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French Pages [404] Year 2012
Collection KUBABA Série Antiquité
Catherine Cousin
LE MONDE DES MORTS
Le monde des morts
Bibliothèque Kubaba (sélection) http://kubaba.univ-paris1.fr/ CAHIERS KUBABA Barbares et civilisés dans l’Antiquité. Monstres et Monstruosités. Histoires de monstres à l’époque moderne et contemporaine. COLLECTION KUBABA Série Antiquité Dominique BRIQUEL, Le Forum brûle. Jacques FREU, Histoire politique d’Ugarit. ——, Histoire du Mitanni. ——, Suppiliuliuma et la veuve du pharaon. Éric PIRART, L’Aphrodite iranienne. ——, L’éloge mazdéen de l’ivresse. ——, L’Aphrodite iranienne. ——, Guerriers d’Iran. ——, Georges Dumézil face aux héros iraniens. Michel MAZOYER, Télipinu, le dieu du marécage. Bernard SERGENT, L’Atlantide et la mythologie grecque. Claude STERCKX, Les mutilations des ennemis chez les Celtes préchrétiens. Les Hittites et leur histoire en quatre volumes : Vol. 1 : Jacques FREU et Michel MAZOYER, en collaboration avec Isabelle KLOCKFONTANILLE, Des origines à la ¿n de l’Ancien Royaume Hittite. Vol. 2 : Jacques FREU et Michel MAZOYER, Les débuts du Nouvel Empire Hittite. Vol. 3 : Jacques FREU et Michel MAZOYER, L’apogée du Nouvel Empire Hittite. Vol. 4 : Jacques FREU et Michel MAZOYER, Le déclin et la chute du Nouvel Empire Hittite. Sydney H. AUFRÈRE, Thot Hermès l’Égyptien. De l’infiniment grand à l’infiniment petit. Michel MAZOYER (éd.), Homère et l’Anatolie. Michel MAZOYER et Olivier CASABONNE (éd.), Mélanges en l’honneur du Professeur René Lebrun : Vol. 1 : Antiquus Oriens. Vol. 2 : Studia Anatolica et Varia.
COLLECTION KUBABA
Série Antiquité
Catherine COUSIN
Le monde des morts
Espaces et paysages de l’Au-delà dans l’imaginaire grec d’Homère à la fin du Ve siècle avant J.-C.
Association KUBABA, Université de Paris I Panthéon – Sorbonne 12, place du Panthéon 75231 Paris CEDEX 05
L’Harmattan
Reproductions de la couverture : Logo KUBABA : la déesse KUBABA (Vladimir Tchernychev) Héraclès et Cerbère : vers 520-510, hydrie à figures noires avec anses, Legs A. Maignan, 1927. Amiens, Musée de Picardie n° inv. M. P. 3057.225.47.A (cliché Musée de Picardie / Irwin Leullier)
Directeur de publication : Michel Mazoyer Directeur scientifique : Jorge Pérez Roy Comité de rédaction Trésorière : Christine Gaulme Colloques : Jesús Martínez Dorronsorro Relations publiques : Annie Tchernychev, Sylvie Garreau Directrice du Comité de lecture : Annick Touchard
Comité scientifique Sydney Aufrère, Sébastien Barbara, Marielle de Béchillon, Pierre Bordreuil, Nathalie Bosson, Dominique Briquel, Sylvain Brocquet, Gérard Capdeville, Valérie Faranton, Jacques Freu, Charles Guittard, Jean-Pierre Levet, Michel Mazoyer, Alain Meurant, Paul Mirault, Dennis Pardee, Eric Pirart, Jean-Michel Renaud, Nicolas Richer, Bernard Sergent, Claude Sterckx, Patrick Voisin, Paul Wathelet
Ingénieur informatique Patrick Habersack ([email protected])
Avec la collaboration artistique de Jean-Michel Lartigaud et de Vladimir Tchernychev. Ce volume a été imprimé par © Association KUBABA, Paris © L’Harmattan, Paris, 2012 5-7, rue de l’École Polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-296-96307-8 EAN: 9782296963078
à Cyril
REMERCIEMENTS
Le livre est issu de ma thèse de doctorat soutenue le 9 décembre 1995 à l’Université de Nanterre-Paris X devant un jury réunissant monsieur François Jouan, directeur de thèse, et mesdames Agnès Rouveret, Suzanne Saïd, Odette Touchefeu et Monique Trédé. Les remarques qu’ils m’ont adressées m’ont permis de prendre du recul et d’approfondir certains points. Depuis cette soutenance, j’ai eu l’occasion de participer à des colloques et d’écrire divers articles sur l’au-delà : quand je le jugeai nécessaire, je les ai intégrés dans cette étude, soit intégralement lorsqu’ils constituaient un pilier de ma démonstration, soit en partie. J’ai par ailleurs changé, comme je le détaille dans l’introduction, le plan initial purement chronologique de mon doctorat, pour adopter un classement thématique qui met davantage en valeur l’évolution de chaque notion. Je tiens à adresser mes plus sincères remerciements à l’Association Kubaba et particulièrement à Michel Mazoyer qui a accepté de publier ce travail dans la collection qu’il dirige, à Nicolas Richer qui m’a guidée et dont la relecture attentive et les conseils m’ont été fort profitables, ainsi qu’à l’ingénieur en informatique Patrick Habersack sans lequel certains signes grecs n’auraient pu être imprimés. Je suis également redevable, notamment pour la mise en forme des schémas, à Simon Imbert-Vier dont la disponibilité et la patience ont été remarquables. J’exprime aussi toute ma reconnaissance à Françoise Létoublon, Christian Nicolas et Dominique Briquel qui m’ont intégrée à leurs groupes de recherches respectifs et m’ont donné envie de continuer dans cette voie malgré un travail à plein temps dans le secondaire. Merci également à François Lissarrague dont le séminaire m’a apporté matière à réflexion, et à la bibliothèque Gernet-Glotz qui a facilité mes recherches en m’ouvrant ses portes. Le Château Musée de Boulogne sur Mer a droit à toute ma reconnaissance pour m’avoir permis de publier les deux vases avec Héraclès et Cerbère qu’il possède dans ses collections. J’ai une pensée toute particulière pour Odette Touchefeu et François Jouan qui m’ont toujours soutenue dans la publication de ce travail sans avoir pu en voir l’aboutissement. Et toute ma gratitude va à Françoise Létoublon qui m’a encouragée tout au long de cette synthèse et a accepté d’en rédiger la préface. Je n’oublie pas non plus mes proches sans le soutien desquels je n’aurais pu mener à bien une telle entreprise.
PRÉFACE
Le monde des morts, dans les représentations de l’Antiquité grecque, fait partie d’un cosmos harmonieux – si la qualification n’est pas redondante. Aucun être humain n’en est jamais revenu vivant, l’expérience en est donc attribuée à des héros, au-dessus de la condition humaine ordinaire, Héraclès, Orphée, Dionysos, Thésée, et non le seul Ulysse. Les sources d’information dont nous disposons sont des textes abondants, relevant de genres divers et ne visant jamais à donner l’information recherchée, d’Homère et Hésiode à des inscriptions et papyri d’époque tardive, déposés dans les tombes pour servir de guides dans l’Au-delà pour les défunts. Mais aussi une grande quantité d’images, peintures de vases et fresques funéraires réclamant un véritable décodage parce que les peintres obéissaient à des codes de représentation précis, lesquels ne nous ont pas été conservés sous forme textuelle et doivent donc être déduits de l’examen attentif de séries iconographiques. En s’attaquant à ce sujet difficile, Catherine Cousin devait mobiliser aussi bien la connaissance des textes, souvent difficiles, non traduits, mal édités parfois, à l’état de fragments peu lisibles, que celle des images, elles aussi dans un état de conservation analogue ou pire encore. Pour certaines images, d’ailleurs, le seul témoignage disponible était une description textuelle, ainsi pour le peintre Polygnote dont nous n’avons aucune œuvre conservée : Catherine Cousin a su dans un patient travail de puzzle reconstituer à peu près toutes les peintures célèbres de l’Antiquité qui touchent à son sujet en utilisant au maximum les descriptions conservées, par exemple chez Pausanias, et elle les a dessinées (série de planches précieuse pour servir de support à l’imagination critique). Parmi les problèmes que posent les images pertinentes pour une telle étude, un des problèmes récurrents vient peut-être de ce que les peintres ne s’intéressent pas aux mêmes sujets que les poètes : ils peignent relativement souvent Achille et Ajax jouant aux dés, alors que l’épopée n’évoque jamais de tel thème. Dans la Nekuia qu’il peignit pour la Leschè de Delphes, Polygnote représenta selon Pausanias Palamède et Thersite jouant aux dés, et Catherine Cousin remarque que chacun des personnages représentés s’adonne à l’occupation dont il était fervent durant sa vie, Orion à la chasse, Marsyas à la flûte et ainsi de suite. S’il est permis d’extrapoler, les peintres de vases représentant Achille et Ajax jouant aux dés les montrent-ils durant leur vie terrestre ou dans leurs occupations dans l’Au-delà ? Aucune réponse ne peut être donnée comme assurée dans ce domaine. En tout cas, l’iconographie n’est jamais en relation directe avec les textes, elle ne les illustre pas et ne lui est 9
jamais assujettie. D’autres spécialistes l’ont montré avant cet ouvrage, il le confirme d’une manière éclatante. La recherche préparatoire à ce volume a été longue, sans aucun doute jalonnée d’embûches comme le chemin des Enfers qu’elle décrit, et nous n’avons évidemment aucune intention de les détailler ici. Le résultat est là, aussi brillant pour le lecteur que solide par les soubassements scientifiques qui lui servent d’étais : on peut en vérifier la validité par l’étendue et la diversité des références mobilisées dans les différents domaines que l’étude impliquait. L’auteur s’est fort prudemment limitée dans le temps à la fin du Ve siècle avant J.-C. Effectivement, pour aller plus loin dans les représentations grecques, il eût fallu tenir compte d’une diversité de théories sur l’Au-delà fort difficile à maîtriser, et il est très probable que la confrontation fructueuse entre textes et images que nous trouvons ici de manière claire aurait été impossible. Les conclusions de l’enquête sont originales, sans se départir de la prudence que les deux spécialités de la philologie et de l’iconographie rendent nécessaire. À l’époque archaïque, “l’accent est mis sur la frontière entre l’ici-bas et l’audelà”, et les textes comme les images nous mènent aux abords des Enfers, sans jamais nous faire pénétrer dans les zones les plus profondes. Une surface liquide, une colonne, un arbre, des roseaux, marquent la frontière infranchissable, même pour l’imaginaire. Des éléments d’architecture indiquent parfois que nous sommes à l’entrée du palais d’Hadès. Nous n’irons jamais plus loin. L’importance d’une peinture non conservée, la Nekuia de Polygnote à Delphes, a déjà été suggérée ci-dessus : Catherine Cousin montre en effet de manière très convaincante que cette peinture marque probablement un tournant dans l’évolution des idées sur les Enfers, coïncidant à l’époque classique avec un “élargissement de la géographie infernale” dans les poèmes de Pindare ; cela amène à l’hypothèse forte selon laquelle la théorie de la métempsychose pourrait être à l’origine de cette évolution. Catherine Cousin n’aime pas la grandiloquence et ne s’attarde guère sur ce point, mais c’est un des aspects les plus passionnants de son étude que de voir l’histoire des idées, si fragmentaire qu’elle nous apparaisse dans les textes conservés, influencer à des titres divers la littérature et les arts plastiques. L’importance de la direction de recherche dans l’élaboration d’une thèse est parfois immense. Catherine Cousin a bénéficié pour diriger ses recherches de la personnalité exceptionnelle d’Odette Touchefeu-Meynier, dont la compétence pour un tel sujet est garantie par les travaux qu’elle nous a laissés, de sa thèse sur l’iconographie de l’Odyssée aux nombreux articles qu’elle a signés pour le LIMC en particulier. Son décès en 2006 a fait du présent ouvrage un devoir de 10
mémoire, en en rendant la mise au point encore plus difficile. C’est elle qui indiscutablement aurait dû en rédiger la préface. J’ai accepté cette tâche par amitié double envers l’auteur et envers Odette. C’est une manière de prolonger au-delà de la mort la relation à la fois de travail et d’amitié qui fut la nôtre depuis longtemps, avec de nombreuses rencontres dont on sortait revigoré. Un autre maître qui a joué un grand rôle pour la recherche de Catherine Cousin jouait un rôle de médiateur important parmi les chercheurs qui s’intéressent à la mythologie, François Jouan, reconnu partout depuis son livre sur Euripide et les légendes des chants cypriens, des origines de la guerre de Troie à l’Iliade (Paris, Les Belles Lettres, 1966) et depuis les colloques qu’il a organisés à Caen, à Paris X-Nanterre ou ailleurs1. Il nous a malheureusement quittés en 2009, peu de temps après la cérémonie au cours de laquelle lui fut remis le gros volume qui lui rendait hommage. Il avait toujours soutenu la recherche qui trouve son aboutissement dans le présent volume, son rôle mérite d’être souligné ici. Ne restons pas sur une note funèbre : le livre de Catherine Cousin montre que ces recherches sur la mythologie ou sur l’iconographie grecque menées par ces maîtres qui étaient devenus des amis ont été fécondes, et qu’elles ont irrigué des courants importants désormais dans la culture universitaire en France. L’enseignement et la recherche de ceux qui furent nos maîtres survivent ainsi, à travers des publications telles que celle-ci. Françoise LETOUBLON
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On citera brièvement les ouvrages publiés Mythe et politique, Visages du destin dans les mythologies, et surtout pour le sujet qui nous occupe ici Mort et fécondité dans les mythologies (actes d'un colloque organisé à Poitiers en 1983, publié aux Belles Lettres en 1986).
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INTRODUCTION Le thème de la représentation de l’au-delà en Grèce constitue un trop vaste domaine pour être approfondi en un seul livre. Notre propos se limitera donc à un aspect particulier, sur lequel, à notre connaissance, aucune synthèse n’existe : l’évolution de l’espace et du paysage. Etudier ce domaine ne va pas de soi. A notre époque, en effet, la notion de paysage implique la vue synoptique d’une vaste étendue. Or aucun terme grec ne correspond exactement à une telle acception, du moins pas avant l’époque hellénistique : τόπος s’applique à une région, un lieu, un emplacement ; χωρά a d’abord désigné un « espace fini, propre à un usage, à une fonction, à une activité », avant de se spécialiser dans le sens de « campagne opposée à la ville qu’elle environne » (P. Chantraine, 1968, s. v. χωρά). Ces deux noms ne présupposent pas d’analyse descriptive, ni ne font référence à un quelconque observateur. La pensée grecque, au lieu de présenter une vue d’ensemble d’un pays, en énumère les éléments constitutifs : le relief, la végétation, les fleuves, les différentes cultures, les habitations, etc., sans les insérer dans un ensemble constitué qui pourrait susciter une réflexion. Caractéristique est ici le refus d’Aristote d’entrer dans des détails matériels quand le philosophe décrit une cité idéale au livre VII de la Politique (cf. S. Vilatte 1995, p. 161). Tόπος et χωρά s’intégreraient davantage à notre notion actuelle d’espace en tant que réceptacle de différents corps et position de ces corps les uns par rapport aux autres. C’est pourquoi nous avons ajouté ce terme à notre étude. A propos de l’au-delà, le problème se complique encore, puisque la vision en est interdite aux vivants : nul ne peut en avoir connaissance avant d’être mort. Monde invisible, mais néanmoins sans cesse présent, car lot commun des humains, l’au-delà appartient à l’imaginaire. Nous nous proposons donc, comme F. Frontisi-Ducroux (1988, p. 27) à propos de la Gorgone, d’analyser les façons diverses dont le langage textuel et le langage iconographique abordent, traitent, résolvent ou éludent le paradoxe de la représentation de ce qui constitue la forme extrême du nonvisible.
Nous nous attacherons non seulement à l’Hadès, lieu de résidence de la plupart des défunts, mais également au Tartare et aux Champs-Elysées, régions qui ont été progressivement intégrées au domaine infernal. Nous sommes consciente que la nature tient un rôle secondaire dans la pensée grecque, centrée
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avant tout sur l’homme2. La représentation du milieu paysager risque donc, à l’époque archaïque, de se limiter à de rares éléments indicatifs, voire symboliques, ou ornementaux qui seront toujours secondaires par rapport à la figure humaine. Il sera intéressant de voir, lorsque cette dernière n’est plus qu’une âme, si les éléments de paysage subsistent, s’ils occupent une place accrue ou si au contraire ils disparaissent. Nous espérons que, tout accessoires qu’ils sont, leur comparaison et leur évolution permettront de nous forger une opinion sur la façon dont les Grecs s’imaginaient l’environnement post mortem. Du point de vue chronologique, nous avons décidé de poursuivre l’enquête jusqu’à une période de rupture, ou du moins de transition entre deux conceptions relatives au royaume infernal. La fin du Ve siècle av. J.-C. a semblé répondre à cette phase de changement aussi bien en littérature qu’en iconographie. On passait en effet d’une conception encore « archaïque » de l’au-delà, qui, sous l’influence des poèmes homériques, se limitait presque uniquement aux abords infernaux, à une véritable représentation de l’intérieur de l’Hadès qui s’accompagnait d’une réflexion philosophique et religieuse sur le devenir de l’âme. Les écrits de Platon, au IVe siècle, présentent une géographie infernale subordonnée à la récompense ou à la punition des âmes selon leurs actions terrestres et à la théorie de la métempsychose. En art, les vases à sujet infernal d’Italie du Sud attestent une transformation similaire : leur composition à plusieurs niveaux superposés, où interviennent divers épisodes (s’opposant ainsi à la figuration unique de l’époque archaïque), crée un véritable espace à l’intérieur de l’Hadès. Nous préférons parler de transition plutôt que de rupture, car les deux conceptions se sont juxtaposées pendant un certain temps : on trouve déjà des traces de la seconde durant le Ve siècle avant qu’elle ne triomphe au IVe siècle. Ainsi, la Nékyia de Polygnote dans la leschè des Cnidiens à Delphes offre, dès la première moitié du Ve siècle, une composition étagée des abords et de l’intérieur des Enfers, où s’opère d’une part une répartition nouvelle entre initiés et non-initiés, et de l’autre la répartition homérique entre héros, héroïnes et grands criminels. Dans la Deuxième Olympique et dans les fragments de Thrènes de Pindare, on découvre déjà l’existence d’une justice rémunératrice dans les Enfers et l’idée d’une purification progressive des âmes à travers leurs réincarnations successives, tandis que ses autres poèmes font encore allusion à l’au-delà homérique morne et sans espoir. De même, Euripide et Aristophane témoignent sporadiquement du développement de la croyance en un Hadès céleste. Ces idées neuves ont vu le jour sous l’influence des religions à mystères (l’éleusinisme, l’orphisme et le pythagorisme) et des philosophes présocratiques. La philosophie, de Thalès à Socrate, a tenté d’élaborer des 2
Cf. K. Woerman, 1876, pp. 98-99 et 114-115 ; G. Méautis, 1939, p. 195 ; E. Pfuhl, 1979, p. 3 ; C. Cousin, 2003 b, p. 257.
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systèmes du monde plus cohérents et « scientifiques », dans lesquels s’intégraient les notions de mort et de survivance de l’âme. Empédocle paraît d’ailleurs y avoir joué un rôle non négligeable. Nous n'ignorons certes pas l'importance fondamentale de ces premiers philosophes, mais devant l'étendue du sujet, nous avons choisi de limiter notre étude littéraire de la représentation de l'espace et du paysage de l'au-delà à trois genres qui, contrairement à la philosophie, n'ont pas pour objectif premier de s'ériger en système de pensée unitaire : l’épopée avec Homère, Hésiode, les fragments du Cycle épique et les Hymnes Homériques ; la poésie lyrique avec les premiers poètes lyriques, Bacchylide et Pindare ; le théâtre avec Eschyle, Sophocle, Euripide pour la tragédie, et Aristophane pour la comédie. Un classement par thèmes sera préféré à un classement par genres et à une étude purement chronologique qui engendreraient des redites. La chronologie sera néanmoins respectée dans la mesure du possible à l’intérieur de chaque thème traité, afin de pouvoir rendre compte d’une éventuelle évolution des conceptions. Les textes ne semblant livrer que de rares renseignements à propos du paysage infernal, nous n’hésiterons pas à entreprendre une étude philologique et linguistique précise, persuadée qu’une attention soutenue au vocabulaire se révèlera d’une précieuse utilité. Nous insisterons particulièrement sur les poèmes homériques et hésiodiques, références permanentes pour les auteurs grecs ultérieurs, et premiers témoins conservés, pour le lecteur moderne, de croyances relatives à l’au-delà. Le paysage infernal, au moins jusqu’au début du IVe siècle, sera toujours conçu en fonction de ces premiers écrits, soit en accord, soit en décalage conscient avec eux (cf. E. del Basso, 1970-1974, pp. 363-366). L’esprit des Grecs, des poètes comme des auditeurs, en était imprégné et toute allusion des auteurs à ces poèmes était parfaitement perçue et comprise par le public qui savait l’apprécier à sa juste valeur. Nous avons aussi pris le parti de considérer les Hymnes homériques et les fragments épiques, quelles que soient leurs dates de composition. La chronologie de ces poèmes, en effet, est encore objet de controverses, puisque certains, tel l’Hymne homérique à Héraclès, ne comportent aucun indice susceptible d’en fixer assurément la datation. Par ailleurs, leurs auteurs, pour s’inscrire dans la tradition épique, ont presque toujours puisé dans les conceptions infernales évoquées dans l’épopée. Ils apportent ainsi des témoignages fondamentaux. Même si la valeur du Cycle épique est parfois considérée comme inférieure à celle des poèmes homériques3, 3
Voir à ce propos J. Griffin, 1977, notamment pp. 52-53, et J. S. Burgess, 2001, pp. 1 et 7. Cette dévaluation du Cycle épique par rapport aux poèmes homériques remonte à l’Antiquité, probablement à la période hellénistique avec Aristarque : cf. J. S. Burgess, 2001, pp. 18-19.
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il n’en constitue pas moins la principale source des auteurs tragiques. Et deux de ses poèmes, la Minyade et les Retours, contenaient probablement une description de l’Hadès. Quant à l’Hymne homérique à Déméter, il reste actuellement la plus ancienne attestation de la fondation des mystères d’Eleusis et de leurs croyances eschatologiques. La poésie lyrique fait aussi partie intégrante de notre corpus. Bien que les premiers fragments conservés remontent au milieu du VIIe siècle, ses origines paraissent plus anciennes que l’épopée qui en conserve des traces4. Multiples sont les formes qu’elle peut prendre (monodique, chorale, iambique) et ses sources d’inspiration : elle puise aussi bien dans le fond mythologique utilisé par l’épopée que dans des thèmes empruntés à la réalité quotidienne contemporaine (amour, morale, guerre, concours athlétiques…), et développe sans doute une vision nouvelle, plus proche de l’homme, de l’au-delà. Malheureusement, de l’œuvre de la plupart des poètes lyriques, Pindare excepté, subsistent des fragments contenant peu d’allusions infernales. Ces dernières, sans grandes innovations, semblent relever d’un même esprit et peuvent être considérées dans leur ensemble. Pindare, en revanche, se montre souvent original, autant par les idées qu’il véhicule que par la manière dont il les expose. Avec les tragiques, nous sommes, comme pour les premiers poètes lyriques, devant un corpus incomplet et qui, paradoxalement, alors que la mort y est omniprésente, évoque rarement les Enfers5. La difficulté d’une synthèse est liée non seulement à l’extrême éparpillement des vers relatifs à l’au-delà, mais encore aux conceptions parfois contradictoires qui se juxtaposent d’un poète ou d’une œuvre à l’autre, voire à l’intérieur d’une même pièce. En outre, la perte de certaines tragédies, telles que les Evocateurs d’âmes ou le Sisyphe d’Eschyle, nous prive assurément de précieux indices sur la représentation du monde infernal. Pour trouver un texte uniquement consacré à l’au-delà, nous sommes réduits à nous tourner vers le théâtre d’Aristophane. Parmi les auteurs comiques, Aristophane n’est certes pas le seul à avoir évoqué les Enfers sur scène : dans les Crapataloi de Phérécrate, feu Eschyle parlait de son art (FF. 8099) ; en 412, Eupolis, dans les Dèmes, avait ressuscité des hommes d’Etat pour rétablir l’ordre à Athènes (FF. 90-135), et quelques années plus tard, vers 403, Aristophane lui-même, dans le Gérytadès, envoyait chercher dans l’Hadès des poètes défunts (FF. 149-183). Mais les maigres fragments de ces trois comédies se révèlent de peu d’utilité pour notre sujet, et les autres œuvres de l’ancienne comédie ne contiennent que sporadiquement des allusions au royaume infernal. 4
L’Iliade atteste en effet de l’existence de péans en l’honneur d’Apollon (I, 472-474), de thrènes (XXIV, 720-722), de chants d’hyménée (XVIII, 491-493) et de parthénées (XVI, 181-183). 5 Bien que le sujet de l’Alceste d’Euripide se prête davantage à une évocation du monde infernal, la vision qu’en donnent les personnages demeure imprécise et traditionnelle.
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Nous nous attacherons donc exclusivement à l’étude des Grenouilles d’Aristophane, comédie qui présente le double avantage de nous être parvenue intégralement et de posséder une action se déroulant entièrement sur le chemin ou à l’intérieur de l’Hadès. Cette pièce forme ainsi un développement unitaire sur les Enfers, au même titre que l’épisode de la Nékyia du chant XI de l’Odyssée, mais plus long et plus récent. Il est donc probable qu’elle contient une géographie infernale cohérente, qui n’existe pas dans les brefs passages de la poésie lyrique ou de la tragédie et qui permettra sans doute d’appréhender l’évolution des conceptions sur l’au-delà depuis l’époque homérique. Si besoin est, nous confirmerons ou compléterons cette description par d’autres extraits tirés d’Aristophane ou d’auteurs de l’ancienne comédie. Toutefois, si le témoignage d’Aristophane sur les Enfers demeure capital, nous devons toujours avoir à l’esprit la déformation comique, inhérente au genre, pour tenter de discerner la part d’exagération dans les informations que nous recueillerons. Une fois notre opinion forgée sur la perception de la géographie infernale en littérature, nous nous attacherons à l’iconographie. Car nous avons décidé de séparer l’étude des textes et celle des documents archéologiques : nous refusons l’idée d’un ouvrage qui se borne à une simple énumération de textes illustrés par quelques représentations figurées. Les images en effet constituent un moyen d’expression à part entière (cf. G. Siebert, 1979, pp. 63-64) ; elles n’ont pas un simple statut de subordination à l’égard des textes, qui servirait à les illustrer, les éclairer et combler leurs lacunes. Les innovations que propose la céramique ne s’inspirent pas forcément, loin s’en faut, de modèles littéraires, et quand bien même cela serait, l’image est toujours le résultat d’une transposition6. Elle est, pour la pensée grecque, un moyen d’expression différent, ainsi que l’a souligné F. Vian (1984, p. 216) en conclusion d’un colloque consacré aux relations entre textes et images : Sans nier qu’il y ait eu des influences réciproques et qu’il soit parfois permis d’expliquer le texte par l’image et inversement, il semble que la création littéraire et la création artistique évoluent plutôt d’une façon indépendante, quoique parallèle. […] Mais, si ces convergences dans l’évolution des mentalités sont remarquables, il ne s’ensuit pas que poètes et artistes traitent les mêmes sujets aux mêmes époques, ni surtout qu’ils les traitent en adoptant les mêmes versions. Les uns et les autres puisent, d’une manière indépendante, à un fonds commun, riche et divers, de traditions orales qu’ils exploitent et interprètent à leur guise. Comme l’avait justement écrit Ch. Dugas (Antiquité classique, 6, 6
Cf. C. Robert, 1881, pp. 5-23 ; Ch. Dugas, 1960, pp. 35-49 et 59-74 ; F. Frontisi Ducroux, 1986, p. 211 ; C. Cousin, 2006 c, pp. 265-666.
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1937, 5-26), il existe une « tradition graphique » autonome que les poètes ignorent ou que la littérature n’enregistrera que beaucoup plus tard.
Il convient par conséquent de traiter l’iconographie comme un corpus fondamentalement distinct de la littérature, quitte ensuite à établir une comparaison entre les deux pour obtenir une vision globale. Nous nous efforcerons par conséquent de réunir le plus possible de documents archéologiques sur les Enfers afin de constituer des « séries » à propos de différents thèmes infernaux. Puis nous procéderons à une étude attentive des signes variés (nombre et position des personnages, attributs, habits, décors…), comme en littérature pour le vocabulaire. Car la modification, la disparition ou l’apparition d’un signe peuvent être l’indice d’une évolution dans l’interprétation d’un mythe : l’iconographie grecque ou italique, en opposition à l’art égyptien par exemple, met en scène un récit figuré, une narration dessinée du mythe7, où chaque figure et chaque objet acquièrent une place particulière. L’artiste s’inscrit toujours dans une tradition qu’éventuellement il modifie ou simplifie selon la connaissance qu’il a du mythe. Ses innovations ne peuvent intervenir que sur des détails, sinon la scène de référence ne serait plus comprise (cf. E. H. Gombrich, 1971, pp. 102-113). Et toute notre attention sera requise pour retrouver nombre d’effets que notre regard, noyé par la pléthore d’images tridimensionnelles de nos sociétés modernes, ne perçoit plus d’emblée. Ces problèmes de lisibilité de l’image sont d’autant plus importants pour le spectateur actuel qu’il n’est pas imprégné de mythologie comme l’étaient les Grecs. La représentation demeure souvent énigmatique pour qui en ignore le sujet. Les textes sont alors susceptibles de fournir une clef pour l’interprétation. C’est pourquoi nous ferons souvent précéder les descriptions de vases d’une synthèse des différentes versions qu’a transmises la littérature à propos d’un mythe. Toutefois ce rappel littéraire, loin de soumettre un mode de narration à l’autre, en soulignera au contraire les différences et établira fréquemment l’indépendance des deux traditions. Nous en aurons certainement la preuve à l’occasion de la description littéraire d’une peinture perdue, la Nékyia de Polygnote à Delphes, présentée par Pausanias. Un écrit, tout fidèle soit-il, est incapable de rendre compte de tous les aspects d’une image. Nous serons donc confrontée à des problèmes similaires à ceux que nous aurons rencontrés à propos d’images sans texte. Ainsi, l’unique moyen en iconographie de percevoir une vision particulière de l’espace et du paysage de l’Hadès, puis de considérer son évolution, sera 7
Voir G. M. A. Hanfmann, 1957, pp. 71-78, et P. H. von Blanckenhagen, 1957, pp. 7883.
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d’abord de comparer une représentation figurée avec les représentations contemporaines qui traitent du même sujet et, ensuite, d’en suivre les modifications chronologiques. De ce fait, nous adopterons pour la partie iconographique, comme pour la partie littéraire, un plan thématique à l’intérieur duquel nous inscrirons une étude chronologique. Puisque nous ne possédons pas de représentation du Tartare ou des Champs-Elysées (du moins ne savons-nous pas les reconnaître), nos investigations porteront uniquement sur l’Hadès. Nous essaierons tout d’abord de repérer si les images hésitent, comme les premiers textes, sur sa localisation terrestre ou souterraine. Puis nous tenterons de dégager les éléments constitutifs du paysage infernal afin de considérer comment les imagiers sont parvenus à traduire sous forme graphique une notion aussi abstraite que l’au-delà, quels éléments significatifs ils ont retenus. Car l’image, qui n’est jamais transposition du réel, l’est d’autant moins lorsqu’elle figure un monde imaginaire ! Elle est révélatrice d’une construction mentale qui laisse entrevoir la façon dont les Grecs se mettaient en scène jusque dans la mort et comment ils concevaient l’au-delà et son environnement. Nous réserverons pour la conclusion une comparaison des éléments recueillis dans l’une et l’autre partie de notre ouvrage. En effet, Nous adhérons entièrement au principe énoncé par Jean-Marc Moret dans son livre consacré à L’Ilioupersis dans la Céramique italiote (1975, p. 272) : Philologues et archéologues tireront toujours le plus grand profit du rapprochement entre les textes et les images, mais, pour qu’une telle mise en parallèle soit valable, il faut que les deux recherches soient menées en toute indépendance. [...] En confrontant alors, mais seulement alors, les résultats de cette double enquête, on sera sûr de parvenir à des conclusions fécondes [...]. Car, s'il est vrai qu'en Grèce plus qu'ailleurs image et récit sont les deux faces complémentaires d'une même réalité, le mythe, il s'en faut de beaucoup qu'une image soit toujours l'illustration d'un texte précis, ni un texte la contrepartie exacte d'une représentation figurée.
Nous espérons que cette comparaison nous permettra d'obtenir une vision globale du paysage et de l'espace du royaume des morts auquel les Anciens ont toujours attaché une extrême importance : preuve en est l’abondance de textes, d’inscriptions et de documents archéologiques qui sont parvenus jusqu’à nous.
PREMIERE PARTIE : ETUDE LITTERAIRE
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CHAPITRE 1 L’UNIVERS ET LA LOCALISATION INFERNALE
Les premiers vers relatifs à la conception de l’univers se trouvent chez Homère1 et Hésiode, et, par la suite, les scholiastes et grammairiens antiques n’ont pas manqué de les commenter. Dans le cadre de notre sujet, ils présentent un intérêt fondamental pour savoir s’il existait, dès cette époque, un espace géographique infernal précis, localisé à un quelconque endroit de la surface terrestre, ou bien si cette notion d’espace infernal ne s’est constituée que plus tard. 1. Un univers tripartite Le chant VIII de l’Iliade (v. 13 à 16) fait de l’univers homérique un monde à trois étages. Les limites extrêmes sont constituées en haut par la voûte du ciel, en bas par le Tartare. La terre, au-dessous de laquelle s’étend l’Hadès, en marque le centre. Les scholies des manuscrits A et T commentent cette conception en la précisant : De même que les régions célestes sont divisées en trois niveaux, l’air jusqu’aux nuées, puis l’éther jusqu’aux astres brillants et au royaume de Zeus, de même les régions souterraines se divisent de la terre à l’Hadès et de l’Hadès au Tartare. A l’opposé de l’Olympe se situe le Tartare2.
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C’est ainsi que nous nommerons, par mesure de facilité, le ou les aèdes à l’origine de l’Iliade et de l’Odyssée. Les citations de l’Iliade sont tirées de A. Ludwich, 1995 ; celles de l’Odyssée, de P. von der Mühll, 1993. 2 Scholia Graeca in Homeri Iliadem, recensuit H. Erbse, Berlin 1969-1988, scholies A et T à Il. VIII, 13 b : ὡς τὰ οὐράνια τρία διαστήματα ἔχει, ἀέρα μέχρι νεφελῶν, εἶτα αἰθέρα μέχρι τῶν φαινομένων καὶ τῆς Διὸς ἀρχῆς, oὕτω καὶ ἀπὸ γῆς εἰς Ἅιδου, ἀπὸ δὲ Ἅιδου εἰς Τάρταρον. ἐναντίος Ὀλύμπῳ ὁ Τάρταρος. Une idée similaire est développée dans le commentaire du vers 16 : τοσοῦτόν φησι τὸν Τάρταρον ἀφεστάναι τοῦ Ἅιδου ὅσον ὁ οὐρανὸς τῆς γῆς. διὰ δὲ τούτων σφαιροειδῆ τὸν κόσμον συνίστησι, κέντρου λόγον ἐπέχουσαν εἰσαγαγὼν τὴν γῆν, καὶ τὰς ἀπ’αὐτῆς ἐκϐαλλομένας εὐθείας εἰς ἑκάτερα τὰ πέρατα ἴσας λέγων εἶναι. Il dit que le Tartare est éloigné de l’Hadès autant que le ciel de la terre. Il crée donc un univers sphérique dont le point central se situe sur la terre et il affirme
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A côté du commentaire figure le dessin suivant : αἰθήρ -------------------ἀήρ --------------------------αἵδης -------------------τάρταρος Quant à la surface terrestre, intermédiaire entre les deux extrêmes, elle est conçue comme circulaire : le fleuve Océan l’entoure et en marque les limites3. Cette conception verticale tripartite de l’univers se retrouve, identique, dans la Théogonie d’Hésiode. Les vers 116-119 font allusion aux trois constituants essentiels que sont le ciel, la terre et le Tartare. P. Mazon en 1928 émet un doute sur l’authenticité des deux derniers vers, car Platon (Banquet 178 b) et Aristote (Métaphysique A4. 984 b 27-29) les omettent dans leurs citations. La mention des Immortels, il est vrai, peut paraître étrange alors que la terre sort tout juste de l’Abîme et ne donnera naissance à des êtres vivants qu’après avoir mis au monde un certain nombre d’entités4. Il faudrait, à ce compte, athétiser également le vers 117 qui la qualifie de πάντων ἕδος, « fondement de tout ». Le génitif pluriel πάντων est ambigu ; s’agit-il d’un masculin ou d’un neutre ? P. Mazon, dans sa traduction, le considère comme un masculin, « assise à tous les vivants », mais il semble préférable de laisser l’ambiguïté. Là aussi, Hésiode parle de ce qui n’est pas encore créé. Ces allusions ne doivent pourtant pas étonner. Hésiode, C. Robert (1905, pp. 473-476) et plus récemment J. S. Clay (2003, p. 15) le soulignent, procède souvent par anticipation, rompant ainsi l’ordre chronologique de sa narration. En outre, c’est la première fois que le poète évoque la terre. Il est donc normal qu’il note l’importance de son rôle à venir et qu’il la situe dans l’univers. Les vers 118-119 obéissent, selon R. A. Prier (1972, pp. 54-55 et 1976, pp. 45-48), au procédé oppositionnel qui que si, à partir de celle-ci, on trace des lignes droites vers chacune des deux extrémités, elles sont égales. Cf. M. Schmidt, 1976, pp. 75-112. 3 Il. XIV, 200 ; XVIII, 399 ; Od. XX, 64-65 ; sur le bouclier d’Achille, Héphaistos place l’Océan à l’extrême bord : Il. XVIII, 607-608. Voir infra p. 25, n. 6. 4 Elle enfante d’abord seule Ciel (v. 126-127), puis les Montagnes (v. 129) et Flot (v. 131-132). Ce n’est qu’après son union avec Ciel qu’elle donnera naissance aux premiers êtres vivants : les Titans (v. 133-138), les Cyclopes (v. 139-146) et les Hécatonchires (v. 147-153).
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se retrouve à travers tout le poème : le vers 118 présente la région supérieure, κάρη νιφόεντος Ὀλύμπου, et le vers 119, la région inférieure, Τάρταρά τ’ἠερόεντα5. Ils forment donc une entité qui s’intègre sans problème. Cette allusion est amplement développée aux vers 720-725. Tout en dépeignant un univers identique à celui d’Homère, Hésiode se montre beaucoup plus précis. L’image de l’enclume qui tombe du ciel au Tartare en passant par la terre insiste sur la parfaite symétrie du cosmos. L’égalité de la distance entre Ciel et Terre, puis Terre et Tartare est soulignée non seulement par l’identité des chiffres (ἐννέα, v. 722 et 724 ; δεκάτῃ, v. 723 et 725), mais aussi par une construction de phrase similaire aux vers 722-723 et 724-725 ; l’ordre des mots y est rigoureusement semblable, ἐκ γαίης (v. 725) remplaçant οὐρανόθεν (v. 723) et ἐς Τάρταρον (v. 725), ἐς γαῖαν (v. 723). Chez Hésiode aussi, la terre constitue un disque entouré d’Océan. Nous l’apprenons à propos de Styx, θυγάτηρ ἀψορρόου ᾽Ωκεανοῖο, « fille d’Océan, qui revient vers son cours »6. Aux vers 789-792, Hésiode précise qu’il s’agit d’un bras d’Océan. Il emploie de nouveau les chiffres ἐννέα et δεκάτη, comme si l’univers était régi par les mêmes nombres symboliques verticalement et horizontalement, la terre formant le centre7. Le cosmos est fondé sur des parties symétriques et opposées, dont les dimensions spatiales répondent à des nombres mythiques, ainsi que l’illustre le schéma suivant :
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Ceci expliquerait le pluriel Τάρταρα, « les régions tartaréennes », par opposition aux régions célestes (sur la différence d’emploi entre Τάρταρος et Τάρταρα, voir infra, chapitre 2). La représentation du monde donnée ici concorde avec celle des vers 720725 : les régions tartaréennes sont sises μυχῷ χθονός, « tout au fond de la terre » (v. 119) ; elles en constituent donc la couche inférieure située, aux vers 724-725, à neuf jours de la couche supérieure, c’est-à-dire de la surface terrestre. 6 Théog., 776. Cf. aussi Bouclier, 314-315. Cette conception apparaît également dans les Chants Cypriens (F. 9 Bernabé = 6 Kinkel) et peut-être dans la Petite Iliade (F. 32 Bernabé = Pap. Oxy. 2510, vers 2), chez Alcée (F. 345 Voigt), Eschyle, Prom., 140143, Euripide, Or., 1377-1379, Hérodote II, 21 et 23 ; IV, 8 et 16. 7 Ce sont encore des nombres identiques qui concernent la punition d’un dieu parjure au vers 803 : écarté pendant neuf années (ἐννέα πάντα ἔτεα) de l’Olympe, il pourra réintégrer le séjour divin seulement à la dixième (δεκάτῳ).
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CI EL (9 jours)
Océan (9 cercles)
[TER RE]
Océan (9 cercles)
(9 jours) TAR TARE
Est-ce Hésiode qui a repris en la développant la pensée homérique, ou Homère qui a résumé celle d’Hésiode ? Les critiques modernes restent divisés sur la primauté à accorder8. Peut-être tous deux reflètent-ils des traditions orales parallèles et coexistantes, ou bien puisent-ils dans la pensée commune archaïque et l’adaptent-ils en fonction de leur sujet. Le contexte joue en effet un rôle fondamental, qui explique la différence des descriptions. Au chant VIII de l’Iliade (v. 13-16), Zeus cherche à effrayer les dieux olympiens ; aussi insiste-til sur la profondeur du Tartare par rapport à l’Hadès : il sait que les dieux détestent l’Hadès, un lieu situé bien plus bas que l’Hadès leur paraît donc d’autant plus haïssable ! Le dessein d’Hésiode est autre : par l’expulsion des Titans du ciel et leur chute dans le Tartare, il insiste sur la symétrie du monde, d’où les valeurs numériques qu’il emploie. Il ne mentionne pas l’Hadès, bien qu’il en connaisse l’existence souterraine, de peur de rompre le bel agencement cosmique qu’il présente. Il est temps d’examiner les deux régions infernales de cet univers et d’en préciser la localisation. Commençons par l’extrême limite inférieure, le Tartare.
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Pour un état de la question, cf. W. Karl, 1967, p. 76, notes 19 et 20, et A. Ballabriga, 1990, pp. 22-25.
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2. Situation géographique du Tartare a) Homère Les poèmes homériques font peu allusion au Tartare, mais insistent sur sa localisation souterraine. L’essentiel se trouve dans l’Iliade. Le chant VIII en constitue le plus bel exemple, notamment les vers 14 et 16. L’expression ὑπὸ χθονός9 y est précisée par un champ lexical qui évoque la profondeur, l’abîme : βέρεθρον10, et surtout les expressions superlatives τῆλε μάλα ετ βάθιστος qui insistent sur la notion d’éloignement par rapport à la surface terrestre. L’adjectif βαθύς qualifie également le Tartare au vers 481 du chant VIII. Cependant, les termes les plus fréquents appartiennent au radical *ner : ἔνερθ’ (VIII, 16), νέρθε (XIV, 204), νέρτεροι (XV, 225). F. Bader (1986, pp. 19-35) explique ce radical par une agglutination de *r au thème *ne. C’est pourquoi nous possédons des mots issus de deux formes : *ner que l’on trouve dans le grec (ἐ)νέρθε(ν) < *ner-dhe(n), et une formation sans *r avec le degré zéro du premier élément, *n-dhe(r), qui apparaît par exemple dans le sanskrit ádhar-a, « sous », et dans le latin inferi. Ce thème désigne non seulement la position « sous » et le mouvement vers le bas, mais aussi la privation (cf. la négation *ne). L’explication de F. Bader apporte une richesse de sens très intéressante. En effet, la notion d’« Enfers » (contenue dans le sanskrit naraka-, naraka ; dans le grec νέρ-τεροι, ἔ-νερ-οι ; et dans le latin inferi) serait ainsi désignée comme un lieu à la fois « privé de la lumière du soleil, et sous la terre (et la mer) sous lesquelles se trouve le soleil après son coucher »11. Et ce sont bien des régions souterraines, et non pas seulement les extrémités du monde habité, qu’indiquent 9
Plutôt que le sol, χθών désigne ici la surface terrestre constituant la limite du royaume souterrain. Nous retrouvons cette valeur dans l’expression χθόνα δύνεμαι, « descendre sous la terre », c’est-à-dire « mourir » (Il. VI, 411). 10 Il est intéressant de noter que βέρεθρον, forme épique de βάραθρον, se rattache à la racine *gw°r-H / gwer-H, que l’on retrouve dans βιϐρώσκω, « dévorer, engloutir ». Or la mort dans l’Antiquité a souvent été conçue comme un engloutissement, peut-être dû à la décomposition des chairs. Cet engloutissement a été personnifié par des monstres qui prennent place à l’entrée des Enfers et dont la fonction est de dévorer les chairs, tels Cerbère ou l’Eurynomos de la peinture de Polygnote à la leschè de Delphes. 11 F. Bader, 1986, p. 19. Dans la suite de cet article, l’auteur rattache au thème *ner des mots de sens « plonger », faisant allusion au mouvement du « soleil qui s’immerge dans l’eau à son coucher » (p. 20). D’où le nom des divinités de l’immersion : Nérée et les Néréides. Là encore, cette hypothèse se révèle digne d’intérêt, dans la mesure où les Néréides ont très souvent reçu, tant en littérature que dans l’art, une connotation chthonienne. Par leur nom, elles évoqueraient donc les deux composantes sémiques de *ner : l’immersion et la mort (comme le soleil qui, lorsqu’il « plonge » à son coucher, gagne les régions infernales).
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les νείατα du chant VIII (v. 478-479) : le mot est construit sur la racine *nei, apparentée à *ni, « sous ». La localisation géographique du Tartare homérique, à la fois souterrain et privé de soleil, ne prête donc à aucune équivoque. Qu’en est-il dans les textes hésiodiques ? b) La descriptio Tartari de la Théogonie Difficultés de la descriptio Tartari La principale description du Tartare chez Hésiode apparaît aux vers 726 à 819 de la Théogonie. Mais la compréhension de ce texte constitue une source inépuisable de discussions pour les critiques modernes. Il faut donc en affronter les problèmes avant de nous intéresser à la géographie du lieu. Deux tendances se dessinent parmi les commentateurs. Ceux de la fin du XIXe et de la première moitié du XXe siècles y voyaient l’accumulation incohérente d’une multitude d’interpolations12. Les critiques plus récents, au contraire, considèrent Hésiode comme l’auteur, sinon de la totalité, du moins de la majeure partie du texte13. Reprenons les différentes difficultés et essayons de voir si elles sont, ou non, compatibles avec la pensée hésiodique. Dans les vers 713-725, qui forment une sorte de transition entre la Titanomachie et la descriptio Tartari, les Titans, vaincus par les Hécatonchires, sont précipités ὑπὸ χθονὸς εὐρυοδείης, « sous la vaste terre » (v. 717). L’auteur saisit l’occasion pour esquisser une description du Tartare. Certes, au μέν du vers 717 ne correspond aucun δέ, mais on peut le comprendre comme la forme affaiblie de μήν, « assurément, il est vrai », et P. Chantraine (1953, p. 159) donne des exemples de l’emploi d’un « articlepronom démonstratif » suivi de μέν seul. Vient ensuite une présentation du Tartare (v. 726-735) : il est enclos par une enceinte (ἕρκος, v. 726) et se présente comme une gorge14. Il s’agit donc d’un gouffre (cf. χάσμα μέγα, 12
Cf. A. Meyer, 1887, pp. 67-74 ; E. Lisco, 1903, pp. 65-73 ; P. Mazon, 1928 ; F. Jacoby, 1930, pp. 19-27 ; F. Schwenn, 1934, pp. 16-36 ; G. S. Kirk, 1962, etc. Une exception est cependant à noter, celle de C. Robert, 1905, qui prend nettement parti en faveur de l’unité du poème. 13 M. C. Stokes (1962, pp. 11-12) rejette simplement les vers 743-745 ; M. L. West (1966, p. 358), les vers 734-735 et 740-745 ; H. Schwabl (1966, pp. 97-106), W. Karl (1967, pp. 69-94), M. E. Pellikan-Engel (1974, pp. 19-38), M. D. Northrup (1979, pp. 34-35) et D. M. Johnson (1999, pp. 8-10) acceptent le passage dans son intégralité ; A. Ballabriga (1986, pp. 257-258) semble également partisan de l’unité. F. Solmsen, qui n’exprimait, en 1949 et 1970, que quelques réserves à propos des vers 807-819, a changé d’avis et, en 1982 (pp. 14-17), doute du passage entier. 14 Hésiode, Théog., 727 : δειρή. Cf. encore à l’époque latine, Virgile, Enéide VI, 201 et 273 : fauces Orci.
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v. 740) dont le haut est constitué par « les racines de la terre et de la mer inféconde » (v. 727-728)15. Ces racines, que l’on retrouve au vers 812, sont les garants de la stabilité de l’ensemble et insistent sur la sûreté de la prison tartaréenne où sont enfermés les Titans16. Avec le vers 729 commence une longue série de ἔνθα, leitmotiv dont la fonction permet à la description de « rebondir », puisque chacun marquera l’ouverture d’une nouvelle peinture17. Le vers 731, en situant le Tartare πελώρης ἔσχατα γαίης, semble contredire ce qui précède. L’interprétation de l’accusatif adverbial ἔσχατα18 est délicate. P. Mazon, qui le traduit par « à l’extrémité », conclut à une interpolation, le Tartare ne pouvant se placer à la fois sous et à l’extrémité de la terre. Néanmoins, les deux notions ne semblent pas incompatibles : le Tartare, présenté comme un gouffre, peut avoir son accès vers le monde terrestre situé « à l’extrémité de la terre », ce qui n’empêche pas l’abîme tartaréen lui-même de s’étendre sous terre19. Le Tartare serait alors senti comme un lieu possédant à la fois une composante horizontale (l’extrémité de la terre) et une composante verticale (le gouffre souterrain), toutes deux insistant sur l’isolement, l’éloignement par rapport au monde habité. Une deuxième interprétation retient notre attention : ἔσχατος, outre l’idée d’extrémité, exprime parfois la profondeur ou la hauteur20. Le sens du vers enlèverait alors toute contradiction : les Titans sont emprisonnés « en un lieu moisi, au fond de l’énorme terre », « dans les parties les plus basses ». Le Tartare est un endroit entièrement clos, dont l’entrée est fermée par des portes (v. 732), sans doute placées en haut de la gorge. En effet, près d’elles habitent les Hécatonchires 15
L’interprétation de δειρή donnée par A. Meyer (1887, pp. 68-69) et E. Lisco (1903, pp. 65-66) n’est guère satisfaisante : ils y voient le « sommet » d’une colline ou d’une montagne, ce dont résulte une géographie plutôt déconcertante, et la mention des racines de la terre et de la mer aux vers suivants devient incompréhensible. Le sens géographique, « ravin étroit et profond », attesté par Pindare (Ol. III, 27) convient mieux. Cf. M. D. Northrup, 1979, p. 24, A. Ballabriga, 1986, p. 258, note 3, et D. M. Johnson, 1999, p. 14. 16 Cf. M. C. Stokes, 1962, p. 15 et D. M. Johnson, 1999, p. 15. 17 Théog. 734, 736, 758, 767, 775, 807 et 811. Un seul développement ne commence pas par ἔνθα, celui où il est question de Japet, de Nuit et de Jour (v. 746-757). C’est cependant un adverbe de lieu, πρόσθεν, qui l’introduit. 18 M. L. West (1966, p. 362) a montré que ἔσχατα était utilisé avec un sens adverbial en Il. XI, 8. Cette interprétation conviendrait aussi pour le vers 731 de la Théogonie. 19 Une telle conception se rencontre également pour l’Hadès homérique (voir infra pp. 58-59), conçu comme souterrain, mais dont l’entrée est localisée aux confins occidentaux de la terre et de l’Océan. 20 Cf. Sophocle, Trach. 1053-1054 : ἔσχάτας σάρκας, « au plus profond des chairs » ; Théocrite XVI, 52 : Ἀΐδαν τ’εἰς ἔσχατον, « vers le fond des Enfers ».
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(v. 734-735), comme le confirment les vers 813-81721. Du fond du Tartare où gisent les Titans, nous sommes donc remontés vers la partie supérieure et c’est le paysage qui recouvre le gouffre que décrit à présent Hésiode (v. 736 sqq). Les « sources et les extrémités de tout » (πάντων πηγαὶ καὶ πείρατα, v. 738) ne désignent sans doute rien d’autre que « les racines de la terre et de la mer inféconde » du vers 728. Cependant, il ne s’agit pas d’une simple répétition ; la reprise est plus développée et rend compte de la structure du monde hésiodique. Comme l’ont déjà remarqué M. L. West et M. D. Northrup 22, les termes πηγαί et πείρατα ne sont pas à prendre dans leur sens technique. Ils désignent le point de rencontre de deux mondes différents, l’un souterrain, l’autre terrestre. Si πείρατα s’applique aux limites inférieures des trois composantes terrestres (ciel, mer et terre), πηγαί se réfèrerait plutôt aux sources de la mer. La séparation du monde terrestre en trois éléments apparaît aussi dans l’Odyssée, où les confins de l’Océan, nous le verrons infra, sont les lieux de jonction des niveaux cosmiques (Hadès souterrain, terre, mer et ciel)23. Il n’est d’ailleurs pas obligatoire que le mot πηγαί soit réservé à la mer. Certes il est motivé par la présence de l’élément liquide parmi les quatre éléments cités, mais le génitif πάντων défend de l’attribuer seulement à l’eau24. Comme le constate M. C. Stokes (1962, p. 31), ce n’est pas la première fois qu’Hésiode crée une image poétique de ce genre dans la Théogonie. Aux vers 695-696 et 847, par exemple, où l’on retrouve les mêmes éléments qu’en 736-738, le verbe ζέω, qui caractérise un liquide, est employé aussi pour la terre. La mention des πηγαὶ καὶ 21
Si nous situons les Cent-Bras à l’entrée de la δειρή, et non plus au fond du Tartare, l’objection de M. L. West (1966, p. 358) disparaît, leur lieu de résidence est identique dans les deux passages. Cf. M. D. Northrup, 1979, p. 5. 22 M. L. West, 1966, p. 358, et M. D. Northrup, 1979, p. 26. H. Fränkel (1962, p. 17) situe également ces extrémités et ces sources entre le Tartare et le monde terrestre, comme marquant la frontière entre les deux mondes. Voir aussi W. Karl, 1967, pp. 8284. 23 L’objection de G. S. Kirk (1956-1957, pp. 10-12, et 1962, pp. 61-96), qui qualifiait les vers 736 sqq d’absurdes, tombe si πηγαὶ καὶ πείρατα s’applique à la limite inférieure du monde terrestre, et non aux racines les plus basses du Tartare comme le voulait Kirk, et si les niveaux cosmiques s’y rejoignent. Ciel et Enfers peuvent ainsi coexister. 24 Cf. Scholia vetera in Hesiodi Theogoniam, recensuit Lambertus di Gregorio, Milan 1975, scholies au vers 736 : ἔ ν θ α δ ὲ γ ῆ ς δ ν ο φ ε ρ ῆ ς : ἐκεῖ καὶ τῆς γῆς καὶ τοῦ οὐρανοῦ καὶ τοῦ Ταρτάρου καὶ τοῦ πόντου καὶ πάντων αἱ ἀρχαὶ καὶ τὰ τέλη εἰσίν. R2WLZTX. Là sont le commencement et la fin de la terre, du ciel, du Tartare, de la mer et de tout. Et au vers 738 : ἑ ξ ε ί η ς π ά ν τ ω ν π η γ α ί : πάντων ἡ ἀρχὴ ἐκ τοῦ Ταρτάρου ἐκφέρεται καὶ ἐκεῖ ἀποτελεῖται. R2W LZX. Le commencement de tout s’élance du Tartare et s’achève à cet endroit.
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πείρατα met l’accent sur les deux composantes essentielles de l’univers, le domaine supérieur (mer, ciel, surface terrestre) et le domaine souterrain (Tartare, Hadès), et sur la « barrière » infranchissable qui les sépare. Qui voudrait passer se heurterait soit à des « lieux terribles et moisis que même les dieux haïssent » (v. 739), soit, s’il voulait emprunter la « gorge » du Tartare, aux portes d’airain de Poséidon (v. 732-733)25. Le vers 740 est sans doute le plus problématique du passage. L’interprétation la plus fréquente fait de χάσμα μέγα une apposition à ce qui précède. Or le sens reste peu convaincant : comment les « sources et les extrémités de tout », frontières entre deux mondes, peuvent-elles adopter la forme d’un « abîme immense » ? Ce χάσμα μέγα qualifierait mieux le Tartare. Le sens de χάσμα ainsi que la construction de la phrase permettent-ils une telle hypothèse ? Χάσμα, nom formé sur le verbe κάσκω, « s’ouvrir, s’entrouvrir », se rattache à la racine *ghen / *ghei indiquant l’idée de vide, de creux26. Χάσμα désigne un gouffre béant qui conviendrait donc bien à l’entrée de la δειρή tartaréenne. W. Karl (1967, p. 82) propose de voir dans les vers 736-739 la localisation de cette faille : ἔνθα (v. 736) introduirait une proposition subordonnée « là où », et χάσμα μέγα serait alors le sujet de la proposition principale elliptique du verbe ἐστί. La traduction donnerait : « Là où se suivent les sources et les extrémités de tout, de la terre sombre et du Tartare brumeux […], se trouve un abîme immense ». M. D. Northrup (1979, p. 27), quant à lui, propose de suppléer un second ἔνθα avant χάσμα μέγα : « Là se suivent les sources et les extrémités de tout, de la terre sombre et du Tartare brumeux […], là se trouve un abîme immense », le verbe ἐστί n’étant pas répété dans la dernière partie de la phrase. L’absence de répétition de l’adverbe de lieu est relativement fréquente dans la poésie archaïque. Le vers 744 en fournit un exemple. L’omission de ἐστί est moins usuelle, mais on la retrouve aux vers 743 et 766. « La phrase nominale confère à l’énoncé une valeur essentielle ; on pourrait dire aussi qu’elle comporte un jugement de valeur », remarque P. Chantraine (1953, p. 3). Ainsi ce χάσμα désignerait l’entrée du Tartare et l’auteur en marquerait l’importance non seulement par l’emploi de l’adjectif μέγα, mais aussi par la structure même de la phrase. M. L. West (1966, p. 358) condamne les vers suivants (740-743) sous prétexte que les vers 724-725 donnaient une notion de distance différente. Mais cette contradiction apparente s’élude si l’on considère que le poète change de point de vue. Dans le premier passage, en effet, l’image de l’enclume qui tombe pendant neuf jours permettait de souligner la parfaite symétrie de l’univers. Elle 25
Sur le Tartare comme espace infranchissable, cf. M. Detienne et J.-P. Vernant, 1974, pp. 278-279. 26 P. Chantraine, 1968, s. v. κάσκω. De cette racine provient également le mot χάος < *χάος.
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insistait ainsi sur l’extrême éloignement de la prison des Titans pour qui le retour sur terre se révélait impossible (cf. D. M. Johnson, 1999, p. 13). Autre est le contexte du second passage : on n’arriverait pas à toucher le fond du Tartare, même au bout d’une année, non à cause de la profondeur incommensurable du gouffre, mais à cause des tempêtes incessantes (v. 742-743)27. L’hypothèse d’A. Ballabriga (1986, pp. 260-261), qui propose de faire de πάντα le sujet des vers 740-741, semble intéressante : « gouffre béant dont toutes choses n’atteindraient pas le fond au bout d’une année, à peine franchies les portes : çà et là tempête sur tempête les emporterait ». Il n’est pas ainsi nécessaire de sousentendre un sujet indéfini et le sens en est renforcé, car la violence des tempêtes est telle que rien dans l’univers (et non pas seulement « quelqu’un », c’est-àdire un être vivant) ne peut toucher le fond du gouffre. Comme le souligne M. Detienne (1974, p. 218), le Tartare est « habité par des vents furieux, traversé par des tourbillons, lieu de la confusion totale, espace non orienté, privé de directions fixes et de repères réguliers ». Il n’est pas illimité, mais « c’est un espace qu’on ne peut traverser, impossible à franchir d’un bout à l’autre ». Après cette rapide incursion dans le gouffre du Tartare, Hésiode revient à la description des lieux situés aux abords, parmi lesquels la demeure de Nuit (v. 744-745). Cette dernière, en effet, ne peut être située au fond du Tartare comme l’affirment M. E. Pellikan-Engel (1974, pp. 26-29) et M. D. Northrup (1979, p. 30). Le vers 746 place devant elle (τῶν πρόσθ’) Atlas, porteur du ciel. Or, dans toute la littérature grecque, Atlas est situé sur terre, à l’extrême Οuest28, et Hésiode affirme lui-même qu’il se tient près des Hespérides (v. 517519), « aux extrémités de la terre » (πείρασιν ἐν γαίης). S’il s’était trouvé dans le Tartare, le poète n’aurait sans doute pas manqué de le préciser. On sait par ailleurs que les Hespérides ont leur île aux confins de l’Océan (v. 215-216), du côté du couchant (v. 274-275). Donc Nuit, Atlas et les Hespérides habitent à l’extrême limite de la surface terrestre (cf. H. Vos, 1963, pp. 33-34). Bien sûr, au vers 744, aucun adverbe de lieu ne permet de préciser (on a seulement un δέ), mais ce ne serait pas la première fois que l’auteur change de point de vue sans en avertir le lecteur. Nous en avons déjà vu un exemple au vers 732. Outre sa situation près d’Atlas, le vers 726, où l’entrée de la δειρή du Tartare est ceinte d’un triple rang d’ombre, suggérait cette position : la maison de Nuit est ainsi placée sur terre, à l’entrée du χάσμα. Ces vers ne semblent pas des interpolations, contrairement à l’avis de M. L. West (1966, p. 365) et de M. C. Stokes (1962, p. 11). La poésie archaïque procède souvent par anticipation (cf. Van Groningen, 1958, p. 265), et les vers 744-745 appellent les vers 748 sqq (les vers 749-750 font allusion au seuil d’airain de la demeure) et 27
Cf. W. Karl, 1967, p. 85 et M. D. Northrup, 1979, p. 29. Les efforts de M. D. Northrup (1979, pp. 30-31) pour situer Atlas dans le Tartare ne nous convainquent guère.
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forment une transition avec ce qui précède. Le paragraphe consacré à Nuit est parfaitement encadré : il commence par Νυκτὸς δέ au vers 744 et s’achève avec Νὺξ ὀλοή au vers 757. Supprimer les vers d’introduction reviendrait à amputer le schéma cyclique cher à Hésiode. L’allusion à Nuit permet le glissement de pensée vers ses fils, Sommeil et Trépas (v. 758-766). La transition s’opère grâce au vers 756 qui fait référence à Hypnos et Thanatos. Le ἔνθα du vers 758 indique que nous sommes toujours au même endroit, près de l’entrée du χάσμα. Les demeures de Nuit et de ses enfants sont donc proches29. Trépas étant, par sa fonction, en étroite relation avec le royaume d’Hadès, le paragraphe suivant (v. 767-773) découle naturellement. Il est également introduit par ἔνθα. La situation des Enfers aux confins de la surface terrestre se rencontre aussi dans l’Odyssée. Rien n’empêche de penser que, comme chez Homère, une partie du royaume infernal soit souterraine, mais que l’entrée soit à la jonction des différents niveaux cosmiques (cf. infra pp. 58-59). Le πρόσθεν du vers 767 pose problème. La plupart du temps, on lui donne un sens adverbial, « devant, en face », mais certains critiques se sont sentis obligés de le compléter. Par exemple, M. L. West (1966, p. 270) le comprend dans le sens « as you go further, εἰς τὸ πρόσθεν ἰόντι » ; P. Mazon (1928) traduit par « en face de l’arrivant », ce qui n’est guère satisfaisant. Pourquoi forcer le texte alors qu’il est tout à fait compréhensible : « Là, en face (c’est-à-dire en face de la demeure des enfants de Nuit), se dresse la bruyante demeure du dieu des Enfers ». M. L. West (1966, p. 270) a pensé à cette solution, mais il la repousse. Certes, il n’y a pas de raison manifeste pour placer le palais d’Hadès en face de l’habitation de Sommeil et Trépas, mais rien ne s’y oppose non plus ! Quant à la description des enfants de Nuit avant celle de l’Hadès, elle provient des associations d’idées : le poète, après la description de Nuit, a pensé à sa descendance, Hypnos et Thanatos, et l’évocation de ce dernier l’a conduit à parler du royaume des morts. Il est par ailleurs difficile d’évoquer le royaume des morts sans faire allusion à Styx, objet du paragraphe suivant (v. 775-806) qui est de nouveau introduit par ἔνθα. Bras souterrain d’Océan (v. 787-789), Styx débouche, à l’extrémité du monde30, dans sa demeure, « du haut d’un rocher », ἐκ πέτρης προρέει (v. 785787). Son habitation est en fait une faille terrestre qui s’ouvre vers le ciel (v. 777-779). Nous ne relevons aucune contradiction avec ce qui précède, nulle raison donc de penser à une interpolation. Certains critiques rejettent ces vers 29
Il est à noter que les Hespérides, filles de Nuit, habitent également la même région (v. 274-275). J. S. Clay (2003, p. 13) considère, à juste titre, le cosmos de la Théogonie comme le produit d’une évolution généalogique. Sur les enfants de Nuit dans la Théogonie, cf. Cl. Ramnoux, 1959, pp. 64-76. 30 Le ἔνθα du vers 775 est confirmé par le vers 781 où Iris, pour venir puiser l’eau du Styx, franchit « le large dos de la mer », ἐπ’εὐρέα νῶτα θαλάσσης.
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sous prétexte que le Styx a déjà été mentionné aux vers 361 et 383-400. Cependant, chaque passage apporte des renseignements complémentaires. En 361, nous apprenons que Styx est fille aînée d’Océan, ce qui est réitéré aux vers 383 et 776-777. Les vers 383-400 relatent sa conduite lors de la Titanomachie et la récompense que lui attribua Zeus d’être « le grand serment des dieux ». Nous retrouvons Styx dans cette fonction après la chute des Titans (v. 775-806). Le point de départ de la description des régions infernales était l’emprisonnement des Titans dans le Tartare (v. 713-735). Ce motif revient aux vers 807-819, pour clore l’épisode. Le contenu de ces vers complète nécessairement la composition circulaire du récit. Il forme ainsi une unité narrative caractérisée par des rappels symétriques31. Impossible donc de supprimer les vers 807-819 sans nuire à l’ensemble, d’autant plus que les mêmes éléments interviennent, mais dans un ordre presque inversé, dans l’introduction et la conclusion. v. 713-717 v. 717-725 v. 726-731
c) d)
Introduction Les Hécatonchires vainquent les Titans. La prison des Titans : insistance sur son éloignement. ⎧Autour : mur d’airain, triple rang d’ombre. ⎨Au-dessus : racines de la terre et de la mer. ⎩Portes d’airain, rempart. Là habitent les Hécatonchires, fidèles serviteurs de Zeus. Sources et extrémités de tout.
d) b) a) c)
Conclusion Sources et extrémités de tout. Portes et seuil d’airain, racines. Telle est la prison des Titans, éloignée des dieux. Là habitent les Hécatonchires, fidèles serviteurs de Zeus.
a) b)
v. 732-733 v. 734-735 v. 736-744
v. 807-810 v. 811-813 v. 813-814 v. 815-819
Si les réminiscences sont troublantes, il ne s’agit pourtant pas de simples répétitions. Par exemple, les portes et le seuil sont plus détaillés dans les vers 811-813 ; les sorts réservés à Cottos et à Gyès d’une part, à Briarée de l’autre, sont distingués (v. 815-819). La descriptio Tartari semble donc bien de la main d’un seul poète puisque la composition en est particulièrement savante et unitaire. Liée à la Titanomachie, elle possède une place privilégiée au sein de la Théogonie avec laquelle elle entretient d’étroites et nombreuses relations. Les répétitions que l’on a souvent évoquées pour athétiser les vers sont le propre de la poésie archaïque. Elles 31
Voir H. Schwabl (1966, pp. 97-106) qui met en valeur les procédés d’enlacement utilisés.
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confèrent ici un ton solennel, plein d’emphase. On pourra bien sûr rétorquer que nulle part ailleurs Hésiode n’use autant de ce procédé. Mais ce serait oublier que le reste des poèmes hésiodiques ne présente pas de description aussi longue. Que la méthode employée diffère sensiblement, se révèle donc normal32. L’exploit du poète est d’avoir su maintenir l’unité dans la variété. Cependant, sa présentation reste vague. Le tableau de la page 37 se contente d’en situer, dans la mesure où le texte le permet, les éléments fondamentaux, sans prétendre en dresser une carte précise. Car, comme le souligne R. A. Prier (1976, p. 47), nous sommes en présence d’une relation plus symbolique que spatiale entre les divers composants dont nous ne pouvons mesurer les distances de séparation. Hésiode présente différentes descriptions, séries d’images complémentaires, de la notion d’au-delà33. Mais il ne s’agit pas d’un tout régi par des lois identiques, chaque endroit possède ses caractéristiques propres que le poète accentue. Nous sommes dans un lieu à la fois « a-temporel » et « aspatial ». Les relations entre les éléments sont celles de l’opposition ou de l’apposition. Avant d’étudier chaque partie séparément, tentons de préciser la situation géographique de l’ensemble. Situation géographique des régions tartaréennes hésiodiques Deux traditions apparemment contradictoires ont eu cours : certaines expressions insistent sur une localisation souterraine alors que d’autres indiquent une situation aux confins de l’Océan. L’aspect souterrain du Tartare est indéniable dans les vers 118-119 qui marquent clairement son opposition avec l’Olympe. Outre la place attribuée aux deux mots (Ὀλύμπου à la fin de 118, Τάρταρα au début de 119), une antithèse est constituée par κάρη et μυχῷ qui occupent une place identique dans les deux vers (aux neuvièmes et dixièmes syllabes). Les deux hexamètres dactyliques ont d’ailleurs une métrique strictement semblable, cinq dactyles suivis d’un spondée. Μυχὸς χθονός désigne le « fond » de la terre et implique l’idée d’un domaine dissimulé aux regards34. Les Titans y vivent cachés, κεκρύφαται (v. 730). La symétrie entre hauteur du ciel et profondeur du Tartare se retrouve aux vers 717-72535. Les Titans sont précipités ὑπὸ χθονὸς εὐρυοδείης,« sous la vaste terre » (v. 717). Séparé de la surface terrestre et maritime par les
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M. C. Stokes (1962, pp. 10-11 et 14) insiste particulièrement sur ce fait. Pour la composition annulaire dans la poésie archaïque, voir Van Groningen, 1958, p. 278. 33 Cf. H. Fränkel, 1962, pp. 114-118 ; D. M. Johnson, 1999, p. 11. 34 P. Chantraine, 1968, s. v. μυχός, émet l’hypothèse d’un rapport entre le radical *meuqh- / *muqh- et l’arménien mxem, « enfoncer, plonger dans ». 35 Pour une étude détaillée du passage, voir supra pp. 24-26.
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« racines »36 de ces deux éléments (v. 727-728), le Tartare se situe dans les profondeurs terrestres. Les Hécatonchires, gardiens des Titans, demeurent également dans cette région souterraine et sous-marine (v. 816). L’étrangeté de l’expression ἐπ’ Ὠκεανοῖο θεμέθλοις disparaît si on la rapproche du vers 728. Θέμεθλα désigne en effet la partie inférieure, la fondation de quelque chose. Les « fondements d’Océan » ne sont rien d’autre que les « racines » du vers 728. Enfin, le génitif partitif du vers 841, Τάρταρα γαίης, « le Tartare de la terre », indique l’appartenance et laisse entendre qu’il est à la fois « sous terre » et « à l’intérieur de la terre ». D’ailleurs il est qualifié de χάσμα μέγα (v. 740), « abîme immense » qui s’enfonce dans la terre37. Bien que ce mot soit un hapax chez Hésiode, il convient tout à fait au Tartare qui, dans l’Iliade (VIII, 14-16) se présentait sous la forme d’un βέρεθρον. L’Hadès, nous le verrons au chapitre suivant, est également présenté comme un royaume souterrain. Non loin, se situe la demeure de Nuit, ou pour être précis, de Nuit et de Lumière du Jour. Rien d’étonnant à ce que cette dernière, en tant que fille de Nuit (v. 124), réside avec elle. Nuit habite aussi près de ses autres enfants, les Hespérides, Sommeil et Trépas. Sa localisation en zone extra-terrestre s’explique par son ascendance : son père est Chaos (v. 123). La maison ne comprend qu’une entrée, où se rencontrent les deux entités (v. 748-750). On en déduit qu’elle est située sous terre, à un point à mi-distance entre l’Est, lieu du lever, et l’Ouest, lieu du coucher, sinon Nuit et Lumière ne parviendraient pas au même moment au seuil d’airain. Les vers suivants (750-754) le confirment, qui soulignent l’alternance et utilisent le verbe καταϐαίνω, « descendre », pour la divinité qui rentre. Cependant, à cette localisation souterraine se superpose à plusieurs reprises celle de lieux situés aux confins de l’Océan. La demeure de Nuit en est l’exemple le plus flagrant. En effet, devant elle se tient Atlas (v. 746-748) qui, nous l’avons vu, réside à l’extrême Ouest. Le seuil de la demeure de Nuit se trouve donc transféré à l’occident de la surface terrestre, ce qui semble contredire les affirmations précédentes. Le passage relatif aux enfants de Nuit, 36
Les racines sont placées ὕπερθεν, « au-dessus » (vers 727). Cf. les scholies au vers 727 : α ὐ τ ὰ ρ ὕ π ε ρ θ ε ν : ἐπάνω τοῦ Ταρτάρου κεῖται ἡ γῆ καὶ ἡ θάλασσα. R2WLZT. γῆς ῥίζαι πεφύκασιν, ἀντὶ τοῦ ἐκεῖ ῥίζαι τοῦ κόσμου. ἡ μεταφορὰ ἀπὸ τῶν φυτῶν. R2WLZ. Au-dessus du Tartare se trouvent la terre et la mer. R2WLZT. « les racines de la terre ont poussé » est mis pour « là se trouvent les racines du monde ». La métaphore est empruntée aux plantes. R2WLZ. Cf. P. Chantraine, 1968, s. v. ὑπό : « une valeur ‘de dessous’ a pu donner naissance au sens de ‘vers, au-delà, sur’ et en grec même aux dérivés ὑπέρ, ὕπατος, ὕπτιος, ὕψι ». M. Lejeune (1939, pp. 342-343) montre que ὕπερθεν, forme élargie de ὑπέρ, a la même signification : « sur ». 37 Pour l’interprétation de ce vers, voir supra pp. 31-32.
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Régions tartaréennes hésiodiques
Hypnos et Thanatos, est loin de lever l’ambiguïté. Mis à part le ἔνθα (v. 758) particulièrement vague, l’auteur précise qu’ils ne voient jamais le soleil (v. 759761). Cette condition rappelle celle du peuple des Cimmériens dans l’Odyssée (XI, 15-17). Faut-il en conclure que ce lieu reste plongé dans l’obscurité parce que, comme le peuple des Cimmériens, il se situe trop à l’Ouest, au-delà de la zone où le soleil se couche ? Ou bien l’absence de soleil est-elle due à une localisation souterraine ? Styx demeure également aux confins terrestres, audelà de la mer (v. 780-781), et le Tartare lui-même est placé « à l’extrémité de l’énorme terre », πελώρης ἔσχατα γαίης (v. 731). Ces contradictions ont de tout temps alimenté les propos des critiques qui ne voyaient là que le résultat du travail de plusieurs rhapsodes. Mais s’agit-il de véritables incohérences, totalement irréductibles ? Une semblable hésitation entre monde souterrain et extrémités terrestres se rencontre aussi dans les poèmes homériques. La confusion s’est établie probablement à la suite de l’obscurité qui règne dans les deux endroits. Par ailleurs, comme l’a souligné Van Groningen (1958, p. 278, n. 3), la distinction entre profondeur et limites extrêmes de la terre n’est pas essentielle. Ce qui compte, c’est l’éloignement, peu importe qu’il soit horizontal ou vertical. Hésiode laisse planer le doute puisque les régions qu’il décrit font partie d’un univers mythique38. A. Ballabriga (1986, p. 75) insiste sur l’interférence des niveaux cosmiques « dans la représentation du pays d’Atlas et des Hespérides, terres du couchant où convergent le haut et le bas aussi bien que l’Est et l’Ouest ». Tel est le cas de la description hésiodique, d’où la présence d’éléments indiquant à la fois l’horizontalité et la verticalité. Non seulement surface et profondeurs se confondent, mais également Est et Ouest, puisque Jour et Nuit, l’un à son coucher, l’autre à son lever, s’y croisent39. Seule cette explication permet de résoudre les ambiguïtés posées par le texte hésiodique. Les autres auteurs, épiques, lyriques ou théâtraux, ont opté, à l’instar d’Homère, pour un Tartare souterrain. c) Evolution de la localisation tartaréenne Dans le résumé de la Titanomachie d’après Apollodore (Bibliothèque I, 2, 1), les Cyclopes ont été précipités dans le Tartare : καταταρταρωθέντας. Le préverbe indique clairement une descente. L’Hymne homérique à Apollon atteste aussi cet état de fait : les Titans résident « sous la terre, à travers le grand Tartare » (ὑπὸ χθονὶ ναιετάοντες / Τάρταρον ἀμφὶ μέγαν, v. 335-336). 38
M. C. Stokes (1962, pp. 18-21) donne des exemples d’autres peuples pour lesquels on relève une telle confusion. 39 Hésiode, Théog., 748-754. M. E. Pellikan-Engel (1974, p. 30) formulait déjà une telle hypothèse.
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Les premiers lyriques n’ignoraient pas le Tartare, mais souvent seul le nom en est livré parmi les fragments conservés40. L’Etymologicum Magnum (427.48) a néanmoins préservé un qualificatif : « Stésichore qualifie le Tartare de ἠλίϐατον, c’est-à-dire profond »41. Ἠλίϐατος s’applique à un endroit d’accès difficile car escarpé, haut ou profond, ce qui correspond à l’idée qu’en donne la poésie épique. Pindare ne remet pas non plus en cause la vision d’un univers tripartite, dont le Tartare occuperait le niveau inférieur. Il emploie d’ailleurs une expression homérique pour en marquer la profondeur : ἐς τὸν βαθὺν Τάρταρον, « vers le profond Tartare »42. Et l’expression Ταρτάρου πυθμένα… ἀφανοῦς (« le fond du Tartare invisible »), attestée par le fragment 207 (Maehler), sousentend la notion de gouffre, de cavité. L’épithète ἀφανέος suggère à la fois un endroit souterrain et ténébreux, si profond que nul n’en devine le fond. Rares sont les allusions théâtrales au Tartare. Est-ce dû au hasard des pièces conservées ou à un manque d’intérêt de la part des auteurs ? Aristophane s’inscrit dans la tradition en soulignant son étendue (Τάρταρος εὐρύς, « le vaste Tartare », Oiseaux, 693) et sa profondeur (Nuées, 192). Doit-on y voir aussi une allusion aux vers 69-70 des Grenouilles, où il est question d’un endroit plus bas que l’Hadès ? Pour son Prométhée enchaîné43, Eschyle a emprunté sa vision directement à l’épopée : les abîmes du Tartare sont situés sous l’Hadès (v. 152153 ; cf. Euménides, 72) ; profondeur et ténèbres y sont associées. Aux vers 219-221, la notion de lieu caché indiqué par κευθμών, terme déjà appliqué par Hésiode aux profondeurs de la terre (Théogonie, 158), et καλύπτει, est renforcée et expliquée par l’épithète μελαμϐαθής : endroit invisible à la fois à cause de l’obscurité μελαμ- et de la profondeur -βαθής, raisons pour lesquelles il est également impénétrable. Sa difficulté d’accès est aussi rendue par l’épithète ἀπέραντον (v. 153) qui peut s’entendre à double sens : « où l’on ne peut pénétrer » et « d’où l’on ne peut sortir, sans issue ». Pourtant, aux vers 10261029, le Tartare tend à apparaître comme une partie de l’Hadès, la plus profonde et la plus sombre ; le pluriel κνεφαῖά τ’ἀμφὶ Ταρτάρου βάθη correspond aux exigences de la métrique, tout en contribuant à multiplier profondeur et obscurité à l’infini, à donner l’impression d’un Tartare sans fond. 40
Ainsi Alcée, F. 77 col II (Voigt) et F. 286 a (Voigt), vers 4, livre τάρταρον sans que l’on puisse définir son contexte. 41 Stésichore, F. 254 (PMG) = F. 254, p. 226 (Davies) : Στησίχορος δὲ Τάρταρον ἠλίϐατον τὸν βαθὺν λέγει. 42 Péan IV, 44 (= F. 207 Maehler). Cf. Il. VIII, 481. 43 Le Prométhée enchaîné contient quatre passages relatifs au Tartare (v. 152-155, 219221, 1026-1029 et 1050-1052), les seuls avec les vers 72-73 des Euménides dans tout le théâtre conservé d’Eschyle.
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La conséquence de la localisation souterraine du Tartare et des ténèbres qui l’envahissent explique cette assimilation progressive à l’Hadès. Dans l’Hymne homérique à Hermès (v. 256-259), Apollon menace son tout jeune frère de le précipiter dans le Tartare, sous terre (ὑπὸ γαίῃ), où il conduira de « petits hommes » (ὀλίγοισι μετ’ἀνδράσιν). Chez Homère et Hésiode, le Tartare était la prison des divinités qui représentaient une menace potentielle pour le pouvoir établi. Aucun homme n’y séjournait. Dans l’Hymne homérique, Apollon paraît faire référence au rôle psychopompe d’Hermès : les âmes des morts étaient fréquemment représentées sur les images comme de petites figures humaines ailées44. Anacréon confirme et précise cette tendance : le Tartare, devenu partie intégrante de l’Hadès, en constitue désormais le point le plus bas. Le fragment 395 (PMG) insiste sur la profondeur. La notion de descente est accentuée à la fois par le double emploi du préfixe κατα- dans κάτοδος et καταϐαίνω, et par l’opposition dans un même vers de κατα- (καταϐάντι) et ἀνα- (ἀναϐῆναι, qui indique une remontée, ici impossible). Un quatrième terme, en trois vers seulement, a trait à la profondeur : μυχός, qui désigne le fond, la partie la plus profonde et la plus cachée d’un lieu. L’accès en est « terrible » (δεινός) et « difficile, pénible » (ἀργαλός). A moins qu’Anacréon, dans sa crainte, n’assimile l’Hadès, pays des morts, au Tartare, cela reflète une évolution générale de la poésie lyrique, attestée aussi par Théognis (v. 1033-1036) et par Pindare (Péan IV, 42-45) qui logent des mortels dans le Tartare45. La tragédie en témoigne également, surtout à partir de Sophocle. L’équivalence entre les deux lieux infernaux paraît achevée chez ce dernier, du moins dans les deux passages qui subsistent. Œdipe demande au Tartare de s’emparer de son fils (Œdipe à Colone, 1389-1390) et l’une des Niobides, frappée à mort par les 44
Le Chant XXIV de l’Odyssée connaît déjà Hermès psychopompe. Pour la représentation des âmes, voir par exemple l’amphore de Munich 1493 où les porteurs d’eau, à côté de Sisyphe, sont ailés (A4, 4 = A4, 23°), et l’eschara de Francfort Liebieghaus 560 (A3, 27*) : Charon, assis à l’extrémité d’une barque, rame. Autour de lui, toute une troupe de figurines ailées cherche à prendre place dans l’embarcation ; ce sont les εἴδωλα, âmes des morts. L’εἴδωλον apparaît aussi fréquemment sur les lécythes à fond blanc. Il se présente sous deux aspects : il conserve la forme et le costume du vivant ou bien il est nu. Dans les deux cas, il se distingue des autres personnages par sa petite dimension et des ailes dans le dos. 45 L’ancienne conception du mot comme lieu de relégation des divinités subsiste parallèlement : voir Pindare, Pyth. I, 15-16 et IV, 291 ; fragment d’origine incertaine 12 (= F. 92-93 Sch.). Le fragment 731 (PMG) de Timocréon, où l’auteur parle de jeter Ploutos dans le Tartare est moins catégorique ; il associe le Tartare et l’Achéron, fleuve des Enfers, et certainement emploi métonymique pour désigner l’Hadès : Τάρταρόν τε… κ’ Ἀχέροντα. Cela implique-t-il une confusion entre Tartare et Hadès ? Ou bien le poète suppose-t-il que Ploutos peut être relégué dans l’un ou l’autre lieu ? En tout cas l’association, qui place sur le même plan Tartare et Achéron, se révèle originale.
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flèches d’Apollon, se dirige μυχαλὰ Τάρταρα, « dans les abîmes tartaréens » (Niobé, F. 442 Radt, v. 8). Là encore, l’expression est sans doute au pluriel pour des raisons métriques, mais, comme dans le Prométhée d’Eschyle, l’idée d’infinité en ressort, accentuée par l’emploi de l’hapax μυχαλά, lui-même dérivé de μυχός. Un autre exemple de pluriel est attesté au vers 1290 de l’Hippolyte d’Euripide. Les Τάρταρα évoquent probablement l’ensemble des profondeurs terrestres parmi lesquelles se situe le Tartare, comme dans la Théogonie, ils désignent la totalité des lieux infernaux46. Euripide assimile également, par l’évocation de mortels, le Tartare à l’Hadès dans les rares passages où il en parle (Hippolyte, 1290-1291 ; Oreste, 264-265). Pourtant, il garde la présentation traditionnelle de l’endroit : Ταρτάρου / ἄϐυσσα χάσματα, « gouffres sans fond du Tartare » (Phéniciennes, v. 1604-1605). On note l’amplification due au pluriel et à la quasi-redondance impliquée par l’adjectif ἄϐυσσος. Ainsi, avec le temps, aucune divinité n’y étant plus jetée, le Tartare s’est ouvert aux mortels et, à la fin du Ve siècle, il fait partie intégrante du royaume des morts ; il en occupe les limites inférieures47. D’après les renseignements donnés en Iliade VIII, 16, on trouve, entre surface terrestre et Tartare, le principal domaine infernal, l’Hadès. Néanmoins sa localisation pose parfois problème. 3. Situation géographique de l’Hadès a) Homère Dans les poèmes homériques, en effet, nous relevons à propos de la situation géographique de l’Hadès les deux traditions que nous avons notées pour la localisation du Tartare hésiodique. La première, qui place le royaume infernal sous terre, se trouve dans l’Iliade et dans certains passages de l’Odyssée, alors que la seconde, qui le relègue sur terre au-delà de l’Océan, apparaît surtout à la fin du chant X et au chant XI de l’Odyssée. Avant de considérer si ces deux visions sont contradictoires, comme le soutiennent de nombreux critiques, nous allons étudier séparément chacune des conceptions. Une localisation souterraine
Aucun passage de l’Iliade ne contredit la conception souterraine énoncée dans l’image cosmologique du chant VIII. La « maison d’Hadès » est placée 46
Sur une éventuelle différence entre Τάρταρα et Τάρταρον chez Hésiode, voir infra pp. 69-70. 47 Cette assimilation permettra sa nouvelle fonction dans la pensée philosophique platonicienne : il deviendra le lieu de punition des plus grands criminels.
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« dans les régions souterraines de la terre » (ὑπὸ κεύθεσι γαίης, XXII, 482) ou bien « sous terre » (κατὰ χθονός, XXIII, 100), les prépositions employées (ὑπό, κατά) impliquant un mouvement vers le bas ou la position « sous ». On retrouve d’ailleurs κατα- avec un sens identique comme préverbe de βαίνω ou d’un synonyme lorsque le poète fait allusion aux âmes qui se rendent au royaume des morts48. L’idée d’un royaume souterrain, et par conséquent caché, réapparaît dans le verbe κεύθω (XXIII, 244) et dans le substantif κεῦθος qui en est dérivé (XXII, 484). Le verbe se dit notamment de la terre ou d’une tombe, et signifie « cacher, contenir, enfermer » (P. Chantraine, 1968, s. v. κεύθω), d’où le sens de κεῦθος « cachette », mais aussi « profondeur ». C’est pourquoi, pour entrer dans l’Hadès, les âmes sont obligées de « plonger » ; les expressions avec le verbe δύνω sont de loin les plus fréquentes pour désigner le mouvement de l’âme et la direction qu’elle prend afin de rejoindre le royaume de l’au-delà49. Le verbe δύω (ou δύνω) désigne originellement la course du soleil qui, à son coucher, plonge vers les régions qu’il prive de sa lumière ; il implique donc un mouvement du haut vers le bas, de la terre vers les régions souterraines50. Dans deux passages (III, 278 et XX, 61), on retrouve, en composition, un thème qui signalait aussi la place souterraine du Tartare : dans l’adverbe ὑπένερθε(ν), le thème *ner51 est renforcé par le préfixe ὑπ(ο)- qui en confirme et en accentue la valeur. L’étude du vocabulaire confirme donc la position souterraine de l’Hadès iliadique. Qu’en est-il pour l’Odyssée ? Le problème se révèle plus difficile car certains passages du chant XI ainsi que le chant XXIV ont été, dès l’Antiquité, considérés comme interpolés, et une conception plus tardive a pu être mêlée à la pensée primitive. Examinons tout d’abord les vers qui n’ont jamais prêté à contestation, tels les vers 174-175 du chant X. Dans καταδύομαι, le mouvement vers le bas marqué par le verbe δύω 48
Il. VI, 284 ; VII, 330 ; XIV, 457 ; XX, 294 ; XXII, 425. Pour les occurrences de καταϐαίνω signifiant « descendre » dans un autre contexte, voir Il. VI, 288 ; XI, 184 ; XVII, 545, etc. 49 Il. III, 322 ; VII, 131 ; XI, 263, etc. La métaphore « plonger dans l’Hadès » se trouve illustrée en Grande-Grèce par le couvercle de la tombe du Plongeur de Paestum. 50 On peut en fait distinguer deux champs lexicaux de δύ(ν)ω : l’un « astronomique » qui renvoie à la course visible du soleil, relevant des phénomènes célestes (φαινόμενα) ; l’autre à l’idée de descente, relevant plus ou moins de la catabase. Sur le sens « astronomique », voir Lyrica adespota 37 Powell (Collectanea Alexandrina, p. 199), v. 6 ; Callimaque, Ep. II, 3 et le dossier réuni par Headlam-Knox sur Hérôdas 3, 88 (p. 158). A propos de l’idée de κατάϐασις, cf. Protagoras 80 A 12 = Timon SH 779, v. 7-8. 51 Voir supra, p. 27. A ce thème se rattache peut-être ἔνεροι, « les morts », à moins qu’il ne s’agisse d’une hypostase de οἱ ἐν ἔρᾳ, « ceux qui sont dans la terre ». Ἔνερθε = κάτω, « en bas » (poétisme : ionien-épique, tragique, lyrique). Cf. Chantraine, 1968, s. v. ἔνερθε, et 1963, pp. 17-19.
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est corroboré par le préverbe κατα- : « s’enfoncer dans », ce qui suppose un Hadès souterrain (ou sous-marin). Le vers 21 du chant XII où le préverbe de ὑπέρχομαι conserve, à notre avis, sa valeur première « sous », appuie cette interprétation. Quant aux passages athétisés, ils n’en exigent pas moins une prise en compte car, pour tardifs qu’ils soient, ils peuvent constituer le prolongement de croyances plus anciennes. Ainsi, en XII, 383, le verbe δύω est de nouveau utilisé, cette fois-ci pour désigner le plongeon du soleil dans l’Hadès, et ce même verbe se retrouve au chant XXIV, dans la question que pose l’âme d’Agamemnon à Amphimédon52. L’argument qui consiste à exclure le chant XXIV sous prétexte qu’il introduit la notion d’un séjour infernal sous terre, alors qu’ailleurs l’Odyssée le place au-delà de l’Océan, devient caduc puisque d’autres passages, considérés eux comme authentiques, le situent ainsi. Et le vers 204 du chant XXIV de l’Odyssée doit être rapproché du chant XXII, vers 482, de l’Iliade où figure la même expression : ὑπὸ κεύθεσι γαίης. Les chants X et XI de l’Odyssée sont plus complexes et supposent un royaume des morts non pas souterrain, mais situé au-delà de l’Océan. Une localisation aux confins de l’Océan Ulysse, après être resté une année avec ses compagnons chez Circé, demande à la magicienne de tenir la parole qu’elle lui avait donnée de les renvoyer à Ithaque. Elle lui annonce alors qu’il doit d’abord se rendre chez Hadès afin d’interroger le devin Tirésias (X, 483-495). Elle lui fournit toutes les indications utiles pour qu’il mène à bien sa mission. Le héros suivra ses instructions à la lettre : les conseils donnés par Circé et leur mise en œuvre sont décrits avec des termes presque identiques (X, 505-540 et XI, 1-50). Ulysse entreprend ce voyage pour obtenir de Tirésias les renseignements qui lui permettront de regagner sa patrie. Or la prédiction du devin reste vague. Il annonce seulement à Ulysse qu’il doit passer par la Trinacie (XI, 107). Lorsque le héros racontera son voyage à Circé (XII, 135), elle pourra en déduire l’ensemble de l’itinéraire à suivre (XII, 39-136). La prophétie de Tirésias est donc nécessaire à la déesse pour qu’elle précise tous les détails indispensables au retour du fils de Laërte. D’autres arguments permettent aussi de rattacher la Nékyia à l’ensemble du poème (cf. A. Schnaufer, 1970). Prenant le contre-pied du scepticisme d’un D. Page (1955, pp. 21-51) sur l’authenticité de l’épisode dans son ensemble, l’interprétation actuelle53 tend à montrer qu’elle est 52
Od. XXIV, 106. Le verbe δύω s’emploie indifféremment transitivement ou avec la préposition εἰς. La signification est identique. 53 Nous n’aborderons pas ici le problème, complexe et toujours d’actualité, de l’unité des poèmes homériques. Une mise au point ainsi qu’une bibliographie sont fournies dans A Companion to Homer, 1963 (notamment J. A. Davison au chapitre 7 : « The Homeric Question », pp. 234-265), ainsi que par A. Heubeck, 1974 et 1986 (édition
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étroitement liée à l’enchaînement de l’Odyssée et qu’elle constitue un moyen d’élargir le thème de l’errance, en respectant la tradition mythique selon laquelle le voyage des héros aux Enfers représenterait le voyage de l’errance par excellence. Or, l’errance, tel est bien le thème central et fondamental de l’Odyssée. Evoquer et consulter les morts constitue déjà une aventure. Mais, afin que cette nékyomancie apparût comme l’exploit suprême d’Ulysse54, le poète ne pouvait la situer à proximité de l’île de Circé. C’est pourquoi le pays des morts n’est plus considéré dans sa composante souterraine (auquel cas Ulysse aurait eu la possibilité d’évoquer les âmes où il se trouvait ou bien à partir d’une des bouches infernales connues à cette époque), mais il est rejeté dans un lointain au-delà mythique, exigeant du héros une expédition surhumaine. Le royaume d’Hadès et de Perséphone, comme l’annonce Circé à Ulysse, est établi au-delà des frontières du monde connu, sur le bord de « l’Océan aux tourbillons profonds » (X, 511). En effet, chez Homère, l’Océan, qui encercle les terres, marque la limite du monde réel et d’un monde mythique imaginaire. La plupart des terres mythiques, telles que le jardin des Hespérides ou l’île des Bienheureux, sont transportées aux confins de l’univers, au-delà de l’Océan. De ce fait, il paraît impossible d’identifier les rivages d’Hadès avec un
anglaise, 1988-1992 : la question est abordée dans l’introduction générale, volume I, pp. 1-23, et dans les commentaires sur les chants X et XXIV, aux volumes II et III). Voir également M. Skafte Jensen, 1980 et 1997, où l’hypothèse la plus vraisemblable de la mise par écrit des poèmes homériques serait, selon l’auteur, une compétition de rhapsodes organisée par un tyran. Voir encore A. Ballabriga 1990 et 1998, chapitre I : « Enjeux historiques et anthropologiques de la question homérique : oralité, intertextualité, écriture ». Pour ce dernier, la version finale de l’Odyssée aurait été composée par les homérides du VIe siècle : ils auraient enrichi le poème originel d’épisodes nouveaux afin, « en ce qui concerne la cosmographie, de compléter et d’enrichir l’image du monde offerte par la légende primitive » (p. 221). Ainsi, à l’épisode ancien de Circé, aurait été ajouté au VIe siècle celui de la consultation des morts : cela expliquerait que ce soit Circé, et non Tirésias, qui fournisse les renseignements utiles à Ulysse pour son retour. Telle n’est pas l’opinion de Chr. Sourvinou-Inwood (1995, pp. 70-76), pour qui la Nékyia serait un élément d’un ancien poème qu’Homère aurait intégré à l’Odyssée. En dernier lieu, se reporter, dans A new Companion to Homer, 1997, aux articles de F. M. Turner, « The Homeric Question », pp. 123-145, et de M. Haslam, « Homeric Papyri and Transmission of the Text », pp. 55-100 (notamment pp. 79-84). Voir Aussi J. S. Burgess, 2001, pp. 49-53. 54 Il est d’ailleurs à noter que la Nékyia constitue le centre des aventures d’Ulysse. Comme l’énonce clairement G. Germain (1954, p. 333), les autres épisodes s’ordonnent presque symétriquement autour d’elle, ce qui en souligne l’importance. M. H. A. L. H. Van der Valk (1935, pp. 67-87) avait déjà considéré le rapport entre la Nékyia et le reste de l’Odyssée. Voir aussi A. Lukinovich, 1998, pp. 18-25.
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pays réel, connu des Grecs55. Homère a certes dû emprunter des traits à diverses régions (on peut, par exemple, noter des références aux noms et aux sites de Thesprôtie56), mais il en a effacé les indices qui auraient permis une reconnaissance précise. Il a volontairement « brouillé les pistes », sinon l’exploit de son héros en aurait été amoindri. Les renseignements de Circé ne portent que sur les principaux amers nécessaires pour aborder ; ils ne prétendent absolument pas dessiner la carte de l’itinéraire infernal. Néanmoins, une étude attentive du texte devrait permettre de localiser de manière très générale ce pays infernal57. Deux passages sont particulièrement dignes d’intérêt à cet égard : les indications données par Circé (X, 505-515) et le trajet réalisé par Ulysse et ses compagnons (XI, 11-22). Le point de départ d’Ulysse est donc Aiaiè, l’île de Circé, située à l’Est, vers les pays du levant (XII, 3-4). En outre, cette situation concorde avec la généalogie de Circé, fille du Soleil58. Cette île n’est cependant pas à l’extrême Est puisqu’elle est sise au milieu d’une mer qui débouche sur l’Océan ; Ulysse la parcourt avant d’atteindre le fleuve qui entoure la terre (XI, 11-13). Le verbe composé ποντοπορέω implique une traversée : πόντος désigne la mer, parfois la haute mer, « comme élément que l’on traverse » (P. Chantraine, 1968, s. v. πέλαγος et πόντος), et la racine *per / *por, sur laquelle est construit -πορέω, exprime l’idée de passage59. L’expression πείρατα βαθυρρόου Ὠκεανοῖο (v. 13) montre que l’Océan est considéré comme « la limite, l’extrémité » (πεῖραρ) du monde connu. Pour son retour, le navire empruntera la même voie afin de 55
En cela nous nous écartons des multiples tentatives pour localiser précisément les Enfers. Citons pour exemple V. Bérard (1929, volume IV : « Nausicaa », pp. 351-366) qui voit en l’Averne, au fond de la baie de Pouzzoles, au nord de Naples, une bouche infernale. R. Henning (1934, pp. 73-79), quant à lui, situe l’entrée des Enfers dans les îles britanniques. G. L. Huxley, 1958, la voit en Thesprôtie ; E. Janssens, 1961, au sud de Corfou, au Cap Leukatas. L. G. Pocock, 1959, implante les Cimmériens et la maison d’Hadès dans les environs du détroit de Gibraltar, etc. L. Antonelli, 1995, considère ces différentes localisations comme les traces de la fréquentation eubéenne à travers la Méditerranée et l’Atlantique dès le milieu du VIIIe siècle avant J.-C. Voir aussi L. Braccesi et B. Rossignoli, 1999. 56 Voir G. Germain, 1954, p. 372 ; G. L. Huxley, 1958 ; E. Fouache et F. Quantin, 1999, pp. 29-61. 57 Cf. J. Dumortier, 1954, pp. 28-29, 32, 38-39 ; G. Germain, 1954, pp. 537-554 ; A Companion to Homer, 1962 (article de G. M. Calhoun), p. 448 ; G. Lambin, 1995, p. 287. 58 Cf. A. Lesky, 1948, pp. 51-59 ; L. Moulinier, 1958, pp. 18 et 77-80 ; M. L. West, 1997, p. 407. 59 Sur cette racine particulièrement productive qui implique souvent la notion d’une traversée par eau, voir M. Casevitz, 1993, pp. 11-15.
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rejoindre Aiaiè (XII, 1-3). Comme à l’aller, ῥόον Ὠκεανοῖο est parfaitement distinct de κῦμα θαλάσσης εὐρυπόροιο. Circé, afin d’aider les voyageurs, leur envoie Borée, le vent du Nord (X, 507), vent favorable (οὖρος) ainsi qu’il est précisé en XI, 7. Le bateau se dirigera donc vers le Sud, mais il est impossible de préciser davantage. En effet, Borée est un vent du Nord au sens large, c’est-à-dire qu’il peut aussi bien souffler du Nord-Est que du Nord-Ouest ou du Nord stricto sensu60. Il n’est pas indiqué non plus si Borée soufflera pendant tout le voyage, ou s’il permet seulement de gagner l’Océan. Toujours est-il que Circé annonce ensuite à Ulysse (X, 508) : ἀλλ’ ὁπότ’ ἂν δὴ νηὶ δι’ Ὠκεανοῖο περήσῃς. L’interprétation de ce vers est très délicate, car de lui dépend la localisation infernale. La traduction la plus couramment admise pour la tmèse δι’ Ὠκεανοῖο περήσῃς est « tu auras traversé l’Océan ». Pourtant cette traduction pose problème. Διά dans le sens de « à travers » indique que l’on se rend d’un point à un autre, et est fréquemment employé dans les poèmes homériques à propos d’un fleuve pour montrer que l’on passe d’une berge à l’autre. Or Océan est un fleuve particulier : on ne lui connaît qu’une rive, la rive intérieure qui encercle la surface terrestre. Nulle part l’autre rive, l’extérieure, n’est mentionnée. Qu’imaginaient les Grecs de cette époque au-delà de l’Océan ? Le vide ? L’eau à l’infini ? Une terre inconnue ? Rien ne permet de trancher. Certes, il existe bien quelques îles au milieu de l’Océan, telles l’île des Bienheureux, celle des Hespérides, ou encore Erythie où Géryon garde les troupeaux du soleil. Mais dans l’Odyssée, si Aiaiè est bien définie comme une île, νῆσόν τ’Αἰαίην (XII, 3), ce mot ne qualifie pas le pays d’Hadès. C’est le terme « maison » (δόμος), et non celui d’ « île », qui désigne l’endroit où règne le seigneur des morts. En outre, avant d’aborder aux Enfers, Ulysse atteint le pays des Cimmériens, que n’avait pas mentionné Circé (XI, 14). Ce peuple appartient au cercle des terres puisqu’il s’agit d’hommes (ἀνδρῶν δῆμος) et non de monstres, et qui plus est d’hommes civilisés comme le prouvent δῆμος et πόλις61. Leur particularité est d’habiter au bout de la terre, aux extrémités de l’Océan (XI, 13), mais sur la rive interne de l’Océan, du côté des terres. Dès 60
Ainsi en Od. XIV, 252-257, Borée est un vent du Nord-Ouest puisqu’il permet d’aller de Crète en Egypte. Au contraire, en Od. XIX, 200-201, il souffle plutôt du Nord-Est, empêchant Ulysse, échoué en Crète, de rejoindre Troie. Sur Borée désignant le Nord comme point cardinal, cf. Od. V, 331 et XIII, 110. 61 Comme l’a remarqué P. Brunel (2002, p. 172), « le couple δῆμος καὶ πόλις est traditionnel ». La même expression qualifie les Phéaciens (Od. VI, 3). Δῆμος désigne d’abord « le pays, le territoire », puis les habitants de ce territoire. Le mot πόλις, selon P. Chantraine, 1968, implique « une communauté politique et religieuse », donc « une cité, un État ». Sur la πόλις homérique, cf. K. A. Raaflaub, in A new Companion to Homer, pp. 629-633.
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qu’ils ont atteint cet endroit, Ulysse et ses compagnons abordent (XI, 20). Ils se trouvent donc toujours sur la rive intérieure de l’Océan, puisqu’ils abordent ἔνθα, « là », c’est-à-dire où vivent les Cimmériens. Et ils gagnent la région infernale « le long du cours de l’Océan » (XI, 21). C’est la préposition παρά, « le long de », qui est employée ici, et non une préposition qui indique le passage ou la traversée de l’Océan. Ulysse creuse donc la fosse en deçà, et non au-delà, de l’Océan (cf. A. Heubeck, 1989, volume II, p. 78). Alors, comment interpréter le δι’ Ὠκεανοῖο περήσῃς en X, 508 ? Un passage de la seconde Nékyia nous met sur la voie. En effet, au chant XXIV, il est dit qu’Hermès et les âmes des prétendants, pour gagner les Enfers, « s’avançaient le long du cours de l’Océan » (πὰρ δ’ ἴσαν Ὠκεανοῖο ῥοάς, v. 11), sans le traverser. Pour en revenir à X, 508, la préposition et le préverbe διά suivis du génitif peuvent parfois signifier « le long de ». Ce sens est plus rare que « à travers », mais il est attesté, et conviendrait fort bien ici. Le bateau d’Ulysse remonterait le cours de l’Océan, aidé par le vent, pour se rendre vers l’Hadès, puisque, au retour, il est précisé qu’il descend le cours du fleuve (XI, 639). Par conséquent, l’Océan encercle les terres en tournant dans le sens contraire des aiguilles d’une montre : Ulysse, parti d’Aiaiè à l’Est et poussé par Borée vers le Sud, va à contre-courant (cf. L. Moulinier, 1958, p. 86). Un fragment de Mimnerme conservé par Athénée précise cette conception. Athénée fait allusion à un mythe d’après lequel Hélios, après son voyage diurne dans le ciel et son coucher à l’Ouest, regagne son point de lever à l’Est en navigant sur l’Océan dans une coupe d’or62. A propos du même mythe, Athénée cite également Théolyte63. Si Hélios peut, grâce à sa coupe d’or, se rendre de la terre des Hespérides à celle des Ethiopiens, à savoir d’Ouest en Est, c’est que l’Océan est conçu comme un fleuve circulaire qui relie tout point de la surface terrestre. Mimnerme ne précise pas comment l’équipage d’Hélios a été transporté. Phérécyde lui fait également rejoindre l’Est par l’Océan64. Dans ces passages où le soleil suit le cours de l’Océan pour se rendre à un point diamétralement opposé, le vocabulaire utilisé est très proche de celui de l’Odyssée : περαιοῦσθαι, διὰ κῦμα φέρει, διαπλεῦσαι, ἐφόρει διὰ τοῦ Ὠκεανοῦ. 62
Athénée, Deipnosophistes XI, 470 a-b (= Mimnerme F. 12 West, 5 Gentili-Prato, v. 510). Il n’est pas certain que l’adverbe ἁρπαλέως aille avec le participe. A propos de sa signification, voir les remarques de M. S. Silk, 1983, pp. 326-328. Pour un commentaire du fragment, cf. A. Allen, 1993, pp. 93-108. 63 Athénée, 470 b-c (= Théolyte [de Methymna ?] FGrH 478, F. 1). 64 Athénée, 470 c. Cette conception de la terre entourée d’un fleuve apparaît aussi sur un document babylonien actuellement conservé à Londres, British Museum 92687 : il s’agit d’une copie tardive d’une carte qui remonterait à la fin du VIIIe siècle ou au début du VIIe siècle av. J.-C. Voir M. L. West, 1997, p. 145 et G. Strasburger, 1998, p. 26.
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Un autre fragment rapporté par Athénée, mais en grande partie gravement corrompu, pourrait corroborer la signification de διά. Cela concerne un extrait probable de la Géryonide de Stésichore : Héraclès emprunte la coupe d’or du soleil pour aborder à Erythie. Après avoir tué Géryon et dérobé ses bœufs, il ramène la coupe à Hélios65. A. Lesky (1948, pp. 31-35) affirme que l’expression δι’ Ὠκεανοῖο περάσαις convient mieux au franchissement d’un fleuve, que l’on traverse d’une rive à l’autre, qu’à un trajet sur l’Océan d’Ouest en Est. Il se heurte alors à une difficulté insurmontable, car nulle part dans la littérature grecque conservée il n’est fait allusion au voyage du soleil vers la rive extérieure de l’Océan66. Il en conclut que ces vers seraient le produit de l’imagination poétique de Stésichore. Pour A. Ballabriga, « la course nocturne postulée est symétrique de la course céleste et diurne » ; il s’agirait d’une course souterraine : « le soleil que l’on voit décliner à l’occident dans le ciel, continue en quelque sorte sa chute sur les courants de l’eau primordiale jusqu’à atteindre un point analogue à ce que sont dans la Théogonie le Tartare et la demeure de Nuit »67. Une troisième interprétation, donnée par W. Karl (1967, pp. 95-106), 65
Athénée, XI, 469 e (= Stésichore SLG 17 = F. 185, S 17 Davies). Nous avons d’ailleurs vu supra que rien ne prouve l’existence d’une rive extérieure de l’Océan. Sur le problème de l’espace extra-cosmique, cf. A. Ballabriga, 1986, pp. 100-103. 67 A. Ballabriga, 1986, p. 81. Dans un livre plus récent (1998, pp. 129-132), il ajoute la notion d’un recouvrement Est / Ouest dans l’extrême Nord : « La représentation d’un voyage nocturne d’Ouest en Est, symétrique d’un voyage diurne d’Est en Ouest, est ici contaminée par la notion d’un recouvrement dans le Grand Nord du levant et du couchant » (citation p. 129). Cette hypothèse semble séduisante, même si les détracteurs d’A. Ballabriga n’y voient qu’une interprétation allégorique de plus. Les textes funéraires égyptiens offrent, dès le milieu du deuxième millénaire av. J.-C., une attestation du voyage nocturne du soleil en bateau durant lequel le dieu illumine la Dοuat, c’est-à-dire les Enfers (cf. M. L. West, 1997, pp. 470-471 ; Les portes du ciel, 2009, pp. 107 et 112-113). L’idée d’une course souterraine du soleil n’est pas non plus étrangère à la mythologie hittite (cf. C. Cousin, 2008, p. 57) : le soleil, en effet s’immerge dans l’Océan à son coucher et y dispose d’une chambre souterraine. Le Mythe de la disparition du Soleil décrit d’ailleurs la situation dramatique qui s’ensuit le jour où il décide de rester au fond de l’eau (Voir M. Mazoyer, 2003 a, pp. 165-193). Le cheminement souterrain du soleil est également attesté par la cosmologie sumérienne : selon J. Deshayes (1969, pp. 264-265), « pour les Sumériens, l’autre monde était, semble-t-il, l’espace cosmique situé au-dessous du disque plat que formait la terre. […] Et le mort, assisté de son dieu personnel, était jugé par le dieu Outou, le dieu Soleil qui, pendant la nuit terrestre, éclairait le royaume inférieur ». Cf. aussi M. L. West, 1997, p. 542. O. Tsagarakis (1995, pp. 123-126) se montre néanmoins sceptique à l’égard d’une influence éventuelle de la littérature proche-orientale sur la poésie épique grecque. G. Nagy (1992, pp. 94-99) rattache cette conception, que l’on retrouve dans le Rig-Veda, à un mythe indo-européen. 66
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suggère que l’expression δι’ Ὠκεανοῖο περάσαις peut tantôt désigner la traversée de l’Océan vers une île située en son milieu, tantôt (et c’est le cas de X, 508) le fait de suivre le cours de ce fleuve en longeant le disque terrestre. Quelles que soient les conclusions divergentes de W. Karl et d’A. Ballabriga, un point retient l’attention : le cours de l’Océan indique la route à suivre. Le soleil et Ulysse atteignent le lieu vers lequel ils tendent non pas en traversant transversalement le fleuve, mais en gardant son cours comme point de repère. D’ailleurs en XI, 639, lors du retour du héros, une traversée de l’Océan n’est pas envisagée ; le navire est porté vers l’Est par le cours descendant de l’Océan (κατ’ Ὠκεανόν). Il reste à considérer la signification exacte de περήσῃς (X, 508). Pour cela, établissons une comparaison avec le début du chant XI : ἐς πείραθ’ Ὠκεανοῖο (v. 13). Ces deux mots se rattachent à la racine *per / *por. Πεῖραρ désigne, nous l’avons dit, la limite, l’extrémité, les confins. Néanmoins, comme le remarque W. Karl68, ce terme ne s’applique pas à une frontière absolue, mais à un point au-delà duquel on ne peut plus avancer sans « revenir », au point le plus éloigné possible d’un endroit donné (c’est-à-dire sans changer de direction à 180°). Πειράω-ῶ pourra donc signifier « s’avancer jusqu’aux πείρατα, jusqu’à l’extrême limite ». Si l’île de Circé est située à l’Εst, les πείρατα, les confins seront à l’Οuest. Existe-t-il d’autres indices dans le texte qui permettent de confirmer cette situation des Enfers vers l’Οuest69 ? Lorsqu’elle parle à son fils, l’âme d’Anticleia nomme les Enfers les « ténèbres brumeuses » (ζόφον ἠερόεντα, XI, 155). La même expression est employée par Ulysse qui questionne Elpénor en XI, 57. Lorsque l’on se trouve aux Enfers, on est donc ὑπὸ ζόφον. Il faut par conséquent considérer les différents emplois de ζόφος. P. Chantraine (1968) en donne la définition suivante : « ténèbres, notamment celles des Enfers ; obscurité, région obscure, c’est-à-dire l’Οuest ». Et il apparente ζόφος à ζέφυρος, le vent d’Οuest. La seconde occurrence se rencontre fréquemment chez Homère, comme en témoigne l’Odyssée III, 335 : « la lumière disparaît à l’Οuest (ὑπὸ ζόφον) ». Aucun doute sur l’interprétation à donner ici à ζόφος : le mot indique une direction, l’Οuest, où le soleil se couche ; et la plupart du temps ζόφος est opposé à ἠώς, l’aurore, par exemple en Odyssée X, 19070. Dans l’Iliade XII, vers 326, de la même façon, ποτὶ ζόφον (« vers l’Οuest ») est opposé à πρὸς ἠῶ τ’ ἠέλιόν τε (« vers l’aurore et le soleil »). Ζόφος, outre son sens de 68
W. Karl, 1967, p. 102 ; cf. M. Detienne et J.-P. Vernant, 1974, pp. 272-279 ; D. Ø. Endsjø, 2002, p. 240. 69 Il s’agit bien sûr de l’Οuest au sens large, c’est-à-dire, pour reprendre les termes d’A. Ballabriga, l’Οuest qui s’étend des couchants d’hiver (Νord-Ouest) aux couchants d’été (Sud-Ouest). 70 Sur l’Od. X, 190-191 et les données spatiales, voir M. H. A. L. H. Van der Valk, 1949, § 29, pp. 274-275.
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« ténèbres », désigne bien une direction, celle de l’occident, opposée à l’orient71. Cet axe, qui correspond à la course diurne du soleil, est le principal axe d’orientation pour les Grecs archaïques. Par conséquent, lorsqu’Anticleia prononce ὑπὸ ζόφον pour désigner les Enfers, elle les place à l’occident, et même à l’extrême occident. Ce fait est confirmé par deux passages qui assimilent la direction mentionnée par ζόφος à celle de l’Erèbe, c’est-à-dire des Enfers. Circé dit de la caverne de Scylla qu’elle est πρὸς ζόφον εἰς Ἔρεϐος τετραμμένον, « tournée du côté de l’Ouest (les ténèbres), vers l’Erèbe » (XII, 81) ; une expression équivalente figure en XX, 356 : ἱεμένων Ἔρεϐος δὲ ὑπὸ ζόφον, « s’en allant vers l’Erèbe, sous les ténèbres »72. Un autre indice de cette direction serait fourni par le mot Ἔρεϐος qui se rattacherait, selon P. Chantraine (1968, s. v. Ἔρεϐος), à la racine indo-européenne *regw-os, que l’on trouve également en sanskrit (rajas, « région obscure de l’air, vapeur, poussière »), en arménien (erek-oy, « soir ») et en germanique (got. Riqiz et v. norrois røkkr, « obscurité, crépuscule »)73. Quant à la mention des Cimmériens, elle n’apporte pas grande précision, si ce n’est une localisation dans l’espace liminal des eschatia (sur cette notion relative aux confins, voir M. Casevitz, 1995, et D. Ø. Endsjø, 2002). Dès l’époque alexandrine, en effet, la lecture du mot était incertaine et les scholiastes en conservent trois variantes : Aristarque donne Κερϐερέων. H. Le peuple des Cimmériens habite dans le voisinage de l’océan. Quelques-uns écrivent Χειμερίων, d’autres Κερϐερίων comme Cratès. Hérodote dit à propos des Cimmériens qu’ils furent chassés par les Scythes. D’autres encore affirment que les Cimmériens dont il est question habitent les 74 régions du couchant et sont situés près de l’Hadès. P. V. 71
Cf. L. Moulinier, 1958, p. 91 ; M. L. West, 1997, p. 153. L’idée que l’on peut atteindre les Enfers par l’Ouest, où le soleil se couche, est aussi attestée dans la littérature du Proche-Orient. Cf. M. L. West, 1997, p. 153. 73 Mais ce mot a été maintes fois comparé à la racine hébraïque « ereb », car en hébreu gh’ereb a le sens de « couchant, crépuscule, occident » (cf. Genèse I, 5 : va iehi gh’ereb, va iehi boquer, « il y eut un soir, il y eut un matin ») ; et Magh’reb, qui tire son nom arabe de sa position géographique, signifie « pays du couchant », par opposition à Machrek (al-Mashriq), « l’endroit où le soleil se lève ». Cf. F. Durrbach dans le Dictionnaire des antiquités grecques et romaines de Daremberg et Saglio, s. v. Inferi (1900), p. 494 ; M. Castello, 1982, pp. 332-333 et M. L. West, 1997, p. 154. En akkadien, on trouve erêbu, erêb shamshi. 74 W. Dindorf, Scholia Graeca in Homeri Odysseam, 1855, tome II, p. 479 (scholies à Od. XI, 14) : Ἀρίσταρχος Κερϐερέων. H. Κιμμέριοι ἔνθος περιοικοῦν τὸν Ὠκεανόν. ἔνιοι δὲ γράφουσι χειμερίων· οἱ δὲ Κερϐερίων, ὡς Κράτης. Ἡρόδοτος δὲ ὑπὸ Κιμμερίων φησὶ Σκύθας ἐξελαθῆναι. ἄλλοι δὲ Κιμμερίους θασὶν ὑποτίθεσθαι τοὺς κατὰ δύσιν οἰκοῦντας καὶ προσκειμένους τοῖς κατὰ τὸν Ἅιδην τόποις. P. V. Cf. G. Germain, 1954, pp. 527-529. 72
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Ces formes différentes dès l’Antiquité laissent à penser que le mot originel devait être rare, et qu’il a été déformé afin d’obtenir un sens plus clair. Ainsi Χειμερίοι implique la notion de Χειμών, « mauvais temps », et conviendrait assez bien à un peuple que recouvrent des brumes permanentes. Quant à Κερϐερίοι, il fait sans conteste allusion au chien Cerbère, gardien des Enfers. Or le peuple mentionné est également situé près de l’entrée infernale. En ce qui concerne Κιμμέριοι75, le mot a peut-être été préféré parce qu’il faisait référence à un peuple connu, celui que les Scythes ont chassé de sa patrie selon Hérodote (IV, 11-12). Or, d’après Hippocrate, le pays des Scythes se caractérisait par ses brumes : Les plaines où vivent les Scythes sont recouvertes de brumes la plus grande partie du jour, en sorte que c’est toujours l’hiver et 76 l’été pour peu de jours, eux-mêmes pas très chauds .
C’est également cet aspect ténébreux qui apparaît dans les gloses d’Hésychius : κάμμερος· ἀχλύς, et κέμμερος· ἀχλύς, ὁμίχλη, qu’A. Heubeck propose de rapprocher du hittite kammara, « brume, nuée »77. Par conséquent les Cimmériens ajoutent à la connotation de « ténèbres brumeuses » déjà évoquée par ζόφος et Ἕρεϐος, et s’ils n’indiquent pas une direction précise, ils ne contredisent pas celle qui est sous-entendue par ces deux mots, bien au contraire. Les autres indications données par Circé au chant X ne permettent pas de préciser le lieu d’accès aux Enfers, ni même de confirmer leur situation à l’Ouest. Elles sont simplement mentionnées pour qu’Ulysse reconnaisse l’endroit où il doit échouer. Elles marquent le terme du voyage maritime vers l’Hadès, et l’arrivée au pays des Cimmériens. En effet, si l’on compare les prescriptions de Circé et le voyage effectué par le héros, les termes sont presque identiques. Dans le premier cas, Ulysse devra aborder dès qu’il verra le petit promontoire et les bois de Perséphone (X, 509-511). Dans le second cas, il aborde dès qu’il atteint la région des Cimmériens (XI, 20). Ainsi le petit 75
A. Heubeck, 1963, pense que la dénomination des Cimmériens serait au départ expressive : « les Gens de la brume », et s’opposerait aux Ethiopiens, « les Visages brûlés ». V. Bérard (1929, volume IV, « Nausicaa », p. 357) souligne que « dans les langues sémitiques, la racine k.m.r. désigne l’obscurité, la noirceur, et le substantif pluriel kimmeriri se rencontre pour signifier les éclipses de jours, les soudaines ténèbres ». D’après lui, le poète aurait personnifié ces kimmeriri et en aurait fait le pays des Kimmerioi. 76 Hippocrate, Des αirs, des eaux et des lieux 19. Texte cité et traduit par A. Ballabriga, 1986, p. 134 : ἠήρ τε κατέχει τὸ πολὺ τῆς ἡμέρης τὰ πεδία, [καὶ] ἐν ὅτοισι διαιτεῦνται· ὥστε τὸν μὲν χειμῶνα ἀεὶ εἶναι, τὸ δὲ θέρος ὀλίγας ἡμέρας καὶ ταύτας μὴ λίην. 77 Hesychii alexandrini Lexicon, recensuit et emendavit K. Latte, vol. II, Hauniae 1966 : « κάμμερος : ténèbres, κέμμερος : ténèbres, brouillard ».
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promontoire et les bois de Perséphone appartiennent-ils à la contrée des Cimmériens. Cependant, si ces indices signalent l’achèvement du trajet nautique, ils ne constituent pas la fin du voyage ; c’est à pied qu’il faudra poursuivre (X, 512-516). La véritable entrée des Enfers, les portes d’Hadès, sont représentées par des fleuves, et plus précisément par la pierre devant laquelle ils confluent78. Les enceintes de l’Hadès, contrairement à celles du Tartare, ne sont pas solides, mais liquides79. Le pays des Cimmériens en constitue « l’antichambre », dont l’entrée est elle-même signalée par le petit promontoire et les bois de Perséphone. Ce sont des éléments naturels qui jalonnent l’espace infernal, alors que le Tartare possédait des portes de fer et un seuil de bronze (Iliade VIII, 15). Mais où situer ces fleuves par rapport aux Cimmériens ? Le poète cultive volontairement l’abstraction : depuis l’arrivée sur les courants de l’Océan, les seules indications de lieu relèvent d’un même adverbe ἔνθα (X, 509, 513, 516 ; XI, 14, 20, 23), qui revient tel un refrain, mais qui n’indique aucune direction précise. Nous savons simplement que les fleuves ne doivent pas être très éloignés du vaisseau, puisqu’Ulysse s’y rend à pied (X, 512 : ἰέναι ; XI, 22 : ᾔομεν) et qu’ils sont proches de l’Océan (peut-être même s’y jettent-ils ?) car les hommes longent son cours pour y parvenir : παρὰ ῥόον Ὠκεανοῖο (XI, 21). Avant de conclure sur la situation géographique de l’Hadès, il faut dire un mot du chant XXIV de l’Odyssée. L’auteur y décrit l’itinéraire par lequel sont passées les âmes des prétendants, sous la conduite d’Hermès psychopompe, pour se rendre dans l’Hadès (XXIV, 11-13). Des éléments géographiques nouveaux apparaissent : le rocher blanc, les portes du Soleil, le pays des rêves80. Mis à part le fleuve Océan, ni Circé au chant X, ni le chant XI ne citent ces endroits. Et le pays des Cimmériens du chant XI n’est pas nommé au chant XXIV. Cette description concerne donc apparemment une géographie assez éloignée de celle que présentait l’Hadès dans le reste du poème. Ce fait, 78
L’étroite liaison qui existe entre la confluence et la pierre est marquée grâce à l’encadrement de ξύνεσις par la conjonction τε (X, 515). 79 Cela s’inscrit parfaitement dans la représentation que les anciens géographes grecs se faisaient de la réalité politique et géographique : les fleuves, les détroits ou les mers constituaient souvent la limite d’une région, d’un peuple ou d’un État. Par exemple, la frontière entre l’Europe et l’Asie était marquée par le Phase (Hérodote IV, 45), celle entre l’Asie et l’Afrique par le Nil (Hérodote II, 15-17, réfute d’ailleurs cette opinion). Hérodote lui-même se représente la Scythie comme un carré délimité au Sud par L’Euxin et à l’Est par la mer d’Azov et le Don, et les limites des territoires des différents peuples scythes sont très souvent des fleuves ou des déserts (IV, 17-21). 80 Cependant G. Nagy (1992, pp. 224-226) montre que les expressions « portes du Soleil » et « pays des rêves » ont des parallèles dans l’Il. et l’Od.
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ajouté à la présence d’Hermès psychopompe (dont la seule apparition se situe au chant XXIV), pourrait nous entraîner à conclure qu’il s’agit d’un ajout tardif dans lequel apparaît une nouvelle conception des Enfers. En ce qui concerne l’authenticité de cette seconde Nékyia, les avis divergent. Les anciens critiques alexandrins, dont Aristophane et Aristarque, faisaient du vers 296 du chant XXIII la fin du poème d’Homère81. Encore actuellement la question de l’intégration – ou de la non-intégration – du chant XXIV au reste de l’Odyssée est sujette à controverse82. Cependant, en ce qui concerne la situation géographique de l’Hadès, certains éléments de cet épisode corroborent notre hypothèse sur la localisation occidentale des Enfers. L’entrée infernale semble analogue à celle du chant XI, puisque les âmes suivent le cours de l’Océan : πὰρ δ’ ἴσαν Ὠκεανοῖο ῥοάς (v. 11), comme Circé l’avait conseillé à Ulysse (X, 508). Certes le rocher blanc laisse perplexe : s’agit-il du petit promontoire (ἀκτή τε λάχεια) du chant X, vers 509 ? Rien ne permet de l’affirmer. En outre, l’auteur du chant XXIV énumère les différents noms sans les situer les uns par rapport aux autres. Seules des particules de liaison les relient : καί, ἠδέ, καί (v. 11 et 12). On peut simplement, en suivant l’énumération, supposer (sans certitude absolue d’ailleurs) que les âmes passent d’abord par le rocher blanc (λευκάδα πέτρην, v. 11), puis franchissent les portes du Soleil (Ἠελίοιο πύλας, v. 12) pour atteindre enfin le pays des rêves (δῆμον ὀνείρων, v. 12)83. Il est à noter que Circé au chant X, vers 509, énumère également les lieux sans précision. On ne sait si les bois sacrés de Perséphone se trouvent sur le promontoire ou à proximité. Par son nom, le rocher blanc s’oppose aux ténèbres infernales : λευκάς est construit sur la racine indo-européenne *leuq / *louq signifiant « lumière ». C’est un féminin de λευκός (P. Chantraine, 1968, s. v. λευκός) utilisé aussi bien pour exprimer la couleur, « blanc », que l’éclat, « brillant » (cf. le sanskrit roca-, « brillant »). Λευκὰς πέτρη désigne donc une pierre claire et brillante (E. Handschur, 1970, pp. 30-36), nommée ainsi car elle est peut-être la dernière roche éclairée par le soleil avant qu’il se couche84. Elle constitue en quelque sorte le signe avant81
Scholies H. M. Q. à Od. XXIII, 296 : τοῦτο τέλος τῆς Ὀδυσσείας φησὶν Ἀρίσταρχος καὶ Ἀριστοφάνης, « Aristarque et Aristophane disent que ce vers constitue la fin de l’Odyssée ». Cf. scholies M. V. Vind. 133 : Ἀριστοφάνης δὲ καὶ Ἀρίσταρχος πέρας τῆς Ὀδυσσείας τοῦτο ποιοῦνται, « Aristophane et Aristarque font de ce vers la fin de l’Odyssée ». 82 Voir supra n. 53 et M. H. A. L. H. Van der Valk, 1949, § 25, pp. 238-240. 83 Le changement des temps verbaux au vers 13 (imparfait, puis aoriste) renforce d’ailleurs cette impression de succession, de trajet linéaire. 84 Les scholies proposent diverses explications à propos de la blancheur de cette pierre : - scholies à M. V. à Od. XXIV, 1 : ἀλλ’οὐδὲ ἔοικεν εἰς Ἅιδου λευκὴν εἶναι πέτραν. τὰ πρὸς τὴν ἡμέραν ἐστραμμένα αὐτῆς λευκαίνεται.
