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French Pages 447 [488] Year 1965
MARIE-FRANÇOISE
EN F R A N C E À P A R T I R
ÉDITIONS
MOUTON
GHRISTOUT
DU X V I i e
• LA H A Y E
SIÈCLE
• PARIS
Ouvrage publié avec le concours du
1 9 6 5
MOUTON
& CO
C.N.R.S.
P R I N T E D
IN
T H E
N E T H E R L A N D S
Avant-propos
A mon maître Etienne Souriau, professeur d'esthétique à la Sorbonne en hommage d'affectueuse gratitude pour la bienveillance constante et les conseils éclairés qu'il a bien voulu accorder à un essai qui doit tant à son enseignement. Au seuil de cette étude, je tiens également à exprimer ma reconnaissance à tous ceux, proches ou lointains, qui en ont encouragé l'élaboration.* Durant de longues années j'ai pu apprécier l'accueil toujours sympathique qui m'a été réservé tant à la Bibliothèque Nationale, au Cabinet des Estampes, à la Bibliothèque de l'Opéra qu'au Cabinet des Dessins du Louvre, aux Archives Nationales et dans les différentes collections auxquelles j'ai eu recours. Divers spécialistes, notamment André Veinstein, Chargé de la Collection Rondel à la Bibliothèque de l'Arsenal, Lillian Moore, Gilberte Cournand, Ivor Guest, Youri Slonimsky et Maurice Brillant, trop tôt disparu, ont bien voulu faciliter mes recherches. Suppléant à ce que le langage conserve d'imparfait, Monique Lancelot a prêté à mes propos le prolongement dynamique de ses croquis. Parmi les artistes dont l'expérience vive m'a été d'un précieux secours, je suis enfin heureuse de remercier Nina Vyroubova, Marcel Marceau, Jacques Chesnais et tout particulièrement Serge Lifar qui a bien voulu me permettre l'accès de sa très riche collection. La jaquette a été réalisée d'après un dessin de Christian Bérard.
* Pour diverses raisons, cette étude s'arrête à l'année i960. Le lecteur ne s'étonnera donc pas de ne trouver mentionnés dans les index et la bibliographie ni spectacle, ni ouvrage postérieurs à cette date.
merpciílcwc etíc
INTRODUCTION
Introduction
Miroir magique, porte ouverte sur l'inconnu, le merveilleux sollicite en l'homme des forces obscures. Sa seule évocation possède un pouvoir de séduction et de mystère indéniable. Selon l'expression de Baudelaire, «le merveilleux nous enveloppe, et nous abreuve comme l'atmosphère, mais nous ne le voyons pas». 1 Tour à tour recherché et discuté, il conserve de façon plus ou moins secrète un attrait permanent auquel peu d'esprits, frustes ou raffinés, demeurent insensibles, comme l'ont observé Montaigne et Voltaire. 2 Poètes romantiques, écrivains contemporains lui ont reconnu une réelle importance tant dans la psychologie individuelle que dans la création artistique. Maintes fois évoqué, il a cependant peu suscité d'analyses ou de définitions Son prestige ne réside-t-il pas dans l'ombre dont il s'entoure? Dans une certaine mesure on redoute qu'il s'évanouisse en fumée au moindre contact brutal. C'est ce qui advient parfois et incite ses détracteurs à le réduire au rôle d'accessoire puéril, alors que ses partisans trouvent en lui la clef d'un monde ésotérique. Parfois, assez souvent même, et principalement lorsqu'il s'agit du théâtre ou de l'épopée, on n'accorde au mot de merveilleux qu'un sens spécial, réduit et très intellectualisé, dépouillé d'ailleurs de toute sa teneur esthétique. Ce sens, c'est précisément celui qui est exposé sous les numéros 4 et 5 dans l'article de Littré, et défini comme «ce qui dans un événement, dans un récit, s'éloigne du courant ordinaire des choses», et comme «ce qui est produit par l'intervention des êtres surnaturels». Mais, nous ne pouvons l'oublier, ce mot a toujours possédé également un sens beaucoup plus large et d'une portée esthétique considérable. Le merveilleux, c'est ce qui produit l'émerveillement, ce qui rend les yeux et l'esprit émerveillés, car dans ces termes d'émerveillement et émerveillé la teneur esthétique de la racine «merveille» s'est conservée plus pure. C'est dans ce sens esthétique que le mot de merveilleux est employé ici. Et nous
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Introduction
