des continents – la convection du manteau supérieur – était alors inconnu ; il ne fut mis en évidence que dans les années 1960 avec la découverte des dorsales océaniques. La tectonique des plaques se traduit par un mouvement d’émergence du matériau issu du manteau – la lithosphère océanique – au niveau des dorsales océaniques, accompagné d’un mouvement de subduction d’une quantité équivalente de la lithosphère sous la croûte continentale. La lithosphère est découpée en une quinzaine de plaques principales dont les frontières sont le siège de séismes et d’éruptions volcaniques. La tectonique des plaques est une singularité propre à la Terre : les autres planètes terrestres en sont démunies, au moins actuellement, et nous verrons que ce phénomène pourrait avoir son importance quand il s’agit d’habitabilité d’une planète. 3.11
Vers une étude comparative des planètes terrestres
Après plusieurs siècles d’observation et plus de cinquante années d’exploration spatiale, nous avons accumulé sur Vénus, la Terre et Mars suffisamment d’informations pour pouvoir tenter une étude comparative de ces trois planètes. Certains aspects restent mal connus : c’est le cas de la structure interne de nos planètes voisines. La mission américaine InSight, en opération à la surface de Mars depuis novembre 2018, devrait nous renseigner sur la structure interne de Mars dans les années qui viennent, grâce au sismographe SEIS fourni par la France et d’autres pays européens. Il est néanmoins déjà possible de dresser un bilan de ce que nous savons des trois planètes, depuis leur intérieur jusqu’à leur interaction avec le milieu interplanétaire, pour tenter de comprendre les raisons de leurs évolutions divergentes. C’est ce que nous allons étudier dans le chapitre suivant.
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Vénus, la Terre et Mars : une évolution divergente
Des quatre planètes proches du Soleil – Mercure, Vénus, la Terre et Mars – trois sont dotées d’une atmosphère stable. Mercure, la plus proche et la plus petite des planètes telluriques, ne possède qu’une exosphère transitoire, produit de l’interaction des ions du vent solaire avec les atomes de la surface. Pourquoi n’y a-t-il pas d’atmosphère neutre sur Mercure ? La raison en est son faible champ de gravité, couplé à la température de surface très élevée du côté jour. Du fait de la très lente rotation de la planète et de la longue durée du jour, la température de surface y dépasse 400 ◦ C ; la vitesse d’échappement des molécules n’est que de 4 km/s, insuffisante pour conserver par gravité une atmosphère neutre. Mercure ne fait donc pas partie des candidates à l’habitabilité dans le Système solaire. Revenons aux trois autres planètes terrestres, la Terre et ses deux voisines, Vénus en deçà de la Terre vis-à-vis du Soleil et Mars plus lointaine. Leurs caractéristiques orbitales et physiques sont résumées dans le tableau 4.1, et le tableau 4.2 indique leur composition atmosphérique. Nous avons déjà noté que les trois planètes présentent des différences profondes, tant dans leurs conditions physiques que dans leurs propriétés dynamiques. Tout d’abord, elles diffèrent par leur taille et leur densité. Alors que Vénus et la Terre ont des masses, des volumes et donc des densités comparables, la planète Mars est sensiblement plus petite, avec une masse égale au dixième de la masse terrestre, un rayon proche de la moitié du rayon terrestre et une densité nettement inférieure à celle de la Terre. Comment expliquer cette différence ? Nous avons vu ci-dessus qu’une explication possible pourrait provenir de la migration des planètes géantes : en se rapprochant du Soleil, Jupiter aurait atteint l’orbite de Mars avant de
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TABLEAU 4.1. Paramètres orbitaux et physiques des planètes Vénus, Terre et Mars.
Paramètre
Vénus
Terre
Mars
Demi-grand axe
0,72 ua
1,00 ua
1,52 ua
Excentricité
0,007
0,017
0,093
Inclinaison sur l’écliptique
3,39◦
0,00◦
1,85◦
Période de révolution sidérale
224,7 jours
365,24 jours
687,0 jours
Masse/Masse terrestre
0,815
1,00
0,107
Rayon équatorial/Rayon terrestre
0,95
Densité
5 200
1,00 kg/m3
5 520
0,53 kg/m3
3 930 kg/m3
Période de rotation
243 jours
23,93 heures
24,6 heures
Obliquité
177,33◦
23,45◦
25,19◦
Accélération gravitationnelle à l’équateur
8,87 m/s2
9,81 m/s2
3,71 m/s2
Échelle de hauteur au-dessus de la surface
15,9 km
8,5 km
10,3 km
Pression moyenne à la surface
93,3 bars
1,0 bar
6 mbars
Température moyenne à la surface
735 K
288 K
215 K
Vitesse de libération
10,46 km/s
11,2 km/s
5,03 km/s
repartir vers l’extérieur sous l’effet du champ de gravité de Saturne. L’irruption de Jupiter aurait alors interrompu la croissance de Mars en dispersant les planétésimaux proches de son orbite, avant que la planète n’ait terminé sa phase d’accrétion. Cette hypothèse a l’avantage de rendre compte de la faible masse de Mars, difficile à expliquer dans un scénario classique d’accrétion des planétésimaux. Elle est malheureusement difficile à vérifier, car on ne peut remonter à l’histoire dynamique des planètes terrestres dans le premier milliard d’années ; en effet, les solutions des simulations numériques deviennent chaotiques. Nous en sommes donc réduits aux hypothèses. 4.1
L’étonnante variété des planètes terrestres
Commençons par l’aspect de leur surface, et de ce que nous savons de leur intérieur. À 0,7 ua du Soleil, l’atmosphère de Vénus est une fournaise, avec une température au sol d’environ 460 ◦ C et une pression de plus de 90 bars, soit 90 fois la pression atmosphérique terrestre moyenne. Sa surface, cachée par une couche épaisse de nuages principalement constitués d’acide sulfurique, est couverte de volcans dont l’existence nous a été révélée par le radar de la sonde 58
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TABLEAU 4.2. Composition atmosphérique des planètes Vénus, Terre et Mars. Les rapports de mélange (en volume) sont mesurés dans la troposphère (ppm = partie par million ; ppb = partie par milliard).
Constituant atmosphérique
Vénus
Terre
Mars
Dioxyde de carbone (CO2 )
96,5 %
400 ppm
95,7 %
Argon (Ar)
70 ppm
0,93 %
2,07 %
Azote moléculaire (N2 )
3,5 %
78,1 %
2,03 %
Oxygène moléculaire (O2 )
-
20,95 %
0,173 %
Monoxyde de carbone (CO)
17 ppm
0,01 ppm
0,750 %
Vapeur d’eau (H2 O)
30 ppm
0,4 %
0,03 % (variable)
Hydrogène moléculaire (H2 )
-
550 ppb
15 ppm
Hélium (He)
12 ppm
5,24 ppm
10 ppm
Néon (Ne)
7 ppm
18,2 ppm
2,5 ppm
Krypton (Kr)
-
1,14 ppm
300 ppb
Xénon (Xe)
-
Ozone (O3 )
90 ppb
80 ppb
0 - 70 ppb
40 - 200 ppb (variable)
Peroxyde d’hydrogène (H2 O2 )
-
-
0 - 40 ppb (variable)
Protoxyde d’azote (N2 O)
-
300 ppb
-
Dioxyde d’azote (NO2 )
-
20 ppb
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Méthane (CH4 )
-
1,79 ppm
0 - 40 ppb ? (variable)
Dioxyde de soufre (SO2 )
150 ppm
-
-
Sulfure de carbonyle (OCS)
20 ppm
-
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Sulfure d’hydrogène (H2 S)
1 - 3 ppm
-
Acide chlorhydrique (HCl)
100 - 600 ppb
-
-
Acide fluorhydrique (HF)
1 - 5 ppb
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Masse molaire moyenne
0,00435 kg/mol
0,029 kg/mol
0,00433 kg/mol
américaine Magellan. L’absence de cratères d’impact à la surface indique que ces volcans sont relativement jeunes, avec un âge moyen n’excédant pas quelques centaines de millions d’années ; dans les régions où le volcanisme est le plus récent, il ne date que de quelques millions d’années. Les missions vers Vénus n’ont détecté aucun signe de tectonique, donc le manteau de la planète pourrait n’être pas convectif, ce qui ne permettrait pas à des plaques de la croûte de se déplacer. Cette croûte (la lithosphère), rigide et non déformable, formée de roches semblables au granit et au basalte, aurait entre 10 et 30 km d’épaisseur. La chaleur accumulée progressivement sous la lithosphère pourrait se libérer LES PLANÈTES ET LA VIE
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périodiquement sous forme d’un volcanisme généralisé produisant un renouvellement global de la surface. Existe-t-il un volcanisme actif sur Vénus aujourd’hui ? La question, très débattue, n’a pas de réponse pour l’instant. À plus grande distance du Soleil, à 1,5 ua, la planète Mars est bien différente. Son atmosphère est extrêmement ténue, avec une pression de surface moyenne inférieure au centième de bar. La température au sol est très variable, oscillant entre environ -90 ◦ C et 15 ◦ C en fonction du cycle saisonnier. Du fait de son faible volume, l’atmosphère martienne réagit très rapidement aux fluctuations de l’insolation solaire, que celles-ci soient latitudinales ou saisonnières ; nous y reviendrons. La surface de Mars est directement accessible à l’observation et présente, elle aussi, des volcans : avec plus de 21 kilomètres d’altitude, Olympus Mons est le sommet le plus élevé du Système solaire (Fig. 4.1). C’est un volcan de type « point chaud », comme ceux d’Hawaii, et la longévité de son activité témoigne de l’absence sur Mars d’une tectonique des plaques analogue à celle de la Terre. En effet, il n’y a pas de signe de tectonique des plaques sur Mars aujourd’hui, mais le grand canyon Valles Marineris, qui s’étend sur une distance supérieure à un rayon planétaire, pourrait être la signature de son existence dans le passé. La lithosphère de Mars est très épaisse, d’environ 50 km en moyenne, et isole thermiquement l’intérieur qui perd sa chaleur plus lentement que la Terre. Cette croûte est bien plus épaisse dans l’hémisphère sud, où les reliefs sont plus élevés, que dans l’hémisphère nord de la planète, dominé par des plaines ; les raisons en sont mal comprises et font l’objet de discussions passionnées entre les spécialistes. Comme nous l’avons mentionné ci-dessus, les structures internes de Vénus et de Mars sont encore mal connues. On estime généralement que la structure interne de Vénus est semblable à celle de la Terre, avec un noyau métallique constitué principalement de fer et de nickel, surmonté d’un manteau et d’une croûte. Sans données sismologiques, on ne peut pas connaître directement le rayon du noyau comme cela a été fait pour la Terre, mais un modèle de structure interne fondé sur des données gravimétriques a été proposé : le noyau aurait 2 900 km de rayon. Est-il liquide ou solide ? L’absence de champ magnétique pourrait laisser à penser que Vénus n’a plus de noyau liquide, mais il se pourrait aussi que sa rotation soit trop lente pour que l’effet dynamo fonctionne. Cette rotation lente empêche aussi la détermination des moments d’inertie de la planète, qui auraient pu nous renseigner sur sa structure interne. On peut penser que la structure interne de Mars est la même que celle de la Terre et de Vénus. Cependant, il est difficile d’en dire plus pour le moment. Comme pour Vénus, aucune mesure sismique utilisable n’a encore été faite sur la planète, et on attend avec impatience les résultats du sismomètre européen SEIS porté par l’atterrisseur InSight de la NASA qui s’est posé sur le sol martien 60
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F IGURE 4.1. Olympus Mons, le plus haut volcan de la planète Mars, photographié par la caméra à haute résolution de la mission Mars Express. Avec une altitude de plus de 21 km, il est le plus haut volcan connu dans le Système solaire. © ESA.
en novembre 2018. En attendant, nous ne disposons que d’un modèle standard élaboré à partir de la connaissance du champ de gravitation et du moment d’inertie de la planète. Le noyau, dont le rayon serait de 1 500 à 1 800 km, soit la moitié environ du rayon de la planète, semble contenir en plus du fer et du nickel une quantité importante d’éléments plus légers, notamment du soufre, ce qui abaisserait le point de fusion et ferait qu’il est liquide. Le manteau de Mars est sans doute assez semblable à celui de la Terre. Sa composition chimique est dominée par des silicates riches en fer : l’abondance du fer et la présence de beaucoup d’éléments légers dans le noyau montrent que la différenciation entre le noyau et le manteau a été moins extrême que pour la Terre. Quant à la planète Terre, avec une pression moyenne de un bar en surface et une température moyenne de 15 ◦ C, elle occupe une position intermédiaire entre ces deux extrêmes. Vue de l’espace, sa surface, partiellement recouverte en permanence d’une couche de nuages de glace d’eau, présente une alternance de continents et d’océans d’eau liquide – une propriété unique dans le Système solaire. Comme ses voisines, elle montre une intense activité volcanique ; celleci est toujours présente, de même que la tectonique des plaques qui renouvelle LES PLANÈTES ET LA VIE
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le plancher océanique en 200 millions d’années environ. De plus, la Terre est dotée d’un champ magnétique intense, dû à un effet dynamo généré dans le noyau externe liquide de la planète. L’interaction de ce champ magnétique avec le vent solaire entraîne la formation d’une magnétosphère qui a pour effet de préserver l’atmosphère terrestre et de protéger la surface de l’irradiation par les particules énergétiques du vent solaire, qui serait néfaste pour l’apparition et le développement de la vie. En conclusion, la planète Terre se démarque de ses voisines par plusieurs aspects : l’existence d’océans liquides, le champ magnétique et la tectonique des plaques. Sur le plan dynamique, les trois planètes présentent aussi de grandes différences. Si leurs orbites sont presque circulaires et proches du plan de l’écliptique (Mars présentant toutefois une excentricité proche de 10 %), la rotation de Vénus est rétrograde et les effets saisonniers y sont quasiment nuls (voir Chap. 3). Contrairement à Vénus, Mars et la Terre ont en commun une obliquité proche de 25◦ et une période de rotation proche de 24 heures. Ces propriétés orbitales voisines leur confèrent des comportements saisonniers similaires, quoique exacerbés sur Mars du fait de la très faible épaisseur de l’atmosphère. Sur la Terre, une banquise se forme autour du pôle Nord en hiver ; sur Mars, des calottes de glace d’eau et de gaz carbonique se forment alternativement aux pôles en fonction des saisons. L’interaction avec le vent solaire prend aussi des formes différentes pour les trois planètes. La planète Vénus est dénuée de champ magnétique intrinsèque, ce qui peut s’expliquer en partie par sa rotation très lente (insuffisante pour générer un effet dynamo) et par sa structure interne moins différenciée que celle de la Terre. Vénus ne possède donc pas de magnétosphère et son ionosphère est en contact direct avec les particules du vent solaire. La Terre, en revanche, est dotée d’un champ magnétique intense qui génère une magnétosphère très complexe (Fig. 4.2) ; les aurores polaires en sont une manifestation. Quant à la planète Mars, elle ne possède pas de champ magnétique intrinsèque. Cependant, à la fin des années 1990, la sonde Mars Global Surveyor a mis en évidence les traces d’un champ magnétique fossile dans les roches les plus anciennes, situées dans l’hémisphère sud de la planète. Ce champ magnétique rémanent témoigne de l’existence passée d’une activité interne plus intense, capable de générer un effet dynamo et sans doute une magnétosphère au tout début de l’histoire de la planète. Il reste à comprendre comment et pourquoi cette activité interne a cessé, et quelles sont les conséquences pour l’évolution de l’atmosphère au cours de l’histoire de la planète. Enfin, il existe un dernier élément pouvant induire un comportement différent entre les trois planètes : il s’agit de la présence ou non de satellites. Le modèle de formation de la nébuleuse protosolaire ne prévoit pas l’existence d’un 62
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F IGURE 4.2. La magnétosphère de la Terre résulte de l’interaction du vent solaire avec le champ magnétique terrestre. Celui-ci a la structure d’un dipôle et est généré par les mouvements des ions et des électrons dans le noyau externe de la planète. Wikipedia
cortège de satellites autour des planètes telluriques. De fait, Mercure et Vénus en sont dépourvus ; Mars est entourée de deux très petits satellites dont l’origine fait d’ailleurs encore débat ; il s’agit sans doute de la capture de petits astéroïdes. Le cas du couple Terre-Lune constitue une exception, due sans doute à un événement catastrophique, la collision de la proto-Terre avec un objet de la taille de Mars. Cette collision aurait éjecté en orbite terrestre l’objet en question et une partie des matériaux de la jeune Terre ; les fragments se seraient ensuite agglomérés à nouveau pour former la Lune. Or la présence de la Lune autour de la Terre, dès le début de son histoire, semble avoir eu un effet décisif sur l’évolution de son obliquité. Selon des simulations numériques récentes, la Lune aurait eu pour effet de stabiliser l’obliquité de la Terre, alors que dans le cas de Mars, les calculs montrent que l’obliquité de la planète a connu dans le passé des fluctuations périodiques très fortes, allant jusqu’à 60◦ . Leurs conséquences sur le climat LES PLANÈTES ET LA VIE
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ont été considérables avec, en période de forte obliquité, la formation de glaciers à proximité de l’équateur. Dans le cas de la Terre, la stabilisation de son obliquité au cours de son histoire a pu avoir des conséquences décisives sur son évolution climatique. 4.2
Et pourtant. . . des caractéristiques communes
En dépit de leurs différences manifestes, les atmosphères des planètes terrestres présentent de nombreux points en commun. Le premier concerne leur composition atmosphérique. Vénus et Mars ont une atmosphère dominée à plus de 95 % par le gaz carbonique, avec une petite contribution d’azote moléculaire et, dans le cas de Mars, d’argon. La Terre a aujourd’hui une composition atmosphérique très différente, avec 79 % d’azote moléculaire et 21 % d’oxygène moléculaire. Mais cette composition ne reflète pas celle de la Terre primitive. Il faut aussi prendre en compte la présence dans l’atmosphère d’une très grande quantité d’eau qui, dans le cas de la Terre, s’est condensée durant la phase de refroidissement de la planète pour former les océans terrestres. Le gaz carbonique, lui aussi présent sur la Terre primitive, comme sur Vénus et Mars, en quantité bien supérieure à celle de l’azote, a alors été piégé au fond des océans terrestres sous forme de carbonate de calcium, c’est-à-dire de calcaire. Le rapport CO2 /N2 initial avait donc très bien pu être comparable sur les trois planètes terrestres dotées d’une atmosphère. Il reste à comprendre l’histoire de l’eau : elle est aujourd’hui extrêmement rare dans les atmosphères de Vénus et de Mars. Très abondante dans la Terre primitive, l’était-elle aussi sur Vénus et Mars au début de leur histoire ? Nous verrons plus loin que c’était bien le cas. 4.2.1
La structure thermique des planètes terrestres
Comme toutes les atmosphères planétaires, celles des planètes telluriques sont soumises à la loi hydrostatique, qui exprime l’équilibre entre la pression et la gravité : la pression décroît à mesure que l’altitude augmente selon une loi exponentielle : P = Po e−(z/H ) , Po étant la pression au sol, z l’altitude et H l’échelle de hauteur, la distance sur laquelle la pression diminue d’un facteur e (soit 2,718). L’échelle de hauteur H est égale à RT/mg, R étant la constante des gaz parfaits, T la température, m le poids moléculaire moyen de l’atmosphère et g la gravité. Le poids moléculaire moyen est proche de 44 pour Mars et Vénus, dont l’atmosphère est presque entièrement composée de gaz carbonique ; il est proche de 29 pour la Terre, où l’azote moléculaire est majoritaire. L’échelle de hauteur est égale à 8 km sur la Terre, 16 km sur Vénus et 10 km sur Mars. 64
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Comment la température varie-t-elle avec l’altitude ? Près de la surface, l’atmosphère est chauffée par la surface, elle-même chauffée par le rayonnement visible solaire auquel l’atmosphère est transparente. La chaleur du sol induit un mouvement de convection qui transporte l’énergie vers les couches supérieures, jusqu’à la tropopause, à une altitude d’environ 12 km sur la Terre, 50 km sur Mars et 60 km sur Vénus (Fig. 4.3). À plus haute altitude, la situation évolue de manière différente selon les planètes. Sur Mars et Vénus, une mésosphère plus ou moins isotherme s’élève jusqu’à une altitude d’une centaine de kilomètres, au niveau de l’homopause : c’est là que les constituants atmosphériques cessent d’être uniformément mélangés pour se séparer en fonction de leur poids moléculaire propre. Différents mécanismes de chauffage interviennent à plus haute altitude, incluant l’absorption par les atomes et les ions du rayonnement UV solaire et le déferlement d’ondes de gravité se propageant vers l’extérieur. Le cas de la Terre est différent, du fait de la présence de l’ozone, un produit dérivé de la photochimie de l’oxygène moléculaire, qui absorbe le rayonnement UV solaire à une altitude de 40 km, provoquant ainsi une élévation de température : c’est la stratosphère. La couche d’ozone a l’effet bénéfique de protéger la surface terrestre des rayons UV solaires qui y détruiraient les molécules et y rendraient toute vie impossible en surface. La structure thermique des atmosphères planétaires s’accompagne d’une structure nuageuse, due à la condensation de certaines espèces mineures. L’une d’elles est présente sur les trois planètes terrestres, il s’agit de l’eau. Sur la Terre, nous connaissons bien les cumulus en forme de champignon situés dans la troposphère, ainsi que les traînées de cirrus à plus haute altitude. En dépit de sa très faible abondance, l’eau se manifeste aussi sur Vénus et Mars sous forme de condensats. Des cirrus de glace d’eau apparaissent dans l’atmosphère de Mars dans les saisons plus froides, et des calottes saisonnières de glace d’eau se forment aux pôles selon le cycle des saisons. On observe aussi parfois des cirrus de gaz carbonique à haute altitude ou en hiver dans les régions polaires. Dans le cas de Vénus, l’eau se combine avec le dioxyde de soufre à une altitude d’une soixantaine de kilomètres, pour former de l’acide sulfurique qui lui aussi condense pour former l’épaisse couche nuageuse qui cache la surface.
4.2.2
La circulation atmosphérique
La première source d’énergie reçue par les planètes terrestres est le flux solaire incident ; or celui-ci, moyenné sur une révolution autour du Soleil, est maximum à l’équateur et minimum aux pôles ; la température moyenne décroît donc de l’équateur vers les pôles, induisant une circulation atmosphérique générale : LES PLANÈTES ET LA VIE
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F IGURE 4.3. La structure thermique des atmosphères de Vénus, Mars et la Terre, en fonction de l’altitude au-dessus de la surface. Les trois profils présentent une zone convective (la troposphère) qui s’étend jusqu’à la tropopause (altitude 12 km sur la Terre, 50 km sur Mars et 65 km sur Vénus). Au-dessus de la tropopause, l’atmosphère terrestre présente une remontée de température liée à la présence de l’ozone moléculaire. En l’absence d’oxygène et donc d’ozone, Mars et Vénus sont dénuées de stratosphère. Des nuages de H2 O sont présents dans les troposphères de Mars et de la Terre, et des nuages de H2 SO4 sont présents dans celle de Vénus. D’après Laboratory of Atmospheric and Space Physics & E. Marcq, SESP/ESEP.
c’est la circulation de Hadley que l’on retrouve sur Vénus, la Terre et Mars (Fig. 4.4). Dans le cas de Vénus, dont l’obliquité est quasiment nulle, la circulation atmosphérique prend la forme de cellules de convection stables : l’air chaud s’élève depuis l’équateur jusqu’aux couches nuageuses situées à une soixantaine de kilomètres, pour s’éloigner vers les hautes latitudes en se refroidissant et redescendant aux latitudes de 60◦ , au nord et au sud. Dans le cas de la Terre et de Mars, toutes deux en rotation rapide, les forces de Coriolis entraînent un schéma différent, auquel s’ajoutent les effets saisonniers. Sur Terre, on observe trois cellules, la première (cellule de Hadley) s’élevant depuis l’équateur jusqu’à la tropopause pour redescendre sous les tropiques où les alizés se déplacent d’ouest en est, la seconde (cellule de Ferrel) évoluant en sens inverse entre 30 et 60◦ , et la troisième (cellule polaire) entourant les régions polaires où les vents circulent à nouveau vers l’est. Sur Mars, à l’équinoxe, on observe généralement une seule cellule de Hadley qui s’élève jusqu’à une cinquantaine de kilomètres pour redescendre à des latitudes de 50◦ environ au nord et au sud. Au solstice, une seule cellule s’établit entre l’hémisphère d’été et l’hémisphère d’hiver : la 66
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F IGURE 4.4. La circulation atmosphérique sur Vénus (à gauche) et sur la Terre (à droite). Le Soleil est représenté à gauche de la figure. Dans le cas de Vénus, la vitesse de rotation à la surface est quasiment nulle. Dans la basse troposphère, une seule cellule se développe dans chaque hémisphère depuis l’équateur jusqu’aux hautes latitudes. Un tourbillon permanent est présent à proximité de chaque pôle. Dans la haute troposphère, les nuages sont soumis à une super-rotation avec une période de quatre jours. Au-dessus de ce niveau, dans la mésosphère, un autre régime s’installe, avec une circulation subsolaire-antisolaire qui englobe toute la planète. Sur Terre, les forces de Coriolis engendrées par la rotation rapide de la planète créent une succession de trois cellules convectives dans chaque hémisphère. D’après F.W.Taylor, The Scientific Exploration of Venus, Cambridge University Press, 2014 et T. E. Graedel et P. J. Crutzen, Atmospheric Change and Earth System Perspective, Freeman, 1993.
cellule prend naissance au-dessus du point le plus chaud pour redescendre dans l’hémisphère opposé. 4.2.3
Structure interne et volcanisme
Nous avons vu (Chap. 2) que la structure interne de Vénus et de Mars – comme celle de la Terre et aussi sans doute celle des exoplanètes rocheuses – se caractérise par une succession de couches concentriques allant d’un noyau métallique au centre au manteau silicaté, contenant différentes compositions de silicates. L’énergie interne des planètes terrestres a plusieurs origines. Il s’agit d’une part de l’énergie accumulée pendant la phase d’accrétion, d’autre part de celle provenant de la différenciation liée à la formation du noyau de fer, et enfin de celle issue de la radioactivité de certains éléments radiogéniques du noyau (uranium, thorium, potassium). La chaleur est transportée du centre vers l’extérieur par des mouvements convectifs qui affectent à la fois le manteau et le noyau. L’énergie libérée est d’autant plus importante que la planète est plus jeune : avec LES PLANÈTES ET LA VIE
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F IGURE 4.5. Une éruption du volcan Kilauea, sur l’île d’Hawaii, photographiée le 16 juillet 2008. Les volcans hawaiiens se caractérisent par une lave très fluide qui se répand rapidement sur les flancs du volcan pour former les « volcans boucliers ». On trouve aussi ce type de volcan sur Vénus et sur Mars. © Michael Poland, U.S. Geological Survey.
le temps, l’énergie liée à l’accrétion et l’énergie radioactive diminuent progressivement. Ce sont les mouvements convectifs au sein du manteau qui sont responsables du volcanisme observé sur les trois planètes terrestres, ainsi que des formes de tectonique présentes sur la Terre et sur Mars. Sur la Terre, du fait de la tectonique des plaques, le volcanisme peut se produire soit le long des failles océaniques, soit dans les zones de subduction. Un troisième type de volcanisme prend naissance dans les « points chauds », sans doute à proximité de la frontière noyau-manteau : c’est le cas des îles Hawaii (Fig. 4.5). C’est ce type de volcanisme que l’on retrouve sur Vénus et sur Mars, à une échelle encore plus grande que sur la Terre, avec en particulier le gigantesque Olympus Mons sur Mars et le Mont Maxwell sur Vénus. Il s’agit de volcans de type « bouclier », de faible pente, dont la lave basaltique très fluide peut recouvrir de vastes étendues.
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Les planètes terrestres juste après leur formation
Peut-on tenter d’identifier ce qu’était la composition atmosphérique primitive des planètes terrestres ? Une première approche consiste à suivre le modèle développé par John Lewis dans les années 1980 et basé sur l’équilibre thermochimique dans la nébuleuse protosolaire. Ce modèle décrit une séquence de condensation à mesure que la température de la nébuleuse décroît, les éléments les plus réfractaires se condensant en premier. Nous avons vu (Chap. 2) que ce modèle prévoit la formation d’atmosphères réductrices, à base de méthane et d’ammoniac, dans les milieux riches en hydrogène (c’est le cas des planètes géantes), et d’atmosphères oxydantes, à base de gaz carbonique et d’azote moléculaire, dans le cas contraire (c’est celui-des planètes terrestres d’où l’hydrogène, trop léger pour être capturé, s’échappe). On retrouve ainsi, au premier ordre, la composition atmosphérique globale des planètes géantes et des planètes terrestres.
4.3.1
Des atmosphères secondaires
Les planètes terrestres auraient-elles pu acquérir directement leur atmosphère à partir de la nébuleuse solaire ? La réponse est non. Si l’atmosphère primitive des planètes terrestres était primaire, c’est-à-dire directement accrétée par gravité à partir de la nébuleuse protosolaire, elle devrait être constituée d’environ 63 % de CO2 , 22 % de Ne et 10 % de N2 . Or le néon (de même d’ailleurs que les autres gaz rares) est presque complètement absent sur la Terre comme sur les planètes voisines. Il apparaît donc clairement que les atmosphères primitives ne sont pas d’origine primaire : ce sont des atmosphères secondaires. Plusieurs origines sont possibles : un dégazage du globe au moment de l’accrétion des planètes, un dégazage par volcanisme tout au long de l’histoire des planètes, et enfin un apport par le bombardement d’objets extérieurs riches en éléments volatils, astéroïdes et comètes. Une création par dégazage semble infirmée par la mesure du rapport 36 Ar/40 Ar terrestre. En effet, l’argon 36 est un isotope primordial, piégé dans les planétésimaux à basse température, tandis que l’argon 40 résulte de la désintégration radioactive du potassium 40, avec une durée de vie de 1,25 milliard d’années. Or le rapport 36 Ar/40 Ar mesuré dans les bulles gazeuses des verres volcaniques montre que l’argon 36 y est plus de cent fois moins abondant que dans le gaz primordial et le Soleil. Ceci suggère un dégazage rapide de l’argon 36 au début de l’histoire de la Terre, tandis que l’argon 40 s’est formé progressivement dans le manteau supérieur suite à la désintégration du potassium 40. LES PLANÈTES ET LA VIE
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Nous allons maintenant revenir sur la troisième hypothèse, celle d’une origine externe de l’atmosphère des planètes terrestres. 4.3.2
Des atmosphères primitives riches en eau
Nous avons vu que l’atmosphère actuelle de Vénus et de Mars est extrêmement pauvre en vapeur d’eau. Comment expliquer cette anomalie, alors que la Terre en contient une immense réserve au sein de ses océans ? Nous connaissons aujourd’hui la réponse : Vénus et Mars ont toutes deux connu une atmosphère très riche en eau au début de leur histoire ; c’est ce que nous allons décrire ci-dessous. Dans le cas de Vénus, la preuve est venue de la mesure d’un élément chimique, le deutérium, isotope de l’hydrogène. Cet atome noté D est un atome d’hydrogène auquel un neutron a été ajouté. Il est donc doté des mêmes propriétés chimiques que l’hydrogène, mais il est deux fois plus lourd. Il peut s’associer à l’hydrogène et à l’oxygène pour former HDO, l’eau mono-deutérée, ou eau lourde. Le rapport D/H dans les océans terrestres est bien connu : il est de 1,556 × 10−4 . Or, au début des années 1990, des astronomes ont pu mesurer le rapport HDO/H2 O dans la basse atmosphère de Vénus, par spectroscopie dans l’infrarouge proche réalisée depuis la Terre (Fig. 4.6). Confirmant une mesure antérieure de la sonde Pioneer Venus, ils ont trouvé que le rapport D/H sur Vénus était plus de 100 fois supérieur à la valeur terrestre ! Comment expliquer ce résultat ? L’explication couramment admise est que l’eau, présente en abondance au début de l’histoire de la planète, s’est échappée massivement au cours de son histoire. La photodissociation des molécules H2 O et HDO par le rayonnement UV solaire a libéré les atomes H et D qui se sont échappés, l’atome H, plus léger, partant plus facilement. Dans le cas de Mars, les preuves d’un abondant réservoir primitif d’eau sont multiples. Comme dans le cas de Vénus, le rapport HDO/H2 O a été mesuré à de nombreuses reprises et conduit à un enrichissement global de l’ordre de cinq par rapport à la valeur terrestre. Là aussi, la raison invoquée est l’échappement différentiel qui favorise les atomes d’hydrogène par rapport au deutérium. Mais il y a de nombreux autres indices qui témoignent de la présence d’eau, et même d’eau liquide, dans le passé de la planète (voir Chap. 3). La première est la présence de réseaux fluviaux dans les terrains les plus anciens (Fig. 4.7), repérés dès les années 1970 par les sondes Mariner 9 et Viking, ainsi que des vallées de débâcle plus récentes, témoins d’inondations brutales. La seconde est la découverte de pergélisol (permafrost en anglais) particulièrement abondant sous les pôles martiens ; cette découverte a été faite en 2000 par la sonde Mars Odyssey qui a détecté, à l’aide d’un spectromètre à rayons gamma, la présence d’atomes d’hydrogène sous la surface à haute latitude (Fig. 3.9). Le troisième indice est, 70
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F IGURE 4.6. Mesure du rapport D/H dans l’atmosphère de Vénus, à partir de l’observation spectroscopique des molécules H2 O et HDO dans la basse atmosphère sur le côté nuit de la planète. Le spectre est mesuré dans l’infrarouge proche, aux longueurs d’onde voisines de 2,35 micromètres. La partie supérieure de la figure montre le spectre synthétique et la partie inférieure le spectre observé. Les molécules responsables des différentes absorptions sont indiquées en haut de la figure. Les abondances des molécules prises en compte dans le calcul synthétique sont ajustées de manière à obtenir le meilleur accord avec le spectre observé. Celui-ci, représenté sur la figure, correspond à un rapport HDO/H2 O égal à 120 fois la valeur terrestre. © B. Bézard et al. Nature 345, 508, 1990.
en 2005, la découverte d’argiles dans les terrains les plus anciens par spectromètre infrarouge OMEGA de la sonde Mars Express ; la présence d’argiles implique un écoulement d’eau liquide abondant et durable au début de l’histoire de la planète. Le robot Curiosity, en 2016, a découvert des couches sédimentaires dans Yellowknife Bay, une partie du cratère Gale, témoignant de l’existence d’un ancien lac (Fig. 3.10). Enfin, divers indices ont suggéré la présence d’un océan primitif dans la partie nord de la planète. Le premier est la mise en évidence par la sonde Mars Global Surveyor, en 1998, d’une ligne de rivage d’altitude constante s’étendant sur environ 1 000 kilomètres (Fig. 3.8). Le second, plus récent, est la mesure dans cette région, par le radar MARSIS de Mars Express, de la constante diélectrique du sol, impliquant la présence de glace d’eau sous la surface. Enfin, dernier indice : le radar de Mars Express a détecté en 2018, la présence d’une formation aquifère sous la calotte polaire sud. Quelle pourrait être l’abondance du réservoir d’eau primitif de Mars ? Les estimations correspondent à un océan LES PLANÈTES ET LA VIE
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F IGURE 4.7. Un exemple de réseau de vallées fluviales (ici Wareggo Valles) à la surface de Mars, photographié par la caméra de la sonde Mars Express. Ces types de reliefs sont fréquents dans les terrains anciens et semblent indiquer que l’eau a coulé en abondance au début de l’histoire de la planète. © ESA.
