L'enfant artiste

Cet ouvrage est le fruit d’une longue expérience collective. Il aurait pu atteindre un nombre de pages fort imposant tan

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L'enfant artiste

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L’enfant artiste Elise Freinet

Cet ouvrage est le fruit d’une longue expérience collective. Il aurait pu atteindre un nombre de pages fort imposant tant est riche la moisson venue de milliers d’écoles travaillant selon les Techniques Freinet de libre expression. Elise Freinet animatrice du mouvement international de l’Art Enfantin au sein de L'Ecole Moderne a retenu et condensé les divers aspects d’une grande cause : celle de la culture à l’école primaire. Le dessin d’enfant en est l’argument essentiel, celui qui peut le plus aisément être pratiqué, généralisé dans la grande masse des écoles publiques. C’est dire que cet ouvrage est d’abord pratique, soucieux d’acclimater l’expression graphique dans toutes les classes de villages et de villes. A cet effet, il conseille, explique, propose les solutions les meilleures pour obtenir les résultats les plus encourageants dès la mise en pratique du dessin et de la peinture libres. Il n’est nullement question ici d’un cours didactique selon les règles classiques de la leçon de dessin. La scolastique a fait son temps. A période moderne, pédagogie moderne : dès l’école maternelle, le dessin d’enfant est libre, créé sans aucune règle préétablie et sans aucun souci de choix. Partir de cette liberté qui est la clé de toute expression spontanée s’avère comme la meilleure des pédagogies. Il suffit de regarder avec attention les nombreuses reproductions de dessins et peintures d’enfants qui illustrent les chapitres, pour sentir combien elles sont intéressantes sur le plan humain et plastique. Sans nul doute, comme l’affirment avec enthousiasme les éducatrices qui entrent dans le débat, nous sommes en présence d’un Art authentique qui mérite des égards. 11 appartient aux éducateurs, aux parents, aux amis de l’enfance de prendre conscience de ce fait nouveau. Le livre d’ELISE Freinet vient à son heure.

EDITIONS DE L'ÉCOLE MODERNE FRANÇAISE CANNES

l’enfant artiste

Texte d’Elise FREINET

Imprimerie Robaudy - Cannes

A mes chers camarades de l'Ecole Moderne et à leurs élèves, en témoignage de reconnaissante amitié.

AVANT-PROPOS Le plus grand mérite des hommes est peut-être de se sentir responsables de leurs actes, d’en honorer l'aboutissement sous l’angle de la plus noble conscience. Ceci ne veut point dire qu’ils susciteront pour autant sympathie et acquiescement de la part de leurs congénères, mais bien plutôt qu’ils courront le risque de n’être pas compris dans leurs loyales intentions et même d’être dénoncés comme non-conformistes, dispensa­ teurs de trouble et d’erreur. Mais, quoi qu’il arrive, toute pensée généreuse fertilisée par l’action porte toujours ses fruits. Un moment vient, en effet, où la vérité personnelle, signifiée par le travail patient, est communicative. Bien sûr, le message qu’elle délivre n’est pas reçu par tous, mais il suffit que quelques disciples s’en pénètrent et lui donnent vie à leur tour, pour que l’idée aille de l’avant, prête a faire des miracles pour peu que l’enthousiasme s’en mêle. On ne sera toutefois sauvé que lorsque l’initiative isolée sera devenue pensée collective ; lorsque chacun l’aura acclimatée aux conditions diverses de milieu, la rendant ainsi familière et comme inoffensive en appa­ rence ; alors, seulement, la cause sera gagnée. Au cours de quelques décades de mise à l’épreuve d’une pédagogie naturelle basée sur la libre expression de l’enfant, nous avons vécu les incertitudes et les aléas que comportent inévitablement les idées nouvelles dans un monde plus que tout autre confor­ miste : l’enseignement. Mais, contre vents et marées, les découvertes qui répondent à des besoins, font leur chemin. Nous pouvons dire, nous aussi à notre tour que la cause d’une pédagogie rénovée est gagnée. Elle est gagnée non seulement parce qu’elle apporte des techniques éducatives modernes efficientes, mais aussi parce qu’elle entraîne une reconsidération de la psychologie traditionnelle outrancièrement analytique et vouée à l’immobilisme des facultés de l’âme. L’enfant qui fait à chaque instant la preuve de ses aptitudes créatrices, qui sans cesse imagine, invente, crée, ne peut être compris, apprécié que par une psychologie de mouvement tout entière à découvrir. Si nous avons posé des jalons solides pour la mise en marche d’une psychologie de l’action, nous ne saurions considérer nos longues années de recherche et de travail comme un acquis définitif. Nous les entendons simplement comme un grand pas fait vers une connaissance dialectique et plus humaine de l’âme de l’enfant et de ses pouvoirs. Il va sans dire qu’il faut pour élargir le champ de la pédagogie ne pas se sentir ligoté, limité par une simple pédagogie d’acquisition. Dans l’ambiance de compréhension et d’amitié de nos Ecoles Modernes, s’éveillent des valeurs qui ne sont point prévues aux programmes scolaires. Telles sont les créations d’art et de poésie qui donnent à nos humbles écoles publiques leur plus émouvant visage. Ce sont fleurs de la sensibilité enfantine et de la sollicitude du maître. Elles n’éclosent que dans un climat de confiance et de liberté où la sympathie et l’accueil viennent à la rencontre des initiatives les plus secrètes.

L' école traditionnelle, tendue vers le rendement scolaire et la préparation aux exa— mens, ne manque pas de bonnes intentions, mais les rigueurs des contrôles intempestifs, la discipline extérieure qu'elle doit maintenir, briment a chaque instant la spontanéité de l'enfant. Elle ignore les jardins secrets ou l'enfance heureuse fait chanter ses joies innom­ brables, Le bonheur est une fleur qui a besoin de présences et de tendresse. L'enfant livré a lui-meme perd beaucoup de temps a discerner en lui les hiérarchies nécessaires à la for­ mation de sa personnalité. Un témoin, un aide le sauvera des errements inutiles et des découragements. Si le maître sait remplir ce rôle de catalyseur et de confident, s’il sait aider à franchir les obstacles et à conserver l’enthousiasme et l’initiative, alors sera réalisé l'ideal compagnonnage qui donne a l éducation ses plus grandes chances de réussite, son ampleur et sa subtilité. Et l'on ne s'étonnera plus de découvrir l'enfant-artiste et l’enfantpoète qui chez nous évoluent avec aisance et sûrete alors qu’ils apparaissent dans les classes traditionnelles comme des spécimens exceptionnels et extrêmement rares. Les limitations créées par une pédagogie de simple rendement scolaire n’ont pas permis d'évaluer les possibilités de l'enfont a leur juste valeur. Parents et maîtres ne se soucient jamais que de l’acquis en vue des examens et ils ont une totale défiance des dessins et des poemes d'enfants pour lesquels d'ailleurs les professeurs, à l’échelon plus haut, ont grande commisération. Il a fallu toute la chaude sympathie des artistes et des poètes pour légitimer les créations enfantines et leur reconnaître un certain quotient culturel. Maintenant l élan est donne, il suffit d’acclimater l'expression libre de l’enfant dans des classes résolument ouvertes sur la vie. C’est en apparence facile. Cependant, à y regarder de près, le problème est en réalité d’une ampleur qui risque d’effrayer les tenants de l’immobilisme et de la scolastique pédagogiques. Pour donner un aliment a cet élan prodigieux de l’enfance, c’est toute notre concep­ tion du processus de civilisation qu il faudrait reconsidérer. Nous devons, éliminant radi­ calement toutes entites intellectualistes impuissantes à expliquer et à ordonner le comportement de l enfant, redonner leur dignité et leur valeur fonctionnelle aux consi­ dérations matérielles, physiologiques, humaines et de milieu ; replacer tout processus vital de l enfance sous le signe de l expérience permanente et complexe qui est seule souveraine j grouper, autour de quelques idees simples de bon sens, admises par les plus sincères et les plus dynamiques des hommes de science et lumineusement révélées par les sages, la comple­ xité croissante de nos réactions éducatives; sentir pour les corriger, les raisons d’impuis­ sance et d'echec et découvrir les voies libératrices d’une pédagogie à la mesure de l’homme. Ce n est pas a l’absolu de nos conquêtes, mais à la relativité de nos prétentions, qu’on mesurera la profondeur de nos recherches et l’efficacité de nos conseils. La vie est une conquête. Elle n’est une lutte qu’à cause de nos communes erreurs. C'est par un commun effort des bonnes volontés que s’ouvrira devant l’enfant un avenir à la mesure de ses espérances.

C. et E. Freinet.

Droits de reproduction réservés

Activité spontanée

MARIE-CHRISTINE 9 ans Ecole des Marais (Oise) M. Dufour

ous les enfants du monde dessinent avec spontanéité et grand plaisir. Aux yeux des éducateurs et des parents, ce n’est pas T toujours chose admise et encouragée : elle entraîne temps perdu et risques de laisser-aller nuisibles à la bonne marche d’une vie bien réglée.

Il taille et sculpte les racines et les écorces comme le fait son papa. Quand il ajoute ses œuvres à celles de ses parents, loin de le gronder, tout le monde est content. — C’est toi, mon petit qui a fait ça ? C’est bien ! Nous n’irons pas jusqu’à regretter que tous les enfants ne soient pas fils de maman nègre, mais nous déplorerons l’incompréhension et la rigueur de ceux qui ayant charge d’édu­ quer l’enfant ne tiennent pas compte des élans profonds de sa personnalité. Ils semblent ignorer que le petit être que pourtant ils choyent souvent plus qu’il n’est nécessaire, est riche de désirs et de forces débordantes qui ne demandent qu’à s’exprimer, à se communiquer. Ils ne soupçonnent même pas que tout geste éducatif est d’abord un acte d’accueil et de bienveillance. Le dessin est par excellence l’une des plus riches manifestations d’activité gratuite par lesquelles l’enfant fait appel à l’audience de son entourage pour y prendre appui et asseoir son pouvoir. Dans un milieu favorable, attentif à ses faits et gestes, il ne cesse de se prodiguer par la parole et la mimique pour donner au graphisme qu’il vient si miraculeusement d’improviser un maximum de contenu. Plus il dit, plus il a le sentiment qu’il reste à dire, possédé par un lyrisme qui ne cesse de surprendre. N’en doutons pas, nous sommes là en présence de moyens d’expression complexes, de forces intérieures qui méritent nos égards.

Ecole maternelle, Pont-de-Claix - Isère Mme Andrès

Le maître se fâche si des grafitti insolites s’inscrivent sur les marges des cahiers et des livres. La maman est consternée quand des arabesques inattendues attentent à la netteté de l’appartement voué à la manie des astiquages. — As-tu compris ? faire des gribouillages !

Je

te défends de

Le petit enfant d’Afrique Noire, vivant dans sa case primitive, est beaucoup plus favorisé pour ce qui regarde ses libres acti­ vités. On ne lui défend pas de travailler de ses dix doigts, comme bon lui semble et de laisser courir son ingéniosité là où elle veut aller. Il modèle des poteries, teint les fils de laine, les tisse comme le fait sa maman.

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Mais ce n’est là, dira-t-on, qu’un amuse­ ment de petit enfant qui ne sait pas que la destinée est chose grave. Y prêter attention et encouragement n’est-ce pas aggraver ce penchant à la rêverie et au laisser-aller qui est pour tant d’écoliers un handicap pour réussir des études sérieuses ? Un enfant ne fera jamais rien de ses dessins même les plus soignés et c’est pour finir beaucoup de temps perdu. Parents et maîtres savent en effet que dès la sixième année un élève normal doit savoir lire ; que dès neuf ans, il est pris dans le circuit des contrôles et des examens qui ne laissent aucun répit. Qui s’attarde en route risque de ne plus franchir ce seuil de la sixième qui termine le cycle primaire et ouvre la voie vers des situations lucratives. Bon gré mal gré, il faut s’accrocher à l’étude et bachoter jusqu’à l’épuisement de la ma­ tière grise. Les rares loisirs seront tout entiers pour les sports et la culture physique car la santé a tout de même des exigences.

Difficile problème ! et qui explique les maigres résultats obtenus par l’enseignement du dessin dans les lycées et collèges. Plus favorisées auront été les écoles publiques et tout spécialement les écoles de villages incluses dans le rythme des travaux saison­ niers, ouvertes sur la splendeur des paysages, baignées de simplicité rustique et de vérités primordiales. Dans une telle ambiance, l’éco­ lier ne perd point les prérogatives de l’enfant. A la maison comme à l’école, il a une âme que l’on respecte et que vient exalter et mûrir une pédagogie de libre expression et le noble travail des mains paysannes. C’est ce milieu privilégié qui a servi d’as­ sise à notre pédagogie d’ÉCOLE Moderne toujours ouverte sur la vie. Tout naturel­ lement, nos pratiques de dessin libre devaient s’y épanouir et faire naître de nombreuses écoles-pilotes devenues têtes de file d’un mouvement qui gagnait peu à peu les écoles de villes. Après quelque trente années de patiente et fertile expérience, nous pouvons dire que la partie est gagnée. Notre œuvre commune faite de tant d’obstination, de persévérance et d’espoir, se sent riche de son passé, forte du présent et s’ouvre sans in­ quiétude sur l’avenir.

Ecole de Pont de Lignon (Haute-Loire)

Cependant, aux prises avec les difficultés inhérentes à l’école publique surpeuplée, pauvre, mal équipée, nous savons qu’un devoir de vigilance et de militantisme per­ manent nous incombe. Innombrables sont les parents d’élèves qui pensent que les heures passées à dessiner sont des heures volées à la préparation des leçons et des devoirs qui restent la base de l’école traditionnelle. La grande masse des instituteurs et professeurs n’ont pas compris encore que l’expression artistique revalorise la portée d’un enseignement qui doit cesser d’être scolastique et froid pour devenir personnel et vivant. Les psychologues trop souvent retranchés du chantier bruyant où évoluent les milliers d’enfants sur lesquels ils ont contrôle, ne soupçonnent pas combien la création artistique est riche de personnalité vraie, quelle puissance de libération perma­ nente elle suscite, quelle discipline formative elle instaure au cœur d’une individualité trop souvent troublée.

Si nous voulons voir clair dans ce vaste problème qui dépasse de si loin un simple jeu d’enfant, il nous faut prendre en consi­ dération les critiques parfois frappées de raison qui de part et d’autre nous sont adres­ sées et aussi les petits dénigrements qui inlas­ sablement tentent d’amoindrir une cause pourtant capable de triompher par ses seuls mérites. Ce sont ces mérites qui à nos yeux ont valeur d’expérience vécue, dispensée et pro­ mue, que nous voulons tenter d’abord d’exposer.

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Simplicité de la vocation artistique uand

il nous arrive de visiter quelques-

Q unes de nos Écoles Modernes, c’est touj ours pour nous un réel plaisir : nous en retirons,

mêlée à de multiples impressions, une notion neuve de travail joyeux, d’ambiance fra­ ternelle, de spiritualité non pas suspendue à des hauteurs spéculatives, mais de tout venant au niveau de l’âme pure de l’enfance. L’Ecole DOIT PRENDRE UN NOUVEAU VISAGE

Dès le seuil, on est surpris comme l’est le voyageur par un paysage inattendu, au détour du chemin. Ici, rien ne peut être sus­ pecté, tout se livre et se délivre sans piperies ni arrière-pensée. Les peintures chatoyantes qui font chanter les murs ne sont pas là pour une fête des yeux exclusive et qui ferait oublier les incohérences apparentes de la vie scolaire de chaque jour. Elles sont les enluminures du chantier vivant qui ne va pas sans néces­ saire désordre, où chacun s’affaire à la besogne choisie, où le dialogue entre maître et enfants ne cesse de s’amplifier jusqu’à l’instant où les patiences unies vont toucher le terme de l’œuvre définitive. Assis, debout, allant, venant, chaque enfant porte sa charge comme l’abeille son pollen. Un tel spectacle qui ferait sursauter un Ins­ pecteur habitué à l’immobilité d’une classe “disciplinée”, nous ravit d’aise. On y sent passer une communion d’amitié et d’effort bien émouvante ; les individualités y font bloc vers un devenir permanent qui d’heure en heure prépare un enrichissement appelé, attendu par les âmes ferventes. L’Art n’y tient que la place qu’on lui octroie dans le branle-bas de la vie surprenante qui déferle comme une marée au rivage du gai savoir. S’il est présent sur les murs ce n’est pas à la manière d’un musée - nécropole. C’est parce qu’il est art vivant, ferment et parfum de la moisson du moment, puissance de lu­ mière globale qui ne se soucie pas plus de hiérarchies que le soleil éclairant le monde. C’est un fait naturel. Ce n’est pas en effet une des moindres trouvailles de notre École Moderne d’avoir découvert, à l’épreuve de la pratique, que la création artistique loin d’être une activité exceptionnelle est un fait courant qui té­

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moigne sous une forme un peu plus raffinée, de l’étonnante aptitude créatrice de l’enfant. Si des degrés de valeurs s’y instaurent c’est sous l’effet d’une mise à l’épreuve lucide et d’un quotient de personnalité un peu plus subtil que celui qui préside d’ordinaire à toute habileté manuelle mais qui reste de même essence. S’il n’en était pas ainsi nous n’aurions pu aboutir à ce grand mouvement international d’ART Enfantin qui nous donne sans interruption un sentiment de sécurité et de confiance dans nos démarches éducatives. Devant nous coule le flot joyeux qui se prodigue en expositions circulantes à travers nos provinces et souvent à travers le monde. Notre revue “Art Enfantin” cueille les œuvres les plus originales d’une produc­ tion à jet continu sortie de l’expérience vive de nos écoles. Et de la quantité sort la qualité avec ses marques les plus rassurantes, ré­ pondant toujours à notre attente et légi­ timant à chaque pas nos nobles patiences. On ne pourra plus désormais parler de mis­ sion éducative sans que s’éveille dans l’esprit de tout éducateur digne de ce nom la fresque des œuvres enfantines qui fait chanter la cimaise de milliers de classes. Cette production de masse dit assez que nous n’avons aucune prétention à l’Art, si l’Art doit être considéré comme fruit exceptionnel d’une âme exceptionnelle, tour­ ment de solitude, essence de haut raffinage. La profusion hallucinante des œuvres en­ fantines dénonce à chaque instant le mal­ thusianisme d’un art précautionneusement entretenu pour revaloriser sans cesse les œuvres des Maîtres, emprisonnées à jamais dans des collections rares que garantissent les coffres-forts. Ainsi va s’installant un monde coupé du monde où tel artiste en mal de renom cherche jusqu’à l’épuisement à se maintenir dans son propre culte. Pour que jamais il ne ressemble à d’autres et que, par cette singularité gagnée, il apparaisse comme un génie irremplaçable dans son tout petit univers.

AUTOMNE

Ecole de garçons de St-Benoît, Vienne, Mme Barthot enfants de 8 à 10 ans.

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Ecole Maternelle de Grésillac - Gironde Mlle Lecourt

M. Bouvier Ecole de Tourgeville (Calvados)

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L’univers de nos enfants est incommen­ surable. Il n’est, autour d’eux, pas de limites à leur quête éperdue. Ils sont dans la trame même de la création, intégrés à la sauvagerie initiale et qui ne se soucie de rien d’autre que de joie créatrice. Ils ont à discrétion toutes les merveilles de la terre, le fantas­ tique du ciel, l’intrépidité de leur sang, l’es­ pérance qui fait bouillonner leur cœur d’im­ patience. A chaque instant ils reçoivent et ils donnent sans être jamais marqués du souci d’originalité et de péché de gloire. Ils sont comblés par leur moisson. Ils n’ont rien à ajouter, rien à retrancher, rien à redé­ couvrir et, comme Picasso, ils peuvent dire, sûrs de leur vocation : “Je ne cherche pas, je trouve.” Cependant, c’est justement parce qu’ils trouvent sans chercher qu’ils deviennent suspects aux penseurs qui s’épuisent à courir les chimères. Cette façon soudaine d’être séduit par les choses, cette faculté de s’en emparer sans lutte, de s’incorporer en elles dans le jeu d’une féérie sans cesse renaissante, la joie paradisiaque qu’ils tirent de ce triomphe incessant de la vie, sont - n’est-ce pas ? démarches déconcertantes pour le forçat des méditations solitaires, exilé en des sphères infernales. Mais, à y regarder de plus près, les plus grands, les vrais artistes, ceux qui sont réso­ lument à l’aise en face des réalités, qui font feu de tout bois et prennent leur bien où ils le trouvent, eux ne s’y trompent pas. Et parce qu’ils ont gardé ce privilège de rede­ venir des petits enfants, ils n’ont pas d’ap­ préhension à voler ça et là, à qui ne s’en aperçoit, un peu de matière explosive dont ils font le levain de leur Renouveau. Bien sûr, ils ne le disent pas, mais il serait facile de citer des grands Maîtres qui comptent comme une chance d’avoir eu des enfants à eux pour en recevoir “Visitation ” et enfanter dans la joie. Ils y ont gagné en fertilité, en plénitude, en invention et parfois en tech­ nicité car l’enfant est un grand inventeur de recettes et de procédés qui sans cesse délivrent des secrets. Il est prétentieux, dira-t-on, et pour le moins ridicule, de comparer les œuvres enfantines à celles des artistes. Celles-ci sont pensées, voulues, choisies, ordonnées dans un processus d’évolution d’un tempé­ rament qui, pour s’exprimer choisit son heure. Celles-là, primesautières et déchaînées, ne sont faites que de spontanéité aveugle. L’enfant est un “primitif” vous savez bien ? la première marche de Levy-Bruhl, le stade inférieur de la connaissance, bien avant la montée vers l’épanouissement cérébral de l’homme occidental...

C’est dans des affirmations gratuites de ce genre que l’on sent la traîtrise des mots et la malfaisance des jugements partisans du spécialiste. Il aurait tôt fait de gâcher nos biens et de perdre nos âmes si on le laissait faire. L’enfant est un enfant. C’est tout. Et c’est bien suffisant pour nous rappeler que l’en­ fance est peut-être le plus bel instant de la vie de l’homme. L’enfant n’est ni supérieur ni inférieur à son père. Il a seulement la grande supériorité de savoir rester lui-même et c’est beaucoup. Tout comme l’homme de Sartre il pourrait prétendre être un “indi­ vidu-dieu” puisqu’il sait être à la mesure de son espérance et se choisir comme il se veut. Et quand il s’est choisi, il mobilise en lui une densité affective, suscite une tension, éveille un enthousiasme, une intrépidité qui

vont bien vite faire la nique à tous les raisonnements des penseurs. Mieux peutêtre que l’adulte, il apporte à tout ce qu’il fait un quotient de sensibilité et de person­ nalité qui semble bien être jusqu’ici la marque de l’œuvre d’art. Qui ne voit qu’il y a entre l’artiste-adulte et l’artiste-enfant des points communs dans cet acte initial de présence à leur œuvre et dans la responsabilité qu’ils assument ? Il serait ridicule et un peu malhonnête de les dissocier pour revaloriser l’un et sous-estimer l’autre, voire même le déprécier dans un but intéressé. Nous dirons simplement que si l’Art est une activité tellement difficile, compliquée et qui ne prend de la hauteur qu’à force d’hermétisme ; s’il ne vise qu’à créer un monde de royale solitude où passent des fan­ tômes et s’élèvent des voix d’outre-tombe ;

Ecole de Saint-Cado, Morbihan Ph. H. Robic

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s’il faut pour le servir user de roublardise et de sorcellerie, alors, non, l’enfant n’est pas un artiste. Mais si l’Art entend rester fidèle à son acte de naissance inscrit pour l’éternité sur les parois des grottes du quaternaire ou sur les pierres des pays du soleil ; s’il est signifi­ catif d’une passion de vivre qui se suffit à elle-même sans souci du qu’en-dira-t-on et des bonnes fortunes ; s’il n’est là que pour éveiller en nous ce goût du bonheur et des larmes qui signent les vraies nativités, alors oui : l’enfant est artiste. Mais, heureusement pour lui, il n’en sait rien et il s’en moque.

Cet enfant de 10 ans, Alain GERARD, que l’on voit ici devant l'une de ses œuvres, ne pose pas pour la postérité : il est là, comme l’ouvrier devant son ouvrage, en totale respon­ sabilité. Le pinceau posé, il a pu dire, la conscience tranquille : «Ça y est! C'est terminé!» Le juge­ ment le plus sévère n’y contre­ dirait pas. On pourra voir, au long de ces pages des créations diverses d’Alain GERARD, aujourd’hui adolescent de la 15e année. Dans chacune d’elles on consta­ tera l’élégance et la perfection de la ligne sans bavure, jetée sur la page à la seconde où l’inspiration la délivre.

Ecole enfantine de la Cabucélle (Marseille). Mme Quarante

Ambiance sociale et humaine de l'art enfantin

ans

nos Écoles Modernes où les maîtres

des méthodes basées sur la Dlibreemploient expression, un élève n’est pas un numéro anonyme : il est une personnalité en formation dans un milieu qui le marque de ses limita­ tions et de ses contraintes mais aussi qui souvent lui propose des évasions salutaires. Il reste l’enfant d’un village en apparence paisible, mais où ses parents travaillent dur d’une aube à l’autre. Il est fils de cités ou­ vrières, des quartiers populeux, des banlieues industrielles, pris dans l’étreinte de “la ville tentaculaire” qui à chaque pas dresse ses interdits. Il vit la vie de tout le monde, dans la classe ouvrière où simplement manger est parfois un tour de force au-dessus des ressources d’ingéniosité d’une mère trop surmenée. Dans notre revue “Art En­ fantin ”, des éducatrices et des éducateurs attentifs au sort de leurs élèves évo­ quent tour à tour l’ambiance sociale et hu­ maine qui préside au jour le jour à l’éclosion des œuvres dans leur école si intimement liée au milieu, qu’elle en prend le visage, l’accent et l’odeur. Emouvantes évocations qui donnent à chaque pierre, à chaque motte du terroir, à chaque rue, à chaque caniveau du quartier une âme vaillante dans un monde où on a coutume de se battre avec la diffi­ culté, parfois d’en mourir et quelquefois d’en rire. Voici comment les choses se passent à Marseille, dans la classe enfantine de la Cabucelle dirigée par Mme Quarante,

MONIQUE 6 ans - Ecole de Notre-Dame Limite Marseille - Mlle Quarante

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éducatrice née, qui en toutes circonstances a le contact avec les enfants, la rue, la Pro­ vence odorante et joyeuse : «A Marseille, la “Cabucelle”, c’est un... couvercle... et cela nous était bien égal qu’un certain M. de Cabucel ait légué son nom au quartier : nous en plaisantions en­ semble, avec les enfants, à cause de la mau­ vaise réputation de ses gosses des rues, durs à tenir, vous verrez ! et de ses pâtés de maisons pas bien beaux à voir... du dehors. “Quand la marmite bout, la “Cabucelle chante...” et elle ne cessait jamais de bouillir tant il y avait de choses à y mettre dedans ! Nous voilà bien loin de l'ART à l’École, des grandes maximes et des grands principes

que certains adultes voudraient y chercher — peut-être des grandes recettes de cette magie, un peu parente de l’alchimie, qui transforme les choses que l’on voit, en belles images, en tableaux qui réjouissent les yeux et le cœur. C’est que voilà, entre la rue interminable de pavés, les toits sales “s’ils étaient propres ils seraient roses ”, les cheminées qui dépo­ saient partout leur odeur de fiel ou de graisse, entre le quartier, quoi ! et les belles ima­ ges, il y avait les enfants. Leurs yeux, leurs mains, leurs cœurs et pourquoi ne pas le dire - leurs petites langues qui allaient bon train : à Marseille, vous savez, ce qu’on a envie de dire, pour­ quoi le taire ?

Tout cela s’engouffrait, s’entassait entre les murs gris des provisoires, mais durables baraques grises ! A l’heure où la vieille cloche fermait la porte de la rue et, en principe les petits becs, où l’école ronronnait de tables de multi­ plications et de participes passés, dans la douzième classe les langues se déliaient pour le texte libre et les petits doigts se mettaient à courir sur les feuilles blanches. Alors, on allait tout droit, ou en flânant, vers la moisson du jour. Les portes étaient fermées : mais je crois qu’on oubliait un tout petit peu exprés de fermer les fenêtres !

... Un bateau qui appelle le remorqueur, c’est bien connu, vous entraîne au bout du monde : il ne nous emmenait souvent qu’au bout du quai, avec les papas dockers ou calfats, soudeurs à bord. Et les feuilles se remplissaient d’étincelles, de sacs de riz (c’était écrit pour qu’on ne se trompe pas !) de balles de jutes et de bateaux à tant de rangs de hublots qu’on aurait dit des tours de Babel maritimes ! Parfois, on entendait le tombereau de nettoiement. Vous ne savez pas, vous, l’im­ portance de la poubelle dans le pays de la rue ? Un tableau (maintenant disparu dans quelque exposition ou tombé en poussière) disait les maisons hautes dans le petit matin mauve, le tombereau fièrement orné de la pelle et de sa couffe en alfa, et le petit chat famélique sur la boîte à “tritus” ô langage Cabucelle, si bien ancré au cœur des rive­ rains, et qui est entré sous la Coupole, avec Pagnol ! « Mon papa, ses outils, c’est le balai et le couffin ”, Qui disait cela ? La plus blonde, la plus rose, la petite fille aux nattes cent fois brossées, la plus sage, la plus studieuse, celle qui chan­ tonnait : “Je suis heureuse de vivre”. et qui écrivait à son cahier comme à un confident : “J’ai des picotements dans mon cœur Devinez qui est-ce ? Une petite poule grise Qui chante comme une chanson d'or Quand j’ai de la joie” Elle peignait à taches étrangement im­ pressionnistes une envolée de jupes, de bras, de chevelures, autour d’un feu de joie... C’était aussi “Assaï ! assaï” ( on n’en entendait jamais plus). On savait qu’il disait “Estrassaîre ! Chiffonnier !” Il a eu, sans le savoir, brave homme ! les honneurs de notre journal (que voulezvous UN CHANT DE CABUCELLE...) et de bien des expositions, sa charrette plus rapiécée que ses chiffons. Et qui donc lui mettait une fleur sur son chapeau troué ? Olga?? Raymonde ? Danièle ? ... Qui voulait.

BRIGITTE 7 ans - Le Chiffonnier Ecole de la Cabucelle - Marseille Mmc Quarante

Ecole de Codalet (Pyrénées Orientales) Mme Vigo

En tout cas, il galope inlassablement sur les pavés, et rebondit avec un bruit de fer­ raille, dans les matins passés ou à venir, sur tant de tableaux que je ne saurais dire. Monde extérieur, monde intérieur, qui peut tracer les limites ? La vie venait à nous, avec ses joies, ses saisons, ses colères... Eh bien, qu’est-ce qu’il disait, ce petit monsieur de la TV “Que je prenne un plan de votre classe ? Ah ! non ! madame ! le bâtiment est trop vieux... la façade ?... Pas question ! — Trop laide, notre Cabucelle ? “Vue du dehors”, peut-être monsieur ! mais pour

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nous elle est un peu belle”, disait Josette ; moi, je la quitterais, je pleurerais !” Non, il n’y a pas de secret à la Cabucelle. Et si vous en cherchez c’est que vous n’aurez pas compris que l’École Moderne, “inlas­ sablement accueillante”, efface les murs gris, les bureaux noirs, pour suivre jusqu’au bout des cœurs, les rues où la chanson de Luccia, la vendeuse au panier : “Salades, escargots, romarin”... marque les saisons, et les échos mordants de la scie mécanique rythmant les pulsations tendres ou fortes de la cité au travail — chan­ son de plénitude .............. la Vie ! ”

D’abord vaincre les difficultés

’ L nées

enthousiasme,

vous le voyez, est toujours à l’aise, toujours facile jusque dans les don­ péjoratives d’un milieu scolaire, à tout prendre, bien décevant ; même quand l’in­ vincible allant des enfants et l’optimisme d’une éducatrice exceptionnelle en voilent la désolante réalité.

Chacun de nos maîtres d’ÉCOLE Moderne qui fait fleurir dans sa classe des œuvres de si grande richesse, sait bien que tout ne vient pas comme par enchantement. Quand on prend conscience de tous les obstacles qu’il faut renverser pour que triomphe une cause aussi noble - mais combien encore discutée et décriée - l’on ne peut s’empêcher d’éprouver grande admiration et reconnaissance pour les instituteurs qui d’avance en prennent les charges. Toutes les réalités oppositionnelles semblent se liguer pour décourager les ini­ tiatives qui n’ont point encore au départ, la fermeté d’une vocation. Il n’y a, chez celui qui se lance dans l’expérience, qu’une indé­ niable bonne volonté et une grande espé­ rance.

Ecole de Crouy-sur-Cossos (Loir-et-Cher) Mme Vrillon

Le milieu scolaire n’est jamais aidant : classes surchargées, écoles sans crédits, pas de possibilité d’installation convenable per­ mettant des conditions normales de travail ; incompréhension des parents et des collègues, souvent des chefs, les uns et les autres domi­ nés encore par les austères obligations d’un enseignement de bourrage et de contrôles intempestifs ; limitation ridicule du temps concédé à la pratique du dessin et des travaux manuels par un horaire en totalité consacré à l’acquisition scolaire et à la préparation aux examens.

Un MATÉRIALISME SCOLAIRE PÉJORATIF

Si l’on ajoute à ces manques regrettables, les incertitudes dans lesquelles se débat le néophyte, voué à l’improvisation et au tâton­ nement, il y a place pour bien des découra­ gements. Entraîner sa classe dans l’aventure c’est s’exposer aux risques de témérité.

Les OBSTACLES MORAUX

Ce n’est pas tout de suite que l’on s’aper­ çoit que la témérité est payante. On devra peut-être, pendant un laps de temps qui semble très long, se contenter de dessins dont la valeur apparaîtra assez incertaine. Il faudra peut-être subir les quolibets et les dénigrements de collègues plus ou moins compréhensifs, simplement surpris ou amusés ou quelquefois mal intentionnés ; accepter les critiques et comprendre les appréhensions de parents plus soucieux de rendement scolaire que d’expression originale de la personnalité de leurs enfants. Et combien laborieux et compliqué apparaîtra le financement d’une tentative qui sera difficilement prise en charge par le budget de la Caisse des Écoles ! Bien souvent le porte-monnaie, déjà fort plat, du maître, fera les frais de l’achat des couleurs, des pinceaux, du papier et des accessoires indispensables au bon fonction­ nement d’un atelier de peinture. Mais vogue la galère ! On ne sait si quelque dieu préside à une telle entreprise pour en préparer le succès, mais sous l’effet d’une réelle confiance en l’avenir, les maîtres vont de l’avant, cuirassés contre les déceptions qu’ils savent inévitables, pleins de confiance dans les possibilités de leurs enfants, en­ couragés par l’exemple chaleureux de col­ lègues ayant réussi ; soutenus par la grande amitié qui, à travers le monde, tisse la chaîne d’une fraternité un peu visionnaire pres­ sentant les valeurs neuves d’un avenir d’édu­ cation humaine et haute. Et c’est ainsi que des milliers d’éducateurs, en apparence un peu hurluberlus, on fait basculer le jeu des probalités funestes, faisant surgir des données négatives du pro­ blème scolaire les forces positives dont l’âme enfantine est garante. Tout naturelle­ ment ils devaient faire la preuve que les résultats répondaient à leur attente, jus­ tifiant leurs dévouements et leurs efforts pour une cause qui désormais se passait d’avocats : Venez et regardez 1

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LOUIS 8 ans École de garçons Pessac-Verthamon Gironde Mme Peyreigne

ANNIE 5 ans École maternelle Saint Marc - Brest Mme Pouliquen

Le succès cependant n’a point pouvoir d’empêcher les scrupules de venir troubler les trop bonnes consciences. Ces œuvres que l’enfant nous livre avec spontanéité et aisance que valent-elles ? Le maître à ses débuts d’expérience sait difficilement les apprécier. Son manque de culture artistique ne le prédispose pas à découvrir dans la réalité une valeur plastique, belle, qui séduit le regard et explique un choix. Au cours de sa brève formation professionnelle rien n’a préparé le jeune élève-maître à l’enseignement du dessin. Les heures de dessin sont pour tous les étudiants du primaire comme du secon­ daire, une occasion de détente et trop souvent de divertissements assez peu éloignés du chahut. On se fait même une sorte de mérite frondeur d’être une nullité en dessin...

Limitation d’une

Cet état de fait regrettable va beaucoup plus loin qu’on ne croit. Il est un obstacle réel à l’épanouissement des aptitudes créa­ trices si vives chez les enfants et tout spé­ cialement chez les tout-petits de la mater­ nelle, de l’enfantine et des cours élémentaires. Alors que dans ces cours, dessiner serait une véritable joie, alors que les chances de décou­ vrir à chaque pas des tempéraments originaux seraient chose si agréable pour peu que les enfants puissent trouver occasion de s’ex­ primer, les leçons de dessin sont de plus en plus écourtées au profit des disciplines géné­ rales. Et pour simplifier les choses et être tout de même respectueux de l’emploi du temps, on fera usage des timbres à caoutchouc, des images à colorier, des modèles à copier, de tout un arsenal d’images laides à reproduire et qui conduisent tout droit à un pompier enfantin exécrable. Rien d’étonnant que l’épreuve de dessin au certificat d’études donne des résultats si décevants tant sur le plan technique qu’artistique. Aussi bien, la majorité des enseignants se sont faits à cet état de choses et ne soupçonnent même pas qu’il pourrait y avoir une véritable production artistique digne de revaloriser l’école laïque et de lui donner au sein de la démocratie, la place qu’elle mérite.

Les ERREURS DE LA SCOLASTIQUE

CULTURE INSUFFISANTE

Le maître-camarade ’ à C manent

ce facteur nouveau d’expression d’art l’école que par un militantisme per­ notre École Moderne essaye de pro­ mouvoir en l’intégrant à une éducation réno­ vée, prenant assise sur la personnalité de l’élève et du maître. Nous nous sommes aperçus, à l’expérience, que l’enfant est apte à signifier ses intérêts profonds, à en faire le moteur d’une acquisition naturelle qui sans cesse le porte vers un élargissement de son savoir, vers un enrichissement de son être intime. Dès lors, le rôle du maître doit répondre à cet appel de l’enfant vers la connaissance. Non plus en prodiguant ce qui n’est pas est

Ecole de Saint Benoît Vienne

Mme Barthot

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demandé, mais en répondant à point donné à l’attente des intérêts de l’enfant, en mettant à sa disposition les techniques éducatives les plus efficientes et mieux encore en faisant compagnonnage avec lui par une présence intellectuelle, morale et affective donnant toute sécurité. Et c’est ainsi ce qui concerne par ses propres offrir, a consenti chemin, soucieux toutes ses chances.

que tout naturellement, en le dessin, l’instituteur qui limitations n’avait rien à à laisser l’enfant aller son seulement de lui donner

Ce qui revenait à dire, dans la pratique, qu’il fallait au départ le munir d’un matériel de qualité laissant, sur le plan technique, toute sécurité de succès, mais qu’il était nécessaire aussi de créer autour de lui une atmosphère de confiance et de liberté, en un mot de faire une ambiance favorable à la libre expression devenue démarche première d’éducation. Chacun de nos maîtres qui dans des mil­ liers d’écoles à travers le monde, ont opté pour ce renversement de valeurs peut dire, en toute simplicité, comment les choses se passent dans le climat particulier de sa classe. Nous demanderons ici à l’une de nos éducatrices les plus soucieuses d’un rendement de qualité, de nous donner les raisons de ses réussites dans sa petite école de village. Nous préciserons qu’il s’agit là d’une pro­ duction de valeur répondant non seulement au don de l’enfant mais encore à l’excellence d’une technique tout entière forgée par les petits inventeurs d’images et par les pré­ sences de l’éducatrice aux mains de lumière. Nous donnons en ce début d’ouvrage, plusieurs reproductions de l’école de Saint-Benoit (Vienne), peintures dans lesquelles on sent un esprit d’Ecole. Il ne s’agit pas ici d'une simple facture picturale apprise pour une bonne fois, mais d’une technique appelée, par la profusion des richesses, la somptuosité colorée des spectacles, la sensibilité personnelle de l'enfant. Il faut avoir sous les yeux une collection d'œuvres des petits de Saint-Benoît pour sentir les infinies subtilités qui caractérisent chaque enfant et person­ nalisent son talent.

