Les métaphores de la vie quotidienne 9782707310590


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Table of contents :
Chapitre Premier
LA SYSTÉMATICITÉ DES CONCEPTS MÉTAPHORIQUES
Chapitre 5
Chapitre 6
LA PERSONNIFICATION
LA NATURE PARTIELLE
DE LA STRUCTURATION MÉTAPHORIQUE
LE FONDEMENT
DES MÉTAPHORES STRUCTURALES
Chapitre 14
LA CAUSALITÉ : EN PARTIE ÉMERGENTE ET EN PARTIE MÉTAPHORIQUE
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
DÉFINITION ET COMPRÉHENSION
Chapitre 20
Chapitre 21
LA SIGNIFICATION NOUVELLE
Chapitre 22
LA CRÉATION DE LA SIMILITUDE
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
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Les métaphores de la vie quotidienne
 9782707310590

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Pour Andy et le Cornichon

PRÉFACE

Ce livre est né d’un intérêt commun pour la façon dont les hommes comprennent leur langage et leur expérience. Quand nous nous sommes rencontrés, au début de janvier 1979, nous nous sommes rendu compte que nous partagions aussi la conviction que les théories de la signification qui étaient dominantes dans la philosophie et la linguistique occidentales étaient inadéquates, et que le terme < signification », dans cette tradition, n’avait rien à voir avec ce qui, dans la vie des hommes, leur apparaissait comme < significatif ». Ce qui nous a réuni, c’est un intérêt commun pour la métaphore. Mark Johnson avait constaté que la plupart des conceptions philosophiques traditionnelles n’accordaient à la métaphore qu’un rôle réduit, et parfois même nul, dans la compréhension du monde et de nous-mêmes. George Lakoff avait rassemblé des données linguistiques montrant que la métaphore joue un rôle capital dans le langage et la pensée de tous les jours — données dont ne pouvait rendre compte aucune des théories anglo-américaines de la signification, ni en linguistique ni en philosophie. Dans ces deux disciplines, on a traditionnellement considéré la métaphore comme un problème d’intérêt mineur. Nous partagions l’intuition qu’il s’agit au contraire d’un problème central, qui fournit peut-être la clé d’une théorie de la compréhension. Peu de temps après notre rencontre, nous décidâmes de collaborer à ce que nous pensions être un court article présentant des données linguistiques qui mettaient en lu­ mière certaines imperfections des théories récentes de la signification. En moins d’une semaine nous prîmes conscience que certaines propositions de la linguistique et de la philosophie contemporaines, que la tradition occidentale depuis les Grecs tient pour acquises, nous empêchaient ne serait-ce que de poser le type de question auquel nous voulions repondre. Le problème n’était donc pas de dévelop­ per ou de rapiécer une théorie déjà existante de la significa-

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tion, mais de réviser certains postulats fondamentaux de la tradition philosophique occidentale. En particulier, cela nous imposait de nier la possibilité d’une vérité objective ou absolue et de rejeter une multitude de postulats qui sont liés à celle-ci. Cela nous engageait également à formuler une autre théorie dans laquelle l’expérience et la compréhension hu­ maines, et non la vérité objective, joueraient un rôle central. Nous avons, au cours de cette démarche, posé des jalons pour une approche expérientielle non seulement des rapports entre langue, vérité et compréhension, mais aussi de ce que notre expérience quotidienne signifie.

Berkeley, Californie 1er juillet 1979

REMERCIEMENTS

Les idées ne tombent pas du ciel. Dans ses grandes lignes, ce livre est la synthèse de diverses traditions intellectuelles ; il manifeste l’influence de nos professeurs, de nos collègues, étudiants et amis. En outre, de nombreux points de détail proviennent des discussions que nous avons eues avec des centaines de gens. Les traditions et les personnes envers qui nous avons une dette sont trop nombreuses pour que nous les mentionnions toutes. Le mieux que nous puissions faire est d’en nommer quelques-unes et d’espérer que les autres se reconnaîtront et sauront que nous leur sommes reconnais­ sants. Les personnes dont les noms suivent sont à l’origine de nos principales idées. John Robert Ross et Ted Cohen ont largement contribué à former nos idées sur la linguistique, la philosophie et la vie. Pete Becker et Charlotte Line nous ont permis d’apprécier la façon dont les gens mettent de la cohérence dans leur vie. Les travaux de Charles Fillmore sur la Frame Semantics, les idées de Terry Winograd sur les systèmes de représentation des connaissances et la conception des scénarios de Roger Schank sont à la base de ce que George Lakoff a initialement conçu en termes de gestalts linguistiques et que nous avons généralisé sous la forme de * gestalts expérientielles >. Ce que nous disons sur les ressemblances de famille, la théorie de la catégorisation en termes de prototype et le caractère flou des catégorisations provient de Ludwig Wittgenstein, Eleanor Rosch, Lotfi Zadeh et Joseph Goguen. Nos observations sur la manière dont une langue peut refléter le système conceptuel de ses locuteurs sont dues en grande partie aux travaux d’Edward Sapir, Benjamin Lee Whorf et d’autres dont l’œuvre se situe dans cette tradition. Nos idées sur les rapports entre la métaphore et le rituel proviennent de la tradition anthropologique qui remonte à Bronislaw Malinowski, Claude Lévi-Strauss, Victor Turner, Clifford Geertz et d’autres encore. Nos idées sur la manière dont notre système conceptuel est

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façonné par l’adaptation constante de notre organisme à son environnement physique et culturel viennent en partie de la tradition de recherche sur le développement humain inau­ gurée par Jean Piaget, et en partie de la tradition de psy­ chologie écologique née des travaux de JJ. Gibson et de James Jenkins, telle qu’elle se manifeste en particulier dans les travaux de Robert Shaw, Michael Turvey et d’autres. Paul Ricceur, Robert McCauley et la tradition philosophi­ que européenne ont influencé de manière significative ce que nous disons de la nature des sciences humaines. Sandra McMorris Johnson, James Melchert, Newton et Helen Harrison, ainsi que David et Ellie Antin, nous ont permis de saisir la trame commune à l’expérience esthétique et aux autres aspects de notre expérience. Don Arbitblit a attiré notre attention sur les implications politiques et économiques de nos idées. Y.C. Chiang nous a permis de mesurer la relation entre l’expérience corporelle et la perception de soi-même et du monde. Notre dette est aussi très grande envers ceux qui ont élaboré les idées philosophiques contemporaines contre les­ quelles nous réagissons. Nous avons le plus grand respect pour les travaux de Richard Montague, Saul Kripke, David Lewis, Donald Davidson et d’autres, que nous considérons comme des contributions importantes aux théories occidenta­ les traditionnelles de la signification et de la vérité. C’est grâce à leur clarification des concepts philosophiques traditionnels que nous avons pu comprendre en quoi nous divergeons de la tradition et quels sont les éléments de celle-ci que nous conservons. Ce que nous avançons repose dans une large mesure sur nos exemples linguistiques. Un grand nombre de ceux-ci, sinon la plupart, proviennent des discussions que nous avons eues avec des collègues, des étudiants et amis. En particulier, John Robert Ross nous a fourni un flot continu d’exemples par téléphone et sur carte postale. La plus grande partie des exemples des chapitres 16 et 17 est due à Claudia Brugman, qui nous a aussi fourni une aide incalculable dans la prépa­ ration du manuscrit. Nous devons d’autres exemples à Don Arbitblit, George Bergman, Dwight Bolinger, Ann Borkin, Matthew Bronson, Clifford Hill, D.K. Houlgate III, Dennis

REMERCIEMENTS

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Love, Tom Mandel, John Manley-Buser, Monica Macauley, James D. McCawley, William Nagy, Reza Nilippor, Geoff Nunberg, Margaret Rader, Michael Reddy, Ron Silliman, Eve Sweetser, Marta Tobey, Karl Zîmmer, ainsi qu’à plusieurs étudiants de l’université de Californie à Berkeley et de l’ins­ titut d’art de San Francisco. Bien des idées originales de ce travail sont nées de conversa­ tions privées. Nous tenons particulièrement à remercier Jay Atlas, Paul Bennaceraf, Betsy Brandt, Dick Brooks, Eve Clark, Herb Clark, J.W. Coffman, Alan Dundes, Glenn Erickson, Charles Fillmore, James Geiser, Leanne Hinton, Paul Kay, Les Lamport, David Lewis, George McClure, George Rand, John Searle, Dan Slobin, Steve Tainer, Len Talmy, Elizabeth Warren et Bob Wilensky.

Chapitre Premier

CES CONCEPTS QUI NOUS FONT VIVRE

La métaphore est pour la plupart d’entre nous un procédé de l’imagination poétique et de l’ornement rhétorique, elle concerne les usages extra-ordinaires plutôt qu’ordinaires du langage. De plus, la métaphore est perçue comme caracté­ ristique du langage, comme concernant les mots plutôt que la pensée ou l’action. Pour cette raison, la plupart des gens pensent qu’ils peuvent très bien se passer de métaphores. Nous nous sommes aperçu au contraire que la métaphore est partout présente dans la vie de tous les jours, non seulement dans le langage, mais dans la pensée et l’action. Notre système conceptuel ordinaire, qui nous sert à penser et à agir, est de nature fondamentalement métaphorique. Les concepts qui règlent notre pensée ne sont pas de nature purement intellectuelle. Ils règlent aussi jusque dans le détail le plus banal notre activité quotidienne. Ils structurent ce que nous percevons, la façon dont nous nous comportons dans le monde et dont nous entrons en rapport avec les autres. Notre système conceptuel joue ainsi un rôle central dans la défini­ tion de notre réalité quotidienne. Si nous avons raison de suggérer qu’il est de nature largement métaphorique, alors la manière dont nous pensons, dont nous avons des expériences et dont nous menons nos activités quotidiennes dépend dans une large mesure de métaphores. Mais notre système conceptuel n’est pas quelque chose dont nous avons normalement conscience. Dans la plupart des petits actes de notre vie quotidienne, nous pensons et agissons plus ou moins automatiquement, en suivant certai­ nes lignes de conduite qui ne se laissent pas facilement appréhender. Un moyen de les découvrir est de considérer le langage. Comme la communication est fondée sur le même

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système conceptuel que celui que nous utilisons en pensant et en agissant, le langage nous fournit d’importants témoigna­ ges sur la façon dont celui-ci fonctionne. Nous avons émis l’hypothèse, en nous appuyant principa­ lement sur des données linguistiques, que la plus grande partie de notre système conceptuel ordinaire est de nature métaphorique. Et nous avons trouvé un moyen de com­ mencer à déterminer dans le détail quelles sont les méta­ phores qui structurent notre manière de percevoir, de penser et de faire. Pour indiquer en quoi un concept peut être métaphorique et structurer une activité quotidienne, commençons par le concept de Discussion et la métaphore conceptuelle la discussion, C’EST la guerre. Cette métaphore est reflétée dans notre langage quotidien par une grande variété d’ex­ pressions :

Vos affirmations sont indéfendables. Il a attaqué chaque point faible de mon argumentation. Ses critiques visaient droit au but. J’ai démoli son argumentation. Je n’ai jamais gzïgn/sur un point avec lui. Tu n’es pas d’accord ? Alors, défends-toi ! Si tu utilises cette stratégie, il va t’écraser. Les arguments qu’il m’a opposés ont tous fait mouche. Il est important de se rendre compte que nous ne nous contentons pas de parler de discussion en termes de guerre. Dans une discussion, nous pouvons réellement gagner ou perdre. La personne avec qui nous discutons est un adversaire. Nous attaquons sa position et nous défendons la nôtre. Nous gagnons ou nous perdons du terrain. Nous élaborons et mettons en œuvre des stratégies. Si nous nous trouvons dans une position indéfendable, nous pouvons l’abandonner et choisir une nouvelle ligne de défense. Une bonne partie de ce que nous faisons en discutant est partiellement structuré par le concept de guerre. S’il n’y a pas bataille physique, il y a bataille verbale et la structure de la discussion — attaque, défense, contre-attaque, etc. — reflète cet état de fait. C’est en ce sens que la métaphore LA discussion, C’EST la guerre est l’une de celles qui, dans notre culture, nous font vivre : elle structure les actes que nous effectuons en discutant.

