Le Sens des lieux : éthique, esthétique et bassins-versants 2918490741, 9782918490746

Ce recueil d’essais de Gary Snyder offre une vue d’ensemble sur un demi-siècle d’écriture et de pensée. On y traverse to

246 67 58MB

French Pages 280 Year 2018

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Le Sens des lieux : éthique, esthétique et bassins-versants
 2918490741, 9782918490746

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domaine sauvage collection dirigée par B aptiste L anaspeze

LE SENS DES LIEUX

AUTRES OUVRAGES DE L'AUTEUR TRADUITS EN FRANÇAIS CHEZ W ILDPROJECT ARISTOCRATES SAUVAGES

(avec Jim Harrison) trad. Matthieu Dumont, 2011 CHEZ D'AUTRES ÉDITEURS L E R ETOUR DES TRIBUS

trad. Jacques François, C. Bourgois, 1972 l:ARRIÈRE- PAYS

trad. Brice Matthieussent,

P.J. Oswald, 1977

PREMIER CHANT DU CHAMAN ET AUTRES POÈMES

trad. Antoine Wyss, La Différence, 1992 LA PRATIQUE SAUVAGE

trad. Olivier Delbard, Le Rocher, 1999 M ONTAGNES ET RIVIÈRES SANS FIN

trad. Olivier D elbard, L e Rocher, 2002

© W ildproject 20 18 Suivi éditorial : B. L. avec Chloé Garella Correction : Laure Dupont D essin du coyote : Boris M alafosse Titre original : A Place in space © Gary Snyder Édition originale : Counterpoint, 1995 Cet ouvrage a été publié avec le concours du Centre national du L ivre (CNL) et de la Région Provence-Alpes-Côte d 'Azur.

ISBN 978-2- 9 18-490- 746

Gary Snyder

LE SENS DES LIEUX ÉTHIQUE, ESTHÉTIQUE ET BASSINS-VERSANTS

Traduit de l'anglais (américain) par Christophe Roncato Tounsi

"domaine sauvage"

ÉDITIONS WILDPROJECT

Note de l'auteur Ce recueil rassemble quarante ans d e pensée et d 'écrits1 • Il peut être considéré comme un prolongement de ce que serait la « pratique sauvage ». Le vieux principe bouddhiste « Nuis le moins possible » et l'appel écologique implicite« Laisse la nature s'épanouir » s'associent pour rendre hommage à la vie humaine et, par-delà, à tout le reste de la création. Ces essais sont d es appels bouddhistes, poétiques et écologistes à une p en sée et une action morales complexes, métaphoriques, obliques et mythopoétiques, m ais, je l'espère aussi, pratiques. L'éthique et l'esthétique sont profondément entrelacées. L'art, la beauté et l'ar tisanat se sont toujours nourris de la partie sauvage et auto-organisatrice du langage et de l'esprit. Les conception s humaines du lieu et de l'espace, notre intérêt contemporain pour les bassins-ver sants2 , d eviennent à la fois modèle et m étaphore. Notre espoir serait de voir les domaines interagir, d'apprendre à savoir où nous sommes, et d e nous diriger ainsi ver s un style d e cosmopolitisme planétaire et écologique. D 'ici là, soyez économes, compatissants et vertueu sement féroces, vivez dans l'élégance autodisciplinée d e « l'esprit sauvage ».

1. L e lecteur trouvera en fin d'ouvrage le contexte d 'écriture de chaque essai. 2 . Bassin-versant traduit watershed, qui désigne en anglais à la fois une réalité géographique (le bassin-versant ou la ligne de partage des eaux) et, métaphoriquement, un moment charnière.

Table des matières !. ÉTHIQUE

15 19 25 29 39 41 55 61 65 75 85

North Beach Notes sur la beat generation Le nouveau souffle Traversé par un virus L e sutra de !'Ours Smokey Quatre changements et un post-scriptum Le yogi et le philosophe « L'énergie est la joie éternelle » Le Jour de la Terre et la guerre contre l' imagination Filets de perles, réseaux de cellules Un conseil de village de tous les êtres Il. ESTHÉTIQUE

95 101 105 109 11 9 127 131 137 157 17 1 181

Déesse des montagnes et des rivières Ce que la poésie a fait en Chine Incroyable grâce Les vieux maîtres et les vieilles femmes Un seul souffle L'énergie de la lune Entrer dans l'existence Politique de l'ethnopoétique L 'incroyable survie de Coyote L 'écriture sauvage Le langage va dans les deux sens III. BASSINS-VERSANTS