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coureur de la frontière85 marquée par les portes du Soleil mentionnées juste après (v. 12). Ces dernières doivent symboliser l’endroit où le soleil disparaît à son coucher : d’un côté la lumière luit, comme l’indique le rocher blanc, de l’autre commence le royaume des ténèbres, puisque ces portes donnent accès au peuple des rêves, lui-même proche de l’Hadès. Dans ce cas, si l’on superpose la géographie de la première Nékyia et celle de la seconde, les portes du Soleil se situeraient juste avant les Cimmériens. Les nuées et la brume s’accentuant au fur et à mesure que l’on s’éloigne des portes du Soleil, on aboutit au pays des rêves. Ces portes marquent donc la première frontière, la seconde étant les portes d’Hadès. Entre les deux, constituant en quelque sorte un monde intermédiaire, un monde de transition, nous découvrons les Cimmériens (chant XI) qui rappellent la vie, puis le peuple des songes qui, lui, s’apparente davantage à la mort. D. Auger (1986, p. 93) a parfaitement mis en lumière le rôle de ce dernier : « Le lieu homérique des Songes est donc situé entre les deux Mais dans l’Hadès il ne convient pas à un rocher d’être blanc. Le côté du rocher tourné vers la lumière du jour devient blanc. - Or au chant XI, vers 15-19, il est dit que la région près de l’Hadès ne voit jamais les rayons du soleil. C’est pourquoi Eusthate enlève le rocher de la proximité immédiate de l’Hadès pour le placer dans un endroit que le soleil atteint encore (Commentarii ad Homeri Odysseam ad fidem exempli romani editi, tome I-II, Hildesheim et New-York 1970) : • Eustathe 1951, 51 sq. à Od. XXIV, 11 (cf. G. Petzl, 1969, p. 55) : Ἰστέον δὲ ὅτι Λευκάδα μὲν πέτραν ὁ μῦθος πρὸς τῷ Ἅιδῃ πλάττει ἢ κατὰ ἀντίφρασιν, μέλας γὰρ ἐκεῖ σκότος, ἢ καὶ διὰ τοὺς ἐσχάτους τῆς ἐκεῖ γῆς τόπους, οὓς εἰκὸς τὸν ἥλιον ἔτι διαλευκαίνειν δυόμενον. Il faut savoir que la légende imagine le Rocher Blanc près de l’Hadès ou bien par antiphrase, car ce sont les noires ténèbres qui règnent à cet endroit, ou bien aussi à cause des régions de la terre extrêmement éloignées à cet endroit, que vraisemblablement le soleil couchant éclaircit encore. • et Eustathe 1957, 8 sq. à Od. XXIV, 1 sqq. : ἡ λύσις ὅτι πρὸς τοῖς ἔτι πεφωτισμένοις μέρεσι κεῖσθαι δεῖ νοεῖν αὐτήν. Il faut, telle est la solution, avoir dans l’esprit que le Rocher Blanc se situe près des régions encore éclairées. Et il propose d’identifier ce rocher avec celui que mentionne Circé (1668, 4-5 à Od. X, 515) : ἴσως δὲ εἴη ἂν αὕτη (ἡ πέτρα) ἡ ἐν τοῖς μετὰ ταῦτα λεχθησομένη Λευκὰς πέτρα. Peut-être ce rocher cité par la suite serait-il le Rocher Blanc. - Enfin le scholiaste de H. à Od. XXIV, 11 donne cette solution très fantaisiste : Οἱ γὰρ νεκροὶ ἐκλείψαντος τοῦ αἵματος λευκοειδεῖς ὁρῶνται. Les morts, en effet, vidés de leur sang, revêtent une forme blanche. 85 Sur le Rocher Blanc, voir G. Nagy (1992, pp. 226-234), notamment p. 234 où il le définit comme une frontière délimitant la conscience de l’inconscience. Le Rocher Blanc symboliserait donc ici le signe du passage du royaume des vivants au royaume des morts.
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seuils qui marquent la limite de l’ici-bas et de l’au-delà ; il n’est pas un antimonde, mais un monde intermédiaire, un ‘entre-deux’ monde ». Rien d’étrange à ce que le pays ou peuple des rêves côtoie l’entrée de l’Hadès : la tradition ne fait-elle pas de Sommeil et Trépas des frères, tous deux enfants de Nuit86 ? La description des fleuves, frontière naturelle de l’Hadès au chant X (v. 514-516), disparaît au chant XXIV, ainsi que la mention des portes d’Hadès : les âmes des prétendants arrivent directement dans la prairie d’asphodèles qui appartient déjà au domaine infernal (XXIV, 13). Comme nous l’avons constaté, les éléments géographiques de la première et de la seconde Nékyiai sont différents, les noms ne semblent pas avoir de rapport entre eux. Cela peut s’expliquer par la différence de point de vue : celui d’un vivant, Ulysse, dans le premier cas ; celui des âmes des prétendants, c’est-à-dire de défunts, dans le second. Nous avons cependant deux visions analogues des abords de l’Hadès : une double frontière avec, au centre, un lieu intermédiaire qui participe des deux mondes (celui de la vie et celui de la mort). Une étude du chant XXIII (v. 65-107) de l’Iliade complète et confirme cette hypothèse. Achille y invite les Myrmidons à pleurer la mort de Patrocle et leur offre un repas funéraire en son honneur. Puis, chacun ayant regagné sa tente, Achille sombre dans un profond sommeil sur le sable du rivage. C’est alors que lui apparaît en rêve l’âme de son ami Patrocle. On retrouve donc des éléments communs aux deux Nékyiai. Patrocle, bien qu’il soit mort, n’a pas encore franchi les portes de l’Hadès ni le fleuve infernal et utilise le rêve pour communiquer avec Achille. La frontière de l’Hadès est ici marquée par les portes : πύλας Ἀίδαο περήσω (v. 71), εὐρυπυλὲς Ἄιδος δῶ (v. 74). Mais elle est également constituée par un fleuve : ποταμοῖο (v. 73), comme au chant X de l’Odyssée. Quel est ce fleuve, unique, alors que l’Odyssée en mentionne plusieurs ? Il ne s’agit probablement pas d’Océan, mais plus probablement du plus connu des fleuves infernaux, le Styx, le seul cité dans l’Iliade. Par son état, Patrocle appartient à l’« entre-deux » monde que nous avons repéré dans l’Odyssée : décédé, il ne peut revenir dans le monde des vivants ; mais n’ayant pas reçu les honneurs funèbres, il lui est interdit de pénétrer dans l’Hadès (v. 71). Il est mort, tout en étant exclu du domaine de la mort. Son seul moyen d’expression est le rêve, c’est-à-dire un phénomène qui relève également de cet espace intermédiaire (et d’Hypnos, frère de Thanatos). Cependant ce lieu, très proche de la limite infernale, se nomme déjà l’Hadès (v. 74). Il en constitue l’antichambre, le seuil (et le seuil d’une construction fait partie intégrante de la construction). La frontière définitive avec le monde des vivants est la seconde, celle des portes d’Hadès ou du fleuve infernal (v. 75-76). La similitude des sorts de l’âme de Patrocle et de celle d’Elpénor au chant XI de l’Odyssée (v. 52-54) 86
Cf. Hésiode, Théog., 212-213. Voir aussi C. Ramnoux, 1959.
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est frappante, bien que ce dernier passage soit considéré comme interpolé. Comme Patrocle, Elpénor n’a pas encore été enterré, il transite dans le même espace intermédiaire en attendant d’avoir reçu les honneurs funèbres. Déjà « âme », ψυχή (Odyssée XI, 51), il a cependant gardé ses sens et n’a pas besoin de boire le sang du sacrifice pour reconnaître Ulysse et lui parler. Il n’a donc pas encore franchi les portes d’Hadès87. Ainsi toutes les allusions aux parages infernaux, tant dans l’Iliade que dans l’Odyssée, attestent l’existence d’un espace où gîtent des êtres qui présentent à la fois des aspects relatifs au monde des vivants et des caractéristiques propres au domaine de la mort. Double est la frontière qui sépare les humains des ombres. On assiste à une sorte de symétrie : à la limite lumineuse répond une limite ténébreuse, que l’on a tenté de reproduire dans le tableau de la page suivante.
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Les scholies à Od. XI, 51 le confirment : ἐπεὶ ἄταφος. τῶν δὲ τοιούτων καὶ πρὸ τοῦ πιεῖν φθέγγονται αἱ ψυχαί. V. ὁ Τειρεσίας πίνων τοῦ αἵματος ἐμαντεύετο, αἱ δὲ ἄλλαι ψυχαὶ πίνουσαι ἐπεγίνωσκον· ἡ δὲ ψυχὴ τοῦ Ἐλπήνορος ἅτε δὴ μήπω ἐπιϐᾶσα τῷ τῆς Λήθης πεδίῳ καὶ πρὸ πόσεως ἐπιγινώσκει τὸν Ὀδυσσέα. B. Q. Parce qu’il est privé de sépulture ; les âmes de tels hommes parlent avant même d’avoir bu. V. Tirésias prédisait après avoir bu le sang, les autres âmes recouvraient leur connaissance après avoir bu ; mais l’âme d’Elpénor, parce qu’elle n’a pas encore foulé la plaine du Léthé, reconnaît Ulysse avant même d’avoir bu. B. Q.
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Deux conceptions contradictoires ? Ulysse serait donc parti de l’île de Circé à l’Est et, suivant le cercle d’Océan, il aurait atteint à l’Ouest les rivages infernaux et leur « entre-deux » monde. Cependant deux difficultés subsistent encore face à une telle interprétation. La première est relative au vent de départ, le Borée. En effet, suivre le cours circulaire de l’Océan nécessite un changement progressif de vent que le poète a ignoré. Il ne faut pas s’en étonner outre mesure puisque, comme le remarque L. Moulinier (1958, p. 92), il arrive assez fréquemment que seul le vent de départ soit mentionné. Dans le cas qui nous intéresse, Borée sert peut-être seulement à traverser la mer pour rejoindre l’Océan. Le second problème concerne la durée du voyage. Ulysse parcourt le demi-cercle terrestre en un seul jour (Odyssée XI, 11-12). Le voyage du héros constitue donc une navigation autour de la terre qui suit la course solaire. Le retour ne dure apparemment pas plus longtemps (Odyssée XII, 1-7). Il s’agit bien sûr d’un temps mythique (comme les points de départ et d’arrivée sont également des pays mythiques) qui n’a rien de commun avec notre temps historique88. De même que l’Odyssée juxtapose deux espaces, l’un connu et l’autre imaginaire, de même le poème juxtapose deux temps, sans qu’il soit possible d’en définir les frontières exactes. Aucune transition n’apparaît entre le registre humain et le registre mythique. Par conséquent, plus rien ne s’oppose à la situation d’un Hadès occidental, aux confins de l’Océan, du moins pour les chants X et XI, ainsi que pour le début du chant XXIV de l’Odyssée. Or nous avons également montré supra par maints exemples que les Grecs se représentaient l’Hadès comme souterrain. Ces deux conceptions sont-elles aussi contradictoires qu’elles le paraissent à première vue ? Même si la Nékyia place les Enfers aux confins de l’Océan, elle ne semble pas pour autant repousser l’idée d’un royaume souterrain. Certains éléments, en effet, évoquent implicitement cette seconde conception. Ainsi Ulysse promet aux morts de leur offrir un sacrifice dès son retour à Ithaque (Odyssée XI, 29-33), obéissant en cela strictement aux prescriptions de Circé (Odyssée X, 521-525). Or, en quoi un sacrifice donné à Ithaque peut-il concerner un tant soit peu les morts rassemblés dans l’Hadès à l’autre bout de la terre ? Ce sacrifice prouve la croyance en un séjour souterrain, plus près des vivants. Comme pour les τάρταρα hésiodiques (cf. supra, pp. 35-38), les deux idées se sont combinées, probablement à la faveur des ténèbres qui recouvrent aussi bien l’au-delà de l’Océan, non éclairé par le soleil, que les régions souterraines (cf. M. Untersteiner, 1948, pp. 14-15). La notion de « confins » n’y est sans doute pas non plus étrangère : les différents étages cosmiques s’y
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Cf. G. Germain, 1954, p. 514. Sur l’usage du temps dans l’Odyssée, voir M. Courrént, 2000.
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rejoignent et les Enfers souterrains affleurent89. Séjour souterrain et séjour océanique ne sont donc pas inconciliables, comme tendent à le confirmer les vers 36 et 37 du chant XI : dans le composé ὑπέξ, il faut à notre avis garder le sens originel de ὑπό, « de dessous », ἐξ s’étant ajouté pour renforcer l’idée de « sortir de » déjà contenue dans ὑπό. Les âmes des morts sont obligées de monter vers Ulysse pour boire le sang des victimes, mais la fosse qui relie les deux mondes n’a pas besoin d’être très profonde du fait de la jonction des niveaux cosmiques aux confins de l’Océan. C’est pour cette même raison qu’Ulysse peut procéder à l’évocation des morts dans un simple bothros qu’il a creusé lui-même (Odyssée XI, 24-25)90. Si l’on doit ainsi admettre que la localisation de l’Hadès revêt, dans les poèmes homériques, un caractère double, il convient maintenant d’examiner si cette double localisation s’est perpétuée dans la littérature grecque. b) Evolution de la situation géographique attribuée à l’Hadès L’ambiguïté de la localisation infernale semble propre à la poésie épique, puisqu’on la trouve également dans la Théogonie à propos des régions tartaréennes. Néanmoins, en ce qui concerne l’Hadès à proprement parler, Hésiode insiste sur son aspect souterrain. Son souverain est appelé θεὸς χθονίος, « dieu qui vit sous terre » (v. 767), et il a établi sa demeure sous terre, ὑπὸ χθονὶ δώματα ναίει (v. 455). Outre la préposition ὑπό, on trouve souvent le préverbe κατα- pour indiquer le mouvement vers le bas, comme dans l’Iliade. Ainsi Zeus punit Ménoitios en l’envoyant (κατέπεμψε) dans l’Erèbe91. Le vers 850 juxtapose deux termes qui soulignent l’aspect souterrain du royaume des morts : ἐνέροισι καταφθιμένοισι. La profondeur est encore traduite par le verbe δύ(ν)ω (Bouclier, 151). Enfin, la mention de Styx confirme la localisation souterraine, fleuve qui coule ὑπὸ χθονός (Théogonie, v. 787) et dont la demeure ressemble fort à un gouffre (Théogonie, v. 777-778).
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Cf. A. Ballabriga, 1981, p. 349 et 1986, p. 78. W. Burkert (1977 b, p. 277) avait déjà remarqué qu’aux extrémités de l’univers, les Enfers, la terre, la mer et le ciel se rencontrent. 90 L’exégèse allégorique de l’Hadès (autour des Allégories homériques du pseudoHéraclite et de l’Antre des nymphes de Porphyre) a volontairement été laissée de côté, car, vu les difficultés qu’elle soulève, elle aurait dépassé le cadre de cette étude. A ce propos, voir entre autres F. Buffière, 1956, pp. 66-70, 444-449 et 495-499, ainsi que Y. Vernière, 1977, pp. 179-184. 91 Théog. 515. Voir aussi le F. 280, vers 4, de la Catabase de Peirithoos (MerkelbachWest) : κατήλυθες, et Bouclier, 254-255 : κατῇεν. Dans ce dernier passage, l’Hadès est assimilé au Tartare, probablement à cause de leur proximité géographique.
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Par la suite, l’ambiguïté sera levée et la localisation souterraine sera généralisée. Les Hymnes homériques et les fragments épiques conservés, qui pourtant emploient un vocabulaire fort proche des poèmes homériques92, ne font pas allusion à la situation aux confins de l’Océan. Dans l’Hymne homérique à Déméter, la notion de gouffre est nettement marquée par le verbe χαίνω, « s’ouvrir, s’entrouvrir » (v. 16 et 429-430), qui appartient à la famille de χάσμα (voir supra p. 31). Mais cette ouverture béante reste exceptionnelle : à peine Hadès est-il sorti que la terre se referme, cachant ses habitants aux mortels93. L’idée de cachette est aussi mise en valeur par le terme κεῦθος (v. 340, 398 et 415). La poésie lyrique ne se démarque pas de cette conception. Le préfixe κατα-, employé comme préverbe ou préposition, pour indiquer la position souterraine du lieu, devient presque systématique : καταϐαίνω94, κατάγει (Pindare, Olympiques IX, 34), κατὰ… ἔμαρψεν (Pindare, Olympiques VI, 14), κατὰ γᾶς (Pindare, Olympiques II, 65), κατὰ γῆς ἔρχεται εἰς Ἀΐδην, « il va sous terre, dans l’Hadès » (Mimnerme, F. 8 Gentili-Prato, v. 14). Par sa construction, cette dernière citation établit une véritable équivalence entre les deux groupes prépositionnels (κατὰ γῆς et εἰς Ἀΐδην). L’autre préfixe souvent utilisé est ὑπό : ὑπὸ κεύθεσι γαίης (Théognis, 243 ; Pindare, Néméennes X, 56), ὑπὸ χθονός (Pindare, Thrènes, F. 137 Maehler). Ce préfixe apparaît une fois en composition : γαῖαν δ’ἐν Θήϐαις ὑπέδεκτο, « près de Thèbes, la terre ensevelit (Amphiaraos) », (Pindare, Néméennes X, 8). La préposition homérique ὑπένερθε est également attestée (Pindare, Néméennes X, 87). D’autres termes épiques sont repris : χαίνω (Archiloque, F. 53 Lasserre-Bonnard), κεῦθος (Théognis, 243 ; Pindare, Néméennes X, 56). Cependant Pindare fait preuve, pour indiquer la profondeur des Enfers, d’une richesse de vocabulaire inconnue de la poésie épique et des fragments lyriques conservés. Ou bien, lorsqu’il emploie une expression homérique, il n’hésite pas à l’utiliser différemment ou à 92
Δύω : H. Hom. à Aphrodite, I, 154 ; ὑπό : H. Hom. à Déméter, 80, 340, 398, 415, 431, 446 et 464 ; ἔνεροι et ἔνερθε : H. Hom. à Déméter, 357 et 429 ; κατά : H. Hom. à Déméter, 341 et Thébaïde, F. 3 (Bernabé), et lorsque Perséphone revient sur terre, le préverbe ἀνα- marque le mouvement inverse, du bas vers le haut : H. Hom. à Déméter, 395 et 402-403. 93 Sur le caractère infranchissable de la frontière entre l’Hadès et les mondes terrestre et céleste avant le rapt de Perséphone, voir J. Rudhardt, 1981, pp. 234-239. 94 Théognis, 917, 974, 1014 ; Pindare, Pythiques III, 11 et le F. 395 (PMG) d’Anacréon étudié supra p. 40. Et inversement, pour indiquer un éventuel retour des Enfers, les verbes employés sont ἀναϐαίνω, ἀνέρχομαι : Anacréon, F. 395 (PMG) ; Théognis, 703 ; ou ἀναπέμπω dans une variante de la fable du Médecin ignorant d’Esope (Dos.7 = 310 Hausrath), 3-4. Le préverbe ἀνα- signifie « vers le haut », par opposition à κατα- qui indique la descente.
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la rénover en créant un mot composé. Tel est le cas de l’épithète βαθύς qui qualifiait le Tartare chez Homère (Iliade VIII, 481). Pindare la reprend deux fois comme épithète des lieux infernaux. La première fois, telle quelle : ἐς τὸν βαθὺν Τάρταρον (Péans IV, 44). L’emploi est, semble-t-il, comparable à celui de l’Iliade, mais le sens de la phrase montre que Pindare assimile le Tartare à l’Hadès. Par conséquent βαθύς n’est plus la caractéristique exclusive du Tartare. Le second emploi de βαθύς chez Pindare entre dans la formation d’un adjectif composé, τὰν βαθύστερνον χθόνα, « la terre au sein profond » (Néméennes IX, 24-25). La notion de profondeur y est accentuée par les verbes σχίσσεν, « fendit », et κρύψεν, « cacha, couvrit ». Le monde souterrain est un lieu mystérieux, qui se dérobe aux regards des hommes. Dans la neuvième Olympique (34-35), l’Hadès est appelé « demeure creuse » (κοίλα… ἄγυια). Si l’adjectif κοῖλος est homérique, jamais dans la poésie épique il ne s’applique aux Enfers, et l’image d’un Hadès à l’aspect d’une caverne est originale. L’adjectif αἰπύς appliqué à la mort dans la dixième Olympique (42) renforce cette impression : θάνατον / αἰπὺν οὐκ ἐξέφυγεν. La traduction d’A. Puech (1922) « il ne put éviter la mort, précipice ouvert sous ses pas » rend bien l’idée de lieu escarpé et profond. Enfin, à la place du nom χθών ou du génitif déterminatif de γῆ, Pindare utilise volontiers l’adjectif χθόνιος pour indiquer l’aspect souterrain du royaume infernal. Ainsi, à propos des défunts ancêtres d’Arcésilas, parle-t-il de χθονίᾳ φρένι, « âme souterraine » (Pythiques V, 101)95, et l’entrée de l’Hadès est également qualifiée ainsi : πὰρ χθόνιον / Ἄιδα στόμα, « dans la bouche souterraine de l’Hadès » (Pythiques IV, 44-45). La situation souterraine de l’Hadès est attestée jusqu’au IVe siècle chez le poète élégiaque Platon : Je suis la tombe d’un naufragé, et celle-ci, en face, est celle d’un paysan puisque l’Hadès est situé à la fois sous la terre et la mer96.
La vision épique d’un monde à trois niveaux se révèle encore derrière cette image : en haut le ciel, dans la partie intermédiaire la terre (composée des terres et des mers), en bas (c’est-à-dire sous les terres et les mers) l’Hadès dont la partie la plus profonde constitue le Tartare. Cette vision de l’Hadès souterrain est probablement liée à l’ensevelissement des corps : puisque le cadavre est recouvert de terre, le séjour des ombres ne peut être que souterrain. L’image du corps enseveli et l’évocation de l’Hadès sont fréquemment associées dans la 95
Cf. scholies BDGQ à Pyth. V, 135 b (Scholia vetera in Pindari carmina, recensuit A. B. Drachmann, vol. II : Scholia in Pythonicas, Teubner 1997) : χθονίᾳ δὲ φρενὶ, παρόσον τεθνήκασι καὶ ἐν τῇ γῇ κεῖνται, « âme souterraine, en tant qu’ils sont morts et qu’ils résident dans la terre ». 96 Platon, F. 11 (Bergk) : Ναυηγοῦ τάφος εἴμ’· ὁ δ’ ἐναντίον ἐστὶ γεωργοῦ· ὡς ἁλὶ καὶ γαίῃ ξυνὸς ὕπεστ’ Ἀΐδης.
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poésie lyrique, par exemple chez Théognis (v. 427-428, 567-570 et 973-974). Malgré l’emploi d’un vocabulaire épique, ces vers révèlent une perception de la mort différente de celle de l’épopée. Il s’agit d’une vision plus « matérialiste » : le mort n’est rien d’autre qu’un cadavre couché sous terre, sous la stèle (comme l’évoque la comparaison avec la pierre au vers 568), cadavre insensible, aveugle (v. 570). Un semblant d’après-vie dans l’Hadès n’est même pas imaginé. Et cette vision cadavérique, sans qu’une représentation de l’au-delà vienne la nuancer, suscite inquiétude et angoisse. Cependant, cette nouvelle conception n’a pas totalement supplanté l’ancienne que nous trouvons aussi dans le théâtre. Les témoignages tragiques, aux expressions extrêmement variées, abondent. Presque tous les termes qui soulignaient l’aspect souterrain des Enfers dans la poésie épique et lyrique y foisonnent, excepté le verbe δύ(ν)ω, attesté une seule fois chez Sophocle (Ajax, 1192-1193). On note cependant une variation de fréquence : les thèmes *upo et *kata ont tendance, dans le théâtre d’Eschyle, à être remplacés par le thème *ner qui acquiert une importance considérable97 alors qu’il était peu attesté ailleurs. Si Sophocle et Euripide suivent la tendance eschyléenne à propos de *upo, en revanche ils accordent de nouveau une large prépondérance au thème *kata. Quant au thème *ner, presque équivalent à *kata chez Euripide98, il a moins d’importance pour Sophocle. Ces proportions restent toutefois relatives puisqu’une grande partie des tragédies est perdue. La préposition ὑπό n’apparaît que trois fois chez Eschyle, seule (Perses, 624 ; Prométhée, 152) ou renforcée par κάτω (Perses, 839). Chez Sophocle et Euripide, l’emploi prépositionnel99 peut être substantivé100. Le thème *kata est employé un peu plus fréquemment que *upo par Eschyle. A côté de κάτω, on trouve la préposition κατά (Perses, 627 et Choéphores, 356), qui cependant ne 97
On en compte au moins dix occurrences, c’est-à-dire deux fois plus que les autres thèmes pris séparément. Pour ὑπό qui viendrait de l’indo-européen *upo, voir P. Chantraine, 1968, s.v. ὑπό. 98 Le thème *upo (une dizaine d’occurrences) représente environ le tiers des emplois de *ner (une trentaine) et le quart de ceux de *kata (une quarantaine). *Kata l’emporte légèrement sur *ner sans doute parce qu’il offre la possibilité d’entrer en composition dans une forme verbale ou nominale, tandis que *ner produit surtout des adverbes ou des prépositions. 99 Sophocle, El., 840. Euripide emploie cette préposition avec l’accusatif pour indiquer le mouvement (Alc., 47 ; Hipp., 1416), avec le datif pour noter l’absence de mouvement (And., 512 ; Hér., 618) et avec le génitif pour souligner l’endroit d’où l’on sort (Hér., 296). Ὑπό est alors égal à ὑπέξ, comme souvent chez Homère (cf. Il. XXI, 56), usage rare dans la tragédie. 100 Sophocle, Ant., 65 : τοὺς ὑπὸ χθονός, « ceux qui sont sous terre », et devant κ-, ὑπό devient ὑπαί (El., 1419). Chez Euripide, la substantivation s’applique aux dieux infernaux (Héc., 146-147), aux morts (Alc., 895-896), voire au royaume infernal (F. 533 et 450 Kannicht).
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devient jamais préverbe. Sur κάτω, en revanche, est attesté la présence d’un adverbe en -θεν où la finale a conservé la notion de lieu d’où l’on vient (Perses, 697). Kάτωθεν indique le point de départ du mouvement, littéralement « provenant du bas des Enfers ». Cette formation post-homérique est attestée en Attique à partir du Ve siècle (cf. M. Lejeune, 1939, pp. 324-333). Sophocle et Euripide utilisent κατα- aussi bien comme préposition que comme préverbe101. Sophocle s’en sert de préfixe dans la composition du nom κατασκαφή avec lequel Antigone qualifie le royaume des morts : « je descends, vivante, au séjour souterrain des morts »102 , image d’une cavité creusée dans les profondeurs de la terre. Euripide, dans les Bacchantes (v. 1361), qualifie l’Achéron de καταιϐάτην, « qui descend », adjectif dérivé de καταϐαίνω qui s’applique d’ordinaire à la foudre de Zeus103 . L’adverbe κάτω est particulièrement prisé par Sophocle et Euripide : il en subsiste pour chacun au moins une quinzaine d’occurrences applicables aux régions souterraines. Avec un verbe de mouvement, il indique la descente de la terre vers le domaine souterrain (Euripide, Alceste, 379, 382 et 393-394 ; Andromaque, 102 ; Hécube, 414). Par suite, il veut fréquemment dire « sous terre » (Sophocle, Ajax, 660 ; Antigone, 197, 521 et 524-525 ; Electre, 968 et 1166. Euripide, Andromaque, 1078 ; Hélène, 1161). Substantivé, οἱ κάτω sert à désigner les habitants des Enfers (Sophocle, Ajax, 865 ; Antigone, 75, 542 et 1224 ; Electre, 327) ou les dieux infernaux (Sophocle, Ajax, 571 ; Antigone, 451 ; Electre, 292. Euripide, Alceste, 14 et 851-852). L’adverbe avec la finale en -θεν, substantivé lui aussi, constitue une variante de cette appellation (Sophocle, Antigone, 1070. Euripide, Alceste, 424). Chez Euripide, κάτω, dans un groupe substantivé, équivaut à l’adjectif χθόνιος et s’applique aussi bien aux divinités infernales (τοὺς κάτω 101
Préposition : Sophocle, Ant., 24 et O. C., 1701. Euripide, Alc., 107 et 163 ; And., 503 ; El., 144 ; Hél., 344 ; Hcld., 592 et 1033 ; Hipp., 836 (deux fois dans le vers) ; Ion, 1441 ; I. T., 170 ; Rhés., 830 ; Or., 963 et 1398 ; Phén., 810 ; Supp. 799 et 1024 ; F. 154 et 534 (Kannicht). Préverbe : Sophocle, καταϐαίνω (Ant., 822), κάτειμι (Ant., 896) et καθαιρέω-ῶ (Aj., 517), dont le sens est ici « tuer, renverser », mais pour lequel la valeur du préverbe demeure, surtout à coté du nom Ἅιδου. Euripide, καταϐαίνω (And., 544 ; Suppl., 797), κατάγω (Alc., 26 ; Hcld., 949 ; Méd. 1016), κατέρχομαι (Alc., 360 ; Hér., 1101). Sur καταϐαίνω, Euripide crée un nouveau verbe composé, συγκαταϐαίνω (« descendre avec »), que prononce le fils d’Andromaque en voyant sa mère accepter de mourir pour lui (And., 505). 102 Ant., 920 : ζῶσ’εἰς θανόντων ἔρχομαι κατασκαφάς. 103 Cette expression trouvera des échos dans la littérature postérieure, par exemple dans l’Alexandra de Lycophron, qui désigne le cap Ténare comme un « sentier achérontique qui descend vers les Enfers » (Ἀχερουσία τρίϐος καταιϐάτις, vers 90-91), ou chez Apollonios de Rhodes II, 353 : Ἀίδαο καταιϐάτις ἐστί κέλευθος, « là se trouve un chemin qui descend chez Hadès ».
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σθένοντας, Hécube, 49), à l’obscurité infernale (τοῦ κάτω σκότους, Héraclès, 563), ou au « temps à passer sous terre » (τὸν κάτω χρόνον, Alceste, 692-693). L’emploi prépositionnel, suivi du génitif γῆς (Electre, 677) ou χθονός (Iphigénie en Tauride, 481), est attesté, bien qu’Euripide lui préfère la préposition κατά. Le vers 45 d’Alceste met bien en valeur la signification de κάτω, « sous », en l’opposant à ὑπέρ, « sur » : « Comment donc est-il sur terre, et non en dessous ? »104 . Dans les Choéphores d’Eschyle, vers 382, κάτωθεν est complété par le préverbe ἀνα- qui, en insistant sur le mouvement du bas vers le haut, souligne encore la position souterraine des Enfers. Au contraire des prépositions et adverbes précédents, ἀνα- a chez Eschyle la fonction de préfixe, soit avec ἄγω (Agamemnon, 1023) ou καλῶ (Perses, 621), soit avec πέμπω (Choéphores, 382) ou le nom πομπός (Perses, 649-650), tandis que chez Sophocle et Euripide il n’entre jamais dans la composition d’un nom105. Comme tmèse, il prend la forme de l’adverbe ἄνω (Perses, 645 : ἄνω… πέμπω ; Choéphores, 147 : πομπός… ἄνω). Euripide n’en fait pour ainsi dire pas usage106 . Dans l’Antigone de Sophocle, la réprimande adressée par Tirésias à Créon parce qu’il a osé mêler deux mondes aux frontières nettement marquées se révèle significative par les oppositions qu’elle contient (v. 1068-1073) : de même que κάτω substantivé désignait les habitants des Enfers, de même ἄνω précédé d’un article caractérise les vivants, c’est-à-dire ceux qui résident à la surface terrestre. L’antithèse entre les deux espaces (τῶν ἄνω et κάτω, v. 1068) ainsi qu’entre les dieux qui les gouvernent (τῶν κάτωθεν θεῶν et τοῖς ἄνω θεοῖσιν, v. 1070 et 1072-1073) est soulignée. D’ailleurs, la simple mention de ἄνω suffit parfois pour laisser supposer les profondeurs infernales. Ainsi Philoctète (Philoctète, v. 1348-1349), après avoir mentionné sa vie « sur terre » (ἄνω), n’a nullement besoin de préciser que l’Hadès qu’il désire se situe κάτω, « en bas ». Au lieu de l’habituelle opposition *kata / *ana, se rencontre une fois chez Sophocle l’adverbe ἄνω en face de νέρθε, dans Œdipe Roi : νέρθε κἀπὶ γῆς ἄνω (« dans l’Enfer comme sur la terre », v. 416). Le vers présente une 104
Euripide, Alc., 45 : Πῶς οὖν ὑπέρ γῆς ἐστι κοὐ κάτω χθονός. Comme préverbe, il forme les verbes composés ἀναστρέφω (Phil., 449) et ἀνέρχομαι (Phil., 625) chez Sophocle ; ἀνακαλῶ (Hél., 966 ; Hér., 870), ἀνίημι (Rhés., 965), ἀνάγω (Hér., 25) et ἀνέρχομαι (Hér., 607-608, où il est entouré de mots qui évoquent la profondeur μυχῶν et ἔνερθεν) chez Euripide. Ces deux derniers verbes peuvent être précisés par le préverbe ἐκ- qui insiste encore sur la notion de lieu d’où l’on vient : dans les Héraclides (vers 218-219), la juxtaposition de ἐξανάγω et de μυχός illustre bien l’idée d’un abîme qu’il a fallu escalader avant de revoir la surface terrestre, ainsi que la difficulté de l’entreprise ; de même dans les Troyennes (vers 753), ἐξανέρχομαι dont le complément γῆς situe les Enfers au sein de la terre. 106 Euripide utilise une fois ἄνω substantivé pour opposer les dieux du ciel (οἱ ἄνω) à ceux des Enfers (οἱ γῆς νέρθεν) : Héc., 791-792. 105
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redondance entre ἄνω et ἐπὶ γῆς107 et ἐπί est d’ordinaire plutôt associé à ὑπό qu’au thème *ner. Ce dernier est de loin la production la plus abondante chez Eschyle. Est-ce parce que, à la différence de *upo et de *kata, il ajoute à la notion de profondeur celle de privation (voir supra p. 27) ? Toujours est-il que l’on en trouve quatre types de dérivation : ἔνερθεν, νέρθεν, νέρτερος et ἔνεροι (si toutefois il s’agit bien de la même racine, voir supra p. 42, n. 51), qu’Euripide utilise aussi, alors que Sophocle n’en emploie que trois (ἔνερθεν, νέρθεν, νέρτερος). A côté de l’épique ἔνεροι pour désigner les morts (Eschyle, Perses, 629 et Prométhée, 573. Euripide, F. 912, v. 9 Kannicht) ou les puissances infernales (Euripide, Oreste, 261 ; Héraclès, 352 ; Alceste, 30), apparaît pour la première fois chez Eschyle le substantif (ἐ)νέρτεροι qui sera repris par les tragiques postérieurs (Sophocle, Antigone, 602 et 749 ; Œdipe à Colone, 1661. Euripide, Alceste, 613 et 1127 ; Andromaque, 850 ; Hélène, 1255 ; Hippolyte, 1447 ; Ion, 1235 ; Médée, 985 ; Oreste, 964). En réalité, le mot semble désigner tout habitant des Enfers, les morts (Perses, 619) ou les divinités (Perses, 622 ; Choéphores, 286). Euripide innove en utilisant νέρτερος comme adjectif au sens d’« infernal », appliqué à divers éléments ou êtres que le poète veut caractériser comme propriété du royaume souterrain108 . Quant à νέρθεν et ἔνερθεν109 , ils sont employés par Eschyle et Euripide tantôt comme adverbe (Eschyle, Perses, 630 et 637. Euripide, Alceste, 1139 ; Hélène, 966 ; Héraclès, 608 et 621 ; Phéniciennes, 1544 ; Troyennes, 1308), tantôt comme préposition suivie du génitif (Eschyle, Perses, 222 et Prométhée, 152. Euripide, Héraclès, 262-263 et 516 ; Troyennes, 459). Chez Sophocle, ils interviennent seulement comme adverbes (Œdipe Roi, 416 ; Œdipe à Colone, 1707 et Trachiniennes, 1202). Adverbialement, νέρθεν indique toujours un mouvement du bas vers le haut, contrairement à κατά qui notait aussi la profondeur, mais du haut vers le bas. Une tournure originale est à noter, qu’Euripide reprendra pour les dieux110, la substantivation de la préposition νέρθεν pour désigner les morts dans les Choéphores d’Eschyle : τοὺς γᾶς νέρθεν (v. 40-41). Sophocle, lui, 107
Voir aussi Ant., 839-841 : ἐπιφαίνω signifie « se montrer à la surface de » ; il s’agit ici de la surface terrestre par rapport aux profondeurs infernales sous-entendues par οὐλομέναν. Οὐκ οὐλομέναν… ἀλλ’ ἐπίφαντον forme redondance. 108 Euripide, Alc., 47, 459, 1073 et 1145 ; Hél., 969 ; Hér., 808 ; Méd., 1059 ; Or., 620 ; Cresphontes, F. 448 a, vers 56, et F. 450 (Kannicht), où le texte très abîmé empêche de savoir à quoi se rapporte νέρτερος. L’expression οἱ νέρτεροι θεοί, « les dieux infernaux », demeure rare chez Eschyle et Sophocle. 109 L’alternance νέρθε / νέρθεν est sans doute due au mot suivant. Chez Euripide, on a systématiquement νέρθεν devant une voyelle et νέρθε devant une consonne. Cela ne se vérifie pas cependant pour ἔνερθεν / ἔνερθ’, tous devant une voyelle ; Euripide élide la dernière syllabe ou rajoute un -ν selon les besoins de la métrique. 110 Euripide, Héc., 791-792 ; cf. supra n. 106.
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préférera substantiver ἔνερθεν (Antigone, 25 et Electre, 1068), suivi aussi par Euripide (Rhésos, 963). On trouve également des termes isolés, empruntés à la poésie épique ou lyrique. Ainsi la racine *(s)qeu-dh-, qui allie la notion de gouffre à celle de cachette, se montre prolifique, notamment chez Sophocle : les tragiques redécouvrent le verbe homérique κεύθω (Eschyle, Prométhée, 571 ; Sophocle, Ajax, 633 et Electre, 869), alors qu’il était délaissé par les lyriques qui lui préféraient le substantif κεῦθος. Ce dernier est aussi utilisé par Sophocle (Antigone, 818), y compris en composition dans l’adjectif παγκευθής, « qui cache tout » (Œdipe à Colone, 1562-1563). Euripide emploie κευθμών (Hécube, 1) qui qualifiait les profondeurs du Tartare eschyléen (Prométhée, 220). Cette double notion de cachette et de profondeur est également notée par le terme μυχός de la poésie lyrique (Eschyle, Prométhée, 433 ; Sophocle, Ajax, 571 ; Euripide, Troyennes, 952 et Héraclès, 607). Le verbe κρύπτω, que l’on rencontre pour la première fois chez Sophocle à propos de l’Hadès (Antigone, 24-25 ; Œdipe à Colone, 1552), traduit l’idée que les morts sont en sécurité dans les Enfers, car ils sont soustraits aux regards par la croûte terrestre qui les sépare des vivants. D’autres termes insistent uniquement sur la notion de profondeur, tels les adjectifs χθόνιος « souterrain » (Eschyle, Perses, 628. Sophocle, Œdipe à Colone, 1726 et Electre, 1066. Euripide, Alceste, 902 ; Andromaque, 544 ; Hécube, 79 ; Hélène, 345 ; Ion, 1441-1442 ; Phéniciennes, 1321 ; F. 868 et 912, v. 8 Kannicht) ou μελαμϐαθεῖς, « aux noires profondeurs » (Sophocle, Polyxène, F. 523 Radt) ou encore ὑποχθόνιος (Euripide, Andromaque, 515). Le début de l’évocation de Darius dans les Perses (v. 619630) est remarquable par l’abondance des termes relatifs à l’aspect souterrain des Enfers : νερτέρων (619), ἀνακαλεῖσθε (621), νερτέροις θεοῖς (622), θαλάμους ὑπὸ γῆς (624), φθιμένων πομποὺς… κατὰ γαίας (626-627), χθόνιοι δαίμονες (628), Γῆ τε καὶ Ἑρμῆ, βασιλεῦ τ’ ἐνέρων (629), ἔνερθεν… ἐς φῶς (630). Une telle accumulation, si elle a pour but d’appeler Darius, possède aussi une autre fonction. Elle fait littéralement surgir ce monde souterrain, d’ordinaire invisible, sur scène et suscite chez les spectateurs à la fois terreur et émotion. Ce procédé reste propre à Eschyle qui récidive dans les Euménides avec l’apparition du chœur des Erinyes. Autre nouveauté d’Eschyle : l’association de la Terre au royaume infernal ou à ses puissances puisqu’elle est censée les contenir en son sein. Ainsi est-elle évoquée lors des scènes de libation aux morts, soulignant de ce fait leur position souterraine (Perses, 219-220, 523-524, 621-622, 629-630). La revue des principales occurrences de la localisation souterraine de l’Hadès dans la tragédie montre que les poètes se contentent souvent de reprendre des expressions traditionnelles sans ajouter beaucoup de variantes, comme si cette situation infernale était devenue un lieu commun. La comédie n’y déroge pas non plus, bien que, contrairement aux poètes lyriques ou tragiques, Aristophane dans les Grenouilles note la profondeur infernale ou le 66
retour vers la surface terrestre uniquement par les thèmes *kata ou *ana. Pour l’emploi du premier, Aristophane n’innove pas : on retrouve l’adverbe κάτω dans les expressions εἰς Ἅιδου κάτω, « au fond de l’Hadès » (v. 69 et 118), et τὰ κάτω, « le monde d’en bas » (F. 488 = 504 PCG) ; la préposition κατά suivie du génitif (v. 1514), et parfois substantivée pour désigner les divinités souterraines (v. 1529) ; enfin le préverbe κατα- en composition dans κατέρχομαι, « descendre » (v. 136, 771, 789). Par plaisanterie, Aristophane a transformé l’expression ἐν τοῖς κάτω νεκροῖσι en ἐν τοῖς ἄνω νεκροῖσι, « parmi les morts d’en haut » (v. 420), et le mort s’exclame ἀναϐιοίην νυν πάλιν, « plutôt revivre alors ! » (v. 177), à l’inverse des vivants qui souhaitaient mourir (cf. Nuées, 1255 ; Assemblée des femmes, 977 ; Lysistrata, 531). Le préfixe ἀνα- apparaît également dans ἀναδύομαι, « se lever hors de, surgir » (Grenouilles, 1460), qui habituellement qualifie une émergence des flots, non du monde souterrain. Cette image du lever est reprise un peu plus loin (v. 1528-1529) par une tournure originale : Eschyle, que Dionysos ramène sur terre, « se lève vers la lumière » ; on a l’impression qu’il s’éveille du long sommeil qu’est la mort, comme quelqu’un se lèverait de son lit après un somme. L’opposition entre εἰς φάος ὀρνυμένῳ et οἱ κατὰ γαίας, au début et à la fin du vers 1529, est nettement marquée et insiste sur la remontée que doit effectuer le poète avant d’atteindre la surface terrestre et de revoir le jour. La conception archaïque de la localisation infernale s’est donc d’abord simplifiée avant de se perpétuer sans grande innovation jusqu’à la fin du Ve siècle : la situation aux confins de l’Océan a cédé la place à un Hadès souterrain111 . Les écrivains cependant reprennent les mêmes expressions, sans plus croire nécessairement à ce qu’ils disent. Car, sans doute sous l’influence des premiers philosophes, nous voyons poindre chez Euripide et Aristophane des traces d’une localisation différente qui connaîtra une grande faveur dans les siècles suivants, celle d’un Hadès céleste dont nous reparlerons dans la suite de notre étude puisqu’elle rompt totalement avec la conception traditionnelle. Mais il est temps à présent, après avoir situé les différents lieux infernaux dans l’univers, de nous intéresser à l’aspect et au paysage de chacun d’eux, à commencer par le Tartare.
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Néanmoins, la double composante horizontale et verticale existe toujours : comme l’a souligné M. Courrént, 2002, pp. 167-168, Hermès conduit les âmes selon un déplacement vertical de la surface terrestre au royaume souterrain, alors que dans la barque de Charon elles effectuent un déplacement horizontal d’une rive à l’autre du fleuve infernal.
CHAPITRE 2 LE TARTARE Lorsque nous parlons du Tartare, nous le nommons toujours au singulier, ce qui laisse supposer que tel est le cas aussi en grec. Or il existe des occurrences au pluriel, qui par ailleurs s’accompagnent d’un changement de genre : le masculin au singulier (Τάρταρος) devient neutre au pluriel (Τάρταρα). Quelles sont les raisons de cette différence ? Les deux formes sont-elles interchangeables ou bien leur différence influe-t-elle sur leur signification ? 1. Question de genre et de nombre : Τάρταρος / Τάρταρα Si la poésie homérique n’emploie le mot qu’au singulier, la Théogonie d’Hésiode1 recourt parfois au pluriel : Τάρταρος est attesté aux vers 682, 721, 725, 736, 807, 822 et 868, mais on a Τάρταρα aux vers 119 et 841. Les critiques expliquent souvent cette différence par des raisons métriques. ΤΆρτᾰρᾰ en effet reste toujours un dactyle, alors que dans Τάρταρος la dernière syllabe devient longue par position si le mot suivant commence par une consonne : ΤΆρτᾰρΌς γΈΉς, schéma qui ne s’insère pas dans le cadre d’un hexamètre dactylique. Cependant, la simple contrainte du schéma rythmique paraît insuffisante pour expliquer l’emploi de Τάρταρα, et si l’on considère attentivement le contexte, on s’aperçoit que Τάρταρος semble plus précis que Τάρταρα. Les ennemis de Zeus, en effet, sont jetés dans le Τάρταρος, et jamais dans les Τάρταρα2. Τάρταρος s’applique donc à un endroit bien déterminé, la partie souterraine qui tient lieu de prison3. Τάρταρα, au contraire, désignerait plutôt les « régions tartaréennes », c’est-à-dire le Tartare lui-même et ses abords (demeures de Nuit, 1
Dans les autres œuvres hésiodiques (ou pseudo-hésiodiques), on trouve toujours Τάρταρος : Bouclier, 225 ; Catalogue des femmes, F. 30, v. 22 ; 54 (a), v. 6 et 54 (b) Merkelbach-West. 2 Cf. Théog., 721, 725, 736, 807, 868 ; Catalogue des femmes, F. 30, v. 22 ; 54 (a), v. 6 et 54 (b) Merkelbach-West. 3 Le vers 682 ne s’oppose pas à cette interprétation, ni le vers 822 où le Tartare est personnifié. Nous ne tenons pas compte du Bouclier qui témoigne d’une confusion entre Hadès et Tartare. Nous ne sommes pas d’accord avec J. S. Clay (2003, p. 16) qui affirme que le pluriel Τάρταρα aurait d’abord désigné l’intérieur de la terre, la dimension en profondeur.
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d’Hypnos et de Thanatos, d’Hadès et de Styx. Cf A. Ballabriga, 1986, pp. 288289). Le neutre pluriel transcrirait ainsi les différents éléments qui composent les régions infernales, Τάρταρος n’étant qu’une partie des Τάρταρα. Les θύραι, et non les πύλαι (cf. paragraphe suivant), qui ferment l’accès au Τάρταρος confirmeraient cette hypothèse, ainsi que les rares occurrences chez Sophocle (Niobé, F. 442 Radt, v. 8) et Euripide (Hippolyte, v. 1290, voir supra pp. 4041). Chez Homère, Τάρταρος désigne aussi la prison des Titans, et Τάρταρα n’apparaît pas, sans doute parce que les alentours n’en sont jamais décrits. Nous avons parlé des Τάρταρα dans le chapitre précédent (pp. 27-41). C’est donc au Τάρταρος que nous allons nous intéresser maintenant, à son aspect et à son atmosphère. 2. Aspect et atmosphère du Tartare a) Architecture Dans l’Iliade, un unique vers apporte quelques précisions sur cet endroit (VIII, 15). Seule l’entrée est évoquée. Les portes et le seuil dont il est question supposent une muraille qui clôt le Tartare, mais l’auteur ne la mentionne pas. Toute son attention se porte sur les matériaux employés σιδήρειαί τε πύλαι καὶ χάλκεος οὐδός, « les portes de fer et le seuil de bronze ». Pourquoi ? Sans doute a-t-il voulu insister sur les difficultés pour y entrer ou en sortir. La mention des portes et du seuil implique la notion de passage. C’est l’idée de limite, de frontière qui intéresse ici Homère, la séparation entre l’Hadès et le Tartare. Les matériaux évoqués donnent l’impression d’éléments indestructibles. Le fer, en effet, est symbole de dureté. Il s’agissait en outre à cette époque d’un métal rare et précieux, l’alliage usuel étant le bronze. Ce sont également des matières qui dégagent un éclat4, seuls éléments brillants de ce monde de ténèbres, et qui marquent par conséquent l’importance de la frontière. D’ailleurs, l’intérieur du Tartare n’est pas décrit. Les portes et le seuil ont donc pour fonction de séparer deux mondes souterrains et d’atmosphère sensiblement identique. Ressemblance et séparation sont, à notre avis, contenues dans la mention même de ces deux éléments. Οὐδός insiste plutôt sur la transition, c’est un espace ouvert, qui participe des deux mondes, celui qui se situe en deçà et celui qui est au-delà des πύλαι. Le terme πυλή qui désigne le battant, et donc au pluriel un double battant, s’emploie pour la porte qui s’ouvre dans les murailles d’une ville ou pour celle d’un palais. Il souligne l’accès possible à un lieu, tout en marquant une nette séparation puisque la porte peut être close. Malgré leur ressemblance, ces lieux infernaux sont en réalité bien différents. L’Hadès 4
E. Handschur (1970, p. 94) les classe dans la catégorie « Weiß, Weiß glänzend, Glänzend ».
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accueille les âmes humaines, le Tartare sert de prison aux divinités qui s’opposent au pouvoir de Zeus, par exemple les Titans5. Ces dieux ne doivent en aucun cas s’évader, d’où la profondeur à laquelle le Tartare se situe et la qualité exceptionnelle de l’entrée de la construction. La Théogonie d’Hésiode, vers 726-735 et 811-819, s’accorde avec la description homérique et la complète6. Le Tartare s’y présente comme un gouffre (χάσμα μέγα, v. 740) ou une gorge (δειρή, v. 727), ceints d’un rempart de bronze (χάλκεον ἕρκος, v. 726 ; τεῖχος, v. 733). Comme dans l’Iliade, c’est surtout l’entrée qui est évoquée, mais les murs sont aussi mentionnés. Ἕρκος est un terme général qui désigne tout ce qui entoure un lieu, « l’enceinte ». La notion de solidité est donnée par l’adjectif χάλκεος. Τεῖχος implique davantage l’idée de fortification, idée renforcée par ἀμφοτέρωθεν, « des deux côtés ». On a l’impression que l’enceinte entoure totalement la prison sans laisser la moindre ouverture, pas même au niveau des portes. Pour désigner l’entrée, on note l’utilisation de deux termes : θύραι (v. 732) et πύλαι (v. 741 et 811). Pourquoi deux mots différents pour indiquer la même porte ? Πύλαι, nous venons de le voir pour le Tartare homérique, caractérise l’entrée de tout édifice entouré d’enceintes. Il convient donc parfaitement au Tartare hésiodique ceint par un ἕρκος ou un τεῖχος. Θύραι en revanche, désigne la porte qui sépare les pièces à l’intérieur de la maison7. Le Tartare serait donc considéré comme partie d’un tout, une pièce (nommée Τάρταρος au singulier) parmi les autres salles de l’édifice (Τάρταρα au pluriel), ce qui confirme l’hypothèse que nous avions émise. Cependant, cette conception n’explique pas pourquoi on trouve également le terme πύλαι. Le sens attribué par E. Benveniste (1969, tome I, pp. 312-313) à θύραι semble résoudre le problème posé. Se reportant à la racine indo-européenne *dhwer (cf. latin fores) qui, au degré zéro *dhur, a donné le grec θύρα, E. Benveniste porte son attention sur les formes adverbiales, très anciennes, et devenues indépendantes. A côté de θύρα, on trouve l’adverbe θύραζε, « dehors », qui, dès l’époque homérique, ne paraît plus avoir de relations avec le mot dont il est dérivé. De cet adverbe découle qu’à l’origine la racine *dhwer / *dhur désignait la porte vue de l’intérieur d’un lieu : « c’est seulement pour celui qui est dans la maison que ‘à la porte’ peut signifier ‘dehors’ […]. Pour celui qui vit à l’intérieur, *dhwer marque la limite de la 5
Il. VIII, 478 ; XIV, 203-204 ; XV, 225 ; Hésiode, Théog., 729-735 et 813-820. A moins que, d’après l’opinion d’A. Ballabriga (1990, pp. 24-25), l’Iliade se soit inspirée de la Théogonie, et non l’inverse comme il est couramment admis. Voir aussi G. Kirk, 1987-1993, vol. 1, p. 10 et vol. 2, p. 297 (commentaires à VIII, 15-16). 7 Cf Il. XIV, 167 où les θύραι de la chambre d’Héra se différencient des πύλαι de l’Olympe (Il. V, 749 et VIII, 393). Θύραι s’emploie à propos d’un espace situé à l’intérieur d’un espace plus grand. A propos du vocabulaire architectural, et de la porte en particulier, voir S. Rougier-Blanc, 2005 b, pp. 26-29. 6
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maison conçue comme intériorité, et protège le dedans de la menace du dehors […]. Cette porte, selon qu’elle se ferme ou qu’elle s’ouvre, devient symbole de la séparation ou de la communication entre un monde et l’autre ». Or, si l’on revient aux passages de la Théogonie qui distinguent θύραι (v. 732) et πύλαι (v. 741 et 811), on constate un changement de point de vue notable. Dans le premier cas, Hésiode vient de faire allusion aux Titans et souligne qu’ils ne peuvent sortir du Tartare : θύρας δ’ἐπέθηκε Ποσειδέων. On trouve θύρας parce qu’il s’agit de la vision des Titans, qui se tiennent à l’intérieur du Tartare. La « porte » marque donc pour eux la limite du Tartare conçu comme intériorité. Ce qui se passe de l’autre côté de ces θύραι se situe pour eux « au dehors ». Dans le second cas, Hésiode parle des « sources et des extrémités de tout » : ἔνθα δὲ μαρμάρεαί τε πύλαι (v. 811). La porte est, cette fois-ci, vue de l’extérieur du Tartare. Le terme θύραι ne convient donc plus, et il a été remplacé par πύλαι. De même au vers 741, la personne qui franchirait les portes arriverait de l’extérieur, d’où l’emploi de πύλαι. Que ce soit l’un ou l’autre terme, les « portes », symboles de séparation du Tartare et du reste de l’univers, sont toujours fermées8. De l’intérieur, si les θύραι sont closes, on n’aperçoit pas le seuil, alors que de l’extérieur, il est clairement visible (v. 811). La solidité de l’édifice est à chaque fois soulignée par le matériau employé, le bronze : χάλκεον ἕρκος (v. 726), θύρας… χαλκείας (v. 732-733), χάλκεος οὐδός (v. 811). A l’instar d’Homère, et bien que les matériaux nommés ne soient pas toujours identiques, Hésiode a voulu insister sur la notion de frontière, et surtout sur son indestructibilité. L’importance en est également soulignée par son aspect brillant, alors que la gorge est entourée de trois rangs d’ombre (v. 727). L’éclat, suggéré par l’épithète χάλκεος, se révèle dans l’expression μαρμάρεαι πύλαι (v. 811). Μαρμάρεαι ne désigne pas ici le matériau (on a vu au vers 732 que les portes étaient « de bronze », et non « de marbre »), mais plutôt la lueur de l’airain, son éclat métallique qui subsiste même dans un environnement peu éclairé (cf. E. Handschur, 1970, p. 81). L’ensemble est d’autant plus résistant qu’il est solidement assis (v. 811-813). Les trois expressions qui qualifient le seuil font allusion à sa solidité : ἀστεμφής, « inébranlable, immobile », qui viendrait peut-être d’un verbe *στέμφω, « tasser, serrer »9 ; αὐτοφυής, « né de 8
On peut noter à ce propos la différence avec les autres composantes des Τάρταρα : le seuil de la demeure de Nuit s’ouvre régulièrement et permet une communication quotidienne avec le monde des vivants. Les πύλαι de l’Hadès ne s’ouvrent que dans un sens, qui donne accès au royaume des morts : on ne peut plus parler de véritable communication, mais de passage unilatéral. Les portes du Tartare, quant à elles, semblent à jamais closes : la séparation est nettement marquée. 9 P. Chantraine, 1968, s. v. ἀστεμφής. Cf. scholies à Théog., 812 : ἀ σ τ ε μ φ ή ς · διὰ τὸ ἀμετάθετον· βεϐαίως καὶ ἀμετακινήτως ἑστώς. PX, « A cause de son immuabilité ; fixé solidement et de façon immuable ».
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soi-même, naturel », avec l’idée qu’il s’est façonné sans la main d’un homme ni d’un dieu (contrairement aux portes créées par Poséidon) ; l’ouvrage fait donc corps avec la terre dont il est partie intégrante et ne peut être détruit sans anéantir la structure de l’univers. La dernière apposition, ῥίζῃσι διηνεκέεσσιν ἀρηρώς, insiste particulièrement sur ce fait. Outre un vocabulaire emprunté à la végétation (ῥίζῃσι, « par des racines »), l’adjectif διηνεκέεσσιν, « qui s’étend continuellement, sans fin », souligne la profondeur incommensurable de la base du seuil : telle une plante, il est solidement ancré dans la terre et il est impossible de l’en arracher. L’emploi du parfait ἀρηρώς, « adapté solidement », donne cet état de fait comme achevé et irréversible. La raison en est simple : le seuil donne accès à un monde qu’un homme ne serait pas capable de supporter, un monde de tempêtes incessantes qui, si les portes s’ouvraient, envahirait la terre et détruirait l’humanité. La frontière se doit donc d’être inébranlable et de résister aux violentes bourrasques qui secouent le Tartare (v. 740-743). Θύελλα, substantif dérivé de θύω (« bondir, s’élancer avec fureur »), souligne la violence du vent renforcée par l’épithète ἀργαλέος, « terrible ». Ἀργαλέος, issu de la dissimilation de *ἀλγαλέος, est construit sur la racine d’ἄλγος et implique une souffrance physique provoquée par l’impétuosité de la tempête. Cette conception paraît diverger de celle des poèmes homériques où ne régnait pas le moindre souffle d’air. Mais l’Iliade faisait allusion à l’absence d’air vivifiant, non au vent destructeur. Au VIe siècle av. J.-C., Phérécyde de Syros, peut-être influencé par les vers hésiodiques, fait surveiller l’entrée du Tartare par une tempête personnifiée (F. 7 B 5, Diels). D’ailleurs les Anciens apparentaient le mot Τάρταρος au verbe ταράττω, « remuer, agiter ». Ainsi les scholies à la Théogonie, vers 119 : « Il le nomme Τάρταρα d’après ταράττεσθαι, ‘être agité’ », et 721 : « Tartare : l’air remué et agité »10. Chez Hésiode, même si les bourrasques ne sont pas désignées comme gardiennes, elles en jouent le rôle, empêchant quiconque d’entrer dans le Tartare. Ainsi éléments naturels (abîme, gorge, tempêtes) et éléments architecturaux (remparts, portes et seuil d’airain) se combinent pour rendre inviolable cette partie des lieux infernaux. Nous sommes en présence d’une véritable forteresse qui renferme un espace totalement étranger à l’espace humain. b) Atmosphère La position souterraine du Tartare a pour conséquence l’obscurité permanente qui y règne. Dans la poésie épique et lyrique, le Tartare est qualifié
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Scholies R2WLZ à Théog., 119 : Τάρταρα δὲ εἶπεν ἀπὸ τοῦ ταράττεσθαι. Et scholies NsvB à Théog., 721 : Τ ά ρ τ α ρ ο ν : τὸν τεταραγμένον ἀέρα καὶ ἄστατον.
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par l’adjectif ἠερόεις11, dérivé de ἀήρ qui, à cette époque, a toujours la signification de « brouillard, brume ». Il sous-entend un manque de lumière du jour et, selon E. Handschur (1970, pp. 188-191), il s’applique à des objets ou des lieux dont la particularité est le manque de couleur ou de clarté étincelante. Il signifie donc « opaque, ombreux », en contraste avec φάος. Cette opposition entre les ténèbres du Tartare et la lumière terrestre est soulignée par les vers 479-481 du chant VIII de l’Iliade : l’idée de douceur exprimée par le verbe τέρπω y est détruite par la double négation οὔτε… οὔτε. Contrairement à ἠερόεις, αὐγή suppose un éclat12. Dans le Tartare homérique, deux caractéristiques essentielles à la vie sont niées : les souffles de l’air (la brise) ainsi que la chaleur et la clarté du soleil. Une impression de lieu glacé en ressort. Les scholies à l’Iliade, en confrontant l’Olympe et le Tartare, y insistent particulièrement : Le Tartare est agité et semble glacial ; ainsi frissonner au plus haut point se dit ταρταρίζειν. L’un (l’Olympe) est entièrement éclairé, l’autre est brumeux. Le Tartare constitue la partie souterraine la plus basse de l’Hadès, couverte de ténèbres et située à l’endroit le plus profond. C’est un lieu âpre et pénible13.
Hésiode plonge même le Tartare dans un triple rang d’ombre (Théogonie, 726727) : l’adverbe τριστοιχεί, « sur trois rangs », amplifie l’obscurité régnante14 et le parfait κέχυται en marque l’immuabilité. Ou bien, toujours de façon hyperbolique, il emploie deux mots relatifs à l’obscurité : ὑπὸ ζόφῳ ἠερόεντι, 11
Iliade VIII, 13 ; Théogonie, 119, 682, 721, 723 b, 729, 736, 807 ; Hymne hom. à Hermès, 256 ; Théognis, 1036. 12 Eclat du feu, du rayon du soleil, des yeux, de la lune, d’après E. Handschur, 1970, p. 64. 13 Scholies à Il. VIII, 13 : Ὁ δὲ Τάρταρος τετάρακται καὶ ψυχρὸς εἶναι δοκεῖ· καὶ γοῦν τὸ σφόδρα ῥιγοῦν ταρταρίζειν φασίν. καὶ ὁ μὲν (Ὄλυμπος) ὅλος καταλάμπεται, ὁ δὲ ἠερόεις ἐστίν. AbT. Τάρταρος τὸ ὑπὸ τὴν γῆν ἐσκοτισμένον μέρος κατώτατον τοῦ Ἅιδου, καὶ ἐν βαθυτάτῳ κείμενον τόπῳ. ἢ τὸν χαλεπὸν καὶ δυσχερῆ λέγει... A. 14 Cf. scholies à 727 a : τ ρ ι σ τ ο ι χ ε ί : κατὰ τρεῖς τάξεις... R2WLZT. < τριπλῆ, ὡς ἂν πλείστη καὶ ἄπειρος. R2WLZ. > τ ρ ι σ τ ο ι χ ε ί : selon trois rangs… R2WLZT. < triplement, pour traduire la pensée que ces rangs sont multiples et innombrables. R2WLZ. > et scholies à 727 b : < π ε ρ ὶ δ ε ι ρ ή ν : > περὶ τὸ ἄκρον καὶ τὸ ἀνώτατον μέρος τοῦ Ταρτάρου πρὸς τῷ Ἅιδῃ, περὶ ὅν, φησί, κέχυται πολλὴ νύξ· τὸ γὰρ τριστοιχεὶ πολυστοχεί. R2WLZ. < sur la gorge : > sur la partie supérieure et la plus élevée du Tartare, vers l’Hadès qu’enveloppe, dit le poète, une nuit abondante ; car « en triple rang » sous-entend « en de nombreux rangs ». R2WLZ.
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« sous les ténèbres » (v. 729). L’Hymne homérique à Hermès recourt également à cette redondance : ἐς Τάρταρον ἠερόεντα (« dans le Tartare brumeux, dans les ténèbres », v. 256-257). Vue sa position souterraine (ὑπὸ γαίῃ, v. 258), le Tartare est un lieu empli de ténèbres, où le jour ne pénètre jamais : Apollon oppose ἐς ζόφον (v. 257) à ἐς φάος (v. 258). L’antithèse est soulignée par la place des deux expressions en début de vers. L’atmosphère angoissante qui règne se révèle à travers les adjectifs αἰνόμορον, « au funeste destin », et ἀμήχανον, « contre quoi l’on est sans ressource, dont on ne peut se tirer » (v. 257) : il s’agit d’une prison d’où il est impossible de s’évader et que les nuées et brouillards permanents dissimulent aux yeux des vivants. Ainsi les Titans, « cachés dans les ténèbres » (Théogonie, v. 729-730), ne peuvent être vus. D’où l’épithète homérique ἐν α ἰνᾷ Ταρτάρῳ, « dans l’effrayant Tartare », reprise par Pindare (Pythiques I, 15). C’est un endroit également terrifiant chez les dramaturges, autant par sa difficulté d’accès que par les ténèbres qui y règnent15. A cela s’ajoutent les tourbillons qui l’agitent : ἀνάγκης στερραῖς δίναις, « dans les rudes tourbillons d’une inévitable destinée » (Eschyle, Prométhée, 1052), écho des vers 154-155 (δεσμοῖς ἀλύτοις / ἀγρίως πελάσας, « me jetant cruellement dans des liens qu’on ne peut délier ») et probable réminiscence des tempêtes hésiodiques (Théogonie, 742) et des « pénibles liens » qui enchaînaient les Titans (Théogonie, 718). On trouve une image similaire dans un fragment d’origine incertaine de Pindare : « †… le fond du Tartare invisible par les solides liens de la destinée »16. Et les paroles qu’adresse le chœur à Athéna dans l’Héraclès d’Euripide laissent supposer qu’il s’agit d’un lieu empli de tourmentes : τάραγμα ταρτάρειον (v. 907), le terme s’apparentant au verbe ταράττω et traduisant une grande agitation physique et mentale. Si l’on suit l’étymologie des Anciens pour le Tartare (cf. supra p. 73), l’expression forme un pléonasme. La configuration et l’atmosphère du Tartare expliquent donc l’horreur irréversible des dieux et des humains pour ce lieu. Pourtant, il a été progressivement assimilé à l’autre domaine souterrain, l’Hadès. Est-ce à dire que les deux royaumes présentent des caractéristiques communes ? C’est ce que vont tenter de vérifier les pages suivantes, tout en cherchant à établir la spécificité de l’espace et du paysage des Enfers.
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Eschyle, Prom., 153-155, 219-220, 1029 (cf. supra p. 39) et 1050-1051 : ἐς κελαινὸν Τάρταρον, « dans le sombre Tartare ». Sophocle, Œdipe à Col., 1389-1390 : τοῦ Ταρτάρου / στυγνὸν τὸ... ἔρεϐος, « l’obscurité odieuse du Tartare ». Aristophane, Nuées, 192 : ἐρεϐοδιφῶσιν ὑπὸ τὸν Τάρταρον, « ils sondent les ténèbres dans le Tartare ». 16 Pindare, F. 207 (Maehler) : Ταρτάρου πυθμένα ἠπτίξεις ἀφανοῦς σφυρηλάτοις ἀνάγκαις.
CHAPITRE 3 L’HADÈS Après la vision globale de la structure de l’univers et de ses fondements, il est temps de nous intéresser à l’élément intermédiaire entre la surface terrestre et le Tartare : l’Hadès, séjour des âmes1. L’étude du paysage infernal permettra sans doute de mieux appréhender l’atmosphère qui y régnait et les raisons pour lesquelles les Grecs préféraient la vie terrestre par-dessus tout. 1. Espace et paysage Les premiers témoignages littéraires concernant l’espace à l’intérieur de l’Hadès se trouvent dans l’Odyssée. Hésiode ne l’évoque pour ainsi dire pas. a) L’espace infernal dans l’Odyssée : Evocation (Νεκυομαντεία) ou descente (Νεκυία) ? Dès l’Antiquité, le chant XI de l’Odyssée portait deux titres. Le premier, Νεκυομαντεία, désigne une consultation, une évocation des âmes, alors que le second, Νεκυία, indique une descente, une visite au pays des morts. Pour l’un, les âmes viennent sur terre ; dans l’autre, on pénètre à l’intérieur de l’espace infernal2. Evocation et descente se sont combinées au chant XI, sans doute à date ancienne3, car au Ve siècle, Polygnote s’en est inspiré pour peindre sa Nékyia à la leschè de Delphes : héros, héroïnes, grands criminels homériques y figurent, ce qui implique que l’épisode infernal présentait déjà l’aspect qui nous est parvenu avec la vulgate homérique. L’intégration des différents passages remonte donc au moins à la fin du VIe ou au début du Ve siècle. En outre, des
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Chercher à définir ce que les Grecs entendaient par « âme » nous éloignerait de notre propos. A ce sujet, voir, entre autres, E. Rohde, 1928 ; G. Donnay, 1983 et J. Bremmer, 1983. 2 Le titre donné au chant XXIV de l’Odyssée, ΔΕΥΤΕΡΑ ΝΕΚΥΙΑ (« Seconde Nékyia »), confirme le sens : les âmes des prétendants, guidées par Hermès, entrent dans l’Hadès où elles conversent avec les héros morts pendant la guerre de Troie. 3 Pour l’état de la question à propos des nombreuses controverses entre les partisans de l’unité du poème et leurs adversaires, voir supra chap. 1, notes 53 et 82.
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ajouts peuvent révéler un état ancien de croyances, c’est pourquoi nous prendrons en compte le texte intégral pour notre étude. Etude de la première Nékyia (chant XI) Dès qu’il est arrivé aux demeures d’Hadès, Ulysse commence l’évocation des âmes (XI, 11-50) selon les préceptes que lui avait donnés Circé (X, 508537). Les défunts accourent, et le héros parle à beaucoup d’entre eux (XI, 51564), façon pour le poète d’élargir le thème de l’errance. Durant toute l’évocation, aucune précision sur le paysage n’est donnée, pour la bonne raison qu’Ulysse ne bouge pas. Il reste assis près de la fosse pendant que les âmes viennent vers lui boire le sang des victimes sacrifiées. L’analyse des verbes en rend compte : en X, 536-537, le héros est caractérisé par un verbe d’état (ἧσθαι, « reste assis »), les âmes par un verbe de mouvement (ἴμεν, « aller ») ; leur emploi dans la même phrase souligne fortement l’antithèse, que le vers suivant confirme : au ἔνθα (« là ») qui désigne l’endroit où demeure Ulysse, s’oppose le verbe d’action ἔρχομαι (« venir ») qui s’applique à l’âme de Tirésias. Le chant XI est aussi parsemé d’expressions relatives au mouvement des âmes : αἱ δ’ἀγέροντο / ψυχαὶ ὑπὲξ Ἐρέϐευς (« du fond de l’Erèbe, les âmes se rassemblaient », v. 35-36 ; cf. X, 530 : ἐλεύσονται, « accoureront ») ; περὶ βόθρον ἐφοίτων ἄλλοθεν ἄλλος (« venaient çà et là autour de la fosse », v. 42). On a l’impression d’un va-et-vient incessant du fond de l’Erèbe (ὑπὲξ Ἐρέϐευς) vers la surface terrestre. A cela s’ajoute ἐπέρχομαι, qui revient tel un refrain pour indiquer le changement d’interlocuteur d’Ulysse (v. 51, 84, 90). Certes ce verbe est couramment utilisé pour indiquer une notion de rapprochement, ἐπί signifiant « immédiatement auprès, tout près » avec une idée de mouvement. Mais dans ces cas précis, ne doit-on pas aussi tenir compte de l’autre sens de ἐπί : « dessus, à la surface de, au-dessus »4 ? La valeur d’ὑπέξ serait ainsi confirmée par ἐπέρχομαι « venir à la surface de » ; les défunts montent de l’intérieur des Enfers. Il s’agit d’une évocation au sens propre (de e-vocare, « appeler hors de »). Les conversations entre Ulysse et les ombres se déroulent à la surface terrestre, autour de la fosse où ont eu lieu les sacrifices (cf. XI, 8183 ; 98-99 ; 142). La mention du sang sacrificiel revient tout au long de l’évocation, car, selon les dires de Tirésias (XI, 147-149), les âmes sont attirées par cette boisson qui leur redonne la mémoire. La condition sine qua non pour qu’elles recouvrent leur sens et parlent est donc de boire le sang, ce qu’elles ne peuvent faire qu’en sortant des Enfers. Tirésias insiste sur le mouvement de vaet-vient des morts : ils sortent pour boire le sang (XI, 148) puis rentrent (XI, 4
Ce préverbe prendrait toute sa valeur s’il était opposé à ὑπό ou à κατα-, ce qui n’est pas le cas. Mais on note l’adverbe ἄνευθεν au vers 82, avec ἀνα- qui, en composition, indique un mouvement de bas en haut, et pourrait donc conforter le sens de ἐπι- « audessus ».
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149). Le verbe εἶμι (« aller ») est répété, mais la seconde fois, il est précisé par des adverbes de sens très proche : πάλιν et ὀπίσσω, « en rebroussant chemin, en revenant sur ses pas ». La même idée est réitérée aux vers suivants (XI, 150153), où βαίνω (« marcher ») est renforcé par εἴσω qui indique un mouvement vers l’intérieur. Le contraste entre l’attitude de Tirésias et celle d’Ulysse est marqué par l’emploi de μέν (v. 150)… αὐτὰρ ἐγών (v. 152). Et entre ἔϐη […] εἴσω (v. 150) et ἤλυθε (v. 153) qui s’appliquent aux âmes, trois termes marquent l’immobilité d’Ulysse : αὐτοῦ μένον ἔμπεδον (v. 152), les deux adverbes renchérissant sur l’inaction exprimée par le verbe μένω. Il est donc impossible au héros de voir l’intérieur de l’Erèbe. Les remarques précédentes gardent leur valeur pour le catalogue des héroïnes (XI, 225-327). Conformément aux dires de Tirésias, Ulysse les laisse s’approcher et boire le sang (v. 225-234). Aux verbes qui expriment la venue des femmes répond le ἔνθα prouvant qu’Ulysse est demeuré près de la fosse (v. 235). Vient ensuite la succession des différentes héroïnes, simplement marquée par des conjonctions ou des adverbes : δὲ μετά, καί, τε (XI, 220, 269, 271, 281, 298, 305, 321 et 326). Aucune précision de lieu n’apparaît : il reste inchangé par rapport aux indications des vers 225-234. Par conséquent, jusqu’à l’intermezzo (XI, 328-384), il s’agit bien d’une évocation et il est normal, Ulysse restant immobile, que nous n’ayons aucun renseignement sur l’espace infernal. Qu’en est-il de la seconde partie du chant XI ? Le fils de Laërte reprend son récit avec la venue de l’âme d’Agamemnon (XI, 385-386). La situation n’a pas changé : on retrouve la formule ἦλθε δ’ἐπὶ ψυχή (v. 387) déjà employée dans la première partie du chant, et Agamemnon retrouve sa connaissance après avoir bu le sang (XI, 390). L’évocation semble donc se poursuivre par un catalogue de héros. Pourtant, l’arrivée d’Achille (XI, 467-472) marque une interruption : il reconnaît Ulysse et s’adresse à lui sans que l’absorption de sang soit mentionnée. Certes, lors du catalogue des héroïnes, le poète ne répète pas à chaque fois cet artifice, mais il avait pris soin de préciser, avant leur défilé, qu’il les laissait boire une à une (v. 232-233). Ici, aucune indication n’est donnée. En outre, les paroles d’Achille (XI, 475-476) sont étranges : pour la première fois, un verbe d’action caractérise Ulysse, κατέρχομαι, dont le préverbe κατα-, nous l’avons vu, indique un mouvement vers le bas. Le héros ne se tient donc plus près de la fosse lorsqu’il rencontre Achille, il est descendu sous terre. Ainsi s’explique l’absence de mention du sang sacrificiel. Aucune équivoque n’est possible, car Achille précise : ἔνθά τε νεκροὶ / ἀφραδέες, « là où les morts privés de sentiments habitent ». Or seuls les morts privés d’honneurs funèbres errent devant les Enfers, les autres résident à l’intérieur de l’Hadès. Ulysse se trouve donc dans les Enfers, et non à l’entrée.
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A partir de ce moment, l’évocation cède la place à une catabase5 et l’on s’attend à une description plus précise des lieux. Pour la première fois, le héros surprend les ombres dans leurs activités souterraines. De nouveau l’adverbe ἐνθάδε (XI, 486) souligne l’endroit où Achille, et par conséquent Ulysse, se situent, c’est-àdire l’intérieur des Enfers. En effet, Achille ne lui a rien dit sur le pouvoir qu’il exerce sur les âmes : Ulysse le constate de lui-même, et pour cela, il faut qu’il soit descendu dans l’Hadès. Des détails géographiques sont mentionnés, alors qu’aucune précision n’était fournie auparavant. Tout prouve qu’Ulysse n’est plus au bord de la fosse, il s’est avancé vers l’intérieur de l’Hadès, mais encore peu profondément puisque devant lui s’étend la prairie d’asphodèles (XI, 539). Il doit se trouver à l’extrémité de la prairie la plus proche de l’entrée. Là, parmi d’autres ombres, il voit Ajax (XI, 543-544) qui s’enfuit lorsqu’il veut lui parler (XI, 563-564). On a l’impression que le départ de ce dernier l’entraîne plus profondément vers l’Erèbe : sans doute le suit-il pour tenter d’apaiser sa rancœur, comme le suggère le vers 565. L’adverbe ἔνθα indique cette fois-ci que l’action se déroule dans l’Erèbe, puisque c’est le dernier lieu auquel il est fait allusion (εἰς Ἔρεϐος, v. 564). Si l’on tente de reconstituer le chemin parcouru par Ulysse depuis la fosse sacrificielle, on suppose qu’il est d’abord descendu (sans doute a-t-il franchi le fleuve ou les portes d’Hadès) et est arrivé dans la prairie d’asphodèles où il a rencontré Achille. Puis, à la suite d’Ajax, il a traversé cette prairie et s’est enfoncé dans l’Erèbe, la partie la plus profonde et la plus sombre des Enfers. La prairie d’asphodèles constitue donc une sorte de vestibule qui donne accès à la demeure des âmes, l’Erèbe. Là, c’est-à-dire à l’intérieur de l’Erèbe (ἔνθ’ἦ τοι, v. 568), il aperçoit Minos et les grands damnés. Comme pour Achille, il décrit leurs actions, ce qui suppose que ces âmes n’ont pu monter à la surface6. En 5
Il est difficile d’affirmer catégoriquement que cette catabase est un ajout postérieur. Elle peut également résulter de la volonté du poète de détailler le séjour infernal, de donner libre cours à son imagination. A propos de l’ancienneté du passage, A. Dihle (1982, p. 19) remarque que les attributs d’Héraclès y sont un arc et des flèches, et non la léontè et la massue qui apparaissent dans les représentations figurées seulement à partir de la fin du VIIe siècle. Aristarque et la plupart des critiques modernes font commencer la catabase seulement à partir du vers 565 (cf. M. H. A. L. H. van der Valk, 1935, pp. 118-122 ; A. Schnaufer, 1970). 6 Les scholiastes avaient déjà relevé la contradiction au cas où Ulysse serait resté près de la fosse : - Scholies H. T. à Od. XI, 568 : πῶς οἶδε τούτους ἢ τοὺς λοιποὺς ἔσω τῶν Ἅιδου πυλῶν ὄντας καὶ τῶν ποταμῶν ; Comment sait-il que ceux-ci ou les autres sont à l’intérieur des portes d’Hadès et des fleuves ? - Scholies H. Q. T. à Od. XI, 570 : οὐκ ἄρα ὑπεξῆλθεν ὁ Μίνως ἵνα συνοφθῇ. ἄλογον γὰρ τὸ καὶ σὺν δικαζομένοις καὶ αὐτῷ δίφρῳ ἐξελθεῖν.
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outre, la répétition du verbe ὁράω-ῶ ou de ses composés7 a remplacé l’expression qui caractérisait la venue des âmes dans l’évocation (ἦλθε δ’ἐπὶ ψυχή). Ce ne sont plus elles qui font l’action, mais Ulysse. Les ombres sont décrites dans le lieu où elles ont l’habitude de vaquer (XI, 568-575). Cependant aucune précision n’est fournie sur la situation d’une âme par rapport à l’autre. Nous sommes bien sûr dans l’Hadès, mais nous ne savons pas si Minos siège dans la prairie d’asphodèles comme Orion ou dans l’Erèbe. Puisqu’Ulysse ne leur parle pas, de l’Erèbe il peut apercevoir la prairie sans s’approcher. Des particules marquent l’énumération des différentes visions sans les localiser : τὸν δὲ μετ’ Ὠρίωνα, « après lui, (je vis) Orion » (XI, 572) ; καὶ Τιτυόν, « et Tityos » (XI, 576) ; καὶ μὴν Τάνταλον, « et assurément Tantale » (XI, 582) ; καὶ μὴν Σίσυφον, « et assurément Sisyphe » (XI, 593) ; τὸν δὲ μετ’... βίην Ἡρακληείην « et après lui le vaillant Héraclès » (XI, 601). Seule leur attitude est précisée. Si pour les grands criminels, des éléments de décor apparaissent, ils se limitent au châtiment infligé : un lac et des arbres pour assoiffer et affamer Tantale (XI, 583 et 588-589), un paysage montagneux à escalader pour Sisyphe (XI, 594596). Quant à Tityos, l’environnement ne faisant pas partie de son châtiment, on sait simplement qu’il est allongé sur le sol (XI, 577). Ces criminels semblent regroupés dans un endroit particulier : ils se succèdent dans l’énumération, le chemin parcouru par Ulysse ne doit donc pas être long8. Cependant on ne
Donc Minos n’est pas monté de l’Hadès pour être vu. Il est en effet absurde qu’il sorte avec ceux qu’il juge et avec son siège. - Scholies H. T. à Od. XI, 573 : πῶς τε ἅμα τῇ τῶν θηρῶν ἀγέλῃ προῆλθε, καὶ διὰ τί ; Comment Orion est-il sorti avec le troupeau de bêtes sauvages, et pour quelle raison ? 7 Od. XI, 568 : ἴδον ; 572 et 601 : εἰσενόησα ; 576 : εἶδον ; 582 et 593 : εἰσεῖδον. 8 Il est évidemment impossible qu’ils sortent de l’Hadès tout en continuant à subir leur châtiment. Les scholies ne manquent pas de relever une telle contradiction et Aristarque athétisait les vers 568-627 pour cette raison. - Pour Tityos, cf. scholies H. T. à Od. XI, 577 (XI, 573 pour Dindorf) : πῶς ὁ κείμενος ἐξῆλθεν ; εἰ δὲ μὴ ἐξῆλθε, πῶς ἑωρᾶτο ; Comment celui-ci, gisant, est-il sorti des Enfers ? Et s’il n’est pas sorti, comment Ulysse l’a-t-il vu ? Et scholies Q. T. à Od. XI, 577 : καταγέλαστα καὶ ταῦτα, εἰ κατεστρωμένος ἐν τῷ δαπέδῳ προῆλθεν ἐπὶ τὸ σφάγιον. Il est ridicule de penser que, alors qu’il est étendu sur le sol, il sorte vers le sacrifice. - Pour Tantale, cf. scholies H. à Od. XI, 588 : οὐδὲ οὗτος δύναται σὺν λίμνῃ καὶ δένδροις ἐξεληλυθέναι ἐπὶ τὸ σφάγιον, ἢ πῶς ἔξωθεν τὰ ἔσω ἐθεώρει ; Celui-ci ne peut-être sorti avec lac et arbres vers le sacrifice ; alors comment (Ulysse), de l’extérieur, a-t-il vu ce qui se passe à l’intérieur ?
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constate aucun lien dans le décor. L’ensemble laisse une impression de tableaux juxtaposés, avec chacun son protagoniste et son lieu propres. Il en est d’ailleurs de même pour les représentations iconographiques archaïques : on ne trouve jamais Tityos, Tantale et Sisyphe réunis, comme si la conception d’un paysage infernal regroupant les grands criminels ne se pratiquait pas à cette époque. Le catalogue des damnés s’arrête avec l’apparition d’Héraclès (XI, 601-602). Ulysse se trouve toujours à l’intérieur de l’Hadès puisqu’il le voit (εἰσενόησα, v. 601) dans ses occupations habituelles. Mais, encore une fois, aucun indice n’est fourni sur le lieu exact. Toujours est-il qu’Ulysse converse avec lui (XI, 615-616). Sans doute les deux héros marchent-ils en dialoguant et Héraclès raccompagne-t-il Ulysse jusqu’à la fosse du sacrifice. Le poète ne le mentionne pas, pourtant nous nous trouvons, à la fin des paroles d’Héraclès, devant le fait accompli : ἔϐη δόμον Ἄϊδος εἴσω (« il rentra dans la maison d’Hadès », v. 627). La catabase s’achève avec l’ombre d’Héraclès. Les expressions caractéristiques de l’évocation réapparaissent ; les âmes, après leur discours, retournent dans les Enfers (cf. XI, 150). A partir du vers 628, Ulysse se tient de nouveau près de la fosse où s’assemblent les âmes, sur terre. Comme au début du chant (cf. v. 152), le héros demeure sur place (μένον ἔμπεδον). L’idée de stabilité déjà contenue dans le verbe μένω (« être fixe, stable, sédentaire ») est accentuée par l’adverbe ἔμπεδον, « qui repose fermement sur le sol ». L’action est accomplie par les âmes qui montent vers la surface pour venir boire le sang sacrificiel. On retrouve l’emploi du verbe ἔρχομαι. Et le préverbe ἐπι-, qui implique le fait d’aller « au-dessus, à la surface », apparaît au vers 632. Autre preuve que la scène se passe bien à la surface : l’emploi de la préposition ἐξ, « hors de », au vers 635 ; si Ulysse se trouvait encore dans l’Hadès, l’expression ἐξ Ἄϊδος πέμψειεν (« envoyer hors de l’Hadès ») n’aurait pas eu de sens. En outre, il peut sans peine et assez rapidement regagner son vaisseau (XI, 636). Ainsi, aucun détail ne permet de reconstituer le moindre paysage, que ce soit dans l’évocation ou la catabase. Même si cette dernière est un peu plus récente, elle a été composée avant la création d’un espace infernal et elle adopte, comme l’évocation, la technique de l’énumération pour présenter les défunts. L’absence de décor est par conséquent caractéristique de tout le chant XI. Regardons si le chant XXIV permet d’enrichir et de compléter les détails épars de cette première Nékyia.
- Pour Sisyphe, cf. scholies Q. T. à Od. XI, 593 : πῶς δύναται σὺν τῷ λίθῳ καὶ τῇ ἀκρωρείᾳ, ἐφ’ᾗ ἀνεκύλιε τὸν λίθον, ἥκειν έπὶ τὰ σφάγια ; Comment peut-il être arrivé près des victimes du sacrifice avec la pierre et la montagne sur laquelle il roulait la pierre ?
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Qu’apporte la seconde Nékyia (chant XXIV) ? Au vers 13, les âmes des prétendants arrivent à la prairie d’asphodèles déjà mentionnée au chant XI. Ensuite, aucune allusion ne permet de définir, un tant soit peu, l’espace infernal. Un fait est sûr, cette prairie appartient à l’Hadès puisque les ombres y résident (v. 14). Mais quelle place occupent-elle les unes par rapport aux autres ? Silence total. Le poète se contente de reprendre le procédé d’énumération du chant XI : δέ, καί, τε (v. 15-17). La même conclusion s’impose : que la composition de la seconde Nékyia soit contemporaine ou légèrement postérieure à l’ensemble du poème, aucune mention ne concerne l’espace ou le paysage. Volonté de l’aède ou géographie souterraine non encore définie ? Il est difficile de trancher. Parler avec précision de l’Hadès faisait partie, semble-t-il, des sujets tabous. Ne risquait-on pas en effet de s’attirer les foudres du monarque des morts ? Un voyage aux Enfers est constitutif de l’épopée dans la mesure où il glorifie le protagoniste et rappelle à la mémoire des auditeurs des noms de héros et d’héroïnes connus. Car ce n’est pas tant une topographie infernale précise qui intéresse le poète que la liste des morts les plus célèbres. De fait, le royaume des défunts se résume non à un espace, mais à ses habitants. Les seuls éléments (et encore avec quelle imprécision !) que nous livrent les chants X, XI et XXIV sont les lieux qu’il faut traverser pour parvenir aux portes du royaume souterrain. L’auteur insiste davantage sur la notion de passage du monde des vivants au monde des morts que sur la description de l’Erèbe lui-même. Nous allons cependant tenter, tous passages des poèmes homériques pris en compte, de définir les principales caractéristiques de cet obscur royaume et de voir si elles ont évolué au cours des siècles suivants. Comment les Grecs s’imaginaient-ils le paysage de ces contrées d’où nul ne revenait ? Leur situation, bien au-delà du monde connu et civilisé, en faisait-elle pour autant des espaces sauvages ? Pour diminuer son appréhension, l’homme semble avoir tenté de se les approprier et de les modeler à l’image de son univers quotidien et des maisons qui l’entourent. b) Un cadre architectural La « maison » d’Hadès « Son âme descendit dans la maison d’Hadès », telle est la plus fréquente des expressions homériques qui constatent la mort de quelqu’un : domaine infernal et palais d’Hadès s’y confondent, les Enfers sont considérés comme la nouvelle habitation de l’âme. Or le corpus qui sert à désigner cette résidence se révèle fort restreint. On note presque uniquement l’emploi de trois termes : δόμος (au singulier ou au pluriel, vingt-sept fois), δῶμα (deux fois) et δῶ (deux
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fois)9. L’occurrence οἰκία n’apparaît qu’une seule fois (Iliade XX, 64-65). La forme de loin la plus utilisée est celle de δόμος, mot d’un usage également très courant en prose. Δῶ, en revanche, n’est pas attesté en dehors de la poésie épique dans laquelle il est employé seulement à l’accusatif singulier après une préposition, ce qui en fait une expression plus ou moins figée. Quant à δῶμα, peut-être formé sur δῶ, ses deux occurrences infernales sont aussi à l’accusatif singulier, mais on le rencontre dans d’autres contextes au pluriel et à différents cas. Les contraintes métriques ne sont certes pas étrangères à l’emploi des différents termes, mais il paraît aussi intéressant d’étudier la signification précise de ces noms et de voir si l’on peut en tirer quelques indications concernant le décor infernal. Examinons d’abord les relations entre δόμος, δῶμα et δῶ, puis nous les comparerons à οἰκία. Δόμος vient assurément de la racine *dem-(H), « construire », car il désigne l’habitat matériel, le bâtiment en tant qu’architecture10. Chez Homère, en effet, les épithètes de δόμος sont relatives à l’aspect matériel : la maison est « grande, haute, bien construite, large, etc »11. L’expression Ἀίδαο δόμος confirme ce sens puisqu’elle est qualifiée d’ « humide » (εὐρώεντα, Odyssée X, 512) et fait référence au cadre architectural qui détient les morts. Il s’agit d’un emploi métaphorique : l’Hadès n’est pas entouré de murs, mais les limites en sont marquées par des fleuves. Le royaume infernal est conçu à l’image de la maison des vivants. Le même terme δόμος les désigne, et il s’applique clairement à un habitat humain, non divin. C’est en effet δῶμα, parce qu’il insiste davantage sur l’aspect esthétique et prestigieux de la maison, qui qualifie les demeures divines, notamment celle de Zeus12. La séparation des royaumes est ainsi nettement marquée. L’Hadès, peu accessible aux divinités, mais ouvert à tous les mortels, est imaginé comme une maison humaine, bien qu’il soit gouverné 9
Δόμος : - au singulier : Il. III, 322 ; VII, 131 ; XI, 263 ; XIV, 457 ; XX, 336 ; XXIV, 246. Od. IX, 524 ; X, 512 ; XI, 69, 150 et 627 ; XXIII, 252 et 322 ; - au pluriel : Il. XXII, 52 et 482 ; XXIII, 19, 103 et 179. Od. IV, 834 ; X, 175, 491 et 564 ; XIV, 208 ; XV, 350 ; XX, 208 ; XXIV, 204 et 264. Δῶμα : Il. XV, 251. Od. XII, 21. Δῶ : Il. XXIII, 74. Od. XI, 571. A ces citations, on peut ajouter celles où l’on a le génitif du nom Hadès seul, le mot « demeure » étant sous-entendu : Il. VI, 284 et 422 ; VII, 330 ; XIII, 415 ; XXII, 213 et 425. Od. III, 410 ; VI, 11 ; X, 502 ; XI, 164, 211, 425, 625 et 635. 10 Tel est le sens premier donné par le Thesaurus Graecae Linguae, s. v. δόμος. Cf. E. Benveniste, 1969, tome I, pp. 296-319, contrairement à P. Chantraine, 1968, s. v. δόμος, pour qui le terme aurait d’abord désigné la demeure en tant qu’« institution sociale », siège d’un groupe social. C’est seulement à partir des tragiques que δόμος désigne la famille : cette association avec le groupement social reste donc secondaire. 11 E. Benveniste, 1969, tome I, p. 298. Cf. S. Rougier-Blanc, 2000, p. 41, et 2005 b, pp. 22 et 33. Sur la demeure d’Hadès en particulier : ead., 2005 b, pp. 41-43. 12 Cf. S. Rougier-Blanc, 2000, pp. 41 et 45.
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par un dieu. Et cette architecture suppose un espace clos, avec ses propres règles et sa propre entrée. C’est d’ailleurs à cet espace intérieur que font allusion les termes δῶ et δῶμα. E. Benveniste (1969, p. 298) les rattache tous deux au nom racine *dem / *dom, « maison, famille », c’est-à-dire à une valeur sociale : à plusieurs mots grecs issus de cette famille, il ajoute la forme homérique δῶ, qui présente la maison en tant qu’ « intérieur ». Ce terme oppose donc le « chez soi, l’intérieur » à ce qui est dehors. Tel est bien le sens que nous retrouvons à propos des Enfers chez Homère (cf. E. Benveniste, 1969, p. 305). L’intérieur de l’Hadès est opposé au monde des vivants. Les âmes sont représentées « chez elles ». Le sens de δῶμα ne diffère guère. Employé le plus fréquemment au pluriel, δῶμα désigne l’intérieur, l’étendue d’une maison. Sans doute doit-on voir dans l’utilisation inhabituelle de ce terme à propos de l’Hadès une volonté de souligner une situation exceptionnelle : Hector blessé (Iliade XV, 251) a cru mourir, mais a finalement échappé à la mort, et Ulysse (Odyssée XII, 21) est revenu vivant des Enfers (cf. S. Rougier-Blanc, 2000, p. 47). A notre avis, l’emploi de δῶμα suggère aussi qu’ils en ont distingué l’intérieur, les différents endroits où résident les âmes, et non pas seulement l’ensemble architectural. Reste à expliquer l’οἰκία de l’Iliade XX, 64. Il s’agit probablement du sens concret : on retrouve l’épithète εὐρώεντα, « humide », qui caractérisait δόμον (Od. X, 512). Dérivé de οἶκος, οἰκία ne se confond pas avec δόμος. La notion de richesse, de biens y est attachée. Oἰκία pourrait désigner dans le contexte non la construction architecturale, mais le bien immobilier, le domaine qui échut à Hadès lors du partage du monde, domaine riche de la multitude des âmes13. Vu la fréquence du terme δόμος, l’Hadès homérique se présente donc essentiellement comme un décor architectural. En tant que tel, il est nettement séparé des vivants. Cependant ses « murs » d’enceinte ne sont pas décrits ; ils sont mentionnés pour montrer la frontière entre deux mondes, comme les murs d’un édifice séparent l’intérieur de l’extérieur. Cette perception du royaume infernal semble persister, voire se préciser, au fil des siècles14. Deux des termes homériques, avec des acceptions identiques, existent aussi chez Hésiode, bien que cet auteur évoque peu l’Hadès : δόμος (Théogonie, 767 ; Les travaux et les jours, 153) et δῶμα (Théogonie, 455 ; Catalogue des femmes, F. 25 M-W., v. 25). Et la conception infernale est toujours celle d’une maison, δόμος, dans les Hymnes homériques (Hymne Homérique à Déméter, 342 et Hymne Homérique à Aphrodite I, 154). Le palais d’Hadès a pour image un 13
Un des euphémismes d’Hadès à partir du Ve siècle sera d’ailleurs Πλούτων, « le Riche » : cf. Soph., Ant., 1200 ; Eur., Alc., 360. 14 La tradition iconographique confirme cette conception : sur les représentations infernales du VIe siècle, des colonnes symbolisent le palais d’Hadès. Voir l’étude iconographique infra, chapitre 7, p. 221-227.
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palais terrestre et est meublé de façon identique : Hadès possède un lit conjugal (λέχος, Hymne Homérique à Déméter, 343) qu’il partage avec Perséphone. Le vocabulaire utilisé conviendrait à la maison d’un aristocrate encore vivant. Par exemple le terme μέγαρον qui désigne la demeure d’Hadès dans l’Hymne Homérique à Déméter (v. 379) s’applique aussi à celle de Nestor (Odyssée, IV, 210). On retrouve les termes épiques δόμος et δῶμα, dans la poésie lyrique15, sans qu’il semble y avoir de préférence pour l’un ou pour l’autre, ni pour le nombre auquel ils sont employés : les besoins de la métrique, plus qu’un sens particulier, sont les critères de sélection. Peu de qualificatifs détaillent le séjour d’Hadès, on sait seulement par Théognis qu’il est grand (μέγα δῶμα, v. 1124). Quant à Pindare, même s’il adhère toujours à une conception architecturale infernale, il ne se limite pas aux expressions consacrées : à côté de δόμος (Olympiques XIV, 20-21 et Pythiques III, 11) et de δῶμα (Isthmiques VIII, 55), on trouve des mots plus précis, tels σταθμόν (Olympiques X, 92) ou ἄγυιαν (Olympiques IX, 34-35). Au sens restreint, et dès Homère, σταθμός désigne le pilier ou la colonne qui permettent de soutenir un édifice16. Il caractérise aussi « l’endroit où l’on reste, l’endroit où l’on se tient » (faute de pouvoir en sortir), et par extension, la résidence, la demeure. Ἄγυια, peut-être forme de participe parfait de ἄγω sans redoublement, a un sens plus large : employé surtout au pluriel, il désigne une rue, et par suite un « ensemble de rues », c’est-à-dire une cité. L’Hadès est donc ici présenté comme le reflet souterrain (κοίλαν) d’une ville grecque, et non plus d’un simple palais royal17. Cette cité est entourée de remparts : « la demeure de Perséphone aux noires murailles » (μελαντειχέα δόμον Φερσεφόνας, Olympiques XIV, 2021), qui doivent lui donner l’aspect d’une place fortifiée. Chez les tragiques, la vision de l’Hadès comme un palais persiste, bien que les termes architecturaux se raréfient chez Eschyle et Sophocle, sans que ceuxci innovent. On a l’impression d’un stéréotype qui ne suscite plus d’intérêt : une 15
Δόμος : Alcée, F. 296 a (Voigt), vers 5 ; Sappho, F. 55 (Voigt), vers 3 ; Théognis, vers 244 et 917. Le fragment 60, vers 5, d’Alcée (Voigt) présente εἰς Ἀίδα[, et le fragment 186, vers 4 (Voigt) Ἀΐδα, où il faut probablement suppléer δόμον. Cf. aussi Théognis, vers 726. Δῶμα : Alcée, F. 48, vers 15 (Voigt) ; Théognis, vers 974, 1014, 1124 et 1296 ; Bacchylide, Ep. V, 32. 16 Σταθμός appartient à la famille de ἵστημι, « dresser, placer ». Cf. scholies à Ol. X, 110 : Ἀίδα σταθμόν : τὸν οἶκον. ἢ τὸν Ἅιδην, περιφραστικῶς. Ἀίδα σταθμόν : la demeure, ou l’Hadès, par périphrase. 17 Une telle conception, mais amplement plus développée, apparaît aussi dans les Grenouilles d’Aristophane, voir infra chapitre 5, p. 169-170.
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maison (δόμος ou δῶμα)18 comprenant plusieurs pièces (θάλαμος : Eschyle, Perses 624). Néanmoins, dans l’Antigone de Sophocle, l’emploi du mot θάλαμος (τὸν παγκοίτην… θάλαμον, « le séjour où vont dormir tous les humains », v. 804), n’est probablement pas innocent : à l’origine, θάλαμος s’appliquait à une partie de la demeure ; il désigne une chambre intérieure de la maison, une pièce privée, et plus particulièrement la chambre de la maîtresse de maison, la chambre nuptiale. Or l’un des principaux thèmes de la tragédie consiste à présenter Antigone en tant que future épouse d’Hadès. Le sens de θάλαμος s’est ensuite généralisé pour désigner l’ensemble de l’habitation. La notion de l’Hadès conçu comme une riche maison, image de celles des vivants, apparaît encore à travers l’appellation οἰκήτορες pour ses habitants19. L’οἰκήτωρ est, à l’origine, l’habitant de l’οἰκία, terme qui insiste, nous l’avons vu, sur la multitude des âmes présentes. Euripide se démarque de ses prédécesseurs par une relative abondance des termes architecturaux, au détriment d’ailleurs des termes topographiques (voir infra pp. 105-106 et 112). Certes bon nombre d’expressions sont directement issues des traditions épiques et lyriques, mais Euripide sait souvent leur conférer une nouvelle originalité. Ainsi, à côté des Ἅιδου δόμοι20 ou Ἀίδα δόμοι21, « les demeures d’Hadès », toujours au pluriel, on trouve l’expression neuve εἰς ἀνηλίους δόμους, « vers les demeures sans soleil »22. Δῶμα est aussi attesté, le plus souvent au pluriel, parfois au singulier23. Les vers 807-808 d’Héraclès présentent à ce propos, un intérêt particulier : δῶμα au singulier est juxtaposé à θάλαμος au pluriel, et semble lui rendre son sens originel de « chambre ». Le palais d’Hadès (δῶμα) serait composé de plusieurs pièces (θαλάμων). Les « chambres souterraines » (γᾶς θαλάμους) sont également évoquées dans Hélène, vers 1158. Peut-être les φερσεφονείας θαλάμους des Suppliantes (v. 1022) désignent-ils l’appartement réservé aux femmes, voire la chambre nuptiale. Le contexte confirme cette dernière interprétation : Evadné, désespérée par la mort de son époux, a décidé de se jeter sur le bûcher afin 18
Δόμος : Eschyle, Perses, 642 ; Sophocle, O. C., 1564 ; Ant., 1241 ; Trach., 121. Δῶμα : Sophocle, El., 110. 19 Sophocle, Aj., 396 et 517 ; Trach., 282 et 1161. 20 Alc., 25, 73 et 626 ; El., 1144 ; Hipp., 895 ; Héraclides, 913 ; Ion, 953 et 1274 ; Alexandre, F. 62 d, vers 26. (Kannicht). 21 Alc., 436 ; Hér. 116 ; Héraclides, 913. Ἀίδα est la forme dorienne du génitif de Ἅιδης. 22 Alc., 852. Dans les Sept contre Thèbes, 859-860, Eschyle parlait de τὰν ἀνάλιον... χέρσον, « le continent sans soleil ». 23 Alc., 364, 867 et 1073 ; Hér., 610 et 808 ; Méd., 1022 (où le terme a une double interprétation : le palais de Jason et, dans la pensée de Médée, le palais d’Hadès) ; Or., 1225.
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d’unir leurs corps et de continuer leurs noces dans les Enfers. Cependant θάλαμος prend le plus souvent le sens plus général de « demeure » (cf. Hécube, v. 483). Quatre noms qui jusqu’alors ne qualifiaient pas l’Hadès complètent chez Euripide la vision architecturale de l’au-delà : ἕδρα, μέλαθρον, τέραμνα et αὐλή. Ἕδρα, forme nominale dérivée d’ἕζομαι, « être assis », indique d’abord un siège avant de désigner le séjour, l’emplacement24. Le palais est ainsi appelé, de façon métonymique, soit par une pièce d’ameublement, soit par un terme d’architecture. Μέλαθρον est attesté au pluriel dans Hélène, vers 177 : ὑπὸ μέλαθρα νύχια, « sous les toits nocturnes ». Souvent au pluriel en poésie, il a pris le sens général de demeure, mais son sens originel désigne la poutre faîtière d’un toit, puis le toit lui-même25. Τέραμνα, neutre pluriel, avait lui aussi la signification technique de « poutres, bois de charpente » avant d’évoluer vers la notion de « maison, habitation » : ἐξ Ἀίδα τεράμνων, « loin des poutres (donc de la maison) d’Hadès » (Alceste, v. 457). Quant à αὐλή, c’est un dérivé en -ldu thème qui figure dans ἰαύω, « dormir, passer la nuit »26. Il désigne donc d’abord « l’endroit où l’on passe la nuit », puis, par synecdoque, la cour ou l’enceinte d’un palais et la demeure elle-même : νεκύων ἐς αὐλάν, « vers la cour, la demeure des morts » (Alceste, v. 260). D’autres termes, dérivés du nom οἶκος indiquent l’Hadès comme résidence : οἰκεῖν (Electre, v. 677 et F. 450 Kannicht), μετοικεῖν (Hippolyte, v. 837), οἰκίζω (Hécube, v. 2) et l’expression redondante οἶκον οἰκετεύειν (Alceste, v. 437). Tous plaident en faveur d’une représentation architecturale du royaume des morts. Elle suppose un espace clos dont une porte permet l’accès. Les « portes » d’Hadès Chez Homère, un terme unique est employé, seul ou en composition, pour désigner les portes du royaume infernal : πύλαι (cf. Iliade IX, 312 ; XXIII, 71 ; Odyssée XIV, 156). Nous avons vu supra (chapitre 2, pp. 71-72) la spécificité de ce terme. Son emploi pour les portes d’Hadès n’est donc pas anodin. Il confirme l’idée que nous avions du royaume infernal : une demeure avec une entrée unique et d’où nul ne peut s’échapper. Les murs en sont imaginaires ; il s’agit en fait de fleuves, mais qui ont la même fonction et sont tout aussi infranchissables. Πύλαι dénote une entrée assez importante, plus imposante que θύραι, et le poète insiste sur cette idée de grandeur lorsqu’il emploie le composé εὐρυπυλές, 24
Alc., 125 ; F. 868 Kannicht. Toutefois, ἕδρα, forme très courante chez Euripide, n’est pas révélatrice d’une conception infernale particulière, elle témoigne plutôt d’une assimilation des Enfers au séjour terrestre. 25 P. Chantraine, 1968, s. v. μέλαθρον. Voir aussi R. Martin, 1967, pp. 317. 26 P. Chantraine, 1968, s. v. αὐλή.
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« aux larges portes » (Iliade XXIII, 74 ; Odyssée XI, 571). La capacité d’accueil et l’immensité de l’Hadès est ainsi soulignée ; tous les morts doivent franchir ces « larges portes » pour reposer en paix. Elles constituent le dernier obstacle, et l’entrée est grande ouverte pour toute âme ayant reçu les honneurs funèbres. Mais c’est un monde dont on ne ressort pas. Preuve en est l’autre composé de πύλη, épithète d’Hadès : εἰς Ἀίδαο πυλάρταο, « chez Hadès qui ferme la porte » (Iliade VIII, 367). La scholie A à l’Iliade VIII, 367 explique ainsi πυλάρταο : « qui ajuste ensemble les battants de la porte et les ferme puissamment, afin que personne ne revienne de l’Hadès »27. Une fois l’âme entrée, il lui est impossible de franchir la porte dans l’autre sens : le souverain des Enfers y veille en personne. Un adjectif souligne cette interdiction : κρατεροῖο, « fort, puissant »28. D’ouverture, la porte devient obstacle. Et au cas où les portes ne suffiraient pas, un chien garde également l’entrée (Iliade VIII, 367-368 et Odyssée XI, 623-625), ce qui ne suscite guère d’étonnement. En effet, les termes qui désignent les Enfers rappellent les constructions terrestres (δόμος, πύλαι, etc.). Or, comme le remarque H. Thiry (1969, pp. 1-9), les Grecs possédaient souvent des chiens pour surveiller leur demeure29. La particularité du chien infernal est de laisser entrer, puis d’empêcher de sortir. L’impression des Enfers en tant que lieu clos en est renforcée. Ce monde apparemment à l’image des vivants se révèle être une prison : murs infranchissables, porte unique qui se referme hermétiquement derrière les âmes, gardien qui leur défend de retourner vers la lumière. La mention des πύλαι marque donc un passage, une limite entre deux mondes, l’ici-bas et l’audelà30. Or il est remarquable que chez Homère la frontière entre les différents niveaux cosmiques soit caractérisée par cette notion de πύλαι : nous avons déjà 27
Scholie A à l’Iliade VIII, 367 : ἰσχυρῶς συναρμόζοντος καὶ κλείοντος τὰς πύλας, διὰ τὸ μηδένα ὑποστρέφειν ἐξ Ἅιδου. 28 Il. XIII, 415 ; Od. XI, 277. Les scholies confirment cette conception : - scholies V à Od. XI, 277 : τοῦ τὰς πύλας ἰσχυρὰς ἐπαρτῶντος καὶ συγκλείοντος. Fait d’attacher et de lier étroitement ensemble les battants puissants ; - scholies A à Il. XIII, 415 : ὅτι τοῦ ἰσχυρῶς τὰς πύλας ἐπαρτῶντος, ὅ ἐστιν ἀρμόζοντος. ἀμφότερα γὰρ πρὸς ἓν ληπτέον. En attachant fortement les battants, il les ajuste. Les deux ne forment qu’un seul bloc. 29 Argos, le chien qu’Ulysse avait élevé avant de partir à Troie, en est un exemple. Couché devant le portail, il surveille et attend le retour de son maître pour s’éteindre (Od. XVII, 290-327). 30 Ces portes peuvent être simplement symbolisées par des piliers ou des colonnes : ainsi les colonnes d’Hercule qui marquaient, à l’origine, les limites du monde connu, ou encore les piliers qui sont représentés sur la peinture du couvercle de la « tombe du Plongeur » à Paestum. En franchissant ces bornes qui s’ouvrent sur l’Océan ou les fleuves infernaux, on passe du monde des vivants à celui des morts.
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parlé des πύλαι du Tartare, qui le séparent des Enfers (Iliade VIII, 13-16). La limite infernale, elle, est indiquée par les Ἄιδος πύλαι, « les portes d’Hadès », doublées par les Ἠελίοιο πύλαι, « les portes du Soleil » (Odyssée XXIV, 12) : la séparation entre monde terrestre et souterrain est davantage soulignée (par deux portes) car il s’agit de séparer vie et mort, lumière et obscurité. Enfin, le troisième niveau cosmique s’ouvre par les « portes de l’Olympe » (Iliade VIII, 393-395 = V, 749-751). Chaque étage est donc parfaitement délimité et possède ses propres particularités. Comme l’a justement souligné S. Rougier-Blanc (2003, p. 108), Homère utilise l’architecture domestique à des fins dramatiques. Cette vision architecturale de l’Hadès avec des portes qui en marquent l’entrée est commune à la poésie épique, lyrique et tragique31. Hésiode mentionne les πύλαι infernales (Théogonie 773), gardées par le monstrueux chien Cerbère. Théognis (v. 427 et 709), y fait également allusion. Pindare cependant renouvelle cette conception en qualifiant l’entrée de στόμα, « bouche » (Pythiques IV, 43-44). L’expression est certes à prendre au figuré : dans πὰρ χθόνιον / Ἄιδα στόμα, Ἄιδα indique le lieu de résidence des défunts32. Mais Pindare ne laisse-t-il pas planer une ambiguïté volontaire ? Ἄιδα στόμα ne pourrait-il pas évoquer l’appétit féroce du souverain infernal qui dévore les mortels et les transforme en de vains fantômes33 ? Eschyle (Agamemnon, v. 1291)34 et Sophocle (Œdipe à Colone, v. 1568-1573) reviennent à la vision traditionnelle, comme parfois Euripide (Alceste, v. 126 ; Médée, v. 1234). Néanmoins, ce dernier tente d’attirer de nouveau l’attention des auditeurs en variant l’expression, devenue presque figée, par le simple changement du complément du nom « portes ». Par exemple Ἅιδου πύλας, « les portes d’Hadès », sont remplacées par σκότου πύλας (« les portes de l’ombre », 31
La mention des portes infernales n’est d’ailleurs pas propre aux Grecs. Les Enfers hittites en comptent sept, fermées par des verrous (cf. C. Cousin, 2008, pp. 62-63). La géographie égyptienne de l’au-delà est parsemée d’édifices dont le défunt doit franchir les portes pour parvenir au domaine d’Osiris (Voir Les portes du ciel, 2009, pp. 107, 112 et 115). Et bien plus tard, chez les Romains, Virgile évoque encore les portes du Tartare (Enéide VI, 552-554 et 573-574), celles du palais d’Hadès (Enéide VI, 631) et les deux portes du Sommeil, en corne et en ivoire. C’est par cette dernière qu’Enée regagne le monde des vivants (Enéide VI, 593-598). 32 Cf. scholies à Pyth. IV, 76 d : Ταίναρος δὲ πόλις Λακωνικὴ, ἐν ᾗ καὶ πύλη ἐστὶν εἰς Ἅιδου. Ténare, ville de Laconie dans laquelle se trouve aussi une porte de l’Hadès. L’entrée doit se présenter comme une grotte qui s’enfonce sous terre : χθόνιον στόμα. 33 Les monstres infernaux postés à l’entrée des Enfers, tels Cerbère ou Eurynomos dans la Nékyia de Polygnote à Delphes, sont dotés de cette fonction dévoratrice. 34 Sur l’influence d’Homère et des poètes lyriques chez Eschyle, voir A. Sideras, 1971 ; chez Sophocle, A. Bagordo, 2003 ; et plus généralement chez les tragiques, R. Garner, 1990.
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Hécube, v. 1), ou encore νερτέρων πύλας (« les portes des morts », Hippolyte, v. 1447). Le passage par ces portes est toujours obligatoire, aussi bien pour le défunt qui arrive que pour l’âme qui sort momentanément (et exceptionnellement) de l’Hadès, comme celle de Polydore dans Hécube35. Parfois, c’est l’ajout d’un adjectif ou d’un participe qui assure le renouvellement du concept : ἀνεῳγμένας πύλας / Ἅιδου, « les portes ouvertes d’Hadès » (Hippolyte, v. 56-57), où le participe permet d’exprimer de façon originale l’idée d’un Hadès destiné à tous. La représentation de l’au-delà dans l’imaginaire grec est bien celle d’une maison puisqu’Electre assimile les portes de sa demeure à celles de l’Hadès36. Ainsi, par des expressions multiples et variées, Euripide a su redonner tout son sens à une conception qui peut-être suscitait un intérêt décroissant. Depuis les premiers textes, on assiste donc à des tentatives récurrentes de la part des poètes pour domestiquer l’Hadès grâce au vocabulaire qu’ils utilisent. Sans doute appellent-ils ce domaine « maison d’Hadès » par euphémisme, pour le rendre moins effrayant, pour que chacun y projette un peu de son univers quotidien. Cependant leurs efforts restent vains, car derrière un vernis de civilisation transparaît une nature inhospitalière. c) La topographie infernale L’eau semble être un élément constant des Enfers, et elle est évoquée dans la plupart des passages relatifs au royaume des morts. L’hydrographie C’est par l’Océan que l’on accède au domaine infernal épique, qu’il s’agisse d’un vivant comme Ulysse37 ou de défunts, telles les âmes des prétendants sous la conduite d’Hermès (Odyssée XXIV, 11). Pour Hésiode, l’accès se fait aussi par l’Océan, puisque devant la demeure de Nuit se situe Atlas (Théogonie, v. 746). Or Atlas soutient le ciel en face des Hespérides (Théogonie, v. 517519), qui habitent « au-delà de l’illustre Océan » (πέρην κλυτοῦ ᾽Ωκεανοῖο, 35
La venue sur terre de l’âme de Polydore rappelle celle d’Achille dans la Polyxène de Sophocle (F. 523 Radt). La comparaison entre les deux passages traduit néanmoins deux perceptions différentes de l’Hadès. Sophocle, en effet, insiste sur l’hydrographie infernale : Achille revient des tristes rives de l’Achéron qui marquent la frontière des Enfers. Euripide, en revanche, fait allusion aux portes, c’est-à-dire à la limite architecturale entre les deux mondes. 36 El., 661-662. Euripide avait sans doute à l’esprit le passage de l’Agamemnon d’Eschyle où Cassandre compare les portes du palais à celles des Enfers (vers 1291). 37 Od. X, 508 et 511-512. Ulysse regagnera le monde des vivants (Od., XI, 639) aussi grâce à l’Océan.
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Théogonie, v. 215). D’ailleurs, pour venir chercher l’eau du grand serment des dieux, Iris survole la mer (Théogonie, v. 780-781), et l’éloignement du lieu ainsi que la difficulté pour l’atteindre sont sous-entendus par deux expressions : παῦρα, « rarement » (Iris ne s’y rend donc que si l’obligation s’en fait sentir) et εὐρέα νῶτα, « large dos », qui souligne l’immensité de la mer, c’est-à-dire de l’Océan, comme le confirment les vers 815-816. Mais l’Océan ne permet pas de pénétrer à l’intérieur de l’Hadès : un autre fleuve en marque la frontière. Patrocle y fait référence, sans le nommer, lorsqu’il apparaît en songe à Achille (Iliade XXIII, 73). Quel est-il ? Si l’on regarde les différentes occurrences d’un fleuve infernal dans l’Iliade, on s’aperçoit que les seules eaux du Styx sont nommées38. L’aède y fait allusion lors de la catabase d’Héraclès (Iliade VIII, 369) et lors du grand serment des dieux (Iliade XV, 36-38)39. L’Iliade ne connaît pas d’autre fleuve infernal. Par conséquent, le fleuve dont parle Patrocle désigne probablement l’eau du Styx. Nous verrons infra (p. 109-110) que, chez Homère, Styx peut ne pas être en soi le nom d’un cours d’eau. Pour ce qui est des Τάρταρα, Hésiode aussi mentionne seulement le Styx (Théogonie, v. 775-776), ce qui ne veut pas dire qu’il ignorait l’existence d’autres fleuves, mais ils ne s’intégraient pas à son sujet. En effet, il évoque le Styx d’abord pour son privilège reçu de Zeus en remerciement de sa conduite lors de la Titanomachie (Théogonie, v. 397-401). Les autres fleuves n’ayant eu aucun rôle lors de cette guerre, et la description des Enfers intervenant à propos de la chute des Titans, il est normal qu’Hésiode n’y fasse aucune allusion. En outre, puisque la Théogonie consiste en une généalogie, il fait du Styx la fille aînée d’Océan et explique ainsi sa présence dans les Enfers (Théogonie, v. 787789) : il s’agit d’un cours d’eau important, comme l’indique l’adverbe πολλόν, « en abondance », et l’expression δεκάτη μοῖρα, « la dixième partie (des eaux d’Océan) »40. 38
Styx est de genre féminin en grec, mais de genre masculin en français. C’est également à propos du grand serment des dieux qu’est invoqué le Styx, unique cours d’eau infernal mentionné par les Hymnes homériques : cf. Hymnes à Apollon (8386), à Hermès (518-519) et à Déméter (259). Voir L. Radermacher, 1903, pp. 148-149. 40 Cf. Les scholies à Il. VIII, 369 et XV, 37 : VIII, 369 : Στὺξ μία τῶν Ὠκεανοῦ θυγατέρων, ἣν ὁ Ζεὺς φρικωδέστατον ὅρκον τῶν θεῶν ἐποίησε τιμήσας αὐτὴν, ὥς φησιν Ἡσίοδος ἐν Θεογονίᾳ (775). ἔστι δὲ καὶ κρήνη ἐν Ἅιδου. Styx est la seule des filles d’Océan que Zeus, pour lui faire honneur, a institué comme gardienne du serment des dieux le plus effrayant. Mais c’est aussi une source dans l’Hadès. XV, 37 : ἐπεὶ ἡ Στὺξ καὶ κατὰ τὸν Ἡσίοδόν ἐστιν ἱερὰ πηγὴ θυγάτηρ Ὠκεανοῦ. ἢ, ὥς τινές φασιν, ὅτι ὁμώνυμος ταύτῃ ἐστὶν ἡ πηγὴ, ἣν ἐν Ἅιδου ὅρκον φρικτὸν αὑτῶν οἱ θεοὶ πεποίηνται βουλήσει Δίος. 39
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Dans l’Odyssée, trois nouveaux noms s’y ajoutent : l’Achéron, le Pyriphlégéthon et le Cocyte41. Leur aspect inquiétant est sans cesse souligné : δεινὰ ῥέεθρα, « leurs courants terribles » (Odyssée XI, 157) ; αἰπὰ ῥέεθρα, « les courants abrupts » (Iliade VIII, 369) ; ὅρκος δεινότατος, « le serment le plus terrible » (en parlant du Styx, Iliade XV, 38) ; βαθυρρόου Ὠκεανοῖο, « l’Océan au courant profond » (Odyssée XI, 13) ; ἐπ’ Ὠκεανῷ βαθυδίνῃ, « sur l’Océan aux tourbillons profonds » (Odyssée X, 511) ; Ὠκεανός […] τὸν οὔ πως ἔστι περῆσαι / πεζὸν ἐόντ’, « l’Océan qu’on ne saurait traverser » (Odyssée XI, 158-159) ; δύω ποταμῶν ἐριδούπων, « les deux fleuves au vacarme assourdissant » (Odyssée X, 515). Pour les vivants, ils représentent les principaux obstacles du voyage vers l’Hadès et ils constituent la véritable barrière, la séparation entre les deux mondes. Pour les Grecs, le nom même de certains fleuves infernaux évoquait la terreur. Στύξ, par exemple, est un vieux nom racine qui signifie « froid glacial, frisson », et par suite, ce qui donne le frisson, « l’horreur ». Sur cette racine aurait ensuite été créé le verbe στυγέω-ω, « haïr, avoir en horreur ». Par conséquent, le nom et la vue du Styx causeraient un sentiment d’effroi. L’étymologie du Cocyte n’est guère plus rassurante. Κωκυτός, qui désigne « les lamentations, les cris aigus », vient du verbe κωκύω, « pousser des cris de douleur, des cris aigus et plaintifs ». On retrouve la même signification dans le sanskrit kokūyate, « crier », et le lituanien kaûti, « hurler » (P. Chantraine, 1968, s. v. κωκύω). Le Cocyte est donc le fleuve des lamentations. Quant au Pyriphlégéthon, il présente l’aspect, le flamboiement du feu : πυρι-φλεγέθων, « étincelant comme le feu ». Pourquoi un fleuve de feu ? Est-ce parce que le feu purifie les os de tout ce qui est charnel ? Les eaux de ces trois fleuves sont des eaux vives. Les courants du Styx sont αἰπά, « abrupts » (Iliade VIII, 369. Cf. infra p. 109) . Le terme ἀπορρώξ pour le Cocyte, bras du Styx (Odyssée X, 514), dénote un escarpement, donc une chute d’eau. Enfin, le Cocyte et le Pyriphlégéthon semblent se déverser en cascade dans l’Achéron42. La mention du rocher et le qualificatif ἐριδούπων, « au
Parce que Styx est aussi, chez Hésiode, une source sacrée, fille d’Océan ; ou bien, comme certains l’affirment, la source que, dans l’Hadès, les dieux ont instaurée, sur le dessein de Zeus, comme gardienne de leur terrible serment, est l’homonyme de celle-ci. 41 Od. X, 513-515. Et en Od. XI, 157-159, Anticléia parle des fleuves infernaux (au pluriel), même si elle ne cite que l’Océan. 42 Od. X, 515. Cf. infra p. 109. Les scholies H. Q. à Od. X, 514 donnent une idée de l’interprétation antique de cette disposition : λέγεται ὁ πρῶτος ποταμὸς ὁ τὸν βροτὸν δεχόμενος, τῶν ἀνθρωπίνων παθῶν ἐπώνυμον κακόν. εἶτα Πυριφλεγέθων, ἤτοι τὸ πῦρ τὸ ἀφανίζον τὸ σάρκινον τῶν βροτῶν. εἶτα ὁ Ἀχέρων μετὰ τὸν Κωκυτὸν καὶ τὸ ἠρίον, ὅπερ ὀφειλὴ νεκρῶν ἐστιν, ἰαχὴ γίνεται. εἶτα Στυγὸς ἀπορρῶγες. οὐκ ἔστι γὰρ ὃς οὐ στυγνάζει τὸν τεθνηκότα.
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vacarme assourdissant », attribué aux deux fleuves évoquent l’eau courante. En revanche, aucun adjectif ne précise l’aspect de l’Achéron. Il semble plus calme que les autres cours d’eau, ne serait-ce que par sa position : il recueille les eaux infernales, mais ne se jette nulle part. Peut-être, si l’on en croit une étymologie contestée, s’agirait-il non d’un fleuve, mais d’un lac, c’est-à-dire d’une eau stagnante. On a en effet vu dans Ἀχέρων, -οντος un dérivé en -ντ d’un substantif *ἄχερος, « marais, lac » (P. Chantraine, 1968, s. v. Ἀχέρων). Quoi qu’il en soit, une telle abondance aquatique, conjuguée à l’absence de soleil, est à l’origine de l’humidité et des brouillards constants qui règnent dans l’Hadès et dans ses environs. Les Cimmériens vivent ἠέρι καὶ νεφέλῃ κεκαλυμμένοι, « couverts de brumes et de nuées » (Odyssée XI, 15). Chez Homère, ἀήρ désigne toujours le brouillard, la vapeur qui se dégage du sol ; et νεφέλη, « nuée », est à rapprocher du sanskrit nābhas, « nuage, brouillard ». Ce climat malsain persiste aux Enfers : ὑπὸ ζόφον ἠεροέντα, « aux Enfers brumeux » (Odyssée XI, 57), et la demeure d’Hadès est souvent qualifiée par l’épithète εὐρώεντα, « humide, fangeux, moisi »43. Εὐρώεις est dérivé du nom εὐρώς qui « désigne ce qui est pénétré d’humidité et en souffre » (P. Chantraine, 1968, s. v. εὐρώς). La fonction de l’eau n’est pas ici de purifier : à l’idée de l’eau lustrale s’oppose une eau hostile, inquiétante. C’est une eau qui peut, au besoin, se transformer en instrument de supplice, comme le lac (λίμνη) dans lequel est plongé Tantale (Odyssée XI, 582-583). Λίμνη appartient à une racine indo-européenne qui impliquerait une notion d’humidité, de nappe d’eau stagnante, et qui présente dans le radical et le suffixe une alternance ancienne. E. Boisacq conjecture une racine *(s)lei « être gluant, visqueux »44. C’est Le premier fleuve est désigné comme celui qui accueille le mortel : il a reçu le mauvais nom des souffrances humaines. Puis vient le Pyriphlégéthon, assurément parce que le feu anéantit la chair des mortels. Puis l’Achéron, après le Cocyte et le tombeau, lequel est dû aux morts, devient lamentation. Puis vient le bras du Styx, car il n’existe pas celui qui n’est pas d’humeur sombre à la vue d’un mort. Cf. aussi la scholie B. à Od. X, 515 : φησὶ γὰρ ὡς πέτρα τίς ἐστι κατ’ἐκεῖνον τὸν τόπον καθ’ ὃν ἡ τῶν ῥευμάτων συμϐολὴ γίνεται τοῦ τε Κωκυτοῦ καὶ τοῦ Πυριφλεγέθοντος εἰς ταὐτὸ μισγομένων καὶ ῥεόντων εἰς τὸν Ἀχέροντα. Il dit qu’une pierre est disposée de façon que la jonction des courants se fasse, le Cocyte et le Pyriphlégéthon se mêlant et coulant ensemble vers l’Achéron. Et la scholie V. à Od. X, 515 : συνάφεσις καὶ εἰς ταὐτὸ συμϐολὴ τῶν ποταμῶν. L’union et la jonction des fleuves a lieu au même endroit. 43 Il. XX, 64-65 ; Od. X, 512 et XXIII, 322 ; Théog., 731, 739 et 810. Cf. Scholies à Théog. 739 : εὐρώεντα λέγει τὰ πλατέα καὶ σεσηπότα. Nsv X. Il nomme εὐρώεντα ce qui a de larges dimensions et qui est putréfié. 44 E. Boisacq, 1938, s. v. λείϐω, λείμαξ, λειμών. Au vocalisme zéro du radical et du suffixe, on obtiendrait λίμνη qui désigne une eau stagnante, un lac. P. Chantraine, 1968,
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également à cette racine que se rattache le mot λειμών que l’on rencontre à propos des Enfers dans l’expression κατ’ἀσφοδελὸν λειμῶνα (Odyssée XI, 539, 573 et XXIV, 13). Selon A. Motte (1973, p. 7), ὁ λειμών, attesté durant toute l’Antiquité en poésie comme en prose, et qu’il s’agisse de paysages réels ou mythiques, désigne le plus souvent une « large étendue de terre humide, pourvue d’une végétation abondante et spontanée ». Ses emplois font référence à l’élément aquatique et il se situe près de points d’eau (fleuves, mers, océan, sources, lacs, etc.). C’est bien le cas des Enfers, où la prairie d’asphodèles voisine avec l’Océan et les quatre fleuves infernaux. L’utilisation du terme λειμών implique donc un sol gorgé d’eau qui, au royaume d’Hadès, contribue au climat malsain. Ici, en effet, il ne s’agit pas de l’eau qui, mêlée au soleil, engendre la fertilité : le λειμών de l’Hadès homérique est loin, au contraire des λειμῶνες terrestres, d’être caractérisé par la richesse de sa végétation (voir infra pp. 119-120). Il n’est cependant pas étonnant d’en trouver un au pays des défunts ; nous verrons (infra pp. 116-123) que les prairies entretiennent des liens étroits avec le domaine infernal. On peut même considérer qu’elles constituent un point de passage vers l’au-delà. Dans l’Odyssée, la prairie d’asphodèles est apparemment le premier lieu de l’Hadès que l’on rencontre après avoir franchi les portes. Les âmes des prétendants guidées par Hermès y parviennent tout de suite (Odyssée XXIV, 13). Elément intermédiaire entre l’entrée et les profondeurs du royaume, elle en est cependant une composante essentielle : les ombres y séjournent, s’y adonnent à leurs occupations et semblent y passer la plus grande partie de leur temps. Les poèmes homériques ne citent d’ailleurs que cet endroit des régions infernales, les parties les plus reculées étant simplement qualifiées du terme général Ἔρεϐος. On se représente donc essentiellement l’Hadès homérique comme un λειμών, c’est-à-dire un domaine gorgé d’humidité. Si le Styx est le fleuve infernal le plus fréquemment mentionné dans la poésie épique, la poésie lyrique lui préfère l’Achéron qui est perçu comme le passage obligatoire pour gagner l’Hadès. Par exemple, dans le fragment 38 d’Alcée (Voigt), les verbes ζάϐαις et ἐπέραισε (v. 3 et 8) insistent sur cette obligation ; l’Achéron constitue la frontière entre l’ici-bas et l’au-delà. Au contraire de l’Odyssée, il s’agit apparemment d’un fleuve à fort courant : διννάεντ’ (v. 2 et 8) indique la présence de tourbillons. Et le qualificatif incomplet μεγ[ (v. 2) laisse supposer sa largeur. Sa traversée dangereuse constitue sans doute un obstacle dissuasif pour tout homme vivant, ou même pour les âmes sans force qui voudraient s’enfuir de l’Hadès. Cette frontière est si importante que le mot seul d’Achéron évoque la demeure d’Hadès et est s. v. λειμών, même s’il indique cette hypothèse, reste plus réservé : « on n’aperçoit pas d’étymologie claire ».