CES CONCEPTS QUI NOUS FONT VIVRE

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Essayons d’imaginer une culture où la discussion n’est pas vue en termes de guerre, où il n’y a ni gagnants ni perdants, où attaquer ou se défendre, gagner ou perdre du terrain, n’ont aucune signification. Imaginez une culture où la discussion est perçue comme une danse, où les participants sont des acteurs, dont le but est d’exécuter la danse avec adresse et élégance. Dans une telle culture, les gens percevraient les discussions autrement, ils en parleraient différemment, et leur expérience serait différente. Mais nous ne considérerions probablement pas leur activité comme une discussion : pour nous, ils feraient simplement quelque chose de différent. Et il nous paraîtrait sans doute même étrange d’appeler cela une * discussion ». Peut-être la manière la plus neutre de décrire cette différence entre leur culture et la nôtre serait de dire que nous avons une activité discursive structurée en termes de bataille et que la leur est structurée en termes de danse. Ceci est un exemple de ce que nous voulons dire lorsque nous disons qu’un concept métaphorique, en l’occurrence la discussion, C’EST la GUERRE, structure (au moins en partie) ce que nous faisons quand nous discutons, ainsi que la façon dont nous comprenons ce que nous faisons. L’essence d’une métaphore est qu’elle permet de comprendre quelque chose (et d’en faire l’expérience) en termes de quelque chose d’autre. La dis­ cussion n’est certes pas une sous-espèce de la guerre : les discussions et les guerres sont deux types de choses diffé­ rentes — le discours verbal et le conflit armé — et les actes effectués sont différents. Mais la Discussion est partiellement structurée, comprise, pratiquée et commentée en termes de Guerre. Le concept est structuré métaphoriquement, de même que l’activité et par conséquent le langage sont aussi structurés métaphoriquement. En outre, il s’agit de la manière normale de discuter et de parler d’une discussion. Notre manière la plus normale de parler du fait d’attaquer une position est d’utiliser les mots * attaquer une position ». Notre façon conventionnelle de parler des discussions présuppose une métaphore dont nous avons à peine conscience. La métaphore n’est pas seulement dans les mots que nous utilisons, elle est présente dans le concept même de discussion. Le langage de la discussion n’est pas poétique, imaginatif ou rhétorique : il est littéral. Nous parlons de la sorte des discussions parce que nous les

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concevons ainsi, et nous agissons en accord avec la manière dont nous concevons les choses. L’hypothèse la plus importante que nous avons émise jusqu’ici est donc que la métaphore n’est pas seulement affaire de langage ou question de mots. Ce sont au contraire les processus de pensée humains qui sont en grande partie métaphoriques. C’est ce que nous voulons dire quand nous disons que le système conceptuel humain est structuré et défini métaphoriquement. Les métaphores dans le langage sont possibles précisément parce qu’il y a des métaphores dans le système conceptuel de chacun. Chaque fois que nous parlons dans ce livre de métaphores comme la discussion, C’EST LA guerre, il faudra entendre que métaphore signifie concept métaphorique.

Chapitre 2 LA SYSTÉMATICITÉ DES CONCEPTS MÉTAPHORIQUES Les discussions suivent habituellement des schémas : il y a des choses que normalement nous faisons ou ne faisons pas lorsque nous discutons. Le fait que nous concevons partielle­ ment la discussion en termes de bataille influe de manière systématique sur la forme que prennent nos discussions et sur la manière dont nous parlons de ce que nous faisons en discutant. C’est parce que le concept métaphorique est systé­ matique que le langage que nous employons pour parler de cet aspect du concept est lui-même systématique. Nous avons vu à propos de la métaphore LA DISCUSSION, C’EST la guerre que des expressions appartenant au vocabu­ laire de la guerre, comme attaquer une position, indéfendable, stratégie, nouvelle ligne d’attaque, gagner, gagner du terrain, etc., sont systématiquement utilisées pour parler d’une dis­ cussion en termes de bataille. Ce n’est pas par hasard que ces expressions veulent dire ce qu’elles veulent dire quand nous les utilisons pour parler des discussions. Une partie du réseau conceptuel correspondant à la notion de bataille s’applique au concept de discussion, et le langage suit. Comme les ex­ pressions métaphoriques de notre langage sont liées aux concepts métaphoriques de manière systématique, nous • pouvons utiliser des expressions linguistiques métaphoriques pour étudier la nature des concepts métaphoriques et pour acquérir une compréhension de la nature métaphorique de nos activités. Pour saisir comment le fonctionnement des expressions métaphoriques dans le langage quotidien peut nous donner un aperçu de la nature métaphorique des concepts qui structurent nos activités quotidiennes, examinons le concept

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métaphorique LE TEMPS, CEST de L’ARGENT et son expression dans notre langue : Tu me fais perdre mon temps. Ce procédé vous fera gagner des heures et des heures. Je n’ai pas de temps à te donner. Comment gérez-vous votre budget-temps ? Réparer ce pneu crevé m’a coûté une heure. J’y ai mis beaucoup de temps. Je n'ai pas de temps à perdre. Il ne te reste plus beaucoup de temps. Tu dois économiser ton temps. Mets du temps de côté pour jouer au ping-pong. Cela mwf-il la peine que tu y consacres du temps ? Son temps ne lui appartient pas. Vous ne profitez pas du temps que vous avez. J’ai perdu beaucoup de temps quand je suis tombé malade. Merci de nous avoir donné de votre temps.

Le temps dans notre culture est une marchandise qui a de la valeur. C’est une ressource limitée en quantité que nous utilisons pour réaliser nos objectifs. Etant donné la manière dont le concept de travail s’est développé dans la culture occidentale moderne, où il est normalement associé avec le temps qu’il nécessite (et ce temps est quantifié avec préci­ sion), il est devenu habituel de payer des gens à l’heure, à la semaine ou à l’année. Dans notre culture, LE TEMPS, C'EST de L’ARGENT, comme les tarifications téléphoniques, les salaires horaires, les prix de chambres d’hôtel, les budgets annuels, les intérêts des emprunts et le fait de payer sa dette envers la société en < faisant son temps > le montrent de façons diver­ ses. Ces pratiques sont relativement nouvelles dans l’histoire de la race humaine et n’existent pas dans toutes les cultures. Elles sont apparues dans les sociétés modernes industrialisées et elles structurent très profondément nos activités quoti­ diennes fondamentales. Du fait que nous agissons comme si le temps était une denrée précieuse et une ressource limitée, comme si même c’était de l’argent, nous concevons le temps de cette manière. Ainsi, nous comprenons et vivons le temps comme quelque chose qui peut être dépensé, perdu, calculé, bien ou mal investi, épargné ou gaspillé. LE TEMPS C’EST DE L’ARGENT, LE TEMPS EST UNE RESSOURCE LIMITÉE et LE TEMPS EST UNE MARCHANDISE PRÉCIEUSE sont donc

des concepts métaphoriques. En effet, nous nous servons de notre expérience quotidienne de l’argent, des ressources limitées et des marchandises pour penser le temps. Cette

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façon de concevoir le temps ne s’impose nullement comme une nécessité à tous les êtres humains. Elle est liée à notre culture. Il y a des cultures où le temps n’est pas pensé de cette manière. Les concepts métaphoriques LE TEMPS C’EST DE L’AR­ GENT, LE TEMPS EST UNE RESSOURCE LIMITÉE et LE TEMPS EST UNE MARCHANDISE PRÉCIEUSE forment un système unique fondé sur la sous-catégorisation, car dans notre société l’argent est une ressource limitée et les ressources limitées sont des marchandises précieuses . * Ces relations de sous-catégorisa­ tion caractérisent les relations d’implication entre les méta­ phores : LE TEMPS C’EST DE L’ARGENT implique LE TEMPS EST UNE RESSOURCE LIMITÉE, qui implique LE TEMPS EST UNE MARCHANDISE PRÉCIEUSE. Nous avons adopté pour principe d’utiliser le concept métaphorique le plus spécifique, en l’occurrence LE TEMPS, C’EST DE L’ARGENT pour caractériser le système entier. Certai­ nes des expressions citées comme exemples de la métaphore LE TEMPS, C’EST DE L’ARGENT renvoient spécifiquement à l’ar­ gent {investir, économiser, faire bon usage, coûter), d’autres renvoient aux ressources limitées {user de, avoir assez de), et d’autres encore aux marchandises précieuses {avoir, donner, perdre, merci de nous avoir donné). Ceci est un exemple de la manière dont des implications métaphoriques peuvent carac­ tériser un système cohérent de concepts métaphoriques ainsi qu’un système cohérent d’expressions métaphoriques corres­ pondant à ces concepts.