global d’une profondeur moyenne allant de 100 à 1 000 mètres, selon les auteurs et les méthodes utilisées. 4.3.3
Le paradoxe du « Soleil jeune »
Les découvertes amenées par l’exploration de Mars sur l’existence d’une abondante quantité d’eau à l’origine ont soulevé une autre question importante. Dès les années 1970, la découverte des réseaux fluviaux anciens a montré la présence ancienne d’eau liquide en abondance, capable de sculpter ces reliefs. Plus encore, la formation plus tardive des vallées de débâcle a nécessité le déferlement brutal de gigantesques quantités d’eau liquide, provenant peut-être de la rupture de nappes phréatiques sous pression. On estime l’âge des réseaux fluviaux anciens à –3,8 milliards d’années, et celle des vallées de débâcle de –3,0 à –3,5 milliards d’années. C’est ici qu’intervient le paradoxe du « Soleil jeune ». Les modèles d’évolution stellaire nous apprennent que le Soleil, comme toutes étoiles de sa catégorie séjournant sur la séquence principale, voit sa luminosité augmenter avec le temps. Il y a 3,7 milliards d’années, sa luminosité n’était que de 75 % de sa valeur actuelle. Dans ces conditions, la température d’équilibre de Mars (supposée située sur son orbite actuelle) devait être inférieure à 205 K (–68 ◦ C), alors que la température de fusion de l’eau est de 273 K (0 ◦ C). Comment l’eau a-t-elle pu alors être sous forme liquide ? De nombreux chercheurs se sont attaqués à ce 72
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problème qui n’a pas à ce jour reçu de réponse définitive. Notons d’ailleurs qu’il se pose aussi dans le cas de la Terre sous une forme un peu différente. Comment la Terre a-t-elle pu échapper à une glaciation totale et définitive à l’époque du Soleil jeune ? Nous verrons plus loin (Chap. 6) les solutions proposées dans le cas de la Terre. Avant d’aller plus loin, posons-nous d’abord la question de l’orbite des planètes terrestres il y a 3,7 milliards d’années. Pourraient-elles avoir été sur des orbites plus proches du Soleil que leur orbite actuelle ? Nous avons vu (Chap. 3) que les simulations numériques ne nous permettent pas de remonter aux tous premiers âges, avant le grand bombardement tardif ; or, selon le scénario du modèle de Nice (Chap. 2), celui-ci s’est produit environ 880 millions d’années après l’effondrement de la nébuleuse solaire. Après cet événement qui a entraîné la dispersion d’une multitude de petits corps, les modèles dynamiques ne prévoient pas de modifications orbitales majeures du Système solaire. Or les traces d’écoulement fluviatile sur Mars, datant de –3,7 à –3,0 milliards d’années, sont postérieures au grand bombardement tardif. Le problème est donc bien réel. Quel est le mécanisme le plus efficace pour chauffer la surface d’une planète au-delà de sa température d’équilibre ? Il s’agit de l’effet de serre, dont nous avons déjà parlé ci-dessus (Chap. 1 : voir Fig. 1.2). Rappelons qu’il se manifeste dans le cas d’une atmosphère transparente dans le domaine visible mais opaque dans l’infrarouge : c’est le cas des parois dont sont faites les serres, d’où son nom. La surface reçoit le rayonnement solaire visible (qui est maximum à la longueur d’onde de 0,5 micromètre) qui la chauffe donc très efficacement. Elle rayonne alors dans le domaine de l’infrarouge, mais ce rayonnement est absorbé par la basse atmosphère qui s’échauffe à son tour, rayonne vers la surface et le mécanisme s’amplifie. Pour que l’effet de serre se mettre en place, il faut que l’atmosphère contienne des gaz qui absorbent dans le domaine de l’infrarouge ; c’est le cas de la vapeur d’eau, mais aussi du dioxyde de carbone et du méthane. Dans le cas de Mars, il nous faut d’abord estimer ce qu’a pu être la pression de surface il y a 3,7 milliards d’années. Deux méthodes ont été utilisées, l’une à partir des mesures de rapports isotopiques des sondes Viking, l’autre la distribution en taille des cratères martiens les plus anciens. Les estimations vont de 100 à 900 mbar. Malheureusement, les modèles les plus récents incluant CO2 et H2 O ne réussissent pas à générer par effet de serre une température de surface supérieure à 212 K (–61 ◦ C). D’autres gaz à effet de serre ont été aussi considérés (CH4 , NH3 , SO2 ) mais sans succès. Pour résoudre ce paradoxe, on a aussi considéré les solutions aqueuses salées qui permettent de faire descendre la température de fusion de l’eau jusqu’à 245 K (–28 ◦ C) ; cette hypothèse a été avancée pour tenter d’expliquer les structures linéaires observées aujourd’hui sur les pentes des cratères et peut-être dues à des écoulements aqueux. Mais même dans cette LES PLANÈTES ET LA VIE
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hypothèse, la température de fusion reste trop élevée par rapport à la température d’équilibre présumée de Mars il y a 3,7 milliards d’années. Enfin, une autre tentative d’explication a été proposée : le paléoclimat de Mars n’aurait pas été humide et tiède, comme on l’a cru longtemps, mais froid et sec, perturbé occasionnellement par des épisodes « chauds ». Ces épisodes pourraient avoir été provoqués par des impacts météoritiques géants, ou, plus vraisemblablement, par des épisodes volcaniques. Il existe en effet une interaction forte entre l’atmosphère, la surface et l’intérieur de la planète. Des simulations numériques montrent que le paléoclimat de Mars pourrait osciller entre de brefs épisodes « chauds », liés à une activité volcanique et/ou météoritique intense, et des périodes « froides », plus longues, au cours desquelles la planète aurait été inactive. Dans le cas de Vénus, quelles sont les conséquences de l’hypothèse du « Soleil jeune » ? Supposons la planète sur son orbite actuelle il y a 3,7 milliards d’années. En supposant un albédo (c’est-à-dire la fraction d’énergie solaire réfléchie) compris entre 0 et 0,5, la température d’équilibre de Vénus côté jour, pour un rayonnement solaire égal à 75 % de sa valeur actuelle, serait comprise entre 283 et 337 K, soit 10 à 64 ◦ C, une température compatible avec de l’eau en phase liquide. Vénus pourrait donc avoir connu un océan au début de son histoire ! Malheureusement, il ne nous en reste aucune trace, même fossile, car la surface de Vénus, nous l’avons vu, est renouvelée par volcanisme en quelques centaines de millions d’années.
4.4
Histoire des planètes terrestres : une évolution divergente
Essayons maintenant de retracer l’évolution de l’atmosphère des trois planètes terrestres qui en sont dotées. Bien évidemment, il n’y a pas de commune mesure entre la quantité d’information dont nous disposons dans les trois cas. Dans le cas de la Terre, nous possédons une masse d’archives que nous présenterons plus loin (Chap. 6). Dans le cas de Vénus, l’information est extrêmement limitée du fait du volcanisme récent de la surface. Entre ces deux extrêmes, Mars présente l’avantage d’avoir conservé intactes des traces des premiers âges de son histoire. D’une part son atmosphère est très ténue, ce qui rend très lisibles les signatures d’impacts météoritiques ; d’autre part, sa surface n’a pas été globalement renouvelée et nous montre des terrains remontant à quatre milliards d’années. Grâce aux multiples sondes qui ont survolé et exploré l’atmosphère et la surface de Mars, les chercheurs disposent d’indices géologiques, mais aussi 74
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minéralogiques et chimiques, qui nous permettent de retracer l’histoire de la planète. 4.4.1
Vénus : les ravages d’un effet de serre galopant
Est-il possible d’estimer la quantité d’eau présente dans l’atmosphère primitive de Vénus ? La mesure du rapport D/H est ambiguë. D’une part, l’enrichissement du rapport D/H par un facteur supérieur à 100 par rapport à la valeur terrestre nous fournit une limite inférieure du réservoir d’eau initial : si seuls les atomes d’hydrogène s’étaient échappés, l’équivalent du réservoir initial correspondrait à environ cinq mètres d’épaisseur globale moyenne d’eau. En réalité, l’échappement massif de l’hydrogène s’est vraisemblablement accompagné d’un échappement d’atomes de deutérium, dans une proportion difficile à chiffrer. Par ailleurs, la valeur du D/H mesuré aujourd’hui pourrait se référer à un réservoir provenant d’impacts météoritiques ayant jalonné l’histoire de la planète, et n’aurait alors pas de lien avec le réservoir primordial. Il existe donc une extrême incertitude sur ce paramètre. Selon les auteurs, le réservoir d’eau primordial de Vénus pourrait être de 0,02 à cinq fois la valeur terrestre actuelle. Une quantité d’eau égale à celle de la Terre aujourd’hui et supposée entièrement sous forme gazeuse correspondrait sur Vénus à une pression partielle de vapeur d’eau supérieure à 100 bars. Dès le début des années 1970, des études ont montré que la température de surface très élevée de Vénus pouvait s’expliquer par un effet de serre qui se serait emballé au cours de son histoire. En 1972, les premiers calculs de l’évolution atmosphérique de Vénus, la Terre et Mars ont été menés à partir d’hypothèses simples. Ces calculs supposaient des planètes initialement dénuées d’atmosphère et un dégazage progressif par volcanisme dans un rapport H2 O/CO2 = 4, sans tenir compte du réchauffement progressif du Soleil. Dans le cas de Vénus, les calculs indiquent que l’eau est en permanence en phase vapeur. À mesure que la pression augmente, l’effet de serre s’emballe, car il est alimenté à la fois par la vapeur d’eau et le gaz carbonique, et la température de surface augmente rapidement. Le cas de la Terre est différent car sa température de surface permet à l’eau de condenser sous forme liquide, ce qui régule l’effet de serre ; nous verrons ci-dessous comment. Quant à Mars, dans ce modèle, la température de surface est suffisamment basse au départ pour que l’eau passe de la phase vapeur à la phase de glace à mesure que la pression s’élève. Nous savons que, dans le cas de Mars, ce modèle simpliste est inexact puisqu’il est aujourd’hui prouvé que l’eau liquide a coulé sur Mars dans le passé ; l’erreur, dans ce cas, vient de l’hypothèse d’un dégazage continu de l’atmosphère avec le temps ; nous y reviendrons. Ce qui est intéressant dans le calcul, c’est qu’il LES PLANÈTES ET LA VIE
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rend bien compte de l’évolution de l’atmosphère de Vénus sous l’action d’un effet de serre galopant. Les améliorations ultérieures apportées par de nombreux auteurs, avec notamment la prise en compte de l’élévation avec le temps du flux solaire, n’ont pas sensiblement modifié les conclusions de ce calcul dans le cas de Vénus et de la Terre, même s’il est admis aujourd’hui que l’eau a pu exister autrefois sous forme liquide sur Vénus. Notons cependant que l’hypothèse de départ du calcul ci-dessus, considérant des planètes a priori dénuées d’atmosphère et soumises à un dégazage progressif, est sans doute incorrecte. On pense aujourd’hui que l’atmosphère des planètes terrestres – atmosphère secondaire comme nous l’avons vu – provient en partie des gaz inclus dans le globe lors de la phase d’accrétion et en partie d’apports extérieurs. Ceux-ci ont pu intervenir pendant toute l’histoire des planètes, mais particulièrement pendant le Grand bombardement tardif il y a environ 3,7 milliards d’années. Vénus était sans doute autrefois riche en eau. Comment et pourquoi toute cette eau a-t-elle disparu ? Le mécanisme responsable, nous l’avons vu, est la photodissociation de la vapeur d’eau dans la haute atmosphère de Vénus, suivie de l’échappement des atomes d’hydrogène (et de deutérium). Le destin des atomes d’oxygène n’est d’ailleurs pas clair ; en dépit de leur masse élevée, ils ont pu s’échapper avec l’hydrogène au tout début de l’histoire de la planète, alors que le rayonnement UV émis par le Soleil était plus intense qu’aujourd’hui. Ils ont pu être piégés dans la surface et contribuer à l’oxydation de la croûte. Enfin, la disparition quasi-totale de l’eau de Vénus est peut-être à rapprocher de l’absence de tectonique des plaques sur Vénus, alors que la Terre, de masse et de rayon très voisins, en est pourvue. En effet, l’eau joue un rôle important dans les déformations du manteau en réduisant la viscosité de l’olivine et en favorisant la mise en place de plaques individuelles rigides. 4.4.2
Mars : une planète en voie d’extinction géologique
La planète Mars se démarque d’abord de ses deux voisines par une masse nettement plus faible, le dixième de celle de la Terre. Son champ de gravité est donc plus faible, ce qui implique un bombardement météoritique moindre. Son énergie interne, liée à la quantité d’éléments radioactifs contenus dans le globe, est aussi plus faible, d’où une activité volcanique et tectonique plus limitée et qui, surtout, a diminué rapidement avec le temps. Pour retracer l’histoire de Mars, les planétologues ont défini, comme pour la Terre, de grandes périodes géologiques. Le Noachien s’étend des origines au grand bombardement tardif, que l’on date à environ –3,7 milliards d’années. C’est de cette époque que datent les réseaux de vallées anciens, la formation 76
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du bouclier de Tharsis, le bassin de Hellas. Ensuite vient l’Hespérien, entre –3,7 et –3,0 milliards d’années, qui voit l’apparition des vallées de débâcle avec peutêtre, juste après le Grand bombardement tardif, l’apparition d’un océan boréal. Au cours de l’Amazonien, il y a moins de trois milliards d’années, l’activité volcanique diminue peu à peu. Les mesures en spectroscopie infrarouge par les sondes spatiales récentes, Mars Express et Mars Reconnaissance Orbiter, ont permis d’associer à ces périodes une minéralogie particulière. Elles ont en effet détecté la présence d’argiles dans les terrains les plus anciens de l’hémisphère sud, tandis que des sulfates ont été identifiés dans les terrains plus chaotiques ou à proximité des vallées de débâcle. Nous avons mentionné ci-dessus que ces résultats impliquaient, en certains endroits, la présence d’eau liquide en abondance pendant le Noachien, et aussi l’existence d’écoulements violents et transitoires, peut-être liés à une activité volcanique, pendant l’Hespérien. Enfin, la découverte par Mars Global Surveyor, en 1998, d’un champ magnétique fossile dans les terrains anciens (voir Chap. 3), a apporté une pièce supplémentaire au puzzle de l’histoire de Mars. Au cours du premier milliard d’années, l’énergie d’accrétion du globe et l’énergie issue des éléments radioactifs ont été suffisantes pour liquéfier une partie de l’intérieur et engendrer un effet dynamo et donc un champ magnétique. La jeune magnétosphère de Mars a alors empêché l’échappement de son atmosphère primitive, sans doute largement dégazée du globe. À mesure que les réserves d’éléments radioactifs du globe s’épuisaient, la dynamo s’est arrêtée et la magnétosphère a disparu, rendant possible l’échappement d’une grande partie de l’atmosphère. Il est aussi possible que l’atmosphère ait été en partie balayée suite à un impact météoritique violent. L’effet de serre alimenté par le gaz carbonique a lui aussi décru, provoquant une baisse de la température et le stockage de l’eau sous forme de pergélisol et de calottes polaires. Si aujourd’hui la glace d’eau martienne se condense aux pôles, comme sur la Terre, c’est parce que les obliquités des deux planètes sont très proches. Or cela n’a pas toujours été le cas : en effet, des simulations numériques récentes ont montré que l’obliquité de la planète Mars varie selon un cycle d’environ 120 000 ans, l’amplitude de ces variations étant de plus modulée avec une période de 2,4 milliards d’années : l’obliquité peut passer de 0◦ à 60◦ , et l’effet de ses variations sur le climat est considérable. Alors que la glace reste confinée aux pôles lorsque l’obliquité est faible, la situation s’inverse pour des obliquités supérieures à 40◦ . Les pôles recevant en moyenne plus d’énergie solaire que les basses latitudes, les glaciers migrent vers l’équateur. Des vestiges de ces glaciers ont été identifiés sur les images des sondes spatiales, exactement aux LES PLANÈTES ET LA VIE
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emplacements prévus par les modèles climatiques globaux, leur apportant ainsi une validation décisive. 4.4.3
La Terre, idéalement située par rapport au Soleil
Passée la première phase d’accrétion, la Terre, il y a quatre milliards d’années, s’est trouvée située dans une plage de température compatible avec la présence d’eau liquide. Le paradoxe du « Soleil jeune », mentionné ci-dessus au sujet de Mars et de Vénus, se pose aussi pour la Terre : par quel mécanisme la planète a-t-elle échappé au scénario de la « boule de neige globale » ? Une température d’équilibre insuffisante aurait en effet entraîné une glaciation partielle des continents, dont l’albédo aurait augmenté, d’où une nouvelle diminution de la température de surface. Comme nous le verrons plus loin (Chap. 6), c’est sans doute le volcanisme et le dégazage du gaz carbonique qui ont suscité un effet de serre suffisant pour sortir de ce cercle vicieux. Une fois les océans en place, une réaction entre en jeu, dont l’importance est capitale : en présence de silicates, le gaz carbonique réagit avec les molécules d’eau liquide pour former du carbonate de calcium CaCO3 . Ce mécanisme a permis le piégeage du gaz carbonique au niveau de la croûte océanique et, grâce à la tectonique des plaques, la séquestration du carbone dans le manteau. C’est ainsi que la Terre a échappé à l’effet de serre galopant qui a frappé Vénus. . . Il nous reste à expliquer pourquoi et comment l’atmosphère de la Terre s’est transformée au cours de son histoire, pour passer d’une composition initiale dominée par le gaz carbonique à la composition actuelle, riche en azote et en oxygène. C’est l’apparition de la vie sur la Terre qui est à l’origine de cette transformation. Pour la comprendre, il nous faut nous interroger sur ce qu’est la vie et sur ce que nous savons de son apparition sur la Terre ; c’est l’objet du prochain chapitre de cet ouvrage.
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Qu’est-ce que la vie ?
Comment définir la vie ? Nous ne connaissons que la vie sur Terre, et nos concepts sont forcément biaisés par cet unique exemple. La vie terrestre pourrait n’être qu’un cas particulier, de même que le Système solaire paraît être un cas assez particulier parmi les systèmes planétaires. Et il est assez risqué de définir un phénomène sur la base d’un seul cas... Cependant, si nous voulons essayer de détecter et caractériser des formes de vie sur d’autres planètes, il nous faut tenter de définir ce que nous entendons par « la vie » ou « le vivant ». Sur Terre, l’unité élémentaire du vivant est la cellule : un compartiment au sein duquel se déroulent un certain nombre de réactions biochimiques (le métabolisme), qui permettent à l’être vivant de tirer de l’énergie de son environnement, de subsister, de grandir, et de se reproduire de manière autonome. Lors de la reproduction, des mutations peuvent apparaître qui autorisent une évolution et une adaptation aux variations environnementales. De ces caractéristiques du vivant sur Terre, les scientifiques ont tenté de déduire une définition de la vie. Disons tout de suite qu’il n’y a pas consensus sur une définition unique. Sont donc le plus souvent citées, comme principales caractéristiques de la vie, celles du vivant sur Terre : différenciation relative au milieu ambiant, capacité à utiliser l’énergie du milieu, reproduction et évolution, capacité d’adaptation. La question de l’énergie est centrale : les organismes terrestres tirent leur énergie de molécules complexes, qu’elles construisent à partir des éléments présents dans leur environnement. Mais la plupart des réactions biochimiques mises en jeu ne sont pas spécifiques du vivant. La reproduction à l’identique, ou presque à l’identique, est également importante : c’est ainsi que
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nous pouvons identifier un organisme, parce que sa forme est constante au fil des générations successives. Cependant, aucun de ces critères ne permet à lui seul de définir la vie, car on trouve toujours des systèmes que nous considérons comme non-vivants qui les remplissent. Les cristaux peuvent croître et se multiplier mais personne ne les qualifiera de vivants. Les argiles, qui sont des variétés de silicates organisés en feuillets, s’adaptent à leur environnement, par exemple en stockant de l’eau dans l’espace entre les feuillets quand l’environnement est humide, et évoluent en changeant de structure suivant la disponibilité des minéraux. Le cas des virus est particulièrement épineux, puisqu’ils sont incapables de se reproduire de manière autonome, sans infecter une cellule. Mais si l’on considère que les virus ne sont pas vivants, que dire de certaines bactéries qui ont également perdu cette capacité de se reproduire de manière autonome et se comportent comme des parasites ? Enfin, la capacité d’évolution n’est pas un critère directement opérationnel, car cela suppose de pouvoir observer les entités sur un temps compatible avec cette évolution. Cette discussion sur la définition de la vie n’est pas qu’un exercice académique : quand nous essayons ou essayerons de détecter des signes de vie sur une planète autre que la Terre, il y a peu de chances que nous tombions sur des organismes multicellulaires qui se déplacent, s’alimentent, se reproduisent sous les yeux de nos détecteurs. Il est bien plus probable que nous aurons affaire à des traces très subtiles de micro-organismes potentiels, et nous serons directement confrontés au fait qu’au niveau de ses constituants élémentaires, il est difficile de différencier le vivant du non-vivant. C’est une des raisons pour lesquelles il a été si difficile d’interpréter les expériences de biologie martienne des missions Viking, comme nous l’avons vu au chapitre 3. Qu’il soit aussi difficile de définir la vie suggère que la limite entre vivant et non-vivant n’est pas complètement tranchée, et que sans doute la transition entre les deux s’est faite de manière progressive. C’est ce que nous allons voir maintenant. 5.2
De la génération spontanée à la soupe primitive
Les scientifiques estiment actuellement que la vie résulte de l’action des lois de la physique et de la chimie sur des matériaux appropriés, si l’environnement s’y prête. Certes, nous ne possédons pas de vérification expérimentale de cette idée, mais elle est à la base de toutes les recherches en exobiologie, même si elle n’est pas toujours explicitée. Mais cette idée est relativement récente, et la question de l’origine de la vie ne s’est pas toujours posée en ces termes : jusqu’au XIXe siècle, la théorie couramment admise était celle de la « génération spontanée ». 80
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L’idée générale était qu’en sus des mécanismes de reproduction habituels, par lesquels un être vivant naît par reproduction d’organismes de la même espèce, des êtres vivants entièrement formés peuvent apparaître spontanément, généralement à partir de vase ou de matière en putréfaction. Cette conception est fort ancienne et c’est ainsi qu’un philosophe présocratique comme Anaximandre de Milet, au VIe siècle avant notre ère, pensait que les poissons naissaient de l’action du Soleil sur un milieu humide. Aristote, dans son Histoire des animaux, observait que des insectes et des vers apparaissent souvent dans la rosée du matin et que des souris, des grenouilles et des poissons semblent naître de la vase des rivières. Il en déduisait donc que des créatures peuvent apparaître par génération spontanée, sans l’intervention de deux parents. La génération spontanée est restée la théorie communément acceptée pour l’origine de la vie jusqu’au XVIIe siècle. En témoigne la question posée par un personnage de la pièce de Shakespeare, Antoine et Cléopâtre, publiée en 1623 : « Vos serpents d’Égypte naissent du limon par l’opération de votre soleil : il en est de même de vos crocodiles ? » À laquelle le général romain Antoine répond : « Tout comme vous le dites ». Au XVIIe siècle, cette hypothèse devient sujet à débat et expérimentation. Le médecin Jean-Baptiste van Helmont constate ainsi qu’en disposant un vêtement sale avec de la farine pendant 21 jours, celle-ci se transforme en souris de taille adulte. Mais d’autres expériences, menées par Francesco Redi, montrent que la viande avariée ne produit pas d’asticots si on la protège avec une gaze. La controverse qui s’ensuit donne lieu à de nombreuses variantes de ces expériences, avec divers milieux de culture et diverses façons de sceller ou pas les contenants. Avec l’observation au microscope des micro-organismes, des bactéries ainsi que des spermatozoïdes par le savant néerlandais Antoni van Leeuwenhoek, on commence à soupçonner que l’affaire doit être plus compliquée. Au XIXe siècle, plus personne ne croit à la génération spontanée d’animaux adultes, mais celle de micro-organismes est toujours objet de controverse. L’Académie des sciences française offre ainsi un prix de 2 500 francs à « celui qui, par des expériences bien faites, jettera un jour nouveau sur la question des générations dites spontanées. » C’est à Louis Pasteur que reviendra le prix en 1862. L’expérience « bien faite » consistait à disposer un bouillon de culture dans un ballon en verre pourvu d’un long bec de cygne, qui piégeait les poussières extérieures sans empêcher la circulation de l’air. Porté à haute température, le bouillon resta stérile, mais dès qu’il fut mis en communication avec l’extérieur, des micro-organismes s’y développèrent. Ainsi que le conclut Pasteur : « la génération spontanée est une chimère : chaque fois qu’on y a cru, on a été le jouet d’une erreur. » LES PLANÈTES ET LA VIE
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Mais si la vie n’apparaît pas par génération spontanée d’organismes déjà formés, comment sont apparus les êtres vivants ? Comment passer de la question de la génération spontanée à celle de l’origine de la vie ? En dehors d’une intervention divine, les réponses possibles ne sont guère que deux. La première est que les premiers êtres vivants ont été apportés sur Terre en provenance d’autres planètes par des comètes ou des météorites, et que d’autres y soient ainsi parvenus à diverses époques : c’est la théorie de la panspermie, qui a eu son heure de gloire. Défendue en particulier par le chimiste et prix Nobel Svante Arrhenius, elle est basée sur le fait que certaines bactéries paraissent suffisamment résistantes pour survivre à un long voyage dans l’espace. À nos yeux, elle ne fait que déplacer le problème, car il a bien fallu alors que la vie apparaisse ailleurs, par exemple sur Mars, dont nous recevons de temps à autre un fragment expulsé par la chute d’un astéroïde ou d’une grosse météorite. Cependant, cela ne paraissait pas un problème à Arrhenius qui pensait que comme la matière, la vie était éternelle, et que de très petits micro-organismes pourraient quitter la surface des planètes sous l’effet de champs électriques auroraux. L’autre hypothèse possible est que la vie est apparue sur Terre à la suite d’un long processus qui a fait passer progressivement de la matière inerte aux micro-organismes en passant par des entités plus simples, par des mécanismes à préciser. D’une certaine manière, il s’agit aussi de génération spontanée, mais d’organismes beaucoup plus simples que les êtres vivants actuels et sur des échelles de temps très longues. Cette idée devait donc attendre la fin du XIXe siècle, quand la très grande ancienneté de la Terre est devenue une évidence, grâce en particulier aux travaux de datation réalisés par Henri Becquerel à partir de la radioactivité des roches les plus anciennes. L’idée d’une origine de la vie découle assez naturellement de la théorie de l’évolution de Charles Darwin. Même si celui-ci est resté assez prudent sur ce sujet dans ses publications, il écrivit en 1871 à un de ses correspondants : « On dit souvent que toutes les conditions pour la première production d’un organisme vivant qui sont maintenant réunies, pourraient ne l’avoir jamais été. Mais si (et oh ! quel grand si) nous pouvions concevoir, dans quelque petite mare chaude, en présence de toutes sortes de sels d’ammoniac et d’acide phosphorique, de lumière, de chaleur, d’électricité, etc., qu’un composé de protéine fût chimiquement formé, prêt à subir des changements encore plus complexes, au jour d’aujourd’hui une telle matière serait instantanément dévorée ou absorbée, ce qui n’aurait pas été le cas avant l’apparition des créatures vivantes. » Au XXe siècle, l’idée de la « petite mare chaude » de Darwin va se propager. C’est dans les années 1920 que le biochimiste soviétique Alexander Oparine et le biochimiste britannique John Burdon Sanderson Haldane proposèrent de façon indépendante des théories proposant que la vie ait une origine dans le lointain 82
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passé de la Terre, origine qui peut être expliquée uniquement par les lois de la physique et de la chimie. Les deux savants partent du constat que la synthèse des composés organiques à partir de matériaux inorganiques est possible, que ce soit au laboratoire ou dans les milieux naturels (la première synthèse de l’urée date de 1828, celle des acides aminés des années 1850), et proposent que l’apparition du premier être vivant est le résultat d’une longue évolution chimique. Cette proposition est maintenant connue sous le nom d’hypothèse d’OparineHaldane. Pour la résumer dans les mots de J. Haldane : « quand la lumière ultraviolette (du Soleil) agit sur un mélange d’eau, de dioxyde de carbone, d’ammoniac, une grande variété de molécules organiques est fabriquée, incluant des sucres et apparemment certains des matériaux dont sont faites les protéines. [...] Dans le monde actuel, ces substances laissées à elles-mêmes sont détruites par les micro-organismes. Mais avant l’origine de la vie, elles doivent s’être accumulées jusqu’à ce que les océans primitifs atteignent la consistance d’une soupe chaude diluée (hot dilute soup). Les premiers précurseurs de la vie avaient à disposition une quantité considérable de nourriture, et n’avaient pas de compétiteurs dans le combat pour l’existence[...]. Les premiers êtres vivants ou demi-vivants étaient probablement de grosses molécules synthétisées sous l’influence du rayonnement solaire, et capables de se reproduire seulement dans le milieu très favorable où ils étaient apparus. » Dans la soupe primordiale, les molécules organiques évolueraient donc avec de plus en plus de complexité pour devenir des entités demi-vivantes puis vivantes, au sein de proto-cellules appelées coacervats. Les idées d’Oparine et Haldane différaient sur plusieurs points et en particulier, sur la forme prise par le carbone dans l’atmosphère primitive : du méthane (CH4 ) pour Oparine, qui insistait sur l’importance des hydrocarbures comme briques de base, du dioxyde de carbone (CO2 ) pour Haldane. Nous verrons qu’il s’agit là d’un point important. Les détails des processus qui mènent des molécules organiques aux molécules complexes du vivant étaient laissés très flous, ce qui n’a rien d’étonnant : d’une part, le problème reste en grande partie entier de nos jours, et d’autre part la structure de l’ADN n’a été découverte qu’en 1953. 5.3
Premières expériences de chimie prébiotique
L’hypothèse d’Oparine-Haldane a posé les bases de la chimie prébiotique et ouvert la possibilité d’expérimenter sur les origines de la vie : est-il possible, dans des conditions proches de celle de la Terre primitive, de reproduire au laboratoire la « petite mare chaude » de Darwin, et de synthétiser quelques-unes des briques élémentaires du vivant ? La première réponse a été apportée en 1953 LES PLANÈTES ET LA VIE
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par la célèbre expérience de Stanley Miller et Harold Urey. Rappelons-en le principe (Fig. 5.1). Un ballon contient un mélange de gaz représentant l’atmosphère primitive selon les idées de l’époque, un mélange de méthane, d’ammoniac et d’hydrogène, donc une atmosphère réductrice. Dans un autre ballon, censé représenter un océan primitif chaud, de l’eau est mise en ébullition ; la vapeur d’eau circule dans l’appareillage, se mélange aux gaz de l’atmosphère dans le ballon, où des électrodes produisent des décharges électriques (ce sont des éclairs d’orage. . . ). La vapeur d’eau condense (c’est la pluie. . . ), entraînant avec elle les composés éventuellement synthétisés s’ils ne sont pas volatils, revient dans l’océan, et le processus recommence. Au bout de quelques jours, Stanley Miller constata un changement de couleur du liquide condensé, et après une semaine de fonctionnement continu, 10 à 20 % du carbone initial avait formé des produits organiques, dont cinq acides aminés, mais ni sucres, ni lipides, ni acides nucléiques. En 2007, après le décès de Miller, le contenu de récipients scellés qui renfermaient le produit de ses expériences a été ré-analysé par un de ses étudiants, Geoffrey Bada, qui a constaté qu’au moins 25 acides aminés différents avaient en fait été synthétisés. Miller a réalisé des variantes de son expérience, notamment une où un jet de vapeur était envoyé sur la décharge électrique, ce qui était censé simuler les conditions d’une éruption volcanique. Elle a produit 22 acides aminés, cinq amines et beaucoup de molécules à radicaux hydroxyles, plus que ses autres expériences. Dans une autre expérience de 1961 due à Juan Oró (1923-2004), le cyanure d’hydrogène HCN, une molécule très abondante dans l’Univers qui est fondamentale pour la chimie prébiotique, en solution aqueuse avec de l’ammoniac, a engendré des acides aminés et même de l’adénine, une des quatre bases azotées de l’ADN ; les trois autres bases ont été synthétisées plus tard dans des expériences analogues. L’expérience fondatrice de Miller et Urey nous montre qu’une atmosphère de méthane, d’hydrogène et d’ammoniac, soumise à des apports d’énergie adéquats, produit un mélange de molécules organiques simples. Cependant, elle ne résout pas la question de l’origine de la vie. En particulier, on sait maintenant que l’atmosphère primitive de la Terre n’était pas réductrice à l’époque de l’apparition de la vie, mais composée essentiellement de dioxyde de carbone, d’azote et de vapeur d’eau (voir Chap. 6). L’expérience a été reproduite dans ces conditions, et la production de composés organiques est alors beaucoup plus faible. Plus fondamentalement, elle ne nous apprend rien sur la manière dont on produit des organismes vivants à partir de ce mélange, ni même sur celle dont on produit les macromolécules qui sont essentielles à la vie sur Terre.
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F IGURE 5.1. Schéma de l’expérience de Stanley Miller. Le ballon contenant de l’eau chaude représente l’océan primitif (à droite). Le ballon représentant l’atmosphère primitive, supposée réductrice, est à gauche. Les gaz, vapeur d’eau, méthane, ammoniac sont soumis à des décharges électriques (des éclairs). Les produits synthétisés se condensent dans l’eau et retournent dans l’océan. Wikimedia commons (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0).
5.4
Les briques de base du vivant terrestre
Passons donc en revue quelques-unes des caractéristiques essentielles du vivant sur Terre, que tout scenario d’apparition de la vie doit prendre en compte. La première est l’importance de l’eau. Les tissus vivants sont composés majoritairement d’eau, de l’ordre de 70 % pour la plupart d’entre eux. La plus grande partie des réactions biochimiques se déroulent en phase aqueuse. Si l’eau joue un rôle LES PLANÈTES ET LA VIE
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F IGURE 5.2. Formation d’une liaison peptidique par combinaison de deux acides aminés. R1 et R2 sont des radicaux caractéristiques de chaque acide aminé (par exemple H pour la glycine, CH2 OH pour la sérine). Les flèches à gauche indiquent le mécanisme détaillé de la réaction. Le groupement amide -CO-NH- en grisé est la liaison peptidique qui réunit les deux tronçons. D’après R. Luft (2014).
aussi fondamental, c’est qu’il est un excellent solvant polaire : dans une molécule d’eau, bien que globalement neutre, les atomes d’hydrogène portent une charge positive alors que l’atome d’oxygène porte une charge négative. Cela permet aux molécules d’eau d’interagir entre elles mais aussi avec toute autre molécule polaire, par l’entremise de liaisons de faible énergie appelées liaisons hydrogène. La présence d’eau liquide implique une température comprise entre 0 et 100 ◦ C aux pressions habituelles. La biochimie est essentiellement une chimie du carbone en présence d’eau, mais d’autres éléments chimiques sont absolument nécessaires. Ils sont peu nombreux : avec l’hydrogène (H), l’oxygène (O), le carbone (C), l’azote (N), le soufre (S) et le phosphore (P) (souvent résumés sous l’acronyme – prononçable – CHNOPS), on a pratiquement toute la chimie du vivant. Cette chimie fait intervenir un grand nombre de macromolécules ou polymères, qui peuvent aller de quelques dizaines jusqu’à des millions de monomères. Les familles les plus importantes parmi ces macromolécules sont les protéines, les sucres, les acides nucléiques et les lipides. Les protéines et les peptides sont des polymères composés d’acides aminés (les acides aminés sont des molécules comportant à la fois un groupe acide, le carboxyle COOH, et un groupe amine NH2 ). Seuls 20 acides aminés différents interviennent dans la matière vivante terrestre, qu’elle soit animale ou végétale. La combinaison entre acides aminés se fait par condensation, c’est-à-dire élimination d’une molécule d’eau, et formation d’une liaison dite peptidique (Fig. 5.2). Quand la molécule obtenue contient jusqu’à dix acides aminés, on parle d’un peptide, d’un polypeptide au-dessus, et d’une protéine au-delà de 21 acides aminés. Par exemple, la protéine du blanc d’œuf correspond à une chaîne polypeptidique de 129 monomères appartenant à ces 20 acides aminés. Certaines de ces chaînes peuvent s’enrouler en spirale, une structure favorisée par la présence de liaisons hydrogène entre le groupe NH d’une unité peptidique et le groupe CO d’une autre. 86
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Les protéines jouent un grand rôle dans les cellules vivantes en tant qu’hormones, catalyseurs (on les appelle alors des enzymes), supports des tissus (collagènes), etc. Les sucres sont des molécules qui contiennent de nombreux groupes hydroxyle (-OH), et se présentent sous la forme de cycles à cinq ou six atomes de carbone quand ils sont dissous dans l’eau. Ils peuvent former de longues chaînes de polysaccharides, comme la cellulose. Ces composés jouent un rôle important pour le stockage de l’énergie ou comme élément structurel des cellules. Les acides nucléiques comme l’ADN, qui contient l’information génétique, ont un rôle central dans la synthèse des protéines. Ce sont de très longues chaînes de millions voire de centaines de millions de nucléotides, eux-mêmes construits à partir d’une molécule de sucre à cinq carbones, d’un groupe phosphate (PO4 3− ), et d’un composé azoté appelé base azotée ou base nucléique (Fig. 5.3). Les nucléotides présentent des analogies structurales avec les peptides, et sont comme eux susceptibles de s’assembler en longues chaînes en hélice. L’acide nucléique le plus célèbre est l’acide désoxyribonucléique, l’ADN (Fig. 5.4), qui contient quatre nucléotides, chacun avec le même sucre mais une base azotée différente : adénine (A), guanine (G), cytosine (C) et thymine (T). L’ordre dans lequel sont disposés ces nucléotides définit le code génétique. L’acide ribonucléique ARN est très semblable à l’ADN, mais avec un sucre différent, et la base azotée uracile (U) au lieu de la thymine. L’ARN a la capacité d’assurer à la fois l’information génétique et la catalyse, ce que ne peut pas faire l’ADN ; en revanche cette molécule est formée d’un seul brin, regroupant des séquences courtes de nucléotides, alors que l’ADN, avec sa double hélice, contenant des millions de nucléotides, est capable de s’auto-répliquer à l’identique. Enfin, les lipides sont des macromolécules composées de longues chaînes carbonées, et sont un constituant important des membranes des cellules. Ce sont très fréquemment des phosphoglycérides (Fig. 5.5). Les lipides sont amphiphiles, c’est-à-dire qu’ils s’accrochent par une extrémité (tête), qui possède un moment dipolaire, aux molécules d’eau qui en ont également un. L’autre extrémité est hydrophobe. Globalement, ils sont peu solubles dans l’eau : en présence d’eau liquide, les lipides se collent les uns aux autres perpendiculairement à la surface de telle façon que les têtes hydrophiles soient au contact de l’eau, les queues hydrophobes restant dans l’air. Il se forme ainsi un film monomoléculaire à la surface de l’eau. Tout scénario pour l’origine de la vie sur Terre doit donc expliquer non seulement la formation des molécules pré-biotiques, mais aussi celle des macromolécules du vivant et de la cellule. Il faut aussi comprendre de quelle manière les premiers êtres vivants tiraient de l’énergie de leur environnement, et enfin proposer un mécanisme pour assurer leur reproduction et leur évolution. LES PLANÈTES ET LA VIE
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F IGURE 5.3. Un fragment structurel de base de l’ADN, contenant les quatre nucléotides liés entre eux par des groupes phosphate. Les atomes de carbone ne sont en général pas figurés pour alléger la présentation. D’après Luft (2014).