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parfois employé comme son synonyme : καὶ σ’ἐνν’ Ἀχέρ[οντ (Sappho, F. 65 Voigt, v. 10). Cette évocation du royaume infernal par l’Achéron persiste au Ve siècle, comme en témoigne le fragment 5 (PMG) de Timocréon : l’association Τάρταρον τε… κ’ Ἀχέρ[οντα, qui place sur le même plan Tartare et Achéron, est originale. Unique aussi est l’idée de Sappho de décrire l’Achéron comme un endroit agréable, orné de fleurs de lotus : « J’ai envie de mourir et de voir les ( ?) de l’Achéron aux rives escarpées couvertes de lotus »45. L’eau du fleuve infernal n’engendre plus le climat malsain habituel ; elle se révèle au contraire bénéfique à la végétation grâce à la rosée (δροσόεντας, v. 12) qu’elle répand. Mais cette vision est assurément due à l’état d’esprit dans lequel se trouve Sappho : désirant mourir, elle enjolive les rivages du fleuve. Puisque le monde terrestre n’a plus d’attrait pour elle, elle s’imagine un paysage infernal aux abords accueillants. L’aspect idyllique de l’Achéron de Sappho est d’autant plus surprenant que les tentatives d’étymologie de ce fleuve par les auteurs antiques le rattachent à ἄχη, « douleurs ». Stobée a gardé trace de cette étymologie chez deux auteurs du Ve siècle, Mélanippide et Licymnius : Achéron vient de ἄχη, comme le dit Mélanippide dans Perséphone (= F. 759 PMG) : « il est appelé Achéron parce qu’il répand ses eaux… dans le sein de la terre » et puisque Licymnius affirme aussi (= F. 770 PMG) : (a) « il regorge d’infinis flots de larmes et de douleurs » et de nouveau : 46 (b) « l’Achéron transporte des douleurs pour les mortels » .
Pindare fait assurément allusion à cette étymologie lorsqu’il parle de « la traversée aux sourds gémissements de l’Achéron », βαρυϐόαν πορθμὸν… Ἀχέροντος (F. 143 Maehler).
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F. 95, v. 12-13, Voigt : κατθάνην δ’ἴμερός τις [ ἔχει με καὶ λωτίνοις δροσόεντας [ ὄχ[θ]οις ἴδην Ἀχερ[ La fin du vers 13 et le vers 14 étant pratiquement illisibles, le nom (à l’accusatif pluriel) avec lequel s’accorde δροσόεντας a disparu. 46 Stobée, Eclogarum physicarum et ethicarum libri I, 49.50 (= I 418 Wachs) : Ἀχέροντα μὲν διὰ τὰ ἄχη, ὡς καὶ Μελανιππίδης ἐν Περσεφόνηι· καλεῖται δ † ἐν κόλποισι γαίας † ἀχεοῖσι † προχέων Ἀχέρων ἐπεὶ καὶ Λικύμνιός φησι· (a) μυρίαις παγαῖς δακρύων ἀχέων τε βρύει, καὶ πάλιν (b) Ἀχέρων ἄχεα πορθμεύει βροτοῖσιν. Cf. aussi Théocrite XVII, 47 : Ἀχέροντα πολύστονον, « l’Achéron qui se répand en gémissements ».
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Outre l’Achéron47, Bacchylide mentionne le Cocyte (Epinicies V, 35). Ce fleuve doit se situer à l’intérieur des Enfers, et non pas à la frontière comme l’Achéron, puisqu’Héraclès, lors de sa quête de Cerbère, rencontre Méléagre près de celui-là. Une allusion à Styx intervient dans l’Epinicie XI de Bacchylide (v. 5-6), lors d’une apostrophe à la Victoire48. Sa fonction de fleuve garant des serments est évoquée par l’épithète ὀρθοδίκου, « qui juge équitablement ». Du dernier cours d’eau mentionné dans l’Odyssée, le Pyriphlégéthon, nous n’avons pas de trace dans les poètes lyriques. Esope, quant à lui, cite un fleuve apparemment inconnu de la poésie épique, le Léthé (Fables, 133). Le mot λήθη, « l’oubli », est certes attesté chez Homère, mais comme nom commun (par exemple en Iliade II, 33). Hésiode, dans la Théogonie (v. 227), le personnifie, lui donnant pour mère Eris (« la Lutte »). Cependant, il ne le compte pas parmi les fleuves infernaux. L’évolution de ce terme vers une acception infernale est peut-être suggérée par Théognis lorsqu’il dit de Perséphone qu’elle « donne l’oubli aux mortels qu’elle prive de la raison »49. Dans l’Odyssée XI déjà, les morts devaient boire le sang des victimes sacrifiées par Ulysse pour recouvrer la mémoire. C’est à partir du Ve siècle, chez Aristophane (Grenouilles, v. 186) et surtout chez Platon (République, 621 a-c), que la plaine du Léthé, τὸ τῆς Λήθης πέδιον, désignera une partie précise des Enfers. L’hydrographie infernale connaît également une grande importance chez les tragiques, notamment chez Eschyle. Nous retrouvons chez cet auteur tous les fleuves de la Nékyia homérique, à part le Pyriphlégéthon. L’Achéron revient le plus souvent, à l’instar des lyriques50. Les vers 854-860 des Sept contre Thèbes sont très évocateurs. Au moment où l’on rapporte sur scène les corps d’Etéocle et Polynice, le chœur commence les lamentations, dont les gestes sont comparés aux mouvements de la barque qui, à travers l’Achéron, conduit les morts aux Enfers. La métaphore, développée dans la relative (v. 856-860), est préparée par κατ’οὖρον, « au gré du vent », et surtout par ἐρέσσετε, qui signifie à la fois « ramer » et « battre en cadence », ainsi que πίτυλον, qui transcrit le coup de la rame battant l’eau et les coups répétés des mains lors des lamentations. Le vaisseau aux voiles noires, μελάγκροκον θεωρίδα, est celui du passeur Charon, même si ce dernier n’est pas nommé. Il s’agit apparemment d’une embarcation assez grande, dotée de rames et de voiles, noires comme tout ce qui touche à l’Hadès. L’emploi de θεωρίς, vaisseau qui d’ordinaire transporte les théores, 47
L’Achéron apparaît dans l’épinicie VII, 18 (= F. 60 Maehler), d’attribution incertaine et très altérée. 48 La Théogonie d’Hésiode, vers 383-385, fait de Nikè la fille de Styx. 49 Théognis, vers 705 : ἥτε βροτοῖς παρέχει λήθην βλάπτουσα νόοιο. 50 Sept contre Thèbes, 854-860 ; Agamemnon, 1555-1559 et 1160-1161 où l’Achéron est mentionné avec le Cocyte.
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insiste sur le caractère sacré de l’expédition (cf. Hérodote VI, 87). Ce navire est bien différent de la minuscule barque décrite par Aristophane dans les Grenouilles (v. 139) et de celles qui sont représentées sur les lécythes à fond blanc (cf. la plupart des lécythes de l’annexe A3, 6 à 86). Le terme ἄστολος (établi d’après les scholies ; les manuscrits ont ἄστονος) est expliqué ainsi par celles-là : « il qualifie le navire de vaisseau soit ἄστονος, ‘aux malheureux gémissements’, soit ἄστολος, ‘mal équipé’ »51. L’analogie de la barque de Charon avec le vaisseau des théores n’est pas innocente. Elle permet d’opposer la joie du voyage vers la grande fête de Délos à la tristesse du départ vers l’Hadès, au malheur qui frappe Thèbes52. L’agréable brise qui pousse le navire vers Délos est devenue « le vent des gémissements » (γόων οὖρον) ; au coup de rames répondent les coups frappés sur le front ; il ne s’agit plus de la mer Egée, mais de l’Achéron ; les voiles noires ont remplacé les blanches, le continent ténébreux d’Hadès (ἀφανῆ χέρσον), l’île brillante de Délos ; et tout le monde s’y rend (πάνδοκον), alors que seuls les hommes exempts de souillure étaient autorisés à participer aux cérémonies en l’honneur d’Apollon. La hardiesse de la métaphore devait retenir l’attention des spectateurs. Elle s’inscrit parfaitement dans l’ensemble de la pièce où l’image du bateau revient comme un leitmotiv (par exemple, v. 690-691). La « cadence de nage » fait avancer la barque (πόμπιμον άμείϐεται), car seuls les morts ayant reçu les honneurs funèbres pouvaient traverser l’Achéron et gagner l’Hadès. Les autres étaient condamnés à errer sur l’autre rive du fleuve53. Parfois, l’Achéron n’est pas nommé, mais désigné par son étymologie populaire qui, nous l’avons vu, le rattachait à ἄχος : πρὸς ὠκύπορον / πόρθμευμ’ ἀχέων, « vers l’impétueuse traversée du fleuve des douleurs »54. 51
Scholie B aux Sept contre Thèbes, 856 : ναῦν θεωρίδα καλεῖ ἄστονον ἤτοι κακοστένακτον, ἢ ἄστολον καὶ κακῶς ἐσταλμένην. 52 Cf. la suite de la scholie B aux Sept contre Thèbes, 856 : ταῦτα δὲ τὰ ὀνόματα τό τε ἄστολον καὶ τὸ μελάγκροκον οἰκεῖα τῇ εἰς Ἅιδην φερούσῃ νηῒ ὡς τῶν ἐν βίῳ ἐναντίως ἐχουσῶν. θεωρίδα δὲ λέγει τὴν τοῦ Χάροντος ναῦν ἐκ μεταφορᾶς τῆς νηὸς τῆς κατ’ἐνιαυτὸν ἐξ Ἀθηνῶν εἰς Δῆλον ἀγούσης τῷ Ἀπόλλωνι θυσίαν, ἣν θεωρίδα ἐκάλουν. Ces termes « mal équipé » et « aux voiles noires », caractéristiques du bateau transportant vers l’Hadès, constituent les contraires de ceux qui caractérisent un bateau dans la vie. Il appelle θεωρίς le vaisseau de Charon par métaphore du vaisseau qui est son contraire, celui qui mène d’Athènes à Délos, vers les rites sacrés d’Apollon et que l’on appelle θεωρίς. Cf. aussi J. Dumortier, 1975, p. 42. 53 Cf. scholie B aux Sept contre Thèbes, 856 : ἐπειδὴ ὁ γόος περὶ τοὺς νεκροὺς γίγνεται, οὗτοι δὲ εἰς Ἅιδου ἀπέρχονται. puisque les lamentations sur les morts ont lieu, ceux-ci partent pour l’Hadès. 54 Ag., 1557-1558. Pour un commentaire de cette expression, voir P. Judet de la Combe, 2001, pp. 703-704.
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Les autres fleuves infernaux cités par Eschyle sont le Cocyte (Agamemnon, v. 1160 ; Sept contre Thèbes, v. 690-691) et le Styx (Perses, v. 667). A la place de l’expression stéréotypée « la demeure d’Hadès », le poète préfère désigner le domaine souterrain par ses fleuves, synecdoque qui renouvelle l’image : dans les Perses (v. 667), l’Hadès est évoqué par le Styx ; dans les Sept contre Thèbes (v. 690-691), par le Cocyte. La pièce la plus révélatrice sur l’hydrographie infernale devait être les Evocateurs d’âmes, dont il ne reste malheureusement que de maigres fragments. Certains commentateurs55 ont voulu y voir un drame satyrique à cause du ton de plaisanterie du fragment 275 Radt, mais l’argument reste peu convaincant car Eschyle témoigne d’une grande variété de styles dans ses tragédies. Il semble préférable d’intégrer cette pièce à une tétralogie dont les autres titres sont conservés et dont l’ordre serait : les Evocateurs d’âmes, Pénélope, les Ramasseurs d’os (Οἰ Ὀστολόγοι) et le drame satyrique Circé56. Cette reconstitution présente l’avantage de respecter une constante des tétralogies eschyléennes57 : les trois tragédies puisent leur sujet dans trois épisodes d’un même mythe ou d’une même légende, et le drame satyrique a trait à un épisode mentionné dans la trilogie tragique. Ici, les tragédies empruntent leurs thèmes aux aventures d’Ulysse lors de son retour de la guerre de Troie, et l’allusion à Circé, sujet du drame satyrique, avait de fortes probabilités de figurer au moins dans les Evocateurs d’âmes. Le thème de cette dernière pièce, en effet, reprenait celui de la Nékyia homérique (Odyssée, chant XI) : sur les conseils de Circé, Ulysse se rendait aux Enfers pour y consulter l’âme du devin Tirésias58. Les rites de l’évocation étaient sans doute identiques à ceux qui sont employés dans les Perses pour évoquer l’âme de Darius. Le titre Ψυχαγωγοί rappelle en effet les ψυχαγωγοῖς γόοις, « les plaintes évocatrices des morts » qui suppliaient le roi défunt (v. 687). Un grammairien ancien, Phrynicus, donne la définition de ψυχαγωγός : « Les Alexandrins appellent ainsi l’esclave des enfants, mais les Anciens désignaient par ce terme ceux qui font remonter les âmes des morts par 55
Voir par exemple J. van Leeuwen, 1890, p. 72. Les Evocateurs d’âmes : T 78, 19 et F. 273-278 Radt ; Pénélope : T 78, 14 a et F. 187 Radt ; les Ramasseurs d’os : T 78, 12 d, F. 179-180 et 435 Radt ; Circé : T 78, 8 c et F. 114-115 Radt. Cf. H. J. Mette, 1963, pp. 127-129 et B. Deforge, 1986, pp. 106-108. 57 Cf. T. Gantz, 1979 et 1980. La tétralogie des Perses semble faire exception, voir à ce propos A. Moreau, 1992-1993. 58 A Pénélope dont le sujet traitait vraisemblablement de la vengeance d’Ulysse de retour à Ithaque, faisaient suite les Ramasseurs d’os : on suppose, d’après les fragments conservés, qu’Ulysse avait affaire aux familles des prétendants venues ramasser leurs cadavres et lui demander des comptes. De l’Hadès, il n’est pas question dans ce qui subsiste, pas plus que dans Circé. Nous ne savons malheureusement rien sur la date de la création ni sur le contexte dans lequel la tétralogie a été créée. 56
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des sortilèges. Cette conception s’applique aussi au drame d’Eschyle les Ψυχαγωγοί »59. Par ailleurs, Maxime de Tyr 8, 2 b (88, 2 Hobein) révèle que les desservants d’un oracle des morts (nécromanteion) s’appelaient des évocateurs d’âmes (ψυχαγωγοί). L’évocation s’accompagnait d’une prédiction. Nous apprenons de la bouche du chœur que l’action des Evocateurs d’âmes se déroulait au bord d’un lac : « Nous qui habitons au bord du lac, nous honorons Hermès comme notre ancêtre »60, aux « eaux calmes » (σταθεροῦ χεύματος, F. 276 Radt), aux abords du royaume de Perséphone : Δαῖρα61. Le fragment 273 a (Radt), s’il appartient à cette tragédie comme le conjecturait Kramer62, donne des précisions intéressantes sur les abords du lac et des Enfers, malgré sa mutilation et la présence de nombreuses lettres conjecturées : le paysage décrit s’apparente à celui que Circé présente à Ulysse au chant X de l’Odyssée (v. 513-514) ; la victime égorgée, dont le sang redonnera vie aux âmes, relève de la même inspiration (Odyssée X, 526-537 et XI, 34-50). Une étude attentive du passage permettra sans doute de voir dans quelle mesure Eschyle a copié Homère ou a innové. Il s’agit d’un double système de dimètres anapestiques, caractéristique des mélodrames, mais aucun indice ne permet de le situer précisément à l’intérieur de la tragédie. On y retrouve des éléments communs aux systèmes anapestiques des tragédies conservées d’Eschyle, notamment l’exhortation (ἄγε νῦν) et l’apostrophe (ὦ ξεῖν’) au premier vers63. D’après le sens, on suppose que le chœur s’adresse à une personne (Ulysse, s’il s’agit bien d’un fragment des Evocateurs d’âmes) venue consulter l’âme de Tirésias, dont nous avons conservé une partie de la prédiction (F. 275 Radt). Le fragment présente de multiples parallèles avec l’évocation de Darius dans les Perses : dans les vers qui précèdent la venue du roi défunt (619-632), le chœur, au moyen d’un double système de dimètres anapestiques, se déplace pour effectuer les libations tout en conseillant la reine Atossa sur la façon de 59
Phrynicus, Praep. Soph. 127, 12 (cité par Radt, vol. III, p. 370) : Οἰ μὲν Ἀλεξανδρεῖς τὸν τῶν παίδων ἀνδραποδιστὴν οὕτω καλοῦσιν, οἱ δ’ἀρχαῖοι τοὺς τὰς ψυχὰς τῶν τεθνηκότων γοητείαις τισὶν ἀνάγοντας. τῆς αὐτῆς ἐννοίας καὶ τοῦ Αἰσχύλου τὸ δρᾶμα Ψυχαγωγοί. 60 F. 273 Radt : Ἑρμᾶν μὲν πρόγονον τίομεν γένος οἱ περὶ λίμναν. Ce vers est cité en plaisantant par Euripide dans les Grenouilles d’Aristophane, vers 1266 ; les scholies nous apprennent qu’il provient des Evocateurs d’âmes d’Eschyle. 61 F. 277 Radt. Les scholies à Ap. Rh. III, 846-847 a (citées par Radt, vol. III, p. 374) nous apprennent qu’Eschyle, dans les Evocateurs d’âmes, appelait Perséphone Daira. 62 Kölner Papyri 3, 1980, n° 125, pp. 11-23, col. II. Il s’agit d’un fragment inscrit sur un rouleau de papyrus provenant d’une momie et contenant deux extraits de littérature grecque écrits par deux élèves. 63 Sur les systèmes anapestiques dans les tragédies d’Eschyle, voir l’article de G. Micunco, 1993-1994.
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procéder et les divinités à invoquer. Les paroles du chœur, au fragment 273 a (Radt), devaient de même s’accompagner d’un déplacement en vue de l’invocation. Si nous observons les tragédies d’Eschyle présentant des situations analogues, par exemple les Perses ou les Choéphores64, nous constatons que l’évocation du mort et son éventuelle venue sur scène constituent l’acmé du drame. Il en était certainement ainsi des Evocateurs d’âmes. On déduit des remarques précédentes que le fragment 273 a (Radt) se situait dans la première partie de la pièce, peu avant le début des rites d’évocation. L’intérêt de ce passage est double : il dépeint le déroulement de rites liés au domaine de la nécromancie, qui permettaient d’entrer en contact avec les âmes des défunts après les avoir attirées à la surface terrestre65, et il se révèle être l’unique endroit du théâtre connu d’Eschyle où la disposition de l’hydrographie infernale est abordée. Cette scène constitue aussi une sollicitation adressée aux spectateurs qui, connaisseurs d’Homère, ne pouvaient manquer de se remémorer les précisions et les conseils donnés par Circé à Ulysse pour qu’il reconnaisse l’endroit où évoquer les morts (Odyssée X, 511-537), et leur réalisation par le héros (Odyssée XI, 20-50). La référence à Homère est évidente, et assurément volontaire de la part d’Eschyle. La situation est similaire : aux préceptes de Circé dans l’Odyssée correspondent les préceptes du chœur dans les Evocateurs d’âmes, et dans les deux cas nous apprenons les détails géographiques à travers le récit de personnages qui ne participeront pas à l’évocation. Cependant, certains détails ainsi que la présentation diffèrent : alors que la magicienne habitait dans l’île d’Aiaié, située à l’opposé du royaume d’Hadès66, le chœur eschyléen réside sur les bords du marais infernal, si l’on en croit le fragment 273 Radt. Et, si l’on se réfère au titre de la pièce qui a de fortes chances de le désigner, on se doute qu’il a l’habitude d’évoquer les âmes, ce qui n’était pas le cas de Circé. Cette différence explique le changement de réceptacle des offrandes. La fosse, βόθρος, qu’Ulysse creusait dans l’Odyssée (X, 517 et XI, 25) pour une évocation exceptionnelle devient un « enclos sacré », σηκός (v. 2), c’est-à-dire un lieu où l’on a l’habitude de rendre hommage à un dieu. Il s’agit d’un nécromanteion. Même si le chœur n’intervient pas directement dans l’évocation, il y assistera probablement, comme lors de l’évocation de Darius dans les Perses ou d’Agamemnon dans les Choéphores. 64
Bien que dans les Choéphores (vers 456-509), l’âme d’Agamemnon ne soit pas visible sur scène. Sa présence est intérieure, elle investit seulement l’esprit d’Oreste pour lui donner la force nécessaire au meurtre de sa mère. 65 Nous n’aborderons pas ici cet aspect qui nous éloignerait trop de notre sujet. Nous renvoyons le lecteur à notre étude particulière des fragments des Evocateurs d’âmes : C. Cousin, 2005 a. 66 Pour la situation d’Aiaié à l’Est, voir A. Lesky, 1948, pp. 51-60. Cf. aussi C. Cousin, 2002.
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Par ailleurs, Circé décrivait d’abord le paysage en indiquant à Ulysse les amers nécessaires pour qu’il reconnaisse l’endroit où creuser la fosse. Puis elle lui indiquait les rites à pratiquer. Dans le fragment des Evocateurs d’âmes, la description du paysage encadre les détails des rites d’évocation. L’ensemble est beaucoup plus concis que le récit de Circé, mais cela peut s’expliquer soit parce que d’autres détails figuraient dans le début de la pièce, soit parce que les spectateurs, à la différence de l’Odyssée, vont ensuite voir la scène. Le marais, λίμνη, dont il est question au deuxième vers désigne probablement la berge de l’Achéron, car les roseaux (δονάκων, v. 6) ne poussent que dans une eau stagnante, eau stagnante confirmée par le fragment 276 Radt : σταθεροῦ χεύματος, « courant stagnant ». L’expression constitue presque un oxymore. Χεῦμα vient de la racine *ghew- dont le sens indique « le versement continu d’un liquide répandu abondamment »67 (voir le verbe χέω et le latin fundo). Chez les tragiques, il s’applique très souvent au cours d’un fleuve68, ce qui suppose un certain courant. Or ici, il a pour épithète σταθερός (apparenté à la famille de ἵστημι) qui indique l’immobilité. Cette apparente contradiction présuppose que l’Achéron a un fort courant en son centre69, mais des rives marécageuses. Certains lécythes à fond blanc confirment cette conception : par exemple, sur le lécythe de Carlsruhe B 2663 (A3, 30°), Charon accoste parmi les roseaux à l’aide d’une gaffe qu’il doit abandonner pour la rame représentée sur un côté de la barque lorsqu’il atteint le courant plus rapide. Dans l’iconographie, les roseaux sont fréquemment associés aux parages infernaux. On les trouvait dans la Nékyia peinte par Polygnote à la leschè de Delphes (cf. Pausanias, X, 28, 1), sur une pélikè figurant la rencontre d’Ulysse et de l’âme d’Elpénor (A3, 3°), et surtout sur les lécythes à fond blanc, notamment ceux du Peintre des roseaux (A3, 61° à 79). Plusieurs critiques ont cherché à identifier cette scène des Evocateurs d’âmes avec un lieu réel, lac Averne en Campanie ou marais Achérontique de Thesprotie70. Mais il paraît plus probable qu’il s’agisse d’un lieu mythique, comme chez Homère ; l’exploit d’Ulysse s’en trouve ainsi renforcé. La mise en scène n’implique nullement l’allusion à un paysage réel. Par exemple, les abords infernaux des Grenouilles d’Aristophane ne sont pas non plus clairement identifiés. Eschyle se plaît à unir monde réel et
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E. Benveniste, 1969, p. 218. Cf. Eschyle, Suppl., 1020 et 1029 ; Eum., 293. Euripide, Hél., 1304 ; Phén., 793. Voir aussi Pindare, Ném. IX, 39. Sophocle l’emploie également pour une source toujours vive : Œdipe à Colone, 471. 69 Le vers 1557 d’Agamemnon qualifie même l’Achéron de ὠκύπορος, « qui s’avance rapidement, impétueux ». 70 Voir le commentaire de S. Radt pour le fragment 273 et celui de B. Kramer, Kölner Papyri, au vers 2 du fragment 273 a, pp. 17-18. 68
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monde imaginaire. Pour les Evocateurs d’âmes, cela semble d’autant plus vrai que l’influence homérique est bien perceptible. Dans le marais se jette un fleuve (ποταμοῦ στομάτων, v. 10), dont le nom n’est pas indiqué, mais dont il est précisé que le bras (ἀπορρὼξ ὕδωρ, v. 11) provient du Styx (Στυγίοις νασμοῖσιν ἀνεῖται, v. 13). On trouve une précision analogue dans l’Odyssée à propos du Cocyte : « le Cocyte qui est un bras de l’eau du Styx »71. Ainsi, d’après ce fragment des Evocateurs d’âmes, le Styx alimente le Cocyte qui afflue vers l’Achéron et son marécage. La mention des forts courants, ainsi que l’emploi de ἀπορρώξ et de Στυγίοις νασμοῖσιν, dénotent des eaux vives (cf. infra pp. 108-111). Le Styx homérique avait déjà l’aspect d’un torrent impétueux : Athéna parle des « flots abrupts du Styx », Στυγὸς ὕδατος αἰπὰ ῥέεθρα (Iliade VIII, 369 ; cf. supra pp. 92, 93 et infra p. 109). Chez Eschyle, un fort courant caractérise aussi l’Achéron et le Cocyte : au composé ὠκύπορος, « qui s’avance rapidement » appliqué à l’Achéron au vers 1557 d’Agamemnon, répond le κῦμα Κωκυτοῦ, « l’agitation du Cocyte », des Sept contre Thèbes (v. 690). Κῦμα, en effet, ne désigne pas une eau tranquille, mais le gonflement, l’agitation des flots. Et le κατ’οὖρον, qui sera encore employé pour la métaphore du vaisseau traversant l’Achéron au vers 854, suggère une vitesse assez importante du bateau. Ainsi, sauf en ce qui concerne le Pyriphlégéthon, l’influence homérique se révèle fondamentale dans la vision eschyléenne de l’hydrographie infernale et, nous le verrons plus loin, de la géomorphologie qui en découle. Les Evocateurs d’âmes parlent du marais infernal comme d’un « terrible marais » (φοϐερᾶς λίμνας, v. 2), lieu hostile par excellence et qui, pour cela, inspire l’effroi. Les valeurs terrestres y sont inversées. Ainsi l’eau, d’ordinaire source de vie et purificatrice, devient malsaine et porteuse de malheur (v. 1112). Κἀχέρνιπτον au vers 12, si tel est bien le mot à restituer (trois lettres sont reconstituées), pose quelques difficultés d’interprétation. On pourrait en effet penser à une crase pour καὶ ἐχέρνιπτον, première personne du singulier ou troisième personne du pluriel de l’imparfait de χερνίπτω, « répandre l’eau lustrale » ; mais, étant donné le contexte, il vaut mieux supposer, bien qu’il s’agisse d’un hapax, une crase pour καὶ ἀχέρνιπτον, adjectif verbal de construction similaire à ἀμέγαρτον (v. 11) : le préfixe alpha privatif et le suffixe *-to-, à l’origine suffixe de superlatif et d’ordinaux (P. Chantraine, 1958, p. 261, § 123) qui a par la suite exprimé « l’accomplissement du procès verbal » (P. Chantraine, 1973, p. 283, § 336), y marquent la négation totale des habitudes des vivants. Littéralement, eau « qu’on ne saurait envier (μεγαίρω) », d’où « qui apporte le malheur, funeste » et « dont on ne saurait faire des libations (χερνίπτω) », c’est-à-dire peut-être « avec laquelle on ne saurait se purifier avant un sacrifice (?) ». Les vers 1553-1555 des Oiseaux d’Aristophane 71
Od. X, 514 : Κώκυτός θ’, ὃς δὴ Στυγὸς ὕδατός ἐστιν ἀπορρώξ.
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constitueraient, selon B. Kramer (Kölner Papyri, commentaires aux vers 2 et 12, pp. 18 et 22), une parodie de ce passage : λί/μνη τις ἔστ’ἄλουτος οὗ / ψυχαγωγεῖ Σωκράτης. La place centrale de ἄλουτος (« sale, crasseux ») dans la phrase et sa construction grammaticale mettent l’adjectif en facteur commun à λίμνη et à Σωκράτης, subtilité que la langue française se trouve dans l’incapacité de traduire sans répétition : « il est un lac immonde où le crasseux Socrate évoque les âmes ». Appliqué au lac, l’adjectif verbal ἄλουτος, « où l’on ne saurait se baigner », exprimerait une notion proche du ἀχέρνιπτον employé par Eschyle72. Dans les Evocateurs d’âmes, le terme est mis en valeur par la métrique, monomètre qui précède le septième vers catalectique (parémiaque), et fait ainsi écho au αἷμα μεθίει de la strophe précédente. Ce monomètre composé d’un seul mot aux quatre syllabes longues (deux spondées), alors que nous sommes dans un système anapestique, souligne davantage encore l’aspect funeste de l’eau infernale et la crainte qui s’en dégage. En conclusion, on note une influence certaine de l’hydrographie infernale homérique dans les fragments des Evocateurs d’âmes d’Eschyle. Cela s’explique par le fait que, en ce qui concerne l’au-delà, l’Odyssée constitue la référence des représentations grecques postérieures. Mais Eschyle ne se contente pas d’une pâle imitation ; on assiste à une véritable appropriation du récit épique par l’auteur tragique. Il transpose au théâtre l’épisode épique. En procédant ainsi, il élargit l’horizon du spectateur : non seulement il fait revivre le texte homérique, mais encore il appelle sur scène le monde souterrain. La réécriture d’Homère se révèle ainsi particulièrement mobilisatrice. Deux genres poétiques différents se mêlent : le récit épique revêt un aspect lyrique à travers les paroles du chœur. Ainsi l’œuvre se charge-t-elle d’une force émotionnelle due à la confluence du récit, de l’action et du spectacle (cf. Z. Petre, 1985, pp. 28-29). Langage multiple donc, relayé par divers procédés stylistiques : concision, oxymores, répétitions, jeux sur la métrique, création d’adjectifs composés qui condensent la pensée homérique tout en l’interprétant. La reprise d’expressions et de détails épiques donne une couleur homérique à la scène, en sollicitant les spectateurs. Mais la perception est autre. La réécriture, presque mot à mot, du passage odysséen crée une différenciation grâce à des modifications presque imperceptibles au prime abord, et suggère ainsi une nouvelle interprétation, une réactualisation de la tradition. La narration épique est transformée en expérience dramatique. Eschyle fait surgir le monde infernal, d’ordinaire invisible, sur scène et lui prête vie, suscitant dans le public à la fois terreur et émotion. Ce procédé reste propre au poète qui récidive dans les Perses avec l’émergence du roi défunt Darius, et dans les Euménides avec l’apparition du chœur des Erinyes. 72
Sophocle, dans Antigone, 1284, qualifie le port d’Hadès d’impur (δυσκάθαρτος). Ce vers est sans doute à comprendre au sens figuré, mais l’ambiguïté existe.
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La prépondérance d’une zone infernale humide se retrouve chez Sophocle. Si le Cocyte et le Pyriphlégéthon ne sont pas mentionnés dans les tragédies conservées, l’Achéron revient à plusieurs reprises. Comme chez Eschyle, on observe la tendance à désigner l’Hadès par ses fleuves, y compris pour nommer son roi : dans Electre, le chœur utilise la périphrase ὁ παρὰ τὸν Ἀχέροντα θεὸς ἀνάσσων, « le dieu qui règne au bord de l’Achéron » (v. 183). Et le prétendant d’Antigone marchant vers la mort (v. 816) n’est pas Hadès, mais l’Achéron : Ἀχέροντι νυμφεύσω, « j’épouserai l’Achéron ». Le passage obligatoire pour gagner les Enfers reste la traversée de ce fleuve. Selon Antigone, Hadès la « conduit au bord de l’Achéron », ἄγει / τὰν Ἀχέροντος / ἀκτάν (v. 811-813). On a l’impression que les morts séjournent près de la rive de l’Achéron, au lieu de se diriger vers l’intérieur des Enfers, dans l’espoir de regagner la terre. Car les rares âmes à revenir dans le monde des vivants, tel Achille pour exiger le sacrifice de Polyxène (F. 523 Radt), sont d’abord obligées de retraverser l’Achéron. Celui-ci marque donc la frontière entre l’au-delà et l’ici-bas, contrairement au Styx qui coule à l’intérieur du domaine infernal, d’où l’expression Στύγιον δόμον, « la demeure du Styx » (Œdipe à Colone, v. 1564), employée à la place de l’habituelle « demeure d’Hadès ». L’humidité constante est évoquée par l’aspect marécageux du paysage. L’âme d’Achille dit avoir quitté « les bords du marais », ἀκτὰς…/ λιποῦσα λίμνης (F. 523 Radt), sans doute parle-t-il du marais achérontique que nous connaissions déjà par Eschyle. Mais un autre passage laisse supposer que la plus grande partie des Enfers est constituée de marécages : ἐξ Ἀΐδα / παγκοίνου λίμνας, « du marais de l’Hadès commun à tous » (Electre, v. 137-138). Euripide, quant à lui, ne semble pas avoir porté un intérêt démesuré à l’hydrographie infernale. Peu nombreuses, les mentions demeurent souvent traditionnelles. La venue de l’âme dans l’Hadès est conçue comme un voyage dont la principale étape est la traversée de l’Achéron73. Le chœur le mentionne lors du cortège funeste d’Alceste : λίμναν Ἀχεροντίαν (Alceste, v. 443)74, expression qu’il reprend par χθονίαν λίμνην, « marais infernal », au vers 902. Le seul moyen de le franchir est la barque de Charon. Héraclès, lorsqu’il se rendit aux Enfers pour y chercher Cerbère, monta dans l’esquif car le poète emploie le verbe πλέω, « naviguer » : ἔπλευσ’ ἐς Ἅιδαν, « il vogua vers l’Hadès » (Héraclès, v. 427)75. Et la barque du nocher attend ses enfants sur le point de mourir (Héraclès, v. 431-433) : la notion de voyage est notée par 73
La préposition διά marque ce passage d’une rive à l’autre dans les Phéniciennes, 1312. 74 Voir aussi Hér., 770, et peut-être Troy., 442, si dans ce passage λίμνη désigne le marais infernal, et non le périple d’Ulysse (cf. G. Schade, 1998). 75 Voir aussi Bacch., 1361-1362, où ce verbe remplace la mention de la barque.
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κέλευθον, mais le passage n’est possible que dans un sens, de la vie vers la mort. Charon ne prend de passagers que pour l’aller ; sa barque revient à vide. Πλάτη désigne originellement le plat de la rame, puis par métonymie, une barque large et plate ; elle implique une eau par endroits peu profonde et confirme la représentation de l’Achéron comme un marais. Les vers 439-444 d’Alceste apportent des précisions sur cette embarcation de sapin (signification première de ἐλάτη, avant de désigner la rame, puis la barque), munie d’un gouvernail (Πηδαλίῳ) et de deux rames (δικώπῳ). D’ailleurs la seule mention de la rame infernale (Alceste, v. 361 et 459) suffit à l’évoquer. Le nocher possède également une gaffe (Alceste, v. 252-254) afin de manœuvrer dans les endroits peu profonds et envahis par les plantes aquatiques, tels les roseaux, dans lesquelles les rames se prendraient. Cette vision correspond tout à fait aux représentations des lécythes à fond blanc (voir supra p. 102). L’Achéron reçoit probablement les eaux du Cocyte qui semble couler à l’intérieur du royaume infernal. Les vers 457-458 d’Alceste, en juxtaposant Ἀίδα τεράμνων (« les toits », d’où « la demeure d’Hadès ») et Κωκυτοῖο, incitent à cette hypothèse. Un courant assez fort (ῥείθρων) le différencie du λίμνη achérontique. Si l’on voit dans les vers 770-772 des Grenouilles d’Aristophane une parodie d’une tragédie d’Euripide, nous trouvons alors une mention du Styx. Malheureusement, ces vers comportent une simple énumération des fleuves infernaux (Styx, Achéron et Cocyte sont simplement reliés par τε), sans préciser leur disposition respective les uns par rapport aux autres. Parodie ou non, Aristophane connaît et respecte la tradition hydrographique infernale dans les Grenouilles. Seul le Pyriphlégéthon, comme chez la plupart des auteurs, n’est pas mentionné. Le Styx et le Cocyte correspondent à ceux de l’épopée. Le Styx qui s’écoule en cascade d’un rocher (v. 470) a un régime torrentiel. L’Achéron (v. 471), en revanche, est sans doute à identifier avec le lac que fait traverser Charon, même si Aristophane se contente de l’appeler λίμνη (v. 137, 181, 193) et jamais Achéron76. Xanthias doit le contourner pendant que Dionysos emprunte la barque du nocher (v. 193). Cette métamorphose du marais achérontique répond aux exigences de la mise en scène. Ses eaux marquent toujours l’accès infernal (v. 136-139). Dès ses premiers mots, Héraclès laisse supposer qu’il s’agit d’une entrée aquatique : πλοῦς s’applique à une traversée par mer ou par eau, ce que confirment ἐπὶ λίμνην et περαιωθήσομαι. Περαιόω-ῶ s’emploie pour l’action de transporter audelà d’un fleuve, d’une étendue d’eau. Pour effrayer Dionysos, Héraclès insiste sur l’immensité et la profondeur du lac (μεγάλην… πάνυ / ἄϐυσσον, v. 13776
Cf. Euripide, Alc., 438-444, où Charon fait passer aux morts le lac de l’Achéron. Bien qu’on ait tenté de rapprocher ces deux noms, l’étymologie de Charon reste obscure (voir P. Chantraine, 1968, s. v. Χάρων).
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138). La petitesse de la barque de Charon en souligne la disproportion : πλοιάριον, diminutif de πλοῖον, est accolé d’un adjectif qui en diminue encore les dimensions (τυννουτῳί, « si petit », v. 139) et augmente, par comparaison, celles de l’étang. Néanmoins, les bords en sont peu profonds et marécageux, puisqu’ils sont peuplés de batraciens. Dans la pièce, sa traversée représente plus que jamais le passage de l’ici-bas à l’au-delà. Il constitue la frontière entre deux mondes, terrestre et infernal, et par conséquent il symbolise le passage de la vie à la mort. Sorte de zone neutre, il entretient des relations avec les deux mondes. Dionysos, le temps de la traversée, va donc flotter symboliquement entre la vie et la mort. Ainsi, de l’épopée au théâtre, le monde infernal se caractérise par son vaste réseau de cours d’eau et ses zones marécageuses où règne une humidité constante. Cela ne signifie pas pour autant qu’il s’agisse d’une plaine, comme l’affirme l’opinion communément répandue, d’un « paysage d’eaux et de bois, sans autres accidents que les arbres » où l’on ne décèle « ni montagnes, ni gorges, ni descentes souterraines » (G. Germain, 1954, p. 367). La géomorphologie Si une lecture globale des vers relatifs aux Enfers homériques laisse supposer un paysage de plaine, certains détails prouvent la présence d’un relief parfois accidenté. Une étude du vocabulaire va permettre de le démontrer. Le premier amer infernal que donne Circé à Ulysse pour qu’il sache à quel endroit échouer son navire est une hauteur : ἀκτή τε λάχεια, « un petit promontoire » (Odyssée X, 509). Sur les dix-neuf occurrences77 du mot chez Homère, ἀκτή désigne assurément seize fois78 un cap ou un promontoire, c’està-dire une pointe de terre qui s’avance au-dessus du niveau de la mer. A six reprises79, le contexte permet de préciser qu’il s’agit d’une côte escarpée, contre laquelle les vagues se brisent. Ainsi, quand Ulysse aborde à la nage l’île des Phéaciens après le naufrage de son bateau, avant qu’il soit projeté sur l’à-pic rocheux, son attention est d’abord attirée par le grondement du ressac (Odyssée V, 400-431). Les promontoires sont d’ailleurs qualifiés de sonores en Iliade XX, 50 : ἐπ’ἀκτάων ἐριδούπων80. D’autres épithètes insistent sur leur hauteur et leur escarpement : προϐλῆτες (« qui s’avancent en saillie »), ἀπορρῶγες
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Il. II, 395 ; XII, 284 ; XVIII, 68 ; XX, 50 ; XXIII, 125 ; XXIV, 97. Od. V, 82, 151, 405 et 425 ; X, 89, 140 et 509 ; XII, 11 ; XIII, 98 et 234 ; XV, 36 ; XXIV, 82 et 378. 78 Il. II, 395 ; XII, 284 ; XX, 50. Od. V, 82, 151, 405 et 425 ; X, 89, 140 et 509 ; XII, 11 ; XIII, 98 et 234 ; XV, 36 ; XXIV, 82 et 378. 79 Il. II, 394-397 ; XX, 50. Od. V, 400-405 et 425 ; X, 87-90 ; XIII, 97-98. 80 Voir aussi Il. II, 394-397. Sur l’épithète ἐριδούπος, voir infra pp. 108-109.
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(« abrupts »), ὑψηλῇ (« élevé ») 81. C’est donc bien un relief, même s’il est peu important comme le suggère λάχεια, qui annonce la proximité du domaine infernal82. Et au dernier chant de l’Odyssée, les âmes des prétendants guidées par Hermès passent, juste avant d’atteindre les Enfers, devant un « rocher blanc » (λευκάδα πέτρη, v. 11), peut-être une variante de l’ἀκτὴ λάχεια, en tout cas un relief qui marque le voisinage infernal. Plus on approche des Enfers, plus la configuration du terrain se révèle mouvementée et inhospitalière. A l’endroit où doit s’arrêter Ulysse pour creuser la fosse sacrificielle (Odyssée X, 513-515), trois termes évoquent une région montagneuse : ἀπορρώξ, πέτρη et ἐριδούπων. Ἀπορρώξ s’emploie chez Homère pour un lieu escarpé, telles les falaises du port de Phorkys à Ithaque, où il est épithète de ἀκτή (ἀκταὶ ἀπορρῶγες, « falaises abruptes », Odyssée, XIII, 98). Il se dit également d’un bras de rivière83, mais il sous-entend la notion d’eau qui tombe d’un endroit abrupt. Une première cascade déverse donc les eaux du Styx dans le Cocyte ; une seconde, celles du Cocyte et du Pyriphlégéthon dans l’Achéron. Un rocher marque en effet leur confluent : πέτρη τε σύνεξίς τε (Odyssée X, 515). Or πέτρη désigne souvent une paroi élevée, sorte de falaise au relief accidenté. En effet, parmi ses épithètes les plus fréquentes dans l’épopée, on note μεγάλη (« grand »), ὑψηλή (« élevé »), ἠλίϐατος (« très élevé et escarpé »), ἐπηρεφής (« qui surplombe »), αἰγίλιψ (« escarpé »), λισσή et λίς (« lisse, d’où abrupt »)84. Un contexte montagneux permet parfois de suppléer l’absence d’épithète : ainsi Niobé se trouve-t-elle sur le Sipyle ἐν πέτρῃσιν, ἐν οὔρεσιν οἰοπόλοισιν (« parmi les rochers, parmi les montagnes solitaires », Iliade, XXIV, 614) ; la chaîne de montagnes entre l’Elide et l’Achaïe est nommée πέτρη Ὠλενίη, « la roche d’Olénos »85. Par ailleurs, ἐριδούπων 81
Προϐλῆτες : Od. V, 405 ; X, 89 ; XIII, 97. Ἀπορρῶγες : Od. XIII, 98. Sur l’épithète ἀπορρώξ, voir infra. L’hymne homérique à Apollon, vers 24, parle de « falaises qui tombent dans la mer », ἀκταί τ’εἰς ἅλα κεκλιμέναι. ῾Υψηλῇ : Il. II, 395. 82 Les scholies B. V. à l’Od. X, 509 le comprennent aussi de cette façon : ἡ προηγμένη καὶ ἐξέχουσα εἰς θάλασσαν ἄκρα, « promontoire saillant qui s’avance dans la mer ». Sur le rocher de Leucade et ses rapports avec la mort, voir E. Janssens, 1961. 83 Il. II, 755 ; Od. X, 514 ; et, au figuré, Od. IX, 359. 84 Μεγάλη : Od. IV, 501 ; VII, 279 ; XII, 71 ; XIV, 399. Ὑψηλή : Il. XVI, 429. Ἠλίϐατος : Il. XV, 273 ; Od. X, 87-88 ; XIII, 196 ; Hymne homérique à Pan, 10 ; Hymne homérique à Hermès, 404. Ἐπηρεφής : Od. X, 131 ; cf. Hymne homérique à Apollon, 283-284 : ὕπερθεν / πέτρη ἐπικρέμαται, « un rocher surplombe (Crisa) ». Αἰγίλιψ : Il. IX, 15 ; XVI, 4 ; Hymne homérique à Pan, 4 ; Hésychius glose αἰγίλιπος· ὑψηλὸς τόπος, αἰγίλιψ· ὑψηλὴ πέτρα ; αἰγίλιπος : « endroit escarpé » ; αἰγίλιψ : « roche escarpée ». D’après une étymologie populaire, il serait issu de la composition de αἴξ et λείπω et signifierait « abandonné même par les chèvres ». Λισσή : Od. V, 412. Λίς : Od. XII, 64. 85 Il. II, 617 et XI, 757.
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confirme l’élévation : les deux fleuves infernaux produisent un « vacarme assourdissant ». Ἐριδούπων, « tonnant », est d’ordinaire une épiclèse de Zeus86. Il s’applique aussi au bruit des sabots des chevaux sur le sol (Iliade XI, 152) ou encore au porche d’une demeure où règne un brouhaha incessant (roues des chars, cris des bêtes et des hommes)87. Enfin, il qualifie le grondement du ressac sur les falaises (Iliade XX, 50). Un bruit sourd, qui résonne, émane donc du Cocyte et du Pyriphlégéthon, fracas provoqué par leurs courants, d’abord lorsqu’ils confluent, puis quand ils se jettent dans l’Achéron. Leurs eaux sont loin d’être calmes, et l’on s’imagine plutôt le débit de torrents augmenté par des gorges encaissées et des chutes successives. Le cours du Styx est également tumultueux. Athéna parle des « flots abrupts du Styx » (Στυγὸς ὕδατος αἰπὰ ῥέεθρα, Iliade VIII, 369). L’adjectif αἰπός est une forme thématique de αἰπύς88 qui qualifie un endroit haut et escarpé. Αἰπὰ ῥέεθρα indique, par conséquent, l’eau qui descend d’une hauteur, et souligne les difficultés pour la franchir89. Il s’agit d’un régime torrentiel, ainsi que le corrobore le chant XV de l’Iliade, vers 37 : τὸ κατειϐόμενον Στυγὸς ὕδωρ, « l’eau qui s’écoule du Styx ». Jean Bollack (1958) a remarqué l’étrangeté de l’expression Στυγὸς ὕδωρ. Στύξ, chez Homère, est toujours accompagné de ὕδωρ, alors que l’Achéron, le Cocyte et le Pyriphlégéthon sont employés seuls. En outre, l’eau du Styx est assurément différente du Styx : Στύξ ici n’est pas considéré comme une apposition à ὕδωρ, car il se mettrait au même cas, Στὺξ ὕδωρ. Or, au vers 37, on a un génitif : Στυγὸς ὕδωρ. Dans l’expression τὸ κατειϐόμενον Στυγὸς ὕδωρ, le Styx devait à l’origine désigner le nom de l’endroit ou du rocher d’où s’écoulait l’eau, et ce nom aurait ensuite été étendu à la rivière elle-même. Ainsi Στυγὸς ὕδατος αἰπὰ ῥέεθρα et τὸ κατειϐόμενον Στυγὸς ὕδωρ feraient à la fois allusion à l’eau et à l’escarpement d’où elle se précipite. La Théogonie d’Hésiode confirme cette vision (v. 775-806). La demeure de Styx apparaît comme une faille terrestre, entourée de rochers en surplomb qui en rétrécissent l’ouverture vers le ciel90. Et le paragraphe qui lui est consacré s’achève par l’évocation de l’aspect rocailleux du paysage (v. 805-806) : l’emploi du verbe ἵημι, « se jeter, s’élancer », implique l’idée d’un mouvement impétueux. Le Styx n’est autre qu’un torrent
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Il. V, 672 ; VII, 411 ; X, 329 ; XII, 235 ; XIII, 154 ; XV, 293 ; XVI, 88. Od. VIII, 465 ; XV, 112 et 180. Hymne homérique à Héra, 3. 87 Il. XXIV, 323. Od. III, 399 et 493 ; VII, 345 ; XV, 146 et 191 ; XX, 176 et 189. 88 A cette forme se rattache également un substantif, αἶπος, « montagne ». 89 Les flots du Scamandre, qui courent parmi les falaises, sont également appelés αἰπὰ ῥέεθρα (Il. XXI, 9-10). 90 Hésiode, Théog., 777-778. Cf. vers 785-787 et vers 792. Le paysage abrupt que traverse le Styx chez Hésiode a été étudié par R. Balladié, 1980. Voir aussi l’article de E. Fouache et F. Quantin, 1999.
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bondissant à travers une région montagneuse91. L’épithète καταστύφελος, « dur, rude », qualifie toujours un endroit rocheux, le préfixe κατα- donnant une valeur superlative : « tout à fait rude, très rude »92. Pour en revenir au chant X de l’Odyssée, nous constatons donc que les vers 513-515 évoquent un paysage rocheux, duquel tombent des torrents qui se rejoignent (le Styx puis le Cocyte d’un côté, le Pyriphlégéthon de l’autre) jusqu’à atteindre l’Achéron, plus bas dans le vallon93. Pour les vivants, ces fleuves représentent avec les rochers d’où ils s’élancent les principaux obstacles du voyage vers l’Hadès et ils constituent la véritable barrière, la séparation entre les deux mondes. Tout, dans ces bribes de paysage, donne l’impression d’une nature indomptée et inhospitalière. Les Enfers apparaissent, du moins en ce qui concerne leurs abords, comme une région au fort relief, négation de la campagne et du monde civilisé. A l’intérieur du domaine proprement dit, la seule mention d’une hauteur consiste en la colline du supplice de Sisyphe : λᾶαν ἄνω ὤθεσκε ποτὶ λόφον, « vers le sommet du tertre, il la (la pierre) voulait pousser » (Odyssée XI, 596). Cette hauteur est-elle là uniquement pour la punition de l’impie, ou bien le royaume d’Hadès est-il vallonné ? Le vocabulaire homérique n’apporte pas de réponse puisque les seuls termes désignant l’intérieur des Enfers sont Ἔρεϐος (« ténèbres ») et λείμων (« prairie ») 94. Le relief infernal n’est pas l’apanage des vers épiques. On en trouve aussi des traces dans la poésie lyrique, et l’aspect sauvage en est accentué. Les passages qui, à l’instar de la poésie épique, suggèrent un relief accidenté, attestent par ailleurs d’une modification de la géographie infernale. Le fragment 395 (PMG) d’Anacréon en est révélateur, où le Tartare est devenu partie intégrante de l’Hadès et en constitue la région la plus basse95. Une forte déclivité du terrain à l’intérieur même des Enfers permet d’y accéder. Sappho, 91
Cette vision mythique a d’ailleurs sa correspondance dans un site géographique d’Arcadie, à Nonacris, où l’eau du Styx tombe d’un haut rocher : Hérodote VI, 74 ; Pausanias VIII, 17, 6. 92 Cf. aussi l’Hymne homérique à Hermès, 124. Hésychius donne la définition suivante : καταστυφέλου· κατάξηρου… καὶ ἡμεῖς δὲ τὰς ἀνεργάστους χώρας καὶ σκληρὰς στυφλὰς καλοῦμεν ; « καταστυφέλου : très aride […] et nous appelons aussi ‘dures’ les régions rudes auxquelles la main de l’homme n’a pas touché ». 93 Sur l’interprétation antique de cette disposition, voir les scholies données supra n. 42. 94 Ἔρεϐος : Il. VIII, 368. Od. X, 528 ; XI, 37 et 564. Λείμων : Od. XI, 539, 573 et XXIV, 13. 95 Sur l’assimilation du Tartare à l’Hadès, cf. supra pp. 39-41. Outre Anacréon, voir Théognis, 1033-1036, et Pindare, Péans IV, 42-45. Cette évolution est également attestée dans la tragédie.
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quant à elle, emploie le terme ὄχθος pour désigner les rives de l’Achéron (F. 95, v. 12-13, Voigt). Or ὄχθος désigne une hauteur, colline ou montagne96, et appliqué à un fleuve, une rive élevée, abrupte97. Pindare utilise le terme homérique ἀκτή pour désigner sa rive ténébreuse et escarpée (Pythiques XI, 21). Il présente aussi la mort comme un précipice : l’épithète αἰπύς (θάνατον αἰπύν, Olympique X, 42) s’emploie pour un endroit très élevé, à l’accès difficile. L’Hadès pindarique semble donc entouré de hauteurs, un peu comme la demeure de Styx dans la Théogonie (v. 777-779). Son aspect de gorge montagneuse est confirmé par les expressions κοίλαν ἐς ἄγυιαν (« vers la route encaissée », Olympiques IX, 34) et χθόνιον / Ἄιδα στόμα (« la bouche souterraine d’Hadès », Pythiques IV, 44-45. Cf. supra pp. 61 et 90). Le débit des fleuves plaide aussi en faveur d’un relief accidenté : διννάεντ’ Ἀχέροντα, « l’Achéron tourbillonnant », trouve-t-on deux fois chez Alcée (F. 38, v. 2 et 8, Voigt), qui donne la vision d’un fleuve impétueux, au régime torrentiel. Plutôt que l’Achéron homérique qui semblait posséder le calme d’une étendue d’eau, l’Achéron des poètes lesbiens rappelle les cours abrupts du Styx, du Cocyte et du Pyriphlégéthon. Licymnius évoque également son débit rapide (F. 770 PMG) : πηγή en effet ne s’applique qu’à l’eau courante (en contraste avec l’eau stagnante d’une fontaine par exemple)98, et le verbe βρύω implique un gonflement, quelque chose en ébullition, qui sourd avec force. Des eaux vives caractérisent également le Cocyte chez Bacchylide : παρὰ Κωκυτοῦ ῥεέθροις (« auprès du cours du Cocyte », Epinicies V, 35), ῥέεθρον désignant précisément le courant d’une rivière. Ainsi, ces quelques allusions prouvent que le domaine infernal, loin d’être une plaine, se définit plutôt comme une région montagneuse. La poésie lyrique se présente d’ordinaire comme un hymne constant à la vie. Or l’Hadès en constitue l’opposé. Cela explique l’insistance sur l’aspect montagneux, inhospitalier et sauvage du paysage infernal. Les tragiques reprennent également la vision épique de hauteurs infernales. Le fragment 273 a (Radt) des Evocateurs d’âmes d’Eschyle reflète la géomorphologie homérique : l’Achéron y reçoit un fleuve dont le nom n’est pas indiqué, mais dont il est précisé que le bras provient d’une chute d’eau (ἀπορρώξ) du Styx (cf. supra pp. 103 et 109). L’emploi de ἀπορρώξ et de Στυγίοις ναμοῖσιν (v. 11 et 13) dénote une région montagneuse. L’une des rives de l’Achéron semble escarpée, si l’on en croit les dires de Cassandre dans Agamemnon (κἀχερουσίους / ὄχθους, v. 1160-1161). L’intérieur des Enfers, du 96
Cf. Hymne homérique à Apollon, 17 ; Pindare, Ol. IX, 3 ; Sophocle, Tr., 524 ; Hérodote VIII, 52, etc. 97 Cf. par exemple Eschyle, Ag., 1161 ; Aristophane, Oiseaux, 774. 98 Cf. Il. XX, 9 ; Eschyle, Perses, 311, etc.
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moins le bourbier où séjournent les criminels, se caractérise aussi par ses rochers (Euménides, v. 386-388) : δυσοδοπαίπαλα peut certes être pris dans le sens figuré d’ « odieux, cruel », mais il paraît préférable de lui conserver son sens propre « aux roches impraticables » ; δύσοδος se dit d’un endroit d’accès difficile et accidenté, par exemple un chemin montagnard99. En fait, les deux notions se sont mêlées. Le terme propre à Sophocle pour désigner les Enfers est πλάξ, au singulier (Œdipe à Colone, 1563) ou au pluriel (Œdipe à Colone, 1577 et 1681), d’où l’impression que le poète s’imaginait le domaine infernal comme une plaine. Le mot, en effet, s’applique en général à de larges surfaces plates. Mais si l’on regarde les différents contextes dans lesquels Sophocle l’utilise, on s’aperçoit qu’il désigne plutôt des plateaux rocheux. Ainsi, dans Œdipe Roi, vers 1102, πλάκες ἀγρόνομοι, qui intervient parmi un champ lexical des hauteurs (ὀρεσσιϐάτα, Κυλλάνας, ἐπ’ ἄκρων ὀρέων, Ἑλικωνίδων, v. 1100-1107), a de fortes chances de désigner des plateaux montagneux sauvages. De même, il signale le « plateau de l’Œta », pays de Philoctète (Οἴτης πλάκα, Philoctète, v. 1430) ou encore le « haut plateau du Sounion » (ἄ/κραν ὑπὸ πλάκα Σουνίου, Ajax, v. 1219-1220). Dans cette dernière occurrence, l’épithète ἄκραν, « haut », ne peut qualifier une plaine. C’est encore le cas dans les Trachiniennes, où πλάξ se révèle être une haute terrasse de rempart (ἄκρας… πυργώδους πλακός, v. 273). Le dénominateur commun de ces différents emplois est l’idée d’une certaine hauteur, et il ne serait pas étonnant que les « plaines infernales » sophocléennes, comme on les a longtemps appelées, soient en réalité des plateaux. La mention de la rive escarpée de l’Achéron (τὰν Ἀχέροντος ἀκτάν, Antigone, v. 812-813) irait en ce sens. L’Hadès de Sophocle s’inscrirait donc dans la lignée des monts infernaux. Euripide suit la tradition sans porter d’intérêt particulier à la topographie : les mentions, peu nombreuses, demeurent traditionnelles. Le Cocyte possède un courant certain (Κωκυτοῖό τε ῥείθρων, Alceste, v. 458). Les vers 470-473 des Grenouilles d’Aristophane, s’ils parodient bien une tragédie d’Euripide100, mentionnent « la roche au cœur noir du Styx » (Στυγὸς μελανοκάρδιος πέτρα) et « la falaise de l’Achéron dégouttante de sang » (Ἀχερόντιός τε σκόπελος αἱματοσταγής). Comme dans la poésie épique et chez Eschyle, le Styx s’écoule donc d’un rocher (πέτρα) et l’une des rives de l’Achéron est bordée d’un haut promontoire rocheux (σκόπελος, qui appartient à la famille de σκέπτομαι, « regarder, examiner, guetter », indique un rocher suffisamment haut pour que 99
La scholie M à Eum. 387 l’entendait déjà ainsi : δυσπαράϐατα καὶ τραχέα ζῶσι καὶ τεθνηκόσιν, « difficile à franchir et rude pour les vivants et les morts ». 100 Aristophane se plaît souvent à parodier la tragédie, voir à ce propos J. Taillardat, 1962, pp. 503-504, ainsi que P. Rau, 1967, pp. 1-18 et plus particulièrement, pour la scène du portier infernal, pp. 115-118.
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l’on puisse y scruter l’horizon101). L’autre rive, en effet, ressemble plutôt à un marécage, comme le laisse supposer l’expression Ἀχεροντίαν λίμνην, « marais achérontique »102. Une dernière hauteur remarquable semble être le rocher servant à la punition de Sisyphe, qu’Héraclès cite quand il se croit de nouveau aux Enfers103 . Cette topographie reste finalement assez décevante et n’ajoute rien à l’imaginaire infernal épique, si ce n’est une accentuation du côté terrifiant. En ce qui concerne les éléments de paysage, Aristophane reste aussi fort proche d’Homère. Quelques allusions, quoique rares, dans les Grenouilles prouvent que l’on a à faire à un paysage rocailleux, voire montagneux. L’Achéron est devenu un lac dont on peut faire le tour pour les besoins de la mise en scène ; mais dans la parodie d’Euripide (voir supra), les bords marécageux jouxtent un promontoire (v. 471). L’entrée de l’Hadès se reconnaît à « la pierre de la Sécheresse » (τὸν Αὑαίνου λίθον, v. 194), près de laquelle Xanthias attend le débarquement de Dionysos. Le Styx, qui s’élance en cascade d’un rocher (πέτρα, v. 470), et le Cocyte (v. 472) ont conservé leur régime torrentiel. Un nouveau lieu est décrit, la prairie des initiés, légèrement vallonnée : « dans les replis fleuris des prairies »104 . Les κόλποι, vallons ménageant des retraites où l’on se sent en sécurité, constituent l’opposé des cimes abruptes des régions frontalières de l’Hadès. L’antithèse marque les faveurs dont jouissent les Bienheureux dans l’au-delà. Contrairement à la tragédie, Aristophane tourne en dérision toute allusion effrayante : ainsi les épithètes αἱματοσταγής et μελανοκάρδιος, qui qualifient la falaise de l’Achéron et le rocher du Styx (v. 470-471) parodient le vocabulaire tragique. Eaque veut terrifier Dionysos-Héraclès en mentionnant les supplices qui l’attendent pour avoir dérobé Cerbère. Dans sa description, la falaise de l’Achéron apparaît « dégouttante de sang », comme si l’on avait précipité des hommes de son sommet ou si des naufragés s’y étaient fracassés. Μελανοκάρδιος, « au cœur noir », qui relève de la même veine, évoque un lieu entouré de ténèbres, propre
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Dans l’Iliade, il se dit d’un promontoire rocheux (II, 396) et dans l’Odyssée, il caractérise l’écueil de Scylla (XII, 73, 80 et 430). A l’époque classique, il désigne des rochers élevés comme l’acropole de Thèbes (Pindare, F. 196 Maehler) ou celle d’Athènes (Eur. Ion, 274 et 871), voire très élévés (Eschyle, Prom., 142). Cf. P. Chantraine, 1968, s. v. σκέπτομαι. 102 F. 868 (Kannicht). Voir aussi Alc., 443 et 902 ; Hér., 770. 103 Euripide, Hér., 1103. Chez les tragiques, πέτρος est parfois synonyme de πέτρα : Sophocle, O. C., 19 et 1595 ; Phil., 272. 104 Aristophane, Gren., 373-374 : εἰς τοὺς εὐανθεῖς κόλπους / λειμώνων.
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à susciter l’effroi105 . Mais l’accumulation de tels termes dans une comédie provoque l’effet inverse sur les spectateurs qui devaient rire en les entendant. Malgré la présence d’aussi nombreux indices de relief dans les différents textes, et cela durant toute l’Antiquité106, il est permis de se demander pourquoi la vision d’une plaine infernale a perduré. Le terme λειμών, employé depuis l’Odyssée, n’y est sans doute pas étranger. En effet, puisqu’il sous-tend l’idée d’une terre gorgée d’eau, il a suscité dans l’imaginaire des commentateurs modernes la représentation d’une plaine. Pourtant cette image semble étrangère à la pensée antique. Dans l’Hymne homérique à Hermès, par exemple, les vaches divines paissent dans les prairies (λειμῶνες) des « montagnes ombreuses de Piérie » (Πιερίης […] ὄρεα σκιόνεντα, v. 70). Il s’agit donc de terrains d’une certaine altitude, qui doivent présenter pour le moins un aspect vallonné. L’autre raison d’une vision plane de l’Hadès parmi les commentateurs modernes est sans doute la confusion inconsciente avec la plaine Elyséenne, Ἠλύσιον πέδιον, nom du séjour des Bienheureux dans l’Odyssée (IV, 563). Mais chez Homère, les régions infernales et les Champs-Elysées sont deux contrées nettement séparées, qui n’ont aucun lien entre elles. Certes le lieu 105
Les adjectifs composés avec le premier terme μελαν- sont volontiers appliqués aux éléments caractéristiques de l’Hadès. Μελανοκάρδιος est un hapax, mais on trouve chez les poètes : Ταρτάρου μελαμϐαθὴς / κευθμών, « le profond et noir repaire du Tartare » (Eschyle, Prom., 219-220) ; ἀκτὰς… καὶ μελαμϐαθεῖς… / λίμνης (Sophocle, Polyxène F. 469, vers 1-2, Radt) ; μελαγκαίτας pour Hadès (Euripide, Alc., 439) ; μελάγκροκος pour la barque de Charon (Eschyle, Sept, 857). Cf. scholies à Aristophane, Gren., 470 : μελανοκάρδιος· διὰ τὸ λεξέως φοϐερὸν εἶπε μελανοκάρδιος πέτρα. « Il dit ‘la roche au cœur noir’ à cause de la peur suscitée par ce mot ». 106 L’hydrographie infernale donnée par le Phédon (112 e-113 c) de Platon n’est compréhensible qu’en présence de fortes dénivellations. Par-delà les siècles, des gorges et des rochers marquent encore l’entrée et l’intérieur des Enfers virgiliens : Enéide VI, 237-238 : (spelunca alta […] / scrupea, « grottes profondes, semées de rocs ») ; 241 et 273 (faucibus, « gorges ») ; 548 (rupe, « rocher ») ; 551 (sonantia saxa, « rochers retentissants ») ; 676 (iugum, « crête ») ; 678 (summa cacumina, « très hautes cimes »). Et ses Champs-Elysées sont aussi vallonnés (Enéide VI, 679 : penitus convalle, « au fond d’une vallée encaissée » ; 703 : in valle, « dans un vallon »), comme l’étaient déjà les prairies des initiés dans les Grenouilles d’Aristophane (373-374). Il n’est pas jusqu’à Dante qui, dans sa Divine comédie, ne sacrifie à l’aspect montagneux de l’au-delà (par exemple, Enfer, XXXII, 2-3 ; Purgatoire, IV, 31-57). Les fresques d’une demeure privée de l’Esquilin à Rome (Vatican, Bibliothèque apostolique. LIMC Nekyia 5. Vers 50-40 av. J.-C. Cf. A. Gallina, 1960-1961 ; R. Biering, 1995) livrent la représentation d’un Hadès aux immenses rochers, qui concorde avec les données littéraires.
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élyséen connaîtra une faveur grandissante dans la littérature ultérieure et sera progressivement rattaché à l’Hadès, mais nous sommes encore loin d’une telle conception à l’époque homérique. Le terme πέδιον qui le désigne ne peut en aucun cas caractériser l’Hadès. Et on ne le trouve d’ailleurs dans aucune des expressions qui s’appliquent au royaume infernal. A l’antithèse des destins humains dans ces deux régions situées aux confins terrestres (la douceur quasi divine de la plaine Elyséenne contraste en effet en tout point avec l’errance dans l’obscur royaume souterrain) répond l’antithèse de la topographie : à la plaine, synonyme d’espace cultivé et habité, s’opposent les pentes escarpées, extérieures aux espaces civilisés. Une telle opposition fournit l’occasion de nous interroger sur la signification des hauteurs infernales. Pourquoi les Grecs ont-il conçu un au-delà dont les abords, et essentiellement eux, se révèlent montagneux ? Plusieurs réponses, qui ne s’excluent d’ailleurs pas, semblent possibles. Les montagnes ont d’abord une signification cosmique. Elles sont considérées comme le point de rencontre entre le ciel et la terre. La preuve en est donnée par le mont Olympe qui servait de demeure aux dieux du panthéon grec. Il n’est donc pas étonnant d’en trouver dans l’Hadès situé aux confins terrestres, où l’on assiste, selon A. Ballabriga (1986 et 1998), à une jonction des différents niveaux cosmiques. Les montagnes et les fleuves qui s’en écoulent sont aussi des barrières naturelles qui marquent les frontières du royaume infernal. Cela s’inscrit parfaitement dans le processus d’appartenance territoriale des anciens Grecs : les marques paysagères naturelles étaient fondamentales dans la mesure où elles leur servaient à délimiter fermement des territoires107 . Même s’il s’agit d’un lieu mythique situé aux confins de l’Océan, l’Hadès obéit aux règles de démarcation des territoires. La frontière doit en être d’autant plus soulignée qu’il ne s’agit pas de n’importe quel pays qui abriterait des hommes plus ou moins civilisés : elle doit séparer les vivants des morts, et donc se montrer infranchissable pour éviter que les défunts ne viennent hanter le monde terrestre. Enfin, en tant que pays imaginaire, les Enfers sont à la fois conçus à l’image du monde terrestre et comme sa négation. Les montagnes répondent tout à fait à cette ambiguïté : elles sont l’imitation de la nature qui environne l’homme grec (la Grèce étant un pays montagneux), mais elles permettent aussi une mise à distance. Les cimes et les précipices infernaux se révèlent inquiétants non seulement par leur hauteur ou leur profondeur, mais aussi sans doute par les 107
Cf. supra p. 52 n. 79. De même, la Thessalie était délimitée par des chaînes de montagnes (Hérodote VII, 129), comme la frontière entre la Macédoine et le pays des Perrhèbes (VII, 131) ou encore celle entre la Syrie et l’Egypte (II, 158 et III, 5). Cf. F. Hartog, 1980, pp. 49-50 et 76-77.
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sons qu’ils répercutent et amplifient (cf. infra pp. 134-137), et enfin par leur escarpement qui empêche la végétation d’y pousser et les hommes d’y accéder. Ces montagnes sont trop abruptes pour être utilisées comme pâturages ou pour la chasse, ou encore comme sources de matières premières. Impraticables, tout les oppose à la plaine cultivée et à la cité : elles se trouvent reléguées à l’extérieur de l’espace habité. Leur aspect sauvage, poussé à l’extrême et donc en dehors de la norme, les rend hostiles et terrifiantes. Elles apparaissent comme un territoire isolé, royaume de la négativité, sorte de désert où aucun vivant ne peut pénétrer. Plus qu’une simple composante du paysage, elles participent d’une vision imaginaire de l’espace. En cela, elles offrent presque une image tangible de la mort. Malgré l’absence de description précise, le domaine infernal et ses abords se définissent donc plutôt comme un endroit montagneux. Quelques éléments épars montrent une région frontalière au relief accidenté, arrosée par de nombreux fleuves. L’intérieur de l’Hadès semble moins intéresser les poètes. Ils préfèrent insister sur la notion de seuil qui sépare l’ici-bas de l’au-delà et en marque précisément les limites : cours d’eau et montagnes infranchissables. Les conceptions du paysage infernal évoluent peu jusqu’à la fin du Ve siècle : il faut attendre les Grenouilles d’Aristophane pour que l’intérieur de l’Hadès et le lieu de résidence des initiés soient dépeints. Les montagnes apparaissent presque comme des τόποι obligés de toute description infernale. Espace autonome, à la fois réel et imaginaire, l’Hadès se révèle être l’imitation et l’opposé de la vie terrestre. Cela explique l’insistance sur l’aspect montagneux et sauvage du paysage infernal, antithèse de la campagne terrestre. Les montagnes constituent le cadre dans lequel évoluent les âmes et leur mention donne aux vivants un avant-goût de ce que sera la mort. Leur caractère inhospitalier est confirmé par la rareté de la végétation. d) La végétation La quasi-absence de plantes semble une constante des paysages infernaux, du moins à l’époque archaïque, malgré la présence d’un vaste réseau de cours d’eau et de zones marécageuses. Dans l’Odyssée, on en relève seulement quatre mentions, qui en fait se réduisent à deux puisque l’on trouve trois fois une expression identique : parmi les amers qui permettront au héros d’identifier sa destination, Circé indique les bois de Perséphone, ἄλσεα Περσεφονείης (Od. X, 509), et lors de son aventure, Ulysse aperçoit les âmes d’Achille et d’Orion à travers une prairie d’asphodèles, κατ’ἀσφοδελὸν λειμῶνα (Od. XI, 539 et 573). C’est aussi dans ce lieu que parviennent les âmes des prétendants guidées par
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Hermès (Od. XXIV, 13)108 . Ces deux seules évocations donnent l’impression d’un désert végétal109 dans ce monde ténébreux. Pourtant, les termes utilisés, ἄλσος et λειμών, impliquent généralement, surtout le second, une notion de fertilité, d’abondance, voire de sacralité. Il faut donc se demander pourquoi Homère les a choisis pour qualifier un univers de désolation. Quel effet le procédé engendre-t-il dans la représentation imaginaire d’un paysage infernal ? Nous avons vu précédemment (p. 95) que le terme λειμών impliquait la présence d’un élément aquatique. Quant à ἄλσος, « ce mot évoque un bocage arrosé de sources et tapissé d’herbe » (A. Motte, 1973, p. 18), donc un endroit à la végétation remarquable, même quand il est consacré à des divinités infernales : le bosquet des Euménides dans l’Œdipe à Colone (v. 126-127) de Sophocle est décrit comme un « vallon boisé herbu », νάπει / ποιάεντι (v. 156157). Regardons si, dès les poèmes homériques, les deux termes recouvraient des notions similaires. L’humidité en est effectivement une constante. Les prairies bordent un fleuve : le Caÿstre (Il. II, 461 et 463), le Scamandre (Il. II, 467), ou encore l’Océan (Il. XVI, 151 ; Od. IX, 132 ; XII, 45) ; sources et ruisseaux les baignent (Od. V, 72 ; IX, 132). Les bosquets contiennent également un point d’eau (Od. VI, 291-292 ; XVII, 208 ; Hymne homérique à Apollon, 384-385). Par ailleurs, félicité, abondance, beauté, tel semble bien le sens de λειμών : les douces prairies de l’île de Calypso ravissent les yeux et le cœur d’Hermès (Od. V, 63-76) ; les prairies arrosées par le Scamandre abondent en fleurs (Il. II, 467)110 . Les épithètes qui les qualifient possèdent souvent une valeur superlative propre à refléter leur luxuriance : ὑδρηλός, « baigné d’eau » (Od. IX, 133) ; μαλακός, « mœlleux » (Od. V, 72 ; IX, 133 ; Hésiode, Théogonie, 279 ; Hymne homérique à Déméter, 7 ; Hymne homérique à Hermès, 198 ; Hymne homérique à Pan, 25) ; ἀνθεμόεις, « fleuri » (Il. II, 467 ; Od. XII, 159) ; ἀκηρασίος et ἐρατεινός, « abondante » et « agréable » (littéralement « intacte » et « aimable », Hymne homérique à Hermès, 72) ; 108
Les trois occurrences de κατ’ἀσφοδελὸν λειμῶνα se situent d’ailleurs en fin de vers comme s’il s’agissait d’une expression plus ou moins figée. On en rencontre une variante, toujours en fin de vers, dans l’Hymne homérique à Hermès, 221 et 344 : ἐς ἀσφοδελὸν λειμῶνα. 109 Nous laissons momentanément de côté les arbres fruitiers du supplice de Tantale (Od. XI, 588-590), dont la luxuriance est uniquement justifiée par la souffrance de Tantale de ne pouvoir goûter à tant de merveilles. Cf. infra p. 123. 110 Comme la majorité des prairies épiques. Voir par exemple la prairie qui sert de cadre au rapt de Perséphone dans l’Hymne homérique à Déméter, 5-18 et 417-430, ou encore celle qui tient lieu de couche nuptiale à Méduse et Poséidon (Hésiode, Théog., 277279). De même les prairies de l’île de Calypso (Od. V, 72-73) et de l’île des Sirènes (Od. XII, 159), ainsi que celles que parcourt le dieu Pan (Hymne homérique à Pan, 2526).
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ἀριπρεπής, « magnifique », avec la particule augmentative ἀρι- qui en souligne l’excellence (Hymne homérique à Hermès, 104) ; ἱμερτός, « charmant, désirable » (Hymne homérique à Déméter, 417) ; et même ζάθεος, « divin », ζαnotant aussi un superlatif (littéralement « divin au plus haut point », Hymne homérique à Hermès, 503). Ἄλσος est lui aussi connoté positivement dans la poésie épique : les bosquets des nymphes sont « beaux », καλά (Il. XX, 8), celui d’Apollon, « charmant », πολυήρατον, où le premier terme πολυ- marque encore une valeur superlative (Hymne homérique à Hermès, 186). Le bois sacré de Poséidon se révèle « splendide » (ἀγλαόν, Il. II, 506) et celui d’Athéna sur l’île des Phéaciens l’est d’autant plus qu’il contient une source et qu’une prairie (λειμών) l’entoure (Od. VI, 291-292) : on note la complémentarité du bocage et de la prairie qui se mettent en valeur mutuellement pour former un paysage idyllique. Quant au bois sacré d’Apollon (Od. IX, 200 ; Bouclier pseudo-hésiodique, 70 et 99), il ne possède pas de qualificatif particulier, mais on se doute de sa splendeur puisqu’il est propriété du dieu. D’ailleurs, même s’ils n’appartiennent pas spécifiquement à une divinité, le foisonnement et la fascination liés à la prairie et au bocage peuvent inspirer une impression de sacré. L’Hymne homérique à Déméter en fournit un exemple avec la prairie où se déroule le rapt de Coré. Le lieu regorge de fleurs aussi nombreuses que variées : roses, crocus, violettes, jacinthes, lys, sans oublier le narcisse. Leur énumération aux vers 6-8, reprise presque telle quelle aux vers 426-428111, en souligne la profusion et la luxuriance. Cet endroit fertile et délicatement parfumé appelle la sensualité. Une composante divine se laisse pressentir, qui captive le promeneur. Pourtant l’étonnement se mêle de crainte aux vers 10 et 11 : σέϐας désigne un respect religieux. L’émerveillement suscité par la beauté (θαυμαστὸν γανόωντα, v. 10) et la senteur (ὀδμῄ, v. 13) de la fleur ne peut être que d’origine divine. En la voyant, Coré est frappée de stupeur (θαμϐήσασα, v. 15) comme devant un dieu. Le rapt de Coré est préparé par la description même de la prairie où la jeune fille ramasse des fleurs (v. 6-8). Or la cueillette florale était une coutume rituelle qui commémorait les mariages divins (A. Motte, 1973, p. 41). Dans la mythologie, cueillette et enlèvement amoureux sont souvent associés112. Mais la cueillette est parfois aussi signe de mort. La prairie du mythe de Coré symbolise à la fois l’amour et la mort : elle 111
Les violettes sont remplacées par les lys. Dans l’Hymne homérique à Pan, 25-26, le crocus et la jacinthe se mêlent à l’herbe, et dans l’Hymne homérique à Hermès, 104107, sont mentionnés le trèfle et le souchet. 112 Cf. l’enlèvement d’Europe par Zeus (Ovide, Mét. II, 836-875), d’Orithye par Borée (Platon, Phèdre, 229 b-c et Sophocle, F. 956 Pearson), de Créuse par Apollon (Euripide, Ion, 881-896). Cf. H. P. Foley, 1994, pp. 33-34 ; N. De Bloois, 1997, pp. 248-250 ; Cl. Calame, 1997, pp. 123-124.
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s’ouvre pour laisser passer Hadès qui, par amour, va entraîner la jeune fille dans le royaume de la mort (v. 16-21). La prairie est donc un lieu ambigu, à la fois fascinant et terrifiant. Lorsqu’elle se situe sur terre, la première composante, positive, est privilégiée, le côté effrayant demeurant en sourdine sans pour autant être estompé. Dans le rapt de Coré, avec l’émergence du monde infernal, la deuxième composante, négative, est plus développée. La prairie évoque ainsi un autre monde, l’univers souterrain. Ici-bas et au-delà s’y superposent. Son aspect luxuriant dissimule d’obscures profondeurs. La liaison entre les deux mondes se fait, dans l’Hymne homérique à Déméter, par l’intermédiaire du narcisse qu’a fait pousser Gaïa (v. 8-9 et 15-18). En le cueillant, Coré laisse place au gouffre d’où surgit Hadès. Elle permet au domaine souterrain d’affleurer, pour un bref moment, à la surface terrestre et va y être entraînée malgré elle. On s’attend donc, lors d’une évocation de prairie et de bocage infernaux, à voir s’amplifier l’aspect négatif au point de masquer totalement, ou presque, tout ce qui constituait l’agrément de ces endroits privilégiés. Cette intuition semble se confirmer si l’on se tourne vers l’Hadès homérique. La prairie infernale et les bosquets de Perséphone font en effet exception dans les paysages radieux que l’on vient d’évoquer. Homère s’empresse d’ailleurs de les caractériser : le λειμών est ἀσφοδελόν, « plein d’asphodèles »113, ce qui rompt avec la vision traditionnelle du tapis d’herbe aux 113
Od. XI, 539, 573 et XXIV, 13. En l’absence d’étymologie claire d’ἀσφοδελόν, nous conservons la traduction consacrée « prairie d’asphodèles ». Pour les propriétés botaniques de cette plante et ses différents noms, cf. J. M. Verpoorten, 1962. Sur ses usages antiques, cf. M. Detienne, 1972, pp. 89-91, M. Biraud, 1993, pp. 37-42 et S. Amigues, 2004, p. 173-175. Pour un rappel des différentes étymologies proposées, cf. M. Biraud, 1993, pp. 35-37. L’auteur rapproche ensuite (pp. 43-46) ἀσφοδελός du radical de σφοδρός, qui traduirait la vigueur de la plante. Mais S. Amigues, 2002, pp. 910, montre que la robustesse d’une plante s’exprimait par des termes apparentés à ἰσχύς, non à σφοδρός. Pour expliquer l’origine du mot (pp. 10-14), elle revient aux commentateurs anciens, Hérodien et Eustathe, qui nous ont conservé deux variantes de l’expression κατ’ἀσφοδελόν λεῖμωνα : κατὰ σφοδελὸν λεῖμωνα et κατὰ σποδελὸν λεῖμωνα. Cette dernière formule révélerait la véritable signification de l’expression : « à travers la prairie des cendres », qui ferait allusion à la crémation des morts et à « l’idée d’une renaissance après la mort » (p. 11). L’expression aurait ensuite été contaminée par σφοδελός, « asphodèle », fleur associée aux cultes infernaux (p. 13). Malgré son sens satisfaisant, cette explication est, à notre avis, à prendre avec précaution. D’abord parce que « l’idée d’une renaissance après la mort » est étrangère à l’Iliade et à l’Odyssée : la morne existence dans l’au-delà n’est que le reflet sans attrait de la vie terrestre, comme en témoigne l’âme d’Achille (Od. XI, 475-491). Ensuite parce que les témoignages sur l’asphodèle liée aux cultes infernaux sont tardifs. Il n’est pas sûr qu’une telle association ait existé à des époques plus reculées, ni qu’elle soit assez fréquente pour avoir permis la contamination σποδελός / σφοδελός.
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fleurs variées ; et les bosquets se composent de « hauts peupliers noirs et de saules qui perdent leurs fruits », μακραί τ’αἴγειροι καὶ ἰτέαι ὠλεσίκαρποι (Od. X, 510), paysage de désolation. Les deux expressions constituent presque des oxymores qui, à la richesse végétale, opposent une désertification progressive. Les bois sacrés de Perséphone marquent l’approche du peuple des morts puisque Circé les cite comme terme du voyage maritime. Ulysse devra ensuite continuer à pied jusqu’aux fleuves infernaux (Od. X, 509-515). La description de la magicienne n’a rien d’encourageant car les arbres eux-mêmes se révèlent des spectres décharnés (μακραί τ’αἴγειροι) et improductifs (ἰτέαι ὠλεσίκαρποι), signes avant-coureurs des ombres. L’épithète qui précise l’aspect des saules, ὠλεσίκαρποι, peut être interprétée de deux façons, selon que l’on prenne le premier terme du composé, ὠλεσί- (< ὄλλυμι), au sens actif ou passif. La première traduction donne « qui perd ses fruits », ainsi que l’explique Théophraste : Pourtant, dit-on, le saule est prompt à laisser choir son fruit, avant de l’avoir fait grossir et mûrir parfaitement ; aussi le poète n’a-t-il 114 pas tort de l’appeler « destructeur de ses fruits » .
La seconde interprétation est rapportée par Hésychius : Les saules sont ὠλεσίκαρποι car ils perdent aussitôt leurs fruits ; 115 ou bien parce que manger leurs fruits rend stérile . 114
Théophraste, Recherche sur les plantes III, 1, 3 : Ἀλλὰ τὴν ἰτέαν ταχὺ προκαταϐάλλειν πρὸ τοῦ τελείως ἁδρῦναι καὶ πέψαι τὸν καρπὸν διὸ καὶ τὸν ποιητὴν οὐ κακῶς προσαγορεύειν αὐτὴν ὠλεσίκαρπον. Cf. également Théophraste, Des Causes des Plantes II, 9, 14 ; et à sa suite Pline l’Ancien, Histoire Naturelle XVI, 46 (110) : Ocissime autem salix amittit semen, antequam omnino maturitatem sentiat, ob id dicta Homero frugiperdia. Le saule perd sa graine de très bonne heure, avant qu’elle ne soit aucunement mûre ; aussi Homère l’appelle-t-il « celui qui perd son fruit ». 115 Hésychius, s. v. Ὠλεσίκαρπος : Ὠλ. Αἱ ἰτέαι διὰ τὸ ταχέως ἀποϐάλλειν τὸν καρπόν· ἢ ὅτι πινόμενος ὁ καρπὸς ἀγόνους ποιεῖ. Les scholies à Od. X, 510 rendent également compte des deux versions : ἀποϐάλλουσι γὰρ τὸ ἄνθος πρὶν πεπανθῇ. ἢ ἐπεὶ οἱ πίνοντες τὸ ἄνθος ἄγονοι γίνονται. B. Q. V. Ἄλλως. σημείωσαι ὅτι ἄκαρπα φυτὰ εἶπεν εἶναι ἐν τῷ ἄλσει τῆς Περσεφόνης, διὰ τὸ νεκροῖς προσήκειν. B. Q. ἀποϐάλλει γὰρ τὸ ἄνθος. οἰκείως δὲ ἀγόνοις φυτοῖς ἐχρήσατο. οἰκεῖα γὰρ νεκροῖς τὰ ἄκαρπα. φησὶ δὲ Θεόφραστος ἐν Φυτικοῖς τὸν χυλὸν τῆς ἰτέας πινόμενον ἀφανίζειν τὴν γονὴν τῶν ἀνθρώπων. H. T. V. Ils perdent en effet leurs fruits avant qu’ils soient mûrs. Ou bien, parce que ceux qui mangent leurs fruits deviennent stériles. B. Q. V. Autre chose : remarquez que, selon les dires du poète, les fruits sont morts dans le bois de Perséphone, parce qu’ils sont près des morts. B. Q. En effet, il (le saule) perd ses fruits. Il est apparenté aux plantes stériles. La stérilité en effet est le propre des morts. Et Théophraste affirme dans sa Recherche sur les plantes que boire la sève du saule anéantit le pouvoir d’engendrer des hommes. H. V. T.
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Que le bois de Perséphone soit composé de saules et de peupliers n’est guère étonnant. Outre que ces deux espèces sont familières des lieux humides116 (et l’Hadès l’est particulièrement), elles étaient aussi réputées dans l’Antiquité pour produire des graines insignifiantes, et les Anciens y ont vu un symbole de stérilité117 . La couleur évoquée par αἴγειρος, qui désigne exactement le « peuplier noir », ne détonne nullement dans l’atmosphère infernale118. Théophraste le distingue du peuplier blanc : Le peuplier blanc et le peuplier noir constituent une seule espèce. Tous deux ont un fût bien droit, bien plus long toutefois, plus diffus et plus lisse chez le peuplier noir. […] Aucun 119 des deux ne semble avoir de fruit ni de fleur .
Peupliers et saules sont les seules plantes décrites aux abords du palais d’Hadès. La diversification se raréfie déjà. Mais à l’intérieur des Enfers, même les arbres disparaissent. A cause des ténèbres permanentes, ne subsistent que des fleurs, ou plus précisément qu’une variété de fleurs, les asphodèles. Cette espèce de la famille des liliacées possède d’épaisses feuilles à couleur grisâtre (J. Murr, 1969, p. 241). Les fleurs, quant à elles, d’un blanc-jaune pâle nuancé de violet, dégagent une impression de tristesse qui s’accorde parfaitement avec l’idée de la mort et l’obscurité des lieux. Les Grecs pouvaient facilement imaginer ce tableau, puisque l’asphodèle pousse en abondance dans tous les endroits désolés et pierreux de Grèce120 . Le choix de l’asphodèle comme plante infernale n’est sans doute pas dû uniquement à son aspect. Dans les périodes de grande famine, les Grecs consommaient ses racines mélangées avec des mauves
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Théophraste, Recherche sur les plantes III, 13, 7 : Πάρυδρον δὲ καὶ ἡ ἰτέα καὶ πολυειδές, « Le saule est également un arbre du bord des eaux ». 117 Voir les citations supra notes 114-115, ainsi que J. Murr, 1969 : « Schwarzpappel » p. 19 et « Weide » p. 24. 118 Sur le sens funeste de ces arbres et les légendes qui y sont attachées, cf. J. Murr, 1969, pp. 17-20 et 23-25. 119 Théophraste, Recherche sur les plantes III, 14, 2 : Ἡ δὲ λεύκη καὶ ἡ αἴγειρος μονοειδής. Ὁρθοφυῆ δὲ ἄμφω, πλὴν μακρότερον πολὺ καὶ μανότερον καὶ λειότερον ἡ αἴγειρος… Καρπὸν δὲ οὐδέτερον τούτων οὐδὲ ἄνθος ἔχειν δοκεῖ. 120 Cependant la prairie d’asphodèles n’a pas toujours une valeur infernale : cf. l’Hymne homérique à Hermès, 221 et 344, où les traces des vaches d’Apollon volées par Hermès paraissent retourner vers la prairie d’asphodèles, ἐς ἀσφοδελὸν λειμῶνα, prairie qualifiée ailleurs de pacage succulent (v. 198) et agréable (v. 72), voire divin (v. 503).
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et des figues121. Peut-être la considéraient-ils également comme nourriture des morts122 . La raréfaction et la spécialisation de la flore ont des conséquences olfactives : il est à noter que, au contraire des λειμῶνες terrestres, aucun parfum n’emplit le λειμών infernal, signe d’un endroit peu accueillant. Ainsi que l’a souligné A. Lallemand (1986, p. 74), « les pays mythiques sans odeur agréable sont des terres d’angoisse : pays sans soleil, pays de mort […]. Non seulement le parfum est lié aux idées d’agrément et de fécondité, mais il rassure, il délivre de l’anxiété ». L’étude des composants des bocages et prairies homériques d’outre-tombe confirme donc en tout point l’emploi décalé de ἄλσος et de λειμών dans ce contexte. Reste à se demander pourquoi ils sont utilisés, alors que d’autres termes pourraient sembler mieux appropriés123 . On a l’impression qu’Homère a voulu tromper son auditoire au premier abord en employant des termes réservés à des lieux terrestres privilégiés, sortes de loci amoeni dont les composantes sont constantes : une prairie verdoyante où coule une source ou un ruisseau, non loin d’un bois124 . Les alentours de l’antre de Calypso en constituent une parfaite illustration (Odyssée V, 63-76). Le bois sacré d’Athéna dans l’île des Phéaciens correspond également au locus amoenus type (Odyssée VI, 291-292). La description en est d’autant plus intéressante que ses divers éléments (le bocage, les peupliers noirs, l’eau et la prairie) sont identiques à ceux du royaume infernal, et présentés dans le même ordre. Seulement quelques centaines de vers séparent les deux, et les auditeurs avaient certainement encore à l’esprit l’arrivée d’Ulysse chez Alkinoos lorsqu’ils écoutaient les récits de ses aventures. Tout est mis en place pour une assimilation des rivages infernaux à un locus amoenus. Pourtant, cette identification latente s’accompagne aussitôt d’une mise à distance de la part de l’aède grâce à une inversion des données : le bocage, loin d’être splendide, est composé d’arbres stériles ; le doux gargouillis de la source est remplacé par le vacarme des fleuves infernaux ; la profusion de végétation laisse place à la raréfaction, voire la désertification ; le soleil n’atteint pas ces obscures contrées gorgées d’humidité malsaine. Un jeu évident d’opposition presque terme à terme a transformé le locus amoenus en locus
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Hésiode, Travaux, 40-41 ; Théophraste, Recherches sur les plantes VII, 13, 2-3 ; Pline, H. N. XVI, 68 (108). Cf. J. Murr, 1969, p. 241 et H. Baumann, 1984, p. 66. 122 Cf. les témoignages tardifs de Lucien, De Luctu 19 ; La Traversée pour les Enfers ou le Tyran 2. Voir H. Baumann, 1984, p. 66. 123 Par exemple ὕλη, « bois » (cf. Od. V, 63) ou ποίη, « prairie, herbage, pâturage » (cf. Il. XIV, 347 ; Od. IX, 449 et XVIII, 368 ; Hésiode, Théog. 194). 124 Pour le décor minimum du locus amoenus, voir E. R. Curtius, 1956, pp. 231 et 240, et aussi H. Thesleff, 1981.
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horridus125 ! D’endroit paisible et accueillant, le paysage devient inquiétant et hostile. L’emploi des termes ἄλσος et λειμών à propos de l’Hadès n’est donc pas anodin. Plus la référence à un lieu idyllique est nette dans l’imaginaire grec et plus l’horreur des paysages infernaux s’en trouve renforcée. Ils constituent ainsi des terres inhospitalières par excellence. Dès que l’on aborde l’Hadès, les techniques habituelles de représentation de l’espace sont mises à distance. L’ ἄλσος et le λειμών infernaux ne sont pas uniquement des composantes du paysage, mais participent, comme les montagnes, d’une vision imaginaire de l’espace. Grâce à eux, le poète plante un décor fictif, théâtre annonciateur d’un événement exceptionnel : l’arrivée d’un vivant au pays des défunts. La transformation de loci amoeni en loci horridi, rendue stylistiquement par les oxymores, les relient étroitement à la mort. Une seconde opposition renforce l’idée de locus horridus : les arbres luxuriants du supplice de Tantale (Odyssée XI, 588-590). L’ample énumération d’arbres fruitiers (ὄγχναι, ῥοιαί, μηλέαι, συκέαι, ἐλαῖαι, « poiriers, grenadiers, pommiers, figuiers, oliviers ») contraste fortement avec les ἰτέαι ὠλεσίκαρποι de l’entrée des Enfers. Tout contribue à créer une impression d’abondance. D’abord l’emploi de l’expression χέε καρπόν : le verbe χέω « exprime toutes les nuances correspondant à la notion de verser, répandre en abondance »126 . Le poète, par le choix de ce verbe, procure donc le sentiment que ces arbres possèdent des ressources de fruits inépuisables. Ensuite, l’emploi de l’épithète ὑψιπέτηλα, « aux hauts feuillages » (v. 588), et le participe présent expressif τηλεθόωσαι, (« couverts de feuilles et de fruits », v. 590) dérivé de θάλλω, dénotent l’étonnante vigueur de la végétation ; l’épithète ἀγλαόκαρποι, « aux fruits brillants », placée en facteur commun à trois sortes d’arbres (poiriers, grenadiers et pommiers) et mise en valeur à la fin du vers 589, souligne non seulement la splendeur des fruits, mais donne aussi envie d’y goûter. Ils semblent mûrs à point et gonflés de suc, ce que confirme l’adjectif γλυκεραί, « doux au goût » (v. 590). Le figuier était d’ailleurs réputé pour ses fruits à la douceur de miel, symboles d’une vie bienheureuse. Replacées dans leur contexte, ces expressions n’ont rien de surprenant, bien qu’elles soient intégrées dans une description infernale. Il s’agit en effet d’un supplice et plus alléchante sera la tentation pour Tantale, plus grande sera sa souffrance de voir ces merveilles disparaître. Le contraste total avec le reste de la végétation infernale en accentue davantage la rareté et la pauvreté. La raréfaction végétale des Enfers n’est pas le propre de la poésie homérique. Hésiode ne mentionne aucune plante, ni à l’intérieur, ni aux abords du royaume d’Hadès. L’unique terme susceptible d’en évoquer une, ῥίζαι 125
L’inversion des données du locus amoenus par le locus horridus a été bien étudiée à propos d’Apulée par V. Merlier-Espenel, 1999. 126 P. Chantraine, 1968, s. v. χέω. Cf. supra p. 102.
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(« racines », Théogonie, v. 728 et 812), est employé métaphoriquement. Même silence chez les lyriques127 et chez les tragiques, exception faite des Evocateurs d’âmes d’Eschyle. Le poète, nous l’avons vu supra (pp. 99-105), s’y inspire de la Nékyia odysséenne pour la configuration topographique. On s’attendrait donc à retrouver une végétation sensiblement identique. Or, nulle mention de peupliers ni de saules, pas plus que de prairie d’asphodèles, mais un « enclos sacré fertile en herbe » (ποιοφύτων σηκῶν, v. 1 et 2) et des roseaux (δονάκων, v. 6) servent de cadre à l’évocation infernale. Ce changement s’explique sans doute parce qu’il s’agit d’un nécromanteion permanent. Ποιοφύτων est un hapax dont la formation est comparable à d’autres adjectifs composés au second terme en -φυτος128, qui suppose la notion de fertilité, d’abondance. Nous avons déjà noté (supra pp. 118-119) que les enclos ou bocages consacrés aux divinités infernales sont souvent représentés comme des endroits tapissés d’herbe. L’intérieur des Enfers n’est pas décrit, puisque les âmes viennent à la surface terrestre. Nous trouvons de nouveau mention d’une prairie dans les Grenouilles d’Aristophane, mais en tout point différente de la prairie d’asphodèles homérique : la connotation positive l’a emporté sur l’aspect négatif, car elle sert de cadre à un lieu privilégié réservé aux initiés, intégré aux Enfers plus récemment, et dans lequel on décèle l’influence de la plaine Elyséenne ou des îles des Bienheureux. Nous l’évoquerons donc lors de notre chapitre sur la création de nouveaux espaces infernaux (infra pp. 157-158). Ainsi, la désertification végétale du royaume infernal est due en partie à l’escarpement des montagnes, en partie à l’humidité constante qui règne. Un troisième facteur, et non le moindre, en est sans doute considéré comme une cause : l’atmosphère ténébreuse qui enveloppe tout le domaine. 2. Atmosphère L’inquiétude qu’inspire aux mortels la vision du paysage infernal est renforcée par l’étrangeté des bruits que l’on y perçoit, et surtout par l’absence permanente de lumière.
127
Nous ne tenons pas compte du F. 95 (Voigt), vers 12-13, de Sappho qui, en proie au désespoir et par antiphrase, pare les rives de l’Achéron de fleurs de lotus (voir supra p. 96). 128 Par exemple ἀμπελόφυτος, οἰνόφυτος, « planté de vignes » (Strabon, V, 3, 1 et XII, 3, 36) ; ἐλαιόφυτος, « planté d’oliviers » (Eschyle, Perses, 884 ; Strabon, V, 3, 1 et XII, 7, 1).
124
a) L’obscurité Depuis les premiers textes grecs, la tradition d’un Hadès souterrain empli de ténèbres semble bien établie, et les poètes n’y dérogent pas. Ils se contentent bien souvent de reprendre les expressions homériques sans apporter de nouveauté. Aussi en présentons-nous une étude synchronique qui s’attardera sur quelques exemples caractéristiques. L’au-delà est plongé dans une éternelle pénombre, au point que, depuis les poètes épiques, le terme Ἔρεϐος a fini par désigner l’Hadès129. Ce nom semble s’appliquer à la région la plus reculée, et donc la plus sombre puisque la plus éloignée du soleil. Ainsi l’ombre d’Ajax, qu’Ulysse aperçoit dans la prairie d’asphodèles, retourne dans l’Erèbe (εἰς Ἔρεϐος, Odyssée XI, 564). L’adjectif dérivé ἐρεμνός < *ἐρεϐνός se trouve également en contexte infernal. Par exemple, l’ombre d’Héraclès est comparée « à la nuit obscure » (ὁ δ’ ἐρεμνῇ νυκτὶ ἐοικώς130), c’est-à-dire à une nuit semblable aux ténèbres infernales, avec tout ce que cela comporte de mystère, de danger et d’inquiétude. Dans l’expression ἐρεμνὴν γαῖαν ἔδυτε (« vous avez plongé dans la terre ténébreuse », Odyssée XXIV, 106), la signification de l’épithète est très proche du substantif Ἔρεϐος, la terre étant conçue comme gardienne des morts (E. Handschur, 1970, p. 184). Un second adjectif dérivé, ἐρεϐεννός (Théogonie, v. 744), est devenu l’épithète de la nuit chez Hésiode131 , car elle est sentie non seulement comme inquiétante, mais aussi comme possédant la noirceur de l’Erèbe. L’étymologie transparaît encore. C’est sans doute pourquoi la demeure de Nuit appartient aux lieux infernaux, les recouvrant entièrement de ténèbres. En outre, le nom du dieu des Enfers, Hadès, évoquait pour les Grecs nuit et ténèbres : ils lui attribuaient l’étymologie *a-ïdès (« l’invisible »)132, considérée actuellement comme fantaisiste, mais qui reflète leur état d’esprit vis-à-vis de la mort. Sophocle insiste d’ailleurs sur la parenté entre les Enfers et la nuit : il associe les deux notions au vers 660 d’Ajax (νὺξ Ἅιδης τε). La même association se retrouve dans l’expression τὸν ἔννυχον Ἅιδαν, « Hadès qui vit dans la nuit » (Trachiniennes, v. 501), ainsi que dans l’appellation ἐννυχίων
129
Il. VIII, 368 ; Od. X, 528 ; XI, 37 et 564. Hésiode, Théog., 514-515 et 669. Hymne homérique à Déméter, 335, 349 et 409 ; Théognis, 974 ; Sophocle, Aj., 395 ; Euripide, Hél., 519 ; Or. 176 (ἐρεϐόθεν, « du fond de l’Erèbe »). 130 Od. XI, 606. Cf. Hésiode, Théog., vers 758 : Νυκτὸς παῖδες ἐρεμνῆς, « les enfants de la Nuit obscure » ; Euripide, Hcld., 218. 131 Théog. 213 et 744 ; Travaux, 17. 132 Sur la mort, domaine de l’invisibilité, opposée au monde lumineux des vivants, voir J.-P. Vernant, 1965, pp. 65-78 : « Figuration de l’invisible et catégorie psychologique du double : le colossos ».
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ἄναξ, littéralement « souverain de ceux qui sont plongés dans la nuit », c’est-àdire « roi des morts »133. Particulièrement variés sont les mots qui, dans la description infernale épique, désignent l’obscurité. Ζόφος revient fréquemment, seul134 ou accompagné de l’adjectif ἠερόεις, dans l’expression ζόφον ἠερόεντα, « les ténèbres brumeuses »135. Dans la poésie ultérieure, cette expression désigne les Enfers. Nous avons déjà évoqué (supra chapitre 2, p. 74) l’étymologie de cet adjectif dérivé de ἀήρ et opposé à φάος, « la lumière du jour » (voir par exemple Hymne homérique à Déméter, v. 337-338), et qui caractérise aussi le Tartare. Le surnom donné à l’Erinys, ἠεροφοῖτις (« qui fréquente la brume », Iliade IX, 571 et XIX, 87), est également un composé de ἀήρ. Le second élément provient du verbe φοιτάω-ῶ, « aller d’habitude, fréquenter ». L’Erinys est donc celle qui va et vient dans la brume, c’est-à-dire qui demeure habituellement aux Enfers. L’adjectif dérivé de ζόφος, ζοφερός, est peu attesté136, et avec la variante initiale, δνοφερός, chez Théognis137. Les ténèbres de l’Hadès sont encore désignées par le terme σκότος138 , qui deviendra le mot usuel dans la langue grecque pour désigner l’obscurité. Chez Homère, il est souvent employé métaphoriquement au sens de « mort », par exemple dans l’expression τὸν δὲ σκότος ὄσσ’ ἐκάλυψε, « et l’ombre couvre ses yeux » (Iliade XIV, 519) ou bien στυγερὸς δ’ἄρα μιν σκότος εἷλεν, « et l’ombre le saisit »139. 133
O. C., 1558. Cf scholies à 1558 : τῶν ἐν νυκτὶ ἀεὶ καὶ σκότῳ διατριϐόντων, τεθνηκότων, « ceux qui passent éternellement leur temps dans la nuit et les ténèbres, les morts » ; et à Trach. 501 : τὸν ἐν σκότῳ διατρίϐοντα, « celui qui passe son temps dans les ténèbres ». Déjà Eschyle appelait les défunts νυκτιπόλων, « qui errent dans la nuit » (Evocateurs d’âmes, F. 273 a Radt, vers 9). 134 Hésiode, Bouclier, 227 ; Eschyle, Perses, 839 ; Euripide, Hipp., 1416. 135 Il. XII, 240 ; XV, 191 ; XXI, 56 ; XXIII, 51 ; Od. XI, 57 ; XI, 155 et XIII, 241. Hésiode, Théog. 658 et 729 ; F. 280 (Merkelbach), vers 23 (Catabase de Peirithoos). Hymne homérique à Déméter, 80, 337, 402, 446 et 464 ; F. adespota 925 e, vers 9-10 (PMG). Pour l’étymologie de ζόφος, cf. supra p. 49-50. 136 Hésiode, Théog., 814 ; Euripide, F. 868 Kannicht. 137 Théognis, 243. Cf. Il. VIII, 13 où l’adjectif était épithète du Tartare. 138 Eschyle, Perses, 223 ; Sophocle, O. C., 1701 ; Euripide, Héc., 1 et 208-209 ; Hél., 61-62. 139 Il. V, 47 = XIII, 607 et 672. Pour cet emploi métaphorique de σκότος, cf. aussi Il. IV, 461 ; 503 ; 526 ; VI, 11 ; XIII, 575 ; XIV, 519 ; XVI, 316 ; 325 ; 607 ; XX, 393 ; 471 et XXI, 181. Euripide l’utilise également (Phén., 1453 ; Hipp., 1444), lui qui dans sa conception des Enfers souterrains et ténébreux reprend de nombreux termes épiques. Il lui arrive de le renforcer soit par l’ajout d’un second terme lié à l’obscurité, tel κνέφας (Hipp., 836-837), soit par l’opposition à la lumière du jour (Hér., 563-564 ; F. 533 et 534 Kannicht).
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Σκότος provient probablement d’un nom racine indo-européen *skoto« ombre », que l’on apparente aux formes germaniques légèrement différentes : got. skadus, anglo-saxon sceadu, v. h. all. scato, de la racine germanique commune *skadu- (P. Chantraine, 1968, s. v. σκότος). L’adjectif dérivé, σκοτεινός, s’applique également aux Enfers (Eschyle, Choéphores, v. 286). Même s’il connaît cet adjectif (Alceste, v. 385), Euripide semble lui préférer σκότιος140, sans doute pour des raisons métriques, car ces deux épithètes ne présentent pas de différence sémantique notable. La brume et l’obscurité infernales influent sur tous les éléments, qu’ils soient animés ou inanimés. Ainsi les nuées du supplice de Tantale sont-elles sombres : ποτὶ νέφεα σκιόεντα (« jusqu’aux nuées sombres », Odyssée XI, 592). L’adjectif σκιόεις, « ombreux », est dérivé de σκιά, « l’ombre ». Dans les poèmes homériques, il qualifie souvent la grande salle d’une maison au moment de la tombée de la nuit, quand la pièce n’est plus éclairée par le soleil. Appliqué aux nuées, il souligne leur aspect ombreux, leur manque de luminosité. Théognis, vers 707709, utilise un autre dérivé de σκιά : σκιερός, « ombreux ». L’accumulation des termes relatifs à l’obscurité (quatre en trois vers : μέλαν, νέφος, σκιερόν, κυανέας) transcrit une noirceur totale, où l’on ne distingue rien et où il est impossible de s’orienter. Elle donne aussi l’impression qu’une menace indéfinie pèse sur les êtres et rend l’angoisse qui étreint les âmes récemment arrivées. Quant à Pindare, il choisit un adjectif composé, εὔσκιος, pour caractériser la rive de l’Achéron (Pythique XI, 21). Sa signification « sombre, ténébreux », mais aussi « bien ombragé » laisse planer une ambiguïté, même si Pindare ne fait nulle part ailleurs allusion à une quelconque végétation infernale. Sophocle utilise un troisième dérivé, εὐσκίαστος, « bien couvert d’ombre, d’où bien caché, bien abrité » (Œdipe à Colone, v. 1707). Pour rendre la notion de brume, Eschyle a recours au terme ἀχλύς, qui caractérise nuées ou brouillards obscurcissant la vue141 . Déjà le vers 757 de la Théogonie soulignait l’épaisseur et l’opacité des nuées : ἠεροειδής, dérivé de ἀήρ, s’emploie surtout comme qualificatif de la haute mer et à l’origine désigne, davantage que ἠερόεις une couleur, bleu sombre (E. Handschur, 1970, pp. 191-192). Mais, par son origine, ἠεροειδής signifie également brumeux. Dans ce passage de la Théogonie, les deux sens se complètent : la nuée, du fait de la brume, semble presque noire.
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Euripide, Phén., 1483-1484 et Alc., 989. Sa signification peut être renforcée quand il qualifie un mot relatif aux ténèbres comme νύξ (Alc., 269, expression métaphorique pour la mort). Il arrive aussi qu’il soit opposé à une notion de luminosité : aux vers 122126 d’Alceste, l’éclat qui illumine la vie terrestre dans les deux premiers vers forme une antithèse avec l’obscurité de l’au-delà dans les deux derniers. 141 Eschyle, Perses, 667. Pour le brouillard qui donne une impression de mort, voir aussi Eum., 378-380.
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L’épaisseur des brumes est également notée par l’épithète κυάνεος qui évoque une couleur bleue, très foncée et très proche du noir ou par μέλας, « noir, sombre »142 . D’ailleurs, aucune couleur n’apparaît dans ce monde obscur, excepté le noir. Comme l’a souligné B. Moreux (1967, p. 241), les Enfers sont un « royaume d’ombre », « le lieu des ténèbres par excellence ». Une terre noire se montre à Tantale assoiffé : γαῖα μέλαινα143 ; la nuit qui enveloppe le domaine est noire : μέλαινα νύξ144 et ne peut être que funeste (Iliade XIV, 439) ; la demeure d’Hadès elle-même est noire : εἰς Ἀΐδου δῶμα μέλαν145, depuis son accès : μελάγχρωτα πορθμόν (Euripide, Hécube, v. 1106), ses portes : κυανέας τε πύλας (Théognis, v. 709) ou ses remparts : μελαντειχέα… δόμον / Φερσεφόνας146 , jusqu’à ses profondeurs : γαῖας ἐς μελάγχιμον πέδον (« dans les noires abîmes de la terre », Rhésos, v. 962), Στυγὸς μελάνοκάρδιος πέτρα (« la roche au cœur noir du Styx », F. 386 c Kannicht) ; noir le fils de Nuit, Trépas : θάνατος μέλας147 ; noires les Kères,
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Hésiode, Théog., 744-745. Les deux couleurs μέλας et κυάνεος, sans être identiques, possèdent des champs d’application parfois très proches. Κυάνεος est un adjectif tiré d’une matière, κυάνος, et signifie littéralement « à la façon d’un κυάνος ». La matière désignée par κυάνος se trouve trois fois chez Homère, et dans deux cas, elle est qualifiée de μέλας. Cela laisse supposer que cette substance était d’abord considérée comme sombre, et que la couleur bleu-noir attachée à l’adjectif est secondaire (Handschur, 1970, pp. 159-167). Μέλας et κυάνεος comportent une connotation affective dans la poésie épique : leur aspect sombre engendre la peur, l’inquiétude. Chez Pindare, en revanche, l’emploi de κυάνεος s’écarte de son sens homérique : l’épithète, connotée positivement (cf. S. Fogelmark, 1972, pp. 24-25), ne s’applique pas aux Enfers. Sur les emplois de κυάνεος et μέλας, et les valeurs affectives qui leur sont associées, voir A. Grand-Clément, 2006, pp. 175-183 et 444-450. 143 Od. XI, 587. Cf. Alcée, F. 38 (Voigt) : μελαίνας χθόνος. 144 Hésiode, Théog., 123 et 788. Les ténèbres sont également noires : μελαίναν ὄρφνην, Euripide, Hér., 46 et μέλαινα νύκτερός τε, Hipp., 1388. 145 Théognis, vers 1014 ; Eschyle, Prom., 433 : κελαινὸς Ἄϊδος. 146 Pindare, Ol. XIV, 20-21. L’adjectif composé μελαντειχής est une création du poète. 147 Hésiode, Travaux, 154-155 ; Pindare, Pyth. XI, 56-57 ; Théognis, 707, où la juxtaposition de νέφος, « nuée » et de μέλαν accentue l’impression de noirceur, sorte de voile opaque qui empêcherait le soleil de passer. L’épithète qui accompagne la mort dans la Petite Iliade insiste aussi sur cet aspect ténébreux : πορφύρεος θάνατος (F. XXI Bernabé, vers 5). Πορφύρεος désigne une couleur rouge sombre, très proche de μέλας ou de κελαινός. On trouve aussi cette expression en Il., V, 83 ; XVI, 334 et XX, 477. Elle est à rapprocher de αἵματι / πορφυρέῳ (Il. XVII, 360-361) où la couleur rouge-noir de l’adjectif ne fait aucun doute. Cf E. Handschur, 1970, pp. 127-132. Cet adjectif inhabituel pour la mort semble souligner son aspect violent, brutal (cf. A. GrandClément, 2006, pp. 465-467). Euripide affuble Thanatos d’un vêtement noir : ἄνακτα
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filles de Nuit et porteuses de mort : κῆρα μέλαιναν148 , ainsi que les Erinyes149 ; et noir le souverain infernal : μέλας Ἅιδης150 . Comme les citations précédentes le montrent, Euripide se plaît à inventer toutes sortes de composés au premier terme μελαν-, qui qualifient aussi bien les personnages que le décor infernal. Eschyle avait employé une fois le procédé (Sept contre Thèbes, 857) dans les pièces que nous avons conservées. Euripide n’hésite pas à créer de nouvelles images, dont la plus inattendue est celle des vers 517-519 d’Hélène : l’adjectif μελαμφαής, « à l’obscure clarté »151 , associe hardiment la notion d’obscurité (μελαμ-) à celle de clarté (-φαής), créant ainsi un oxymore complété par ἔρεϐος. L’idée de lumière (-φαής), incluse entre deux mentions de l’obscurité (μελαμ- et ἔρεϐος), disparaît et cède la place à l’ombre souterraine que sous-entend également l’expression χθονὶ κρυφθείς, « disparu, caché dans la terre ». Aux ténèbres de l’Hadès s’oppose la lumière du soleil. L’antithèse entre les deux mondes est aussi soulignée dans l’Ajax de Sophocle par l’emploi d’un double oxymore (v. 394-395) : la disposition des mots dans les vers (σκότος et ἔρεϐος en début de vers, puis φάος et φαεννοτάτον) marque l’étrangeté d’une telle assimilation, la lumière du soleil étant considérée comme le bien le plus cher de la vie terrestre. L’emploi du superlatif φαεννοτάτον contribue aussi à l’effet d’exagération. Le pathétique de cette tirade vient de ce qu’Ajax mêle, à travers ces alliances de mots antithétiques, un appel désespéré à la mort et un émouvant adieu à la vie. Euripide, paradoxalement, suggère l’obscurité du royaume des morts par des expressions relatives à la lumière terrestre. Ainsi, dans Electre, l’opposition ἐν Ἅιδου δόμοις… ἐν φάει rend évidentes les ténèbres de l’Hadès sans qu’il soit besoin de les préciser152 .
τὸν μελάμπεπλον νεκρῶν / Θάνατον, « le seigneur des morts au manteau noir, le Trépas » (Alc., 843-844). 148 Il. V, 652-653. Cf. Il. III, 454 ; XI, 443 ; Od. XVII, 500 ; XXIV, 127. Hésiode, Théog., 211 ; Catalogue des Femmes, F. 33 (a), vers 21 ; F. 35, vers 9 et F. 76, vers 22 ; Tyrtée, F. 8, vers 5-6 (Gentili-Prato) ; Mimnerme, F. 8, vers 5 (Gentili-Prato). Parfois les Kères sont κυάνεαι (Bouclier, 249). Cf. supra note 142. 149 Eschyle, Ag., 462-463 ; Eum., 52. Dans les Choéphores, 1049, elles ont des vêtements noirs : φαιοχίτωνες. Cf. Eum., 351 et 370 ; Sept, 699-700. 150 Sophocle, Œdipe Roi, 29-30. Euripide l’appelle ὁ μελαγχαίτας θεός, « le dieu à la chevelure noire » (Alc., 438). 151 Nous empruntons « l’obscure clarté » au Cid (IV, 3) de Corneille, expression qui nous semble constituer la meilleure traduction pour l’oxymore contenu dans μελαμφαής. 152 Euripide, El., 1444-1445. Cf Hér., 24-25, 455-457, 563-564, 611, 1222 et 1277 ; Alc., 1139 ; F. 912, vers 9 (Kannicht). Parfois, cependant, l’antithèse est clairement exprimée : Hér., 562-564 ; Alc., 122-126. Cf. E. Valgiglio, 1966, pp. 21-36.
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Pour les Grecs, la lumière représente l’aspect positif, bienfaisant du monde, alors que tout ce qui est nuit et obscurité est négatif. Ainsi s’explique la peur de l’homme pour la nuit, et surtout pour la mort, domaine de la nuit éternelle, si bien que « voir la lumière » est devenu synonyme de « vivre »153 et « quitter la lumière », celui de « mourir »154 . La lumière du soleil constitue l’antithèse des ténèbres infernales. Φάος (< *bha « étinceler ») est donc souvent opposé à la mort155. Le fragment 8, vers 5-6 (Gentili-Prato) de Tyrtée, qui incite les jeunes 153
Ou « être dans la lumière ». La notion de lumière du jour est rendue par les termes φάος (ou φῶς), φέγγος complété ou non par ἡλίου, et αὐγή précisé ou non par ἡλίου. Pour « voir », on trouve ὁράω-ῶ et ses composés εἰσοράω-ῶ et προσοράω-ῶ, λεύσσω, βλέπω, δέρκομαι. Ces noms et ces verbes sont combinés à l’infini, notamment par Euripide, ce qui, pour une même idée, aboutit à une variété extrême : Od. X, 497-498 ; Sappho, F. 56, vers 1 (Voigt) ; Alcée, F. 38, vers 2-4 (Voigt) ; Théognis, 425-426 et 712-713 ; Bacchylide, Ep. V, 92-93 ; Eschyle, Perses, 299 ; Eum., 746 ; Euripide, Alc., 81-82, 122-123, 206-208, 272, 283, 667, 868 ; And., 113, 935 ; El., 349 ; Héc., 248, 411-412, 435-437 ; Hél., 60, 341-342, 531 ; Hér., 563-564 ; Hipp., 57, 907-908, 1023, 1163, 1193 ; Ion, 345, 726, 853, 1121 ; I. A., 484, 1218-1219, 1250, 1394 ; I. T., 608, 674 ; Or., 1523 ; Phén., 1084, 1281 ; Troy., 269 ; F. 293 (Kannicht) ; Rhés., 971. Cette expression est devenue si courante que le simple βλέπω, « voir », peut signifier « être vivant » : Eschyle, Ag., 676-677 ; Sophocle, Phil., 1348-1349 ; Euripide, Alc., 142 ; Hél., 1011 ; I. A., 1612 ; I. T., 718 ; Troy., 632 ; F. 370, vers 21-22 ; F. 833, 1013 (Kannicht). 154 Iliade V, 119-120 ; Hésiode, Travaux, 154-155 ; Hymne homérique à Aphrodite (I), 272 ; Théognis, 567-570 ; Sophocle, Ant., 1302 ; Euripide, Alc., 472 ; Hél., 320, 839 ; Hér., 1072-1073, 1348 ; Ion, 1186 ; Or., 954 ; Phén., 1554. Et ne plus être dans la lumière ou ne plus voir la lumière est synonyme d’être mort : Sophocle, El., 10781080 ; Euripide, Alc., 18, 394-395 ; Héc., 668, 706, 1214 ; Hél., 1373 ; Hcld., 969 ; I. A., 1281-1282 ; I. T., 349, 564 ; Phén., 1339, 1547-1548 ; Suppl., 200 ; Troy., 641 ; Rhés., 850, 967. 155 Od. IV, 833-834 ; XI, 93-94 ; XV, 349-350 ; Hésiode, Théog. 651-653 et 669 ; Sophocle, Phil., 1211-1212. L’opposition entre obscurité infernale et lumière du jour se retrouve au Ve siècle dans l’Epinicie V, 33 de Bacchylide, où Héraclès ramène Cerbère ἐς φάος ἐξ Ἀΐδα, « de l’Hadès à la lumière ». Voir aussi Sophocle, Phil., 624-625, Aristophane, Gren., 1528-1529. Parallèlement à φάος (« la lumière »), Sophocle emploie φέγγος (« la lumière du soleil », Trach., 1144) et Eschyle αὐγὰς ἡλίου (« les rayons du soleil », Perses, 710), avec la même signification. Aux vers 387-388 des Euménides, les vivants sont désignés comme δερκομένοισιν, « ceux qui voient la lumière du jour », et les morts comme δυσομμάτοις, « ceux dont les yeux ne voient plus ». Ces tournures sont l’écho du vers 322 : ἀλαοῖσι καὶ δεδορκόσιν, « ceux qui voient la lumière du jour et ceux qui l’ont perdue » : dans ἀλαός, l’ἀ- privatif devant le dérivé du verbe λάω, « regarder, voir », répond au préfixe δυσ- qui marque la difficulté devant ὄμμα. Δέρκομαι signifiant « voir le jour », et par conséquent « être vivant » existait déjà chez Homère : cf. Il. I, 88 ; Od. XVI, 439.
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gens à « détester la vie et à aimer les noires Kères de la mort à l’égal des rayons solaires » souligne cette antithèse en mettant en évidence un paradoxe : θανάτου μελαίνας Κῆρας s’oppose à αὐγαῖς ἠελίοιο tant par le sens que par la construction en chiasme (cf. F. Ferrini, 1979, pp. 172-173). Aux notions absolument contraires qui encadrent le groupe (θανάτου / ἠελίοιο) s’ajoute la contradiction entre l’obscurité (μελαίνας) et la clarté (αὐγαῖς). Un second chiasme régit l’ensemble : ἐχθρὴν ψυχὴν / Κῆρας... φίλας. Les adjectifs ἐχθρήν et φίλας ouvrent et ferment le distique élégiaque. La mise en relief de μελαίνας, due à sa position en fin d’hexamètre et à l’enjambement avec le pentamètre, répond à celle de φίλας, en fin de pentamètre. Les vers suivants développent le paradoxe : le guerrier qui combat a plus de chances de garder la vie sauve que celui qui s’enfuit pour la sauver. Ce dernier risque en effet d’être mortellement blessé dans le dos, ce qui représente le comble de l’infamie. Ce fragment de Tyrtée est particulièrement important car il insiste sur un aspect fondamental de la vie dont la mort, en raison de la localisation du royaume infernal, prive l’homme : jouir de la lumière et de la chaleur du soleil. Eschyle, quant à lui, utilise volontiers des épithètes formées sur ἥλιος ou αὐγή dotées d’un α- privatif, ainsi l’hapax εἰς ἀναύγητον… Ἅιδην (« dans l’Hadès sans lumière », Prométhée, v. 1028-1029). Dans la métaphore de l’Achéron156, l’obscurité infernale est rendue grâce aux redondances : Apollon est évoqué en tant que dieu de la lumière et le ἀστιϐῆ ’πόλλωνι, « non fréquentée par Apollon, c’est-à-dire par le soleil », se révèle l’exact synonyme de ἀνάλιον, « sans soleil »157 . L’abondance des α- privatifs est à noter : ἀστιϐῆ, ἀνάλιον, ἀφανῆ, auxquels s’ajoute le ἄστολον du vers précédent. Les Enfers sont toujours sentis comme le monde de la négation, de la privation de tout ce qui rendait la vie agréable. Dans cette nuit perpétuelle, tout devient sombre, y compris les voiles du navire (μελάγκροκον, Eschyle, Sept contre Thèbes, v. 857). Le procédé se retrouve chez Sophocle : Perséphone est surnommée « la déesse invisible » (τὰν ἀφανῆ θεόν, Œdipe à Colone, v. 1556) et Hadès « l’invisible Invisible » (ἀΐδηλου Ἅιδαν, Ajax, v. 606), avec un jeu de mots double sur l’adjectif et sur le nom. Et le gouffre infernal a pour épithète ἀλάμπετος, « sans lumière, sans éclat » (Œdipe à Colone, v. 1662). L’accumulation de deux idées, celle de la parenté avec la nuit et celle de la privation de lumière se rencontre surtout dans Œdipe à Colone, lors du récit d’Antigone sur la mort de son père (v. 1681-1684) : aux deux adjectifs avec l’ἀprivatif (ἄσκοποι, ἀφανεῖ) évoquant l’obscurité de l’Hadès, répond le terme νύξ, présence des ténèbres infernales (d’où l’épithète ὀλεθρία, « de mort, funeste ») sur terre. 156
Eschyle, Sept, 857-860. Pour l’étude de la métaphore, voir supra pp. 97-98. Eschyle, Sept, 859. L’épithète ἀνάλιος caractérise aussi les Enfers euripidéens : Hér., 607 ; Alc., 437 et 852.
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A l’instar de Sophocle, Euripide associe volontiers Enfers et nuit. Outre le vers 269 d’Alceste où la « nuit ombreuse », σκοτία… νύξ, annonce le Trépas, l’Hadès est assimilé à la demeure de Nuit dans Oreste158, Nuit dont l’obscurité profonde est rendue par l’adjectif redondant ὀρφναίος, « ténébreux ». On trouve une redondance similaire entre νύκτερος, adjectif dérivé de νύξ, et μέλας (Hippolyte, v. 1388). Un second adjectif dérivé, νύχιος, est aussi attesté (Hélène, v. 178). Euripide exprime encore l’obscurité infernale par ὄρφνη, terme poétique mais non épique, ignoré par Eschyle et Sophocle. En ce sens il est attesté deux fois dans Héraclès, seul : γᾶς ἐνέρων τ’ἐς ὄρφναν (« dans les ténèbres de la terre et des Enfers », v. 352) ou avec une épithète redondante : χθονὸς / μέλαιναν ὄρφνην (Héraclès, v. 45-46). La juxtaposition de μέλαιναν ὄρφνην ajoute une notion de couleur (la couleur sombre suggérée par μέλας) à l’idée de ténèbres exprimée par ὄρφνη. Un semblable renforcement se rencontre au vers 1225 d’Oreste où le nom νυκτός est accolé à l’adjectif ὀρφναῖος, dérivé de ὄρφνη. Ὀρφναῖος était déjà épithète de la nuit chez Homère (Iliade X, 83 ; Odyssée IX, 143). L’originalité d’Euripide est d’avoir repris cette expression homérique en en modifiant la portée : il s’agit de la nuit infernale. La conception sophocléenne d’un au-delà empli d’obscurité s’inscrit bien dans la tradition. Toutefois, le poète insiste bien plus que ses prédécesseurs sur la perte irréparable provoquée par la mort : la perte de la lumière solaire qui prive l’homme de toute joie. L’adieu à la lumière est un thème récurrent de son théâtre, de ses premières pièces conservées (les Trachiniennes et Antigone) à la dernière (Œdipe à Colone). Les héros, lorsqu’ils savent leur mort inévitable, adressent un dernier salut au Soleil, générateur de vie. L’allusion est encore brève dans les Trachiniennes (v. 1143-1144), mais la détresse d’Antigone dans la pièce éponyme est déjà plus marquée (v. 806-810) : la répétition de νέατος (νεάταν ὁδόν, νεάτον φέγγος), « le dernier », et le champ lexical de la lumière (ὁρᾶτε, φέγγος… ἀελίου, λεύσσουσαν) auquel s’oppose le laconique κοὔποτ’αὖθις final, rendent la douleur vive qui l’étreint malgré sa résolution de mourir. Le pathétique augmente encore dans Ajax car l’invocation est plus longue (v. 845-859). Comme dans Antigone, le champ lexical de la lumière est interrompu par κοὔποτ’αὖθις (v. 858). L’expression est encadrée par deux adverbes de même racine qui marquent l’ultime vision, l’un au superlatif, l’autre au comparatif (πανύστατον, ὕστερον). Le pathétique atteint son paroxysme dans le personnage d’Œdipe, qui fait un double adieu à la lumière : une première fois dans Œdipe Roi, juste avant de s’aveugler (v. 1183), et une seconde fois avant de mourir (Œdipe à Colone, v. 1549-1552). Bien qu’aveugle, il salue la lumière, d’où l’oxymore φῶς ἀφεγγές. Ce n’est pas tant la clarté que la sensation de bien-être qu’elle procure qu’il regrettera. A la chaleur fera place le froid de l’Hadès. Cette scène est d’autant plus émouvante que Sophocle 158
Or., 1225. Cf. Or., 174-176, où la nuit vient du fond de l’Erèbe.