' La notion de sous-çatégorisation est employée ici par analogie avec les règles de sous-catégorisation en grammaire générative, qui servent à distinguer des sous-catégories à l’intérieur d’une catégorie grammaticale (N. d. T. J

Chapitre 3 LA SYSTÉMATICITÉ MÉTAPHORIQUE : MISE EN VALEUR ET MASQUAGE

Le réseau systématique d’expressions métaphoriques qui nous permet de comprendre un aspect d’un concept en termes d’un autre (par exemple, de comprendre un aspect de la discussion en termes de combat) masquera nécessairement d’autres aspects du même concept. En nous permettant de fixer notre attention sur un aspect d’un concept (par exemple, les aspects d’une discussion qui rappellent une bataille), un concept métaphorique peut nous empêcher de percevoir d’autres aspects qui sont incompatibles avec la métaphore. Par exemple, au milieu d’une discussion animée, quand nous sommes en train d’attaquer la position de notre adversaire et de défendre la nôtre, nous pouvons perdre de vue les aspects coopératifs de toute discussion. En effet, quelqu’un qui discute avec nous peut être considéré comme nous donnant de son temps qui est marchandise précieuse et comme faisant un effort pour nous comprendre et être compris de nous. Mais, quand nous sommes préoccupés par les aspects belli­ queux de la discussion, nous perdons de vue ces aspects-là. Un cas beaucoup plus subtil de la manière dont un concept métaphorique peut masquer un aspect de notre expérience apparaît avec ce que Michael Reddy a appelé * la métaphore du conduit ». Reddy observe que notre façon de parler du langage est structurée par la métaphore complexe suivante : LES IDÉES ( OU SIGNIFICATIONS) SONT DES OBJETS LES EXPRESSIONS LINGUISTIQUES SONT DES CONTENANTS COMMUNIQUER, C'EST FAIRE PARVENIR QUELQUE CHOSE. -

Le locuteur met des idées (des objets) dans des mots (des contenants) et les envoie (par voie d’un conduit) à un auditeur

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qui sort les idées-objets de leurs mots-contenants. Reddy fonde cette analyse sur plus d’une centaine d’expressions de l’anglais : il estime rendre compte d’au moins 70 % des expressions que nous utilisons pour parler du langage. Voici quelques exemples de la métaphore du Conduit : C’est dur de faire passer cette idée. C’est moi qui t’ai donné cette idée. Vos raisons nous vont droit au cœur. Il m’est difficile de mettre mes idées sur le papier. Quand vous avez une bonne idée, essayez de la saisir immédiatement et de la mettre en forme. Essayez de mettre plus de contenu dans moins de mots. Tu ne peux pas te contenter d’introduire n’importe quelles idées dans ta phrase. Le sens est caché dans les mots. Ses mots ne transmettent pas beaucoup de sens. L’introduction contient beaucoup d’idées. Tes mots sonnent creux. La phrase est vide de sens. L’idée est ensevelie sous des tonnes de verbiage. ■ Dans ces exemples, il est difficile de se rendre compte que la métaphore masque quelque chose, et même qu’il y a métaphore. Ces expressions font tellement partie de notre maniéré conventionnelle de penser le langage qu’il est parfois difficile d’imaginer qu’elles puissent ne pas correspondre à la réalité. Mais, si nous considérons les implications de la métaphore du Conduit, nous verrons qu’elle masque certains aspects du processus de communication. Tout d’abord, une des formulations de la métaphore du Conduit, LES EXPRESSIONS LINGUISTIQUES SONT DES CONTE­ NANTS POUR LES SIGNIFICATIONS, implique que les mots et les phrases ont des significations en eux-mêmes, indépendam­ ment du contexte ou du locuteur. La formulation les signifi­ cations SONT des OBJETS implique que les significations ont une existence indépendante des locuteurs ét des contextes. La formulation LES EXPRESSIONS LINGUISTIQUES SONT DES CONTENANTS POUR LA SIGNIFICATION implique elle aussi que les mots (et les phrases) ont des significations indépendantes du contexte et du locuteur. Ces métaphores sont adéquates dans beaucoup de situations, celles .par exemple où les différences de contexte importent peu et où tous les participants à la conversation comprennent les phrases de la même manière. Ces deux implications apparaissent dans une expression métaphorique comme * le sens est dans les mots », qui,

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d’après la métaphore du Conduit, peut être correctement dite de n’importe quelle phrase. Mais dans bien des cas le contexte est important. Voici un exemple connu, relevé par Pamela Downing au cours d’une conversation réelle :

Veuillez prendre le siège au jus de pomme. En elle-rneme, cette phrase n’a aucune signification, puis­ que l’expression * siège au jus de pomme » n’est pas un moyen conventionnel de se référer à un objet quelconque. Mais la phrase est parfaitement sensée si l’on prend en considération le contexte dans lequel elle a été émise. Une personne qui a passé la nuit chez des amis descend prendre son petit déjeuner. Il y a quatre couverts, trois verres de jus d’orange et un jus de pomme. L’expression < siège au jus de pomme » devient claire. Elle reste évidente le lendemain matin, alors qu’il n’y a plus de jus de pomme : le siège ainsi désigné est facilement reconnu. En plus des phrases qui n’ont pas de signification hors contexte, il y a des cas où une phrase peut signifier différentes choses pour des personnes différentes. Considérons la phrase suivante :

Nous avons besoin de nouvelles sources d’énergie. Cette phrase a une signification très différente pour le P.-D. G. de la Shell et pour le président des Amis de la Terre. La signification n’est pas directement dans la phrase : elle dépend pour beaucoup de celui qui prononce ou écoute la phrase, et de ses convictions sociales et politiques. La métaphore du Conduit ne convient pas aux cas où un contexte est exigé pour déterminer si la phrase a une significa­ tion et, si elle en a une, de laquelle il s’agit. Ces exemples montrent que les concepts métaphoriques que nous avons examinés ne nous donnent qu’une compré­ hension partielle de ce que sont la communication, la dis­ cussion et le temps, et que, ce faisant, ils masquent d’autres aspects de ces concepts. Ii est important de comprendre que la structuration métaphorique impliquée ici est partielle et non totale. Si elle est totale, un concept en serait réellement

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un autre, au lieu d’être seulement compris en fonction d’un autre. Par exemple, le temps n’est pas vraiment de l’argent. Si vous donnez de votre temps pour essayer de faire quelque chose et que vous n’obtenez aucun résultat, on ne peut pas vous rendre votre temps. Il n’y a pas de banques où déposer votre temps. Je peux vous donner beaucoup de mon temps mais vous ne pouvez me rendre ce temps-là, quoique vous puissiez me redonner la même quantité de temps. Un concept métaphorique est donc toujours partiellement inadéquat. D’autre part, on peut élargir les concepts métaphoriques au-delà du domaine de l’expression et de la pensée littérales. On se trouve alors dans le domaine de ce qu’on appelle la pensée ou le langage figurés, poétiques, colorés, ou imagina­ tifs. Ainsi, si les idées sont des objets, on peut les < habiller de couleurs chatoyantes », « jongler avec elles », < les ordonner joliment et clairement », etc. Aussi, lorsque nous disons qu’un concept est structuré par une métaphore, nous voulons dire qu’il l’est partiellement et qu’il peut être prolongé de certains côtés mais non d’autres.

Chapitre 4 LES MÉTAPHORES D’ORIENTATION

Jusqu’à présent, nous avons examiné ce qu’on peut appeler des métaphores structurelles : un concept est métaphorique­ ment structuré en termes d’un autre concept. Mais il existe une autre sorte de concept métaphorique qui ne structure pas un concept en fonction d’un autre mais qui, au contraire, organise un système entier de concepts les uns par rapport aux autres. Nous parlerons dans ce cas de métaphores d’orientation, car la plupart d’entre elles concernent l’orientation spatiale : haut-bas, dedans-dehors, devant-derrière, dessus-dessous, profond-peu profond, central-périphérique. Ces orientations spatiales découlent du fait que nos corps sont ce qu’ils sont et se comportent comme ils le font dans notre environnement physique. Ces métaphores d’orientation donnent aux concepts une orientation spatiale. Ainsi, LE BONHEUR EST EN HAUT. Le fait que le concept de Bonheur soit orienté en haut explique l’existence d’expressions comme «Je me sens au sommet de ma forme aujourd’hui ». De telles orientations métaphoriques ne sont pas arbitrai­ res. Elles trouvent leur fondement dans notre expérience culturelle et physique. Bien que les oppositions binaires entre haut et bas, dedans et dehors, etc., soient de nature physique, les métaphores d’orientation qui se fondent sur elles peuvent varier de culture à culture. Par exemple, dans certaines cultures, le futur est devant nous, alors que dans d’autres il est derrière. Nous allons prendre comme illustration les métaphores liées à la spatialisation haut-bas, qui ont été étudiées de manière détaillée par William Nagy ( 1974). Dans chaque cas nous donnerons une brève explication pour in­ diquer comment chaque concept métaphorique a pu surgir

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de notre expérience physique et culturelle. Ces indications se veulent suggestives et plausibles et ne sont pas définitives. Le bonheur est en haut, la tristesse est en bas

Je suis aux anges. Ça m’a remonte'moral. Il ne faut pas te laisser abattre. Penser à elle me donne le vertige. Je suis au septième ciel. Je me sens en chute libre. Je suis déprimé. Il est au plus bas ces jours-ci. Il est retombé dans la dépression. Il s’effondre. Il a le moral à zéro. Le fondement physique est le suivant : la position penchée est habituellement associée avec la tristesse et la dépression, la position droite avec un état affectif positif. Le

conscient EST EN HAUT, L’INCONSCIENT est en bas

Allons, émerge. Il est plongédans un profond sommeil. Il tombe de fatigue. II est sous hypnose. Il s’est enfoncé dans le coma. Le fondement physique est que les humains et la plupart des autres mammifères donnent en position couchée et se lèvent quant ils sont éveillés. La SANTÉ ET LA VIE SONT EN HAUT, LA MALADIE ET LA MORT SONT EN BAS

Il est au sommet de sa forme. Lazare s’est relevé d’entre les morts. Il s’est écroulé de fatigue. Il est tombé malade. Sa santé est déclinante. Il est tombé raide mort.

Fondement physique : une maladie grave nous force à nous coucher; les morts gisent à terre. Contraindre ou dominer est DOMINÉ EST EN BAS '

en haut, être contraint ou



J’ai du pouvoir sur elle. J’ai pris le dessus. Je suis au sommet de l’échëlle. Il est dans une position supérieure. Il est à i’apogée de son pouvoir. Il est dans le haut commandement. Son ascension sociale a été rapide. Il est d’une force supérieure à la mienne. Il est sous mon contrôle. Le pouvoir a été renversé. Son pouvoir est sur le déclin. Il est mon inférieur. Il est au bas de l’échelle. Fondement physique : la taille est normalement en corréla­ tion avec la force physique, et le vainqueur d’un combat est" normalement celui qui prend « le dessus ».

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LES MÉTAPHORES DANS LA VIE QUOTIDIENNE Le plus est en haut, le moins est en bas

Le nombre de livres imprimés chaque année ne cesse de s’élever. Mes revenus ont grimpé l’année dernière. Le volume des activités artistiques a baissé. Le nombre d’erreurs qu’il fait est incroyablement bas. Ses revenus ont chuté. Il est en dessous de la limite d’âge. Si vous avez trop chaud, baissez le chauf­ fage.