avons voulu montrer que le merveilleux, pris en ce sens, est une véritable catégorie esthétique. Il ne pouvait être question d'étudier le merveilleux dans tous les arts, bien que dans tous les arts il ait sa place. En effet il existe un merveilleux musical, fait de sonorités, de rythmes, d'Tiarmonies propres à jeter l'auditeur dans une sorte très particulière d'extase, fait à la fois de surprise et d'enchantement, comme le produisent certaines pages de Chopin généralement liées à un changement de ton d'un caractère exceptionnel, souvent enharmonique. Il existe aussi un merveilleux architectural, dont on donnerait pour exemple presque traditionnel, certains édifices orientaux, tel le T a j Mahal, ou encore cette partie de l'abbaye du Mont Saint-Michel qu'on appelle précisément la Merveille. Dans le domaine pictural, certaines toiles dues, entre autres, à Claude Lorrain, Gustave Moreau ou Lucien Coutaud réussissent par des moyens très divers, qui vont de la précision minutieuse au sfumato, à suggérer le merveilleux. On sait enfin déjà le rôle que ce dernier n'a cessé de jouer dans les arts littéraires, conte, nouvelle, théâtre dramatique . . . Mais ne pouvant embrasser un aussi large sujet, il nous a semblé que pour aller au coeur de la question, il fallait nous adresser à celui de tous les arts dans lequel cette esthétique du merveilleux joue le rôle le plus important, un rôle presque fondamental. Et c'est indubitablement l'art du ballet. Celui-ci offre de plus l'intérêt de conjuguer différents éléments chorégraphiques, musicaux, décoratifs. Mais il nous a paru encore qu'il était assez difficile de séparer de ce point de vue l'art du ballet d'avec les autres arts, beaucoup plus négligés par les esthéticiens et les historiens de l'art, et qui souvent même ne figurent pas dans les classifications des beaux-arts, bien qu'ils soient mentionnés dans la classification donnée par Thomas Munro en ses Interrelations des arts.3 II s'agit des arts du spectacle, et en particulier de ceux qui préfèrent le mouvement à la parole, telle que la pantomime, sans oublier les jeux d'eaux, de lumière et de pyrotechnie, les marionnettes et automates, la magie blanche, la fantasmagorie, et jusqu'aux spectacles du cirque. Nous verrons en effet, du moins nous l'espérons, que joints à l'art du ballet, tous ces arts ensemble forment un complexe esthétique dans lequel le merveilleux en tant que catégorie esthétique joue un rôle prédominant, et dont l'étude peut jeter beaucoup de clarté sur cette même catégorie. Tel est donc l'objet exact de notre étude, dans sa délimitation. En particulier, nous avons cru devoir laisser de côté le théâtre en tant qu' «art de littérature». Précisément parce que le merveilleux n'y a qu'une part étroite, souvent réduite à cette définition que nous avons indiquée en débutant pour dire qu'elle n'était pas la nôtre. Et s'il existe des oeuvres théâtrales dans lesquelles le merveilleux au sens esthétique et large tient une place importante, en y mêlant d'ailleurs souvent le sens de l'intervention des êtres surnaturels ainsi qu'il arrive dans Le Songe d'une nuit d'été ou La Tempête de Shakespeare, Intermezzo de Jean Giraudoux, il s'agit
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là de faits relativement exceptionnels. Et même dans des cas de ce genre, le merveilleux n'est pas la catégorie esthétique unique et dominante. Mais il nous semble, à tort ou à raison, que précisément le merveilleux théâtral, lorsqu'il prend une importance aussi grande que dans les exemples qu'on vient de citer, peut être éclairé dans son essence par l'étude des arts où il parait bien que le merveilleux esthétique a une véritable hégémonie en même temps qu'une extrême pureté. C'est donc ainsi qu'a été défini notre projet. Toutefois ces arts du spectacle restant encore peu ou mal connus actuellement, il n'était pas possible de se contenter de faire une simple allusion à tel ou tel détail de leur évolution. Au cours de cette étude, nous serons donc appelés à préciser quelque peu leur esthétique en fonction de leur évolution historique; puis nous définirons les techniques qu'ils mettent au service du merveilleux, puis les thèmes que celui-ci propose aux créateurs et de quelles manières ces derniers les traduisent. Seule une claire prise de conscience de ces problèmes permettra en effet de découvrir en ce domaine l'existence d'une catégorie déterminée de merveilleux ainsi que celle d'une véritable affinité élective entre merveilleux, ballet et arts voisins.
