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French Pages 720 [711] Year 1997
LES GRECS ET LA MÉDITERRANÉE ORIENTALE
NOUVELLE CLIO L'HISTOIRE ET SES PROBLÈMES COIJ.ECTION FONDtl! PAR ROBERT BOUI'RUCHE ET PAUL LEMERLE ET DIRIGÛ PAR JEAN DELUMEAU ET CLAUDE LEPEIJ.EY
LES GRECS ET LA MÉDITERRANÉE ORIENTALE Des « siècles obscurs » à la fin de l'époque archaïque
CLAUDE BAURAIN PROFESSEUR D'IUSTOIRE GRECQUE A L'UNIVERSITÉ DE LIÈGE
PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE
ISBN
ISSN
2 !3 047993 6 0768-2379
Dépôt légal-!~ édition: 1997,juillet © Presses Universitaires de France, 1997 !08, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris
Introduction
> et du matériel légendaire. A cette critique, on objectera avec A Momigliano qu'entre le fait d'alors et l'historien d'aujourd'hui se glisse le témoignage, à la fois trait d'union puissant et obstacle redoutable. Seule la maîtrise par l'historien du témoignage peut créer les conditions permettant d'atteindre le «fait» tant convoité et, un peu comme dans la Quête du Saint-Graal, c'est tout autant en chemin qu'à l'arrivée que se gagne la partie. L'occasion sera donnée de voir que divers motifs sont avancés pour rendre compte non seulement du déficit informatif qu'on ne peut manquer d'observer dans les sources orientales relatives aux Grecs de ces siècles mais aussi du déficit de même ordre, à propos des Orientaux, dans les sources grecques. L'un comme l'autre peut déconcerter, surtout lorsqu'on prend la mesure de la multiplication des échanges de toute nature dont la Méditerranée orientale fut assurément le témoin dès les derniers temps du IX' siècle. On peut toutefois déjà se demander si la première raison de ce double silence n'est pas une certaine ignorance. Les Grecs d'alors représentaient-ils vraiment une population susceptible de capter l'intérêt des communautés proche-orientales autres que les communautés phéniciennes ? Et, de leur côté, les Grecs disposaient-ils d'informations directes sur ces régions et ceux qui les partageaient en dehors de l'arrière-pays anatolien immédiat, de quelques points du rivage syro-palestinien et surtout de la fascinante Égypte de l'époque saïte ? Si un Assourbanipal figure assez tôt, dès Hérodote, dans la littérature grecque (sous le nom de Sardanapallos, cf. Hér. II 150), un personnage de la carrure du Babylonien Nabuchodonosor (604-562) n'y fut introduit que par le biais de la littérature érudite hellénistique, grâce au prêtre de Marduk, Bérose, qui le mentionne dans ses Babulôniaka (ouvrage dédié dans la première moitié du ill' siècle au roi Séleucide Antiochos rer Sôter). En fait, l'ampleur de notre surprise dépend très largement de l'appréciation que nous faisons des activités des Chypriotes et des Grecs au Proche-Orient au cours des IX'-VI' siècles av. J.-C., et force est de constater que la nature et l'intensité exactes à reconnaître à ces dernières entraînent toujours des prises de position très contrastées. On remarquera qu'en tout cas, avant les progrès sensibles accomplis par l'érudition hellénistique- qui s'appuyait sur les travaux de lettrés bilingues, les Grecs connaissaient bien peu de faits précis sur le riche et long passé de l'Orient. Doit-on rappeler que la figure de Sardanapale sur laquelle circulaient chez les Grecs quelques récits fantaisistes était si floue qu'Hellanicos se crut même autorisé à envisager l'existence de deux homonymes (4 F 63 J) ? Les informations qu'Hérodote peut rassembler ne sont guère plus décisives, voire aussi mauvaises (ainsi sur Nabonide, cf. Hér. I 188) et les
Introduction
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propos de Ctésias, au début du IV' siècle, sont, le plus souvent, un tissu d'affabulations prétendument fondées sur une exploitation personnelle d'archives orientales. Autant il paraîtrait surprenant qu'un ouvrage de synthèse consacré au siècle grec n'englobe pas ces moments forts entre tous que furent la «révolte d'Ionie» et les «guerres médiques», tant ces épisodes pesèrent sur les temps qui suivirent, autant un ouvrage consacré au rer millénaire préclassique qui s'arrêterait avant ces mêmes événements ferait un peu figure de repas sans fromage ni dessert. Que ces Mèdika soient ainsi tirés tant vers le haut que vers le bas s'explique sans peine : ces années cruciales pour les Grecs virent autant un monde archaïque s'exprimer une dernière fois dans toute la force de ses valeurs et de ses réalisations qu'elles furent l'occasion, pour le monde nouveau qui se préparait à éclore, de déjà se laisser deviner. C'est la raison pour laquelle les pages consacrées à ces événements spectaculaires ne sont pas destinées à faire double emploi avec celles consacrées aux mêmes faits dans le volume suivant de la présente collection. Ils offrent en effet une belle occasion de rappeler ce que sont à la fois l'« Histoire » - cette étude qui se veut rationnelle de l'ensemble des gestes à portée sociale posés par les hommes dans le passé - et la «conscience historique>>, grâce à laquelle la conduite humaine ne devient peut-être pas tellement plus logique mais dispose désormais d'un outil lui permettant de proposer de ces actes dûment enregistrés des justifications raisonnées ... successives et parfois contradictoires. V'
L'élaboration d'un ouvrage tel que celui-ci, par les lectures sans fm qu'elle réclame, ne peut inciter son auteur qu'à une modestie chaque jour plus grande. De ce point de vue, au risque de choquer certains spécialistes qui ne jurent que par la nouveauté, à savoir la monographie la plus récente ou le dernier article en date, il me faut dire que le premier volume de l'Histoire grecque de Gustave Glotz, publié en 1926 (l'année qui suivit la signature des accords de Locarno !), est rarement resté enfoui sous les piles constituées, sur ma table de travail, par les études plus récentes. La mention des principales sources écrites anciennes alors connues et surtout l'intelligence de la pensée soutenue par la clarté du discours font que ces pages restent, soixante-dix ans après leur parution, un ouvrage de consultation dont il est rare de sortir vraiment bredouille. Plus largement, la question de l'« information » disponible mérite une attention particulière, afin de souligner les dimensions désormais proprement inhumaines de son ampleur. Comme le notait déjà en 1972 Édouard Will, dans l'avant-propos à son Monde grec et l'Orient, « en tout état de cause, l'on écrit tant de nos jours, qu'il n'est plus possible de tout lire - il faut en
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us Grecs et la Méditerranée orientale
prendre son parti». De fait, dans sa dernière livraison, parue en 1994 et rassemblant la« bibliographie de l'année 1992 et compléments d'années antérieures», L'Année philologique, cet outil fondamental de la recherche pour ce qui regarde les «sciences de l'antiquité» - une revue fondée par J. Marouzeau en 1924, se présente sous la forme d'un volume de quelque 1 200 pages réunissant près de 16 200 entrées que complètent pas loin de 50 pages où s'égrènent, sur trois colonnes, en caractères minuscules, les milliers d'auteurs ainsi recensés. Si l'on remonte d'une dizaine d'années dans le temps, le volume publié en 1984 et compilant la «bibliographie de l'année 1982 et compléments d'années antérieures» comptait 875 pages réunissant près de 13 700 entrées ; or, cette progression ne semble guère devoir se ralentir. D'un autre côté, dans sa refonte totale de l'édition de 1926, le volume IV de la Cambridge Ancient History publié en 1988 consacre aux seules années c.525 à 4 79 du monde grec, soit un petit demi-siècle compris en gros entre la mort de Pisistrate et la bataille de Platées, quelque 780 pages de texte auxquelles s'ajoutent près de 100 pages de bibliographie regroupant plus de 2 300 titres de livres et articles, sans compter ceux impliqués par les renvois ponctuels opérés à la bibliographie donnée dans la première édition ! Face à cette montagne de travaux, il a fallu faire des choix « draconiens», dont rend compte la partie bibliographique, qui suit section par section le corps de l'ouvrage. n ne pouvait être question de donner une bibliographie détaillée et on a donc privilégié les travaux offrant la possibilité de «faire boule de neige)), Au terme de ce travail, il m'est agréable de remercier le Fonds national de la Recherche scientifique de Belgique qui, dans les dernières années, m'a renouvelé sa confiance en me permettant d'entreprendre les déplacements indispensables à la collecte des travaux. Ce travail de longue haleine, je l'appréhendais depuis l'époque où le regretté Paul Lemerle m'y avait convié alors que je débutais comme jeune professeur associé en histoire grecque à Paris X-Nanterre, en remplacement d'Olivier Picard fraîchement promu directeur de l'École française d'Athènes, une tâche qu'il assuma avec le succès que l'on sait. Je dois dire aussi ma reconnaissance à Claude Lepelley, codirecteur de la collection, pour ses encouragements répétés, la compréhension et la patience dont il a su faire montre. C'est cependant vers Laurence qu'ira pour l'essentiel ma gratitude, car c'est elle qui m'a vraiment donné le courage d'entreprendre d'abord, de poursuivre jusqu'à son terme ensuite, la rédaction de ce livre dont elle a tenté, entre deux cours d'Histoire grecque à l'université de Metz, de chasser au mieux les imperfections de tout ordre. Mais, cela dit, c'est naturellement à moi que doivent être comptées les erreurs qui subsistent.
Les outils de la recherche : la bibliographie
Comme il a déjà été donné de le préciser dans l'Introduction, la bibliographie relative (tant directement qu'indirectement) à l'aire et aux époques considérées dans le présent volume est immense, au point d'être devenue elle-même, dans les dernières années, l'objet de discours spécifiques, prenant le plus souvent la forme de « chroniques » ou « recueils analytiques » divers, des travaux sur la philosophie, les fmalités et l'utilité immédiate desquels il y aurait assurément beaucoup à dire. A la vérité, dans la pratique, en ce domaine de la recherche historique comme en bien d'autres, sauf à se limiter à quelques aspects plus précis, la production scientifique consacrée à la Grèce géométrique et archaïque est désormais impossible à maîtriser dans le détail, sinon au travers de dépouillements plus ou moins exhaustifs et ne laissant guère de place au contenu réel des titres ainsi réunis. Il a donc fallu se résoudre ici à opérer un choix limité au strict « essentiel», une démarche dont le lecteur comprendra le caractère on ne peut plus délicat et les dimensions à l'occasion même trop arbitraires. Plusieurs voies s'offraient, chacune présentant autant d'avantages que d'inconvénients. Au vu de l'économie générale du présent travail et du public potentiel auquel il est d'abord destiné - à savoir surtout des «non-spécialistes » de ces siècles, on s'est résolu ici à une sélection des titres fort sévère. On a ainsi privilégié, outre les « classiques indémodables », les travaux plutôt récents, remarquables à la fois par la dimension synthétique et la perspective historique de leur discours mais aussi par la richesse des titres répertoriés. Il a semblé que cette sélection - qui pourra paraître bien trop « draconienne » à certains - devrait néanmoins garder suffiSamment aisé l'accès à des points plus particuliers. Dans la pratique, à l'intérieur de chaque section, l'ordre adopté est alphabétique. Pour le reste, à la suite de divers dictionnaires, encyclopédies, ouvrages plus généraux, synthèses et autres «manuels», on a réuni les ouvrages collectifs (ainsi les multiples publications «occasionnelles» telles que «mélanges» et «colloques»), un type de production dont le volume s'est considérablement accru au cours des dernières années, des recueils
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Les outils de la recherche
dont la parution« sauvage» n'est pas toujours aisée à détecter (même semble-t-il pour des équipes spécialisées comme celle qui assure la rédaction de L'Année Philologique ou de la revue Gnomon) et la consultation encore moins facile parfois. A la suite de ce premier inventaire, la bibliographie est réunie en sections qui suivent de près le découpage du corps principal de l'ouvrage. En principe, les travaux ne sont mentionnés qu'une seule fois de façon complète et accompagnés d'un numéro d'ordre [],leur mention ailleurs se résumant à ce seul numéro d'ordre. Afin de circonscrire quelque peu la place occupée par la bibliographie, un grand nombre d'ouvrages d'usage courant en histoire ancienne ne sont pas repris ici dans la mesure où ils figurent commodément réunis et présentés dans le volume très utile dû à J. Poucet et J.-M. Hannick, Ata sources de l'Antiquité gréco-romaine. Guide bibliographique (1988), 4e éd., Louvainla-Neuve, 1995. Ce recueil (complété par plusieurs indices et dont on promet des mises à jour régulières) rassemble en effet, successivement, dans une première partie, les publications relatives aux sources littéraires, épigraphiques, papyrologiques, archéologiques, numismatiques, ainsi que les recueils spéciaux ; dans la seconde partie sont recensés les grands ouvrages de consultation et, dans une troisième, plus de mille titres d'ouvrages sont regroupés par thèmes en guise de «bibliographie d'orientation» : vie sociale, vie économique, religion et mythologie, vie du citoyen, etc. 1•
ABRÉVIATIONS
Les titres des périodiques sont abrégés sur le modèle de L ~philologique qui fournit pour chacun de ses volumes annuels un index des revues dépouillées avec les sigles correspondants.
Briant et al.
Garelli
BRIANr P., LÉWQUE P., BRULÉ P., DESCAT R. et MACTOUX M.-M., Le rrumde grec aux temps classùpœs, Tome 1. Le V' siècle, «Nouvelle Clio. L'histoire et ses problèmes >>, Paris, 1995. GAREUJ P., Le Proche-Orient asiatique. Des origines aux invasions des peuples de la
Garelli et Nikiprowetzky
mer, «Nouvelle Clio. L'histoire et ses problèmes>>, Paris, 1969. GAREUJ P. et NIKIPROWETZKY V., Le Proche-Orient asiatique. Les empires mésopotamiens, lsruiJl, «Nouvelle Clio. L'histoire et ses problèmes>>, Paris, 1974.
1. Dans le même ordre d'idée, cf. aussi H. Bengston, EûJfiikrung in die alte Geschichte, 8" éd., Munich, 1979 (trad. ital. 1~ oJln studio della storia onJica, Bologne, 1990). Toujours utile aussi, Ch. Samaran (éd.), L'histoire et ses métlwdes, Paris, 1961.
Recueils bibliographiques Heurgon
Préaux Cl.
Treuil et al.
xv
HEURGON J., R.onw et la MMikrranée occidentale jusqu'aux guerres puniques, et deux >). l'RÉAJ!X Claire, Le morule hellénistique. La Grèce et l'Orient (323-146 av. J.-C.), >, selon la formule consacrée. [7] MOTTE A, PiRENNE~DELFORGE V. et WATHELET P. (éds), Mentor. Guide bibliographique de la religion grecque, Kemos, Suppl. 2, Liège, 1992. [8] Nestor. Publié depuis 1957 d'abord par l'lnstitute for Research in the Humanities de l'University of Wisconsin, puis, à partir de 1978, par le > de l'Indiana University, de Bloomington (Indiana USA), mensuel. [9] ÜOTEGHEMJ. VAN, Bibliotheca Graeca et Latina. A l'usage des professeurs des HU1TlaTiités gréco-latines, 3e éd., Les Études classiques, Namur, 1969.
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ùs outils de la recherche ENCYCLOPÉDIES, DICTIONNAIRES ET RECUEILS DE TEXTES
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Ouwages généraux
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OUVRAGES GÉNÉRAUX, SYNTHÈSES, MANUELS
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xvm
Les outils de la recherche
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La Grèce du Nord
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L'époque géométrique
XXXIX
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Us outils de la recherche
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L'ÉCRITURE SYLLABIQUE À CHYPRE, L'ALPHABET EN GRÉCE
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[1140] [1141] [1142] [1143] [1144] [1145] [1146] [1147] [1148] [1149] [1150] (1151] [1152]
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LA GUERRE
LA
«
RÉVOLUTION HOPLITIQUE ,
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L'APPARITION DES POLEIS (ORIGINES, NATURE, DÉFINITION)
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[1208] [1209] [1210] [1211] [1212] [1213] [1214] [1215] [1216] [1217] [1218] [1219]
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outils de la recherche LES GRANDS CONFLITS ENTRE CITÉS EN GRÉCE AVANT LA RÉVOLTE D'IONIE
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LES GRECS ET LA MÉDITERRANÉE ORIENTALE: LA PÉRIODE ORIENTALISANTE, PREMIER TEMPS DE L'ÉPOQUE ARCHAÏQUE
Outre (pour l'essentiel) : [30); [33); [40); [48); [54); [60) ; [61); [95); [106); [114); [127]; [136); [144); [145); [146); [151); [152); [168); [208); [211]; [840); [843); [849); [851); [852]; [854); [856); [857); [862]; [864]; [1013];
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us outils de la recherche LA STRUCTURE SOCIALE ET L'APPARITION DE LA MONNAIE
Outre (pour l'essentiel) : [32]; [89]; [101]; [103]; [113]; [121]; [135]; [142], [153]; [154]; [160]; [165] ; [206]; [399] ; [719] ; [742]; [749]; [752]; [759]; [760]; [763]; [775]; [776] ; [783] ; [785] ; [788] ; [796] ; [797] ; [802] ; [1080] ; [1261] ADIGNS A.W.H., From the Many to the One. A Stutly qf PersfJ1liJli{y and Vuws qf Human Nature in the Context qfAncient Greek &ciety, Values and Befi4s, Londres, 1970. [1262] ANDREWES A., The survival of Solon's Axones, dans BRADEEN D. et McGREGOR M.For. (éds), tiJOPOI. Trihuü to Benjamin Dean Meritt, New York, 1974, p. 21-28. [1263] ANHALT E.K., &lon the Singer: Politics and Poetics, Lanham, 1993. [1264] AUSTIN M.M. et VIDAL-NAQUET P., ÉcOTUm'lies et sociétés en Grèce ancienne, 6' éd. Paris, 1992 (trad. angl. Economie and &cial History qf Ancient Greeœ, Cambridge, 1977, à partir de la 2' éd. fr., 1973). [1265] BALMUTH M.S., Remarks on the appearance of the earliest coins, dans Studies presented to GM.A. Han.ftnann, Mayence, 1971, p. 1-7. [1266] BLAISE F., Solon, fragment 36W. Pratique et fondation des normes politiques, dans REG 108 (1995), p. 24-37. [1267] BLUNDELL S., Women in Ancient Greece, Londres, 1995. [1268] BoEGEHOLD A.L. et SCAFURO A.C. (éds), Athenian Identity and Ciuic Ideology, BaltimoreLondres, 1994. [1269] BRAVO B., Le commerce des céréales chez les Grecs de l'époque archaïque, dans [128], p. 17-29. [1270] BRAVO B., Remarques sur les assises sociales, les formes d'organisation et la terminologie du commerce maritime grec à l'époque archaïque, dans DHA 3 (1977), p. 1-59. [1271] BRAVO B., :E'IJMîv. Représailles et justice privée contre des étrangers dans les cités grecques, dans An.&.Norm.Pisa, n.s. X.3 (1980), p. 675-989. [1272] BURFORD A., Crqftmen in Greek and Roman &ciety, «Aspects of Greek and Roman Life >>, Londres, 1972. [1273] CALAME Cl., Les chœurs dejeunes.filles en Grèce archaïque, Filologia e critica 20, 2 vol., Rome, 1977. [1274] CARTLEDGE P.A., « Trade and politics >> revisited: Archaic Greece, dans [129], p. 1-15 (à propos dun" [1283]). [1275] CooK R.M., Die Bedeutung der bemalten Keramik fùr den griechischen Handel, dans ]DAI 74 (1959), p. 114-123. [1276] COURBIN P. (dir.), Études archéologiquer, Paris, 1963. [1277] DESCAT R., La cité grecque et les échanges. Un retour à Hasebroek, dans Économie antique. Les échonges dans l'Antiquité : le rôle de l'État. Entretiens d'archéologie et d'histoire, Saint-Bertrand-de-Comminges, Toulouse, 1994, p. 11-30. [1278] DETIENNE M., En Grèce archaïque : géométrie, politique et société, dans Annales (ESC) 20 (1965), p. 425-441. [1279] ECKSTEIN F., Harulwerk, Teil 1, dans [170], vol. II, ch. L, Gottingen, 1974. [1280] EFFENTERRE H. VAN, Solon et la terre d'Éleusis, dans RIDA 24 (1977), p. 91-130. [1281] EuoT C.W., Where did the Alkmaionidai live?, dans Historia 16 (1967), p. 279-286.
Perrrumences et nouveautés
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Culture traditionnelle et révolution intellectuelle
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Les outils de la recherche
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us Grecs dans la tourmente
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CHAPITRE VII LES GRECS DANS lA TOURMENTE : AUTOUR DES GUERRES MÉDIQUES (c.510-c.480)
LA MONTÉE DE LA PUISSANCE PERSE ET LA RÉVOLTE D'IONIE
Outre (pour l'essentiel): [31]; [42] ; [46]; [50]; [58] ; [59] ; [69]; [72]; [74] ; [78]; [85]; [201]; [202]; [203]; [204]; [205]; [1471]; (1486] BALCERj.M., Persian occupied Thrace (Skudra), dans Historia 37 (1988), p. 1-21. [1487] BALCERJ.M., The Persian wars against Greece: a reassesment, dans Historia 38 (1989), p. 127-143. [1488] BENGTSON H. et al., The Greeks and the Persians. From the Sixth ro the Fourth Centuries (éd. allem., 1965), Londres-New York, 1969. [1489] BRIANT P., Darius, les Perses et l'Empire, Paris, 1992. [1490] BRIANT P., De Cyrus à Alexandre. Une histoire de l'Empire achéménitle, Leyde, 1995. [1491] CooKJ.M., The Persian Empire, Londres-Toronto, 1983. (1492] CUYLER YoUNG T.,Jr, The Early History qfthe Medes and the Persians and the Achaemenid Empire to the Death qfCambyses, dans [39], p. 1-52. (1493] CUYLER YoUNG T.,Jr, The Consolidation qfthe Empire and its limits qfGrowth U1llier Darius and Xerxes, dans [39], p. 53-111. (1494] DANDAMAEV M.A., A Political History qf the Achaemenid Empire, Leyde, 1989. [1495] EPH'AL I., ~-Palestine U1llier Achaemenid Rule, dans (39], p. 139-164. [1496] FoL A. et HAMMOND N.G.L., Persia in Europe, apart.from Greece, dans (39], p. 234-253. [1497] HEGYI D., The hlstorical background of the Ionian revoit, dans Acta Antiqua 14 (1966), p. 285-302. [1498] HALLocK R.T., The Evidence qf the Persepolis Tablets, dans Cambridge History qf Iran II, Cambridge, 1985, p. 588-609. [1499] HAMMoND N.G.L., The extent ofPersian occupation in Thrace, dans Chiron 10 (1980), p. 53-61. [1500] KiENAST D., Die Auslôsung desjonischen Aufstandes und das Schicksal des Histiaios, dans Historia 43 (1994), p. 387-401. (1501] MELuNK M., Anaùilin, dans (39], p. 211-233. [1502] PETIT Th., Satrapes et satrapies dans l'empire achéménitle de Çyrus le Grand à Xerxès 1", Bibl. de la Fac. de Philos. et Lettres de l'Univ. de Liège 254, Paris, 1990. (1503] RAY J.D., Egypt 525-404 B.C., dans (39], p. 254-286. [1504] RooT M.C., The llmg and llmgship in Achaemenid Art, Leyde, 1979. (1505] SANCISI-WEERDENBURG H., en Persai. Grielœn en Per> 3, il reste que ce n'est pas d'eux qu'il faut espérer un premier discours historique ni même des propos « annalistiques >> permettant à l'historien d'aujourd'hui de «prendre un peu d'altitude » et d'entamer un dialogue direct avec l'époque qu'il étudie. n suffit d'ailleurs de feuilleter n'importe quel recueil d'inscriptions grecques organisé selon la séquence chronologique (comme ceux collectant les inscriptions « historiques») pour convenir, là encore, du déséquilibre criant entre la contribution archaïque et celle des siècles qui suivirent. Pas d'« annales » donc, pas de « chroniques » émanant de la Grèce préclassique, rien qui rappellerait, même d'assez loin, celles que confectionna - très tôt déjà dans le ne millénaire - un Proche-Orient que les Grecs fréquentèrent pourtant assidûment dès le VIII' siècle, un Proche-Orient auprès duquel ils n'hésitèrent par ailleurs guère à chercher l'inspiration. Face à un tel déficit- qui n'a pas manqué de surprendre, l'érudition moderne a été souvent encline à imaginer qu'à tout le moins des listes de personnages (rois, 1. Cf. in.fra, p. 266, n. 2, 386-387, 446 et 448. 2. Cf. irifra, p. 381-387 et 444-448. 3. Cf. déjà, par exemple, in.fra, p. 126-131.
ùs sources écrites et le témoignage archéologique
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prêtres, vainqueurs de certaines compétitions) auraient pu être inaugurées et tenues à jour dès l'époque archaïque, voire plus tôt déjà 1, mais, à ce jour, ce n'est pas tomber dans l'hypercritique que de rappeler qu'aucune preuve matérielle de l'existence d'une telle démarche n'a jamais pu être avancée tandis que, de leur côté, les progrès accomplis au cours de ce dernier demisiècle dans la compréhension de la mentalité grecque archaïque ont contribué, on le verra, à rendre cette absence bien moins suspecte 2 • TI n'empêche, si en général « les historiens grecs nous ont laissé des textes qui, en dépit de l'apport assez récent des sciences auxiliaires telles que l'archéologie et l'épigraphie, restent fondamentaux pour notre connaissance des sociétés antiques )) 3, pour les époques géométrique et archaïque, ces précieux « agents de renseignement)) sont tous très postérieurs aux siècles à explorer, plongés dans une époque dominée par une mentalité et des préoccupations sensiblement différentes des temps dont ils parlent. En l'absence d'interlocuteurs directs, c'est donc l'archéologie qui a naturellement pris le relais, un relais totalement justifié dans la mesure où les témoignages recueillis par cette discipline, dès lors que leur authenticité n'est pas suspecte, peuvent en général répondre, à l'issue d'enquêtes appropriées, à l'exigence requise pour identifier tout« fait historique)) : ils peuvent s'inscrire au croisement des paramètres de temps et le lieu. TI y aurait, sur le volet archéologique et ses rapports complexes à l'enquête historique, quantité de choses à dire, mais on s'en tiendra à l'essentiel en rappelant que, pour l'ensemble de la période considérée, c'est donc assez largement la documentation archéologique - les restes matériels - qui s'impose à la fois comme la mieux à même de matérialiser l'« épaisseur chronologique )) de ces siècles préclassiques, et aussi la plus susceptible d'être en mesure d'opérer sa distribution en phases offrant chacune ses caractéristiques chronologiques et/ ou régionales propres (un résultat partial il est vrai, fonction de la documentation privilégiée, archéologique donc ou encore, en d'autres termes, matérielle) 4 • Pour assurer au mieux l'élaboration d'un telle toile d'araignée, que les apports nouveaux obligent à détruire et retisser sans arrêt, l'ensemble des catégories d'objets ont été mises à contribution, mais il est indéniable que certaines classes de documents fournissent, par leurs caractéristiques intrinsèques, des informations plus décisives que d'autres. C'est en particulier le cas de certaines séries de céramique décorée (céramiques attique et 1. Cf. infra, p. 44-50. 2. Cf. infra, p. 29-30. 3. D. Roussel, [268], p. 10. 4. Cf. aussi infra, p. 183-184.
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Les problèmes spécifiques
corinthienne), qui, par le recoupement d'approches stratigraphiques et stylistiques toujours plus nombreuses, autorisent, pour des horizons archéologiques plus ou moins vastes, la formulation de dates relatives et absolues, que des découvertes nouvelles fragilisent ou confortent. Dans les pages suivantes, en dehors de celles qui sont plus étroitement centrées sur la « culture matérielle » des époques géométrique puis archaïque 1, l'apport de l'archéologie se fera plus clairement perceptible d'une part dans la section intitulée «la longue durée» (qui propose l'ébauche d'un cadre chronologique général débordant les seuls siècles considérés ici), et d'autre part dans les deux longs chapitres-inventaires conçus un peu à la façon d'une Périégèse chez les Grecs des époques géométrique puis archaïque 2 • Cela dit, le «discours archéologique» n'est pas (forcément) le «discours historique », dans la mesure déjà où le premier fait montre bien souvent - de plus en plus souvent même - de préoccupations propres, étroitement liées tant à la nature de sa documentation de base (délibérément non « parlante ») 3 qu'aux multiples procédures d'investigation utilisées, et il serait aussi malvenu de lui reprocher le respect qu'il témoigne à ses sources que l'originalité et le renouvellement de sa démarche. En fait, l'expérience montre que, si l'exploration archéologique vient à l'occasion éclairer heureusement de façon directe, décisive même, une question précise née des textes ou de la synthèse historique, le plus souvent ses découvertes génèrent d'abord leurs propres problématiques. Par ailleurs, même dans la perspective d'une «histoire totale», les « sources matérielles », aussi variées soient-elles, ne permettent pas de couvrir avec un égal bonheur toutes les facettes des activités humaines et c'est sans doute à trop vouloir «jouer à l'Histoire >> en s'attaquant à des questions auxquelles sa documentation (parfois déjà d'évidence extrêmement réduite) la prépare bien mal à répondre que l'archéologie se laisse parfois piéger, entraînée qu'elle est à formuler des propositions qui n'ont guère de chance de se voir jamais confortées. Ce danger de dérapage existe partout et pour toutes les époques, mais il paraît plus présent encore pour ces cinq siècles dont l'exploration se voit en quelque sorte partagée entre les« archéologues venus d'en haut», d'un monde sans textes, et les «historiens venus d'en bas», d'un monde longtemps exploré d'abord à travers ses abondantes sources littéraires, pour partie à prétentions« historiques». L'histoire de ces deux disciplines aux XIX' et XX' siècles indique qu'elles sont moins que jamais maîtrisées de façon égale par nombre d'enquêteurs qui, dans un 1. Et où certains problèmes plus spécifiques sont évoqués, cf. irifra, p. 185-191, 435-440 et 527-537. 2. Cf. infra, p. 63-125 et 193-247. li va sans dire que la part considérable de l'archéologie est également illustrée dans la bibliographie (cf. surtout les sections correspondantes). 3. Pour les analyses iconographiques/iconologiques, cf. infra, p. 52-53 et 435-438.
La littérature «pré-historique >>
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louable esprit d'interdisciplinarité, se laissent parfois aller à faire leur la problématique de «l'Autre», sans toujours appliquer aux documents qu'ils mettent en œuvre ces« méthodes appropriées» qu'on évoquait en commençant, ni davantage se poser la question pourtant cardinale de savoir si la documentation dont ils disposent (qu'il s'agisse de textes ou d'archéologie) est appropriée aux questions qui brûlent leurs lèvres. Sans entrer plus avant dans cette voie critique, on notera simplement que certains domaines semblent plus susceptibles que d'autres d'entraîner ces sortes d'égarement: ainsi notamment les prospections (surv~s), l'« archéologie funéraire», l'architecture religieuse, les ateliers de céramique et de sculpture, certaines énigmes historiques telles que la question troyenne ou les migrations et invasions, etc. En fin de compte, pour bien des interrogations relatives aux périodes préclassiques de l'histoire grecque, en dépit de l'apport immense de l'archéologie, notre approche demeure terriblement redevable aux historiens et érudits anciens qui, à partir du V' siècle déjà et plus encore tout au long de l'époque hellénistique, ont enquêté avec des motivations diverses - et pas toujours nourries par la seule quête désintéressée de la vérité sur cette période qui leur apparaissait, par bien des côtés, à la fois si fondatrice et déjà si lointaine. Bien plus, pour diverses raisons et à des degrés variables, les interrogations de l'historiographie moderne sur les temps préclassiques ont directement partie liée avec celles formulées par l'Antiquité. Et la conséquence inéluctable de ce constat est plutôt simple : l'adoption d'une perspective historique correcte sur l'histoire grecque préclassique passe par la prise en compte du prisme déformant que constitue l'historiographie antique, en particulier hellénistique. Mais on ne s'attardera guère sur ce sujet, car on trouvera, sous la plume de Claire Préaux 1, une présentation aussi suggestive que savante des diverses facettes que présente cette dernière et l'occasion sera donnée plus d'une fois d'y revenir.
2. L'HISTORIEN ET LA
«
UTTÉRATURE PRÉ-HISTORIQUE»
Dans le long fleuve des études consacrées aux aspects les plus variés de la culture grecque des époques géométrique et archaïque, la place occupée 1. Cf. Cl. Préaux, vol. 1, p. 77-112 (>, avec la part de conscience que l'époque moderne a donnée à ce terme qui implique une manipulation volontaire de la réalité). On connaît des « annales >> pour les mondes assyro-babylonien, hittite et égyptien, pour Israël (ainsi le «Livre des Rois))' où l'on pressent une part d'oralité difficile à évaluer 3). Peut-être aussi certaines principautés de Phénicie (Tyr, Byblos ?) ont-elles tenu, à certains moments de leur histoire, de telles annales ponctuelles. On imagine même parfois qu'il s'agissait de véritables «chroniques)), mais si tel fut jamais le cas, rien d'indiscutable n'en a subsisté et les allusions rencontrées chez certains auteurs hellénistico-romains (ainsi notamment chez F1avius Josèphe) font toujours l'objet d'appréciations très divergentes. Ici encore, on reconnaîtrait plus volontiers la griffe de l'érudition hellénistique dans la mise en circulation de ce qui ne fut peut-être pour l'essentiel qu'un topos littéraire 4 • Si, à côté des «annales))' le Proche-Orient connaissait également les généalogies dynastiques, cette pratique paraît beaucoup moins assurée chez 1. Cf. supra, p. 3-5. 2. Ainsi le montre la relation de la bataille de Qadesh (c.l300) commanditée par Ramsès II, en regard des témoignages trouvés plus tard chez les Hittites. 3. Le problème est bien connu, la langue française n'a pas de termes qui soient vraiment appropriés pour rendre les deux vocables anglais d' non conservé), reliées à la Théogonie, et le &uclier WAspis, déjà connu de Stésichore, contant la lutte d'Héraclès contre le fùs d'Arès, Kyknos), qui débute, selon le même procédé paratactique, par la nuit qu'Alcmène passa avec Zeus (et d'où naquit Héraclès), cf. notamment Paus. IX 31,3-5. En fait, comme dans le cas de l'lliade et de l'Ot{yssée, par certains aspects et pour diverses positions adoptées dans chacun des deux poèmes, des différences sensibles séparent la Théogonie des Travaux, ce qui a déjà fait douter certains anciens d'une paternité unique pour les deux poèmes. En tout cas, Hésiode, berger d'agneaux, est nommé dans la Théogonie (v. 22-24) et les Travaux font référence à la Théogonie (dont par ailleurs on retient aussi les vers 1021-1022 qui sont les vers introductifS du > célèbres !) et l'Antiquité finit par convenir, en dépit de prises de positions contradictoires, qu'étaient d'Hésiode la Théogonie, les Travaux et le Bouclier, les trois seuls poèmes dont on dispose à ce jour. 4. Cf. infra, p. 441-444. 5. Cf. i.rifra, p. 178-181.
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Les problèmes spécifiques
En fait, les raisons d'être de ce mode d'expression écrite recourant à la versification s'expliquent sans peine : on est en présence de discours composés selon les règles de l'oralité, parce qu'au départ destinés à connaître une diffusion verbale au sein d'une culture ignorant l'écriture. Ce n'est qu'au fil du temps que, l'alphabet se généralisant, une partie de ces œuvres (aussi difficile à évaluer que l'étalement de cette opération dans le temps) fmirent par connaître des mises par écrit plus ou moins fidèles à l'esprit de leur(s) créateur(s), tandis que d'autres, plus récentes mais obéissant encore à ces mêmes règles de composition et visant les mêmes buts, furent créées directement par écrit. Si toute cette « littérature » se présente désormais sous une forme« livresque))' il n'est pas pour autant permis de se méprendre sur les origines premières de nombre d'entre elles et mieux vaut rester prudent sur leurs auteurs, leurs dates de composition et leurs contenus originels. L'existence- la nette prédominance même- d'une culture orale en Grèce jusqu'à la fin du VI' siècle n'a pas manqué de mettre en porte à faux les érudits plus familiers du document écrit. Pourtant, de multiples preuves attestent de sa longue fortune, qui permettent de mieux saisir ce qui tenait en quelque sorte lieu de« pensée historique)), dans le chef de communautés soumises, autant que nous le sommes aujourd'hui, à l'écoulement du temps. Une dernière remarque portant sur l'écriture devrait permettre d'entrevoir l'erreur de perspective qui découle du rôle sans doute exagéré que l'on accorde souvent à la rupture- dont l'appréciation est fondée sur la seule culture matérielle - intervenue au terme de la phase « mycénienne )) de l'histoire grecque 1 : cette construction présente en effet l'inconvénient de masquer la très lente mais réelle progression que connut la pratique de l'écrit dans la Grèce «pré-historique)). L'écriture (linéaire B) en usage dans quelques communautés mycéniennes des XV'-XIII' siècles dotées d'une organisation palatiale a toute chance de n'être qu'un legs des Minoens, un outil inapte à noter la« poésie)), le besoin d'une telle consignation étant d'ailleurs probablement- on y vient- sans doute inexistant alors. A l'époque mycénienne- et on désavouera par là divers propos gratuits qui se laissent aller jusqu'à imaginer une vaste « littérature mycénienne )) perdue parce que couchée sur papyrus ou parchemin - cette écriture syllabique adaptée du linéaire A se présente bien plutôt comme une sorte d'appendice culturel hétérogène, étroitement lié à l'existence de certaines opérations d'inventaire dans quelques centres de stockage et de redistribution. Confinée à ce seul monde « palatial ))' elle ne dut guère déborder de ses magasins et de ses réserves : nul objet usuel 1. Celle-là même qui sert aussi de prétexte à ne faire débuter l'> que vers 1200. Cf. aussi infia, p. 126-138.
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inscrit n'a jamais été découvert - pas même un objet de luxe - en terre mycénienne, une observation tout en contraste avec ce qui s'observe dans les mondes minoen crétois, proche-oriental ou chypriote 1• En d'autres termes, la Grèce mycénienne vivait une culture fondamentalement orale, et en ce sens, même si elle est un coup dur pour l'historien, la disparition de l'écriture palatiale au terme du Xlll' siècle ne devrait plus être retenue comme cet événement historique essentiel annonçant des« siècles obscurs». Dans ces conditions, la pauvreté documentaire extrême qui caractérise ces derniers inviterait même plutôt à envisager une « continuité » qui, partant de l'âge du bronze, engloberait d'ailleurs aussi l'ère géométrique: celle d'une «oralité triomphante». Vers la fm de l'époque géométrique, les temps changèrent comme l'indique cette quantité croissante d'objets usuels inscrits (vases, pesons, armes, offrandes diverses) que l'on déeouvre désormais aux quatre coins de la Grèce continentale et insulaire. Si l'écriture alphabétique vocalisée se répandit dès c.750!700 en milieu grec, son usage essentiel y resta sans doute longtemps encore celui seulement de la marque de propriété au sens large. ll ne s'agissait pas moins d'un progrès sensible opéré par l'écrit en regard même de l'époque mycénienne, un premier coin enfoncé dans la porte scellant l'oralité grecque. Le premier genre proprement « littéraire » grec qui put se prévaloir de n'avoir aucun antécédent dans l'oralité fut donc l'épigramme, un genre pour le moins « lapidaire », qui apparut au début du VII' siècle, sur des tombeaux et sur des offrandes déposées dans des sanctuaires. Ce fut le deuxième coin enfoncé dans l'oralité et annonçant le lyrisme grec 2 • Mais, avant l'éclosion aux vr-V' siècles d'une «littérature» riche et variée et en dehors de la production lyrique des VII'-VI' siècles, qu'offrait donc la Grèce d'avant comme d'après le XII' siècle? Rien ne permet évidemment de postuler une sorte de «désert culturel», d'où auraient surgi à un moment donné et on ne sait comment un Homère puis un Hésiode - à moins que ce n'ait été l'inverse, ainsi que le pensaient plusieurs Anciens (suivis en cela par certains modernes qui ont fait valoir des arguments inégaux). On devait colporter en particulier des "':)!thes, c'est-à-dire non de l'Histoire mais des histoires, des discours obéissant à ces règles spécifiques qui régissent le récit en culture orale. ll est très difficile d'évaluer le nombre et le contenu de ces productions « pré-littéraires >> - dont on a perdu à jamais l'essentiel, quantitativement et qualitativement - mais on peut entrevoir leur nature générale et tout encourage à les imaginer vite très variés et en évolution. Une partie seulement, difficile à quantifier, a échappé à un oubli 1. Cf. infra, p. 372-387. 2. Cf. supra, p. 3-4 et i.rifra, p. 381-384.
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complet grâce en défmitive à une «saisie» par l'écrit, qui les a figés dans leur état oral du moment (poésie homérique et sans doute aussi hésiodique), au terme d'une évolution que l'on suspecte à l'occasion pluriséculaire, une durée qui fut peut-être à l'origine de profonds remodelages du contenu du message et de ses finalités. Parfois, la «saisie>> fut elle-même l'occasion d'une énième «réécriture» suggérée par le questionnement de l'opérateur ou de son commanditaire ~a chose s'observe assez bien dans la tragédie, notamment à travers la reformulation du cycle thébain). En quoi ces récits, ces mythes (muthéô : «parler, raconter, formuler des propos») sont-ils si radicalement différents de l'Histoire-récit tel qu'on entend ce terme depuis l'Enquête d'Hérodote? Montrer l'essence orale de la culture grecque préclassique et analyser la nature et les fonctiens des mythes grecs revient en fait, pour une large part, à parler d'Homère et des « poèmes homériques», car, en l'absence d'un genre littéraire dévolu aux mythes en Grèce 1, ces chants épiques figurent assurément au premier rang des illustrations de ce mode de pensée étranger à celui qui s'installa de façon durable dans la Grèce du V' siècle. En termes « positifs » cette fois, on peut dire qu'ils fondaient, en propageant une« autre vérité», la spécificité foncière de la réalité grecque préclassique.
MYTHES ET RÈCITS TRADITIONNELS EN GRÈCE
Un examen succinct des poèmes homériques s'impose au vu des controverses sans fin portant en particulier sur le crédit informatif à reconnaître à leur auteur présumé, Homère : s'il n'est en rien «historien» de l'époque mycénienne, peut-on voir en lui au moins un «témoin» de la Grèce des «siècles obscurs», voire aussi des «temps coloniaux » 2 ? En fait, tout ce qui en a été dit jusqu'à présent indique des productions intellectuelles très élaborées, qui, au même titre que toutes les autres, entretenaient des « liens » avec le monde du réel, matière historique en puissance. Mais ces analyses laissent par ailleurs augurer de grandes difficultés pour objectiver la nature de ces« liens». D'évidence, on est en présence de récits où l'action était sans doute d'abord un prétexte pour dire «autre chose»,
1. Cf. infra, p. 37-43. 2. Pour un bref inventaire du contenu de ces poèmes et de quelques procédés mis en œuvre, cf. in.fra, p. 326-339.
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autant d'occasions pour les communautés grecques de s'adresser à ellesmêmes des propos essentiels 1•
L 'lliade
Elle se présente sous la forme d'un long poème de près de 16 000 vers, des hexamètres dactyliques, qui offraient un rythme peu approprié à la langue grecque - un aspect qui permet de songer à un emprunt, au moins du genre formel, sans doute auprès des « Minoens » de Crète. La langue de l' Iliade illustre des traits propres à plusieurs dialectes grecs 2, ce qui a provoqué de multiples études sur l'histoire du« texte». Depuis au moins lestravaux d'édition décisifs opérés par l'érudition alexandrine très active, sa matière est répartie sur un vaste ensemble de vingt-quatre chants 3, lesquels ont chacun reçu pour les désigner une lettre grecque majuscule, d'alpha à oméga, l'alphabet grec comptant vingt-quatre lettres à partir de la réforme athénienne de 403/2 (adoption de l'alphabet ionien à Athènes sous l'archontat d'Eukleidès). Le titre d'Iliade, traditionnel (cf. déjà Hér. II 116-117), est à mettre en rapport avec le toponyme Ilion, nom d'une puissante Cité-État à la réalité historique plus que fuyante, que le poème appelle aussi, sans qu'on sache pourquoi, Trqja («Troie»). Résumer l'œuvre sans la trahir continuera à constituer une opération extrêmement hasardeuse aussi longtemps que les finalités mêmes du message poétique n'auront pas été décryptées avec certitude. Plusieurs angles de lecture - certains combinables - ont été défendus, avec un bonheur inégal, depuis Hérodote. On retiendra ici ceux qui sont le plus souvent adoptés. L'approche « historisante »
On peut mettre l'accent sur les dimensions événementielle et descriptive de l'œuvre. Cette façon d'aborder le poème se comprend dans le monde actuel, saturé de références d'essence historique. Cette voie, longtemps la plus souvent suivie par les historiens et surtout les archéologues en quête d'événements et de realia historiques, n'est assurément guère respectueuse de l'esprit du poème : 1'/liade n'est pas d'abord un «récit»- qu'il soit «historique >> ou non - de la « guerre de Troie » ; cette dernière constitue plutôt un simple cadre événementiel, le prétexte à une série d'épisodes censés 1. Cf. déjà, en particulier pour certains aspects techniques, Treuil et al., p. 571-579. 2. Cf. infra, p. 126-130. 3. Ces derniers, souvent d'une longueur moyenne de 5 à 600 vers, devaient néanmoins correspondre pour l'essentiel aux unités de base naturelles de la poésie épique. Pour l'idée d'une poésie homérique orale, cf. déjà F1. Jos., C. Apion, 1 12.
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intervenir au cours de la neuvième année 1 d'un long conflit désormais parvenu dans sa phase cruciale, celle du siège de la capitale des Troyens, Ilion, par des Grecs confédérés pour la cause sous la direction d'un des leurs, Agamemnon, roi d'une Mycènes «riche en or». La tranche temporelle ainsi couverte par le poème (tel qu'il fut définitivement constitué par une philologie alexandrine de sensibilité aristotélicienne, fondant son action sur le principe de l'« authenticité» que sous-tendait le critère du« sens commun») ne débute pas avec quelque événement militaire notable mais avec le déclenchement par Apollon d'une épidémie dans le camp des Achéens confédérés, et elle s'achève sur une cérémonie spectaculaire, les funérailles d'Hector, fùs aîné de Priam, le roi des Troyens. Nulle mention n'est faite, à aucun moment, de l'issue de la guerre et donc du siège qui bloquait la métropole de ce royaume troyen où chacun s'exprime en grec. En mettant sans aucune forme de préambule l'accent sur le côté événementiel du poème, sur ses allusions au réel, on se heurte sans retard à la vieille problématique érudite qui a longtemps occulté toute approche pleinement historique de l'œuvre : «La guerre de Troie a-t-elle eu lieu?)) De ce point de vue, pour autant d'ailleurs qu'une telle question soit utile, il est toujours impossible de trancher et on n'est pas plus avancé aujourd'hui qu'il y a cent ans, lorsque H. Schliemann, ayant fixé son choix sur le site NordEst anatolien d'Hissarlik («la forteresse))), avait entrepris l'exploration des quelques restes scellés par les ruines d'un établissement gréco-romain du rr millénaire nommé Ilion : ce faisant, il rompait avec l'opinion dominante à l'époque dans le milieu des philologues et historiens universitaires et reprenait la voie ouverte par plusieurs érudits de l'antiquité (dont Strabon), qui avaient défendu l'historicité du conflit en se proposant d'en arrêter la date et la localisation 2• L'approche, se prévalant de témoignages archéologiques inadéquats mais fortement évocateurs(« Trésor de Priam))' etel, a connu, à travers des formulations successives, un énorme succès en même temps qu'elle a suscité une gerbe de questions qui sont le plus souvent restées sans !. Pour la valeur singulière du chiffre > dans la mentalité que l'on va à présent tenter de mieux cemer 2• L'approche «anthropologique>>
Une variante plus prometteuse consiste à partir d'une constatation que la lecture de ces vers conforte et qui présente l'avantage certain de mieux se couler dans la mécanique générale du poème: l'Iliade est d'abord le chant de la guerre, de la confrontation physique perçue en tant que situation la mieux à même de révéler les qualités individuelles fondamentales exigées !. Cf. mfta, p. 77 et 219-220. 2. Cf. aussi mjra, p. 531-532.
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par la communauté en quête de survie et, de ce point de vue, le décor d'un formidable siège de ville paraît offrir une scène idéale. Mieux encore, audelà des débats d'essence historiciste- souvent trop hâtivement engagéssur les dates, les types et les techniques de combat illustrés au fil des chants, il ressort que toute l'Iliade se déroule d'abord comme une sorte de longue préparation initiatique au duel décisif qui opposera les deux ténors du conflit : Achille du côté des alliés grecs et Hector dans le camp troyen. En fait, dans l' Iliade, la confrontation physique revêt deux formes majeures : d'une part, le duel qui oppose des « couples » héroïques et dont l'issue n'est guère mortelle que pour Hector lorsqu'il affronte Achille; d'autre part, des «gestes» (aristeiai; aristeuô: «être le meilleur, le plus brave, l'emporter>>) que l'aède présente comme de véritables carnages opérés, dans des rangs ennemis peuplés de figures largement anonymes, par un héros souvent comme momentanément frappé de folie meurtrière. Une telle approche se révèle davantage justifiable et plus riche d'enseignements; elle respecte mieux l'esprit et le rythme de l'œuvre que les regards trop immédiatement événementiels ou littéraires. Elle met plus opportunément en valeur l'originalité profonde de la « pensée mythique >> par rapport à la « pensée historienne >> qui la recouvrit par la suite et fit tout pour l'annexer. Elle permet aussi de mieux appréhender en quoi, au-delà d'aspirations voisines ~a crainte de l'oubli de l'expérience humaine), se distinguent radicalement l'élaboration mythique et la synthèse historique. Mais, avant de développer ces points, quelques mots s'imposent au sujet de l'Ot!Jssée, l'autre grand recueil homérique pour lequel ces trois grilles de lectures ont également été proposées, chacune fournissant, sans qu'il faille entrer dans plus de détails, des résultats similaires à ceux engrangés pour l' Iliade.
L'Odyssée
Comme l' Iliade, l' Oqyssée se présente aujourd'hui sous la forme d'un long poème de vingt-quatre chants que l'on désigne chacun par une lettre minuscule de l'alphabet grec. L'ensemble développe près de 12 000 hexamètres dactyliques (en tout, les poèmes homériques regroupent donc quelque 28 000 vers). Son titre, l' Ot!Jssée, vient de la forme grecque d'« Ulysse » (forme latine) 1, Odusseus. Le recueil a donc reçu son titre du nom de son « premier rôle » - son «protagoniste» (cf. déjà Hér. II 116 et IV 29). Entre autres !. Les noms avec suffixe en -eus que portent nombre de héros homériques (tels Atreus, Achilleus, Néleus, Théseus, etc.) pourraient ne pas être d'origine grecque.
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différences avec l' Iliade 1, ce poème présente de ce fait une trame dramatique beaucoup plus serrée 2 : c'est le récit des aventures que vécut le héros, originaire d'Ithaque (petite île assez secondaire de la mer Ionienne, au Sud de Corfou\ depuis la chute d'Ilion (dont il fait le récit à Alkinoos, père de la belle Nausicaa et roi des mystérieux Phéaciens chez qui il échoue un moment) jusqu'à son retour, la« dixième» année de ses errances, au foyer, où l'attendaient son épouse, la vertueuse Pénélope, et son fùs Télémaque, confrontés tous deux aux prétendants. Nous avons donc là un de ces Nostoi, contant les «retours)) des Achéens de Troie; l'04Jssée est le Nostos le plus long consacré au guerrier qui rentra le dernier dans la patrie. Comment situer ces deux grandes œuvres, intimement liées à la « pensée mythique))' par rapport à l'Histoire, cette vision nouvelle du monde, dont les premiers balbutiements ont pour cadre l'Ionie à la transition des VI'V' siècles, une vision qui assure désormais la singularité des faits en les localisant à chaque fois dans l'espace et dans le temps ?
DIMENSION DOCUMENTAIRE DES> que l'on retrouvera en d'autres occasions (dont le genre historique) : le concurrent suivant devait embrayer sur la fin de la prestation précédente.
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peut-être du nombre de ces « sélectionneurs-organisateurs » à la fois géniaux et cruels 1• En ce qui concerne la date à privilégier pour l'éclosion de ce genre épique dont les deux grandes compositions homériques sont, donc, les ultimes héritiers directs, les seuls qui aient survécu à la fm de l'Antiquité par écrit et sous forme rythmée 2, la question demeure fort débattue, mais dans les derniers temps, on a pu néanmoins distinguer quelques éléments très contraignants, qui portent à croire qu'à tout le moins, dès le début de l'ère mycénienne, de nombreuses œuvres de même nature circulaient déjà en Égée et faisaient partie d'une « littérature entendue » 3, dont on retrouve les contreparties iconographiques - et donc datées - dans les arts figuratifs égéens de l'époque. Mais dès lors qu'est adoptée une telle perspective pour ces créations, dans quelle mesure, à quelles conditions, dans quels domaines ces matériaux mythico-épiques peuvent-ils être retenus comme porteurs d'un « témoignage historique» pour les XI'-Vl' siècles, ces siècles postérieurs à l'effacement du monde mycénien, la seule période ici considérée 4 ? D'abord, pour les poèmes conservés, plutôt que de chercher à opérer une claire distinction (souvent illusoire tant les critères se dérobent) entre le «mythe» et l'« épopée», sans doute est-il préférable de conserver pour l'ensemble, au moins dans un premier temps, l'appellation générique de «récits traditionnels». De même vaut-il mieux aussi renoncer à trancher la question de savoir si des figures héroïques, telles celles de Ménélas ou d'Ulysse, sont des divinités « déchues » ou de véritables personnages « historiques» qui, par un processus singulier, seraient entrés dans l'épopée, comme ce fut le cas de Charlemagne dans le cadre de la Chanson de Roland : pour être intéressante, la comparaison paraît à vrai dire trop lointaine 5 et la
1. C'est ce qui expliquerait le mieux ces impressions contradictoires de réelle unité et de perpétuelle incohérence souvent suscitées par les poèmes >. 2. Sous une forme rythmée, ils sont les derniers. Les autres sont parvenus sous forme de résumé en prose tels les lfJpria parfois attribués à Stasinos (Hér. II 116-117, se contente d'en refuser la paternité à Homère), une œuvre pourtant d'évidence très en vogue au vr siècle. La célébrité d'un Eumèlos de Corinthe dans la Grèce préclassique est moins bien assurée. 3. Ains~ dans !'Ot[yssée (Od. 1, 326 sqq.), le rhapsode Phèmios chante, dans le palais d'Ulysse, le «retour des Achéens>>, pour un public , qui connait parfaitement les épisodes antérieurs; ailleurs le public manifeste son envie d'entendre l'épisode du >) du cadre social référentiel que, génération après génération, les Grecs des époques préclassiques se sont attachés, sans évidemment jamais chercher consciemment à parvenir à un résultat définitif, dans la mesure où -l'enquête historique en apporte la preuve- une société traditionnelle n'a rien d'une société immobile. Bien au contraire : sous peine d'entrer en crise profonde, inconsciemment (car insensiblement, sauf choc brutal), elle est contrainte à un perpétuel « recadrage » de ses valeurs fondamentales, même si elle clame l'inverse. Lorsqu'est envisagée l'idée d'une rupture profonde dans l'histoire grecque ancienne, c'est sur la fm de l'âge du bronze que se portent presque tous les regards 1• Pourtant ce ne sont pas les poèmes homériques et leur magie puissante qui entraînent à un tel choix. Là, l'aède Démodocos raconte bien la prise de Troie avec l'épisode célèbre du cheval de bois (Od. 8, 470-586) 2, mais son sac n'est en rien présenté comme la fm du monde ni même la fin d'« un» monde (surtout pas un monde «historique») et elle ne l'annonce pas davantage, tous propos qui n'auraient sans doute guère été compatibles avec la raison d'être de la poésie épique 3• Là, au terme de longues péripéties qui forment la trame du poème, à l'aube d'une dixième année d'errance, c'est Ithaque telle qu'en elle-même depuis toujours, avec son palais et ses occupants, qu'il est donné au héros de retrouver, comme si le temps s'y était arrêté, celui de la guerre comme celui de la séparation. En fait, ce choix d'une date tournant autour de c.l200 indique que l'érudition moderne s'est laissé circonvenir, piéger par une reconquête fallacieuse du passé mythique, opérée au ill des siècles par des savants antiques soucieux de donner à leurs contemporains des origines à la fois lointaines et waisemblables, en harmonie avec la perception historique qui est désormais celle en usage, mais en les conciliant au mieux avec les propos du Poète. Au fù des ans et à la faveur de multiples découvertes archéologiques parfois spectaculaires, opérées, dès la seconde moitié du XIX' siècle, auteurs anciens en main (ainsi celles de H. Schliemann à Troie-Hissarlik, Mycènes ou Tirynthe), cette inclination à voir la poésie épique sous un tel angle s'est faite fausse certitude baignée dans un océan bibliographique : elle recouvre désormais de ses images tenaces les quelques citadelles helladiques en ruine !. Cf. infra, p. 130-138 et 364-371. 2. C'était par ailleurs le thème de la Petite Iliade (cf. Virgile, Énéide II). 3. Au contraire, I'Ot!J!ssée présente un > qui semble répondre à un souci de réinsérer pleinement le héros, mort ou vif, dans son cadre d'origine. De ce point de vue, on a quelque peine à lire dans le> l'annonce de la fm du monde mycénien.
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us problèmes spécifiques
et les niveaux de destruction mis au jour, en divers points de l'Égée et de la Méditerranée orientale, par une archéologie souveraine en l'absence de toute information concurrente plus «loquace». Dans la démarche adoptée ici, il était difficile de ne pas tenir compte de ce plus grand respect dû à la nature singulière, non directement « historique», de la poésie épique. Ce n'est donc pas tant a priori vers la fin du Xill' siècle ou à quelque moment du XII' siècle que sera envisagée une éventuelle fracture majeure dans le cours de l'histoire égéenne, voire estméditerranéenne. Tant qu'à chercher ce que l'on nommerait plus volontiers un « point de bascule » dans l'histoire grecque antique, on renoncera à le retrouver trop vite ici et là, au hasard des fouilles, dans d'éventuelles traces de feu, et le choix se portera plutôt sur le troisième quart du v· siècle, où l'on situera avant tout le phénomène au niveau des sources écrites. Car, ainsi que l'avait très justement énoncé A. Momigliano, «entre nous ~es historiens) et les faits se trouvent les témoignages» (Sesto Contr., p. 29 et 392). La révolution intellectuelle qui intervint alors dans certains milieux grecs, quoique immatérielle, affecta en profondeur les sources écrites (mais aussi iconographiques 1), celles grâce auxquelles il nous est permis d'accéder plus directement à une certaine intelligence de ces mondes plus anciens à jamais disparus et dont elles témoignent sur des registres mentaux divers. Un corollaire décisif de ce processus fut la naissance de la pensée scientifique occidentale, qui imprègne désormais toute la culture d'essence européenne, au point de faire trop souvent oublier combien cette secousse, imperceptible sur les chantiers de fouille, n'en a pas moins été décisive, bouleversant du tout au tout la vision humaine du monde. Le concept historique de fracture, hérité des anciens Grecs, demeure à ce jour sans bases scientifiques unanimement reconnues pour la fin de l'âge du bronze (un âge qui s'inscrit d'ailleurs dans une périodisation fondée sur les métaux alors en usage et qui rappelle Hésiode) :bien qu'une telle notion soit souvent mise en avant, aucune variation ethnique sensible n'est enregistrée de façon indiscutable aux alentours de 1200, ni en Égée ni même pour l'essentiel de la façade maritime du Proche-Orient 2• A la vérité, le concept de « révolution » ne se révèle guère opérationnel pour rendre compte des transformations observées dans la culture matérielle, encore moins approprié pour les esprits. C'est à une crise« fonctionnelle)) profonde bien plus sans doute que «structurelle)) qu'on a alors affaire, une crise en tout cas suivie au mieux de « réajustements )) spectaculaires, touchant de 1. Le répertoire archaïque resté pour l'essentiel identique - tout comme l'alphabet - ne manqua pas de se voir peu à peu affecté à des prognunmes nouveaux; cf. aussi infra, p. 524-537. 2. Cf. infra, p. 120-125 et 138-154.
lA littérature «pré-historique»
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plein fouet des sociétés hiérarchisées, complexes, capables de certaines innovations technologiques mais figées depuis parfois des siècles dans des cadres urbanisés et des organisations soda-politiques rigides, fonctionnant en fait selon le mode «traditionnel», c'est-à-dire des communautés non « analytiques», mais capables de glorifier avec beaucoup d'ingéniosité leur fidélité à un « passé exemplaire », sans cesse revu à la lumière du présent. Elles vivaient donc une continuité sans vrai passé ni véritable avenir, mais subissaient un facteur temps qu'elles ne percevaient pas sous l'angle décidément ternaire qui est désormais le nôtre, celui-là même qui autorise à anticiper certaines mutations perçues comme inévitables, voire à les provoquer afm d'en mieux maîtriser les effets. Dans ces sociétés « pré-historiennes » qui fleurissaient au bronze récent, qu'elles fussent égéennes ou chypriotes, voire proche-orientales, productions matérielles, iconographie et littérature orale -d'essence traditionnelle et formulaire - ainsi qu'écriture à fmalité nmémotechnique, toutes manifestations d'une culture riche et vivante, jouèrent les facteurs stabilisateurs, en fournissant des cadres de référence variés. Lorsque nombre de ceux-ci vinrent à s'effacer, à la suite peut-être de dysfonctionnements internes non maîtrisés 1, le rythme des métamorphoses s'emballa sans que rien du processus ne se dévoile clairement aux yeux des agents de ces changements pourtant attachés à la tradition. Désormais privées de plusieurs référents évidents (ainsi ceux de la culture matérielle), ces populations réinterprétèrent ce qui s'obscurcissait désormais plus vite à la lumière de l'expérience du moment. A la faveur d'un retour de l'Égée à une civilisation matérielle plus palpable (que peut saisir l'archéologie), dans les derniers temps de l'époque géométrique, sous l'impulsion de forts courants venus d'Orient, tout peut paraître différent - et est largement différent aux yeux d'un observateur non averti, mais la chaîne humaine disparue et si pauvrement illustrée ne peut être ignorée de l'historien d'aujourd'hui. Au contraire, elle l'invite tant à refuser de conclure d'emblée à une rupture véritable qu'à chercher les continuités plus ou moins cachées dans les métamorphoses, une enquête nourrie au départ de la plus manifeste et de la plus fondamentale des persistances : la langue et la culture orale qu'elle faisait vivre. Si, dans les siècles qui suivirent cette sévère crise à laquelle répondit l'effacement de la culture «mycénienne», la poésie épique était toujours dans sa phase vivante (notamment en Éolie ?), on peut imaginer que ces sombres mutations - insaisissables dans l'état actuel de l'information ont fourni une occasion d'intégrer des éléments nouveaux, voire plus « fédérateurs », aux multiples récits traditionnels assurément déjà en circulation. 1. Telle une courbe démographique montante, une piraterie trop active, etc., cf. infra, p. 269-286.
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Elles ont donc pu provoquer la création d'un ultime « espace temporel privilégié», celui de la« guerre de Troie», un de ces cadres idéaux où se peaufinait le « passé exemplaire » 1• li se peut même que le génie d'Homère ait surtout consisté dans la réorganisation, autour de ce thème désormais majeur, d'autres ensembles de même nature constitués antérieurement. Toutefois, il ne s'agit là que d'une pyramide d'hypothèses, une simple possibilité ... qui fut celle déjà que l'érudition antique développa en partie pour expliquer le passage des générations héroïques aux générations humaines. La mise au point par des Grecs, au sortir de l'époque géométrique, à partir d'un système graphique linéaire très simplifié conçu chez les Cananéens-Phéniciens, d'un procédé «transparent» de conservation du message, a eu pour conséquence bien plus que la vulgarisation d'un moyen mnémotechnique, à la fois fort simple à maîtriser et d'une efficacité absolue 2• Cette invention a autorisé, voire encouragé, la circulation de « nouvelles » qui désormais pouvaient être fort variées et très surprenantes, sans qu'il n'y ait plus risque d'incompréhension ou de confusion à la réception. En l'absence de cet outil alphabétique, toute création intellectuelle, toute « littérature » en particulier, qu'elle soit confiée à la mémoire humaine ou même à quelque procédé graphique pré-alphabétique, restait, par force, surtout traditionnelle, répétitive, formulaire ; fondamentalement, les messages étaient seulement - et ne pouvaient guère être plus que - des rappels de connivence entre émetteurs-scripteurs et récepteurs-lecteurs partageant le même savoir. Leur mise par écrit ou leur mémorisation s'était opérée dans des conditions si contraignantes que les thèmes retenus étaient toujours ceux qui occupaient le devant des préoccupations dans ces sociétés pré-scientifiques, c'està-dire le sacré et la religion 3, l'élaboration ininterrompue d'un passé éthiquement exemplaire, issu d'une vision « conforrnisante » de l'expérience humaine 4• 1. Pour la popularité supérieure à l'époque archaïque des Kjpria (attribués souvent à Stasinos, aède que des traditions lient à Chypre), cf. supra, p. 29, n. 2. L'émergence d'une thématique troyenne n'implique pas automatiquement son inscription dans un cadre géographique déterminé et bien réel. Ce dernier accrochage pourrait n'être intervenu qu'assez «tard» (peut-être seulement au VII' siècle, dans le cadre peu clair de l'éclosion d'un intérêt athénien soutenu pour le cap Sigée, au grand dam des Éoliens de Mytilène, cf. Hér. V 94, un intérêt qui pourrait avoir été pour beaucoup dans la popularité ultérieure de l'Iliade). 2. Cf. aussi infta, p. 444-453. 3. Des agents qui inondaient toutes les activités humaines, et si l'on peut parler du caractère que présente la littérature grecque, c'est en soulignant qu'elle fut le produit d'une société dépourvue des puissantes organisations religieuses que l'on trouve en Égypte ou au Proche-Orient. 4. Au cours des VITJ>, estime néanmoins qu'on trouve chez lui, comme chez Théopompe, d'innumerabilesjabulae. 2. L'hellénisation de Chypre apparaît, de ce point de vue, comme un champ d'investigation permettant l'exploration de toutes les dimensions d'une question qui concerne, en définitive, directement l'histoire grecque > en son sens le plus large.
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3. LE MATÉRIEL MYTHOLOGIQUE
CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES
Près de deux siècles d'une quête savante ont produit une montagne de travaux consacrés à la « mythologie » antique en général et à la « mythologie » grecque en particulier, deux siècles s'inscrivant eux-mêmes à la suite d'un millénaire d'érudition antique. La fascination parfois teintée de crainte qu'engendre le muthos ne date donc pas d'hier et la prétention d'arriver à présenter ici ne serait-ce qu'un bref survol des contributions en ce domaine (qui de plus connaît des mutations de plus en plus rapides depuis une trentaine d'années) relèverait davantage de l'hubris que de la dikè. Au mieux pourrait-on réunir quelques « aides à la lecture » dans une perspective plus directement historique. Pour l'essentiel, on dira que les analyses les plus anciennes (marquées un bon moment, après les Prolegomena de Karl O. Müller en 1825, en particulier par les œuvres considérables du comparatiste anglais james G. Frazer, puis du philologue-historien suédois Martin P. Nilsson) 1 visaient souvent à fournir, ici une sorte de théorie générale, là de moins ambitieux commentaires explicatifs ponctuels. Ces approches, qui n'ont pas toutes été stériles, ont été progressivement délaissées et pour partie radicalement revues, dans des enquêtes cherchant, chacune à sa façon et avec des résultats fort variables, à dépasser la dimension strictement narrative. Ces multiples travaux - le plus souvent intellectuellement stimulants même s'ils n'emportent pas tous l'adhésion- ont cherché à tirer profit, d'une part, des découvertes opérées dans les « bibliothèques » mises au jour en divers lieux d'Anatolie et du Proche-Orient, d'autre part, des progrès souvent remarquables enregistrés dans diverses branches des « sciences humaines », surtout en littérature et linguistique comparées, en anthropologie, sociologie, ethnologie, psychologies sociale et historique 2 • Au-delà des nombreux débats toujours en cours\ le résultat majeur de 1. Malgré leur réel intérêt historiographique, on doit renoncer ici à évoquer les polémiques acerbes qui opposèrent, jusqu'à la seconde guerre mondiale, certains comparatistes (desservis parfois par trop d'>) à certains > purs et durs. 2. On renverra ainsi en particulier aux travaux de G. Dumézil, Cl. Lévi-Strauss, W. Burkert, R. Pettazoni, J.-P. Vernant, M. Detienne, A. Brelich ou J. Rudhardt, certain d'oublier plusieurs contributions guère moins remarquables. 3. Où la dimension strictement historique ne reçoit pas toujours son dû, dans la mesure où la coupure du V' siècle, qu'on ne peut décidément ignorer, ne parait pas toujours suffisamment prise en compte. Cf. aussi supra, p. 9-15.
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tous ces travaux est indéniable : ils tirent en pleine lumière la profonde originalité qu'offrait un «discours mythique» archaïque, qui développait, en manipulant une riche symbolique, une grande cohérence intrinsèque, en harmonie avec ses propres objectifs- qui n'étaient rien moins que l'organisation étiologique de l'expérience humaine et la justification de la place de l'homme (mortel comme tous les animaux) dans l'univers, au regard d'une société grecque d'expression orale et d'essence traditionnelle, dotée d'un riche panthéon peuplé de divinités immortelles avec lesquelles elle se sentait impérativement tenue de composer au travers de rituels (essentiellement des pratiques sacrificielles sanglantes, impliquant le feu 1, comme le donne à voir le mythe de Prométhée). Les muthoi jouaient en quelque sorte - au même titre que ces « discours gestuels » qu'étaient les rites - le rôle de «liant» primordial de la société grecque préclassique et de son savoir 2• On a déjà noté combien, dans la pratique, il était difficile d'opérer en Grèce préclassique, au niveau des sources écrites, une distinction nette entre le « mythe » et cette très abondante production épique dont on a souligné en particulier la vocation tribale à l'« encyclopédisme ». Obligation est dès lors faite de largement tenir compte de cette dernière si l'on veut appréhender la nature du « mythe » grec aux époques préclassiques 3• Pour tous ces temps, en effet, on ne connaît guère de discours mythiques spécifiques en dehors des célèbres répertoires théogoniques que réunit le corpus hésiodique. Cette relative pauvreté documentaire n'exclut en rien la très probable existence, depuis des temps très anciens (ceux-là mêmes, lointains, reconnus à la poésie épique) de multiples discours (rythmés et oraux) exploitant des thèmes similaires. Cela dit, la grande discrétion des témoignages anciens n'encourage pas trop à envisager pour eux un auditoire aussi nombreux que celui que constituaient les amateurs d'épopée 4 • En revanche, cette véritable« tournure d'esprit» (et les matériaux qu'elle colportait et qui la faisaient vivre) colore l'ensemble des créations littéraires et ... iconographiques. Pareil constat, un peu en demi-teinte, ne va évidemment pas sans !. Qu'il s'agisse de rôtir ou de bouillir, c( cette> étudiée par J.-P. Vernant. 2. C( infra, p. 345-359. 3. C( supra, p. 9-20. On voudrait ici laisser un peu de côté l'histoire de la pensée mythique à l'époque classique où elle demeure vivante à travers de multiples métamorphoses. 4. Divers fragments et témoignages militent en faveur de l'existence d'autres théogonies (c( Orphée éclairé par le papyrus de Dervéni et les tablettes d'Olbia), mais ces œuvres - qui, fait notable, tiennent sur certains points des propos contradictoires - paraissent avoir été plus récentes. Quoi qu'il en soit, à partir de l'époque classique et surtout hellénistique, se développa une littérature d'essence érudite et spécialisée dans la mythologie. En fait, de larges pans de cette dernière se sont perdus ou ne subsistent que sous la forme abrégée de recueils sans attribution ni date toujours assurées (ainsi la Bib!Wthèque d'[Apollodore]); s'y ajoutent des informations aux origines guère mieux cernables, glanées le plus souvent dans les gloses lexicographiques ou dans les scholies.
Le matériel mythologique
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rejoindre celui relatif à la « religion » qui, sans constituer jamais en terre grecque un « monde à part » amené à jouer un rôle décisif dans la gestion des communautés (comme en Orient au travers de castes sacerdotales), n'en affectait pas moins tous les aspects de la vie sociale 1• Cependant, s'il continue à se nourrir des mêmes thèmes constitués de l'entremêlement des expériences humaines fondamentales et s'il cherche peut-être à répondre aux mêmes interrogations- ce qui est loin d'être toujours aussi certain, le «discours mythique» («récit traditionnel») a vécu, à la faveur de l'avènement de l'esprit historique (forgé dans la prose alphabétique), des mutations, des transpositions (ainsi dans la tragédie classique où le phénomène est patent), une nouvelle vie parfois, qui ne sont pas toujours aisées ni à détecter ni à mesurer (ainsi, entre de multiples exemples, les figures d'Antigone, d'Oreste ou de Philoctète, la question de l'apothéose d'Héraclès, etc.). En tout cas, en acquérant de plus en plus souvent, à partir du V' siècle, la valeur beaucoup plus restrictive, précise, de « discours démonstratif fondé sur le réel et adressé à l'intelligence rationnelle de l'homme», le vocable logos, au départ très général (tout« ce qui est dit»), confma en quelque sorte le terme muthos- désignant à l'origine sans plus de précision la« parole formulée»- à l'expression de cette ancienne façon, «archaïque», « irrationnelle», «traditionnelle», en tout cas« autre)), d'appréhender le monde, les êtres et les forces qui le peuplaient, ses origines, sa destinée, son fonctionnement, ses valeurs éthiques, son ressort religieux, bref sa Vérité 2• Et la plus claire illustration de ce phénomène décisif et de ce qu'il laisse prévoir - notamment en termes de « domestication )) d'une forme de pensée par l'autre- réside sans doute dans le nom même de «mythologie)), au sens savant donné à ce mot composé de «discours rationnel sur le muthos )). Cela dit, la Grèce préclassique a livré quelques discours plus spécifiquement « mythologiques )), trahissant ce qui s'impose comme un véritable « mode de pensée )) pré-scientifique bien plus que comme une simple « sensibilité )) archaïque. lls sont étroitement associés à la personnalité assurément «savante)) mais décidément trop mal connue d'Hésiode (Théogonie, «mythe des races)) dans Trav. 106-201), qui se présente comme une sorte de devin ou «prophète)> inspiré par les Muses 3, et que les Grecs cultivés considéraient, au même titre qu'Homère, comme la pensée organisatrice de leur monde (kosmos), sorti de la Béance originelle (chaos) au travers de divers moments critiques marqués par la violence et les enfantements de 1. Cf. in.fra, p. 503-524. 2. Cf. supra, p. 20-36. Pour Hésiode (Hés., Théog., 38), la est en quelque sorte >. 3. Se posent donc à propos de cette figure les mêmes questions que pour Homère, en particulier celles relatives à la part de envisageable ; cf. supra, p. 26-28.
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Les problèmes spécifiques
générations divines anthropomorphisées ~es mythes d'Ouranos, Kronos, Zeus et les Titans, Prométhée, Pandore étant les plus célèbres).
LE MYTHE HÉSIODIQUE DES RACES
On se limitera ici à une seule évocation rapide de la « pensée mythique>>, à travers ce mythe des races, dans la mesure où il a trait à des questions qui retiennent plus directement les historiens toujours en quête, naturellement, de cadres chronologiques. Hésiode 1, après avoir chanté le mythe de Pandore (Trav. 42-105, qui expose que cette femme fut une création de Zeus chargée de punir les hommes pour le vol du feu divin commis par Prométhée), en vient à un deuxième thème, celui des «races» (Trav. 106-201) : dans un premier temps, les dieux créèrent une génération« d'or» d'hommes mortels (méropôn anthrôpôn), qui vivaient, comme eux, sous l'autorité de Kronos, qui disparurent, recouverts par la terre, puis devinrent, par la volonté de Zeus, des daimones, esthloi epichthonioi («nobles divinités résidant sur la terre»). La génération suivante, «d'argent», aurait été, de loin, la plus mauvaise et aurait été étouffée par Zeus, courroucé de l'indifférence dont elle faisait preuve à l'égard des dieux. n n'empêche qu'ils devinrent aussi des phulalœs thnètôn anthrôpôn, hupochthonioi makares («gardiens des hommes mortels, dieux résidant sous la terre»), dignes, eux aussi, de timè («honneur»), mais venant en seconde position après ceux de la génération d'or. La troisième génération aurait été« de bronze», sombre et violente. Les hommes qui en firent partie seraient tombés, anonymes, dans l'Hadès, indignes de toute timè. On estime généralement que, s'ils sont connus par les mythes mais ignorés par l'épopée, c'est que, de leur vivant, ils échouèrent dans leur tentative de se couvrir de l'indispensable kléos («gloire»). La quatrième génération créée par Zeus 2 ne laisse pas d'intriguer dans la mesure où, à la différence des trois précédentes et de la suivante, cinquième et dernière- celle« de fer», elle ne se revendique d'aucune «attache métallique». C'est celle, divine (theion génos), «des héros» (hèmitheoi, «demi-dieux»), qui se distinguèrent à Troie et à Thèbes et qui sont chantés par l'épopée. La majorité d'entre eux tombèrent, les armes à la main, ici et là, mais quelques-uns auraient eu la 1. Cf. supra, p. 16-17 et itifra, p. 77-78 et 440-444. 2. Selon une séduisante lecture « structuraliste >> - qui ne contredit pas les analyses duméziliennes de tripartition fonctionnelle caractéristique de la constellation indo-européenne, elle aurait été insérée dans un mythe plus ancien des races métalliques par Hésiode lui-même, soucieux de mieux coller à l'esprit de son temps.
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chance d'accéder à une vie sans souci dans les« îles des bienheureux» (olbioi hèrôes «héros fortunés »). Ces vers - qui s'inscrivent, tout comme le reste du corpus hésiodique, dans la tradition épique tant par la forme que par la langue - constituent un témoignage sans pareil dès lors qu'on s'interroge sur la perception du «temps passé>> par les Grecs de l'époque «pré-historique». Différentes lectures et interprétations ont été proposées de ce curieux découpage chronologique du passé lointain en « Cinq Âges », sans que jamais jusqu'à ce jour une communauté de vue ne s'impose vraiment 1• Les débats les plus nombreux - qui ont des ramifications dans les controverses relatives au culte héroïque 2 - tournent, pour l'essentiel, autour de la quatrième génération, dont la spécificité paraît indéniable et qui est nommément qualifiée d'« héroïque » sans avoir au demeurant de métal attitré. Sur cette question s'affrontent les tenants de deux théories opposées quant à l'idée que les Grecs d'alors se faisaient de «l'histoire» - en fait, plutôt du «temps qui passe», les partisans d'une conception linéaire et les partisans d'une conception cyclique, et certains chercheurs ont parfois estimé que, pour les deux premières générations, l'accent était mis sur les dimensions cultuelles et rituelles tandis que les troisième et quatrième donneraient la priorité à la dimension proprement épique. La perplexité des commentateurs est grande surtout en raison du fait que la poésie homérique donne à voir des héros combattant le plus souvent avec des armes de fer mais évoluant par ailleurs dans un monde qui rappellerait davantage l'âge du bronze en général et l'époque mycénienne des archéologues en particulier. Des influences venues d'Orient ont souvent été envisagées et ne sont pas, en l'occurrence, totalement à exclure, mais elles ne sont pas attestées littérairement, et sans doute a-t-on, dans ce passage d'Hésiode maintes fois étudié, d'abord et avant tout une illustration du mélange des distorsions et des réajustements pour une part au moins inconscients, un mélange opéré au cours de la longue phase orale qu'a assurément connue la poésie épique, jusqu'à un moment peut-être aussi récent que les derniers temps de l'époque archaïque. Dans ces conditions, on peut mieux comprendre les difficultés insurmontables auxquelles se heurte l'archéologie, chaque fois qu'elle part à la quête d'horizons historiques précis qui correspondraient à ce discours mythique, même si, de fait, elle est en mesure de montrer que la possession/maîtrise des divers métaux (or, argent, cuivre/bronze, fer) paraît souvent s'inscrire dans une succession chronologique et correspondre à une évolution historique. !. En dernier lieu, cf. C. Antonaccio, [1054]. 2. Cf. infra, p. 345-359.
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n convient assurément de ne pas se laisser insidieusement enfermer dans la compartimentation du passé lointain évoquée dans ces vers par Hésiode, en cherchant une fois de plus à faire correspondre à tout prix ces « temps forts » successifs de l'humanité mythique à des phases archéologiques et historiques dont l'élaboration, récente, s'est fondée dans un état d'esprit, des perspectives et sur des critères radicalement autres que ceux qui purent présider à la construction chantée par le poète béotien : au-delà des hauts et des bas que connut assurément la civilisation matérielle dans le Sud de la péninsule balkanique avant l'époque classique, trop d'indices invitent à considérer un continuum culturel qui laisse en définitive peu de points d'insertion pour des ruptures brutales et profondes dans les modes de pensée. Le Grec d'alors se sentait fort probablement vivre, comme ses parents et ses grands-parents, à l'« âge du fer » - celui des contingences et des temps difficiles, avec en «mémoire», peut-être pas une sorte de paradis perdu, mais un « âge héroïque » perçu comme forcément antérieur et peuplé de multiples références comportementales. Pandore fait bien sûr songer à Ève. Sans doute le mythe hésiodique des races illustre-t-il une tentative grecque de l'époque orientalisante 1, cherchant à combiner au mieux cette «expérience» égéenne (c'est-à-dire non exclusivement grecque au vu de la contribution protohistorique crétoise) avec une autre qui ne paraissait pas moins attrayante, venue d'Orient et formulée là autour d'un mythe des races métalliques évoquant une chute progressive de l'humanité, du « paradis originel » vers un monde contraint à un labeur incessant et, plus grave sans doute encore, rempli d'injustices. Dans la résistance du noyau dur de la formulation grecque, un rôle spécifique décisif doit sans doute être reconnu à l'aspect plus monumental que revêtit la culture matérielle mycénienne dans l'élaboration d'un passé héroïque et « exemplaire » : ses ruines, parfois très imposantes, liées tant aux vivants qu'aux morts, ne tardèrent sans doute guère à servir, à divers titres 2, de points de fJXation à cet espace-temps de référence et, dépossédant les siècles suivants (mais aussi ceux qui avaient précédé cette période) de ce qu'ils avaient eu de plus «significatif», elles ont contribué à la formation d'un « blanc » qui, tout autant que le recul de la civilisation matérielle subséquent au monde palatial mycénien, a permis que se creuse un vide fait de siècles« obscurs». C'est ce vide que chercha par la suite à combler tant bien que mal l'érudition antique. La vigoureuse renaissance de la civilisation matérielle, qui s'amplifia dès la fin de l'époque géométrique, a pu permettre 1. Cf. infra, p. 431-454. ll en va de même pour la Théogonie qui rappelle, sur divers points essentiels, des poèmes épiques de la création découverts au Proche-Orient (Em2ma EliS, > ; Genèse). 2. Ainsi l'installation de nécropoles des « siècles obscurs » dans d'anciennes zones d'habitat du bronze récent, cf. C. Antonaccio, [1055].
Problèmes méthodologiques
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l'émergence d'un deuxième pôle d'attraction mythique, second temps fort concurrent du premier auquel il fit alors écho, entraînant sans doute aussi une série de conflits «idéologiques». C'est sans doute vers cette époque aussi qu'intervinrent les premières tentatives visant à jeter un pont entre ces deux temps forts du passé grec. Une des démarches suivies fut assurément, dans le chef d'individus cherchant à « sortir de leur lot » et en quête de légitimité pour asseoir leur pouvoir élargi, l'élaboration de généalogies ... amplement fictives en termes d'histoire 1•
4. PROBLÈMES MÉTHODOLOGIQUES
Comme généralement lorsqu'on est en présence d'une période historique caractérisée, l'étude des siècles considérés ici expose plus particulièrement à quelques dangers liés à certains traits qu'ils possèdent en commun. Dans le cas présent, le principal obstacle provient clairement des sources écrites qui les concernent : l'enquête oblige à recourir sur une grande échelle à une information très ultérieure et, qui plus est, issue d'un autre mode de réflexion que celui qui avait cours avant les guerres médiques, la « pensée mythique». Pour que la réalité d'un « fait » passé, quelle que soit sa nature exacte, puisse être établie, il est impératif, a-t-on vu 2 , de pouvoir fermement l'« accrocher >> au croisement de deux paramètres, celui qui mesure le défilement du temps et celui qui matérialise l'espace géographique. C'est seulement à cette condition expresse que peut être garantie sa singularité, son « historicité » donc, et que peut alors être envisagée son insertion dans un réseau de causes et d'effets, cette toile d'événements où les hommes furent impliqués et au sein de laquelle l'historien tente de comprendre la nature des liens qui pouvaient avoir uni chacun des composants à tous les autres, une lecture qu'il conduit à la lumière de son expérience personnelle et sociale, enrichie de façon décisive par l'outil de la critique. Pour l'ensemble de la période et des secteurs géographiques considérés dans le présent volume (la Grèce et la façade proche-orientale de la Méditerranée aux époques géométrique et archaïque du monde hellénique), une des premières opérations auxquelles il conviendrait de se livrer consisterait !. Cf. infra, p. 169-183 ainsi que 348-359 et supra, p. 11-12. 2. Cf. supra, p. 9-10.
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Us problèmes spécifiques
à évaluer dans quelle proportion se présentent ces« faits établis». Quel peut être leur nombre par rapport à l'ensemble de l'« information » d'origines diverses mise à la disposition de l'enquêteur d'aujourd'hui par une curiosité pluriséculaire, dont les premières étapes débutèrent précisément au moment où, avec le V' siècle et les premiers pas de l'érudition, se terminait la tranche chronologique en question ? La documentation offerte peut se répartir commodément en trois grandes catégories. n y a d'abord une information « archéologique )) aux multiples facettes, dont on a dit la richesse irremplaçable mais aussi les difficultés qu'elle suscite dès lors qu'il s'agit de l'insérer à sa juste place dans la reconstruction historique générale 1• Viennent ensuite les documents écrits de toute nature, composés, pour une part (on ne se préoccupera pas pour l'instant ici de la façon dont ils nous sont parvenus), avant la fin de l'époque archaïque et, pour l'autre part (de loin la plus grande et méritant qu'on aille jusqu'à les constituer en groupe particulier), les écrits rédigés après cette date mais qui, d'une manière ou d'une autre, tantôt éclairent indirectement, tantôt se veulent explicitement porteurs d'un savoir sur ces siècles antérieurs (travaux antiques à finalités érudites ou historiques). Sans vouloir minimiser en rien les difficultés qu'engendre l'utilisation des témoignages constituant les deux premières classes 2, ce sont assurément ceux réunis dans la troisième et leur combinaison avec les deux premières qui sont bien souvent à la source des problèmes les plus délicats. S'ils ne manquent pas d'interpeller l'historien d'aujourd'hui - qu'ils flattent par leur facilité d'intégration à son discours historique, ils n'éclairent en rien l'utilisateur sur la nature des sources consultées par leurs auteurs, ni sur les choix suivis, ni davantage sur les méthodes employées ou la part propre de déduction. Lorsqu'on sait combien les écrits dignes de ce nom demeurèrent, toute proportion gardée, rarissimes avant les guerres médiques, combien les motivations au départ de ces premiers «discours» confiés à l'alphabet se nourrirent d'un« tempérament à part>>, ce n'est pas céder à l'hypercritique que d'exprimer, jusqu'à plus ample informé, une profonde circonspection à l'égard de certaines affirmations des premiers historiens et « antiquaires » lorsqu'ils parlent des «temps plus anciens».
Or cette méfiance ne paraît pas avoir toujours été en éveil, surtout lorsque les enjeux concernaient cette épine dorsale essentielle pour l'Histoire qu'est la trame chronologique. Ainsi en particulier n'est-il pas rare que l'érudition moderne continue à postuler que, dès le VIII' siècle, des Grecs l. Cf. supra, p. 5-7. 2. Pour la documentation écrite antérieure au v· siècle, cf. supra, p. 2-4 et 15-17.
Problèmes métlwdologiques
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ressentirent- ce fut« par la force des choses», professe-t-on- le besoin d'entreprendre l'élaboration de listes-inventaires répertoriant, au fur et à mesure de leur passage sur la scène publique, ici des magistrats bientôt décrétés époTI)l'TlZCs, là des vainqueurs dans ces multiples compétitions sportives ou artistiques à dimension religieuse dont la Grèce se dotait, ailleurs encore des prêtresses ou des prêtres attachés au service de quelque sanctuaire réputé. Bien mieux, certains chercheurs - sans doute malencontreusement inspirés par une construction d'époque hellénistique telle que le «Marbre de Paros» - vont jusqu'à estimer que ces listes (dont vraiment rien de concret ne signale l'existence avant une date avancée du V' siècle!) auraient même poussé la prévenance jusqu'à enregistrer aussi, en plus, certains « événements remarquables », en les associant au nom approprié figurant dans lesdites listes (telle fondation notable, telle bataille mémorable, tel événement monstrueux ou spectaculaire, etc.) 1• Pareille prise de position, qu'on prendra bien sûr garde de ne pas désavouer radicalement pour l'un ou l'autre cas lié à des circonstances plus exceptionnelles qui viendrait à être documenté, dénote une attitude plutôt «optimiste»- constructive diront certains- à l'égard d'une documentation «primaire» dont on n'a aucun motif sérieux de présumer l'existence sinon en faisant appel au fameux «bon sens», devant les innombrables « bribes érudites » aux origines insondables et dont il conviendrait de conforter la qualité (ce que ne permettent pas de faire, il faut bien l'avouer, les enquêtes circonstancielles de la« Quellenforschung »). Sans doute est-on bien plutôt en présence de comptes rendus de spéculations érudites dont n'ont subsisté que de maigres lambeaux, des «conclusions» à jamais arrachées à leur contexte. Ces dernières s'appuyaient, avec un soin fort variable (somme toute comme aujourd'hui !), sur les rares informations disponibles, qui avaient été examinées à travers des méthodes d'investigation très différentes, illustrant la riche palette des sensibilités que ces anciens savants pouvaient nourrir à l'égard de leur passé non immédiat. Les uns, les plus attachés aux sources, avaient ainsi été amenés à reconstruire, avec plus ou moins de réussite, des écheveaux d'événements et d'abord surtout des successions de personnages« publics», en moissonnant avec zèle en particulier dans les grands sanctuaires, ces lieux de « publicité » sans pareil, où s'entassaient depuis des siècles de véritables bric-à-brac constitués de vieilles offrandes et multiples trophées pris à l'ennemi. Là, prêtres (dont on ignore tout de la« formation») et autres gardiens des lieux répétaient, à qui voulait les entendre, des légendes et récits d'origine variée,
!. Pour l'absence de toute démarche annalistique en Grèce, c( aussi supra, p. 4, 10-15 et infra, p. 537-544.
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Les problèmes spécifiques
liés à tel édifice, tel objet consacré, telle pratique, tel rite religieux encore observable. En d'autres termes, sans doute conviendrait-il de ne jamais oublier que, si l'usage de nommer les années 1 dans les Cités d'après un officiel épol!JmC (magistrat ou prêtre «qui donne son nom à») est très bien attesté à partir de l'époque hellénistique 2, voire dès les V'-IV' siècles en quelques rares endroits, rien de concret ne permet de projeter cette démarche dans les temps plus anciens, auxquels, bien au contraire, elle semble encore proprement étrangère. Dès lors, si, par exemple, l'érudition antique en est venue à dresser pour Sparte (dans des conditions et sur des bases inconnues) une liste d'éphores épol!JmCS remontant à 754 (cf. Paus. III 11,2), rien ne permet d'affirmer que, dès cette époque (ni même au Vll' siècle), ces personnalités étaient pleinement perçues et enregistrées comme épol!JmCs par des contemporains déjà en quête de repères chronologiques. Ce statut a très bien pu ne s'imposer qu'au cours du V' siècle, avec l'émergence de pratiques juridiques et politiques plus élaborées, et alors seulement être projeté par commodité dans le passé, d'autant plus aisément peut-être si certains faits étaient déjà associés par la tradition au nom de quelques-uns de ces magistrats 3 • On est, semble-t-il, en droit d'envisager pareille évolution notamment au vu de ce que dit - mais aussi de ce que ne dit pas - de l'archonte la Constitution d'Athènes (cf. Arist., AP LVI). On ne peut aussi que marquer un certain étonnement en constatant que, dans le cas d'Athènes toujours, si le législateur Solon fut bien enregistré une année comme archonte épol!JmC (c.594/3), il n'en alla pas de même pour son prédécesseur de quelques années\ Dracon, dont l'action est simplement caractérisée (cf. Arist., AP IV 1) comme celle d'un «législateur>>, sous l'archontat d'Aristaichmos (c.62110). Quoi qu'il en soit, reste à décider s'il convient ou non de tenir ces listes pour des «créations érudites» fondées sur l'historiè («enquête»), cette démarche savante à la mode seulement à partir du V' siècle 5• En bonne 1. De durée variable d'une communauté à l'autre, débutant aussi à des moments divers de l'année solaire, et s'égrenant au ft! de mois comptant des nombres de jours tout aussi variables. A ces mois venaient s'ajouter, tant bien que mal, lorsque le besoin s'en faisait sentir, sans périodicité précise, des mois intercalaires de longueurs circonstancielles. 2. Cf. Cl. Préaux, 1, p. 92-95. 3. n parait gratuit d'imaginer que les éphores acquirent quelque poids lorsque le plus âgé devint l'officiel ép01!J!me en 754. 4. C'est ici l'option retenue, mais l'inversion dans le temps de ces deux figures n'enlèverait rien de fondamental à la remarque : il reste surprenant qu'à peu d'années de distance, ces deux hommes n'aient pas eu le même statut pour accomplir la même tâche (cf. Arist., APVIT 1), comme si la prise en compte de Dracon était intervenue après une mise en ordre des archontes, visant notamment sans doute à situer chronologiquement Solon. 5. Cf. Polybe Xll 11,1, pour la pratique de Timée (c.350-250) qui compare . l. Cf. Briant et aL, p. 105-107. 2. Trad. J. de Romilly (CUF). Sans doute s'agit-il d'une nouvelle attaque - ici indirecte (au contraire de Thuc. 1 97 ,2) - contre Hellanicos de Lesbos, érudit prolixe et pionnier de l'korographie (calcul du temps historique).
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Lesbos, et donc récentes 1• On n'a cependant pas manqué d'être intrigué par son absence de référence à ce qui devint, à partir d'Ératosthène, un des paramètres ordinaires de la chronologie antique : l'année d'une olympiade, cette dernière étant globalement désignée par le nom du vainqueur à la course du stade (qui passait souvent pour la plus ancienne et la plus notable des épreuves olympiques). La meilleure explication de cette «omission», chez Thucydide, des festivités pourtant panhelléniques semble bien à la fois simple et révélatrice: en ce domaine, le sophiste érudit Hippias d'Élis n'avait pas encore compilé sa liste des « Olympioniques », en choisissant de s'appuyer sur les vainqueurs successifs de cette «épreuve reine». Et qu'il s'agisse d'une option d'Hippias non encore offerte à Thucydide devient une lecture plus probable encore au vu de deux autres passages du même Thucydide, où l'historien a bien songé à dater un événement d'après un vainqueur couronné aux concours olympiques de la période. . . mais, dans les deux cas, son choix s'est porté sur un vainqueur au pancrace (Thuc. ill 8 et V 49,1) 2, ce qui ne milite guère en faveur de l'existence de listes dignes de ce nom (même encore embryonnaires) avant que soit disponible la synthèse d'Hippias, sans doute dans les premières années du IV' siècle 3• On a évidemment objecté qu'en fait on dressait (depuis fort longtemps sinon même depuis le début) des listes de vainqueurs pour toutes les épreuves au fur et à mesure de leur instauration, et que le rôle d'Hippias fut de se« focaliser» sur les seuls coureurs du stadion. Mais pareille option - qui entraîne dans son sillage les listes d'archontes athéniens, d'éphores spartiates, etc. -----:n'est guère défendable dans la mesure déjà où elle réduirait à néant l'apport personnel pourtant incontestable d'Hippias avec son Anagraphè Olympiônikôn 4 • En fait, il est des éléments plus éloquents encore qui militent en faveur de listes reconstruites a posteriori par voie d'enquête et non tenues à jour dès 1. La tradition lui attribuait aussi la confection d'une liste des vainqueurs aux concours organisés chaque année en Laconie en l'honneur d'Apollon KameWs. 2. En Thuc. ill 8, il s'agit du Rhodien Doriens, His de Diagoras, vainqueur pour la 2' fois (1 ~vic toire en 432, l'année de l'> de Potidée); suivra pour lui une 3' victoire, en 424, l'année de Délion. 3. Hippias pourrait avoir été encouragé à procéder à cette enquête par ses compatriotes Éléens soucieux de s'affirmer face aux vieilles prétentions des Spartiates (avec qui ils sont d'ailleurs en guerre entre c.402 et 398), qui contestaient leurs prérogatives sur le sanctuaire d'Olympie (cf. déjà irifra, p. 237-238). Inutile de dire qu'Hippias et, à sa suite, d'autres sans doute ne manquèrent pas de dresser des listes réunissant les vainqueurs dans les différentes épreuves (et plus seulement dans la course du stade ; cf. d'ailleurs la n. 4). 4. Cf. irifra, p. 363-364. Pausanias livre aussi les noms de deux autres auteurs de listes d'olympioniques : un certain Paraballon, lui-même vainqueur au double stade et His de Lastratidas, aurait fait graver un tel document sur le terrain d'exercice dans le sanctuaire (cf. Paus. VI 6,3) et Euanoridas d'Élis, vainqueur à la lutte, aurait fait de même (cf. Paus. VI 8,1). On ne sait rien par ailleurs de ces individus mais sans doute dressèrent-ils, chacun pour la discipline où il s'était distingué, une liste du type de celle établie plus tôt par Hippias. Toutes ces entreprises n'avaient évidemment pas au départ le souci de servir la chronologie et les historiens.
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les premiers temps 1• Lorsque Thucydide s'attela à ce qu'il considérait pourtant comme davantage qu'un excursus, le récit de la Pentécontaétie (480-430), cette période clef, pour lui toute récente encore, qu'il associe à l'irrésistible montée en puissance d'Athènes, une croissance consécutive à la chute de la tyrannie et à la victoire de Salamine et dans laquelle il croit trouver la cause profonde de la «Guerre du Péloponnèse>>, ce conflit (incomparable aux précédents) qu'il entend exposer (Thuc. 1 88-118), le grand historien athénien se trouva en pratique dans l'incapacité de reconstituer ce demi-siècle avec une exactitude chronologique satisfaisante (minimale). li s'agissait ceJ>endant de moments forts, qui venaient de marquer Athènes et toute l'Egée au cours de ces années consécutives aux grandes victoires sur les Perses. Mis en difficulté, il ne lui reste guère d'autre issue que d'écorner - nommément cette fois (Thuc. 1 97 ,2) - le même Hellanicos, qui venait juste de livrer les résultats de son étude sur le passé d'Athènes et de l'Attique, son Atthis, la première œuvre du genre. On a peine à croire que Thucydide se serait refusé à utiliser ne fùt-ce qu'une liste des archontes pour organiser un exposé même réduit à l'essentiel des «Cinquante Ans», si un tel document- quelles qu'aient pu être les circonstances ayant présidé à son élaboration - avait déjà été disponible. Et plus d'un siècle de recherche moderne (qui a pu s'aider d'une documentation épigraphique plus riche déjà qu'aux siècles précédents) n'a guère fait progresser la connaissance de cette période 2 • Si certains érudits anciens- à commencer par l'école aristotélicienne, en quête d'armature chronologique pour combler l'anémie documentaire entre leur époque et une « guerre de Troie » désormais rattrapée par l'Histoire, n'ont pas eu peur de se lancer dans la collecte et l'organisation de données éparses, d'autres ont pu adopter des démarches plus« théoriques», en cherchant notimment secours dans des graduations par générations (de durée variable), que des érudits ultérieurs tentèrent ensuite de convertir, les exigences se précisant, avec plus ou moins de bonheur et souvent beaucoup d'acrobaties, en nombre d'années. D'autres enfin ont tenté de jeter des ponts entre ces deux types de démarches, n'hésitant parfois pas, pour conforter leurs constructions «mixtes», à compléter certaines séries généalogiques par des personnages fictifs ou encore par la duplication de l'un ou l'autre de ceux qu'il leur était donné de connaître en jouant sur certaines traditions onomastiques grecques. De l'ensemble de ces efforts méritoires des Anciens (qui, en tant que tels, ont sombré pour l'essentiel, comme les travaux des Atthidographes et autres !. Cf. supra, n. 1, p. 45. 2. Cf. Briant et aL, p. 37-40. Ce n'est qu'à partir de c.431 que certaines inscriptions athéniennes commencèrent, titnidement au départ, à être datées d'après un archonte éponyme.
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Les problèmes spécifiques
historiens locaux), subsistent des poignées de miettes offrant un concert d'opinions et affirmations, le plus souvent cacophonique, dont l'historien d'aujourd'hui se doit de tirer le meilleur parti mais devant lequel il se trouve des plus démunis. De ce point de vue, les exemples abondent, et, à côté de la chute de Sardes si communément présentée pourtant comme l'un des précieux points de repère chronologique de l'époque archaïque (c.546/5), la phase tyrannique à Athènes en offre une série plus frappante encore 1• C'est la raison pour laquelle, encore une fois, toutes les dates données dans ce volume seront précédées de la mention c(irca), afin de rappeler le caractère hypothétique («déductif») qu'il convient de presque toujours leur conserver. D'autre part, l'archéologie et l'histoire de l'art ne trouvent pas aussi aisément qu'on pourrait le penser de prime abord leur place dans un ouvrage de synthèse comme celui-ci. On peut s'en étonner, le regretter assurément lorsque sont abordés certains points, mais les explications de ce « déficit » relatif sont simples à dégager. La démarche archéologique, dont l'historien est en droit d'attendre qu'elle lui livre des éléments« complémentaires» à l'information textuelle 2, afm d'enrichir le discours historique par la diversité des témoignages, des déductions et la confrontation d'eux tous, n'est pas assez souvent au rendez-vous. Au cours des dernières décennies et de façon plus flagrante dans les années récentes, l'archéologie a souvent développé, très légitimement sans doute, ses problématiques particulières, nées de ses propres enquêtes et interrogations épistémologiques, mais ces questionnements pleins d'intérêt, à l'occasion même fondamentaux, se révèlent parfois très éloignés de l'objectif de « reconstruction hypothétique du passé », au sens donné ici à une entreprise de ce type par la discipline Histoire. Pour tout dire, à quelques très belles exceptions près, dans ces dernières années, l'archéologie a tantôt trahi une prédilection marquée pour les réflexions théoriques, un domaine à ne pas négliger mais où elle oublie parfois trop volontiers la spécificité que recèle forcément tout champ d'étude relatif à une civilisation- y compris le monde grec, tantôt, souhaitant se « moderniser », elle erre en quête d'applications informatiques «miracles» ou se laisse piéger par les propos abscons générés par les multiples technologies nouvelles, nées souvent dans la sphère anglo-saxonne, dans des laboratoires de chimie ou de physique. Tous ces discours répondent fort probablement aux attentes de certains 1. C( irifra, p. 232-234, 342-343 et 487-497. 2. On laisse ici de côté l'apport primordial de cette discipline pour doter les siècles sans textes d'une première périodisation, c( déjà supra, p. 5-7.
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milieux de la recherche, organisés souvent autour d'équipes en quête perpétuelle de crédit(s), mais ils ne rencontrent que rarement les préoccupations communes à tous ceux qui pratiquent la« synthèse historique)), telle qu'elle se laisse concevoir en cette fm de xx· siècle, affranchie de l'érudition d'un XIX' siècle méthodique, scientifique, mais trop clairement habité par le « bon sens )) en matière culturelle et peu ouvert encore à l'« Histoire des mentalités)). Peut-être de telles entreprises permettront-elles, à la longue, à ces archéologies «nouvelles)) d'affirmer leur autonomie, leur caractère adulte, voire d'afficher une certaine supériorité scientifique face à cette démarche toujours voisine de la leur que constitue l'« Histoire))' une discipline que, dans les faits, elles réduisent trop souvent à une simple étude critique de textes inobjectifs et à l'établissement de dates, des tâches qu'un peu vite, en l'absence de textes nouveaux 1, elles estiment pour l'essentiel désormais accomplies une fois pour toutes 2 • Quoi qu'il en soit des objectifs poursuivis, en dehors de cette littérature scientifique abondante, ardue, mais dont il se révèle difficile de faire profiter directement une synthèse historique du format de celle-ci, de quoi disposet-on, en quantités croissantes, qui puisse renouveler, réorienter, reformuler le discours historique consacré aux Grecs entre les « âges obscurs )) et les guerres médiques ? A vrai dire assez peu d'informations dotées d'un coefficient suffisant de certitude atteignent à un niveau de synthèse adéquat pour être considérées comme des données vraiment intégrables à un discours historique général. La raison de cette seconde déconvenue est alors à rechercher dans la course à l'« inédit )) et au « spectaculaire )) qui de plus en plus domine, pour divers motifs, ce secteur d'activités. Cette quête généralisée débouche, dans bien des cas, tantôt sur des rapports de fouilles provisoires (et souvent promis à le rester longtemps), qui sont à leur tour exploités dans diverses chroniques spécialisées 3, tantôt, au mieux, sur des« catalogues)) qui demeurent d'ordinaire peu prolixes dès lors qu'il s'agit d'intégrer à un horizon culturel plus large les pièces ainsi arrachées non sans peine à quelque réserve de musée, tantôt enfin sur des publications d'objets isolés car perçus d'une façon ou d'une autre comme« exceptionnels)). Trop rares par contre se font les tentatives de synthèse partielle, sur une classe de documents ou un quartier d'habitat par exemple. Et il est très peu probable que ce soit l'évolution générale que connaît depuis tout un temps déjà la collation des titres universitaires qui soit susceptible d'entraîner un retournement dans ces 1. A l'exception notable, bien sûr, de la moisson épigraphique annuelle. 2. L'Histoire n'est pas la seule discipline maltraitée. Dans certains cas, on perçoit ce qu'il faut bien se résoudre à nommer une un peu similaire à l'égard d'autres démarches intellectuelles également sollicitées par ce type de travaux, telles que la sociologie ou l'ethnologie. 3. Cf. aussi infra, p. 183-184.
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pratiques conduisant tout droit à l'éclatement de l'enquête sur le passé en un faisceau de spécialités frileuses. Sans doute l'Histoire se fait-elle « totale » dans son atomisation, mais qui donc pourra jamais l'écrire? A côté des témoignages textuels que depuis quelques décennies les historiens ont décidé de soumettre à une critique interne et externe sinon plus vigoureuse, en tout cas renouvelée, qui se veut plus respectueuse surtout des mentalités en vogue au temps de leur élaboration, dépassant ainsi la simple paraphrase autrefois de mise dès lors qu'était accomplie la Q_uellenforschuni, à côté des textes donc, il y a la multitude des « images » que donnent à voir les œuvres figurées. En ce domaine, si l'on est encore parfois loin, semble-t-il, des travaux espérés qui s'interrogeraient de façon pertinente sur le sens à découvrir derrière les« œuvres d'art figurées» qu'offre pourtant si généreusement tout ce que l'on regroupe sous le terme d'« art grec» préclassique, les choses se sont mises, là aussi, en mouvement au cours des dernières décennies. C'est ainsi qu'au sein d'une recherche« iconographique>> de facture« classique», mettant l'accent sur l'indispensable description «positive» des images et sur les différents classements auxquels on peut les soumettre ainsi que leurs traits constitutifs (descriptions et classements dont les finalités sont documentaires), commencent à se distinguer des travaux plus spécifiques(« iconologiques »), ayant pour ambition déclarée de décrypter tant le mode d'expression (formulaire) que la nature (traditionnelle) du message de l'image- et donc la personnalité de son concepteur. Là, on considère cette production un peu comme l'expression d'un véritable langage, qu'il convient de déchiffrer rigoureusement en fonction d'une grille de lecture à construire au départ de clefs livrées par les textes, les divers aspects de la civilisation matérielle du moment, voire avec le secours d'autres sciences humaines encore (sociologie, ethnologie, anthropologie culturelle, etc.). En ce vaste domaine à peine exploré encore mais assurément parmi les plus prometteurs, le travail de décodage à conduire reste immense et le parcours est semé d'embûches. Audelà des risques de dérapage, toutes ces enquêtes devraient permettre d'obtenir avec cette classe de documents si abondante- en particulier pour l'époque archaïque- des retombées aussi bénéfiques pour la compréhension en profondeur de la société grecque de ces siècles préclassiques que celles obtenues au cours des trente dernières années dans le domaine des textes par d'autres voies 2• Bien plus, mettant beaucoup mieux en lumière à
1. Cf. 2. Cf.
supra, p. 2, 18 et 20-22. supra, p. 7-9 et irifra, p. 524-544.
Problèmes métlwdologiques
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la fois la grande originalité et la cohérence fondamentales dont fait montre la pensée humaine aux époques préclassiques, les premiers résultats engrangés dans le volet textuel trouvent de larges échos dans ceux apportés par certaines études consacrées au langage figuré, et réciproquement, offrant aux tenants de l'une et l'autre disciplines des opportunités de collaborations fécondes.
CHAPITRE II
La « longue durée »
1. LE PAYSAGE, LES HOMMES ET LEURS ACTIVITÉS
DE SUBSISTANCE
Avec la publication, en 1949, d'une prenùère version de sa thèse magistrale sur La Méditerranée à l'époque de Philippe II, en même temps qu'il tournait le dos à l'« Histoire historisante » de longue tradition, le grand historien Fernand Braudel innovait sans nul doute à plus d'un titre. Et ce ne fut pas le moindre que de mettre l'accent sur les différents rythmes que connaissait l'Histoire, en particulier sur la « longue durée », cette fameuse « Histoire immobile» ou «Histoire géographique». On a voulu témoigner ici d'une sensibilité un peu sinùlaire à l'égard de cette dimension qui mériterait d'être nùeux intégrée qu'elle ne l'est encore souvent à la démarche historique, en adaptant ce type de questionnement à la période et au sujet d'étude considérés d'abord, aux indispensables mais encore trop rares informations disponibles ensuite 1• On a donc renoncé à un discours géographique distinct du reste et c'est une des raisons qui expliquent la présence en particulier de deux longues sections en forme de Périégèse cherchant à accorder plus étroitement géographie et histoire 2• C'est aussi pourquoi on a souhaité rappeler, même brièvement, le cadre chronologique plus large au sein duquel ces quelque cinq siècles s'inscrivent. Une prenùère observation d'ensemble se révèle en effet d'autant plus indispensable que, dans la pratique, pour plus de la moitié (et même les 1. Ce besoin a aussi été souligné en 1977 parJ.N. Coldstream dans sa remarquable synthèse Geo-
metrie Greece [48] :
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deux bons tiers) de l'époque étudiée, les principales sinon les uniques sources d'informations assurées sont à la fois rares et atomisées sur une très vaste aire géographique par ailleurs morcelée et polymorphe. De plus, elles sont très sectorielles - et là, répétitives - dans la mesure où elles se résument aux tombes retrouvées souvent au gré de terrassements d'intérêt public ou privé, et au modeste matériel d'accompagnement qu'elles livrent. Et encore n'est-ce guère avant le cours du VIII' siècle que ce dernier devient, en certaines régions, plus abondant et plus varié, acceptant même ici et là des objets et produits fabriqués parfois loin de leur lieu d'ensevelissement. A défaut d'informations abondantes en provenance de rares habitats et de quelques lieux plus singuliers 1, les sépultures, généralement groupées en nécropoles qui connurent un usage plus ou moins prolongé et qui offrent des tailles variables, ont fait l'objet, dans les dernières années, de plusieurs lectures anthropologiques, partant de multiples a priori sur la structure sociale des communautés grecques préclassiques 2• Un certain nombre de thèses ont ainsi été soutenues, n'hésitant pas, à l'occasion, à porter la contradiction même dans des secteurs traditionnellement étudiés au travers de dossiers textuels. Les conclusions de ces travaux, mettant parfois en œuvre à la fois une documentation globalement inadéquate et des concepts et présupposés idéologiques bien marqués, ont été accueillis avec des sentiments divers, souvent mitigés, mais il n'empêche qu'à force d'être reproduites certaines démarches ont déjà fini par recevoir droit de cité 3 • Quoi qu'il en soit de leurs conclusions plus lointaines sur le mode de fonctionnement du monde des vivants, quelques premiers traits généraux ont reçu un meilleur accueil, déduits du monde des morts et passant outre des particularismes régionaux à ce niveau plutôt secondaires. Ainsi, si l'on regarde l'Attique, la région à ce jour la moins mal connue tant archéologiquement que textuellement, on s'accorde le plus souvent sur l'impression que la population dut connaître, dans le second temps de l'ère géométrique, pour l'essentiel en l'espace de quelques décennies aux yeux de certains, un accroissement sensible, assez également intervenu dans ses diverses ~ous-régions, un phénomène qui a pu conduire le pays au niveau démographique- en fait, tout aussi inconnu- qui fut celui de l'époque classique 4• De même, on ne discerne guère de déséquilibres fondamentaux entre les tombes trouvées à la campagne et celles d'Athènes, même quand sont considérées les offrandes d'accompagnement qu'elles contenaient. En fait, après l'effondrement lié d'une façon ou d'une autre à l'effacement de !. Cf. 2. Cf. 3. Cf. 4. Cf.
in.fra, p. 183-188. aussi in.fra, p. 166-183. in.fra, p. 185-188. in.fra, p. 279-286.
Le paysage, les hommes
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la civilisation mycénienne, le même rebond démographique paraît devoir se retrouver vers la même époque en d'autres secteurs de Grèce (Mégaride, Béotie, etc.). A vrai dire, seules des publications plus systématiques des innombrables nécropoles déjà fouillées en tout ou en partie devraient permettre de confirmer et d'affiner ces premières impressions générales. Un certain nombre d'indications sont également disponibles grâce à des analyses palynologiques qui, conduites ponctuellement, mettent en avant les cultures de l'olivier, des céréales et de la vigne. Même si elles sont susceptibles d'éclairer de façon décisive plusieurs questions essentielles posées par les siècles concernés et même si elles ont pour elles le recours à des méthodes de laboratoire parfois très pointues, les conclusions restent actuellement plus que partielles et même parfois, là encore, quelque peu sujettes à caution dès lors qu'interviennent les premières généralisations. En ce sens, le problème de la « généralisation » en histoire ancienne, auquel était justement sensible M.I. Finley, n'est pas circonscrit aux conclusions issues des enquêtes fondées sur les données strictement littéraires et archéologiques. Parmi les tendances qui peuvent se prévaloir d'être un peu mieux documentées, il semblerait que le recul communément admis de l'agriculture à la fin de l'époque mycénienne se soit fait en Macédoine plus tard qu'ailleurs, encore que ce pays autrefois riche en forêts soit resté longtemps tourné pour l'essentiel vers l'élevage, la chasse et la pêche (lacs). Reste donc un discours assurément trop général, énumérant les diverses causes susceptibles de rendre compte à la fois (et dans des relations de cause à effet dont la pertinence reste discutable) d'une chute de la population et des productions agricoles au cours des « siècles obscurs » : guerres ou rapines, troubles « socio-politiques », maladies épidémiques, changements climatiques, migrations/ colonisations pour motifs divers. Cette idée d'un creux démographique une fois posée, on convient alors que le redressement ne put donc s'opérer que très lentement, surtout à ses débuts. L'hypothèse, qui a certes pour elle la« vraisemblance», masque fort malle déficit documentaire prononcé auquel la recherche se trouve encore confrontée, quand il s'agit de cerner ces problèmes pourtant fondamentaux auxquels durent faire face toutes les communautés grecques antiques. Sauf instabilité généralisée et prolongée - ce que l'information objective disponible ne permet pas d'établir pour la majeure partie de l'aire envisagée, là où les conditions géographiques essentielles étaient réunies (sol, climat, pluviosité/irrigation, etc.), la culture des céréales (blé, orge) en particulier ne devait pas rencontrer davantage d'obstacles à l'époque géométrique qu'à l'époque protohistorique, où elle peut être en partie abordée par le biais des archives en linéaire B 1• Dans le cadre de ces communautés 1. Cf. notamment Treuil et al., p. 498-502.
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La « longue durée»
antiques restreintes et disposant de très modestes connaissances technologiques, le poids des céréales dans l'alimentation devait d'abord être fonction du nombre de bras que chacune d'elles pouvait allouer à leur culture. La viticulture pour sa part demande assurément plus de temps et de soins pour déboucher sur une production d'abord et assurer sa conservation ensuite, mais, sans lui refuser toute valeur (sociale/festive, d'échange, etc.),· ce produit ne devait pas présenter un caractère aussi indispensable à la survie biologique d'une collectivité. ll en va tout autrement pour la culture - communément menée de pair avec celle de céréales - de l'olivier dont l'huile constituait, d'une manière ou d'une autre, avec les laitages, la viande, les fruits et les légumineuses, un apport alimentaire des plus précieux (vitamines, calories, etc.) 1• Mais, là encore, si certaines régions ont pu connaître des pertes agricoles par destruction (incendie, maladie, etc.) ou simple manque d'entretien d'un système d'irrigation artificiel (cf. le Copaïs), l'idée d'une catastrophe généralisée - dans un pays caractérisé d'abord par une si grande compartimentation en terroirs plutôt isolés- ne s'avère guère crédible. Quant au bétail (ovins surtout mais aussi caprins, porcins et bovins), il n'y a pas plus d'indices qui militeraient en faveur de sa disparition que raisons pour croire en des forêts moins giboyeuses ou en de moins bonnes pêches au cours des premiers siècles qui suivirent l'évanouissement de la civilisation mycénienne. Par contre, quelles qu'en aient été les causes profondes, l'idée d'une réduction drastique de la population paraît difficile à repousser et cette diminution a dû conduire dans un premier temps, par manque de bras et de moyens techniques, à une sorte de mise en jachère de certaines terres, au retour d'oliveraies à l'état sauvage et à un recul de l'élevage, sans que cela laisse à proprement parler de traces archéologiques. D'autre part, lorsqu'il est question des moyens de communication en pays grec, on songe à nouveau sans tarder aux obstacles naturels qui cloisonnent le pays et à la mer qui permet, dans une certaine mesure, de les contourner. ll est cependant d'autres limites encore qui n'étaient pas moins contraignantes. A l'époque géométrique, même lorsque se pratiquèrent (de nouveau) sur une certaine échelle des « échanges de biens » autorisant l'émergence ponctuelle de déséquilibres démographiques régionaux, la survie des communautés continua à reposer, dans une très large mesure, sur la seule exploitation du sol (culture et élevage pour l'essentiel). De ce point de vue, dans la pratique et sur le terrain, chaque groupe humain devait voir le nombre de bouches à nourrir strictement conditionné par le terroir agricole qu'il parvenait à contrôler et exploiter de façon permanente. Au-delà de ces limites- vite atteintes avec les moyens disponibles dans un tel décor, il ne 1. L'huile d'olive devait figurer de loin au premier rang des oléagineux. Parmi les fruits il faut sans doute nommer d'abord les figues.
Le PO!Jisage, les lwmmes
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lui restait guère d'autre solution que celle de tenter d'installer la « surcharge » de population « plus loin », dans des « hameaux nouveaux » disposant à proximité de leur propre espace à cultiver, en une sorte de processus colonial s'opérant à l'intérieur même d'un terroir donné. On notera que, si un tel processus s'accommode plutôt mal des récits de synœcismes, il n'est pas incompatible avec ces phénomènes, qui ont pu affecter, pour leur part, des agglomérations préexistantes, rencontrées au cours de l'accaparement du terroir et elles aussi le plus souvent confrontées au même dilemme. On notera d'ailleurs au passage que, dans certains cas, les érudits antiques on pu être quelque peu abusés par ce qu'impliquait une telle opération politique. Ainsi, pour Athènes, le synœcisme qui sera attribué à la figure héroïque de Thésée 1 ne renvoie sans doute pas à la création de la communauté des Athéniens, à la fondation de l'État athénien en tant que tel, mais à sa redéfinition territoriale, une redéfinition rendue nécessaire, à un moment ou à un autre par la «colonisation» de l'Attique à laquelle se livraient les Athéniens. Pour le Grec de ces époques, être citoyen (c'est-à-dire pleinement membre d'une communauté) imposait d'être à la fois un paysan et un citadin, sans guère disposer par ailleurs de moyens de déplacement permettant de laisser s'installer une grande distance entre la ville et les champs. Or la création de bourgs neufs, alimentairement autosuffisants, conduisait de facto à l'affaiblissement chez leurs nouveaux habitants de leur qualités civiques initiales (ce que montre sans ambiguïté le processus colonial« classique ») 2, des qualités indispensables qu'il fallut réaffirmer localement sous peine de voir la « métropole » réduite à un rôle secondaire, un risque que visaient sans doute à conjurer des synœcismes du type théséen. Pour l'Attique, la région encore une fois la mieùx explorée (même si on le regrette souvent), à partir du « boom démographique » du VIII' siècle, on suppute que devaient exister bien plus que les « fermes » isolées, déjà connues pour les époques ultérieures : des bourgs bien peuplés devaient se partager les divers terroirs de l'Attique non accessibles en moins de quelques heures à pied ou à dos d'âne à partir d'Athènes. Et, sans surprise, certaines observations paraissent indiquer un processus similaire en Corinthie et en Argolide. Fonctionnant en bonne entente, ces installations interdépendantes ont pu, en utilisant au mieux la main-d'œuvre disponible, dégager plus aisément des surplus agricoles autorisant une renaissance des échanges, avec des voisins immédiats mais aussi plus lointains.
1. Cf. in.fra, p. 80-87 et 226-234. 2. Cf. in.fra, p. 269-286.
lLt « longue durée n
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2. TABLES CHRONOLOGIQUES 1
N'ont été reprises ici que des dates formulées à partir de l'étude moderne des restes matériels et non celles livrées par la tradition érudite antique dont on a souligné le caractère souvent invérifiable ou fondé sur une documentation en général suspecte 2 •
Paléolithique supérieur : c.35000-8000 Mésolithique : c.B000-6500 Néolithique : c.6500-3500 Bronze ancien : c.3500-2000 Bronze moyen : c.2000-1600 Bronze récent 1 : c.l600-1500 Bronze récent ll : c.l500-1400 Bronze récent IDA : c.I400-1300 Bronze récent lliB : c.l300-1200 Bronze récent mc : c.l200-1125 Helladique récent III C - style céramique dite «du Grenier>> (de Mycènes) - style céramique dite du style « final >> (Close Sf:Yle) Époque submycénienne : c.ll25- 1050 - céramique à décor abstrait, constitué de formes géométriques simples - nombre de formes de vases très restreint
=
Époque protogéométrique (PG) : c.l050-900 Les « siècles obscurs >> ou (plus rare et plus malheureux) le « moyen-âge grec >> ou l'« époque homérique >> : entre la « chute de Mycènes>> et pratiquement le démarrage de l'époque archaïque 3 « reprise en main >> rapide et énergique à Athènes de la 1. Toutes ces dates s'entendent , elles se fondent sur une classification de la culture matérielle (céramique pour l'essentiel), elles sont approximatives (c.) et font encore l'objet de controverses sur certains points (ainsi le > ou le > par exemple, où les écarts entre les diverses propositions peuvent atteindre c.25 ans). Les dates relatives aux époques autres que celles directement considérées ici sont simplement > et donnée pour mémoire. Pour plus de détails sur la chronologie antérieure au terme du bronze récent et les variations régionales qui sont entrevues, cf. Treuil et al., p. 112-113. 2. Cf. supra, p. 43-53. 3. L'époque protogéométrique est parfois circonscrite aux seuls xr- et x· siècles. L'expression- et le concept - de « siècles obscurs >> est recevable en termes documentaires et la pateruité de la for-
Tables chronologiques
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production de céramique héritée des temps mycéniens Oes plus belles réalisations : c.l000-975). Édifice de Lefkandi-Toumba en Eubée à Athènes: protogéométrique ancien : c. 1050-1025 protogéométrique moyen : c.l 025-1000 protogéométrique récent : c. 1000-900 Époque géométrique : c.900-700 • GÉOMÉTRIQUE ANCIEN (GA) : c.900-850 - apparition sur les parois des vases de ce qu'il est convenu d'appeler, quoique improprement, le vernis noir (pellicule d'oxyde magnétique de fer, noir et stable après cuisson) - prédominance des ateliers attiques mais d'autres centres se développent (Béotie, Corinthe, Argolide, Eubée, Cyclades, Rhodes, Crète) • GÉOMÉTRIQUE MOYEN (GM) : c.850-750 - Apparition puis multiplication rapide des figures schématiques animales, puis humaines, sur la céramique du GM II, début du VIII' siècle («style du Dipylon » à Athènes) - premiers «temples» (Samos, Érétrie, Thermos) - mise au point de l'alphabet grec - début du grand mouvement colonial • GÉOMÉTRIQUE RÉCENT (GR) : c.750-700 apparition dans le décor du système d'alternance des métopes et des triglyphes, un rythme que l'on retrouve ensuite dans l'architecture dorique - « peintre de Hirschfeld » à Athènes - multiplication des centres de production de céramique (Argos et Corinthe pour le Péloponnèse, Eubée et Béotie en relation avec l'Attique pour la Grèce centrale, Dodécanèse, Crète, Cyclades) en sculpture, style « orientalisant », statues en bronze de Dréros en architecture, premier temple en pierre d'Artémis Orthia à Sparte
mule paraît bien à attribuer à Gilbert Murray dans la première édition (1907) de son ouvrage The Rise qf Greek Epie, p. 29 ; celle de , qui n'est guère appropriée - car déjà malen· contreuse dans son emploi premier, est antérieure (1893) et revient à Ed. Meyer, dans sa Geschichœ, II, p. 249. Pour l'expression non retenue ici d'> (dont l'ex-« République de Macédoine»), la Bulgarie et la Turquie d'Europe. Sans doute n'est-il pas inutile de redire que l'étude de l'Antiquité ne devrait avoir que faire de ces barrières posées au fil des insurrections, des guerres et des traités par les États modernes, et divers travaux montrent d'ailleurs clairement que les Balkans présentent, dans des domaines aussi variés que la géographie physique et humaine, un continuum évident. Dans la pratique, pour des raisons historiques et de profonds différends 1. Soit
± la superficie
de la France, c.549 000 km2•
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L'époque géométrique
idéologiques, il est en fait impossible de ne pas tenir compte des frontières modernes. L'État grec abrite aujourd'hui quelque dix millions d'habitants, quasi tous hellénophones, très inégalement répartis sur le territoire national si l'on songe que la seule capitale, Athènes - que prolonge le Pirée sans rupture de l'habitat- compte, à elle seule, 2 600 000 habitants; l'autre grande ville est Thessalonique, dans le Nord du pays, avec 850 000 habitants. Au cours des époques géométrique et archaïque, on a quelques motifs de croire que des variations sensibles sont intervenues dans le volume de la population, avec des phases d'accroissement, mais, sans doute aussi, des rechutes, le tout se singularisant au niveau des régions. En fait, la documentation est déficiente et aucun chiffre sérieux ne peut être avancé en dehors de ceux disponibles pour l'époque contemporaine. Sans doute ne peut-on guère se tromper en avançant que les Grecs étaient alors très sensiblement moins nombreux qu'aujourd'hui. Une telle « oliganthropie » s'explique sans guère de difficulté, si l'on songe déjà que les trois quarts du « quadrilatère grec » sont occupés par la mer (470 des 600 000 km~ : à l'Ouest, elle s'appelle la mer Ionienne et sépare la Grèce de la péninsule italienne; à l'Est, c'est la mer Égée qui se fait mer de Thrace à son extrémité Nord et mer de Crète à son extrémité Sud. ll ne reste donc, compte non tenu de l'eau, que 132 000 km 2 de terre ferme 1 mais non fertile partout, loin s'en faut, surtout dans l'Antiquité, époque où il semble bien que les vallées n'avaient pas encore subi la sédimentation qu'on leur connaît aujourd'hui. La chose est souvent écrite : les éléments majeurs du paysage grec sont la mer et la montagne, des composantes qui sont loin de constituer deux ensembles très distincts. Au contraire, on est en présence d'une véritable interpénétration de ces deux éléments : en Grèce, le relief est très souvent accidenté, montagneux, chiche en sol plat, gras et fertile, et, lorsque l'air est pur, il est rare que la mer s'étende à perte de vue. La péninsule grecqu~ et« l'archipel», cette collection d'îles qui peuplent la «mer principale», l'Egée, constituent la région à la fois la plus méridionale et la plus orientale de l'Europe méditerranéenne. L'ensemble présente l'aspect d'une avancée montagneuse que prolongent encore des îles aux dimensions fort variables, restes d'un ancien« plateau continental» qui s'est peu à peu englouti au rytlune du temps géologique, en même temps que se séparaient l'Eurasie et l'Afrique. Cette activité de l'écorce terrestre est, en fait, toujours bien vivante ainsi qu'en témoignent les séismes parfois très violents qui çà ou là secouent périodiquement la région et les fumées !. Soit un peu moins de deux fois la superficie du > (c.69 900 km~.
u cadre géographique et humain
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volcaniques de Théra (dans l'Antiquité, les volcans de Nisyros, au NordOuest de Rhodes, de Lemnos, au Sud de Thasos, et de Méthana, près de Trézène, furent encore à l'occasion actifs). Peut-on préciser l'attitude qu'adoptèrent les Grecs des époques préclassiques face à de telles conditions géographiques ? Dans quelle mesure ces dernières ont-elles influé sur leur comportement ? On a souvent écrit que ces chapelets d'îles étaient comme « les piles d'un pont jeté entre l'Europe et l'Asie mineure», qu'elles auraient été une« puissante invite au voyage». On laisse dès lors entendre qu'il était prévisible, naturel, que les Grecs deviennent des marins. Porter pareil jugement confme sans doute au déterminisme géographique. Rien n'oblige à adhérer sans réserve à cette thèse, mais il serait aussi erroné de nier le poids de la géographie physique dans le déroulement et l'orientation des activités humaines. On se demandera cependant si certains Grecs ne sont pas devenus d'excellents marins ... d'abord par obligation, à contrecœur souvent. Ces réserves prendront un relief tout particulier, lorsque sera abordée la question si débattue des acteurs responsables des échanges en Égée aux différentes époques de son histoire. Le processus d'affranchissement à l'égard de la mer fut sans doute complexe et plus lent à s'opérer qu'on ne le suppose (sans raison), et il serait instructif d'y préciser le rôle joué par les populations prégrecques, tout comme celui des contraintes économiques, de la curiosité, du goût du risque, du mimétisme ou encore de la compétition. On retiendra aussi que, si la mer Égée est parsemée d'îles qui offrent souvent - pas toujours - des points de relâche aux bateaux - pas à tous - et si elle ne mérite certainement pas l'appellation de mer impraticable, il ne faudrait pas aller jusqu'à la confondre avec un lac bien abrité et sans danger, même pour le marin expérimenté et convenablement équipé. La remarque vaut en particulier pour le monde cycladique. Aujourd'hui encore, comme dans l'Antiquité déjà, la navigation est pratiquement interrompue pendant plusieurs mois au cours de la mauvaise saison (sauf pour les cargos et les ferries, que peu de ports peuvent cependant accueillir du fait de leur taille). Les multiples liaisons toujours opérées à l'aide de caïques, ces embarcations plus légères motorisées, se contentant d'une plage de sable ou de galets pour accoster, restent à la merci des coups de vent, un phénomène qui survient à toute saison, parfois sans crier gare. Ainsi donc, aujourd'hui encore, bien des liaisons, qui ne demandent parfois qu'une demi-heure par beau temps, peuvent être interrompues, pendant plusieurs jours consécutifs, même en plein été, pour cause de meltem (vents étésiens). L'Égée se présente donc comme une mer encombrée d'îles et d'îlots dont la vue - surtout bonne ... en hiver, par raréfaction de l'évaporation- rend le déplacement par mer moins effrayant... en été, mais où peuvent se manifester de
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L'époque géométrique
dangereuses sautes de vent inattendues de l'ordre de 8 Beaufort. Ainsi, par temps clair, on découvre sans peine tout le golfe Saronique, ses îles et ses presqu'îles, depuis le Sounion jusqu'à Corinthe 1, à partir des pentes de l'ancien cône volcanique de Méthana (ait. 752 rn), et si Strabon et Pausanias disent juste, telle devait être plus tôt la vue depuis le site occupé par le sanctuaire amphictyonique de Calaurie (île accolée à l'îlot de Paros). Quant aux terres émergées (132 000 km~, 80 % d'entre elles sont occupées par la montagne, qui compartimente le pays en un grand nombre de « domaines » plus ou moins étendus, plus ou moins bien arrosés, plus ou moins fertiles, plus ou moins isolés de leurs voisins ... et de la mer. L'Arcadie n'est pas la Béotie, ni l'Attique. Ce sont ces domaines très disparates, parfois sensiblement différents aujourd'hui de ce qu'ils étaient dans l'Antiquité, comme le montre l'étude des sédiments des plaines, que des communautés humaines (certains ont avancé les chiffres de 600 ou 700) constituant la nation grecque - auxquelles il faut sans doute encore ajouter quelques « minorités non-grecques >> - se partageaient, se disputaient entre elles et occupaient, selon un mode de vie sur lequel on reviendra.
LE MONDE GREC, RÉGION PAR RÉGION 2
Cinq ensembles géographiques seront à considérer si l'on veut «rester sensible aux grandes diversités régionales » 3 • Dans l'ordre, il s'agit de la Grèce du Nord et de ses voisins, de la Grèce centrale, du Péloponnèse, des îles - qui seront réparties en trois groupes, et, enfin, des secteurs occupés par des Grecs en dehors de la Grèce d'aujourd'hui.
!. Deux points distants d'environ 100 km à vol d'oiseau. 2. On a délibérément évité de surcharger cette section d'un grand nombre d'informations archéologiques hétéroclites, chacune intéressante en soi mais dans l'ensemble difficilement exploitables en termes d'histoire générale. On pourra aisément en réunir un grand nombre en dépouillant des chroniques archéologiques spécialisées du type de celles publiées depuis parfois de très nombreuses années, souvent annuellement, entre autres par le BCH, ou encore les Archaeological Reports (suppl. au JHS). On n'oubliera cependant jamais que ces compilations ne peuvent prétendre à l'exhaustivité et qu'il s'agit là d'informations obtenues par des canaux hétéroclites et difficilement vérifiables par les équipes chargées de les réunir et de les présenter. 3. Cf. R. MARTIN et H. METZGER, [1103], p. 6.
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La Grèce du Nord et ses voisins Les terroirs
Le Sud-Ouest des Balkans, avec ses masses rocheuses (alt. c.2 000 rn) et sa région des lacs (alt. c.800 rn), constitue, en termes de géographie physique, une unité autorisant l'agriculture mais que découpent les frontières politiques actuelles de l'Albanie, de l'ex-Yougoslavie méridionale et de la Grèce. Dans ces dernières années, ce « pays >> continental, sensiblement différent de la péninsule grecque proprement dite, longtemps caractérisé sur ses franges par l'élevage et la transhumance, retient beaucoup l'attention des ethnologues, des archéologues et des historiens. • L'ÉPIRE (èpeiros: le «continent»), terroir des tribus Chaones, Molosses et Thesprotes, occupe le quart Nord-Ouest de la Grèce ... continentale, juste au Sud de l'Albanie actuelle, où elle se prolongeait dans l'Antiquité. Quant à cette dernière, elle recouvre aussi, plus au Nord, l'illyrie antique, que baignait l'Adriatique (c.70 km jusqu'aux côtes italiennes). Le pays, très compartimenté, pauvre en ressources naturelles, riche en légendes ~a Thesprotis, poème épique perdu de Mousaios, les Nostoz) 1, autorise au mieux l'élevage, l'exploitation des forêts, et invite à la transhumance; adossé à la chaîne Nord du Pinde (2 637 rn), il était célèbre pour son sanctuaire de Dodone (c.20 km au Sud-Ouest du lac de Ioannina, alt. c.500 rn), consacré à Zeus qui, convenait-on, s'y manifestait dans le bruissement du feuillage d'un chêne sacré. Ce sanctuaire, déjà nommé dans les poèmes homériques, passait aux dires d'Hérodote pour le plus ancien qu'il y ait eu chez les Grecs (Hér. II 52) 2• Les objets dédiés illustrent la grande variété des contacts dès ses premiers temps Gusqu'en pays illyrien) et ce que l'on en sait permet juste d'entrevoir la diversité des apports qu'il intégra. Prenant sa source non loin de Dodone, l'Achéron, un des fleuves traditionnels de l'Enfer, se jette dans la mer Ionienne entre Corfou/Corcyre et Leucade, à la hauteur de l'îlot de Paxos ~'une des «îles Ioniennes»), quelques kilomètres en aval du nekwmanteion (oracle des morts) d'Éphyra au passé mycénien (qui a aussi livré des tumulz). Ce fleuve et tous ceux qui, aux eaux abondantes, coulent plus au Nord constituent autant d'obstacles aux circulations terrestres Nord-Sud. Le Nord de l'Épire a livré de nombreux tumuli (Vajzë, Vodhinë)- sans établissement correspondant connu - en usage pendant plusieurs siècles, dans une« perspective héroïque», parfois depuis l'époque du bronze moyen jusqu'au début de l'âge du fer. Cependant, leur chronologie et les implications historiques dont ils témoigneraient restent controversées. A Vitsa, au 1. Cf. supra, p. 24-25. 2. Cf. infra, p. 215-216.