F IGURE 5.4. Un fragment de la double hélice de l’ADN. Les atomes de carbone ne sont en général pas représentés pour alléger la présentation. On retrouve les quatre nucléotides de la figure 5.2 (A, G, C et T). Les deux hélices étant liées par des liaisons N-C à droite et des liaisons hydrogène à gauche (traits interrompus). À droite, vue schématique montrant une disposition possible des nucléotides. D’après Luft (2014).
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F IGURE 5.5. Formule d’un phosphoglycéride typique. Le groupe 1 est la choline, le groupe 2 le phosphate et le groupe 3 le glycérol ; ensemble, ils constituent la tête hydrophile, qui possède un moment dipolaire grâce aux charges + et –. Les queues 4 et 5 sont des acides gras, respectivement insaturé et saturé, lesquels sont hydrophobes. Wikimedia commons, Danntzikg.
5.5
Origine des molécules prébiotiques
La première étape est de comprendre l’origine des molécules prébiotiques les plus simples, et en particulier celle des monomères qui servent de briques de bases aux macromolécules. L’expérience de Miller et Urey nous a montré que cette étape peut se dérouler à une échelle de temps très rapide (de l’ordre de la semaine), mais dans des conditions qui ne sont pas celles de la Terre primitive dans son ensemble. Une possibilité est que la synthèse des molécules prébiotiques ait eu lieu dans des régions de la Terre primitive où les conditions locales auraient été comparables à celles de l’expérience de Miller et Urey : par exemple, les cheminées hydrothermales sous-marines, où le volcanisme produit en abondance du méthane CH4 , de l’ammoniac NH3 et de l’hydrogène. Ces cheminées hydrothermales explorées depuis les années 1980 abritent une vie luxuriante, malgré l’absence de lumière et d’oxygène, des températures élevées et un environnement généralement acide (Fig. 5.6), et en particulier de nombreux microorganismes chimio-synthétiques. Compte tenu des conditions ambiantes « extrêmes », ces organismes sont dits extrêmophiles : les hyper-thermophiles sont ceux qui acceptent une température de 100 ◦ C ou plus, les acidophiles vivent à des pH très acides, de l’ordre de 3. . . Leur présence témoigne de la grande adaptabilité du vivant, et nous verrons qu’elle n’est peut-être pas sans lien avec l’origine de la vie. Les molécules prébiotiques pourraient également être venues de l’espace. En effet, de telles molécules existent dans le milieu interstellaire où l’on a déjà découvert plus de 200 molécules comprenant jusqu’à 11 atomes, incluant par exemple un sucre simple, le glycol aldéhyde, et aussi dans les comètes et les LES PLANÈTES ET LA VIE
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F IGURE 5.6. Source hydrothermale (white smoker) émettant des vapeurs riches en barium, calcium, silice et dioxyde de carbone, dans la source « Champagne » de la fosse des Mariannes (© Wikipedia Commons).
astéroïdes qui sont constitués de matière interstellaire peu modifiée chimiquement. Une possibilité tout à fait sérieuse est donc l’apport de molécules prébiotiques par les astéroïdes et les comètes. Une étude récente partant de la composition chimique de la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko (Fig. 5.7), observée par la sonde européenne Rosetta, suggère que les comètes ont pu fournir une quantité considérable de matériau prébiotique, dont la masse pourrait être équivalente à la totalité de la biomasse présente aujourd’hui sur notre globe (environ 1012 tonnes). On a détecté dans cette comète pas moins de 58 molécules différentes, principalement organiques, dont un acide aminé, la glycine, et des produits particulièrement actifs chimiquement et essentiels pour la chimie prébiotique comme l’acide cyanhydrique HCN et le formaldéhyde H2 CO. Cette comète contient également une grande quantité de matière organique réfractaire, peut-être principalement du polyoxyméthylène, une macromolécule qui résulte 90
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F IGURE 5.7. La comète 67P/Churyumov-Gerasimenko, photographiée par la caméra de la sonde spatiale
Rosetta lors de son exploration de la comète en août 2014. De nombreuses molécules organiques complexes y ont été identifiées, en particulier un acide aminé, la glycine. © ESA.
de la polymérisation du formaldéhyde, et une quantité semblable de matière minérale, principalement des silicates. Certaines météorites, les chondrites carbonées, contiennent un matériau apparemment semblable à la matière cométaire, mais recuit, et auraient pu participer à l’ensemencement de la Terre. Prenons par exemple la météorite Murchison qui est tombée sur Terre en septembre 1969. Les observateurs arrivés les premiers sur place ont signalé l’odeur de solvant émanant de la météorite, une première indication de la présence de matière organique, confirmée par les analyses effectuées dans les laboratoires mis en place pour les échantillons lunaires des missions Apollo : une incroyable variété de molécules organiques, dont des acides aminés. En fait, la composition de Murchison s’est avérée très semblable à celle du résultat de l’expérience de Miller et Urey ! Outre plus de 70 acides aminés différents, dont cinq des 20 acides aminés biologiques, la météorite Murchison contient des sucres simples. Cependant, elle ne contient pas de polysaccharides ; on y trouve des bases nucléiques, mais pas d’acides nucléiques. Notons d’ailleurs que si près de 80 acides aminés différents ont été trouvés dans les météorites, seuls huit des 20 qui sont nécessaires à la vie terrestre y figurent. Notons également qu’aucun peptide n’a été trouvé dans le milieu interstellaire, les comètes et les météorites. Aucune trace donc de la formation de macromolécules organiques.
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Croissance de la complexité à partir des molécules prébiotiques
Que les molécules prébiotiques soient arrivées de l’espace ou formées in situ, dans l’atmosphère puis mises en solution, ou auprès de sources hydrothermales chaudes, il reste donc encore de nombreuses étapes avant de pouvoir construire les molécules du vivant. Une des difficultés est de concentrer suffisamment les éléments de base pour qu’ils puissent se combiner. De ce point de vue, l’océan est sans doute trop vaste et dilué, et les scientifiques imaginent plutôt que ces étapes se déroulent dans des mares ou des flaques d’eau : on retrouve la « petite mare chaude » de Darwin. Le processus peut être facilité par le fait que ces mares soient périodiquement asséchées ; en effet, la synthèse par formation de liaisons peptidiques implique la perte d’une molécule d’eau, ce qui fait que les produits sont relativement instables en solution aqueuse. On peut aussi penser aux zones intertidales (aussi appelées estrans), ces parties du rivage que la marée découvre puis recouvre : cette idée est particulièrement intéressante quand on pense qu’à l’époque où la vie est apparue sur Terre, la Terre et la Lune étaient plus proches que maintenant et donc les marées beaucoup plus fortes. D’autres mécanismes de concentration ont été envisagés comme le gel de solutions aqueuses (car c’est l’eau qui gèle d’abord), ou encore la surface des argiles, qui agit comme un piège pour la matière organique. Cette hypothèse sur le rôle des argiles a été défendue par le cristallographe anglais John Desmond Bernal dans les années 1950 et développée en particulier par le chimiste et biologiste Alexander Graham Cairns-Smith. En effet, les argiles ont des structures lamellaires et la concentration d’acides aminés entre les feuillets favorise leur polymérisation. Cette hypothèse a été confirmée par des expériences en laboratoire, qui ont montré par exemple que des liaisons peptidiques peuvent se former entre deux acides aminés emprisonnés entre les feuillets d’une argile particulière, la montmorillonite, et ainsi catalyser la formation de l’ARN. Or, cette question de la catalyse de la formation des macromolécules primordiales est vraiment centrale. Dans le vivant actuel, ce sont des protéines spécialisées, les enzymes, qui jouent ce rôle, par exemple en catalysant la production des acides nucléiques, ADN et ARN. Mais c’est l’ADN qui contient l’information génétique nécessaire pour produire les protéines. . . Pour sortir de ce cercle vicieux, il faut que la formation des premières macromolécules, voire celle des molécules prébiotiques, ait été catalysée d’une autre manière. Il est très vraisemblable que les argiles et différents minéraux aient joué ce rôle de catalyse hétérogène. On vient de le voir pour l’ARN et les argiles, mais on a aussi montré que les oxydes de fer que l’on trouve dans les 92
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cheminées hydrothermales peuvent catalyser la formation d’ammoniac à partir d’azote et d’hydrogène moléculaire. Le chimiste et juriste allemand Günter Wächtershäuser a même proposé que plusieurs des étapes menant à la vie se seraient déroulées auprès de cheminées hydrothermales. La synthèse des acides aminés se serait produite profondément dans la croûte terrestre ; ces acides aminés auraient ensuite été injectés avec des fluides hydrothermaux dans des eaux plus froides, où des températures plus basses et la présence de minéraux argileux et la catalyse par des surfaces de fer et de nickel auraient favorisé la formation de peptides. Les sites hydrothermaux rassemblent finalement toutes les conditions physico-chimiques propices à l’apparition de la vie ; cette hypothèse est particulièrement séduisante car ces sites de la Terre primitive, avec son activité volcanique intense, devaient présenter en surface de nombreux sites comparables aux cheminées hydrothermales actuelles ou à certains champs de geysers.
5.7
La formation des cellules
Comparée à la problématique difficile de la formation des protéines ou de l’ADN, celle des cellules semble découler assez naturellement de l’évolution de molécules organiques, dès lors qu’apparaissent des molécules amphiphiles comme des lipides. En effet, les monocouches de lipides peuvent s’assembler spontanément en structures doubles planes, puis courbes, comme sur la figure 5.8 : elles séparent ainsi un milieu intérieur et un milieu extérieur, comme dans une cellule vivante, et constituent des filtres capables de laisser passer certaines molécules et d’en retenir d’autres. Des expériences de laboratoire faites à partir des acides aminés extraits de la météorite de Murchison ont vu des vésicules plus ou moins sphériques semblables à des liposomes se développer rapidement dans l’eau. Nous ne sommes pas loin des parois cellulaires ! Il faut noter que dès 1924, Oparine, le biochimiste soviétique à l’origine de l’hypothèse de la soupe primitive, observait la formation de telles gouttelettes quand des protéines sont ajoutées dans de l’eau, sous le nom de coacervats. Il nous faut aussi comprendre non seulement comment les parois cellulaires réelles peuvent être formées, mais encore comment elles peuvent emprisonner des macromolécules comme les protéines ou l’ADN. Des expériences ont montré que si un mélange de vésicules et de ces macromolécules est soumis à des cycles d’hydratation et de déshydratation, leur emprisonnement peut se produire, car des liaisons se forment en remplacement de celles qui sont laissées libres par le départ de l’eau. C’est donc un point en faveur du scénario qui fait apparaître le vivant dans des mares desséchées périodiquement. LES PLANÈTES ET LA VIE
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F IGURE 5.8. Structure de couches lipides. Les têtes hydrophiles des molécules sont représentées par des boules blanches, leurs queues hydrophobes par des filaments jaunes. Les monocouches ont la capacité de se refermer sur elles-mêmes, formant des micelles, fréquentes dans les solutions colloïdales. Les doubles couches peuvent également se refermer sur elles-mêmes, formant des liposomes qu’il est possible de fabriquer artificiellement. Wikimedia commons, LadyofHats.
5.8
Le métabolisme et la question de l’énergie
Les organismes terrestres tirent leur énergie de molécules complexes, à travers une série de réactions biochimiques où celles-ci sont transformées en molécules plus simples. Dans les cellules vivantes, ce stockage d’énergie se fait principalement grâce à un composé chimique appelé adénosine triphosphate (ATP), capable d’emmagasiner l’énergie dans une liaison entre un groupement phosphate et la molécule d’adénosine diphosphate qui contient deux de ces groupements. L’énergie est libérée lorsque cette liaison est brisée par hydrolyse. L’ATP n’est qu’une des nombreuses molécules complexes donc le vivant terrestre a besoin, et pour les construire il montre une prodigieuse faculté à extraire du carbone, des électrons et de l’énergie de divers environnements. Les organismes dits autotrophes les synthétisent à partir de la lumière ou des éléments chimiques non organiques présents dans leur environnement. 94
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Les photo-autotrophes comme les plantes tirent leur énergie de la lumière et le carbone du CO2 , la vie chimio-lithotrophe utilise des réactions d’oxydoréduction de composés non biologiques comme des minéraux, et la vie chimiolitho-autotrophe utilise le CO2 ou d’autres petits composés carbonés comme source de carbone. Les organismes hétérotrophes, comme les êtres humains, se procurent carbone et énergie en consommant des autotrophes ou d’autres hétérotrophes, ou les molécules organiques que ces derniers produisent. Les scénarios que nous avons présentés suggèrent que les êtres vivants primitifs se nourrissaient des molécules organiques présentes dans leur environnement, qu’elles aient été apportées de l’espace ou élaborées auprès de sources hydrothermales. Cependant, les matériaux apportés de l’espace se sont rapidement épuisés, et pour coloniser l’ensemble de la planète ou du moins de ses océans, l’évolution vers l’autotrophie s’est avérée un avantage décisif. La chimiolithotrophie semble être apparue très tôt, avec des réactions d’oxydation de l’hydrogène par différents composés carbonés comme le dioxyde de carbone, produisant du méthane et de l’eau ; on parle alors de méthanogénèse, un caractère que partagent de nombreux micro-organismes considérés comme primitifs, les archées. L’hydrogène peut également être oxydé en présence de soufre ou de fer, notamment près des sources hydrothermales, dont les cheminées sont souvent tapissées de pyrite (Fe2 S). Le métabolisme du soufre en particulier semble être très ancien et il est utilisé par de nombreux archées thermophiles, qui tirent leur énergie de l’oxydation du sulfure d’hydrogène (H2 S) pour transformer le carbone minéral en matière organique. La vie primitive s’est développée dans une Terre pauvre en oxygène atmosphérique et la photosynthèse dite oxygénique est apparue plus tard, entre un et deux milliards d’années après la formation de la Terre. Il existe également une photosynthèse qui ne produit pas d’oxygène, celle des bactéries pourpres qui oxydent le sulfure d’hydrogène (H2 S) en soufre élémentaire. Les organismes qui tirent leur énergie de la lumière et leur carbone du CO2 sont des photo-autotrophes, comme les plantes, mais il existe également des photo-hétérotrophes. En fait, il semble que toutes les combinaisons possibles entre ces différentes sources d’énergie et de carbone existent ! La variété des mécanismes qui permettent au vivant d’exploiter leur environnement témoigne des facultés d’adaptation et d’évolution qui ont permis au vivant de coloniser la planète. Le métabolisme apparaît donc ici intimement lié au code génétique.
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Le code génétique
Le code génétique permet aux cellules de se reproduire à l’identique tout en laissant une possibilité d’évolution. Au niveau moléculaire, cela implique des biomolécules capables de se répliquer, de catalyser, et aussi d’évoluer sans perdre en particulier leur capacité de réplication. Dans le monde actuel, cette fonction est remplie par l’ADN, mais il est extrêmement improbable que la vie la plus primitive ait été à base d’ADN. L’ARN semble un bon candidat, car il est doté de certaines propriétés de catalyse. Mais a-t-il été la première molécule capable de se répliquer, le « premier réplicateur » ? Ce n’est pas certain, car l’ARN est facilement détruit et relativement instable. La plupart des chercheurs pensent actuellement que l’ARN a été précédé par un autre réplicateur, et diverses possibilités ont été avancées : lipides, protéines, peptides. . . La synthèse de ces premiers réplicateurs, leur formation par polymérisation et même leur réplication ont dû être catalysées ou guidées par un substrat, des substances minérales ou des argiles. Plus tard, ils auraient évolué par sélection de certaines variantes et se seraient détachés de leur substrat. Un « monde ARN », avec une variété de proto-ARNs, aurait donc précédé le monde ADN-ARN-protéines que nous connaissons. Les divers types d’ARN auraient évolué sous l’effet de la pression de sélection de l’environnement, de nouvelles variantes et mutants plus efficaces ou plus rapides à se reproduire apparaissant au fil du temps. De telles expériences de sélection dirigée d’ARN ont d’ailleurs été menées in vitro. L’ADN apparaît alors comme un ARN modifié, plus efficace comme porteur de l’information génétique. Quelle est l’avantage de l’ADN par rapport à l’ARN ? C’est la stabilité de sa double hélice, bien plus longue que les brins d’ARN, permettant la constitution de génomes de grande taille, et aussi la possibilité d’évolution grâce aux erreurs de réplication. Cependant la reproduction n’est qu’une des caractéristiques des êtres vivants, à côté du métabolisme (l’énergie), et de la compartimentation (cellule). Qu’est-ce qui est apparu d’abord : la reproduction, le métabolisme, la cellule ? Les chercheurs sont partagés. Pour l’école « réplication d’abord », sont apparues d’abord les premières molécules réplicatives, puis l’ARN, puis les premières cellules. Pour l’école « métabolisme d’abord », à laquelle se rattache l’hypothèse d’Oparine-Haldane, c’est la chimie organique abiotique qui a permis la formation de macromolécules comme des peptides et des polysaccharides, puis à l’intérieur de protocellules, des premières molécules capables de se répliquer. Quoi qu’il en soit, ces étapes ne peuvent pas être très éloignées dans le temps, car les protocellules sont nécessaires pour séparer le vivant de son environnement. C’est aux alentours du moment où tous ces éléments se mettent en place que l’on peut parler d’apparition de la vie. 96
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L’ancêtre de tous les êtres vivants ?
La reconstitution de toutes les étapes qui ont mené aux premiers microorganismes s’avère difficile, ce qui est assez naturel car même les plus petites unités du vivant sont extrêmement complexes et découlent d’une évolution sur des millions voire des milliards d’années (le ribosome, la minuscule machine qui dans toutes les cellules du vivant fabrique les protéines, est constituée de plus de 100 000 atomes même dans les bactéries, et bien plus dans les eucaryotes). Une autre approche est plus de type archéologique, voire enquête policière : peut-on définir un ensemble de gênes et de caractéristiques biochimiques que partageraient tous les êtres vivants ? Rappelons-nous la théorie de l’évolution et ses arbres évolutifs caractéristiques : l’évolution laisse des traces également dans les gènes et les acides nucléiques des êtres vivants. C’est ainsi, en comparant les séquences d’ARN ribosomial d’un grand nombre d’espèces, que les scientifiques ont pu proposer un « arbre universel du vivant » à trois branches : bactéries, archées et eucaryotes. Cet arbre correspond aux deux grands types d’organisation cellulaire, les procaryotes (bactéries et archées, avec chacune leur branche) et les eucaryotes. Rappelons que les procaryotes ont des cellules sans noyau, au contraire des eucaryotes, avec leur noyau bien différencié qui contient les chromosomes. Les archées diffèrent des bactéries en particulier par la composition de leur membrane cellulaire. L’arbre du vivant confirme au niveau de leurs gênes l’existence de ces trois grandes branches du vivant, mais surtout leur origine commune, la « base » de l’arbre : LUCA, le « Last Universal Common Ancestor », ou « dernier ancêtre commun ». L’âge de LUCA est d’au moins 3,5 milliards d’années, sans doute quelques centaines de millions d’années après l’apparition des premières formes de vie (voir Chap. 6). Dans l’arbre de la vie, LUCA apparaît juste avant la grande bifurcation entre les bactéries et les archées, puis celle entre les archées et les eucaryotes, qui comprennent entre autres les champignons, les plantes et les animaux (Fig. 5.9). Il faut remarquer que LUCA n’était sûrement pas le seul type d’organisme qui vivait à son époque : c’est seulement le seul qui ait eu une (longue) descendance, bactéries, archées et eucaryotes ! Par ailleurs, l’analyse génétique de l’arbre du vivant montre que la plupart des organismes proches de l’origine des branches, LUCA y compris, sont des extrêmophiles, thermophiles et hyperthermophiles. Ils vivaient dans des environnements très chauds, et n’utilisaient pas la lumière comme source d’énergie. Parmi eux, on trouve des méthanogènes, le métabolisme du soufre, du fer. . . C’étaient donc des organismes très semblables à ceux qui vivent actuellement dans les sources chaudes et les cheminées hydrothermales. LES PLANÈTES ET LA VIE
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F IGURE 5.9. Diagramme représentant l’arbre du vivant, d’après l’arbre universel de la vie de Carl Woese (1928-2012) publié en 1990. D’après Wikipedia-Commons.
Ce constat ne disqualifie cependant pas les mares et les rivages découverts par les marées, donc la surface des continents, comme lieu d’apparition de la vie : en effet, il a pu s’écouler un temps très long entre la formation des premières molécules prébiotiques, celle des premières molécules réplicatrices et LUCA. Pendant ce temps, la vie aura pu coloniser le fond des océans. Le caractère thermophile de LUCA et des organismes les plus anciens ne veut pas non plus dire que les tout premiers organismes l’étaient aussi. En effet, il est très possible qu’un impact majeur lors du Grand bombardement tardif (Chap. 2) ait vaporisé la majeure partie des océans et détruit tous les êtres vivants, sauf les extrêmophiles qui vivaient justement auprès des cheminées sous-marines, et qui ont pu par la suite coloniser le reste de la planète. Tout ceci a pris du temps : il s’est écoulé 2,3 milliards d’années entre l’apparition des premières bactéries et celle des premiers êtres multicellulaires, et encore 650 millions d’années avant l’explosion de la vie à l’époque cambrienne. Il a fallu en particulier « inventer » la chlorophylle des végétaux, qui réalise la photosynthèse en absorbant le CO2 et en produisant le dioxygène qui constitue actuellement une partie importante de l’atmosphère : ceci s’est produit environ 500 millions d’années après les premiers êtres unicellulaires. Sur Terre, l’évolution a été marquée par les variations climatiques, la dérive des continents, 98
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plusieurs épisodes d’extinction de très nombreuses espèces, et tout récemment par l’action de l’homme. Nous en parlerons plus en détail au chapitre suivant. Il n’y a aucune raison pour que l’évolution après la création des premières cellules ait une histoire semblable sur d’autres planètes qui abriteraient éventuellement la vie. 5.11
La vie sur Terre comme modèle du vivant sur d’autres planètes ?
Jusqu’à quel point pouvons-nous nous appuyer sur le vivant terrestre pour l’extrapoler à la vie sur d’autres planètes ? Par exemple, peut-on imaginer une biochimie qui ne serait pas à base de carbone ? Le silicium est souvent avancé comme une alternative possible. Certes, le silicium partage certaines caractéristiques avec le carbone, par exemple sa tétravalence, mais sa chimie est beaucoup moins riche. C’est ainsi que parmi les molécules détectées dans le milieu interstellaire, on ne connaît que quelques molécules contenant du silicium, et aucune chaîne, alors que la plupart d’entre elles contiennent du carbone. Le silicium peut effectivement former des polymères comparables aux hydrocarbures, notamment les silanes qui sont des chaînes comportant des liaisons simples Si-Si et Si-H, mais cela suppose un environnement très particulier : très pauvre en oxygène, eau et carbone, des températures négatives, un solvant de type méthane ou méthanol. Dans tout autre environnement, la forme stable du silicium sera plutôt les silicates. De telles conditions ne semblent pas fréquentes ni dans le système solaire ni dans les exoplanètes connues ; le seul exemple qui pourrait s’en approcher, quoique riche en carbone, serait Titan, satellite de Saturne, dont une exploration approfondie serait certainement très intéressante. Quid de l’eau comme solvant universel de la vie ? Après tout, notre idée d’une planète habitable repose de manière univoque sur la présence d’eau liquide pendant une durée suffisante pour l’apparition de la vie ; si la vie peut utiliser d’autres solvants, cela pourrait étendre notablement la gamme des mondes potentiellement habitables. Par exemple, pour des planètes plus froides que la Terre, l’ammoniac liquide pourrait s’avérer un bon solvant polaire ; mais dans un environnement tel que celui de Titan, il n’y a que des solvants organiques non polaires tels que le méthane et l’éthane. Dans tous les cas, le fait que le solvant ne soit pas l’eau induirait une biochimie très différente de celle que nous connaissons sur Terre, et à vrai dire difficile à imaginer en l’absence d’éléments observationnels ou expérimentaux, ce qui fait qu’il est difficile de définir des critères de détection d’une vie basée sur de tels solvants. De plus, l’eau apparaît finalement comme le solvant le plus « universel » en ce sens LES PLANÈTES ET LA VIE
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que tous les autres sont adaptés à une gamme assez restreinte de conditions physico-chimiques. L’eau comme solvant et le carbone comme élément chimique de base impliquent-ils une vie à base des 20 acides aminés que nous connaissons et d’acides nucléiques, ADN et ARN, utilisant les cinq bases azotées du vivant terrestre, AGCT pour l’ADN, AGCU pour l’ARN ? Rien n’est moins sûr. En effet, ce qui compte pour le fonctionnement des molécules du vivant n’est pas tant leur formule chimique exacte que leur fonction. Par exemple, les propriétés de catalyse des protéines sont intimement liées à leur configuration tridimensionnelle, elle-même liée aux interactions entre les dipôles qui constituent la chaîne protéinique et la possibilité de créer des liaisons hydrogène. Mais cela n’implique pas que seule une combinaison des 20 acides aminés biologiques fasse l’affaire. C’est d’ailleurs un des objets d’étude de la sous-discipline appelée xénobiologie que d’explorer les formes possibles de biologie qui différeraient du système canonique basé sur l’ADN, l’ARN et 20 acides aminés. Par exemple, il a été montré qu’on pouvait construire un « alphabet » génétique étendu en utilisant jusqu’à huit bases azotées pour fabriquer un AXN, un acide xéno-nucléique : les quatre bases habituelles plus quatre autres. On peut aussi modifier la chaîne qui sert de squelette à l’ADN, par exemple remplacer le sucre du nucléotide (le désoxyribose dans le cas de l’ADN) par un autre sucre. Dans la plupart des cas, les fonctions des molécules ainsi modifiées sont préservées. D’autres chercheurs ont modifié des bactéries pour les amener à fonctionner en remplaçant une des bases azotées, la thymine, par un autre composé ; au bout de quelques milliers de générations, les bactéries étaient devenues capables de se passer de thymine. . . Ces expériences, au-delà de leur aspect science-fiction, témoignent du processus d’évolution et de sélection qui a mené à la biologie du vivant terrestre : le résultat final n’était pas dicté d’avance dans tous ses détails. . . Ce constat doit nous amener à la prudence quand nous essayons de détecter la vie sur d’autres planètes : si selon toute vraisemblance cette vie sera à base de carbone et d’eau et se manifestera par une organisation et des phénomènes hors équilibre, ce n’est peut-être pas avec une puce à ADN qu’on la détectera. 5.12
Les débuts de la vie sur Terre
Quand est apparue la vie sur Terre ? Il semblerait que ce soit il y a plus de quatre milliards d’années : c’est du moins ce qu’indique la découverte récente de carbone d’origine biologique dans des zircons datés de 4,1 milliards d’années. C’est aussi à peu près l’époque de la fin du Grand bombardement tardif. La vie est 100
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peut-être apparue plus tôt, mais nous n’avons pas de roches assez anciennes pour en avoir gardé trace. Les restes fossilisés des premiers organismes datent d’au moins 3,5 milliards d’années, avec en particulier des stromatolithes qui témoignent de communautés bactériennes : il n’y aucun doute que la vie était présente à cette époque. La photosynthèse est apparue au plus tôt il y a 3,2 milliards d’années, et les premières cellules à noyau eucaryotes il y deux milliards d’années. Pendant toute cette période, les habitants de la Terre ont été des microorganismes vivant dans les mers et les océans. Ce qui s’est passé avant qu’émergent les premiers organismes que nous pouvons reconnaître comme vivants et qui ont une certaine parenté avec les archées et bactéries est encore mal compris. Les étapes nécessaires ont été identifiées et certaines d’entre elles démontrées en laboratoire. La première a été l’accumulation des briques de base : des molécules prébiotiques simples, qui ont pu venir de l’espace et/ou être synthétisées auprès de sources hydrothermales. Plusieurs étapes sont ensuite nécessaires et l’ordre dans lequel elles se produisent n’est pas clair : la synthèse de molécules capables de constituer des membranes de protocellules, la construction de molécules de plus en plus complexes, capables de stocker de l’information puis de la traduire, et la sélection de catalyseurs qui rendent possible l’ensemble de tous ces processus. Il est très probable que ces étapes ont fait intervenir des surfaces minérales dans l’océan primitif ou des argiles. Où ces étapes se sont-elles déroulées ? Pour de multiples raisons que nous avons évoquées, les cheminées hydrothermales sont un candidat très plausible. Mais on peut aussi envisager avec de bons arguments des rivages périodiquement découverts par la marée, des mares temporaires ou même des micro-canaux dans de la glace d’eau qui subirait des cycles de gel et de dégel. . . Même si la vie est peut-être apparue très rapidement sur Terre, cela se mesure probablement en millions voire en dizaines de millions d’années. Il n’est donc pas très étonnant que nous ayons du mal à reproduire au laboratoire, en quelques années, les phénomènes qui ont conduit aux premiers êtres vivants ou « semi-vivants », pour reprendre les mots de Haldane. Il est aussi très probable que ces lointains ancêtres étaient très différents du vivant actuel, d’où nos difficultés à les imaginer et les étudier. 5.13
La vie sur les exoplanètes
Notre connaissance de l’apparition de la vie sur Terre est encore tellement incertaine que toute détection d’une vie présente ou passée sur une planète du système solaire nous donnerait une information précieuse. Par exemple, les chercheurs pensent que durant son premier milliard d’années, la planète Mars a pu LES PLANÈTES ET LA VIE
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être dotée d’un océan. C’est à peu près l’époque à laquelle la vie est apparue sur Terre, et les conditions sur les deux planètes devaient alors être assez proches. Toute trace de cette période reculée a disparu sur la Terre, mais Mars qui n’a ni tectonique des plaques ni érosion par l’eau pourrait avoir enregistré des traces fossiles des micro-organismes primitifs. Pour chercher la vie ailleurs, des indications sur les endroits où elle est apparue sur Terre nous seraient pourtant bien utiles. Si la vie est née dans des mares ensemencées par des matériaux extraterrestres, il est peut-être inutile de la chercher sous les banquises des lunes glacées des planètes géantes. Si elle est née dans les estrans périodiquement couverts et découverts par la marée, nous devons nous intéresser aux exoplanètes qui ont un gros satellite ; dans le système solaire, il n’y aurait alors guère de candidats hormis la Terre. . . et peut-être Titan. Et si c’est auprès des sources hydrothermales, alors les satellites glacés des planètes géantes deviennent des cibles de choix, en particulier Europe où l’on pense que l’océan sous glaciaire est en contact avec un sol rocheux. Cependant, rappelons-nous pendant plus de trois milliards d’années, les seuls habitants de la Terre furent des micro-organismes vivant dans les océans. L’observation directe de ces micro-organismes sur une exoplanète est évidemment impossible. Mais une planète qui abrite la vie, phénomène hors équilibre par excellence, est profondément transformée, et même la vie sous-marine se traduit par une modification drastique de l’atmosphère de la planète. C’est ce que nous allons découvrir dans le prochain chapitre.
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Le développement de la vie sur Terre
Revenons à la Terre, dont nous pouvons explorer les archives climatiques pour comprendre l’évolution passée de la planète et tenter de tracer le scénario qui a conduit à l’apparition, puis au développement de la vie. Tout d’abord, de quels moyens disposons-nous pour remonter le temps ? Un premier outil est la mesure de la composition chimique, élémentaire et isotopique, réalisée dans les roches dont on peut évaluer l’âge par mesure de la désintégration radioactive de certains éléments. Les carottages des calottes glaciaires (Fig. 6.1) nous renseignent sur l’évolution de la température au cours des derniers millions d’années. Un autre outil est fourni par les mesures du champ magnétique qui s’est inversé au cours du temps et dont la trace, dans certaines roches, permet de déterminer leur âge. Pour remonter plus loin dans le temps, les climatologues utilisent des éléments radiogéniques à longue période (comme le couple uranium-strontium), et des indicateurs géologiques, tels que les traces laissées par les glaciations, l’étude des fossiles végétaux ou animaux, ou les inclusions fluides au sein de sédiments anciens. On peut ainsi estimer la température moyenne sur les dernières centaines de millions d’années, et même jusqu’à l’Archéen il y a plus de deux milliards d’années. Revenons à l’origine des planètes terrestres. Nous avons vu que la composition atmosphérique de Vénus et de Mars était dominée par le gaz carbonique, avec un faible pourcentage d’azote moléculaire. Située entre Vénus et Mars, la Terre primitive a dû bénéficier de la même composition. Comme ses voisines, la Terre a dû subir un bombardement météoritique massif, provenant en particulier du Système solaire extérieur, lui-même à l’origine de l’eau des océans terrestres.
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F IGURE 6.1. Une carotte de glace extraite du forage EPICA réalisé dans l’Antarctique. Le projet européen EPICA a permis de remonter l’histoire du climat de l’Antarctique jusqu’à 800 000 ans. Les paramètres mesurés sont le taux de gaz carbonique et le taux de méthane ; on peut également avoir une estimation de la température. © CNRS/INSU, Augustin Laurent.