CHAPITRE 1
Le merveilleux - Essai de définition
Qu'est-ce que le merveilleux? Rarement défini, il nous semble s'offrir avant tout à l'homme comme un mode d'évasion des contraintes familières, une faculté de transcendance se manifestant sous une forme sensible. Sur le plan psychologique, il correspond à une aspiration foncière plus ou moins avouée ou reconnue, entretenue ou combattue par le climat contemporain. Malgré ce caractère permanent puisqu'humain, il parait avoir revêtu au cours des âges, selon les civilisations, les lieux et les époques, tant de visages qu'il est désormais difficile de tenter une définition générale autre que très sommaire. Il est incontestable qu'il existe un fonds commun de merveilleux auquel puisent notamment de nombreuses légendes émanant de sociétés parvenues à des stades fort divers d'évolution. Ainsi M. Lucien Levy-Bruhl n'hésite-t-il pas dans son ouvrage sur la Mythologie primitive1 à rapprocher les contes de Perrault des légendes australiennes et papoues. Plusieurs observations concernant les folklores permettent de supposer que l'existence de la notion de merveilleux est sans doute spécifiquement humaine. N'est-ce pas une manifestation de ce sens de l'irréel que M. Gaston Bachelard déclarait aussi indispensable et naturel que le sens du réel? 2 A cet égard on peut voir dans le merveilleux non seulement une pensée de causalité irrationnelle, mais aussi une attitude devant certains problèmes, un comportement vis-à-vis de certains phénomènes. De merveilleux découle émerveillement, contemplation émerveillée, découle également la «merveille», le phénomène qui émerveille. Deux plans se distinguent donc déjà: celui de l'action merveilleuse (action, acteur), et celui de la contemplation (du spectateur, auditeur ou lecteur), soit un élément spectaculaire. Souvent pour échapper au monde hostile, ou par simple abandon aux lois du jeu, l'enfant ou l'adolescent prend parti de nier la réalité et de lui substituer un univers personnel. Cette possibilité d'évasion et d'affranchissement de toutes contingences que récèlent au plus haut degré la rêverie et les phénomènes hypnagogiques, l'homme en conserve parfois longtemps l'usage, en dépit d'activités de plus en plus absor-
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bantes. Bercé par le rythme capricieux de l'imagination, il se laisse emporter sur les ailes dorées du mirage, prenant de la sorte sa revanche sur l'utilitarisme des heures passées et retrouvant là un moyen d'expression plus puissant et plus riche puisque libéré. Par une vision à distance, il échappe à l'espace et à la pesanteur, au temps même. Et nous pouvons dire avec Albert Béguin que dès ici-bas l'âme appartient à deux mondes, l'un de la pesanteur, l'autre de la lumière. «Le rêve nocturne est la source où s'alimente la poésie, il est en même temps celle du merveilleux et des mythes». 3 La nostalgie du Paradis perdu incite l'homme à poursuivre le mirage jusqu'aux Iles inconnues en quête du talisman qui ressucitera l'âge d'or. A son instigation, il cherche à dépasser les contingences de sa condition. Diverses légendes ou fables nous apprennent comment il parcourt les airs par téléphorèse, dérobe le feu sacré dont il anime les simulâcres patiemment édifiés, sonde les océans, les gouffres, explore les infiniments petits, se réfugie dans une coquille de noix ou se balance sur un nuage avant de s'enfoncer dans les cavernes de la lune ou de s'attaquer aux monstres et aux chimères, aux sphinx énigmatiques. Or l'aventure n'est pas seulement vagabonde, mais aussi amoureuse. L a dualité humaine, illustrée par les mythes de Tirèsias, des androgynes, trouve une fusion idéale dans le couple qui transcende l'individu. Il importe de rechercher au prix de mille épreuves l'âmesoeur. Car l'amour est un sortilège qui a le pouvoir de changer la laideur en beauté, la sottise en sagesse, il exige le courage viril et la discrétion féminine, la constance et s'illustre de mille façons. Le merveilleux, c'est non seulement la féerie fugitive d'un instant, mais profitant des faiblesses momentanées de l'intelligence organisatrice et du rationalisme, l'illumination des repaires de l'enfance, la tension extrême de l'être, une sorte de voyance irréelle, conjonction de la réalité et du désir; c'est vers lui que se tournent à la fois l'imagination subjective délivrée par des états exceptionnels et l'imagination objective créant spontanément le mythe, le conte. Toutes deux projettent leurs rêves sur les choses extérieures, révélant en elles des possibilités insoupçonnées, toute une vie latente et extraordinaire. Issu du rêve, nourri par la rêverie, le merveilleux appelé des profondeurs de l'inconscient semble prolonger jusque dans la veille ces instants limites, attente et accoutumance à l'exceptionnel. L'homme y cherche un surpassement et la possibilité de magnifier ce qui l'entoure. Si nul ne conteste donc aujourd'hui, objectivement du moins, l'existence de la donnée merveilleuse, celle-ci connaît des interprétations très diverses au gré desquelles non seulement le sens fort du terme s'affaiblit progressivement, mais il évolue de façon subtile. Ce n'est qu'après avoir examiné d'un point de vue général le phénomène, et constaté ses caractères qu'il nous sera possible de l'envisager sous un angle plus spécifiquement esthétique.