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L'époque géométrique
Nord de Ioannina, un petit quartier d'été et sa nécropole, appartenant à une communauté pastorale pratiquant la transhumance, a été trouvé dans la montagne, illustrant un mode de vie sans doute très longtemps répandu dans toute cette région Nord-Ouest de la Grèce continentale. • L'ILLYRIE et la DALMATIE correspondent grosso modo à l'ex-Yougoslavie et à l'Albanie contemporaine. En dehors des groupes nomades, les communautés de ces régions n'ont jamais pu entretenir de relations suivies avec celles, macédoniennes ou thessaliennes, qui occupèrent les versants orientaux du Pinde aux lignes de crête infranchissables durant les mois d'hiver (passe de Zygos, près de Metsovo). C'est dans les populations albanaises et du Kosovo qu'il faut peut-être rechercher les héritiers des vieilles populations illyriennes, les Serbes étant des Slaves méridionaux ~es Slaves constituent une des principales branches de la constellation indo-européenne) venus du Nord autour du VII' siècle après J.-C. On sait encore peu de ces régions (surtout du secteur Nord) pour l'époque considérée ici, sinon que la culture matérielle favorise plutôt la thèse d'une continuité (céramique du Devoll - ou géométrique du NordOuest - dérivée de celle, antérieure, du lac Maliq) entre les âges du bronze et du fer, c.1300-c. 700. En termes d'archéologie, pour le rr millénaire, l'Albanie d'aujourd'hui est surtout connue à travers ses nécropoles du bronze récent et de l'âge du fer, regroupant des centaines de tumuli (dont quelques doubles) abritant des urnes et un abondant matériel métallique, des sépultures qui évoquent certains passages de l'épopée homérique et le monde héroïque (Çinamak, Kuçi Zi). On sait aussi que des contacts ont dû s'établir entre les deux rives de l'Adriatique et que le Sud du pays reçut par ailleurs des colons grecs sur la fm du VII' siècle (c.627, Épidamne/Dyrrhachion) 1• La persistance, jusqu'au début du XX' siècle, d'une poésie épique de tradition orale albanaise (et serbe) a donné l'idée, dans l'entre-deux-guerres, à des homérisants, tel M. Parry ou A. Lord, d'étudier les productions de ces bardes, donnant une impulsion décisive à une meilleure compréhension du processus créatif et conservatoire homérique. • La MACÉDOINE est, si on l'esquisse à grands traits, un ensemble de riches plaines lacustres, cloisonnées, que le déboisement a fait basculer depuis peu de l'élevage à l'agriculture. Tournée vers l'Est, adossée à l'Ouest au Pinde et à la région des lacs, elle avait primitivement (cf. Hécatée) pour limite Nord le cours du Vardar (Axios)- qui coule à l'Ouest de la moderne Thessalonique/Salonique -et pour limite Sud les rives de l'Haliakmon. Au début du rr millénaire, c'est la pratique de la transhumance qui paraît 1. Cf.
i.rifra, p.
309-31 O.
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donner une relative unité culturelle à cette région. Ici encore se rencontrent de nombreux tumuli groupés en nécropoles (Visoï, Petilep, Arnissa) à côté d'autres types de sépultures comme des tombes à fosses (Aianè, au Sud de Kozani). A Vergina, célèbre depuis les découvertes qui y ont été faites, sur la rive Sud de l'Haliakmon, à son débouché dans la plaine du golfe Thermaïque 1, s'étend une nécropole où ont été dénombrés plus de 300 tumuli, sans doute groupés claniquement ~es Brygoi d'Hérodote et Strabon ?), en usage de l'helladique moyen à l'époque hellénistique, et où les influences de la culture dite «de Lausitz » sont nettes depuis le IX' siècle jusqu'au VII' siècle, celles venues du Sud restant très discrètes, les armes de bronze et de fer nombreuses. A Koundouriotissa (en Piérie, près de Katérini), s'étend une nécropole de c.900-c.850. Des établissements intéressants pour le passage de l'âge du bronze à l'âge du fer viennent également d'être explorés à Kastanas et à Assiros. Sur la fm du IX' siècle, la future Macédoine semble avoir assisté à une irruption généralisée d'éléments illyriens venus de l'ex-Yougoslavie centrale (nécropole de Glasinac) et débordant jusqu'en Épire et en Thessalie. A la périphérie Ouest de la ville de Salonique, à Sindos, une nécropole macédonienne, en usage à partir de l'époque archaïque, a livré des sépultures exceptionnelles. Au Sud et à l'Est de la première ville de Macédoine 2 s'étend la péninsule de Chalcidique, réputée pour ses vins, avec ses trois promontoires de Pallène, Sithonia (avec l'établissement de Toroné) et Actè, le plus oriental (qui porte le Mont Athos) où, en prévision de l'invasion de 480, les Perses firent creuser un canal de c.2 km où les Phéniciens se distinguèrent une nouvelle fois par leur savoir-faire (à la hauteur de Sanè, mod. Provlaka). Potidée occupait l'isthme de Pallène et, au fond du golfe formé par Pallène et Sithonia, se trouvait Olynthe qui, occupée dès l'époque néolithique, fut détruite par Philippe II de Macédoine. Au Sud-Ouest du golfe Thermaïque s'élève le massif de l'Olympe (alt. 2 917 rn), le toit de la Grèce, où les Grecs faisaient vivre leurs dieux. Son sommet est bien visible par temps clair à partir de Dion, une localité macédonienne se développant à partir de la fm du V' siècle. Contrairement à la Grèce péninsulaire, où les deux premiers siècles de l'âge du fer furent caractérisés par un appauvrissement sensible et une chute de la population, la Grèce du Nord paraît avoir témoigné au xn· siècle d'une certaine prospérité qui se confirma au Xl' siècle. Ses populations étaient alors composées de tribus pastorales, apparentées aux Phrygiens d'Asie, dont le 1. Le contour de ce dernier s'est sensiblement modifié depuis l'Antiquité qui le voyait s'enfoncer plus profondément au Nord-Ouest, jusqu'aux abords de Pella. 2. Thessalonique fut fondée par Cassandre vers 315 à la place du petit établissement antérieur de Thermè qui donna son nom au golfe (Thermaique).
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L'époque géométrique
retrait, au cours des Vlll' /VII' siècles, laissa la place à des communautés illyriennes, tournées elles aussi vers le pastoralisme et la guerre, dont l'un des points d'appui fut Vergina et qui furent celles avec qui les Grecs de la péninsule entrèrent en contact. • A l'Est de la Macédoine, au-delà du fleuve Axios (Vardar) et jusqu'à la mer Noire, s'étend un vaste domaine qui se prêtait tant à l'élevage et à la culture qu'à la chasse et à la pêche. Le climat s'y distingue de celui des régions sises plus au Sud par des hivers beaucoup plus rudes, des étés moins secs et la pérennité des cours d'eau. Assemblage de plaines fertiles, de forêts, de montagnes et de vallées que domine l'énorme massif rocheux des Balkans, il était habité par diverses tribus sédentaires, peu touchées par l'urbanisation, pratiquant le polythéisme, que les Grecs désignèrent, à la suite d'Hécatée, du nom générique de THRAcES, des populations pratiquant tantôt l'incinération tantôt l'inhumation dans des tumuli, et traversées, semble-t-il, de conflits internes, souvent sur le pied de guerre. Ces Thraces passaient pour le plus imposant peuple barbare connu des Grecs, dont on tient l'essentiel de la maigre information les concernant (cf. Hérodote qui les évoque à de multiples reprises pour l'époque des invasions européennes de Darius et de Xerxès) 1• En Égée se jette de chez eux le Strymon (avec, peu avant l'embouchure, le nœud routier d'Ennéa Hodoi, future Amphipolis, et le port d'Éion) tandis qu'au-delà de la moderne Kavala, en face de Thasos (que des populations thraces occupaient tout comme sans doute Samothrace)2, c'est l'estuaire du fleuve Nestos; entre les deux s'élève le mont Pangée (alt. 1 956 rn) avec ses mines d'or 3• En dépit de violentes réactions thraces (cf. l'expulsion momentanée des Grecs d'Abdère), après Mégare, Chalcis et Milet, à partir de c.550 et de la tyrannie de Pisistrate, Athènes aussi marqua son intérêt pour cette région nord-égéenne et celle, voisine, des détroits. Dès la première moitié du VII' siècle, les Thraces avaient subi la pression des Cimmériens qui, bousculés par les Scythes, voulaient pénétrer en Asie mineure, et, quelques décennies plus tard, ils avaient été confrontés à l'expansionnisme macédonien vers l'Est. Parallèlement, il semble que les groupes installés non loin des rives de l'Égée et que structurait une aristocratie aisée, connurent, au cours du VI' siècle, des phénomènes politiques centripètes, que pourrait matérialiser l'apparition de monnayages thraces vers 500 av. J.-C. 1. Des peliastes thraces, fantassins légèrement armés en regard des hoplites, furent utilisés par Pisistrate, qui était attaché par de nombreux liens à la Thrace d'Europe, cf. infta, p. 491-497. 2. Cf. l'agglomération même de Thasos (Liménas) et Kastri, entre les villages de Potos et Théologos. 3. D'autres secteurs de la Thrace égéenne possédaient de l'or (Thasos), de l'argent, du fer et du cuivre.
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• La THESSALIE, grande plaine peu accidentée mais aux contours irréguliers, allongée dans le sens Nord-Sud, est aujourd'hui une des régions les plus fertiles de la Grèce mais aussi, comme la Béotie, une des plus chaudes en été, les plus froides en hiver. Ce climat contrasté s'explique par le fait qu'accolée au Pinde à l'Ouest, elle est séparée de la mer, à l'Est, par la MAGNÉSIE, qui se présente sous la forme d'une longue chaîne montagneuse avec les massifs de l'Ossa (alt. 1 978 rn) au Nord et du Pélion (alt. 1 551 rn) au Sud. La limite au Nord, avec la Macédoine, est matérialisée d'abord par le massif de l'Olympe, puis par le fleuve Pénée qui, avant de se jeter dans le golfe Thermaïque, traverse la vallée encaissée et verdoyante de Tempè. En fait, pour l'essentiel, le pays correspond au bassin de ce fleuve qu'alimentent divers affluents venus du Sud et des pentes de l'Othrys (alt. 1 726 rn). La plupart des sites fouillés (Palaikastro, Ktouri, Marmarini, Homolion) montrent une région nettement tournée vers le Nord macédonien mais où parviennent cependant bientôt quelques influences attiques (céramique). La Volos moderne occupe le seul véritable débouché sur la mer d'une plaine thessalienne par ailleurs ceinturée de montagnes. La ville, installée au fond de la splendide baie de Magnésie (golfe Pagasétique), a livré pour les époques mycénienne et protogéométrique des niveaux d'habitat peut-être sans hiatus d'occupation et des sépultures où se mêlent poteries locales et importées. Elle recouvre l'antique Iolkos liée au passé héroïque du chef des Argonautes, Jason. En face, se trouve Phères avec son port de Pagasai et son sanctuaire d'Artémis Enodia (nombreuses fibules offertes à partir de c. 700) 1• A l'Ouest de Pharsale, sur le Sophaditikos, à Philia, se trouvait le sanctuaire « panthessalien » consacré à Athéna Itônia, découvert en 1963. Considérations linguistiques
Peut-on reconstruire avec une relative assurance l'« histoire linguistique )) de ces régions nord-égéennes dans les premiers temps du rer millénaire? La question est on ne peut plus délicate dans la mesure où, d'évidence, de ce point de vue, le passé fut complexe et que les documents susceptibles de l'éclairer de façon substantielle sont très rares, presque toujours tardifs, en tout cas postérieurs à l'époque étudiée, présentant des volets documentaires délicats d'emploi (onomastique épigraphique et littéraire, matériaux mêlant l'essence légendaire et les finalités étiologiques). Et sur le tout pèse la pression des débats nationalistes, plus que jamais exacerbés ces dernières années dans les Balkans. Pour la période concernée dans ce volume, la seule considérée ic~ les populations occupant les régions situées au Nord de la Grèce centrale
!. Sanctuaire longtemps attribué à un Zeus Thaulios.
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L'époque géométrique
paraissent avoir pratiqué pour l'essentiel 1 trois grands idiomes pas totalement étrangers les uns aux autres mais « distincts >> du grec : un groupe thraco-dacien d'obédience indo-européenne, une «nébuleuse» illyrienne malaisée à situer vis-à-vis de l'indo-européen, et un ensemble macédonien très délicat à cerner et sur lequel il faudra revenir 2 • De ces groupes d'individus sans doute venus de régions plus à l'Est et plus au Nord, on ne peut rien dire d'assuré encore, ni sur les voies qu'ils empruntèrent, ni davantage sur la chronologie de leurs mouvements migratoires et les dates de leur installation. Les deux premiers ensembles linguistiques correspondent à des peuplades « barbares », que les auteurs anciens (pas toujours très fiables en ce domaine 3) distinguaient depuis Hérodote en nommant des populations de langue illyrienne et d'autres de langue thrace. Certaines de ces collectivités dans leur ensemble -le plus souvent leurs dirigeants seulement- s'ouvrirent (peut-être très tôt) à la culture et à la langue grecques, devenant ainsi bilingues (diglossoi/diglottoz), ou accueillirent chez eux (parfois même acceptèrent à leur tête) des hellénophones. Mais ce phénomène, sans doute lié pour partie au phénomène colonial dans le Nord égéen\ ne paraît guère avoir été significatif avant les derniers temps de l'époque archaïque. On ne peut toutefois cacher que, pour divers motifs, l'enquête se fait des plus délicates lorsqu'elle aborde le volet de la langue parlée par les Macédoniens d'avant le IV" siècle av.J.-C. En résumé, on serait tenté de convenir qu'à ce jour, on ne connaît pas d'inscription en macédonien et qu'étant donné l'extrême pauvreté documentaire, la langue «initialement» en usage chez les populations macédoniennes (ta tôn Makédonikôn ethnè) échappe en pratique à toute investigation décisive. A lire les auteurs grecs anciens impliqués et en se gardant de tomber dans le piège des multiples discours légendaires engageant les temps héroïques, pour l'époque considérée et pour autant que la question ait toute l'importance qu'on lui accorde parfois, il n'est pas du tout assuré que les Macédoniens aient (déjà) usé en majorité du grec comme langue vernaculaire. De son côté, la recherche moderne n'exclut pas toujours que le macédonien soit un parler apparenté au grec (groupe dialectal du Nord-Est) plutôt qu'une langue indo-européenne sui generis: à la vérité, cette hypothèse aurait, selon certains chercheurs, quelques arguments à faire valoir en sa faveur mais force est de constater que ces travaux ne se fondent 1. TI devait exister bien d'autres petits groupes linguistiques comme à Lemnos. 2. Cf. aussi infia, p. 214-218. 3. Cf. les observations à propos des >), 80 ans après la « guerre de Troie », reprendre possession de leur héritage 1•
• La PHoCIDE, à l'Est de l'Étolie, au Sud de la Doride et de la Locride d'Opunte, occupe une portion des rives Nord du golfe de Corinthe où elle dispose d'une plaine fertile (Crissa à côté de la locrienne Amphissa) 2• Sur le versant méridional du Parnasse, la Cité de Delphes (mod. K.astri) devint le siège d'un des plus célèbres lieux de culte grecs, fouillé de façon intensive par l'École française d'archéologie d'Athènes à partir de 1892. Ce sanctuaire oraculaire bientôt panhellénique, très tôt honoré par des offrandes corinthiennes, consacré à Apollon JYthien, fut géré dès l'époque archaïque par une « ligue amphictyonique » groupant une douzaine de Cités(« ceux qui habitent autour») et dut jouer un rôle majeur dans le phénomène colonial 3• C'est sans doute aussi un des paysages les plus saisissants du monde grec 4 : le téménos, construit en terrasses - et que jouxte un sanctuaire consacré à Athéna Pronaia, domine la « vallée des oliviers » (gorge du Pleistos) et le golfe d'Itéa (ou de Crissa), port antique et principal accès au sanctuaire - surtout pour les pèlerins venant de Grèce du Sud - avant le percement de la route moderne d'altitude venant de Thèbes via Lévadhia et !. Cf. infra, p. 126-138. 2. Cf. aussi irifra, p. 221-226. 3. Cf. irifra, p. 274-279. 4. Cf. infra, p. 361 et 364-371.
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Arakhova, destinée à remplacer les sentiers muletiers antiques. Installé sur le territoire des Delphiens, membres de la Ligue, le lieu de culte était occupé au bronze récent par un établissement dont très peu a subsisté en place étant donné l'intense activité des bâtisseurs du 1er millénaire. Cette première installation fut plus prospère qu'on ne l'a souvent écrit, mais elle reste de nature controversée car assurément singulière au vu de certaines trouvailles. Après l'âge du bronze, l'occupation du site, toujours aussi difficile à détailler sur le terrain, semble bien se poursuivre tout au long des siècles suivants malgré sans doute des chutes répétées de pierres provenant des Roches Phcedriades (« Lumineuses », c.l 225 rn). ltéa sur les rives du golfe (à côté de l'ant. port de Kirrha ?), Chrysso Want. Crissa dont dépendait Kirrha ?) dans les premiers lacets de la route qui monte vers Delphes, livrent aussi - outre de très imposants vestiges de fortifications d'époque mycénienne - des importations corinthiennes en même temps qu'elles posent des problèmes toponymiques et historiques toujours non résolus. L'antre Corycien (mod. Sarantavli, assez vaste grotte en arrière de Delphes, dans le Parnasse, cf. Hér. VIII 36, consacrée à Pan et aux Nymphes, cf. Paus. X 32,2) et la Cité de Médéon (au Sud-Est d'ltéa) avec sa nécropole offrent, de même, des productions corinthiennes. Enfm, on nommera le sanctuaire découvert, il y a quelques années, à l'Ouest d'Atalandi, à Kalapodi (ant. Hyampolis).
• La LOCRIDE occidentale ou dite des Ozoles (sur la rive Nord du Golfe de Corinthe, à l'Ouest de Delphes et au Sud de l'Étolie) avec Amphissa au débouché de la passe de Gravia menant à Lamia ~e « Couloir du grand Isthme>>) et la LOCRIDE orientale ou d'Opunte (au Sud des Thermopyles, face à l'Eubée) sont des régions qui n'eurent guère de poids au 1er millénaire, mais on ne peut être aussi affrrmatif pour les époques plus anciennes. ll s'agit en fait au départ de communautés humaines très proches qui se scindèrent en deux ensembles sous la poussée phocidienne en direction du détroit d'Eubée. En tout cas, la plus belle plaine de ce secteur - outre celles de Phocide- s'étend au fond du golfe Maliaque où va se jeter le Spercheios. On notera que c'est dans un petit terroir situé au Nord des Thermopyles (Léonidas en 480), en PHTHI6TIDE, que la légende plaçait la patrie du grand Achille (fùs de Pélée qui régnait sur Phthia) et l'« Hellas »primitive (autour du golfe Maliaque que domine, à l'Ouest, le mont Œta. • La BÉOTIE comprend les espaces présentant, un peu comme la Thessalie, l'aspect d'une riche plaine intérieure qu'entourent des massifs montagneux, le tout situé au Nord de l'Attique et à l'Est de la Phocide. Le mont Ptoion/Ptôon (alt. c. 725 rn) avec son sanctuaire oraculaire d'Apollon Ptoios1 Ptôos s'élève au Nord-Est de la plaine centrale. ll s'agit d'une terre de vieilles civilisations (tumulus de Vranesi au Sud d'Orchomène; sites du lac
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Paralimni, au Sud-Est du Ptoion). Les abords marécageux du Copaïs, grand lac antique aujourd'hui asséché, furent un temps drainés et mis en culture à l'époque protohistorique par au moins deux grandes communautés humaines installées l'une autour de Thèbes de Béotie, avec son sanctuaire Wlsménion) et l'autre autour d'Orchomène, patrie des Minyens, futurs membres de l'amphictyonie de Calaurie; les premiers siècles du rer millénaire furent fatals à ces travaux. Cette contrée a donné à la Grèce préclassique un de ses plus grands« poètes» grecs avec Homère, Hésiode. Né sans doute à un moment donné du VIII' siècle, fils d'un homme venu de l'éolienne Kymè (Asie mineure), il vécut dans la petite communauté d'Ascra, au pied de l'Hélicon (ait. c.l 750 rn) et du Val des Muses (au Sud-Ouest de la Béotie). ll y composa 1 au moins une Théogonie, source majeure sur la mythologie grecque (version« généalogique») et un long poème didactique, Us Travaux et les Jours, où il proclame son amour de la campagne, son aversion pour la mer, une prévention qui paraît avoir été longtemps partagée par les continentaux au Nord et à l'Est du Cithéron (ait. c.l 410 rn). Certaines légendes veulent que Thèbes ait été fondée par Cadmos « le Phénicien » qui aurait appris aux Grecs l'écriture Oes Phoinikeia grammata d'Hér. V 57-59) 2, mais il peut s'agir de récits étiologiques plutôt tardifs, mêlant des homonymes (Kadmos et Kadmeioz). En tout cas, l'archéologie confmne que la Béotie, en dépit de sa «dette artistique» envers l'Attique, se positionna, au début du VII' siècle, parmi les régions majeures de la Grèce en nourrissant une douzaine de communautés agricoles de taille respectable, éparpillées sur l'ensemble du pays. Sans que l'on puisse en dire plus, dès l'époque archaïque, Thèbes pourrait s'être imposée déjà à une part substantielle de la Béotie, au détriment d'Orchomène, victime du Copaïs, pendant qu'Athènes faisait de même mais de façon plus décisive en Attique. Mais sans doute, ici et là, l'opération se fit-elle sur des bases toutes autres que celles observées en Thessalie Oes pénestes) 3• • L'EUBÉE (ÉVIA) est la plus grande île (3 775 km~ de Grèce après la Crète dont elle ne partage pas les richesses (on cherche toujours les mines de cuivre qui auraient valu à Chalcis son nom 4). Elle occupe depuis quelques années une place de choix dans tous les discours sur la Grèce géométrique. Montagneuse (Dirphys, ait. 1 743 rn), bien située géographiquement sur l'échiquier égéen, elle s'étire dans le sens Nord-Ouest/Sud-Est, à l'Est de la Béotie (vallée de l'Asopos donnant accès à Thèbes et Athènes), 1. Cf. supra, p. 37-43. 2. Cf. infra, p. 444-451. 3. Cf. irifra, p. 218-220. 4. TI pourrait s'agir tout aussi bien du bronze d'Orient importé d'abord là.
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dont la sépare un chenal parfois très étroit, longue voie maritime plutôt abritée. A mi-longueur, ce chenal se contracte en un goulot de quelques dizaines de mètres seulement, l'Euripe(« flot rapide»), où, pour des motifs peu clairs, les courants, parfois violents, s'inversent 6 à 7 fois par jour. Cette grande proximité du continent explique qu'elle ne soit pas traitée ici avec les autres îles. En dépit des ravages répétés que provoquent les incendies, elle possède encore de très belles forêts« secondaires» de résineux, notamment au Nord où, face au Pélion et aux golfes Pagasétique et Maliaque, s'avance le cap Artémision (bataille navale de 480). , Les grands centres de l'île étaient surtout, dès les époques préclassiques, Erétrie et Chalcis (prospère et peu fouillée), avec leurs acropoles, auxquels on ajoutera Amarynthos, non encore explorée archéologiquement, mais selon la tradition lieu cher à Artémis Amarysia. L'exploration d'Érétrie montre une collectivité plutôt solidement installée dès le milieu du VIII' siècle et qui possédait, entre autres, antérieurs au temple d'Apollon Daphnèphoros («porteur de lauriers»), deux constructions absidales; l'une assez petite (de 30 sur 20 pieds) du tout début du VIII' siècle, l'autre, de c.775/750, un hékatompédon (lOO sur 20 pieds), toutes deux consacrées déjà, estime-t-on, à Apollon. A mi-chemin entre Chalcis et Érétrie, sur une péninsule sans défense naturelle (colline de Xéropolis) mais commandant la riche plaine lélantine (lllant[i]on pédion), s'étendait un vaste établissement anonyme (mod. Lefkandi), occupé aux époques protohistoriques et de nouveau au protogéométrique récent et au début du géométrique, très populeux encore avant son abandon, au terme du VIII' siècle. Non loin se trouve le complexe funéraire exceptionnel de Toumba exploré en 1980-1981. Ces deux ensembles - surtout le premier dont le nom ancien est débattu : on a proposé d'y retrouver l'ancienne Érétrie 1 -sont très riches en informations relatives aux premiers siècles qui suivirent à l'effacement du monde mycénien. Pour le XI' siècle, on observe des signes de réoccupation dans les nécropoles. La céramique protogéométrique y rappelle celle du continent voisin, mais, au IX' et au début du VIII' siècle, l'influence d'Athènes est mince (s~ phoi caractéristiques, ornés de demi-cercles concentriques pendant-sécant). Pour le VIII' siècle, on ne connaît pas les nécropoles, mais l'agglomération resta bien vivante jusque c. 700, moment où intervint un abandon brutal. En fait, un des intérêts majeurs du site repose sur ses importations du IX' siècle, venues du Proche-Orient et de Chypre, ses objets métalliques aussi, dans la mesure où le tout illustre une Grèce en train de sortir d'une longue léthargie consécutive à l'effacement des centres mycéniens. C'est ainsi qu'on associe souvent ces observations à celles faites à Al Mina, sur l'estuaire de l'Oronte, !. Cf. infra, p. 209-210.
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où, estime-t-on dans un écheveau d'hypothèses, un « centre commercial » 1 aurait fmi par être établi par des Grecs - comprendre « des Eubéens » et des Chypriotes ou « Chypro-Phéniciens » dès avant la fm du IX' siècle, et serait resté en activité jusqu'aux alentours de 700. On fait donc d'Al Mina le premier témoignage illustrant une initiative commerciale grecque (eubéenne) au long cours 2 et des retombées de ce trafic seraient visibles à Skyros, Andros, Ténos et Délos. La Grèce entière serait redevable aux Eubéens d'alors, d'autant qu'on associe parfois les Chalcidiens à ces entreprises conduites par les gens de Lefkandi. Par contre, en seraient absents les Érétriens (sans véritable centre urbain, on vient de le voir, avant c. 770), à moins d'accepter d'identifier une « ancienne Érétrie » à Lefkandi. Avançant d'autres hypothèses et rapprochements diversement attrayants, certaines études suggèrent que serait alors intervenue une détérioration assez rapide des relations entre les deux grands centres eubéens et elles reçoivent pour historiques des traditions éparses, relatives à un conflit majeur, sans véritable vainqueur- et sans date (« pré-hoplitique », dominé par la cavalerie) : il aurait opposé, chacun épaulé par des alliés, Chalcis et Érétrie (Thuc. 1 15) pour la possession de la plaine de ... Lefkandi arrosée par le Lélantos, mais aussi pour de plus vastes motifs« commerciaux». Les répercussions du conflit ne se seraient pas limitées à l'abandon, vers 700, de l'établissement au profit du site classique d'Érétrie, mais auraient aussi conduit à l'éclipse des activités eubéennes à Al Mina. A l'analyse, on aimerait voir la réalité de ces dernières mieux établie, mais tout n'est pas pour autant à rejeter dans un fatras d'hypothèses nourries d'un assemblage de textes aux origines les plus diverses qui, au fur et à mesure des articles, a fmi par impliquer l'ensemble des Cités de la Grèce archaïque, y compris son monde colonial alors en cours d'élaboration 3 • • L'ATTIQUE est désormais, avec sa capitale tentaculaire, de très loin la région de Grèce la plus métamorphosée - surtout depuis trente ans, à la suite de l'accroissement considérable de la population qu'elle a connu. Athènes, installée à une dizaine de kilomètres des rives du golfe Saronique -où elle dispose de facilités portuaires (le Pirée)- entre les monts Parnès (ait. c.l 410 rn) et Pentélique (ait. c.l llO rn) au Nord et l'Hymette (ait. c.l 030 rn) à l'Est, présente toutes les apparences d'un imposant établissement dès l'époque mycénienne. En témoigne encore aujourd'hui
!. Le modèle auquel on songe est évidemment l'établissement gréco-égyptien, postérieur, de Naucratis. 2. Cf. infra, p. 257-261. 3. Cf. infra, p. 425-428.
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l'aménagement spectaculaire, opéré vers le milieu du Xill' siècle, d'un accès secret à une réserve d'eau sur le versant Nord de l'Acropole 1• Mais Athènes était loin d'être le seul établissement humain en Attique; il en était d'autres, notamment ceux profitant des petites plaines de la Mésogée (nécropoles mycéniennes de Spata et Pérati, à l'Est d'Athènes, non loin du sanctuaire d'Artémis de Brauron, fondé vers la fm de l'époque géométrique). On estime parfois que la géographie physique de l'Attique invitait à la formation d'au moins trois grandes entités humaines, chacune appuyée sur une plaine majeure : Athènes et son Pédion jusqu'au mont .lEgalée, Éleusis avec la plaine s'étendant entre les monts Kérata et 1'./Egalée (qui borne la plaine de Thria) et la Tétrapolis de Marathon au Nord de la chaîne du Pentélique. Quoi qu'il en soit, le pays (étendu comme le Grand Duché de Luxembourg, c.2 600 km~ produisait huile et vin, sans compter le plomb et l'argent, très tôt exploités- c'est le thèsauros chtlwnos nommé dans us Perses (v. 235) d'Eschyle- dans les mines du Laurion (Sud de l'Attique), avec en particulier l'établissement à vocation minière de Thorikos, au Sud-Est, non loin du Cap Sounion et de son sanctuaire consacré à Poséidon. Au NordEst, sur la côte faisant face à l'Eubée, on trouve la plaine de Marathon, Rhamnonte et l'Amphiareion. Ce sanctuaire consacré à l'Argien Amphiaraos (un des «Sept contre Thèbes»), figure héroïque guérisseuse, dépendait d'Oropos ; Mardonios vint consulter son oracle en 4 79 avant la bataille de Platées (cf. Hér. VIII 134). A ses confins occidentaux, face à l'île de Salamine, l'ancienne Cité d'Éleusis avec sa plaine : autrefois indépendante, elle fut plus d'une fois tentée de se détacher d'Athènes à partir de la fm du VIII' siècle ; elle disposait d'un sanctuaire consacré à Déméter (Télestèrion), édifié sur des restes mycéniens de nature controversée mais fort probablement sans rapport direct avec celle qui fut reconnue aux lieux à une date indéterminée du premier tiers du rer millénaire. • Au Sud-Ouest des côtes de l'Attique, deux îles sont à remarquer : SALAMINE (c.93 km~ que les Athéniens (Solon, Pisistrate) finirent par arracher aux prétentions des Mégariens qu'elle intéressait au moins tout autant (position clef à divers titres, mais aussi présence de quelques plaines et coteaux cultivables) et, plus au Sud, ÉGINE (c.85 km~, qui occupe aussi une situation privilégiée au milieu du golfe Saronique (« le mauvais œil du Pirée» selon les propos d'Aristote, cf. Arist., Rhét. ill 10,7). Dans ce dernier cas, la cité antique est sous la ville moderne ~e lieu-dit « Kolona » fait référence à l'unique colonne du temple archaïque d'Apollon restée debout). Les Éginètes furent, jusqu'au milieu du V' siècle, les premiers 1. C( Treuil et al., p. 476-477.
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concurrents d'Athènes (monnayage archaïque de très grande qualité, frappé d'une tortue). Dans leur vénérable sanctuaire extra-urbain d'Aphaia, la grande divinité insulaire reçut des offrandes attiques dès avant c.750, et à partir d'une date un temps controversée (c.520/500 bien plutôt que c.480/ 4 70), un: grand temple fut bâti à la suite d'un (voire deux ?) édifice(s) cultuel(s) antérieur(s) (sculptures polychromes). L'édifice, qui domine orgueilleusement l'île et le golfe Saronique, trouva plus tard comme un écho dans le Parthénon des Athéniens, vainqueurs des Eginètes quelques années plus tôt. • La MÉGARIDE (Mégare), patrie du poète lyrique Théognis, est un modeste terroir situé au Sud de Thèbes, sur le versant Sud du Cithéron, face à Salamine. Limités dans leurs mouvements par Corinthe (de l'autre côté des monts Géraniens, ait. 1 370 rn) qui avait pris le contrôle de l'Isthme (à Crommyon) 1 et par Athènes, à certains moments maîtresse de la plaine d'Éleusis, les Mégariens jouèrent, dès avant la fin du VIn' siècle, un rôle majeur dans le processus colonial encore à ses débuts et ils s'opposèrent aux Athéniens tant sans doute à propos du contrôle d'Éleusis que de celui de Salamine (cf. l'« agos cylonien ») 2• Les rapports athéno-mégariens furent souvent, à l'époque archaïque, ceux de fort mauvais voisins, voire d'ennemis déclarés (polémioi, echthroi). Lis temps géomitriques en Grèce centrale
• De la.fin du Xl' au milieu du IX' siècle (le PG et le GA en Attique). Dans l'ensemble de la Grèce centrale, les trois premiers siècles du 1er millénaire se sont égrenés au fil des céramiques produites dans les ateliers attiques et présentant des décors « proto géométriques », puis « géométriques » 3 • Si aucune rupture marquante n'est détectée en ce domaine, il est bien certain que chaque région avança au rythme de son histoire locale. Une telle situation laissa la porte ouverte à des variations qui ont pu parfois être très sensibles, même si elles sont souvent difficiles à détecter. Ce caractère régional marqué que connaît alors la Grèce ne va pas sans poser des problèmes inextricables dans l'établissement de chronologies relative et absolue fiables. Le !.Jusqu'au percement de la route moderne, le cheminement le long du golfe Saronique était, par endroits, particulièrement périlleux, notamment à l'Est de Crommyon, à la hauteur des roches Skironiennes. On notera que la route terrestre venant de Béotie en direction du Péloponnèse devait passer plutôt le long du golfe de Corinthe que le long des rives escarpées du golfe Saronique. 2. Cf. infta, p. 226-235. 3. C'est la documentation attique qui fournit l'information la plus complète sur l'origine et le développement des styles protogéométrique et géométrique. En Attique, malgré des caractéristiques propres, il s'agit d'un développement à partir du style antérieur, le submycénien, dans la mesure où l'on peut observer une continuité fondamentale tant dans les formes des vases que dans leurs décors, cf. aussi infta, p. 435-440.
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tableau suivant, qui s'appuie principalement sur les séries attiques, se veut un simple aide-mémoire: pour l'essentiel, il reprend les propositions de J.N. Coldstream (1968) pour l'Attique'. Cette périodisation et les dates absolues qui l'accompagnent n'ont guère fait l'objet à ce jour de critiques qui auraient reçu un large écho, mais les chiffres en particulier sont cependant toujours susceptibles de réajustements, même sensibles, vers le bas comme vers le haut. TABLEAU CHRONOLOGIQUE
Période submycénienne
c.ll20-1050
Période protogéométrique (anc., moy. et récent)
c.l050-900
Période du géométrique ancien 1 et II
c.900-850
Période du géométrique moyen 1 et II
c.850-760
Période du géométrique récent l(a-b) et II(a-b)
c.760-700
La chronologie ne constitue pas le seul problème posé par ces trois siècles : il faudrait aussi, pour bien faire, transcender les résultats issus des études qui, le plus souvent, livrent cette chronologie, des études conduites sur de la céramique et les tombes, matières premières obligées de l'historien avec les objets en métal, en faïence, en ivoire, en l'absence d'autres sources d'informations comparables que pourrait fournir la fouille d'habitats. L'opération est rarement sans risque et donne souvent lieu à la formulation d'opinions opposées, où interviennent, pêle-mêle, des notions objectives telles que «réapparition>> ou «innovation» et d'autres, plus subjectives, telles que «décadence» ou «renaissance», «vitalité» ou «léthargie». Pour l'Attique, l'information provient surtout des tombes de l'Agora et du Céramique, qui trahissent une reprise vigoureuse, vers 900, des contacts (indirects ? via les Phéniciens ou l'Eubée ?) avec des régions aussi éloignées que Chypre et la Syrie. L'illustration la plus claire paraît bien résider dans la réapparition d'objets en bronze d'étain, parfois très élaborés, que l'on met en rapport avec l'établissement d'une fonderie pour le bronze à Lefkandi (Eubée). Le tableau qui se dégage est celui d'une société agricole florissante, capable de dégager des surplus alors investis dans des produits venus de l'étranger 2• L'extraction à Thorikos du plomb argentifère- extrait par coupellation - paraît effective dès cette époque et la campagne Attique qui 1. Cf. J. Coldstream, [47], p. 330. 2. Cf. infra, p. 176-181.
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semblait plutôt désertée donne des signes de repeuplement. On a proposé d'y retrouver, plutôt qu'à l'époque du bronze récent, le contexte historique du fameux synœcisme attribué par la légende à Thésée (fhuc. II 15 et Plut., Thés. 24). Pareille hypothèse tient pour acquis non seulement qu'à une communauté politique doit correspondre une étroite unité dans la culture matérielle mais que c'est le souvenir d'un processus historique qui doit se cacher derrière la légende (dont ne sont retenus que les éléments vraisemblables). Reste qu'aux environs de 900-850, l'Attique paraît constituer un monde en plein essor, qui fournit, comme le font alors peu d'autres régions de la Grèce, de riches sépultures illustrant des communautés agricoles prospères et ouvertes sur l'extérieur. En dehors de l'Attique, l'information provient toujours, pour l'essentiel, de nécropoles au contenu très modeste, mais la chronologie s'y révèle encore moins assurée qu'en Attique, dépendant pour l'essentiel des rares importations de cette région. Quoi qu'il en soit, nulle part, on ne retrouve cette variété dans la culture matérielle ni l'ouverture sur l'extérieur que suggèrent les trouvailles opérées dans une Attique tournée vers l'Égée 1• En tout cas, rien ne milite alors en faveur de contacts suivis entre la Grèce du Nord et la Grèce centrale où, en dehors de l'Attique, deux ensembles se laissent tant bien que mal cerner : l'un, autour de la Béotie et englobant l'Eubée, Skyros et les Cyclades du Nord, se caractérise par une acceptation partielle des influences venues de l'Attique; l'autre groupe réunit la Phocide (Médéon), l'Étolie, Ithaque et montre, au-delà de la pauvreté du matériel, une emprise plus persistante des survivances mycéniennes en céramique et une métallurgie très en retard.
• Du milieu du IX' au milieu du VIII' siècle (le GM en Attique). Du point de vue de la céramique, perçue (à défaut d'autre chose) comme un reflet satisfaisant de la culture matérielle dans son ensemble, l'Attique s'impose encore comme la contrée qui donne le ton, suivie - avec des cadences diverses par les autres régions (Béotie, Thessalie, secteurs à l'Ouest du Pinde, mais aussi Cyclades, Crète orientale, Dodécanèse). ll convient cependant de réserver un sort particulier à Corinthe, dont la céramique commence à se répandre avec vigueur le long de la côte de la mer Ionienne au débouché du golfe de Corinthe, tandis qu'on la retrouve également dans les sanctuaires de Delphes et de Thermos ~es premières offrandes y seraient dans les deux cas corinthiennes). On sait que ces dépôts scandent le mouvement colonial corinthien vers l'Ouest 2• Aussi, se fondant !. La vitalité de l'Attique à cette époque est patfois rapprochée de l'émergence de l'amphictyonie de Calaurie (Poros), dans le golfe Saronique. 2. Cf. infra, p. 286-29!.
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sur la diffusion et l'influence réelle de la céramique attique du géométrique moyen, on s'est interrogé, en vain, sur la question de savoir si Athènes n'avait pas opéré de façon comparable, au même moment, ailleurs. En fait, il s'agit surtout d'exportations limitées, portant sur des objets de qualité, assignables aux années c.850-c.750, retrouvés à Chypre et au Proche-Orient et, à l'analyse, sans nier même la possibilité d'accrochages impliquant des actes de piraterie dans le Saronique, ni ignorer les illustrations de bateaux de l'époque ni les propos de Thucydide dans son «Archéologie))' rien n'oblige à conclure que ces exportations 1 aient été le fait d'Athènes ... rien sinon son histoire maritime ultérieure. En revanche, divers indices (provenant de tombes, puits, etc.), glanés tant sur l'Agora que dans la région du Cynosarges, donnent à penser qu'on est là en présence d'une population dont le nombre était toujours en progrès. Et c'est la même impression de poussée démographique qui l'emporte en de multiples points d'une Attique sans doute« colonisée)) par Athènes, depuis Éleusis (dont on ne sait à quand remonte son intégration ainsi que celle de sa riche plaine de Thria au domaine athénien) jusqu'à Thorikos, en passant par le Pirée ou Vari. Ces deux grandes communautés de la Grèce archaïque qu'allaient devenir Athènes et Corinthe ne prirent donc pas la même voie de développement au géométrique moyen. C'est à partir de c.775-750 que furent produits les premiers vases attiques (de toutes tailles) ornés de scènes «narratives)) peintes, qu'il convient d'apprécier, même si chacune est née, fait nouveau, en réaction à un événement donné, comme autant de tableaux d'essence «générique, impersonnelle, sans époque ))' en conformité avec la pensée « préhistorique)). On verra, le moment venu, ce qu'il convient de penser de ces productions figurées, mais on notera qu'en tout cas cette innovation est à mettre, elle aussi et sans réserve, à l'actif des artistes attiques 2•
• Seconde moitié du VIII' siècle (le GR en Attique). Présentées souvent comme une phase de transformation plus que de progrès, ces décennies furent encore marquées par l'activité que déployèrent surtout les habitants de l'Attique. En un temps finalement très cours, on assiste à un double phénomène : d'une part, on a la sentiment que plusieurs communautés grecques - à commencer par celle d'Athènes- s'appliquent à se dégager de la gangue que constituait l'emprise du passé et de la tradition et, d'autre part, on voit se mettre en place d'un bout à l'autre du« domaine grec)) une culture largement commune, que l'érudition présente parfois comme l'un des deux 1. Peut-être souvent des échanges de dons dans Je cadre de l'établissement de liens d'hospitalité, cf. infra, p. 178-183. 2. Cf. infra, p. 435-438.
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zéniths de la civilisation grecque, l'autre étant celui du v· siècle. Ici, on se méfiera de ces appréciations qui semblent encore très empreintes de l'émotion manifestée par une époque guère éloignée 1• A l'analyse, ce sentiment, qui s'est fait jour au cours du XIX" siècle, se nourrit pour l'essentiel d'un «retour» indéniable, longtemps après l'effacement du monde mycénien, de certaines communautés grecques à une culture matérielle « spectaculaire » - ancêtre primordial de celle de ces derniers siècles comme l'indique l'engouement que connut le style néoclassique -qu'ont dû évidemment préparer, même si cela s'est fait de façon discrète, plusieurs siècles « obscurs )) : on ne peut créditer ces quelques décennies du VIII" siècle, en vrac, de toutes les innovations (ainsi, la poésie épique ou la prétendue «redécouverte)) du monde héroïque). Mais il est indiscutable que, dans un processus qui résiste toujours en partie à l'analyse, les Grecs les plus actifs, dans la seconde moitié du VIII' siècle, s'appliquèrent à «investir)) leur paysage de multiples façons (architecture, arts figuratifs, écriture, etc.) et à inscrire ce qu'ils prenaient pour le permanent ~a tradition) dans le dur(able) 2 • Ce faisant, ils se mirent à confectionner, en quelque sorte à leur propre insu, leurs futurs «livres d'histoire)), que des chocs émotifs ultérieurs leur donnèrent ensuite l'envie de feuilleter et d'interroger, inaugurant par là, en fm de compte, une ère radicalement nouvelle dans la pensée humaine 3 • Sans que, en l'absence d'une documentation fiable, l'on sache toujours faire avec la rigueur souhaitée la part des causes et des conséquences, et sans oublier combien grande était la diversité des terroirs (autant de cas singuliers), il semble indubitable que deux acteurs essentiels étaient en présence : d'une part, des communautés humaines qui connaissaient alors une croissance démographique rapide, et, d'autre part, des terroirs nourriciers, qui étaient loin d'être extensibles à l'infini et pour l'exploitation desquels on ne disposait que d'une très faible capacité technologique. Dans un tel cas d'école, il était inévitable que ces terres cultivables - garantes de la survie des groupes, voire seules sources possibles d'enrichissement - devinssent pour ces communautés (dont on ignore grandement l'organisation sociale) l'enjeu de toutes les convoitises, le point de mire de tous les efforts et que 1. n est sans doute désormais inutile de s'attarder sur les conséquences remarquables qu'eut, au siècle dernier, sur la perception contemporaine de l'histoire grecque antique, le transfert d'un concept comme celui de > (telle que cette période était perçue dans un XIX siècle européen fasciné par la notion d'Etat-nation) : après une première akmè étatique représentée par les palais mycéniens et leurs archives (= Empire romain) venaient les invasions doriennes (= les invasions germaniques) qui entratnaient l'effacement de la notion d'État (avec ses pouvoirs régaliens) au cours des > du Moyen Age grec (= le Moyen Age occidental) dont la Grèce sortait par le biais d'une > que couronnait la réapparition de la notion d'État à travers la > des Poleis (= les Temps modernes) ! 2. C[ infra, p. 348-359. 3. C[ infra, p. 537-544.
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l'affirmation de leur possession ou les raisons de leur appropriation prissent les formes les plus variées, souvent mêlées (guerres entre voisins, troubles intracommunautaires, discours mythiques, rituels religieux, entreprises coloniales). On estime ainsi parfois que le repli attique auquel on assisterait (même Égine n'aurait plus reçu de céramique attique) sur le dernier tiers du VIII< siècle, pourrait s'expliquer par un investissement total des efforts dans l'agriculture. Cela dit, dès qu'est abordée la question du mode de possession du sol au sein des communautés, les problèmes surgissent, souvent insolubles à la suite du silence des sources pour toute la période qui précède l'entrée en scène de Solon 1•
Le Péloponnèse Les terroirs
C'est« l'île» de Pélops, une des figures majeures de la mythologie grecque, dont descendaient (par son mariage avec Hippodamie, fille d'Œnomaos de la Pise éléenne) les Pélopides Oe plus célèbre étant Atrée, l'ancêtre des rois épiques de Mycènes et de Sparte, Agamemnon et Ménélas). La France fut une pionnière dans l'exploration de ce vaste ensemble qui constitue un monde en soi, avec au lendemain de Navarin, en 1829, «l'Expédition de Morée» (général Maison, bâtisseur de la Pylos moderne, et l'architecte G. Abel Blouet). Dans la poésie épique, il n'est pas rare d'opposer« Argos)) (Péloponnèse) à l'« Hellade)) (Grèce du Nord) 2• Au Sud-Ouest du port de Gythion, futur port de Sparte, le Magne (à ne pas confondre avec la Morée, ancien nom du Péloponnèse) constitue l'avancée maritime des derniers contreforts du Taygète (alt. c.2 407 rn), que termine le cap Ténare (Matapan) autant redouté des marins que le cap Malée qui constitue la section orientale du golfe de Laconie. Ces deux pièges de la navigation antique contribuèrent à la fortune des Corinthiens : « Qland tu doubles le Malée, oublie ton foyer )) (Strab. VIII 6,20). Le Péloponnèse est un assemblage de cantons isolés par la haute montagne, avec des pâturages saisonniers pour les chèvres et les moutons, qui vit pleinement dans un climat méditerranéen et qui a pu prétendre à l'autarcie. n présente l'aspect d'une presqu'île massive, pauvre en ports, à laquelle on accède en venant du Nord par une étroite langue de terre, l'Isthme de Corinthe (c.7 km, coupé depuis 1893 par un canal). Dès l'époque archaïque, les Corinthiens, qui s'étaient assuré la maîtrise des deux rives de l'Isthme, tiraient les bateaux à sec et les hâlaient par chariot sur une route pavée à !. Cf. in.fra, p. 454-465. 2. Cf. in.fra, p. 126-138.
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L'époque géométrique
cet usage, le diolkos («chemin de halage» bâti peu après c.600, peut-être à l'initiative du tyran Périandre, fils de Cypsélos) 1, qui mettait en communication le golfe de Corinthe et le golfe Saronique. n est difficile d'évaluer les effets de la déforestation et de l'érosion sur les paysages et les ressources du Péloponnèse, tout comme les éléments manquent pour apprécier les variations que connurent au fil des siècles pratiques agricoles et pastoralisme. • La CaRINTHIE. Dès que l'on s'engage sur l'Isthme, s'impose à la vue la masse impressionnante de l'Acrocorinthe (alt. c.575 rn), une des forteresses naturelles les mieux situées d'Europe, mais la plaine qu'elle domine est exiguë ; c'est sur son flanc Nord qu'était établie l'antique Corinthe, qui posséda donc bientôt des installations portuaires à chaque extrémité du diolkos, les unes sur le golfe Saronique (Kenchréai, engloutie sans doute à l'époque médiévale), les autres sur le golfe de Corinthe (Léchaion). En face, le promontoire de Pérachora devint, peu avant c.800, à l'initiative des Mégariens, le siège d'un culte consacré à Héra Akraia, dont nombre des premières offrandes étaient cependant d'origine corinthienne Oe « dépôt géométrique)), l'édifice absidal). A c.6 km au Nord de Kenchréai, s'étend le sanctuaire de l'Isthme consacré à Poséidon avec ses concours panhelléniques, à partir du début du VI' siècle, que célébra Pindare. On est parfois tenté de retrouver l'établissement mycénien correspondant à la Corinthe du rr millénaire dans le site de Korakou, à mi-distance entre la Cité antique et la ville moderne bâtie plus à l'Est, directement en bord de mer. Les Corinthiens, à l'origine de nombreuses colonies, accédèrent, dès avant la fm de l'époque géométrique, à une prospérité économique remarquable (céramiques très largement diffusées, trahissant des évolutions stylistiques assez marquées, autorisant, au-delà de débats toujours non clos, de précieuses évaluations chronologiques portant sur l'ensemble du bassin méditerranéen). Beaucoup plus proches dans le temps, les« Sarakatsani )), semi-nomades ·qui y ont longtemps fait déambuler leurs troupeaux de petit bétail, servent parfois de modèle aux érudits qui cherchent à se représenter le mode de vie des Doriens des «âges obscurs))' avant leur sédentarisation. En empruntant les routes sinueuses qui relient Corinthe à Argos, avant la passe de Dervénakia, on pouvait accéder aux Cités de Phlionte et Kléonai avec, dépendant de cette dernière, le sanctuaire de Zeus à Némée (concours panhelléniques à partir de c.573) 2•
1. Cf. infra, p. 235-236. 2. Cf. infra, p. 521-522.
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• L'ARGOUDE se présente un peu comme une quintessence de la Grèce. Appuyée sur les monts Arachnéens à l'Est et Parthénion à l'Ouest (que prolonge la chaîne du Parnon, alt. c.l 935 rn), elle occupe le quart Nord-Est du Péloponnèse, au Sud de la Carinthie, en fer à cheval autour d'une baie de Nauplie que domine l'imposante forteresse de Palamède (XVIII' siècle apr.J.-C.) et que prolonge le golfe Argotique. Nauplie et Asinè offrent deux ports acceptables. Aujourd'hui comme hier, l'Argolide est d'abord une vaste plaine propice à l'élevage et à l'agriculture, plus sèche à l'Est, riche en sources sur sa partie Ouest, en certains endroits marécageuse (Lerne et Tirynthe). Elle se prolongeait au Sud-Ouest par la Thyréatide et la Cynurie, régions également convoitées par les Spartiates. Argos, qui recèle dans son sol des antiquités de presque toutes les périodes de l'histoire grecque antique et moderne, était, au rr millénaire, le siège d'une communauté dorienne puissante, qui tirait gloire de ces «Achéens» argiens chantés en particulier par l'Iliade et qui revendiquait pour sien le sanctuaire extra-urbain d'Héra (Héraion) situé à une heure de marche depuis Mycènes, sur des terrasses, à la lisière Nord de la plaine que ce «sanctuaire de limite» domine tout entière. L'agglomération archaïque reste assez mal connue en dépit des multiples fouilles d'urgence opérées dans une ville moderne en rapide mutation. Certains des sites mycéniens poursuivirent leur existence avec des hauts et des bas pendant plusieurs siècles après la fm du bronze récent, tels Mycènes et Tirynthe, mais ils finirent par être absorbés au v· siècle par les Argiens. Plus à l'Est, l'Asklépieion d'Épidaure, à c.8 km à l'intérieur des terres, dépendait des gens d'Épidaure, installés depuis l'époque géométrique sur les rives du golfe Saronique, face à Égine. Ce sanctuaire, de caractère panhellénique, qui ne connut ses plus riches heures qu'au rv• siècle, était consacré (depuis le VI' siècle?) à Asclépios, divinité guérisseuse, mais il avait pris en partie la place d'un Apollon Maléatas, beaucoup plus ancien (mont Kynortion, mod. Kharani, avec de remarquables offrandes d'époque mycénienne), qui, disait-on, tenait sa science du centaure Chiron. Plus au Sud-Est, on relèvera encore le site portuaire de Halieis (Porto Chéli, occupation dès le protogéométrique), les petites Cités d'Hermionè dryope et de Trézène dorienne (dont les plus anciens restes connus sont de l'époque géométrique et que la geste de Thésée éleva en bonne place dans les arts de l'Athènes démocratique). • L'ARCADIE est une zone très montagneuse (gisements de marbre) dominée par les monts Érymanthe (alt. c.2 224 rn) et Cyllène (alt. c.2 376 rn), difficile d'accès, qui rappelle, au cœur du Péloponnèse, la Grèce du Nord. Des clans semi-nomades, « Arkades » ou « Valtetsini », prétendent descendre des anciens Arcadiens. La recherche attribue volontiers à ce secteur un
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rôle de« conservatoire de la Grèce>>, tant en ce qui concerne la langue (dialecte arcadien lié au chypriote) qu'en raison de divers rituels et coutumes, mais, de ce dernier point de vue, ce qui est bizarre n'est pas de facto toujours très ancien. Le pays compte peu de sites préclassiques en dehors de Tégée, au Sud-Est d'une plaine allongée que domine aujourd'hui Tripolis. L'accès à l'Argolide se faisait par Tégée et Hysiai (mod. Achladokambos) à l'Est, ou par Mantinée et Œnoè plus au Nord; celui à l'Élide par le cours supérieur de l'Alphée; celui à la Laconie par les sources de l'Eurotas. • La
LAcONIE
occupe la portion Sud/Sud-Est du Péloponnèse et c'est,
à grands traits, une large plaine fertile, arrosée par l'Eurotas et ses affluents qui coulent vers le Sud entre la chaîne du Taygète à l'Ouest et celle du Parnon à l'Est, avant de se terminer en un delta marécageux que bordent à l'Est
de vastes étendues très fertiles (Hélos); c'est le pays des Spartiates et/ou des Lacédémoniens 1• En venant d'Argos, on y accède au Nord de Sparte, en franchissant le Pamon entre la Thyréatide au Nord et la Cynurie au Sud (à partir d'Astros). Après avoir été le siège de puissantes entités protohistoriques, la Laconie du yr millénaire se dévoile organisée autour de la Sparte dorienne que, sur les pas du grand érudit allemand K.O. Müller, des générations de chercheurs ont tenté de comprendre. Ainsi que l'avait prédit Thucydide (Thuc. I 10), les restes archéologiques (disséminés sur six collines basses, dont le sanctuaire archaïque d'Artémis Orthia) attestent on ne peut plus mal de la puissance de Sparte, une autorité pourtant reconnue et redoutée par ses voisins dès l'époque géométrique. • La MEssÉNIE, qui occupe la part Sud-Ouest du Péloponnèse, mieux arrosée par les pluies d'hiver, est une contrée dominée par le mont Aigaléon (ait. c.l 219 rn) et Ithômè (ait. c.802 rn), plus fertile que la plaine lacanienne voisine, toute désignée pour devenir le siège d'activités agricoles. Tournée à la fois vers la mer Ionienne (rade de Navarin) et la mer Égée (vallée du Pamisos qui débouche dans le golfe de Messénie et à l'Est, la Phères homérique, mod. Kalamata), elle est séparée de la Laconie par le mont Taygète. Ses vraies heures de gloire se placent surtout au bronze récent et... au XIX' siècle, car à l'époque préclassique, la Messénie fit surtout parler d'elle à cause des attaques répétées dont elle fut victime de la part des Lacédémoniens, leurs voisins orientaux, qui n'eurent de cesse de s'approprier les terres cultivables (dont la plaine de Stényclaros où la tradition plaçait le siège de la dynastie dorienne de Kresphontès, frère des Héraclides Téménos et Aristodémos, fils d'Aristomachos, cf. Paus. ll 4,3-4 et Diod. VII frgt 9). n n'empêche que les fouilles opérées ces dernières années en particulier à 1. Cf. infra, p. 238-244.
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Nichoria (en attendant celles de Kaphirio, plus au Sud?) ont apporté une riche moisson d'informations ~ur cette région pendant les« siècles obscurs». • L'ÉLIDE, riche en petites plaines et en forêts de chênes (à présent disparues), prolonge la Messénie vers le Nord et occupe le Nord-Ouest du Péloponnèse. Son site le plus célèbre est celui d'Olympie que domine la petite colline Kronos (c.l26 rn). Fouillée à partir de 1874 par l'Institut archéologique allemand, Olympie est d'abord un bosquet sacré a'Altis), baigné par l'Alphée et son affluent, le Kladéos, qui, processus rare en Grèce, l'avait recouvert de ses sédiments en quittant son lit antique. ll s'agit non d'une Cité mais, comme à Némée, d'un sanctuaire panhellénique, où, les figures d'Héra et de Pélops ne furent sans doute pas supplantées par celle de Zeus O!Jmpien avant la fm de l'époque préclassique. Le lieu était devenu célèbre auprès de l'ensemble des Grecs par les concours olympiques qui, tous les quatre ans (rythme pentétèrique par calcul inclusif), accompagnaient des cérémonies religieuses et qu'annonçait la proclamation d'une trêve «sacrée», «olympique», l'ékécheiria, destinée à protéger les participants dans leurs déplacements. Outre de multiples sites des environs, l'Attis même a livré çà et là des restes protohistoriques qui (comme à Delphes ou à Délos) ont donné lieu à des interprétations contradictoires quant à l'ancienneté de l'affectation cultuelle des lieux 1• Les Cités éléennes, qui avaient en charge la ~estion du sanctuaire, furent, si l'on en croit la tradition, d'abord Pise puis Elis (sur le Pénée), dont un citoyen illustre, le sophiste po!Jmathe Hippias (c.440-390), s'attacha à dresser l'inventaire des vainqueurs successifs à ce qui aurait alors été l'épreuve reine, la course du stade (stadion), une liste remontant à 776/5 av. J.-C. si l'on accepte que chaque compétition a eu lieu quatre ans après la précédente. Non conservée en tant que telle mais prolongée et amplifiée par plusieurs chronographes anciens, elle s'impose néanmoins comme l'un des fondements de la chronologie grecque archaïque. • L'AcHAÏE, mangée au Sud par les Monts Érymanthe et Cyllène, occupe la façade Nord du Péloponnèse (dont elle est la parente pauvre) et borde donc la rive Sud du golfe de Corinthe. Ce nom doit être rapproché de celui des Achéens, l'un des ethniques employés dans les poèmes homériques pour désigner les Grecs. Aujourd'hui, historiens, archéologues et linguistes opposent volontiers, chacun à leur manière, les « Achéens » aux «Doriens», lesquels seraient arrivés plus tard (après la« guerre de Troie»), une hypothèse souillée par l'érudition antique et qui reste mal assurée en
l. Cf. infra, p. 363-371 et 518-52l.
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termes d'histoire événementielle 1• Les Cités portuaires de Patras, à courte distance au Sud de l'entrée du golfe de Corinthe, et A> par les anciennes et longtemps puissantes communautés mycéniennes, ne sont pas encore à exclure sans réserve. Quoi qu'il en ait été, au cours du VIII' siècle, surtout en des lieux tels qu'Argos, Corinthe, Mégare ou Sparte, apparurent les premiers signes montrant que le processus s'était inversé et ici, au cœur du «monde dorien», comme ailleurs en Grèce vers la même époque, le nombre de bouches à nourrir devint rapidement un problème majeur, qui plaça pour un long moment la terre au cœur des préoccupations des communautés péloponnésiennes. Ces dernières lui opposèrent, chacune, des solutions de leur cru, celles imaginées par les Spartiates étant sans doute parmi les plus singulières de toutes. Les îles
En quittant le Péloponnèse pour la « Grèce des îles », on nommera CYfHÈRE (en général classée parmi les îles Ioniennes, cf. infta), connue déjà par la poésie épique (patrie d'Amphidamas et Lycophron) et célébrée par Watteau (1717 pour la première version de son tableau). Elle doit avoir été le siège d'un sanctuaire non identifié sur le terrain (église Haghios Kosmas à Palaiokastro ?), consacré à une Aphrodite «orientale» (comme à Paphos de Chypre), sans doute à rapprocher de vieilles activités phéniciennes (cf. Hér. 1 105).
La Grèce compte près de 2 000 îles de toutes grandeurs, depuis l'îlot de quelques centaines de mètres carrés jusqu'à la plus grande, la Crète, avec 1. Cf. Treuil et al., p. 447-457.
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ses 8 330 km2 • li faut toutefois prendre garde de lier trop étroitement leur superficie et leur rôle dans l'histoire antique. Ainsi l'importance d'Égine est sans commune mesure avec ses 85 km2, et Délos, nombril des Cyclades, montre mieux encore, avec ses 5 km2, que la taille ne faisait rien à l'affaire. Nombreuses sont celles sans eau douce (où l'on vit seulement de l'eau de pluie captée dans des citernes) ou d'approche dangereuse. Pour comparaison, on dira qu'aujourd'hui qu'environ 154 d'entre elles sont habitées et que cette« atomisation» du territoire grec- qu'accompagne un éparpillement extrême d'une partie de ses habitants - conduit à reconnaître dans la mer, comme dans la montagne, davantage un obstacle qu'un lien. Les îles grecques peuvent être commodément regroupées en trois ensembles majeurs : l" Groupe
li s'agit des îles de la mer Ionienne (mod. Eptanisos, les «Sept îles») qui assurent, tant du point de vue physique que culturel, la transition entre les mondes italien et grec. Elles sont sujettes à de très violents séismes ~e dernier, majeur, en 1953) et portent un nom générique-« îles Ioniennes»qui s'explique mal (elles relèvent en fait du dialecte dit grec «de l'Ouest», comme notamment la majeure partie du Péloponnèse et toute la région au Sud de la Thessalie) 1• Du Nord au Sud : • CoRFou/CORCYRE (KERKYRA), c.590 km2 , au climat doux et riche en bonnes terres, s'étire au large de l'Épire antique, sorte de long trait d'union orienté Nord-Sud entre les mondes grec et italique. A l'époque archaïque, elle accueillit une colonie érétrienne, puis une autre, corinthienne, dont les démêlés ultérieurs avec sa métropole furent, de l'avis de Thucydide (Thuc. I 24-55), une des causes immédiates de la « Guerre du Péloponnèse ».
• LEUCADE (LEFKADA), c.300 km2, doit son nom aux falaises d'un blanc lumineux qui terminent son extrémité Sud et d'où, pour certains, la poétesse Sappho (de Mytilène) se serait précipitée. Montagneuse en son centre (mont Élati, alt. c.l 080 rn), elle fait face à l'Acamanie, dont elle n'est séparée que par un étroit lagon peu profond qui était autrefois un isthme. Ici encore, les Corinthiens s'installèrent au cours de l'époque archaïque et ils creusèrent un canal à travers l'isthme. L'île avait été habitée dès la protohistoire (cercles funéraires de Nidri) et W. Dorpfeld défendit l'idée que la patrie d'Ulysse était à localiser non pas à Ithaque mais à Leucade. !. Sans doute à mettre en rapport avec de premières navigations en mer Ionienne opérées par des marins venus d'Ionie ?
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• .ITIIAQUE, c.113 km 2 sans guère de terrains plats, est présentée depuis la tradition épique comme la patrie d'Ulysse. Elle possède bien un petit établissement mycénien, mais l'érudition moderne a souvent peine à y reconnaître une illustration du poème homérique. Près de Polis se trouve la grotte « aux trépieds )), où se pratiqua un très ancien culte impliquant notamment les Nymphes et Ulysse (mod. Marrnarospilia, cf. Od. XIII 103). Peu après c.800, le mont JEtos (alt. c.380 rn) abrita un habitat archaïque fortifié (ant. Alalkoménai qui enflamma l'imagination de H. Schliemann en 1878) et un lieu de culte qui, assez vite, ne tarda pas à tomber sous le contrôle des Corinthiens installés dans l'île ou y relâchant. Aux offrandes corinthiennes se mêlèrent alors des importations eubéennes et thessaliennes. • CÉPHALLÉNIE/CÉPHALONIE, la plus grande des îles Ioniennes (c. 737 km~, montagneuse, est située immédiatement à l'Ouest d'Ithaque, en face de l'entrée du golfe de Corinthe (Patras). Prospère à l'époque mycénienne, elle était partagée entre quatre cités au 1er millénaire (Palè, Samè, Kranioi et Pronnoi). • ZANTE (ZAKYNTHOS), c.400 km2 , la plus méridionale des îles Ioniennes, fait face à l'Élide dont elle est séparée par c.20 km d'eaux profondes. Bien connue déjà de la poésie épique, elle était célébrée dans l'Antiquité pour la beauté de ses paysages riches en forêts (aujourd'hui remplacées par vignes et oliviers). 2' Groupe
Les îles de la mer Égée sont très nombreuses. On laissera d'abord de côté les Cyclades, qui constituent un ensemble à part, et, parmi les îles restantes, on ne retiendra que les plus remarquables sur le plan du rôle joué dans l'histoire préclassique. • La CRÈTE (KRm). Avec ses trois massifs montagneux, autrefois bien boisés, aux contreforts encore riches en sources -la chaîne du Lassithi (ant. Dictè, alt. c.2 148 rn), le massif du Psiloritis (ant. Ida, alt. c.2 456 rn) et la Montagne Blanche (alt. c.2 452 rn), ses plaines et plateaux de tailles diverses mais souvent très fertiles ~e haut plateau du Lassithi, à c.850 rn d'alt., à l'Est ; la Messara, c.500 km2, au centre Sud), l'île constitue un « continent)) en soi. Son climat est plutôt tempéré, autorisant plusieurs communautés nombreuses à vivre, prospères, pratiquement en autarcie complète. C'est la plus méridionale des îles égéennes : c.325 km sans escale la séparent de Tobrouk (à l'Est de la Cité dorienne de Cyrène, fondée par des gens de Théra avec l'aide de marins crétois). Vers le Nord, par contre, grâce aux
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îles, l'accès au continent (Péloponnèse ou Grèce centrale) ne posait guère de difficultés, pas plus qu'à l'Anatolie. Régulièrement soumise à d'assez violents séismes, la Crète a également connu des variations sensibles dans ses lignes de rivage. La plupart des ports s'égrènent le long de sa côte Nord. L'île du 1"' millénaire a moins retenu l'attention que celle du II", qui avait développé une culture brillante, marquée par une franche ouverture sur l'extérieur- en particulier vers l'Est, puis le Nord- que favorisait déjà sa position en Méditerranée. li n'empêche, même si la suite fut un peu plus terne, les Vlll'-Vll' siècles furent marqués par une vigoureuse reprise que suivit un assoupissement prolongé. Tout au long du 1er millénaire, Cnossos resta le centre majeur d'une Crète au parler en majorité dorien ~es sources nomment aussi des éléments « étéocrétois »-indigènes- et autres), mais on citera également, surtout pour l'époque archaïque, d'Ouest en Est, les Cités de Kydonia (mod. Chania, La Canée), Réthymnon, Gortyne, Axos, Prinias, Arkadès, Lyttos, Dréros, Itanos, Vrokastro, Kavousi, Praisos, etc. Si plusieurs habitats de l'âge du bronze furent (ré)occupés au 1er millénaire, comme le sanctuaire de Kato Symi (près d'Ano Viannos, sur le flanc Sud du massif de Dictè), c'est aussi le cas de plusieurs grottes, sièges d'activités cultuelles déjà à l'époque protohistorique (grottes de Zeus dans l'Ida et sur le mont Dictè). La Crète du Ier millénaire se réveilla très marquée par son « expérience minoenne» et, si la crise du tournant des XIII'-Xll' siècles ne fut pas moins sévère qu'ailleurs, il paraît difficile de refuser l'idée- surtout pour sa moitié orientale - d'une plus forte continuité dans la culture des collectivités qui la peuplaient. En Crète, çà et là, les « siècles obscurs » se font un peu moins insaisissables et, si l'on ne peut exclure des mouvements de populations au 1 Xll' siècle , l'intrusion dorienne, ici encore moins qu'ailleurs, ne se laisse cependant pas saisir dans sa matérialité. Le creux de la vague semble atteint au XI' siècle (période subminoenne), connu notamment à travers les nécropoles de Cnossos (surtout Gypsadès), les établissements de Vrokastro et Kavousi, dominant le golfe de Mirambello, et l'habitat temporaire (c.ll50-c.l000/950) retranché de Karphi («le clou»), dominant le Lassithi. La partie orientale de l'île, plus « étéocrétoise » (?), paraît avoir stagné jusqu'à la fin du Vlll' siècle, mais par contre, dans la partie centrale, les X'-IX' siècles virent croître le nombre de lieux occupés, signe sans doute d'une solide reprise de la courbe démographique, tandis que d'anciens habitats prospéraient à nouveau (Cnossos, Gortyne, Phaistos). Ces communautés montrent des contacts avec l'extérieur (Attique et Proche-Orient) sans renoncer pour autant à leurs pratiques locales, héritées des collectivités prégrecques et grecques installées dans l'île. 1. Cf. Treuil et aL, p. 550-555.
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En Crète, le processus déboucha sur une période géométrique florissante et originale (urnes cinéraires dans des tombes à chambre, petits temples composés d'une pièce unique, nouvelles offrandes dans les grottes, etc.) par rapport à ce que livre pour la même époque le continent - ou encore les autres îles. Ces caractéristiques ont poussé certains chercheurs à créditer l'île de diverses nouveautés en matière d'écriture (alphabétique) ou de religion (certains aspects du culte à Delphes), etc., mais rien de concret ne vient soutenir objectivement de telles vues. Par bien des côtés, la Crète donne plutôt le spectacle d'une île autonome, qui, sans ignorer ses voisins du Nord, «vivait sa vie», une existence qui n'était pas sans une réelle originalité. D'ailleurs, dans une certaine mesure, croyances, pratiques et usages crétois pouvaient avoir valeur d'exemple auprès des autres Grecs, si l'on en croit ce qui est dit notamment du savoir-faire de l'un ou l'autre d'entre eux en matière de purification (Épiménide) et de législation (Lycurgue), capacités qu'on retrouve associées aux liens mystérieux que les Grecs ont voulu voir un temps entre Delphes et la Crète (cf. Apollon Delphinios de l'Hymne homérique à Apollon Pythien) 1• Les contacts de l'île avec le Proche-Orient et Chypre au Ier millénaire méritent une mention spéciale au vu des antécédents de l'époque protohistorique2. L'idée d'un mouvement de population, au terme du XII' siècle, de la Crète vers Chypre, a été plus d'une fois défendue, mais à la vérité les indices demeurent délicats à interpréter. En tout cas, il semble bien que des contacts se soient poursuivis de façon quasiment incessante à partir de c.llOO, ce qui expliquerait l'arrivée précoce en Crète de la technologie du fer, accompagnée de productions chypriotes, levantines (« chypro-phéniciennes ») et égyptiennes. On imagine que les vecteurs de ces nouveautés furent, pour une part, des artisans « orientaux » immigrés dont on croit détecter la présence notamment à Cnossos au Vlll' et, de nouveau, au VII' siècle, dans diverses réalisations métalliques (statues cultuelles de Dréros, boucliers de la grotte de l'Ida, etc.). Au Nord-Est de la Crète, le DODÉCANÈSE (ou SPORADES DU Sun) est un lot de 12 îles- en fait 14- prises à l'Empire ottoman en 1912, données à l'Italie par le traité de Lausanne en 1923, restituées à la Grèce en 1947, qui constituent, en termes de géographie physique, le prolongement naturel de l'Asie mineure ; longtemps avancée insulaire du domaine carien, elles ne basculèrent sans doute que peu à peu dans la sphère culturelle grecque. Ne seront retenues ici que les plus notables historiquement.
1. C[ infra, p. 360-361 et 364-371. 2. C[ Treuil et al., p. 220-221, 316-323 et 554.
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• RHoDES (c.l 400 km~ fut- jusqu'au .rynœcisme de 408 av.J.-C. qui vit la création de la cité de Rhodes à la pointe Nord de l'île- partagée entre trois Cités déjà nommées dans l' Riade (Il. II 656), doriennes au rr millénaire : Lindos au Sud-Est, Ialysos au Nord-Est et Kameiros à l'Ouest. Une chaîne montagneuse (Mont Attaviros, alt. c.l 215 rn) traverse l'île, par ailleurs fertile, du Nord-Est au Sud-Ouest. On aura l'occasion de revenir sur la place de choix qu'elle occupait dans les circuits de navigation reliant l'Égée à Chypre et au Proche-Orient en général, ainsi que sur le rôle qu'on est conduit à lui reconnaître dans la reprise des contacts «Est-Ouest». • Les autres îles les plus notables de ce groupe sont KAsos et KARPATHOS (à mi-chemin entre Rhodes et la Crète, d'où elles sont visibles par temps clair), SYMI, Cos/Kos face à Halicarnasse, PATMOS et KALYMNOS. La plus orientale est KAsTEILORIZO (mod. · Mégisti, c.9 km~, face à Ka.S (anc. Antiphellus) et à la Lycie antique, seul véritable secteur invitant à la relâche les bateaux antiques qui reliaient l'Égée au Proche-Orient. A l'Est de l'Eubée, on trouve les SPORADES DU NoRD, prolongement du Pélion et de la Magnésie. Parmi elles, SKIATHOS et SKYROS (la plus grande, c.210 km2 avec un sommet à c.780 rn), riche en eau douce, domaine des Dolopes à l'occasion pirates. Très présente dans les récits traditionnels, cette dernière accueillit un temps Achille fuyant Troie et elle aurait aussi abrité les ossements de Thésée (que le roi local de l'époque, Lycomède, aurait tué par traîtrise) jusqu'en 476 (?), année où Cimon les découvrit à la suite d'un oracle (un épisode rappelant celui d'Hérodote relatif à la sépulture d'Oreste à Tégée) et les «rapatria» à Athènes (Plut., Thés. 35-36). En poursuivant vers l'Est, on rencontre les SPORADES ORIENTALES. Elles sont immédiatement au large des côtes de la Turquie actuelle dont certaines - TÉNÉDOS et IMBROS - dépendent d'ailleurs politiquement aujourd'hui. • LEMNos, au Sud de Thasos, possède un des meilleurs ports de l'Égée et occupe aussi une place de choix dans les récits traditionnels : elle passait pour le lieu où Héphaïstos avait établi ses forges et aussi pour une possession des Pélasges/Tyrsènes qui en furent expulsés par Miltiade peu avant les guerres médiques (établissement d'Héphaïsteia). Ce n'est pas l'unique endroit de ce secteur égéen (Actè, Samothrace) où les Grecs nomment des Pélasges à côté des Thraces. Les fouilles du sanctuaire des dieux Cabires, le Kabeirion, ont révélé de substantiels restes d'époque archaïque tandis que des recherches sous-marines ont sans doute localisé en 1960, dans le récif de Charos, l'antique Chrysè bâtie sur ·un îlot volcanique englouti à l'époque archaïque (c( Hér. VII 5). Hippias y serait mort après la bataille de Marathon.
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• LEsBOS ou MYTILÈNE, la plus grande île de cette partie de l'Égée (c.l 630 km~, est juste au Sud de la Troade. Au rer millénaire, elle est le cœur du domaine éolien et la patrie de Pittacos l'ai.rymnète, celui qu'on disait tout à la fois « tyran >> et « sage », et des poètes lyriques Alcée et Sappho. On connaît un habitat géométrique sur la côte Nord-Est, à Antissa, et l'époque archaïque fut marquée par une lutte entre Mytilène au Sud-Est et Méthymna (mod. Molivos, patrie du poète Arion et de l'historien Hellanicos) au Nord-Ouest pour la première place dans une île bien située en Égée et dotée de nombreux points de mouillage. Enfin, à Éressos, au SudOuest, sont attachés les noms de la poétesse Sappho et du philosophe Théophraste, érudit notamment versé en chronographie. • CHIOS (c.840 km~, plus au Sud et à c.8 km de la côte turque, relève du domaine ionien. Elle passait dans certaines traditions antiques pour la patrie d'Homère et comptait en tout cas au V' siècle une confrérie, les « Homérides »,qui jouèrent peut-être un rôle non négligeable dans l'élaboration fmale des poèmes attribués à leur patronyme. En 1821, l'île du mastic (résine du lentisque) fut le théâtre de nombreux massacres (on parle de 25 000 morts, de 47 000 esclaves, d'une diaspora mondiale) opérés par les Turcs et qu'immortalisèrent Victor Hugo («les Massacres de Chio» dans les Orientales) et Delacroix (1821, les Massacres de Scio, manifeste de l'école romantique), des œuvres qui illustrent le réveil de l'intérêt de l'Europe postrévolutionnaire pour la Grèce antique. Pour les Vlll'-VII' siècles av.J.-C., on relèvera l'existence de l'établissement d'Emporia déjà occupé à l'âge du bronze. • Plus au Sud encore, SAMOS, entre IKARIE à l'Ouest et le continent micrasiatique à l'Est, fait aussi partie du domaine ionien. Patrie du tyran thalassocrate Polycrate, l'île possédait, sur sa côte Sud, face au cap Mycale tout proche (détroit de c.l250 rn, l'Heptastadion), un Héraion doté, dès l'époque géométrique, d'édifices religieux. La fouille de l'aire sacrée et de ses environs immédiats par des équipes archéologiques allemandes a livré de très nombreuses importations, chypriotes et orientales, et divers indices concordants qui montrent que sonjloruit est à placer pour l'essentiel aux VII"-VI" siècles. Son existence remonte toutefois à l'époque protogéométrique (X' siècle) et il fut doté, dès le début du VITI' siècle (pour abriter une statue d'Héra) d'un édifice impressionnant pour l'époque, pour l'essentiel en bois, le premier hékatompédon connu (lOO pieds de long sur 20 de large) 1• Quant à l'andenne capitale des Sarniens, à c.8 km à l'Est du grand sanctuaire, et comme lui en
!. Cf. infra, p. 196-199.
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bord de mer, elle a changé en 1955 son nom moderne de Tigani pour celui de « Pithagorio » en l'honneur du célèbre philosophe qui y avait vu le jour. Restent, en remontant vers le Nord, les îles du Nord égéen, c'est-à-dire de la« mer de Thrace». • SAMOTHRACE (c.l7 5 km 2 avec un sommet Fengari culminant à c.l 610 rn) fit longtemps partie intégrante du domaine ... thrace. Elle était fertile, bien pourvue en sources et siège d'un célèbre sanctuaire thrace, le Kabeirion, fouillé à plusieurs reprises dès le XIX' siècle (Champoiseau, Conze), ce qui a entraîné une grande dispersion des trouvailles. Les lieux étaient ouverts à tous et ils restèrent, semble-t-il, largement indépendants de la Cité (mod. Palaiopolis) bientôt prospère, fondée par les Grecs sur la fm du VIII' siècle. Des mystères s'y déroulaient en l'honneur de ces divinités chthoniennes au courroux redoutable auxquelles vinrent s'a> ! 4. Midas aurait offert son trône à Delphes (Hér. 1 14). 5. Les successeurs ne furent plus assez actifs sans doute au Proche-Orient pour figurer dans les documents assyriens et, côté égéen, les Lydiens ravirent la place aux Phrygiens sur la scène anatolienne. 6. La filiation avec des exemples similaires du Il" millénaire en Russie méridionale n'est pas totalement établie. Quant aux tombes les plus courantes, elles illustrent la pratique de la crémation.
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sans accès. Certains de ces tumuli atteignent plus de 50 rn de haut pour c.300 rn de diamètre. La plus grande sépulture de ce type, utilisant des cèdres pluriséculaires, richement équipée en objets de bronze, de bois, et pièces de textile, pourrait avoir abrité la dépouille de Midas ou celle de son père. • Peu après la période d'éclat de Midas de Phrygie, entrèrent en scène les LYDIENS 1, d'anciennes populations anatoliennes, dont la première grande figure connue est celle du richissime Gygès (c.685-c.652), celui qui s'était emparé « en tyran » du pouvoir en chassant ceux qui passaient pour des descendants légitimes d'Héraclès. On découvre ces Lydiens contrôlant l'acropole de SARDES (où était installée la capitale) 2 , les belles plaines du Caystre et de l'Hermos ainsi que les fameux dépôts aurifères du Pactole et les mines d'argent de l'arrière-pays. Avant d'être, lui aussi, victime de Cimmériens - conduits par Lygdamis (c.652), Gygès fut le premier Lydien à s'attaquer aux collectivités grecques d'Asie (Éolie et Ionie), tout en cherchant la bienveillance de Delphes 3 et le maintien de relations paisibles avec les Phrygiens qui étaient alors occupés à recevoir, comme les Lydiens, leurs premières importations grecques (céramiques protogéométriques corinthiennes, rhodiennes). Dans les niveaux d'occupation de la Sardes de cette époque, la céramique grecque apparaît en effet dès le protogéométrique, pour être bien présente dès le milieu du Vill' siècle. Les successeurs de Gygès jusqu'à Alyattes (c.610-c.560) 4 semblent avoir été des personnalités plus fades, dont les règnes furent en tout cas assombris par les chocs rudes avec les Cimmériens et les Cités grecques. Dans le but de se gagner un accès direct à la mer, Alyattes s'attaqua aux Cariens, à Milet et à Smyrne (confirmation archéologique, c.600), tandis qu'il a pu prendre de l'ascendant auprès des Phrygiens libérés de l'étreinte cimmérienneS, avant d'entrer en concurrence avec les Mèdes, ces nouveaux venus 1. Cf. aussi in.fra, p. 152-153. Pour rappel, les Étrusques ~es 1jrrrhèrwi, dans la Toscane actuelle), qui furent à l'époque archaïque les principaux interlocuteurs des Grecs à l'Ouest, auraient été, selon Hérodote (Hér. 1 94), des Lydiens originaires d'Anatolie, une opinion non partagée par Denys d'Halicarnasse. 2. Parmi la multitude des tumuli de sa nécropole (Bin Tépé), à Karniyarik Tépé, sur la rive gauche de l'Hermas, on pourrait identifier celui de Gygès, mais la chambre n'a pas encore été découverte. Dans chaque tumulus, on constate la présence d'une chambre en pierre avec une voie d'accès (dromos), un dispositif très différent donc des spécimens phrygiens que certains estiment être néanmoins les modèles de départ ~es plus anciens tertres phrygiens précèdent d'un siècle leurs plus anciens correspondants lydiens). 3. Cf. les offrandes en or et en argent vues par Hérodote dans le sanctuaire d'Apollon (Hér. 1 14). 4. Cf. la célèbre éclipse du 28 mai 585 (Alyattes et Cyaxare). A Gygès succéda Ardys qui fut suivi par Sadyattes. 5. Au début du vr siècle, de la céramique lydienne apparaît dans les tombes et les quartiers
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sur la scène et en progression vers l'Ouest. Signe de sa réussite et de ses contacts fructueux avec les communautés grecques (qu'il tenta de mieux contrôler), il fit frapper, sans doute de commun accord avec ces dernières, des monnaies qui furent peut-être les toutes premières, en électron, des pièces qu'on retrouve thésaurisées dans la citadelle de Gordion 1• TI est possible que son tumulus, avec sa chambre, ait été identifié 2 • Si son fils, Crésus (c.560-c.547 /6), fut pour les Grecs le plus prestigieux des Anatoliens, il fut aussi, vaincu par Cyrus, le dernier des Mermnades. Avant cela, fort de sa cavalerie réputée, maître de l'arrière-pays jusqu'à l'Halys (seules, la Cilicie et la Lycie lui échappèrent), il s'attaqua aux Cités grecques qu'il soumit à un tribut (une flotte lui aurait permis de conquérir les îles). n remplaça les pièces d'électron par des pièces en or et en argent tandis que le VI' siècle voyait quelques inscriptions sinistroverses utiliser un alphabet de 26 lettres, pour noter une langue issue du groupe hittite-louvite (rameau indo-européen). Le royaume lydien était alors à son zénith. Un nouveau conflit d'intérêt était prévisible à l'Est : il éclata avec la montée en puissance des Perses de Cyrus. Crésus chercha l'alliance des Égyptiens d'Amasis, celle des Babyloniens de Nabonide, celle des Spartiates, il flatta les Grecs d'Asie (Artémision d'Éphèse), consulta l'oracle d'Ammon en Libye et la Pythie de Delphes. Dans ce dernier cas, il offrit au sanctuaire d'Apollon Pythien des cadeaux mémorables en or et en argent, des gestes qui le consacrèrent proverbialement chez les Grecs comme l'un des hommes les plus riches qu'il leur ait été donné de connaître. Rien n'y fit et, après un choc incertain des deux armées non loin de l'ancienne capitale hittite, Cyrus l'emporta au terme d'un siège victorieux de Sardes, vers le moment où (cf. Hér. I 82) Sparte triomphait de façon décisive d'Argos (vers avril 547 ou l'automne de 546/5) 3 • Là encore, Hérodote demeure la principale source littéraire pour cette dynastie mermnade (Hér., Clio), mais l'archéologie tend à confmner ses dires (cf. Gordion). Sardes, non détruite, source d'inspiration au même titre que les Cités ioniennes pour la construction de Pasargades, devint une résidence satrapique 4 • d'habitation de Gordion à côté de celle de la Grèce de l'Est, avec des thèmes iconographiques grecs comme celui de « Thésée tuant le Minotaure >>. 1. C( infra, p. 153 et 472-476. 2. Le plus imposant de Sardes : c.60 m de hauteur pour près de 250 m de diamètre, recouvrant une chambre en pierres de taille de c.3,5 m de côté sur c.2,25 de hauteur) avec porte et antichambre - mais les pilleurs étaient passés par là, ce qui empêche toute comparaison avec la sépulture de Midas. 3. Cette date absolue reste plutôt incertaine : la première proposition est déduite - non sans réserve, il faut le rappeler- de la Chronique de Nabonide (Ckr., ll.l5-17), l'autre n'est guère plus assurée, car elle est suggérée par l'érudition antique, presque certainement sur une lecture quelque peu abusive du témoignage d'Hérodote (Hér. 1 53). 4. Pour les Perses, c( infra, p. 545-555.
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• Au Sud du domaine lydien, les CARIENS - que des traditions prétendaient associer déjà aux entreprises militaires du Minos crétois - se retrouvaient comme mercenaires dans la Lydie de Gygès, en compagnie d'Ioniens à l'époque saïte en Égypte. lls y ont laissé de nombreuses traces épigraphiques de leur séjour (Abou Simbel et Bouhen) tandis que la Carie n'illustrerait pas moins de 4 groupes alphabétiques distincts, comprenant des signes étrangers aux répertoires gréco-phéniciens. Pas vraiment lue, encore moins comprise, la langue des Cariens résiste toujours à l'analyse. Ces individus avaient sans doute comme ancêtres les populations de « Karkisha » du bronze récent anatolien (pour leur part, les Grecs les surnommèrent « Lélèges » 1), qui débordaient alors sur les îles égéennes proches. La tradition antique unanime s'accorde à voir en eux des marins avertis même si, en plus des habitats côtiers (cités« grecques>>, fermes isolées sur la péninsule de Bodrum), certaines communautés occupaient aussi l'intérieur du pays (versant Sud de la vallée du Méandre jusqu'à Aphrodisias). lls ne paraissent pas avoir dépassé de beaucoup le stade de collectivités dotées d'une aristocratie dirigeante (cf. Hér. VII 99 et la reine Artémise, fille de Lygdamis d'Halicarnasse), collectivités ouvertes à l'hellénisme depuis au moins le protogéométrique, sinon peut-être déjà l'époque protohistorique (Milet, Iasos) 2 • Un certain sentiment national carien pouvait se fonder sur l'existence de sanctuaires indigènes tels ceux de Zeus Karios à Mylasa, de Zeus Stratios à Labranda et de Zeus Chrysaoréos près de Stratonicée (mod. Eskihisar). • La LYCIE, dans l'angle Sud-Est de l'Anatolie (partie Est du golfe de Fethiye et, sans doute, plaine d'Elmali avec son tumulus décoré de Kizilbel), occupe une position avantageuse sur la grande voie maritime qui reliait l'Égée au Proche-Orient et à Chypre, position qui explique sa relative ouverture sur le monde grec au cours de l'époque archaïque (Rhodiens à Phasélis et Mégistè). Pays de hautes montagnes autorisant la migration saisonnière, pourvu de vastes forêts invitant à la mise au point d'une architecture de bois (qui- sur l'exemple phrygien?- se «pétrifie» au cours du VI' siècle), son littoral offre de bons ports (Limyra) et de nombreux points d'eau pour les navires de passage. Le grand centre classique en fut, à partir du VITI' siècle, l'acropole de XANTHos, dominant la plaine lycienne la plus fertile, avec, à c.4 km, le site du Létôon (sanctuaire fédérallycien) et le port 1. Selon une démarche qu'illustre aussi la désignation des « Phéniciens », des « Éthiopiens », etc. (cf. infra, p. 248-250). Comme souvent, les incertitudes surgissent de la médiocre connaissance de l'Ouest anatolien dont faisaient montre les Hittites tout au long de leur histoire. TI n'est pas impossible que les Cariens aient été des descendants de populations antérieures à l'arrivée de groupes indoeuropéens en Anatolie, sans doute au cours du ill' millénaire. 2. Cf. irifra, p. 146-153.
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de Patara. Les Lyciens (fermiles), à qui les Grecs ont lié les grandes figures légendaires de Sarpédon et Bellérophon 1, avaient une localisation (pays Lukka) dans l'Anatolie occidentale du bronze récent qui ne fait pas l'unanimité chez les chercheurs, mais toujours en bord de mer d'où ils lancèrent divers raids spectaculaires. Au rer millénaire, ils restent quasiment insaisissables avant le VI' siècle (cf. Hér. I 173-17 4 et 176) : tout au plus sait-on qu'ils furent en contact avec le monde grec (céramiques provenant de divers horizons), qu'ils durent longtemps recourir à une architecture de bois dont rien n'aurait subsisté, qu'ils résistèrent à Crésus mais que, malgré leur résistance héroïque, ils durent s'incliner face à Harpage en c.545 (siège de Xanthos). Le lycien, apparenté au louvite, est plutôt bien connu en regard des autres parlers ouest-anatoliens, grâce à une moisson épigraphique riche et variée ~es plus anciennes attestations remontent au VI' siècle, en alphabet dorien). • Enfm, on notera que, dans la littérature archéologique, l'établissement de Tarse en CIUCIE «Plane» ~a« Que» des textes accadiens) est assez souvent cité, de concert avec le centre commercial syrien d'Al Mina, pour les années c.800. La (appartenance de centres > à l'un ou l'autre groupe) des découvertes épigraphiques ponctuelles. La méthode employée est celle des isoglosses ou caractéristiques spécifiques au parler d'une région. En ce domaine, le témoignage écrit est essentiel, mais non exempt d'ambiguïtés graphiques. 2. L'autre classification, proposée plus récemment, conduit à distinguer un dorien , un dorien > et un dorien >, avec une ventilation géographique différente.
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dressée avec une relative certitude, qui indiquerait un état antérieur à cette «invasion>> que l'archéologie pour sa part, en dépit de longs efforts assidus, est moins que jamais en mesure de confirmer 1• En fait, d'une façon plus générale, l'histoire des dialectes grecs aux IJ< et 1er millénaires reste encore à écrire pour l'essentiel, et au vu de la complexité des problèmes linguistiques et de leurs implications historiques, tout essai ne pourra que susciter une avalanche de prises de position en tous sens.
MOUVEMENTS DE POPULATION: a fait son irruption dans une Histoire grecque érudite alors à peine sortie des limbes 4 • L'auteur y défendait la thèse d'un fonds historique pour ces récits. Longtemps influencée, estime-t-on soùvent, par une Altertumswissenschajt allemande de plus en plus travaillée par le nationalisme et le «modèle spartiate», une bonne part de l'érudition moderne (philologues, historiens, archéologues) a estimé et continue généralement à admettre, au-delà des multiples variantes dans les positions défendues par chacun, qu'il convenait de retrouver dans ces récits une tradition mythique -sorte de «souvenance»- de l'arrivée d'une dernière vague d'hellénophones qui se seraient installés en Grèce : les Doriens. Et cette arrivée, accompagnée de violences ou pacifique, est presque toujours posée au terme du bronze récent 5 • Un tel jugement historiographique mérite cependant d'être nuancé et une meilleure place doit sans doute être reconnue, au-delà des 1. Pour une lecture > plutôt qu'« événementielle >> de la geste héracléenne - et de ses prolongements impliquant les Doriens et mettant enjeu les valeurs fondamentales grecques qu'étaient l'esprit de compétition (agôn), le courage (arétè) et la volonté divine (thémis), cf. in.fra, p. 180-183. 2. Cf. supra, p. 38-39. 3. Cf. aussi supra, p. 99-100. 4. Müller, [655]. 5. Ainsi, en France, Glotz, [58].
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« sensibilités )) nationales, à l' horror vacui bien connue de tous les historiens confrontés- dès l'érudition antique- à ce qui s'imposa vite comme des « siècles obscurs )) . A vrai dire, cette même science allemande - de nature surtout philologique - peut aussi se prévaloir d'un courant (érudit et toujours bien vivant) qui s'est opposé avec éloquence à une telle lecture « historicisante )) du tissu légendaire, mais les adversaires de ce courant firent valoir - non sans déplacer le cœur d'un débat né des textes vers l'archéologie et divers restes matériels - que ces travaux « littéraires )) faisaient la part trop belle à l'« hypercritique )) 1• C'est ainsi que va se développer, à partir des« années trente)), un grand courant opposé à ces approches décrétées « hypercritiques )), bientôt relayé en Angleterre et favorable à la thèse de l'existence d'un «substrat historique )) mesurable dans les récits légendaires. En l'occurrence, ainsi que se sont attachés à le montrer divers savants 2, les témoignages littéraires sur l'« invasion dorienne )) seraient recevables et, qui plus est, ils concorderaient avec les observations faites sur le terrain, certains n'hésitant plus à voir dans l'arrivée des Doriens un élément de régénération décisif pour la « race grecque)) et son histoire future, d'autres préférant y voir la cause d'un recul brutal de la civilisation (au moins dans son expression matérielle) au terme d'un bronze récent «mycénien)) («achéen))). L'originalité de cette démarche par rapport au courant philologique résida donc dans son recours marqué aux données archéologiques, et son plus grand représentant fut peut-être l'historien anglais N.G.L. Hammond, auteur de nombreuses pages dans la deuxième et récente édition de la Cambridge Ancient History, où ses positions sont exposées 3• n semble cependant qu'en bonne méthode le «problème dorien))' né des textes (témoignages littéraires et volet dialectal), ait donc à être considéré en priorité sous cet angle. De ce point de vue, et si l'on veut bien accorder quelque signification aux divergences observables dans ce domaine littéraire, on est en présence d'une série d'épisodes, par certains côtés de facture foncièrement épique, dont l'origine paraît bien à rechercher pour l'essentiel dans le besoin inconscient, éprouvé par certains groupes et individus des vrn·-vr siècles et répété à chaque génération, de se situer tant vis-à-vis de 1. Ainsi depuis K. Beloch, G. Busolt, U. von Wilamowitz-Mœllendorff, C. Robert (pour lesquels l'émergence de ces récits serait à placer dans le cadre de l'histoire argienne archaïque dominée par la figure insaisissable de Phidon le Téménide) jusqu'en 1979 avec Prinz, [329], p. 313: .Un De Sanctis n'était pas davantage tenté d'accorder une place de choix aux Doriens, tout comme une partie de l'érudition française.
2. Souvent sensibles aux grands débats philosophiques qui ont déchiré ce xx· siècle européen. 3. Mais bien d'autres noms peuvent être cités : R.M. Cook, M.A. Levi, G.L. Huxley, F. Schachermeyr, P. Lévêque, etc.
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leur communauté qu'en regard du «passé exemplaire » 1• C'est dans cette perspective que le nom de Phidon et de sa patrie, Argos, sont souvent cités 2 • On soulignera cependant que mieux vaudrait avouer notre ignorance quasi totale quant aux origines ultimes de ces divers récits épiques, notre seule certitude à leur sujet étant qu'ils ne s'élaborèrent en tout cas pas dans une mentalité habitée par la conscience historique 3• n ne suffit donc pas de les dépouiller, un peu comme faisait un Plutarque, des « ornements » qui paraissent porter atteinte à leur « vraisemblance » pour espérer toucher un « noyau historique » intégrable « mécaniquement » dans une reconstruction véritablement historique. De leur côté, les raccords entre les épisodes- qui s'avèrent souvent boiteux- permettent de déceler que ces« matériaux épiques» ont fmi (à partir du V' siècle, cf. Thuc. 1 9,2) par être assemblés et qu'ils trouvèrent sous cette forme de nouvelles fmalités, notamment celle de rendre compte, au moins pour partie, des contradictions (perceptibles par tout témoin quelque peu attentif) entre le tableau général de la Grèce qui se dégageait de la poésie homérique - laquelle s'était entre-temps progressivement imposée comme la référence culturelle et sociale (paideia) de tous les Grecs - et la situation observable à partir de l'époque où se pratiqua l'historiè 4 • Et cette dernière époque n'était autre aussi que celle où se cristallisait une opposition politique entre Grecs au parler dorien et Grecs au parler ionien-attique\ bref l'époque même où Athènes et Sparte voyaient leurs rapports se crisper dangereusement (cf. en particulier l'automne 462 qui vit Cimon congédié par les Spartiates). La poésie épique renvoyait à un Péloponnèse achéen tandis que la simple observation y relevait la présence d'un monde dorien. Le passage d'une situation à l'autre s'expliquait donc du fait que ces Doriens étaient les descendants de ceux qui avaient accompagné les Héraclides lors de leur retour de Doride, une contrée qu'il vaut mieux ne pas identifier alors strictement à la Doride « historique » mais laisser sans localisation trop précise, «quelque part» au Nord du Péloponnèse (cf. Hér. 1 56 et VIII 43). En ce sens, le constat provisoire qu'on est amené à dresser à propos du 1. Une démarche dont on peut voir une autre illustration dans les cultes héroïques (cf. in.fra, p. 348-359). Cf. aussi supra, p. 9-36 et in.fra, p. 524-527. On évitera en tout cas avec soin d'envisager des manipulations conscientes du passé, des procédures qui ne sont guère attendues de la part de communautés >. 2. Cf. in.fra, p. 244-247. 3. Cf. aussi in.fra, p. 166-173, pour la portée éthique initiale de ces récits traditionnels. 4. On notera que la date de ce >, entre le X' et le VIII' siècle, un accroissement sensible du nombre de secteurs occupés (présence de puits, comme à Athènes), même si les grossières estimations démographiques restent encore loin des chiffres proposés pour le bronze récent (époque «mycénienne»). Toute évaluation démographique régionale sérieuse est en effet exclue, mais une population encore clairsemée aux XI'-X' siècles, en croissance accélérée au fil des IX'-VIII' siècles dans le cadre de villages 1. Pour ce qui concerne le décor figuré sur céramique, on a estimé préférable de reporter plus loin ce qu'il convenait d'en retenir, cf. infra, p. 227, 435-444 et 469-472. 2. Le plus souvent, les obstacles proviennent des niveaux correspondant à l'occupaùon des lieux depuis l'époque classique jusqu'à l'époque romano-byzanùne, auxquels s'ajoute l'occupaùon contemporaine. 3. Des cas exemplaires sont fournis par les grands sanctuaires tels que ceux de Delphes, Délos ou Olympie, ou encore l'Acropole d'Athènes, cf. infra, p. 360-371 et 494-495. Cette observaùon n'est pas moins d'actualité pour les temps plus proches de l'époque classique. On est ainsi bien en peine de dire où courait, dans le cas de l'Athènes du vr siècle, le rempart urbain - si même il existait !
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installés dans les secteurs les plus propices aux indispensables activités agricoles, paraît une situation fort envisageable 1• Dans de rares cas (et pour l'extrême fin de la période), des chiffres plus précis ont été avancés. Ainsi la vieille Smyrne, vers 700 av. J.-C., n'aurait encore compté qu'à peine plus de 3 000 habitants pour 4 à 500 habitations en partie protégées par une enceinte. Restent aussi, pour fixer les idées, quelques petits habitats « secondaires », occupés temporairement, comme ceux de Karphi en Crète, Zagora d'Andros ou Vroulia à Rhodes, mais leur représentativité en regard de leur région, voire plus encore de l'ensemble de la Grèce, reste douteuse. Ici et là, l'argile (briques crues sur lit de pierres) et le bois devaient jouer un rôle essentiel. On comprend dès lors mieux la place de plus en plus exceptionnelle qu'occupe dans tout discours sur les temps préclassiques un site comme celui de Lefkandi en Eubée, de belle taille mais abandonné pour de bon au terme du VIII' siècle, fouillé par l'École anglaise d'archéologie et ... désormais en grande partie publié. Lorsque l'observation est possible, il apparaît que les maisons étaient minuscules, consistant parfois en une seule pièce aux dimensions réduites et offrant des formes assez variées (rectangulaires le plus souvent, absidiales parfois), où l'entrée pouvait s'effectuer en passant sous un porche doté de deux supports in antis : ces modestes abris ne pouvaient guère receler une foule d'objets ni davantage loger un grand nombre d'individus 2• On se plaît souvent à observer que les « résidences )) des rois grecs de l'époque géométrique échappent toujours à l'investigation. n est vrai aussi que, sans même s'engager dans les discussions relatives à leur existence et à leur nombre 3, l'esprit est trop encombré par l'image des «palais)) mycéniens de l'HR IIIA2-B (c.l400-c.l200), dont on oublie trop vite qu'il s'agissait en fait d'édifices semble-t-il très peu fréquents et assurément plurifonctionnels, dont les « maîtres des lieux )) restent en définitive malaisés à identifier. En d'autres termes, ce sont des complexes architecturaux délicats à interpréter et qui peuvent donc difficilement prétendre avoir valeur de référence pour une enquête sur les demeures royales des «siècles obscurs)) 4• Peut-être est-ce l'une de ces« maisons de chef))' vite transformée en sépulture pour l'abriter dans la mort, que l'on a découverte à Toumba de Lefkandi 5• 1. Cf. aussi infra, p. 269-286. 2. On notera, d'une part, que de tels espaces réduits rappellent ce que donnait déjà à voir, par exemple, l'habitat minoen de Gournia et que, d'autre part, les villages grecs « traditionnels >> montrent combien la définition des unités d'habitation est périlleuse tant les circulations à l'étage peuvent contredire les observations faites au niveau du sol, combien aussi l'équipement intérieur peut se révéler rudimentaire. 3. Cf. supra, p. 169-172. 4. Cf. Treuil et al., p. 430-433, 466-472 et 487-488. 5. Cf. infra, p. 348-359 et 417-424.
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Quant à l'architecture spécifiquement religieuse, comme le «temple» (naos) ne fut jamais à proprement parler au cœur du dispositif religieux grec, son rôle n'étant en fin de compte« que» de servir d'abri à la statue de culte là où il en existait une (souvent en bois), ses premières manifestations ne sont guère plus aisées à distinguer 1 du reste des ruines et l'identification a souvent donné lieu à des controverses. De ce point de vue, le cas le plus intriguant est aussi le plus ancien et il est offert encore par le grand édifice de Lefk.andi- Toumba avec porche et colonnade, à propos duquel les chercheurs restent divisés entre tenants d'une demeure princière transformée en sépulture et partisans d'une sépulture princière ayant fait un temps l'objet d'un culte «monumental» des ancêtres 2• Davantage au-dessus de ces difficultés interprétatives, on citera les édifices avec colonnades de Thermos, Samos et Érétrie 3, mais on est alors bien souvent déjà pratiquement entré dans la «période orientalisante ». En général, les tombes sont rassemblées, groupées en nécropoles, à peu de distance de l'habitat. Pendant la majeure partie de l'époque géométrique, sauf rares exceptions, les tombes ne contiennent que très peu de matériel d'accompagnement et, quoi qu'on ait pu écrire parfois, on se trouve bien démuni lorsqu'il s'agit d'expliquer de façon circonstanciée la signification de sa présence ou de certaines de ses caractéristiques. En tout cas, nécropoles, équipement funéraire et, dans une moindre mesure, pratiques funéraires présumées (à partir surtout des restes matériels identifiés) ont fait l'objet, au cours des vingt dernières années, de divers essais interprétatifs, visant à reconstruire la société des vivants, inspirés de travaux «ethna-archéologiques» opérés d'abord sur des cultures amérindiennes. Sans être assurément dénuées d'intérêt et sans se prêter aux mêmes critiques que les vieilles analyses d'inspiration anthropométrique, les déductions proposées n'ont guère la solidité que prétendent souvent les tenants de ce type d'approche dès lors qu'il s'agit d'en tirer des conclusions à dimensions sociologiques, voire politiques, pour les groupes humains concernés. De ce point de vue, plusieurs études ethnologiques récentes, appliquant des analyses structurales fondées sur les multiples rituels funéraires encore en usage en Grèce contemporaine (en particulier dans diverses régions rurales), illustrent sans ambiguïté combien les lectures au premier degré du matériel funéraire peuvent souvent s'avérer trompeuses et invitent donc à redoubler de prudence. De toute façon, on fera observer que cette sobriété en biens « durables )), qui caractérisa longtemps aussi bien les habitats que les sépultures, n'implique pas nécessairement une soi-disant « pauvreté matérielle )) 1. Cf. infta, p. 345-371. 2. Cf. infta, p. 349-359. 3. Cf. supra, p. 76, 78-80, 106-107 et infta, p. 196-203, 209-210, 222.
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pour ces collectivités et oblige encore moins à les taxer d'une quelconque misère spirituelle. Quoi qu'il en ait été, les études des restes osseux, lorsqu'elles ont été conduites 1, laissent entrevoir des espérances de vie ne dépassant guère 30 à 40 ans, avec un taux élevé de mortalité infantile, ce qui implique une succession rapprochée des générations et laisse la place à une évolution rapide de certains usages et croyances dont on clamait néanmoins l'intangibilité. Enfin, on relèvera que, parmi les différences remarquables que donnent à voir les pratiques funéraires de ces siècles par rapport à celles en usage à l'époque« mycénienne», on observe presque partout, à côté d'une extrême variété rarement explicable (formes des tombes, inhumations, incinérations), une généralisation des sépultures individuelles, à l'exception notable de la Thessalie et surtout de la Crète 2 • Peut-être est-on en droit pour ces dernières régions à la fois d'y lire le reflet d'un passé protohistorique moins perturbé et d'y découvrir une image de la plus grande cohésion dont faisaient alors montre ces collectivités en regard d'autres régions de Grèce.
MÉTALLURGIE
On ne peut oublier qu'avec l'effacement de la civilisation mycénienne au cours du xrr· siècle, on passe également, conventionnellement, pour user de la terminologie archéologique consacrée, de l'« âge du bronze » à l'« âge du fer». ll convient cependant de s'entendre sur ce qui a bien pu se produire en pratique au cours des XIY-xr siècles dans le domaine des productions métalliques. La manufacture d'objets en vrai bronze 3 - une tradition solidement établie dans l'Égée du bronze récent- ne s'est pas trouvée à proprement parler rejetée, mais, reposant sur l'importation de cuivre (rare en Égée) et d'étain (absent), la production dépendait (et la remarque vaut aussi en bonne partie pour l'or) du maintien d'échanges maritimes suivis avec Chypre et le Proche-Orient. Or, il est incontestable que ces derniers connurent, surtout entre c.l 050 et c.950, sinon une rupture de fait - difficile à établir, à tout le moins un relâchement sensible, que la refonte de divers objets usagés ne combla pas; et avec la raréfaction des matières premières vint l'oubli de 1. On regrettera en effet qu'elles restent loin encore d'être aussi nombreuses qu'on serait en droit de l'espérer. 2. Cf. infia, p. 204-209. 3. A distinguer en particulier du bronze arsenical.
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plusieurs techniques de fabrication. Quelques régions d'Égée, qui possédaient de bonnes sources de minerais de fer et qui, au cours du XI' siècle, avaient reçu, via Chypre ici (Attique, Crète, Eubée), directement d'Anatolie là (Thrace, Macédoine), les premiers rudiments quant à son extraction et à son travail, se tournèrent donc, malgré la qualité toute relative des résultats obtenus, vers ce produit de substitution, et s'y tinrent, non sans enregistrer quelque progrès parfois, aussi longtemps que cuivre et étain ne furent pas à nouveau disponibles en Égée. Dès que les arrivages orientaux reprirent (parfois même accompagnés de métallurgistes) 1, au IX' siècle (à Lefkandi, dès le X' siècle), la prôduction de séries d'objets en bronze redémarra pour atteindre, au cours du VITI' siècle, des proportions supérieures en nombre et en variétés à ce qui se faisait avant la «crise». En témoignent, parfois de façon spectaculaire, les offrandes déposées dans les tombes et les sanctuaires, avec les grands chaudrons aux anses représentant des têtes de sirènes ou des avant~corps (protomès) de griffons (Delphes, Olympie), des anses pour lesquelles le moulage remplaça bientôt le martelage des débuts. Le fer, de son côté, malgré l'introduction, également à partir de l'Est, de nouvelles techniques plus performantes (sans doute là aussi à la suite de l'intervention d'artisans au savoir-faire encore inconnu ou oublié en Égée), se vit alors davantage cantonné, semble-t-il, dans certains usages exclusifs, tels que les armes offensives, divers outils domestiques ou encore des broches de fer (obéloi, obéliskoi) peut-être fmalement utilisées, en groupes de six, comme signe d'un certain statut social ~ors de repas collectifs avec consommation de viande ?), voire ensuite aussi comme rudimentaire moyen d'échange, un usage« prémonétaire »qui reste cependant très discuté 2 • On s'est interrogé sur les raisons de ce retour en vogue du bronze: produits finis importés, goût du luxe ostentatoire, « services » offerts par des artisans chypro-phéniciens itinérants ou installés en certaines régions de l'Égée (Dodécanèse, Crète, Eubée, Attique) jouèrent sans doute chacun un rôle, mais la vieille poésie épique y fut sans doute pour beaucoup. Cette dernière continua forcément, même bien longtemps après la « chute de Mycènes», à évoquer la splendeur des brillantes réalisations en bronze que des générations successives d'aèdes avaient peu à peu insérées dans le monde héroïque avant que leurs successeurs n'y intègrent à leur tour les réalisations en fer. Quoi qu'il en ait été, cet engouement pour le bronze étincelant eut de lointaines conséquences : la quête des métaux permettant sa préparation paraît bien figurer parmi les premières justifications de plusieurs entreprises 1. Cf. infra, p. 248-269. 2. Cf. infra, p. 465-476.
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L'époque géométrique
maritimes au long cours, conduites tantôt par des Grecs, tantôt par des « Chypro-Phéniciens » (c'est-à-dire, en pratique, des Tyriens), dès les premiers temps de l'époque géométrique. Elles donnèrent même peut-être à certains Grecs l'occasion de repérer, de fréquenter, voire bientôt d'occuper de façon permanente à la fois des terroirs qui devinrent plus tard le réceptacle de leurs excédents démographiques mais aussi des points de rencontre où purent s'opérer des échanges fructueux 1 : comme les fouilles ne détectent aucune contrepartie visible venant des Grecs, certains chercheurs songent à la livraison, en échange des métaux (cuivre, étain, or), d'esclaves capturés à l'occasion de razzias ... en s'inspirant d'Homère. Mais on peut sans doute envisager déjà aussi des« excédents» agricoles (céréales, huile d'olive, vin?).
V~TEMENTS ET TISSUS
Parmi les petits objets métalliques, caractéristiques de la Grèce protogéométrique et géométrique, figurent en bonne place des épingles, des fibules, des agrafes, des broches. Ces pièces militent en faveur de l'introduction de vêtements inconnus ou rares encore à l'époque protohistorique, tels que le châle et surtout le péplos de laine, une pièce de vêtement promise à un long avenir, mais dont on ne dispose d'aucun spécimen. On ne peut exclure par ailleurs que les communautés grecques aient été en mesure de produire des tissus (notamment en laine), dans des proportions dépassant la simple demande domestique, mais toute information solide (en dehors des nombreux pesons que livre la plupart des fouilles et des mentions en linéaire B) fait défaut sur cette activité féminine par excellence 2 •
BOIS
Tant les sources littéraires que l'iconographie présentent de façon répétée et insistante le bois comme un matériau utilisé d'abondance en Grèce antique pour la fabrication d'objets les plus divers, sans oublier la construction maritime et l'architecture. Les conditions climatiques font cependant 1. C'est la raison d'être souvent donnée à la fondation d'Al Mina, cf. infia, p. 25 7-261. 2. Pour l'époque du bronze, cf. Treuil et aL, p. 502-504; cf. toutefois le kilim enveloppant les ossements brfilés du « héros >> de Lefkandi- Toumba.
Culture matérielle des « siècles obscurs»
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que les découvertes d'objets en cette matière demeurent extrêmement rares. En dehors des restes calcinés et de rares épaves, les trouvailles les plus spectaculaires (surtout de la fm du VII' siècle, notamment divers modèles miniatures de bateaux) proviennent des fouilles allemandes de l' Héraion de Samos, un endroit qui offrait précisément, grâce à un sol marécageux, des conditions physiques satisfaisantes de conservation 1•
NAVIGATION 2
Au géométrique récent, en Attique notamment, il n'est pas rare que des bateaux soient peints (parfois impliqués dans des activités guerrières) sur des vases. ll s'agit toujours de navires longs, propulsés par une voile et des rameurs. L'exploitation de ce matériel iconographique n'est pas aussi aisée qu'on le laisse souvent entendre, pour des raisons exposées par ailleurs : le bien-fondé de sa combinaison avec le témoignage homérique ne s'impose guère et, surtout, rien ne permet de démontrer que le but était d'illustrer un événement historique précis 3•
ARMEMENTS
Les mêmes problèmes interprétatifs se reposent dès lors qu'est ouvert le dossier iconographique relatif à l'armement des« siècles obscurs». Casques aux formes caractéristiques, piques, épées de taille et de profil variés, poignards, couteaux, arcs et boucliers divers (en particulier les modèles dits «béotien» et« du Dipylon »)donnent régulièrement lieu à des classements typologiques affinés et à des propositions divergentes non seulement quant à leurs usages précis dans le combat\ mais plus prosaïquement, pour certains d'entre eux du moins, quant à leur simple existence à l'époque géométrique, l'archéologie ne pouvant en fournir de restes matériels (en particulier arcs, boucliers). Mais on a fait valoir, à bon droit, le caractère putrescible de l'essentiel de leurs composants.
1. Cf. 2. Cf. 3. Cf. 4. Cf.
infra, p. 198-199. supra, p. 161-163. supra, p. 5-36 et 156-161. supra, p. 161-166.
CHAPITRE IV
Des derniers temps de l'époque géométrique aux guerres médiques c. 750-c.500
1. LES GRECS DE L'ÉPOQUE ARCHAÏQUE, RÉGION PAR RÉGION
On se propose ici d'opérer un second périple à travers les principaux secteurs du domaine grec «traditionnel», une exploration région par région. On tentera de découvrir ces ensembles géographiques tels qu'on peut les appréhender au terme de l'époque géométrique et pendant l'époque archaïque, des décennies qui virent par ailleurs des Grecs issus de plusieurs des secteurs de cette « Vieille Grèce » partir à la conquête de nouveaux terroirs et d'un avenir meilleur, des préoccupations et des entreprises qui seront abordées dans les chapitres suivants 1• Ces pages seront donc l'occasion de rassembler, pour chacune des régions visitées, les événements et traits majeurs qui marquèrent l'histoire de leurs populations au cours des deux siècles et demi qui précédèrent l'irruption des Perses en Égée.
LES« GRECS DE L'EST »
Pour l'ensemble des communautés grecques installées depuis une époque incertaine, mais sans doute ancienne, sur les franges occidentales de !. Cf. infra, p. 269-323.
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L'époque archaïque
l'Asie mineure et dans les îles immédiatement au large de celle-ci 1, cette période fut dominée par la montée en puissance du royaume lydien - consécutive aux raids cimmériens - et sa chute aussi brutale qu'inattendue face aux Perses de Cyrus 2• Quant à ses dernières armées, elle vit plus précisément la disparition brutale du tyran Polycrate de Samos, une des figures-phares de l'Ionie archaïque. Tout au long du survol de la période dont on pressent la vie intense et les promesses, revient l'irritation née de la rareté des sources :l'archéologie pèse, en définitive, toujours d'assez peu de poids en dehors de quelques apports ponctuels et parfois même spectaculaires; l'épigraphie grecque est alors encore dans la petite enfance, tandis que les sources littéraires sont dominées sans partage par les propos d'Hérodote, déjà bien postérieurs à l'époque considérée, auxquels s'ajoutent divers témoignages beaucoup plus tardifs encore et souvent contradictoires. Pour l'essentiel de l'Anatolie, le passage du Vlll' au VII' siècle se fit dans la violence des raids dévastateurs, opérés par les Cimmériens responsables de la chute de Midas et de sa capitale phrygienne, Gordion (c.696/5). A peine quelques armées plus tard, sans doute vers 685, Gygès usurpa le trône lydien de Sardes et fonda une nouvelle dynastie, celle des Mermnades. L'homme, qui semble avoir très vite noué des contacts avec l'Assyrie et l'Égypte, profita sans doute au mieux du vide laissé par la débâcle phrygienne. Ainsi donc, très vite aussi, les Cités grecques se retrouvèrent chacune avec, quasiment à leur porte donnant sur l'intérieur du pays, un seul et même voisin, aussi puissant qu'agressif. Sans que l'on sache exactement en quels termes il convient de lier les deux phénomènes, on notera que, par ailleurs, les Cités de Grèce de l'Est ne figurent pas parmi les pionnières du grand courant colonial qui débuta au Vlll' siècle, ni davantage dans les premières équipées en Méditerranée orientale (pour autant que l'attribution de la première place aux Eubéens soit vraiment fondée) 3 • Peut-être les graves perturbations nées des incursions cimmériennes seraient-elles aussi à prendre en compte pour expliquer cette sorte de «retard». Quoi qu'il en soit, ce doit être dans les derniers temps du VII' siècle qu'il convient de placer le zénith des activités commerciales des Grecs de l'Est, et plusieurs indices donnent à penser qu'en fait ce n'est guère avant le milieu du VI' siècle qu'ils s'imposèrent comme les «maîtres de la mer» (Polycrate de Samos). Cela dit, la variété et la richesse des objets exotiques consacrés dans le grand sanctuaire civique extra-urbain d'Héra à Samos - et découverts là en
1. Cf. supra, p. 104-114 et 126-138. 2. C( supra, p. 146-154. 3. C( infra, p. 250-262 et 301-309.
us Grecs, région par région
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débris dans des dépôts de la fm du VII' siècle- n'encouragent pas à poser une limite trop précise pour cette période d'intenses activités maritimes. L'information (Hér. 1 6 sqq.) ne permet guère d'entamer une analyse de la politique des Mermnades à l'égard des Grecs installés sur les franges occidentales de leur royaume. On sait seulement que Gygès s'attaqua aux Grecs de Smyrne et de Milet, qu'il s'empara de Colophon, qu'il fit de mémorables offrandes d'or et d'argent au sanctuaire de Delphes et qu'il permit à des Milésiens de fonder Abydos (ce qui laisse entendre une extension, dès cette époque, du royaume lydien jusqu'aux Détroits). Sous Ardys et Sadyattes, ses successeurs, les hostilités paraissent s'être confinées au Sud de l'Ionie (Priène et Milet) tandis qu'Alyattes mit un terme à ses attaques contre Milet, d'accord avec son tyran Thrasybule, mais détruisit Smyrne au terme d'un siège victorieux. Par la suite, un calme relatif paraît s'être installé dans tout ce secteur sensible, où la terre le dispute à la mer et que se partageaient -pas toujours d'ailleurs sans heurts entre elles (ainsi Samos et Milet)- de riches communautés grecques, jusqu'à ce que Crésus (c.560-c.546/5) reprenne l'offensive sur tous les fronts et en particulier contre elles. Ayant poussé à l'Est jusqu'à l'Halys, il entreprit à l'Ouest de reculer la limite de ses possessions jusqu'à l'Égée en soumettant aussi bien les Cariens que les Doriens, les Éoliens et les Ioniens qui y vivaient. Les Grecs d'Asie mineure se retrouvèrent ainsi en quelque sorte réunis au sein d'un seul État... dont Crésus était le maître et la capitale Sardes, siège du pouvoir lydien mais aussi lieu d'exil (ainsi pour Alcée) et centre de troc (électron et or) 1• A l'intérieur de ce puissant royaume, une place exceptionnelle parait bien avoir été faite sinon à la culture grecque dans son ensemble du moins à nombre de ses expressions artistiques. Peut-être ce succès remarquable résulta-t-il d'abord de l'absence de traits propres à la culture matérielle lydienne - traits bien présents au contraire dans celle des Phrygiens de l'intérieur anatolien- ou peut-être s'explique-t-il pour partie aussi par le lointain passé commun que ces deux mondes voisins se partageaient, un passé commun qui rend, en défmitive, la contribution de chacun délicate à discerner. On ne peut en tout cas parler d'emprunt à sens unique : c'est des Lydiens que les Grecs reçurent les cultes de Bacchus et de Cybèle; c'est à eux encore qu'ils empruntèrent une part appréciable de leur culture musicale; c'est à leur contact enfm qu'ils prirent conscience de ce que pouvait être le luxe matériel et une vie raffmée (cf. les témoignages de Sappho de Mytilène et de Xénophane de Colophon). Malgré une résistance par endroits opiniâtre, vers 540, le Mède Harpage parvint à faire tomber dans l'escarcelle de Cyrus l'Ancien l'ensemble des possessions de Crésus et donc aussi les Cités grecques qui prospéraient sur 1. Cf. infra, p. 431-454 et 465-476.
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les franges du continent. Seule Milet, tirant profit de sa position stratégique privilégiée, parvint, semble-t-il, à conserver ses droits, mais le statut exact des autres communautés grecques assujetties n'est pas connu. On sait cependant qu'alors, bon nombre de Phocéens, refusant la soumission aux Perses, préférèrent abandonner leur patrie pour rejoindre ceux des leurs qui étaient partis comme colons en Méditerranée occidentale, et que des gens de Téos gagnèrent les rivages thraces où ils fondèrent Abdère, quelques kilomètres à l'Ouest de Maronée établie par les Chiotes au début du VIT' siècle. En revanche, dans un premier temps, les Grecs insulaires - tels les Samiens, Chiotes, Lesbiens ou les grandes communautés de Rhodes - paraissent avoir échappé aux Perses encore dépourvus de la marine indispensable même pour franchir les courtes distances qui isolaient ces îles du continent. n n'empêche que Polycrate tomba, victime de la ruse d'un dignitaire perse, en
c.52211. On ne sait si Sardes resta sous les Perses le pôle culturel et économique brillant qu'elle avait été sous les Mermnades, mais elle devint en tout cas la capitale régionale des nouveaux venus pour l'Asie mineure. De même, le(s) statut(s) juridique(s) exact(s) de ces Cités grecques vis-à-vis de leurs puissants « protecteurs >> orientaux - Lydiens, puis Perses - échappe(nt) largement à l'enquête et il en va tout autant, sinon plus encore, de leur organisation interne ou encore de l'évolution de leurs courbes démographiques. De façon générale, ce qui se lit des familles « royales » dans les sources anciennes, pour les premiers temps qui suivirent l'installation en terre d'Asie (Éphèse, Érythrées, Chios, Kymè, Lesbos), n'est guère moins suspect d'être le fruit de reconstructions ultérieures orientées que les légendes relatives aux fondations 1• Pour le reste, on se perd en conjectures avec des miettes de récits aux origines invérifiables, illustrant pour l'essentiel des luttes pour le pouvoir opposant des parties malaisées à cerner sur l'échiquier civique et économique (Samos et Milet, pour la fin du VIT' siècle). L'idée récurrente selon laquelle les « Grecs de l'Est » furent, au rr millénaire, de grands précurseurs en matière artistique remonte au XIX' siècle, mais à vrai dire, elle a été battue en brèche dans nombre d'études tout au long des dernières décennies. Avec le temps, des découvertes nouvelles et des recoupements chronologiques ont permis de montrer que les influences qui touchèrent la Grèce propre n'eurent pas nécessairement à transiter par l'Ionie, même s'il est vrai que cette dernière région développe un hellénisme marqué par son environnement propre 2• Au fil de l'époque archaïque et du décollage économique vigoureux que 1. Cf. supra, p. 110-114 et 126-138. 2. Cf. irifra, p. 551-555.
lA Grecs, région par région
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connurent alors ces communautés qui s'ouvraient toujours davantage sur l'extérieur, ce sont des «tyrans>> qui se présentent, de plus en plus nombreux, dans les sources. Seuls certains de ces individus ont conservé quelque consistance historique (Thrasybule de Milet, Myrsilos et Pittacos de Mytilène, Polycrate de Samos, etc.), mais on doit imaginer qu'ont pu se cacher derrière ce terme générique de «tyran» (turannos), des réalités institutionnelles et politiques assez variées (Éphèse, Milet, Mytilène, Samos). Dans l'ensemble, ce qui paraît émerger, c'est avant tout, à chaque fois, une même impression d'adaptation un peu chaotique, non exempte de conspirations et de violences, à un monde en mutation rapide et confronté à des pressions internes (anciens propriétaires terriens, mais aussi sans doute, de plus en plus nombreux et riches, artisans, commerçants, marins) et externes (métèques, indigènes). Et une impression similaire se dégage aussi du témoignage fragmentaire des noms de tribus (à Milet, Samos, Éphèse, Chios, etc.). En fait, la seule personnalité un peu accessible dans son épaisseur historique n'est autre que celle de Polycrate, pour laquelle on est tenté de combiner une part au moins des informations d'Hérodote et certaines données de l'archéologie, livrées tant par la ville de Samos (mod. Pithagorio) que par son Héraion voisin (mod. Kolonna). L'homme disposait de quelque mille archers, mais, armé de ses cent pentécontères et de ses nouvelles trières - pour lesquelles il fit bâtir un long quai et des arsenaux ~es premiers connus du monde grec), il était décidément tourné vers la mer, pirate à l'occasion, allié du pharaon, s'attaquant à Milet, sa rivale directe, n'hésitant pas à affirmer ses prétentions à la maîtrise des îles de l'Égée en des lieux hautement symboliques tels que le sanctuaire ionien d'Apollon et Artémis à Délos. Comme d'autres tyrans grecs, les arts ne le laissaient pas indifférent (Anacréon de Téos, lbycos de Rhégion, Dèmokédès de Crotone et Eupalinos de Mégare séjournèrent à Samos), et c'est sans doute sous sa main de fer que la capitale se dote, vers cette époque, d'équipements édilitaires qui sont parmi les plus spectaculaires du temps et qui illustrent, autant que l' Héraion voisin, la puissance des Sarniens : fossé couplé à un vaste et solide rempart urbain, long aqueduc souterrain (doublé d'une galerie) creusé sous la colline (c.l 034 rn, œuvre impressionnante, conçue par Eupalinos de Mégare), assurant une sortie discrète et l'approvisionnement de l'agglomération enceinte en eau potable, sont sans doute des travaux à mettre à son actif, comme fort probablement les premières tranches du second des grands temples diptères du sanctuaire d'Héra. Par bien des côtés, la vie et l'œuvre de Polycrate se présentent comme la quintessence de l'épanouissement remarquable que connut la Grèce de l'Est tandis que la disparition, « dans un piège inique » tendu par le satrape Oroitès (cf. Hér. III 120-124), du tyran qui voulait dominer l'Ionie et les îles,
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illustre les nuages d'orage qui s'amoncelaient alors au dessus des Cités grecques d'Asie mineure. Les témoignages matériels (habitat, céramique fme, amphores à vin de provenances variées, etc.) vont également dans le sens d'une prospérité croissante de la Grèce de l'Est, principalement de l'Ionie. Cette richesse accrue entraîne en particulier, à partir du VII' siècle, le remodelage en profondeur d'habitats devenus trop exigus, selon des critères urbanistiques - rues parallèles, circuit défensif, etc. - qui impliquent l'existence d'un pouvoir édilitaire ayant l'autorité nécessaire pour faire exécuter ses projets (Smyrne, Milet et site de Galabak Tépé, peut-être aussi à Iasos, Éphèse et Samos). A côté des établissements urbains majeurs, on peut citer ceux, plus modestes, découverts dans les secteurs Sud de Chios (Emporia) et de Rhodes (Vroulia). Pour ce qui regarde plus précisément l'architecture religieuse ou communautaire, le voile ne se lève guère avant le début du VIII' siècle avec un premier Hékatompédon 1 puis, fm VII' siècle, la stoa Sud construite surtout en bois et longue de 200 pieds (soit 69,9 rn), édifiés tous deux dans le vaste Héraion des Samiens 2 • En fait, il semble qu'il faille souvent attendre les alentours de 600 pour que soient édifiés les premiers temples incluant des colonnes en pierre, mais ce «retard» que paraît connaître l'Ionie fut en quelque sorte compensé par les dimensions gigantesques atteintes d'emblée par certains édifices dès avant le milieu du VI' siècle (certains blocs peuvent peser près de 40 tonnes), dans un style ionique plus lent à prendre forme que le style dorique qui se développait en Grèce continentale. En ce domaine, commencé sans doute aux environs de 575 et terminé peu avant c.560 (comme sans doute le dénommé «Bâtiment Nord»), le grand temple en calcaire 3 dit « de Rhoïcos » et Théodoros, édifice diptère, bâti avec son autel monumental dans l'Héraion (lieu-dit Kolonna à Samos, à l'embouchure marécageuse de l'Imbrasos), endroit supposé de la naissance de la déesse, accessible depuis la ville voisine d'abord par mer, puis par une Voie Sacrée (6 km), s'imposa comme le modèle de référence, avec une superficie de 200 sur 100 coudées samiennes (c.105 rn sur 52,5 rn), nécessitant une véritable forêt de colonnes (155 dans son second état). Comme il
1. D'abord un premier long temple étroit (32,86 rn sur 6,57 rn de large) doté d'une colonnade axiale intérieure, complété vers la fin du VIII" siècle par un péristyle de 7 x 17 piliers. Détruit en c.670, il est reconstruit, peut-être déjà en appliquant l'ordre ionique, vers le milieu du siècle avec 6 x 18 colonnes (1 1,7 rn sur 37,7 rn) et disparition de la colonnade centrale. 2. Sans omettre aussi, dès le début du vm• siècle, à Éphèse, le premier petit temple rectangulaire abritant une statue de culte. 3. Du moins pour ce qui était des murs et des colonnes, mais pour le reste avec des chapiteaux et un entablement sans doute en bois.
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fut assez vite détruit par un incendie 1, les Samiens (sous la conduite de l'architecte et artiste complet Théodoros) entreprirent, dès avant la fm du siècle, vers 530, au temps de Polycrate, de le rebâtir, un peu plus vaste encore, 112,2 rn sur 55,16 rn, dans l'espoir de dépasser celui édifié entretemps, à grand renfort de marbres sculptés, pour Artémis, par les Éphésiens aidés par Crésus et son or 2 • Mais l'entreprise, techniquement délicate, poursuivie au début du v· siècle encore, demeura inachevée 3 en dépit des nouvelles procédures développées à l'occasion de ces travaux cyclopéens. Pour l'essentiel, la civilisation matérielle de la Grèce de l'Est à l'époque archaïque est connue surtout à travers l'exploration archéologique de quelques sites majeurs tels que l'Héraion de Samos, les établissements de Milet et Didymes, Éphèse, Larisa sur l'Hermas, Sardes, sans oublier les nécropoles de la Vieille Smyrne, Pitanè, Clazomènes, Rhodes et Nisyros. Mais il convient d'y ajouter les multiples objets de toute nature, exportés aux quatre coins du monde antique (ils sont nombreux surtout sur des sites de la mer Noire, à Naucratis en Égypte, à Cyrène et Taucheira, près de Benghazi, en Mrique du Nord). L'ensemble de ces productions artistiques et techniques trahissent assurément des tendances locales, nées pour une part des liens particuliers que chacune de ces Cités grecques avait tissés pour sa part avec «l'étranger» 4 • Cependant, les plus manifestes de ces régionalismes ne parviennent pas à entamer la réelle homogénéité Wunité parfois) que ces nombreuses et puissantes communautés grecques d'Asie mineure présentaient - revendiquaient presque - face aux autres Grecs. Ainsi se justifie l'emploi de la formule de «koinè de la Grèce de l'Est>> pour un secteur qui, dans la pratique, loin de se limiter à l'Ionie et son principal foyer que constituait le triangle Samos-Milet-Éphèse, débordait sur l'Éolie, les îles proches et le Dodécanèse - Rhodes surtout, impliguée dans les mêmes entreprises commerciales au Proche-Orient et en Egypte. On est aussi frappé par ce goût partagé du gigantesque, qui ne touchait pas que les temples mais aussi la métallurgie et la statuaire (chaudrons offerts par
1. ll était édifié sur un terrain instable car marécageux, et donc plutôt contre-indiqué pour supporter un tel poids. 2. Les architectes en auraient été Chersiphron de Cnossos et son fùs Métagénès aidé par Théodoros. L'entreprise, commencée vers 570/560, porta sur un édifice de 105 coudées sur 220 (55,1 rn X 115,14 rn), avec des colonnes de péristyle atteignant les 19 rn de hauteur. Vers le milieu du siècle, Milet dota son sanctuaire civique et oraculaire d'Apollon à Didymes d'un temple de moindres dimensions, toujours de style ionique, bâti selon les plans de ces mêmes trois hommes (85, 15 rn sur 38,39 rn), et guère moins luxueux dans sa décoration. 3. C'est de cet édifice inachevé que subsiste une colonne dressée, sorte de phare, qui donna son nom au site de l'antique Héraion, >. 4. Pour l'activité outre-mer des Grecs de l'Est, cf. infra, p. 286-323.