Fondement physique : si vous ajoutez des objets à un tas, ou que vous versez plus de liquide dans un récipient, la hauteur du tas augmente, ou le niveau du liquide s’élève. Les ÉVÉNEMENTS FUTURS PRÉVISIBLES SONT EN HAUT ( ET EN AVANT )

AU up coming events are listed in the paper (les rencontres sportives prévues dans les jours qui viennent sont indiquées dans le journal). What’s coming up this week ? (Qu’est-ce qui va se passer cette semaine ?). l’m afraid of what’s up ahead of us (J’ai peur de ce qui nous attend). What’s up ? (Qu’est-ce qui se passe .?) *

Fondement physique : nous regardons normalement dans le sens où nous nous déplaçons ( c’est-à-dire en avant, devant nous). A mesure qu’une objet s’approche d’une personne (ou qu’une personne s’approche d’un objet), l’objet paraît plus grand. Puisqu’on perçoit le sol comme étant fixe, le haut de l’objet paraît se déplacer dans le champ de vision selon un mouvement ascendant. L’élite est en haut, la masse est en bas

Il a une position élevée. EUe montera jusqu’au sommet. Il est au sommet de sa carrière. Il grimpe les échelons. Il a une faible mobilité ascendante. Il est au bas de la hiérarchie sociale. Elle a baissé de statut. Il est de basse extraction.

Fondement physique et social : le rang social est lié au pouvoir (social) et le pouvoir (physique) est En haut. Le bon

est en haut, le mauvais est en bas

L’espoir remonte. Nous avons atteint un sommet l’année dernière, mais les choses sont sur le déclin depuis. Les choses ' Contrairement aux autres, cette métaphore ne semble pas avoir d’équivalent en français ( N.d.T ).

LES MÉTAPHORES D’ORIENTATION

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en sont au point le plus bas jamais atteint. Il fait un travail de haute qualité.

Fondement physique du bien-être personnel : les éléments qui caractérisent ce qui est bon pour quelqu’un, le bonheur, la santé, la vie et la maîtrise de son existence quotidienne, sont tous En haut. La vertu est en

haut, le vice est en bas

C’est un homme aux sentiments élevés. C’est un citoyen au-dessus de tout soupçon. C’était une basse supercherie. Je ne rri abaisserai pas à ça. Ça serait au-dessous de ma réputation. Il est tombé dans un abîme de dépravation.

Fondement physique et social : le Bon est En haut (fonde-, ment physique), à quoi s’ajoute une métaphore que nous discuterons plus loin : LA SOCIÉTÉ EST UNE PERSONNE. La vertu consiste à agir en accord avec les normes établies par la société (qui est une personne) pour maintenir son bien-être. La VERTU EST EN HAUT, car les actions vertueuses sont reliées au bien-être social du point de vue de la société. Comme les métaphores qui ont un fondement social font partie de la culture, c’est le point de vue de la société (en tant que personne) qui importe. Le rationnel est en haut, l'affectif est en bas

La discussion était tombée au niveau du sentimental, mais je l’ai fait remonter au plan du raisonnable. Nous avons écarté nos sentiments personnels et nous avons pu avoir une discussion d’un haut niveau intellectuel sur la question. Il n’était pas capable de dominer ses émotions. Fondement physique et culturel : dans notre culture, les gens se perçoivent eux-mêmes comme exerçant une domi­ nation sur les animaux, les plantes et leur environnement physique. C’est leur capacité spécifique de raisonner qui place les êtres humains au-dessus des animaux et leur donne cette autorité. L’autorité est en haut est donc le fondement de L’HOMME EST en haut et par conséquent de LE RATIONNEL EST EN HAUT.

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LES MÉTAPHORES DANS LA VIE QUOTIDIENNE

Conclusions A partir de ces exemples, nous voudrions proposer les conclusions suivantes sur le fondement que les concepts métaphoriques trouvent dans l’expérience, sur leur cohérence et leur caractère systématique. — La plupart de nos concepts fondamentaux sont orga­ nisés en fonction d’une ou de plusieurs métaphores d’orien­ tation spatiale. — Il y a une systématicité interne à chaque métaphore spatiale. Par exemple, LE bonheur est en haut définit un système cohérent de métaphores plutôt qu’un certain nombre de cas isolés et aléatoires : le système serait incohérent si, par exemple, «Je suis aux anges» signifiait «Je suis heureux» tandis que « Je me suis remonté le moral * signifiait * Je deviens triste ». — Il y a une systématicité externe globale des différentes métaphores de spatialisation, qui définit les cohérences entre elles. Ainsi LE BON est en haut donne une orientation vers le haut à l’idée de bien-être, et cette orientation est cohérente avec des cas particuliers comme le bonheur est en HAUT, LA SANTÉ EST EN HAUT, LA VIE EST EN HAUT, L’AUTORITÉ EST EN HAUT. De même, L’ÉLITE EST EN HAUT est cohérent avec L’AUTORITÊ EST EN HAUT.

— Les métaphores de spatialisation sont enracinées dans notre expérience culturelle et physique : elles ne sont pas attribuées au hasard. Une métaphore ne peut servir à com­ prendre un concept qu’en vertu de son fondement dans l’expérience (nous évoquons certains aspects complexes du fondement empirique des métaphores dans la section sui­ vante). •— Les métaphores peuvent avoir des fondements physi­ ques et sociaux divers. La cohérence du système global semble être au moins partiellement à l’origine du choix des métaphores. Ainsi le bonheur est habituellement associé à un large sourire et à un sentiment général de chaleur expansive. Cette situation pourrait, en principe, former le fondement d’une métaphore LE BONHEUR EST LARGE ; LA TRISTESSE EST Étroite. En fait, il existe des expressions métaphoriques marginales, comme « C’est un homme expansif », qui met en valeur un aspect du bonheur différent de celui qui apparaît

LES MÉTAPHORES D’ORIENTATION

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dans «Je suis aux anges ». Mais la métaphore dominante dans notre culture est le bonheur EST EN haut. Pour cette raison, nous parlons de l’apogée de l’extase plutôt que de sa largeur. En effet, la métaphore LE BONHEUR EST EN HAUT forme un système cohérent avec LE BON EST en haut, LA SANTÉ est en haut, etc. — Dans certains cas, la spatialisation fait tellement partie d’un concept qu’il nous est difficile d’imaginer qu’une autre métaphore puisse structurer un concept de ce genre. D’autres cas, somme celui de bonheur, sont moins clairs. Le concept de bonheur est-il indépendant de la métaphore LE BONHEUR EST EN haut, ou est-ce plutôt que la métaphore haut-bas appliquée au bonheur fait partie du concept ? Nous pensons qu’elle fait partie du concept à l’intérieur d’un système conceptuel donné. La métaphore LE bonheur est en haut situe le bonheur dans un système métaphorique cohérent, et une partie de sa signification provient de son rôle dans ce système. — Les prétendus concepts purement intellectuels, par exemple les concepts d’une théorie scientifique, reposent souvent — et peut-être toujours — sur des métaphores qui ont un fondement physique et/ou culturel. Le « haut » de * les particules à haute énergie » est fondé sur le plus est en haut. Le « supérieur » de « les fonctions supérieures », en psycho­ logie physiologique par exemple, est fondé sur le RATIONNEL EST EN HAUT. — L’attrait intuitif d’une théorie scientifique tient à ce que ses métaphores correspondent à notre expérience. — L’expérience culturelle et physique fournit beaucoup de fondements possibles aux métaphores de spatialisation et pour cette raison leur choix et leur importance relative peuvent varier d’une culture à l’autre. — Il est difficile de distinguer dans une métaphore le fondement physique du fondement culturel, puisque le choix d’un fondement physique est fonction de la cohérence culturelle de la métaphore. Les fondements expérientiels des métaphores Nous ne savons pas grand-chose sur les fondements ex­ périentiels des métaphores. C’est à cause de notre ignorance sur ce point que nous avons décrit séparément les métaphores

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LES MÉTAPHORES DANS LA VIE QUOTIDIENNE

en n’ajoutant qu’ensuite des commentaires hypothétiques sur leurs fondements expérientiels possibles : nous avons choisi cette manière de faire par ignorance et non par principe. En réalité, nous avons le sentiment qu’aucune métaphore ne peut jamais être comprise ou même adéquatement représentée indé­ pendamment de son fondement expérientiel. Par exemple, le type de fondement expérientiel de LE plus est en haut est très différent de ceux de LE bonheur EST EN HAUT ou de LE RATIONNEL EST EN haut. Bien que le concept Haut soit le même dans toutes ces métaphores, les expériences sur les­ quelles elles se fondent sont très différentes. Non qu’il y ait beaucoup de * Haut » différents ; c’est plutôt que la verticalité s’inscrit dans notre expérience de diverses manières et donne lieu à des métaphores très différentes. Une façon de marquer l’impossibilité de séparer les méta­ phores de leurs fondements expérientiels serait d’intégrer ces derniers dans les représentations elles-mêmes. Ainsi, au lieu d’avoir LE PLUS est haut et LE RATIONNEL est haut, nous pourrions avoir la relation plus complexe figurée dans le schéma suivant :

Une telle représentation soulignerait le fait que les deux parties de chaque métaphore ne sont liées que grâce à leur fondement expérientiel et que c’est seulement au moyen de ce fondement que la métaphore peut servir d’instrument de compréhension. Nous n’utiliserons pas de telles représentations, car nous en savons très peu sur les fondements expérientiels des métaphores. Nous continuerons d’utiliser le mot * est > pour formuler les métaphores comme LE PLUS EST EN HAUT ; mais on doit entendre que ce mot représente un ensemble d’ex-

LES MÉTAPHORES D’ORIENTATION

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périences sur lesquelles la métaphore se fonde et en termes desquelles nous la comprenons. Le rôle du fondement expérientiel est important pour comprendre le fonctionnement des métaphores qui ne sont pas cohérentes entre elles parce qu’elles se fondent sur des types différents d’expérience. Prenons une métaphore comme l’inconnu est en haut, le connu est en bas (par exemple dans * Cette idée est dans l’air » ou « Le problème est posé » ). Cette métaphore a un fondement expérientiel très proche de COMPRENDRE, C’est SAISIR, comme dans «Je ne pouvais pas saisir son idée ». Dans le domaine des objets physiques, si vous pouvez en saisir un et le tenir dans vos mains, vous pouvez l’examiner avec soin et comprendre comment il est fait. Il est plus facile de saisir un objet et de l’examiner avec soin s’il est posé par terre ou occupe une place fixe que s’il flotte dans l’air (comme une feuille d’arbre ou de papier). Ainsi, L’INCONNU EST EN HAUT, LE CONNU EST EN BAS est cohérent avec COMPRENDRE, C’EST SAISIR. Mais L’INCONNU EST EN HAUT n’est pas cohérent avec des métaphores comme le BON est en haut et LE FINI EST en HAUT *. On s’attendrait à ce que le Fini soit apparié avec le Connu et le Non-Fini avec l’inconnu. Mais, dans le cadre des métaphores de la vertica­ lité, ce n’est pas le cas, car L’INCONNU EST en haut se trouve avoir un fondement expérientiel très différent de LE fini est EN HAUT.

' Exemple anglais, ■ Tm finishing up • («Je termine ■). Cette métaphore n’a pas d’équivalent en français ( N.d. T. ).