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Introduction
Quelque scolaire que puisse paraître ce rappel, il nous semble indispensable avant d'aller plus avant de nous retrancher derrière le vocabulaire, passant en revue les quelques définitions déjà proposées jusqu'alors. Cette référence de base permet en effet de préciser d'emblée certains aspects fondamentaux à partir desquels nous chercherons à cerner objectivement cette notion perçue d'abord de manière subjective. Pour sa part Littré note que merveille descend de mirabilis et mirabilia, puis lui concède notamment les sens suivants: chose, personne qui suscite l'admiration, se distingue de façon extraordinaire et qui paraît ainsi dépasser les forces de la nature. Merveilleux tient de la merveille, signifie excellent ou qui s'éloigne du cours ordinaire des choses, et enfin «ce qui est produit par l'intervention d'être surnaturel», ou cette intervention prodigieuse en elle-même. Bien qu'assez sommaires, ces définitions précisent les deux caractères - admirable et surnaturel - qui en fin de compte interfèrent souvent. Sur le plan strictement linguistique, il nous faut constater que, si le qualificatif tend parfois à devenir un simple superlatif de louange, le substantif conserve son sens fort quelle que soit la créance qui lui est accordée ailleurs; nous devons observer aussi que la surprise contribue à la création du merveilleux. Malheureusement le Vocabulaire philosophique de Lalande n'a pas retenu la notion, nous privant ainsi d'une référence précieuse. Toutefois dans son étude sur Le Merveilleux, la pensée et l'action M. Pierre-Maxime Schuhl en esquisse opportunément la psychologie. Après avoir considéré que les cadres de la mentalité «primitive», définie par M. Lévy-Bruhl, peuvent être appliqués à son étude, il fait place à l'élément affectif. Celui-ci y trouve la satisfaction des tendances réprimées par la logique scientifique, sorte de compensation à la contrainte rationnelle. Le philosophe se demande qu'est-ce «qui est le plus réel dans l'univers, la zone de lumière ou la zone d'ombre?». 4 Savants, hommes d'action, médecins appelés à contrôler quotidiennement leurs moindres observations et réflexes se plaisent souvent à élaborer des contes merveilleux. Comme le constate M. Etienne Souriau, un élément émotionnel peut éventuellement suppléer à la généralité logique. 5 Par conséquent, sous l'autonomie apparente, il importe peut-être de distinguer le jeu des fonctions complémentaires et de discerner entre les conceptions rationnelles et les conceptions merveilleuses une relation inattendue. Dictionnaires et encyclopédies publiés depuis le XVIIIe siècle s'accordent à ne considérer le merveilleux que sous son aspect littéraire. Ainsi dans l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert l'article merveilleux commence de façon symptômatique en ces termes: «adj. (Littérature)». Seul son emploi dans la poésie épique retient l'attention. L'aspect essentiel de la question, existence d'une notion indépendante de toute expression artistique, est passé sous silence. Bien qu'elle soit consacrée à l'étude du merveilleux dans la littérature française sous Louis XIV,
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la thèse du Père Delaporte s'efforce cependant d'élargir son point de vue. Et tout d'abord, elle observe le climat psychologique contemporain, tente de le reconstituer à l'aide de témoignages divers, méthode que nous nous proposons également d'utiliser. C'est une attitude toute différente, non plus analytique mais synthétique qu'adopte M. Pierre Mabille. Les divers exemples qu'il cite au passage servent seulement à établir sa conviction lyrique. A ses yeux, le merveilleux semble un voyage dont le but est d'explorer la réalité universelle. 6 Le merveilleux offre donc une interprétation du monde dont il découvre sous l'apparence familière un visage inconnu. En fait, il s'exprime le plus souvent par le moyen de manifestations curieuses qui le caractérisent. Ainsi s'accorde-t-on à lui attribuer par exemple les apparitions et disparitions soudaines d'êtres ou de choses, les visions et les songes prémonitoires, les phénomènes de double-vue, de divination et voyance, quels que soient les procédés et les buts adoptés. Grâce à lui le monde se transforme, les objets inertes, la matière vive se métamorphosent, l'animal s'humanise, l'homme se transfigure; passé, présent et futur se mêlent, toute une fantasmagorie inquiétante ou bienfaisante surgit des ténèbres sur un rayon de lune. Les puissances supérieures - bonnes ou mauvaises - interviennent constamment dans la vie, en bouleversent à leur gré le cours familier. Les héros instituent à mi-chemin entre terre et ciel un ordre démiurgique. Le merveilleux, devons-nous constater, est ambigu, tour à tour optimiste et terrifiant, purificateur et démoniaque. Il transporte dans des régions enchantées ou bien sur les rives infernales. Joie et crainte, nostalgie et volonté dynamique y sont étroitement associées. Merveilleux