« Comment sommes-nous parvenus à une telle maîtrise en sept années d’expérience dans notre humble école de village ? Personnellement, à cette réussite tionnelle, je vois de nombreuses raisons.

Une EXPÉRIENCE DÉCISIVE

excep­

a) D’abord et surtout, en dépit de diffi­ cultés énormes (dépenses exorbitantes, classe surchargée, matériel inadapté, malveillance, fatigue etc...) mon opiniâtreté inébranlable à maintenir dans ma classe, coûte que coûte, un climat d’expression libre aussi bien dans le texte libre que dans le dessin et la peinture permettant à l’enfant, selon le processus cher à Freinet de l’expérience tâtonnée, de vivre dans un éternel dépassement. b) Un cadre extraordinaire de douceur et de beauté dans une nature plus que toute autre sensible aux subtilités saisonnières : prairies en fleurs, rivières limpides, fleuries de nénuphars, ou dorées de feuilles mortes, peupliers des plus variés, marronniers, hêtres, acacias, tantôt en fleurs, tantôt dorés ou cui­ vrés par l’automne, essences délicates des parcs, insectes, oiseaux, serpents, toutes formes de vie nuancées et délicates qui retiennent le regard et plaisent à l’âme. Pour qui sait voir, sentir, écouter, il est impossible d’échapper à “ces vibrations de la vie”, à cette féérie de couleurs jaillissant à chaque pas.

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La plupart des enfants vivent parfaitement libres au milieu de cette nature qui constitue pour eux un exceptionnel décor et le plus merveilleux des recours de joie et de bonheur. c) C’est vraiment une chance pour ces enfants d’avoir eu à leur disposition cette forme supérieure et inespérée de langage qu’est la peinture. Ils se sont par elle exprimés directement, sans avoir recours à la parole ou à l’écrit, et cela pendant 2, 3, 4, 5, 6 années. d) Mon tempérament particulièrement exigeant a pesé sans doute sur la facture méticuleuse des œuvres de mes élèves. Mais aussi, je n’ai jamais séparé mon enseignement de la connaissance de l’enfant et la peinture a été dans ma classe un moyen salutaire d’édu­ cation, permettant de résoudre au mieux les cas particuliers, en nous mettant à l’abri des échecs psychologiques.

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Ecole de Saint Benoît Vienne

Mme Barthot

Dès le début de notre expérience, j’ai pu suivre les démarches de cette extraordinaire éclosion. Les enfants ont commencé à peindre des arbres toujours associés à leur vie et ils sont restés fidèles à cette inspiration. Dès 1952, deux ou trois enfants, particulièrement sensibles donnent le départ, et nous pouvons noter de belles atmosphères automnales qui chantent dans des nuances riches et douces. En 1953, le tableau s’enrichit d’oiseaux, de rivières ; mais les fonds, généralement d’une seule teinte, sont rapidement exécutés.

1954 voit apparaître quelques beaux pay­ sages avec de beaux ciels, souvent bleus ou gris. En 1955, le paysage domine avec de beaux cernes blancs, mais nous avons encore pas mal de déchet. A partir de 1956, le ciel bleu disparaît. L’enfant s’attarde de plus en plus à son œuvre ; il est capable d’y travailler un mois, ce qui représente parfois 15 ou 20 heures de travail. Les fonds deviennent aussi riches que les principaux éléments cernés d’un noir qui donne à l’œuvre une profondeur extraor­ dinaire. La couleur a pris le pas sur la forme, qui se perfectionne tout de même incons­ ciemment sans perdre de son originalité à mesure que l’enfant avance : témoins ces illustrations de cahier où il peint magnifi­ quement en humectant de simples crayons de couleurs. En 1958, l’enfant est un maître. Toutes ses œuvres sont valables ; quelques-unes sont de purs chefs-d’œuvre. Le paysage très riche domine ; les quelques essais de portraits ont beaucoup moins de valeur. Comment les enfants sont-ils arrivés à cette réussite ? Quelle a été ma part ? Certes, le départ m’a demandé beaucoup de travail, de persévérance. Nous n’étions pas riches ; l’enfant réalisait sur de petits formats qu’il fallait agrandir. Les agrandis­ sements n’étaient plus de la création ; ils étaient laborieux et n’intéressaient pas tou­ jours les auteurs. Ils nous ont cependant permis d’avoir des réussites. Mon travail a consisté, pendant ces pre­ mières années : à préparer une palette très propre, impeccable, nuancée, avec des tons doux, assourdis, car j’ai toujours redouté le criard ; à me plier aux exigences de l’enfant (il m’a fallu depuis trois ans renoncer aux couleurs en poudre et n’utiliser que la gouache en gros tubes) ; j’ai assisté en simple témoin, enthousiaste certes, mais absolument in­ compétente, à cette montée (je suis incapable de tenir un pinceau). J’ai été amenée à consi­ dérer comme technique seule valable le tâtonnement qui conduit à la maîtrise, puis à la réussite, à jet continu. Forte de cette magnifique expérience de sept années de peinture libre, je puis apporter le témoignage de la réalité de 1’“Art En­ fantin”, pourvu que l’enfant soit placé dans un tel climat de liberté. C’est cette liberté qui lui permet d’être lui-même et partant, d’exprimer ses angoisses, ses craintes, ses espoirs, son amour du beau, sa joie de vivre, sa confiance inébranlable dans la possibilité d’une libération indispensable au bonheur de chaque individu.”

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D’abord FAIRE CONFIANCE A L’ENFANT

Cet enfant que l’adulte considère du haut de ses prétentions appelées indûment “ex­ périences ” mérite-t-il qu’on lui fasse confiance ? La réponse à la question est si évidente qu’elle ne mérite même pas d’être posée. Il serait ridicule en effet de se demander si l’on peut faire confiance à l’enfant, pour marcher, parler, grandir, choses inéluctables qui tiennent à la vie même et pour lesquelles, heureusement, aucun esprit supérieur n’a songé à créer une méthode. Nous n’avons pas, dieu merci, de spécialistes pour hâter l’ac­ quisition de la marche et du langage, chacun constatant que le bébé s'en tire fort bien par ses propres moyens pourvu qu’il soit or­ ganiquement normal et dans un milieu aidant où en toute occasion il a sécurité et affection. A l’école maternelle, tout reste encore dans le domaine de totale liberté et venue directe de la première enfance. L’enfant y parachève ses moyens d’expression personnels en pour­ suivant son tâtonnement expérimental qui lui permet de prendre appui sur le monde extérieur en s’y taillant une place à sa mesure.

Prendre un BON DÉPART

Les obstacles DE LA SCOLARITÉ

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Toute mère sait très bien que son enfant, de 4 à 7 ans, est déjà fort informé sur la vie et en possession des données fondamentales de son milieu. Il en reçoit à chaque instant des sensations, des idées d’une richesse inouïe. Il sait exiger ce qui répond à ses besoins ; se souvenir de son expérience passée ; in­ venter des situations nouvelles qui agran­ dissent son savoir et son pouvoir intellectuel et émotionnel. C’est dans ce processus d’actes intentionnels que l’expression graphique prend tout naturellement place. Les éduca­ trices maternelles qui savent encore rester des mamans, ont bien compris que le dessin est une technique d’expression de grande valeur pour le petit enfant et dessiner, chez elles, ne pose aucun problème psychologique ou pédagogique qui ne trouve sa solution.

Dès la Maternelle, le dessin fibre mérite attention et sollicitude. Il est une fleur déli­ cate demandant, pour s’épanouir, un climat d’affectivité et de mansuétude. Alors, il prend une signification vraiment humaine que vient toujours compléter l’expression orale de l’enfant.

G. 8 ans. Ecole des Couëts - Bouauenais - (L.-A. M. Le Gai

École Palente garçons, C.M. Besançon M. Daviault

Pour les élèves de 8 à 14 ans, pris déjà dans l’engrenage de l’acquisition imposée qui détruit si préjudiciablement la liberté de l’être, le besoin de s’exprimer par le dessin persiste certes, mais n’a plus cette spontanéité euphorique de la première enfance. Et fata­ lement, dans les graphismes et les peintures, manque un quotient d’affectivité, de person­ nalité qui est à l’ordinaire la marque de l’œuvre vraie, vécue, sentie jusque dans ses détails les plus infimes. Mais que ces enfants, dégagés des contraintes scolaires trop étroites, retrouvent par une éducation plus naturelle et plus humaine, le sens de la liberté, ils parviendront d’eux-mêmes, progressivement, sous l’effet de la pratique, à s’exprimer de façon originale, personnelle, aboutissant à un style significatif d’une intimité déjà réelle et formée. La généralisation de cette aptitude créatrice chez tous les enfants du monde aboutirait à un dossier géant d’œuvres innombrables qui forcerait l’attention des adultes et tout particulièrement celle des spécialistes qui ont charge éducative. On se rendrait compte alors que cette création immense est étran­ gement nuancée, subtile, mettant en valeur des dons de races, de classes sociales, de sexe, d’individualités, donnant tout son prix à la vie dans ses généralités et ses particularismes en un message de grande fraternité humaine vers lequel monte l’appel de nos civilisations inquiètes. Comme une telle réalisation ferait du bien aux adultes tourmentés par tant de soucis créés de toute pièce par une existence anor­ male qui a oublié la simplicité du bonheur !

Nous mettons ici en parallèle deux dessins d'enfants également doués. L’un a huit ans, l’autre douze. Le gamin de huit enclôt tout un monde dans son oeuvre ; c’est la vie cueillie, tous sens ouverts, sans préméditations ni choix, ni démarches préalables. L’adolescent de la douzième année, “réinvente” un pan de nature, ordonné, composé, recréé avec plus de savoir que de spontanéité.

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NATURE MORTE

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École de Peynier, B. du Rh., Mme Gauthier

Les artistes et l’enfant ous savons qu’il est dans notre destin de travailleurs de prendre de la peine pour que notre ouvrage soit efficient et nous laisse sans remords. Mais peuten ce qui concerne la création artistique de l’enfant, n’aurions-nous pas usé de tant de persévérance si nous n’avions pas eu la certitude d’être compris par ceux qui, à nos yeux comptaient le plus, les artistes et les poètes.

N être,

A enfants de plein vent, art de plein vent. L’enfant comme l’artis­ te est possédé par son œuvre ; il la mène jusqu'au bout de ses exigences, parfois dans des conditions difficiles qui aiguil­ lonnent la meilleure volonté : celle que suscite le désir.

Photo École Freinet

Une

page

ou passé :

St. Paul de Vence

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C’est en effet à Saint-Paul-de-Vence, ce petit Montmartre méditerranéen, lieu de repos des gens de Culture, que s’est décidée une sorte de vocation d’Art de I’École Mo­ derne. Notre cher et regretté ami Lucien Jacques s’étant fort intéressé à notre travail, amenait à nous les hôtes illustres de passage et notre humble école devint ainsi un lieu de visite au même titre que l’église avec sa vierge noire du XIIIe siècle. Nous pourrions ici citer les plus grands noms de la peinture actuelle comme caution de la légitimité et des mérites de notre expérience de Saint-Paul. Mais à quoi bon ? Nous avons l’habitude de compter surtout sur nous-mêmes et d’aller, par nos propres moyens, jusqu’où nous pou­ vons aller, sachant par avance que les vérités parties de la base mettent du temps à percer et à devenir évidentes. Nous avons toujours œuvré sans appui de l’autorité établie, pour que notre œuvre puisse parler en son propre nom, faire la preuve d’une efficience que, pour rien au monde, nous ne voudrions laisser croire usurpée.

A saint-paul, du reste, nos pratiques sco­ laires n’étaient pas improvisées : elles fai­ saient suite à quelques huit années de recher­ ches menées avec grande conscience par Freinet à l’école de Bar-sur-Loup où déjà s’était affirmée la valeur d’une pédagogie basée sur l’expression libre de l’enfant. A SaintPaul cependant, les choses se compliquaient d’obstacles inhérents à un matérialisme très décevant contre lesquels on s’épuisait en luttes quotidiennes pour donner à cette classetaudis, sombre et humide comme une cave, un aspect décent, où nos bonnes volontés puissent se sentir à l’aise. De fait, malgré ses misères encore apparentes dans la vétusté du vieux parquet aux lames disjointes, notre salle de travail prit bien vite une ambiance de chantier où fleurissaient à la cimaise, les pein­ tures d’enfants, hautes en couleurs pour donner le change aux murs gris tachés de moi­ sissures.

GABRIELLE 13 ans - Ecole de Perfectionnement Lausanne - Mme Perrenoud.

C’est dans ce décor où l’optimisme s’af­ firmait avec tant d’entêtement que se dérou­ laient souvent de fort passionnants colloques, sur le vaste thème de l’éducation. Freinet ne cessait de brandir comme un flambeau cet argument unique de l'A-Propos de l'outil dont il faisait levier de sa pédagogie. Avec ce robuste bon sens qui est la logique du travailleur, il avait tôt fait de départager les participants à la discussion en deux catégo­ ries : ceux qui faisaient découler l’outil du besoin et ceux qui pensaient que l’outil était là pour qu’on s’en serve à sa guise. Les premiers étant par nécessité des in­ venteurs ; les seconds prenant l’invention comme prétexte à méditation, ce qui revenait toujours à délimiter deux grands thèmes de discussion : travail et dilettantisme.

Les Oiseaux. Ecole de Crouy (L.-et-C.)

Mme Vrillon

Je ne sais pas très bien dans quelles caté­ gorie, les enfants et moi, nous nous trouvions, ou si le cas échéant, nous ne chevauchions pas sur les deux à la fois, mais ce dont je me souviens, avec à distance un peu d’ironie, c’est de la grande exposition de peintures que nous fîmes en 1932. Aprement critiquée par le public assez mal préparé à ce genre de spectacle, elle n’avait porté ses fruits que grâce au chaleureux plaidoyer qu’en faisait Lucien Jacques, et à la verve de La Fouchardière s’amusant lui-même follement à surprendre par ses saillies le conformisme et la banalité des jugements sommaires de nos détracteurs.

Depuis, le temps a marché. Nos efforts ont porté leurs fruits, mais les discussions que nous affrontions avec tant de flamme, il y a trente ans, sont encore pendantes. Nous retrouvons toujours, parmi les servants de l’art, ceux qui affirment que l’Art peut être une chose valable pour le plus grand nombre, capable d’aider à refaire et à recréer un monde nouveau plus humain, et ceux qui postulent pour une sorte de “négation du monde” qui n’appelle ni engagement ni conclusion.

La querelle DU RÉALISME RESTE POSÉE

La querelle du réalisme reste posée. Mais qu’il crée par intention préméditée ou désin­ volte, l’artiste, de toute façon, vit avec son siècle et postule pour la plus grande liberté possible.

Ecole de Codalet. C.E. (P.-O.) Mme Vigo

Sous nos yeux, on déplace les formes, on détruit le rythme fondamental de la réalité ; on rompt avec la couleur locale ; on anime la surface du tableau à sa guise par les amas de peinture, le ciment, le matériau brut arraché à la terre ; on discipline dans des sculptures

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hallucinantes les tôles, le fil de fer, les res­ sorts, toute choses cueillies dans le bric-àbrac des ramasseurs de vieux métaux. L’artiste d’avant-garde milite pour une dia­ lectique nouvelle de ses œuvres, revenu aux humbles sources de l’ordinaire, mû par un intellectualisme outrancier, protestataire. Depuis plus d’un demi-siècle Kandinsky a fait école et se trouve même dépassé par ses disciples. Les “monstres ” de Picasso nous ont du reste appris à tout accepter. Il n’est plus de limite à une réalité, devenue totalement intérieure, délirante et qui n’a de compte à rendre à personne. Nous comprenons bien que l’artiste ne peut échapper à l’anxiété de son époque en continuant à peindre les sujets idylliques et reposants qui caractérisent un art de confort. Nous savons bien aussi que l’art ne saurait s’engager délibérément dans un militantisme politique du moment sans risquer de devenir anecdotique ou de se confondre avec le simple reportage. La technique moderne si perfec­ tionnée a déraciné l’art d’une réalité immé­ diate, historique, dont s’emparent le cinéma, la télévision, le magnétophone. Plus que jamais l’Art doit s’ingénier à signifier l’homme. Mais où est l’homme ? L’Enfant est A LA HAUTEUR DE SON DESTIN

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étudiée pour elle-même pour promouvoir ce facteur de totalité qui a signification de fusion intime du sujet dans la plaque sensible qui l’enregistre et le métamorphose. Certains dessins d’enfants sont d’une telle densité d’expression qu’elles sont un défi jeté à la lucidité et à la perspicacité de l’es­ prit adulte le mieux informé des choses de l’Art. Un examen attentif des œuvres qui illustrent ces pages ne saurait que nous donner raison. Elles ne représentent pourtant qu’une bien infime partie de plus de deux millions de peintures d’enfants qui ont passé entre nos mains au cours de ces trentes années de pratique du dessin libre. Nous ne voulons pas faire dire aux faits plus de vérités qu’ils n’en comportent. Nous Eouvons affirmer cependant qu’examinant la production artistique de nos écoles sous tous les angles de prise de contact qui sont habituels à la pensée critique, on est comme frappé de stupeur en découvrant les mille aspects d’une telle activité créatrice.

Je ne sais. Mais nous sommes, quant à nous, fort heureux d’avoir trouvé l’enfant. Et nous osons dire après les longues années de compagnonnage qui nous ont liés à lui, qu’il est à nos yeux le plus conséquent des artistes et certainenemt aussi le réaliste le plus authentique. Il ne saurait se trahir luimême et moins encore trahir le milieu social dans lequel il vit. Il n’en finira jamais de nous raconter par l’image, cette féérie de tous les instants qui lui vient d’un monde immense et fabuleux auquel il est lié comme par une sorte d’osmose nourricière. Il n’a qu’à se regarder vivre pour être inspiré. Il est, par nature, au-delà de l’Objet et du Sujet, que ce soit par insuffisance de raisonnement ou par privilège de sa sensibilité. S’il n’est jamais à court d’inspiration, c’est peut-être qu’il se sent assez riche pour devenir l’acteur de son propre drame. Et s’il sait exprimer ce drame avec les meilleures chances d’être compris, c’est qu’il est à même de résoudre les problèmes techniques d’un métier dont, dès à présent, il honore l’apprentissage.

École Freinet. J. JACQUES 14 ans

Ce ne sont là cependant que des considé­ rations pour ainsi dire pédagogiques. En réalité, la valeur des œuvres enfantines doit être cherchée plus loin : elle est humaine. C’est sous cet angle qu’elle mériterait d’être

Cette terre cuite, dans laquelle la matière fait corps avec l’inspiration, est significative de cette valeur de TOTALITÉ qui, plus loin que la forme, signifie les résonances de la vie à travers une sensibilité.

Les artistes vrais, venus nous visiter à l’occasion des grandes manifestations de notre Art Enfantin, ne nous contrediront pas. Ils savent mieux que nous que cet Art n’est pas élémentaire, condamné à ne pas survivre, à ne pas évoluer. Mais qu’il contient au contraire, en promesse, un sens de genèse, de rythme qui va plus loin que l’aptitude décorative. Toujours les affirmations d’un style y dominent le chaos. L’enfant n’est jamais un barbare, indifférent aux conclusions de ses œuvres ; il les perfectionne, les ennoblit par une technique patiente et toujours renouvelée. Il n’est pas non plus un primitif car il n’est pas un adulte étreint par les violences instinctives ou par un fétichisme rudimentaire. Il est un civilisé qui sait progressivement s’emparer des moyens que la civilisation met à sa portée et il en use pour le mieux, partant à la découverte, en sachant bien qu’un mieux faire vient toujours récompenser un travail consciencieux. C’est à tout prendre un état d’esprit favorable à la création sincère et que pourraient envier bien des artistes en proie au désarroi d’une inspiration trop souvent inconsistante et qui, pour ne pas sombrer, postule pour l’obscurité et l’hermétisme.

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Le point de vue des parents

i nous nous plaçons ainsi, un peu trop commodément, sous l’autorité des grands S Maîtres, ce n’est point pour nous donner

D’abord UNE PRATIQUE CONSÉQUENTE

d’emblée raison, mais pour ouvrir un plai­ doyer sous les meilleurs auspices, persuadés que les arguments des gens de métier sont les plus convaincants. Ainsi l’écrivain met en exergue l’aphorisme du penseur pour justifier sa propre façon de voir les choses dans les difficultés du moment.

Ecole Maternelle de Saint Cado (Morbihan) Les enfants au travail

Melle H. Robic

Nous n’ignorons pas les critiques qui nous sont adressées de la part de gens autorisés, venus des points les plus divers de l’horizon pédagogique qui limite notre patrimoine. Nous savons que dans ce vaste complexe d’éducation, parents, maîtres, psychologues, pédagogues ont des responsabilités qui jus­ tifient des points de vue différents des nôtres.

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L. 9 ans. Ecole de Neublans (Jura). Mme Belperron

Nous n’avons pas l’habitude de récuser les critiques, persuadés que nous sommes que c’est dans le jeu des contradictions que se repensent les problèmes et que prennent assise des aspects nouveaux nous conduisant à des synthèses neuves plus exhaustives. Nous dirons seulement que, habitués à ne pas nous payer de mots, nous serons toujours orientés vers les pratiques les plus efficientes pour faire avant que de discourir, car celui qui sait faire, possède une science sûre, perfec­ tible et communicable. Notre enseignement, pourrions-nous dire, serait sans paroles si nous n’avions à répondre aux objections paralysantes qui sont pour nous perte de temps et vaines formules. Le meilleur plaidoyer sort des mains habiles. Au long des chemins qui conduisent nos

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petits paysans à l’école du village, en bordure des trottoirs, des rues étroites des quartiers populeux, nous voudrions pouvoir accrocher la guirlande enluminée des œuvres enfantines qui chantent haut et clair. C’est ici, dans le décor des existences quotidiennes que se justifierait leur présence et que porterait témoignage ce paradis d’innocence qui est la signification même du pouvoir créateur de l’enfance. Ce n’est pas un duel que l’enfant livre avec ses détracteurs mais une offrande qu’il apporte, revalorisée, quelle qu’en soit la portée, par le don du cœur. On ne s’in­ quiète ici ni d’avoir tort ni d’avoir raison. On s’y donne simplement rendez-vous d’amitié vers une naturelle joie des choses qui se suffisent à elles-mêmes. Elles sont là parce qu’elles font du bien.

Les habitants de la ville sont familiarisés avec ce que l’on pourrait appeler les articles superflus : ceux qui ne répondent pas aux nécessités de la vie quotidienne mais qui ont leur raison d’être dans ce règne du rêve, du caprice et de la fantaisie qui farandole en marge des obligations austères du travail. Le dessin coloré que l’enfant rapporte le soir à la maison est accueilli comme distraction gratuite, un peu insolite, que l’on examine en souriant mais avec la vague approbation que l’on a pour les choses tolérées auxquelles il faut bien faire une place. Petit à petit, l’on s’aperçoit que ces choses-là ne sont pas sans importance : elles prennent des visages sym­ pathiques à l’occasion de la Fête des Mères ou des cadeaux de Noël et on a tôt fait de les mettre en évidence, enrichis de la tendresse surajoutée.

C’est ainsi que tout naturellement des relations se nouent entre l’école et la famille. Les expositions de fin d’année répondent à l’attente des parents qui repartent les bras chargés des richesses réalisées par leurs en­ fants. Ils ont compris : désormais, ils savent que le dessin est chose utile et agréable. Tout est plus compliqué à la campagne. Le paysan, isolé dans ses terres, conçoit difficilement des activités qui échappent aux obligations des existences simples et rudes. Plus on fait, plus il reste à faire et bon gré mal gré, l’enfant est inclus dans la ronde du travail qui suit inexorablement la ronde des saisons. Il y a toujours de petits travaux, un détail oublié, des bêtes à mener paître, toutes besognes dévolues au “petit” pour que, par la vaillance de ses mains, il apprenne à son tour le métier grave qui ne souffre pas l’àpeu-près ou la fantaisie.

Ecole de Pluméliau (Morbihan) - Mme Péramant

De ces impératifs quotidiens se dégage une sagesse austère faite d’esprit pratique et de haute conscience qui déjà imprègne l’enfant dès son plus jeune âge. Ce sont là conditions peu favorables à la compréhension de cette “vie excédentaire” chère à Jarry et dont l’enfance est si prodigue. On n’admet point ici que la force des bras ou l’habileté des doigts soient gaspillées à des choses futiles, le mérite allant d’abord aux actes pénibles. Le dessin, à quoi cela peut bien servir ? On n’envoie pas les enfants à l’école pour s’amuser mais pour apprendre à savoir faire leur compte, écrire une lettre, de manière à se débrouiller plus tard ; ou bien alors, si le “petit ” est intelligent, “qu’il tire de l’avant ” sans perdre son temps. C’est pourtant dans ce milieu si limitatif de rêve et d’imagination que sont nées, nous l’avons dit déjà, nos plus sûres et plus émouvantes expériences d’expression artistique. Nous pourrions citer des cen­ taines d’écoles qui, depuis des années, sont les foyers vivants d’un art authentique. Toute la population n’y est peut-être pas gagnée à sa cause mais les enfants y créent avec une joie qui est un pain bénit: elle est fruit d’effort accepté, de patientes disciplines, de méticuleuses exigences car ici, l’on tra­ vaille comme l’on prie.

École de Monassut, Hautes-Pyrénées - M. Lalanne

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Et devant tant de ténacité à l’ouvrage, le paysan rompu à la dureté et à la peine a compris qu’une œuvre vraie, signée de persévérance, avait signification de mérite et de maîtrise. Et parce que, grâce à des méthodes pédagogiques plus efficientes, leurs enfants réussissaient bien sur le plan scolaire, parce qu’était assuré le succès aux examens, la population d’abord réticente, se laissait gagner. Les fêtes de fin d’année dans les­ quelles chaque élève devenait acteur, les expositions où tant d’œuvres s’amonce­ laient, donnaient l’occasion aux gens du village de se réunir, de discuter, de se dis­ traire aussi et de comprendre mieux. Ils comprenaient pour ainsi dire par antithèse : habitués à l’épreuve ingrate et dure, ils pre­ naient conscience d’un monde de brio et de facilité qui, comme un chant, répondait à un instinct de poésie jailli d’une source se­ crète que l’homme des champs sent couler en lui au spectacle de la féérie de la terre. Son sens de la sobriété excessive se laissait dépasser par le charme des belles images dont son enfant était le magicien.

LA PETITE ECOLIERE - SIMONE 8 ans

La peinture ou le travail d’Art qu’il tenait dans ses mains était l’aboutissement, il s’en rendait compte, d’un apprentissage de dis­ tinction, où les petites mains œuvraient avec délicatesse pour un travail raffiné peut-être aussi méritant que celui des paumes calleuses et qui donnait fierté et émotion. Et l’action du maître parachevait cet instant de compré­ hension par des actes de sympathie hautement éducatifs, par des contacts, des conversations, des enquêtes, inlassablement poursuivis au cœur d’un terroir au passé millénaire dont

les hommes d’aujourd’hui sont les derniers acteurs et les gardiens des plus anciennes traditions. Cette lente éducation du village, les ins­ tituteurs qui restent de longues années dans le même poste, la conduisent avec un doigté, une efficience, une autorité dignes de tous éloges. Ils s’intégrent à leur tour à l’âme du pays et font de leur école un foyer de culture qui attire à lui les anciens élèves, les parents étagés sur plusieurs générations et tous les amis de l’école laïque.

Au CŒUR DU VILLAGE

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Ecoutons Madame Cauquil, évoquer avec un ton d’évidente conviction, l’atti­ rance que son école-musée exerce sur tous les habitants d’Augmontel (Tarn).

trop de bruit et qu’ils ne nous chassent à grands cris par la porte de la cour, sans penser que nous allons rentrer par celle du couloir pour nous glisser “au Foyer”.

« Les “Cousinié ” portant en Occitan le nom du “Caoussinié ”, cuiseurs de pierre à chaux, et les “Rouane” fileurs et tisserands des toisons des brebis pâturant chichement dans les immenses friches, ont fait souche ici depuis les temps immémoriaux. Mais, alors que les rustiques fours à chaux étirent toujours leurs maigres panaches dans l’air acide de l’hiver, le bistan-cla-que et le bistanflai-ro des métiers à tisser familiaux, qui, de l’aube au soir tombé, rythmaient la vie de chacun, il y a moins d’un demi-siècle, se sont tus définitivement. Seulement, le “Rouanet” n’en a pas pour autant fini avec ses “rouanneries ” ; il ne lui reste plus qu’à aller les filer ou les tisser à l’usine la plus proche et ce n’est qu’à cette condition que le petit village continue de subsister en dépit de la sécheresse, du vent d’autan, et du maigre rapport de ses terres.

Qui a donné ce nom de Foyer à ce capharnaüm respectable où voisinent : un orchestre complet bien rangé dans sa caisse, les livres déposés par le Bibliobus, l’appareil de ciné ainsi que le magnétophone et le projecteur pour les diapositives en couleurs et les ap­ pareils-photos, la machine à écrire et celle à tricoter, tous mécanismes que l’on sait actionner si l’on est raisonnable et maître de ses doigts ?

Toutes ces conditions ont créé une race besogneuse, âpre au gain par nécessité, un peu secrète et tardivement détendue, rou­ tinière par précaution, offrant lentement son amitié, mais saine dans ses réactions et vail­ lante et solide et loyale, faisant des enfants à son image, enfants qu’il fut passionnant de voir grandir et dont il est passionnant encore de voir refluer et affluer les nouvelles vagues. Une maison encore plus blanche parmi les maisons blanches : c’est l’école, l’école où maman nous amène dès notre premier anni­ versaire pour Noël ou pour Saint-Jean, fête de jour et fête de nuit, pour voir évoluer sur un plateau aux murs bariolés, nos grands frères et sœurs qui semblent beaucoup s’amu­ ser malgré leurs tenues bizarres ! L’école, où dès que l’on sait marcher on nous entraîne le dimanche, à la “Maison des Jeunes”, au sport, dans les deux cours, et le jeudi aussi, pour “faire le service” mais surtout pour écrire aux tableaux avec les craies, finir une peinture, passer derrière le Castelet où les “margougnettes ” dorment, vidées de leur substance ; ou encore nourrir la Tourterelle, ou bien le Corbeau, les Perruches et les Têtards, les Chenilles ou le Poisson ; où l’on peut acheter “au libre-service-de-la confiserie-de-la-Coopé ”, et écouter les disques des jeunes gens, tant que l’on ne fait pas

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Comment ne pas désirer alors y être admis aussi à cette école, les autres jours quand les grands y viennent pour lire et pour écrire et pour apprendre et imprimer sur le journal ? Alors, pourvu que l’on n’habite pas trop loin, on s’y fait inscrire vers les trois ans, et l’on y vient, quand on est prêt, entre le sommeil du matin et la sieste de l’après-midi... et l’on y reviendra toujours... On entre chez “les petits”, grande pièce lumineuse, surélevée sur le jardin et toute

projetée par sa cloison de verre sur la forêt, le Causse, la Montagne... Au printemps, tous les verts nous sautent à la figure et en hiver, si la neige tombe, la ronde des flocons devient si sensible que nous les entendons valser... Les années passent, toutes heureuses, toutes pétries de joie sensibles et de travail sérieux, entre l’école et la maison, sans qu’il y ait reconversion deux fois par jour entre l’enfant et l’écolier...

llh

Et puis on a grandi encore un bon coup ; on est devenu un garçon un peu faraud, à la lèvre velue, au regard timide de jeune loup. On a apprivoisé la moto, l’automobile paternelle après le tracteur qui ne recèle plus aucun secret depuis longtemps, mais on revient fidèlement au rendez-vous où revient aussi l’ancienne petite fille devenue femme sans qu’il y ait eu sensation de brisure, bou­ leversement de la personnalité. Les classes, nos classes, nos préaux, nos jardins nous paraissent seulement plus petits qu’autrefois et plus émouvants de s’être mis à notre échelle.

École des Petits - Augmontel - Tarn Mme Cauquil

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Nous trouvons sur les murs, dans les car­ tons, de nouvelles peintures qui ne sont plus les nôtres mais où se gonflent et éclatent les mêmes soleils, car l’enfant que nous étions a légué à celui-ci son adoration pour les fleurs, les grands arbres, la luminosité des couleurs et c’est lui qui est devenu pour le temps qui lui est dévolu le petit prêtre fervent de ce culte païen... Toutes ces sensations confuses d’autrefois, nous sommes stupéfaits maintenant de les comprendre, d’en voir se profiler l’aboutis­ sement et ainsi, insensiblement nous allons vers notre devenir. Nous serons bientôt des parents. Bientôt ce sera à notre tour de remarquer, le soir, la place encore vide de l’enfant, au moment de se mettre à table... Peut-être une voix un peu acerbe dira-t-elle comme autrefois: — Mais enfin, où sont-ils donc à cette heure-ci ? Encore à l’école ? Je me demande vraiment ce qu’ils y trouvent ! Tu le sais, toi ? Alors, nous sourirons répondant : — Oui, moi, je le sais...

intérieurement

en

Cette saine expérience de notre école publique est l’une des plus belles que puisse rêver un éducateur. Elle matérialise dans ses aspects divers cette “EDUCATION DU TRAVAIL”, thème fondamental de notre pédagogie moderne, promue par C. Freinet dans la simplicité du petit village de BARSUR-LOUP (A-M). « C’est au cœur du monde du travail, là où le travailleur et l’homme ne font qu’un que sont le plus efficacement MIS A JOUR DANS LA COMPLEXITÉ DES PROBLÈMES ESSENTIELS LES CHEMINS DE SIMPLICITÉ ET DE CLARTÉ SUR LESQUELS POURRONT S’ENGAGER, AVEC LA MÊME CALME CERTITUDE, TOUS CEUX QUI ŒUVRENT HUMBLEMENT POUR UNE MEIL­ LEURE HUMANITÉ (I) ».

(I) C. Freinet : L’Education du Travail “Delachaux et Niestlé”.

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Un élève de la petite école mixte de Pralognan (1.500 m. d'altitude) a dessiné son village à l'instant privilégié des floraisons printa­ nières. Les maisons rustiques, les prés en fleurs, les pierres des vieux che­ mins, la forêt de sapin y chantent le renouveau dans une symphonie primaire mais combien émouvante et aérée !

LE VILLAGE

Ecole de Pralognan-la-Croix, Savoie. Mme Mounier

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Les inévitables réticences de l’école traditionnelle

Photo École Freinet ais,

ces chemins bucoliques dira-t-on,

M qui semblent tracés par l’imagination du poète, relèvent d’une époque dépassée, cadrant mal avec les autoroutes trépidantes qu’appelle le progrès. L’école de village va elle aussi disparaître au profit de l’écolecaserne qui dispensera aux masses une ins­ truction accélérée n’ayant plus grand chose à voir avec la formation humaine de plein vent, trop souvent entachée d’ignorance. Nous le savons bien, les thérapeutiques qui guérissent à coup sûr sont sujettes à caution pour celles qui ne guérissent jamais. On y suspecte toujours quelque empirisme à courte vue ou quelque magie cachée faisant bon marché des prérogatives de la science. D’au­ tant plus que dans ce domaine précis d’Art Enfantin que nous faisons nôtre, les inco­ hérences perfides et les monstres s’y donnent libre cours. Les analysant, il se trouvera tou­ jours des esprits chagrins pour y reconnaître quelques Fête de fous.

J. JACQUES (15 ans) et son œuvre

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Il y a des états intermédiaires entre la science et la religion, intermé­ diaires que, faute de connaître, on plaçait sous le signe de la magie. Nos grands garçons de 13 à 14 ans qui ont réalisé ces bas-reliefs, ne se posent pas de questions relatives à la connaissance ou à la spiritualité. Us ont tout simplement pensé qu’il y a dû, jadis, y avoir “un moment” où l’homme était encore habité par la Bête. Une Bête gentille et qui avait de la bonne volonté pour aller vers le travail et le bonheur in­ telligent. C’est ce stade de vie qui se dégage de la brutalité des instincts, qu'ils ont voulu saisir. On peut à leur endroit citer la pensée de PLOTIN : "La magie est fondée sur l'harmonie de l'univers, elle agit au moyen de forces qui sont liées les unes aux autres par la sym­ pathie. "

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A tout prendre, peut-être les princes de l’Alchimie firent moins de mal que les faux savants d’une science devenue tabou et im­ personnelle, qui sans cesse désintègre sans chercher jamais à remonter aux sources de l’Unité fondamentale chère aux disciples d’Hermés. Combien plus rassurante était l’ignorance des simples et des naïfs apportant leur offrande à l’œuvre collective qui sacra la chapelle romane ! Mais l’ignorance ne s’ap­ prend pas. C’est là sa grande supériorité sur tous les catéchismes des siècles de dogma­ tisme. Il faut la prendre comme elle est pour la deviner porteuse de sagesse et de biens. C’est surtout dans nos milieux d’ensei­ gnement primaire “qu’une éducation appa­ remment scientifique et objective, de l’ex­ térieur, apparaît comme un leurre”. On y est à chaque pas exposé aux dangers d’une scolastique desséchante d’autant plus dan­ gereuse qu’elle se donne des allures de pro­ grès et isole l’arbre de la terre qui le nourrit. On ne se souvient plus que c’est la sève qui prépare la floraison et donne aux fruits leur parfum et leur saveur. On s’y fait au contraire mérite de sous-estimer la nature pour glo­ rifier la magie moderne si tragiquement coupée des vérités originelles. Nous sommes, nous, au cœur de la féérie du monde et nos enfants jouent sans fin avec les arcs-en-ciel. Nos expositions portent témoignage qu’ils ouvrent tout grands leurs yeux et leur âme aux spectacles des choses et que leurs regards savent cueillir au passage de bien belles images. Ce n’est d’ailleurs pas là ce qui va séduire le philistin habitué à conduire ses troupes dans les pacages sûrs du déjà vu où la règle fait régner sa loi. Il se sent de l’au­ torité et entend la maintenir contre toutes initiatives perturbatrices de l’ordre établi. Cependant, prise dans les difficultés de la pratique scolaire, la grande majorité des instituteurs qui ne briguent pas les “batail­ lons scolaires ” peinent visiblement à leur rez-de-chaussée. Ils achoppent à tant de pro­ blèmes insolutionnables qu’ils sont de bonne foi dans les réserves qu’ils formulent en égard à une pédagogie de libre expression. Débordés par le flot des élèves, ils n’ont point appris à faire confiance à l’enfant et c’est sous l’effet d’une réélle inquiétude qu’ils nous font part de leurs soucis et nous in­ terrogent. Cette facilité de l’enfant à faire surgir de la pointe de son crayon et des poils de ses pinceaux une improvisation inattendue, quel­ quefois étrange, leur donne appréhension et mauvaise conscience.

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École d'Estourmel - Mme Sence.

C’est une grande misère de ne pas voir plus loin que la chose à dessiner. Nous donnons ci-contre, trois spécimens de pein­ tures réalisées par la méthode traditionnelle du dessin-leçon-de-chose.