Chapitre 5

MÉTAPHORE ET COHÉRENCE CULTURELLE

Les valeurs les plus fondamentales d’une culture sont cohérentes avec la structure métaphorique de ses concepts les plus fondamentaux. Considérons par exemple certaines va­ leurs culturelles de notre société qui sont cohérentes avec les métaphores de spatialisation haut-bas et non avec leurs contraires : < Plus il y en a, mieux c’est » est cohérent avec le plus est en et le bon est en haut. « Moins il y en a, mieux c’est » ne serait pas cohérent avec ces métaphores. « Plus c’est grand, mieux c’est » est cohérent avec le plus est en HAUT et LE bon est en haut. . Plus c’est petit, mieux c’est » ne l’est pas. « L’avenir sera meilleur » est cohérent avec le futur est en haut et LE bon est en HAUT. * L’avenir sera pire » ne l’est pas. « U y en aura plus dans l’avenir » est cohérent avec LE PLUS EST EN HAUT et LE FUTUR EST EN HAUT. « Ta position devrait être plus élevée dans l’avenir » est cohérent avec L’ÉLITE EST EN HAUT et LE FUTUR EST EN HAUT. haut

Ce sont là des valeurs profondément ancrées dans notre culture. * L’avenir sera meilleur » est une des formulations du concept de progrès. < Vous en aurez plus dans l’avenir » s’applique aussi bien à l’accumulation des biens qu’à l’aug­ mentation des salaires. « Ta position devrait être plus élevée dans l’avenir » est l’expression d’une attitude carriériste. Ces expressions sont cohérentes avec les métaphores de spatiali­ sation que nous utilisons aujourd’hui ; leurs contraires ne le seraient pas. U semble ainsi que nos valeurs ne sont pas indépendantes mais doivent former avec les concepts méta­ phoriques un système cohérent. Nous ne prétendons pas que

MÉTAPHORE ET COHÉRENCE CULTURELLE

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toutes les valeurs culturelles qui sont cohérentes avec un système métaphorique existent réellement, mais seulement que celles qui existent et sont profondément ancrées dans notre culture sont compatibles avec le système de nos métaphores. Les valeurs énumérées ci-dessus sont globalement carac­ téristiques de notre culture, toutes choses égales d’ailleurs. Mais, justement, les choses ne sont généralement pas égales, et il y a souvent des conflits parmi ces valeurs et par conséquent parmi les métaphores qui leur sont associées. Pour expliquer de tels conflits, nous devons nous demander auxquelles de ces métaphores la subculture qui les utilise accorde une priorité. Par exemple, LE PLUS est en haut semble toujours avoir priorité à cause de son fondement physique immédiat. La priorité de le PLUS EST EN HAUT par rapport à LE BON EST EN haut apparaît dans des exemples comme < L’inflation monte » et < le taux de criminalité s’élève ». En accordant que l’inflation et la criminalité sont de mauvaises choses, ces phrases ont la signification qu’elles ont parce que LE PLUS EST EN HAUT est prioritaire. En général, le choix des valeurs prioritaires dépend pour une part de la subculture dans laquelle on vit et pour une part des valeurs que chaque individu choisit. Les diverses subcultures d’une même culture partagent des valeurs fondamentales mais leur donnent différentes priorités. Par exemple, PLUS C’EST GRAND, mieux C’EST peut entrer en conflit avec IL Y en AURA plus DANS L’AVENIR quand se pose la question de savoir si l’on doitacheterunevoituremaintenant,avecuncréditàlongterme qui va amputer le salaire, ou si l’on doit acheter une voiture plus petite et moins chère. Dans certaines subcultures américai­ nes, on achète une grande voiture sans se préoccuper de l’avenir et dans d’autres l’inquiétude à propos de l’avenir passe d’abord et on achète une petite voiture. Il y eut un temps ( avant l’inflation et la crise de l’énergie ) où avoir une petite voiture était tenu en haute estime à l’intérieur de la subculture dans laquelle LA VERTU EST EN HAUT et ÉCONOMISER LES RESSOURCES NATURELLES EST UNE VERTU avaient la priorité sur PLUS C’EST GRAND, MIEUX C'EST. De nos jours, le nombre de propriétaires de petites voitures est monté en flèche parce qu’il y a une importante subculture où ÉPARGNER EST MIEUX a la priorité sur PLUS C’EST GRAND, MIEUX C’EST. En dehors des subcultures, certains groupes se définissent

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LES MÉTAPHORES DANS LA VIE QUOTIDIENNE

par le fait qu’ils partagent des valeurs importantes qui entrent en conflit avec celles de laculture dominante ( tout en conservant —- de façon marquée — d’autres valeurs dominantes). Prenons par exemple l’ordre des trappistes : pour eux, moins il y EN A, MIEUX C'EST et PLUS C’EST PETIT, MIEUX C'EST sont vrais des possessions matérielles, car celles-ci gênent l’activité principale, qui est de servir Dieu. Les trappistes partagent la valeur dominante LA vertu est en HAUT : mais ils lui accordent la plus haute priorité et en donnent une définition très inhabituelle. Pour eux, Plus est Mieux, mais c’est à la vertu que la métaphore s’applique ; et la position de l’homme est toujours En haut, mais ceci ne s’applique pas à notre monde mais à un monde plus élevé, le Royaume de Dieu. Enfin, L'AVENIR sera meilleur est vrai par rapport à l’élévation spirituelle ( Haut) et, en dernier ressort au salut (c’est-à-dire ce qui est réellement En haut). Cela est typique des groupes marginaux par rapport à la culture dominante. La vertu, la bonté et la position peuvent être redéfinies radicalement, mais elles sont encore En haut. Dans ces groupes aussi, il est mieux d’avoir plus de ce qui est important, L’AVENIR SERA MEILLEUR, etc. Eu égard à ce qui est important pour un groupe monastique, le système de valeurs possède une cohérence interne, mais il est également cohérent avec les principales métaphores d’orientation de la culture dominante. Les individus (comme les groupes) se fixent des priorités diverses et définissent ce qui leur semble bon et vertueux de plusieurs manières. En ce sens, ce sont des sous-groupes constitués d’une personne. Par rapport à ce qui est important pour eux, leurs systèmes de valeurs individuels sont cohérents avec les principales métaphores d’orientation de la culture dominante. Toutes les cultures ne donnent pas, comme nous le faisons, la priorité à l’orientation haut-bas. Dans certaines, l’équilibre ou la distance par rapport à un cen tre j oue un rôle plus important que dans lenôtre. Prenons par exemple l’orientation non spatiale actif-passif. Pour nous, I’actif est en haut et LE PASSIF EST EN bas dans la plupart des cas. Mais il y a des cultures où la passivité est plus valorisée que l’activité. En général, les orientations majeures haut-bas, dedans-dehors, central-périphérique, actifpassif, etc., semblent exister dans toutes les cultures, mais la manière dont les concepts sont orientés ainsi que la hiérarchie des orientations varient d’une culture à l’autre.

Chapitre 6 LES MÉTAPHORES ONTOLOGIQUES

Métaphores d'entités et de

substance

Les orientations spatiales comme haut-bas, devant-derrière, dessus-dessous, central-périphérique et près-loin fournissent une base extrêmement riche pour comprendre des concepts en termes d’orientation. Mais l’orientation ne suffit pas. Notre expérience des objets et des substances physiques fournit une base supplémentaire à notre compréhension, base qui va au-delà de la simple orientation. Comprendre nos expériences en termes d’objets et de substances nous permet de choisir les éléments de cette expérience et de les traiter comme des entités discrètes ou des substances uniformes. Une fois que nous pouvons identifier nos expériences comme des entités ou des substances, nous pouvons y faire référence, les caté­ goriser, les grouper et les quantifier — et, par ce moyen, les prendre pour objets de nos raisonnements. Quand les objets ne sont pas clairement discrets ou limités, nous les catégorisons néanmoins comme tels. Il en est ainsi, par exemple, des montagnes, des coins de rue, des haies, etc. Cette façon de considérer les phénomènes physiques est nécessaire pour atteindre certains buts que nous poursuivons — pour distinguer des montagnes, se rencontrer à un coin de rue, tailler des haies. Les hommes ont besoin pour appréhen­ der le monde d’imposer aux phénomènes physiques des limites artificielles qui les rendent aussi discrets que nous, c’est-à-dire en font des entités limitées par une surface. De même que les expériences élémentaires de l’orientation spatiale humaine produisent des métaphores d’orientation, de même l’expérience que nous avons des objets physiques (en particulier de notre propre corps) est à l’origine d’une ex-

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LES MÉTAPHORES DANS LA VIE QUOTIDIENNE

traordinaire variété de métaphores ontologiques, c’est-à-dire de manières de percevoir des événements, des émotions, des idées, etc., comme des entités et des substances. Les métaphores ontologiques servent à des fins diverses et les différences qui existent entre elles reflètent ces différents buts. Prenons l’expérience de la hausse des prix, qui peut être métaphoriquement considérée comme une entité sous le nom d’inflation. L’INFLATION EST UNE ENTITÉ permet de nous référer à l’expérience :

L’inflation est en train défaire baisser notre niveau de vie. S’il y a encore plus d'inflation, nous ne survivrons jamais. Il faut combattre l’inflation. L’inflation nous accule à des mesures extrêmes. L’inflation dévore une grande partie de nos revenus. Acheter du terrain est la meilleure manière de se protéger contre l’inflation. L’inflation me déprime.

Dans tous ces cas, considérer l’inflation comme une entité nous permet d’y faire référence, de la quantifier, d’en identi­ fier un aspect particulier, de voir en elle une cause, d’agir en tenant compte d’elle et peut-être même de croire que nous la comprenons. Des métaphores ontologiques comme celle-là sont nécessaires ne serait-ce que pour tenter d’analyser ra­ tionnellement nos expériences. Le domaine des métaphores ontologiques que nous utili­ sons à de telles fins est énorme. La liste suivante donne une idée de la variété des fins que nous poursuivons, avec des exemples représentatifs des métaphores ontologiques qui servent ces fins.

Faire référence Ma peur des insectes est en train de rendre folle ma femme. C’est une belle prise. Nous travaillons pour la paix. Les classes moyennes sont une force puissante mais silencieuse dans la politique américaine. L’honneur de notre pays est en jeu dans cette guerre. Quantifier Finir ce livre exigera beaucoup de patience. Il y a tant de haine dans le monde. Dupont a beaucoup de pouvoir politique en Bretagne. Il y a trop d’hostilitéchez toi. Pierre Rose a beaucoup de dynamisme et une technique impressionnante au base-bail.

LES MÉTAPHORES ONTOLOGIQUES

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Identifier des aspects Sous la pression des événements, il a révélé le côté sinistre de sa personnalité. La brutalité de la guerre nous rend tous inhumains. Je ne peux pas tenir le rythme de la vie moderne. Sa santé affective s’est détériorée récemment. Nous n’avons jamais ressenti le frisson de la victoire au Vietnam.