et Fantastique
Le merveilleux est souvent confondu avec le fantastique. En fait le fantastique relève du merveilleux dont il forme une part importante, tandis que celui-ci peut fort bien se passer de lui. Tous deux cherchent à transcender le réel dont ils sont la pierre de touche. Les êtres fantastiques interviennent volontiers dans le merveilleux élaboré. Sorcières et actes magiques dépendent souvent du merveilleux par l'intermédiaire du fantastique. M. Pierre Castex a précisé sur un point particulier: «Le fantastique en littérature est la forme originale que prend le merveilleux, lorsque l'imagination, au lieu de transposer en mythe une pensée logique évoque les fantômes rencontrés au cours de ses vagabondages». 7 Pour M. Marcel Brion, il engendre le malaise et découvre l'insolite. Mais ici les opinions diffèrent et le cinéaste Henri Calef considère que l'insolite n'est pas merveilleux parce qu'il échappe aux règles. M. Georges Gusdorff estime justement que le mythe ramène l'insolite au coutumier. Voyant dans le fantastique la faculté de recevoir et d'in-
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venter les images, dans le fabuleux, les êtres et les aventures engendrées par la fantaisie, M. Henri Gouhier conclut: «merveilleux traduit l'impression que produit en nous la fable du seul fait qu'elle est fabuleuse». 8 Dans une certaine mesure, on peut observer que le fantastique, trompe-l'oeil, respecte les lois du réel tout en ouvrant une porte sur l'invisible. Il poursuit donc un des buts du merveilleux mais par des procédés propres et avec une nuance ludique c'est-à-dire de relative incrédulité, plus accentuée. Souvent macabre, il possède une coloration affective assez sombre qui suffit à le distinguer des autres éléments du merveilleux généralement séduisant. La peur joue en effet un rôle souvent essentiel dans le fantastique, peur fondée comme ce dernier sur les forces de l'imagination, dont il implique la libre opération se prenant éventuellement elle-même au piège. 9 Signalons toutefois l'opinion curieuse de Marmontel basée sur la lecture de Vitruve, et distinguant en lui un assemblage des genres les plus éloignés et des formes les plus disparates: tels un corps féminin terminé en console, le cou d'un aigle replié en limaçon, c'est-à-dire «tout ce que le délire d'un malade lui fait voir de plus bizarre». Et l'écrivain conclut: «le fantastique n'est supportable que dans un moment de folie». 10 Merveilleux
et Surnaturel
Alors que le merveilleux peut être parfois conforme aux lois de la nature, le miracle est la manifestation d'une intervention divine, le prodige pour sa part semble relever moins exclusivement du sacré. Tous trois peuvent être concurremment employés avec des acceptions légèrement divergentes, car merveille peut sous-entendre miracle ou prodige. Comment situer le merveilleux par rapport au surnaturel avec lequel on le confond souvent? L'homme a le sens de l'un comme de l'autre, mais si le surnaturel s'impose à lui, c'est de plein gré qu'il s'abandonne lui-même au merveilleux. Surnaturel est d'essence religieuse et implique la foi métaphysique. Pourtant, comme le remarque Louis Jouvet, cette préoccupation constante de l'humanité s'exprime sous deux formes, d'une part dans le divin, d'autre part dans le «surnaturel fabriqué par les hommes», autrement dit dans le merveilleux. 11 Volontiers mythologique, celui-ci peut être fruit de la seule imagination créatrice. Pourtant s'il veut conserver son pouvoir, il lui faut éviter de conférer au mythe une autonomie qui, laissant échapper l'essentiel, le dénaturerait. D'autre part, bien qu'il ne doive pas être confondu avec des phénomènes exceptionnels, ceux-ci posent cependant un problème que cherche à résoudre le merveilleux. Enfin il faut préciser et nous aurons l'occasion de revenir plusieurs fois sur ce point, que le merveilleux illogique et invraisemblable possède en fait sa propre logique intérieure qui n'est pas celle de la vie courante, et conserve le souci d'une
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vraisemblance personnelle, base de son pouvoir suggestif, volontaire ou non. De plus le merveilleux procède de deux façons: ou bien il s'évade dans la fantaisie la plus impondérable, ou bien il propose une réalité différente du monde familier mais aussi précise que lui. Dans ce dernier cas il court le danger de se substituer simplement au réel, perdant par accoutumance toute fascination. La coexistence du réel et de l'irréel autorise seule l'émerveillement. Influence du climat
contemporain