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vieillard (il mourra peu de temps après avoir écrit cette tragédie) doit plus ou moins s’identifier au vieil Œdipe prenant congé de la vie. Ἔσχατον et τελευταῖον (v. 1550 et 1551) insistent sur cet ultime instant de bonheur terrestre. On assiste donc à travers le théâtre de Sophocle à un véritable hymne au soleil et à l’existence, qui transparaît surtout dans les dernières paroles du futur défunt, dans son adieu à la vie. De telles scènes n’existaient pas chez Eschyle. Euripide reprendra le procédé : la brièveté de l’expression dans les Suppliantes (v. 1025) souligne l’importance des deux choses qu’Evadné chérissait le plus, la lumière et le mariage. Polyxène mentionne les rayons et l’orbe du soleil159 , tournure originale. L’adieu à la vie d’Iphigénie se caractérise par une recherche identique au niveau de l’expression (Iphigénie à Aulis, v. 1505-1509) : à la tournure peu habituelle et très poétique λαμπαδοῦχος ἁμέρα, s’ajoute l’allitération en -φ(φέγγος, φίλον, φάος), pour mettre en évidence les termes relatifs à la luminosité terrestre, splendeur qu’Iphigénie quitte à regret. L’adieu d’Alceste (v. 244-245) traduit un attachement similaire envers les phénomènes célestes qui rythment la vie. Les personnages de Sophocle et d’Euripide témoignent donc du même amour de la vie. En constituent la preuve les adieux à la lumière des mourants et toutes les expressions qui, au lieu d’évoquer les ténèbres de l’Hadès, préfèrent faire allusion à la lumière céleste, quand bien même elle est niée. Les régions situées à proximité des Enfers ne sont guère plus accueillantes. Le pays des Cimmériens exhale une odeur funeste et l’approche des Enfers est annoncée par le manque de clarté et de soleil (Odyssée XI, 14-19). Ces vers contiennent un nombre considérable de termes faisant allusion aux ténèbres et à la mort : ἠέρι καὶ νεφέλῃ κεκαλυμμένοι, νὺξ ὀλοή160. Les négations mettent en valeur l’absence de clarté : οὐδέ ποτε, οὔτε… οὔτε, et le poète a pris soin d’opposer l’éclat du soleil à la nuit et à la détresse, en insistant sur les nuées par une redondance (ἀήρ et νεφέλη sont presque synonymes dans la poésie archaïque). Il en ressort une atmosphère d’angoisse et de tristesse qui caractérise tout ce qui touche à la mort. On se demande même s’il s’agit vraiment d’hommes mortels (ἀνδρῶν δῆμος, βροτοῖσι) et non pas déjà d’âmes de défunts : leur vie est identique à celle des ψυχαί dans l’Hadès, une existence sans clarté et par conséquent sans attrait. En décrivant le pays des Cimmériens, l’aède donne un avant-goût de l’atmosphère qu’Ulysse rencontrera au royaume 159
Héc., 411-412. Voir aussi ses dernières paroles avant d’être emmenée par Ulysse, vers 435-437. 160 Le verbe καλύπτω « couvrir, envelopper, cacher » s’emploie aussi bien à propos des ténèbres (Il. IV, 461) que de la mort (Il. XVI, 502). Les deux valeurs s’appliquent parfaitement à cette région. Le nom des Cimmériens pourrait aussi évoquer les ténèbres selon A. Heubeck, 1963. Cf. supra chap. I, note 75.
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des morts. On a l’impression que tout ce qui entoure les demeures infernales est contaminé par la morosité qui y règne. Les éléments de la descriptio Tartari hésiodique sont régis par des principes semblables, car ils se situent à proximité les uns des autres. L’impression qui s’en dégage est avant tout celle d’un ensemble (et pas uniquement l’Hadès) plongé dans une nuit perpétuelle. L’absence de soleil s’explique par la situation même des Enfers : ils sont localisés au-delà des portes du Soleil161 , sont souterrains et recouverts de nuées162 . Trois raisons de n’être jamais éclairés. D’ailleurs une des plus grandes menaces que le soleil profère est de briller pour les morts (Odyssée XII, 382383). L’ordre cosmique en serait bouleversé puisque l’Hadès est, par définition, le royaume des ténèbres. La fonction de ces dernières consiste non seulement à couvrir l’ensemble des lieux infernaux pour les plonger dans la nuit, mais aussi à les dissimuler aux yeux des vivants. Ainsi le casque d’Hadès, rempli de ténèbres, a le pouvoir de rendre invisible celui qui le porte163, et il trompe même les dieux (Iliade V, 845). Dans le fragment 55 (Voigt) de Sappho, vers 3-4, trois termes évoquent l’invisibilité : ἀφάνης (« qu’on ne voit pas »), Ἀίδα (« l’Invisible », selon l’étymologie populaire) et ἀμαύρων (« sombre, difficile à distinguer »). Cette invisibilité est certes due à l’obscurité régnante, mais on peut y voir une autre origine : l’oubli progressif des vivants vis-à-vis des morts dont ils sont à jamais séparés164 . Les Enfers sont cependant loin d’être un monde voué au silence. Des cris et des bruits y résonnent, dont l’identification, rendue incertaine par les ténèbres, crée un climat de peur et d’oppression. b) Les bruits On s’attendrait, dans ce pays de « têtes sans consistance »165 à voir régner le silence. Pourtant un bruit de fond existe, constitué par le son sourd des tourbillons des fleuves infernaux. Dès l’entrée, on entend « les deux fleuves au vacarme assourdissant », δύω ποταμῶν ἐριδούπων (Odyssée X, 515, cf. supra pp. 93 et 108). Le premier composant de l’adjectif, ἐρι-, est un préfixe de valeur superlative qui amplifie le fracas sous-entendu par δουπός. Le terme ἀπορρώξ suppose une cascade (Odyssée, X, 514 ; Eschyle, Evocateurs d’âmes, F. 273 a 161
Od. XXIV, 12 (où les âmes des prétendants franchissent les portes du Soleil pour arriver aux Enfers) ; Hésiode, Théog. 760-761. 162 Hésiode, Théog., 744-745. Ces nuées rappellent celles qui recouvrent les Cimmériens (Od. XI, 14-19), voir le paragraphe précédent. 163 Hésiode, Bouclier, 226-227 ; Sophocle, Inachus, F. 269 c (Radt), vers 19. 164 Sur l’aspect inconsistant des morts et le topos de la mémoire, voir A. Andrisano, 1980-1982. 165 Od. XI, 29. Cf. Od. XI, 491 : νεκύεσσι καταφθιμένοισι, « les morts éteints ».
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Radt, v. 11) et Eschyle parle de la « vague du Cocyte » (κῦμα Κωκυτοῦ, Sept contre Thèbes, v. 690). Si Homère et Hésiode ne mentionnent pas les tourbillons de l’Achéron, la poésie lyrique et théâtrale y fait allusion : διννάεντ’ Ἀχέροντα (« l’Achéron tournoyant », Alcée, F. 38, v. 2 et 8, Voigt), ὠκύπορον / πόρθμευμ’ ἀχέων (« vers l’impétueuse traversée du fleuve des douleurs », Eschyle, Agamemnon, v. 1557-1558), ἄρσενας χοάς / Ἀχέροντος ὀξυπλῆγας (« les forts courants de l’Achéron qui frappe violemment ses rives », Sophocle, F. 523 Radt). S’y ajoutent les battements de rames du navire qui permet aux morts de traverser : ἐρέσσετε… / πίτυλον (« frappez la rame en cadence », Sept contre Thèbes, v. 855-856. Cf. Euripide, Alceste, v. 458-459). La cascade du Styx génère également du bruit (cf. supra pp. 109-109). Bien qu’Hésiode ne le dise pas expressément, les vers 775-806 de la Théogonie le laissent à penser. Une eau aussi abondante (« la dixième partie des eaux d’Océan », v. 789) et qui tombe d’aussi haut doit être à l’origine d’un fracas assourdissant, amplifié et répercuté par les sommets environnants. D’autres bruits proviennent des ministres d’Hadès, Cerbère et les Kères. Cerbère, « le chien d’Hadès à la voix forte comme le bronze »166 , aboie. L’image créée par l’épithète composée accentue la répercussion des grondements. Le Bouclier pseudo-hésiodique parle des Kères et de leurs grincements de dents (v. 160 et 249). Le verbe βρύχω évoque un claquement de dents et ἀραϐέω-ῶ, des objets (ici les dents) qui s’entrechoquent, sons particulièrement désagréables et effrayants, d’autant plus qu’au vers 160, βρύχω est renforcé par καναχή qui s’applique à un bruit retentissant. Mais le principal tapage est issu des âmes à l’intérieur des Enfers : mis à part les passages où, pour les besoins de l’action, les ombres des défunts parlent, leurs moyens d’expression usuels sont les cris. Ainsi disparaît l’ombre de Patrocle (Iliade XXIII, 101). Le verbe τρίζω désigne généralement les cris aigus des oiseaux ou d’animaux volants167. La métaphore est d’ailleurs explicitée au début du chant XXIV de l’Odyssée (v. 1-9), où les âmes des prétendants, telles des chauves-souris, gagnent les Enfers sous la conduite d’Hermès : le même verbe désigne les cris des âmes et ceux des cheiroptères (v. 5 et 7, τρίζουσαι ; v. 9, τετριγυῖαι). La comparaison ne surprend guère cependant, car, dans l’art archaïque, l’âme est souvent représentée comme un être humain miniature pourvu d’ailes168 . L’assimilation des âmes aux chauves-souris est riche de sens. On constate une similitude non seulement de cris, mais aussi de comportement : leur domaine est la nuit, leur aspect répugne aux hommes, leurs bruits les 166
Théogonie, vers 311 : Ἀίδεω κύνα χαλκεόφωνον. Aristophane (Gren., 472) mentionne aussi des chiens qui rôdent autour du Cocyte. 167 Cf. Iliade II, 314 ; Hérodote III, 110. D’après P. Chantraine, 1968, s. v. τρίζω, « le mot repose sur une harmonie imitative ». 168 Cf. LIMC VIII, s.v. eidola (Rainer Vollkommer).
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effraient ; les unes et les autres semblent incapables de garder le silence. Les morts se distinguent par leur tumulte et leur vacarme incessant. La comparaison avec les oiseaux constitue une image récurrente. Outre le début du chant XXIV, on la trouve quand les défunts s’enfuient devant Héraclès : κλαγγὴ νεκύων… οἰωνῶν ὥς, « le cri des morts, tels des oiseaux » (Odyssée XI, 605). Κλαγγή évoque le cri aigu des grues ou d’espèces apparentées et, par extension, les cris confus d’une multitude. La notion de bruit insolite, et par conséquent effrayant, apparaît encore deux fois au chant XI de l’Odyssée, au moment où les défunts se précipitent vers la fosse sacrificielle (v. 42-43 et 632-633) : les noms employés, ἰαχή et ἠχή, proviennent de la racine *Ƒαχα-, désignant des cris inarticulés. Ces cris sont d’ailleurs qualifiés de θεσπέσιος, « extraordinaires », c’est-à-dire dont l’origine ne peut émaner d’un être humain vivant. Dans la Théogonie d’Hésiode, la même racine sert à qualifier le palais d’Hadès : δόμοι ἠχήεντες, « demeure sonore » (v. 767), où l’épithète ajoute la notion de sons intensifiés par l’écho. Lorsqu’elles ne crient pas, les âmes gémissent. Et ce, dès qu’elles traversent l’Achéron βαρυϐόαν / πορθμὸν Ἀχέροντος (« la traversée aux sourds gémissements de l’Achéron », Pindare, F . 143 Maehler). Le premier élément de l’épithète, βαρυ-, s’applique à un son grave : littéralement « la traversée aux cris graves ». Dans un fragment du Catalogue des femmes (F. 25, v. 25) d’Hésiode, R. Merkelbach propose la conjecture πολύστονος : « la demeure d’Hadès qui se répand en gémissements ». Et le nom du Cocyte évoque des lamentations et des cris aigus (cf. supra p. 93). D’ailleurs, Théognis emploie un composé de la même famille pour qualifier les lieux : πολυκωκύτους εἰς Ἀΐδαο δόμους (« vers la demeure d’Hadès qui se répand en cris plaintifs », v. 244) et Eschyle utilise le verbe κωκύω pour désigner les ombres qui s’épanchent en gémissements (Agamemnon, v. 1313-1314), ce qui doit contribuer à l’atmosphère lugubre. Plaintes et sanglots envahissent le royaume infernal : les pleurs s’enchaînent comme une litanie et résonnent à travers la demeure (Sophocle, Œdipe Roi, v. 29-30). Le fragment 523 (Radt) de la Polyxène de Sophocle confirme cette impression. L’aspect lugubre est rendu par deux termes qui encadrent ces trois vers, ἀπαίωνας et γόους. Ἀπαίωνας signifie exactement « qui ne retentit pas de péans », c’est-à-dire de chants joyeux. Le participe ἠχούσας note l’ampleur que prennent les lamentations. Les âmes ne cessent de déplorer leur triste sort, elles qui sont privées de soleil et de toutes les activités terrestres qui leur procuraient quelque joie (Théognis, v. 973976 ; Stésichore, F. 232 PMGF Davies). Ou bien elles s’irritent contre leurs meurtriers (Eschyle, Choéphores, v. 40-42). Ou encore, elles errent sans but précis (cf. Sappho, F. 55 Voigt, v. 4 : φοιτάσηις, « tu erreras »). Les sons émis par les défunts reflètent les sentiments qu’ils éprouvent : apitoiement sur leur sort, colère, désir de vengeance. Dans ce monde négatif, seuls les sentiments négatifs subsistent. Nulle clameur de bonheur ! Les périphrases « l’Hadès qui fait verser d’abondantes larmes » (Euripide, Héraclès, v. 426-427) et « là où 136
personne ne se réjouit » (Eschyle, Euménides, v. 423) pour désigner les Enfers, prennent alors tout leur sens. Il est donc à noter que tous les bruits infernaux se caractérisent par leur amplification. Sur ce point encore, les Enfers se révèlent comme la négation du monde terrestre. Dans ce monde vaste et obscur, tout prend des dimensions inhabituelles et inquiétantes pour l’homme et même pour les dieux. c) Un univers glacial et effrayant, haï des êtres vivants Ainsi l’au-delà possède, comme le monde terrestre, un relief, des fleuves, un climat, des bruits, une architecture qui semblent avoir été conçus en fonction des Grecs et qui se pose comme leur parfaite antithèse : à la lumière éclatante et au climat sec du monde égéen répondent les ténèbres et l’humidité, à une vie pleine d’espérance, une région âpre, sans végétation et sans espoir de changement. Le paysage lugubre et l’état larvaire qui les attend répugnent aux vivants. Le royaume souterrain est détesté de tous. L’épithète ἐχθρός « haïssable » qui qualifie souvent le souverain infernal est appliquée également à la région qu’il gouverne169. Même les dieux, par nature immortels170, le craignent (Iliade XX, 64-65), c’est pourquoi il est invoqué dans leurs serments solennels171. Plus encore qu’Homère, Hésiode accentue l’angoisse des lieux liés à la mort. Dans sa descriptio Tartari, l’épouvante, doublée d’un sentiment d’horreur et de haine, intervient selon un véritable crescendo dont l’acmé correspond à la demeure de Styx. Les domaines infernaux sont des lieux terrifiants, le poète y insiste en encadrant sa description par un vers identique (Théogonie, v. 739 et 810). Ἀργαλέος, « terrible », dérivé de ἄλγος (< *ἀλγάλεος, avec dissimilation du premier λ), implique une idée de souffrance physique, d’où la haine qu’en éprouvent même les dieux ; le περ est fondamental dans le procédé d’insistance, et l’on pourrait gloser ainsi la fin du vers : « lieux terribles et moisis, qui font frissonner les dieux eux-mêmes, et pourtant ce sont des dieux ! ». La peur des dieux est rappelée aussi à propos des tempêtes du Tartare (Théogonie, v. 742-744). L’adjectif ἀργαλέος s’applique cette fois-ci à la tempête. Τέρας se réfère à un fait inhabituel, qui engendre naturellement la crainte. Et Hésiode prend soin de préciser δεινὸν… τέρας, « terrible prodige ». Cet adjectif reviendra d’ailleurs à plusieurs reprises dans la
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Il. IX, 159 (au superlatif) et 312-313 ; Od. XIV, 156-157 ; cf. aussi Il. III, 454 où le thème verbal remplace l’adjectif. 170 Sur la nature des dieux indo-européens, caractérisés comme célestes et immortels, voir B. Lincoln, 1991, pp. 5-7. 171 Il. III, 276-280 ; XIV, 271-274 et 278-279 ; XV, 36-38 ; XIX, 258-260.
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description172 : à l’instar de ἔνθα, il ponctue chaque nouveau paragraphe et accroît l’impression d’angoisse. Styx constitue le summum de la terreur (v. 775776), rendu par l’accumulation des deux adjectifs στυγερή et δεινή, ainsi que par l’emploi des mots de même famille Στύξ et στυγερή. L’aspect démesuré du paysage (hauteur et position en surplomb de la roche) et la fonction de Styx (grand serment des dieux) se mêlent, redoublant cette impression. Les dieux surtout l’appréhendent : μέγα πῆμα θεοῖσι, « grand malheur pour les dieux » (v. 792). L’auteur se complaît dans le détail de la punition des divinités parjures : le châtiment constitue la négation totale de l’existence olympienne (absence de nourriture, immobilité, isolement pendant neuf ans)173. Pausanias (X, 28, 7) fait allusion à d’autres descriptions infernales épiques dans la Minyade et les Retours, où étaient mentionnés « l’Hadès et les terreurs (δειμάτων) qui y règnent ». Malheureusement, ces épisodes sont perdus174, mais l’emploi de δεῖμα confirme la sensation d’effroi qu’inspire le lieu dans les passages conservés. Chaque évocation relative aux Enfers fait donc appel au champ lexical de l’horreur. Outre ἐχθρός, δεινός, στυγερός175 et ἀργαλέος, on trouve σμερδαλέα et στυγέουσι (Iliade XX, 64), δυσηχέος (Iliade XXII, 180) et τανηλεγέος (Iliade XXII, 210 ; Odyssée XXIV, 135-136), ὀλοός176 , ἀπότροπος (Sophocle, Ajax, v. 606). Parmi la variété des thèmes utilisés, deux familles reviennent fréquemment, celles d’ἐχθρός et de στυγέω-ῶ, non par hasard. Selon 172
Théog., 743, 759, 769, 776. Cf Bouclier, 226 ; Il. XV, 38 : δεινότατος, et le superlatif n’est pas ici une exagération poétique. 173 J. Rudhardt, 1971, souligne que Styx, en tant que fille aînée d’Océanos, conserve le pouvoir de l’eau primordiale. Ainsi « en évoquant Styx, le dieu met en jeu la relation qui l’unit aux principes créateurs […], sources de sa propre divinité. Fidèle à son serment, il maintient cette relation ; un parjure au contraire l’interrompt. Le dieu perd alors contact avec la réalité originelle et la force vitale l’abandonne. Son exclusion du repas des dieux signifie cette rupture, puisque l’aliment spécifique dont il est privé est précisément l’ambroisie. [Or l’ambroisie est une « liqueur issue de l’eau primordiale » qui prodigue la force vitale. La consommation de l’ambroisie par les dieux rend effective l’immortalité qu’ils doivent à leur naissance]. Ayant rompu le lien qui doit l’unir aux principes générateurs du monde, il ne peut plus participer au conseil des dieux et perd toute influence dans l’univers. Par le serment dont elle est solidaire, la permanence de l’eau originelle dans le cours de Styx garantit ainsi la rectitude de l’action divine et l’ordre de la création » (p. 97). 174 Pour une tentative de reconstitution partielle des Nékyiai de la Minyade et des Retours, voir A. Severyns, 1928, pp. 183-188 et 385-399. La plupart des fragments concernent des personnages, sans allusion au décor infernal. 175 Il. V, 47 ; VIII, 368 ; XIII, 672 ; XXIII, 79 ; Od. II, 135 ; XX, 78 ; Théog., 211, 775. 176 Théog., vers 757 et F. 280, vers 2 (Merkelbach). Cet adjectif appartient au thème de ὄλλυμι, « détruire ».
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P. Chantraine (1968, s.v. ἐχθός), l’étymologie d’ἐχθρός, « haï, odieux », se rattacherait à l’adverbe dialectal ἐχθός (ἐκτός en ionien-attique) qui signifie « au-dehors ». A l’origine, ἐχθρός devait désigner « l’homme du dehors, l’étranger extérieur à toute relation sociale ». Appliqué à l’Hadès, le sens originel prend toute sa valeur. Ce domaine est odieux aux hommes parce qu’il leur est « étranger » : par sa situation géographique, il est « extérieur » au monde habité, et par conséquent « extérieur à toutes relations sociales », d’autant plus que ceux qui s’y rendent n’en ressortent pas. Aucun échange, aucun commerce ne peut s’établir entre au-delà et monde terrestre : la frontière est à sens unique. Il est d’ailleurs remarquable que l’adjectif ἐχθρός caractérise fréquemment les portes qui marquent la notion de passage par excellence (Iliade IX, 312 ; Odyssée XIV, 156). L’étude de la famille de στυγέω-ῶ paraît également significative. Elle traduit une véritable répulsion de la part des vivants. Il s’agit d’une haine ou d’une horreur qui découle d’une impression physique, d’un frisson. L’étymologie en est incertaine, mais pourrait se rattacher à l’idée de froid (P. Chantraine, 1968, s.v. στυγέω-ῶ). Le sens de Στύξ, source glacée d’Arcadie, chez Hérodote (VI, 74), Strabon (VIII, 8, 4) et Pausanias (VIII, 17, 6 - 18, 6), confirmerait cette hypothèse. Chez Hésiode (Théogonie, v. 785-786), l’eau du Styx est froide, ὕδωρ / ψυχρόν, adjectif qui caractérise la plupart du temps la neige ou la glace. L’une des épithètes d’Hadès est κρυερός, « Hadès qui fait frissonner » (Hésiode, Travaux, v. 153). Frisson de peur ou de froid, il faut, à notre avis, conserver l’ambiguïté. Au vers 255 du Bouclier pseudo-hésiodique, on trouve l’adjectif κρυόεις, de sens à peu près identique. Ces deux adjectifs sont dérivés de κρύος, froid qui glace, qui fait frissonner. Rien d’étonnant à ce que les régions infernales soient considérées comme glaciales puisque tout cadavre devient froid : à la chaleur de la vie s’oppose la froideur de la mort. Et un qualificatif du même ordre caractérise les flèches qui provoquent la mort : οἰστοὶ / ῥιγηλοί (Bouclier, v. 130-131). ῾Ριγηλός, dérivé de la racine *srῑg (cf. latin frῑgus) suppose un froid vif. L’Hadès serait donc un lieu où l’on frissonnerait de froid. Quoi d’étonnant puisque le soleil n’y brille jamais et que l’humidité y règne ! Les âmes se rendent contre leur gré (Iliade XVI, 856-857 ; XXII, 362-363) dans ce monde étranger et glacial. Souvent, elles luttent pour échapper à la mort, comme le laisse entendre le verbe δάμνημι, « réduire par la contrainte » (Odyssée III, 410 ; VI, 11). Cependant, aucune n’échappe à ce destin. Dès qu’un personnage meurt dans les poèmes homériques, son âme se dirige vers l’Hadès177. Même Achille, malgré sa valeur et la faveur que lui témoigne Zeus, 177
Il. III, 320-323 ; V, 190-191, 652-654 ; VI, 284-285, 421-422 ; VII, 130-131, 330 ; XI, 54-55, 262-263, 443-445 ; XIII, 414-416 ; XIV, 457 ; XV, 251-252 ; XVI, 326-327, 625, 856-857 ; XXII, 52, 209-213, 362-363, 425, 482-483 ; XXIII, 19, 71-76, 244 ; XXIV, 246 ; Od. III, 410 ; X, 174-175 ; XII, 21-22 ; XV, 349-350 ; XX, 208. Sur la
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va après sa mort dans le royaume infernal comme les autres mortels. Ulysse le rencontre et lui parle lors de son voyage au pays des défunts (Odyssée XI, 467540). Pourtant, il existe des exceptions à ce lot commun, par exemple Ménélas qui, d’après la prophétie de Protée (Odyssée IV, 561-569), connaîtra la douceur des Champs-Elysées. Ces singularités méritent une étude détaillée.
fatalité de la mort, voir aussi : Hymne hom. à Aphrodite (I), 269, où le terme μοῖρα (« le destin qui amène la mort ») met l’accent sur l’impuissance humaine ; Hymne hom. à Apollon (I), 356 ; Alcée, F. 38 (Voigt), vers 2-4 ; Anacréon, F. 395, v. 5 (PMG) ; Odes anacréontiques, F. 34 (West), v. 1-11 ; Callinos, F. 1 (Gentili-Prato), v. 12-13 ; Mimnerme, F. 11 (Gentili-Prato) ; Pindare, Ném. VII, 19-20 et 30-32 ; Sémonide d’Amorgos, F. 1, v. 13-14, 18-19 et F. 7, v. 117-118 (West) ; Solon, F. 18 (GentiliPrato), v. 7-10 = Théognis, 725-728 ; Théognis, 765-768, 1007-1011. Tyrtée, F. 5, v. 45 (Gentili-Prato) ; cf. P. Mourlon Beernaert, 1963 ; Sophocle, Ant., 361-362 ; El., 860 et 1171-1173 ; Euripide, Alc., 418-419, 782, 989-990 ; And., 1270-1272 ; F. 10, 43 (Kannicht). Si jamais un être connaît un autre destin, les auteurs en soulignent la raison : par exemple Cypria, F. 8 Bernabé (Pollux) ; Hymne hom. à Déméter, 260-262 (Démophon que Déméter s’apprêtait à rendre immortel) ; Mimnerme F. 1 Gentili-Prato (Tithônos).
CHAPITRE 4 DES ESPACES PRIVILÉGIÉS : PLAINE ÉLYSÉENNE, ILE BLANCHE ET ILES DES BIENHEUREUX. Chez Homère, les régions infernales et les Champs-Elysées sont deux contrées géographiquement séparées, qui n’ont aucun lien entre elles. Il est cependant intéressant de souligner la présence de ce lieu élyséen, car il connaîtra une faveur grandissante dans la littérature postérieure et sera rattaché à l’Hadès : il constituera la région où séjournent les âmes des sages et des justes après leur mort. A l’époque homérique, nous sommes encore loin d’une telle conception. Une brève allusion au chant IV de l’Odyssée (v. 561-569) nous renseigne. Unique dans les poèmes homériques, ce passage a parfois été considéré comme interpolé par certains critiques modernes. Cependant, le seul argument de l’unicité n’est pas convaincant, d’autant plus que l’on trouve l’évocation de contrées similaires en Grèce archaïque, chez Hésiode par exemple, et chez d’autres peuples d’origine indo-européenne comme les Celtes ou les Indo-Iraniens1. En outre, l’Iliade présente d’autres exemples d’enlèvements, ainsi celui de Ganymède, qui procurent l’immortalité et prouvent que de telles croyances eschatologiques étaient déjà bien établies. Homère reste très vague sur la situation géographique des Champs-Elysées. Comme toute région étrangère au monde habité et appartenant à l’imaginaire, il les situe « aux extrémités de la terre », πείρατα γαίης2. C’est d’ailleurs une expression similaire que le poète utilise pour localiser l’entrée de l’Hadès (Odyssée XI, 13). Nous avons donc deux régions des confins, toutes deux situées près de l’Océan. La plaine Elyséenne est en effet soumise aux souffles du Zéphyr venu de l’Océan (Odyssée IV, 567-568). Le Zéphyr étant un vent du Nord-Ouest ou de l’Ouest, peut-être faut-il situer cette région vers l’occident, là encore à l’instar de l’Hadès, mais aucun renseignement complémentaire ne 1
Pour plus de précisions, voir B. Lincoln, 1980 ou 1991. L’étroite parenté de ces « paradis » présuppose que cette notion appartenait au tronc proto-indo-européen. Au contraire, Chr. Sourvinou-Inwood (1995, pp. 17-56) y voit une construction qui aurait été créée peu avant la mise en forme finale des poèmes homériques. 2 Od. IV, 563. Cf. les scholies E. V. au vers 563 : ἔξω τῆς καθ’ ἡμᾶς οἰκουμένης, « à l’extérieur de la terre que nous habitons ».
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permet de corroborer cette hypothèse3. Si tels sont les points communs de ces demeures de l’au-delà, leurs différences sont bien plus importantes. Contrairement aux Enfers, souterrains, les Champs-Elysées se situent à la surface terrestre. Homère parle de « plaine Elyséenne », Ἠλύσιον πεδίον, mais il ne précise pas s’il s’agit d’une île. Ses habitants jouissent de la clarté du soleil, et le climat qui y règne s’oppose radicalement à l’atmosphère infernale. Tout contribue à procurer une vie de douceur comparable à celle des dieux (v. 565-568). E. Rohde (1928, p. 57) souligne d’ailleurs à juste titre la comparaison avec le séjour olympien4. L’absence d’intempérie, remarquable pour ces deux mondes, est exprimée sous forme négative. Tournures et vocabulaires sont très proches : nous retrouvons le mot ὄμϐος qui désigne une averse violente, une pluie d’orage dévastatrice, telle qu’un climat méditerranéen peut en connaître. Quant à χιών et χειμών, ils appartiennent à la même racine indo-européenne *gheim, attestée pour l’hiver, le mauvais temps et la neige. Si, contrairement à l’Olympe (Odyssée VI, 43), les Champs-Elysées sont soumis au vent, il ne s’agit pas d’un vent destructeur, mais d’une brise rafraîchissante (Odyssée IV, 567-568). Ce thème du rafraîchissement aura une immense faveur dans la littérature paradisiaque ultérieure5. Ici, ἀναψύχειν possède certainement le sens physique de « rafraîchir ». Les Champs-Elysées sont conçus, à l’image de la Grèce, comme un pays chaud et sec, d’où la nécessité d’un vent frais. La mention du souffle du vent du Nord apparaît également en Egypte à partir du Moyen Empire. Influence égyptienne ou évolution parallèle des deux pensées ? Il est difficile de trancher6. La notion de rafraîchissement dans l’au-delà se trouve aussi dans l’Antiquité orientale. En Grèce, notamment dans les tablettes orphiques, l’eau fraîche jouera un rôle essentiel pour l’accès de l’âme au séjour des Bienheureux7. Mais ne peut-on pas également comprendre ἀναψύχειν au sens fort de « redonner souffle, ranimer », et y voir, à la suite de J. Rudhardt, « une illustration des vertus fertilisantes et génératrices des eaux primordiales »8 ? Les habitants y seraient maintenus en vie grâce aux eaux
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Sur les arguments en faveur d’une localisation occidentale de la plaine Elyséenne et des îles des Bienheureux, voir M. Gelinne, 1988, pp. 230-231. 4 Od. VI, 41-46. On peut également établir une comparaison avec le jardin d’Alkinoos (Od. VII, 114-132). Un tel climat caractérise les endroits chéris des dieux. 5 Cf. A. Parrot, 1937, qui ne tient malheureusement pas compte de l’évolution grecque. 6 Sur ce point, voir A. Tricoche, 2009, pp. 106-117. 7 Sur les tablettes orphiques, voir Orphisme et Orphée, 1991 ; R. Janko, 1984 et G. Pugliese Carratelli, 2003. 8 J. Rudhardt, 1971, p. 88. Déjà F. Buffière, 1956, p. 261, note 11. et scholies à Od. IV, 567 : δοκεῖ καὶ τοῦτο φυσικῶς εἰρηκέναι Ὅμηρος. ὁ γὰρ ζέφυρος οὐ μόνον ἐστὶ πολὐκαρπος καὶ γόνιμος, ὡς καὶ ἐν ἄλλοις φησὶ « ζεφυρίη πνείουσα τὰ μὲν φύει, ἄλλα
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d’Océan et aux souffles de Zéphyr, dont l’activité n’est nullement nécessaire sur l’Olympe, puisque les dieux sont par essence immortels. Faut-il en conclure avec A. Dietrich (1893, pp. 1-46) que les Champs-Elysées étaient originellement un jardin des dieux ? Ce serait aller un peu loin. Cette terre est destinée à des êtres humains qui ont auparavant vécu une existence terrestre et qui sont revivifiés par les conditions climatiques. Il s’agit d’un lieu idéal, certes, mais qui demeure à la mesure humaine. Preuve en est la ressemblance avec le jardin d’un mortel, celui d’Alkinoos (Odyssée VII, 114-132). D’ailleurs, si les habitants y mènent une existence quasi divine, en aucun cas ils n’acquièrent des pouvoirs divins : ils sont séparés du monde et, comme les hôtes de l’Erèbe, n’y interviennent pas. L’étymologie de Ἠλύσιον a fait l’objet de multiples controverses dès l’Antiquité. Ce nom constitue un hapax qui ne réapparaît pas avant Apollonios de Rhodes9. Les Anciens le rattachaient à λύω, άλύω, λυσσάω, ἰλύς comme en témoignent les scholies et Eustathe10, ou encore à Ἥλιος11 ou ἔρχομαι (Souda et Etymologicon Magnum, s. v. Ἠλύσιον πεδίον). Le mot divise encore les commentateurs modernes. A la suite de M. P. Nilsson (1955, pp. 71-73) et de A. B. Cook (1965, pp. 22-23), P. Chantraine (1968, s. v. Ἠλύσιον), W. Burkert (1977, p. 305) et N. Nagy (1992, pp. 140-141) suggèrent de prendre pour point
δὲ πέσσει » (Od. VII, 119), ἀλλὰ καὶ τῆς ψυχῆς τὸ διανοητικὸν ἔχειν δοκεῖ καὶ πρὸς ἐπίνοιαν συντελεῖν. H. P. Q. Homère semble dire aussi ceci au sens physique. En effet, le Zéphyr apporte fertilité et fruits en abondance, comme le poète le dit encore dans d’autres passages « le souffle du Zéphyr fait pousser les uns et fait mûrir les autres » (Od. VII, 119), mais aussi il semble posséder les vertus génératrices de l’âme et contribuer à l’intelligence. Cf. aussi Eustathe, Commentarii ad Odysseam IV, 567. 9 Apollonios de Rhodes IV, 811. Chez les poètes antérieurs, des conceptions similaires sont nommées μακάρων νῆσοι, « îles des Bienheureux ». 10 Scholies à Od. IV, 563 : ἐκ τοῦ λύω. λύονται γὰρ τῶν βιωτικῶν δεσμῶν οἱ ἀπελθόντες έκεῖ. E. ἢ παρὰ τὸ ἄλυτα ἐν αὐτῷ μένειν τὰ σώματα. E. V. παρὰ τὸ λύσιν εἶναι τῶν κακῶν, ἢ παρὰ τὸ τοὺς λυσσῶντας ὀνεῖσθαι. T. De λύω. En effet, ceux qui y sont partis sont délivrés (λύονται) des liens temporels. E. Ou bien parce que dans cette seule région les corps demeurent incorruptibles (ἄλυτα). E. V. A cause de la libération des maux, ou parce que l’on blâme ceux qui s’emportent (τοὺς λυσσῶντας). T. Et Eustathe, Commentarii ad Odysseam IV, 563. Cf. M. Gelinne, 1988, pp. 226-227. 11 Porphyre, dans Stobée, livre I (Eclogae Physicae) 49, 61 = C. Wachsmuth, Ioannis Stobaei Anthologii, troisième édition 1974 (première édition 1884), p. 448.
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de départ l’adjectif ἐνηλύσιος, « frappé par la foudre »12. En effet, les lieux frappés par la foudre sont connus dès l’Antiquité non seulement sous l’appellation d’ἐνηλύσια, mais aussi sous celle d’ἠλύσια13. On pensait que l’homme terrassé par la foudre était rendu immortel par la divinité, l’adjectif ἐνηλύσιος aurait été compris comme ἐν-ηλύσιος, « celui qui se trouve dans l’Elysée ». De cette coupe erronée aurait été tiré le mot Ἠλύσιον pour désigner le séjour des foudroyés, c’est-à-dire des hommes honorés par Zeus. Cette étymologie expliquerait pourquoi les seuls parents ou favoris de Zeus, et éventuellement des autres dieux, auraient accès à la plaine Elyséenne. D’autres commentateurs voient dans ce mot une origine indo-européenne14. La théorie de J. Puhvel (1969, pp. 66-68) qui, supposant une parenté avec le hittite wellu, « le pré », considère l’ Ἠλύσιον πεδίον comme un champ herbeux, une prairie, est intéressante. Néanmoins l’explication du début du mot ἠλυ- à partir de la séquence géminée –ell reste aléatoire. D’ailleurs, quelles que soient les tentatives de restitution à partir de l’indo-européen, le ἠ- long initial demeure inexpliqué. Une troisième tendance15 se tourne vers un emprunt égyptien de sḫt yalu, « le Champ des roseaux », un des noms par lequel était désigné le lieu où résidaient les âmes des morts égyptiens bienheureux : rafraîchis par les brises, ils y jouissaient d’une vie agréable et d’une nourriture abondante, à l’instar des habitants des Champs-Elysées. Du point de vue du paysage, ces deux dernières interprétations apportent un changement notable. La prairie indo-européenne suppose une nature sauvage, non domestiquée, alors que le Champ des Roseaux égyptien apparaît comme une terre cultivée : le Livre des Morts présente le défunt s’y adonnant aux travaux des champs16. Ces deux conceptions ne sont cependant pas contradictoires : il arrivait par exemple 12
L’adjectif est attesté, dans un fragment d’Eschyle (F. 17 Radt), comme épithète du héros Capanée qui fut foudroyé par Zeus au moment où il tentait d’escalader les murailles de Thèbes. 13 Cf. Hesychius, s. v. Ἠλύσιον : ... Ἄλλοι κεκεραυνωμένον χωρίον ἢ πεδίον· τὰ δὲ τοιαῦτά εἰσιν ἄϐατα, καλεῖται δὲ καὶ ἐνηλύσια... D’autres disent qu’il s’agit d’un emplacement ou d’une plaine qui ont été foudroyés ; de tels endroits sont sacrés et sont aussi appelés ἐνηλύσια (« frappés par la foudre »). 14 Voir les récapitulatifs historiques de W. Burkert, 1961, pp. 208-212 ; J. Puhvel, 1969, pp. 66-67 et M. Gelinne, 1988, pp. 227-229. 15 Entre autres, R. Hennig, 1934, pp. 48-53 ; J. Gwyn Griffiths, 1947 ; E. Vermeule, 1976, p. 76 ; G. Alford, 1991 ; R. Drew Griffith, 2001. Cf. M. Gelinne, 1988, p. 229, note 28. 16 Cf. le papyrus d’Ani (vers 1420 av. J.-C.), chap. 60, et celui d’Anhaï (vers 1100 av. J.-C.), chap. 5, Londres, British Museum, département des antiquités égyptiennes, nos 10470 et 10472.
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aux Hittites de pratiquer des cultures provisoires dans les prairies sauvages (cf. M. Mazoyer, 2003 b, pp. 172-173 et 2006, pp. 261-263). Dans les deux cas, l’accent est mis sur la notion de fertilité nécessaire pour assurer une « vie facile » (ῥηίστη βιοτή, v. 565) aux habitants. Un deuxième lieu réservé à des mortels privilégiés est mentionné dès la poésie épique : l’Ile Blanche (εἰς τὴν Λευκὴν νῆσον) où, selon le résumé de Proclus pour l’Ethiopide, Thétis transporte le corps de son fils qu’elle a arraché au bûcher funéraire17. Achille est donc emmené après sa mort, alors que Ménélas et les héros hésiodiques semblaient être enlevés de leur vivant. L’Ile Blanche présente toutefois de grandes similitudes avec le séjour des Bienheureux. Comme chez Hésiode, elle est formée d’une île (νῆσος) et se situe à la surface terrestre. Achille y jouit de la chaleur et de la lumière solaire, tout en étant isolé du reste des hommes. Il existe d’ailleurs d’autres traditions, qui placent Achille dans l’île des Bienheureux ou dans la plaine Elyséenne18. Mais leurs auteurs connaissent également le transfert d’Achille dans l’Ile Blanche, qu’ils situent dans le Pont-Euxin, près de l’embouchure du Danube19. Cette localisation ne doit pas étonner outre mesure. La région de la mer Noire, en effet, située dans la Grèce archaïque en dehors de l’oikoumène, est longtemps restée mal connue, et faisait donc partie des pays mythiques. La légende des Argonautes à la quête de la Toison d’or en témoigne. Cette île du Pont-Euxin était par conséquent considérée comme aussi isolée et éloignée que si elle avait été sise « aux extrémités de la terre » (ἐς πείρατα γαίης). C’est pourquoi les différentes traditions sur le destin post mortem d’Achille n’ont jamais été senties comme contradictoires, et l’Ile Blanche a même été assimilée à l’île des Bienheureux (cf. Pline l’Ancien, Histoire Naturelle IV, 13, 83 et 93). Reste à nous interroger sur le nom donné à cette île dans l’Ethiopide : Λευκὴ νῆσος. Pourquoi Λευκή ? Est-ce à cause de l’écume ou des animaux blancs qui la peuplent, comme le suppose bien plus tard Tzetzes20 ? ou plutôt de la blancheur 17
Fin de l’Argumentum (Bernabé, pp. 67-69) de l’Ethiopide d’Arctinos de Milet (= Proclus, Chrestomathie, 172 Severyns). 18 Ile des Bienheureux : F. 894 (PMG, chanson à boire) ; Pindare, Ol. II, 87-88 ; Platon, Banquet, 179 e ; Apollodore, Epitome V, 5 ; scholie à Lycophron, Alex., 174. Plaine Elyséenne : Ibycus, F. 291 (Davies PMGF) ; Simonide, F. 558 (PMG) ; Quintus de Smyrne, Suite d’Homère XIV, 223-224 ; Apollonios de Rhodes, Arg. IV, 811-815. Cf. M. H. da Rocha Pereira, 1960, p. 215 ; A. T. Edwards, 1985 ; F. J. Nisetich, 1988, pp. 9-19. 19 Pindare, Ném. IV, 49-50 ; Euripide, And., 1260-1262 et I. T., 435-438 (dans les deux pièces, le lieu de résidence d’Achille est appelé le « Promontoire Blanc », Λευκὴν ἀκτάν) ; Quintus de Smyrne, Suite d’Homère III, 770-777. Cf. Pausanias III, 19, 11. 20 Tzetzes, Scholia in Lycophronem, scholion 188 : τὴν λευκὴν νῆσον τὴν Εὐξείνου ἢ τὴν λευκαινομένην ἐκ τοῦ ἀφροῦ τῶν κυμάτων ἢ κατὰ Διονύσιον τὸν περιηγητήν (544) ὅτι πολλὰ ζῷα λευκὰ ταύτην κατοικεῖ λάροι, κύκνοι καὶ πελαργοί.
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et de l’éclat de ses pierres sous le soleil ? L’adjectif employé par Pindare confirmerait cette dernière explication : φαεννὰν / νᾶσον (Néméennes IV, 4950). Plus encore que λευκός, φαεννός s’applique à la brillance, à l’éclat de la lumière. La situation terrestre de l’île et l’opposition avec l’Hadès souterrain et ténébreux seraient ainsi mises en évidence. Λευκὴ νῆσος symbolise l’île de la lumière et par conséquent de la vie par excellence, l’île de l’immortalité. Les qualificatifs λευκός et φαεννός laissent entendre aussi, ce qui n’est en rien contradictoire, la beauté (cf. E. Handschur, 1970, pp. 32-33 et 90). Au chant XXIV de l’Odyssée, l’antithèse entre le royaume des morts et le rocher blanc (λευκάδα πέτρην) situé juste avant les portes du soleil sur le seuil de l’empire infernal était déjà soulignée. Le rocher blanc et l’Ile Blanche ne sont sans doute pas identiques, mais ils sont tous deux symboles de vie et marquent un éventuel passage de la vie à la mort. La tradition sur la mort de Sappho, qui se serait suicidée en sautant de la Roche Leucade dans la mer21, confirme cette hypothèse. A l’occasion du « mythe des races »22, dans les Travaux et les jours23, Hésiode parle des îles des Bienheureux (μακάρων νῆσοι), et non de plaine Elyséenne, pour désigner le séjour de quelques privilégiés après leur mort. Là encore, cet endroit est nettement séparé des régions infernales24. Il est clairement précisé qu’il s’agit d’une île (νῆσος), peut-être d’un archipel puisque le terme est au pluriel25. Ces îles appartiennent à un monde mythique, comme la L’Ile Blanche du Pont-Euxin, soit elle est blanche de l’écume des flots, soit, selon Denys le Périégète (544), parce que beaucoup d’animaux blancs y habitent, tels des mouettes, des cygnes et des cigognes. 21 Cf. Strabon, X, 2, 9, qui cite Ménandre ; Ovide, Héroïdes, XV. Euripide, dans le Cyclope, vers 166-167, fait également allusion au saut mortel depuis le roc de Leucade. 22 L’interprétation de ce mythe a fait l’objet de nombreux commentaires qui n’entrent pas dans le cadre de cette étude. Pour plus de précisions, voir entre autres : F. Bamberger, 1842 ; R. Roth, 1860 ; P. Waltz, 1906, pp. 58-112 et 1909, pp. 20-21 et 55-60 ; P. Mazon, 1912 ; E. Meyer, 1924 ; E. Rohde, 1928, pp. 75-79 ; U. von Wilamowitz, 1928, pp. 54-61 et 139-143 ; R. H. Martin, 1942-1943 ; V. Goldschmidt, 1950 ; G. Broccia, 1951 et 1980 ; J. Gwyn Griffiths, 1956 ; W. J. Verdenius, 1962, p. 109-159 ; U. Bianchi, 1963 ; W. Nicolai, 1964, pp. 35-50 ; J. Defradas, 1965 ; J. Duchemin, 1965 ; L. Bona Quaglia, 1973, pp. 86-120 ; J. Fontenrose, 1974 ; M. Hofinger, 1981 ; J. Rudhardt, 1981, pp. 245-281 ; J.-P. Vernant, 1985, pp. 19-106 ; B. Mezzadri, 1988 ; A. Ballabriga, 1998. 23 Travaux, 167-173 et 169. Le vers 169 est placé après le vers 173 dans un des manuscrits, place confirmée par une scholie de Proclus. 24 Pour les rapports entre les îles des Bienheureux, l’âge d’or et l’Hadès, voir l’article d’U. Bianchi, 1963. 25 A moins que ce ne soit un pluriel poétique. Chez Pindare, par exemple, le mot est au singulier : μακάρων νᾶσον, Ol. II, 78.
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plaine Elyséenne : elles sont situées « aux extrémités de la terre », ἐς πείρατα γαίης (v. 168), au milieu de l’Océan (v. 171). L’isolement de la contrée est souligné à deux reprises : δίχ’ἀνθρώπων (« séparément des hommes », v. 167) et τηλοῦ ἀπ’ἀθανάτων (« loin des immortels », v. 169). L’éloignement, dans la seconde expression, est accentué par la redondance de τηλοῦ et ἀπό. En outre, les termes νήσοισι et παρ’ Ὠκεανὸν βαθυδίνην (« au bord des tourbillons profonds de l’Océan », v. 171) impliquent un accès peu facile. Nous avons donc affaire à un lieu situé en dehors des terres habitées par les hommes. Cependant rien, pas même les souffles du Zéphyr comme dans l’Odyssée, ne permet d’en préciser la localisation. Nous savons simplement que les îles des Bienheureux se trouvent à la surface terrestre et jouissent donc de la clarté et de la chaleur du soleil. Le climat, antithèse de l’atmosphère infernale, le confirme. Les habitants y mènent une vie sereine comparable à celle des dieux. Aussi Hésiode les appelle-t-il μάκαρες (« bienheureux », v. 171). L’idée de divinité est attachée à ce mot. Chez Homère26, il se rencontre surtout comme épithète d’un dieu. Il présuppose alors une existence facile, exempte de labeur et de maladie. Etre μάκαρ, c’est être bienheureux, avoir une habitation sûre en cas d’adversité. Aux dieux, tout vient sans effort ; μάκαρ marque donc leur supériorité sur les mortels qui vivent dans l’insécurité permanente et pour qui tout est peine. Cette épithète dénote une certaine admiration pour le mortel qui, grâce à une faveur divine, mène une vie facile dans la richesse et la sécurité. Le terme note toujours une situation exceptionnelle (cf. C. de Heer, 1969, pp. 4-14). Tel semble bien être ici le sens de μακάρων νῆσοι. Les hommes27 qui y résident reçoivent leur nourriture en abondance, sans fournir d’effort, et ils y demeurent en toute sécurité, au milieu des jouissances, exempts de maladie. « Le cœur libre de tout souci » (ἀκηδέα θυμὸν ἔχοντες, v. 170), leur vie rivalise avec les douceurs olympiennes. Hésiode, comme Homère, exprime l’idée de bonheur de façon négative (cf. B. Lincoln, 1980, pp. 153, 163-164) ; avant de brosser ce qu’est ce paradis, il décrit ce qu’il n’est pas. Au privatif ἀκηδής répondent les positifs μακάρων (v. 171) et ὄλϐιοι (v. 172). Ὄλϐιος se dit des hommes à qui les dieux 26
Cf. Il. I, 406 ; IV, 127 ; VIII, 550 ; XIV, 143 ; XX, 54 ; XXIV, 23, 99, 422. Od. V, 7 ; VI, 46 ; VIII, 306 ; XII, 61, 371, 377 ; XIV, 83 ; XV, 372 ; XVIII, 134, etc. 27 Les commentateurs sont partagés sur les êtres qui habitent les îles des Bienheureux. Nous n’aborderons pas le problème au cours de cette étude consacrée au paysage. Cf. entre autres : F. Bamberger, 1842, p. 526 ; R. Roth, 1860, p. 13 ; P. Waltz, 1906, p. 17 ; E. Meyer, 1924, p. 51 ; U. von Wilamowitz, 1928, p. 60 et 1931, pp. 345-346 ; H. Diller, 1962, p. 59 ; W. J. Verdenius, 1962, p. 131 et 1985, p. 102 ; W. Nicolai, 1964, pp. 42-46 ; C. de Heer, 1969, p. 21-26 ; L. Bona Quaglia, 1973, p. 111-112 ; J. Fontenrose, 1974 ; M. L. West, 1978, pp. 192-193 ; G. Broccia, 1980 ; J. Rudhardt, 1981, pp. 247 et 281 ; F. Solmsen, 1982 b ; J.-P. Vernant, 1985, pp. 36-38 et 96. Pour une étude des différentes traditions de héros thébains et troyens transportés vers des terres bienheureuses, voir P. Capelle, 1927 et 1928.
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accordent la prospérité, le bonheur matériel28. C’est le cas dans ces îles dont la riche productivité du sol est amplement soulignée par le champ lexical employé (v. 172-173). Hésiode, issu d’un milieu paysan et sensible aux peines des travaux des champs29, insiste bien plus qu’Homère sur le nombre et sur l’abondance spontanée des récoltes. Ἄρουρα désigne la terre arable, à la différence de ἀγρός qui s’emploie aussi pour une terre inculte. L’abondante fertilité est précisée par l’épithète ζείδωρος (« qui fournit des céréales, fertile ») et par l’expression τρὶς ἔτεος (« trois fois l’an »). Le chiffre trois implique non seulement une notion d’exubérance, mais encore de sacré. Seule une intervention divine rend possible un tel phénomène. Le verbe θάλλω, « être florissant », ajoute encore à l’opulence. Et les récoltes de blé30 sont aussi exceptionnelles en quantité qu’en qualité : μελιηδέα καρπόν, « une récolte douce comme le miel ». Et cela, sans aucun travail de la part des Bienheureux : la terre porte et produit d’elle-même (φέρει) ses fruits. Nous sommes en présence d’une sorte d’âge d’or, qui suppose l’absence totale d’intempérie et une douce chaleur. Une agréable fraîcheur découle aussi de la localisation des îles au milieu de l’Océan. La description paradisiaque est à la mesure d’un bonheur humain. Il s’agit plus d’un idéal terrestre que d’un véritable jardin divin. Le climat des μακάρων νῆσοι correspond à celui de l’ Ἠλύσιον πεδίον homérique (Odyssée IV, 566-567), de même que le thème d’une vie facile. Il s’agit sans doute d’un lieu unique, désigné sous deux noms différents31. L’expression apparaît au singulier32 dans les Olympiques (μακάρων / νᾶσον, II, 77-78) de Pindare. L’accès se fait par la « route de Zeus » (Διὸς ὁδὸν, Olympiques II, 77), tournure énigmatique qui pourrait symboliser une arrivée 28
Ὄλϐιος, à l’origine, insiste davantage que μάκαρ sur l’aspect matériel du bonheur : il implique une notion de richesse et de prospérité. Progressivement il dénote également l’admiration liée à un tel état, et se rapproche alors du sens de μάκαρ. Cf. de Heer, 1969, pp. 12 et 20. 29 Sur l’importance de la vie paysanne chez Hésiode, voir J. Duchemin, 1965, pp. 120122. Sur la notion d’éternité visualisée en termes de bonheur matériel, cf. G. Nagy, 1992, pp. 122-126. 30 Qu’il s’agisse de blé est stipulé par les termes ἄρουρα, « terre à blé » ; ζείδωρος, « qui donne du blé » ; καρπόν, employé fréquemment pour une récolte de céréales. 31 Voir le commentaire d’Aristarque dans les scholies PQT à Od. IV, 563 : τὸ Ἠλύσιον Πεδίον οἱ νεώτεροι Μακάρων εἰρήκασι νήσους, « les poètes postérieurs à Homère ont appelé la plaine Elyséenne îles des Bienheureux ». Cf. A. Severyns, 1928, p. 204. Lucien situe la plaine Elyséenne dans les îles des Bienheureux : Iupp. Conf. 17 et Histoires vraies II, 14. Cf. U. Bianchi, 1963, p. 182 et M. Gelinne, 1988, p. 225, note 2 et p. 236. 32 Νᾶσον, « l’île », a pour variante νάσος (= νάσους), « les îles » (manuscrit Gottingensis 29 et scholies). Le nombre ne semble guère avoir d’importance. Pour une discussion de ce point grammatical, voir M. H. Rocha Pereira, 1952.
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aérienne (les âmes emprunteraient le chemin céleste suivi par Zeus pour s’y rendre) ou une volonté divine33. Pindare décrit l’endroit comme si l’on s’en approchait progressivement : d’abord la route, puis la forteresse de Cronos qui doit se voir de loin, et enfin l’île sise au milieu de l’Océan avec sa végétation (Olympiques II, 77-79). Il n’est toujours pas précisé en quel endroit du monde elle se situe, mais la mention de l’Océan indique son éloignement du monde habité, isolement accentué par son caractère insulaire. Elle revêt ainsi le caractère fabuleux des pays des confins qui ont été dotés, selon les Grecs, d’extraordinaires beautés (cf. Hérodote III, 106 et 116). La seule construction mentionnée est la « forteresse de Cronos » (Κρόνου τύρσις, Olympiques II, 77). Τύρσις désigne une tour fortifiée, construction étrange dans cet endroit paradisiaque où nulle attaque d’ennemis n’est à craindre. Néanmoins, l’image d’une hauteur habitée dominant une plaine fertile reproduit fréquemment une situation idéale (cf. A. Motte, 1973, pp. 15-16). Par sa situation océane, l’île des Bienheureux de Pindare reste dans la tradition des lieux post mortem privilégiés (cf. F. J. Nisetich, 1989, pp. 59-72). Cependant, si Homère faisait allusion à la douceur du climat sans évoquer la végétation, si Hésiode s’attachait à l’extraordinaire fécondité du sol, Pindare fait preuve d’originalité par sa description d’une végétation aussi luxuriante qu’irréelle (Olympiques II, 79-81). Un fragment de Thrène (F. 129 Maehler) complète cette évocation. Il est à noter que la félicité est décrite de façon positive, contrairement à Homère et à Hésiode34. La fertilité de la terre tout autant que la présence de l’eau contribuent à la beauté du lieu : la flore est terrestre, τὰ μὲν χερσόθεν, et aquatique, ὕδωρ δ’ἄλλα φέρϐει (Olympiques II, 80-81), et l’emploi du terme λειμών dans le Thrène (v. 3) est significatif de cette ambivalence35. Une idée d’extraordinaire fécondité s’en dégage, due aux vertus bienfaitrices de l’eau primordiale qu’est l’Océan, vertus dont les effets se voient sur la végétation et sur les habitants. Immortelles, les âmes ne connaissent ni maladie ni mort grâce aux souffles 33
Chez Homère et Hésiode, c’est Zeus qui prenait la décision d’envoyer ou non les héros vers une vie bienheureuse. Peut-être Pindare a-t-il conservé dans l’expression la « route de Zeus » un indice de ce pouvoir. Nous verrons au chapitre 5 (infra, pp. 175177) que, au bout de trois vies pieuses dans le royaume de Zeus, lors d’un dernier jugement, le souverain des dieux donne son accord aux âmes pour qu’elles accèdent à l’île des Bienheureux. La mention d’une route merveilleuse qui mène à des endroits fabuleux se retrouve ailleurs chez Pindare. Ainsi la route conduisant au pays des Hyperboréens (Pyth. X, 29-30) ou celle que Thémis emprunte pour aller sur l’Olympe (Hymnes I, F. 30 Maehler). La tablette d’or (H) d’Hipponium (vers 465 av. J.-C.) parle aussi d’une « route sacrée » (ὁδὸν ἱεράν) réservée aux initiés. Cf. R. Janko, 1984. 34 Nous tenterons d’en donner une explication au chapitre 5, p. 178. Pour la comparaison avec Homère et Hésiode, voir F. J. Nisetich, 1989, pp. 59-72. 35 Sur les emplois de λειμών, cf. supra, chapitre 3, pp. 95 et 118-123.
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« éternellement vivifiants des brises océanes »36. On assiste ici à une plénitude vitale dont l’abondance et la beauté de la flore sont un reflet. Le champ lexical de la lumière et de l’éclat en rend également compte : φλέγει, ἀγλαῶν (Olympiques II, 79 et 80), λάμπει μὲν μένος ἀελίου (Thrènes, F. 129, v. 1). Μένος ἀελίου, « l’ardeur du soleil » est opposée à τὰν ἐνθάδε νύκτα κάτω (v. 2), opposition double : l’île des Bienheureux à la terre (ἐνθάδε), le soleil à la nuit (νύκτα), manière de montrer que le monde des Bienheureux constitue en tout point l’antithèse du monde terrestre. Il faut ajouter au champ lexical de l’éclat deux épithètes que l’on aurait tendance à considérer comme des adjectifs de couleur, mais qui expriment d’autres valeurs chez Pindare : χρύσεος (ἄνθεμα χρυσοῦ, Olympiques II, 79 ; χρυσοκάρποισιν, Thrènes, F. 129, v. 5) et φοῖνιξ (φοινικορόδοις, Thrènes, F. 129, v. 3). Χρύσεος chez Pindare n’indique jamais une couleur, mais la brillance. Il s’applique aux êtres ou aux objets qui possèdent des qualités divines ou semblables à celles des dieux (cf. S. Fogelmark, 1972, p. 22). L’or est à la fois incorruptible (F. 222 Maehler) et marque l’éclat divin ; il dénote la supériorité, l’excellence37. Quant à φοῖνιξ, s’il désigne bien à l’origine une couleur (le rouge), son application à Zeus et à d’autres dieux a relégué au second plan l’idée de couleur pour laisser primer celle d’une « valeur mystique » (J. Duchemin, 1955, p. 198). C’est pourquoi φοῖνιξ exprime également une notion de bonheur, de prospérité (cf. Isthmiques IV, 18 et Pythiques IV, 64), comme c’est le cas dans le fragment de Thrène 129. Les thèmes mêlés de la lumière, de l’or et du pourpre révèlent le caractère sacré de l’endroit, que renforce la mention de la prairie (λειμών)38. Les roses pourpres (φοινικορόδοις) deviennent le symbole d’une éternelle douceur de climat39, de même que les arbres dont les branches ploient sous l’abondance de fruits (Thrènes, F. 129, v. 5). Monde de couleurs, même si elles sont implicites. La 36
J. Rudhardt, 1971, pp. 87-89 et p. 120 ; Ch. Segal, 1986, pp. 91-93. Sur l’importance de la mention de l’or dans le récit, voir A. S. Brown, 1998. Et déjà J. Duchemin, 1952, pp. 46-58 et 1955, pp. 193-226 ; A. Bresson, 1979, pp. 122-127 et F. Ferrini, 1979, p. 191. Sur la différence entre la perception et la dénomination des couleurs, voir aussi A. Rouveret, 2006, p. 24 : « La référence aux matières, telles que l’or ou la pourpre, est, selon les contextes, moins l’indice d’une couleur précise que l’indication verbale d’une magnificence et d’un usage symbolique des couleurs dans la société concernée ». 38 Selon A. Motte, 1973, pp. 26-37, les Grecs possédaient en face d’une prairie le sentiment du divin. Choisies comme lieux de purification (cf. Sophocle, Aj., 655 ; Apollonios de Rhodes III, 1202), les prairies incarnent une pureté originelle, un état d’innocence primitive. Or c’est bien une telle pureté, un tel état d’innocence que retrouvent les âmes dans l’île des Bienheureux. 39 La rose est souvent évoquée par Pindare pour traduire le renouveau de la nature au printemps : Isthm. IV, 18 ; F. 75, v. 17 (Maehler). Cf. J. Duchemin, 1955, pp. 238-241. 37
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seule mention des objets les évoque : le bleu-vert de l’Océan, les nuances vertes des arbres et de l’herbe, les fleurs multicolores. Monde de beauté visuelle, et aussi terre de parfums : parfum des roses, des fleurs (ἄνθεμα, Olympiques II, 79), de l’arbre à encens (λιϐάνων Thrènes, F. 129, v. 4), senteurs des parfums que les habitants brûlent en l’honneur des dieux (Thrènes, F. 129, v. 9-10). Les senteurs révèlent l’atmosphère d’un pays divin : liées à l’idée de fécondité et d’agrément, elles font disparaître l’anxiété et constituent l’annonce d’un pays fabuleux (cf. A. Lallemand, 1986, p. 73-90). Les âmes se parent d’éléments empruntés à la nature (Olympiques II, 82), comme si une fusion s’opérait entre elles et les éléments naturels, êtres divins dans un paysage divin. Pindare qualifie l’endroit d’ « aimable » (ἐρατὸν κατὰ χῶρον, Thrènes, F. 129, v. 8 Maehler ; littéralement « digne d’être aimé ») ; il est en fait un enchantement perpétuel des sens : senteurs agréables, visions éblouissantes de l’or et de la lumière, bruissement des feuillages effleurés par les brises, musique harmonieuse des phorminx, fruits, ombre rafraîchissante des arbres et doux souffles des vents. Il s’agit d’un véritable retour à l’âge d’or, comme chez Hésiode, mais le bonheur n’y est pas purement matériel : y sont également cités des plaisirs intellectuels et religieux qui reflètent ceux de l’aristocratie grecque du Ve siècle av. J.-C.40 Après Pindare, les poètes se désintéressent de ces endroits privilégiés. Le théâtre conservé d’Eschyle et de Sophocle ne mentionne ni plaine Elyséenne ni île des Bienheureux. Ce lieu n’est attesté que deux fois chez Euripide, sans description du paysage. Dans Hélène (v. 1676-1677), à propos du sort de Ménélas dans l’île des Bienheureux (μακάρων… νῆσον, au singulier, comme chez Pindare), l’épithète πλανήτῃ, qui évoque les errances et les souffrances du héros, implique qu’il y trouvera un repos et un bonheur bien mérités. Dans les Bacchantes (v. 1339), le séjour n’est plus caractérisé comme une île (νῆσος), mais comme une terre (αἶα), ce qui ne présente pas de contradiction. Aristophane ne s’y intéresse pas davantage : tout juste a-t-on une allusion au banquet des Bienheureux (ἐς μακάρων εὐωχίαν, Grenouilles, v. 85) sans qu’il soit précisé où il se situe. Les îles des Bienheureux sont suffisamment connues pour que les auteurs se dispensent de les décrire. Sans doute aussi font-elles 40
Nous ne détaillerons pas ici les différents habitants ni leurs occupations, ce qui nous entraînerait loin de notre sujet. Sur ce point, voir E. Thummer, 1957, p. 127 ; J. Carrière, 1962, pp. 37-42 ; N. Demand, 1975, pp. 348-349 ; A. Hurst, 1981, p. 130 ; F. J. Nisetich, 1988, pp. 15-19 et 1989, pp. 59-72. Une description très proche se trouve dans le F. 9 (Gentili-Prato) de Simonide, s’il décrit bien le séjour dans les îles des Bienheureux comme le pense M. L. West, 1993 : île ombragée (ἕδος πολύδενδρον, « demeure aux nombreux arbres », v. 7) et fleurie (trois termes évoquent les fleurs : ἄν[θος, v. 11 ; ἐν ἄνθε[σιν, v. 13, et εὐανθέα, v. 16) où les habitants, couronnés (v. 16), écoutent une musique charmante (v. 17).
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partie d’un passé révolu, inaccessible au commun des mortels. Si elles ont trouvé une aussi grande faveur auprès de Pindare, c’est qu’il a su, contrairement aux poètes contemporains ou postérieurs, les intégrer à une nouvelle conception de l’au-delà. Après lui, les îles des Bienheureux se sont figées comme réceptacles de héros favoris des dieux. La littérature devient alors progressivement le lieu d’expression d’une eschatologie différente, qui comporte pour un plus grand nombre d’hommes un espoir de salut dans l’au-delà et qui influence la géographie infernale.
CHAPITRE 5 INNOVATIONS PAR RAPPORT A LA CONCEPTION INFERNALE TRADITIONNELLE 1. Création de nouveaux espaces infernaux : bourbier et prairie des initiés
a) Un texte fondateur : l’Hymne homérique à Déméter L’Hymne homérique à Déméter est la première attestation littéraire de la présence d’un nouveau courant de pensée sur l’au-delà. Il se présente comme le récit de fondation des mystères d’Eleusis et témoigne du sort privilégié que ces rites réservaient aux initiés. Le texte raconte leur fondation par Déméter après l’enlèvement de sa fille. Ayant appris qu’Hadès était l’auteur du rapt, la déesse se réfugie chez les hommes, à Eleusis, et devient la nourrice de Démophon, fils de Célée et de Métanire. A cause de cette dernière, sa tentative pour rendre le bébé immortel échoue. Elle révèle alors sa divinité, et ses exigences : elle demande au peuple de lui élever un temple où il célébrera les mystères qu’elle aura fondés (v. 273-274). A ce stade, ces mystères ont pour unique fonction d’apaiser Déméter irritée par le comportement stupide des hommes1 ; il n’est pas encore fait mention de Perséphone. Mais une fois le temple construit, Déméter s’y réfugie sans révéler aux hommes les mystères dont elle avait parlé. Dans sa colère et son désespoir, elle refuse de faire lever le grain tant qu’elle n’aura pas revu sa fille. Ce n’est qu’à l’issue de la crise, après avoir retrouvé son enfant, qu’elle dévoile les rites sacrés en y associant sa fille (v. 473-479). La situation initiale a changé. Les fidèles devront se concilier les deux déesses, et la portée des rites sera double : procurer aux hommes de bonnes récoltes grâce à la bienveillance de Déméter, et donner l’espoir d’un au-delà meilleur dû à la bonté de Perséphone. Aux bénéfices agricoles immédiats s’ajoutent des espérances eschatologiques futures.
1
Cf. J. Rudhardt, 1981, pp. 241-244. Sur les différents niveaux d’interprétation du mythe et une analyse critique des diverses interprétations, voir N. J. Richardson, 1974, et J. S. Clay, 1989, pp. 202-266. L’interprétation proposée par A. Suter en 2002 s’éloigne de l’opinion générale.
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La suite de l’hymne énonce clairement le sort qui attend les initiés dans l’audelà (v. 480-482). Le bénéfice de l’initiation est valable à la fois sur terre et dans l’Hadès. Le profit terrestre est purement matériel, comme le précisent les vers 486-489. Le terme ὄλϐιος, qui revient deux fois (v. 480 et 486), confirme cette idée de bonheur matériel, de prospérité accordée par les divinités2. Le bénéfice souterrain n’est pas précisé, mais il est en partie possible de le déduire du récit précédent. En franchissant la frontière infernale sous la conduite d’Hermès pour retrouver sa mère, Perséphone revient à la vie, renaît. Son séjour dans l’Hadès pendant lequel elle est considérée comme virtuellement morte est suivi d’une résurrection. La disparition de Perséphone dans les Enfers, puis sa réapparition furent interprétées comme le symbole du sort de l’âme humaine qui, elle aussi, disparaît pour revivre. Pour les initiés, la mort fait figure de passage, passage obligatoire certes, mais qui débouche sur une nouvelle vie dans l’au-delà. La mort n’est pas la négation de la vie, elle en est une étape. Et cette existence post mortem se révèlera aussi heureuse que la vie terrestre puisque, grâce à l’initiation, les hommes se sont acquis éternellement les faveurs de Déméter et de Perséphone. Leur âme ne sera plus le pâle reflet de leur existence comme dans les Enfers homériques, elle connaîtra une véritable vie. D’ailleurs, Hadès dit à Perséphone qu’aux Enfers elle règnera sur des êtres vivants3, non sur des ombres. Cette espérance d’un au-delà différent ne concerne que les initiés. Les non-initiés, eux, seront plongés dans les ténèbres de l’Hadès (v. 481-482), comme l’étaient les âmes homériques. Il n’est pas précisé s’ils y subissent des châtiments. Par contraste, on déduit que les initiés verront la lumière du soleil, ce que confirme le verbe ζώω (v. 365) qui les caractérise : nous avons vu en effet supra (pp. 130-133) que vivre était synonyme de « voir la lumière du soleil ». Cela suppose qu’à l’intérieur de l’Hadès un endroit spécifique leur sera réservé, où ils couleront des jours heureux et jouiront de la douceur solaire. L’Hymne homérique à Déméter ne le décrit malheureusement pas, comme s’il suffisait de peindre le malheur des non-initiés pour laisser imaginer la félicité des initiés. La distinction établie est fondamentale. L’initiation, par ses divers rites, purifie l’homme. Cependant, aucune notion de moralité n’entre en compte à cette époque : la distinction ne s’opère pas entre bons et mauvais, mais entre initiés et non-initiés. L’initiation est nécessaire et suffisante (cf. Alderink, 1982, pp. 12-13). Les rites accomplis, 2
Cf. K. Deichgräber, 1950 ; C. de Heer, 1969, pp. 16-19 ; N. J. Richardson, 1974, pp. 313-320 ; P. Lévêque, 1982 ; G. Sfameni Gasparro, 1986, pp. 44-45 ; W. Burkert, 1992, pp. 30-33 ; Cl. Calame, 1997, pp. 119-12. 3 Il emploie le verbe ζώω, vers 365. Un fragment de Sophocle (F. 837 Radt) parle également de vie (ζῆν) pour les initiés dans l’Hadès. Contre cette interprétation : A. Cheyns, 1998, pp. 54-65, qui propose de voir en ces vers le pouvoir terrestre, et non souterrain, de Perséphone.
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les initiés possèdent un privilège que rien ne peut leur enlever : ils font partie des élus qui échapperont au sort commun après la mort. Ainsi, les mystères d’Eleusis ne rompent pas avec le cadre infernal de la religion grecque (l’âme, séparée du corps, se dirige vers l’Hadès comme chez Homère ou Hésiode), pourtant ils revêtent un caractère exceptionnel à l’intérieur de cette même religion : la mort reste une réalité ; néanmoins, elle n’est plus considérée comme une fin, mais comme le commencement d’une nouvelle vie dans l’au-delà. La conséquence en est une modification du paysage infernal : ce n’est plus un lieu sombre et angoissant pour toutes les ombres ; il comporte à présent une région où l’on peut vivre heureux. Cette conception originale du destin post mortem explique la popularité croissante que connaîtront les mystères d’Eleusis ainsi que les autres religions à mystères, orphisme et pythagorisme. Mais, en littérature, pour avoir une idée plus précise des contrées infernales réservées aux initiés, il faut attendre les Grenouilles d’Aristophane en 405 av. J.-C. Cette pièce permet de saisir le sens d’indications fournies quelques temps plus tôt par les tragiques athéniens. b) Bourbier et prairie des initiés Au cours de sa descente aux Enfers4, le Dionysos des Grenouilles traverse deux lieux antithétiques et inconnus de la vision traditionnelle de l’Hadès : un bourbier ténébreux et une prairie ensoleillée. Car, contrairement à l’épopée où le climat infernal se révélait particulièrement malsain à cause de l’obscurité et de l’humidité, cette dernière chez Aristophane peut devenir maléfique ou bénéfique selon l’ensoleillement5. Ainsi, la combinaison de l’eau et du soleil qui baigne la région des initiés donne naissance à une multitude de fleurs : ἐπ’ ἀνθηρὸν ἕλειον δάπεδον (« vers la plaine fleurie et humide », v. 352). L’adjectif ἕλειον prend ici une connotation positive : grâce à cette abondance d’eau, la prairie des initiés devient un paradis, alors que le bourbier, couvert de ténèbres, est un lieu où l’humidité ambiante contribue au malaise de ceux qui y gisent. Bourbier Sur les éléments qui composent le bourbier, il n’est presque rien dit. Héraclès annonce seulement : βόρϐορον πολὺν / καὶ σκῶρ ἀείνων (« un grand bourbier et une fange intarissable », v. 145-146). A cet endroit règnent ténèbres et humidité : σκότος καὶ βόρϐορον (v. 273). La notion de boue, de vase est
4
Le sujet et l’organisation de cette comédie seront détaillés infra pp. 158-160. La pièce comprend aussi des éléments traditionnels que nous avons étudiés au chapitre 3, supra pp. 98, 106-107, 113-114, 130 n. 155 et 135 n. 166. 5
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attachée au terme βόρϐορος chez Aristophane, comme celle d’ordure à σκῶρ6. Ce lieu sinistre est réservé à certaines catégories de criminels, notamment des parricides et des parjures (v. 146-150 et 274)7 ; nulle mention des non-initiés qui doivent par conséquent demeurer dans l’obscurité de l’Hadès traditionnel, mais non dans la fange. Sophocle (F. 837 Radt) parle de vie (ζῆν) dans l’au-delà pour les initiés8 et de « toutes sortes de maux » (πάντα κακά) pour les autres, mais il ne précise pas s’ils subiront leur peine dans le bourbier ou dans le reste de l’Hadès. Il ne donne pas non plus de précision sur un éventuel jugement des criminels dans l’Hadès. Pourtant la notion était passée dans le domaine public puisqu’elle se trouve dans les tragédies d’Eschyle. Par exemple, en 458, dans les Euménides (v. 174-178), la mort n’efface pas les fautes terrestres et le criminel sera poursuivi jusque dans les Enfers. On pourrait alors avancer que le criminel est Oreste, un matricide, et que les crimes contre les droits familiaux étaient déjà punis auparavant par les Erinyes. Mais les châtiments infernaux eschyléens ne se limitent pas à ce type de forfait. Toute faute terrestre entraîne une punition dans l’Hadès, comme le confirment les vers 227-231 des Suppliantes9 : κἀκεῖ indique que le jugement n’a lieu qu’après la mort, une fois l’âme parvenue aux Enfers. Hadès en personne (Ζεὺς ἄλλος) est chargé de rendre la justice (δικάζει). Il se montre d’ailleurs un juge implacable, que l’on ne peut tromper : Euménides, vers 274-275, où l’expression εὔθυνος βροτῶν évoque sans aucun doute dans l’esprit des Athéniens l’un des dix juges qui vérifiaient les comptes des magistrats en charge10. Ici, chaque mortel, et non seulement les magistrats, est soumis à une « reddition de compte ». Et toute malhonnêteté est punie. Hadès 6
Dans les Cav., 866, βόρϐορος désigne la vase d’un étang et σκῶρ des excréments dans Pl., 305. Cf. le commentaire de Tzetzes au vers 146 a des Gren. : κόπρον ὑγράν, « ordure humide ». 7 Les parjures étaient déjà punis chez Homère : Il. III, 278-279 et XIX, 259-260. Pour les parricides, cf. Pindare, Ol. II, 45 ; Eschyle, Choé., 1054 ; Eum., 329-345, 380-389 ; Sophocle, Ant., 1074-1076 ; El., 112-116 ; Euripide, And., 977-978 ; I. T., 79-81, 284290, 931-934 ; Méd., 1389-1390 ; Or., 34-38, 255-256, 316-327, 407-413, 580-584, etc. Polygnote, dans sa Nékyia à la leschè de Delphes, avait peint leurs supplices (Pausanias X, 28, 4). 8 Une allusion à cette « vie » post mortem apparaît peut-être aussi au vers 1583 d’Œdipe à Colone, mais l’établissement du texte reste incertain : voir F. Ferrari, 2003. 9 La date des Suppliantes est inconnue. Il semblerait, au regard de la place occupée par le chœur, qu’elle soit une des plus anciennes pièces d’Eschyle. Le poète aurait commencé à écrire des tragédies vers 500 av. J.-C. 10 Cf. Platon, Lois 945 e ; Aristote, Constitution d’Athènes 48, 4 et Politique 1322 b 21 ; IG I2. 188. Voir aussi P. Chantraine, 1968, s. v. εὐθύς : « l’euthyne est chargé d’examiner les actions en reddition de comptes », et G. W. Bakewell, 1997.
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est un juge consciencieux, il prend des notes dans son esprit δελτογράφῳ φρενί11, comme les juges terrestres prennent des notes sur des tablettes. Rien ne lui échappe (πάντ’ἐπωπᾷ). Le ἔνερθε χθονός situe le tribunal sous terre. La notion de justice acquiert un rôle primordial dans la destinée humaine et le sort réservé dans l’au-delà, alors qu’elle était absente dans l’épopée et chez les premiers lyriques. Les châtiments ne frappent plus seulement les agissements envers les dieux (comme les grands criminels d’Homère), mais envers tous les hommes, hôtes ou parents (Euménides, v. 270-272). Les impies semblent tous être rassemblés au même endroit si l’on en croit les vers 385 à 392 des Euménides : au sens propre, λάμπη s’applique à la pellicule qui se forme sur un liquide. Ici, le terme caractérise un lieu ténébreux (ἀνηλίῳ, « sans soleil »), humide et sale, sans doute le bourbier auquel fait allusion Aristophane. Cette région réservée aux criminels présente un accès difficile, escarpé (δυσοδοπαίπαλα), d’où ils ne peuvent s’échapper. L’horreur qui se dégage du bourbier, tant chez Eschyle que chez Aristophane, est laissée à l’imagination du public. Par opposition, bien qu’Eschyle ne le mentionne pas, il doit exister un endroit où séjournent les âmes exemptes de fautes. Le poète comique, lui, préfère s’étendre sur la beauté enchanteresse de la région des initiés qui, par contraste, permet d’entrevoir la laideur du bourbier, les deux lieux formant antithèse. Prairie Le soleil en effet est l’apanage des initiés, et d’eux seuls (Grenouilles, v. 340-344, 454-455). Cette lumière est pour eux source de joie, comme le souligne l’épithète de φέγγος : ἱλαρόν (« gai, joyeux »). Les noms ἥλιος, « soleil », et φέγγος, « lumière solaire », laissent supposer qu’il s’agit de l’astre qui illumine la terre ou d’un astre identique. La clarté est en tout cas la même que sur terre (ὥσπερ ἐνθάδε, v. 155). A la douceur du climat répond celle du paysage composé de prairies vallonnées (v. 373-374). Le terme λειμών revient d’ailleurs quatre fois en un peu plus d’une centaine de vers (326, 344, 374 et 449), ce qui prouve son importance. Il insiste sur la luxuriance de l’endroit et le charge de puissance sacrée (cf. supra pp. 95 et 117-119) : ce n’est donc pas par hasard qu’il caractérise l’espace infernal où les initiés d’Eleusis continuent à célébrer leurs mystères12. Cette prairie ne peut manquer de rappeler celle de 11
Eschyle, Euménides, 275. Δελτός désigne les tablettes de bois enduites de cire, reliées par des anneaux, sur lesquelles on écrivait au stylet. 12 Sur le vocabulaire relatif aux mystères d’Eleusis dans les Grenouilles, voir S. Byl, 1999. Pour les relations entre Eleusis et les autres cultes à mystère, cf. F. Graf, 1974 ; Ph. Borgeaud, 1991 ; R. Parker, 1983, pp. 280-307, et 1995 ; M. L. West, 1998, pp. 138 et 259-263 ; Ph. Borgeaud et alii, 2002.
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l’enlèvement de Perséphone dans l’Hymne homérique à Déméter, rapt suivi d’une renaissance de la déesse, tout comme les initiés renaissent aux Enfers. La végétation y abonde, favorisée par la chaleur et l’humidité, surtout les fleurs. Outre εὐανθεῖς (« bien fleuri », v. 373), on note plusieurs adjectifs construits sur la racine d’ἄνθος, « fleur » : ἀνθοφόρον (« couvert de fleurs », v. 441), ἀνθηρόν et ἀνθημώδεις (« fleuri », v. 352 et 449). Les roses en abondance (πολυρρόδους, v. 448) ainsi que les bosquets de myrte (μυρρινῶνας, v. 156) doivent exhaler des parfums merveilleux, caractéristiques des contrées paradisiaques. La splendeur du lieu évoque l’île des Bienheureux pindarique (Olympiques II, 7981 et F. 129 Maehler). D’ailleurs, comme chez Pindare, des arbres ombragent la prairie : le clos sacré se présente comme un bocage (ἄλσος, v. 441). Toutes les composantes d’un locus amoenus sont réunies (soleil, fleurs, parfums, prairie, bosquets, cf. supra, pp. 122-123). Et les initiés sont couronnés (v. 328-330), peut-être en signe de leur victoire sur la mort. Ainsi, malgré la différence de localisation (aux Enfers à la place des confins terrestres), Aristophane s’inscrit, pour sa région des initiés, dans la lignée de la plaine Elyséenne et des îles des Bienheureux : même clémence du climat, même végétation luxuriante, même douceur de vivre. Mais une différence fondamentale est à noter : son « paradis » est ouvert à ses contemporains, alors que chez Homère et Hésiode ces lieux privilégiés étaient réservés aux héros du temps passé. Voilà pourquoi la prairie des initiés a fini par supplanter les îles des Bienheureux. 2. Enfers et parodie L’apparition d’un endroit infernal paradisiaque accessible au commun des mortels diminue l’effroi qu’éprouvent les hommes à l’égard de l’Hadès. Un moyen supplémentaire d’amoindrir leur frayeur est de traiter les Enfers sur un mode comique. Le rire permet en effet une distanciation. C’est le parti qu’a choisi Aristophane dans les Grenouilles13 pour entraîner les spectateurs, à la suite du dieu Dionysos, dans un au-delà fictif et burlesque, qui par certains côtés ressemble à s’y méprendre à l’Athènes du Ve siècle av. J.-C.14. Le sujet des 13
On retrouvait sans doute ce parti dans le Gérytadès du même auteur, ainsi que dans les pièces d’autres comiques : par exemple les Crapataloi (monnaies imaginaires en usage dans les Enfers) de Phérécrate, les Muses de Phrynichos, les Dèmes d’Eupolis, etc. Cf. J.-C. Carrière, 1997, p. 432, n. 73. Voir ce que dit S. Freud (1969, p. 375) sur « l’intention que sert l’humour » : « L’humour semble dire : Regarde ! voilà le monde qui te semble si dangereux ! Un jeu d’enfant ! le mieux est donc de plaisanter ». 14 A notre avis, il ne faut pourtant pas chercher à y reconnaître des lieux réels, contrairement à ce qu’affirment J. T. Hooker, 1960, ou M. Guarducci, 1982. Comme l’a remarqué S. Saïd, 1997, p. 348, Aristophane « donne une vision des Enfers qui combine savoureusement la tradition mythique et des détails empruntés à la réalité la plus
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Grenouilles met en scène le voyage de Dionysos qui désire ramener un poète tragique du royaume des morts. La catabase relève d’une tradition bien établie au Ve siècle, bien que nous ayons perdu presque tous les textes qui y faisaient référence : descente aux Enfers d’Héraclès pour capturer Cerbère, d’Orphée pour chercher son épouse Eurydice, de Thésée et Peirithoos pour enlever Perséphone…15. Aristophane s’inspire sans doute pour les Grenouilles d’un épisode de la légende de Dionysos : le dieu, après être allé quérir sa mère dans l’Hadès, la conduisit sur l’Olympe parmi les autres dieux. Bien que le récit détaillé de ce mythe n’apparaisse chez aucun auteur grec archaïque, il était vraisemblablement connu à cette époque puisque Pindare l’évoque à deux reprises16. Dionysos, qui ignorait comment se rendre dans l’Hadès, s’informa auprès d’un certain Prosymnos17 et se fit initier aux mystères d’Eleusis avant son départ (Axiochos, 371 e). Chez Aristophane, il va demander conseil à Héraclès. La première partie de la pièce nous intéresse particulièrement, car elle évoque les diverses régions infernales traversées par Dionysos et son esclave Xanthias avant qu’ils arrivent au palais d’Hadès. a) L’espace infernal des Grenouilles d’Aristophane La première moitié de la pièce est elle-même scindée en deux parties dont la seconde constitue la répétition détaillée de la précédente. Dionysos, en effet, ne sachant comment gagner le royaume infernal, se rend d’abord chez Héraclès qui l’a précédé dans une telle entreprise (v. 1-37)18. Il lui expose l’objet de sa visite et l’interroge sur les divers moyens d’arriver chez Hadès (v. 108-119). Héraclès, après s’être moqué de Dionysos en lui indiquant diverses façons de mourir rapidement (v. 120-135), lui fournit les renseignements qu’il désire (v. 136164). Le voyage de Dionysos et de Xanthias jusqu’aux Enfers (v. 165-674) est quotidienne ». Cf. aussi J.-C. Carrière, 1997, pp. 433-434. Sur Dionysos qui revêt le caractère d’un Athénien moyen, voir F. Jouan, 1997, pp. 217-218. 15 Cf. C. H. Whitmann, 1964, pp. 231-234 ; F. Brommer, 1982, pp. 98-99, ainsi que 1984, pp. 18-19 et 104. Cette tradition, bien attestée dans l’épopée et la poésie lyrique grecques ainsi que dans les courants orphico-pythagoriciens (cf. M. L. West, 1998, pp. 9-13), existait déjà dans les mythologies mésopotamiennes, par exemple dans l’Epopée de Gilgamesh ou la Descente d’Ishtar aux Enfers. Voir à ce propos J. Duchemin, 1957, pp. 282-285 et J. Bottéro, 1987. 16 Pindare, Ol. II, 25-30 ; Pyth. XI, 1 et les scholies à ces passages. Cf. Pausanias II, 31, 2 ; Diodore de Sicile IV, 25, 4 et Apollodore III, 5, 3. Voir J. Duchemin, 1957, pp. 279280. 17 Pausanias II, 37, 5 ; Diodore de Sicile IV, 25, 4 et Apollodore III, 5, 3. 18 Sur les relations entre Dionysos et Héraclès dans les Grenouilles, voir E. Lapalus, 1934 ; A. M. Bowie, 1993, pp. 234-326.
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en fait la vérification et l’illustration de la brève description d’Héraclès : répétition dans les grandes lignes, mais innovations dans les détails qu’Héraclès avait omis. Un tel procédé n’est pas nouveau. On assiste, transposé dans la comédie, au plan déjà adopté dans l’épopée aux chants X et XI de l’Odyssée : les recommandations de Circé pour naviguer sans encombre vers l’au-delà étaient ensuite réalisées par Ulysse et ses compagnons. L’intention parodique d’Aristophane est évidente. Ce parallèle avec l’Odyssée permet de souligner les différences et l’évolution entre les deux œuvres : imitation et distanciation caractérisent les Grenouilles par rapport à leur modèle homérique. Regardons d’abord la disposition générale des lieux dans le récit d’Héraclès, puis à travers les actions de Dionysos et de Xanthias. La description d’Héraclès (v. 136-164) Une différence importante est à noter par rapport à l’Odyssée : contrairement à Circé, pour les besoins de la comédie, Héraclès habite à proximité de l’entrée infernale. A peine le héros est-il rentré chez lui que Dionysos voit un mort qui se dirige vers sa dernière demeure (v. 170-177) et que la barque de Charon approche (v. 180-183). Le dieu et son esclave accèdent donc aux Enfers à pied alors qu’Ulysse avait été obligé de naviguer un jour entier avant de poursuivre en marchant jusqu’aux fleuves infernaux. Une autre différence fondamentale concerne les lieux présentés : le récit de Circé s’arrête aux fleuves infernaux, tandis que celui d’Héraclès commence au lac achérontique ; le premier servait de prélude à une évocation (nul besoin, en conséquence, de connaître la géographie de l’Hadès), le second à une catabase (d’où la nécessité d’une présentation, même sommaire, des régions infernales). Les détails fournis par Héraclès et leur répétition par Dionysos vont permettre aux spectateurs de compenser par l’imagination le manque de réalisme du voyage infernal et les contraintes imposées par la mise en scène théâtrale (cf. P. Thiercy, 2000, pp. 21-23). Héraclès mentionne quatre endroits avant l’arrivée au palais d’Hadès : un lac que fait traverser un vieux nocher moyennant salaire (v. 137-140), un lieu peuplé de monstres (v. 143-144), un bourbier (v. 145-146) et une région enchanteresse réservée aux initiés (v. 154-163). Malgré une apparente précision, cette description reste vague dans la localisation des différents endroits les uns par rapport aux autres19. Elle demeure linéaire et caractérisée par des adverbes de temps ou de lieu qui indiquent une simple succession : εὐθύς (« tout de suite », v. 137) ; μετὰ ταῦτα (« après cela », v. 143) ; εἶτα (« puis », v. 145) ; ἐντεῦθεν (« de là », v. 154). On ignore si le chemin qu’a emprunté Héraclès longeait ces endroits à sa droite ou à sa gauche, ou s’il les traversait les uns 19
C’était déjà le cas dans la description homérique des abords infernaux. Cf. supra chap. 1, p. 53.
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après les autres, bien que la dernière solution semble mieux correspondre à une telle énumération). Le pays des initiés, quant à lui, jouxte le palais d’Hadès : l’expression au superlatif ἐγγύτατα (« très près de », v. 162) et la préposition ἐπί construite avec le datif (v. 163) en marquent la proximité. Le parcours pourrait se schématiser ainsi : demeure d’Héraclès lac et nocher monstres bourbier pays des initiés portes du palais d’Hadès. Cependant, une description de la sorte, parfaitement adaptée à un récit, ne convient pas à une action qui se déroule sur une scène de théâtre. C’est pourquoi sa réalisation par Dionysos et Xanthias présentera quelques modifications. Le voyage de Dionysos et de Xanthias (v. 165-674) Si la présentation du paysage infernal par Héraclès était effectuée en une trentaine de vers, le trajet de Dionysos en comprend dix-sept fois plus20. Il n’est donc guère étonnant de trouver des éléments nouveaux susceptibles de provoquer surprises et rires dans le public. Aux endroits réellement traversés par le dieu vont s’en ajouter d’autres, énumérés par le nocher Charon et le portier Eaque21. Dès qu’ils quittent Héraclès, Dionysos et Xanthias aperçoivent le lac infernal. Leur marche est brève, sans aucun doute, puisque l’annonce de leur départ est immédiatement suivie, dans le même vers 180, par l’apparition de Charon. Il n’y a donc pas rupture d’unité de lieu dans la mesure où la maison d’Héraclès ne se situe pas vraiment sur terre, mais plutôt dans un « entre-deux » monde, et aussi parce que le spectateur va suivre Dionysos dans son périple. A peine arrivé, le nocher énumère toute une série de lieux, plus extravagants les uns que les autres, vers lesquels sa barque emmène les passagers (v. 185-187). L’énoncé de ces noms censés représenter des régions infernales est clairement parodique : les haltes sont présentées comme des arrêts de transport en commun ! On assiste à la banalisation d’un voyage toujours exceptionnel et unique pour un être humain. Aux noms connus, le poète mêle des inventions. Deux lieux traditionnels (la plaine du Léthé et le cap Ténare) encadrent plusieurs noms (Tonte d’âne, Cerbériens, Corbeaux) issus de proverbes ou de 20
Cf. Chr. G. Brown, 1991, p. 41. Une disproportion se constate aussi dans l’Odyssée entre le récit de Circé et sa réalisation par Ulysse. 21 Eaque, l’un des juges des Enfers avec Minos et Rhadamanthe, est relégué au rang de portier ! Encore un trait humoristique de la part d’Aristophane, bien que l’invention ne soit pas de lui : elle figure dans la tragédie de Critias (ou d’Euripide, cf. Ch. Collard, 1995) Peirithoos, F. 1 (Snell).
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l’imagination d’Aristophane, curieux mélange pour amuser le public (cf. M. P. Funaioli, 1986-1987). Rien n’annonçait une telle énumération, et ces régions ne seront plus mentionnées par la suite. Le vers 185, qui fait allusion à une paix éternelle, devait particulièrement toucher les Athéniens confrontés à cette date aux maux de la guerre. Comme l’explique Platon (République X, 621 a-b), la plaine du Léthé désigne l’endroit baigné par le fleuve de l’Oubli où les âmes viennent boire pour oublier leurs actions passées. Cette partie des Enfers était déjà connue d’Esope (cf. supra chapitre 3, p. 97). Quant au Ténare, site géographique bien réel, les Anciens y plaçaient une entrée infernale. Ainsi, dans les Géorgiques de Virgile, Orphée pénètre dans les Enfers par le Ténare22. Parmi les noms imaginaires, « Tonte d’âne » provient d’une expression proverbiale pour indiquer un lieu où l’on n’arrive jamais, c’est-à-dire un lieu qui n’existe pas, puisque tondre un âne est impossible23 ! De même, l’expression « aller aux corbeaux » équivaut à peu près à notre « aller au diable »24. Enfin, les Cerbériens constituent un jeu de mots25, sorte de mot-valise, qui associe le
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Géorg. IV, 467-470. Cf. Euripide, Hér., 23-25 ; Strabon VIII, 5, 1 ; Hygin, Fables 79. Cf. scholies à Gren., 186 : ἀδύνατον γὰρ πόκας ἀποκείρασθαι τῶν ὄνων. φαίνεται δὲ καὶ παροιμιῶδες ἤδη εἶναι... (ὄνου δὲ πόκας τὸ ἄχρηστον· οὐδὲ γὰρ αἱ τοῦ ὄνου πόκες χρησιμεύουσιν. ἡ παροιμία δὲ λέγεται ἐπὶ τῶν ἀνηνύτων, ἐν ᾧ τρόπῳ φαμὲν καὶ τὸ χύτραν ποικίλλεις, καὶ κόπρον ἀναθυμιᾷς. ἀνήνυτα δὲ καὶ τὰ ἐν Ἅιδου. διὰ τοῦτο οὖν ὄνου πόκας ἀνέπλασε ποιητικῶς) – ἢς ὄνου πόκας : εἰς τὸ μηδέν. Vict. En effet il est impossible de tondre la toison des ânes. L’expression semble être devenue proverbiale… (il est vain de tondre un âne car les toisons d’un âne ne sont pas utiles. On emploie ce proverbe pour des choses vaines ; on utilise également à ce propos les expressions « tu ornes une marmite » et « tu laisses évaporer le fumier ». Des choses vaines existent aussi dans l’Hadès. C’est pourquoi il imagine poétiquement « tonte d’âne ») – à Tonte d’âne : vers le néant. Cf. le commentaire de Tzetzes à Gren., 186 b : ἤτοι εἰς τὸ μηδέν, « en vérité vers le néant ». 24 Cf. scholies à Gren., 189 : ἐς κόρακας : παίζει ἐνταῦθα εἰπὼν ἐς κόρακας. Ἀθήνησι γὰρ τόπος ἦν οὕτω καλούμενος, οὐχὶ ἐν Ἅιδου. ἢ τοῦτο λέγει, ἐπειδὴ καὶ οἱ ἐκεῖσε ῥιπτόμενοι εἰς ἀπώλειαν ἤρχοντο. Il plaisante en disant aux corbeaux. En effet c’est à Athènes qu’un lieu portait ce nom, pas dans les Enfers. Ou bien il dit cela parce que ceux qui étaient jetés à cet endroit allaient à leur perte. On trouve aussi cette expression dans les Oiseaux, vers 28. 25 L’invention n’est pas d’Aristophane, on trouve déjà le mot chez Sophocle, F. 1060 (Radt). Cf. scholies à Gren., 187 : τινὲς καὶ παρ’ Ὁμήρῳ γράφουσιν « ἐνθάδε Κερϐερίων » ἀντὶ τοῦ Κιμμερίων· ἢ μᾶλλον τοὺς Κιμμερίους φασί. παίζει δὲ παρὰ τὸν Κέρϐερον... Κερϐερίους δὲ τοὺς Κιμμερίους λέγει. 23
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peuple des Cimmériens situé à l’entrée des Enfers dans l’Odyssée (XI, 14) et le nom du chien de garde infernal Cerbère. En outre, Charon ne situe pas ces lieux les uns par rapport aux autres : seule la conjonction ἤ « ou bien » les sépare. On a donc affaire à une parenthèse dans le voyage de Dionysos qui se reproduira en présence d’Eaque. Dionysos s’embarque donc pour la traversée du lac, alors que Xanthias, en tant qu’esclave, est contraint d’en faire le tour à pied (v. 193-195). Ainsi, deux chemins mènent aux Enfers, un par la terre ferme, l’autre par le lac, ce qui semble une innovation d’Aristophane : d’ordinaire, toutes les âmes montent dans la barque de Charon. L’invention d’une route terrestre réservée aux esclaves permet à Aristophane quelques bouffonneries et une allusion à la société athénienne qui marquait nettement la différence entre esclaves et hommes libres. Une telle distinction se poursuit donc au royaume infernal où Charon refuse de transporter Xanthias à cause de ses origines serviles (v. 190192). Le vers 191 fait allusion à la victoire navale des Arginuses lors de laquelle des esclaves avaient été engagés pour compléter l’armée athénienne. A leur retour, ils furent affranchis. Ce rappel historique provoque l’humour d’Aristophane : on attendrait περὶ τοῦ βίου, « lutter pour sa vie », au lieu de περὶ τῶν κρεῶν, « pour sa viande ». Cette expression, en effet, s’employait surtout pour les animaux (cf. Plutarque, Œuvres morales, 1087 b). Le poète en profite pour souligner le manque de courage de Xanthias qui se hâte de justifier, par une excuse peu valable, son absence lors de la bataille navale. Voie terrestre et voie maritime se rejoignent en un point marqué par une pierre, véritable entrée des Enfers (le lac constituant la frontière entre l’ici-bas et l’au-delà). Le public se rappelait sans doute que des rochers indiquaient également la limite du monde infernal homérique26. Le nom de cette pierre (αὑαίνου λίθον) dans les Grenouilles est expliqué par le scholiaste à cause de sa proximité des morts27. Selon J. Taillardat (1962, p. 57), αὑαίνου serait Certains écrivent aussi chez Homère « là sont les Cerbériens » à la place de Cimmériens. On dit plutôt les Cimmériens. Il plaisante d’après le nom de Cerbère… Il appelle les Cimmériens Cerbériens. 26 Odyssée X, 513-515 et XXIV, 11. Cf supra chap. 3, pp. 107-110. Mais ici le roc (πέτρη) devient une simple pierre (λίθος), voir G. Jay-Robert, 2000, pp. 30-31. 27 Scholies à Gren., 194 : παρὰ τὸ αὔους τοὺς νεκροὺς εἶναι, ὡς ὄντος τινὸς ἐν Ἅιδου οὕτως λεγομένου λίθου... Ἄλλως. τοῦτο ἀναπλάττει ἀπὸ τοῦ τοὺς νεκροὺς ξηροὺς εἶναι καὶ ἀλίϐαντας. (Pierre) près de laquelle se trouvent les morts desséchés, puisqu’on dit d’une personne qui se trouve dans l’Hadès qu’elle est comme une pierre… Ou alors : il imagine ceci d’après le fait que les morts sont desséchés et n’ont plus de sang. L’idée d’un lieu appelé « Pierre de… » est assez fréquent : voir Μελαμπύγου λίθος (« la Roche dite du Mélampyge », Hérodote VII, 216) et Ἀγέλαστος Πέτρα (« La Roche
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l’impératif de αὑαίνεσθαι. Le jeu de mots reposerait sur les deux sens de ce verbe « se dessécher (à attendre) » et « mourir ». La traversée du lac pour rejoindre cette pierre soulève maints problèmes : comment était-elle présentée dans l’espace restreint qu’est la scène de théâtre ? Comment, dans un lieu unique, donner l’impression au public de l’apparition puis de la disparition d’une étendue d’eau et de son nocher ? En outre, Charon annonce à Dionysos le chant des grenouilles-cygnes qui décupleront son ardeur à ramer (v. 205-207). Nouveau problème : ces grenouilles éponymes de la comédie étaient-elles visibles des spectateurs ou les entendaient-ils simplement ? Charon dit ἀκούσει, « tu entendras », car l’important pour les manœuvres de Dionysos est leur chant, non leur vue. Cela n’implique pas pour autant qu’elles étaient invisibles. Le débat vient en fait des scholies28 qui parlent de grenouilles invisibles, et que la plupart des éditeurs et des commentateurs ont suivies29. Plus récemment, certains critiques ont émis des doutes sur l’interprétation du scholiaste qui n’avait jamais vu la représentation originelle et qui a probablement commenté la comédie plusieurs siècles après, au moment où tout souvenir de la première représentation était perdu. Ils pensent donc que le chœur des grenouilles apparaissait à la vue du public30. Les arguments en faveur de l’une ou l’autre Triste », Apollodore I, 5, 1) qui désigne à Eleusis la pierre où se serait reposée Déméter pleurant la perte de sa fille. 28 Scholies à Gren., 209 : ταῦτα καλεῖται παραχορηγήματα, ἐπειδὴ οὐχ ὁρῶνται ἐν τῷ θεάτρῳ οἱ βάτραχοι, οὐδὲ ὁ χορὸς, ἀλλ’ἔσωθεν μιμοῦνται τοὺς βατράχους. ὁ δὲ ἀληθῶς χορὸς ἐκ τῶν εὐσεϐῶν νεκρῶν συνέστηκεν. Ceci est appelé « parachorème » (« chœur secondaire ») parce qu’on ne voit pas les grenouilles sur scène, ni le chœur, mais les choreutes imitent les grenouilles dans les coulisses. Le véritable chœur est constitué par les morts pieux. Cette remarque est reprise telle quelle dans les commentaires de Tzetzes sur les Grenouilles au vers 221 a. Voir aussi au vers 268 : Οἱ μιμητικοὶ τῶν βατράχων ὑποκριταὶ οὐκ ἐν τῷ φαινομένῳ εἰσίν, ἀλλ’ὑπὸ τὴν σκηνὴν κεκρυμμένοι, ὡς ὑπὸ λίμνην, οἱ βάτραχοι. ἡ μέντοι φωνὴ αὐτῶν ἐξακούεται, ὥσπερ κἀκείνων, κἂν ἐκ βυθοῦ φθέγγωνται. Les acteurs imitant les grenouilles ne sont pas visibles, mais cachés sous la scène, comme les grenouilles sous un lac. Leur voix s’entend donc à une certaine distance, comme aussi celle des grenouilles, et résonnerait de l’abîme. 29 Etudes générales : J. Denis, 1886, I p. 286 et II p. 109 ; P. Mazon, 1904, p. 139 ; A. W. Pickard-Cambridge, 1953, p. 153 ; E. Fränkel, 1962, p. 182 ; C. Russo, 1962, p. 329 ; B. Zimmermann, 1985, pp. 155-167. Editeurs : Th. Kock, 1881 ; W. W. Merry, 1892 ; J. van Leuwen, 1896 ; T. G. Tucker, 1906 ; V. Coulon et H. van Daele, 1928 ; W. B. Stanford, 1963. Auteurs d’articles : G. Wills, 1969, p. 307 et note 2 ; N. Demand, 1970, p. 86 ; R. H. Allison, 1983. 30 Etudes générales : M. Bieber, 1961, p. 37 ; M. Sifakis, 1971, chap. 10 ; K. J. Dover, 1972, pp. 177-179 ; P. Thiercy, 1986, pp. 69-73. Editeurs : K. J. Dover, 1993, pp. 55-69.
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thèse restent difficiles à départager dans l’état actuel de nos connaissances. Les partisans de l’invisibilité mettent en avant, outre le ἀκούσει de Charon, le fait que le nocher ne dise rien sur l’aspect de ces grenouilles-cygnes ni sur leurs actions. Aucune indication n’est fournie par le texte (nombre, apparence, disposition, mouvements), contrairement à l’habitude lors de l’apparition d’un chœur. Les grenouilles semblent se limiter à leurs chants. En outre, les choreutes auraient à peine le temps de se changer pour réapparaître quarante vers plus loin en initiés (et l’hypothèse de deux chœurs différents est inacceptable en période de guerre à cause des dépenses que cela aurait entraînées). Enfin, en laissant les grenouilles cachées, Aristophane aurait suscité la surprise des spectateurs qui, à cause du titre de la pièce, s’attendaient à les voir, et il se serait par là même démarqué de ses prédécesseurs Magnès et Kallias, lesquels avaient mis des grenouilles sur scène31. Nous serions plutôt favorable aux arguments relatifs à l’apparition du chœur : avec les jeux de scène, quelques dizaines de vers laissent le temps d’un changement de costume, surtout si les choreutes avaient revêtu leurs tuniques d’initiés sous leurs déguisements de grenouilles. Il serait par ailleurs étonnant que, lors d’un agôn, l’un des deux partis soit absent. Et qu’Aristophane se soit privé d’un chœur comique, qui plus est dont la pièce porte le titre, relèverait d’une extrême bizarrerie. Or la pièce a obtenu un très vif succès et a même eu droit à une seconde représentation. Si l’on considère que l’orchestra représente une partie du lac infernal, les choreutes pourraient prendre place le long de la circonférence, et non pas dans toutes les directions comme le suppose K. J. Dover32. Le lac paraît en effet très profond en son milieu si l’on en croit les paroles d’Héraclès aux vers 137-138 : ἐπὶ λίμνην μεγάλην… / ἄϐυσσον, « à un lac très grand et sans fond ». Les batraciens ne peuvent donc pas y séjourner très longtemps, mais ils ont établi leur demeure sur le pourtour marécageux et peu profond symbolisé par le tour de l’orchestra, séparés des spectateurs par le chemin qu’emprunte Xanthias pour gagner la Pierre de la Sécheresse. La plupart des grenouilles s’adressent, de là, à Dionysos resté sur scène dans la barque de Charon.
Parmi les auteurs d’articles : J. Carrière, 1967 ; J. Defradas, 1969 b ; D. M. Mac Dowell, 1972 ; D. A. Campbell, 1984. 31 Cf. Cav., 523 et scholies au vers 522 : ἔγραψε δὲ καὶ Λυδοὺς καὶ Ψῆνας καὶ Βατράχους, « il (Magnès) a écrit aussi les Lydiens, les Gallinsectes et les Grenouilles ». Et la Souda, s. v. Καλλίας : οὗ δράματα Αἰγύπτιος, Ἀταλάντη, Κύκλωπες, Πεδῆται, Βάτραχοι, Σχολάζοντες, « les pièces de Kallias sont Ægyptos, Atalante, les Cyclopes, les Mauvais esclaves, les Grenouilles, les Oisifs ». 32 J. K. Dover, 1972, p. 178. Cf. aussi J. Carrière, 1967, p. 140, où les grenouilles encerclent la barque.
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Nous voici au cœur d’un second problème : comment la barque de Charon se déplaçait-elle pour figurer la traversée du lac ? Nous éliminons l’hypothèse de H. van Daele33 qui pense que Charon et Dionysos, tout comme les grenouilles, sont invisibles pendant toute la durée de la scène. Il nous semble invraisemblable de laisser orchestra et λογεῖον vides durant cinquante vers, et de priver le public des mimiques comiques de Dionysos. Il ne nous paraît pas davantage possible que la traversée se situe dans l’orchestra comme le proposent A. Pickard-Cambridge (1946, p. 67) et C. Russo (1962, p. 328) : outre que ce lieu est spécifiquement réservé aux évolutions du chœur, le λογεῖον resterait vide alors que l’orchestra réunirait à la fois acteurs et chœur. Quant à la solution proposée par M. Bieber (1961, p. 37 : le chœur des grenouilles pousserait lui-même la barque), le texte n’y fait aucune allusion. Au contraire, la dispute entre Dionysos et les batraciens ne doit pas les inciter à l’aider ! L’hypothèse de J. Carrière (1967), malgré son ingéniosité, présente des difficultés de réalisation à cause de la complexité des décors auxquels elle fait appel : la barque de Charon resterait immobile au pied du λογεῖον, Dionysos mimerait les mouvements de rames et le décor mobile donnerait l’impression que l’embarcation glisse. Il pourrait s’agir d’un décor tournant grâce aux périactoi ou bien du décor du fond qui glisserait sur rainures (procédés pour lesquels nous ne possédons malheureusement aucune attestation à cette époque). La solution la plus vraisemblable reste celle où la traversée se déroulerait sur scène : le lac infernal couvrirait alors imaginairement le λογεῖον où Dionysos embarquerait et débarquerait, ainsi que l’orchestra dans et autour de laquelle évolueraient les grenouilles, et plus à l’extérieur encore, où courrait Xanthias. La barque pourrait être mue de plusieurs manières : montée sur roulettes, ou tirée par une corde depuis les coulisses, ou encore poussée par des hommes cachés soit derrière soit à l’intérieur (cf. K. J. Dover, 1972, pp. 179180). Comme le remarque P. Thiercy34, la soudaineté avec laquelle apparaît et disparaît l’embarcation tendrait à prouver qu’elle est actionnée par un moyen mécanique. Or le théâtre du Ve siècle utilisait deux machines : la méchanè, qui permettait d’enlever les personnages dans les airs, et l’eccyclème, sorte de plateforme roulante. L’emploi de la méchanè paraît peu adapté à un bateau ; en revanche, il est fort possible que l’action soit rendue grâce à l’eccyclème. Le 33
V. Coulon et H. van Daele, 1928, p. 96, note 1. L’apparition d’une barque sur scène n’est pas une invention d’Aristophane. Nous avons des raisons de penser que des bateaux figuraient déjà dans les pièces de Cratinos, FF. 147 et 151, et d’Eupolis, Taxiarques. Cf. K. J. Dover, 1972, pp. 39 et 213. 34 P. Thiercy, 1986, p. 81. C. W. Dearden, 1976, pp. 67-79, avait déjà proposé l’utilisation de l’eccyclème pour rendre le mouvement du bateau. Sur l’emploi de l’eccyclème, voir Pollux, Onom. 4, 128 et une scholie au vers 408 des Acharniens d’Aristophane.
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mouvement de la plate-forme tournante donnerait l’impression que la barque posée dessus avance. Une fois Dionysos débarqué, l’eccyclème amorcerait un mouvement rétrograde et figurerait ainsi le va-et-vient du nocher. Si l’aller se déroulait assez lentement pour permettre le dialogue avec les grenouilles, le retour s’effectuerait beaucoup plus rapidement afin de libérer l’espace scénique. Les manœuvres de la machine, dirigées depuis les coulisses, seraient commandées par les exclamations du nocher aux vers 208 (Ὠοπόπ’, ὠοπόπ) et 269 (῍Ω παῦε, παῦε). Ainsi l’eccyclème permettrait la transition entre les deux mondes. Avant l’embarquement, les personnages sont sur terre et la porte centrale symbolise sans doute la porte de la maison d’Héraclès. L’apparition de la barque sur l’eccyclème et la traversée de Dionysos entraîne les spectateurs dans un no man’s land : tout le théâtre est transformé en lac infernal, transition entre terre et Enfers. Enfin, la disparition de l’eccyclème cède la place au monde infernal, et la porte centrale devient celle du palais d’Hadès. Avant de l’atteindre, Dionysos retrouvera Xanthias. On est ainsi passé insensiblement d’un monde à l’autre, sans que l’unité de lieu soit rompue. Le dieu et son esclave poursuivent leur marche à l’intérieur des Enfers et invitent le public à en découvrir, à leur suite, le paysage. Au bord du lac, non loin de la Pierre de la Sécheresse, se situe le monde ténébreux du bourbier (v. 273-279) dont leur avait parlé Héraclès35. Les adverbes de lieu restent vagues : ἐνταυθοῖ « par ici », που… αὐτόθι « en quelque endroit… là même ». On en déduit qu’en parcourant le tour du lac à pied, Xanthias a longé ou traversé le bourbier. Et Dionysos l’a aperçu de la barque (v. 276). Cette région doit donc border le lac. La suite du vers 276 (καὶ νυνί γ’ὁρῶ, « et j’en vois encore ») prouve qu’elle se situe tout près du débarcadère et fait partie intégrante du domaine infernal. L’entrée de l’Hadès, marquée par la Pierre de la Sécheresse, est également lieu de résidence des monstres (οὗτος ὁ τόπος, « ce lieu », c’est-à-dire le point de rencontre des accès terrestre et côtier). Les deux compères n’aperçoivent pas les serpents qu’avait mentionnés Héraclès (v. 143), mais un des monstres terrifiants, Empuse (comme pour l’épisode des grenouilles-cygnes, Héraclès n’avait pas détaillé les différents monstres pour ménager la surprise du public). Aristophane saisit l’occasion de dévoiler la poltronnerie de Dionysos et de susciter les rires (v. 279-311)36. Par rapport au récit d’Héraclès, les deux régions ont été inversées, sans doute pour des raisons de mise en scène : présenter fanges et ténèbres dans lesquelles gisent des criminels, alors que le chœur vient de figurer les grenouilles et se change en hâte en initiés, se révélait matériellement impossible. La vision de Dionysos et de Xanthias fait donc appel à l’imagination des spectateurs, et permet en outre à Aristophane la plaisanterie 35 36
Vers 145-146. Pour l’étude du bourbier, voir supra, pp. 155-157. Sur Empuse, voir C. Brown, 1991 et A. M. Andrisano, 2002.
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de désigner le public comme des parricides et des parjures (v. 276). Cette présentation des Enfers rappelle celle que Polygnote avait peinte, sans doute au cours du deuxième quart du Ve siècle, dans la leschè de Delphes : après la traversée de l’Achéron où nageaient des ombres de poissons, étaient peints le bourbier et le monstre Eurynomos (cf. C. Cousin, 2000, p. 67). Chez Aristophane, la région du lac est peuplée de grenouilles, ou peut-être d’ombres de grenouilles, et est bordée par de la fange ; des monstres, parmi lesquels Empuse, accueillent les nouveaux venus. Dionysos et Xanthias se hâtent de quitter un endroit aussi effrayant (v. 301). Mais de nouveau l’adverbe de lieu δεῦρο, « par ici », ne renseigne aucunement sur la distance parcourue. Ils arrivent dans la prairie des initiés (v. 318-319). Les lieux sont toujours caractérisés par des termes vagues ἐνταῦθά που, « là quelque part ». Il s’agit en tout cas d’une prairie baignée de soleil37, antithèse de la région précédente caractérisée par la fange et les ténèbres. Dans cette prairie, deux endroits revêtent une importance particulière pour le culte de « la déesse », sans doute Perséphone : un bocage sacré et un espace (comprend-il une construction ?) réservé à la prière. Le coryphée annonce la séparation des initiés pour ces deux lieux, sans préciser pour autant où ils se situent (v. 440-446). Chacun possède apparemment une fonction spécifique, l’un (le bocage) pour les hommes et leurs jeux, l’autre pour les femmes et la veillée en l’honneur de la déesse. Cette prairie paradisiaque jouxte les portes du palais d’Hadès (v. 431-436), confirmation des dires d’Héraclès. L’expression employée est d’ailleurs fort proche de celle du demi-dieu (v. 162-163). Après avoir frappé à la porte et s’être présenté sous le nom d’Héraclès, Dionysos est accueilli par les jurons d’Eaque, le portier, qui le menace des pires châtiments dans divers lieux infernaux (v. 470-478). Les trois premiers noms citent les fleuves infernaux traditionnels : le Styx, l’Achéron et le Cocyte (cf. supra, pp. 91-94). Les deux derniers évoquent les noms de lieux terrestres transposés aux Enfers. Ταρτησσία a pu être choisi en raison de sa ressemblance avec Τάρταρος pour provoquer le rire. La murène tartésienne, en effet, loin d’être un monstre dévoreur comme le décrit Eaque, était un mets renommé pour sa délicatesse38. Quant à l’épithète Τειθράσιαι (v. 477, « tithrasienne »), elle permet une identification plaisante 37
Vers 340-344 et 454-455. Pour l’étude de la prairie des initiés, voir supra, pp. 155 et 157-158. 38 Cependant sa situation à l’extrême Ouest, au-delà des colonnes d’Héraclès (cf. Hérodote IV, 152), non loin d’Erythéia (cf. Stésichore, F. 184 PMGF), faisait de Tartessos une région des confins occidentaux et lui conférait ainsi un caractère infernal. On y voyait même une entrée de l’Hadès (cf. H. Croon, 1952, p. 53). Sur la localisation très approximative de Tartessos dans l’esprit des Grecs au moins jusqu’au IVe siècle, voir A. Ballabriga, 1986, pp. 45-50.
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avec Tithras, un dème de l’Attique ! Ces différents endroits, traditionnels ou inventés, sont simplement énumérés et reliés par la conjonction τε, sans autre précision de localisation, comme les régions nommées précédemment par Charon. Ni l’intérieur du palais d’Hadès ni sa disposition ne sont décrits, car les spectateurs vont les découvrir en même temps que Dionysos. Et quelle devait être leur surprise en voyant un monde aussi familier ! b) L’Hadès, reflet du monde terrestre Aristophane, en effet, pour la plus grande joie des spectateurs, a choisi de présenter l’Hadès si terrifiant d’ordinaire comme le simple reflet d’une cité grecque. Le public athénien devait sans hésitation reconnaître sa propre ville à travers les allusions des personnages. Dionysos demande à Héraclès des indications dont a besoin tout voyageur pour ne pas se tromper et faire route dans un minimum de confort (v. 112-115). Les termes de l’énumération révèlent un habitant d’un pays maritime et chaud (λιμένας, « les ports » ; κρήνας, « les fontaines »), à l’image de la Grèce. Ils renseignent sur les coutumes de l’époque : ἀρτοπώλια (« boulangeries »), ἀναπαύλας (« haltes »), πορνεῖ’ (« lupanars »), πανδοκευτρίας ὅπου κόρεις ὀλίγιστοι (« hôtelières chez qui il y a le moins de punaises »). L’accumulation provoque le rire, car Dionysos se préoccupe avant tout de besoins physiques (manger, dormir, se détendre) qu’il mêle à des indications purement matérielles : ὁδούς (« routes »), πόλεις (« cités »), etc. On pourrait penser qu’une telle vision des Enfers serait contredite par Héraclès. Nenni, elle se confirme même dans la suite du voyage : l’Hadès possède un port où Charon débarque les âmes, on y trouve des haltes puisque le nocher ordonne à Xanthias de les attendre ἐπὶ ταῖς ἀναπαύλαις (« à la halte », v. 195), et les hôtels n’y sont pas rares puisque Dionysos aura affaire à deux hôtelières (πανδοκεύτριαι, v. 549-578), qu’Héraclès avait dévalisées lors de son passage. Une partie du comique d’Aristophane repose sur ce jeu de la quotidienneté, de la répétition, lors d’un voyage que l’être humain ne fait normalement qu’une fois. Les monuments ou les quartiers infernaux rappellent ceux d’Athènes. Ainsi la cité des morts est-elle dotée d’un prytanée, édifice où l’on entretenait le foyer sacré et où l’on nourrissait hôtes publics et pensionnaires d’Etat (v. 763-764). Et les chants des initiés en l’honneur de Iacchos rappellent ceux que l’on chantait sur l’Agora avant le départ pour Eleusis (v. 320). Le palais d’Hadès est luimême conçu à l’image de la demeure grecque d’un homme riche et important (v. 163 et 436) : l’accès en est interdit aux étrangers par un gardien, Eaque, et un chien, Cerbère (v. 465-469)39.
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Cf. K. Dover, 1994, pp. 50-55 et les commentaires aux vers 504-508 (p. 258).
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Finalement Dionysos et Xanthias, ainsi que les spectateurs qu’ils entraînent dans leurs péripéties, ne sont guère dépaysés. Rien n’est terrifiant dans ce monde inconnu, pourtant si semblable au leur et où le rire est roi. Aristophane y a même introduit les coutumes, la politique, la corruption et les courants religieux caractéristiques de son époque. Le poète n’a pas hésité, pour enrichir sa verve comique, à emprunter à tous les domaines. Parti de la tradition mythique des descentes aux Enfers, il s’est aussi inspiré des sources populaires, a puisé dans la religion officielle, dans les cultes à mystères40 et les pratiques locales, et y a ajouté des éléments de parodie tragique ou de poésie lyrique, élargissant ainsi le champ des spectateurs concernés par sa pièce. Aristophane n’est pas le seul à tenter de rendre les Enfers plus accessibles et d’en modifier la géographie à cette fin. Certains, tel Pindare, essaient de composer un nouvel espace en partant du paysage infernal traditionnel ; d’autres placent les âmes dans des lieux inédits jusqu’alors. 3. Un espace infernal élargi Commençons par Pindare, dont la poésie présente plusieurs particularités. La plus grande partie de ses œuvres en notre possession sont des odes triomphales, corpus à la fois important et unitaire. Cependant, les mentions de l’Hadès restent assez rares, en raison du genre traité : il est difficile lorsqu’on célèbre un triomphe d’aborder le thème de l’au-delà. Pindare procède, ce qui est fréquent chez lui, par allusions qui supposent la connaissance et la complicité de l’auditoire. Deux conceptions eschatologiques différentes sont évoquées. L’une, très allusive, que nous avons étudiée lors des quatre premiers chapitres de cet ouvrage, s’inscrit dans la tradition homérique, sans pour autant empêcher l’auteur d’y marquer son empreinte. L’autre, plus développée car nouvelle dans la poésie épique et lyrique, et intéressant certainement davantage Pindare, se découvre dans la Deuxième Olympique et dans les fragments de Thrènes41. C’est cette dernière qui va nous occuper à présent. a) L’espace lié à l’eschatologie pindarique Ainsi, à côté d’un sombre univers de ténèbres où tous les morts ne sont que de vains fantômes, point l’idée d’un jugement après la mort : en fonction de leurs actions terrestres, les hommes connaîtraient un sort différent dans l’Hadès. Les destinataires de ces poèmes ne sont probablement pas étrangers aux théories 40
Sur la structure initiatique des Grenouilles, voir P. Thiercy, 1986, pp. 314-319 ; R. F. Moorton Jr, 1988-1989 ; I. Lada-Richards, 1999 ; G. Jay-Robert, 2000. 41 Ol. II, 58-91 ; Thrènes, FF. 129, 130 et 131 (Maehler) ; et un fragment d’origine incertaine, peut-être d’un thrène, F. 133 (Maehler).
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qui y sont développées. Si nous ignorons ceux pour qui ont été rédigés les Thrènes, nous savons que la Deuxième Olympique fut écrite pour Théron d’Agrigente en 476, et l’on connaît la diffusion qu’avaient l’orphisme et le pythagorisme en Grande-Grèce à cette époque42. Un jugement après la mort L’existence d’un jugement des âmes après leur mort est énoncée dans la Deuxième Olympique, 63-66. Bien que le nom du juge demeure dans l’ombre (τις, « quelqu’un »), il ne fait aucun doute que le tribunal se situe dans l’Hadès (κατὰ γᾶς, « sous terre ») et que l’on y juge ceux qui viennent de mourir (θανόντων apparaît au côlon 63) pour des actions qu’ils ont commises de leur vivant (« les fautes commises dans ce royaume de Zeus »43). Ce tribunal souterrain a donc pour fonction de départager « les âmes mauvaises » (ἀπάλαμνοι φρένες, 63) des âmes « nobles » (ἐσλοί, 69). Conséquences du jugement, les méchants subiront aussitôt un châtiment44, alors que les bons seront récompensés. Ce verdict est confirmé par un fragment de Thrène (F. 131 b Maehler), conservé par Plutarque45. Plutarque cite d’abord un fragment d’un autre Thrène (F. 129 Maehler), puis introduit notre passage par ces mots : καὶ μικρὸν προελθὼν ἐν ἄλλῳ θρήνῳ περὶ ψυχῆς λέγων φησίν, « et si l’on continue un peu plus loin, dans un autre thrène, il dit à propos de l’âme ». L’expression αἰῶνος εἴδωλον (F. 131 b, v. 2) désigne donc l’âme, la ψυχή46. Ainsi seul le corps est mortel. L’âme, elle, est immortelle, car elle participe de la divinité (F. 131 b, v. 2-3). Or, la partie divine de l’âme ne peut se révéler que
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Sur les destinataires de ces poèmes et le caractère exceptionnel de leur eschatologie, voir J. H. Finley, 1955, pp. 59-64 ; G. Méautis, 1962, pp. 63-72 ; L. Woodbury 1966, pp. 597-599 ; G. Zuntz, 1971, pp. 83-87. 43 Ol. II, 64-65 : τὰ δ’ἐν / τᾷδε Διὸς ἀρχᾷ / ἀλιτρά. Zeus règne sur le ciel et la terre. Le royaume de Zeus pour les mortels est donc la terre. 44 Ol. II, 63-64. Nous ne sommes pas d’accord avec J. Defradas, 1971, qui a bien vu l’opposition entre ἐνθάδε et κατὰ γᾶς, mais qui en conclut que « l’opposition n’est pas seulement topographique, elle est aussi chronologique. Le châtiment subi ‘immédiatement’ (αὐτίκα) est antérieur au jugement qui aura lieu ‘sous terre’ ». Or dans ce vers il s’agit de morts (θανόντων), et non d’hommes punis pendant leur vie à cause de fautes qu’ils viennent de commettre. 45 Consolation à Apollonius, chap. 35, 120 c-d. Le début se trouve aussi dans la Vie de Romulus, 28, 8. 46 Littéralement « une image de la vie ». Αἰών désigne la véritable vie, celle qui est en communion avec la divinité et qui attend les âmes pures dans l’au-delà. Cf. C. Brillante, 1987, pp. 40-44. Sur la définition de αἰών comme « force de vie » et la relation entre ce terme et ψυχή, voir E. Benveniste, 1937.
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lorsque le corps est en repos, c’est-à-dire dans le sommeil ou la mort47. Cette notion de la survie de l’âme au corps n’est certes pas nouvelle, on la trouvait déjà chez Homère. Mais jusqu’au Ve siècle, il n’y avait pas d’antagonisme entre l’âme et le corps. Pour reprendre les termes de Dodds : L’âme n’était pas du tout la prisonnière récalcitrante du corps ; c’était la vie ou l’esprit du corps, et elle s’y trouvait parfaitement à l’aise. C’est ici que la nouvelle structure religieuse apporta sa contribution décisive : en attribuant à l’homme un soi occulte d’origine divine, et en opposant ainsi le corps à l’âme, elle introduisit dans la culture européenne une nouvelle interprétation 48 de l’existence humaine .
Et puisque l’âme, lors du sommeil, se libère et retrouve son état divin, elle possède également la connaissance de ce qui l’attend après la mort du corps : le « jugement de joies et de peines » (τερπῶν… χαλεπῶν τε κρίσιν, F. 131 b, v. 4), la punition pour les mauvais et la récompense pour les autres. Cependant, Pindare distingue deux catégories d’âmes nobles, celles des individus ἐσλοί, qui reçoivent une récompense après la mort, et celles des personnages que l’on pourrait appeler ἐσλότατοι, qui ont droit à la récompense suprême, le séjour dans l’île des Bienheureux (Olympiques II, 75-88). Regardons les conditions d’accès à ce séjour. Le problème résulte des différentes interprétations que l’on a données à l’expression ἐστρίς / ἑκατέρωθι μείναντες (75-76). H. S. Long (1948, pp. 35-37), à la suite de T. Mommsen, pense à trois séjours en tout, c’est-à-dire deux séjours sur terre séparés par un séjour dans l’Hadès. L’accès à l’île des Bienheureux aurait alors lieu directement après la seconde vie terrestre, sans nouveau séjour dans l’Hadès. Cette interprétation présente l’inconvénient de séparer le chiffre 3 en 2 + 1 et de détruire ainsi son entité. L’importance que revêt le chiffre 3 dans les croyances religieuses49 laisse supposer qu’il s’agit de trois séjours dans l’un et l’autre monde, donc six séjours en tout. Le sens de ἑκατέρωθι confirme cette hypothèse : « trois séjours de l’un et de l’autre côté », c’est-à-dire trois dans le royaume de Zeus (ἐν / τᾷδε Διὸς ἀρχᾷ, 64) et trois sous terre (κατὰ γᾶς, 65). Cela admis, il subsiste encore un problème : doit-on placer le premier séjour 47
Xénophon énonce également cette doctrine : Cyropédie 8, 7, 21. Voir aussi Platon, Rép. IX, 571 d-572 b. 48 E. R. Dodds, 1977, p. 144-145. Dodds voit dans l’origine de cette notion des traces de culture chamanique (pp. 139-178). 49 Trois passe pour un chiffre sacré et porte-bonheur : cf. Pyth. IV, 61. Les multiples de trois sont également des nombres fastes. Voir Platon, Phèdre 249 a sqq : l’âme après trois mille ans, et si elle a mené trois fois de suite une existence pure, retourne auprès des dieux. Et aussi Pindare, F. 133 Maehler : à la neuvième année, Perséphone renvoie les âmes des justes vers la terre pour qu’ils deviennent des êtres exceptionnels. Cf. O. Skutsch, 1959, p. 114.