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Côlaios 1, kouros géant en pierre dédié par Ischès, fils de Rhèsis, et groupe à six personnages sculpté et signé par Généléos pour l' Héraion de Samos). Panni les objets qui voyagèrent, on citera la céramique décorée, qui, dès avant c. 700, trahit des types assez courants dans l'ensemble de la Grèce de l'Est : d'abord les coupes à oiseaux, puis, à partir de c.650, pour certains récipients appelant un décor (surtout l'œnochoé), ce que l'on a nommé d'abord le «Style rhodien », puis le « Wild Goat Style» (Style des chèvres sauvages). Pendant près d'un siècle avant c.575/550, fut exploité un répertoire limité à des animaux dessinés au trait ou figurés en silhouette, sans incision, mais avec éventuellement des rehauts de couleur, sur un engobe clair, où le formalisme l'emporte assez vite et l'identification des ateliers locaux - dont l'existence est avérée (Chios, etc.) - reste souvent une opération très aléatoire. Au cœur du VI' siècle (c.575-c.525), l'Ionie au Sud de Samos se distingua du secteur Nord en produisant le style dit ~à encore par convention)« de Fikellura »~eu-dit rhodien) :il s'agit surtout d'amphores trapues, où en guise de décor s'agitent des figures humaines en sombre avec quelques détails réservés. Pendant ce temps, au Nord de Samos (Clazomènes, la Vieille Smyrne), sous l'influence des potiers attiques, sont produits des vases colorés à figures noires. Cette production trahit une belle complicité entre la forme et le décor mais sans la mise en scène d'un fonds mythologique ni des qualités d'expression comparables à celles rencontrées chez les potiers et peintres attiques. Et on ne défend plus guère l'idée d'une contribution majeure de l'Ionie à la formation de l'art étrusque (sinon par le biais de séries comme celle dite des « hydries de Caeré », œuvre d'un atelier ionien immigré dans le dernier quart du VI' siècle). Enfin, pendant près d'un demisiècle à compter de c.530, ce secteur Nord (surtout Clazomènes) produisit et diffusa aussi les somptueux sarcophages en terre cuite peints dont s' enorgueillissent aujourd'hui de nombreux musées : à la série animalière habituelle s'ajoutèrent bientôt des scènes humaines, rendues en figures noires, nouvelle illustration des influences venues d'Athènes. Une mention spéciale doit être décernée au travail de l'ivoire en Asie occidentale (Grecs de l'Est, Lydie) au VII' siècle. Là encore, la recherche est amenée à discerner diverses écoles locales. On retrouve ces pièces aux qualités exceptionnelles tant en Grèce propre (Delphes, Pérachora) qu'en des lieux tels que l'Héroion de Samos, où elles se mêlent aux productions égyptiennes. En métallurgie également, des Grecs de l'Est furent à même de produire des séries intéressantes et supportant la comparaison avec ce que la Grèce continentale produisait alors (Glaucos de Chios était célèbre) : ceintures de
1. Cf. supra, p. 176-183.
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type phrygien, chaudrons orientalisants décorés de têtes de griffon, etc., figurent au nombre de ces réalisations notables. En sculpture, d'une façon générale, on a longtemps cru que l'émergence de la grande statuaire ionienne ~' « école de Chios » du VI' siècle fut célèbre dans l'Antiquité) n'était intervenue que dans la foulée des traditions déjà en usage dans les Cyclades (Naxos), qu'elle aurait alors acquis ses caractéristiques propres, accordant un soin tout particulier au rendu des draperies, avec une prédilection pour certaines poses, une tendance à la souplesse et à la rondeur des formes. Au sein de cette production, autour du milieu du VI' siècle, les statues réalisées à Milet et Samos se distinguent par divers détails dont le plus manifeste est un traitement moins souligné (moins ((scientifique») de l'anatomie masculine en particulier. n n'empêche que la restauration en 1984 du kouros géant d'lschès (3,5 fois la taille humaine) a bouleversé nombre des idées depuis longtemps reçues quant à la formation de l'art ionien, en présentant un chef-d'œuvre sarnien daté de c.580/570 et sans aucun antécédent décelable autre que la grande statuaire saïte elle-même 1• Certains artisans (sculpteurs, peintres, potiers) ont offert leurs services ou furent requis par les princes « barbares » de l'intérieur anatolien, du moins à en juger par les découvertes variées faites notamment à Sardes, Gordion ou même, assez curieusement, jusque dans le Sud-Ouest anatolien, aux confins de la Carie et de la Phrygie. Plutôt absents de la scène extérieure au VIII' siècle encore, les Grecs de l'Est - l'Ionie du Nord surtout mais aussi un centre très actif tel que Chios- s'y firent plus que remarquer aux VII' et VI' siècles. L'observation vaut en particulier pour le bassin oriental de la Méditerranée, à ce que laissent croire les nombreux objets de provenance chypriote retrouvés dans l' Héraion de Samos et dans diverses nécropoles rhodiennes. Peut-être que les assez nombreuses fondations qui leur sont attribuées par la tradition sur la côte Sud de l'Anatolie (Phasélis, Sidè, Nagidos, Kélenderis, Soloi, etc.) 2 ne furent longtemps que de simples points d'eau contrôlés par eux sur la route maritime menant à Chypre (où ils pouvaient obtenir du cuivre), à la SyraPalestine et à l'Égypte où Éoliens, Ioniens et Doriens profitèrent au mieux, coude à coude, des facilités qui leur furent offertes à Naucratis par les princes de Sars 3• Cette solidarité «panhellénique » de fait se retrouve peutêtre aussi dans la relative « spécialisation )) - à tout le moins « notoriété )) - dans la production dont plusieurs Cités firent alors montre : vin, 1. Sa taille est de 10 coudées, soit près de 5,2 m. En outre, cf. aussi infra, p. 532-533. 2. Cf. infra, p. 301. 3. Pour les activités des Grecs de l'Est en Égypte, cf. infra, p. 301-309.
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tissus et esclaves à Chios, vin de nouveau à Mytilène et en Doride, lainage à Milet et Téos, etc. Les deux autres grandes aires géographiques où les Grecs de l'Est redoublèrent d'ardeur furent les rives méditerranéennes de l'Europe occidentale et le Nord-Est européen, mais il s'agissait là d'activités plus proprement coloniales (Phocée et Milet). On notera que des Cariens - une population très tôt ouverte, semble-t-il, à de nombreux traits de l'hellénisme - paraissent bien avoir accompagné, dans chaque cas, ces Grecs dans leurs entreprises lointaines. Le cœur de la « Grèce de l'Est » battait, lit-on souvent, dans cette Ionie qui s'était dotée d'un sanctuaire commun ~e Panionion du cap Mycale, à un jet de pierre de Samos). Là, sans conteste, au moins en deux moments critiques de leur existence (défaite de Crésus, «révolte d'Ionie»), chacune des Cités ioniennes délégua des représentants qui débattirent tous ensemble de la situation militaire, mais rien dans les textes (imprégnés par les prétentions impérialistes athéniennes du V' siècle) ni sur place (à Mycale, pas d'autel avant c.600) ne permet cependant de donner corps à l'hypothèse séduisante et souvent reprise 1 d'une véritable « Ligue ionienne » qui aurait été dotée, tout au long de l'époque archaïque, d'un point de rencontre, cadre de réunions régulières. Au mieux verrait-on chez Hérodote certains intervenants le regretter (Thalès de Milet). On se limitera donc plutôt à déceler, dans les sacrifices communs qu'ils y pratiquèrent tout au long du vr siècle, l'avènement - acquis au plus fort de la menace perse - d'un sentiment d'appartenance commune, annonciateur d'une forme de nationalisme conscient, que les guerres médiques propagèrent bientôt à nombre des autres communautés grécophones ~e to hellènikon d'Hérodote). Quels furent les éléments qui purent concourir à l'émergence, chez les Grecs qui peuplaient les Cités est-égéennes, de cette sensation de se fondre dans une communauté d'intérêts et de règles éthiques qui ne se bornait pas à leur Cité propre mais englobait d'autres collectivités voisines d'Asie mineure ? On peut assurément avancer la proximité immédiate pour chacun d'un même voisin puissant- d'abord les Lydiens (et dans une moindre mesure les Cariens), puis les Perses - avec lequel une certaine communication pouvait s'établir mais qui n'en renvoyait pas moins l'image d'un monde différent par essence du modèle grec. Et leurs multiples entreprises au long cours, en même temps qu'elles leur ouvraient les yeux sur l'étendue et l'extrême diversité du monde habité, ne firent sans doute que radicaliser cette impression, tout en semant chez certains l'envie d'en entreprendre la description et de tenter d'en comprendre les origines, les composantes et le !.Cf. supra, p. 110-114.
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fonctionnement (Thalès, Anaximandre, etc.) 1• Dans chaque cas (nature, physique, mathématiques, géographie, divinités, ancêtres, passé, etc.), la démarche fut l'enquête bientôt épaulée- pour en rendre compte- par l'écriture (historiè). Et c'est dans cette procédure intellectuelle nouvelle qu'assurément se manifeste la contribution la plus marquante des Grecs de l'Est à l'élaboration de la pensée scientifique occidentale, que se cristallisa aussi leur singularité face au « Barbare » et à sa riche culture traditionnelle, nourrie de la sagesse engrangée par plusieurs millénaires d'expérience. Peutêtre dès le milieu du VI' siècle en effet, ces activités grecques débouchèrent sur des comptes rendus d'enquête, des« synthèses», des« sommes» qui prirent tantôt la forme de cartes géographiques, tantôt de discours bientôt en prose, un mode d'expression littéraire offrant une plus grande liberté à la pensée que le discours rythmé mais nécessitant impérativement pour sa mémorisation, au contraire de ce dernier, une mise par écrit. Là est née une « littérature écrite » d'un type nouveau, appelée à un avenir exceptionnel au travers des bibliothèques. Sans que l'on puisse analyser en détailles interactions qui s'opérèrent entre cette situation politique et le processus suivant, on doit aussi songer à la place de choix qu'a occupée, à n'en pas douter 2, la poésie épique en Grèce de l'Est (Colophon, Smyrne, Chios, etc.). En effet, si au vu du très lointain passé que l'on est amené à lui conférer, ce n'est assurément pas sur les rives occidentales de l'Asie mineure que cette dernière a vu le jour en tant que mode d'expression poétique et discours social 3, elle connut dans ces régions, pendant les premiers siècles du 1er millénaire, une efflorescence très brillante. Ce fut sans doute là, plus qu'ailleurs encore en terre grecque, qu'elle contribua, de façon décisive (et autrement que par l'action des sanctuaires panhelléniques~' à ce qu'y émerge et s'impose cette conscience claire d'appartenir à une «nation» défendant des valeurs communes, transcendant l'éclatement politique des Cités (et les dialectes) 5• Quoi qu'il en ait été, à côté du genre épique se développèrent bientôt d'autres modes d'expression autorisant l'énoncé de sentiments plus personnels, que ces derniers relèvent du cœur ou de la politique. Ainsi, la poésie élégiaque avec Mimnerme, Terpandre et Arion, qui s'accompagnaient de la lyre. Ainsi aussi, la poésie lyrique avec Alcée et Sappho, des artistes qui n'hésitèrent plus à laisser de côté la formulation épique pour s'exprimer dans la langue grecque en usage tous les jours chez leurs concitoyens 6• !. Cf. infra, p. 534-544. 2. 3. 4. 5. 6.
Cf. Cf. Cf. Cf. Cf.
Treuil et aL, p. 572-573, pour les éléments ioniens et éoliens dans la poésie épique. supra, p. 9-20. irifra, p. 512-524. aussi irifra, p. 345-359. infra, p. 449-453.
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LES CRÉTOIS
Les Anciens firent grand cas dans leurs propos philosophiques et érudits des « lois » régissant les communautés crétoises, mais ils restèrent par contre fort silencieux sur tous les autres aspects les concernant, se contentant, non sans raison, de percevoir les Crétois comme formant un monde assez singulier au sein de la nation grecque 1• C'est donc l'archéologie qui fournit l'essentiel des informations disponibles sur la Crète archaïque, des données où les sanctuaires bâtis occupent une place de choix, des données qu'il est toujours délicat de traduire en termes d'« histoire». Les sites les plus riches en informations sont, outre les grandes grottes de l'Ida et du Dictè (Psychro, dans le Lassithi), les agglomérations «traditionnelles>> de Cnossos surtout, Gortyne (qui pourrait avoir succédé à Phaïstos dans la plaine de la Messara) avec son port à Lébéna, Dréros, Kavousi, Prinias (ant. Rhizénia) 2, Afrati (sans doute ant. Arkadès) 3 et Praisos, auxquels s'ajoutent diverses réoccupations ou créations (?) nouvelles du VII' siècle : Lyttos, Lato, Axos et Kato Symi (identifié avec un sanctuaire d'Hermès Dendritès et Aphrodite, qui a livré de nombreux bronzes). Pour tous les Crétois, de façon générale, le VII' siècle vit se confirmer les signes apparus à l'époque géométrique d'un retour à une culture matérielle plus substantielle (une centaine de sites inventoriés pour la fin du VIII' siècle), très intimement marquée dans toutes ses réalisations par les contacts répétés gue l'île entretenait avec l'Est méditerranéen (Chypre, Syro-Palestine et Egypte). Mais, sans qu'à ce jour on ait pu avancer d'explication satisfaisante du phénomène, la majorité des lieux occupés semblent bien être tombés en déshérence au tournant des VII'-VI' siècles, moment précis où d'autres régions de Grèce redoublèrent d'activité créatrice. Parmi les productions typiques de ces décennies de prospérité crétoise, que l'on retrouve aussi bien dans l'antre de l'Ida que dans les grands sanctuaires de Delphes, Dodone ou même en Italie, il faut faire un sort à part à diverses séries d'objets métalliques, illustrant à des degrés divers des influences techniques et artistiques venues de l'Orient. Souvent ce sont des pièces d'apparat, destinées à la consécration, et des armes défensives (boucliers, casques, ceintures, cuirasses, etc.), reflet sans doute des valeurs guerrières prônées par ces Cités crétoises et parfois d'ailleurs mises en pratique 1. Cf. supra, p. 102-104. 2. D'où proviennent, voisines du «Temple A>> en pierre (c.630), les plus anciennes stèles votives incisées et sculptures architecturales connues (temple le plus ancien, du VIT' siècle). 3. D'où provient une statuette en bronze moulé, trouvée dans un dépôt de la seconde moitié du v:rrr siècle, rappelant l'Apollon de Dréros; cf. Boardman, [1403].
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(offrandes inscrites d'Arkadès). A cela s'ajoutent des copies en argile d'objets orientaux, des réalisations en or ou en ivoire et divers autres indices qui, tous à leur manière, accréditent l'idée selon laquelle des artisans originaires du Proche-Orient et accompagnés de leur famille ont pu s'établir de façon durable dans l'île vers le milieu du vn· siècle. Avant la fm du siècle, moment où dans les Cyclades sont produites les premières grandes statues en marbre blanc, l'île exhibe aussi ses premières productions en calcaire (style « dédalique »), annonciatrices de la statuaire monumentale grecque archaïque 1• La place manque pour énumérer ce qu'apporte chaque site de l'île au tableau général. On retiendra que, par exemple, la Cnossos d'alors se fait connaître au travers de son sanctuaire de Déméter et de sa nécropole, avec des tombes installées dès l'âge du bronze et qui abritaient les restes de crémations dans des pithoi locaux au décor polychrome sans équivalent ailleurs. De l'ensemble de la documentation archéologique se dégage, pour la période allant jusqu'à la fm du vn· siècle, l'image d'une Crète archaïque partagée entre diverses communautés sachant affrrrner avec détermination leur autarcie et leur autonomie. Cette capacité de chaque collectivité à « vivre sa vie» est en particulier très perceptible dans l'étonnante variété ... des types de tombes et des pratiques funéraires (cf. les découvertes récentes mais d'interprétation très controversée faites dans la nécropole géométrique d'Éleuthernes - proche du célèbre monastère d' Arkadhi - qui, pour les années 700, fournirait notamment des bûchers attestant la pratique« homérique» des sacrifices humains). L'opinion courante veut que la Crète, peuplée de communautés ouvertes sur l'extérieur WOrient et le Nord égéen en particulier), ait abrité de nombreux marins aventureux. n est incontestable que, tant au ne qu'au rer millénaire, l'île trahit à tout le moins une grande réceptivité aux idées, modes et biens venus de l'étranger. Pourtant, il suffirait sans doute de revoir avec attention le dossier hétéroclite des témoignages littéraires toujours mis en avant, pour tempérer quelque peu cette idée séduisante qui s'inscrit naturellement à la suite de la légendaire thalassocratie minoenne des temps mythiques. Sans nier l'existence sur ses rives, à toute époque, de marins aguerris, le « continent crétois » offi:ait des ressources d'une diversité et d'une abondance susceptibles de dispenser nombre de ses habitants d'encourir les périls de la mer. En tout cas, les Crétois n'apparaissent guère dans le dossier de la colonisation (participation à la fondation rhodienne de Géla en c.688 et aide apportée par Corobios d'Itanos aux gens de Théra en Cyrénaïque en c.639) 2• C'est peut-être plutôt ses archers mercenaires que les Grecs avaient l'occasion de découvrir sur le continent dès ces années 1. Cf. infta, p. 438-440. 2. Cf. infta, p. 276-285 et 310-311.
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(guerres de Messénie). On se demandera dès lors si, tout simplement, d'autres voyageurs que les Crétois n'ont pas pu fréquenter assidûment l'île et être les premiers responsables des modifications observées alors dans sa culture matérielle, et s'en détourner ensuite pour d'autres destinations peutêtre plus prometteuses. Reste qu'au VII' siècle la Crète se montra très ouverte aux puissants courants orientalisants qu'elle assimila profondément à son propre héritage, mais que, vers 600, assez vite et sans raison apparente, l'île paraît avoir sombré dans une sorte de léthargie : de nombreux endroits donnent des signes d'abandon prolongé et, en l'absence de textes, toute explication du phénomène - peu contestable - reste fragile. On a invoqué, sans guère toujours convaincre, pêle-mêle, des calamités naturelles (famines, épidémies, etc.), d'épuisants conflits internes, une émigration non documentée ou une raréfaction des échanges de l'île avec l'extérieur. Quoi qu'il en ait été, le VI' siècle offre le spectacle d'une île en quelque sorte alanguie, surtout dans sa portion occidentale (à l'exception de Kydonia et peut-être déjà Phalasama). Sa moitié orientale, restée en partie « étéocrétoise >> (Praisos), paraît avoir été moins affectée, et un temple consacré à Zeus du Diktè, longtemps honoré à Psychro (Lassithi), fut même édifié vers la fm du VI' siècle, proche de l'ancienne Itanos, à Palaikastro (lieu-dit Roussolakkos). L'île était donc loin d'être un désert immobile au terme de l'époque archaïque (cf. Réthymnon, Éleuthemes, etc.), mais elle n'était plus que l'ombre de ce qu'elle avait été aux VITI'-VII' siècles, et ce que l'archéologie en montre devrait suffire à expliquer l'absence des Crétois à la bataille de Salamine, une absence soulignée par Hérodote (Hér. VII 169, 171). li n'empêche que la Crète apporta son écot à la culture grecque de l'époque archaïque au travers de figures telles que celles de Thalètas (innovateur en musique, danse et lyrique chorale) 1 et surtout Épiménide. li est très regrettable qu'on n'en sache pas davantage sur cette figure de prophètepoète, que divers récits associent à Solon, mais ses activités de purificateur (ainsi à Athènes, à la suite de l'« affaire Cylon ») 2 passé maître dans les « vieilles » pratiques rituelles crétoises ne furent sans doute pas étrangères à l'image teintée d'exotisme sacré que les Anciens se firent de l'île. L'absence de témoignages écrits contemporains de cette efflorescence crétoise du haut archaïsme, les multiples propos spéculatifs (et polémiques) des auteurs classiques relatifs à ce que devrait être la Cité (grecque) idéale,
l. Cf. infra, p. 449-453. 2. Un épisode marquant de l'histoire archarque d'Athènes mais dont la date reste très controversée, cf. infra, p. 487-489.
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conjugués avec le texte épigraphique exceptionnellement long (et plutôt mal daté), à contenu juridique, découvert à Gortyne 1, ont ouvert la voie, entre autres, à de multiples conjectures modernes sur la situation socio-politique qui pouvait prévaloir à l'époque dans cette île un peu singulière (les modes de propriété du sol en particulier) et sur la naissance de la pensée juridique, une facette caractéristique de la pensée normative occidentale 2• Le point central récurrent tient à la relative uniformité socio-politique qu'aurait alors présenté l'île. Il serait sans doute excessif déjà d'affirmer que la Crète constituait, dans la Grèce des époques géométrique et archaïque, un monde fort à part et rien ne permet de la créditer en plus d'un sentiment d'unité insulaire Wextrême diversité des sépultures pour les vrrr-vir siècles, par exemple, ne milite pas en faveur d'une telle thèse). Il doit plutôt s'agir d'une impression née chez des « témoins » étrangers à l'île (Hérodote, les Tragiques, Platon, Aristote), pour la plupart des intellectuels confrontés aux vicissitudes de la vie « politique » démocratique, voire à la défaite militaire et morale d'Athènes face à Sparte en 404 3 • D'une manière ou d'une autre, tous en quête ou simplement préoccupés d'une Constitution (Politeia) idéale, ils étaient sensibles au profù particulier que conférait à l'île l'héritage de son passé original, coulé dans ses mythes et des rites propres : la Crète y était la protégée de Minos, une figure assez inclassable sur l'échiquier mythologique, donnée comme le « favori » de ce grand Zeus crétois, qui présidait à l'ordre et à la justice. Pour certains penseurs antiques, il fut bientôt donné à spéculer que le supposé Lycurgue de Sparte aurait tenu de ce mythique Minos crétois les futures institutions spartiates dont la supériorité, lorsqu'elles eurent été «polies» par ses soins, avait assuré la victoire lacédémonienne sur une Athènes démocratique, gérée par des lois humaines toutes circonstancielles et donc fort critiquables. C'est sans doute dans cette perspective d'une île dorienne, marquée par un passé « minoen » déjà lointain et brillant, ethniquement complexe 4 et habitée par des communautés « traditionnelles » mais qui pouvaient maîtriser l'écriture alphabétique depuis le VIII' siècle, qu'il convient d'aborder les célèbres « lois » de Gortyne ainsi que les autres inscriptions à portée juridique retrouvées dans l'île (surtout gravées sur des murs d'édifices), en nombre semble-t-il plus élevé que partout ailleurs dans le monde grec, et qui s'échelonnent sur les VI' et V' siècles. Unique en son genre, celle de Gortyne doit appartenir au V' siècle, tandis que la plus ancienne est sans doute celle de la petite Cité de Dréros (célèbre aussi par son temple archaïque consacré à 1. Cf. infta, p. 208-209. 2. Cf. infta, p. 454-463 et 537-544. 3. Cf. Briant et aL, p. 192-193. 4. Cf. supra, p. 102-104.
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Apollon Delphinios) 1, qui remonte peut-être au troisième quart du VI' siècle (Meiggs et Lewis, [22], no 2). Aucune n'est donc, à la vérité, très ancienne et toutes sont anonymes. En effet, de lois rassemblées en« codes», il est question dans le monde grec depuis la première moitié du VII' siècle 2, et on les connaît là à travers le nom de leurs auteurs (Zaleucos, Charondas, Dioclès pour les Grecs de l'Ouest ; Charondas de nouveau, et Pittacos pour ceux de l'Est ; Lycurgue, Dracon ou Philolaos pour la Grèce propre). ll est vrai aussi que ce sont des figures le plus souvent plongées dans l'invérifiable légendaire, ce qui rend suspects les divers jugements des Anciens relatifs à leurs œuvres, qu'il s'agisse des sources de leur inspiration, de la démarche suivie par leur auteur, de la valeur intangible de leurs arbitrages ou des finalités recherchées à travers les propos normatifs qu'on leur attribue 3• Sans doute le climat plutôt divin dans lequel les Anciens les font souvent évoluer - et la place de choix plus d'une fois occupée par la Crète comme source d'inspiration - tient-il au fait qu'il s'agit surtout de la mise par écrit d'une coutume encore largement perçue comme d'inspiration divine (celle de Zeus). En s'appropriant cet outil magique nouveau en Grèce qu'était l'écriture, le but recherché était sans doute d'assurer d'abord, au moins dans un premier temps, la pérennité plus que le changement de l'ordre établi, une démarche assez en symbiose avec les valeurs en vogue dans une société « préhistorique )) à fondement aristocratique telle que la société grecque des époques préclassiques 4• L'inscription sur pierre de Gortyne, le plus remarquable document juridique, présente un texte qui s'étend sur environ 9 rn de long et 1,5 rn de haut ; elle offre ainsi quelque 600 lignes composées souvent de 55 signes (dans un alphabet archaïque de 18 signes), soigneusement gravées en boustrophèdon5, réparties en 12 colonnes sur le mur circulaire d'un théâtre édifié vers le 1"' siècle av. J.-C., mais il s'agit là d'un remploi. Sans qu'aucune certitude existe, les dates proposées pour la gravure des lettres tombent le plus souvent dans le deuxième quart du V' siècle. On estime cependant que cet ensemble de lois (assez complet mais inorganisé) pourrait n'être qu'une version remaniée de textes antérieurs dont divers indices (écriture et brillant culturel du VII' siècle crétois) permettent à certains chercheurs d'envisager 1. Cf. infra, p. 513-518. 2. Cf. infra, p. 454-463. 3. On ne sait en particulier s'il s'agit de simples mises par écrit des coutumes du temps ou si le passage à l'écrit est l'occasion d'entériner des réformes nouvelles venues, voire des mesures vraiment révolutionnaires. 4. Cf. supra, p. 166-183. 5. lrifra, p. 381-387. ll s'agit d'un de ces textes où les lignes sont écrites, en alternance, en allant de la droite vers la gauche et de la gauche vers la droite, tel un bœuf attelé à une charrue et creusant des sillons dans un champ.
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l'existence sans toutefois pouvoir la démontrer. li n'empêche que ce document émanant de la Cité (puissance publique) a scellé, pour les amender souvent, des usages, coutumes, souvenirs de « temps plus anciens ». Ce long texte et quelques inscriptions juridiques plus anciennes - comme celle de Dréros - ont donné lieu à de multiples commentaires et considérations, dont on se limitera à ne retenir ici que ce qui a trait à la seule Crète archaïque. La gestion de la Cité semble bien avoir reposé, en Crète, entre les mains de magistrats élus (peut-être d'abord à vie, puis pour une période donnée), issus d'une aristocratie héréditaire disposant de revenus agricoles : le collège des« Cosmes» (Kosmoi), rétribué sur des biens communaux et des contributions régulières fournies par des sortes de «serfs)). Secondés par des acljoints (Iîtai), ces magistrats étaient crédités d'attributions spécifiques et responsables personnellement de leurs actes publics. lis étaient en outre aidés dans leur tâche par un « Conseil des Anciens )), parfois gardien des lois, qui réunissait les magistrats sortis de charge, et une «Assemblée des Citoyens )), sans grand pouvoir semble-t-il, à laquelle étaient présentées les décisions des Cosmes et du Conseil. Ce n'est sans doute pas avant le v· siècle que les « Cosmes )) se mirent à déléguer leurs attributions judiciaires à des Juges (Dikastai) spécialisés, aidés de Mnamones («recors))) et dont le texte expose les façons de procéder. On y voit, à travers une terminologie parfois malaisée à saisir, une société- familles (oikoi) vivant chacune d'un lopin de terre peut-être indivisible (klaros), organisées en tribus (pylai) et en clans (startoi), auxquels s'ajoute un regroupement des citoyens en associations masculines aristocratiques (hétaireiai) avec repas pris en commun (syssitia) -où droits et devoirs sont inégalement répartis, compartimentée entre, d'une part, un petit nombre de citoyens libres et, d'autre part, le groupe composé des hommes libres mais sans droits politiques (apétairoi), celui des «serfs)) et celui des esclaves.
LES EUBÉENS ET LES GRECS DES CYCLADES
Le début du VII' siècle laisserait entrevoir, estime-t-on souvent, une Eubée au sortir de la « guerre lélantine )) 1• En tout cas, si la Chalcis géométrique et archaïque échappe pour l'essentiel à l'enquête archéologique, l'établissement de Lefkandi fut alors abandonné, peut-être en faveur du site «classique)) d'Érétrie. En tout cas, cette dernière, alors fondée depuis peu 2 , !. Cf. supra, p. 78-80 et infra, p. 426-428. 2. Peut-être tout autour d'un sanctuaire préexistant, consacré à Apollon, si du moins les deux édi-
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semble avoir connu, à partir de c. 700 - et jusqu'à la destruction perse de 490, un vigoureux essor architectural dont les modes de financement échappent : l'agglomération s'est ainsi dotée d'ouvrages défensifs exceptionnels pour l'époque (rempart et porte Ouest menant à Chalcis), à l'abri desquels furent construits divers édifices publics, dont les temples de Dionysos et surtout d'Apollon Daphnèplwros. Pour le reste, rares sont les informations substantielles relatives à l'île pour l'époque archaïque. Les quelques miettes d'histoire connues présentent des implications militaires (propos d'Archiloque de Paros et de Théognis de Mégare) mais ne sont guère intelligibles. La seule vague aide à la lecture repose dans la position charnière qu'occupe l'île entre, d'une part, l'essentiel du monde égéen, voire le Pont, et, d'autre part, la Grèce centrale (dont l'Attique) sur le flanc de laquelle, tel un vaisseau long, elle est rangée et où elle dut être conduite plus d'une fois à intervenir (ainsi en particulier les relations d'Érétrie avec l'Athènes des tyrans puis de Clisthène). Au mieux aussi est-on en droit de penser que la mention de l'un ou l'autre tyran à Chalcis ou Érétrie ne doit pas conduire à croire en un effacement général des aristocraties locales telles celles des Hippeis («cavaliers») à Érétrie ou des Hippobotai («éleveurs de chevaux») à Chalcis : ce sont encore ces notables que les Athéniens réorganisés depuis peu par Clisthène furent amenés à balayer vers 506, lors de leur victoire mémorable sur les Chalcidiens. D'autre part, plusieurs indices (tels que la dispersion de céramique dans les îles voisines) donnent à penser que, pas plus alors qu'au siècle précédent, une telle organisation sociale de l'île n'a empêché les communautés eubéennes (et d'autres comme celle des Pariens) de confirmer leur intérêt pour des entreprises outre-mer, en particulier vers le Nord égéen, une attitude encore illustrée au milieu du Vll' siècle par les différends soumis à arbitrage de Chalcis avec Andros à propos de la fondation d'Acanthe, ou la participation navale érétrienne à la révolte d'Ionie 1• Quant aux autres îles des Cyclades, on ne peut guère en dire long, sinon qu'ici encore le tableau qui se dégage est très contrasté, avec des individus qui affirment comme une mobilité jusque-là inconnue et des personnalités exubérantes - tel un Archiloque 2 - face à d'autres plus passives, plus «traditionnelles». Sans doute, pour la plupart, ces îles poursuivirent-elles fiees géométriques, découverts sous le grand temple bâti en l'honneur d'Apollon daplmèphuros, sont bien déjà à mettre en relation avec cette divinité - le petit se serait voulu une matérialisation de la hutte mythique du dieu, réalisée à l'aide de poteaux de bois et de branches de laurier, cf. supra, p. 78-80. 1. Cf. infra, p. 552-555. 2. Cf. irifra, p. 292-294 et 449-453.
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leur existence, souvent quelque peu à l'écart des collectivités de la Grèce continentale, chacune marquée d'abord par son terroir et l'attitude de ses voisines immédiates. Sans doute aussi les remarques formulées à propos de la« vaste Crète>> sont-elles ici moins recevables. ll n'empêche qu'en pratique, la mer, horizon commun à tous les riverains de l'Égée, isolait- et isole encore de nos jours, tout en rendant leurs membres davantage solidaires, des communautés insulaires qui, de plus, demeuraient exposées aux exactions d'individus aussi pirates que négociants, trafiquants ou mercenaires, qu'ils soient grecs, cariens ou phéniciens, tous agissant selon les circonstances et leurs besoins. Pour plusieurs d'entre elles au moins, les perturbations liées à ce phénomène égéen quasiment endémique qu'était la piraterie furent, à certains moments de l'époque archaïque, assurément dramatiques, car pratiquées avec des moyens imposants (Polycrate de Samos et déjà son père Aiakès, ou les Dolopes de Skyros). ll faudra sans doute attendre les premières opérations de «nettoyage>>, opérées par Cimon et les flottes de la Ligue de Délos, dans les années qui suivirent la victoire de Salamine 1, pour constater un recul - d'ailleurs temporaire - des pratiques d'échanges fondées sur la brutalité. On pourrait d'ailleurs se demander si la Crète ellemême, dès le tournant des VII'-VI' siècles- et compte tenu d'une possible inflexion des routes maritimes du fait de fondations nouvelles en Occident - n'a pas figuré au premier rang des victimes de ces maraudages qui, répétés, ont pu finir par décourager les démarcheurs plus pacifiques de venir visiter ses ports (cas de Kommos). Cela dit, un monde insulaire, un peu en marge des continents grec et asiatique, n'implique ni un univers inerte ou inculte ni un univers passéiste. C'est ce que permettent d'entrevoir les lambeaux d'informations disponibles. Ainsi, l'île alors la plus active paraît bien avoir été Paros 2, au cœur de l'archipel, la patrie d'Archiloque (c.650) 3, un poète lyrique remuant et au caractère bien trempé, dont l'œuvre se limite pour nous à quelques fragments d'une interprétation délicate mais qui tranchent furieusement avec l'ancien discours épique et l'ordre hésiodique: à le lire, que le monde établi soit bousculé est désormais pour le moins chose très envisageable. n était fils de Télésiclès, l'aristocrate parien délégué par les siens à la tête des colons qui, peu avant c.650, investirent Thasos, alors encore domaine thrace 4 • L'opération coloniale, menée à l'intérieur même de l'Égée, rappelle que l'« hellénisation >> de certains secteurs du domaine grec « traditionnel >> se fit à une date assez avancée. l. Cf. 2. Cf. 3. Cf. 4. Cf.
Briant et al., p. 43-44. supra, p. 107. in.fra, p. 449-453. supra, p. 107 et in.fra, p. 292-294.
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Avec, en c.632, la fondation de Cyrène en Libye par le dénommé Battos (Aristotélès, fils de Polymnestos), c'est dans une entreprise plus lointaine que se lancèrent les Doriens de Théra, descendants eux-mêmes d'anciens colons lacaniens, à en croire la tradition (Hér. IV 147 sqq.). Une inscription cyrénéenne, gravée vers 400/350 - mais reprenant certaines dispositions arrêtées par Théra lors de la mise sur pied de cette entreprise (Meiggs et Lewis, [22], no 5), constitue un document unique bien que d'utilisation délicate 1• Sans quitter le domaine épigraphique, on rappellera que l'île de Théra a livré des inscriptions archaïques dont certaines peuvent prétendre figurer parmi les plus anciennes inscriptions grecques alphabétiques connues. Un autre point remarquable de ce monde insulaire est évidemment constitué, plus au Nord, par la minuscule Délos dont il a été fait mention pour son grand sanctuaire 2 d'Apollon et Artémis, déjà évoqué par l'Hymne homérique à Apollon (c. 700 pour la première partie ?), qui fait allusion déjà à des panégyries ioniennes impliquant des compétitions sportives, des chants et des danses 3• Progressivement semble-t-il, au cours de l'époque archaïque, pour des raisons qui échappent toujours en partie à l'enquête, ce centre religieux, installé au milieu de ruines du bronze récent (de nature controversée4), s'affirma malgré la petitesse de l'île comme le point de convergence par excellence de l'ensemble des Ioniens (fhuc. III 104), semblant bien jouer en définitive un rôle majeur dans l'émergence chez ces derniers d'un sentiment d'appartenance à une même «famille » 5 • Le processus culmina, au lendemain des guerres médiques, avec l'installation dans ses murs du trésor de la Ligue des alliés regroupés autour d'Athènes victorieuse à Salamine6. Ce dernier fait invite à croire que, plus tôt déjà sinon dès les premiers temps de ce lieu saint, politique et religion durent motiver l'intérêt porté à ce minuscule bout de terre par ailleurs dépourvu d'attrait particulier. Les premiers Grecs connus pour avoir manifesté de l'intérêt à l'égard de Délos et de son sanctuaire furent, dès la seconde moitié du VII' siècle, les ennemis de toujours des Pariens, les Naxiens. Sont en effet attribués à ces insulaires, plutôt bien servis par le sort dans les commodités offertes à leur patrie, le (du moins un premier?) Colosse de pierre (kouros}, l'Oikos (un édifice d'usage contesté, peut-être le premier temple d'Apollon), la Stoa, la !. Cf. infra, p. 274-279. 2. ll disposait, semble-t-il, aussi d'un oracle (manteion), mais on ne sait rien de plus. 3. Cf. supra, p. 109 et infra, p. 361-362 et 508-509. 4. Cf. infra, p. 361-362. 5. Cf. supra, p. 126-138. Certains érudits ont estimé qu'une organisation amphictyonique devait avoir existé à l'époque archaïque, mais les informations manquent tout comme celles qui permettraient de mieux comprendre les relations à établir entre le sanctuaire de Délos et celui de Poséidon du cap Mycale. 6. Cf. Briant et al., p. 40-46.
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Terrasse des Lions et nombre de statues créées dans ces décennies) 1• La prospérité aidant, ces Naxiens auraient pu acquérir à terme une certaine « suprématie » (encore que malaisée à cerner) sur plusieurs des Cyclades voisines dont Paros, Andros et Délos, mais les sources apparaissent comme confuses, et il faut sans doute reconnaître aussi qu'un rôle de choix fut bientôt joué par les Athéniens à Délos, au moins dès Solon (sans que l'on sache à quand remontent exactement les théories partant de Prasiai, l'act. Porto Rafti). En tout cas, si, à la veille de la révolte d'Ionie, les Naxiens «en imposent toujours» (Hér. V 28), dès le milieu du VI' siècle, tandis qu'à Naxos en proie à des convulsions sociales s'installait la tyrannie de Lygdamis, d'autres communautés grecques se firent bientôt très présentes aussi sur l'îlot sacré, tels les Pariens et surtout l'Athènes pisistratique (seconde moitié du VI' siècle). Pisistrate y procéda à une «première purification», celle des alentours immédiats du sanctuaire (en vidant la plupart des tombes encore en place, cf. Hér. 1 64 et Thuc. III 104) et entreprit l'édification du premier des temples d'Apollon identifiés dans le téménos, le Pôrinos naos (c.540). Quelques années plus tard, Pisistrate à peine disparu (c.528/7), c'est Polycrate de Samos qui s'imposait à son tour dans plusieurs des Cyclades, dont Rhénée, qu'il consacra de façon symbolique à Apollon Délien en reliant Rhénée et Délos par une chaine (Thuc. 1 13 et III 104). ll aurait également procédé à une réorganisation des festivités (Délia) qui restèrent dès lors inchangées jusqu'à la date de 426 et la «seconde purification>> (parmi les temps forts du rituel délien, il faut mentionner la géranos ~a « grue » [?]), une danse curieuse que Thésée aurait exécutée dans l'île, à son retour de Crète, en compagnie des jeunes Athéniens sauvés par lui du Labyrinthe). On pourrait se demander si, dans chaque cas, à travers ces prétentions à marquer de façon ostentatoire sa présence dans le sanctuaire d'Apollon, le dieu à la lyre et à l'arc, le but plus précisément recherché n'était pas un peu aussi le titre convoité de « thalassocrate » (dont Hérodote crédite Polycrate)2, à la suite du mythique Minos: qui possédait Délos et son sanctuaire d'Apollon et d'Artémis pouvait, semble-t-il, passer pour être le maitre de la mer Égée, à la manière de ce légendaire «familier de Zeus». On notera enfin le curieux respect dont témoigna Datis en 490 (Hér. VI 95 sqq.) à l'égard de Délos : une ébauche d'explication serait peut-être à rechercher dans une « dimension carienne » à reconnaître au sanctuaire. Cet ensemble décousu d'informations sur Délos ne peut cependant occulter l'extrême rareté des données relatives à la plupart des Cyclades, peuplées pourtant de communautés assurément non négligeables, que ce soit 1. Cf. infra, p. 435-440. 2. Et pour lequel l'érudition antique avait tenté de dresser la liste chronologique des peuples et individus qui avaient pu s'en parer.
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à Kéos, Andros ou Paros. On retiendra simplement le cas de Siphnos dont le sous-sol, riche en or et en argent, permit la réalisation de travaux édilitaires somptueux tant à Delphes («Trésor des Siphniens ») que dans l'île même (Kastro, site de l'ancienne capitale, sur la côte Est).
LA GRÈCE DU NORD ET SES VOISINS SEPTENTRIONAUX
Le Sud-Ouest des Balkans, a-t-on vu 1, constitue un vaste ensemble géographique dominé par les montagnes, fort artificiellement découpé par les frontières politiques modernes, aux limites antiques parfois très imprécises et dont les obstacles naturels n'ont jamais vraiment arrêté les populations pratiquant la transhumance. On cheminera d'abord du Nord vers le Sud, sur le versant occidental du Pinde, avant de passer en Macédoine. • L'ILLYRIE, pays voisin des Grecs, qui commençait au Nord du cours inférieur de l'Aoos (mod. Vijosë) et du cours moyen de l'Apsos (mod. Semeni), fait l'objet des propos fragmentaires d'Hécatée de Milet, puis, cinq siècles plus tard, de ceux de l'historien-géographe Strabon. On en retiendra qu'ils évoquent un partage du sol entre de nombreuses tribus illyriennes au Nord et épirotes (Chaones, Molosses) au Sud (plus combatives, semble-t-il, au détriment des premières, à partir du milieu du vn· siècle). Sur le terrain, l'archéologie ne contredit pas cette lecture et n'offre par ailleurs guère de nouveautés entre le vrn• et le rn· siècle : semble s'y poursuivre un mode de vie pastoral, qu'illustrent des centaines de tumuli séculaires, d'aspect aristocratique, rassemblant pour l'essentiel des inhumations accompagnées, comme de tradition - mais sans ignorer quelques variantes régionales (Seodra) ou temporelles (Mati, Kukës), de bijoux, céramiques, objets métalliques, perles d'ambre, etc. (secteurs de Zadrime, Kukës, Mati). Par contre, les territoires de l'ex-République yougoslave de Macédoine paraissent avoir reçu la visite, vers le milieu du vrr siècle, de maraudeurs cimmériens et thraces, dont on retrouverait des signes jusqu'à Dodone : diverses innovations se laissent alors détecter dans les tumuli en même temps qu'y apparaissent quelques céramiques grecques ou des imitations de celles-ci. Mais c'est dans la région située au Sud de Skopje (pays des Pèlagones) que se marqua - à la suite peut-être d'apports humains nouveaux -le changement majeur, au terme du vn· siècle, avec des ébauches de sédentarisation en bordure de plaine
1. C( supra, p. 64-72.
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qu'accompagna, en céramique notamment, un répertoire de formes davantage grec. • En ÉPIRE 1, deux secteurs distincts sont à considérer : la frange côtière et l'intérieur du pays. Pour ce qui est du littoral, entre le IX' et le VIT' siècle, il devait être contrôlé par des populations expertes en navigation, venues du Nord de l'Adriatique, les Liburniens. Pratiquant sans discrimination commerce et piraterie, ces individus fréquentaient alors les deux rives de l'Adriatique et occupaient, déjà à la manière des Grecs et des Phéniciens, de futurs sites coloniaux grecs tels que Épidamne et surtout Corcyre - où des Érétriens ont pu se joindre à eux dès avant l'entrée en scène des Corinthiens2. Ces derniers, en c.734/3 (?), lancèrent une expédition qui devait retenir l'attention de Thucydide (Thuc. I 13,5), et qui déboucha sur la fondation de deux colonies, Corcyre et Syracuse 3• Ce n'est cependant pas avant c.625 qu'une nouvelle victoire commune de Corcyre et Corinthe vint plus durablement à bout des Liburniens, permit la fondation d'Épidamne et ouvrit plus largement l'Adriatique et les côtes d'Apulie aux marins corinthiens, qui reprirent alors le rôle d'intermédiaires tenu par leurs prédécesseurs malchanceux, une évolution qui consacra la prospérité des Corcyréens. Quelques années plus tard, vers 600, en vue de tirer profit de l'arrière-pays illyrien- à la manière d'Épidamne plus au Nord (et d'Orikos et Bylliakè, juste au Sud), illyriens, Corinthiens et gens de Corcyre s'accordèrent pour fonder ensemble l'établissement d'Apollonia, doté de nécropoles distinctes, à l'embouchure de l'Aoos, là où - des fouilles l'ont montréun emporion fonctionnait déjà depuis une date plus haute dans le VIT' siècle. On notera aussi qu'Orikos, Bylliakè et Thronion (à mi-chemin entre les deux) revendiquaient toutes une fondation par des Grecs qui avaient combattu à Troie. Plus au Sud encore, face au détroit de Corcyre, Bouthrôton était, au vn· siècle, un centre entre les mains de la puissante tribu des Chaones, pratiquant des échanges (illustrés dans les tumulz) avec les Corinthiens implantés, en face, à Corcyre, dans le dernier tiers du VIII' siècle. Tout indique une colonie grecque qui avait réussi, entretenant des relations de négoce suivies avec Épidamne et Apollonia sur le continent en face : le site urbain a livré de la céramique grecque, en grande quantité, remontant au géométrique récent, et, peu avant 600, Héra se vit sans doute dotée d'un temple dorique (colline« Mon Repos», au Sud de la baie de Garitsa) 4 • 1. Cf. supra, p. 69-70. 2. Cf. infra, p. 309-310. 3. Cf. infra, p. 286-291 et 296. 4. Cf. aussi, pour le temple d'Artémis (c.590/580), infra, p. 521, n. 1.
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D'ailleurs, on rappellera que, dans des circonstances peu claires, Corcyre en vint même à battre sa métropole sur mer vers 660. La région inférieure de l'Épire est célèbre pour le cours de l'Achéron, qui recueille le Kokytos à Éphyra avec sa bouche de l'Hadès et son sanctuaire oraculaire (où était honorée Perséphone), le sanctuaire déjà nommé du Nekuomanteion dominant, depuis au moins le VIT' siècle, l'ancien lac aujourd'hui drainé et les plaines fertiles environnantes 1• C'est cependant plutôt le secteur Nord du golfe d'Ambracie (Aktion) qui devint d'abord le cadre d'entreprises coloniales, sur les routes qui remontent l'Oropos jusqu'à Dodone, en particulier de la part de gens venus d'Élis (Bouchétion, c. 700, puis Élatria et Pandosia, c.650) et pratiquant là exploitation du bois de construction, pêche, agriculture et élevage. Ainsi s'expliquent sans trop de peine plusieurs liens observés, au tournant des vrrr-VII' siècles, entre l'oracle épirote de Zeus et un sanctuaire d'Olympie jusqu'alors entre les mains des Éléens et sans doute plutôt dominé par la figure d'Héra 2• Autre point de fixation majeur des échanges corintho-épirotes dès le VIII' siècle, Ambracie, sur le cours inférieur navigable de Arachthos. L'intérêt de ce golfe, sorte de trait d'union entre l'Acarnanie et l'Épire, s'étant confirmé, les Corinthiens y procédèrent vers 625 à l'installation de plusieurs colonies (Anaktorion, Ambracie, Leucade d'abord; Héracléa ensuite) visant à contrôler l'ensemble de la pièce d'eau, un objectif bientôt largement atteint par la puissante Ambracie, qui vit passer vers le Nord en particulier les productions métalliques corinthiennes (retrouvées à Dodone et en divers endroits d'Épire et d'illyrie). ll n'empêche que ces échanges lucratifs menés par les colons ne conduisirent pas à la politisation de leurs associés locaux ; ces petites tribus (pkJ!lai) épirotes poursuivirent leur mode de vie séculaire, pratiquant une transhumance qui se jouait même parfois du Pinde, dans le cadre d'une structure sociale traditionnelle 3• Elles étaient regroupées, pour l'essentiel, dans trois nébuleuses (etlznè) - Chaones, Molosses et Thesprotes - ayant comme point de ralliement la cime du Tomaros et le sanctuaire en plein air de Dodone avec son chêne sacré désormais entouré, à partir de c. 700, de grands chaudrons de bronze rappelant ceux d'Olympie. C'est à partir de c.650/600 que ce lieu cher aux Epirotes semble bien s'être mis à recevoir la visite d'un nombre croissant de Grecs venus de régions plus méridionales, des pèlerinages qui assurèrent, dès le VI' siècle, son prestige au loin.
1. Cf. supra, p. 69-70. 2. Cf. irifra, p. 237-238, 363-364 et 518-521. 3. Cf. aussi Briant et al., p. 202-205.
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• La MACÉDOINE antique est un pays aux limites naturelles et historiques au moins aussi floues et fluctuantes que celles de l'Épire et de la Thrace voisines, un terroir sensiblement moins étendu, à l'époque archaïque encore, que par la suite 1 : à date « ancienne », même si les témoignages littéraires restent délicats à éclaircir (Strab. VII frgt 11), il semble en particulier acquis que sa fenêtre maritime devait se limiter à l'étroit secteur côtier compris entre les estuaires de l'Axios (mod. Vardar en Macédoine exyougoslave) et de l'Haliakmon et que tant la Chalcidique - refuge après c.650 des Bottiéens (cf. Olynthe) aux accointances crétoises supposées mais illyriennes plus assurées - que l'essentiel des rives occidentales du golfe Thermaïque d'alors 2 relevaient encore des domaines thrace ou illyrien, tout comme d'ailleurs les régions du Strymon plus à l'Est. Ainsi, sur la fin du Vlll' siècle, Méthonè fut fondée « en Thrace » par des Érétriens tandis que la vallée inférieure de l'Axios ou le secteur de l'actuelle Vergina, par exemple, se trouvèrent sous le contrôle de groupes guerriers illyriens apparentés (Glasinac) entre le VIII' et le milieu du VII' siècle. Quant à la vallée des moyen et haut cours de l'Haliakmon, elle paraît avoir été fréquentée d'abord par des tribus épirotes (Molosses) transhumant sur les deux versants du Pinde. Dans la seconde moitié du VII' siècle, presque partout dans la future Macédoine, les tribus illyriennes semblent avoir été obligées de se replier. A l'Est durent se présenter des nouveaux venus apparentés aux Thraces, Édones et surtout tribus de Preoniens pratiquant l'agriculture entre le Strymon et l'Axios. Avant d'aborder les Macédoniens mêmes, reste à dire un mot de l'activité (proprement) grecque dans ces régions : on retiendra qu'elle n'est plus totalement inexistante dès avant le terme du VII' siècle. Les chemins semblent avoir emprunté la passe de Voloustana (ou Sténa Sarandaporou), porte méridionale du territoire macédonien (à l'Ouest du massif de l'Olympe), et les rives du golfe Thermaïque. Bien des sources littéraires anciennes signalent les Macédoniens (que la poésie homérique, pour sa part, ne nomme pas). De ces documents, il appert qu'avant qu'ils aient progressivement étendu leur domaine à partir de l'époque archaïque, leur patrie séculaire serait à rechercher de préférence dans l'arrière-pays de l'antique Piérie. C'était un secteur propice à la vie pastorale et à la chasse, enserré à l'intérieur d'espaces montagneux (Hér. VII 131) plutôt réduits, en partie boisé, compris entre les versants Nord du mont Olympe, la passe de Voloustana débouchant sur les contreforts de la plaine thessalienne, les hauteurs méridionales et septentrionales dominant le cours
1. C( supra, p. 70-75. 2. Qui devait s'enfoncer de 20 à 30 km plus profondément qu'aujourd'hui vers le Nord/NordOuest, à l'intérieur des terres basses.
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de l'Haliakrnon en amont de Vergina et les contreforts montagneux du Vermion surplombant la moderne V éroia. Par la suite, sans doute vers le milieu du VIT' siècle, l'antique centre de Lébaia (que l'on identifie parfois avec l'actuelle Palaiogratsano, au Sud-Est de Kozani) aurait été abandonné au profit de Aigai (mad. Vergina-Palatitsia) 1 d'où furent alors expulsés les illyriens (peut-être par un « descendant d'Héraclès», le Téménide Perdiccas, fils de Philippe Argaios, venu d'Argos tenter sa chance au sein de la tribu royale des Argéades, cf. Hér. V 22 et VIII 137-139) et où, à partir de ce moment, furent conservés les restes de tous les rois macédoniens jusqu'à Philippe Il 2 • En tout cas, ce transfert de « capitale » pourrait bien avoir marqué les premiers pas d'un « expansionnisme macédonien » qui se combina à une sédentarisation progressive de ses ethnè. Bientôt les Bottiéens furent repoussés au-delà de l'Axios, en Chalcidique. On assista ensuite à l'appropriation des terres sises entre ce même cours de l'Axios et celui de l'Haliakrnon, leurs anciens occupants étant repoussés, ce qui mit les Macédoniens face à face avec les tribus épirotes à l'Ouest et les Preoniens au Nord et à l'Est. On ne reviendra plus guère ici sur le difficile problème que pose l'appartenance linguistique exacte de la langue parlée par ces ethnè macédoniennes qui longtemps pratiquèrent la transhumance 3• Dans l'attente d'une documentation plus abondante et plus explicite (écrite).pour la période considérée, la solution la plus respectueuse de l'information disponible demeure sans doute encore celle qui consiste à supposer un mécanisme d'« hellénisation» partielle de l'aristocratie macédonienne remontant déjà à l'époque antérieure à l'expansion de ces ethnè- et peut-être à la source même de cette dernière, un processus donc proprement linguistique auquel les Thessaliens, installés au Sud de la passe de Voloustana et sur les versants Sud et Ouest de l'Olympe, pourraient ne pas avoir été étrangers 4• • La THESSAUE, on l'a notéS, est un pays constitué, pour l'essentiel, d'une vaste plaine offrant tout ce qu'il faut pour prospérer à des communautés se consacrant à l'agriculture et l'élevage (notamment de chevaux). Cette vaste étendue dispose d'une ouverture sur l'extérieur, les rives du golfe Pagasétique au fond duquel est installé l'antique établissement d'Iol.kos 1. Un site alors beaucoup plus proche de la mer et qui a également livré des tumuli réutilisés à l'époque géométrique, encourageant certaills chercheurs à partir à la quête d'autres liens, dans la culture matérielle, entre Argos et Aigai. C( aussi infra, p. 244-247. 2. La dépouille de son fils, Alexandre III le Grand, sera en Égypte par Ptolémée. 3. C( supra, p. 55-59 et 70-7 5. 4. On ne sait quelle valeur reconnaître à l'affirmation d'Hellanicos de Lesbos, pour qui l'éponyme Macédon est un fils d'Éole, figure traditionnellement reconnue comme régnant sur la Magnésie et la Thessalie. 5. C( supra, p. 73.
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(mod. Volas). Sans doute est-ce par là que transitèrent les Thessaliens venus seconder les Chalcidiens lors de l'un des épisodes qui constituèrent la mystérieuse « guerre lélantine » 1• Mais, à l'époque archaïque, les collectivités qui comptaient surtout occupaient l'intérieur du pays, sous la houlette de riches basileis « provinciaux )) aimant les festins, les courses de chevaux et la verve des poètes (Simonide, Anacréon, Pindare). Certains noms de ces puissantes familles ont survécu : les Scopades à Krannon, les Échécratides à Pharsale, les Aleuades à Larisa (ils se sont distingués à la tête des éléments pro-perses lors des guerres médiques et Aleuas le Roux, l'ancêtre, est crédité d'un premier regroupement fédéral thessalien). Un long moment, sans qu'on en sache guère plus (notamment sur le rapport numérique des populations en présence), certains groupes d'individus, les pénestes, furent contraints d'exploiter la terre, peutêtre selon des usages locaux variés, au profit d'une aristocratie thessalienne restreinte, que les données recueillies dans certaines nécropoles encouragent parfois à imaginer issue de la lointaine protohistoire mycénienne. Peut-être s'agissait-il de populations antérieures à l'arrivée des conquérants thessaliens (que certains placent au XI' siècle), qui ne furent pas nécessairement toujours réduites de ce fait à la misère. Quoi qu'il en soit, elles furent étroitement soumises à redevances par ces derniers, un peu à la manière peut-être des hilotes de Laconie ou des hectémores nommés dans les propos des Anciens relatifs à Solon 2• Aux dires de Pausanias (Paus. X 16,8), Delphes témoignait aussi de la prospérité d'une Thessalie somme toute proche dès lors que ses habitants empruntaient, voire contrôlaient, le «Couloir du grand Isthme)). En tout cas, aux VIY-VI' siècles, divers indices suggèrent qu'un processus mêlant conquête et unification politique a pu autoriser les Thessaliens à formuler des prétentions même sur l'ensemble des communautés de Phocide (cf. irifra, Delphes et le Conseil de l'amphictyonie pylreo-delphique). D'autre part, autour du domaine proprement dit des Thessaliens, chacun à leur manière, Dolopes à l'Ouest, Perrhrebes au Nord, Magnètes à l'Est et Achéens de Phthiôtide au Sud durent composer avec eux pour leurs relations extérieures, considérés tantôt comme des peuples soumis tantôt comme des alliés. On aurait aimé pouvoir suivre la mise en place, à l'époque archaïque, sans doute vers le milieu du VI' siècle, de l'organisation fédérale thessalienne dont les V' et IV' siècles (cf. Jason de Phères, tagos - « chef suprême)) - des Thessaliens) attestent du fonctionnement (Conseil et Assemblée), fondé sur l'existence de quatre grands districts (tétrades ou tétrarchies) de la plaine (la Thessaliôtide au Sud et à l'Ouest, l'Hestiaiôtide au 1. Cf. infra, p. 425-428. 2. Cf. infra, p. 459-465.
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Nord-Ouest, la Pélasgiôtide au Nord-Est et la Phthiôtide autour de Pharsale). ll n'est pas exclu que les auteurs anciens comme Aristote aient parfois projeté dans le passé des situations historiques en fait plus récentes, mais le processus inverse, avec l'affaiblissement progressif d'un puissant royaume initialement unique, est une hypothèse qui a aussi ses défenseurs. En fait, il semble que les rapports de force entre ces ensembles fluctuaient plutôt au gré des circonstances et des buts poursuivis par les grandes familles royales qui dominaient chacun d'eux, des familles qu'ont pu rapprocher, par moments au moins, la conclusion de mariages opportuns. ll est dès lors délicat de défuùr le rôle précis des « Thessaliens )) dans la « guerre lélantine )) ou la première « guerre sacrée )) (c.595/0) 1, tout aussi difficile de répartir les pertes « thessaliennes )) dans leurs défaites face aux Béotiens ou aux Phocidiens au VI' siècle. n n'empêche que, prolongement politique d'un sentiment d'unité ethnique vigoureux, entretenu autour du sanctuaire panthessalien d'Athéna Itônia proche de Pharsale, fut mise sur pied, sans doute vers le troisième quart du VI' siècle, une organisation fédérale au moins rudimentaire, celle-là même qui décida en c.511!0 de venir en aide au tyran d'Athènes Hippias 2 • Cela dit, il semble bien que ce soit la première « guerre sacrée )) qui ait fourni aux Thessaliens l'occasion de bientôt témoigner d'une montée en puissance spectaculaire, d'étendre leur contrôle sur des terroirs au Sud de leur domaine traditionnel, en particulier sur la Phocide - et donc sur le sanctuaire de Delphes au travers du poids qu'ils avaient acquis au sein de l'amphictyonie et grâce à leur amitié avec Sicyone- et même sur le SudOuest de la Béotie. Dans ce dernier cas cependant, la conquête paraît avoir été de plutôt courte durée à la suite de revers militaires (dont une défaite très sévère près de Thespies), qui encouragèrent, au terme du VI' siècle, une révolte des Phocidiens 3 mieux regroupés autour de leur divinité commune, la sœur jumelle d'Apollon, Artémis (sanctuaire de Kalapodi ?). Le sanctuaire de Delphes témoigne du succès des Phocidiens, tout comme le « mur des Phocidiens )) barrant aux Thermopyles la langue de terre alors très étroite passant entre la façade Nord, abrupte, du Kallidromo et le golfe Maliaque, un mur dont des restes furent repérés en 1939, à la hauteur du monument de Léonidas.
1. Cf. irifra, p. 425-431. 2. Cf. irifra, p. 496-497 et 561-564. 3. Cf. infra, p. 225-226.
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LA GRÈCE CENTRALE
De façon synthétique, on peut dire qu'il s'agit d'un « Pays de montagnes » que traverse le « Couloir du grand Isthme ». Du Spercheios - qui va se perdre dans les eaux du golfe Maliaque - aux rives nord du golfe de Corinthe s'égrènent, d'Ouest en Est, on l'a déjà observé 1, plusieurs terroirs constitués presque exclusivement d'espaces très accidentés, parfois vraiment hostiles à l'homme, comme les Locrides Occidentale et Orientale (ou des Ozoles ~t d'Opunte), la Phocide, la Doride et le pays des Maties. Les communautés installées à une date toujours incertaine dans cette région avare en plaines - en particulier les Doriens, les Ainianes de la vallée supérieure du Spercheios et les Maties - pesèrent d'un poids très inégal dans l'histoire grecque archaïque : elles durent surtout compter avec leurs voisins plus favorisés par le sort, au premier rang desquels il faut placer les Thessaliens. • Les LocRIENS - sans qu'on puisse préciser davantage lesquels méritent d'être nommés pour leur fondation, sous la pointe de la botte italienne, peut-être avec une participation de Sparte (ou de sa colonie de Tarente), dans la première moitié du VII' siècle (c.673 selon la tradition), de la puissante Cité archaïque de Locres Épizéphyrienne 2, à partir d'une population à propos de laquelle déjà les avis des érudits anciens divergeaient, mais qui compta dans ses rangs le célèbre législateur Zaleucos 3• On notera à son propos que, plus généralement, quoiqu'occupant une région de la Grèce qui passe pour« reculée», les Locriens semblent avoir marqué assez tôt de l'intérêt pour les procédures juridiques. Les Locriens de l'Ouest Oes Ozoles), installés sur les rives du golfe de Corinthe, paraissent avoir été moins défavorisés que ceux de l'Est (fédérés autour d'Oponte), en particulier grâce à la plaine d'Amphissa et surtout à plusieurs anfractuosités bien abritées- dont celle de Naupacte (Lépante), qui permettait en outre de contrôler la circulation maritime dans le golfe de Corinthe - mais ces facilités ne suffisaient pas à contrebalancer un arrière-pays fait, pour l'essentiel, de monceaux de rochers. Les marins de la Locride Ozole, imités en cela par leurs voisins à l'Est (cf. Crissa de Phocide) et ceux plus à l'Ouest d'Étolie et d'Acamanie (des régions qui ne se seraient guère ouvertes à l'hellénisme avant le terme du V' siècle), se distinguèrent, sans doute de bonne heure, avant tout comme des pirates avec lesquels il 1. Cf. supra, p. 75-87. 2. Cf. infra, p. 290-291. 3. Cf. supra, p. 206-209.
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fallait composer (cf., non loin de la mod. Eratini, dans la baie de Vitrinitsa, Oiantheia nommée sur une stèle corfiote du VII' siècle, IG IX 1, 867). C'est un obstacle qui dut souvent se dresser face aux nombreux navires, notamment corinthiens, qui empruntèrent - de plus en plus nombreux à partir du milieu du Vlll' siècle, on l'a vu 1 - cette voie exceptionnelle vers l'Ouest que constituait le golfe de Corinthe. • L'ÉTOUE préclassique est tout aussi difficile à appréhender. On est en particulier bien en peine d'éclairer les probables antécédents archaïques de la célèbre Ligue du ill' siècle, fondée sur un ethnos étolien initial apparemment bien structuré (cf. Thuc. III 94). Au mieux peut-on dire qu'à Thermos 2 , son futur centre politique et religieux, dans le sanctuaire apollinien, les restes du temple du milieu du VII' siècle (d'ordre dorique, rectangulaire et oblong, surtout en bois, périptère avec colonnade axiale, et orné de métopes en terre cuite peintes), se superposent à ceux, plus évanescents, de son prédécesseur édifié sans doute vers la fin de l'époque géométrique (« mégaron B »). L'autre agglomération notable est Calydon, où est attesté, à partir de la fin du dernier quart du VII' siècle, par les restes de deux temples successifs, un culte rendu à Artémis Laphria. • C'est la même ombre qui plane sur le passé de l'ACARNANIE dont le centre principal, Stratos, dominant la rive ouest de l'Achéloos, doit sans doute remonter au VI' siècle. Enfm, de Pleuron W« Ancienne))' détruite en 234 av. J.-C. et dont la fondation était attribuée aux Courètes), au pied du mont Kurios, ou d'Argos d'Amphilochie, à l'extrême Sud du golfe d'Ambracie, on ne sait pratiquement rien pour l'époque archaïque. • De la PHOCIDE sise de part et d'autre des hautes crêtes du Parnasse, on ne retiendra que ce qui a trait à Delphes (sur le versant Sud), après avoir noté que ses communautés, une vingtaine, surtout installées sur les contreforts septentrionaux, étaient regroupées au sein d'une structure fédérale centrée sur Élatée (au Nord du moyen cours du Céphise béotien) avec son sanctuaire dédié à Athéna Kranaia et qu'elles durent être confrontées à la domination/ occupation thessalienne peut-être un assez long moment au cours du VI' siècle. Mention doit aussi être faite du sanctuaire régional/fédéral (?) de Kalapodi (ant. Hyampolis [?] 6 km à l'Est d'Élatée) récemment exploré et pour lequel une continuité cultuelle (Artémis Élaphèbolos « qui poursuit les cerfs )) ?) serait assurée entre l'HR IIIC et un !"' millénaire qui 1. Pour l'activité des Grecs en mer Ionienne et, de façon plus générale, en Occident, cf. infta, p. 286-291, 296 et 309-313. 2. Cf. supra, p. 76 et infta, p. 436-438.
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est là très bien illustré dans sa première moitié (divers édifices religieux «pré-archaïques» et «archaïques»). Pour l'époque archaïque, l'histoire de Delphes 1 - Cité dotée d'un sanctuaire oraculaire- fut d'abord liée à celle de Crissa/Kirrha, sans doute une seule et même communauté un temps fortunée et étendant sa domination sur le beau golfe du même nom, peut-être sur les deux plaines côtières (de Crissa et de la locrienne Amphissa) que sépare un éperon rocheux, et sur la piste de montagne menant du golfe de Corinthe à Lévadhia (avec l'oracle de Trophônios) et à la Béotie en passant par les sites occupés dès la protohistoire de Chrysso, Delphes (cf. Hymne à Apollon) et Arakhova. La tradition veut que Crissa/Kirrha ait aussi été un repaire de pirates - chose courante sur ces rives, on vient de le rappeler- qui s'attaquaient aux pèlerins (dont nombre, comme les Péloponnésiens, devaient venir par mer) et ces pratiques expliqueraient que la Cité ait été anéantie au terme de ce que l'on nomme la première « guerre sacrée » et sa chôra consacrée en jachère éternelle à Apollon. Ces hostilités - datées de la première décennie du VI' siècle auraient vu se coaliser, dans une sorte de « croisade », Thessaliens, Sicyoniens (tyran Clisthène) et Athéniens (Solon) 2• Sur le terrain, toute mise en perspective historique se heurte assez vite à des problèmes topographiques complexes, liés pour beaucoup au doublet Kirrha/Crissa, mais peut-être ce dernier cache-t-il une communauté bipolarisée, dotée d'un établissement côtier et d'un autre d'altitude (avec un phénomène de transhumance saisonnière ?) 3• Pour les premiers temps du sanctuaire, les débats restent ouverts tant sur le front des textes que sur celui de l'archéologie 4 • L'Hymne lwmérique à Apollon, en particulier sa seconde section consacrée à l'installation du dieu à Delphes et appelée Suite JYthique, a fait l'objet d'un assez grand nombre de lectures et d'interprétations inconciliables. Les vers- qu'on peut attribuer au mieux à un aède anonyme du VI' siècle - évoquent un Apollon Delphinios débarquant d'un bateau manœuvré par des Crétois pour investir ce que le dieu proclame être son sanctuaire et faire des marins qui l'accompagnaient ses premiers prêtres 5• L'archéologie- faut-il d'ailleurs s'en étonner?- n'a guère pu donner corps à ces propos, mais, à tout hasard, on fera remarquer qu'on ne peut qu'être surpris par les similitudes que le paysage delphique offre (falaise avec source faisant face à la mer vers le Sud) avec celui qui sert d'écrin au vieux sanctuaire crétois de Kato Symi (à côté de Viannos [anc. Biannos]), dont la 1. Cf. 2. Cf. 3. Cf. 4. Cf. 5. Cf.
supra, p. 76-77 et infra, p. 360-371 et 513-518. infra, p. 428-431. supra, p. 55-59. supra, p. 76-77 et irifra, p. 360-371 et 513-518. infra, p. 368-369, pour la nature des liens envisageables avec la Crète.
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recherche moderne propose d'attribuer les terrasses à Hermès et Aphrodite 1• La tradition antique laisse aussi entendre qu'auparavant ces lieux de Phocide étaient propriété d'une déesse de la terre (Gâ). Un constat paraît assez sûr : sur le terrain, rien de vraiment explicite ne se laisse appréhender avant le Vill' siècle. Mais une autre chose ne l'est guère moins : les Grecs ont vécu et ont notamment dû pratiquer divers rituels - les réunissant parfois déjà en plus ou moins grand nombre - avant que ne se produisent, à partir du courant du VIII' siècle, un réel retour à une civilisation plus «matérielle», dont l'archéologie est alors mieux en mesure de retrouver les traces. Toute interprétation trop liée au seul volet matériel du dossier documentaire risque de biaiser une problématique parmi les plus complexes et pourtant à bien des points de vue décisive pour une bonne perception des époques géométrique et archaïque dans leur ensemble 2 • Mieux vaut donc laisser ouvert le problème des premiers temps de Delphes. Si le premier temps fort du sanctuaire paraît avoir été lié au grand mouvement colonial qui accompagna la transition entre les époques géométrique et archaïque, si son âge « classique » semble bien avoir surgi d'un deuxième temps fort, celui de la première «guerre sacrée», une troisième période clef de l'histoire du sanctuaire se reflète dans le rôle délicat, souvent décisif mais à l'analyse très ambigu qu'on fit jouer à Apollon l)thien dans les affaires grecques et en particulier dans la question des relations à établir avec les puissances barbares de l'Est. Au premier rang de celles-ci figurèrent évidemment, à partir de c.540, les Perses, ces nouveaux venus sur la scène, dont les agissements perturbèrent de plus en plus gravement les relations entre Grecs. Au cours de la seconde moitié du VI' siècle, de ce secteur ouestanatolien devenu l'un des centres les plus brillants mais aussi l'un des plus névralgiques de l'hellénisme 3, ce furent dès lors, de plus en plus souvent, des rumeurs menaçantes qui provinrent en lieu et place de cadeaux somptueux, tels ceux envoyés par les Lydiens Gygès (première moitié du VII' siècle) et Crésus (milieu du VI' sièciet Ce dernier n'en fut pas moins la victime spectaculaire d'un oracle d'Apollon rendu sur l'opportunité qu'il y avait pour le roi de franchir l'Halys afin de marcher à la rencontre des Mèdes (Hér. I 46-91). Parmi les conséquences de l'effondrement lydien, il faut assurément nommer la multiplication des témoignages de « sympathie » qui surgirent en faveur des Perses. Ils se mirent à fleurir ponctuellement en divers points d'un monde grec déjà en équilibre instable sans eux, et ces avis exprimés par certains à l'intérieur même des collectivités en avivèrent les querelles intestines, 1. Cf. supra, p. 204-206. 2. Cf. irifra, p. 364-371 et 402-424. 3. Cf. supra, p. Il 0-118. 4. Cf. supra, p. 146-153.
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dressant les uns contre les autres partisans et adversaires des nouveaux maîtres de l'Orient (Pisistratides et Alcméonides à Athènes, Éginètes, Aleuades en Thessalie, Thébains, en défmitive nombre des membres de l'amphictyonie). n semble bien que l'attitude pour le moins attentiste de Delphes put passer plus d'une fois pour un encouragement du dieu à voir le Perse d'un bon œil et, la crédulité ayant ses limites, la sanction attendue de cette attitude fut la sévère perte d'influence que connut de fait le sanctuaire d'Apollon Iythien dans la conduite des affaires proprement politiques des communautés grecques au lendemain de Salamine. • Dans la recherche moderne, la BÉOTIE de la fm de l'époque géométrique et du début de l'époque archaïque reste naturellement en partie dominée par l'œuvre aux contours imprécis- et à vrai dire fort malaisée à dater (c.750/700 ?) - d'Hésiode 1• Perçue comme une source d'informations incomparable, elle a fait l'objet d'une foule d'études qui se sont attachées à la décortiquer afm d'en tirer le maximum de renseignements en particulier sur la vie politique et sociale ainsi que sur la religion en Grèce au 2 VITI' siècle • Les communautés béotiennes (une bonne douzaine au sortir du géométrique), favorisées par les dieux 3 et perçues comme ethniquement homogènes, paraissent en tout cas avoir poursuivi jusqu'au temps des guerres médiques une existence «sans histoire>>, traditionnelle («oligarchique»), tout entière dévolue à l'agriculture et à l'élevage (notamment celui de cavales). Au milieu du V' siècle (c.447 /6), le pays devint le siège d'un puissant État fédéral dominé par Thèbes 4 et il serait évidemment intéressant de pouvoir préciser dans quelle mesure les temps préclassiques furent déjà concernés par ses phases de formation (summachiai ?). En réalité, les réponses à cette question - qui sont en partie fonction des analyses retenues pour les dédicaces (sur des trépieds métalliques, des kouro~ etc.) glanées dans les sanctuaires de Kastraki et Perdikovrysi du Ptoion - demeurent encore peu étayées. Sans doute les rivalités régionales durent-elles s'exprimer longtemps et ne guère s'estomper qu'à la faveur des menaces venues des régions voisines (Thessaliens 5 et Athéniens). Cela dit, vers le milieu du VI' siècle, un premier monnayage fédéral fut frappé (présentant, au revers, le « bouclier béotien»), suivi d'un second qui laisse entrevoir, pour la fin du même siècle, une suprématie des Thébains sur le Sud de la Béotie, à l'exception notable des 1. Cf. supra, p. 77-78 et 82-87. 2. Cf. supra, p. 166-183 et in.fra, p. 345-348. 3. Pour la présentation générale et les temps plus anciens, cf. supra, p. 77-78. 4. Cf. Briant et al., p. 194-196. 5. Cf. supra, p. 218-220.
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Platéens qui, pour sauvegarder leur autonomie face aux prétentions thébaines, s'étaient rapprochés d'Hippias et des Athéniens (c.519 ?) 1• La fertilité du sol doit sans doute rendre compte de plusieurs des vraiment très nombreux sanctuaires à la réputation locale, régionale, voire panbéotiens (cf. les Pamhoiotia célébrés au sanctuaire d'Athéna ltônia de Coronée), dont un grand nombre de type oraculaire (Apollon lsmènios à Thèbes, Trophônios à Lévadhia, Amphiaraos à Oropos et Thèbes, Apollon du Ptoion d'Akraiphnia, etc.), disséminés dans tout le pays (Cabires à Thèbes, Artémis à Aulis, etc.). Non contraints pour survivre à participer aux grandes entreprises maritimes de l'époque, ils apportèrent à la culture hellénique d'essence aristocratique une quote-part ne paraît loin d'avoir été mince, en particulier dans les domaines du chant, de la musique et de la poésie (Corinne de Tanagra, Pindare) 2 • Autre activité où il conviendrait sans doute de rendre justice à la Béotie, c'est la production de céramique :même si les fabriques locales furent assez vite confrontées aux arrivages volumineux des ateliers attiques et surtout corinthiens, les potiers béotiens ne baissèrent pas les bras pour autant (ainsi, les coupes «à oiseaux» du VI' siècle). • L'ATTIQUE. D'autres sections du présent ouvrage donnent l'occasion de développer certains des aspects les plus remarquables de l'histoire de cette région dominée par Athènes à l'époque archaïque, en particulier celles consacrées aux tyrans 3 et aux législateurs 4• On n'y reviendra donc guère ici sinon pour rappeler que, dans le cas d'Athènes et de sa région, à partir du milieu du IV' siècle av. J.-C. S, époque où les Athéniens n'étaient désormais plus en mesure de jouer un rôle politique décisif dans la conduite des affaires grecques et où Solon s'était substitué à Thésée comme figure de référence dans le cadre des débats sur la patrios politeia, « Constitution ancestrale » («mixte», c'est-à-dire une démocratie de forme «tempérée»), furent publiés plusieurs travaux érudits réalisés par des atthidographes, à savoir des œuvres (en majeure partie perdues en tant que telles) spécifiquement consacrées à l'Attique et traitant, pour partie au moins, de son lointain et glorieux passé. Dans ces écrits, les propos mythologiques, généalogiques et religieux avaient souvent la part belle. C'est souvent de ces enquêtes aux contours incertains (ponctuellement exploitées surtout par les commentateurs d'Aristophane ou des orateurs attiques en quête d'éclaircissements sur des !. Cf. irifra, p. 572-573. 2. Cf. infra, p. 449-453. 3. Cf. irifra, p. 4 76-50!. 4. Cf. irifra, p. 454-463. 5. A la suite sans doute du travail fondateur d'Hellanicos de Lesbos, déjà exploité alors qu'il était à peine terminé par Thucydide. D n'est pas exclu qu'Hérodote lui-même ait eu accès à certaines informations de même nature (tout dépend de la façon dont fut diffusée en particulier l'Attkis d'Hellanicos).
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pratiques devenues obscures) que proviennent bon nombre des «informations » relatives à l'Attique préclassique. Ce sont aussi ces enquêtes aux fondements inaccessibles que synthétise à sa façon le célèbre « marbre de Paros » (c.262 av. J.-C.) 1• La céramique produite dans les ateliers attiques des époques submycénienne et protogéométrique présente des signes de continuité qui interdisent de proposer une quelconque rupture brutale entre l'époque mycénienne et l'ère géométrique 2, mais, cela dit, la transition semble s'être opérée dans une telle «discrétion» qu'on ne peut rien en dire de tant soit peu précis en termes d'histoire événementielle ou institutionnelle. Le vide documentaire est d'autant plus considérable qu'on a déjà noté par ailleurs avec quelle méfiance il convenait d'enregistrer les propos - souvent contradictoires dans le détail - des Anciens sur les mouvements migratoires en sens divers, qui impliquent en particulier l'Attique dès lors qu'ils concernent les Ioniens 3 • Dans ce dernier cas, pour adopter une perspective historique respectueuse de la nature des témoignages disponibles, malgré les tentations bien compréhensibles auxquelles n'ont pas résisté de nombreux chercheurs depuis maintenant plus d'un siècle, il semble que l'on ne soit guère en droit d'aller plus avant que l'enregistrement de deux séries d'observations majeures. D'une part, on peut constater qu'il existait - au moins dès le sortir du géométrique mais sans doute bien avant déjà - une communauté dialectale indubitable entre les populations habitant l'Attique, celles qui se partageaient plusieurs des îles de l'Égée centrale et celles qui occupaient, depuis une époque tout aussi impossible à fixer avec certitude\ la section centrale de la frange occidentale de l'Asie mineure. D'autre part, on connaît les multiples revendications d'Athènes à exercer un leadership politique, culturel et religieux sur ce monde ionien qu~ en gros, s'étendait à l'Est de l'Attique (comme par le biais de la« Confédération de Délos))), mais sans doute aussi, plus tôt, à l'Ouest si l'on en croit les récriminations athéniennes à l'encontre de la Mégare dorienne, présentes déjà dans certains poèmes politiques de Solon (cf. frgt 4 Gentili et Prato). En ce qui concerne le rassemblement (sunoikismos « synœcisme ))) décisif, sous la houlette des Athéniens, des différentes communautés (parfois non négligeables) qui se partageaient l'Attique, on demeure, là encore, très largement dans l'inconnu tant sur l'époque que sur la durée et la forme prises par le processus qui conduisit à la reconnaissance d'un prytanée unique à Athènes. On ignore tout de l'organisation politique de l'Attique mycénienne 1. Cf. 2. Cf. 3. Cf. 4. Cf.
supra, p. 9-20, 107-108 et infra, p. 537-544. infra, p. 431-440. supra, p. 130-138. supra, p. 135-138.
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tout comme de celle(s) qu'a pu connaître cette même regton entre les «siècles obscurs» et la fm de l'époque archaïque ~e statut d'Eleusis en particulier est très controversé au vu surtout de l'Hymne à Déméter) 1• En tout cas, le caractère et l'histoire de la poésie épique invitent à penser que la section du « Catalogue des vaisseaux » nommant les Athéniens (Il. Il 546-556) illustre fort probablement une étape plutôt tardive (archaïque) d'une œuvre orale encore vivante et qui enregistra comme une donnée « traditionnelle » un état de faits somme toute encore assez récent (VI• siècle ?) 2• Quant à l'attribution de cette «unification» (par ailleurs remarquable pour des temps si anciens) de l'Attique à Thésée- et que célébraient chaque année les tètes athéniennes nommées Sunoikia (cf. Thuc. Il 15), il pourrait s'agir tout autant d'une conception« finale» («rétrospective»?), née du redécoupage clisthénien de l'Attique au terme du VI' siècle 3 • Peut-être inspirée des propos généalogiques et mythologiques d'un Hellanicos qui produisit son Atthis -la première œuvre du genre- dans l'ambiance démocratique de l'Athènes de peu avant 404, elle voyait en Thésée (héros promu par les Alcméonides face à l'Héraclès des Pisistratides ?) son «père fondateur». Cela dit, d'une part, rien ne s'oppose à ce qu'Athènes ait déjà pu engranger des gains territoriaux substantiels dès le IX' siècle 4 et, d'autre part, rien ne contraint à envisager que cette « unification » de l'Attique ait entraîné de substantiels transferts de population. Les réalités institutionnelles de l'Athènes d'avant Solon- et même préclassique en général - et les évolutions qu'elles ne manquèrent pas de connaître donnent lieu, depuis plus d'un siècle, à un flot intarissable de publications où ces problèmes sont souvent noyés dans les débats relatifs aux époques ultérieures. n est vrai qu'elles échappent pour l'essentiel, elles aussi, à toute investigation sérieuse, en dépit de la redécouverte heureuse, à la fin du XIX' siècle, de l'étude unique en son genre que constitue l'Athénaiôn Politeia attribuée au père de l'histoire institutionnelle, Aristote, ou à l'un de ses disciples du Lycée. De nombreux témoignages rapportant, d'une manière ou d'une autre, les institutions athéniennes à Solon sont plus que suspects et ont contribué à jeter un doute, peut-être moins justifié, sur son « Conseil des 1. Cf. irifra, p. 362-363. 2. Cette hypothèse paraît préférable à celle d'une manipulation ultérieure (la remarque vaut éga-
lement pour la mention > d'Ajax et des Salaminiens aux côtés du contingent athénien, Il. II 558), cf. supra, p. 14-20. 3. Cf. infra, p. 561-572. Pour rappel, l'opération n'impliqua pas l'île de Salamine (au contraire d'Éleusis) et il existe par ailleurs un décret de la fin du VY siècle, qui doit avoir pour objet l'installation d'une clérouquie dans l'île qu'il fallait toujours défendre des appétits mégariens. 4. Cf. supra, p. 82-87. Sans doute faut-il envisager pour ce phénomène d'annexion des étapes successives et des procédés d'intégration variant au gré des circonstances locales.
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Quatre-Cents » 1• Dès lors, au mieux, peut-on supputer quelque effacement d'une autorité royale « originelle » (pour laquelle militent au demeurant bien peu d'éléments historiques solides) au profit d'un collège de 3 puis 9 magistrats d'origine aristocratique (3 archontes et 6 thesmothètes?), dotés de charges bientôt annuelles, connus sous le nom d'« archontes». L'un des membres portait le titre de basileus et il avait sans doute en charge l'ancestral calendrier liturgique, qui scandait impérativement toute la vie communautaire 2• On convient en général que le plus important était l'archonte [éponyme] (Aristote ne le qualifie en aucun endroit de tel, cf. Arist., AP III 2 et 5, VIII 1), mais, en la matière, des interprétations abusives ont pu être posées :par une érudition antique impressionnée par la montée en puissance de l'Etat et l'« institutionnalisation du politique», tous phénomènes remarquables aux V'-IV' siècles 3• Le troisième n'était autre que le polémarque doté de vastes compétences, surtout dans les rapports de la Cité avec les non-citoyens (Arist., AP LVIII). Jusqu'aux réformes radicales de Clisthène (c.508/7), désignés sans doute d'abord à vie, puis pour dix ans avant que ces fonctions ne deviennent, à un moment donné, annuelles, ces hommes étaient chargés de gérer la vie des Athéniens alors répartis en quatre tribus (chacune de ces p~lai étant, à son tour, divisée en trois tritryes), une distribution - sans doute déjà pour partie territoriale - de la collectivité qui devait servir de base à l'organisation militaire et que devait compléter, sans que l'on sache trop bien comment, l'institution non moins mal connue des phratries, ces cadres de fraternité où ne cessa jamais de se confirmer l'appartenance à la communauté, la« citoyenneté» (politeiat. A un moment non autrement déterminé (cf. Arist., AP III 4), ce collège des archontes s'en vit adjoindre un autre, composé de six thesmothètes et, semble-t-il, pourvu d'attributions judiciaires (thesmia). Un autre pilier de la vie communautaire athénienne fut longtemps le vénérable Conseil (Boulè) aristocratique de l'Aréopage (siégeant sur la« Colline d'Arès», au Sud de l'Agora, à l'Ouest de l'Acropole), sur les fonctions duquel les sources antiques tiennent des propos divergents mais non nécessairement contradictoires. Enfin, parmi les magistratures existant dès avant Solon- et qui ne sont guère plus que des noms, on se doit d'au moins citer les trop mal connus mais semble-t-il assez puissants naucraroi (étym., « capitaines de navire»), qui auraient été au nombre de 48 (à raison de 12 par tribu) 5, des magistrats ayant au moins des attributions fmancières, que déjà l'érudition antique était tentée de rapprocher de la collecte des fonds !. Cf. infra, p. 459-463. 2. Cf. supra, p. 166-173 et infra, p. 503-512. 3. Cf. supra, p. 43-53. 4. Cf. aussi infra, p. 402-424. 5. Racontant l'échec de Cy1on, Hérodote nomme, parmi les premiers inteiVenants, les > (Hér. V 71 ), ce qui inviterait à penser qu'ils formaient peut-être, par groupe de quatre (à raison d'un par tribu), des collèges prytaniques se succédant au fil des douze mois de l'année, et dès lors à tempérer quelque peu le côté novateur de la réforme des tribus opérée par Clisthène (cf. infra, p. 561-5 72). 1. Une soixantaine de noms de génè sont connus. 2. Cf. aussi infra, p. 459-463 et Briant et al., p. 227 sqq. 3. Cf. supra, p. 181-183. 4. Cf. infra, p. 248-269 et 431-476. 5. Cf. infra, p. 487-497.
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Mégaclès en particulier est nommé par plusieurs sources), occupant, sans doute au moins dès le milieu du VII' siècle, de hautes responsabilités dans la gestion de la communauté athénienne, une position dominante qu'ils parvinrent à maintenir dans les faits, nonobstant quelques moments plus difficiles, jusqu'à la disparition de Périclès, dans l'épidémie qui assombrit les débuts de la Guerre du Péloponnèse. Pour sa part, l'irruption d'un Dracon sur la scène athénienne (c.621/0) révèle, d'une part, que les Alcméonides, tout puissants qu'ils aient pu être, n'étaient pas les seuls à prétendre à la première place dans la gestion de la Cité et, d'autre part, que la recherche aristocratique de l'indispensable kléos, poursuivie par tous ces clans concurrents, entraînait des dérapages de plus en plus nombreux (stasis), auxquels des Athéniens souhaitaient mettre un terme 1• En dehors de ces quelques moments forts du VII' siècle, qui retenaient encore l'attention des Athéniens des v et IV' siècles dans la mesure où des retombées s'en faisaient encore sentir (Cylon, Dracon, Solon), on demeure dans le noir et on en est réduit à des hypothèses. C'est le cas pour divers conflits. Un premier, mal assuré, aurait opppsé, pour de sombres motifs, Athènes à une Egine désormais affranchie d'Epidaure (Hér. V 82-88). Un autre, guère mieux daté (autour de 600 ?) et plus déconcertant par ses motivations2, eut pour objet Sigée (Alcée y aurait pris part) et dressa Athènes contre la Mytilène de Pittacos (Hér. V 95, Strab. XIII 1, 36-40) jusqu'à ce qu'intervienne un arbitrage de Périandre de Corinthe, favorable à Athènes qui put ainsi compter quelque temps sur un port de relâche à l'entrée d'une zone sous contrôle mégarien 3 • Un troisième conflit, moins incertain, fut destiné à se prolon~er et mit aux prises Athènes et Mégare pour le contrôle de Salamine (et d'Eleusis), des hostilités où Solon et Pisistrate prirent successivement part, une longue guerre, ne désignant ni vainqueur ni vaincu véritable, alternant pour chaque camp des succès et des revers sans que l'on sache reconstituer le fil des événements Gusqu'à ce qu'intervienne un arbitrage spartiate favorable à Athènes, sans doute peu avant le milieu du VI' sièclet Dans ces trois cas, on retiendra que les hostilités témoignent d'abord en faveur de l'existence de navires de combat athéniens au moins dès avant la fin du VII' siècle (cf. déjà le pinax votif, peint en style protoattique, du Sounion, c.690). Le quatrième et dernier n'est autre que l'heureuse participation !. Cf. 2. Cf. 3. Cf. 4. Cf.
supra, p. 176-183 et irifra, p. 454-463. supra, p. 22 et 33. infta, p. 486 et 487-497. infta, p. 492-493 et 497-498.
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athénienne en Phocide à la première « guerre sacrée » exposée ailleurs 1, qui donna aux Athéniens l'occasion d'occuper l'un des deux sièges «Ioniens» de l'amphictyonie pylreo-delphique. Ce dernier conflit conduit à aborder très brièvement ici la figure. de Solon 2• On rappellera surtout que l'homme, qui occupe à divers titres une place exceptionnelle dans l'historiographie antique (et moderne), n'est connu que par ce qui reste de ses propres poèmes composés avant et après son archontat (moins de 300 vers conservés sur plus de 5 000 recensés par l'érudition antique), ses lois (inscrites initialement sur des axones en bois tournant sur des pivots puis, après c.480, recopiées sur des k;yrbeis en pierre et perdues en dehors de quelques citations) et ce que de nombreux auteurs anciens (surtout Arist., AP et Plut., Sol.) ont cru pouvoir dire de lui et de son action en exploitant les différents textes qui lui étaient attribués et qui étaient encore accessibles aux V'-IV' siècles, une question très complexe et toujours sans aucune solution évidente. Ici, on retiendra seulement que l'œuvre réformatrice de Solon, somme toute assez limitée 3, est celle d'un« médiateur» (et archonte dans les toutes premières années du VI' siècle: c.594/3 ?) cherchant à accorder aux citoyens juste ce qui devait leur revenir sans toucher à l'honneur des nobles (Sol., frgt 30 G.-P.). Elle ne paraît pas avoir apporté de solutions significatives et durables aux problèmes qui se posaient alors à la société athénienne, même si certaines mesures semblent avoir un temps « calmé le jeu », avec peut-être le concours d'une aristocratie qui accepta (comme elle le fit encore en c.508/7) 4 les modifications apportées au «code de bonne conduite». Une tradition antique, récurrente mais invérifiable, veut même que Solon ait été encore en vie à la première prise du pouvoir par Pisistrate (c.561!0 ?). Comme dans le cas de Solon, on reportera ce qu'il convient de retenir de la tyrannie de Pisistrate (disparu en c.528/7) et de ses fùs, Hipparque (assassiné en c.514/3) et Hippias (chassé en c.511/0) dans la section prévue pour les individus qui exercèrent ce type de pouvoir 5 • Ici, on s'en tiendra à une remarque ponctuelle, qui portera sur les attitudes que ces derniers adoptèrent à l'égard de la (re)fondation de Sigée arrachée aux Mytiléniens et de la création de Sestos, de l'autre côté, sur la rive européenne de l'Hellespont. Elles paraissent en effet révélatrices d'une évolution des mentalités qui dut dépasser la seule personne des tyrans athéniens, encore que l'on souhaiterait mieux cerner la part éventuelle de volonté politique qui leur reviendrait. Non loin d'être initialement perçue (c.560 ?) 1. Cf. 2. Cf. 3. Cf. 4. Cf. 5. Cf.
supra, p. 76-77 et infra, p. 428-431. surtout infra, p. 459-463. surtout infra, p. 459-463 et 487-490. infra, p. 487-492. infra, p. 492-497.
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comme une sorte de propriété privée confiée à Hègèsistratos ~e fils bâtard de Pisistrate), Sigée servit de refuge en c.510/9 à Hippias, déchu de sa tyrannie et espérant des jours meilleurs 1• La Chersonèse de Thrace en revanche, où Miltiade l'Ancien, un concurrent encombrant ou malchanceux de Pisistrate, en tout cas membre du puissant génos des Philaïdes, avait établi une forme de tyrannie (Hér. VI 36), devint, au fù du temps, avec Stèsagoras d'abord et surtout avec l'arrivée du frère de ce dernier, le futur vainqueur de Marathon, Miltiade le Jeune (envoyé là par les Pisistratides), une possession dont l'avenir relevait désormais de l'intérêt collectif des Athéniens. Pisistrate s'impose à coup sûr comme un formidable personnage historique, impliqué dans le destin d'une communauté athénienne alors en plein essor, qui semble transcender sous sa férule ses divisions et qui même n'est pas loin d'annoncer l'Athènes impériale du siècle suivant (ainsi sa purification de Délos). Les Athéniens de tout bord en gardèrent d'ailleurs un souvenir à peine moins ému que de Solon en personne. Et puisqu'ici il faut résumer à très grands traits l'œuvre politique des tyrans athéniens sur le plan intérieur, on serait tenté de dire qu'outre les incertitudes qui entourent certaines de leurs mesures, l'ensemble de celles-ci paraît bien avoir procuré à la Cité (ou rendu en l'actualisant) une cohésion« patriotique» inconnue jusque-là, qui se révéla des plus opportunes lors des réformes isonomiques imposées par Clisthène. La place manque pour présenter l'ensemble des réalisations artistiques attribuables à ces décennies exceptionnelles. Les plus remarquables relèvent de la céramique, de l'architecture et du travail de la pierre (ronde bosse, haut et bas reliefs) 2• On notera, en risquant la caricature, qu'en sculpture, le« style attique))- dont l'existence est à l'occasion mise en doute sur des bases contestables - paraît bien procéder à une synthèse créatrice des styles · « dorien )) propre au Péloponnèse à l'Ouest et « ionien )) en vogue chez les Grecs de l'Est et dans plusieurs Cyclades au moment où la menace perse se précisait, cause probable de l'un ou l'autre exil à Athènes destiné à grossir les rangs des étrangers, ces métèques (métoikoi) surtout présents dans les quartiers regroupant les activités industrielles, artisanales et commerciales. QJ.telques sculpteurs et quelques œuvres ne peuvent être passés sous silence: le kouros œuvre d'un sculpteur anonyme provenant de Volomandra (peut-être dès c.570/560), le rrwschophore (c.560), le «cavalier Rampin )) (c.550) et la korè en péplos de l'Acropole (c.540), peut-être du même maître, le kouros et la korè trouvés ensemble au Sud de Markopoulo, à Myrrhinonte ~a korè, Phrasikleia, étant l'œuvre [c.550] d'Aristion de Paros, le kouros ne 1. C( infra, p. 574-577. 2. C( infra, p. 435-440, 494-497 et 524-537.
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bénéficiant pas pour sa part des explications d'une base inscrite), le kouros d'un sculpteur anonyme conservé à Munich (c.540/530) ou celui, œuvre également d'un sculpteur anonyme, produit en l'honneur d'un certain Kroïsos et retrouvé à Anavyssos (c.530); et, au sommet du genre, on nommera le kouros représentant Aristodikos (c.5l 0-500) et plusieurs korai retrouvées dans le niveau de destruction perse (c.480) de l'Acropole : ainsi celle (c.530/520) d'Anténor (également auteur, en c.509/8, d'un groupe représentant les t;yrannoctones) ou celle, parmi les plus récentes, que l'on nomme «la boudeuse», sculptée par Euthydikos (c.490). • MÉGARE occupait un point de passage sur l'Isthme, que ne manquaient pas de convoiter tant les Athéniens que les Corinthiens 1• Parmi les événements majeurs que connut la Mégare dorienne de l'époque archaïque, il faut assurément nommer la perte de pas mal de ses territoires occidentaux (ceux situés au Sud des monts Géraniens), à cheval sur les golfes de Corinthe et Saronique, au profit précisément de la Corinthe des Bacchiades, sa grande rivale régionale avec Athènes, sur son flanc Est 2• Jusqu'alors les Mégariens disposaient sans doute de facilités portuaires tant sur le golfe Saronique ouvrant sur l'Égée (Nisée) que sur le golfe de Corinthe vestibule de l'Occident (Pagai, mod. Porto Germeno). Le succès corinthien se concrétisa, dans l'Héraion de Pérachora fondé à l'initiative des Mégariens, par l'édification, vers 740, d'un temple consacré à Héra Liménia. Il semble même que, peu après, les Mégariens eurent à subir un temps le joug corinthien, une épreuve dont les aurait délivrés un Mégarien olympionique nommé Orsippos (vainqueur en c. 720 3, épitaphe exposée sur l'agora de Mégare, cf. Paus. I 44,1). Il n'empêche que Mégare perdit aussi le contrôle de l'agglomération côtière d'Oinoè, à l'Est de Pérachora, sur le golfe de Corinthe. Un autre point notable de l'histoire mégarienne fut- mais est-ce si surprenant dans de telles conditions ? - sa grande activité coloniale tant vers l'Ouest sicilien que vers le secteur septentrional de la mer Égée 4 • Cette dernière n'aurait d'abord pas été cautionnée, semble-t-il, par Delphes, jusqu'à la fondation (peut-être avec l'aide des Argiens vainqueurs en c.669/8 des Spartiates à Hysiai) de Byzance, vers 660, une installation qui, elle, reçut l'aval de la Pythie. Les destinées de la communauté mégarienne, composée de citoyens disposant chacun d'un klèros (cultivé par des «inférieurs») paraissent avoir été longtemps entre les mains d'une oligarchie aristocratique (boulè et basileus, le
1. Cf. 2. Cf. 3. Cf. 4. Cf.
supra, p. 82-87. infra, p. 235-236. supra, p. 42-52. infra, p. 286-291, 292-293, 298 et 313-323.
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premier magistrat). Enfin, on rappellera les luttes alternant victoires (avec Théagène de Mégare) et défaites (face à Solon, puis Pisistrate) que les Mégariens soutinrent contre Athènes pour la possession de Salamine 1 et d'Éleusis qui commandait la plaine très fertile de Thria et était la gérante attitrée du sanctuaire des Deux Déesses (Télestèrion) d'Éleusis.
LES PÉLOPONNÉSIENS
Les derniers temps de l'époque géométrique et l'époque archaïque figurent parmi les moments forts que connurent plusieurs communautés grecques qui se disputaient le Péloponnèse. L'acharnement fut tel que c'est sans doute à ces dernières qu'il convient d'attribuer la mise au point, au cours du VITI' siècle, d'une nouvelle forme de combat dont le fer de lance était le combattant à pied, lourdement armé, l'hoplite évoluant en phalange 2 • Un autre domaine - non indépendant de cette course au pouvoir que les centres péloponnésiens se livraient - fut l'activité coloniale intense dont plusieurs communautés firent alors preuve (Corinthiens, Spartiates, Éléens), certaines à de nombreuses reprises, au travers de multiples fondations opérées tant à l'Ouest qu'à l'Est et dont quelques unes étaient promises à un très brillant avenir 3• • C'est entre les mains des Bacchiades que CORINTHE, idéalement située en terre grecque\ marqua des points décisifs contre sa rivale Mégare 5 et que ses marins partirent avec succès à l'assaut de l'Occident méditerranéen. La prise de contrôle de la « Pérée » corinthienne se marqua par l'investissement de l' Héraion jusque-là mégarien de Pérachora tandis que, sur l'Isthme de Corinthe, sur son versant Saronique, la conquête de Crommyon (qui commandait la petite plaine au Sud des monts Géraniens, mod. Haghioi Théodoroi-Moulkz), se fêta là par l'édification d'un temple dédié à Poséidon. Les Corinthiens s'étaient de la sorte assuré, au détriment de leurs voisins orientaux, un terroir moins étriqué, offrant des ressources non négligeables (dont le bois, indispensable à la construction navale) et doté de facilités portuaires tant sur le golfe de Corinthe (avec des escales telles que celle d'Itéa, en contrebas de Delphes) que sur le golfe Saronique. 1. Pour l'institution des clérouquies, cf. Briant et al., p. 14-15, 138, etc. 2. Cf. infra, p. 388-402. 3. Cf. infra, p. 269-323. 4. Cf. supra, p. 87-88. 5. Cf. supra, p. 82.
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On relatera plus loin 1 les grandes activités coloniales que les Corinthiens déployèrent dès pratiquement les débuts du VIII' siècle, des activités que ne manqua pas d'épingler Thucydide (Thuc. I 13,2-5) tant elles lui semblaient annoncer celles à l'honneur dans l'Athènes de son temps. Elles impliquaient la construction de navires de guerre rapides (triacontores manœuvrés par 30 hommes et pentécontores qui en réclamaient 50), une lutte incessante contre la piraterie (pratique alors courante, en particulier dans le golfe de Corinthe~' ainsi que la recherche du profit à travers les échanges. Ces derniers furent stimulés par la production, dans des ateliers corinthiens spécialisés (où devaient surtout travailler des non-Corinthiens ?), de céramiques fmes (séries protocorinthiennes) et de divers objets métalliques destinés souvent à des clientèles lointaines. ll semble que beaucoup de ces succès corinthiens soient à mettre à l'actif des Bacchiades, un club fermé regroupant quelque deux cents familles qui concentraient entre leurs mains toutes les charges publiques et qui élisaient en leur sein un premier magistrat nommé basileus ou prytane 3 • C'est sans doute vers 657/6 4 que, recourant à la force, Cypsélos chassa du pouvoir à son profit, avec l'appui de Delphes mais peut-être aussi avec l'aide de Phidon (Pheidôn) d'Argos, les aristocrates Bacchiades, alliés des Spartiates battus par les Argiens à Hysiai quelques années plus tôt. La tyrannie des Cypsélides se maintint en la personne de Psammétique jusque c.583/2 5 • C'est une page majeure de l'histoire corinthienne qu'écrivirent ces tyrans - Cypsélos et son fils Périandre surtout (c.627-c.585) - qui marquèrent profondément l'esprit des Grecs de l'époque par leur politique tant en Carinthie que dans le domaine colonial 6 • Les Corinthiens, avec à leur tête une oligarchie tempérée, se rapprochèrent alors à nouveau de Sparte, l'ennemie d'Argos, et de l'Athènes de Solon, l'ennemie d'Égine, laquelle était, semble-t-il dans l'orbite argienne. • L'AcHAïE ne pesa guère, de façon directe, dans l'histoire de la « vieille Grèce » des époques géométrique et archaïque, mais ses habitants, en manque de terres agricoles, écrivirent quelques pages non négligeables dans la saga coloniale 7• Aux confms orientaux, il faut cependant noter Sicyone, la patrie légendaire de l'Argien Adraste ~e seul survivant des «Sept contre Thèbes »), dont la période de grandeur paraît bien correspondre à celle où !. Cf. 2. Cf. 3. Cf. 4. Cf. 5. Cf. 6. Cf. 7. Cf.
irifra, p. 269-323. Pour l'attitude de Delphes et de son oracle, cf. irifra, p. 513-518. supra, p. 222-225 pour la première> et infta, p. 428-431 et 513-518. supra, p. 166-183. infta, p. 245. infta, p. 484-486. infta, p. 269-296 et surtout 309-313. supra, p. 91-92 et infta, p. 297-313.
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elle fut dirigée par des tyrans (Clisthène) 1, qui, il est vrai, se distinguèrent à Olympie et à Delphes (courses et trésors). Sans doute les Sicyoniens profitèrent-ils pleinement des activités maritimes des Corinthiens. En tout cas, la communauté compta alors en particulier des bronziers très réputés, qui travaillaient un métal, disait-on, importé de Tartessos (Sud de l'Espagne). Pour la fm du VI' siècle, on connaît ainsi un certain Kanachos réputé pour ses « grands bronzes », des œuvres perdues mais sans doute à rattacher au « style dorien » qui caractérisait les réalisations péloponnésiennes du VI' siècle, un style qui est jugé plus vigoureux que le « style ionien » et qu'illustrent aussi les deux statues argiennes en pierre (c.580) retrouvées à Delphes et dans lesquelles on reconnaît tantôt Castor et Pollux ~es Dioscures) tantôt Cléobis et Biton dont Hérodote a rapporté l'ultime exploit à l'Héraion d'Argos (cf. Hér. 1 31). • On ne s'attardera guère en ARCADIE 2, région centrale, riche en bois mais très accidentée du Péloponnèse. Ses habitants durent prolonger tard leur vie semi-pastorale autour de quelques centres religieux (Mantinée, Bass, pourrait-on dire si l'on accepte de considérer que le était constitué par les périèques. 4. Plut., Lye. 8, donne le chiffre de 3 000 Spartiates ayant bénéficié de cette redistribution.
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l'exclusion des Parthéniai (citoyens «incomplets» 1), auxquels fut confiée la tâche de fonder Tarente (c.706) 2 • Cette conquête territoriale spartiate majeure, connue sous le nom de première « guerre de Messénie », reste presque totalement enveloppée dans un épais brouillard qui rend son historicité quelque peu mal assurée : le poète (et peut-être homme de guerre) Tyrtée, la source principale, évoque, vers le milieu du VII' siècle, à l'occasion de la deuxième «guerre de Messénie » 3, une« Guerre de Vingt Ans>>- soit une durée double de celle dont la tradition finit par créditer la légendaire « Guerre de Troie » 4 - menée par les « grands-pères » de ceux qui participèrent au deuxième conflit, une première guerre qui se termina par la prise de contrôle du mont Ithômè. Diverses recherches, accordant un crédit (quelque peu surfait?) aux listes nominatives des vainqueurs olympiques, sont cependant tentées de placer précisément ce conflit vers 730-710 5 • Quelle que soit la date à retenir, ces extensions territoriales ~a haute plaine intérieure de Stényclaros - centre non localisé, au Nord-Est du mont Ithômè ?), opérées au détriment des Messéniens doriens, apportèrent un peu l'effet escompté chez d'autres communautés par le biais d'entreprises coloniales (une démarche que Sparte pratiqua du reste aussi vers la même époque avec la création de Tarente, c. 706). En même temps, elles contribuèrent à l'émergence du profil« classique» de l'organisation sociale, politique et économique spartiate 6, avec les Messéniens-hilotes agissant sur leurs terres ancestrales comme métayers assermentés au profit des Spartiates. Ces derniers disposaient ainsi, chacun, en dehors de leurs biens propres, d'un lopin au rendement comparable (klaros), preuve matérielle de leur citoyenneté, dont ils tiraient bénéfice de la production pour moitié, une situation sans pareille en Grèce même mais qui rappelle précisément certaines pratiques coloniales. Quoi qu'il en soit, une telle organisation les mettait à l'abri du besoin matériel et leur permettait de se consacrer pleinement à leurs activités militaires. Ce serait déjà un peu avant cette époque 7 qu'il conviendrait de placer l'élaboration (par écrit?!) de l'Eunomia, la «(bonne) constitution» (politeia) 1. La tradition voulait que les individus connus sous ce nom soient ceux nés d'hommes trop jeunes pour avoir pris part au serment qui aurait lié les participants Spartiates à cette première guerre messéuienne, des individus de ce fait exclus de la qui s'ensuivit, c( Arist., Pol. 1306b. 2. C( aussi infra, p. 286-291. 3. CC infra, p. 241-242. 4. C( supra, p. 20-36. 5. C( supra, p. 43-53. 6. CC Briant et aL, p. 196-202. 7. C( supra, p. 43-53. Pour l'essentiel, l'évaluation repose sur une enquête d'Aristote - qui ne faisait pas l'unanimité - et qui rapprochait un Lycurgue et un Iphitos que le père du Lycée considérait comme le fondateur des Concours olympiques en c.776.
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qui devint le noyau dur de ce « mirage spartiate » élaboré dès le v· siècle athénien et qui, après être passée pour le fondement de la Cité idéale aux yeux de la plupart des Grecs cultivés, a tant agité les milieux intellectuels depuis le xvm· siècle. Plutarque (Plut., Lye. 6-7) attribue la paternité de cette législation fondatrice (Rhètra) à Lycurgue - une personnalité déjà presque insaisissable pour l'auteur des Vzes parallèles- tandis que les restrictions qui furent apportées à ces règles sont mises au crédit des rois Théopompe et Polydore, quelque 130 ans plus tard (c[ aussi Diod. VII 12,6). On aurait ici la plus ancienne entreprise de ce type dont on ait conservé une trace, mais les problèmes (propos contradictoires) que pose ce texte législatif demeurent sans solution malgré une multitude d'études 1• Ces nettes réserves mises à part, rien ne paraît s'opposer à ce qu'une première réforme majeure du cadre institutionnel spartiate « ancestral » ait pu intervenir dès la première moitié du VIII' siècle : ce serait la Grande Rhètra, au contenu difficile à circonscrire, attribuée à Lycurgue. Une seconde réforme -ce que la recherche nomme parfois la« clause additionnelle»- serait alors à placer (avec l'assentiment de Delphes) au terme de ce long conflit que semble avoir été la première« guerre de Messénie», sorte de conséquence de cette dernière, mais d'autres reconstructions ont été proposées. Ce serait alors la deuxième «guerre de Messénie», qui s'inscrivit comme la suite naturèlle de l'échec cuisant des Spartiates face aux Argiens à Hysiai en c.669/8- une défaite ayant entraîné leur retrait de Cynurie et de Thyréatide, qui aurait conduit à la mise en place de l'État spartiate «classique», édifié autour du citoyen-hoplite. Ce conflit, évoqué par les poèmes de Tyrtée 2 , paraît avoir été cruel et fort long (entre c.650 et c.620 ?), contraignant dans un premier temps Sparte à la défensive, car les Messéniens purent compter notamment sur les Éléens et sur les Argiens passés à la tactique hoplitique 3• Les opérations militaires paraissent s'être terminées en Messénie septentrionale par la prise du dernier refuge messénien installé sur le mont Ira (au Sud de Bassee et dominant la gorge de la Néda) et les chutes des places de Pylos et Méthonè. Les Lacédémoniens auraient alors été en mesure d'infliger à leur tour aux Argiens de cruelles défaites qui auraient conduit ces derniers à chasser d'Argos le dernier des Téménides, un certain Meltas (présenté comme le petit-fils de Phidont Quant à la soumission décisive de l'ensemble de la Messénie à Sparte que fmit par entraîner cette deuxième «guerre de Messénie», elle apporta 1. Cf. infra, p. 456-458. 2. Le patriotisme qui animait son œuvre lui valut une gloire aussi durable en terre laconienne que celle dont jouissait l'œuvre comparable de Solon en terre attique. 3. Cf. infra, p. 388-402. 4. Cf. supra, p. 217-218, pour l'arrivée d'un autre Téménide, Perdiccas, chez les Macédoniens, vers le milieu du VII" siècle.
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à coup sûr, dans un premier temps, une prospérité soutenue et un rayonnement culturel incontestable aux groupes humains qui peuplaient la vallée de l'Eurotas et que l'archéologie montre vivant jusque-là plutôt sur un pied modeste 1• Les Spartiates, qu'on verrait volontiers environ 9 000 (?) au VI• siècle, étaient alors à la tête de plus de 4 000 km2 ; il est certain que le rapport numérique entre homoioi d'un côté et, de l'autre, périèques et hilotes était défavorable aux premiers, et plus encore dès lors que sont pris en compte les hilotes de Messénie (selon certains travaux, le rapport aurait été de 1 à 10). Si les Spartiates ne s'engageaient pas personnellement dans les activités de production et de commerce, les Lacédémoniens comptaient encore dans leurs rangs des aristocrates actifs et ils pouvaient s'appuyer sur des périèques inventifs, ouverts aux influences extérieures, notamment orientales. Musique, danse, poésie, l'art en général furent particulièrement à l'honneur entre c.700/650 et c.550/525 en Laconie mais aussi, d'une façon plus générale, dans tous les grands centres péloponnésiens (à commencer par Olympie) liés à Sparte qui, pour sa part, vit défiler des artisans venus des quatre coins du monde grec. En témoignent les poèmes d'Alcman (que certains voient Lydien d'origine), l'accueil réservé à Thalètas ou Terpandre dans les grands festivals laconiens, les séjours de Théognis de Mégare ou de Stésichore d'Himère 2 • On rappellera aussi les offrandes somptueuses déposées dans le sanctuaire d'Artémis Orthia de Limnai dès c.725/700 3 et celles dont hérita le Ménélaion. L'architecture ne fut pas en reste (ainsi la Skias, bâtiment rond, de Théodoros\ le temple « bardé >> de bronze d'Athéna Poliouchos ou Chalkioikos, celui en calcaire d'Artémis Orthia). La sculpture aussi fut à l'honneur(« trône d'Apollon» à Amyclées auquel est associé le nom de l'artiste ionien Bathyklès de Magnésie). Un moment presque rivale des productions corinthiennes, la céramique laconienne était appréciée, qui culmina vers 590-550 avec des réalisations à figures noires (surtout des coupes comme celle dite d'Arcésilas, d'après le nom de ce roi de Cyrène, deuxième à le porter, nom peint (Arkésilaos) dans une scène le représentant lors de la pesée du silphium) qui se retrouvent en des lieux aussi dispersés que Tarente, Cyrène et Samos. Enfin, on se doit de citer aussi le travail du métal et du bois, attesté par les découvertes faites en des lieux relativement proches comme Olympie mais aussi très éloignés (dans les tombes scythes de la Russie méridionale, à Vix en France ou à l'Héraion de Samos). Dans un autre registre, non moins 1. On ne notera cependant jamais chez eux de véritable propension à la réalisation de travaux architecturaux d'une réelle ampleur (cf. encore Thuc. 1 10). 2. Cf. infra, p. 449-453. 3. Dans la tradition, ce quartier de Limnai était l'un des quatre villages constitutiJS (par vmœcisme) de Sparte, cf. supra, p. 238. 4. Une figure associée à celle de Rhoïcos à Samos, cf. sujna, p. 193-203.
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spectaculaire aux yeux des Grecs d'alors, les Spartiates remportèrent au cours de ces décennies de nombreuses victoires à Olympie. Mais, avec le temps, vers le milieu du VI' siècle au plus tard, la Messénie avec ses hilotes se métamorphosa de plus en plus de corne d'abondance en source intarissable d'inquiétude pour les Spartiates (toujours proportionnellement très peu nombreux en regard des divers groupes qu'ils contrôlaient), à la merci de révoltes encouragées par quelque voisin malveillant (Arcadiens ou Argiens surtout). Pareille mue absorba bientôt toutes leurs énergies tandis que l'organisation sociale hoplitique, «poussée à l'extrême», entraînait un effacement sensible de l'aristocratie au profit d'un système de plus en plus militariste, désormais peu ouvert sur les arts. Par la même occasion, les Spartiates tentèrent de gagner à leur cause des alliés parmi leurs voisins pour calmer le jeu, à commencer par les Éléens. Les limites des capacités militaires spartiates apparurent au grand jour avec les échecs qu'ils encoururent dans la première moitié du VI' siècle, lorsqu'ils échouèrent à plusieurs reprises dans leurs tentatives de réduire les Arcadiens. Faut-il rappeler qu'on ne connaît pas de successeur à Alcman, qu'après c.576/5 les Spartiates ne se distinguèrent plus fort souvent à Olympie, que dès c.5 70 les importations cessèrent en Laconie tandis que les productions de céramique lacanienne chutaient défmitivement après c.525 ? Enfin, signe qui ne trompe guère, Sparte s'abstint de suivre les autres Cités grecques lorsque ces dernières entreprirent de battre des monnaies d'argent: elle en resta aux broches de fer ~es fameux obéloz) 1 et en bien des domaines elle se replia sur elle-même. Cela dit, les Spartiates demeurèrent une force militaire tout à fait redoutable et il semble bien qu'ils le montrèrent dans les encouragements qu'ils prodiguèrent à divers régimes oligarchiques (Corinthe, Ambracie, Athènes, Mégare) 2 et en parvenant, vers le milieu du VI' siècle, à l'initiative de l'éphore Chilon(?), tout à la fois à isoler leurs vieux ennemis, les Argiens, et à faire entendre leur grosse voix en bien des centres du Péloponnèse. Même l'Arcadie ne fut pas épargnée, où Tégée (sorte d'avant-poste vers l'Argolide) finit par devoir composer 3, en acceptant de faire siens les ennemis (Messéniens, Argiens) des Spartiates. La conclusion d'accords bilatéraux similaires, impliquant chaque fois Sparte et une communauté différente, où chacune des deux parties 1. Cf. infra, p. 472-476. 2. Cf. aussi irifra, p. 480-501. 3. Cf. Hér. 1 67-68, pour l'épisode de l'oracle de Delphes relatif à la découverte par l'agathourgos Lichas des reliques du héros protecteur de la Cité et fils d'Agamemnon, Oreste.
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contractantes devait trouver son dû, fut répétée, dès avant le milieu du VI' siècle, avec plusieurs collectivités du Péloponnèse, qui ce faisant recon-
nurent chacune l'hégémonie spartiate : de ce point de vue, « les Lacédémoniens et leurs alliés » est une formule beaucoup plus proche de la réalité que celle, courante, de «Ligue du Péloponnèse». Mais les Spartiates ne s'en tirent pas là ; ils poussèrent leur avantage jusqu'à opérer un rapprochement avec celui qui s'était imposé comme le «protecteur» attitré des Grecs de l'Est, Crésus. Forte de son bouclier d'alliés et de ses amitiés plus lointaines, Sparte s'attacha alors à laver l'affront qu'elle avait subi en c.669/8 à Hysiai, un objectif qu'elle atteint peu après le milieu du VI' siècle 1• • ARGos. Lorsque l'on considère l'Argos des temps géométrique et archaïque, on est en présence d'une communauté faisant montre d'une réelle vitalité et en compétition constante avec Sparte pour tenter de s'assurer l'hégémonie dans le Péloponnèse. De ces Grecs doriens - mais puisant tant par le mythe que par le rite leur légitimité dans l'Argos achéenne chantée par l'épopée, installés en contrebas des hauteurs de l'Aspis et de la Larisa dominant la vaste plaine côtière 2 , une figure se détache nettement pour tous ces siècles, celle de Phidon. Avec ce dernier, on est assurément en présence d'une forte personnalité, encore qu'inextricablement plongée dans la légende - il aurait cherché à rentrer en possession du domaine de son ancêtre, Téménos, la llxis Téménou 3 : il fait ainsi l'objet d'interminables débats chronologiques où l'on tente de faire la part entre les opinions déjà divergentes des Anciens à son propos (certains en font un homme du début du VI' siècle, d'autres de la seconde moitié du VIII'!). En fait, sans se laisser aller à croire que cette fourchette soit aussi assurée que certains se plaisent à l'affirmer\ les années sans doute à privilégier pour ce descendant des Téménides élu à la magistrature royale, qui fut un temps le maître incontesté des Argiens et très actif aux quatre coins du Péloponnèse, pourraient être à situer quelque part entre les deux propositions précédentes, autour du deuxième quart du VII' siècle, mais d'autres suggestions, un peu plus basses, ont été défendues non sans parfois quelques bonnes raisons. On l'a déjà noté, les Argiens se couvrirent de gloire en défaisant 1. Cf. itifra, p. 246-247. 2. Cf. supra, p. 89 et 92-95. 3. Cf. supra, p. 126-138. Celui que la tradiùon nomme>, un nom explicite donné à plusieurs héros, était en l'occurrence un Héraclide (arrièrepeùt-fils d'Hyllos, le fils d'Héraclès et Déjanire, selon certains, mais il existe des variantes) qui avait déshérité ses fùs après que ces derniers eurent tenté de l'assassiner. 4. Cf. supra, p. 43-53. Il peut aussi bien s'agir d'une évaluaùon opérée par l'érudiùon anùque sur des bases désormais iropossibles à idenùfier (des consécraùons à Olympie ?) que d'un événement qui aurait été iromédiatement inventorié au sein d'une liste d'olympioniques, praùque non attestée et à la vérité peu attendue à l'époque.
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sévèrement leurs adversaires «par excellence», les Spartiates, à Hysiai (en Thyréatide, sur la route sinueuse d'Argos à Tégée) en c.669/8, et c'est sans doute entraînés par leur basileus Phidon que ces Grecs au parler dorien allèrent jusqu'à se rendre maîtres un temps du sanctuaire panhellénique d'Olympie et de ses concours au détriment des Éléens (cf. Hér. VI 127) \ accroissant ainsi de façon substantielle leur influence sur le Péloponnèse -d'autres diraient« récupérant leur primauté traditionnelle», celle revendiquée en arguant de la place éminente dévolue à leurs « ancêtres achéens » (!) dans les poèmes homériques 2 • Pendant cette période où les armes furent si favorables aux Argiens (deuxième quart du VII' siècle?), les alliés des Spartiates qu'étaient les Éléens auraient donc été écartés au profit des Pisates libérés du joug éléen pour assurer la gestion du sanctuaire panhellénique (pour sa part, Phidon aurait présidé les célébrations olympiques de c.668/7). C'est le même Phidon qui serait venu déstabiliser les Bacchiades au pouvoir à Corinthe (où il aurait trouvé la mort), sans doute peu avant c.657, date probable de l'éviction de ces derniers au profit de Cypsélos, lui même un demi-Bacchiade 3 •
n semble toutefois que quelques indices invitent à envisager que les Argiens n'avaient pas attendu ces «années Phidon » pour témoigner de leurs qualités guerrières aux dépens de leurs voisins du Péloponnèse 4 • Sans doute est-ce plutôt sous la férule de ce dernier que s'établit l'extension argienne maximale, mais la tradition en vint à associer son nom à l'ensemble du processus. C'est peut-être dès le milieu du VIII" siècle déjà que les maîtres d'Argos s'étaient donné pour objectif de s'assurer - une entreprise qui dut donc réclamer un certain temps - le respect des communautés qui, à l'instar de celle d'Asinè (peuplée de Dryopes qui furent chassés), occupaient comme eux une part de la plaine argienne. Les Argiens fmirent ainsi par s'assurer la maîtrise d'un très vaste domaine s'étendant jusques et y compris, sur la rive Ouest du golfe Argolique, la Thyréatide, la Cynurie et même l'île de Cythère, sur le versant Est, Halieis et, sur le versant Saronique, la région d'Épidaure - et un temps aussi, semble-t-il, l'île d'Égine. C'est même sans doute dès l'époque de la première« guerre de Messénie» qu'ils furent en mesure de se rendre, probablement par mer, à la rescousse d'une communauté pourtant aussi éloignée de leurs bases que celle des « Achéens }} d'Hélas, installés à deux pas des rives du golfe Laconique et menacés par les « Doriens }} de Sparte 5 • Ces succès militaires, concrétisés !. Cf. 2. Cf. 3. Cf. 4. Cf. 5. Cf.
supra, p. supra, p. supra, p. supra, p. supra, p.
237-238. 126-138. 235-236 et i'!fra, p. 484-486. 155-166. 239-240.
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par des annexions territoriales substantielles, permettent d'expliquer l'absence des Argiens dans le grand mouvement colonial archaïque et leurs contacts avec notamment le monde crétois. En tout cas, au sortir de l'ère géométrique, des ateliers argiens étaient en mesure de produire une céramique locale, de qualité, qui connut d'ailleurs une véritable diffusion régionale et, de son côté, la« Tombe à la cuirasse», découverte au pied de la Larisa, laisse deviner une communauté riche en métaux et qui, dès avant le terme du VIII' siècle, avait franchi à tout le moins les premières étapes de la « réforme hoplitique » 1• li faut noter aussi que cette tombe exceptionnelle contenait des broches de fer (obéloi), des objets également attestés en quelques autres endroits de Grèce et que plusieurs chercheurs estiment avoir été utilisés comme une sorte d'« outil prémonétaire )) 2, une hypothèse qui Gointe à des réformes des poids et mesures que des traditions lui assignent) permet d'éclairer l'affirmation douteuse d'Éphore (70 F 176 ]), qui attribuait à Phidon l'introduction de la monnaie à Égine. Cela dit, on a vu 3 que la deuxième « guerre de Messénie ))' longue et mal engagée pour Sparte, se clôtura néanmoins à son avantage et qu'Argos ne tarda pas à subir à son tour des assauts lacédémoniens. Ces revers militaires furent fatals aux Téménides (Diod. VII 13,2), dont l'effacement pourrait avoir ouvert la voie, au cours du VI' siècle à un régime plus « convivial )) (6 ou 9 magistrats, les damiorgoz), une évolution à l'opposé de celle que connaissaient au même moment des Lacédémoniens de plus en plus marqués par le «problème hilote )). Pendant que ces Spartiates s'en prenaient sans succès aux Arcadiens, les Argiens tentèrent, sans davantage de réussite, de marquer des points contre la Sicyone de Clisthène qui arrêta diverses mesures anti-argiennes 4 • lis eurent par contre plus de chance contre leurs voisins immédiats les Naupliotes, qui durent céder aux Argiens leur cité portuaire et la place qu'ils occupaient au sein de l'amphictyonie de Calaurie : on sait par ailleurs très peu de choses sur cette «ligue maritime)) de l'époque archaïque, regroupant, pour l'essentiel, des communautés côtières des golfes Saronique et Argotique, organisée autour du sanctuaire de Poséidon (mod. Poros) 5 ; là, vers le milieu du VI' siècle, les Argiens se substituèrent donc à Nauplie pour siéger aux côtés d'Athènes, Égine, Épidaure, Trézène, Hermionè, tandis que depuis peu Prasiai de Cynurie devait avoir cédé sa place aux Spartiates. En effet, dès avant le milieu du VI' siècle, les Argiens s'étaient donc !. Cf. 2. Cf. 3. Cf. 4. Cf. 5. Cf.
in.fra, p. 388-402. in.fra, p. 465-4 76. supra, p. 241 (entre c.650 et c.620 ?). supra, p. 236-237 et in.fra, p. 486-487. supra, p. 84.
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retrouvés plus immédiatement confrontés aux prétentions spartiates, des Spartiates qui étaient parvenus à accroître leur périoikis en débordant sur la façade orientale du Parnon, s'emparant même de Cythère, face au cap Malée. Ces succès prirent un tour plus« officiel» lorsqu'ils purent occuper, au sein de l'amphictyonie calaurienne, la place de Prasiai (en Cynurie, sur le golfe Argolique, mod. Léonidion). Le choc décisif entre Lacédémoniens et Argiens - le récit d'Hérodote (Hér. 1 82) semble contenir des éléments «conventionnels» (300 soldats d'élite dans chaque camp, etc.) 1 -eut une nouvelle fois pour cadre la Thyréatide et il permit aux Spartiates d'étrangler Argos, faisant du même coup oublier leur cuisante défaite d'Hysiai. Ce succès spartiate intervint au moment où, par ailleurs, Crésus se retrouvait en très mauvaise posture, assiégé par les Perses dans sa capitale, Sardes (c.546/5) 2• Dans la suite, tout au long de la seconde moitié du VI' siècle, Sparte n'eut de cesse de clamer, par le biais de diverses célébrations, que l'enjeu de cette victoire- chèrement acquise, semble-t-il- n'était autre que la première place, l'hégémonie, dans le Péloponnèse (sinon au sein de l'ensemble des communautés grecques). Et, de fait, les Spartiates et leurs nombreux alliés (Corinthe, Mégare, Sicyone, etc., bientôt suivies par Égine) avaient du répondant tant sur le continent que dans le domaine colonial, et la politique spartiate hostile aux régimes tyranniques (générateurs d'agitation?) et favorable aux régimes oligarchiques «traditionnels» resta d'application (ainsi, entre autres exemples, l'expédition corinthienne contre Polycrate de Samos, c.524) 3•
1. Cf. supra, p. IX-X et 155-159. 2. Cf. supra, p. 115-116 et 152-153. 3. Cf. supra, p. 235-236 et infra, p. 498-499.
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2. LES PHÉNICIENS ET LE RÔLE DE CHYPRE EN MÉDITERRANÉE ORIENTALE
GÉNÉRALITÉS
Détecter la présence physique des Phéniciens à Chypre, antichambre du Proche-Orient, une île déjà en contact étroit avec ce dernier depuis au moins le XVIII' siècle av.J.-C., y évaluer leurs poids politique, culturel et religieux, demeurent autant d'opérations délicates. Pourtant, seules de telles études permettraient de déterminer le rôle respectif des uns et des autres dans l'Egée d'après c.l200. L'essentiel du problème réside dans le contenu varié donné par les Anciens et les Modernes au terme grec phénicien. En effet, pour le rer millénaire, les métropoles phéniciennes restent encore largement inexplorées et elles ne fournissent donc pas les « profils culturels » de référence attendus. De plus, des vues très contradictoires continuent à être défendues en ce qui concerne la tranche chronologique à leur reconnaître : en particulier, la limite supérieure de c.l200 reste contestable et elle est d'ailleurs souvent franchie lorsque le discours y a intérêt. Ces difficultés à définir objectivement une réalité phénicienne 1 s'expliquent en partie par le fait que les notions de « Phénicien » et de « Phénicie » sont tirées des sources grecques qui, à travers ces termes, ont avant tout tenté de rendre compte, sur base de « souvenirs » antérieurs à la naissance de la pensée historique, d'un qu~stionnement des Grecs de l'« ancienne Grèce», celui relatif aux activités en Egée d'étrangers venus en petits groupes d'une Méditerranée orientale qui leur resta très mal connue, sans doute jusque tard dans l'époque géométrique (sauf à croire en une hypothétique Al Mina eubéenne) 2 • La réalité que détecte donc la recherche moderne par ses critères propres (au départ, une écriture et une langue attestée au 1er millénaire surtout par l'épigraphie), n'est qu'en partie celle que plaçaient derrière ces mêmes termes, mais avec d'autres préoccupations, les auteurs anciens. Pour ces derniers en tout cas, les premiers contacts entre Grecs et Phéniciens !. Un problème essentiel en des années qui voient s'affirmer dans certains milieux de la recherche une volonté nette d'ériger les en discipline autonome, en tout cas de leur faire gagner leur indépendance vis-à-vis des études hébraïques et des «sciences>> de l'antiquité grécoromaines, dont elles sont fondamentalement issues. 2. Cf. infra, p. 255-261.
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remontaient aux temps légendaires les plus lointains, bien avant la « guerre de Troie»; ils s'associaient aux longs périples maritimes mis au crédit de ces derniers, entreprises ponctuées de raJ?ts, de troc et d'actes de piraterie, qui avaient pour cadre tant les îles de l'Egée que, semble-t-il, des contrées plus lointaines d'Occident. Mais force est de constater que, si l'exploration dans les années 1920 de Byblos et d'Ugarit-Ras Shamra (deux sites du rr millénaire) a permis de mieux appréhender une ((histoire (nationale) phénicienne » en favorisant, dans les études consacrées aux populations occupant cette région, le développement d'une problématique propre, aujourd'hui, le plus souvent, on ne fait débuter cette dernière histoire qu'après c.l200. C'est en partie pour avoir omis cette étape essentielle de l'enquête, surtout pour avoir sous-estimé les difficultés d'interprétation de la documentation littéraire antique et avoir indûment sollicité archéologie et toponymie, que des thèses aussi opposées ont été défendues depuis le XVTII' siècle (et circulent encore) quant à la« présence phénicienne» en Égée en particulier et en Méditerranée en général. « Phénicomanes » et « phénicophobes )) n'ont guère pris la peine de préciser le sujet véritable de leur recherche avant de trouver une empreinte phénicienne partout (F.C. Movers ou V. Bérard) ou nulle part (K.O. Müller ou S. Reinach), opposant «Miracle grec)) et « Mirage oriental )) 1• A Chypre, dont le rôle d'intermédiaire - actif dès les X'-IX' siècles entre la côte syra-palestinienne et l'Égée s'impose de plus en plus 2, l'identification de la part phénicienne est encore compliquée par la survivance tenace, jusqu'en pleine époque hellénistique, d'une population assez peu spécifique par la culture matérielle et de langue inconnue, que la recherche qualifie d'étéochypriote 3• Cette dernière se présente, à bien des égards, comme composée d'« Orientaux grécisés))\ mais ses membres ne sont pas pour autant phéniciens au sens où sont entendus les vocables « Phénicie )) et « Phéniciens)> dans les travaux modernes. En d'autres termes, certains auteurs anciens ont pu créditer à tort les Phéniciens de qualités et réalités
1. Des imprécisions similaires se retrouvent dans les documents orientaux mentionnant (ou représentant) des gens de Yarnan/Yawan (à partir de c.730), derrière lesquels on s'accorde le plus souvent à débusquer des Grecs : en fait, il n'est pas toujours aisé de préciser de quel horizon ethnique (linguistique) il s'agit. 2. Et où même les premières étapes et la chronologie du processus de l'hellénisation restent mal connues ; c[ supra, p. 138-146. 3. C'est-à-dire , par référence aux . 3. Pas plus que l'alphabet grec, dont certains érudits situent pourtant la mise au point dans l'ile ; cf. in.fra, p. 372-387.
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ponctuels de biens et d'idées, opérés à l'initiative de marchands ambulants. Cette chronologie, ignorant certains témoignages littéraires qui paraissent plutôt renvoyer aux XIll'-Xll' siècles, s'appuie avant tout sur une inscription funéraire phénicienne fragmentaire, de provenance inconnue, conservée au Cyprus Museum de Nicosie (CM Ins Ph 6) et datée de cette époque d'après des critères paléographiques. Sont aussi invoquées les découvertes archéologiques, certaines très imposantes, opérées dans un « quartier sacré » de Kition-Kathari, fouillé par le Service des Antiquités de l'île. En termes d'histoire générale, on ne peut guère dissocier les modifications perceptibles dans l'île vers 750 de l'avance vers l'Ouest méditerranéen des Assyriens, décidément de plus en plus actifs sur le littoral syrien à partir de Assournasirpal II (883-859)\ puis sous Tiglatphalazar III (744-727), le contemporain d'Hiram (II) de Tyr et de Louli 2 de Sidon et, enfm, sous Sargon II (721-705) et ses descendants Sennacherib (704-609), Assarhaddon (681-669) et Assourbanipal (669-627). A partir de c.707, en s'appuyant sans doute sur l'établissement de Kition (cf. la« stèle de Sargon» évoquant« sept rois»), un vieux centre peut-être refondé à cette occasion en« Ville Neuve» (Carthage/Qartihadasht), les Assyriens ont pu placer, sur l'un ou l'autre trônes de Chypre, des personnalités phéniciennes ou grecques, gagnées à leur cause, et qui, dans certains cas, réussirent à transmettre le pouvoir à leurs descendants. De leur côté, les deux derniers grands souverains assyriens, Assarhaddon et Assourbanipal, fournissent chacun, pour les années c.673/2 et c.667, des listes énumérant 22 centres syra-palestiniens et chypriotes qui auraient reconnu la tutelle assyrienne, avec leurs rois respectifs 3• Cette politique, dont on a peine à dessiner précisément les contours mais qui fut sans doute celle reprise par les Perses en Ionie à la fm du VI' siècle, explique alors l'introduction à Chypre de nombreux objets prestigieux de facture syra-palestinienne (cf. la« nécropole royale» de Salamine) 4 , qui contribuent sans doute à compliquer l'évaluation de la présence phénicienne à Chypre.
1. A vrai dire les opérations de Salmanazar III (858-824) furent sans doute particulièrement spectaculaires. 2. ll chercha à se réfugier à Chypre (ce serait, dit-on, l'Éloulaios des sources grecques, chassé de Tyr). 3. Dix sont chypriotes. Huit d'entre eux ne posent pas de problème majeur d'identification : Idalion, Chytroi, Salamine, Paphos, Soloi, Kourion, Tamassos et Ledra; quant à Qartihadasht, il doit s'agir de Kition tandis qu'Amathonte peut se cacher derrière le toponyme corrompu dans les textes cunéiformes de >. 4. La plus riche et la plus spectaculaire par la mise en scène opérée lors de son installation, la T.79, date de c.700. Ces tombes n'ont aucun antécédent chypriote manifeste; on a proposé, à partir de la T.3 de Salamine et surtout des tombes> de Tamassos, d'y retrouver la marque d'architectes anatoliens itinérants, une hypothèse sans doute à considérer.