Or le climat contemporain, philosophique, religieux, social influe notablement sur l'acception même du terme. Selon l'époque, on peut observer une prédilection marquée pour telle ou telle des ses formes - mythologique, féerique . . . Les moeurs, les idées, le degré de raffinement de la civilisation exercent une action sur l'attitude adoptée à son égard. De la crédulité naïve au scepticisme négateur, il existe bien des degrés. Chaque époque a le merveilleux qu'elle désire et qu'elle mérite. Sans vouloir tenter ici une analyse de l'attitude française à l'égard du merveilleux à partir de XVIIe siècle, il nous parait utile de dégager rapidement l'interprétation que connait alors cette notion. A la suite de Marsile Ficin, un certain nombre d'esprits se sont passionnés sous la Renaissance pour une magie exprimant les rapports de l'homme et du monde, l'art de capter les influx célestes. Agrippa, médecin de Louise de Savoie, attribue à la musique le pouvoir de faire danser joyeusement l'eau des fontaines, les îles détachées de la rive. D'autres confèrent aux images symboliques, aux combinaisons de gestes, de couleurs, le rôle de talisman. Contre ces pratiques, le démonologue Jean Bodin s'élèvera, y découvrant la griffe de Satan. 12 Tandis que la religion de la Contre-Réforme s'épure, le Prince des Ténèbres conserve généralement sur les âmes simples comme sur les plus raffinées une emprise indiscutable. Certes, le paysan plus accessible au mythe qu'au raisonnement accueille particulièrement superstitions, légendes plus ou moins païennes. Loup-garoux, jeteurs de sorts, êtres transformés en bêtes, lutins et follets le hantent. Or les procès de sorcellerie se multiplient tant en France qu'à l'étranger au cours du XVIIe siècle. Drame du Labourd, possédées de Loudun, de Louviers, de Lille, de Coutance . . . la chasse aux sorcières remet la démonologie à l'ordre du jour et de volumineux traités sont consacrés à cette question brûlante à plus d'un titre. De toutes parts on parle de spectres, de revenants. Les mémoires de personnages illustres abondent en récits de ce genre. Louis X I V appelle Primi-Visconti, réputé pour son don de double-vue, «homme merveilleux». 13 L'éducation mondaine, la vie de cour diffusent de plus les fables du paganisme dont le décor familier, la poésie retracent les moindres démarches. A force de vivre dans ce climat fabuleux, une certaine équivoque se fait jour. Balzac croit voir dans la Charente le dieu-
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triton. 14 Chaulieu annonce à la duchesse du Maine que l'Académie des Sciences a fait l'anatomie d'un triton péché à Dieppe, Gassendi raconte comme authentique la prise d'un de ces êtres prestigieux. A la vérité ces fables jouissent d'une faveur singulière et due à leur étrangeté, à leur mystère. C'est la revanche de l'imagination sur l'idéal classique qui tend progressivement à s'imposer. En ce «siècle d'apparence», selon le mot de Guarini, le souci d'inconstance, l'instabilité cosmogonique s'expriment par le recours au trompe-l'oeil, au déguisement qui engendre la métamorphose, transfigure la vie. Dans son essai sur les Anamorphoses, M. Jurgis Baltrusaïtis constate que la perspective «n'est pas un instrument de représentation exacte mais un mensonge». 15 La philosophie du doute est reine sous le masque de Circé, comme l'observe M. Jean Rousset dans son étude sur La Littérature à l'âge baroque en France. Rotrou écrit: «Je doute qui je suis, je me perd je m'ignore». 16 Le moi échappe, se dédouble, la folie est un jeu auquel on se laisse prendre. Mille esquisses tentent de cerner la réalité mouvante qui se dérobe à l'analyse et ne livre que son reflet insaisissable. Les arts littéraires et plastiques, la politique, parfois la philosophie et le cours même de la vie sont pénétrés de ces notions. Partout on cherche à surprendre, à dépayser, à éblouir. A l'instigation de Rome, le catholicisme veut transporter le fidèle et, par le merveilleux, l'entraîner vers l'éternel. Dans son ouvrage Baroque et classicisme, M. V.-L. Tapié a brillamment examiné cette recherche dynamique qui ouvre la coupole de l'église sur un monde surnaturel. 17 Le goût du merveilleux commun à toutes les classes de la société, se traduit notamment dans trois domaines souvent voisins et qui interfèrent parfois: l'église, le château, le théâtre dont les fêtes rompent la monotonie de l'existence terne. Le spectacle en fait envahit la vie qu'il illumine de sa magnificence. En marge du merveilleux auquel le public croit plus ou moins confusément, s'instaure un merveilleux ludique auquel il se plait à croire un moment. Ce genre a tant de succès qu'il est difficile d'échapper totalement à son emprise. Toutefois la logique reprend dans une certaine mesure ses droits et concourt ainsi à l'authentifier. Ami de Boileau, le Père Rapin déclare: « Le merveilleux est tout ce qui est contre le cours ordinaire de la nature.» Puis il précise ailleurs: «Le vraisemblable est tout ce qui est conforme à l'opinion du public». 18 Il importe de faire coïncider ces deux assertions. Le merveilleux doit surprendre, mais pour toucher il lui faut se faire admettre. «Il n'y a pas d'autre voie que la vraisemblance pour produire le merveilleux», mais, comme l'ajoute M. R. Bray, 19 la vraisemblance extraordinaire. Il suffit alors de respecter la loi de causalité et de se replacer dans l'époque impliquée par telle ou telle croyance, antiquité pour la mythologie, chevalerie pour certaines féeries. Presque chrétiennes, les fées capricieuses et fantasques apparaissent en général bienfaisantes. Le Père Delaporte observe que le X V I I e siècle ne crée rien dans ce domaine. En réalité, il suscite une