6.1
Le paradoxe du « Soleil jeune »
Nous allons retrouver dans le cas de la Terre un problème que nous avons déjà évoqué dans le cas de l’atmosphère primitive de Mars : il s’agit du paradoxe du « Soleil jeune ». Nous avons vu qu’il y a quelque quatre milliards d’années, la luminosité du Soleil était plus faible qu’aujourd’hui d’environ 30 %. Cette luminosité était alors insuffisante pour que la température d’équilibre de la planète soit supérieure à 0 ◦ C. La Terre aurait dû connaître une glaciation totale ; comme l’albédo de la glace est très élevé, le rayonnement solaire aurait dû être fortement réfléchi, diminuant encore la température d’équilibre et rendant impossible tout réchauffement. Quel est le mécanisme qui a permis à la Terre de sortir de l’état de glaciation permanente ? Les spécialistes du climat s’accordent à évoquer l’effet de serre – encore lui – généré par le gaz carbonique de l’atmosphère terrestre provenant du 104
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volcanisme. En effet, au début de son histoire, l’énergie interne de la Terre (principalement l’énergie libérée par les éléments radioactifs présents dans le manteau) était plus importante qu’aujourd’hui, d’où une activité volcanique bien plus intense que de nos jours. De plus, dans le premier milliard d’années, en l’absence de continents, le dioxyde de carbone a dû s’accumuler dans l’atmosphère suite aux épisodes volcaniques successifs, sa transformation en carbonate de calcium ne pouvant se faire en l’absence d’un socle rocheux. Il n’est pourtant pas sûr que le dioxyde de carbone, à lui seul, ait pu générer un effet de serre suffisant pour rompre le cycle de la glaciation initiale. Un autre gaz a pu contribuer à l’effet de serre : il s’agit du méthane, lui aussi très efficace de ce point de vue. Absent au tout début de l’histoire de la Terre, le méthane a dû être généré par les archées méthanogènes dont nous avons découvert des traces remontant à –3,5 milliards d’années ; sa concentration a sans doute augmenté jusqu’à l’apparition de l’oxygène dans l’atmosphère (ce que l’on appelle le Grand Événement d’Oxydation, ou GEO ; nous y reviendrons), il y a quelque 2,5 milliards d’années.
6.2
Les grandes étapes de l’évolution du climat terrestre
Les géologues ont divisé l’histoire de la Terre en quatre grandes périodes ou « éons » : l’Hadéen (de 4,6 à 4,0 milliards d’années), l’Archéen (de 4,0 à 2,4 milliards d’années), le Protérozoïque (de 2,4 milliards d’années à 540 millions d’années) et enfin le Phanérozoïque (de 540 millions d’années à nos jours). La vie apparaît en milieu sous-marin à la fin de l’Hadéen et se développe au cours de l’Archéen. Au cours du Protérozoïque apparaissent, toujours dans les océans, les premières bactéries productrices d’oxygène. Enfin, le Phanérozoïque, qui commence il y a 540 millions d’années, voit apparaître le développement de la vie à la surface des continents (Tab. 7.1). 6.2.1
De l’Hadéen à l’Archéen
Les traces de vie les plus anciennes proviennent de microfossiles bactériens sousmarins datant de la fin de l’Hadéen ou du début de l’Archéen. Il s’agit principalement de stromatolithes, concrétions calcaires construites par des algues monocellulaires, découverts en particulier en Australie (Fig. 6.2) ; on trouve aussi d’autres formes de micro-organismes à proximité des sources hydrothermales, elles aussi datant de plus de 3,7 milliards d’années. Par ailleurs, des mesures isotopiques réalisées en Australie ont permis de caractériser du carbone dont l’origine pourrait être biogénique dans des zircons, cristaux formés de silicates de LES PLANÈTES ET LA VIE
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TABLEAU 6.1. Les grandes périodes géologiques de la Terre
Date (millions d’années)
Éon
Caractéristiques principales
Composition atmosphérique
Évolution de la vie
4600 – 4000
Hadéen
4600 Ma : naissance de la Terre. Atmosphère primitive : CO2 , N2 , + H2 , H2 O ?
CO2 , N2
Avant 4100 : pas d’évidence de vie. 4100 : présence d’eau liquide et premières traces de vie (zircons).
4000 – 2400
Archéen
3700 : Grand bombardement tardif -> Apparition de l’eau dans l’atmosphère. 2900 : formation des continents.
Baisse de CO2 Apparition de CH4
3700 : apparition des premières bactéries méthanogènes. 3000 : apparition des premières bactéries productrices d’oxygène.
2400 – 540
Protérozoïque
2400 : glaciation planétaire. 720 : glaciation planétaire. 635 : glaciation planétaire.
2400 : apparition puis augmentation de O2 (Grand événement d’oxydation). Diminution de CH4
La vie se développe au sein des océans. 2000 : apparition des eucaryotes (premières cellules à noyau). 1200-540 : apparition des premiers organismes multicellulaires.
540 – Présent
Phanérozoïque
540 : explosion biologique cambrienne. 320-270 : glaciation permio-carbonifère. 65 : chute météoritique à Chixchulub. 34 : glaciation de l’Antarctique. 2,7 : glaciation du Groenland.
540 : apparition d’une couche d’ozone stratosphérique. 50 : diminution de CO2 0,001 : début de l’ère industrielle et augmentation anthropique de CO2
360 : les plantes se développent sur les continents. 250 : extinction biologique Permo-Trias. 200 : extinction biologique TriasJurassique. 65 : transition Crétacé-Tertiaire et développement des mammifères.
zirconium datant de plus de quatre milliards d’années, inclus dans des roches magmatiques ou métamorphiques. Il n’est donc pas impossible que les premières formes de vie aient apparu avant le Grand bombardement tardif, que l’on situe il y a environ 3,7 milliards d’années. Ont-elles disparu irrémédiablement, la vie ayant alors ensuite pris un nouveau départ après cet épisode cataclysmique, ou certaines d’entre elles ont-elles survécu ? La question reste ouverte aujourd’hui. Dès l’apparition des océans et la présence d’un sol silicaté (comme l’attestent les zircons de Jack Hills), vers la fin de l’Hadéen, une réaction capitale intervient entre le gaz carbonique et le sol, qui va conduire au piégeage du CO2 dans les roches sous forme de calcaire (voir Encadré E.6.1 p. 116). Il s’agit d’une réaction en deux temps qui voit d’abord, en présence d’eau liquide, la formation de 106
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F IGURE 6.2. Un champ de stromatolithes dans la baie Shark en Australie. Les stromatolithes sont des structures laminaires calcaires construites par des bactéries. Les plus anciennes remontent à 3,7 milliards d’années. La plupart des stromatolithes trouvés actuellement sont des fossiles. Ceux de la baie Shark sont parmi les rares encore en développement. © Wikipedia/Paul Harrison.
bicarbonate HCO3 − à partir de silicate de magnésium et de gaz carbonique, puis la formation de carbonate de calcium à partir de bicarbonate. Le bilan net est le piégeage du gaz carbonique en calcaire. Cette réaction devient efficace au sein des océans lorsque la croûte océanique est suffisamment refroidie pour permettre par subduction le recyclage des sédiments carbonatés et la séquestration du carbone en sous-sol, ce qui a pu avoir lieu il y a quelque quatre milliards d’années. L’effet net de cette réaction est la diminution de la teneur en CO2 de l’atmosphère, tout au long de l’Hadéen et de l’Archéen. Plus tard, le mécanisme de piégeage du CO2 interviendra aussi sur les sols émergés, lorsque de fortes pluies arroseront les sols silicatés des continents. Au cours de l’Archéen, il semble que certains des premiers organismes vivants aient été des cyanobactéries, productrices de méthane ; ce sont elles qui sont à l’origine des stromatolithes. Le méthane, dont la concentration dans l’atmosphère augmente alors, va jouer un rôle important dans l’évolution climatique de la Terre car il contribue, avec le dioxyde de carbone, à l’effet de LES PLANÈTES ET LA VIE
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serre qui va permettre à la Terre d’échapper à une glaciation totale. En parallèle apparaissent les premiers micro-organismes consommant le dioxyde de carbone, dont la teneur atmosphérique va diminuer. Quant à la température des océans au temps de l’Archéen, d’après les mesures isotopiques de l’oxygène et du silicium réalisées sur des roches archéennes, elle semble avoir été nettement supérieure à celle d’aujourd’hui (entre 50 et 80 ◦ C selon les estimations). Cette température élevée inattendue semble en contradiction avec les scénarios décrits ci-dessus, impliquant des périodes successives de glaciations imposées dans l’Hadéen par la faible luminosité du Soleil jeune. . . Ce paradoxe est actuellement inexpliqué. 6.2.2
De l’Archéen au Protérozoïque : le grand événement d’oxydation
À la fin de l’Archéen apparaissent les premières bactéries productrices d’oxygène ; leur effet sera considérable car l’oxygène réagit rapidement avec le méthane pour le détruire en produisant du dioxyde de carbone et de l’eau. Il s’en suit une diminution rapide de la concentration atmosphérique de méthane, et le passage de l’Archéen au Protérozoïque, il y a 2,4 milliards d’années, est marqué par l’augmentation rapide de l’oxygène moléculaire dans l’atmosphère (Fig. 6.3). Celle-ci est due à la photosynthèse oxygénique qui, en présence de lumière et d’eau, produit de l’oxygène et de la matière organique. Initiée par des cyanobactéries, la production d’oxygène va avoir pour premier effet d’oxyder le fer présent dans les sols marins. Le début du Protérozoïque, il y a 2,4 milliards d’années, voit aussi la première glaciation planétaire globale, dite « huronienne », dont nous ayons la trace. Celle-ci pourrait être la conséquence de la diminution du méthane atmosphérique associée à la poussée d’oxygène moléculaire (qui, lui, n’est pas un gaz à effet de serre) et aussi, peut-être, de grosses chutes de météorites ou de très fortes éruptions volcaniques ; ces phénomènes, en projetant dans la stratosphère de grandes quantités de poussières qui absorbent l’énergie solaire, entraînent un refroidissement de l’atmosphère. On sait peu de chose de cet épisode car notre connaissance de la répartition des océans et des masses continentales ne s’étend pas au-delà de 1,5 milliard d’années. On connaît toutefois des cratères témoignant d’impacts météoritiques majeurs : le cratère de Vredefort en Afrique du Sud, d’un diamètre de 300 km et âgé de deux milliards d’années, et le cratère de Sudbury, d’un diamètre de 250 km, âgé de 1,85 milliards d’années. Des événements semblables ont certainement eu lieu dans un passé plus ancien mais les mécanismes d’érosion, ainsi que la tectonique des plaques, en auront effacé les traces. Comment la Terre est-elle sortie de la première glaciation protérozoïque ? Lorsque la surface est entièrement glacée, la séquestration du dioxyde de 108
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F IGURE 6.3. Évolution de la composition atmosphérique de la Terre en fonction du temps. L’atmosphère, d’abord dominée par le gaz carbonique, s’enrichit en méthane avec l’apparition des cyanobactéries il y a 3,7 milliards d’années, puis en oxygène moléculaire lors du grand événement d’oxydation, il y a 2,4 milliards d’années. © G. Ramstein, LSCE, Reflets de la Physique 55, 6, 2017.
carbone dans les sols ne peut plus avoir lieu, donc sa concentration dans l’atmosphère augmente régulièrement en raison du volcanisme. Il est possible aussi que des éruptions volcaniques violentes aient permis d’injecter dans l’atmosphère de grandes quantités de gaz carbonique, réactivant ainsi l’effet de serre. En effet, l’activité volcanique peut avoir des effets contraires : si elle injecte des particules dans l’atmosphère, elle diminue le flux solaire reçu à la surface de la Terre et se traduit par un refroidissement de l’atmosphère ; si elle injecte du dioxyde de carbone en grandes quantités, elle augmente l’effet de serre et la réchauffe. Tout dépend donc du type de volcanisme associé à la période concernée, sur lequel nous n’avons malheureusement aucune information. La seconde glaciation globale planétaire, intervenue il y a quelque 600 à 700 millions d’années, est en revanche mieux connue, car nous pouvons retracer LES PLANÈTES ET LA VIE
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la répartition et l’évolution des masses continentales à cette époque. La cause de cette seconde glaciation pourrait être due à la configuration particulière des continents. Il y a 800 millions d’années, un super-continent, le Rodinia, se situe à basse latitude ; du fait de ses grandes dimensions, il est peu arrosé, sauf en périphérie. Au cours des dizaines de millions d’années suivantes, il va éclater en petites plaques continentales, tout en restant aux mêmes latitudes. Soumises à de fortes précipitations, ces plaques subissent une altération silicatée qui va consommer le gaz carbonique atmosphérique et en diminuer la teneur, provoquant ainsi une chute des températures. La Terre sort de cette période, encore une fois, grâce à l’accumulation du gaz carbonique atmosphérique (qui n’interagit plus avec la surface gelée), sans doute produit par une activité volcanique intense, et à l’effet de serre qui s’ensuit.
6.2.3
Le Phanérozoïque : la vie sur les continents
Dès qu’il est présent dans l’atmosphère terrestre, l’oxygène moléculaire est soumis au rayonnement ultraviolet solaire. Il en résulte la formation d’une couche d’ozone stratosphérique, dont l’effet est capital pour l’évolution pour le développement de la vie : en absorbant le rayonnement ultraviolet solaire, la couche d’ozone protège la surface des continents de ses effets nocifs et rend possible le développement de molécules organiques complexes. L’entrée dans l’ère du Phanérozoïque, il y a 580 millions d’années, marque ainsi le développement de la vie à la surface des continents. L’évolution climatique est alors fortement liée à l’activité tectonique de la planète, qu’il s’agisse de la dérive des continents ou de l’élévation des reliefs montagneux. Il en est de même pour le cycle du carbone et la concentration atmosphérique du gaz carbonique. Au cours du Phanérozoïque, entre 300 millions et quelques millions d’années, les périodes glaciaires deviennent plus rares et la température moyenne est plus élevée qu’aujourd’hui d’une dizaine de degrés. L’ère secondaire (Mézozoïque) correspond au niveau maximum de montée des eaux (plusieurs centaines de mètres au-dessus du niveau actuel) et à la formation des grands bassins sédimentaires, comme le Bassin parisien. Parallèlement, l’océan Atlantique s’ouvre ainsi que l’océan Indien. L’époque du Carbonifère, entre 360 et 295 millions d’années, voit apparaître, avec l’élévation de température, les fougères, les prêles et les plantes géantes. Leur décomposition dans les zones marécageuses entraîne la formation des grandes réserves fossiles de carbone, sous forme de charbon, de gaz naturel et de pétrole. Après l’apparition des poissons dans les océans, il y a 540 millions d’années, le règne animal voit apparaître successivement les amphibiens, les insectes et les reptiles. L’ère 110
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F IGURE 6.4. Évolution de la température globale moyenne de la Terre en fonction du temps, évaluée à partir d’indicateurs géologiques. On voit apparaître un maximum à l’époque du Jurassique et du Crétacé, il y a environ 100 millions d’années. © S. Joussaume, Climat d’hier à demain, CNRS édition.
mésozoïque, entre 300 et 65 millions d’années, voit le règne des dinosaures et des oiseaux (Fig. 6.4). L’ère tertiaire, qui s’ouvre il y a 65 millions d’années, se caractérise par la disparition des dinosaures et de nombreuses autres espèces animales. On attribue ce bouleversement écologique à la chute d’une météorite géante, d’une dizaine de kilomètres de diamètre, à Chicxulub, au bord du golfe du Mexique ; le phénomène a pu être amplifié par une activité volcanique intense au Dekkan datée de la même période, qui aurait pu être déclenchée par la chute. Cet événement aura une importance considérable puisque l’extinction des dinosaures va permettre l’explosion des mammifères avec, en final, l’apparition de l’Homme. Il est possible de mesurer l’évolution de la teneur de gaz carbonique depuis le début de l’ère tertiaire à l’aide de différents indicateurs paléo-climatiques LES PLANÈTES ET LA VIE
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(phytoplancton, abondances élémentaires). Ces mesures montrent que la teneur du gaz carbonique atmosphérique a chuté d’un facteur 3 entre le début de l’ère tertiaire et la fin de l’ère pré-industrielle. Les raisons de cette chute restent mal expliquées. Il y a une trentaine de millions d’années, le continent Antarctique s’est couvert de glace, tandis que la glaciation du Groenland est intervenue bien plus tard, il y environ trois millions d’années. Au cours du Quaternaire, les périodes de glaciation se succèdent, les calottes glaciaires pouvant recouvrir l’ensemble du Canada, ainsi que le nord de l’Asie et de l’Europe. Les travaux du mathématicien yougoslave Milutin Milankovitch ont mis en évidence une relation entre les dates d’apparition des périodes de glaciation et la quantité de flux solaire reçu à la surface. Celle-ci varie en fonction de plusieurs facteurs : l’excentricité de l’orbite terrestre introduit une périodicité d’environ 100 000 ans, tandis que les variations de l’obliquité de la Terre par rapport à l’écliptique introduisent une période de 43 000 ans ; enfin, la précession des équinoxes introduit deux autres modulations, de périodes 24 000 et 19 000 respectivement (Fig. 6.5). Dans ses grandes lignes, au cours du Quaternaire, l’évolution en fonction du temps du taux de dioxyde de carbone (et donc de la température moyenne) suit la courbe du flux solaire reçu. La dernière période glaciaire a eu lieu il y a 21 000 ans ; le niveau marin avait baissé de plus de 100 mètres par rapport au niveau actuel, modifiant sensiblement le contour des continents. C’est ainsi que la Manche n’existait pas, la France et l’Angleterre faisant partie du même continent. C’est dans ce contexte que Homo Sapiens a pu conquérir l’ensemble de l’Eurasie. Cependant, à mesure que l’on se rapproche du temps présent et que les mesures deviennent plus nombreuses et plus précises, la situation se complique. Ainsi, la Terre a connu il y a 7 000 ans un maximum de température supérieur de plus de 2 ◦ C à la moyenne actuelle. Les pluies sont alors abondantes et le Sahara entier est couvert de vertes prairies. Cet épisode est suivi, il y a quelque 5 000 ans, d’un refroidissement entraînant la désertification de nombreux continents. Entre le Xe et le XIIIe siècle de notre ère apparaît un « optimum climatique médiéval » qui voit notamment la colonisation des vertes prairies du Groenland (d’où son nom) par les descendants des Vikings venant de Norvège. Dans un passé plus récent, il y a quelques siècles (entre 1440 et 1880), l’Europe connaît à nouveau un « Petit Âge Glaciaire » avec une avancée notable des glaciers. Il est suivi du réchauffement actuel, dû en très grande partie à l’activité humaine, dont nous allons parler.
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F IGURE 6.5. Évolution des variations climatiques mesurées au cours des 500 000 dernières années à partir des teneurs isotopiques mesurées dans les sédiments marins de l’océan Indien. L’analyse spectrale de ces variations fait apparaître plusieurs périodicités qui correspondent à celles des paramètres orbitaux de la Terre, apportant ainsi une confirmation de la théorie de Milankovitch. © S. Joussaume, Climat d’hier à demain, CNRS édition.
6.3
Quel devenir pour l’atmosphère terrestre ?
Nous voici au XIXe siècle, à la fin de l’ère pré-industrielle. La concentration de CO2 dans l’atmosphère est alors de 280 ppmv (partie par million en volume), et la température moyenne est inférieure de 0,6 ◦ C à celle de 2000. En 2010, le taux de CO2 atteint 340 ppmv et la température moyenne est supérieure de 0,03◦ à la valeur de 2000. Ces paramètres sont mesurés précisément grâce aux carottages réalisés en Antarctique jusqu’à une profondeur de trois kilomètres, qui analysent, à différentes profondeurs, les rapports isotopiques des éléments contenus dans la glace. En parallèle, le niveau des mers s’est élevé de 20 centimètres. Les résultats sont sans appel : on assiste à un emballement de l’effet de serre alimenté par le gaz carbonique. Qui plus est, compte tenu de la très longue durée de vie du gaz carbonique dans l’atmosphère terrestre (plus de 200 ans), toute augmentation du taux de CO2 se perpétuera dans les siècles à venir : même si l’on arrivait aujourd’hui à le stabiliser, il ne diminuerait pas avant deux siècles. . . Que nous réserve l’avenir ? Les modèles climatiques globaux visant à extrapoler ces données dans l’avenir présentent bien sûr des incertitudes, mais leurs conclusions sont inquiétantes. Selon le dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat), le niveau des mers LES PLANÈTES ET LA VIE
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pourrait s’élever de 30 à 90 cm d’ici la fin du XXIe siècle, ce qui aurait des conséquences catastrophiques pour un très grand nombre de populations vivant à proximité des côtes. Dans cette augmentation, la fonte des calottes glaciaires pourrait devenir le facteur prépondérant, devant la dilatation des océans due à l’échauffement et la contribution des glaciers dont les effets dominent aujourd’hui. En conclusion, il apparaît désormais acquis que, suite à l’avènement de l’ère industrielle et à l’accroissement démographique, l’activité humaine joue aujourd’hui sur le climat un rôle déterminant, dont l’effet s’accélère en fonction du temps. Bien qu’il soit difficile de prévoir avec précision l’ampleur du phénomène, compte tenu du nombre et de la complexité des paramètres qui interviennent, nous devons prendre en compte le risque possible d’un emballement irréversible de l’effet de serre. Une prise de conscience de ce risque à l’échelle planétaire est indispensable, avec la mise en place de politiques d’économie d’énergie, de recherche d’énergies renouvelables et de sauvegarde de la biodiversité. Une autre remarque s’impose, au regard de l’évolution climatique de la Terre au cours de son histoire : il y a une étroite corrélation entre l’apparition de la vie sous ses diverses formes et l’évolution du climat terrestre. C’est l’apparition des premières cyanobactéries méthanogènes qui est responsable de l’augmentation du taux de méthane atmosphérique ; c’est la formation des continents, il y a quelque trois milliards d’années, qui rend possible le piégeage du gaz carbonique atmosphérique dans les sols sous forme de carbonates. Plus tard, c’est le développement, au sein des océans, des premières bactéries productrices d’oxygène qui va conduire à l’apparition d’oxygène moléculaire dans l’atmosphère ; puis, la formation d’une couche d’ozone stratosphérique, produit de la photolyse de l’oxygène, va constituer un écran protecteur qui permettra à la vie de conquérir les continents. D’autres événements catastrophiques ont joué un rôle majeur dans l’évolution des formes de vie. L’activité volcanique a dû être un élément prépondérant, en injectant dans l’atmosphère la quantité de gaz carbonique suffisante pour réactiver l’effet de serre dans les périodes de glaciation, mais aussi, a contrario, en injectant des particules absorbantes dans la stratosphère, capables de bloquer le rayonnement solaire et de provoquer des périodes de refroidissement durable. Enfin, les grands impacts météoritiques ont eu, eux aussi, un effet déterminant sur l’évolution de la vie. La Terre a connu plusieurs extinctions massives au cours de son histoire, identifiées à partir des registres fossiles, dont la cause est souvent mal connue. Ainsi, l’extinction du Trias-Jurassique, datant de quelque 200 millions d’années, a vu la disparition de 75 % des espèces marines et de 35 % des espèces animales. Nous avons vu que, plus près de nous, il y a 65 millions d’années, l’impact 114
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météoritique du Chixchulub et ses conséquences possibles sur le volcanisme au Dekkan a entraîné la disparition des dinosaures et de nombreuses autres espèces. Sans cette catastrophe écologique, providentielle pour le développement des mammifères et finalement pour l’apparition de l’Homme, nous ne serions pas là pour en parler. . . L’Homme qui, justement, depuis quelques milliers d’années, est aujourd’hui responsable de l’extinction de l’Holocène, par la surexploitation des ressources, la pollution des milieux et le dérèglement du climat. Enfin, les facteurs astronomiques, liés aux paramètres orbitaux de la Terre et de son satellite la Lune, interviennent de manière décisive sur les variations climatiques aux échelles géologiques. Nous avons vu qu’au cours du Quaternaire, l’évolution temporelle des périodes de glaciation est étroitement corrélée aux cycles de Milankhovitch qui font intervenir les périodicités des différents paramètres orbitaux de la Terre. Mais ce n’est pas tout : la présence de la Lune, très tôt après la formation de la planète, a joué un rôle dans la stabilisation de son obliquité. En effet, les simulations numériques menées par une équipe de l’Observatoire de Paris ont montré, qu’en l’absence de satellite suffisamment massif, l’obliquité des planètes telluriques peut osciller avec une période d’environ 20 millions d’années entre une valeur proche de zéro et un maximum pouvant atteindre 60◦ ; c’est ce qui est arrivé à la planète Mars, avec d’importantes conséquences sur la répartition latitudinale des glaciers (voir Chap. 5). Dans le cas de la Terre, les calculs montrent que la présence de la Lune a eu pour effet de stabiliser l’obliquité de la planète, avec d’importantes implications pour l’évolution de son climat. 6.4
Quelles leçons retenir pour l’exobiologie ?
À partir de l’exemple que nous connaissons, celui du développement de la vie sur la Terre, pouvons-nous extraire quelques remarques générales utiles dans la recherche d’une vie extraterrestre ? Tout en se gardant évidemment de généraliser à partir d’un exemple unique, nous pouvons essayer d’en définir quelques caractéristiques. Remarquons d’abord que la vie semble être apparue relativement tôt dans l’histoire de la planète, dès le premier milliard d’années ; elle est sans doute née en milieu aqueux, sous la forme de micro-organismes. Elle s’est développée très lentement : les organismes unicellulaires ont perduré seuls pendant plus de deux milliards d’années, jusqu’au début de l’ère secondaire, il y a moins de 600 millions d’années. Si la vie est présente sur une autre planète, il est probable qu’elle existe surtout sous la forme de micro-organismes ; en effet, en raison de son rapport surface/volume élevé, une cellule de petite taille est mieux adaptée LES PLANÈTES ET LA VIE
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aux échanges de matière et d’énergie avec l’extérieur. Même aujourd’hui, les micro-organismes constituent une partie importante de la biomasse terrestre. Plus tard, suite au développement de la vie sur les continents, des évolutions très rapides (marquées par les grandes extinctions) semblent avoir été le fait de facteurs extérieurs (chute de météorites ou éruptions volcaniques géantes). Ces évolutions se traduisent par une complexification croissante des organismes qui s’accompagne globalement d’une augmentation de la taille des êtres vivants qui passe de l’échelle microscopique à l’échelle métrique. On peut aussi noter qu’une différenciation des conditions extérieures (température, humidité) entraîne, par adaptation des espèces à leur environnement, un enrichissement de la biodiversité. Un dernier constat s’impose : une fois que la vie est apparue sur la Terre, elle s’est avérée capable de s’adapter aux conditions les plus extrêmes. En effet, des colonies microbiennes ont été découvertes dans les environnements les plus hostiles de température, de pression, d’acidité ou de rayonnement. S’il est vrai que l’on ne sait toujours pas reproduire en laboratoire le passage du non-vivant au vivant, il faut reconnaître que lorsque la vie est apparue dans un environnement donné, il est très difficile de la faire disparaître.
Encadré E.6.1 Le piégeage du gaz carbonique au sein des océans Le refroidissement progressif de la jeune Terre, au cours de l’Hadéen ou au début de l’Archéen, permet la condensation de l’eau présente dans l’atmosphère et la formation des océans. L’atmosphère devient alors dominée par le gaz carbonique dont la pression, selon les modèles, pourrait atteindre plusieurs dizaines, voire la centaine de bars. Comment alors échapper à l’emballement de l’effet de serre galopant dont la planète Vénus a été la victime ? C’est la présence des océans liquides qui a sauvé la Terre de ce destin. Le schéma couramment accepté est le suivant. Dans un premier temps, en présence d’eau liquide, le silicate de magnésium réagit avec le gaz carbonique dissous dans l’océan suivant la réaction suivante pour former le bicarbonate HCO3 − : MgSiO3 + 2 CO2 + H2 O → Mg++ + 2 HCO3 − + SiO2 Le bicarbonate réagit ensuite pour former le carbonate de calcium qui forme une croûte calcaire : 2 HCO3 − + Ca++ → CaCO3 + CO2 + H2 O Le bilan des deux réactions est qu’une molécule de CO2 a été piégée sous forme de calcaire. Ce mécanisme permet la diminution du taux de CO2 dans l’atmosphère et la limitation de l’effet de serre.
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Le cycle du gaz carbonique induit par la formation du calcaire. Reproduit de M. Gargaud et al. Le Soleil, la Terre, la Vie : la quête des origines, avec la permission de Belin. F IGURE E. 6.1.
Le mécanisme de pompage du gaz carbonique peut aussi fonctionner sur les terres émergées si les silicates de sa surface sont soumis à de fortes pluies. On peut ainsi
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imaginer, au début de l’histoire de la Terre (Hadéen et Archéen), le cycle du CO2 suivant : (1) Le gaz carbonique, d’abord très abondant et dégazé épisodiquement par volcanisme, est piégé sous forme de calcaire et le carbone est séquestré dans le manteau ; (2) La baisse du CO2 est suffisamment importante pour déclencher une glaciation globale et la Terre se recouvre de glace ; (3) le gaz carbonique, toujours émis par volcanisme, s’accumule dans l’atmosphère mais n’est plus en interaction avec le sol silicaté du fait de la présence de glace ; la température augmente à nouveau, jusqu’à provoquer la fonte des glaces, et on revient au cas 1. Ce cycle du carbone a certainement joué un rôle dans les glaciations qui se sont succédées au cours de l’histoire de la Terre.
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La vie dans le Système solaire ?
De notre voyage dans le passé de l’atmosphère terrestre, nous pouvons retenir plusieurs éléments essentiels, voire sans doute indispensables, qui ont conduit à l’avènement et au développement de la vie telle que nous la connaissons. Il s’agit bien sûr, en premier lieu, de la présence d’eau liquide, mais aussi de celle des « nutriments » (carbone, hydrogène, azote, oxygène, phosphore et soufre) et enfin d’une source d’énergie. Celle-ci peut provenir du rayonnement solaire, mais aussi des sources de chaleur hydrothermales ou des réactions chimiques elles-mêmes. 7.1
La zone d’habitabilité dans le Système solaire
Dans le cas de la Terre, la présence d’océans a été essentielle pour l’apparition de la vie. De ce constat simple est né le concept de « zone d’habitabilité », aussi appelée « zone habitable ». Introduite dès les années 1950 par plusieurs chercheurs, la zone habitable (ZH) autour d’une étoile – à commencer par le Soleil – décrit la région où la température est telle que l’eau peut se trouver à la surface d’une planète sous forme liquide. Dans le cas de la Terre, pour une pression atmosphérique d’un bar, la plage de température est comprise entre 0 et 100 ◦ C. Le diagramme d’état de l’eau (Fig. 7.1) nous montre que, si la limite supérieure de cette plage dépend de la pression ambiante, la limite inférieure est toujours très proche de 0 ◦ C. À partir de ce diagramme, on peut isoler deux régions potentiellement intéressantes pour l’habitabilité. La première est la région proche du point triple, à des pressions et des températures modérées, dans la gamme 0–100 ◦ C. Elle correspond aux conditions atmosphériques des planètes de type terrestre et, par extrapolation, des exoplanètes rocheuses. La
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F IGURE 7.1. Le diagramme de phase de l’eau. On remarque que la ligne séparant la phase solide de la phase liquide (aux fortes pressions) et de la phase gazeuse (aux basses pressions) est pratiquement verticale : la transition entre les formes solide et liquide de l’eau intervient à une température proche de 0 ◦ C dans une très large gamme de pressions. © Wikipedia, Creative Commons.
deuxième région se situe à des températures et des pressions plus élevées, allant jusqu’au point critique (P = 221 bars, T = 374 ◦ C) ; c’est celle des océans liquides que l’on s’attend à trouver à l’intérieur des satellites extérieurs des planètes géantes ; nous les évoquerons à la fin dans ce chapitre. Le concept de zone habitable tel qu’il a été défini ici s’adresse à la première catégorie : on considère des planètes rocheuses en orbite autour d’une étoile dont le rayonnement est tel que sa surface peut accueillir et conserver l’eau liquide (Fig. 7.2). Cependant, il faut garder en mémoire que la seconde catégorie, sans rentrer dans la définition de la « zone habitable », pourrait aussi, a priori, héberger une chimie prébiotique, voire des êtres vivants ; l’étude des habitats potentiels liés aux satellites Europe autour de Jupiter, et Encelade et Titan autour de Saturne, fait actuellement l’objet d’actives recherches. Si le concept de zone habitable, tel qu’il est défini ici, s’est focalisé sur les planètes dotées d’une surface, c’est dans la perspective d’une recherche future de la vie sur ces objets : celle-ci devrait a priori être plus facile (ou moins difficile !) dans le cas d’une vie en surface que dans le cas d’une vie sous-marine cachée sous une couche de glace. Quelles sont les limites de la zone habitable dans le cas du Système solaire ? La limite interne est fixée par la vaporisation de l’eau liquide dans la stratosphère suivie par la photodissociation de l’eau et à l’échappement de 120
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l’hydrogène. D’après les modèles climatiques les plus récents, cette limite se situe à 0,95 ua. Quant à la limite extérieure, elle est plus difficile à quantifier. Que se passe-t-il lorsque l’on s’éloigne du Soleil ? Lorsque la température décroît, les continents se recouvrent de glace et le dioxyde de carbone émis par les volcans s’accumule dans l’atmosphère, augmentant de ce fait l’effet de serre, ce qui ralentit le processus de refroidissement. Vient un moment où les nuages de dioxyde de carbone solide se forment en quantités suffisantes pour inhiber le processus d’effet de serre. Les chercheurs placent généralement la limite supérieure de la zone habitable aux environs de 1,7 ua. Notons que la zone habitable ainsi définie inclut l’orbite de la Terre (ce qui est heureux !) mais aussi celle de Mars : une planète Mars plus massive, avec une atmosphère épaisse de gaz carbonique et de vapeur d’eau, générant un effet de serre suffisant mais régulé par le cycle de CO2 via les carbonates et les silicates, pourrait a priori avoir une température de surface compatible avec la présence d’eau liquide. Le fait que la planète Mars soit actuellement dénuée d’eau liquide en surface illustre aussi les limites de la notion de zone habitable : il ne suffit pas qu’une planète soit dans cette zone pour que l’eau liquide coule à sa surface ! Encore faut-il que sa composition atmosphérique et sa pression de surface s’y prêtent. Enfin n’oublions pas que la luminosité du Soleil augmente avec le temps. La zone habitable du Système solaire s’est donc déplacée vers l’extérieur depuis son origine. Comme le flux solaire reçu est inversement proportionnel au carré de la distance héliocentrique, on peut estimer qu’il y a quatre milliards d’années, quand le flux solaire était égal à 70 % de sa valeur actuelle, la zone habitable se situait entre 0,80 et 1,4 ua. Notons que Mars était alors à l’extérieur de cette zone, ce qui illustre le « paradoxe du Soleil jeune » que nous avons évoqué ci-dessus (voir Chap. 5). Dans le futur, à mesure que la luminosité solaire va augmenter, la zone habitable va s’éloigner du Soleil et la Terre va à son tour en sortir ; on estime que d’ici un milliard d’années, la Terre cessera d’être habitable car sa température de surface sera trop élevée. La figure 7.2 montre la distance de la zone habitable par rapport à l’étoile pour les différents types d’étoiles. Le système solaire est représenté en face de la catégorie G qui est celle du Soleil. Les étoiles A et F, plus massives que le Soleil, ont aussi des durées de vie plus courtes, inférieures au milliard d’années ; comme elles sont plus brillantes, leur zone habitable est repoussée à de plus grandes distances. Les étoiles K et M, plus petites et moins massives que le Soleil, sont aussi les plus nombreuses, et leur durée de vie est de plusieurs centaines de millions d’années. Nous verrons plus loin (Chap. 8) que ces étoiles sont particulièrement intéressantes car leur zone habitable est proche de l’étoile et les exoplanètes qui y sont éventuellement situées peuvent être détectées LES PLANÈTES ET LA VIE
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F IGURE 7.2. La zone d’habitabilité (ou zone habitable) d’une étoile, en fonction de la masse et du type spectral de celle-ci. Plus l’étoile est massive et brillante, plus la zone habitable est éloignée. Dans le cas du Soleil (étoile de type spectral G2V), la zone habitable englobe la Terre et Mars mais non Vénus. D’après Catling et Kasting, Atmospheric Evolution of inhabitable and lifeless worlds, Cambridge University Press, 2017.
relativement facilement par transit devant l’étoile, du fait de leur période de révolution réduite. 7.2
Un océan passé sur Vénus ?