Les chapiteaux de nos chapelles romanes - à l’écart de tout ésotérisme - sont pourtant là, éternellement, pour nous faire comprendre que l’art est avant tout œuvre joyeuse et libre.

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Des critiques COMPRÉHENSIBLES

« Où va l’enfant par ce chemin-là ? répètentils à l’envie. Peut-on ainsi faire fi des règles pré-établies qui lui servent de guide ? Pour­ quoi ne pas l’astreindre aux exercices de fidélité au modèle si rassurants pour le maître sans culture ? Si l’on élimine de façon aussi désinvolte le facteur de vraissemblance, caution de vérité, à quel critère s’en rapporter pour porter désormais un jugement sûr, nous laissant sans remords sur la qualité des œuvres de nos élèves ? L’objet reproduit avec exacti­ tude met à l’aise le maître et oblige l’enfant à une discipline du regard et de la main qui a réelle valeur pédagogique. Dans notre école publique qui n’a d’autres prétentions que de pourvoir l’enfant d’un bagage bien mo­ deste, il est illusoire de vouloir lui donner accès à l’Art qui reste plus que jamais une activité de luxe. Les enfants du peuple ont besoin de rester objectifs en face de la vie et non de rêver à des chimères dont leurs œuvres donnent souvent un aspect bien inquiétant et bien laid. Car enfin, ces grossières erreurs du dessin vis-à-vis de la morphologie des créatures, des règles de la ligne d’horizon, du rapport des détails à l’ensemble, en un mot toutes les incohérences enfantines ne sont peut-être pas sans danger pour l’équi­ libre mental et psychique. Ne risquentelles pas, en effet, de fausser l’esprit de l’en­ fant en entretenant une imagination déli­ rante qui peut être un jour sous l’effet de traumatismes moraux occasionnels risquera de ne plus trouver de limites à ses déborde­ ments ?

Cette culture commence en vérité à l’ins­ tant où l’enfant, manifestement, ne sait pas dessiner. De 4 à 8 ans, il faut compter, bien sûr, avec la maladresse des doigts qui pour la première fois prennent l’outil ; avec une forme primordiale de structure, portant l’en­ fant vers une diversité primesautière ; avec les influences d’un milieu aidant ou rejetant. Il va de soi que les petits de la maternelle ou de l’enfantine ne sauraient, sans risque, participer au concours de la plus exacte boîte d’allumettes, de la plus fidèle potiche de la Directrice ou du confortable fauteuil du Directeur... Il faut en prendre son parti :

Par ailleurs, il faut reconnaître que ces divagations qui courent trop librement sur le papier et sont par surcroît rehaussées de couleurs vives, ne sont pas toujours belles à voir. Outre leur danger de susciter des erreurs psychologiques et manuelles, elles ont celui d’exposer l’enfant aux fautes de goût et de fausser chez lui le sens de la beauté qui doit rester un critérium universel. Le monde est suffisamment laid comme ça, inutile de charger le tableau et par surcroît de nous le proposer comme un savoir-faire éducatif. » Nous pourrions encore allonger la litanie pessimiste des enseignants restés en dehors d’une expérience si naturelle et si nécessaire que nous la retrouvons à la base de tous les apprentissages de la vie et à la base de toute culture authentique de personnalité.

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Est-il vraiment si laid, ce visage secret aux lignes essentielles, autour duquel fleurissent si généreusement barbe et chevelure ? Quoi qu'il en soit, une pensée l’habite, douloureuse et amère, étrangère à la forme, indifférente à la mise en page défectueuse, témoignage de vie in­ tense.

tout l’arsenal des objets hétéroclites qui tombent sous la main à l’instant de la leçon de dessin échappent à ce qu’il est convenu d’appeler “la zone inspirée”. « Mais, disait Jean Lurçat, il y a quelque quarante ans déjà, (I) nous ne sommes point nés pour dresser un simple procès-verbal de l'existence d’une certaine nature. Plus loin que la réalité des

volumes, des lignes et des couleurs venue à nous par le pouvoir de nos regards, se déroule une vision intérieure redevable à celle qui est authentique, d’un univers nouveau, personnel, que délivre le rêve. Il est par excellence le domaine de l’enfant, et du poète et de l’artiste, qui depuis que l’homme sait penser en expriment les arcanes et les splendeurs. (I) La querelle du réalisme - Ed. Sociales Internationales.

École de VISAN (Vaucluse). M. Constant

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Savoir rêver Heureux ceux qui savent rêver ! Lire du dedans ce qui est image du présent et de l’avenir ! Rattacher le passé à l’aventure quotidienne déjà engagée dans les lendemains que l’on pressent somptueux de vérités à découvrir ! Heureux entre tous, l’enfant de tous les jours pour qui le rêve est une manière d’exister ! Oui, le rêve est bien nécessaire : jusque dans nos obligations matérielles les plus implacables, il chevauche nos attentions, affine nos gestes, prépare un devenir qui va, plus loin que l’ins­ tant vécu, réveiller des résonances à peine pressenties. Il faut avoir rêvé sa spiritualité ou son rationalisme, son simple problè­ me ou son émouvant poème pour leur donner l’ampleur de la foi, la rigueur de l’austère logique, le rythme nuancé de la plus humaine chanson. Il faut avoir rêvé sa "belle ouvrage” avant de la saisir par le bon biais pour la mener rondement de toute l’ampleur de ses bras. Il faut avoir rêvé son bonheur avant de le sentir vivre en soi pour le prodiguer dans tous ses actes au long d’une vie. Nous ne ferons jamais à l’enfant le reproche de trop rêver nous qui savons que rêver est fonction de son thème fondamental. C’est parce que nous avons su nous saisir de ce pouvoir de rêve que notre pédagogie d’expression libre est devenue efficiente dans tous les domaines de la personnalité de l’enfant et tout spécialement dans la poésie et l’Art que tant d’écoles ignorent encore sans que des remords effleurent la conscience des maîtres.

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Du goût et de la beauté notre niveau primaire de mince savoir, on a grand souci du goût et de la beauté. A Faute de prendre contact avec le mouvement artistique moderne qui pourtant va se démo­ cratisant, on en reste encore à des valeurs idéales que l’on croit au-dessus de toute compromission. Quelque chose qui ressemble un peu au mètre-étalon qui dans sa prison de Sèvres garantit la 10.000.000e partie du quart du méridien terrestre. Las ! comme chacun le sait, le globe se dilate et se contracte au gré des grands évé­ nements cosmiques. Si bien que l’on ne conserve en fait qu’une illusion de mètreidéal. Ce qui n’empêche pas nos bons com­ merçants d’user sous nos yeux, de mètres démocratiques plus près de 90 cm que de 100 pour peu qu’ils aient appris l’art de la mesure... Il en est de même des Goûts (et des cou­ leurs) qui ne sont que des approximations du Goût parfait qui au XVIIIe siècle était l’apa­ nage de la bonne bourgeoisie française. On sait avec quelle verve Monsieur de Voltaire catalogua ses contemporains au seuil de son Temple du goût. Merveilleuse occasion d’éli­ miner des adversaires gênants en les ridi­ culisant bassement comme si n’existait qu’une seule manière de bien servir l’esprit.

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Le portrait de ma sœur École des Costes-Gozon (Aveyron) - M. Cabanes

Chaque classe SOCIALE A SES GOUTS

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Le bourgeois moderne a lui aussi son temple du goût qu’il fait fonctionner à son avantage dans tous les domaines de son existence confortable. S’il en est incapable, il a tôt fait d’avoir recours aux spécialistes du goût qui dans l’ameublement, la mode, l’Art garantissent leurs valeurs à la bonne société. Le peuple, lui, a des goûts de son niveau, assez peu valables quand ils lui viennent d’en haut comme une aumône, mais très souvent légitimés par les objets créés avec sincérité et conscience dans le monde du tra­ vail. Il est à craindre cependant que les créa­ tions artisanales originales, issues d’une tratradition sûre ne disparaissent devant la camelote de bazar dont sont inondés les marchés. Le retour aux vieux métiers (po­ tiers, tisserands, ébénistes, ferronniers etc...) ne semble pas toujours garantir les authen­ tiques valeurs du passé. La Beauté, a-t-on coutume de dire, est un degré de plus que le Goût : Voyez la Vénus de Milo ! Comme elle est belle sans ses bras ! Il ne lui servirait de rien de jouer des coudes : elle est le sommet de l’Art Grec (même si elle s’est trompée de siècle). La preuve c’est qu’elle est au Louvre... Mais la vie a tôt fait de chasser les illusions et de renverser les dogmes. La Vénus de Milo, c’est comme le mètre idéal : elle n’a pas cours dans la rue. Rien de plus dange­ reux à manier que la Beauté, cette sei­ gneurie d’un absolu impensable qui condui­ rait à l’implacable solitude le fou qui pense­ rait vivre d’elle. Dans un siècle aussi perfide, aussi fertile que le nôtre en prototypes du beau, à quel canon nous en rapporter ? Il y a une beauté pour tout le décor fabriqué de la vie de l’homme. La beauté, c’est la mode du jour. Il y a une beauté des chiens, des chats, des oiseaux, des poissons, de toute la faune qui double l’existence des snobs. Une beauté pour le style et la couleur de peau des “gens de maison” qui font partie de l’originalité de la maîtresse des lieux. Et bien sûr, il y a la mode tout court, avec ses caprices, ses audaces, ses inconséquences, son ridicule et quelquefois ses éclairs de génie. La beauté pour une civilisation aussi bouleversée que la nôtre n’a plus de visage mais une signifi­ cation morale que garantit l’artiste. Tourné vers des recherches d’équilibre incessantes, il tend de tout son être à échapper à l’envoû­ tement du conformisme. La beauté pour lui, c’est le combat dans la solitude, une tension qui vise à saisir les forces organisatrices qui dans son œuvre signifient un instant pathé­ tique de la vie.

École de Crouy-sur-Cosson (E.-et-L.) Mme Vrillon

Cependant nos humbles artisans restés fidèles à la vertu des mains intelligentes sentent, inconsciemment, une beauté réelle : celle de l’objet adapté à sa fonction. En remon­ tant le cours des siècles, vers les créations archaïques, en se dispersant à travers l’espace vers les tribus les plus primitives, l’esprit découvre une permanence de la forme idéale de l’objet utile.

MARYVONNE 12 ans - Ecole Freinet

Dans la masse du matériau brut les arts ap­ pelés Mineurs - avec quelque inconsé­ quence - attestent de l’à-propos des Styles. Il n’y a pas de hiatus entre les époques qui ont créé le mobilier et l’outillage de base nécessaire à l’existence de tous les jours. A travers le temps et l’espace, les formes exemplaires ont conservé le galbe parfait des rotondités, la courbe des anses, les détails visant à une grande aisance de maniement des objets utiles. Les poteries qui jalonnent les civilisations depuis quarante mille ans, sorties des fouilles sous nos yeux, sont mar­ quées de la même simplicité géniale que les récipients taillés dans le mélèze par les ber­ gers des hauts alpages. On ne dira jamais assez combien le souci de la chose adaptée à son usage a su libérer le génie. Si bien que, de toute part, le génie de l’Art nous subjugue si nous savons ouvrir les yeux. Descendu de son piédestal où des confréries intéressées voulaient le maintenir, le voici devenu familier comme il le fut à l’aube de l’humanité, prêt à servir la satis­ faction des besoins les plus naturels comme les plus raffinés ; prêt à signifier toutes les exigences du cœur et de la pensée ; prêt à imposer la dictature de l’univers intérieur de l’artiste sur une réalité qui pour nous devient de plus en plus obsédante et inhu­ maine.

École de Séguret (Vaucluse) M. Grosso

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École de Plérin-Bourg, (Côtes-du-Nord) Mme Auvray

La sensibilité RÈGLE D’OR DE L’ENFANT

C’est à ce niveau d’universalité de l’Art, à ce niveau de liberté ostensiblement affirmée, déchaînée, qu’apparaît et se signifie l’ex­ pression artistique de l’enfant. Pétri d’inno­ cence et de poésie pure, il est comme la source qui jaillit sans savoir encore où elle va couler. Face à l’extrémisme intellectuel de l’adulte voici que cet enfant qui n’a d’autre prétention que celle d’exister, propose sa Règle d’Or venue en spontanéité à travers les demiteintes de sa sensibilité. Rien qui n’ait inten­ tion de beauté ou de message. Simplement, un vouloir vivre créateur qui explose dans tant d’œuvres étonnantes dont la signifi­ cation est, au-delà des lignes et des formes, une marche vers une puissance organisa­ trice qui a sa vérité, sa lumière et sa joie. Tous nos camarades qui ont acclimaté I’Art Enfantin dans leur classe savent bien qu’il s’agit ici non d’une simple pratique pédagogique, mais d’une démarche édu­ cative appelée à modifier le comportement de l’enfant. Nous ne nous sommes jamais appesantis sur les avantages que suscite dans une classe la création d’œuvres écloses comme familièrement, sans que rien, en

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apparence les prépare. Et pourtant les béné­ fices moraux, inscrits sous un angle de vaste humanité que nous en retirons, ont insen­ siblement donné à nos écoles, à nos élèves, à nos maîtres et à notre grand mouvement international un besoin de dépassement et de culture indéniable. L’enfant absorbé par un dessin qu’il fignole avec tendresse et subtilité, ne se pose pas de questions. Il mobilise tout son être pour faire le mieux possible ce qu’il invente, à l’instant de l’éclosion des forces latentes dont il se sent riche. On ne redoute dès lors ni troubles, ni perte de temps, ni gaspillage d’énergie. C’est cela la véritable discipline. Elle est tout intérieure, dépendante d’une concentration qui est forme supérieure de la vie mentale et elle apporte équilibre et harmonie au groupe. Elle n’a, évidemment, rien à voir avec la discipline des bras croisés dans une classe où l’on entend voler une mouche, où constamment le maître est aux aguets pour déceler les moindres bruits insolites et doit user de punitions et de récompenses pour dénouer les conflits tou­ jours latents.

CÉRAMIQUE

École Freinet

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DJIBRILLA le petit noir du Cameroun est allé dans la brousse

La brousse, c’est des arbres, des buis­ sons,

des

pour

bêtes,

Djibrilla,

des

c’est

oiseaux,

aussi

la

mais grande

force qui a créé tout cela.

Tout

en

marchant

force

autour

de

Djibrilla lui

et

sent il

cette

l’invoque

pour qu’elle lui soit propice.

C’est cette force si riche, si puissante qu’il à

a

la

masque forces nature.

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voulu

représenter

végétation porté qui

sont

sous par

la un

toutes

ici,

associée

forme

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courant celles

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: - -Í

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École de Pitoa, (Cameroun) - M. Lagrave

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Le point de vue...

Photo H. Robic

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École Maternelle de Saint-Cado (Morbihan). H. Robic

des psychologues

Cet adorable bric-à-brac d'un coin de l'école maternelle de St-Cado (Morbihan) donnerait beaucoup de mal aux psycho­ logues qui tenteraient d’en percer le secret par les démarches intellectuelles qui leur sont habituelles. Les lys ramenés de l'étang, la bruyère arrachée à la lande se fondent dans le décor des oeuvres enfantines, de même essence que la vie généreuse qui les fit éclore, dans les humus fertiles de la terre bretonne.

Si totalement engagés dans notre mission éducative, nous ne voudrions pas, à la faveur de ce plaidoyer de l'art Enfantin, courir le risque de nous faire plus malins que nous ne sommes : nous n’entendons surtout pas nous donner raison sans affronter les arguments, depuis si longtemps for­ mulés à notre égard par les doctes confréries qui font profession de penser. Nous n’aurions garde cependant de quémander serait-ce le plus inconfortable strapontin dans les amphithéâtres où certains Maîtres ont beau jeu à régler leur compte aux francstireurs et aux ignorants. Il n’est à leurs yeux de science que celle qui peut s’expliquer et notre savoir est justement d’un monde qui ne s’explique pas, ou du moins, ne sait pas encore s’expliquer. Mais tels que nous sommes, avec nos ignorances avouées, nous ne man­ quons pas de susciter la curiosité et il est même des esprits de grande notoriété qui se penchent avec intérêt sur notre rez-dechaussée où nous avons du moins fait preuve d’endurance et de ténacité. Ils savent que, ras du sol, nous avons fait quelques décou­ vertes valables, et apporté tant de créations originales, que notre travail bien fait est à leurs yeux une preuve globale de la valeur de nos actes. C’est seulement pour expliquer ces actes que nous sommes en peine. Il n’est pas sûr que d’en haut, l’on puisse nous y aider tant sont diverses les façons de com­ prendre les choses et de les dire.

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Ce qui parle manifestement pour nous, c’est l’étendue de notre œuvre collective. Nous œuvrons en effet au sein d’une popula­ tion enfantine de plus d’un million de parti­ cipants. A cette ampleur de généralisation de techniques transmissibles, nous avons l’impression d’avoir dépassé cet empirisme rétrograde dans lequel, par jugement som­ maire, le spécialiste des petits détails si volon­ tiers nous rejette. “Dans l’ignorance où nous sommes de la nature humaine, l'éducation apparemment scientifique et objective de l’extérieur n’est encore qu’un leurre. C’est dans l’individu même que nous allons chercher les fondements et les lignes de notre action." (I).

Les reproductions d’œuvres enfantines qui illustrent les pages 56 et 57 sont un rébus à proposer aux spécialistes de la mentalité de l’enfant. Les mythes et les symboles y auraient beau jeu, mais là n’est pas l'essentiel pour le maître et ses élèves. Ce qui compte, à leurs yeux, c’est la richesse profuse de l’imagination et de la sensibilité féérique. Canalisée vers les jeux dramatiques, transposée dans l’action elle deviendra aboutissement d’un excé­ dent de vie dont il faut d’abord tenir compte.

(I) C. Freinet - D’Education du Travail Delachaux et Niestlé.

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ARMANDE C. 8 ans - Ecole des Costes-Gozon

Georgette TODESCO 11 ans - Ecole de filles, Varacieux (Isère)

Ce renversement des valeurs dans la fonc­ tion éducative où l’enfant devient l’artisan de son propre destin, C. Freinet ne l’a promu qu’après une longue pratique où le travail lui est apparu comme le moteur essentiel de toute éducation. La science, tout comme Art est la forme parachevée de l’activité humaine, sa dialectique doit être de même essence que celle du travail et comme lui, doit répondre à un besoin qui en motive la recherche et l’adaptation.

L’art dans les CLASSES PRIMAIRES EST UN BESOIN ET UNE NÉCESSITÉ

Nos enfants et nous, les maîtres, avons besoin de ce travail de qualité exigeante qu’est notre art d’enfance. Nous ne saurions plus remplir notre tâche éducative sans qu’il vienne l’humaniser, l’embellir pour que soient moins lourdes les duretés d’un métier qui, d’année en année, se fait plus ingrat. L’Art se justifie à nos yeux, comme le pain pour celui qui a faim ou comme l’eau pour celui qui a soif. Nous savons bien que l’on peut manger des nourritures fortes sans avoir de l’appétit ; boire des alcools alors qu’on est assoiffé. C’est dans ces cas que l’ins­ tinct a perdu son sens et sa sagesse : ne se reconnaissant plus, ne pouvant se faire confiance, il attend tout de l’extérieur, et accepte jusqu’au plus étrange n’importequisme, dans l’impossibilité où il est de choisir la provende spécifique qui est la sienne. L’enfant en est encore à cet état de sérénité comme organique, où l’instinct sait prendre la nourriture qui lui revient. Se nourrissant à satiété, il ne perd jamais l’appétit. La tâche éducative dans sa forme en apparence élé­ mentaire, consiste justement à faire en sorte qu’il n’y ait pas erreur dans la fonction de l’instinct et que, toujours, ce qui est désiré justifie ce qui est donné. Éduquer est donc une pratique de continuelles présences : le berger doit sentir vivre son troupeau et dans le troupeau, chaque bête, avec ses façons à elle d’exister. L’éducateur doit être intégré dans les forces secrètes de sa classe et par­ ticiper au paysage central de chacun de ses élèves. Ainsi s’affirme la grande amitié de la compréhension et des échanges sans laquelle il n’y a pas de véritable éducation.

École de Pontenx-les-Forges, (Landes) M. Bertrand

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La documentation A OUTRANCE A SES DANGERS

A quelques exceptions près, les psycho­ logues ne sont pas en contact permanent avec les enfants. Ils ne les regardent pas vivre et ne les aident pas à vivre. Ce n’est pas qu’ils pensent que ce sont là choses sans importance mais leur rôle administratif supplante leur fonction humaine : il leur est impossible d’entrer de plain-pied dans le jeu de l’enfant. Or, il faut partager ses intérêts du moment, s’attarder à des riens, s’enchanter d’infimes aventures, vivre d’innocence et de fantaisie avec lui si l’on veut le mettre en totale confiance. Ces fonctions sans grandeur cadrent mal avec l’autorité des sommités de la spécia­ lisation, aussi sont-elles dévolues à des assis­ tants trop souvent fonctionnaires, plus sou­ cieux de rapports et de questionnaires à rédiger que de vivants contacts avec les enfants. C’est ainsi que par les effets d’une division du travail en apparence méthodique, la majorité des travaux de psychologie se font sur documents au lieu de sortir tout naturellement du comportement de l’enfant en pleine puissance de vie. Certes, le document a ses avantages : il est maniable, exhaustif, éclectique, toujours à disposition pour être consulté et pour renseigner sur un nombre étendu de sujets, ce qui donne, en apparence, force de généra­ lité aux conclusions qui découlent de la pra­ tique des études sur fiches documentaires. Un excès d’ordre, un silence de laboratoire, parachèvent l’image du parfait homme de science, éloigné du tumulte des classes sur­ chargées de nos écoles publiques, fermé sur ses méditations. Mais toute médaille a son revers. Dans l’impossibilité de faire ses observations sur le vif, le spécialiste instaure totalement une psychologie de explication, le document apparaissant comme une énigme à déchiffrer et dont il faut trouver la clé en partant d’une connaissance préalable et préétablie, d’une sorte de théorie de la réalité. Tout ce qui ne cadre pas avec cette réalité risque d’être considéré comme erroné, porté au compte de l’ignorance ou de la débilité et c’est pour­ quoi l’enfant apparaît plus ou moins comme un minus aux yeux des clercs. Avec une patience de bénédictin, le psy­ chologue accumule et étudie des dizaines de milliers de documents dont les question­ naires, les tests, les dessins constituent, si l’on peut dire, les plats de résistance. Et natu­ rellement, il ne peut porter de jugement que sur ce qui est signifié par le document et sous l’angle de sa philosophie personnelle.

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Nous donnons dans ce chapitre des exem­ ples gradués de dessins et peintures pour lesquels les théories préétablies des psy­ chologues ne semblent pas apporter grand secours à la pénétration de leurs secrets. Les qualités artistiques et surtout humaines de ces œuvres s'expriment sur une longueur d’onde que ne captent pas les concepts intellectualistes des lois, des chiffres, des instruments. Elles sont significatives d'un art de vivre et aussi d’une acuité de vivre, devant les­ quels le vocabulaire de la pensée analytique se trouve pris de court : il ne s’agit plus de connaissance mais de données impondé­ rables impossibles à capter et à formuler, Il faudrait pour en saisir la portée signifi­ cative, redevenir enfant de la maternelle ou adolescent, à l’âge de la vie où on a le privilège d’ignorer qu’il y a quelque chose au monde qu’on appelle l’ART et la CONNAISSANCE.

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École de Gex (Ain). M meRobin

Le document DOIT TRADUIRE LE CONTENU DE l’instant VÉCU

Que nous voilà loin de l’enfant, remuant, bouillonnant qui est à l’origine de l’enquête de l’assistant ! Le dessin, le poème ou le chant improvisé, la réflexion enfantine perdent toute leur éloquence s’ils sont considérés en dehors de leur auteur et dans l’ignorance des conditions circons­ tancielles qui en marquent l’authenticité. Un dessin nu, fait le plus souvent sur com­ mande, ne peut témoigner que de ce que la main malhabile de l’enfant a pu consigner. Il laisse de côté l’être si plein de vie impa­ tiente à l’instant de ses improvisations. Il est un rétrécissement de la personnalité et expose à des erreurs de contenu et d’appré­ ciation.

Des erreurs MOMENTANÉES

On ne saurait, par exemple conclure, par simple déduction, qu’un enfant de quatre ans est étranger au réalisme objectif parce qu’il attache des bras filiformes et disproportionnés au cou de son “bonôme” ou parce qu’il gribouille à la dame des cheveux hors de la tête. Si pareilles anomalies se manifestaient autour de lui, il serait le premier à en être surpris, choqué au sens profond du mot, comme d’un manquement dangereux à la réalité des choses. Les parents savent bien d’ailleurs que leur enfant est un obser­ vateur perspicace de détails insolites, ce qui n’est pas sans entraîner parfois des situations comiques mais gênantes pour le savoir-vivre. Si le psychologue interrogeait les mamans sur les incohérences en apparence inquié­ tantes des dessins de leurs enfants, elles répondraient le plus naturellement du monde : — Mais non, soyez sans inquiétude, mon petit n’est pas un anormal. Il sait très bien que les bras partent des épaules et que les cheveux poussent sur la tête. Il connaît toutes les créatures qui l’environnent, les silhouettes lointaines, la démarche des gens, il sait lire sur les visages, et pressent même les nuances de sentiments chez les êtres qui l’entourent. Les erreurs de ses dessins ne sont que momentanées ; dans quelques jours, peut-être dans quelques heures, quand il sera plus habile à manier le crayon, ou sim­ plement plus attentif, il corrigera ses fautes de lui-même. Pour l’instant, il est tout à sa joie de pouvoir globalement camper un bonôme.

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Ainsi, il était grisé, il y a quelques mois, de prononcer les sonorités approchantes des mots difficiles qui, si primitivement reproduits, avaient pourtant, pour lui, un contenu définitif. Il n’y a là qu’une étape d’une technique insuffisante et non erreur psychologique de sa personnalité. Si l’on savait tirer partie des témoignages des mères, la psychologie retomberait sur ses pieds. Elle aurait fini de discourir inuti­ lement sur les défauts du réalisme de l’enfant pour certifier au contraire que dès qu’il sait ouvrir les yeux sur le monde qui l’environne et le séduit, le tout petit voit les choses comme elles sont. Les convives dessinés à plat autour de la table ; les piétons en projection sur la chaussée ; les scènes familiales vues par transparence à travers les murs de la maison ; les manques de proportion des détails par rapport au tout, ne sont pas erreurs ini­ tiales de jugement mais simples conséquences d’une impossibilité manuelle à traduire sur le seul plan graphique des faits se situant dans les quatre dimensions. Il y a dispro­ portion entre le trop à dire et les moyens de dire.

L’École des “bobets” ! On l’ap­ pelle comme ça dans le quartier, parce que dans les autres écoles ils étaient les “bobets”, les cancres de Prévert qui “disent non avec la tête”, qui “disent non au profes­ seur”. “La porte de l’Art enfantin est grande ouverte. Nos enfants ne sont plus des robots. Ce sont des enfants admirés des autres enfants et des grandes per­ sonnes, et même des grandes personnes qui ne comprennent pas grand’chose aux enfants et qui disent : Ils ont des idées originales, ils en ont de l’imagination !” M. PERRENOUD

Si l’on observe, en effet, l’enfant en train de dessiner, et mieux encore si l’on est confi­ dent de son initiative, on se rend compte de tout ce qui échappe au seul graphisme. Les gestes, la mimique, les jeux de physionomie, les commentaires matérialisent en un ins­ tant une affectivité profonde, agissante, un esprit qui déjà sait penser. Pour rester véri­ dique avec la vie, une documentation sûre devrait user du film et du magnétophone. Alors seulement, on serait en possession des données du moment et qui ne sont encore qu’un aspect bien infime de la personnalité de l’enfant. On comprend ainsi le sens réel de chaque dessin, petit drame vécu ou imaginé qui sur le plan moral, intellectuel, humain, va beaucoup plus loin que ce qu’en retient la feuille blanche abandonnée au seul pouvoir du crayon.

École de perfectionnement Lausanne. (Suisse) M. Perrenoud

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L’imagination SUPPLÉE A NOS SENS LIMITÉS FACE A UN UNIVERS INSONDABLE

Cette intervention permanente de l’af­ fectivité qui, en toute circonstance est de premier plan, gêne énormément le rationa­ liste du dogme. Elle échappe à une dialectique où toute conscience doit évaluer sa science. D’un seul mot à l’emporte-pièce, le scien­ tiste caractérise ce manquement à la règle de son jeu : animisme ; il y inclut un contenu dépréciatif comme proche de la confusion mentale, une impossibilité à se connaître et à se reconnaître face à un monde sur lequel il est lui-même si peu renseigné ! Il est cependant des êtres qui considèrent que les instants de communion qu’ils ont avec la nature et les créatures sont leur privilège et leur noblesse : artistes et poètes vivent des compromissions de leur sensibilité avec les beaux spectacles de la terre. Autour de nous l’univers est d’une richesse, d’une ampleur dont nous n’avons pas la moindre petite idée. Nos sens si incomplets en nombre et en pouvoirs ne peuvent nous renseigner sur des réalités que l’esprit ne soupçonne même pas. Plus l’homme découvre, plus sa science grandit son emprise sur le cosmos, plus il prend conscience de ses limitations et de son ignorance ; plus la somme de ce qui reste à évaluer est incommensurable. La dialectique rationaliste perd ses droits devant le fantas­ tique qui dépasse l’imagination la plus hardie.

École des Costes-Gozon, (Aveyron). M. Cabanes.

Près de nous, la personnalité est, elle aussi, un univers refermé sur ses propres mystères. A ses frontières nous ne pouvons que for­ muler des conjectures. C’est seulement ce qui vient d’elle qui peut nous renseigner sur ses potentialités latentes.

Il n'y a pas de hiérarchie des valeurs esthé­ tiques et il y a moins encore de hiérarchie de valeur dans les dessins d'enfants. Ce portrait de matière et de couleur inconsis­ tantes, réalisé par un petit paysan de 13 ans, n’est pas supérieur à la chevauchée joyeuse d’un gamin de huit ans, sur son petit âne. Il n’y a entre eux aucune commune mesure ni dans la technique ni dans l’inspiration. Ils témoignent de façons différentes de la même liberté et de la même humanité pour lesquelles il n'y a pas de procédés qui s'ap­ prennent. C’est l’alchimie intérieure de la personnalité qui en décide.

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Il galopait, mon petit Ane, vite, vite, vite... Comme s’il était dans le ciel... Moi, je tenais les guides, fort. Et j’entendais ses sabots sur les cailloux du chemin.

École de Pralognan (Savoie) - Mme Mounier.

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Il est peut-être d’autres voies VERS LA CONNAISSANCE QUE CELLES DE LA RAISON ET DE LA LOGIQUE

École de Orbec. (Calvados) M. Lainé

Si nous nous penchons avec tant de solli­ citude sur l’expression libre de l’âme enfan­ tine, c’est que nous sommes conscients de la valeur de ses dons, mais aussi, il faut le dire, que nous voulons préserver ces dons des dangers d’une fausse psychologie et d’une fausse culture. “Rien n’est tentant pour les éducateurs comme la scolastique ” (I) et c’est elle que nous redoutons. Une inquié­ tude vient à l’esprit des simplistes qu’en apparence nous sommes : et si les scien­ tistes s’étaient trompés de chemin, si l’im­ passe de notre civilisation si outrancièrement scientifique nous conduisait au labyrinthe dont seule pourrait nous donner la clé la vertu du Petit Poucet ? Ces questions que ne sauraient se poser les fervents d’une science sûre de ses pré­ rogatives et qui ne soupçonne même pas une erreur d’aiguillage, résument pourtant le procès que font aux philosophies rationa­ listes, les idéologies spiritualistes. Pour elles, il est d’autres voies, plus proches de la vérité instinctive de l’enfant que des démarches du savant atomique dont l’inconséquence donne parfois l’impression de friser la démence. Étrangères au pouvoir de la raison, elles postulent pour une revalorisation de la nature humaine dont le couronnement est la sagesse. Pour le spiritualiste, l’art s’intégre aux con­ ceptions philosophiques. Il atteint un pouvoir de suggestion morale qui n’a rien à voir avec ce que nous appelons la Beauté. Ainsi, la danse de Çiva a mille enseignements qui toujours signifient une communion intime de l’âme avec l’essence des choses. Dans cette communion, l’initié touche à un état rayonnant de grâce par lequel il atteint la connaissance. Le rasa, réalité transcendante d’identification du sujet avec l’objet est ens eigné à la jeunesse intellectuelle par les initiés.

(I) C. Freinet - L'Education du Travail Delachaux-Niestlé.

École de Crouy-sur-Cosson (L.-et-C.) Mme Vrillon

••V?

École de la Sône (Isère). Melle Bossan.

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L’Occident méconnaît ces pratiques de libération intellectuelle que ne peut contrôler la science. Il récuse purement et simplement les philosophies orientales et c’est pourquoi elles ne sont pas enseignées dans les Univer­ sités. Ainsi va s’affirmant un esprit de système cadrant mal avec la Raison dont on se recommande. C’est cet esprit de système qui trop souvent régente la psychologie française si ridiculement austère et sèche, dogmatique, alors qu’elle traite de la réalité la plus émouvante et la plus somptueuse : la vie ; alors que monte radieuse et portée par l’espérance l’enfance riche de tant de promesses. C’est une de nos grandes joies d’avoir, par le dessin et par les travaux d’art, donné assise à ces promesses ; de leur avoir permis de prendre un visage, d’exprimer un message pour qu’en reste la réalité. Les psychologues, il faut le constater, sont fermés à une signification profonde de l’ex­ pression artistique dépassant les données classiques de la psychologie. On chercherait en vain dans leurs ouvrages quelques pages, voire même quelques lignes traitant de la valeur plastique ou humaine de tant de créa­ tions originales de l’enfance. N’est-ce pas là, cependant, la part la plus étonnante qui nous soit offerte par la spontanéité enfantine ?

Figure secrète

Alain GÉRARD 15 ans École Freinet

Le facteur de liberté n’est jamais signifié, explicité par les psychologues : c’est une donnée qui échappe à leurs investigations. Cependant, la liberté est, pourrait-on dire, le témoin et le signe d’une personnalité assurée et rassurée. Ces deux dessins d'adolescents de 14 et 15 ans, habitués à la libre expression graphique dont ils sont, pourrait-on dire, des spécialistes, témoignent certes, d’une liberté totale, démesurée. Cependant, la ligne, sûre d’elle-même, devenue moyen d’expression infaillible, passe à l’arrière plan de la chose signifiée. Elle s’efface devant les perspectives secrètes de l’aventure intérieure.

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JEAN-LOU 14 ans École Freinet

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La spontanéité démarche élémentaire de la vie

ais

ce mot de spontanéité qui sonne clair

M comme un cristal, nous vaut à lui seul bien des critiques. Il est pour nos détracteurs l’antre de l’ignorance, la marque d’un empi­ risme invétéré, un état primitif qui ne saurait se dépasser, le règne de l’obscurantisme...

Nous sommes peut-être des naïfs mais il nous est chaque jour donné de constater que, dans la simplicité de la vie, la vérité est tou­ jours élémentaire. Elle est, chez l’enfant, tout l’informulé si riche de sensations, d’in­ tentions, d’impatiences. Le dedans - pour employer l’expression de Teilhard de Char­ din, - ne se signifie que par la spontanéité qui en est le jaillissement. Si elle n’existait pas, les créatures seraient impensables. Elle est la démarche fondamentale de la vie dans toute son ampleur, organique, morale, intellec­ tuelle. Comme la vie elle est perfectible tou­ jours à la hauteur des nécessités et des exi­ gences des êtres. Le savant agit et réagit en spontanéité au cours de ses recherches, comme le nouveau-né dans ses premiers contacts avec le monde. C’est seulement leur degré de perfection qui différencie ces démarches. L’essence en est de même nature. Là où la spontanéité est contrariée, il y a complications, incohérences dans la vie des individus. C’est le cas de tous les retardés scolaires qui, dans un milieu qui leur est devenu hostile, ne savent plus prendre le contact. Mais que leur soient proposées des disciplines faisant appel à leur affectivité et les mettant intérieurement à l’aise ; que soit créée autour d’eux une ambiance de sympathie et de confiance, à nouveau fonctionnent pour eux les réflexes spontanés qui leur permettent de s’exprimer en profondeur et de s’équilibrer.

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École Maternelle Pont-de-l’Arn - (Tarn) - Mme Fournès

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Le dessin, la peinture, la création artistique sous toutes ses formes, sont par excellence des disciplines rééducatrices de la spontanéité. Notre École Freinet a toujours recours à elles dans les cas difficiles où l’enfant comme égaré ne sait plus s’accrocher pour reprendre pied. Les résultats ne se font pas attendre et nous y gagnons souvent un tempérament original se faisant désormais confiance, repre­ nant appui sur la communauté accueillante. Dans le peuple, spontanéité est synonyme de sincérité. On fait confiance à celui qui se donne tel qu’il est, main tendue et cœur offrant. C’est ainsi que se sont accumulées les richesses de la tradition. C’est sans doute quand le savoir au lieu de se prodiguer comme sagesse acquise et transmissible s’est consi­ déré comme chasse-gardée que le don de spontanéité a cessé de livrer ses biens. Les clercs en possession d’un savoir qu’ils en­ tendaient régenter, imposèrent des initiations sévères et des diplômes qui se gagnaient par pénibles apprentissages où l’on peinait comme laboureurs sur des terres en friches. La spontanéité ne servait plus à rien. Le métier s’apprenait par des techniques régle­ mentées, de génération en génération, dans un compagnonnage sans horizon. Les choses n’ont pas tellement changé depuis ce Moyen Age de la scolastique où se perdit le don des simples, riche de génie, personnel, œuvrant à l’édification de l’église romane. Aujourd’hui, l’école traditionnelle, étayée par les examens et les compétitions sur programmes imposés, doit faire sans cesse appel à ce moteur sans grâce : la volonté. Il faut pâtir pour faire entrer dans les mémoires rétives la somme des connaissances exigées et exposées selon la pensée des Maîtres de l’heure. La vie, anormalement tenue en laisse, reprend cependant ses droits dans les actes de spontanéité excessive, tapageuse, incohérente dont la jeunesse actuelle nous donne trop souvent le triste spectacle. Il ne s’agit au fond que d’une erreur pédagogique étouffant la spontanéité au lieu de l’éduquer. Les psychologies occidentales auraient, semble-t-il, beaucoup à apprendre de la tra­ dition éducative des peuples asiatiques, tradition qui récuse la volonté parce que nuisible à l’unité fondamentale de la person­ nalité. Elle lui substitue une concentration authentiquement personnelle, facilitant l’exté­ riorisation de la pensée : pour le Taoïsme par exemple, soucieux par-dessus tout de simpli­

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cité primordiale, l’action idéale doit ne deman­ der aucune tension. Elle ne se fait pas sentir, délivrée qu’elle est par une spontanéité que rien ne vient entraver. Le zen enseigné par les initiés à la jeunesse japonaise la plus héroïque, vise aux mêmes résultats de détente intérieure totale. Les yogas, plus ou moins commer­ cialisés, essayent, en dehors des domaines des psychologues, d’acclimater dans nos sociétés occidentales, les pratiques d’apaisement, d’iner­ tie initiale qui ouvrent les voies de la vraie nature de l’être. Toutes ces pratiques qui sont à l’opposé de l’effort, vont, on s’en doute, beaucoup plus loin que la simple relaxe sur

École des Couëts - Bouguenais - (L.-A.). M. Le Gal.

fauteuil basculant, préconisée par une théra­ peutique de dernière heure, impuissante à endiguer les dangers d’une vie vouée à la vitesse et au surmenage permanent. Cette attitude de respect des élans profonds de la personnalité, explique la mansuétude que l’on a, en Chine aussi bien qu’au Japon, pour l’enfant, promesse de l’homme. On sait qu’il est la réserve de l’avenir, le lien entre la tradition d’hier et la connaissance de demain, l’une et l’autre soucieuses unique­ ment de la mesure de l’homme.