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dans l’Hadès ou sur terre ? K. von Fritz (1957, p. 86) considère les choses ainsi : The process does not begin in this world, but with a purification in Hades – after a deed of woe has been committed in a place not specified.
Il suppose donc une première existence où aurait été commise la faute entraînant une purification dans l’Hadès et le cycle des réincarnations. L’accès à l’île des Bienheureux aurait lieu, comme pour H. S. Long, directement après la dernière vie terrestre pure. Outre que cette conception suppose une faute originelle dont Pindare ne parle pas et dont on ignore à la fois la nature et le lieu, elle sous-entend également qu’il n’y ait pas eu d’autres incarnations avant ces trois existences pures. Or, comme l’affirme J. Bollack50 : rien n’exclut que les âmes privilégiées n’aient connu d’autres incarnations moins nobles avant la série des trois existences supérieures.
Il propose donc, et nous le suivrons en cela, une autre solution : après diverses réincarnations plus ou moins pures, l’âme devra, pour aller au séjour des Bienheureux, mener trois existences consécutives pures après chacune desquelles elle subira un jugement dans l’Hadès comme les autres âmes51. Au terme du troisième jugement, si elle a été reconnue noble pour la troisième fois, elle résidera à jamais dans l’île des Bienheureux, échappant définitivement au cycle des réincarnations. Le jugement distingue donc trois catégories d’âmes qui subiront une punition ou obtiendront une récompense différente, comme le montre le schéma suivant :
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J. Bollack, 1963, pp. 235-236, note 2. R. S. Bluck, 1958, pp. 408-409, exprimait déjà la même opinion. 51 R. S. Bluck, 1958, p. 410, émettait aussi l’hypothèse que l’âme puisse gagner l’île des Bienheureux après un troisième séjour dans l’Hadès. Cf. aussi D. Mac Gibbon, 1964, pp. 5-6. A notre avis, les crimes évoqués sont ceux qui sont commis sur terre, et non dans les Enfers. Telle n’est cependant pas la thèse soutenue par Aristarque, scholies à Ol. II, 102 b : Ἀρίσταρχος ἐξηγεῖται οὕτως· εἴ τις οἶδε τὸ μέλλον, ὅτι ποινὴν τίνουσιν οἱ ἐν Ἅιδου παρανομήσαντες. Aristarque l’interprète ainsi : si l’on connaît l’avenir, que purgent leur peine ceux qui ont commis des méfaits dans l’Hadès. et 104 a : λέγει οὖν· εἴ τις οἶδε τὸ μέλλον, ὅτι οἱ μὲν ἐν τῷ ζῆν ἁμαρτάνοντες, ἐν Ἅιδου κολάζονται, οἱ δὲ ἐν Ἅιδου, ἐν τῷ ἡμετέρῳ βίῳ ἐν τῇ τοῦ Διὸς ἀρχῇ. Il dit donc : si l’on connaît l’avenir, que ceux qui ont commis des fautes pendant leur vie sont châtiés dans l’Hadès, et ceux qui en ont commis dans l’Hadès, le sont dans notre vie, dans le royaume de Zeus.
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Jugement souterrain ⏐ ⎯⎯⎯⎯⎯⎯⎯⎯⎯⎯⎯⎯⎯⎯⎯⎯⎯ ⏐ ⏐ âmes scélérates âmes nobles (ἀπάλαμνοι φρένες) (ἐσλοί) ⏐ ⏐ ⏐ ⎯⎯⎯⎯⎯⎯⎯⎯⎯⎯ ⏐ ⏐ ⏐ ⏐ âmes qui ne âmes pures ⏐ comptent pas pendant trois ⏐ trois vies pures existences ⏐ ⏐ ⏐ punition récompense récompense suprême : île des Bienheureux REINCARNATION absence de réincarnation Il est temps d’examiner à quel genre de punitions ou de récompenses sont soumises ces âmes, en quels lieux elles se déroulent et en quoi ces idées nouvelles modifient la perception de l’espace et du paysage de l’au-delà. L’impact des idées nouvelles sur l’espace infernal Nous regarderons d’abord le sort des âmes, mauvaises ou non, soumises à la réincarnation, puis nous nous intéresserons à celles qui sont parvenues à échapper à ce cycle. Le point commun est que toutes les âmes des défunts se rendent dans l’Hadès (Olympiques II, 65 : κατὰ γᾶς) pour y être jugées. A la suite du verdict, elles gagneront les différents lieux qui leur sont désignés pour y subir leur châtiment ou jouir de leur récompense. Les mauvaises âmes subissent aussitôt, αὐτίκα, leur punition (Olympiques II, 63-64). Or cette punition n’a pas lieu dans l’Hadès, mais ἐνθάδε, c’est-à-dire « ici-même, sur terre »52. Elles ne séjournent donc pas aux Enfers, mais ressuscitent pour purger leur peine durant leur vie terrestre. La présence de ἐνθάδε qui désigne la terre par opposition au royaume 52
Nous pensons que ἐνθάδε, comme αὐτίκα, porte sur le groupe verbal, contrairement à la traduction d’A. Puech, 1922, et de L. R. Farnell, 1932. J. Carrière, 1973, suit la version d’A. Puech.
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infernal supprime toute équivoque. La métempsychose est conçue comme un espoir de purification : elle constitue une sorte de purgatoire où l’on s’absout des crimes commis dans l’existence terrestre antérieure, à condition cependant de ne pas en commettre de nouveaux. Car la réincarnation dépend de la vie terrestre précédente : plus l’âme s’est montrée scélérate, plus l’incarnation sera pénible et plus la purification sera difficile (Olympiques II, 74)53. Un fragment (F. B 115, v. 5-8) des Purifications d’Empédocle expose une conception identique. Les âmes méchantes mèneront donc une vie misérable. Pindare s’y arrête peu : quatre côla (Olympiques II, 63-65 et 74) qui encadrent la description du bonheur des âmes nobles, beaucoup plus développée (67-74). La raison de cette rapidité pourrait être la répugnance du poète à dépeindre, dans une épinicie, des faits peu réjouissants. Une autre explication la justifie : l’existence pénible de ces êtres se laisse deviner, par contraste, derrière l’évocation du bien-être des ἐσλοί (67-74). Cette description du bonheur, en effet, recourt aux négations : ἀπονέστερον (où le suffixe –τερος indique non un comparatif, mais une valeur distinctive54), οὐ… οὐδέ, ἄδακρυν, négations des maux que subissent ceux à qui est échue une vie de misères. Où se situe ce lieu de douceur ? Si Pindare parle d’une résurrection immédiate pour les mauvais afin qu’ils expient leurs fautes, il ne précise pas si les « belles âmes » se réincarnent juste après le jugement. Cela ne semble pas le cas : l’opposition entre les deux catégories d’âmes laisse supposer une opposition (qui n’est pas exprimée) à αὐτίκα. Un certain temps doit s’écouler avant la remontée des bons sur terre. L’expression ἑκατέρωθι μείναντες (« séjournant de l’un et l’autre côté », 76) le confirme, ainsi que le fragment 133 Maehler. Si l’ensemble du passage est relativement simple à comprendre, le premier vers en revanche soulève des difficultés, dues à l’interprétation de πένθεος : οἷσι δὲ Φερσεφόνα ποινὰν παλαιοῦ πένθεος. On l’a souvent traduit par « faute » ou par « souillure »55 ; pourtant les multiples occurrences littéraires 53
J. Bollack, 1963, p. 235, en traduisant ἀπροσόρατον par « sans avenir », donne du mythe une vision trop pessimiste. Même s’il est difficile de supporter une vie de vicissitudes, l’acceptation de son sort et une existence à l’écart de toute injustice ouvrent l’espérance d’une réincarnation meilleure. Le cycle des vies misérables n’est donc pas sans fin, « sans avenir ». Nous sommes en revanche d’accord avec J. Bollack qui voit dans ces vers une allusion à l’épreuve terrestre des méchants, et non à un châtiment souterrain. 54 Ἀπονέστερον s’oppose au πόνον du vers 74. Sur la valeur du suffixe -τερος, voir E. Benveniste, 1975, pp. 114-168. Le bonheur des habitants de la plaine Elyséenne homérique et des îles des Bienheureux hésiodiques était déjà dépeint à l’aide de négations. Cf. supra chapitre 4, pp. 142 et 147. 55 Cf. E. Rohde, 1928, p. 208 ; A. Dietrich, 1893, p. 110 ; J. E. Sandys, 1961, traduit : « exact the penalty of their woe » ; L. R. Farnell, 1932, parle de « ancient guilt » ;
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depuis Homère n’attestent jamais ce sens, mais celui de « douleur »56, et notamment de douleur éprouvée par la mort d’un proche. Ποινάν signifierait alors « compensation », compensation payée par les morts à Perséphone pour son ancienne douleur. Le problème est de savoir quelles sont les causes de cette peine. Est-ce son enlèvement par Hadès ? Ou la mort de son fils DionysosZagreus tué par les Titans57 ? En l’absence de contexte, il est hasardeux de se prononcer. D’après ce fragment, Perséphone garde les âmes nobles près d’elle pendant huit ans et les renvoie sur terre la neuvième année58 : ἐς τὸν ὕπερθεν ἅλιον. Les âmes dont il s’agit ne peuvent être que les ἐσλοί de la Deuxième Olympique (69), puisque des êtres d’exception en naissent (F. 133, 3-5). De nouveau, on pense à Empédocle, fragment B 146. Chez les deux auteurs, l’incarnation avant la fin du cycle est celle d’êtres humains supérieurs, qui deviennent des dieux chez Empédocle, des héros chez Pindare. La fin des deux fragments n’est différente qu’en apparence, car ἥρωες est, selon Pindare, le nom qui leur est donné par les hommes (πρὸς ἀνθρώπων καλέονται, F. 133, 5), cela n’engage en rien la véritable destinée de leurs âmes. Au bout de trois vies sans crimes, les âmes de ces êtres d’exception iront dans l’île des Bienheureux, où elles demeureront auprès de divinités (au château de Cronos, Olympiques II, 77), ayant sans doute recouvré leur origine divine (puisque l’âme est d’essence divine : τὸ γάρ ἐστι μόνον / ἐκ θεῶν, F. 131 b, 2-3 Maehler)59. Revenons au lieu attribué aux âmes nobles dans la Deuxième Olympique (67-74). Si l’on considère le contexte et l’opposition entre l’incarnation immédiate des criminels et le temps de répit accordé aux bons auprès de Perséphone avant leur réincarnation, on peut voir dans cette description idyllique la vie sans souci que
A. Croiset, 1880, et A. Puech, 1922, comprennent : « quant à ceux que Perséphone a lavés de leur antique souillure ». Cf. aussi D. Mac Gibbon, 1964, pp. 7-11. 56 C’est ainsi que le traduit H. Race, 1997. Pour une synthèse des différents sens de πένθος, voir H. J. Rose, 1936, pp. 82-84. 57 H. J. Rose, 1936, pp. 84-96, repousse la première hypothèse et développe la seconde : dans la Théogonie orphique, Dionysos, fils de Zeus et de Perséphone, aurait été tué par les Titans. Zeus, pour les châtier, les aurait réduits en cendres, desquelles serait née la race humaine. Pindare décrirait donc une eschatologie orphique. H. J. Rose, 1943, pp. 247-250, confirme son hypothèse. Elle est reprise par R. Parker, 1983, p. 300 et H. Lloyd-Jones, 1984, pp. 245-283. Voir aussi M. L. West, 1998, p. 110 n. 82. Néanmoins, les sources qui racontent cette légende sont postérieures à Pindare, et les tablettes orphiques du Ve siècle n’en parlent pas. Cf. F. J. Nisetich, 1989, pp. 51-52. 58 Une telle période de neuf ans « d’exil » se trouve chez Hésiode pour les dieux parjures (Théog., 801-803). 59 Cf. Le commentaire de Clément d’Alexandrie, Stromates V, 122, à propos du F. B 147 d’Empédocle.
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ces derniers mèneront durant leur séjour infernal60, vie illuminée de soleil (Olympiques II, 67-68). L’anaphore de ἴσαις suggère non seulement l’égalité des nuits par rapport aux nuits et des jours par rapport aux jours, mais également des nuits par rapport aux jours. L’image suggère une situation équinoxiale dont la fonction est d’insister sur la douceur d’une existence non soumise aux aléas météorologiques. Une telle douceur climatique caractérisait déjà la plaine Elyséenne d’Homère (Odyssée IV, 566-568) et les îles des Bienheureux d’Hésiode (Travaux, 172-173) dont le sol portait trois récoltes (encore le chiffre trois !) par an. Qu’un soleil, dans l’Hadès ténébreux, éclaire les âmes pures n’est nullement étonnant : les religions à mystères promettaient à leurs initiés la clarté, comme l’illustrent les Grenouilles d’Aristophane61. Pindare ne précise pas si ces âmes nobles sont initiées ou non, mais leur conduite morale sur terre leur vaut d’être des « favoris des dieux » (Olympiques II, 71-72) et de connaître une vie dans l’au-delà semblable à celle qui est réservée aux initiés (également favoris des dieux grâce à leur initiation)62. La suite de la description pindarique évoque une existence paradisiaque, antithèse de la vie terrestre, qui rappelle l’âge d’or hésiodique (Travaux, v. 45-46, 90-92, 117-118). Chez les deux poètes, la vie épuisante et vaine de l’âme est rendue par les images du travail de la terre et de la course sur les mers. Certes, cette existence sans larme (ἄδακρυν νέμονται / αἰῶνα, Olympiques II, 73-74) qui se déroule dans l’Hadès, est réservée aux ἐσλοί, mais elle n’est pas éternelle puisqu’ils doivent confirmer leurs vertus par une (ou deux) nouvelle(s) vie(s) terrestre(s). Cependant, leur séjour souterrain constitue une préfiguration de la vie qui les attend dans le monde d’en haut. Car si chaque âme connaît une réincarnation en fonction de sa valeur, celle des âmes pures sera plus facile et meilleure que celle des âmes scélérates. Comme pendant leur séjour souterrain, ces âmes ne connaîtront pas non plus sur terre une existence vaine, passée à courir les mers ou à cultiver les champs. Le fragment 133 (Maehler) le confirme, qui leur réserve le sort de « rois illustres, d’hommes invincibles par leur vigueur ou excellents par leur sagesse ». Ainsi, la récompense qui leur a été attribuée aux Enfers se poursuivra sur terre à condition qu’ils restent dans la même ligne de conduite : la vertu doit s’allier au pouvoir et à la richesse comme
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Contrairement à J. Bollack, 1963, pp. 239-245, qui y voit l’existence qu’ils mèneront sur terre. Pindare passerait donc ici sous silence leur séjour souterrain avant leur réincarnation. Nous ne sommes pas convaincue par l’interprétation de la richesse comme soleil qui éclaire leurs nuits (p. 241). 61 Aristophane, Gren., 155-158 et 455-458. Voir supra, pp. 157-158. 62 Sur l’importance de la notion d’égalité au Ve siècle et son rapport avec la justice et la félicité, voir L. Woodbury,1966, pp. 601-616.
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l’énonce Pindare en introduction à ce mythe (Olympiques II, 58-62)63. Car puissance et richesse sont ambiguës : si elles facilitent la vie, elles risquent aussi de favoriser la démesure et l’injustice. La notion de métempsychose a donc bouleversé la frontière rigide qui existait jusqu’alors entre ici-bas et au-delà. Il n’y a plus la vie d’un côté, la mort de l’autre sans aucune relation entre elles. La mort n’est qu’un passage, pendant lequel l’âme est jugée, vers une nouvelle vie liée aux actions commises dans les existences antérieures. La conséquence en est l’élargissement de l’espace infernal : l’Hadès souterrain est devenu un lieu de jugement et de résidence temporaire pour les âmes pures. La surface terrestre en est le complément : lieu de punition pour les âmes criminelles, elle est aussi lieu de confirmation (ou de déchéance) pour les âmes nobles, et cela jusqu’à ce que, au bout de trois existences pures, une âme échappe au cycle des réincarnations et gagne l’île des Bienheureux, troisième élargissement de la géographie de l’au-delà64. Voilà pourquoi on constate une gradation dans la description des contrées réservées aux belles âmes. Le bonheur des régions élyséennes, dans l’Hadès, n’est pas éternel, il sera suivi d’une réincarnation. Il reste donc encore très proche des notions terrestres et se définit par la négation des maux terrestres. La félicité de l’île des Bienheureux, en revanche, est réservée aux âmes qui sont sorties définitivement du cycle de la métempsychose. Elle se place donc dans la positivité absolue65. Ainsi, l’évocation de l’île des Bienheureux, sous des couleurs apparemment épiques, est en fait révélatrice de conceptions nouvelles. Pindare y a superposé deux croyances hétérogènes. A la croyance populaire, qui réservait l’accès de cet endroit merveilleux à l’arbitraire divin, il a ajouté un critère éthique, sans pour autant que l’un supplante l’autre. Avant Pindare, les îles des Bienheureux n’étaient pas liées à l’idée de réincarnation ni de purification. Avec lui, la géographie eschatologique s’est considérablement élargie et a réuni trois régions jusqu’alors nettement séparées : la terre, l’Hadès et l’île des Bienheureux. Cette dernière n’est plus un séjour empli de héros mythiques, tout contemporain de Pindare peut espérer y parvenir. La vision que le poète livre de l’au-delà est donc plus optimiste que celle de l’épopée ou des premiers lyriques. On a souvent voulu y voir l’influence des religions à mystères, et l’on a même 63
L’association de πλοῦτος et d’ ἀρετή n’est pas nouvelle dans la poésie lyrique. Elle se trouvait déjà chez Solon, et surtout chez Théognis, mais elle débouche sur plus d’espérance chez Pindare, où celui qui allie richesse et vertu sera récompensé après sa mort alors que les autres seront châtiés. Sur les parallèles entre Théognis et Pindare, voir les articles de J. Carrière, 1962 et 1973. 64 Nous avons déjà parlé de l’île des Bienheureux pindarique supra, chapitre 4, pp. 148151. 65 Cf. F. Solmsen, 1968, p. 504 et A. Moraglia, 1968, p. 113.
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supposé que Pindare s’y était initié. Mais dans les passages conservés, aucune de ces religions n’est citée. Pindare combine plutôt, semble-t-il, des sources d’inspiration variées (éleusinisme, orphisme, pythagorisme) qui étaient tombées à son époque dans le domaine public et s’étaient intégrées à la pensée religieuse contemporaine66. Il est difficile dans son œuvre de trouver une doctrine unique et cohérente à propos de l’au-delà, si ce n’est l’affirmation permanente du rôle fondamental du poète qui seul confère l’immortalité à celui qu’il chante67. A côté de l’élargissement eschatologique de la poésie pindarique, quelques attestations d’une croyance infernale céleste, qui connaîtra une immense faveur dans les siècles postérieurs, apparaissent au Ve siècle. b) Un Hadès céleste Le plongeon obligatoire des morts dans l’obscurité infernale ne satisfait pas Euripide. Dans deux de ses pièces, les Suppliantes (v. 533 et 1140), et Hélène (v. 1015-1016), sans doute respectivement écrites en 422 et en 412, les personnages se tournent vers la conception d’un Hadès céleste, situé au sein de l’éther. Un tel courant de pensée bouleverse totalement la représentation traditionnelle d’un Hadès ténébreux à cause de sa position souterraine et de l’humidité qui y règne. L’Hadès céleste, au contraire, prend place dans l’éther,
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Cf. J. Girard, 1869, p. 331 ; A. Croiset, 1880, pp. 178-215 ; E. Reiner, 1938, pp. 8399 ; J. Duchemin, 1955, pp. 97-102 et 320-334 ; J. Defradas, 1957, p. 227 et 1969 a, p. 133 ; M. H. da Rocha Pereira, 1960, pp. 212-214 ; C. M. Bowra, 1964, pp. 89-121 ; L. Woodbury, 1966, p. 598, note 1 ; G. Rudberg, 1970 ; F. Jouan, 1979 ; et pour une critique de l’opinion moderne sur la question : E. Thummer, 1957, pp. 121-130. La similitude que l’on retrouve entre Pindare et certains fragments d’Empédocle, par exemple, prouve que ces notions étaient couramment admises en Grèce et en GrandeGrèce. En 476 av. J.-C., Empédocle, cadet de Pindare, était encore enfant (il serait né en 482/483 selon la chronologie la plus autorisée), et il est donc peu probable qu’il ait influencé le poète. 67 Ceci est vrai même lors de l’évocation de mythes eschatologiques : Pindare révèle à Théron ce qui peut faire de lui un Bienheureux. Par l’intermédiaire du poète, Théron va pouvoir « ajouter à ses richesses et à ses vertus le savoir qui seul leur donne un sens et débouche sur l’immortalité » (A. Hurst, 1981, p. 130). Voir aussi J. Svenbro, 1976, pp. 145-148 ; L. Kurke, 1991, pp. 62-82 ; A. Cerutti, 1995 et l’article de Chr. A. Faraone, 2002, à propos de la Sixième Isthmique. Dans le domaine politique, l’oraison funèbre utilise aussi la parole pour exorciser la mort et conférer une gloire éternelle (voir N. Loraux, 1981, pp. 3, 37), mais contrairement à Pindare dont les épinicies étaient réservées à une élite, l’oraison funèbre confère « une existence éternelle dans la mémoire civique » (p. 118) à tous les citoyens qui sont tombés à la guerre, quelle que soit leur condition (pp. 51-52).
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la partie la plus pure et la plus lumineuse de l’atmosphère68. L’âme, lors de la crémation, s’envole avec la fumée vers le firmament. Il ne s’agit, dans la bouche des personnages, que de rares allusions qui ne s’accompagnent d’aucune description. Cette nouvelle théorie repose sur l’idée que l’éther et la terre sont au fondement de tous les êtres vivants qui y retournent après leur mort. Un fragment de Chrysippe (F. 839 Kannicht) l’énonce clairement69. La conséquence en est l’immortalité de l’âme (cf. R. B. Appleton, 1972, pp. 197202) et la métempsychose. Les vers 1013-1016 d’Hélène présentent, à ce propos, un grand intérêt : le νοῦς ne semble pas subsister sous la forme qu’il avait quand il était uni au corps, il subit une modification après la mort, mais quelque chose d’immortel demeure, la conscience (γνώμη). Sans doute doit-on y voir l’influence d’Anaxagore qui affirme que seul l’intellect est illimité (F. B 12, Diels-Kranz). Le νοῦς retourne dans l’éther, de même que le πνεῦμα dans les Suppliantes (v. 533) et le fragment 971 (Kannicht), et de même que la ψυχή dans l’épithaphe des guerriers tombés à Potidée. Les trois termes νοῦς, πνεῦμα et ψυχήv devaient donc s’employer comme synonymes70. L’âme conserve-t-elle son individualité en remontant vers l’éther ou se confond-elle avec lui ? Elle semble ne former plus qu’un avec son élément d’origine (ἐμπεσών, Hélène, v. 1016) ; elle participerait donc à la conscience universelle. Néanmoins, certains passages penchent en faveur d’une survivance individuelle : ainsi la notion de châtiment pour les morts (Hélène, v. 10131014), les gémissements qu’Electre adresse, à travers l’éther, à Agamemnon (Electre, v. 59), les vers 1039 de Médée, 1066-1067 d’Ion, 1507-1508 d’Iphigénie à Aulis, etc71. Euripide, en tant que poète, n’est pas tenu à la rigueur 68
Cette définition de l’éther figure déjà chez Homère, par exemple en Il. XVII, 425. Voir aussi Platon, Phéd. 111 b et Tim. 58 d. 69 Cf. aussi Euripide, El., 59 ; Or., 1086-1087 ; Suppl., 531-534 et 1140-1142 ; FF. 182 a, 484, 971 et 1004 (Kannicht). Cette croyance n’est pas isolée. Elle est attestée chez Aristophane, Nuées, 229-230 (en 428) et Paix, 832-837 (en 421) et dans les inscriptions : l’épitaphe des guerriers tombés à Potidée en 432, stèle de marbre blanc découverte au cimetière du Céramique à Athènes (IG I2, 945, v. 6. Cf. M. N. Tod 1946, pp. 127-128, n° 59), et l’inscription IG II, 3720. Cette théorie était déjà exposée par Anaxagore (F. A 112 et B 17, Diels-Kranz) et par Epicharme (F. B 9 et 22, DielsKranz). On trouve également ces notions chez les orphiques et les pythagoriciens. Cf. M. H. da Rocha Pereira, 1960, pp. 214-215. 70 L’identification de νοῦς et de ψυχή existe dans Parménide, F. A 1 (Diels-Kranz). Pour l’identification de πνεῦμα, ἀήρ et ψυχή, voir Anaximène (F. A 23 et B 2 Diels-Kranz), Anaximandre (F. A 29 Diels-Kranz) et Epicharme (F. B 9 et B 22 Diels-Kranz). 71 D’ailleurs le retour de l’âme à son élément d’origine, chez Pythagore (Carmen Aureum, 70-71 ; Plutarque, Mor. 899 c) et chez Platon (Phédon 81 a), ne remet pas en cause l’immortalité individuelle de l’homme.
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d’un philosophe, et il n’hésite pas à juxtaposer deux idées apparemment contradictoires. Aristophane, s’il reste très conventionnel dans sa conception d’un Hadès souterrain, n’ignorait pas non plus la localisation céleste de l’Hadès. Les vers 832-834 de la Paix en témoignent. Le dramaturge ne parle pas de l’éther, mais de l’air (κατὰ τὸν ἀέρα) où les morts deviendraient « comme des astres » (ὡς ἀστέρες γιγνόμεθα)72. La localisation céleste des âmes, encore peu attestée au Ve siècle, deviendra prépondérante par la suite et sera intégrée aux conceptions traditionnelles. Ainsi, chez Platon, les âmes justes iront au ciel alors que les âmes injustes se rendront sous terre (République, 614 c-d ; Phédon 113 d-114 c). Chez Plutarque, les Enfers seront entièrement situés dans le ciel : quand l’âme se sépare du corps, elle se dirige vers les astres73.
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Cf. Cicéron qui, au Ier siècle av. J.-C., affirme que l’âme est faite de la substance des étoiles (République VI, 14, 15). 73 Plutarque, Sur les délais de la justice divine, 563 e-f. Cf. F. Buffière, 1956, pp. 122 et 400-403.
Conclusion de l’étude littéraire Ainsi, jusqu’à la fin du Ve siècle av. J.-C., les poèmes homériques et hésiodiques restent la référence permanente pour les conceptions infernales1, même si quelques auteurs s’en démarquent. Les poèmes épiques constituent une sorte de « Bible » pour les poètes ultérieurs, et les auditeurs sont en mesure d’en apprécier autant les rappels que les écarts. Les Enfers de la littérature épique sont un monde ténébreux et humide, souterrain, mais dont l’entrée affleure à l’extrême occident, aux confins des terres et de l’océan. Les âmes, pâles reflets des vivants y mènent sans distinction une existence morne et ennuyeuse quelles qu’aient été leurs actions terrestres. Seuls les grands criminels, qui ont menacé l’ordre cosmique, y subissent un châtiment, ainsi que les parjures châtiés par les Erinyes. Sous l’Hadès est sis le Tartare, gouffre incommensurable et prison des divinités qui s’opposent au pouvoir de Zeus. Quelques favoris des dieux ont le privilège d’échapper à l’Hadès et, transportés dans la plaine Elyséenne, à la surface terrestre, y jouissent d’une vie bienheureuse. Du paysage infernal, pas de description, à peine divers éléments épars qui montrent une région au relief accidenté, arrosée par de nombreux fleuves, désert végétal, à part la prairie d’asphodèles. Tout souligne la nature sauvage et inhospitalière de l’endroit, malgré les tentatives de lui donner, au moins par les termes utilisés, l’apparence d’une demeure terrestre. L’intérieur de l’Hadès ne semble pas intéresser les poètes. Ils insistent tous en revanche sur la notion de seuil, de frontière qui sépare l’ici-bas de l’au-delà et en marquent précisément les abords. Cette constatation n’a rien d’étonnant, car la mort constitue une énigme pour les vivants. Comme le souligne K. Kerényi (1957, p. 240), le mort seul a l’expérience de la mort. Mais on a la possibilité de prendre les devants et de saisir d’avance la fin, non dans la réalité, mais en rêve et par imagination. Cependant la matière des images en lesquelles l’âme qui prend les devants s’exprime, ne peut être empruntée à la mort elle-même. Car le non-être ne contient rien et l’être-autre renferme quelque chose de différent de ce que l’on a jamais vécu. C’est donc au règne de l’être que sont empruntées les représentations. 1
Ils constituent d’ailleurs une référence pour l’ensemble de la religion, cf. Hérodote II, 53.
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Voilà pourquoi les traits qui définissent le monde infernal sont une négation du monde terrestre : les images sont empruntées au vécu, mais elles sont inversées par rapport à celui-ci, tout comme la mort est ressentie comme la négation de la vie. Le monde infernal appartient aux pays mythiques dont la frontière ne se laisse pas facilement matérialiser. En effet, bien que l’on parte toujours de marqueurs d’espace définis, à un moment du texte un artifice de langage fait basculer l’auditeur dans l’autre monde. L’exemple le plus flagrant est donné au chant XI de l’Odyssée où Ulysse, d’abord immobile et passif près de la fosse sacrificielle, pénètre soudain dans l’Hadès, devenant ainsi le sujet de l’action. La frontière infernale est franchie sans que cela soit clairement mentionné. Volontairement, les auteurs « brouillent les pistes » dès qu’il est question du royaume d’Hadès. Cette conception infernale n’évolue guère dans l’ensemble jusqu’au e IV siècle. Bien que la mort soit attachée par essence au genre tragique, les poètes s’arrêtent souvent à sa mention, comme si elle marquait une frontière infranchissable. Leur représentation de l’au-delà reste succincte : leur intérêt porte plus sur les divinités et les ministres infernaux que sur les lieux. A part les éléments frontaliers (fleuves, portes) et la dénomination vague de « demeure d’Hadès », il n’y a pas d’espace infernal tragique, et encore moins de paysage. Néanmoins, dès l’époque archaïque (et peut-être même auparavant), une survie dans l’au-delà, constituée de privations et de négations par rapport à la vie terrestre, ne satisfait pas les Grecs ; des tentatives pour civiliser les Enfers et de nouvelles théories vont être introduites. Progressivement, toujours dans le cadre traditionnel de l’Hadès, émerge l’idée de contrées réservées à certaines catégories d’âmes. Le rôle des religions à mystères est sans doute fondamental dans cette évolution. L’Hymne homérique à Déméter, le premier, fait allusion à un sort meilleur dans l’au-delà pour les initiés. Toutefois, ce sort n’est pas décrit, pas plus que chez Sophocle qui y fera aussi allusion. Il faut attendre les Grenouilles d’Aristophane, en 405, pour avoir plus de détails sur l’espace infernal. Sa peinture de l’au-delà, tournée en dérision, est loin d’être terrifiante. Les monstres provoquent le rire propre à la comédie et les Enfers ressemblent à s’y méprendre à l’Athènes du Ve siècle, avec ses coutumes, sa politique, sa corruption et ses divers courants religieux. L’auteur n’a pas hésité, pour enrichir sa verve comique, à emprunter à tous les domaines : sources populaires, parodie tragique ou lyrique, religion officielle, cultes à mystères. Loin de remettre en cause les rites mystiques, il en présente la géographie infernale. Les initiés s’ébattent dans une prairie ensoleillée et fleurie, près du palais d’Hadès, et continuent de célébrer les cérémonies des mystères. Les non-initiés, quant à eux, demeurent dans les ténèbres de l’Hadès, et les parjures et parricides dans un immonde bourbier. On décèle une évolution à l’intérieur même de ces conceptions eschatologiques. A l’origine, l’initiation était nécessaire, mais suffisante, pour jouir d’un statut post mortem privilégié. Chez Aristophane, il 184
faut non seulement être initié, mais avoir mené une vie vertueuse. Une notion de moralité, peut-être sous l’influence de différents cultes à mystères, s’est donc adjointe à la simple initiation pour bénéficier d’une existence infernale heureuse. Malgré tout, il n’est jamais affirmé qu’une telle existence soit préférable à la vie terrestre. Au Ve siècle aussi, Pindare se démarque de ses prédécesseurs en introduisant en littérature une notion nouvelle, celle de métempsychose. Il s’oppose aux premiers lyriques et à leur conception très pessimiste de la mort. Il prend en compte les actions terrestres de l’homme. Après la mort, en effet, l’homme est jugé dans l’Hadès et son sort futur dépend de son jugement : soit il se réincarnera pour se purifier d’une vie antérieure peu vertueuse, ou pour confirmer ses acquis ; soit, au bout de trois existences pures de tout mal, il cessera de se réincarner et vivra éternellement dans l’île des Bienheureux. Ces nouvelles conceptions influent sur la géographie infernale et l’élargissent. Terre, Hadès et île des Bienheureux sont étroitement liés et constituent chacun une étape de la purification. Platon poursuivra cette évolution en y intégrant le Tartare comme lieu de châtiment pour les crimes irrémédiables. Enfin, le dernier quart du Ve siècle voit apparaître dans les textes littéraires une notion qui connaîtra une faveur croissante dans les siècles postérieurs et qui remet complètement en cause la conception de l’au-delà homérique : un Hadès céleste. Euripide et Aristophane témoignent de cette évolution, confirmée par ailleurs chez les philosophes présocratiques et dans deux inscriptions2. Puisque la terre et l’éther constituent le fondement des êtres vivants, après la mort le corps retourne à la terre et l’âme vers le ciel. Néanmoins, cette croyance est encore loin d’avoir supplanté la vision d’un Hadès souterrain et ténébreux. Les deux conceptions, qui se juxtaposent, montrent assurément l’existence d’un questionnement sur l’au-delà.
2
Cette conception deviendra assez fréquente sur les épigrammes funéraires de l’époque hellénistique et romaine, voir A. Le Bris, 2001, pp. 83-94 et 99-120.
SECONDE PARTIE : ETUDE ICONOGRAPHIQUE
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Avec des mots, il est facile d’informer l’auditeur ou le lecteur sur le lieu de l’action. Avec les images, le pouvoir de la parole est vain. Il arrive certes au système figuratif grec archaïque d’intégrer des inscriptions, mais elles s’appliquent surtout à des personnages et elles n’ont pas fonction de renseignement (cf. C. Cousin, 2006 c, pp. 271-277). En revanche, s’il est difficile de décrire dans le discours l’ensemble d’un paysage, les représentations graphiques sont susceptibles d’en donner une vision synoptique. L’imagerie obéit à des finalités et des codes particuliers, elle a des « moyens d’expression et de communication propres »1. Les chapitres suivants vont donc tenter de cerner, dans les images, et notamment sur les vases attiques, quels signes permettent au spectateur de reconnaître une scène dont l’action se déroule aux Enfers, et de définir les caractéristiques de l’espace infernal. Les vases archaïques livrent peu de représentations de l’Hadès. Le souverain infernal est assez rarement figuré. Nous le trouvons à la table des dieux pour participer à leurs festins et à leurs assemblées2 ou bien dans le cercle des déesses éleusiniennes3, ou bien encore aux côtés de Zeus et de Poséidon, les deux autres dieux avec lesquels il partage l’univers4. Jamais, en tout cas, sa seule présence ne caractérise la scène comme infernale. D’ailleurs les représentations infernales ne semblent pas exister en tant que telles, mais interviennent d’abord à l’occasion de la geste d’un dieu (par exemple le rapt de Coré par Hadès) ou d’un héros (ainsi la capture de Cerbère ou la libération de Thésée et Peirithoos par Héraclès ; la consultation des âmes par Ulysse). Au VIe siècle, les représentations d’Héraclès et de Cerbère sont de loin les plus
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Voir la préface de J.-P. Vernant à Cl. Bérard et al., 1984, pp. 4-5. Par exemple, le stamnos du Louvre G 370 (ARV2 639, 54 ; Add2 273 ; LIMC Hadès 16), où Hadès est reconnaissable à sa corne d’abondance. 3 On le reconnaît alors à son sceptre ou à sa corne d’abondance, parfois aux deux : – Avec Perséphone et Déméter : amphore, Trachones, coll. Geroulanos (ARV2 1154, 38 bis ; LIMC Hades 29) ; stamnos, Paris, Louvre G 187 (ARV2 361, 2 et 1648 ; Paral. 364 ; Add2 222 ; LIMC Hades 26), etc. – Avec Déméter : hydrie, Londres BM E 183 (ARV2 1191, 1 ; Add2 342 ; LIMC Hades 39) ; pélikè, Athènes 16346 (ARV2 1113, 11 ; Add2 330 ; LIMC Hades 25), etc. 4 Cf. la coupe à figures noires du Peintre de Xénoklès, Londres BM 1867.5-8.1007 (B 425) ; ABV 184 ; Paral. 76 ; Add2 51 ; LIMC Hades 14) : les trois maîtres de l’univers, Zeus, Poséidon et Hadès, sont encadrés par deux chevaux ailés. Si Zeus et Poséidon sont reconnaissables à leurs attributs (le foudre et le trident), Hadès n’en possède pas, mais détourne la tête. Le peintre a peut-être transcrit de cette manière son invisibilité et son appartenance au royaume souterrain. 2
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fréquentes5. La popularité du demi-dieu atteint alors son apogée6. Pour définir une éventuelle topographie des Enfers, il faudra donc observer en quoi la représentation de cette aventure infernale se distingue des autres travaux d’Héraclès, dans quelle mesure le schéma iconographique se trouve modifié. Le second sujet susceptible de fournir une représentation infernale au VIe siècle est celui des grands criminels. Ils sont censés subir leur châtiment au sein de l’Hadès. Des éléments de paysage devraient donc apparaître et nous permettre de voir si les Enfers sont conçus dans l’imagerie de cette époque comme un lieu caractéristique, qui se reconnaît immédiatement. A partir du Ve siècle, un grand nombre d’allusions à l’au-delà apparaît sur un groupe de vases qui occupe une place particulière dans la céramique grecque : les lécythes à fond blanc. Leur usage essentiellement funéraire (ils étaient déposés dans la tombe) explique cette iconographie privilégiée, qui reste néanmoins très simple en raison de la petite taille du support. Contrairement à l’époque précédente, elle donne la part belle au commun des mortels que l’on aperçoit en présence d’Hermès ou de Charon. Avant d’étudier l’iconographie des divers épisodes, et pour mieux considérer leur spécificité, nous n’hésiterons pas à présenter une brève synthèse des traditions littéraires qui les concernent. C’est d’ailleurs grâce à un texte littéraire, la description par Pausanias (X, 28, 1 à 31, 12) des peintures de la leschè des Cnidiens à Delphes, que nous pouvons prendre connaissance du tableau qui semble avoir fixé, dans l’iconographie athénienne du Ve siècle, l’image des Enfers (A3, 1)7. L’auteur en était Polygnote, un des plus célèbres peintres de l’Antiquité. Cependant, la disparition de son œuvre soulève maints problèmes d’interprétation : une description littéraire, en effet, aussi détaillée soit-elle, ne rend jamais tout à fait compte d’une représentation figurée. Celle de Pausanias a du moins le mérite de nous conserver une trace du contenu de la Nékyia et constitue, à ce titre, un précieux document pour l’histoire de l’art 5
Nous avons dénombré une centaine de vases conservés, la plupart d’origine attique, figurant ce thème. La majorité appartient à la seconde moitié du VIe siècle. W. Felten (1975, pp. 10-22) en a étudié les principaux vases. 6 Cf. le tableau avec le récapitulatif des vases pour les différents travaux du héros dans F. Brommer, 1974, p. 82. Pour une synthèse sur l’évolution des représentations d’Héraclès en céramique, voir J. Boardman, 1995, pp. 221-225 ; 1975, pp. 226-228 et 1989, p. 228. 7 Nous avons répertorié les représentations infernales, avec leurs références précises, dans quatre annexes. Afin d’éviter des appels de notes trop fréquents et trop longs dans le corps du texte, nous avons mentionné entre parenthèses l’annexe et le numéro du document où le lecteur trouvera éventuellement les pages de ce livre qui y font référence. Exemple : A3, 8 signifie voir le document 8 de l’annexe 3. Des précisions sur les reproductions des figures sont données au début de l’annexe 1.
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grec, ainsi qu’un témoignage primordial sur l’évolution des conceptions infernales. Si l’on excepte cette peinture de Polygnote, les images n’offrent pas de vision complète des Enfers, quelle que soit l’époque à laquelle elles appartiennent. Souvent, ne sont livrés que le seuil ou une infime partie de l’Hadès. Seule une comparaison attentive des séries permettra d’élaborer des hypothèses sur la configuration des lieux et l’éventuelle création d’un espace infernal à travers les siècles.
CHAPITRE 6 LA LOCALISATION DES ENFERS SUR LES IMAGES L’imagerie, comme la littérature, semble hésiter pour localiser l’Hadès. Certains documents le placent au niveau de la surface terrestre ; d’autres en revanche font nettement allusion à une situation souterraine. Il faudra se demander si ces deux conceptions sont concomitantes, comme chez Homère, ou si elles se sont succédé, et si cette différence de localisation a influé sur la représentation d’un paysage infernal. 1. Une localisation terrestre Les représentations les plus fréquentes d’un au-delà situé sur le même plan que la surface terrestre appartiennent assurément au cycle d’Héraclès, bien qu’il en existe quelques témoignages sporadiques par ailleurs1. a) La localisation infernale dans la geste d’Héraclès : la capture de Cerbère Dans la tradition littéraire, nous apprenons, dès les poèmes homériques, qu’Héraclès a ramené le chien gardien des Enfers sur l’ordre d’Eurysthée (Iliade VIII, 367-369 ; Odyssée XI, 623-626). Si Homère ne nomme pas ce terrible gardien, Hésiode révèle son identité (Théogonie, 310-312). Sur les vases du VIe siècle, Cerbère ne nous est guère connu qu’en relation avec Héraclès2. Et si, à cette époque, les représentations de sa capture par Héraclès sont particulièrement fréquentes, sans doute est-ce en raison de la difficulté de ce onzième ou douzième travail (Euripide, Héraclès, 22-25). Le 1
Faute de place, nous n’avons pas pu dessiner tous les documents. Nous avons donc privilégié les scènes qui ne figuraient pas dans le LIMC ou qui étaient indispensables à notre démonstration. Nos reproductions sont signalées par le signe ° ; celles du LIMC (dessins ou photos) sont marquées d’un astérisque. Pour plus de précisions, voir le début de l’annexe 1. 2 Cerbère est rarement représenté sans le héros. Parmi les exceptions, citons l’amphore d’Orvieto, Faina 2805 (A4, 6*), où nous le trouvons à côté de Perséphone et de Sisyphe, ainsi que quelques vases où il est en présence d’Hermès (A1, 108° à 115).
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héros doit sa réussite à l’assistance des dieux, notamment Athéna et Hermès, que l’on retrouve fréquemment sur les représentations iconographiques de l’épisode. Cerbère, quant à lui, est figuré avec deux têtes, plus rarement trois3, auxquelles s’ajoutent parfois une ou plusieurs têtes de serpents4. Souvent, les serpents se trouvent simplement sur l’encolure ou le corps du chien, et font peut-être allusion à l’origine de ce gardien dont l’aspect aurait été celui d’un monstre : un serpent à plusieurs têtes5. Il est à noter que le thème n’a pour ainsi dire pas survécu à la fin de la céramique à figures noires ; il a peu intéressé les artistes de figures rouges ou les sculpteurs. De cette aventure, l’iconographie a retenu quatre moments différents6 : 1. Héraclès, devant le palais d’Hadès, cherche à s’emparer ou vient de s’emparer de Cerbère. 2. Héraclès s’enfuit avec Cerbère enchaîné. Aucun décor ne précise s’ils se trouvent encore dans le monde souterrain ou s’ils sont déjà sur terre. Parfois la présence des souverains infernaux localise la scène dans l’Hadès. 3. Héraclès présente Cerbère à Eurysthée qui se cache dans un pithos. 4. Cerbère n’est plus conduit par Héraclès, mais par Hermès. Ce groupe pose problème, car il peut être compris de deux façons : soit il s’agit d’une variante du groupe 2 qui, au lieu de représenter Héraclès, Cerbère et Hermès, ne donnerait qu’Hermès et Cerbère7 ; soit il narre la fin de l’épisode : le moment où Cerbère est reconduit par Hermès aux Enfers. L’imagerie des deux premiers groupes (une quarantaine de vases pour le premier, presque soixante pour le deuxième) est la plus nombreuse, notamment en Attique. Le troisième groupe est illustré en Etrurie par deux hydries de 3
Cerbère possède par exemple trois têtes sur les hydries de Caere où Héraclès le présente à Eurysthée (A1, 106* et 107°). Mais il faut attendre les représentations apuliennes infernales du IVe siècle pour qu’il soit systématiquement affublé de trois têtes. Très rarement, il n’a qu’une tête comme sur un skyphos corinthien d’Argos (A1, 1°) et une coupe de Vulci au musée d’Altenburg 233 (A1, 22*). 4 Par exemple sur une pélikè de Grande-Grèce conservée à Boulogne 412 (A1, 19°), Cerbère possède deux têtes de chien et une tête de serpent. 5 EAA s. v. Cerbero (G. Sgatti), tome II, pp. 505-508. La queue de Cerbère est en forme de serpent. 6 Voir le tableau récapitulatif des documents en annexe 1, et pour une liste complète des représentations d’Héraclès et Cerbère dans l’Antiquité, cf. F. Brommer 1973, pp. 91-97, et 1974, pp. 91-99. 7 Sur ces représentations, Hermès se situe devant le chien ou à côté de lui. Le peintre a pu par exemple s’inspirer, en omettant Héraclès, des scènes où Cerbère est précédé par le dieu et suivi par le héros : ainsi la coupe laconienne du Peintre de la chasse (A1, 47*), l’olpè de Worcester 1935.52 (A1, 62), l’amphore de Berlin F 1828 (A1, 86).
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Caere. Quant au quatrième, il est surtout l’apanage des lécythes (six sur les huit vases que nous possédons). Notre étude s’attachera particulièrement au premier et, dans une moindre mesure, au dernier groupe, les seuls à nous livrer quelques éléments architecturaux ou de paysage infernaux. La comparaison des vases met en lumière l’extrême variété des représentations. Aucune image, en effet, n’offre la stricte copie d’une autre, chaque peintre s’est efforcé de transcrire son interprétation du mythe en ajoutant des variations de détails au sein des constantes. En plus d’Héraclès et Cerbère, la scène comprend généralement un souverain infernal (Hadès ou Perséphone, parfois les deux) et un dieu protecteur d’Héraclès (Athéna et/ou Hermès). Dans la céramique attique, comme l’a justement remarqué L. Chazalon (1995 a, p. 167), les Enfers sont presque toujours situés à droite de l’image, Cerbère étant tourné vers la gauche pour en sortir. Dans l’épisode de la fuite, au contraire, Héraclès et Cerbère se dirigent majoritairement vers la droite. Mais, au VIe siècle, aucun des quatre épisodes illustrés ne figure de dénivellation : le cadre inférieur du tableau sert de ligne de sol aux personnages, qu’ils soient placés en dehors ou à l’intérieur de l’Hadès. L’impression d’un royaume infernal situé à la surface terrestre en découle, puisqu’Héraclès n’a pas à descendre pour y accéder. Une seule exception, qui pourtant ne va pas à l’encontre de l’affirmation précédente, est constituée au tout début du Ve siècle par une amphore à col de la collection Gallatin à New York (A1, 30*) : à gauche, Hadès est assis sur son trône, sorte de tabouret aux pieds en X, à l’intérieur de son palais indiqué par une colonne ionique et un entablement, et surélevé de deux marches. Héraclès, à droite, avance en se retournant et tire Cerbère hors du palais. Une des têtes du chien mord la laisse, l’autre la queue de la léontè d’Héraclès. La scène paraît continuer sur l’autre face du vase où sont figurés Hermès et Athéna. Ils se retournent comme s’ils regardaient la scène du revers, tout en marchant vers la droite. Le spectateur ne manque alors pas d’établir un lien entre les deux tableaux qui figurent séparément les personnages habituels du thème. Hermès esquisse un signe de la main droite qui s’adresserait ainsi à Hadès. Athéna serait à la tête du cortège, fait assez rare dans la série. La localisation terrestre de l’Hadès semble confirmée par cinq vases qui représentent un arbre près du palais infernal : les amphores de Moscou 70, du Louvre F 204 et F 228, d’Amiens 3057.225.47a, ainsi qu’une hydrie du Louvre CA 2992 dans la seconde moitié du VIe siècle. Sur l’amphore pansue à figures noires de Moscou (A1, 3°)8, Héraclès se trouve devant l’entrée du palais 8
Beazley attribue cette amphore au Peintre de Lysippidès, successeur d’Exékias. K. Schauenburg (1961) pense, quant à lui, que le Peintre de Lysippidès n’est autre que le Peintre d’Andokidès, qui aurait peint aussi bien des vases à figures noires qu’à figures rouges. Cette amphore a été publiée par W. Blatawski, 1927, pp. 314-315 et fig. 14.
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d’Hadès. Presqu’agenouillé devant Cerbère, il cherche à l’amadouer afin de lui mettre la chaîne qu’il tient dans la main droite. Il a posé sa massue le long de l’arbre à l’arrière-plan et est vêtu de la peau de lion. De la main gauche, il flatte une des deux têtes de Cerbère où se dressent des serpents. Derrière Héraclès, Hermès se courbe comme s’il exhortait le héros à poursuivre ses efforts. Il porte un long caducée et des chaussures ailées. Cerbère sort ses têtes du palais d’Hadès : son corps est coupé par la colonne dorique blanche qui en marque l’entrée et soutient une architrave noire. Derrière Cerbère, à l’intérieur du palais, se tient Perséphone qui tend les mains vers le groupe d’Héraclès et Cerbère. Est-ce pour signifier son accord ? Avant de commenter cette image, comparonslà à celle d’une amphore bilingue du Louvre attribuée au même peintre (A1, 4*). La composition générale du côté à figures rouges est analogue à celle de l’amphore de Moscou, à quelques variantes près. Héraclès, les genoux légèrement pliés, en occupe le centre. Il porte sur le dos sa peau de lion. Prudemment, il s’approche de Cerbère qui apparaît derrière une colonne à chapiteau dorique. L’alternance de métopes et triglyphes de l’architrave est cette fois-ci nettement visible. A l’arrière-plan, un arbre assez grand, dont les branches s’étendent jusque de l’autre côté du portique, est situé entre le héros et le chien infernal. Ce n’est pas Hermès, mais Athéna qui, du geste, encourage Héraclès. Elle tient une grande lance dans la main droite. Autre différence avec l’amphore précédente : Perséphone, à l’intérieur du palais, a disparu. L’attitude d’Héraclès sur ces deux amphores est peu commune : il se montre extrêmement prudent, et n’emploie pas la force pour capturer Cerbère. Bien que l’on retrouve une position semblable sur quelques vases9, d’ordinaire c’est à Hermès qu’est dévolu le rôle d’apprivoiser Cerbère par des discours flatteurs10. Deux éléments de décor apparaissent : une colonne dorique surmontée d’une architrave et un arbre situé à l’arrière-plan et en dehors du palais d’Hadès. Comme nous l’avons montré dans la première partie de notre étude (supra pp. 83-91), la tradition littéraire concevait, dès les poèmes homériques, le royaume infernal à l’image d’un palais. Or les demeures étaient souvent précédées d’un portique que les vases symbolisent, vu de profil, par une colonne. C’est également le moyen trouvé par les peintres pour marquer la frontière entre deux mondes, l’au-delà et l’ici-bas. Quant à l’arbre, on peut lui donner différentes interprétations qui finalement se rejoignent. Il peut simplement symboliser le monde terrestre et indiquer que de ce côté de la colonne sont la vie, la lumière (sans laquelle il ne 9
Par exemple l’amphore du Vatican 372 (A1, 12*) et une œnochoé de Hambourg, Mus. KG 1899.98 (A1, 38*). 10 Cf. l’amphore à col de Saint Louis, Université de Washington (A1, 65* ; voir G. E. Mylonas, 1940, pp. 192-199, abb. 8-9) et l’amphore pansue de Paestum (A1, 28° ; cf. P. C. Sestieri, 1953, abb. 2, 5 et 6). Sur les tentatives d’Héraclès pour apprivoiser le monstre, voir L. Chazalon, 1995 a, pp. 175-182.
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pousserait pas) et, de l’autre, la mort et l’obscurité. Mais une autre signification vient à l’esprit : au chant X, 509-510, de l’Odyssée, Circé mentionne, juste avant l’Hadès, le bosquet de Perséphone. L’arbre pourrait donc faire allusion à ce bosquet, même s’il n’a pas véritablement la forme d’un saule ou d’un peuplier (les peintres ne cherchaient pas à copier la réalité, mais simplement à la suggérer : cf. L. Chazalon, 1995 b). C’est d’ailleurs ainsi que Pausanias (X, 30, 6) interprète les arbres que Polygnote a représentés dans sa Nékyia à la leschè des Cnidiens à Delphes (A3, 1). Si l’on adopte cette hypothèse, la céramique n’aurait donc retenu du monde infernal que la double frontière déjà mentionnée par Homère : la première étant constituée par l’arbre (le bosquet de Perséphone), la seconde par la colonne (les portes de la maison d’Hadès), l’entre-deux figurant un monde intermédiaire (le seuil de l’Hadès)11. Aucun personnage, sur les deux amphores, n’est représenté dans cet espace de transition : les jambes et le corps d’Héraclès sont à gauche de l’arbre, c’est-àdire dans le monde terrestre ; les pattes et le corps de Cerbère, à droite de la colonne, c’est-à-dire dans l’Hadès. Et leur rencontre va avoir lieu entre l’arbre et la colonne, dans cet endroit qui participe des deux mondes et qu’Héraclès vivant ne peut ni ne doit dépasser (cf. L. Chazalon, 1995 a, p. 182 et 1995 b, pp. 124-125) : y sont figurées une partie de la tête ainsi que la main du héros, et les deux têtes de Cerbère. C’est bien la même double frontière, sans dénivellation particulière, que l’on retrouve sur une hydrie actuellement au Louvre (A1, 13*), bien que l’espace entre la colonne et l’arbuste, à l’arrièreplan d’Héraclès, soit réduit. Ses rares branches et son aspect chétif évoquent, plus que sur les amphores précédentes, la stérilité homérique du bois sacré de Perséphone. La représentation met ici l’accent sur la violence employée par Héraclès pour capturer Cerbère. Le héros marche vers la gauche, mais se retourne vers le palais d’Hadès symbolisé par une colonne ionique. Il brandit sa massue de la main gauche et est sur le point d’enchaîner Cerbère bicéphale avec la laisse qu’il tient dans la main droite. Ce dernier, encore à l’intérieur du palais d’Hadès, montre les crocs. On ne voit que la partie antérieure du chien. A l’arrière-plan, Perséphone, elle aussi coupée par le bord du tableau, lève la main, geste qui semble répondre à celui d’Hermès qui se trouve à gauche d’Héraclès. A l’extrême gauche, Athéna s’occupe de deux chevaux dont on ne voit que l’avant : ils équilibrent la composition, tout en renouvelant la présentation de l’épisode12. La vision d’éléments ou de personnages coupés par 11
On retrouve l’arbre et la colonne (plus exactement le pilier) pour marquer l’idée de passage d’un monde dans l’autre sur la plaque de couverture de la tombe du Plongeur à Paestum. 12 On trouve la même disposition des personnages sur une hydrie de Toledo (A1, 14*), mais Perséphone à droite n’étant pas représentée, le quadrige d’Athéna à gauche est plus visible (un oiseau qui ressemble fort à la chouette de la déesse y est perché). Le
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le cadre est un moyen d’élargir l’espace sans le représenter, en laissant libre cours à l’imagination du spectateur. Cette remarque vaut aussi pour le palais infernal réduit à une colonne ou un portique. N’est-ce pas pour le peintre une aubaine pour jouer en image sur l’étymologie populaire de l’Hadès, « a-idein », domaine de l’invisible ? L’arbre est parfois le seul marqueur d’espace de la scène, comme sur les amphores du Louvre 228 et d’Amiens 3057.225.47a. Ainsi, sur la seconde amphore, l’arbre est toujours situé au centre de la représentation (A1, 16°), mais la colonne a disparu. Il partage la scène en deux groupes : à gauche Héraclès et Athéna, à droite Cerbère bicéphale, Hermès et Hadès. Héraclès, main gauche vers la bouche, approche sa massue de Cerbère qui se montre menaçant : ses gueules ouvertes laissent entrevoir crocs et langue. Hermès a saisi le chien par son collier et tente de le retenir. Hadès, de colère, brandit son sceptre en direction d’Héraclès. Il est sorti de son palais dont le portique d’entrée n’est pas dessiné. Néanmoins, la demeure est suggérée par les deux frises qui, de chaque côté, forment le cadre du tableau et donnent l’impression de deux colonnes symbolisant les portes d’Hadès comme sur le cratère du Louvre Camp. 12281 (A1, 5* ; cf. infra pp. 225-226). Un bel effet de profondeur est rendu à droite de la scène : entre Hadès au premier plan et Hermès à l’arrière-plan s’intercale Cerbère. Athéna, prête à partir, se retourne et esquisse un geste de la main en direction d’Hadès, peut-être pour le calmer. La présence du dieu des Enfers ôte tout doute sur la localisation de la scène aux abords de son royaume et fait de l’arbre une allusion au bosquet de Perséphone. Sur l’amphore d’Antiménès au Louvre, en revanche, le souverain infernal n’est pas figuré (A1, 7°), Hermès, à gauche, tient un long caducée, il courbe la tête et avance la main gauche vers le groupe d’Héraclès et de Cerbère qui le précède. On le reconnaît à son pétase et ses chaussures ailées. Héraclès marche vers la droite, tenant sa massue d’une main et la laisse de Cerbère de l’autre. Les têtes de Cerbère sont effacées, mais il semble docile. Il passe devant un arbre feuillu. Cette amphore représente le moment qui succède aux scènes décrites précédemment : Héraclès a enchaîné Cerbère et quitte les Enfers. On ne voit déjà plus les portes d’Hadès, et le groupe s’apprête à dépasser le bosquet de Perséphone, à moins qu’il n’arrive déjà sur terre. Grâce à l’arbre, le peintre a doté la scène d’une ambiguïté que le spectateur ne parvient pas à résoudre, faute d’indication supplémentaire. Cette ambiguïté, assurément volontaire, lui permet d’ouvrir l’espace et d’insister sur la notion de passage d’un monde à l’autre. Il joue sur la mémoire du spectateur qui associe l’arbre aussi bien au bosquet de Perséphone qu’à la vie terrestre. Dans la capture de Cerbère, la superposition des deux significations présente un palais est toujours symbolisé par une colonne et Héraclès en sort. On ne voit que les têtes du chien coupé par le cadre. Hermès, agenouillé, le flatte. Athéna lève la main en direction du palais, probablement en signe de salut.
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habile raccourci du chemin que le héros a dû parcourir, chemin par ailleurs impossible à représenter, car inconnu des vivants. L’arbre offre ainsi le moyen de suggérer l’au-delà tout en laissant intact le mystère qui l’entoure. Quel que soit le vase, il est absolument impossible de déterminer de quelle espèce d’arbre il s’agit. En outre, aucune caractéristique ne permet de l’attribuer assurément au royaume infernal. Situé au centre de l’image et assez conséquent sur quatre représentations, il n’est plus qu’un maigre arbuste décalé vers la droite sur la cinquième. Doit-on considérer que les rameaux présents sur sept autres vases, dont six du Groupe de Léagros (une amphore jadis à Naples ainsi que les amphores de Rome, Villa Giulia 48329 et du Louvre F 241, les lécythes d’Athènes 1013 et de Copenhague 76 B, l’olpè de Cracovie 1322 et l’œnochoé de Hambourg 1899.98), en sont une variante ? Le peintre de l’amphore qui se trouvait à Naples à la fin du XIXe siècle (A1, 34°), et que nous connaissons seulement par un dessin, a pris le parti de lever l’ambiguïté : Perséphone, debout sous le portique de son palais, tient de la main droite une branche aux rameaux souples qui servent d’arrière-plan aux personnages. L’absence de feuilles est étonnante : volonté du peintre, disparition des rehauts avec le temps ou oubli du dessinateur ? La perte du vase laisse planer le doute. Toujours est-il que cet aspect correspond à l’idée qu’Homère a donnée du bosquet de Perséphone. Cerbère précède Hermès qui quitte le palais. Héraclès l’attend, à droite de la représentation, une chaîne à la main. Sur l’amphore du Louvre F 241 attribuée au Peintre d’Achéloos (A1, 17°), très restaurée, Héraclès s’apprête à emmener Cerbère. Hermès, avec un geste de la main droite, semble donner l’ordre du départ. Le portique du palais, vu de face, occupe le centre de l’arrière-plan : deux colonnes supportent une frise dorique dont les triglyphes sont nettement visibles. Les dieux infernaux ont disparu. Des rameaux feuillus garnissent le champ. L’amphore de la Villa Giulia 48329 (A1, 15*) rappelle la manière du Peintre d’Achéloos. En plus de la colonne à droite de laquelle se tient Perséphone, l’arrière-plan présente des rameaux feuillus. Cerbère sort du palais, attiré par Héraclès qui se baisse pour le flatter. Au second plan, Athéna se retourne vers le héros et, à droite, Hermès parlemente avec Perséphone. Un lécythe au musée national d’Athènes présente également des rameaux et une colonne (A1, 27°)13. Héraclès lève sa massue et est suivi de Cerbère. On voit également Hermès et Athéna. Trois autres vases possèdent le même genre de rameaux, mais sans l’indication du portique d’Hadès, du moins en ce qui concerne l’œnochoé de Hambourg et le lécythe de Copenhague. Sur ce dernier (A1, 35°), Héraclès, vêtu de la léontè, s’avance vers la droite, la tête retournée vers le chien bicéphale qu’il a attaché à une chaîne. A 13
Athènes inv. 1013. Le Corpus Vasorum dit « un lion » et non Cerbère. Mais déjà E. Haspels (ABL 221, 8) avait rectifié l’erreur.
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l’arrière-plan, à côté de Cerbère, Athéna lève la main pour encourager le héros. Hermès, sans caducée, mais avec le pétase et les chaussures ailées, ferme la marche. Comme Athéna, il lève la main gauche. L’œnochoé à figures noires de Hambourg (A1, 38*)14, ne figure pas non plus de colonne, bien qu’Héraclès soit en train de passer sa chaîne autour d’une des têtes de Cerbère bicéphale (la scène se déroule donc aux abords de l’Hadès). C’est le cadre du tableau qui symbolise le palais : on ne voit en effet que les têtes et les pattes antérieures de Cerbère, comme s’il sortait de la demeure. A côté du chien, au second plan, Hermès lève le bras droit. L’olpè de Cracovie (A1, 36°), quant à elle, est si fragmentaire qu’on ne peut affirmer l’absence du palais d’Hadès : Héraclès tient Cerbère en laisse. Le chien lève une tête vers lui et retourne l’autre (en partie conservée). A l’arrière-plan, on aperçoit Hermès et, dans le champ, des rameaux. Ces feuillages sont-ils révélateurs d’une nouvelle variété de plante infernale, évoquent-ils de manière simplifiée un arbre ou sont-ils de purs éléments décoratifs de remplissage ? Il est difficile de trancher. Ils semblent être appréciés du Groupe de Léagros, particulièrement du Peintre d’Achéloos, et on les trouve aussi sur des vases qui ne dépeignent pas les Enfers15. Mais leur signification dépend du contexte dans lequel ils sont employés et, dans les scènes infernales, ils n’ont pas, à notre avis, une simple fonction décorative. La mise en série des vases qui illustrent la capture de Cerbère par Héraclès prouve qu’ils relèvent de la même ambiguïté que l’arbre dont ils sont le substitut, et cela d’autant plus que ces œuvres sont presque toutes issues d’un atelier unique. En présence des portes d’Hadès, les rameaux assument le rôle de frontière dévolu à l’arbre sur les amphores de Moscou 70 (A1, 3°) et du Louvre F 204 (A1, 4*) ainsi que sur l’hydrie CA 2992 (A1, 13*). Leur parenté significative s’observe sur l’amphore de la Villa Giulia 48329 (A1, 15*) où seul Hermès, dieu du passage, qui peut à ce titre aller dans l’autre monde, se trouve avec Cerbère dans l’espace intermédiaire créé entre les rameaux et la colonne ; Héraclès et Athéna attendent à gauche des feuillages, c’est-à-dire du côté des 14
Hambourg, Mus. KG 1899.98. Cf. R. Ballheimer, 1905, p. 17, abb. 4. Cf. les amphores de Berlin 1851 (ABV 383, 3) et de la collection Guglielmi à Rome qui représentent l’une le combat d’Héraclès et d’Achéloos, et l’autre Héraclès et le sanglier d’Erymanthe ; une amphore de New York 26.60.29 (ABV 384, 17) où une scène de fête se déroule à l’intérieur d’une maison, mais où l’un des convives, allongé, tient une branche qui s’étale sur tout l’arrière-plan ; une amphore de forme panathénaïque au British Museum (Londres B 167 ; ABV 382, 1 ; Paral. 168) : Héraclès jouant de la flûte est précédé d’Hermès qui chante et joue de la lyre, et suivi d’Iolaos. Le second plan montre une chèvre et un veau meuglant, le troisième plan, un arbrisseau. A propos du Groupe de Léagros, et surtout du Peintre d’Achéloos, voici ce que dit Beazley (1986, p. 79) : « A shrub provides the branches which are almost obligatory in the late black figure backgrounds ».
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vivants, et Perséphone se tient à droite de la colonne, du côté des morts. Un procédé sensiblement identique vaut pour l’amphore du Louvre F 241 (A1, 17°) : les rameaux paraissent encadrer Hermès et Cerbère qui sortent du portique d’Hadès, et s’avancent donc dans l’« entre-deux » monde, d’où est exclu Héraclès, à gauche de la représentation. Sur l’œnochoé à figures noires de Hambourg (A1, 38*), les branches sortent du cadre, comme si le tronc avait été coupé par le bord du tableau, et pour renforcer cette impression, Héraclès, qui s’apprête à enchaîner Cerbère, a posé sa massue sur le bord du cadre comme il l’avait appuyée sur l’arbre de l’amphore de Moscou 70 (A1, 3°). En l’absence d’indication du domaine infernal, les rameaux revêtent une ambiguïté parallèle à celle de l’amphore du Louvre F 228 (A1, 7°) : arbre infernal et / ou arbre terrestre, raccourci en image du dur chemin effectué par le héros. L’arbre en tant que tel n’est pas un élément de paysage infernal ; bien au contraire, symbole de vie, il représente le monde terrestre ou les lieux paradisiaques16. C’est le contexte qui caractérise les images comme infernales, et donne à l’arbre et aux rameaux une connotation eschatologique. Ils symbolisent alors la frontière entre l’ici-bas et un au-delà situé aux confins terrestres. Si l’on met en parallèle la tradition littéraire, on y reconnaît, à cause de sa proximité du royaume d’Hadès, le bosquet de Perséphone décrit par Homère : d’aspect funeste, il constitue l’ultime frontière avant l’« entre-deux » monde et annonce le palais d’Hadès. A partir du Ve siècle, la localisation de l’Hadès deviendra progressivement souterraine. Néanmoins, de rares exemples prolongent encore la vision du VIe siècle, tel un cratère de New York du troisième quart du Ve siècle qui présente une véritable nékyia. b) La Nékyia du cratère de New York 08.258.21 Ce cratère (A4, 30°)17 dont les figures sont disposées en deux frises, et non en tableaux, offre un espace à peindre assez important, ce qui a permis à l’artisan d’y disposer de nombreux personnages. La frise supérieure fait le tour du vase, alors que la frise inférieure est interrompue par les anses. Les personnages placés sur une seule ligne rappellent, par leur disposition et les inscriptions qui les identifient, les vases à figures noires du VIe siècle. Cependant l’emploi de la technique à figures rouges, les attitudes variées des figures et leur répartition en deux frises, attestent son appartenance au Ve siècle. L’artiste semble, en adoptant l’héritage de la céramique archaïque, vouloir s’opposer aux cratères polygnotéens contemporains et à la notion d’espace 16
Sur l’arbre comme symbole vitaliste, voir Th. Petit, 2008, p. 310. Sur ce cratère à figures rouges de New York 08.258.21, voir P. Jacobsthal, 1934, P. Friedländer, 1935 et G. M. A. Richter, 1936, pp. 168-170.
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qu’ils proposent. La zone supérieure contient le thème principal : une nékyia centrée autour de Thésée et Peirithoos. La frise inférieure présente le châtiment de Tityos et, au revers, Zeus foudroyant un géant. Nous allons d’abord considérer la nékyia, avant de nous demander quels rapports unissent zones supérieure et inférieure. Comme pour l’épisode d’Héraclès et de Cerbère, l’espace infernal est délimité par ses souverains : à gauche, Hadès (ΑΙΔΕΣ) debout tenant son sceptre devant lui, à droite, Perséphone (ΠΕΡΡΕΦΑΤΤΑ) assise sur un trône à l’intérieur du palais délimité par deux colonnes doriques. Celle qui se trouve devant Perséphone est plus fine que celle qui est située derrière elle. Cette dernière marque ainsi une nette séparation entre le royaume infernal et ses abords. Les deux souverains regardent vers l’intérieur des Enfers, sans pour autant participer à l’action qui s’y déroule. Leur rôle est simplement celui de marqueurs d’espace. A droite d’Hadès sont assis Peirithoos (ΠΕΡΙΘΟΣ) et Thésée (ΘΕΣΕΥΣ) à même le rocher18, que des lignes blanches délimitent. Peirithoos est de profil, le pétase sur la tête et une lance dans la main gauche. Il appuie le menton sur la main droite, dans une attitude méditative, et a croisé la jambe gauche par dessus le genou droit. Thésée, quant à lui, est présenté de face, imberbe, le chapeau dans le dos. Il semble vouloir se lever : il prend appui de la main gauche sur la lance qu’il a fichée dans le sol, et se repousse de la main droite. A côté de lui se tient Héraclès (ΗΕΡΑΚΛΕΣ), immobile, appuyé sur sa massue, revêtu de la léontè et tenant son arc de la main gauche. Il regarde les deux amis. Hermès (ΗΕΡΜΕΣ), bien reconnaissable à son pétase et à ses chaussures ailées, ainsi qu’à son caducée, l’a conduit jusqu’à l’intérieur des Enfers. Il a la tête tournée vers les trois héros, mais son attitude suggère qu’il s’apprête à repartir. Le groupe se termine avec Méléagre (ΜΕΛΕΑΓΡΟΣ), appuyé sur sa lance. Il est représenté de face, mais paraît isolé des autres, comme perdu dans ses pensées. Le voisinage de Méléagre avec Thésée et Peirithoos n’est guère étonnant si l’on en croit Apollodore (Bibliothèque II, V, 12) qui relate que, lors de sa descente aux Enfers, Héraclès, après avoir vu Méduse et Méléagre, aperçut Thésée et Peirithoos. Les cinq figures (de Peirithoos à Méléagre) forment donc un groupe, tant au niveau du sens qu’au niveau de l’esthétique : elles remplissent, bien en évidence, la face A du cratère. Au-dessus des anses, à la suite de Méléagre, sont peintes trois figures sans noms, âmes de défunts vulgaires comme on en trouve également chez Homère ou Bacchylide19. L’une, un jeune homme entièrement drapé dans son manteau 18
Comme Peirithoos sur le lécythe de Berlin Inv. 30035 (A4, 29*). La plaque de bouclier d’Olympie (A4, 27*), la coupe de Boston 1899.539 (A4, 31*) et la Nékyia de Polygnote (A4, 28) les représentaient collés à des sièges. Les deux versions sont également attestées en littérature. Cf. F. Brommer, 1982, pp. 98-103. 19 Cf. Od. XI, 49 ; 564 ; 605 ; 632, etc. Bacchylide, Odes V, 35-37.
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(on ne voit pas ses mains et sa tête est recouverte), regarde Méléagre ; les deux autres, un homme et une femme, se serrent la main. Il s’agit probablement d’une scène d’accueil dans les Enfers : la femme porte encore l’alabastre et la mentonnière mise aux morts lors de la prothésis. Le groupe des héros se poursuit, sur la face B, avec Elpénor (ΕΛΠΕΝΟΡ) qui semble converser avec Ajax (du moins les deux personnages se regardentils, et Elpénor est représenté de profil, tourné vers Ajax, ΑΙΑΣ). Aucun attribut ne permettrait d’identifier ces deux figures si leurs noms n’étaient pas inscrits. Elpénor est bien représenté à l’intérieur de l’Hadès, et non errant devant les portes : contrairement aux peintres de la Nékyia de Polygnote (A3, 1) et de la pélikè de Boston 34.79 (A3, 3°), l’imagier du cratère de New York n’a pas suivi la tradition odysséenne (XI, 51-83) et laisse supposer qu’Ulysse a déjà rendu les honneurs funèbres à Elpénor. Le dernier héros est Palamède (ΠΑΛΑΜΕΔΕΣ), qui tourne le dos aux précédents et s’appuie sur la colonne du palais de Perséphone, car ses genoux ploient sous son poids. Sa rame, placée sous le bras droit, lui sert également de point d’appui. Le groupement de ces trois héros paraît étrange. On peut certes alléguer qu’ils connaissaient tous trois Ulysse, mais ce point ne nous semble pas assez pertinent pour justifier leur rapprochement ; si, en effet, les morts d’Ajax et de Palamède, selon certaines traditions, sont liées directement à Ulysse, c’est moins évident pour Elpénor. Nous préférons supposer plutôt que leur réunion est due à une mort injuste, en pleine force de l’âge : Elpénor par enivrement, Ajax par folie, Palamède par ruse. Le palais de Perséphone, à droite, clôt cette représentation infernale. Restent deux personnages sans inscription, au-dessus de la seconde anse, entre Perséphone et Hadès. Leur place les exclut des Enfers : les souverains infernaux leur tournent le dos. Un homme âgé et barbu, appuyé sur son bâton, tend la main vers un éphèbe qui tient une bandelette. Entre eux, des branches avec des baies jonchent le sol. Le geste du jeune homme n’est pas clair : s’apprête-il à poser la bandelette sur le monticule de bois ? Peut-être s’agit-il d’un rite funéraire qui se déroule ici-bas, rite adressé à une personne qui viendrait de mourir et dont l’âme se dirigerait vers l’Hadès : la femme avec l’alabastre et la mentonnière, qu’un défunt accueille dans sa nouvelle demeure. La zone inférieure se divise en deux. La face A décrit la punition de Tityos par Artémis et Apollon parce qu’il a voulu attenter à la pudeur de leur mère Léto. Des inscriptions facilitent la compréhension de la scène. Tityos, à droite, s’écroule vers l’arrière, frappé d’une flèche en pleine poitrine. Du côté gauche, Artémis place une flèche dans son arc, et Apollon s’apprête à tirer (la position des deux dieux, arrêtée à deux moments consécutifs, rend la vivacité de la scène). Entre Apollon et Tityos gesticule Léto ; elle court vers son fils, mais tourne encore la tête vers le géant auquel elle vient d’échapper. La face B (sans inscription, mais suffisamment claire par les attributs des personnages) présente le châtiment d’un autre géant : vu de dos, il court vers la droite, et est poursuivi 203
par Zeus qui tient un sceptre dans la main gauche et brandit son foudre dans la droite, ainsi que par Hermès, le caducée dans la main gauche et une pierre dans la droite. Ces scènes, par leurs actions et par leur localisation terrestre, s’opposent à la représentation infernale supérieure, plus statique. Pourtant les deux frises se complètent en reflétant toutes deux les croyances sur l’au-delà à l’époque de Périclès. A partir du Ve siècle, on constate en effet une évolution dans les thèmes iconographiques et littéraires : on insiste particulièrement sur les châtiments qu’encourent les êtres qui veulent, par hybris, rivaliser avec les dieux. Si Tantale et Sisyphe connaissent les faveurs de la littérature20, c’est surtout la mort de Tityos que l’iconographie figure, comme sur le cratère de New York21. D’autres coupables d’impiété envers les dieux envahissent les représentations, tels Ixion, Actéon, Niobé, Thamyris, Salmoneus, Lycurgue, Penthée, Marsyas, etc22. La multiplication de tels châtiments indique une préoccupation grandissante, chez les Grecs du Ve siècle, à propos de la condition et de la destinée humaines. L’idée que l’homme est responsable de ses actions, et ne se contente plus seulement de subir sa destinée, se fait jour. Les dieux n’attendent plus pour punir le coupable d’hybris. A l’époque de Périclès, les Athéniens se préoccupent également davantage du sort individuel qui les attend dans l’au-delà. En cela, la frise infernale du cratère de New York est intéressante, car elle constitue un document sur les croyances de personnes qui n’étaient pas forcément initiées aux religions à mystères. Le vase montre en effet des citoyens qui côtoient, dans le monde infernal, les héros des 20
Tantale est évoqué par Pindare, Ol. I, 54-58, et il est le protagoniste de tragédies de Phrynichos et de Sophocle. Sisyphe apparaît également chez Pindare et les trois grands tragiques. Cependant, les représentations iconographiques de Sisyphe sont beaucoup moins nombreuses qu’à l’époque archaïque, et Tantale n’est représenté comme damné que dans la Nékyia de Polygnote et peut-être sur un scarabée étrusque en cornaline de la seconde moitié du Ve siècle (British Museum, Catal. n° 308, pl. E ; A. Furtwängler, 1964-1965, pl. XVII, 35) : un homme barbu avec une chlamyde sur l’épaule gauche se penche en avant. Il étend ses deux mains vers de l’eau représentée en bas à droite de la gemme. 21 Outre la représentation de la leschè des Cnidiens, qui le figure dans les Enfers, la mort de Tityos transpercé par Apollon orne de nombreux vases : cratère en calice du Louvre G 164 (ARV2 504, 1 ; Paral. 381 ; Add2 252 ; LIMC Tityos 20), coupe de Munich 2689 (ARV2 879, 2 ; Add2 301 ; LIMC Tityos 21), pélikè du Louvre G 375 (ARV2 1032, 54 ; LIMC Tityos 22), amphore du Louvre G 42 (ARV2 23, 1; Paral. 323 ; Add2 154 ; LIMC Tityos 1), pélikè de la Villa Giulia (ARV2 293, 40 ; LIMC Tityos 19), etc. Il apparaissait déjà ainsi sur un scarabée archaïque trouvé à Orvieto (Berlin, Katal. n° 137 ; A. Furtwängler, 1964-1965, pl. VIII, 18) : Tityos essaie de retirer la flèche plantée dans sa hanche. 22 Pour de plus amples détails sur leurs châtiments, voir P. Devambez, 1967, pp. 86-89. Sur Ixion en particulier, cf. E. Simon, 1955 et J. Chamay, 1984.
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vieux âges, comme il est décrit dans l’Apologie de Socrate 40 e et 41 a. L’atmosphère qui y règne est paisible et toute trace d’horreur a été effacée, y compris dans la représentation de Thésée et Peirithoos, tranquillement assis sur leurs rochers. La grande innovation de ce cratère est de montrer des individus (un homme accueillant une femme, un autre regardant Méléagre). Pourtant en ce qui concerne le décor infernal, le cratère de New York marque une véritable réaction : les seuls marqueurs d’espace sont ceux du VIe siècle, Hadès et Perséphone. On constate la même indifférence vis-à-vis des éléments topographiques qu’au VIe siècle. Le palais est caractérisé, comme dans l’enlèvement archaïque de Cerbère, par des colonnes. Les rochers disparaissent en dehors du groupe de Thésée et Peirithoos où ils sont indispensables au supplice. Rien n’indique non plus qu’il s’agit d’un monde souterrain : les deux hommes occupés à accomplir les rites funèbres sur terre sont sur le même plan que les autres personnages, situés dans les Enfers. Ce cratère constitue cependant une exception, car à cette époque les artisans tentent d’imager, par divers procédés, la conception d’un domaine infernal souterrain. On assiste à une tendance semblable en littérature, où la vision d’un Hadès aux profondeurs de la terre a supplanté celle d’une région des confins. 2. Une localisation souterraine Les premières images d’un Hadès qui s’enfonce sous terre remontent au tout début du Ve siècle. Elles ne sont pas liées à une série particulière et se remarquent notamment dans les scènes de « passage » d’un monde à l’autre : invocation des morts, engloutissements, retour sur terre de Perséphone, ou arrivée de Cerbère chez les hommes. a) La vision souterraine des Enfers dans la capture de Cerbère Un nouveau schéma de représentation pour la capture de Cerbère voit le jour au cours du Ve siècle, d’abord en sculpture. Le premier témoignage que nous possédions est une base de marbre trouvée à Lamptres, près d’Athènes, dont les bas-reliefs retracent quelques-unes des épreuves d’Héraclès, parmi lesquelles l’épisode de Cerbère (A1, 26*. Cf. W. Wrede, 1941). Cette sculpture diffère des peintures de vases antérieures ou contemporaines en partie en raison de l’espace disponible pour les bas-reliefs. Le champ allongé de la face principale de la base de marbre est seulement occupé par deux figures, Héraclès et Cerbère. Toute la tension de la scène apparaît dans la longue diagonale formée par la jambe droite, le buste et la tête du héros qui tire Cerbère hors du gouffre infernal. La hauteur de la base a obligé le sculpteur à coucher pour ainsi dire Héraclès, ce qui accentue son effort et sa force surhumaine. Le héros combat 205
seul. Plus d’Athéna protectrice, plus d’Hermès pour indiquer le chemin ou apaiser le chien par ses paroles. Peut-être est-ce dû au manque de place ? Toujours est-il que cela rend l’entreprise plus difficile. Cerbère, qui n’a plus qu’une seule tête, résiste farouchement à son adversaire, comme l’indique le rendu de la musculature de ses pattes postérieures. Une des métopes du temple de Zeus à Olympie reprend un motif semblable à celui de la base de marbre de Lamptres, avec une composition légèrement différente due à un espace plus carré : trois figures peuvent y prendre place (A1, 42*). On retrouve le schéma habituel : Héraclès, en présence d’Hermès, entraîne Cerbère, mais la disposition des figures change. Cerbère, dont on ne voit qu’une tête, est cantonné dans le coin droit. Il est tiré vers le haut par Héraclès. On a l’impression qu’il sort de terre par une faille, au milieu d’un paysage rocheux, tel que le décrit Hésiode dans la Théogonie (736-819). Les Enfers sont donc ressentis comme un endroit souterrain, alors que, sur les vases, aucune dénivellation n’était marquée. Entre Héraclès et Cerbère, la reconstitution de la métope suppose Hermès. Héraclès se situe sur terre, et Cerbère encore sous terre. Hermès ne prend pas directement part à l’action, contrairement aux représentations du VIe siècle. Sa présence s’explique comme celle d’un dieu médiateur entre ce monde et l’autre, et qui, à ce titre, rend possible la réussite de l’entreprise. Cette représentation influencera fortement les suivantes, tant en sculpture qu’en céramique. A Athènes, une métope de l’Héphaïstéion copiera ce modèle, si l’on en croit la reconstitution de J. Stuart (A1, 43*)23 : Hermès a disparu, mais Héraclès et Cerbère ont une position presque identique. Le héros tire de toutes ses forces un Cerbère monocéphale et dont les pattes avant sont déjà sorties. Il émerge de la base d’un haut rocher. Cette représentation est la dernière, dans l’art monumental, avant la période hellénistique. Ce nouveau schéma de représentation était aussi connu de la céramique, comme en témoignerait un cratère à figures rouges d’Utrecht (A1, 45*). L’artiste aurait adopté le type monocéphalique de Cerbère (cf. G. van Hoorn, 1953) et a seulement représenté le museau et la partie antérieure de la tête qui apparaissent à travers la faille d’un rocher. Héraclès, vêtu de la léontè et tenant sa massue, s’approcherait doucement pour l’attraper par surprise. Derrière le héros, Athéna l’encourage d’un geste du bras gauche. Une femme (Perséphone ou Hécate ?) est assise sur le rocher au-dessus du chien et tourne la tête vers Héraclès. Un arbre sépare la scène en deux, comme sur certains vases à figures noires. S’il s’agit bien de la capture de Cerbère, on aurait ici un renouvellement de la présentation de ce vieux mythe sur les vases : le sol n’est pas rectiligne et 23
J. Stuart et N. Revett, 1808-1822, chap. I. Cf. pl. XIII, 6 : métope de la façade orientale de l’Héphaïstéion avec Héraclès et Cerbère ; et pl. VI : reconstitution de la métope. Pour une étude plus récente de l’Héphaïstéion, voir H. Koch, 1955 ; C. H. Morgan, 1962 et LIMC Herakles 1706.
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sa configuration cache en partie Cerbère. En outre, le peintre a préféré représenter la tension qui précède l’action que l’action elle-même. Le moment choisi n’est pas la capture, mais l’instant qui précède, quand Héraclès retient toute son attention pour ne pas effrayer le chien infernal. La composition suggère le paysage rocheux des alentours infernaux. L’entrée des Enfers prend l’aspect d’une grotte24. 24
Nous ne prenons pas en compte dans la série la représentation très particulière d’un lécythe attique à fond blanc du Peintre de Sappho dont l’interprétation n’est pas certaine : New York 41.162.29 (ABL 120, 3 ; 123 ; 226, 6 et pl. 32, 1 ; LIMC Herakles 2623. Cf. G. F. Pinney et B. S. Ridway, 1981), début Ve siècle. Des inscriptions permettent d’identifier les personnages. Hélios (ΗΕΛΙΟΣ), sur son quadrige, surgit du cadre inférieur du vase. Un soleil est peint au-dessus de sa tête. De chaque côté, audessus des chevaux, Nuit (ΝΥΚΣ) et Aurore (ΗΕΟΣ) s’éloignent sur leur char dans des directions opposées. Elles aussi sont surmontées de leurs symboles astraux. Leur tête, leurs épaules et leurs chevaux émergent de deux sortes de nuages noirs qui descendent jusqu’au départ d’une élévation rocheuse où Héraclès (ΗΕΡΑΚΛΕΣ) effectue un sacrifice sur un autel. Le rocher est rendu par une ligne assez épaisse, comme s’il s’agissait d’une caverne à l’intérieur de laquelle un chien serait visible. G. F. Pinney et B. S. Ridway proposent d’y reconnaître une évocation de la description hésiodique des régions infernales (Théogonie, 720-819) : Nuit et Jour y ont la même habitation, mais ne s’y trouvent pas en même temps, et se croisent sur le seuil (Théogonie, 746-754). Sur le lécythe, en effet, Nuit et Aurore (symbole de Jour) prennent des directions opposées. Les nuages noirs d’où elles s’élancent évoquent probablement les ténèbres qui s’étendent sur les régions infernales. A côté de la demeure de Nuit et Jour, Hésiode place l’Hadès dont l’entrée est gardée par Cerbère (Théogonie, 767-774). Le chien à l’intérieur de la grotte, bien qu’il soit monocéphale (cela se rencontre sur d’autres représentations), serait Cerbère : l’animal semble s’agiter et montre ses crocs. Sa queue, anormalement longue et recourbée, rappellerait la forme d’un serpent. Le lécythe illustrerait donc le dernier travail d’Héraclès : le héros se trouverait déjà dans les régions ténébreuses aux confins des terres et de l’Océan, et avant d’entreprendre sa catabase, il sacrifierait aux dieux de l’Olympe (notamment Athéna et Hermès) pour qu’ils lui viennent en aide. Si cette interprétation est exacte, ce lécythe serait le seul vase à figurer les abords infernaux : endroit montagneux, ténébreux et souterrain, mais dont l’entrée borde l’Océan. Nous ne sommes cependant pas convaincue par cette interprétation : rien ne prouve que l’animal soit à l’intérieur de la grotte, et non devant ; il est monocéphale et sa queue n’évoque pas vraiment la forme d’un serpent, ce qui impliquerait que le peintre ait sciemment gommé tout signe de reconnaissance du gardien infernal, alors qu’il a doublé les signes d’identification de Nuit, Soleil et Aurore (par leur symbole et les inscriptions). Et surtout, ni la littérature ni les images ne conservent de trace de sacrifice aux dieux olympiens dans la quête de Cerbère. Le sacrifice serait plus utile pour se concilier les dieux infernaux, et consisterait en victimes égorgées têtes vers le sol afin que le sang coule dans les entrailles de la terre, comme le fait Ulysse lorsqu’il va consulter Tirésias au royaume des morts. Sur le lécythe, ce n’est pas une fosse qui est
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Ainsi, avec les documents du Ve siècle, l’action de la scène semble s’être déplacée. Cerbère ne monte plus la garde à la porte du palais, mais est entraîné par Héraclès vers la surface. Il est donc normal que le trône et les colonnes qui indiquaient la demeure aient disparu. A moins que ce soit la vision même de l’Hadès qui ait changé : de palais, il est devenu gouffre surplombé de rochers, image très proche de celle fournie par la Théogonie. L’évolution de ces détails reflète l’évolution de la conception de l’Hadès en littérature. Chez Homère, en effet, deux conceptions se superposent, celle d’un royaume situé aux confins de la surface terrestre, et celle d’un domaine souterrain. Dans la littérature postérieure, la deuxième prévaudra. De même, dans les vases archaïques, le palais d’Hadès semble être au même niveau que le sol sur lequel se meut Héraclès. Aucune dénivellation n’apparaît entre l’arbre et l’intérieur du palais. Tout est disposé sur la ligne de base du cadre, fait habituel à cette époque, ce qui laisse au spectateur le choix d’y voir une contrée à la surface terrestre ou souterraine. Dans la première moitié du Ve siècle, cette ambiguïté n’est plus possible : avec l’émergence de Cerbère du sein d’un rocher, avec l’attitude d’Héraclès qui le tire vers le haut, l’unique solution est celle d’un royaume souterrain. Telle est la déduction que l’on tirera également d’une autre série d’images relatives aux engloutissements et aux anodoi. b) Engloutissements et anodoi La littérature grecque connaît deux formes d’engloutissement dans les Enfers, celui du devin Amphiaraos lors de l’expédition des Sept contre Thèbes, et celui de Perséphone après son rapt par Hadès. La terre s’est brusquement entrouverte, établissant ainsi un moyen de communication momentané avec le monde souterrain. Très peu de vases représentent ce moment précis. L’engloutissement d’Amphiaraos Pour l’époque qui nous concerne, nous n’avons recensé que deux représentations de la disparition d’Amphiaraos (les vases privilégient plutôt son départ pour l’expédition)25 : l’une sur un cratère à volutes de Spina, l’autre sur un lécythe à fond blanc. Le lécythe (A2, 1*) présente Amphiaraos sur son char (un bige), un homme assis à côté de lui. Les jambes des chevaux sont coupées par le cadre, procédé qui donne l’impression que la terre s’est entrouverte, même si elle n’est pas représentée. Amphiaraos, armé, lève un bras en signe figurée, mais un autel en pierre (et donc fixe) sur lequel brûle un feu où Héraclès fait rôtir des morceaux de viande. En l’absence de série, cette imagerie reste une énigme pour nous et il faut rester prudent dans son interprétation. 25 Sur Amphiaraos, voir P. Sineux 2007, notamment les pp. 59-73 qui concernent son engloutissement.
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d’adieu ou d’appel au secours. Des rameaux garnissent le fond. Le cratère (A2, 2*) comporte beaucoup plus de personnages, disposés sur deux rangées. E. Simon (1963, pp. 54-57) voit une relation entre les deux faces : la face A représente la lutte des Sept contre Thèbes et la face B l’arrivée des suppliants argiens à Athènes où ils viennent implorer Thésée de les aider contre les Thébains qui ne leur permettent pas d’enterrer les cadavres des sept chefs morts devant Thèbes. La scène de bataille est composée de plusieurs duels. Au centre du niveau inférieur, Amphiaraos disparaît sous terre. Comme sur le lécythe, il est armé et lève le bras ; un jeune homme est assis près de lui. Mais ils sont beaucoup plus enfoncés que sur le lécythe : on aperçoit seulement les têtes des chevaux (un quadrige) et le buste des deux hommes. Là encore, le cadre du tableau doit être identifié à la surface du sol. L’épisode est rapporté par Pindare (Néméennes IX, 24-27). Traditions iconographique et littéraire sont d’accord : Amphiaraos a été enseveli vivant et tout armé. Cependant les textes ne parlent pas du personnage représenté à côté d’Amphiaraos sur les vases et qui semble subir le même sort que le héros. Probablement s’agit-il de son cocher. S’il suppose un Hadès souterrain, l’engloutissement d’Amphiaraos ne laisse cependant rien voir du paysage infernal. La frontière entre les deux mondes est symbolisée par la ligne inférieure du cadre. Au spectateur d’imaginer la scène souterraine. Le rapt de Coré permet-il de dévoiler davantage d’éléments ? Le rapt de Coré Le seul document des VIe et Ve siècles conservé qui montre l’engloutissement du char d’Hadès est un skyphos fragmentaire à figures rouges d’Eleusis (A2, 3*)26. Au centre du tableau est figuré le gouffre terrestre (χάσμα γῆς) où s’enfonce le char d’Hadès comme dans l’Hymne Homérique à Déméter, vers 16-20. La terre, de couleur rouge, arrive au ventre des deux chevaux et à la caisse du char sur lequel sont installés Hadès et Coré. La violence de la scène se reflète dans l’attitude des deux dieux : Hadès a entouré de ses bras la taille de Coré ; cette dernière, un bras autour du cou du souverain infernal pour ne pas tomber, tend désespérément sa main gauche vers une figure féminine placée à l’arrière-plan du char. Au-dessus de la tête des chevaux flotte un petit Eros ailé, une couronne dans la main droite et un bâton (probablement le manche d’une torche) dans la gauche. Sa présence adoucit légèrement la brutalité du rapt27. Devant l’attelage marche Hermès, reconnaissable à son pétase, son caducée et ses chaussures ailées. Il a guidé le char jusqu’à son engloutissement et semble 26
Cf. R. Lindner, 1984, pp. 14-15, pl. 2-3. Sur les raisons pour lesquelles le vase serait le seul à représenter cet épisode, alors que nous possédons plusieurs anodoi de Perséphone, voir Cl. Bérard, 1987, p. 133. 27 Cf. Ovide qui, dans les Métamorphoses V, 379-384, met l’accent sur le rôle de Cupidon.
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faire un geste d’adieu de la main droite. Devant lui, est conservé un pan du vêtement d’un autre personnage. Et derrière le char, à gauche, reste le bas de deux figures, l’une avec un manche (peut-être une torche ?). Si le thème central est facile à reconnaître, l’identification des quatre figures qui l’entourent est moins évidente, car elles sont très fragmentaires. La femme vers qui Coré tend le bras et qui tient un sceptre est probablement Déméter, bien que dans l’Hymne Homérique la déesse n’assiste pas à l’enlèvement28. Juste derrière le char pourrait se trouver Hécate, si toutefois elle tient bien un flambeau. En effet, avec Déméter, elle est la seule à avoir entendu le cri de Coré (Hymne Homérique à Déméter, 22-25 et 54-58). Hécate et Déméter seront également présentes lors de l’anodos de Perséphone (Hymne Homérique à Déméter, 438440). Restent deux femmes que l’on pourrait identifier aux jeunes Océanides avec lesquelles jouait Coré lors du rapt29. Il existe quelques autres documents du rapt de Coré à cette époque, mais ils ne montrent pas la terre qui s’entrouvre : soit Hadès, à pied, poursuit Perséphone30 qui fuit ; soit Hadès et Coré se tiennent paisiblement sur le quadrige31. Les scènes se déroulent sur terre et ne concernent donc pas notre étude. En revanche, le retour périodique de la reine infernale auprès de sa mère Déméter est susceptible de nous fournir quelques renseignements sur la localisation des Enfers. L’anodos de Perséphone Dans la plupart des représentations, la faille terrestre d’où sort Perséphone n’est pas figurée. Les artisans utilisent divers procédés pour symboliser le domaine souterrain. Un fragment de couvercle de lékanè (A2, 9*)32 présente 28
Même si elle était absente, Déméter a entendu crier sa fille et s’est aussitôt mise à sa recherche : Hymne Homérique à Déméter, 39-44. 29 Cf. Hymne Homérique à Déméter, vers 5. D’aucuns ont vu, dans les deux figures situées derrière le char d’Hadès, Athéna et Artémis qui, d’après Euripide, auraient voulu aider Déméter dans sa recherche : Hélène, 1301-1318. Cf. Diodore V, 3, 4. 30 Amphore à col du Musée de Naples H 3091 (ARV2 647, 21 ; LIMC Hades 77) ; chalcédoine scaraboïde, New York, MMA 74.51.4199 (LIMC Hades 78). 31 Kalpis, Wurzbourg, Wagner Mus., H 4307 ou L 535 (ARV2 1112, 3 ; 1684 ; 1703 ; Add2 330 ; LIMC Hades 81). Voir aussi les Pinakes de Locres (LIMC Hades 62, 64, 65). Les représentations du rapt de Coré connaîtront un véritable essor au IVe siècle avant J.-C. (cf., par exemple, la tombe de Perséphone à Vergina). 32 Fragment de couvercle de lékanè à figures rouges, Berlin, coll. privée. Cl. Bérard (1974, pp. 99-101) y voit non la représentation du mythe, mais celle des rites initiatiques éleusiniens : ainsi s’expliquerait l’absence d’Hermès et la présence des hommes qui seraient des prêtres d’Eleusis. Sur le déroulement des cérémonies éleusiniennes, voir G. E. Mylonas, 1961, pp. 243-281.
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Hécate attendant Perséphone qui surgit du sol. De chaque côté du groupe, un homme barbu regarde l’anodos. Le couvercle est complété par un troisième homme barbu face à une femme qui tient un sceptre (Déméter ?) et une autre femme. Sur un lécythe aryballisque de l’Académie de Platon (A2, 12°), on voit le buste d’une femme en train de monter un escalier invisible, comme sur le cratère de New York (A2, 10*). Elle lève sa tête coiffée d’un cécryphale. Le sol est indiqué par une ligne. Peut-être s’agit-il de Perséphone. Elle est accueillie par Hécate qui l’éclaire de ses torches33. Sur d’autres représentations Hécate et Déméter disparaissent pour être remplacées par des satyres. Tel est le cas sur un lécythe à figures noires du Cabinet des Médailles (A2, 6°) : une énorme figure coiffée du cécryphale ainsi que deux mains semblent avoir jailli de terre sous les coups répétés de deux satyres. Les maillets paraissent gigantesques. Le décor est complété par deux colonnes doriques et des rameaux. C’est le cadre du tableau qui constitue ici la ligne de sol. Le col du cratère de Spina (A2, 8) auquel nous avons déjà fait allusion à propos d’Amphiaraos présente une scène presque similaire : le buste d’une jeune femme couronnée et tenant le thyrse apparaît. Des satyres avec des maillets (certains les ont posés pour danser) l’entourent. Derrière elle se tient un homme (torches ? en mains) que Buschor (1937, pp. 19-20) identifie au dadouque éleusinien. Le sol est ici symbolisé par la frise qui sépare le col de la panse. Il s’agit probablement, comme l’a souligné Cl. Bérard (1987, p. 134), de la représentation rituelle du mythe. Un cratère de New York constitue un document exceptionnel dans la mesure où il figure le χάσμα γῆς par lequel Perséphone regagne la terre (A2, 10*)34. La 33
Nous ne parlerons pas du cratère à figures rouges de Bologne 236 (A2, 7*) dont la scène est figurée sur un seul niveau. 34 New York 1928.57.23. Voir G. M. A. Richter, 1936, pp. 156-158 : des inscriptions identifient les personnages. Pour les représentations des différentes scènes d’anodos, cf. H. Metzger, 1944-1945 et 1965, pp. 11-14, ainsi que Cl. Bérard 1974. Sur le cratère en calice de Berlin 3275 (A2, 13°), l’anodos se situe sur la frise supérieure. Au centre d’une des faces, une jeune femme semble gravir un escalier (son genou gauche est plié et sa jambe droite tendue) ; elle lève la main droite en signe de salut et porte une couronne dans les cheveux. Son attitude est strictement identique à celle de Perséphone sur le cratère de New York. Sur l’autre côté, à la même place centrale, est figuré Hermès de face comme sur le cratère de New York, mais le caducée dans la main droite, la tête de profil et le pétase sur les épaules. Entre les deux divinités dansent huit satyres. La ressemblance d’attitude de la déesse et du dieu avec le cratère de New York permet d’identifier la scène avec une anodos de Coré. Mais le gouffre terrestre n’apparaît plus, seule la ligne de sol marque le passage. Nous laissons volontairement de côté le skyphos de Boston 1901.8032 (ARV2 888, 155 et 1673 ; Paral. 428 ; Add2 302 ; LIMC Persephone 249 = Aphrodite 1158), où la déesse n’est pas sûrement identifiée. Nous y verrions plutôt Aphrodite que Coré : la position frontale de la déesse et son vêtement ne se retrouvent pas dans l’anodos de Perséphone. En revanche, ils rappellent fortement la
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déesse couronnée sort du sol ; elle salue sa mère d’un geste de la main et est accompagnée par Hermès représenté de face au second plan (le relief du terrain masque ses pieds). En opposition avec la pose statique35 d’Hermès, Hécate marche vers la droite, mais se retourne vers Perséphone pour lui éclairer le chemin avec ses deux torches allumées. Déméter, quant à elle, attend calmement sa fille en s’appuyant sur son sceptre. La faille rocheuse qui sert de lieu de passage entre les deux niveaux cosmiques est vue en perspective et rappelle celle par où le char d’Hadès avait disparu sur le skyphos d’Eleusis (A2, 3*). Cependant cette faille n’est pas suffisamment large pour laisser entrevoir les Enfers. La présence d’Hermès garantit la communication entre les deux niveaux. Bien qu’il ait certainement présent à l’esprit l’Hymne Homérique à Déméter, le peintre a pris quelque liberté à son égard : le retour de Perséphone n’a pas lieu en char36, Déméter ne se précipite pas pour accueillir sa fille (Hymne Homérique à Déméter, 385-386), mais l’attend calmement ; enfin Hécate est présente, alors que dans l’Hymne elle arrive plus tard (vers 438-439). Sans doute le peintre a-t-il voulu rendre compte, dans une scène synthétique, de la future fonction d’Hécate qui précédera et suivra Perséphone lors de ses passages infernaux37. Les torches d’Hécate suggèrent en outre l’épaisseur des ténèbres infernales. Le cratère en calice de Dresde (A2, 11°) représente également, par une sorte d’ove, la bouche terrestre d’où sort Perséphone couronnée (inscription Φ[Ε]ΡΟΦΑΤΤΑ). Devant cette grotte attend Hermès, reconnaissable à son pétase et ses sandales. Il ne tient pas le caducée, mais une baguette qui d’ordinaire lui sert à invoquer les âmes38 : sa fonction de Psychagogos, de garant du passage entre la terre et les Enfers, est soulignée. De chaque côté, juchés sur les lignes des rochers, sont répartis trois satyres (pour lesquels les inscriptions sont illisibles). Par ses indications de paysage, ce cratère est unique pélikè de Camiros au musée de Rhodes 12454 (LIMC Aphrodite 1159 ; ARV2 1218, 2 ; Add2 349). 35 Cette pose inhabituelle d’Hermès s’inspire sans doute de la statuaire, peut-être de l’Hermès Ludovisi : cf. S. Karousou, 1961, p. 91. 36 Hymne Homérique à Déméter, 375-385. Nous ne possédons aucune représentation de l’anodos de Perséphone en char qui pourrait faire pendant au rapt. 37 Hymne Homérique à Déméter, 440. Hécate dadophore était déjà présente sur un pied de vase à figures noires du VIe siècle, Athènes, 1222 (A2, 4) qui représente l’anodos de Perséphone avec Hermès et Déméter. Elle apparaît également sur un cratère très fragmentaire à figures rouges d’Athènes 732 (A2, 5°) qui n’a pas conservé le personnage sortant du sol. 38 Cf. un lécythe du musée de l’université d’Iéna 338 (ARV2 760, 41 ; Paral. 414 ; Add2 286 ; LIMC Hermès 630) : un large pithos est enfoncé dans le sol. Hermès, de sa baguette, en fait sortir de petites figures ailées, les âmes.
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pour l’époque. La profondeur infernale est à la fois marquée par l’ovale figurant la bouche terrestre et par le bord du cadre : le buste de Perséphone semble surgir de la partie noire du vase comme s’il s’agissait des ténèbres infernales. Même si cette bouche ne nous livre aucun renseignement sur l’espace des Enfers, elle nous en transmet cependant l’atmosphère mystérieuse. La communication entre les deux mondes a lieu dans un paysage rocheux, assez semblable à celui qu’Hésiode évoquait dans sa Théogonie, vers 735-81939. La présence sur plusieurs vases de satyres cornus, évocateurs de Pan, le dieu des espaces sauvages, incite à localiser l’ouverture des Enfers dans les marges du monde des hommes. Le thème de l’anodos semble s’éclipser dans la seconde moitié du Ve siècle, avant de connaître un nouvel essor au début du IVe siècle, assorti de représentations légèrement différentes (cf. H. Metzger, 1944-1945, p. 311). Peut-être son succès était-il dû, jusqu’au milieu du Ve siècle, au fait que de nombreux auteurs de drames satyriques traitaient volontiers de ce sujet (ce qui expliquerait en partie, mais pas totalement, la présence de satyres assistant au retour sur terre de Perséphone)40. Néanmoins, comme nous l’avons vu dans la comparaison des représentations avec l’Hymne Homérique à Déméter, tradition littéraire et tradition iconographique ne s’accordent pas toujours, et l’iconographie se montre souvent plus synthétique. Pourtant elles concordent apparemment sur un point : elles suggèrent seulement l’espace infernal, sans jamais le décrire vraiment, et s’attachent simplement à indiquer la frontière entre les deux niveaux cosmiques, le χάσμα γῆς qui s’entrouvre pour établir une communication exceptionnelle. C’est également une ouverture exceptionnelle que pratique Ulysse lorsqu’il procède à une invocation des morts pour consulter le devin Tirésias. Ce célèbre épisode de l’Odyssée a connu, à partir du Ve siècle, un certain succès en images, notamment grâce à la Nékyia qu’avait peinte Polygnote à la leschè des Cnidiens à Delphes (A3, 1). c) La localisation infernale dans l’invocation des morts par Ulysse Nous commencerons donc par regarder si la description que Pausanias donne de ce tableau permet de nous faire une idée de la localisation infernale, puis nous considérerons les autres types de documents sur lesquels apparaît le voyage d’Ulysse aux Enfers. 39
Cette façon de représenter une anodos sera reprise, avec plus de précision au IVe siècle, comme le prouvent les cratères à figures rouges de Berlin F 2646 (ARV2 1443, 6 ; Add2 378) et de l’ancienne collection Hope, n° 163, au British Museum. 40 Pour une étude de ces vases, peut-être inspirés de scènes d’anodoi au théâtre, voir l’article de D. F. Sutton, 1975.
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La Nékyia de Polygnote à Delphes C’est grâce à un texte littéraire, la description par Pausanias des peintures de la leschè des Cnidiens à Delphes, que nous pouvons prendre connaissance de deux des tableaux de Polygnote41. L’une de ces peintures, l’Ilioupersis, représentait Ilion prise par les Grecs ; l’autre, la Nékyia, l’évocation des âmes par Ulysse. Cependant la disparition de ces œuvres soulève un grand nombre de difficultés, et une description littéraire, aussi détaillée soit-elle, ne rend jamais tout à fait compte d’une représentation figurée. Avec le texte de Pausanias, nous nous heurtons au problème posé par toute ecphrasis42 : les mots ne peuvent reproduire exactement un tableau. L’ecphrasis anime les figures fixes de la peinture, elle transforme la représentation en une narration d’actions successives (cf. J. A. W. Hefferman, 1991, pp. 301-302). En outre, l’écrivain attire notre attention sur certains détails. Sa description change donc la perception que le spectateur éprouverait devant le tableau. L’attitude de Pausanias vis-à-vis des peintures de la leschè fut sans doute proche de celle que décrit Michel Butor (1985, p. 97) : « même lorsque je décris aussi fidèlement que possible un tableau ou une gravure, j’ajoute, je “déplace les lignes”, je produis une anamorphose ». Les mots qui servent à décrire une œuvre produisent ainsi une autre œuvre, imaginaire, d’où la difficulté de reconstituer un tableau perdu et dont il ne reste plus qu’une description littéraire. Une tentative de reconstitution de la Nékyia se doit de prendre en compte ces déformations. Un autre problème s’ajoute, en relation avec notre sujet : est-il possible, d’après une ecphrasis qui s’attache avant tout aux actions des personnages et à leur interprétation, d’entrevoir des éléments architecturaux ou géographiques qui ordonneraient l’agencement du tableau ? Et, dans l’affirmative, cette structure obéirait-elle à une conception spatiale qui engloberait les deux œuvres de l’édifice ? Autrement dit, y a-t-il création d’un véritable espace, ou Polygnote s’est-il contenté de juxtaposer des groupes de personnages sans programme décoratif précis ? Nous nous sommes déjà intéressée (C. Cousin, 2000) à la structure de la leschè et à la composition des 41
Les renseignements sur Polygnote, fils du peintre Aglaophon et originaire de Thasos, ne manquent pas. Athènes lui avait accordé le droit de citoyenneté en remerciement des peintures qu’il avait exécutées gratuitement au Pœcile. A Delphes, pour la même raison, il était traité dans le sanctuaire d’Apollon comme un hôte public. Il avait également exercé son talent en Béotie. Sur sa vie et son œuvre, cf. A. Reinach, Recueil Milliet, n° 100 à 134. 42 Nous employons ce terme dans le sens que lui donne J. A. W. Hefferman dans Ekphrasis and Representation (1991, p. 299) : « ekphrasis is the verbal representation of graphic representation ». Dans le cas de Pausanias, il s’agit de la description d’œuvres réelles, une sorte de guide pour le voyageur. D’ordinaire, le terme d’ecphrasis s’applique plutôt à la description littéraire d’une œuvre d’art sortie de l’imagination de l’auteur. Cf. Sandrine Dubel, 1994.
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peintures qui l’ornaient. Nous renvoyons donc le lecteur à cet article pour le détail de la démonstration. Nous nous contenterons de reprendre ici les schémas relatifs à la composition générale du tableau (A3, 1) et les points qui servent notre propos sur les Enfers. Lorsque nous lisons la description du Périégète, nous sommes étonnés par le nombre des personnages dont il tient compte. Notre première impression est d’avoir à faire à un texte extrêmement précis, qui ne laisse rien échapper de la peinture. Pourtant, quand nous voulons reconstituer le tableau, nous nous apercevons que les indications spatiales fournies par Pausanias demeurent particulièrement vagues. L’écrivain se montre cependant méthodique en commençant d’un côté de la peinture pour aboutir de l’autre côté, sans mentionner les personnages au hasard. Ainsi, bien que le sujet soit l’évocation des âmes des défunts par Ulysse, le Périégète se garde de commencer sa description par le héros situé parmi d’autres personnages. Il présente d’abord l’Achéron, à gauche de la composition (X, 28, 1). L’ensemble de la composition de la Nékyia n’est pas symétrique. Ulysse que nous attendrions au centre de la peinture, d’après le sujet traité, se trouve déporté vers la gauche, au troisième plan (X, 29, 8), c’est-à-dire sur la rangée supérieure, puisque dans le tableau de Polygnote, la perspective est rendue par la superposition des personnages. Cette rangée supérieure est également occupée, à gauche, par deux compagnons d’Ulysse qui transportent des béliers noirs, offrandes pour les morts (X, 29, 1), et, à droite du héros, par Tirésias et Anticleia. Ces six personnages forment le noyau principal de l’évocation des morts, comme dans l’Odyssée (XI, 34-224). Les grands réprouvés (Ocnos, Tityos, Thésée et Peirithoos, Sisyphe, Tantale) délimitent et séparent les deux grandes « masses » qui s’opposent : les héroïnes, à gauche, et les héros, à droite. Le groupe d’Ulysse apparaît à la jonction des deux (X, 29, 9), au-dessus de Thésée et Peirithoos ainsi que de Cameirô et Clytia. Avec la Nékyia nous arrivons d’abord aux portes des Enfers, puis à l’intérieur même du royaume d’Hadès ; seuls Ulysse et ses deux compagnons évoquent encore la vie, bien qu’ils se situent au passage entre la vie et la mort43. Par l’abondance des personnages et leur disposition en différents niveaux, Polygnote a rompu avec la tradition de la frise adoptée au siècle précédent. La délimitation de l’espace infernal s’en trouve modifiée : une seule colonne au milieu ou au bord de la représentation, comme c’était le cas par exemple au VIe dans l’épisode d’Héraclès et de Cerbère, ne suffit plus pour signaler le royaume des morts. L’artiste utilise à présent non seulement des éléments de paysages (fleuve, rochers, lignes de sol), mais également des personnages comme « marqueurs » d’espace. Les différentes figures sont placées de façon à remplir 43
De même, la Nékyia homérique offre un « entre-deux » monde entre le bosquet de Perséphone et les portes d’Hadès.
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les vides, sur des lignes de sol multiples et sinueuses. Il en résulte une impression de perspective44. La ligne d’horizon de la Nékyia est située très haut, elle n’intervient qu’à la rangée supérieure, au niveau d’Ulysse et de ses compagnons. Sa fonction est de dissocier royaume terrestre et royaume infernal en donnant l’impression que ce domaine, qui est peint sous les pieds d’Ulysse, est souterrain. D’ailleurs les renseignements fournis par Pausanias concordent pour situer l’Hadès sous terre. Il emploie le verbe καταϐαίνω, « descendre », pour désigner le voyage d’Ulysse : Ὀδυσσεὺς καταϐεϐηκὼς ἐς τὸν Ἅιδην, « Ulysse descendu dans l’Hadès » (X, 28, 1). Certes, la catabase est à cette époque le terme obligé pour toute fréquentation des Enfers, mais la fosse creusée dans le sol (X, 29, 8), confirme cette idée d’un lieu souterrain. Les âmes devront remonter vers la surface terrestre, comme dans l’Odyssée, pour boire le sang. Enfin, le fait d’avoir placé Ulysse et ses compagnons tout en haut du tableau, laisse supposer que les personnages situés au-dessous d’eux se trouvent à l’intérieur de la terre, et non à sa surface. Cette Nékyia de Polygnote a exercé une grande influence sur les représentations infernales postérieures, et en particulier sur un groupe iconographique d’Italie du Sud dont le plus célèbre représentant est le vase de Canosa, mais le sujet apparaît en céramique dès les années qui suivirent sa réalisation45. La création d’un nouveau répertoire L’illustration du chant XI de l’Odyssée où Ulysse, sur les conseils de Circé, se rend au pays des morts, a donné lieu à deux types de représentations, à vrai dire très proches l’une de l’autre : la conversation du héros avec Elpénor, puis avec Tirésias. Ce sont des sujets nouveaux, inconnus de l’époque archaïque, et sans doute mis à la mode par la Nékyia de Polygnote où ces deux thèmes étaient traités. L’unique représentation que nous possédions avec Ulysse et Elpénor est celle d’une pélikè attique à figures rouges, attribuée au Peintre de Lycaon (A3, 3°)46. Des inscriptions assurent l’identification des personnages. Ulysse, au 44
Le même genre d’illusion se retrouve dans les fresques, plus tardives (1er siècle avant J.-C.), de l’Esquilin (LIMC Acheron 2 = Elpénor 8). 45 Il faut cependant faire preuve d’une grande méfiance dans les comparaisons, car, même si les sujets dont elles s’inspirent sont sensiblement identiques, peinture murale et céramique font appel à deux techniques différentes. Les peintres de vases ont leur propre technique picturale : ils disposent d’une place plus réduite et les personnages, couleur de l’argile avec quelques rehauts de blanc ou de rouge, se détachent sur fond noir. 46 Pélikè de Boston, 34.79. Cf. L. D. Caskey, 1934. Pour une bibliographie du vase, voir O. Touchefeu-Meynier, 1968, p. 135.
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centre du tableau, est assis sur des rochers marqués par des lignes sinueuses, près de l’entrée des Enfers. Son attitude est méditative : il appuie le menton sur le poing droit, le coude posé sur la cuisse. De la main gauche, il a tiré son épée selon les instructions de Circé (Odyssée X, 535-537 et XI, 49-50). Il vient d’égorger les victimes (un agneau et une brebis) en leur tournant la tête vers l’Erèbe : le peintre avait sans doute parfaitement en mémoire les passages de l’Odyssée (X, 526-534 et XI, 35-47), car les victimes gisent aux pieds d’Ulysse, et du sang s’en écoule vers l’entrée infernale, d’où sort à demi Elpénor. Sans force (il est obligé de se soutenir aux rochers qui encadrent l’entrée), il regarde vers Ulysse. L’aspect marécageux de l’endroit est noté par les roseaux. Et même si le peintre n’a pas jugé utile de représenter l’eau, l’abondance de ces plantes y supplée largement, surtout lorsqu’on a en mémoire la Nékyia delphique où des roseaux bordaient l’Achéron. Derrière Ulysse se tient Hermès reconnaissable à son casque et à ses chaussures ailées ainsi qu’à son caducée. Il semble étonné de l’apparition d’Elpénor. Le dieu n’était pas mentionné au chant XI de l’Odyssée, et il ne figurait pas non plus dans la peinture de Polygnote. Cependant, sa présence ne doit pas nous étonner outre mesure : c’est lui qui accompagne Héraclès aux Enfers47, et son rôle de psychopompe que nous reverrons sur les lécythes à fond blanc le désigne, plus qu’un autre dieu, pour guider Ulysse. En outre, il remplit l’espace laissé libre derrière le héros, équilibrant ainsi la composition et permettant à l’artiste d’évoquer symboliquement trois mondes différents : les morts avec Elpénor, les vivants avec Ulysse et les immortels avec Hermès. Le peintre a bien mis en évidence les deux éléments constitutifs du paysage infernal homérique, le marécage et les rochers dont l’un s’élève jusqu’à la frise supérieure comme s’il s’agissait d’un relief montagneux. Quant à l’atmosphère, suggérée par l’attitude des personnages, elle apparaît morne et sombre. Bien des détails se retrouvent dans la description de Pausanias sur la Nékyia de Polygnote : les rochers, les roseaux (qui, chez Polygnote, bordaient l’Achéron), Elpénor et Ulysse. On a l’impression d’un groupe extrait d’une composition plus vaste. Cependant on ne peut parler de simple imitation, ne serait-ce que par la présence d’Hermès, mais aussi parce qu’Ulysse est assis, et non accroupi comme à la leschè (Pausanias X, 29, 8). On a sans doute ici un bel exemple d’adaptation d’une grande peinture murale à l’espace plus restreint et courbe du vase. Dans l’Odyssée, après l’ombre d’Elpénor, Ulysse voit venir à lui le devin Tirésias et le questionne sur son avenir. Cet entretien a aussi fait l’objet de quelques représentations dans l’art de cette époque. Trois monuments, dont 47
La fonction d’Hermès comme accompagnateur lors des nékyiai est particulièrement importante à cette époque : il guide aussi bien Héraclès qu’Ulysse et Orphée dans leurs voyages pour l’au-delà. Il se trouve également au côté de Perséphone lors de son anodos. Sur le rôle d’Hermès dans la céramique, voir P. Zanker, 1965.
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deux sûrement, évoquent cette rencontre, tous trois de localisations différentes, ce qui prouve la popularité grandissante du thème : l’un est un buste de Tirésias trouvé à Samothrace, l’autre un cratère attique et le troisième un miroir étrusque. Le buste d’un homme barbu en marbre, a été découvert dans le village de Samothrace en 1939, dans le mur d’un bâtiment moderne, mais il provenait du lit de la rivière du sanctuaire. Malgré sa corrosion, on peut le dater du milieu du Ve siècle environ. Ils possède deux caractéristiques inhabituelles : il n’a que peu d’épaisseur et l’arrière n’est pas achevé (A3, 2°). Ces caractéristiques se retrouvent sur une statue féminine découverte dans la même région en 1938 (cf. K. Lehmann-Hartleben, 1940, p. 354). Les deux pièces devaient appartenir à un groupe de sculptures architecturales d’un édifice du sanctuaire qui s’est effondré dans la rivière. Leur peu de relief, leur dos négligé et leur différence de taille laissent supposer leur appartenance à un fronton. Le buste de l’homme barbu a servi de modèle à un dessin de Cyriaque d’Ancône en 1444 : la reproduction, assez fidèle, permet de rétablir les détails érodés48, notamment le caractère particulier des yeux. Ils sont fermés sur le dessin, alors qu’ils sont profondément creusés sur la sculpture, mais il s’agit d’une réfection moderne. Le sculpteur a représenté ainsi la cécité du personnage49. Une seconde caractéristique permet d’identifier la statue : une sorte de moulure de pierre court à la base du buste, indiquant qu’il émergeait du sol50. Un homme aveugle, barbu, enveloppé d’un manteau, portant un bandeau dans les cheveux51 et sortant de terre : une telle description ne s’applique qu’à Tirésias affleurant des Enfers pour prédire à Ulysse sa destinée. Le fronton imageait donc une consultation des morts. A côté de Tirésias devait se trouver Ulysse, peut-être avec ses compagnons. La dimension du buste suppose qu’il était localisé vers un bord, alors que la statue féminine, plus grande, était plus près du centre. Son état de conservation empêche toute identification. Si l’on considère l’Odyssée, la première femme qu’Ulysse voit et à laquelle il parle juste après Tirésias, est sa mère, Anticleia. C’est également elle que Polygnote a peinte près du groupe à la leschè de Delphes. Si le relief de Samothrace avait bien pour sujet le monde
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K. Lehmann-Hartleben, 1943. Cyriaque l’a intitulé, à tort, Aristote. Cf. les représentations d’Homère aveugle. Les yeux fermés sur la lumière extérieure symbolisent pour les Grecs la cécité. 50 Cette « moulure » est indiquée par une ligne horizontale parallèle à la base sur le dessin de Cyriaque. 51 Barbu, Tirésias l’est sur le cratère du Cabinet des Médailles 422 (A3, 4°). Un miroir étrusque le représente imberbe, un bandeau dans les cheveux (A3, 5°). 49
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infernal, on pourrait donc y supposer Anticleia, à moins qu’il ne s’agisse d’une déesse (Athéna par exemple) protégeant le héros52. Le cratère du Peintre de Dolon figure également une consultation de Tirésias (A3, 4°) dont la composition ressemble fort à celle de la pélikè de Boston. Ulysse, assis au centre, est encadré par deux personnages debout. Pourtant, la scène est différente : les deux figures, de chaque côté, sont des êtres vivants (et non un mort et un dieu), sans doute les compagnons d’Ulysse, Euryloque et Périmède, qui ont dépouillé les victimes sacrificielles (cf. Odyssée XI, 23-24 et 44-45) : celui de droite brandit encore son épée, tandis que l’autre s’appuie sur sa lance pour regarder la scène. On aperçoit les têtes des victimes tournées vers l’Erèbe, et le flot de leur sang sous les pieds d’Ulysse. Ce dernier est assis sur un amoncellement de galets (et non sur un rocher comme sur la pélikè de Boston). Sa main droite, qui tient son épée maculée de sang, s’appuie sur son genou. L’air triste, il penche légèrement le torse et la tête pour fixer le sol, d’où émerge la tête de Tirésias. Le peintre en a simplement marqué la silhouette pour montrer qu’il n’est qu’une ombre, pâle image des vivants. Son œil, seulement indiqué par trois traits, marque sa cécité. L’attitude et les visages des trois hommes, ainsi que l’apparition du fantôme, reflètent une atmosphère lourde de tristesse et aussi de peur. A part les galets, aucun élément de paysage caractéristique n’est dessiné. Seul l’aspect souterrain du royaume d’Hadès est mis en évidence avec l’émergence de Tirésias. Si, au VIe siècle l’imagerie laisse planer parfois un doute sur la localisation infernale, la vision d’un domaine souterrain s’affirme avec le temps, et au Ve siècle, elle est la conception dominante. Parmi les divers procédés auxquels recourt l’image pour rendre cette conception en céramique, l’embouchure du gouffre ou la faille dans les rochers sont rarement dessinées. Sur les bas-reliefs, la limite terrestre est souvent marquée par une barrière de rochers. Mais quel que soit le document, c’est la coupure de la ligne de sol ou du cadre inférieur par l’un des personnages qui est la plus fréquente, probablement parce qu’elle présente plusieurs avantages. Le premier, et non le moindre, est un avantage technique : l’artisan se sert de ce qui existe déjà, sans avoir à ajouter d’éléments. Le seul fait de couper un personnage indique que le passage entre les deux mondes répond à un mouvement vertical et souligne par conséquent l’aspect souterrain des Enfers. Ce procédé laisse libre cours à l’imagination du spectateur qui reste libre de peupler à sa guise le monde des ténèbres. Enfin, il permet d’insister sur la notion de frontière entre l’ici-bas, visible sur l’image, et l’au-delà, invisible aussi bien sur la représentation que par son étymologie 52
Cependant aucune représentation de l’évocation des morts par Ulysse ne figure de déesse.
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populaire. La frontière de l’Hadès reste ainsi infranchissable aux vivants, parmi lesquels se placent les éventuels spectateurs. Néanmoins, quelques bribes d’éléments paysagers se laissent parfois deviner, que nous allons à présent étudier afin d’essayer de définir s’il existait, dès cette époque dans l’imaginaire grec, un espace et un paysage des Enfers.