Identifier des causes Le poids de ses responsabilités a provoqué sa dépression. Il l’a fait sous le coup de la colère. Notre influence dans le monde a décliné à cause de notre faiblesse morale. Leur mésentente leur a coûté la Coupe du monde. Fixer des objectifs et motiver des actions Il est venu à New York pour y chercher la renommée et la fortune. Voici ce qu’il faut faire pour vous assurer la sécurité financière. Je suis en train de changer mon style de vie, de manière â trouver le vrai bonheur. Devant une atteinte à la sécurité de l’Etat, le F.B.I. réagit vite. Elle a vu dans le mariage la solution à ses problèmes.

Comme dans le cas des métaphores d’orientation, le ca­ ractère métaphorique de la plupart de ces expressions n’est généralement pas remarqué. Une des raisons en est que les métaphores ontologiques, comme les métaphores d’orienta­ tion servent un ensemble limité de fins. Le simple fait de considérer une chose qui n’a pas d’existence physique comme une entité ou une substance ne nous permet pas d’y com­ prendre grand-chose. Mais les métaphores ontologiques peuvent être plus élaborées. Voici deux exemples de la manière dont la métaphore ontologique L’ESPRIT EST UNE entité a été développée par notre culture : L’esprit est une machine

Mon esprit est incapable de fonctionner aujourd’hui. Chouette, ça tourne rond maintenant ! Je suis un peu rouillé aujourd’hui. J’ai bien travaillé toute la journée mais mainte­ nant je suis en panne. L’esprit est un objet fragile

Nous devons le traiter avec précaution depuis la mort de sa femme. Il a craqué à l’interrogatoire. Elle est facilement froissée. Cette expérience l’a brisé. Je suis à ramassera la petite cuillère.

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LES MÉTAPHORES DANS LA VIE QUOTIDIENNE

Ces métaphores font référence à différentes sortes d’objets. Elles nous donnent des modèles métaphoriques différents de ce qu’est l’esprit et nous permettent ainsi de nous concentrer sur différents aspects de l’expérience mentale. Dans la métaphore de la Machine, l’esprit est en marche ou à l’arrêt ; il est doté d’une certaine efficacité, d’une capacité productive, d’un mécanisme interne, d’une source d’énergie et de règles de fonctionnement. La métaphore de l’Objet fragile n’est pas aussi riche, car elle nous permet seulement de parler de solidité psychologique. Cependant, il existe un domaine de l’expérience mentale qui peut être conçu dans les termes de l’une et de l’autre métaphore. Les exemples qui nous viennent à l’esprit sont les suivants : Il ne tourne pas rond (Machine). Sa santé mentale a volé en éclats (Objet fragile). Les métaphores ontologiques de ce type sont si naturelles et si omniprésentes dans notre pensée que nous les tenons d’habitude pour évidentes et les considérons comme des descriptions directes des phénomènes mentaux. Il ne vien­ drait pas à l’idée de la plupart d’entre nous qu’il s’agit là de métaphores. Des énoncés comme « Il a craqué sous la pres­ sion des événements » seront perçus comme directement vrais ou faux. De fait, cette formule a été utilisée par divers journalistes pour expliquer pourquoi Dan White était venu avec son revolver à l’hôtel de ville de San Francisco et avait tué George Moscone, le maire. Les explications de cette sorte semblent parfaitement naturelles à la plupart d’entre nous. La raison en est que les métaphores du type L’ESPRIT EST UN OBJET FRAGILE font partie intégrante de la conception de l’esprit que notre culture nous transmet. La plupart d’entre nous pensent et agissent en fonction de cette conception.

Les MÉTAPHORES DU CONTENANT Les zones territoriales Nous sommes des êtres physiques, limités et séparés du reste du monde par la surface de notre peau, et nous faisons l’expérience du reste du monde comme étant hors de nous.

LES MÉTAPHORES ONTOLOGIQUES

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Chacun de nous est un contenant possédant une surfacelimite et une orientation dedans-dehors. Nous projetons cette orientation dedans-dehors sur d’autres objets physiques qui sont aussi limités par des surfaces, et nous les considérons comme des contenants dotés d’un dedans et d’un dehors. Ainsi, il est clair que les pièces et les maisons sont des contenants. Se déplacer d’une pièce à une autre, c’est se déplacer d’un contenant à un autre, c’est-à-dire sortir t/’une pièce et entrer dans une autre. Nous pouvons même attribuer cette orientation à des objets solides, quand nous brisons un caillou pour voir ce qu’il y a à l’intérieur. Nous imposons également cette orientation à notre environnement naturel. Une clairière dans un bois est décrite comme ayant une surface dotée d’une limite et nous nous percevons nousmêmes comme étant dans la clairière ou hors de la clairière, dans le bois ou hors du bois. La clairière possède quelque chose que nous pouvons percevoir comme une frontière naturelle — la zone incertaine où les arbres s’arrêtent et où la clairière commence. Mais même là où il n’y a pas de frontière physique naturelle permettant de définir un conte­ nant, nous imposons des frontières en bornant un territoire de telle manière qu’il a un intérieur et une surface délimitée, qu’il s’agisse d’un mur, d’une clôture, d’une ligne ou d’un plan abstrait. Il y a peu d’instincts humains plus fondamentaux que la territorialité, et l’acte de définir un territoire, d’instaurer une frontière à son pourtour, est un acte de quantification. Les objets limités, que ce soit les êtres humains, les rochers ou les zones territoriales, ont une taille, ce qui leur permet d’être quantifiés en fonction de la quantité de substance qu’ils contiennent. Le Kansas, par exemple, est une étendue limitée — un contenant — et pour cette raison nous pouvons dire : * Il y a beaucoup de terres dans le Kansas. » On peut considérer que les substances elles-mêmes sont des contenants. Prenons par exemple une baignoire emplie d’eau. Quand on entre dans la baignoire, on entre dans l’eau ; la baignoire et l’eau sont des contenants, mais appartiennent à des catégories différentes. La baignoire est un Objet-Conte­ nant tandis que l’eau est une Substance-Contenant.

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LES MÉTAPHORES DANS LA VIE QUOTIDIENNE

Le champ visuel Nous conceptualisons notre champ visuel comme un contenant et ce que nous voyons comme étant situé à l’in­ térieur du champ. Le terme même de champ visuel l’indique. Cette métaphore est naturelle ; elle est due au fait que, quand nous regardons un territoire donné (la terre, la surface d’un plancher, etc.), notre champ de vision fixe à ce territoire une frontière, qui correspond à la partie que nous pouvons voir. Etant donné qu’un espace physique limité est un Contenant, et qu’il existe une corrélation entre notre champ de vision et cet espace physique, le concept métaphorique les CHAMPS VISUELS SONT DES CONTENANTS émerge naturellement. Ainsi, on dit normalement :

Le navire entre dans le champ de vision. Il est en vue. Je ne peux pas le voir, l’arbre est dans mon champ de vision. Il est maintenant hors de vue. C’est au milieu de mon champ de vision. Il n’y a rien en vue. Je ne peux pas avoir en vue tous les bateaux à la fois. Les événements, les actions, les activités et les états

Nous utilisons les métaphores ontologiques pour com­ prendre les événements, les actions, les activités et les états. Les événements et les actions sont conçus métaphoriquement comme des objets, les activités comme des substances, les états comme des contenants. Une course, par exemple, est un événement perçu comme une entité discrète. La course existe dans le temps et dans l’espace et possède des frontières bien définies. C’est pourquoi nous la voyons comme un ObjetContenant, dans lequel se trouvent des participants ( qui sont les objets), des événements comme le début et l’arrivée (qui sont des objets métaphoriques) et une activité, la course (qui est une substance métaphorique). Ainsi nous pouvons dire d’une course : Es-tu dans la course dimanche? (La course est un ObjetContenant). Es-tu allé aux courses ? (La course est un Objet). As-tu vu la course? (La course est un Objet). L’arrivée de la course était vraiment passionnante (L’arrivée est un Evéne­ ment à l’intérieur d’un Objet-Contenant). Il y a eu beaucoup de bons moments dans la course (Les bons moments sont

LES MÉTAPHORES ONTOLOGIQUES

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considérés comme une Substance dans un Contenant). Je n’ai pas eu l’occasion de disputer beaucoup de sprints avant la fin (Le sprint est un Objet). A mi-chemin dans la course, je me suis trouvé à court de forces ( La course est un Objet-Conte­ nant). Il est hors course maintenant (La course est un Objet-Contenant). Les activités sont en général décrites métaphoriquement comme des Substances et donc comme des Contenants :

En lavant la fenêtre, j’ai répandu de l’eau sur le sol. Gérard a eu tellement de mal à laver les carreaux; comment a-t-il pu s’en sortir ? En dehors de laver les fenêtres, qu’est-ce que tu as fait ? Combien de ce travail as-tu fait ? Comment es-tu entré dans la profession ? Il est absorbé dans son travail.

Ainsi, les activités sont considérées comme contenant les actions qui en sont les constituants. Elles sont aussi perçues comme des contenants pour l’énergie et les matériaux qu’elles exigent et pour leurs sous-produits, qui sont perçus comme étant en elles ou comme en émergeant.

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J’ai investi beaucoup d’énergie dans le lavage des vitres. Du lavage des vitres, j’ai retiré beaucoup de satisfaction.

Diverses sortes d’états peuvent être aussi conçue comme des contenants. Exemples : Il est en plein désespoir. Il est hors d’état de nuire maintenant. Il sort du coma. Je suis en forme. Il est entré dans une phase d’euphorie. Il a plongé dans la dépression. Il s’est enfin tiré de l’état catatonique dans lequel il était depuis la fin de la semaine des examens.

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i ; j

Chapitre 7

LA PERSONNIFICATION

Les métaphores ontologiques les plus courantes sont sans doute celles où l’objet physique est conçu comme une personne. Une grande variété d’expériences concernant des entités non humaines peuvent être comprises en termes de motivations, de particularités et d’activités humaines. En voici quelques exemples :

Sa théorie m’a fait comprendre le comportement des poulets élevés de manière industrielle. Ce fait plaide contre les théories classiques. La vie m’a trompé. L’inflation dévore tous nos profits. Sa religion lui interdit de boire du vin français. L’expérience de Micbelson-Morley a donné naissance à une nouvelle théorie physique. La maladie l’a frappé.

Dans chacun de ces exemples, nous appréhendons comme humain quelque chose de non humain. Mais la personnifi­ cation n’est pas un processus unique et général. Chaque personnification sélectionne un aspect différent des person­ nes choisies. Considérons par exemple les phrases suivantes : L’inflation a attaqué les fondements de notre économie. L’inflation nous a cloué au mur. A l’heure actuelle, notre plus grand ennemi est l’inflation. Le dollar a été très touché par l’inflation. L’inflation m’a subtilisé toutes mes économies. L’inflation a trompé les meilleurs experts de notre pays. L’inflation a donné naissance à une génération d’opportunis­ tes.