L’enfant, sous nos yeux, fait du Taoïsme ou du Zen à sa façon. Il en est au point d’inno­ cence initiale où l’on fait confiance à ses propres démarches. Il vit selon sa vraie nature, il sait où il va et il y va comme coule l’eau, dans la pente la plus favorable. Ainsi sont préservées toutes ses potentialités. Pour être efficiente, toute pratique pédagogique doit tenir compte de cette pente favorable qui ne se découvre que dans les démarches spontanées de l’être, cœur libre, sens ouverts, dans son départ pour la vie.

Pour être EFFICIENTE TOUTE ÉDUCATION DOIT TENIR COMPTE DES TENDANCES PROFONDES DE l’être

LA NOCE - J. FASSOLE, 9 ans. École de Crouy-sur-Cosson (L.-et-C.). Mme Vrillon

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LE DÉPART POUR LA PROMENADE École des filles de Plumeliau - (Morbihan) Melle S. Le Hellaye

Si nous insistons quelque peu sur cette opposition de deux pédagogies qui, sous nos yeux s’affrontent, c’est que l’enjeu de leur action est grave : il engage l’avenir des générations montantes. C’est aussi que nous connaissons les méfaits des scolastiques par­ tisanes, barrant la route aux initiatives hardies, et neuves, rejetant toutes les expériences étrangères à leur pétition de principes.

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Il serait bien agréable de voir revenir un PIC de la Mirandole, grand bonhomme à l’insatiable curiosité, au grand cœur généreux, pour nous réapprendre cet accueil naturel de toute pensée créatrice, pour nous mettre à l’aise dans toutes les pâtures, où l’homme laisse un peu de son génie car “ce qui a in­ téressé une fois les hommes vivants ne peut jamais tout à fait cesser de vivre”.

DAIDANSOUK 13 ans - Ecole de Pitoa - (Cameroun)

C’est parce que les dessins d’enfants sont si riches de contenu humain qu’ils retiennent longuement l’attention de nos instituteurs d’École Moderne et les orientent vers un dépassement culturel permanent. C’est ainsi que sur le plan psychologique, des maîtres de la base tentent de comprendre mieux le comportement de leurs élèves par l’analyse de dessins spontanés qui bien souvent donnent la clé de troubles psychiques carac­ térisés. Patiemment, ces chercheurs anonymes conduisent leurs observations dans le chantier vivant de leur classe, et armés d’une documentation prise sur le vif, ils essayent de découvrir dans les œuvres des Maîtres des appuis sûrs, des voies déjà tracées, qui leur permettent de mieux comprendre le déroulement des faits psychologiques des personnalités enfantines. Passionnés par leurs travaux, ils s’orientent eux-mêmes dans les domaines d’une psychologie qui pour eux n’est plus livresque mais vivante, redonnant sève aux vérités pressenties par les plus grands psychologues. Sur la pente aisée d’un travail qui les passionne, certains de nos camarades présentent des thèses qui ne leur donnent aucun avantage professionnel, si ce n’est celui de se sentir plus riche, plus efficient dans leurs activités de chaque jour. Voici comment, dans l’introduction à la thèse qui devait lui consacrer le titre de Doc­ teur d’Université (Faculté de Rennes), Mau­ rice Pigeon explique avec simplicité, les raisons de son orientation psycho-pédago­ gique. (I). «Lorsque, à partir de 1933, je me suis délibérément tourné vers l’expérience de l’École Moderne dont C. Freinet et Élise Freinet demeurent les animateurs, les techniques d’expression libre et plus singulièrement le dessin m’ont paru des moyens de choix permettant de passer de la compréhension intuitive et empirique des enfants qui m’étaient confiés, à une connais­ sance de mes élèves plus précise, plus nuancée, plus utile. Et la psychologie de l’enfant, si théorique et ennuyeuse au programme des Écoles Normales des années 1920, en se renouvelant, s’est imposée à moi comme un outil magistral. ”

(1) M.Pigeon “Aspects de la vie affective et du dessin de l’enfant-Essai de Psycho-pédagogie à l’Ecole Moderne (Techniques Freinet).

"... Dès le début de mon expérience de renouvellement pédagogique, alors que j’ap­ prenais de façon en quelque sorte immédiate les événements susceptibles d’influer sur la vie affective de mes élèves par la connaissance que j’avais acquise de leur milieu social et familial, j’ai pu relever dans leurs textes libres, dans leurs productions graphiques spontanées, colorées ou non, la liaison in­ time “affectivité - trace graphique”, celle-ci incontestablement sous l’influence de celle-là. Je dois ajouter, pour être vrai, que la verbalisation du dessin, spontanée ou dis­ crètement sollicitée parfois, m’a permis d’élucider des détails qui m’auraient sans doute échappé dans le tracé, et de retrouver le sens caché de certains dessins. Il m’a donc été possible, à partir des des­ sins libres de mes élèves, de vérifier le cours de leur histoire affective, de le suivre, de le prévoir, parfois de prendre les mesures convenables, ou de laisser tout bonnement s’élaborer cette psychothérapie simple, qu’on pourrait appeler, à la manière du Professeur Déjerine, cité par le Professeur G. Heuyer, “une psychothérapie de Maître d’École” (I). Au cours de plus de 25 ans, j’ai pu accumu­ ler une iconographie variée, enrichie par des milliers d’enfants d’origines sociales diverses, d’origines ethniques différentes (Malgaches, Nord-Africains, Anglais, Américains, You­ goslaves, Français) de niveau mental allant de l’imbécillité profonde (B. S. et courbe de Bonnis) à des Q.I. dépassant 130 au TermanMerill. Professionnellement j’ai obtenu des dessins thématiques ou athématiques de mineurs délinquants et d’enfants malheureux. J’ai recueilli et classé avec joie les dessins de mes propres enfants : je possède en par­ ticulier leurs premières traces graphiques sur un support de papier. Simples griffon­ nages que Prudhommeau désignerait comme “graphismes primaires” (2) témoignant du plaisir de la trace écrite, jusqu’aux dessins bien structurés dépassant largement, suivant Luquet, le stade du “modèle interne” (3).

(1) G. Heuyer “Introduction à la Psychia­ trie infantile ” P.U.F. “Padéia” 1952p. 295. (2) Prudhommeau “Ee dessin de l’enfant” P.U.F. 1947. (3) Luquet “Les dessins d’un enfant” (Alcan 1913) cf en particulier la préface p. XX.

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Souvent, ces dessins naïfs m’ont révélé, surtout au cours de la dernière guerre et dans les années suivantes, chez des enfants perturbés affectivement, qu’une sourde an­ goisse, des craintes morbides (une hantise de la mort en particulier), des états de tension émotive assimilable au “stress” des désirs inconscients de valorisation, de punition, de fuite, de sentiments de culpabilité, d’agres­ sivité, dérivant d’un sentiment d’insécurité, hantaient leurs auteurs et infléchissaient leur comportement. J’imagine que tout cela ne laisse pas de présenter pour tout éducateur un intérêt considérable. Intérêt pour l’éducateur luimême, pour sa propre curiosité, mais surtout à cause de la possibilité qu’offre le dessin, et plus singulièrement le dessin d’expression spontanée, réalisé au jour le jour, suivant l’inspiration du moment, de mieux connaître les enfants en comprenant mieux leurs réac­ tions, et de suivre leur évolution.»

UN APRÈS-MIDI A LA PLAGE École de garçons Buffon - Lille (Nord) M. Vandeputte

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Sur le plan esthétique, on peut trouver à cette composition indiscutable­ ment bien balancée, des qualités et des défauts. Mais, plus loin que “le fait divers”, on y sent vivre un instant de bonheur collectif, appelé, attendu et si total qu’il pose pour l’éternité.

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Le tâtonnement expérimental

es

psychologies modernes, par leurs dé­

L marches analytiques, accentuent certaine­ ment la contradiction Etre-Milieu et les difficultés d’adaptation qui en découlent dans les cas aigus. Cependant, ces deux réalités sont pour ainsi dire éternellement unies par un lien organique dans les actes réussis qui seuls exaltent l’être et lui donnent efficience. L’essentiel est d’aider au maximum les actes réussis par lesquels toute créature prend assise sur le milieu. C’est parce que nos sociétés modernes ont créé autour de l’enfant un milieu rejetant qui ne favorise pas les actes réussis, c’est parce que l’enfant est enfermé entre quatre murs pendant une grande partie des heures de son existence que les pédagogues ont été amenés à créer une psychologie de l’enfant en cage au lieu de découvrir une psychologie de la vie, née des contacts permanents de l’enfant avec le monde, une psychologie de l’action efficiente.

Gravures sur zinc Ecole maternelle du Stade - Maubeuge (Nord) Mme Debiève

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Coûte que coûte, il faut s’arranger pour que l’enfant triomphe dans toutes ses dé­ marches instinctives dans lesquelles le dedans et le dehors s’imprègnent sans cesse, se fondent dans le champ illimité des sensations, des initiatives de la conscience. Alors seule­ ment pourront être découvertes les lois de la vie.

Ces lois de la vie sont certainement les mêmes pour toutes les créatures dans leurs mécanismes essentiels d’adaptation au milieu. Elles sont là pour maintenir et si possible, amplifier l’intégrité de l’être. Elles délivrent la joie de vivre. Une pédagogie conséquente doit retrouver ces lois de nature pour en faire le fondement d’une éducation vraie qui tiendrait compte non seulement des appétits physiques mais encore des besoins créés par une sensibilité de plus en plus subtile, par un esprit qui fait à chaque instant le point de son acquis, sans qu’il y paraisse, de ma­ nière que toujours l’expérience profitable soit retenue et répétée. Ces lois, C. Freinet les retrouve dans “le Tâtonnement Expérimental” (I). C’est par tâtonnements répétés sélection­ nés, reconnus définitivement profitables à (I) C. Freinet : Essai de psychologie sensible Ed. de l'Ecole Moderne - Cannes ÇA. - M.)

l’individu que toute créature arrive à dominer les difficultés, à gagner la sécurité garante d’équilibre. L’Art, comme la parole et la marche, s’inscrit dans les processus de tâton­ nements réussis qui conduisent à une psy­ chologie de conception unitaire, expérimen­ tale et qui justifie une méthode naturelle d’éduca­ tion dans laquelle l’enfant est sujet et acteur de son devenir. Dans la préface de son livre “Méthode Naturelle de dessin” C. Freinet expose les raisons de ses conceptions. Nous en cite­ rons quelques passages qui feront comprendre combien les démarches de la vie sont génialement simples et efficientes : “Si de la psychologie à la pédagogie et à la vie nous réalisons, non plus seulement théoriquement mais pratiquement, cette unité de conception et d’action, nous aurons ap­ porté aux éducateurs un élément harmoni­ sateur de toute première importance pour la compréhension nouvelle et l’exercice effi­ cient de leur métier.

11 n’y a pas un problème du dessin, pas plus qu’il n’y a un problème de la rééduca­ tion. Il y a un processus de vie, d’enrichis­ sement et de croissance dans lequel nous devons intégrer les formes diverses et complexes de l’expression enfantine. Ce sont les phases naturelles et normales de ce processus de dessin libre que nous allons tâcher de définir. Si ce processus est, dans sa nature, dans ses formes et dans ses buts, le même que celui qui préside à la maîtrise par l’enfant, en un temps record, de la technique d’ex­ pression orale, il nous suffira de comparer point par point les deux processus d’acqui­ sition pour découvrir la clef qui va nous orienter au long de cette étude. Nous nous rendrons mieux compte alors que, comme toute conquête humaine, la maîtrise de l’expression par la parole, se réalise selon le processus d’expérience tâtonnée tel que nous l’avons défini dans notre livre Essai de psychologie sensible. Aucune acquisition, qu’elle soit manuelle, intellectuelle, sociale ou morale, ne se fait spontanément par la vertu d’un don ou d’une faculté dont l’espèce humaine aurait l’éton­ nant privilège. Toute conquête de l’homme toute conquête d’un être vivant - est le résultat de l’expérience à même la vie et le milieu, au service du besoin supérieur et général qu’a l’être vivant de croître, de sur­ monter les obstacles qui gênent cette crois­ sance, d’affirmer sa personnalité, de monter le plus haut possible et de se perpétuer dans sa chair et dans ses œuvres. Dans la série presque infinie des actes que tente l’individu pour vivre et dominer le milieu, seuls quelques-uns de ces actes sont réussis, c’est-à-dire qu’ils apportent à l’indi­ vidu une partie au moins de cette puissance dont il a besoin pour vivre.

la maîtrise de son équilibre. Lorsqu’il aura dominé cet équilibre, il partira alors vers d’autres expériences. La vitesse avec laquelle l’individu se rend maître d’une expérience réussie pour la faire passer dans son automatisme, avant de conti­ nuer l’expérience tâtonnée dans d’autres domaines, nous apparaît justement comme le véritable signe de l'intelligence. Cette expérience tâtonnée est donc fonction de l’exercice motivé par la vie dans un milieu normal et humain et, autant que possible, avec des exemples susceptibles de s’inscrire dans l’expérience enfantine. L’expérience tâtonnée n’est point, comme tant de prétendues lois psychologiques et pédagogiques, une construction artifi­ ciellement montée et dont seuls quelques spécialistes peuvent avoir l’usage. Elle est la grande loi, la grande technique de la vie, de l’expérience et de l’action, non seulement de l’enfant mais de l’adulte ; elle est un des fondements de la recherche scientifique, une victoire de la vie sur le dogmatisme dont nous tâchons de circonscrire les méfaits. Ces lois exprimées sous une forme trop raccourcie et qui, coupée des développe­ ments de pensée qui les accompagnent, risquent de paraître sèches et impératives, ces lois de simplicité, nous les revivons dans nos classes quotidiennement. C’est parce qu’elles ont un caractère de vérité et de grande généralité qu’un immense travail collectif peut être en permanence organisé au sein de notre École Moderne, à seule fin de montrer l’efficience de nos pra­ tiques pédagogiques dans tous les aspects de l’éducation et d’en faire surgir les carac­ téristiques personnelles car toute création est d’abord œuvre d’une individualité".

Cet acte réussi va se reproduire. Et cette reproduction de l’acte se poursuit jusqu’à ce qu’elle soit devenue automatique, qu’elle se soit incorporée au comportement de l’in­ dividu comme règle ou technique de vie et ne nécessite plus, de ce fait, aucune réflexion ni aucun tâtonnement, qu’elle ait acquis la sûreté de l’acte instinctif. Ces expériences réussies et passées dans l’automatisme, constituent comme les marches sûres qui permettent d’accéder à des étages supérieurs. Tant qu’il n’a pas la maîtrise de la marche, l’enfant n’est préoccupé que par

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Poème et Monotype. École Maternelle de St.-Cado. (Morbihan). Melle Robic

Ninine la baladine

Elle est triste Ninine la Baladine. Elle a toujours son sac Et son balai Son collier Comme une histoire Ninine ses cheveux en long Regarde toujours par terre Dans la lande A la côte Elle trouve ce qu'elle veut Elle bénit les routes Elle bénit les maisons A moi, elle a dit On m'a pris mes enfants Elle parle toute seule Une maladie de chagrin Aux fleurs elle dit : Embrassez-moi et Je vous aimerai Aux feuilles elle dit : Penchez-vous sur moi Pour me cacher Aux arbres elle dit : Faites vos branches en or Et je pleurerai Le temps que je voudrai Elle part, elle part Sur les chemins de mer Ninine la Baladine Elle croit que la route avance Que les fossés ont des fleurs bleues Elle croit au printemps Elle croit en ses enfants Et en marchant Elle croit trouver son village de mer Ninine la Baladine.

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Les perspectives de l’art enfantin

ous avons écrit et nous devons redire que cet art de l’enfant, promu avec tant de patiente sollicitude dans nos humbles écoles populaires, est sans prétention. Il ne vise ni à s’imposer dans l’immédiat, ni à prendre place dans les grandes époques où l’Art a signifié de façon aiguë et instinctive es mouvements de la pensée ; ni à faire sortir du rang des enfants-prodiges jetés en pâture à des propagandes intéressées.

N

Nous entendons bien que l’enfant est et reste un enfant, avec sa vision du monde, ses incertitudes et ses élans, cette façon à lui d’être le médiateur à travers qui la création est sans cesse transfigurée, sensationnelle, habitée de puissances insoupçonnées ou fan­ tastiques. Et nous voulons surtout qu’il reste moralement simple et net, pur dans ses intentions et ses buts, à l’écart des mar­ chandages sordides qui étayent les renom­ mées tapageuses ; qu’il reste intégré à ses innocences, à ses inconsciences, à ses igno­ rances de créature instinctive et qu’il garde tout son allant pour vivre sa vie.

École Maternelle. - (Brest.) - Photo Melle Porquet

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POTERIES - Ecole Freinet

Cependant, aux yeux qui savent voir, cet Art sorti des mains de l’enfant en toute ingé­ nuité a, par son ampleur et son expression, une portée culturelle indéniable. Le spectacle de tant d’éclosions qui sous les latitudes les plus diverses s’imposent avec les mêmes caractéristiques de spontanéité, ne cesse de poser des problèmes. Comment peut-il s’affir­ mer avec tant de précision et sans aucune initiation préalable ? Il ne peut être le fruit du hasard. Il semble impensable que la mala­ dresse des petites mains et l’ignorance, toutes deux marquées d’impuissance, parviennent à se joindre pour créer des œuvres positives et durables. Il y faut le secours de forces de nature qui ne peuvent s’exprimer par des mots, qui sont indépendantes de toute connaissance préétablie, mais qui n’en sont pas moins porteuses d’énergies organisa­ trices aussi essentielles que celles de l’œuf en incubation. C’est parce qu’elles échappent à l’examen et à la logique, ou bien plutôt parce qu’elles ne sont pas même soupçonnées que les ensevelit le silence du néant. Ainsi est à jamais ignoré un monde prodigieux de l’irrationnel et de l’élémentaire, plus profond, plus complexe, plus ample que les réalités formulées dans des bribes de pensées, par une conscience bien limitée dans ses pouvoirs

L’art enfantin A UNE PORTÉE CULTURELLE

École Maternelle de Vaison-la-Romaine (Vaucluse)

Mme Février

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et ses mécanismes. C’est pourtant cette subs­ tance de l’indéfinissable que chacun porte en soi qui risque de disparaître à jamais par les effets d’une scolastique sèche, étriquée, coercitive, ignorante toujours des réserves d’abondance qu’elle frôle et qu’elle étouffe à chaque pas. Notre tristesse est de ne pouvoir parler de cette vie souterraine toujours stupéfiante dans ses éclosions et qui, aux yeux des pro­ fanes n’existe pas ; de ne savoir dire avec des mots ce qui est palpitation de sensibilité, vibration universelle, chaos enchanté d’où naissent sans fin des images, des rythmes, des synthèses comme personne d’autre que celui qui les créa ne saurait les imaginer. Il s’agit d’un pouvoir foncièrement person­ nel, d’une manière exclusive de se porter présent dans ses œuvres par la ligne de son crayon, les couleurs de sa palette, le mer­ veilleux de son imagination, les subtilités de sa sensibilité, par une puissance de vie prodigieuse, fantasque et absurde quelquefois, mais créatrice sans fin d’inédit et de féérie. L’art enfantin EST UN ART COLLECTIF

Et l’on ne saurait s’étonner que l’on puisse trouver à cette vie en création per­ pétuelle une filiation dans ce passé millé­ naire où l’Art a fait surgir des valeurs qui allaient au-delà des impératifs de nécessité. Oui, sans le dire, nous revivons dans nos classes au travail, l’atmosphère des élans collectifs qui ont porté les hommes vers les grandes synthèses de simplicité où le cœur qui se fait confiance rejette l’inquiétude et le doute pour réaliser un monde à sa mesure.

Ce bas-relief (5 m sur 3 m.) orne la façade du Musée d’Art enfantin de Coursegoules (A.-M.). Deux adolescents (14 et 16 ans) en ont conçu le projet : «de la bête à l’homme». Une dizaine d’enfants ont travaillé à sa réalisation sous la surveillance de Mlle Bonsignore, institutrice. Les difficultés techni­ ques ont été dominées ; la cuisson opérée par M. Pérot, céramiste d’Art à Vallauris s’est faite sans dégâts. La mise en place a été faite par le maître-maçon, M. Laurent.

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MUSÉE DE COURSEGOULES - École Freinet 83

Nos enfants pourraient sous nos yeux res­ susciter les bestiaires des grottes, les chasseurs des peintures pariétales, les scènes de guerre ou les gravures énigmatiques restés en té­ moignage du passage de l’homme sur une terre indifférente à son génie. Tout éduca­ teur qui a voué sa classe à l’art enfantin revit à certains moments d’enthousiasme un peu de cet élan religieux où sous l’effet d’une naïveté privilégiée un Moyen Age, résolument ouvert aux foules, donnait à chacun ses chances créatrices. Sans initia­ tion, sûrs d’eux-mêmes, les peuples se sen­ taient possédés d’un pouvoir de création invincible et incontrôlable. Ils ignoraient vers quels buts ils marchaient et si leur offrande répondait à un plan, à une unité préétablis : ils créaient et ils donnaient. Le reste s’arrangeait de lui-même dans la pro­ fusion des chapelles romanes vouées aux puissances de genèse. Relisant les pages inoubliables écrites par Elie Faure sur cet élan populaire du Moyen Age le plus accueillant et le plus généreux, nous y retrouvons les impressions mêmes qui sont les nôtres dans nos chantiers créa­ teurs où l’enfant impose son rythme hal­ lucinant. On y sent "passer (un) accent pro­ digieux de liberté confuse, (une) ruée ivre et féconde dans les champs de la sensation, (une) insouciance de langage parlé pourvu que ce langage exprime quelque chose, un mélange désordonné de senti­ ments jaillissant du contact de l'âme avec le monde dans la force nue de l'instinct”.

Les statuettes des primitifs sont d’inspiration ma­ gique, sacrée, unissant celui qui crée au monde invisible des esprits évoqués et invoqués. STEVEN (10 ans), ignore l’art des tribus nègres et les chapiteaux des chapelles romanes, et pourtant, il a donné à son œuvre un archaïsme dépouillé, un sens religieux qui lui ont été inspirés par le pressentiment de la grande fonction instinctive de la maternité.

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STEVEN (10 ans) - École Freinet

Partout ou à peu près partout au Moyen Age, les créateurs eurent ces heures de communion confuse et sans limite avec le cœur et l’esprit de la matière en mouvement. Et ce qu’il y a d’admirable, c’est qu’aucun d’eux ne nous a laissé son nom. Il y eut là, vraiment, un phénomène presque unique dans l’histoire, les masses populaires même faisant passer leur force dans la vie qui refluait en elles incessamment, un abandon passionné des multitudes à la poussée aveugle de leurs instincts régénérés. Elie FAURE HISTOIRE DE L’ART L’Art médiéval

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L’art enfantin A SES HÉROISMES

Et à vrai dire, l’on ne saurait imaginer jusqu’où pourraient aller ces élans instinctifs de nos enfants, si devant eux s’abaissaient les obstacles des interdits dressés par les limitations de la condition scolaire péjorative et des maîtres rétrogrades. D’euxmêmes ces enfants domineraient les résis­ tances de la matière, la fatigue de l’épreuve, les aléas de techniques imparfaites pour faire triompher leur rêve. On pourrait don­ ner à nos équipes d’enfants entraînés des maisons du peuple à décorer, des églises à enluminer, des salles publiques à restaurer, des kilomètres de fresques à improviser, des céramiques géantes à poser. Ils retrou­ veraient, nous en sommes sûrs, avec une obstination sans cesse renouvelée, l’opiniâ­ treté et la longue patience des bâtisseurs de Temples. Il ne s’agirait que de faire appel à la multitude des petites mains intrépides, de leur répartir l’ouvrage comme dans un grand chantier véritable, de les servir sur eur échafaudage comme le manœuvre sert e maçon ou, comme jadis dans les corporations, l’apprenti servait le Maître ; de eur accorder quand faiblit l’effort, ces heures de liesse où la joie naturelle récuse la tension. Oubliant leurs fatigues, ils rede­ viendraient à l’instant enfants de la rue et des champs, faisant provision sans fin de forces brutes qui, le jeu fini, délivreraient des images nouvelles sous l’effet d’une ins­ piration inextinguible. Nous sommes désolés que tant d’aptitudes, comme souveraines, soient fatalement vouées à l’impuissance et au néant par la faute de l’incompréhension et de la superbe de l’adulte. Nous ne demandons pas que l’en­ fant soit reconnu artiste, que pour lui faire une place l’on change les données actuelles du règne de l’Art dans son actualité, encore qu’il y aurait dans ce domaine fort à redire. Pour rien au monde nous voudrions que les œuvres enfantines soient incluses dans les contrats des galeries d’art ou dépen­ dantes de mécènes courtiers en tableaux. Notre souci majeur est de préserver l’enfance des transactions commerciales qui avilissent tout ce qu’elles touchent. Mais ne serait-il pas naturel qu’en possession de tant de moyens, l’enfant construise le décor de sa propre existence ? Cette irruption soudaine et profuse de l’expression artistique enfan­ tine, dans une époque vouée à l’invention déchaînée, n’appelle-t-elle pas toutes les éner­ gies nouvelles que suscitent la vie et les pouvoirs des créatures imaginatives et pen­ santes ? Comment ne pas comprendre qu’en ces instants de genèse indomptable, tous les

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dogmes sont dépassés par la marée des forces instinctives à la recherche d’un nouvel équi­ libre ? L’Enfant dans ce déchaînement des énergies cosmiques et humaines, doit avoir un univers à lui dans lequel il se retrouve avec ses sensations, ses désirs, ses actes, son pouvoir créateur toujours à sa mesure. Faute de quoi il sera déraciné de ses assises, emporté par le flot de folie d’une science incontrôlable qui ne sait plus s’ajuster aux dimensions e la fragilité humaine. Au demeurant, l’enfant réclame peu de place puisqu’aussi bien, d’avance, on déli­ mite ses espaces à la maison comme à l’école, dans des dimensions de plus en plus rétré­ cies. C’est tout juste s’il a, dans l’apparte­ ment, un lit pour dormir et en classe une moitié de table pour travailler.

Musée de Coursegoules : Ci-contre un coin de la salle des petits (de 4 à 8 ans). Peintures sur pan­ neaux d’isorel, tentures, tapis, céramiques, marion­ nettes, forment un ensemble d’une richesse im­ possible à imaginer. C’est une démonstration, prise parmi beaucoup d’autres, et pour ainsi dire naturelle, d'un art collectif joyeux et libre et qui n’a aucune appréhension devant les difficultés techniques.

L’enfant doit construire LE DÉCOR DE SA VIE.

Cependant on construit des maisons nouvelles et de magnifiques écoles, mais les conditions de vie des enfants n’en sont guères améliorées ; tout au contraire, de la maternelle à la classe fin d’études, les écoliers sont assujettis à des règles impératives de res­ pect des lieux : ne pas toucher, ne pas salir, ne pas faire de bruit, ne rien déranger... Nous ne pouvons que regretter les interdits perma­ nents dressés devant les initiatives enfan­ tines dans tous les bâtiments neufs, aussi bien à la maison qu’à l’école. Or, l’école est tout spécialement le lieu qui appartient à l’enfant. Il devrait s’y sentir le maître, en aisance dans ses moyens et dans ses actes. Pourquoi l’école ne serait-elle pas la véri­ table Maison de l’enfant ? Nos instituteurs arrivent quelquefois à déplorer les condi­ tions dans lesquelles ils travaillent dans les palais scolaires mis à leur disposition. Ils ne sont pas séduits par le pompier acadé­ mique des fresques imposées par l’archi­ tecte. Ils ne peuvent accepter que sur tant de murs impeccables de netteté, il soit interdit d’enfoncer le moindre petit clou,

de piquer la plus pointue des punaises, alors que si volontiers leurs enfants s’en donne­ raient à cœur joie de faire courir sur tant d’espaces l’inspiration de leur génie. Il en résulterait des œuvres lumineuses et libres, qui auraient au moins le mérite d’être du niveau de l’enfant et de lui inspirer le res­ pect de la chose créée avec conscience et habileté. Cette suggestion n’est pas une utopie. Dans notre École Freinet, où à toute heure l’initiative des enfants peut avoir champ libre, nous avons toujours laissé garçons et filles décorer leur maison à leur convenance. Il nous est arrivé quelquefois de regretter, chez des nouveaux-venus encore peu fami­ liarisés avec la création artistique, un excès de liberté, mais c’étaient là dégâts répa­ rables qu’un lait de chaux finissait par niveler dans une blancheur éclatante offerte à des initiatives plus subtiles et plus mûres. Notre Maison de P enfant, dans le petit village de Coursegoules, est devenue très vite un Musée par l’ampleur des œuvres qui y ont pris place. Nos projets d’aménagements ultérieurs sont à l’échelle des grandes réali­ sations adultes aussi bien pour la décoration

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de la façade que des grands espaces de l’intérieur. En fin d’année, nous sommes comme ensevelis par le flot des peintures et tra­ vaux d’art : nous avons réalisé en trente années une telle quantité d’œuvres de techniques diverses qu’elles auraient pu servir de décor à une bonne centaine d’écoles. Nous avons du reste, sur l’invitation d’architectes compréhensifs, réalisé des fresques sur fibro­ ciment pour des écoles maternelles. Elles ont enchanté les enfants, les maîtres et les municipalités. De nombreuses écoles seraient à même de décorer les salles les plus vastes,

avec brio et originalité, à l’écart de toute faute de goût. L’élégance aussi est un ap­ prentissage. On ne peut rester indifférent au spectacle d’entreprises qui semblent au-dessus des possibilités de l’enfant et qui pourtant sont menées à bien malgré les difficultés inhé­ rentes à la pauvreté, aux limitations de temps et de moyens techniques. Elles témoignent non seulement de dons réels, mais aussi d’une vaillance, d’un entêtement qui forcent le respect.

UN COIN DU MUSÉE

ALAIN 9 ans - École des Costes-Gozon (Aveyron) M meCabanes

L’abondance et le dynamisme de tant de créations répandues à travers le monde, ne cessent d’évoquer pour nous l’art collec­ tif des multitudes qui à toutes les grandes époques et sur toute la terre a fait chanter la paroi des grottes, le roc immobile ou le temple définitif. Non pas que l’enfant doive repasser par toutes les étapes des grandes civilisations - comme l’affirme une théorie facile - et ressusciter devant nous des œuvres semblables à celles promues à l’éternité par la main des hommes depuis les débuts du quaternaire. Mais les grands ensembles, créés par les enfants, donnent cette im­ pression d’art démesuré, anonyme et commu­ nautaire, engendré par le flot des hommes encore soumis aux forces instinctives. Des peintures rupestres des Boschans, il y a 10.000 ans à l’art franco-cantabrique, des grands ensembles de l’Antiquité orientale, aux formidables créations de l’Inde, les foules ont créé avec un débordement d’inspiration qui ne relève que de l’instinct. La réussite en est surprenante et pourtant rien n’est pré­ médité, pensé d’avance, mais au contraire dépendant des conditions du moment, des données de paysages naturels, de la dureté des matériaux, de leurs formes auxquelles il a fallu s’adapter pour triompher à la fois des résistances du granit, des irrégularités des surfaces, de l’outillage primitif, de tout l’imprévu, soumis enfin à la règle d’une audace irrésistible. C’est au bout des doigts qu’est le génie. Penser est chose secondaire. Si l’on s’attarde à l’analyse d’œuvres per­ sonnelles incluses dans les vastes créations d’enfants, on est bien obligé de leur trouver une parenté avec les œuvres des grands Modernes qui depuis Manet se sont insurgés contre un réalisme obsédant : l’arabesque et la couleur personnelle imposent ici leur dictature. Certes, à l’école publique du savoir lire, écrire et compter, on ignore les postulats des manifestes en “ismes ” mais on sent l’attrait de cette liberté invincible dont Picasso devait ouvrir la voie royale pour faire droit aux démarches les plus osées et les plus soudaines. Un œil amusé décou­ vrirait sans peine dans nos expositions les marques du fauvisme et de ses couleurs offen­ sives “sorties des tubes comme la poudre des cartouches de dynamite”... Mais l’enfant n’est pas un fauve par l’esprit. Il ne pense pas qu’il faut “tuer ce qui le précède” mais à son insu, il peint comme Matisse, comme Wlaminck, comme Derain et aussi comme

les grands impressionnistes parce que la couleur est belle aux yeux et somptueuse à la sensibilité. Comme les grands colo­ ristes “il possède la couleur et la couleur le possède”. Elle est partie de son enthou­ siasme, de son invention et de sa joie créatrice. Cependant, pour l’enfant, la couleur ne se sépare pas d’un contenu signifié. Le tout jeune peintre qui déjà domine sa palette ne substitue pas comme Kandinsky ou Mondrian des impressions colorées à l’objet qui les a suscitées. L’abstraction est pour lui impensable ; il vit de la poésie des choses et même, lorsqu’il devient cubiste par fan­ taisie, il a besoin de toucher la réalité pour en épuiser les multiples aspects. Quelles que soient ses intuitions du moment, l’en­ fant reste toujours un grand lyrique, dans son trait comme dans ses couleurs. Il met des œufs dans le ventre des poules, le petit veau dans la panse de la vache, mais il ignore Chagall et son ésotérisme. Il pressent seu­ lement que la nature gonflée de sève est à son plus grand contentement et, comme elle, il se prodigue en générosités et en explo­ sions. Dans ses créations tout est d’une telle loyauté, d’une si méticuleuse ferveur “que devant elles, disait une éducatrice, on se mettrait à genoux...” C’est dans un élan de sympathie élective que la petite Solveig (ii ans) écrivait dans un album consacré à Matisse : «Matisse, il a des yeux comme nous».

École de Pralognan (Savoie). M meMounier

L’art enfantin est DE TOUS LES TEMPS

Un romantisme nécessaire

n

ironise quelquefois sur le romantisme

O de nos institutrices, relatant dans notre revue l' Art Enfantin les expériences enthou­ siasmantes de leur classe au travail. Seul celui qui aime sait être romantique car il sait quels changements secrets préparent les éclosions de l’être que l’on chérit. Le romantisme de nos éducatrices, c’est une présence de tous les instants aux événements intimes des petits êtres qui vivent d’elles comme elles vivent d’eux. C’est le visage même de la vocation d’enseigner. Pour comprendre il faut écouter le chant d’invincible espérance qui monte de tant d’écoles pauvres, par la seule magie des pouvoirs de l’enfant et de la maîtresse, unis dans les actes vrais et les dons d’innocence. Une école dans les corons n’est pas un poème et pourtant, voyez comme l’on s’ar­ range pour que la classe exceptionnelle dans le malheur soit aussi exceptionnelle dans la joie : “Comment 200 élèves, peuvent-ils dans un milieu si peu sûr et si désolé ?

vivre

Mais quand ces Messieurs et Dames ont poussé la porte, quel émerveillement passe sur leur visage à la vue des murs enluminés par l’inouïe fantaisie de la joie enfantine ! Ils ont oublié les crevasses du ciment, la grisaille de la façade, l’insécurité du bâti­ ment. Ils sont ici dans le fief de l’enfance un fief qui n’a pas de clôture et où la vie entre de toutes parts : des fenêtres ouvertes, de la porte entre-baillée, des lézardes qui se jouent de la résistance des matériaux. Car la vie est d’abord un grand éclat de joie ou de rire, un éclatement d’innocence. — Ah, vous ne saviez pas comme la vie était belle ? Quel beau tour n’est-ce pas nous vous avons joué !...

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Les enfants se prodiguent sans compter, et moi, la grande, sans aucune modestie, sans aucune retenue, j’éclate d’aise ; je vou­ drais serrer dans mes bras tous mes enfants de miracle. Je me sens habitée tout entière par leur poème “Ça chante dans ma tête”. Tu peux être contente, tu as réussi. De cette joie puisée aux sources mêmes de leur misère, prends ta part, c’est la véritable communion des Saints ! J’ai cru longtemps que pour évoquer le printemps il était nécessaire de voir les arbres en fleurs, les prairies bigarrées, les vols d’oi­ seaux et le bleu du ciel. Mes petits enfants de la mine m’ont appris qu’il était à la portée de tous les jours. Je me suis attachée à le découvrir dans ses humbles éclosions, j’ai ouvert les yeux sur le printemps qui étoile de tussilages les ordures entassées au pied du terril abandonné où se déroulent tant de passionnants jeux d’équipes. J’ai senti avec allégresse la verte odeur de la maigre et terne pelouse au printemps ; j’ai admiré le terril sombre et fumant ins­ crit dans l’arc-en-ciel d’un jour de pluie d’été ou auréolé de la rouge splendeur du soleil couchant ; j’ai entendu le tragique chant de cette terre sans cesse remuée et j’ai frémi avec elle.

Et j’ai compris la quête incessante de ces petits êtres ouverts par tous leurs sens au spectacle de la vie. Je me suis enchantée avec eux de voir fleurir “les jolies fleurs blanches au long du fossé sale”. J’ai humé à pleines narines “la terre retournée, bril­ lante comme un bijou”, avec eux je me suis sentie “pleine de ciel, pleine de lumière, pleine de soleil”, car le grand frémissement de la nature nouvelle était en nous. Nous étions dans la lumière, dans le soleil, dans le vent et dans le chant de l’alouette, le seul oiseau de nos prairies, gris comme nos corons gris, mais qui s’élève par bonds joyeux jus­ qu’à disparaître aux yeux qui le suivent, tête renversée, âme ravie. « C’est un chant qui bat comme un cœur, et là-haut, les étoiles l’attendent... » Ecole Maternelle du Vleux-Calonne Uévin (P-de-G)

C. Berteloot

Chanson de la femme du mineur

On a frotté, frotté, Le linge, la vaisselle. On a lavé, lavé Le carreau, le couloir. On a balayé, balayé La cour et la ruelle. Maintenant : on attend ! On attend not' mineur qu’est à la mine. La dame trouve que son mineur Ne revient pas... Mais la dame attend toujours Son mineur Qui ne vient pas. Il est bien longtemps, ce mineur ! Quand le mineur ne vient pas, La dame a peur. Elle a peur du feu. Elle a peur du gaz. Elle a peur que “ça tombe”, Que “ça brûle”, que “ça explose Dans la mine. Oui : il est là. La porte craque ! Elle dit : c’est lui ! C'est mon mari ! Alors, elle rit, elle rit...

École Maternelle du Vieux Calonne Liévin - Mme Berteloot La Femme du Mineur (au verso)

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Le génie du robot s’humanise et prend place entre ciel et terre, au milieu de la sympathie des êtres et des choses. Comme si rien de tragique ne devait arriver qui nuise à cette grande amitié universelle si rassurante et pro­ tectrice. Ce message émouvant de l’enfant devrait bien être entendu des savants et des chefs d’état contem­ porains.

Romantisme moderne DES ENFANTS Nos enfants sont familiarisés avec les formes les plus extrémistes de notre société mécanicienne : les fusées, les spoutniks, les robots s’insèrent presque naturellement dans ce monde fantas­ tique où le rêve et la réalité se confondent. Cependant, la poésie du monde n’en est pas pour autant abolie. L’engin diabolique devient fils de la nature et participe de sa splendeur.