CHAPITRE 7. ESPACE ET PAYSAGE INFERNAUX SUR LES IMAGES En dehors des personnages, on dénombre sur les images peu d’éléments susceptibles de caractériser le décor dans lequel se déroule l’action : un arbre ou des branches, une (ou des) colonne(s) surmontée(s) ou non d’une architrave, un trône, un rocher, que l’on retrouve d’une représentation à l’autre, mais jamais réunis sur une même représentation. La colonne est assurément la plus fréquente. Il faut se demander quelle est la valeur de ces éléments : sont-ils simplement anecdotiques (une fonction de remplissage, par exemple) ou interviennent-ils comme marqueurs d’espace ? Entretiennent-ils des relations particulières et, dans l’affirmative, celles-ci constituent-elles une structure unique et signifiante ? Peut-on en ce cas parler d’un cadre spécifique pour le royaume infernal ? Seuls un examen attentif et une mise en série de ces éléments permettront d’ébaucher une réponse à ces questions. 1. La « maison d’Hadès » Dès les premiers textes, nous l’avons vu au chapitre 3, les Enfers sont appelés « maison d’Hadès » et pour s’y rendre les âmes doivent en franchir les portes. Ce cadre architectural se décèle également dans l’imagerie, où une colonne, vision métonymique des portes ou du palais, symbolise très fréquemment le royaume infernal, notamment dans les représentations de la capture de Cerbère. Comme l’avait déjà remarqué R. Vallois (1908, pp. 359360), les images grecques ne se veulent pas la copie fidèle d’une architecture. Elles n’hésitent donc pas à réduire le portique à son plus simple élément, la colonne, surmontée ou non de son entablement. Ce procédé suffit pour suggérer au spectateur l’idée d’une maison. C’est parfois la seule indication de lieu. a) La colonne Il n’existe pas de colonne particulière qui évoquerait systématiquement l’Hadès ; les peintres en varient les représentations selon les nécessités de l’image. Ainsi, la colonne peut apparaître seule avec son chapiteau, le plus souvent d’ordre dorique, comme sur la pélikè de Boulogne 412 (A1, 19°) ou l’amphore de Berlin F 1880 (A1, 11°), où elle est située au centre de la scène. A 221
sa gauche, Héraclès tient la chaîne avec laquelle il va attacher Cerbère. Pour être libre de ses mouvements, il a appuyé sa massue contre la colonne. A droite, dans son palais, Perséphone lève le bras droit en signe d’accord ou d’au revoir. Elle s’apprête en effet à partir : si sa tête et son buste sont encore face au héros, ses pieds sont déjà tournés vers la droite. Au centre, l’arrière-train dans l’Hadès, mais les têtes dépassant vers l’extérieur, est représenté Cerbère tricéphale. La disposition des têtes (deux devant la colonne et la troisième derrière) crée une illusion de profondeur. Par le nombre réduit de personnages, la position de la colonne et du chien, l’artiste a su se montrer original dans le traitement de l’épisode. Sur une œnochoé du Cabinet des Médailles (A1, 108°) qui date du début du Ve siècle et où Héraclès n’est pas figuré, Cerbère se tient devant Hermès comme un animal domestique. Il baisse une tête et lève l’autre, soit pour écouter Hermès, soit pour se laisser caresser. Le dieu en effet lève la main droite. De la main gauche, il tient la laisse de l’animal. A l’arrière-plan se dresse une colonne dorique sur laquelle est perché un oiseau. Des rameaux ornent le fond. Si la colonne symbolise le palais d’Hadès, il s’agit bien de la capture du chien. Cependant, ce serait la première fois qu’un oiseau surmonte une colonne infernale. Par ailleurs, il ne s’agit pas d’une chouette qui aurait évoqué Athéna. Ne pourrait-on pas voir dans cette colonne, cet oiseau et ces rameaux les symboles d’un palais terrestre ? Dans ce cas, Hermès s’apprêterait à reconduire Cerbère de la demeure d’Eurysthée aux Enfers. Nous touchons là encore à l’ambiguïté des objets (la colonne, les rameaux) qui, intrinsèquement, ne sont pas porteurs d’une signification eschatologique. Parfois la colonne dorique est située sur la droite de la représentation, comme sur l’amphore du musée de Boulogne 68 (A1, 18°) où Héraclès a enchaîné Cerbère et fait un signe à Perséphone qui lui répond devant son palais. Entre Héraclès et Cerbère, Hermès se penche sans doute pour flatter le chien. Des rameaux garnissent le champ. Bien différente est l’attitude d’Héraclès sur une amphore du Peintre d’Eucharidès à Londres (A1, 37*) : le héros entraîne Cerbère bicéphale au bout d’une chaîne en le menaçant de sa massue. Hermès, à l’arrière-plan du chien, se retourne vers le palais infernal à l’intérieur duquel Perséphone s’apprête à s’éloigner (elle regarde encore Cerbère, mais ses pieds sont tournés vers la droite). L’attitude d’Hermès et de Perséphone est sensiblement identique sur une autre amphore, trouvée dans la nécropole de la Banditaccia à Caere, actuellement à la Villa Giulia (A1, 15*). Sans doute la colonne était-elle aussi située sur la droite sur une amphore très fragmentaire de Malibu dont la face A figurait l’enlèvement de Cerbère (A1, 23°). A gauche de la colonne dorique subsistent l’épaule et la main levée d’Hermès, ainsi qu’un bout de son pétase. Héraclès devait se trouver derrière le dieu. L’arrière-train de Cerbère est seul conservé. A droite, Hadès tient un bâton dans la main gauche et
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lève le bras droit. Il semble avoir quelque chose dans sa main droite (une pierre ?). Très souvent, cependant, la colonne supporte une architrave dorique, plus ou moins grande selon la place disponible, ce qui donne l’impression de voir le portique infernal de profil. Ainsi sur les amphores du Vatican 372 (A1, 12*), de Starnberg (A1, 10*), de Moscou 70 (A1, 3°), du Louvre F 204 (A1, 4*) et de la Villa Giulia 48329 (A1, 15*), ou sur une amphore à col vendue le 4 juin 1937 (A1, 24°) : Héraclès, le bras tendu, tient Cerbère enchaîné, mais encore sous le portique infernal. A côté de Cerbère, Perséphone s’apprête à rentrer dans l’Hadès tout en se retournant vers le héros. Hermès, à gauche, le soutient. Sur une hydrie de Boston (A1, 6*) à droite, Hadès, sous le porche de son palais, adresse un geste à Hermès situé à gauche de la colonne et qui se retourne vers Athéna en levant la main droite. La déesse répond à son signe. Entre Athéna et Hermès, Héraclès flatte un des museaux de Cerbère bicéphale. Ce dernier semble se laisser prendre par la douceur. Sur une kalpis à figures noires (A1, 33°) du Peintre d’Eucharidès, Hermès parlemente avec Perséphone debout sous le portique du palais matérialisé par la colonne dorique et l’architrave. Elle tient un sceptre et regarde Hermès. Il se trouve devant le palais, lève la main gauche vers Perséphone, mais tourne la tête vers Héraclès. Il tient la chaîne pour attacher Cerbère dans la main gauche. Héraclès, quant à lui, écoute et reste immobile, appuyé sur sa massue. Cerbère une tête tournée vers l’extérieur, l’autre vers l’intérieur, monte la garde à l’entrée du portique où se trouve également un énorme serpent (symbole du royaume souterrain ou rappel de l’aspect serpentiforme de Cerbère ?). L’université de Leipzig possède également une amphore très fragmentaire du Groupe de Léagros (A1, 20*) : Héraclès, à gauche devant le palais d’Hadès, n’a pas de massue, mais tient une chaîne dans la main gauche. Il lève la main droite vers Cerbère dont les deux têtes sont retournées vers l’intérieur du palais. Derrière le chien, Hermès lève la main droite (en signe de départ ?). Perséphone (et non Athéna comme le mentionne le CVA) le suit. La déesse, en effet, n’est pas armée, et, dans cette série, Athéna n’est jamais représentée à l’intérieur de l’Hadès : seul Hermès y est admis (cf. supra pp. 200-201 et infra p. 226). La petite hydrie à figures noires de Naples 81102 (A1, 9°) donne la séquence postérieure : Perséphone, toujours debout sous l’édicule dorique, regarde Hermès et tend la main vers lui ; elle semble avoir été persuadée par ses discours puisqu’Héraclès a enchaîné Cerbère ; le chien le suit, têtes baissées. A gauche, Athéna en armes regarde la scène. Un artiste proche de l’art du Peintre de Nikoxénos illustre cette scène avec plus de violence sur l’amphore de Munich 2306 (A1, 21*). Héraclès semble n’avoir pu enchaîner Cerbère qu’après lui avoir planté une épée dans le cou. Une tache brune souligne la blessure. Le héros cherche à entraîner le chien qui résiste et montre les crocs. Hermès, agenouillé à l’arrière-plan, tente de l’amadouer. Athéna, à gauche, assiste à la scène. Cerbère est à moitié sorti du palais à la 223
colonne et à la frise doriques. De l’intérieur, Perséphone avance le bras droit et montre les deux têtes de Cerbère, soit pour donner son accord, soit pour réprouver le geste d’Héraclès. Le Peintre d’Antiménès a imaginé une mise en scène exceptionnelle de l’épisode sur le col de l’hydrie de Wurzbourg L 308 (A1, 8*) : la colonne dorique, supportant un minuscule morceau d’architrave, est reléguée à l’extrême gauche de l’image. Les souverains infernaux marquent les limites de la scène : Perséphone, à gauche, sort du palais en levant la main gauche ; Hadès barbu, tenant un sceptre, est assis sur une chaise pliante, à l’extrême droite. Entre les deux, de gauche à droite, nous voyons Iolaos avec une lance, Cerbère bicéphale qui regarde Héraclès (le héros marche en levant sa massue et en se retournant), Hermès qui se retourne également, et Athéna immobile qui regarde la scène et esquisse un geste (pendant de celui de Perséphone). La composition en file, avec un large espace entre chaque personnage, due à la situation de la scène sur le col de l’hydrie « permet d’envisager deux plans divergents », ainsi que l’a démontré L. Chazalon1 : la courbe du vase conduit l’œil du spectateur à placer Hadès et Perséphone sur le même plan, à l’entrée du palais, tandis que le reste du groupe s’éloigne des Enfers. Il arrive aussi que l’architrave soit supportée par une colonne ionique, comme sur les hydries du Louvre CA 2992 (A1, 13*) ou de Toledo 69.371 (A1, 14*), sur l’amphore de la collection Gallatin à New York (A1, 30*) et sur une amphore à figures rouges de Paestum peinte par le Peintre de Nikoxénos (A1, 28°)2, à la fin du VIe siècle. A gauche se dresse Athéna, le casque à cimier dans la main droite ; elle avance le bras gauche jusqu’à toucher Héraclès, comme si elle voulait le pousser vers Cerbère. Le héros se penche légèrement en avant. Il porte la léontè et brandit sa massue de la main gauche. Hermès, agenouillé au premier plan, flatte de la main droite une des deux têtes de Cerbère. De la main gauche, il tient une chaîne. Le palais d’Hadès est marqué par une colonne à chapiteau ionique qui soutient un entablement. A l’intérieur de l’édifice se trouvent Cerbère et Perséphone qui s’en va vers la droite et adresse un signe de main, sans doute un signe d’accord, à Héraclès3.
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L. Chazalon, 1995 a, pp. 168-169 ; cf. aussi E. Panovsky, 1975, pp. 55-60. Sur l’illusionnisme spatial dans la céramique, voir J. White, 1956, pp. 9-42 et D. Martins, 1989. 2 Amphore de Paestum. La face A présente quatre amazones en différentes poses, la face B, Héraclès et Cerbère. Cf. P. C. Sestieri, 1953. 3 Lors des fouilles d’Hérakleia, en Lucanie, on a retrouvé dans une stipe votive dédiée à Déméter, plusieurs fragments de céramique à figures noires de la deuxième moitié du VIe siècle avant Jésus-Christ, parmi lesquels un fragment représentant Cerbère bicéphale derrière une colonne (A1, 29°). Le chien baisse les têtes vers le sol. Il
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Exceptionnellement, le portique est vu de face, avec ses deux colonnes, comme sur l’amphore du Louvre F 241 (A1, 17°) ou une coupe à figures rouges d’Altenbourg (A1, 22*) : la capture se déroule devant la demeure. A gauche, un personnage vêtu d’un long chiton se tient debout, les pieds joints. Il s’agit sans doute de Perséphone. Devant elle, se hâte vers la droite Hadès, barbu et avec de longs cheveux. Il se penche vers l’avant et étend le bras droit, peut-être pour attraper le collier de Cerbère. Sa main gauche tient un long bâton (ou un sceptre ?). Il cache en partie une des deux colonnes de la façade du palais qui occupe le centre de l’image. Ces colonnes doriques se rejoignent par une architrave dont chaque côté se termine par une gargouille en forme de tête de bélier. L’ensemble suit la courbure du bord de la coupe. Le peintre n’a pas représenté le mur de la maison derrière ce portique. Au milieu de la scène se dresse Athéna, casquée. Elle se dirige vers la gauche, mais regarde à droite et étend son bras vers Héraclès comme si elle voulait le présenter à Hadès. Devant elle, on aperçoit le chien infernal dont la partie supérieure de la tête a disparu. Tout à fait à droite, Héraclès brandit sa massue de la main gauche et tient la laisse de Cerbère dans la main droite. Une certaine violence se dégage de cette représentation ; Hadès refuse de laisser partir Cerbère et s’oppose franchement à Héraclès, alors que Perséphone semble avoir donné son accord. Sur une amphore à figures noires avec inscriptions conservée à Naples (A1, 2°), les deux protecteurs d’Héraclès se trouvent de nouveau réunis et l’exhortent de leurs gestes : Athéna est armée et vêtue d’un long chiton, comme sur l’amphore du Louvre F 204 (A1, 4*), mais son geste est plus ample. Elle se tient derrière Héraclès recouvert de la léontè et portant une chaîne dans la main droite. Il a déjà posé la main gauche sur une des deux encolures de Cerbère qui résiste, arqué sur ses pattes antérieures. Hermès, à l’arrière-plan, tourne la tête vers Héraclès comme pour lui parler. Le portique du palais d’Hadès, où se trouve encore l’arrière-train de Cerbère, est plus détaillé que sur les vases décrits précédemment : il se compose de deux colonnes doriques blanches reliées par une architrave, et derrière la colonne de droite apparaît le mur de la maison (des lignes horizontales traduisent les jonctions des pierres ou le décor peint). Un cratère à colonnettes du Louvre (A1, 5*) fait preuve d’originalité, puisqu’il encadre les personnages par deux édicules soutenus par deux colonnes. Celui de gauche est fragmentaire (le haut a disparu) alors que celui de droite a conservé son architrave décorée de spirales, sa frise à damier et le bord du toit. Comment interpréter ces deux édifices ? Faut-il y reconnaître, à la suite de F. Villard dans le Corpus Vasorum, le palais infernal à gauche et la demeure d’Eurysthée à droite ? Ce serait la seule fois que les deux édifices seraient représentés sur la même image. Et pourquoi Hermès, suivi de Cerbère, passerait-il devant la s’agissait probablement d’une représentation de l’aventure d’Héraclès et Cerbère due au peintre de Nikoxénos. Cf. B. Neutsch, 1967, p. 135 et pl. 17, 4.
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demeure d’Eurysthée sans y pénétrer ? En effet, tous les personnages semblent situés devant les portiques, y compris Perséphone à gauche (la colonne passe derrière ses bras, et non devant). Par ailleurs, Athéna, à l’arrière-plan de Cerbère, interdit de placer la scène à l’intérieur des Enfers ; en littérature comme en peinture, la déesse ne franchit jamais les portes d’Hadès. Seul Hermès est habilité à le faire (cf. supra pp. 200-201 et p. 223). Si la scène se déroule sur le seuil des Enfers, comme la présence de Perséphone incite à le penser, rien n’empêche alors d’interpréter les édicules situés à l’arrière-plan comme les portes monumentales ou l’entrée du royaume infernal. A l’instar de l’hydrie de Wurzbourg L 308 (A1, 8*), nous aurions donc deux plans divergents dus à la position des personnages et à la courbe du vase : les deux portiques, sortes de propylées qui marquent l’entrée du palais, et Perséphone se situeraient presque sur le même plan, alors que le reste du groupe s’éloignerait des Enfers. Un skyphos de Wurzbourg, Wagner-Museum K 1802 (A1, 25°) représenterait lui aussi un propylée. La scène se déroule en continu, fait rarissime, sur les deux faces. L’une figure l’intérieur du palais infernal avec Perséphone debout qui gesticule et Hadès assis devant elle, mais qui détourne la tête vers l’entrée du palais marquée par un édifice à motifs décoratifs et colonne. Au-delà, sur l’autre face malheureusement très fragmentaire, sont peints Héraclès et Cerbère en présence d’Hermès. Devant le groupe, à l’extrême droite, se dresse un arbre au tronc noueux dont les branches s’étalent à l’arrière-plan des deux scènes. Sous l’anse, vole un oiseau, peut-être l’aigle de Zeus, symbole de la victoire d’Héraclès. L’amphore de Saint Louis, qui figure Hermès en compagnie de Cerbère, mais sans Héraclès, est aussi intéressante (A1, 109°)4, car elle livre partiellement une représentation des Enfers. La scène est séparée au centre par la colonne dorique symbolisant le palais d’Hadès ; elle soutient une architrave dont le côté gauche donne l’impression de reposer sur la palmette qui est située près de l’anse, comme si le portique était représenté de face et comme si Hermès y avait pénétré. A droite, au fond des Enfers apparaît le châtiment de Sisyphe. A gauche Hermès, désigne l’Hadès d’un geste du bras gauche, comme s’il incitait Cerbère à y retourner, cela ne fait aucun doute. Le chien, en effet, se dirige vers l’intérieur du palais, alors que dans toutes les représentations avec Héraclès, il tourne le dos au royaume des morts. Il s’agit donc bien d’un quatrième épisode de l’aventure. Et le dieu s’apprête, sa mission accomplie, à regagner la terre : il tourne les talons à l’Hadès. Serait-ce donc l’élément architectural qui donnerait à la figuration sa connotation infernale ? Il est vrai que la colonne apparaît sur beaucoup de vases relatifs à cette aventure. Mais on en dénombre au moins autant, sinon plus, qui 4
Jadis de la collection Robinson à Baltimore, à présent à Saint Louis. Nous nous opposons à l’interprétation traditionnelle qui y voit la capture de Cerbère par Hermès.
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ne possèdent pas cette architecture et où l’on reconnaît pourtant la catabase d’Héraclès ! En fait les peintres représentent tout palais de cette façon : ils réduisent l’édifice à son portique d’entrée vu de côté (une seule colonne) ou vu de face (deux colonnes). C’est déjà ainsi qu’est figurée la maison de Pélée sur le vase François5, où l’on devine le porche, la porte et la décoration des murs. Les artistes utilisent aussi assez souvent le cadre du tableau pour donner l’impression que Cerbère sort du palais dont on aperçoit simplement la colonne d’entrée. Or dès les premiers textes, le royaume des morts est considéré comme un palais avec une porte. Quoi d’étonnant alors de retrouver cela en iconographie ? Le peintre veut certes peindre le palais d’Hadès, mais il reproduit d’abord un palais normal, que rien ne différencie d’un autre. Preuve en est la représentation de la décoration des murs sur l’amphore de Naples SA 267 (A1, 2° : les jointures des pierres sont soulignées par des traits horizontaux) ou le skyphos de Wurzbourg K 1802 (A1, 25°), et surtout la présence de gargouilles sur la coupe à figures rouges d’Altenbourg (A1, 22*) alors que la pluie n’est pas censée pénétrer dans le royaume souterrain. De façon analogue, les triglyphes sont, dans le décor en pierre, le souvenir d’extrémités de poutres en bois. Un motif architectural n’est pas nécessairement fonctionnel. Seul le contexte, et non la demeure en elle-même, permettra son identification au palais d’Hadès. Cependant, contrairement aux demeures terrestres, les portes ne sont jamais figurées derrière le portique, créant l’impression d’un espace ouvert laissé à l’imagination du spectateur6. Les rares témoignages de l’intérieur des Enfers ne modifient pas la perception générale du palais, toujours symbolisé par des colonnes sur un côté de la représentation, que ce soit sur un skyphos corinthien du tout début du VIe siècle (A1, 1°) ou sur le cratère de New York 08.258.21 de la seconde moitié du Ve siècle (A4, 30°)7. A l’instar d’une 5
Cratère attique à figures noires, dit « vase François », d’après le nom de l’archéologue qui l’a découvert, Florence, Musée archéologique 4209 (ABV 76, 1 ; Paral. 29-30 ; Add2 21 ; LIMC Peleus 212). Cf J. D. Beazley, 1986, pl. 24, 1. 6 A cette liste, nous ajoutons deux vases à figures noires dont nous n’avons pu trouver la reproduction, mais que H. B. Walters (1898, p. 297) place parmi ceux qui représentent le palais d’Hadès : le n° 30, amphore, Campana Cat. IV, 507 (A1, 40) et le n° 34, hydrie de Vulci, décrite par A. Feuerbach dans Bull. dell’Inst. 1840, p. 124 (A1, 41) : « la maison d’Hadès est représentée sous la forme d’un temple à l’intérieur duquel se trouvent Perséphone et, devant elle, Cerbère à deux têtes et queue de serpent. Héraclès, arc et carquois sur le dos, la massue sur l’épaule, reçoit la protection d’Athéna et d’Hermès. La déesse, à sa droite, fait un geste de la main droite ; le dieu le précède, le touchant de la main comme s’il voulait le calmer. » 7 Nous n’inclurons pas dans notre étude le lécythe à figures noires d’Athènes, Mus. Nat. 19765 (LIMC Hekate 95), car nous ne sommes pas entièrement convaincue par l’interprétation qu’en donne S. Karouzou, 1972. La scène est encadrée de deux colonnes à chapiteaux doriques. Quatre figures y sont représentées : celle du centre, très étrange,
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demeure terrestre, le peintre figure parfois un trône sur lequel prend place un des souverains infernaux. b) Le trône Le trône apparaît rarement, mais dès les premières représentations : il est vide sur un skyphos corinthien du début du VIe siècle trouvé à Argos qui offre à la fois la plus ancienne et la plus singulière représentation de l’exploit dans toute la céramique (A1, 1°)8 : Héraclès, muni d’un arc et d’un carquois, a pénétré dans l’Hadès. Il a franchi la colonne dorique (à droite de l’image) qui marque l’entrée du royaume des morts, est passé devant Cerbère effrayé, et a poursuivi son chemin jusqu’aux souverains infernaux. Il se tient, menaçant, une est encadrée par deux figures à gauche et une à droite qui se retourne et tend son bras droit de façon très autoritaire vers la figure centrale. Cette dernière se différencie des autres par sa coiffure. Elle semble ne pas avoir de pieds, mais elle surmonte le corps d’un chien. L’arrière-train de ce chien est d’ailleurs curieux : il paraît relié à un second chien. Les deux chiens sont en train de dévorer une petite figure humaine. Les quatre personnages féminins ont un bras caché sous leur himation. D’après S. Karouzou, l’encadrement de la scène par les deux colonnes montrerait qu’elle se déroule à l’intérieur de l’Hadès. La petite silhouette serait un eidôlon qui subirait un châtiment de la part d’Hécate, la figure centrale composée de trois corps, un de femme et deux de chiens. Elle porte sur la tête une sorte de casque, peut-être le casque d’Hadès qui rend invisible. Les figures féminines qui l’entourent seraient les Erinyes, chargées de punir parjures et matricides dans les Enfers. Dans la tradition littéraire, elles ne sont pas accompagnées d’Hécate pour exécuter leur tâche, mais la croyance qu’Hécate châtie les impies dans l’Hadès pourrait très bien être d’origine populaire. On aurait ainsi l’unique exemple en iconographie du châtiment d’un parjure par une Hécate chtonienne. Cette interprétation nous paraît hasardeuse pour plusieurs raisons. La première est le caractère unique de ce lécythe, qui interdit toute comparaison. Les colonnes, nous l’avons vu, ne localisent pas forcément une scène dans l’Hadès. Nous ne sommes pas sûre que la femme centrale ait un triple corps : les relations entre la femme, qui paraît être au premier plan, et les deux chiens ne sont pas clairement établies ; ce que S. Karouzou interprète comme une attache entre les deux chiens pourrait aussi bien être la queue du chien de l’arrière-plan ; quant à la queue d’Hécate, nous l’interpréterions plutôt comme la queue du chien situé au plan intermédiaire. Les trois femmes qui sont de chaque côté n’ont rien d’Erinyes. Or, à l’époque du lécythe (vers 460 avant J.-C.), le type iconographique des Erinyes semble déjà constitué. On en a un témoignage sur un lécythe à fond blanc de Wurzbourg, Wagner-Mus. ZA I (coll. Ludwig. LIMC Erinys 1) : des serpents s’enroulent autour de leurs bras, elles sont ailées, ont de longs cheveux et ne portent pas de casque comme sur le lécythe d’Athènes. Force est de constater que la signification de cette scène nous échappera tant que nous n’aurons pas de nouveaux points de comparaison. 8 Skyphos corinthien. Cf. A. Conze, 1859 et F. Brommer 1974, Taf. 24 b.
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pierre dans la main gauche levée9, devant Perséphone qui s’est, semble-t-il, levée de son trône. A moins que le trône ne soit celui d’Hadès qui, de peur, s’enfuit vers la gauche. Le souverain est reconnaissable au sceptre qu’il tient dans la main gauche. Il est barbu et tourne la tête en direction d’Héraclès. Hermès suit le héros. Il tient un long caducée, porte un large pétase et des chaussures ailées. De sa main droite, il fait un geste, comme pour retenir le bras d’Héraclès prêt à lancer la pierre10. Cerbère possède une tête de chien et deux têtes de serpents ; d’autres serpents lui garnissent le corps. Comme Hadès, lui aussi semble s’enfuir (mais vers la droite), et tourne la tête vers Héraclès. Ces deux figures encadrent le groupe plus calme de Perséphone, Héraclès et Hermès qui parlementent. Quoique la localisation des faits narrés ne fasse aucun doute (il s’agit bien de l’Hadès), peu de précisions nous sont offertes sur cet endroit : un trône et une colonne dorique, soit des éléments qui pourraient se retrouver dans n’importe quelle habitation terrestre ! Sur l’hydrie de Wurzbourg L 308 (A1, 8*) et sur l’amphore de la collection Gallatin à New York (A1, 30*), Hadès est installé sur son trône, sorte de chaise aux pieds en forme de X. Mais c’est Perséphone qui l’occupe sur l’amphore du Vatican 372 (A1, 12*) où des inscriptions identifient les personnages : Héraclès, au centre, soumet Cerbère tandis qu’Athéna armée se montre à gauche. Perséphone est assise, à droite, à côté de la colonne du portique qui soutient une frise dorique (l’alternance des métopes et des triglyphes est rendue par des carrés blancs et noirs). La vision est latérale, avec une seule colonne. Hadès, debout, la tête tournée vers Héraclès, est sorti du palais, et s’apprête à y retourner après la fin de sa discussion avec lui. Il est reconnaissable à sa barbe et à ses longs cheveux blancs, ainsi qu’au sceptre qu’il tient dans la main gauche. Cerbère, derrière Hadès, tourne paisiblement une tête vers Héraclès et l’autre vers le souverain infernal. Le trône est remplacé par une palmette sur une amphore de Starnberg (A1, 10*)11 ! A gauche, Athéna est présente. La lance qu’elle tient dans la main gauche marque la séparation avec Héraclès. Une chaîne d’une main, celui-ci avance l’autre main vers Cerbère, sans pour autant le toucher. Le troisième groupe est formé d’Hermès et de Cerbère. Le dieu, la tête tournée vers Héraclès et le bras levé, semble lui donner des conseils pour 9
De sa main droite, le héros tient un arc, et il porte un carquois sur son dos. Rien d’étonnant à ce qu’il n’ait pas la peau de lion et la massue, car ces attributs, selon A. Violante (1983), apparaissent dans l’iconographie seulement à partir du premier quart du VIe siècle. Au VIIe siècle et au début du VIe, les armes d’Héraclès sont l’arc, les flèches, l’épée et la cuirasse. 10 Aucun texte ne fait allusion à cette pierre, mais Euripide, dans Héraclès, 610-613, mentionne la victoire du héros après un combat. 11 Amphore à figures noires, Starnberg (Purrman), jadis collection privée de Montagone. Cf. K. Schauenburg, 1961, pp. 62 et 66-67.
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amadouer le chien bicéphale tranquillement assis sur son arrière-train et attendant qu’Héraclès l’enchaîne. Une colonne dorique blanche les sépare de Perséphone, assise sur une palmette de la décoration latérale, dans le palais d’Hadès. Le trône n’est cependant pas l’apanage des souverains infernaux, puisqu’il sert à Athéna sur la pélikè de Boulogne 412 (A1, 19°). Le vase présente une variante de la discussion pour obtenir Cerbère. La colonne dorique du palais d’Hadès occupe le centre de l’image. A droite se trouvent Cerbère et Hadès ; à gauche, Héraclès et Athéna. Le héros, la massue dans une main et une chaîne dans l’autre, s’adresse directement à Hadès, sans l’intermédiaire d’Hermès qui n’est pas représenté. Hadès, barbu, cheveux longs, tient son sceptre de la main gauche et montre Cerbère de la main droite, sans doute en signe d’accord. Athéna, assise (fait unique) à gauche, assiste à la scène. A l’entrée de l’Hadès, est figuré un serpent, comme sur l’hydrie de Bromley-Davenport (A1, 33°). Enfin, le siège peut faire office de châtiment, comme pour Thésée et Peirithoos qu’Hadès condamna à demeurer assis dans les Enfers pour avoir voulu enlever Perséphone. Nous aurons l’occasion de reparler de leur supplice qui a également lieu sur des rochers (cf. infra pp. 245-248). La plus ancienne représentation que l’on possède de ce châtiment n’est pas attique. Elle se trouve sur un bouclier, à Olympie, et date des alentours du deuxième quart du VIe siècle (A4, 27*). Les deux amis, barbus, sont assis l’un à côté de l’autre sur un trône qui s’apparente à celui du skyphos d’Argos avec Cerbère (A1, 1°). Ils tendent les mains vers Héraclès, barbu lui aussi, qui tire son épée d’un geste énergique. Des inscriptions assurent l’interprétation de la scène. On ne sait si Héraclès réussira à libérer les deux amis. Ils ont, en tout cas, exactement la pose décrite par Apollodore (II, V, 12). L’exploit d’Héraclès intéresse davantage l’artisan que la représentation des Enfers dont rien, à part le siège, ne nous est livré. C’est le même constat pour le médaillon d’une coupe du Peintre de Xénotimos, dans la seconde moitié du Ve siècle (A4, 31*) où Peirithoos apparaît seul, assis sur une chaise à dossier courbé. Les sièges ne sont donc pas des éléments caractéristiques du palais d’Hadès, d’autant plus qu’ils se retrouvent dans d’autres contextes, par exemple lors d’assemblées des dieux sur l’Olympe12. Représentés comme des fauteuils à dossier et accoudoirs au début du VIe siècle, ils deviennent des sortes de tabourets, de chaises aux pieds en forme de X, dans la seconde moitié du siècle. Si les éléments architecturaux ne sont pas assez pertinents pour signifier assurément le royaume infernal, peut-être trouverons-nous des caractéristiques plus certaines à travers les éléments de paysage que nous allons étudier à présent.
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Cf. l’amphore d’Exékias, Orvieto, Faina 78, face A (A1, 51*).
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2. La topographie Certaines représentations, en effet, font allusion à des éléments naturels (rochers, végétation, eau) qui interviennent par exemple lors des châtiments des grands criminels. Les trois damnés auxquels il est fait allusion dans l’Odyssée XI, 576-600, (Tityos, Tantale et Sisyphe. Cf. Chr. SourvinouInwood, 1986), figuraient dans la Nékyia de Polygnote. En revanche, dans l’iconographie archaïque, seul Sisyphe subit une peine au sein des Enfers. Son châtiment intervient très fréquemment sur les vases à figures noires, popularité que l’on retrouve en littérature. Il est d’ailleurs parfois accompagné d’autres criminels inconnus d’Homère, tels Ocnos ou les porteurs d’eau. Thésée et Peirithoos sont également condamnés à subir un châtiment dans l’Hadès. Puisque ces différents supplices se déroulent au plus profond des Enfers, leur iconographie devrait livrer une vision infernale inédite dans l’épisode de Cerbère qui avait lieu au seuil de ce royaume. Notre étude s’appuiera également sur la Nékyia de Polygnote, du moins sur la description qu’en donne Pausanias, ainsi que sur les lécythes à fond blanc qui montrent l’arrivée du défunt aux Enfers et où l’on trouve quelques détails paysagers. Il faudra alors se demander si leur rôle est de suggérer le paysage de l’au-delà et si l’on parvient, en les comparant, à définir ce qui constituerait la spécificité d’un espace infernal. a) Géomorphologie Contrairement à une idée reçue, l’Hadès n’est pas un endroit plat, du moins pas entièrement plat, tant en littérature qu’en iconographie. Et, comme chez Homère, les rochers sur les images infernales se concentrent dans deux régions bien précises, les abords et les lieux réservés aux châtiments des grands damnés. Une entrée vallonnée A partir du Ve siècle, nous l’avons vu dans les représentations de la capture de Cerbère (A1, 26*, 42*, 43* et 45*), l’entrée infernale est conçue comme une grotte. C’était aussi le cas sur une olpè à figures noires perdue (A1, 39*), bien que l’aspect souterrain ne soit pas suggéré puisque le sol de la grotte semble de même niveau que le sol terrestre. Héraclès tient par une chaîne Cerbère qui émerge derrière un rocher. A la différence des reliefs, Cerbère est bicéphale et le peintre n’a pas insisté sur les efforts du héros pour le tirer. Des rameaux garnissent le champ : appartiennent-ils aux abords infernaux ou au monde terrestre ? La proximité de la grotte d’où sort Cerbère plaiderait pour la première solution. Ils marqueraient en ce cas la double frontière infernale, comme sur les amphores de Moscou 70 et du Louvre F 204 (A1, 3° et 4*), les portes de l’Hadès étant remplacées par une région rocheuse.
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L’évolution de cette conception se confirme dans la Nékyia de Polygnote (A3, 1). Nombreux en effet sont les termes employés par Pausanias qui désignent un domaine montagneux et rocailleux, qu’il s’agisse des abords ou de l’intérieur13. Dès le début de la description, on trouve le mot ὄχθη à propos de la rive de l’Achéron (Pausanias X, 28, 4). Or, ce terme s’applique à une hauteur, et plus particulièrement à la rive escarpée d’un fleuve, ce qui suppose la présence de falaises ou de collines au bord du fleuve infernal et fait de l’accès aux Enfers une région accidentée. Cette caractéristique est récurrente tout au long du Ve siècle. La pélikè du Peintre de Lycaon (A3, 3°), où l’ombre d’Elpénor se tient aux rochers qui encadrent l’entrée infernale, et le cratère du Peintre de Dolon (A3, 4°), où Ulysse est assis sur un tas de pierres pour consulter les morts, en offrent des exemples. Néanmoins, on remarque dans ces scènes une indifférence croissante à un décor typiquement infernal : les roseaux et les rochers qui entouraient Elpénor sur la pélikè de Boston, se réduisent à un simple amas de pierres sur le cratère du Peintre de Dolon, puis à rien du tout sur un miroir étrusque un peu plus tardif, dernier document mettant en présence Ulysse et Tirésias (A3, 5°)14. La version présentée est légèrement différente. Des inscriptions en assurent l’interprétation : Ulysse (VΘVIE), à gauche, est assis sur un objet qui n’est pas représenté, probablement un rocher. Il brandit dans la main droite un glaive, ce qui suppose qu’il vient d’égorger les victimes (absentes de l’image, elles aussi) et de chasser les morts qui voulaient s’en approcher avant l’arrivée de Tirésias. Il regarde le devin (HINTIAL TERASIAS = ombre de Tirésias) qui se dirige vers lui, guidé par Hermès (TVRMS AITAS = Hermès de l’Hadès). Le devin, sans force, les yeux fermés, s’appuie sur une béquille et a posé la tête sur l’épaule du dieu. Ici, c’est la fonction de psychopompe d’Hermès qui est soulignée, et non plus celle de simple guide comme sur la pélikè de Boston (A3, 3°) : le dieu est allé chercher Tirésias dans l’Hadès. Le graveur s’est écarté de la tradition homérique où Tirésias vient seul, attiré par le sang des victimes. De nouveau, comme sur la pélikè avec Elpénor, nous avons trois mondes réunis : les morts avec Tirésias, les mortels avec Ulysse et les immortels avec Hermès. La composition, très resserrée, diffère des vases attiques. Hermès, debout, est encadré par deux personnages moins hauts (l’un assis et l’autre penché). Cette composition a sans doute été nécessitée par la différence de support : le tondo du miroir ne pouvait s’accommoder de la structure plus ou moins rectangulaire 13
Nous nous opposons en cela à l’interprétation de R. Schöne (1893, p. 210) qui voit l’Hadès de Polygnote comme une prairie. Voir infra pp. 248-249 pour la topographie dans la Nékyia. 14 Pour une bibliographie sur le miroir étrusque du Vatican 12.687, voir O. TouchefeuMeynier, 1968, n° 235, p. 139. Pour une liste des représentations de l’évocation des morts par Ulysse dans l’Antiquité, cf. F. Brommer, 1983, pp. 80-83.
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des tableaux d’un vase. L’artisan a supprimé tout élément de décor, estimant la scène suffisamment connue. On a donc l’impression qu’au fur et à mesure que l’on s’éloigne de Grèce et de la peinture de Polygnote, l’intérêt pour l’environnement décroît. Plus que le décor, ce sont les sentiments et la disposition des personnages qui retiennent l’attention de l’artiste, et l’on constate une véritable variation autour de la mise en scène des trois figures réunies pour chaque épisode : l’une, assise, est encadrée par les deux autres qui se courbent vers elles (pélikè de Lycaon ; A3, 3°), ou qui, au contraire, restent très droites (cratère du Peintre de Dolon ; A3, 4°) ; ou bien encore la figure du centre se dresse, entourée par un personnage assis et un autre qui se soutient à peine (miroir étrusque ; A3, 5°). Infinies sont les variations autour de trois personnages et l’harmonie qui en résulte : les artisans l’ont compris, et limitent souvent leur sujet, quel qu’il soit, à ce nombre. Si l’on veut trouver quelques indications sur l’aspect rocheux des abords infernaux, il faut se tourner vers une série bien particulière de vases : les lécythes à fond blanc. Les premiers exemplaires connus ornés de scènes funéraires furent produits dans des ateliers de figures noires, aux alentours de 470 avant Jésus-Christ. Ils connurent leur apogée dans la seconde moitié du Ve siècle pour s’évanouir au début du IVe siècle, remplacés le plus souvent par des lécythes ou des loutrophores en pierre. Leur production, limitée dans le temps, l’est également dans l’espace : la majeure partie provient de l’Attique, et en particulier d’Athènes. On y décèle une lignée continue et il ne fait aucun doute qu’Athènes est la patrie de ces lécythes à fond blanc, le point de départ d’une extension vers deux autres endroits : Erétrie où l’on en a découvert un très grand nombre, et la Grande-Grèce, notamment Gela15. A partir du milieu du Ve siècle, leurs thèmes deviennent presque exclusivement funéraires : ils illustrent certains rites que pratiquaient les Athéniens lors du décès et de l’enterrement (prothésis, scènes de lamentation, offrandes au tombeau) ou bien ils évoquent des croyances religieuses en représentant allégoriquement la mort à travers les personnages mythologiques de Thanatos et Hypnos, Hermès ou Charon. La barque du nocher s’approche d’un rivage parfois parsemé de pierres. Hermès a posé le pied sur l’une d’elles afin de discuter plus commodément avec Charon sur le lécythe de Cracovie 1251 (A3, 19*) : à gauche une femme, la tête voilée et un collier dans les mains, suit Hermès imberbe qui a posé le pied 15
Pour plus de précisions sur l’influence d’Athènes en ce qui concerne les lécythes d’Erétrie et de Grande-Grèce, voir K. F. Felten, 1971, pp. 53-60. Sur la fonction de ces vases, cf. D. C. Kurtz et J. Boardman, 1971, pp. 102-105, ainsi que D. C. Kurtz, 1975, pp. XIX-XXI, et 1984, pp. 321-325.
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gauche sur une grosse pierre. Il porte une chlamyde, un pétase et des chaussures à ailettes. Son bras gauche a disparu. Devant lui est ancrée la barque de Charon. Le nocher l’attend, coiffé d’un bonnet en fourrure et vêtu d’une exomide. Il a posé la main droite sur l’éperon de la poupe et s’appuie de la gauche sur sa perche. Derrière lui, une femme a déjà embarqué : elle est assise dans une attitude pensive, la tête appuyée sur la main droite. L’avant de la barque disparaît dans les roseaux. Certains éléments (roseaux, pierre, femme assise dans la barque de Charon) semblent caractéristiques du paysage infernal dans la mentalité grecque de l’époque, puisqu’ils figuraient déjà dans la Nékyia de Polygnote. Un lécythe d’une collection privée d’Athènes, décrit par A. Fairbanks (A3, 20) est fort proche de cette représentation : à gauche, Charon dans sa barque se penche en avant, la main gauche sur la proue, la droite sur la hanche. Il porte un vêtement court et un pilos. En face de lui se tient Hermès imberbe, le pied droit sur un amas de rochers et le bras droit sur le genou levé. Il a le caducée dans la main droite et porte chlamyde, pétase et bottes. A droite, debout et de profil, un jeune homme est entièrement enveloppé d’un himation. Ailleurs, c’est la défunte qui a posé un pied sur une pierre, comme sur le lécythe d’Athènes 1927 (A3, 44°). Charon, traits réguliers, barbe légèrement clairsemée, coiffé du pilos et vêtu d’une exomide, portant la perche sur l’épaule gauche, étend le bras droit vers la morte, sans doute pour l’aider à embarquer. Celle-ci, revêtue d’un himation qui lui laisse libre le côté droit, tient un alabastre. Son pied gauche prend appui sur une grosse pierre, à l’instar d’Hermès précédemment. Parfois de véritables rochers sont peints, qui offrent au messager des dieux la possibilité de s’asseoir. Le Peintre de l’Hypnos de New York nous offre ainsi une composition très originale (A3, 18*) : au centre, Hermès barbu, assis sur un rocher, regarde s’approcher la barque de Charon qui émerge d’une touffe de roseaux. Le nocher y est debout, le pilos rustique sur la tête, la perche dans une main. De l’autre, il gesticule. Son visage est ridé, aux pommettes saillantes, au nez proéminent et à la barbe clairsemée. Derrière Hermès, on voit la morte accompagnée d’une petite servante qui porte une corbeille et un coffret. Les mêmes éléments de paysage que sur le lécythe de Cracovie (A3, 19*), le rocher et les roseaux, sont figurés. Une autre fois, un enfant est perché, tel celui du lécythe de New York 09.221.44 (A3, 42*), au sommet d’un gros rocher. La scène est particulièrement émouvante : au centre un enfant nu, aux cheveux bouclés, est juché sur un rocher. De la main gauche, il tire un chariot miniature et il étend son bras droit vers une femme située derrière lui, sans doute sa mère. Celle-ci, enveloppée dans un manteau, le regarde longuement, sans pouvoir intervenir. A droite, la barque de Charon a accosté. Le nocher, tenant la poupe de la main droite et la gaffe de la gauche, attend et semble lui-même ému par la scène qui se déroule devant lui. Son visage est parfaitement régulier, sa barbe bien fournie. Il porte pilos et exomide. Le rocher, en surhaussant l’enfant, 234
permet d’équilibrer la composition, mais il n’est pas, à notre avis, un simple artifice. Un autre lécythe, celui d’Athènes 1814 (A3, 53°), présente en effet un véritable paysage montagneux. Il s’agit encore d’une scène avec un enfant. Ce dernier est assis au centre, sur un haut rocher qui se poursuit jusqu’à la frise supérieure. Nu, les cheveux bouclés, il tourne la tête et fait un geste vers Charon qui arrive à gauche. Le nocher, vêtu du pilos à fourrure et de l’exomide, tient la perche de la main gauche et répond au signe de l’enfant de la droite. Ses yeux sont grand ouverts, son nez proéminent, sa barbe clairsemée, mais il n’est pas effrayant. Sous l’enfant, sur le rivage, est posé un coffre. A droite s’approche une jeune femme (sa mère ?) avec un oiseau dans les mains. Le rivage abrupt qu’offre ce lécythe rappelle l’entrée des Enfers avec Elpénor sur la pélikè de Boston (A3, 3°). Certes, on peut alléguer que l’artiste a mis l’enfant sur des rochers afin d’équilibrer la composition : le lécythe de New-York 09.221.44 (A3, 42*) avait une disposition analogue. Cependant, nous l’avons vu, on retrouve des rochers, plus ou moins hauts, sur d’autres lécythes où n’apparaissent pas d’enfants. Ils s’intègrent tout à fait dans les traditions littéraire et iconographique qui concordent sur les abords rocheux de l’au-delà. La stèle, un marqueur d’espace ambigu Le lécythe de Munich 2797 (A3, 15*), qui montre Hermès barbu assis sur un rocher, laisse planer plus d’ambiguïté. Le dieu est vêtu d’une chlamyde et d’un pilos. Le coude droit posé sur la cuisse, il fait un geste en direction d’une femme debout devant lui en train de placer un diadème dans ses cheveux. Derrière elle on aperçoit une stèle qui confirme l’aspect funéraire de la représentation. La jeune femme n’est autre que la défunte qui se prépare, guidée par Hermès, à gagner le royaume infernal. Le chemin sur lequel elle s’avance est particulièrement rocailleux. L’action se situe-t-elle encore sur terre, comme le ferait penser la stèle, ou déjà aux abords infernaux ? Sur les lécythes à fond blanc, en effet, l’au-delà arrive fréquemment, de façon surnaturelle, jusqu’au monument funéraire : la barque de Charon y frôle la stèle. Le lécythe de New York 75.2.6 (A3, 54*) fournit un excellent exemple de cette juxtaposition des mondes. Il possède, au centre de l’arrière-plan, une stèle funéraire devant laquelle, au premier plan, se tient un jeune garçon de face, la tête tournée vers la barque de Charon, à gauche. La poupe se situe au-dessus du niveau des degrés de la stèle. Charon, genou droit plié, se penche en avant, la gaffe dans la main gauche, et tend le bras droit vers l’enfant. Son visage, surmonté du pilos, est régulier. A droite, de l’autre côté de la stèle, est figurée une jeune fille tenant une bandelette dans la main droite et une corbeille garnie de bandelettes dans la main gauche. Cette composition « à la stèle » connaîtra un véritable
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engouement au cours du dernier quart du siècle16. Cette scène résulte d’une synthèse du voyage du mort aux Enfers et des offrandes portées à la tombe. Le voyage en compagnie d’Hermès psychopompe est sous-entendu. Le peintre a opéré une sorte de syncope au niveau de l’image qui lui permet de montrer la barque du nocher infernal au pied de la stèle alors qu’elles appartiennent à deux régions et deux mondes très différents. La stèle remplace Hermès dans la mesure où c’est elle à présent qui marque la frontière entre l’ici-bas et l’au-delà. Elle constitue la porte qui donne accès aux Enfers (à gauche avec Charon). En deçà de la stèle se trouve le monde des vivants (à droite avec la porteuse d’offrandes). Le garçon, devant la stèle, est placé entre ces deux mondes. Il appartient encore au monde des vivants puisqu’il n’a pas franchi la stèle, mais il est déjà dans l’au-delà puisqu’il est mort et s’apprête à franchir irrémédiablement l’espace qui le sépare de Charon. Sur le lécythe de Munich 2797 (A3, 15*), la défunte, en s’approchant d’Hermès, a déjà dépassé la stèle et pourrait donc très bien se trouver près de l’entrée infernale, ou plutôt dans l’« entre-deux » monde qui sépare la terre des Enfers et dont les caractéristiques (ici les rochers) participent des deux domaines. On trouve aussi des zones plus ou moins montagneuses à l’intérieur du royaume infernal, notamment l’endroit où les grands criminels subissent leur peine. Les figurations de l’intérieur de l’Hadès Dans l’iconographie, deux châtiments font régulièrement appel à des rochers, ceux de Sisyphe et de Thésée et Peirithoos. Un troisième, celui de Tantale, apparaît dans la Nékyia delphique, mais ne se rencontre jamais sur les vases. Roi de Corinthe caractérisé par son habileté dans l’Iliade (VI, 152-154), Sisyphe est mentionné aux Enfers où il subit sa peine parmi les grands criminels selon l’Odyssée (XI, 593-600). Néanmoins, contrairement à ce qu’il dit des autres damnés, le poète tait la raison pour laquelle il a été condamné à pousser éternellement une pierre jusqu’au sommet d’une colline. La cause de la punition de Tityos est en effet indiquée : il avait voulu faire violence à Léto, la mère d’Artémis et d’Apollon (Odyssée XI, 580-581). Quant à Tantale, ses fautes sont décrites dans un fragment du Retour des Atrides rapporté par Athénée (281 b) : le héros, qui avait obtenu de Zeus la possibilité de demander tout ce qu’il voulait, ne pensait qu’aux jouissances matérielles. Un tel comportement ne manqua pas de provoquer la colère de Zeus. Et Pindare (Olympiques I, 54-64) 16
Voir par exemple les lécythes d’Athènes 1757 (A3, 58°), 1758 (A3, 57°), 1830 (A3, 60°) ; Varsovie 142468 (A3, 59*) ; Hambourg 1917.817 (A3, 76*) ; Copenhague 729 (A3, 77°) ; Louvre CA 537 (A3, 78*) ; Berlin F 2680 (A3, 80*) et F 2681 (A3, 81*).
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ajoute un méfait supplémentaire, qui explique l’importance du châtiment : il aurait dérobé le nectar et l’ambroisie pour les donner aux hommes. Les causes du châtiment de Sisyphe ne sont jamais aussi clairement données dans la littérature archaïque. Et souvent il est célébré pour sa prudence et son habileté17. Il faut attendre le Gorgias pour que Sisyphe, en référence à Homère, soit considéré comme criminel. Néanmoins, Platon ne le considère pas en tant qu’individu, mais en tant que roi, et le range dans le même lot que la plupart des rois à qui leur puissance fait commettre des crimes odieux18. Apollodore (I, 9, 3) révèle le véritable crime de Sisyphe : il n’aurait pas hésité à dévoiler au fleuve Asopos qui recherchait sa fille Egine qu’elle avait été enlevée par Zeus. Le roi des dieux, furieux, l’aurait condamné à rouler éternellement une pierre dans le monde souterrain. Cette contradiction entre habileté et châtiment du héros qui apparaît à première vue dans les textes se résout si l’on se réfère à la narration complète du récit chez Phérécyde19 : la cause du châtiment de Sisyphe est, par trois fois, son excès d’habileté. Sa faute est double : d’abord la trahison du roi des dieux (mais cela ne lui aurait coûté que la vie, sans peine dans l’au-delà), et surtout la transgression de l’ordre cosmique : ayant échappé deux fois à la mort, Sisyphe est puni parce qu’il a voulu enfreindre le lot commun des hommes ; en neutralisant la Mort il s’élevait au rang des Immortels. Il est à noter que sa peine se déroule toujours aux Enfers, contrairement à celles de Tityos et de Tantale que certaines traditions littéraires déplacent sur terre ou dans l’Olympe. Telle est l’image de Sisyphe fournie par les textes. Les représentations iconographiques la suivent-elles ? Nous apprennent-elles des détails supplémentaires sur l’espace infernal où Sisyphe subit sa peine ? Sisyphe y est presque toujours figuré comme criminel, en train de rouler une pierre jusqu’à la crête d’un tertre. Les témoignages de ce mythe sont beaucoup moins nombreux que ceux d’Héraclès et Cerbère, quoique Sisyphe soit le plus représenté des grands criminels infernaux (cf. W. Felten, 1974, pp. 23-32 et 37-38). Nous possédons actuellement vingt-et-un documents, dont dix-huit dans la céramique attique. Les trois autres sont deux coupes laconiennes et une métope d’Italie du Sud. Cet épisode était particulièrement en vogue dans le dernier quart du VIe siècle et au tout début du Ve siècle (presque tous les vases attiques datent de cette période). Au cours du Ve siècle, cette iconographie disparaît progressivement de la céramique attique, mais nous possédons, en peinture, le témoignage de la Nékyia de Polygnote à Delphes. Les coupes laconiennes et la 17
Voir Alcée, F. 38 a (Voigt), v. 5-10 ; Pindare, Ol. XIII, 52 ; Théognis, Poèmes Elégiaques, 702-712 ; Sophocle, Philoctète, 624-625. 18 Gorgias, 525 e, et aussi Axiochos 371 e. 19 FGrH Jacoby : Nr 3. Phérécyde, F. 119, scholie à Homère Il. VI, 153. Voir K. K. Simonsuuri, 2002, pp. 261-262.
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métope remontent au milieu du VIe siècle. Comme pour Héraclès et Cerbère, les représentations les plus précoces n’appartiennent donc pas à Athènes. Parmi les monuments attiques, nous comptons quinze figures noires, deux figures rouges et un lécythe à fond blanc : Sisyphe constituait donc un sujet de prédilection pour la figure noire, notamment pour les amphores à col (dix amphores pour une pélikè, un phormiskos et trois lécythes). En figure rouge, il est attesté seulement sur le tondo intérieur des coupes (deux exemplaires). A quelques exceptions près, l’iconographie de Sisyphe en céramique est sensiblement identique : en général nu et barbu20, portant parfois son habit sur l’épaule gauche21, tourné vers la droite, le héros pousse une énorme pierre en escaladant une colline représentée comme un rocher haut, étroit et biscornu. L’amphore de Munich 1494 (A4, 5*), qui déroge à cette iconographie, est un des premiers témoignages du châtiment de Sisyphe dans la céramique attique22. Le héros nu, à droite, porte son rocher alors qu’il le roulera dans les images postérieures. Le tertre n’est pas représenté (la palmette de forme triangulaire en bordure inférieure de la scène en assume la fonction) et Sisyphe n’a pas la position d’un grimpeur, là encore contrairement aux représentations suivantes. A sa gauche et tournée vers lui, Perséphone se tient debout. Elle est vêtue d’un habit peu courant formé de petites écailles, qui caractérise la déesse sur les vases du Peintre de la balançoire. Elle lève le bras gauche comme pour le pousser à continuer son travail sans relâche. Un troisième personnage, séparé du groupe, marche vers la gauche : un guerrier que J. D. Beazley nomme Ajax (ABV 308, 81), mais que rien ne permet d’identifier. Sa présence permet certes de combler un vide, mais ne montre-t-elle pas aussi que les Enfers demeurent le lot commun de tous les mortels, sans qu’ils y subissent pour autant une punition ? L’âme semble y garder l’apparence du vivant au moment de sa mort23. Les deux autres représentations qui s’écartent totalement de 20
Ainsi les amphores du Louvre F 382 (A4, 9*), de Naples 81166 (A4, 11*), la pélikè de Bologne V.F. 47 (A4, 13*), les lécythes de San Antonio 91-80 G (A4, 19*) et de Bucarest inv. 03331 (A4, 20°). Sur le fragment d’une coupe à figures rouges de la Villa Giulia (A4, 14°), le personnage nu dont la tête n’a pas été conservée est tourné vers la droite. Il se penche vers l’avant et ses deux bras poussent une pierre dans une position qui ressemble beaucoup à celle des vases à figures noires. Pour la liste de toutes les représentations avec Sisyphe, voir l’annexe 4 et F. Brommer, 1973, pp. 549-551. 21 Par exemple sur les amphores de Munich 1549 (A4, 12*), Londres 1848.6-19.3 (A4, 10*), Orvieto Faina 2805 (A4, 6°), Berlin F 1844 (A4, 7*). En revanche, sur les amphores de Leyde PC 49 (A4, 8*), et de Saint Louis (A4, 17°), ainsi qu’un lécythe à fond blanc d’Athènes (A4, 22*), Sisyphe est habillé. 22 Une autre amphore, Munich 1493 (A4, 4*), légèrement antérieure, présente à côté de Sisyphe d’autres damnés : les porteurs d’eau. Sur ce supplice, voir infra pp. 250-254. 23 Sur la représentation de l’âme dans l’art grec, cf G. Siebert, 1981.
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l’iconographie habituelle sont celles d’un lécythe à figures noires d’une collection privée de Münster et de la coupe à figures rouges du Louvre G 16. Sur le lécythe (A4, 18*), Sisyphe nu, mais tourné vers la gauche, pousse péniblement son rocher vers le sommet de la colline. A sa droite on voit Cerbère, puis la colonne d’un portique sous lequel est assise Perséphone. Des rameaux sont peints en arrière-plan. La coupe d’Epictétos au Louvre comporte malheureusement un manque qui nous prive d’une grande partie du corps de Sisyphe (A4, 15*) : celui-ci s’arc-boute pour pousser le rocher le long de la circonférence du tondo qui remplace ici la colline. Son visage est celui d’un homme mûr qui se crispe sous l’effort. La place dont dispose l’artiste à l’intérieur de la coupe est différente de celle des tableaux des amphores. En outre, la technique de la figure rouge offre de nouvelles possibilités d’expression. Rien d’étonnant alors de constater que l’iconographie de Sisyphe a totalement changé. Il occupe seul le tondo avec son rocher. Les souverains infernaux ont disparu, de même que les éléments de paysage. La présence de Sisyphe et de la pierre, comme celle de Cerbère précédemment, suffit à localiser la scène24. Quant à l’unique lécythe à fond blanc, du Ve siècle, que nous possédions avec ce sujet, il ne renouvelle pas le schéma iconographique (A4, 22*) : Sisyphe, vêtu d’une tunique courte, est en train de pousser son rocher vers le sommet de la colline ; son pied droit prend appui sur la pente, alors que son pied gauche reste au sol. Le héros est rarement le seul personnage de la scène : il est souvent accompagné de Perséphone25 à laquelle s’ajoute parfois Hadès, comme sur les amphores de Londres 1848.6-19.3 (A4, 10*) et de Munich 1549 (A4, 12*), ou encore le lécythe à figures noires de Bucarest (A4, 20°) : à droite, Sisyphe nu, dans son attitude habituelle, pousse sa pierre au sommet du tertre. Derrière lui se tiennent deux personnes drapées, avec des sceptres, probablement les souverains infernaux. D’autres figures apparaissent sporadiquement. Sur 24
Nous ne tiendrons pas compte dans cette étude d’une kylix d’Empédoklès où le personnage est imberbe et a l’apparence d’un éphèbe à la chevelure longue : Athènes M. N. 18722 (ARV2 141, 1 ; Paral. 335 ; Add2 178 ; LIMC Sisyphos I, 39), proche du Peintre du pithos, vers 510-500. Sisyphe, en effet, n’apparaît jamais ainsi sur les représentations que nous avons étudiées. Est-ce une adaptation du mythe ? La montagne aussi a une forme étrange, comme si elle était carrée, et l’homme semble plutôt vouloir soulever le rocher que le rouler. C’est pourquoi nous suivons l’interprétation de Chr. Sourvinou-Inwood (1971) qui propose d’y reconnaître, non pas Sisyphe, mais Thésée en train de déplacer le rocher où son père avait dissimulé une épée et une paire de sandales. 25 Sauf sur la coupe à figures rouges du Louvre G 16 (A4, 15*), et le lécythe à fond blanc (A4, 22*). La coupe de la Villa Giulia (A4, 14°) ainsi que les coupes laconiennes de Kassel S 49b (A4, 2*) et de Gravisca (A4, 3°) sont trop fragmentaires pour que nous puissions nous prononcer.
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l’amphore de Londres 1848.6-19.3 (A4, 10*), le premier plan, au centre, est occupé par Hermès qui s’apprête à ramener Perséphone sur terre pour apaiser le courroux de Déméter. La déesse infernale tient en main des épis de blé. Sans doute signifient-ils que son retour sur terre sera aussi celui de la renaissance de la végétation. C’est pourquoi elle est souvent représentée avec cet attribut. Hermès adresse un geste à Hadès, barbe et cheveux blancs, assis à gauche. Sisyphe, quant à lui, figure au second plan, à droite, dans la position habituelle : il roule son rocher le long d’une pente très abrupte. Ce n’est pas tant le châtiment du criminel qui a ici préoccupé l’artiste que le caractère souterrain de l’action : Sisyphe et Hadès, situés de chaque côté du groupe principal et en arrière-plan, précisent la localisation infernale de la scène tout en mettant l’accent sur le départ imminent du messager des dieux et de la déesse. Sur l’amphore de Saint Louis que nous avons déjà évoquée à propos de Cerbère, Hermès est encore présent (A4, 17 = A1, 109°). La colonne dorique marque l’entrée du royaume infernal et relègue Sisyphe à l’intérieur. L’attitude du réprouvé diffère des représentations précédentes. Il a hissé sa pierre au sommet d’un rocher tortueux, mais il ne s’arc-boute pas : l’artisan n’a pas voulu insister sur ses vains efforts. Il l’a représenté debout, peu attentif à son châtiment, puisqu’il tourne la tête vers l’arrière, distrait par l’arrivée d’Hermès et de Cerbère. Le héros, qui occupe ici la place ordinairement réservée, aux souverains apparaît comme un marqueur d’espace. Sa présence localise la scène aux Enfers, alors que celle d’Hermès et de Cerbère aurait pu faire penser au palais d’Eurysthée. Outre l’attitude décontractée du criminel, un second élément retient notre attention : le haut d’une colonne dorique, identique à celle du centre, émerge derrière l’énorme pierre que Sisyphe entoure de ses bras. Les deux colonnes marquent-elles toutes deux l’entrée du royaume souterrain, comme s’il s’agissait de propylées, qu’Hermès s’apprête à franchir (voir déjà D. M. Robinson, 1956) ? La représentation s’apparenterait alors à celle du cratère à colonnettes du Louvre (A1, 5*) qui présentait une entrée infernale à deux portiques. Sur l’amphore de Saint Louis, la disposition des colonnes donne une bien étrange perspective, mais crée un effet de profondeur indéniable derrière le rocher de Sisyphe26. Certains vases sur-caractérisent l’espace en associant Sisyphe, Cerbère et l’un des souverains infernaux. Ainsi, sur l’amphore d’Orvieto, Faina 2805 (A4, 6°), le Peintre de Nikoxénos a placé au centre de la scène Cerbère bicéphale ; le chien sert de jonction entre les deux personnages : une de ses têtes est tournée vers Perséphone assise sous un portique à gauche, l’autre regarde Sisyphe à droite. On aperçoit des rameaux à fruits blancs dans le champ. La même disposition, mais inversée, apparaît sur le 26
Une autre hypothèse, moins satisfaisante à notre avis, serait d’y voir deux édifices différents : la colonne centrale indiquerait l’entrée du royaume infernal, et celle de droite, située à l’intérieur du royaume, l’entrée du palais d’Hadès.
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lécythe de Münster (A4, 18*). Le lécythe de San Antonio, lui, associe à la représentation du damné la capture de Cerbère (A4, 19*) : à droite Sisyphe a hissé son rocher au sommet de la colline ; à gauche se tient Hadès. Entre les deux, Héraclès entraîne Cerbère vers la sortie des Enfers. Des rameaux occupent l’arrière-plan. Sur un fragment de phormiskos de Tübingen, Sisyphe n’est plus associé à Cerbère, mais à Charon (A4, 16*). Une montagne sépare la scène : à droite, le nocher dans sa barque se dirige vers le débarcadère infernal situé derrière la montagne ; à gauche, Sisyphe, à l’intérieur de l’Hadès pousse son rocher (que le fragment n’a pas conservé). Derrière lui, on distingue un morceau de vêtement féminin : peut-être s’agit-il de Perséphone venue l’exhorter à continuer sa tâche. Cette association de Sisyphe et de Charon reste jusqu’à présent unique dans la céramique. Les différents personnages, qui côtoient Sisyphe sur les images, ne prennent jamais directement part à l’action et leur rôle se cantonne à la situer dans les Enfers, bien qu’ils ne soient pas nécessaires, car le criminel seul suffit à caractériser l’endroit. En ce qui concerne les éléments de paysage ou d’architecture, nous retrouvons ceux de l’aventure d’Héraclès et Cerbère : la colonne, le siège, les rameaux et le rocher. Ce dernier est néanmoins très différent, car il se présente sous forme d’un piton rocheux abrupt, dont le relief accidenté est souvent souligné par des rehauts blancs. Indispensable à la réalisation du châtiment de Sisyphe, il apparaît sur la plupart des images. S’il n’est pas figuré en tant que tel, du moins le tertre y est symbolisé par l’un des éléments iconographiques : une architecture sur les coupes laconiennes de Kassel et de Gravisca (A4, 2* et 3°) une palmette sur l’amphore de Munich 1494 (A4, 5*), le bord du tondo sur la coupe du Louvre G 16 (A4, 15*). Comme dans les poèmes homériques, on a l’impression qu’il s’agit de l’unique hauteur des profondeurs de l’Hadès, c’est en tout cas la seule à être figurée. C’est également cette unique colline que nous livre la sculpture archaïque sur une des métopes de l’Héraion à Foce del Sele, en Italie du Sud (A4, 1* ; cf. P. Zancani Montuoro, 1964). Malgré ses dégradations, le relief affiche une variante du châtiment de Sisyphe inconnue en Attique. La position du criminel, barbu et nu, rappelle celle des vases à figures noires : il escalade la pente du tertre en roulant le rocher qu’il tient des deux mains. L’élément exceptionnel est le petit démon (un tiers plus petit que Sisyphe environ) agrippé dans son dos. Prenant appui sur le mollet du damné, il lui enfonce ses griffes et son bec dans les omoplates. Il s’agit d’un démon masculin, ailé, à l’aspect à la fois humain et bestial : son buste a l’aspect d’une cage thoracique vue de face, alors que la représentation générale est de profil. Les pattes, les ailes, le bec font penser à un oiseau. Une double interprétation peut expliquer sa présence : soit il harcèle Sisyphe afin de l’obliger à poursuivre sa tâche sans relâche, soit il essaie de lui faire lâcher prise pour que la pierre retombe avant d’arriver au sommet. Dans ce cas, il serait la personnification de la force homérique qui ramenait la pierre vers le bas (Odyssée XI, 597). Un tel 241
démon n’apparaît jamais dans l’iconographie attique de Sisyphe, cependant Perséphone en assume parfois le rôle lorsque, d’un geste, elle exhorte le criminel à continuer27. L’introduction de ce petit monstre, outre l’accentuation des souffrances éprouvées par Sisyphe, permet l’équilibre de la composition : il compense en haut à gauche le volume de la montagne située en bas à droite et trace une troisième diagonale parallèle à celles du protagoniste et de la pente. Une telle représentation fera fortune dans la céramique apulienne du IVe siècle où, au lieu d’un démon, une Ποινή menace Sisyphe de son fouet28. Les dimensions importantes de ces vases permettront de placer le criminel parmi d’autres personnages infernaux et de figurer la demeure d’Hadès sous la forme d’un petit naiskos, représentation étrangère à la céramique attique. En effet, le palais y est symbolisé la plupart du temps par des colonnes et un entablement doriques, comme sur le lécythe de Münster (A4, 18*) ou encore les amphores d’Orvieto, Faina 2805 (A4, 6°), de Leyde PC 49 (A4, 8*) et de Berlin F 1844 (A4, 7*). Cette dernière, peinte par le Peintre de Nikoxénos, présente Perséphone et Sisyphe. La déesse est assise, à gauche, dans son palais (un portique à colonne et architrave doriques). Elle semble faire un geste de la main droite en direction de Sisyphe qui, à droite, exécute sa tâche. Les formes de la colline et de la pierre ainsi que la position du criminel sont identiques à celles de l’amphore d’Orvieto, Faina 2805 (A4, 6°). On note aussi la même disproportion entre la taille de Sisyphe, de son rocher et l’étroitesse du monticule qu’il escalade. Les rehauts blancs soulignent l’aspect accidenté du mont et suggèrent que le rocher poussé par Sisyphe redescendra. L’arrière-plan est également couvert de rameaux à fruits blancs. Parfois (voir l’amphore de Saint Louis, A4, 17 = A1, 109°) la porte infernale semble monumentalisée, encadrée par deux portiques, tels des propylées. Mais ce sont les premières représentations laconiennes qui offrent du palais une conception très originale : un fragment de coupe de Samos (A4, 2*)29, datée de 565-550 av. J.-C., montre un homme nu barbu, tourné vers la droite, portant un objet rond et le faisant rouler le long d’une structure dont la partie antérieure est supportée par une colonne dorique. Le fragment ne laisse malheureusement pas voir la partie droite de la scène. Il s’agit probablement d’une représentation de Sisyphe dans les Enfers, malgré l’étrangeté de la décoration de l’édifice et de la pierre (des 27
Voir par exemple l’amphore de Munich 1494 (A4, 5*) ou celle du Louvre F 382 (A4, 9*). 28 Cf. les cratères à volutes à représentations infernales de Naples, Mus. Naz. 81666 (LIMC Sisyphos I, 23), de Carlsruhe, Bad. Landesmus. B 4 (LIMC Sisyphos I, 22) et de Munich, Antikenslg. 3297 (LIMC Sisyphos I, 24). 29 Coupe laconienne à fond blanc de Samos S 49b. Une autre coupe laconienne à figures noires provenant de Gravisca comporte une scène similaire, mais encore plus fragmentaire (A4, 3°) : cf. F. Boitani, 1986, p. 116, n° 10 et tav. LX, 2.
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bandes horizontales décorées de zigzags et de points pour l’édifice, des bandes concentriques pour la pierre). L’artiste a-t-il voulu ainsi symboliser le sol rocheux ou bien la décoration murale du palais ? Autre bizarrerie : Sisyphe roule la pierre sur le mur même du palais, alors que d’ordinaire le rocher est séparé de la maison d’Hadès. Peut-être l’édifice symbolise-t-il le domaine entier d’Hadès, comme chez Homère l’expression Ἀίδαο δόμος, et non uniquement l’habitation du roi des morts. Dans ce cas la peine de Sisyphe est bien située à l’intérieur du domaine, la colonne symbolisant l’entrée des Enfers30. La partie droite de la coupe figurait sans doute l’espace intermédiaire entre l’ici-bas et l’au-delà, espace souvent figuré aussi dans l’épisode d’Héraclès et Cerbère. Très souvent, les souverains infernaux, notamment Perséphone, sont figurés assis sur un siège. D’ordinaire, il s’agit d’une sorte de tabouret dont les pieds, vus de profil, ont la forme d’un X. Des exemples de ce type apparaissent sur l’amphore du Louvre F 382 (A4, 9*) ou sur la pélikè de Bologne V.F. 47 (A4, 13*) dont les deux côtés représentent la même scène, avec quelques différences minimes : les deux tableaux donnent l’impression d’avoir saisi deux moments successifs. Le premier montre Sisyphe en train de hisser la pierre au sommet de la montagne. Il pousse de toutes ses forces et son corps se penche légèrement vers l’avant. De l’autre côté, sa position est un peu différente ; la pierre semble culbuter, entraînant Sisyphe dans sa chute : le rocher est en surplomb et le corps du damné est déséquilibré vers l’arrière. Sur les deux faces, Perséphone regarde, assise sur un tabouret aux pieds en X. Elle tient des épis de blé sur la face A, mais la face B est trop endommagée pour préciser son attitude. Des rameaux couvrent toute la surface de l’arrière-plan. Une amphore du musée de Leyde (A4, 8*) présente Perséphone, à gauche, assise sur le même type de siège, tournée vers Sisyphe. A droite, le héros barbu et vêtu d’un chiton, entoure de ses bras un énorme rocher (de moitié aussi grand que lui) qu’il a hissé au sommet d’une montagne assez étroite et dont la configuration est notée par des lignes blanches. Un de ses pieds prend appui sur la pente. A l’arrière-plan est figuré le palais avec sa colonne et sa frise doriques. Le champ du vase est garni de rameaux apparemment typiques de cette époque. Les sièges ont davantage l’aspect d’un trône sur les amphores de Berlin F 1844 (A4, 7*) et de Naples 81166 (A4, 11*). Sur cette dernière, le Peintre d’Achéloos présente encore, à gauche, Perséphone assise (cette fois-ci sur une chaise ou un trône) et tournée 30
L’interprétation de P. Schaus (1983) ne nous paraît guère satisfaisante : il voit dans la colonne l’illustration de la théorie d’Anaximandre qui pensait la terre comme une colonne. La position de Sisyphe à côté de la colonne indiquerait donc la situation des Enfers aux confins de la terre. Cependant Anaximandre a vécu dans la première moitié du VIe siècle, et la coupe est datée du deuxième quart du VIe siècle : cela semble un peu tôt pour qu’une théorie toute nouvelle et loin d’être partagée par l’ensemble des Grecs apparaisse sur un vase.
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vers Sisyphe. Elle tient en main des épis de blé. Sisyphe, nu, maintient son rocher au sommet de la colline, avec le genou gauche. L’aspect de cette colline est particulièrement biscornu, et de gros traits blancs en marquent les replis ainsi que ceux du rocher, représentation stylisée du sol caractéristique du Peintre d’Achéloos31. Des rameaux s’épanouissent à l’arrière-plan. Enfin, les sièges ressemblent fort à des rochers sur l’amphore de Munich 1549 (A4, 12*) dont les deux faces comportent un dessin semblable. L’image donne une impression de profondeur : au premier plan et au centre, Sisyphe roule sa pierre au sommet de la colline stylisée (là encore, elle semble minuscule par rapport aux autres éléments ; peu large, mais avec un relief très accidenté). Le criminel en train d’escalader et son rocher sont mis en évidence par leur taille monumentale et la courbure du vase. De chaque côté, au second plan, avec une taille plus petite, sont assis l’un en face de l’autre Perséphone, des épis à la main (à gauche), et Hadès avec son sceptre, barbe et longs cheveux blancs (à droite). Leurs sièges semblent être des rochers, rappels de celui de Sisyphe et peut-être évocation de l’aspect rocailleux des Enfers. Les souverains ne daignent pas même jeter un regard sur Sisyphe et paraissent avoir été placés ici en guise de décor, pour indiquer le lieu où se déroule l’action. Les palmettes qui limitent le tableau les surplombent en partie et remplacent ainsi le portique sous lequel ils sont généralement assis. Leur position est statique, ce qui attire l’attention sur Sisyphe et souligne les efforts qu’il fournit pour exécuter son châtiment. Les épis de blé que tient Perséphone remplissent le champ libre, comme le font les rameaux sur la plupart des autres vases. Ces rameaux apparaissent en effet beaucoup plus fréquemment que dans l’épisode avec la capture de Cerbère et il faut se demander la raison de leur présence. Font-ils allusion, comme dans cet épisode, au bosquet de Perséphone ou sont-ils purement décoratifs ? L’époque à laquelle ont été peints les vases n’a-t-elle pas une influence sur ce motif ? Nous retrouvons en effet ces rameaux sur les amphores de Leyde PC 49 (A4, 8*), du Louvre F 382 (A4, 9*), de Naples 81166 (A4, 11*), d’Orvieto, Faina 2805 (A4, 6°) et de Berlin F 1844 (A4, 7*), sur la pélikè de Bologne V.F. 47 (A4, 13*), qui datent de la fin du VIe siècle, ainsi que sur les lécythes de Münster (A4, 18*), de San Antonio (A4, 19*) et de Bucarest (A4, 20°), du début du Ve siècle. Et il est vrai que le Groupe de Léagros affectionne particulièrement ce motif, nous l’avons souligné supra pp. 200-201, mais nous avons ajouté que sa signification dépendait du contexte. 31
On retrouve cette représentation stylisée du sol sur des sujets totalement différents, tels ces deux fêtards placés de part et d’autre d’un rocher (amphore, New York, Kevorkian, ex Tynemouth, Hall ; ABV 383, 10 ; Paral. 168, 10 ; Add2 101 ; cf. J. D. Beazley, 1986, pl. 88, 4) ou Héraclès courant sur une contrée rocheuse après s’être emparé des pommes des Hespérides (amphore à col de la collection Marchesa Isabella Guglielmi à Rome ; cf. J. D. Beazley, 1986, pl. 88, 3).
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Certes les rameaux ne sont pas essentiels aux images infernales, mais en ce contexte, ils doivent prendre une signification infernale dans l’esprit du spectateur grec, qui, nourri d’Homère depuis l’enfance, pensait assurément aux peupliers et aux saules aux fruits morts du bosquet de Perséphone (Odyssée X, 509-510), ou peut-être aussi aux grenades devenues un des attributs de la déesse. Et cela, d’autant plus que des boules blanches, semblables à de petits fruits, ornent les rameaux de certains vases, par exemple sur les amphores d’Orvieto 2805 (A4, 6°) ou de Berlin F 1844 (A4, 7*), ou encore sur l’amphore du Louvre F 382 (A4, 9*) : il s’agit d’une petite amphore du Peintre d’Edimbourg pendant la période où il appartenait au Groupe de Léagros. A gauche, une femme drapée, sans doute Perséphone, est assise sur un tabouret et étend les deux mains vers Sisyphe comme pour le pousser. Ce dernier, nu, a hissé la pierre au sommet de l’étroite montagne, et semble essayer de la bloquer avec son genou gauche. Les rameaux qui ornent le champ portent de petits fruits ronds blancs. Sur les représentations du châtiment de Sisyphe, qui se situe à l’intérieur de l’Hadès, rien d’étonnant à ce que l’arbre ait disparu puisqu’il se dressait devant l’entrée infernale. Un autre supplice localisé dans les Enfers fait parfois, mais pas systématiquement, appel à des rochers : il s’agit du châtiment de Thésée et de Peirithoos. Notre principale source sur cet épisode vient des textes. L’Odyssée (XI, 630-631) fait mention des deux amis dans l’Hadès, sans cependant parler de leur punition. Selon la tradition littéraire, ils avaient entrepris un voyage aux Enfers afin d’en ramener Perséphone, que Peirithoos désirait pour femme. Hadès fit mine de leur accorder l’hospitalité et les fit asseoir à sa table. Mais dès qu’ils furent installés, ils ne purent s’arracher de leurs sièges et furent ainsi condamnés à demeurer éternellement en ce lieu. Des fragments épiques attestent l’ancienneté de cette légende : Hésiode avait écrit une Catabase de Peirithoos32 dont il ne nous reste presque rien ; la Minyade connaissait également l’aventure (cf. Pausanias X, 28, 2). Si les textes s’accordent sur la raison de la descente des deux compères aux Enfers, ils diffèrent sur le destin qui leur est réservé. Certains, comme Diodore de Sicile (IV, 26, 1), rapportent qu’Héraclès les a délivrés lorsqu’il est venu chercher Cerbère. D’autres, beaucoup plus nombreux, affirment qu’Héraclès a seulement ramené Thésée, laissant Peirithoos prisonnier de l’au-delà. Euripide y faisait allusion dans deux pièces différentes, Héraclès et Peirithoos33. Héraclès aurait aussi avoir voulu délivrer 32
Hésiode, Catabase de Peirithoos, F. 280-281 (M.-W.). Cf. Pausanias IX, 31, 5. Euripide, Héraclès, 618-619 et 1221-1222. Il ne subsiste que des fragments du Peirithoos. Tzetzès, dans son commentaire des Grenouilles d’Aristophane, au vers 142, en donne le résumé (cf. Kannicht TrGF Peirithoos, qui renvoie à Nauck2 TrGF p. 547). Cette version de la légende sera également donnée par Plutarque dans sa Vie de Thésée, 33
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Peirithoos, mais il en fut empêché par la terre qui, selon Apollodore (II, V, 12 ; cf. Epit. 1, 24), se mit à trembler. Un dernier témoignage sur cette aventure est celui de Plutarque (Vie de Thésée 31, 5 et 35, 1-3) qui donne la version évhémériste de l’histoire : l’expédition des deux héros n’aurait pas eu lieu dans l’Hadès, mais en Epire pour enlever Corè, la fille du roi des Molosses, Aïdôneus, dont le chien s’appelait Cerbère. Aïdoneus fit dévorer Peirithoos par son chien et retint Thésée prisonnier jusqu’à ce qu’Héraclès le délivrât. Cette version de la mort de Peirithoos n’est figurée sur aucun monument. En revanche, il est souvent représenté assis, seul ou en compagnie de Thésée, aux Enfers. Les représentations de leur supplice, assez rares, hésitent entre deux traditions : les deux héros ont pris place sur des sièges34 ou sur des rochers. En Attique, bien qu’elles s’étalent durant tout le Ve siècle, elles ne semblent pas marquer de changement dans la conception de l’au-delà. Le premier document attique est un lécythe du Peintre d’Alkimachos (A4, 29*), de la première moitié du Ve siècle. Il est difficile à interpréter, car il ne comprend qu’un personnage, assis sur un rocher. Aucune inscription ne permet de savoir s’il s’agit de Thésée ou de Peirithoos. Le peintre suit la tradition littéraire qui décrit les deux héros enchaînés à leur siège, ou maintenus au rocher par une force invincible (cf. Pausanias X, 29, 9). A la figure assise et statique s’oppose le mouvement d’Héraclès. La position de ce dernier rappelle celle de la métope d’Olympie avec Cerbère (A1, 42*). Le lien entre les deux hommes est la diagonale formée par la poignée de main, parallèle à la diagonale des regards qui se croisent. Héraclès a posé sa massue sur son épaule gauche et l’homme assis tient une double lance. Dans les textes, Héraclès libère toujours Thésée en premier, pendant que Peirithoos reste assis. Ainsi, sur le lécythe, puisqu’un seul homme est représenté assis sur le rocher, nous serions tentée de l’identifier à Peirithoos. Cette hypothèse serait confirmée par le médaillon d’une coupe du Peintre de Xénotimos (A4, 31*), où Peirithoos, nommé par une inscription, apparaît seul. Sur le lécythe, Héraclès, essaierait en vain de libérer Peirithoos et l’intérêt du spectateur serait donc attiré, comme sur la coupe, sur la figure de Peirithoos demeurant dans les Enfers. Cette tendance atteindrait son acmé sur le « relief de
31. Cependant, d’autres témoignages à propos de la même pièce affirment que Peirithoos fut enchaîné avec Thésée et qu’Héraclès les libéra tous deux : schol. Tzezt. Chil. in Anecd. Oxon. vol. 3 p. 359, 22 (Nauck2 TrGF p. 547) ; Hygin Fab. 79 et Gregorius Cor. in Rhet. vol. 7 p. 1312 sq (Nauck2 TrGF pp. 546-547). 34 Nous avons déjà étudié deux de ces images (A4, 27* et A4, 31*) lors de la conception architecturale de l’Hadès, supra p. 230. Pour une liste des représentations, voir l’annexe 3 et F. Brommer, 1973, pp. 221-222. Cf. aussi A. G. Ward, 1970, pp. 20-36 ; W. Felten, 1974, pp. 46-64.
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Peirithoos » dont nous avons conservé trois copies fragmentaires (A4, 32*)35. Le fragment de Berlin ne présente que la tête de Thésée qui pourrait s’adapter à la place de celle du Musée Torlonia, restaurée. Une synthèse des fragments du musée du Louvre et du musée Torlonia permet une approche sans doute assez fidèle de l’original grec. Quelques incertitudes demeurent néanmoins : la direction vers laquelle était tournée la tête de Peirithoos, la position du bras gauche d’Héraclès36. Le demi-dieu (à gauche), descendu dans l’Hadès, vient de délivrer Thésée (à droite). Debout, ils encadrent Peirithoos assis sur un rocher au centre de la représentation. La sculpture met bien en évidence, grâce au modelé, la pierre qui le retient prisonnier, tandis que, derrière Thésée ou Héraclès, on ne distingue aucun relief. Thésée prêt à partir, fait ses adieux à son compagnon d’infortune resté collé au rocher. Il regarde son ami, comme s’il regrettait de le laisser. Héraclès, compatissant, tourne aussi la tête vers Peirithoos. Le moment sculpté par l’artisan est légèrement postérieur à celui qui était peint sur le cratère de New York (A4, 30°) : Thésée s’y levait des rochers qui le retenaient, alors qu’ici il est déjà libre. Sur toutes ces représentations37, les rochers, limités au châtiment, sont les seuls éléments de décor. Sur le cratère de New York, différentes lignes ondulées rendent une surface vallonnée au niveau de Thésée et de Peirithoos, alors que le reste des personnages est disposé sur la ligne plane de la frise. Et sur les autres images, la hauteur rocheuse se limite au siège, le sol alentour restant plat. Ce sont avant tout les personnages et leur position (Héraclès debout et tirant un homme assis) qui situent la scène 35
Sur les « reliefs à trois figures », expression qui désigne des copies romaines, probablement du premier siècle après J.-C., de bas-reliefs dont les originaux se situeraient en Attique au Ve siècle avant J.-C., voir H. Götze, 1938 ; L. Curtius, 1965, pp. 83-105 et H. A. Thompson, 1952, pp. 60-61. 36 Tout le bras gauche d’Héraclès provient d’une restauration récente. On ne voit pas pour quelle raison il tiendrait des fruits. 37 Nous ne prenons pas en compte dans notre étude la kylix du Louvre G 622 (ARV2 1293, 10 ; Add2 359 ; LIMC Peirithoos 74) dont l’interprétation nous paraît très incertaine. C’est une coupe du Peintre de Londres E 105, datant du dernier quart du Ve siècle. L’intérieur montre un homme nu quittant un rocher en présence d’une femme, sans doute Thésée qui a soulevé le rocher derrière lequel son père avait caché une paire de sandales et une lance. A l’extérieur, d’un côté on voit un jeune homme nu assis sur un rocher à droite et deux femmes debout. L’autre côté figure un jeune homme nu debout, et deux autres hommes assis sur des rochers. Celui de gauche est clairement reconnaissable à sa massue, il s’agit d’Héraclès. Celui de droite est habillé. On a voulu identifier la scène avec une représentation de Thésée et Peirithoos aux Enfers : le personnage assis à droite, qui montre du doigt le personnage central (Thésée ?) serait Peirithoos. Nous émettons de fortes réserves sur cette interprétation. Le schéma s’écarte trop des compositions habituelles, et on ne voit pas pourquoi Héraclès se serait assis à la place de Thésée sur le siège de l’oubli après l’avoir délivré.
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dans les Enfers. Les rocs ont donc une signification bien particulière sur ces images : ils sont instruments de supplice, variantes du siège, et non témoins de la topographie infernale. Néanmoins, l’alternative entre les chaises et les pierres pour retenir les deux comparses prisonniers, et le choix majoritaire des rochers (ils sont figurés quatre fois, alors que les chaises n’apparaissent que deux fois) par les artisans, reflètent assurément l’idée d’un au-delà avec un certain relief dans l’imaginaire grec de l’époque. La description que Pausanias nous livre de la Nékyia de Polygnote confirme cette impression. Ainsi, dans l’imagerie de Sisyphe ou de Thésée et Peirithoos, pas plus que dans celle de Cerbère, les peintres n’avaient la volonté de représenter un paysage infernal, mais simplement celle de situer l’action dans les Enfers : un personnage infernal (les souverains, Cerbère, Charon, Sisyphe) est alors amplement suffisant. Comme nous l’avons déjà constaté pour les textes, notamment pour l’Odyssée XI, de nouveaux éléments de décor n’apparaissent que dans la mesure où ils participent au châtiment infligé à chacun des damnés. Le paysage rocheux est évoqué, en littérature comme en iconographie, parce qu’il est fondamental pour l’exécution de la punition. C’est encore le cas pour le cratère de New York 08.258.21 (A4, 30°) dans la seconde moitié du Ve siècle. Néanmoins, on perçoit plusieurs tentatives de la part des peintres pour évoquer un espace infernal, notamment dans les scènes qui ajoutent un autre épisode au châtiment de Sisyphe. L’amphore de Saint Louis (A4, 17 = A1, 109°) nous en a déjà fourni un exemple où étaient juxtaposés le châtiment de Sisyphe et le retour de Cerbère aux Enfers. Celle de Londres 1848.6-19.3 (A4, 10*) associait à la peine de Sisyphe l’anodos de Perséphone ; le lécythe de San Antonio (A4, 19*), la capture de Cerbère. Le phormiskos de Tübingen (A4, 16* = A3, 28) se distingue par la façon dont il juxtapose Sisyphe et le bateau du nocher Charon. La montagne sur laquelle le criminel roule sa pierre s’incurve de manière à former une sorte de grotte qui constitue l’entrée infernale où s’engouffre l’embarcation de Charon. De tels abords ceints de rochers abrupts ne sont pas sans rappeler la vision que livre la littérature. Est-ce une volonté de l’artisan ou un simple artifice pour juxtaposer deux scènes et les adapter à la place disponible sur le vase ? Le maigre fragment qui subsiste ne permet pas de trancher. Mais nous pouvons affirmer sans crainte de nous tromper qu’une telle conception reste exceptionnelle : l’espace infernal naît en général de la représentation des différents personnages qui l’occupent, comme en littérature il naissait de leur description. L’Hadès, avant de devenir paysage, se compose d’abord de personnages situés dans un espace. Voyons si la Nékyia de Polygnote à Delphes (A3, 1) permet de nuancer ces réflexions. La géomorphologie dans la Nékyia de Polygnote La description de Pausanias nous donne d’abord une liste de personnages. Les indications de paysage viennent secondairement, au détour des propos du 248
Périégète. Cependant, la confrontation de ces renseignements épars permet d’avoir une petite idée de la géomorphologie du tableau. L’intérieur du royaume infernal y est assurément vallonné, puisqu’Orphée est assis au sommet d’une colline, ἐπὶ λόφου τινός (Pausanias, X, 30, 6). Un relief plus accidenté intervient dans les peines des grands suppliciés. Le châtiment de Sisyphe est habituel, il pousse son rocher en haut d’un escarpement, κρημνός (Pausanias X, 31, 10. Cf. Odyssée XI, 593-600). Κρημνός qualifie un endroit escarpé, un à-pic. La répétition de ce mot, ainsi que le verbe ἀνωθέω-ω, dont le préverbe ἀν- indique un mouvement du bas vers le haut, accentuent l’élévation du terrain. Quant à Tantale, qui dans l’Odyssée (XI, 582-592) était seulement plongé dans un lac, il est menacé par un rocher en surplomb (Pausanias X, 31, 12). Un fragment d’Archiloque38 où il est question d’un « rocher qui menaçait Tantale » a sans doute inspiré Polygnote. Selon S. Reinach (1906, II, p. 180), un tableau ionien plus ancien serait peut-être à l’origine de la représentation du double supplice. La ville de Tantale au Sipyle ayant été ensevelie dans un lac et sous les montagnes, le peintre aurait montré le roi sortant la tête de l’eau et tendant les bras vers les rochers sur le point de basculer. Tityos était probablement attaché à un rocher ou à un arbre pour y subir son supplice39. L’impression de relief est également confirmée par la répétition de πέτρα, « pierre ». Le mot revient huit fois au cours de la description40, les rochers servant souvent de siège aux différents personnages. Il pourrait certes s’agir d’un simple artifice de composition qui permettrait de disposer les figures plus naturellement. Mais si tel était le cas, on retrouverait le procédé dans l’Ilioupersis, peinture qui faisait pendant à la Nékyia dans la leschè. Or parmi tous les personnages assis, un seul l’est sur un rocher, Eurymachos41. La seule raison en est la différence de paysage : à la plaine troyenne s’oppose l’aspect rocailleux des Enfers. La Nékyia de Polygnote confirme donc la vision d’un certain relief infernal, que nous avions entrevue en iconographie dès la fin du VIe siècle. Cela n’implique pas pour autant une région désertique et aride, bien au contraire. 38
Archiloque, F. 126, v. 14-15 (L. B. = F. 89 Tarditi). On trouve également cette précision chez Alcée et Alcman (Alcée, F. Z 42, L.-P.). Il n’est pas précisé si Tantale était aussi placé dans un lac. 39 Nous ne partageons pas l’interprétation de C. Robert (1892, p. 63) qui l’imagine couché et à moitié caché par un rocher. S’il en était ainsi, Pausanias aurait sans doute fait allusion à cette représentation particulière. Une coupe laconienne représentant Atlas et Prométhée (Vatican 16592 ; LIMC Prometheus 54) pourrait donner une idée de la position de Tityos, puisque le supplice de Prométhée et de Tityos est identique. Polygnote n’a cependant pas dessiné l’aigle. 40 Paus. X, 29, 3 ; 29, 7 ; 29, 8 ; 30, 3 ; 30, 5 ; 30, 9 ; 31, 5 ; 31, 11. 41 Paus. X, 27, 3. Pour les autres figures assises, cf. Paus. X, 25, 3 ; 25, 4 ; 25, 5 ; 26, 3 ; 26, 9 et 27, 3.
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Aussi bien dans les textes que dans les images, nous trouvons des mentions de différents points d’eau. b) Hydrographie Un des supplices infernaux, les porteurs d’eau, devrait se révéler propice à nous renseigner sur une partie de l’hydrographie des Enfers. Par ailleurs, leur châtiment est fréquemment associé à d’autres, ce qui permettra peut-être d’avoir une idée sur l’endroit où ils se déroulent. Les porteurs d’eau De l’époque archaïque, nous ne possédons que deux représentations certaines des porteurs d’eau, combinées à d’autres châtiments. Une troisième occupe peut-être toute la bande décorative d’un lécythe trouvé au Céramique d’Athènes. Pausanias nous apprend que Polygnote les avait peints dans sa Nékyia de la leschè des Cnidiens à Delphes. Ce motif nous est transmis, tant par les textes littéraires que par l’iconographie, comme une punition infernale. Les porteurs d’eau, à l’origine, n’ont pas de nom et ne sont pas liés à quelque crime spécifique. Dans la sphère des cultes à mystères, c’était le châtiment dans l’Hadès de ceux qui n’avaient pas participé durant leur vie à ces cultes. Ainsi, Pausanias (X, 31, 9 et 11) affirme que les porteurs d’eau de Polygnote n’étaient pas initiés aux mystères d’Eleusis. On sait également par Platon (Gorgias, 493 b) que les non-initiés étaient condamnés à verser sans cesse de l’eau dans un pithos percé. La peine était identique pour tous, jeunes et vieux, hommes et femmes. Si l’on considère les deux passages de Pausanias, la peinture de Polygnote aurait inclus dans le groupe des non-initiés quatre femmes (deux jeunes et deux plus âgées), un vieillard et un petit garçon. Plus tard, un autre mythe s’est confondu avec celui des porteurs d’eau : la légende des filles de Danaos, meurtrières de leurs époux. Leur punition dans les Enfers consistait également à verser de l’eau dans un pithos troué. La première assimilation du mythe des porteurs d’eau à celui des Danaïdes est connue par un dialogue pseudo-platonicien, l’Axiochos (371 e). Mais à l’époque archaïque le thème des porteurs d’eau n’est pas lié à celui des Danaïdes. Preuve en est : des hommes et des enfants en font partie, et les écrivains les désignent au masculin et non au féminin (Pausanias X, 31, 11 ; Platon, Gorgias 493 b et République II, 363 d). Les vases de cette période figurent également des hommes parmi les femmes. L’assimilation des deux mythes a dû avoir lieu vers la fin du Ve ou le début du IVe siècle, car les vases italiotes à représentation infernale montrent invariablement des femmes jeunes. Pourquoi cette fusion ? Selon Rohde (1928, pp. 603-605), si l’on en croit l’état ancien de la légende, les Danaïdes sont mortes avant d’être mariées : elles n’ont donc pas connu les rites du mariage (le bain nuptial), comme les porteurs d’eau ne connaissaient pas les rites de 250
l’initiation aux mystères (le bain mystique). Symboliquement, elles étaient des non-initiées. Regardons l’image qu’en donnent les vases. L’amphore de Munich 1493 (A1, 56* = A4, 4 et 23°) est particulièrement intéressante dans la mesure où elle associe trois épisodes infernaux : sur la face A, Héraclès et Cerbère ; sur la face B, Sisyphe et les porteurs d’eau. Nous avons ici une véritable Nékyia : Héraclès et Cerbère marquent l’entrée du royaume infernal, et les damnés en constituent les profondeurs. A droite, Sisyphe, nu et barbu, a roulé son rocher presque jusqu’au sommet d’une montagne schématique sur laquelle il prend appui avec le pied gauche, image habituelle. A sa gauche, quatre figurines ailées portant des hydries escaladent un grand pithos, à moitié enfoncé dans le sol, pour y verser l’eau qu’elles transportent. Leurs ailes indiquent qu’il s’agit des âmes des morts (eidôla) ; elles sont habillées de courtes tuniques maintenues par une ceinture à la taille. Le pithos est probablement percé, bien que le trou ne soit pas apparent sur le dessin. L’eau s’écoule sans doute dans le sol. Le mythe était d’ailleurs suffisamment connu pour que le peintre puisse omettre ce détail. En outre, la technique de la figure noire ne permettait pas de rendre facilement ce fait pourtant essentiel, et la représentation en véritable perspective n’apparaît que beaucoup plus tard dans l’iconographie. Le sexe des personnages reste indéterminé : leurs longs cheveux évoqueraient plutôt des femmes, alors que la musculature de leurs jambes ferait penser à des êtres masculins. Deux ont déjà atteint le sommet du vase et y versent le contenu de leur hydrie. La position des quatre eidôla est presque symétrique. L’artiste a parfaitement su utiliser le bombé de l’amphore pour créer une profondeur. Les deux figures supérieures apparaissent plus grandes, et donc plus proches. On note une insistance particulière sur les objets nécessaires au châtiment : le pithos des porteurs d’eau et le rocher blanc de Sisyphe sont disproportionnés ; ils semblent gigantesques et attirent l’attention. Les eidôla paraissent insignifiants vis-à-vis de Sisyphe. La convention picturale veut en effet que les âmes des défunts reproduisent les vivants en miniature. C’est peut-être aussi ce mythe que représente un lécythe à figures noires trouvé au Céramique d’Athènes (A4, 26°). Si tel est le cas, il constituerait la plus récente des trois représentations du mythe archaïque en notre possession actuellement. Il appartiendrait en effet au cercle du Peintre de Beldam et daterait de 460-450 avant Jésus-Christ. Deux figures nues volent de chaque côté d’un pithos (?) enfoncé dans le sol. Celle de gauche tient une amphore à pointe, celle de droite un objet en forme de croix, fait étrange s’il s’agit bien du mythe des porteurs d’eau. On penserait davantage à une scène d’offrandes, mais alors leur nudité et leur vol sont inexplicables. La signification est plus certaine sur le lécythe attique à figures noires de Palerme 996 (A4, 24°) qui, de nouveau, associe deux sortes de criminels, les porteurs d’eau et Ocnos. Sur la face principale, on distingue de petits personnages qui courent verser leurs vases (amphores à pointes et hydries) dans 251
un grand pithos ; l’un d’eux est d’ailleurs monté sur celui-ci et y transverse le contenu de son amphore. Contrairement à l’amphore de Munich 1493, les personnages sont différenciés selon leur sexe ; les femmes portent une jupe longue alors que les hommes sont nus. Nous avons donc la confirmation qu’il ne s’agit pas des Danaïdes. Aucun trou n’est indiqué sur les vases, mais la disposition du pithos fiché en terre suggère qu’il n’a pas de fond42. Au-dessous de cette scène est représenté un châtiment qui apparaît pour la première fois sur ce vase : un vieil homme courbé est suivi par un âne qui rue et dont la queue est tirée par un porteur d’eau. Devant le vieillard sont dessinées quatre lignes parallèles. Cette scène fait probablement allusion au supplice d’Ocnos dans les Enfers. La représentation iconographique habituelle de ce motif est décrite par Pausanias (X, 29, 1-2) à propos de la Nékyia de Polygnote : un homme tresse une corde qu’une ânesse mange au fur et à mesure43. Le lécythe de Palerme présente quelques différences avec cette représentation : la corde n’est pas figurée (cette variante est sans doute due à l’exécution hâtive du dessin) ; la scène comprend un élément étranger au mythe d’Ocnos : la ruade de l’âne et le fait qu’un des porteurs d’eau lui tire la queue (peut-être le peintre a-t-il voulu marquer de manière humoristique la liaison entre les deux épisodes). Or, une autre version de ce mythe est donnée par Apulée. La tour sur laquelle était montée Psyché pour se lancer dans le vide se met à lui parler et lui révèle la route des Enfers : Et après avoir déjà parcouru une bonne partie de la route fatale, tu rencontreras un âne boiteux porteur de bois, et un ânier semblable 44 à lui.
Si l’on compare ce texte avec le lécythe de Palerme, les quatre raies dessinées devant Ocnos seraient donc un fagot de bois tombé du dos de l’âne. Mais l’interprétation de cette scène est d’autant moins certaine qu’elle est unique parmi les représentations archaïques. Nous ne sommes en tout cas pas convaincue par l’interprétation d’E. Keuls (1974, p. 36, note 36) qui voit dans 42
Nous ne suivons pas E. Keuls (1974, pp. 36-39) qui interprète les porteurs d’eau de ce lécythe comme des initiés bienheureux perpétuant les rites de l’initiation dans les Enfers. Ce n’est pas le seul vase en effet où se rencontreraient plusieurs damnés, l’amphore de Munich en témoigne. Pourquoi l’artiste les aurait-il fait courir et même tomber si c’étaient des Bienheureux ? Rien ne s’opposait à les représenter calmement. La seule présence de la bande décorative ornée de feuilles de vigne qui parfois, il est vrai, indique un contexte dionysiaque, ne nous semble pas suffisante pour réinterpréter le mythe d’une façon radicalement opposée à celui de l’amphore de Munich. Contre la théorie d’E. Keuls, cf. déjà R. Garland, 1985, p. 63. 43 Sur Ocnos comme personnification de la paresse, voir H. A. Shapiro, 1993, pp. 178179. 44 Apulée, Métamorphoses VI, 18, 4 : Iamque confecta bona parte mortiferae viae continaberis claudum asinum lignorum gerulum cum agasone simili.
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ces quatre traits la représentation des eaux infernales. Les plans d’eau (fleuves ou lacs) ne sont jamais rendus sur les images par des lignes droites verticales, mais par des ondulations45. La disposition parallèle des raies n’évoque pas non plus une eau qui jaillirait d’une hauteur, ce que le peintre du lécythe savait rendre : preuve en est l’eau versée par l’un des porteurs de son amphore dans le pithos. Le plus frappant dans le mythe d’Ocnos, et Pausanias le soulignait déjà, est le travail sans fin et dépourvu de sens auquel se livre le vieil homme. Or un labeur inutile et éternel caractérise également les scènes de Sisyphe et des porteurs d’eau : la pierre de Sisyphe revient toujours à son point de départ et le pithos des porteurs d’eau est toujours vide puisqu’il est percé. Le châtiment des porteurs d’eau, comme celui de Sisyphe, est épuisant. Cela se remarque particulièrement sur le lécythe de Palerme où l’on voit les petits personnages courir sans relâche vers le pithos. L’un d’eux, sur la droite, est tombé, sans doute à cause de sa course éperdue et du poids de son amphore. La peine d’Ocnos n’est pas moins fatigante : le vieillard doit sans cesse porter sur son âne le fagot de bois tombé. Le motif du travail inutile et sans espoir marque donc le lien entre ces différents supplices. Les damnés y sont frustrés de leur désir le plus cher. En ce qui concerne la topographie infernale, ces vases ne nous apprennent rien de nouveau. Les seuls éléments représentés en dehors des personnages sont les instruments de supplice (pithos, rocher et montagne, âne et fagot). On ne sait pas à quel point d’eau vont puiser les porteurs d’eau. L’amphore de Munich 1493 qui comprend pourtant trois épisodes infernaux, se contente de les juxtaposer sans établir de lien entre eux. Cette présentation rappelle celle des damnés au chant XI de l’Odyssée (vers 576, 582 et 593) pour lesquels un simple καί marque la transition, sans autre précision spatiale. Le lécythe de Palerme se montre plus original dans la mesure où il superpose les scènes au lieu de les juxtaposer, créant ainsi une illusion de profondeur. L’épisode d’Ocnos se situe nettement au premier plan, et celui du pithos à l’arrière-plan. Les personnages sont d’ailleurs répartis sur deux rangées, disposition qui deviendra courante à partir de Polygnote pour exprimer la profondeur de champ. La rangée supérieure est, bien sûr, celle du second plan. Cette illusion est renforcée par la superposition de l’âne sur le pithos : on ne voit du vase que ce que le masque constitué par l’animal laisse paraître en réalité. Ce procédé de masque était certes déjà connu depuis le début du VIe siècle, mais n’était jamais employé pour de très grandes surfaces. Ici, combiné avec la répartition sur deux rangées ainsi qu’avec le pithos à moitié enfoui dans le sol dont la ligne est nettement marquée et ne se confond plus avec les bords du tableau, le procédé acquiert 45
Voir par exemple les lécythes d’Athènes 1759 (A3, 61°), 1999 (A3, 63°) et 2028 (A3, 65°), ou le couvercle de la tombe du Plongeur à Paestum.
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une signification vraiment nouvelle. Si l’on n’a pas encore la création d’une topographie infernale, on a cependant incontestablement celle d’un espace. L’hydrographie dans la Nékyia de Polygnote La Nékyia de la leschè de Delphes (A3, 1) donne plus de renseignements sur l’hydrographie46. D’après les indications qu’en fournit Pausanias, le royaume souterrain n’y est pas une région aride. Le peintre y a représenté un fleuve que Pausanias (X, 28, 1) interprète immédiatement comme l’Achéron. La présence de Charon, que Polygnote a peint sous les traits d'un vieillard, confirme cette hypothèse. Le supplice de Tantale implique en outre la présence d’un marais ou d’un lac, puisqu’il est représenté comme dans la description d’Homère (Pausanias X, 31, 12), c’est-à-dire plongé jusqu’au menton dans un lac dont l’eau se retire dès qu’il veut boire (Odyssée XI, 582-592). La position des impies près de l’Achéron (Pausanias X, 28, 5) suppose peut-être aussi la présence d’un marais. Selon la tradition éleusinienne, en effet, les impies gisaient dans un bourbier (cf. Aristophane, Grenouilles, 145-150). D’ailleurs la végétation constitue la flore typique des régions marécageuses. Des roseaux poussent près de l’Achéron (Pausanias X, 28, 1). On retrouve ces roseaux sur les vases à représentation infernale de la même époque, par exemple sur une pélikè figurant la rencontre d’Ulysse et d’Elpénor (A3, 3°). Polygnote n’aurait-il pas figuré, lui aussi, des roseaux derrière Elpénor ? La mention des saules (Pausanias X, 30, 6 et 7) évoque également une contrée humide, puisque le saule a besoin d’une grande quantité d’eau pour subsister. Comme le souligne Pausanias (X, 30, 6), cet arbre était, dès Homère, en relation avec les Enfers : il composait, avec les peupliers, le bosquet de Perséphone (cf. Odyssée X, 510). Cependant, dans l’Odyssée, les saules étaient à l’extérieur du royaume infernal, ils en indiquaient l’entrée. Polygnote les a placés à l’intérieur. Bien que Pausanias ne parle que d’un saule, sur lequel s’appuie Orphée d’un côté et Promédon de l’autre, le tableau devait représenter un groupe de saules (et peutêtre même de peupliers), sinon la comparaison avec « le bosquet » de Perséphone n’aurait pas été possible. L’emploi du terme ἄλσος suppose qu’il s’agit non d’un bois touffu, mais d’un bocage (cf. A. Motte, 1973, p. 18). Polygnote devait avoir placé d’autres arbres dans sa Nékyia, dont Pausanias ne parle pas, parce qu’il s’intéresse surtout aux personnages. Par exemple la corde à laquelle se balance Phèdre (Pausanias X, 29, 3) était certainement suspendue à une branche d’arbre. Le Périégète ne fait pas allusion non plus aux arbres fruitiers nécessaires au supplice de Tantale (Pausanias X, 31, 12). Seule la comparaison avec Homère permet de les imaginer. Les couronnes de fleurs des filles de Pandaréos (Pausanias X, 30, 1-2) proviennent-elles du royaume
46
Sur la géomorphologie que présentait ce tableau, voir supra pp. 248-249.
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souterrain ? Ἄνθος est un terme générique. Désigne-t-il les asphodèles propres aux Enfers homériques ? Malgré les multiples questions qui demeurent en suspens, Polygnote paraît être resté assez fidèle, en ce qui concerne la topographie infernale, à la conception homérique : une région souterraine, remarquable par son aspect vallonné et par son humidité ambiante, à laquelle on accède grâce à Charon, le passeur indispensable. Le nocher Charon Les images qui mettent en scène le nocher Charon, apanage presque exclusif des lécythes à fond blanc, confirment l’abondance aquatique des Enfers. Les textes aussi bien que l’art figuré de l’époque archaïque ont attribué peu d’importance au personnage de Charon. La seule mention littéraire épique se trouve dans la Minyade dont Pausanias cite un passage (X, 28, 2). Homère et Hésiode l’ignorent. Charon n’est doté ni de généalogie ni d’aventures et doit tirer ses origines de la croyance populaire. Il se cantonne à son rôle de passeur et de gardien du fleuve infernal. Et c’est surtout à partir du Ve siècle qu’il prendra toute son importance. Les tragiques voient en lui non seulement le passeur des morts, mais aussi le symbole de la mort elle-même. Souvent le concept de la mort est exprimé par l’image de Charon qui attend dans sa barque47. Et c’est cette image qui paraît sur les lécythes à fond blanc à partir du milieu du Ve siècle. Parmi l’ensemble des documents iconographiques, les deux représentations à figures noires qui subsistent se distinguent nettement : elles peignent la traversée du fleuve infernal (l’eschara ; A3, 27°) ou l’arrivée au royaume d’Hadès (le phormiskos, A3, 28 = A4, 16*, dont nous avons déjà parlé, montre également Sisyphe). L’eschara, malheureusement fragmentaire (cf. A. Furtwängler, 1913), porte une décoration, fait inhabituel pour ce type de vase. Vu le sujet qui l’orne, elle était probablement déposée sur le trou dans lequel on versait libations et offrandes pour le mort. Une scholie au vers 274 des Phéniciennes d’Euripide atteste ce genre d’emploi : « l’eschara est, au sens propre, le trou à la surface de la terre dans lequel on sacrifie à ceux d’en bas ». La frise décorative en fait le tour. Charon ressemble à un vieillard, barbe et cheveux blancs. Il porte un pilos et un himation qui lui recouvre le bras gauche. Assis à la poupe de sa barque (en forme de canot), près des deux rames fixées au bordé qui servent de gouvernails, il lève la main droite pour donner des ordres (la bouche est entrouverte). Le bateau est pourvu d’une rangée de rames (cinq sont encore visibles). Les eidôla doivent y prendre place : un est déjà 47
Cf. Euripide, Héraclès, 431-434 et Alceste, 252-257. Chez les comiques : Aristophane, Ploutos, 277-278 et Lys., 605-607.
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assis, un autre s’accroche à la proue du bateau, d’autres encore le survolent. Une foule d’eidôla nus et ailés, avec des gestes de lamentations, attendent derrière Charon de pouvoir embarquer. Apparemment, le bateau est trop petit pour que tous y prennent place. Virgile, dans l’Enéide (VI, 305-316) évoque le désordre de leur foule suppliante. Lucien ne manque pas non plus d’y faire allusion (Ménippe 10 et La Traversée pour les Enfers ou le tyran 19). Lorsque les âmes parviennent à embarquer, elles ne sont pas encore au bout de leurs peines, puisqu’elles sont censées ramer ou écoper. Dans les Grenouilles d’Aristophane, vers 197-208, Dionysos n’échappe pas à la règle. Tels sont les ordres et les réprimandes que le Charon de l’eschara, à grands renforts de gestes, doit donner aux eidôla. Et Ménippe, dans les Dialogues des Morts de Lucien, reproche à Charon le travail qu’il demande et refuse de lui payer l’obole qu’il doit pour le passage du fleuve48. La Nékyia de Polygnote suivait également cette tradition : Tellis et Cléoboia sont assis dans la barque figurée sur le fleuve et s’approchent de la rive infernale. Selon les dires de Pausanias (X, 28, 1-2), le bateau est muni de rames et Charon, son nocher, est peint sous les traits d’un vieillard. La traversée en elle-même n’apparaît sur aucun lécythe : Charon s’apprête à accoster pour prendre le mort, ou bien il attend que ce dernier monte dans sa barque. Nous sommes donc avant, et non pendant, la traversée. Leur iconographie est très répétitive, aussi n’allons-nous pas tous les passer en revue. Après avoir opéré une synthèse des différents schémas possibles, nous nous attacherons aux quelques lécythes qui se démarquent par l’originalité de leur représentation en ce qui concerne l’espace et le paysage. Les peintres choisissent entre trois types de représentations. Sur le premier type, la scène se déroule sur la rive terrestre de l’Achéron. Charon, dans sa barque, est sur le point d’emmener le mort encore sur le rivage. Ce type, qui apparaît dès les premiers lécythes, est de loin le plus fréquent. Il se subdivise en deux catégories : Hermès a guidé le défunt pour l’ultime voyage et l’introduit auprès du nocher infernal. Cette iconographie intervient surtout durant le troisième quart du Ve siècle, elle se raréfie ensuite. Dans la seconde catégorie, la plus fréquente, le mort se trouve seul face à Charon49. Dans les deux cas, le mort peut être seul, ou bien accompagné d’une autre personne (une servante, par exemple). La présence d’un vivant insiste sur la notion de passage, elle marque davantage la connexion entre le monde que le défunt vient de quitter et celui qu’il va rejoindre, incarné par Charon. Sur le deuxième type de représentation, la scène résulte de la combinaison de deux schémas : aux représentations que l’on a vues précédemment s’ajoutent 48
Lucien, Dialogues des Morts 22 : « Ménippe et Charon ». Cf. La Traversée pour les Enfers ou le tyran 19. 49 Sur quelques lécythes appartenant à cette catégorie, voir K. D. Mylonas, 1877.
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des images d’offrandes à la stèle. Ce deuxième type prend naissance à la fin du troisième quart ou au début du dernier quart du Ve siècle. Les représentations, quoiqu’elles soient nombreuses, sont loin d’atteindre celles du premier type50 ; et les deux types se trouvent simultanément à la fin du siècle. Là encore, on peut distinguer deux catégories. Soit la stèle, au centre, est encadrée de Charon et d’une personne (sans doute le mort). Soit, le mort se tient ou est assis devant la stèle, entouré de Charon et d’une autre personne qui apporte des offrandes. La présence de bandelettes funéraires sur la stèle, dans le champ, ou sur les roseaux connecte le culte à la tombe et à la venue de Charon. La bandelette est en effet un élément caractéristique des scènes tombales. La contamination de la scène à offrandes avec les scènes de Charon se révèle également dans l’attitude du mort dont les gestes et la position rappellent le schéma du porteur d’offrandes. Jamais Hermès n’intervient, faute de place peut-être, mais surtout parce que le rôle d’intermédiaire entre les deux mondes qu’il assumait revient à présent à la stèle, sorte de seuil ou de porte du monde infernal (cf. supra pp. 235-236). Le dernier type résulte, quant à lui, de la combinaison du premier type de représentation avec la déposition au tombeau par Hypnos et Thanatos. Nous n’en possédons qu’un exemple, du début du dernier quart du Ve siècle, le lécythe d’Athènes 1830 (A3, 60° ; cf. E. Buschor, 1925, Taf. 5). Hermès est figuré à l’arrière-plan d’Hypnos et de Thanatos. Le mort est représenté sous forme d’eidôlon sur les deux vases à figures noires et sur les lécythes du Peintre du Tymbos : le lécythe de Carlsruhe B 2663 (A3, 30°) est la plus ancienne représentation de ce type qui nous soit parvenue sur un lécythe. La barque apparaît entièrement ; elle possède une proue assez haute et deux rames. A gauche sont peints des roseaux. Charon, barbu, se tient debout, main gauche sur la gaffe, main droite sur la proue. Son pétase est rejeté derrière la nuque. Il est revêtu d’un chiton retenu à la taille par une ceinture. Il regarde un eidôlon qui vole vers lui. Il est rare, sur les lécythes, que le mort soit remplacé simplement par son eidôlon : d’ordinaire les deux sont représentés. Le chapeau de Charon est également étrange : un pilos le caractérise davantage et il est peu fréquemment tête nue. Un autre lécythe du Peintre du Tymbos donne une représentation plus canonique du nocher (Oxford G 258 : A3, 31*) : il est coiffé d’un pilos en fourrure d’où sortent des mèches de cheveux. Il tient sa gaffe de la main droite et tend le bras gauche vers un eidôlon qui vole vers lui, comme s’il voulait le prendre. L’eidôlon et la barque sont du même type que ceux du lécythe précédent. Des roseaux poussent à gauche de l’embarcation. La jambe avant de Charon est pliée. Les rames ne sont pas figurées. Assez 50
Nous en avons dénombré huit de façon certaine : New York 75.2.6. (A3, 54*), Athènes 1758 (A3, 57°), Athènes 1757 (A3, 58°), Varsovie 142468 (A3, 59*), Hambourg 1917. 817 (A3, 76*), Copenhague 729 (A3, 77°), Louvre CA 537 (A3, 78*) et Berlin F 2680 (A3, 80*).
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fréquemment représentés sur les lécythes autour du milieu du Ve siècle, les eidôla s’estompent au cours du troisième quart du Ve : le défunt prend l’apparence d’un vivant51. Un fait semble d’importance : Charon ne transporte pas d’homme mûr. Ses passagers sont surtout des femmes, parfois des enfants ou des éphèbes. Un seul lécythe, celui du Louvre N 3449 (A3, 35°), montre un homme barbu, enveloppé dans un manteau, qui se dirige vers la barque dont on ne voit que la partie antérieure. Le nocher a avancé sa perche pour accoster. Il porte un pilos rustique et une exomide. Une jambe plus haute que l’autre et pliée pour garder l’équilibre, il se penche vers l’avant et tend la main droite en direction de l’homme barbu et d’une femme dont le haut du chiton a disparu. Entre les personnages, trois eidôla nus et ailés volent avec des gestes de lamentation. On hésite sur la signification à donner au couple : sont-ils morts tous les deux, ou bien la femme, encore vivante, adresse-t-elle un geste d’adieu à l’homme que Charon va embarquer ? La comparaison avec les autres lécythes, où Charon ne conduit jamais d’hommes, nous fait pencher pour la première hypothèse. Cette exception en effet peut être nuancée si l’on voit dans cette représentation non l’embarquement d’un homme seul, mais celui d’un couple, la femme étant morte elle aussi (ou éventuellement celui d’une famille symbolisée par les différents eidôla). Malgré son air parfois rébarbatif, le nocher se montre attentif envers ses passagers, notamment quand il s’agit d’enfants52. Il ne quitte jamais sa barque : elle a la forme d’un canoë à la poupe assez haute et est rarement figurée en entier53. En général, on n’en voit qu’une partie, la poupe ; la proue est souvent dissimulée par une touffe de roseaux, procédé qui permet à la fois de réduire la scène en longueur et de créer une illusion de profondeur. Sur le lécythe de Munich 2777 (A3, 14*), la barque de Charon est droite, et non pas en demi-lune comme sur les autres représentations. Elle est figurée en entier, la proue, ornée d’un œil, tournée vers le rivage54. Le nocher, 51
D’où la difficulté, quand plusieurs personnages sont figurés, de reconnaître le mort. A ce propos, voir l’article de G. Siebert, 1981. 52 Sur la figure de Charon comme image d’une mort que l’on cherche à adoucir et à rendre bienveillante, contrairement à l’iconographie d’Hypnos et Thanatos qui incarnent « la belle mort », celle du guerrier, voir H. Hoffmann 1985-1986, pp. 173-180 ; Chr. Sourvinou-Inwood, 1987 et 1995, pp. 303-361, ainsi que sa contribution au LIMC Charon I ; Cl. Bérard, 1988, p. 168. 53 La barque entière apparaît sur l’eschara à figures noires (A3, 27°), sur les lécythes de Carlsruhe B 2663 (A3, 30°), Oxford G 258 (A3, 31*) et Munich 2777 (A3, 14*). Peutêtre figurait-elle entièrement sur le phormiskos fragmentaire (A3, 28 = A4, 16*) et sans doute aussi dans la Nékyia de Polygnote (A3, 1). 54 Lorsque la barque est représentée entièrement (cf. Carlsruhe B 2663 et Oxford G 258 : A3, 30° et 31*), la proue est toujours dirigée vers le rivage, alors que c’est la poupe qui apparaît dans les représentations partielles.
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les deux pieds joints, appuie sur sa perche. Il est coiffé d’un pilos en fourrure et sa laideur est accentuée : barbiche hirsute et clairsemée, pommettes saillantes, œil rond, cheveux dépassant à peine du pilos. Hermès barbu, représenté de face, avec un pilos ailé, une chlamyde et des bottes lacées, tourne la tête vers une femme. Il l’a prise par le bras et lui montre, de son caducée, le bateau où elle doit prendre place. Il semble autoritaire, comme si la morte avait peur d’avancer. On assiste à l’ultime regard avant la séparation. La puissance d’Hermès prend fin à la frontière de ce monde. Le pouvoir de Charon le supplée. Le nocher arrive aussi bien de la gauche que de la droite. Les plus anciennes représentations de lécythes le font cependant venir de la gauche, contrairement aux vases avec la capture de Cerbère qui placent plutôt les Enfers à droite. Des rames propulsent la barque sur les vases à figures noires. On les retrouve sur les lécythes de Carlsruhe B 2663 (A3, 30°) et de Berlin 3137 (A3, 37*). Sur ce dernier, Charon, bonnet à fourrure et exomide, arrive de droite. Il tend la main droite comme s’il voulait agripper la femme qui attend sur le rivage. Les traits du nocher sont irréguliers : lèvres épaisses, ligne du nez pas tout à fait droite, barbe clairsemée. La défunte, tête voilée, est suivie d’une servante qui porte une corbeille et un alabastre55. Un eidôlon se dirige vers chacune des femmes. En plus de la perche que Charon tient dans la main gauche, on aperçoit une rame à la poupe du bateau. Très souvent, en effet, Charon utilise une gaffe qu’il tient de différentes manières. Il est la plupart du temps debout, penché sur la perche soit pour faire avancer la barque, soit pour se soutenir. Il la tient parfois à deux mains ou la pose sur son épaule, la main libre sur la poupe du bateau. Souvent, il fait un geste vers ceux qui attendent sur le rivage, notamment dans les scènes du deuxième type de représentation. Jambes serrées, genoux pliés ou bien une jambe placée plus haute que l’autre, il se penche légèrement vers l’avant. Excepté sur les figures noires, il est rarement assis ; deux lécythes seulement, du Peintre des roseaux, lui donnent cette position : Athènes 1999 (A3, 63°) et 2000 (A3, 64°). Sur le lécythe d’Athènes 1999, la barque de Charon, cernée de roseaux, arrive du côté droit. Le nocher, assis, a sa perche dans la main gauche et lève le bras droit. Il regarde une jeune femme qui approche à gauche, la main gauche levée au niveau du visage. Un trait ondulé indique le contour de la rive. Le lécythe d’Athènes 2000 présente une composition analogue au précédent, mais Charon tient la perche de la main droite et la main gauche disparaît à l’intérieur de la barque où il semble regarder. La femme porte une corbeille. Etrange aspect que celui de ce passeur ! Sur les vases à figures noires, il se présente comme un vieillard au visage un peu rude, à la barbe et aux cheveux blancs, le corps enveloppé d’un himation lui laissant un bras libre, la tête 55
Sur la fonction de l’alabastre qui, même en contexte funéraire, renvoie à l’univers féminin, voir P. Badinou, 2003, pp. 73-75.
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couverte d’un bonnet de marin. Les lécythes, eux, n’insistent pas sur l’âge avancé de Charon : il était certes difficile de rendre des cheveux blancs sur un fond blanc. Quelquefois des rides sillonnent son visage, mais ce fait ne semble pas la préoccupation majeure des artisans. Charon apparaît le plus souvent comme un homme dans la force de l’âge. Il est revêtu d’un chiton sur les premiers lécythes : Carlsruhe B 2663 (A3, 30°), Oxford G 258 (A3, 31*), Boston 95.47 (A3, 6°). Au centre de ce dernier, Hermès représenté de face, le caducée levé dans la main droite, tient un enfant par le poignet. Il s’apprête à le remettre à Charon qui, à gauche, attend dans sa barque, les deux mains sur sa perche. Il est vêtu d’un chiton, mais son bonnet a disparu, ainsi que toute trace de barbe. On distingue clairement son front bombé et son nez proéminent. Devant sa tête vole un eidôlon, figurine ailée revêtue d’un long chiton. Des traces laissent supposer qu’un second eidôlon volait derrière la tête de Charon. A droite, isolée du reste de la scène, une femme regarde, sans doute la mère de l’enfant, qui s’est couvert la tête d’un pan de son himation. Un eidôlon noir vole vers elle en lui tendant un thymiaterion (?). Le calme caractérise l’ensemble, l’enfant se dirige sans résistance apparente vers le nocher. C’est l’exomide qui deviendra ensuite l’habit typique du nocher56. Il possède également un bonnet caractéristique, le pilos rustique en fourrure (ou laine ?) porté par les marins, les pêcheurs ou les bergers. Une seule fois, il porte un pétase rejeté sur la nuque (Carlsruhe B 2663 : A3, 30°) ; une autre fois, sur le lécythe de Varsovie 142468 (A3, 59*), il est tête nue : les deux personnages (une femme qui porte une corbeille de bandelettes et un vase à parfum à gauche, Charon à droite) sont plus disposés de part et d’autre d’une stèle centrale. Le nocher est vêtu d’un chiton, fait rarissime. Il lève la main gauche comme s’il tenait sa perche (qui n’est pas dessinée) et appuie le coude droit sur la cuisse. On a l’impression qu’il se trouve en pleine discussion. Ses traits sont réguliers et sa barbe ainsi que ses cheveux soigneusement peignés. Sur les autres représentations, il est coiffé de son pilos qui atteint parfois des hauteurs vertigineuses (jusqu’à déborder sur la frise supérieure)57, plus ou moins enfoncé sur son front. Si ses attributs (barque, perche, exomide, pilos) deviennent vite canoniques, son visage est loin de 56
Même si le chiton subsiste, sur le lécythe de Varsovie 142468 (A3, 59*), par exemple ; ou sur le lécythe de Bruxelles, Mus. Roy. A 903 (A3, 24*) : Charon arrive par la gauche. Il a une jambe placée très haut vers la poupe. La perche dans la main gauche, il tend le bras droit vers les arrivants. Son pilos est assez haut et les traits de son visage plutôt irréguliers. Hermès, devant la barque, est figuré de face, imberbe, le pétase sur la nuque, caducée levé dans la main droite. Son visage, fort beau, contraste avec celui de Charon. Il a pris la morte par l’avant-bras pour la conduire au nocher. 57 Ainsi les lécythes d’Athènes 1758 (A3, 57°), 19356 (A3, 45) et 19342 (A3, 46) ; Amsterdam Allard Pierson (A3, 49°) ; jadis Berlin, Univ. (A3, 51°) ; Manchester III 36 (A3, 22*) ; Vienne IV, 3744 et 3743 (A3, 33 et 34), etc.
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l’être58. Il oscille entre des traits réguliers répondant au profil grec, et un aspect rude, irrégulier, évoquant un type plutôt barbare. Les plus beaux exemples de visage presque difforme (nez crochu, peau ridée, cheveux et barbe hirsutes…) sont fournis par les lécythes de Munich 2777 (A3, 14*) et d’Athènes 1926 (A3, 9*) : à gauche, Charon est légèrement penché et les pieds joints. Sa barbe est réduite à une barbiche hirsute et ses cheveux dépassent à peine du pilos. Il a un nez recourbé, un front ridé qui lui donnent un aspect rude. A gauche du bateau se distinguent des traces (roseaux desquels il émergeait ?). Hermès, toujours de face, est cette fois pieds nus et coiffé d’un pétase. Caducée baissé dans la main droite, il regarde la morte et lui prend la main pour la conduire jusqu’au nocher. Huit eidôla ailés et nus voltigent avec des gestes de lamentations autour des personnages, notamment derrière Charon. Huit eidôla pour une seule morte ! Les eidôla ne lui correspondent donc pas, mais incarnent sans doute les défunts qui attendent d’avoir reçu les honneurs funèbres pour pouvoir monter dans la barque de Charon. Ces âmes étaient en effet condamnées à errer sans repos : ainsi s’expliqueraient leurs gestes de lamentations. Leur représentation apparaît aussi comme une « sur-caractérisation » du lieu. De même que Charon, ces figurines annoncent les abords du royaume infernal. Il s’agit d’un moyen d’expression conventionnel, compris de tous. De l’eidôlon, l’artiste ne trace que la silhouette, le corps étant peint de couleur sombre, sans détails, comme si l’on avait voulu lui donner l’aspect d’un fantôme. Les lécythes hésitent, pour le visage de Charon, entre toute une série de nuances : traits réguliers, mais barbe éparse, ou nez légèrement courbé, ou yeux fixes… La moitié des représentations lui donne un visage régulier, l’autre moitié un aspect plus ou moins rude. Les deux formes apparaissent dès le milieu du Ve siècle sur les lécythes. Si l’on se rapporte à la figure noire, le type rude de Charon devait cependant être le plus ancien. Il disparaît presque totalement au dernier quart du Ve siècle. Cette différence de visage n’est pas due à un artisan particulier puisque l’on peut trouver les deux aspects chez un même peintre (par exemple le Peintre de Sabouroff). La persistance du visage régulier jusqu’à la fin du siècle relève peut-être de la tendance à l’idéalisation. Charon, symbole de la mort, ne doit pas effrayer. Il faut donner une image calme et rassurante du passage délicat entre l’ici-bas et l’au-delà. La rudesse de Charon reflète certes la peur de la mort, l’horreur d’un monde ténébreux et inconnu, mais elle obéit également aux besoins de la composition qui repose souvent sur un système d’oppositions : de même que, pour prendre un thème funéraire, la laideur de Thanatos s’oppose à la beauté d’Hypnos ; de même celle de Charon s’oppose à la beauté du mort ou d’Hermès. Il est possible de retrouver le même genre
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Sans doute peut-on voir dans cette absence de représentation canonique une trace de l’origine populaire de Charon.
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d’opposition entre la vieillesse du nocher, rendue par les rides, et la jeunesse du mort. L’accès au domaine infernal nécessite le passage d’un point d’eau, fleuve ou lac ; la barque de Charon en fournit la preuve constante. Il s’agit probablement de l’Achéron ou du lac dont parle Aristophane (Grenouilles, 137-140 et 180270). Dans cette imagerie, nous pouvons recueillir quelques indices sur l’humidité ambiante du lieu. L’eau est parfois indiquée par des traits ondulés, vaguelettes qui se brisent sur la coque de la barque. Ainsi, sur le lécythe de Berlin F 2681 (A3, 81*), la barque de Charon émerge de roseaux feuillus, à gauche. Des traits ondulés symbolisent l’eau du fleuve infernal. La morte est assise, au centre, sur les degrés de la stèle. Elle s’est recouvert la tête du manteau dont elle tient un pan de la main droite, comme si elle voulait se voiler (ou se dévoiler en un geste d’anakalypsis) la face à l’arrivée du nocher. A droite s’avance une compagne de la défunte ; elle couvre ses épaules d’un manteau orné de fruits ronds (grenades ?) et de feuilles. Charon s’appuie sur sa perche et se penche vers l’avant. Pilos sur la tête, barbe et cheveux mal peignés, il porte une exomide sur laquelle apparaît une guirlande de lierre. Pourquoi une telle précision ? La guirlande n’est pas un décor du tissu puisqu’elle en dépasse. Etait-elle accrochée aux roseaux ? Elle semble tenir horizontalement, toute seule, ornement étrange placé près de Charon et à la signification obscure pour nous. Faut-il y voir une influence des religions à mystères comme le suppose E. Mugione (1995, pp. 368-369), à la suite de Cl. Bérard59, pour les lécythes qui mettent Charon et le défunt face à face ? Ou bien est-ce une originalité du Peintre du triglyphe ? On retrouve en effet des composantes identiques sur le lécythe de Berlin F 2680 (A3, 80*) dû au même artisan60. A gauche s’avance un jeune homme, sans aucun doute le défunt, dont le manteau est parsemé de guirlandes de feuilles de lierre. Au centre, devant une stèle, se tient une jeune femme. Elle porte la main droite à ses cheveux et présente à Charon, de la main gauche, une corbeille garnie de grenades : il s’agit probablement d’une servante. La place qu’elle occupe, précédant le mort, s’oppose à celle des autres lécythes où la servante le suit. A droite, Charon, de sa barque (très effacée), s’apprête à prendre une grenade. Il n’a pas de perche. Son profil à la barbe parsemée est régulier. Derrière lui, se dresse une touffe de plantes aquatiques très feuillues (roseaux ?). Sous la barque sont dessinées des formes ovales verdâtres, fait unique. Représentent-elles des feuilles de nénuphars ? Leur forme semble trop régulière pour évoquer des rochers ou des vagues. Là encore, l’interprétation détaillée reste obscure. On pourrait voir, dans le geste d’anakalypsis du premier lécythe et dans la présentation des grenades à Charon du second, deux moyens 59
Cl. Bérard, 1987, pp. 139-140 et 1988, p. 168. Pour une description détaillée des lécythes de Berlin 2680 et 2681, voir F. von Dühn, 1885, pp. 18-24. 60
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pour le mort d’être reconnu comme initié par le nocher et de bénéficier, en tant que tel, d’un sort privilégié. La série reste néanmoins trop limitée pour qu’on aille plus loin. L’eau est aussi rendue par des traits horizontaux, comme sur le lécythe qui se trouvait jadis à l’université de Berlin (A3, 51°)61. Les roseaux poussent devant la barque de Charon, entre elle et la morte, et quelques traits horizontaux indiquent l’eau. Charon vient de gauche. Sa jambe droite, placée plus haut, est pliée. Il s’appuie de la main gauche sur la gaffe. La main droite, index pointé, désigne la femme qui attend sur le rivage. Elle tient un coffret et un vase à parfum qu’elle présente à Charon. Le visage du nocher n’est pas difforme. Il a le nez légèrement courbé, sa barbe est fournie. Quand la polychromie du lécythe est conservée, le bleu, parfois très vif, caractérise le fleuve. Par exemple sur le lécythe d’Athènes 1759 (A3, 61°), à gauche, la poupe de la barque émerge de roseaux. Charon, penché vers l’avant, tient sa perche des deux mains. Ses traits sont réguliers. Devant le bateau, l’eau est peinte en bleu et une touffe de roseaux y pousse. A droite, une jeune femme approche, un objet rectangulaire dans la main droite levée au niveau du visage. Ou encore le lécythe de Copenhague 729 (A3, 77°) : à gauche, Charon debout dans sa barque, se penche en avant en tendant la main droite. Sa perche repose sur son épaule droite. Sous la barque, l’eau indiquée en bleu vif, vient baigner le pied de la stèle centrale. A droite, un jeune homme, représenté de face, mais la tête tournée vers Charon, s’appuie sur deux grandes lances. Les roseaux ont totalement disparu. Enfin, il arrive qu’un trait ondulé indique aussi le contour de la rive, comme sur les lécythes d’Athènes 1999 et 2000 (A3, 63° et 64°). La végétation est évidemment celle d’un marais : des roseaux ponctuent bon nombre de représentations. Leurs touffes sont plus ou moins fournies : quelques traits verticaux (par exemple sur les lécythes du Peintre du Tymbos (A3, 30° et 31*) ou du Peintre des roseaux (A3, 61° à 79) ; roseaux plus feuillus sur les lécythes de Berlin F 2680 et 2681 (A3, 80* et 81*), ainsi que sur celui de Cambridge (Mass.) 1960.338 (A3, 83*). Souvent ils masquent la proue de la barque de Charon, créant ainsi une illusion de profondeur. On les trouve également devant la poupe, marquant la séparation entre le mort et le nocher. Ils assurent alors une fonction identique à la stèle, puisque des bandelettes qui ornent généralement les stèles y sont déposées. Elles se voient nettement sur les lécythes du Peintre des roseaux : Athènes 2028 (A3, 65°), collection Stathatos (A3, 62°)62, Providence 25.082 (A3, 66*) et collection privée de Cologne (A3, 61
Jadis Berlin, Université. Selon F. Brommer (1969, p. 168, n° 61), il en existe une réplique à Saint Pétersbourg, coll. Botkin (A3, 52). 62 Pour une description précise de ce lécythe, voir P. Amandry, 1963, vol. III, pp. 158159 et fig. 84, pl. XXIV (= vol. I, fig. 11).