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Selon les Anciens, la zone d'attache des Phéniciens était l'Orient, mais leur aire d'activité s'étendait surtout à Chypre et aux secteurs situés à l'Ouest de l'île, notamment en Égée, dont certains lieux (Rhodes, Mélos, Théra, Thasos) sont nommés dans des récits mettant souvent en scène Cadmos lui-même ou l'un de ses proches (cf. Hér. I 105, etc.). Outre Thèbes de Béotie dont la fondation aurait été l'œuvre de Ladmos (Hér. II 49 sq., V 57), c'est aussi le cas de Thasos et du mont Pangée (Hér. VI 47), où des Phéniciens (venus de Tyr ?) auraient exploité des mines d'or, de Théra, de Rhodes (où des Phéniciens sont nommés dans des contextes religieux impliquant aussi, plus précisément, Lindos et Ialysos), d'Itanos en Crète, de Mélos, de Cythère (dont le temple d'Aphrodite serait dû, comme celui de Paphos, à une initiative phénicienne). Mais, à aucun moment, les textes ne parlent sans ambages d'une « colonisation phénicienne en Grèce » qui aurait pris la forme des vastes prises de possession de territoires opérées par les Grecs des VITI'-Vll' siècles en Sicile et en Italie du Sud notamment. A nul endroit d'Égée on ne doit donc, semble-t-il, s'attendre à découvrir, comme à Chypre, de véritables établissements gérés sinon peuplés par des Phéniciens ; tout au plus une présence discrète mais « assidue » en des lieux spécifiques (tel Cnossos à l'époque géométrique ou Délos au II' siècle av. J.-C.), qui a pu conduire, ainsi que l'écrit Hérodote, à l'introduction en Grèce non seulement d'objets et produits phéniciens mais aussi de certaines idées, croyances, pratiques cultuelles et culturelles qui étaient propres à ces communautés. La liste de ces attestations dépend bien sûr d'abord des limites chronologiques que l'on adopte pour l'« histoire phénicienne)) elle-même. Ces dernières font l'objet d'un débat toujours en cours : faut-il faire débuter l'« aventure)) phénicienne vers 1200 av.J.-C. seulement, dans la foulée des troubles- impliquant les énigmatiques« Peuples du Nord et de la mer))qui marquèrent les derniers temps de l'âge du bronze, ou convient-il d'y inclure les siècles qui précédèrent (certains travaux évoquent des activités «pré-coloniales))), ainsi qu'y invite une lecture respectueuse des sources anciennes (dont la poésie homérique ou Hérodote), voire les derniers apports de l'archéologie? Dans cette dernière perspective, les épaves du cap Gélidonya (c.l200) et de Ka.S-Ulu Burun (c.l350) éclaireraient de manière éclatante l'ancienneté des courants d'échanges «phéniciens)) qui reliaient les rives de la Méditerranée « prégéométrique )) 1• D'un autre côté, il faut 1. Une autre illustration de ce problème des limites chronologiques est fournie par une « invention phénicienne >>, l'alphabet : selon Hérodote (Hér. V 59), les plwinilœia grommata furent importés en Grèce par des Phéniciens accompagnant Cadmos et adaptés par les Grecs à leur propre usage. A tout le moins, les récits légendaires font évoluer Cadmos dans un monde plus proche de Minos que de Pisistrate ou Polycrate et, d'autre part, les origines premières des syllabaires de l'Égée protohistorique ne sont pas encore assurées. Selon la solution adoptée, on sera tenté d'exclure ou d'inclure ces temps
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observer aussi d'une part que les divers sondages stratigraphiques opérés à Tyr, Akko et Sarafand n'ont pas mis au jour, pour la même époque, des couches de destructions comparables à celles trouvées à Chypre et ailleurs, niveaux de destruction qui sont habituellement mis en relation avec les «Peuples de la mer», et d'autre part que certaines nécropoles levantines militent aussi en faveur d'une relative continuité dans les populations occupant les établissements côtiers. Entre c.l200 et c.750 (fin de l'époque chypro-géométrique), en termes de culture matérielle, il est sans doute utile de relever que Chypre montre un recul sensiblement moins spectaculaire que l'Égée, surtout pour les XII' et XI' siècles qui ont livré de vastes ensembles architecturaux, notamment à Kition et Enkomi. De plus, la majeure partie des objets « orientalisants » retrouvés dans l'Égée des «siècles obscurs» paraissent bien présenter des liens plus ou moins étroits avec l'île. Le réveil aussi paraît s'y être fait de manière plus vive qu'en Égée, à la faveur sans doute de circonstances régionales et des efforts conjugués de certains Chypriotes et des centres syrapalestiniens voisins, pour tirer profit des gisements de cuivre et du bois de charpente offerts par l'île. Mais il convient de ne pas trop forcer le trait et, d'une façon générale, entre ces deux extrémités chronologiques (c.l200 et c. 750), il n'y a guère que d'« élégantes théories )) sur des restes archéologiques de nature souvent incertaine : toute donnée historique solide fait largement défaut 1• Quoi qu'il en soit, le matériel archéologique, provenant d'abord, pour l'essentiel, de tombes à inhumation 2 et de dépôts, a conduit à distinguer d'abord un chypro-géométrique I (c.l050-c.950) illustré notamment par le sanctuaire d'Ayios Iakovos, les nécropoles de Palrepaphos-Skales et d'Alaas, proche de Salamine (un lieu habité à partir du XI' siècle, au détriment plus lointains de la réalité phénicienne. La question se pose tout autant avec les Sidoniens de la poésie homérique. 1. On se retrouve donc avec une problématique assez proche de celle née de l'alternative > en matière de sanctuaires en Grèce. Soloi, ldalion, Vouni, Kouklia et Amathonte ont livré des restes architecturaux souvent mal connus, exceptionnellement identifiés formellement comme palais (au contraire de Voun~, et qui ne remontent jamais au-delà du chypro-archaïque II (c.600-c.475). Quand une comparaison est possible, elle est alors favorable à des antécédents orientaux, principalement assyriens de l'âge du fer. Pareil constat, joint à d'autres indices, milite en faveur d'une royauté chypriote du 1~ millénaire inspirée, sinon par des coutumes chypriotes antérieures, par les pratiques assyriennes et égyptiennes autant que par un héritage exclusivement mycénien, et donc encourage encore une fois à envisager un processus d'hellénisation complexe, qui déboucha néanmoins sur une titulature royale formulée en termes « épiques >> ; cf. supra, p. 138-146. 2. Pouvant rappeler, lit-on, des prototypes «mycéniens>> (en fait souvent fondamentalement chypriotes), mais il y a aussi l'un ou l'autre cas plus particuliers, comme cette fameuse T.40 de Kourion-Ka.lori succéderaient, à partir des campagnes de Sargon, des séries plutôt >, présentant chacune leurs caractéristiques propres.
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privilégier un schéma selon lequel les Grecs d'Égée (Eubéens ?), auraient été surtout présents sur la ligne Rhodes-Chypre (contribuant ainsi à renforcer la place de la culture grecque dans cette dernière île ?) et auraient eu coutume, à Chypre, de passer la main aux Chypriotes et aux Phéniciens. En tout cas, plus à l'Est, pour l'époque considérée, avant le VII' siècle et les entreprises conduites par les Grecs de l'Est 1, la présence de céramique grecque (eubéenne ou cycladique), même «plutôt abondante», à Al Mina, Ras el-Bassit ou Tell Soukas et Hama, pour l'essentiel, quoi qu'on en dise, n'implique pas davantage qu'au bronze récent, à elle seule, une présence physique (même temporaire) significative de Grecs venus d'Égée.
LE MONDE
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ET AL MINA
De ce point de vue, l'établissement portuaire d'Al Mina, fouillé par L. Woolley entre 1936 et 1939, reste le site le mieux documenté, mais c'est aussi celui qui a reçu le plus d'interprétations divergentes, surtout pour les niveaux X-VII (c.850/825-c.700) et VI-V (c.700-c.600), dont les dates en chronologie absolue sont à la vérité assez incertaines (peut-être trop hautes : la date de c.850/825 est ainsi parfois ramenée à c.750 !). En fait, il éclaire les routes plus que la nationalité de ceux qui les empruntaient. Ni les aires sacrées ni les nécropoles (au contraire de Bassit ou Naucratis) n'en sont connues, ce qui ne facilite pas l'identification de ses résidents ni les raisons de leur séjour en cet endroit. Si la céramique grecque y est présente dès le niveau le plus ancien (conservé), c'est-à-dire peut-être dès avant c.800 2, en revanche, l'architecture dégagée n'offre aucune singularité permettant de l'attribuer, même pour partie, à des Grecs qui auraient donc possédé là un enoikisma. li n'empêche, la littérature scientifique d'expression anglo-saxonne préfère imaginer là des Eubéens (ceux étudiés par l'École anglaise d'Athènes à Lefkandi), dont seules les activités coloniales en Occident sont pourtant attestées littérairement 3• Ce courant de la recherche en vient souvent à voir en Al Mina un véritable comptoir commercial grec, un emporion créé à l'initiative des Grecs d'Eubée, le siège d'une 1. Qui annoncent la pénétration grecque dans la vallée du Nil. 2. Surtout diverses coupes (sk;yphoi) caractéristiques des productions eubéennes de la seconde moitié du vnr siècle, auxquelles s'ajoutent des imitations faites sans doute à Chypre et quelques fragments de la Grèce de l'Est. 3. Et guère marquées là par la diffusion de ces coupes au décor caractéristique ( de 15,8). En outre, des Anciens avaient bronze, chargé de la garde des rivages crétois (Apollod., Bihl. opéré des rapprochements entre l'Héraclès Dact;yle et le Milqart de Tyr (Paus. VII 5,5-8 et IX 27 ,6-8). 6. Cf. supra, p. 188-190. 7. Cf. supra, p. 204-209.
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boucliers) 1 ou en ivoire, et ont pour cadres, outre Fortetsa, Dréros ou Mrati (sans doute Arkadès), la nécropole de Tekké (protogéométrique et géométrique, à 1,5 km au Nord de Cnossos), et peut-être surtout l'antre de l'Ida. A ces témoignages s'ajoute le commerce de la pourpre, attesté par les textes et qui valut peut-être même aux populations productrices et distributrices leur surnom de Phéniciens(« Peaux-Rouges»?). Le centre portuaire d'Itanos, à la pointe Est de l'île, put aussi jouer un rôle dans ces contacts maritimes et l'établissement de Kommos, sans doute l'escale de Phaistos toute proche, possédait, dans les années c.800-c.600, un curieux dispositif cultuel qui a reçu de ses inventeurs une «lecture phénicienne» qu'on ne peut ignorer. Voilà certaines des raisons qui font que l'île - qui a livré à Gortyne le plus ancien (avant c.450) recueil de lois écrites (à l'aide de 18 lettres) 2 capte les faveurs de plusieurs épigraphistes hellénistes lorsqu'il s'agit de déterminer le lieu où aurait pu s'opérer l'emprunt de l'alphabet phénicien par les Grecs. Sans présenter de preuves décisives en sa faveur, cette île au lointain passé dispose d'incontestables arguments à faire valoir dans les domaines de l'archéologie, de la métallurgie, de l'iconographie et de l'épigraphie 3 • • L'EUBÉE n'a, semble-t-il, guère moins attiré les marins phéniciens. Ainsi, plusieurs objets d'origine proche-orientale (œillère inscrite d'Érétrie de c.800 4) précèdent d'au moins un siècle la date de fondation présumée du
1. Ainsi ce bol de bronze avec une inscription phénicienne >, de c.950/850, trouvé à Tekké (cf. supra, n. 2, p. 263). Une autre tombe a livré des lingots d'or et d'argent ainsi que deux petits vases avec des bijoux sans doute fabriqués sur place par des artisans locaux, mais la technique de la granulation et du filigrane ainsi que les motifs iconographiques nettement orientaux trahissent une main >. 2. Cf. supra, p. 208-209. 3. Cf. aussi irifra, p. 381-387. Parmi ces arguments, on mentionnera l'inscription phénicienne du bol de Tekké et (à moins que seule la notion de soit à considérer) les termes poinikastas pour désigner un scribe et poinikazein pour rendre l'action d'écrire, qui figurent sur une inscription crétoise d'Arkadès (près d'Afrati, au pied du Diktè) de c.500, des termes qui rappellent l'inscription de Téos (cf. Tod, [28], no 23, de c.470) et celle de Lesbos (IG Xll 2, 96a et 97d) nommant un phoinikographos. On notera cependant que, dans une !le très marquée par la tradition, ce vocabulaire peut tout aussi bien faire référence à un apport (d'ailleurs très envisageable) de la côte syra-palestinienne dans la mise au point du linéaire A, cf. infra, p. 444-453. 4. Trouvée lors de la fouille du temple d'Apollon Dophnèphoros, elle renvoie à I'Héraion de Samos, où un dépôt du VI' siècle a livré un frontail en bronze inscrit L'inscription, qui nomme Haza~l (roi de Damas en c.850), est un double exact de celle que porte l'œillère d'Érétrie. Les deux pièces de harnachement ont donc connu des sorts différents. Haza~l entretenait, à Damas et dans l'hinterland syrien, plusieurs ateliers de bronziers, de graveurs et d'ivoiriers. Devenus pièces de butin après les prises répétées de Damas par les Assyriens, ces objets de luxe prirent la route de Nimroud et d'Arslan Tash, où alors peut-être ils furent offerts à divers alliés qui purent à leur tour les disperser, illustration de ces échanges de dons entre les élites sociales proche-orientales et grecques (gifi trade ou cJddlain trade). Ces changements successifs de propriétaires rendent fragile toute interprétation historique pour un
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comptoir « grec » d'Al Mina 1, et leur arrivée correspond à une période où les importations de produits grecs en Orient étaient encore exceptionnelles. Ces trouvailles conduisent à envisager des échanges suivis et réguliers - quoique modestes dans leurs proportions - entre le Proche-Orient et une Eubée qui pouvait constituer soit une destination intentionnelle, soit plutôt une escale sur la route du Nord égéen (mines de Thasos et du Pangée) ou sur celle conduisant vers l'Extrême-Occident, des contrées que les Phéniciens visitaient depuis plusieurs siècles déjà et où ils ont d'ailleurs pu entraîner des Eubéens dans leur sillage 2 • En échange, ces Phéniciens avaient l'opportunité d'acquérir des biens que les Eubéens produisaient ou se procuraient de leur côté en d'autres endroits de Grèce, mais l'information manque sur ce point 3• • L'ATTIQUE a également livré quelques objets proche-orientaux, dont on ignore tout des circonstances de l'arrivée (à Athènes même, Céramique, Aréopage, Agora et Acropole, et, en dehors, surtout le sanctuaire du Sounion), mais on songe aux mines de plomb argentifère du Laurion et à l'Eubée toute proche\ qui a pu un temps faire office d'intermédiaire (de même qu'Égine qui a aussi livré quelques objets importés). Cela revient à dire que les navires phéniciens pourraient avoir été également les vecteurs de la céramique attique, qui connru"t. d'ailleurs très tôt une bonne diffusion à Chypre et au Proche-Orient. Quant à l'œnochoé du Dipylon (c.740/730),
objet oriental trouvé clans un contexte archéologique grec et atténuent quelque peu la surprise de voir Delphes dépowvue de cette classe d'objets. 1. Cf. supra, p. 257-262. Une tombe de c.900 a livré une coupe phénicienne décorée de sphinx et d'arbres sacrés. D'autres tombes ont aussi livré des bijoux du deuxième quart du IX' siècle, qui constituent les premières attestations, maladroites et hésitantes, en Grèce, de la technique de la granulation, depuis sa disparition à la fin de l'époque mycénienne. Le recours à l'or est remarquable à Lefkandi et il orienterait plutôt vers une source d'approvisionnement étrangère, tout comme un pendentif en forme de goutte renvoie à des parallèles clans l'orfèvrerie phénicienne. 2. C'est d'Eubée que partirent, sans doute vers 775/750, les fondateurs de Pithécusses, à la pointe Nord-Est de l'île d'Ischia, au large de Naples. Plus d'un millier de tombes, ainsi que quelques quartiers d'habitation ont été explorés à ce jour. On y travaillait aussi le fer extrait de l'île d'Elbe. Plusieurs faits sont notables pour l'histoire de l'alphabet (cf. infta, p. 444-453) :les objets et les inscriptions (dont la« coupe de Nestor>>, de c.720) révèlent une réelle cohabitation entre populations grecque et sémitique ; on relève la présence d'au moins 36 sceaux-scarabées d'un type produit en Syrie du Nord et en Cilicie, des centaines d'amulettes, des vases à onguents de type syra-phénicien, des amphores phéniciennes et quatre inscriptions sémitiques. On ne peut affirmer que ces quelques signes d'écriture ont été tracés sur l'île, mais l'hypothèse est très plausible. Qui étaient exactement les résidents phéniciens de Pithécusses ? Des commerçants sans doute, et peut-être aussi des artisans, comme en divers points de la Grèce métropolitaine. On sait que s'étaient également fixés là deux ateliers produisant de la céramique corinthienne. 3. On pourrait songer en particulier à des peaux acquises en Grèce centrale ou septentrionale. 4. A la veille de la révolte d'Ionie, l'amitié athéno-êrétrienne parat""t déjà ancienne, cf. infta, p. 572-573.
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on rappellera sans insister davantage ici qu'elle continue à nourrir divers scénarios sur la transmission de l'alphabet 1• • Dans le PÉLOPONNÈSE, le sanctuaire d'Artémis Orthia à Sparte, l' Héraion d'Argos et l'Alti!- d'Olympie notamment ont livré des objets qui sont autant d'indices en faveur, peut-être pas d'une fréquentation épisodique des grands sanctuaires de Grèce par des Orientaux, mais à tout le moins de la circulation d'objets de prestige originaires du Proche-Orient, avec transit probable par les élites sociales du pays d'accueil au départ de quelque port des environs (ainsi - pourquoi pas? - celui de l'actuelle petite anse de Finikous [gr. Phoinikous], à l'extrémité Sud de la Messénie). • La question de la transmission de ces objets fait revenir à l'Héraion de SAMOS 2 , qui devait figurer en très bonne place dans nombre des itinéraires phéniciens dépassant Rhodes, et mentionner en particulier les bronzes égyptiens découverts là et qui sont apparentés aux productions mises au jour en Espagne méridionale. Ces « liens » entre Samos et la lointaine Andalousie sont aussi éclairés par quatre peignes en ivoire (c.675/625), sortis d'un atelier du Sud de l'Espagne (Cadix ?). On ne peut savoir qui, d'un Grec ou d'un Phénicien, fit voyager ces objets : l'audace des Tyriens est établie, voire celle des Chypro-Phéniciens, même si Hérodote (Hér. IV 152) relate le voyage extraordinairement rémunérateur du Samien Côlaios au pays de Tartessos. En tout cas, on ne peut qu'être frappé par le nombre élevé et la grande variété des objets (parfois inscrits, comme ce frontail du milieu du 3 IX' siècle, déjà mentionné et portant une inscription araméenne nommant le roi de Damas, Hazaël), notamment en métaux divers, en bois, en ivoire, etc., importés de Chypre, du Proche-Orient (y compris de Babylonie et même d'Iran) et d'Égypte, retrouvés dans le grand sanctuaire extra-urbain des Samiens 4 • De ce point de vue, aucun autre lieu de Grèce ne peut rivaliser avec un endroit tel que l'Héraion samien, qui s'impose en quelque sorte comme un véritable carrefour à mi-chemin entre les communautés de Grèce proprement dite et celles de la côte syro-palestinienne 5 •
• Un peu plus au Sud, la nécropole du Seraglio de Cos illustre la production et la diffusion des flacons à onguents dit «phéniciens», que l'on rencontre aussi à Rhodes. En usage continuel du X' siècle à c.720, ces 1. C( infra, p. 381-387 et 444-453. 2. C( supra, p. 204-209. 3. C( supra, n. 4, p. 265. 4. Au nombre de ces trouvailles, on relève aussi la présence de plusieurs , dont certaines sans doute> à l'occasion en particulier du pillage d'anciennes tombes égyptiennes. 5. C( infra, p. 438-440, pour le rappel du caractère civique de ce sanctuaire.
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tombes ont livré des flacons Black-on-Red d'origine chypriote, dont les plus anciens remontent au milieu du IX' siècle. A partir du géométrique moyen et surtout, à une plus grande échelle, au géométrique récent, ces récipients furent alors imités et - trait symptomatique -leur décor habituel fut remplacé par des motifs géométriques d'inspiration attique. On observe aussi que les formes les plus anciennes de la céramique phénicienne au sens strict, celles des XI'-IX' siècles, faisaient totalement défaut dans les sépultures de Cos, alors qu'au contraire, en des lieux comme Rhodes, les exemplaires chypriotes étaient bien présents. Certains chercheurs sont tentés d'en déduire que des Chypro-Phéniciens ont pu précéder les Phéniciens sur bien des circuits maritimes. A tout le moins, l'île fut associée dès la première heure à l'exploration de l'Occident. • RHoDES (Camiros et Lindos) a aussi livré ses objets de luxe et sa pacotille (scarabées, amulettes, objets de faïence) de facture orientale (VIII'VII' siècles), mais c'est la céramique qui permet, ici encore, de mieux poser le problème des agents de diffusion. Comme à Cos, apparaissent en premier lieu les importations chypriotes, qui suscitent alors des imitations locales. Mais, fait nouveau, les importations spécifiquement phéniciennes débouchèrent aussi, à partir du VII' siècle, sur des imitations locales, tandis que le flux des importations et des imitations chypriotes ne cessait nullement et même se renouvela à travers des formes différentes. Au contraire de la situation observée à Cos, formes et décors furent fidèlement reproduits d'après les prototypes orientaux. En ressort, pour les IX'-VIII' siècles au moins, l'idée de petits groupes d'artisans-potiers « phéniciens » ou « chypro-phéniciens » établis dans le Dodécanèse, un peu à la manière de ces bronziers et orfèvres orientaux dont on a soupçonné la présence en Crète, en Eubée et en Attique. En cheville avec des producteurs d'onguents, phéniciens ou locaux, peut-être même organisés en des sortes de « guildes » à la manière procheorientale, ils pourraient avoir été, comme certains se plaisent à les envisager au vu de la forte empreinte chypriote qui marque alors la culture matérielle de Rhodes, originaires plutôt de Chypre (Kition ?). La démarche, imaginée dans certains travaux récents, aurait consisté à susciter un marché par des importations, puis, une fois la demande créée, à s'établir sur place pour y répondre au mieux, en intégrant au répertoire de départ les goûts locaux. L'expression la plus accomplie de cette adaptation de l'apport oriental aux traditions, techniques et goûts grecs se retrouverait dans l'orfèvrerie rhodienne orientalisante. Quoi qu'il en soit de la recevabilité de cette hypothèse aux accents peut-être un peu trop modernes, ces artisans phéniciens n'ont guère laissé de traces tangibles de leur vie quotidienne en regard de la durée qu'on prête à leur présence en divers points
l.it colonisation, première phase
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de l'Égée. Mais il est vrai aussi que tel n'était pas leur but si tant est qu'on les eût laissé faire. Plus que les objets importés, les rares inscriptions ou guelque site découvert« en grande banlieue», c'est la réappropriation en Egée de techniques oubliées (surtout dans l'orfèvrerie et la métallurgie du bronze) qui invite à croire que des maîtres artisans syra-phéniciens 1 s'établirent en Crète, en Attique et en Eubée notamment, et qu'ils se mêlèrent aux populations locales égéennes, leur faisant connaître ou redécouvrir un savoir-faire qui fut alors peu à peu assimilé, puis étroitement associé aux techniques et aux goûts locaux, porté enfm à une certaine perfection dans l'art géométrique 2• En terminant, on fera encore remarquer que la période qui vit se dérouler la révolte d'Ionie et les guerres médiques ne laisse pas appréhender de retournements spectaculaires dans les circuits d'échanges alors établis depuis plusieurs siècles, sinon - contre toute attente en ces années de tension politique gréco-perse - une forte augmentation des importations attiques à Chypre et en Syra-Palestine côtière entre c.530 et c.480/470.
3. IA COLONISATION, PREMIÈRE PHASE (c.750-c.625): CONTRAINTES ÉCONOMIQUES ET CRISES SOCIALES
GÉNÉRALITÉS
La caractéristique la plus spectaculaire de la période qui va de c. 750 à c.480, c'est assurément la fondation par des groupes de Grecs issus de diverses Cités de la péninsule sud-balkanique, des îles égéennes et de la côte occidentale d'Asie mineure, un peu partout sur les rivages de la Méditerranée et de la mer Noire, d'un nombre élevé de colonies de peuplement, ce phénomène débouchant sur une première grande diaspora grecque 3• li 1. Certains imaginent également, non sans quelque raison, des guérisseurs et autres prophètes venus d'Orient. 2. On songe en particulier à ces trépieds (munis d'anses verticales décorées) auxquels succédèrent ceux >, destinés à supporter un chaudron, retrouvés, les uns et les autres, comme offrandes à Delphes et Olympie surtout. 3. Diaspora : cf. le gr. diaspeirô: >, tous les symboles et les « outils » intrinsèques à la collectivité. Dans leur très large majorité, ces communautés humaines étaient proprement minuscules à l'échelle des États modernes; au mieux, elles étaient petites. Ainsi, l'île de Kéos a vu ses c.l70 km2 répartis jusques entre quatre collectivités autonomes, quatre poleis, dont chacune devait tout au plus se monter à quelques centaines de membres. De ce fait, dans un très grand nombre de cas, il n'y avait donc pas d'incompatibilité entre «vivre à la ville», «être un paysan» et «être un citoyen», c'est-à-dire être quelqu'un qui était rattaché à sa collectivité par tout un réseau de liens divers, qui rendaient en définitive son espace de liberté personnelle assez exigu. Et cet état de fait n'a jamais été
1. Cf. aussi
supra, p. 166-183.
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véritablement entamé par les processus de fusion (synœcisme), qui sont attestés en divers endroits tout au long des époques suivantes 1• S'il est vrai que chaque communauté grecque était caractérisée par les multiples liens qui arrimaient ses membres les uns aux autres, il faut ajouter que l'on ne sait à quand il faut faire remonter cet état de chose. Assurément mieux vaut-il renoncer à envisager un réseau monolithique, consistant pour chaque individu qui la composait, en droits et devoirs identiques : pour certains d'entre eux au moins, ces droits et devoirs devaient se rattacher à un très lointain passé, mais, pour d'autres, leur ancienneté, longtemps admise, a été parfois contestée avec vigueur dans des travaux récents. Peut-être, de fait, certaines «institutions » ne sont-elles rien d'autre que d'ultimes tentatives fondées souvent sur la réinterprétation des traditions et visant à ménager une cohésion face à l'usure du « temps qui passe » et à la contrainte grandissante de mettre précisément sur pied des « opérations coloniales » impliquant des départs qui ne devaient pas tous être volontaires et qui, on va le constater, ne concernaient pas nécessairement que les seuls « plus faibles)), En d'autres termes, quoi qu'on dise et écrive souvent, même en flxant arbitrairement dans le temps l'émergence de certains critères institutionnels, on ne sait pas au juste à quand remonte la polis grecque telle qu'elle se laisse saisir au travers des premiers témoignages archéologiques (et épigraphiques) du géométrique récent. Il est aujourd'hui une tendance majoritaire - et, de fait, la tentation est grande - qui situe cette « naissance )) au sortir des « siècles obscurs )), dans le courant du Vlll' siècle, mais il conviendrait de ne jamais oublier qu'il ne s'agit là que d'une hypothèse qui fait la part (trop) belle au témoignage matériel et qui tronque en particulier le témoignage épique : en fait, l'absence de documents décisifs empêche tout autant d'accepter que de refuser cette vision en déflnitive assez (et inutilement) réductrice 2 • Elément non négligeable lorsque l'on aborde le problème de la « colonisation grecque )) archaïque, il faut rappeler que l'individualité, au sens où l'entendent nos sociétés occidentales contemporaines, paraît encore une réalité sinon inexistante en tout cas exceptionnelle en Grèce, avant qu'elle ne fasse peu à peu son chemin au cours du VI' siècle et qu'elle n'éclose au terme de celui-ci, sans doute en terre ionienne d'abord. A moins qu'il ne puisse prétendre détenir quelque don très singulier ou s'imposer d'une manière ou d'une autre au sein et autour de son « cercle )) naturel, l'individu, seul, survivait mal; il n'a pas «droit de Cité )) 3• Et cela resta en grande partie vrai 1. Sunoiki ; sunoikismos (>) : >. 2. Cf. infra, p. 402-424. 3. ll ne faut pas oublier en effet que les figures épiques, d'où semble émaner parfois il est vrai une forte >, ne sont pas de nature historique ; cf. supra, p. 20-36.
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encore à l'époque classique, où il ne lui était permis de vivre pleinement qu'inséré dans un groupe qui assurait sa reconnaissance et sa survie en même temps qu'il participait, lui aussi, à l'existence et à la survie de ce groupe. L'unité de base paraît être l' oikos ~a « maisonnée », le « cercle familial»), mais ce terme doit alors recouvrir une réalité plus large que celle associée aujourd'hui à cette institution fondamentale de la vie sociale, d'autant que les anciens Grecs semblent avoir combiné des liens artificiels aux liens de sang 1• Les oikoi se retrouvaient, à leur tour, regroupés dans des unités plus larges, les génè, chaque génos se prévalant d'un ancêtre mythique, parfois même un acteur du monde épique. Inutile d'insister sur la part de reconstruction artificielle opérée à ce niveau, à toute époque et sans doute jusqu'à un moment pas si ancien dans l'ère géométrique, au travers notamment d'une poésie épique alors non exclusivement limitée aux deux grands poèmes homériques conservés. A côté de ce mode de regroupement des individus, les communautés (poleis) grecques rassemblaient leurs membres au sein d'autres « nébuleuses », d'autres «fraternités » plus artificielles sans doute, telles les phratries ou les tribus, dont on a peine à préciser la date et les circonstances de l'apparition (certaines propositions y voient des émanations des génè aristocratiques, mais il peut s'agir au moins dans certains cas de simples prises de contrôle ponctuelles). Enfin et surtout, il semble bien que tous les individus n'étaient pas intégrés de manière équivalente dans ces tissus de relations (ainsi les insaisissables orgéônes au sein des phratries). Tous ne devaient donc pas jouir d'une «assurance» identique quant à leur destin au sein du groupe. Celui qui, pour une raison ou une autre liée à sa propre histoire où à celle de ses ascendants, n'était pas solidement intégré dans ces divers cercles, faisait figure, au mieux, de marginal, à la limite de véritable« hors-la-loi » 2, et il ne pouvait attendre qu'un secours très relatif de la communauté dont il n'était pas en quelque sorte pleinement membre. Participer à une entreprise coloniale, c'était alors sans doute pour de tels individus pouvoir prétendre du même coup à une meilleure insertion dans la nouvelle communauté civique créée à cette occasion. Ces aspects sont à souligner dans la mesure où de telles précarités - que des tensions sociales et politiques aiguillonnèrent - durent avoir des répercussions non négligeables sur les formes prises par l'expansionnisme grec de l'époque archaïque.
1. Cf. supra, p. 166-183. 2. Auquel cas sa mise à mort n'entraînait aucune > de ses institutions politiques, blissement du culte commun que par un calcul de générations. Quoi qu'il en soit, il convient de se rappeler que ce sont ces chiffres relatifs aux colonies siciliennes qui ont servi de première base à l'élaboration de la chronologie absolue. . . de la céramique protocorinthienne, à la fois caractéristique et bien diffusée en terres coloniales. 1. TI existe cependant des exceptions : ainsi Cyrène, fondée en c.632 seulement il est vrai, où l'on ne peut écarter une influence libyenne ou un fondement tyrannique.
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religieuses et sociales, sans parler des liens affectifs Oà reposaient les ancêtres), tout un univers familier que trahit le vocabulaire relatif au phénomène (apoikos, etc.). Et, dans les faits, bien des colonies ont dû garder, notamment à travers les déplacements croisés d'individus, les !etes et sacrifices ou dans certaines circonstances exceptionnelles (menace externe, crise politique interne, fondation secondaire), des relations suivies avec leur métropole. Tel fut en particulier le cas de Corinthe, même si parfois ces contacts connurent des hauts et des bas (Corcyre ou Potidée). Ici encore, cependant, on notera que les témoignages littéraires invoqués sont presque tous très largement postérieurs à la période considérée et qu'on ne peut donc exclure, au moins dans certains cas, la projection dans le passé de pratiques apparues à date plus récente ou ayant subi entre temps des mutations sensibles. En effet, malgré les obligations de composer que connaîtra immanquablement cette collectivité nouvelle, née de sa «métropole», confrontée qu'elle sera - comme cette dernière - avec les réalités locales, il subsistera assez souvent des attaches puissantes avec le groupe d'origine. Bien sûr, le plus souvent, celles-ci n'ont rien de politique au sens étroit, moderne du nom, mais s'expriment davantage en termes de« religion» au sens large. En effet, dès l'instant du départ, on est pour l'essentiel en présence (sauf de rares cas possibles d'isopolitie: ainsi Paros et Thasos ?) -ne fût-ce que du fait de la séparation physique - non plus d'une seule communauté mais de deux (on parle parfois de «division cellulaire») : celle des «restants» et celle des «partants>>. En pratique, l'une et l'autre visaient, avec la même ardeur, à l'autarcie et à l'autonomie 1, des objectifs fondés sur une exploitation des ressources locales respectives que pouvaient désormais compléter les échanges métropole-colonie(s), des ambitions qui ne furent sans doute pas pleinement satisfaites partout (ainsi, comme on le verra, à Naucratis en Égypte et sur les rives scythes de la mer Noire). Dans ces conditions, il était naturel que les émigrants recherchent des endroits répondant aux« normes» traditionnelles visées en Grèce, à savoir, pour l'essentiel et au-delà d'une extrême diversité des cas, d'abord une position guère éloignée de la mer (péninsules ou caps, îlots côtiers, sections de côte délimitées par deux fleuves et autorisant pêche, piraterie et échanges maritimes), aisée à défendre si besoin était, bien approvisionnée en eau douce, dotée d'un terroir agricole suffisant, si possible d'une anse bien abritée sur le point de passage d'un circuit maritime et prolongée par un arrière-pays pas trop hostile. Très généralement, avant sans doute d'être rejoint en cas de réussite, le groupe fondateur n'était composé que d'un nombre assez restreint d'individus, surtout des hommes, recourant 1. Autarlœia : «autosuffisance (économique) >>; autonomia : .
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probablement pour l'occasion à des vaisseaux de guerre rapides (se pose alors pour certains la question- sans réponse- du succès qu'a pu connaître la pratique des mariages mixtes, envisagée par exemple dans le cas de Cyrène ou de la colonisation milésienne). Le petit nombre des premiers partants (sans doute de l'ordre de quelques centaines d'adultes tout au plus) éclaire en retour sur la faible densité démographique des métropoles (et la faiblesse relative des rendements agricoles ?). Ces groupes limités ne pouvaient compter que sur le courage des participants, leur sens prononcé de la solidarité, leur bonne maîtrise de la mer et sur les qualités supérieures de leur équipement guerrier 1, surtout si le terroir convoité n'était pas désert. Tout cela explique que les colons aient de préférence jeté leur dévolu sur les rivages de la Méditerranée occidentale et de la mer Noire, c'est-à-dire sur des zones habitées de façon assez clairsemée ou en tout cas par des populations faisant en général montre d'un net « retard » dans la civilisation matérielle, et plus particulièrement en fait dans la capacité à exercer un contrôle clair et permanent de leur territoire 2• Cette dimension est pourtant négligée dans certaines recherches qui évoquent un peu vite les possibilités qu'auraient eu des Grecs de s'installer sous la forme de communautés indépendantes dans des régions telles que les façades occidentale et méridionale de l'Anatolie, à Chypre ou encore à Al Mina par exemple, tous secteurs sous le contrôle de principautés souvent puissantes, pouvant se prévaloir d'un passé brillant, plongeant leurs racines dans un âge du bronze largement urbanisé et peu susceptibles de se laisser déborder par des étrangers sur leur propre territoire.
LES CAUSES POSSIBLES DU PHÉNOMÈNE COLONIAL
Les motifs qui poussèrent les communautés grecques à se séparer de certains de leurs membres sont loin d'être tous clairs. Plusieurs hypothèses, non exclusives, ont été avancées. En tout cas, celles invoquant trop ouvertement la curiosité naturelle ou un goût typiquement grec de l'aventure paraissent trop romantiques pour constituer une base solide d'explication générale. Un des mots clefs paraît bien être celui déjà avancé par les érudits anciens, le substantif sténochôria 3 , à savoir un déficit dramatique en moyens !. Cf. infra, p. 388-402. 2. Dans certains cas, ces populations indigènes devinrent la source d'une main-d'œuvre au statut variable. 3. Sténochôréô : .
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de subsistance, autrement dit, dans des sociétés aux fondements pastoraux ou agricoles, en terres exploitables. Resterait à expliquer les causes profondes de ce passif. Les communautés archaïques, ancêtres des États modernes, devaient montrer une propension à vivre au-dessus de leurs moyens de subsistance sans pouvoir, à l'instar de ces mêmes États modernes, recourir au subterfuge de l'emprunt. Un de ces« déséquilibres)) a pu n'être qu'une modeste croissance démographique dans la première moitié de l'époque géométrique, effet secondaire peut-être du souci de certains aristocrates de dégager des « surplus )) destinés à répondre aux offres des trafiquants phéniciens, mais qui s'amplifia par la suite. Quoi qu'il en soit, dans ces conditions, deux solutions s'offraient à ces collectivités : ou mener des guerres de pillage (ce dont témoigne la multiplication des conflits frontaliers dès le début de l'époque archaïque 1) ou se décharger ailleurs, plus loin, d'une partie des bouches à nourrir, une fois mises en exploitation toutes les terres de la patrie cultivables. Un sort plus heureux pour ceux qui partaient pouvait d'ailleurs s'accompagner de retombées positives pour ceux qui étaient restés. Les raisons de cette sténochôria aiguë qui aurait frappé singulièrement la Grèce sur la fm de l'époque géométrique, peuvent, rappelons-le encore, avoir été mêlées. Le processus qui s'observe au cours de l'époque archaïque est sans doute moins le résultat d'un concours de circonstances exceptionnel qu'une phase exacerbée d'un phénomène récurrent quasi immémorial : un accroissement démographique difficile à quantifier et à inscrire sur l'échelle du temps (et même contesté par certains chercheurs), mais qui paraît bien s'opérer conjointement à une élévation du niveau de vie et que, pour diverses causes, l'agriculture ne put couvrir complètement. A ce processus décisif qu'est le renversement de la courbe démographique - un mécanisme fondamental sur les causes exactes duquel, il faut insister, on ne s'accorde pas encore 2 - ont pu se joindre d'autres facteurs « déstructurants )) tels qu'une trop grande rigidité dans les modes de transmission du patrimoine foncier ou des phénomènes d'accaparement des terres par certains groupes constitutifs de la polis (aristocratie, oligarchie, tyrannie selon la classification aristotélicienne) au détriment d'autres qui, marginalisés, voire exclus, mécontents en tout cas pour divers motifs, ont pu être à l'origine de tensions, de conflits internes (staseis/. U devenait alors impératif pour le groupe en charge des destinées de la communauté (ou les vainqueurs d'une guerre civile) de prendre l'initiative de réduire ces dangers sous peine de voir éclater une nouvelle crise majeure au sein de cette 1. Cf._ infra, p. 417-425. 2. Au mieux, on le suspecte, puis le constate, à travers surtout le dénombrement des sépultures. 3. Cf._ aussi supra, p. 176-181 et infra, p. 454-465.
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communauté, un conflit mettant en péril sa cohésion et donc sa survie pure et simple. Ces exclus- ou« moins bien lotis», choisis peut-être au sein de certaines familles « en difficulté », ou volontaires, ou conscrits d'une manière ou d'une autre, partaient alors, encadrés par d'autres responsables que les réseaux de solidarité archaïques pouvaient aussi bien désigner parmi les «bien lotis» (cf. les fondateurs de Locres Épizéphyrienne), sans grand espoir de retour, en quête d'un monde meilleur, d'une patrie nouvelle, où la plupart des premiers arrivants voyaient, en regard de la situation métropolitaine, les pendules plus ou moins (moins sans doute qu'à l'époque classique) remises à l'heure. C'est ainsi qu'il arrivait, semble-t-il, que s'opère un partage des terres - de très loin la principale source de subsistance 1 - en klèroi identiques en taille ou en termes de productivité ~a possession d'un lopin étant l'un des fondements solides de la citoyenneté), comme semble l'attester l'urbanisme régulier originel d'un centre urbain tel que celui de Mégara Hyblrea au VIII' siècle 2• Mais mieux vaudrait sans doute de ne pas exagérer la portée de telles mesures, les différences de richesse observées dans les tombes des premiers colons montrant que, à tout le moins, certains étaient arrivés moins dépourvus que d'autres. li conviendrait toutefois de ne pas rejeter tout le poids du processus colonial sur la seule stinochôria. Ainsi, la croissance rapide que connut assurément la population de l'Attique au VIII' siècle - que certains dénombrements des tombes exagèrent sans doute (une multiplication par six, lit-on parfois!), et la crise agraire qu'elle a peut-être connue 3 n'ont pas pour autant conduit ses habitants à essaimer de façon intense. li est vrai aussi qu'Athènes disposait, estime-t-on parfois, avec l'Attique, de davantage de terres susceptibles d'être mises en exploitation que plusieurs autres Cités de Grèce continentale ou insulaire (telles Corinthe ou Mégare, Chalcis ou Érétrie) et qu'une fois l'Attique accaparée, ailleurs, les meilleurs emplacements étaient déjà occupés depuis longtemps. Qlant à Sparte, elle tenta, de son côté, de résoudre son problème en annexant la Messénie voisine, après avoir grignoté l'ensemble de la plaine lacanienne 4 • Quoi qu'il en soit, ici et là, des motivations plus« commerciales» ont dû jouer et certaines hypothèses vont même jusqu'à estimer qu'elles furent souvent prépondérantes, dans la mesure où les courbes démographiques
1. A côté de la chasse, de la pêche et de la piraterie ... ainsi que des activités d'échange et de commerce plus régulières, irréfutables dès la fm des temps géométriques. 2. Cf. irifra, p. 440-444. Les nécropoles peuvent également fournir de précieuses indications, mais les analyses à portées sociologiques demeurent encore très sujettes à caution étant donné l'insuffisance des études relatives aux pratiques funéraires, cf. supra, p. 51-52 et 183-188. 3. Cf. supra, p. 226-234. 4. Cf. supra, p. 238-244.
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n'auraient pas atteint les cotes de l'époque mycénienne 1 et qu'il faudrait donc, dans le cas de l'époque géométrique, supposer une efficacité moindre des techniques agricoles ou une activité plus pastorale qu'agricole pour expliquer malgré tout l'apparition d'un déficit en terres exploitables. Ainsi suppose-t-on l'émergence d'un« mouvement commercial», né dans le cadre d'un éventuel mimétisme (voire d'une compétition) avec les Orientaux -les « Phéniciens » - qui bourlinguaient déjà en Méditerranée, pour la prise de contrôle de points de rencontre privilégiés dans les circuits d'échanges commerciaux. li est sans doute vain de vouloir classer à tout prix chaque fondation opérée selon l'un ou l'autre de ces deux types de préoccupations, commerciales et agricoles : les éléments spécifiques d'appréciation font le plus souvent totalement défaut et les préjugés modernes sont envahissants et tenaces, alors qu'il conviendrait pourtant d'estimer seulement au cas par cas, en considérant - chose rarement possible vu le caractère lacunaire de l'information - la situation interne de la communauté de départ autant que le point d'insertion du groupe émigré. Or, on l'a déjà noté, les informations ponctuelles sont, au niveau des sources anciennes, d'abord d'ordre anecdotique, et l'archéologie n'en est encore le plus souvent qu'à ses débuts sauf peut-être pour un cas comme celui de Pithécusses 2 ou, dans une moindre mesure, pour l'Italie du Sud et la Sicile (qui dispose en plus du témoignage singulier de Thucydide) 3• Dans ces conditions, la distinction théorique usuelle - déjà rencontrée chez Hérodote (Hér. I 165, N 108, etc.)- entre colonie de peuplement (apoikia fondée à une date donnée par une ou plusieurs Cités) et comptoir commercial (emporion né dans certains cas de l'initiative« privée» et pouvant regrouper des communautés diverses de commerçants - le plus célèbre étant celui de Naucratis), une telle distinction donc présente souvent des difficultés d'application insurmontables en dehors de ce qui apparaît en fin de compte comme quelques cas limites. La même réserve s'impose d'ailleurs 1. Outre le caractère hautement hypothétique que présentent toutes ces évaluations, leur invocation revient à faire l'impasse sur les activités coloniales impliquant de nombreux individus qu'a pu pratiquer le monde mycénien. Que l'on songe à la Crète minoenne, à Chypre ou aux côtes d'Asie Mineure, régions déjà politiquement structurées au bronze récent et où ces communautés immigrées n'ont donc pu se manifester dans les faits avant les crises politiques correspondant à la fin de l'âge du bronze (dès la fm de l'époque > et la volonté manifestée de diverses manières par la métropole (ennemis communs, obligations financières, législation commune, etc.) de conserver un contrôle étroit sur les destinées de ses fondations (hègémonia) laissent en tout cas transparaître un désir chez la première de profiter de, voire de monopoliser certains circuits maritimes (prise de Corcyre par Corinthe, fondations thraces de Thasos, etc.). Ailleurs, des échanges croissants peuvent être la conséquence de l'installation d'un établissement en un endroit propice sans être pour autant la raison première de l'installation, et il est sans doute hasardeux de projeter en arrière des situations plus récentes telles celles offertes par Milet ou Corinthe. Les produits échangés ne sont pas davantage aisés à déterminer de façon sûre 1• La céramique corinthienne, très caractéristique, en était assurément un (ainsi que son contenu: parfums, onguents, etc.), dont il reste des témoignages solides - et appréciés des archéologues en quête de repères chronologiques, mais, pour le reste (divers produits putrescibles, qui ont pu constituer l'essentiel!), il s'agit souvent de simples supputations «raisonnables», fondées, à partir de sources plus tardives, sur ce que l'on sait des produits et spécialités locales, de l'arrière-pays, de l'environnement physique, du paysage. Ainsi, pour l'Occident, on postule surtout des métaux, des céréales et des esclaves; pour la mer Noire, du blé, du poisson séché et, de nouveau, des esclaves; pour la Thrace, du bois, des peaux, de l'argent, des esclaves. L'Orient lui aussi (Al Mina) aurait été en quête d'esclaves (dont on estime pourtant par ailleurs le nombre restreint à l'époque archaïquef Parfois, même de simples hypothèses sont difficiles à formuler : ainsi Sparte entretint assurément des relations suivies avec sa colonie de Tarente, comme l'atteste la céramique laconienne trouvée là, mais on ne sait exactement ce qui faisait l'objet réel du trafic. On ne peut davantage ignorer la question de la nature des rapports entretenus avec les populations occupant, d'une manière ou d'une autre, les zones ainsi colonisées. Les cas d'école sont multiples, ainsi que l'attestent l'Italie du Sud et la Sicile, régions pour lesquelles on dispose de quelques informations : le processus illustre toujours le rapport de force qui s'établit !. Cf. supra, p. 178-181 et itifra, p. 465-472. 2. Cf. infra, p. 472-476.
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entre des parties en présence, un rapport qui peut d'ailleurs au fil du temps se modifier, tourner à l'aigre ou déboucher sur un modus vivendi (Cyrène s'imposant aux Libyens, Kymè [Cumes] succombant face aux Campaniens), La réussite de l'entreprise coloniale pouvait alors se traduire par un ascendant politique marqué sur la population locale (Syracuse et les Kyllyrioi, etc.), mais il fut des cas où la survie des colons s'opéra au gré de renoncements politiques face aux chefs indigènes (rivages de Scythie). On rappellera que le cas de Naucratis - concession accordée par les princes saïtes aux Grecs de l'Est dans le Delta égyptien 1 - constitue sans doute un cas singulier de présence grecque tolérée en Orient, Simplement, cette implantation contrôlée par le pouvoir local n'a induit aucune diffusion de la culture grecque («hellénisation))) digne de ce nom en Égypte, au contraire de pratiquement tous les autres secteurs géographiques où se manifesta l'activité coloniale grecque à l'époque archaïque, entraînant sans doute, au moins dans certains cas, par le biais de mariages mixtes (voire celui moins probable d'établissements mixtes ?) et l'acquisition de la langue grecque, l'intégration progressive d'éléments étrangers dans la population civique coloniale. Le problème des motivations profondes des échanges, déplacements et installations de Grecs si loin de leur patrie est d'autant plus complexe qu'on ne peut totalement séparer ce processus grec des activités maritimes des Tyra-Phéniciens qui paraissent connaître, vers la même époque, une certaine mutation : ces derniers passeraient, estime-t-on souvent, de la pratique des expéditions commerciales au long cours à une phase comprenant la mise en place de postes fixes, en des endroits « économiquement sensibles )) - on parle en particulier de factoreries. Difficile à établir preuves à l'appui, une telle modification dans les habitudes commerciales phéniciennes n'est cependant pas à exclure : elle pourrait être à rapprocher des mutations que cannait alors la situation politique au Levant et elle a même pu déboucher, çà et là, sur une « compétition )) avec les Grecs confrontés aux problèmes structurels évoqués plus haut, tout comme elle a pu être l'occasion d'entreprises communes - on songe à Pithécusses 2 • La date de cette nouvelle attitude commerciale des Phéniciens est généralement mise en rapport avec la fondation de la «Carthage d'Afrique)), intervenue en c.8l4/3 selon la tradition antique (Timée) le plus souvent adoptée - soit plus d'un demi-siècle avant le début du mouvement colonial grec. Mais, quoi qu'on lise communément, l'archéologie punique a toujours grand-peine à matérialiser l'existence de l'établissement tunisien avant la fm du VIII' siècle et, en défmitive, cette date de c.814/3 pourrait aussi bien être celle attribuée au départ à la fondation de la «Carthage de Chypre)), la 1. Cf. infra, p. 301-307. 2. Cf. supra, p. 265-266.
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confusion étant à mettre au compte d'érudits anciens, pris au piège de l'homonymie des fondations phéniciennes et de la peut-être brève existence de la fondation chypriote 1• On ne peut donc exclure deux phénomènes « coloniaux » débutant quasiment ensemble, présentant certains traits communs, tels que les critères retenus pour la localisation d'une installation nouvelle 2, mais ayant sans doute des origines très clifférentes. li n'empêche que cette simultanéité aurait entraîné une sorte de « concurrence », non seulement entre diverses communautés grecques (Corinthe et Érétrie, « guerre lélantine » ?) 3, mais aussi entre l'un ou l'autre établissement grec et des groupes de Phéniciens, ces derniers souhaitant, au moins dans certains cas, conserver et protéger leur prépondérance traditionnelle sur la grande voie reliant le Proche-Orient, l'Mrique du Nord (Carthage) et l'Espagne (Andalousie). Le problème chronologique est ardu, car les témoignages écrits (Thucydide pour la Sicile) font peut-être allusion tantôt à des entreprises exploratoires, tantôt à de véritables expéditions coloniales (de «peuplement»), et ils sont presque toujours invérifiables, d'autant qu'en dernière analyse il ne faut jamais oublier que les dates proposées pour la céramique protocorinthienne, dans le discours archéologique, reposent pour une grande part sur ces témoignages littéraires 4• Malgré ces dernières réserves, il semble bien que des recoupements assez nombreux puissent être opérés entre témoignages littéraires et archéologiques et qu'ils débouchent sur un tableau général ne manquant pas d'une certaine cohérence pour ce qui est des grandes tendances du mouvement colonial grec de l'époque archaïque. Une première phase «paroxystique» serait à placer dans la seconde moitié du VIII' siècle (sinon dès le deuxième quart) et elle se serait prolongée jusque dans le premier quart du VII' siècle (soit, pour toute cette phase, l'étendue chronologique c.770-c.675), pour aboutir à l'occupation des meilleurs emplacements. Au cours de ces armées, assez peu de Cités grecques envoyèrent des contingents (Chalcis, Corinthe, Mégare) et les zones d'accueil se limitèrent, en pratique, à l'Italie du Sud et à la Sicile (Naxos, Syracuse, Tarente), sans oublier toutefois le Nord de l'Égée (côtes macédonienne et thrace, Chalcidique) qui jusqu'alors, il faut le souligner, ne faisait pas encore partie du domaine grécophone. !. Cf. supra, p. 250-257. Le toponyme (gr. Ko:rchèdOn) vient du phén. Q_o:rtiJuulasht : . Une confusion de ce type serait loin d'être unique : Eusèbe attribue à Cumes d'Italie une date (c.l050) qui revenait assurément à la Kymè d'Éolie. 2. Ischia face à Cumes, le premier emplacement de Cyrène, ou Thasos, face à la Thrace, sont à l'abri, sur une petite ile, non loin de la terre ferme où se trouvent certaines des raisons évidentes de leur présence dans le secteur. 3. Cf. irifra, p. 425-428. 4. Cf. Heurgon, p. 371-378.
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Incontestablement, si l'on en croit les témoignages littéraires, les Cités eubéennes sont alors les plus actives dans le mouvement vers l'Ouest. Et au Proche-Orient, à Al Mina en particulier, si les allusions littéraires manquent pour accréditer l'activité des Eubéens, la céramique eubéenne (ou d'imitation eubéenne) témoigne à tout le moins, sur ce site de la Syrie côtière, entre c.850/825 et c.700 (niveaux X-VII), d'un certain dynamisme commercial à défaut d'une véritable présence physique d'Eubéens 1• A la fin du VII' siècle, on perçoit des changements sensibles qui mériteront que l'on revienne sur cette question de la colonisation dans des cadres distincts pour l'Occident et l'Orient. Ce sera aussi l'occasion de préciser ce qu'il advint des plus prestigieuses de ces fondations 2•
PREMIERS SECTEURS CONCERNtS PAR CES ACTIVITÉS GRECQUES
Italie du Sud et Sicile 3 Avant la fin du
VIII'
siècle
Dès lors qu'on ne croit guère à l'installation de communautés grecques significatives à Al Mina ou à Tell Soukas, c'est d'abord vers la Méditerranée occidentale qu'au début du VIII' siècle des Grecs paraissent avoir tourné leurs regards, rendant ainsi peut-être vie à des liaisons en pratique abandonnées pendant quelque trois siècles 4 • n n'était nul besoin d'aller jusqu'en « Extrême-Occident » pour trouver de bons emplacements : Sicile et Italie du Sud (Grande Grèce) offraient déjà, en dépit de populations d'agriculteurs préétablies (Pantalica, Francavilla Marittima) et de « fréquentations » phéniciennes sans doute guère interrompues depuis l'âge du bronze, des conditions d'établissement semblables, mais plus vastes, à ce qu'avaient cessé de dispenser, avec le retournement des courbes démographiques, la péninsule grecque et les rives de l'Égée. Le premier site à sortir de sa léthargie fut celui de Francavilla Marittima, un peu au Nord de la future Sybaris; on y a mis au jour, mêlés, des produits grecs et orientaux (c. 77 5-c. 750). D'autres localités suivirent, en Sicile et en Italie du Sud, sans que l'on puisse distinguer l. Une présence que certains estiment un peu vite acquise, cf. supra, p. 248-262. 2. Cf. infra, p. 297-316. 3. Pour ce qui concerne la partie occidentale de la Méditerranée, elle ne sera prise ici en considération que dans la mesure où il s'agit d'initiatives parties de Méditerranée orientale. Pour plus de détails, on renverra donc à Heurgon, p. 150-181. 4. On laisse ici de côté les problèmes posés par les possibles installations de Grecs à l'époque mycénienne à Thapsos, Scoglio del Tonno, Lipari, cf. Treuil et al., p. 438-439.
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avec certitude des agents grecs ou« phéniciens» et sans que l'on sache toujours si l'on possède là l'illustration, tant attendue par certains chercheurs, d'une phase «pré-coloniale)), annonçant les fondations effectives des premières colonies grecques, en l'occurrence « eubéennes )), de Pithécusses (Monte di Vico d'Ischia 1) et de Cumes 2, deux localités liées par les textes et l'archéologie. A Cumes, les céramiques grecques les plus anciennes appartiennent au géométrique récent II - elles correspondent au protocorinthien ancien (c.725-c.700) 3, tandis qu'à Pithécusses elles indiqueraient, au plus tard, le géométrique récent 1, soit le troisième quart du VIII' siècle. Quant aux textes, on soulignera que si Cumes peut se prévaloir de dates de fondation (en partie contradictoires), Pithécusses n'en possède pas de connue 4• On ne reviendra pas ici sur les supputations séduisantes mais encore très fragiles que la recherche moderne a émises autour de ces fondations, sous forme de divers scénarios où interviennent Al Mina, l'insaisissable « guerre lélantine )), le développement du site «classique)) d'Érétrie et l'abandon du grand site géométrique de Lefkandi d'Eubée, etc. 5• En l'absence d'une documentation littéraire explicite, c'est Ischia qui, de loin, fournit les renseignements les plus riches et les plus complets sur les premiers frémissements du mouvement colonial de l'époque archaïque. Les immigrants paraissent avoir jeté leur dévolu sur un point de la côte Nord jusque-là inhabité, offrant une acropole et deux baies abritées, à 4 km d'un village indigène. Pour le VIII' siècle, la fouille n'a livré aucun bâtiment à usage «public)) ou «religieux))' mais des quartiers d'habitation et des tombes loties par familles et qui semblent bien accréditer l'idée que des Phéniciens partageaient le sort de ces premiers Grecs d'Occident. La pratique de l'écriture a toute chance d'y avoir été très tôt bien répandue au vu des graffiti qui s'ajoutent à celui de la « coupe de Nestor )) (kotylè du géométrique récent, trouvée dans une tombe qui contenait par ailleurs des aryballes protocorinthiens datés de c. 720-71 0) et à une signature grecque ~a plus ancienne connue) peinte sur un cratère indigène des environs de 700 6 • A côté des productions locales (métallurgie et céramique), les importations sont très nombreuses et proviennent d'horizons variés : Egypte, Syra-Palestine, Cilicie, Grèce (amphores «SOS)) d'Attique et beaucoup plus
1. La plus étendue (c.45 km~ des îles au large de la baie de Naples, à Il km du Cap Misène. 2. A 14 km de Monte di Vico, visible depuis l'acropole de Cumes. 3. Des tombes de type > seraient à rapprocher de celles trouvées sous le soi-disant hérôon de la porte Ouest d'Érétrie. 4. Selon Strab. V 4,9, ce serait une fondation érétrienne, à laquelle auraient participé des Chalcidiens, mais la zizanie interne aurait conduit à son abandon. 5. Cf. supra, p. 248-269 et infra, p. 426-428. 6. Cf. infra, p. 381-387.
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L'époque archaïque
rarement - d'Eubée 1), Apulie, Étrurie, etc. Il est certain que les résidents pratiquaient de nombreux échanges de biens. Cumes et Ischia disposaient sans conteste de bonnes terres cultivables, mais la recherche moderne s'accommode mal de ce seul motif pour rendre compte d'une colonisation opérée d'un seul coup si loin à l'Ouest. On invoque donc souvent la quête des métaux, mais, si l'activité métallurgique florissait assurément à Pithécusses, elle ne s'impose pas comme la cause première de la démarche coloniale eubéenne. On imagine donc, sans guère d'éléments vraiment probants, que l'établissement avait d'abord vocation d'emporion (aux activités couplées avec celles d'Al Mina), d'où les importations eubéennes d'Orient étaient distribuées en Occident, en particulier dans les communautés étrusques qui s'égrenaient jusqu'en Campanie (Capoue). En Sicile, ce sont de nouveau des Eubéens qui seraient arrivés les premiers : sous la direction d'un certain Théoclès, en c.734 (une date que ne contredisent pas les fouilles), les Chalcidiens auraient fondé Naxos, au Nord de l'Etna. Vite à l'étroit, dès c.729, Naxos aurait fondé Léontinoi, sur une colline déjà occupée par les Sikèles, plus à l'intérieur des terres, à la frange Sud de la belle plaine de Catane et à côté de plateaux propices au pâturage. Là encore, l'archéologie paraît aller dans le même sens, tout en invitant à croire en un maintien de la présence autochtone. La même année, des Chalcidiens auraient aussi fondé Catane, sous la direction d'un (bien nommé !) Euarchos, au Nord de la même plaine, sur les riches dépôts volcaniques de l'Etna. Les propos des érudits anciens relatifs à ces trois implantations eubéennes présentent des aspects un peu curieux, qui incitent à la méfiance, mais les préoccupations agricoles paraissent bien avoir primé chez les nouveaux-venus. A leur tour, les Corinthiens auraient montré de l'intérêt pour l'Occident en fondant Syracuse, sous la direction d'Archeias qui en aurait repoussé les Sikèles 2, et Corcyre, sous la direction de Chersicratès, l'un et l'autre membres de la famille royale des Bacchiades 3• La date de c.734/3 (Thuc. VI 3,2) serait à considérer pour la première, mais, là encore, les sources posent quelques problèmes. Quoi qu'il en soit, le site de Syracuse est tout à fait remarquable, avec la belle île littorale d'Ortygie, protégeant le « Grand Port» au débouché de la plaine fertile de l'Anapos et dotée d'une source abondante (Aréthousa). On notera simplement que l'archéologie laisse entrevoir des débuts plutôt modestes pour une colonie à l'avenir si prestigieux. 1. Ces conteneurs à huile (?) se retrouvent jusque dans le Sud de l'Espagne (Toscanos) et sur les côtes atlantiques du Maroc (Mogador); cf. aussi m.fra, p. 465-472. 2. L'agglomération sikèle de Pantalica, c.25 km à l'Ouest de Syracuse, aurait été abandonnée vers la même époque. 3. Cf. supra, p. 235-236.
Lo. colonisation, première phase De leur côté, après plusieurs tentatives infructueuses -
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où leur chef
Lar:ois finit par périr, des Mégariens auraient fondé, avec l'accord du roi sikèle Hyblon, Mégara Hyblrea en c. 728 (Thuc. VI 4, 1). En tout cas, si l'habitat dispose de facilités portuaires, d'eau douce et d'une petite plaine, il n'offre aucune défense naturelle, ce qui explique sans doute son étendue (35 ha) et sa dispersion. L'abandon du site, dès le ill' siècle av.J.-C., a permis d'observer que la structure urbaine, établie dès le géométrique récent I (c.750-c.725), assez régulière, fut respectée au cours des siècles suivants. Zancle (sur la côte sicilienne du détroit de Messine), sans date de fondation conservée par la tradition antique 1, non dépourvue de terres cultivables, aurait dû son existence autant à des pirates de Cumes (Périèrès) qu'à des Eubéens (Krataiménès). L'archéologie n'exclut pas une date dans le troisième quart du VIII' siècle pour sa mise en place. Sur le côté italien de ce même détroit, répondant sans doute d'abord au souci d'occuper un passage obligé, Rhégion serait née d'une initiative chalcidienne, mais les récits antiques concernant sa fondation sont confus. La mention d'une participation messénienne renvoie à la première « guerre de Messénie», datée selon la tradition de c.740-720 2 , mais son dossier ne comporte pas de documents déterminants. En terre calabraise, dans une plaine fertile pourtant bien habitée déjà (Francavilla Marittima, Amendolara, Torre Mordilla), sur le golfe de Tarente qui fait face aux îles de la mer Ionienne, vers 720, des colons venus d'Achaïe (avec une participation de gens de Trézène) seraient parvenus à fonder Sybaris. Détruite en c.51 0, ses restes - on le sait aujourd'hui - se cachent sous ceux des habitats de Thourioi et de Copia, qui lui succédèrent, s'étalant en bord de mer, entre les embouchures du Crathis et du Sybaris. A une date incertaine mais sans doute dans le dernier quart du VIII' siècle (c.709 selon Eusèbe), d'autres colons achéens, dirigés par Myscellos de Rhypes, s'installèrent à Crotone, quelque 50 km plus au Sud, en un point disposant de deux abris pour les navires. Sans acquérir la fortune légendaire de sa rivale Sybaris, l'établissement connut un développement remarquable tout en respectant son quadrillage urbain originel. Aux confms de l'Apulie et d'une Iapyge sans doute réservée à l'idée d'accueillir sur son .sol des colons grecs, Tarente (gr. Taras) tira profit, un peu comme Syracuse, d'une position exceptionnelle 3 : quasi insulaire, face à Scoglio del Tonna, l'agglomération occupait une petite péninsule flanquée 1. Mais fondatrice de Mylai, face aux îles Lipari, en c. 716 selon Eusèbe ~es fouilles montrent le site comme occupé dès avant l'arrivée des Grecs, dans le dernier quart du vnr siècle). 2. Cf. supra, p. 238-244. 3. Le petit site de Satyrion (Leporano), c.l5 km au Sud-Est de l'actuelle Tarente, pourrait correspondre à un premier point de chute (céramique du géométrique récent 1, c.750-c.725) préfigurant l'investissement de l'agglomération iapyge qui contrôlait le site de la future Tarente.
290
L'époque archaïque
de deux grands ports (Mar Piccolo et Mar Grande) communiquant par un chenal étroit. La date de sa fondation - par des Spartiates, c. 706 (selon Eusèbe), est crédible au vu de l'archéologie (Vieille Ville), mais la nature étiologique du récit consacrant son œciste Phalanthos est claire. Fin du
VIII'
et
VII'
siècle
Avec la fondation de Géla (en c.688 selon Thuc. VI 4,3), les Grecs débordèrent de la façade orientale de la Sicile pour s'aventurer d'abord sur ses rivages méridionaux. Le choix des colons s'est porté sur une belle acropole côtière dominant, au Nord, de vastes espaces cultivables et, à l'Est, l'embouchure du fleuve Géla, qui offrait quelques facilités portuaires. Venus de Rhodes (Antiphèmos) et de Crète (Entimos), les œcistes durent cependant recourir à la force pour repousser ou soumettre les indigènes. La seconde fondation majeure sur la façade Sud est celle, beaucoup plus à l'Ouest 1, de Sélinonte, en c.628, par Mégara Hybla:a, mais avec un œciste fourni par sa métropole du golfe Saronique (Thuc. VI 4,2). Là, un bon accord semble avoir été conclu avec les indigènes de l'endroit (habitats voisins); de même, le choix se porta sur une colline basse, malaisée à défendre, en bord de mer -la future acropole, encadrée par deux cours d'eau qui fournissaient des abris plutôt médiocres aux bateaux. L'arrière-pays était bien fourni en terres cultivables, mais ce constat n'a pas satisfait certains chercheurs qui se sont interrogés sur la raison d'une fondation opérée du premier coup si loin à l'Ouest. C'est ainsi qu'ont été envisagés des échanges avec les Phéniciens établis à la pointe Ouest de l'île, mais, tant qu'à exploiter cette hypothèse, les plus anciens partenaires des Sélinontins furent plutôt les Élymes et les gens de Ségeste (céramiques de qualité) rencontrés en remontant le Belice (céramique protocorinthienne et inscription archaïque de Poggioreale de c.600/550 fondant un culte d'Héraclès). Sur la façade Nord de la Sicile, après la fondation de Mylai par Zancle, vers la fm du VITI' siècle, intervient celle - beaucoup plus à l'Ouest, comme pour Sélinonte- d'Himère (en c.648 d'après Diodore) par, là encore, des gens de Zancle, épaulés par un groupe d'exilés qui paraissent être venus de Syracuse. Avec sa ville haute, sa ville basse et son port, l'établissement, qui a fait l'objet de fouilles intensives, occupe une hauteur à l'embouchure occidentale d'un fleuve du même nom, qui offrait une bonne voie de pénétration vers l'intérieur, tandis que les environs disposaient de larges facilités agricoles. L'idée qu'Himère était un point d'appui grec, idéalement placé pour le trafic avec l'Espagne, l'Étrurie et Carthage, est sans doute séduisante, mais il reste hasardeux de voir là les principales raisons de sa fondation. 1. Pour Agrigente, cf.
itifi'a, p.
316-323.
lA colonisation, première phase
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Pour l'Italie du Sud, on retiendra trois créations majeures : Locres Épizéphyrienne, sur la côte Est de la Calabre, Siris et Métaponte, entre Tarente à l'Est et Sybaris à l'Ouest, dans le creux de la «botte». Sur le terrain, on ne localise pas la Locres archaïque, fondée en c.67 5 selon la tradition littéraire, peut-être avec l'aval de Corinthe, en zone sikèle (Canale,Janchina), par des Locriens venus de Grèce centrale (de la Locride orientale ou occidentale, ou éventuellement des deux, on ne sait) : elle pourrait se cacher à l'emplacement de l'acropole de la cité classique. Le cadre agricole paraît plutôt médiocre, le port de prime abord sans grand attrait, mais les échanges avec la population locale - repoussée à la périphérie ont pu encourager cette installation d'individus sur l'origine sociale desquels (esclaves, individus mal intégrés?) l'érudition antique déjà ne s'accordait pas (Aristote, Polybe, Timée, Pausanias). Les terroirs côtiers de Siris et Métaponte sont bien irrigués et très propices à l'agriculture. Témoignages littéraires et archéologiques s'entremêlent au point de masquer les origines des premiers occupants grecs. Divers textes anciens pousseraient à voir en Siris - plutôt qu'une initiative achéenne une fondation de l'ionienne Colophon (cf. le peson inscrit d'Isodikè) en difficulté face aux pressions du Lydien Gygès (c.685-c.646/5) 1, colonie qui aurait été prise en mains par ses voisines achéennes au cours du VI' siècle. Sa localisation sur le terrain pose des problèmes que n'a pas encore résolus l'archéologie : elle était soit à l'embouchure du Siris (mod. Sinni) soit, selon d'autres, sur une colline en bord de mer, à Policoro. Sur ce dernier site (on y place en général l'Héraclée fondée en 433 sur l'Aciris, mod. Agri), on a découvert des murs défensifs et de la céramique de la Grèce de l'Est remontant à la fm du VIII' siècle - donc antérieure à Gygès. Quant à Métaponte, mieux connue par les fouilles, il s'agit d'une fondation achéenne, qui intervint sur un site encore inoccupé, mais entouré d'habitats indigènes plus anciens, avec lesquels les Grecs établirent des échanges (établissement d'Incoronata). Les sources la nommant la mêlent à Siris. Sa date de fondation (c. 773) n'est guère retenue comme crédible d'autant que rien n'est apparu, ni dans les tombes ni dans l'habitat, qui soit antérieur à c.650. On notera en terminant avec ce premier secteur affecté par le phénomène colonial grec archaïque que c'est dans ces anciennes colonies d'Occident que furent constitués les premiers recueils juridiques écrits (Zaleucos à Lacres dès la première moitié du VII' siècle, Charondas à Catane, Dioclès à Syracuse), une opération peut-être rendue tout à fait nécessaire par les origines différentes des participants à ces fondations 2• 1. Cf. supra, p. 115-116 et 153-154. 2. Cf. aussi supra, p. 204-209.
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L'époque archaïque
La mer de Thrace Aussi déconcertant que cela puisse paraître, c'est seulement au cours de l'époque archaïque que la côte Nord de la mer Égée (depuis l'Axios \ bordure orientale de la Macédoine, jusqu'à la Chersonèse de Thrace) et les îles proches de Thasos et Samothrace 2 s'ouvrirent à l'hellénisme, pour une part au travers d'un processus «colonial» sans doute motivé par l'exploitation des forêts, de petites plaines, d'estuaires mais surtout, dans certains cas au moins, d'un sous-sol riche en métaux précieux. Les trois « doigts » de la péninsule de Chalcidique ont ainsi reçu un chapelet d'« établissements>> abritant des Grecs ... venus surtout d'Eubée (ce qui explique son nom), tandis que des habitats, en nombre moindre, ponctuèrent la côte plus à l'Est (Argilos, Galepsos, Abdère, Aïnos, etc.). Comme l'ensemble de ces rivages était déjà habité lorsque les Grecs arrivèrent, peutêtre est-il permis de supposer que, pour des raisons diverses, la résistance à l'implantation de communautés grecques fut plus forte de la part des populations thraces que de la part des tribus macédoniennes. Pour l'ensemble du secteur, à vrai dire, les témoignages littéraires manquent cruellement et les données archéologiques restent encore plutôt maigres. Les supputations modernes sont nombreuses et difficiles à fonder. On s'autorisera cependant à se demander si l'on est, aussi souvent qu'ailleurs, face à une volonté de créer des colonies vraiment autonomes ou si les métropoles, jamais très éloignées (Chalcis, Érétrie, Andros, Paros et ... Thasos), n'ont pas davantage fonctionné «à la tyra-phénicienne», en gardant le contrôle de leurs points d'échanges (qui regroupaient parfois des populations mêlées). Conséquence de cette faiblesse documentaire, la chronologie du processus demeure donc incertaine, encore qu'il faille sûrement envisager son démarrage dès le vm· siècle. li semble cependant que, dans bien des cas, une date vers le milieu du VII' siècle soit à envisager, que ce soit pour Thasos (à laquelle on va venir), pour les fondations d'Andros (dont Stagire et Argilos), celle de Chios à Maronée ou celle de Clazomènes à Abdère. A Thasos, une communauté composée d'un noyau parien s'installa, sans doute vers 650, au Nord-Est de l'île, en usant de la force et de la ruse, en un lieu réunissant port et acropole, et ces nouveaux venus s'imposèrent assez vite comme la première puissance de Grèce septentrionale. Le poète Archiloque, qui fit partie des premiers arrivants, lui préférait Siris, au fond du golfe de Tarente. li n'empêche que l'île, qui n'est qu'à quelque 6 km de la 1. Cf. aussi supra, p. 70-75. Déjà Méthonè, fondation érétrienne (c.733 ou c.706) installée sur la rive occidentale du golfe Thermaïque. 2. Cf. irifra, p. 298. La date de c.700, proposée parfois, ne semble guère avoir d'arguments en sa faveur.
La colonisation, première phase
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côte thrace, offrait ses forêts sur les contreforts des montagnes, ses petites plaines côtières et de l'eau en abondance, tandis que son sous-sol abritait de riches gisements aurifères. Des communautés thraces devaient y vivre (à Thasos même et à Kastri), en contact avec le continent proche, à moins que ce ne soit des Phéniciens qui, attirés depuis longtemps par les métaux présents sur les deux rives, aient assuré ces liens (à partir d'Aliki au Sud?). Sans doute les Grecs sont-ils venus perturber et ont-ils cherché à reprendre à leur compte ce réseau d'échanges fructueux en s'établissant à leur tour sur le continent (d'Ouest en Est : Galepsos, Oisymè, Néapolis-Kavala, voire Strymè 1). A la suite d'Hérodote, c'est en tout cas vers Milqart, dieu tutélaire des Tyriens (des« Phéniciens» les plus actifs), que l'on se tourne le plus souvent pour rendre compte de certains traits de l'Héraclès thasien.
Dardanelles, Marmara et Bosphore
On pourrait considérer cet ensemble comme un long couloir aux extrémités resserrées, sorte de vallée fluviale, mettant en communication l'Égée et la mer Noire (Pont[-Euxin]), un peu comme le golfe de Corinthe ~a Propontide en rappelle la forme) met en contact cette même Égée avec la mer Ionienne 2 • Ici encore, il semble bien que l'on soit en présence de territoires que les Grecs convoitèrent pour des motifs plutôt politiques, liés à leur position stratégique sur des voies de passage «sensibles>>. A l'entrée (Hellespont), Troade et Chersonèse de Thrace retinrent l'attention des Éoliens à une date difficile à déterminer : le VITI' siècle n'est pas à exclure partout (ainsi Troie VIII), mais une date plus tardive paraît à privilégier d'autant que, là auss~ durent se manifester des réticences thraces pour ne pas parler de la vague de destruction cirnmérienne qui, au début du VII' siècle, a pu déboucher sur de nécessaires refondations. Pour le reste, dans les premiers temps, il s'agit, dans la majorité des cas, de créations ou, à tout le moins, d'initiatives milésiennes (plus de deux douzaines sont assurées) ou mégariennes. Les raisons en sont toujours débattues : Milet a pu agir pour partie sous la pression des Lydiens mais certains objectifs plus mercantiles ne sont assurément pas à exclure pour autant (d'ailleurs Chias, sans être aussi exposée, ne sera guère moins active dans ce secteur), tandis que Mégare était peut-être quelque peu à l'étroit entre Corinthe et Athènes, deux communautés supérieures en nombre et en
1. La littérature moderne va parfois jusqu'à parler à leur propos de> ~e , contrôlé par l'île qui lui fait face). 2. Cf. supra, p. 101-102.
294
L'époque archaïque
moyens. Cyzique pourrait avoir été la plus ancienne initiative de Milet 1 et remonter au milieu du VITI' siècle (cf. le site de Hisartépé, c.20 km plus au Sud?). Quant à Mégare, particulièrement présente en Propontide orientale, elle serait au départ d'Astacos et Sélymbria, face à face à l'entrée Ouest du Bosphore, puis de Chalcédoine («la Cité des aveugles », cf. Hér. IV 144) et, sur le côté européen (sans doute mieux contrôlé par les Thraces), vers 660, de Byzance (site du Vieux Sérail) avec sa localisation incomparable la prédisposant au contrôle de l'accès au Pont-Euxin 2 • Dans la première moitié du VII' siècle, Milet, pour sa part, s'implanta surtout en Propontide occidentale dont la côte Sud devait être, estime-t-on, sous contrôle lydien (ainsi Gygès et la fondation d'Abydos), tandis que, dès avant la fm du VIII' siècle, Mytilène s'annexa un domaine sur le continent qui lui fait face, juste au Sud des Dardanelles et sur les rivages thraces, tout comme Chios. Enfm, on aura l'occasion de revenir plus loin sur les intérêts grandissants d'Athènes pour ce secteur des Détroits, à partir de la deuxième moitié du VI' siècle 3 .
La mer .Noire
Une autre section 4 a déjà permis de planter à grands traits le décor de ce vaste ensemble géographique de c.435 000 km2 , où l'activité des Milésiens fut de loin la plus marquante (en fait quasiment un monopole avant c.650), une situation qui a donné lieu à diverses hypothèses explicatives, difficiles à étayer en l'absence de témoignages explicites. En tout cas, ces établissements coloniaux, au contraire de ceux créés en Méditerranée centrale, offrirent à leurs métropoles - et à leur plus grand profit - des matières premières et des produits fmis sans équivalents locaux. La portion anatolienne, bordée de hautes montagnes, ne présentait guère d'opportunités portuaires en dehors de la péninsule d'Héraclée Pontique5 et surtout de Sinope dont la date initiale d'occupation grecque pose problème : une première fondation par Milet, dès le VITI' siècle, n'est pas à exclure 6 , mais l'archéologie n'en a pas apporté de confirmation. Quant à la section caucasienne (pays des Chalybes forgerons), elle est plus inhospitalière encore. 1. Parion serait, d'après Strabon, une fondation conjointe de Milet, Paros et Érythrées en c. 709. 2. TI n'est pas exclu que, pour cette opération risquée et montée au départ de Chalcédoine, Mégare ait fait appel à d'autres Grecs ; elle a dû au moins s'assurer l'accord d'un certain nombre de Cités. 3. Cf. in.fra, p. 299. 4. Cf. supra, p. 118-120. 5. Cf. in.fra, p. 299. 6. Avant donc la vague des Cimmériens, dans la mesure où Sinope fonda elle-même Trapézonte plus à l'Est (c. 756).
La colonisation, première phase
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Dans sa partie septentrionale, par ailleurs bien pourvue en estuaires limoneux, offrant des recoins protégés (limans), nés des grands fleuves ukrainiens qui s'y jettent, les conditions climatiques devaient être alors un peu moins sévères qu'aujourd'hui. Par contre, les Grecs devaient compter avec des populations locales (Scythes, Taures, Colchidiens), sur lesquels ils firent circuler des récits effrayants. Quoi qu'il en ait été de leur véracité, certaines zones furent bien laissées de côté par ces nouveaux arrivants - telle la Chersonèse Taurique, tandis que d'autres secteurs reçurent divers groupes qu'il convient sans doute, dans bien des cas, de voir débarquer dans la deuxième moitié du VII' siècle, d'abord peut-être pour des occupations saisonnières seulement. Parmi celles qui, au VI' siècle, s'imposèrent comme de grandes fondations d'initiative milésienne, pour lesquelles on dispose de quelques testimonia antiques et qui, de surcroît, ont fait l'objet d'explorations archéologiques plus substantielles, on épinglera sans doute déjà le Bosphore cirnmérien 1, lstros/Istriè (mod. Histria) et surtout Borysthénès/Olbia (c.647 ?) et Bérézan. On ne sait quels rapports (s'il y en eut) ont pu exister entre les gens d'Olbia et les groupes humains indéterminés qui contrôlaient l'île proche de Bérézan (en partie fouillée), mais ces deux agglomérations 2 devaient tirer chacune les plus grands profits de la conjonction des estuaires lagunaires barrés d'un cordon littoral (limans) du Dniepr (Borysthénès) et du Boug (Hypanis). En tout cas, le terme d'emporion revient à plusieurs reprises dans le discours d'Hérodote pour tous les établissements de ce secteur 3• Les informations archéologiques de ces deux sites se complètent quelque peu : les maisons semi-souterraines de Bérézan permettent peut-être de combler en partie le manque d'informations, résultat de la montée du niveau de la mer qui a mis la partie basse d'Olbia sous eau. Le haut de la ville, par contre, a livré des ensembles publics, le tout ayant dû être assez tôt ceinturé d'un rempart. La disposition des lieux ne permettait toutefois pas d'opposer une réelle résistance à une agression indigène, mais les propos d'Hérodote (cf. Hér. IV 78, avec l'évocation du roi Skylès et de populations «Helléno-Scythes ») invitent à croire que la présence grecque avait été, dans l'ensemble, jusque-là au moins, bien tolérée par les Scythes et qu'elle avait même débouché sur des rapprochements nombreux et divers. Une agglomération comme Olbia, profitant des vallées, devait fonctionner comme une sorte de centre distributeur, vers l'intérieur, de produits grecs (vin, huile, armes et divers objets de luxe en métal, céramique de qualité, etc.). Dès cette époque sans doute, un tel centre devait exporter, en retour vers l'Égée, pour 1. Pour Panticapée (Kertch), cf. infra, p. 299. 2. Les environs comptaient encore par ailleurs divers autres établissements au statut inconnu. 3. Cf. infra, p. 313-316 et 465-472.
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L'époque archaïque
l'essentiel, des céréales, des peaux, du poisson salé, des esclaves, etc. (cf. le site de Shirokaja Balka et les lests de bateaux retrouvés à Bérézan etJagorlik). Quant aux rivages nord-anatoliens, ils devaient livrer l'ocre cappadocien, divers bois durs et voir transiter le fer des Chalybes (Caucase, Arménie).
La Grèce du Nord-Ouest et la mer Adriatique
Après des navigations phocéennes au long cours, peut-être à placer dès le début du VII' siècle, il semble qu'il faille attendre le dernier tiers de ce siècle pour voir se marquer un réel intérêt pour ce secteur. On se propose donc d'y revenir dans la section consacrée à ces décennies 1• On retiendra simplement qu'alors c'est Corcyre qui paraît s'imposer, capable même de battre son ancienne métropole, Corinthe, dans la première bataille navale dont Thucydide dit avoir souvenance (c.664, Thuc. I 13,4) mais dont on ignore tout des motifs. Quoi qu'il en ait été, la Corinthe du tyran Périandre réussit à en reprendre le contrôle quelques années 2•
L'Afrique du Nord et l'Occident européen
Ici encore, on reviendra plus précisément à propos de la phase coloniale ultérieure tant sur l'Egypte que sur la Libye/Cyrénaïque, qui furent les seuls secteurs de ce continent à retenir vraiment l'attention des Grecs à l'époque archaïque. On notera simplement que, dans un premier temps et pour l'essentiel, les Grecs qui se présentaient aux portes de l'Egypte étaient des mercenaires ou des commerçants qui furent bientôt regroupés pour la plupart dans Naucratis, un établissement commercial (emporion) cogéré par les Cités grecques (Grecs de l'Est et Eginètes) impliquées dans ces échanges 3• Quant à l'« Extrême-Occident», il n'inspirera guère de réel intérêt aux Grecs (Phocée) avant le dernier quart du VII' siècle.
1. Cf. infra, p. 309-31 O. 2. Cf. infra, p. 484-486.
3. Cf. irifra, p. 301-309.
lA colonisation, seconde phase
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4. lA COLONISATION, SECONDE PHASE (c.625-c.510): GÉNÉRAUSATION DE lA DÉMARCHE
Le dernier tiers du Vll' siècle vit les activités maritimes des Grecs véritablement exploser tant en direction de l'Occident qu'en direction de l'Orient et de la mer Noire. En l'espace d'un demi-siècle (c.625-c.575), des déplacements de populations et de biens ont conduit à la production rapide de richesses nouvelles, dilférentes de celles jusque-là considérées et qui tournaient toujours autour de la terre et de ses fruits. Ce fait nouveau eut de profondes répercussions « politiques », en ce sens que, source de tensions, il travailla en profondeur les communautés grecques tour à tour concernées, allant jusqu'à mettre à malle tissu social et en péril l'ordre traditionnel établi, dressant sans doute des obstacles nouveaux entre diverses catégories, de plus en plus tranchées désormais, de munis (plousioi) et démunis tiraillés par la pauvreté (pénia) 1• Parmi les conséquences majeures de cette phase aiguë de l'expansionnisme grec, il faut aussi nommer une diffusion accélérée de la culture et de la langue grecque sur tout le pourtour des bassins méditerranéen et de la mer Noire, une multiplication rapide des contacts entre ces diverses régions, bref une dynamisation sensible des échanges d'hommes, d'idées et de biens, sources d'une plus grande richesse. En termes de« culture politique))' les conséquences ne furent pas moins décisives pour la nation grecque dans son ensemble, car le phénomène colonial permit aux multiples collectivités indépendantes qui la constituaient de multiplier d'autant les expériences de vie communautaire. Plus d'une fois, les groupes nouveaux, fondés sur des situations moins dépendantes du passé que ceux occupant les vieilles métropoles, ne manquèrent pas, en retour, d'influer sur l'organisation de ces dernières qui se disputaient la Grèce traditionnelle. Avant d'aborder l'Ouest (Italie du Sud et Sicile pour l'essentiel), l'attention sera portée sur les secteurs situés à l'Est : la mer de Thrace, l'Hellespont, la mer de Marmara et la mer Noire, les côtes sud-anatolienne et syrapalestinienne ainsi que Chypre.
1. Cf. supra, p. 178-183 et infra, p. 454-465.
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L'époque archaïque
A L'EST
La mer de Thrace
L'Égée même fut encore à cette époque le théâtre d'activités « coloniales » d'un type un peu particulier dans la mesure où les communautés nouvellement installées n'étaient pas toujours dotées par leur métropole d'une totale liberté de mouvement. Ainsi, c'est probablement dans la seconde moitié du VI' siècle seulement que Samothrace 1, jusque-là habitée par une population non hellénophone, devint le siège d'une communauté grecque, à l'initiative de Samos. Le sanctuaire des Grands Dieux n'en continua pas moins à fonctionner, accueillant, dans la seconde moitié du VI' siècle, des inscriptions qui consignaient, en alphabet grec, des énoncés formulés en langues grecque et thrace (?). D'autre part, c'est sous Périandre (c.625-c.585) que Corinthe établit une colonie en Chalcidique, à Potidée, sur l'isthme de Pallène, face au golfe Thermaïque et aux populations macédoniennes. L'Hellespont et la mer de Marmara
Dans la deuxième moitié du VI' siècle toujours, Athènes, alors en pleine expansion 2 mais jusque-là absente de ce type d'activités, commença à manifester un intérêt soutenu pour la voie de communication maritime reliant l'Égée au Pont-Euxin - d'où provenaient en quantité les céréales - et entra en relation avec les populations thraces de Chersonèse. Là, l'entreprise de Miltiade l'Ancien (fils de Cypsélos, archonte en c.597 /6) 3 rencontra l'opposition de Lampsaque, fondation phocéenne du milieu du VII' siècle sur la rive asiatique de l'Hellespont, tandis que, plus au Sud, la première implantation d'Athènes, Sigée Guste à côté de Troie), demeura longtemps contestée avec violence par les gens de Mytilène. Ces événements ne se laissent guère dater aisément : sans doute au début de l'époque de Pisistrate, vers le milieu du VI' siècle, et Athènes poursuivit cette politique avec Miltiade lejeune qui, maître de la Chersonèse, installa, vers 520, des Athéniens à la place des Pélasges à Lemnos et sans doute Imbros. On rappellera que, de leur côté, les Mégariens, mis en difficulté dans
1. Cf. supra, p. 292-293. 2. Cf. supra, p. 226-234. 3. Cf. supra, p. 232-233 et infra, p. 487-497.
La colonisation, seconde phase
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leur métropole, sur leur flanc Ouest, par les Corinthiens 1, pouvaient compter sur Chalcédoine et Astacos et surtout restaient maîtres de Byzance qu'ils avaient fondée (c.668 ou c.659) en un secteur on ne peut plus sensible de cette route maritime liant l'Égée à la mer Noire 2 •
La mer Noire
La fondation d'Olbia par Milet (c.640/62W permit aux Éginètes d'importer en Égée, au travers de l'Hellespont, les céréales produites en Ukraine, un commerce toujours bien vivant à la veille des guerres médiques. Sur la côte Sud, on retiendra surtout, parmi les rares fondations non attribuables aux Milésiens, la colonie mégaro-béotienne d'Héraclée Pontique (mod. Eregli), installée, vers 560, à quelque 220 km à l'Est de l'extrémité orientale du Bosphore, où les nouveaux venus prirent l'ascendant sur une population locale, les Mariandyniens. De l'érudition antique subsistent divers propos sur l'organisation (primitivement démocratique?) de cette communauté coloniale. Aux gens de Téos refusant l'autorité perse revint Phanagoria (c.545), sur la rive Est du Bosphore cimmérien, à l'Est de la péninsule de Chersonèse Taurique, et à des Mégariens, en c.510, la future Mésambria (au Nord du golfe de Burgas et d'Apollonia du Pont). Au contraire de la Chersonèse de Thrace, les rives du Bosphore cimmérien avec la Limnè Maiôtis ~e Palus-Méotide des Romains, aujourd'hui mer d'Azov) où se jette le Tanaïs (Don), pourtant elles aussi déjà occupées par des populations locales, retinrent l'attention des Grecs : sans doute vers 600, des Milésiens, jetant leur dévolu sur une belle acropole, y fondèrent Panticapée qui diffusa ses produits grecs dans la vallée du Don (site de Tanaïs/Taganrod) avant de devenir, au V' siècle, la capitale du puissant royaume cimmérien du Bosphore, regroupant Grecs et indigènes hellénisés.
L'Afrique du Nord
Cyrène, la principale Cité grecque sur le continent africain, fut fondée vers 640/630, par des Doriens venus de Théra. Elle dut son essor remarquable aux rapports économiques qu'elle tissa, avec les divers établissements phéniciens implantés en Mrique du Nord sans doute, mais surtout avec des indigènes libyens. Grâce à Hérodote (et Pindare), aux apports substantiels 1. Cf. 2. Cf. 3. Cf.
supra, p. 234-235. supra, p. 293-294. supra, p. 294-296.
300
L'époque archaïque
de l'épigraphie (version du N'siècle du décret de fondation?) et de l'archéologie, les renseignements la concernant sont plutôt nombreux et variés : ce serait poussés par une famine consécutive à une sévère sécheresse que des colons seraient partis de Théra/Santorin 1• Une première tentative d'implantation aurait porté sur un îlot (Platéa) du golfe de Bomba, une deuxième à Aziris (c.30 km à l'Est de la mod. Damah), mais les chefs locaux auraient indiqué aux nouveaux arrivants, au bout de quelque temps (c.632 selon Eusèbe), un endroit plus approprié, celui de Cyrène, à c.l 00 km plus à l'Ouest, le site d'Apollonia (mod. Marsa Susah) lui servant de port. L'établissement fut en effet édifié à c.l 0 km du rivage, sur un haut plateau bien arrosé 2 , aisé à défendre et dominant des terres très fertiles. A l'instar de sa métropole, Cyrène fut dotée d'une maison royale : huit souverains se succédèrent ainsi à la suite de l'œciste Battos ~es Battiades). En dépit d'une histoire mouvementée, Cyrène s'imposa rapidement parmi les communautés les plus prospères du monde grec, grâce à l'élevage et au travail de la terre. On notera en particulier la récolte et l'exportation - longtemps privilège royal- d'une plante médicinale désormais disparue, le silphium (cf. le monnayage cyrénéen et la« coupe d'Arcésilas » illustrant une pesée des ballots). Le Saïte Apriès, voulant soutenir les Libyens que de nouveaux colons grecs dépossédaient, subit, en c.5 70, à !rasa, une lourde défaite face aux Cyrénéens de Battos II, qui profitèrent de la situation pour encore étendre leur territoire 3• Mais, sous le successeur de ce dernier, Arcésilas (Arkésilaos) II le Cruel, des troubles dynastiques conduisirent, vers 560/550, à la fondation, dans un secteur fertile plus à l'Ouest, de Barcè (mod. Al Ma.Ij), mais surtout à une guerre civile, par moments très meurtrière, que tenta en vain d'arbitrer le sage Démonax de Mantinée. Ces troubles devaient se poursuivre jusqu'au milieu du v siècle, moment où s'instaura un régime démocratique. L'époque archaïque vit aussi des Grecs s'installer à l'entrée de la Grande Syrte, à Euhespérides (mod. Benghazi), et plus à l'Est, à Taucheira (mod. Tükhra), s'accaparant ainsi la partie fertile de la Cyrénaïque et reléguant les indigènes vers les secteurs arides. Les Grecs ne poussèrent cependant guère plus avant dans le golfe de la Grande Syrte, un domaine sans doute jalousement défendu par les «Phéniciens)) (Carthaginois), comme le laissent entendre les mésaventures de Dorieus à l'embouchure du Kinyps, proche de la Lepcis Magna punique.
1. Cf. supra, p. 108 et 212. 2. Cf. supra, p. 279-286. 3. Dates fournies par le matériel archéologique le plus ancien; mais la date littéraire est c.647 ; cf. infra, p. 304.
La colonisation, seconde phase
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L'Anatolie méridionale et la côte syra-palestinienne
On ne sait à quand remonte exactement la présence grecque en Pamphylie, mais les derniers temps du bronze récent ne sont peut-être pas à exclure. Pour l'époque archaïque, on laissera de côté tous les cas douteux pour épingler Phasélis, en Lycie, qui participa aux activités de Naucratis et qui était sans doute d'origine rhodienne, tout comme Soloi à l'Ouest de Mersin. Kélendéris et Nagidos, en Cilicie Trachée, seraient des fondations samiennes. Quant à Sidè, ce serait une création de la Kymè éolienne. On a déjà eu l'occasion de préciser 1 qu'il n'était pas une seule installation de la côte syra-palestinienne qui puisse se revendiquer comme une création grecque ni même comme un lieu habité par de fortes minorités de Grecs, qu'il s'agisse d'Al Mina, de Tell Soukas ou de Ras el-Bassit (cap Posidéion). En fait, divers indices tendent à accréditer l'idée qu'en direction de l'Est, les Grecs ne débordèrent pas vraiment de Chypre avant le milieu du VII' siècle environ, époque où ils lancèrent alors sans plus tarder des têtes de pont en Égypte. n n'empêche qu'avant cette date, ils eurent tout le loisir de fréquenter des Phéniciens à Chypre et ailleurs, et que ces rencontres furent assurément décisives pour la suite de l'histoire grecque.
L'Égypte
On a vu qu'en c.667 /6 Assourbanipal s'empara de l'Égypte, mais qu'au lieu de l'occuper militairement, il chargea un prince de Saïs et de Memphis, Néchao (1er), de son gouvernement pour le compte d'Assour, un geste politique réitéré en c.664 en faveur de son fils Psammétique J, comme se dénommaient alors eux-mêmes les Grecs d'Egypte, virent leur pays d'adoption et ses mœurs à travers la stricte échelle grecque des valeurs.
La colonisation, seconde phase
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davantage, et ils s'en inspirèrent pour réaliser leurs premiers kouroi de marbre 1• On sait fort peu, par contre, de l'architecture égyptienne de ces deux siècles, à la suite de la disparition totale des temples qu'Hérodote put pourtant admirer lors de son voyage. li n'empêche, les Grecs découvrirent assurément, dans le Delta et le long du Nil, une architecture égyptienne monumentale, pluriséculaire, caractérisée par des forêts de colonnes en pierre, qui ne les laissa pas indifférents, comme le donne à penser l'aspect général des premières colonnes doriques. Cela dit, en architecture comme en sculpture, dès le départ, les productions grecques, qui dénotent une connaissance de l'expérience artistique égyptienne, présentent des différences notables, qui indiquent qu'il ne s'agit pas d'un simple emprunt de la part des Grecs 2• L'ancienne écriture égyptienne montre les mêmes tendances à un retour vers une sorte de «sévérité classique)), mais les fautes souvent nombreuses trahissent une certaine incompréhension du passé (hiéroglyphes). Dans le domaine de la religion enfm, on assiste à une radicalisation de la pensée et à une multiplication des hypostases animales, telles le taureau Apis ou les chats.
Chypre
A Chypre, la matérialité de la domination assyrienne reste à démontrer. Si l'on en croit les documents assyriens, elle pourrait avoir débuté dans la dernière décennie du VIII' siècle, avec Sargon II, et s'être prolongée au moins jusque dans le deuxième quart du VII' siècle, sinon plus tard encore Oa prise de Ninive date de c.612). D'autre part, on estime en général que la mainmise d'Amasis sur Chypre (Hér. II 182) pourrait remonter à c.560, mais, là encore, on ne sait trop définir la forme prise par cette « conquête )) et on ignore s'il faut la rapprocher de la victoire navale de son prédécesseur, Apriès. Dans aucun des deux cas, l'archéologie n'a encore mis en avant des traces précises impliquant une invasion violente des centres chypriotes, suivie d'une occupation militaire. Sans doute doit-on plutôt envisager, dans le cas de la domination assyrienne, une soumission volontaire des souverains chypriotes aux nouveaux maîtres des côtes syra-palestiniennes où s'égrenaient les centres de transit qui assuraient la prospérité de l'île. Le geste a pu s'accompagner de· l'arrivée de quelques représentants du pouvoir
l. Cf. supra, p. 193-203, 210-214 et infra, p. 435-440 et 524-534. 2. Cf. infra, p. 431-454.
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L'époque archaïque
assyrien chargés d'accompagner l'envoi de tributs annuels 1• Dès lors que cette maîtrise eut donné des signes de relâchement, il est fort probable que les liens avec les Assyriens se distendirent. Quant à la domination égyptienne, elle paraît assez étroitement liée aux activités des flottes saïtes le long du littoral syra-palestinien (alors occupé par les Babyloniens arrêtés aux portes de l'Égypte) et ne semble pas avoir davantage entraîné de modification dans l'organisation politique de l'île. Quant à l'art chypriote, qu'il s'agisse d'architecture, de sculpture ou de céramique, la densité des échanges chypro-phéniciens dans le Proche-Orient était telle, depuis la fm du IX' siècle au moins, qu'il serait risqué de lier trop précisément l'un ou l'autre trait nouveau avec ces «conquêtes». L'élément original dans ces échanges fut sans doute plutôt une pénétration grecque désormais étendue (à la Syra-Palestine côtière et) à l'Égypte saïte et plus particulièrement la fondation de Naucratis 2 dans le troisième quart du VII' siècle. Ainsi s'explique sans doute d'ailleurs la diffusion de la sculpture chypriote à l'Ouest de Chypre (Rhodes et l'Ionie dont surtout l' Héraion de Samos). Une autre conséquence de cette irruption massive de Grecs à l'Est de Chypre (Syra-Palestine et Égypte) à partir du milieu du VII' siècle fut sans doute une confirmation, si besoin était, de l'ancrage hellénique de Chypre, ravivant même - pourquoi pas ? - son lointain héritage mycénien, encourageant certains Chypriotes hellénophones à honorer de leurs dons des sanctuaires de Grèce 3 • On résistera cependant résolument à aller jusqu'à parler, pour les Chypriotes contemporains de la possible visite de Solon à Philokypros d'Aipeia (Soloi) ou même encore des deux générations suivantes, de « conscience hellénique», tout comme d'ailleurs on évitera soigneusement de parler d'antagonisme ethnique avec les Phéniciens 4 • Assez vite, les Égyptiens durent passer la main aux Perses de Cyrus, peut-être dès avant la chute de Babylone (c.538), ou même déjà dès c.545 (conquête de la Cari~), de toute façon au plus tard peu avant c.525, lorsque Cambyse annexa l'Egypte avec l'aide des Chypriotes (Hér. Ill 19,3). La prise de contrôle ne paraît pas s'être opérée autrement que dans le cas des Assyriens (tributs, aides militaires), ce qui explique les prétentions politiques (monnaies, rapports avec Cyrène) que peut encore afficher le roi chypriote Évelthôn (Euelthôn) de Salamine à la fin du w siècle. li convient cependant 1. Un mode de contrôle , qui n'est pas sans annoncer celui que les Assyriens imposèrent par la suite à l'Égypte et qui déboucha sur la réunification saïte (cf. supra, p. 301-302). 2. Où s'installèrent aussi des Chypriotes (statues du sanctuaire d'Aphrodite) ; cf. supra, p. 304-305. 3. Cf. supra, p. 138-146. 4. Même pour le v siècle, ces notions devraient être maniées avec une grande prudence et en gardant clairement à l'esprit ce qui revient à la propagande politique de l'Athènes impérialiste née de la victoire de Salamine sur une flotte composée, pour une large part, de vaisseaux chypro-phéniciens. Cf. aussi supra, p. 248-269.
lA colonisation, seconde phase
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de ne pas se laisser trop abuser par le rôle très modeste que jouèrent - à l'inverse du « courant ionien » 1 - les Perses dans l'histoire culturelle de Chypre et de ne pas sous-estimer leur emprise, surtout après les réformes administratives de Darius rer : les troubles qui secouèrent l'île pendant la révolte d'Ionie avaient pour origine des querelles dynastiques et quelques années plus tard, dans la baie de Salamine, les navires chypriotes combattirent du côté perse.
A L'OUEST 2
La Grèce du Nord-Ouest et l'Adriatique
li ne semble pas que la moitié Nord de l'Adriatique ait jamais figuré parmi les secteurs qui motivèrent vraiment les activités coloniales grecques. Sur la rive italienne, on relèvera cependant les établissements de Spina et Adria, aux deux extrémités du Delta du Pô. Là, des Grecs (dont on ne peut préciser au juste l'origine géographique) et des Étrusques cohabitèrent et procédèrent à des échanges fructueux, sans doute entre c.625 et le cours du IV' siècle, moment où ces derniers s'effacèrent. Plus au Sud, les Cnidiens semblent avoir installé un groupe des leurs au large de la côte dalmate, à Korcula ~a Corcyre Mélaina, «Noire»), sans que l'on puisse être certain pour autant que la date de fondation soit à établir par rapport au règne de Périandre à Corinthe (c.627-c.585) 3, ni que l'on puisse estimer qu'on ait là un point d'appui majeur. En fait, _pour l'essentiel, il semble que les choses se jouèrent sur les côtes d'illyrie, d'Epire et d'Acarnanie 4 et que les principaux acteurs furent Corinthe et sa fondation à Corcyre 5 • Le plus clair de l'activité coloniale de ces deux Cités s'opéra en collaboration, sous Cypsélos et Périandre de Corinthe : sous la tyrannie du premier, les Corinthiens installèrent des postes dont ils conservèrent la gestion (tyrannie) à Leucade, Ambracie et Anaktorion, prenant ainsi le contrôle, sans doute par la force, du golfe d'Arta qu'occupaient des populations politiquement peu structurées et perçues comme 1. Dans le dernier tiers du vr siècle, l'art grec et les productions grecques ont connu un succès croissant dans l'île au détriment des séries chypriotes, mais cet engouement montra des prolongements remarquables dans le monde phénicien de Syra-Palestine. 2. Cf. Heurgon, p. 155 sqq. 3. Cf. infra, p. 484-486. 4. Cf. supra, p. 214-216. 5. Des Corinthiens, sous la direction de Chersicratès, avaient chassé de cet endroit, sans doute dès le VIII" siècle, une colonie érétrienne.
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L'époque archaïque
«barbares))' même si elles étaient en fait apparentées aux Grecs. Épidamne, de son côté, en plein territoire illyrien ~a future Dyrrhachion et mad. Durrës 1), est qualifiée de colonie de Corcyre (c.627), mais elle fut l'objet d'un litige entre Corcyre et Corinthe, ce qui paraît indiquer que, dans ce cas encore, la fondation n'était pas vraiment libre de ses mouvements 2• Enfm, vers 600, Apollonia d'illyrie fut établie, conjointement semble-t-il, par Corcyre et Corinthe. En dépit du silence des sources antiques, des théories modernes privilégient l'idée selon laquelle la Corinthe des tyrans visait à contrôler par de telles fondations la route de l'argent venant d'illyrie. En tout cas, des indices encouragent à postuler des échanges avec les populations locales, portant tout autant sur du bois de construction, du cuivre, des peaux, des céréales, etc.
L'Afrique du Nord et l'« Extrême-Occident H
En ce qui concerne le continent africain, l'intérêt des Grecs s'est manifesté d'abord pour l'Égypte, puis pour l'actuelle côte libyenne (Cyrénaïque), donc deux secteurs de Méditerranée orientale 3, mais rien n'indique qu'ils aient pu s'implanter à l'Ouest de Euhespérides, à la limite orientale du golfe de la Grande Syrte. Là devait commencer un domaine punique sans doute déjà solidement établi lorsque les premiers Grecs s'y présentèrent 4• Cela ne veut cependant pas dire que des Grecs ne s'installèrent pas dans un centre tel que celui de la Carthage des Phéniciens - archéologie et textes invitent à accréditer l'idée d'une cohabitation de Grecs et de Phéniciens et l' émergence d'une culture hellénique bien vivante. Simplement, les Grecs furent accueillis là en étrangers. C'est donc sur les rives Nord de la Méditerranée (France et péninsule ibérique) que des Grecs ont cherché des points de chute permettant aux nouveaux installés de prendre en charge leur avenir. Si on laisse de côté le dépassement des Colonnes d'Héraclès (Gibraltar) par le Samien Côlaios (Hér. IV 152), vers 638, il semble bien que les entreprises marquantes soient à porter au crédit des Ioniens de Phocée, que motivaient surtout des considérations commerciales (essentiellement argent et peut-être bronze), échos de celles qui poussaient ces autres Grecs de l'Est qu'étaient les Milésiens vers !. Sis à la hauteur de Tirana, à l'extrémité occidentale de la future via Egnatia qui permettait de rejoindre le Bosphore en gagnant la côte thrace, l'établissement contrôlait la principale plaine côtière d'Albanie centrale. 2. C( supra, p. 269-286. 3. C( supra, p. 121-122, 296 et 302-307. 4. Cf. supra, p. 248-269.
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la mer Noire. Les Phocéens étaient connus pour leurs expéditions au long cours, effectuées sur des bateaux de guerre rapides (pentécontères) vers le «Far West» européen (cf. Hér. I 163), une pratique qui pourrait faire songer à des entreprises ayant l'aval de la Cité dans des eaux à risques. Là, ces marins audacieux auraient découvert et fréquenté assidûment Tartessos, le royaume encore insaisissable du souverain Arganthonios, un domaine souvent localisé dans l'actuelle Andalousie et dont la figure légendaire est liée dès Anacréon à celle du non moins fameux Chypriote Kinyras. Sur la base de sources tardives et incertaines WOra Maritima d'Aviénus), on a cherché - longtemps et jusqu'à présent en vain - les installations phocéennes anciennes d'Héméroskopion (extrémité Sud du golfe de Valence?) et de Mainakè (à l'Est de Malaga?), mais, comme fondations coloniales archaïques, seuls sont assurés, plus à l'Est, les établissements d'Emporion (mod. Ampurias), dans le golfe de Rosas en Catalogne, et de Massalia (mod. Marseille), sur les marges orientales des bouches du Rhône, dans le golfe du Lion. Le mouvement colonial des Phocéens en Occident ne soutient pas la comparaison avec celui des Milésiens vers le Nord-Est et le Sud-Est, une observation qu'on explique souvent par l'agissante présence carthaginoise. L'établissement massaliote était doté d'une plaine réduite et médiocre, mais il profitait d'un goulot bien à l'abri (Lacydon, site du« Vieux Port»), un choix qui trahit les priorités maritimes et commerciales retenues par les colons lors de l'implantation. La date des premières installations doit remonter aux environs de 600 déjà, même si la prise de Phocée par les Perses (c.540) put entraîner un renforcement sensible de la colonie. Dès le milieu du VI' siècle (période de Hallstatt), nombre des oppida de Gaule méridionale et orientale (mais aussi du Nord-Ouest de la Suisse et de l'Allemagne du Sud-Ouest) renferment de la céramique grecque (amphores à vin et vaisselle à boire), souvent produite à Marseille, ainsi que divers objets de qualité produits dans les ateliers de la « vieille Grèce », dont le cratère monumental, en bronze, trouvé en 1953, dans un tumulus princier à Vix (oppidum du M'Lassaix, près de Châtillon-sur-Seine) 1• L'ensemble de ces importations atteste l'existence de vigoureux courants commerciaux grecs vers le Nord, des offres auxquelles devaient répondre les populations locales en fournissant on ne sait quoi au juste, car l'hypothèse récurrente d'une «route de l'étain>> (un métal également disponible à Tartessos) venant des Cornouailles rend difficilement compte, à elle seule, de la remarquable dispersion des importations grecques 2• 1. Cf. supra, p. 193-203. 2. Au terme du vr siècle, cette phase de prospérité mutuelle paraît bien avoir marqué le pas, sans que l'on saisisse vraiment les raisons de ce déclin.
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L'époque archaïque
On distinguera cependant, aussi soigneusement que possible, cette période d'intenses activités d'échange des époques classique et hellénistique, qui virent s'opérer une certaine hellénisation de la Gaule et l'installation de colonies secondaires de Marseille en divers points du littoral : seule la création d'Agathè (mod. Agde, près de Béziers) appartient au vr siècle. Quant aux importations grecques antérieures à l'arrivée des Phocéens (deuxième moitié du vrr· siècle), il semble préférable d'en attribuer la diffusion aux activités étrusques (épave du Cap d'Antibes, c.570/560) plutôt qu'à d'hypothétiques activités « pré-coloniales » phocéennes. L'autre fondation remarquable est celle d'Ampurias (gr. Emporion), à l'extrémité orientale des Pyrénées, un établissement à propos duquel l'archéologie est la seule à livrer quelques informations permettant de placer ses débuts (sur l'îlot, face au futur port) très peu après c.600. L'intérêt de l'agglomération- au nom on ne peut plus explicite- s'impose à la lecture de Strabon et Tite-Live (inspirés par Caton l'Ancien), qui racontent (sans cependant les dater) les liens singuliers qui se nouèrent là entre Grecs et indigènes ~es Indikètes). A ces deux points d'appui des Phocéens en Occident, on doit ajouter celui d'Alalia (mod. Aléria), qu'ils durent installer vers 565 (Hér. 1 165), sur la façade orientale de la Corse, en vis-à-vis du domaine étrusque - Tarquinia (port de Gravisca et son sanctuaire grec d'Héra) en particulier. Les réfugiés phocéens conduits par Créontiadès (c.545) vinrent renforcer la colonie, mais il s'ensuivit des prolongements dramatiques : il apparaît que leurs actes de piraterie, commis dans un secteur économiquement sensible de la Méditerranée occidentale, ont conduit à une réaction étrusco-carthaginoise (sans doute plusieurs accrochages avant la bataille d'Alalia, c.540). La défaite des Phocéens (victoire « cadméenne ))) entraîna leur retrait de Corse pour Rhégion d'abord, Élée (Vélia) ensuite, au Sud de Poseidônia (mod. Paestum), où leur choix se porta sur un site escarpé en bord de mer, dépourvu de chôra, qui devint bientôt le siège d'une célèbre école philosophique (ainsi Zénon d'Elée). La Sicile et l'Italie du Sud
Même si, sur base de la fondation de Sélinonte dès c.628, on défend parfois l'idée d'un contrôle déjà très antérieur du secteur de la future Agrigente (gr. Acragas) par Géla, en fait, il semble bien qu'il faille attendre c.580 pour que soit fondée cette communauté qui s'imposa bientôt comme une des plus puissantes Cités de Sicile. Le cadre retenu était à quelque 60 km à l'Ouest de sa métropole, sur un emplacement de choix, disposant d'une acropole s'élevant à 3 km du rivage. ll revint aux colons originaires de Géla
La colonisation, seconde phase
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(et sans doute aussi de Rhodes) d'imposer leur prise de possession aux indigènes bien présents dans le secteur (établissement fortifié de S. Angelo Muxano), un obstacle sérieux, qui suffit peut-être à rendre compte de sa fondation plus «tardive».
LES RELATIONS GRÉCO-PHÉNICIENNES EN OCCIDENT
En Occident - et singulièrement en Sicile, même si la chronologie de leurs implantations respectives pose toujours de sérieux problèmes (fhuc. VI 2, 6) 1, à l'époque archaïque, communautés grecques et phénico-puniques n'étaient parfois guère distantes les unes des autres, surtout dans la partie occidentale de l'île. La nature de leurs relations a fàit l'objet, depuis le XIX' siècle, de polémiques très vives, peu avares en vieux clichés marqués au coin de divers préjugés, tel celui, fortement teinté d'hégélianisme, voulant que l'antagonisme gréco-phénicien ait été aussi éternel qu'inévitable parce qu'annonciateur de la rencontre - décisive pour l'histoire de l'humanité - de l'hellénisme et du judaïsme, «les deux agents de cette synthèse qu'est la civilisation chrétienne » 2• Pareille reconstruction historique se révèle depuis un certain temps déjà sans grand rapport avec les quelques rares informations tant littéraires qu'archéologiques disponibles, surtout en ce qui regarde la période considérée ici, à savoir celle antérieure aux guerres médiques. En résumé, en dehors de la Carthage d'Mrique et d'établissements (le plus souvent évanescents encore pour les siècles préclassiques) tels que ceux de Gadès-Cadix pour la péninsule ibérique, Ibiza pour les Baléares, Tharros et Sulcis pour la Sardaigne, etc., la présence phénicienne 3 était surtout perceptible dans l'extrémité occidentale de la Sicile, par ailleurs domaine des Élymes : Motyé à l'Ouest et, au Nord-Ouest, la Solonte archaïque du cap Solanto (près du cap Zafferano) et Panormos (mod. Palerme), au lieu-dit Paleapoli entre les anciens cours du Kemonia et du Papireto, au fond d'un large golfe aux rives fertiles (la «Conca d'Oro»). Ce secteur de la Sicile qui livre également pas mal de petits hameaux phénico-puniques dont on ignore le nom antique ainsi que des établissements indigènes « punicisés » 1. C( supra, p. 269-286. 2. Pour la mise à l'honneur de telles thèses par J.G. Droysen, cf. Cl. Préaux, 1, p. 6-9. 3. Cf. supra, p. 248-269. Pour l'essentiel, cette question, très complexe, tombe en dehors du cadre fixé pour le présent volume (cf. surtout Heurgon, p. 120-191) et elle ne fera donc ici l'objet que de quelques remarques ponctuelles.
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L'époque archaïque
(tel surtout Éryx) - était aussi géographiquement le plus proche de la Carthage d'Afrique (guère plus de 150 km) qui, pour sa part, paraît avoir connu un développement soutenu dès la fm du VIT' siècle et tout au long du VI'. Motyé est un îlot circulaire, d'une superficie proche de celle de Délos, dans une lagune (Stagnone de Marsala), juste à 8 km au Nord-Ouest de la future Lilybée (Marsala) que les Motyéens fondèrent en 397, après la destruction de leur établissement. A en croire l'abondante céramique grecque recueillie là, son occupation permanente doit remonter à la fin du VIII' siècle (c.720), et l'absence, dans les premiers temps, d'un système défensif laisse préjuger de bonnes relations avec les populations élymes installées dans la Sicile occidentale, dont l'établissement devait forcément dépendre pour subvenir à ses besoins. En fait, tout semble indiquer que Motyé ne se distinguait guère d'autres implantations commerciales phénico-puniques similaires découvertes le long des côtes Sud de l'Espagne (foscanos, etc.). Ici aussi, comme à Pithécusses, Rhodes, Chypre ou en certains points de la côte syra-palestinienne 1, l'archéologie milite en faveur de relations très étroites entre Grecs et Phéniciens/Carthaginois, des fréquentations nourries de multiples échanges de biens et d'idées, induisant, à date ancienne déjà, dans plus d'un cas, une véritable cohabitation (au départ saisonnière, car liée à la navigation?). Un tel mode de vie n'exclut certainement pas qu'aient pu éclater ponctuellement de graves différends, mais rien ne permet d'affirmer que les lignes de fracture qui se faisaient jour en pareilles circonstances recouvraient nécessairement toujours celles des ethnies. Et l'origine grecque du toponyme « Panormos » pourrait être un autre indice en faveur de cette hypothèse de relations à l'accoutumée plutôt cordiales, liées à l'exercice d'activités qu'on verrait plutôt autant complémentaires que concurrentielles. De ce point de vue, on aimerait en savoir davantage sur la place - peut-être non négligeable - de la langue grecque dans ces établissements au statut difficile à cerner, surtout à partir du moment où il semble qu'il faille créditer Carthage d'activités coloniales. Sans entrer dans cette problématique vraiment propre à la Méditerranée occidentale, on notera simplement que, pour désigner ces installations phéniciennes nouvelles, la recherche est parfois tentée d'utiliser les termes grecs d' enoikismos ou d' emporion. Sans doute les règles qui présidaient à leurs destinées n'étaient-elles guère comparables- en dehors peutêtre de la Carthage d'Afrique - à celles dont s'étaient dotées les Cités grecques nouvellement fondées (apoikiai). C'est peut-être d'abord la rapide croissance de ces centres- qu'on pressent «mixtes», phénico-grecs, à commencer par celui, à participation
1. Cf.
supra, p.
248-269.
la colonisation, seconde phase
315
eubéenne, de Pithécusses 1 - qui a attiré des colons grecs à Sélinonte (venus de Mégara Hyblrea) et Himère, dans la seconde moitié du VII' siècle, mais l'intérêt de certains Grecs pour l'« Extrême-Occident», incontestable (ainsi Stésichore chantant les exploits d'Héraclès en Occident) 2, n'a pas forcément débouché, très tôt dans l'époque archaïque, sur des tentatives grecques d'endiguer les activités commerciales des Phéniciens dans cet immense domaine ou de les supplanter sur les voies commerciales reliant la Sicile occidentale à la péninsule ibérique riche de ses dépôts argentifères (dont l'exploitation semble remonter au milieu du VIT' siècle). Ainsi notamment faudrait-il sans doute évaluer à la baisse la crédibilité historique à reconnaître à l'épisode du mystérieux Cnidien Pentathlos cherchant en vain à établir une colonie rhodo-cnidienne à Lilybée, avant de se risquer à rapprocher cette « geste >> d'un Héraclide dont Hérodote ne souille mot 3 de la mise en place de la première enceinte de Motyé vers 580. Et la suite qu'il est donné d'entendre des aventures du même Pentathlos dans les îles Éoliennes (Lipari), l'installation des rescapés sur la plus étendue (Lipara) et le mode singulier d'exploitation de ces îles qui fut mis en place engagent tout autant à la prudence quant au possible fonds historique que ces récits charrieraient. Tout au plus l'archéologie permet-elle d'affirmer que ces îles furent réoccupées vers 57 5, après plusieurs siècles de très probable abandon. Quant à Dorieus, le concurrent malchanceux de Cléomène, roi de Sparte, et à ses diverses aventures, leur historicité reste, comme dans le cas de Pentathlos, très difficile à circonscrire même si, dans son cas, on dispose de renseignements moins tardifs grâce à Hérodote (Hér. V 41-48, VIT 158 et 205, IX 10). ll n'est donc pas moins délicat de recourir à cette figure pour apprécier les relations gréco-phéniciennes en Sicile occidentale dans la seconde moitié du VI' siècle (épisode- contesté par les Crotoniates- de sa participation décisive à la prise de Sybaris par Crotone, c.51 0). Se réclamant lui aussi d'Héraclès, il aurait cherché avec ses compagnons à prendre pied au cap Drépanon (mod. Trapani), tout proche du mont Éryx au pied duquel étaient installés des Phéniciens. Son échec lui aurait été fatal, et Euryléôn, le seul survivant de l'affrontement avec des Phéniciens et des gens de Ségeste Oocalité située une vingtaine de kilomètres plus à l'intérieur), se serait alors emparé d'une fondation de Sélinonte à mi-chemin entre Sélinonte et Agrigente (Héracléa-)Minoa, dont il serait d'ailleurs devenu aussi un bref moment le maître. Pour l'essentiel, il semble donc que rien ne permette de conserver les 1. Cf. infra, p. 381-387. 2. Cf. infra, p. 440-453. 3. Les origines du récit sont très obscures : à travers Diodore (Diod. V 9,2-3) et Pausanias (Paus. X 11,3), on ne peut remonter que jusqu'à Timée et Antiochos de Syracuse.
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anciennes affirmations encore souvent reproduites voulant que se soit développé en Méditerranée occidentale, au cours de l'époque archaïque (VII' et surtout VI' siècle), un climat général fait de violences, dominé par des heurts de plus en plus fréquents entre Grecs et Phéniciens (ou plutôt entre Grecs et Carthaginois). Et rien ne permet de souscrire aux thèses qui estiment que cette ambiance de guerre endémique fmit par culminer dans une rencontre militaire telle que la «célèbre» bataille d'Alalia (mod. Aléria, côte occidentale de la Corse), peu après le milieu du VI' siècle, qui opposa aux Grecs qui auraient eu le dessous des Carthaginois (désormais plus vindicatifs sous les « Magonides » ?) et des Étrusques (Hér. I 165-166) 1• Si, sans doute, les chocs furent plus fréquents à mesure que le temps passait, c'est que les acteurs se faisaient eux aussi plus nombreux (il conviendrait d'ailleurs de ne pas négliger les populations locales), multipliant d'autant leurs activités de négoce. C'est en quelque sorte là d'abord et avant tout une bonne illustration de ce qu'il convient d'imaginer lorsqu'est invoquée une « accélération de l'histoire». Et c'est dans cette même perspective d'un choc circonstanciel «rattrapé par l'histoire » qu'il convient sans doute encore de considérer la bataille d'Himère (c.480), même si la pensée politique grecque antique en fit si grand cas par la suite 2 • En tout cas, à ce jour, il n'est guère d'arguments solides - sinon les images empruntées sans bonnes raisons aux pratiques coloniales des XVII'-XIX' siècles - qui permettent de vraiment créditer les thèses parfois avancées voulant qu'après les chocs d'Alalia et d'Himère, il y ait eu en Occident des altérations substantielles dans les domaines réservés de chacun des protagonistes. En fait, la documentation n'invite guère à conclure à l'existence de« chasses gardées» avant l'époque classique (IV' siècle), pas plus du reste qu'elle ne conforte l'hypothèse d'une émergence d'un «empire des mers» carthaginois dès le VI' siècle.
DÉVELOPPEMENT DES PRINCIPALES CITÉS COLONIALES D'OCCIDENT
Les quelques informations réunies ici 3 portent sur la Grèce d'Occident, née du phénomène colonial qui a fait l'objet de la section précédente et du deuxième point de la présente partie 4 • Ces pages sont donc à considérer comme une annexe à la présentation de la Grèce région par région, pour 1. Cf. supra, p. 310-312. 2. Cf. infra, p. 499-500. 3. Pour l'essentiel, on se reportera bien sûr à Heurgon, p. 168-191 et 371-378. 4. Cf. supra, p. 286-291 et 309-3!3.
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la période allant des derniers temps de l'époque géométrique aux guerres médiques, un inventaire qui s'était limité à la seule Grèce traditionnelle, celle d'avant le grand mouvement colonial 1• Elles contraignent à rappeler combien profonde est l'obscurité qui entoure «l'histoire ancienne» de ces Cités en dehors des récits plus ou moins élaborés - et suspects à bien des égards - relatifs à leurs origines, auxquels s'ajoutent des dates de fondation fournies par divers travaux érudits antiques, parfois très tardifs et dont on ne peut le plus souvent ni reconstituer la démarche (généralement comput par générations d'une durée fixée ensuite arbitrairement à 35 ans ?) ni détecter la source d'information 2 • • On considérera d'abord la SICILE où, parmi les belles réussites coloniales, Syracuse est assurément celle qui se laisse le moins difficilement cerner par les apports conjugués des textes et de l'archéologie 3• L'abandon des établissements sikèles voisins (Pantalica, Finocchito) dans le dernier quart du vnr siècle et une occupation de la plaine limitée à quelques rares villages militeraient en faveur d'une solide prise de possession de tout ce secteur du pays par les colons fondateurs résidant en ville et dont l'aristocratie se donna justement le nom de Gamoroi (Hér. VII 155,2). Vers le milieu du VII' siècle, Syracuse fonda dans l'arrière-pays sikèle -pour assurément en garder le contrôle -deux colonies «militaires» dans la vallée de l'Anapo, c.50 km en amont : Akres (mod. Palazzolo Acreide) et Kasménè (mod. Monte Casale). Une troisième colonie fut fondée, aux alentours de 600, sur la côte Sud, sur un site possédant divers attraits et pourtant, semble-t-il, encore vierge de toute occupation, entre les fleuves Hipparis et Oanis, à Camarina, c.ll 0 km au Sud-Ouest de sa métropole. Là encore, il semble bien qu'il n'était pas prévu que la colonie devienne maîtresse de ses destinées, le but qui lui était assigné étant de permettre aux Syracusains de contrôler l'ensemble du Sud-Est sicilien - anciennes possessions sikèles, soit sans doute près de 4000 km2• Mais tel ne paraît pas avoir été le cours des événements, les Camarinéens faisant vite (dès c.570) cavaliers seuls et vivant en très bonne entente (voire contractant alliance ?) avec les Sikèles des environs - dont ceux de Raguse ~'anc. Hybla Herrea ?). Ces velléités d'indépendance conduisirent Syracuse à faire la guerre à sa colonie qu'elle refonda (milieu du VI' siècle), en la contrôlant cette fois plus étroitement si l'on songe qu'elle fut encore à même de la céder au début du V' siècle à Hippocrate de Géla, une Cité dont on ne connaît rien de l'histoire antérieure en dehors d'une guerre civile 1. Cf. supra, p. 193-247 et 250-257. 2. 3.
Cf. supra, p. Cf. supra, p.
274-279. 286-291 et 312-313.
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L'époque archaïque
impliquant un certain Tèlinès présenté comme un ancêtre de Gélon (Hér. VII 153-154). Pour l'essentiel, l'information relative à cette dernière est donc de nature archéologique et son histoire politique est dès lors impossible à reconstituer. Tout au plus est-on enclin à croire qu'elle ne fut pas toujours pacifique, que la Cité établit plusieurs points de fiXation sur la côte dès la fm du VIT' siècle, et qu'au cours du siècle suivant elle s'efforça d'étendre son territoire dans l'arrière-pays montagneux. Comme presque toujours en l'absence de témoignages écrits, les progrès enregistrés, plus au Nord, par les fondations chalcidiennes de Naxos et Léontinoi sont tout aussi délicats à saisir sur la seule base des données fournies par l'archéologie, quand bien même ces dernières sont nombreuses (provenant surtout des nécropoles) pour l'arrière-pays de ces deux communautés coloniales. Des interprétations contradictoires ont été proposées, partant entre autres du fait qu'à l'époque classique Naxos posséda des alliés sikèles tandis que Syracuse aligna des Sikèles assujettis. En fait, dans certains cas, on semble en droit de postuler des établissements réunissant, côte à côte, Grecs et Sikèles (Grammichele, Morgantina) 1, mais il serait hasardeux d'en dire beaucoup plus sur les dialogues qui ont dû s'établir, sinon que l'occupation sikèle -qui se poursuivit après l'arrivée des Grecs- milite en faveur de relations, sinon pacifiques, en tout cas «équilibrées» à partir du VIT' siècle 2, d'autant que les établissements grecs formaient une sorte de chapelet autour de ce qui s'était transformé en réduit sikèle. Ainsi en fut-il de la localité de Licodia, dans les monts Hénea, sur un important nœud de communications, ou, non loin de là, du site fortifié de Monte Casasia, qui a livré des inscriptions sikèles en alphabet grec dès le milieu du VI' siècle. ll apparaît de même que les grandes places sikèles de Centuripe et Mendolito, au Nord-Ouest de Catane, ont dû conserver aussi leur autonomie tout en s'ouvrant à l'hellénisme : là aussi, des inscriptions sikèles en alphabet grec se multiplient au VI' siècle, à la suite d'importations de céramiques grecques débutant dès le VII' siècle. C'est un climat de guerre qui, au contraire, paraît avoir entouré les débuts d'Acragas/Agrigente dans ses relations avec les populations de l'intérieur, tandis qu'à l'Ouest toute extension lui était interdite par les Sélinontins qui parvinrent même - les modalités restent floues - à établir, vers 550, une colonie (Minoa) à l'embouchure du Platani 3• 1. Pour des habitats réunissant Grecs et Phénico-puniques, cf. supra, p. 248-269. 2. Plusieurs exemples antiques montrent en effet qu'un climat hostile entre deux régions n'a jamais empêché la poursuite des échanges entre elles. 3. Cf. aussi supra, p. 315-316.
La colonisation, seconde phase
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Les bons rapports qu'entretinrent initialement les Sélinontins avec les établissements élymes - dont celui de Ségeste - ont pu favoriser une pénétration grecque vers l'intérieur de l'île, dont on trouve de nombreux échos tant dans l'hellénisation de la culture matérielle indigène que dans divers récits grecs traditionnels. C'est donc dans ce contexte d'entente plutôt cordiale qu'il convient de considérer- avec prudence- l'épisode de la participation de Sélinonte vers 580 à cette fondation avortée attribuée à Pentathlos sur le site de la future Lilybée (Marsala), en plein secteur traditionnel des Élymes et des Phéniciens 1• Avant de quitter la Sicile, on notera qu'on ne peut que constater l'absence d'informations relatives à Himère (fondée vers le milieu du Vll' siècle, à l'initiative de Zancle, selon Thuc. VI 5). Cité voisine des centres phéniciens de Solonte et Panormos, elle entra avec fracas dans l'histoire en c.480 (Hér. VII 165) par le biais d'une bataille qui se déroula à ses portes et qui dura « de l'aurore à la fm du jour>>. Cela dit, pour l'Occident à l'époque archaïque, l'historien est vite arrêté par une pauvreté documentaire extrême, qui n'épargne pas même la puissante Syracuse. C'est, par exemple, seulement à l'occasion de la fondation d'Himère, au milieu du Vll' siècle, par trois figures de Zancle à la tête d'un fort contingent chalcidien, qu'on apprend que Syracuse était alors en proie à une guerre civile et que la faction des perdants Oes Mylètides) fournit aussi un contingent de colons doriens à la nouvelle fondation (Thuc. VI 5, 1). • En passant en GRANDE GRÈCE (Italie méridionale), on soulignera de nouveau 2 la pauvreté plus grande encore qui caractérise les données disponibles sur les aléas que connurent, par force, les différentes fondations grecques installées là. Le peu qu'il est donné d'entendre indique que là aussi les nouvelles installations doivent avoir connu des sorts très variés. Tarente, Rhégion et Élée (Vélia) ne semblent guère avoir débordé de leur domaine initial respectif. Par contre, il est sans doute permis de créditer Kymè, vers 650, de la fondation d'un premier établissement dont on ignore le nom là où s'éleva ensuite Naples (Néapolis) et, plus tard, d'un autre, Dica:archia Oa future Puteoli, mod. Pouzzoles) où vinrent se réfugier des Samiens victimes de la tyrannie (c.531). On n'en sait guère plus sur Crotone, sinon qu'elle paraît avoir été, au cours de l'époque archaïque, en mesure de fonder Témésa et Térina, sur le versant tyrrhénien et, dans la seconde moitié du Vll' siècle, Caulônia (Punta di Stilo), quelque 40 km au Nord de la Locres Épizéphyrienne, toutes 1. Cf. 2. Cf.
supra, p. supra, p.
290-291. 286-291.
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L'époque archaïque
colonies au statut inconnu, ce qui rend difficile l'évaluation des débuts de l'expansionnisme crotoniate. De son côté, Locres fonda une colonie agricole à Hippônion, vers 650, quelque 40 km au Sud de Térina et une autre, guère plus tard, à Medma (mod. Mesima). L'une et l'autre paraissent être restées, au cours de l'époque archaïque, des alliées fidèles de leur métropole. Quant à Métauros, un peu plus au Sud (une des patries données par la tradition à Stésichore), il est difficile de décider s'il s'agit d'une fondation de Locres, vers 550, ou, ce qui paraît plus vraisemblable, d'une initiative de Zancle dès c.650. Sybaris, d'emblée solidement implantée par des colons achéens (y compris à Francavilla Marittima et Amendolara), paraît bien avoir connu une belle expansion, mais l'affirmation isolée (Strab. VI 263) selon laquelle les Sybarites présidaient aux destinées de 25 cités ne suffit pas pour reconstituer leur histoire. On estime en général que leurs colonies de Laos et Pyxos, fondées sur la rive tyrrhénienne, étaient du nombre. Mais la plus grande réussite coloniale de Sybaris fut bientôt l'imposant établissement créé au Nord d'Élée, dans l'actuelle baie de Salerne, Poseidônia Oat. Paestum), en un endroit sans défense naturelle (à partir d'un premier pied-à-terre à Agropoli ?). Cette création- que la tradition laisse sans date (dernier quart du VII' siècle?)- était, semble-t-il, davantage tournée vers l'agriculture que vers les activités maritimes et devait jouir d'une réelle autonomie vis-à-vis de sa métropole, dont elle recueillit néanmoins les rescapés (on a parlé de synœcisme), lors de sa chute face aux Crotoniates en c.510 av.J.-C. La prospérité et la puissance de Sybaris sont des réalités historiques qui paraissent indubitables encore que largement inexpliquées en raison d'abord du vide documentaire. Au mieux peut-on poser que la Cité - dont les Milésiens pleurèrent la disparition (cf. Hér. VI 21)- semblait en tout cas avoir établi de bonnes relations avec les populations indigènes (Sala Consilina, dans le Vallo di Diano), à moins qu'elle n'ait tout bonnement réussi à les soumettre. Les informations relatives à Siris et Métaponte, plus au Nord, sont uniquement d'ordre archéologique mais souvent récentes et de qualité. De Siris, il a déjà été question 1 à propos de son identification difficile ainsi que de son insertion apparemment très réussie (nécropole mixte du début du VII' siècle à Policoro) au sein de populations locales avec lesquelles s'établirent des échanges suivis avant son absorption (?) par Métaponte. Quant à cette dernière, célèbre pour son terroir agricole, il semble que l'on ait pu en repérer, entre le Bradano et le Basento et encore plus au Sud de ce dernier, matérialisés par des fossés, les restes d'une division cadastrale du territoire et de fermes remontant non au début de la colonie mais au !. Cf.
supra, p.
290-291.