La planète Vénus pourrait-elle avoir été habitable dans le passé ? La question mérite d’être posée. C’est encore une fois la luminosité du « Soleil jeune », il y a quatre milliards d’années, qui est en cause. Nous avons vu que celle-ci était, à l’époque, environ 70 % de sa valeur actuelle. Au niveau de l’orbite de Vénus, en supposant pour Vénus un albédo comparable à celui de la Terre aujourd’hui (0,3), la température d’équilibre devait être proche de 280 K (soit 7 ◦ C), compatible avec la présence d’eau liquide. Nous avons vu (Chap. 4) que l’atmosphère de Vénus était riche en eau il y a quelque trois à quatre milliards d’années. Les conditions ont donc pu être réunies pour qu’un océan d’eau liquide existe sur Vénus il y a trois ou quatre milliards d’années. Que s’est-il passé ensuite ? Le flux solaire a augmenté peu à peu, entraînant la vaporisation de l’eau, puis sa dissociation par le rayonnement ultraviolet solaire, puis l’échappement des atomes d’hydrogène. L’absence d’eau a pu empêcher la mise en place d’une tectonique des plaques comme on l’a observé sur la Terre, où la subduction des plaques utilise des matériaux hydratés. L’absence de tectonique des plaques empêche aussi le recyclage (par le 122
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F IGURE 7.3. Cartographie de la topographie de Vénus réalisée par radar grâce à la mission Magellan. La surface de Vénus est entièrement couverte de volcans dont l’âge est estimé à quelques centaines de millions d’années, comme en témoigne l’absence de cratères d’impact de météorites. À la différence de Mars, il n’y a donc pas d’espoir d’y trouver des vestiges des conditions qui régnaient il y a trois milliards d’années. © NASA.
volcanisme) du dioxyde de carbone piégé dans les roches et donc la régulation de l’effet de serre tel qu’elle se produit sur Terre. Cependant, si un océan d’eau liquide a pu être présent à la surface de Vénus pendant plusieurs milliards d’années, la vie aurait-elle pu y apparaître et s’y développer ? Rien ne permet a priori de l’exclure. . . mais rien ne permettra sans doute de confirmer cette hypothèse. Comme nous l’avons vu plus haut (Chap. 3), toutes les traces éventuelles de vie possible ont dû être effacées avec le remodelage de la surface lié au volcanisme (Fig. 7.3). D’autres chercheurs, de l’Université de Wisconsin, ne baissent pas les bras. À défaut de pouvoir sonder la surface, ils se tournent vers les nuages, où les conditions de température (230–300 K, soit -47–27◦ C) et de pression (0,5 à 1,5 bar) sont plus clémentes et ne seraient pas incompatibles avec une vie microbienne. Depuis des décennies, les chercheurs ont constaté que les nuages de Vénus absorbaient le rayonnement ultraviolet solaire à une longueur d’onde particulière, et n’ont pu à ce jour déterminer sans ambiguïté la nature de l’absorbant. Pourrait-il s’agir de bactéries ? Rien ne permet aujourd’hui de le supposer, mais on ne peut pas non plus l’exclure. Notons cependant qu’il existe des micro-organismes terrestres survivant dans des milieux dominés par le dioxyde de carbone, riches en acide sulfurique et contenant du fer. Il faudrait imaginer, au sein des nuages de LES PLANÈTES ET LA VIE
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F IGURE 7.4. Schéma résumant les idées émises par S. Limaye et al. sur les possibilités d’une vie à base de micro-organismes au niveau de la couche nuageuse de Vénus. Ces micro-organismes pourraient survivre par réduction du gaz carbonique à partir de l’oxydation du fer et des composés soufrés, ou à partir d’un métabolisme à base de fer et de soufre. Ils pourraient rester en suspension dans l’atmosphère, grâce aux mouvements convectifs ascendants ou à des ondes de gravité, pendant une durée suffisante pour assurer la division cellulaire, avant de retomber sur la surface. S’ils sont présents dans les nuages, les micro-organismes pourraient être à l’origine de signatures spectrales pour l’instant inexpliquées observées dans l’ultraviolet. Rappelons que cette théorie n’est pour l’instant qu’une hypothèse, dénuée de fondements observationnels, dont la validation ne pourra éventuellement se faire que par l’envoi d’une sonde capable de mesurer in situ la composition chimique des nuages. © S. Limaye et al. Astrobiology, 18, 10, 2018.
Vénus, un métabolisme basé sur le fer et le soufre, dans lequel l’oxydation de ces composés serait couplée à la réduction du dioxyde en l’absence d’oxygène (Fig. 7.4). La vie pourrait avoir migré de la surface vers les nuages à mesure que la température de la planète s’élevait ; le temps de résidence des microorganismes aurait été suffisant pour permettre la division des cellules avant que celles-ci ne sombrent et soient détruites. Voilà une suggestion séduisante, qui mérite d’être mentionnée, même si aujourd’hui elle ne repose sur aucun fait tangible. Une seule solution pour en savoir plus : reprendre l’exploration spatiale de Vénus, après Venus Express et Akatsuki, pour envoyer au niveau des nuages des véhicules (ballons, drones. . . ) 124
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capables de réaliser l’analyse in situ de leur composition chimique. Les défis technologiques sont bien moindres que dans le cas d’une sonde de descente devant se poser à la surface, et les perspectives d’une telle mission en termes d’exobiologie pourraient être très importantes. 7.3
À la recherche de traces de vie sur Mars
Nous l’avons vu (Chap. 3), la recherche de la vie sur Mars ne date pas d’hier. Après le mythe des canaux martiens, après la déception de l’exploration menée par la mission Viking, qu’en est-il aujourd’hui ? Nous allons voir que la quête de la vie sur Mars est toujours aussi vivace. Les expériences menées par Viking ont montré l’absence de microorganismes, et même l’absence de molécules organiques, à la surface de Mars. Il y a à ceci une explication simple : exposée à la lumière solaire, la matière organique serait immédiatement détruite par le rayonnement ultraviolet qui pénètre dans l’atmosphère jusqu’à la surface. L’agent oxydant suspecté à l’époque, le peroxyde d’hydrogène, a été finalement identifié une vingtaine d’années plus tard. Il est donc apparu illusoire de rechercher des formes de vie en surface. Cependant, nous l’avons vu (Chap. 5), il existe de multiples indices en faveur de la présence d’eau liquide dans le passé. Ces indices, apparus dès la mission Viking avec les signatures géologiques des réseaux fluviaux, se sont renforcés avec la découverte, à la fin des années 1980, de l’enrichissement en deutérium à partir de mesures faites depuis la Terre, puis grâce à la reprise de l’exploration spatiale à la fin des années 1990 : existence possible d’un océan boréal (Mars Global Surveyor), découverte de réservoirs de pergélisol sous les pôles (Mars Odyssey), présence d’argiles dans les terrains anciens (Mars Express), et enfin mise en évidence par l’examen stratigraphique des reliefs de la présence passée d’eau sous-terraine en divers endroits (Fig. 7.5). Récemment, une équipe a annoncé, à partir des données radar de l’instrument MARSIS à bord de la sonde Mars Express, la découverte d’un aquifère, large d’une vingtaine de kilomètres, qui serait situé à un ou deux kilomètres de profondeur sous la calotte polaire sud de Mars. Ce résultat, s’il est confirmé, pourrait présenter d’importantes implications en termes d’exobiologie ; cependant, le fait que l’eau soit liquide à cette faible profondeur implique sans doute une salinité très élevée, a priori peu favorable à l’existence de micro-organismes vivants. En parallèle, la découverte, sur les pentes de certains cratères, de stries récurrentes, les « recurring slope lineae », a été interprétée comme la présence possible de poches d’eau salée sous la surface (Fig. 7.6), mais cette analyse reste controversée. Plus globalement, l’ensemble des relevés géologiques et stratigraphiques LES PLANÈTES ET LA VIE
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F IGURE 7.5. La structure stratifiée des pentes des Burn Cliffs d’Endurance Crater, observée par le robot américain Opportunity, suggère que celles-ci ont été façonnées par la présence d’eau liquide en subsurface. D’après J. Grotzinger et al. Earth and Planetary Science Letters 2005. © NASA
semble montrer que, si l’eau a coulé en abondance jusqu’à la fin du Noachien (il y a 3,5 milliards d’années), elle s’est faite beaucoup plus épisodique au cours de l’Hespérien pour disparaître pendant l’Amazonien, il y a trois milliards d’années. Donc si jamais la vie est apparue sur Mars, c’est dans le premier milliard d’années qu’il faut en chercher les vestiges. Après le programme « Follow the water ! » mis en place par la NASA au début de ce siècle pour rechercher les signatures de l’eau liquide, les scientifiques se sont attachés, dans une deuxième étape, à déterminer les critères d’habitabilité qui rendraient un environnement particulièrement propice à l’apparition de la vie. Ces critères, élaborés à partir de ce que nous enseigne la biochimie, sont les suivants : présence d’eau liquide, présence de nutriments (C, H, N, O, P, S), faible acidité, faible salinité, présence de fer et de soufre dans différents états d’oxydation. C’est la réunion de ces critères positifs qui ont permis aux scientifiques de la mission Curiosity de conclure que le site de Yellowknife Bay constituait un « environnement habitable » il y a quelque 3,5 milliards d’années. Au-delà des critères d’habitabilité, le robot Curiosity a-t-il trouvé des signes plus tangibles en faveur d’une chimie organique ? Pendant longtemps, les molécules organiques ont été cherchées sans succès. En 2015, le chlorobenzène et des dichloroalkanes ont été détectés pour la première fois. Mais leurs abondances sont faibles, et la matière organique ayant réagi avec le chlore martien pourrait être d’origine externe (comètes, météorites ou poussières interplanétaires). Autre découverte importante de Curiosity, la détection d’une émission 126
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F IGURE 7.6. Ces traînées noires parallèles sur les flancs du cratère Garni sont appelées « Recurring Stripe Lineae » (RLS). Identifiées sur plusieurs dizaines de sites par la caméra de la mission Mars Reconnaissance Orbiter, elles pourraient indiquer la présence d’eau liquide sous la surface. Celle-ci serait nécessairement très salée, condition nécessaire pour que la présence d’eau liquide soit compatible avec la température qui y règne. Cependant, selon certains scientifiques, les RSL pourraient aussi être formées par le mouvement de grains de sable en l’absence d’eau. © NASA
temporaire de méthane, au niveau de sept parties par milliard dans l’atmosphère, pendant une durée de quelques mois. Ce jet, d’origine inexpliquée, s’ajoute à un continuum dix fois plus faible qui semble présenter des variations saisonnières. Cette découverte a ravivé un débat qui a secoué la communauté pendant plus de dix ans, suite à une détection possible de méthane sur Mars. La présence de méthane était tout-à-fait inattendue, compte tenu du caractère très oxydant de l’atmosphère martienne, dominée par le gaz carbonique ; sur la Terre, le méthane est en très grande partie d’origine biogénique. Sur Mars, son origine pourrait être abiotique (par exemple par le dégazage de clathrates de méthane formés en sous-sol dans le passé de la planète). La découverte du méthane martien a donc d’importantes implications en termes d’exobiologie, et le débat n’est pas clos. . . Revenons à la question cruciale : si l’eau liquide a été abondante à la surface de Mars à cette époque, y a-t-elle séjourné suffisamment longtemps, et dans des conditions permettant l’émergence de la vie ? Dans le cas de Yellowknife Bay, selon les auteurs des recherches menées par Curiosity, la durée pendant laquelle les conditions d’habitabilité ont été remplies est malheureusement très incertaine (entre 100 et 10 000 ans). C’est ici que se pose à nouveau le « paradoxe du Soleil jeune ». Nous avons vu que, il y a 3,5 milliards d’années, LES PLANÈTES ET LA VIE
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la luminosité solaire était plus faible qu’aujourd’hui, au point qu’il était très difficile d’imaginer, à cette époque, une température d’équilibre compatible avec la présence d’eau liquide, donc supérieure à 0 ◦ C. La piste habituellement privilégiée – celle d’un climat généralement froid et sec, entrecoupé par des périodes plus chaudes et humides sans doute provoquées par des épisodes volcaniques – n’est pas a priori le scénario le plus favorable à l’émergence de la vie, puisque la longévité fait partie des critères retenus pour son apparition et son maintien. On peut toutefois remarquer que, comme dans le cas de la Terre, une période de glaciation n’est pas forcément fatale si de l’eau liquide peut persister sous la glace pendant les périodes de froid, permettant ainsi la survie possible d’éventuels micro-organismes. Supposons qu’une vie microbienne se soit développée au début de l’histoire de Mars, à l’époque où l’eau coulait en abondance. Nous avons vu que, sur la Terre, la vie a une forte capacité de résilience. Dans le cas de Mars, avec le refroidissement de la planète et la disparition d’eau liquide en surface, la vie aurait-elle pu se réfugier sous la surface, dans des environnements protégés du rayonnement solaire et s’adapter à des conditions hostiles ? Les tubes de lave, formés à la surface de Mars lors des éruptions volcaniques lorsqu’une coulée de lave se répand et se rétracte lors de son refroidissement, pourraient constituer de tels refuges. Des oxydants tels que le peroxyde d’hydrogène et le perchlorate pourraient théoriquement, en l’absence d’énergie solaire, fournir l’énergie nécessaire à d’éventuels micro-organismes, équivalents possibles des extrêmophiles qui ont été identifiés dans le pergélisol de Sibérie. Pour l’instant, nous n’avons aucun élément indiquant leur existence, mais la question reste ouverte et l’exploration de Mars est plus que jamais à l’ordre du jour. 7.4
Les autres niches du Système solaire
Dans tout ce qui précède, nous avons privilégié l’étude des planètes terrestres, celles-ci apparaissant comme les milieux les plus favorables à l’émergence de la vie. Il existe cependant d’autres niches potentielles dans lesquelles peuvent coexister les éléments considérés comme essentiels à l’apparition de la vie : l’eau liquide, les éléments nutritifs (C, H, N, O, P, S) et la source d’énergie. Il s’agit de l’intérieur de certains satellites entourant les planètes géantes. Pour mieux définir les différents types d’habitats auxquels nous pouvons être confrontés, une nouvelle classification a été introduite en 2009 par l’astronome Helmut Lammer et ses collègues (Fig. 7.7). La classe I concerne les environnements dans lesquels une vie complexe multi-cellulaire s’est développée ; c’est le cas de la Terre et, à ce jour, d’elle seule, 128
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F IGURE 7.7. Les différentes classes d’habitat, selon la classification de Lammer et al. (2009). Adapté de H. Lammer et al., Astronomy & Astrophysics Reviews 17, 181-249, 2009.
mais cette classe pourrait s’étendre un jour à des exoplanètes rocheuses situées dans la zone habitable d’étoiles proches du type solaire (étoiles de type G ou étoiles K ou F dont la masse est proche de celle du Soleil), où les conditions d’habitabilité pourraient être maintenues sur le long terme. La classe II concerne les sites où la vie pourrait apparaître, mais dans des conditions de rayonnement stellaire ou de radiations excessives susceptibles d’entraîner sa disparition. C’est le cas de Vénus et de Mars (Chap. 4) ; cela pourrait aussi concerner des exoplanètes situées dans la zone habitable d’étoiles naines de type K et surtout M, qui émettent très souvent des rayons X. La classe III regroupe les habitats correspondant aux corps glacés (satellites extérieurs, objets trans-neptuniens ou, peut-être, satellites d’exoplanètes géantes) dont l’océan liquide interne, doté d’éléments réducteurs comme l’hydrogène, serait en contact direct avec le sol silicaté, permettant un échange d’énergie et le développement possible d’une chimie complexe. Nous verrons que c’est le cas des satellites extérieurs Europe et Encelade. Enfin, la classe IV caractérise les sites dans lesquels l’eau liquide pourrait être présente, mais confinée entre deux couches de glace ; c’est sans doute le cas des satellites Ganymède, Callisto et peut-être même Titan. C’est donc le cas dans lequel l’apparition de la vie apparaît, a priori, la moins plausible. Comment se sont formés les satellites extérieurs du Système solaire ? Nous avons vu (Chap. 2) que les planètes géantes du Système solaire se sont formées loin du Soleil, par accumulation d’un noyau essentiellement composé de glace et d’éléments lourds. Ce noyau s’est avéré suffisamment massif pour LES PLANÈTES ET LA VIE
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que son champ de gravité puisse capturer le gaz environnant, essentiellement constitué d’hydrogène et d’hélium. Lors de l’effondrement de ce gaz, un disque s’est formé autour du plan équatorial de la planète, à l’instar du disque protosolaire autour du jeune Soleil. Au sein de ce disque, des satellites sont nés, formant en quelque sorte des systèmes solaires en miniature. Compte tenu de l’abondance des atomes d’hydrogène et d’oxygène dans l’Univers, la glace d’eau H2 O est un élément prépondérant de ces satellites, en particulier dans le cas de ceux de Jupiter et de Saturne. Les plus gros d’entre eux ont une structure interne différenciée, avec une couche de glace et un noyau central formé de silicates et de métaux. Pour certains d’entre eux, le champ de gravité exercé par leur planète et les autres satellites est suffisant pour produire des forces de marée variables qui se traduisent par une élévation de leur température interne, jusqu’à un niveau suffisant pour que l’eau soit sous forme liquide. Dans les cas les plus favorables, selon les modèles de structure interne, l’océan liquide, surmonté d’une couche de glace, pourrait être en contact direct avec le sol silicaté : c’est le cas d’Europe, satellite de Jupiter, et d’Encelade, satellite de Saturne. Europe est le second des satellites galiléens, en termes de distance à Jupiter. Le premier, Io, est le siège d’un intense volcanisme actif, suite aux violents effets de marée qui ont pour effet de renouveler sa surface en permanence. Europe, comme les deux autres satellites galiléens Ganymède et Callisto, est recouvert d’une couche de glace. Tous ont été explorés pour la première fois par la sonde Voyager 1 en 1979 lors de son survol de Jupiter. Les astronomes ont tout de suite été intrigués par l’aspect strié de la surface d’Europe qui suggérait l’existence de plaques en mouvement au-dessus d’un milieu visqueux, voire liquide ; la mission Galileo, en orbite autour de Jupiter près de vingt ans plus tard, a confirmé cette analyse et a, de plus, découvert l’existence d’un champ magnétique induit, sans doute généré au sein d’un océan d’eau salée donc conductrice de l’électricité. De plus, selon les modèles de structure interne d’Europe, l’océan liquide pourrait être en contact direct avec le sol silicaté, ce qui rendrait théoriquement possible des échanges d’énergie et le développement d’une chimie prébiotique, voire biotique (Fig. 7.8). Quant aux deux autres satellites galiléens plus éloignés de Jupiter, Ganymède et Callisto, ils possèdent sans doute eux aussi un océan liquide interne, mais, selon les modèles théoriques, celui-ci est sans doute piégé entre deux couches de glace, ce qui réduit les perspectives du point de vue de l’exobiologie. L’intérêt présenté par l’océan interne d’Europe est à lui seul suffisant pour avoir justifié la poursuite de son exploration spatiale : deux missions destinées au survol d’Europe et à l’exploration des satellites galiléens sont en préparation de part et d’autre de l’Atlantique, à l’ESA (JUICE soit JUpiter ICy 130
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F IGURE 7.8. Deux modèles possibles de la structure interne d’Europe, compatibles avec les données de la sonde Galileo. La couche de glace superficielle surmonte (en haut) une épaisse couche de glace convective tiède ou (en bas) un océan d’eau liquide salée. Dans les deux cas, l’eau serait en contact, en profondeur, avec le noyau silicaté. D’après A. Coustenis et T. Encrenaz, 2013.
moon Explorer) et à la NASA (Europa Clipper) pour un lancement dans le courant des années 2020. Plus loin encore du Soleil, du côté du système de Saturne, la surprise est d’abord venue de Titan, son plus gros satellite. Avant l’ère spatiale, on avait déjà mis en évidence l’existence de son atmosphère, unique dans le Système solaire, mais on ignorait tout de sa composition et de sa pression de surface. En 1980, la sonde Voyager 1 a révélé que cette atmosphère, riche en azote moléculaire et dotée d’une pression de surface comparable à celle de la Terre, présentait de curieuses analogies avec celle de notre propre planète. Qui plus est, on y a découvert un certain nombre de molécules complexes (hydrocarbures et nitriles) dites « prébiotiques », celles qui interviennent dans les réactions menant à la formation des acides aminés et des briques de la vie. . . Le satellite Titan pourraitil être un laboratoire de chimie prébiotique ? C’est cette question entre autres qui a justifié l’ambitieuse mission Cassini-Huygens, lancée conjointement par la LES PLANÈTES ET LA VIE
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F IGURE 7.9. Le cycle du méthane sur Titan. Celui-ci est émis de l’intérieur du satellite par cryo-volcanisme et s’évapore des lacs présents en hiver à hautes latitudes. Dans l’atmosphère, il est dissocié en divers hydrocarbures et s’associe aux atomes d’azote pour former des aérosols qui condensent et retombent à la surface et dans les lacs. D’après F. Raulin, A. Coustenis & T. Encrenaz, 2013.
NASA et l’ESA en 1997, en opération autour de Saturne et Titan de 2005 à 2017. Son succès a été immense, tant sur le plan technologique que sur le plan scientifique. L’atmosphère de Titan a été étudiée en profondeur pendant près de deux saisons. Le cycle du méthane, lequel est présent sous ses trois phases, a été mis en évidence, avec son émission depuis l’intérieur sous forme de cryo-volcanisme, sa condensation sous forme de nuages, sa photodissociation en divers hydrocarbures et son stockage saisonnier à la surface sous forme de lacs à hautes latitudes (Fig. 7.9). Les observations de Cassini ont aussi montré la présence d’un océan liquide sous la surface de Titan, mais, comme dans le cas de Ganymède et Callisto, celui-ci est vraisemblablement piégé entre deux couches de glace. Parmi les nombreux résultats de la mission Cassini figure une découverte inattendue : celle d’un océan liquide sous la surface d’Encelade, un petit satellite glacé de Saturne. C’est en 2005 que la sonde Cassini a détecté des éjections de gaz à proximité du pôle sud du satellite (Fig. 7.10). Leur analyse par les instruments de la sonde a mis en évidence de la vapeur d’eau mais aussi des composés organiques, de l’azote moléculaire et du gaz carbonique ; en 2016, l’hydrogène moléculaire a également été détecté. L’origine proposée pour ce cryo-volcanisme est un modèle de geyser à partir d’un océan liquide sous pression, qui s’étendrait jusqu’au noyau silicaté du satellite. L’énergie interne proviendrait des effets de marée générés par la présence de Saturne et d’autres satellites, 132
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F IGURE 7.10. Cette image d’Encelade à contre-jour prise en novembre 2005 par la caméra de la sonde
Cassini montre des jets émis au-dessus du pôle sud. Cette région, dont la température est légèrement supérieure à son environnement, est striée de fractures par lesquelles s’échappent ces jets, principalement constitués de vapeur d’eau partiellement condensée en glace. Ces émissions alimentent l’anneau E dont l’orbite autour de Saturne coïncide avec celle d’Encelade. © NASA.
notamment Dioné, mais les modèles ont du mal à expliquer l’élévation de température nécessaire pour que l’eau, même mélangée à d’autres constituants comme l’ammoniaque, puisse être sous forme liquide. Selon une autre hypothèse, l’énergie proviendrait de la turbulence générée par l’oscillation de la croûte de glace surmontant l’océan liquide ; la question reste ouverte. D’un point de vue exo-biologique, Encelade pourrait s’avérer une niche encore plus fascinante qu’Europe, car son océan pourrait être plus proche de la surface que dans le cas d’Europe ! Cependant, Encelade est aussi deux fois plus éloigné du Soleil qu’Europe et aucune nouvelle mission n’est actuellement programmée pour poursuivre son exploration. La liste des niches potentielles associées aux océans internes des corps glacés ne s’arrête pas aux objets que nous avons mentionnés ci-dessus. D’autres satellites extérieurs sont susceptibles de contenir un océan liquide. D’autres surprises nous attendent peut-être encore. Ainsi, il y a quelques années, c’est la petite planète Cérès qui a été l’objet d’une découverte inattendue : en 2014, l’observatoire LES PLANÈTES ET LA VIE
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F IGURE 7.11. L’astéroïde Cérès vu par la caméra de la sonde Dawn. Les taches blanches correspondent aux dépôts de sel du cratère Occator. Ce sont sans doute la trace d’anciens geysers. © NASA.
spatial européen Herschel a, contre toute attente, découvert l’émission de jets de vapeur d’eau et de glace à la surface de cet objet, le plus gros astéroïde connu, situé dans la Ceinture principale. L’année suivante, la mission spatiale américaine Dawn a découvert de la glace d’eau et des matériaux hydratés (dont des carbonates et de l’argile) à la surface, ce qui suggère l’existence possible d’un réservoir d’eau liquide sous la croûte de glace (Fig. 7.11). L’astéroïde est en effet suffisamment massif pour avoir une structure interne différenciée, avec un noyau central entouré d’un réservoir d’eau liquide ou de glace visqueuse, surmonté d’une couche de glace. Cérès pourrait être un ancien objet transneptunien, formé au-delà de l’orbite de Neptune, qui aurait été éjecté vers l’intérieur du Système solaire dans la ceinture principale d’astéroïdes lors des grandes migrations planétaires (voir Chap. 2). Cérès pourrait ainsi être, lui aussi, une niche potentielle pour l’exobiologie. . . et la liste de tels habitats potentiels est sans doute loin d’être close.
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Les exoplanètes rocheuses : comment y rechercher la vie ?
Notre recherche d’une vie extra-terrestre dans les limites du Système solaire n’a guère été fructueuse : qu’il s’agisse de Mars ou des satellites extérieurs, nous ne pouvons espérer trouver, dans le meilleur des cas, que des traces embryonnaires de vie. Dans le cas de Mars, les recherches portent sur d’éventuelles formes fossiles d’une vie qui aurait pu éclore il y a quelque quatre milliards d’années. À l’inverse, à l’intérieur des satellites extérieurs abritant peut-être, sous leur surface glacée, un océan liquide, tels qu’Europe autour de Jupiter et Encelade autour de Saturne, c’est une vie embryonnaire que l’on pourrait rechercher, à l’instar de celle que l’on trouve à proximité des sources hydrothermales, au fond des océans terrestres. Aucun espoir donc de détecter une forme évoluée de vie dans le Système solaire. C’est ici que la découverte des planètes extrasolaires, depuis une vingtaine d’années, a bouleversé ce champ de recherche. Nous savons aujourd’hui que, au sein même de notre Galaxie, nous sommes entourés de milliards d’exoplanètes rocheuses, dont les conditions physiques et orbitales sont infiniment diverses ; parmi cette multitude, une fraction non négligeable doit vraisemblablement se trouver dans cette fameuse « zone habitable » que nous avons évoquée au chapitre précédent, celle dans laquelle la température est compatible avec la présence d’eau liquide. Les conséquences pour la recherche d’une vie extra-terrestre sont immenses, et les perspectives s’ouvrent à l’infini.
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La découverte des exoplanètes : où en sommes-nous ?
Avant d’explorer plus en détail ces nouvelles possibilités, il nous faut d’abord revenir sur ce qui a constitué pour les astronomes, depuis deux décennies, une véritable révolution : la découverte, en très grand nombre, de planètes autour d’autres étoiles. Commençons par un premier bilan : actuellement (mai 2019), nos catalogues contiennent un peu plus de 4 000 exoplanètes identifiées et confirmées, à laquelle s’ajoutent plusieurs milliers de candidates. Selon les dernières statistiques, on estime qu’en moyenne, chaque étoile de notre Galaxie est entourée d’au moins une exoplanète. Les systèmes planétaires, incluant au moins deux exoplanètes, voire plus, sont également nombreux : on en compte actuellement plus de 600, le nombre de planètes entourant une étoile pouvant aller jusqu’à sept ! Autre résultat marquant et inattendu : l’extraordinaire diversité des planètes découvertes. Une surprise de taille est apparue dès la découverte, en 1995, de la première exoplanète autour d’une étoile de type solaire : il existe des exoplanètes géantes à proximité immédiate de leur étoile-hôte (Fig. 8.1) ! Rappelons que cette situation est complètement différente de celle du Système solaire : dans ce cas, nous l’avons vu, les planètes géantes se forment loin du Soleil, au-delà de la « ligne des glaces » qui correspond à la température de condensation de l’eau. Cette particularité s’explique par le mode de formation des planètes par accrétion autour d’un noyau solide (voir Chap. 2). Pour expliquer les nouvelles découvertes, les théoriciens ont fait appel à un nouveau scénario, la migration qui déplace vers l’intérieur des exoplanètes géantes initialement formées loin de leur étoile. Ce scénario s’est trouvé conforté par la découverte, grâce au réseau de télescopes millimétriques ALMA, d’exoplanètes jeunes migrant au sein d’un disque protoplanétaire. Parallèlement à ces découvertes, les chercheurs ont montré que la migration avait aussi joué un rôle important au sein même du Système solaire. Celle-ci a cependant été moins radicale que dans le cas de nombreuses exoplanètes : la planète Jupiter, après s’être rapprochée du Soleil jusqu’à l’orbite de Mars, s’est ensuite éloignée vers l’extérieur sous l’effet de l’attraction de Saturne, préservant ainsi les planètes du Système solaire intérieur et en particulier la Terre (voir Chap. 3). La diversité des exoplanètes concerne à la fois leurs caractéristiques physiques et orbitales. Certaines exoplanètes (Fig. 8.2), proches de leur étoile, sont extrêmement peu denses (moins de 0,1 g/cm3 , soit le dixième de la densité de l’eau) : il s’agit d’exoplanètes géantes dites « gonflées », fortement irradiées ; d’autres, très petites au contraire, ont une densité très élevée (jusqu’à 50 g/cm3 , soit dix fois la densité de la Terre). Il pourrait s’agir de résidus de planètes géantes ayant migré vers leur étoile, qui auraient perdu tout leur gaz suite à 136
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F IGURE 8.1. Distribution de la masse des exoplanètes confirmées en fonction de leur période de révolution. On voit qu’il existe un nombre non négligeable d’exoplanètes géantes à proximité immédiate de leur étoilehôte ; celles-ci étant les plus faciles à détecter, elles ont été découvertes les premières. © europlanets.eu.
l’irradiation par l’étoile voisine et réduites à leur noyau central, rendu très dense par l’effet de la compression intervenue lorsque la planète géante était très massive. Autre surprise : les exoplanètes ne se rangent pas en deux catégories bien distinctes, les « rocheuses » et les « géantes », comme dans le cas des planètes du Système solaire : on observe une continuité d’objets depuis des masses et des rayons inférieurs à ceux de la Terre jusqu’à ceux de Jupiter et au-delà, les petites planètes étant largement plus nombreuses que les géantes. De nouvelles classes apparaissent, les « super-Terres », présumées dotées d’une surface rocheuse, avec une masse allant jusqu’à une dizaine de masses terrestres et un rayon deux fois plus grand, et les « exo-Neptunes » plus grosses, présumées dotées d’une atmosphère d’hydrogène (Fig. 8.3). Il faut préciser que la densité seule n’est pas suffisante pour déterminer si une exoplanète est rocheuse ou gazeuse ; pour répondre à cette question, il faut connaître la composition de l’atmosphère ; nous y reviendrons. Parlons maintenant des orbites ; là aussi, nous sommes loin de la régularité du Système solaire dont les huit planètes orbitent sagement à proximité immédiate du plan de l’écliptique (défini par l’orbite de la Terre), sur des trajectoires quasi-circulaires autour du Soleil. Certaines exoplanètes ont des orbites LES PLANÈTES ET LA VIE
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F IGURE 8.2. Distribution de la densité des exoplanètes en fonction de leur masse. Les flèches indiquent les objets pour lesquels seule la limite inférieure de la masse est connue. On voit apparaître des exoplanètes géantes « gonflées » (au centre) et des objets très petits et très denses (en haut à gauche). D’après J. Lequeux et al., 2017.
circulaires, mais d’autres présentent des excentricités très élevées, pouvant atteindre 0,9 (Fig. 8.4). Quant aux systèmes multiples, ils contiennent aussi parfois des planètes situées sur des orbites très inclinées ou excentriques. Cependant, parmi les quelque 660 systèmes multiples détectés, nous n’avons pas encore trouvé de système ressemblant à notre Système solaire. Celui-ci est donc loin de représenter un modèle répandu dans la Galaxie. Passons maintenant aux étoiles autres que le Soleil. Au sein de la Galaxie, les étoiles doubles sont fréquentes, plus fréquentes que les étoiles isolées comme le Soleil. On a aussi découvert des exoplanètes associées à des étoiles doubles, soit orbitant à l’extérieur du système, soit à l’intérieur autour de l’une des étoiles du couple. La diversité des configurations est donc immense, ce qui suggère que plusieurs scénarios de formation planétaire pourraient être à l’œuvre : accrétion autour d’un noyau comme dans le cas du Système solaire, mais aussi instabilité gravitationnelle au sein d’un nuage pour les plus grosses planètes, comme c’est le cas pour la formation des étoiles. La conclusion qui s’impose est que le phénomène de formation planétaire est manifestement très répandu dans l’Univers. Enfin, pour compléter cet étrange bestiaire, il faut mentionner la découverte d’une catégorie particulière d’exoplanètes : les exoplanètes dites « flottantes » 138
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F IGURE 8.3. Distribution des exoplanètes en fonction de leur rayon. On voit qu’il existe un grand nombre d’objets de rayon intermédiaire entre celui de la Terre (soit 0,09 R Jupiter ) et quelques dizaines de rayons terrestres (soit 0,3 à 0,4 R Jupiter ) : ce sont les « super-Terres » et les « exo-Neptunes ». Les exoplanètes joviennes forment une population minoritaire bien distincte. © exoplanets.eu.
qui ne sont pas situées à proximité d’une étoile. Comment sont-elles arrivées là ? Il pourrait s’agir d’objets formés au sein du milieu interstellaire par effondrement gravitationnel comme les étoiles, mais insuffisamment massifs pour arriver au stade de naine brune ; ou alors, ces planètes pourraient avoir été éjectées de leur système stellaire initial suite à des interactions gravitationnelles dues aux autres exoplanètes de ce système ou à la proximité d’une étoile voisine. Voici, résumées en quelques mots, les grandes lignes de ce que nous savons aujourd’hui sur les planètes extrasolaires. Le grand nombre d’exoplanètes déjà découvertes et la diversité de leurs caractéristiques physiques et orbitales nous incitent à poursuivre plus avant l’analyse de leur éventuelle habitabilité. Mais avant d’ouvrir ce chapitre, il nous faut décrire rapidement comment ces résultats ont été acquis : l’histoire des premières découvertes et les différentes méthodes de détection utilisées, avec leurs avantages et leurs limites. 8.2
Le concept d’exoplanète : une idée ancienne
Comme nous l’avons vu plus haut (Chap. 2), l’idée de l’existence possible de planètes autour d’autres étoiles ne date pas d’hier. On en trouve les traces dès LES PLANÈTES ET LA VIE
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F IGURE 8.4. Distribution des excentricités des exoplanètes en fonction de leur période de révolution. On observe une grande gamme d’excentricités, quelle que soit la distance à l’étoile. © exoplanets.eu.
l’Antiquité, en particulier dans un écrit du philosophe Épicure puis, plus tard, dans le sillage de la révolution copernicienne, avec notamment Giordano Bruno. À sa suite, nombre de philosophes et d’astronomes spéculeront sur l’existence possible d’une vie extraterrestre, au sein du Système solaire ou au-delà, depuis Johannes Kepler jusqu’à Camille Flammarion au siècle dernier. Pour tous ces auteurs, il ne s’agit encore que de spéculations : il n’est pas question de tenter l’observation directe d’une planète en orbite autour d’une étoile. En effet, prenons le cas du Soleil et de Jupiter, la plus grosse planète de notre Système solaire. Le diamètre de Jupiter est dix fois plus petit que celui du Soleil, et la planète environ mille fois moins massive que le Soleil. Dans le domaine visible, le rayonnement qu’elle émet est le rayonnement réfléchi par le Soleil. Vu depuis l’extérieur du Système solaire, il est plus d’un million de fois plus faible que le rayonnement solaire ; de plus, vue depuis une étoile proche, à quelques années-lumière, la distance angulaire entre le Soleil et Jupiter ne représente que quelques dixièmes de seconde de degré. Impossible donc de le discerner de son étoile, il en est trop proche et est noyé dans la lumière stellaire. 140
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F IGURE 8.5. Schéma représentant le système constitué d’une étoile et d’une planète en orbite autour d’elle. Le centre de gravité du système est légèrement décalé par rapport au centre de l’étoile, et celle-ci suit une ellipse de faible amplitude autour de ce point. C’est ce petit mouvement que les astronomes ont essayé de mesurer, d’abord (sans succès) par astrométrie puis (avec succès) par vélocimétrie. D’après J. Lequeux et al., 2017.