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69°). Rares sont les lécythes qui associent roseaux et stèle comme ceux de Berlin F 2680 et 2681 (A3, 80* et 81*) ou de Paris CA 537 (A3, 78*) : de part et d’autre d’une stèle à fronton triangulaire et sur la base de laquelle est posé un petit lécythe, sont placés à gauche Charon, à droite une jeune femme vue de trois quarts. La poupe de la barque infernale émerge d’une touffe de minces roseaux. Charon, penché en avant, manie la perche pour accoster, le visage rébarbatif, la barbe hirsute. La jeune femme l’attend, un alabastre dans la main droite et une corbeille de bandelettes dans la gauche. Il émane d’elle une immense tristesse rendue par la tête légèrement penchée, les yeux en amande et le dessin des lèvres. En général, roseaux et stèle sont séparés par la barque de Charon. Le lécythe de Hambourg 1917.817 (A3, 76*), lui, les juxtapose, insistant ainsi sur la frontière entre les deux mondes. Charon, à droite, debout dans sa barque, tient la perche à deux mains. A gauche, un homme barbu s’appuie sur son bâton. Au centre, une femme est assise sur les degrés d’une stèle au fronton triangulaire. A l’arrière-plan, entre la stèle et la barque, surgit une touffe de roseaux empêchant le nocher de s’aventurer plus loin, dans le monde des vivants. D’autres plantes confirmeraient la vision d’un marais : des nénuphars, si les formes rondes du lécythe de Berlin F 2680 (A3, 80*) évoquent bien ces plantes aquatiques. Ils ne dépareraient pas dans ce genre de paysage et indiqueraient alors, comme les roseaux, une eau relativement stagnante. Ainsi, même si peu de lécythes présentent des particularités de paysage, celles-ci interviennent directement dans la composition de la scène, et leur emploi n’est pas fortuit. Les lécythes n’apportent cependant pas d’innovation majeure en ce qui concerne les éléments de paysage : roseaux et rochers figuraient déjà dans la Nékyia de Polygnote et ils apparaissaient aussi, au début du Ve siècle, sur le phormiskos fragmentaire (A3, 28). Ils semblent devenus caractéristiques du paysage infernal et intègrent le mort dans un décor bien spécifique. Pourtant, le fond blanc du lécythe, sur lequel n’est figuré aucun objet, crée une nouvelle perception de l’espace : contrairement à la figure noire ou rouge dont le fond bornait la représentation, la couleur blanche ouvre le champ de vision et donne une impression d’infini derrière les personnages, impression que l’on retrouve dans la tombe du Plongeur de Paestum. Une autre nouveauté apparaît aussi, qui transcrit un changement de mentalité par rapport à l’au-delà : la juxtaposition d’une stèle et du marais achérontique. La stèle indique à la fois l’emplacement et la limite du tombeau, rarement figuré. Sa position, au centre du lécythe, souligne son importance. Toute la composition s’organise par rapport à elle. Elle constitue le point de rencontre entre les morts et les vivants. C’est de cette stèle que le mort part pour le royaume d’Hadès ; elle se présente à la fois comme une porte de communication avec l’au-delà63 et 63
Cf. P.-L. Couchoud, 1923, pp. 240-241 ; I. Baldassare, 1988, pp. 5-6.
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comme un point de non retour : la stèle franchie, le défunt quitte définitivement le monde des vivants, sans pouvoir y revenir. La stèle marque donc la frontière entre l’au-delà et l’ici-bas. De l’autre côté s’ouvre le domaine mystérieux de la mort. Les représentations qui comportent, à côté de la stèle, le nocher infernal mettent particulièrement en valeur sa fonction frontalière. D’un côté, la barque de Charon touche la stèle, mais ne la dépasse jamais, signe que l’empire des morts prend fin où elle est érigée. De l’autre côté, un porteur d’offrandes se tourne vers le monument sans pour autant le franchir puisque là se situe la limite du monde terrestre. Le mort, quant à lui, est représenté debout ou assis devant la stèle, c’est-à-dire dans l’« entre-deux » monde. Il s’apprête à perdre son statut d’être vivant pour prendre celui d’eidôlon lorsqu’il montera dans la barque de Charon. La stèle marque l’isolement toujours plus grand du mort par rapport aux vivants. Elle constitue donc un « marqueur d’espace » fondamental. Cependant, elle n’est pas toujours figurée. A quoi reconnaît-on alors le monde infernal ? Plus encore que les éléments de paysage, ou même que la stèle, c’est la présence de personnages relatifs aux Enfers (Charon et Hermès psychopompe) qui permet de situer la scène. Charon est une représentation allégorique de la mort, son apparition n’est jamais innocente. Un personnage situé près d’un fleuve d’où émergent des roseaux pourrait fort bien appartenir au monde terrestre, si Charon dans sa barque ne le caractérisait pas comme paysage infernal. De même, un personnage guidé par Hermès, même s’il a l’apparence d’un vivant, sera aussitôt interprété comme un défunt s’acheminant vers les Enfers. Ces deux « ministres » infernaux se sont substitués aux dieux en personne, Hadès et Perséphone, qui marquaient l’espace sur les représentations du VIe siècle. Mais leur présence a une signification identique. Ils sont là pour avertir le spectateur que la scène ne se déroule plus dans le registre humain, mais aux abords de l’au-delà. Les lécythes témoignent donc d’un important changement de mentalité des Athéniens sur les croyances relatives à l’au-delà. Les conceptions homérique et mythologique de l’Hadès ne les satisfaisaient plus : les scènes infernales mythiques avec Héraclès ou Sisyphe cèdent le pas aux représentations avec Charon. Les images infernales du VIe siècle dont l’objet retraçait le sort exceptionnel d’un héros n’intéressent plus les Athéniens du Ve siècle. Ils s’inquiètent de leur propre sort, du sort dans l’au-delà de tout individu appartenant à la vie quotidienne. C’est pourquoi les lécythes n’offrent plus des images de héros, mais des portraits d’individus contemporains. Et les divinités qui aident ces individus à franchir le pas vers le royaume des morts, Hermès psychopompe et Charon, restent profondément ancrés dans les croyances populaires. Grâce à leur focalisation sur les citoyens athéniens, les lécythes à fond blanc constituent donc vraiment un groupe unique. Ils retracent les croyances populaires sur l’au-delà qui n’apparaissent ni dans la céramique à 265
figures rouges ni dans la littérature de cette époque. En ce qui concerne le paysage infernal, cependant, ils n’innovent guère : fleuve, roseaux, rochers, tout cela figurait déjà chez Polygnote dès le deuxième quart du Ve siècle. A part les abords du paysage infernal, rien n’est révélé du royaume souterrain. Les artistes se sont arrêtés à la frontière, comme si la mort était seulement considérée comme un passage.
CONCLUSION DE L’ETUDE ICONOGRAPHIQUE On constate donc, en iconographie, une évolution sensible de la représentation spatiale des Enfers du VIe siècle au début du IVe siècle. Ce changement est dû au moins à trois facteurs : – une innovation technique en céramique, l’invention de la figure rouge, qui permet aux artistes d’insister davantage sur certains détails et d’adopter un style plus libre pour la composition de leurs figures ; – la diversification des supports avec la création de peintures spécifiquement funéraires, notamment les lécythes à fond blanc en Attique ; – un engouement pour de nombreux thèmes correspondant à une évolution de la société et de ses préoccupations sur l’outre-tombe. Au VIe siècle, les Enfers en tant que tels n’intéressent pas spécialement les artisans : leur peinture intervient dans le cadre de la geste d’un héros, surtout celle d’Héraclès. Parmi les aventures multiples du fils de Zeus, sa catabase est assurément la plus périlleuse. Pour cette raison, elle est figurée très fréquemment. Deux moments ont inspiré les céramistes : la capture de Cerbère et la délivrance de Thésée. La capture du chien infernal est de loin la plus représentée. La rencontre avec Thésée et Peirithoos intervient un peu plus tardivement, au moment où le premier épisode tendra à s’estomper. Dès les premières représentations, les éléments qui caractériseront les Enfers pendant tout le VIe siècle sont présents : le siège, la colonne, l’arbre, ce dernier étant situé devant l’entrée infernale. Mais ces motifs ne sont pas spécifiques au royaume d’Hadès. On n’obtient jamais une caractérisation du lieu en tant que tel : l’architecture comme les éléments de paysage peuvent, sous la même forme, désigner un endroit non infernal. Ils sont là pour indiquer un lieu en général et non pas seulement le royaume d’Hadès, ils changent d’acception en fonction des scènes où ils sont figurés. C’est pourquoi il faut observer la scène en totalité avant de pouvoir préciser leur valeur infernale. Il est par conséquent difficile de les retenir comme critères d’identification du domaine des morts. Les éléments qui permettent véritablement d’identifier le domaine infernal sont en fait les personnages : Hadès, Perséphone, et Cerbère. L’apparition des dieux infernaux est en effet un moyen de caractérisation. Leur place dans la représentation en est une preuve : ils sont en général repoussés à l’extrême bord et, la plupart du temps, liés aux éléments architecturaux. Leur rôle est à la fois de déterminer la représentation et de servir de décor pour indiquer le lieu. 267
D’ailleurs, il est fort rare qu’ils participent à l’action, ils se contentent de donner leur approbation (ou leur réprobation) d’un geste de main. « Marqueurs d’espace », tel est également leur rôle sur les représentations sans éléments de décor. Un autre thème infernal de prédilection pour les artisans est le châtiment de grands criminels, tels Sisyphe, Ocnos, Thésée et Peirithoos ou les porteurs d’eau. C’est l’occasion de pénétrer dans l’Hadès, alors que la capture de Cerbère par Héraclès restait aux abords. Néanmoins, les motifs demeurent sensiblement identiques : la colonne, le siège. L’arbre, quant à lui, disparaît puisqu’il marquait la frontière entre l’ici-bas et l’au-delà. A ces éléments s’ajoutent les instruments de supplice : pierre et colline pour Sisyphe, rochers ou sièges pour Thésée et Peirithoos, âne et fagot pour Ocnos, cruches et pithos pour les porteurs d’eau. Comme pour la capture de Cerbère, ce sont les personnages (souverains infernaux ou criminels) qui donnent à ces éléments leur caractère infernal. Il est d’ailleurs à noter que l’action fonctionne aussi parfois comme un élément d’identification. Ainsi, un homme poussant un rocher vers le sommet d’une colline est immédiatement identifié à Sisyphe par le spectateur. On relève quelques tentatives pour créer un espace. Si la plupart des vases de cette époque ne traitent qu’une seule scène, quelques céramistes juxtaposent deux scènes : Ocnos et les porteurs d’eau, la capture de Cerbère et Sisyphe, l’anodos de Perséphone et Sisyphe, etc. La juxtaposition des deux mythes s’allie d’ailleurs à l’utilisation de la forme du vase pour rendre le volume. Pourtant, le procédé, qui demeure rare et mérite d’être relevé, n’a pas connu de suite. On a l’impression que le principe de l’action continue entre plusieurs images semble étranger à l’art archaïque. Il faut attendre la première moitié du Ve siècle pour qu’une véritable composition à personnages multiples soit attestée : la Nékyia de Polygnote dans la leschè de Delphes. Au cours du deuxième quart du Ve siècle, dans la Nékyia qu’il a peinte à la leschè de Delphes, Polygnote innove par rapport aux thèmes traités précédemment. D’abord parce qu’il centre son tableau autour de l’évocation des âmes par Ulysse, thème dont nous ne possédons aucune représentation antérieure. Ensuite parce qu’il propose une véritable géographie infernale : il peint non seulement les abords, mais aussi l’intérieur de l’Hadès. Pour la première fois en iconographie, on voit Charon traverser l’Achéron. Les figures disposées sur trois niveaux donnent l’impression d’un domaine souterrain qui s’étend sous les pieds d’Ulysse. Un double accès y est présenté : celui des morts par l’Achéron, celui des vivants par l’évocation. Le premier permet de gagner l’intérieur du domaine, le second se limite aux abords. De la végétation est dessinée (roseaux, arbres) et l’aspect rocailleux est souligné à la fois par les rochers sur lesquels sont assis quelques personnages et par l’environnement de 268
certains suppliciés (Sisyphe, Tantale, Thésée et Peirithoos). On assiste à l’apparition d’un paysage et d’un espace où se meuvent les âmes, mais dont la signification infernale est toujours marquée par des figures : Charon, le démon Eurynomos, les porteurs d’eau (qualifiés de non-initiés) et les grands criminels (Tityos, Sisyphe, Tantale) placés aux extrémités gauche et droite du domaine pour le délimiter. Le sujet de ce tableau a sans doute influencé les céramistes qui, à partir du milieu du Ve siècle, mettent à l’honneur l’évocation des âmes par d’Ulysse : ils le représentent en conversation avec Elpénor ou Tirésias. Roseaux et rochers caractérisent le seuil de l’Hadès. La colonne typique de l’époque précédente disparaît presque totalement : l’Hadès n’est plus conçu comme une architecture (un palais), mais comme un paysage. Les sujets en vogue à l’époque archaïque connaissent un net recul, supplantés par de nouveaux thèmes : l’entrevue d’Héraclès avec Thésée et Peirithoos remplace la capture de Cerbère ; et dès le milieu du Ve siècle, aux héros des anciens temps sont préférés de simples mortels que conduit Hermès psychopompe ou que Charon attend dans sa barque. Des exploits héroïques on est passé à la mort quotidienne. Avec les peintures des lécythes, on s’aperçoit que le passage vers l’au-delà est devenu une préoccupation importante pour les Grecs. L’entrée de l’Hadès y est toujours conçue comme marécageuse (de l’Achéron poussent des roseaux entre lesquels se faufile la barque de Charon) avec une rive rocheuse. Un élément nouveau apparaît vers la fin du siècle, qui fait office de frontière entre les deux mondes : la stèle. Une juxtaposition s’opère entre la tombe et le voyage vers l’au-delà. Quelques lécythes montrent la fin du voyage avec Hermès et l’embarquement avec Charon, les autres mettent directement le mort en présence du nocher. On y décèle une inquiétude des vivants face à la mort. Ces documents, qui insistent particulièrement sur la notion de passage, évoquent peut-être l’espoir d’un audelà bienheureux. C’est également à cette époque qu’une véritable atmosphère se dégage des images infernales, probablement sous l’influence de l’expression des sentiments des personnages dans la peinture depuis Polygnote et de l’évolution des conceptions relatives à la mort. La Nékyia delphique (A3,1) s’éloigne de la Nékyia homérique dans la mesure où Polygnote n’a pas transcrit dans sa peinture la hâte des âmes à aller boire le sang sacrificiel. A part Tirésias et Anticléia qui s’intéressent à Ulysse, les autres défunts l’ignorent et continuent leurs occupations par petits groupes. Les âmes des morts ne sont plus de vains simulacres qui errent sans but précis. Polygnote a attribué à chacun une occupation qui rappelle celle des vivants. Ainsi Palamède et Thersite jouent-ils aux dés (Pausanias X, 31, 1), Marsyas apprend-il à jouer de la flûte (Pausanias X, 30, 9). Néanmoins, cette évolution 269
n’est pas tant due à une différence de conception qu’à une différence de domaine. La description littéraire s’accommode d’une énumération de personnages sans activité particulière, car l’absence gestuelle chez Homère est remplacée par la prise de parole. Caractéristique de cela est le changement d’attitude du poète au moment de la catabase d’Ulysse : les défunts ne parlant plus, ils agissent ; Minos juge, Orion chasse, comme chacun a fait durant sa vie ; Tantale, Tityos et Sisyphe subissent leur châtiment (Odyssée XI, 568-600). Nous avons sous les yeux une série de petits tableaux. Vu les dimensions de sa Nékyia, Polygnote ne pouvait disposer ses personnages en une longue file immobile. En outre, l’appréhension d’une peinture par le spectateur est synchronique, et non diachronique comme celle d’un récit. La monotonie et l’ennui auraient résulté d’une disposition identique pour l’ensemble des figures. La solution consistait donc à les disperser et à transposer, même dans le royaume des morts, la vie et l’action. L’attitude des personnages bannit toute rigidité, les corps adoptent des positions qui rappellent la vie. Voilà pourquoi Chloris est allongée tout naturellement sur les genoux de Thyia (Pausanias X, 29, 5). La pose de Memnon, une main sur l’épaule de Sarpédon pour le consoler, est également naturelle (Pausanias X, 31, 5). Le caractère éthique qu’Aristote (Poétique, 2) et Elien (Histoires variées IV, 3) prêtent à la peinture de Polygnote se retrouve dans la Nékyia. Ainsi, en représentant Ariane et Phèdre, l’artiste choisit de traiter, par allusion, l’amour délaissé : Phèdre s’est suicidée à cause de l’amour vain qu’elle portait à Hippolyte. Quant à Ariane, elle fut abandonnée par Thésée. La haine est également suggérée par la composition du tableau, sans qu’elle transparaisse forcément dans les attitudes : aux amis d’Ulysse, Polygnote a opposé ses ennemis ; et aux guerriers grecs, les guerriers troyens. Un autre signe des préoccupations éthiques du peintre est le refus de présenter dans sa Nékyia un spectacle d’horreur. Aucun supplice n’est accentué : Thésée et Peirithoos ne sont pas enchaînés, mais simplement collés à leurs sièges (Pausanias X, 29, 9). Ainsi leur châtiment se remarque moins. De même, le supplice de Tityos est figuré au moment où le foie repousse, et non lorsque l’aigle le dévore (Pausanias X, 29, 3). Seules sa couleur sombre et sa silhouette sans détails ou mutilée révèlent ses souffrances. Les punitions de Marsyas, de Thamyris ou d’Actéon sont simplement évoquées : Marsyas apprend à Olympos à jouer de la flûte (X, 30, 9), instrument avec lequel il s’était mesuré à Apollon et qui lui valut d’être écorché. L’aveuglement de Thamyris lui vient des Muses irritées qu’il ait voulu rivaliser avec elles, et sa lyre brisée (X, 30, 8) indique qu’elles lui avaient aussi ôté ses dons musicaux. Quant à Actéon, c’est le chien situé à ses pieds (X, 30, 5) qui évoque sa mort atroce, sous les crocs de ses chiens. Et Phèdre se balance sur une corde qu’elle tient des deux mains (Pausanias X, 29, 3). Polygnote dérobe ainsi aux yeux du spectateur l’horreur de la pendaison. Une atmosphère paisible, presque sereine, se dégage du royaume infernal. Les âmes discutent, jouent, sans doute bercées 270
par la musique enchanteresse d’Orphée. Nulle trace, dans la description de Pausanias, d’errance vaine ni de cris horribles comme dans l’Odyssée. Un apaisement, souvent emprunt de tristesse, se dégage aussi sur les images infernales de la céramique. Ainsi les attitudes d’Ulysse et de l’ombre d’Elpénor sur la pélikè de Boston (A3, 3°) rendent perceptible la gravité de l’instant. Mais le questionnement sur l’au-delà est surtout flagrant sur les lécythes à fond blanc. Par exemple, sur le lécythe du Louvre CA 537 (A3, 78*), l’inquiétude est visible dans l’inclinaison de la tête, dans la position de la bouche et des yeux de la défunte (cf. S. Papaspuridè, 1923, p. 142). Et les scènes avec les enfants, tels les lécythes de New York 09.221.44 (A3, 42*) ou d’Athènes 1814 (A3, 53°), en soulignant l’impuissance de la mère ou des proches face à la mort, sont particulièrement émouvantes. Les changements sont non seulement dus à l’époque, mais aussi au lieu. On constate en effet une différence de traitement des sujets entre l’Attique et la périphérie de la Grèce. Alors que les artistes attiques s’efforcent d’adoucir (notamment dans la seconde moitié du Ve siècle) tout ce qui pourrait inquiéter leur clientèle, les régions périphériques insistent plutôt sur l’aspect monstrueux. L’iconographie de Cerbère en constitue un excellent exemple : doté le plus souvent de deux têtes (voire d’une seule) et d’apparence calme en Attique, il possède fréquemment trois têtes, quantité de serpents, et se montre peu sociable dans la périphérie. Les modifications d’un schéma iconographique traditionnel interviennent la plupart du temps dans ces régions, comme si l’éloignement du modèle attique permettait plus de liberté. La mise en scène particulière de la consultation de Tirésias par Ulysse sur le miroir étrusque du Vatican 12687 (A3, 5°) en apporte la preuve. Néanmoins, quels que soient le lieu ou l’époque, c’est la notion de seuil et de frontière qui, dans l’iconographie, est sans cesse mise en avant. Si les abords infernaux se dotent d’un véritable paysage à la fois marécageux et montagneux, l’intérieur de l’Hadès demeure pour ainsi dire vide de décor, monde inconnu et enveloppé de mystère que les images se défendent de dévoiler.
CONCLUSION GENERALE Nous voici arrivée au terme de notre enquête. Les résultats de chaque recherche ont été exposés lors des conclusions partielles des différents chapitres. Après une étude thématique, le moment est venu de recadrer chronologiquement l’évolution de l’espace infernal et d’esquisser une comparaison entre littérature et images, mais il paraît d’abord utile de rappeler que ces deux domaines sont deux modes d’expression fort distincts. Leurs rapports au temps et à l’espace ne sont pas identiques : le poète a le libre choix de développer ou non sa description, il peut toujours compléter son récit ; sculpteurs ou peintres, en revanche, doivent réunir toutes les informations en une sculpture ou une peinture très difficilement modifiables une fois achevées. Les faits que le poète narre les uns après les autres, l’artisan doit soit les regrouper en un temps et un lieu uniques, provoquant parfois de curieux télescopages, soit choisir le plus significatif. Pourtant ces deux modes sont issus d’une même réalité culturelle. Si les écrivains et les imagiers n’adoptent pas les mêmes versions, ils puisent de manière indépendante à un fonds commun qu’il exploitent et interprètent à leur guise. Ainsi que le remarquait G. Siebert (1981, p. 65) : Entre l’imaginaire collectif, les textes et les œuvres d’art s’établit un jeu d’interaction, une fonction des poètes et des artistes étant de nourrir et de préciser le trésor d’images de leur culture.
Leur confrontation permettra sans doute de déterminer, par delà les diverses nuances propres à chaque domaine, des relations d’homologie et d’entrevoir quelle image mentale les Grecs se forgeaient du paysage infernal. Si l’on considère la conception archaïque, on s’aperçoit que, dans les deux domaines, l’accent est mis sur la frontière entre l’ici-bas et l’au-delà. Poètes et céramistes s’en tiennent en général aux abords de l’Hadès. D’ailleurs, le royaume des morts n’est jamais évoqué pour lui-même, mais à l’occasion d’un récit mythique, telle la gigantomachie dans la Théogonie hésiodique, ou des exploits d’un héros : l’évocation des âmes par Ulysse dans l’Odyssée ; la capture de Cerbère par Héraclès sur les vases. Notre documentation étant soumise aux hasards du temps, les deux traditions nous sont également précieuses. Ainsi, nous savons qu’en littérature le voyage aux Enfers d’Ulysse n’était pas unique : nous possédons des allusions d’auteurs sur des catabases
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d’Héraclès, d’Orphée, de Dionysos, que nous avons perdues. Or la céramique témoigne de la catabase d’Héraclès, confirmant la tradition littéraire. A première vue, on note une différence entre poètes et imagiers dans la conception des Enfers. Dès Homère (Iliade VIII, 13-16) et Hésiode (Théogonie, 116-119 ; 789-792), l’Hadès fait partie de la représentation cosmologique de l’univers et y occupe une position centrale, sous terre, entre Ciel et Tartare. Chez les deux poètes, l’entrée infernale se reconnaît à des éléments naturels : l’Océan et les fleuves infernaux, le bosquet de Perséphone, les rochers, les ténèbres environnantes. L’Océan marque pour les Grecs les limites du monde habité, de l’oikoumène. Sa mention comme seuil de l’au-delà apparaît donc fondamentale. Elle souligne sa fonction de frontière, avec toute la complexité qui en découle : le fleuve constitue, à l’instar de toute frontière, à la fois un lieu de délimitation et de passage entre vivants et morts. Il s’agit néanmoins d’une frontière particulière puisque le passage ne s’effectue que dans un sens, de la vie vers la mort. Par ailleurs, la représentation d’une région montagneuse et abrupte insiste sur l’aspect inculte, sur la sauvagerie et l’inhospitalité de l’endroit par rapport au monde civilisé. Les représentations figurées offrent un environnement infernal différent : nous ne trouvons ni la représentation cosmologique de l’univers ni l’importance de la thématique de l’eau et des rochers. Un certain nombre d’éléments picturaux suggèrent cependant le lieu en jalonnant l’espace. L’Hadès est conçu comme une architecture dont l’accès est symbolisé par une colonne. Souvent, cet élément architectural possède plus qu’une simple valeur d’indicateur d’espace. Il sert de point d’articulation à un événement : la capture de Cerbère, par exemple. Le chien attend du côté infernal de la colonne, tandis qu’Héraclès est placé de l’autre côté. La colonne marque alors, comme l’Océan en littérature, l’ambiguïté de la frontière, à la fois limite et point de contact entre les deux mondes. Seul Hermès est habilité à la franchir. En aucun cas, les céramistes ne s’attachent à peindre les caractéristiques d’une architecture réelle. L’essentiel pour eux est que l’objet soit suffisamment ressemblant pour être identifié à une colonne par le spectateur. Il en est des représentations de l’Hadès comme des espaces terrestres : un objet, seul ou associé à d’autres, permet de définir un espace immédiatement reconnaissable. On a une image minimale du lieu, qui pourtant n’entrave en rien la compréhension. Par ailleurs, à l’époque archaïque, aucun rocher n’est figuré sur les vases. Pour symboliser l’inhospitalité infernale, les peintres préfèrent avoir recours à un monstre à double (parfois triple) gueule, Cerbère, qui définit une sauvagerie immédiatement compréhensible par le spectateur. Apparemment, cette conception diffère totalement des mentions infernales littéraires. Pourtant, à regarder plus attentivement, on constate que les peintres n’ont pas suivi une autre conception, mais qu’ils ont opéré un choix, celui de caractériser l’Hadès par un élément architectural. Ce choix était peut-être guidé 274
au départ par les difficultés techniques qu’ils rencontraient pour représenter un paysage, ou du moins la vaste étendue d’eau de l’Océan. Les poètes, qui ne se heurtent pas à de tels problèmes, ont recours tantôt à des éléments naturels, tantôt à des mentions architecturales. Ne parlent-ils pas en effet des « portes » ou du « palais » d’Hadès ? La mention du cadre architectural de l’Hadès à la fois dans les textes et dans l’imagerie prouve qu’il n’était pas une simple invention poétique, mais qu’il appartenait à l’inconscient collectif des Grecs. Il occupe un rôle fondamental dans les relations que les vivants entretiennent avec les morts, et témoigne de l’effort des hommes pour récupérer l’altérité radicale que représente la mort. Assimiler l’Hadès à l’image d’un palais terrestre, c’est l’apprivoiser un peu, le rendre plus humain et donc plus supportable. Quelques vases présentent, à l’instar des textes, une colonne et un arbre, marquant ainsi la frontière naturelle et la frontière architecturale d’un monde qu’il faut absolument isoler du monde des vivants. Cette double frontière était déjà soulignée dans l’Odyssée au chant X (le Petit Promontoire avec le bosquet de Perséphone et la pierre au confluent des deux fleuves) ainsi qu’au chant XXIV (le Rocher Blanc avec les Portes du Soleil et le Pays des Rêves). Entre les deux limites s’étend un monde intermédiaire, encore terrestre mais déjà caractérisé comme infernal, domaine de l’ambiguïté où l’on passe imperceptiblement de la vie à la mort, où les contraires se rencontrent, point de jonction des différents niveaux cosmiques : verticalité et horizontalité s’y confondent, l’Hadès est à la fois souterrain et situé aux extrémités terrestres. Cette ambiguïté liée à la notion d’« entre-deux » monde apparaît aussi en céramique, notamment à propos de l’arbre. La même imprécision plane lorsque la capture de Cerbère est figurée sans décor : cette absence d’éléments de paysage soustrait l’image à l’espace et au temps. Est-on encore aux Enfers ou déjà sur terre ? Dans les deux cas, le peintre laisse planer le doute dans l’esprit du spectateur. C’est non seulement un moyen de rendre tangible la notion d’invisibilité, de faire prendre conscience de ce qui d’ordinaire ne se voit pas, mais aussi de rendre la notion d’immensité sur l’espace restreint du vase. Par la construction même de l’image, le céramiste suggère ce qu’il est dans l’impossibilité de représenter. Ainsi, la meilleure façon de suggérer le monde ténébreux de l’au-delà à l’époque archaïque semble le mode de l’omission, que ce soit le non-dit dans les textes ou le non-figuré en image. Littérature et iconographie se recoupent également sur la notion de paysage : jusqu’au début du Ve siècle ni l’une ni l’autre ne dépeignent un véritable paysage infernal, elles en offrent seulement quelques éléments isolés : un arbre, une colonne, un fleuve qui demeurent insuffisants pour localiser précisément la scène. Pour parler de paysage, il faudrait une vision synoptique, une mise en rapport entre ces éléments épars qui jamais ne sont regroupés en une géographie déterminée. Poètes et peintres vont parfois combiner ces unités pour essayer d’apporter des indices sur la localisation. Mais s’ils sont parfois couplés (arbre 275
et colonne sur les images, eau et rochers dans les textes), on les trouve rarement plus nombreux. Peu ou pas situés les uns par rapport aux autres, ils sont souvent à peine décrits en littérature et stéréotypés sur la céramique. Il reste par exemple impossible d’identifier les arbres peints sur les représentations de l’au-delà tant leur feuillage est stylisé. Leur présence ne se veut pas réaliste, elle intervient pour la lisibilité de l’image, soulignant que la scène se déroule à l’extérieur. Elle induit éventuellement un effet secondaire sur le spectateur, l’idée d’une végétation infernale monotone, qui trouve son pendant chez Homère dans la monotonie de la prairie d’asphodèles ou du bosquet de Perséphone. Pourtant, ce n’est pas tant la valeur anecdotique de l’arbre en tant que marqueur d’espace extérieur qui importe : sa valeur essentielle est celle de délimitation de l’espace. Sur la céramique, comme nous l’avons dit, il renforce la frontière infernale extérieure, du côté terrestre. Les vivants s’y arrêtent, comme les morts s’arrêtent à la colonne qui marque la frontière infernale intérieure. L’absence de passage, ou plutôt le fait qu’il s’agit d’un passage à sens unique est ainsi souligné. Les éléments de paysage n’ont donc pas seulement une fonction décorative ou de remplissage, mais ils tissent un véritable réseau de significations à l’intérieur de l’image. On note par ailleurs, tant chez les poètes que chez les imagiers, une propension à la métonymie ; ils s’attachent au détail pour symboliser le tout : la « maison » d’Hadès pour l’ensemble du royaume infernal, la colonne pour le palais, etc. L’évocation des éléments de paysage se limite à la stricte nécessité : offrir des points de repère aux héros (Ulysse en littérature, Héraclès en iconographie) ou participer aux supplices des grand damnés (le rocher de Sisyphe, le lac et les arbres de Tantale, le pithos des porteurs d’eau). Quand ils n’ont pas de rôle dans l’action ou quand cela va de soi, les éléments de paysage sont omis. Ainsi, le sol est représenté lorsqu’il est rocheux alors que le cadre du tableau suffit pour symboliser la surface plane sur laquelle marchent les personnages. Dans les deux traditions prime une conception de la nature centrée sur l’homme ; plus que des éléments de paysage ce sont les personnages qui créent et permettent de reconnaître un espace infernal. L’espace homérique est composé d’une succession de personnages, héros, héroïnes, grands criminels (et morts anonymes qu’un auteur peut citer, mais ne décrit pas). L’espace iconographique archaïque correspond aux mêmes critères, les « marqueurs » en sont les personnages : à part les souverains infernaux, on retient surtout de l’Hadès Cerbère et les grands criminels. Les Enfers sont avant tout composés d’âmes que les textes se contentent d’énumérer et les images de juxtaposer, et non d’éléments architecturaux que l’on retrouve tels quels dans les scènes terrestres. Pour constater une évolution sensible de la conception de l’espace et du paysage de l’au-delà, il faut attendre la Nékyia que Polygnote exécuta à la leschè de Delphes dans la première moitié du Ve siècle. L’évocation des âmes 276
par Ulysse constitue pour la première fois le sujet d’une représentation picturale de dimensions importantes, qui ose représenter l’intérieur des Enfers. Les peintures de la leschè mettent en réalité en scène trois espaces : terrestre avec l’Ilioupersis, intermédiaire avec les cadavres de l’Ilioupersis et le passage des âmes dans la barque de Charon, infernal avec la Nékyia. On voit là se déployer un programme décoratif très élaboré. La disposition des figures sur plusieurs niveaux avec des indications de terrain pour les séparer crée vraiment l’impression d’un espace dans lequel évoluent des personnages, espace délimité par des éléments de paysage : l’Achéron et ses roseaux, les lignes et rochers qui marquent la rupture entre ici-bas et au-delà, le rocher de Sisyphe et le lac de Tantale. L’habileté du peintre consiste à avoir placé les hommes vivants (Ulysse et ses compagnons) sur la gauche de la rangée supérieure, suggérant ainsi la situation souterraine du royaume d’Hadès. Bien qu’il ne s’agisse pas encore d’une véritable perspective, c’est le début d’un espace pictural. La peinture est conçue à la fois comme la décoration d’une surface et comme une sorte de fenêtre ouverte sur le monde infernal. Les rochers sur lesquels prennent place les personnages en montrent l’aspect rocailleux : l’Ilioupersis en effet, dont l’action est située sur la grève, n’en comporte pas. Le paysage (humidité, rares arbres, rochers) reflète la conception donnée par la littérature dès l’époque homérique ; les innovations portent surtout sur les personnages : Charon, Eurynomos, les non-initiés… Comme dans l’imagerie du VIe siècle, les grands criminels infernaux (Tityos, Sisyphe, Tantale, Thésée et Peirithoos) jalonnent la peinture et en marquent les limites infernales. En revanche, les critères architecturaux (la colonne, le trône) ont disparu. La composition d’ensemble obéit à un système d’opposition et de rappels internes : initiés / non-initiés, héroïnes / héros, amis et ennemis d’Ulysse… et pourtant chaque groupe reste isolé de ceux qui l’environnent. Avec Pindare, la littérature connaît aussi, dans la première moitié du Ve siècle, un élargissement de la géographie infernale. Les âmes, en fonction de leurs actions terrestres, ne fréquenteront pas le même lieu infernal. A la mort, toutes descendent dans l’Hadès pour y être jugées. Puis les mauvaises se réincarnent pour tenter de se purifier ; les bonnes restent huit ans auprès de Perséphone et se réincarnent la neuvième année pour confirmer la voie qu’elles ont suivie lors de leur vie antérieure ; au bout de trois vies pures, le cycle des réincarnations cesse et les âmes résident dans l’île des Bienheureux, à la surface terrestre, au milieu de l’Océan. La nouveauté de Pindare est donc d’associer Terre, Enfers et île des Bienheureux dans sa conception de l’au-delà. La théorie de la métempsychose est à l’origine d’un tel changement. Un sort bienheureux n’est plus l’apanage de quelques héros favoris des dieux, il peut devenir celui de tout homme juste. En ce qui concerne le paysage infernal, et non plus seulement l’espace, Pindare s’est surtout attaché à peindre l’île des Bienheureux. Le bonheur de ces justes auquel contribue un paysage idyllique est souligné. La 277
différence avec la plaine Elyséenne homérique ou les îles des Bienheureux hésiodiques est claire. Homère et Hésiode insistaient sur la douceur climatique, l’abondance des récoltes, l’absence de travail et de peine, mais ils n’évoquaient pas le site. Pindare est le premier à « planter le décor » : un château au milieu d’une campagne verdoyante. Il est le premier à privilégier les éléments végétaux, à insister sur leur abondance et leur luxuriance dues à l’alliance bénéfique de l’eau et du soleil, à en noter la brillance, les parfums et à en souligner ainsi la symbolique. La végétation luxuriante évoque implicitement des couleurs verdoyantes. Les notations de couleurs en effet restent très rares, remarque également valable pour la prairie des initiés, mais la mention des fleurs y supplée. Sensations visuelles et olfactives relèvent du paysage idéal grec, fascinant par sa végétation éternellement florissante, monde qui par sa beauté n’appartient ni à l’espace ni au temps des mortels. En revanche, aucune innovation n’est à noter pour l’Hadès, pour lequel le poète se contente de reprendre les vagues indices homériques (humidité, ténèbres, rocaille), le caractère inquiétant, et la localisation isolée et inaccessible pour les vivants. Les paysages, locus amoenus pour les bons et locus horridus pour les autres, correspondent aux lieux antithétiques de l’imaginaire infernal pindarique. Les tentatives pour définir un paysage infernal se poursuivent-elles au cours du Ve siècle ? Peut-être sous l’impulsion de Polygnote, les céramistes abordent de nouveaux thèmes relatifs aux Enfers, notamment l’évocation des âmes par Ulysse. La délivrance de Thésée est privilégiée, alors que la capture de Cerbère, thème favori du VIe siècle, est peu à peu éclipsée. Cependant rares sont les vases qui présentent des compositions à personnages multiples. Dans ce cas, deux attitudes se distinguent : certains artistes reprennent la formule archaïque de la frise de personnages et de la colonne pour indiquer le palais d’Hadès ; d’autres adoptent une composition à plusieurs niveaux en notant par des lignes la configuration du sol. Toutefois, bien qu’elles soient situées à l’intérieur des Enfers, ces représentations ne comportent pas d’éléments de paysage spécifique au royaume des morts. Les artisans préfèrent souvent traiter un seul épisode avec trois ou quatre personnages. Leur prédilection se porte alors sur la rencontre entre Ulysse et Elpénor, ou la consultation de Tirésias. Les scènes sont souvent placées dans un décor qui évoque l’aspect rocheux et humide de la contrée. Si les fleuves ne sont pas figurés, des roseaux signalent leur présence. Pourtant, plus on avance dans le temps, moins les céramistes portent d’attention au décor. Seuls les personnages demeurent, et sont souvent suffisants pour marquer l’espace comme infernal. Les lécythes constituent un groupe particulier aussi bien par leur abondante production que par leur décor. Plus que toute autre céramique, ils s’adressent aux différentes couches sociales, et leur fonction d’offrandes aux morts les prédispose à des sujets funéraires. On y découvre des ministres infernaux d’une 278
grande popularité : Thanatos accompagné de son frère Hypnos, et le nocher Charon, personnages qui, bien qu’ils soient cités dans les textes littéraires, n’y ont pas connu une immense fortune. Ces ministres incarnent la notion de passage que représente la mort pour les Grecs, notamment pour les Athéniens. Ce sont donc les abords infernaux qui sont figurés : l’Achéron et les roseaux qui le bordent, à travers lesquels Charon se fraie un chemin pour venir chercher le mort qui l’attend sur la rive, parfois abrupte. Un élément nouveau apparaît, lui aussi symbole de frontière, la stèle. Les représentations de la seconde moitié du Ve siècle se caractérisent par un adoucissement de tout ce qui touche aux Enfers : les grands criminels ne sont pour ainsi dire plus représentés, Hermès guide souvent le mort jusqu’à Charon, la présence d’Hypnos au côté de Thanatos donne de la mort l’image d’un long sommeil où toute souffrance est bannie. Ce n’est plus le sort des héros qui intéresse les imagiers, mais celui de morts anonymes, du commun des Athéniens. La confusion entre la représentation du défunt et celle des vivants est soigneusement entretenue : la mort apparaît ainsi comme la continuité de la vie et n’a donc plus lieu d’effrayer les vivants. Cette volonté de présenter la mort sous un jour bienveillant se note également dans la tragédie. Les personnages se l’imaginent souvent comme un sommeil éternel, un havre de paix. L’Hadès cependant n’y est jamais décrit. L’Alceste d’Euripide évoque simplement le nocher Charon, comme les lécythes. Les tragiques reprennent la conception spatiale homérique en y ajoutant quelquefois une région réservée aux initiés. Les allusions aux religions à mystères, comme en céramique d’ailleurs, restent rares et discrètes. Il faut attendre Aristophane et ses Grenouilles pour être entraîné, à la suite de Dionysos, à l’intérieur de l’Hadès et connaître davantage les éléments qui le composent : l’Achéron peuplé de grenouilles, une configuration plus ou moins vallonnée, le bourbier ténébreux où gisent les criminels, la prairie ensoleillée et verdoyante réservée aux initiés, et enfin le palais d’Hadès. C’est la première fois en littérature que tant de détails sur l’Hadès sont réunis. La frontière entre Terre et Enfers y est toujours marquée par l’eau, comme l’implique la présence de batraciens. Ces amphibiens symbolisent par leurs plongeons la notion de passage1. Les marais dans lesquels ils vivent reflètent l’ambivalence des lieux intermédiaires : ni tout à fait terre, ni tout à fait eau, ils préfigurent un endroit hostile et sauvage. Néanmoins, le témoignage d’Aristophane est à prendre avec précaution, car la part d’exagération et de parodie est essentielle dans une 1
Toute une tradition littéraire et iconographique identifie le passage vers la mort à un plongeon, par exemple la référence au saut de Leucade, ou encore la représentation de la plaque de couverture de la tombe du Plongeur de Paestum (vers 480-470), où est peint un homme plongeant tête la première dans une vaste étendue d’eau. Sur la symbolique du plongeon, Voir G. Nagy, 1983.
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comédie. En outre, les différentes régions traversées par Dionysos se succèdent sans être précisément situées les unes par rapport aux autres. On a donc l’attestation incontestable d’un espace infernal, mais pas celle d’un véritable paysage. La littérature, dans les dernières années du Ve siècle, atteste, parallèlement à l’ancienne conception d’un Hadès souterrain ténébreux, celle d’un Hadès céleste lumineux. La notion n’est cependant pas développée, et l’iconographie n’en a pas conservé de trace. Notre enquête aboutit donc à une conclusion mêlant positif et négatif. Les textes, nous l’avions souligné en introduction, ne semblaient livrer que de rares renseignements à propos du paysage infernal. Nous n’avons donc pas hésité à entreprendre une étude philologique et linguistique précise, persuadée qu’une attention soutenue au vocabulaire se révèlerait d’une précieuse utilité. Sur ce point, nos espérances furent en grande partie comblées. Contrairement à l’opinion généralement admise (voir encore A. Houriez, 1993, p. 71), nous avons découvert que les Enfers étaient loin de constituer une plaine uniforme, et ce dès Homère. Quant à leur entrée, si l’ambiguïté entre un Hadès souterrain ou situé aux confins de la terre et de l’Océan est sciemment entretenue dans les poèmes homériques et hésiodiques, la notion d’un domaine sis sous terre prédomine dans la littérature postérieure. Cette localisation ambiguë existe également sur les images. Dans les deux domaines, l’importance de la terminologie de la frontière, parfois double, est à noter, car elle délimite un en deçà et un au-delà dont les êtres sont de nature radicalement différente. Il s’agit d’une frontière particulière, munie d’un unique passage et qui ne peut être franchie que dans un sens. D’où l’importance des notions de portes, de gardien (Cerbère) et de passeurs (Hermès, Charon). Néanmoins, notre enthousiasme se doit d’être modéré, car nous n’avons pas à faire à propos des Enfers à une doctrine unifiée. Le dessein des poètes et des céramistes n’est ni religieux, ni philosophique. Leurs œuvres ne prétendent ni guider les âmes dans l’au-delà, ni construire une doctrine sur l’immortalité. Ils puisent dans les différentes traditions et font appel à leur imagination selon leurs besoins, les artisans pour produire une image qui réponde au goût du public, les auteurs pour servir un récit ou une histoire qui plaise. D’où les possibles contradictions au sein d’une même époque, voire dans l’œuvre d’un même auteur. On remarque cependant une constante : la représentation de l’audelà comme monde clos, négation ou renversement du monde terrestre, de l’espace humain. Cet univers est imaginé comme isolé, sans limites précises audelà de sa frontière terrestre, non cultivé. Univers de l’absence (absence d’êtres vivants, d’espoir, de couleur, de lumière, de parfum), il n’est pourtant pas vide, puisqu’il est empli d’êtres inconsistants, les âmes des morts errant sans but et 280
dépourvues de sociabilité entre elles comme envers les vivants. Tout semble confusion et rumeur dans cet espace ténébreux. Monde du tout autre, du nonsens, du non-humain, il est marqué par l’ambivalence. Il présente l’envers de la civilisation, caractérisé par une sauvagerie, une monstruosité que la nature reflète. Il se révèle donc angoissant pour les hommes. En effet, l’altérité constitue toujours une menace, et lorsqu’elle est radicale comme pour l’au-delà, elle présente alors un danger extrême. L’insistance sur la frontière infernale est donc révélatrice de la mentalité grecque qui voit en son franchissement un changement à la fois physique et social. Cette frontière, présente concrètement dans l’espace grâce aux objets qui la marquent (arbre, colonne, roseaux, etc), est également symbolique, car la passer revient à changer de civilisation, ou plutôt à quitter toute civilisation, et à perdre sa propre identité. Intermédiaire entre deux mondes, elle assemble les contraires et devient source de mythes. Son ambivalence permanente fait appel à l’imaginaire tout en nous confrontant aux limites de l’expression de l’imaginaire. De même que l’art des poètes s’arrête aux portes infernales, laissant les fins fonds de l’Hadès au domaine du non-dit, de même, les imagiers se limitent au portique du palais ou à la barque de Charon, abandonnant l’intérieur du royaume au hors champ du vase. Ces éléments de paysage ne sont donc pas purement décoratifs et anecdotiques. Ils créent un espace de suggestion, espace autonome qui fait voler en éclats les frontières de la description littéraire et de la représentation iconographique. Cet espace invisible, mais bien présent grâce au pouvoir de la suggestion, affirme la distance insurmontable entre ici-bas et au-delà, entre vivants et morts. Nous avons par ailleurs constaté que, jusqu’à la fin du Ve siècle, la notion de paysage infernal reste étrangère à la pensée grecque qui garde comme modèle la conception homérique. Des efforts ici ou là, en littérature comme en iconographie, tentent de pallier ce manque, mais ils restent limités et souvent isolés. La plupart du temps, la présence humaine domine un espace neutre où figurent parfois une colonne, un arbre ou un rocher suggérant la frontière de l’au-delà ou le palais d’Hadès. Mais jamais ces indications ne créent une atmosphère ni n’acquièrent de primauté au regard des personnages. La notation par Polygnote de la configuration du terrain et de la ligne d’horizon apporte, il est vrai, une nouvelle perception de l’espace, qui par ailleurs n’en demeure pas moins conventionnel et minimal. La ligne de sol fait plus partie intégrante des personnages que d’une vision d’ensemble. La profondeur instaurée par l’échelonnement des figures est plus symbolique qu’apparente. Dans l’ensemble, la topographie infernale, loin de constituer le centre d’intérêt majeur des artistes, est simplement évoquée pour procurer un contexte aux âmes des morts. Seuls les éléments susceptibles d’influer sur l’action sont parfois suggérés. Ainsi les flots abrupts du Styx dans la littérature archaïque, la faille terrestre lors de l’anodos de Perséphone ou les roseaux lors de la rencontre d’Ulysse et d’Elpénor sur les vases. Leur mention n’obéit pas à une restitution 281
réaliste du lieu. Ils se prêtent déjà à une interprétation : montrer le caractère inhospitalier des Enfers. En cela, leur fonction n’est pas documentaire, elle relève de l’imaginaire. On a d’ailleurs l’impression que la notion de paysage en général (et pas seulement celle de paysage infernal) n’apparaît pas avant le Ve siècle, et qu’il lui faudra une centaine d’années pour s’ancrer dans les mentalités. Le IVe siècle connaîtra en effet, notamment en littérature avec Platon, une géographie infernale détaillée et précise. Les modifications du schéma iconographique traditionnel de l’au-delà interviendront principalement dans les régions périphériques de la Grèce, comme si l’éloignement du modèle attique permettait plus de liberté. Ainsi, sur les vases peints d’Italie du Sud, apparaîtront de véritables tentatives d’illusion spatiale, avec des personnages disposés autour d’un palais d’Hadès représenté plus ou moins en perspective.
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ANNEXE 1 : LISTE DES DOCUMENTS AVEC REPRÉSENTATION D’HÉRACLÈS ET CERBÈRE Les documents sont classés, autant que possible, par ordre chronologique. Toutes les dates s’entendent avant J.-C. Nous avons adopté la graphie française, quand elle existe, pour les noms de villes. Faute de place, nous n’avons pas pu dessiner tous les documents. Nous avons donc privilégié les scènes qui ne figuraient pas dans le LIMC ou qui étaient indispensables à notre démonstration. Nos reproductions sont signalées par le signe ° ; celles du LIMC (dessins ou photos) sont marquées d’un astérisque. Lorsqu’une image fait référence à plusieurs sujets, nous avons donné les références complètes la première fois, auxquelles nous renvoyons dans les occurrences suivantes. Des italiques marquent les références des pages où la scène est détaillée. I. Capture de Cerbère avec décor • 1° : skyphos corinthien d’Argos, f. n., non localisé (LIMC Athena 11* = Hades 136 = Herakles 2553 = Hermes 511 = Kerberos 1* = Persephone 260), 590-580. Voir pp. 194 n. 3, 227, 228-229, 230. • 2° : amphore à f. n., Naples, Mus. Naz. SA 267 (Paral. 138, 4 ; cf. LIMC Herakles 2556), vers 540-520. Voir pp. 225, 227. • 3° : amphore à f. n., Moscou, Hist. Mus. 70 (ABV 255, 8 ; LIMC Herakles 2555 = Hermes 512 = Persephone 270), Peintre de Lysippides, vers 525510. Voir pp. 195-196, 200-201, 223, 231. • 4* : amphore bilingue, Paris, Louvre F 204 (ARV2 4, 11 ; LIMC Herakles 2554* = Kerberos 12), Peintre d’Andokides, vers 525-510. Voir pp. 196197, 200, 223, 225, 231. • 5* : cratère à colonnettes à f. n., Paris, Louvre, Camp. 12281 (LIMC Herakles 2614* = Persephone 275), vers 520. Voir pp. 198, 225-226, 240. • 6* : hydrie à f. n., Boston, MFA 1928.46 (ABV 261, 38 ; LIMC Herakles 2556* = Persephone 272), manière du Peintre de Lysippides, vers 520510. Voir p. 223. • 7° : amphore à f. n., Paris, Louvre F 228 (ABV 269, 46 ; LIMC Herakles 2609*), Peintre d’Antiménès, vers 520-510. Voir pp. 198, 201. • 8* : hydrie à f. n., Wurzbourg L 308 (ABV 267, 19 ; LIMC Hades 146* = Herakles 2594 = Persephone 267), Peintre d’Antiménès, vers 520-510. Voir pp. 224, 226, 229. • 9° : petite hydrie à f. n., Naples 81102 (H 3378), ABV 477, 9 ; cf. LIMC Herakles 2556, vers 530-510. Voir p. 223. 303
• 10* : amphore à col à f. n., Starnberg, Purrmann, jadis Montagone (Paral. 141, 5 ; LIMC Herakles 2557* = Kerberos 14 = Persephone 278), Groupe de Médée, vers 520-510. Voir pp. 223, 229-230. • 11° : amphore f. n., Berlin, Staatl. Mus. F 1880 (CVA 5 pl. 44, 3-4 ; cf. LIMC Herakles 2557). Voir p. 221-222. • 12* : amphore à f. n., Vatican 372 (ABV 368, 107 ; LIMC Hades 137* = Herakles 2561 = Kerberos 23 = Persephone 261), Groupe de Léagros, vers 520-510. Voir pp. 196 n. 9, 223, 229. • 13* : hydrie à f. n., Paris, Louvre CA 2992 (ABV 360, 10 ; Paral. 161 ; cf. LIMC Herakles 2599 = Hermes 515 c* = Persephone 271), Groupe de Léagros, vers 520-500. Voir pp. 197-198, 200, 224. • 14* : hydrie à f. n., Toledo (Ohio) 69.371 (ABV 360, 11 ; Paral. 161 ; LIMC Herakles 2599 = Hermes 515 b*), Groupe de Léagros, Peintre S, vers 520-500. Voir pp. 197 n. 12, 224. • 15* : amphore à f. n., Rome, Villa Giulia 48329 (ABV 370, 132 ; LIMC Herakles 2560* = Persephone 273), trouvée dans la tombe 434 de la nécropole de la Banditaccia, à Caere (cf. Monumenti Antichi XLII, 1955, pp. 1024-1026). Groupe de Léagros, rappelle le Peintre d’Achéloos, vers 520-500. Voir pp. 199-201, 222-223. • 16° : hydrie à f. n., Amiens 3057.225.47a (ABV 384, 25 ; LIMC Hades 143 = Herakles 2559), Peintre d’Achéloos, vers 520-515. Voir p. 198. • 17° : amphore à f. n., Paris, Louvre F 241 (ABV 383, 5 ; cf. LIMC Herakles 2563), Peintre d’Achéloos, vers 515-510. Voir pp. 199, 201, 225. • 18° : amphore à col à f. n., Boulogne, Mus. 68 (ABV 385, 2 ; LIMC Herakles 2601 = Hermes 515a), manière du Peintre d’Achéloos, vers 520-500. Voir p. 222. • 19° : pélikè à f. n., Boulogne, Mus. 412 (ABV 376, 220 ; LIMC Herakles 2562* = Persephone 274). Groupe de Léagros : Groupe d’Antiope I, vers 510-500. Voir pp. 194 n. 4, 221, 230. • 20° : amphore à col fragmentaire à f. n., Leipzig, Univ. T 4485 (CVA 2, pl. 13, 1-2 ; LIMC Herakles 2563 = Kerberos 21), Groupe de Léagros, vers 500. Voir p. 223. • 21* : amphore à f. r., Munich, Antikenslg. 2306 (J 406) ; ARV2 225, 1 ; LIMC Herakles 2602 = Hermes 517 = Persephone 279*. Peintre de Munich 2306, vers 500. Voir pp. 223-224. • 22* : coupe à f. r., Altenbourg 233 (ARV2 137, 1 ; LIMC Hades 144 = Herakles 2570 = Kerberos 3 = Persephone 268*), Peintre d’Aktorion, fin VIe. Voir pp. 194 n. 3, 225, 227. • 23° : amphore fragm. à f. n., Malibu, 86.AE.87.1-3 (CVA I pl. 39, 1 ; LIMC Herakles 2567), fin VIe. Voir pp. 222-223. • 24° : amphore à col à f. n., sur le marché en 1937 (Vente Charpentier, 4 juin 1937, pl. 10, n° 33 ; LIMC Herakles 2566), fin VIe. Voir p. 223. 304
• 25° : skyphos à f. n., Wurzbourg, Wagner-Mus. K 1802 (LIMC Hades 147 a), Sub-Krokotos-Gruppe (E. Simon), vers 500. Voir pp. 226-227. • 26* : base de statue en pierre, Athènes NM 42 + 3579, de Lamptrai (LIMC Herakles 2579* = Kerberos 18), vers 500. Voir pp. 205-206, 231. • 27° : lécythe à f. n., Athènes inv. 1013 (ABL 221, 8 ; CVA 1 pl. 11, 10). Peintre de Marathon, vers 500. Voir p. 199. • 28° : amphore à f. r., Paestum, Mus. Naz. (ARV2 220, 2 ; LIMC Herakles 2564 = Hermes 516 = Persephone 280), Peintre de Nikoxénos, vers 510490. Voir pp. 196 n. 10, 224. • 29° : frag. à f. n., Hérakleia, Lucanie, Peintre de Nikoxénos, vers 510-490. Voir p. 224 n. 3. • 30* : amphore à col à f. n., New York, MMA 41.162.178 (ABV 509, 155, 703 ; LIMC Hades 147* = Herakles 2597), Peintre de Diosphos, vers 500-490. Voir pp. 195, 224, 229. • 31 (= A4, 19*) : lécythe à f. n., San Antonio, Mus. of Art 91-80 G (LIMC Sisyphos I, 18*). Peintre de Géla, vers 500-490. Voir pp. 238 n. 20, 241, 244, 248. • 32 (= A4, 18*) : lécythe à f. n., Münster, coll. privée (LIMC Sisyphos I, 17* = Kerberos 24* = Persephone 286), vers 500-490. Voir p. 239, 241-242, 244. • 33° : hydrie à f. n., Capesthorne, Bromley-Davenport (ARV2 232, 3 ; Paral. 174, 33 ter ; LIMC Herakles 2565), Peintre d’Eucharidès, vers 500-480. Voir pp. 223, 230. • 34° : amphore à col à f. n., jadis à Naples, perdue (R. Gargiulo, Coll. Nat. Mus., 1872, IV pl. 30 ; cf. LIMC Herakles 2565). Voir p. 199. • 35° : lécythe à fond bl., Copenhague 76 B (CVA 3 pl. 112, 6). Voir p. 199-200. • 36° : Olpè à f. n., Cracovie 1322 (CVA pl. 7, 4). Voir p. 200. • 37* : amphore à f. n., Londres, BM 1893-7-12.11 (ABV 397, 28 ; Paral. 174, 28 ; LIMC Herakles 2603* = Persephone 276), Peintre d’Eucharidès, fin VIe - début Ve. Voir p. 222. • 38* : œnochoé à f. n., Hambourg, Mus. KG 1899.98 (ABV 528, 33 ; LIMC Herakles 2568*), Peintre d’Athéna ou atelier IV, début Ve. Voir pp. 196 n. 9, 200, 201. • 39* : olpè (?) à f. n. perdue, Dublin, Trinity College TCD MS 2031/79/3 (LIMC Herakles 2578*), vers 500-475. Voir p. 231. • 40 : amphore à f. n., Campana Cat. IV, 507 (H. B. Walters, 1898, p. 297, 30). Voir p. 227 n. 6. • 41 : hydrie à f. n. (A. Feuerbach, Bull. dell’Inst. 1840, p. 124 ; H.B. Walters, p. 297, 34). Voir p. 227 n. 6. • 42* : métope en marbre du temple de Zeus à Olympie, Mus. d’Olympie (LIMC Herakles 1705* et 2591 = Hermes 523 = Kerberos 4), vers 460. Voir pp. 206, 234, 246. 305
• 43* : métope en marbre du temple d’Héphaistos à Athènes (LIMC Herakles 1706* et 2580 = Kerberos 8), vers 450. Voir pp. 206, 231. • 44* : œnoché apulienne à f. r., Tarente, Mus. Naz. T 24 (inv. 140601) ; RVAp I 434, 11 b ; LIMC Herakles 2615 = Kerberos 29*). Peintre de la danseuse de Berlin, vers 430. • 45* : cratère en cloche à f. r., Utrecht, Univ. vH 18 (ARV2 1053, 42 ; LIMC Herakles 1891* et 2624 = Kerberos 7), Groupe de Polygnote, deuxième moitié du Ve. Voir pp. 206-207, 231. II. Capture de Cerbère sans décor • 46* : coupe à f. n., Zürich, Univ. 3844 (LIMC Herakles 2576* = Kerberos 2), Red-black Painter, vers 560. • 47* : coupe laconienne à f. n., jadis coll. Erskine, Londres (LIMC Herakles 2605 = Hermes 518 = Kerberos 25*), Peintre de la chasse, vers 660-550. Voir p. 194 n. 7. • 48* : coupe à f. n. perdue, jadis à Deepdene, coll. Hope (ABV 184-185 ; Paral. 76 ; LIMC Herakles 2606 = Kerberos 22* = Persephone 269), cf. Peintre de Xénoclès, milieu VIe. • 49 : fragment à f. n., Catania (C. M. Stibbe, 1972, p. 140 n° 229), Peintre de la chasse, vers 545-540. • 50* : amphore à f. n., Paris, Louvre F 34 (CVA 3 pl. 14, 7 et 17, 1 ; LIMC Herakles 2613* = Persephone 277), troisième quart VIe. • 51* : amphore frag. à f. n., Orvieto, Mus. Faina 78 (ABV 144, 9 ; Paral. 60 ; LIMC Hades 139 = Herakles 2607 et 3386 = Persephone 263*), Exékias, vers 545-530. Voir p. 230 n. 12. • 52* : amphore frag. à f. n., Reggio de Calabre, Mus. Naz. 4001, de Locri (ABV 147, 6 ; Paral. 61 ; Add2 41 ; LIMC Herakles 1405 et 2592*), manière d’Exekias, très proche d’Exékias, vers 540. • 53* : amphore à col à f. n., Edinburgh, Nat. Mus. 1881.44.27, coll. Durand 309 (ABV 312, 4 ; LIMC Herakles 2581* = Kerberos 11), Peintre du Vatican 365, vers 540-530. • 54* : amphore à col à f. n., Hambourg, Mus. KG 1984.439 (LIMC Herakles 2582 = Persephone 266*), Peintre du Vatican 365, vers 540-530. • 55 : amphore à f. n., Baltimore, Walter’s Art Gall. 48.16 (ABV 140, 1 ; LIMC Herakles 2608), proche du Groupe E, IV, vers 540-530. • 56* (= A4, 4 et 23°) : amphore à col à f. n., Munich, Antikenslg. 1493 (J 153) ; ABV 316, 7 ; Paral. 137 ; Add2 85 ; LIMC Herakles 2604* = Sisyphos I, 6. Peintre de Bucci, vers 530-525. Voir pp. 40 n. 44, 238 n. 22, 251-252.
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• 57 : hydrie à f. n., Toledo (Ohio) 50.261 (CVA I pl. 20, 2 et 22, 2 ; LIMC Hades 140 = Herakles 2593 = Persephone 264), Peintre de Karithaios, vers 530-520. • 58 : amphore à f. n., Texas, coll. McCoy, jadis Castel Ashby 19 (CVA Castel Ashby pl. 20 ; LIMC Herakles 2611), vers 530-520. • 59 : amphore à f. n., Tarquinia inv. RC 7368 (ABV 323, 19 ; cf. LIMC Herakles 2611), Peintre d’Euphilétos. • 60 : amphore à f. n., Fiesole, coll. Constantini (CVA I pl. 17, 1-3 et 18, 1-2 ; cf. LIMC Herakles 2611), • 61 : amphore à f. n., Gotha 31 (CVA I pl. 33 ; cf. LIMC Herakles 2611). • 62 : olpè à f. n., Worcester (Mass.), Art Museum 1935.52 (Paral. 193, 2 ; LIMC Herakles 2610 = Hermes 513), Classe d’Honolulu, vers 530-500. Voir p. 194 n. 7. • 63 : amphore à col à f. n., New York, MMA 1906.1021.78. (CVA 4 pl. 37, 14 ; cf. LIMC Herakles 2587), dernier quart VIe. • 64 : assiette à f. r., Boston, MFA 0I.8025 (ARV2 163, 6 ; LIMC Herakles 2583 = Hermes 521 = Kerberos 13), Paséas, vers 520-510. • 65* : amphore à col à f. n., Saint Louis, Washington Univ. 39 : 1921 (668 ou WU 3274) ; ABV 328, 7 ; LIMC Hades 138 = Herakles 2558 = Hermes 514 = Kerberos 15* = Persephone 262 ; Peintre du long nez, vers 520510. Voir p. 196 n. 10. • 66* : amphore à col à f. n., Tarquinia RC 976 (ABV 269, 45 ; LIMC Herakles 2584* = Hermes 519 a), Peintre d’Antiménès, vers 520-510. • 67* : hydrie à f. n., Paris, Louvre, Campana 10676 (LIMC Hades 141 = Hermes 519 b* ; cf. Herakles 2593), Peintre d’Antiménès, vers 520. • 68* : amphore à f. n., jadis marché romain (ABV 279, 49 ; LIMC Herakles 2585*), manière du Peintre d’Antiménès, vers 520-510. • 69 : hydrie à f. n., Lyon E 406 b (ABV 280, 3 ; LIMC Herakles 2595), rattaché au Peintre d’Antiménès III, vers 520-510. • 70* : amphore à f. n., Bruxelles, Mus. Roy. R 300 (ABV 288, 9 ; LIMC Hades 142 = Herakles 2596* = Persephone 265), Groupe de Wurzbourg 199, vers 520-500. • 71 : amphore à f. n., Malibu 86.AE.80, jadis Munich, Bareiss 103 (Paral. 166, 131 bis ; LIMC Herakles 2612), Groupe de Léagros, vers 520-500. • 72* : amphore à f. n. de Chiusi, perdue (ABV 370, 131 ; cf. LIMC Herakles 2584* = Hermes 519 a), Groupe de Léagros, vers 520-500. • 73* : hydrie à f. n., Saint Pétersbourg 2067 (ABV 364, 59 ; Paral. 162 ; LIMC Herakles 2600*), Groupe de Léagros, vers 520-500. • 74* : coupe à f. r., Berlin, Staatl. Mus. V.I. 3232 (ARV2 117, 2 ; LIMC Herakles 2586* = Hermes 520), Peintre d’Epidromos, vers 510-500. • 75* : lécythe, technique de Six, Athènes, Céramique 1516 (LIMC Herakles 2577*), vers 510-500. 307
• 76 : coupe à f. r., Würzburg L 472 (ARV2 137 ; cf. LIMC Herakles 2583), Peintre d’Aktorion, fin VIe. • 77* : amphore à col à f. n., Los Angeles, County Mus. 50.8.19 (ABV 479, 4 ; LIMC Herakles 2587 = Kerberos 16*), Peintre d’Edinburgh, fin VIe. • 78 : lécythe à f. n., Londres 1923.4-20.1 (ABL 217, 30 ; cf. LIMC Herakles 2587), Peintre d’Edinburgh, fin VIe. • 79 : amphore à f. n., Vatican, Mus. Greg. 42 (J. D. Beazley et F. Magi, 19391941, p. 44 n° 42 et pl. 15 ; cf. LIMC Herakles 2611), fin VIe. • 80 : amphore à f. n., Paris, Louvre A 481 (CVA 4 pl. 29, 4 et 30, 1 ; cf. LIMC Herakles 2587), VIe. • 81 : Oxford, Loan 284 (cf. LIMC Herakles 2587). • 82 : Malibu 79.AE.21 (cf. LIMC Herakles 2587). • 83 : frag. de vase attique à f. n., Tarente, Mus. Naz., de Satyrion (LIMC Herakles 2574), fin VIe. • 84 : hydrie frag. à f. r., Boston, MFA 03.838, 1973.575 (ARV2 209, 162 ; Paral. 343 ; LIMC Herakles 2590 ; Hermes 522), Peintre de Berlin, vers 500. • 85* : coupe à f. n., Bâle, Antikenmus. 1921.349 (LIMC Herakles 2588*), Leafless Group, vers 500. • 86 : amphore à f. n., Berlin F 1828. Voir p. 194 n. 7. • 87 : lécythe à f. n., Munich, Antikenslg. SL 467. • 88 : lécythe à f. n., Bruxelles inv. R 299 (CVA pl. 21, 18 a-b). • 89 : vase, Hermitage St 122 (Stephani). • 90 : amphore à f. n., Tarquinia inv. RC 960, Groupe de Bisenzio, début V e. • 91* : skyphos fr. à f. n., Amsterdam, Allard Pierson 2604 (LIMC Hades 145* = Herakles 2598), début Ve. • 92 : pyxide tripode à f. n., Athènes, NM 476 (CC 8308), début Ve. • 93 : amphore à col à f. n.,Wurzbourg L 203 (ABV 328, 6 ; cf. LIMC Herakles 2587), début Ve. • 94 : amphore à f. n., Munich 1615 B (J. 1206). cf. LIMC Herakles 2554, début V e. • 95* : cratère apulien ou campanien à f. n., Bari, Mus. Prov. 4305 (LIMC Kerberos 27 = Herakles / Hercle 257*), premier tiers Ve. • 96 : fr. de coupe à f. n., Bâle H. Cahn HC 804f.808 (cf. LIMC Herakles 2568). • 97 : fr. à f. n., Thessaloniki (cf. LIMC Herakles 2596). • 98 : amphore à f. n. de Cerveteri, coll. Castellani (H. Brunn, Bull. dell’Inst. 1865, p. 145 ; H. B. Walters, 1898, p. 296, n° 12). • 99 : amphore à f. n., coll. Depoletti (H. B. Walters, 1898, p. 296, n° 13). • 100 : amphore à f. n., coll. Candelori (H. B. Walters, 1898, p. 296, n° 14). • 101 : amphore à f. n. (H. B. Walters, 1898, p. 296, n° 18). • 102 : hydrie à f. n., coll. Campanari (H. B. Walters, 1898, p. 297, n° 20).
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• 103 : kylix de Toscanella à f. n. (L. Urlichs, Bull. dell’Inst. 1839, p. 74 ; H. B. Walters, 1898, p. 297, n° 22). • 104 : lécythe à f. n., Villa Giulia 50672 (F. Matz, Bull. dell’Inst. 1869, p. 250 ; H. B. Walters, 1898, p. 297, n° 23). • 105* : scarabée en cristal de roche, Grèce de l’Est. Londres, coll. M. Hay (LIMC Herakles 2569*), vers 500. III. Héraclès et Cerbère chez Eurysthée • 106* : hydrie de Caere, Paris, Louvre E 701 (inv. Campana 66) ; LIMC Herakles 2616* = Kerberos 26. Vers 530-520. Voir p. 194 n. 3. • 107° : hydrie de Caere, Villa Giulia inv. 50.649 (cf. LIMC Herakles 2616), milieu VIe. Voir p. 194 n. 3. IV. Le retour aux Enfers : Hermès et Cerbère • 108° : œnochoé à f. n., Paris, Cab. Méd. 269 (inv. 4789) ; ABV 535, 20 ; LIMC Herakles 2617 = Hermès 525. Peintre du Vatican G. 49, début Ve. Voir pp. 193 n. 2, 222. • 109° (= A4, 17) : amphore à f. n., Saint Louis, Art. Mus. (prêt de G. H. Cone), jadis coll. Robinson à Baltimore (ABV 405, 19 ; Paral. 176 ; Add2 105 ; LIMC Hermes 524), Peintre de Kléophradès, vers 490. Voir pp. 193 n. 2, 226, 238 n. 21, 240, 242, 248. • 110* : lécythe à f. n., Athènes, Mus. Nat. 11732 a (LIMC Hermès 526 a*), vers 480-470. Voir p. 193 n. 2. • 111* : lécythe à f. n., Paris, Louvre CA 3778 (LIMC Hermès 526 b*), vers 480-470. Voir p. 193 n. 2. • 112 : lécythe à f. n., Athènes, Mus. Nat. 553 (CC 902) ; ABV 499, 37 ; LIMC Hermès 526 c. Classe d’Athènes 581 (rappelle le peintre de Géla), vers 480-470. Voir p. 193 n. 2. • 113 : lécythe à f. n., Philadelphie, marché de l’art (Paral. 229 ; LIMC Hermès 526 d = Kerberos 17), vers 480-470. Voir p. 193 n. 2. • 114 : lécythe à f. n., Délos, mus. 567 (Paral. 229 ; ABL 244, 71 ; LIMC Hermès 526 e), vers 480-470. Voir p. 193 n. 2. • 115 : lécythe à f. n., Bryn Mawr P 250 (F. Brommer, 1973, p. 95 n° 15). Voir p. 193 n. 2.
ANNEXE 2 : LISTE DES DOCUMENTS AVEC REPRÉSENTATION D’ENGLOUTISSEMENTS ET D’ANODOI I. L’engloutissement d’Amphiaraos • 1* : lécythe à fond bl., Athènes 1125 (C.C. 960) ; ABL pp. 172 et 266, Appendix XVII n° 3 ; LIMC Amphiaraos 37*), Peintre de Beldam, première moitié du Ve siècle. Voir pp. 208-209. • 2* (= A2, 8) : cratère à volutes à f. r., Spina, Ferrara T 579, (ARV2 612, 1 ; LIMC Amphiaraos 38*), peint par un élève du Peintre des Niobides : le Peintre de Bologne 279. Deuxième quart du Ve siècle. Voir pp. 209, 211. II. Le rapt de Corè • 3* : skyphos frag. à f. r., Eleusis, Musée 1804 (LIMC Hadès 110*). Troisième quart du Ve siècle avant Jésus-Christ. Voir pp. 209-210, 212. III. L’anodos de Perséphone • 4 : pied de vase à f. n., Athènes, M. N. Acr. 1222 (LIMC Hekate 10) VIe. Voir p. 212 n. 37. • 5° : fr. de cratère à f. r., Athènes, M. N. Acr. 732 (ARV2 205, 119 ; Add2 193 ; LIMC Hekate 11 = Hermes 635), Peintre de Berlin, vers 490. Voir p. 212 n. 37. • 6° : lécythe à f. n., Paris, Cab. Méd. 298 (ABV 522, 87). Peintre d’Athéna, vers 475. Voir p. 211. • 7* : cratère à f. r., Bologne, Mus. Civ. P 236 (ARV2 532, 44 ; Add2 254 ; LIMC Hekate 12 = Hermes 636 et 886*), Peintre d’Alkimachos, vers 470. Voir p. 211 n. 33. • 8 (= A2, 2*) : cratère à volutes à f. r., Spina, Ferrara T 579. Voir pp. 209, 211. • 9* : fr. de couvercle de lékanè à f. r., Berlin, coll. privée (LIMC Demeter 329 = Hekate 14 = Persephone 251*), milieu du Ve. Voir pp. 210-211. • 10* : cratère en cloche à f. r., New York, MMA 1928.57.23, ancienne collection del Vasto n° 124 (ARV2 1012, 1 ; Paral. 440 ; Add2 314 ; LIMC Hekate 13 = Hermes 637* = Persephone 250), Peintre de Perséphone, vers 440. Voir pp. 211-212. • 11° : cratère en calice à f. r., Dresde, Staatl. Kunstslg 350, perdu (ARV2 1056, 95 ; Add2 322 ; LIMC Hermes 639 = Persephone 252) ; Groupe de Polygnote, troisième quart du Ve. Voir pp. 212-213.
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• 12° : lécythe aryballisque à f. r., Athènes, Mus. Nat. 1414 (CC 1434) ; LIMC Hekate 15, fin Ve. Voir p. 211. • 13° : cratère en calice à f.r., Berlin 3275 (ARV2 1276, 1), Peintre de Marlay. Voir p. 211 n. 34.
ANNEXE 3 : LISTE DES DOCUMENTS AVEC REPRÉSENTATION DES ABORDS INFERNAUX I. Ulysse aux Enfers : l’évocation des morts • 1 (= A3, 29 ; A4, 21, 25 et 28) : peinture murale non conservée, leschè des Cnidiens à Delphes, Polygnote (Pausanias X, 31, 9 et 11 ; LIMC Sisyphos I, 25 = Peirithoos 82 = Theseus 292), 470-460. Voir pp. 9, 14, 18, 27 n. 10, 77, 90 n. 33, 102, 156 n. 7, 168, 190-191, 197, 202 n. 18, 203-204 n. 20 et 21, 213-216, 217-218, 231-234, 236-237, 248-250, 252-253, 254255, 256, 258 n. 53, 264, 266, 268-271, 276-278, 281. • 2° : buste, Samothrace, milieu Ve. Voir p. 218. • 3° : pélikè attique à f. r., Boston, MFA 34.79 (ARV2 1045, 2 ; Paral. 444 ; Add2 320 ; LIMC Odysseus 149* = Elpenor 6 = Nekyia 1 = Hermes 631), Peintre de Lycaon, vers 440. Voir pp. 102, 203, 216-217, 232-233, 235, 254, 271. • 4° : cratère lucanien à f. r., Paris, Cab. Méd. 422, Peintre de Dolon (LIMC Eurylochos I, 2 = Nekyia 2 = Perimedes 2 = Teiresias 11), deuxième moitié Ve - début IVe. Voir pp. 218 n. 51, 219, 232-233. • 5° : miroir étrusque, Vatican, Mus. Gre. Etr. 12687 (LIMC Odysseus / Uthuze 81= Teiresias 6 = Turms 103*), fin Ve - début IVe. Voir pp. 218 n. 51, 232-233, 271. II. Hermès sur les lécythes, médiateur entre ici-bas et au-delà • 6° : lécythe à fond bl., Boston MFA 95.47 (ARV2 670, 17 ; Add2 278 ; LIMC Hermès 610 = Charon I, 4). Manière du Peintre de Londres E 342, vers 450. Voir pp. 98, 260. • 7* : lécythe à fond bl., Berlin, Staatl. Mus. F 2455 (ARV2 846,196 ; Paral. 423 ; Add2 297 ; LIMC Charon I, 7 a* = Hermès 611 a), Peintre de Sabouroff, vers 450. Voir p. 98. • 8* : lécythe à fond bl., New York, MMA 21.88.17, jadis Athènes, coll. privée (ARV2 846, 198 ; LIMC Charon I, 7 b = Hermès 611 c*), Peintre de Sabouroff, vers 450. Voir p. 98. • 9* : lécythe à fond bl., Athènes, Mus. Nat. 1926 (CC 1668) ; ARV2 846,193 ; Paral. 423 ; Add2 297 ; LIMC Charon I, 5* = Hermès 611 b. Peintre de Sabouroff, vers 450. Voir pp. 98, 261. • 10 : lécythe à fond bl. (ARV2 846,195), Peintre de Sabouroff, vers 450. Voir p. 98.
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• 11 : lécythe à fond bl., Athènes 17916 (ARV2 846, 194 ; Paral. 423 ; LIMC Charon I, 6), Peintre de Sabouroff, vers 450. Voir p. 98. • 12* : lécythe à fond bl., Palerme, collection Mormino 310 (LIMC Hermès 606*). Peintre d’Athènes 1826, vers 450. Voir p. 98. • 13 : lécythe à figures rouges, Athènes, coll. Politou 62 (LIMC Hermès 470), manière du Peintre de la phiale, vers 450. Voir p. 98. • 14* : lécythe à fond bl., Munich, Antikenslg. 2777 (J. 209) ; ARV2 1228, 11 ; Add2 351 ; LIMC Charon I, 10* = Hermès 612. Peintre de Thanatos, vers 440. Voir pp. 98, 258 et n. 53, 261. • 15* : lécythe à fond bl., Munich, Antikenslg. 2797 (ARV2 1022, 138 et 1678 ; Paral. 441 ; Add2. 316 ; LIMC Hermès 598*), Peintre de la Phiale, vers 440. Voir pp. 98, 235-236. • 16 : lécythe à fond bl., Athènes, Mus. Nat. 1940 (CC 1754) ; ARV2 1004, 41 ; Add2 313 ; LIMC Hermès 599). Manière du Peintre d’Achille : Peintre de la Phiale (?), vers 440. Voir p. 98. • 17 : fr. lécythe à fond bl., Athènes, Mus. Nat. (LIMC Hermès 607), vers 440. • 18* : lécythe à fond bl., New York 23.160.36 (ARV2 1242, 1 ; Add2 353 ; LIMC Charon I, 32* = Hermès 613), Peintre de l’Hypnos de New York, vers 440-430. Voir pp. 98, 234. • 19* : lécythe à fond bl., Cracovie inv. 1251 (ARV2 1168, 127 ; LIMC Charon I, 12*), Peintre de Munich 2335, troisième quart Ve. Voir pp. 98, 233234. • 20 : lécythe d’une collection privée d’Athènes, (Fairbanks, AWL II, pp. 13-14 n° 17), troisième quart Ve (?). Voir pp. 98, 234. • 21 : lécythe à fond bl., Heidelberg, Univ. (LIMC Charon I, 22), troisième quart Ve. Voir p. 98. • 22* : lécythe à fond bl., Manchester, Univ. III, 36 (ARV2 1237, 2 ; LIMC Charon I, 24*), fin du troisième quart du Ve siècle. Voir pp. 98, 260 n. 57. • 23* : lécythe en marbre dit « de Myrrhiné », Athènes, Mus. Nat. 4485 (LIMC Hermès 608*), vers 420 av. J.-C. • 24* : lécythe à fond bl., Bruxelles, Mus. Roy. A 903 (ARV2 1237, 14 ; LIMC Charon I, 25 = Hermès 614*). Quadrate Painter, vers 420. Voir pp. 98, 260 n. 56. • 25 : lécythe à fond bl., jadis Cambridge (Seltman) ; ARV2 1237, 1. Quadrate Painter, vers 420. Voir p. 98. • 26 : lécythe à fond bl., Rouen, très restauré, Ve (?). Voir p. 98. III. Le nocher Charon • 27° : eschara fr. à f. n., Francfort, Liebieghaus 560 (LIMC Charon I, 1*), vers 500 av. J.-C. Voir pp. 40 n. 44, 98, 255-256, 258 n. 53.
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• 28 (= A4, 16*) : phormiskos à f. n., Tübingen, Univ. S./10 1507a-b. Voir pp. 98, 248, 255, 258 n. 53, 263. • 29 (= A3, 1 ; A4, 21, 25 et 28) : peinture murale non conservée, leschè des Cnidiens à Delphes, Polygnote. Voir pp. 9, 14, 18, 27 n. 10, 77, 90 n. 33, 102, 156 n. 7, 168, 190-191, 197, 202 n. 18, 203-204 n. 20 et 21, 213216, 217-218, 231-234, 236-237, 248-250, 252-253, 254-255, 256, 258 n. 53, 264, 266, 268-271, 276-278, 281. • 30° : lécythe à fond bl., Carlsruhe, Bad. Landesmus. B 2663 (ARV2 756, 63 ; Add2 285 ; LIMC Charon I, 2*), Peintre du Tymbos, fin deuxième quart Ve. Voir pp. 98, 102, 257, 258-260, 263. • 31* : lécythe à fond bl., Oxford, Ashm. Mus. G 258 (547) ; ARV2 756, 64 ; Add2 285 ; LIMC Charon I, 3*. Peintre du Tymbos, fin deuxième quart Ve. Voir pp. 98, 257, 258 n. 53, 260. • 32 : fr. lécythe à fond bl., Munich, Antikenslg. 8925, jadis Buschor (I. Krauskopf, 1987, pl. 7 c), Peintre de la Villa Giulia, peu avant milieu Ve. Voir p. 98. • 33 : lécythe à fond bl., Vienne, Kunsthistorisches Mus. IV, 3744 (A. V. n° 1086 ; Fairbanks, AWL II, p. 85, n° 9), milieu Ve. Voir pp. 98, 260 n. 57. • 34 : lécythe à fond bl., Vienne, Kunsthistorisches Mus. IV, 3743 (A. V. n° 1085), très effacé, réplique du précédent, milieu Ve. Voir pp. 98, 260 n. 57. • 35° : lécythe à fond bl., Paris, Louvre N 3449 = Lec. 66 (ARV2 847, 198 bis = 847, 199 ; Add2 297). Troisième quart Ve. Voir pp. 98, 258. • 36 : lécythe à fond bl., jadis marché athénien (Fairbanks, AWL I, p. 308, n° 11 ; LIMC Charon I, 8). Troisième quart Ve. Voir p. 98. • 37* : lécythe à fond bl., Berlin, Staatl. Mus. V.I. 3137 (LIMC Charon I, 9*), troisième quart Ve. Voir pp. 98, 259. • 38* : lécythe à fond bl., Berlin 3160 (ARV2 1229, 29 ; LIMC Charon I, 11*), Peintre de Thanatos, troisième quart Ve. Lécythe recomposé à partir de plusieurs fragments en très mauvais état. Voir p. 98. • 39 : fr. lécythe à fond bl., jadis sur le marché. (E. Buschor, 1939, p. 8, fig. 3), Peintre de Thanatos, troisième quart Ve. Voir p. 98. • 40 : lécythe à fond bl., Munich, Antikenslg. 6221 (F. Brommer, 1969, p. 168, n° 62), Peintre de Thanatos, troisième quart Ve. Voir p. 98. • 41 : lécythe à fond bl., Munich, Antikenslg. 2791 (ARV2 1231, 1), Peintre de Thanatos, troisième quart Ve. Voir p. 98. • 42* : lécythe à fond bl., New York, MMA 09.221.44 (ARV2 1168, 128 ; Add2 338 ; LIMC Charon I, 13*), Peintre de Munich 2335, troisième quart Ve. Voir pp. 98, 234-235, 271.
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• 43 : lécythe à fond bl., Athènes, Mus. Nat. 1946 (CC 1666) ; ARV2 1168, 129 ; LIMC Charon I, 14 ; Fairbanks, AWL II, p. 39, n° 14. Peintre de Munich 2335, troisième quart Ve. Voir p. 98. • 44° : lécythe à fond bl., Athènes, Mus. Nat. 1927 (CC 1667) ; ARV2 1168, 130 ; LIMC Charon I, 15. Peintre de Munich 2335, troisième quart Ve. Voir pp. 98, 234. • 45 : lécythe à fond bl., Athènes, Mus. Nat. 19356 (ARV2 1232, 7 bis ; LIMC Charon I, 16), Peintre de l’oiseau, troisième quart Ve. Voir pp. 98, 260 n. 57. • 46 : lécythe à fond bl., Athènes, Mus. Nat. 19342 (ARV2 1688, 4 ; Paral. 467 ; LIMC Charon I, 17), Peintre de l’oiseau, troisième quart Ve. Voir pp. 98, 260 n. 57. • 47 : lécythe à fond bl., jadis marché de Bâle (ex Elgin) ; ARV2 1234, 25 ; LIMC Charon I, 18. Manière du Peintre de l’oiseau, troisième quart Ve. Voir p. 98. • 48* : lécythe à fond bl., Oxford 1889.827 (V. 264) ; LIMC Charon I, 19*. Troisième quart Ve. Voir p. 98. • 49° : lécythe à fond bl., Amsterdam, Allard Pierson ; précédemment La Haye, Coll. Scheurleer, Inv. 351 (LIMC Charon I, 20). Troisième quart Ve. Voir pp. 98, 260 n. 57. • 50 : lécythe à fond bl., Reading, Univ. 33.IV.3 (F. Brommer, 1969, p. 168, n° 63), troisième quart Ve. Voir p. 98. • 51° : lécythe à fond bl., jadis Berlin, Université (LIMC Charon I, 21), troisième quart Ve. Voir pp. 98, 260 n. 57, 263. • 52 : lécythe à fond bl., Saint Pétersbourg, coll. Botkin (F. Brommer, 1969, p. 168, n° 61 : réplique de Berlin, Université), troisième quart Ve. Voir pp. 98, 263 n. 61. • 53° : lécythe à fond bl., Athènes, Mus. Nat. 1814 (CC 1662) ; LIMC Charon I, 23. Fin du troisième quart Ve. Voir pp. 98, 235, 271. • 54* : lécythe à fond bl., New York 75.2.6 (GR 619) ; ARV2 1237, 17 ; Add2 352 ; LIMC Charon I, 27*. Quadrate Painter, vers 420. Voir pp. 98, 235, 357 n. 50. • 55 : lécythe à fond bl., jadis Burgon (ARV2 1237, 15 ; LIMC Charon I, 26), Quadrate Painter, vers 420. Voir p. 98. • 56 : lécythe à fond bl. (ARV2 1237, 16), Quadrate Painter, vers 420. Voir p. 98. • 57° : lécythe à fond bl. Athènes, Mus. Nat. 1758 (CC 1660) ; ARV2 1241, 1 ; LIMC Charon I, 28. Proche du Peintre d’Athènes 1758, début dernier quart Ve. Voir pp. 98, 236 n. 16, 257 n. 50, 260 n. 57. • 58° : lécythe à fond bl., Athènes, Mus. Nat. 1757 (CC 1661) ; LIMC Charon I, 29. Peintre d’Athènes 1758, début dernier quart Ve. Voir pp. 98, 236 n. 16, 257 n. 50. 316
• 59* : lécythe à fond bl., Varsovie, Mus. Nat. 142468, jadis Goluchow, Coll. Czartoryski 180 (LIMC Charon I, 30*), Peintre d’Athènes 1758, début du dernier quart Ve. Voir pp. 98, 236 n. 16, 257 n. 50, 260. • 60° : lécythe à fond bl., Athènes 1830 (CC 1654) ; LIMC Charon I, 31 = Hermes 597 = Thanatos 17. Peintre d’Athènes 1758, début dernier quart Ve. Voir pp. 98, 236 n. 16, 257. • 61° : lécythe à fond bl., Athènes 1759 (CC 1657) ; ARV2 1376, 1 ; Add2 371 ; LIMC Charon I, 33 a*. Peintre des roseaux, dernier quart Ve. Voir pp. 98, 102, 253 n. 45, 263. • 62° : lécythe à fond bl., Athènes, Mus. Nat., Coll. Stathatos n° 3 (ARV2 1377, 10 ; LIMC Charon I, 33 b), Peintre des roseaux, dernier quart Ve. Voir pp. 98, 102, 263. • 63° : lécythe à fond bl., Athènes, Mus. Nat. 1999 (CC 1665) ; ARV2 1376, 2 ; LIMC Charon I, 34 a. Peintre des roseaux, dernier quart Ve. Voir pp. 98, 102, 253 n. 45, 259, 263. • 64° : lécythe à fond bl., Athènes, Mus. Nat. 2000 (CC 1664) ; ARV2 1376, 3 ; LIMC Charon I, 34 b. Peintre des roseaux, dernier quart Ve. Voir pp. 98, 102, 259, 263. • 65° : lécythe à fond bl., Athènes, Mus. Nat. 2028 (CC 1663) ; ARV2 1376, 4 ; Add2 371 ; LIMC Charon I, 35. Peintre des roseaux, dernier quart Ve. Voir pp. 98, 102, 253 n. 45, 263. • 66* : lécythe à fond bl., Providence, Rhode Island School of Design 25.082 (ARV2 1376, 5 ; Add2 371 ; LIMC Charon I, 36*), Peintre des roseaux, dernier quart Ve. Voir pp. 98, 102, 263. • 67* : lécythe à fond bl., Londres, BM D 61 (ARV2 1377, 15 ; Add2 371 ; LIMC Charon I, 37*), Peintre des roseaux, dernier quart Ve. Voir pp. 98, 102, 263. • 68° : lécythe à fond bl., Heidelberg (ARV2 1377, 14), Peintre des roseaux, dernier quart Ve. Voir pp. 98, 102, 263. • 69° : lécythe à fond bl., Cologne, coll. privée, jadis sur le marché de Bâle (ARV2 1692, 15 bis ; Paral. 485 ; LIMC Charon I, 38), Peintre des roseaux, dernier quart Ve. Voir pp. 98, 102, 263-264. • 70° : lécythe à fond bl., marché de Bâle (ARV2 1377, 9 ; Auction Sale XVI, June 30. 1956 : Monnaies et Médailles S. A. Basles, pl. 37, 152), Peintre des roseaux, dernier quart Ve. Voir pp. 98, 102, 263. • 71° : lécythe à fond bl., Paris, Louvre, MNB 622 (ARV2 1377, 11 ; Add2 371), Peintre des roseaux, dernier quart Ve. Voir pp. 98, 102, 263. • 72° : lécythe à fond bl., Copenhague, Ny Carlsberg Inv. 2789 (ARV2 1377, 12), Peintre des roseaux, dernier quart Ve. Voir pp. 98, 102, 263. • 73 : lécythe à fond bl., Allemagne, coll. privée, jadis Arlesheim (Suisse), puis marché de Bâle (ARV2 1376, 8 ; Add2 371), Peintre des roseaux, dernier quart Ve. Voir pp. 98, 102, 263. 317
• 74 : lécythe à fond bl., marché d’Athènes (ARV2 1376, 7), Peintre des roseaux, dernier quart Ve. Voir pp. 98, 102, 263. • 75 : lécythe à fond bl., marché de Paris (ARV2 1376, 6), Peintre des roseaux, dernier quart Ve. Voir pp. 98, 102, 263. • 76* : lécythe à fond bl., Hambourg, Museum für Kunst und Gewerbe 1917.817 (ARV2 1381, 111 ; Paral. 486 ; LIMC Charon I, 40*), Peintre des roseaux, dernier quart Ve. Voir pp. 98, 102, 236 n. 16, 257 n. 50, 263264. • 77° : lécythe à fond bl., Copenhague, Mus. Nat. 729 (ARV2 1377, 13 ; LIMC Charon I, 39), Peintre des roseaux, dernier quart Ve. Voir pp. 98, 102, 236 n. 16, 257 n. 50, 263. • 78* : lécythe à fond bl., Louvre CA 537 (ARV2 1384, 18 ; Add2 372 ; LIMC Charon I, 41*), Groupe E : très proche du Peintre des roseaux, dernier quart Ve. Voir pp. 98, 102, 236 n. 16, 257 n. 50, 263-264, 271. • 79 : lécythe à fond bl., Athènes, Nat. Mus. 1891 (CC1658) ; Fairbanks, AWL II, p. 86, n° 11. Peut-être du Peintre des roseaux ou d’un artiste du dernier quart du Ve. Voir pp. 98, 102, 263. • 80* : lécythe à fond bl., Berlin, Staatl. Mus. F 2680 (ARV2 1385, 1 ; LIMC Charon I, 42*), Peintre du triglyphe, fin Ve. Voir pp. 98, 236 n. 16, 257 n. 50, 262-263, 264. • 81* : lécythe à fond bl., Berlin, Staatl. Mus. F 2681 (ARV2 1385, 2 ; Add2 372 ; LIMC Charon I, 43*), Peintre du triglyphe, fin Ve. Voir pp. 98, 236 n. 16, 262, 263-264. • 82 : lécythe à fond bl., marché athénien (ARV2 1385, 3), Peintre du triglyphe, fin Ve. Voir p. 98. • 83* : lécythe à fond bl., Cambridge (Mass.), Fogg Museum 1960.338, jadis Collection Robinson (ARV2 1388, 1 ; LIMC Charon I, 44*), Groupe d’Athènes 1834, fin Ve. Voir pp. 98, 263. • 84 : lécythe à fond bl., Athènes, Nat. Mus. (CC 1659) ; Fairbanks, AWL II, p. 163, n° 4. Ve. Voir p. 98. • 85 : lécythe à fond bl., Paris, coll. particulière, chez MM. Rollin et Feuardent (E. Pottier, 1883, p. 38, n° 21 et appendice n° 99). Voir p. 98. • 86 : lécythe à fond bl., Lille SPB 9 (F. Brommer, 1969, p. 168, n° 64). Voir p. 98.
ANNEXE 4 : LISTE DES DOCUMENTS AVEC REPRÉSENTATION DES CHÂTIMENTS INFERNAUX I. Sisyphe • 1* : métope de l’Héraion de Foce del Sele, Paestum, Mus. Naz. (LIMC Sisyphos I, 26*), vers 550. Voir pp. 241-242. • 2* : coupe frag. laconienne f. n., Kassel, Staatl. Mus. S 49 b (LIMC Sisyphos I, 37 a*), Peintre de la chasse, vers 565-550. Voir pp. 239 n. 25, 241-243. • 3° : coupe fragmentaire laconienne f. n., de Gravisca (LIMC Sisyphos I, 37 b), vers 565-550. Voir pp. 239 n. 25, 241-242 n. 29. • 4 (= A1, 56* et A4, 23°) : amphore à col à f. n., Munich, Antikenslg. 1493 (J 153). Voir pp. 40 n. 44, 238 n. 22, 251-252. • 5* : amphore à col à f. n., Munich, Antikenslg. 1494 (ABV 308, 81; Paral. 133 ; Add2 83 ; LIMC Aias I, 145* = Persephone 281 = Sisyphos I, 5*), Peintre de la balançoire, dernier quart du VIe siècle. Voir pp. 238-239, 241-242 n. 27. • 6° : amphore à col à f. n., Orvieto, Mus. Faina 2805 (ABV 392, 1 ; Paral. 172 ; LIMC Persephone 283 = Sisyphos I, 7). Peintre de Nikoxénos, vers 520510. Voir pp. 193 n. 2, 238 n. 21, 240, 242, 244-245. • 7* : amphore à col à f. n., Berlin, Staatl. Mus. F 1844 (ABV 392, 2 ; Add2 103 ; LIMC Persephone 282 = Sisyphos I, 8*). Peintre de Nikoxénos, vers 520510. Voir pp. 238 n. 21, 242, 243-245. • 8* : amphore à col à f. n., Leyde, Rijksmus. PC 49 (XV i 59 Beazley ou XV i 45 LIMC), ABV 371, 153 ; Paral. 163 ; Add2 99 ; LIMC Persephone 284* = Sisyphos I, 9*. Groupe de Léagros, vers 510. Voir pp. 238 n. 21, 242-243, 244. • 9* : amphore à col à f. n., Louvre F 382 (Inv. Campana 432), ABV 483 ; Add2 121 ; LIMC Persephone 285 = Sisyphos I, 14*. Vers 510. Voir pp. 238 n. 20, 242 n. 27, 243-244, 245. • 10* : amphore à col à f. n., Londres, BM 1848.6-19.3 (B 261) ; ABV 373, 176 ; Paral. 163 ; Add2 99 ; LIMC Hades 148* = Hermes 587 = Persephone 288 = Sisyphos I, 10*. Groupe de Léagros, vers 510. Voir pp. 238 n. 21, 239-240, 248. • 11* : amphore à col à f. n., Naples 81166 (H 2490), ABV 383, 11 ; Paral. 168 ; LIMC Sisyphos I, 12*). Peintre d’Achéloos, vers 510. Voir pp. 238 n. 20, 243-244. • 12* : amphore à col à f. n., Munich, Antikenslg. 1549 (J. 728), ABV 383, 12 ; Paral. 168 ; Add2 101 ; LIMC Hades 121* = Persephone 287 = Sisyphos I, 11. Peintre d’Achéloos, vers 510. Voir pp. 238 n. 21, 239, 244. 319
• 13* : pélikè à f. n., Bologne, Mus. Civ. V.F. 47 (LIMC Sisyphos I, 13*), vers 510. Voir pp. 238 n. 20, 243-244. • 14° : coupe à f. r., Villa Giulia B 24 (fr. Campana) et Heidelberg, Univ. 46 et 47 (ARV2 134 ; LIMC Sisyphos I, 38), rappelle le Groupe de Londres E 33, vers 510. Voir pp. 238 n. 20, 239 n. 25. • 15* : coupe à f. r., Paris, Louvre G 16 (ARV2 71, 13 ; Paral. 328 ; Add2 167 ; LIMC Sisyphos I, 20*), Epictétos, vers 510-500. Voir pp. 239 et n. 25, 241. • 16* (= A3, 28) : phormiskos à f. n., Tübingen, Univ. S./10 1507a-b (LIMC Charon 1 a = Sisyphos I, 15*), vers 500. Voir pp. 98, 248, 255, 258 n. 53, 264. • 17 (= A1, 109°) : amphore à f. n., Saint Louis, Art. Mus. (prêt de G. H. Cone), jadis coll. Robinson à Baltimore. Voir pp. 193 n. 2, 226, 238 n. 21, 240, 242, 248. • 18* (= A1, 32) : lécythe à f. n., Münster, coll. privée. Voir p. 239, 241-242, 244. • 19* (= A1, 31) : lécythe à f. n., San Antonio, Mus. of Art 91-80 G. Voir pp. 238 n. 20, 241, 244, 248. • 20° : lécythe à f. n., Bucarest inv. 03331 (Paral. 279 ; LIMC Sisyphos I, 19). Manière du Peintre de Haimon, vers 480-470. Voir pp. 238 n. 20, 239, 244. • 21 (= A3, 1 et 29 ; A4, 25 et 28) : peinture murale non conservée, leschè des Cnidiens à Delphes, Polygnote. Voir pp. 9, 14, 18, 27 n. 10, 77, 90 n. 33, 102, 156 n. 7, 168, 190-191, 197, 202 n. 18, 203-204 n. 20 et 21, 213216, 217-218, 231-234, 236-237, 248-250, 252-253, 254-255, 256, 258 n. 53, 264, 266, 268-271, 276-278, 281. • 22* : lécythe à f. bl., Athènes, Céramique (LIMC Sisyphos I, 21*), vers 430. Voir pp. 238 n. 21, 239 et n. 25. II. Plusieurs damnés, dont les porteurs d’eau et Ocnos • 23° (= A1, 56* et A4, 4) : amphore à col à f. n., Munich, Antikenslg. 1493 (J 153). Voir pp. 40 n. 44, 238 n. 22, 251-252. • 24° : lécythe à f. n., Palerme 996 (ABL 66 et pl. 19, 5 ; EVP 147), vers 500. Voir pp. 251-253. • 25 (= A3, 1 et 29 ; A4, 21 et A4, 28) : peinture murale non conservée, leschè des Cnidiens à Delphes, Polygnote. Voir pp. 9, 14, 18, 27 n. 10, 77, 90 n. 33, 102, 156 n. 7, 168, 190-191, 197, 202 n. 18, 203-204 n. 20 et 21, 213-216, 217-218, 231-234, 236-237, 248-250, 252-253, 254-255, 256, 258 n. 53, 264, 266, 268-271, 276-278, 281.
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• 26° : lécythe à f. n., Athènes, Céramique hS 89, nécropole de l’Eridanos (B. Schlörb-Vierneisel, 1966, p. 31 et pl. 27, fig. 1,1). Cercle du Peintre de Beldam, 460-450. Voir p. 251. III. Thésée et Peirithoos • 27* : plaque de bouclier, Olympie, Mus. B 2198 (LIMC Herakles 3519* = Peirithoos 84 a = Theseus 298), vers 580-570. Voir pp. 202 n. 18, 230, 246 n. 34. • 28 (= A3, 1 et 29 ; A4, 21 et A4, 25) : peinture murale non conservée, leschè des Cnidiens à Delphes, Polygnote. Voir pp. 9, 14, 18, 27 n. 10, 77, 90 n. 33, 102, 156 n. 7, 168, 190-191, 197, 202 n. 18, 203-204 n. 20 et 21, 213-216, 217-218, 231-234, 236-237, 248-250, 252-253, 254-255, 256, 258 n. 53, 264, 266, 268-271, 276-278, 281. • 29* : lécythe à f. r., Berlin, Staatl. Mus. V.I. 30035 (ARV2 532, 57 ; Paral. 384 ; Add2 255 ; LIMC Herakles 3515 = Peirithoos 69 = Theseus 294*), Peintre d’Alkimachos, vers 460. Voir pp. 202 n. 18, 246. • 30° : cratère de New York, MMA 08.258.21 (ARV2 1086, 1 ; Paral. 449 ; Add2 327 ; LIMC Elpenor 7 = Hades 151*= Herakles 3516 = Hermes 588 = Palamedes 7 = Peirithoos 73* = Theseus 295), Peintre de la Nékyia, vers 440. Voir pp. 201-205, 227, 247-248. • 31* : coupe à f. r., Boston, MFA 1899.539 (ARV2 1142, 1 ; Paral. 455 ; Add2 334 ; LIMC Peirithoos 70*), Peintre de Xénotimos, 430-420. Voir pp. 202 n. 18, 230, 246 et n. 34. • 32* : relief à trois figures dit « relief de Peirithoos » (LIMC Herakles 3518* = Peirithoos 83 = Theseus 299), l’original daterait des environs de 420-410. Il en existe trois copies : Paris, Louvre ; Berlin, Staatl. Mus. et Rome, Mus. Torlonia. Voir p. 247.
BIBLIOGRAPHIE Liste des abréviations ABL : voir C. H. E. HASPELS, 1936. ABV : voir J. D. BEAZLEY, 1956. Add2 : voir J. D. BEAZLEY, 1989. ARV2 : voir J. D. BEAZLEY, 1963. EAA : Enciclopedia dell'arte antica, classica e orientale, Rome, 1958-1997. EVP : voir J. D. BEAZLEY, 1947. LIMC : Lexicon iconographicum mythologiae classicae, Zurich, Munich et Düsseldorf, 1981-1999. Paral. : voir J. D. BEAZLEY, 1971. Les autres abréviations sont celles de l’Année philologique.