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milieu du VI' siècle. D'une façon générale, c'est la Cité coloniale agricole grecque de l'époque archaïque dont on devine le mieux l'organisation du terroir. Remontant le long des vallées, des Métapontins paraissent s'être enfoncés et installés à l'intérieur des terres jusqu'aux environs de Potenza (Serre di Vaglio), assurant par la même occasion la diffusion de diverses productions et traditions grecques. On admettra pour terminer, au vu d'une information trop souvent plus que parcellaire, qu'il serait fort hasardeux de mettre en évidence autre chose que quelques usages très généraux - et donc sans grand intérêt - dans la démarche coloniale grecque en Grande Grèce et en Sicile. Pour ne pas esquiver un vieux débat, on dira que ce qui paraît déterminer le mode d'appropriation du sol par ces groupes de Grecs venus de l'Est n'est pas tant la Cité d'origine de ces colons ou leur appartenance à la sphère dorienne ou ionienne que le cadre géographique et humain dans lequel ils décident de s'implanter, un cadre dont ils ne devaient pas toujours avoir une perception exacte dès le départ. Pour le reste, la seule observation qui paraisse se vérifier pour la majorité des nouveaux établissements, c'est la croissance soutenue qu'ils connurent à travers l'exploitation de leur terroir agricole et la grande prospérité dont ils purent assez rapidement faire preuve, Sybaris devenant très vite l'exemple proverbial du luxe auquel était parvenue une communauté grecque à l'époque archaïque. Ce développement vigoureux dut s'accompagner d'échanges maritimes suivis et entraîner, d'une part, la multiplication en Occident d'ateliers produisant des biens divers et, d'autre part, l'importation parfois depuis des régions lointaines de produits variés (par exemple, les tissus de Milet à Sybaris). Malgré le grand nombre des témoignages en faveur d'un virage net dans la direction d'une culture matérielle raffinée, il reste cependant délicat de se prononcer sur la question de savoir si ces Grecs de l'Ouest ont droit au titre de précurseurs dans quelque domaine que ce soit de la culture hellénique 1• Cette bonne santé économique se manifesta en particulier à travers le monnayage archaïque qu'émirent plusieurs de ces grandes Cités d'Occident (telles Sybaris et Métaponte) 2 ou dans la multiplication des victoires remportées à Olympie dès les décennies qui précédèrent les guerres médiques (et Himère) par des concurrents venus de Sicile et de Grande Grèce. Elle s'affirme plus encore dans les efforts remarquables consentis par ces commu-
1. Pour une question similaire à propos des >
331
genre y sont nombreuses, tournant autour de la «fureur guerrière», toujours accompagnées d'un cortège de vastes «comparaisons homériques». Chant XIV (3, 522 vers). Très lié à divers titres au chant précédent, il se compose de trois parties. D'abord, il y a une concertation des chefs achéens blessés autour du vieux Néléide, Nestor de Pylos («Conseil des Invalides»), et l'exhortation à la résistance de Poséidon; vient ensuite l'épisode célèbre de« Zeus berné» par Héra qui l'endort. Le stratagème donne l'occasion à Poséidon d'intervenir en faveur des Achéens et relance l'action: s'ensuivent une nouvelle mêlée générale et divers combats singuliers, dont celui d'Ajax contre Hector. La blessure de ce dernier entraîne le rejet des Troyens hors du camp retranché. Chant XV (0, 746 vers). On y assiste au réveil et à la colère de Zeus, qui vole au secours des Troyens dont le héros, Hector, réintègre le champ de bataille. Les Achéens ne tardent pas à être repoussés une nouvelle fois derrière leur mur, ce qui conduit Patrocle à retourner chez Achille lui demander de reprendre part au combat, ainsi que l'appui de ses Myrmidons. Entre-temps, les Achéens sont acculés par les Troyens secondés par Apollon et contraints à se battre tantôt au pied des bateaux tantôt depuis les nefs elles-mêmes. Le chant, qui regorge de comparaisons, doit comporter des redites(« doublets>>) et se termine sur la résistance héroïque et incertaine d'Ajax. Chant XVI (II, 867 vers). Ici commence la « Patroclie » (thème de la mort de Patrocle et de sa vengeance par Achille). Après l'annonce faite à Achille par Patrocle de l'investissement du camp achéen par les Troyens, le récit de la bataille reprend sur Ajax qui donne des signes de faiblesses. Achille permet alors à Patrocle de prendre part au combat en revêtant ses armes («Prêt des armes»). Tandis qu'Hector met le feu aux navires achéens, Patrocle et les Myrmidons se préparent à entrer en scène. Après de premiers succès obtenus en compagnie d'autres héros achéens et provoquant le recul des Troyens, Patrocle poursuit seul son aristeia («exploit solitaire»), transformant le retrait troyen en déroute : il tue même un fils de Zeus et Europè, le Lycien Sarpédon, et bientôt les combats se déroulent autour de son corps. Mais, poursuivant trop avant les Troyens, Patrocle est tué à son tour par Euphorbe et Hector qui tente de rattraper les chevaux d'Achille. Ici encore, les combats appellent de multiples comparaisons. Chant XVII (P, 761 vers). Reste à Ménélas, aidé par Ajax venu à la rescousse, à défendre le corps de Patrocle. Il y parvient mais il ne peut empêcher Hector de dépouiller le mort de ses armes, qui étaient celles d'Achille. Le héros troyen revient alors au combat avec les armes dérobées à l'Achéen afm de s'emparer de la dépouille de Patrocle. Il est secondé par Énée et cherche à s'emparer des chevaux d'Achille qui expriment leur douleur. Athéna soutient les Achéens tandis qu'Apollon est du côté troyen. Alors
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Permanences et nouveautés
qu'on part annoncer la mort de Patrocle à Achille, les efforts d'Ajax sont fmalement couronnés de succès : la dépouille de Patrocle est récupérée. Ici encore, les comparaisons s'entassent, dans un chant où il est clair que ce n'est pas tant l'action qui constitue le premier objectif du poète que les attitudes héroïques nées de celle-ci. Chant XVIII (l:, 617 vers). Achille y apprend la mort de Patrocle et se fait consoler par Thétis, sa mère. D'un cri terrible, Achille sème alors la panique parmi les Troyens toujours accrochés à la dépouille de Patrocle («Cri d'Achille»), qui refluent. Tandis que les Troyens se réunissent («Assemblée des Troyens>>), Achille se répand en lamentations sur le cadavre de son ami. Thétis se rend alors chez Héphaïstos afm que ce dernier confectionne pour Achille une nouvelle panoplie(« Fabrication des armes»). C'est dans ce chant qu'Achille et Hector, apprenant leur mort prochaine, acceptent chacun le destin auquel les conduit leur code moral. Chant XIX (T, 424 vers). Une fois entré en possession de ses nouvelles armes, Achille se réconcilie avec Agamemnon (« Réconciliation»), puis se lamente avec Briséis sur la dépouille de Patrocle. Le héros revêt ensuite sa nouvelle panoplie et se lance au combat, tiré par ses chevaux dont Xanthos, qui lui prédit à son tour une mort prochaine. Chant XX (l', 503 vers). C'est dans ce chant que se profile le combat à venir en des dieux entre eux (« Théomachie »), tandis qu'Achille, tantôt en char tantôt à pied, se heurte d'abord seul à seul à Énée, puis accomplit une suite d'exploits, contre Hector à deux reprises et contre divers autres héros troyens (« Aristeia d'Achille»). Chant XXI (, 611 vers). Poursuivant ses faits d'armes, Achille parvient sur les rives du Xanthos (Scamandre), où il poursuit ses exploits (massacres, capture de douze Troyens, mise à mort du fùs de Priam Lycaon, etc.), avant de se heurter- et ce sera le temps fort du chant- à ce fils de Zeus qu'est le fleuve lui-même (« Combat avec le fleuve »). Et tandis que s'engage le combat du feu et de l'eau, la guerre éclate entre les dieux divisés en deux camps(« Bataille des dieux»). Achille de son côté parvient devant Troie où il tue divers adversaires, faisant couler d'abondance le sang sur la terre noire. Chant XXII (X, 515 vers). C'est peut-être l'un des plus saisissants. Tandis qu'Achille se fait duper par Apollon devant Troie, Priam et Hécube supplient Hector de se mettre à l'abri des murs de la ville. Après quelques hésitations et dialogues, le combat s'engage entre Achille et Hector, qui est tué. Pendant que les Achéens regagnent leur camp après avoir insulté le cadavre du héros troyen, le deuil et le désespoir s'installent à Ilion (Priam et Hécube, Andromaque). Chant XXIII ('1', 897 vers). Le chant, souvent mis en exergue pour ses qualités, s'ouvre sur le deuil d'Achille, le héros dialoguant avec l'ombre de
La mémoire du «passé exemplaire N
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Patrocle. Mais, pour l'essentiel, ses vers sont consacrés aux« Funérailles» de Patrocle, avec leur suite attendue, les «]eux funèbres» organisés en l'honneur du héros achéen tombé au champ de bataille et mettant en scène un cortège de figures« secondaires» : course de chars- l'épreuve par excellence, pugilat, lutte, course à pied, duel en armes, lancer du disque, tir à l'arc, lancer du javelot. Autant de sujets sources d'intarissables questions pour les archéologues et les historiens en quête d'informations sur ces deux expressions majeures et souvent associées de la culture grecque que sont les pratiques funéraires et les activités agonistiques. Chant XXIV (Q, 804 vers). Achille outrage le cadavre d'Hector, qu'il traîne autour de la sépulture de Patrocle. Le spectacle, pathétique comme tout le chant, conduit à une assemblée des dieux, à la suite de laquelle Priam et Achille reçoivent des instructions divines. Le vieux Priam prend alors la route du camp des Achéens afm de récupérer le cadavre d'Hector chez un Achille au cœur duquel la mélancolie se mêle désormais à la colère face à l'égalité misérable du sort de tous les humains devant la mort. C'est ainsi que s'accomplirent, dans une ville d'Ilion aux abois, les funérailles d'Hector : « Pendant neuf jours, ils y apportèrent une immense quantité de bois. Mais quand parut la dixième aurore, éclairant les humains, ils apportèrent de la ville le corps du hardi Hector, en versant des larmes, le placèrent au sommet du bûcher, et y mirent le feu (... ). Ainsi accomplirent-ils les funéraires d'Hector, dompteur de chevaux» (cf. v. 784-787 et 804).
Od;yssée
Plus que l'fliade dont il se distingue sans ambigurté sur plus d'un point, le texte de l'Otfyssée, qui offre une conception plus unitaire I, a fait l'objet d'une foule de propositions portant parfois sur quelques vers, parfois sur des dizaines, visant à restituer le poème dans son prétendu «état premier». Sans vouloir ignorer en rien l'intérêt de certaines de ces propositions, on a préféré en rester ici à la disposition de la matière épique rencontrée dans l'édition «traditionnelle>> héritée des savants alexandrins, quel que soit le jugement que l'on puisse porter sur le travail de certains d'entre eux. Le poème - dont le nom, dérivé de celui du principal héros, est devenu synonyme de voyage tumultueux - a donné lieu à quantité d'interprétations plus ou moins attrayantes et fondées, mais c'est sans doute la géographie des aventures odysséennes qui a provoqué le plus de propositions visant en particulier à identifier les divers lieux nommés et le plus souvent mystérieux.
1. Cf.
supra, p.
20-24.
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Permanences et nouve®tés
Chant 1 (a, 444 vers). En l'absence de Poséidon- qui voue au héros une implacable rancune, les dieux réunis en assemblée décident qu'Ulysse, à l'instar des autres héros grecs qui avaient survécu au sac d'Ilion, regagnera enfin Ithaque, sa patrie. Athéna se rend alors chez Télémaque qu'elle engage à rechercher son père. La seconde partie du chant est consacrée au «Festin des Prétendants», occupés à écouter le rhapsode Phèmios chantant les retours semés d'embûches (.Nostoi) des héros achéens. Chant II (~, 434 vers). Après avoir convoqué en assemblée les Achéens d'Ithaque, Télémaque signifie aux Prétendants qu'ils doivent quitter le manoir de son père, puis, en fin de journée, il prend secrètement la mer pour Pylos. Chant III (y, 497 vers). A Pylos, Télémaque apprend de la bouche même du vieux Nestor certains épisodes de la guerre et du retour de Troie. Le roi raconte notamment, en guise d'avertissement, l'absence de Ménélas cause de la mort d'Agamemnon sous les coups d'Égisthe, la vengeance d'Oreste, mais il dit ne rien connaître du sort d'Ulysse. ll prête son char à Télémaque et l'envoie sans tarder aux nouvelles, en compagnie de son fils Pisistrate, à Sparte, auprès de Ménélas rentré en dépit d'une tempête qui l'avait déporté vers l'Égypte. Chant IV (ô, 847 vers). A Sparte, Ménélas reçoit les deux héros au moment où il célèbre, aux côtés d'Hélène, le double mariage de son fùs et de sa fille. Télémaque conte à nouveau la situation à Ithaque et Ménélas son passage dans l'île de Pharos, certains exploits d'Ulysse, le retour des Achéens, la mort d'Agamemnon et la présence d'Ulysse chez la Nymphe Calypso qui le retient captif dans sa grotte, sur l'île d'Ogygie. De leur côté, à Ithaque, les Prétendants, qui se sont aperçus du départ de Télémaque, se préparent à lui tendre un pièce mortel dès le retour de son bateau, ce qui provoque la frayeur de Pénélope. Chant V (e, 493 vers). Une nouvelle assemblée des dieux confirme le retour d'Ulysse, une décision qu'Hermès porte à la connaissance de Calypso. La Nymphe engage le héros à se construire un radeau mais aussi à rester à ses côtés. Une fois son embarcation de fortune assemblée en quatre jours, il entreprend une navigation de dix-huit jours qui l'amène en vue de l'île des Phéaciens où une tempête voulue par Poséidon manque de l'emporter. Sous protection divine, il nage deux jours jusqu'aux rivages de l'île de Schérie où, épuisé, il s'endort, à l'embouchure d'un fleuve, caché dans un lit de feuillage .. Chant VI (Ç, 331 vers). Guidée par Athéna, Nausicaa, la fille d'Alkinoos, roi des Phéaciens, se rend en char au bord du fleuve avec ses suivantes afin d'y laver le linge. Le travail accompli, elles se mettent à jouer, ce qui réveille Ulysse. Le héros supplie Nausicaa qui lui donne de quoi se vêtir et se
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restaurer; il accompagne ensuite la jeune fille jusqu'aux portes de la ville où, selon ses instructions, il attend dans un bosquet consacré à Athéna. Chant VII (11, 347 vers). Sous la protection du voile d'Athéna, Ulysse pénètre à son tour dans la cité dont il découvre l'aspect agréable. Dans le palais, il trouve Alkinoos et les princes des Phéaciens réunis. Bientôt seul avec le couple royal, Ulysse lui explique son accoutrement et ses aventures depuis la confection du radeau. Promesse lui est faite qu'il regagnera sa patrie avec l'aide des Phéaciens. Chant VIII (9, 586 vers). Alkinoos réunit les Phéaciens et leur annonce son intention d'aider le héros. En attendant, des festivités ont lieu en l'honneur de l'hôte : l'aède Démodocos entreprend de chanter quelques épisodes de la geste troyenne, des compétitions ont ensuite lieu sur l'agora et Ulysse ne résiste pas longtemps à l'envie d'y prendre part, avec des succès qui soulèvent certaines colères que des danses, puis Démodocos sont chargés d'apaiser. Le soir, le rhapsode intervient à nouveau, évoquant la ruse du cheval de bois et la prise de la ville, ce qui ne va pas sans émouvoir profondément le héros. Le roi cherche à comprendre les raisons de ces larmes. Chant IX (t, 566 vers). Ulysse, fùs de Laërte, se fait alors connaître de son hôte et entreprend de conter ses aventures depuis qu'il a quitté la plaine troyenne (ce récit occupe les chants 9 à 12 du poème). Son exposé débute par ses aventures (merveilleuses) sur la côte thrace (prise d'Ismaros et retraite devant les K.ikones autrefois alliés de Priam), ses neuf jours de dérive tempétueuse au-delà du cap Malée et son séjour chez les Lotophages (île de l'oubli), son arrivée dans une autre île avec ses douze vaisseaux, face au domaine des Cyclopes qu'il visite avec son seul navire et douze de ses compagnons (épisode dramatique de Polyphème avec le vin de Maron). Chant X (K, 574 vers). On retrouve Ulysse chez Éole, le gardien des vents, puis à la suite d'une nouvelle tempête (épisode de l'outre), chez une population de géants anthropophages, les Lestrygons, où intervient la perte de onze vaisseaux et de leurs équipages. Ensuite Ulysse débarque du seul bateau rescapé dans l'île de la magicienne Circè, qui fait usage de son philtre. En fin de compte, les choses s'arrangent mais sur le point de repartir, le pilote d'Ulysse, Elpénor, se tue accidentellement tandis qu'Ulysse apprend de Circè qu'il devra d'abord rencontrer le devin Tirésias 1 et consulter les morts à la bouche des Enfers. Chant XI (À, 640 vers). Avec l'arrivée d'Ulysse chez les Cimmériens où était située l'entrée du monde infernal, commence l'épisode célèbre de la visite aux Enfers (Nékuia). Après avoir reçu les prédictions favorables de Tirésias, Ulysse entend sa mère puis dialogue avec un grand nombre 1. Pour l'essentiel, Tirésias appartient au cycle thébain, où il tient un rôle équivalent à celui du devin Chalcas dans le cycle troyen.
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d'héroïnes célèbres. Bien que la soirée soit déjà fort avancée, Alkinoos et son épouse invitent Ulysse à poursuivre son récit qui aborde alors notamment les propos qu'il avait échangés avec les ombres d'Agamemnon, d'Achille, d'Ajax (très réservé) et d'Héraclès - qui n'était donc pas (encore) monté dans l'Olympe. L'occasion lui est aussi donnée d'apercevoir Minos rendant justice aux morts, ainsi qu'Orion, Tityos, Tantale, Sisyphe. Mais la peur finit par le saisir et il regagne son navire et dénoue les amarres. Chant XII (IJ., 453 vers). Son récit se poursuit avec son retour dans le domaine de Circè, l'île d'lErea, où il rend les honneurs funèbres à son compagnon Elpénor. Circè le prévient des nouveaux dangers qu'il aura à affronter en reprenant la mer. Après être demeuré sourd au chant des sirènes qui avaient là leur île, il passe non sans perte au large de Charybde en serrant Scylla, et atteint l'île d'Hélios/Soleil (Trinacie), où il est bloqué dans un port sans ressources. Ses compagnons survivants, affamés, s'en prennent aux bœufs d'Hélios, ce qui provoque la colère de Zeus. Ulysse échappe seul de la tempête qui s'ensuit, repasse les deux dangereux récifs, et, au terme de neuf jours de dérive, atteint Ogygie où l'accueille Calypso. Le héros termine là son récit, la suite ayant déjà été exposée au chant VII. Chant XIII (v, 440 vers). L'auditoire est conquis et le lendemain, le bateau, prêt, emporte Ulysse bientôt endormi vers Ithaque, où il est déposé à Phorkys, sur le port proche d'une grotte consacrée aux Nymphes, avec tous ses présents reçus des Phéaciens. Tandis que Poséidon se venge en métamorphosant le navire de ses sauveurs en rocher, de son côté, Ulysse ne reconnaît pas les lieux à son réveil. Athéna déguisée se présente au héros qui par méfiance se fait passer pour un Crétois en fuite. Athéna se fait alors connaître et lui ouvre les yeux, l'encourage à cacher ses trésors dans la grotte et à entrer en contact, affublé par ses soins en mendiant, avec son fidèle porcher Eumée tandis qu'elle-même court prévenir Télémaque toujours à Sparte. Chant XIV (Ç, 533 vers). Eumée accueille le mendiant dans sa masure, lui offre une généreuse hospitalité et se lamente devant l'inconnu au sujet des Prétendants et de son regretté maître sans doute mort, pense-t-il. ll ne croit pas son visiteur, même lorsque ce dernier lui annonce le retour prochain d'Ulysse dans le cadre d'un long récit plein d'aventures où il aurait été donné au mendiant de rencontrer le héros. ll n'empêche qu'Eumée garde son hôte pour une soirée et une nuit qui s'annonce froide. Ulysse obtient une couverture et une place au chaud en contant une mauvaise nuit passée devant Troie. Chant XV (o, 557 vers). Athéna rappelle Télémaque de Sparte où Ménélas et Hélène le comblent de présents et de conseils. Sous un bon présage, Télémaque reprend le chemin de Phères et Pylos où il se sépare de Pisistrate sans revoir Nestor. Sur le navire, il fait la connaissance du devin
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Théoclymène, un fugitif/suppliant argien. De son côté, Ulysse prolonge son séjour chez Eumée dont il teste à nouveau la loyauté. Ce dernier l'informe sur les parents du héros ainsi que sur sa propre jeunesse et le sort qui l'a conduit au service de Laërte. Entre-temps, Télémaque débarque à Ithaque et prend la direction de la masure d'Eumée tandis que son compagnon de traversée se rend à la ville après avoir interprété un présage favorable. Chant XVI (1t, 481 vers). A l'aube, Télémaque arrive chez Eumée qui, ému à sa vue, recommande à l'étranger de prendre soin du petit-fils de Laërte tout en dissuadant ce dernier de rentrer, par crainte des Prétendants. Lui-même s'en va annoncer la nouvelle du retour prochain de Télémaque à Pénélope. Sur ce, Athéna permet à Ulysse de se faire reconnaître par son fils et, en joie, tous deux décident de la tactique à adopter pour se venger des Prétendants condamnés à mourir. Ces derniers, avertis par l'arrivée de son bateau du retour du fils de Pénélope, reformulent, à l'exception d'Amphinomos, de noirs desseins. Prévenue, Pénélope accuse Antinoos d'en être le principal instigateur tandis qu'Eumée rentre chez lui. Chant XVII (p, 606 vers). Le lendemain, Télémaque se rend à la ville afm de préparer la visite du devin qui doit annoncer le retour imminent d'Ulysse. Les Prétendants s'installent au palais tandis qu'Eumée et Ulysse prennent à leur tour le chemin de la ville. Au cours du voyage le héros est insulté par son chevrier Mélanthios qui ne le reconnaît pas, au contraire de son chien, Argos. L'irruption du mendiant au milieu des Prétendants provoque des mouvements en sens divers et Ulysse reçoit des coups. Le bruit fait accourir Pénélope qui prend la défense du visiteur et tente en vain de l'interroger. L'explication est reportée au soir par prudence et Eumée repart. Chant XVITI (a, 428 vers). Sous les invectives des Prétendants, Ulysse se retrouve aux prises avec un mendiant« concurrent», Iros, qu'il met à la porte tandis que Télémaque annonce le retour et la vengeance du maître absent. Pénélope tente de calmer les Prétendants en consentant à un mariage prochain. Ces derniers la couvrent des cadeaux d'usage et font la fète. En dépit des menaces qu'il profere, Ulysse y reçoit encore des marques de mépris et des coups, puis chacun rentre chez lui. Chant XIX ('t, 604 vers). Sur les instructions de son père et sous la protection discrète d'Athéna, Télémaque rassemble toutes les armes dans une pièce éloignée du palais. Resté seul, Ulysse est rejoint par Pénélope dans la grande salle. li s'y fait à nouveau insulter par la servante Mélantho que la reine réprimande. Sous l'avalanche des questions, Ulysse raconte à Pénélope - qui lui a fait part de ses propres malheurs - un récit de son cru où il est un noble Crétois qui aurait rencontré Ulysse en route pour Troie. Divers détails convainquent Pénélope désespérée que le mendiant a bien vu Ulysse. Ce dernier lui laisse alors entendre un retour prochain de son époux, -mais,
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en dehors d'un bain de pieds donné par la vieille servante Euryclée, il décline les sollicitudes de Pénélope. La servante reconnaît Ulysse à une blessure de sanglier à la jambe mais le héros la contraint au silence. Pénélope interroge alors son hôte sur la marche à suivre et Ulysse l'encourage à promettre le mariage au Prétendant qui se révélera le plus habile en manipulant l'arc du héros absent. D'accord sur cette tactique, ils se séparent pour la nuit. Chant XX (u, 394 vers). Couché à l'écart, avant de s'endormir, il observe plein de colère l'inconduite des servantes avec les Prétendants, tandis que, de son côté, Pénélope se lamente sur son sort. Ulysse reçoit deux heureux présages et, le matin venu, tandis que Télémaque se rend à l'Assemblée, Euryclée ordonne un nettoyage attentif du palais en prévision de la fête pour laquelle arrivent bientôt les victuailles. Les Prétendants se présentent à leur tour et Télémaque leur interdit d'encore insulter son hôte, mais rien n'y fait sinon un présage qui les décourage de tuer le fùs de la maison. Le festin débute, des propos favorables à un remariage rapide de Pénélope sont prononcés, mais Théoclymène prédit le malheur pour les Prétendants : le châtiment ne se fera plus guère attendre. Chant XXI ( Ainsi, dans le cas d' ennéôros appliqué au Minos de l'Od. 19, 179 (comme pour pratiquement toutes les autres occurrences de ce type), il devient clair que c'est bien plutôt un sens proche d'« adulte»,« au mieux de ses moyens»,« à maturité» qu'il faut privilégier dans ce passage où Minos se présente par ailleurs comme le confident de Zeus et le maître de la vaste Crète 3• Lui seul donnerait pleinement leur dimension aux propos tenus dans les poèmes : les situations et êtres considérés sont alors parvenus «au mieux de leurs capacités». sénie », déclare que ? Cf. aussi in.fra, p. 444-453. !. Cf. supra, p. 44-53. 2. Cf. Arist., AP III 3 : c'est un descendant de Codros et celui auquel faisait référence le serment des archontes à l'époque classique. 3. Dans le chant XIX, il est peut-être encore en quelque sorte à la veille de ce qu'il est devenu dans la Nékuia, le grand justicier des morts.
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Ces observations permettent d'entrevoir combien la perception du temps était alors différente : ici quantitative, là le plus souvent qualitative, métaphorique. Sans doute qu'aucune de ces neuf «années», «belles saisons», « nuits » ou «journées » ne pouvait être confondue avec une autre de la même série, tant chacune s'inscrivait en un point précis d'une progression quasi ((tragique>>. n paraît évident qu'une telle formule, issue d'une autre façon de percevoir la durée, n'était plus comprise à l'époque classique marquée par une « conscience historique » qui chercha dès lors plutôt à déterminer par exemple où neuf jours de dérive au-delà du cap Malée avaient pu emmener Ulysse. Les formules « neuf ans » ou « neuf jours » semblent donc plutôt à percevoir dans une perspective symbolique, celle-là même qu'engagent aussi à adopter les «comparaisons», où est à considérer une ~ongue) durée, un ~ong) processus à la veille de se terminer, mais aussi un laps de temps où l'être, la chose ou la situation impliquée arrive à un faîte, un moment idéal, crucial de son développement en termes qualitatifs et/ ou d'intensité dramatique (cf. peut-être ak:mazô, akmè, etc.). n s'agit en défmitive de plutôt reconnaître dans cette durée donnée autant d'étapes d'un développement dont la longueur importe sans doute moins que ce qu'elles apportent à la chose ou à l'être nommé. Pour en revenir à l'exemple considéré, plus uniment que ne l'a cru l'érudition antique, suivie en cela par l'ensemble des modernes, dans l' Orfyssée, le Minos qui règne sur cette Crète « bien peuplée » et prospère est -un peu à son image- un être désormais «arrivé à l'âge adulte», dont les qualités physiques et psychiques sont dès lors optimales et, en même temps, il est un familier de Zeus. Le tableau qui est ainsi brossé de la Crète par Ulysse est une vision idéaliste, «parfaite». On est alors loin des incompréhensions successives qui de fil en aiguille fmirent par faire de cette figure du roi mythique crétois - surtout dès lors qu'il fut remis en selle par A. Evans au début de ce siècle - un individu réinvesti tous les neuf ans. Et, dans le même esprit, on est en droit de s'interroger sur l'information à la base des propos d'Aristote concernant le chiffre de neuf archontes : l'Athènes archaïque se serait dotée (à un moment non précisé)- en ajoutant, aux trois archontes d'un collège initial, six thesmothètes (cf. Arist., AP III) - de neuf magistrats. En tout cas, ce chiffre fut porté à dix - par l'adjonction d'un grammateus («secrétaire») des thesmothètes- à l'occasion des réforrri.es de Clisthène qui frrent de fait basculer les Athéniens dans un monde nouveau 1• On pourrait s'étonner de ce que l'enchaînement des générations ait permis à de telles incompréhensions de se glisser dans l'esprit des Grecs. On aurait sans doute tort. On ne peut négliger le manque de recul de l'érudition 1. C( infra, p. 561-572.
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antique ni davantage ce qu'implique la dimension formulaire de la poésie épique, un trait fondamental qui l'a conduite à charrier dans ses vers des éléments souvent très anciens, au sein d'une société longtemps traditionnelle 1 mais soumise malgré tout au changement. A cela s'ajoute encore le caractère oral que les poèmes conservèrent assurément très tard, sans doute jusqu'au V' siècle 2, avec des prestations qui n'offraient guère aux auditoires le loisir de s'interroger à tête reposée sur chaque mot ou formule. Ce n'est qu'avec les premiers sophistes que naquirent des pensées philologiques 3 et érudites, un goût prononcé pour l'historiè, dont le champ d'action privilégié sera précisément aussi des poèmes homériques désormais couchés par écrit et s'offrant à l'analyse mot à mot.
n va sans dire que bien d'autres aspects pourraient être évoqués tant ces poèmes ont excité les curiosités les plus diverses du fait de leur fmalité en quelque sorte «encyclopédique» 4 • Ainsi retiendra-t-on encore sans s'attarder que le « Catalogue » des forces grecques au chant II de 1'/liade, en particulier, a fait l'objet de débats sans fm de la part d'historiens et d'archéologues, qui ont cherché à en exploiter - avec des succès de portée discutable - le contenu pour dresser une géographie humaine, historique de la Grèce qui serait applicable à l'une ou l'autre période de son histoire, depuis l'ère mycénienne, dont des vers doivent avoir conservé au moins certains éléments, jusqu'à un moment donné de l'époque archaïque où certains ont préféré placer sa rédaction. Quant à son homologue troyen, plus court, il est aussi plus vague mais non moins intriguant. La date de leur composition respective comme celle de leurs origines, sans doute anciennes, sont à la vérité très incertaines. L'insatisfaction (que l'on retrouve dans les études de géographie odysséenne) est difficile à masquer au vu des maigres résultats assurés mais cet échec relatif était prévisible dès lors que l'on accepte de prendre en compte la nature du genre épique et la longue histoire propre qu'a pu connaître cet épos avant son intégration dans l'Iliade : ces deux ensembles d'« informations» n'ont décidément rien à voir avec la Périégèse de Pausanias et ne peuvent être abordés comme elle, même si les toponymes renvoient à des réalités géographiques et archéologiques plus ou moins évidentes et palpables. Les 1. Et qui le demeure aujourd'hui encore dans certaines de ses attitudes, notamment face à la mort, ainsi que tendent à l'accréditer les analyses de ses pratiques et rituels funèbres. En fait, le Grec paraît pouvoir, mieux que s'accommoder de cette double sensibilité, en tirer parti. 2. Même si commençaient à circuler des copies, pour la majorité des Grecs, le contact avec l'épopée se faisait par le biais des récitations, cf. supra, p. 18-20. 3. Cf. les propos de Thucydide sur la confusion loimosl !imos dans un vers prophétique non attribué (cf. Thuc. II 54, > en Grèce présente des ramifications partant dans de multiples directions. Polythéiste, anthropomorphique dès l'époque du gêométrique récent en tout cas, de très loin plus vivante en termes de manifestations collectives, politiques et sociales, que dans le for intérieur des individus, la religion grecque « fonctionnait » sans figure fondatrice ni vérité révélée. Dépourvue de dogmes élaborés très contraignants et de clergés réguliers, structurés et hiérarchisés à la manière de ceux des sociétés proche-orientales contemporaines, elle est donc peu monolithique. Plutôt ouverte aux influences extérieures - du moins dans ses manifestations formelles, elle présente, à l'instar de bien d'autres aspects de la civilisation grecque, au-delà d'une réelle unité fondamentale cimentée, pour l'essentiel, par l'usage d'une langue commune, une multitude de colorations à la fois régionales et temporelles. Ceci est à ce point patent que certains chercheurs n'ont pas hésité à parler de « religions grecques>> au pluriel, qu'attestent en particulier les mythes, traditions et rituels locaux. Ces riches facettes locales sont autant de pièges tendus à une présentation synthétique de la vie religieuse des Grecs, surtout pour les hautes époques, car l'histoire de ces dernières fut masquée, au terme de l'époque géométrique(« période orientalisante »),par l'assez rapide mise au point d'un mode d'expression iconographique inédit, qui fut largement unifié dans un système codé, et par la nature «littéraire» («normalisée») des principales sources écrites (d'essence aristocratique). Trop souvent aussi en ce domaine, on se laisse aller à oublier qu'une société traditionnelle n'est jamais une société immobile mais avant tout une société en marche qui porte haut la tradition, source première à ses yeux de sa légitimité et de sa cohérence, source aussi d'incompréhensions progressives, et dans pareilles conditions, les aspects de prime abord plus « bizarres » que peuvent présenter l'une ou l'autre divinité, certaines pratiques rituelles ou divers récits «mythiques», n'en garantissent pas pour autant une haute antiquité ou une origine non grecque. Les q_uestions que pose toujours, par exemple, l'apothéose d'Héraclès, ce héros qui serait devenu dieu, permettent de prendre,
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à elles seules, une première mesure des difficultés et des a priori idéologiques qui sont, par la force des choses, au départ de chaque enquête moderne. Les sources littéraires, qui pourraient constituer un fondement solide de l'information, sont plus que rares - inexistantes même pour ces premiers siècles ou pour certains sites - et trop souvent peu explicites. Majoritairement issues d'auteurs sensiblement plus tardifs (éruditions classique, hellénistique et romaine - surtout Pseudo-Apollodore, Strabon, Pausanias, Plutarque), elles présentent des distorsions et des interpolations qu'on pressent mais dont on est en peine d'évaluer avec précision le nombre et l'ampleur. Offrandes parfois inscrites, documentation iconographique sur céramique, pierre ou métal, lois et prescriptions sacrées n'apparaîtront, d'abord de façon sporadique, qu'assez tard dans l'époque considérée par le présent volume, sur la fin de l'époque géométrique. Le plus souvent, les découvertes archéologiques, privées de toute « couverture textuelle » - et à vrai dire rares elles-mêmes pour les premiers temps, se présentent donc, presque toujours, comme des témoins peu coopératifs, désespérément silencieux ; elles s'offrent comme autant d'ensembles difficiles à identifier avec quelque précision, où les générations successives de chercheurs ont dès lors très souvent projeté, à tour de rôle, leurs certitudes et appréhensions personnelles - sans oublier celles propres à leur époque. Dans pareilles conditions, quels critères retenir en particulier pour détecter et identifier avec sûreté des édifices «religieux» avant l'époque du géométrique récent ? 1 Le débat sur ce point se poursuit et ne paraît pas près de se clore. Les parlers grecs (qui sont, avec la religion, l'autre agent puissant qui liait les Grecs entre eux), on l'a vu dans le volume précédene, se rattachent tous étroitement à une « sphère indo-européenne », dont de multiples recherches ont permis de proposer la reconstruction, au moins à grands traits, des structures, des valeurs et des modes de fonctionnement sodareligieux supposés. Cependant, peut-être plus solidement établis que partout ailleurs, en Grèce, là où à des époques mal cernées se sont infiltrées les peuplades « proto-grecques », préexistaient plusieurs groupes ethniques singuliers (détectables essentiellement grâce aux substrats laissés par leurs parlers dans la langue grecque ultérieure), étrangers à la sphère indo-européenne mais détenteurs chacun d'une civilisation déjà ancienne et élaborée, souvent 1. C( irifra, p. 360-37 1. Quel enseignement tirer, par exemple, de certaines similitudes - toutes relatives- observées entre la >. En général, on estime que les convulsions qui secouèrent la fm de la phase palatiale de la civilisation mycénienne entraînèrent, d'une manière ou d'une autre, une profonde césure culturelle - voire ethnique - par le biais de graves destructions généralisées et de mouvements migratoires majeurs (notamment mais non exclusivement des Doriens~· L'historien serait donc quasiment en présence de deux mondes dont seul le plus récent mériterait pleinement l'appellation de «monde grec», le précédent étant généralement qualifié plus vaguement de« créto-mycénien ».Mais, d'un autre côté, certains chercheurs ont longtemps défendu aussi - et il s'en trouve encore - l'idée que ces grands sanctuaires, accueillant un « public » plus large que les sanctuaires civiques, auraient déjà été le siège de cultes éminents dès l'époque du bronze récent et qu'ils auraient ainsi assuré une forte continuité cultuelle - et donc aussi culturelle - entre le ne et le rer millénaire. Ces points de vue, de prime abord très contradictoires, peuvent être, dans une certaine mesure, rapprochés si l'on accepte de prendre en compte les arguments de chacun des deux camps en les passant au crible d'une même critique historique. Ainsi, l'analyse sur le terrain - qui fournit les seules informations contemporaines de la période considérée - ne permet guère d'échapper, pour autant que l'on respecte la spécificité du témoignage archéologique, à certaines conclusions restrictives quant à la date de mise en place de ces grands ensembles religieux.
1. TI a semblé préférable d'inclure le sanctuaire panionien de Délos dans cet exposé, dans la mesure où le problème de la continuité s'y pose et parce qu'il réunissait malgré tout de trés nombreuses communautés grecques établies sur une vaste aire géographique. Quant à celui d'Éleusis, son sanctuaire était ouvert à tout grécophone. 2. Cf. supra, p. 126-138.
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• A DELPHES 1, les vrais débuts du sanctuaire d'Apollon ljthien (qui « cohabitait » avec une Gâ primitivement fixée à la fontaine de Castalie ?) comme de celui, voisin, d'Athéna Pronaia ne paraissent guère remonter avant la fin du IX' siècle : on y trouve assez vite des statuettes en bronze (souvent des chevaux, ces objets dénotant peut-être le geste même de l'offrande) et des trépieds de plus en plus élaborés, mangeurs de cuivre et d'étain, matières premières toujours rares à ces « hautes » époques. Les petites figurines mycéniennes, découvertes en fouille sous le temple d'Athéna Pronaia, constituent un dépôt antique fort probablement opéré à partir d'objets recueillis lors des aménagements réalisés à la fm de l'époque géométrique ou au début de l'époque archaïque, dans un secteur certes occupé à l'époque mycénienne mais que les restes matériels conservés ne permettent en rien de déjà identifier comme une aire sacrée. Entre ces deux dates subsiste un « fossé cultuel» de trois siècles au moins qu'à ce jour, l'archéologie ne permet pas de combler, à moins de« sanctifier» arbitrairement le modeste habitat protogéométrique et géométrique dont l'existence est, elle, indubitable. Les premiers temps passés, au milieu du VIII' siècle, le sanctuaire pourrait avoir été surtout familier des Crétois et des Corinthiens 2, qui seront peut-être responsables de ce rôle archégétique de Delphes, qui bientôt fera la célébrité de l'Apollon ljthien. Cela dit, le réexamen attentif auquel naguère a été soumise notamment une partie du matériel «sensible» de l'époque mycénienne trouvé à Delphes, conduit sérieusement à tempérer l'opinion selon laquelle ces lieux n'auraient constitué qu'un site «secondaire» à cette époque. ll convient désormais de rendre compte, autrement qu'en invoquant l'idée d'« antiquités » importées sur place au 1er millénaire, de la présence en ce lieu habité probablement sans véritable interruption entre le ue et le rr millénaire, de plusieurs objets « créto-mycéniens >> appartenant à des séries qui ponctuent les seuls sites majeurs du bronze récent Sans doute convient-il de considérer à Delphes la «continuité» d'occupation comme d'abord conditionnée par des éléments de géographie physique, auxquels a pu s'ajouter l'existence de quelques restes architecturaux attirant l'œil en un tel endroie. • A DÉLOS, île minuscule bien peuplée au bronze récent et haut lieu à l'époque «historique» du culte de Létô, Apollon et Artémis pour tous les Ioniens - dont les Athéniens, on retrouve une situation quelque peu similaire à celle entrevue pour Delphes. 1. Cf. supra, p. 76-77 et 222-225. 2. Cf. supra, p. 286-291 et 296. lls avaient aussi, souligne-t-on parfois, l'opportunité de se rencontrer en Sicile 3. Cf. irifra, p. 364-371.
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Dans l'Artémision Ac, les fouilles archéologiques ont mis au jour un dépôt « mycénien >> - à vrai dire plus hétérogène que son nom ne le laisse présager, réunion là aussi de découvertes fortuites faites par les Anciens, au début du VITI' siècle, sans doute dans les environs proches, à l'occasion de l'installation de l'Artémision E (cf. peut-être aussi le «temple r » d'Apollon) dans le cadre d'un culte dont les plus anciennes attestations matérielles (exvota) ne remontent pas au-delà de la fin du IX' siècle. Dans un premier temps, l'île, comme lovée à l'abri entre ses deux grandes voisines, Mykonos et Rhénée, présentait certainement une« occupation cycladique », que certains ont identifiée comme un premier sanctuaire, voire comme le premier état du célèbre sanctuaire panionien «historique». D'autres ont préféré discerner dans ces restes fort mal conservés du bronze récent un palais « mycénien», une opinion rejetée par ceux qui, sensibles notamment à l'extrême petitesse de île, consentent, au mieux, à admettre la présence de modestes habitations formant un simple village de pêcheurs, comme les îles égéennes en général durent en abriter un bon nombre à toutes les époques. Les objets constituant cette sorte de « dépôt de fondation » - pas plus que les restes architecturaux de cette période, fort oblitérés par les constructions ultérieures - ne permettent pas, à eux seuls, d'identifier la forme exacte que prit l'occupation protohistorique de Délos, mais ils sont, un peu comme à Delphes, en nombre et de qualité très remarquables en un tel endroit. A ce jour, aucune hypothèse n'est à exclure pour rendre compte de leur présence, dès les premiers temps de la renaissance matérielle du VITI' siècle, à commencer peut-être par celle qui y verrait des restes de butins issus d'anciens actes de piraterie (cf. Thuc. I 4). Quoi qu'il en soit, ces deux phases d'occupation de Délos sont séparées par trois longs siècles pour lesquels l'île est beaucoup plus avare encore de renseignements que le site de Delphes, ne livrant rien en dehors de quelques tessons - en tout cas pas de niveaux archéologiques conservés. Quant au rituel pratiqué sur la Thèlœ et le Sèma des Vierges hyperboréennes, il paraît bien s'inscrire dans le cadre des cultes héroïques dont la fm de l'époque géométrique vit l'efflorescence 1• Resterait donc à cerner le rôle que ces vieilles sépultures - installées dans une toute petite île au cœur d'un archipel qu'elle fit cependant nommer, en raison de sa position même, «Cyclades»- auraient pu jouer dans l'essor du grand sanctuaire panionien du rer millénaire. • A ÉLEUSIS 2, domaine de Déméter et Perséphone (que se disputèrent, au moins tout au long de l'époque archaïque, Athéniens et Mégariens), le sanctuaire, célèbre pour ses « mystères » et qu'Hérodote présente comme 1. Cf. infra, p. 503-513. 2. Cf. supra, p. 226-235.
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ouvert à tout hellénophone se prêtant à l'initiation (Hér. VIII 65), fait l'objet, lui aussi, d'âpres controverses similaires de «continuité>>. En effet, au cœur du téménos «historique», sous les salles des époques archaïque et classique abritant la célébration des mystères (Télestèria), sont apparus plusieurs murs, plutôt imposants, appartenant à l'époque mycénienne. Ces découvertes ont entraîné de multiples restitutions, mais, quoi que l'on ait pu écrire, rien ne saurait être affirmé quant à la nature exacte de l'occupation mycénienne en ce lieu, et rien, ni dans les textes ni sur le terrain, ne permet donc de nourrir l'hypothèse (née pour l'essentiel de ce que l'on peut observer aux époques archaïque et classique) selon laquelle on aurait là un «pré- Télestèrion » ou un «temple mycénien» consacré à Déméter. Par contre, on retrouve un scénario déjà rencontré ailleurs : la phase d'occupation mycénienne est, à l'endroit considéré en tout cas, suivie d'un vide archéologique presque complet jusqu'au terme du VIII' siècle, une observation qu'on n'a pas manqué parfois de rapprocher des propos d'Hérodote (Hér. IX 97) sur l'établissement du culte de la Déméter Éleusienne au cap Mycale par les premiers colons athéniens partis fonder Milet. Ici encore, donc, on est conduit à s'interroger sur l'impact qu'ont pu avoir, vers la fm de l'époque géométrique, moment où la culture matérielle sort de sa longue somnolence, la présence ou la redécouverte de ruines mycéniennes massives sur l'établissement du sanctuaire «historique». • A OLYMPIE 1, qui connaîtra ses plus beaux jours surtout au V' siècle, dans l'Attis, à l'intérieur du très vaste périmètre dévolu aux dieux (surtout Héra et Zeus) mais, semble-t-il, centré sur le Pélopion (tertre funéraire bellaclique enclos, qui passait pour abriter les restes du fameux héros Pélops et de son épouse Hippodamie), aucune occupation proprement mycénienne n'a encore été matérialisée à ce jour : il faut remonter au mésohelladique 2 pour trouver de vagues restes d'édifices- sans fonction identifiable- en cet endroit. Mais il est vrai que, de façon moins restrictive, l'occupation des abords de l'Alphée et du Kladéos est incontestable au bronze récent et que, à la hauteur du sanctuaire historique, les eaux de ces rivières ont plusieurs fois changé leurs cours, à la faveur notamment de glissements de terrains, ce qui pu faire disparaître diverses traces d'occupation. Dans le secteur occupé par le sanctuaire« historique»- que géraient les Éléens (à la suite, racontait-on, depuis peut-être c.572, des gens de Pise), les plus anciennes traces d'activités cultuelles ou agonistiques, tout en étant plus anciennes que celles repérées à Delphes, ne remontent pas au-delà du X' siècle : les premiers témoignages se présentent sous la forme de figurines de terre cuite, qui 1. Cf. supra, p. 88-89, 232-233 et infra, p. 510-513. 2. Cf. Treuil et al., p. 254-259.
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permettent, selon certains chercheurs, d'envisager dès cette époque des courses de chars, qu'attesteraient ensuite des statuettes de bronze (notamment de chevaux), puis des trépieds (peu avant c.900). En tout cas, sur le terrain, rien de concret ne mérite d'être rapproché de 776, la date« littéraire» traditionnelle des premiers concours (mais cette dernière doit résulter d'une enquête opérée, sur la fin du V' siècle, à partir d'une documentation sans doute très hétéroclite, par le sophiste polymathe Hippias d'Élis, et organisée autour des vainqueurs de la course à pied du stade). Si l'on s'en tient aux restes archéologiques, il semble donc bien que ce grand sanctuaire péloponnésien soit entré en activité avant ceux de Delphes et de Délos, et on observe que, dans les premiers temps, Olympie paraît très proche d'abord d'Argos, puis de Sparte. De façon corollaire, on explique l'absence de bronzes parmi les découvertes illustrant les premiers temps du sanctuaire autant par l'isolation d'Olympie par rapport aux circuits économiques d'alors que par la pénurie qui paraît bien avoir caractérisé les décennies d'avant c.950/900.
RUPTURES
>>
ET« CONTINUITÉS
>>
Qu'après une époque protogéométrique marquée par un profond repli régional (entre c.l025 et c.950/900), il se soit produit une première accélération des processus d'évolution, avec en particulier une reprise progressive des contacts entre plusieurs régions de Grèce et en même temps une réorientation des relations de plusieurs communautés grecques (Eubée, Crète, etc.), avec l'extérieur (notamment vers Chypre, principale sinon unique pourvoyeuse de cuivre, une île qui montre alors une vie religieuse remarquable), ce sont là des constats fondés. Que certains traits de civilisation anciens se soient perdus- ou se soient métamorphosés au point qu'on en perde la trace - tandis que d'autres surgissaient, que l'on assiste alors à l'émergence de sensibilités nouvelles, qu'il y ait eu, dans diverses facettes de la vie des communautés grecques d'alors, des changements de perspective (ou des résurgences?), tout cela reste mal connu mais n'est guère contestable. li ne faut cependant pas se laisser abuser : le changement essentiel - et encore ne s'opère-t-il qu'avec lenteur 1 - affecte en priorité la nature, la variété et surtout le caractère spectaculaire des informations exploitables. Que ce soit, aux yeux des historiens d'aujourd'hui, des «siècles obscurs», par pénurie de matériaux, ne constitue pas une raison qui autorise à placer 1. Cf. Treuil et al., p. 447-457.
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surtout alors le nœud de la plupart des énigmes qui traversent l'ensemble de l'histoire grecque antique. Et encore ne faudrait-il pas trop caricaturer ce «déficit documentaire» en regard des autres tranches chronologiques ... li est, par exemple, incontestable que la destruction suivie d'abandon des ensembles palatiaux mycéniens entraîna, sans délai, l'évanescence de l'écriture en linéaire B 1 - dont la lecture par le grec, assurée en 1952, n'a pas manqué de bouleverser, à juste titre, la plupart des approches de la culture hellénique- mais il n'est pas permis pour autant d'y voir un passage spectaculaire d'une ère de « literacy » à une ère d'« illiteracy ». Malgré la fascination extrême qu'exercent parfois encore ces tablettes d'argile cuites par accident et au-delà des premiers émois liés à leur découverte matérielle et à leur intelligence, il faut convenir que les communautés mycéniennes semblent bien être restées, tout au long de leur histoire plusieurs fois séculaire, fondamentalement ancrées dans l'oralité, l'usage de l'écriture paraissant se limiter à la gestion de certains secteurs de l'économie palatiale (dans les régions où cette dernière s'était imposée). Ainsi donc, ces divers inventaires sont sans conteste des plus précieux, inattendus peut-être, mais, outre qu'ils demeurent délicats à interpréter (au vu en particulier de leur portée saisonnière), ils ne permettent pas d'embrasser vraiment le «monde mycénien». D'un autre côté, si l'on part du point de vue archéologique, le terme de « rupture » paraît assez malvenu, et si on laisse souvent encore entendre que la « véritable » culture grecque démarrerait à Athènes, avec le style protogéométrique, dans le troisième quart du Xl' siècle, dans· un même temps, chacun s'accorde à reconnaître dans l'Attique (pour ne pas parler, vu le «problème dorien», de la Crète~, une sorte de «conservatoire», un terroir et des populations qui seraient restés à l'abri des graves convulsions entrevues en d'autres régions de la Grèce et des îles voisines. Cela étant rappelé, si le cours de l'histoire événementielle des époques protogéométrique et géométrique ne peut être reconstitué- ni par l'entremise de l'archéologie ni davantage par celle des récits d'essence « mythicoépique »,ni encore par celle des antiquaires de l'Antiquité, en ce qui regarde le registre religieux, un traitement circonstancié du problème de la « rupture/ continuité » entre le ne et le rr millénaire reste désespéré en raison d'une information appropriée insuffisante, et ce en dépit des innombrables efforts accomplis à la suite surtout de la multiplication de découvertes archéologiques ponctuelles souvent laborieuses à expliquer.
1. Cf. Treuil et al., p. 392-394. 2. Cf. supra, p. 102-104.
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Parmi les éléments fermes impliquant l'existence d'une« continuité fondamentale» figurent en bonne place celui qu'apporte la toponymie et, bien sûr, celui que constitue la langue, le grec, un outil toujours fondamental dans la transmission d'un héritage culturel mais plus primordial encore peut-être dès lors que l'on est en présence d'une société fondée sur l'oralité, car c'est d'abord sur le message oral que repose la sauvegarde indispensable des valeurs communautaires et sacrées. Dans un registre plus spécifiquement religieux, depuis les déchiffrements péremptoires de M. V entris, on sait que plusieurs figures divines honorées au 1er millénaire (tels sûrement Zeus, Héra, Paian, Ényalios, Poséidon, Dionysos, Artémis, Arès) sont déjà nommées, à l'occasion, dans les tablettes en linéaire B, même si les liens tissés entre ces divinités et les procédures rituelles qui accompagnaient leur vénération ont pu sensiblement évoluer 1• L'absence de documentation permet donc assurément d'imaginer des mutations, beaucoup plus difficilement une rupture profonde. On conviendra cependant qu'à défaut d'une vision claire de la chronologie des éventuels mouvements de population 2 , les concordances générales observées entre calendriers ionien et attique ou éolien et dorien demeurent plus délicates à interpréter qu'il n'y paraît et que certains éléments symboliques désormais incompris ont pu être à l'occasion réutilisés à d'autres fins. Les maîtres mots permettant de caractériser au mieux ces premiers siècles « obscurs » du rer millénaire paraissent donc bien être ceux de « métamorphose » ou « transformation >> plutôt que ceux de « rupture » ou de «continuité». ll est possible qu'après avoir été un temps freiné par l'émergence d'une organisation palatiale centralisée, détentrice de moyens d'expression inédits et agent actif de la culture matérielle, le cours naturel de ces sociétés protohistoriques, fondées sur la tradition, a pu reprendre plus librement. Chypre, tout en étant un cas plus particulier, et surtout la Crète montrent bien, par une documentation moins pauvre, l'imbrication extrême du « plus vieux » et du « plus neuf» 3• Peut-être, par exemple, ces grands chaudrons de bronze retrouvés notamment à Delphes et Olympie sont-ils un lointain écho des repas rituels collectifs, pour lesquels on verra par la suite les sanctuaires grecs les moins démunis se doter de locaux appropriés (hestiatoria). Et, allant aussi dans ce sens, on rappellera que des liens autres que ceux nés du hasard ont pu se tisser entre ()fj!J.OÇ («individus se partageant 1. Le volume précédent (freuil et al.) sans guère s'attarder, a néanmoins résumé l'essentiel les concernant. On précisera simplement que si l'on estime que ces documents épigraphiques ne nomment pas directement des divinités, on ne peut guère échapper à l'idée qu'il s'agit à tout le moins de noms théophores, ce qui, en défmitive, conduit à une conclusion identique quant à l'existence de ces divinités à l'époque mycénienne. 2. Cf. supra, p. 130-138. 3. Cf. supra, p. 102-104, 204-209 et 138-154.
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un territoire>>) et Ô1lJlOÇ («chair grasse animale», celle-là même que l'on se partageait d'habitude à l'issue d'un sacrifice) 1• Mais, en dehors de ces présomptions variées, l'incapacité de fait dans laquelle la recherche se trouve à chaque fois qu'il convient de reconnaître des orants plutôt que des représentations divines dans les diverses statuettes recueillies dans ces sanctuaires, illustre sans fard la faible connaissance que l'on a toujours de ces périodes. L'examen des futurs grands centres religieux panhelléniques qui, sans doute simplement régionaux au départ 2, furent fréquentés de plus en plus largement aux époques géométrique, archaïque, classique et hellénistique, permet d'assez bien cerner les enjeux liés à la question désormais si débattue de la «rupture/continuité», mais on aurait tout aussi bien pu invoquer, avec guère moins de succès, le sanctuaire d'Apollon à Amyclées, ceux d'Aphaia à Égine, d'Héra à Samos, de Zeus à Dodone, le téménos d'Apollon Maléatas à Épidaure, les temples des vieilles buttes de Tirynthe et de Mycènes ou encore celui d'Athéna sur l'Acropole d'Athènes. En ces divers endroits aussi, on constate que le problème de la «rupture/continuité» se cristallise presque toujours à deux niveaux. n y a d'abord la question de l'identification de restes renvoyant à l'époque protohistorique, question couplée à celle de leur éventuelle dimension religieuse (peut-être moins évanescente pour Apollon Maléatas à Épidaure, pour Aphaia à Égine, ainsi que pour plusieurs grottes crétoises). D'autre part, il y a la quête - le plus souvent déçue - de la matérialisation archéologique sur ces sites d'une présence/activité spécifiquement cultuelle (attendue comme annonçant celle reconnue pour les âges« classiques») au cours de la période qui va de l'époque, sinon proprement mycénienne, du moins submycénienne à la fm de l'époque géométrique, moment où, sans que tout devienne pour autant lumineux, on peut admettre que le voile commence à se déchirer et que les choses se lient. Contrairement à ce que semblent laisser très tôt entrevoir l'île de Chypre (Kition entre autres) et le Proche-Orient dans son ensemble, jamais vraiment avant l'époque archaïque ne se retrouvent associés, en Égée, les trois éléments désormais reconnus comme constitutifs d'un lieu de culte, à savoir, dans un téménos (parfois ceint d'un péribolos qui en matérialise les limites), un autel (1) pour les sacrifices (sanglants ou non), placé, le cas échéant, face à l'entrée (généralement installée à l'Est) d'un édifice, le temple (2), dont la principale raison d'être paraît bien d'abord d'abriter une statue de culte (3) 3• De ce point de vue et à ce jour, l'Héraion des Samiens - pour lequel a été avancée une date dans le X' ou le début du IX' siècle pour son sanctuaire en plein air avec son autel et une autre, dans le 1. Cf. supra, p. 348-359 et infra, p. 413-424. 2. Cf. infra, p. 503-524. 3. Cf. irifra, p. 506-509.
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siècle, pour un premier temple 1 - reste le meilleur prétendant au titre du plus ancien complexe religieux grec « classique » connu (installé pour partie sur un ancien habitat du bronze ancien et comprenant un bosquet sacré). li est vrai aussi que l'île et ses habitants très entreprenants paraissent avoir figuré très tôt dans les circuits renouvelés qui permirent à l'Égée de renouer ses contacts avec un Proche-Orient source de richesses. IX'
Pendant de nombreuses années donc - et bien avant que ne s'impose la conclusion selon laquelle le linéaire B transcrivait déjà du grec, dès lors qu'il était question des premiers temps des grands centres religieux grecs «classiques» (tels ceux de Delphes, Délos, Éleusis et Olympie entre autres~, on a beaucoup plus volontiers opté pour la thèse de la « continuité » que pour celle de la« rupture». On s'est en particulier très souvent cru autorisé à projeter dans un passé protohistorique alors à peine entrevu, un peu à la manière de la vieille histoire cyclique, l'activité cultuelle enregistrée par l'archéologie et les textes à partir de la fm de l'époque géométrique, sautant de la sorte allégrement par-dessus le trou documentaire des époques protogéométrique et géométrique, en invoquant divers témoignages littéraires qui, de fait, militent pour une « vénérabilité » de ces lieux, fondée sur un passé mythique - ce qui est tout autre chose. Au cours des dernières décennies, des voix de plus en plus nombreuses se sont élevées contre pareille vision, allant même jusqu'à refuser, dans chaque cas, au profit de la «rupture», tout rapprochement digne de ce nom entre ce que l'on pourrait nommer les deux premiers temps forts de la culture matérielle grecque. Dans les derniers temps, une certaine méfiance s'est fait jour chez nombre de chercheurs qui évoquent désormais plus volontiers des notions moins exclusives, telles celles impliquant des démarches liées au « souvenir » ou au « retour ». De fait, il est permis d'envisager d'autres hypothèses explicatives de cette manifestation nouvelle, matérielle, de l'émotion religieuse des communautés grecques au sortir du géométrique, des hypothèses indépendantes de la nature des activités qui se déroulaient en ces mêmes lieux occupés déjà à l'époque helladique. D'une façon générale, qu'il s'agisse de sanctuaires intégrant ou non un culte héroïque, dans bien des cas, les aménagements qui commencent alors à être opérés sur le terrain paraissent bien traduire, de la part des groupes à l'œuvre sur ces sites, des opérations intellectuelles aussi complexes que largement inédites, impliquant des réinterprétations religieuses. Ces dernières étaient sans doute fondées, ici, sur des « ruines » parfois (mais pas forcément) impressionnantes, ni à tout coup d'origine 1. Cf. supra, p. 193-203. 2. Pour Artémis de Kalapodi, c( supra, p. 222-223.
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cultuelle, des «traces d'activité intelligente» bien visibles dans le paysage (on songera à Mycènes ou Tirynthe), ou, là, sur des «paysages» exceptionnels, propres à inspirer un élan religieux que pouvait encore conforter la découverte, là aussi, de restes anciens même modestes (on invoquera Delphes, Délos ou Kato Symi en Crète). Ces démarches nouvelles ont même pu conduire certains groupes jusqu'à imiter ces constructions cyclopéennes du« temps passé»; c'est du moins l'idée séduisante qui a été émise dans le cas de la terrasse de l'Héraion d'Argos. Mais sans négliger en rien un certain « déterminisme » géographique ou l'existence avérée d'une occupation humaine plus ancienne 1 - c'est la dimension concrète du problème, il faut peut-être prendre garde aussi à ne pas tomber dans un « dogmatisme archéologique » trop réducteur, qui, dans certains cas, a une nette tendance à se confondre avec un argument a silentio. Tout au long des VITI' et VIT' siècles, les Grecs (re)prirent donc possession matériellement - et de façon très « permanente » cette fois - de leurs paysages familiers par le biais notamment d'offrandes plus «spectaculaires», impliquant en tout cas des matériaux non périssables, une démarche qu'accompagnera bientôt une architecture «en dur», dans le cadre de la vigoureuse renaissance que connaît alors, d'une manière générale, la civilisation matérielle 2 • Pareil phénomène, qui s'expliquerait mal par le seul accroissement - si manifeste fùt-il - de la population\ a pu contribuer de façon décisive à la fixation de certains rituels, en des endroits «sensibles», par la mise en place d'installations fixes entraînant comme corollaire, en ces lieux, une accumulation de richesses (surtout en objets métalliques). On ajoutera cependant que bien des rites plus « modestes » ont pu se dérouler antérieurement dans plusieurs de ces « endroits » en plein air - mais aussi en d'autres lieux restant à localiser- et ne laisser que des traces évanescentes, sinon effacées par les aménagements ultérieurs. On ne peut en effet exclure qu'ici et là, bien avant que n'interviennent les poses des « premières pierres », aient été colportés, de génération en génération, au sein d'une communauté vivant collée au terroir avoisinant, des récits « entendus » \ liés 1. Par exemple, le sanctuaire d'Artémis Orthia à Sparte est fondé vers la fm du VIW siècle et ne paraît présenter aucun antécédent local, mais, à quelques kilomètres seulement de là, le Ménélaion de Thérapnè (sanctuaire hérorque consacré à Ménélas et Hélène) est établi, vers 725, à la frange d'un ancien établissement mycénien abandonné vers 1200 et qui dominait toute la vallée de l'Eurotas face au Taygète (cf. aussi celui d'Agamemnon, établi vers 700 à Mycènes). 2. En 1976,J.N. Coldstream, [1070], était en mesure de dénombrer une douzaine de sanctuaires au JX• siècle, contre plus de soixante-dix attestés à partir de c. 700, consacrés essentiellement à Athéna, Apollon, Zeus et Héra. Rien n'indique que ces proportions se soient grandement modifiées. 3. Cf. irifra, p. 402-424. 4. Cf. supra, p. 9-20. Pour quelques-uns de ces sites se pose évidemment la question de savoir pourquoi ils acquirent - graduellement mais assez rapidement - le statut de sanctuaires >, cf. infra, p. 512-524. Ici, on notera simplement que les activités religieuses intervenant en de
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à certains lieux présentant d'anciennes traces d'occupation et dès lors perçus comme chargés de qualités singulières. On en conviendra, bien des interprétations restent plus que jamais en concurrence pour rendre compte de cette sorte de « renouveau religieux » qui paraît caractériser, en terre grecque, les VIII'-VII' siècles, et les choix demeurent difficiles. n n'est cependant pas exclu qu'à l'avenir, une analyse archéologique tenant davantage compte d'une critique textuelle toujours plus élaborée puisse transcender, en partie au moins, les contradictions surgissant de prime abord de la confrontation de ces deux grandes sources d'informations. Dans l'immédiat, on concédera que, dans le cadre des sociétés traditionnelles que devaient former les communautés grecques « préclassiques », les notions de « souvenir >> ou de « retour >> - qui impliquent par ailleurs une certaine « continuité >> - paraissent assez inadéquates à si haute époque et plus attendues au sein seulement de sociétés déjà dotées d'une conscience historique, une situation qui ne peut guère remonter en Grèce avant le 1 V' siècle • On estime souvent que le « souvenir >> ne devait guère dépasser l'espace de trois générations, du grand-père au petit-fils, mais pareille affirmation demeure très théorique, trop « monolithique », trop liée au concept du «souvenir>> tel qu'il peut s'appliquer à une société occidentale, c'està-dire dans sa vérité factuelle 2• Dès lors, mieux vaut sans doute ne pas exclure partout trop vite l'hypothèse d'une sorte de « continuité en pointillé », « évolutive », en quelque sorte « inconsciente », là où une activité rituelle incontestable est déjà manifeste pour l'époque mycénienne 3• Ailleurs, là où tel n'est pas le cas ~e plus souvent sans doute), on pourrait envisager un processus de« fixation réinterprétative »,le lien fondamental avec les générations antérieures s'opérant par le biais de la langue et du bagage conceptuel- non figé -que, par nature, cette dernière véhicule. L'existence d'hérôa fondés sur des tombes anciennes (ou perçues comme telles), peut-être tombées dans un certain anonymat\ favorise sans doute cette tels lieux rassemblaient des auditoires tout désignés pour des prestations rhapsodiques, des manifestations qui ont pu se nourrir de ces lieux et contribuer de façon décisive à accroître sensiblement la notoriété de certains, d'autant qu'à toute époque, la poésie épique fait figure de bien commun à tous les Grecs, au-delà de tout patriotisme communautaire. 1. Ains~ de ce point de vue, il paraît préférable de rapprocher les boucliers du Dipylon des boucliers béotiens plutôt que des vieux boucliers en huit mycéniens, cf. J. Boardman, [817]. 2. Cf. supra, p. 7-43. 3. On notera que Treuil et al., p. 525-527, ne laisse guère (voire pas assez?) de place pour une telle éventualité. 4. TI faut sans doute souligner que le caractère totalement anonyme reste cependant très délicat à démontrer en regard du cloisonnement des terroirs (chaque communauté pouvait trés bien savoir qui elle honorait sous le nom générique de ) et de la carence dont témoigne en particulier la
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hypothèse : rituels et mythes sont des modes d'expression complémentaires et font partie d'un patrimoine ancestral toujours en gestation sans être nécessairement liés à des lieux précis. Au sortir du géométrique, la grande nouveauté paraît être la « caractérisation » marquée de ces rituels et de ces mythes, dans l'état du moment, en des emplacements qui permettent aux uns et aux autres de s'ancrer davantage dans le concret tout en se réécrivant (sans doute de façon plus inaltérable). Dès lors qu'ils se retrouvèrent inscrits dans des cadres topographiques défmis et durables, les Grecs furent souvent amenés, leur horizon géographique s'élargissant au cours de l'époque archaïque, à opérer des ajustements entre pratiques et récits désormais concurrents. C'est de ces ajustements que rendent compte, sans en avoir l'air, nombre de sources littéraires, notamment au travers de certaines de leurs affirmations contradictoires. On estime parfois que les phénomènes religieux spectaculaires, qui eurent pour toile de fond les VIIT'/Vll' siècles, n'avaient plus rien à voir avec la religion mycénienne; peut-être conviendrait-il de nuancer ce jugement un peu trop contrasté et de dire- sans qu'on y voie pour autant un souci de compromis - qu'ils n'ont plus que « de lointains rapports » avec cette dernière 1• Au-delà des incertitudes, un fait semble acquis : pour qu'un groupe ait été en mesure de procéder à une « offrande )) qui soit de nature non périssable, pour consacrer une part de ce type de « richesses )) à un dieu ou à un héros, il fallait d'abord que ce groupe soit entré en possession de pareilles « richesses )) et que le bien ainsi immobilisé par cette « consécration)), ne mette pas en péril la simple survie biologique de ce groupe. Semblables circonstances ne se rencontrèrent, semble-t-il, qu'exceptionnellement avant le début du Vlll' siècle. Tout ceci pourrait expliquer que nombre de traits culturels nouveaux ne se mirent à fleurir qu'alors.
documentation épigraphique, mais l'héritage a pu bien souvent se résumer à un sew nom (cf. la toponymie régionale récurrente : to vouno , to chôrio , to potami ). 1. ll conviendrait cependant que pareille perspective ne se transforme pas en prétexte pour faire l'impasse sur les mwtiples questions que pose la dimension religieuse de l'Égée protohistorique, cf. Treuil et al.
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Permanences et nouveautés
3. L'ÉCRITURE SYllABIQUE À CHYPRE, L'ALPHABET EN GRÉCE
Dans ce domaine 1, il existe un contraste frappant entre Chypre et le domaine égéen. En Égée, avec la destruction suivie d'abandon des palais mycéniens, au terme du Xlll' siècle, l'écriture- représentée par un système syllabique, le linéaire B- disparaît pour près de cinq siècles et, lorsqu'elle réapparaît, au cours du VIII' siècle, sous l'aspect d'un système alphabétique, elle ne présente en commun avec la précédente que le seul caractère linéaire du tracé de ses signes, un aspect formel lié au support utilisé. A Chypre, il en va tout autrement : quelques indices tendent à fonder l'idée que l'écriture doit avoir subsisté au cours des «siècles obscurs». Vont notamment en ce sens l'une ou l'autre inscription sans doute à dater de ces siècles et en tout cas la filiation étroite qui unit les syllabaires du rr millénaire et celui qui fut le plus couramment attesté au n• millénaire dans l'île. L'examen du versant chypriote permet de mieux saisir divers aspects du versant égéen.
LA RÉSURGENCE DE L'ÉCRITURE À CHYPRE
A partir du Xll' siècle, la pratique de l'écriture est très mal attestée dans l'île, surtout s'il se confirme que les quelques tablettes « CM 2 » d'Enkomi, retrouvées dans des horizons archéologiques du Xll' siècle, ont bien été rédigées plus tôt et s'il en va de même pour les boulettes d'argile et les lingots miniatures, ces petits objets étant fort probablement plus anciens que leurs contextes de découverte. Est-ce à dire que l'écriture la plus courante au bronze récent, le «CM 1 », s'est évanouie en même temps que le royaume d' Alashtya, tout comme le linéaire B disparaît avec les palais mycéniens? La question se justifie, car, après le Xll' siècle, tout témoignage direct indiscutable fait défaut et, de plus, cette disparition n'est pas un fait isolé : elle concerne aussi les céramiques Base Ring et White Slip typiques, qui étaient produites en abondance dans l'île depuis le XVII' siècle. Mais, à partir du VIII' siècle, tandis que l'Égée renoue avec l'écriture en adaptant un procédé graphique sans rapport direct avec le linéaire B, 1. Sans ignorer Treuil et al., p. 580-584, on revient ici un peu plus en détail sur ce phénomène essentiel de l'époque archaïque dans une perspective autre et avec une chronologie et une logique différentes. Cf. aussi supra, p. 7-20 (pour l'essence orale de la culture grecque préclassique) et i.tifi"a, p. 444-453.
L'écriture à Chypre et en Grèce
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Chypre pratique à nouveau un syllabaire très proche de celui en usage au bronze récent, pour noter cette fois du grec, dans sa forme dialectale locale, branche orientale du groupe arcado-chypriote 1• n était donc légitime de chercher le «chaînon manquant» entre le (ou les) procédé(s) graphique(s) du bronze récent chypriote et celui de l'époque historique. C'est ce témoignage tant attendu qui semble avoir été trouvé en 1980 dans une nécropole inaugurée au xr siècle à Palrepaphos-Skales, où une tombe (T. 49) contenait des vases du chypro-géométrique I (c.l 050-950) ainsi que plusieurs objets exceptionnels, dont trois broches de bronze (obéloi) : l'une porte une épigraphe dextroverse de cinq signes, dans un syllabaire différent du « CM 1 » (un « protopaphien », offrant un mélange de formes « paphiennes » et d'autres, «communes>>). Le message serait à lire comme le génitif (en -au typique de l'arcadien et différent du -ao mycénien) d'un nom grec, «o-pe-le-ta-u» : « [j'appartiens à] Opheltas ». De ce texte très bref, désormais présenté comme la plus ancienne attestation connue de l'usage du grec dans l'île, on a tiré des conclusions décisives quant à l'environnement culturel de Chypre au xr siècle :le grec était alors parlé au moins par une partie des habitants de l'île et, à Paphos, ce grec revêtait la forme du dialecte arcadien. On y a vu aussi une raison de plus pour accorder crédit aux récits étiologiques impliquant l'œciste-deYaphos, Agapénor, une figure héroïque qui, dans l'Iliade (B 603-614) est roi de Tégée et chef des Arcadiens devant Troie. Et on a rappelé aussi la mention par Pausanias d'un sanctuaire d'Aphrodite-Paphia à Tégée (Paus. VIII 5, 2-3 et 53, 7). En fait, à ce niveau, une plus grande prudence paraît s'imposer. Ainsi, le sanctuaire consacré à Aphrodite-Paphia à Tégée ne constitue pas plus une preuve du «souvenir» d'un lien historique ancien entre Tégée et Paphos que l'épigramme de Laodikè 2• Ces différentes « manifestations » peuvent aussi consacrer, chacune à leur manière, une intuition fondée à la fois sur la vraisemblance et l'observation, qui finit par être intégrée dans la reconstruction historique générale opérée par les Grecs de l'époque historique de leur passé plus lointain. En tout cas, dès le V' siècle, des érudits n'avaient pas manqué d'observer que les dialectes chypriote et arcadien étaient apparentés. Quelques éléments permettent une évaluation plus sereine de la découverte singulière de Skales. Ainsi, plusieurs tombes de cette nécropole ont, en fait, livré des objets plus anciens que le contexte de la céramique : des outils 1. Ce syllabaire présente deux variantes majeures : le > et le se présente comme une confirmation indirecte de sa datation relative : il est antérieur au chypro-géométrique II (donc à c.950) et postérieur à la mise au point du «CM l » 2• D'autre part, même dans sa brièveté, ce texte tend à faire un sort définitif à l'idée longtemps récurrente voulant que l'écriture ait connu à Chypre le même sort qu'en Grèce après la disparition des palais. Cela étant, il reste hasardeux d'en déduire quoi que ce soit de précis sur l'époque et les circonstances historiques qui amenèrent l'installation de Grecs parlant ce dialecte dans l'île : dans la mesure où l'on peut s'y fier, le contexte de découverte, c.l050/950, offre un simple terminus ante quem 3• L'effondrement de l'Alashiya, à la fm du XIII' siècle, s'accompagna d'une telle contraction de la pratique de l'écriture qu'en dépit de cet obélos, se pose malgré tout le problème de sa survie pendant plusieurs siècles. Que l'on n'ait plus eu recours qu'aux seuls supports périssables n'emporte pas vraiment la conviction, mais, face à la continuité virtuelle observée entre les systèmes des ne et 1er millénaires, force est de concéder l'existence de l'un ou l'autre lieu-conservatoire, où la pratique de l'écrit se réfugia, se perpétua au moins sur une échelle réduite plusieurs siècles durant, et d'où, à partir de la fm du VITI' siècle, elle se répandit à nouveau à travers l'ensemble de l'île. Dans 1. Cf. infra, p. 440-450. 2. ll faut préciser que les rapports entre les écritures syllabiques chypriotes du bronze récent et les écritures linéaires A et B égéo-crétoises posent toujours des problèmes non résolus, mais qu'une filiaùon directe des premières à parùr du linéaire A reste très hypothéùque. 3. Cf. supra, p. 138-146.
L'écriture à qypre et en Grèce
375
l'immédiat, en ce domaine comme dans d'autres de la culture chypriote, le grand sanctuaire d'Aphrodite à Palrepaphos semble offrir le cadre-conservatoire idéal 1• Pour l'époque postérieure au
VIII'
siècle, un bon millier de textes rédigés
à l'aide du syllabaire est connu à ce jour, mais nombre d'entre eux se résu-
ment à un simple nom d'individu, et il est difficile de faire un sort à part pour les seuls textes antérieurs au début du V' siècle (pour autant que des datationS assurées soient proposées). D'après cette documentation, la place et le rôle de l'écriture syllabique dans la civilisation chypriote aux époques archaïque et classique ne furent guère différents de ceux occupés par l'écriture alphabétique en Grèce jusqu'au milieu de l'époque classique : une assez large diffusion mais un usage ne débouchant pas sur la création de textes littéraires longs. Néanmoins, son aspect linéaire persistant et l'existence d'inscriptions peintes montrent que le support naturel de cette écriture n'était pas la tablette d'argile (dont on a retrouvé quelques exemplaires, telle la« tablette Bulwer » conservée au British Museum), mais plutôt des matériaux périssables comme le papyrus ou le parchemin (et donc l'existence de documents d'une certaine longueur ne peut être exclue sans réserve). En ce sens, la preuve la plus explicite reste l'emploi de diphthéraloiphos («celui qui enduit des parchemins») sur une épitaphe de Marion pour désigner le maître d'école (grammatodidaskalos). On peut se demander pourquoi, à Chypre, une île depuis si longtemps en contact avec les cultures grecque et phénicienne, l'alphabet phénicien ne fut jamais davantage que toléré et pourquoi l'alphabet grec ne s'imposa pas avant la fin du Ill' siècle av. J.-C. Sur ce point, il convient sans doute de se méfier de l'idée reçue de «conservatisme», voire de «passéisme», dont Chypre ferait preuve dans ce domaine comme dans d'autres. Au contraire, l'île pourrait avoir joué un rôle actif dans la mise au point de procédés graphiques performants. En fait, tout jugement devrait se fonder d'abord sur
!. Une part de l'incapacité du syllabaire chypriote à noter correctement le grec proviendrait, selon certains chercheurs, du fait qu'il n'avait pas été conçu au départ pour noter cette langue mais plutôt celle des Chypriotes du bronze récent, dont on peut deviner sans doute des suiVivants derrière les quelques textes qualifiés d'étéoclrJprWUs. ll est en tout cas notable que la continuité en matière d'écriture fut assurée dans la région de Paphos, car c'est précisément dans le Sud-Ouest de Chypre, zone où le syllabaire (c( Idalion) présente une variante locale prononcée ( ou >, d'autant que« lire des textes plus ou moins longs est en effet bien autre chose que "reconnaître" les signes alphabétiques>> (L. Canfora). C'est seulement lorsque l'invention eut fait la preuve de sa réelle supériorité, vers la fm du V' siècle, qu'elle partit avec succès à la conquête d'autres aires géographiques. Et c'est naturellement à compter de cette même époque que les inscriptions alphabétiques se firent de plus en plus nombreuses à Chypre, au détriment d'un syllabaire désormais condamné : en aucun cas, ce dernier ne pouvait plus égaler un alphabet grec qui, en bonne logique, était désormais à même de se substituer avec profit 1. Au même titre que les formules homériques dans les compositions lyriques, cf. in.fra, p. 450-453. 2. Encore que la part de l'écriture dans la poésie lyrique ne soit pas aisée à circonscrire (cf. in.fra, p. 449-451), mais on ne peut la réduire à néant (notanunent dans la diffusion des œuvres sous forme d'opuscules ?).
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Permanences et nouveautés
au syllabaire partout où ce dernier était utilisé, en vertu de la formule bien connue,« qui peut le plus peut le moins>>. Seule sa survivance dans de telles conditions de concurrence encouragerait à reconnaître chez ses utilisateurs un trait de conservatisme. Son rapide effacement général montre tout le contraire : le lot de textes de Kaphizin, de c.225-218 av. J.-C., constitue le « Chant du cygne » du syllabaire chypriote. Parmi les facteurs qui ont pu favoriser le maintien de cette tradition chypriote de l'écriture au cours des «siècles obscurs», deux sont à mettre en valeur, sans que l'on puisse en évaluer les poids respectifs. Le premier se présente un peu comme un paradoxe : la culture mycénienne qui influença tant Chypre dès les XIV'-XIII' siècles se présente, on l'a noté, comme un monde où l'usage de l'écrit était cantonné à la gestion de certains secteurs de l'économie palatiale. Ce linéaire B, très discret, ne constitua donc jamais une concurrence pour le syllabaire chypriote. D'autre part, l'île ne connut sans doute pas, à la fm du XIII' ou au XII' siècle, l'invasion massive et violente, postulée naguère encore à partir surtout de divers récits légendaires grecs 1• Une fois les troubles passés, les communautés étéochypriotes issues du royaume d'AlashiJ!a et les populations grecques, affranchies à la suite à sa disparition, continuèrent à cohabiter dans un cadre politique désormais moins contraignant et où chaque groupe ethnique put offrir à l'autre ce qu'il avait de plus attrayant : les premiers une écriture plus performante et mieux diffusée que le linéaire B, les seconds une langue grecque exprimant une poésie épique orale bien vivante, véritable paideia («éducation»), qu'illustra sans doute le rhapsode Stasinos. Le caractère insulaire de Chypre et l'efficacité avérée de son système graphique mirent ses habitants à l'abri de la nouvelle menace de « cunéiforrnisation » consécutive à la soumission de l'île aux souverains assyriens 2• Quant à l'écriture mise au point par les Phéniciens, elle n'offi:ait pas d'avantages assez attrayants pour conduire les Chypriotes à abandonner un syllabaire très performant au vu des systèmes graphiques alors en compétition. Faut-il y voir une preuve supplémentaire de ce que l'écriture phénicienne (22 signes) n'était pas encore cet outil incomparable qu'elle devint grâce au génie des Grecs, cet alphabet véritable permettant une orthographe phonétique complète et une lecture immédiate, libérée de toute ambiguïté, à partir de moins de deux douzaines de signes simples empruntés à des marinsmarchands syra-palestiniens ? La pénétration très tardive de cet alphabet grec à Chypre conduit à une réponse fort nuancée. D'abord, encore une fois, ce dernier méritait encore quelques perfectionnements, qui ne furent !. Cf. 2. Cf.
supra, p. 138-146. supra, p. 250-261.
L'écriture à Chypre et en Grèce
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réalisés qu'à la fm du V' siècle. D'autre part, il faut sans doute faire intervenir ces liens très étroits 1 qui existent entre la pratique généralisée de l'alphabet grec, l'émergence de la pensée scientifique (dont la conscience historique est une facette) et la montée de l'individualisme et du sentiment démocratique. Ce qui se produisit à Athènes, surtout dans la seconde moitié du V' siècle, fut en fait le résultat de trois siècles de lente maturation. Or, la situation à Chypre était tout autre : les royautés (tyrannies) y survécurent, signe que l'évolution générale fut très dissemblable. Mais, dès lors que l'alphabet était techniquement au point, son introduction à Chypre ne se fit plus attendre et son succès y fut encore conforté par la conquête de l'île par les Lagides, à la fm du IV' siècle. Ainsi s'explique la longue survie d'une écriture syllabique à Chypre : autant par l'absence de système vraiment concurrentiel et de rupture culturelle brutale dans l'histoire de l'île entre le XVTI' et le III' siècle av. J.-C. que par le fait d'un soi-disant «particularisme chypriote». Mais avec l'époque hellénistique triomphe la koinè attique, notée dans l'alphabet linéaire grec de 24 lettres, triomphe dont témoigne la bibliothèque du Musée d'Alexandrie, fondée à l'initiative de Démétrios de Phalère.
LA NAISSANCE DE L'ALPHABET EN GRÈCE
Divers aspects de cette question seront abordés dans le cadre de la « période orientalisante » 2 • On insistera ici en priorité sur quelques points techniques, relatifs à l'emprunt de l'alphabet, à ses variantes régionales, si caractéristiques de l'époque archaïque, et à ses fmalités. Le problème des utilisateurs mérite la priorité dans la mesure où il conditionne un autre problème, aux multiples ramifications, celui de l'acquisition du système par les Grecs. Tant dans l'aire «phénicienne» que dans l'aire grecque, la question se pose de savoir si la maîtrise de l'écriture était, au moins au début, confmée à un groupe plus ou moins restreint de scribes professionnels. Des deux côtés, l'existence de cette catégorie d'individus est attestée. Mais, côté grec, des termes tels que poinikastas (sans même parler de son étymologie contestée) ne doivent pas masquer la dimension d'abord institutionnelle, officielle, qu'implique une telle mention dans une inscription. D'autre part, l'émergence de l'écriture alphabétique sur les rives de l'Égée ne s'explique guère sans une bonne diffusion de cette technique dans la 1. Que les travaux d'E. Havelock, [304] à [306], ont bien mis en valeur. 2. Cf. irifra, p. 431-454.
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Permanences et nouveautés
société phénicienne, en particulier dans le segment de sa population qui s'adonnait aux navigations commerciales au long cours, principale circonstance des contacts gréco-phéniciens 1• Comme ces entreprises maritimes ne semblent pas revêtir le caractère étatique qui caractérisait en particulier les colonies assyriennes du XVIII' siècle en Anatolie, tout invite à penser que l'écriture était plutôt une pratique usuelle chez les courtiers, commerçants et artisans itinérants phéniciens. Plutôt familière en milieu phénicien, elle le devint aussi assurément en Grèce, comme l'attestent les nombreux abécédaires et surtout la grande variété des sujets fournissant prétexte à des inscriptions. Cela dit, l'usage premier de cette écriture alphabétique/phonétique 2 en Grèce a toute chance d'avoir d'abord été de répondre au souci de «marquer» les objets et les lieux. Sans doute faut-il rapprocher ce phénomène de la « singularisation » nouvelle qui frappe tous les aspects de la société grecque à partir du 3 VIII' siècle , une démarche qui annonce et prépare la révolution intellectuelle du V' siècle. Le lien puissant avec la période d'oralité pure qui précède se manifeste dans le caractère rythmé (traditionnel - cf. inscriptions d'Ischia, du Dipylon ... - et aidant à la fois lecture et mémorisation) que montrent nombre de textes (mais pas tous, cf. par exemple les tessons inscrits de l'Hymette). Mais l'émergence rapide, au début du VII' siècle, d'un premier genre proprement «littéraire», aux énoncés très courts, l'épigramme, constitua le point de départ de la nouvelle ère culturelle ainsi entamée 4 • ll ne faudrait cependant pas conclure qu'à cette rapide et assez générale diffusion du nouveau système graphique en Grèce, a correspondu, sans tarder, la création d'une vaste littérature constituée d'œuvres de longue haleine. En dehors du corpus hésiodique (dont la paternité de nombreux pans reste problématique) et des poèmes homériques (pour lesquels la question d'une mise par écrit autre que partielle demeure très débattue - même dans le cas, à vrai dire très improbable, d'une «édition pisistratique ») 5, la période archaïque n'a pas produit de véritables «textes longs » 6• Ces décennies virent bien plutôt une Grèce demeurée fondamentalement orale recourir, de façon de plus en plus intensive, à l'irnage 7• Mais, au fil du 1. Cf.
supra,
p. 301-309.
2. Dégagée de la contrainte -
si caractéristique du français - d'orthographe étymologique, et donc liée prioritairement à l'oreille et au dialecte de l'utilisateur. 3. Une tombe, un tertre, des ruines doivent forcément avoir appartenu à qudqu'un qu'il faut nommer. faut « personnaliser >> un environnement marqué par un retour en force de la civilisation matérielle. 4. Cf. in.fta, p. 449-450. 5. Cf. in.fta, p. 444-453 et 494-495. 6. Pour les textes juridiques de Gortyne, cf. supra, p. 208-209. 7. Cf. itifi"a, p. 436-438 et 524-537.
n
L'écriture à Chypre et en Grèce
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temps, la «littérature» finit par revêtir les formes, en dehors de l'épigramme, de recueils lyriques, de lois et décrets souvent ponctuels et isolés. D'autre part, on rappellera une nouvelle fois qu'il existe tout un monde entre le déchifl:i-ement de quelques signes, voire de quelques lignes, et la lecture d'éventuels documents longs, rédigés à l'aide de ces alphabets archaïques. Des Grecs se familiarisèrent vite avec ces deux douzaines de lettres sans pour autant qu'un grand nombre d'entre eux soient capables de lire «couramment». En fait, la société grecque archaïque resta, pour l'essentiel, une société d'essence aristocratique fondée sur l'oral, à la fois pour des raisons pratiques (support peu répandu, copie manuscrite, distribution embryonnaire, faible niveau de familiarité avec l'écriture et l'instruction), mais aussi et surtout du fuit qu'une lecture solitaire aurait été en contradiction avec la vie sociale traditionnelle, privilégiant la réunion en groupe pour goûter, à l'occasion de quelque banquet, le plaisir d'entendre ensemble un récitant(-lecteur( Partant du constat que la communication est une composante fondamentale dans toute société humaine et la cause première de son évolution, il faut donc plutôt voir l'élaboration de l'alphabet grec au VIII' siècle comme un levain qui, peu à peu, travailla jusqu'à son tréfonds la vieille société orale grecque traditionnelle. L'alphabet engagea les Grecs sur une voie où, conjugué à d'autres facteurs 2, il entraîna en fm de compte une véritable révolution intellectuelle, marquée par la naissance de la pensée rationnelle critique et de ses corollaires, l'individualisme, la conscience historique et l'esprit démocratique, toutes données fondamentales dans la pensée occidentale bâtie sur l'éphémère assumé et la« rationalité formelle» (M. Weber). De ce point de vue, la Grèce paraît bien offrir un sujet d'étude unique : celui d'une société traditionnelle, habitée par la «pensée sauvage», qui d'une certaine manière a sauvé la quintessence de son patrimoine culturel à travers un premier outil conservatoire de qualité, la poésie épique. En mettant au point, alors que le premier était toujours en usage, un nouveau moyen de communication et d'enregistrement (toujours d'actualité), elle est entrée, sans heurt ni rupture apparents, dans la pensée« domestiquée». On trouve des illustrations de ce phénomène de transformation lente tant dans l'évolution que connaît la philosophie naturelle ionienne que dans celle de l'historiographie qui repense le discours mythique en s'aidant de la raison 3• ll faut aussi rappeler que l'acquisition de cette nouvelle technique de fiXation 1. Cf. déjà supra, p. 379. 2. Cf. mjra, p. 537-544. 3. Ainsi Hérodote et son Enquête en prose. Y éclate un mode de pensée, de perception du temps qui passe où plus aucun événement n'est à confondre avec un autre parce que situé dans un domaine géographique, un véritable cadre chronologique et inséré dans une chaîne de causalité.
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Perma:nences et nouveautés
de la pensée que fut l'écriture alphabétique parait s'être déroulée en dehors de tout cadre religieux ou politique contraignant et qu'elle ne s'accompagna donc d'aucun message déformant. n s'agit d'un simple outil mécanique qui a permis d'exprimer l'essence de la culture orale antérieure.
QUELQUES ASPECTS TECHNIQUES DE L'EMPRUNT
L'Est méditerranéen du n• millénaire - mais ceci vaut aussi pour le !"' - a vu coexister 1 deux grandes familles d'écritures : les systèmes linéaires et les systèmes cunéiformes, une distinction qui déborde l'aspect visuel. En effet, leur longue coexistence indique que «l'écriture» s'est sinon constituée en tout cas moulée, pour certaines étapes essentielles de son histoire, dans deux cadres géographiques (et culturels) différents : l'un où, moyennant l'usage d'une peinture, le support dur autorise à la plume, au calame ou au pinceau le tracé de courbes linéaires, et l'autre où le support mou contraint celui qui utilise un poinçon ou un stylet à donner à son graphisme un aspect cunéiforme, les traits qu'il trace ressemblant à autant de petits clous. Le paradoxe trompeur réside dans le hasard des découvertes et la nature du support qui ont abouti à ce que les écritures égéennes protohistoriques, bien que linéaires, ne soient quasiment attestées que sur des tablettes (cuites par accident) ou sur des objets en pierre, métal ou céramique 2• La mise au point de l'alphabet grec, en un endroit indéterminé (cf. irifra), sans doute sur la fin de la première moitié du vrn· siècle 3 , constitue l'aboutissement final d'une cascade de petites révolutions et améliorations opérées, à l'exception de la dernière, dans le Proche-Orient (et à Chypre). L'emprunt ne fait pas de doute (forme, nom et ordre des lettres de a à 4 't sont identiques ). Date et lieu de l'emprunt font, en revanche, toujours problème. En effet, l'outil graphique, auquel on fera subir une !. Indépendamment des langues notées et des valeurs des signes, qui peuvent être des idéogrammes, des syllabes ou des sons simples (cunéiformes ugaritiques). 2. Pour le linéaire A, il est certain que l'argile était loin de constituer, au moins à l'époque de sa mise au point, son seul support : il était plus naturel de le coucher/peindre sur le papyrus, le parchemin (cf. Hér. V 58), ou même des feuilles de palmier ou des écorces. Dans le cas du linéaire B, c'est moins sûr : l'écrit dans le monde mycénien semble décidément limité à quelques domaines clefS de l'économie palatiale. 3. Cf. infta, p. 385-386 et 444-453. 4. Sans que ce soit une preuve décisive, on peut y ajouter que les Grecs eux-mêmes reconnaissaient la réalité de l'emprunt (Hér. V 58), mais des interprétations divergentes subsistent quant à la référence qu'implique l'appellation plwinilœia grammata (couleur, support, inspiration phénicienne).
L'écriture à Cf?ypre et en Grèce
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métamorphose décisive pour lui faire transcrire la langue grecque (réaffectation des signes phéniciens inutiles en grec pour noter les voyelles), est celui en usage chez des populations occupant la frange côtière de la SyraPalestine et que les sources grecques nomment, sans autre précision, les Phéniciens. Par recoupements, on est en droit de conclure que les Grecs furent surtout amenés à fréquenter, tant en Grèce qu'au Levant 1, des Tyriens. Cette écriture, linéaire, compte, à partir du XI' siècle, 22 signes, agencés selon des lignes horizontales et progressant de façon boustrophèdon ou de droite à gauche. Dans les milieux phéniciens, elle devait être assez largement diffusée au sein de la population, mais son support était en matériaux périssables, ce qui explique pour une part au moins que si peu de documents, difficiles à dater avec précision, aient survécu, ainsi que la difficulté qu'il y a à retracer son histoire. A la place d'honneur, on mettra l'inscription gravée sur le sarcophage d'Ahirom de Byblos (XI'-X' siècles av.J.-C.). On notera aussi que, jusqu'au IX' siècle, premier moment avancé par certains pour son emprunt par les Grecs, le procédé demeura essentiellement consonantique : pratiquement aucune voyelle n'est notée, une lacune guère moins gênante, quoi que l'on dise parfois, dans le cas de la notation des langues ouestsémitiques que dans le cas du grec. Au cours des X'-IX' siècles, le procédé sera alors adopté dans les régions voisines des cités phéniciennes, notamment dans les milieux araméens de Syrie, où se développèrent des variantes régionales. Dans sa zone d'origine et partout où les Phéniciens se manifestèrent par écrit, le graphisme des signes connut une évolution moindre, même s'il se développa une version cursive et si quelques simplifications intervinrent, dont les étapes ultimes sont surtout illustrées, en milieu carthaginois, dans les écrits néo-puniques. La controverse relative à la date de l'emprunt est d'autant plus complexe que le matériel de référence est vraiment très restreint 2 et fort mal daté, et que s'y mêlent des considérations d'inégale valeur relatives aux motifs de cet emprunt. Pour l'essentiel, elle s'explique du fait que les plus anciennes inscriptions grecques - d'une certaine longueur - adoptent souvent la disposition boustrophèdon (tandis que les inscriptions sémitiques déroulent des lignes toutes rétrogrades) 3 et montrent des lettres présentant déjà des différences sensibles par rapport à celles rencontrées dans les documents phéniciens qu'on estime contemporains et qui auraient donc dû servir de 1. On peut douter qu'ils s'y soient fréquemment rendus avant le VII' siècle (cf. supra, p. 30 1-309), mais ils pouvaient les rencontrer sans peine à Chypre (Kition). 2. Pour le matériel non grec, la pauvreté documentaire (et l'ignorance de l'endroit où s'opéra l'emprunt) conduit à considérer des documents provenant d'une zone très vaste présentant des variantes locales mal datées. 3. Dans le cas ~e plus fréquent) d'une inscription grecque courte, consistant en une seule ligne, le sens est en général rétrograde.
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Permanences et nouveautés
«modèles », si l'on possédait là les tout premiers textes grecs 1• Un point mérite d'être souligné: sans vouloir attribuer le transfert à la gloire d'un seul individu, un prôtos heurétès 2 opérant en un endroit précis ~e graveur de l' œnochoé du Dipylon a-t-on tenté de faire croire), il n'empêche que l'opération a dû se faire « d'un seul coup », car il fallait que le résultat obtenu débouche sans retard sur un outil utilisable par les Grecs dans les fonctions qu'ils songeaient alors à assigner à ce nouveau moyen d'expression. En résumé, diverses propositions sont régulièrement formulées avec des arguments variés, mais la date de c.775/750, sans résoudre tous les problèmes, paraît rendre compte de la majorité des observations. L'endroit de l'emprunt n'en demeure pas moins incertain. On préfère privilégier un milieu bilingue. Al Mina, la Phrygie, Chypre, la Crète, Rhodes, Athènes, etc., ont été proposés avec, là encore, des arguments de valeur inégale, sans emporter d'adhésion générale. On rappellera qu'une hypothèse moins prisée imagine un transfert opéré par des commerçants/ artisans phéniciens fréquentant les ports grecs ou établis au sein de diverses communautés grecques. La raison de cette réserve est simple, fondée (mais peut-être pas nécessairement décisive) et se nourrit de l'affectation uniforme à la notation des voyelles, dans les divers alphabets épichoriques grecs de l'époque archaïque, des signes consonantiques superflus du sémitique (A, E, 1, 0, y -lettre qui clôturait donc l'alphabet grec archaïque 3). n conviendrait donc soit de poser un lieu unique en Égée (Athènes, Thèbes, Cnossos, etc.), où se serait opérée la mise au point et d'où serait partie une diffusion antérieure à la différenciation épichorique dont témoignent vite de très nombreux documents, soit d'imaginer - une idée plus difficile à accepter qu'en plusieurs points de l'Égée le même inventeur serait venu faire connaître sa découverte. Dans cette perspective, il semble qu'en dépit (ou au contraire au vu) de son éloignement par rapport à ce qui constitue alors le domaine grec, Pithécusses ait assurément quelques bons arguments à faire valoir comme lieu de mise au point d'un tel prototype 4• On notera au passage, d'une part, que la célèbre œnochoé du Dipylon (c.740/730) n'est sans doute pas le plus ancien document inscrit en grec (plutôt le tesson -égaré?- de l'Acropole n° 309, c.740, dont l'inscription est antérieure à la cuisson du vase) et, d'autre part, que certains documents aux origines 1. ll faut cependant remarquer que ces premiers textes grecs sont incisés et non peints comme nombre des pièces > prises en considération. 2. Les érudits anciens ont beaucoup écrit sur ce s~et et ont été amenés à formuler de nombreuses propositions (Cadmos, Danaos, Prométhée, Palarnède, Hermès, etc.). 3. C'est l'alphabet ionien oriental (ce dernier adopta, pour sa part, des lettres additionnelles, cll, X, '1', Q) qui s'imposa à partir du rv· siècle, avec l'aide d'Athènes. 4. Cf. irifra, p. 444-453. L'endroit a également livré la plus ancienne peinte sur vase connue à ce jour, cf. irifra, p. 530-531.
L'écriture à Clrypre et en Grèce
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incertaines ont pu perturber les classifications proposées (ex. vases inscrits relevant du style protoattique 1 retrouvés à Égine). Pour le reste, il semble d'après la répartition des variantes locales et la répartition des dialectes que la diffusion ait suivi les circuits maritimes et terrestres, mais, encore une fois, on soulignera le nombre limité des documents disponibles, non sans regretter l'insuffisance de l'intérêt encore porté aux inscriptions peintes sur vases 2 • Quoi qu'il en soit, jusqu'à la fin du V' siècle, mieux vaut parler « des alphabets grecs », pour la localisation et la défmition desquels on renverra aux publications spécialisées. On retiendra simplement ici que trois grandes familles se dégagent : d'abord le monde dorien des îles avec la Crète, Mélos et Théra, qui utilise des alphabets très proches du modèle phénicien ; ensuite le monde des Grecs de l'Est avec Rhodes, mais aussi l'Eubée, l'Attique, Égine et Corinthe, dont les alphabets furent diffusés dans les colonies ; enfm, le monde de la Grèce continentale. Un dernier mot à propos des motifs de l'emprunt. Les plus fréquemment cités sont les pratiques commerciales ou la notation de la poésie épique (Homère ou Eumèlos de Corinthe). Rien n'est moins certain. On est tenté de croire qu'au départ, les fonctions assignées à l'écriture étaient sans doute bien plus restreintes que celles qu'elle fut amenée à remplir par la suite, même si assez souvent on n'hésite pas à envisager des pertes qui seraient consécutives à l'utilisation de supports putrescibles (parchemin, papyrus), surtout en Ionie. En réalité, si la disparition de documents sur des supports de ce type est incontestable, les cas ne doivent guère avoir été nombreux avant la fin du VII' siècle. Quant à la nature des textes ainsi perdus, rien n'autorise à envisager des documents« littéraires» dans la majorité des cas 3, et la tenue d'archives comparables à celles retrouvées au Proche-Orient ou dans les ensembles palatiaux mycéniens ne paraît pas davantage avoir été pratiquée dans les communautés grecques des époques géométrique et archaïque. En définitive, les premiers usages de l'écrit semblent bien avoir tourné autour de la « propriété )) sous ses diverses formes, et la formulation est plus d'une fois rythmée («coupe de Nestor)) de Pithécusses, cf. Meiggs et Lewis, [22], no 1). Suivront les codes de lois et les décrets publics, listes et inventaires.
1. Cf.
supra, p.
62.
2. Le cas le plus célèbre est sans doute le> (c.570) de Clitias, mais il est loin d'être isolé comme invite à le constater, entre autres, l'œuvre de son prédécesseur en cette matière, Sophilos ; cf. aussi infra, p. 530-531. 3. Sur base de l'œnochoé du Dipylon (hexamètre dactylique) et de la« coupe de Nestor>> d'Ischia (trois lignes dont les deux dernières sont des hexamètres).
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Permo:nences et nouveautés 4. IA GUERRE : IA «RÉVOLUTION HOPUTIQUE »
GÉNÉRALITÉS
En terre grecque, dès les derniers temps de l'époque géométrique en tout cas, les conflits- souvent frontaliers (Tégée et Sparte, Argos et Sparte)semblent s'être multipliés et certains d'entre eux parvinrent de toute évidence à un stade d'exacerbation tel qu'ils entraînèrent plus d'une fois l'extermination politique d'un des adversaires par son ou ses ennemis coalisés pour la circonstance : ainsi, semble-t-il, la prise de l'Hélas achéenne (malgré l'appui argien) par les Spartiates ou celle de l'Asinè dryope (malgré l'appui spartiate) par les Argiens 1• Lorsqu'ils n'étaient pas massacrés, les vaincus se voyaient alors, selon les cas, contraints à l'exil 2 ou réduits en esclavage ou dotés de l'un ou l'autre statut «inférieur» à celui de leurs vainqueurs ou encore absorbés par ces derniers dans le cadre d'un synœcisme. Seule subsistait parfois de la communauté vaincue la divinité poliade dont les vainqueurs s'appropriaient le culte (ainsi Apollon à Asinè). C'est dans ce climat désormais plus agressif entre collectivités grecques, chacune en lutte quotidienne pour sa survie, que la conduite des hostilités paraît avoir connu, selon les cas entre la seconde moitié du VIII' siècle et le premier quart du vrr· siècle, une profonde mutation. Ce phénomène ne manqua pas, semble-t-il, de s'accompagner, vers le même moment, d'autres métamorphoses profondes, le tout affectant en fin de compte de façon sensible les structures sociales, politiques, économiques et, en définitive, mentales des communautés concernées par cette «révolution» dans l'art de la guerre. Les raisons de cette modification radicale dans la stratégie et le contexte dans lequel elle intervint font l'objet, depuis maintenant des décennies, de multiples controverses dans la recherche moderne. Le plus souvent, le point de départ envisagé pour l'ensemble du processus est recherché dans l'accroissement démographique de plus en plus marqué que de multiples études se sont attachées à mettre en exergue pour le Sud de la péninsule balkanique et le domaine insulaire égéen à partir du VIII' siècle. La conséquence directe de cette augmentation rapide de la 1. Cf. supra, p. 239-247. 2. Ainsi les gens de Nauplie détruite par les Argiens, contraints à se réfugier à Méthonè elle-même vidée de ses Messéniens par les Spartiates au terme de la deuxième > (cf. supra, p. 241 ). Ceux d' Asinè trouvèrent refuge à Koronè, sur le golfe de Messénie.
lA « révolution hoplitique »
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population dut se marquer de multiples manières : dans une occupation renforcée des terroirs qu'étaient en mesure de s'adjuger les communautés, dans le phénomène colonial et, sans doute aussi, dans la généralisation d'une économie de prédation. Pour se prémunir, les communautés se virent contraintes d'investir leur énergie dans l'édification d'ouvrages défensifs - longtemps efficaces (en fait jusqu'à l'irruption des Perses) mais encore mal connus par l'archéologie- autour de centres urbains renaissants, vite perçus comme des centres névralgiques (s'y concentrait souvent une bonne partie des «richesses» convoitées). Les guerres régionales constituèrent en tout cas un des traits marquants de l'époque archaïque. Elles opposaient tantôt deux Cités sur un plan très régional (ainsi Athènes et Égine ou encore Athènes et Mégare), tantôt, par un jeu d'alliances, elles pouvaient impliquer des coalitions plus ou moins larges (ainsi voit-on souvent la « guerre lélantine » 1). Ces alliances avaient souvent été conclues dans le cadre des liens d'hospitalité tissés entre certaines grandes familles de chacune des collectivités concernées 2, des accords qui furent sans doute le point de départ de certaines coutumes en matière de relations «inter-communautaires». A la faveur d'une expansion coloniale réussie, ces conflits ne tardèrent pas à impliquer également, par la force des choses, surtout les communautés grecques installées en Italie du Sud, en Sicile, en Thrace et en Asie mineure. Parfois ils surgissaient d'une mésentente sur le partage du « gâteau colonial )), ou encore les colonies étaient conviées à épouser la querelle de leur métropole respective 3 • A plus d'une occasion, des « Barbares )) y furent mêlés, tantôt des indigènes, tantôt, tout comme les Grecs, des nouveaux venus (Cimmériens, Phéniciens et Carthaginois) avec qui les colons grecs entraient en concurrence pour l'occupation d'un terroir ou d'un secteur stratégique (source, passage obligé, etc.). On répétera qu'en tout cas, l'antagonisme irréductible Grecs-Barbares si souvent mis en avant dans les travaux plus anciens est un débat né seulement après les guerres médiques 4 • Avec la généralisation de l'emploi de l'alphabet, bientôt suivi par l'émergence d'une littérature écrite d'inspiration plus individuelle venant s'ajouter aux productions traditionnelles 5, avec la renaissance confirmée de l'architecture et des arts figuratifs (sculpture, coroplathie, travail du métal, peinture sur vase) 6, avec le vigoureux renouveau de la civilisation matérielle en !. 2. 3. 4. 5. 6.
Cf. Cf. Cf. Cf. Cf. Cf.
infra, p. 426-428. irifra, p. 503-524. supra, p. 269-286. infra, p. 545-585. supra, p. 9-25 et infra, p. 524-545. infra, p. 431-454.
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Permanences et nouveautés
général, la guerre, omniprésente, s'affirma - et resta au moins jusqu'au terme de l'antiquité, dans tous les domaines d'expression, le thème d'inspiration majeur, une source inépuisable. Ces créations sont d'ailleurs nos principales sources de renseignements même si les conventions qui présidaient à leur réalisation suffisent souvent à expliquer les incertitudes pesant non seulement sur les causes des conflits, le nombre des effectifs et des pertes, mais même sur les tactiques appliquées avec les divers mouvements et leur localisation sur le terrain, etc. Ainsi, combien de vases illustrant de peu crédibles duels d'hoplites, pour un seul (« olpè Chigi», vase protocorinthien de c.640) présentant le heurt de deux phalanges ? Le thème de la guerre est sans doute la meilleure occasion qui soit donnée de voir clairement que les productions « artistiques )) ne visaient pas tant à rendre compte de la réalité matérielle qu'à exprimer, à leur manière, les évocations traditionnelles véhiculées et nourries par une poésie épique orale, qui ne cessa d'influer « magistralement )) sur les représentations figurées, tout comme elle continua à influer sur les thèmes de la poésie archaïque 1• Cela dit, sans que l'on puisse décider vraiment si Sparte était en la matière plutôt à la traîne ou plutôt en avance, vers 650, le Ménélaion et le sanctuaire d'Artémis Orthia reçoivent les premières figurines en plomb représentant des combattants lourdement protégés, des« hoplites)), li n'est donc pas impossible que, si la première « guerre de Messénie )) - cette « Guerre de Vingt Ans)) évoquée par Tyrtée (entre c.740/30 et c.720/710) 2 - a bien eu lieu, elle ait été encore « préhoplitique )), Auquel cas, ce serait peut-être le lourd revers subi par les Spartiates face aux Argiens à Hysiai, en c.669/8, qui aurait conduit ceux-là à adopter en bloc («les Semblables))), d'une manière ou d'une autre, l'équipement et le mode de combat hoplitique. Quant à l'instauration des Gymnopaidiai, on est naturellement tenté de la lier à cette« révolution militaire)) dont on ne peut déterminer l'ampleur exacte, dans la mesure où, en pratique, la pauvreté documentaire interdit de dessiner fermement des phases « protohoplitiques ))' du reste peu contestables (cf. aussi irifra). Par ailleurs, les enjeux de la guerre ne se résumaient pas au simple désir d'accaparer un territoire autour du centre urbain (astu). A travers cette prise de possession s'exprimait l'aspiration souveraine du groupe à gérer pleinement son existence du point de vue socio-économique, c'était pour lui la possibilité d'affirmer de façon ostentatoire, à lui-même et aux yeux des groupes rivaux, son existence singulière et celle de ses divinités poliades. Mais 1. Cf. infra, p. 524-537. 2. Cf. supra, p. 238-244. Pa.Ifois contestée dans sa réalité historique, au vu du contexte historique général que l'on est autorisé à reconstituer, elle semble néanmoins .
La «révolution hoplitique »
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il n'empêche que, pour ces communautés désormais plus nombreuses et plus voisines que jamais, qui, toutes, tiraient leur subsistance presque exclusivement de l'agriculture et qui voulaient satisfaire leur désir d'existence indépendante en écartant les menaces d'étranglement, voire en s'accaparant de nouveaux espaces perçus comme vitaux, il était sans doute devenu urgent d'« optimaliser » leurs ressources humaines afm de disposer du plus large corps de troupes entraînées possible autorisant une tactique plus «percutante». Les dispositions nouvelles adoptées face à l'ennemi, sur le champ de bataille, ne manquèrent pas d'avoir de profondes répercussions sur le mode de vie « intracommunautaire » de ces collectivités 1, qui, estime-t-on, furent dès lors bientôt dominées par ceux-là qui, de façon décisive, lors des longues périodes d'hostilité, contribuaient, en rangs serrés, à assurer la défense collective. Des liens plus étroits et renouvelés se tissèrent entre le statut de paysan libre, désormais tenu de se doter de ce nouvel équipement métallique du fantassin (hoplite), lourd et onéreux mais indispensable pour la nouvelle stratégie employée, et la place et le rôle qui lui étaient assignés par la tradition dans l'adoption des mesures relatives à l'avenir de sa communauté. Dans la pratique, là où la mutation s'opéra, on estime que, de façon générale, plus du tiers de la population mâle put répondre à ces exigences jusque-là inédites et on vit ainsi d'assez nombreuses collectivités grecques bientôt en mesure d'aligner entre 3 et 8 000 fantassins semblablement armés, des hommes qui, d'une manière ou d'une autre, tôt ou tard, firent entendre leur voix plus fort dans la gestion des affaires de leur communauté après l'avoir fait dans les péans victorieux. On ajoutera toutefois que la Grèce archaïque n'a pas connu que des armées civiques. A l'occasion vinrent s'ajouter à ces dernières des forces «complémentaires», des individus venus de Scythie et de Thrace, voire des «mercenaires» (apatrides, stipendiés, et parmi eux quelques« spécialistes») originaires surtout des côtes d'Asie mineure (Ioniens, Cariens), des combattants-aventuriers que l'on retrouve ~es «hommes d'airain))), aux VII'Vl' siècles, au Proche-Orient, dans la Lydie des Mermnades et en Égypte saïte, ainsi qu'en attestent leurs graffiti 2, mais aussi chez les Grecs aux côtés
1. D'évidence, on ne peut s'empêcher d'être influencé par ce que l'on sait des conséquences politiques de la >, notamment dans la > de divers pays d'Europe, mais force est de reconnaitre que le processus inverse - qui verrait dans la révolution opérée sur le champ de bataille le résultat d'une révolution politique antérieure - parait plus difficile à défendre. 2. Cf. supra, p. 301-309.
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Permanences et nouveautés
de certains « tyrans » d'Occident, dont ils assuraient la protection personnelle 1•
LA GUERRE SUR MER
Pour certains Grecs du moins, la mer se mua aussi, et de plus en plus, en champ de bataille et, aux dires de Thucydide (Thuc. I 13,4), les premiers Grecs à s'affronter en haute mer auraient été les Corinthiens et les Corcyréens (c.660) 2 • La chronologie d'apparition des divers types de navires utilisés reste floue malgré les représentations sur vases, nombreuses au VI' siècle, et les précieuses bribes d'« informations » fournies par Thucydide (Thuc. I 13), stratège infortuné, que captivait la puissance navale athénienne. Sans exclure un possible apport phénicien, ce serait à Corinthe, puis à Samos, qu'auraient été bâties, dès la fin du vrrr siècle, à la suite d'autres navires rapides, les premières birèmes, voire les premières trières 3• En tout cas, vers le milieu du VII' siècle, de semblables unités étaient en usage. Muni d'un éperon et pouvant aussi se mouvoir à la voile, ce type de vaisseau léger a donné lieu à une multitude d'hypothèses érudites quant à sa conception technique (surtout documentée à partir de l'époque classique, qui avait pu lui apporter encore diverses améliorations). Les historiens de la guerre estiment que la trière demeura longtemps, pour sa rapidité et sa maniabilité, le navire de combat le plus efficace. Elle fut en tout cas, malgré sa fragilité - surtout par forte mer - et sa courte vie, le premier instrument de la victoire athénienne de Salamine ne « rempart de bois » prophétisé par Aristenikè, la Pythie d'Apollon, cf. Hér. VII 140 sqq.). Elle exigeait un équipage parfaitement entraîné à sa manœuvre : dans une Cité comme Athènes, résolument tournée vers la mer au lendemain de l'exploit retentissant de Salamine, la multiplication de ces « techniciens » (thètes) et la réussite de leurs sorties entraînèrent, à leur tour, comme la« révolution hoplitique »plus tôt, de profonds réajustements politiques 4 • A ces navires légendaires s'ajoutaient d'autres types de vaisseaux rapides, telles les pentécontères dont le maniement réclamait 50 rameurs et dont semble avoir disposé, à côté de trières, un Polycrate de Samos (vers 535),
1. C( infra, p. 477-501. 2. C( supra, p. 296. 3. C( supra, p. 235-236. 4. C( Briant et al., p. 151 sqq.
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«le premier Grec des générations humaines qui songea à l'empire des mers» (Hér. III 122). Dans la pratique, jusqu'en pleine époque archaïque encore, même pour les communautés installées de longue date en bord de mer, beaucoup d'entreprises navales semblent s'être à l'occasion apparentées au pillage et au brigandage. Ces pratiques, peu éloignées de la guerre proprement dite, n'étaient d'ailleurs nullement perçues comme honteuses et demeurèrent longtemps difficiles à distinguer des échanges « commerciaux » 1• Ces navires « mixtes » étaient parfois utilisés dans des buts plus spécifiquement militaires, comme le transport d'hoplites ou comme plate-forme de combat (abordage illustré déjà sur la céramique du Dipylon et attesté par les textes pour Ladè, en c.494). Quant à la tactique de l'éperonnage, elle est également documentée (Salamine, 480). L'impression dominante est qu'il fallut un certain temps avant que des tactiques proprement navales se dégagent de la stratégie terrestre. D'autre part, est-il besoin de préciser en terminant que ces divers usages donnés aux navires en temps de guerre demeuraient soumis, comme du reste toute navigation antique, au régime saisonnier, et dès lors limités à quelques mois seulement par an, au cours de la bonne saison ?
LA GUERRE SUR TERRE (ARMEMENT ET MODE DE COMBAT)
Les corps d'armée « hoplitiques » étaient donc composés, pour l'essentiel, de fantassins lourdement protégés afm d'offrir la plus grande protection lors de chocs frontaux, que chaque camp en présence cherchait à rendre d'une grande violence dans l'espoir de bousculer et désarticuler sans atermoiement la troupe adverse. L'équipement défensif comprenait un casque (on en connaît divers types présentant des caractéristiques chronologiques et régionales~ et surtout une cuirasse en général composée de deux pièces : le plus ancien exemplaire reconnu doit dater de peu avant c. 700, il était accompagné d'un casque à grand cimier et il provient d'une tombe géométrique d'Argos. A ces pièces s'ajoutaient des jambières (knèmides) et parfois, entre autres, un !. Cf. infra, p. 465-472 (Phocéens, Éginètes). Ce n'est que progressivement qu'une distinction s'opéra avec les navires de commerce, lents et manœuvrés seulement à la voile. 2. A côté du soi-disant casque chalcidien, des casques illyrien, attique, crétois ou de Grèce de l'Est, le plus connu est le casque corinthien, sans doute efficace dans la mesure où il protégeait bien la nuque et le visage, mais qui avait pour inconvénient d'être chaud, lourd et de gêner les communications verbales.
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Permrmences et nouvea:utis
protège-ventre. Tout cet équipement était en bronze et pouvait être rehaussé d'une décoration figurée plus ou moins élaborée. Du bras gauche, ces fantassins manipulaient un bouclier de type nouveau, rond et convexe (hoplon), de c.90 cm de diamètre, en bois (avec un bord en métal), qui, par la suite, fut couvert d'une feuille de bronze, avec une décoration, l' épisème. L'objet était donc passé au bras gauche, lequel s'enfilait dans un brassard en bronze attaché au centre (porpax), et tenu sur son bord au moyen d'une poignée de cuir (antilabè). Ces hommes étaient de la sorte à la fois lourdement chargés et protégés du menton aux genoux. L'équipement, assurément coûteux à se procurer, devait aussi poser de sérieux problèmes de logistique (emploi des chariots?), dès lors que ces fantassins étaient contraints à entreprendre des opérations loin des bases et/ ou obligés de traverser des zones très accidentées (ainsi entre Argos et Sparte). Comme armement offensif, ces combattants disposaient, outre du bouclier-boutoir, d'une lance de bois de plus de 2 rn, munie d'une pointe et d'un talon de fer ou de bronze, et d'une épée (plus courte qu'à l'époque géométrique) pour le corps à corps. Les plus anciennes représentations de cette panoplie se retrouvent sur des vases protocorinthiens datés de c.6 75-650, qui 1, couplés aux découvertes ponctuelles d'Argos, encouragent à localiser les premiers déploiements de combattants de ce type nouveau peu avant c. 700, principalement dans le Péloponnèse (Argos peut-être la toute première, puis Corinthe ou Sparte). Quant à l'inspiration, on la dit souvent venue, au moins pour une part, tant d'Asie occidentale (Assyrie, Ourartou, voire de Carie selon Hér. I 171) que de l'Ouest ou d'Europe centrale, ce qui cache assez mal une certaine perplexité. On notera que, le temps passant, on assista davantage à une diversification de cet équipement qu'à son uniformisation, un phénomène sans doute à attribuer, en ce domaine comme en beaucoup d'autres (ainsi l'écriture alphabétique), à l'enracinement des traditions locales, et peut-être, aux problèmes de défense qui se posaient à chaque région en particulier. La formation de combat sans doute assez vite perçue comme indissociable de cette tenue qu'elle contribua d'ailleurs à rendre plus spécifique encore ~e casque sans vision latérale, le bouclier) était la phalange, un ordre de bataille où les combattants s'alignaient, serrés les uns contre les autres, sur quatre à huit rangs de profondeur. Cette disposition répondait, elle aussi, à un protocole pointilleux, notamment entre alliés, et à des règles strictes de comportement que Tyrtée (Élég. Il, 29-34) permet de saisir : choisissant autant que possible un espace dégagé et plat ~es cas les mieux connus sont ceux de Marathon, Platées), les combattants des deux camps avançaient, au !. Cf. supra, p. 388-392, pour la valeur informative de ces représentations.
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son de la flûte, côte à côte, « pied contre pied, le bouclier appuyé contre le bouclier, l'aigrette contre l'aigrette, et le casque contre le casque, la poitrine pressant la poitrine » 1• Simpliste, la manœuvre - dont le but était clairement de provoquer une rupture des lignes adverses, entramait une dérive latérale vers la droite qu'est chargée de contenir, dans chaque camp, l'élite de la troupe. Immanquablement, de tels chocs ne laissaient pas de place à la fuite et, quelle que soit l'issue de la bataille, ils entraînaient, des deux côtés, dans le premier rang, de lourdes pertes, des trous qu'il fallait regarnir sans délai au cours de l'affrontement avec ceux de la «deuxième ligne», sous peine de voir se briser les rangs et se désarticuler toute la troupe. Ainsi s'explique la lourde défaite argienne de Sèpeia face aux Spartiates (Hér. VI 76 sqq., pendant la révolte d'Ionie) 2• Seule sans doute la possibilité de rachat des prisonniers et l'absence d'une cavalerie nombreuse empêchait le plus souvent que s'ensuive le massacre du camp vaincu. ll faut cependant préciser que, même si leur rôle n'est pas souligné dans les sources - parce que perçu comme moins «noble», on devait malgré tout engager aussi des troupes légères, des contingents armés d'arcs, de frondes et de javelots (peltastes). Du côté défait, les survivants étaient donc sans doute réduits, sauf échange, à la captivité et à l'esclavage (travail aux champs, mines et carrières) mais, à vrai dire, pour l'époque archaïque, les renseignements sont très rares (cf. le pithos à métopes de Mykonos, c.670), en dehors de la poésie épique et des arts qu'elle inspirait toujours 3• On ne sait à quand remonte l'usage de dresser un trophée, signe de la victoire et de reconnaissance aux dieux, mais assez tôt (VIT' siècle) les grands sanctuaires surtout reçurent leurs dîmes de ces combats spectaculaires, des offrandes qui prirent les formes les plus variées (armes dont en particulier des boucliers, parties de bateaux, portiques, colonnes, statues, etc.). Enfm, quand il y avait prise de ville, celle-ci devenait propriété des vainqueurs (ainsi le conflit entre Crotone et Sybaris).
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Comme on vient de le relever, la « révolution hoplitique » figure en bonne place parmi les grands problèmes de l'historiographie grecque et elle !. Mais voir déjà supra, p. 155-166 (fl. XIII 130-133). 2. Cf. irifra, p. 555-558. 3. Cf. supra, p. 155-161.
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Permanences et nouveautés
est de ceux qui, de longue date, ont suscité un flot bibliographique soutenu. Sans doute trop longtemps et trop strictement lié à l'équation «citoyensoldat>> - avec une citoyenneté qui ne serait devenue réalité qu'alors 1, ce « bouleversement » en arrivait parfois à opérer comme un concept abstrait, sorte d'outil opératoire ou de deus ex machina permettant aux chercheurs de rendre compte de la transformation de certains « blocs historiques » dans des perspectives idéologiques trop étrangères au monde antique «pré-historique». Dans les dernières années, diverses recherches ont mis à mal l'idée originelle de « révolution » au sens premier du terme, en invitant à imaginer plutôt une suite de« réformes». Elles ont en effet donné à postuler que, sur le plan militaire en tout cas, il s'agissait bien plutôt de l'aboutissement - à date variable selon les régions - d'une longue série de petites transformations techniques, par tâtonnements, distribuées dans l'espace, touchant tant les divers éléments constitutifs de la panoplie même du combattant que la stratégie mise en œuvre avec un tel équipement. ll devint dès lors erroné et arbitraire d'opposer, de façon simpliste, le combat hoplitique qui se développa à partir du VIII' siècle au combat aristocratique « antérieur » illustré par l' Iliade. Le duel homérique ou encore l' aristeia, cette action d'éclat au cours de laquelle le héros opère en solitaire un carnage dans des rangs adverses peuplés de combattants anonymes, sont d'abord des topoi « littéraires » hérités d'un autre âge - ce qui implique une cohérence des idéaux héroïques de nature épique, mais étrangère à l'authenticité historique (des idéaux par ailleurs sans doute aussi vénérables que la poésie épique ellemême, qui conditionnèrent encore les récits d'un Hérodote et font même toujours partie de l'inconscient collectif) 2• Et, si ces pratiques homériques furent jamais en usage à un moment historique donné, il est fort probable qu'elles ne l'étaient déjà plus toutes avant la fm de l'époque mycénienne, même si l'esprit souillait toujours 3• n n'empêche que, dans certaines régions (mais pas toutes, ainsi la Thessalie), aux anciennes charges de cavalerie supposées purent se substituer peu à peu des combats conduits de préférence en plaine, opposant désormais pour l'essentiel des fantassins lourdement armés et bientôt plus strictement organisés en phalanges ... hoplitiques. De façon générale, la présente synthèse a cru devoir mettre l'accent plutôt sur la survie du groupe dans son ensemble comme moteur de mutations s'opérant dans le cadre d'une société de structure et de pensée traditionnelles. Mais un choix en telle matière reste à vrai dire quelque peu !. En dépit des évidents liens sociaux antérieurs (religieux, de voisinage, de parenté). C( infra, p. 402-424. 2. C( supra, p. 9-40 et 325-345. 3. C( Treuil et al., p. 490-492.
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philosophique, délicat donc à justifier et il importe de rappeler que d'autres schémas explicatifs ont été avancés, qui s'inscrivent dans des perspectives liées à divers courants idéologiques contemporains. On a ainsi proposé de voir d'abord dans bien des conflits de l'époque archaïque des guerres « à usage interne », car fournisseuses du ciment social indispensable. Dans cette ·. perspective, les hostilités auraient davantage contribué à accroître la cohésion intrinsèque du groupe qu'à repousser un danger extérieur pressant. Elles auraient en quelque sorte été la réponse apportée à un besoin de structuration sociale, ressenti spontanément par ces communautés en l'absence de sollicitations extérieures. Révélatrices d'une sorte d'« inachèvement )) historique et ne consacrant pas une rupture du pacte social, elles auraient été peu à peu suppléées par une montée du pouvoir étatique s'opérant dans une société en voie de diversification sociale. li semble que pareille proposition soit d'abord un reflet évanescent de la vision hégélienne (teintée de marxisme) de l'État, érigeant en valeur« supérieure)) le «politique)) vu au sens moderne et restreint du terme. L'option est estimable mais son bien-fondé paraît tm.ûours à établir. Sans entrer plus avant dans le débat, on fera remarquer qu'au besoin, une activité aussi ancienne que la chasse (voire la pêche), individuelle ou collective, aurait pu remplir ce rôle à elle seule ... ce qu'elle fit peut-être. A aussi été défendue l'idée de l'épanouissement économique d'une «classe moyenne)), favorisé par le retour de la prospérité (apparition supposée d'une « classe )) marchande) 1• Le phénomène aurait entraîné, dans cette tranche des communautés, des revendications réformatrices, « révolutionnaires ))' liées à son rôle défensif désormais éminent au sein des groupes. Mais, outre que le concept de « classe )) paraît plutôt malvenu comme outil d'apalyse du monde grec archaique 2, les sources du N'siècle qui nous renseignent sur ce dernier se révèlent suspectes. Elles projettent en arrière une réflexion historique encore absente aux VIII'-VI' siècles, et l'encombrent des problèmes d'endettement et des graves contestations sociales (staseis) propres au N' siècle. Cela dit, on ne peut exclure que ce processus de «prise de pouvoir))' envisagé au début de la période archaïque, n'ait été qu'une des conséquences, presque attendues, du rôle grandissant joué, dans la défense d'une patrie plus âprement mesurée, par une population jusque-là moins nettement structurée socialement ou politiquement ~es «suiveurs))). On serait alors en présence d'individus qui jusqu'alors ne pouvaient se prévaloir d'une place !. Cf. supra, p. 166-183. 2. Faut-il rappeler que le terme de sont-elles vraiment applicables déjà ? 2. Cf. supra, p. 166-183 et infra, p. 454-476. 3. Cf. infra, p. 402-424.
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trop dénaturer les choses en invoquant tacitement l'Ancien Régime et en en venant à opposer une communauté nouvelle, qui fusionnerait de façon heureuse ville et campagne, à une vague organisation antérieure où rien de tel ne pouvait exister : l'information directe fait défaut et la documentation indirecte invite à une formulation plus nuancée. ll n'empêche qu'aux changements sensibles, « observables » sur le champ de bataille, doit avoir fait écho une forme de vie communautaire plus étroite, à l'élaboration de laquelle la solidarité hoplitique put contribuer de façon décisive. La participation d'un plus grand nombre d'individus d'un même groupe à un même danger affronté dans des conditions identiques, au coude à coude, au terme d'une préparation collective (ainsi aussi les «repas communautaires pris entre hommes» syssitia ou andreia), n'a pu que souder davantage les fraternités d'armes, conduisant à transposer ces dernières dans d'autres domaines de la vie en collectivité et à réfréner sans toutefois l'annihiler- éthique épique et commandement obligent - l'émergence d'individus «sortis du rang» (ainsi peut-être même des tyrans ?) 1• Jusqu'alors, seuls les « aristocrates » - parce que, de père en fils, ils étaient en charge de « leur » communauté et qu'ils s'acquittaient dans l'honneur de cette obligation traditionnelle - méritaient le qualificatif d' aristoi. Au bout d'un certain temps, les modifications intervenues sur le champ de bataille (sans doute à partir du début du VII' siècle) ne purent que se répercuter sur le référent humain donné à ce terme, qui continua à désigner les principaux défenseurs attitrés des communautés, des défenseurs qui comptaient dorénavant aussi dans leurs rangs d'« autres » individus que les anciens aristocrates, des combattants revêtus de la même tenue mais peut-être sans ancêtres remarquables. Pour l'époque archaïque, il est très délicat de dégager les modalités qui conduisaient certains individus à exercer la direction des opérations sur le terrain. Certes, on voit apparaître, ici, des« rois» dépouillés de l'essentiel de leurs autres attributions comme à Sparte, là, des hommes assurément de «bonne naissance», investis au travers de magistratures semble-t-il nouvelles comme à Athènes, mais la genèse des processus échappe. Ailleurs encore, on rencontre des « tyrans )) que rien ne permet de croire pour autant «sortis du ruisseau)). Simplement on peut supposer qu'un rôle éminent devait toujours revenir, par la force de la tradition, aux membres de la vieille aristocratie, dans la mesure où ils avaient pu profiter d'une paideia («éducation))) où la condition athlétique, indispensable aux activités militaires et sportives, occupait «depuis tm.Uours )) une place de choix ... sans être toutefois la seule.
1. Cf. supra, p. 397-398 et i.Tifra, p. 476-501.
La « révolution hoplitique ))
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LES GRANDES CITÉS HOPLITIQUES
Parmi les grandes communautés grecques qui, assez tôt, adoptèrent cette nouvelle forme de combat, on mettra au premier rang les Spartiates, dont le père de l'histoire institutionnelle, Aristote, se plaisait à rappeler que, vivant sous une double «royauté», ils avaient ainsi échappé à la «tyrannie » et qu'ils vivaient sous la meilleure des constitutions possibles. Cette politeia était attribuée, a-t-on vu 1, à Lycurgue, un « émule » du légendaire Minos crétois, le législateur par excellence, ce qui reporterait donc l'élaboration de cette Rhètra au début du VIII' siècle. Dominée par la notion d' eunomia ~a« bonne ordonnance»), elle était sensée soumettre les aspirations personnelles au bien supérieur de la collectivité, de l'État. Le modèle spartiate, fondé davantage sur un mythe continûment repensé en fonction des contraintes successives de la réalité historique que sur une réflexion prospective, n'a jamais cessé depuis- au-delà de certaines critiques quant aux buts poursuivis ~e seul objectif étant le courage et non l'ensemble des vertus) - d'occuper, au travers des spéculations de «penseurs » tels que Platon et Aristote, une place de choix dans la pensée politique grecque, puis européenne, qu'elle soit de droite ou de gauche, tous ses représentants étant en quête de la «Cité idéale». Quoi qu'il en ait été, on découvre de fait les hoplites au VII' siècle, notamment par le biais des poèmes de Tyrtée et d'Alcman, confrontés à une situation socio-politique aux origines historiques obscures impliquant les Spartiates proprement dits ~es Homoioi ou «Semblables))), les périèques («lotis)) eux aussi et avec lesquels ils formaient la communauté des Lacédémoniens) et les hilotes. Cette première place qualitative dans la pratique hoplitique, les Spartiates la durent pour une bonne part aux populations périèques et hilotes, qui les faisaient vivre de leur travail (agriculture, commerce, artisanat) tout en les menaçant, dans le cas des hilotes, de leurs révoltes, les poussant à s'organiser de manière à pouvoir se consacrer, dans le cadre d'une discipline sans pareille (agôgè), aux seules activités guerrières. Pour le reste, la formation hoplitique ne devait guère varier d'une communauté à l'autre, sinon dans la place laissée pour l'initiative personnelle et, dans les faits, si Sparte put s'enorgueillir des prestations des siens aux Thermopyles et à Platées, Athènes montra tout autant d'excellence à Marathon. Axée en priorité sur l'entraînement physique, cette préparation à finalité guerrière finit par avoir son cadre spécifique, le gymnase ~e premier construit à Athènes est attribué aux tyrans), un lieu appelé à devenir, chez les Grecs, 1. Cf. supra, p. 238-244 et surtout mjra, p. 456-459.
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Permanences et nouveautés
le centre éducationnel par excellence, et elle se solennisa dans les courses et danses en armes se déroulant dans une atmosphère religieuse 1• Même si les propos de Plutarque (Plut., Lye.) relatifs aux Spartiates ne sont pas toujours exempts d'une part de mythe et de légende (Apothètes, cryptie) et s'ils sont empreints du souvenir des débats politiques postérieurs à son objet d'étude (notamment ceux qui agitèrent le w siècle athénien), l'anthropologie permet de mieux comprendre certains des faits et gestes spartiates de prime abord étranges, tout comme elle autorise des parallèles avec l' éphébie athénienne telle qu'elle apparaît au IV' siècle. Quant aux conséquences de pareille situation de crise permanente à Sparte, elles ont été clairement exposées par Thucydide (Thuc. 1 10,2).
5. L'APPARITION DES POIEIS (ORIGINES, NATURE, DÉFINITION)
CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES
Des divergences - profondes parfois, inconciliables souvent, si variées que la place manque ici ne serait-ce que pour les résumer - divisent tous ceux qui se sont penchés sur la nature et l'histoire « ancienne » de la polis grecque 2• Ce thème, il est vrai, constitue l'un des cadres privilégiés de la réflexion moderne sur la Grèce antique, dans la mesure où les notions impliquées cernent une réalité voisine, annonciatrice, fondatrice de celle de l'« État)) moderne occidental. A côté de cette diversité extrême d'opinions, il est néanmoins une constatation qui fait l'unanimité des chercheurs : on touche de la sorte à l'institution la plus originale et la plus fondamentale qu'ait connue le monde grec, la forme majeure- même si, pour beaucoup, elle peut paraître loin d'avoir été la forme exclusive- de son organisation sociale. En effet, chacun s'accorde à y retrouver, au fù de l'Antiquité, tout à la fois le fondement, le creuset, le support, l'épine dorsale de la culture grecque «classique)), Et, de fait, comme l'a très justement écrit François Chamoux, « la notion de cité, création originale et vivace du peuple 1. Cf. infra, p. 503-524. 2. Le lat. civitas n'est qu'une approximation du substantif polis même s'il a donné >, choyait la coutume au détriment du changement 1• Cette forme de mécanique mentale n'a jamais fait obstacle à des mutations même très spectaculaires, au point qu'à quelques générations de distance, les situations de départ et d'arrivée de certaines réalités peuvent sembler hétérogènes, mais retenir la thèse de la « rupture » générale au terme de l'âge du bronze reviendrait à faire une impasse- qu'à ce jour rien ne justifie 2 - sur toutes les générations « intermédiaires » qui durent opérer à la fois comme gérants de la cohésion sociale et comme agents de liaison, de transmission et d'« accommodation » inconsciente d'un héritage culturel pluriséculaire. Et sans doute est-ce dans cet état d'esprit qu'il est permis alors d'envisager, avec toute la prudence qui s'impose, le témoignage de la poésie homérique, un témoignage d'autant plus isolé que la culture matérielle des premiers siècles du rer millénaire nous échappe pour l'essentiel. C'est dans cette perspective aussi qu'un rôle décisif doit être reconnu à la langue grecque dont la mise par écrit atteste matériellement le parler en Grèce depuis le XV' siècle au moins 3• Dans la mesure où, comme toute langue, elle fut bien davantage qu'un simple outil de communication 4, elle dut agir comme instrument fondamental de continuité. Pour l'Égée postérieure au XII' siècle, ces considérations n'encouragent guère à bâtir des scénarios de « rupture » mais elles incitent plutôt à envisager - en donnant à ces phénomènes une réelle épaisseur chronologique - une régression sensible de la culture matérielle, une certaine léthargie dans les échanges opérés à longue, moyenne et courte distance, et malgré tout, des mutations s'opérant en profondeur, bref, des siècles « tombés dans l'obscurité» ... Elles exhortent aussi à s'interroger sur l'impact que la prise en compte de tels phénomènes peut avoir sur la formulation des questions relatives à la naissance de la polis. La date de c.B00/750 pour la naissance des premières Cités grecques est en général reprise et plusieurs études se sont appliquées à conforter ce choix en faisant valoir tantôt divers arguments archéologiques, tantôt des considérations économiques, reflets fidèles souvent des grandes idéologies contemporaines en compétition. On ne peut pour autant parler d'accueil 1. Cf. supra, p. 55-59. 2. Cf. supra, p. 130-138. Même une hypothétique vague grecque d'essence dorienne au cours du XII' siècle rendrait difficilement compte de pareille cassure. 3. Cf. Treuil et al., p. 397-423. 4. On ne peut exagérer les distinctions dialectales, assez aisément surmontables, comme l'indique la> dont fait montre la poésie épique, cf. Treuil et al., p. 571-579.