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mode qu'il impose, une sorte d'apothéose spectaculaire favorisées tant par l'invention de techniques nouvelles que par le triomphe de la vie de cour et de château, la création de théâtres ouverts au grand public. Réclamée généralement malgré l'opposition classique, le merveilleux conquiert en séduction ce qu'il perd en créance. Cette dernière n'est pas exigée du reste pourvu qu'un abandon, conscient ou non, à ses charmes lui supplée. En fait cet abandon se révèle plus réel qu'il ne peut sembler de prime abord. Des témoignages attestent l'influence sur tous les milieux des contes de fée avec lesquels on berce l'enfance des princes comme celle des humbles, la crainte de la sorcellerie, le goût pour la magie blanche et la terreur causée bien souvent par la magie noire. Le merveilleux est alors d'une actualité surprenante et se retrouve dans tous les domaines de l'activité intellectuelle dont on tend pourtant à le bannir. Il suffit pour s'en rendre compte de parcourir par exemple le Mercure, aux différentes rubriques. Certes apparait à ce stade un merveilleux factice et civilisé, très éloigné de celui des sociétés moins évoluées, un merveilleux d'élection qui imprègne fortement la vie et se révèle plus spectaculaire qu'intérieur. Fontenelle avancera bientôt: «Quoi que nous soyons incomparablement plus éclairés» que ceux qui inventèrent les fables «nous reprenons très aisément ce même tour d'esprit». 20 Ainsi reporte-t-on sur quelques divinités fabuleuses ou puissances féeriques une foi confuse que l'on accorde aussi - sans toujours se l'avouer - aux sorciers, revenants . . . A mesure que la foi chrétienne s'affaiblit chez certains, une forme de superstition va croître, paradoxe curieux de cette crise de la conscience européenne décrite par M. Paul Hazard. 2 1 Au XVIIIe siècle en effet ce goût du merveilleux que les philosophes, les savants s'efforcent de pourchasser, connait une vogue qui atteint toutes les classes de la société. En dépit du scepticisme croissant, on peut constater un véritable engoûment pour ce qui semble échapper aux lois, provenir d'une intervention surnaturelle. Tandis que la religion, dont Malebranche a esquissé une sorte de rationalisme, s'efforce de rester hors du débat, c'est en marge que s'inscrivent des manifestations d'hystérie collective comme celles des convulsionnaires de SaintMédard. La notion démoniaque continue à tourmenter les esprits malgré les Lettres de M. de Saint-André déclarant que c'est faire insulte à la nature des anges que de rabaisser le Démon jusqu'à servir de monture aux magiciens. 22 Et le médecin ordinaire de Louis X V est contraint de déplorer que non seulement le peuple mais aussi les gens d'esprit attribuent tout ce qui leur parait singulier, extraordinaire à des pactes avec le démon. Bien qu'il existe des cas de possessions véridiques, nombre de ces maléfices sont, pense-t-il, dus à la suggestion, à l'artifice, fascination de l'esprit comme dit Jamblique. Sont donc merveilleux les phénomènes exceptionnels et inexpliqués, certaines représentations illusoires ou les faits
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qui frappent par le caractère de rareté et la contradiction où ils semblent être avec l'ensemble des lois régissant le monde extérieur et son ordonnance subjective. Tandis que la mythologie païenne trouve un refuge accueillant sur la scène de l'Opéra et dans les arts plastiques, la féerie connaît un regain de faveur illustré par les Contes de Perrault et de ses émules. L'abbé de Bellegarde entreprend de réfuter l'existence des fées, notamment de Méluzine évoquée par Brantôme et d'Urfé; il s'élève contre ces sottises inventées pour divertir les enfants et devenues tout à coup la passion de la Cour et de la Ville. Très prématurément il avance même: «mais enfin on est revenu de cette frénésie, et je crois que les contes de fées ont été bannis pour jamais». 