Oui, il est des enfants-artistes toutes nos classes Modernes naissent des œuvres qui, loin d’être indifférentes, témoi­ DANSgnent de qualités indéniables qui sont plus et mieux que “l’indéfinissable charme des

commencements”. Déjà, elles affirment des plénitudes dont l’adulte garde la nostalgie. L’éton­ nant est que, sans regrets, ni appréhension, cet adulte continue à être content de lui et à sousestimer l’œuvre de l’enfant. Cependant, maître et parents restent curieux et attentifs devant ce fait nouveau qui fait irruption dans la culture. L’éducateur, même sans culture, qui depuis quelques années vit une expérience sincère d’expression artistique, acquiert peu à peu une sorte de flair, qui le renseigne sur les aptitudes de ses élèves. Il sait bien vite discerner dans le feu de l’action, les quelques enfants tout particulièrement doués, qui, peu à peu deviendront chefs de file. Ils vont, sûrs d’eux-mêmes, toujours à la hauteur de leur inspiration, prêts à jeter sur le papier les traits décisifs qui ne souffrent aucune hésitation, habiles à parfaire les détails, à doser la couleur dans les limites d’une éva­ luation intime. Leur autorité, leur succès donnent une haute tenue à l’atmosphère d’une classe et ouvrent les perspectives les plus enthousiasmantes. Avec de tels guides, tout est possible. Ils entraînent les hésitants dans leur sillage et, dans le chantier où ils sont passés maîtres, ils se dépensent sans cesse pour que tout réponde aux lois orga­ nisatrices qui dans leur intimité subcons­ ciente présagent déjà le succès. Si de tels dons - qui ne sont pas venus du ciel mais éclos dans une pratique loyale - pouvaient être préservés, si les promesses de l’enfant

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pouvaient s’affirmer dans l’homme, reprendrait confiance dans l’humanité.

on

Dans les centres d’orientation, que l’on pourrait appeler avec plus de raison souvent les centres d’hésitation, rien n’est fait pour que soient préservées ces aptitudes instinc­ tives qui décident pourtant des grandes voca­ tions. Il est des enfants pour qui chanter, inventer de la musique, peindre, danser, sont un véritable besoin, une euphorie culturelle. C’est déjà comme une noble pas­ sion qui a ses exigences et ses tyrannies et ne songe qu’à se prodiguer. Tous les grands Maîtres ont senti dans leur enfance cet appel vers l’Art qui leur a fait renverser tous les obstacles de la famille et de la société : avant que d’être des Maîtres en renom ils ont été des artistes maudits. On encourage les travaux des sélection­ neurs qui dans l’agriculture ou l’élevage garantissent les races pures et en exaltent les qualités. Ne fera-t-on rien pour préserver les potentialités les plus rares et les plus prometteuses dans cette graine d’humanité qu’est l’enfant ?

École maternelle du Centre Jallieu (Isère) Melle Andrés École Azur (Landes) - Mme Nadeau

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C’est DANS L’ENFANCE QUE S’ÉVEILLENT LES GRANDES VOCATIONS

Le problème de l’enfant-artiste nous tient particulièrement à cœur. Presque dans chaque classe vouée au dessin libre, on découvre ce cas exceptionnel. Il serait facile de citer des noms et d’organiser des expositions personnelles que des esprits mal intention­ nés ne manqueraient pas de dénoncer comme sujettes à caution ou inconsidérément pré­ maturées. Car, si l’on admet que l’adulte en mal de renommée use et abuse des biens d’autrui dans des plagiats élégamment menés, on trouve pour le moins abusif que l’enfant offre sans détour son œuvre authen­ tique sans arrière-pensée de profit et sans péché d’orgueil. Nous ne pensons pas que l’on doive jeter en pâture à un public en attente de faits sensationnels, les noms d’enfants-prodiges qui déjà honorent une œuvre conséquente. L’avenir d’un talent est soumis à trop d’aléas pour qu’on puisse dès l’enfance faire fond sur lui. Mais nous ne pensons pas non plus que le gamin qui donne tant de preuves de sa valeur, soit condamné à cacher ses biens comme un mal honteux, ce qui n’aurait d’autre résultat que de le désespérer en le vouant à la plus grande inquiétude mentale et morale.

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Un cas PARMI TANT D’AUTRES Nous avons, dans nos écrits, parlé quel­ quefois d’Alain G. qui, dans notre École Freinet a développé de façon remarquable ses aptitudes artistiques. Son talent a grandi en même temps que son corps sans qu’il en tire aucune vanité. Il dessine et peint comme il travaille à l’école, à l’atelier et au jardin. Il sent seulement que lorsque ses mains vont et viennent sur la page et que se déroule l’arabesque sans défaut, il est comme maître de son génie. Les perspec­ tives de ces créations-là sont plus amples, plus subtiles, plus riches que celles des autres travaux et c’est pourquoi il les préfère. Quand il prend son crayon ou son pinceau, il ne sait point encore ce qu’il va réaliser. Un recueillement de quelques secondes suffit pour que naisse l’envol du premier trait qui est toujours le maître-trait appelant à lui les incidences d’une arabesque impeccable : c’est comme un cœur qui se livre sans un soupçon de contrainte, sans l’ombre d’un doute, en marche vers un enchantement qui est sa loi.

LA JEUNE MARIEE ALAIN GÉRARD Ecole Freinet

Illustrations : Alain GÉRARD (p, 96-98) Photo Freinet

...Ils ont planté des arbres à fruits qui ne poussaient que dans le calme. En attendant que les fruits viennent, il y a eu encore une saison avec l’argent. Puis les fruits sont venus, avec le blé et le maïs. C’était le com­ mencement du travail. Il en restait qui ne faisaient rien, ne donnaient de joie à personne et attendaient le malheur. Ils disaient en voyant le Gardien de Joie: « Il nous ennuie celui-là!» Ils le disaient même en allant se coucher. Plus ils le disaient plus ils s’ennuyaient. Ils sont devenus penchés à toucher la terre avec leur tête. On les appelaient “le Pont”. L’eau de tristesse passait dessous en tourbillons... “LE GARDIEN DE JOIE" École de Buzet-sur-Baïse (L.-et-G.) M. Delbasty

Ces quelques lignes de texte et les illustrations qui les accompagnent donnent une idée de ce qu’est la culture de l’enfant : elle est plus qu’une promesse, une réalité.

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Les dessins qu’il a inventés au jour le jour, usant par conscience de ses crayons comme l’ouvrier de l’outil sont de tous les temps et de toutes les civilisations. Rien n’est coor­ donné, enchaîné comme l’exigeraient les étapes d’un apprentissage sollicité ou im­ posé. Alain saute de la Préhistoire au cubisme, des grands Modernes à la Chaldée, mais il ignore tout de ce passé millénaire dans lequel il plonge comme un aveugle dans la lumière. Quelles forces secrètes ont guidé la main de cet enfant dès l’âge de 7 ans, vers des formes de si libre venue, si sûres d’ellesmêmes, sans que transpire la moindre faute de goût, sans qu’apparaisse sur son visage attentif un tressaillement d’émotion ? Alain est maintenant un solide adolescent en proie à de bien cruels problèmes d’avenir. Parti de l’École pendant deux ans, il nous est revenu dans de tragiques circonstances, mais d’avance nous le savions sauvé, car il avait gardé intact et exigeant ce besoin d’expression d’art qui aboutit à la création d’un monde imaginé de toutes pièces et transcendé vers le poème graphique et pic­ tural qui est désormais la démarche per­ manente et le but de sa force morale. La société NE DEVRAIT JAMAIS DÉCEVOIR l’enfant

Et c’est cela la récompense du Maître et celle de l’enfant. Au seuil de la vie, nos élèves de l’École Moderne entreront dans le monde des hommes avec toute leur espérance. “Tout moment vivant contient toute la vie. Quiconque participe avec confiance à l'aventure des hommes a sa part d’immortalité.” (I). Oui mais quel sort est réservé aux jeunes inventeurs d’images dans un monde qui se soucie si peu de l’utilisation des compé­ tences ? Nos petits paysans, nos petits cita­ dins de la communale porteurs d’initiatives et de maîtrise ne trouveront certainement pas à utiliser leurs crayons et leurs pinceaux au cours de leur dure destinée car il n’ap­ partient pas aux éducateurs d’élite et aux enfants exceptionnels de changer les données sociales comme par l’effet d’une baguette magique. Mais du moins restera le souvenir émouvant de quelques années d’enthousias­ mant compagnonnage dans un Art qui n’était pas une fin en soi, mais une constante genèse, une plongée dans les forces vives de l’être, une mise à jour permanente de puissances de création. (I) Elie Faure - Histoire de l'Art ; L’Art Moderne p. 464 - Les Editions G. Grès et Cie Paris.

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La pratique

Bien partir ous les enfants dessinent avec plaisir pour T peu que l’ambiance s’y prête. C’est là, activité naturelle qui ne relève au départ que d’un empirisme personnel. Il appar­ tient à l’éducation de faire dépasser à l’enfant ce stade de l’improvisation hasardeuse pour le faire accéder à une activité résolument consciente, en possession de moyens acquis par la pratique et, qui, à coup sûr, conduisent à la réussite, quelles que soient les contin­ gences du moment. Mais l’éducation est une réalité complexe et difficile qui doit tenir compte à la fois des possibilités de l’éducateur et de l’apti­ tude de l’élève. Dans ces points de présence exigeante où la personnalité de l’un et de l’autre se rencontrent, quelles démarches vont être les plus salutaires pour que l’éduqué puisse au maximum profiter de l’acquis de celui qui enseigne ? Ces soucis sont, pourrions-nous dire, superflus au point où nous nous trouvons car, dans la majorité des cas, au sein de nos écoles primaires, nous partons du néant : le maître n’a aucune aptitude à enseigner le dessin, sa culture est limitée, sa pratique pédagogique du dessin inexistante. L’enfant s’en tient à ses gribouillages plus ou moins clandestins et il est à mille lieues de penser que ces gribouillages puissent être légalisés, acceptés et même encouragés par le maître. D’abord FAVORISER LE TATONNEMENT EXPÉRIMENTAL

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Nous prenons les choses telles qu’elles sont : nous laisserons dessiner l’enfant qui veut dessiner comme la maman laisse marcher son bébé qui veut marcher, en veillant sim­

plement à encourager les initiatives hardies de manière que demeure et même s’exalte le désir de faire mieux. Il est l’expression même du besoin de dépassement inclus dans toute créature car la vie est toujours triomphante dans sa période ascendante. Ceci revient à dire que nous légitimerons et favoriserons l’expérience tâtonnée de l’enfant en créant autour de lui le milieu aidant qui non seulement répondra aux exigences du moment mais encore tendra à susciter des expériences nouvelles. Ainsi l’enfant sera tout au départ le démiurge de ses créa­ tions, l’ordonnateur de ses propres œuvres. Cette façon d’aborder les choses est loin d’être quelconque et sans importance : elle est la forme la plus vivante et la plus naturelle de l’éducation. Le maître qui en a compris la portée est un maître sauvé. Rassuré par ses présences bienveillantes et efficaces au cœur de la communauté enfantine, enthou­ siasmé sans cesse par les audaces et la curio­ sité incessante de ses élèves, il est pris dans la vie collective, sans que lui soit permise la moindre dérobade, engagé dans un dialogue permanent avec les enfants et plus loin avec le monde. Les résultats qu’a donnés depuis plus d’un quart de siècle une éducation en apparence aussi simpliste nous autorisent à affirmer que c’est là une bonne voie. Nous ne disons pas qu’il ne puisse y en avoir de meilleures, mais jusqu’ici, nous n’avons pas trouvé mieux dans le monde scolaire de la “commu­ nale” plus que jamais oubliée de l’Olympe.

Photo Freinet

Créer une ambiance d’amitié ET D’ÉCHANGE.

Pas à pas, c’est la pratique qui nous a enseignés et qui nous enseigne chaque jour, au gré de cette loi des échanges qui cimente la belle unité d’une classe au travail. Car tout commence par l’ambiance d’amitié et de confiance qui est la part première du maître : savoir regarder les visages qui s’offrent ; écouter les voix impatientes ou émues ; accueillir la joie ou le chagrin ex­ primés de façon si totalement instinctive ; aider l’initiative déjà préméditée, se réjouir de son triomphe. La sympathie ne s’explique pas : elle se donne. Tous les vrais éducateurs en connaissent l’essence et les démarches, quelles que soient les explications approximatives qu’on ait pu en donner.

Les séances de dessin sont, plus que toutes autres activités pédagogiques, placées sous le signe de la sympathie. Le maître doit s’arranger pour être présent à toutes les créations du moment, soit pour en recueillir le commentaire, soit pour encourager l’hésitant, même s’il est lui-même dans l’im­ possibilité d’aider techniquement l’œuvre qui hésite à prendre forme ; soit pour faciliter un mélange de couleurs, pour être le servant bénévole du malchanceux dont le geste maladroit risque de compromettre le beau travail en cours : il est des colériques qu’il faut apaiser, des apathiques qui ont besoin d’être stimulés, des passionnés qui brûlent les étapes patientes où se parachèvent les détails impeccables qui honorent la cons­ cience. Il faut être avec chacun et avec tous, attentif à toutes les éclosions pour qu’elles arrivent à terme aussi parfaites que possible, et accèdent à l’honneur d’être présentées à toute la classe pour en recevoir approba­ tion ou critiques.

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Cette socialisation de l’œuvre personnelle est certainement l’un des moteurs les plus déterminants de l’atmosphère de la classe. L’acquiescement des camarades, c’est la marque même de leur amitié vraie qui efface, comme sans y toucher, les petites rivalités et les mesquines compétitions. Seul compte ce qui est beau, marqué des signes d’une valeur impondérable que chacun fait sienne sans l’analyser comme le cœur fait sien tout beau paysage qui retient la douceur du regard. Certes, il y a, entre les divers dessins réa­ lisés dans une classe, des différences de valeurs techniques et culturelles. Le maître en est souvent moins conscient que les enfants eux-mêmes. C’est dans une pratique assidue, persévérante que tous, ils acquièrent une sorte de science empirique sûre de sa compétence.

École de Vaison-la-Romaine (Vaucluse) Mme Février

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L’habitude d’afficher les dessins terminés dans la classe, ne fût-ce que pour une journée, favorise une prise de conscience globale qui va beaucoup plus loin que la simple observation. Elle est riche de joie admirative ou de critique justifiée, d’analyse de détails dans le savoir-faire, d’émulation loyale, de besoin de dépassement. Ce sont là les prémices d’une culture vécue qui ira s’enrichissant, d’autant plus que seront exposées de temps en temps des œuvres de Maîtres. Instituteur et élèves arriveront à découvrir dans ces deux expo­ sitions parallèles et combien instructives, des points de ressemblance dans la technique, dans l’atmosphère de sensibilité, dans la palette. Le maître qui jusqu’ici n’attachait aux créations enfantines qu’un sentiment du provisoire et du fugitif découvrira dans la comparaison avec les œuvres de Maîtres, une pérennité qui le rassurera sur la valeur des réalisations de sa classe. Il aura confiance, prendra sa tâche à cœur, se dépensera sans compter pour que les dons de ses élèves soient créateurs de beau travail. C’est ainsi que sont nées des centaines d’écoles que nous avons appelées écoles-artistes pour en consacrer l’efficience définitive et les diffé­ rencier des écoles où le tâtonnement n’a point abouti encore à une pratique sûre, mettant en relief des caractéristiques de sensibilité et de savoir qui sont la marque d’une Ecole. Nous sommes persuadés d’ail­ leurs que, progressivement, le tâtonnement sera dépassé pour donner libre cours à une spontanéité qui est à la fois inspiration et technique, si est jalousement préservée l’am­ biance de confiance et d’accueil aussi nécessaire à l’éclosion des personnalités que le soleil à l’épanouissement de la fleur.

Curiosité, recueillement, admiration des éduca­ teurs devant des œuvres dont ils savent les diffi­ cultés d’éclosion dans un milieu scolaire péjoratif.

Matérialisme scolaire ependant,

en dehors de ces considéra­

C tions psychologiques et humaines existe un matérialisme qui, favorable ou péjoratif, influe sur les résultats de la création artistique. L’enfant qui ne sait où s’asseoir pour des­ siner ou qui n’a pas suffisamment de place pour étaler sa feuille de papier, ou qui ne peut avoir à sa disposition la couleur qu’il désire, est un peu comme l’abeille à qui on interdit l’entrée de la ruche. Il avait le grand désir de peindre ; peut-être portait-il en lui un projet prêt à prendre forme et voilà que rien n’est possible par un simple manque d’organisation. C’est une déception pour l’enfant et un échec pour le maître. Il faut donc veiller toujours à assurer une instal­ lation aussi confortable que possible de façon que la main qui agit et le cerveau qui pense ne rencontrent pas d’obstacles majeurs.

Photo Freinet

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Le mot confortable, ne doit pas être pris ici dans son sens bourgeois, mais signifier simplement que l’enfant pourra se mettre à l’aise pour travailler selon sa fantaisie que ce soit assis à une table, debout devant un tableau ou à quatre pattes sur le parquet. Chacun a sa manière à lui de dessiner en mordant sa lèvre, ou tirant la langue comme il a sa manière de dormir un mouchoir sur le nez ou le pouce appuyé au palais... Il va de soi que la première condition requise sera d’avoir suffisamment d’espace pour que toute la classe puisse dessiner. Les leçons collectives sont toujours les plus profitables ; une mentalité de masse unit les élèves dans des démarches, des initia­ tives, des enthousiasmes qui sans cesse s’in­ terpénétrent, pour créer la plus profitable des émulations. Alors la question de la dis­ cipline ne se pose plus ; les impatiences, les maladresses, les chicanes s’apaisent d’ellesmêmes. Le maître va de l’un à l’autre, prêt toujours à encourager, à secourir un mala­ droit, à tempérer un impatient. C’est dans cette présence multiple qu’il prend conscience de son rôle, qu’il s’éduque lui-même tout en se tranquillisant sur son troupeau lancé dans la pente favorable.

La mise en train DOIT ÊTRE RAPIDE

L’atelier de DESSIN EST LA SOLUTION IDÉALE

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Oui, mais la leçon de dessin est courte même si, en toute tranquillité de conscience, pris par l’enthousiasme on l’allonge au-delà de l’horaire. Il faut donc que l’installation se fasse sans perte de temps, sans aléas, de manière qu’en quelques minutes tout soit en place. Cela ne peut être que si la leçon de dessin est préparée à l’avance : papiers, couleurs, crayons, pinceaux, eau de rinçage doivent être de suite à la portée de chacun. Il est donc conseillé de placer toujours la leçon de dessin après l’inter-classe de midi qui laisse toute latitude pour mettre les choses au point.

Dans une école idéale qui serait vraiment construite pour les besoins de l’enfant et non pour la renommée de l’architecte, il serait facile de prévoir un atelier parmi beau­ coup d’autres, spécialement destiné aux séances de dessin et expositions. Si cela est trop demander en des temps où certaines classes n’ont même pas une place pour chaque élève, nous profiterons cependant au maximum des possibilités que nous offrent les bâtiments scolaires, aujourd’hui confortables dans leur ensemble.

Nous parlerons ici de l’installation de l’école maternelle de Belz-Saint-Cado (Morbihan) organisée par l’éducatrice, Made­ moiselle Robic : Toute la salle de classe, vaste et claire, est en quelque sorte aménagée eu égard à l’expression artistique, y compris l’imprimerie, étant donné que les textes d’enfants sont abondamment illustrés soit avec des linos gravés, soit avec des gravures sur zinc, soit avec des monotypes. Il y a donc plusieurs ateliers qui se côtoient, l’enfant passant de l’un à l’autre selon l’activité à laquelle il veut se livrer ; atelier de peinture, de gravure, de monotypes, de modelage, de découpage et tentures sollicitent les petits et les comblent par la mise à leur portée de tout un matériel adapté à ses fins. Un grand meuble-réserve d’environ 1 m de haut, 70 cm de large, 3 à 4 m de long, fermé par portes coulissantes permet tous les rangements possibles : il contient les réserves de papier, de couleurs, de pinceaux, les dessins en cours, les dessins terminés et les dossiers où chaque enfant range ses œuvres au fur et à mesure de leur exécution, les archives et quantités de choses précieuses gardées là comme souvenir ou comme pro­ messes de créations à venir. L’aménagement intérieur répond à toutes les exigences du meuble de rangement et fourre-tout, ce qui nécessite évidemment beaucoup d’ordre et de suite dans les idées. Les couleurs de marques diverses sont rangées dans un meuble spécial aux étagères coulissantes : les crayons étant mis dans des boîtes rectangulaires sans couvercles, les couleurs couvrantes dans des pots de yaourt, alignés dans leur emballage de livraison, matériel commode et que l’on peut se pro­ curer à peu de frais.

École de Varacieux (Isère) Mme Gauliard

École Maternelle Saint-Cado (Morbihan) Photo Robic

Pour travailler, les petites tables indivi­ duelles sont rangées selon les besoins du moment, tantôt en large et longue table pour les dessins collectifs, tantôt à deux, à trois, à quatre, les enfants se groupant par petites équipes. A chaque instant, la classe change d’allure, mais toujours une organisa­ tion méticuleuse empêche le désordre de s’installer. Les fils de nylon tendus sur les murs, permettent une exposition continuelle des œuvres d’enfants, si nombreuses qu’elles débordent dans la salle de jeu, le dortoir et le vaste couloir. Le décor au demeurant change souvent ; peintures, tentures, bro­ deries, collages originaux se donnent la réplique dans une atmosphère de joyeuse kermesse.

Quelques chevalets en X disposés dans les coins de la salle de jeu permettent d’admirer de belles collections, classées selon des centres d’intérêts, illustrant la vie de l’enfant breton. Sur des tables basses, des étagères, céramiques et poteries rivalisent d’originalité et d’un étonnant savoir-faire. Des maquettes de jeux dramatiques, des castelets et leurs marionnettes sont sans cesse à la disposition d’une inspiration soudaine. C’est vraiment ici la témoignant à chaque créatrices de l’enfant de promesses qui hélas jours tenues.

maison des tout-petits, pas des possibilités si riche, au départ, ! ne seront pas tou­

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Essayer de VAINCRE LES DIFFICULTÉS MATÉRIELLES

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Toutes les écoles n’ont pas les avantages des écoles maternelles pour lesquelles de gros efforts d’installation moderne ont été faits. Cependant, quand l’effectif scolaire peut encore être considéré comme normal, il est possible, avec un peu d’initiative, de s’organiser pour que les séances de dessin aient lieu sans de trop grandes difficultés. L’organisation pé­ dagogique peut en faciliter la mise en train et l’exécution. Les méthodes d’enseigne­ ment moderne permettent, aux heures de libre activité, des travaux variés réalisés par des équipes diverses, et souvent hors de a classe (enquêtes, travaux d’atelier, jardi­ nage, etc...) si bien que l’on dispose d’une place suffisante pour organiser la leçon de dessin. On peut alors regrouper les tables à sa guise en vue des travaux individuels et collectifs. La question du rangement du matériel pose parfois quelques problèmes, l’unique armoire-bibliothèque de la classe ne suf­ fisant pas à tout. Nous empruntons à M. Beaugrand, instituteur à Grange-l’Eveque (Aube), une innovation originale pour ranger papier et matériel. Elle consiste à fixer sous la table d’imprimerie ou toute autre table toujours utile dans une classe, des tiroirs superposés et tout en bas, un caisson à roulettes. Il ne reste plus qu’à faire un rangement personnel pour le papier, les couleurs, pinceaux, craies, crayons, chiffons utiles, etc...

Il faut habituer l’enfant à la richesse des sensations visuelles, aussi préparons-nous deux ou trois teintes dérivées de la couleur fonda­ mentale par mélange avec le blanc. L’enfant apprend ainsi par tâtonnement le jeu des contacts et des contrastes et gagne peu à peu le sens de la couleur et se fait une palette bien à lui. Comment ranger les couleurs Oui, mais voilà beaucoup de couleurs. Où les mettre ? On peut toujours avoir à sa disposition les pots de yaourt, soit en faïence, soit en matière plastique, des boîtes de nescafé, ricorée, etc... Les emballages de nos jours ne font jamais défaut. Plus compliquée est l’installation qui permet de rendre les pots de couleurs dis­ ponibles sous un petit encombrement. La Coopérative de l'Enseignement Laïc vend une petite installation pratique qui n’est autre chose qu’une simple boîte en contre­ plaqué avec dessus en matière plastique, percé de huit trous dans lesquels s’encastrent des gobelets en plastique. Un couvercle en plastique transparent met les couleurs à l’abri de la poussière. On peut avoir ainsi deux ou trois jeux de huit pots, ce qui permet à de nombreux enfants de travailler à l’aise en même temps. Chaque école a sa manière à elle de ranger ses couleurs. Il suffit d’un peu d’initiative.

Les couleurs

Les pinceaux

Il existe quantités de marques de couleurs, toutes ont leurs avantages et l’inconvénient de coûter cher. Les gouaches en tube ou en pains donnent les meilleurs résultats, leur prix ne permettent pas, hélas ! d’en faire grande consommation dans la grande masse des écoles. Nous avons depuis bientôt vingt ans donné nos préférences aux couleurs en poudre plastifiées qui par simple adjonction d’eau à volume convenable permettent d’obtenir soit des concentrations couvrantes, soit des teintes d’aquarelle. La palette peut en être très riche et variée car les diverses couleurs se mélangent entre elles et, incorporées au blanc, elles donnent des teintes graduées, de grande délicatesse et finesse. L’enfant, déjà sensible aux nuances, apprend dans leur maniement, à se désenvoûter des couleurs criardes qui, tout au début l’attirent. Pour avoir les meilleurs résultats, il faut préparer les couleurs la veille pour que les poudres soient totalement intégrées à l’eau au moment de s’en servir.

Les pinceaux doivent être si possible de bonne qualité pour ne pas courir le risque de les voir perdre leurs poils ou s’ébouriffer. Ils doivent se terminer en pointe aigüe pour permettre la finesse des détails, les retouches méticuleuses ; mais un enfant doué tirera toujours parti d’outils médiocres et s’il le faut, il peindra avec ses doigts pour obtenir des effets que ne lui donnent pas le petit gris ou la martre. La technique du peintre est faite d’imprévu ; on peint avec l’outil le plus inattendu, bois vert écrasé, crayon garni d’étoupe, étoffe ru­ gueuse, etc... toute trace insolite porte la marque de l’originalité et l’enfant y est sensible tout autant que l’adulte. Mais si on abandonne après usage l’outil qui est tombé sous la main, on doit conserver l’outil qui dure. Les pinceaux seront après chaque séance, retirés des pots de couleurs, lavés à grande eau, secoués et rangés dans un bocal, la tête en haut, faute de quoi ils se déformeraient et seraient rendus diffi­ cilement maniables.

Il va sans dire qu’il faut dans l’emploi des couleurs en poudre, un pinceau par pot et, plutôt deux, l’un gros, l’autre petit, pour a facilité des travaux et la netteté de l’exécution. Le papier Les beaux papiers sont chers et c’est bien dommage. Tous les papiers peuvent cepen­ dant convenir avec les couleurs couvrantes y compris le kraft et les papiers d’épicerie, de boucherie, d’emballage, les papiers peints à l’envers - et parfois à l’endroit - permettent des effets heureux. Dans nos humbles écoles publiques on use en général de papiers bon marché, voire même de papier journal. Avec de belles couleurs et une parcelle de génie on crée malgré tout des œuvres pleines d’intérêt sur des papiers sans valeur. Il faut éviter de distribuer aux élèves des papiers de même format, qui au départ limitent l’invention. Des formats différents éveillent des initiatives différentes. Chacun se sent maître de son destin, il entre en soimême et s’ingénie à meubler une surface qui ne pose pas les mêmes problèmes que celle de son voisin. C’est peu de chose et l’atmosphère de démarrage en est changée. Crayons, craies et encres En général, l’enfant dessine avant que de peindre, ce qui ne veut pas dire que le résultat doive en être un simple dessin coloré. Il aime simplement avoir un sujet qui l’inspire et des lignes qui servent de guide à ses pin­ ceaux. Les crayons noirs sont d’ordinaire employés à ce travail de préparation si le format est de petites dimensions. Pour les grands panneaux on emploie le plus souvent les craies de couleur au trait large, bien visible. Il est des enfants cependant qui préfèrent le dessin à la peinture. Ils parachèvent avec amour les sujets pour eux exaltants de sen­ sibilité et d’invention. Les stylobilles, les encres en cartouches à plume feutrée, l’encre de chine, les comblent davantage que la palette de gouaches la plus riche. Il faut penser à avoir toujours une réserve de ces matériaux qui ont d’ailleurs leur uti­ lité scolaire et peuvent être employés pour la réalisation de contes écrits et illustrés par les enfants, de compte rendus d’enquêtes, de maquettes d’histoire ou de géographie.

École Maternelle de Walincourt (Nord) Melle Porquet

Redisons encore qu’un bon matériel est toujours le bienvenu, étant entendu qu’il n’est pas l’essentiel et qu’il faut chercher plus loin des valeurs d’un quotient personnel qui sont la marque des enfants doués. Ces valeurs sont hélas ! de plus en plus compro­ mises par les effectifs scolaires pléthoriques, les mauvaises conditions sanitaires de travail et l’impuissance des maîtres face à une situation de plus en plus décevante de l’école publique.

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De la maternelle à l’enfantine de 4 à 7 ans

L

es

petits de la maternelle ont la grande chance d’être au commencement de tout.

Ils exigent tout du monde et le monde n’exige rien d’eux. C’est un état favorable pour prendre conscience de ses besoins et de ses désirs, pour se livrer à sa joie de vivre comme le jeune animal qui s’ébroue en sou­ plesse et vigueur, simplement, par un excès de vie. C’est le triomphe de la spontanéité dans ce qu’elle a de plus direct et de plus soudain, le témoignage d’une sincérité sans cesse renaissante. Ce sont là conditions des plus favorables pour accéder à toutes les activités instinc­ tives, traductrices des richesses de l’infor­ mulé dont l’enfant est débordant. Le dessin et la peinture répondent on ne peut mieux à cet élan de l’être avide de se prodiguer, mais aussi de se retrouver, de prendre conscience de ses biens et de ses pouvoirs. “Jusqu'à huit ans, dit Picasso, on est en pleine forme. Après, on se prolonge.”

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École Maternelle Saint-Marc (Brest) Mme Pouliquen

Il n'y a pas de méthode pour apprendre à dessiner

Ce n’est pas là une simple boutade. Nos expositions de dessins des Maternelles nous prouvent, en effet, que l’enfant de 4 à 7 ans est sûr de lui, confiant dans ses moyens, fier de ses œuvres toujours significatives de décision et de sûreté, riches d’impon­ dérables expressions de personnalité. C’est à cet âge que l’enfant marque ses créations de la plus grande individualité, par la ligne et la couleur. Et pourtant ses dessins sont sans cesse en évolution. Peu d’adultes ar­ tistes peuvent comme lui, être aussi chan­ geants et se rester fidèles. Tout ceci vise à dire que nous n’avons rien à apprendre d’autorité au tout jeune enfant. Il n’y a donc pas de méthode pour enseigner à dessiner, pas plus qu’il n’y a de méthodes pour apprendre à marcher et à parler. A son entrée à la maternelle, le bébé trouve par des démarches personnelles une technique d’expression qui d’abord très élémentaire deviendra peu à peu plus complète et plus riche selon les processus du tâtonnement expérimental. Dans une série de brochures dont quelquesunes sont parues C. Freinet se propose, à l’aide de très nombreux documents venus de centaines d’écoles maternelles, de montrer l’évolution progressive et l’enrichissement des éléments ou objets essentiels à la vie de l’enfant. Les genèses de l'homme, des oiseaux, des maisons, des autos (I) font la preuve que l’enfant monte par étapes successives à la connaissance des objets familiers à sa vue extérieure et intérieure. En même temps qu’il voit, l’enfant pense, imagine, réalise en lui-même l’image la plus séduisante des objets courants ou exceptionnels. Quand ces objets ne sont plus dans le champ de son regard, quand le temps les refoule dans le passé, le pouvoir de se souvenir et plus encore de réinventer supplée à l’absence.

(1) Editions de l’Ecole Moderne - Cannes (a.-m.).

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L’enfant ne dessine presque jamais un objet présent. Il en prend une possession directe par les yeux, possession totale à laquelle il n’a rien à ajouter. La chose disparue exalte le rêve et l’inspire, délivre son imagination fabuleuse. C’est cette aptitude à œuvrer en fantaisie sur les données du souvenir qui garantit l’originalité des dessins d’enfants. Aussi bien, ce qui nous intéresse ce n’est pas la réalité elle-même, mais la réalité telle que la voit l’enfant dans ses perceptions d'une seule plongée. Il faudra d’ailleurs assez longtemps avant que le bébé de trois ans se rende compte qu’il peut grâce à son crayon évoquer les choses coutumières. Il s’intéressera tout d’abord au trait noir sorti du stylobille et qui s’inscrit sans fin sur la page blanche, de droite à gauche, de gauche à droite, en zig-zag, en spirale, en frottis isolés, en graphismes accidentels qui, brusquement appellent une ressemblance fortuite avec des objets réels et susciteront une expli­ cation a posteriori : “là c'est l'herbe du jardin... là, la petite chose ronde... là, la bête... là, le poisson...". L’exemple des petits camarades déjà fort habiles aidant, un beau jour le graphisme accidentel deviendra graphisme prémédité, consciemment réalisé, reconnu, adopté et dans le temps qui court, l’enfant enrichira son répertoire graphique en ampleur et qualité. Le voilà lancé ! Il suffira de le suivre.

École de Lausanne - (Suisse) M. Yersin

Cependant, dans nos écoles maternelles si surchargées (ne parle-t-on pas de classes à plus de 60 élèves ?) tout n’est pas simple, car bien sûr, on ne peut suivre chaque enfant pour favoriser ses expériences personnelles. Il faut bon gré, mal gré se résigner à un ren­ dement de masse en portant son action sur l’organisation même de la classe, en créant des ateliers divers où, par équipes, les enfants vont travailler. Il y a là, morcellement de la masse d’enfants trop lourde à faire évoluer, intérêts multiples et discipline facilités.

Enrichir

Voici comment Mlle Porquet, Inspectrice des Écoles Maternelles comprend l’aménage­ ment d’une classe.

Nécessité d’organiser

LA TECHNIQUE

DES ATELIERS

“Ce mot d’atelier me semble particuliè­ rement évocateur d’une réalité complexe et multiple, d’un conditionnement à la fois matériel et social, d’un compagnonnage où la spontanéité donne naissance au projet, où le projet devient œuvre. Œuvres issues des mains, de l’esprit, du cœur, œuvres dynamiques qui appellent à l’être de nouveaux projets et de nouvelles œuvres, font surgir, prendre forme et se situer, dans la collectivité et par elle, les visages de chacun de nos petits. En cette après-midi de la porte d’un de ces ateliers :

février,

ouvrons

Dans la grande salle de classe, pas de tables ni de chaises alignées face au tableau, pas d’enfants assis sagement devant un mo­ dèle à colorier. Depuis toujours nous avons résolument banni tous les modèles de dessin : timbres en caoutchouc ou autres modèles dessinés par l’adulte, pas de perles à enfiler, pas d’anneaux de plastique à accrocher les uns aux autres sans autre but que l’activité des doigts, pas de formes toutes faites en plâtre ou autre matière à remplir ou colorier, pas de canevas ou de carte où piquer une aiguille selon un tracé tout prêt, pas de cartons à piqueter sagement pour en déta­ cher un chat, un chien ou un canard conven­ tionnels à souhait, pas de raphia ou de laine à entourer banalement autour d’un carton, pas de tissu à mettre en charpie pour un bourrage de coussins problématique... J’ar­ rête là ma liste qui risquerait de s’allonger indéfiniment. Mais des tables individuelles groupées par 4, 6, 8, des tables rectangulaires autour desquelles on circule aisément. Et au centre de ces tables, un matériel collectif que des groupes de 2, 4, 5, 6, 8, enfants utiliseront à tour de rôle :

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Un atelier POUR CHAQUE TECHNIQUE

Voici la table de peinture avec sa palette riche et souple, une vingtaine de gouaches toutes prêtes dans des pots, des tons purs et de nombreux mélanges où la propor­ tion de blanc est importante, une palette laissée tout entière à la disposition des enfants qui choisiront librement leurs cou­ leurs ; là, vont s’élaborer toutes ces gouaches, petites et grandes, qui, sur tous nos murs, font la fierté de nos écoles. Voici la table de découpage-collage : avec ses papiers de formes, matières et couleurs variées, ses ciseaux à bout rond et ses pots de colle : ici, vont naître les papiers collés, les vitraux, les projets de tapisseries. La table de modelage offre au plaisir des doigts une terre grise ou rose maintenue constamment humide, qu’on peut pétrir, rouler, animer, aisément. La table des monotypes étale ses plaques de verre, ses encres d’imprimerie de couleurs variées, diluées dans un peu d’essence et offertes dans des godets (la mer nous fournit à profusion les coquilles St-Jacques jolies et commodes) le rouleau encreur pour les monotypes gravés ou dessinés. Le coin du dessin est équipé de papiers de différents formats et de couleurs variées de craies d’art, de crayolor, de crayons vasco, de colories, d’encres de Chine et de lavis, de stylos à bille. Des tableaux bas et des craies de couleurs attendent les amateurs de dessin à grande échelle. Enfin un matériel de décoration (tissus de tous genres) va susciter la confection d’adorables tapisseries, les unes peintes (ajouter à la palette choisie quelques gouttes de super-médium), les autres cousues (tissus ou laines appliqués). Bien entendu cette classe-atelier est en place à l’entrée des enfants et ce n’est pas la moindre partie de la tâche de l’institutrice maternelle que de prévoir et d’organiser cette installation chaque jour”. Melle Porquet - Brest

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On devine le rôle essentiel de l’éducatrice dans la conduite de la classe, son souci d’orienter chaque enfant vers l’atelier qui lui convient, de mettre entre les petits doigts le matériel le plus varié de façon à familia­ riser l’enfant avec toutes techniques d’expres­ sion et lui donner les meilleures chances d’être intéressé, captivé par des procédés qui donnent un rendement maximum. Au cours du dernier trimestre scolaire, quand toute la classe est rompue aux diverses tech­ niques, la production est d’une profusion envahissante. La petite école de Saint-Cado (Morbihan) déjà citée dans laquelle j’ai vécu pendant près d’un mois, me donnait chaque jour une impression de si grande plénitude de moyens, d’habileté, de sûreté, de goût, que je me prenais à douter de la Culture des hommes. Est-il possible de généraliser des expé­ riences aussi passionnantes et démonstra­ tives ? La part de la maîtresse y a certes un quotient irremplaçable, mais du moins peuton donner quelques conseils qui découlent d’une expérience sûre.

Ecole maternelle. Rue de la république, Brest.

Ecole d'Estourmel (Nord).

Photo Robic

Dès la deuxième année le petit de la maternelle s’essaye librement à manier tous les outils mis à sa disposition. Mimile n’a que 23 mois mais déjà il sait imprimer, faire des dessins. Il est très indécis devant la caisse de couleurs. Laquelle choisir pour que ce soit le plus beau possible ?