Dans chacun de ces cas, l’inflation est personnifiée, mais la métaphore n’est pas tant L’inflation est une personne que, ce qui est bien plus spécifique, L’INFLATION EST UN ADVER-

LA PERSONNIFICATION

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SAIRE. Grâce à cette métaphore, nous riavons pas seulement un moyen très précis de concevoir l’inflation, mais nous avons en même temps un moyen d’agir sur elle. L’inflation est pour nous un adversaire qui peut nous attaquer, nous blesser, nous voler et même nous détruire. La métaphore L’INFLATION EST UN ADVERSAIRE provoque, mais aussi justifie des mesures politiques et économiques de la part de notre gouvernement : il peut déclarer la guerre à l’inflation, définir les objectifs à atteindre, appeler à des sacrifices, installer une nouvelle équipe aux commandes, etc. La personnification est donc une catégorie générale qui recouvre une grande variété de métaphores différentes, dont chacune repère un aspect différent d’une personne ou une façon différente de la considérer. Ce qu’elles ont toutes en commun, c’est d’être des extensions de métaphores ontologi­ ques, et de nous permettre de donner un sens aux phéno­ mènes du monde. Cette saisie se fait en termes humains : ces aspects humains, nous les comprenons à partir de nos propres motivations, des objectifs que nous nous fixons, de nos actions et particularités. Le fait d’appréhender un phénomène aussi abstrait que l’inflation en termes humains possède un pouvoir explicatif qui est, pour la plupart d’entre nous, l’unique moyen de lui donner un sens. Quand nous subissons de substantielles pertes financières à cause de facteurs écono­ miques et politiques complexes que personne ne comprend vraiment, la métaphore l’inflation EST UN adversaire nous permet au moins de donner une explication cohérente de ces pertes.

Chapitre 8 LA MÉTONYMIE Dans les cas de personnification que nous avons examinés, nous attribuons des qualités humaines à des entités non humaines — les théories, les maladies, l’inflation, etc. Dans de tels cas, on ne fait pas référence à des êtres humains réels. Quand nous disons « L’inflation m’a enlevé toutes mes éco­ nomies », nous n’utilisons pas le terme « inflation » pour faire référence à une personne. Il faut distinguer les cas de ce genre comme « Le sandwich au jambon attend son addition », dans lequel l’expression « le sandwich au jambon » est utilisée pour faire référence à une personne réelle, celle qui a commandé le sandwich au jambon : nous n’avons pas ici des exemples de métaphores de personnification, car nous ne comprenons pas « le sandwich au jambon » comme doté de qualités humaines. Au contraire, nous utilisons une entité pour faire référence à une autre entité qui lui est liée. On appelle de telles figures des métonymies. En voici d’autres exemples :

Il aime lire le marquis de Sade ( = les écrits du marquis). Il est dans le cinéma ( = la profession cinématographique). Le béton a révolutionné l’architecture ( — l’usage du béton comme matériau de construction). Le Times n’est pas encore arrivé à la conférence de presse ( — le journaliste du Times ). Madame Grundy voit d’un mauvais œil les blue jeans ( = le fait de porter des blue jeans). Les nouveaux essuie-glaces le satisferont ( = le fait d’avoir de nouveaux essuie-glaces).

Nous considérons comme un cas particulier de métonymie ce que les rhétoriciens traditionnels appellent synecdoque, figure où la partie vaut pour le tout, comme il apparaît dans les exemples suivants :

LA MÉTONYMIE

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L’automobile obstrue nos autoroutes ( = l’accumulation des automobiles). Nous avons besoin d’un couple de gros bras pour notre équipe ( = des hommes forts). Il y a beaucoup de bons cerveaux dans notre université ( = des gens intelligents). J’ai un nouveau deux-roues { = vélo, motocyclette, etc.). Nous avons besoin de sang nouveau dans l’organisation ( = nou­ velles personnes). Dans ces cas comme dans les autres cas de métonymie on emploie une entité pour se référer à une autre. La métaphore et la métonymie sont des catégories différentes de processus. La métaphore est principalement un moyen de concevoir une chose en termes d’une autre, et sa fonction première est la compréhension. La métonymie, au contraire, a avant tout une fonction référentielle : elle nous permet d’utiliser une entité pour tenir lieu d’une autre. Mais la métonymie n’est pas seulement un instrument référentiel ; elle a aussi pour fonc­ tion de faciliter la compréhension. Par exemple, dans le cas de la métonymie la partie pour le tout, bien des parties peuvent tenir lieu du tout. La partie que nous retenons détermine l’aspect du tout sur lequel nous nous concentrons. Quand nous disons que nous avons besoin de bons cerveaux pour une étude, nous utilisons l’expression « bons cerveaux » pour référer à des « gens intelligents ». Il ne s’agit donc pas seulement d’utiliser une partie (la tête) pour tenir lieu du tout (la personne) mais plutôt de choisir une caractéristique particulière que l’on associe avec la tête. Ceci est vrai des autres sortes de métonymies. Quand nous disons « Le Times n’est pas encore arrivé à la conférence de presse », nous ne nous contentons pas de faire référence à un journaliste parmi d’autres, mais nous laissons aussi entendre l’importance de l’institution que le journaliste représente. Ainsi, la phrase « Le Times n’est pas encore arrivé à la conférence de presse » signifie quelque chose de différent de la phrase * Steve Roberts n’est pas encore arrivé à la conférence de presse », même si Steve Roberts se trouve être le journaliste du Times. La métonymie a donc — en partie tout au moins — le même usage que la métaphore, mais elle nous permet de nous concentrer plus spécifiquement sur certains aspects de l’entité à laquelle nous nous référons. Comme la métaphore, elle n’est pas seulement un instrument poétique ou rhétorique. Et elle non plus n’est pas un phénomène exclusivement linguistique.

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LES MÉTAPHORES DANS LA VIE QUOTIDIENNE

Les concepts métonymiques (comme la PARTIE pour le tout) font eux aussi partie de notre mode ordinaire et quotidien de penser, d’agir, et de parler. Ainsi, il existe dans notre système conceptuel un cas particulier de la métonymie LA PARTIE POUR LE TOUT qui est LE VISAGE POUR LA PERSONNE, par exemple :

J’ai aperçu plusieurs sales têtes dans le public. Nous avons besoin de nouveaux visages autour de nous.

Cette métonymie joue un rôle important dans notre culture. La tradition du portrait, tant en peinture qu’en photographie, se fonde sur elle. Si vous me demandez de montrer une photo de mon fils et que je vous montre une photo de son visage, vous serez satisfait. Mais si je vous montre une photo de son corps sans son visage, vous considé­ rerez que cela ne suffit pas. Vous pourrez même me de­ mander alors : < Mais à quoi donc ressemble-t-il ? ». La métonymie LE visage pour la personne n’est donc pas seu­ lement question de langage. Dans notre culture, nous regar­ dons le visage d’une personne plutôt que sa posture ou ses mouvements pour nous faire une idée d’elle. Nous percevons le monde au moyen d’une métonymie quand nous identifions une personne d’après son visage et agissons en fonction de cette perception. De même que les métaphores, les métonymies ne sont pas arbitraires ou dues au simple hasard et on ne doit pas les traiter comme des occurrences uniques. Les concepts méto­ nymiques sont eux aussi systématiques, comme les exemples représentatifs suivants, qui existent dans notre culture, le montrent : La partie pour le tout

Amène ton cul ici ! Nous n’embauchons pas les cheveux longs. Les verts ont besoin d’«n gros bras. J’ai acheté une 9-chevaux. Le producteur pour le produit

Je voudrais une Lôwenbrau. J’ai acheté une Ford. Il a un Picasso dans son bureau. Je déteste lire Heidegger. L’OBJET UTILISÉ POUR L’UTILISATEUR

Le saxo a la grippe aujourd’hui. La salade niçoise donne des

LA MÉTONYMIE

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pourboires minables. La fine gâchette qu’il a engagée a de­ mandé 50 000 dollars. Les bus sont en grève. Le responsable pour l’exécutant

Nixon a bombardé Hanoï. Ozawa a donné un mauvais concert hier soir. Napoléon a perdu à Waterloo. Hidalgo a gagné beaucoup de coupes. Une Mercedes m’est rentré dedans. L’institution pour les gens

responsables

Exxon a de nouveau augmenté ses prix. Nous n’arriverons jamais à ce que l’université soit d’accord avec ça. L’armée veut rétablir la conscription. Le Sénat pense que l’avortement est immoral. Je n’approuve pas les actions du gouvernement. Le

lieu pour l’institution

La Maison Blanche ne dit rien. Washington est insensible aux besoins du peuple. Le Kremlin a menacé de boycotter la prochaine session des discussions SALT. Paris présente des jupes plus longues cette année. Hollywood n’est plus ce qu’il était. C’est la panique à Wall Street. Le lieu

pour l’événement

Ne laissons pas la Thaïlande devenir un autre Vietnam. Souvenons-nous à’Alamo. Pearl Harbor pèse encore sur notre politique étrangère. Watergate a changé notre politique. Toute la journée, c’était le métro ici.

Des concepts métonymiques comme ceux-ci ont la même systématicité que les concepts métaphoriques. Les phrases citées ci-dessus ne doivent rien au hasard. Ce sont des exemples de concepts métonymiques généraux en termes desquels nous organisons nos pensées et nos actions. Les concepts métonymiques nous permettent de conceptualiser une chose au moyen de sa relation à quelque chose d’autre. Quand nous pensons à un Picasso, nous ne pensons pas uniquement à une œuvre d’art : la relation de l’œuvre à l’artiste est aussi évoquée; une conception de l’art, de la technique, une place spécifique dans l’histoire de l’art, etc., sont aussi mises en jeu. Nous manifestons notre déférence devant un Picasso, même s’il s’agit d’un croquis d’adolescent, à cause de la relation qu’il entretient avec l’artiste. C’est ainsi que la métonymie LE PRODUCTEUR POUR LE PRODUIT affecte à la fois nos pensées et nos actions. De même la serveuse qui dit : « Le sandwich au jambon attend son addition » ne parle

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LES MÉTAPHORES DANS LA VIE QUOTIDIENNE

pas de la personne en question en tant que personne mais en tant que client. C’est la raison pour laquelle l’usage d’une telle phrase a un effet déshumanisant. Nixon n’a peut-être pas lâché lui-même les bombes sur Hanoï mais, par le biais de la métonymie LE RESPONSABLE POUR L’EXÉCUTANT, non seule­ ment nous disons : « Nixon a bombardé Hanoï », mais nous considérons aussi qu’il a été l’instigateur du bombardement et qu’il doit en être tenu responsable. Encore une fois, ceci est possible à cause de la nature de la relation entre les termes dans la métonymie LE responsable pour L’exécutant, qui attire l’attention sur le responsable plutôt que sur l’exécutant. Ainsi, comme les métaphores, les concepts métonymiques ne structurent pas uniquement notre langage, mais aussi nos pensées, nos attitudes et nos actions. Et, comme les concepts métaphoriques, les concepts métonymiques sont fondés sur notre expérience. En fait, le fondement de ces concepts est en général plus immédiat que dans le cas des concepts métaphoriques, parce qu’il met normalement en jeu des associations physiques ou causales directes. La métonymie de la partie POUR le TOUT, par exemple, provient de notre expérience, de la manière dont les parties sont en général reliées à leur tout. Le producteur POUR LE PRODUIT est fondé sur la relation causale (et habituellement physique) entre le producteur et son produit. Le lieu pour L’ÉVÉNEMENT a son fondement dans l’expérience que nous avons de la localisation physique des événements. Et ainsi de suite. Les symbolismes culturels et religieux sont des cas spéciaux de métonymie. Ainsi, on trouve dans le christianisme la métonymie la colombe pour le saint-esprit. Ce symbolisme — ce qui est typique des métonymies — n’est pas arbitraire : il est fondé sur l’image de la colombe dans la culture occi­ dentale et sur la conception du Saint-Esprit dans la théologie chrétienne. Il existe une raison précise pour laquelle c’est la colombe qui est le symbole du Saint-Esprit et non, mettons, le poulet, le vautour ou l’autruche. La colombe est perçue comme belle, amicale, douce et par-dessus tout, pacifique. Son habitat naturel est le ciel, qui représente métonymique­ ment le paradis, demeure naturelle du Saint-Esprit. La co­ lombe est un oiseau qui vole avec grâce, qui plane sans faire de bruit et qu’on voit généralement arriver du ciel et des­ cendre parmi les hommes.