191 199 205 211 2 19 223 239 253

Réhabiter Un monde poreux La forêt dans la bibliothèque Exhortations aux b ébés tigres Le vieux « Nouveau M onde » de Walt Whitman Accéder au bassin-versant La redécouverte de !'Île Tortue Kitkitdizze : un nœud dans la toile

267 En situation

I. ÉTHIQUE

North Beach

D ans la solitude spirituelle et politique des É tats-Unis des années 1950, on faisait mille cinq cen ts kilomètres en stop pour aller voir un ami. Toute forme de vie a besoin d'un habitat, d'un peu de chaleur et d'humidité pour se développer. À l'époque, sur la côte Ouest, San Francisco était la seule ville ; et à San Francisco, notre port d'attache était North Beach. Pourquoi ? Parce que partiellement, totalement non anglo. D 'abord, les Costanoans, les peuples autochtones présents sur les bords de la baie depuis plus de cinq mille ans. Puis, sergent José Ortega traversa des dunes et des broussailles pour gravir une colline (Telegraph Hill) aux alentours du premier novembre 1769. Plus tard, sur la colline, des Irlandais (avant le tremblement de terre et l'incendie), et leurs histoires de boucs broutant les rochers. Puis des Italiens, des Siciliens, des Portugais (pêcheurs), des Chinois (Guangdong et Hakkas), et m êm e des berger s basques installés dans le Nevada qui venaient là en vacances. Pour nous, les générations arrivées dans les années 1950 et après, marcher était le maître m ot. Il est probable qu'aucune autre ville américaine ne soit aussi bien adaptée à la marche : rues étroites, grands murs blancs, ruelles en escaliers abrupts et maisons blanches en bois bon marché ; sur les toits plats, battement de linge dans le vent brumeux. Comme au M aroc, ou dans les vieux pueblos du croissant fertile construits en terrasse. Au croisement de Green Street et de Colombus Avenue se trouve une minuscule ligne de partage des eaux. Plus au nord coulait autrefois un ruisseau, dont l'embouchure, située dans une petite ruelle du nom de Water Street (à présent à quelques

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LE SENS DES LIEUX

pâtés de maisons du Fisherman's Warf, entièrement remblayé), se trouve sous l'appartement d 'un ami. Le cours d 'eau venant de l'est d escendait par ce qui fut un temps la rue des boîtes de nuit de la Barbary Coast puis passait sous les bureaux actuels du Geodetic Survey de Battery Street. Les tempêtes se forment dans les hautes latitudes du Pacifique Nord, suivant les battements du temps (l'été, orages déviés vers le nord).Vivre à North Beach, San Francisco, c'est vivre à la proue d 'un navire. Sur les m ers roulantes et sombres, à partir de novembre, fragments de nuages et la pluie sur les flancs acérés de Telegraph Hill. Un habitat, à mi-chemin entre une aire d'été et une aire d'hiver : Berkeley et Marin County. Quel voyageur ne se laisserait pas tenter par une halte à North Beach ? Pour acheter des œufs de canard, s'arrêter chez Vesuvio, à City Lights, passer prendre d e l'huile de sésame ou du vin, remonter Grant Avenue pour rejoindre tel ou tel établissement. Ou alors vivre là-bas : le bourdonnement des câbles du tramway sou s la rue, sur les quais, navires illuminés qui travaillent toute la nuit, avant l'aube, fracas des camions poubelles. Du temps où d es jeunes femmes se faisaient arrêter parce qu'elles m archaient pieds nus, jusqu'aux boîtes de strip-tease du Broadway d'aujourd'hui qui aguichent les touristes de loin. Un habitat. La Transamerica Pyramid, bâtiment d'une arrogance et d 'une inutilité criardes, fait tache au milieu d e ce que l'on appelait autrefois Montgomery Black, un bâtiment qui hébergea les artistes et les révolutionnaires des années 1930 et 1940. Kenneth Rexroth et bien d 'autres vivaient là-bas: lieu de naissance du libertarianisme d'après-guerre; des mouvements que l'on connaît depuis le milieu des années 1950 sous le nom de « beat ». L'insistance sur ce