Les astronomes des siècles derniers ont bien compris ce problème et, pour le contourner, ont envisagé de recourir à une méthode indirecte. La première consiste à considérer les mouvements sur le ciel du système étoile-planète (Fig. 8.5) : l’étoile orbite autour du centre de gravité du système avec une période qui est celle de la planète autour de l’étoile. La méthode a été employée avec succès dès le début du XIXe siècle dans le cas des systèmes d’étoiles doubles ; le principe ici est le même, à la différence que l’orbite décrite par l’étoile est beaucoup plus petite que celle décrite par la planète, dont la masse est beaucoup plus faible que celle de l’étoile. Il faut donc mesurer un très petit mouvement, pendant une période de temps a priori inconnue, en se repérant sur le ciel à partir des étoiles voisines. C’est ainsi que, dans le courant du XXe siècle, plusieurs détections d’exoplanètes sont successivement annoncées, puis remises en cause. Le cas le plus célèbre est celui de l’étoile de Barnard, observée par Peter van de Kamp pendant plusieurs décennies. Sa découverte de deux planètes autour de cette étoile sera finalement infirmée : l’effet annoncé était dû à une erreur instrumentale liée au télescope qu’il utilisait. À la fin du XXe siècle, les astronomes ont compris que la mesure du mouvement d’une étoile sur le ciel (c’est ce que l’on appelle l’astrométrie), ne pouvait pas être suffisamment précise compte tenu des moyens de l’époque pour permettre la détection d’une exoplanète. Ils vont alors se tourner vers une autre méthode : pour mesurer le mouvement périodique de l’étoile par rapport au centre de gravité du système étoile-planète, ils vont utiliser les LES PLANÈTES ET LA VIE
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variations de sa vitesse par rapport à l’observateur. C’est ce que l’on appelle la vélocimétrie. À partir de 1995, cette méthode va permettre la découverte de centaines d’exoplanètes. 8.3
Les premières découvertes
Plaçons nous au début des années 1990. Il n’y a toujours pas d’exoplanète connue, mais cette recherche connaît un regain d’intérêt. En effet, depuis une dizaine d’années, les astronomes, grâce à l’envoi du satellite infrarouge IRAS en 1983, ont découvert l’existence en grand nombre de disques protoplanétaires autour d’étoiles jeunes. À l’instar du scénario de la formation du Système solaire (voir Chap. 2), la formation d’un disque semble être une étape courante dans le scénario de la formation stellaire. Dès lors, la formation d’exoplanètes au sein de ce disque apparaît comme l’étape suivante, plausible voire probable. Curieusement, les premières découvertes d’exoplanètes n’ont pas concerné des étoiles jeunes, mais au contraire un type très particulier d’étoiles en fin de vie, les pulsars (« pulsating stars »). Ces astres très denses, au stade final de leur évolution, ont la particularité d’émettre un signal radio de période très courte (pouvant descendre jusqu’à la milliseconde) et extrêmement stable. Si le pulsar est entouré d’une, voire de plusieurs planètes, les perturbations de la fréquence des impulsions peuvent les mettre en évidence. C’est ainsi qu’en 1992, l’astronome polonais Alexandre Wolszczan annonce la découverte de deux exoplanètes, chacune dotée de quelques masses terrestres, autour du pulsar « milliseconde » PSR B1257+12. L’annonce fait sensation. D’une part, il s’agit de la première découverte d’une planète extrasolaire ; de l’autre, personne n’avait imaginé la présence de planètes autour d’un pulsar, issu d’une étoile à neutrons, résultant elle-même de l’explosion d’une supernova. . . Cette découverte prouve que la formation de disques d’accrétion est plus fréquente que prévu, mais aussi encore mal comprise. On connaît aujourd’hui une vingtaine d’exoplanètes en orbite autour de pulsars. Compte-tenu des conditions violentes ayant accompagné leur formation, elles ne doivent guère ressembler aux planètes que nous connaissons, et ont fort peu de chances d’abriter la vie. Leur découverte n’en constitue pas moins une étape importante dans la recherche des exoplanètes. 8.4
Les succès de la vélocimétrie
En parallèle, plusieurs équipes se sont spécialisées dans la recherche d’objets stellaires de faible masse. Leur méthode est celle de la vélocimétrie : il s’agit de mesurer avec une très grande précision la vitesse radiale (d’éloignement ou de 142
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rapprochement) d’une étoile par rapport à l’observateur. La méthode est la détermination de l’effet Doppler-Fizeau, très courant en astronomie, qui utilise le déplacement des fréquences (ou des longueurs d’onde) du rayonnement émis par un astre en fonction du déplacement de l’astre par rapport à l’observateur. Si la vitesse de l’étoile présente une variation périodique, celle-ci est la signature de la présence d’un compagnon moins massif, non détecté en lumière visible. Notons que cette méthode est parfaitement complémentaire de l’astrométrie : si l’orbite de la planète est située dans le plan du ciel, perpendiculairement à la direction de visée, le mouvement de l’étoile est un cercle ou une ellipse sur le ciel, tandis que la vélocimétrie ne détecte aucun changement de vitesse ; en revanche, si la direction de visée est située dans le plan de l’orbite, l’effet mesuré par la vélocimétrie est maximum et l’astrométrie détecte le mouvement de l’étoile comme un segment sur le ciel. Les deux méthodes permettent de déterminer une limite inférieure de la masse de la planète (car on ne connaît pas l’angle sous lequel le système est vu par l’observateur) ainsi que la période de révolution de la planète. Dans le cas de la recherche des exoplanètes, astrométrie et vélocimétrie nécessitent des programmes d’observation de longue haleine, puisqu’il faut couvrir toute une période de révolution de l’exoplanète pour confirmer définitivement son existence ; or la période de révolution de Jupiter autour du Soleil est d’une douzaine d’années. . . C’est ici qu’une heureuse surprise attend les astronomes. Si les exoplanètes géantes des systèmes extrasolaires avaient eu les caractéristiques de celles du Système solaire, il aurait fallu des années d’observation pour les détecter. Mais ce n’est pas le cas : il existe un grand nombre d’exoplanètes géantes très proches de leur étoile. Comme ce sont les plus faciles à identifier, ce sont les premières à être détectées par vélocimétrie. En 1995, Michel Mayor et Didier Queloz, de l’Observatoire de Genève, annoncent la découverte de la première exoplanète orbitant autour d’une étoile de type solaire. La découverte a été faite à l’aide d’un spectrographe de haute précision fonctionnant dans le domaine visible au télescope de 193 cm de l’Observatoire de Haute-Provence (Fig. 8.6). Il s’agit de 51 Peg b, une planète dont la masse est au moins la moitié de celle de Jupiter, qui tourne autour de son étoile (51 Peg a) sur une orbite circulaire avec une période de quatre jours, à une distance de 0,05 ua de cette étoile ! La nouvelle fait l’effet d’une bombe dans la communauté scientifique. Non seulement les astronomes découvrent enfin une planète autour d’une étoile de type solaire – cela, ils en suspectaient l’existence depuis des siècles – mais encore et surtout, cette exoplanète géante très proche de son étoile ne ressemble en rien aux planètes du Système solaire. Il est donc avéré que si celui-ci n’est pas unique, sa configuration n’est pas universelle, ce qui remet fortement en cause notre compréhension des modèles de formation stellaire et planétaire. Dans les semaines qui LES PLANÈTES ET LA VIE
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F IGURE 8.6. Première découverte d’une exoplanète autour d’une étoile de type solaire (51 Pegasi). La figure montre l’oscillation périodique de la vitesse de l’étoile vis-à-vis de l’observateur, mesurée en fonction du temps. La période de l’oscillation donne la période de révolution de l’étoile, son amplitude fournit une limite inférieure de sa masse. Dans le cas de 51 Peg b, la masse de l’objet est au moins la moitié de celle de Jupiter et sa période de révolution autour de l’étoile est de quatre jours, ce qui correspond à une distance orbitale de 0,05 ua. La découverte a été faite au télescope de 193 cm de l’Observatoire de Haute-Provence, par M. Mayor et D. Queloz, de l’Observatoire de Genève. D’après M. Mayor et D. Queloz, Nature, 1995.
suivent, les annonces de détection se multiplient, impliquant des équipes des États-Unis et du Canada. Il s’agit toujours d’exoplanètes géantes très proches de leur étoile ; leur existence n’est donc pas exceptionnelle. Qu’elles soient les premières exoplanètes détectées n’est pas une surprise : les exoplanètes massives à courte période de révolution sont les plus faciles à détecter. À la fin du XXe siècle, une centaine d’exoplanètes sont ainsi découvertes, la quasi-totalité par la méthode de vélocimétrie. 8.5
Une nouvelle étape : la méthode des transits
L’aube du XXIe siècle marque un tournant dans l’exploration des exoplanètes : une nouvelle méthode de détection entre en jeu, la méthode des transits. Le phénomène est le suivant : si une planète passe devant son étoile, elle crée une petite obstruction sur le disque stellaire, et la lumière de celle-ci est diminuée d’une faible quantité (Fig. 8.7). Dans le cas de Jupiter (rappelons que son diamètre est le dixième de celui du Soleil), la diminution de la lumière solaire, vue depuis une étoile voisine, est de 1 %. Dans le cas de la Terre dont le diamètre est environ dix fois plus petit que celui de Jupiter, la diminution de la lumière solaire n’est que de 0,01 %. Pour détecter la présence d’une exoplanète en transit devant son étoile, il faut mesurer la lumière de l’étoile avec une grande 144
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F IGURE 8.7. Schéma représentant un transit planétaire, c’est-à-dire le passage de la planète devant son étoile-hôte. La planète est invisible pour l’observateur, mais si on mesure très précisément la lumière de l’étoile en fonction du temps, on observe une légère baisse de la luminosité de l’étoile lorsque celle-ci est occultée par la planète. D’après J. Lequeux et al., 2017.
précision (c’est ce que l’on appelle la photométrie) pendant des intervalles de temps les plus longs possibles. Les photomètres actuels installés sur des télescopes au sol permettent de mesurer la lumière stellaire avec une précision de 1 % ; la détection d’exoplanètes géantes est donc possible depuis la Terre. En revanche, celle des exoplanètes de type terrestre (celle des exoplanètes rocheuses, que l’on nomme, selon leur masse, « exo-Terres » ou « super-Terres ») nécessite en général des mesures dans l’espace, où une plus grande stabilité peut être atteinte. Il est cependant possible de détecter depuis le sol des planètes de type terrestre en transit devant des étoiles de faible masse, qui sont très peu lumineuses. Notons cependant que la mesure des transits n’est pas suffisante pour établir définitivement l’existence d’une exoplanète : dans certains cas, les variations de la courbe de lumière stellaire peuvent être dues à des pulsations de l’étoile elle-même. Lorsque l’on soupçonne la présence d’une exoplanète en transit, il faut donc faire des mesures de vélocimétrie pour confirmer la détection. Cette seconde méthode donne une mesure de la masse de la planète ; ajoutée à celle de son rayon, obtenue par l’observation du transit, on a ainsi accès à la densité de l’objet. L’année 1999 marque la première découverte d’une exoplanète par transit (Fig. 8.8). Il s’agit, là encore, d’une exoplanète géante très proche de son étoile qui porte le nom barbare de HD209458 b. L’étoile elle-même est proche et brillante, ce qui a rendu l’observation plus facile. Plus tard, l’observation a été répétée avec le télescope spatial Hubble, ce qui a donné une meilleure précision. LES PLANÈTES ET LA VIE
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F IGURE 8.8. Première découverte d’une exoplanète par la méthode des transits. La figure représente la courbe de lumière de l’étoile HD209458 lors du transit de l’exoplanète HD209458 b en orbite autour de l’étoile. Les observations ont été faites avec le télescope de Schmidt STARE de 10 cm de diamètre situé à High Altitude Observatory, Mauna Loa, Hawaii. D’après D. Charbonneau et al. Astrophysical Journal 529, L45 (2000).
Dès lors, les campagnes d’observation depuis le sol se sont multipliées, utilisant des télescopes de taille moyenne ou des réseaux de petits télescopes. Le nombre de détections réalisées depuis la Terre atteint une trentaine à la fin 2009 ; dix ans plus tard, il est de plusieurs centaines. La mise en œuvre de la méthode des transits avec les télescopes terrestres marque donc une nouvelle étape dans l’exploration des exoplanètes géantes. Mais, au début de notre siècle, il reste à découvrir les exoplanètes moins massives, celles qui sont vraisemblablement rocheuses et qui nous intéressent en premier lieu pour leur intérêt exobiologique potentiel. On envisage donc de placer sur une sonde spatiale un photomètre capable d’obtenir une précision de mesure de l’ordre de 10−4 pendant une longue durée. Comme on sait maintenant que de nombreuses exoplanètes ont une période de révolution de quelques jours seulement, une durée d’observation de l’ordre du mois est suffisante. C’est l’agence spatiale française, le CNES, qui développe et opère la première mission spatiale dédiée à cet objectif. CoRoT (COnvection, ROtation et Transits planétaires, Fig. 8.9) a un double objectif scientifique : l’étude des oscillations stellaires et la recherche des exoplanètes par transit. Les deux objectifs nécessitent en effet la même instrumentation : un photomètre extrêmement précis et stable dans le temps. Lancé en 2006 et en fonctionnement jusqu’en 2012, il a détecté une trentaine d’exoplanètes, parmi lesquelles la petite exoplanète 146
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F IGURE 8.9. Vue d’artiste du satellite CoRoT. © CNES.
rocheuse CoRoT-7 b, qui tourne autour de son étoile en moins d’une journée, et l’exoplanète géante « froide » CoRoT-9 b, dont la période est 95 jours. Cette mission pionnière aura ainsi permis de révéler l’extraordinaire diversité du zoo exoplanétaire. Ensuite vient Kepler (Fig. 8.10), mission lancée par la NASA en 2009. Elle fonctionne de façon nominale jusqu’en 2013, puis jusqu’en 2018 (mission K2) avec des capacités réduites suite à la perte de deux roues de réaction. Plus performante que CoRoT, la mission Kepler va causer un véritable bond en avant dans notre connaissance des exoplanètes. Comme dans le cas des mesures de vélocimétrie, les astronomes sont servis par le hasard : la présence de nombreuses exoplanètes très proches de leur étoile favorise à deux titres la méthode des transits : d’une part, la fréquence de transit d’une exoplanète devant son étoile est plus grande que dans le cas du Système solaire ; d’autre part, la probabilité d’un tel transit est plus forte. À la fin de la mission, le bilan de Kepler est de plus de 2 600 exoplanètes confirmées. Cette importante base de données permet d’établir des statistiques sur la nature des exoplanètes : la moitié d’entre elles (« super-Terres » LES PLANÈTES ET LA VIE
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ou « Neptunes ») ont des masses comprises entre trois et 30 masses terrestres ; les exoplanètes géantes représentent environ 30 % du total. Le pourcentage des exoplanètes de petite masse est sûrement fortement sous-estimé, celles-ci étant les plus difficiles à détecter. Nous avons décrit ci-dessus les deux méthodes de détection d’exoplanètes (vélocimétrie et transit) qui se sont avérées les plus productives. Mentionnons brièvement d’autres techniques qui ont également permis des détections : l’observation des « transits gravitationnels » (passage d’une étoile dotée d’une planète devant une source lointaine dont elle dévie les rayons par effet relativiste), qui a permis la détection d’environ 90 objets ; l’imagerie directe d’exoplanètes géantes (généralement jeunes et relativement éloignées de leur étoile), en plein essor, qui a conduit à l’identification d’environ 120 objets. Enfin l’astrométrie directe, dont les performances étaient trop limitées dans le cas d’observations au sol, va permettre la détection d’une multitude d’exoplanètes, suite à l’exploitation des catalogues d’étoiles issus de la mission européenne Gaia lancée en 2013, qui mesure les positions et les vitesses de plus d’un milliard d’étoiles. 8.6
Comment rechercher la vie sur une exoplanète ?
Reprenons les conditions que nous avons mentionnées dans le cas de la quête d’une vie extraterrestre à l’intérieur du Système solaire. Nous avons identifié 148
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trois conditions a priori nécessaires (même si bien sûr elles sont loin d’être suffisantes) : la présence d’eau liquide, de matière carbonée et d’une source d’énergie. Projetons ces conditions dans le contexte des exoplanètes. La source d’énergie la plus facile à imaginer est celle du rayonnement de l’étoile autour de laquelle gravite l’exoplanète. La présence simultanée d’eau liquide et de matière carbonée implique celle d’une surface sur la planète. L’existence d’eau liquide suggère une température supérieure à 0 ◦ C. La limite supérieure est plus floue car elle dépend de la pression du milieu. Dans le cas de la Terre, elle est de 100 ◦ C, mais elle peut être un peu supérieure si la pression est plus élevée, tout en restant nécessairement inférieure à celle du point critique de l’eau, soit 374 ◦ C. Dans le cas du Système solaire, nous avons défini la région dans laquelle l’eau peut se trouver à l’état liquide comme la zone d’habitabilité ; cette notion peut être élargie aux autres types d’étoiles (voir Chap. 7). Nous considérons donc comme candidates prioritaires les exoplanètes rocheuses appartenant à un système stellaire et situées dans la zone d’habitabilité de l’étoile-hôte. Comment savoir si une exoplanète est rocheuse ? Le meilleur indice est celui de sa densité, obtenue à partir de la mesure de son rayon et de sa masse ; notre échantillonnage ciblera donc préférentiellement les exoplanètes observées par transit. Nous avons vu ci-dessus (Chapitre 2) que, dans le scénario de formation planétaire par accrétion, il existe une masse limite, aux environs de dix masses terrestres, au-delà de laquelle le champ de gravité de la planète est suffisant pour capturer, au sein du disque protoplanétaire, le gaz environnant ; la planète devient alors une géante. Nous conserverons donc parmi nos candidats les objets de masse inférieure à dix masses terrestres ayant une densité au moins égale à 3 g/cm3 , compatible avec la présence de roches carbonées, oxydées ou silicatées. Connaissant la masse et le type spectral de l’étoile, on peut calculer le rayonnement qu’elle émet et donc la distance à laquelle la température permettra la présence d’eau liquide, donc on peut ainsi savoir, connaissant les orbites des exoplanètes identifiées autour de cette étoile, lesquelles se trouvent dans la zone d’habitabilité. Comme nous l’avons observé précédemment (Chap. 8), la zone d’habitabilité est fonction de la masse de l’étoile : plus celle-ci est massive, plus la zone d’habitabilité est éloignée ; moins elle est massive, plus la zone s’en rapproche. En termes d’habitabilité, ce dernier cas est le plus favorable pour deux raisons. D’une part, avec environ 90 % de l’ensemble de la population stellaire, les étoiles moins massives que le Soleil sont les plus nombreuses, ce qui multiplie la probabilité de détections d’exoplanètes autour de ces étoiles ; de plus elles ont une très longue durée de vie, plus longue que l’âge de l’Univers. D’autre part, la période de révolution des exoplanètes est plus courte, ce qui facilite les observations par transit. En revanche, elles peuvent présenter aussi des inconvénients. LES PLANÈTES ET LA VIE
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Certaines étoiles naines (en particulier les naines rouges) manifestent des phases éruptives avec émission de rayons X, qui pourraient être défavorables aux conditions de stabilité requises pour le développement de la vie. De plus, lorsqu’elles sont proches de leur étoile (avec une période inférieure à une centaine de jours), les exoplanètes rocheuses sont généralement en rotation synchrone, c’est-à-dire présentent toujours la même face à l’étoile, à l’instar de la Lune vis-à-vis de la Terre. Cette configuration, qui implique des contrastes marqués et permanents entre les côtés jour et nuit, a nécessairement de fortes implications en termes d’exobiologie. Ceci étant dit, connaissons-nous des exoplanètes remplissant les conditions requises ? La réponse est oui, il en existe à ce jour (mi-2019) une cinquantaine. Les premières annonces, datant de 2007, concernaient deux exoplanètes situées autour de l’étoile Gliese 581, une étoile naine de type M mais ce résultat a été ensuite infirmé. En 2017, la mission Kepler en a identifié une vingtaine. Plus récemment, les sondages réalisés depuis la Terre ont identifié une dizaine de nouvelles candidates, dont le célèbre système TRAPPIST-1, constitué d’une étoile naine très petite et de sept petites planètes, dont plusieurs dans la zone habitable (Fig. 8.11). Parmi les exoplanètes candidates à l’habitabilité, quelques objets sont des exo-Terres (Kepler-438 b, Proxima Centauri b, TRAPPIST-1 e, TRAPPIST-1 g, Gliese 667 C c, Kepler 186 f), toutes les autres sont des super-Terres. L’exoplanète Proxima Centauri b est particulièrement intéressante, car elle orbite autour de l’étoile la plus proche de la Terre, Proxima du Centaure. Celle-ci est tout de même située à plus de quatre années-lumière de nous. Mais attention ! Détecter une exoplanète rocheuse dans la zone habitable de son étoile n’est qu’une première étape. . . D’autres facteurs, plus difficiles à quantifier, doivent nécessairement intervenir dans le processus conduisant à l’apparition de la vie : l’ellipticité de l’orbite qui peut créer de fortes variations dans le rayonnement stellaire reçu ; l’obliquité de l’axe planétaire, responsable des saisons ; la présence ou non d’un champ magnétique qui tend à protéger l’atmosphère planétaire des effets parfois violents du vent stellaire ; le type de l’étoile, qui peut montrer des sursauts d’activité violents. . . Pour tenter de préciser ces notions, plusieurs équipes de chercheurs ont défini certains indicateurs censés évaluer l’habitabilité d’une exoplanète. Plusieurs approches sont possibles, en fonction des critères retenus : ce peut être la similarité avec la Terre, la source d’énergie privilégiée (donc le type spectral de l’étoile-hôte), la similarité avec l’atmosphère terrestre, la présence d’eau liquide et de carbone. En dépit de leur caractère nécessairement arbitraire, ces indicateurs peuvent être utiles pour faire un premier tri parmi les milliers d’exoplanètes dont nous connaissons aujourd’hui l’existence. 150
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F IGURE 8.11. Le système TRAPPIST, constituée d’une étoile naine très petite et de sept planètes de masse comparable à celle de la Terre. L’ensemble du système est beaucoup plus petit que l’orbite de Mercure, comme on le voit en bas. © J. Lequeux et al., L’Astronomie, 2018.
Le premier indicateur auquel ont pensé les astronomes est une quantité utilisée par les biologistes depuis plusieurs décennies : c’est l’indice d’aptitude d’un habitat à abriter la vie (Habitability Suitability Index, HSI), qui varie entre 0 et 1. Cependant, il s’est avéré difficilement applicable à l’exobiologie. Un autre indice mieux adapté à ce que nous savons des exoplanètes est leur degré de ressemblance avec la Terre : c’est le Earth Similarity Index (ESI). Compris lui aussi entre 0 (pas de similarité) et 1 (le cas de la Terre), ce facteur prend en compte les caractéristiques physiques (rayon, densité, vitesse d’échappement, température de surface). Une vingtaine d’exoplanètes se sont ainsi vu attribuer un indice supérieur à 0,5, Vénus et Mars recevant respectivement les valeurs 0,56 et 0,78. Cependant il est clair que cet indice n’est pas un bon critère pour l’habitabilité : en effet la Lune bénéficie d’un indice de 0,57 en raison de ses analogies physiques avec la Terre, alors que nous savons que toute forme de vie y est impossible. Le meilleur indicateur est finalement l’Indice d’Habitabilité Planétaire (Planetary Habitability Index, PHI) qui varie de 0 (absence d’habitabilité) à 4,67 (le cas de la Terre). On utilise plutôt sa valeur normalisée par rapport à la Terre qui varie donc entre 0 et 1. Défini par Dirk Schulze-Makuch et son équipe en 2011, il prend en compte la masse, la densité, la présence d’une surface, d’une atmosphère neutre, d’une magnétosphère, la présence d’oxydants, de LES PLANÈTES ET LA VIE
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réducteurs et de composés organiques, l’existence d’un solvant (eau liquide ou autre), la nature de la source d’énergie. . . On peut encore complexifier l’exercice en définissant l’Indice de Complexité Biologique (Biological Complexity Index, BCI). Celui-ci fait intervenir, outre les facteurs précédents, des considérations géophysiques et orbitales, ainsi que l’âge du système. En conclusion, le concept d’indicateur d’habitabilité est intéressant en soi, en ce sens qu’il peut permettre d’effectuer un premier tri dans le vaste catalogue des exoplanètes. Cependant, il ne nous permet guère d’avancer plus loin pour le moment, puisque la plupart des quantités qui interviennent sont actuellement inconnues. 8.7
Des satellites autour des exoplanètes géantes ?
Nous avons vu que certains satellites extérieurs du Système solaire offrent des niches potentielles intéressantes en termes d’habitabilité (voir Chap. 7). Pourrions-nous rencontrer le même type d’objet dans les systèmes exoplanétaires ? A priori, la réponse est oui : les mêmes mécanismes responsables de la formation des satellites réguliers des planètes géantes dans le Système solaire pourraient être à l’origine d’« exosatellites » glacés comparables à ceux que nous connaissons. Ces objets pourraient constituer, eux aussi, des niches privilégiées pour l’exobiologie. Il serait malheureusement bien difficile de mettre en évidence une éventuelle vie sous-marine sous leur surface glacée ! Un autre cas de figure apparaîtrait plus intéressant, celui d’éventuels satellites en orbite autour de « méso-exoplanètes », elles-mêmes situées dans la zone habitable de leur étoile. Ceux-ci pourraient alors avoir une masse comparable à celle de la Terre et abriter l’eau liquide. La recherche de traces de vie sur ces satellites rejoindrait alors celle de la vie sur les exoplanètes rocheuses. Avons-nous découvert aujourd’hui des satellites d’exoplanètes ? Au cours des dernières années, quelques candidats ont été proposés. En 2013, une équipe de chercheurs a annoncé la découverte par la méthode des microlentilles d’un couple composé d’une exoplanète géante et d’un satellite de masse sub-terrestre ; cependant, le système pourrait aussi être constitué d’une exoplanète autour d’une naine brune. En 2018, une nouvelle découverte a été annoncée, à partir d’observations de transit réalisées avec le télescope spatial Hubble ; il s’agit d’un satellite de masse comparable à celle de Neptune, en orbite autour d’une exoplanète de plusieurs masses joviennes, Kepler-1625 b. Avec le perfectionnement constant des techniques de détection et d’analyse des exoplanètes, on peut s’attendre à ce que les découvertes d’« exo-lunes » augmentent rapidement dans les années à venir. 152
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8.8
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Comment déterminer la composition atmosphérique d’une exoplanète ?
Quelles sont les mesures qui nous permettraient de mieux connaître la nature d’une exoplanète ? Bien sûr, si nous étions capables d’en faire une image visible, comme cela a été fait pour les objets du Système solaire, nous pourrions détecter la présence de continents, de nuages, de calottes glaciaires, etc. Ces observations viendront en leur temps, mais compte tenu des moyens actuels, elles ne sont pas pour demain : rappelons que dans la plupart des cas, l’exoplanète est identifiée de manière indirecte à partir du comportement de l’étoile (mouvement ou baisse périodique de luminosité). Les astronomes disposent cependant d’un outil très puissant pour étudier la composition atmosphérique d’une exoplanète observée par transit : l’étude de son spectre au moment du transit. Pour mesurer ce spectre, on procède par différence entre le spectre observé pendant le transit et celui observé juste avant ou juste après. Jusqu’à présent nous n’avons considéré qu’une sorte de transit : celui qui se produit lorsque l’exoplanète passe devant son étoile ; c’est celui qui produit la plus forte baisse de la lumière stellaire, et donc le plus à même de détecter une exoplanète ; on l’appelle « transit primaire ». Dans cette configuration, l’atmosphère de l’exoplanète est observée en transmission devant la lumière stellaire comme un anneau entourant le disque de l’exoplanète, à la manière de Vénus passant devant le Soleil. L’atmosphère est alors observée au terminateur, c’est-àdire à la transition entre le côté jour et le côté nuit. Mais il existe une autre observation possible, lorsque l’exoplanète passe derrière son étoile ; c’est le « transit secondaire ». La différence des signaux observés avant et après le second transit et pendant celui-ci est plus faible ; elle correspond au rayonnement propre émis par l’exoplanète, observée côté jour (Fig. 8.12). Dès le début des années 2000, suite aux succès rencontrés par la méthode des transits, les chercheurs, non contents de mesurer la lumière provenant de l’exoplanète, en transmission lors du transit primaire ou en émission lors du transit secondaire, ont entrepris d’en faire le spectre. Ces mesures sont extrêmement difficiles : il s’agit de mesurer les variations spectrales d’une quantité représentant, au mieux, quelque 0,01 % de la lumière stellaire ! Cette précision nécessite, dans la plupart des cas, des observations spatiales. Les premières mesures, portant sur des exoplanètes géantes (gazeuses, donc) en orbite autour d’étoiles proches et brillantes, ont été faites lors du transit primaire dans le domaine visible ou ultraviolet grâce au Télescope Spatial Hubble (HST). Elles ont permis la détection de diverses espèces sous forme atomique (hydrogène, hélium, carbone, sodium, potassium. . . ). Les observations se sont ensuite étendues au domaine infrarouge en utilisant le HST mais aussi un télescope infrarouge spatial lancé en 2003 par la LES PLANÈTES ET LA VIE
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F IGURE 8.12. Schéma de la courbe de lumière d’une étoile lorsque sa planète passe devant elle (transit primaire) ou derrière elle (transit secondaire). En dehors des transits, la courbe de lumière évolue en fonction de la fraction éclairée de la planète qui s’ajoute à la lumière de l’étoile. D’après J. Lequeux et al., 2017.
NASA, Spitzer. Le domaine infrarouge est celui qui permet d’observer la plupart des molécules à partir de l’étude de leurs transitions de vibration ou de rotation (voir Chap. 2). C’est ainsi que la plupart des petites molécules atmosphériques observées dans le Système solaire ont été détectées dans des exoplanètes, à commencer par l’eau H2 O, mais aussi le méthane CH4 (Fig. 8.13), le gaz carbonique CO2 (Fig. 8.14), le monoxyde de carbone CO, l’ammoniac NH3 . . . Notons que les gaz atmosphériques terrestres les plus abondants, l’azote N2 et l’oxygène moléculaire O2 , sont dénués de signature spectrale importante, en raison de l’absence d’un moment dipolaire pour ces molécules symétriques, et sont de ce fait difficiles à observer. Le fait que ces molécules n’aient pas été détectées n’implique donc pas qu’elles soient absentes dans les exoplanètes. La spectroscopie des exoplanètes par transit a considérablement progressé au cours des quinze dernières années : actuellement, nous avons des informations sur la composition atmosphérique (atomes ou molécules) d’une cinquantaine d’exoplanètes, pour la plupart des géantes. Ce domaine de recherche devrait exploser à nouveau d’ici quelques années avec la mise en service du James Webb Space Telescope (JWST), le successeur du HST. 154
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F IGURE 8.13. Exemple de spectre d’une exoplanète dans l’infrarouge proche obtenu lors du transit primaire de l’exoplanète géante HD189733 b devant son étoile. La quantité portée en ordonnée est le pourcentage d’absorption du flux stellaire ; plus une molécule est abondante, plus cette quantité est élevée. Les points noirs représentent les observations obtenues à partir des télescopes spatiaux HST et Spitzer. Les courbes représentent des modèles, incluant la vapeur d’eau H2 O seule (en bleu) ou la vapeur d’eau plus le méthane CH4 (en orange). Le bon accord de la courbe orange avec les points de mesure indique la présence des deux molécules dans l’atmosphère de l’exoplanète. D’après M. Swain et al. Nature 452, 329 (2008).
8.9
Comment rechercher la vie à partir de l’étude du spectre d’une exoplanète ?
Revenons à notre première objectif, l’identification de traces de vie sur une exoplanète. Pouvons-nous détecter la vie à partir de la mesure de son spectre ? Imaginons que nous observions la Terre depuis une étoile voisine. Pourrionsnous mettre en évidence la présence de vie à partir de sa composition atmosphérique ? Nous savons que sur la Terre, la production d’oxygène moléculaire, par l’intermédiaire de la photosynthèse chlorophyllienne, est une conséquence du développement de la vie (voir Chap. 6). L’approche est clairement anthropocentrée, mais, en l’absence d’autre élément, nous pouvons suivre cette piste. Les chimistes spécialistes des atmosphères s’accordent sur le fait suivant : autour des étoiles de type solaire, la présence de grandes quantités d’oxygène dans une atmosphère nécessite des processus faisant appel au vivant ; il est vrai que dans l’atmosphère de Mars et Vénus (voir Chap. 2), l’oxygène n’est présent qu’à l’état de traces. Reste donc à essayer de découvrir la signature de l’oxygène dans le spectre d’une exoplanète. Malheureusement, nous l’avons vu, cette molécule est peu active spectroscopiquement. Elle possède bien une transition dans le domaine LES PLANÈTES ET LA VIE
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F IGURE 8.14. Exemple de spectre de l’exoplanète géante HD189733 b obtenu lors du passage de l’objet derrière son étoile (transit secondaire). La quantité portée en ordonnée est le rapport du rayonnement de l’exoplanète à celui de l’étoile. Elle augmente avec la longueur d’onde car la planète est plus froide que l’étoile. Les mesures dans le proche infrarouge (encadré en haut à gauche) proviennent du HST, les autres proviennent du télescope spatial Spitzer. La comparaison des données (en noir) avec les modèles (en couleurs) permet de contraindre la composition atmosphérique de l’exoplanète. D’après G. Tinetti & C. Griffith, ASP Conference Series 430, 115 (2010).
visible, autour de 0,7 micromètres, mais celle-ci est faible et se trouve dans un domaine spectral encombré. Il existe une meilleure piste : la recherche de l’ozone O3 , ce produit dérivé de O2 par photochimie qui forme sur Terre une couche stratosphérique qui nous protège du rayonnement ultraviolet solaire. Par rapport à l’oxygène, la molécule O3 a l’avantage d’avoir, dans l’infrarouge, une signature spectrale très forte autour de 9,6 micromètres (Fig. 8.15). Cette transition sera recherchée en priorité sur les exoplanètes potentiellement habitables par le JWST lorsqu’il entrera en service (l’utilisation d’un satellite artificiel est obligatoire en raison de l’existence de l’ozone terrestre). Poussant plus loin leurs recherches, les biochimistes ont défini une liste de « biomarqueurs » : ce sont les molécules dont la présence est attendue en présence d’une vie qui se serait développée comme sur Terre. On y trouve bien sûr l’oxygène moléculaire et l’ozone, mais aussi la présence simultanée du méthane, du gaz carbonique et de l’eau. Une autre piste, elle aussi directement dérivée de notre expérience de la vie sur la Terre, concerne la détection de la chlorophylle dont le spectre présente une transition aux environs de 0,7 micromètres. Elle correspond à une rupture de pente de quelques pourcents dans le spectre de la Terre, qui a été observée
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F IGURE 8.15. Les spectres infrarouges des trois planètes terrestres Vénus, la Terre et Mars entre cinq et 33 micromètres (300 à 2 000 cm−1 ). La quantité portée en ordonnée est la température des nuages (dans le cas de Vénus) et la température de la surface (dans le cas de la Terre et de Mars). Les trois spectres montrent clairement la signature spectrale du gaz carbonique CO2 à 660 cm−1 (15 micromètres). Le spectre de la Terre montre en plus les signatures de l’eau H2 O, de l’oxyde d’azote N2 O et du méthane CH4 au-delà de 1 300 cm−1 . La signature de l’ozone O3 , absente des spectres de Vénus et de Mars, apparaît aussi très clairement dans le spectre de la Terre, à 1 040 cm−1 (9,6 micromètres). Elle est considérée comme un signe distinctif de la présence de vie sur la Terre. D’après R. Hanel et al., Exploration of the Solar System by Infrared Remote Sensing, Cambridge University Press, 1992.
depuis l’espace (Fig. 8.16). Sa détection, déjà très difficile depuis la Terre en raison de la couverture nuageuse qui masque par endroits les continents, serait encore bien plus difficile dans le cas d’une exoplanète. À plus long terme encore, il sera possible d’obtenir des images directes d’exoplanètes terrestres ou de super-Terres dans les domaines du visible et de l’infrarouge proche. Deux types de méthodes permettraient de s’approcher de cet objectif. La première est l’imagerie directe utilisant les techniques d’optique adaptative pour corriger les défauts liés à la transmission atmosphérique terrestre et la coronographie pour éliminer la lumière provenant de l’étoile-hôte. LES PLANÈTES ET LA VIE
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F IGURE 8.16. Le spectre de la lumière cendrée dans le visible et le proche infrarouge. Il s’agit de la lumière solaire renvoyée par la Terre sur le côté sombre de la Lune, observé depuis la Terre. La discontinuité due à la présence de la chlorophylle est visible à 0,72 microns, mais serait difficilement identifiable sur une exoplanète à cause de la présence des molécules atmosphériques, en particulier la vapeur d’eau. On note la signature de bandes de l’oxygène à 0,76 et 1,27 µm. D’après Barstow, J. K. et Irwin, P. G., Monthly notices of the royal astronomical society 461, L92 (2006).