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unanime, ainsi que permettent de s'en rendre compte les écrits de l'historien américain Ch.G. Starr, qui perçoit la polis certes comme un système de gouvernement dans lequel des citoyens avaient des droits autant que des devoirs sous la tutelle de la loi, mais qui estime aussi que la profonde singularité du monde antique réduit sensiblement l'apport potentiel des travaux antérieurs, plus généraux, à perspectives économiques, de Karl Bücher, Werner Sombart ou Max Weber notamment, centrés sur l'homo œconomicus et la ville, considérée d'abord comme centre de consommation. Partant de l'idée banale selon laquelle la polis était une entité géographique définie - un «territoire» - dans laquelle l'activité politique se concentrait en un seul lieu, Ch.G. Starr 1 s'est interrogé avec profit sur la valeur du témoignage archéologique, dès lors qu'il s'agit de détecter les premières poleis. Passant en revue les remparts, le noyau urbain (astu), les divers édifices publics et la monnaie, l'agora(« place publique>>), les sanctuaires et les pratiques funéraires, il observait - un peu à la manière du grand Thucydide (Thuc. I 10) dissertant sur Sparte- qu'une Cité-État grecque pouvait avoir eu une longue existence et ne pas avoir laissé pour autant de restes matériels distinctifs. ll s'avérait dès lors erroné de trop inféoder la montée de l'État-Cité au seul processus d'urbanisation : ce dernier phénomène serait plutôt à voir avant tout comme une matérialisation de l'apparition de surplus. ll s'estimait donc autorisé à conclure que l'essence de l'État-Cité grec relevait bien davantage de la sphère spirituelle que du monde matériel : l'élément vital d'une polis ne serait autre qu'une certaine attitude, un comportement donné de ses habitants qui étaient incorporés dans une organisation politique et sociale, une union d'individus fondée non sur la loyauté personnelle à un chef mais sur l'appartenance ferme à une communauté, la « loi » restreignant le caprice individuel. Pour Ch.G. Starr, cet état d'esprit« communautaire» n'est perceptible ni dans la poésie homérique ni dans les tyrannies grecques du vn· siècle. n voit dans ces dernières comme la prolongation naturelle des royautés du « Dark Age» et de l'époque géométrique et elles ne constitueraient donc pas davantage une «période intermédiaire», interrompant un moment l'histoire déjà entamée de l'État-Cité par confiscation temporaire du pouvoir politique. Dans la même perspective, il discerne, à l'opposé de V. Ehrenberg, dans les cultes des héros fondateurs instaurés en terres coloniales une autre preuve d'une colonisation intervenue avant que ne s'impose la primauté de la communauté (monde des poleis) sur l'individu (monde des héros) 2• De même, considérant cette vieille institution qu'est la guerre, on ne pourrait davantage parler, avant le vn· siècle, de phalanges hoplitiques, de !. Cf. Ch. G. Starr, [1218]. 2. Cf. supra, p. 348-359.
L'apparition des Poleis
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l'avis général une des plus belles expressions de l'émergence de démarches solidaires 1• D'ailleurs, la facilité relative avec laquelle la citoyenneté était accordée à des« étrangers», encore au début de l'époque archaïque, serait un autre signe de l'« apolitisme » profond qui dominait à ces époques. Enfm, s'interrogeant sur les manifestations religieuses, il reconnaît leur présence envahissante dès le VIII' siècle (cultes héroïques), mais il discerne là d'abord et surtout un phénomène qu'il lie à la constitution des poèmes homériques et il pense que la communauté politique n'a pu exercer un réel contrôle sur ces activités avant le VI' siècle. En d'autres termes, pour Ch.G. Starr, à ses débuts, la Cité-État aurait été une communauté humaine aussi lâche dans ses liens qu'était évanescent son cadre physique, et c'est surtout peu après c. 700 que, rapidement, elle aurait émergé sous sa forme « classique », soit un siècle plus tard que la date privilégiée pour le même phénomène par V. Ehrenberg, mais encore avant celle proposée par H. Berve. Pour Ch.G. Starr, si l'essor économique du VIII' siècle a bien été indispensable à l'apparition des poleis, dans le même temps, il refuse d'accorder la primauté aux facteurs économiques : l'impulsion aurait été donnée par le désir des hommes installés dans certains terroirs de désormais se serrer les coudes - à la faveur d'une sorte de mouvement « convivial » - en se dotant de règles de conduite communes, d'ailleurs variables d'une Cité à l'autre (surtout en ce qui regarde l'appartenance à la communauté et la détermination du point névralgique du pouvoir). Ces prises de position appelleraient de très nombreuses remarques. On s'attardera seulement sur celles qui prennent le contre-pied des thèses de V. Ehrenberg pour qu~ on l'a vu, la naissance des poleis avait anticipé le phénomène colonial des VIII'-Vl' siècles. Que la grande colonisation ait débuté avant la naissance, au VII' siècle, de la Cité-État réclame une explication non fournie par Ch.G. Starr. En effet, comment rendre compte de cette politisation, similaire à celle observée en Grèce propre, dont firent preuve les communautés grecques qui s'établirent notamment en Sicile, en Grande Grèce et en mer Noire, tous environnements géographiques et humains sensiblement différents de ceux de l'ancienne Grèce? Par ailleurs, même dans la perspective adoptée par V. Ehrenberg - pour qui il faut que la Cité-État ait été une réalité viable, « greffable » dès c.800, pour pouvoir être exportée avec succès notamment vers la Sicile et la Grande Grèce dès la seconde moitié du VIII' siècle, comment alors rendre compte de l'apparition de multiples poleis, au même moment qu'en Grèce propre, sur la côte occidentale de l'Asie mineure (ainsi Smyrne), 1. Cf.
supra, p.
388-402.
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c'est-à-dire dans un vaste secteur sans réel passé mycénien mais sans doute colonisé dès les :xrr-x· siècles ? Les conditions jugées indispensables pour un essaimage «politique» à l'Ouest n'auraient-elles pas été de mise dès lors qu'il s'agissait de l'Est égéen ? On a peine à le croire, d'autant qu'avec raison, V. Ehrenberg n'est pas prêt à prendre en considération un éventuel exemple phénicien pour une date aussi reculée 1• On est dès lors tenté de conclure que, dès l'époque des migrations ionienne et éolienne vers l'Asie mineure - un processus à situer sans doute dans les décennies qui suivirent l'effacement de la phase palatiale de la civilisation mycénienne, si la CitéÉtat n'existait pas encore, elle était déjà comme inéluctablement inscrite dans les gènes des communautés grecques, que ces dernières soient restées en Grèce ou qu'elles se soient ensuite plus ou moins vite dispersées aux quatre coins de la Méditerranée et de la mer Noire. Il est sans doute excessif de prétendre que, chez V. Ehrenberg, « le problème religieux a éclipsé le problème politique » 2• Certes, selon lui, « le dieu (poliade) devenait ... le monarque d'une communauté qui avait totalement perdu la monarchie humaine (celle de l'époque mycénienne)» et« ce n'est pas un hasard si la forme architecturale du mégaron, dont le premier emploi grec s'observe dans les salles des palais mycéniens, devint la forme nécessaire du temple grec. Le dieu lui-même prenait la place du roi ... » 3• Mais il n'en demeure pas moins que pareille explication «par substitution» demeure très insatisfaisante, dans la mesure déjà où elle postule une filiation dont il est impossible de rendre compte, de quelque manière que ce soit, entre la fm de l'époque palatiale mycénienne- dont on ignore tout des institutions «politiques» - et le sortir de l'époque géométrique. D'autre part, le point de vue de Ch.G. Starr devrait être résumé, car, s'il ne présente pas toujours toute la cohérence attendue, il a le mérite de mettre, plus clairement que cela n'avait sans doute été fait jusqu'alors, l'accent sur une dimension autre que des postulats économiques ou les restes matériels. De plus, au cours des dernières années, cette voie a été explorée plus avant - et avec quelque succès - par le biais des recherches sur la pratique du culte héroïque aux époques préclassiques 4 •
!. Cf. supra, p. 248-269. 2. CI. Bérard, [1062], p. 97. 3. V. Ehrenberg, [1191], p. 44. Pour le bien-fondé tout relatif de la comparaison entre les dispositions rencontrées dans l'unité centrale des palais mycéniens ~e mégaron) et dans le temple grec classique, cf. supra, n. 1, p. 347 et infra, p. 503-524 ~e foyer, en particulier, ne se retrouve jamais à l'inté· rieur du temple grec du 1"' millénaire). 4. Cf. supra, p. 345-359.
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L'apport de l'anthropologie culturelle
Les spéculations relatives à la place et aux fmalités à reconnaître au culte héroïque dans la Grèce géométrique et archaïque s'écartent (sans les rejeter tout à fait) des approches plus «matérialistes», issues pour partie des pensées wébérienne et marxisante, et sont surtout davantage nourries par les découvertes archéologiques. Au-delà des réticences qu'elles ont provoquées à l'occasion - et parfois à juste titre 1, ces recherches (relativement) récentes ont le mérite d'associer plus étroitement, dans une enquête consacrée aux origines de la polis, plusieurs aspects quelque peu négligés jusque-là de la réalité antique, telle la dimension proprement cultuelle. Selon Cl. Bérard, d'une part, « au cours du VIII' siècle, les agglomérations urbaines et semi-urbaines passent d'une phase antépolitique à une phase politique. C'est l'émergence de la polis grecque historique » 2, qu'il croit percevoir à Érétrie. D'autre part- et on va y revenir, toujours selon lui, à tout moment de son histoire, une Cité était en mesure de se redéfmir politiquement à la faveur de n'importe quel changement de régime et, à cette fin, il lui était loisible de récupérer n'importe quand, au gré des circonstances, la mort d'un de ses princes 3• Or, on l'a déjà noté\ l'archéologie en fournit de multiples illustrations, le VIII' siècle paraît marqué par une efflorescence remarquable de figures héroïques dont les tombes sont identifiées avec de vieilles sépultures -bâties souvent à l'époque « helladique » -rencontrées çà et là dans le paysage grec. La tentation dès lors était grande de mettre en relation directe la répartition de ces cultes héroïques avec la fondation « politique » des grandes Cités « historiques » et ce que Cl. Bérard appelle « le balisage de leur territoire». Invoquant une projection du poète dans le passé, il prend l'exemple des chefs troyens qu'Homère présente, en période de crise, se regroupant autour du tombeau d'llos (Il. X 415), qui symbolisait les origines de leur « Cité » et dont ils attendaient inspiration et conseil. Quant à ce qui aurait contribué à mettre « à la mode » la pratique des cultes héroïques, ce n'aurait pas tant été la diffusion de l'épopée homérique que ce que d'aucuns nomment - malgré les quatre siècles qui pourtant séparent les deux phénomènes ! - « l'éclatement de la souveraineté » au profit d'une aristocratie !. Comme celles de Cl. Rolley, [1121], à propos de l'interprétation de l'hérôon de la porte Ouest d'Érétrie ; cf. aussi supra, n. 1, p. 35 7. 2. Cl. Bérard, [1062], p. 89. 3. Cf. aussi irifra, p. 419-424. A l'appui de sa démonstration sont invoqués les dix héros éponymes des tribus clisthéniennes à l'occasion de la réforme de 508, mais sans doute est-on alors assez loin du d'Érétrie, décédé depuis peu et pourtant déjà honoré, qu'il croit pouvoir identifier à la porte de l'Ouest de la ville eubéenne et à qui il fait jouer un rôle similaire. 4. Cf. supra, p. 345-359.
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guerrière, au sortir de l'époque mycénienne. Pour Cl. Bérard, ce type particulier de lieu de culte qu'était l'hérôon serait donc un trait distinctif de la Cité « historique » au même titre que l'agora ou le sanctuaire de la divinité poliade ; et ce serait au travers de « la récupération de la mort du prince » (qui aurait fait fonction d'objet médiateur) que se serait opérée une redistribution des privilèges royaux, nouvelle donne en quelque sorte, d'où seraient sorties les Cités « politiques » du rer millénaire. Que retenir de ces propositions? Une enquête de Fr. de Polignac, opérée dans des perspectives proches de celles inaugurées avec profit dans les travaux deJ.-P. Vernant\ permet sans doute d'y voir un peu plus clair tout en synthétisant diverses recherches plus récentes. n est certain que, parmi les nombreuses transformations qui affectèrent le monde grec aux Vlll'VII' siècles, mérite d'être remarquée la multiplication des dépôts votifs en des lieux qui apparaissent désormais comme des « sanctuaires » délimités par une enceinte (téménos?. C'en est ainsi fait alors de la relative indétermination spatiale entre espaces « profanes » et espaces « sacrés » que paraissent bien illustrer, chacune à sa façon, la poésie épique et l'archéologie égéenne 3• n faudrait lire dans cette mutation « un passage de l'individuel au collectif», «comme un indicateur de la naissance d'une communauté». Dorénavant, les rites s'inscrivent durablement dans certains paysages. De plus, de tous ces sanctuaires, contrairement à l'idée reçue, les plus vénérables ne seraient pas forcément, à chaque fois, les sanctuaires urbains, voire d'acropole, mais plutôt ceux installés aux limites du territoire de la Cité. Ces derniers jalonneraient en quelque sorte l'avancée de la «civilisation)) aa terre cultivée par l'homme) face au domaine sauvage des «confins» (eschatiui); en d'autres termes encore, souvent construits sur des ruines - plus ou moins imposantes - de l'âge du bronze, comme l' Héraion bâti sur les tombes bellacliques de Prosymna, à 8 km au Nord-Est d'Argos, ces lieux de culte extraurbains délimiteraient, telles des bornes-frontières, le territoire de la Cité (chôra/. Leur apparition et leur fréquentation à l'occasion de diverses cérémonies de passage- impliquant tout particulièrement les classes d'âge sur le point d'être intégrées dans le corps des citoyens adultes- seraient à rapprocher du nouveau type d'exploitation du territoire qu'aurait découvert une Grèce passant promptement, au VITI' siècle, de l'élevage à l'agriculture. li se serait donc produit alors une « révolution agraire » qui aurait exigé, de !. L'approche y est souvent pluridisciplinaire et marquée par la psychologie historique développée par Ignace Meyerson et Louis Gernet. 2. Cf. infra, p. 503-524. 3. Cette question par bien des côtés essentielle n'est pas considérée par Treuil et al. 4. Dans la même perspective, l'Attique serait ainsi en quelque sorte arc-boutée sur les « sanctuaires-limites>> de Brauron, d'Éleuthères, d'Éleusis, auxquels durent s'ajouter, sans doute à l'époque classique, ceux du Sounion, de Rharnnonte et d'Acharnes.
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la part des communautés grecques qui la vivaient, un contrôle plus complet - permanent - de leur terroir et non plus seulement la jouissance, plus ou moins momentanée, des seuls points d'eau et de passage que réclamait l'élevage. Comme il fallait désormais défendre, à longueur d'année, des terres travaillées qu'un accroissement de la population rendait décidément plus précieuses, ce processus aurait donné naissance, au sein d'un terroir concerné par cette mutation économique, à des convergences d'intérêt jusque-là inconnues, qui auraient favorisé une symbiose entre ville et campagne, l'émergence de solidarités inédites, bientôt traduites par des synœcismes («fusion de communautés» jusque-là indépendantes), l'apparition de phalanges hoplitiques 1 et une fréquentation assidue de ces lieux de culte frontaliers à l'occasion de processions solennelles : ainsi encore la pompè des Argiens de leur astu à l' Héraion, une manifestation rendue célèbre par l'exploit de Cléobis et Biton rapporté par Hérodote (Hér. I 31). On disposerait ainsi d'un cadre explicatif assez plausible pour rendre compte de la façon dont aurait pu s'opérer, dans la pratique, à partir du VIII' siècle, ce que l'on nommera l'intégration « intrapolitique », les premières politisations de communautés grecques. Un rôle-clef reviendrait donc aux sanctuaires extra-urbains dans la mesure où, souvent sièges de divinités courotrophes, ils étaient le cadre des rites entourant le passage décisif de l'adolescence à l'âge adulte. Un dernier point mérite l'attention : libéré des visions restrictives de participation à la « vie politique » au sens moderne de l'expression- qui impliquent des activités auxquelles ne purent prétendre que les seuls hommes, Fr. de Polignac est dès lors autorisé à concevoir pour les femmes davantage que la simple intégration passive généralement entrevue (par l'intermédiaire de l'époux ou du frère). Dans cette optique cultuelle, loin d'être confinée aux marges d'un univers communautaire masculin, la « femme-citoyenne » aurait été intégrée à la communauté, elle aussi de façon active, par le biais de ce même univers sacré dont l'accès lui était d'ailleurs, à l'occasion, strictement réservé 2• Fr. de Polignac invite ainsi à considérer dans leur cas, non pas une« citoyenneté latente», mais« une citoyenneté cultuelle sans laquelle l'autre ne peut pas exister)) 3• Ainsi, l'exclusion des femmes de la vie «politique)) (assemblées et magistratures), qui se dessine dès l'époque archaïque et qui éclate au grand jour dans les régimes participationnistes/démocratiques de l'époque classique, ne devrait donc pas 1. Cf. supra, p. 388-400. 2. L'exemple choisi n'est autre que celui des en l'honneur de Déméter- dont le lieu de célébration, le Tlwsmophorion, est traditionnellement un sanctuaire suburbain - célébrations qui n'étaient pas loin d'instaurer, dans chaque polis, une véritable , qui aurait opéré un déplacement de son centre urbain vers le site > d'Érétrie au terme de la mystérieuse >, cf. üifra, p. 426-428.
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Permo:nences et nouveautés
la communauté qui l'occupait y manifesta un net enrichissement lié à des contacts nombreux renoués de bonne heure avec le Proche-Orient 1• Au lieu-dit voisin de Toumba, sur une petite butte, un imposant édifice à péristyle fut bâti à l'époque protogéométrique (c.l 050-900), occupant près de 10 rn de large et au moins 45 de long, avec des murs plâtrés sur leur face interne, sans doute un porche à une extrémité et une abside à l'autre. La construction - que l'on interpréta d'abord comme le plus ancien temple grec connu - ne paraît pas avoir eu une longue existence, ses bâtisseurs ayant sans doute connu des déconvenues dans un projet architectural trop ambitieux (certains murs semblent avoir bougé, car bâtis sur d'anciennes tombes à chambre mycéniennes). La vie de l'édifice s'inscrit tout entière dans l'époque du protogéométrique moyen, soit aux alentours de 1 000, tandis que la nécropole aux environs resta en usage pendant un siècle encore (on aurait alors recouvert les ruines du complexe sous un amoncellement de pierres faisant office de tumulus). Dans sa partie centrale fut mise au jour une tombe divisée en deux compartiments. Le premier contenait les restes calcinés d'un homme, enveloppés dans une étoffe et placés à l'intérieur d'une amphore de bronze qui voisinait avec une épée et une lance. A côté de ces objets, l'espace était occupé par une sépulture de femme inhumée. L'autre compartiment abritait les squelettes de 3 ou 4 chevaux. Les traces du bûcher funéraire étaient encore visibles à l'Est de la double fosse. On est donc ici en présence d'un individu qui, à sa mort, s'était vu décerner des honneurs funèbres« homériques», un peu à la manière (mais beaucoup plus tôt !) de certains aristocrates à Salamine de Chypre au 2 VITI' siècle • En fait, d'une part, si à chaque fois la même question la plus souvent posée est de savoir si l'on est en présence d'un «véritable» culte « héroïque)) ou s'il faut plutôt songer à un «simple)) culte «dynastique )) 3 , on observe qu'en réalité, si le cas d'Érétrie reçoit meilleur accueil que celui de Toumba, c'est que le premier se glisse à merveille dans le cadre chronologique « attendu )) pour la politisation, au contraire du second, qui est bien plutôt écarté ... pour sa date trop haute. Et, d'autre part, il n'est pas acquis que l'anonymat des restes (non démontré et, dans la plupart des cas, non démontrable) ait été une condition expresse pour la fixation d'un culte héroïque,
1. Cf. supra, p. 265-266. 2. Cf. supra, p. 250-251. 3. Dans l'un et l'autre cas, en effet, il ne s'agit pas à proprement parler d'anciennes tombes ahan· données, redécouvertes et > dans le cadre d'une réappropriation du passé, même si dans le cas de l'ensemble de la porte Ouest d'Érétrie, les données de la fouille semblent obliger à envi· sager un hiatus matériel de quelques décennies, ce que ne fait pas Cl. Bérard.
L'apparition des Poleis
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même si - pareille pratique en milieu colonial invite à le croire nymat dut se présenter plus d'une fois 1•
cet ano-
En dépit de l'opinion la plus souvent reprise, on aura donc quelque peine à admettre sans réserve que le culte héroïque implique des pratiques tout à fait étrangères au fonds mycénien de l'épopée, qu'il faille y discerner un réseau de «coutumes nouvelles», apparues seulement vers 750 et projetées dans le passé (en même temps que certaines pratiques civiques) par un auteur de poèmes homériques qui « manipulerait habilement la chronologie » 2 • Le culte héroïque a plutôt toute chance d'avoir des antécédents qui plongent bien plus avant que le VIII' siècle, et le cas de Toumba permet en tout cas de poser que, dès la fm du XI' siècle déjà, certains individus eurent droit, après leur décès, à l'essentiel des rituels« héroïques» qui entourent les funérailles de Patrocle dans l'Iliade 3 • On n'est plus alors dans l'ère mycénienne, mais il est cependant des indices plus clairs qui encouragent à convenir que le culte héroïque, tel qu'il se pratiqua le plus souvent aux temps « historiques » - sur une « vieille tombe», était au moins ponctuellement connu dès l'époque protohistorique. En effet, on ne peut ignorer le témoignage présenté en particulier par le «cercle A» de Mycènes (celui découvert par H. Schliemarmt L'actuelle disposition des lieux n'a que des rapports trompeurs avec l'aspect qu'elle devait présenter, lors de l'installation des fosses funéraires, au début de l'helladique récent (entre c.1600 et 1500) : ce n'est en effet qu'au cours du XIII' siècle (HR IIIB)- deux siècles donc au moins après l'abandon de leur usage comme lieux d'inhumations - que fut mis en place le « cercle » funéraire visible aujourd'hui (matérialisé par de grandes plaques verticales) et qu'un autel y fut adjoint. ll fallut attendre aussi le XIII' siècle pour que l'ensemble ainsi ceinturé fùt intégré à la partie intra muras de l'établissement, par l'extension de la muraille cyclopéenne et l'adjonction de la monumentale «Porte des lions», qui débouche juste sur l'entrée du cercle funéraire 5 • En dépit des objections de l'archéologue G. Mylonas en particulier et sans pour autant adopter les conclusions plus lointaines défendues par M. Nilsson, il paraît désormais difficile de ne pas reconnaître dans ces multiples réaménagements - volontiers spectaculaires - l'organisation d'un 1. Sans doute faut-il rappeler que, si le lieu choisi pour ces ruines était sans doute libre de >, les esprits des hommes qui s'y investissaient ne l'étaient pas pleinement pour autant et mieux vaut ne pas pousser trop loin la comparaison - par ailleurs assurément éclairante - avec nos modernes «soldats inconnus», cf. supra, p. 352-353. 2. CL Bérard, [1062], p. 100-105. 3. Cf. aussi G. Nagy, [323], qui, en particulier, est tenté de retrouver dans le culte héroïque une métamorphose profonde du culte des ancêtres. 4. Cf. Treuil et al., p. 333-336. 5. Et que prolonge ce qu'il est devenu d'usage de nommer le «centre cultuel».
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culte héroïque déjà, sans doute préparé par les stèles dressées dès l'origine sur les fosses 1• On serait donc tenté d'appréhender la naissance des poleis de façon moins « restrictive » que dans bon nombre de travaux récents, de façon plus « aristotélicienne » 2• Ou bien la pratique d'un culte héroïque est, comme un grand nombre de recherches récentes invitent à l'admettre, révélatrice de l'existence de communautés politiques, ou bien ce rituel n'autorise pas une telle lecture. Au terme de bientôt un demi-siècle d'enquêtes historiques, confortées par les apports très appréciables de la sociologie et de l' ethnologie, il paraît désormais très difficile de nier toute relation entre ces deux « institutions », et derrière chaque « communauté politique)) au sens plus étroit donné par la suite à cette expression, se profùe toujours une « communauté cultuelle))' sorte de partie cachée de l'iceberg, sans laquelle la partie visible n'aurait jamais pu émerger. Vu sous cet angle, on a peine à croire que des collectivités soudées dans et par des pratiques cultuelles communautaires ne firent pas leurs premières apparitions avant la seconde moitié du vnr siècle. Même si, comme l'a naguère noté Fr. de Polignac, on peut admettre, non d'ailleurs parfois sans quelques réticences, que «des études portant sur le gérws, la phratrie, la tribu, ont en effet montré que loin de représenter les cadres constitutifs essentiels de la société précivique, ces institutions, telles que nous les connaissons, n'ont connu leur plein développement qu'au sein de la polis déjà formée, où elles ne sont donc pas les vestiges d'un âge disparu, mais bien les lieux indispensables d'expression de la cohésion, de la philia qui unit les citoyens )) 3, rien n'autorise pour autant - et surtout pas le vide documentaire, si grand soit-il - à concevoir les collectivités grecques des « âges obscurs )) comme de simples bandes tribales, dépourvues de toute cohésion sociale digne de ce nom avant l'émergence de la Cité (G. Nagy). D'ailleurs, le peu que l'on entrevoit à l'époque classique de la vie
1. Pour rappel, le , est toujours resté hors les murs et a subi moins de modifications que ce dernier. Mais outre les stèles également présentes, il offre, lui aussi, un trait curieux : alors que, depuis un siècle et demi, il n'avait plus reçu aucune sépulture nouvelle, la fosse Rhô a été réoccupée à l'HR IliA par une tombe bâtie en pierres de taille. On a peine à y voir le seul fait du hasard, mais bien plutôt le souhait d'intégrer ceux qui devaient l'occuper à un groupe d'individus considérés par ces nouveaux occupants comme illustres. Cela dit, on est en présence d'un cas sans doute trop isolé, encore que la démarche soit illustrée pendant la première moitié du 1~ millénaire en plusieurs endroits (cf. C. Antonaccio, [1054] et [1055]), à commencer peutêtre par Toumha de Lefkandi. 2. Sans doute oublie-t-on un peu trop que, pour le pére de l'histoire institutionnelle, la polis était un >) 1 -mode d'organisation aux origines pratiquement inconnues mais volontiers qualifié de « forme plus primitive de la communauté politique » 2 - ne permet pas de conclure que les collectivités non touchées par la politisation, étaient structurées selon des règles beaucoup moins strictes, même si chez nombre d'entre elles les liens politiques (au sens moderne du terme) ont pu être plus faibles et intermittents (matérialisés en particulier autour d'un sanctuaire « fédéral »). «Ce n'est ni la pierre ni le bois, ni l'art des constructeurs qui font une cité. Mais partout où se trouvent des hommes qui savent comment se sauver eux-mêmes, là se trouvent à la fois les murs et la cité » 3 • En définitive, le processus envisagé par CL Bérard 4 mérite toujours l'attention, mais il conviendrait sans doute de ne pas le codifier à l'extrême et de ne pas restreindre son application à une tranche chronologique aux limites trop arbitraires : «Observons simplement qu'une cité peut se redéfmir politiquement à la faveur de n'importe quel changement de régime, et qu'il lui est donc possible de récupérer n'importe quand, au gré des circonstances, la mort d'un prince. L'exemple d'Athènes est particulièrement topique : son premier hérôon est celui d'Érechthée, sur l'acropole, mais on connaît bien l'importance croissante que prendra le Théséion de Cimon, dans l'Agora, sans parler du monument des Tyrannicides, ni de celui des dix éponymes des tribus clisthéniennes, ni même de l'Œdipe à Colone de Sophocle, tragédie marquée du sceau de l'idéologie héroïque. Mutatis mutandis : Ptolémée II transfère les reliques d'Alexandre de Memphis à Alexandrie et les abrite dans un mausolée qui servira de modèle à celui d'Auguste». Et à ces exemples on ajoutera, ainsi qu'y invite une enquête récente 5, le tumulus de Marathon, véritable trait d'union entre les complexes funéraires aristocratiques d'inspiration «homérique» et les monuments politiques de l'ère démocratique.
1. Ail. >. Surtout en Grèce occidentale et septentrionale : Thessaliens, Épirotes, Étoliens, Phocidiens, Locriens, Acarnaniens, Arcadiens, Achéens, Macédoniens. Cf. aussi, pour les Épirotes et les Macédoniens, Briant et al., p. 202-226. 2. On imagine généralement, de façon un peu théorique et en s'inspirant des thèses de l'érudition antique (cf. supra, p. 126-138), les ethnè des époques archaïque et classique comme autant de miettes des grands etlmè grecs constituant les grandes branches de la nation hellénique (Ioniens, Doriens, etc.), qui s'installèrent en Grèce au terme de vagues migratoires successives. Ce serait leur dispersion sur des aires géographiques assez vastes qui aurait concourut à cet affaiblissement du sentiment ethnique initial. 3. Alcée, 426 L.-P. 4. CL Bérard, [1062], p. 91. 5. Cf.]. Whidey, [1139].
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li est incontestable qu'il se produisit en Grèce, au cours du VITI' siècle, « quelque chose » de très remarquable : le culte héroïque se mit à connaître alors une faveur qui a toute chance d'avoir été inconnue jusque-là, et sans doute faut-il voir dans ce phénomène remarquable le signe le plus tangible indiquant que nombre de communautés grecques cherchaient, plus ou moins consciemment, à se redéfmir socialement, religieusement, voire aussi politiquement, dans le cadre des multiples bouleversements qui accompagnèrent la fin de l'époque géométrique (nette poussée démographique, diaspora rapide, renouveau vigoureux de la culture matérielle, retour d'abord discret mais défmitif de l'écriture, etc.). Mais, tout comme ce VITI' siècle ne fut pas le siècle des dernières mutations, il ne fut pas davantage celui des premières. Rien n'autorise à refuser à ces plus anciennes communautés grecques, périodiquement confrontées à des réajustements, déjà le nom de poleis. Elles n'offraient sans doute pas encore ces caractéristiques qu'elles présentèrent aux époques archaïque et classique, mais c'était assurément déjà des communautés bien structurées et l'indétermination géographique qui paraît caractériser, à de rares exceptions près, leurs activités rituelles n'empêche nullement d'y retrouver des communautés déjà soudées par des pratiques cultuelles coordonnées à un imaginaire mythique vivant 1• En conséquence, même si l'on imagine plus volontiers ici des étapes initiales rétives à toute enquête par carence documentaire, des métamorphoses successives, plus ou moins rapides mais à jamais insaisissables, on voit désormais mieux ce qui nourrit la thèse la plus en faveur aujourd'hui, celle d'une naissance des premières poleis au VITI' siècle : les divers « phénomènes )) sociaux qui marquèrent le VITI' siècle sont à la fois les moins mal connus et surtout ceux qui nous touchent culturellement, voire sentimentalement, le plus, dans la mesure où c'est de ces métamorphoses du VIII' siècle que naquirent, çà et là 2, des régimes politiques communément perçus comme fondateurs de nos« démocraties))' celles-là même aussi qui furent si souvent à la source des enquêtes historiques sur la Cité grecque.
1. Comme l'écrit justement Fr. de Polignac, [1075], p. 27 (2' éd.),>. 2. Ces ultimes étapes, toutes les communautés grecques furent loin de les connaître et nombre d'entre elles continuèrent à vivre kata kômas, les modes d'analyse propres à la pensée contemporaine, notamment en matière de « stratégie politique » 1• C'est sans doute tout autant cette démarche largement inopportune que le manque d'information qui explique les nombreuses contradictions que trahissent les multiples reconstructions proposées tant parfois déjà par l'érudition antique que par la recherche moderne. D'une façon générale, il semble bien que le VII' siècle surtout fut très fertile en événements politiques spectaculaires - sans compter déjà ceux directement liés au processus colonial. Dans des communautés plus populeuses, vivant désormais au rythme de mutations plus rapides, inscrites dans un retour généralisé à une civilisation «matérielle» pratiquant l'écriture, des échanges maritimes à longue distance, etc., les sources possibles de friction étaient diverses et sans cesse plus nombreuses, débouchant souvent sur des révolutions violentes (staseis) impliquant des rois, des clans aristocratiques, 1. Cf. infra, p. 525-527 et 536-537.
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lesquelles étaient parfois interrompues par des tentatives de conciliation opérées par des « personnalités )) exceptionnelles ~égislateurs, tyrans, etc.). Ici, laissant de côté les innombrables conflits entre voisins immédiats ou en tout cas proches, on s'en est tenu à deux grands conflits inter-communautaires qui, selon des traditions antiques persistantes et divers recoupements opérés par la recherche, s'étendant de proche en proche, finirent par impliquer une bonne part du monde grec archaïque, à savoir ce que l'historiographie moderne a convenu d'appeler la« guerre lélantine )) et la première « guerre sacrée )) 1•
CHALCIS, ÉRÉTRIE ET LA, cf. surtout supra, p. 193-247. 2. Cf. supra, p. 269-323. 3. Pour l'essentiel, on rapproche Hés., Trav. 650-660 {où il déclame s'être rendu en bateau à Chalcis et avoir participé avec succès aux concours du valeureux Amphidarnas) et le frgt 26 du Commentaire à Hésiode contenant une citation de Plutarque pour qui Amphidarnas avait trouvé la mort dans une rencontre navale contre les gens d'Érétrie, dans le cadre de la lutte pour la plaine du fleuve Lélantos.
Les grands conflits en Grèce
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même situation conflictuelle, dans le dernier quart du VIII' siècle. Semblable attitude se rencontre surtout chez plusieurs chercheurs anglo-saxons davantage séduits en particulier par les reconstructions historiques envisageables à partir des fouilles anglaises entreprises à la fois en Syrie côtière à Al Mina 1 et à Lefkandi d'Eubée. Un problème de cette nature n'est pas unique dans l'histoire grecque archaïque : ainsi en va-t-il aussi, d'une certaine manière, de la première «guerre de Messénie», qui est le plus souvent située, lorsque son historicité est admise, quelque part dans le troisième quart du VIII' siècle (c.740-720f Cependant, ici, tout compte fait, on pourrait bien n'être en présence que d'un simple concert de coïncidences, car cette conviction plus d'une fois affichée d'avoir affaire à une véritable suite d'événements historiques, bien liés les uns aux autres par d'indubitables réseaux de causalité, ne se nourrit guère que d'« éléments traces >> fort disparates, que l'on peut regrouper dans une double série d'observations dont on ne retiendra ici que les plus marquantes. La première tourne autour de la disparition vers 700- au terme du niveau VII - des importations de céramiques eubéennes à Al Mina, un établissement côtier de nature controversée, installé à l'embouchure de l'Oronte 3• Sur le site, il semble même y avoir une rupture dans l'occupation et, lorsque des bâtiments sont reconstruits, au début du VII' siècle, l'essentiel de la céramique grecque provient de Corinthe et de la Grèce de l'Est. La deuxième concerne l'Eubée même : le grand établissement de Lefkandi dont on ignore le nom antique, dans la petite plaine lélantine (lllantion ou lllanton pédion), face à Aulis, entre les centres actuels de Chalcis et Érétrie, paraît bien avoir été rapidement abandonné peu avant c. 700, donc sur la fm de l'époque géométrique (peut-être est-on en présence d'un déménagement au profit du site « classique » d'Érétrie ?) 4 • On a donc vu dans ces deux chapelets d'observations des conséquences du long conflit -le plus notable depuis la « Guerre de Troie » - qui aurait opposé, dans le dernier quart du VIII' siècle, les puissantes Cités eubéennes de Chalcis et Érétrie, chacune secondée par une liste (aussi impressionnante qu'incertaine) d'alliés : les Chalcidiens auraient ainsi pu compter sur les Corinthiens, les Samiens, les Érythréens, les Spartiates et les Thessaliens du Sud tandis qu'Érétrie se serait fait seconder par les Mégariens, les Milésiens, les Chiotes, les Messéniens et les Argiens (cf. en particulier Hér. V 99, qui ferait donc là son unique référence à cette guerre). On est bien en peine de préciser l'issue de ce conflit, mais les tenants de son historicité conviennent 1. Cf. 2. Cf. 3. Cf. 4. Cf.
supra, p. 257-261 et surtout 301-309. infra, p. 456-458 et surtout supra, p. 238-244. supra, p. 78-80 et 122-125. supra, p. 209-210.
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en général qu'au-delà d'un affaiblissement sensible des capacités eubéennes, Chalcidiens et Thessaliens auraient pu, pour le moins, marquer des points décisifs. Toujours dans cette optique, on admet communément aussi que ce serait alors que les Spartiates se seraient assuré le contrôle du Sud du Péloponnèse, alors aussi qu'entraînant diverses modifications dans les rapports de force en Occident, Corinthe et Chalcis auraient pris leur envol colonial en Méditerranée occidentale et que ces multiples conséquences auraient été tout bénéfice pour Delphes (cf. le poète épique Eumèlos de Corinthe) 1• n s'agit là d'hypothèses de travail par bien des côtés fort séduisantes parfois, mais sans doute aussi convient-il de les garder pour ce qu'elles sont, des reconstructions conjecturales opérées à partir de rares lambeaux, et donc de rester prudent en ne se laissant pas entraîner à prendre ces propositions, ainsi que cela semble avoir été fait de temps à autre, pour une grille de lecture contraignante de l'histoire politique grecque de la seconde moitié du VIII' et du VII' siècle.
LA PREMIÈRE, ce qui se vérifie fort bien dans l'ensemble des productions artistiques se retrouve aussi dans les autres domaines : en l'absence d'une volonté intrinsèque de muer- un besoin qui lui est étranger, c'est la rencontre d'un «courant» distinct, étranger WAutre), qui devenait la cause la plus susceptible d'entraîner des innovations, parfois même des «révolutions», en donnant l'occasion à ces collectivités « géométriques » de prendre un recul quasi critique et libératoire sur elles-mêmes. Ces décennies de l'histoire grecque, nommées « Période orientalisante » ~a chronologie du phénomène n'est guère aisée à cerner, fonction qu'elle est des critères retenus, mais on lui donnera ici comme limites c. 740-c.630) r, fournissent une excellente illustration de ce phénomène générateur de changements, né d'un tête-à-tête prolongé entre deux mondes traditionnels qui s'étaient autrefois déjà longuement frottés l'un à l'autre 2, et qui pouvaient chacun se targuer de posséder un bagage culturel aussi ancien, étoffé que différent. Ce face à face créatif entre les traditions propres à la Grèce géométrique et les courants culturels dominant au Proche-Orient et à Chypre 3 s'est sans doute opéré à deux niveaux : celui des objets manufacturés au Proche-Orient et désormais importés en plus grand nombre en Égée (par des « Chypro-Phéniciens » souvent), et celui d'individus faisant montre de connaissances et de techniques inconnues des Grecs jusque-là (ou oubliées), des individus rencontrés soit en Méditerranée orientale soit, de plus en plus souvent au sortir de l'époque géométrique, dans les ports des eaux égéennes. La réalité de ces contacts sans intermédiaire, d'hommes à hommes, quoique moins formellement documentés, est à considérer avec le plus grand soin dans la mesure où le contexte social grec était, semble-t-il, favorable par coutume à l'accueil d'artisans« étrangers». En effet, la société traditionnelle grecque reconnaissait à certains individus, détenteurs de connaissances spécifiques, qu'ils soient grecs ou non, une place singulière : ils étaient à la fois extérieurs aux communautés qu'ils visitaient et accueillis pacifiquement en leur sein. C'était cette catégorie d'hommes appelés les dèmiourgoi,
1. L'histoire de l'art parle, presque plus volontiers, d'« époque archarque >> (c. 700-c.480), phase succédant au géométrique récent (c. 750-c. 700) et au sein de laquelle elle distingue trois temps successifs, c( supra, p. 62. 2. C( Treuil et al., p. 443-446 (koinè > des XIV-XIll" siècles). 3. Où les fusions entre éléments grecs (mycéniens) et orientaux (mais aussi insulaires) remontaient déjà, pour une part au moins, au bronze récent; c( supra, p. 248-269.
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essentiellement des « artisans » 1, que caractérisait une existence ambulante, passée à circuler de communauté en communauté pour exercer leur art. Dans la mesure où l'obstacle de la langue ne devait pas être insurmontable 2 , il a donc pu aisément se glisser, au sein de divers groupes constitués, soit pour un temps limité seulement, soit à vie, des artisans qualifiés, d'origine étrangère, qui ont ainsi fait entrer, dans une Grèce géométrique sortie de son relatif isolement, différentes techniques transmissibles seulement au travers d'un apprentissage assisté. Les premières manifestations de l'existence de tels individus en Égée orit été détectées, déjà pour le troisième quart du IX' siècle environ, en Crète (Cnossos), en Eubée (Lefkandi), au travers de certaines productions métalliques retrouvées dans la grotte sacrée de l'Ida, à Olympie, Delphes ou encore Dodone. La même constatation s'impose pour des orfèvres (Rhodes, Cnossos, Eubée et Athènes), des ivoiriers (Athènes), des graveurs de sceaux (Athènes, Crète), voire peut-être même des scribes (Athènes, Crète). C'est à chaque fois à des individus- maîtrisant qui la bijouterie, qui l'orfèvrerie, qui la métallurgie du bronze, etc. - issus du Proche-Orient (des Syro-Phéniciens ou Chypro-Phéniciens) que l'on est amené à songer 3 • C'est cependant au travers des objets importés en Égée que se manifeste le plus clairement, le plus indubitablement, la mise en place de relations à nouveau étroites entre communautés de l'Égée et communautés du ProcheOrient. Ces importations consistaient, pour l'essentiel, en divers objets métalliques (en bronze, fer, or, argent), obtenus par la fonte ou le martelage (avec, dans certains cas, intervention de la gravure), en ivoire travaillé (sculpture et gravure) et sans doute en tissus décorés et/ou colorés (non conservés). De ce point de vue, une remarque s'impose sans tarder au niveau de l'inventaire : ces importations ne comprenaient pratiquement pas de céramique 4, un domaine où il est donné à croire que les Grecs excellaient déjà davantage.
1. Cf. supra, p. 169-181. 2. Cf. supra, p. 381-387. 3. Cf. supra, p. 248-269. D'autres professions ne sont pas à exclure mais elles ne sont pas aussi bien attestées, tels des charpentiers (en construction navale en particulier). 4. Cf. supra, p. 257-269 et infra, p. 440-454.
La «période orientalisante »
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ARTS ET TECHNIQUES
Sauf quelques rares cas qui s'expliquent sans peine par l'exploitation de découvertes accidentelles d'objets protohistoriques décorés\ il n'y a pas de filiation iconographique assurée entre l'art« créto-mycénien » d'une part et les arts« géométriques» et« archaïques» grecs d'autre part, pas de «continuité» digne de ce nom, en tout cas «consciente » 2 • La disparition définitive d'un thème « iconographique » majeur - encore que d'interprétation contestée- comme celui du« génie minoen à carapace», présenté en premier plan, sur plusieurs objets exceptionnels de facture égéenne, réalisés au cours du bronze récent, en fournit une bonne « illustration ». . . en négatif. De ce point de vue, si les arts figuratifs mycéniens, voire créto-mycéniens, font bien partie intégrante de l'« art grec » et méritent sans doute à ce titre le qualificatif de« protogrecs », c'est en pratique dans la seule mesure où les textes en linéaire B trouvés en Crète et sur le continent, attestent que ces réalisations paraissent bien à déjà mettre au crédit d'hellénophones. En fait, dans la majorité des cas, le sentiment diffus de la continuité se nourrit de ce que, d'une part, les populations de Grèce qui s'exprimaient par ces moyens avaient toutes en commun la langue et la culture grecques (bagage de la poésie épique) et que, d'autre part, ces populations subirent des influences venues de Méditerranée orientale (où des traditions iconographiques - dont la chypro-mycénienne - étaient aussi anciennes que bien établies), cela tant à l'époque protohistorique que dans les décennies (et les siècles) qui suivirent la ferme reprise des contacts (cf. notamment l'Héraion de Samos), après un relatif passage à vide, marqué par l'émergence d'une métallurgie (de substitution) du fer en Égée. C'est au travers de la céramique produite en Grèce dans les derniers temps de l'époque géométrique par des potiers grecs, que s'observe d'abord et le plus clairement l'impact de l'Orient en Égée, mais, au fù des décennies, toute réalisation matérielle, petite ou grande, modeste ou somptueuse, en matériau résistant ou périssable, devint bientôt un support potentiel pour des représentations figurées, plus ou moins élaborées, impliquant dieux, déesses, héros, animaux mythologiques. Le phénomène prit, au fù du temps, une telle ampleur que le VI' siècle pourrait presque mériter le nom de « siècle de l'image». !. Cf. les découvertes de Délos, supra, p. 361-362. 2. Ainsi, par exemple, le motif du cercle ou du demi-cercle, qu'on observe désormais tracé au compas sur la céramique protogéométrique, comme dernier avatar du motif séculaire du poulpe minoen passé dans la spirale mycénienne.
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Permanences et nouveautés
Avant que ne se marque ce souille d'inspiration nouvelle venu de l'Est, la céramique grecque (marquée, comme du reste l'ensemble des réalisations matérielles, par des« traditions régionales» dont la vigueur n'est guère pour surprendre) avait été un temps dominée par les ateliers de potiers attiques dont les productions s'inscrivaient, sans aucun signe de rupture manifeste, à la suite des séries submycéniennes. La technique de ces artisans éclate en particulier dans la fabrication et la décoration de grands récipients à finalités funéraires ~a taille de certaines amphores peut dépasser 1,5 rn), présentant un caractère « formulaire » et impliquant surtout des scènes funèbres (J;rothésis ou« exposition du corps>>, et ekphora ou «convoi funèbre» conduisant le corps vers le bûcher), parfois d'essence épique (défilés de chars, combats), découverts dans la nécropole athénienne à incinération proche du Dipylon ~a « porte double » du futur grand quartier artisanal athénien du Céramique). Ces objets façonnés en argile, peints et cuits, présentaient donc, en fait de décoration, une assez grande uniformité en dépit de certaines variations régionales : là où il se présentait, le décor consistait en motifs géométriques réguliers, plus ou moins élaborés (triangles, cercles, chevrons, etc.), disposés en bandes autour du vase, et, lorsque des silhouettes s'y ajoutaient (à partir du géométrique moyen II, c.800), elles étaient apposées sur l'épaule ou sur le col, animaux stylisés répétés tout au long d'une frise ou inscrits dans de petits panneaux (suivent les figures humaines, nombreuses surtout vers la fm de cette phase, sur les grands vases mentionnés supra). L'évolution que connurent ces séries tout au long des deux premiers temps de l'ère géométrique peut se résumer en deux points : une primauté guère moins contestée des ateliers attiques et un bond tant qualitatif que quantitatif remarquable. Seules Argos et Corinthe produisirent des objets qui soutiennent quelque peu la comparaison avec les réalisations attiques. En céramique, le « style orientalisant » se manifesta d'abord, pour sa part, à Corinthe à partir de c. 725 (protocorinthien), peu avant d'éclore à Athènes, et, assez vite, des productions similaires surgirent un peu partout en Grèce, contribuant à une métamorphose complète tant de la technique du dessin que du répertoire décoratif, métamorphose qui s'opère donc au cours de la troisième et dernière étape de l'ère géométrique (c.750-c.700). Ce n'est pas ici le lieu d'entrer dans le détail des classifications techniques qui distinguent d'abord, selon la région, une phase protoattique, protocorinthienne, protoargienne, etc. 1, mais on notera que, dans la suite, les silhouettes géométriques initiales s'effacèrent alors devant des formes souples, obtenues en combinant la couleur noire et les détails incisés !. C(
supra, p. 62.
La «période orientalisante »
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(technique de la« figure noire», empruntée aux Corinthiens et sans doute inspirée de la gravure du métal), agrémentées parfois de traits de contour et de couleurs complémentaires - de rehaut - rouge et blanche (protoattique récent, c.630-c.600, «peintre de Nessos/Nettos »). Sans pourtant connaître les ombrés, cette technique, il faut le souligner, pouvait atteindre un degré de détail tout à fait remarquable. Le répertoire des motifs connut la même évolution encouragée par la liberté du trait : il s'enrichit de tout un ensemble de motifs décoratifs orientaux (dont le mode de transmission proprement dit reste cependant encore largement à explorer) tels que rosettes, palmettes, volutes, fleurs et boutons de lotus, « arbres de vie », etc., qui s'ajoutèrent aux animaux (fréquemment présentés encore en frise et dont on peut souvent déterminer la source première d'inspiration). Ces derniers étaient des animaux familiers (chevaux, chiens, lièvres, coqs, etc.), plus exotiques (lions, panthères) ou franchement fabuleux (sirènes, gorgones, sphinx, chimères et divers monstres ailés). Toutefois, ces êtres hybrides ne trouvèrent guère leur place par ailleurs dans la mythologie grecque -déjà constituée sans doute pour l'essentiel 1 - sinon les centaures qui sont d'ailleurs plus probablement grecs d'origine. Par contre, cette même liberté du trait, appliquée à la figure humaine, déboucha sans tarder, dès le dernier quart du VITI' siècle, sur l'élaboration de tableaux à dimension «mythologique »1 « épique » ou plus généralement inspirés de ce que l'on estime souvent relever de la« vie courante» (scènes génériques, dont les figures héroïques ne sont pas pour autant excluest Là, le décor s'efface vite devant les personnages. Sans doute certaines de ces compositions anonymes donnent-elles une idée de ce que put être la « grande peinture» archaïque grecque hélas disparue (cf. les métopes peintes de Thermos, puis les plaques de la grotte de Pitsa, près de Sicyone), mais dont l'érudition antique s'est sentie tenue de conserver plusieurs noms de peintres avec le plus souvent leurs excellences respectives 3• En céramique, la phase orientalisante va dominer la production des ateliers pendant près d'un siècle avant de perdre peu à peu ses manifestations les plus exubérantes. En définitive, en ce domaine toujours, la retombée la plus remarquable de l'impact oriental se situa sans doute au niveau de l'expression iconographique. Et, de ce point de vue, l'influence dépassa de !. Cf. supra, p. 37-40. 2. Pareille évolution sonne évidemment le glas >). C'est ce que la convention nomme le «style dédalique » (non spécifique à la seule sculpture), qu'illustre en particulier la «dame d'Auxerre» polychrome (c.640/630), une production qui s'évanouit sans suite au cours du 2 VI' siècle • L'orfèvrerie fut elle aussi remise à l'honneur (Rhodes), tout comme le travail de l'ivoire (Athènes) et celui des sceaux ou du bois (pour ne pas parler des tissus dont le caractère putrescible ne permet pas pour autant d'ignorer l'existence, en particulier le rôle qu'ils jouèrent très probablement comme supports et diffuseurs iconographiques) 3 • Face à ces productions trop nombreuses pour être nommées, on se limitera donc ici à une seule remarque, de portée très générale, sur toutes ces métamorphoses qui s'opèrent, pour l'essentiel, tout au long du VII' siècle dans la civilisation grecque 4 • On peut souvent lire, dans les travaux en quête, à leur propos, d'un horizon géographique précis d'inspiration, qu'un grand sanctuaire tel que le vénérable Héraion des Samiens 5 serait un lieu tout indiqué. Avec son extraordinaire amoncellement d'offrandes diverses et souvent de grande qualité artistique, venues de divers centres de fabrication (chypriotes, égyptiens et orientaux), le lieu pourrait avoir constitué une vitrine exceptionnelle (voire 1. C( déjà supra, p. 188-191 et aussi p. 262-269. 2. C( infra, p. 532-534. 3. C'est sans doute vers la fm du Vll" siècle, en Ionie, que le chiton s'imposa de plus en plus face à l'ancien péplos. 4. Pour quelques considérations rapides sur la sculpture et l'architecture, c( infra, p. 534. 5. C( supra, p. 193-203 et infra, p. 503-524.
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Permanences et nouveautés
une sorte de « musée » 1). Les artistes grecs de passage auraient pu en quelque sorte y venir « faire le plein » d'inspiration. La pauvreté des témoignages écrits relatifs à ce lieu de culte- assurément encombré d'offrandes variées- ne permet pas de rejeter à coup sûr pareille hypothèse, mais l'aire sacrée de l'Héra des Samiens ne fut jamais un centre religieux panhellénique et rien ne permet donc d'accréditer l'idée qu'elle fut jamais ouverte à tous les visiteurs grecs de passage ou même installés là pour divers motifs, et encore moins sans doute aux autres. Bien au contraire, sans nier les richesses peut-être exposées déjà le long de la Voie Sacrée (ainsi le grand kouros avec dédicace de c.580 2, désormais exposé au musée de Vathy) et donc en dehors du téménos proprement dit, le sanctuaire de l'époque archaïque paraît présenter pour sa part toutes les caractéristiques du sanctuaire poliade, un trait essentiel qui ne milite pas pour son accessibilité à d'autres individus que les seuls citoyens samiens. Comment dès lors reconnaître en lui, comme on l'imagine parfois sans doute un peu à la légère, un exceptionnel lieu de rencontre entre individus venus des quatre coins de la Méditerranée ? Peut-être est-ce plutôt - et certaines découvertes encouragent à aller dans ce sens - directement dans les rangs de ses citoyens aisés et de leurs hôtes qu'il convient de rechercher les artistes (en sculpture, le fait est acquis) qui« hellénisèrent» nombre de thèmes et techniques artistiques en vogue plus à l'Est, en particulier en Égypte (temples avec colonnes, grande statuaire, etc.) 3•
MYTHES, RITES ET RELIGION
La période orientalisante marqua également la religion grecque de son empreinte 4, même si, en ce domaine, le processus et son ampleur ne sont pas toujours aussi faciles à circonscrire exactement. Toute évaluation reste en effet malaisée dans la mesure déjà où les premiers siècles du rer millénaire
1. ll est vrai que certains sanctuaires panhelléniques, où s'entassaient offrandes et trophées pris aux ennemis, peuvent faire songer aux modernes musées de la guerre. 2. On notera cependant que, là encore, on est en présence d'une réalisation très achevée, pour laquelle on reste sans antécédents grecs connus, ce qui invite - et le temple diptère bâti sans doute très peu après l'érection du kouros va aussi dans ce sens - à comprendre la période orientalisante comme un exceptionnel saut qualitatif accompli par les artistes grecs conquis, en particulier, par les réalisations de l'Égypte saïte. 3. La remarque doit s'appliquer aussi aux autres sanctuaires civiques des Grecs de l'Est, riches en importations. 4. Cf. supra, p. 345-371 et ir!fra, p. 503-524.
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(qui pourraient servir de référence), n'offrent guère d'informations sûres 1 et où les religions « créto-mycéniennes >> (qui avaient déjà sans doute reçu divers apports «orientaux») échappent toujours assez largement à toute véritable compréhension 2• Mais il y a plus. Comme l'a bien exprimé Oswyn Murray, «lorsqu'une idée, un enseignement ou un rituel franchit une frontière culturelle, il subit au cours de la traversée une mutation qui ne peut pas toujours être détectée sous les continuités de surface. Chaque phénomène étranger est mal compris ou réinterprété pour s'intégrer au contexte religieux et social existant, car on doit se rappeler que, pour le fidèle, les origines de ses croyances importent peu: ce qui le préoccupe, c'est leur cohérence et leurs rapports à sa vie sur terre » 3• Dans le cadre d'une société traditionnelle comme l'était la Grèce préclassique, il va sans dire que pareil processus se vérifie assez aisément. Ce qui n'empêche que la confrontation avec des idées nouvelles déboucha inexorablement, comme en matière de décor sur céramique, sur un remodelage, une réécriture de l'ordre religieux et donc, à échéance, sur des mutations sociales. On peut fort probablement attribuer à cette époque l'introduction, à partir des centres phéniciens (Tyr, Byblos) et chypro-phéniciens (Kition, Paphos ?), en Grèce (Corinthe ?) - qui connaissait déjà une déesse de la fertilité en la personne de Déméter, des cultes d'Astarté et Balaat, des figures divines aux vertus sexuelles plus marquées. Dès lors a pu s'opérer un rapprochement plus ou moins prononcé d'Astarté avec Aphrodite qui, de ce fait, se vit plus souvent associée à Adonis(« le Seigneur», divinité de la végétation mourante et renaissante). Ce dernier devint à cette occasion son parèdre et vit son culte introduit en Grèce à ce titre (cf. Sappho). Mais, dans la mesure où la longue « préhistoire » d'une divinité majeure de la sphère religieuse grecque telle qu'Aphrodite semble avoir été des plus complexes, une bonne partie du processus d'« accommodement» - qu'on pressent s'être produit sur la fin de l'ère géométrique- échappe à l'investigation : il doit être intervenu d'abord à Chypre (dans le cadre de sanctuaires tels que ceux de Paphos, Amathonte et Kition, peut-être à l'occasion plus « cosmopolites») où, très longtemps, jusqu'en pleine époque classique, la déesse continua à se voir non autrement qualifiée que comme wanassa («reine»,« maîtresse»), lfypria ou Paphia 4 • Adonis, de son côté, en raison de ses liens avec Aphrodite, fut intégré à la mythologie de Déméter et Perséphone, en qualité
1. Cf. supra, p. 360-364. 2. C( Treuil et al., p. 311-315 et 523-530. 3. C( O. Murray, [71], p. 84-85 (1~ éd.). 4. C( supra, p. 120, 138-146 et 248-257.
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Permarumces et nouveautés
de jeune amant, les rituels l'entourant (en particulier les lamentations relatives à sa mort) ayant subi les transformations requises par son nouveau rôle. D'une manière très générale, il semble que la découverte par les Grecs de l'existence de religions (pratiques rituelles, croyances) et surtout de mythologies orientales originales, différentes de celles qui les baignaient, ne soit pas restée sans écho. En particulier, elle a pu les encourager à procéder, à leur tour et en adoptant les mêmes principes que ceux en honneur depuis parfois le III" millénaire déjà au Proche-Orient 1, à une « réorganisation >> - sorte de « relecture » - de leurs pratiques religieuses et surtout de leur bagage mythologique. Sans doute sont-ce pour une bonne part les résultats de cette remise en question qui imprègnent d'abord tant la Théogonie (1022 vers) que Les Travaux et les Jours (828 vers) d'Hésiode, des œuvres que l'on est tenté par ailleurs d'encore ranger parmi les créations opérées, au départ du moins, dans le cadre de l'oralité 2• La première œuvre témoigne notamment d'une réelle volonté d'organiser de façon plus méticuleuse, plus explicite, par le biais de relations parentales (par filiation), les rapports unissant les diverses figures divines qui peuplaient le panthéon grec, et d'intégrer ce monde des dieux dans une vision décidément holistique de l'univers 3 • La conséquence majeure de cette formulation du monde donnée par Hésiode ne repose sans doute pas tant dans l'introduction d'éléments étrangers, un résultat qui n'était sans doute pas véritablement recherché et qui est d'ailleurs difficile à démontrer vu, encore une fois, l'obscurité qui entoure ces aspects de la religion grecque avant Hésiode et plus encore l'ignorance concernant le degré d'originalité à reconnaître à l'homme d'Ascra. En fait, l'intérêt de l'entreprise réside peut-être surtout dans le fait qu'elle offre une présentation «régénérée» de pensées et croyances grecques traditionnelles à la lumière d'œuvres orientales telles que l'épopée cosmique suméro-babylonienne débutant par les mots Enûma EliS(« Lorsqu'en haut ... »). Là doit en effet se cacher en fait l'essentiel de la « nouveauté » : dans une vision théogonique revitalisée du vieux fonds mythique, une composition fondue, scellée dans l'expression «littéraire» noble par excellence, l'hexamètre formulaire de la poésie épique. Et il est sans doute superflu, en tout cas très aventureux, d'envisager les Grecs du IX' ou du Vlll' siècle s'imprégnant de mythologie hourrite à Al Mina : Chypre, de ce point de vue, a pu constituer, à toute époque depuis le bronze moyen (première moitié du ne millénaire), une source d'« informations» (et de
!. Successions mythiques : le poème de la création, Enûma Eli!, d'essence sumérienne, et le mythe de Koumarbi, d'essence hourrite. 2. Cf. supra, p. 7-20 et infra, p. 503-512. 3. Cf. déjà supra, p. 325-345.
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diffusion vers l'Ouest) offrant une variété d'influences croisées, même si la nature exacte de ces dernières échappe le plus souvent à l'enquête 1• Des remarques assez similaires s'imposent pour le second poème hésiodique, à dimension d'apparence autobiographique, us Travaux et les Jours. En particulier, il n'est pas si évident que les mythes de Prométhée ou de Pandore soient des emprunts faits alors depuis peu seulement à l'Orient. lls répondent l'un et l'autre à des fondements de la psychologie collective suffisamment universels pour être plutôt perçus comme les visions grecques parallèles des mêmes expériences humaines. Par contre, les rapports plus d'une fois proposés avec les « recueils de Sagesse )) orientaux sont évidents et leur découverte par les Grecs a pu aider un Hésiode à mieux exprimer leurs propres expériences. Enfm, il y a le mythe des « cinq races )) dont il a déjà été question plus tôt 2 • Dans ce dernier cas, une inspiration orientale «globale)) est sans doute davantage envisageable, mais on fera aussi observer que l'intrusion dans la version grecque d'un« âge sans métal)), celui des héros de l'épopée, indique pour le moins une forte résistance (d'ailleurs attendue) sur ce point de la pensée traditionnelle grecque à la nouveauté, et on peut même se demander si les races d'or, d'argent et de bronze qui le précèdent ne sont pas d'abord là pour organiser, dans un cadre désormais élargi (source de futures spéculations) et sans faille, ce «passé exemplaire)) qui resta toujours, au-delà de ses lentes mutations inconscientes, celui de référence pour l'âme grecque. On notera enfin que, pour certains chercheurs, cet effort de «clarification)) a pu s'accompagner d'un «divorce)) progressif entre rites et mythes qui auraient dès lors connu, les uns et les autres, des développements plus autonomes 3 • On peut imaginer, de fait, que la mise par écrit, même très progressive, de certains pans des croyances religieuses grecques, a conduit à l'émergence d'un processus évolutif à deux vitesses, le rituel échappant au piège de l'écriture et demeurant ainsi« plus libre de ses mouvements)). En termes d'urbanisme religieux - si tant est qu'il soit requis d'employer déjà un tel vocable, sans doute est-ce selon le rythme propre à chaque communauté et en fonction de son histoire particulière que s'établit (au cours des vrrr-vr siècles?) l'usage de consacrer, une part au moins de l'acropole ~à où il en existait une) aux dieux et à plutôt rassembler les bâtiments abritant des activités «publiques)) (ceux que l'on nommera bientôt dans les textes prytanée, bouleutérion, etc.), dans la ville basse (parfois enceinte, cf. Samos, Smyrne 4 surtout et Érétrie dès le VII' siècle), non loin d'un espace !. Cf. supra, p. 248-269. 2. Cf. supra, p. 40-43. 3. Cf. aussi supra, p. 345-348. 4. Cf. aussi supra, p. 146-154.
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dégagé de tout obstacle, une agora, dont les finalités de départ divisent la recherche (à Mégara Hyblrea, peut-être dès le tout début du VII' siècle dans un schéma orthogonal). Dans le cas d'Athènes, il semble que le processus conduisant à une sorte de « bifocalisation )) ait pris un tour décisif surtout à partir de Solon.
L'ALPHABET
L'écriture constitue le troisième grand domaine où, au cours de ces années, l'influence de l'Orient se fit sentir, et là de façon parfaitement mesurable, tant les accointances entre les écritures « phénicienne )) et grecque sont objectives, nombreuses et étroites. Les aspects plus techniques relatifs à la transmission d'un procédé graphique de type alphabétique ont déjà été envisagés 1• On retiendra ici, pour l'essentiel, que la poésie homérique évoque un monde ignorant toute forme d'écriture en dehors d'un unique passage, celui impliquant Bellérophon (Il. VI 166 sqq.), qu'il est de loin préférable d'interpréter comme un «souvenir)) figé dans l'hexamètre de la correspondance diplomatique échangée, on le sait, au bronze récent, en Méditerranée orientale2. Un élément comme celui-là, combiné avec ceux fournis par les «comparaisons homériques)) notamment, est d'ailleurs à mettre au crédit de la grande résistance à l'innovation, déjà entrevue, qu'il convient de reconnaître à la poésie épique 3 • Cela dit, la Grèce classique et hellénistique véhiculait, sous des formulations diverses, plusieurs traditions attribuant aux «Phéniciens)) l'origine de l'écriture grecque alphabétique, même si les obscurités étymologiques liées à cet «ethnique-sobriquet)) ne sont pas sans rejaillir sur l'exégèse de certaines de ces traditions 4 • Au passage, on notera simplement que deux éléments ne militent guère en faveur de la thèse parfois reprise, qui voudrait qu'Hérodote (Hér. V 58), en impliquant la figure de Cadmos, fasse du même coup référence à une écriture linéaire du bronze récent : d'une part, l'usage- que tout indique très restreint- du linéaire B pendant l'époque mycénienne n'a pas laissé de traces dans la poésie épique et, d'autre part, 1. Cf. supra, p. 248-269 et surtout p. 372-387. 2. Cf. aussi in.fra, p. 454, pour le diptyque en bois retrouvé dans l'épave de c.l300 au large de ~-Vlu Burun. 3. Cf. supra, p. 7-36. 4. Cf. supra, p. 248-250 et 381-387.
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la dimension historique de ce« Kadmos le Phénicien» se révèle, à l'examen, des plus fugitives en regard de celle des Kadmeioi de Béotie. Les analogies entre les systèmes graphiques phénicien et grec des premiers temps de l'époque archaïque sont très nombreuses et elles permettent de conclure - en dehors de la notation volontaire et régulière des voyelles en grec, pour lesquelles furent utilisés des signes phéniciens notant des sons inexistants en grec - à une adaptation très mécanique, fidèle, d'un « prototype » phénicien : la forme des lettres, leur ordre dans les abécédaires respectifs, leur nom qui ne s'explique le plus souvent que par la langue phénicienne, etc. On recourt même parfois à l'expression d'« incompréhension créative» à propos des signes réaffectés pour noter l'une ou l'autre voyelles grecques, qui ne quittent pas la place qui était la leur dans l'abécédaire phénicien servant de modèle. On souligne souvent qu'avec l'alphabet grec, on est en présence d'un système graphique fort cohérent, incluant une grande nouveauté ~a notation des voyelles), et on en déduit parfois que son invention doit être portée au crédit d'un groupe restreint d'individus sinon à un seul et unique « bienfaiteur de l'humanité » (Wilamowitz). Par prudence, mieux vaut sans doute nuancer un peu cette vision personnalisée « à la grecque » 1 dans la mesure où, en tout cas, pour être fonctionnel, tout système graphique doit par force présenter- et présente à l'examen, d'entrée de jeu, une solide cohérence interne. Une telle hypothèse, si elle se révélait vraiment fondée en ces termes, vaudrait donc pour tout système graphique, ce dont on a quelque raison de douter. Quoi qu'il en soit, l'opinion scientifique reste divisée sur ce point. Probablement est-il plus judicieux de replacer le débat qui tourne autour de l'« inventeur/adaptateur» dans le cadre plus large de la translation du procédé, c'est-à-dire en gardant présents à l'esprit des critères tels que la spécificité offerte par chacun des deux systèmes, leurs potentialités et leurs finalités respectives (ainsi que leurs applications effectives). On s'accorde le plus souvent à reconnaître que le milieu le plus susceptible d'avoir accueilli pareil «transfert technologique» - accompagné, comme dans tous les autres domaines envisagés auparavant ici, d'une métamorphose non négligeable - était à rechercher dans une communauté offrant à des Grecs et des Phéniciens la possibilité de vivre côte à côte ou, du moins, en un point de rencontre régulière et pacifique entre ces deux groupes culturels. ll est un aspect qui militerait aussi très fortement en faveur de la recherche d'un lieu d'emprunt unique : outre les diversités régionales que manifestent assez vite les alphabets grecs de l'époque archaïque dans la forme et le tracé de plusieurs lettres (variantes épichoriques), on retrouve chez tous les mêmes règles de base pour le transfert. Pour cette raison, on exclut 1. Cf. infra, p. 525-527.
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en général l'hypothèse de Phéniciens aiguillonnant la créativité grecque en un centre donné du continent grec, Thèbes par exemple, pour reprendre la version d'Hérodote ... mais il faudrait alors écarter aussi Athènes et la Crète, des lieux qui ont pourtant, l'un et l'autre, pour des motifs spécifiques, leurs défenseurs. Chypre n'a plus guère retenu les faveurs des érudits au cours de ces dernières années dans la mesure où, d'évidence, elle continua à recourir à son propre syllabaire jusqu'en pleine période classique et dans la mesure aussi (surtout) où l'alphabet grec n'y fit qu'une apparition fort tardive (époque ptolémaïque), ce qui serait surprenant pour une zone de mise au point 1• En réalité, comme pour les autres traits dominants de la « Période orientalisante », c'est toujours à Al Mina, comptoir maritime nord-syrien très actif aux IX'-VIII' siècles 2, que revient bon nombre de suffrages, et ce choix est alors assorti des évidentes contraintes économiques qui auraient motivé l'emprunt. A la vérité, les graffiti alphabétiques grecs sont remarquablement tardifs sur ce site dont on exagère un peu trop là encore le rôle, en privilégiant ce qui n'est à bien y regarder qu'une des reconstructions historiques « vraisemblables » en regard de la documentation disponible (peu parlante en termes d'histoire) 3• n est difficile de dissocier la question du lieu de transmission de celle de la date de l'emprunt. n semble que les toutes premières attestations connues à ce jour de l'alphabet grec soient à placer dans le troisième quart du VIII' siècle : ainsi, les trois belles lettres peintes avant cuisson déjà sur un fragment de panse d'amphore attique datant de la première phase du géométrique récent et retrouvé sur l'Acropole d'Athènes, puis les inscriptions métriques, gravées après cuisson, sur une œnochoé d'une tombe du Dipylon, à Athènes encore, et sur un skyphos d'une tombe d'Ischia. Les premières invitent plutôt à privilégier une hypothèse de type hérodotéen, la troisième est invoquée en faveur d'une innovation eubéenne conçue ... à Al Mina 4 • Il est certain, en tout cas, que c'est l'alphabet « eubéen >> qui nourrit l'alphabet «étrusque», qui connut, à travers la fortune militaire et politique de Rome, une diffusion décisive en Europe occidentale (alphabet «latin»). De leur côté, les comparaisons paléographiques 5 , menées entre les premiers textes grecs et les textes phéniciens contemporains pour déterminer le moment critique de l'emprunt, favorisent une tranche chronologique qui l. Cf. supra, p. 372-381. 2. Cf. supra, p. 250-262. 3. Cf. supra, p. 425-428. 4. Tant qu'à faire, on peut rappeler que Pithécusses, qui était fréquentée par des Phéniciens et qui est aussi clairement présentée par la littérature antique comme une fondation eubéenne, réunissait les conditions généralement requises pour avantageusement figurer comme lieu de création de l'alphabet grec. 5. Portant, il faut le reconnaître, sur un matériel peu abondant.
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serait à circonscrire entre c.850 et c. 700. Mais il faut prendre en considération les variantes régionales (épichoriques) bien affirmées, dont témoigneraient semble-t-il déjà les premières inscriptions grecques (phase vivace et bien illustrée de «disparités régionales», comprenant même des sous-groupes), des variantes qui, à première vue, pour leur part, ne militent guère en faveur d'un emprunt opéré en un lieu unique, quel qu'il soit (une réserve à envisager donc aussi pour une hypothétique transmission à partir de la Phrygie 1). En dernière analyse, on est alors conduit à postuler une phase antérieure, même plutôt courte, de mises au point locales, une phase non attestée par la documentation (une lacune qu'expliquerait toutefois l'usage initial de supports périssables 2 ?), et surtout à en rendre compte, en invoquant ce souci des communautés maintes fois rencontré de se distinguer, dans le cadre d'un système qui, il faut le rappeler, dut rester, à tout moment, «fonctionnel». Dans ces conditions, il conviendrait alors de s'écarter de l'hypothèse attrayante qui consiste à envisager des « agents » phéniciens offrant leur écriture aux regards de Grecs curieux en divers endroits d'une Grèce morcelée politiquement (par exemple, Athènes, Crète, Eubée ... ), mais qui, hellénophone, réagit d'autant plus dans chaque cas selon les mêmes principes généraux que, partout, les problèmes d'adaptation étaient identiques et que les initiateurs, de leur côté, n'ont pas pu manquer de se communiquer entre eux, en les répercutant de port en port, ces développements quelque peu surprenants issus de leur propre système. En tout cas, ce « transfert technologique » d'un système ne notant pas les voyelles à un autre où elles occupent une place bien à elles se fit dans la plus stricte cohérence et, quoi qu'il en soit du processus, les inscriptions alphabétiques, encore rarissimes avant c.700, se multiplient très vite après cette date, un peu partout dans le bassin égéen, pour noter la langue grecque. Pour une part aussi, la date retenue est fonction des motifs de l'emprunt mis en avant. A côté de considérations commerciales - que la documentation disponible à ce jour ne conforte guère ~'absence de témoignages de ce type s'expliquerait par l'emploi, là encore, de supports périssables : papyrus, parchemin, écorce de bois, tablette de cire), est de plus en plus souvent défendue la thèse de l'éclosion au VIII' siècle d'un besoin impérieux de mettre la poésie par écrit. La première concernée n'aurait été autre que celle attribuée au poète aveugle dont l'ampleur ~'fliade et l'Ot!Jssée) déroute certains érudits, très
1. Cf. aussi supra, p. 114, 153-154 et 381-387. 2. Une écriture linéaire s'inscrit naturellement sur un suppon dur avec un outil souple, cf. supra, p. 384.
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réservés sur les capacités humaines de mémorisation 1• L'idée qu'à côté de gravure sur pierre, céramique ou métal, les Grecs auraient eu recours pour écrire à des supports putrescibles est sans nul doute en partie fondée 2, mais, dans le cas des poèmes homériques (qui furent «organisés» à l'époque alexandrine), ce que l'on nomme les «variantes rhapsodiques» s'oppose à tout le moins à une entreprise de « sauvegarde >> unique opérée à une date si« ancienne». Et le caractère formulaire traditionnel- toujours utilisé par Hésiode - n'interdit assurément pas de croire à une pratique continuée jusqu'en pleine période archaïque de la composition orale, en parfaite conformité d'ailleurs avec l'esprit de l'époque 3 • En tout cas, il paraît insuffisant d'invoquer les quelques vers gravés sur la« coupe de Nestor» de Pithécusses et encore moins la mention rythmée qui fut incisée sur l'« œnochoé du Dipylon »,deux vases de c.740/720, pour établir que la mise par écrit de l'épopée (homérique ou autre) s'opéra forcément dès les VITI' /VIT' siècles, tout comme on peut douter qu'un Eumèlos de Corinthe ait eu recours à l'écriture pour sa composition épique consacrée au passé mythique de sa Cité. Et la même remarque vaut sans doute encore pour Terpandre d'Antissa (Mytilène), musicien et poète d'inspiration épique, vainqueur aux Karneia, et même pour Thalètas de Gortyne, auteur de chants mis au point pour les Gymnopédies. Quant aux listes de vainqueurs à diverses épreuves (Olympie, à partir de c.776), de magistrats (éphores de Sparte, à partir de c.754, ou archontes d'Athènes, à partir de c.683) ou de prêtresses (Héraion d'Argos), le fait que leurs« têtes» remontent, pour la plupart, environ à l'époque des premières inscriptions grecques conservées, n'implique nullement qu'il faille chercher dans une hypothétique éclosion à date haute de ce genre littéraire la source de ces informations. L'adoption d'une telle hypothèse (d'ailleurs guère en harmonie avec l'esprit régissant une société traditionnelle- et rien n'indique que les Grecs d'alors aient fait exception) ne laisserait aucune place au travail d'érudition pourtant incontestable- et souvent remarquable, opéré notamment à partir d'Hellanicos de Lesbos (prêtresses d'Héra à Argos, vainqueurs aux concours Carnéens, les Kaméonikaz), de Charon de Lampsaque et surtout de la « Première Sophistique » avec Hippias d'Élis (vainqueurs aux concours olympiques) 4 • Nourries de patriotisme autant que de curiosité, s'appuyant selon toute 1. A vrai dire, la question est sans doute maladroitement posée, cf. supra, p. 7-42. 2. Cf. supra, p. 372-387. 3. Cf. supra, p. 325-345. 4. Cf. aussi supra, p. 43-53. Ce travail n'a pas été conseiVé en tant que tel, mais il se retrouve, poursuivi, étoffé, amplifié - corrigé peut-être - à partir du IV" siècle par des générations successives d'érudits (Aristote, Ératosthène, Apollodore, Phlégon de Tralles, Julien l'Africain, etc.), dans la Chronique d'Eusèbe, qui fournit la version ultime, la seule consultable.
La «période orientalisante »
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vraisemblance sur la collation de multiples dédicaces ou objets inscrits divers, conservés sur place (ainsi le poids à lancer d'Akmatidas) ou ailleurs, dans les Cités d'origine des vainqueurs, et de souvenirs oraux d'origine souvent sans doute sacerdotale ou aristocratique, ces pieuses enquêtes documentaires illustrent bien plutôt l'esprit de « recolonisation du passé>> qui aiguillonna clairement certains Grecs à partir du milieu du V' siècle 1• Il s'agit donc d'enquêtes animées par un esprit critique indéniable mais qui furent conduites dans des contextes documentaires souvent très difficiles, surtout pour les périodes plus anciennes (cf., sur le travail d'Aristote : Plut., Lye. l et 23, Paus. V 4,5 et 20,1, Athén. XN 635 F). De ce point de vue, sans affirmer pour autant que l'institution des concours olympiques remontait, au départ, beaucoup plus avant, la date de « 776 » a toutes les chances d'être plutôt celle de la plus ancienne confrontation agonistique d'Olympie dont on avait conservé jusqu'en cette fin de V' siècle, d'une manière ou d'une autre, le nom du vainqueur ainsi que celui de sa patrie d'origine (des Éléens d'abord d'ailleurs, puis des Messéniens !). Cette date ne fut pas celle d'une invraisemblable « création officielle » des concours, ce que des soucis d'appropriation à coloration politique ne tardèrent bien sûr pas à faire croire en passant et qu'entérinèrent par commodité les chronographes 2• Cela dit, comme pour l'ensemble des autres aspects de la vie culturelle, les Grecs de la fm de l'ère géométrique et du début de l'époque archaïque «assimilèrent» sans tarder la technique de l'écriture et ils mirent assez vite au point des formes de discours qui tiraient le meilleur parti de ce nouveau moyen d'expression dans le cadre de leurs propres préoccupations. A ce propos, on rappellera que l'épigramme, funéraire ou dédicatoire, presque toujours en hexamètres dactyliques ou en distiques élégiaques, œuvre brève s'il en est, visant à sauver quelque geste solennel de l'oubli, un lieu tel qu'une sépulture de l'anonymat qui autrement la menaçait 3, paraît bien constituer le premier « genre littéraire » à part entière de la littérature grecque. Cette observation vaut dans la mesure où divers indices montrent bien que ce type de discours ne doit assurément rien à l'oralité, au contraire - on vient de le noter - des œuvres hésiodiques ou encore des divers Hymnes dits homériques pour lesquels il convient de rejeter l'idée d'une unique mise par écrit initiale, au vu, là encore, des variantes rhapsodiques. 1. L'idée que ces listes d'olympioniques, tout comme celles de prêtres ou magistrats éponymes, furent tenues >), ce qui interdit toute conclusion trop hâtive en matière de date d'emprunt dans d'autres domaines, tel celui de la religion. D'autant que la découverte d'un diptyque en bois dans l'épave datée du milieu du bronze récent, près de Ka.S-Ulu Burun, permet de penser que la tablette à écrire, la deltos (cf. deltion diptychon d'Hér. VII 239), pourrait donc être un emprunt antérieur au Ier millénaire et à l'introduction de l'alphabet en Grèce. Parfois, il faut attendre plusieurs siècles avant d'avoir la confinnation écrite qu'emprunt il y eut. Le cas le plus connu est celui des noms des lettres grecques dont l'origine phénicienne est certaine (alpha < 'aleph c'est-à-dire «le bœuf, le taureau») : certains ne sont pas attestés dans les textes avant le IV' siècle av. J.-C.
8. LA STRUCTURE SOCIALE ET L'APPARITION DE LA MONNAIE
LES
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Les premiers législateurs et l'émffrgence de la puissance publique
Si l'on veut tenter de rendre compte de ce que pouvait être la société grecque de l'époque archaïque, mieux vaut d'abord garder présent à l'esprit ce que pouvaient être, dans leur plus grand nombre, les Cités (poleis)
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grecques d'alors 1• Ce sont d'abord et avant tout des communautés d'individus souvent peu nombreux (quelques centaines d'âmes dans bien des cas), attachés entre eux par de multiples liens - souvent aussi anciens que contraignants, même s'ils ont évolué - et qui visent à assurer la cohésion et la survie du groupe. Le terme de« Cité» (polis) ne doit donc pas induire en erreur ni conduire à envisager trop vite l'existence d'une puissance publique « autonome » au sens moderne, juridique, donné à ce concept : la meilleure manière de traduire cette réalité archaïque conduit à parler des « Thébains» plutôt que de« Thèbes», des« Athéniens>> plutôt que d'« Athènes» ou encore des« Argiens »plutôt que d'« Argos», tous ethniques qui invitent alors à songer bien davantage à des essaims humains qu'à des« territoires», même si le sol civique, assise de la survie du groupe, était globalement sacré et devait se présenter, au moins dans certaines circonstances, comme une sorte de bien collectif difficile à définir par la terminologie juridique moderne. Ainsi, le fait est connu, en certaines circonstances de son histoire, il apparaît clairement qu'Athènes n'était plus ... à Athènes, mais qu'elle se trouvait là où les citoyens étaient en mesure de se réunir (en 480, à Salamine, sur les bateaux ; en 411, à Samos, lors du coup d'État antidémocratique intervenu à l'intérieur des murs d'Athènes après le désastre de Sicile). Cela dit, il est certain qu'au fil du temps, plusieurs de ces communautés se donnèrent à entendre un discours plus politique, qui finit par couler leur existence et leur fonctionnement quotidiens dans un cadre de plus en plus élaboré, défmi par des règles et pratiques juridiques touchant les individus et le sol. Entre ses membres se nouèrent progressivement des liens nouveaux, qui se substituèrent en partie, en les modifiant, à ceux qui assuraient jusque-là la cohésion indispensable à la pérennité de la collectivité. Mais on soulignera sans tarder que cette émergence de l'« État grec antique» défini en ces termes demeura, pour l'époque archaïque, un phénomène assez limité en regard du nombre de communautés potentiellement impliquées, même s'il est aujourd'hui fort «accrocheur», en raison des prémisses que la recherche moderne se plaît à y reconnaître : dans bien des cas, les festivités religieuses communautaires avec leurs sacrifices, leurs repas collectifs, voire les prix décernés aux vainqueurs des compétitions qui les couronnaient, pouvaient aisément être fmancées par quelques prélèvements, les hoplites fournissaient leur nourriture et équipement personnels et les magistratures n'étaient pas rétribuées. Seuls l'acquisition et le maintien en service de flottes de vaisseaux de guerre rapides nécessitèrent la mise en place d'une solide structure assurant la collecte des fonds nécessaires (ainsi sans doute les naucrares à Athènes). 1. Cf. supra, p. 402-424. Certaines estimations modernes avancent les chiffres de cinq à sept cents communautés indépendantes.
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On a eu l'occasion de le souligner, notamment à propos de la Crète archaïque 1, l'apparition de « législateurs >> et autres « médiateurs » dans la Grèce préclassique est perçue par la recherche moderne avant tout comme le signe que les communautés grecques traversaient alors des crises d'autorité graves, d'origine interne (stasis) ou externe (pofimos), sur fond de croissance économique, crises qui ne pouvaient plus être tranchées par les voies traditionnelles suivies jusque-là et qu'on imagine toutes aux mains des aristocrates. Au-delà des propositions pratiques, juridiques, religieuses, que ces figures nouvelles enjoignirent leurs communautés à appliquer, la simple décision prise par ces dernières de se doter de personnalités ayant pareille autorité semble, déjà à elle seule, tout à fait remarquable et annonciatrice des orientations qu'adoptèrent ces groupes humains en matière de vie en commun 2• On n'a retenu ici que quelques cas parmi les moins mal documentés, à commencer par celui de Sparte dont on a différé jusque-là le traitement en partie pour des raisons de commodité.
Qy,elques cas
• SPARTE. C'est à Lycurgue 3 de Sparte que la tradition (Plut., Lye. 6), déjà adoptée par Aristote (Arist., Pol.), attribuait la plus ancienne politeia (écrite en prose) de Grèce, une rhètra pour utiliser le terme spartiate désignant un « décret ». Digne émule du Minos mythique (souverain crétois, législateur par excellence, qui tenait sa sagesse de Zeus, mais aussi, dès la poésie épique, juge des Enfers)\ la figure de Lycurgue était, déjà pour le biographe de Chéronée, indissociable de la légende et du mythe auxquels d'ailleurs de nombreux modernes proposent de la rattacher. Une date dans la première moitié du Vlll' siècle est parfois invoquée à son propos, mais certaines recherches verraient plus volontiers ses « dispositions » contemporaines du roi Théopompe - celui qui aurait assuré la conquête de la Messénie dorienne (c.710), d'autant que la quête d'une caution auprès de l'Apollon Pythien est estimée être une démarche peu crédible à date plus haute 5• ll n'empêche que rien ne s'oppose à ce que Sparte ait élaboré et mis en vigueur une des premières politeiai -le terme moderne de« Constitution», !. Cf. supra, p. 205-209. 2. Sans doute n'est-ce d'ailleurs pas un hasard si ce sont ces mêmes communautés (Corinthiens, Chalcidiens, Spartiates notamment) que l'on retrouve consultant l'oracle de Delphes; cf. infra, p. 513-518. 3. Cf. déjà supra, p. 98-99, 238-244 et 401-402. 4. Cf. irifra, p. 341-344. 5. Cf. infra, p. 513-518.
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anachronique, est assez inadéquat - d'essence guerrière, c'est-à-dire les bases convenues pour une organisation économique, sociale, politique et éducationnelle d'une société pouvant passer pour « communisante » et pratiquant le combat hoplitique. L'adoption de cette eunomia pourrait bien trahir les réadaptations indispensables que nécessitait aux yeux de ses habitants la vie communautaire sur les bords de l'Eurotas, à la suite de leurs premières conquêtes territoriales substantielles. Cet art nouveau de faire la guerre est, quant à lui, le fruit d'un processus assez énigmatique et est sans doute à dater, pour Sparte, de la première moitié du VIT' siècle : il pourrait s'être imposé aux Spartiates après la première « guerre de Messénie )) et dès avant la défaite d'Hysiai face aux Argiens (c.669/8), à moins que ce soit précisément ce revers qui ait servi d'élément déclencheur 1• Quoi qu'il en soit de ce que la recherche moderne a nommé la « clause additionnelle)) (restrictive quant aux droits de l'Assemblée : «si le dèmos décide de travers ))) 2 et quelles qu'aient été ses interprétations ultérieures visant, de fait, à asseoir l'autorité des deux« rois des Lacédémoniens))' dotés de pouvoirs indivisibles, et du Conseil ~e texte de Tyrtée paraît contradictoire), on est confronté à des problèmes de critique historique en cascades, semble-t-il, insolubles. Les plus graves difficultés sont liées à l'organisation de l'armée (tribale-territoriale?) et au silence de la Rlzètra quant à l'institution des éphores, ces magistrats en charge de l'agôgè (éducation des futurs hoplites spartiates), qui constituèrent pourtant un rouage essentiel de l'organisation lacédémonienne ultérieure (cf. [Xén.], Const. lAc.) et dont les attributions présentaient un amalgame étonnant d'archaïsmes et de pratiques plus récentes (on les a parfois rapprochés de la Boulè solonienne). De l'ensemble, il ressort, au-delà des obscurités, que Sparte connaissait, dès le VIT' siècle, de vives tensions politiques, dont une partie non négligeable devait provenir des relations parfois conflictuelles entre les deux rois et les éphores (sortes d'auxiliaires de l'Apella) 3, entre chacun des deux rois ou encore entre un ~es deux) roi(s) et la Gérousia : il semble bien que certains rois aient été quelque peu tentés par une démarche «tyrannique)). Entre les mains des deux rois (personnages prestigieux en dépit d'un train de vie plutôt austère) semblent s'être concentrées les compétences militaires (cf. Hér. VI 56-59) tandis que les cinq éphores (Spartiates entre 30 et 60 ans, élus pour un an par l'Apella) ont pu consolider leur autorité, notamment en matière judiciaire, et fmirent par assurer la sécurité publique !. Cf. supra, p. 388-402. 2. Cf. supra, p. 240-243. 3. Dont une liste des éponymes, en partie au moins fictive, remontait à c. 754, cf. supra, p. 43-53. On notera par ailleurs qu'Apella est le mot consacré par la recherche moderne pour désigner l'Assemblée à Sparte mais qu'il n'est attesté épigraphiquement qu'au rn siècle av. J.-C., puis, de façon indirecte, par Plutarque (Plut., Lye. 6) avec le verbe apella::,ein expliqué par ekklè.sia::.ein.
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(menace hilotique) et contrôler la vie quotidienne de leurs compatriotes, rois et magistrats y compris. li n'empêche que la Rhètra affirmait (à l'origine?) que «le peuple était libre de s'exprimer» sur une motion proposée par les Anciens et les rois et qu'elle instituait des réunions régulières, en un lieu précis, d'une Assemblée (nommée sans doute l'Apella) qui se présentait dès lors comme le corps souverain de l'État. Cette dernière était peuplée par des soldats aguerris, les Spartiates ou « Semblables »1 « Égaux», ces hommes âgés d'au moins 30 ans, qui avaient subi avec honneur l' agôgè et qui votaient et élisaient par acclamation 1• Mais, pour l'essentiel, la politique spartiate - « gérontocratique » - était menée par cette Gérousia composée de vingt-huit membres âgés de plus de soixante ans (élus à vie par l'Apella en remplacement de membres décédés), auxquels se joignaient pour la cause les deux rois en qualité d'archagetai («chefs suprêmes», cf. Plut., Lye. 6). On estime donc souvent que l'organisation politique spartiate prit son profù quasi définitif avec la « canonisation » de l'idéal hoplitique, au plus tard dans le cadre dramatique de la ne guerre de Messénie - un conflit sans doute né lui-même des suites de la cuisante déroute d'Hysiai subie par les combattants lacédémoniens face aux Argiens en c.669/8. Mais, là encore, la confusion ancienne de sources souvent imprégnées des considérations idéologiques ultérieures (cf. la Constitution des Lacédémoniens attribuée à Xénophon, «revue et augmentée» dans la Vze de Lycurgue de Plutarque) rend assez chimérique toute reconstruction chronologique tant soit peu précise pour l'époque archaïque. Et le crédit à accorder aux interprétations anciennes et modernes s'en trouve bien sûr directement affecté. li n'empêche que le système, fondé sur l'excellence hoplitique et qui se présente, au moins sur certains points, comme plus égalitaire et plus consensuel («pré-démocratique») que l'organisation aristocratique antérieure que l'on est amené à supposer, paraît s'être établi, à Sparte, au détriment d'un très grand nombre d'autres Lacédémoniens, à commencer par ces périèques, qui ne furent jamais pleinement intégrés ailx Spartiates ~es « Semblables ») 2, pour ne pas parler de la masse des hilotes. li semble non moins évident que la construction institutionnelle visait, pour l'essentiel, à maintenir un strict contrôle sur les riches terres de Messénie et tous ceux qui les cultivaient pour le compte d'une petite minorité, laquelle s'estimait constamment menacée.
!. Le régime spartiate ne connaissait pas le choix politique par tirage au sort comme il se pratiquait notamment à Athènes, même pour des magistratures de premier plan. 2. Cf. supra, p. 240-243. lls restèrent citoyens de leurs poleis.
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• CORINTIIE. Les Corinthiens, qui jouèrent un rôle si remarquable dans les premiers temps du grand mouvement colonial 1, furent longtemps soumis -jusqu'à l'éviction de ceux-ci par Cypsélos (Bacchiade par sa mère) en c.657 16- à l'autorité d'une petite partie d'entre eux regroupés au sein de quelque deux cents grandes familles de propriétaires terriens, les Bacchiades2. L'ensemble des charges publiques était réservé à ces derniers (dont celle de basileus ou prytane -la magistrature principale, obtenue par élection et exercée pendant un an), qui servaient dans l'armée comme cavaliers ou à la tête de détachements hoplitiques. Chaque famille du génos des Bacchiades disposait en propre d'un klèros, lopin de terre, d'étendue variable, semble-t-il, mais qui demeurait inaliénable. Cela expliquerait que, le domaine familial se faisant trop exigu à la suite de la croissance démographique, au VITI' siècle, certains fùs n'eurent d'autre choix que celui de quitter Corinthe pour s'installer dans une de ses colonies où un klèros pouvait leur être attribué. Les informations sont rares mais les départs soulevèrent parfois des difficultés que tentèrent d'aplanir, avec des succès sans doute inégaux, des législateurs choisis dans les rangs des Bacchiades (Phidon, Philolaos). Lorsqu'à ces difficultés internes (somme toute nées d'une prospérité que concrétisa le premier temple d'Apollon, peut-être c. 700) s'ajoutèrent des revers à l'extérieur, les Bacchiades furent contraints de s'effacer devant la tyrannie 3 • • ATHÈNES. Ici, les figures auxquelles chacun songe sont évidemment celle de Dracon et, plus encore, celle de Solon. On ne reviendra pas sur le contexte historique probable dans lequel le premier surgit en c.62l!O\ sinon pour rappeler que beaucoup d'encre a coulé pour tenter de déterminer les sources d'inspiration et les raisons qui présidèrent à cette mise par écrit de réglementations ponctuelles (mais connues seulement par quelques citations littéraires et une inscription très mutilée datée de 409/8 av. J.-C.). En l'absence d'informations sûres -celles d'Aristote pour l'occasion (Arist., AP IV) sont à écarter pour motif d'anachronisme- on a peine à fixer l'éventail (sans doute plutôt restreint) des matières abordées par Dracon, mais les Anciens, en tout cas, ont surtout retenu de son œuvre sa législation sur les homicides (distinguant en cette matière les actes volontaires et accidentels, et fixant les peines et réparations), sans doute la plus urgente et la plus durable. Quoiqu'elles soient passées à la postérité pour leur sévérité (comme celles de Zaleucos de 1. 2. 3. 4.
Cf. supra, p. 269-296. Cf. supra, p. 95-97 et 235-236. Le poète épique et lyrique Eumèlos était lui-même un Bacchiade. Cf. infra, p. 484-486. Cf. supra, p. 226-233 et infra, p. 487-489.
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Locres), tout à la fois l'émergence, les propos (Sol., frgts 4,30-9 et 30,18-20 G.-P.) et l'action législative subséquente d'un Solon indiquent, chacun à leur manière mais de façon assez persuasive, que ces armes juridiques se révélèrent insuffisantes pour combattre les luttes fratricides que se livraient les factions aristocratiques et le malaise social qui s'était emparé de la communauté athénienne dans la seconde moitié du VII' siècle. Dans le cas de Solon 1, le fait de disposer aussi d'un certain nombre des propos assurément tenus par le législateur en personne (ou même seulement attribués avec une relative certitude, comme c'est le cas de certaines dispositions légales) donne aux multiples problèmes historiques qui en découlent une épaisseur et une complexité rares dans la mesure où ses dires (poèmes et lois) - il se dit animé par la soif d'une justice placée sous la protection de Zeus- s'adressaient à un public« averti» et ne réclamaient donc guère de mise en situation. L'homme, fils d'Exèkestidès, était assurément un aristocrate (de la famille des Médontides, le Critias de Platon lui était apparenté) éduqué tant à l'art militaire qu'aux travaux de l'esprit, et mieux vaut ne pas trop se laisser abuser par les sources soulignant son intérêt pour les plus démunis 2 ou encore par ses éventuels «voyages d'affaires» d'avant son archontat (une charge dont l'accès était encore très limitéf C'est sans doute, tout à la fois, ses poèmes - où il défendait ses choix et projets politiques (surtout les frgts 4 et 30 G.-P.) - et ses succès militaires (face aux Mégariens) qui le fuent désigner, dans une ambiance prononcée de stasis, comme « archonte et médiateur (diallaktès) » (cf. Arist., AP V 2) pour l'année c.594/3. Fort de cette position, tout en se glorifiant de ne rien accomplir « par la violence de la tyrannie» mais d'adopter une« position médiane», il promulgua diverses mesures que, depuis l'érudition antique (qui d'évidence en a« rajouté>>), on range comme étant de portée tantôt« constitutionnelle», tantôt« économique » (notion qui, par ailleurs, il faut le rappeler, était absente encore de la réflexion solonienne). Ces dernières (surtout dans Sol., frgt 30 G.-P.) soulèvent toujours des problèmes d'interprétation non surmontés à ce jour. Les débats tournent principalement autour d'une grave «crise agraire». Pour le VII' siècle, un tel phénomène est plausible et pourrait avoir été lié, pour partie au moins, à une poussée démographique déjà ancienne (née au tournant des IX'4 VIII' siècles) et aux différents effets «pervers» des florissantes activités 1. Cf. supra, p. 232-234 et infra, p. 489-490. 2. Les Alcméonides affichèrent le même intérêt pour s'imposer face aux autres aristocrates. 3. Seule sa visite à Philokypros de Soloi (frgt 19 G.-P. et Plut., Sol. 26) paraît acquise (avant c.597, cf. Hér. V 113).
4. Comme une référence de plus en plus fréquente au métal argent dans les grandes transactions commerciales au cours du VII' siècle.
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coloniales du VII' siècle sur une économie toujours très traditionnelle, fondée sur une agriculture régie par divers réseaux archaïques d'obligations et de solidarités impliquant tant la terre que les hommes qui la faisaient fructifier. Cela dit, c'était surtout un mal qui frappait avec cruauté des Athéniens lourdement endettés après leur sévère défaite de 404, mais qui, de leur temps, connaissaient vraiment la monnaie ~es premières circulations monétaires affectèrent la Lydie et les Cités ioniennes vers 625/600, un phénomène qui, on va y venir, ne toucha pas Athènes avant le milieu du VI' siècle). Largement ignorants du contexte historique de la fm du VII' siècle (de semblables tensions se retrouvent en d'autres endroits tels Samos ou Milet), les érudits et hommes politiques du IV' siècle comprirent les propos de Solon à travers le prisme déformant de leur époque : dans ses élégies - poèmes politiques engagés, ne se flattait-il pas d'« avoir libéré la "terre noire" » en « arrachant les bornes (horoi) » qui, un peu partout, l'« asservissaient», d'être venu en aide aux Athéniens que des revers de fortune avaient contraints à abandonner l'Attique ou qui, restés, y «subissaient une servitude indigne» -tout en refusant de « donner aux bons (kaloi kagathoi) et aux méchants (kakoi) l'égalité dans le partage de la grasse patrie»? C'est dans ce contexte de propos soloniens dûment sélectionnés que les sources du IV' siècle furent amenées à employer en particulier le terme (alors disparu de l'usage) d'hektèmoros (« sizenier »,cf. Arist., APII), qui paraît bien désigner un paysan contraint à abandonner le sixième de la récolte de ses champs 1 à un tiers à qui le liaient des obligations ou dettes, et celui de koros («borne hypothécaire») renvoyant, là encore, à une pratique financière bien mal attestée avant le IV' siècle 2 • Ce sont également ces passages qui conduisirent un Aristote à employer le mot de seisachtheia («rejet du fardeau»), lui pour qui les terres agricoles devaient forcément être tombées entre les mains de quelques-uns ~es Eupatrides). Au-delà, tout se résume encore, pour l'essentiel, à un long cortège de supputations largement incompatibles, plus ou moins attrayantes, émises par les Anciens (qui, pour leur part, aspiraient à des remises de dettes, chréôn apokopè)3 et par les Modernes (chez lesquels fleurissent parfois des anachronismes liés aux débats d'idées nés des pratiques capitalistes qui se sont 1. TI s'agit donc d'une pratique à distinguer de celle du proprement dit, qui sera attestée à partir de l'époque classique. 2. Pour une mise en rapport séduisante des hectémores et des lwroi soloniens avec la libération de la plaine de Thria soumise au joug mégarien, cf. infra, p. 489. Pour le reste, il faut souligner qu'en l'occurrence, l'oppression pouvait difficilement tenir aux c.l6,7 %de la récolte ainsi retenus. 3. Dettes assurément là contractées auprès de prêteurs possédant des fonds fmanciers (chrèmata) et les avançant à des débiteurs avec un taux d'intérêt (tokos). Les poèmes parfois invoqués, associés au nom de Théognis de Mégare, posent plusieurs problèmes d'attribution de même que la chronologie (seconde moitié VII' siècle ou seconde moitié VI' siècle ?) et la patrie (Mégare ou sa fondation sicilienne?) de ce personnage (cf. supra, p. 451).
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développées dans l'Europe des Temps Modernes et de la révolution industrielle du XIX' siècle). Elles portent en priorité sur les statuts juridiques envisageables pour la terre et les paysans grecs en général, au passage du VII' au VI' siècle : d'une part, Solon, tout en s'opposant à une redistribution des terres, aurait annulé les diverses créances ou simples redevances -peut-être traductions, les unes et les autres, comme cela a été judicieusement suggéré, de plus anciennes «solidarités», «indivisions)) ou «copropriétés))' sorte d'« héritage du sol )) - qui grevaient champs et vergers et/ ou les récoltes qu'ils produisaient et, d'autre part, il aurait mis un terme à l'esclavage pour dettes, une pratique qui aurait pris une ampleur inconnue jusque-là, la terre demeurant, pour sa part, tout à fait inaliénable (une idée qui ne semble plus défendue avec la même ardeur dans les derniers temps) 1• Par ailleurs, toujours au cours des dernières années, la recherche a laissé entrevoir une tendance à décharger Solon, non sans bonnes raisons, totalement ou en partie, de la paternité d'une série d'autres mesures touchant aux domaines les plus variés, encore qu'à dimensions économiques (commerce, artisanat, funérailles, ainsi que monnaies - sinon poids et mesures - jusque-là soi-disant « phidoniennes ))2, etc., cf. Arist., AP X). Les mesures «constitutionnelles)) soulèvent d'autres questions, s'entrecroisant parfois avec celles liées aux mesures « économiques )), tout aussi ardues que ces dernières, et dont la moindre n'est pas, là encore, précisément leur attribution formelle à Solon. Sa pourtant très envisageable création (cf. Arist., AP VIII 4 et Plut., Sol. 19,2) d'un Conseil des «Quatre-Cents)) (Boulè) divise l'érudition moderne, tout comme les rapports de ce dernier à une Assemblée malaisée à saisir mais dont il convenait sans doute de modérer les ardeurs, une garantie non totalement fournie par l'Aréopage. Les chercheurs semblent davantage partagés aujourd'hui lorsqu'il s'agit de créditer Solon de la répartition des citoyens en quatre classes censitaires : les Pentacosiomédimnes (au-dessus de 500 mesures de blé), les «propriétaires d'un cheval)) ou «cavaliers))' les Hippeis (entre 300 et 500 mesures), les «propriétaires d'un attelage)) ou «hoplites)), les . ( ?), les Thètes (moins de 200 mesures). Une telle disposition paraît peut-être davantage s'inscrire dans la mentalité des réformes de la fin du VI' siècle (Clisthène et la pensée ionienne ?) que dans celle prévalant au début de ce même siècle 3 • En tout cas, fondée sur le produit de la terre exprimé en mesures pour solides, les médimnes (51,48 1.?) et arrêtant l'accès aux archai (magistratures), leur mise en 1. Cf. aussi irifra, p. 465-4 72. 2. Cf. infra, p. 472-476. 3. Cf. infra, p. 487-497.
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place a confirmé l'importance de la richesse à côté de celle, traditionnelle, de la naissance pour fixer le rang de chacun dans la gestion de la Cité. Solon évoque les récriminations des pauvres contre les riches et puissants, non des tensions entre gens bien nés et d'autres de basse extraction, comme certaines analyses modernes se sont complu à le faire croire, en s'appuyant sur des concepts plutôt inapplicables à cette époque, tel celui de «lutte des classes». On notera aussi que rien ne permet de conclure que tous les Eupatrides se retrouvèrent d'office dans la première classe ainsi fixée. Quoi qu'il en soit, tout ce que l'on peut ajouter avec une relative certitude est qu'entre cette réforme à la date incertaine et celle de c.457 /6, les archontes ne pouvaient désormais provenir que des deux classes supérieures et les trésoriers seulement de la première 1• Derrière ces bribes de discours décousus des Anciens, on distingue confusément une société athénienne en particulier (et grecque en général) travaillée en profondeur par une métamorphose fondamentale, qui avait partie liée à l'affranchissement de l'individu par rapport au groupe lequel, dans son fonctionnement collectif traditionnel, manquait désormais de la souplesse nécessaire pour répondre aux exigences du temps - et à son insertion subséquente dans un réseau nouveau en cours d'élaboration, qui se voulait mieux adapté, qu'on pourra dorénavant qualifier plus directement de « civique » ou politique sans plus trop risquer l'anachronisme. Comme cela a déjà été écrit et aussi paradoxale que la remarque puisse paraître de prime abord, il n'est pas exclu que la mesure de la réussite de Solon soit à rechercher, au moins pour une part, dans la plutôt bonne impression générale que les Athéniens retinrent des années d'une tyrannie pisistratique qui s'était abstenue de toucher aux impulsions du Sage (cf. Hér. I 59 et Thuc. VI 54) 2•
« Hommes libres » et « esclaves ))
En ce qui regarde le point - très sensible aux yeux de nombreux chercheurs - des « statuts sociaux » et de la liberté individuelle relative, il est sans doute superflu d'expliquer très longuement que les problèmes sont inextricablement liés aux multiples inconnues qui planent en particulier sur la législation attribuée à Lycurgue pour Sparte et sur les réformes de Solon à Athènes, les deux grandes communautés de l'époque pourtant les moins 1. Pour les mesures de c.487 /6 (part donnée à l'élection et part laissée au tirage au sort), cf. infta,
p. 561-572. 2. Cf. infta, p. 487-497.
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mal documentées avec celle que régissaient les « lois » de Gortyne en Crète 1• La recherche moderne continue à s'interroger, sans succès avéré, sur ce que, dans les sources antiques, peuvent bien cacher en définitive comme forme précise de dépendance « intracommunautaire )) des termes tels que pénestes chez les Thessaliens, gymnètes chez les Argiens, périèques chez les Crétois ou hectémores dans les contextes athéno-mégariens pour ne pas parler des plus souvent cités, les hilotes et autres « inférieurs )) aux statuts juridiques variés à Sparte 2• On regrettera que les débats ne tentent guère de faire les distinctions sans doute indispensables entre les horizons préclassique et classique, ce dernier étant le seul documenté, avec ses pratiques telles que la cryptie spartiate, cette « chasse (nocturne) à l' hilote )). On hésitera en tout cas à confondre, par exemple, les collectivités que l'on découvre asservies sur place par les Spartiates en Laconie ou en Messénie aux VIII'-VIT' siècles et les esclaves isolés ou en petits groupes, personnes déplacées à la suite de razzias, faits de guerre ou achats. Cela dit, depuis la fin de l'âge du bronze jusqu'aux guerres médiques, période couverte par le présent volume, dans une très large majorité, les individus qui constituaient les communautés grecques devaient être fondamentalement, quoique dans des mesures très subtilement diverses (ce qu'invite à envisager déjà la variété lexicale), «libres)) dans leurs faits et gestes, aussi longtemps que ces hommes et femmes se pliaient aux nombreuses obligations sociales régissant la vie du groupe dans lequel ils évoluaient. Quant aux esclaves proprement dits, leur existence, leur sexe, leur nombre, leur place et leurs tâches dans la société grecque antique ainsi que leurs propriétaires ont fait couler beaucoup d'encre, surtout dans les années 60, otages qu'ils étaient devenus, dans le cadre des grandes confrontations idéologiques du moment, des débats moraux et socio-économiques relatifs à l'esclavagisme et à la décolonisation. Et il convient sans doute de rappeler que c'est dans ce contexte que fut publiée en 1971 une lamelle de plomb appelée « la lettre de Bérézan )) 3, adressée par un certain Achillodoros à son f:ù.s Protagoras, objet de longues controverses. Le calme revenu, on s'accorde plutôt à estimer qu'en tout cas, entre l'effacement du système palatial mycénien et l'irruption des Perses en Grèce, la seule tranche de temps considérée ici 4, l'esclave (doulos) se présente comme une« denrée)) plutôt rare, plus souvent en la personne d'une femme que d'un homme, d'un Grec que d'un Barbare, et qu'il ne se trouvait guère qu'employé au sein des familles pour 1. Cf. aussi supra, p. 208-209 et 271-273. 2. Cf. supra, p. 238-244. 3. Cf. supra, p. 294-296. 4. Pour les époques antérieures, cf. Treuil et al., p. 492-494 et supra, p. 166-183.
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des travaux à la maison ou ceux de la terre. Ils ne devinrent vraiment nombreux qu'à l'époque classique (qui vit alors leur existence se faire, pour certains groupes d'entre eux, plus pénible, en particulier dans les secteurs « industriels » comme des carrières, certains ateliers ou les mines du Laurion) 1, à la place sans doute de l'une ou l'autre catégorie d'individus de l'époque préclassique ne disposant jusque-là que de droits individuels «rabotés». On hésitera cependant à cautionner l'idée qu'il faut lier cette émancipation des individus- telle celle qu'a pu opérer un Solon- à l'instauration d'une société esclavagiste, en y voyant une prétendue conséquence inéluctable du piètre développement technologique qui caractérisait les communautés grecques de l'époque.
LA MULTIPLICATION DES ÉCHANGES ET LE RÔLE DE LA MONNAIE
w échanges économiques Au cours des dernières décennies, la vie économique antique en général - et celle des époques géométrique et archaïque de la Grèce en particulier- a fait l'objet de quantité de prises de position, débats et polémiques parfois très virulentes. n est vrai que les idéologies (doctrines marxistes et libérales en particulier) et pratiques contemporaines (intellectualisées autour des notions clefs de« travail», « [sur]production >>, «rentabilité», «profit», «capital» et« crise», dans le cadre d'« économies nationales» en compétition et utilisant l'outil monétaire) nourrissent d'abondance cette question sans toujours avoir les retombées éclairantes espérées sur la perception des phénomènes dont on cherchait à mettre en lumière les mécanismes pour les époques considérées. Mais cette abondance de publications - souvent rehaussées de tableaux et schémas combinant divers paramètres, invoquant, dans le jargon attendu, les méthodes et les techniques d'investigation éprouvées de l'histoire économique et sociale contemporaine - ne masque que piètrement la cause première de ces nombreux errements : l'absence
1. Cf.
supra, p.
272-273.
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cruelle d'une documentation pertinente, tant littéraire 1 qu'archéologique 2 , sur ce qui est par ailleurs une évidence, à savoir l'intérêt des communautés grecques à l'égard d'activités pouvant déboucher sur des bénéfices (cf. Hér. I 165). Elle seule pourtant permettrait d'espérer une appréhension tant soit peu satisfaisante des grands mécanismes responsables des phénomènes économiques qui affectèrent souvent en profondeur une multitude disparate de communautés grecques - souvent minuscules aux yeux d'un observateur moderne, au cours de la première moitié du rer millénaire. Cela dit, même dans ses phases les plus vivantes et créatrices, la « vie économique » de la Grèce préclassique a toute chance d'avoir été étonnamment éloignée de ce qui est devenu le « paysage économique )) quotidien de l'homme moderne. n demeure en particulier toujours aussi délicat de dégager en toutes circonstances les motivations premières des déplacements, de faire la part entre les entreprises collectives et les initiatives individuelles, entre les activités économiques propres aux échanges terrestres régionaux (souffrant de la pénurie de routes) et celles liées aux entreprises maritimes à longue distance (où ici et là diverses formes de razzia et piraterie sont à envisager). n n'est guère plus aisé de mettre en lumière les raisons profondes de leur ferme renaissance à partir surtout du VITI' siècle 3• Même la place que les premières et les secondes occupèrent au fil du temps face à celles, traditionnelles et fondamentales, liées à l'exploitation de la terre, demeure à vrai dire peu discernable, encore qu'il faille sans doute la suspecter d'être plus spectaculaire que réellement imposante par la masse des échanges et le nombre d'individus directement impliqués: l'archéologie livre là bien souvent au regard le résultat de plusieurs décennies d'activité antique et autorise au mieux à retrouver certains des axes fréquentés! De même, n'est guère moins démuni celui qui souhaite aborder une question telle que les effets démographiques et sociaux du réel processus d'urbanisation qui s'observe alors ou les liens exacts que ceux-ci ont entretenu (cause, conséquence) avec l'accroissement des productions agricoles imputable aux IX'-Vlll' siècles. Enfin - mais la liste pourrait 1. Au contraire de l'économie proche-orientale pour laquelle on dispose, grâce aux découvertes répétées dans les palais ou les sanctuaires de lots de textes sur tablettes, au moins d'archives « économiques » souvent explicites. La poésie grecque de l'époque archaïque (Alcée, Solon, etc.), réclame pour sa part la plus grande prudence lorsqu 'y sont abordés des thèmes en rapport avec l'enrichissement, et les grilles de lecture, offertes par l'érudition des IV-rn· siècles, marquée par une société empêtrée dans la grave crise financière de l'époque, ne sont pas vraiment une aide pour retrouver la spécificité des problèmes qui se posaient aux communautés grecques de l'époque archaïque. 2. Les phénomènes économiques se laissent d'autant mieux apprécier lorsqu'ils sont illustrés par des séries nourries d'événements singuliers. On dispose rarement de telles séries pour les époques géométrique et archaïque. L'archéologie funéraire en particulier, susceptible de livrer une information de cette nature, a été beaucoup sollicitée ces dernières années par divers chercheurs, mais elle n'a pas encore fourni, dans la pratique, les preuves de la pertinence de son information pour ces questions. 3. Cf. supra, p. 176-181 et 431-434.
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être rallongée, on demeure bien en peine d'apprécier, même à grands traits, les efforts consentis respectivement pour l'élevage, la culture des céréales (orge et froment), celle de l'olivier et de la vigne, et plus encore les fluctuations qui ne manquèrent pas d'intervenir entre ces différents secteurs d'activité 1• La nature de la nation grecque, alors éclatée en plusieurs centaines de communautés (visant chacune à l'autonomie et à l'autarcie), éparpillées sur autant de terroirs singuliers, rend d'ailleurs vain tout espoir sérieux de dresser un tableau unique qui serre jamais de près au moins quelque moment historique. n convient en tout cas de ne pas perdre de vue la place primordiale que ne cessèrent jamais d'occuper chez tous les Grecs de ces siècles les activités vitales liées à l'élevage et à l'agriculture, toutes tâches qui, dans des sociétés technologiquement peu développées, étaient dévoreuses de main-d'œuvre (surtout à certains moments du cycle saisonnier). Un signe de cette première place incontestée qu'occupaient les travaux agricoles n'est autre que la façon dont se quantifièrent d'abord les richesses (chrèmata), bien avant que ne soient nommées des équivalences en or et/ ou argent : en mesures de céréales, d'huile ou de vin (ainsi pour la défmition des classes censitaires attribuées à Solon) 2, produites par un terroir assurément réparti en sortes de «propriétés privées» (klèroi) de tailles et de qualités (sans doute) inégales mais elles-mêmes encore au dessus de toute véritable évaluation. Cette observation a compté pour beaucoup dans l'idée d'une stricte inaliénabilité du sol, une thèse qui a longtemps eu des défenseurs acharnés dans la recherche moderne et qu'il convient de reformuler en de tout autres termes, en gardant présent à l'esprit le fait que la terre valait d'abord par ce qu'elle produisait, un accomplissement indissociable d'un imposant labeur humain. Les débats autour du statut juridique des individus impliqués dans cette tâche essentielle sont, eux aussi, toujours en cours (et, pour l'Attique en particulier, ils renvoient à l'interprétation de l'œuvre politique de Solon 3) : si l'idée d'une abondante main-d'œuvre servile n'a guère d'arguments décisifs à faire valoir dans la Grèce préclassique, il reste la délicate question de l'évolution qu'a pu connaître, ici et là, au cours des époques géométrique et archaïque, la ventilation entre les « propriétaires » exploitant en famille leur petit lopin et ceux, plus richement « lotis », faisant appel en certaines
!. Cf. supra, p. 55-59. 2. Cf. supra, p. 459-463. Par ailleurs, on estime ainsi que, d'une part, un individu pouvait difficilement exploiter seul plus de 4 hectares et que, d'autre part, pour être en mesure de produire ses 200 médimnes, minimum requis à Athènes pour appartenir à la classe des zeugites (ceux qui servaient comme hoplites), il fallait que l'intéressé puisse disposer de pas moins de 12 hectares. 3. Cf. aussi supra, p. 226-234. Sont également au cœur du débat les de Gortyne pour la Crète. ·
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circonstances et en nombre plus ou moins élevé à des «journaliers » ~es thètes à Athènes) aux origines sociales contestées mais assurément diverses. L'opinion dominante, très marquée du sceau des analyses du IV' siècle av. J.-C.; reste qu'au fil du temps, nombre de petits paysans-propriétaires, n'étant plus en mesure de subvenir à leurs besoins sous le poids des « rétributions » dues, se retrouvèrent de plus en plus couverts de « dettes » et en vinrent à tomber, de diverses manières selon les régions (Sparte, Crète, Thessalie), sous la coupe de grands «propriétaires» plus que jamais en quête de surplus (chrèmata) à échanger contre les productions nouvelles caractérisant le retour à une civilisation matérielle. Le phénomène - qui n'a assurément rien d'invraisemblable -n'en demeure pas moins on ne peut plus mal daté et il se pourrait tout aussi bien que ces situations de dépendance aient été, en fait, très anciennes (ainsi en Crète, mais aussi en Laconie ou en Attique) et d'origine variée (fonction de la nature de la« propriété privée » et des liens interpersonnels) 1• Ce seraient alors les métamorphoses progressives des VIII'-VI' siècles qui les auraient mises à mal, provoquant chez ceux auxquels la fortune ne souriait pas les récriminations rencontrées chez divers poètes lyriques. Ce sont ces cris de révolte - rarement accompagnés d'une analyse économique motivée - qui ont tout aussi bien pu égarer les érudits des IV'-ill' siècles en les persuadant que l'Histoire se répétait. En dehors du recours à une appropriation par la violence, les Grecs ne pouvaient donc guère espérer acquérir quoi que ce soit venant de l'extérieur de leur propre domaine sans abandonner, dans le cadre d'échanges, une certaine partie (qu'on qualifie parfois, sans raison et un peu vite, d'« excédentaire>> et autorisant une «capitalisation») des fruits de leurs terres. Comme rien n'encourage à postuler davantage une quelconque« révolution agricole» affectant les techniques, l'outillage ou les plantes cultivées, on ne peut guère envisager l'obtention de récoltes améliorées autrement que comme le résultat d'une énergie redoublée des efforts des paysans et surtout de la mise en exploitation de nouveaux espaces, à l'intérieur du terroir de départ ou en dehors de celui-ci une fois que même les secteurs plus médiocres eurent été accaparés. Il est certain que ce processus d'appropriation du territoire «métropolitain», mené de façon de plus en plus sourcilleuse par l'homme, prit des formes variées, initiatives privées ici, plus collectives, voire communautaires là, avec alors, selon la nature du sol conquis et les appétits de chacune des forces en présence (dans le camp des vaincus comme dans celui des vainqueurs), une répartition en lots ou une exploitation collective (pâturages). 1. Cf. supra, p. 269-286. On a parlé, fort opportunément sans doute, d'une codification d'un rapport de dépendance préexistant.
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Quoi qu'il en soit, il est indéniable qu'une des conséquences les plus spectaculaires de l'essaimage colonial grec 1 et, vers la même époque, de la reprise ferme de contacts suivis avec Chypre et le Proche-Orient 2 fut assurément la multiplication rapide, surtout à partir du VII' siècle, des échanges sous formes diverses de personnes, d'idées et de biens les plus variés entre la Grèce et les différents secteurs de la Méditerranée et de la mer Noire. Et de ce point de vue, si l'« Histoire» est bien avant tout l'ensemble des gestes à portée sociale posés par les hommes dans le passé, on peut alors assurément dire que cette Histoire connut là, avec la poussée démographique, l'enclenchement du processus colonial qui s'ensuivit et la réactivation des liens avec l'Est, une première accélération sensible 3 • Les premières et principales communautés de l'« ancienne Grèce » qui bénéficièrent progressivement et de façon durable de ces activités renouvelées paraissent bien avoir été d'abord celles d'Eubée (et la région continentale immédiatement voisine, l'Attique, sans doute grâce au Laurion) et de Crète, des îles bien peuplées et situées sur les voies de progression des navires chypro-phéniciens vers la Méditerranée occidentale 4 : en témoignent divers objets « de luxe » retrouvés surtout dans plusieurs tombes de ces régions et un peu de céramique grecque géométrique retrouvée tant à Chypre que dans les plus anciens niveaux d'occupation de la Carthage d'Afrique. Dans la suite, les premières marquant sans doute un relatif essoufflement, furent affectées (sans oublier Milet et, de façon générale, les Grecs de l'Est 5) celles qui occupaient une position privilégiée sur et à proximité immédiate de l'Isthme (franchi grâce au diolkos, chemin de halage établi par les Corinthiens) 6, sur l'axe maritime formé par le golfe de Corinthe et le golfe Saronique 7 : au premier chef, les Corinthiens, les Mégariens, les Sicyoniens, les Éginètes et, avec sans doute un peu de retard, les principaux concurrents de ces derniers, les Athéniens. Partout en ces endroits, on pressent un processus d'urbanisation relative à partir du milieu du VII' siècle, avec des réalisations matérielles indiscutables tout au long du VI'. On aimerait pouvoir apprécier les effets qu'ont pu avoir ces transformations sur l'approfondissement du sentiment d'appartenance politique. Resterait aussi à pouvoir évaluer le rôle qu'eut l'émergence de ces «centres de consommation et de !. Sur les causes probables de ce phénomène, notamment les poussées démographiques et la quête de nouveaux terroirs, cf. supra, p. 279-285. 2. Sur les responsables présumés de ces initiatives, c( supra, p. 248-269. 3. C( supra, p. VIII-IX. 4. C( supra, p. 204-214 et 250-262. 5. C( supra, p. 193-203. 6. C( in.fra, p. 484-486. 7. C( supra, p. 95-97.
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production» dans l'embellie économique des VII'-VI' siècles, mais, dans un cas comme dans l'autre, les données objectives manquent, à commencer par celles qui fixeraient le nombre de« citadins» (sans doute plutôt faible). Rien ne permet d'évaluer les« surplus» ainsi dégagés au sein des Cités grecques qui ont pu être distraits à des fins « non productives » ~es sanctuaires d'Olympie et de Delphes offrant les exemples les plus criants), mais on observe en tout cas la formation - surtout à partir du VI' siècle - de sortes de quartiers regroupant des activités artisanales, employant sans doute au fil du temps pas mal d'« extérieurs» à la communauté (métoikoi). A cela s'ajouta l'aménagement d'agoras, ces espaces publics intra-urbains, la réalisation de constructions d'intérêt collectif telles qu'édifices religieux d'abord, salles de réunion diverses, mais aussi fontaines, puits, aqueducs, égouts, etc. 1• En ce domaine des travaux édilitaires, le rôle à reconnaître aux tyrans, sans être jamais aisé à cerner exactement dans ses modalités, paraît néanmoins impossible à exclure (que l'on songe au diolkos de Corinthe ou à l'activité pisistratique à Athènes). Reprenant une des idées maîtresses de l'historien Thucydide (Thuc. I 13), la recherche moderne a tenté de démêler les liens qui n'ont pas manqué de se tisser entre l'enrichissement remarquable que connurent ces communautés actives en mer et l'émergence, à la tête de ces dernières, de fortes personnalités qui cherchèrent à concentrer tous les pouvoirs entre leurs mains et que les Grecs qualifièrent ici de basileus, là de turannos 2• ll semble aujourd'hui acquis pour nombre de chercheurs que ces individus ont davantage profité des distorsions nées de la pratique de ces activités nouvelles pour se hisser au pouvoir qu'ils ne les ont à vrai dire promues. La céramique demeure, pour l'archéologue et l'historien, le meilleur témoin matériel de cette multitude d'échanges à courte, moyenne et longue distances, mais c'est un témoin partial, qui peut induire en erreur. En théorie -mais il n'est pas rare que l'histoire humaine se moque des théories, les vases qui circulaient pour des motifs « commerciaux » sont ceux qui possédaient une valeur marchande propre («objet d'art))) ou qui contenaient un produit attrayant. Cela dit, huile d'olive et vin étaient, en général, transportés dans de grands conteneurs dont on peut, à partir du VII' siècle, tenter de distinguer les lieux de production, voire certains marchés d'exportation privilégiés. On distingue ainsi, par exemple, des jarres à vin de Chios ou des amphores à huile « SOS )) de fabrication souvent attique en Occident, eubéenne plutôt en Orient. Les parfums et autres onguents firent aussi l'objet d'exportations en grandes quantités, mais, le plus souvent, leur commercialisation se fit dans de petits flacons, aryballes ou alabastres aux 1. Cf. infra, p. 524-537 et 476-501. 2. Cf. infra, p. 4 76-483.
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formes variées et rehaussés d'une décoration attrayante, susceptibles de capter l'œil de la clientèle. C'est dans ce dernier domaine que l'on trouve les plus belles productions protocorinthiennes (avant c.620) puis corinthiennes (c.620-c.540). n convient enfm de ne pas passer sous silence ce que diffusent (mais moins largement) les ateliers laconiens au cours de ces mêmes décennies 1• A partir du milieu du VI' siècle, les céramiques corinthiennes, qui avaient dominé les circuits depuis c.650, laissèrent la place aux productions attiques, qui envahirent alors tous les marchés méditerranéens (un renversement de tendance dont il vaut sans doute mieux s'abstenir de déduire quoi que ce soit de politique) 2• Elles se caractérisent par des argiles très épurées et fort bien cuites, couvertes d'un « vernis » noir, remarquablement résistant et brillant, et des décors faisant intervenir quantité de personnages dans les situations les plus diverses et qu'il n'est pas rare de voir accompagnés d'inscriptions peintes les dénommant. Vers 530, les peintres attiques se mirent à développer une technique nouvelle à côté de celle alors en usage des «figures noires» : celle des «figures rouges», souvent associée, comme la précédente, à des scènes de nature mythologique, mais aussi à des scènes de la «vie quotidienne». Certaines de ces productions provenant des ateliers attiques ont dû faire l'objet- tout comme certains vases corinthiens dès le milieu du VII' siècle- d'exportations suivies, tant vers l'Est que vers l'Ouest. Ainsi est-ce surtout en Étrurie que l'on retrouve ces amphores « tyrrhéniennes » avec leurs inscriptions simulées, fabriquées « en masse » dans des ateliers attiques entre c.560 et c.540/530. Dès c.600/575, ces mouvements s'expliquent bien davantage pour la valeur propre des objets que pour leur contenu éventuel. On observe ainsi que les producteurs tentaient de s'adapter aux goûts des clientèles locales. En ce sens, le cas de Nikosthénès pour l'Étrurie, dans la seconde moitié du VI' siècle, est sans doute l'un des plus éclairants. Mais il ne faudrait pas se laisser abuser pour autant par ces découvertes d'objets souvent de grande qualité : pour l'époque archaïque, les exportations de ces céramiques prestigieuses, vendues pour elles-mêmes, ne constituent jamais que les restes les plus spectaculaires d'échanges beaucoup plus diversifiés. Ces derniers devaient inclure également diverses productions métalliques et en ivoire appartenant, elles aussi, à des artisanats de luxe, mais qui furent plus souvent victimes des intempéries ou de la récupération. Cela dit, la masse des échanges devait d'abord impliquer de l'huile d'olive, du vin, des poissons en conserve (séchés ou en saumure), des céréales et des
1. Cf. supra, p. 243. 2. Cf. supra, p. 435-440.
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matériaux bruts tels des métaux ou du bois de construction, pour ne pas parler des esclaves qui étaient sélectionnés selon leurs talents.
L'apparition de la TTUJnnaie
Les débats relatifs à la manière dont était assurée la diffusion des biens produits - surtout à moyenne ou à longue distance - continuent à battre leur plein, mais la recevabilité de la thèse voulant que ce soient toujours les communautés productrices qui aient assuré elles-mêmes la distribution des biens qu'elles manufacturaient n'a pas encore été démontrée. ll semble ainsi très probable que, pour l'essentiel, les Corinthiens exportaient eux-mêmes leurs parfums et les Athéniens leurs « figures noires » mais, même dans ces cas précis, on ne peut pour autant exclure d'autres agents de distribution, tels les Éginètes qui, en ces domaines, n'avaient pas de production propre - ou en tout cas comparable - mais dont les activités maritimes sont clairement documentées. A ce propos, il convient assurément de souligner qu'il reste pour le moins hasardeux de refuser l'existence de relations économiques suivies entre Cités, en prétextant de l'une ou l'autre tradition écrite les créditant, vers la même époque, d'hostilités mutuelles. n paraît ainsi difficile de recevoir la thèse fondée naguère sur de telles considérations et qui aurait voulu que les vases relevant stylistiquement du protoattique moyen aient été fabriqués à Égine où, de fait, il n'est pas rare qu'ils soient découverts. D'autre part, dans le même esprit, on rappellera combien la découverte de ces céramiques - qu'elles soient eubéennes, corinthiennes ou attiques- en un endroit donné de Méditerranée ou de mer Noire n'implique pas pour autant ipso facto la présence ni même la fréquentation occasionnelle des lieux de découverte par des Grecs venus de ces centres de production. En effet, il n'est pas rare qu'à l'examen, il apparaisse que divers intermédiaires ont pu opérer. Tel a pu déjà être le cas des productions de céramique eubéennes du vm· siècle retrouvées à Al Mina 1• Reste que, pour l'époque archaïque, la personnalité de ces capitaines, leur regroupement possible en «sociétés» au vr siècle, qui a fait l'objet de nombreux débats, échappent presque toujours à l'enquête, tout comme en fait l'essentiel de l'organisation pratique des opérations commerciales, dont les acteurs devaient peu recourir à l'écriture. . . et ne furent pas les premiers à percevoir les possibilités offertes par une invention toute nouvelle au terme du vrr· siècle, la monnaie.
!. Cf.
supra, p.
250-262.
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Les monnaies ne se rencontrent guère avant le milieu du VI' siècle et, si elles fmirent par transformer le mode des échanges, pendant plusieurs décennies encore après leur apparition elles restèrent d'un usage régional et limité, offrant par ailleurs des étalons multiples 1, peu précis semble-t-il, et -en Grèce même en tout cas- rarement des pièces divisionnaires (en cuivre) susceptibles de rendre le procédé accessible à un plus grand nombre de petits utilisateurs. On ne peut donc même pas parler de l'avènement immédiat d'une première forme d'économie monétaire. Au mieux ces premières émissions autorisaient-elles la rétribution de dèmiourgoi ou de mercenaires autrement qu'en nature Wévaluation de biens immeubles en équivalent argent n'est pas illustrée pour cette époque). A vrai dire, il faut attendre la fm du VI' siècle pour que leur nombre, leurs caractéristiques (indications figurant au droit et au revers) et leurs circulations (voire leur thésaurisation, une pratique rare chez les Grecs avant le v· siècle) soient susceptibles de se prêter à des considérations historiques fondées, par exemple, sur la présence de monnaies nord-égéennes en Égypte ou sur l'intérêt de plus en plus marqué des Grecs de l'Est pour les dépôts argentifères de Thrace. Tout cela invite à conclure qu'il faut que débute le V" siècle pour que la monnaie devienne un élément de poids dans la vie des communautés grecques. n n'est plus guère question aujourd'hui d'accepter comme autre chose que des reconstructions a posteriori, sans rapport direct avec la réalité des faits, les divers témoignages antiques attribuant l'invention de la monnaie à des individus crédités le plus souvent par ailleurs d'une œuvre législative, souvent fondatrice des Cités où ils œuvraient : Solon pour Athènes 2, Lycurgue pour Sparte 3 ou encore le Téménide Phidon pour Égine 4 • Ces récits laisseraient bien plutôt entendre qu'au moment de leur élaboration, la monnaie était une création assez récente, quelque peu passée inaperçue dans les premiers temps de son existence, et qu'à partir du v· siècle et plus encore du IV', époque où son usage s'est largement imposé, les érudits anciens (à commencer par Arist., Pol.) se sont alors sentis tenus d'insérer son apparition dans leur reconstruction hypothétique du passé et à la présenter comme l'aboutissement logique d'un long processus remontant au troc primitif. Au vu de l'information disponible et dans la mesure où l'accord se fait sur l'identification matérielle des objets à considérer, les plus anciennes pièces connues (boulettes de métal précieux bientôt estampillées) furent celles qui se mirent à circuler, sans doute dans le dernier quart du VII' siècle, 1. D'emblée on distingue, pour la pièce la plus lourde (le statère), l'étalon phocéen (17 ,2 gr.), l'étalon samien ou eubéen (16,2 gr.) et l'étalon milésien ou lydien (14 gr.). 2. Cf. supra, p. 459-463. 3. Cf. supra, p. 456-458. 4. Cf. supra, p. 244-247.
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de commun accord, entre le royaume de Lydie et plusieurs Cités grecques d'Asie mineure (cf. aussi Hér. 1 94). ll est donc difficile de mêler directement ce phénomène à la crise qu'au début du VI' siècle, Solon tenta de résoudre à Athènes 1• A partir du milieu du VI' siècle, plusieurs Cités de la Grèce proprement dite firent, une à une, leurs premiers pas dans la pratique monétaire, avec d'abord les plus anciennes émissions corinthiennes et les célèbres «tortues>> éginétiques (statères d'argent), que suivirent, dans la seconde moitié du VI' siècle, des pièces d'argent frappées à Sélinonte et à Himère, ainsi que les premières pièces athéniennes battues, estime-t-on souvent, à l'initiative de Pisistrate 2, ces « Wappenmünzen » qui précédèrent les premières «chouettes» d'argent sans doute dues aux Pisistratides, dans le dernier quart du VI' siècle. La diversité iconographique dont font preuve les didrachmes « héraldiques» athéniens a de quoi surprendre et elle a d'ailleurs donné lieu à diverses suppositions explicatives, mais il semble qu'elle n'ait rien d'exceptionnel ainsi que tend à le montrer l'étude d'un« dépôt de fondation» (c.600 av. J.-C.) composé de pièces en électron (alliage naturel d'or et d'argent), trouvé dans des fondations de l'Artémision d'Éphèse et certaines émissions plus anciennes d'Égine. D'une façon générale, les témoignages demeurent très rares, les séries incomplètes, et seules de nouvelles découvertes permettront de résoudre toutes les questions pratiques que soulève toujours l'apparition de ces premières monnaies. Certaines recherches estiment qu'il ne faut plus guère retenir l'idée, longtemps reçue, qui voulait que ces frappes monétaires aient été d'emblée, au même titre que l'ensemble du système de poids et mesures ou le calendrier, l'affirmation éclatante de l'indépendance de la Cité émettrice, ni penser que le symbole monétaire ait été aussi chargé de sens qu'on l'a souvent écrit- encore que les pièces corinthiennes n'offrent pas une grande variété. n paraît cependant assuré que la frappe monétaire fut partout de stricte initiative publique et au départ destinée, semble-t-il, à répondre aux besoins de la Cité (salaires, gages, armement naval, paiement d'amendes, cotisations et taxes- surtout portuaires). Cette dernière devait exiger, au moins dans certains cas, d'être payée exclusivement dans la monnaie qu'elle avait émise (monnaie « approuvée », dokimon, par opposition aux autres monnaies «étrangères», réduites alors à n'être considérées qu'au titre de simples « marchandises » - et jouissant dès lors sans doute d'une légère moinsvalue). Et, à propos de ce dernier point, des recherches ont insisté sur les rapprochements éclairants qu'il y aurait lieu d'établir entre nomos («loi») et 1. Cf. supra, p. 459-463. 2. Cf. in.fra, p. 487-497.