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INDEX DES AUTEURS ET ŒUVRES ANTIQUES Les chiffres en gras renvoient au numéro de page. Les termes peuvent se situer dans le corps du texte et / ou dans les notes. Les annexes ne sont pas répertoriées. Alcée F. 38 : 95, 111, 128 130, 135, 140 ; F. 38 a, v. 5-13 : 237 ; F. 48, v. 15 : 86 ; F. 60, v. 5 : 86 ; F. 77, col. 2 et F. 286 a : 39 ; F. 296 a, v. 5 : 86 ; 345 : 25 ; F. Z 42 : 249 Alcman : 249 Anacréon F. 395, v. 5 : 40, 60, 110, 140 Odes anacréontiques, F. 34, v. 1-11 : 140 Anaxagore F. A 112, F. B 12 et F. B 17 : 180 Anaximène F. A 23 et B 2 : 180 Anaximandre : 243 F. A 29 : 180 Apollodore Bibliothèque I, 2, 1 : 38 ; I, 5, 1 : 164 ; I, 9, 3 : 237 II, 5, 12 : 202, 230, 246 III, 5, 3 : 159 Epitome I, 24 : 246 V, 5 : 145 Apollonios de Rhodes Argonautiques II, 353 : 63 III, 1202 : 150 IV, 811-815 : 143, 145 Apulée : 123 Métamorphoses, VI, 18, 4 : 252 Archiloque F. 53 : 60 ; F. 126, v. 14-15 : 249
Argumentum = Proclus, Chrestomathie 172 : 145 Aristarque : 15, 50, 53, 80-81 Scholies à Od. IV, 563 : 148 Scholies à Ol. II, 102 B : 173 Aristophane : 14-17, 39, 66-67, 97-98, 102-104, 106, 112-113, 116, 124, 151, 155-170, 177, 180-181, 184-185, 245, 254-256, 262, 279 Assemblée des femmes, 977 : 67 Cavaliers, 523 : 165 ; 866 : 156 Gérytadès : 16, 158 Grenouilles : 17, 66, 102, 106-107, 112-113, 116, 124, 155, 158-170, 184-185, 254, 256, 262, 279 ; 1-37 : 159 ; 69-70 : 39, 67 ; 85 : 151 ; 108-119 : 67, 159, 169 ; 120-135 : 159 ; 136-140 : 67, 98, 107, 160, 165, 262 ; 136-164 : 159-160 ; 143146 : 160, 167 ; 145-150 : 156, 167, 254 ; 154-163 : 61, 157-158, 160, 168-169, 173, 177 ; 165-674 : 159, 161 ; 170-177 : 67, 160 ; 180-270 : 262 ; 180-183 : 106, 160-161 ; 185187 : 97, 161 ; 190-195 : 106, 113, 163, 169 ; 197-208 : 164, 256 ; 273279 : 156, 167-168 ; 279-311 : 167 ; 301 : 168 ; 318-320 : 168169 ; 326 : 157 ; 328-330 : 158 ; 340-344 : 157, 168 ; 352 : 155, 158 ; 373-374 : 113, 157-158 ; 420 : 67 ; 431-436 : 168-169 ; 440-446 : 158, 168 ; 448-449 : 157-158 ; 454458 : 157, 168, 177 ; 465-469 : 169 ; 470-478 : 106, 113, 135, 168 ; 549-578 : 169 ; 763-764 : 169 ; 770-772 : 67, 106 ; 789 : 67 ; 1266 : 100 ; 1460 : 67 ; 1514 : 67 ; 15281529 : 67, 130
Arctinos de Milet Ethiopide : 145
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« Purgatoire », IV, 31-57 : 114 Denys le Périégète, 544 : 146 Descente d’Ishtar aux Enfers : 159 Diodore de Sicile IV, 25, 4 : 159 ; IV, 26, 1 : 245 V, 3, 4 : 210 Elien Histoires variées, IV, 3 : 270 Empédocle : 15, 179 Purifications F. B 115, v. 5-6 : 175 F. B 146 et 147 : 176 Epicharme F. B 9 et F. 22 : 180 Epopée de Gilgamesh : 159 Eschyle : 15-16, 25, 39, 41, 62-67, 75, 86-87, 90-91, 97, 99-105, 111-114, 124, 126-137, 144, 151, 156-157 Agamemnon, 462-463 : 129 ; 676677 : 130 ; 1023 : 64 ; 1160-1161 : 99, 111 ; 1291 : 90-91 ; 13131314 : 136 ; 1555-1559 : 97, 101102 ; 1557-1558 : 98, 135 Choéphores : 101 ; 40-42 : 65, 136 ; 147 : 64 ; 286 : 65, 127 ; 356 : 62 ; 382 : 64 ; 456-509 : 101 ; 1049 : 129 ; 1054 : 156 Circé : 99 Euménides : 66, 104 ; 52 : 129 ; 7273 : 39 ; 174-178 : 156 ; 270-275 : 156-157 ; 293 : 102 ; 322 : 131 ; 329-345 : 156 ; 351 : 129 ; 370 : 129 ; 378-389 : 127, 156 ; 385392 : 112, 130, 157 ; 423 : 137 ; 746 : 130 Evocateurs d’âmes : 16, 99-104, 124 ; F. 273 : 99-101 ; F. 273 a : 99-103, 111, 126, 134-135 ; F. 275 : 99-100 ; F. 276 : 99-100, 102 ; F. 277 : 99-100 ; F. 278 : 99 Pénélope : 99 Perses : 99-101, 104 ; 219-220 : 66 ; 222-223 : 65, 126 ; 299 : 130 ; 311 : 111 ; 523-524 : 66 ; 619-632 : 6566, 100 ; 621-622 : 64-65, 66 ;
Lysistrata, 531 : 67 ; 605-607 : 255 Nuées, 192 : 39, 75 ; 229-230 : 180 ; 1255 : 67 Oiseaux, 28 : 162 ; 693 : 39 ; 774 : 111 ; 1553-1555 : 103-104 Paix, 832-837 : 180-181 Ploutos, 277-278 : 255; 305 : 156 Fragments, F. 488 : 67 Aristophane (critique alexandrin), 53 Aristote Constitution d’Athènes, 48, 4 : 156 Métaphysique, A4. 984 b 27-29 : 24 Poétique, 2 : 270 Politique, VII : 13 ; 1322 b 21 : 156 Athénée Banquet des sophistes 281 b : 236 ; 469 e, 470 a-c : 47-48 Axiochos 371 e : 159, 237, 250 Bacchylide : 15 Epinicies V : 32 : 86 ; 33 : 130 ; 35 : 97, 111 ; 35-37 : 202 ; 92-93 : 130 VII, 18 : 97 XI, 5-6 : 97 Bible Genèse I, 5 : 50 Callimaque Epigrammes, II, 3 : 42 Callinos F. 1, v. 12-13 : 140 Chants cypriens F. 8 : 140 ; F. 9 : 25 Cicéron République, VI, 14, 15 : 181 Clément d’Alexandrie Stromates, V, 122 : 176 Cratinos F. 147 et 151 : 166 Critias (ou Euripide ?) Peirithoos : 161 Dante Divine comédie « Enfer », XXXII, 2-3 : 114
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63 ; 436-437 : 87-88, 131 ; 438444 : 129, 105-106, 113-114 : 457-459 : 65, 88, 106, 112, 135 ; 472 : 130 ; 613 : 65 ; 626 : 87 ; 667 : 130 ; 692-693 : 64 ; 782 : 140 ; 843-844 : 129 ; 851852 : 63, 87, 131 ; 867 : 87 ; 868 : 130 ; 895-896 : 62 ; 902 : 66, 105, 113 ; 989-990 : 127, 140 ; 1073 : 65, 87 ; 1127 : 65 ; 1139 : 65, 129 ; 1145 : 65 Alexandre, F. 62 d, v. 26 : 87 Andromaque, 102, 63 ; 113 : 130 ; 503, 505 : 63 ; 512 : 62 ; 515 : 66 ; 544 : 63, 66 ; 850 : 65 ; 935 : 130 ; 977-978 : 156 ; 1078 : 63 ; 1260-1262 : 145 ; 1270-1272 : 140 Bacchantes, 1339 : 151 ; 13611362 : 63, 105 Cresphontes, F. 448 a, v. 56 : 65 ; F. 450 : 65, 62, 88 Cyclope, 166-167 : 146 Electre, 59 : 180 ; 144 : 63 ; 349 : 130 ; 661-662 : 91 ; 677 : 64, 88 ; 1144-1445 : 87, 129 Hécube, 1 : 66, 91, 126 ; 2 : 88 ; 49 : 64 ; 79 : 66 ; 146-147 : 62 ; 208-209 : 126 ; 248 : 130 ; 411412 : 130, 133 ; 414 : 63 ; 435437 : 130, 133 ; 483 : 88 ; 668 : 130 ; 706 : 130 ; 791-792 : 6465 ; 1106 : 128 ; 1214 : 130 Hélène, 60-62 : 130, 126 ; 177178 : 88, 132 ; 320 : 130 ; 341342 : 130 ; 344-345 : 63, 66 ; 517-519 : 125, 129 ; 531 : 130 ; 839 : 130 ; 966 : 64-65 ; 969 : 65 ; 1011 : 130 ; 1013-1016 : 179-180 ; 1158 : 87 ; 1161 : 63 ; 1255 : 65 ; 1301-1318 : 102, 210 ; 1373 : 130 ; 1676-1677 : 151 Héraclès, 22-25 : 64, 129, 162, 193 ; 45-46 : 128, 132 ; 116 :
624 : 62, 87 ; 627-630 : 62, 65-66 ; 637 : 65 ; 642 : 87 ; 645 : 64 ; 649650 : 64 ; 667 : 99, 127 ; 687 : 99 ; 697 : 63 ; 710 : 130 ; 839 : 62, 126 ; 884 : 124 Prométhée : 39, 41 ; 140-143 : 25, 113 ; 152-155 : 39, 62, 65, 75 ; 219220 : 39, 66, 75, 114 ; 433 : 66, 128 ; 571 : 66 ; 573 : 65 ; 10261029 : 39, 75, 131 ; 1050-1052 : 39, 75 Ramasseurs d’os : 99 Sept contre Thèbes, 690 : 103, 135 ; 690-691 : 98-99 ; 699-700 : 129 ; 854-860 : 87, 97-98, 103, 114, 129, 131, 135 Sisyphe : 16 Suppliantes, 156 ; 227-231 : 156 ; 1020, 1029 : 102 Fragments, F. 17 : 144 Esope : 162 Fables, 133 : 97 ; « Le médecin ignorant » : 60 Etymologicum Magnum 427, 48 : 39 s. v. Ἠλύσιον πεδίον : 143 Eupolis Dèmes : 16, 158 Taxiarques : 166 Euripide : 14-16, 41, 62-67, 70, 75, 8788, 90-91, 100, 105-106, 112-113, 125133, 135-136, 146, 151 , 179-180, 185, 193, 210, 229, 245, 255, 279 Alceste : 16, 279 ; 14 : 63 ; 18 : 130 ; 25-26 : 87, 63 ; 30 : 65 ; 45 : 64 ; 47 : 62, 65 ; 73 : 87 ; 81-82 : 130 ; 107 : 63 ; 122126 : 88, 90, 127, 129-130 ; 142 : 130 ; 163 : 63 ; 206-208 : 130 ; 244-245 : 133 ; 252-257 : 106, 255 ; 260 : 88 ; 269 : 127, 132 ; 272, 283 : 130 ; 360-361 : 63, 85, 106 ; 364 : 87 ; 379, 382 : 63 ; 385 : 127 ; 393-395 : 63, 130 ; 418-419 : 140 ; 424 :
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87 ; 262-263 : 65 ; 296 : 62 ; 352 : 65, 132 ; 426-427 : 105, 136 ; 431-434 : 105, 255 ; 455457 : 129 ; 516 : 65 ; 562-564 : 64, 126, 129-130 ; 607-608 : 6466, 131 ; 610-613 : 87, 129, 229 ; 618-619 : 62, 245 ; 621 : 65 ; 770 : 105, 113 ; 807-808 : 65, 87 ; 870 : 64 ; 907 : 75 ; 1072-1073 : 130 ; 1101 : 63 ; 1103 : 113 ; 1221-1222 : 129 , 245 ; 1277 : 129 Héraclides, 218-219 : 64, 125 ; 592 : 63 ; 913 : 87 ; 949 : 63 ; 969 : 130 ; 1033 : 63 Hippolyte, 56-57 : 91, 130 ; 836837 : 63, 88, 126 ; 895 : 87 ; 907-908, 1023, 1163, 1193 : 130 ; 1290-1291 : 41, 70 ; 1388 : 128, 132 ; 1416 : 62, 126 ; 1444 : 126 ; 1447 : 65, 91 Ion, 274 : 113 ; 345, 726 : 130 ; 853 : 130 ; 871 : 113 ; 881-896 : 118 ; 953 : 87 ; 1066-1067 : 180 ; 1121, 1186 : 130 ; 1235 : 65 ; 1274 : 87 ; 1441-1442 : 63, 66 Iphigénie à Aulis, 484, 1218-1219, 1250, 1281-1282, 1394 : 130 ; 1505-1509 : 133, 180 ; 1612 : 130 Iphigénie en Tauride, 79-81 : 156 ; 170 : 63 ; 284-290 : 156 ; 349 : 130 ; 435-438 : 145 ; 481 : 64 ; 564, 608, 674, 718 : 130 ; 931934 : 156 Médée, 985 : 65 ; 1016 : 63 ; 1022 : 87 ; 1039 : 180 ; 1059 : 65 ; 1234 : 90 ; 1389-1390 : 156 Oreste, 34-38 : 156 ; 174-176 : 125, 132 ; 255-256 : 156 ; 261 : 65 ; 264-265 : 41 ; 316-327, 407413, 580-584 : 156 ; 620 : 65 ; 954 : 130 ; 963-964 : 63, 65 ; 1086-1087 : 180 ; 1225 : 87,
132 ; 1377-1379 : 25 ; 1398 : 63 ; 1523 : 130 Peirithoos : 161, 245 Phéniciennes, 793 : 102 ; 810 : 63 ; 1084, 1281 : 130 ; 1312 : 105 ; 1321 : 66 ; 1339 : 130 ; 1453 : 126 ; 1483-1484 : 127 ; 1544 : 65 ; 1547-1548, 1554 : 130 ; 1604-1605 : 41 Rhésos, 830 : 63 ; 850 : 130 ; 962963 : 66, 128 ; 965 : 64 ; 967, 971 : 130 Suppliantes, 200 : 130 ; 531-534 : 179-180 ; 797, 799 : 63 ; 1022 : 87 ; 1024-1025 : 63, 133 ; 11401142 : 179-180 Troyennes, 269 : 130 ; 442 : 105 ; 459 : 65 ; 632, 641 : 130 ; 753 : 64 ; 952 : 66 ; 1308 : 65 Fragments, F. 10, v. 43 : 140 ; F. 154 : 63 ; F. 182 a : 180 ; F. 370, v. 21-22 : 130 ; F. 386 c : 128 ; F. 484 : 180 ; F. 533 : 62, 126 ; F. 534 : 63, 126 ; F. 833 : 130 ; F. 839 : 180 ; F. 868 : 66, 88, 113, 126 ; F. 912, v. 8-9 : 65, 66, 129 ; F. 971 : 180 ; F. 1004 : 180 ; F. 1013 : 130 Eustathe : 119 Commentarii ad Odysseam IV, 563 et 567 : 143 ; X, 515 : 54 ; XXIV, 1 et 11 : 54 Grégoire de Corinthe Rhétorique, vol. 7, p. 1312 sq : 246 Héraclite (ps.-) Allégories homériques : 59 Hérôdas, 3, 88 : 42 Hérodien : 119 Hérodote : 50 L’Enquête II, 15-17 : 52 ; 53 : 183 ; 158 : 115 III, 5 : 115 ; 106 : 149 ; 110 : 135 ; 116 : 149
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Les travaux et les jours : 17 : 125 ; 40-41 : 122 ; 45-46, 90-92, 117118 : 177 ; 153-155 : 85, 128, 130, 139 ; 167-173 : 146-148, 177 Fragments : F. 25, v. 25 : 85, 136 ; F. 33 a, v. 21, F. 35, v. 9, F. 76, v. 22 : 129 ; F. 280-281 (Catabase de Peirithoos) : 59, 126, 138, 245 Bouclier : 70, 99 : 118 ; 130-131 : 139 ; 151 : 59 ; 160 : 135 ; 225227 : 69, 126, 134, 138 ; 249 : 129, 135, 160 ; 254-255 : 59, 139 ; 314315 : 25 Hésychius s. v. αἰγίλιπος : 108 s. v. Ἠλύσιον : 144 s. v. κάμμερος : 51 s. v. καταστυφέλου : 110 s. v. Ὠλεσίκαρπος : 120 Hippocrate Des airs, des eaux et des lieux, 19 : 51 Homère : 9, 15, 23, 25-27, 33, 38, 4059, 61-62, 70, 72, 84-86, 88-90, 92-94, 97, 102, 104, 107-109, 113-114, 117, 119-120, 122, 126, 130, 132, 135, 137, 141-143, 147-149, 155-158, 163, 172, 176-177, 180, 193, 197, 199, 201-202, 208, 231, 237, 243, 245, 254-255, 278 Iliade : 23, 41, 55, 52, 56, 59, 61, 71, 73, 92, 119, 141 I, 88 : 130 ; 406 : 147 ; 472-474 : 16 II, 33 : 97 ; 314 : 135 ; 394-397 : 107-108, 113 ; 461, 463, 467 : 117 ; 506 : 118 ; 755 : 108 ; 617 : 108 III, 454 : 129, 137 ; 276-280 : 137, 156 ; 278 : 42 ; 320-323 : 139 ; 322 : 42, 84 IV, 127 : 147 ; 461 : 126, 133 ; 503, 526 : 126 V, 47 : 126, 138 ; 83 : 128 ; 119120 : 130 ; 190-191 : 139 ; 652-
IV, 11-12 : 51 ; 17-21, 45 : 52 ; 152 : 168 VI, 74 : 110, 139 ; 87 : 98 VII, 129 et 131 : 115 ; VII, 216 : 163 VIII, 52 : 111 Hésiode : 9, 15, 23-26, 28-36, 38-41, 59, 69-74, 77, 85, 90-93, 109, 117, 122-123, 125-126, 128-130, 134-137, 139, 141, 145-149, 151, 155, 158, 176177, 193, 197, 206-207, 213, 245, 255, 274, 278 Théogonie : 33, 41, 48, 59, 71, 208, 273 ; 116-119 : 24, 35, 69, 73-74, 274 ; 123-124 : 36, 128 ; 126-127, 129, 131-153 : 24 ; 158 : 39 ; 194 : 122 ; 211 : 129, 138 ; 212-213 : 55, 125 ; 215-216 : 32, 92 ; 227 : 97 ; 274-275 : 32 ; 277-279 : 117 ; 310312 : 135, 193 ; 361 : 34 ; 383-401 : 34, 92, 97 ; 455 : 59, 85 ; 514-515 : 59, 125 ; 517-519 : 32, 91 ; 651653 : 130 ; 658 : 126 ; 669 : 125, 130 ; 682 : 69, 74 ; 695-696 : 30 ; 713-820 : 25, 28-35, 69-75, 206207, 213 ; 721, 723 b : 74 ; 726728 : 28-30, 32, 36, 124 ; 726-739 : 29-31, 34-35, 37-38, 69, 71-72, 7475, 94, 124, 126, 137 ; 736-744 : 34, 125 ; 740-757 : 28-29, 31-34, 36-38, 71-73, 75, 91, 125, 127-128, 134, 137-138, 207 ; 758-766 : 29, 33, 37-38, 125, 134, 138 ; 766-774 : 29, 31, 33, 37, 59, 85, 90, 136, 138, 207 ; 775-806 : 33-34, 37, 109, 135 ; 775-776 : 24-25, 29, 33, 92, 138 ; 776-779 : 33-34, 59, 109, 111 ; 780-781 : 33, 38, 92 ; 785792 : 25, 33, 59, 92, 109, 128, 135, 137-139, 274 ; 801-803 : 25, 176 ; 805-820 : 28-30, 34, 37, 69, 71-72, 74, 92, 94, 109, 124-126, 137 ; 822 : 69 ; 841 : 36, 69 ; 847 : 30 ; 850 : 59 ; 868 : 69
357
XX, 8-9 : 111-118 ; 50 : 107, 109 ; 54 : 147 ; 61 : 42 ; 64-65 : 84-85, 94, 137, 138 ; 294 : 42 ; 336 : 84 ; 393, 471 : 126 ; 477 : 128 XXI, 9-10 : 109 ; 56 : 62, 126 ; 181 : 126 XXII, 52 : 84, 139 ; 180 : 138 ; 209-213 : 84, 138-139 ; 362-363 : 139 ; 425 : 42, 84, 139 ; 482-484 : 42-43, 84, 139 XXIII, 57 ; 19 : 84, 139 ; 51 : 126 ; 65-107 : 55 ; 71-76 : 57, 84, 8889, 92, 139 ; 79 : 138 ; 100-101 : 42, 135 ; 103 : 84 ; 125 : 107 ; 179 : 84 ; 244 : 42, 139 XXIV, 23 : 147 ; 97 : 107 ; 99 : 147 ; 246 : 84, 139 ; 323 : 109 ; 422 : 147 ; 614 : 108 ; 720-722 : 16 Odyssée : 10, 17, 30, 33, 41, 43-44, 46-47, 52-53, 55-56, 58, 77, 93-95, 97, 101-104, 114, 116, 119, 147, 213, 216-218, 254, 271, 273 II, 135 : 138 III, 335 : 49 ; 399 : 109 ; 410 : 84, 139 ; 493 : 109 IV, 210 : 85 ; 501 : 108 ; 561-569 : 114, 140-142, 145, 148, 177 ; 833-834 : 84, 130 V, 7 : 147 ; 63-76 : 117, 122 ; 82, 151 : 107 ; 331 : 46 ; 400-431 : 107-108 VI, 3 : 46 ; 11 : 84, 139 ; 41-46 : 142, 147 ; 291-292 : 117-118, 122 VII, 114-132 : 142-143 ; 279, 345 : 108-109 VIII, 306 : 147 ; 465 : 109 IX, 132-133 : 117 ; 143 : 132 ; 200 : 118 ; 359 : 108 ; 449 : 122 ; 524 : 84 X : 41, 43, 53, 55, 57-58, 160, 275 ; 87-90 : 107-108 ; 131 : 108 ; 140 : 107 ; 174-175 : 42, 84, 139 ; 190191 : 49 ; 483-495 : 43, 84 ; 497498 : 130 ; 502 : 84 ; 505-540 :
654 : 129, 139 ; 672 : 109 ; 749751 : 71, 90 ; 845 : 134 VI, 11 : 126 ; 152-154 : 236-237 ; 284 : 42, 84, 139 ; 288 : 42 ; 411 : 27 ; 421-422 : 84, 139 VII, 130-131 : 42, 84, 139 ; 330 : 42, 84, 139 ; 411 : 109 VIII, 13-16 : 23-24, 26-27, 36, 41, 52 , 70, 74, 90, 126, 274 ; 367369 : 89, 92-93, 103, 109, 110, 125, 138, 193 ; 393-395 : 71, 90 ; 478-481 : 28, 39, 61, 71, 74 ; 550 : 147 IX, 15 : 108 ; 159 : 137 ; 312-313 : 88, 137, 139 ; 571 : 126 X, 83 : 132 ; 329 : 109 XI, 8 : 29 ; 54-55 : 139 ; 152 : 109 ; 184 : 42 ; 262-263 : 42, 84, 139 ; 443-445 : 129, 139 ; 757 : 108 XII, 235 : 109 ; 240 : 126 ; 284 : 107 ; 326 : 49 XIII, 154 : 109 ; 414-416 : 84, 89, 139 ; 575, 607 : 126 ; 672 : 126, 138 XIV, 143 : 147 ; 156 : 139 ; 167 : 71 ; 200 : 24 ; 203-204 : 71 ; 271274, 278-279 : 137 ; 347 : 122 ; 439 : 128 ; 457 : 42, 84, 139 ; 519 : 126 XV, 36-38 : 92-93, 109, 137-138 ; 191 : 126 ; 225 : 27, 71 ; 251252 : 84-85, 139 ; 273 : 108 ; 293 : 109 XVI, 4, 80 : 108 ; 88 : 109 ; 151 : 117 ; 181-183 : 16 ; 316 : 126 ; 325-327 : 126, 139 ; 334 : 128 ; 429 : 108 ; 439 : 128 ; 502 : 133, ; 607 : 126 ; 625 : 139 ; 856-857 : 139 XVII, 360-361 : 128 ; 425 : 180 ; 545 : 42 XVIII, 68 : 107 ; 399, 491-493, 607-608 : 16, 24 ; 672 : 138 XIX, 87 : 126 ; 258-260 : 137, 156
358
43-47, 49, 51-53, 55, 57-58, 78, 84-85, 91, 93-94, 100-101, 103, 107-108, 110, 116, 120, 125, 134, 163, 197, 217, 245 ; 564 : 84 XI : 17, 41-43, 51, 57-58, 77-83, 97, 99, 160, 184, 216-217, 248 ; 1-50 : 38, 43, 46-47, 49-51, 5759, 78, 93-94, 100-101 ; 13-19 : 57, 133, 134, 141, 163 ; 23-24 : 219 ; 29 : 134 ; 34-224 : 215 ; 3547 : 110, 125, 136, 217, 219 ; 4954 : 55-56, 78, 202, 217 ; 51-84 : 57, 203 ; 51-564 : 78 ; 57 : 49, 94, 126 ; 69 : 84 ; 81-84 : 78 ; 90 : 78 ; 93-94 : 130 ; 98-99 : 78 ; 107 : 43 ; 142 : 78 ; 147-153 : 7879, 84 ; 155 : 49, 126 ; 157-159 : 93 ; 164 : 84 ; 211 : 84 ; 225-327, 232-235 : 79 ; 277 : 89 ; 328-387, 390 : 79 ; 425 : 84 ; 467-540 : 57, 79, 80-81, 95, 110, 116, 119, 134, 140 ; 543-544 : 80 ; 563-565 : 57, 80, 110, 125, 202 ; 568-602 : 8082, 84, 89, 94-95, 110, 116-117, 119, 123, 127-128, 231, 236, 241, 249, 253-254, 270 ; 605-606 : 125, 136, 202 ; 615-616 : 82 ; 623-628 : 80-84, 89, 193 ; 630633 : 82, 136, 202, 245 ; 635636 : 82-84 ; 639 : 47, 49, 57, 91 XII, 1-7 : 45-46, 58 ; 11 : 107 ; 2122 : 43, 84, 139 ; 39-136 : 43 ; 45 : 117 ; 61 : 147 ; 64, 71 : 108 ; 73, 80 : 113 ; 81 : 50 ; 135 : 43 ; 159 : 117 ; 371, 377 : 147 ; 382383 : 43, 134 ; 430 : 113 XIII, 97-98 : 107-108 ; 110 : 46 ; 196 : 108 ; 234 : 107 ; 241 : 126 XIV, 83 : 147 ; 156-157 : 88, 137, 139 ; 208 : 84 ; 252-257 : 46 ; 399 : 108 XV, 36 : 107 ; 112, 146, 180, 191 : 109 ; 349-350 : 84, 130, 139 ; 372 : 147 XVI, 439 : 130
XVII, 208 : 117 ; 290-327 : 89 ; 500 : 129 XVIII, 134 : 147 ; 368 : 122 XIX, 200-201 : 46 XX, 64-65 : 24 ; 78 : 138 ; 176, 189 : 109 ; 208 : 84, 139 ; 356 : 50 XXIII, 252 : 84 ; 322 : 84, 94 XXIV : 39, 42, 52-53, 57-58, 77, 82, 146, 275 ; 1-9 : 135 ; 11-17 : 47, 52-53, 57, 90-91, 95, 108, 110, 117, 119, 134, 163 ; 82 : 107 ; 106 : 43, 125 ; 127 : 129 ; 135-136 : 138 ; 204 : 43, 84 ; 264 : 84 ; 378 : 107 Hygin Fables, 79 : 162, 246 Hymnes homériques : 15, 60, 85, 92 à Aphrodite (I), 154 : 60, 85 ; 269 : 140 ; 272 : 130 à Apollon, 17 : 111 ; 24 : 108 ; 8386 : 92 ; 283-284 : 108 ; 335-336 : 38 ; 356 : 140 ; 384-385 : 117 à Déméter : 16, 153-154, 158, 184, 212-213 ; 5-21 : 60, 117-119, 210 ; 22-25, 39-44, 54-58 : 209 ; 80 : 60, 126 ; 259-262 : 92, 140 ; 335 : 125 ; 337-338 : 126 ; 340-343 : 60, 8586 ; 349 : 125 ; 357 : 60 ; 375-386 : 86, 212 ; 395, 398 : 60 ; 402-403 : 60, 126 ; 409 : 125 ; 415 : 60 ; 417431 : 60, 117-118 ; 60 ; 438-440 : 210, 212 ; 446, 464 : 60, 126 à Héra, 3 : 109 à Héraclès : 15 à Hermès, 70 : 114 ; 72 : 117, 121 ; 104-107 : 118 ; 124 : 110 ; 186 : 118 ; 198, 221 : 117, 121 ; 256259 : 40, 74-75 ; 344 : 117, 121 ; 404 : 108 ; 503 : 118, 121 ; 518519 : 92 à Pan, 4, 10 : 108 ; 25-26 : 117-118 Ibycus F. 291 : 145
359
Pausanias (le Périégète) : 9, 18, 190, 213-217, 231-232, 248-250, 253-255, 270-271 Périégèse II, 31, 2 et 37, 5 : 159 III, 19, 11 : 145 VIII, 17, 6 : 110 ; 17, 6-18, 6 : 139 IX, 31, 5 : 245 X, 25, 3 ; 25, 4 ; 25, 5 ; 26, 3 ; 26, 9 ; 27, 3 : 249 ; 28, 1- 31, 12 : 190 ; 28, 1 : 102 ; 28, 1-2 : 216, 245, 254, 256 ; 28, 4 : 156, 232 ; 28, 5 : 254 ; 28, 7 : 138 ; 29, 1-2 : 215, 252 ; 29, 3 : 249, 254, 270 ; 29, 5 : 270 ; 29, 7 : 249 ; 29, 8-9 : 216-217, 246, 249, 270 ; 30, 1-2 : 254 ; 30, 3 : 249 ; 30, 5 : 249, 270 ; 30, 6-7 : 197, 249, 254 ; 30, 8 : 270 ; 30, 9 : 249, 269-270 ; 31, 1 : 269 ; 31, 5 : 249, 270 ; 31, 9 : 250 ; 31, 10 : 249 ; 31, 11 : 249250 ; 31, 12 : 249, 254 Petite Iliade F. 21, v. 5 : 128 ; F. 32 : 25 Phérécrate Crapataloi : 16, 158 Phérécyde : 47 F. 7 B 5 : 73 ; F. 119 : 237 Phrynichos : 204 Muses : 158 Praep. Soph., 127, 12 : 100 Pindare : 10, 14-16, 39, 60-61, 86-87, 90, 111, 127-128, 136, 146-152, 158159, 170-179, 185, 209, 236, 277-278 Isthmiques IV, 18 : 150 VI : 179 VIII, 55 : 86 Néméennes IV, 49-50 : 145-146 VII, 19-20 : 140 ; 30-32 : 140 IX, 24-25 : 61 ; 24-27 : 209 ; 39 : 102 X, 8 : 60 ; 42 : 61 ; 56, 87 : 60
Inscriptions grecques IG I2, 188 : 156; 945 : 180 IG II, 3720 : 180 Kallias Ægyptos, Atalante, Cyclopes, Mauvais esclaves, Grenouilles, Oisifs : 165 Licymnius F. 770 : 96, 111 Livre des Morts Papyrus d’Ani, chap. 60 : 144 Papyrus d’Anhaï, chap. 5 : 144 Lucien Dialogues des Morts, 22 « Ménippe et Charon » : 256 Iupp. Conf., 17 : 148 Histoires vraies, II, 14 : 148 De luctu, 19 : 122 Ménippe, 10 : 256 La traversée pour les Enfers ou le tyran, 2 : 122 ; 19 : 256 Lycophron Alexandra, 90-91 : 63 Lyrica adespota 37 (Powell), v. 6 : 42 F. 894 (PMG) = chanson à boire : 145 ; F. 925 e (PMG), v. 9-10 : 126 Magnès Gallinsectes, Grenouilles, Lydiens : 165 Maxime de Tyr, 8, 2 b : 100 Mélanippide Perséphone, F. 759 : 96 Mimnerme : 47 ; F. 1 : 140 ; F. 5, v. 510 : 47 ; F. 8, v. 5 : 129 ; F. 8, v. 14 : 60 ; F. 11 : 140 Minyade : 16, 138, 245, 255 Ovide Héroïdes, XV : 146 Métamorphoses II, 836-875 : 118 V, 379-384 : 209 Parménide F. A 1 : 180
360
X, 614 c-d : 181 ; 621 a-b : 162 ; 621 a-c : 97 Timée, 58 d : 180 Platon (poète élégiaque du IVe siècle av. J.-C.) F. 11 : 61 Pline l’ancien, Histoire naturelle IV, 13, 83 et 93 : 145 XVI, 46, 110 : 120 ; 68, 108 : 122 Plutarque Consolation à Apollonius, 35, 120 cd : 171 Œuvres morales, 899 c : 180 ; 1087 b : 163 Sur les délais de la justice divine, 563 e-f : 181 Vie de Romulus, 28, 8 : 171 Vie de Thésée, 31 : 245-246 ; 31, 5 et 35, 1-3 : 245 Porphyre = Stobée, Eclogae Physicae 49, 61 : 143 Antre des Nymphes : 59 Proclus, Chrestomathie 172 = Arctinos de Milet, Ethiopide, Argumentum : 145 Protagoras 80 A 12 = Timon, SH 779, v. 7-8 : 42 Pythagore Carmen Aureum, 70-71 : 180 Quintus de Smyrne, Suite d’Homère, III, 770-777 et XIV, 223-224 : 145 Les Retours : 16, 138, 236 Sappho F. 55, v. 3-4 : 86, 134, 136 ; F. 56, v. 1 : 130 ; F. 65, v. 10 : 96 ; F. 95, v. 12-13 : 96, 111, 124 ; F. 186, v. 4 : 86 Scholies à Apollonios de Rhodes Argonautiques, 846-847 a : 100 à Aristophane Grenouilles, 186, 187, 189 : 162 ; 194 : 163 ; 209 : 164 ; 470 : 114 ; 522 : 165 ; 1266 : 100
Olympiques I : 54-58 : 204, 236 ; 54-64 : 236 II : 14, 170 ; 25-30 : 159 ; 45 : 156 ; 58-62 : 178 ; 58-91 : 170 ; 63-66 : 60, 171-172, 175 ; 67-74 : 171, 175, 175-177 ; 75-88 : 145-146, 148-149, 151, 158, 172, 175 III, 27 : 29 VI, 14 : 60 IX, 3 : 111 ; 34-35 : 60-61, 86, 111 X, 42 : 111 ; 92 : 86 XIII, 52 : 237 XIV, 20-21 : 86, 128 Péans IV, 42-45 : 39-40, 61, 110 Pythiques I, 15-16 : 40, 75 III, 11 : 60, 86 IV, 42-45 : 61, 90, 110-111 ; 61 : 172 ; 64 : 150 ; 291 : 40 V, 101 : 61 X, 29-30 : 149 XI, 1 : 159 ; 21 : 111, 127 ; 56-57 : 128 Fragments : 14 F. 12 : 40 ; F. 30 : 149 ; F. 75 : 150 ; F. 129 : 149-151, 158, 170171 ; F. 130 : 170 ; F. 131 : 170 ; F. 131 b : 171-172, 176 ; F. 133 : 170, 172, 175-177 ; F. 137 : 60 ; F. 143 : 96, 136 ; F. 196 : 113 ; F. 207 : 75 ; F. 222 : 150 Platon : 14, 185, 282 Apologie de Socrate, 40 e - 41 a : 205 Banquet, 178 b : 24 ; 179 e : 145 Gorgias, 493 b : 250 ; 525 e : 237 Lois, 945 e : 156 Phédon, 81 a : 180 ; 111 b : 180 ; 112 e - 113 c : 114 ; 113 d - 114 c : 181 Phèdre, 229 b-c : 118 ; 249 a sqq : 172 République : II, 363 d : 250 IX, 571 d - 572 b : 172
361
63 ; 1192-1193 : 62 ; 12191220 : 112 Antigone, 24-25 : 63, 66 ; 65 : 62 ; 75, 197 : 63 ; 361-362 : 140 ; 451, 521, 524-525, 542 : 63 ; 602, 749 : 65 ; 804 : 87 ; 806813 : 105, 112, 132 ; 816 : 105 ; 818 : 66 ; 822 : 63 ; 839-841 : 65 ; 896, 920 : 63 ; 1068-1076 : 63-64, 156 ; 1200 : 85 ; 1224 : 63 ; 1241 : 87 ; 1284 : 104 ; 1302 : 130 Electre, 110 : 87 ; 112-116 : 156 ; 137-138, 183 : 105 ; 292, 327 : 63 ; 840 : 62 ; 860 : 140 ; 968869 : 63, 66 ; 1066 : 66 ; 1068 : 64 ; 1078-1080 : 130 ; 1166 : 63 ; 1171-1173 : 140 ; 1419 : 62 Niobé, F. 442, v. 8 : 41, 70 Œdipe à Colone : 132 ; 19 : 113 ; 126-127, 156-157 : 117 ; 471 : 102 ; 1389-1390 : 40, 75 ; 15491552 : 66, 132 ; 1556 : 131 ; 1558 : 126 ; 1562-1564 : 66, 87, 105, 112 ; 1568-1573 : 90 ; 1577 : 112 ; 1583 : 156 ; 1595 : 113 ; 1661-1662 : 65, 131 ; 1681-1684 : 112, 131 ; 1701 : 63, 126 ; 1707 : 65, 127 ; 1726 : 66 Œdipe roi, 29-30 : 129, 136 ; 416 : 64-65 ; 1100-1107 : 112 ; 1183 : 132 Philoctète, 272 : 113 ; 449 : 64 ; 624-625 : 64, 130, 237 ; 12111212 : 130 ; 1348-1349 : 64, 130 ; 1430 : 112 Polyxène, F. 469, v. 1-2 : 114 ; F. 523 : 66, 91, 105, 135, 136 ; Trachiniennes, 121 : 87 ; 273 : 112 ; 282 : 87 ; 501 : 125 ; 524 : 111 ; 1053-1054 : 29 ; 11431144 : 130, 132 ; 1161 : 87 ; 1202 : 65
à Euripide Phéniciennes, 274 : 255 à Eschyle Euménides, 387 : 112 Sept contre Thèbes, 856 : 98 à Hésiode Théogonie, 119, 719, 721 : 73 ; 727 : 36 ; 727 a et b : 74 ; 736, 738 : 30 ; 739 : 94 ; 812 : 72 à Homère Iliade, VI, 153 : 237 ; VIII, 13 : 23, 74 ; VIII, 16 : 23 ; VIII, 367 : 89 ; VIII, 369 : 92 ; XIII, 415 : 89 ; XV, 37 : 92-93 Odyssée, IV, 563 : 141, 143, 148 ; IV, 567 : 142 ; X, 509 : 108 ; X, 510 : 120 ; X, 514-515 : 93-94 ; XI, 14 : 50 ; XI, 51 : 56 ; XI, 277 : 89 ; XI, 568, 570 : 80 ; XI, 573, 577, 588 : 81 ; XI, 593 : 82 ; XXIII, 296 : 53 ; XXIV, 1 et 11 : 53 à Lycophron Alexandra, 174 : 145 à Pindare Olympiques, II, 25-30 : 159 ; II, 102 b : 173 ; X, 110 : 86 Pythiques, IV, 76 d : 90 ; V, 135 b : 61 ; IX, 1 : 159 à Sophocle Œdipe à Colone, 1558 : 126 Trachiniennes, 501 : 126 Sémonide d’Amorgos F. 1, v. 13-14 et 18-19 ; F. 7, v. 117118 : 140 Simonide, F. 9 : 151 ; F. 558 : 145 Solon : 178 ; F. 18, v. 7-10 : 140 Sophocle : 15, 40, 62-66, 70, 86, 90-91, 102, 104-105, 111-114, 117, 125-127, 129-133, 135-136, 138, 150-151, 156, 184, 204 Ajax, 394-396 : 87, 125, 129 ; 517 : 63, 87 ; 571 : 63, 66 ; 606 : 131, 138 ; 633 : 66 ; 655 : 150 ; 660 : 63, 125 ; 845-859 : 132 ; 865 :
362
Fragments : F. 269 c (Radt), v. 19 : 134 ; F. 837 : 154 ; F. 956 : 119 ; F. 1060 : 162 La Souda : s. v. Ἠλύσιον πεδίον : 143 s. v. Καλλίας : 165 Stésichore : 39, 48 ; F. 184 : 168 ; F. 185 : 48 ; F. 232 : 136 ; F. 254 : 39 Stobée Eclogarum physicarum et ethicarum libri, I, 49, 50 : 96 ; 49, 61 = citation de Porphyre : 143 Strabon V, 3, 1 : 124 VIII, 5, 1 : 162 ; 8, 4 : 139 X, 2, 9 : 146 XII, 3, 36 et 7, 1 : 124 Thalès : 14 Thébaïde, F. 3 : 60 Théocrite XVI, 52 : 29 XVII, 47 : 96 Théognis : 178 Poèmes élégiaques, I 243-244 : 60, 86, 126, 136 ; 425428 : 62, 90, 130 ; 567-570 : 62, 130 ; 703 : 60 ; 705 : 97 ; 707-713 : 90, 127-128, 130, 237 ; 725-728 : 86, 140 ; 765-768 : 140 ; 917 : 60,
86 ; 973-976 : 60, 62, 86, 125, 136 ; 1007-1011 : 140 ; 1014 : 60, 86, 128 ; 1033-1036 : 40, 74, 110 ; 1124 : 86 ; 1296 : 86 Théolyte (de Methymna ?) FGrH 478, F. 1 : 47 Théophraste Des causes des plantes, II, 9, 14 : 120 Recherche sur les plantes : 120 III, 1, 3 : 120 ; 13, 7 et 14, 2 : 121 VII, 13, 2-3 : 122 Timocréon, F. 5 : 96 ; F. 731 : 40 Timon, SH 779, v. 7-8 = Protagoras 80 A 12 : 42 Tyrtée, F. 5, v. 4-5 : 140 ; F. 8, v. 5-6 : 120, 131 Tzetzes Scholia in Lycophronem : 188 : 145 Scholia in Aristophanem, Grenouilles : 142 : 245 ; 146 a : 156 ; 186 b : 162 ; 221 a, 268 : 164 Virgile Enéide, VI, 201 : 28 ; 237-238, 241, 273 : 114 ; 305-316 : 256 ; 548, 551 : 114 ; 273 : 28 ; 552-554, 573-574, 593-598, 631 : 90 ; 676, 678-679, 703 : 114 Géorgiques, IV, 467-470 : 162 Xénophon, Cyropédie, 8, 7, 21 : 172
INDEX GENERAL Les chiffres renvoient au numéro de page. Les termes peuvent se situer dans le corps du texte et / ou dans les notes. Les planches, annexes, bibliographie, index et table des matières ne sont pas répertoriés. Les adjectifs sont donnés au masculin singulier, ainsi que les noms qui possèdent un double genre (par exemple, « gardienne » se trouvera sous l’entrée « gardien »). Nous avons inclus dans les notes quelques mots grecs fondamentaux pour notre sujet : ils sont classés par ordre alphabétique de leur transcription en alphabet latin (par exemple λειμών se situera comme s’il s’écrivait « leimôn », θύρα comme s’il s’écrivait « thura »). achérontique, 63, 102, 105-106, 113, 160, 264 Achille, 9, 24, 55, 79-80, 91-92, 105, 116, 119, 139, 145 Actéon, 204, 270 action, 14, 17, 78-82, 100, 104, 106, 135, 138, 156, 160-162, 165-166, 170-171, 178, 183-185, 189, 202, 204, 206-208, 214, 221, 235, 240241, 244, 248, 268, 270, 276-277, 281 activité, 13, 80, 136, 143, 270 adieu, 129, 132-133, 209-210, 247, 258 aède, 23, 83, 92, 122, 133 Afrique, 52 Agamemnon, 43, 64, 79, 90-91, 97, 99, 101-103, 111, 135-136, 180 âge, 146, 148, 151, 177, 203, 205, 260 agenouillé, 196, 198, 223-224 agissement, 157 agitation, 75, 103 agora, 169 agréable, 96, 98, 117, 121-122, 131, 144, 148, 151 agrément, 119, 122, 151 agricole, 153 Agrigente, 171 Aiaiè, 45-47 aile, 40, 135, 241, 251 ailé, 40, 189, 196, 198, 200, 202, 209, 212, 217, 228-229, 241, 251, 256, 258-261 aimable, 117, 151 air, 23, 50, 73-74, 166, 181, 219, 258
abîme, 24, 27, 29, 31, 36, 39, 41, 64, 73, 128, 164 abondance, 19, 66, 87, 92, 94, 117, 121, 123-124, 131, 143, 147-148, 150, 155, 158, 189, 215, 217, 255, 278 abord (n. m), 10, 14, 19, 32, 55, 57, 69, 96, 100, 102, 110, 115-116, 121, 160, 183, 198, 200, 202, 207, 231233, 235, 248, 261, 265-266, 268, 271, 273, 279 abrupt, 93, 103, 108-109, 111, 113, 116, 235, 240-241, 248, 274, 279, 281 absence, 31, 38, 62, 73, 79, 82, 94, 108, 116, 119, 124, 133-134, 138, 142, 148, 163, 174, 176, 199, 200-201, 208, 210, 261, 270, 275-276, 278, 280 accès, 29, 39-40, 51, 54, 70, 72-73, 75, 80, 88, 91, 106, 111-112, 128, 142, 144, 147-148, 157, 167, 169, 172173, 178, 232, 236, 262, 268, 274 accidenté, 107, 108, 110-112, 116, 183, 232, 241-242, 244, 249 accueillant, 96, 122-123, 133, 205 accumulation, 28, 66, 114, 127, 131, 138, 169 Achaïe, 108 Achéloos, 199, 200, 243-244 Achéron, 40, 63, 91, 93-98, 102-103, 105, 106, 108-113, 124, 127, 131, 135-136, 168, 215, 217, 232, 254, 256, 262, 268-269, 277, 279
365
anticipation, 24, 32 Anticleia, 49-50, 215, 218-219 Antigone, 63-66, 87, 104-105, 112, 131-132 antithèse, 35, 64, 75, 78, 113, 115-116, 127, 129-131, 137, 146-147, 150, 157, 168, 177 antre, 59, 122 anxiété, 122, 151 Aphrodite, 85 à-pic, 107, 249 apogée, 190, 233 Apollon, 16, 38, 40-41, 75, 92, 98, 108, 111, 117-118, 121, 131, 140, 203204, 214, 236, 270 apparence, 165, 176, 183, 238-239, 258, 265, 271 appartenance, 36, 115, 189, 201, 218 approche (n. f.), 120, 133, 247 apulien, 194, 142 aquatique, 94-95, 106, 117, 149, 255, 262, 264 arbitraire, 178 arbre, 10, 81, 107, 117, 120-123, 150151, 158, 195-201, 206, 208, 221, 226, 245, 249, 254, 267-268, 275277, 281 arbrisseau, 200 arbuste, 197, 199 arc, 80, 202-203, 227-229 Arcadie, 110, 139 Arcésilas, 61 archaïque, 10, 14, 26, 31-32, 34-35, 50, 67, 82, 116, 133, 135, 141, 145, 159, 184, 189, 201, 204-205, 208, 216, 231, 237, 241, 250-252, 255, 268269, 273-276, 278, 281 architectural, 71, 73, 83-88, 90-91, 195, 214, 218, 221, 226-227, 230, 246, 267, 274-277 architecture, 10, 70, 84-85, 88, 90, 137, 221, 227, 241, 267, 269, 274 architrave, 196, 221, 223, 224-226, 242 Arginuses, 163 Argonautes, 145
airain (voir aussi bronze), 31-32, 34, 36-37, 72-73 Ajax, 9, 62-63, 66, 80, 112, 125, 129, 131-132, 138, 203, 238 alabastre, 203, 234, 259, 264 Alceste, 16, 63-66, 88, 90, 105-106, 112, 127, 132-133, 135, 255, 279 alentours, 70, 122, 207, 230, 233 Alkinoos, 122, 142-143 ἄλσος (voir aussi bois et bocage), 117118, 122-123, 158, 254 altitude, 114 ambigu, 24, 119, 178, 235, 280 ambiguïté, 24, 38, 59-60, 90, 104, 115, 127, 139, 198-201, 208, 222, 235, 274-275, 280 ambivalence, 149, 279, 281 ambroisie, 138, 237 âme (voir aussi eidôlon), 14-16, 40, 4244, 47, 49, 52-53, 55-56, 59, 61, 67, 71, 77-83, 85, 87, 89, 91, 95, 99105, 108, 111, 116, 119, 124, 126127, 133-136, 139, 141-144, 149151, 154-157, 162-163, 169-178, 180-181, 183-185, 189, 202-203, 212, 214-216, 221, 238, 251, 256, 261, 268-270, 273, 276-278, 280281 amer (n. m.), 45, 102, 107, 116 amour, 16, 118-119, 133, 270 Amphiaraos, 60, 208-209, 211 Amphimédon, 43 amphore, 40, 189, 193-201, 204, 210, 221-227, 229-231, 238-245, 248, 251-253 amplification, 41, 137 anakalypsis, 262 âne, 161-162, 252-253, 268 angoissant, 75, 155, 281 angoisse, 62, 122, 127, 133, 137-138 animal, 135, 145-146, 163, 207, 222, 253 anodos, 210-213, 217, 248, 268, 281 anse, 201-203, 226 antichambre, 52, 55
366
attitude, 79, 81, 196, 201-202, 208209, 211, 214, 217, 219, 222, 234, 239-240, 243, 257, 270-271, 278 attrait, 96, 119, 133 attribut, 18, 80, 189, 203, 229, 240, 245, 260 au-delà (n. m., voir aussi Enfers, Hadès, royaume infernal), 9-10, 1317, 19, 35, 42, 44, 55, 62, 88-91, 95, 104-105, 107, 113-116, 119, 125, 127, 132, 137, 139, 142, 152-158, 160, 163, 170-171, 174, 177, 178179, 183-185, 190, 193, 196, 199, 201, 204, 217, 219, 231, 235-237, 243, 245-246, 248, 261, 264-265, 268-269, 271, 273-277, 280-282 aurore, 49, 207 autel, 207-208 aventure, 44, 99, 116, 122, 190, 194, 225-226, 241, 245-246, 255, 267 Averne, 45, 102 averse, 142
Argos, 89, 194, 228, 230 Ariane, 270 aride, 110, 249, 254 arme, 223, 229 arrière-train, 222, 225, 228, 230 arrivée (n. f.), 51-52, 58, 79, 122-123, 148, 160, 205, 209, 231-232, 240, 255, 262 Artémis, 203, 210, 236 artisan, 201, 205, 210, 219, 230, 233, 240, 247-248, 260-262, 267-268, 273, 278, 280 artiste, 17-18, 194, 201, 206, 215, 217, 222-223, 227, 233, 235, 239-240, 243, 251-252, 261, 266-267, 270271, 273, 278, 281 Asie, 52 Asopos, 237 asphodèle, 55, 57, 80-81, 83, 95, 116, 119, 121, 124-125, 183, 255, 276 assimilation, 40-41, 88, 110, 122, 129, 135, 250 assourdissant, 93-94, 109, 134-135 astre, 23, 157, 181 Athéna, 75, 103, 109, 118, 122, 194200, 206-207, 210, 219, 222-227, 229, 230 Athènes, 16, 98, 113, 156, 158, 162, 169, 180, 184, 189, 199, 205-206, 209, 212, 214, 227-228, 233-236, 238-239, 250-251, 253, 257, 259261, 263, 271 athénien (n. et adj.), 155-156, 159, 162163, 169, 190, 204, 233, 265, 279 Atlantique, 45 Atlas, 32, 36-38, 91, 249 atmosphère, 70, 73, 75, 77, 121, 124, 133, 136, 142, 147, 151, 180, 205, 213, 217, 219, 269-270, 281 Atossa, 100 attique (n. et adj.), 63, 139, 169, 189190, 194-195, 207, 216, 218, 227, 230, 232-233, 237-238, 241-242, 246-247, 251, 267, 271, 282
baie, 45, 203 bandelette, 203, 235, 257, 260, 263264 banquet, 24, 145, 151 barbe, 229, 234-235, 240, 244, 255, 259-264 barbu, 203-204, 211, 218, 224-225, 229-230, 234-235, 238, 241-243, 251, 257-259, 264 barque (voir aussi bateau, canoë, canot, embarcation), 40, 67, 97-98, 102, 105-107, 114, 160-161, 163, 165167, 233-236, 241, 255-265, 269, 277, 281 barrière, 31, 93, 110, 115, 219 bas (n. et adj.), 23, 26-27, 29-30, 3842, 59-61, 63-65, 67, 74, 78-79, 110, 204, 206, 210, 241-242, 249, 255 bas-relief, 205, 219, 247 base, 73, 205-206, 208, 218, 264
367
213, 215, 218, 225, 232, 241, 253, 267 Borée, 46-47, 58, 118 borne (n. f.), 89 bosquet, 117-120, 158, 197-199, 201, 215, 244-245, 254, 274-276 bothros (voir aussi fosse), 59 botte, 234, 259 bouche (n. f.), 44-45, 61, 90, 100, 111, 180, 198, 212-213, 255, 271 bouclier, 24-25, 59, 69, 118, 126, 129, 134-135, 138-139, 202, 230 bourbier, 112, 153, 155-157, 160-161, 167-168, 184, 254, 279 bourrasque, 73 branche, 150, 196-197, 199-201, 203, 221, 226, 254 bras, 25, 33, 93-94, 103, 108, 111, 200, 203, 206, 208-210, 222-226, 228229, 234-235, 238, 240, 243, 247, 249, 255, 257, 259-260 Briarée (voir aussi Hécatonchire et Cent-Bras), 34 brillance, 146, 150, 278 brillant, 10, 23, 53, 70, 72, 98, 123 brise, 74, 98, 142, 144, 150-151 bronze (voir aussi airain), 52, 70-72, 135 brouhaha, 109 brouillard, 51, 74-75, 94, 127 bruissement, 151 bruit, 109, 124, 134-137 brume, 51, 54, 74, 94, 126-128 brumeux, 31, 49, 51, 74-75, 94, 126127 bûcher, 87, 145 buste, 205, 209, 211, 213, 218, 222, 241
bateau (voir aussi barque, canoë, canot, embarcation), 46-48, 98, 103, 107, 166, 248, 255-256, 259, 261, 263 bâtiment, 84, 218 bâton, 203, 209, 222, 225, 264 batracien (voir aussi grenouille), 107, 165-166, 279 battant (n. m.), 70, 89 béant, 31, 32, 60 beauté, 117-118, 146, 149, 150-151, 157, 261, 278 bélier, 215, 225 bénéfice, 153-154 bénéfique, 96, 155, 278 Béotie, 214 berge, 46, 102 bicéphale, 197-200, 222-224, 230-231, 240 bienheureux (n. et adj.), 44, 46, 113114, 123-124, 141-152, 158, 172179, 183, 185, 252, 269, 277-278 bienveillance, 153 bige, 208 blanc, 40, 52-54, 57, 98, 102, 106, 108, 121, 141, 145-146, 180, 190, 196, 202, 207-208, 216-217, 225, 228231, 233, 235, 238-245, 251, 255, 259-260, 264-265, 267, 271, 275 blancheur, 53, 145 blé, 148, 240, 243-244 blessure, 223 bleu, 127-128, 151, 263 bocage (voir aussi ἄλσος et bois), 117119, 122, 124, 158, 168, 254 bois (voir aussi ἄλσος et bocage), 5153, 57, 88, 107, 116, 118, 120-122, 157, 197, 203, 227, 252-254 boisé, 117 bonheur, 133, 136, 147-148, 150-151, 154, 172, 175, 178, 277 bonnet, 234, 259-260 bonté, 153 bord, 24, 44, 80, 100-101, 105, 107, 113, 121, 125, 147, 167, 197, 201,
caché, 35, 39-40, 42, 75, 127, 129, 164-166, 228, 249 cachette, 42, 60, 66 cadavre, 61-62, 99, 139, 209, 277 cadre, 23, 59, 69, 83-84, 116-117, 124, 146, 155, 184, 195, 198, 200-201,
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Cent-Bras (voir aussi Hécatonchire, Briarée, Cottos, Gyès), 30 centre, 23, 25, 44, 55, 102, 196, 198199, 209, 211, 215, 217-219, 222, 225-227, 229-230, 233-235, 240, 244, 247, 257, 260, 262, 264, 268, 281 céramique, 17, 19, 190, 194-195, 197, 201, 206, 216-217, 219, 224, 228, 237-238, 241-242, 265, 267, 271, 274-276, 278-279 Céramique (Athènes), 180, 250-251 Cerbère, 27, 37, 51, 90, 97, 105, 113, 130, 135, 159, 163, 169, 189, 193202, 205-208, 215, 221-231, 237241, 243-246, 248, 251, 259, 267269, 271, 273-276, 278, 280 Cerbérien, 161-163 cercle, 26, 46, 58, 189, 251 cérémonie, 11, 98, 184, 210 chaîne, 108, 115, 196, 199-200, 222225, 229-231 chair, 27, 29, 94 chaise, 224, 229-230, 243, 248 chaleur, 74, 131-132, 139, 145, 147148, 158 chambre, 48, 71, 87 champ, 27, 42, 112, 128, 132, 138, 144, 148, 150, 170, 177, 199-200, 205, 222, 231, 240, 243-245, 253, 257, 264, 281 Champs-Elysées, 13, 19, 114, 140-144 changement, 14, 53, 58, 69, 72, 78, 90, 101, 124, 137, 144, 165, 246, 264265, 267, 270-271, 277, 281 Chaos, 36 chapiteau, 196, 221, 224, 227 char, 109, 207-210, 212 Charon, 40, 67, 97-98, 102, 105-107, 114, 160-161, 163-166, 169, 190, 233-236, 241, 248, 254-265, 268269, 277, 279-281 chasse, 9, 116, 194 château, 176, 278
207-209, 211, 213, 219, 221, 227, 267, 275-276 caducée, 196, 198, 200, 202, 204, 209, 211-212, 217, 229, 234, 259-261 Caere, 194-195, 222 Calypso, 117, 122 Cameirô, 215 campagne, 13, 110, 116, 278 Campanie, 102 canoë (voir aussi barque, bateau, canot, embarcation), 258 canot (voir aussi barque, bateau, canoë, embarcation), 255 cap, 45, 63, 107, 161 cap Leukatas, 45 cap Ténare, 63, 161 Capanée, 144 capture, 189, 193, 198, 200, 205-207, 221-222, 225-226, 231, 241, 244, 248, 259, 267-269, 273-275, 278 caractéristique (n. et adj.), 13, 35, 56, 61, 74-75, 82-83, 98, 100, 114, 125, 158, 170, 189-190, 199, 218-219, 230, 232, 234, 236, 244, 257, 260, 264, 270, 274 carquois, 227-229 carte, 35, 45, 47 cascade, 93, 106, 108, 113, 134-135 casque, 134, 217, 224, 228 Cassandre, 91, 111 catabase, 42, 59, 80, 82, 92, 126, 159, 160, 207, 216, 227, 245, 267, 270, 273-274 catalogue, 69, 79, 82, 85, 129, 136 caverne, 50, 61, 207 cavité, 39, 63 Caÿstre, 117 cécité, 218, 219 cécryphale, 211 Célée, 153 céleste, 14, 23, 25, 42, 48, 60, 67, 133, 137, 149, 179, 181, 185, 280 Celte, 141 cendre, 119, 176
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clarté, 74, 129, 131-133, 142, 147, 157, 177 clémence, 158 Cléoboia, 256 climat, 94-96, 134, 137, 142, 147-150, 155, 157-158 climatique, 143, 177, 278 clos, 29, 85, 88-89, 158, 280 Clytia, 215 Cocyte, 93-94, 97, 99, 103, 105-106, 108-113, 135-136, 168 cœur, 112-114, 117, 128, 147, 166 coffre, 235 coffret, 234, 263 col, 195-196, 210-211, 223-224, 238, 244 colère, 136, 153, 198, 236 collier, 198, 225, 233 colline, 29, 110-111, 232, 236, 238239, 241-242, 244, 249, 268 colonne, 10, 85-86, 89, 168, 195-203, 205, 208, 211, 215, 221-230, 239243, 267-269, 274-278, 281 comédie, 15-17, 66, 114, 155, 160, 164, 184, 280 comique, 16-17, 157-158, 165-166, 169-170, 184, 255 communication, 72, 189, 208, 212-213, 264 compagnon, 43, 45, 47, 160, 215-216, 218-219, 247, 277 compensation, 176 comportement, 135, 153, 236 composant, 35, 122, 134 composante, 27, 29-31, 44, 67, 72, 95, 116, 118-119, 122-123, 158, 262 composition, 14-15, 34-35, 42, 60, 6264, 66-67, 78, 83, 88, 108, 196-197, 206-207, 214-215, 217, 219, 224, 232, 234-235, 242, 247, 249, 259, 261, 264, 267-268, 270, 277-278 configuration, 75, 108, 124, 191, 207, 243, 278-279, 281 confins (voir aussi eschatia), 29-30, 32-33, 35-36, 38, 43-44, 49-50, 58-
châtiment, 81, 138, 154, 156-157, 168, 171, 174-175, 180, 183, 185, 190, 202-204, 226, 228, 230-231, 236238, 240-241, 244-245, 247-253, 268, 270 chaussure, 196, 198, 200, 202, 209, 217, 229, 234 chauve-souris (voir aussi cheiroptère), 135 cheiroptère (voir aussi chauve-souris) , 135 chemin, 10, 17, 63, 79-81, 112, 149, 160, 163, 165, 199, 201, 206, 212, 228, 235, 279 cheval, 109, 189, 197, 207-209 chevelure, 129, 239 cheveux, 211, 218, 225, 228-230, 234235, 240, 244, 251, 255, 257, 259, 260-262 chien, 51, 89, 90, 135, 163, 169, 193200, 206-207, 222-226, 228-230, 240, 246, 267, 270, 274 chiton, 225, 243, 257, 258, 260 chlamyde, 204, 234, 235, 259 Chloris, 270 chœur, 66, 75, 97, 100-101, 104-105, 156, 164-167 choreute, 164-165 chouette, 197, 222 chtonien, 228 chute, 26, 34, 48, 92-93, 109, 111, 243 ciel, 23-26, 30-33, 35, 37, 47-48, 59, 61, 64, 90-91, 109, 115, 171, 181, 185, 274 cime, 113-115 Cimmériens, 38, 45-47, 50-52, 54, 57, 94, 133-134, 163 Circé, 43-46, 49-54, 58, 78, 99-102, 107, 116, 120, 160-161, 197, 216217 cité (n. f.), 13, 46, 55, 86, 116, 169, 179 civilisation, 91, 281 civilisé, 83, 110, 274 clameur, 136
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cosmographie, 44 cosmologie, 48 cosmologique, 41, 274 cosmos, 33, 9, 25 côte, 107 Cottos (Voir aussi Hécatonchire et Cent-Bras), 34 cou, 209, 223 couchant, 32, 38, 48-50, 54 coucher (n. m. ), 27, 36, 38, 42, 47-48, 54, 205 coude, 217, 235, 260 couleur, 53, 74, 104, 121, 127-128, 132, 150, 178, 209, 216, 261, 264, 270, 278, 280 coup, 97-98, 211 coupe (n. f.), 47-48, 144, 189, 194, 202, 204, 225, 227, 230, 237-239, 241-243, 246-247, 249 courant (n. et adj.), 11, 47-48, 52, 84, 88, 93-95, 102-103, 106, 109, 111112, 130, 135, 153, 159, 170, 179, 184, 238, 244, 253 couronne, 209, 211, 254 couronné, 151, 158, 211-212 cours, 11, 25, 35, 47, 49-50, 52-53, 58, 80, 83, 92, 94, 97, 102, 107, 109, 111, 116, 138, 147, 155, 168, 198, 205, 219, 236-237, 249, 258, 268, 278 course, 42, 48, 50, 58, 177, 253 coutume, 118, 169-170, 184 couvercle, 42, 89, 210-211, 253 crainte, 40, 104, 118, 137, 248 cratère, 198, 201-206, 208-209, 211213, 218-219, 225, 227, 232-233, 242, 248 création, 17, 82, 99, 104, 124, 128, 138, 153, 191, 214, 216, 254, 267 crémation, 119, 180 Créon, 64 Crète, 46 crête, 114, 237 Créuse, 118 cri, 93, 109, 134-136, 210, 271
60, 67, 115-116, 141, 149, 158, 168, 183, 201, 205, 207-208, 243, 280 confirmation, 168, 178, 252 confluent (n. m.), 108, 275 confusion, 32, 38, 40, 69, 114, 279, 281 connotation, 27, 51, 124, 128, 155, 201, 226 conseil, 43, 99, 101, 138, 159, 216, 229 consistance, 134 constante, 99, 105, 107, 116-117, 122, 124, 195, 262, 280 construction, 19, 25, 31, 55, 60, 71, 85, 89, 103-104, 131, 141, 149, 168, 275 consultation, 44, 77, 189, 218-219, 271, 278 continent, 87, 98 contradiction, 29, 31, 33, 38, 80-81, 102, 131, 151, 237, 280 contradictoire, 16, 35, 41, 58, 144-146, 181 contraste (n. m.), 74, 79, 111, 115, 123, 154, 157, 175 contrée, 52, 83, 114, 122, 141, 147, 155, 158, 178, 184, 208, 244, 254, 278 copie (n. f.), 47, 195, 221, 247 corbeau, 161-162 corbeille, 234-235, 259-260, 262, 264 corde, 166, 252, 254, 270 Coré, 118-119, 189, 209-211 Corfou, 45 Corinthe, 236 corinthien, 194, 227-228 corne, 90, 189 corps, 13, 61, 73, 88, 97, 143, 145, 155, 171-172, 180-181, 185, 190, 194, 196-197, 228-229, 239, 243, 259, 261, 270 corruption, 170, 184 cortège, 105, 195 cosmique, 26, 30, 33, 37-38, 48, 58-59, 89-90, 115, 134, 183, 212-213, 237, 275
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décoration, 227, 230, 242-243, 255, 277 déesse (voir aussi dieu et divinité), 43, 131, 153, 158, 168, 189, 197, 210212, 219, 223, 226-227, 238, 240, 242, 245 défunt, 9, 13, 16, 55, 61, 78, 82-83, 9091, 95, 99-100, 101, 104-105, 115, 123, 126, 133, 135-136, 140, 144, 174, 202-203, 215, 231, 234-236, 251, 256, 258-259, 261-262, 265, 269-271, 279 degré, 27, 71, 235, 262, 264 Délos, 98 Delphes, 9-10, 14, 18, 27, 77, 90, 102, 156, 168, 190, 197, 213-214, 218, 237, 248, 250, 254, 268, 276 démarcation, 115 Déméter, 16, 60, 85-86, 92, 117-119, 125-126, 140, 153-154, 158, 164, 184, 189, 209-213, 224, 240 demeure (n. f.), 32-33, 36-37, 48, 59, 61, 69, 72, 78, 80, 84, 86-89, 91, 9495, 99, 105-106, 109, 111, 114-115, 125, 128, 132, 134, 136-137, 142, 151, 160-161, 165, 169, 183-184, 196, 198, 200, 203, 207-208, 222, 225-228, 242 demi-dieu, 168, 190, 247 démon, 241-242, 269 Démophon, 140, 153 dénivellation, 114, 195, 197, 206, 208 dent, 135 départ, 34, 45, 51, 58, 63, 80, 98, 144, 159, 161, 169, 199, 207-208, 223, 233, 240, 253, 275 descente, 38, 40, 42, 60, 63, 77, 107, 155, 159, 170, 202, 245 descriptio Tartari, 28, 34, 134, 137 désert, 52, 116, 117, 183 désertification, 120, 122, 124 désertique, 249 désolation, 117, 120 destin, 11, 75, 115, 139-140, 145, 155, 245
crime, 156, 173, 175-176, 185, 237, 250 criminel (voir aussi damné, réprouvé, supplicié), 14, 41, 77, 81-82, 112, 156-157, 167, 176, 178, 183, 190, 231, 236-237, 240-242, 244, 248, 251, 268-269, 276-277, 279 croc, 197-198, 207, 223, 270 crocus, 118 Cronos, 149, 176 croyance, 14-16, 43, 58, 78, 141, 172, 178-180, 185, 204, 228, 233, 255, 265 cueillette, 118 cuisse, 217, 235, 260 culte, 119, 157, 168, 170, 184-185, 250, 257 cultivé, 115-116, 144, 280 culture, 11, 13, 145, 172, 273 cycle, 173-176, 178, 193, 277 Cycle épique, 15 Cyclope, 24, 38, 146, 165 Cyriaque d’Ancône, 218 damné (voir aussi criminel, réprouvé, supplicié), 80, 82, 204, 231, 236, 238, 241, 243, 248, 251-253, 276 Danaïdes, 250, 252 Danaos, 250 danger, 125, 281 Danube, 145 Darius, 66, 99-101, 104 débarcadère, 167, 241 débarquement, 113 débit, 109, 111 déchéance, 178 déclivité, 110 décomposition, 27 décor, 18, 81-82, 84-85, 122-123, 129, 138, 166, 194, 196, 205, 211, 221, 225, 227, 232-233, 244, 247-248, 262, 264, 267-268, 271, 275, 278 décoratif, 200, 214, 226, 244, 250, 252, 255, 276-277, 281
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doctrine, 172, 179, 280 domaine, 9-10, 13, 27, 29-31, 35, 4041, 45, 48, 50, 55-56, 59-60, 63-64, 75, 81, 83, 85, 88, 90-91, 95, 99, 101, 105, 108, 110-112, 114, 116, 119, 122, 124-126, 128, 130-131, 134-135, 137, 139, 156, 167, 170, 179, 184, 198, 201, 205, 208, 210, 216, 219, 232, 236, 243, 262, 265, 267-270, 273, 275, 280-281 domestique, 90, 222 domestiqué, 144 dorique, 196, 199, 202, 211, 221-230, 240, 242-243 dos, 33, 40, 92, 131, 196, 202-203, 218, 226-227, 229, 241, 252 douceur, 74, 115, 123, 140, 142, 147, 149-150, 154, 157-158, 175, 177, 223, 278 douleur, 93, 96, 98, 132, 135, 176 doux, 117, 122-123, 148, 151 dramaturge, 75, 181
destination, 116 destinée, 75, 143, 157, 176, 204, 218 détresse, 132-133 devin, 43, 99, 208, 213, 217, 232 dieu (voir aussi déesse et divinité), 2526, 31, 33-34, 48, 59, 62-65, 71, 73, 75, 85, 92-93, 101, 105, 115, 117118, 125, 129, 131, 134, 137-138, 142-144, 147, 149-152, 157-161, 167, 172, 176-177, 183, 189, 194195, 198-200, 203-204, 206-207, 209, 211, 213, 217, 219, 222, 226227, 229-230, 232, 234-235, 237, 240, 265, 267, 277 difficile, 9-11, 33, 39-40, 42, 80, 83, 111-112, 134, 142, 157, 164, 170, 175, 179, 189, 200, 206, 246, 260, 267 difficulté, 16, 28, 39, 48, 58-59, 64, 70, 75, 92, 103, 109, 130, 166, 175, 193, 214, 258, 275 Dionysos, 9, 67, 106-107, 113, 155, 158-161, 163-170, 176, 256, 274, 279-280 direction, 10, 32, 42, 49-52, 165, 198, 207, 229, 235, 242, 247, 258 disparition, 18, 48, 154, 164, 167, 190, 199, 208, 214 disposition, 93, 101, 106, 110, 129, 160, 165, 169, 197, 201, 206, 215, 222, 233, 235, 240, 252-253, 270, 277 disque, 25, 48-49 distance, 25, 31, 35-36, 115, 122-123, 164, 168, 281 distanciation, 158, 160 diurne, 47-48, 50 diversification, 121, 267 divin, 25, 84, 114-115, 118, 121, 138, 143, 147-151, 171-172, 176, 178 divinité (voir aussi déesse et dieu), 27, 36, 40-41, 63, 65, 67, 71, 84, 101, 117-118, 124, 138, 144, 147, 153154, 171, 176, 181, 183-184, 211, 265
Eaque, 113, 161, 163, 168, 169 eau, 27, 30, 33, 40, 45-46, 48, 51, 9197, 100, 102-104, 106-111, 114, 116-117, 121-122, 135, 138-139, 142, 149, 155, 164, 204, 217, 231, 238, 249-254, 262-264, 268-269, 274-276, 278-279 eccyclème, 166-167 écho, 63, 75, 104, 130, 136 éclat, 53, 70, 72, 74, 127, 131, 133, 146, 150, 281 ecphrasis, 214 édicule, 223, 225-226 édifice, 71-72, 85-86, 90, 169, 214, 218, 224-227, 240, 242-243 effrayant, 75, 91-92, 113, 119, 135137, 168, 235 effroi, 93, 103, 114, 138, 158 Egée (mer), 98 Egine, 237 Egypte, 46, 115, 142 égyptien, 18, 48, 90, 142, 144
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eidôlon / eidôla (voir aussi âme), 228, 251, 255, 256-261, 265 élargissement, 10, 178-179, 277 élément, 10, 13-14, 19, 27, 30, 34-36, 38, 44-45, 52-53, 55, 58, 65, 70, 73, 77, 81, 83, 91, 95, 100, 113-114, 116-117, 122, 126-127, 134, 136, 151, 155, 161, 170, 180, 183-184, 190, 195-197, 200-201, 205, 209, 214-215, 217, 219, 220-221, 226, 229-231, 233-234, 239-241, 244, 247-248, 252-253, 257, 264-265, 267-268, 269, 274-279, 281 éleusinien, 189, 210-211, 254 éleusinisme, 14, 179 Eleusis, 16, 153, 155, 157, 159, 164, 169, 209-210, 212, 250 élévation, 109, 207, 249 Elide, 108 éloignement, 27, 29, 32, 34, 38, 92, 147, 149, 271, 282 Elpénor, 49, 55-57, 102, 203, 216-217, 232, 235, 254, 269, 271, 278, 281 élyséen, 115, 124, 141, 178 embarcation (voir aussi barque, bateau, canot, canoë), 40, 97, 106, 166, 248, 257 embarquement, 167, 258, 269 embouchure, 145, 219 émergence, 67, 104, 119, 208, 219 Empédoklès, 239 empire, 142, 146, 265 emplacement, 13, 88, 144, 264 Empuse, 167-168 encaissé, 109, 111, 114 enceinte (n. f.), 28, 52, 71, 85, 88 enchaîner, 39, 75, 194, 197-198, 201, 222-223, 230, 246, 270 enchantement, 151 enchanteur / -teresse, 157, 160, 271 enclos, 28, 101, 124 enclume, 25, 31 encolure, 194, 225
enfant, 33, 36, 55, 99, 105, 125, 153, 158, 179, 234-235, 250, 258, 260, 271 Enfers (voir aussi au-delà, Hadès, domaine, royaume, séjour), 10, 14, 16-18, 27, 33, 44, 46-47, 49-53, 5866, 75, 78-83, 85, 88-92, 94-95, 97, 99-100, 105, 107-108, 110-113, 115, 121, 123-128, 131-138, 142, 154156, 158-163, 167-170, 173-174, 177, 181, 183-184, 189-191, 193195, 198, 200, 202-208, 210, 212213, 215-222, 224, 226-228, 230232, 235-238, 240-250, 252, 254256, 259, 265, 267, 273-280, 282 engloutissement, 27, 205, 208, 209 enlèvement, 118, 141, 153, 158, 176, 205, 210, 222 ensevelissement, 61 ensoleillé, 155, 184, 279 ensoleillement, 155 entablement, 195, 221, 224, 242 entrée, 10, 27, 29-33, 36, 45, 51, 53, 55, 61, 70-71, 73, 79-80, 85, 88-90, 95, 106, 114, 123, 134, 141, 160, 162-163, 167-168, 183, 195-196, 198, 207, 217, 223-224, 226-228, 230-232, 235-236, 240, 243, 245, 248, 251, 254, 267, 269, 274, 280 énumération, 17, 53, 81-83, 106, 118, 123, 161-162, 169, 270 épaisseur, 127-128, 212, 218 épaule, 204, 207, 211, 222, 227, 232, 234, 238, 246, 259, 262-263, 270 épée, 217, 219, 223, 229-230, 239 éphèbe, 203, 239, 258 Epictétos, 239 épinicie, 97, 175, 179 épique, 15, 27, 38-39, 42, 48, 59-62, 65-66, 73, 84, 86-87, 90-92, 95, 97, 104, 110-113, 117-118, 125-126, 128, 132, 138, 145, 170, 178, 183, 245, 255 épisode, 14, 17, 34, 43-44, 53, 77, 99, 104, 138, 159, 167, 190, 194-195,
374
esquif, 105 Esquilin, 114, 216 Est (point cardinal), 36, 38, 45, 47-49, 52, 58, 101 étage, 23, 58, 90 étang, 107, 158 étape, 105, 154, 185 état, 9, 26, 38, 46, 52, 55, 73, 77-78, 96, 125, 137, 148, 150, 165, 172, 218, 250 étendue (n. f.), 10, 13, 15, 39, 85, 95, 106, 111, 164, 275, 279 Etéocle, 97 éternel, 125, 130, 150, 162, 177-179, 253, 279 éternité, 148 éther, 23, 179-181, 185 Ethiopien, 47, 51 éthique, 178, 270 étranger, 73, 114, 139, 169-170, 252, 268 étrangeté, 36, 109, 124, 129, 242 être (n. m.), 9, 24, 32, 56, 65, 127, 135137, 140, 143, 147, 150-151, 154, 161, 169, 172, 175-176, 180, 185, 204, 219, 251, 280 étroit, 29, 33-34, 52, 95, 141, 238, 243, 245 Etrurie, 194 étrusque, 204, 218, 232-233, 271 Euménide, 39, 66, 104, 112, 117, 130, 137, 156-157 Europe, 52, 118 Eurydice, 159 Euryloque, 219 Eurymachos, 249 Eurynomos, 27, 90, 168, 269, 277 Eurysthée, 193-194, 222, 225-226, 240 Evadné, 87, 133 évocation, 16, 33, 41, 59, 61, 66, 7782, 96, 99, 101-102, 109, 117, 119, 124, 138, 141, 149, 160, 175, 178179, 207, 214-215, 219, 232, 244, 268-269, 273, 276, 278
197, 202, 205, 209, 213, 215, 222, 224, 226, 231, 233, 237, 243-245, 248, 251-253, 267, 278 épitaphe, 180 épopée, 9, 15-16, 39, 62, 83, 106-108, 155, 157, 159-160, 178 épouvante, 137 époux, 87, 159, 250 équinoxial, 177 Erèbe, 50, 57, 59, 78-81, 83, 125, 132, 143, 217, 219 Erétrie, 233 Erinys / Erinyes, 66, 104, 126, 129, 156, 183, 228 Eris, 97 Eros / Cupidon, 209 errance, 44, 78, 115, 151, 271 Erymanthe, 200 Erythéia, 168 Erythie, 46, 48 escalier, 211 escarpé, 39, 56, 61, 107-109, 111-112, 115, 157, 232, 249 escarpement, 93, 107, 109, 116, 124, 249 eschara, 40, 255-256, 258 eschatia (voir aussi confins), 50 eschatologique, 153, 170, 178-179, 184, 201, 222 eschyléen, 62, 66, 99, 101, 103, 156 esclave, 99, 159, 160, 163, 165, 167 espace, 13-15, 18-19, 23, 31-32, 48, 50, 52, 55-56, 58, 64, 70-71, 73, 75, 77, 79, 82-83, 85, 88, 115-116, 123-124, 141, 153, 157, 159, 164, 167-168, 170, 174, 178, 184, 189, 191, 197198, 200-202, 205-206, 213-215, 217, 220-221, 224, 227, 231, 233, 235-237, 240, 243, 248, 254, 256, 264-265, 268-269, 273-278, 280281 espèce, 121, 136, 199 espérance, 137, 153-154, 175, 178, 280 espoir, 14, 105, 137, 152-153, 175, 253, 269, 280
375
feu, 16, 74, 93-94, 208 feuillage, 123, 151, 200, 276 feuille, 121, 123, 199, 252, 262 feuillu, 198-199, 262-263 fidèle, 18, 34, 138, 153, 218, 221, 247, 255 figue, 122 figuier, 123 figuratif, 189 figure (n. f.), 14, 18-19, 40, 154, 189190, 194-196, 200-203, 205-206, 209-216, 219, 223-225, 227-229, 231, 233, 238-239, 241-242, 246247, 249, 251, 255, 257-259, 261, 264, 267-270, 277, 281 fille, 25, 33-34, 36, 45, 92-93, 97, 118119, 129, 138, 153, 164, 210, 212, 235, 237, 246, 250, 254 fils, 33, 40, 43, 49, 63, 79, 128, 145, 153, 176, 203, 214, 267 flèche, 41, 80, 139, 203-204, 229 fleur, 96, 117-119, 120-121, 124, 151, 155, 158, 254, 278 fleuri, 113, 117, 151, 155, 158, 184 fleuve, 13, 24, 40, 45-49, 52, 55, 57, 59, 67, 80, 84, 88-89, 92-99, 102103, 105-107, 109-111, 115-117, 120, 122, 134-135, 137, 160, 162, 168, 183-184, 215, 232, 237, 253256, 262-263, 265-266, 274-275, 278 flore, 122, 149-150, 254 flot, 24, 67, 96, 103, 109, 146, 219, 281 Foce del Sele, 241 fonction, 13, 15, 26-27, 29, 33-34, 41, 64, 66, 70, 88, 90, 94, 97, 134, 137138, 153, 168, 170-171, 177, 189, 200, 212, 216-217, 221, 232-233, 238, 259, 263, 265, 267, 273-274, 276-278, 282 fond, 16, 25, 29-30, 32, 35, 39-41, 45, 48, 67, 75, 78, 98, 102, 106, 114, 125, 132, 134, 165-166, 190, 207209, 216-217, 222, 226, 228, 231,
évolution, 10, 13-15, 17-18, 33, 38, 40, 97, 110, 142, 160, 166, 184-185, 190-191, 204, 208, 232, 267, 269, 273, 276 exagération, 17, 129, 138, 279 existence, 14, 16, 26, 48, 56, 92, 119, 133-134, 138, 143, 147, 154, 171175, 177-179, 183, 185 exomide, 234, 235, 258, 259, 260, 262 exploit, 35, 44-45, 102, 228, 230, 269273 extérieur, 46, 48, 72, 81, 85, 115-116, 139, 141, 166, 218, 222-223, 247, 254, 276 extraordinaire, 136, 149 extrémité, 24, 27, 29-34, 37-38, 40, 4546, 49, 59, 72, 80, 141, 145, 147, 227, 269, 275 exubérance, 148 fabuleux, 149, 151 facile, 145, 147-148, 177, 189, 210 fagot, 252-253, 268 faille, 31, 33, 109, 206, 210, 212, 219, 281 falaise, 108-109, 112-114, 232 fange, 155-156, 167-168 fantôme, 90, 170, 219, 261 fascinant, 119, 278 faute, 86, 156-157, 171, 173, 175, 193, 198, 236-237, 257 fauteuil, 230 faveur, 28, 58, 67, 88, 111, 113, 115, 139, 141-142, 147, 152, 154, 164, 179-180, 185, 204 fécondité, 11, 122, 149, 151 félicité, 117, 137, 149, 154, 178 femme, 67, 69, 79, 85, 87, 129, 136, 168, 203, 205-206, 210-211, 218, 228, 233-235, 245, 247, 250-252, 258-260, 262-264 fer, 52, 70 fertile, 118, 124, 148-149 fertilité, 95, 117, 124, 143, 145, 148149
376
funéraire, 9, 48, 55, 145, 185, 190, 203, 233, 235, 257, 259, 261, 267, 278 funeste, 75, 103-105, 121, 128, 131, 133, 201
233, 235, 238-239, 242, 252, 255, 260, 264-265, 267, 271, 281 fondateur, 153 fondation, 16, 36, 153 fondement, 24, 36, 77, 180, 185 fontaine, 111, 169 force, 95, 101, 104, 111, 138, 171, 196, 203, 205-206, 217, 228, 232, 241, 243, 246, 260 forfait, 156 forteresse, 73, 149 fortification, 71 fosse (voir aussi bothros), 47, 59, 7880, 82, 101-102, 108, 136, 184, 207, 216 foudre, 63, 83, 144, 189, 204 foudroyé, 144 fouet, 242 foule, 256 fracas, 109, 134-135 fraîcheur, 148 frayeur, 158 frère, 40, 55, 279 fresque, 9, 114, 216 frise, 198-199, 201-202, 204, 211, 215, 217, 224-225, 229, 235, 243, 247, 255, 260, 278 frisson, 93, 139 froid, 93, 132, 139 froideur, 139 frontalier, 113, 116, 184, 265 frontière, 10, 30-31, 44, 49, 52, 54-58, 60, 64, 70, 72-73, 85, 89, 91-92, 95, 97, 105, 107, 115, 139, 154, 163, 178, 183-184, 196-197, 200-201, 209, 213, 219-220, 231, 236, 259, 264-266, 268-269, 271, 273-276, 279-281 fronton, 218, 264 fruit, 120-121, 123, 143, 148, 150-151, 240, 242, 245, 247, 262 fruitier, 117, 123, 254 fumée, 180 funèbre, 11, 55-57, 79, 89, 98, 179, 203, 205, 261
gaffe, 102, 106, 234-235, 257, 259, 263 Gaïa, 119 galet, 219 Ganymède, 141 gardien, 36, 51, 73, 89, 92-93, 125, 169, 193-194, 207, 255, 280 gargouille, 225, 227 Gela, 233 gémissement, 96, 98, 136, 180 gemme, 204 généalogie, 45, 92, 255 genou, 196, 202-203, 211, 219, 234235, 244-245, 259, 270 géographie, 10, 14, 17, 28-29, 52, 54, 83, 90, 110, 152, 160, 170, 178, 184-185, 268, 275, 277, 282 géographique, 23, 27-29, 35, 41, 50, 52-53, 55, 59, 80, 101, 110, 139, 141, 162, 214 géomorphologie, 103, 107, 111, 231, 248-249, 254 Géryon, 46, 48 geste (n. f.), 189, 193, 267 geste (n. m.), 97, 196-199, 203, 206, 210, 212, 223-227, 229, 230, 235, 240, 242, 256-259, 261-262, 268 Gibraltar, 45 glace, 139 glacé, 74, 139 glacial, 74, 93, 137, 139 glaive, 232 gonflement, 103, 111 gorge, 28-29, 31, 71-74, 107, 109, 111, 114 Gorgone, 13 gouffre (voir aussi χάσμα γῆς), 28-32, 39, 41, 59-60, 66, 71, 119, 131, 183, 205, 208-209, 211, 219 gouvernail, 106, 255 gradation, 178
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habité, 27, 29, 32, 115-116, 139, 141, 147, 149, 274 habitude, 81, 101-103, 126, 165 Hadès (voir aussi au-delà, Enfers, domaine, royaume, séjour, souverain), 10, 13-14, 16-19, 23, 26, 29-31, 33, 36-37, 39-47, 50-64, 6667, 69-70, 72, 74-75, 77-95, 97-99, 101, 105-106, 110-116, 119, 121, 123, 125-126, 128-136, 138-139, 141, 146, 153-156, 158-163, 167174, 176-179, 181, 183-185, 189191, 193-203, 205, 207-210, 212, 215-216, 219-232, 236, 239-248, 250, 255, 264-265, 267-269, 271, 273-282 Hadès céleste, 14, 67, 179, 185, 280 haine, 137, 139, 270 haïr, 31, 93, 137, 139 haïssable, 26, 137 halte, 161, 169 hapax, 36, 41, 103, 114, 124, 131, 143 haut (n. et adj.), 23, 29, 33, 38-39, 42, 45, 60-61, 64-65, 67, 74, 78, 84, 109-110, 112-114, 118, 120, 123, 127, 135, 177, 206, 208, 216, 225, 232, 235, 238, 240, 242, 249, 257260, 263 hauteur, 29, 35, 107, 109, 110-113, 115, 138, 149, 205, 232, 241, 247, 253, 260 Hécate, 206, 210-212, 228 Hécatonchire (voir aussi Cent-Bras, Briarée, Cottos, Gyès), 24, 28-29, 34, 36 Hector, 85 Hélios (voir aussi soleil), 47-48, 207 hellénistique, 13, 15, 185, 206 Héra, 71, 109 Héraclès / Hercule, 9, 15, 48, 64-66, 75, 80-82, 87, 89, 92, 97, 105-106, 113, 125, 130, 132, 136, 155, 159161, 165, 167-169, 189-190, 193202, 205-208, 215, 217, 222-231,
grain, 153 graine, 120-121 Grande-Grèce, 42, 171, 179, 194, 233 grec (n. et adj.), 9-11, 13-15, 17-19, 27, 32, 36, 45-46, 48, 50, 52, 58-59, 69, 71, 77, 83, 85-86, 89-93, 100, 104, 115, 121, 123, 125-126, 130, 137, 142, 149-151, 155, 159, 168-169, 184, 189-191, 204, 208, 214, 218, 220-221, 234, 238, 241, 245, 247248, 261, 269-270, 273-275, 278279, 281 Grèce, 13, 19, 115, 121, 141-142, 145, 169, 179, 233, 271, 282 grenade, 245, 262 grenadier, 123 grenouille (voir aussi batracien) , 17, 39, 66-67, 86, 97-98, 102, 106, 100, 112-114, 116, 124, 151, 155, 157160, 163-168, 170, 177, 184, 245, 254, 256, 262, 279 grenouille-cygne, 164-165, 167 grimpeur, 238 grincement, 135 grondement, 107, 109, 135 grotte, 90, 114, 207, 212, 231, 248 groupe, 60, 63, 84, 131, 174, 190, 194196, 198-200, 202-203, 205, 211, 214-218, 223-224, 226, 229, 238, 240, 244-245, 250, 254, 265, 269, 277, 278 guerre, 11, 16, 77, 92, 99, 162, 165, 179 guerrier, 131, 180, 238, 258, 270 gueule, 198, 274 Gyès (voir aussi Hécatonchire et CentBras), 34 habileté, 236-237, 277 habit, 18, 238, 260 habitant, 46, 60, 63-65, 83, 87, 142145, 147, 149, 151, 169, 175 habitation, 13, 33, 83, 87, 88, 147, 207, 229, 243
378
166, 168-172, 176-177, 180, 185, 202-205, 208-211, 213, 218-219, 234, 237, 239, 242, 246-247, 250, 252-253, 258, 260, 262-264, 268, 275-277, 279, 281 honneur, 16, 55-57, 79, 89, 92, 98, 151, 168-169, 203, 261, 269 horizontal, 29, 38, 67, 218, 225, 227, 243, 263 horizontalité, 38, 275 horreur, 75, 93, 123, 137, 138-139, 157, 205, 261, 270 hostile, 94, 103, 116, 123, 279 hôte, 143, 157, 169, 214 humain (n. et adj.), 9, 13-14, 40, 56, 58, 71, 73, 75, 84, 87, 94, 115, 135136, 140, 143, 148, 154, 157, 161, 169, 172, 176, 228, 241, 265, 275, 280-281 humide, 84-85, 94-95, 105, 121, 155156, 157, 183, 254, 278 humidité, 94-95, 105, 107, 117, 122, 124, 137, 139, 155, 158, 179, 255, 262, 277-278 humour, 158, 163 hybris, 204 hydrie, 189, 194-195, 197, 200, 223224, 226-227, 229-230, 251 hydrographie, 91, 97, 99, 101, 103-105, 114, 250, 254 Hyperboréen, 149 Hypnos (voir aussi sommeil), 33, 3738, 55, 70, 233-234, 257-258, 261, 279
237-238, 241, 243-247, 251, 255, 265, 267-269, 273-274, 276 herbe, 117-119, 124, 151 Hermès, 40, 47, 52-53, 67, 74-75, 77, 91-92, 95, 100, 108, 110, 114, 117118, 121, 135, 154, 190, 193-202, 204, 206-207, 209-212, 217, 222227, 229-230, 232-236, 240, 256257, 259-261, 265, 269, 274, 279, 280 héroïne, 14, 77, 79, 83, 215, 276-277 héros, 9, 14, 43-45, 49, 51, 58, 77-80, 82-83, 101, 116, 132, 144-145, 147, 149, 151-152, 158, 160, 176, 178, 189-190, 193-194, 196-197, 199207, 209, 215-217, 219, 222-224, 229-231, 236-240, 243, 246, 265, 267, 269, 273, 276-277, 279 hésiodique, 15, 28, 30, 35, 37-38, 41, 58, 69, 71, 73, 75, 118, 134-135, 139, 145, 175, 177, 183, 207, 273, 278, 280 Hespérides, 32-33, 36, 38, 44, 46, 47, 91, 244 heureux, 154-155, 185 himation, 228, 234, 255, 259-260 Hippolyte, 41, 65, 70, 88, 91, 132, 270 Hipponium, 149 historique, 44, 58, 144, 163 hittite (n. et adj.), 48, 51, 90, 144-145 hiver, 49, 51, 142 homérique, 14-17, 23, 26-29, 38-41, 43-44, 46, 54, 57, 59-61, 63, 66, 69, 71, 73-75, 77, 83, 85-86, 92, 95, 97, 99, 103-104, 107-111, 114-115, 117-119, 121-128, 130, 132, 139, 141, 148, 153-154, 158, 160, 163, 170, 175, 183-185, 193, 196-197, 209-210, 212-213, 215, 217, 232, 241, 255, 265, 269, 276-281 hommage, 11, 101 homme, 14, 16, 40, 46, 52, 56, 61, 73, 83, 95, 98, 109-110, 113, 115-116, 120, 130-133, 135, 137, 139, 144145, 147, 152-154, 157-158, 163,
Iacchos, 169 ici-bas, 10, 55, 89, 95, 105, 107, 116, 119, 163, 178, 183, 196, 201, 203, 219, 236, 243, 261, 265, 268, 273, 277, 281 iconographie, 9-11, 14, 17-18, 102, 190, 194, 204, 213, 227-229, 231, 236-239, 242, 248-251, 256, 258, 267-268, 271, 275-276, 280-281
379
iconographique, 9, 13, 19, 82, 85, 187, 190, 194, 204, 209, 213, 216, 228, 235, 237, 239, 241, 252, 255, 267, 271, 276, 279, 281-282 idéal, 13, 143, 148-149, 278 idyllique, 96, 118, 123, 176, 277 île, 32, 44-46, 49, 58, 98, 101, 107, 117-118, 122, 124, 141-143, 145152, 158, 172-178, 185 Ile Blanche, 141, 145-146 île des Bienheureux, 44, 46, 124, 141143, 145-152, 158, 172-173, 175178, 185, 277-278 iliadique, 42 Ilion, 214 Ilioupersis, 19, 214, 249, 277 illusion, 216, 222, 253, 258, 263, 282 image, 9-10, 17-19, 25, 30-31, 35, 4041, 44, 61, 63, 67, 75, 83-85, 87, 89, 98-99, 114-116, 129, 135-136, 142, 149, 169, 171, 177, 183-184, 189191, 193-196, 198-199, 201, 205, 207-208, 213, 219, 221, 224-225, 228, 230-232, 236-238, 241, 244248, 250-251, 253, 255, 257-258, 261, 265, 268-269, 271, 273- 276, 279-280 imagerie, 189-190, 193-194, 208, 219, 221, 248, 262, 275, 277 imagier, 19, 203, 273-274, 276, 279, 281 imaginaire, 10, 13, 19, 44, 58, 88, 91, 103, 113-117, 123, 141, 158, 162, 214, 220, 248, 273, 278, 281-282 imagination, 9, 48, 80, 157, 160, 162, 167, 183, 198, 214, 219, 227, 280 imberbe, 202, 218, 233-234, 239, 260 imitation, 104, 115-116, 160, 217 immensité, 89, 92, 106, 275 immobile, 72, 79, 166, 184, 202, 223224, 270 immobilité, 79, 102, 138 immortalité, 138, 141, 146, 179-180, 280
immortel (n. et adj.), 24, 137, 140, 143144, 147, 149, 153, 171, 180, 217, 232, 237 immuabilité, 72, 74 immuable, 72 impénétrable, 39 impétueux, 98, 102-103, 109-111, 135 impétuosité, 73 impie (n. et adj.), 110, 157, 228, 254 implacable, 156 impraticable, 112, 116 inaccessible, 152, 278 inaction, 79 inarticulé, 136 incarnation, 173, 175, 176 inconsistant, 134, 280 incorruptible, 143, 150 indestructibilité, 72 indestructible, 70 indication, 43, 45, 51-52, 79, 84, 150, 155, 165, 169, 198-199, 201, 212, 215, 221, 233, 248, 254, 277, 281 indo-européen, 48, 50, 53, 62, 71, 94, 127, 137, 141-142, 144 indo-iranien, 141 indompté, 110 inébranlable, 72-73 inférieur, 15, 25-26, 30, 36, 39, 41, 48, 195, 201-203, 207, 209, 219, 238 infernal, 10, 13-19, 23, 26-27, 33-34, 40-41, 43-47, 51-53, 55-56, 58-59, 61-67, 70, 73, 77, 79-80, 82-86, 8897, 99, 101-117, 119-127, 129-132, 134, 136-142, 146-147, 152-163, 165-170, 174-175, 177-179, 183185, 189-191, 193-205, 207, 209210, 212-213, 215-217, 219, 221226, 228-237, 239-243, 245, 248251, 253-257, 261-262, 264-271, 273-282 infini (n. et adj.), 39, 46, 96, 130, 233, 264 infinité, 41 infranchissable, 10, 31, 60, 88-89, 115116, 184, 220
380
Iphigénie, 64, 133, 180 Iris, 33, 92 isolé, 66, 116, 145, 180, 202, 260, 275, 277-278, 280-281 isolement, 29, 138, 147, 149, 265 Italie du Sud, 14, 216, 237, 241, 282 Ithaque, 43, 58, 99, 108 itinéraire, 43, 45, 52 Ixion, 204
inhabituel, 85, 128, 137, 212, 218, 255 inhospitalier, 91, 108, 110-111, 116, 123, 183, 282 initiation, 154, 177, 184-185, 251-252 initiatique, 170, 210 initié / non-initié, 14, 113-114, 116, 124, 149, 153-158, 160-161, 165, 167-169, 177, 179, 184-185, 204, 250-252, 263, 269, 277-279 injustice, 175, 178 innocence, 150 innovation, 16-18, 67, 153, 160, 163, 205, 264, 267, 277-278 inquiétant, 93-94, 115, 123, 125, 137, 278 inquiétude, 62, 124-125, 128, 269, 271 inscription, 9, 19, 180, 185, 189, 201, 203, 207, 211-212, 216, 225, 229230, 232, 246 insécurité, 147 insolite, 136 intempérie, 142, 148 interdiction, 89 intérieur (n. et adj.), 14-17, 19, 36, 4647, 69-72, 77-82, 85, 87, 92, 97, 100-101, 105-106, 110-111, 114, 116, 121, 123-124, 135, 154-155, 166-167, 169, 183-184, 195-197, 200, 202-203, 207-208, 215-216, 222-224, 226-228, 232, 236, 238241, 243, 245, 247, 249, 254, 259, 268, 271, 276-279, 281 intériorité, 72 intermédiaire, 24, 54-57, 61, 77, 95, 119, 179, 197, 200, 228, 230, 243, 257, 275, 277, 279, 281 interpolation, 28-29, 32-33 invisibilité, 125, 134, 165, 189, 275 invisible, 13, 39, 66, 75, 104, 125, 131, 134, 164, 166, 198, 211, 219, 228, 281 invocation, 101, 132, 205, 213 Iolaos, 200, 224 ionien, 42, 139, 249 ionique, 195, 197, 224
jacinthe, 118 jambe, 197, 202, 205, 208, 211, 251, 257-260, 263 Japet, 29 jardin, 44, 142-143, 148 Jason, 87 joie, 98, 132, 136, 157, 169, 172 jonction, 30, 33, 37, 59, 94, 115, 215, 225, 240, 275 jouissance, 147, 236 jour, 14, 25-26, 29, 31, 36-38, 48, 51, 54, 58, 67, 74-75, 85, 126, 130, 146, 154, 160, 177, 204-205, 207, 279 juge (n. m.), 156-157, 161, 171 jugement, 31, 149, 156, 170-175, 178, 185 juste (n. et adj.), 15, 33, 141-142, 172, 181, 277 justice, 14, 156-157, 177, 181 Kère, 128-129, 131, 135 kylix, 239, 247 labeur, 147, 253 lac, 81, 94-95, 100, 102, 104, 106, 113, 160-161, 163-168, 249, 253-254, 262, 276-277 Laconie, 90 laconien, 194, 237, 239, 241-242, 249 Laërte, 43, 79 laideur, 157, 259, 261 laisse (n. f.), 195, 197-198, 222, 225 lamentation, 93-94, 97-98, 136, 233, 256, 258, 261
381
littérature, 10, 14, 17-18, 27, 32, 48, 50, 59, 63, 100, 115, 141-142, 152, 155, 183, 185, 193, 202, 204-205, 207-208, 226, 231, 237, 248, 266, 273-277, 279-282 localisation, 19, 23, 26-28, 31, 35-36, 38, 40-41, 43, 45-46, 50, 53, 59-60, 66-67, 131, 142, 145, 147-148, 158, 160, 168-169, 181, 193, 195, 198, 201, 204-205, 210, 213, 218-219, 229, 240, 275, 278, 280 locus amoenus, 122-123, 158, 278 locus horridus, 123, 278 lotus, 96, 124 loutrophore, 233 lueur, 72 lugubre, 136, 137 lumière, 27, 36-37, 42, 49, 53-54, 57, 67, 74, 90, 124, 126, 129-133, 137, 145-146, 150-151, 154, 157, 195196, 218, 280 luminosité, 127, 133 luxuriance, 117-118, 157, 278 Lycurgue, 204 lyrique, 15-17, 38-40, 42, 60, 62, 66, 73, 86-87, 90, 95, 97, 104, 110-111, 124, 135, 157, 159, 170, 178, 184185 lys, 118
lance (n. f.), 196, 202, 219, 224, 229, 246-247, 263 langue, 51, 104, 126, 198 larme, 96, 136, 177 lécythe, 40, 98, 102, 106, 190, 195, 199, 202, 207-209, 211, 213, 217, 227-228, 231, 233-236, 238-239, 241-242, 244, 246, 248, 250-253, 255-265, 267, 269, 271, 278-279 légende, 11, 44, 54, 99, 121, 145, 159, 176, 245, 250 λειμών (voir aussi prairie), 94-95, 113114, 117-119, 122-123, 149-150, 157 leitmotiv, 29, 98 lékanè, 210 léontè (voir aussi lion), 80, 195, 199, 202, 206, 224-225 leschè (des Cnidiens à Delphes), 9, 14, 27, 77, 102, 156, 168, 190, 197, 204, 213-214, 217-218, 249-250, 254, 268, 276-277 Léthé, 56, 97, 161-162 Léto, 203, 236 Leucade, 108, 146, 279 levant (n. m.), 45, 48 lever (n. m.), 36, 38, 47, 67 libation, 66, 100, 103, 255 libération, 143, 189 lierre, 262 ligne, 24, 160, 177, 195, 201-202, 207209, 211-212, 214-219, 225, 243, 247, 252-253, 259, 277-278, 281 limite (n. f.), 23-24, 26-27, 30, 32, 38, 41, 44-45, 49, 52, 55-56, 70-72, 84, 89-91, 116, 163, 219, 224, 264-265, 274-275, 277, 280-281 lion, 196, 199, 229 lit, 67, 86, 218 litanie, 136 littéraire, 15, 17-19, 77, 114, 153, 175, 183, 185, 190, 193, 196, 201, 204, 209, 213-214, 228, 235, 237, 245246, 250, 255, 270, 274, 279, 281
Macédoine, 115 magicienne, 43, 101, 120 magistrat, 156 magnifique, 118 maillet, 211 main, 34, 73, 97, 110, 195-200, 202204, 209-212, 217, 219, 222-225, 227, 229-230, 232-235, 240-242, 244-246, 255, 257-264, 268, 270 maison, 32, 36, 41, 45-46, 57, 71-72, 82-88, 91, 127, 161, 167, 197, 200, 221, 225, 227, 243, 276 maître, 11, 97, 89, 189 maladie, 147, 149 malaise, 155
382
mer, 27, 29, 30-31, 33-34, 36, 38, 45, 52, 58-59, 61, 92, 95, 98, 106-108, 127, 145-146, 177 mer Noire, 145 mère, 63, 97, 101, 154, 159, 203, 210, 212, 218, 234-236, 260, 271 merveille, 117, 123 mésopotamien, 159 Métanire, 153 métaphore, 36, 42, 97-98, 103, 131, 135 métempsychose, 10, 14, 175, 178, 180, 185, 277 métonymique, 40, 88, 221 métope, 196, 206, 229, 237-238, 241, 246 meurtre, 101 meurtrier, 136 miel, 123, 148 ministre, 135, 184, 265, 278-279 Minos, 80-81, 161, 270 miroir, 218, 232-233, 271 misérable, 175 modification, 18-19, 104, 110, 155, 161, 180, 271, 282 mœlleux, 117 monarque, 83 monde, 9, 13, 15-16, 19, 23-27, 29-31, 33, 36, 38, 44-45, 48, 54-61, 64, 6667, 70, 72-73, 83, 85, 89-91, 93, 96, 98, 102-105, 107, 110, 115, 117, 119, 125, 128-131, 134, 136-139, 141-143, 146, 149-151, 158, 161, 163, 167, 169-170, 172, 177, 183184, 194, 196-198, 200-201, 204206, 208-209, 213, 215, 217-219, 231-232, 235-237, 256-257, 259, 261, 264-265, 269, 271, 274-275, 277-278, 280-281 monocéphale, 206-207 monocéphalique, 206 monstre, 27, 46, 90, 160-161, 167-168, 184, 194, 196, 242, 274 mont, 112, 115, 242
maléfique, 155 malheur, 98, 103, 138, 154 malhonnêteté, 156 malsain, 94-96, 103, 122, 155 manteau, 129, 202, 218, 234, 258, 262 marais, 94, 101-103, 105-106, 113, 254, 263-264, 279 marbre, 72, 180, 205-206, 218 marche (n. f.), 161, 167, 195, 200 marécage, 103, 105, 113, 217 marécageux, 102, 105, 107, 113, 116, 165, 217, 254, 269, 271 mariage, 118, 133, 250 maritime, 35, 51, 120, 163, 169 marqueur, 184, 198, 202, 205, 215, 221, 235, 240, 265, 268, 276 Marsyas, 9, 204, 269-270 massue, 80, 196-199, 201-202, 206, 222-225, 227, 229-230, 246-247 matérialiste, 62 matériau, 70, 72 matériel (adj.), 13, 84, 148, 151, 154, 169, 236 matricide, 156, 228 mauvais, 51, 94, 142, 154, 165, 171172, 174-175, 277 Médée, 65, 87, 90, 180 médiateur, 11, 206 Méditerranée, 45 méditerranéen, 142 Méduse, 117, 202 méfait, 173, 237 Mélampyge, 163 Méléagre, 97, 202-203, 205 Memnon, 270 mémoire, 11, 78, 83, 97, 134, 179, 198, 217 menaçant, 198, 222, 228 menace (n. f.), 40, 72, 127, 134, 281 Ménélas, 140, 145, 151 Ménoitios, 59 mentalité, 17, 234, 264-265, 281-282 menton, 202, 217, 254 mentonnière, 203
383
montagne, 111, 241-243, 245, 248, 251, 253 montagneux, 81, 108, 110-117, 207, 217, 232, 235-236, 271, 274 monticule, 203, 242 moralité, 154, 185 mort (n. et adj.), 9, 11, 13, 15-16, 19, 27, 33, 40-44, 46, 48, 54-59, 61-63, 65-67, 72, 77-79, 83-85, 87-91, 94, 97-101, 105-108, 111-112, 115-116, 118-123, 125-137, 139-141, 144146, 149, 154-156, 158-160, 163164, 169-172, 176, 178-181, 183185, 197, 201, 203-205, 207, 209, 213, 215-219, 226-228, 232-234, 236-238, 243, 245-246, 251, 255271, 273-281 mortel (n. et adj.), 40-41, 60, 84, 90, 94, 96-97, 124, 133, 140, 143, 145147, 152, 156, 158, 171, 190, 232, 238, 269, 278 mouvement, 27, 42, 59-60, 62-65, 7879, 97, 109, 165-167, 219, 222, 246, 249 multitude, 28, 85, 87, 136, 155 mur, 34, 37, 71, 84-85, 88-89, 218, 225, 227, 243 muraille, 70, 86, 144 murène, 168 Muse, 158, 270 museau, 206, 223 musique, 151, 271 mutilation, 100 Myrmidon, 55 myrte, 158 mystère, 14, 16, 125, 153, 157, 159, 170, 177-178, 184-185, 199, 204, 250-251, 262, 271, 279 mystérieux, 61, 213, 265 mythe, 11, 18-19, 47-48, 99, 118, 146, 153, 159, 175, 178-179, 195, 206, 210-211, 237, 239, 250-253, 268, 281
mythique, 25, 38, 44, 58, 95, 102, 110, 115, 122, 145-146, 158, 170, 178, 184, 265, 273 mythologie, 11, 18, 48, 118, 159 nage, 98, 107 naiskos, 242 Naples, 45, 199, 210, 223, 225, 227, 238, 242-244 narcisse, 118-119 nature, 13, 91, 110, 115, 137, 144, 150151, 173, 183, 276, 280-281 naturel, 52, 55, 73, 115, 120, 145, 151, 231, 270, 274-275 naufrage, 107 naufragé, 61, 113 navigation, 58 navire, 45, 49, 98, 107, 131, 135 nécromanteion, 100, 101, 124 nécromancie, 101 nectar, 237 négatif, 119, 124, 130, 136, 142, 147, 280 négation, 27, 74, 103, 110, 115, 131, 133, 137-138, 154, 175, 178, 184, 280 négativité, 116 neige, 139, 142 Nékyia, 14, 17-18, 43-44, 47, 53-55, 58, 77-78, 82-83, 90, 97, 99, 102, 124, 138, 156, 190, 197, 201-204, 213-217, 231-232, 234, 236-237, 248-252, 254, 256, 258, 264, 268270, 276-277 nékyomancie, 44 nénuphar, 262, 264 Nérée, 27 Néréide, 27 nez, 234-235, 259-261, 263 Nikè, 97 Nil, 52 Niobé, 41, 70, 108, 204 niveau, 14, 23, 30, 33, 37-39, 59, 61, 71, 89-90, 107, 115, 133, 153, 193, 202, 208-209, 211-213, 215-216,
384
143, 147-149, 151, 183, 207, 274275, 277, 280 Océanide, 210 océanique, 59 Ocnos, 215, 231, 251-253, 268 ode, 140, 170, 202 odeur, 122, 133 odieux, 112, 139, 237 odysséen, 104, 124, 203 Œdipe, 40, 64-66, 75, 90, 102, 105, 112, 117, 127, 129, 131-133, 136, 156 œil / yeux, 74-75, 117, 126, 130, 134, 218-219, 224, 232, 235, 258-259, 261, 264, 270, 271 œnochoé, 196, 199-201, 222 Œta, 112 offrande, 101, 215, 233, 236, 251, 255, 257, 265, 278 oikoumène, 145, 274 oiseau, 39, 103, 111, 135-136, 162, 197, 222, 226, 235, 241 Olénos, 108 olfactif, 122, 278 olivier, 123-124 olpè, 194, 199-200, 231 Olympe, 23, 25, 35, 71, 74, 90, 115, 142-143, 149, 159, 207, 230, 237 Olympie, 202, 206, 230, 246 olympien, 26, 138, 142, 147, 207 Olympos, 270 ombragé, 127, 151 ombre, 32, 34, 56, 61, 72, 74, 78, 8083, 90, 95, 120, 125-129, 135-136, 151, 154-155, 168, 171, 217, 219, 232, 271 ombreux, 74, 114, 127, 132 ondulation, 253 ondulé, 247, 259, 262-263 opacité, 127 opaque, 74, 128 opposé, 13, 23, 25, 47, 49-50, 78, 85, 101, 111, 113-114, 116, 125-127, 130, 150, 207, 252, 270
231, 235-236, 247, 259, 263, 268, 275, 277-278 noble, 171-178 nocher, 105-106, 160-161, 164-165, 167, 169, 233-236, 241, 248, 255265, 269, 279 nocturne, 48, 88 noir, 54, 66, 86, 97-98, 112-114, 120122, 127-129, 131, 145, 189, 194195, 200-201, 206-207, 211-213, 215-216, 223-225, 227, 229, 231, 233, 238-239, 241-242, 251, 255, 257-261, 264 noirceur, 51, 125, 127-128 Nonacris, 110 Nord, 45-46, 48, 142 Nord-Est, 46 Nord-Ouest, 46, 141 nourriture, 122, 138, 144, 147 nu, 40, 234-235, 238-239, 241-242, 244-245, 247, 251-252, 256-258, 260-261 nuage, 94, 207 nuée, 23, 39, 51, 54, 67, 75, 94, 127128, 133-134, 180 nuit, 29, 32-33, 36-38, 48, 55, 69, 72, 74, 88, 91, 125-136, 150, 177, 207 nymphe, 59, 118 objet, 15, 18, 33, 74, 135, 143, 146, 150-151, 159, 217-218, 222, 232, 242, 251, 263-265, 274, 281 obole, 256 obscur, 49-50, 83, 106, 115, 119, 122, 125, 128-129, 137, 262 obscurité, 38-39, 49-51, 57, 64, 73-75, 90, 121, 125-127, 129-132, 134, 155-156, 179, 197 obstacle, 89, 93, 95, 110 occident, 36, 48, 50, 141, 183 occidental, 29, 53, 58, 142, 168 occupation, 9, 82, 95, 151, 269-270 Océan / Océanos, 24-26, 29-30, 32-37, 41, 43-50, 52-53, 55, 57-60, 67, 89, 91-93, 95, 116-117, 135, 138, 141,
385
194-203, 205, 208, 221-227, 229230, 240, 242-243, 269, 275-276, 278-279, 281-282 Palamède, 9, 203, 269 palmette, 226, 229-230, 238, 241, 244 Pan, 108, 117-118, 213 Pandaréos, 254 paradis, 141, 147, 155, 158 paradisiaque, 142, 148, 149, 158, 168, 177, 201 parage, 56, 102 parent, 144, 157 parenté, 125, 131, 141, 144, 200 parfum, 122, 151, 158, 260, 263, 278, 280 parjure, 25, 138, 156, 168, 176, 183184, 228 parodie, 104, 106, 113, 158, 170, 184, 279 parricide, 156, 168, 184 particularité, 46, 74, 89-90, 170, 264 passage, 17, 28, 30-32, 34-36, 39-43, 45-47, 50, 54-56, 59, 70, 72, 77, 80, 83, 89, 91, 95, 100-101, 104-107, 110, 127, 135, 138-139, 141, 143, 146, 154, 159, 169, 171, 175, 178180, 197-198, 200, 205, 211-212, 215, 217, 219, 250, 255-256, 261262, 266, 269, 274, 276-277, 279280 passager, 106, 161, 258 passeur, 97, 255, 259, 280 pathétique, 129, 132 patrie, 43, 51, 233 Patrocle, 55-57, 92, 135 patte, 197, 200, 206, 225, 241 pâturage, 116, 122 pays, 13, 38, 40, 44-46, 50-55, 58, 77, 95, 112, 115, 122-123, 133-134, 140, 142, 145, 149, 151, 161, 169, 184, 216, 275 paysage, 13-15, 18-19, 30, 67, 75, 7778, 81-83, 95-96, 100, 102, 105, 107, 109-111, 113, 116-120, 123125, 137-138, 144, 147, 151, 155,
opposition, 18, 25, 35, 40, 50, 60, 64, 67, 74, 115, 122-123, 126, 129-130, 146, 150, 157, 171, 174-176, 212, 261-262, 277 oppression, 134 optimiste, 178 opulence, 148 or (n. m.), 47-48, 145-146, 148-151, 177 oracle, 100 orage, 142 oraison, 179 orchestra, 165-166 ordre, 16, 24-25, 34, 99, 122, 134, 138139, 183, 193, 199, 221, 237, 255256 ordure, 156 Oreste, 41, 65, 130, 132, 156 orient, 50 oriental, 48, 142, 106 orientation, 50 originel, 44, 51, 59, 87, 88, 138-139, 150, 164, 173 Orion, 9, 81, 116, 270 Orithye, 118 Orphée, 9, 142, 159, 162, 217, 249, 254, 271, 274 orphico-pythagoricien, 159 orphique, 142, 176, 180 orphisme, 14, 142, 155, 171, 179 Osiris, 90 oubli, 97, 134, 162, 199, 247 Ouest, 36, 38, 47-48, 50-51, 58, 141, 168 Outou (dieu solaire summérien), 48 outre-tombe, 122, 267 ouverture, 29, 60, 71, 89, 109, 213 oxymore, 102, 104, 120, 123, 129, 132 Paestum, 42, 89, 196-197, 224, 253, 264, 279 paisible, 123, 180-181, 205, 270 paix, 89, 162, 279 palais, 10, 33, 70, 83, 85-88, 90-91, 121, 136, 159-161, 167-169, 184,
386
personnage, 9, 16, 18, 40, 101, 129, 132-133, 138-139, 166-167, 169, 172, 179-180, 189, 195, 197, 199, 201, 203, 205, 207, 209-212, 214219, 221-222, 224-226, 228-229, 232-233, 238-242, 246-249, 251255, 258, 260-261, 264-265, 267270, 276-279, 281-282 perspective, 212, 215, 216, 240, 251, 277, 282 perte, 16, 132, 162, 164, 199 pétase, 198, 200, 202, 209, 211-212, 222, 229, 234, 257, 260-261 peuple, 38, 46, 50-52, 54-55, 57, 120, 141, 153, 163 peuplier, 120-122, 124, 245, 254, 197 peur, 26, 114, 128, 130, 134, 137, 139, 219, 229, 259, 261 Phase, 52 Phéacien, 46, 107, 118, 122 Phèdre, 118, 172, 254, 270 Phénicien, 41, 65-66, 105, 255 Philoctète, 64, 112, 237 Phorkys, 108 phorminx, 151 phormiskos, 238, 241, 248, 255, 264 pièce, 16-17, 39, 71, 87-88, 98-99, 101-102, 107, 127, 129, 132, 145, 155-156, 158-159, 165-166, 170, 179, 218, 245-246 pied, 52, 120, 160, 163, 166, 167, 195, 210, 212, 216-217, 219, 222, 225, 228-230, 233-234, 236, 239, 243, 251, 259, 261, 263, 268, 270 pierre, 52-53, 57, 62, 82, 94, 110, 113, 146, 163-165, 167, 204, 208, 218, 223, 225, 227, 229, 232-234, 236245, 247-249, 253, 268, 275 pieux, 149, 164 pilier, 86, 89, 197 pilos, 234-235, 255, 257-262 pinakes, 210 pindarique, 111, 158, 170, 177-179, 278
157, 161, 167, 170, 174, 183-184, 189-190, 193, 195, 201, 206-207, 209, 212-213, 215, 217, 219, 220221, 230-231, 234-235, 239, 241, 248-249, 256, 264-267, 269, 271, 273, 275-278, 281-282 peine (n. f.), 82, 147-148, 156, 172174, 176, 183, 231, 236, 237, 243, 248-250, 253, 256, 278 peintre, 9, 102, 189-190, 194-200, 203, 207, 212, 214, 216-217, 219, 221225, 227-228, 230-234, 236, 238240, 242-249, 251-254, 256-257, 259, 261-263, 270, 273-275, 277 peinture, 9-10, 18, 27, 29, 89, 184, 190-191, 205, 214-217, 226, 233, 237, 249-250, 267, 269-270, 273, 277 Peirithoos, 59, 126, 159, 161, 189, 202, 205, 215, 230-231, 236, 245-248, 267-270, 277 Pélée, 227 pélikè, 102, 189, 194, 203-204, 212, 216, 219, 221, 230, 232-233, 235, 238, 243-244, 254, 271 pénible, 40, 74-75, 175 pente, 115, 239-243 Penthée, 204 perception, 17, 62, 85, 91, 104, 150, 174, 214, 227, 264, 281 perche, 234-235, 258-260, 262-264 Périclès, 204 Périmède, 219 périple, 105, 161 perpétuel, 131, 134, 151 Perrhèbe, 115 Perse, 62-66, 87, 99-101, 104, 111, 124, 126-127, 130 Perséphone, 37, 44, 51-53, 57, 60, 86, 96-97, 100, 116-117, 119-121, 131, 153-154, 158-159, 168, 172, 176, 189, 193, 195-198, 199, 201-203, 205-206, 208-213, 215, 217, 222227, 229-230, 238-245, 248, 254, 265, 267-268, 274-277, 281
387
146, 161, 167-168, 197-198, 200, 203, 208, 215, 221, 224, 226-227, 231, 236, 242, 257, 264, 275, 280281 porteur, 32, 40, 222, 231, 238, 250253, 257, 265, 268-269, 276 portier, 112, 161, 168 portique, 196, 198-199, 201, 221, 223, 225-227, 229, 239-240, 242, 244, 281 Poséidon, 31, 73, 117-118, 189 positif, 119, 124, 130, 147, 149, 155, 280 position, 13, 18, 27, 32, 42, 50, 60, 64, 66, 69, 73, 75, 94, 131, 138, 179, 196, 203, 206, 211, 222, 226, 238, 240-244, 246-247, 249, 251, 254, 257, 259, 264, 270-271, 274 positivité, 178 post mortem, 14, 145, 149, 154-156, 184 Potidée, 180 poupe, 234-235, 255, 258-260, 263264 pourpre, 150 prairie (voir aussi λειμών), 55, 57, 8081, 83, 95, 110, 113-114, 116-119, 121-122, 124-125, 144-145, 150, 153, 155, 157-158, 168, 183-184, 232, 276, 278-279 pré, 144 précepte, 78, 101 précipice, 61, 111, 115 prédiction, 43, 100 préfiguration, 177 prétendant, 47, 52, 55, 77, 83, 91, 95, 99, 105, 108, 116, 134-135 prière, 168 primordial, 48, 138, 142, 149, 157, 191 principe, 19, 134, 138, 268 printemps, 150 prison, 29, 32, 34, 40, 69-71, 75, 89, 183 privation, 27, 65, 131, 184 privilège, 92, 155, 183
pithos, 194, 212, 239, 250-253, 268, 276 piton, 241 plaine, 51, 56, 97, 107, 111-112, 114116, 124, 141-142, 144-149, 151, 155, 158, 161-162, 175, 177, 183, 249, 278, 280 plaine Elyséenne, 114-115, 124, 141142, 144-148, 151, 158, 175, 177, 183, 278 plainte, 99, 136 plaintif, 93, 136 plante (n. f.), 36, 73, 106, 116, 119124, 200, 217, 262, 264 plateau, 112 plénitude, 150 pleur, 136 plongeon, 43, 179, 279 plongeur, 42, 89, 197, 253, 264, 279 pluie, 142, 227 Pœcile, 214 poing, 217 poirier, 123 Ποινή, 242 politique, 11, 13, 46, 52, 156, 170, 179, 184 Polydore, 91 Polygnote, 9-10, 14, 18, 27, 77, 90, 102, 156, 168, 190-191, 197, 202204, 213-218, 231-234, 237, 248250, 252-256, 258, 264, 266, 269270, 276, 278, 281 plygnotéen, 201 Polynice, 97 Polyxène, 66, 91, 105, 114, 133, 136 Pont-Euxin, 145-146 pomme, 244 pommette, 234, 259 pommier, 123 popularité, 155, 190, 218, 231, 279 porche, 109, 223, 227 port, 104, 108, 169 porte (n. f., voir aussi πύλη et θύρα), 29, 31-32, 34, 37, 48, 52-57, 70-73, 80, 83, 88-91, 95, 128, 134, 139,
388
quadrige, 197, 207, 209, 210 queue, 194-195, 207, 227-228, 252
privilégié, 34, 119, 122, 124, 141, 153, 158, 173, 184, 190, 193, 263, 278 processus, 115 Proche-Orient, 50 proche-oriental, 48 productivité, 148 profit, 19, 154 profond, 10, 29, 39-40, 44, 55, 59, 61, 74, 80, 93, 106-107, 114, 132, 147, 165, 231 profondeur, 26-27, 29, 32, 35-36, 3842, 59-61, 63-66, 69, 71, 73, 95, 106, 115, 119, 128, 198, 205, 213, 222, 240-241, 244, 251, 253, 258, 263, 281 Promédon, 254 Prométhée, 39, 41, 62, 65-66, 75, 131, 249 promontoire, 51-53, 57, 107-108, 112113, 145, 275 propylée, 226, 240, 242 prospérité, 148, 150, 154 Prosymnos, 159 protagoniste, 82-83, 204, 242 Protée, 140 prothésis, 203, 233 proto-indo-européen, 141 proue, 234, 256-258, 263 proximité, 44, 53-54, 59, 108, 133-134, 160-161, 163, 201, 231 prytanée, 169 Psychagogos, 212 Psyché, 252 psychopompe, 40, 52-53, 217, 232, 236, 265, 269 πύλη, 53, 55, 70-72, 88-91, 128 punition, 14, 25, 41, 110, 113, 138, 156, 172-174, 178, 203, 236, 238, 245, 248, 250, 270 pureté, 150 purgatoire, 114, 175 purification, 14, 150, 173, 175, 178, 185 pythagoricien, 180 pythagorisme, 14, 155, 171, 179
racine, 27-31, 34, 36, 45, 49-51, 53, 65-66, 71, 73, 84-85, 93-95, 102, 121, 124, 127, 132, 136, 139, 142, 158 rafraîchissement, 142 rame (n. f.), 97-98, 102, 106, 135, 166, 203, 255-257, 259 rameau, 199-201, 209, 211, 222, 231, 233, 240-245 rancœur, 80 rapt, 60, 117-119, 153, 158, 189, 208210, 212 raréfaction, 122-123 ravin, 29 rayon, 54, 74, 130-131, 133 réalité, 16, 19, 52, 65, 70, 112, 138, 155, 158, 183, 197, 253, 273, 277 récit, 18-19, 34, 79, 101-102, 104, 122, 131, 150, 153-154, 159-161, 167, 237, 270, 273, 280 récolte, 148, 153, 177, 270 récompense, 14, 34, 172-174, 177 redondance, 41, 65, 75, 131-133, 147 reflet, 86, 119, 150, 154, 169, 183 région, 13, 23, 25-27, 33-38, 42, 45, 47, 49-52, 54, 58-59, 63, 69-70, 95, 108, 110-111, 113-116, 125, 133, 137, 139, 141, 143, 145-146, 155, 157-162, 167-169, 178, 183, 205, 207, 218, 231-232, 236, 249, 254255, 271, 274, 279-280, 282 regret, 133 rehaut, 199, 216, 241-242 réincarnation, 14, 173-178, 277 relief, 13, 107-108, 110-111, 114, 116, 131, 137, 183, 212, 217-218, 231, 241, 244, 246-249 religieux, 14, 46, 118, 151, 170, 172, 179, 184, 233, 280 religion, 14, 155, 170, 177-179, 183184, 204, 262, 279
389
rocailleux, 109, 113, 232, 235, 244, 249, 268, 277 roche, 53, 108, 112, 114, 128, 138, 146, 163, 223 rocher, 33, 52-54, 57, 93, 106, 108110, 112-114, 146, 163, 202, 205208, 212, 215, 217, 219, 221, 230232, 234-236, 238-249, 251, 253, 262, 264, 266, 268-269, 274-276, 277, 281 rocheux, 107, 110, 112-113, 206-207, 212-213, 231, 233, 235, 241, 243244, 247-248, 269, 276, 278 roi, 64-65, 99-100, 104-105, 112, 126, 129, 132, 136, 170, 177, 236-237, 243, 246, 249 romain (n. et adj.), 50, 90, 185, 247 Rome, 114, 199-200, 244 rose, 118, 150-151, 158 roseau, 10, 102, 106, 124, 144, 217, 232, 234, 254, 257-259, 261-266, 268-269, 277-279, 281 rosée (n. f.), 96 rouge, 128, 150, 194-196, 201, 206, 209-213, 216, 224-225, 227, 238239, 264, 266-267 route, 49, 111, 149, 163, 169, 252 royaume, 14, 16, 19, 23, 27, 33, 36, 4144, 48, 54, 58-59, 61-63, 65-67, 72, 75, 83-85, 88, 91, 95-96, 100-101, 106, 110, 115-116, 119, 122-124, 128-129, 131, 133-134, 136-137, 140, 146, 149, 159, 163, 171-174, 184, 189, 195-196, 198-199, 201202, 207-208, 215-216, 219, 221, 223, 226-228, 230-231, 235-236, 240, 249, 251, 254-255, 261, 264267, 270, 273, 276-278, 281 rue (n. f.), 86 ruisseau, 122
religion à mystères, 14, 155, 177-178, 184, 204, 262, 279 remontée, 40, 67, 175 rempart, 34, 71, 73, 86, 112, 128 remplissage, 200, 221, 276 renaissance, 119, 158, 240 repère (n. m.), 32, 49, 276 représentation, 9-10, 13-19, 25, 38, 40, 52, 62, 80, 82, 85, 88, 91, 104, 106, 114, 117, 123, 164-165, 179, 183184, 189-190, 193-195, 197-199, 201, 203-208, 210-219, 221-222, 225-228, 230-232, 234-235, 237242, 244-256, 257-261, 263-265, 267-268, 274, 276-281 reproduction, 190, 193, 218, 227 réprouvé (voir aussi criminel, damné, supplicié), 215, 240 répulsion, 139 résidence, 13, 30, 83, 86, 88, 90, 116, 145, 167, 178 ressac, 107, 109 ressemblance, 70, 143, 168, 211 résurrection, 154, 175 retentissant, 114, 135 retour, 16, 32, 43-45, 47, 49, 58, 60, 67, 89, 99, 138, 151, 163, 167, 180, 205, 210, 212-213, 236, 240, 248, 265 rêve (voir aussi songe), 52-55, 183, 275 Rhadamanthe, 161 richesse, 27, 60, 85, 95, 120, 147-148, 177-179 Rig-Veda, 48 rire (n. m.), 158, 161, 167-170, 184 rite, 98-99, 101-102, 153-154, 184, 203, 205, 210, 233, 250, 252 rivage, 44, 55, 58, 96, 122, 233, 235, 256, 258-259, 263 rive, 46-48, 67, 91, 96, 98, 102, 105, 111-113, 124, 127, 135, 232, 256, 259, 263, 269, 279 rivière, 108-109, 111, 218 roc, 114, 146, 163, 248
sacralité, 117 sacré, 53, 93, 98, 101, 118, 120, 122, 124, 144, 148-150, 153, 157-158, 168-169, 172, 197
390
sécheresse, 113, 165, 167 sécurité, 66, 113, 147 seigneur, 46, 129 séjour, 25, 43, 58-59, 61, 63, 77, 80, 86-88, 114, 142, 144-146, 151, 154, 172-173, 177-178 sensation, 132, 138, 278 senteur, 118, 151 sentiment, 79, 93, 123, 136-137, 150, 233, 269 séparation, 30, 35, 70, 72, 84, 90, 93, 110, 168, 202, 229, 259, 263 sépulture, 56 serment, 34, 92-93, 97, 137-138 serpent, 167, 194, 196, 207, 223, 227230, 271 seuil, 32, 34, 36-37, 52, 55, 57, 70, 7273, 116, 146, 183, 191, 197, 207, 226, 231, 257, 269, 271, 274 siège (n. m.), 81, 84, 88, 202, 230, 241, 243-249, 267, 268, 270 signe, 18, 53-54, 118, 120, 122, 158, 189, 193, 195, 198, 207-208, 211, 222-224, 230, 235, 265, 270 silence, 83, 124, 134, 136, 177 silhouette, 219, 228, 261, 270 similitude, 55, 135, 145, 179 Sipyle, 108, 249 Sisyphe, 16, 40, 81-82, 110, 113, 193, 204, 215, 226, 231, 236-245, 248249, 251, 253, 255, 265, 268-270, 276-277 situation, 27, 32-33, 35, 41, 45, 48-49, 51-53, 58-61, 66-67, 79, 81, 83, 85, 101, 134, 139, 141, 146-147, 149, 153, 168, 177, 193, 224, 243, 277 skyphos, 194, 209, 211-212, 226-228, 230 Socrate, 14, 104, 205 sol, 27, 81, 82, 94-95, 109, 148-149, 177, 195, 202-203, 206-209, 211212, 215-216, 218-219, 224, 231, 239, 243-244, 247, 251, 253, 276, 278, 281 solaire, 58, 131-132, 145, 154, 157
sacrifice, 56, 58, 78, 81-82, 103, 105, 207 sacrificiel, 78, 79-80, 82, 108, 136, 184, 219, 269 salle, 71, 127 Salmoneus, 204 salut, 132, 152, 198, 211 Samothrace, 218 sanctuaire, 214, 218 sandale, 212, 239, 247 sang, 54, 56, 59, 78-79, 82, 97, 100, 112-113, 163, 207, 216-217, 219, 232, 269 sanglot, 136 sapin, 106 Sappho, 86, 96, 110, 124, 130, 134, 136, 146, 207 Sarpédon, 270 satyre, 211-213 satyrique, 99, 213 saule, 120-121, 124, 197, 245, 254 saut, 146, 279 sauvage, 81, 83, 110-112, 116, 144145, 183, 213, 279 Scamandre, 109, 117 scarabée, 204 scaraboïde, 210 scélérat, 174-175, 177 scène, 16, 18-19, 66, 82, 97, 101-102, 104, 106, 112-113, 132-133, 159161, 164-167, 189, 193-195, 198, 200, 203-206, 208-213, 219, 221, 223-228, 230, 232-236, 238-243, 247-248, 251-253, 255-257, 258260, 264-265, 267-268, 271, 275278 sceptre, 189, 198, 202, 204, 210-212, 223-225, 229-230, 239, 244 schéma, 25, 33, 69, 173, 190, 205-206, 215, 239, 247, 256-257, 271, 282 sculpteur, 194, 205, 218, 273 sculpture, 205-206, 218, 241, 247, 273 Scylla, 50, 113 scythe (n. et adj.), 50-52 Scythie, 52
391
203, 209, 224, 228-230, 239-240, 243-244, 248, 268, 276 spécificité, 75, 88, 190, 231 spécifique, 138, 154, 168, 221, 250, 264, 267, 278 spectre, 120 splendeur, 118, 123, 133, 158 stabilité, 29, 82 stagnant, 94, 102, 111, 264 stamnos, 189 statue, 218 stèle, 62, 180, 235-236, 257, 260, 262265, 269, 279 stérile, 120, 122 stérilité, 121, 197 stipe, 224 structure, 30-31, 73, 77, 170, 172, 214, 221, 232, 242 stupeur, 118 Styx, 25, 33-34, 37-38, 55, 59, 70, 9295, 97, 99, 103, 105-106, 108-113, 128, 135, 137-139, 168, 281 Sud, 14, 45-47, 52, 216, 237, 241, 282 Sud-Ouest, 49 supérieur, 25, 30-31, 74, 173, 176, 201202, 204, 211, 215-217, 225, 235, 251, 253, 260, 277 superposition, 198, 215, 253 supplice, 94, 110, 113, 117, 123, 127, 156, 205, 230-231, 238, 245-246, 248-250, 252-254, 268, 270, 276 supplicié (voir aussi criminel, damné, réprouvé), 249, 269 surface, 10, 23-25, 27, 31-33, 35-36, 38, 41, 46-47, 64-65, 67, 77-78, 80, 82, 101, 112, 119, 124, 142, 145, 147, 178, 183, 193, 195, 208-209, 216, 243, 247, 253, 255, 276-277 surplomb, 109, 138, 243, 249 survie, 172, 184 symétrie, 25-26, 31, 35, 56 symétrique, 25, 34, 48, 215, 251 synthèse, 13, 16, 18, 176, 190, 236, 247, 256 Syrie, 115
soleil (voir aussi Hélios), 27-28, 38, 42-43, 45-50, 52-54, 57-58, 74, 87, 90, 94-95, 122, 125, 127-134, 136, 139, 142, 146, 147, 150, 154-155, 157, 168, 177, 207, 275, 278 solide, 10, 52, 75 solidité, 71-72 sombre, 31, 39, 75, 80, 94, 125, 127128, 131-132, 134, 155, 170, 217, 261, 270 sommeil (voir aussi Hypnos), 33, 36, 55, 67, 90, 172, 279 sommet, 29, 110, 113, 135, 234, 236, 239-241, 243-245, 249, 251, 268 son (n. m.), 134, 136 songe (voir aussi rêve), 54, 57, 92 sonore, 107, 136 sort (n. m.), 34, 55, 136, 151, 153-155, 157, 170, 174-175, 177, 184-185, 204, 209, 263, 265, 277, 279 sortilège, 100 souchet, 118 souffle (n. m.), 73-74, 141-143, 147, 149, 151 souffrance, 73, 94, 117, 123, 137, 151, 242, 270, 279 souillure, 98, 175-176 Sounion, 112 source, 9, 16, 28, 30-31, 34, 37, 72, 9293, 95, 102-103, 117-118, 122, 138139, 157, 170, 176, 179, 184, 245, 281 sourd (adj.), 96, 109, 134, 136 souterrain (adj.), 19, 23, 26-31, 33, 3536, 38-44, 48, 58-67, 69-70, 73-75, 80, 83, 86-87, 90, 99, 104, 107, 111, 115, 119, 125-126, 129, 134, 137, 142, 146, 154, 171, 174-175, 177179, 181, 183, 185, 189, 193-194, 201, 205-210, 216, 219, 223, 227, 231, 237, 240, 254-255, 266, 268, 275, 277, 280 souverain (n. m.), 59, 89-90, 126, 129, 137, 149, 189, 194-195, 198, 202-
392
142-143, 145-150, 154, 156-158, 163, 167-170, 172-175, 177-178, 183-185, 193, 195-198, 201, 204, 208-213, 216, 219, 222, 227-229, 231, 256, 265, 274-277, 280-281 terreur, 66, 93, 104, 138 terrible, 31, 40, 73, 93, 103, 137, 193 terrifiant, 75, 113, 116, 119, 137, 167, 169, 170, 184 territoire, 46, 52, 115-116 territorial, 115 tertre, 110, 237-239, 241 tête, 134, 189, 194-200, 202-203, 205207, 209, 211, 217, 219, 222-229, 232-235, 238, 240, 247, 249, 257, 259-260, 262-264, 271, 279 Thamyris, 204, 270 Thanatos (voir aussi trépas), 33, 37-38, 55, 70, 128, 233, 257-258, 261, 279 Thasos, 214 théâtral, 38-39, 135, 160 théâtre, 15-16, 39, 62, 101, 104, 107, 123, 132-133, 151, 161, 164, 166167, 213 Thèbes, 60, 87, 97-99, 103, 113, 129, 131, 135, 144, 208, 209 Thémis, 149 théore, 97-98 Théron, 171, 179 Thersite, 9, 269 Thésée, 9, 159, 189, 202, 205, 209, 215, 230-231, 236, 239, 245-248, 267-270, 277-278 Thesprotie, 102 Thessalie, 115 Thétis, 145 thrène, 14, 16, 60, 149-151, 170-171 θύρα, 70-72, 88 Thyia, 270 thyrse, 211 Tirésias, 43-44, 56, 64, 78-79, 99-100, 207, 213, 215-219, 232, 269, 271, 278 Titan, 176 titanomachie, 28, 34, 38, 92
tableau, 35, 56, 82, 121, 190, 194-195, 197-198, 200-201, 209, 211, 213217, 227, 233, 239, 243-244, 249, 253-254, 268-270, 276 tabouret, 195, 230, 243, 245 Tantale, 81-82, 94, 117, 123, 127-128, 204, 215, 231, 236-237, 249, 254, 269-270, 276-277 tapage, 135 Tartare, 13, 19, 23-32, 34-42, 48, 52, 59, 61, 66-67, 69-75, 77, 90, 96, 110, 114, 126, 137, 183, 185, 274 tartaréen, 29, 31, 35, 37-38, 41, 59, 69 Tartessos, 168 Tellis, 256 témoignage, 9, 15, 17, 62, 77, 119, 122, 191, 193, 205, 227-228, 237238, 246, 279 tempête, 32, 73, 75, 137-138 temple, 153, 206, 227 Ténare, 63, 90, 161-162 ténèbres, 39-40, 49-51, 53-54, 57-58, 70, 74-75, 110, 113, 121, 125-134, 137, 154-155, 167-168, 170, 184, 207, 212-213, 219, 274, 278 ténébreux, 39, 51, 56, 98, 111, 117, 124-128, 132, 146, 155, 157, 167, 177, 179, 183, 185, 207, 261, 275, 279-281 terrain, 108, 110, 114, 212, 249, 277, 281 terre, 23-25, 27-32, 34-48, 54, 58-64, 66-67, 69, 73, 77, 79, 82, 90-91, 9596, 105, 107, 114-115, 119, 122123, 125, 128-129, 131-132, 141, 143-145, 147-151, 154, 157, 161, 163, 167, 171-178, 180-181, 183, 185, 194, 198, 205-213, 216, 218, 226, 235-237, 240, 243, 246, 252, 255, 274-275, 277, 279-280 terrestre, 9, 14, 19, 23-25, 27, 29-33, 35-36, 38, 41, 46-49, 58, 60, 64-67, 74, 77-78, 86, 88-90, 95-96, 101, 103, 107, 109, 115-116, 119, 122, 124, 127, 129, 133, 136-137, 139,
393
travail, 9-11, 38, 85, 122, 125, 128, 130, 139, 144, 146, 148, 177, 190, 193, 207, 238, 253, 256, 278 traversée (n. f.), 45, 47, 49, 95-98, 105107, 122, 135-136, 163-164, 166168, 255-256 trèfle, 118 trépas (voir Thanatos), 33, 36, 55, 128129, 132 tribunal, 157, 171 tricéphale, 222 trident, 189 triglyphe, 196, 199, 227, 229, 262 Trinacie, 43 triomphal, 170 triomphe (n. m.), 170 tristesse, 98, 121, 133, 219, 264, 271 Troie, 11, 46, 77, 89, 99 trois, 15-16, 23-24, 30, 40, 50, 61-62, 65, 72, 74, 79, 83, 93, 99, 103, 108, 116-117, 123, 127-128, 134, 136, 148-149, 151, 168, 172-174, 176178, 180, 185, 189, 194, 199, 202204, 206, 212, 217-219, 228, 231233, 237-238, 247, 251, 253, 256, 258, 264, 267-268, 271, 277-278 trône, 195, 202, 208, 221, 228-230, 243, 277 tumulte, 136 tumultueux, 109 tunique, 165, 239, 251
Tithras, 169 tithrasienne, 168 Tityos, 81-82, 202-204, 215, 231, 236237, 249, 269-270, 277 toison, 145, 162 toit, 88, 106, 225 tombe (n. f.), 9, 42, 61, 89, 190, 197, 210, 236, 253, 257, 264, 269, 279 tombeau, 94, 233, 257, 264 tondo, 232, 238-239, 241 tonnant, 109 tonte, 161-162 topographie, 83, 91, 112-113, 115, 190, 231-232, 248, 253-255, 281 topographique, 87, 124, 171, 205 torche, 209-212 torrent, 103, 109-110 torse, 219 totalité, 28, 41, 267 tour, 113, 149, 163, 165, 167, 201, 252, 255 tourbillon, 32, 44, 75, 93, 95, 134-135, 147 tourmente, 75 tradition, 15, 17-18, 26, 35, 39, 41, 44, 55, 85, 87, 104-106, 112, 125, 132, 145-147, 149, 158-159, 170, 190, 193, 196, 201, 203, 209, 213, 215, 228, 232, 235, 237, 245-246, 254, 256, 273-274, 276, 279-280 traditionnel, 16, 41, 46, 66-67, 90, 105, 112, 119, 153, 155-156, 161, 168170, 179, 181, 184, 226, 271, 282 tragédie, 15-17, 40, 62, 66, 87, 99-101, 105-106, 110, 112-113, 133, 156, 161, 204, 279 tragique (n. et adj.), 16, 42, 62, 65-66, 84, 86, 90, 97, 99, 102, 104, 111, 113, 124, 155, 159, 170, 184, 204, 255, 279 trahison, 237 trajet, 45, 48, 52-53, 161 transgression, 237 transition, 14, 28, 33, 54, 58, 70, 167, 197, 253
Ulysse, 9, 43-47, 49, 51-53, 55-56, 5859, 78-82, 85, 89, 91, 97, 99-102, 105, 107-108, 116, 120, 122, 125, 133, 140, 160-161, 184, 189, 203, 207, 213-219, 232, 254, 268-271, 273, 276-278, 281 univers, 23-26, 31-32, 38-39, 44, 59, 67, 72-73, 77, 83, 91, 117, 119, 137138, 170, 189, 259, 274, 280 vacarme, 93-94, 109, 122, 134, 136 vache, 114, 121 vague (n. f.), 107, 135, 262
394
vaisseau, 52, 82, 97-98, 103 vallon, 110, 113-114, 117 vallonné, 110, 113-114, 157, 231, 247, 249, 255, 279 vapeur, 50, 94 variante, 50, 60, 63, 66, 108, 117, 119, 126, 148, 194, 196, 199, 230, 241, 248, 252 variation, 62, 195, 233 variété, 35, 99, 121, 130, 138, 195, 200 végétal, 117, 120, 123-124, 183, 278 végétation, 13, 73, 95-96, 116-117, 122-124, 127, 137, 149, 158, 231, 240, 254, 263, 268, 276, 278 vengeance, 99, 136 vent, 32, 46-47, 49, 58, 73, 97-98, 141142, 151 verdict, 171, 174 verdoyant, 122, 278-279 Vergina, 210 vert, 151 vertical, 24, 29, 38, 67, 219, 253, 263 verticalité, 38, 275 vertu, 142-143, 149, 177-179 vestibule, 80 vêtement, 128-129, 210-211, 234, 241 victime, 59, 78, 82, 97, 100, 207, 217, 219, 232 victoire, 97, 158, 163, 226, 229 vide (n. m.), 31, 46, 106, 216, 238, 252 vie, 9, 54, 55, 62, 64, 74, 77, 90, 98, 100, 103-104, 106-107, 111, 116, 119, 123-124, 127, 129, 131-133, 137, 139, 142, 144-149, 154-156, 163, 171-178, 183-185, 196, 198, 201, 214-215, 237, 245-246, 250, 265, 270, 274-275, 277, 279
ville, 13, 70, 86, 90, 169, 249 violence, 32, 73, 197, 209, 223, 225, 236 violette, 118 visage, 11, 51, 219, 234-235, 239, 259261, 263-264 vivant (n. et adj.), 9, 13, 24, 32, 40, 50, 55-58, 63-64, 66-67, 72, 75, 83-87, 89-91, 93, 95, 103, 105, 110, 112, 115-116, 123, 125, 130, 134, 136137, 139, 145, 154, 171, 180, 183, 185, 197, 199, 201, 209, 217, 219, 220, 236, 238, 251, 256, 258, 264265, 268-269, 274-281 voie (n. f.), 45, 47, 163, 277 voile, 98, 128, 131 voyage, 43-44, 46, 47-48, 51-52, 58, 83, 93, 98, 105, 110, 120, 140, 159161, 163, 169, 213, 216-217, 236, 245, 256, 269, 273 vue (n. f.), 13-14, 31-32, 55, 58, 72, 93-94, 127, 144, 164, 237, 274 Vulci, 194, 227 vulgate, 77 Xanthias, 106, 113, 159-161, 163, 165170 χάσμα (voir aussi gouffre), 28, 31, 32, 33, 36-37, 41, 60, 71, 209, 211, 213 Zéphyr, 141, 143, 147 Zeus, 23, 26, 34, 59, 63, 69, 71, 84, 9293, 109, 118, 139, 144, 148-150, 171-173, 176, 183, 189, 202, 204, 206, 226, 236-237, 267
TABLE DES MATIÈRES Remerciements Préface Introduction
7 9 13
PREMIÈRE PARTIE : ÉTUDE LITTÉRAIRE Chapitre 1. L’univers et la localisation infernale 1. Un univers tripartite 2. Situation géographique du Tartare a) Homère b) La descriptio Tartari de la Théogonie Difficultés de la descriptio Tartari Situation géographique des régions tartaréennes hésiodiques c) L’évolution de la localisation tartaréenne 3. Situation géographique de l’Hadès a) Homère Une localisation souterraine Une localisation aux confins de l’Océan Deux conceptions contradictoires ? b) Evolution de la situation géographique attribuée à l’Hadès
35 38 41 41 41 43 58 59
Chapitre 2. Le Tartare 1. Question de genre et de nombre : / 2. Aspect et atmosphère du Tartare a) Architecture b) Atmosphère
69 69 70 70 73
Chapitre 3. L’Hadès 1. Espace et paysage a) L’espace infernal dans l’Odyssée : Evocation ( >) ou descente ( ) ? Etude de la première Nékyia (chant XI) Qu’apporte la seconde Nékyia (Chant XXIV) ? b) Un cadre architectural La « maison » d’Hadès Les « portes » d’Hadès
77 77
397
23 23 27 27 28 28
77 78 83 83 83 88
c) La topographie infernale L’hydrographie La géomorphologie d) La végétation 2. Atmosphère a) L’obscurité b) Les bruits c) Un univers glacial et effrayant, haï des vivants Chapitre 4. Des espaces privilégiés : plaine Elyséenne, Ile Blanche et îles des Bienheureux
91 91 107 116 124 125 134 137 141
Chapitre 5. Innovations par rapport à la conception infernale traditionnelle 1. Création de nouveaux espaces infernaux : bourbier et prairie des initiés a) Un texte fondateur : l’Hymne homérique à Déméter b) Bourbier et prairie des initiés Bourbier Prairie 2. Enfers et parodie a) L’espace infernal des Grenouilles d’Aristophane La description d’Héraclès (v. 136-164) Le voyage de Dionysos et de Xanthias (v. 165-674) b) L’Hadès, reflet du monde terrestre 3. Un espace infernal élargi a) L’espace lié à l’eschatologie pindarique Un jugement après la mort L’impact des idées nouvelles sur l’espace infernal b) Un Hadès céleste
153 153 155 155 157 158 159 160 161 169 170 170 171 174 179
Conclusion de l’étude littéraire
183
153
DEUXIÈME PARTIE : ÉTUDE ICONOGRAPHIQUE Introduction
189
Chapitre 6. La localisation des Enfers sur les images 1. Une localisation terrestre
193 193
398
a) La localisation infernale dans la geste d’Héraclès : la capture de Cerbère b) La Nékyia du cratère de New York 08.258.21 2. Une localisation souterraine a) La vision souterraine des Enfers dans la capture de Cerbère b) Engloutissements et anodoi L’engloutissement d’Amphiaraos Le rapt de Coré L’anodos de Perséphone c) La localisation infernale dans l’évocation des morts par Ulysse La Nékyia de Polygnote à Delphes La création d’un nouveau répertoire
193 201 205 205 208 208 209 210 213 214 216
Chapitre 7. Espace et paysage infernaux sur les images 1. La « maison d’Hadès » a) La colonne b) Le trône 2. La topographie a) Géomorphologie Une entrée vallonnée La stèle, un marqueur d’espace ambigu Les figurations de l’intérieur de l’Hadès La géomorphologie dans la Nékyia de Polygnote b) Hydrographie Les porteurs d’eau L’hydrographie dans la Nékyia de Polygnote Le nocher Charon
221 221 221 228 231 231 231 235 236 248 250 250 254 255
Conclusion de l’étude iconographique
267
Conclusion générale
273
Planches Annexes Annexe 1 : liste des représentations d’Héraclès et Cerbère Annexe 2 : liste des représentations d’engloutissements et d’anodoi Annexe 3 : liste des représentations des abords infernaux Annexe 4 : liste des représentations des châtiments infernaux Bibliographie Index des auteurs anciens Index général
283 303 303 311 313 319 323 353 365
399
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LE MONDE DES MORTS Les Anciens ont toujours attaché une extrême importance au monde des morts. Preuve en est l’abondance de textes, d’inscriptions et de documents archéologiques qui montrent comment ils le considéraient. Ce livre propose d’étudier un aspect particulier de ce vaste champ d’investigation : l’évolution des conceptions que, jusqu’à la fin du ve siècle avant J.-C., les Grecs ont pu se former des espaces et des paysages de l’au-delà. Monde invisible, interdit aux vivants, mais sans cesse présent à leur esprit, les Enfers relèvent pleinement de l’imaginaire. C’est pourquoi une comparaison entre productions littéraires et iconographiques semble appropriée, par-delà les diverses nuances propres à chaque domaine d’expression, pour cerner des relations d’homologie entre textes et images, et pour entrevoir quelle image mentale les Grecs se forgeaient du paysage infernal.
Professeur agrégée de grammaire, docteur ès lettres, Catherine Cousin s’est déjà signalée par de nombreux articles sur le monde des morts.
Couverture : Héraclès et Cerbère : vers 520-510, hydrie à figures noires avec anses, Legs A. Maignan, 1927. Amiens, Musée de Picardie n° inv. M. P. 3057.225.47.A (cliché Musée de Picardie / Irwin Leullier)
39 € ISBN : 978-2-296-96307-8