Cette méthode est déjà à l’œuvre sur les télescopes de classe 10 mètres et permet d’obtenir l’image directe à faible résolution angulaire d’exoplanètes géantes lorsque celles-ci sont suffisamment loin de leur étoile, et leur spectroscopie est déjà possible. En la transposant dans l’espace, il serait théoriquement possible de réaliser l’image d’un système équivalent au Système solaire qui serait situé à 40 années-lumière : c’est le projet LUVOIR (Large UV/Optical/ Infrared Surveyor) actuellement à l’étude à la NASA (Fig. 8.17). La deuxième méthode consisterait à envoyer une constellation de télescopes fonctionnant en mode interférométrique. Selon le concept d’hyper-télescope développé par l’astronome Antoine Labeyrie, une flottille d’une centaine de télescopes de quelques mètres de diamètre pourraient ainsi réaliser de vraies images d’exoplanètes. Il serait alors possible d’étudier leur morphologie, tout comme Galilée et ses successeurs l’ont fait pour les planètes du Système solaire. De tels projets prendront du temps, mais nous ne sommes pas dans la science-fiction : les technologies existent ou sont en passe d’être développées, et de telles missions spatiales
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F IGURE 8.17. Image synthétique du Système solaire interne, tel qu’il apparaîtrait depuis une distance de 40 années-lumière, avec un télescope de 12 m de diamètre équipé d’un grand coronographe de 100 mètres de diamètre, interposé à grande distance. © M. Kuchner et projet NASA LUVOIR.
pourraient voir le jour dans les décennies à venir. Nous pourrons alors progresser toujours davantage dans l’exploration de ces nouveaux mondes qui offrent à l’exobiologie une infinité de possibilités.
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Conclusions : quelques pistes futures de l’exobiologie
Notre tour d’horizon des sites éventuels de vie extraterrestre nous a fait découvrir plusieurs pistes possibles. La première, la plus proche de nous, concerne la planète Mars, sur laquelle on espère toujours découvrir un jour des formes de vie fossile, voire présente. La seconde, que nous avons seulement évoquée brièvement, concerne certains satellites des planètes géantes du Système solaire qui pourraient abriter, sous la croûte glacée qui forme leur surface, un océan d’eau liquide, peut-être en contact avec le noyau rocheux présent en leur centre. Dans l’état actuel de nos connaissances, on ne peut espérer trouver, dans les deux cas, que des formes très primitives de vie ; au sein des satellites extérieurs, on pourrait au mieux s’attendre à trouver les formes de vie présentes sur Terre dans les océans. En revanche, l’exploration des exoplanètes rocheuses nous ouvre, en termes d’exobiologie, de nouvelles perspectives. Si la vie a pu apparaître et se développer sur certaines d’entre elles, rien ne nous empêche d’imaginer que, dans certains cas, elle ait pu atteindre un degré de développement égal ou supérieur au nôtre. Dès lors se pose une nouvelle question : au-delà de la détection de ces possibles formes de vie, pourrions-nous un jour envisager un éventuel mode de communication avec ces civilisations lointaines ? Ce qui a été pendant plus d’un siècle un thème cher à la science-fiction est devenu, depuis les dernières décennies, une réelle question scientifique.
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L’avenir de l’exploration de Mars
Revenons dans le Système solaire. Après six ans d’exploration in situ par le rover américain Curiosity, qu’avons-nous appris ? Depuis le début de sa mise en service au site de Bradbury, à l’intérieur du cratère Gale, le rover a parcouru plus de 19 kilomètres, tout en s’élevant sur les flancs du Mont Sharp, à environ 300 mètres d’altitude. Le résultat le plus marquant de cette campagne est sans doute la mise en évidence d’un lac ancien ainsi que des ingrédients chimiques nécessaires au développement de la vie, ce qui permet de qualifier le cratère Gale de « site habitable ». Le spectromètre de masse de Curiosity a aussi mis en évidence une faible quantité de méthane, qui semble montrer des variations temporelles dont l’origine n’est toujours pas comprise. L’orbiteur TGO (Trace Gas Orbiter) de la mission européano-russe ExoMars 2016, actuellement en opération autour de la planète, devrait apporter de nouveaux éléments à cette question. La recherche de matière organique par Curiosity a longtemps été négative. Des molécules organiques, associées au soufre, ont finalement été découvertes dans deux échantillons très anciens, datant de 3,5 milliards d’années ; la présence de soufre pourrait avoir contribué à leur préservation. Le bilan de la mission Curiosity est donc mitigé : un milieu « habitable » il y a plus de trois milliards d’années, mais pas de trace de vie fossile. Quel est le futur de l’exploration martienne ? Depuis des décennies, les scientifiques plaident en faveur d’un retour d’échantillons martiens. Depuis les années 1970, l’étude des échantillons lunaires rapportés par les missions spatiales et leur analyse en laboratoire, au moyen des microscopes électroniques et des sondes ioniques les plus sophistiqués, a permis d’en déterminer précisément la composition élémentaire et d’en effectuer la datation. Dans le cas de Mars, cette analyse a pu être réalisée partiellement sur les météorites martiennes. Une centaine de météorites d’origine martienne a en effet été découverte sur la Terre ; on les nomme « SNC », en référence aux lieux d’origine des trois premières (Shergotty en Inde, Nakhla en Égypte et Chassigny en France). L’analyse de la composition isotopique de l’oxygène, qui est différente de celle de la Terre et que l’on peut comparer à celle mesurée dans l’atmosphère de Mars par les sondes Viking, a permis de déterminer sans ambiguïté l’origine de ces météorites. D’où proviennent-elles ? Elles ont dû être éjectées des profondeurs de la croûte martienne suite à l’impact créé par une météorite géante. Nous avons vu au chapitre 3 que la météorite ALH84001 a défrayé la chronique : découverte en 1984 en Antarctique, elle présente au microscope des structures montrant des analogies avec des bactéries fossilisées. Après un long débat, il est aujourd’hui généralement admis que ces structures proviennent d’une contamination ultérieure par l’environnement terrestre de la météorite. 162
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Dès lors, puisque nous disposons de plusieurs dizaines de kilogrammes d’échantillons martiens, pourquoi vouloir en rapporter d’autres sur Terre ? Parce que les échantillons récoltés sur la Terre ont été éjectés de Mars à l’occasion d’impacts météoritiques, et que les roches sédimentaires, dans lesquelles on pourrait espérer découvrir des fossiles ou des traces de matériau biogénique, ne résistent pas au choc thermique généré par ces impacts. Une collecte d’échantillons soigneusement sélectionnés depuis la surface martienne permettrait d’accéder à des matériaux de différents types, qui porteraient les traces de divers processus tels que la sédimentation ou l’altération des roches par l’eau ou l’atmosphère, voire même d’éventuelles signatures biologiques. . . Idéalement, les échantillons devraient être collectés dans plusieurs sites : coulées de lave pour définir une chronologie martienne, carottes de glaces polaires pour retracer le paléoclimat de Mars, et surtout matériaux sédimentaires pour rechercher d’éventuelles traces de vie. Les premières réflexions sur une mission de retour d’échantillons martiens datent des années 1970, suite aux progrès réalisés sur la datation de la Lune grâce aux échantillons lunaires. Mais le projet souffre de la désaffection du grand public suite aux résultats négatifs des sondes Viking sur la présence de vie sur Mars. D’autres projets voient le jour dans les décennies suivantes, mais tous se heurtent à l’obstacle du coût de la mission, au moins plusieurs milliards de dollars. Suite au succès technologique de la mission Curiosity, la NASA décide en 2015 de développer un nouveau robot dérivé de Curiosity, Mars2020 qui sera le premier élément d’une mission de retour d’échantillons martiens et aura pour mission la collecte et le stockage d’une série d’échantillons (voir ci-dessous). D’autres modules opérés et financés par l’ESA et la NASA assureraient la collecte de ces échantillons et leur retour sur Terre à l’horizon 2030 (Fig. 9.1). Programmé pour un lancement en 2020, le programme ExoMars2020, développé par l’ESA et la Russie, devrait déposer un autre robot mobile, équipé d’une palette d’instruments comparable à celle de Mars2020 et de Curiosity. Un de ses avantages, par rapport à Mars2020, devrait être une capacité de sondage améliorée, jusqu’à deux mètres de profondeur. Le groupe de travail international qui étudie le programme de retour d’échantillons martiens Mars Sample Return a proposé en 2018 un scénario qui demande au minimum trois lancements pour rapporter sur Terre 500 g d’échantillons martiens (Fig. 9.1). Le premier lancement serait celui d’un robot mobile équipé de l’instrumentation adéquate pour repérer les échantillons les plus intéressants, les introduire dans des containers scellés et les déposer dans des endroits faciles d’accès : ce sera la mission du rover Mars2020, actuellement en développement à la NASA. Puis il faudrait récupérer ces échantillons à l’aide d’un autre robot mobile, conçu pour se déplacer (relativement) rapidement. En LES PLANÈTES ET LA VIE
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F IGURE 9.1. Le scénario de retour d’échantillons martiens actuellement considéré par la NASA et l’ESA. Le rover Mars2020 (en bas à gauche), développé par la NASA, est chargé de la collecte d’échantillons ; son lancement est prévu pour 2020. Tous les autres éléments sont actuellement en phase d’étude à l’ESA et à la NASA, mais ne sont pour l’instant ni finalisés ni financés. Un premier véhicule (en haut à droite) emporterait un bras articulé pour récupérer les échantillons (1), la fusée destinée à leur décollage (2), une plate-forme de lancement (3) et le rover chargé de récupérer les échantillons (4). Un orbiteur martien (en haut, au milieu), comprendrait la capsule de retour sur Terre (1) avec le système de récupération (2) du conteneur à échantillons (3). © Wikipedia.
effet, contrairement à ce qui se passe dans les films de science-fiction, il n’est pas simple d’atterrir sur Mars avec une précision meilleure que quelques kilomètres, et il faudra que le robot se déplace pour aller chercher les échantillons. Il faut ensuite repartir avec les échantillons à l’aide d’une petite fusée, soit apportée par le robot lui-même, soit mise en attente dans un lieu proche des échantillons. Enfin, la capsule contenant les précieux 500 g d’échantillons serait récupérée par un orbiteur martien, introduite dans un vaisseau de retour vers la Terre, et renvoyée vers notre planète. Ce scénario est complexe, et toutes ses étapes demandent encore des études et des développements techniques pour devenir réalité. Notons par exemple que le développement d’une fusée compatible avec l’environnement martien (oxydant, avec des fortes variations de températures) n’est pas chose très simple.
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Supposons que nous disposions enfin d’échantillons martiens collectés in situ et ramenés sur Terre. Avant que ceux-ci soient disponibles pour la communauté scientifique, ils devront tout d’abord séjourner plusieurs semaines dans un « centre de curation » aménagé à cet effet sous l’égide des grandes agences spatiales. Cette contrainte est imposée par le protocole de Protection planétaire mis en place par le COSPAR (Committee on Space Research), organisme international de coordination de la recherche spatiale. L’objectif de la protection planétaire est d’une part d’éviter de contaminer avec des micro-organismes terrestres les environnements extraterrestres explorés par les sondes spatiales (c’est pourquoi celles-ci sont stérilisées au mieux avant leur lancement), d’autre part d’éviter une éventuelle contamination de notre planète par des échantillons extraterrestres lors de leur retour sur Terre ; c’est le but de leur mise en quarantaine dans un centre de curation dédié. Dans le cas des échantillons lunaires, ce centre de curation se trouvait aux États-Unis ; dans la perspective d’une mission internationale de retour d’échantillons martiens, des initiatives se mettent en place pour que l’un de ces centres soit développé en Europe. Pouvons-nous imaginer des techniques permettant de caractériser la matière vivante à partir de l’analyse d’échantillons martiens ? Un diagnostic possible repose sur le rapport isotopique du carbone, 12 C/13 C. Sur la Terre, ce rapport, mesuré dans les minéraux, est égal à 90. Cependant, dans les organismes vivants, il est altéré par l’effet de la photosynthèse. En effet, les plantes fixent le carbone au moyen de deux cycles photosynthétiques conduisant à la formation de molécules à trois ou à quatre atomes de carbone. Dans les deux cas, elles utilisent le carbone 12 C de manière préférentielle quand elles convertissent le gaz carbonique en matière organique, ce qui conduit à un enrichissement du rapport 12 C/13 C de 2,4 % dans la matière vivante. Mesurer un tel enrichissement serait a priori possible dans des échantillons martiens ; néanmoins, ce critère limite la recherche aux formes de vie associées à la photosynthèse et ne s’applique pas à d’autres formes de vie. Un autre diagnostic possible pour caractériser la matière vivante est l’étude de la chiralité. De quoi s’agit-il ? De nombreuses molécules organiques présentent deux formes isomères, symétriques par rapport à un miroir ; c’est le cas, par exemple, d’une molécule composée d’un atome de carbone entouré de quatre atomes ou de quatre groupes d’atomes différents. Ces deux isomères, traversés par un faisceau lumineux, ont la propriété de faire tourner le plan de polarisation de cette lumière dans des sens opposés ; on les nomme D (pour dextrogyre) ou L (pour lévogyre). Or il se trouve que les molécules chirales de la matière organique terrestre choisissent tous un type donné : c’est ce que l’on appelle l’homochiralité de la matière vivante. Par exemple, les acides aminés des protéines sont tous de type L, les sucres de type D, etc. Quelle pourrait en être la LES PLANÈTES ET LA VIE
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cause ? Des études de laboratoire récentes ont montré que la synthèse d’acides aminés irradiés par un flux ultraviolet polarisé (comme il en est produit par exemple dans une région de formation d’étoiles massives) conduit à un excès de chiralité L, comparable à ce qui est mesuré dans les météorites. Les molécules pré-biotiques à l’origine de la vie sur Terre pourraient avoir présenté un excès L suite à ce mécanisme ; la chiralité L se serait ensuite imposée sur Terre par sélection naturelle sur l’ensemble du monde vivant. L’étude de la chiralité des molécules organiques se fait par des techniques classiques de polarimétrie optique ; elle fera partie de l’analyse en laboratoire des futurs échantillons martiens. 9.2
Comment détecter des traces de vie in situ ?
La technique consistant à mesurer le rapport 12 C/13 C dans les échantillons de gaz ou de roche prélevés in situ peut aussi être utilisée dans les missions robotiques martiennes, si celles-ci parviennent à détecter de la matière organique. C’est pour cette raison que le rover Curiosity a été équipé d’un spectromètre à laser accordable (c’est l’instrument qui a permis de détecter le méthane), capable de mesurer séparément les abondances de 12 CH4 et de 13 CH4 . Malheureusement, les quantités de méthane détecté par Curiosity jusqu’à présent ne sont pas suffisantes pour permettre cette mesure. Son principe est repris pour les analyses in situ qui seront menées par le successeur de Curiosity, Mars2020, et le robot mobile ExoMars 2020. En dehors du spectromètre à laser accordable de Curiosity, aucune expérience de recherche de matière vivante n’a été embarquée dans une mission martienne depuis l’aventure des atterrisseurs Viking. À cette époque, les expériences étaient orientées vers la recherche d’une activité métabolique, c’est-àdire la mise en évidence de réactions chimiques par lesquelles un organisme vivant échange avec le milieu ambiant. Suite à la difficulté d’interprétation des résultats de Viking, ce type d’expérience n’a pas été renouvelé. Les perspectives s’orientent plutôt vers la recherche de « bio-marqueurs », c’est-à-dire de signatures d’une vie passée ou présente. La définition de bio-marqueur est ici plus large que celle que nous avons utilisée dans le cas de l’analyse du spectre des exoplanètes (Chapitre 9) : il ne s’agit pas seulement de rechercher l’ozone, le dioxyde de carbone ou le méthane dans l’atmosphère martienne, ou la chlorophylle à la surface d’une exoplanète, mais d’identifier des molécules spécifiques (acides aminés, protéines, acides nucléiques, et même ARN ou ADN), au moyen de « bio-puces » spécifiques à chaque molécule ou à chaque type de molécule. Une expérience britannique de ce type, LMC (Life Marker Chip) avait été ainsi sélectionnée comme élément de la charge utile du module de descente de la 166
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mission ExoMars2020, mais elle a dû ensuite être retirée faute de place disponible. En revanche, une expérience américaine plus classique de recherche de molécules organiques, MOMA (Mars Organic Molecule Analyser), basée sur la chromatographie et la spectroscopie de masse (comme l’expérience du robot Curiosity), fera partie de la charge utile de ExoMars 2020. 9.3
Vers une exploration habitée de Mars ?
Dans tout ce qui précède, nous avons considéré l’exploration spatiale planétaire (et a fortiori exoplanétaire) sous l’angle des missions robotiques. C’est en effet à celles-ci que l’on doit la prodigieuse avancée des connaissances réalisées depuis plus de cinquante ans en astronomie, qu’il s’agisse de la connaissance de notre Système solaire (grâce aux missions planétaires dédiées) ou de celle de l’Univers (grâce aux observatoires spatiaux opérant dans toute la gamme des ondes électromagnétiques). L’envoi d’hommes sur la Lune, entre 1969 et 1972, a toutefois lancé une autre piste de réflexion : celle de l’exploration habitée des planètes les plus proches. Compte tenu des conditions hostiles présentées par Mercure et Vénus (absence d’atmosphère et température élevée sur le côté jour de Mercure ; pression colossale, nuages d’acide sulfurique et atmosphère torride à la surface de Vénus), le choix s’est rapidement porté sur la planète Mars. Avant Apollo 11, l’exploration habitée des planètes relevait du rêve ou de la science-fiction. Depuis le débarquement d’hommes sur la Lune, elle donne un nouvel essor aux rêves de conquête spatiale véhiculés dans la littérature depuis des millénaires, en commençant par le mythe d’Icare, et particulièrement florissants au cours des derniers siècles ; il suffit de citer les voyages vers la Lune évoqués par Cyrano de Bergerac, Jules Verne ou H. G. Wells. De fait, la question est plus philosophique que scientifique : en échappant à la gravité terrestre, l’homme échappe à sa condition de terrien et repousse les frontières de son environnement. Le vieux concept de colonisation qui a accompagné toutes les étapes des grandes découvertes revient alors en force, d’autant plus que l’on sait maintenant que les « petits hommes verts » n’existent pas sur Mars. . . À l’engouement du public pour l’exploration habitée s’ajoute le contexte économique et politique, dont le rôle est essentiel. Sans l’affrontement de deux super-puissances, les États-Unis et l’Union Soviétique à la suite de la Seconde Guerre mondiale, l’exploration habitée de la Lune n’aurait jamais eu lieu. Une fois cet enjeu dépassé, le programme Apollo a été rapidement interrompu, laissant la place à l’exploration robotique planétaire dont la science a tiré le meilleur parti. Aujourd’hui, la situation est en train de basculer. Les puissances LES PLANÈTES ET LA VIE
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émergentes, pour des raisons tant politiques qu’économiques, veulent, elles aussi, participer à la conquête spatiale, avec, dans un premier temps, l’envoi d’un homme dans l’espace, puis le retour de l’exploration habitée de la Lune. C’est le cas en particulier de la Chine qui a déposé, en 2018, le robot Chang’e 4 sur la face cachée de la Lune ; la sonde Chang’e 5 aura pour mission de rapporter des échantillons lunaires sur Terre, et l’objectif suivant de la Chine est l’installation d’une base lunaire. L’environnement économique est aussi en pleine mutation, avec l’apparition de nouveaux acteurs non étatiques. La société Space X a développé un nouveau concept d’accès à l’espace par des engins réutilisables à bas coût, les fusées Falcon. Sous contrat de la NASA, Space X effectue depuis 2012 des vols de ravitaillement de la Sonde Spatiale Internationale (ISS) et devrait prochainement y transporter des astronautes. Le directeur de Space X, Elon Musk, a pour objectif affiché de transporter des colons vers la planète Mars. La desserte cargo et bientôt habitée de l’ISS est aussi effectuée par Boeing, un industriel plus ancien dans le secteur. La société Blue Origin, dont le PDG est Jeff Bezos, fondateur d’Amazon, développe également des fusées réutilisables pour en particulier emmener des touristes dans l’espace, et a récemment proposé un concept d’atterrisseur lunaire. Ce nouveau contexte oblige toutes les grandes agences spatiales à étudier des projets d’exploration spatiale habitée, qu’il s’agisse de la Lune, de Mars ou même d’un astéroïde. Qu’en est-il de la science ? Soyons clairs : ce n’est pas la science qui est le moteur de cette démarche, même si elle pourrait, bien entendu, en tirer parti. Nous avons vu que l’étude des échantillons lunaires a été décisive pour établir la datation des objets du Système solaire ; cependant, leur retour ne nécessitait pas l’envoi d’une mission habitée. Si les missions Apollo représentent une fantastique aventure humaine, leur coût n’en était pas moins exorbitant ; c’est la cause de l’interruption de ce programme, une fois l’enjeu politique dépassé. Le succès scientifique des missions robotiques s’explique par la capacité de miniaturiser les instruments de mesure tout en développant toujours plus leurs performances. On le voit aujourd’hui dans le domaine de la médecine en particulier : la robotique, alliée à l’intelligence artificielle, est de plus en plus capable de reproduire les gestes et les comportements humains. Or, on ne pourra jamais miniaturiser le corps humain ! Alors, que penser du programme de vol habité vers Mars ? Pour un coût de plus de cent fois celui d’une mission robotique, le retour scientifique n’en serait pas véritablement transformé. Rappelons que le coût d’une mission robotisée à la surface de Mars (Curiosity par exemple) s’élève déjà à plusieurs milliards de dollars. Celui du programme Apollo, infiniment moins complexe que ne le serait une mission habitée vers Mars, s’est élevé à environ 170 milliards de dollars. Peut-être l’exploration habitée de Mars, menée pour des raisons politiques et 168
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économiques, aura-t-elle lieu dans plusieurs décennies ; elle n’en sera pas moins un gouffre financier, à une époque où toutes les énergies devraient pourtant être orientées vers la protection de la vie telle que nous la connaissons sur notre propre planète.
Vers les satellites extérieurs, autres niches possibles pour la vie 9.4
Nous avons mentionné brièvement les perspectives qu’offre pour l’exobiologie l’intérieur de certains satellites des planètes géantes. Grâce aux effets de marée générés par la présence de leur planète-hôte, la température à l’intérieur de ces objets pourrait permettre la présence de l’eau sous forme liquide, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives en termes d’exobiologie. Deux d’entre eux apparaissent particulièrement prometteurs : le satellite galiléen Europe, en orbite autour de Jupiter, et le petit satellite Encelade de Saturne. En effet, l’océan d’eau liquide salée qui est vraisemblablement présent sous leur surface glacée pourrait, selon les modèles de structure interne, être en contact direct avec le noyau silicaté de ces objets. L’idéal serait de pouvoir envoyer une sonde à l’intérieur de ces océans dont la présence, rappelons-le, n’est cependant pas encore démontrée. Nous en sommes encore bien loin : souvenons-nous du nombre d’années qu’il a fallu pour réaliser le sondage EPICA en Antarctique jusqu’à une profondeur de trois kilomètres. . . et dans le cas des satellites extérieurs, nous ne connaissons pas l’épaisseur de la croûte de glace ! Mais les premières étapes de l’exploration se mettent en place. La première cible sera Europe, deux fois plus proche de nous qu’Encelade. La principale difficulté est l’intense champ de radiation de la magnétosphère de Jupiter, qui a pour effet d’endommager très rapidement les instruments des sondes spatiales situées à proximité. Deux missions spatiales sont programmées et en cours de développement. La mission européenne JUICE (JUpiter ICy moons Explorer), dont le lancement est prévu pour 2022, devrait arriver en 2030 pour une série de survols des trois satellites galiléens les plus éloignés de Jupiter (dont deux survols rapprochés d’Europe), suivie d’une mise en orbite autour de Ganymède en 2032 (Fig. 9.2). La mission américaine Europa Clipper, en développement à la NASA, prévoit un lancement entre 2022 et 2025, une arrivée dans le système de Jupiter un peu plus de six ans plus tard, et une série de 45 survols rapprochés d’Europe. Le premier objectif sera de confirmer l’existence de l’océan d’eau liquide, d’en déterminer les caractéristiques et d’étudier les processus d’échange entre l’océan et la surface. Enfin n’oublions pas le système de Saturne. Titan, son plus gros satellite, cible privilégiée de la mission LES PLANÈTES ET LA VIE
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F IGURE 9.2. La mission JUICE (JUpiter ICy moons Explorer), sélectionnée par l’ESA et actuellement en développement pour un lancement en 2022, a pour objectif l’exploration des lunes de Jupiter et leurs conditions d’habitabilité. La sonde effectuera plusieurs survols d’Europe, Ganymède et Callisto pour se mettre ensuite en orbite autour de Ganymède. On voit sur cette vue d’artiste la sonde en orbite autour de Ganymède ; à gauche au premier plan Europe et au fond, Jupiter et son satellite Io et en-dessous de la sonde, le satellite Callisto. © ESA.
Cassini-Huygens menée conjointement par l’ESA et la NASA, a une atmosphère riche en molécules pré-biotiques, qui présente des analogies avec la Terre primitive. Après le succès spectaculaire de la mission Cassini et son achèvement en beauté en septembre 2017, de nombreux planétologues rêvent de poursuivre l’exploration de Titan. Pour Titan comme pour Encelade, il existe des projets d’exploration depuis l’orbite du satellite, mais aucun d’entre eux n’a encore franchi le cap de la sélection. 9.5
L’exploration des exoplanètes : les perspectives
Dès que nous quittons le Système solaire, le débat prend une autre tournure. Il ne s’agit plus de s’approcher des objets qui nous intéressent, mais de les étudier à distance, voire de tenter de communiquer avec eux par le biais de signaux 170
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électromagnétiques. Rappelons que l’étoile la plus proche, Proxima du Centaure, est située à plus de quatre années-lumière du Soleil. Aucune technologie ne permet aujourd’hui d’imaginer l’envoi d’une sonde interplanétaire à une telle distance dans un temps compatible avec la durée de vie humaine. Pour quelques décennies encore (et sans doute plus), l’exploration des exoplanètes passera par leur étude à distance, au moyen de télescopes au sol ou proches de la Terre munis d’instruments de mesure de plus en plus sophistiqués. À court et à moyen terme, la feuille de route est bien définie. Dans un premier temps, il nous faut construire une véritable classification des exoplanètes dont nous avons vu l’étonnante diversité, tant physique qu’orbitale ; pour mener ce recensement, nous devons continuer l’exploration exoplanétaire par toutes les techniques possibles puisqu’elles donnent accès, nous l’avons vu, à différentes classes d’objets. En parallèle, il nous faut améliorer notre connaissance de la nature des différentes classes d’objets en déterminant la composition atmosphérique de leur atmosphère. La variété des exoplanètes est telle que nous pouvons nous attendre à découvrir des atmosphères dotées de caractéristiques imprévues en termes de conditions physiques et de composition chimique. Il faudra alors comprendre, parmi les « anomalies » observées, celles qui sont susceptibles de trahir la présence d’une forme de vie. Dans le domaine de la détection des exoplanètes, c’est le satellite astrométrique Gaia (Fig. 9.3), lancé par l’ESA en 2013, qui devrait bouleverser le paysage au cours de la prochaine décennie. L’objectif de cette mission est de mesurer, avec une précision inégalée, les positions et les vitesses de plus d’un milliard d’étoiles de notre Galaxie. En complément à l’apport fondamental que fourniront ces données pour la physique stellaire et galactique, Gaia devrait enfin permettre la détection d’exoplanètes par astrométrie directe, ce qu’avait tenté sans succès Peter Van de Kamp au siècle dernier. On attend ainsi la découverte de plus de 20 000 exoplanètes, avec, pour les plus brillantes d’entre elles, la détermination de leur masse (avec un biais vers les masses supérieures à celles de Neptune) et de leurs paramètres orbitaux. De plus, Gaia réalisera également des mesures de transit planétaire qui devraient déboucher sur la détection de plus de 6 000 exoplanètes. D’ici quelques années, le catalogue des exoplanètes découvertes devrait ainsi être multiplié par un facteur de l’ordre de cinq, voire plus. À ces résultats s’ajouteront ceux des missions spatiales dédiées aux transits planétaires, dans le sillage de CoRoT et Kepler : il s’agit de la mission américaine TESS (Transit Exoplanet Survey Satellite), lancée par la NASA en avril 2018. Dédié à l’observation d’exoplanètes autour d’étoiles brillantes, TESS doit permettre la détection de plus d’un millier d’exoplanètes qui pourraient ensuite, à la différence de Kepler, faire l’objet d’études de vélocimétrie et de spectroscopie pour mieux déterminer leurs caractéristiques physiques. Moins d’un an après son LES PLANÈTES ET LA VIE
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F IGURE 9.3. Lancée par l’Agence Spatiale Européenne en 2013, la mission Gaia est une mission d’astrométrie destinée à mesurer les positions et les vitesses de plus d’un milliard d’étoiles de notre Galaxie avec une précision inégalée. Elle peut également mesurer le flux et obtenir un spectre de ces étoiles. Le second catalogue de Gaia a été diffusé en avril 2018, mais il faudra attendre encore pour que l’exploitation de l’ensemble des données obtenues puisse permettre la découverte de plus de 20 000 nouvelles exoplanètes. © ESA.
lancement, la mission a déjà à son actif plusieurs découvertes, dont celle d’un objet d’une exo-Terre chaude tournant autour d’une étoile M en moins d’une demi-journée, ainsi qu’un système multiple dont deux mini-Neptunes en quasirésonance 2 :1. Du côté européen, la mission CHEOPS, développée en partenariat entre la Suisse et l’ESA, sera, elle aussi, dédiée à l’analyse par transit des exoplanètes de taille moyenne (super-Terre ou mini-Neptune) ; son lancement devrait intervenir à l’automne 2019. À plus long terme, la mission PLATO (PLAnetary Transits and Oscillations of stars) du programme « Cosmic Vision » de l’ESA aura pour objectif la recherche d’exoplanètes de type terrestre autour d’étoiles brillantes (en particulier des exo-Terres et des super-Terres), ainsi que la caractérisation de leur étoile-hôte. En parallèle aux missions spatiales, les réseaux de petits télescopes automatiques depuis la Terre se multiplient. C’est le cas par exemple du NGTS (Next Generation Exoplanet Transit Survey), un ensemble de douze télescopes de 20 cm de diamètre situés au Chili, sur le site de l’ESO au Mont Paranal. 172
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F IGURE 9.4. L’Extremely Large Telescope européen (ELT), développé par l’ESO, dont on voit ici la maquette, est un télescope de 39 mètres de diamètre actuellement en construction au Mont Armazones, au Chili. Il s’agit du plus grand télescope au monde en construction à ce jour. La première lumière est attendue à l’horizon 2025. © ESO.
Les astronomes n’abandonnent pas pour autant la méthode de vélocimétrie, qui s’avéra si fructueuse pour découvrir les premières exoplanètes. Dans la lignée des spectromètres pionniers qu’ont été CORALIE et HARPS, l’instrument ESPRESSO est en service depuis novembre 2017 au VLT (Very Large Telescope), sur le site du Paranal de l’ESO au Chili. Il a la capacité de travailler avec un seul télescope ou de combiner la lumière provenant de quatre télescopes de huit mètres ; il peut aussi fonctionner en mode interférométrique avec ces télescopes et les quatre télescopes auxiliaires du VLT pour obtenir la meilleure résolution angulaire possible, et donc une astrométrie très précise. Le même type d’instrument est également à l’étude pour équiper l’ELT de l’ESO (Fig. 9.4) à la fin de la décennie 2020. Un autre domaine est promis à un brillant avenir : c’est celui de l’imagerie directe des exoplanètes, grâce aux techniques d’optique adaptative et de coronographie qui permettent de s’affranchir de la lumière de l’étoile centrale. Cette méthode est particulièrement adaptée à l’étude des exoplanètes jeunes (et donc encore relativement chaudes) éloignées de leur étoile-hôte. L’entrée en service des ELTs (Extremely Large Telescopes), d’un diamètre allant de 30 à 40 mètres, équipés d’instruments de spectro-imagerie adaptés, devrait ouvrir encore davantage les perspectives de ce domaine de recherche déjà en plein essor. LES PLANÈTES ET LA VIE
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Autre volet important de l’exploration exoplanétaire, l’étude de la composition atmosphérique des exoplanètes est elle aussi en plein développement. Dans la lignée des travaux réalisés grâce aux observatoires spatiaux HST et Spitzer, le télescope spatial JWST (James Webb Space Telescope, Fig. 9.5), doté d’un miroir de 6,5 mètres de diamètre et optimisé pour les observations dans l’infrarouge, sera un instrument de choix pour mesurer le spectre infrarouge thermique des exoplanètes en orbite autour des étoiles les plus brillantes afin de déterminer leur composition atmosphérique et révéler ainsi leur nature, voire leur histoire ; son lancement, plusieurs fois retardé et attendu avec impatience par les astronomes, devrait intervenir en 2021. Cependant le JWST, doté de spectromètres à haute résolution spatiale, ne pourra observer qu’un nombre limité d’exoplanètes, compte tenu de la diversité de ses objectifs scientifiques, allant de la physique stellaire aux galaxies et à la cosmologie. Il fallait donc une mission dédiée à l’analyse systématique de la composition atmosphérique des exoplanètes, capable d’effectuer un recensement de tous les types d’exoplanètes rencontrés. C’est le but de la mission ARIEL (Atmospheric Remote-sensing Infrared Exoplanet Large survey), sélectionnée par l’Agence spatiale européenne en 2018 pour un lancement en 2028. Son spectromètre pourra observer simultanément le spectre infrarouge de l’exoplanète par transit devant son étoile, ainsi que le spectre visible de l’étoile en question, ceci pour éliminer les causes possibles d’incertitude liées à la variabilité de l’étoile ou du cycle saisonnier de la planète. En parallèle, des mesures de spectroscopie par transit seront réalisées sur les cibles les plus favorables par les ELTs, dotés de spectromètres à haute résolution, dans les fenêtres atmosphériques de l’infrarouge proche. Pour conclure ce tour d’horizon, mentionnons deux projets américains qui n’en sont encore qu’à la phase d’étude, mais qui pourraient concrétiser les ambitions de demain. LUVOIR et HabEx sont deux projets de grands télescopes opérant depuis l’ultraviolet jusqu’à l’infrarouge proche, tous deux au point de Lagrange L2, avec pour objectif l’imagerie et la caractérisation des exoplanètes. LUVOIR (voir la fin du chapitre précédent) serait doté d’un télescope de diamètre compris entre huit et 16 mètres, équipé d’un système d’optique adaptative, d’un coronographe (qui pourrait être constitué d’un occulteur situé à grande distance), d’imageurs et de spectrographes ; ses objectifs scientifiques seraient multiples, allant de l’étude des exoplanètes à la physique stellaire et extragalactique, la cosmologie et la physique des hautes énergies. HabEX, équipé d’un télescope de trois à six mètres lui aussi doté d’un coronographe, aurait pour objectif principal l’imagerie et la caractérisation spectroscopique des exoplanètes habitables, ainsi que la recherche de leurs éventuelles bio-signatures. Les deux projets sont actuellement à l’étude pour une présentation à la National Academy of Sciences 174
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F IGURE 9.5. Le James Webb Space Telescope (JWST), développé par la NASA en partenariat avec l’ESA, est le successeur annoncé du (HST) Hubble Space Telescope, lui-même en opération depuis 1989. Il s’agit d’un télescope de 6,5 m de diamètre optimisé pour l’observation dans le visible et l’infrarouge, surtout dédié à la cosmologie et à l’étude des exoplanètes. Très attendu par toute la communauté astronomique mondiale, il a subi de multiples retards. Son lancement est actuellement prévu pour 2021. © NASA.
américaine, dans le cadre de l’exercice de prospective en astrophysique que cet organisme mène tous les dix ans, pour une éventuelle sélection en 2020 et un lancement aux environs de 2035. 9.6
Et si nous n’étions pas seuls ?