Structure sociale et apparition de la monnaie
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nomisma («monnaie))). Dans cette perspective, la monnaie aurait été d'abord un outil de gestion politique mis au point par et au profit du « bien commun)), c'est-à-dire de la Cité, en d'autres termes encore, d'une «puissance publique )) alors encore à peine arrachée aux intérêts particuliers, mal établie et souvent pauvre. Va également en ce sens la grande diversité des étalons ayant cours dans un secteur géographique économiquement sensible aussi exigu que celui constitué par la zone comprise entre l'Eubée et le golfe de Corinthe. On peut également mieux comprendre aussi que les érudits du IV' siècle aient été tentés d'attribuer la paternité de cette invention à des figures qui passaient par ailleurs pour fondatrices de cette puissance publique. En pratique, l'intégration de la monnaie aux activités commerciales archaïques « intercommunautaires )) paraît ne s'être produite que progressivement, à la faveur peut-être d'arrivages d'argent en Égée plus volumineux et nombreux et de l'utilisation progressive de ce métal (pesé), déjà courant, comme mode de paiement dans les échanges. Ainsi, une vieille communauté marchande comme celle des Tyriens ne battit pas monnaie avant la seconde moitié du V' siècle. Le peu de familiarité que les Grecs et leurs partenaires avaient- même encore à l'époque classique- avec les mécanismes fondamentaux présidant aux échanges économiques est sans doute la raison de cette relative apathie face à l'invention 1• De toute manière, les pièces divisionnaires permettant à chacun de participer pleinement aux mécanismes monétaires- en particulier par l'entremise du commerce de détail- ne firent pas vraiment leur apparition en Grèce avant le courant du V' siècle. Pour la période prémonétaire, dans certaines régions de Grèce, on a invoqué, comme support des échanges, des broches de fer (obéloi, obéliskoi) dont l'existence est attestée par celles retrouvées notamment dans la «Tombe à la cuirasse)) d'Argos (c.720), dans les Héraia d'Argos et de Pérachora ainsi qu'à Delphes. Ces découvertes pourraient créditer les propos d'auteurs anciens nommant des offrandes d'objets de cette nature faites par Phidon d'Argos ou encore par la courtisane Rhodopis de Naucratis (Hér. II 135). On ne peut en tout cas manquer de rapprocher le nom donné à ces broches parfois trouvées réunies en groupes de six, obéloi, de celui des oboloi, ces unités monétaires (athéniennes), qui, par six, constituaient une drachme, mesure pondérale surtout destinée à évaluer les métaux précieux. L'unité de base du système pondéral grec était le talent (talanton) équivalant à un poids variable selon les communautés de Grèce et du ProcheOrient (entre c.28 et c.35 kg). Le talent se divisait en 60 mines (mnâ). Quant à la mine, elle se subdivisait (à partir de Solon?) en lOO drachmes en Attique (mais 150 en Eubée et à Corinthe, 70 à Égine!). On a là une espèce de 1. Cf.
supra, p.
425-428, pour les fondements économiques attribués à la .
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cacophonie « monétaire » entre voisins qui, encore une fois, offre une illustration de ce besoin irrépressible qui agitait toutes les communautés grecques de l'époque archaïque de se différencier les unes des autres, un besoin auquel elles répondirent selon les moyens à leur disposition 1• On a parfois défendu l'idée que ces brochettes de fer (qui ne sont pas attestées en Attique), groupées par six, avaient, à un moment donné, reçu un équivalent-poids officiel en argent chez les Argiens. Sans que l'on puisse vraiment en dire davantage, on doit cependant considérer comme très probable qu'au cours du VIT' siècle, les Grecs, ouverts par voie de colonisation aux échanges de biens et produits, reconnurent donc, de plus en plus régulièrement, dans ces opérations, une place et un rôle particuliers au métal argent, et les pratiques nouvelles qui en découlèrent ne manquèrent pas d'entraîner à la longue des dysfonctionnements au sein de communautés prémonétaires jusque-là foncièrement agricoles, largement bâties sur le troc des biens et des services. A propos de ces tensions sociales - qui sont indiscutables et durent se nourrir de phénomènes tels que celui de ce que le IV' siècle nomma l'« endettement )) Qui-même ayant pu entraîner jusqu'à la vente en esclavage), on ne peut que rappeler combien toutes les nombreuses hypothèses explicatives modernes buttent, comme souvent, sur une information insuffisante, tributaire des lectures préconçues du IV siècle, qui cache mal une grande inconnue : le statut juridique de la terre à l'époque préclassique 2 •
9. LES TYRANNIES «ARCHAïQUES »
CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES
Objet de nombreuses études depuis le XIX' siècle jusque dans les dernières années, la tyrannie en Grèce archaïque fut un sujet de controverses dès l'Antiquité. Cela se comprend si l'on se rappelle que cette forme de 1. Quant à la mise sur pied de poids et mesures standards au sein de chacune de ces Cités, elle milite sans doute d'abord en faveur du souci de la Cité d'avoir un droit de regard sur toutes les activités fondées sur les échanges de biens. 2. Cf. supra, p. 166-183.
us !Jrannies « archaïques ))
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pouvoir fut déjà l'otage d'un V' siècle athénien dominé par le grand débat relatif à la légitimité et la moralité du pouvoir « politique », un débat que la menace perse d'abord- concrétisée par les guerres médiques- et l'impérialisme athénien ensuite - sanglé dans la Ligue de Délos - nourrirent d'abondance. Comme toujours dans le cas d'une question « historique » relative à l'époque «pré-historique », son traitement se heurte au problème aigu des sources. Souvent contradictoires et pleines de récits incontrôlables, elles offrent plusieurs grilles de lecture et datent, dans leur quasi totalité, d'époques très largement postérieures à celle contemporaine du phénomène. Hérodote et Thucydide en fournissent une part, Aristote une autre, mais le reste, c'est-à-dire beaucoup, est sensiblement plus tardif encore, un trait qui s'explique par l'« actualité» du thème jusqu'en pleine époque impériale romaine. Les tyrannies « archaïques » furent ainsi successivement revues à la lumière des problèmes éthiques de l'époque classique, puis à celle des graves crises fmancières et sociales du IV' siècle qui promut l'image du tyran «démagogue» (Arist., Pol. V 1310b), puis mesurées à l'aune des tyrannies hellénistiques, enfin à celle du pouvoir autocratique des empereurs romains. Quant aux rares témoins du temps, tels Théognis de Mégare, Alcée ou encore Solon, souvent victimes du phénomène, il est fort à craindre qu'ils manquèrent dans leurs propos de toute la sérénité souhaitable. Ainsi s'élabora, par touches successives, un topos du tyran de l'époque archaïque hors du temps. A la vérité, ces« hommes forts» de l'époque préclassique offrent sans doute d'abord et avant tout les plus implacables illustrations de l'impuissance dans laquelle se trouve presque toujours la recherche historique moderne, lorsqu'il s'agit de reconstituer formellement l'époque archaïque, en particulier en termes d'histoire événementielle. Un premier point doit être souligné : ce phénomène politique, pour quelque peu spectaculaire et assez répandu qu'il ait été, ne paraît pas avoir touché l'ensemble des Cités grecgues, loin de là 1• Ainsi de puissantes communautés telles que Sparte ou Egine paraissent bien y avoir échappé. li est surtout documenté en Grèce d'Asie et, sur le continent, dans les Cités de moyenne grandeur. Parmi les Cités de premier plan à l'époque archaïque qui furent concernées, outre Mégare (Théagène) et Samos (Polycrate), seules Athènes (Pisistrate et Hippias) et Corinthe (Cypsélos et Périandre) ont assurément connu une phase tyrannique (monarchia ou tyrannis). Dans ces deux derniers cas, on peut même parler de « dynasties », mais en général un tyran
1. Encore qu'il n'y ait pas eu (en dehors même de la question de la pauvreté documentaire) de recensement officiel fondé sur des critères objectifs. Convient-il par exemple de retenir Damasias d'Athènes, un archonte qui s'accroche au pouvoir au-delà du terme imparti, parmi les tyrans ?
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grec de cette époque eut rarement l'opportunité de transmettre son pouvoir à sa descendance.
n semble qu'assez souvent, par manque d'informations ponctuelles indiscutables, les changements qui s'opèrent aux VII'-VJ< siècles, soient présentés de façon quelque peu« mécanique». n s'agirait d'une quête généralisée des communautés grecques, visant à rompre une autorité aristocratique désormais vécue comme oppressante et que les codes de lois d'abord obtenus n'avaient pas adoucie. Cette quête aurait conduit les défavorisés par le sort à chercher appui auprès de tyrans «populaires», démagogues, sans que l'on sache en quoi consistait alors précisément le dèmos. En tout cas, aujourd'hui, on ne retient plus guère pour aussi assurée l'idée selon laquelle la tyrannie aurait été la conséquence ou la cause directe de l'apparition de la monnaie et d'une « classe » commerciale et industrielle, qui aurait ainsi tenté de briser le pouvoir détenu par les «classes>> supérieures. Cela dit, l'apparition d'individus entreprenants fut antérieure à l'émergence de la tyrannie et ces fortes personnalités une fois installées au pouvoir ne cherchèrent pas à perturber - tout au contraire - un développement économique déjà bien amorcé (cf. Hés., Tr. 644-645). li n'en reste pas moins vrai aussi que les tyrannies furent surtout présentes sur le détroit de Messine et en Sicile, en Ionie et sur le grand axe des échanges reliant le golfe Saronique au golfe de Corinthe. Et même s'il est difficile d'aller très avant dans l'analyse du phénomène, cette observation ne va pas sans rejoindre pour une part l'opinion déjà exprimée par Thucydide (Thuc. I 13,1) qui associait l'apparition des tyrans et le développement de flottes puissantes. Ces hommes se présentent comme le produit d'une société sinon en déséquilibre voire en crise, du moins en mutation au regard des valeurs traditionnelles : le VI' siècle en tout cas assiste à la montée en concurrence de la « bonne naissance » et de la richesse mobilière. Et cette tension sociale paraît trouver ses origines d'une métamorphose « globale » du monde grec, dont la renaissance de la civilisation matérielle ne fut que l'aspect le plus spectaculaire. Non directement génératrice de réformes institutionnelles et sociales, la tyrannie archaïque semble surtout avoir agi comme un agent « déstructurant » des cadres d'une société aristocratique traditionnelle dont les sources de richesse étaient désormais de plus en plus diversifiées (Sol., frgt 23D) et qui était de plus en plus déchirée par des compétitions internes menées par le biais d'hétairies rivales impliquant des segments difficiles à évaluer de l'ensemble de la collectivité civique ~e dèmos) en mesure de fréquenter l'agora (cf. Alcée, frgts 129-130 L.-P.). De véritables réformateurs politiques, tel Clisthène à Athènes, tirèrent profit à leur manière de pareille situation et contribuèrent alors à son effacement durable.
us ryrannies «archaïques>>
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Certains chercheurs- déjà Aristote (Arist., Pol. IV 1297b)- ont aussi avancé l'idée que l'éclosion des tyrannies suivit de peu l'adoption, dans le domaine militaire, de la phalange, cette formation de combat impliquant un nombre appréciable de petits agriculteurs, lourdement équipés à leurs frais et combattant en rangs serrés (au début du VII' siècle) 1• Ces paysans-hoplites, bientôt « conscientisés » par une évidente fraternité d'armes et formant le cœur d'un dèmos en formation (dans sa qualité de gestionnaire actif de la Cité), auraient voulu avoir pour de bon droit au chapitre au sein de la polis : la tyrannie leur aurait servi de levier pour atteindre cet objectif (ainsi à Corinthe). Dans cette perspective, l'émergence et la chute des tyrannies archaïques auraient été, pour partie, liées à l'agriculture (à son essor et à la crise qu'elle aurait connue) par le biais de la «réforme hoplitique ». Mais, quel que soit le cas concret considéré, les témoignages manquent qui permettraient de créditer sans détour les paysans-hoplites de la naissance de pouvoirs personnels forts. Et le régime foncier comme fondement de la structure sociale échappe tout autant à l'analyse par manque d'informations. n reste donc une hypothèse attrayante, trop peut-être à la vue de l'évolution athénienne du V' siècle vers une démocratie dominée par la foule des thètes-rameurs. D'une manière générale d'ailleurs, si nombre de Cités grecques des VII'Vl' siècles connurent des troubles internes - la stasis - avant l'établissement de régimes tyranniques, les études n'ont pas réussi à attribuer fermement cette ambiance conflictuelle aiguë à des tensions économiques, qui se seraient alors développées entre les différentes « couches/ classes » consti. tuant les communautés grecques. Ainsi, à Athènes, même s'il est permis d'imaginer, pour divers motifs, une dégradation des conditions de vie des petits paysans (endettement? voire perte de liberté?), le dèmos, avant d'admettre - à contrecœur - les réformes de Solon (c.594/3) visant à combattre la stérwchôria, semble bien s'être résolument opposé aux prétentions tyranniques d'un Cylon (c.640/630f Est-ce à dire que la dégradation fut, comme on l'affirme parfois, dramatiquement rapide? Que Solon remplit au moins partiellement le rôle d'un tyran (un rôle que certains, à l'en croire, lui demandaient d'ailleurs instamment de tenir)? Quant à Pisistrate, il exploita surtout les divisions qui déchiraient l'aristocratie : cela voudrait-il dire que le problème agraire avait été réglé au moins pour un temps par Solon (ainsi qu'il se plaît à le dire) ou plutôt que les racines du mal étaient tout autant à chercher ailleurs, en particulier dans d'âpres compétitions aristocratiques ? 1. Cf. supra, p. 388-402. 2. Et la remarque vaut même si - hypothèse non retenue ici après l'œuvre de Dracon, cf. infra, p. 487-489.
on place la tentative de Cylon
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On a également mis en avant le développement de l'artisanat, de l'« industrie » et des échanges comme élément perturbateur, travaillant une société traditionnelle peu encline à s'adapter aux changements (alors pourtant de plus en plus nombreux et rapides). Mais, là encore, il ne s'agit en fait que d'une hypothèse vraisemblable, d'autant que si des individus extérieurs à la communauté (Grecs ou non Grecs) opéraient dans ces activités nouvelles, nombre d'aristocrates paraissent ne pas y être restés étrangers et avoir acquis, par le biais de ces entreprises jusque-là inédites, impliquant des artisans et des commerçants, des « clientèles >> nouvelles à côté de leurs réseaux traditionnels. Dès lors, on peut se demander si les réponses à ces multiples questions relatives à la tyrannie ne sont pas tout autant à chercher plus fondamentalement dans une mutation des mentalités au sein de communautés où émergent progressivement - à la faveur de l'affaiblissement de certains liens sociaux traditionnels - de fortes personnalités, possédant des moyens plus «mobiles >> 1, et soucieuses d'assurer, à leur manière et de la façon la plus éclatante qui soit, leur kléos 2• A l'autre extrémité du spectre social, on pourrait de cette façon aussi rendre compte de l'apparition du mercenariat de l'époque archaïque, qui aurait en quelque sorte été la version «roturière>> des grands aventuriers nobles, tel le père de Polycrate ou le frère d'Alcée, Antiménide. Dans l'un et l'autre cas- pour ne pas parler des commerçants et artisans déracinés, des individus sortirent du rang (oikos, polis) et assumèrent seuls, à découvert, leur destin soit chez eux, soit loin de leur patrie. D'une manière générale, l'impression dominante est que ces « coups d'État » tyranniques intervinrent dans des communautés encore peu « politisées » au sens moderne du terme, des groupes humains dont la solidarité se fondait d'abord sur des pratiques collectives à forte connotation rituelle 3 et où diverses factions nobles, drainant chacune derrière elle une part variable de la communauté, s'affrontaient sans espoir de l'emporter vraiment, pour l'honneur (kléos) de l'oikos ou du génos autant que pour acquérir un pouvoir personnel. Que l'on songe à l'œuvre de Dracon, portant essentiellement sur la lutte contre le recours à la vengeance privée. Pareille situation expliquerait le succès temporaire des tyrans avant que ne s'instaurent, après un certain durcissement né de leur volonté de s'accrocher au pouvoir, des régimes où l'autorité souveraine présenta un caractère plus collégial et/ou
1. On évitera l'anachronisme qui consiste à faire référence au>, comme l'avaient fait K. Marx et plusieurs chercheurs à sa suite, à propos précisément des Corinthiens. 2. Cf. supra, p. 166-183. 3. Cf. supra, p. 345-371 et 402-424.
Les tyrannies « archaïques''
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limité dans le temps (Pittacos), qu'il s'agisse d'oligarchie ou d'isonomie à inclination démocratique.
n semble, à l'analyse, que l'apparition de tyrans au sein de certaines communautés grecques ait résulté de la conjugaison de trois facteurs étroitement mêlés. - Le premier serait l'existence d'une royauté (du type primus inter pares) déconsidérée dans des collectivités où évolue une aristocratie déchirée, en d'autres termes, un régime assurant mal la défense de la communauté (voire la mettant en péril) face à des dangers extérieurs grandissant à la suite d'un développement économique et démographique rapide, donc une royauté à fondement aristocratique affaiblie et dès lors dépossédée d'une part de son crédit. C'est le cas de Corinthe où les Bacchiades avaient peine à faire face aux prétentions d'Argos et de Mégare. - Le deuxième facteur favorable serait constitué par le fait que certains « bien nés » souhaitèrent tirer divers profits personnels des opportunités qui se présentaient au sein d'une Cité en proie à des difficultés intérieures et extérieures, en exploitant leurs dons mis en valeur par la paideia aristocratique, à commencer par leurs compétences sur le champ de bataille. - Le troisième facteur est la rencontre de ce besoin d'aventure personnel avec celui d'autres individus, prêts à se battre pour d'autres objectifs que celui de défendre exclusivement leur communauté d'origine, parce qu'il fallait presque toujours que le tyran en puissance ou en place se dote de mercenaires. A l'intérieur des Cités, la tyrannie paraît s'être appuyée sur une vie volontiers sinon quelque peu « hors norme » à tout le moins plutôt ostentatoire (financée, dans le cas d'un Pisistrate, par ses mines de Thrace et peutêtre du Laurion), et sur une politique que l'on qualifierait aujourd'hui de «mécénat», avec notamment des travaux édilitaires (portiques, fontaines et puits couverts, etc.), rendue possible par la croissance économique qui caractérise ces décennies. Parallèlement, il convenait d'abaisser ou neutraliser, par diverses mesures, les aristocrates qui apparaissaient comme des concurrents potentiels. Les premières monnaies furent bientôt frappées 1, où, en termes de symboles, les tyrans semblent s'être effacés devant l'« État» qui tendit ainsi à devenir davantage une réalité dépersonnalisée. Un peu partout, on assista à la création ou à une meilleure mise en évidence de cérémonies, compétitions et cultes civiques ~e cas d'Athènes est sans doute le mieux documenté). Si un Clisthène de Sicyone (voire les Cypsélides à Corinthe) procéda à une réforme des tribus, Pisistrate, de son côté, ne modifia en l. Cf.
supra, p. 472-476.
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rien les règles du jeu institutionnel (établi dès avant sa prise de pouvoir) auquel il semble avoir pleinement pris part tout en profitant des réactions partagées d'aristocrates toujours susceptibles de faire bouger leur « clientèle )) . L'attitude des tyrans face aux échanges commerciaux a reçu des interprétations contrastées : relative indifférence ou promotion. Quoi qu'affirment les sources du IV' siècle, on n'a quasiment aucune preuve que certains d'entre eux soient allés jusqu'à redistribuer aux petits paysans des terres confisquées aux aristocrates exilés. Mais Pisistrate a sans doute pris des mesures pour soutenir une catégorie sociale qui constituait l'armature hoplitique de la Cité Guges itinérants ... ). Enfin, l'historicité d'un éventuel« désarmement)) des citoyens à Athènes reste à démontrer. C'est dans leur politique extérieure que le rôle des tyrans se révèle sans doute le plus clairement positif : à quelques exceptions près (Clisthène de Sicyone et Argos), ils furent peu enclins, semble-t-il, à se lancer dans des guerres hasardeuses (surtout contre des congénères), ils se gagnèrent les grands sanctuaires-vitrines grecs comme ceux de Delphes, Olympie et l'Isthme, par diverses consécrations destinées à frapper l'imagination : ainsi, à Olympie, le trésor couvert de plaques de bronze « consacré par Myron 1 et le dèmos des Sicyoniens )). Au-delà des incertitudes liées à la nature tardive et romancée des sources, ils consolidèrent, par des mariages et un réseau d'amitiés personnelles (ainsi encore Clisthène de Sicyone devint le beau-père de l'Alcméonide Mégaclès et Théagène de Mégare celui de Cylon), la bonne entente avec les Cités ou les populations barbares voisines (Psammétique l'Égyptien ou Alyattes le Lydienf Les effets de la tyrannie archaïque sur l'évolution générale de la Grèce ont fait l'objet de jugements variés (et souvent tranchés), selon les chercheurs et les époques. Pour le moins, il semble incontestable que certains d'entre eux (Cypsélos, Pisistrate) furent plutôt bien acceptés par leurs concitoyens pendant de longs laps de temps, et certains érudits d'invoquer le rôle de soutien qu'aurait joué la poésie épique, qui glorifiait les basileis, les oikistai dans les colonies, titre et rôle que plusieurs d'entre eux purent revendiquer. Sans doute réussirent-ils à étouffer, pour une période au moins et sans être pour autant des« révolutionnaires))' cette stasis qui avait fait précisément le lit de la tyrannie. Pour H. Berve, ils s'inscrivaient en dehors de l'évolution constitutionnelle des Cités (on parlerait aujourd'hui plus volontiers d'« intermède dictatorial))), pour d'autres- et on serait davantage tenté de les suivre, ils ont 1. TI s'agit du tyran de Sicyone et grand-père de Clisthène (cf. Paus. VI 19, 1-4).
2. Cf.
supra, p. 110-125.
us tyrannies « archaïques »
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surtout constitué une étape non négligeable dans la formation des poleis classiques, tant par les diverses mesures prises et les divers travaux conduits en une époque de« haute conjoncture» que par l'affaiblissement de la« caste» aristocratique auquel ils contribuèrent assurément, notamment par voie de bannissements. li semble qu'ils ont pu, sans peut-être le vouloir vraiment, offrir aux collectivités qu'ils «tyrannisèrent», l'occasion de reformuler, sur des bases rénovées, leur sentiment d'appartenance à la communauté, et l'instauration de compétitions dans les années qui suivirent leur éviction pourrait témoigner en ce sens : concours de l'Isthme par Corinthe à partir de c.58l/O, concours néméens par Kléonai en c.573/2. Peut-être faut-il voir dans ce processus «inquiétant» de politisation l'explication de l'attitude hostile que paraissent avoir témoigné à leur égard, aux dires de Thucydide, les Spartiates : « Puis à Athènes et dans le reste de la Grèce, où, déjà avant, la tyrannie était très répandue, la plupart des tyrans - et les derniers, à part ceux de Sicile- furent renversés par Sparte» (Thuc. I 18,1). Cela dit, pour nombre des contemporains de ces personnages, il s'agissait bien plutôt d'un mode de gouvernement qui s'inscrivait dans la durée, qui bénéficiait de la bienveillance des sanctuaires panhelléniques d'Olympie et de Delphes et qui jouissait d'une considération internationale et même de la faveur des dieux, puisqu'il était porté par une conjoncture économique favorable. L'un ou l'autre de ces« hommes forts» agirent d'ailleurs comme arbitre ou sage (un peu à la manière de Delphes) dans certains conflits: ainsi Périandre dans le conflit opposant Athènes à Mytilène à propos de Sigée. D'une manière générale, en effet, les plus grands risques encourus, une fois établi le régime tyrannique, l'étaient par l'aristocratie et ils n'étaient pas tant pour ses membres la perte de la vie que les confiscations, le bannissement et, peut-être pire que tout, la limitation de leur liberté de manœuvre, de leur bon plaisir.
QUELQUES CAS REMARQUABLES
Pour tenter d'y voir plus clair et de discerner les formes variées prises par ce type de gouvernement autoritaire, il faut se pencher plus attentivement sur certaines de ces personnalités, telles celles évoquées avec davantage de détails par Hérodote et Thucydide notamment.
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Corinthe
On sait que la Cité - relevant du monde dorien - était admirablement située 1, à un lieu de passage obligé entre la Grèce continentale et le Péloponnèse, entre la mer Égée et la mer Ionienne - elle-même antichambre de la Méditerranée occidentale, colonisée par les Grecs dès le milieu du VIII' siècle. Elle occupait aussi un « Isthme » entre deux golfes clefs : la construction du chemin de halage qui les reliait ~e diolkos), entre Kenchréai et Léchaion, est attribuée à Périandre. On sait aussi qu'elle était, avec semble-t-il d'emblée l'appui de l'oracle de Delphes, la métropole de plusieurs colonies de premier plan en Occident (dont Syracuse et Corcyre?. C'est dans cette Cité-emporion, dominée par le génos aristocratique et endogame des Bacchiades, qu'auraient été assemblées les premières trières destinées à une autre communauté grecque très tôt ouverte aux activités commerciales, les Samiens. C'est aussi dès la seconde moitié du vm< siècle, sous ces Bacchiades dont on perçoit malles fondements véritables du pouvoir3, que la production de céramique, une céramique largement diffusée en Méditerranée et échangée, pour elle-même ou pour son contenu, contre des métaux et des céréales, atteignit son apogée, mais on ne peut à vrai dire déterminer le rôle éventuel des Bacchiades (ou de certains d'entre eux) dans ces transactions. On ne peut davantage discerner les retombées sociales de cet enrichissement indiscutable (matérialisé par la construction, peut-être dès c. 700, d'un premier temple à Apollon), sinon qu'il faut sans doute persister à voir en Corinthe d'abord et malgré tout une Cité continuant à vivre, pour l'essentiel, d'une agriculture entre les mains d'aristocrates détenteurs de klèroi demeurés inaliénables. C'est dans ce contexte, assombri à la suite de revers subis face à sa colonie de Corcyre (bataille navale de c.664/3) et de la montée des dangers mégarien et surtout argien - Phidon( ?) est vainqueur des Spartiates à la bataille d'Hysiai, en c.669/8 - que Corinthe fut sans doute contrainte d'adopter la stratégie de la phalange hoplitique (incorporant les petits paysans) et que Cypsélos, Bacchiade par sa mère (et polémarque?), saisit (à une date très discutée, entre c.660 et c.620, peut-être en c.657 /6)- et garda sans peine - le pouvoir (qui pourrait avoir pris la forme d'une «royauté autoritaire>>). Peut-être l'ascension de Cypsélos fut-elle liée de plus près à la « révolution hoplitique », mais les sources qui en font un polémarque sont, en définitive, très sujettes à caution tout comme celles impliquant une
1. Cf. supra, p. 95-97. supra, p. 286-323. supra, p. 235-236.
2. Cf. 3. Cf.
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participation directe de Phidon d'Argos (pour ne pas parler des deux oracles de Delphes, cf. Hér. V 92). Une fois maître de Corinthe, l'homme aurait pu confisquer les biens de l'aristocratie, qu'il aurait répartis selon des critères non connus. li aurait également perçu une dîme - dont on voit mal sur quoi elle aurait porté, mais certains ont estimé que l'opération fut peut-être facilitée par la frappe de monnaies après c.600, destinée à alimenter son trésor et peut-être à redistribuer les richesses. Enfm, tout en flattant Delphes, il pratiqua une politique de peuplement en Adriatique dont plusieurs lectures, sans doute complémentaires, ont été proposées 1• Pausanias aurait encore pu voir, au II' siècle ap. J.-C., à Olympie, parmi les vénérables objets consacrés dans 1'Altis 2 , un coffre (kypsélè) en cèdre, dans lequel le tyran alors enfant aurait été, se plaisait-on à raconter, un temps mis à l'abri par sa mère, et la description que donna le Périégète de sa riche décoration- faisant même appel à l'écriture (Paus. V 17,5-19,1 0), a donné lieu à une multitude de commentaires érudits tandis qu'une coupe en or, portant une dédicace, rappelle que la force n'était nullement exclue dès lors que devait être préservé le domaine colonial établi en Adriatique. Son fils, Périandre, qui lui aurait succédé sans encombre (c.627 /6), dut se protéger derrière une garde personnelle (300 doryphores) : il aurait durci le pouvoir - la tradition le retint cependant comme l'un des Sept Sages en réduisant sévèrement les inégalités sociales par des mesures comparables à celles attribuées à Solon. A l'aide de ses trières, il aurait lutté activement contre les pirates, se forgeant un rôle d'arbitre en Égée. li tissa des liens avec la Lydie d'Alyattes et peut-être aussi avec l'Égypte des Saïtes 3 • Ce régime fort ne survécut cependant que peu de temps à sa mort (c.585/4): son neveu Psammétique fut balayé par une oligarchie fondée sur la naissance et la richesse (c.583/2). Périandre fut voué aux gémonies, signe peut-être de l'échec de la politique tyrannique des Cypsélides, un échec souligné par la récession qui frappait alors Corinthe. li paraît permis d'associer les Cypsélides au développement commercial de Corinthe sans dire pour autant qu'ils y participèrent activement. C'est en tout cas dans les années qui suivirent que Corinthe vit sa production de céramique perdre de plus en plus de terrain face aux exportations attiques, reines du marché à partir des années 550. Par contre, il semble bien que les tyrans jouèrent un rôle non négligeable dans la croissance de la Cité par le prélèvement d'une dîme et diverses autres perceptions, par la chasse aux pirates qui entravaient les échanges maritimes et par la construction du 1. Cf. 2. Cf. 3. Cf.
supra, p. supra, p. supra, p.
269-323. 363-364. 146-154 et 301-309.
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diolkos (?). L'ensemble de ces mesures pourrait avoir entraîné une relative redistribution des richesses à l'intérieur d'une collectivité dont ils dotèrent le domaine de divers édifices édilitaires et religieux 1 et qu'ils hissèrent, de façon spectaculaire, au niveau des plus grandes communautés égéennes, par l'acquisition d'une force navale concurrente de celle détenue par une Égine en face à face avec Athènes. On notera aussi en terminant que ce régime parvint donc à se maintenir près de trois quarts de siècle (de c.657 16 à c.583/2), ce qui constitue une fort longue période en regard des exemples modernes et pas davantage la règle commune pour la période archaïque. Mégare
Les seules informations directes sur la phase tyrannique que connut cette Cité dorienne très tôt active sur le front colonial, coincée entre les puissantes communautés athénienne et corinthienne, émanent d'un témoin engagé et aux propos virulents, le poète Théognis. li semble que Théagène s'imposa à ses concurrents - des aristocrates tentés comme lui par l' archè ~e « pouvoir») - en se gagnant la confiance des moins bien lotis. Sa fille avait épousé un noble athénien, l'olympionique Cylon (vainqueur en c.640), qui échoua dans sa tentative de s'emparer du pouvoir à Athènes avec son aide (c.636/5 ou 63211 ?). Mais il n'empêche que les Mégariens semblent avoir remporté à cette occasion ou dans les années qui suivirent quelques succès contre les Athéniens du côté d'Éleusis et de Salamine 2• Sü;yone
Les problèmes chronologiques posés par la phase tyrannique inaugurée par Orthagoras (que la tradition du IV' siècle donnait pour f:ùs d'un cuisinier !) paraissent insolubles. La grande figure de la « dynastie » aux origines militaires et religieuses (et erronément modestes) des Orthagorides est Clisthène, qui dut s'imposer à la faveur d'une période de stasis («soulèvement, dissension»). L'homme dut s'emparer du pouvoir pour pas loin de trente ans au début du VI' siècle et il dut résister aux prétentions hégémoniques argiennes dans le Nord-Est péloponnésien. La tradition le mentionne au nombre des participants à la fameuse première« guerre sacrée» (c.595/590) contre Kirrha, au cours de laquelle lui serait revenu l'honneur de 1. On a proposé de voir, dans le temple archaïque de Poséidon de l'Isthme, une réponse des Cypsélides au temple d'Apollon qu'auraient édifié, vers 700, à Corinthe, les Bacchiades. 2. Cf. infra, p. 488-490.
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~ommander les troupes de l'amphictyonie 1• Aux dires d'Hérodote (Hér. V 67-69), à Sicyone, il réorganisa les concours poétiques et fut l'auteur, outre de travaux édilitaires, d'une « réforme >> des tribus dont les finalités, à vrai dire, échappent à l'investigation : sans doute faut-il y entrevoir des mesures anti-argiennes autant qu'anti-aristocratiques bien plus qu'anti-doriennes (ainsi son attitude à l'égard des héros argien et thébain Adraste et Mélanippos)2. ll favorisa aussi une religion civique plus consensuelle. De même, tout le faste« homérique» qui entoura (c.570/69) le mariage de sa fille Agaristè (Hér. VI 126-131) a donné lieu à des lectures variées, certains érudits y voyant l'étendue de la réputation de Clisthène chez les nobles grecs, mais aussi une illustration de l'ambigurté du régime tyrannique en général, inséré entre une Cité « pré-politique » et une Cité « politique » 3• A Sicyone, la tyrannie pourrait s'être maintenue presque aussi longtemps qu'à Corinthe, jusqu'au milieu du vr siècle, moment où elle dut céder la place à une oligarchie. Argos
A ces trois premiers cas on peut joindre Phidon d'Argos, un personnage dont on sait peu de choses sûres : il semble bien que de roi il se mua en tyran autoritaire, un des premiers sur le continent. La chronologie constitue, là encore, un problème majeur dont se ressent la perception de l'homme et de son œuvre 4 • Selon les dates retenues, il est tantôt présenté comme un stratège révolutionnaire et agressif, inventeur de la phalange hoplitique, tantôt comme un tyran surtout attentif à la prospérité argienne et on le crédite alors de diverses mesures, certaines peu crédibles 5•
Athènes
Cette phase historique mérite à divers titres un développement un peu plus circonstancié. On notera en particulier qu'Athènes connut deux grandes vagues tyranniques, séparées par deux expériences où appel fut fait à des législateurs. Grâce aux propos (plutôt discordants sur plusieurs points) d'Hérodote 1. Cf. supra, p. 428-431. 2. Loin d'annoncer celle de son petit-fùs à Athènes, sa réforme dut se limiter à un changement des noms destiné à choquer les Argiens hars. 3. Cf. supra, p. 403-424. 4. Cf. supra, p. 244-247. 5. Cf. supra, p. 473.
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(Hér. V 71-73) et de Thucydide (fhuc. I 126-127) surtout (mais cf. aussi Plut., Sol. 12 et Arist., AP 1), Cylon déjà figure parmi les quelques cas moins mal documentés d'entreprises tyranniques que vécut la Grèce archaïque, encore que la chronologie de plusieurs événements clefs demeure fort imprécise 1• Mais cette faiblesse est presque un trait inhérent à chacune de ces fortes têtes - en fait les premiers véritables « personnages historiques » de la «pré-histoire», dont les Grecs, acquérant peu après une conscience historique, purent préserver un «souvenir» digne de ce nom 2 • Plusieurs décennies avant la prise du pouvoir - assez tardive en regard des autres Cités touchées par ce phénomène - de Pisistrate secondé par ses fils, on se doit de nommer l'entreprise ratée de Cylon (sans doute c.636/5 ou c.632/ 1, voire c.628/7 ?), un puissant aristocrate athénien, olympionique (c.640/39 selon Eusèbe) 3 , épaulé à l'intérieur de la Cité par des compagnons aristocrates comme lui, et soutenu de l'extérieur par son beau-père, Théagène, tyran de Mégare. A cette occasion, racontent, chacun à leur manière, Hérodote et Thucydide, les Alcméonides - qui, semble-t-il, occupaient dès alors, par le biais de magistratures, des positions éminentes chez les Athéniens4 - furent gravement souillés (enogeis) et avec eux l'ensemble de la communauté athénienne sur laquelle ils avaient autorité légale : en effet, quoique rituellement réfugiés en qualité de « suppliants » dans un sanctuaire voisin de l'Acropole où ils s'étaient fait piéger, des survivants du putsch avorté furent mis à mort. illustration frappante des vieilles épouvantes religieuses grecques, une flétrissure singulière, conséquence mécanique de la redoutable malédiction divine qui résulta de ce geste impie, contamina durablement- sinon à jamais - ce puissant essaim de familles athéniennes (Clisthène en c.508/7 et Périclès en 431/0 eurent encore à en souffrir) 5• Et, pour la Cité des Athéniens dans son ensemble, elle fut longtemps ressentie 1. On ne retiendra pas ici les propositions apparues périodiquement et visant à placer la tentative de Cylon après l'intetvention législative de Dracon, une hypothèse fondée pour l'essentiel sur l'idée que les premiers concours olympiques avaient en fait été annuels et non pentétériques : Pour Hérodote (Hér. V 71 ), ces événements se passèrent sans autre précision >, et pour la Constitution d'Athènes, Cylon entra en scène avant Dracon. 2. Cf. aussi supra, p. 43-53. 3. Les propositions visant à faire de Cylon un individu agissant dans les premières années du vr siècle seulement, entre l'œuvre de Dracon et celle de Solon, s'appuient sur l'idée intéressante mais indémontrable selon laquelle la liste des olympioniques d'Hippias, intégrée dans les chroniques d'Eusèbe, serait fondée mais que, dans un premier temps, ces concours auraient été annuels et non. immédiatement pentétériques. L'adoption de cette hypothèse - non retenue ici - affecte grandement la perception de pans entiers de l'histoire de l'époque archarque, tel en particulier celui de l'expansion coloniale. Pour Hérodote (Hér. V 71 ), ces événements se passèrent >, et pour la Constitution d'Athènes, Cylon entra en scène avant Dracon. 4.lls se disaient descendre des Néléides dont la figure de proue n'est autre que le vieux Nestor, encore vaillant sur le champ de bataille, mais excellent surtout au conseil. 5. Cf. irifra, p. 561-573.
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comme une menace extrême: ni un procès conduisant à l'exil des Alcméonides reconnus coupables, ni l'intervention « magique » du crétois Épiménide ne furent en mesure d'apporter un remède total. Sans aucun doute, l'épisode eut des conséquences politiques lointaines, mais étant donné la pauvreté documentaire, les circonstances de cette prise de contrôle ratée de l'Acropole défient toute véritable analyse historique. ll semble toutefois qu'Éleusis et Salamine - dont Mégare et Athènes se disputaient depuis un temps déjà, avec des succès alternés, la jouissance - figuraient en bonne place au nombre des causes de tension entre les deux voisins. Peut-être que l'œuvre législative de Dracon 1, quelques années plus tard (sous l'archontat d'Aristaichmos, c.621/0), constitua une première réponse apportée aux luttes fratricides (nourries par la vengeance privée) qui, au moins depuis l'échec de Cylon, ne cessaient plus de déchirer l'aristocratie attique, allant jusqu'à menacer la communauté «politique » athénienne tout entière dans son existence (stasis). Les causes de ces démêlés sanglants ont fait l'objet, depuis le milieu du XIXe siècle, de quantité d'analyses contradictoires. Surtout inspirées des diverses interprétations données de l'œuvre politique subséquente de Solon telle que le rv· siècle l'a donnée à voir, elles impliquent, à des degrés divers, des problèmes agraires sur des bases (endettement) sans doute par plus d'un côté trop anachroniques. Aucune des grilles de lecture proposées ne s'impose vraiment, mais il est certain que des revers militaires - entraînant des conséquences telles que la privation probable pour les Athéniens à la fois d'Éleusis (avec son vénérable sanctuaire) et de la riche plaine agricole de Thria (domaine de Déméter), voire la perte concomitante de Salamine (cf. Sol., frgts 1-3) - durent peser lourd dans l'aggravation des tensions politiques et sociales. Les cultivateurs qui se partageaient la plaine thriasienne devinrent même peut-être, à l'occasion d'une défaite athénienne face à Mégare, ces mystérieux hectémores dont les textes parlent à propos de Solon qui, par la suite, pourrait avoir arraché de cette plaine les bornes (horoi) mégariennes qui la circonscrivaient 2 . Quoi qu'il en soit, homme de guerre ayant rétabli une situation militaire compromise sur le front Est d'Athènes et possible acteur de la première «guerre sacrée >> 3, Solon se retrouva propulsé à l'avant-scène (archonte en c.594/3). A en croire ses propres poèmes politiques, il déclina le rôle de « tyran » que ses nombreux partisans souhaitaient le voir occuper au profit de celui, beaucoup plus périlleux, d'arbitre législateur et réformateur. En dépit des fragments de son œuvre littéraire qui nous sont parvenus (ceux que les siècles suivants sélectionnèrent en fonction du rôle qu'ils lui assignèrent 1. Cf. 2. Cf. 3. Cf.
supra, p. 226-234 et 459-463. supra, p. 461 et n. 2. supra, p. 218-225 et 428-431.
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rétrospectivement), on verra par ailleurs combien il reste difficile de cerner avec une relative assurance l'homme et son action politique : après le silence persistant du V" siècle à son propos, les sources ultérieures l'invoquant furent contaminées par la vision anachronique d'un IV' siècle traumatisé par la Guerre du Péloponnèse, une grave crise agraire et un endettement généralisé 1• Cette époque, appelée de la « Restauration » sur le plan de l'histoire athénienne, vit d'abord en lui le père-fondateur de la démocratie-« modérée », retrouvée après la dure parenthèse de la tyrannie des Trente, en lieu et place du mythique Thésée, figure emblématique de la démocratie « ultra » du V' siècle mise en selle par Clisthène, mais dont la douloureuse défaite de 404/3 avait dégradé jusqu'à l'extrême l'image de marque. En tout cas, Solon se clamait opposé à toute confiscation et redistribution de terres. Quelles qu'elles furent précisément, les réformes soloniennes n'engrangèrent pas des résultats assez marquants pour offrir un rempart susceptible de protéger à coup sûr Athènes de l'émergence d'un tyran. Les années entourant la première (ou deuxième?) célébration des Pythia de Delphes en c.582/ 1 (pendant la magistrature de Damasias) en particulier, furent des plus houleuses (anarchia ?), marquées par des élections contestées à l'archontat, mais les rares renseignements (Arist., AP XIII) sont confus et peut-être à lier au sort à faire à la réforme des classes censitaires. Célèbre à son tour comme polémarque (?) vainqueur des Mégariens à Nisée, le port de Mégare sur le golfe Saronique (c.570 ?) -une victoire qui permit aux Athéniens de recouvrer Salamine par l'arbitrage des Spartiates (et donc sans doute aussi de conforter leur présence à Éleusis), Pisistrate, originaire des environs de Brauron, tira sans doute profit des antagonismes qui continuaient à opposer en les affaiblissant des clans aristocratiques retranchés dans des fiefs régionaux par ailleurs guère aisés à localiser avec exactitude 2 • ll y avait« ceux de la plaine» (avec à leur tête un Lycurgue fils d'Aristolaidès, du génos des Étéoboutades \ qui paraissent avoir regroupé surtout de grands détenteurs de terre. Violemment opposés aux premiers, il y avait «ceux de la côte)) ~eur chef de fùe, Mégaclès fils d'Alcméon -l'ami de Crésus, gendre du tyran Clisthène de Sicyone, était du génos des Alcméonides sacrilèges 4), sans doute de petits paysans propriétaires qui comptaient aussi dans leurs rangs des individus intéressés par la mer et les échanges. 1. Cf. supra, p. 454-476. 2. Des concurrences locales, qui annoncent celles opposant lsagoras et Clisthène à la fin du VI" siècle, c( infta, p. 561-565. 3. TI est le détenteur des prêtrises héréditaires des deux divinités phares de la Cité, Athéna Polias et Poséidon Érechtheus. 4. Peut-être surtout installés autour d'Anaphlystos, à l'Est de la baie d'Anavyssos, désormais célèbre pour son lwuros et sa vaste nécropole géométrique (c( irifra, p. 533).
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Pisistrate fils d'Hippocratès, quant à lui, pour prendre le pouvoir, se serait attaché à rassembler autour de lui les ~perak:rioi ou diakrioi, « ceux qui habitent passé les collines» ou «sur les hauteurs» (cf. Hér. 1 59 et Arist., AP XIII). Avec quelque pertinence, on a proposé de retrouver dans ses partisans surtout des individus qui servaient comme hoplites, des victimes possibles aussi de la seisachtheia solonienne, des gens somme toute assez proches de ceux gravitant autour des Alcméonides, modestes exploitants agricoles et petits« industriels» ~e Laurion minier n'est guère distant de Brauron, l'un et l'autre terroirs regardant plutôt vers l'Eubée méridionale) 1• Aristote voyait en tout cas en Pisistrate «le plus proche des citoyens» (cf. Arist. AP XIIIXIV, dèmotikôtatos). Prétextant avoir été victime d'un attentat politique (en fait monté de toutes pièces), il se fit accorder une garde de trois cents «porte-massue » 2, avec lesquels il se serait emparé une première fois de l'Acropole, à une date malaisée à préciser (selon Aristote, c.56l!O ?). On peut sans doute voir dans cet acte illégal une conséquence des mesures partielles de Solon. Si ces dernières avaient permis malgré tout (autant que le« retard économique» pris par une Cité dont la céramique ne commence pas à se répandre en masse avant c.650/600) d'écarter la tentation tyrannique l'espace de presque deux générations, elles n'avaient satisfait aucune des parties impliquées, ni les aristocrates ni le dèmos (composé alors surtout de ceux qui pouvaient servir en qualité d'hoplites), et il en était résulté un marasme politique. On est d'autant plus en peine de déterminer le compromis qui avait été adopté au terme de quelques années d'anarcheia que l'ossature sociale athénienne d'alors échappe à toute investigation sérieuse :selon en particulier la Constitution d'Athènes d'Aristote, sous la férule des Eupatrides ~es «bien nés», c'est-à-dire les «aristocrates») on trouvait des dèmiourgoi («ceux qui recevaient une rétribution pour leur profession») et des agroikoi (ou géôrgoi ou encore géômoroi, des «paysans propriétaires»), mais les choses pouvaient avoir sensiblement changé si on accepte l'attribution à Solon de la fameuse réforme censitaire en quatre classes (inspirée par la pensée ionienne ?) 3• La question ne peut raisonnablement être considérée comme close, pas plus d'ailleurs que celle, non moins enchevêtrée, relative à la chronologie des 1. On pourrait aussi se demander s'il ne s'agit pas bien plutôt de communautés (trop) longtemps éloignées du noyau traditionnel de décision d'une communauté athénienne constituée par l'ensemble astu athénienne et chôra de la Mésogée (on pourrait invoquer aussi en ce sens le contrôle de citoyenneté qui fut opéré au terme de la phase tyrannique). Les territoires bordant, depuis les contreforts orientaux du Pamès, les rivages Est de l'Attique, tournés vers l'Eubée et Andros, sont en effet plus accidentés et constituent en géographie physique un ensemble à part, que le développement démographique en patticulier a pu finir par rendre plus attractif. Cf. aussi supra, p. 80-81. 2. Un chiffre renvoyant à la tyrannie corinthienne et récurrent aussi, semble-t-il, dès lors qu'il s'agit sans doute de désigner une troupe regroupant l'excellence d'une communauté, supra, p. IX-X. 3. Cf. supra, p. 459-463.
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trois phases tyranniques de Pisistrate, qui a donné lieu à une multitude de propositions plus « raisonnables >> les unes que les autres. L'information sans doute la plus conforme à ce que pouvait fournir la tradition -plutôt positive- conservée par les Anciens et qu'ait pu recueillir un Hérodote (un siècle après les faits), est celle d'une durée de 36 ans pour l'ère tyrannique dans son ensemble à Athènes, mais on a vu ce qu'un tel chiffre pouvait avoir de fallacieux 1• Reste l'autre indice donné par Hérodote : Pisistrate s'empara du pouvoir alors que Crésus était encore roi de Lydie (cf. Hér. 1 59), mais la formule reste vague et la chute de Sardes ellemême n'est pas datée avec une absolue certitude (entre 547 et c.546/5 ?). Chassé d'Athènes par des aristocrates un temps réconciliés (c.556/5 ?), Pisistrate fut alors approché par l'Alcméonide Mégaclès (dont, peut-être veuf ou séparé de l'Argienne Timonassa, il épousa une fille) qui le remit en selle par un stratagème mettant à contribution Athéna elle-même. Mais l'entente -dirigée contre Lycurgue- fut de courte durée 2, et Pisistrate préféra cette fois quitter l'Attique, se retirant d'abord au cap Aineion (face à l'embouchure de l'Haliakmon), puis sur le Strymon (proche des mines d'argent du Pangée), enfin à Érétrie (voisine de Marathon). Là, il rassembla, avec l'aide de ses fils Hippias et Hipparque (nés du premier de ses deux précédents mariages), à la fois des alliés et les moyens matériels nécessaires à la reconquête d'Athènes (y contribuèrent les Thébains, les Argiens et le tyran Lygdamis de Naxos). Débarquant quelques années plus tard avec des mercenaires à Marathon- où des partisans l'attendaient, il marcha sur« ceux de la ville», qu'il battit à mi-chemin entre Rafina et Athènes, à Pallène (c.546/5 ?). n s'empara alors de la cité dont il aurait, selon des informations invérifiables, désarmé les citoyens. Certains chercheurs se plaisent à discerner au travers de cette troisième tentative, réussie, un clivage plus «social» que celui qui baignait les deux premiers essais manqués (querelles entre clans aristocratiques concurrents), mais on soulignera aussi l'appui de l'extérieur nécessaire à la réussite de l'entreprise. A partir de là, il n'est pas aisé de distinguer ce qu'il convient d'attribuer à Pisistrate, Hippias et Hipparque en particulier, et de graves incertitudes
1. La chronologie hérodotéenne (Hér. I 63-65), en dehors de la date de c.51110, reste très incertaine,> (cf. irifi'a, p. 43-53 et 341-344); celle, très précise, d'Aristote (Arist., APXIV-XV et XIX : 49 ans de tyrannie dont 17 pour les Pisistratides) a donné lieu à des corrections de chiffres sans fm, ce qui invite en défmitive à une méfiance non moins grande et les dates données ici n'ont fmalement guère pour elles que le poids de la vulgate. 2. ll semble que Pisistrate refusait d'avoir des enfants d'une Alcméonide. Ceux nés de mariages antérieurs, Hippias (son fils, Pisistrate, fut archonte en c.522/ 1), Hipparque et Thessalos, ne font que compliquer les problèmes chronologiques.
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chronologiques empêchent souvent d'organiser diverses informations éparses dans les sources. A l'extérieur, la tyrannie, sans verser dans le pacifisme dont paraît la créditer le IVe siècle, fut, semble-t-il, plutôt prudente dans ses relations avec les voisins, faisant montre d'une amitié habilement mesurée avec diverses communautés grecques du Péloponnèse et de Grèce centrale pourtant parfois en froid les unes avec les autres (ainsi les Béotiens et les Thessaliens). Elle n'en fut pas moins bien présente en Chersonèse de Thrace par le biais d'une autre puissante figure athénienne, sans doute en concurrence acharnée avec Pisistrate, Miltiade fils de Cypsélos (dit l'« Ancien», du génos des Philaïdes), qui fonda Sestos malgré l'opposition déterminée -jusqu'à l'intervention brutale de Crésus - de Lampsaque (cf. Hér. VI 34-41) 1• De ce Miltiade, la fondation passa entre les mains de Stèsagoras, le fùs de son demi-frère (Cimon bientôt vainqueur olympique). Sans doute les tyrans eurent-ils l'opportunité de régler ainsi à Sestos des problèmes politiques et économiques internes à l'Attique. La tyrannie fut tout aussi active en Troade (Sigée reconquise - après avoir été reperdue au profit des Mytiléniens ? 2 où fut installé un fùs «bâtard)) (nothos) de Pisistrate, Hègèsistratos, cf. Hér. V 94), mais aussi, beaucoup plus spectaculairement, dans les Cyclades (notamment la première purification de Délos et la soumission de Naxos en faveur de l'allié de Pallène, Lygdamis : cf. Hér. I 64 et Thuc. III 104). Ces diverses opérations supposent pour Athènes, proche de la très dynamique Égine, la possession d'une flotte non négligeable et laissent percer des prétentions sinon thalassocratiques (qui ne vont pas sans rappeler celles exprimées par Polycrate de Samos), en tout cas une volonté d'en imposer au monde ionien. Sur le plan intérieur, il semble que le tyran se soit montré plutôt respectueux du cadre institutionnel existant - celui (mais lequel ?) aménagé par Solon - et, plus encore, soucieux de pacification des esprits : Clisthène fut même archonte en c.525/4 (cf. Meiggs et Lewis, [22], no 6 c 3). Cela n'empêcha pas Pisistrate de prendre diverses mesures plutôt modérées, mêlant sans doute justice, politique et religion, mais dont on ignore l'essentiel (prêts rendus possibles par la taxation?, juges itinérants). Les confiscations de terres paraissent, ici encore, à exclure (cf. le cas de Cimon: Hér. VI 103), mais certains aristocrates furent contraints à l'exil et des otages retenus: l'objectif visé devait être autant d'affaiblir, endormir et fmalement politiser l'opposition aristocratique, de raboter ses prérogatives traditionnelles, que d'atténuer les iniquités dont se disait souffrir une partie du dèmos (certains de ses membres sont qualifiés de kakoz). 1. Cf. supra, p. 298. 2. Cf. infra, p. 497-498 et déjà supra, p. 193-203.
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L'impression dominante est que la vie politique athénienne se poursuivit sous l'injonction et la vigilance sans faille des tyrans, comme fondatrice de la «démocratisation d'initiative aristocratique» qu'annonce Clisthène. Les sources parlent à plusieurs reprises d'une perception modérée (en nature ou en argent?) sur les revenus (de l'agriculture?), qui aurait servi à fmancer les guerres, les aménagements urbains, des prêts aux petits paysans, mais ce type de démarche, bien attestée dès le V' siècle, est un peu moins assurée plus tôt (cette question rappelle celle des classes censitaires dont l'attribution à Solon ne fait pas l'unanimité 1). Peut-être d'ailleurs que les incontestables revenus en argent tirés du Pangée suffisaient à une Attique par ailleurs en plein développement économique depuis déjà le deuxième quart du 2 VI' siècle • Comme d'autres tyrans avant lui déjà, Pisistrate et/ ou ses fils sont en tout cas crédités de plusieurs travaux de nature édilitaire, dont l'aménagement de la fontaine Kallirrhoè («le beau-cours») en Ennéak:rounos («à neuf sources», non localisée avec certitude, cf. Thuc. II 15,5), un éventuel circuit défensif(antérieur à celui de Thémistocle) et de divers« aménagements» sur l'Agora. On songe aussi à d'autres entreprises, plus nettement religieuses, où furent surtout favorisées les divinités poliades. Un Héraclès (plus divin qu'héroïque) paraît avoir reçu des égards appuyés de la part du tyran mais c'est surtout Athéna (mal connue à Athènes avant Solon, mais domaine réservé des Étéoboutades) qui paraît bien avoir été au cœur des préoccupations de Pisistrate. Elles s'exprimèrent à travers son organisation répétée de « Grandes Panathénées » instaurées depuis peu et impliquant des compétitions sportives et des récitals où Homère était mis à l'honneur : la date de c.566/5 pour leur institution -parfois rapprochée de l'« amphore (panathénaïque) Burgon )) (c.562/l ?) - n'est pas assurée 3 • Son nom ne peut davantage être complètement écarté à propos de la construction de l'un ou l'autre édifice religieux sur l'Acropole ~e temple dit «de Dorpfeld )) et/ou l'Hékatompédon de /G 13, 4) dont les quelques restes donnent aux spécialistes de l'architecture, de la sculpture et de la peinture sur céramique attique en particulier des motifs à des débats toujours en cours. Peut-être que cet intérêt tout particulier pour Athéna mais aussi (tout comme d'ailleurs de la part de Lygdamis de Naxos et Polycrate de Samos) pour l'Apollon ionien de Délos, n'était pas étrangère aux faveurs que, de leur côté, ses principaux adversaires, les Alcméonides, s'étaient assurés auprès de l'oracle d'Apollon à Delphes par leur participation remarquée à la reconstruction du temple 1. Cf. supra, p. 459-463. 2. Cf. aussi infra, p. 496 et 524-537. 3. Elle s'inscrit en tout cas naturellement à la suite d'autres créations de l'époque (Delphes, l'Isthme, Némée).
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détruit en c.548/7. On mentionnera aussi la mise en œuvre du gigantesque 0/ympieion (toujours en chantier sous Hadrien), peut-être le Pytlzion voisin ainsi que l'autel des Douze Dieux sur l'Agora (Thuc. VI 55) et, à Éleusis, la salle de réunion que constituait le Télestèrion « quadrangulaire » dit par convention « de Pisistrate », dans le sanctuaire où se déroulaient les mystères liés au culte des Grandes Déesses (Déméter et Korè). li semble bien que les Pisistratides eurent à cœur de renforcer la cohésion des populations et des territoires - somme toute très étendus - de l'Attique sous contrôle athénien 1• En mettant en valeur des lieux de cultes installés dans les régions périphériques (eschatiai) et en les liant de diverses manières (notamment rituelles) à ceux qui étaient sis dans la capitale (ainsi en particulier les mystères éleusiniens attribués au génos athénien des Kèrykes, Dionysos Éleuthérios, Artémis Brauronia), ils contribuèrent à fidéliser l'ensemble des communautés occupant l'Attique au centre athénien tout en • restreignant le rôle jusque-là exclusif qu'y tenaient sans doute les aristocrates. Et dans ce processus, les « grands spectacles » rassemblant un public civique fervent, de plus en plus large, spectacles liés aux Grandes Panathénées et les Dionysies tant urbaines que les Lénéennes durent jouer un rôle moteur. Même si les retombées économiques de la gestion tyrannique sont particulièrement délicates à interpréter 2 , c'est au cours de ces mêmes décennies que la céramique attique à figures rouges, détrônant pour de bon les productions issues des ateliers corinthiens, confirma son succès sur des marchés de plus en plus nombreux et parfois lointains 3• Mais ces vases si appréciés furent assurément loin d'être les seules productions issues d'ateliers attiques à être exportées avec succès. C'est alors aussi qu'Athènes s'assura, pour des motifS parfois peu clairs, des positions par ailleurs précieuses dans l'Hellespont et dans le Pangée riche en forêts et en métaux précieux. Mais au même moment, il est possible que les exportations d'huile attique en Étrurie (dans des amphores« SOS»), bien attestées pour le VIT' siècle, aient reçu un coup de frein lié, pense-t-on, à l'avènement de productions locales. En fait, on était alors dans un monde méditerranéen où les acteurs et les produits se multipliaient, entraînant et répercutant des modifications rapides dans des circuits d'échanges de plus en plus nombreux et variés 4• Bientôt jointe aux arrivages répétés d'argent thrace, l'exploitation, dans le Laurion, de mines de plomb argentifère permit aux Athéniens de frapper 1. Cf. supra, p. 80-87 et 226-234. 2. Cf. supra, p. 465-4 76. 3. Pour les diverses questions qui ne manquent pas de surgir, en l'absence d'une véritable information textuelle contemporaine, de l'interprétation des multiples scènes représentées sur ces vases, cf. infra, p. 524-537. 4. Cf. supra, p. 465-472.
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Permanences et nouveautés
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après les pièces didrachmes «héraldiques» (« Wappenmünzen ») au milieu du VI' siècle - les premières « chouettes )) tétradrachmes d'argent, qui- sans plus se laisser aller à inférer des implications économiques trop lointaines - contribuèrent sensiblement à la puissance et à la réputation d'Athènes. L'opinion dominante aujourd'hui est que les secondes sont plutôt à mettre au crédit des fils de Pisistrate tandis que les premières seraient à associer à Pisistrate lui-même 1• Si Pisistrate n'a peut-être pas favorisé en personne les activités intellectuelles et artistiques - Hipparque apparaît comme le plus actif en ces domaines (il accueillit Anacréon après la mort de Polycrate, ainsi que Simonide de Kéos), il n'empêche que, sans aller jusqu'à trop accorder foi à la légende créditant cette époque de la première mise par écrit des poèmes homériques 2, c'est au cours de ces années qu'Athènes jeta les bases de son éclat culturel du V' siècle, à travers des réalisations auxquelles participèrent assurément des artisans formés aux goûts et techniques alors en vogue en Ionie et dans les Cyclades. Peut-être le mouvement ne fut-il pas étranger aux agissements de Crésus d'abord, de Cyrus ensuite à l'égard des Grecs d'Asie mineure, mais les informations solides manquent. L'homme disparut en c.528/7 et, dès Hérodote (Hér. V 55 et 62), pourtant hostile à l'idée même de tyrannie, son image dans la tradition antique s'avère positive, contrairement à celle d'Hippias décidément lié à la terreur perse 3• Le tyran défunt laissait derrière lui trois fils adultes : de Thessalos, à vrai dire, on ne sait rien\ tandis qu'on se perd en conjectures à propos des statuts respectifs (!yrannoi ?) d'Hipparque et d'Hippias. En tout cas, la mort du père ne paraît pas avoir entraîné de rupture politique brutale : c'est surtout vrai des relations extérieures, même si Polycrate paraît avoir assez vite supplanté les Athéniens à Délos. En définitive, la chute de la tyrannie s'explique plutôt mal, surtout si l'on songe que, déjà bien notée par Hérodote (Hér. V 55 et 62) et Thucydide (Thuc. VI 54), elle passait IV' siècle pour un «Âge d'Or)) (cf. notamment Arist., APXVI). Peut-être faut-il songer à un soudain raidissement d'Hippias (c.528/7-c.510/09) après un assassinat d'Hipparque (c.514/3) intervenu sur fond de querelles aristocratiques, impliquant des exilés de plus en plus actifs, tell'Alcméonide Clisthène, fils de Mégaclès, qui flattait assidûment Delphes. Ce dernier, en c.5l0/09, avec l'appui de la Sparte du roi Cléomène (qui agit > relative (c'est sans doute vrai en particulier pour l'Attique) des anciens liens de dépendance régionale, tissés peu à peu au sein des communautés depuis parfois des siècles. Le processus s'opéra au profit d'éléments favorisant une plus grande unité civique, centrée sur un terroir pris davantage comme une entité unique et doté d'un foyer urbain plus évident (siège des autorités judiciaire, 1. A vrai dire, on pourrait s'interroger sur la nature de leur démarche pendant leur exercice du pouvoir : s'agit-il vraiment d'un effacement volontaire ou plutôt d'un début de mise en avant d'individualités au sein d'une communauté de structure aristocratique peu coutumière du fait ? Cette pratique jusque-là limitée a pu être exacerbée par un esprit agonistique de plus en plus généralisé (et que pouvaient entraver les contraintes hoplitiques).
Les tyrannies « archaïques ))
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politique et surtout religieuse), bref un «territoire» désormais doté d'une puissance publique plus affirmée, mieux assurée. Ces collectivités grecques très remuantes furent peut-être davantage susceptibles - ne fùt-ce que sous l'effet de la politique pacifique de leurs tyrans- d'accepter, voire souhaiter, la mise en place de nouveaux équilibres « politiques » qui ne pouvaient plus être ceux d'avant la tyrannie. Dans bien des cas, on semble être en présence de caractères bien trempés, qui au départ ne tranchaient guère sur leurs concitoyens, sinon par une origine située parfois davantage à la « périphérie >> du monde aristocratique pourvoyeur des basileis traditionnels, encore tout imprégnés de mentalité héroïque 1• Plus combatifs que ces derniers, ils n'hésitèrent pas, à l'occasion, à trahir leur camp. Saisissant les opportunités qui se présentaient -comme celles qu'ont pu offrir des revendications du dèmos (quel que soit le contenu social exact à donner à ce terme), ils se hissèrent plus « personnellement » à la tête de collectivités encore largement organisées sur le mode traditionnel, bien que de plus en plus travaillées par «l'accélération du temps». Chacun à leur manière, ils caillèrent les institutions existantes, neutralisèrent au mieux une aristocratie jusque-là toute puissante et pourvoyeuse de magistrats malgré ses divisions, en évitant, chaque fois que c'était possible, les conflits extérieurs, sources de déstabilisation (Sicyone, Corinthe et Mégare en particulier sont voisines). Sans que ce soit sans doute le but poursuivi, ils aidèrent ainsi leur polis à mieux prendre conscience des voies qui s'offraient à ses membres : celle, autocratique, illustrée par le Lydien Crésus ... ou les tyrans 2 grecs, ou bien une autre, plus respectueuse des aspirations de la collectivité prise comme un tout. En définitive, au-delà des multiples incertitudes relatives aux faits, gestes et intentions de ces hommes, une observation majeure s'impose : les tyrans sont les premiers individus nommés dans les sources anciennes dont on n'a aucune raison de mettre en doute l'existence historique. Avec eux, l'« homme politique » historique fait son entrée en scène, et il ne semble pas que ce phénomène tienne seulement aux changements majeurs qui interviennent au début du V' siècle dans la nature de la production écrite.
1. Cf. supra, p. 166-183 et 269-286. 2. Terme dont la dimension morale doit dépasser le strict cadre institutionnel.
CHAPITRE VI
Culture traditionnelle et prémices de révolution intellectuelle
l. LA RELIGION (SITES, RITES, MYTHOLOGIE ORIENTALE ET PANTHÉON GREC)
LES SITES, LES RITES ET LES CROYANCES
On a vu que les premières manifestations « matérielles » indiscutables de la religion grecque du rr millénaire étaient à l'origine de nombreuses controverses savantes depuis plus d'un siècle 1• Un des points les plus sensibles aujourd'hui regarde l'identification des lieux de culte en gardant présent à l'esprit le èaractère très dynamique des rituels par lesquels s'exprimait le sentiment religieux chez les Grecs. La détermination moderne d'un site antique utilisé comme« lieu de culte»,« sanctuaire», repose sur des critères qui ne font guère davantage l'unanimité pour les époques protogéométrique et géométrique que pour l'époque protohistorique 2 • En effet, la reconnaissance formelle des lieux de culte en usage à l'époque du bronze reste l'objet de vives contestations et, dans les premiers temps du rr millénaire, les manifestations physiques des « activités religieuses » des Grecs ne paraissent pas avoir aussitôt pris les formes spécifiques qu'on leur reconnaît pour les époques clâ.Ssique et hellénistique. Pour ces siècles, on s'accorde plus volontiers, car elles s'inscrivent dans des contextes matériels davantage « parlants ». 1. Cf. supra, p. 345-348. 2. Cf. Treuil et al., p. 523-524 et supra, p. 360-371. Parmi les plus anciens temples, il faudrait placer l'édifice protogéométrique découvert en Crète méridionale, à Kommos (peut-être dès le Xl' siècle), puis peut-être ceux de Prinias et de Dréros, en Crète toujours (cf. supra, p. 102-104 et 204-209).
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Culture traditionnelle et révolution intellectuelle
Ainsi, en divers lieux donnés, la recherche paraît avoir été plus d'une fois abusée par l'histoire antérieure ou ultérieure du site ou des bâtiments concernés. On comprend dès lors que l'unanimité se fasse moins que jamais sur la question de savoir s'il faut imaginer un éventuel processus plus ou moins rapide et conscient de différenciation profane-sacré-funéraire des espaces au cours des «siècles obscurs». Et on peut trouver une autre illustration de cette perplexité des chercheurs dans leurs hypothèses récentes - et d'ailleurs non dépourvues d'intérêt - proposant que, pendant les «siècles obscurs>>, ce soit dans la «maison du chef (big man)» qu'aient été posés les gestes rituels impliquant l'ensemble de la communauté, cet édifice étant ensuite soit abandonné au profit d'un bâtiment spécifiquement destiné au culte, soit complètement « réquisitionné » pour être dévolu à ces activités religieuses ~e « chef» ayant été chassé ?). Dans les meilleurs cas, pour les débuts, on est en droit de s'interroger sur l'usage d'un édifice tel que le « temple » de Karphi en Crète, la « construction absidale » du sanctuaire d'Héra à Pérachora, face à Corinthe, ou le « mégaron B » de Thermos ou encore l'édifice de Galataki (Carinthie), des installations qu'aident à reconstituer quelques modèles miniatures en argile tels ceux trouvés sur l'.> politique extrême des Grecs, dont le patriotisme était circonscrit au seul terroir - à l'émergence et à l'approfondissement d'un sentiment national (instrumenté déjà par la langue et son bagage). Par ailleurs, tout semble aussi indiquer qu'un sanctuaire où se pratiquait la mantique, tel que celui de Delphes, fut partie prenante, d'une manière assez difficile à cerner mais incontestable, dans l'une des aventures majeures de l'époque archaïque, le mouvement colonial. Les raisons de ces sorts si dissemblables que connurent les lieux de cultes échappent toujours largement à l'enquête en dépit de multiples recherches modernes : des facteurs aussi divers que la nature du paysage, la localisation par rapport à certaines grandes voies de passage, la proximité de certaines communautés plus «remuantes», le passé des lieux (présence de ruines éventuellement liées à des récits «entendus» ou trouvailles fortuites), certains facteurs historiques (événements marquants au niveau local), durent intervenir. Mais il convient sans doute d'ajouter à cette liste déjà longue les multiples rumeurs invérifiables qui - hier comme aujourd'hui encore - ne manquèrent jamais de surgir et de prendre de l'ampleur grâce à la relative crédulité qu'il faut assurément reconnaître- sans qu'elle leur soit propreautant aux Grecs des temps «pré-historiques » qu'à ceux des siècles ultérieurs. Dans la pratique, les points de fixation géographique des lieux de culte, petits et grands, à partir du VIII' siècle, semblent souvent répondre à quelques critères récurrents. On notera au passage que certains lieux retenus n'étaient sans doute guère différents de ceux déjà en faveur à l'époque du bronze récent mycénien, une « coïncidence » qui pourrait expliquer quelques-unes des découvertes «fortuites», opérées par les Grecs de l'époque archaïque, certains de leurs «retours» aussi. To~ours est-il qu'en matière religieuse, l'accrochage topographique s'opéra très souvent, dans les derniers temps de l'époque géométrique, par le biais de tombes ou, plus globalement, 1. Cf. supra, p. 155-166 et 181-183. 2. Cf. infia, p. 518-521. 3. Cf. supra, p. 77, 220-225 et infia, p. 513-518.
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de« ruines» protohistoriques(« mycéniennes»), qui jouèrent dès lors le rôle de témoin ou de réceptacle pour diverses pratiques rituelles, parfois, diraiton, de modèle (tumuli d'Anavyssos, au Nord-Ouest du Sounion). Rien n'oblige cependant à ftxer alors seulement leur redécouverte ou à imaginer le VIIY siècle marquant d'une pierre noire les couvertures des tombes mycéniennes. n n'est pas davantage besoin de postuler dans l'absolu de soi-disant« retrouvailles» subites avec l'époque héroïque dans une imaginaire « atmosphere of historical consciousness » 1• Ces thèses, souvent défendues avec brio - et qui furent un des points de fixation des controverses sans ftn, opposant les tenants de la « rupture >> à ceux de la « continuité » au cours des trente dernières années - ne sont guère de mise dès lors qu'il devient clair que ce « passé exemplaire » n'avait à la vérité jamais cessé d'être chanté par les aèdes grecs tout au long des siècles précédents 2• En revanche, il est permis -et même préférable -d'envisager chez les Grecs du Vlli' siècle un changement d'attitude plutôt radical, né d'autres raisons, à l'égard de restes architecturaux sans doute connus de toute éternité mais longtemps« délaissés», l'adoption d'un regard nouveau sur le paysage en général - en fait sur la terre qui, confirmée en qualité de source de richesses convoitées, semble alors avoir fait l'objet, de la part de ces communautés, d'une véritable «gestuelle d'appropriation». Sans doute, leurs territoires se faisant plus exigus en regard du nombre de bouches à nourrir, on procéda à son inventaire, envisageant du même coup dans une perspective nouvelle ces vieux témoins de son passé : perçus comme antérieurs aux «générations humaines» (Hér. III 122), ils devinrent autant de titres de propriété dont il convint de s'assurer la possession de diverses façons. Ainsi, dès avant c. 700, pour ne pas parler des multiples exemples péloponnésiens, en Attique, la tholos de Ménidi, qui reçut de grands cratères, l'enclos édifié à Éleusis, autour de quelques tombes mésohelladiques qui furent alors identifiées comme celles des «Sept contre Thèbes» (Paus., I 39,2), ou encore les cultes d'Iphigénie et Artémis à Brauron, au pied de la vieille acropole mésohelladique, à côté d'une petite grotte. Vu sous cet angle, on concédera que la recherche - souvent désespérée - d'une éventuelle continuité matérielle d'un culte sur un site donné, faisant généralement grand cas de quelques rares tessons protogéométriques, s'avère superflue, tout comme serait malvenue l'idée de refuser toute idée d'héritage culturel, même au niveau local, en invoquant l'absence de preuves proprement matérielles.
1. A Snodgrass, [532], p. 685. De ce point de vue, on préférera encore la formulation deN. Hammond, [552], p. 713, parlant de « strong sense of the past >>. Cf. supra, p. 348-359. 2. Cf. supra, p. 9-43 et 325-345.
lA religion
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En matière de « religion » - un concept non formulé par la pensée grecque antique 1 et qui n'a pas fait l'objet de discours spécifiques (même aux époques classique ou hellénistique) 2 , il demeure délicat de préciser en quoi la poésie épique peut être avantageusement exploitée pour éclairer la situation de l'époque géométrique. On ne voit guère d'obstacle radical s'opposant à l'existence d'un continuum fondamental, né de la succession des générations et impliquant même l'époque protohistorique 3, mais, nécessairement, il dut aussi se produire des mutations successives conduisant, en fm de compte, au VITI' siècle, lorsque les choses se figèrent dans le retour à une culture matérielle, à ce qui nous apparaît comme des métamorphoses parfois sensibles 4• Ainsi par exemple en va-t-il peut-être de l'apparition, chez les Grecs de l'époque géométrique, de «sanctuaires» (téménè), c'est-à-dire d'espaces sacrés, bien limités topographiquement. Quoi qu'il en soit, des lieux furent désormais consacrés en qualité de domaines réservés d'une ou plusieurs divinités, qui reçurent là de leurs fidèles des offrandes variées qui y étaient stockées (dans les meilleurs cas dans des abris construits dans ce but). A la fin de l'époque géométrique, les présents se diversifièrent et acquirent parfois un caractère plus imposant, voire volontiers ostentatoire : aux petites figurines d'argile ou de métal des débuts, représentant souvent des animaux (tels en particulier des chevaux), vinrent ainsi s'ajouter dans certains cas des trépieds métalliques et de grands chaudrons de bronze, illustrant des décors parfois très élaborés (Delphes, Olympie, Dodone). Mais, encore une fois, ces téménè qui pouvaient disposer à l'occasion d'installations en dur (dont certaines firent parfois l'objet de propos admiratifs de la part des Anciens), abritaient d'abord et avant tout, sinon la plus spectaculaire, du moins la plus indispensable d'entre toutes : l'autel, ce lieu précis, multiforme, où s'accomplissait l'acte fondamental vis-à-vis des divinités honorées en cet endroit qu'était le sacrifice (ainsi les autels successifs d'Héra à Samos). Ce point focal du culte, construit ou creusé, peut- dans certains cas et non des moindres (Olympie, Délos, etc.)- se réduire à une simple aire de quelques mètres carrés, où les officiants s'enorgueillissaient de voir s'accumuler les restes des sacrifices antérieurs, notamment sous forme de simples cendres mêlées d'une fois à l'autre, signe tangible de la pérennité du geste - et donc de sa légitimité. Enfin, il faut rappeler qu'à l'ignorance, dans le vocabulaire grec, de tout 1. Qui n'a donc pas de mot pour l'exprimer. 2. Sauf peut-être à travers l'œuvre d'un Évhémère de Messène. 3. Cf. Treuil et al., p. 523-530. 4. Certaines sans doute telles et si mal illustrées qu'elles font croire à des ruptures.
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terme désignant la «religion» en qualité de sphère d'activités spécifiques, correspond l'absence de véritable savoir sacré en dehors de celui qui était lié à l'accomplissement scrupuleux des rituels prescrits par la tradition et rythmés par le calendrier liturgique. De ce fait, au contraire de ce que l'on trouve en particulier dans les religions proche-orientales ou égyptienne, il n'y eut pas, chez les Grecs, de clergé structuré, au sein duquel se seraient recrutés les intermédiaires obligés entre le(s) fidèle(s) et la divinité 1• Cela dit, dans la pratique, certains membres des communautés pouvaient se voir confier, pendant un temps de durée variable (parfois il s'agit d'un privilège familial), des charges religieuses pour la bonne marche desquelles ils pouvaient recourir à divers auxiliaires qui reçurent un grand nombre de noms selon les endroits.
LES SANCTUAIRES AU DESTIN>
Le terme «panhellénique» ne devrait pas faire davantage l'objet de confusion pour les époques préclassiques que pour les siècles ultérieurs, même si la documentation matérielle peut se révéler des plus trompeuses, surtout en l'absence de textes littéraires ou épigraphiques explicites. Dans le cas de l'Héraion des Samiens, par exemple, dévasté par la récupération ultérieure de nombreux blocs, plusieurs fondations, bases et objets découverts restent malaisés à expliquer tant il est impossible de contrebalancer l'absence d'un témoignage écrit, même tardif (par exemple, Pausanias) 2 • On prendra donc garde à ne pas se méprendre sur le statut de certains centres religieux (urbains ou extra-urbains). Dans leur majorité, ils devaient être à l'usage exclusif d'une communauté particulière, même si leur exploration archéologique révèle, parfois très tôt, une extrême diversité dans l'origine géographique des offrandes qui y furent engrangées : ces dernières étaient en fait les simples fruits du commerce ou de la piraterie. C'est le cas des Héraia civiques de Pérachora ou, plus encore, de celui de Samos, de l'Artémision d'Éphèse, du sanctuaire d'Athéna à Emporia de Chios ou encore du sanctuaire panthessalien de Philia ; les fidèles s'y rassemblaient, guidés par des motifs sensiblement différents de ceux qui amenaient les Grecs,
1. Cf. déjà supra, p. 345-348. 2. Ce vide littéraire explique les difficultés qui se présentent lorsqu'il faut faire la distinction entre qui ornèrent bientôt le kilron d'Apollon. 2. Cf. supra, p. 487-497. 3. Cf. supra, p. 428-431. 4. Cf. supra, p. 91, 237-238 et 363-371.
lit religion
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acquise par ce sanctuaire« campagnard» (au contraire de celui de Delphes) aux époques géométrique et archaïque des éclatantes réussites coloniales dont pouvaient se prévaloir les Grecs installés en Italie et en Sicile, des secteurs somme toute peu éloignés de la façade occidentale du Péloponnèse. On notera en tout cas que ces régions nouvellement hellénisées ne se dotèrent d'aucun sanctuaire commun et que leurs populations se retrouvèrent plus volontiers dans ce centre religieux éléen que l'on propose parfois de considérer comme primitivement très lié à l'agriculture. Sur le site de l'Attis, les plus anciennes activités religieuses paraissent remonter au début du X' siècle 1 et ont laissé une trace sous la forme de dépôts votifs incluant d'abord des objets en céramique (figurines); s'y ajoutèrent ensuite des trépieds à cuves, bassins, statuettes, bijoux, etc. en métal (bronze, fer, plomb, or~, qui renvoient, pour l'essentiel, à des ateliers de l'Ouest et du centre du Péloponnèse (on cite de plus en plus le centre de Nichoria, sur le golfe de Messénie, qui constitue désormais une source inégalée d'informations). Jusqu'au début du VIII' siècle, l'endroit pourrait s'être imposé - pour des raisons qui, à vrai dire, restent toujours à éclaircir au vu de la distance - comme lieu de rendez-vous approprié pour les chefs des petites communautés qui étaient contraintes de se partager les riches campagnes environnantes (établissements de Nichoria, Kaphirio, etc.). Peut-être ces individus trouvaient-ils, au pied du mont Kronos, à la fois une réponse satisfaisante à leur quête de légitimation mutuelle et un lieu propice pour l'arbitrage de leurs différends par le biais de sacrifices -l'acte religieux fon~ damental entre tous chez les Grecs - et de consécrations (voire de compétitions sportives?). QJ!ant aux Arcadiens qui fréquentaient l'endroit, ils pourraient avoir été mus par les menaces que faisaient peser sur eux les Spartiates. En d'autres termes, les motifs qui agitaient ces premiers visiteurs pourraient avoir été surtout fonction de leur lieu d'origine, mais, cela dit, on conviendra que l'histoire du sanctuaire avant le début du VIII' siècle reste largement insaisissable et que le paysage naturel ne présente pas, semble-t-il, les aspects spectaculaires qu'offrait par exemple celui de Delphes. Quant aux décennies qui suivirent, cruciales pourtant pour l'avenir du sanctuaire et de ses célèbres compétitions, on ne peut guère tenter de les saisir qu'au travers des offrandes qu'ont livrées les fouilles, avec les risques inhérents aux analyses « historiques >> fondées sur des documents non écrits. On notera à ce propos que certains chercheurs sont plutôt favorables à la thèse d'artisans métallurgistes venus réaliser sur place (et l'idée vaudrait aussi 1. Cf. supra, p. 363-364. 2. Strabon (Strab. VITI 3,30 et 6,20) évoque le souvenir d'une grande statue de Zeus en or martelé, qui aurait été offerte par Cypsélos.
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pour des centres religieux comme Philia en Thessalie, Kalapodi en Phocide, Delphes ou Samos entre autres) certains des objets dédiés par les visiteurs, l'origine géographique de ces derniers restant dès lors plus que jamais dans l'ombre. Quoi qu'il en soit, tandis que l'Attis paraît confirmer son rang de sanctuaire régional, jouant un rôle fédérateur pour les communautés éléennes des alentours 1, la variété grandissante des offrandes au cours du VITI' siècle pourrait, quant à elle, refléter la diversification sociale des visiteurs qui souhaitaient marquer par une consécration leur passage dans l'aire sacrée. Au tournant des VITI·/vrr• siècles, comme d'ailleurs à I'Héraion de Samos ou au sanctuaire de Poséidon sur l'Isthme, les ustensiles en céramique locale destinés à boire et à manger se multiplient rapidement, un phénomène sans doute à rapprocher de l'affluence qu'entraîne périodiquement, sur le site, la tenue de compétitions de plus en plus attractives. Ces dernières, selon la tradition littéraire classique, auraient été instituées (ou refondées) en c.77615 av.J.-C. -les épreuves se diversifiant dans le dernier quart du VITI' siècle, mais rien sur le terrain ne vient à l'appui de cette date fascinante, qui est plus probablement à considérer comme le point ultime de l'enquête menée sur des bases inconnues par le sophiste et érudit Hippias d'Élis 2• Cela explique la variété des opinions exprimées dans lestravaux modernes quant à la date des premiers « concours olympiques » : certains les croient volontiers (beaucoup) plus anciens que c.776/5, d'autres, assez nombreux, (sensiblement) plus récents que cette date. La complexité du problème empêche d'en dire plus ici, mais divers indices- d'un côté, le choix porté par Hippias sur le vainqueur du stadion, la course du stade Oe premier vainqueur aurait été un certain Koroibos d'Élis), de l'autre, l'évolution du recrutement géographique des premiers vainqueurs, venus de plus en plus loin dès le dernier quart du VITI' siècle - invitent tout à la fois à la prudence et à une relative confiance. En tout cas, dès avant le terme du VIII' siècle, le sanctuaire éléen devait jouir d'une réputation suffisamment large pour survivre à la conquête et à l'occupation spartiates de la Messénie (si l'on accepte de placer le conflit dans le dernier quart de ce même siècle?. Avec le VII' siècle, le sanctuaire entama pour de bon sa longue période de gloire, qu'attestent en particulier les spectaculaires offrandes de bronze dont il devint le réceptacle : ainsi les trépieds Gusque c.650) et les équipements militaires, souvent trophées de guerre consacrés. C'est sur les derniers temps de ce même siècle que l' hékatompédon primitivement en bois, consacré
1. Le processus arrivant à son terme avec le synœcisme d'Élis en c.471/0. 2. C[ supra, p. 444-453. 3. C[ supra, p. 235-247.
La religion
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à Héra, le plus ancien édifice connu du sanctuaire 1, aurait été entouré (si cela n'était pas déjà le cas dès le départ) d'un péristyle composé de colonnes également en bois et sans doute doté de l'autel identifié devant le nymphée d'Hérode Atticus. Les lieux sis au pied du mont Kronos s'imposèrent ainsi comme cadre privilégié de compétitions sportives programmées, variées et souvent violentes, où s'affrontaient des aristocrates grecs venus pour certains de plus en plus loin, porte-drapeau de leurs communautés et que l'on retrouve souvent mêlés de près aux destinées de ces dernières. Le sanctuaire éléen devint en outre le cadre approprié de toute une vie « diplomatique » : face à face, ces aristocrates avaient l'opportunité d'établir formellement des relations d'amitié et d'hospitalité réciproque (xénia), des gestes qui ne manquaient pas d'impliquer aussi leurs Cités d'origine. C'est également au cours de ce siècle que, selon diverses traditions, Phidon d'Argos put se rendre un temps maître du sanctuaire.
Qy,elques aut:res cas
La place manque pour accorder autant de temps aux sanctuaires de Zeus à Némée et de Poséidon sur l'Isthme de Corinthe qu'à ceux (semblet-il plus anciens) de Delphes et Olympie. Sur bien des points d'ailleurs, l'information à leur propos - surtout en termes archéologiques pour les époques concernées - est plus maigre. ll n'empêche, à partir du début du VI' siècle, ces quatre hauts lieux de la religion grecque et de l'hellénisme en général étaient au cœur d'un réseau de concours qui mettaient désormais en contact régulier des Grecs venus parfois de très loin 2• Les compétitions de l'Isthme (création des Cypsélides? en c.586/5 ?) auraient en tout cas été instaurées de façon triétérique en c.58110 par Corinthe et celles de Némée par Kléonai affranchie du joug sicyonien- sans doute avec l'aide des Argiens, en c.573/2 3• Leur célébration était aussi bisannuelle (triétérique en calcul inclusif, soit tous les deux ans), à la différence des grandes festivités d'Olympie et de Delphes, qui se déroulaient tous les quatre ans (rythme pentétérique). !. C'est aussi un des plus anciens temples de style dorique connus (celui visible aujourd'hui serait la troisième et, d'autre part, on hésitera à mêler nettement Phidon d'Argos à l'histoire de l'édifice, tout comme à considérer le culte d'Héra à Olympie comme secondaire en regard de celui
de Zeus). Les autres temples doriques les plus anciens connus sont - au contraire de ceux en style ionien -l'œuvre d'architectes anonymes: celui d'Artémis à Corcyre (c.600/590), et celui d'Apollon à Syracuse (c.570). 2. Cf. aussi supra, p. 431-454. 3. D'autres concours encore, de moindre rayonnement, furent créés à des dates incertaines, comme à Épidaure (dernier quart du VJ< siècle ?).
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Au départ, le sanctuaire de l'Isthme (IsTHMIA, sur le versant Saronique) 1, que chanta Pindare, paraît se présenter comme un simple lieu de culte corinthien, pouvant remonter à l'époque protogéométrique, mais qui connut un développement soutenu à partir du VIIT siècle (grand temple édifié dès la seconde moitié du VII' siècle, peu après celui d'Apollon à Corinthe, peut-être c.700~, après la prise de Crommyon par les Corinthiens. Sa position géographique est cependant tout à fait remarquable, sorte d'avant-poste corinthien sur le golfe Saronique (eschatia ?), au croisement de la route terrestre reliant la Grèce centrale et le Péloponnèse avec la voie maritime mettant en contact la mer Égée et le golfe de Corinthe, une disposition qui en faisait un point de rencontre possible, ce qui n'est donc pas sans rappeler un peu celle de Delphes 3 • Quant aux compétitions, qui contribuèrent tout autant à sa renommée, elles auraient été instituées en c.581!0 et leur organisation était entre les mains des Corinthiens. Quant au sanctuaire de Zeus à NÉMÉE 4, initialement dans le giron de Kléonai (une Cité elle-même souvent dans l'ombre d'Argos), il est acquis qu'un culte s'y pratiquait à partir du VII" siècle (héros Opheltès), et les premiers concours (c.573) durent suivre de peu la construction du premier temple (c.600). Un rôle doit sans doute être reconnu à Corinthe (avec l'aide des Argiens) dans la mise sur pied de ces festivités en l'honneur de Zeus. Enfin, il faut revenir un instant sur le vénérable sanctuaire de Déméter et Korè d'ÉLEUSIS, tout proche d'Athènes (c.23 km en empruntant la Voie Sacrée) 5 et que chante déjà l'Hymne homérique à Déméter (au contenu plutôt antérieur à l'interférence athénienne des VII·-vr siècles?). Sans doute plusieurs des traits qui firent sa relative singularité s'expliquent-ils d'abord par l'histoire chaotique et souvent douloureuse des relations athénoéleusiniennes au cours des époques géométrique et archaïque : plusieurs fois conquise par les Athéniens mais plusieurs fois aussi entrée en dissidence (Solon est le premier témoin à souligner l'intérêt que lui portaient ses concitoyens)6, Éleusis- son territoire et son sanctuaire à mystères 7 - fut-elle jamais vraiment absorbée par Athènes pour qui l'endroit présentait (par ailleurs ?) plusieurs avantages stratégiques (liés au contrôle de Salamine et aux 1. Cf. supra, p. 234-235. Lui est étroitement associée la fJgUI"e héroïque de Mélikertès, qu'on hésitera à rapprocher de Mi!qart, l'Héraclès tyrien. 2. Cf. supra, p. 484-486. 3. Cf. supra, p. 513-518. 4. Cf. supra, p. 89. 5. Cf. supra, p. 80-82, 234-235 et 362-363. 6. Cf. supra, p. 486-497. 7. La célébration de n'est pas un cas unique dans la religion grecque (cf. ceux en l'honneur de Dionysos ou de la Grande Mère) et il convient de ne pas confondre, à la suite de nombreux travaux érudits, les finalités antiques, demeurées longtemps sans doute terre à terre, avec celles liées aux religions monothéistes écloses ultérieurement, plus tournées vers la spiritualité.
La religion
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menaces mégariennes)? n est donc difficile de préciser quand intervinrent et en quoi consistèrent les élaborations successives qui firent de ce sanctuaire ce que l'on devine (enfm) de lui à l'époque classique, à savoir d'abord un lieu « sensible » par sa dimension civique pour les Athéniens et la population éleusinienne (célébration des «Petits» et « Grands Mystères)>) et réservé aux seuls initiés ~es mystes) aux Mystères, un ensemble de rites (sous le contrôle héréditaire de deux grands génè éleusiniens, les Kèrykes et les Eumolpides). Ces derniers tournaient autour d'un enseignement oral à garder secret et de la vision des « objets sacrés » ~es hiéra), sur la nature desquels on se perd toujours en conjectures en dotant parfois ces manifestations d'une spiritualité supérieure à celle envisagée dans les autres sanctuaires et que rien ne vient confirmer. Quoi qu'il en soit, cette initiation était accessible à tout individu pratiquant le grec et dont les mains n'étaient pas souillées. A côté des sanctuaires CIVIques exclusivement accessibles à la seule communauté dont ils dépendaient (abritant le plus souvent les divinités tutélaires - « poliades >), qu'il convenait donc de mettre impérativement à l'abri du mauvais œil) et des grands sanctuaires panhelléniques dont il vient d'être question, fmalement ouverts à l'ensemble des communautés grecques (Delphes, Olympie, etc.) ou aux particuliers hellénophones (Éleusis) 1, il faut aussi nommer des sanctuaires civiques d'un type un peu singulier. Ce sont d'abord ceux qui appartenaient à des communautés certes grecques, mais qui, installées aux marges de l'hellénisme, avaient à tenir le plus grand compte des populations locales non-grecques, établies tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de leurs territoires et qui représentaient parfois une réelle menace pour l'autonomie civique. Ces lieux de culte constituèrent souvent des points de rencontre privilégiés entre Grecs et Barbares, offrant l'occasion la plus appropriée, pour les uns et les autres, de manifester leur volonté de coexistence et de dialogue en associant, de diverses manières, aux divinités grecques des figures divines étrangères voisines (ainsi Artémis et la Grande Déesse). Les exemples les plus nombreux sont regroupés sur les côtes occidentales d'Asie mineure et singulièrement parmi les Cités ioniennes, où, fait notable, plus d'une fois on les retrouve situés à la périphérie du territoire contrôlé par les Cités grecques et reliés très tôt à elles par une importante Voie Sacrée qui s1orna bientôt de diverses offrandes (Didymes ou Samos avec son monumental kouros, personnification grandiose d'une aristocratie agonistique, pleine de superbe et scrupuleuse à l'égard des
1. Pour le sanctuaire panionien de Délos, cf. supra, p. 109 et 361-362 pour ses débuts, ainsi que 212-214 pour son existence à l'époque archaïque.
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dieux) 1• Dans ces aires religieuses se côtoyaient des consécrations grecques et non-grecques (Artémision d'Éphèse), auxquelles s'ajoutèrent parfois aussi des dons spectaculaires, faits par des souverains étrangers 2, attestant que ces téménè civiques étaient sans doute aussi le cadre de tractations diplomatiques. En fait, comme on pouvait s'y attendre, dès lors que la religion imprégnait toutes les facettes de la vie des Grecs, les lieux de culte étaient aussi le cadre où s'exprimaient, d'une manière ou d'une autre, non seulement une ferveur plus proprement religieuse mais aussi toutes les autres pulsations qui traversaient ces communautés et les groupes et individus qui les composaient.
2. LES PRODUCTIONS ARTISTIQUES DE L'ÉPOQUE ARCHAÏQUE (ŒUVRES TRADITIONNELLES ET ESPRIT NOUVEAU)
CONSIDÉRA TI ONS GÉNÉRALES
On a vu combien le premier siècle de l'expansion coloniale (c.7751750-c.675!650)- celui aussi de la reprise de contacts suivis avec la Méditerranée orientale - entraîna, de proche en proche, au sein d'un grand nombre de communautés grecques, installées tant sur le continent que dans les îles, des modifications rapides et à bien des égards fondamentales pour leur avenir et celui de l'hellénisme tout entier. De même, on a noté que les premiers effets, à courts termes, de ce processus spectaculaire avaient été regroupés par la recherche moderne - et en premier lieu par les archéologues et historiens de l'art- sous l'appellation de «Période orientalisante » (c.740-c.630) 3 • Débordant de beaucoup le domaine des« productions artistiques », ces innovations et les changements de comportement qui les accompagnèrent contribuèrent à révolutionner radicalement les modes d'expression des Grecs et, en fm de compte, leur perception du monde, après avoir affecté en profondeur la culture matérielle constituant leur environnement quotidien. C'est bien davantage dans cette perspective plus chère !. Cf. supra, p. 193-203, 364-371 et 497-499. 2. On n'oubliera pas pour autant les illustrations de semblables gestes fournies par des sanctuaires panhelléniques de Grèce continentale tels que Delphes (Crésus) ou Olympie. 3. Cf. supra, p. 431-454.
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à l'historien que dans celle, qui n'aurait guère sa place ici, d'un« historique des arts et techniques» à l'époque archaïque, que sont réunies les quelques remarques contenues dans cette section 1•
SOUCI DE PATERNITÉ ET RAPPORT À LA RÉALITÉ OBJECTIVE
Sans exclure, dès l'époque protogéométrique déjà, des manifestations occasionnelles- et malaisées à classer, c'est surtout à partir de c.7751750 (fm du géométrique moyen) que furent peintes sur des vases (en majorité de facture attique) des «scènes» dignes de ce nom, qui paraissent receler quelque fmalité «narrative » 2.Jusqu'alors, le décor- quand il existait- était largement linéaire et abstrait. Là où davantage se présentait, s'y reconnaissaient surtout, en dehors de frises conventionnelles composées d'animaux stylisés, des scènes liées, de près ou de loin, à quelques moments décisifs du rituel funèbre, voire l'un ou l'autre bateau, qui donnent toujours lieu à des débats passionnés quant à l'interprétation qu'autorisent ces rares représentations figurées. S'agit-il d'œuvres «intemporelles>>, offrant des spectacles purement génériques, d'où il convient d'exclure toute dimension « singulière » (autrement dit « historique ») ? Faut-il même aller jusqu'à hésiter à retrouver, dans l'un ou l'autre détail, une illustration sûre de la vie quotidienne de l'époque qui vit leur réalisation? D'une façon très générale, une attitude de relative méfiance paraît bien devoir rester de mise quant à la valeur directement informative de ces documents, dans la mesure où l'archéologie n'apporte pas d'autre illustration les confortant et où, au sein de telles représentations, le geste posé ou la situation évoquée pourrait bien avoir parfois primé tout le reste (cadres, habillements, accessoires) dans l'esprit de son concepteur 3 • Devant la multiplication des cas de scènes «guerrières», certains chercheurs sont néanmoins tentés de reconnaître, à côté de divers rituels en rapport avec un « culte des héros » désormais documenté, une nouvelle preuve de la « fureur héroïque » qui aurait saisi les Grecs dans le courant du 4 VIII' siècle • L'idée est attrayante, frappe l'imagination et ne peut être exclue, encore que ce soit sans doute d'abord et avant tout la maîtrise de plus en !. Cf. aussi, pour les différentes grandes aires culturelles, supra, p. 193-323. 2. On les retrouve, guère plus tard, ailleurs sur des vases (en Argolide) et sur d'autres supports tels que certaines fibules de bronze (en Béotie) ou sur les pieds de chaudrons tripodes (dans le Péloponnèse). 3. Cf. supra, p. 1-53. 4. Cf. supra, p. 345-371.
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plus grande, possédée par des artistes désormais aiguillonnés par les multiples influences venues d'Orient, qui encourage ces derniers à s'attaquer à des représentations plus complexes, mais procédant sans doute d'images présentes depuis toujours dans tous les esprits 1• On ne peut cependant exclure que, dans la mentalité de l'époque, le traitement d'un sujet «noble » (donc à reflet épique) ait été perçu comme engendrant des retombées positives sur celui qui le traçait, et de même sur celui ou ceux qui voyaient ou utilisaient ensuite l'objet ainsi décoré. Reste que, selon une opinion fréquemment défendue 2, plus que jamais, les Grecs d'alors auraient développé un intense sentiment de communion avec une autre époque que la leur, l'« Âge héroïque». Dans un cas comme dans l'autre, il est difficile d'échapper à la conclusion qu'il reste assez aventureux de prendre ces premiers documents figuratifs comme sources d'informations «réalistes» sur l'époque qui les vit se multiplier. Sans doute faut-il d'abord accepter de considérer que l'on se trouve confronté au problème plus général mais toujours délicat de la « création )) et de l'« individualité )) dans une société qui restait dominée tout entière par la pensée «pré-historique)), et ne pas faire un trop grand crédit aux propositions répétées de certains chercheurs, qui imaginent volontiers l'existence, dès cette époque des VIll'-VII' siècles, d'une «atmosphère de conscience historique )) 3, qui aurait placé une barrière nette entre le passé et le présent. L'antique poésie épique, dont l'existence demeura très longtemps liée à ses seules récitations orales 4, autorisait, par l'absence de véritables bornes fixes, une recréation perpétuelle des thèmes abordés et de leur formulation, permettant de la sorte à des rhapsodes largement anonymes de masquer, sans effort particulier, les aménagements et ajustements successifs introduits pour un public renouvelé de génération en génération sinon à chaque prestation. A l'opposé de celle-ci - à laquelle ils s'ajoutèrent (bientôt suivis par l'écriture) en qualité de nouveaux moyens d'expression partageant sans doute l'essentiel de son inspiration- les arts figuratifs, au même titre que tout discours écrit, fixèrent de façon durable une expérience créatrice donnée, fùt-ce une expérience vécue et « transcrite )) dans une mentalité « préhistorique)). Cette opération avait désormais des effets plus permanents, transcendant le seul instant de la création, liés au fait qu'elle donnait lieu à 1. Peut-être est-ce là d'ailleurs qu'il convient de découvrir l'essentiel de la tant recherchée par certains; cf. supra, p. 431-440. 2. Cf. A. Snodgrass, [532], p. 677. 3. Cf. A. Snodgrass, [532], p. 685 et infra, p. 537-544. 4. Cf. supra, p. 9-25.
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une matérialisation (peinture, gravure, sculpture, etc.). Dans ces communautés qui constituaient la Grèce des Vlli'-VI' siècles, le plus souvent restreintes et à motivation fortement aristocratique 1, de telles expressions matérielles ne manquèrent pas de se voir à chaque fois associées, d'une manière ou d'une autre, par leurs spectateurs successifs- qui tous n'avaient donc pas nécessairement été témoins du geste créatif, au nom de leur « responsable», réel ou supposé. Ce mode de fonctionnement pourrait bien rendre compte de deux grandes caractéristiques présentées par l'art grec archaïque en général, et en particulier dans l'ensemble de ses manifestations figuratives, deux traits sur lesquels on va revenir : d'une part, sa dimension conventionnelle, appliquée à des types idéaux, une marque qu'il conserva jusque dans l'époque classique et, d'autre part, l'attribution personnalisée dont semble avoir fait l'objet un très grand nombre de ces réalisations, un autre usage destiné à rester vivant bien plus longtemps encore. Dans l'immédiat, on conviendra que, le temps passant, et aucune modification objective n'ayant pu intervenir dans les expériences figuratives ainsi «croquées» avec le regard du moment, ces documents ne purent qu'acquérir une valeur à part, singulière, au sein même de ces petites sociétés traditionnelles à qui elles étaient données à voir, notamment dans les sanctuaires, ces lieux privilégiés de réunion communautaire. Ainsi, à côté des discours que ces groupes continuaient à se donner à entendre et qui se présentaient comme en conformité avec la tradition (alors qu'ils étaient sans cesse« rectifiés » dans leur fond comme dans leur forme, « réactualisés»), se multiplièrent des images et tableaux hérités du passé, de facture « traditionnelle » certes, mais où était incrusté, chaque fois, sous une forme ou sous une autre, le temps de leur création - autant de possibilités de voir surgir à la longue des incompréhensions chez leurs nouveaux spectateurs, autant d'occasions aussi pour ces derniers de désormais prendre plus clairement conscience du temps qui s'était écoulé et de la singularité des choses et des individus.
QUELQUES GRANDES FORMES D'EXPRESSION
Dès qu'elle se laisse un peu mieux appréhender, dans la deuxième moitié de l'époque géométrique, la culture matérielle des Grecs se caractérise assez vite, dans plus d'un domaine (peinture, gravure, sculpture, mais plus généralement travail de l'argile, du métal, de la pierre, architecture même), 1. Cf.
supra,
p. 166-183.
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d'abord peut-être par une simple propension, bientôt par une volonté affichée de singularité et d'individualisation dans la réalisation : l'accent y semble volontiers placé sur la différence, l'originalité mise au service du respect de la convention. Surgit ainsi, sans guère tarder, le désir d'attribuer chaque réalisation humaine présentant quelque intérêt à un individu précis, son « auteur », une démarche qui toucha vite, à côté des séries les plus connues, offertes par la grande peinture, la sculpture, voire l'architecture, la céramique où il ne devint pas rare que certains vases portent la « signature » de celui qui, semble-t-il, leur avait donné corps et/ ou les avait décorés. En cela, après l'un ou l'autre exemple isolé- dont celui de Pithécusses, le premier individu connu qui procéda de la sorte fut le grand Sophilos 1, suivi par Clitias («Vase François», c.570). Partout, dans chaque cas, il semble que l'on veuille anticiper ainsi toute question éventuelle quant à l'auteur de cette réalisation (poièsis) portée au regard public. Le souci paraît être devenu à ce point commun qu'on tient peut-être là une des premières raisons à reconnaître au succès que rencontra, au sein des collectivités grecques, dès le VIII' siècle, le système graphique adapté du procédé phénicien : identifier l'auteur autant que le propriétaire ou le destinataire de certains objets désormais ainsi encore plus singuliers 2 • Et plus tard, au fil des époques classique et hellénistico-romaine, lorsqu'au terme d'une véritable révolution intellectuelle débouchant sur l'éclosion de la pensée «scientifique», des Grecs eurent inventé l'« Histoire» et que la Grèce se fut engagée sur la voie de l'érudition, on retrouva une autre facette de ce même penchant de ses habitants, qui se constituèrent alors d'interminables listes répertoriant en particulier les « premiers inventeurs» (prôtoi heurétai), tous catalogues visant en défmitive à ne rien laisser de ce qui est réalisation humaine sans un « responsable » dûment identifié par un nom. Chez les Grecs, l'heurématographie devint même un genre littéraire à part entière 3, et les plus grands noms de l'érudition grecque s'y adonnèrent avec autant de soin qu'aux mises en ordre chronologique des magistrats, prêtres ou vainqueurs aux multiples compétitions gymniques, poétiques ou théâtrales (ainsi Hippias d'Élis, Aristote, Théophraste ou encore Ératosthène), s'emparant des sujets les plus variés. Au I" siècle de notre ère, Pline l'Ancien a repris en latin dans son Histoire naturelle des listes fragmentaires de ce type, énumérant même, pêle-mêle, à côté de listes d'artistes divers (sculpteurs, architectes, etc.), «celui qui a inventé le mur, celui qui a inventé la brique, le puits, le toit, la tuile, le bronze ... ».Un siècle plus tard, sans parler !. Cf. aussi supra, p. 384-387. 2. Cf. supra, p. 444-453, à propos de l'épigramme comme premier genre littéraire proprement dit. 3. Peut-être inspiré au départ d'œuvres telles que l'étrange> de l'fliatk ou le > qu'en regard de sa maîtrise technique grandissante, il ne cessa de conserver envers la « réalité singulière ». Certes, dans une large mesure, on peut dire que «l'idéal de l'art grec devient désormais la mimésis, c'est-à-dire l'imitation de la réalité et le souci de la traduire le plus fidèlement possible » 2, mais cette démarche- dont il n'est pas question de mesurer à la baisse l'extraordinaire aboutissement esthétiqueprit le chemin d'une figuration idéalisée dans le moindre détail, générique, formulaire donc toujours, avec des images on ne peut plus ressemblantes, et non la voie du« réalisme singulier», en l'occurrence celle du« portrait individuel » par exemple.
1. On notera aussi que cette propension typique, semble-t-il, des Grecs, revitalisée par les érudits de la Renaissance, a encore de fàcheuses retombées sur la compréhension > du passé plus lointain de la Grèce : H. Schliemann, à l'instar de certains savants de l'Antiquité, était persuadé d'avoir retrouvé la ville et le trésor de Priam à Hissarlik, les tombes d'Agamemnon et de ses proches dans le > d'initiative généralement aristocratique, par rapport à l'architecture domestique >>, voire proprement > (remparts, puits, fontaines, portiques), généralement très modeste dans ses matrifestations; cf. déjà supra, p. 183-191 et 345-371. , le plus souvent sur un arrière-plan non dépourvu, sinon de considérations racistes, du moins de compétition à l'ancienneté fortement teintée de nationalisme.
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estiment que l'éclosion de la pensée historique est bien à localiser d'abord dans la sphère grecque -plutôt d'ailleurs en Grèce de l'Est (Ionie) : il est ainsi des propositions favorables à l'idée que le phénomène serait intervenu dès avant Hérodote, voire même Hécatée de Milet, à savoir plus en amont encore dans l'époque archaïque, en particulier à travers la mise au point d'« histoires locales» ... non conservées. Dans l'état actuel de la documentation, sans remettre en cause l'originalité décisive de la démarche grecque, on se gardera de toute affirmation trop défmitive. Ainsi, une première ambiguïté pourrait déjà être levée si l'on arrivait à tracer une frontière nette entre les opérations limitées au simple enregistrement d'événements et la véritable investigation dans le passé, l'Historiè («enquête» à l'aide de l'œil et de l'oreille), une démarche qui n'est pas sans rappeler aussi les tâches confiées aux « oreilles du Roi » ou aux « yeux du Roi», ces inspecteurs chargés par le pouvoir central perse d'enquêter et faire rapport sur« l'état de l'empire» (cf. déjà Hér. I 114) ..La nécessité de disposer d'« archivistes » d'une sorte ou d'une autre a pu se faire sentir très tôt : il est certain qu'au sein des sociétés orientales des nre, ne et rer millénaires - pour ne pas parler des communautés égéennes - de tels individus ont sans doute été conduits, pour traiter certains «dossiers», à mettre au point des méthodes de travail subtiles, certaines encore illustrées à Persépolis dans la première moitié du v· siècle. Mais on a noté aussi que l'originalité de la démarche d'un Hérodote (et sans doute déjà d'un Hécatée) ne résida pas précisément dans l'exploitation d'archives 1• Et si on laisse un instant de côté l'historiographie biblique, on ne perçoit rien, en Orient ou dans la Grèce des temps préclassiques, qui soit comparable avec ce que l'on rencontre d'abord en Grèce à partir de la fm du vr siècle. Alors seulement, pour la première fois, sans qu'ils aient été interpellés par une documentation écrite « provocatrice » ni que soit décelable une pression extérieure identifiable, sans engagement public - qu'il soit sacré ou profane (au contraire, les premiers pratiquants du genre furent souvent des exilés), des individus, sans antécédents familiaux remarquables, s'attachèrent à examiner certains événements du passé dans une perspective critique chère encore aux yeux d'un Leopold von Ranke, qui voulait retracer la manière dont le passé s'était réellement déroulé (« bloss zeige:h, wie es eigentlich gewesen »). Individualistes, plutôt soucieux de leur responsabilité nouvelle, fort jaloux de leur liberté de parole, s'adressant d'abord exclusivement à un public d'adultes -l'histoire n'entra timidement dans le système éducatif qu'avec la Renaissance, ces curieux hommes s'attachèrent à examiner et exposer à des mortels, leurs contemporains, en prose, un «passé» donné, dans le seul but d'en faire surgir la «Vérité», une vérité 1. Cf.
supra, p.
9-20.
Les Grecs à la reconquête de leur passé
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concurrente, d'une nature tout autre que celle véhiculée jusque-là par le mythe - celle que voulaient bien communiquer au poète les Muses, comme le laisse clairement entendre déjà Hécatée de Milet : «ce que j'écris est ce que je considère comme vrai, car les récits des Grecs sont nombreux et, à mon sens, pleins d'invraisemblances» (Héc. l F l ]). Et Hérodote tient à plusieurs reprises des propos similaires : «je me sens tenu de rapporter tout ce que l'on me raconte, mais certainement pas d'y croire, et cette remarque vaut pour l'ensemble de mon exposé>> (Hér. VII 152). Thucydide n'est guère moins explicite : «en ce domaine Oes temps anciens), il est bien difficile de croire tous les indices comme ils viennent, car les gens, s'agit-il même de leur pays, n'en acceptent pas moins sans examen les traditions que l'on se transmet sur le passé» (Thuc. I 20). En dernière analyse, comme l'a souligné A Momigliano, il n'est qu'une autre nation hormis la grecque pour avoir élaboré une historiographie sans doute comparable au moins par certains côtés : ce sont les Hébreux d'après l'Exil. Or, Hébreux et Grecs de l'Est 1 ont développé quelques-unes de leurs caractéristiques culturelles les plus notables sur les franges méditerranéennes de l'empire perse. Certains chercheurs se sont donc demandé si l'une et l'autre nations n'avaient pas été influencées par ce monde perse, soit par le biais d'une historiographie perse perdue, soit encore par d'autres traditions littéraires qui se seraient développées à l'intérieur de l'empire. Les Perses rédigèrent certainement, en langue perse ou araméenne, des chroniques royales, à la manière de leurs prédécesseurs les Babyloniens et, encore avant eux, les Assyriens. Mais cette pratique (Res Gestae) disparut sans laisser de trace en même temps que les Achéménides, tandis que la célèbre inscription de Béhistoun, aussi grandes et prometteuses que puissent être ses qualités informatives, est peu susceptible d'avoir fait école 2 • Rien de tout cela n'augure vraiment de la démarche historiographique grecque. ll n'empêche qu'Hébreux et Grecs de l'Est développèrent, les uns et les autres, dans le cadre de l'empire perse, une historiographie propre peut-être dès la fm du VI' siècle. Et, fait sans doute plus notable, si les premiers travaux grecs ne se nourrissaient pas d'une documentation héritée des Perses, ils n'en accordent pas moins une place de choix à la géographie des territoires sous contrôle perse et aux Perses eux-mêmes. Du côté juif, outre le Livre des Rois hérité d'avant l'Exil, les Livres d'Esdras et de Néhémie (et dans une mesure moins nette, ceux de Daniel, Judith et Esther) sont davantage indissociables du monde perse achéménide. Dans un cas comme dans l'autre, en quoi a bien pu consister dès lors l'apport perse? 1. En général, car si Hérodote écrit en ionien, il est originaire d'Halicarnasse, qui faisait partie de l'Hexapole dorienne et qui passait pour une fondation de Trézène (cf. Hér. VIT 99). 2. Cf. irifra, p. 545-555.
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ll semble que, surtout du côté hébreu, un peuple amené à vivre une domination achéménide ininterrompue depuis Cyrus, l'influence se fit plutôt sentir à travers certaines des pratiques administratives perses (documents légaux), qui rendraient compte du recours aux citations, rares du côté grec, lequel connaît pour sa part, il est vrai, des phases de relative indépendance dès avant la révolte d'Ionie en c.499 (cf. Milet 1). Du côté grec en revanche, on détecterait certaines traditions littéraires perses autres que l'historiographie, à savoir le genre autobiographique qui caractérisa maints textes grecs jusqu'à Thucydide. Enfin, d'un côté comme de l'autre, filtrerait le goût des Perses pour le romanesque, les« histoires». Et, de fait, comment ne pas songer au récit que donne Hérodote de la révolte d'Ionie (Hér. V-VI)? Là n'est pas tout. Côté hébreu, dès le Livre des Rois, on est en présence d'une œuvre littéraire mettant en scène l'ensemble de la nation juive dans sa relation à son dieu Yahvé. Côté grec, les premiers essais dans ce genre littéraire nouveau paraissent bien avoir été consacrés non à d'hypothétiques chroniques locales dont rien n'atteste vraiment l'existence, mais à des événements historiques majeurs, affectant là aussi les forces vives de la nation grecque :la montée, retentissante à partir du milieu du vr siècle (et perçue très tôt par Sparte), de la menace perse qui culmina non seulement dans les deux guerres médiques consécutives à l'écrasement de la révolte d'Ionie, mais encore dans l'épuisante guerre du Péloponnèse. Dans un cas comme dans l'autre, ces œuvres trahissent une rupture avec toutes les pratiques orientales connues jusque-là, qui privilégiaient des récits axés autour de figures royales ou héroïques. Ici et là, on assisterait donc plutôt des manifestations liées à un réflexe anti-perse; on aurait à voir l'attitude de deux populations qui, entre le vr et le IV' siècle, réorganisèrent leur vie communautaire en réaction au monde environnant, lequel se concrétise en un immense empire perse qui, contre toute attente, au lieu de les engloutir, les aurait aidées sur la voie de la réalisation« nationale» (reconstruction du Temple après l'édit de Cyrus de 538 d'une part, expulsion des tyrans d'Ionie de l'autre). On notera cependant que cette analyse attrayante conduit peut-être à créditer trop directement les Perses - par ailleurs plutôt « libéraux » de fait jusque Darius 2 - de la naissance par réaction des historiographies grecque et juive. On peut se demander si l'on n'est pas plutôt d'abord en présence de deux « peuples » qui ont vu ou cru voir leur existence menacée à des moments différents. Les Juifs n'ont pu échapper à ce sentiment avec les déportations assyro-babyloniennes répétées à partir de Tiglatphalazar III (744-727), en 734, et surtout sous Nabuchodonosor, entre 597 et 582. Les 1. Cf. infra, p. 552-553. 2. Cf. infra, p. 545-551.
us Grecs à la reconquête de leur passé
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Grecs d'Asie l'éprouvèrent à leur tour avec, entre 546/5 et 494/3, la conquête perse qui apparut comme inéluctable ~a chute brutale du toutpuissant Crésus, les succès poliorcétiques d'Harpage, la campagne de Scythie et la réduction de la révolte d'Ionie, préfigurant les guerres médiques) et comme devant mettre un terme à leur mode de vie dans ce qu'il avait de plus cher à leurs yeux. Ce serait dès lors plutôt un choc psychologique majeur qu'il conviendrait de considérer : la« Captivité de Babylone>> d'un côté, de l'autre une «révolte d'Ionie» durement matée et son cortège d'exilés qui prirent, comme Hérodote encore, le chemin de la Grande Grèce et de la Sicile (où la démarche historique demeura là aussi longtemps à l'honneur). Ce choc émotif aurait conduit Juifs et Grecs (de l'Est d'abord) à franchir une étape intellectuelle essentielle, sorte de « retour sur soi» 1, qu'est la prise en compte de la réalité historique contraignante considérée comme la seule manière d'« échapper au sort», à la Moira («Destin»), les Juifs dès le retour d'Exil - autorisé, de fait, par Cyrus, les Grecs au lendemain de la révolte d'Ionie dirigée contre les Perses. Ce n'est pas ici le lieu pour entreprendre une mise en parallèle des historiographies grecque et juive, d'ailleurs différentes par bien des points, ce qui laisse sans doute percer les limites du rapprochement. On retiendra néanmoins que, si l'Histoire ne devint jamais pour les Grecs à proprement parler une «philosophie de vie», la démarche d'investigation, qui fut la sienne dès les premiers temps, familiarisa les Grecs cultivés avec le doute systématique qui caractérisa aussi toute la Première Sophistique et qui devint le fondement de la pensée scientifique. Par contre, pour les Hébreux, l'Histoire reposa sur la sauvegarde d'une tradition vraie, perçue comme une obligation religieuse, car, chez ces derniers, Histoire et Religion furent vite à jamais indissociables. Mais la différence majeure entre ces deux historiographies reste assurément que, si la grecque demeura vivante malgré ou, en définitive, plutôt « grâce » aux Sophistes opérant dans une Athènes démocratique (mobilité sociale et politique, remise en cause) régie par le Nomos humain - et donc relatif sinon perfectible, la juive s'interrompit dès le Il' siècle de notre ère jusqu'à la Renaissance italienne, ayant la sensation d'être parvenue à la version parfaite, la Loi divine transcendante, la Torah, autorisant tout au plus des commentaires. On suggérera une ultime observation. Les partisans d'une naissance beaucoup plus tardive de la démarche historique ont fait de Hegel
1. On n'entrera pas ici dans le débat sans solution de l'> du Xll' siècle en regard d'une mise en place du Panionion que certains situeraient volontiers déjà vers la même époque ; cf. supra, p. 146-154 et 201-203.
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Culture traditionnelle et révolution intellectuelle
(1770-1831) son véritable initiateur 1• n serait hors de propos d'entrer dans ce débat 2• Par contre, ce paraît bien être l'irruption fracassante de Napoléon aux portes de Berlin (bataille d'Iéna, en octobre 1806) qui secoua de façon décisive - comme d'autres intellectuels allemands du reste (tel J.G. Fichte) -le professeur de philosophie à l'université d'Iéna qu'il était depuis 1801 : ces événements bouleversants auraient éveillé en lui « le sens profond du devenir humain », un peu à la manière dont les irruptions perses agirent sur les Grecs de l'Est au tournant des Vl'-V' siècles.
1. On rappellera que, selon lui (Leçons sur la Philosophie de l'Histrire, lntr. p. 27), >, des propos que l'on confrontera à ce qui a été dit de la pensée mythique, cette autre entreprise > ; cf. supra, p. 9-43 et 339-345. 2. ll surgit dès lors que l'on refuse de considérer les mutations successives que connut assurément l'Histoire depuis Hérodote ... et que l'on reste atraché, par le poids de la tradition historiographique, à l'idée que la> dès la seconde moitié du VI' siècle. Quant aux Perses, ils étaient eux aussi composés de divers groupes dont celui de Fars (= Parsa) qui, à partir du milieu du VI' siècle, fit mieux que résister à l'absorption par les Mèdes d'Astyage sous Cyrus II le Grand qui se rendit maître de Babylone en 539. Le cœur de la Perse paraît avoir été le centre d'Anshan (Tepe Malyân) et les Perses achéménides n'émergèrent pour de bon sur la scène politique qu'avec le grand stratège Cyrus II dont les activités restent mal connues dans le détail malgré les propos précieux d'Hérodote. Monté sur le trône en 559, fort de l'ascendant acquis sur les tribus perses semi-nomades, en c.550, il résista avec succès aux Mèdes dont il investit même la capitale Ecbatane. Après avoir fondé Pasargades avec sa forêt de colonnes et son « paradis » (terrain de chasse), il franchit l'Halys et s'empara par surprise, en 546, de la Lydie du puissant et riche Crésus (Hér. I 71 sqq.), ce qui ne manqua pas de faire la plus forte impression sur l'ensemble des Grecs. Le Perse s'attaqua ensuite (avec l'aide d'Harpage) non seulement aux Cités éoliennes et ioniennes favorables à Crésus mais aussi à un grand nombre de terroirs orientaux entre 546 et 540. En c.539/8, ce fut le tour de la Babylonie du Chaldéen Nabonide désormais isolé. Du même coup, il libérait les Juifs en captivité. Ayant confié à son fils Cambyse II le soin d'accomplir les rites babyloniens, il mit la main alors sur la bande côtière de Syro-Palestine, si stratégique avec les centres portuaires de Tyr, Sidon, Byblos et Arados et leurs précieuses flottes ~eur rôle majeur dans le dispositif militaire perse explique le traitement unique dont firent l'objet ces petits royaumes phéniciens). Cyrus devait cependant trouver la mort au combat en c.530, à l'Est de la Caspienne, chez les Massagètes. Ne subsistait plus que la seule Égypte comme grande puissance du Proche-Orient qui avait échappé à un vaste empire perse réparti- au moins depuis Cambyse II (c.530-523)- en sans doute 23 ensembles géographiques fondés sur des considérations ethniques. Le règne de Cambyse reste confus. En c.526/ 5, après sa victoire de Péluse, il fut en mesure d'envahir l'Égypte du successeur d'Amasis, Psammétique III. L'opération se fit non sans peine ni sans de nombreuses destructions, d'autant que ce dernier avait trouvé une aide efficace dans des mercenaires grecs et cariens. Cambyse se fit pharaon (XXVII" D.) et intervint dans la restauration de certains cultes. li perdit une armée entière dans une
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expédition contre l'oasis de Siwa (Libye) mais prolongea ses efforts en direction de la Cyrénaïque et de la Nubie (Kush). li devait trouver la mort sur le chemin du retour. Hérodote décrit l'homme comme un fou, mais on le suivra avec peine, car pareil jugement est sans doute né des bruits à relent xénophobe répandus par les sanctuaires égyptiens, principaux propriétaires terriens, contraints à verser des contributions aux conquérants. Mais, par ailleurs, les présences grecque, phénicienne et carienne en Égypte ont pu contribuer à resserrer encore les liens entre l'Égypte et les patries respectives de ces étrangers 1• L'héritage au départ très convoité de Darius rer (522-486) constituait donc un ensemble fort hétérogène tant du point de vue géographique qu'ethnique et donc culturel (dans ses dimensions juridique, linguistique, graphique) que son ampleur même rendait malaisé à maîtriser et à mobiliser. L'Empire était bordé par la Caspienne et l'Iaxarte (Syr-Daria) au NordEst, le Caucase et la mer Noire au Nord-Ouest, la Méditerranée y compris l'Égypte à l'Ouest, la plaine de l'Indus au Sud-Est. Choisi au sein des grandes familles perses, le souverain achéménide ne fut jamais un souverain absolu dans la mesure où la fidélité de ces dernières restait une nécessité absolue dont les titres de « Roi des Rois » ou « Grand Roi » témoignent. Le fondateur de la puissance perse, Cyrus II le Grand, était convaincu d'être au-dessus de la condition humaine par sa naissance et d'être, de ce fait, destiné à devenir le maître du monde. Pour les Perses, en effet, quel qu'ait été l'impact réel des mages mèdes d'alors ou de la réforme de Zarathoustra (Khorasan, avant c.600), il était certain que la domination sur les peuples soumis leur avait été donnée par Ahura-Mazda: le Roi des Rois était l'instrument choisi par cette divinité indo-iranienne céleste, sage et pofymathe - qui escamote malle panthéon indo-iranien primitif- pour que s'accomplisse le destin de l'humanité («par la volonté d'Ahura-Mazda »). Le souverain était perçu comme son représentant sur terre et tout un cérémonial aulique - auquel prenait part une cour nombreuse et dont faisait partie la prosi9Jnèse mal interprétée par les Grecs 2 sacralisait ce statut. Quant à l'ascendant sur les peuples soumis mais qui ne partageaient pas l'idéologie perse, il s'opérait par le biais de rapports personnels de ces peuples au souverain, rapports fondés sur le respect de leurs propres traditions, comme cela se faisait déjà par le passé dans le cadre des précédents empires mésopotamiens. C'est ainsi que le Roi des Rois était 1. Cf. supra, p. 301-307. 2. Afm de marquer son respect à l'égard du pouvoir charismatique du Roi, tout individu nris en présence de ce dernier s'inclinait, devant lui, plus ou moins profondément selon sa qualité tout en plaçant la main droite à la hauteur de la bouche.
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aussi« pharaon» pour les Égyptiens (ainsi déjà Cambyse) où l'« élu de Mardouk» en Babylonie. Ce type d'organisation explique au moins pour une part les nombreuses révoltes régionales auxquelles fut confronté chaque souverain perse au début de son règne. A l'arrivée de Darius, les soulèvements à mater furent à ce point nombreux que, déjà pour cela, on attribue parfois à ce roi la « recréation » de l'Empire perse. Dans ces conditions, la cohésion relative d'un ensemble aussi hétéroclite ne pouvait guère reposer que sur la mise en place d'une administration centralisée, transcendant cette mosaïque humaine issue de batailles et à même de réunir des revenus convertibles en puissance pour le Grand Roi. Issu d'une branche collatérale des Achéménides à la mort de Cambyse, Darius s'imposa donc au terme d'une grave crise successorale (c.523-521) qui déchira l'Empire et dont témoigna une longue série de soulèvements. On voit parfois dans ces événements une tentative des Mèdes de renverser en leur faveur les rapports de force Mèdes-Perses et des arrière-plans religieux, économiques et sociaux. Quoi qu'il en soit, ce fut au départ la ténébreuse affaire du populaire mage mède Bardiya, usurpateur ayant pris la place du frère assassiné de Cambyse, Gaumata (gr. Smerdis), tué en 522. Dans l'adversité, Darius fit montre de réelles qualités de commandement. Sa politique fut tout en contraste avec les pratiques assyro-babyloniennes antérieures, en accord avec la vision perse de la société mais sans doute aussi en partie guidée par le réalisme politique. Le nouveau roi s'inspira de certaines expériences iranienne, assyrienne, babylonienne et égyptienne tout en restant par ailleurs fidèle à cette remarquable tolérance religieuse que les Perses avaient manifestée dès Cyrus envers les peuples soumis. Cette attitude est patente pour les juifs mais on n'a aucune raison d'imaginer qu'il en alla autrement pour les Grecs. Darius dota son domaine aussi vaste que disparate d'une organisation administrative (trésoriers de divers niveaux, scribes) élaborée, active en de multiples domaines, et qui. restera en gros celle-là même dont héritera Alexandre et que perpétueront les royaumes hellénistiques qui viendront à sa suite. L'axe directeur de la « réforme » (c.518 ?) - qu'il faut se garder de surinterpréter en fonction d'une vision économique trop moderne même si elle eut des retombées positives en termes de prospérité- consista à segmenter l'Empire en une vingtaine de nomoi («districts») fiscaux, souvent difficiles à distinguer de ces provinces ethniquement homogènes (et héritées de Cyrus?) qu'étaient les satrapies. Ces dernières étaient coiffées par une aristocratie perse attachée à la personne royale, souvent par des liens familiaux, les satrapes (sc1a8rapiivan, « protecteur de la royauté» ou« protecteur du royaume»), nommés et révoqués par le Grand Roi et entourés d'une cour à l'image de la sienne. Les communications à l'intérieur de l'Empire furent améliorées - il existait déjà un réseau routier en Anatolie - par la mise en place de nouveaux circuits gardés et dotés de
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relais, qu'utilisaient notamment les messagers royaux (ainsi la Route Royale reliant Ephèse à Suse). Un canal entrepris par Néchao fut creusé entre Boubastis, sur la branche Pélusiaque du Nil, et la mer Rouge. Au cours du V' siècle, les satrapes prirent une envergure qu'ils n'avaient pas au départ ~es agissements d'un Oroitès restent isolés) :épiés par des agents du pouvoir central ~es «yeux du Roi» et les «oreilles du Roi»), observés par une noblesse perse sourcilleuse, implantée sur des domaines de grandeurs variables, créés pour elle dans les territoires où les satrapes étaient en fonction, ces derniers étaient, le plus souvent, responsables de la seule perception d'un tribut royal ~ongtemps sous forme de produits naturels) dont ils n'avaient pas la garde : ce rôle était en effet rempli, à Suse, par un fidèle du roi, le responsable de la garde royale (une part des 10 000 «Immortels))), le« chef des Mille)) ~e chiliarque des Grecs). Cette perception elle-même paraît être demeurée quelque peu anarchique jusqu'à la reprise en main opérée par Darius ~es dariques statères d'or-« mesure royale)) équivalant à un demi-statère phocéen et signe de prestige et de luxe, remplaçant à partir de 515/510 les créséidesn'introduisent pas pour autant une véritable économie monétaire). Et ces satrapes n'étaient pas davantage à la tête des troupes étrangères permanentes stationnées dans leurs provinces : ces dernières, regroupées en garnisons (!Jatru) dotées de terres, dépendaient directement d'officiers royaux. Malgré la tentation, mieux vaut sans doute éviter le recours au vocabulaire institutionnel médiéval pour qualifier cette situation. De même, mieux vaut ne pas créditer Darius d'un trop grand rôle législatif en dehors de « décrets )) royaux souvent à dimensions fmancières et à retombées économiques (attention portée à l'agriculture, à l'irrigation, à une meilleure connaissance des confins de l'empire avec Scylax de Caryanda). ll existait des subdivisions à l'intérieur des satrapies, dotées de responsables, mais l'information disponible à leur sujet, trop incomplète, permet tout au plus d'en déceler le caractère peu systématique. Sans doute, dans la mesure du possible, devaient-elles épouser chaque fois la réalité locale : dans le cas des Cités grecques d'Asie occidentale ou dans celui des principautés phéniciennes, sans doute les rouages civiques furent-ils adaptés à cette intégration dans l'entité politique perse. On admet d'ordinaire qu'en organisant leur Empire (qui n'est guère perçu qu'à travers sa façade occidentale, située loin de son centre de gravité), les Achéménides ont fourni une contribution substantielle à la tradition universelle de l'État, qui n'a pas échappé aux Grecs et dont des prolongements sont perceptibles jusque dans l'Orient médiéval. Cette édification se manifesta aussi - à côté de la dimension religieuse et de l'adoption d'une langue officielle, l'araméen - par l'élaboration d'un art officiel singulier impliquant la plastique, l'orfèvrerie, la métallurgie, l'architecture funéraire et palatiale (Porte de toutes les N arions, Salle des audiences
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appelée Apadana et Salle du trône dite salle des Cent Colonnes) et exprimant une idéologie royale qui synthétisait la pensée religieuse. Cet art fut fédérateur des excellences régionales, expression d'une vision artistique propre même si elle était composite dans les moyens utilisés, fédérateur aussi des courants antérieurs, qu'ils soient assyriens, élamites, ourartéens ou, parfois aussi, grecs, surtout dans la taille de la pierre (architecture et sculpture) et dans l'emploi de divers motifs décoratifs 1• Reste qu'en l'absence d'une véritable littérature, il n'est pas possible de saisir l'essence d'une civilisation perse qui par ailleurs retint beaucoup l'attention des Grecs. On est en droit de regretter qu'un tel outil d'analyse fasse défaut, mais on ne peut oublier qu'une « culture intellectuelle désintéressée s'exprimant dans une littérature » 2 constitue peut-être la plus grande singularité de la grécité (surtout il est vrai à partir du V' siècle) et qu'il est dès lors vain de l'attendre avant et en dehors de cette dernière. De ce point de vue, l'Orient achéménide demeure intellectuellement «pré-historique>>. Ainsi l'art perse officiel, avec la figure royale omniprésente, visait-il à exprimer la permanence globale, synonyme de stabilité (Pax Persica), et non ce changement historique caractéristique d'une Grèce où les circonstances paraissaient interdire l'immobilité et où, en tout cas, la créativité individuelle fut très tôt de mise. Quant à la Grèce précisément, son influence artistique se fit nettement sentir à partir de c.550, tant en Lycie (tombeaux) qu'en Carie et, bien sûr, à Chypre où l'on ne peut exclure un renforcement de l'ancien élément grec mycénien par de nouvelles arrivées de Grecs encore à cette époque. Pour les Grecs d'avant 480, en dépit des grandes qualités dont on créditait souvent l'armée hoplitique, la victoire perse (comme la victoire assyrienne auparavant) apparut longtemps inéluctable en cas de confrontation, en quelque sorte inscrite dans leur destin (moira). Sans doute est-ce dans ce défaitisme assez marqué qu'il faut chercher l'origine du« médisme >>affiché par un oracle de Delphes soucieux de préserver, sinon conforter, le crédit de sa mantique. Pourtant, cette invincibilité des Perses était toute relative comme le prouvèrent clairement les Scythes d'Europe, vers 513, en tenant Darius en échec grâce à leur grande mobilité alliée à l'absence de centres urbains à défendre et à la redoutable dextérité de leurs archers à cheval. En ces circonstances, ces barbares firent preuve d'une solidarité remarquable (que les Grecs divisés n'imitèrent pas au plus fort de la menace perse) dans 1. On notera cependant que pareil processus s'affirmait déjà en partie dans l'empire néo-babylonien. 2. Éd. Will, [78], p. 35.