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Quelques conseils pour faciliter le travail 1) D’abord faire naître et entretenir une atmosphère de confiance et d’amitié per­ mettant une création à jet continu ; les enfants y vont de bon cœur, persuadés que leurs travaux trouveront accueil et encou­ ragements. 2) Faire du dessin libre, en toute occasion, un exercice légitime. L’enfant peut ici dessiner quand il veut, comme il veut, ce qu’il veut. Même pendant un exercice collectif, même pendant que la maîtresse parle, car il peut à la fois des­ siner et écouter sans perdre le fil de ce qui se dit autour de lui. Il arrive même que des phrases entendues éveillent des résonances qui influent favorablement sur l’évolution du travail. Le dessin doit éclore à même la vie et il va de soi que plus l’enfant dessine avec goût et plaisir, plus il deviendra expert en la matière. Un album de DESSIN ORIGINAL ET ÉDUCATIF

Un dossier pour CHAQUE ENFANT

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3) Un graphisme en appelle un autre, tous deux naturellement liés aux événements d’ambiance, si bien que les dessins éclos dans une classe sont parfois, en contenu, l’équivalent d’un journal de bord humo­ ristique et original dont on peut agrafer les pages au jour le jour, complétées par les commentaires enfantins qui les justifient ou en découlent. Nous avons ainsi des œuvres fort amusantes, significatives de la mentalité enfantine et de l’atmosphère de la classe et dans lesquelles transparaît la subtilité édu­ catrice de la maîtresse.

4)

Les dessins qui restent strictement per­ sonnels, c’est-à-dire qui ne participent pas à un travail collectif, sont chaque jour rangés par les enfants eux-mêmes dans un carton individuel. Chacun de ces dessins est un document complet car outre les particula­ rités du graphisme, y sont consignés les commentaires de l’auteur et si nécessaire l’événement qui en conditionne l’exécution. Il en est de très originaux qui peuvent être, nous le verrons sous peu, utilisés à diverses fins au bénéfice de toute la classe. Chaque dessin est, cela va sans dire, daté et l’âge de l’auteur y est consigné.

La libre expression sur le plan oral et graphique aboutit tout naturellement au texte libre illustré. Chaque jour apporte sa glane et l’on aboutit ainsi au plus émouvant et au plus suggestif des livres de classe : il est œuvre humaine et par surcroît, exercice d’élocution, de rédaction, d’orthographe, de dessin et œuvre d’art.

École de Augmontel (Tarn). Mme Albert

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dessins libres AU TABLEAU NOIR, PRÉTEXTES A UNE PENSÉE SOCIALISÉE

5) Les tableaux noirs, devenus souvent tableaux verts ou tableaux bleus, offrent aux enfants une surface généreuse pour accueillir les improvisations graphiques. Les craies de couleur y ajoutent plus d’impor­ tance et d’agrément, mises à profit par les plus habiles et les plus inventifs. C’est une occasion aussi de donner aux timides, aux hésitants un prétexte à l’initiative et pour toute la classe une chance de voir aboutir à un projet collectif, les activités personnelles. En effet, à l’instant où l’auteur commente son dessin, les questions, les réflexions, les critiques fusent de toute part. On vit ainsi des moments enthousiasmants, une prise de conscience aidée, légitimée par la maî­ tresse et qui va très loin sur le plan psy­ chologique, pédagogique et humain.

Les COMMENTAIRES

6) L’importance du commentaire mérite d’être soulignée. Par le commentaire on s’aperçoit bien vite que l’enfant dépasse le contenu de son graphisme. L’expression artistique est en réalité un complexe résul­ tant de la liaison permanente du pouvoir de transcrire par la ligne et du pouvoir de commenter en faisant intervenir un monde fabuleux. Ces commentaires déclenchent une inspiration de second jet qui va enrichir le graphisme premier d’éléments nouveaux. Loin d’être inscrits au hasard, ces éléments suscitent un sens évident de la mise en page. Le dessin devient de plus en plus touffu et l’enfant va affirmant son rythme personnel.

Les

DE DESSINS PAR l’enfant ÉLARGISSENT LE THÈME GRAPHIQUE

7) Nos éducatrices comprennent d’emblée ce que témoigne de promesses le rythme personnel des enfants doués : il traduit à la fois la soudaineté de l’inspiration, la fer­ tilité inventive, la rapidité de l’exécution, la prolixité du commentaire. Le dessin se trouve donc être ainsi un prétexte à expres­ sion artistique, orale, poétique, dramatique, d’une étonnante richesse. Laquelle de ces expressions choisir ? C’est à la classe à en décider. Mais revenons au dessin lui-même. Le style est la MARQUE DE l’enfant

8) Tant que l’enfant s’immobilise sur ses premiers graphismes : bonhomme, maison, soleil, fleur, etc... sans les relier à sa vie per­ sonnelle, on ne peut vraiment pas parler de créations mais progressivement le petit explicite ses dessins isolés : “C’est la maman qui fait le dîner.” “C’est la maison de la petite fille...” “C’est l’auto de mon papa...”

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Dès lors l’invention graphique et dra­ matique marchent de pair et ceci a un grand retentissement sur la facture des dessins. Petit à petit en effet, s’affirment des carac­ téristiques personnelles qui vont concré­ tiser le style de chaque enfant. Il est fait de valeurs impondérables que tous les enfants sauront saisir d’instinct. Sans erreur ils reconnaîtront les dessins de chaque élève même si l’institutrice hésite et semble les contredire. Comment expliquer ce pouvoir global d’appréciation, auquel les psycho­ logues n’ont jamais pris garde ? Comment admettre que sans aucune initiation, les graphismes les plus riches, les plus expres­ sifs soient appréciés à leur juste valeur et promus par toute la classe ? La maîtresse n’a qu’à se laisser guider pour reconnaître bien vite, à son tour, le style de chaque enfant et en découvrir la facture et les par­ ticularités significatives d’un tempérament.

François (5 ans) a réalisé un album sur son village, à l'heure de ses premières émotions de petit écolier se rendant en classe, chaque jour. Voici comment il commente le dessin ci-contre : (page 117). «Derrière, en haut, c’est le toit d’une maison qui est haute. Sur les toits il y a des girouettes : la ronde, comme une roue c'est une “droliment” (François invente beaucoup des mots bizarres). Les fils c'est pour donner l'électricité aux mai­ sons. En bas, c'est la route, on voit les cailloux, sur la route il y a des autos. La porte verte c’est une porte du garage.»

Alain BARTHOT, 9 ans. Saint-Benoît (Vienne)

FRANÇOIS, 5 ans. École Maternelle Laënnec (Brest)

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Sauvegarder LE DÉTAIL ORIGINAL

Ce qui compte, c’est la façon personnelle avec laquelle chaque enfant s’exprime et qui peut atteindre parfois à une originalité très prometteuse. Est original ce qui est inédit, inattendu, “pas comme les autres”. N’est pas original le dessin qui est simple copie de l’objet-modèle. L’enfant de la maternelle crée des dessins originaux par maladresse manuelle sans doute, mais la maladresse n’explique pas des caractéristiques qui se répètent, se renforcent jusqu’à jouer le rôle de symbole. Le détail original doit être pré­ servé, et non corrigé. Ce n’est point l’objet exact de l’extérieur qui compte ici, mais la façon dont il est pensé, accueilli, utilisé par une personnalité qui déjà est formée. L’exercice de dessin est tout autre chose qu’un exercice d’observation mais il n’a pas non plus de problème d’esthétique à résoudre. Tout ce qui est offert par l’enfant est accepté : c’est seulement après beaucoup de pas maladroits que le bébé apprend à marcher; c’est après beaucoup d’essais plus ou moins réussis que l’enfant apprend à dessiner.

Du DESSIN a l’album et AU JEU DRAMATIQUE

Il arrive très souvent que le dessin ori­ ginal, commenté avec volubilité par son auteur, devienne un événement pour toute la classe. Un cercle admiratif se forme autour de l’improvisateur. Chacun devient parti­ cipant du drame qui se déroule. A la minute, on peut noter tout ce qui se dit, tout ce qui se mime, tout ce qui se chante et c’est là le point de départ d’un album original que les enfants auront grand plaisir à illustrer. Ce peut être aussi une séance de marionnettes improvisée, puis, peu à peu enrichie, construite de façon plus drama­ tique et là encore, pour les décors, le dessin aura sa fonction spécifique à jouer. Nous avons dans nos éditions d’ÉCOLE Moderne, toute une littérature enfantine fraîche et directe, présentée en albums originaux illustrés par les enfants. (I). Chaque année, des fêtes scolaires sont organisées dans nos écoles maternelles. Leur programme comporte toujours des jeux dra­ matiques, des danses venues tout naturel­ lement de l’inspiration enfantine et dont les décors, les costumes sont nés de dessins d’enfants.

(I) Albums d’Enfants - Editions de l'Ecole Moderne, Cannes.

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Longtemps restera dans la mémoire de la population de Brest, le souvenir d’une fête des Maternelles organisée par Made­ moiselle Porquet, Inspectrice des Écoles Maternelles. Trois cents gamins et gamines de 4 à 7 ans étaient montés sur le plateau pour signifier - sans s’en rendre compte eur génie d’innocence et de pureté, pour faire comprendre que la vie est belle à son départ et que le devoir nous incombe de la préserver des erreurs et des cruautés nées des inconsciences adultes. Il y a dans de telles manifestations, une si grande intimité des enfants et de l’édu­ catrice que l’on ne saurait départager les mérites qui reviennent à chacun. Ces ins­ tants, évocateurs d’une harmonie supé­ rieure, nous donnent le regret de laisser fuir, par ignorance ou incapacité, les meilleurs dons de l’enfance.

Nous donnons ici, pris sur le vif, un moment de la “Danse des Saisons”, interprétée par les enfants des Ecoles Maternelles de BREST, sous la direction de Mlle Porquet, Inspectrice des Ecoles Maternelles. Musique : “Les Quatre Saisons” de VIVALDI. Le jeu de scène représente la “Danse des Flocons”. (Concerto en Fa mineur). L’ensemble des jeux scéniques était une véritable féérie.

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La couleur L

a

couleur est la splendeur du monde, et tout spécialement aux yeux de l’enfant qui en sent plus que l’adulte les impressions et les résonances.

Il est des bébés qui sont absolument grisés par les couleurs tapageuses, et à la maternelle les belles peintures dont on peut user et abuser, mettent les débutants dans une sorte d’ivresse. Ils ne se contrôlent plus, vont d’une couleur à l’autre, impatients de les éprouver toutes, indiffé­ rents aux effets malencontreux qui noient chaque teinte dans des mélanges catastrophiques. La couleur, en effet, plonge l’enfant dans une sorte d’euphorie affective, comme un peu brutale en ses débuts et qu’il faut assagir, éduquer pour aboutir si possible à une subtilité facilement gagnée pour peu que l’institutrice entre dans le jeu des exigences nouvelles de l’enfant. Le tout petit a déjà des couleurs qui lui plaisent, qu’il fait siennes et sans lesquelles il ne connaît pas le succès. Nos gamins de la maternelle et de l’enfantine, rompus déjà au maniement des couleurs ont tout pour faire leur, instinctivement, la grande leçon de CEZANNE : “Quand la couleur est à sa richesse, la forme est à sa plénitude ”

École de Visan - (Vaucluse) Mme Constant

Ecole enfantine de Flohimont, Ardennes. Mme Lallemand.

Par tous ses pouvoirs, l’enfant tend à porter sa palette “à sa richesse ” et désormais le dessin ne sera que l’ossature plus ou moins fuyante de ce qu’on peut appeler sans exa­ gération parfois : le tableau.

Qu’est-ce qui doit compter le plus du dessin ou de la couleur ? Nous nous gar­ derons de prendre position. C’est affaire de tempérament. Le dessin et la couleur doivent se donner la main pour participer à la même réussite, mais c’est l’auteur qui instincti­ vement et d’autorité donne à chacun de ces éléments la part qui lui revient. On voit que nous sommes ici très loin de la petite leçon d’observation où le dessin et la cou­ leur n’ont que le rôle que leur concède la réalité de l’objet. Nous sommes bien audelà aussi des vilains albums à colorier où dans des dessins d’une pauvreté désolante la couleur doit être mécaniquement passée. Toutes proportions gardées, face à sa page blanche, le petit de la maternelle qui déjà a “du métier” se trouve dans la même attitude que l’artiste devant sa toile : c’est une affaire de pure intuition.

“Le Printemps” École de Vaison-la-Romaine (Vaucluse) Mme Février

Dessiner ET PEINDRE SONT ŒUVRES COMPLÉMENTAIRES

Si nous avons parlé si longuement du dessin, c’est pour diverses raisons dépen­ dantes à la fois des programmes, de l’idée que s’en font éducateurs et parents, de la facilité avec laquelle il peut se réaliser à même l’installation courante de la classe mais c’est surtout, par raison pédagogique. Le dessin reste facilement inclus dans les contingences scolaires. Il est pour toujours associé à toutes les disciplines de la mater­ nelle : calcul, écriture, lecture, vocabulaire, contes, sous des formes qui ne sont pas forcément didactiques mais toujours dépen­ dantes des intérêts profonds de l’enfant. A cause de cette intégration, pour ainsi dire naturelle, à la vie de l’enfant, le dessin a toujours un contenu : il est l’identification d’un objet familier, d’êtres exceptionnels, d’incidents vécus, sans cesse liés à l’affecti­ vité. Il est normal de dessiner avant que de peindre, pour donner une assise à la couleur, pour offrir un appui à la sensibilité et délivrer l'imagination.

Il va de soi, que lorsque les débutants se délectent à faire du gâchis, l’éducatrice doit intervenir pour aider à passer proprement la couleur, pour donner le sens de la netteté et le goût du travail soigné. C’est en usant de la couleur que l’enfant construit sa personnalité d’artiste. Ce mot n’est pas marqué d’ironie ou d’exagération. Il est des œuvres de tout petits devant les­ quelles les grands Maîtres mettent chapeau bas. C’est un défi jeté à la maîtrise du spé­ cialiste et d’autant plus que l’enfant est igno­ rant de ses mérites, et n’en tire aucune gloire si ce n’est celle d’avoir œuvré avec grand plaisir. C’est cette indifférence à toute fierté per­ sonnelle qui prédispose l’enfant à s’associer à des travaux collectifs. Dès la maternelle et l’enfantine, on peut mettre en chantier de vastes peintures sur panneaux, voire même de grands ensembles muraux réalisés par des enfants groupés en équipes de 3 ou 4 participants. Nous reparlerons plus loin de

Car peindre est un acte très subtil et très complexe. Il est la recherche de la totalité du sujet, même si en cours de route, on oublie ce sujet, pour faire surgir des rapports nou­ veaux où les exigences de la couleur l’em­ porteront sur le réalisme. On ne peut qu’être frappé par le lyrisme étourdissant des pein­ tures enfantines. C’est comme un chant de victoire qui ne laisse après lui aucun regret. Celui de l’oiseau préparant la couvée ou du grillon “roulant sa petite crécelle au soleil couchant”. Au cœur le plus déses­ péré, le ruissellement des belles images enfantines pourrait ressusciter l’espérance.

Faut-il CONSEILLER l’enfant dans le CHOIX DES COULEURS

On ignore quelles raisons profondes jus­ tifient le choix des couleurs chez l’enfant. Il use de tout ce qu’il a à sa portée, mais la répartition des teintes est toujours personnelle. Avec les mêmes gammes de couleurs, les enfants font des peintures fort différentes, toutes soumises à un choix qui ne saurait s’expliquer par un simple hasard. Fami­ liarisé avec une vaste production de pein­ tures d’enfants, on reconnaît sans peine des factures d’écoles et dans ces écoles des person­ nalités marquantes. C’est dire que l’enfant se fait de lui-même sa palette sans qu’inter­ vienne une direction extérieure qui, risquant d’être intempestive, ruinerait l’intuition ou le jeu de la sensibilité.

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École maternelle de La Sône (Isère) œuvre collective. Melle Bossan

ces créations collectives de si grande valeur éducative, mais précisons ici qu’il ne s’agit pas à la Maternelle d’un puzzle à reconstruire, chaque enfant créant son mor­ ceau, mais d’un véritable travail en commun, sur grand format, donnant libre cours aux aptitudes de chacun. Certains enfants sont spécialistes d’oi­ seaux, d’arbres, de personnages, de maisons, de fleurs. Ils prennent leurs responsabilités dans la composition globale et s’adonnent de tout cœur au travail qui leur revient. Dès que les petites mains sont sûres de leur pouvoir, elles sont capables de persévérance et d’effort soutenus dans des limites de temps que l’on ne soupçonne pas tant elles semblent au-dessus des possibilités de gamins de 4 à 7 ans, d’ordinaire capricieux, instables, voués aux jeux inutiles.

Que de leçons cependant peuvent donner aux adultes si peu sûrs de leur compétence, ces enfants déjà renseignés sur leurs apti­ tudes et exaltés par une espérance invincible ! N’ont-ils jamais eu l’intuition qu’au niveau de ce non-savoir de l’enfance, le jeune être avant que ne lui soient imposées les cen­ sures inhibitrices, vit de mythes et de sym­ boles pétris d’une poésie invincible dont il nourrit ses créations fabuleuses ? A l’écart des mots usés d’une fausse science, quel esprit prendra enfin conscience des richesses insondables de la nature humaine, préfigu­ rées par les offrandes de l’enfance radieuse ? Dès aujourd’hui un message de grand renouveau est lancé au monde par les édu­ catrices maternelles les plus intuitives et les plus convaincues de leur mission. Il faut rester à l’écoute.

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Le dessin de 7 à 10 ans Les Costes-Gozon (Aveyron) ARMANDE 9 a. 8 m.- M. Cabanes

l

semble surprenant que les enfants des

I petites classes de la communale, livrés peut-on dire, aux seules vertus du tâtonnement expérimental, parviennent, comme en se jouant, à des créations artistiques dignes d’intérêt et parfois d’une réelle valeur, reconnue par des Maîtres dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils sont de la partie. Les enfants, au demeurant, ont une nette conscience de leur savoir-faire. C’est sans la moindre appréhension qu’ils s’emparent des crayons et des pinceaux face à la page blanche qui les sollicite. Ils ont la gravité du laboureur attaquant le premier sillon. Bien partir sa besogne, c’est d’emblée la conduire dans le bon biais. Ensuite, il suffit d’être vigilant, c’est-à-dire de rester toujours en alerte d’invention et d’habileté, à la hau­ teur d’une conscience aiguë de perfection. Essayons de résumer l’acquis qu’a gagné l’enfant au cours des 3 à 4 ans, par la méthode naturelle de dessin et, qui, dans nos Écoles Modernes, fait bien présager des années à venir. Par le dessin l’enfant sait EXPRIMER SA PENSÉE

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1 — Il sait représenter graphiquement et avec une dextérité surprenante tout ce que son regard peut voir et tout ce que son esprit peut imaginer, dans le passé, le présent,

l’avenir. Nous ne disons pas qu’il sait des­ siner objectivement les choses, mais il sait créer des symboles d’objets typiques, d’une grande originalité, dont il use avec souplesse pour traduire ses thèmes inspirés : par le dessin il peut signifier sa pensée. La vitesse de CRÉATION EST SIGNE DE FERTILITÉ INVENTIVE

2 — L’aisance avec laquelle il crée des symboles d’objets, sa fertilité imaginative, lui donnent une rapidité d’exécution, une vitesse de création qui sont à compter à l’avantage de sa technique de dessin. Les lenteurs, les hésitations de l’enfant non entraîné à la libre création nous font comprendre par antithèse ce que nous avons appelé le rythme personnel. La vitesse n’est pas ici envisagée exclu­ sivement comme facteur de rendement mais comme mobilisation de toutes les aptitudes de la personnalité à l’instant même où on les sollicite. Il en résulte un gain pédagogique dont on n’a jamais tenu compte jusqu’ici mais qui, pourtant, donne au départ à l’enfant sécurité et confiance en ses propres démarches.

École de Neublans (Jura) - Denise 7 ans Mme Belperron

Le style EST LA MARQUE DE LA MAITRISE 3 — Les dessins et peintures de chaque enfant ont une facture personnelle signifi­ cative d’un style. Le style tient non seulement à l’originalité des graphismes, aux carac­ téristiques des éléments, mais encore à un rythme d’ensemble aussi bien dans le trait que dans la couleur. Il est le signe d’exi­ gences affectives révélatrices des individua­ lités et qui, outre qu’elles sont hautement éducatives, nous renseignent sur la nature profonde de l’enfant et décident du compor­ tement de l’éducatrice à son égard. LE SENS DE LA MISE EN PAGE CONDUIT A LA NOTION d’unité

4 — La complexité de plus en plus grande des choses et événements à exprimer par le dessin, oblige l’enfant à une mise en page de plus en plus difficile qui demande parfois un sens très sûr des pleins et des vides. L’en­ fant sait d’instinct équilibrer ses masses et si le graphisme lui laisse quelques regrets, il emploie la couleur pour rétablir l’équi­ libre et redonner à son œuvre l’unité désirée.

École de St Benoît (Vienne) - Mme Barthot

5 — L’enfant acquiert ainsi, sans qu’on y prenne garde, la notion du tableau. Quand la couleur entre en ligne de compte, la notion de contenu signifiée par le graphisme s’ame­ nuise, s’estompe devant les exigences de la palette. Les jeux de fond ont parfois, aux yeux du petit dessinateur, plus d’impor­ tance que le thème central. La couleur est là pour elle-même, parce qu’elle fait beau, parce qu’elle donne de la joie.

Le graphisme et

6 — Comment, demandent des institu­ trices de la Maternelle, vos petits arriventils à faire un fond à leurs dessins ? Est-ce qu’on le leur impose ? Ce sont là questions d’adultes qui “ne sont pas dans le bain” et encore plongés dans la scolastique des leçons didactiques de dessin. Le fond, pour le petit dessinateur ça ne veut rien dire. Il vit avec les éléments qu’il dessine. Il est appelé à peindre un beau pré vert à ses moutons, un chemin à son cheval, un champ au moissonneur, un arbre ou des ciels à ses oiseaux et c’est parce que le décor est aussi riche que les personnages qui l’occupent, que l’enfant s’en va vers une symphonie de couleurs, qui à son tour influence sa technique picturale. Très souvent un tempérament de peintre supplée à l’habi­ leté du dessinateur, la supplante définiti­ vement.

Le fond, POUR l’enfant

LA COULEUR DOIVENT SE DONNER LA MAIN

VAUT LE SUJET

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L’œuvre COLLECTIVE DOIT ETRE TOTALEMENT LIBRE DANS LE SUJET ET LA FACTURE

7 — La diversité des aptitudes crée dans une classe des conditions majeures pour réussir des œuvres collectives. On a beau­ coup parlé de dessins de grandes dimensions, réalisés sur un thème donné, et divisés ensuite en parties égales distribuées aux enfants qui en dessinent les détails et les colorient dans la même palette, veillant de près aux raccords. Dans nos classes modernes le dessin collectif est le fruit d’une liberté totale dans la collaboration et dans le sujet. Les enfants au départ décident d’un thème, mais les dessinateurs dans leur enthousiasme débordent bien vite le sujet, y introduisant des inventions nouvelles que les coloristes exaltent parfois au-delà de l’importance que l’on aurait voulu leur donner. A la maternelle comme à l’enfantine, on sait toujours de quoi on part, mais l’on ne sait jamais bien où l’on va aboutir. Ici l’on pèche plutôt par excès d’invention, par collaboration trop

exaltante et généreuse que par pauvreté d’inspiration et souci de travail personnel. L’on peut mettre à la disposition des enfants toutes les surfaces que l’on voudra, elles seront toujours remplies pour peu que l’on apporte tous ses soins à créer une instal­ lation qui donne toute sécurité, surtout si pour les nécessités de l’exécution, les enfants doivent monter sur des tables ou tréteaux.

Du dessin à la peinture pour laquelle les enfants proposent souvent des techniques origi­ nales et font preuves d’infinies patiences.

École maternelle de la République Brest - Mme Rosemorduc

FRANCINE - Jupiter fait la roue E.P.A. de La Montagne (L.A.) - Mme Gouzil

Le sens décoratif TÉMOIGNE D’UN LYRISME QU’lL FAUT ENCOURAGER

lés de diamants et dans les coins oubliés on a tôt fait d’improviser des éléments de rem­ plissage tour à tour archaïques et modernes de façon à maintenir l’unité de la féérie.

8 — Quelles que soient les œuvres réa­ lisées sur grand ou petit format, dessins personnels ou collectifs, tous témoignent d’un sens décoratif étonnant. Pour le petit enfant, le motif décoratif est ce qui fait beau ; il est synonyme de richesse, d’opulence, d’éclat. Il y a dans les détails inventés dont il agrémente ses œuvres, un besoin de mer­ veilleux, de surnaturel qui est caractéris­ tique de l’imagination enfantine. Il répand ses richesses avec la prodigalité et la grâce d’un magicien faisant sans cesse plus beau que nature : les oiseaux ont des plumes d’une ampleur inouïe ; les arbres étalent des ar­ borescences inédites ; les prairies sont étin­ celantes de fleurs ; les personnages constel­

Arrêtons là l’inventaire de nos biens à la sortie de l’enfantine. Il en est d’autres, plus culturels qui n’entrent pas dans le propos de ce livre, mais qui nous permettraient en remontant le cours des siècles de faire la preuve que, intuitivement, l’enfant sait s’em­ parer de l’héritage artistique des hommes et en faire revivre tous les aspects. Contentons-nous de choses pratiques et voyons ce qu’il advient du gamin de 7 ans qui, nourri à si bonnes sources, accède, sou­ vent malencontreusement, dans la classe où il faut d’abord apprendre ce que l’on ne sait pas et trop souvent oublier ce que l’on savait si bien.

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Au-delà de l’enfantine i le petit dessinateur a la chance de fré­ quenter une École Moderne où pendant S toute la scolarité primaire sont pratiquées les méthodes de libre expression, tout se Fasse normalement pour lui. S’il est dans une de ces rares écoles mixtes de village, dans lesquelles grands et petits, garçons et filles constituent une grande famille où chacun fait preuve d’amitié et de compré­ hension vis-à-vis des autres, où les séances de dessin font à tout instant la démonstra­ tion qu’il n’y a pas solution de continuité entre les âges ; s’il reste dans son milieu avec les mêmes camarades et le même maître ou la même maîtresse, l’enfant, inévitable­ ment continue sur sa lancée. L’horaire des séances de dessin sera progressivement réduit au profit des disciplines scolaires mais la mobilité de l’emploi du temps suivant de près la vie, lui permettra toujours de des­ siner aux heures d’activités libres, le soir après la classe et même de revenir le jeudi, s’il a un long travail en cours qui le passionne. Ainsi tout l’acquis sera conservé, enrichi, orienté vers de nouvelles manières d’expres­ sion, au gré d’une évolution toute naturelle de la personnalité de l’enfant.

École de Pont-de-Lignon - (Haute-Loire) Melle Alibert

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Dans la majorité des cas, les écoles de villages qui pratiquent les techniques mo­ dernes sont géminées ; les enfants sont répar­ tis en deux ou trois classes travaillant en parfaite collaboration. Souvent la même maî­ tresse se charge de l’enseignement du dessin dans les trois cours et c’est en général l’ins­ titutrice de l’enfantine qui prend les élèves de 7 à 10 ans avec les siens. Sans doute ontils été déjà ses propres élèves, si bien que, simplement, la vie continue dans les mêmes données.

Ecole de Pitoa - Cameroun - M. Lagrave

Dans un village corse, la vieille maison paternelle d’un instituteur, M. Casanova, est devenue maison de tous : du petit enfant au vieux berger, chacun s’y sent à l’aise car chacun offre ce qu’il sait faire avec sa meilleure bonne volonté. Ecoutons, M. Casanova : « C'est dans une ambiance de simplicité biblique, que notre ate­ lier d'art prit forme, dans l’intimité de la vieille demeure où je vis le jour. La patine des murs était comme le symbole d’un fond de tradition et de noblesse qui signait notre simplicité et notre ferveur. Et chacun apporte son offrande pour sceller le pacte que nous venions de signer avec le passé : crémaillère sortie du grenier, mortier à sel abandonné aux poules, objets devenus inutiles et jadis créés avec tant de soin... Après une lente asphyxie due aux guerres, à l’exode rural, aux craquements des rythmes de vie, un asile s’offrait au village : il était désormais le lieu d’une loyale amitié qui redonnait espoir et vie. »

Les choses se compliquent quand le petit de l’Enfantine qui dessinait avec tant de brio et d’élan, atterrit dans une classe où le dessin est devenu un exercice de simple coloriage aux crayons Caran d’Ache, copie de modèles indigents, et où, fait aggravant, la maîtresse proscrit toute fantaisie en dehors des ronds, des triangles, rectangles, losanges et carrés : c’est ce qui s’appelle prendre l’enseignement du dessin à la base... “ô voi qu’entrate lasciate ogni speranza !”. Il faut se résigner au malheur.

Dangers de la Scolastique

En compensation, il est heureusement des sauvetages. Il arrive que le petit de l’En­ fantine qui, lui, comble de misère, était voué au coloriage des timbres à caoutchouc, ou des albums de bazar, entre à 7 ans dans une École Moderne où l’on dessine en toute liberté et toute joie. Son étonnement sera immédiatement suivi du désir de faire comme les autres. Oui, mais comment s’y prendre ? Il aura tôt fait de libérer la faune et la flore qu’il savait faire surgir de la pointe de son crayon mais qui restait clandestine, refou­ lée par le conformisme pédagogique. Il dessinera à nouveau des “bonômes ”, des bêtes, des maisons, des arbres, des fleurs, mais il sentira bien vite leur pauvreté, leur sécheresse, vis-à-vis des créatures enlevées avec un tel lyrisme par ses camarades-des­ sinateurs. Les couleurs sont pour lui difficiles à manier ; le pinceau, mal égoutté sur le bord du pot, s’écrase lourdement sur la feuille et le dessin. Le résultat est pitoyable : il faut voler au secours du maladroit et essayer avec patience et douceur de l’aider à rat­ traper les erreurs, l’encourager pour que

Réapprendre LA LIBERTÉ

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l’expérience ne soit pas une défaite. Pro­ gressivement, et avec bonne volonté, le “nouveau ” deviendra à son tour un “ancien ” en possession de tout l’acquis nécessaire pour démarrer, sûr de lui, vers des réussites à venir. Comment PROCÉDER POUR CE SAUVETAGE ?

En reprenant, bien sûr, la méthode natu­ relle qui a si bien réussi aux tout-petits : — dessiner le plus souvent possible et ce qui plaît. — familiariser l’enfant avec les diverses techniques de dessin - à l’encre de Chine, au stylo-bille, aux diverses couleurs - pour favo­ riser l’invention sous toutes ses formes.

Pour une fois nous serons ici à l’aise et pleinement d’accord avec les principes qui ont inspiré la Réforme Scolaire de 1909, les Instructions Ministérielles de 1923 et celles d’octobre 1944, tous événements placés sous le signe de la liberté : “ La liberté, CHEZ L’ÉLÈVE, LIBERTÉ DU SENTIMENT ET DE l’interprétation ; CHEZ le MAITRE, liberté d’action, encouragement a l’initiative”.

Le dessin est moins étudié, en lui-même que pour les fins générales de l'éducation. “ Faire du dessin, non pas un art d’agrement, mais un facteur de culture ET COMME UN STIMULANT POUR LE JEU NORMAL DE L’IMAGINATION ET DE LA SENSIBILITÉ ”.

— Faire expliciter les dessins, le commen­ taire étant toujours plus riche que le contenu du graphisme ; faire ajouter les détails nou­ veaux au fur et à mesure que le sujet s’am­ plifie. Le dessin prend ainsi une assise affective qui, progressivement, nourrit une inspira­ tion de plus en plus riche. Les premiers graphismes secs et nus perdent leur schématisme pour devenir plus complets, plus originaux. — Retenir et exalter le détail original, celui qui n’est pas dans l’exacte réalité, qui justifie les ailes aux chevaux, un visage au soleil et aux fleurs et qui fait planer dans l’air des êtres fantastiques, que nous envie­ rait Chagall. — Inclure l’enfant, retardé en dessin, dans une équipe employée à une œuvre col­ lective. Il sera au début intimidé, ne parti­ cipant que bien modestement au travail de création. Mais les enfants savent s’en­ tendre et s’éduquer les uns les autres. On donnera d’abord au “nouveau” de petites tâches faciles : passer la couleur de fond, faire un motif décoratif de remplissage, terminer un détail, etc... puis il créera luimême ses graphismes, bêtes ou personnages, et les embellira par ses propres moyens, heureux d’être délivré de ses craintes. Toujours, c’est la pratique qui enseigne. Que disent LES PROGRAMMES ?

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Oui, mais peut-on ainsi au cours élémen­ taire où déjà l’enfant a des obligations d’éco­ lier, laisser aller les choses sur le vent de la liberté la plus totale sans se soucier des programmes, ou tout au moins de l’esprit qui les anime ?

Un peu trop près de Lurçat... Est-ce du plagiat ? Et qu'en pense le Maître ? "Ma joie est grande, nous dit Lurçat, de voir que ce que je fais sert à quelque chose d’excellent, de tonique, de beau : donner la joie à d'autres. Qu’on en use comme l’on entend. Si par moi, d'autres sont heureux, je suis heureux moi-même. C’est moi qui remercie ces enfants et j’admire leur simplicité et leur audace : ils ne sont gênés par rien, leur intuition est prodigieuse. Félicitez-les pour moi”.

Sans doute, au cours élémentaire parlet-on d’objets à dessiner, mais en prenant garde de dénoncer “les modèles sans valeur”. Il faut faire accéder l’enfant à la notion de beauté. “Peut-être a-t-on abusé dans ces dernières années, disent les Instructions, en dessin comme en composition française, des modèles sans beauté. Il n’est pas plus intéressant pour l’écolier de dessiner son porte-plume que de le décrire. U Art est un langage. Pour qu’un objet vaille la peine d’être dessiné, il faut qu’il ait pour le jeune des­ sinateur une signification, qu’il corresponde à un sentiment, qu’il soit pour lui symbolique ou poétique. ” On ne nous en voudra donc pas, si, sant la notion d’objet, nous avons toutes grandes les portes du rêve, choses quotidiennes sont habillées de deur et chantent haut la poésie du monde.

dépas­ ouvert où les splen­ Projets de tapisseries réalisés par les élèves de M. Casanova, 12 à 14 ans.

Au-dessus de ÏO ANS LA NOTION DE LIBERTÉ EST DIFFICILE

La pédagogie a, depuis le Moyen Age scolastique, un visage rébarbatif et sévère. Elle manie l’autorité comme les verges et celui qui enseigne se doit de faire planer la menace : on n’est pas ici pour rire, mais pour apprendre : selon les règles. Nos enseignants ne sont pas totalement dégagés de cette notion d’autorité intempes­ tive, en apparence caricaturale, significative de l’aliénation totale des droits de l’enfant face à la toute puissance du maître détenteur de la discipline et du savoir. Les parents sont depuis longtemps habitués à cet état de fait qui a l’avantage de les décharger de leurs responsabilités éducatives : un maître qui sait tenir ses élèves les rassure pleine­ ment. Par contre, ils ont quelque inquiétude à voir leurs enfants s’instruire sous le signe de la liberté, synonyme pour eux d’anarchie et de paresse, si bien que les méthodes de libre expression n’ont pas tout de suite leurs faveurs. Cependant, attentifs aux résultats obtenus, les parents se rendent bien vite compte que le gai savoir a ses avantages. Ils comprennent que ces biens acquis ne viennent pas en désinvolture : ils témoignent d’un savoir-faire qui est naturelle consé­ quence des tâtonnements qui en jalonnent l’acquisition. Tout particulièrement en ce qui concerne le dessin, ils sentent qu’il y a dans la réussite de leur enfant, un quotient personnel qui ne peut venir de l’extérieur ; il est témoin de puissance tranquille, de désirs, d’impulsions, menés jusqu’à l’éclo­ sion, sans reproches. Peu à peu, ils comprennent aussi que des­ siner n’est pas perdre du temps mais au contraire en gagner, car ce besoin exigeant de faire les choses avec goût et minutie se retrouve dans d’autres disciplines et facilite l’activité créatrice sous toutes ses formes.

Cependant, si, au-dessous de 10 ans, l’on accepte avec enthousiasme les pratiques du dessin fibre, devenues par la force des choses de plus en plus efficientes, on s’inquiète de voir l’enfant perdre du temps au moment des examens. Les programmes vont s’enflant d’année en année, les contrôles sont, semblet-il, nécessaires et l’horaire est inexorable : il faut mettre les bouchées doubles et le suc­ cès n’est pas assuré pour autant. La pratique pédagogique doit trouver remède à cet état de fait. Sous la poussée de la masse de nos Écoles Modernes, la Réforme de l’Enseignement de 1936, pré­ voyait chaque jour deux heures d’activités

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dirigées, dans lesquelles une place généreuse était faite à l’expression artistique. Les classes à mi-temps qui sont en passe d’être généralisées, conserveront, espérons-le, ces avantages. L’adolescent pourra donc dessiner et peindre, comme il jardine, travaille aux ateliers, fait du sport. Il s’agit seulement de préciser dans quel esprit se feront ces acti­ vités plus spécialement instinctives, donnant un aliment au besoin de détente et d’équi­ libre. Nous sommes, quant à nous, rassurés sur la portée de l’expression artistique quand elle est nourrie d’instinct joyeux et pur qui, mieux qu’une science d’initiation, sait appré­ hender et recréer les images du monde. Le difficile est seulement de redécouvrir cet ins­ tinct de création refoulé, enseveli sous la chape de plomb de la scolastique. Tout est simple avec le tout petit qui franchit la porte de la maternelle, tout est compliqué pour l’adolescent qui, au seuil de la onzième année, n’a pas la moindre idée des pouvoirs de l’expression artistique ; il envie les camarades de son âge habitués dès la plus jeune en­ fance à la libre expression, pleinement à l’aise dans les activités d’art où ils continuent à cueillir des succès mérités.

Il n’y a pas de hiatus Il n’y a pas pour ces derniers de hiatus à l’adolescence, hiatus qui mettrait fin à la période féconde des inventions person­ nelles, ainsi que l’affirment les psychologues. Il nous faut redire que la science des psy­ chologues en chaire est très éloignée de la vie : ils travaillent sur documents et enquêtes, les uns et les autres plus ou moins arbitraires et superficiels, ne donnant en aucun cas une notion exacte de la densité affective de l’enfant et de ses pouvoirs, sur­ tout au moment de l’adolescence. Le lecteur verra dans ces pages quantité d’œuvres de jeunes de plus de 11 ans, œuvres directes, aisées, témoignant d’une sincérité d’inspi­ ration, d’une subtilité de sentiments, d’une facture picturale portant témoignage de la maîtrise adolescente. Il n’y a pas de raison que, brusquement, alors que l’organisme s’épanouit en plé­ nitudes, l’être intime pèche par impuissance intellectuelle et sensible et oublie ses ap­ prentissages émouvants, pour sombrer dans un néant que la vie, à cet instant même, renie de toute sa puissance accrue.

Les nombreuses créa­ tions du jeune Alain Gérard prouvent que cet enfant se reste fidèle au cours de son adolescence. Il dessine librement de­ puis sa septième année où il fut admis à l’École Freinet. A 12 ans, il avait gagné une élégance de ligne, un sens décoratif, une originalité d’inspi­ ration qui déjà signifiaient un style.

Alain GÉRARD - École Freinet - dessins exécutés à 12 ans.