À la lumière des découvertes récentes, peut-on tenter d’estimer la probabilité d’existence d’une vie extraterrestre ? La question n’est pas nouvelle. En 1961, LES PLANÈTES ET LA VIE
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l’astronome américain Frank Drake alla même plus loin : sa célèbre équation N = F* × FP × F H × FV × F I × FR × T a pour ambition d’évaluer le nombre de civilisations détectables dans notre Galaxie (voir Encadré E.9.1). Plus de cinquante ans plus tard, nous avons fait de gros progrès sur les trois premiers facteurs, qui sont le taux annuel de formation d’étoiles dans la Galaxie, la fraction d’étoiles entourées de planètes, et la fraction de planètes dans la zone habitable. Ces avancées sont encourageantes, mais nous ne savons toujours rien des termes suivants. La première inconnue est la probabilité qu’aurait une planète située dans la zone habitable de son étoile d’abriter la vie. Dans le cas de la Terre, plusieurs facteurs ont pu être favorables à l’éclosion de la vie : la présence de la Lune a stabilisé l’axe de rotation de la planète, et la présence d’une magnétosphère a protégé l’atmosphère de l’érosion par le vent solaire. Ensuite, l’évolution de la vie a été marquée par des événements extérieurs (chutes de météorites), ou géophysiques (apparition des continents, volcanisme, tectonique des plaques) ou climatiques (périodes de glaciation). C’est dire que la vie sur Terre a suivi un cheminement propre, spécifique à son environnement, et qu’il serait illusoire d’espérer trouver une forme de vie extraterrestre analogue à la nôtre. Si les biologistes s’accordent sur les conditions qui semblent indispensables à l’éclosion de la vie – eau liquide, carbone, source d’énergie, longévité – on pourrait même imaginer une vie extraterrestre basée non pas sur l’ADN ou l’ARN, comme la nôtre, mais sur d’autres acides nucléiques utilisant des acides aminés non présents dans la liste des vingt acides aminés « terrestres ». Supposons que nous découvrions, d’ici quelques décennies ou peut-être moins, la signature de l’ozone dans le spectre infrarouge d’une exoplanète rocheuse. Supposons que cette atmosphère montre aussi les signatures spectrales de la vapeur d’eau, du méthane et du gaz carbonique – des molécules déjà identifiées sur certaines exoplanètes. La présence de l’ozone signifierait la présence d’une quantité importante d’oxygène. On pourrait alors très sérieusement se poser la question de l’existence d’une forme de vie à la surface de cette exoplanète. Que faire alors ? Impossible d’y aller voir. . . en revanche, il est possible d’imaginer une forme de communication basée sur la transmission des ondes électromagnétiques. Suite aux travaux de Frank Drake, les radioastronomes, dès les années 1970, se sont interrogés sur la possibilité de recevoir des signaux émis par d’éventuelles civilisations extraterrestres. Ils ont choisi la longueur d’onde de 21 cm, correspondant à une transition bien connue de l’hydrogène atomique, l’élément le plus abondant de l’Univers, à laquelle l’atmosphère terrestre (et aussi, par analogie, celle d’une exoplanète rocheuse) est transparente. Un programme de recherche systématique a été lancé en direction de quelques cibles choisies parmi les étoiles proches, à partir des plus grands radiotélescopes (Fig. 9.6). Les recherches, négatives à ce jour, ont été coordonnées à partir de 1984 176
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F IGURE 9.6. Le radiotélescope d’Arecibo, sur l’île de Porto-Rico aux États-Unis. Il se compose d’une immense antenne de plus de 300 mètres de diamètre. On voit ici le chariot focal suspendu qui se déplace au dessus de l’antenne pour suivre le mouvement de la source. © Wikipedia, David Broad.
par l’Institut SETI (Search for Extra-Terrestrial Intelligence), d’abord grâce un financement de la NASA, puis sur des fonds privés. Non contents d’être à l’écoute des « autres », les astronomes ont aussi émis en 1974, à partir du radiotélescope géant d’Arecibo, un message radio en direction de l’un des amas globulaires de notre Galaxie, Hercule (M13), situé à 6 400 parsecs. Si une réponse devait nous parvenir, ce serait dans plus de 40 000 ans. . . Dans le même esprit, les messages contenus par les sondes spatiales Pioneer et Voyager qui s’éloignent vers l’extérieur du Système solaire témoignent du besoin de l’humanité de s’adresser « aux autres ». Ces envois de bouteilles à la mer, d’une portée purement symbolique, ne sont là que pour rappeler le questionnement existentiel de l’humanité sur sa place dans l’Univers.
Encadré E.9.1
L’équation de Drake En 1961, le radioastronome Frank Drake, né en 1930, proposa de quantifier le nombre de civilisations extraterrestres capables de communiquer avec la nôtre. Ce nombre N s’exprime au moyen de l’équation suivante :
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N = F* x FP x F H x FV x F I x FR x T dans laquelle – F* est le taux annuel de formation d’étoiles dans la Galaxie ; – FP est la fraction d’étoiles entourées de planètes ; – F H est le nombre de planètes par étoile dans la zone habitable ; – FV est la fraction de planètes habitables abritant la vie ; – F I est la fraction de planètes habitées abritant des civilisations ; – FR est la fraction de ces planètes capables de communiquer par radio ; – T est la durée de vie d’une civilisation pouvant communiquer par radio. En 1961, les valeurs utilisées par Drake étaient les suivantes : F* = 10, F P = 0,5 ; F H = 2, FV = 1, FI = FR = 0,01, T = 10 000 ans, ce qui donnait N = 10. Les recherches récentes confirment les deux premières valeurs, tandis que la valeur de F H est encore incertaine. Tous les autres facteurs relèvent de la spéculation.
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Chapitre 9. Conclusions : quelques pistes futures de l’exobiologie
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Glossaire Acide aminé : molécule contenant un radical acide COOH et un radical amine NH2 , constituant de base des protéines et des peptides. Acide nucléique : macromolécule caractéristique de la matière vivante terrestre, constituée d’une chaîne de nucléotides réunis par des groupements phosphate. L’acide ribonucléique (ARN) est une chaîne simple, tandis que l’acide desoxyribonucléique (ADN), constituant de base des chromosomes, est en forme de double hélice. Accrétion : capture gravitationnelle d’un matériau solide ou gazeux par un astre. Albédo : fraction de la lumière de l’étoile centrale réfléchie ou diffusée par une planète ou une comète. On distingue l’albédo monochromatique, à une longueur d’onde déterminée, et l’albédo bolométrique ou albédo de Bond, qui concerne l’énergie totale intégrée sur toutes les longueurs d’onde. Astéroïde : petit corps solide appartenant à un système planétaire ; la plupart des astéroïdes du Système solaire gravitent sur des orbites situées entre celle de Mars et celle de Jupiter. Astrométrie : mesure de la position, des mouvements apparents et de la distance des astres (planètes, satellites, étoiles, noyaux de galaxies). Bactérie méthanogène : bactérie procaryote anaérobie, classée parmi les archées, produisant du méthane à partir de H2 et de CO2 . Bande spectrale : ensemble de raies souvent non résolues qui produit une absorption ou une émission couvrant un domaine étendu de longueurs d’onde. Les bandes sont caractéristiques des molécules, qui produisent de très nombreuses raies. Ceinture de Kuiper : région du Système solaire où l’on trouve les astres glacés comme Pluton, située entre 30 et 55 unités astronomiques du Soleil. Chondrite carbonée : type de météorite dont la composition chimique est proche de celle du milieu interstellaire en ce qui concerne les éléments réfractaires.
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Comète : astre appartenant à un système planétaire, d’orbite généralement très excentrique et très perturbée par les grosses planètes. Les comètes sont initialement des blocs de glaces, de poussières et de matériaux organiques agglomérés qui s’évaporent superficiellement à l’approche du Soleil, libérant gaz et poussières responsables de leur aspect nébuleux et leurs queues. Continu (spectre -) : émission ou absorption couvrant un large domaine de longueurs d’onde sans qu’aucune longueur d’onde ne soit privilégiée. Coronographe : instrument occultant efficacement la lumière d’une étoile afin de permettre d’observer des objets faibles à proximité. Cosmogonie : au sens général, étude de la formation et de l’évolution des corps célestes. Ce mot est le plus souvent pris dans un sens restrictif et ne s’applique alors qu’au Système solaire. Cryovolcanisme : type de volcanisme observé dans certains astres glacés, où des produits fondus, généralement sous l’effet de forces de marée, sont éjectés sous forme de geysers d’eau, d’ammoniac ou de méthane. Cyanobactérie : bactérie procaryote productrice de méthane ou d’oxygène. Différenciation : triage gravitationnel des éléments en fonction de leur masse spécifique à l’intérieur d’un astre. Disque protoplanétaire : disque de gaz et de poussières en rotation autour d’une protoétoile, dans lequel vont se former les planètes ; lorsque les planètes sont formées, elles affectent la structure du disque que l’on nomme alors disque de transition ; enfin, lorsque tout le gaz du disque a disparu, il reste un disque de débris. Doppler-Fizeau (effet) : variation Δλ de la longueur d’onde λ reçue d’une source en mouvement par rapport à la longueur d’onde émise λ0 . On a Δλ/λ0 = v/c, où c est la vitesse de la lumière. Éclipse : voir transit. Écliptique : trajectoire apparente du Soleil parmi les étoiles au cours de l’année. Équateur : pour une planète ou un satellite, grand cercle perpendiculaire à son axe de rotation, à partir duquel on compte la latitude. Eucaryote : Cellule vivante comportant un noyau, isolée ou formant les champignons, les végétaux et les animaux. 180
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Excentricité : pour une orbite, écart à la circularité. L’excentricité e d’une orbite elliptique est telle que la distance du centre à un des foyers de l’ellipse est ae, où a est le demi grand-axe de l’orbite. Exobiologie : étude de la matière vivante en dehors de la Terre, ou plus modestement pour l’instant de ses précurseurs. Exoplanète : planète gravitant autour d’une autre étoile que le Soleil. Grand Bombardement Tardif : bombardement intense des planètes par des astéroïdes, survenu environ 880 millions d’années après la formation du Système solaire. Inclinaison : angle entre le plan d’une orbite planétaire et un plan de référence, qui pour le Système solaire est le plan de l’écliptique. Pour l’orbite d’une exoplanète, le plan de référence est le plan du ciel. Interstellaire (matière) : gaz et poussières remplissant la Voie lactée ou les galaxies spirales entre les étoiles. C’est le matériau à partir duquel se forment les étoiles et les planètes. Ligne des glaces : cercle du disque circumstellaire ayant pour rayon la distance à l’étoile centrale telle que l’eau se trouve sous forme solide au delà. Lipides (corps gras) : molécules formées de longues chaines carbonées avec en général à une extrémité un phosphoglycéride. Ce sont les constituants des parois des cellules vivantes. Lithosphère : croûte solide d’une planète rocheuse. Lunette astronomique : instrument d’observation dont l’objectif est une lentille simple ou double, qui fait l’image du ciel en un foyer où on l’observe avec un oculaire. En anglais : refracting telescope, ou refractor. Magnétosphère : région supérieure de la haute atmosphère d’une planète munie d’un champ magnétique, comme la Terre, Jupiter et Saturne, caractérisée par des particules chargées d’énergie assez élevée, emprisonnées dans ce champ magnétique. Magnitude : échelle logarithmique permettant de mesurer l’éclat d’un astre ;
• apparente : mesure l’éclat apparent : m = - 2,5 log F + constante, si F est le flux lumineux ; • absolue : mesure l’éclat intrinsèque ; par convention, la magnitude absolue M et la magnitude apparente m d’un astre seraient identiques s’il était à une distance de 10 parsecs (32,6 années-lumière) : m − M = 5 – 5 log D, D étant la distance de l’objet en parsecs. LES PLANÈTES ET LA VIE
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Marée : déformation ou rupture d’un astre sous l’effet de la gravitation d’un astre voisin. Météorite : débris d’un corps solide appartenant au Système solaire, dont la trajectoire a croisé celle de la Terre et qui est entré dans son atmosphère. Le phénomène lumineux associé à cette traversée de l’atmosphère terrestre est une étoile filante, le résidu (s’il y en a un) est une météorite. Les météorites sont des roches très primitives ; les chondrites carbonées sont les plus intéressantes pour comprendre la formation du système solaire. Migration : déplacement radial des planètes dû à leur interaction gravitationnelle avec le disque protoplanétaire Moment cinétique de rotation : aussi nommé moment angulaire, c’est pour un point M le moment par rapport à un point O de sa quantité de mouvement p = mv, m étant sa masse et v son vecteur vitesse, c’est à dire le produit vectoriel OM × p. Pour un corps en rotation, c’est l’intégrale des moments de ses points constitutifs. Naine brune : étoile avortée, de masse insuffisante pour que les réactions nucléaires aient pu s’y amorcer et fournir de l’énergie. La masse des naines brunes est comprise approximativement entre 0,01 et 0,07 masse solaire. Nébuleuse : tout objet astronomique d’aspect diffus, sauf les comètes. Les nébuleuses planétaires, dont on a longtemps pensé qu’elles pourraient être à l’origine des systèmes planétaires, sont en fait de masses de gaz et de poussière expulsées par des étoiles en fin de vie. Nébuleuse protosolaire : masse de gaz et de poussières interstellaires à partir de laquelle s’est formé le Système solaire. Nuage moléculaire : zone relativement dense de matière interstellaire constituée essentiellement d’hydrogène moléculaire, d’autres molécules et de poussières, où se forment les étoiles Nuage ou réservoir de Oort : région située aux confins du Système solaire, à environ 1 année-lumière du Soleil, où résident les comètes jusqu’à ce qu’une perturbation gravitationnelle les envoie éventuellement près du Soleil. Nucléotide : molécule formée d’une base sucre et de cycles azotés. L’acide désoxyribonucléique (ADN) et l’acide ribonucléique sont constitués de nucléotides liés entre eux par des groupements phosphate. L’ordre selon lequel les nucléotides sont disposés dans l’ADN définit le code génétique. Occultation : voir transit. 182
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Optique adaptative : technique permettant de corriger partiellement les images des effets de la turbulence atmosphérique. Panspermie : théorie selon laquelle la vie aurait été apportée de l’extérieur sur la Terre. Sous une forme atténuée, théorie selon laquelle ce sont seulement les briques de base de la vie qui ont été apportées. Peptide : molécule formée d’une combinaison d’acides aminés. Périhélie ou périastre : Point de l’orbite d’une planète où elle est le plus proche de l’étoile centrale. Petite planète : synonyme d’astéroïde. Planète géante : planète de masse très supérieure à 10 masses terrestres, généralement très volumineuse et peu dense. On distingue dans le système solaire les planètes géantes gazeuses (Jupiter et Saturne) et les planètes géantes glacées (Uranus et Neptune). Planète tellurique ou terrestre : planète rocheuse du Système solaire comparable à la Terre : Mercure, Vénus, la Terre et Mars, par opposition aux grosses planètes (Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune). Planétésimal : petit corps formé par agglomération de poussières dans le disque protoplanétaire. Planétoïde : corps plus important formé par accrétion de planétésimaux (voir ce mot) suite à leurs collisions mutuelles ; les plus gros accrètent du gaz et deviennent des planètes, dans le modèle de Safronov. Prébiotique (molécule) : molécule organique, c’est à dire formée essentiellement des atomes H, C, N et O, qui pourrait être une brique de base des protéines et de l’ADN. Les acides aminés sont de telles molécules. Procaryote : cellule vivante sans noyau, bactérie ou archée. Pulsar : étoile à neutrons (donc une étoile en fin de vie), en rotation très rapide et émettant de manière régulière, comme un phare, un signal radio dont la période est extrêmement stable. Radioastronomie : branche de l’astronomie qui consiste à étudier l’émission radio des astres. Le Soleil, les planètes, certaines étoiles, le gaz interstellaire atomique, moléculaire ou ionisé, les électrons de haute énergie du rayonnement cosmique, les pulsars, les galaxies, les quasars émettent des ondes radio. Radiotélescope : antenne ou ensemble d’antennes servant à la radioastronomie. Raie spectrale : renforcement ou diminution de l’intensité dans le spectre lumineux d’un objet survenant à une longueur d’onde déterminée ; la raie LES PLANÈTES ET LA VIE
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est dite d’émission s’il y a renforcement, et d’absorption s’il y a diminution. La longueur d’onde d’une raie est caractéristique de l’atome, ion ou molécule qui la produit. Révolution : mouvement d’une planète autour de son étoile, ou d’un satellite autour de sa planète. Rotation : mouvement d’une planète ou d’un satellite autour de son axe. Spectroscopie : technique consistant à décomposer par un prisme ou un réseau la lumière en ses différentes longueurs d’onde. Par extension, décomposition de toute onde électromagnétique (rayons X, ultraviolet, infrarouge ou radio). L’instrument utilisé est appelé spectroscope si il n’est pas enregistreur, ou spectrographe s’il l’est. La spectroscopie peut être en émission si l’on observe un corps lumineux comme une exoplanète, ou en transmission si on observe par exemple l’atmosphère d’une exoplanète interposée devant une étoile. Stratosphère : région de l’atmosphère terrestre située au dessus de la troposphère, où la température croît avec l’altitude. Mars et Vénus ne possèdent pas de stratosphère. Supernova : étoile massive terminant sa vie dans une explosion. Super-Terre : exoplanète rocheuse de masse de l’ordre d’une dizaine de masses terrestres. Tectonique des plaques : déplacement relatif de portions rigides de la lithosphère de la Terre (plaques continentales). Les autres planètes du Système solaire ne présentent pas actuellement cette propriété. Télescope : instrument d’observation dont l’objectif est un miroir concave, qui fait l’image du ciel en un foyer où on l’observe avec un oculaire. En anglais : reflecting telescope, ou reflector, ou, plus récemment, telescope tout court. Le télescope de Schmidt est un instrument à miroir sphérique muni d’une lame correctrice de l’aberration de sphéricité, ce qui lui donne un grand champ. Transit : passage d’une planète devant son étoile (transit primaire) produisant une éclipse de l’étoile par la planète, ou passage derrière l’étoile (transit secondaire), produisant une occultation de la planète par l’étoile. Troposphère : partie basse de l’atmosphère d’une planète, généralement convective. Tropopause : limite supérieure de la troposphère, la séparant de la stratosphère. Unité astronomique (ua) : unité de longueur égale au demi grand axe de l’orbite terrestre (150 millions de kilomètres). 184
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Vélocimétrie : méthode de détection indirecte d’une exoplanète par les variations de vitesse radiale qu’elle produit sur son étoile. Vent solaire : gaz ionisé éjecté continuellement par la couronne du Soleil. Vitesse radiale : vitesse d’éloignement ou de rapprochement d’un astre, mesurée par effet Doppler-Fizeau sur ses raies spectrales. Zone d’habitabilité : zone de distances à l’étoile telles que l’eau puisse être à l’état liquide sur une exoplanète éventuelle.
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Bibliographie Bougher, S. W., Hunten, D. M. & Phillips, R. J. (1997) Venus II : Geology, geophysics, atmosphere and solar wind environment. University of Arizona Press, Tucson. Catling, D. C. & Kasting, J. F. (2017) Atmospheric evolution of inhabited and lifeless worlds. Cambridge University Press, Cambridge. Coustenis, A. & Encrenaz, T. (2013) Life beyond Earth. Cambridge University Press, Cambridge. Encrenaz, Th., Bibring, J.-P., Blanc, M., Barucci, A., Roques, F. & Zarka, P. (2003) Le Système solaire. CNRS Éditions & EDP Sciences, Paris. Forget, F., Costard, F. & Lognonné, F. (2006) La planète Mars – Histoire d’un autre monde. Belin, Paris. Gargaud, M., Martin, H., Lopez-Garcia, P., Montmerle, T., Pascal, R. (2009) Le Soleil, la Terre... la vie : la quête des origines, Belin, Paris. Gounelle, M. (2017) Une belle histoire des météorites. Muséum d’Histoire Naturelle, Paris. Haldane, J. B. S. (1985) On being the right size and other essays. Oxford University Press, Oxford. Kieffer, H. H., Jakosky, B. M., Snyder, C. W. & Matthews, M. S. (1992) Mars. University of Arizona Press, Tucson. Lequeux, J. & Encrenaz, Th. (2015) À la rencontre des comètes, de Halley à Rosetta. Belin, Paris. Lequeux, J., Encrenaz, T. & Casoli, F. (2017) La révolution des exoplanètes, EDP Sciences, Les Ulis. Lissauer, J. J. & de Pater, I. (2015) Fundamental Planetary Science – Physics, Chemistry and Habitability, 2e edition. Cambridge University Press, Cambridge. Luft, R. (2014) Biosphère et Chimie. EDP Sciences, Les Ulis. Maeder, A. (2012) L’unique terre habitée ? Les conditions pour la vie sur les planètes. Favre, Lausanne. Maurel, M.-C. (2017) Les origines de la vie. Éditions du Pommier, Paris.
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Ollivier, M., Encrenaz, Th., Roques, F., Selsis, F. & Casoli, F. (2009) Planetary Systems : Detection, Formation and Habitability of Extrasolar Planets, Springer Verlag, Berlin. Oparine, A. & Fessenkov, V. (1958) la Vie dans l’Univers. Editions en langues étrangères, Moscou. Perryman, M. (2018) The Exoplanet Handbook, 2e edition. Cambridge University Press, Cambridge. Rothery, D. A., Gilmour, I., & Sephton, M. A. (2018) An introduction to astrobiology, 3e edition. Cambridge University Press, Cambridge. Schulze-Makuch, D. & Bains, W. (2017) The cosmic zoo, complex life on many worlds. Springer, New-York. Schulze-Makuch, D. & Irwin, L. N. (2018) Life in the Universe. Springer Praxis Book, Springer Nature Switzerland AG. Taylor, F. W. (2014) The scientific exploration of Venus. Cambridge University Press, Cambridge. Tournier, J.-N. (2005) Le vivant décodé ; quelle nouvelle définition donner à la vie ? EDP Sciences, Les Ulis. Sur internet : Liste mise à jour des exoplanètes, avec beaucoup de renseignements et une bibliographie :
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Bibliographie
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Index A Acide aminé 83, 84, 86, 90-93, 100, 131, 165, 166, 176, 179 ADN 83, 84, 87, 88, 92, 93, 96, 100, 166, 176, 179, 182, 183 Albédo 74, 78, 104, 122, 179 Ammoniac 21, 23, 30, 31, 69, 82-85, 89, 93, 99, 154, 180 Anaximandre de Milet (ca. 610-ca. 546 av. J.-C.) 81 Antoniadi, Eugène (1870-1944) 34, 36 Archée 95, 97, 101, 105, 179, 183 Archimède (287-212 av. J.-C.) 12 Aristarque de Samos (370-230 av. J.-C.) 11 Aristote (384-322 av. J.-C.) 12, 81 ARN 87, 92, 96, 97, 100, 166, 176, 179 Arrhenius, Svante (1859-1927) 82 Astéroïde 15, 27, 28, 63, 69, 82, 90, 133, 134, 168, 179, 181, 183 Astrométrie (détection par) 141, 143, 148, 171-173, 179 Atmosphère de Mars iii, 2-5, 29, 30, 36, 38, 40, 43, 47, 59, 60, 64-66, 69, 70, 77, 126, 165 de la Terre iii, 2-5, 29, 30, 52, 59, 64-66, 69, 70, 78, 83, 98, 105, 106-110, 113-117 de Titan 131, 132, 169
de Vénus iii, 2-5, 29, 30, 35-37, 47, 105,49, 51, 58, 59, 64-66, 69-71, 75, 76, 124 des exoplanètes 7, 8, 30, 31, 153-155, 176
B Babinet, Jacques (1794-1872) 15 Bactérie 43, 44, 80-82, 95,97, 98, 100, 101, 105-109, 114, 123, 162,179 Bada, Geoffrey 84 Barnard, Edward E. (1857-1923) 35, 141 Becquerel, Henri (1852-1908) 82 Bergerac, Cyrano de (1619-1655) 12, 167 Bernal, John Desmond (1901-1971) 92 Bethe, Hans (1906-2005) 16 Bion, Nicolas (1652-1733) 14, 13,140 Bruno, Giordano (1548-1600) 12 Buffon, Georges-Louis Leclerc, comte de (1707-1788) 13, 16
C Cairns-Smith, Alexander Graham (1931-2016) 92 Cameron, Alastair G.W. (1925-2005) 19 Canaux de Mars 35-36
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Cassini, Jean-Dominique (1624-1712) 35 Cavendish, Henry (1731-1810) 52 Cérès 133, 134 Chamberlain, Thomas (1843-1928) 15 Champ magnétique des planètes 44, 50, 51, 53, 60, 62, 63, 77, 103, 130, 150, 181 Chaos 13, Chiralité 165, 166 Chlorophylle 8, 98, 156, 158, 166 Classification des exoplanètes 30, 31, 171 Classification des habitats 128, 129 Comète 14, 18, 24, 25, 28, 41, 69, 82, 89, 90, 91, 126, 179, 180, 182 Copernic, Nicolas (1473-1543) 12, 33, 34, 140 Coriolis, Gaspard-Gustave de (1792-1843) 66, 67 Coronographie 50, 51, 54, 55, 172, 173, 199 Cuze ou Cues, Nicolas de (1401-1464) 12
D Darwin, Charles (1809-1882) 15, 82, 83, 92 Démocrite (ca. 460-370 av. J.-C.) 11 Descartes, René (1596-1650) 13, 14, 16 Disque protoplanétaire, de transition, de débris 5, 15-20, 24-27, 130, 136, 142, 149, 180-183 Doppler-Fizeau, effet 143, 180, 185 Drake, Frank D. 176, 177, 178 190
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E Éclipse : voir Transit secondaire Épicure (ca. 342-270 av. J.-C.) 11, 140 Ératosthène (ca. 276-ca. 194 av. J.-C.) 52 Eucaryote 97, 101, 106, 180 Excentricité 27, 50, 58, 62, 112, 138, 140, 181 Exobiologie 7, 9, 80, 115, 124, 125, 127, 130, 134, 150-152, 159, 161-178, 181 Exo-Terres et planètes habitables 102, 103, 128, 129, 137, 145, 149-152
F Ferrel, William (1817-1891) 66 Flammarion, Camille (1842-1925) 12, 13, 35, 140 Flaugergues, Hanoré (1755-1830) 35 Fontenelle, Bernard le Bovier de (1657-1757) 12 Formation du Système solaire 16-28 Formation des étoiles et des disques 16-20, 138 Formation et évolution des systèmes exoplanétaires 28-29
G Gagarine, Youri (1934-1968) 37 Galilée (1564-1642) 12, 13, 33, 34, 52, 158 Goldreich, Peter 24 Goldwin, Francis (1562-1633) 12 Grand bombardement tardif 24, 27-29, 73, 76, 77, 98, 101, 106, 181 Index
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Habitabilité dans le Système solaire 119-134, 166, 169 Habitabilité et vie sur les exoplanètes 7, 149-160, 170-174 Hadley George (1685-1768) 66 Haldane, John Burdon Sanderson (1892-1964) 82, 83, 96, 101, 187 Hall, Asaph (1829-1907) 35 Helmont, Baptiste van (1577-1644) 81 Herschel, William (1738-1822) 15, 35 Horrock, Jeremiah (ca. 1619-1641) 34 Huygens, Christiaan (1629-1695) 12, 34, 35
Labeyrie, Antoine 158 Lalande, Jérôme de (1732-1807) 12 Lammer, Helmut 128, 129 Laplace, Pierre-Simon (1749-1813) 15, 16 Lavoisier, Antoine (1743-1794) 52 Le Verrier, Urbain (1811-1877) 12 Ligne des glaces 21, 24, 136, 181 Lin, Chia-Chiao (1916-2013) 24 Lipide 84, 86, 87, 93, 94, 96, 181 Leeuwenhoek, Antoni van (1632-1723) 81 Lomonosov, Mikhael (1711-1765) Lowell, Percival (1855-1916) 12, 35 LUCA (Last Universal Common Ancestor) 97, 98 Lucrèce (ca. 98-55 av. J.-C.) 11 Lunette 33, 35, 181
I Interférométrie 158, 173 Intérieur des planètes 52-56, 60, 61
J Jet protostellaire 18, 20 Jupiters chauds 28, 31
K Kamp, Peter van de (1901-1995) 141, 171 Kant, Emmanuel (1724-1804) 14, 15 Kasting, James 122, 187 Kepler, Johannes (1571-1630) 12, 33, 140 Kepler (lois de) 34 Kuiper, Gerard (1905-1973) 16 Kuiper (ceinture de) 27, 179 LES PLANÈTES ET LA VIE
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M McKay, David, 43 Magnetosphère iii, 62, 63, 77, 151, 176, 181 Maraldi, Giacomo (1665-1729) 35 Maskelyne, Neville (1732-1811) 52 Maunder, Edward (1851-1928) 35 Mayor, Michel 143, 144 Mendeleïev, Dmitri (1834-1907) 53 Miller, Stanley (1930-2007) 84, 85, 89, 91 Messages vers l’Univers 177 Météorite 22-24, 42-44, 82, 91, 93, 108, 111, 116, 123, 126, 162, 166, 176, 179, 182 Méthane 2, 3, 21, 23, 30, 31, 47, 59, 69, 73, 83-85, 89, 95, 99, 104, 191
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105, 107-109, 114, 126, 127, 132, 154-157, 162, 166, 176, 179, 180 Migration 23, 58, 83-86, 95, 96, 99, 104, 105 Milankovitch, Milutin (1879-1958) 112, 113, 115 Modèle de Nice 24-28, 73 Molécule cométaire 90 Molécule interstellaire 23, 99 Molécule pré-biotique 84, 89, 90-93, 98, 101, 166, 170, 183 Moment angulaire (ou cinétique de rotation) 15, 16, 18, 20, 25, 26, 182 Monod, Jacques (1910-1976) 13 Moulton, Forest Ray (1872-1952) 15 Mouvements atmosphériques 31, 65, 67, 125 Musk, Elon 168
N
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P Panspermie 82, 183 Papaloizou, John 24 Paradoxe du Soleil jeune 4, 5, 72-74, 78 Pascal, Blaise (1623-1662) 52 Pasteur, Louis (1822-1895) 81 Peptide 86, 87, 91, 93, 96, 179, 183 Pettit, Edison (1889-1962) 36 Planétésimal 20, 26, 27, 58, 69, 183 Planétoïde 20, 21, 26, 183 Platon (428-348 av. J.-C.) 11 Pluralité des mondes habités 11-13 Polypeptide 86 Procaryote 97, 179, 180, 183 Protéine 82, 83, 86, 87, 92, 93, 96, 97, 100, 165, 166, 179, 183 Pulsar 142, 183
Q
Naine brune (étoile) 18, 139, 152, 182 Queloz, Didier 143, 144 Nébuleuse d’Orion 19 Nébuleuse planétaire 15 Newton, Isaac (1642-1727) 13, 14, 33, 52 Nicholson, Seth (1891-1963) 36 R Nucléotide 87, 88, 100, 179, 182
O Occultation : voir Transit primaire Oort (nuage de) 27, 182 Oparine, Alexandre (1894-1980) 82, 83, 93, 96, 188 Optique adaptative 173, 174, 183 Oró, Juan (1923-2004) 84 Ozone iv, 2, 8, 52, 59, 65, 66, 106, 110, 114, 156, 157, 166, 167 192
Radioastronomie 37, 48, 136, 142, 176, 183 Radiotélescope d’Arecibo 7, 177 Redi, Francesco (1628-1698) 81 Résonance 24-27, 172 Rotation des exoplanètes 150 de Mars 34, 35, 50, 58 de Mercure 36, 57 de Vénus 35, 47, 51, 58, 60, 62, 67 Index
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S
Shakespeare, William (1564-1616) 81 Sondes spatiales et rovers Akatsuki 48, 49, 124 Safronov, Viktor (1917-1999) 20, 183 Apollo 37, 167, 168 Satellites artificiels Beagle 2 46 ARIEL 174 Cassini-Huygens 131-133, 169, 170 CHEOPS 172 Chang’e 168 CoRoT 6, 146, 147, 171 Curiosity 47, 48, 71, 126, 127, Gaia 148, 171, 172 162, 163, 166-168 HabEx 174 Europa Clipper 131, 169 Herschel 17, 23, 133 ExoMars 47, 162, 163, 166, 167 HST 145, 152, 153, 155, 156, 162, Galileo 130, 131 174, 175 InSight 56, 60 IRAS 142 JUICE 130, 169, 170 JWST 155, 156, 174, 175 Magellan 41, 42, 47, 59, 123 Kepler 6, 147, 148, 150, 171 Mariner 35, 37, 38, 50, 70 LUVOIR 158, 159, 174, Mars-96 41, 45, 46 PLATO 172 Mars Climate Orbiter 44 Spitzer 154-156, 174 Mars Express 46, 61, 71, 72, 77, 125 Spoutnik 37 Mars Global Surveyor 44, 45, 50, 62, TESS 171 71, 77, 125 Satellites naturels iv, 8, 28, 30, 33, Mars Observer 44 35, 62, 63, 99, 102, 115, 120, Mars Odyssey 45, 46, 70, 125 128-133, 135, 152, 161, 169, 170 Mars Pathfinder 44 Encelade 8, 120, 129, 130, Mars Polar Lander 45 132, 133, 135, 169, 170 Mars Reconnaissance Orbiter (MRO) Europe 8, 102, 120, 129, 130, 131, 133, 47, 77, 127 135, 169, 170 Mars Sample Return 47, 163 Ganymède 129, 130, 132, 169, 170 Mars Science Laboratory 6, 47 Lune 11, 12, 27, 28, 34, 36, 37, 53, 63, Mars Surveyor 98 44 92, 115, 150, 151, 158, 163, MAVEN 47 167, 168, 176 Nozomi 45 Titan 99, 102, 120, 129, 131, Opportunity 46, 126 132, 169, 170 Phobos 41 Schiaparelli, Giovanni (1835-1910) 13, Phoenix 47 35, 36 Pioneer 177 Schulze-Makuch, Dirk 151, 188 Pioneer Venus 41, 49, 70 Serre (effet de) 2-5, 31, 37, 48, 52, 73, Schiaparelli 47 75-78, 104, 105, 108-110, Sojourner 44 113, 114, 116, 121, 123 Spirit 46 SETI 13, 177 LES PLANÈTES ET LA VIE
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Trace Gas Orbiter 47, 162 Venera, Vega 40-41 Venus Express 47-49, 51, 125 Viking 35, 38-40, 42, 43, 45, 50, 70, 73, 80, 125, 162, 163, 166 Voyager 130, 131, 177 Spitzer, Lyman (1914-1997) 16 Spectromètre pour exoplanètes 173 Spectre, Spectroscopie 71, 77, 153-158, 166, 171, 172, 174, 176, 180, 183, 184 Super-Terres et Neptunes iii, 6, 28, 29-31, 137, 139, 145, 147, 150, 157, 172, 184
T Télescope 35, 145, 146, 158, 171, 172, 181, 184 ESO ELT 173 ESO VLT 19, 173 NGTS 172 Observatoire de Haute Provence 143, 144 STARE 146 Torricelli, Evangelista (1608-1647) 52 Tourbillons (modèle des) 13, 14, 16 Transit (détection par) 6, 122, 144-148 Transit gravitationnel (détection par) 148
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Transit primaire 6, 122, 144-148, 153-155, 184 Transit secondaire 153, 154, 156, 184 Tremaine, Scott, 24
U Urey, Harold (1893-1981) 84, 89, 91
V Van de Kamp, Peter (1901-1995) 141, 171 Vélocimétrie (détection par) 13, 14, 18-21, 23-27, 45, 46, 48, 49, 109, 161-165, 204 Verne, Jules (1828-1905) 167 Voltaire (1694-1778) 12
W Wächtershäuser, Günter 93 Wegener, Alfred (1880-1930) 55 Weiszäcker, Carl Friedrich von (1912-2007), 16 Wells, Herbert George (1866-1946) 167 Wilkins, John (1614-1672) 12 Woese, Carl (1928-2012) 98 Wolszczan, Alexandre 142
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