LA MÉTONYMIE

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Les systèmes conceptuels des cultures et des religions sont par nature métaphoriques. Les métonymies symboliques sont des liens cruciaux entre l’expérience quotidienne et les systè­ mes métaphoriques cohérents qui caractérisent les religions et les cultures. Les métonymies symboliques qui ont leur fondement dans notre expérience physique fournissent des moyens essentiels pour comprendre les concepts culturels et religieux.

Chapitre 9 LA COHÉRENCE MÉTAPHORIQUE A L’ÉPREUVE

Nous avons présenté un certain nombre de données montrant que les métaphores et les métonymies ne sont pas le fruit du hasard, qu’elles forment au contraire des systèmes cohérents en fonction desquels nous conceptualisons notre expérience. Cependant, il est facile de trouver des incohéren­ ces apparentes dans nos expressions métaphoriques quoti­ diennes. Nous n’avons pas bien sûr fait une étude exhaustive de ces prétendues incohérences, mais celles que nous avons examinées en détail se sont révélées n’être en rien incohé­ rentes, même si elles le paraissaient à première vue. Considérons deux exemples. Une contradiction métaphorique apparente Charles Fillmore nous a fait un jour remarquer que l’anglais paraît avoir deux organisations contradictoires du temps. Dans le premier cas, le futur est devant et le passé est derrière :

Les semaines qui viennent (au-devant de nous) (futur). Tout cela est maintenant derrière nous (passé).

Dans le second cas, le futur est derrière et le passé devant : Les semaines suivantes (futur). Les semaines précédentes (passé).

Une contradiction apparaît donc dans l’organisation méta­ phorique du temps. De plus, ces métaphores apparemment

LA COHÉRENCE MÉTAPHORIQUE À L’ÉPREUVE

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contradictoires peuvent se combiner sans créer un effet bizarre, comme dans : Jetons un coup d’œil devant nous vers les semaines qui vont suivre.

Ici, l’expression devant nous décrit le futur comme étant en avant, alors que suivre le décrit comme en arrière. Pour appréhender la cohérence de l’organisation du temps, nous devons d’abord examiner quelques données concernant l’organisation avant-arrière. Certaines choses, comme les gens et les voitures, ont un avant et un arrière inhérents, alors que d’autres n’en ont pas. Dans certaines circonstances, on peut donner à un rocher une organisation avant-arrière. Supposons que vous soyez en train de regarder un rocher de taille moyenne et qu’il y ait un ballon entre vous et le rocher — mettons, à trente centimètres du rocher. Vous pouvez alors dire à juste titre : * Le ballon est devant le rocher ». Le rocher a reçu une orientation, comme s’il avait un avant qui vous faisait face. Ce phénomène n’est pas universel. Il y a des langues — le Hausa, par exemple — où le rocher recevrait l’orientation opposée et où l’on dirait que le ballon est derrière le rocher s’il était entre lui et vous. On attribue généralement aux objets en mouvement une orientation avant-arrière, l’avant étant dans la direction du mouvement (ou dans la direction canonique du mouvement, si bien qu’une voiture conserve le même avant même lors­ qu’elle recule). Un satellite sphérique, par exemple, qui ne possède pas d’avant quand il est immobile, en reçoit un lorsqu’il est en orbite en fonction de la direction de son mouvement. Or, le temps, en anglais, est structuré par la métaphore LE TEMPS EST UN OBJET EN MOUVEMENT, et le futur est conçu comme se déplaçant vers nous : Le temps viendra où... Beaucoup de temps a passé depuis que... Le temps d’agir est arrivé. L’expression « Le temps s’enfuit » est un exemple de la métaphore LE TEMPS EST UN OBJET EN MOUVEMENT. Parce que nous faisons face au futur, nous disons :

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LES MÉTAPHORES DANS LA VIE QUOTIDIENNE

Ce qui se passera dans les semaines à venir... J’attends l’arrivée de Noël avec plaisir. Nous avons devant nous une occasion et nous ne devons pas la laisser passer.

Du fait de la métaphore LE TEMPS EST UN OBJET EN MOUVE­ MENT, le temps reçoit une orientation avant-arrière où,

comme pour n’importe quel objet en mouvement, l’avant fait face à la direction du mouvement. Ainsi, le futur nous fait face et vient vers nous et nous utilisons des expressions comme : Je ne peux faire face à l’avenir. Le visage des choses à venir... Affrontons l’avenir en face.

Mais, alors que les expressions * nous avons devant nous », * j’attends avec plaisir », orientent le temps par rapport aux hommes, les expressions * précéder » et < suivre » orientent les temps les uns par rapport aux autres. Ainsi, nous disons :

La semaine prochaine et la semaine qui la suit mais non :

La semaine qui me suit. Puisque les temps futurs nous font face, les temps qui les suivent sont situés plus loin dans l’avenir, et tous les temps futurs suivent le présent. C’est pour cela que les semaines qui suivent désignent les mêmes périodes que les semaines qui viennent (vers nous). Cet exemple sert, non seulement à prouver qu’il n’y a pas contradiction entre les métaphores, mais aussi à montrer dans le détail toute la subtilité de l’organisation métaphorique, fondée sur la métaphore le temps est un objet en mouvement, sur l’orientation avant-arrière donnée au temps du fait qu’il s’agit d’un objet en mouvement et sur l’utilisation logique­ ment cohérente de mots comme * suivre », « précéder » et « faire face » quand ils s’appliquent au temps sur la base de la métaphore décrite. Cette structure métaphorique complexe est logiquement cohérente ; elle fait partie de notre langage littéral et quotidien sur le temps ; elle nous est si familière que, normalement, nous ne la percevons pas.

LA COHÉRENCE MÉTAPHORIQUE À L’ÉPREUVE

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Cohérence ou compatibilité logique Nous avons montré que la métaphore le temps est UN OBJET possède une compatibilité interne. Mais nous conceptualisons aussi l’écoulement du temps d’une autre manière : en mouvement

Le temps est stationnaire et nous nous déplaçons à travers lui

Comme nous avançons à travers les années... A mesure que nous pénétrons dans les années 80... Nous nous approchons de la fin de l’année.

Nous avons ainsi deux sous-exemples de la métaphore du passage du temps. Dans un cas, nous nous déplaçons et le temps est immobile. Dans l’autre, le temps se déplace et nous restons sans bouger. Ce que ces deux métaphores ont en commun, c’est la conception d’un mouvement relatif par rapport à nous, dans lequel le futur est devant et le passé derrière. Autrement dit, ce sont deux aspects d’une même métaphore, comme le montre le schéma suivant : De notre point de vue le temps passe devant nous, d’avant en arrière

Le temps est un objet en mouve­ ment et se déplace vers nous.

Le temps est sta­ tionnaire et nous nous déplaçons à travers lui en di­ rection du futur.

Ce qui revient à dire que les deux métaphores ont en commun une implication importante. Toutes deux impliquent que, de notre point de vue, le temps passe devant nous, d’avant en arrière. Quoique les deux métaphores ne soient pas logiquement compatibles (c’est-à-dire qu’elles ne forment pas une seule image), pourtant elles < s’ajustent l’une à l’autre », car elles forment les deux sous-catégories d’une catégorie principale et, de ce fait, ont en commun une implication essentielle. Il y a une différence entre les métaphores qui sont cohérentes

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entre elles (c’est-à-dire qui «s’ajustent») et celles qui sont logiquement compatibles. Ï1 nous apparaît que les liens entre métaphores sont plutôt question de cohérence que de compa­ tibilité logique. Nous pouvons prendre un autre exemple avec la métaphore suivante : L’amour est un voyage

Regarde à quel point nous en sommes arrivés. Nous sommes à la croisée des chemins. Nous avons fait un long chemin ensemble et maintenant nous allons suivre des chemins dis­ tincts. Nous ne pouvons plus revenir en arrière. Je pense que notre relation ne mène nulle part. Où en sommes-nous ? Nous nous enlisons. C’est une route longue et tortueuse. Notre amour est dans une impasse. Cette relation tourne à vide. Notre mariage passe un mauvais cap. Nous avons déraillé. Cette relation va sombrer. C’est la métaphore du voyage qui est fondamentale ici. On peut faire différents types de voyage (en voiture, en train, en bateau) :

Voyage en voiture

Voyage en train

route longue et tortueuse voie sans issue

dérailler

Voyage en bateau sur un mauvais cap sombrer

tourner à vide Dans ce cas non plus il n’y a pas d’image unique qui donne à toutes les métaphores du Voyage une compatibilité logique. Ce qui les rend cohérentes, c’est qu’elles sont toutes des métaphores du Voyage, bien qu’elles fassent appel à différents moyens de voyager. Il en est de meme de la métaphore LE temps EST UN objet en mouvement, car un objet peut se mouvoir de diverses manières. De la sorte, nous disons que « le temps s’envole », * se traîne », « file à toute vitesse ». En général, on définit les concepts métaphoriques, non en termes d’images concrètes (voler, se traîner, prendre la route, etc.), mais en termes de catégories plus générales, comme celle de passage.

Chapitre 10 QUELQUES EXEMPLES SUPPLÉMENTAIRES

Nous avons dit que les métaphores structurent partielle­ ment nos concepts quotidiens et que cette structure est reflétée dans notre langage littéral. Pour obtenir une vision globale des implications philosophiques de ces affirmations, nous avons besoin de quelques exemples supplémentaires. Dans chacun de ceux qui suivent nous citons une métaphore et une liste d’expressions courantes qui sont des exemples de cette métaphore. Ces expressions sont de deux sortes : des expressions littérales simples et des idiomes qui correspon­ dent à la métaphore et font partie de nos moyens d’expres­ sions normaux et quotidiens sur le sujet. Les théories