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École de Plérin-Bourg (C.-du-N.), SERGE 12 a. - Mme Auvray

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Toujours créer l’ambiance Il faut l’affirmer, l’aptitude créatrice de l’enfant, demeure et s’affirme dans l’adoles­ cent. Elle prend seulement un visage nouveau. Il en est de l’enfant-artiste, comme de l’adulte-artiste, il évolue et se transforme : il a ses époques et ses manières. Dans nos Écoles Modernes, nous sommes pour ainsi dire rompus aux mille visages du réalisme. Nous savons que chaque enfant a le sien qui diffère de celui du voisin, autant que le réalisme d’INGRES diffère du réalisme de Delacroix... L’erreur des profes­ seurs de dessin classiques, c’est de s’attar­ der à la vérité objective et de l’imposer comme valeur unique. Le modèle placé en évidence pour toute une classe ressuscite chaque fois la leçon d’observation où le critérium de justesse et de vraisemblance bannit à jamais l’imagination et la fantaisie. Or, nos enfants, il faut inlassablement l’affirmer, sont de grands Modernes, soumis à la fois à la suggestion du réel et à l’évasion du rêve. Comme Cézanne, ils veulent traduire leurs sensations premières mais faire quelque chose de plus : ajouter leur rêverie à l’objet. A chacune de leurs créations, ils réinventent les audaces de Picasso im­ posant pour la première fois dans le tableau historique des “Demoiselles d’Avignon” (1907) cette interpénétration permanente du réel et de l’imaginé dont le cubisme et le fauvisme devaient vivre. Mais il n’y a chez l’enfant aucun extré­ misme intellectuel. Ces innovations sont simples démarches de sa sensibilité, aussi bien pour le dessin que pour la couleur : il dessine comme il respire, selon les rythmes de son cœur. Cependant, ces biens acquis ne se conser­ vent et ne se recréent que dans l’ambiance favorable d’accueil et d’amitié qui les a vu naître. Il faut qu’ils aient aussi prétexte à se livrer, occasion enthousiasmante d’éclore.

créatrice. Si le professeur est d’esprit mo­ derne, soucieux de créations personnelles, tout se normalisera progressivement ; mais la limitation des horaires de dessin et par ailleurs le bachotage continuel, le bourrage ne laissent plus l’enfant devenu étudiant, disposer de sa liberté. Désormais, les condi­ tions scolaires péjoratives joueront le rôle de véritable éteignoir. La création artistique faite de tant d’impondérables venus de la personnalité s’éteindra comme un feu de sarments. On aura beau jeu d’affirmer, une fois de plus, que l’adolescence ne tient pas les promesses de l’enfance. Mais si l’élève doué n’honore plus le talent, il saura du moins rester habile de ses doigts et faire face aux exigences d’un réalisme classique : il ne sera pas un cancre en dessin. Il est rare de trouver, dans les écoles à enseignement traditionnel, des élèves qui, au-delà de la dixième année sachent créer avec quelque originalité. Ils n’ont dessiné jusqu’ici que des objets courants venus au hasard sous la main du maître : plumier, boîte à craie, pot de fleurs, assiettes, tabouret, etc... la liste en est illimitée. Ce sont là sujets dont le moins que l’on puisse dire est qu’ils ne sont pas faits pour parler à la sensibilité et débrider l’imagination.

Celui qui ne SAIT PAS DESSINER

L’imagination d’ailleurs, tout comme la mémoire, a dans l’école traditionnelle son rayon à part. Il est en effet proposé, de temps en temps, des sujets qu’on appelle libres : inventer un thème, une scène, se souvenir d’une anecdote, illustrer un conte fameux ou une fable mille fois rabâchée. La liberté ici est terriblement circonscrite ; plus encore que dans le sujet-modèle car les détails ne sauraient être omis et, bien sûr, il seront traités dans le style qui convient, c’est-à-dire dans le pompier légalisé... Ce sont là, on ne saurait le redire assez, exercices préjudiciables à la création person­ nelle. Il faut les dénoncer, les interdire et préciser, pour nous en préserver, ce qu’il ne faudrait plus faire.

Le petit paysan-artiste qui, à son entrée dans une classe de Lycée, est mis en présence du tabouret-démonstratif “du comportement des lignes par rapport à la ligne d’horizon”, ne trouve guère occasion dans un exercice aussi scolastique, de libérer son inspiration

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Ce qu’il ne faut PAS FAIRE

— Les instructions ministérielles le pres­ crivent : il faut proscrire le modèle-objet banal, mis en place pour toute la classe. Il ne peut que susciter une observation imper­ sonnelle, rétrécie, limitée, anéantissant les pouvoirs affectifs et imaginatifs de l’enfant. Accepter de telles copies de modèles pauvres, c’est accepter un réalisme de misère. — Il ne faut plus donner le même sujet pour tous les élèves d’une classe, sujet d’ail­ leurs choisi pour la plupart du temps par le maître et sur lequel l’enfant n’a aucune idée. C’est vraiment faire dessiner à vide. Trop d’instituteurs pensent encore que le dessin est le pendant de la narration et mieux encore du conte. C’est ainsi que l’on propose des thèmes dont le pompier le dispute à la niaiserie : le Petit Chaperon Rouge, Cendrillon, La Fée des Prairies, etc... Ou bien c’est un sujet de rédaction de Certificat d’Études : Le Laboureur, Le Forgeron, Au lavoir, Votre village... Ce n’est pas que de tels sujets ne contiennent en puissance un certain intérêt plastique, mais ils sont usés d’avance par les clichés. La part personnelle est impos­ sible à prendre. — Ne pas distribuer aux élèves du papier de format identique. Évidemment, c’est facile de couper la feuille Canson en parties égales, mais on peut aussi bien la partager avec plus de fantaisie. On a ainsi, au départ, une diversité dans les dimensions qui faci­ litera l’éclosion de dons personnels : chacun se sent différencié des autres, livré à ses propres pouvoirs. Il en découlera une mise en pages plus originale et les dons se mani­ festeront de façon plus lisible.

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MARIETTE, 12 ans Sainte-Marguerite - Marseille Mme Bens

— Bannir définitivement la règle, la gomme, le compas et le fil à plomb. L’enfant ne doit compter que sur l’habileté de sa main. Un trait maladroit ne sera pas effacé, mais corrigé, même par plusieurs traits superposés qui resteront visibles, ainsi que le fit Matisse à la Chapelle des Domini­ caines à Vence, pour rendre plus démons­ tratif le drame du Chemin de Croix... — Ne jamais faire le dessin pour luimême, mais l’associer de suite à la couleur qui introduira bien vite une note gaie, sen­ sible, mettant à l’aise les enfants plus spé­ cialement coloristes qui commenceront ainsi leur initiation à la peinture.

Ecole enfantine, Neublans - Jura Mme Belperron

— Ne pas ridiculiser les œuvres mal venues. L’enfant a fait de son mieux pour arriver à un résultat qui, hélas, le déçoit sans qu’il le dise. Il lui suffira de jeter un coup d’œil sur les dessins les mieux réussis pour faire le point de son entreprise. Une autre fois, il le pressent, il s’y prendra mieux. — Ne pas interdire les graffiti plus ou moins pauvres ou caricaturaux, mais au contraire les légitimer en proposant un cahier de dessin libre que les élèves s’engagent à montrer chaque fois qu’ils pensent avoir une réussite ; et si on y découvre des sujets frondeurs, en sourire au lieu de gronder, en faisant la part des choses. L’essentiel est de favoriser le chemine­ ment de la pensée créatrice, jusqu’au mo­ ment où l’adolescent sentira l’affleurement d’une œuvre, jusqu’ici inconsciente. C’est à partir de cet instant que tout devient possible. Il faut donc dessiner souvent pour faci­ liter des associations d’idées plus ou moins tumultueuses, venues des imaginations, des fabulations à peine formulées mais qui un jour prendont forme. — Interdire la copie de modèles pris dans les livres illustrés, les manuels scolaires, les revues de mode, les journaux d’enfants à grand tirage. Il y a là une source inépuisable de mélo et de pompier dont on ne sent pas les dan­ gers. Le malheur veut que le copiste exerce malgré tout sa main et devienne bien vite habile dessinateur. Il sera d’autant plus dif­ ficile de le rééduquer vers un art personnel et de simplicité. — Ne jamais corriger un dessin libre sous l’angle d’une objectivité stricte. Il n’y a pas qu’une seule façon, nous l’avons dit d’être réaliste. Essayer au contraire de saisir par quoi le jeune dessinateur s’échappe de la réalité : même une maladresse peut être le point de départ de l’originalité. On ne sait jamais bien quand l’œuvre d’art commence à naître. L’humanité désolante de Bernard Buffet semble sortir toute nue et dessé­ chée d’une adolescence refoulée où les graf­ fiti ont peut-être joué un rôle décisif... Arrêtons là nos interdits. Ce que nous devons éviter va nous faire comprendre ce qu’il faudrait proposer, en­ courager, favoriser pour hâter la réussite.

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École d'Augmente! (Tarn) - classe des grands Mme Cauquil

Un ennemi : le pompier!

Il faut dénoncer LES DESSINS SCOLAIRES

uels

sont les défauts majeurs des dessins

Q d’adolescents n’ayant pour ainsi dire jamais vraiment dessiné avec plaisir et spon­ tanéité ?

Ces dessins sont en général pauvres et secs, nourris d’aucune chaleur, d’aucune sève, d’aucune tendresse. Chaque objet est un schéma qui n’a qu’une signification géné­ rale : la maison a des murs, des fenêtres, une porte, un toit, une cheminée... le tout tiré à la règle, sans la moindre défaillance. L’homme est réduit à une anatomie sommaire. Les arbres ont toujours la même arborescence en branches rayonnées. Les fleurs sont sty­ lisées et sans grâce. De tels éléments froids et indigents entrent dans des combinaisons à thèmes avec la régularité ordonnée des chiffres dans une opération. Toutes les scènes se ressemblent et donnent la même impres­ sion de pauvreté et de limitation. Ce schématisme graphique se double d’un schématisme mental. L’enfant n’a, comme il le dit, pas d’idées. Son dessin est l’équi­ valent d’une leçon de vocabulaire pour l’apprentissage des langues étrangères. Il récapitule tout ce qui entre dans le sujet et, les choses mises en place, il se sent quitte de tout travail supplémentaire. Il ne reste qu’à passer les couleurs, strictement, dans les objets. Un frottis noir ou marron signi­ fiera la terre et un frottis bleu le ciel. L’enfant se satisfait tout de même de ce résultat sans âme. Il a mis un peu de la sienne à faire les choses consciencieusement, scolairement et il pose crayons et couleurs sans regret.

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Cependant, autour de lui chante la féérie du monde et il est conscient de tous les biens qu’elle prodigue. Il se grise des beaux spec­ tacles de la nature, il est pris dans le mystère de la vie étonnante. Mais il n’a pas compris encore que dessiner et peindre, c’est faire chanter le beau poème de la vie. Il est pourtant quantité d’adolescents dans nos écoles dont le maître dit sans hésitation : “il est très fort en dessin”. Et en effet, ces enfants-là savent manier crayons et pinceaux avec habileté et leurs créations ne témoignent d’aucune maladresse. Ils ont grand plaisir à dessiner et ne s’en privent pas, encouragés même par l’instituteur qui a très souvent recours à leurs aptitudes affirmées. Tout irait bien si ces créations de facile venue ne s’inscrivaient à chaque pas sous le signe du pompier le plus invétéré. En effet, c’est par la copie de modèles que ces enfants se sont formés, avec grand plaisir il faut le dire. Les manuels scolaires sont illustrés aujourd’hui, redisons-le, de façon abusive, outrancière, la banalité de la ligne le dis­ putant à l’insolence de la couleur. Ces chro­ mos d’inspiration banale et de piètre valeur artistique plaisent au maître comme à l’élève qui n’a que l’embarras du choix. La péda­ gogie réclamant ses droits, il arrivera que rélève copiera même le scribe accroupi, la Diane chasseresse, ou la statue équestre de Marc Aurèle pour illustrer ses leçons d’Histoire. Tout cela ne manque pas de vie et de bon­ nes intentions, mais c’est une atteinte aux exigences culturelles de la nature humaine.

Ne parlons pas des sollicitations quasi quotidiennes venues à chaque instant des journaux d’enfants aux placards criards, des revues illustrées bon marché, dont les grands tirages assurent une diffusion jusque dans les plus petits villages. Rien ne vient hélas ! corriger ce triste état de fait et l’enfant du peuple, surtout en province, ignorera toujours que peuvent exister de belles images réalisées par de grands Maîtres. Ce n’est que par la pratique de libre expression artistique — début d’initia­ tion aux valeurs culturelles — que nos élèves et nos maîtres pourront s’évader de l’em­ prise d’un art de banalité destiné au grand public à l’encontre de son originalité native. Dans la rue, dans les champs, partout où il connaît le bonheur, l’enfant vit en artiste. Il faut lui conserver ce pouvoir de person­ nalité exclusive, unique au monde qui fait le charme et la valeur de toute créature. Le contraire du pompier, c’est la création originale, inédite, chargée d’affectivité et de caractéristiques personnelles dans la ligne, dans la mise en page, dans l’arabesque. C’est la réalité prise sous un angle de vision nouvelle qui étonne et retient. C’est la réalité re-créée par l’artiste. Il est difficile de per­ suader enfants et maîtres que les expressions graphiques et picturales sincères, sobres, directes sont préférables aux dessins bour­ souflés, tapageurs, hauts en couleurs dont par exemple les encyclopédies enfantines, aujourd’hui à la mode, font un abus. Et pourtant, il faut pour l’enfant revenir à une vision claire du monde.

Comment éviter le pompier ?

Les élèves qui ont réalisé ces œuvres savent indiscutablement dessiner. Mais leur sensi­ bilité ne participe pas à un sujet qui n’est pour eux qu’un prétexte à exercice sco­ laire : reproduire avec fidélité et ressem­ blance un objet bien défini et limité.

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Encore et TOUJOURS PARTIR DU DÉTAIL ORIGINAL

Comment cela ? En mettant l’accent sur les détails qui plaisent dans les objets qui s’offrent à nous. En donnant de l’importance à ces détails, au détriment de la simple ressemblance. “Un objet, écrit E. Goerg, (i) peut prendre une signification différemment nuancée par la précision ou le choix d'un détail, dont l'importance est capitale pour l'expression et secondaire seule­ ment pour la plastique”. Ce sont ces exagérations ou pour mieux dire le lyrisme des détails savoureux qui arrachent le motif à l’objectivité courante, banale. C’est ce qui explique l’intérêt sai­ sissant des œuvres graphiques et picturales des petits de la maternelle. Faites dessiner à des enfants de 4 à 7 ans et à des adolescents de 10 à 14 ans les mêmes sujets : personnages, arbres, maisons, bêtes, etc... Comparez les graphismes. Vous sen­ tirez alors la valeur de la fantaisie des détails, infiniment plus expressive, attachante que la stricte ressemblance. Il y a mille façons de faire naître l’originalité. Les genèses d’élé­ ments, collectionnées par C. Freinet sont une démonstration patente que les exa­ gérations, le lyrisme des détails typiques sont une source permanente d’originalité artistique qui donne charme et sensibilité aux créations instinctives enfantines. C’est ce lyrisme que l’on retrouve dans les œuvres archaïques et primitives : elles sont de bonne veine, dans une noble tradition.

Quel sens donner AU DÉTAIL ORIGINAL ?

Prenons l’exemple de la maison enlevée avec tant de brio par les petits de la mater­ nelle. Les adolescents non entraînés à l’ex­ pression libre dessinent invariablement la maison cubique, traits à la règle, toit en pente, portes et fenêtres, persiennes ouvertes, bordure du trottoir. C’est là le pompier scolaire par excellence. Mais faites entrer l’originalité dans cette géométrie primaire : — détruisez les proportions classiques du toit, des murs, de la longueur.

(1) Querelle du réalisme - Ud. Sociales, p. 51

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— inventez des ouvertures modernes, faites intervenir la courbe, des enjolivements sobres, et vous obtiendrez une image nou­ velle de la maison qui a dépassé le schéma pour accéder à une création originale. Ce ne sont certes pas encore les audaces de Le Corbusier, mais c’est tout de même un début de personnalisation, d’invention qui peu à peu ira s’affirmant. Les petits de 4 à 7 ans ont des mines d’idées originales sur les maisons. Des architectes modernes, pourraient, sans nul doute, y puiser des inspirations inédites. Ce que nous venons de faire pour la maison peut être repris pour tout objet dessiné sous l’angle d’une objectivité trop étroite. Nous n’irons certes pas jusqu’à imiter Picasso dans sa manière des “monstres ” mais nous ferons notre bien de ce vent de liberté que cet inventeur inlassable a fait souffler sur le monde en jetant bas un réa­ lisme étroit, autoritaire, déniant à l’exécutant toute opinion, tout sentiment. L’adolescent d’ailleurs comprend d’ins­ tinct la leçon de Picasso ; il a un penchant naturel à “chahuter” l’équilibre des choses, à rompre brutalement les proportions, à faire grotesque, caricatural. Celui qui excelle dans ce genre, jouit d’un réel prestige aux yeux de ses camarades : “épingler” le maître, le prof, la concierge, le curé, sont des exerlices presque culturels par leur verve et aiguisent l’esprit... Il va sans dire que cette sorte de parti-pris de déformation systématique ne saurait être retenu comme une technique permanente. Ce n’est pas un procédé pédagogique, mais une initiative passagère pour les enfants hésitants et les maîtres sans formation. Les enfants doués n’ont pas besoin de s’attarder dans l’analyse de leurs productions ni de les recréer dans une composition quelque peu arbitraire. Ils vont d’instinct vers la composition globale qui déjà délivre un style. Les dessins d’adolescents de Pitoa, au cœur du Cameroun n’ont pas besoin de courir après le détail original ; il jaillit à jet continu de leur inspiration immédiate. Ils sont la spontanéité même dans tous ses pouvoirs et nous font regretter le savoir acquis par les civilisés, au prix de tant d’efforts ! Cependant, il faut sortir de l’impasse où un réalisme-leçon-de-choses a jeté la majo­ rité de nos adolescents.

Le réalisme de ces œuvres n'est ni banal, ni pompier : on y sent un souci d’interpré­ tation personnelle, une certaine émotion qui va plus loin que l’objet représenté. La liberté dans l’exécution est contenue mais réelle. Cependant, seule la fillette de six ans improvise sans arrière-pensée des fantaisies graphiques et décoratives. Son sujet est tout intérieur et elle se sent libérée de toutes entraves.

C.E.G. Rivière Neuve - Toulon (Var) R.: 14 a. - M. Jardin

Ateliers FRANCA - Châlon-sur-Saône (S.-et-L.) - M. Lagoutte Portrait réalisé par une jeune coiffeuse.

ANNIE, 6 ans - École de Saint-Cado (Morbihan) MeIle Robic

Faire décoratif

Le détail original ne s’enseigne pas : il se sent et n’est pas à la portée immédiate de l’écolier encore prisonnier de la règle et du compas. Nous ferons entrer alors en ligne une notion plus primaire : la figure décorative. Faire décoratif, c’est inventer, ordonner, embellir, ouvrir les ailes de la fantaisie, faire plus beau que nature. Nous ne parlerons pas ici, cela va sans dire, de la décoration d’assiettes, de potiches, de coffrets, de cafetière, etc... avec des figures géométriques ou des motifs divers, décoration que condamnent à juste titre les instructions ministérielles. Les ronds, les carrés, les losanges, les petites fleurs à cinq pétales, le gui ou le houx, ont fait leur temps. Il s’agit désormais d’inventions réelles, n’ayant souvent rien à voir avec la réalité ; par ces inventions la ligne multiplie à l’infini ses sortilèges comme elle sait le faire en passant par les mains de Picasso. Toutes les cons­ tructions arbitraires des cubistes ont une valeur décorative évidente. Elles sont un monde recréé où dessin et couleur s’épousent dans des rythmes imposés d’autorité par l’artiste.

L’unité graphique Nous avons dit la nécessité de rechercher le détail original dans l’objet. Mais l’objet est partie intégrante de la réalité dont il peut être le thème central ou accidentel : le vase placé devant la fenêtre ouverte, par exemple, s’unit à un paysage qui a ses rythmes, ses accents et l’ensemble de ces choses, acci­ dentellement unies, nous donne une émotion difficilement communicable. On ne peut tout exprimer ; il faut choisir les points aigus, les arracher à la réalité, les recréer dans un monde de liberté totale, où l’imagination imposera son parti-pris. On ne se souciera au début ni de mise en page, ni d’équilibre des masses. Ces valeurs essentielles naîtront progressivement comme elles sont nées chez les petits de la maternelle. Un beau jour, le “grand” sen­ tira lui aussi le balancement des masses, l’équilibre des pleins et des vides, la géniale simplicité de l’unité graphique. Il ne s’agit d’ailleurs nullement ici de ressusciter la “composition” et ses exigences classiques. Nous ne nous soucierons plus du motif central, des plans, de leur ordon­ nance comme dans un diorama. Le néoplas­ ticisme nous a appris à voir large et ce que pense l’esprit l’emportera souvent sur ce que voit le regard. La couleur du reste viendra à notre secours ; un vide trop désolé appelant une couleur plus vive, de manière que “tout se balance ” et nous laisse en repos. Ce sont là les enseignements même de l’Art Moderne. Il est l’Art de la liberté, de l’innovation à jet continu qui donne à la personnalité son plus grand coefficient.

École de Grésillac (Gironde) Mlle Lecourt

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Le petit nègre, dès sa naissance, a en sa mère le meilleur professeur d’art décoratif. Il la voit tisser les motifs inventés des tentures, pyrograver les jarres destinées à recevoir le mil ou le lait, déco­ rer les grandes poteries jusqu’à leur intérieur. Il a aussi autour de lui, la nature fantastique qu’il sait habitée par les esprits bienfaisants. Chaque plante, chaque arbre, chaque animal est admiré non pour lui-même mais pour la force qui lui prête vie. Il y a, au départ, transposition et trans­ cendance de l’objet regardé.

MAMADI, 12 a. - École de Pitoa - Cameroun M. Lagrave

Le vêtement a toujours été un pré­ texte à décoration et à embellisse­ ment. Les petites bretonnes de Trégastel (C.-du-N.) nous donnent ici un échantillon amusant de leur aptitude à faire plus beau que nature.

École de Filles - C. P. Trégastel (C.-du-N.) - Mme Le Bohec

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La leçon des GRANDS MAITRES

Garder toujours sa VISION PERSONNELLE

Il y aura ici opportunité à montrer des œuvres de grands Maîtres aux élèves. Picasso leur prodiguera sans fin ses nu­ méros de haute voltige où dans un “làcheztout” impressionnant, chaque chose retombe dans une unité primordiale. Les vertus de la couleur et de la ligne de Matisse ; le dessin si bonnement familier de Van Gogh, les rythmes simples et colorés de Gauguin ; les cernes noirs de Rouault dans les transparences d’une palette de vitrail ; la composition dépouillée de Leger rehaus­ sée d’aplats de couleurs primaires ; les êtres flottants de Chagall arrachés au monde de la pesanteur dans un feu d’artifice somp­ tueux. Tous ces Maîtres qui ont magnifié un réalisme si personnel, resté par la ligne et la couleur tellement humain, accessible à toutes les sensibilités, feront sentir ins­ tinctivement à nos grands garçons et à nos grandes filles le langage complexe et pro­ fond de la réalité recréée, non seulement pour elle — mais surtout pour les émotions qu’elle suscite.

leurs pouvoirs d’expressionnisme. Ils pres­ sentaient les possibilités du rêve, alimentant sans fin une variété infinie de thèmes plas­ tiques, un lyrisme éperdu du trait, de la figure, signifiés sans contrôle comme dans l’impro­ visation poétique. Il n’y a pas de raison d’arrêter de jeunes tempéraments sur la lancée de leur sensi­ bilité pour faire droit à la paresse d’une tra­ dition académique. Nous vivons une période fantastique où l’imagination n’est même plus à la mesure des réalités cosmiques qui s’ouvrent devant nous.

Il ne s’agit pas de mettre entre les mains des élèves des reproductions d’œuvres de Maîtres. On courrait ainsi le risque de sus­ citer sinon la simple copie, du moins une sorte d’envoûtement qui pourrait suggérer des créations “à la manière de”. Mais de temps en temps, une séance de dessin peut être consacrée à la Culture : on expose les œuvres les plus marquantes de chaque Maître pour en faire sentir le message et si possible, on lit quelques pages de critiques à la portée des élèves. Ceci étant sans prétention, ne visant qu’à créer une ambiance, qu’à faire sentir que l’Art est une activité un peu exceptionnelle qui demande sensibilité, subtilité, recueillement.

L’extrémisme INTELLECTUEL EST ÉTRANGER A L’ENFANT

Faut-il ouvrir les portes de la liberté pro­ testataire, militante, en faisant accéder l’ado­ lescent aux démarches les plus surprenantes d’un art extrémiste ? Nous avons eu dans notre École Freinet des élèves de 12 à 15 ans qui sont devenus des cubistes en ignorant totalement les en­ seignements de Kandinsky, Braque, Juan Gris, Picasso, ces grands Maîtres venus en réactions contre l’atmosphère impression­ niste. Tout simplement, nos grands garçons, très doués au demeurant, en avaient assez des choses trop “bêtement” exprimées, nourries de quiétude et qui empiétaient sur

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École de Plérin-Bourg (C.-du-N.) Mme Auvray

Nous donnons cicontre deux repro­ ductions de peintures de J.-L. THOMAS, an­ cien élève de l'Ecole Freinet (Voir page 67) Jean-Lou, encore assis sur les bancs d'un collège technique a des préoccupations nouvelles qui vont audelà de l'étroitesse des programmes scolaires. Il a continué sur sa lancée et seul, sans directives de professeurs, il s’adon­ ne - au sens total du mot - à la peinture pendant ses heures de loisir. Il ne connaît ni Tanguy, ni Dali, ni Masson et rien chez lui ne témoigne d’unirrationel dadaïste ou surréaliste. Seule une sensibilité aiguë le situe au cœur d’un drame qui est celui de la jeunesse actuelle, face à un monde de plus en plus inhumain. Tout reste dans les données de la réalité et l’imagination n’est jamais délirante mais en continuelle méta­ morphose. On sent passer dans cette œuvre juvénile (J-Lou a 16 ans) un souffle protestataire et une volonté constructive qui alliés à une techni­ que sûre d’elle-même ne peut que donner confiance pour l’ave­ nir de ce jeune talent.

LA NATURE

ECCE HOMO

“Des tâches se proposent sur un plan nouveau ; nous entrons dans un cycle épique, faisant appel à l’esprit de l’art bien entendu et par conséquent aux artistes d’esprit ; mais de quelle qualité transcendante forte et élevée.”

Ces paroles prophétiques prononcées par Le Corbusier en 1935, nous placent au seuil d’un avenir insondable qui aura besoin de toutes les inventions humaines. C’est dans l’enfant qu’il faut préserver les plus précieuses semences des fertiles créations de demain. 11 faut donc dès à présent se familiariser avec l’idée du fantastique, faire droit à l’élan de la jeunesse qui tend à se déraciner du réel comme s’en déracine le cosmonaute dans sa fusée. Comment astreindre l’étudiant aux lois de la perspective quand par anticipation il rêve aux espaces où il pourrait se sous­

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traire lui-même à la pesanteur ? Il est psy­ chologiquement dans la situation favorable pour faire flotter les objets dans le vide comme l’ont fait Chagall, Miro, Tanguy, Kandinsky, et son rêve est sans limites. Si occasion lui en est donnée, il s’amusera follement au spectacle des œuvres surré­ alistes et Dali, Max Ernst, Klee, Magritte seront bien vite de son monde. Pour la jeunesse, il n’y a que le présent qui compte. Il faut qu’elle ait le droit de signifier ce présent dans toute son ampleur, par tous les moyens qui sont à sa portée.

« Oui mais, direz-vous, à quoi bon ces certitudes exaltées? Quel en est le but? Que restera-t-il des visions neuves de l’enfant, passé deux ou trois ans au bout desquels, roulé dans l’anonymat passif de l’école, il aura perdu cette attente émerveillée qui le fait magicien? Que restera-t-il des chemins sormais, tout cela peut lui servir?

de son

enfance? A quoi

dé­

N’est-il pas dans la ligne même de la destinée de vivre, de n’être jamais qu’un moment, de devoir tout oublier pour tout recommencer ou pour tout finir? Qu’advient-il des plus belles œuvres, gloires passées au tamis de la mort et de l’oubli?

des

plus

grandes

Epurées, elles nous apportent la trace fulgurante d’une passion de vivre, d’une connaissance éblouissante du monde, d’un éclatement de joie ou de douleur. Qu’importe si l’enfant en grandissant perd cette qualité de « vision » qui faisait de lui un artiste, qu’importe s’il a quitté le royaume où il était maître. Peut-être suffira-t-il d’un seul instant, au hasard de ses jours d’homme, pour que, groupés en un même et subtil parfum, tous ses « pouvoirs » d’enfant ressurgissent du plus profond de son oubli. Alors d’un coup, la banalité de sa vie disparaîtra. Il se retrouvera intact et préservé, face au visage inchangé de son monde secret, paré du même attrait rare et précieux qu’autrefois. Qu’importent alors les circonstances extérieures de sa destinée ! Qu’il pèle des pommes de terre ou construise un pont, qu’il bêche son jardin ou conduise un avion, sauvé de toutes les atteintes, il aura toujours à la portée de la main le calme et secret visage de son bonheur de tous les jours, accroché à la seule palpitation des êtres et des choses. » J. BERTRAND-PABON, École de la Ferrage - Cannes.

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Une vision colorée

ien

que la couleur soit déjà inscrite dans

B ce postulat de totale liberté dont nous par­ lions à peine, il nous faut y revenir en raison de son rôle primordial dans les peintures d’enfants et dans la peinture tout court. Associer la couleur au graphisme ou, si l’on veut, l’esprit et la sensation est une sorte de gageure qui explique toute la grande aventure de la peinture moderne. L’autorité, d’abord outrancièrement brutale, des Fauves pour la couleur nous reporte aux audaces de nos tout petits qui d’instinct ne voient qu’elle : c’est un véritable enthousiasme comme phy­ sique qui les porte à construire leur réalité avec des tons purs. Le ton local, la vraisem­ blance optique et chromatique sont jetés par dessus bord. Clair-obscur, modelé, disparaissent devant les polyphonies les plus inattendues qui ont charge de résoudre tous les problèmes et toutes les difficultés. "Seule la série des couleurs sur la toile, dit Vlaminck, avec toute leur puissance et leur résonance, pouvait en s'orchestrant, tra­ duire l'émotion colorée du paysage.”

Le Causse rugueux et aride a ses couleurs à lui. Les petits paysans qui, chaque jour, font de longs trajets à travers les garrigues pour venir à l’école, en connaissent les nuances et les états privilégiés. Le petit Henri (6a. 6 m.) en a chanté ici les grisailles et les verdures printanières dans une palette sobre, un peu austère que nous regrettons de ne pouvoir reproduire. Mais, même sans la couleur, l’étendue de l’horizon dans une mise en page originale méritait d'être soulignée.

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du monde HENRI 6 a. 6 m. École des Costes-Gozon (Aveyron) - Mme Cabanes

C’est ce que sentent nos enfants sans le formuler : ils s’abandonnent à la richesse de leur palette, pour le seul plaisir des yeux, bousculant les lignes constructrices du dessin, les noyant dans des nappes colorées violentes, qui pour finir imposent un équilibre nouveau et définitif. C’est bien là, comme le préten­ daient les Fauves “charger la couleur d’orga­ niser sa propre discipline. ” Mais l’instinct suffit à l’expérience : comme pour le Fauvisme, la période infantile de a couleur est vite dépassée. Grand ou petit, e coloriste se prend à son propre piège : les passions extrémistes manquent d’assise, de solidité : il faut trouver des compromis. Comme Matisse pressentit les limites des théories fauvistes, nos enfants de l’enfantine, vont s’éloignant des violences des tons purs de la Maternelle. Le besoin des teintes nuancées, adoucies, s’impose et impose le charme ; dès lors, tout n’est plus totalement instinctif, mais prémédité, pensé, passé au crible d’une exigence intime. Cette comparaison de nos enfants artistes avec Matisse, semblera, bien sûr, marquée d’exagération et d’outrecuidance. Si nous la formulons ici, c’est que nous nous y sen­ tons quelque peu autorisés par Matisse lui-même et aussi par nos enfants de I’École Freinet qui parlant de ce peintre colo­ riste si exceptionnel avaient coutume de dire en toute simplicité “Celui qui dessine comme Irma”... C’est dire assez qu’Irma n’avait point cherché à dessiner comme Matisse. Cette anecdote n’est venue sous ma plume que pour faire comprendre que la création artistique est pour l’enfant chose sérieuse et absorbante. Il sent, tout comme l’artiste adulte que la couleur peut être, elle aussi, créatrice de rythmes nouveaux de grande valeur plastique.

École de Perfectionnement d’Aix-en-Provence (B.-du-R.) - Melle Alibert

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Le

sens de l’unité PICTURALE SE CONQUIERT PAR LA PRATIQUE

Il en sera ainsi à l’instant où l’enfant aura acquis le sens de l’équilibre des couleurs. Point besoin de lui enseigner les lois de contacts ou de contrastes ou de rappel. Il sait de lui-même ce que rendent des tons juxtaposés ou opposés sans avoir jamais appris le jeu des couleurs complémentaires. Nous connaissons, dans d’humbles écoles de villages, des enfants déjà méditatifs, sûrs de leurs démarches et qui atteignent sans effort à une véritable virtuosité picturale. On peut parler ici de talent quand ces dons exceptionnels s’affirment avec tant de cons­ tance et de permanente fidélité dans un genre qui est exclusivement le leur. Nous pour­ rions citer ici plusieurs écoles qui pendant des années, sous la direction du même maître ou de la même maîtresse, voient s’affirmer de promotion en promotion, de véritables tempéraments de coloristes. L’enfant, il faut le relever, n’abstrait pas la couleur de l’objet. S’il ne se soucie pas de la vraisemblance de sa palette : ciel bleu, prés verts, pomme rouge, etc... il aime cependant placer la couleur dans le dessin, par fidélité à ses propres intentions. La

couleur n’est pas pour lui décorative, mise en aplats ça et là, par fantaisie comme chez les surréalistes (Miro, Klee, Kandinsky, Mondrian,...) ou par prétexte décoratif comme chez Leger ou Chagall, par exemple. L’enfant travaille sur nature au départ, soit qu’il observe, soit qu’il se souvienne, soit qu’il invente, et la couleur est unie, intégrée à la vie essentielle des choses. Le dessin et la couleur, nous l’avons dit déjà, se donnent la main pour que triomphe l’œuvre loyale et sincère. En fin de ces réflexions générales sur l’utilisation de la couleur par l’enfant et l’esprit, l’ambiance affective dans laquelle il l’emploie, on comprendra que nous ne donnions pas de recettes pour l’emploi des couleurs. C’est par la pratique que l’en­ fant arrive à établir sa palette. Rien de plus facile avec les couleurs plastifiées : il suffit de prendre des godets et de faire ses mélanges. Si une déception survient, la couleur passée, il n’y a qu’à attendre que tout soit sec, pour étaler par-dessus la couleur corrective qui réparera les dégâts, puisqu’elle est couvrante, c’est-à-dire opaque. Si l’on veut des transparences, on ajou­ tera de l’eau pour déconcentrer la solution et l’on peut peindre ainsi comme à l’aqua­ relle, ce qui permet quelquefois des fondus, des dégradés, avec les couleurs déjà en place, dégradés qui, bien qu’accidentels, peuvent être d’un heureux effet et délivrer un procédé nouveau qui sera utilisé à bon escient. L’enfant apprendra lui aussi à se servir des données du hasard pour parfaire sa tech­ nique et enrichir son pouvoir créateur.

École Grange-L'Évêque (Aube) - C. Moyen M. Beaugrand

Mais de toutes façons les recherches plas­ tiques ne sont pas pour l’enfant essentielles ; ce qui compte, ce qui fait son tempérament, c’est un rythme coloré, par lequel la couleur prend assise sur le dessin et se hausse à un lyrisme invincible. On ne saurait expliquer, sans ce lyrisme, la fécondité inventive et la production généralisée d’œuvres si profuses dans toutes les écoles où l’enfant s’exprime librement par le crayon et le pinceau.

École de plein Air-La Montagne - (L.-A.) - ÉRIC “Jupiter et Junon dorment dans les platanes” Mme Gouzil

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Photo H. Robic

Techniques et travaux d'art ains

ouvertes, l’enfant prodigue ses richesses à qui veut les

recevoir. Oui, mais il faut d’abord savoir les accepter : le M don total de l’âme enfantine ne vient qu’après votre acquiescement et votre amitié. Si vous êtes touchés par tant de biens venus des chemins dépouillés où vivre est la même chose que voir, chanter et aimer, alors, vous pouvez vous laisser conduire par l’enfant. C’est seulement à cet instant que commencera pour vous “le poème d’enseigner ”.

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Ecole de la Cabucelle - (Marseille) Mme Quarante

TENTURES

Ecole de Walincourt (Nord) Mlle Porquet

Le dessin et la peinture dont nous avons parlé longuement, se suffisent à eux-mêmes tant sont riches les moissons qui nous viennent d’eux, tant sont probants les avantages qu’en retire la personnalité de l’enfant. En poussant l’analyse de leurs bienfaits et de leur justi­ fication, tout maître pourrait facilement dé­ montrer que, sur les plans psychologique, psychothérapique, pédagogique, humain et culturel, dessin et peinture sont créateurs d’équilibre, d’harmonie, de dépassement. L’en­ fant qui sait manier crayons et pinceaux est un peu comme l’adulte qui sait œuvrer de l’outil et a en mains un métier : il est sûr de lui en toutes circonstances. Il a champ libre pour expérimenter, parfaire sa technique, en éprouver d’autres, agrandir sans cesse l’éven­ tail de ses créations. Dans nos classes, on ne saurait donc s’étonner que, lorsqu’il a acquis habileté de la main, sens de la forme, langage de la couleur, il réussisse pleinement dans des travaux d’Art plus ou moins dépendants du dessin : poterie, céramique, sculpture, gravure, fer­ ronnerie, tapis, tentures, etc.. Il y a dans ces techniques mise à l’épreuve permanente de ses aptitudes achoppant aux résistances de la matière. Ce ne sont pas seulement les mains qui agissent, mais tout l’être, concentré dans une tâche qui doit donner la mesure de son savoir faire, d’une tâche qui va délivrer la joie de créer des choses utiles, faire naître un lien entre l’enfant et son milieu. Les travaux pour expositions de fin d’année, les cadeaux aux parents, les envois aux correspondants sont des prétextes à créations originales qui comblent l’enfant de joie véritable.

Nous ne nous attarderons pas ici dans les détails de techniques qui sont aujourd’hui vulgarisées dans de nombreuses brochures et enseignées dans les stages de l’École Moderne et ceux des c.e.m.e.a. (i).

LA TECHNIQUE EST NÉCESSAIRE MAIS NON SUFFISANTE

Maîtres et moniteurs, parents d’élèves peuvent ainsi se mettre au courant des meilleurs procédés pour réussir des travaux d’art en partant de matériaux bruts. Cependant, la technique n’est pas tout. Une technique qui ne se soucie que de recettes, pose des bornes à l’initiative et à l’élan de création. Elle ne porte tous ses fruits que lorsqu’on la prodigue à bon escient, quand déjà est délivré le pouvoir créateur de l’enfant. Alors, la main s’empare avec im­ patience et sûreté de la matière à façonner, la technique se fait l’alliée de la pensée pour atteindre plus sûrement le but. (I) 6, rue Anatole de la Forge, PARIS (17e).