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ce qui constituait peut-être pour le Grand Roi une opération visant à établir un glacis protecteur sur le flanc Nord de son domaine- une entreprise en tout cas où les Grecs de l'Est prirent, comme en d'autres circonstances, une part active à ses côtés. Mais, avant de subir chez les Scythes ces revers difficiles à évaluer, les Perses avaient grignoté peu à peu plusieurs domaines coloniaux que les Grecs s'étaient acquis parfois depuis des siècles. Ainsi, sous Darius, la Cyrénaïque fut-elle incorporée à la satrapie d'Aryandès qui recouvrait jusque-là l'Égypte - dont Naucratis, soumise par Cambyse en 525. Elle fournit ainsi des troupes qui furent alignées contre les Grecs au moment de la révolte d'Ionie (mais elle se souleva en 486, à la mort de Darius). En réalité, ces succès perses saisissants (notamment en Inde, qui fut envahie entre 518 et 513) s'expliquent par une nette supériorité militaire tant dans le domaine de la poliorcétique - qu'illustrent les fouilles de Paphos prise en c.498 (cf. Smyrne face aux Lydiens)- que sur le plan de la stratégie, de la variété des corps alignés (troupes spécialisées du génie) et même de la mentalité à l'égard des vaincus potentiels. Sur la façade occidentale de l'Empire en particulier, les forces mobilisables par les Perses étaient considérables, sans aucun rapport avec ce qui s'était vu auparavant dans le monde antique. Elles étaient constituées de troupes permanentes ~es 10 000 « Immortels )) auxquels venaient s'adjoindre quelque 10 000 cavaliers) que pouvaient venir grossir, de façon sensible, des levées ponctuelles opérées chez les peuples de l'Empire. Les Perses disposaient ainsi, d'une part, des célèbres marines phénicienne, égyptienne, chypriote, grecque de l'Est et, d'autre part, de troupes terrestres disparates. Parmi les douze Cités ioniennes (Dodécapole), Milet fut toujours la plus ombrageuse, la plus jalouse de son autonomie et de son autarcie et, comme jadis face à la Lydie, elle fit longtemps figure de foyer de résistance. Avec les Perses, les Grecs d'Asie - qui cultivaient un idéal certain de liberté se retrouvaient, après une guerre de conquête souvent destructrice, diminués numériquement, perturbés par la disparition du partenaire lydien (dont la capitale, Sardes, était plus proche que Suse pour les effets en retour) et confrontés à un pouvoir de nature autocratique auquel ils restaient irréductiblement étrangers malgré son libéralisme. Mais l'idéologie n'explique pas tout et d'ailleurs les Perses trouvèrent des tyrans (une pratique du pouvoir alors sur le point de passer de mode sur les rives de l'Égée mais qu'ils favorisèrent) prêts à lier leur sort au Perse en coopérant (quelques individualités se mirent également à son service, des gens que l'aventure ne rebutait pas : médecins, ingénieurs, marins, carriers). ll est vrai aussi qu'une Cité comme Milet (foyer d'une pensée rationnelle, aux origines peu claires, privilégiant la théorie sur l'observation, et alors illustrée par Thalès) disposait d'accords particuliers avec les Perses et d'un véritable empire maritime resté à l'abri de la convoitise lydienne. C'est pourtant Milet qui fut à la source de la
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révolte (499-494) d'une Ionie dont Thalès propose l'union politique et ce fut ce geste des Milésiens qui, de l'avis d'Hérodote, fut la cause immédiate des guerres médiques (490-479), où il fut donné à Athènes de se tailler une réputation éternelle de championne de l'Hellénisme et de prendre l'option d'un avenir sur mer qui, aux yeux de Thucydide, entraîna la terrible guerre du Péloponnèse. En fait, ce patriotisme milésien, sans se réduire pour autant à une simple couverture, s'est peut-être nourri de considérations d'ordre plus mercantile, où jouaient des appréhensions quant aux conséquences de cette progression soudaine des Perses (hier encore nomades) en Asie et des modifications intervenues indépendamment un peu partout en Méditerranée orientale mais aussi en Grèce : le mercenariat avait perdu plusieurs de ses débouchés et la céramique attique s'était imposée partout dès les années 550. En effet, depuis 512, Darius avait étendu son emprise au-delà de la Propontide (Marmara), en Europe orientale, au point de transformer le PontEuxin (mer Noire) en« lac perse». De plus, il manifesta alors sa volonté de faire occuper la Thrace jusqu'à la Macédoine par son fidèle Mégabaze (Hér. V 143 sqq.). Ces opérations militaires et l'occupation du terrain qui s'ensuivait avaient placé l'ensemble des colonies grecques installées sur les rivages du Pont-Euxin dans une position difficile, puisqu'elles étaient sinon coupées de leur métropole du moins sous contrôle perse. Or Milet était sans conteste la Cité qui avait les plus gros intérêts dans ces régions septentrionales: elle ramenait de la mer Noire du blé, des esclaves sans doute et toutes sortes de matières premières en échange de sa production textile et de divers objets manufacturés ~e blé du Pont-Euxin dut d'ailleurs être aussi une sinon la raison de l'implantation athénienne à Sigée et à Éléonte, ce qui expliquerait la solidarité athénienne recherchée par Milet). De plus, ce n'était pas la première fois que Milet voyait ainsi ses intérêts passer sous contrôle perse puisque Cambyse, en 525, avait déjà soumis l'Égypte (malgré le soutien de Samos) où se trouvait l'importante place commerciale de Naucratis également dominée par Milet et qui montrait depuis lors des signes de récession. Cela dit, il demeure dangereux de projeter des schémas d'analyse économique actuels sur un passé où la notion d'économie n'était pas encore perçue et prise en compte comme telle. Ce fut d'ailleurs au tyran Histiée de Milet que Darius dut son salut au terme de son aventureuse équipée scythe. Il n'empêche que certains Ioniens du continent (Phocée, Téos) ont alors préféré abandonner leur terroir et fuir vers l'Ouest. Et si l'Ionie demeura toujours un pays prospère, les principautés phéniciennes commercialement très actives étaient désormais intégrées aux circuits perses alors que la principale partenaire de Milet en Occident, Sybaris, avait été détruite en c.51110. De plus, la mise en place en Thrace d'une satrapie perse de plus en plus prospère - et d'un royaume de Macédoine fortifié par son « médisme >> -
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modifia aussi longtemps qu'elle subsista certains circuits économiques. Enfm, pour d'autres motifs encore, ces années furent celles qui virent aussi se produire une migration notable - à laquelle prirent part nombre d'intellectuels - en direction de l'Occident méditerranéen. Les Grecs - ceux de l'Est en particulier - durent ressentir tous ces changements comme autant de facteurs négatifs. C'est dans la foulée d'une stasis qui déchirait les Naxiens et dont espérait tirer profit le tyran milésien Aristagoras qu'un soulèvement antiperse éclata en 499 dans une Milet encore très riche. Rapidement, semble-t-il, la révolte fit tache d'huile et s'étendit à l'ensemble de l'Ionie. Aristagoras, gendre d'Histiée, renonça alors à la tyrannie et établit l'isonomie 1• Hérodote donne des faits une relation détaillée et très défavorable aux Ioniens. Sans doute était-ce pour l'historien une façon de leur reprocher une trop évidente soumission aux Lydiens d'abord, aux Perses ensuite, peut-être aussi leur échec fmal dans un monde de « battants » (dominé par des préoccupations agonistiques). Quoi qu'il en soit, les insurgés s'unirent au Panionion, leur sanctuaire fédéral installé au cap Mycale, et, sans projet précis ni moyens réels, sollicitèrent l'aide des Grecs du continent. Sparte, confrontée à sa vieille rivale péloponnésienne Argos, refusa d'intervenir. En fin de compte, seules répondirent à l'appel Érétrie (pour les motifs liés à la «guerre lélantine ))~ et Athènes, qui étrennait alors le régime clisthénien. L'appui militaire apyorté demeura très modeste du fait, lit-on le plus souvent, de la menace d'Egine. Mais un geste de soutien fut néanmoins posé par crainte d'un retour d'Hippias appuyé par le Grand Roi, peut-être aussi au nom d'une solidarité hellénique en regard des menaces perses sur le Pont-Euxin et de vénérables racines ioniennes communes. Pour le reste, à ce qu'il semble, la Grèce manifesta une profonde indifférence aux appels à l'aide des révoltés. En fait, d'évidence, l'idée ne s'est pas encore fait jour, à cette époque, d'un« ennemi héréditaire)) commun à l'ensemble des Grecs. Au tournant des VI' et V' siècles, la Grèce vit toujours au rythme des conflits régionaux, qu'illustre d'ailleurs si bien le vieil antagonisme entre Athènes et Égine ou celui d'Argos et Sparte. Le succès majeur remporté par les insurgés fut, en 498, le coup de main réussi contre Sardes, siège satrapique, qui est incendiée. Bien que les Athéniens se soient retirés aussitôt après, ce coup d'éclat fut le signal de l'une ou l'autre révolte locale sur les franges de l'Empire perse, notamment à Chypre, en Lycie et en Carie ainsi que sur le Bosphore, avec pour effet, dans ce dernier cas, que la satrapie de Thrace fut coupée de l'Empire. Mais les Perses reprirent sans peine le contrôle des centres insurgés (497 ou 496, siège de Paphos) et, après une victoire navale au large 1. Sans que l'on en sache plus, peut-être de type clisthénien?
2. Cf.
supra, p. 426-428.
L'époque de la révolte d'Ionie
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de Milet- près de l'île de Ladè (495 ou 494)- obtenue avec le concours de navires phéniciens et chypriotes, ils furent en mesure d'assiéger Milet par terre et par mer. La ville fut prise en 494 et en partie rasée, l'essentiel de sa population déportée en Basse Mésopotamie et le temple d'Apollon à Didymes fut détruit (cf. la tragédie de Phrynichos, La prise de Milet, présentée en 493/2 et condamnée). Afin de réduire les risques de nouveaux soulèvements, à l'initiative de Mardonios, Darius renonça à s'appuyer sur des tyrannies, forme de gouvernement qui semblait décidément passée de mode depuis Cyrus, confortant même une certaine autonomie civique souhaitée par les communautés grecques. Ces mesures n'empêchèrent toutefois pas un déclin économique et culturel marqué de l'Ionie au lendemain de sa reconquête.
2. LES GRECS À L'ÉPOQUE DE LA RÉVOLTE D'IONIE
SPARTE ET LE PÉLOPONNÈSE
(c.510-c.480)
Plus encore que pour Athènes qui s'est penchée ultérieurement avec ferveur sur son passé, l'information relative à la Sparte de cette époque reste très lacunaire. Hérodote est donc, en dehors de citations éparses plus tardives, la source principale sinon unique avec ses Histoires rédigées entre c.465 et 430. Et l'archéologie ne peut que très rarement compléter le tableau. La Sparte dorienne - mais qui a redécouvert son lointain passé achéen 1 - demeurait, à la fin du VI' siècle, le centre d'une civilisation florissante. Elle était fondée sur sa classe hoplitique et gérée selon le principe de l' eunomia, mais on dirait que le temps s'y est comme progressivement arrêté à l'ombre des restes ramenés de Tégée, d'Oreste, fils d'Agamemnon, le redoutable maître achéen du Péloponnèse que chantait la poésie homérique. Maîtresse du Péloponnèse, Sparte ne se transforma pas moins en État-caserne, cherchant à se prémunir de multiples menaces conjuguées : celle des soulèvements internes, celle du séparatisme messénien et celle de l'hostilité argienne née de conflits frontaliers en Thyréatide et en Cynurie, ces régions bordant les rives occidentales du golfe Argotique. Pour assurer sa sécurité, Sparte paraît s'être appliquée à mettre sur pied, sans doute par 1. Cf.
supra, p.
126-138.
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le biais d'accords bilatéraux successifs - qui n'empêchaient donc pas qu'éclatent des hostilités entre les alliés de Sparte (Corinthe et Mégare) une sorte de « confédération péloponnésienne » dont elle assumait l' hégémonie. Ce regroupement impliquait les Cités de Tégée, Mantinée, Orchomène et Élis, cette dernière étant en charge du sanctuaire d'Olympie et donc des concours panhelléniques qui s'y déroulaient tous les quatre ans. En faisait surtout partie aussi la puissante et quelque peu opportuniste Corinthe, elle aussi opposée à Argos, proche de l'Athènes pisistratique. Ces deux Cités péloponnésiennes se déchiraient en particulier pour le contrôle du sanctuaire de Zeus à Némée et des concours panhelléniques dont il était également le cadre depuis c.573. L'adhésion corinthienne entraîna, à des dates inconnues de la seconde moitié du VI' siècle, diverses Cités évoluant traditionnellement dans son orbite telles que Phlionte et Sicyone, Épidaure, Mycènes et Tirynthe. Dans ce groupe on compta bientôt aussi (encore que jamais vraiment acquise) Mégare - qui perdit une position stratégique majeure en voyant sa péraia salarninienne annexée par Athènes et ses clérouques - et Égine, surprenante de dynamisme, ennemie déterminée d'Athènes (polérnos akèryktos). Ainsi, Sparte disposait donc aussi parmi ses alliés de certaines puissances côtières navales. Le but poursuivi par les Spartiates paraît bien avoir été une quête éperdue de stabilité politique tout autour de leur terroir, voire un immobilisme à vrai dire illusoire de l'ensemble du Péloponnèse. Sans doute a-t-on là la réaction d'une société traditionnelle quelque peu effrayée par l'accélération brutale des événements que connaît la seconde moitié du VI' siècle et cherchant à suspendre le cours de l'histoire, une démarche irréaliste qui finit même par affecter les capacités de Sparte. On a dès lors un peu la sensation qu'en cette fm de VI' siècle, à partir d'une même perception «plus vive» du temps qui s'écoule et des modifications petites et grandes que sa fuite entraîne, Athènes et Sparte, les deux plus remarquables communautés grecques qui allaient, pour l'essentiel, conditionner l'histoire de Égée pendant les deux siècles suivants, prirent alors des départs dans des directions opposées : Athènes, encore puissance moyenne, se décida résolument à assumer un lendemain qu'elle ne refusait pas différent d'hier tandis que Sparte, puissance majeure sur la scène grecque, feignit d'ignorer les métamorphoses en cours et s'accrocha à un passé qui lui semblait plus familier et donc aisé à maîtriser. C'est en cette fin de VI' siècle, sous les rois Cléomène et Démarate, que la société spartiate paraît avoir adopté le profil politique et social qu'elle conservera tout au long de l'époque classique. Ses citoyens, les «Semblables )) (Homoioi), constituaient une minorité numérique sans doute bien davantage tournée vers l'exercice guerrier que «politisée)) malgré l'existence d'une Apella. En fait, l'essentiel du pouvoir paraît avoir été concentré entre les mains d'un « Conseil des Anciens )) ~a Gérousia), composé de
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28 membres, que chapeautaient plutôt en théorie - sinon peut-être dans les domaines militaire et cultuel - deux rois issus de deux familles parallèles. Dès cette époque, la gestion des intérêts de l'État spartiate était sous le contrôle d'un collège de cinq hauts magistrats « surveillants » élus avec l'accord de la Gérousia ~es éphores). Aux côtés des Homoioi évoluaient diverses catégories d'hommes libres dont les plus notables et les plus fidèles aux Spartiates étaient les Périèques, des individus regroupés en communautés locales, jouissant d'une certaine autonomie et remplissant des tâches - essentielles pour la vie de l'ensemble du terroir lacédémonien - dans le commerce, l'artisanat et l'armée. Qlant aux hilotes, véritables esclaves «publics » à la disposition de la communauté des Spartiates, ils étaient contraints en quelque sorte d'assurer les «services généraux». Leurs maîtres avaient beau les tenir en grand mépris, l'obsession d'un soulèvement nourrissait chaque jour les craintes des citoyens et les obligeait à être sans relâche sur le pied de guerre. Pour les Spartiates - ou du moins leurs responsables politiques, face à cet équilibre artificiel et très fragile dont dépendait la bonne marche de l'ensemble de leur organisation sociale et donc leur simple survie, l'immobilisme absolu semble s'être imposé comme l'unique parade, avec toutes les conséquences que pareille attitude ultra-conservatrice impliquait dans un contexte politique par ailleurs de plus en plus «fluide», qu'il s'agisse des relations désormais très denses entre Cités grecques ou des contacts entre ces Grecs et leurs puissants voisins. Mais à l'aube du v· siècle, la situation spartiate ne présentait nullement encore ce caractère anachronique qu'elle prendra de plus en plus par la suite. Au contraire, sa réputation était sans doute alors au plus haut, se nourrissant en particulier de son succès spectaculaire sur Argos en 494 1 : effaçant en quelque sorte l'affront mémorable subi à Hysiai en 669/8 2 , les Spartiates, dirigés par Cléomène, en guerre pour la possession de la fertile Cynurie, avaient opéré un carnage dans les rangs argiens à Sèpeia, près de Tirynthe. Argos, dernière grande Cité du Péloponnèse capable jusque-là de tenir tête aux Spartiates, n'avait pas été prise pour autant mais, affaiblie, diminuée par cette saignée, elle dut se résoudre un temps à l'installation d'un nouveau régime fondé sur une large participation de ses anciens esclaves, les gymnètes. Sparte, loin d'être gagnée aux Perses, étendait alors indiscutablement son influence jusqu'à Athènes : là, elle avait été jusqu'à participer en 510 à la chute du tyran persophile Hippias et, favorable à l'établissement d'une eunomia aristocratique, elle avait tenté sans succès d'établir Isagoras, l'ami des tyrans (Arist., APXX 1) contre Clisthène. Les Spartiates allèrent même jusqu'à intervenir à Samos contre 1. L'année où Milet tomba entre les mains des Perses et fut rasée. 2. Cf. supra, p. 244-247.
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Polycrate et ils entretinrent des liens d'amitié avec l'Égypte d'Amasis, les Scythes d'Europe et la Lydie de Crésus. Ils hésitèrent cependant à épauler les Scythes contre les Perses tout comme ils n'étaient pas allés à la rescousse des Cités ioniennes en première ligne face à Cyrus après la chute de la Sardes de Crésus, puis lors de la révolte d'Ionie. Sans doute ces cas de nonintervention traduisent-ils leurs incertitudes du moment malgré la puissance affichée, à moins que leur circonspection soit à expliquer par leur conviction que, de toute manière, les Perses ne seraient pas plus marins que les Lydiens. L'analyse, dans ce cas, avait omis de prendre en compte les flottes égyptiennes, phéniciennes et ... ioniennes désormais entre les mains des Perses.
L'OCCIDENT GREC DE
c.51 0 à c.480 1
C'est loin d'être le seul domaine colonial grec d'importance (cf Cyrénaïque, Pont), mais on est tributaire de l'information disponible, en l'occurrence, ici, surtout Hérodote, Thucydide et Diodore (qui exploite Timée). D'autre part, on ne peut nier que l'Occident grec connaît alors un développement remarquable que la proximité immédiate des « Barbares » colore de touches singulières. En Italie méridionale, la situation est très complexe géographiquement et ethniquement (Campanie, Lucanie, Calabre, Apulie), plus fuyante aussi. Dans cette partie du domaine colonial, des difficultés s'annoncent pour les communautés grecques qui y sont installées mais les informations sont rares et décousues, les textes peu explicites. La tranche chronologique considérée débute par la destruction en c.510 de l'opulente Sybaris par les Crotoniates qui comptaient dans leurs rangs des tenants des idées de Pythagore et qui dès lors se singularisent en imposant au début du V' siècle leur ascendant sur toute une série de Cités - encore que tout cela reste fragile, mystérieux et perdu dans la légende. Quoi qu'il en soit, les fidèles de ce sectateur mystique et oligarchisant furent bientôt chassés à la faveur de troubles politico-sociaux. Lui même se réfugia à Métaponte où il mourut, mais non son courant de pensée. Vers 480, Crotone à son tour perdit beaucoup de son lustre et toute cette région plongea en fait dans l'anarchie.
1. Pour l'Ouest italo-siciliote y compris sa géographie humaine jusqu'en c.510, cf. supra, p. 313-323.
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Pour la Sicile, vers la même époque, il semble que la répartition des zones d'influence détenues par chaque groupe ethnique ait été, pour l'essentiel, stabilisée, avec une propension à une hellénisation irradiant vers l'intérieur des terres. La situation paraît plus indécise dans la partie occidentale de l'île où s'ajoutait - sans qu'il s'ensuive pour autant des heurts directs majeurs avant celui, ponctuel, de 480 - une certaine présence phénico-punique (établissements de Motyé, Panormos/Palerme et Solonte) dictée par d'autres motivations que l'occupation de vastes territoires. Tandis que, un peu partout sur le continent grec et dans les îles de l'Égée, les tyrannies, fondées parfois dès le VII' siècle, tombaient une à une, d'autres s'établirent en Occident sur la fm du VI' siècle, pour des motifs peu clairs (on invoque parfois une lutte contre les Gamoroi, ou une menace carthaginoise). Quelles qu'aient pu être les causes qui présidèrent à l'installation de ces régimes, ces derniers furent beaucoup plus puissants que ceux du bassin oriental de la Méditerranée et présentèrent des caractères monarchomilitaires, qui, par leurs pratiques, n'étaient pas sans préfigurer les monarchies hellénistiques. Cette nouvelle vague tyrannique faisant florès en Sicile et en Grande Grèce déboucha sur un regroupement relatif des Grecs d'Occident dans des ensembles politiques transcendant le cadre traditionnel strict de la polis, un processus qui, toutefois, ne souffre guère d'être comparé à l'unité vite avortée de l'Ionie à la veille de sa révolte : la polis s'effaçait au profit d'un État territorial entre les mains d'un homme fort. Le phénomène -qui n'affecta pas seulement des communautés grecques- paraît avoir pris naissance vers 502 dans une Géla dépourvue de port, où se succédèrent Cléandros puis son frère Hippocrate qui se lança dans de vastes conquêtes et plaça les territoires ainsi acquis sous le contrôle de tyrans locaux dévoués à sa cause. Il soumit bientôt la Sicile orientale à l'exception notable de Syracuse et prit le contrôle du détroit de Messine. Mais vers 491 ou 488, il disparut, laissant derrière lui un vaste « royaume » bâti pour une bonne part avec l'aide de mercenaires indigènes. Sa politique eut des conséquences multiples à travers la figure du célèbre Gélon, fùs de Deinoménès, qui lui succéda non sans difficulté, tandis que Théron s'emparait du pouvoir à Acragas/ Agrigente avec la ferme intention, lui aussi, d'étendre son domaine. Peu après 490, Anaxilas, tyran de Rhégion, défiant Gélon, prit le contrôle du détroit et, réunissant Zancle et Rhégion en un seul État, fonda Messine, tandis qu'à Syracuse l'aristocratie des Gamoroi était balayée par une démocratie qui ne tarda guère à sombrer dans l'anarchie. Vers 485, Gélon profita des troubles pour s'emparer de la grande Cité rivale et plaça à sa tête son frère Hiéron, non sans manipuler le corps civique, ce qui fit de Syracuse l'agglomération grecque la plus populeuse de l'époque: le tyran de Géla disposait dès lors de la base navale tant attendue pour enfin asseoir son pouvoir en Sicile orientale. Le Deinoménide se retrouvait du même coup à la
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tête de ce qui devait être devenu le plus puissant État grec de l'époque et détenteur d'une flotte que les Athéniens eux-mêmes, récents vainqueurs des Perses à Marathon, ne possédaient pas encore. Sans doute Gélon et Théron, devenus très proches, lorgnaient-ils sur ce coin de Sicile sensible entre tous qu'était le détroit de Messine, mais ceux que menaçaient leurs ambitions -les tyrans Terillos d'Himère et Anaxilas de Rhégion- firent appel aux Carthaginois qui intervinrent à une date difficile à préciser (c.480). Les coalisés gréco-phéniciens furent défaits au large d'Himère par Gélon que secondait Théron. A la suite de cette victoire, Gélon obtint de Carthage une grosse indemnité qu'il utilisa pour immortaliser son succès tant en Sicile qu'à Delphes et Olympie et pour frapper ce qui constitue sans doute les plus belles pièces de toute l'Antiquité. La date de cette rencontre navale fit sans doute l'objet de manipulations dès l'Antiquité par des Siciliotes désireux de présenter l'exploit de Gélon contre le Carthaginois Hamilcar comme le parallèle le plus exact de celui accompli par les Athéniens à Salamine sur la flotte perso-phénicienne. Quant à la question d'une éventuelle intelligence entre Perses et Carthaginois, une entente dont les Grecs auraient été les victimes désignées, elle a fait l'objet de discussions sans fin, encore avivées par les débats idéologiques propres au XIX' siècle (cf. Th. Mommsen), opposant, sur ce point comme sur bien d'autres, « phénicophobes » et « phénicophiles », partisans de l'ex oriente lux et défenseurs du « miracle grec » 1• Sans doute l'essentiel, en défmitive, n'est-il pas qu'il y ait eu ou non accord contractuel entre Phénico-Puniques et Perses, mais que les Grecs l'aient cru ou même seulement craint : à tort ou à raison, pareille collusion - entre deux parties soutenues l'une et l'autre par des Phéniciens- n'apparaissait donc pas inimaginable au public grec (cf. Les Phéniciennes de Phrynichos en 476). A la suite de cette grande joute navale qui les avait opposés, Gélon et Anaxilas pactisèrent, ce qui conforta d'autant la présence grecque en Sicile orientale. La prospérité et la puissance de l'élément grec y furent bientôt consacrées avec la nette victoire d'Hiéron sur les Étrusques en 474. On peut estimer que son succès à Cumes hissa le grand État sicilien au premier rang des Cités grecques de l'époque, aux côtés des Spartiates et des Athéniens. On clôturera ce survol de la Méditerranée occidentale par un mot sur la colonie phocéenne installée à Marseille. Après une longue période de relative prospérité fondée sur le rôle qu'elle devait tenir d'intermédiaire commercial (surtout pour l'étain), elle connut une décadence subite au début 1. Pour être traitée avec quelque chance d'échapper aux débats à connotations raciales du XIX' et du début du xx· siècle, la question ne devrait pas être séparée de celle des intentions de Cambyse en Afrique du Nord et en particulier contre Carthage (Hér.III 17-19) et de la croyance plus générale des Grecs d'avant Salamine en l'invincibilité perse.
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du V' siècle, à la suite sans doute de modifications intervenues dans les circuits d'échange.
ATHÈNES ET LA RÉFORME CLISTHÉNIENNE
li faut souligner, ici comme dans bien d'autres cas, combien est pauvre l'information écrite contemporaine de cette phase pourtant capitale de l'histoire d'Athènes. On est donc dépendant, pour l'essentiel, des propos d'Hérodote et d'Aristote (ou du rédacteur de la Constitution d'Athènes). Des tensions nouvelles s'étaient donc fait jour au sein de nombreuses Cités, en particulier à la suite de divers phénomènes d'enrichissement consécutifs en partie au moins à l'exploitation des nouveaux terroirs coloniaux : souvent en regard d'une vieille aristocratie, pour l'essentiel demeurée campée sur sa traditionnelle richesse foncière, et qui s'accrochait à ses pouvoirs coutumiers, s'était dégagé peu à peu, dans bon nombre de communautés, un segment variable de la population, constitué de marchands et d'armateurs, dont l'aisance ne tenait plus tant à la jouissance de propriétés terriennes mais à une fortune mobilière (or et argent); ces derniers durent bientôt estimer avoir davantage droit au chapitre au sein de la communauté civique. Ces prétentions s'ajoutaient sans doute - pour les envenimer aux luttes intestines séculaires que devaient se livrer des clans aristocratiques n'hésitant pas à recourir à la vendetta pour faire triompher leur cause. La crise, qui avait toute chance de combiner des facettes à la fois judiciaire, sociale et économique, était donc porteuse de développements dramatiquement décisifs pour l'avenir «politique>> de communautés qui n'étaient pas encore les héritières de traditions étatiques bien enracinées et susceptibles de les éclairer sur les marches à suivre en cas de dysfonctionnement institutionnel grave. C'est ainsi qu'était venu, pour les Cités confrontées à ces tensions internes croisées, qui se développaient en leur sein, « le temps des législateurs» (que l'on songe à Dracon et Solon pour Athènes) 1• lis avaient été chargés (ou avaient pris sur eux) de rendre «publique» la «loi» (dikè). Un des procédés les plus souvent invoqués pour y parvenir aurait été la transcription, au moyen de l'alphabet, de la justice traditionnelle non écrite, jusque-là entre les mains de l'aristocratie tout comme du reste les rites civiques. A la vérité, il est probable que, si notre documentation était plus riche, elle
1. Cf.
supra, p.
487-491.
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nous permettrait d'envisager dans bien des cas un historique plus complexe impliquant plusieurs étapes. Quoi qu'il en soit, malgré les interventions de ces législateurs, les choses, la plupart du temps, ne s'étaient pas vraiment arrangées et la stasis n'avait pas disparu. Avait alors suivi «le temps des tyrans» : à Athènes, Pisistrate et son fils Hippias occupèrent ainsi le devant de la scène entre c.560 et c.510. Le plus souvent, il semble bien que, pour se maintenir au pouvoir, les tyrans procédèrent en quelque sorte à une « confiscation » du pouvoir, accaparant pour des fidèles gagnés à leur cause les magistratures clefs et exploitant à leur profit, plutôt qu'ils ne cherchèrent vraiment à y porter remède, les tensions politiques et sociales 1• Ces deux expériences politiques typiquement grecques Oégislateurs et tyrans) ne paraissent pas avoir modifié fondamentalement les données des problèmes qui menaçaient de plus en plus la concorde civique. Elles n'apportèrent en tout cas pas les solutions plus radicales que ces situations devaient réclamer. Ainsi, à Athènes, les réformes de Solon (archonte en 594/3)- quelles qu'elles aient été dans le détail - n'avaient pas, semble-t-il, réellement modifié les structures aristocratiques de la Cité avec ses 4 classes censitaires dont seule(s) la/les (deux?) première(s) - les Pentacosiomédimnes 2 (et les Hippeis, les« Cavaliers»)- avai(en)t accès au pouvoir, occupant les 9 postes d'archontes et monopolisant un Aréopage tout-puissant. Rien n'indique d'ailleurs que telles aient jamais été les intentions de Solon. Simplement, l'homme paraît avoir substitué ou avoir confirmé la substitution des vieux critères qualitatifs (naissance) favorisant les «Eupatrides» par de nouveaux critères davantage quantitatifs (revenus) 3• Athènes en particulier- mais des cas similaires ne sont pas à exclure ailleurs- restait sans doute d'abord et avant tout l'affaire des grands maîtres de la terre, et ceci quelle que soit la réalité à reconnaître au mystérieux « Conseil des Quatre-Cents » dont la tradition du IV" siècle attribue la création à Solon (cf. Arist., APXX 3), mais qui devait dès lors se recruter sur base des quatre anciennes tribus. Les deux classes censitaires inférieures, les :(eugites Oes « Laboureurs ») et les Thètes Oes moins bien pourvus des hommes libres) ne devaient guère participer à la vie 1. C( supra, p. 476-501. 2. Soit ayant un revenu de 500 médimnes de blé. A raison de 51 ,84litres par médimne, on obtient donc un revenu minimum pour les membres de cette première classe censitaire de 25 920 litres (quelque 25 m 3 de blé). 3. Peut-être est-ce à Solon que revient l'idée de préciser la place et le rôle de chacun au sein de la Cité sur base d'une évaluation nouvelle, fondée sur les revenus et la distinction opérée au sein des Eupatrides entre Pentacosiomédimnes et Hippeis, supra, p. 491-493.
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civique que« par la bande», sans doute en s'exprimant au moins dans certaines circonstances à l' Ecclèsia et en participant aux grands rituels organisés dans le cadre de leur tribu, de leur phratrie ou de la communauté civique dans son ensemble. Rien n'indique que les tyrans aient bouleversé cette organisation politique ~es réformes de Clisthène de Sicyone trahissent d'autres objectifs). Peut-être en partie déstabilisée par la perte de son riche domaine en Thrace, une privation consécutive à l'avance perse dans ce secteur, en 510, la tyrannie, devenue plus pesante déjà pour nombre d'Athéniens depuis l'assassinat d'Hipparque en c.514/3, tomba sans avoir réglé aucun des problèmes en suspens dès avant son demi-siècle d'existence. C'est donc dans un climat politique des plus tendus que l'heure d'intervenir sonna pour un grand aristocrate appartenant au puissant clan des Alcméonides. Clisthène, f:ùs de Mégaclès, avait sans doute été élu archonte à la suite d'Hippias, en c.525, sous les Pisistratides, avant de prendre la route d'un exil qui devait le conduire à Delphes, où il se couvrit de gloire en dotant de marbre, à ses propres frais, la façade du nouveau temple d'Apollon 1• Alors qu'il regagnait Athènes en 510, les luttes pour le pouvoir reprenaient au sein d'une société civique qui restait « traditionnelle » avec ses grandes « maisons » (génè) regroupées en phratries elles-mêmes distribuées entre quatre «tribus» (phylai). A ce noyau s'ajoutaient d'autres «familles », qui ne faisaient pas partie d'un génos (parce que plus récentes ?), mais qui se retrouvaient néanmoins intégrées aux phratries par le biais d'associations religieuses qui en tenaient lieu Wappartenance à une phratrie devait être d'autant plus précieuse qu'elle offrait la garantie de pouvoir ainsi prétendre à une citoyenneté légitime). Il semble qu'assez rapidement les circonstances autorisèrent les partisans de Clisthène à prendre deux séries de mesures qui jouèrent ultérieurement un rôle déterminant : un recensement des citoyens (diapséphismos) aux conséquences numériques difficiles à évaluer ~es personnes visées étaient peut-être celles qu'avaient« stabilisées» Solon et Pisistrate) et des mesures antityranniques. Les circonstances se prêtaient désormais à une sérieuse remise en cause de la manière dont étaient gérées les destinées de la Cité, dans la mesure où le gouvernement aristocratique par les Eupatrides avait montré, surtout avec la phase tyrannique, des signes de faiblesse de plus en plus perceptibles. D'une part, les artisans et les commerçants du Céramique, du Pirée ou d'ailleurs, toujours en marge du système politique traditionnel, s'étaient enrichis sous la tyrannie, ce que donne à entendre notamment la très large diffusion que connaît la céramique attique à partir des années 550. Il serait 1. L'édifice précédent avait été ravagé par un incendie en c.548 ; le nouveau temple fut bâti entre c.514/3 et c.506/5.
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sans doute excessif d'affirmer que le nombre d'individus concernés par la production et les échanges de biens manufacturés était vraiment très élevé et qu'ils voulaient le pouvoir - on ne peut même exclure qu'un certain nombre d'entre eux aient été plutôt des« métèques», mais ils avaient néanmoins acquis à différents titres (notamment à travers l'exercice de diverses «liturgies») un poids qu'il devenait impossible de négliger dans une communauté désormais profondément métamorphosée dans ses moyens de subsistance. D'autre part, au fil des années, la tyrannie avait conduit à l'exil nombre de grands propriétaires terriens tels les Alcméonides, tandis que d'autres s'étaient retranchés un demi-siècle durant dans l'Aréopage. Ce segment du corps civique, si longtemps essentiel, était donc affaibli, d'autant que les biens confisqués étaient peut-être allés aux petits paysans, principal soutien du régime tyrannique. C'est donc dans ces circonstances que Clisthène, membre à vie de l'Aréopage en sa qualité d'ancien archonte, réussit, avec l'aide de Delphes et de Sparte, à renverser Hippias et à se gagner le dèmos contre Isagoras pourtant désigné archonte pour 508/7 (cf. Hér. V 69). Sans doute la réussite de l'opération s'expliquerait-elle plus aisément en l'absence de ce «Conseil des Quatre-Cents » dont on attribue souvent la création à Solon, mais à vrai dire le détail des faits manque et empêche de se prononcer. Ces deux fortes personnalités dominaient leurs« clubs politiques» respectifs, véritables pyramides aristocratiques (hétaireiai). Cette victoire, Clisthène l'obtint en se gagnant le petit monde rural dans le cadre de ce qui a toutes les chances d'avoir été un véritable coup d'État : il aurait donné à chacun le droit de parole (isègoria) dans l'Assemblée (Ecclèsia), sans considération de naissance ni de fortune (Hér. V 66 sqq.). De communauté dirigée par des courants aristocratiques concurrents qui venaient se mesurer face à de simples témoins, la Cité d'Athènes fut transformée en une véritable société d'individus-citoyens capables de prendre de concert leur avenir en charge, conférant par là une dimension nouvelle à la notion de liberté collective. En fait, en cette fm de VI' siècle, Clisthène - et nombre de ses pairs sans doute - avait dû constater avec pragmatisme que le temps de la mainmise aristocratique coutumière n'était pas moins révolu que celui de la tyrannie. Restait dès lors pour ces Eupatrides à trouver comment jouer malgré tout un rôle «mémorable»- capable d'assurer une «immortalité>> pouvant rivaliser avec celle acquise par les héros de l'épopée - dans la communauté athénienne. La réponse pourrait se cacher dans le souci que les plus ambitieux d'entre eux manifestèrent de se faire désigner comme «guides» du Peuple des Athéniens pris désormais comme un club unique, indissociable et solidaire. Pour traduire cette volonté dans le cadre institutionnel d'un seul coup
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(ce qui n'exclut pas des aménagements secondaires ultérieurs), Clisthène - chef de ce clan à jamais « impur >> depuis le drame de Cylon, mais qui venait de rebâtir somptueusement le temple d'Apollon à Delphes- ne mit pas vraiment en place une «démocratie». En fait, un tel régime ne s'est imposé que progressivement, plus précisément au cours de la première moitié de la Pentécontaétie 1• ll n'empêche que l'Alcméonide va mettre en place ce qu'Hérodote nomme une isonomia, une « répartition égale » 2 des droits, du pouvoir, qui fut assurément le préalable indispensable à la démocratie. On ne connaît pas de modèle d'où Clisthène aurait pu tirer son inspiration sinon peut-être, et en partie seulement, pour la réforme des tribus (Clisthène, son grand-père, à Sicyone, Démonax à Cyrène, Corinthe ou Milet). Mais il ne reste pas moins hasardeux de créditer Clisthène d'un trop grand nombre d'innovations : le caractère novateur des projets clisthéniens est d'autant plus difficile à évaluer que l'organisation politique antérieure- qu'il s'agisse d'Athènes ou d'ailleurs- reste plongée dans une nuit quasi complète. On demeure donc bien en peine de préciser en quoi consista l'institutionnalisation du « coup d'État démagogique » de Clisthène. Le premier but recherché était sans doute très « politique » ~e débat existe dans la mesure où les intentions ne furent pas explicitées comme dans le cas de Solon) : puisqu'à l'avenir il n'était plus envisageable qu'une seule faction aristocratique concentrât entre ses mains tous les pouvoirs civiques, dépassant la simple tactique politique en accordant une place de choix à une «géométrie politique» et à la «raison arithmétique», Clisthène mit au point une formule institutionnelle assez révolutionnaire où, s'il était impossible aux Alcméonides de régner seuls, cela l'était tout autant pour les clans aristocratiques concurrents et pour un tyran. Comme l'a bien exprimé W. Forrest, Clisthène espérait, en libérant le dèmos des entraves aristocratiques, être à même, lui et son clan, de «promener le chien sans laisse». En fait, le nœud de la réforme politique était sans doute 3 le Conseil de l'Aréopage (il se tenait sur la «colline d'Arès», un monticule au Sud de l'Agora classique et à l'Ouest de l'Acropole). ll était l'instrument essentiel du pouvoir aristocratique, sa manifestation permanente, puisque composé de « gendemen farmers » qui n'avaient à remplir aucune autre condition. Cette « Haute Assemblée » ne réunissait que des individus recrutés dans les deux 1. Formule plus« agressive>>, dèmos = et k:ratos = ; dèmok:ratia est un terme qui fit son apparition vers 450/425 seulement chez Thucydide et dans les Suppliantes d'Eschyle. 2. Cf. isos, et némô, . 3. Le problème est compliqué du fait de l'indécision dans laquelle on reste face à la possible - mais non totalement certaine - existence d'un qu'aurait mis en place Solon, cf. supra, p. 459-463 et 487-497.
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classes censitaires supérieures du système solonien et d'anciens archontes qui en étaient aussi issus. ll convenait donc de la neutraliser, sans toutefois - c' eût été irréaliste - transférer directement ses pouvoirs à une Ecclèsia plus représentative du corps civique mais n'offrant pas la sécurité d'une «chambre de réflexion». Clisthène conçut donc une Boulè («Conseil}>) émanant de l'Ecclèsia («Assemblée») et capable de tenir la dragée haute à l'Aréopage. Elle devait donc agir, en lieu et place de l'Aréopage, comme «Conseil restreint}> chargé d'opérer ce travail législatif préparatoire et d'assurer cette «permanence>} du pouvoir étatique à laquelle ne pouvait prétendre aucune Ecclèsia. Quant à l'ancien Aréopage, son rôle se réduisit peu à peu jusqu'en 462 1, la grogne de ses membres étant sans doute atténuée par leur « reclassement >} progressif au sein de la nouvelle Boulè. Ce qui planta la graine « démocratique » dans cette nouvelle Boulè isonomique, ce fut à la fois son mode de recrutement et la prolongation de sa permanence jusqu'au plus haut niveau du pouvoir. Elle se devait d'illustrer l'ensemble des citoyens athéniens en tenant compte de leurs richesses relatives et de leurs origines familiales. On pouvait ainsi espérer qu'en son sein, les intérêts généraux, «politiques>} (au sens premier du mot, c'est-à-dire concernant une « communauté humaine >} autonome), primeraient les intérêts particuliers. n fallait donc briser une armature aristocratique séculaire, qui perpétuait une gestion sans partage par une petite frange de la communauté. Pareille opération« redistributive >}n'était pas simple à réaliser dès lors qu'en pratique, elle n'impliquait pas que des citadins installés immédiatement autour de l'Acropole. Les mesures devaient aussi intéresser plusieurs agglomérations secondaires et un grand nombre de ruraux éparpillés sur un territoire plutôt vaste 2, des gens confrontés jour après jour à l'aristocratie foncière et éloignés de cette« capitale» athénienne où devaient se réunir les organes politiques. Pour y parvenir, les structures nouvelles - qui se superposèrent aux anciennes, les vidant de l'essentiel de leur substance sans toujours les supprimer - prirent appui sur ces petites communautés rurales, distribuées en dèmes (au sens ici de «cantons, villages}>) : les dèmes furent les briques de la construction clisthénienne. Athènes et l'Attique se virent ainsi divisées en une bonne centaine de dèmes regroupant chacun un certain nombre de citoyens. De telle sorte, l'Athénien, inscrit sur le lèxiarchikon grammateion, devint citoyen d'abord par son intégration à un dème 3 • Chacune de ces unités posséda son assemblée (agora), son maire (dèmarchos), ses cultes propres et 1. Cf. Briant et al., p. 157-160. 2. L'Attique représente une superficie d'environ 2 550 km2 , soit une superficie égale à celle du grand-duché de Luxembourg. 3. A l'âge de 18 ans et cette qualité se marque par la mention d'un démotùjue à côté du nom.
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envoya chaque année une représentation à la nouvelle Boulè. Cette dernière se composa de 500 membres qui furent peut-être d'abord directement élus -comme les archontes jusqu'en 487/6- avant d'être tirés au sort sur des listes d'élus au niveau démotique. Restait que des Bouleutes travaillant et habitant à la campagne ne pouvaient siéger toute une année durant à Athènes. Entre les sessions de la Boulè, il fallait donc assurer- besoin impérieux dès lors que l'autorité civile imposait sa souveraineté - une permanence à la tête de l'État. Dès avant Solon, il existait bien (cf. Hér. V 71) des Prytanes des naucrares (sans doute une division administrative), mais leur recrutement (on se perd en conjectures sur ces hauts magistrats) devait mal cadrer avec le nouveau projet politique. Les hiatus furent dès lors comblés par l'institution des Prytanies bouleutiques : de mois en mois, des détachements d'une cinquantaine de Bouleutes se tenaient prêts à toute éventualité, garantissant la pérennité du pouvoir légal. Détail d'importance, ces contingents successifs de Prytanes étaient tirés au sort sur des bases telles que les individus ainsi sélectionnés illustraient toujours à ce niveau supérieur l'ensemble du corps civique. Pour ce faire, Clisthène paraît bien avoir engagé une réforme audacieuse des tribus (phylai). Aussi loin que remontent nos sources écrites, à l'intérieur des Cités de l'époque archaïque, la population grecque acceptée dans le cadre « politique » était 1, de tradition, répartie en trois tribus chez les Doriens, quatre chez les Ioniens, et ce dispositif servait de cadre à l'organisation militaire, politique et religieuse des communautés concernées. L'origine et l'histoire ancienne des tribus a donné lieu à bien des hypothèses, mais en pratique l'une et l'autre échappent à toute enquête en dehors d'une observation essentielle : à l'intérieur des mondes dorien et ionien, presque partout, ces tribus conservent le même nom. Pour le reste, on ne peut établir que leur rôle de « liant >> puissant dans les rouages de chaque Cité, leur caractère gentilice et leur ascendant sur les phratries, ces foyers de la citoyenneté. A Athènes comme dans le reste du monde ionien, avant la réforme de Clisthène, il y avait quatre tribus, parfois, semble-t-il, considérées par tiers (trittfes) et regroupant chacune une douzaine de naucraries. Partager l'année bouleutique en quatre « sessions » aurait eu pour conséquences, d'une part, une mobilisation des bouleutes assurant la permanence pendant des périodes trop longues et, d'autre part, une dépendance trop étroite à l'égard des cadres administratifs préexistants, encore entre les mains des grandes familles. Arguant d'un assentiment d'Apollon Pythien, Clisthène opta donc pour l'insertion dans un nouveau découpage géographique de dix nouveaux groupements ~a répartition en 12 tribus aurait, à cette époque, conduit à calquer 1. Guère très haut à vrai dire (rarement avant le VU' siècle) ; cf. supra, p. 402-424.
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un calendrier rituel d'essence aristocratique) pour lesquels fut gardée l'appellation de « tribu » et fournissant chacun 50 bouleutes. Ces 50 individus, issus d'une même tribu, constituaient ensemble le chapeau d'une réforme arcboutée sur la Boulè 1, une prytanie chargée de préparer les sessions de l'&clèsia. C'est elle qui exerçait pendant un dixième de l'année (entre 35/36 et 38/39 jours), en permanence, dans un local de l'Agora 2 , les plus hautes fonctions de l'État (entretien du foyer sacré, affaires courantes, préparation des réunions de la Boulè et de l'Assemblée, aide et surveillance des magistrats, garde des clefs du trésor ... ). L'ordre de succession des tribus à la prytanie était défmi par tirage au sort tandis que, chaque jour, était tiré au sort un épistate («président») des prytanes, véritable chef de l'État athénien pendant un jour, qui passait la nuit, avec un tiers de sa prytanie, dans le Prytaneion. On notera aussi que le système décimal fut bientôt étendu à l'ensemble des institutions: on passa de 9 à 10 archontes, à raison d'un par tribu ; l'armée, qui se confondait avec le corps civique - au départ, des hoplites à même de fournir leur équipement (ce qui exclut les thètes), fut répartie en 10 corps de troupes (taxeis), tandis que sa direction générale fut confiée à 10 stratèges. Ils devaient être élus sans condition de classe pour un an renouvelable, peutêtre à raison d'un par tribu, et ils commandaient sous la direction de l'archonte polémarque autorisé à imposer son choix lorsque les stratèges ne se départageaient pas sur la conduite à suivre. Restait cependant que la philosophie à la base des réformes réclamait un système permettant à chaque prytanie d'offrir une synthèse de l'ensemble des citoyens tout en se libérant des anciennes dépendances locales. Certains ont parlé, à propos des mesures prises en ce sens, de « second synœcisme » et le terme n'est peut-être pas déplacé si l'on accepte de rapprocher l'œuvre réformiste de Clisthène l'Alcméonide de la popularité soudaine que connut la figure héroïque de Thésée dans le décor de la céramique attique à la fm du VI' et pendant l'ensemble du V' siècle. On a vu que, pour établir le recrutement de la Boulè des Cinq-Cents, Athènes et sa chôra attique avaient été réparties en dèmes (au nombre de l 00 à 150). Ces unités de base furent regroupées en trois ensembles qui, malgré leur nom traditionnel, ne constituaient plus de véritables entités géographiques naturelles : l'intérieur (Mésogeia), la côte (Paralia) et la ville au sens large (Astu, incluant le Pirée et le Phalère). En effet, jusque-là 3, l'Attique, fort
1. Mais on ne sait au juste à partir de quand. Peut-être à placer dans le cadre des réformes d'Éphialte, cf. Briant et al., p. 15 7-160. 2. Dans le Prytanikon d'abord («bâtiment F ») -si du moins ce système de commission permanente est antérieur aux réformes d'Éphialte - puis dans la Tholos, construite vers 465-460 sur l'emplacement de cet édifice. 3. Cf. supra, p. 487-497.
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probablement distribuée en 48 naucraries, était partagée, pour l'essentiel, entre deux clans aristocratiques à fondement régional, « ceux de la plaine » et« ceux de la côte», sorte de groupes de pression contre lesquels Pisistrate, originaire des environs de Brauron, avait dû organiser un troisième bloc, «ceux de la montagne». Cette répartition par Clisthène en trois secteurs territoriaux nouveaux offrait l'opportunité d'une première fracture des vieilles relations régionales dominées par l'aristocratie foncière. A l'intérieur de chacune de ces trois grandes unités administratives furent instaurés 10 districts (trittyes) dotés de leurs cultes propres et composés d'un nombre variable de dèmes (de l à 9) souvent contigus: ce redécoupage politique était l'occasion d'une deuxième fracture dans la mesure où les regroupements des dèmes en trittyes ne reprenaient pas les limites des anciennes « zones d'influence » aristocratiques. Clisthène fut ainsi en mesure de jouer sur trois séries de 10 ensembles réunissant chacun quelques dèmes et offrant un niveau de pouvoir intermédiaire entre les dèmes et les tribus. On est dès lors mieux en mesure de saisir toute l'originalité des tribus clisthéniennes par rapport à ce qu'étaient les tribus ioniennes traditionnelles : association de trois trittyes issues respectivement d'une des trois grandes zones territoriales constituant l'Attique (côte, intérieur, ville), chacune des dix tribus nouvelles constituait, de ce fait, un microcosme de la communauté attique tout entière, sa composition s'opérant à partir d'un territoire «débité» en connaissance de cause. Aristote prétendait que ces regroupements des 30 districts en l 0 tribus dotées chacune d'un héros éponyme furent la conséquence de tirages au sort, mais de bien curieuses exceptions - comme celles observées dans la plaine de Marathon, fief des Pisistratides - invitent à la prudence. Quoi qu'il en soit, il résulte de ce brassage méthodique que chaque prytanie tirée au sort avait toute chance d'offrir un échantillon représentatif de l'ensemble du corps civique athénien et de réunir un groupe d'individus dégagé d'intérêts trop particuliers. Les anciennes structures furent conservées mais, désormais vidées de leurs implications proprement politiques, elles étaient condamnées à péricliter. Encore une fois, il serait abusif d'affirmer que Clisthène fut le fondateur de la «démocratie athénienne» classique. On sait d'ailleurs trop peu du régime politique dont il hérita en 508/7 et qu'il métamorphosa pour être en mesure d'évaluer l'œuvre réformatrice à sa juste mesure. En tout cas, les quatre classes censitaires soloniennes subsistèrent. L'Alcméonide n'a d'ailleurs sans doute jamais poursuivi un objectif aussi « extrême » que la mise en place d'un régime « démocratique » comme celui que l'on vit s'installer au« Siècle de Périclès». Peut-être même pareille perspective l'aurait-elle fait
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reculer 1• Et, détail sans doute révélateur, les démocrates athéniens euxmêmes ne l'invoquèrent jamais en ce sens, lui préférant tantôt la figure jusque-là plus discrète de Thésée, tantôt les tyrannoctones Harmodios et Aristogiton, deux aristocrates immortalisés, semble-t-il, une première fois par le sculpteur Anténor dès 509/8 (avant l'archontat d'lsagoras) dans leur geste meurtrier de 514 contre Hipparque. Cela dit, Clisthène planta de nombreux jalons sur cette voie démocratique jusqu'alors inexplorée, en un réseau très élaboré et nourri de rationalité, qui est sans égal pour l'époque. Ce régime nouveau qu'il fonda était non l' eunomia, ce « bon ordre >> cher aux Spartiates et encore prôné par Solon, mais une isonomia, sorte d'« égale répartition » approchée par le biais d'une révolution intelligente de «l'espace civique» visant à une expression communautaire globale de ce tempérament grec porté à la «convivialité». Et un glissement similaire et parallèle s'observe alors aussi avec l'effacement progressif des vénérables et aristocratiques thesmoi d'essence divine encore en faveur du temps de Solon au profit de nomoi d'essence humaine, ces règles applicables à une communauté solidaire qui les édicte pour elle-même. Toutefois, on précisera que ces réserves faites à l'égard de l'œuvre ne visent pas tant à la diminuer qu'à la mieux circonscrire : parce qu'il a brisé les monopoles détenus par les anciennes phratries aristocratiques qui sans doute assuraient le recrutement des hétairies, ce grand aristocrate doit être crédité d'une législation très audacieuse et féconde pour l'avenir humain tout entier. On peut se demander pourquoi cette réforme clisthénienne n'a pas aussitôt cristallisé une résistance plus énergique que celle menée par Isagoras et qu'appuya Cléomène de Sparte. On aurait en effet pu s'attendre à ce qu'un tel programme fùt promptement balayé par une réaction aristocratique de type oligarchique ou tyrannique. Deux éléments, estime-t-on souvent, permettent d'expliquer au moins en partie la survivance et même l'enracinement du système clisthénien au siècle suivant. Le premier fait intervenir l'intelligence dont auraient fait preuve les parties en présence. Clisthène ne dépouillait pas à proprement parler les aristocrates de leurs pouvoirs : sans doute les principaux magistrats de la Cité, les archontes, continuaient-ils à n'être recrutés- par voie électiveque dans les deux classes censitaires supérieures ; ils conservaient leurs prérogatives et c'était toujours devant l'Aréopage que ces magistrats sortant de charge devaient rendre leurs comptes. Quant au tribunal de l'Héliée, il dut rester inchangé. Ce que Clisthène paraît avoir neutralisé par transfert dans des cadres nouveaux, ce sont ces puissants leviers sans expression politique !. Mais, qu'elle ait été souhaitée ou non par lui, sans ce , la démocratie, ancrée sur la souveraineté du démos, n'aurait pu s'épanouir et vivre au moins deux siècles.
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directe mais fondés sur les solidarités régionales et les tribus, dont les aristocrates héritaient par la naissance et qu'ils commandaient. Dans le nouveau système, furent sans doute intégrés dans la communauté civique bien des individus demeurés jusque-là étrangers aux phratries (néopolitai) - peut-être ceux-là mêmes qui avaient d'abord été exclus lors du recensement consécutif à la chute d'Hippias - mais il restait toujours une place de choix pour les aristocrates : les charges demeuraient gratuites, sans doute fermées aux thètes, et elles supposaient donc au moins la possession de revenus de la part de ceux qui les briguaient. En d'autres termes, subsistaient pour les aristocrates de multiples possibilités d'étaler leur «noblesse naturelle» et de pratiquer encore une démarche agonistique. n leur était ainsi loisible de briguer, aux yeux de la communauté civique tout entière, luttant les uns contre les autres, ces hautes magistratures ... et pour ce faire il leur fallait maîtriser la magie du verbe, fruit d'une éducation (paideia) loin d'être générale puisque toujours fondée largement sur la tradition dont ils restèrent les seuls véritables détenteurs jusqu'à l'émergence de la pensée sophistique et socratique (à laquelle nombre d'entre eux d'ailleurs firent alors davantage que se frotter). Enfm, certains aristocrates comprirent que jouer le jeu clisthénien était pour eux le meilleur moyen de rentrer d'un exil périlleux ou parfois de faire oublier l'appui qu'ils avaient fourni aux tyrans. Non seulement les Athéniens purent compter sur ces Alcméonides décidés à jouer les « guides éclairés >> du peuple, mais il y eut suffisamment d'Eupatrides qui reconnurent, bon gré mal gré, que le temps de la ploutocratie terrienne appartenait désormais au passé. On a un peu l'impression que les qualités morales et intellectuelles reconnues par Thucydide aux tyrans déchus (Thuc. VI 54,5) avaient en quelque sorte fait souche chez les Athéniens. Le second élément ne serait autre que l'ostracisme. L'outil illustre une démarche politique inédite dont rendent compte, de façon spectaculaire, les fouilles de l'Agora et du Céramique. On ne sait toujours pas s'il convient d'en attribuer la paternité à Clisthène (cf. Constitution d'Athènes, XXII) ou si la procédure ne fut mise en place que peu avant sa première application (cf. Androtion) en 488/7 1• Mesure de sécurité préventive, manière d'opérer un choix entre deux politiques, son but était de protéger la souveraineté du dèmos- c'est-à-dire de l'ensemble du corps civique- contre l'empiétement d'un groupe minoritaire ou d'un individu (tyran); elle devint aussi, à la suite de dérives, une arme redoutable que certains aristocrates n'hésitèrent pas à brandir contre leurs semblables dans les luttes d'influence sans merci qu'ils se livrèrent pour occuper la première place. Chaque milieu d'année athénienne, en janvier, on consultait l'&clèsia pour savoir si elle estimait qu'une telle mesure s'imposait. En cas de réponse affirmative, l'Assemblée se 1. Le
> pose des problèmes similaires.
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réunissait à nouveau sur l'Agora où chaque citoyen déposait un ostrakon («tesson») sur lequel il gravait (ou faisait graver par un tiers) le nom de la personnalité «encombrante» qu'il désirait voir s'éloigner pour dix ans des affaires publiques (sauf rappel anticipé). Si 6 000 votes étaient réunis 1, l'individu dont le nom revenait le plus souvent dans ce vote secret devait quitter l'Attique pour dix ans. li faut insister sur le fait qu'il ne s'agissait nullement d'un jugement et que la mesure (qui ne pouvait s'appliquer qu'à un individu par an) n'était en rien infamante pour l'individu concerné - bien au contraire 2 • D'ailleurs ses biens n'étaient pas confisqués, sa famille n'était pas inquiétée et il conservait sa qualité de citoyen. Simplement, il voyait ses droits civiques suspendus pendant cette décennie. L'ostracisme apparaît donc, au travers des plus anciens exemples connus, comme une mesure purement politique destinée à « calmer » un homme qui, estimait-on, aspirait trop ouvertement au pouvoir personnel («les amis des tyrans», y compris des Perses). En fait, elle çlevint vite dans la première moitié du V' siècle un stratagème utilisé par les aristocrates contre des concurrents issus de leur propre monde. On soulignera en terminant que cette « Constitution » remarquable fut propre à Athènes et qu'au vu de l'information disponible, elle ne fut jamais représentative des démarches législatives opérées dans l'ensemble des Cités grecques : ces dernières évoluèrent le plus souvent vers des systèmes oligarchiques où cherchèrent à cohabiter« au milieu>> (to méson), kakoi et aristoi ou
ogathoi.
ATHÈNES, SPARTE ET LA GRÈCE CENTRALE
(c.510-c.480)
C'est au cours des années c.510-480 que se tissèrent entre Sparte et Athènes des rapports qui déterminèrent, en grande partie, l'histoire « classique » de ces deux grandes Cités grecques mais aussi, de façon plus générale, celle de l'ensemble des communautés helléniques des V' et IV' siècles. Us tiennent en partie à la contribution spartiate à la chute d'Hippias en c.510 et à la réforme clisthénienne qui s'ensuivit pour les Athéniens : ces deux événements « phares » de la fm du VI' siècle mirent en effet un terme !. Peut-être l'institution existait-elle depuis Clisthène sans que, avant Hipparque, fils de Channos, en 488/7, le quorum requis ait jamais été atteint. 2. La pratique semble du reste dispara!tre dans la seconde moitié du v siècle avec l'effacement de l'aristocratie du monde des affaires publiques ; cf. aussi Briant et al., p. 147-149.
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au caractère aristocratique jusqu'alors dominant que présentait Athènes. En effet, dans l'espoir d'abroger la réforme de Clisthène, Isagoras chercha bien appui auprès de Cléomène de Sparte, mais l'opération échoua. Les opposants furent dès lors contraints de se réfugier dans une Éleusis toujours tentée par la sécession, en attendant des circonstances plus favorables -que cette nouvelle Athènes isonomique, plutôt isolée sur le plan régional, permettait d'ailleurs d'espérer. Ni Chalcis ni Égine ni Mégare n'était acquise aux Athéniens, chacune pour des motifs propres et parfois anciens. De leur côté, les Thébains, proches des Chalcidiens, toujours préoccupés par l'idée de fédérer en une ligue supervisée par des Béotarques les diverses communautés se partageant la grande plaine 1, devaient ruminer leur échec subi sur le versant Nord du Cithéron, devant Platées, en 519, à la suite précisément d'une intervention athénienne. Quant aux Thessaliens, eux aussi tentés par une extension vers le Sud, influents jusqu'à Delphes et pratiquant une politique d'« intégration» assez proche de celle des Spartiates (pénestes), ils gardaient leur préférence pour une Athènes tyrannique, celle-là même qui constituait sous les Pisistratides leur alliée la plus méridionale. En dehors de Platées et, dans une certaine mesure, de Corinthe, l'Athènes de Clisthène comptait donc peu d'appuis, ce qui l'amena à se rapprocher des Perses, mais la tentative tourna court face aux exigences de ces derniers. En c.506, Cléomène chercha une nouvelle fois à imposer Isagoras, les Péloponnésiens et les Chalcidiens alliés des Béotiens investissant l'Attique chacun de leur côté, les Béotiens coupant Athènes des Platéens. Les Athéniens ne durent en fait leur salut qu'à des différends peu clairs- mais où Corinthe eut son rôle- qui frappèrent le camp péloponnésien. C'est la première fissure observée dans l'organisation spartiate, sorte de raté intervenant à l'instant précis où l'influence de Lacédémone vers l'Est atteint sa puissance maximum. Athènes, forte de l'amitié acquise d'Érétrie, imposa alors une garnison d'un nouveau type (clérouquie) aux hippobotai («éleveurs de chevaux») chalcidiens et en implanta une autre à Salamine, île stratégique en elle-même et pour le contrôle d'Éleusis. L'aide perse devenait inutile. Enfin, vainqueurs des Thébains, les Athéniens furent en mesure d'annexer de façon durable le pays d'Oropos avec son Amphiareion, qui fait face à Érétrie. En défmitive - même si Clisthène disparaît des sources, le nouveau régime athénien dut sortir affermi de ces multiples agressions. Mais les Péloponnésiens ne désarmèrent pas, pressentant sans doute une source d'instabilité dans cette Athènes isonomique évoluant désormais hors de sa sphère hégémonique. Seule Argos, opposée à une Lacédémone trop puissante, était susceptible de freiner les ambitions spartiates, mais sur ces entrefaites éclata la révolte d'Ionie. !. Cf.
supra, p. 225-226.
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Les Grecs dans la tourmente 3. LES GUERRES MÉDIQUES
Pour Hérodote, qui demeure plus que jamais la source majeure sur l'ensemble de ces événements- et cela quelles que soient les faiblesses d'un exposé conçu et réalisé déjà plus d'une génération après les faits, la participation des Athéniens (et des Érétriens) à la révolte d'Ionie, à la prise et au sac de Sardes, serait à l'origine de la décision perse d'abattre Athènes. En d'autres termes, on aurait dans la solidarité ainsi exprimée aux révoltés Ioniens la cause première des guerres médiques d'où allait sortir l'hégémonie athénienne de la Pentécontaétie. Pareille explication résiste en réalité assez mal à l'analyse. L'incendie de Sardes en 498 restait un geste sans grande portée pour l'avenir perse et si la participation d'Érétrie demeura. proprement symbolique, celle d'Athènes ne fut guère moins modeste : sans être en rien un État négligeable à l'aune des communautés grecques d'alors, au début du V' siècle, Athènes, sans véritable empire colonial ou maritime - les prétentions de Pisistrate sur Délos et les Cyclades appartenaient déjà au passé, ne devait rien évoquer 'de très particulier aux yeux du Roi des Rois. On est dès lors en droit de s'interroger sur les raisons qui poussèrent Darius à batailler en Grèce continentale et sur les objectifs qu'il poursuivait. Visait-il une occupation réelle des Cités vaincues ou se serait-il contenté d'une soumission formelle ? Pour certains, Ahura-Mazda avait promis la domination universelle au Roi des Rois et c'est donc dans la religion perse qu'il conviendrait de trouver le principal moteur de cette entreprise expansionniste. On ne peut démontrer la fausseté de cette thèse, mais elle reste délicate à étayer et paraît à tout le moins insuffisante. A vrai dire, l'information est fort maigre et on est réduit à de simples conjectures. La situation en Grèce continentale, caractérisée par des conflits locaux ou interrégionaux à répétition, ne devait pas manquer d'irriter, voire d'inquiéter les Perses et on peut ainsi suggérer l'idée que ces derniers souhaitaient - comme les maîtres de tous les grands empires hétérogènes qui avaient précédé les Perses et ceux qui leur succédèrent en ces régions d'Asie occidentale - pacifier au mieux leurs territoires frontaliers en y tressant une ceinture de régimes pro-perses stables 1• Certaines communautés grecques - et pas seulement celles qui étaient soumises à un régime tyrannique perçurent dans l'exaspération perse un facteur stratégique, dont elles crurent 1. Une politique clairement poursuivie notamment au II' millénaire déjà par l'empire hittite et illustrée encore, entre autres, tout au long de l'histoire de l'empire ottoman.
us guerres médiques
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pouvoir tirer profit dans le cadre des interminables conflits régionaux qui les déchiraient (que l'on songe même à l'Athènes de Clisthène). Au fil du temps, les Athéniens furent sans doute de plus en plus inquiets en assistant, coup sur coup, à la chute de Milet et au net rétablissement perse dans les détroits, puis au moins en Thrace côtière (avec peine face aux Brygo~ : de nouvelles Cités grecques - dont la riche Thasos en 492 - passaient ainsi sous leur contrôle. Devait s'ensuivre une occupation de la Macédoine en 492/1 1, le tout débouchant sur la mise en place d'une satrapie d'Europe (riche en bois et en mines d'or et d'argent), destinée à connaître un renouveau économique (dont témoigne la nécropole de Sindos, sur le golfe Thermaïque). On place souvent dès 493 l'entrée en scène de Thémistocle qui, élu comme archonte, se serait attaché à fortifier le Pirée ; on est alors tenté de détecter dans ces travaux un mouvement d'opinion décisif en faveur d'une résistance où la mer aurait eu un rôle à jouer, mais si l'hypothèse est recevable, l'effort fut, semble-t-il, sans lendemain avec le retour à l'avant-plan de Miltiade le Jeune, un adversaire politique attaché aux phalanges hoplitiques. Quoi qu'il en soit, il est depuis longtemps évident que les guerres médiques eurent des prolongements dont on a quelque peine à évaluer l'ampleur tant les facettes en sont multiples et enchevêtrées. Dans leurs grandes lignes, les faits sont assez aisés à rassembler. En 490, Athéniens et Spartiates refusèrent (sans doute) les uns et les autres de se soumettre, en dépit de la frayeur sans nom engendrée par la réputation d'invincibilité de l'adversaire, et l'armada perse, dirigée par Datis (qui avait remplacé Mardonios et était averti des forces en présence), progressant par mer depuis la Cilicie, de Rhodes à Milet, s'empara des Cyclades (Naxos) par surprise. Le Perse respecta Délos mais saccagea Érétrie en une semaine et, guidé par un Hippias plein d'espoir, débarqua sans attendre à Marathon, une plaine de la côte Nord de l'Attique, laissée sans défense. Miltiade, chassé en 493 de son domaine de Chersonèse par l'avance perse et élu comme l'un des 10 stratèges athéniens par les partisans du régime clisthénien (Hér. VI 104), accourut à la tête de quelques milliers de paysans-hoplites athéniens épaulés par un millier d'alliés platéens. li fut témoin de la mort du polémarque Callimachos, mais il parvint à contraindre le corps expéditionnaire perse - sans doute assez modeste - à rembarquer dans la précipitation. Les Spartiates, avertis de la manœuvre perse mais retenus un temps dans le Péloponnèse par des interdits rituels, n'arrivèrent qu'après la bataille. On ne peut cependant guère mettre en doute leur détermination à résister : ils avaient refusé tout net de se soumettre et, en accord avec Athènes, ils avaient empêché Égine de céder et de devenir ainsi une base navale perse avancée en plein golfe Saronique. Le corps expéditionnaire ennemi 1. Déjà une première menace sérieuse en c.51 O.
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réapparut devant le Pirée où il tenta bien un coup de main, mais ce fut sans succès grâce au retour précipité des combattants athéniens; il n'insista pas et réintégra dès lors ses bases cariennes. Pour peu que l'on adopte leur point de vue, les Perses avaient de bonnes raisons de se montrer satisfaits au terme de ce qui a tout l'air d'avoir été conçu comme une vaste opération de police en Égée : ils demeuraient solidement campés sur leurs positions en Thrace et ils s'étaient assuré en plus un no man's land insulaire entre leurs territoires asiatiques et cette Grèce continentale en perpétuelle ébullition. A Athènes, en revanche, cette belle victoire hoplitique de 490, acquise sans grande aide extérieure contre des Perses réputés invincibles, procura une sensation de fierté, de confiance aussi, avec le sentiment que la nouvelle Cité isonomique des Athéniens jouissait de la protection effective des dieux Athéna, Apollon et Artémis. Le choc de Marathon créa pour cette nouvelle Athènes une race originale de héros, la communauté des héros civiques, les Marathonomaques, et diverses légendes ont pu courir assez vite comme celle de l'apparition de Thésée en personne au plus fort de la bataille. Quant à Miltiade, l'aristocrate, il perdit son crédit et la vie dès 489 dans une expédition navale contre la métropole de Thasos, Paros (Hér. VI 132 sqq.). On se perd en conjectures pour savoir s'il œuvrait surtout pour son compte ou si, en punissant les insulaires «médisants>>, il voulait remédier à la faiblesse d'Athènes confrontée à la menace persistante d'une attaque venue par mer. En 487/6, le pouvoir effectif échappa des mains des archontes- qui seront désormais non plus élus mais simplement tirés au sort au sein des deux classes supérieures - au profit du collège des stratèges élus et rééligibles. Une des conséquences directes de cette pratique nouvelle fut une perte de prestige de l'Aréopage où les archontes siégeaient à leur sortie de charge. Pour le reste, on n'observe guère de changements spectaculaires au lendemain de Marathon. Athènes retourna sans plus attendre à ses querelles internes que ponctuèrent les premiers ostracismes connus - nés de motifs obscurs (sans doute en partie liés aux luttes féroces que se livraient les aristocrates)- et à son vieux conflit avec les Éginètes qui faisait toujours rage. Sans doute est-ce d'ailleurs avec l'espoir de marquer des points décisifs contre sa redoutable concurrente ancrée au beau milieu du golfe Saronique 1, que Thémistocle mit à l'épreuve un type de solidarité civique jusque-là non illustré, en faisant procéder en 483/2 à la mise en chantier sur fonds publics d'une très puissante flotte de guerre (200 trières, un chiffre jamais atteint avant cette date par une Cité grecque). 1. Hér. VIT 144. Mais d'autres raisons ont été invoquées (avec plus ou moins de bonheur), telles que la prévision du choc de Salamine ou encore l'idée d'organiser une fuite en masse des Athéniens vers l'Occident au cas où la pression perse se serait faite irrésistible.
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L'occasion lui fut offerte grâce aux gains exceptionnels tirés d'un riche filon argentifère découvert dans le Laurion, à Maronée 1, et à du bois de charpente venu d'une Macédoine jouant double jeu. Avec la création de cette arme de guerre qui nécessitait la réquisition d'une foule de rameurs pour la manœuvrer, l'heure de la quatrième classe censitaire, celle des thètes, sonnait, annonçant du même coup le déclin des phalanges hoplitiques d'une Athènes en passe de s'imposer comme la première puissance navale grecque de l'époque. En l'espace d'une génération, le profil politique et militaire d'Athènes s'était ainsi profondément modifié, la Cité acquérant sur mer une puissance comparable à celle détenue par Sparte sur terre. Du côté perse, les premiers temps du règne de Xerxès (486-465), qui succédait à Darius rr, virent de nouveaux mouvements séditieux éclater, en Égypte d'abord et en Babylonie ensuite. La situation, semble-t-il, ne fut guère rétablie avant 484 et, pendant toutes ces années, l'Égée, pourtant très désunie, arrivait sans doute fort loin derrière les autres soucis du Roi des Rois. Ce n'est que vers 484 que Xerxès, enfin assuré de son trône après avoir appesanti la férule perse en Babylonie et en Égypte (dont il ne devint pas le pharaon), tourna ses regards vers l'Égée. Ses intentions profondes demeurent impossibles à reconstituer (certains ont pensé qu'elles pouvaient impliquer l'ensemble du bassin méditerranéen) : on ne sait quel crédit accorder au juste à une prétendue intelligence avec les Carthaginois (toujours liés il est vrai à Tyr, leur métropole) 2 , mais on n'exclura pas que plusieurs sollicitations aient pu lui parvenir de Grecs et il se peut par ailleurs que certains de ses conseillers aient espéré tirer quelque profit d'une nouvelle intervention en Égée. Quoi qu'il en soit, les préparatifs perses furent très imposants, à l'image d'un empire au sommet de sa puissance : deux ponts de bateaux jetés sur l'Hellespont, un autre sur le Strymon (prolongation des routes impériales, travaux qui pourraient trahir un projet d'occupation durable au moins dans ce secteur nord-égéen), un canal creusé dans l'isthme de l'Actè 3, des bases avancées établies en divers points de la Thrace côtière. A cela, il faut ajouter un nombre impossible à chiffrer - mais à coup sûr très élevé en regard des effectifs grecs - d'hommes de troupe venus des quatre coins 1. L'autre destination possible du trésor ainsi amassé aurait consisté - l'histoire est bien connue - à appliquer l'usage en cours dans les communautés grecques, qui voulait que soit opérée une répartition - qui ne va pas sans rappeler le rôle de distributeur de rations du palais mycénien des bénéfices entre tous les citoyens. 2. Sans pour autant aller jusqu'à mêler ces interrogations à celles suscitées par la bataille d'Himère ; cf. aussi supra, p. 560, n. 1. 3. ll s'agit de l'actuelle péninsule de l'Athos dont la pointe est très exposée à des vents violents, un phénomène dont les Perses sous la conduite de Mardonios avaient pris la mesure à leurs dépens en c.492 après leur prise de Thasos.
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de l'empire et peut-être 1 200 bateaux de combat phéniciens, chypriotes et grecs. Il s'agissait là d'un véritable « rouleau compresseur», inspiré pour une bonne part par la stratégie assyrienne, lourd à mettre en route mais très organisé logistiquement. Il devait être chargé de mettre un terme à l'instabilité chronique que connaissait l'Égée, et cela peut-être davantage «à l'influence» qu'en réduisant, les unes après les autres, les Cités grecques en cendres et leurs habitants à l'esclavage. La «mise en scène »militaire constituait depuis toujours une des armes les plus spectaculaires utilisées par les Perses pour obtenir la soumission de leurs adversaires et, de ce point de vue, l'épisode des espions grecs paraît très significatif. Rassemblée en Cappadoce orientale, cette troupe hétéroclite et innombrable s'ébranla en 481 en direction de la capitale satrapique de Sardes ; au printemps suivant, rejointe par le Roi des Rois, en grande pompe, elle prit la direction de Troie - citadelle chargée de symbole, où Xerxès sacrifia, puis de l'Hellespont. Ce premier obstacle franchi, elle traversa la Thrace méridionale, puis la Macédoine. Xerxès pouvait dès lors entreprendre sa diabasis («traversée>>) de la Grèce. Les Aleuades thessaliens furent les premiers Grecs à« médiser», suivis par d'autres communautés plus au Sud : leur absence de résistance est parfois absoute sous le prétexte d'une « politisation » moindre de ces Grecs, mais la panique jointe au fait que les Grecs du continent n'avaient exprimé aucune solidarité lors de la révolte d'Ionie peut constituer une explication tout à fait suffisante à ce chacun pour soi. La seule parade possible pour les Grecs non décidés à se soumettre résidait dans la tactique, la détermination et - objectif des plus illusoires- une coordination rigoureuse d'armées civiques plus accoutumées à en découdre entre elles dans des combats assez ritualisés qu'à combiner des manœuvres communes face à un adversaire étranger commun, décidé pour sa part à investir les villes des vaincus. Face à cette menace effrayante et sans précédent, les Grecs, puissances régionales éclatées, atomisées, firent donc entendre les réactions les plus variées, allant du « médisme » complet à la résistance la plus opiniâtre, en passant par l'indifférence profonde. Et l'oracle de Delphes, directement menacé par l'avance perse mais défaitiste 1 car sans doute convaincu de la vanité de toute opposition, ne contribua pas à faire l'unité des partisans de la résistance. En fait, chaque communauté grecque perçut ce danger d'abord à travers le prisme de ses propres problèmes politiques intérieurs et régionaux. Athènes, se sentant menacée peut-être plus que toute autre Cité, opta pour la résistance sur mer et, sous peine d'encourir une trop sévère perte de prestige, les Spartiates furent contraints de leur emboîter le pas, allant jusqu'à entraîner de nombreux hilotes au combat. A l'initiative de 1. Cf.
supra, p.
551-552.
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Sparte, un congrès réunissant toutes les Cités qui avaient choisi de résister, se tint, à l'été ou l'automne de 481, au sanctuaire de Poséidon, sur l'Isthme de Corinthe. Les participants y convinrent d'une suspension des conflits locaux, du rappel des exilés et ils scellèrent une alliance militaire (summachia) anti-perse groupant une trentaine de poleis - ce qui était somme toute fort peu - dont Sparte obtint le commandement suprême (hègémonia) tant sur terre que sur mer. Ce choix confirmait le poids déterminant de la ligue péloponnésienne au sein des tenants de la résistance. Certains Grecs se ressaisirent, mais d'autres déclinèrent toutes les approches sous divers prétextes, tels les Syracusains, les Argiens ou encore, semble-t-il, les Crétois. On précisera cependant que l'information manque pour dresser la liste exacte des « conjurés » de l'Isthme. L'idée de bloquer le verrou du Tempè, entre l'Olympe et l'Ossa, fut abandonnée, car l'obstacle était trop aisé à contourner, d'autant que l'appui de la cavalerie thessalienne se faisait incertain. Les Perses progressant en parallèle sur terre et sur mer, à partir du Nord, il convenait, pour les Grecs gagnés au refus, de choisir des points de retranchement proches l'un de l'autre afin que leur marine et leur infanterie gardent le contact. Les choix se fixèrent sur l'étroite passe des Thermopyles, au Sud-Ouest du golfe Maliaque, verrou éprouvé pour une progression par voie terrestre, et sur le goulet guère éloigné de l'Artémision, à la pointe septentrionale de l'Eubée gagnée à la résistance :pour y parvenir, l'ennemi venu par mer devait longer jusque-là des rives très battues des vents. Dans l'un et l'autre cas, il était impératif d'empêcher les Perses d'aligner simultanément tous leurs moyens militaires. Toutefois, au mieux, l'issue envisageable n'était qu'un coup de frein porté à l'avance perse- une hypothèse d'ailleurs considérée sans fard dans ce que l'on nomme le« décret de Thémistocle» ou« de Trézène>>, s'il est vrai que son contenu est repris par une inscription datée du IV' siècle, découverte en 1959, dans cette localité d'Argolide orientale où, selon la tradition, Thésée avait passé son enfance 1• Ce résultat fut atteint à l'été de 480 : aux Thermopyles, le sacrifice de Léonidas et de ses « Trois-Cents » Spartiates (sans compter de nombreux hilotes et 700 Thespiens), trahis et dotés d'effectifs insuffiSants - le gros des troupes péloponnésiennes était resté sur l'Isthme, sauva l'honneur de Sparte. Quelque 60 km plus à l'Est, au large du cap Artémision, cette défense héroïque permit à la flotte des 1. Ce document épigraphique a fait couler beaucoup d'encre dans la mesure où son contenu ne recoupe pas tous les propos d'Hérodote. Gravé vers 300 et portant sur l'évacuation d'Athènes, il n'est pas impossible qu'il reprenne un texte de septembre 481. En dehors de Salamine et d'Égine, Trézène aurait alors été, plusieurs mois déjà avant les chocs de l'Artémision et des Thermopyles, le principal point de repli de la population d'Athènes (son port naturel, Pôgôn, pouvant abriter les exercices de la flotte). Le fait que ces trois secteurs étaient en dehors de la sphère d'influence spartiate directe a pu permettre aux de mieux faire entendre leurs choix stratégiques.
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alliés - des unités athéniennes pour l'essentiel - dirigée par le Spartiate Eurybiade, de se défiler à la faveur de la nuit : elle s'échappa par l'Euripe après une interminable bataille (en fait, trois chocs successifs) à l'issue longtemps incertaine (face à une flotte perse déjà mise à mal par une forte tempête) et où s'illustrèrent des tactiques très différentes. Au terme de ces deux demi-succès perses, tant la route de montagne vers le golfe de Corinthe que celle plus à l'Est menant en Attique et, de là, en Péloponnèse étaient ouvertes aux Perses. Ces derniers pratiquèrent alors des actions visant à répandre l'effroi, Delphes ne devant son salut qu'à des « prodiges » et Thèbes à son « médisme ». Assez vite, les défections se multiplièrent du côté des Grecs qui avaient opté pour le refus, tandis que l'Attique, désormais directement menacée, était évacuée par ses habitants et que les Spartiates poursuivaient la fortification de l'Isthme de Corinthe. Fin septembre, alors que les sanctuaires de l'Acropole et la ville basse d'Athènes, investis par les Perses, brûlaient, sorte de reflet de l'incendie de Sardes en 498, de même que Xerxès installé sur la pente méridionale de l'.A (p.hist.), 541, 546-551; cf. Perses. AcHÉRON (Il., Épire), 69, 216; cf. Hadès.
=
(f.hér.), 9, 23-24, 77, 105, 326-333, 336, 339, 354. ACIRIS (mod. Agri, Il., N. Lucanie), 286 ; cf. Héraclée. ACHILLE/ACHILLEUS
ACRAGAS -+ AGRIGENTE.
ACROCORINTHE (acrop. Corinthe), 88, 95. ACROPOLE (d'Athènes), 81, 185, 229, 233, 266, 367, 386, 446, 488-489, 491, 494, 512, 565, 566, 580; Parthénon, 82; Hékatompédon, 494 ; cf. Athènes, architecture, sculpture, écriture(s), sanctuaire(s). ACTÉ (pén. d'-, E. Chalcidique), 71, 105, 5 77 ; cf. Athos, Sanè (canal). ADONIS (f.div.), 441. ADRASTE (f.hér.), 236, 487, 513; cf. Sicyone, Argos. ADRIA (hab., N. delta du Pô), 309. ADRIATIQUE (g., mer et côte-), 69-70, 214215, 296, 309-310, 485 ; cf. illyrie, Épire, Corinthiens, colonisation. A1EA (île d'-, cf. Odyssée), 336.
!. Afin de ne pas surcharger l'index, d'une part, il n'est pas fait de distinction entre le corps du texte et les notes, et, d'autre part, le dépouillement n'a pas pris en compte la section consacrée à la bibliographie et il n'est pas fait de double entrée pour rendre les alternances Ph/F, B/V, K/C, Kh/Ch, lEI Ai ou Œ/Oi observées dans la transcription du grec. Les choix opérés se fondent, dans la mesure du possible, sur ceux déjà opérés par G. GLOTZ, [58].
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iEGALÉE (mont - , O. Attique), 580 ; cf. Éleusis. A':GION (hab., O. Achaïe), 92, 97. A':GIRA (hab., Achaïe centr.), 97. /E.NÉSIAS (p.hist.), 47. A':TOS (mont - , Ithaque), 102, 504. AFRATI __,. ARi (bosquet sacré d'Olympie), 91, 97, 267' 363, 485, 509, 520. Ai.rATTES (p.hist.), 115, 153, 195, 482, 485, 516 ; cf. Lydie, Mermnades. AMANus (chaîne de 1'-, S.-E. Anatolie), 123. AMARYNTHOS (hab., S. Eubée), 79. AMASIS (p.hist.), le céramiste, 60, 530 ; le roi saïte, 116, 302, 304, 305, 307, 451 547, 558. AMATHONTE (E. Limassol, hab. et nécr., S. Chypre), 120, 250-251, 253-254, 256, 441 ; « Mouti Sinoas >>, 254 ; cf. Phéniciens, Étéochypriotes. AMBRACIE (mod. Arta, ant. Aktion/ Actium, hab. et g., N.-0. Grèce), 75, 216, 222, 237, 243, 309 ; cf. colonisation, Corinthiens. AMENDOLARIA (hab., N. Lucanie), 289, 320. AMÉNOPHIS III (p.hist.), 374. AM(M)O.N, oracle d'- à Siwa, 116, 122, 548. AMON-RÂ (f.div., Thèbes), 121. AMoRGOS (île, Cyclades), 17, 451 ; cf. Sémonide. AMoRRITES (ethn.), 123. AMPHIARAOS (f.hér.), 81, 146, 226. AMPHICTYON (f.hér.), 429 ; amphictyons . (p.hist.), 430. Amphictyonie - Delphes, Calaurie, Onchestos, Méliè. AMPHIDAMAS de Cythère (f.hér.), 100; AMPHIDAMAS de Chalcis (p.hist), 356, 426; cf. poésie épique, Hésiode. AMPHILOCHOS (f.hér.), 146 ; cf. Amphiaraos. AMPHIMÉDON (f.hér.), 339. AMPHI.NOMOS (f.hér.), 337. AMPHIPOUS - ENNÉA 0DOI. AMPHISSA (hab., Locride occ.), 76-77, 221, 223, 514 ; cf. Crissa, Kirrha, Delphes, l"' « guerre sacrée >>, amphictyonie. AM:PURIAS - EMPORION. 'AM:uQ/UNQI (rég., N. Syrie), 258. AMYcLÉES (mod. Haghia Kiriaki, loc., Laconie centr.), sanct. d'« Apellon >>, 98-99, 238, 242, 367.
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Déméter, 228, 326, 522 ; 326 ; cf. poésie épique.
à
Dio'!)ISOS,
HYPANIS (mad. Boug, fi., E. Olbia), 295. Hyperakrioi, 491 ; cf. Pisistrate. HYSIAI (mad. Achladokambos, hab., O. Argolide), 90; bataille de - , !58, 234, 236,
241, 244-245, 247, 390, 457-458, 484, 55 7 ; cf. Argiens, Spartiates, Thyréatide.
IALvsos (hab., N. Rhodes), 105, 252. lAsos (hab., Ionie), Ill, 117, 150, 198; cf. Grecs de l'E. IAxARTE (mad. Syr-Daria, fi., E. Mer d'Aral),
548. IBIZA (hab., îles Baléares), 124, 313; Sa Caleta, 124 ; cf. Phéniciens. /Brcos de Rhégion (aut.A.), 197, 451 ; cf. lyrisme. ICARE (f.hér.), 585. IDA (massif de 1'-, mad. Psiloritis, Crète centr.), 102-104, 125, 204, 265,434,439; cf. Grotte de Zeus (ldo.Wn antran). IDAUON (mad. Dali, hab., N. Chypre), 139, 251, 253-254, 255, 259; . KIRSTEN E. (aut.M.), 407. K.!TION (mod. Larnaka, hab., S. Chypre), 120, 124, 143, 149, 250-256, 259, 263, 268, 367, 385, 441 ; >, 251, 254 ; cf. Phéniciens, Tyr, Sargon, Carthage de Chypre. KrziLBEL (nécr., Lycie), 117, 531.
606
ILs Grecs et la Méditerranée orientale
KLADÉOS (aff!. de l'Alphée, S. Élide), 91, 363 ; cf. Olympie.
Klaroilklèroi, 171, 173, 180, 209, 234, 239241, 277, 281, 399, 458-459, 467, 484; cf. structure sociale. KLÉONAI (hab., Corinthie/Argolide), 88, 483, 521, 522; cf. Némée. Kléos, 40, 155, 230, 356, 480, 537; cf. poésie épique, éthique sociale. KüKITOS/Cocyte (aff!. de l'Achéron), 216. KOLONA (site du temple d'Apollon à Égine), 81. KOLONNA - Héraion de Samos.
Kômai, 93, 95, 96. KaMI - TÉNos. KüMMOS (hab., S. Crète), 211, 265, 503; cf. Phaïstos, Phéniciens. KoRAK.OU (hab., O. Corinthe), 88, 95. KoRCVLA - CORCYRE «Noire >>. KoRÈ- PERsÉPHONE.
Korè/KiJrai, 234, 533. KOROIBOS d'Élis (p.hist. ?), 520. KoRONÉ (hab., S.-E. Messénie), 382.
KiJ.smoi, 209. Ko.smos/chaos, 39, 535. Kosovo (ex-prov. yougoslave), 70 ; cf. poésie épique. KüUKOUNARA (nécr., 0. Messénie), 97. KoUKOUNARIÉS (hab., N. Paros), 108. KOUMARBI (f.div. hourrite), 442. KOUNDOURIOTISSA (nécr., 0. g. Thermaïque), 71. KüURION ~at. Curium, hab., S. Chypre), 139-140, 251, 253, 353, 376; nécr. de >, 253, 353 ; cf. culte(s) héroïque(s).
Kouros/kouroi, 62, 200-201, 212, 225, 233-234, 307, 359, 440, 491, 523, 532-534; cf. sculpture. KoZANI (hab., O. Macédoine), 70, 217. KRANIOI (hab., 0. Céphallénie), 102. KRANNoN (hab., E. Thessalie), 219; cf. Scopades. KRATAIMÉNÈS de Zancle (p.hist.), 289. KREsPHONTÈS (f.hér.), 90 ; cf. Héraclides, Péloponnèse. KRErscHMER P. W. (aut.M.), 128. KRoïsos (p.hist.), 234. KROMArER]. (aut.M.), 156. KRONOS (f.div.), 40.
KRONOS (mont - , à Olympie), 91, 519, 521 ; cf. continuité. Ktisis1Ktiseis, 135, 275 ; cf. historiographie, colonisation. KTOURI (hab., S. Thessalie), 73. Kuçi ZI (nécr., S. Albanie), 70. KuKts (hab., N. Albanie), 214. KuRios (mont-, S. Acarnanie), 222. KYDONIA (mod. Chania/La Canée, hab., O. Crète), 103, 206. KrK.NOS (f.div.), 17. KrLLrRlEJIS/KYLLrRJOI (ethn.), 284, 499 ; cf. Sicile, Syracuse. KYMÈ (mod. Namurtkoy, hab., Éolie), 16, 78, 114, 149, 152, 196; cf. Hésiode, Midas; -/Cumes (hab., Campanie centr.), 284, 287-288, 289, 319, 500; défaite étrusque, 560; cf. Néapolis/Naples. KYNORTION (mont - , mod. Kharani, colline, Épidaure), 89 ; cf. sanctuaire(s), continuité. KYNOSOURA (bourg de Sparte), 238. KYRÉNIA - KÉRYNEIA.
LA CANÉE/Chania/Khania- KYDONIA. LAilRANDA (hab./sanct., S. Carie), lll, ll7. UCÉDÉMONIENS, LACÉDÉMONE - SPARTIATES, SPARTE. LAcoNIE (rég., S. Péloponnèse), 47, 87, 88,
90, 98-99, 128, 160-161, 211, 219, 238244, 281, 283, 450-451, 464, 468, 470471 ; cf. Sparte. LACONIQUE (g. -), 245. LADÉ (île, g. de Latrnos, Ionie), Ill ; bataille navale de - , 393, 554-555. LAËRTE (f.hér.), 335-339. LAMIA (hab., O. g. Maliaque), 77. LAMIS de Mégare (p.hist.), 289. LAMPsAQUE (hab., N. Dardanelles), ll9, 298, 447, 493; cf. Priape, Miltiade l'A. UODIKÈ (p.hist.), 373. LAos (hab., O. Lucanie), 320. LAPITHES (f.hér.), 132, 330. LAPITHOS (hab., N. Chypre), 139; cf. Phéniciens. LARISA (colline, Argos), 93, 244, 246 ; - (sur l'Hermos, hab., Ionie), 199; - (hab., Thessalie centr.), 219. LARNAKA - KmoN. LAssiTHI (ant. Dictè, mont. et plaine du - ,
Index des noms propres et des sujets E. Crète), 102-103, 204, 206, 265; cf. aussi Psychro (grotte de Zeus), Kato Symi. LATMOS (g. de - , Ionie), 109; cf. Milet, Ladè. LATO (hab., E. Crète), 204. LAURION (rég., S. Attique), 81, 266, 464, 469, 481, 491, 495-496, 577-578; cf. Maronée, Thorikos, monnaie, métallurgie, mine(s). LÉBAIA (mod. Palaiogratsano, S. Macédoine),
218. LÉBÉDOS (hab., Ionie), 113, 151. LÉBÉNA (hab., S. Crète), 204 ; cf. Gortyne. LÉCHAION (hab., O. Corinthie), 88, 484; cf. Kenchréai, diolkos. LÉDRA (mod. Nicosie, hab., Chypre centr.),
139, 251. LEFKANDI (hab., Eubée centr.), 61, 79-80, 83, 109, 160, 167-168, 174, 186-190, 209-210, 253-259, 264, 266, 287, 349, 353, 357, 419-420, 422, 427, 434; >, 61, 79, 160, 167, 186-187, 190, 253-254, 349, 353, 357, 419-422; cf. , période orientalisante, métallurgie, Érétrie. Législateur(s), 99, 322-323, 401, 406, 426,
454-463,
456,
506,
518,
561-562;
cf. Minos, Lycurgue, Zaleucos, Solon, Clisthène. LÉLANTINE (plaine -/du LÉLANTOS, Eubée centr.), 79-80, 419-420, 427 ; Lèlant(i)on pédion, 79, 165, 427 ; cf. . LÉLÈGFS (ethn.) -+ CAiuENs. LEMNos (île, Sporades N.), 67, 74, 105; Pélasges chassés par les Athéniens, 298. LÉONIDAS (p.hist.), 12, 77, 220, 579. LÉONTINOI (hab., E. Sicile), 288, 317, 322. LÉOTYCHIDAS (p.hist.), 581. LEPciS/Leptis Magna (hab., E. Libye), 300. LERNE (hab., S. Argos), 89, 93, 418. LEsBIENS, LEsBos/Mytilène (lie, Sporades or.), 48, 106, Ill, 112, 129, 137, 151-152,
196, 218, 226, 265, 303, 326, 354, 448, 450-451, 497; cf. Éolie, Mytilène, dialecte(s), Hellanicos, Leschès, lyrisme. Lesbos (aut.A.), 326, 354 ; cf. poésie épique. LFsmrGONS (ethn.hér.), 335 ; cf. Odyssée. LÉTÔON (sanc., S. Lycie), 117 ; cf. Xanthos.
LEsCHÈS de
607
UT6 (f.div.), 361. LEUCADE (mod. Lefkada, île Ionienne), 69, 101, 216, 309; cf. Ithaque, Ulysse, Corinthiens. LÉVADHIA (hab., E. Béotie), 76, 223, 226; cf. oracle(s), Trophônios. LEVANT-+ SYRa-PALESTINE. LÉVÉQJJE P. (aut.M.), 133. LEVI M.A. (aut.M.), 133. LÉVI-STRAUSS Cl. (aut.M.), 37, 64. LIBAN (chaîne et pays du -), 123, 256 ; cf. Phéniciens. L!BURNIENS (ethn.), 215. LIBYE -+ CYRÉNAIQUE. LIBYENS (ethn.), 121-122, 284, 299-300, 310. LICHAS (p.hist.), 424; ogatlwurgos, 239 ; cf. culte(s) hérorque(s), Tégée. LlcoDIA (hab., S. Sicile), 318. LILYBÉE (mod. Marsala, hab., O. Sicile), 314-
315, 319. LIMASSOL -+ AMATHONTE. LIMÉNAS (ant. Thasos, hab.), 72. LIMNAI (quartier, Sparte), 98, 238, 242 ; cf. Artémis, Eurypontides. 1IMYRA (hab., S. Lycie), 117. LINDos (hab., E. Rhodes), 105, 251, 268; Athéna à - , 306 ; cf. Phéniciens. L!PARA -+ ÉOUENNES. LITANI (fi., S. Liban), 123. LacRES Épizéphyrienne (mod. Canale ou Janchina ?, hab., S. Bruttium), 221, 281, 290-291, 319, 322 ; cf. Zaleucos. LoCRIENS, LocRIDE d'Opunte ou or. (rég., Grèce centr.) et/ou des Ozoles ou occ. (rég., N. g. Corinthe), 76, 77, 137, 221-
222, 222-223, 290, 329, 423, 514. LoRD A. (aut.M.), 28, 70 ; cf. poésie épique. LoRESTAN/Luristan (rég., N. Iran), 119. LoTOPHAGES (ethn.hér.), 335; cf. Odyssée. Louil de Sidon (p.hist.), 251. Lol!VITE'i (ethn.), 116, 149; langue apparentée au lycien, 118; cf. Tabal (Kayseri?). LuciEN de Samosathe (aut.A.), 529. LUKKA (Pays -) -+ LYCIE. LrCAON (f.hér.), 332. LYCÉE (sanct., Athènes), aristotélicien, 228, 240, 398, 404 ; cf. Aristote, Apollon Lykeios, historiographie. LrciENS, LYCIE (rég., S. Anatolie), 105, 116,
117-118, 301, 328-330, 530, 546, 551,
608
Les Grecs et la Méditerranée orientale
554; Lukki, 148; Termiles, l 18; cf. Xanthos, Léthôon. LrCOMÈDE (f.hér.), 105. LrcOPHRON (f.hér.), lOO; cf. Cythère. LYCURGUE de Sparte (f.hér.), 98-99, 104, 177, 208, 238, 240-241, 341, 401, 456-457, 463, 492, 518; cf. Rhètra, Minos, législateur(s) ; - , Athénien fils d'Aristolaidès (p.hlst.), 490. LmlEJ{S, LYDIE (rég., O. Anatolie), 62, 110115, 115-116, 119, 141, 152-153, 193202, 224, 242, 260, 292-294, 305-306, 391, 399, 461, 474, 482, 485, 497-498, 50 1' 516, 546-54 7' 553, 554, 55 7-558 ; cf. Mermnades, Gygès, Crésus, monnaie. Lmos (p.hist.), 144, 530 ; cf. céramiste(s). LrGDAMIS de Naxos (p.hlst.), 213, 492-494, 499 ; cf. tyrannie. LrGDAMIS, chef cimmérien (p.hist.), 115 ; cf. Gygès ; - d'Halicarnasse, Il 7 ; cf. Artémise. Lyrisme, poésie lyrique, 3, 19, 106, 112, 182, 203, 206, 382-383, 450-453, 468, 530531, 537; dithyrambe, 531. LYITos (hab., E. Crète), 103, 204.
MAA-> (hab., O. Chypre), !51. 218. .MACÉDOJnENS, MACÉDOINE (rég., N. Grèce), 13, 57, 65, 70-75, 121, 127, 163, 189, 214, 217-218, 241, 285, 292, 298, 304, 348, 423, 553, 575-580; langue, 73-75. .MACRON (p.hlst.), 531. MAGNE Oe- [gr.m. Maru], rég., S.-O. Laconie), 87. MAGNÉSIE (rég., Grèce centr.), 73, 75, 105; cf. Pagasétique (g. P. ou baie de-), 218; - du Méandre (hab., Lydie), 113, 151, 242 ; cf. Bathyklès ; - du Sipyle, sur l'Hermas (hab., Lydie), 113. .MAGNÈTES (ethn.), 219; cf. Magnésie (rég.), Thessalie. .MAGQNIDES (p.hlst.), 316; cf. Carthage d'Afrique. MAINAKÉ (hab., Andalousie, E. Malaga ?), 311. MAKRoNISI (îlot, S. Attique), 109. MALÉE (cap-, S.-E. Laconie), 87, 247, 335, 343 ; cf. c. Ténare. .MACÉDON (f.hér.),
MALIAQUE (g. - , S.-E. Thessalie), 77, 79, 221, 579; cf. Malies. MAllES (ethn.), 221; cf. g. Maliaque. MALIQ Oac et plaine de -, E. Albanie), 70. MA.NÉTHON(aut.A.), 121; cf. Égypte, hlstoriographie. Manteion, 212 ; cf. oracle(s). MANriNÉE (hab., E. Arcadie), 90, 237, 300, 556 ; Poséidon Hippios, 98 ; cf. Démonax. MARATHON (plaine de - , E. Attique), 81, 492, 569, 573; bataille de-, 105, 233, 401, 497, 560, 575-576; tumulus de -, 423; Marathonomaques, 394, 576; cf. guerres médiques. MA!wO.NIOS (p.hist.), 81, 555, 575, 577, 580581 ; cf. guerres médiques. MARDOUK (f.div. mésopotamienne), 549. MARÉA (hab., O. Delta), 302. MARI (hab., sur l'Euphrate), 264. MARiAMJr:NIENS (ethn.), 299. MARION (hab., O. Chypre), 375. MARMARA (mer de -) -+ PROPONTIDE. MARMAR!Nr (hab., N. Thessalie), 73. MARoc, 288 ; cf. Piliers d'Héraclès, Mogador. MAR()){ (f.hér.), 335 ; cf. Thrace, Maronée. MARONÉE (hab., S. Komotini), 196, 292 ; cf. Maron, Chias ; - (mine, Laurion), 5 77 ; Thèsauros Chtlwnos, 81. MARSALÀ -+ LrLYBÉE. MARx K (aut.M.), marxisme, 398-399, 465466,480. MAssAGÈTES (ethn.), 547. MAssAIJA (mad. Marseille, hab., S. France), 311-312, 560. MAss()J{ O. (aut.M.), 378. MATI (fi. et plaine, N. Albanie), 214. MAVROVOUNI Ooc., S. Laconie), 98. MÉANDRE (mad., Büyük Menderes, fi., S. Ionie), Ill, 113, 117, 151, 581; cf. Priène, Magnésie du - . MÉDÉON (hab., S. Phocide), 77, 84. Mi:DES(ethn.), 115, 120, 125, 195,224,546549, 585 ; Umman-Manda, 546 ; cf. Perses, guerres médiques. MÉDIE (rég., Iran centr.), 546. MEDMA (mad. Mesima, hab., S. Bruttium), 320. M.ÉIJ()J{ (f.hér.), 338. MtGAJJAZE (p.hlst.), 553.
Index des noms propres et des sujets (p.hist.), 231, 482, 490, 492, 496, 563 ; cf. Alcméonides, Clisthène. MÉGALOPOUS (hab., Arcadie centr.), 98. MÉGARA Hyblrea (hab., E. Sicile), 281, 283, 290, 315, 444. MÉGARIDE (rég. de Mégare), 57, 82, 95, 580; cf. g. Saronique. MÉGARIENS, MÉGARE (hab., E. Carinthie), 72, 82, 88, 97, 100, 118, 134, 136, 158, 197, 210, 227, 230-234, 234-235, 242, 243, 281, 285, 289, 298-299, 356, 389, 418, 427, 450-451, 460-461, 464, 469, 477486, 486, 486-490, 501, 505, 514, 522, 556, 5 73 ; cf. colonisation, Éleusis, Athéniens, (plaine de) Thria, (port de) Nisaia, Théagène, Théognis. Mégaronlmégara, 412. MÉGISTI/Mégistè -+ KASTELLORIZO. MÉLA.NIPPOS (f.hér.), 487. MÉLANTHIOS (f.hér.), 337. MÉLANTHO (f.hér.), 337. MÉLÉAGRE (f.hér.), 76. MÉUÉ (hab., Ionie), 151, 580; cf. Mycale,
MtGACLÈS
Panwnion. MÉUKERTÈS (f.hér.), 505, 522.
MÉLos/Milo (île, O. Cyclades), 108, 110, 252, 387. MELQART -
MILQjJRT.
(p.hist.), 241 ; cf. Phidon. MEMPHIS (hab., S. Delta, Égypte), 121, 301303, 423 ; Hellénomemphitai et Karomemphitai, 303 ; cf. Assarhaddon, Phéniciens. MENDOUTO (hab., E. Sicile), 318.
MELTAS
Ménélaion
-+
THÉRAPNÈ.
(f.hér.), 29, 87, 98, 328-331, 334, 336, 351, 369 ; cf. culte(s) héroïque(s). MÉNIDI (nécr., N. Athènes), 357, 505, 510. MENToR (f.hér.), 339. MER NoiRE -+ PoNT[-EVXIN]. MER RoUGE, 303, 550. MERMNADES (p.hist.), 116, 152-153, 194-196, 391 ; cf. Lydie. MÉSAMBRIA (mod. Nesebàr, hab., E. Bulgarie), 299. MÉSAORIA (rég., Chypre centr.), 120. MÉSOA (bourg de Sparte), 238. MÉSOGÉE (rég., Attique centr.), 81, 491, Mésogeia, 568. MÉSOPOTAMIE (rég. Tigre-Euphrate), 148, 376, 548, 555. MÉNÉLAS
609
MEssARA (plaine de la - , S. Crète), 102, 204. MESSÉNIENS, MEsSÉNIE (rég. et g. de -), 9091, 97-98, 156, 160, 165, 205-206, 240242, 246, 267, 281, 289, 341, 352, 388, 390, 408, 427, 449, 453, 457, 458, 464, 519-520, 529, 581; Messène, 511; cf. Spartiates, (F /Il')>, hilotes. MEsSINE (détroit et hab., Sicile/Bruttium), 289, 478, 535, 559; cf. Zancle, Rhégion. MÉTAGÉNÈS de Cnossos (p.hist.), 199. métallurgie (bronze/fer), 84, 150, 161-166, 188-190, 199, 200-201, 254,. 264-265, 269, 287, 434-435, 550; cf. mine(s), cuivre. MÉTAPONTE (hab., Calabre-Lucanie), 290291' 320-321' 558. MÉTAUROS (hab., S. Bruttium), 320. Métèques/Métoikni, 233, 470. MÉTHANA (pén., E. Argolide), 67, 68. MÉTHONÉ (hab., S. Messénie), 241, 388; -(hab., O. g. Thermaïque), 217, 292. MÉTHYMNA (mod. Molivos, hab., N. Lesbos), 106 ; cf. Arion, Hellanicos. Mètis, 536 ; cf. éthique sociale. MÉTQN (p.hist.), 47. METSOVO (hab., E. Épire), 70. MEYER Ed. (aut.M.), 61. MEYERSON L (aut.M.), 414. MIDAS (p.hist.), 114-116, 119, 141, 149, 194; Mitâ de Mushku, 114, 149; cf. Gordion, Phrygiens. MIGDOL (hab., E. Delta), 302 ; cf. Pélusiaque. MILA (hab., O. Messénie), 98. MILÉSIENS, MILET (hab., Ionie), 9, Il, 72, 111-113, 115, 118, 127, 147, 151, 153, 195-203, 214, 260, 278, 283, 293-306, 311, 320-321, 326, 354, 363, 427, 461, 469, 474, 497-498, 539-542, 546-547, 552-557,565,575; site de Galabak Tépé, 151, 198; révolte de-, 542, 553; sac de - , 14, 532, 555, 575; cf. Grecs de l'E., colonisation, Hécatée, Thalès. MILQfiRTIMELQJJRT (f.div. phén.), 124, 262, 264, 293, 522 ; cf. Tyr, Héraclès. MIL71ADE l'Ancien (p.hist.), 233, 276, 298, 493 ; - le Jeune (p.hist.), vainqueur à Marathon, 105, 233, 298, 535, 575-576. MIMJŒRME (aut.A.), 199, 442, 444; cf. lyrisme.
61 0
ùs Grecs et la Méditerranée orientale
Mine(s), - d'or et d'argent du Pangée, 72, 107, 252, 481, 492, 575;- de cuivre en Eubée (?), 78 ; - de plomb argentifère dans le Laurion, 81, 266, 465, 487, 491, 495, 577 (Maronée); - d'or à Thasos, 107, 252; - d'or et d'argent en Lydie, 115; - de cuivre à Chypre, 120, 254, 263 ; - de fer en Attique, Crète et Eubée, 189; cf. échanges, monnaie, Crésus, Pisistrate. MINET EL-BEIDA -+ UGARIT. MINoA -+ HÉRACLÉA(-MlNoA). MmoENS (ethn.), 14, 18, 21, 103, 205, 207, 264, 340, 376, 435-436, 518; cf. Crétois. Mmos (f.hér.), 35, 99, 117, 207, 213, 264, 336, 341-343, 401, 456, 506, 518, 529; Ennéôros, 341-342; cf. législateur(s), Phéniciens. MIMENS (ethn.), 78 ; cf. Orchomène de Béotie. MIRAMBELLO (g. de - , E. Crète), 103. MissoLONGHI (hab., S. Acarnanie), 76. Mrr1 de Mushku -+ Midas. Mnâ, 475; cf. monnaie. Mnarrumes, 209 ; cf. législateur(s). MoGADOR (île, N. Agadir, Maroc), 288. Moira/Destin, 543, 551. MOWSSES (ethn.), 69, 214, 216-217; cf. Épire. MOMIGIJA.NO A. (aut.M.), 1, 32, 541. MOMMSEN 1h. (aut.M.), 560. MONEMVASIA (hab., S.-E. Laconie), 98. Monnaie, monnayage, 465-476; créséùks, 550 ; dariq,ues, 550 ; drachmes, 4 75 ; cf. Artémision d'Ephèse, Crésus, Phidon, Pisistrate, Solon, échanges. MONOD G. (aut.M.), 539. MONTAGNE BLANCHE/Lefka Ori (0. Crète), 102. MONTE CASASIA (hab., S. Sicile), 318. MONTE DI VICO -+ PlrHÉCUSSES. MOPSOS (f.hér.), 145 ; cf. Cilicie, Tirésias. MORÉE - PÉLOPONNÈSE. MoRGANTINA (hab., Sicile centr.), 318. MoTYÉ (îlot de-, O. Sicile), 124, 314, 315, 559 ; cf. Phéniciens, Carthage. MOUSAIOS (aut.A.), ThesfrrOtis, 69. Mmm SINOAS -+ AMATHONTE. MOVERS F.C. (aut.M.), 249. MüLLER KO. (aut.M.), 37, 90, 100, 132, 249. MURRAY G. (aut.M.), 61. MURRAY O. (aut.M.), 441.
MuSES (f.div.), 39, 76, 541 ; Val des-, 78; cf. Parnasse, Hélicon, Hésiode. MYCALE (cap - , Ionie), 10, 106, 113, 202, 212; siège du Panionion, 97, 113, 136, 151, 154, 202, 429, 508 (Poséidon Hélikônios), 543 ; vict. gr. contre les Perses, 581 ; sanct. de Déméter, 363.
MYCÉNIE.NS, MYCÉNES (nécr. et hab., N. Argolide, civ. -), 2, 14, 18-35, 41-42, 54-61, 69, 73, 77-89, 92-103, 111-114, 120, 126130, 133-138, 139-146, 151, 157, 159, 162, 166-170, 174, 178-179, 183-189, 219, 226-228, 253, 256, 259, 264, 266, 270-271, 282, 286, 308, 340, 344, 347397, 407-408, 411-422, 433-436, 440441, 444-445, 454, 464, 508-510, 514, 529, 551, 556, 576; cf. créto-mycénien(s), poésie épique, continuité, sanctuaire(s). MYKONOS (île, N. Cyclades), 362, 395, 438. MYLAI (hab., N. Sicile), 289, 290. MYLASA (sanct., O. Carie), 117 ; Sinuri, 148 ; cf. Zeus Carias. MYIÈIIDES (p.hist.), 319; cf. Syracuse. MnONAS G. (aut.M.), 421. MYONTE (Hab., Ionie), 151. MYRINA (hab., Éolie), 152. MYRMIDONS (ethn.), 331. MYRON (p.hist.), 482. MYRRHINONTE (nécr., S. Attique), 233. MYRSILOS de Mytilène (p.hist.), 197 ; cf. tyrannie. MrsCEILos de Rhypes (p.hist.), 289. Mrs!ENS (ethn.), 112. Mythe(s), mythologie, 3, 7-43, 436-438, 440444; mutlwslmutlwi, 20, 37-39. M171l.ÉNIENS, MYT!LÉNE (hab., E. Lesbos), 22, 30, 34, 101, 106, 112, 137, 195, 197, 202, 231-232, 294, 298, 304, 448, 451, 483, 493, 497 ; cf. Pittacos, Hellanicos, lyrisme.
.NABONIDE (p.hist.), 116, 547, 584;
cf. Babylo-
nie. (p.hist.), 302, 542. NAGIDOS (hab., 0. Cilicie), 201, 301. .NAGY G. (aut.M.), 422. .Noiskoslnaïskoi, 504; cf. sanctuaire(s). .Naoslruwi, 187; P'"orinos naos de Délos, 213; cf. sanctuaire(s), architecture. .NABUCHODONOSOR/.NEBUCHADRESSAR
Index des noms propres et des sujets NAOUSSA (hab., N. Paros), 108. NAPLES (ant. Néapolis, hab. et b. de - , S. Campanie), 258, 266, 287, 319. NAQSH-1-RUSTAM (nécr. de Persépolis), 546.
Naucrares, naucraries, 180, 230, 455, 567-568; cf. Athéniens. NAUCRATIS (hab., 0. Delta du Nil), 79, 121,
145, 199, 201, 257, 260-261, 278, 282283, 296, 301-307, 451, 475, 498, 552553 ; Hellénion, 305 ; cf. emporion, Saïs, Grecs de l'E., échanges. NAUPACTE (mod. Lépante, hab., O. Locride occ.), 76, 175, 221. NAUPLIE (hab. et b. de - , E. Argolide), 89, 93, 246, 358, 388 ; cf. Dryopes, Argos. NAUSICAA (f.hér.), 25, 334 ; cf. Alkinoos. NAVARIN (baie de-)-+ PYLos de Messénie. NAJUENS, NAXos (île, Cyclades centr.), 108,
109, 201, 212, 492-494, 499, 533, 554, 575; cf. Délos, Nikandrè, Lygdamis, guerres médiques ; - , -(hab., E. Sicile),
611
(p.hist.), 471, 537; cf. céramiste(s), échanges. NIL (fl., Égypte/Soudan), 121-122, 257, 301307, 550; cf. Delta, Égypte, Grecs de l'E. NIUSoNM.P. (aut.M.), 37, 348,421. NIMROUD (hab., N. Iraq), 265. NINIVE (mod. Mossoul, N. Iraq), 125; chute de-, 301, 307, 547, 584; cf. Assyriens. NisAIAINisée (mod. Pach~ hab., S. Mégare), 234, 490; cf. Solon. NISYROS (île, Dodécanèse centr.), 66, 199. Nomisrrw., 475 ; cf. monnaie.
NIKOSTHÉNÈS
Nomns/TUITfl(Ji, 474-475, 543, 549, 570; nomima, 416; cf. législateur(s), eunomia, isonomza. NoRA (hab., S. Sardaigne), 124; cf. Phéniciens, écriture(s). NUBIE (ant. Kush, rég., S. Égypte), 303-304, 548. NrMPHES (f.div.), 77, 102, 334, 336; cf. Antre Corycien, Ithaque.
277, 285, 288, 318. NÉARCHOS (p.hist.), 530 ; NÉCHAO (p.hist.) l'"', 121,
cf. céramiste(s).
301; -11, 302-304,
550 ; cf. Saïs. Nécropole(s), tombe(s), sépulture(s), 70-72,
77, 79-80, 84, 91, 95, 103, 108, 160-161, 183-188, 199, 201, 205, 215, 219, 252254, 257, 265, 267, 276, 318, 320, 348369, 373-374, 417-424, 436, 546, 575; drorrws, 115, 256, 350; cf. culte(s) héroïque(s), tumulus/tumul:i. NÉDA (fl. et vallée, N. Messénie), 241. NEKUOMANTEION (sanct., S. Épire), 69, 216; cf. Éphyra. (f.hér.), 24, 98, 136, 331, 488, 497; cf. Nestor de Pylos. NÉMÉE (sanct., Corinthie/ Argolide), 88, 91, 495, 513, 521, 522, 556; cf. Kléonai,
NÉLÉIDES, NÉLÉE/NÉLEUS
Argiens, sanctuaire(s). NEMIROV (nécr., Ukraine, sur le Boug), 120. NÉRÉIDE (f.hér.), THÉTIS, 326, 332. NFSSosiNEITos (f.hér), 62, 437. NESTOR de Pylos (f.hér.), 136, 330-331, 334, 336, 488, 529; (coupe/sfçyplwslkot;ylè de)-, 4, 266, 287, 387, 448. NESTOS (fl., Thrace centr.), 72, 107. NICHORIA (hab., S. Messénie), 90, 97, 519. NICIAS (p.hist.), 47. NIDRI (nécr., E. Leucade), 101. NIKANDRÈ de Naxos (p.hist.), 532.
OANis (fi., S. Sicile), 317. 6ba/ ôbai, 238 ; cf. Spartiates.
Obéloi/obél:iskoi, 143, 189, 243, 246, 373-374, 4 75 ; oboloi, 4 75 ; cf. monnaie, Paphos, Élis, Pise, Héra, Zeus, sanctuaire(s), concours, Hippias, continuité, architecture. OLYNTHE (hab., S. Chalcidique), 71,217; cf. Bottia:ens. ONCHESTOS (sanct., Béotie centr.), 429, 508. O.NÉSIMOS (p.hist.), 531 ; cf. céramiste(s). 0PHELTAS {p.hist.), 373; cf. écriture(s). 0PHELTÈS (f.hér.), 513, 522; cf. Némée. OPVNTE (hab., Locride or.), 76, 77, 221-222. Oracle(s), 508, 515-517; à Éphyra, 69, 216; à Delphes, 76-77, 223-225, 359, 428-431,
484-485, 494, 496-497, 513-518, 551, 578, 580; inspiration crétoise, 506 (cf. aussi colonisation) ; à Akraiphnia, 78, 225 ; à Thèbes, 226 ; à Lévadhia, 226 ; à Oropos, 81, 226 ; à Didymes, 113, 199 ; à Claros, 113 ; à Siwa, 122 ; à. Dodone, 69, 215-216; à Pérachora, 504. ORCHOMÈNE (hab., E. Arcadie), 556 ; - (hab., N. Béotie), 78 ; cf. Copaïs, Minyens. OREITE (f.hér.), 39, 105, 137, 243, 334, 359,
431, 555. Orgéôn/orgéônes, 273; cf. phratrie(s), structure sociale. ORIKOS (mad. Orikum, hab., S. Albanie),
215. (f.hér.), 336. {p.hist.), 197, 498, 546, 550 j cf. Perses, Polycrate. ORONTE (fi., N. Syrie), 79, 121, 122, 255, 427 ; cf. Al Mina. 0ROPOS (hab., N. Attique/Béotie), 81, 226, 573; Amphiareion, 81, 565; cf. oracle(s), sanctuaire(s), Eubée;- (fl., Épire), 216; cf. Dodone. ORPHÉE (p.hist. ?), 38. 0RSIPPOS {p.hist.), 234. 0RTHAGORIDES, 0RTHAGORAS de Sicyol}e (p.hist.), 486 ; cf. tyrannie. 0R1YGIE (îlot d'-)_. SYRACUSE. 0SORKO.N {p.hist.), 123 ; cf. Égypte. ORION
0ROÏTÈS
OssA (mont-, N. Magnésie), 73, 579.
Ostracisme, 571-572. OTHRYS (massif de 1'-, N. g. Maliaque), 73. OuRAL (chaîne de 1'-, E. Russie), 120; cf. Olbia. OuRA.NOS (f.div.), 40. 0URARTÉE.NS, OURARTOU (rég., S. Caucase [Arménie]), 120, 148-150, 255, 259, 295296, 394, 439, 551 ; cf. échanges, métallurgie. Oxnos l'Étolien (f.hér.), 97 ; cf. Doriens. O.çpLES (ethn.), 77, 221-222 ; cf. Locride ace.
PACTOLE (affl. de l'Hermas, Lydie), 11 1, 115, 152-153; cf. Lydie, mine(s). P~QNŒNS (ethn.), 217-218. PAESTUM _. PosEID6NIA. PAGAI (mad. Porto Germeno, hab., N. Mégaride), 234. PAGASAI (hab., S. Magnésie), 73; cf. Artémis, Phères de Thessalie. PAGASÉTIQUE (g. - , S. Magnésie), 73, 79, 218-219; cf. Volas.
Pai.deia, 134, 380, 400, 481, 571, 582, 585; cf. éthique sociale, poésie épique. PALAIKASTRO-RoussolaM:os (hab., E. Crète),
206. PAIAIOKASTRo-Derengli (nécr., S. Thessalie), 73, 352 ; cf. Sophilos. PAIAIOPOUS (hab., N. Samothrace), 107. PALAMÈDE (f.hér.), 386. PALAMÉDE, la- (acrop., Nauplie), 89. PALÉ (hab., O. Céphal!énie), 102. PALERME_. PANORMOS. PALESTINE, 122-125, 145, 259, 302-304; cf. Philistins, Phéniciens. PAllÈNE (pén. de - , O. Chalcidique), 71, 298, 492-493 ; cf. Potidée ; - (hab., Attique), 497, 499 ; cf. Pisistrate. PAMISOS (fl. et val., E. Messénie), 90. PAMPHYUE (rég., E. Lycie), 146, 255, 301,
546. (f.div.), 77. de Léontinoi (p.hist.), 322 ; cf. tyrannie. PANDARE (f.hér.), 328. PANDORE (f.hér.), 17, 40, 42, 43 ; cf. Hésiode. PANDOSIA (hab., S. Épire), 216; cf. Élis. PANGÉE (mont-, ant. Pangaion, O. Thrace), PAN
PANAmOS
Index des noms propres et des sujets 72, 107, 252, 266, 492, 494-495,
c[
mine(s), Phéniciens, Thasiens. PANORMOS (mod. Palerme, hab., O. Sicile),
313-314, 319, 559. PANTAUCA (hab., E. Sicile), 286, 317. PANTICAPÉE (mod. Kertch, hab., O. Bosphore Cimmérien), 1!9, 295, 299. PAPHOS (Palrepaphos == mod. Kouklia et Néapaphos == mod. Ktima, hab. et sanct., O. Chypre), 100, 120, 139-!44, 250-256, 372-376, 441, 552; sanct. d'Aphrodite à Kouklia, 120, 253; nécropole de >, 143, 253, 373 ; siège perse, 399, 554; c[ Tégée, Arcadie, Agapénor, écriture(s), Phéniciens. PARABAILON, fils de Lastratidas (p.hist.), 48. PARAI1A (rég. S.-O. Attique), 568. PARALIMNI ~ac de - , E. Béotie), 78. PARIENS, PAROS (île, Cyclades centr.), 107-
108, 211-214, 233, 278, 292, 294, 450, 533, 576; marbre de-, 45,227, 274; cf. Délos, Thasos, Archiloque. PARION (hab., S. Propontide), 294. PAlus ([hér.), 326, 328-329. PARNASSE (massif du - , Phocide/Doride), 76-77, 222-223, 429, 514-515; c[ Apollon, Delphes, Antre Corycien. PARNÈS (mod. Parnis/Pamitha, mont - , N. Attique), 80, 158, 491. PARNON (chaîne du - , E. Laconie), 89, 90, 246-247 ; c[ Thyréatide, Cynurie. PARRr M. (aut.M.), 9, 28 ; c[ poésie épique. Parthéniai, 240 ; cf. Spartiates, Tarente. PARTHÉNION (mont - , 0. Argolide), 89. PASARGADES/Parsagada (hab., S. Iran), !16, 546-547; cf. Cyrus l'Ancien. PATARA (hab., E. Lycie), 118; cf. Xanthos. PATMOS (île, N. Dodécanèse), 105. PATRAS (hab., O. Achaïe), 91, 97, 102; cf. (g. de) Corinthe. PATROCLE (f.hér.), 330-333, 353, 421. PAUSANIAS (aut.A), 48, 68, 94, 97, 136, 137,
219, 291, 315, 344, 347, 373, 485, 512, 514, 529;- de Sparte (p.hist.), 58!. PAXOS (îlot, S. Corfou), 69. [PÉAN] 1PAlAN (f.div.), 366 ; cf. Apollon. Pédiun, 81 ; cf. aussi (pl.) Lélantine. Peinture, 435-438, 530-531 ; cf. céramiste(s). PÈLAGONES (ethn.), 214. PÉLASGES (ethn.), 105, 131, 298; cf. Lemnos, Thrace.
613
PÉLASGIÔTIDE (district, E. Thessalie), 220. PÉLÉEIPÈLEUS (f.hér.),
23, 77, 326, 329;
cf. Phthia, Phthiotide. PÉLION (mont-, S. Magnésie), 73, 79, 105. l'ELLA (hab., N. g. Thermaïque), 71, 75; cf. Macédoniens, Vergina. PÉLOPIDES, PÉLOPS ([hér.), 87, 9!, 363, 5!3; cf. Olympie, Pélopion. PÉLOPONNÈSE (pén., Morée m.-â.), 10, 16, 61,
76, 82, 87-100, !!2, 129, 131-135 141, 159, 164, 233, 235-247, 267-268, 352, 394, 398, 428-431, 439, 484, 490, 493, 514, 519-522, 525, 534, 542, 553, 555558, 57 5, 580 ; . STÈSAGORAS (p.hist.), 233, 493. STÉSICHORE d'Himère (aut.A), 17, 242, 315, 320 ; Hélène et Géryonide, 451 ; cf. lyrisme. Stoa, 198, 212, 504. STOBÉE (aut.A), 453 ; cf. lyrisme, Callinos. STRABON (aut.A), 22, 68, 71, 97, 135, 137, 214, 274, 294, 304, 312, 347, 519. STRATONICÉE (mod. Eskihisar, 0. Carie), 117. STRATOS (hab., E. Acarnanie/Étolie), 222. Structure sociale, 166-183, 269-286, 388-400, 402-424, 454-465, 476-500. STRYMÈ (hab., O. Thrace), 293. STRYMON (fl., 0. Thrace), 72, 217,491,577; cf. Ennéa Odoi (Amphipolis), Éion, Pangée. SULCIS (îlot, S.-O. Sardaigne), 313; cf. Phéniciens. SULLA (fl., E. Ukraine), 120.
620
Les Grecs et la Méditerranée orientale
SummllCkia!summackiai, 225, 5 79 ; cf. guerre(s). SUSE (hab., S. Iran), 546, 549-550, 552. S173AJIITES, SYBARIS (fl. et hab., N. Bruttium), 97,286,289-291,315,320,321-322,395, 553, 558 ; Thourioi, 289 ; Copia, 289 ; cf. Crotone. SYMI (île, E. Dodécanèse), 105. Symposùm/symposia, 182, 377, 379, 432, 450, 452 ; cf. éthique sociale. Synœcisme(s), 59, 242, 272, 388, 398, 415; rhodien 105 ; sunoikismos, 227, 272. SrRACUSAINS, SYRAcUSE (hab., E. Sicile), 95, 171, 215, 276, 284, 285, 288-291, 315323, 484, 499, 520, 559, 579; Ortygie, 288 ; Gatrwroi, 31 7, 499, 559 ; cf. Dioc!ès. SYRIE duN., 83, 120-121, 125, 147-148, 255256, 260-261, 266, 286, 302-303, 385, 427, 439, 547; cf. Al Mina, échanges, Phéniciens, Chypro-Phéniciens, métallurgie. Smo-PALESTJNIENS, SYRo-PALESTL."Œ, LEvANT, 110-112, 120-121, 122-125, 138, 144145, 154, 178, 201, 204, 248-262, 265, 267, 269, 284, 287, 301, 303, 307-309, 314, 380-381, 384-385, 431, 547; cf. Syrie du N., Phéniciens, Chypro-Phéniciens. Syssitia, 172, 209, 400 ; cf. andrcia.
TABAL (mod. Kayseri?, hab., E. Anatolie), 149, 255. Tagos, 219 ; cf. Thessaliens. TAHARQ,l (p.hist.), 121 ; cf. Égypte, Assourbanipal. Talanton, 475; cf. monnaie. TALOS (f.hér.), 264. TAMASSOS (mod. Politiko, hab., Chypre centr.), 139, 251, 252, 254, 259; cf. mine(s), cuivre. TANAGRA (nécr. et hab., E. Béotie), 226, 451 ; cf. Corinne. TANAis (mod. Don, fl., Ukraine), 299; (mod. Taganrod, hab. Ukraine), 299. TANIS (hab. E., Delta) et TANmQUE (bouche-, Nil), 121. TANTALE (f.hér.), 336. TARENTE/Taras (hab., S. Apulie), 221, 240, 242, 285, 289-292, 319. TARQUINIA (hab. et nécr., S. Étrurie), 312. TARSE (hab., E. Cici!ie), 118, 145, 260.
TARTESSOS (hab., Andalousie?), 141, 237, 267, 283, 311, 498; cf. Arganthonios, Colaios, Phéniciens. TARTOUS (ant. Antarados, Syrie centr.), 123; cf. Arwad. TAUCHEIRA (mod. Tükhra, hab., 0. Cyrénaïque), 199, 300. TAURES (ethn.), 295; cf. Chersonèse Taurique. TAURUS (chaîne du-, S.-E. Anatolie), 114. TAYGÈTE (mont-, E. Laconie), 87, 90, 369. Technè, 432, 438. TECTAIOS et MGÉIJON (p.hist.), 533. TÈGÈE (hab., E. Arcadie), 90, 97, !05, 237, 244-245, 359, 367-368, 388, 431, 555556 ; cf. Oreste, Athéna Aléa, Aphrodite Paphia, Agapénor, culte(s) héroïque(s). TEKKÉ/Ambelokipi (nécr., N. Cnossos), 263265. TEL MIQ)'IE (ant. Ekron, hab., O. Jérusalem), 145. TÉLAMON (f.hér.), 330. TÉLÉGONOS (f.hér.), 326. TÉLÉMAQUE (f.hér.), 25, 334, 336-339. TÉlÉI'ICLÈS (p.hist.), 107, 211,450; cf. Archiloque, Thasos. TÈLINÈS de Géla (p.hist.), 318; cf. Gélon. TELL ARQA (hab. N. Liban), 261. TELL KEISAN (hab., 0. Galilée), 259. TELL MARDIKH (ant. Ebla, hab., N. Syrie), 539. TELL SUKAs/Soukas (hab., N. Syrie), 123, 145, 257-258, 260, 261, 286, 301; cf. colonisation, Al Mina. TÈLYS de Sybaris (p.hist.), 322. TÉMÉNOS, TÉA1ÉNIDES (f. hér. et p.hist.), 75, 90, 133, 218, 241, 244-246, 473; cf. Héraclides, Macédoniens. TéméTwsltéménè, 76, 213, 363, 367, 414, 440, 507, 511, 524; cf. sanctuaire(s). TÉMÈSA/Tempsa (hab., O. Bruttium), 319. TEMPÈ (val. du-, E. Thessalie), 73, 579. TÉNARE/Matapan (cap - , S.-O. Laconie), 87 ; cf. Magne. TÊNÊDOS (mod. Bozcaada, N.-E. Sporales or.), 105, 112. TÊNOS/Tinos (île, N. Cyclades), 80 ; Komi 108. TÊOS (hab., Ionie), 113, 151, 196-197, 202, 265, 299, 304, 451, 553; cf. Anacréon, Phanagoria.
Index des noms propres et des sujets TERIILOS d'Himère (p.hist.), 560 ; cf. tyrannie. TÉRINA (hab., O. Bruttium), 319. TERMILES _. LYCIENS. TERPANDRE (aut.A.), 203, 242, 448, 450 ; cf. lyrisme. TÉTRAPOUS (rég., N. Attique), 81 ; cf. Marathon. THALÈS de Milet (aut.A.), 203, 305, 547, 553. THALÉTAS de Gortyne (aut.A.), 206, 242, 448 ; cf. lyrisme. THAPSOS (hab., N. Syracuse), 286 ; cf. Mégara Hyblrea, Phéniciens. THARROS (hab., 0. Sardaigne), 124, 313; cf. Phéniciens. THASIENS, THASOS (île, N. Égée), 65, 67, 72, 105, 107, 124, 211, 252, 266, 274, 277-
278, 283, 285, 292-293, 575, 576-577; Aliki, 124, 277, 293; cf. Paros, Kastri, Thraces, Phéniciens, Héraclès, mines, guerres médiques. THÉAGÈ.NE de Mégare (p.hist.), 477, 482, 486, 488 ; cf. tyrannie, Cylon. THÉBAl}{S, THÈBES (hab., E. Béotie), 30, 40,
47, 76-78, 81-82, 131, 169, 185, 225-226, 236, 252, 271, 335, 351, 386, 446, 455, 492, 510, 573, 580-581; (hab., H'' Égypte), 121, 302, 306. Thémis, Thémistes, 132, 175. THÉMISTOCLE (p.hist.), 494, 532, 535-536, 575-576, 579-580; cf. guerres médiques. THÉOCLYMÈ.NE (f.hér.), 337-338. THÉODOROS (p.hist.), 198-199, 242; cf. Héraion de Samos. (p.hist.), 62. THÉOGNIS de Mégare (aut.A.), 82, 210, 237, 451, 461, 477, 486; cf. lyrisme. THÉOPHRASTE d'Érésos (aut.A.), 106, 528; cf. Aristote, Lycée, chronographie. THÉOPOMPE (aut.A.), 36, 140, 141 ; de Sparte (p.hist.), 241, 456. THÉODOSE
Théore(s), théorie(s), 212, 513.
621
THERMI (hab., E. Lesbos), 151. THERMOPYLES (passage des - , S. g. Maliaque), 75, 77, 161, 220, 401, 429, 515, 5 79 ; cf. Kallidromo, Anthèla, Delphes, amphictyonie, guerres médiques, Léonidas. THERMOS (sanct., Étolie centr.), 61, 76, 84, 187, 222, 437, 507; « mégaron B >>, 222, 504; cf. sanctuaire(s), Étoliens, architecture. THÉRON (p.hist.), 559-560. THÉSÉEITHÉSEUS (f.hér.), 24, 59, 84, 89, 96,
105, 108, 115, 213, 226-228, 359, 423, 431, 490, 497, 536, 568, 570, 576, 579; cf. Trézène, Alcméonides, culte(s) héroïque(s), agos, synœcisme.
Thesmoi, no11Wi, 5 70 ; thesmothètes, 229, 343. THESPIENS,
THESPIES (hab., Béotie centr.),
220, 579. THESPROTES THESSALIENS,
(ethn.), 69, 216; cf. Épire. THESSAUE (rég., N. Grèce), 23,
65, 70-72, 73, 75, 77-78, 84, 101, 102, 110, 112, 129, 137, 158, 163, 188, 217218, 218-220, 222, 225-226, 352, 396, 408, 428-430, 452, 468, 514, 520, 580; cf. Aleuades, Philia, (l') >, >, guerres médiques, Delphes. THESSAUÔTIDE (district, S.-0. Thessalie),
219. THESSALONIQUE/Salonique (hab., N. Grèce), 66, 70-71; à l'emplacement de l'ant. Thermè, 71. THESSALOS (p.hist.), 492, 496 ; cf. Pisistrate.
Thètes, 174, 392, 462, 468, 479, 562, 571, 5 77, 584 ; cf. structure sociale. THÉTIS (f.div.), 326, 332. Thiase, 498. Tholos/tfwloi, 142, 351-352; - de Ménidi, 357, 505, 510; >, «migrations éolienne et ionienne >> .........................................................................................................
l30
Le problème dorien .........................................................................................
131
Les migrations éolienne et ionienne ...............................................................
l35
3. Chypre et le Proche-Orient: l'hellénisation de Chypre .......................................
l38
4. Les premiers temps de la « Grèce de l'Est>> et l'arrière-pays anatolien ..............
146
Les contacts « Grecs-barbares >> ............................................................................
l53
5. La guerre avant la «révolution hoplitique >> .........................................................
155
Remarques préliminaires .......................................................................................
155
Sources ...................................................................................................................
156
Traits fondamentaux .............................................................................................
159
Armes et modes de combat ..................................................................................
161
Vers une nouvelle conception du combat terrestre .............................................
163
6. La structure sociale et les détenteurs du pouvoir .................................................
166
Généralités ... ... ....... .. ... .... ..... .. ... ... ... ... ... .... .. .. ...... ....... .. ... .... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... .....
166
Panorama de l'organisation sociale avant le VIIY siècle .......................................
169
La transition vers l'époque archaïque ..................................................................
176
L'« aristocratie marchande >> .. .. .... ... ... ........... ... ... ... ... ... ... ... ... .... ... ... ... ... ... ... .... .. ... .
178
Éthique sociale ..... ... ....... ..... ... ... ... ... ... ... ... ... .. ... .. .... ... ... ... ... ... .... ... ... ............... ........
181
7. La culture matérielle de la Grèce des « siècles obscurs >> .....................................
183
Sources de l'information .......................................................................................
183
Habitats et tombes .................................................................................................
185
Métallurgie .............................................................................................................
188
Vêtements et tissus .. ... ... .. .. ...... ... ............. ... .... ... ... ... ... ... ... ... ... .. .. ... .... ... ..... ... .... .... .
190
us Grecs et la Méditerranée orientale
628
Bois .........................................................................................................................
190
Navigation ..............................................................................................................
191
Armements .............................................................................................................
191
CHAPITRE IV - DES DERNIERS TEMPS DE L'ÉPOQUE GÉOMÉTRIQUE AUX GUERRES MÉDIQUES (c.750-c.500) ............................................................
193
1. Les Grecs de l'époque archa1que, région par région ............................................
193
Les
Grecs de l'Est >>
••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••
193
Les Crétois .............................................................................................................
204
Les Eubéens et les Grecs des Cyclades ................................................................
209
La Grèce du Nord et ses voisins septentrionaux .................................................
214
La Grèce centrale ..................................................................................................
221
Les Péloponnésiens ................................................................................................
235
2. Les Phéniciens et le rôle de Chypre en Méditerranée orientale ..........................
248
Généralités .............................................................................................................
248
Chypre entre l'Orient et l'Occident .....................................................................
250
Le monde > et Al Mina ........................................................
25 7
La Phénicie ............................................................................................................
261
L'Égée ....................................................................................................................
262
3. La colonisation, Ire phase (c.750-c.625) : contraintes économiques et crises sociales .......................................................................................................... ...........
269
Généralités ...... .. .. ... ... ... ... ...... ...... .... ... ...... ... ... ... ... ... .... .... ...... ... ... ... ... ... .... ........... .. .
269
La problématique des sources et les traits récurrents ..........................................
27 4
Les causes possibles du phénomène colonial .......................................................
279
Premiers secteurs concernés par ces activités grecques .......................................
286
Italie du Sud et Sicile ......................................................................................
286
ou les > ? ............................
395
Les grandes Cités hoplitiques ................................................................................
401
5. L'apparition des Poleis (origines, nature, définition) ..............................................
402
Considérations préliminaires .................................................................................
402
Les grandes étapes de la recherche ......................................................................
405
Le temps des pionniers ....................................................................................
405
L'apport de l'anthropologie culturelle ............................................................
413
Bilan prospectif .... ... ... ... ... ... ... ... ... .... ... ... ... ... ... ... ... ... ..... ... .. .... ... ... ... ... ... .... ....... ... .. .
41 7
6. Les grands conflits entre Cités en Grèce avant la révolte d'Ionie .......................
425
Remarques générales .............................................................................................
425
Chalcis, Érétrie et > .............................................................
426
La première •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••
428
7. Les Grecs et la Méditerranée orientale : la , premier temps de l'époque archaïque ................................................................................
431
Considérations générales .......................................................................................
431
Arts et techniques ... .... ...... .. .... .. ........ .. ....... .. ... ... ... ... ... .. ... ... ... ... ... ... ... ... .. ... ... ... .. ....
4 35
Mythes, rites et religion ..................................................... :...................................
440
L'alphabet ..............................................................................................................
444
Influences diverses .................................................................................................
454
8. La structure sociale et l'apparition de la monnaie ...............................................
454
Les > ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••.
454
Les premiers législateurs et l'émergence de la puissance publique ...............
454
Table des matières
631
Quelques cas (Sparte, Corinthe, Athènes) ......................................................
456
Hommes libres >> et « esclaves » ....•.....................................•••................•••••.
463
La multiplication des échanges et le rôle de la monnaie ....................................
465
Les échanges économiques ..............................................................................
465
L'apparition de la monnaie ............................................................................
472
9. Les tyrannies « archaïques » ... .... ... ... ... ... ... ... ... .... ... ... ... ... .......... .... ... ... ... ... ... ... ... ... .
476
Considérations générales ............. .. ... ....... ... .. .... .... .. ... ... ......... ........ ... ... ... ... ... ... ... ...
476
Quelques cas remarquables ...................................................................................
483
Corinthe ...........................................................................................................
484