Tapis à la bouclette - Classe enfantine - Éc. Freinet

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Il nous a été donné d’observer tout spé­ cialement, pour ce qui regarde la poterie, des tours de mains étonnants, venus épauler les procédés courants, et instaurer la maîtrise. C’est sous l’effet d’une exaltation des pouvoirs de création, que de grandes pièces étaient réalisées par des adolescents, par la seule vertu de leurs dix doigts, en un raccourci de temps et d’efforts inconcevables. Tout devenait possible à l’instant où l’argile travaillée jusqu’à la plus grande plasticité pouvait honorer une technique personnelle, irrépro­ chable. Dès la plus jeune enfance, la main apprend à sentir vivre l’argile sous ses doigts. Elle en constate la finesse, le moelleux qui, à l’instant propice, délivrent les formes les plus sûres. Chaque année, dans notre Ecole, de jeunes enfants de 8 à 10 ans font la preuve d’aptitudes instinctives à façonner la glaise molle, sans risques d’erreurs techniques. De grandes fresques-céramiques où des personnages de très grandes dimensions ont été réalisés, ont affronté sans danger le séchage et la cuisson, l’émaillage et la mise en place sur ciment. Mais dans ces œuvres personnelles ou col­ lectives, la sûreté technique n’est qu’un aspect des choses. Elle n’est que le support de la pensée qui donne à l’œuvre sa valeur spirituelle.

Nos expositions : Un coin du stand de la Belgique. (Photo Freinet).

Il faudrait un livre entier pour parler de tant de créations, échappant pour la plupart au signe de la beauté, mais significatives d’une irruption d’énergie neuve qui se rit des règles et des canons. C’est une “présence d’enfance”.

La verve DÉCORATIVE EST UN BIEN A PRÉSERVER

Parmi les nombreux travaux d’Art qui relèvent plus spécialement du dessin, les tentures méritent une mention spéciale pour toute la verve décorative qu’elles suscitent dans nos nombreuses écoles. De la maternelle aux classes de fin d’études, sur tant de tissus de si humble origine, un lyrisme qui est fête des yeux et de l’âme, se donne libre cours. On n’en finit plus d’inventer des formes, de créer des rythmes, de libérer des arguments décoratifs surprenants, de signifier par la ligne et la couleur un fantastique instinctif. Il y a ici rupture avec l’ordre naturel, invention d’un monde prodigieux d’une profondeur insondable. Et pour honorer ce surnaturel, la technique se décuple en mille inventions, usant de tous les matériaux à sa portée : teintures, laines,

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soies, raphia, pailles, appliques d’étoffes, textile brut, feuilles métalliques, etc... Le dessin et la peinture sont là pour rassembler quelquefois ces reliefs disparates, les inclure dans une unité savante. Sur le plan décoratif et par leur portée pour ainsi dire spirituelle, ces créations donnent la réplique aux inventions hallucinantes de nos artistes con­ temporains soucieux d’art brut... Mais ici rien n’est cruel ni désespérant. Tout y vibre dans une joie d’innocence qui est celle de l’oiseau bâtissant son nid. Pour sauver tant d’œuvres si originales qui honorent l’Art dans ses multiples aspects, des musées vont peu à peu s’organiser dans nos diverses régions de France.

L’École Freinet a installé le premier musée d’Art Enfantin de Provence, qui sera suivi bientôt d’un musée du Dauphiné, à Grenoble. Tout est à pied d’œuvre pour que cette initiative se généralise : il suffit de trouver des locaux, ce qui serait relativement facile avec la sympathie des autorités administratives de l’enseignement et des municipalités. Il va de soi que dans une entreprise qui engage l’enfant toute idée de spéculation

Nous donnons très sou­ vent des documents de l’Ecole de St-Cado : elle a la chance d’avoir une institutrice qui est à la fois éducatrice-née, ar­ tiste de talent et photo­ graphe. La mine des témoignages de St-Cado est inépuisable et dé­ monstrative. La tapisserie réalisée ici par une fillette de 7 ans, avec collage de laines et bouts d’étoffes est dans la réalité d'un effet surprenant par l’origina­ lité de la composition, le choix des matériaux et des coloris. Le visage d’un beau rouge centre le tableau.

SIMONNE, 7 ans. École de St-Cado. (Morbihan) - Melle Robic

commerciale est bannie. Ces œuvres ne sont là que pour témoigner des potentialités de l’enfance et parachever la portée éducative de l’école et de la famille. Si des ateliers pouvaient être adjoints au musée de l’enfance, il y aurait là une occasion merveilleuse de redonner à l’Ecole laïque le rôle missionnaire qui a présidé à sa création et de préserver l’efficience qui lui vient de la sève du peuple qui la nourrit.

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École Freinet - Musée de Coursegoules

Céramique polychrome (3 m. X 2 m. 2) ; Melle Bonsignore

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Expositions internationales pas. C’est un peu comme si l’on changeait de monde. Et pourtant, cet univers n’est fait que de simple magie enfantine : on y vit d’amusements, de gaieté, d’inventions inno­ centes, de petits riens qui cependant témoi­ gnent sous nos yeux d’une manière inédite d’appréhender le monde. L’instinct joyeux qui rit au-dessus des eaux a tôt fait de remplir les filets de nos petits pêcheurs de lune : pêche miraculeuse, généreuse. En prenne qui voudra ! de créations qui voient le jour dans des milliers d’écoles aussi bien en France qu’à l’étranger font surgir une notion de culture qu’il serait vain de récuser. Devant la profusion de cette culture de masse, les jugements sommaires ne sont plus de mise : il faut accepter la réalité telle qu’elle est et lui donner audience. C’est ce que nous faisons chaque année au cours d’expositions locales et régionales et surtout à l’occasion de nos grands Congrès internationaux.

T

ant

Ces Congrès sont pour nous événements attendus, familiers, naturels comme le renou­ vellement des printemps à l’instant le plus glorieux de la ronde des saisons. Ils sont pour chacun de nous, en effet, gloire concédée par une année de travail dans nos humbles écoles publiques : la main et le cœur y vont de compagnie, ne se donnant d’autres raisons que celles d’un message d’amour. Tout ce qui prend place ici témoigne d’une noble cons­ cience, d’actes généreux, d’engagement dans l’œuvre commune. Il ne s’agit d’ailleurs pas de manifestation spectaculaire faite sur un programme pré-établi. Pour chaque école, participer à un Congrès est chose aisée : il suffit de rassembler les créations de l’année en cours, de les distraire pour quelques jours de la classe qui les a vu naître et de les joindre à l’immense gerbe qui fleurira nos diverses expositions. Un monde de joie ET DE PROFUSION

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Toutes ces images qui sont le chant de la joie de vivre, nous plongent par leur profusion et leur éclat dans une atmosphère de féérie toujours surprenante, riche de biens que la vie quotidienne ne soupçonne même

On ne saurait pourtant parler de ces biens avec des mots de puérilité et de niaiserie, car il s’agit d’actes de vérité qui pèsent leur poids dans la balance des vertus humaines. Peut-être faudrait-il revenir à ce niveau de genèse de l’enfant où tout se prodigue sans arrière-pensée pour donner à la vie des hommes son sens véritable. Créer a l’échelle DE LA VIE Pour nous, éducateurs, un tel spectacle dépasse la portée d’une manifestation artis­ tique. On ne se soucie ici ni de prééminence de la forme ou de la couleur, d’équivalence plastique, d’univers sans contact avec le réel, car bien au contraire, le réel est à l’origine de tout. Ces œuvres qui semblent parfois cueillies en plein délire imaginatif ont une assise bien naturelle qui se touche de la main et se sent avec le cœur. Chaque dessin a un contenu d’ambiance, de milieu social et, bien sûr, c’est le peuple qui y vit dans les dures obligations du travail, les détails cruels de la pauvreté, les crises sociales, la maladie et aussi les petites joies de chaque jour qui, à l’échelle de l’espérance, sont là pour embellir toute une vie d’enfant. Un grand enseigne­ ment nous vient de cette façon joyeuse de dire la vérité quelle qu’elle soit avec les couleurs les plus chatoyantes comme si la peine devait être effacée sans cesse par la joie invincible de la vie, toujours éprise de plénitude. Cette grande loi de genèse éperdue est la loi de la Création même, dans la nature et chez les êtres. C’est elle qui s’éveille dans le cœur des mères, dans l’acte de donner la vie.

Nos expositions : Congrès de Caen 1962 - Céramique de l’École Maternelle de Grésillaclle(Gironde) M Lecourt

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C’est ce message de bonheur qui alimente le romantisme nécessaire de nos éducatrices redevenues mères au spectacle de chaque création sortie du cœur de l’enfant, dans le jaillissement des vraies nativités. Et placées côte à côte, dans les espaces immenses de nos grandes expositions, toutes ces œuvres enfantines signifient en effet la vie qui se prodigue dans les mille aspects de la réalité la plus proche, la plus ordinaire comme aussi la plus transcendée et la plus marquée de spiritualité. Le monde y a des visages d’une somptuosité féérique. Les objets

Du projet au chef-d'œuvre : Robert en train de réaliser “sa” tapisserie en couleur sur la page en hors-texte “les pois­ sons font la farandole de la mer au ciel, autour de la lune”. École de Saint-Cado (Morbihan) Melle Robic

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familiers s’ordonnent en natures mortes qui, sur le plan technique, témoignent parfois d’un sens aigu de la valeur plastique des choses. Les êtres chers y ont des visages pathétiques, solennels jusque dans les in­ cohérences du dessin et on ne cesse de les embellir de tous les avantages décoratifs comme des héros de légende. “Ce qu’il y a de plus réel en moi, ce sont les illusions que je crée”. Dans chaque enfant sommeille cette vérité de Delacroix, vérité que tout éducateur devrait pressentir pour rester au niveau de la vérité de l’enfant et instaurer une éducation de totalité.

Tapis Haute laine - École de Séguret (Vaucluse) - M meGrosso

MARIE-FRANCE 11 ans - Plumeliau (Morbihan) -

Mlle Le Hellaye

Tapisserie - Ecole mat, de St-Cado (Morbihan)) - Extrait du Congrès de- St-Etienne

Congrès d'Avignon : La Commission des éducatrices maternelles au travail, sous la direction de Melle Porquet.

« Nous étonnons beaucoup de nos visiteurs en leur disant qu’à tout âge, l’enfant qui dessine, peint, brode, modèle librement, accomplit un véritable travail dans lequel toutes ses facultés se trouvent engagées, et non seulement ses pouvoirs sensoriels, moteurs, imaginatifs, mais encore ses possibilités mentales et sensibles, son esprit et son cœur. Pour s’en convaincre, il suffit de contempler la délicatesse et la fermeté des gestes de l’enfant qui peint ou dessine, l’éclairement du visage, la qualité d’attention et la concentration dont il fait preuve jusqu’à l’achèvement de l’œuvre, la subtilité avec laquelle il organise son espace, ripostant à ses maladresses par l’ajout de savoureux détails, alliant l’invention à l’humour, projetant sur son papier les couleurs même de sa vie affective. Que cet engagement dans une œuvre qu’on a délibérément choisie et voulue soit le meilleur témoignage d’une prise en charge d’un jeune être par lui-même, qui pourrait en douter ? Non seulement il maîtrise alors ses émotions en les exprimant, et chemin faisant, se conquiert lui-même dans le sentiment de plénitude joyeuse que font naître ses réussites, non seulement il devient homme et responsable d’œuvres à sa mesure, mais encore s'approprie-t-il en le recréant le monde environnant et en prend-il une conscience plus aiguë. Non seulement s’ouvre-t-il à lui-même, descend-il au plus profond de ses perceptions, de son émerveille­ ment, de sa tendresse, de ses peines, de ses rêves, de ses découvertes, mais encore devient-il capable, les mains pleines et l’esprit libre, de se retourner vers les autres, d’entrer dans leur univers, de s’en enrichir par la commu­ nication et l’échange. » Mlle Porquet Inspectrice des Écoles Maternelles - Brest.

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Vers les valeurs de l'avenir

’ traditionnelle en donnant au maître L une autorité intellectuelle et morale abusi­ ve, s’en tient uniquement aux valeurs du passé, ecole

La Maison de l’Enfant

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celles que l’instituteur a apprises et qu’il retransmet sans souvent y changer un mot. Elle ne se soucie nullement de faire entrer en ligne de compte les aptitudes de l’enfant, à l’exception d’une mémoire mécanique qu’elle surmène jusqu’à épuisement. Or l’enfant est l’acteur de l’avenir ; s’il se borne à refaire ce que fait l’adulte, il rétrograde, historique­ ment, d’où le piétinement du savoir scolaire, l’immobilisme des idées, le manque d’ini­ tiative, la pauvreté d’invention, le dogma­ tisme de sciences stériles. C’est l’éducation des maîtres et des parents qu’il faudrait entreprendre dès à présent pour que les uns et les autres deviennent conscients de responsabilités nouvelles, celles qui se prennent au-delà du conformisme scolaire et familial et qui, conscientes des conceptions enfantines et de la nature propre des jeunes êtres, auraient à cœur de donner à l’enfance une place au soleil. C’est cette place au soleil que nous instau­ rons par toute notre pédagogie de libre expression qui sans cesse favorise l’irruption des idées neuves de l’enfant, de sa vue du monde, de ses joies instinctives. C’est dans cet esprit que nous avons promu I’Art Enfantin, que nous laissons l’enfant créer son propre décor. C’est ainsi qu’est née notre Maison de l’Enfant qui n’a d’autres

raisons que de créer un milieu d’ambiance favorable et de joie créatrice. L’enfant vit en étranger dans le mobilier de ses parents, où un ordre et un confort abusifs créent à chaque pas des interdits : ne pas toucher, ne pas salir, ne pas déranger... Plus l’appartement est riche, plus l’enfant s’y sent dépaysé. Il n’est pas à l’aise non plus dans le taudis où il est né par accident et qui sera le décor de toute la partie la plus belle de son existence. Il serait pourtant bien simple que l’enfant ait un petit coin à lui, habité de ses rêves et de ses œuvres. A chacun de nos Congrès, dans nos diverses expositions régionales, nous mettons sur pied une Maison de l’Enfant qui connaît tou­ jours un réel succès auprès des parents. Ce sont tout spécialement les écoles maternelles qui apportent la plus généreuse contribution aux divers stands qui préfigurent la chambre à coucher, la salle de jeu, la salle à manger, la bibliothèque, etc... Un mobilier est mis à notre disposition par des marchands de meubles, mais quel­ quefois des enfants dessinent des maquettes de lit, d’armoire, de fauteuils, de bancs, etc..., maquettes réalisées ensuite par les grands eux-mêmes, ou par un menuisier complaisant. Les proportions inhabituelles de ces créations, leurs ornements décoratifs et souvent les innovations de détails, donnent une grande originalité à ce mobilier inédit.

Photo Freinet

Congrès de Caen 1962 : détails de l'exposition de la Maison de l’Enfant.

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Mais ce qui compte surtout dans nos mai­ sons, c’est la richesse des décors : fresques sur isorel, contreplaqué, fibrociment, cartons, papiers ; tentures de techniques variées ; coussins peints ou brodés ; tapis aux points divers ; dessus de lit et de divan ; céramiques ou fausse-céramique ; lampes et lampadaires ; vitraux au vernis à froid ; pots, vases, vaisselle décorés ; devant de foyer en fer forgé... On n’en finirait plus d’inventorier ces richesses créées avec tant d’amour par les petites mains habiles. Dans notre École Freinet qui est par destination la demeure de l’enfance et de l’adolescence, nous donnons libre cours à cette liberté de création et d’embellissement bien vite envahissante. Nous n’en finirions plus d’accumuler des richesses si nous laissions aller la libre invention des petits et des grands. Il faut avoir la prudence de ménager des stands d’attente où les œuvres sont immo­ bilisées pour une période plus ou moins longue. Pendant ce temps, l’école de l’immobilisme et de l’autorité se plaint du peu d’initiative de ses élèves. Comment en serait-il autrement ? L’enfant soumis à une autorité extérieure n’est pas libre. L’enfant dominé par une obligation d’acqui­ sition implacable de programmes indigestes n’est pas libre. L’enfant à qui est imposée la copie servile de modèles, n’est pas fibre. L’enfant énervé, agité, épuisé par le sur­ menage et les interdits, n’est pas libre. On ne saurait lui demander le moindre pouvoir de concentration. La question essentielle est donc de sauve­ garder la liberté intérieure de l’enfant, de le rendre maître de sa pensée, de ses besoins, de ses désirs, de ses élans. Nous touchons ici à la nécessité d’une vaste réforme scolaire qui acclimaterait une péda­ gogie de libre expression mise en branle par I’Ecole Moderne depuis plus de trente ans et qui, sous nos yeux, est en marche. Mais que d’obstacles à vaincre dans la citadelle périmée pourtant encore tenace de la vieille pédagogie autoritaire et inhu­ maine ! Heureusement, le poète vient à notre secours et sa présence rassurante exalte nos bonnes volontés :

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Page d’écriture

Deux et deux quatre quatre et quatre huit huit et huit font seize Répétez ! dit le maître Deux et deux quatre quatre et quatre huit huit et huit font seize Mais voilà l’oiseau lyre qui passe dans le ciel l'enfant le voit l’enfant l’entend l’enfant l'appelle Sauve-moi joue avec moi oiseau ! Alors l’oiseau descend et joue avec l’enfant Deux et deux quatre... Répétez ! dit le maître et l’enfant joue l’oiseau joue avec lui... Quatre et quatre huit huit et huit font seize et seize et seize qu’est-ce qu’ils font? Ils ne font rien seize et seize et surtout pas trente-deux de toute façon et ils s'en vont Et l’enfant a caché l’oiseau dans son pupitre et tous les enfants entendent sa chanson et tous les enfants entendent la musique et huit et huit à leur tour s’en vont et quatre et quatre et deux et deux à leur tour fichent le camp et un et un ne font ni une ni deux un à un s'en vont également

Et l'oiseau lyre joue et l'enfant chante et le professeur crie : Quand vous aurez fini de faire le pitre ! Mais tous les autres enfants écoutent la musique et les murs de la classe s’écroulent tranquillement Et les vitres redeviennent sable l’encre redevient eau les pupitres redeviennent arbres la craie redevient falaise le porte-plume redevient oiseau

Jacques PRÉVERT.

"L'ENTERREMENT D’UNE FEUILLE MORTE” École maternelle de Walincourt - (Nord).

Le message de l’enfant est fait d’invincible espérance

« On ne change pas sa vie à soi seul ; il faut pour la changer, changer aussi la vie des autres ». Cette simple phrase, riche d’expérience humaine qui termine le livre si émouvant de Jean Guehenno, “Changer la vie”, résume toutes les responsabilités du vaste complexe d’éducation. Il n’est pas de parents, il n’est pas de maîtres qui face à l’enfant dont ils prennent la charge morale, ne se posent la troublante interrogation : “Comment agir pour ne pas se tromper”. On se trompe toujours quoi que l’on fasse, car, comme le dit encore Guéhenno : « Il n'est pas si simple d’entrer dans l'âme et dans la vie des autres », seraient-ils des enfants. « Ce n'est pas une science qui se vende ou s'achète, comme le latin ou le grec ou les mathématiques ». Le meilleur éducateur, dans ces conjonctures imprécises et mystérieuses, sera certainement celui qui respectera le plus la personnalité de l’enfant et dans cette personnalité, l’aptitude au bonheur. L’on peut tout espérer d’un enfant heureux de vivre.

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Il semble que, sur le plan humain, la plus grande erreur des adultes soit d’identifier leur propre bonheur avec celui de leurs enfants, de vouloir en prendre charge pour lui donner plus de sécurité ; et bien sûr la sécurité ne se conçoit que dans une situation confortable qui se prépare dès la plus tendre enfance. Ce sont là louables engagements, mais qui envisagés sous un angle grégaire, risquent de rétrécir anormalement le champ de vie de l’enfant. Il en est de la profession bien assise comme de la cage pour l’oiseau : elle met à l’abri des besoins immédiats mais elle place des frontières infranchissables aux élans de liberté que toute créature porte en soi. Il apparaît que, par réaction aux contraintes qui pendant toute l’aventure humaine ont pesé sur l’esprit de l’homme, la notion de liberté se fasse tout d’un coup explosive : les peuples opprimés brisent leurs chaînes ; les prolétariats prennent possession d’une science de libération ; le cerveau humain à l’apogée de la recherche, instaure une liberté à la mesure des constellations.

École des Costes-Gozon (Aveyron) - MARINETTE, 5 ans.

Bon gré, mal gré, désormais la liberté, chez chacun de nous fait alliance avec l’imagination fantastique pour concevoir les perspectives d’avenir. Un avenir devenu brusquement fabuleux et qui nous déracine du passé resté à la dimension de l’homme. Dans ce passage soudain d’une civilisation à une autre, les forces d’instincts doivent être sauvegardées, pour contrebalancer les dangers d’une intellectualité hypertrophiée, et de plus en plus abstraite, vidée de tout contenu sensible. Ces forces d’instinct, c’est l’enfant qui en est possesseur ; lui seul peut libérer ce monde de féérie créatrice qui nous préserve des abus d’une vie mécanicienne en redonnant à la vie intérieure le quotient qu’elle mérite.

Les expressions poétique, dramatique, artis­ tique, riches de forces informulées et instincti­ ves, nourries de rêve et de sensibilité nous apparaissent dès à présent, comme un moyen d’éducation vitale. Dans toutes les écoles, elles doivent être mises en honneur pour signifier des valeurs surprenantes qui sont les semences de la Culture de demain. Au seuil d’une Connaissance déracinée de nos biens terrestres, nous voici revenus par nécessité d’équilibre à une sorte de virginité d’instinct. A ce niveau peut naître une culture qui a ses caractéristiques et ses valeurs indépen­ dantes de toute théorie.

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« Donnez-moi d'abord la vie et je saurai vous faire une culture.» Ce souci de Nietsche de créer une culture de totalité puisée aux sources mêmes de la vie, semble prendre pour nous une actualité soudaine. Non pas que nous pensions que «.Zara­ thoustra s'accomplisse lui-même » pour s’enivrer de sa propre perfection ; mais compte tenu du lyrisme débordant du poète, nous faisons confiance, nous aussi à l’espérance invincible de la vie triomphante. La meilleure éducation sera toujours celle qui saura mobiliser les puissances de l’être ; celle qui libérera les plus grands pouvoirs de création en accord avec le cœur le plus généreux et la conscience la plus exigeante. Il n’y a dans cet élan à bien réaliser sa vie aucune prétention au surhomme, aucune ambition de planer parmi les aigles, mais simple désir d’honorer la vie, de lui rendre les égards qu’elle mérite, de faire d’elle le “poème d’exister”. C’est dans l’enfance et dans l’adolescence que ce noble enjeu doit se prendre car c’est l’instant où il a le plus de chances d’être le mieux compris : quand le cœur éclate d’allégresse et que l’esprit ignore l’inquiétude, aucun engagement ne semble pris trop haut car c’est seulement à cet âge de la destinée que vivre est la plus belle des vertus.

E. F.

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TABLE DES CHAPITRES ET TABLE DES ILLUSTRATIONS

TABLE DES CHAPITRES

Ire PARTIE : LE DESSIN, ACTIVITÉ SPONTANÉE — — —







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SIMPLICITÉ DE LA VOCATION ARTISTIQUE .............................................................................. 4 L’école doit prendre un nouveau visage. AMBIANCE SOCIALE ET HUMAINE DE L’ART ENFANTIN....................................................... 9 D’ABORD VAINCRE LES DIFFICULTÉS....................................................................................... 13 Un matérialisme scolaire péjoratif. Les obstacles moraux. Limitation d’une culture insuffisante. Les erreurs de la scolastique. LE MAITRE CAMARADE ................................................................................................................ 16 Une expérience décisive : d’abord faire confiance à l’enfant. Prendre un bon départ - Les obstacles de la scolarité. LES ARTISTES ET L’ENFANT ...................................................................................................... 23 Une page du passé : St Paul de Vence ; La querelle du réalisme reste posée ; L’enfant est à la hauteur de son destin. LE POINT DE VUE DES PARENTS.................................................................................................. 29 D’abord une pratique conséquente. Au cœur du village. LES INÉVITABLES RÉTICENCES de L’ÉCOLE TRADITIONNELLE ........................................ 38 Des critiques compréhensibles. SAVOIR RÊVER................................................................................................................................. 45 DU GOUT ET DE LA BEAUTÉ ................ ........................................................................................ 46 Chaque classe sociale a ses goûts. La sensibilité, règle d’or de l’enfant. LE POINT DE VUE DES PSYCHOLOGUES ................................ ................................ ............. 54-55 L’art dans les classes primaires est un besoin et une nécessité. La documentation à outrance a ses dangers ; Le document doit traduire le contenu de l’instant vécu ; Les erreurs momentanées. L’imagination supplée à nos sens limités face à un univers insondable. Il est peut-être d’autres voies vers la connaissance que celle de la raison et de la logique. LA SPONTANÉITÉ, DÉMARCHE ÉLÉMENTAIRE DE LA VIE................................................... 68 LE TATONNEMENT EXPÉRIMENTAL................................................................................. LES PERSPECTIVES DE L’ART ENFANTIN ............................................................................... 80 L’art enfantin a une portée culturelle ; l’art enfantin est un art collectif ; l’art enfantin a ses héroïsmes ; l’enfant doit construire le décor de sa vie ; l’art en­ fantin est de tous les temps. UN ROMANTISME NÉCESSAIRE.................................................................................................... 90 OUI, IL EST DES ENFANTS ARTISTES................................. ........................................................ 94 C’est dans l’enfance que s’éveillent les grandes vocations ; Un cas parmi tant d’autres ; La Société ne devrait jamais décevoir l’enfant.

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2me PARTIE: LA PRATIQUE — BIEN PARTIR................................................................................................................................... 100 D’abord favoriser le tâtonnement expérimental ; Créer une ambiance d’amitié et d’échange. — MATERIALISME SCOLAIRE.......................................................................................................... 103 La mise en train doit être rapide ; L’atelier de dessin est la solution idéale ; Essayer de vaincre les difficultés matérielles. — DE LA MATERNELLE A L’ENFANTINE (de 4 à 7 ans) .............................................................. 108 — IL N’Y A PAS DE MÉTHODE POUR APPRENDRE A DESSINER ............................................. 110 Enrichir la technique - Nécessité d’organiser des ateliers ; Un atelier pour chaque technique. — QUELQUES CONSEILS POUR FACILITER LE TRAVAIL ........................................................ 114 Un album de dessin original et éducatif ; Un dossier pour chaque enfant. Les dessins libres au tableau noir, prétextes à une pensée socialisée. Les commentaires de dessins par l’enfant, élargissent le thème graphique. Le style est la marque de l’enfant ; Sauvegarder le détail original ; Du dessin à l’album et au jeu dramatique. — LA COULEUR .............................................................................................................................. 120 Dessiner et peindre sont œuvres complémentaires; Faut-il conseiller l’enfant dans le choix des couleurs ? — LE DESSIN DE 7 A 10 ANS........................................................................................................... 124 Par le dessin l’enfant sait exprimer sa pensée ; La vitesse de création est signe de fertilité inventive. Le style est la marque de la maîtrise; Le sens de la mise en page conduit à la notion d’unité ; Le graphisme et la couleur doivent se donner la main; Le fond pour l’enfant vaut le sujet; L’œuvre collective doit être totalement libre dans le sujet et la facture; Le sens décoratif témoigne d’un lyrisme qu’il faut encourager. — AU-DELA DE L’ENFANTINE......................................................................................................... 128 Dangers de la scolastique, réapprendre la liberté ; Comment procéder pour ce sauvetage; Que disent les programmes ; Au-dessus de 10 ans la notion de liberté est difficile ; il n’y a pas de hiatus; Toujours créer l’ambiance, celui qui ne sait pas dessiner ; ce qu’il ne faut pas faire. — UN ENNEMI: LE POMPIER !.......................................................................................................... 158 Il faut dénoncer les dessins scolaires; Comment éviter le pompier; Encore et tou­ jours partir du détail original ; Quel sens donner au détail original; Faire décora­ tif; L’unité graphique; La leçon des grands maîtres; Garder toujours sa vision personnelle; L’extrémisme intellectuel est étranger à l’enfant ; — UNE VISION COLORÉE DU MONDE ......................................................................................... 148 Le sens de l’unité picturale se conquiert par le pratique ; — TECHNIQUES ET TRAVAUX D’ART............................................................................................ 152 La technique est nécessaire, mais non suffisante ; la verve décorative est un bien à préserver ; — EXPOSITIONS INTERNATIONALES.......................................................................................... 158 Un monde de joie et de profusion ; Créer à l’échelle de la vie ; — VERS LES VALEURS DE L’AVENIR ........................................................................................... 162 La maison de l’enfant ; — LE MESSAGE DE L’ENFANT EST FAIT D’INVINCIBLE ESPÉRANCE .. 166

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TABLE DES ILLUSTRATIONS Ecole des MARAIS (Oise) - NI. DUFOUR................................................................................................. I Ecole Maternelle PONT-DE-CLAIX - (Isère) - MmeANDRÈS ......................................................................... 2 Ecole de PONT-DE-LIGNON (Haute-Loire) Mlle AUBERT............................................................................ 3 Ecole de garçons de SAINT-BENOIT (Vienne) - Mme BARTHOT.................................................................... S Ecole Maternelle de GRÉSILLAC (Gironde) - Mlle LE COURT........................................................................ 6 Ecole de TOURGÉVILLE (Calvados) - M. BOUVIER................................................................................... 6 Ecole de St-CADO (Morbihan) Mlle ROBIC.............................................................................................. 7 Ecole de Notre-Dame-Limite - MARSEILLE - Mme QUARANTE..................................................................... 9 Ecole de la Cabucelle - MARSEILLE - Mme QUARANTE ............................................................................ 11 Ecole de CODALET (Pyrénées-Orientales) - Mme VIGO ............................................................................. 12 Ecole de CROUY-sur-COSSON (Loir-et-Cher) - Mme VRILLON.................................................................... 13 Ecole de PESSAC-VERTAMON (Gironde) - Mme PEYREIGNE ...................................................................... 14 Ecole maternelle St-Marc - BREST (Finistère) - Mme POULIQUEN .............................................................. 15 Ecole de SAINT-BENOIT (Vienne) - Mme BARTHOT............................................................................ 16-19 Ecole des COUETS-BOUGUENAIS (Loire-Atlantique) - M. LE GAL............................................................... 20 Ecole de garçons Palente-Cité - BESANÇON (Doubs) - M. DAVIAULT.......................................................... 21 Ecole de PEYGNIER (Bouches-du-Rhône) - Mme GAUTHIER...................................................................... 22 Ecole de CODALET (Pyrénées-Orientales) - Mme VIGO ............................................................................. 24 Ecole de CROUY-sur-COSSON (Loir-et-Cher) - Mme VRILLON.................................................................... 25 Ecole FREINET.................................................................................................................. 27 Ecole maternelle de SAINT-CADO (Morbihan) - Mlle ROBIC....................................................................... 29 Ecole de NEUBLANS (Jura) - Mme BELPERRON...................................................................................... 30 Ecole de MONASSUT (Hautes-Pyrénées) - M. LALANNE.......................................................................... 32 Ecole de PLUMÉLIAU (Morbihan) - Mlle LE HELLAYE.............................................................................. 31 Ecole de PLÉRIN-BOURG (Côtes-du-Nord) - Mme AUVRAY........................................................................ 33 Ecole d’AUGMONTEL (Tarn) - Mme CAUQUIL ................................................................................... 34-35 Ecole de PRALOGNAN-LA CROIX (Savoie) - Mme MOUNIER ...................................................................... 37 Ecole FREINET.................................................................................................................. 39 Ecole de MONASSUT (Hautes-Pyrénées) - M. LALANNE.......................................................................... 43 Ecole de VISAN (Vaucluse) - M. CONSTANT......................................................................................... 44 Ecole des COSTES-GOZON (Aveyron) - M. CABANES............................................................................... 47 Ecole de CROUY-SUR-COSSON (Loir-et-Cher) - Mme VRILLON................................................................... 48 Ecole de SEGURET (Vaucluse) - M. GROSSO ......................................................................................... 49 Ecole de PLÉRIN-BOURG (Côtes-du-Nord) - Mme AUVRAY........................................................................ 50 Ecole FREINET - Céramique ................................................................................................... 51 Ecole de PITOA (Cameroun) - M. LAGRAVE ..................................................................................... 52-53 Ecole Maternelle de SAINT-CADO (Morbihan) - Mlle ROBIC....................................................................... 54 Ecole de TOURNEMIRE (Aveyron) - MlleARCIER................................................................................ Ecole de PONTENX-les-FORGES (Landes) - M. BERTRAND....................................................................... 57 Ecole de GEX (Ain) - Mme ROBIN....................................................................................................... 59 Ecole de Perfectionnement - LAUSANNE (Suisse) - M. PERRENOUD........................................................... 62 Ecole des COSTES-GOZON (Aveyron) - M. CABANES .............................................................................. 62 Ecole de PRALOGNAN - La Croix (Savoie) - Mme MOUNIER....................................................................... 63 Ecole d'ORBEC (Calvados) - M. LAINE................................................................................................. 64 Ecole Maternelle de LA SONE (Isère) - Mlle BOSSAN................................................................................ 65 Ecole FREINET ................................................................................................................. 66 Ecole FREINET.................................................................................................................. 67 Ecole Maternelle du PONT-de-L'ARN (Tarn) - Mme FOURNÈS.................................................................... 69 Ecole des COUETS-BOUGUENAIS (Loire-Atlantique) - M. LE GAL................................................................ 70 Ecole de CROUY-sur-COSSON (Loir-et-Cher) - Mme VRILLON.................................................................... 71 Ecole de filles de PLUMELIAU (Morbihan) - Mlle LE HELLAYE.................................................................... 72 Ecole de garçons Buffon - LILLE (Nord) - M. VANDEPUTTE...................................................................... 74 Ecole Maternelle du Stade - MAUBEUGE (Nord) - Mme DEBIÈVE................................................................. 74 Ecole Maternelle de SAINT-CADO (Morbihan) - Mlle ROBIC....................................................................... 79 Ecole Maternelle - BREST (Finistère) - Mlle PORQUET............................................................................. 80 Ecole Maternelle - VAISON-la-ROMAINE (Vaucluse) - Mme FÉVRIER........................................................... 81 Ecole FREINET................................................................................................... 82-83-84-87-88 Ecole Maternelle - LIEVIN (Pas-de-Calais) - Mme BERTELOOT............................................................... 91-92 Ecole de Plein-Air de CLAIROIX (Oise) - M. BRUNET .............................................................................. 93 Ecole Maternelle du Centre - JALLIEU (Isère) - Mlle ANDRÈS..................................................................... 95 Ecole d'AZUR (Landes) - M. NADEAU ................................................................................................. 95 Ecole FREINET ............................................................................................... 96-97-98-101-103

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Ecole de VAISON-la-ROMAINE (Vaucluse) FÉVRIER ............................................................ 102 Ecole de VARACIEUX (Isère) - Mme GAULIARD.................................................................................... 104 Ecole Maternelle Saint-Marc - BREST (Finistère) - Mme POULIQUEN......................................................... 109 Ecole de Perfectionnement - LAUSANNE (Suisse) - M. YERSIN ................................................................ 110 Ecole d’AUGMONTEL (Tarn) - Mme ALBERT........................................................................................ 115 Ecole de SAINT-BENOIT (Vienne) - Mme BARTHOT............................................................................... 117 Ecole Maternelle Laënnec - BREST (Finistère)............................................................................. 117 Ecole de VISAN (Vaucluse) - Mme CONSTANT ..................................................................................... 120 Ecole de VAISON-la-ROMAINE (Vaucluse) - Mme FÉVRIER...................................................................... 121 Ecole Maternelle de LA SONE (Isère) - Mlle BOSSAN.............................................................................. 123 Ecole des COSTES-GOZON (Aveyron) - M. CABANES............................................................................. 124 Ecole de SAINT-BENOIT (Vienne) - Mme BARTHOT............................................................................... 125 Ecole de NEUBLANS (Jura) - Mme BELPERRON..................................................................................... 125 Ecole de Plein-Air - LA MONTAGNE (Loire-Atlantique) - Mme GOUZIL........................................................ 127 Ecole de PONT-de-LIGNON (Haute-Loire) - Mlle ALIBERT....................................................................... 128 Ecole de CASANOVA (Corse) M. CASANOVA................................................................................. 129-131 Ecole FREINET................................................................................................................. 133 Ecole de PLÉRIN-BOURG (Côtes-du-Nord) - Mme AUVRAY...................................................................... 134 Ecole Ste-MARGUERITE - MARSEILLE - Mme BENS................................................................................ 136 Ecole d'AUGMONTEL (Tarn) - Mme CAUQUIL...................................................................................... 137 Ecole de SAINT-CADO (Morbihan) - Mlle ROBIC................................................................................... 141 Ecole RIVIÈRE-NEUVE - TOULON (Var) - M. JARDIN............................................................................. 141 Ateliers FRANCA - CHALON-sur-SAONE (Saône-et-Loire) - M. LAGOUTTE.................................................. 141 Ecole de GRÉSILLAC (Gironde) - Mlle LECOURT.................................................................................... 142 Ecole de PITOA (Caperoun) - M. LAGRAVE......................................................................................... 143 Ecole de Filles de TRÉGASTEL (Côtes-du-Nord) - Mme LE BOHEC.......................................................... 143 Ecole de PLÉRIN-BOURG (Côtes-du-Nord) - Mme AUVRAY.................................................................. 144 Ecole des COSTES-GOZON (Aveyron) - M. CABANES............................................................................. 149 Ecole de Perfectionnement d’AIX-en-PROVENCE (B.-du-R.) - Mlle ALIBERT............................................ 150 Ecole de GRANGE-L'ÉVEQUE (Aube) - Cours Moyen - M. BEAUGRAND.................................................. 151 Ecole de Plein-Air-LA MONTAGNE (L.-A.) - Mme GOUZIL ................................................................... 151 Ecole FREINET - (Classe enfantine) ......................................................................................... 153 Ecole de SAINT-CADO (Morbihan) - Mlle ROBIC.................................................................................... 155 Ecole FREINET - Céramique Polychrome - Mlle BONSIGNORE.................................................................. 157 Ecole Maternelle de GRÉSILLAC (Gironde) - Mlle LECOURT..................................................................... 159 Ecole de SAINT-CADO (Morbihan) - Mlle ROBIC................................................................................... 160 Ecole Maternelle de WALINCOURT (Nord) ................................................................................. 165 Ecole de COSTES-GOZON (Aveyron) - M. CABANES.............................................................................. 167

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Sommaire 135 reproductions de dessins et peintures d’enfants et 20 hors-textes en couleurs

Le contenu de cet ouvrage, sur les plans pédagogique et culturel, la qualité des illustrations, la modicité du prix d’une édition de luxe font de I’Enfant Artiste un livre destiné à la grande masse des instituteurs et des parents. L’ouvrage se divise en deux parties, l’une générale, l’autre pratique. En voici le plan : I. — Richesses de la liberté. — Simplicité de la vocation artistique. —Ambiance sociale et humaine de l'Art Enfantin. — D’abord vaincre les difficultés. — Le maître - camarade. — Les artistes et l’enfant. — Le point de vue des parents. — Les inévitables réticences de l’école traditionnelle. — Du goût et de la beauté. — Le point de vue des psychologues. — Le tâtonnement expérimental. — Les perspectives de l' Art Enfantin. — Oui, il est des enfants artistes. IL — La pratique. — Bien partir. — Matérialisme scolaire. — De la Maternelle à l’Enfantine de 4 à 7 ans. — La couleur. — Le dessin de 7 à 10 ans. — Techniques et travaux d’art. — Expositions internationales. — Le message de l’enfant est fait d’in­ vincible espérance. Cette énumération donne une idée de l’ampleur du sujet et du souci de répondre à tous les arguments et à toutes les critiques qui peuvent être présentés par les adversaires de la libre expression. La conclusion s’ouvre sur les perpectives d’un Art naturel et nécessaire à la vie de l’enfant et de l’adulte, car il est une forme nouvelle de culture.

lmp. Robaudy-Cannes