2 3 Les faits ne confirment pas ces pronostics. Lutins et farfadets continuent à hanter déraisonnablement l'imagination. A la suite de la publication des Entretiens de M. de Gabalis,2i ils trouvent des rivaux dans les esprits élémentaires: sylphes, salamandres, ondins et gnomes. Ceux-ci connaissent une fortune d'autant plus grande que les sciences de la nature sont dans les meilleurs termes avec le merveilleux qui propose à la fois chimère et explication prodigieuse. Bien que Pluche se flatte en 1732 de substituer: «le goût de la belle nature et l'amour du vrai au faux merveilleux des fables et des romans», l'abbé Nollet observe en 1775: «L'amour du merveilleux est un poison séduisant dont les meilleurs ont peine à se garantir». 2 5 Progressivement délogé par l'analyse des faits, il se réfugie dans l'hypothèse, l'élaboration de systèmes. Là comme dans ses autres domaines, sa résistance n'est pas organisée mais instinctive et riche de toutes les forces obscures de l'inconscient collectif. L'alchimie inspire une masse importante de grimoires, elle est de bon ton. 26 Simultanément les sociétés secrètes se développent de façon soudaine. Des personnages étranges aux pouvoirs occultes font leur apparition dans la société française. Le comte de Saint-Germain, vivante illustration du mythe de Jouvence, Cagliostro, Mesmer, Saint-Martin jouissent d'une étonnante faveur. Dans ses Mémoires, Mme d'Oberkirch avoue au sujet de Cagliostro: «il est certain que si je n'avais pas dominé le penchant qui m'entraînait vers le merveilleux, je fusse devenue moi-aussi la dupe de cet intriguant. L'inconnu est si séduisant. Le prisme des découvertes et des sciences astrologiques a tant d'éclat». Et elle reconnaît qu'il y avait en lui «une puissance démoniaque» qui «fascinait l'esprit (...) domptait la réflexion» de façon inexpliquable. 27 Charlatans, empiriques divers conservent donc, malgré les discussions dont ils font l'objet, un prestige évident sur les foules. Fantômes et revenants sont généralement redoutés alors que l'on parle relativement peu de vampires, davantage de nécromancie. Melle Clairon raconte même un cas singulier de persécution macabre. 28 Par réaction contre les doctrines matérialistes, théosophie et spiritisme satisfont un besoin d'au-delà, de rêverie idéale qui annonce déjà le romantisme. Plus le siècle s'avance, plus le rationalisme tente de réduire le domaine du mer-
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veilleux et plus celui-ci grandit, trouvant souvent un terrain fertile. C'est encore Mme d'Oberkirch qui avoue: «En regardant autour de nous, nous ne voyons que des sorciers, des adeptes, des nécromanciens et des prophètes. Chacun a le sien sur lequel il compte; chacun a ses visions, ses pressentiments, et tous lugubres, tous sanglants». 29 Ainsi se crée un climat fantastique dont les contes de Cazotte sont la saisissante expression. Cette tendance ira en s'accentuant avec la fin de l'Ancien Régime. On cherche dans l'avenir, dans le rêve, un adoucissement au présent; l'illusion merveilleuse offre un remède à la réalité décevante ou cruelle. Aussi, comme le déplore Pujoulx, les devins se multiplient-ils. 30 Fortement discuté, le prestige émotionnel du merveilleux se maintient donc en évoluant pourtant au gré des modes. Sa force réside d'une part dans l'adhésion instinctive de certains, de l'autre dans sa plasticité spontanée. Selon la remarque de Marmontel: «Il n'est pas nécessaire de croire au merveilleux pour qu'il fasse illusion». 31 Tandis que le matérialisme triomphe au X I X e siècle politiquement, socialement et philosophiquement, le merveilleux pourchassé par le scientisme se réfugie dans la rêverie, dans l'art. Sénancour recueille l'héritage des occultistes du siècle précédent. Nodier, par raffinement intellectuel, voit dans le merveilleux le seul mode expressif qui le satisfasse pleinement. Philarète Chasles l'estime indispensable pour stimuler la langueur d'un siècle si positif où tout est convenu d'avance. 32 L'âme romantique suscite mille fantômes évanescents et gracieux qui l'enchantent et l'entraînent dans une ronde aérienne. Le merveilleux devient éminemment ludique. Ce jeu apporte l'oubli et cette évasion séduisante de plus en plus recherchée dans un monde progressivement exploré. Les grands mythes de l'inconscient nocturne sont évoqués. «Fermez les yeux et vous verrez» : déclare notamment Joubert. D'Allemagne viennent, comme l'a bien observé Albert Béguin, les idées nouvelles et cette primauté donnée à l'imaginaire sur le réel. Carus décrit la continuelle oscillation de l'âme humaine entre l'inconscient et le conscient. «De même, constate-t-il l'histoire de l'humanité est traversée par un perpétuel combat entre ce que nous appelons naturel et clair, et ce que nous appelons mystérieux merveilleux, en un mot magique». 33 Le spatial et le temporel s'interpénétrent de façon inattendue. Le visionnaire, l'explorateur de merveilleux, ce n'est plus le sorcier, c'est l'artiste, Tieck, Arnim, Hoffmann . . . C'est donc lui seul qui redonne vie aux légendes, aux mythes. C'est par son intermédiaire que l'homme prend connaissance de l'irréalisme foncier de la vie, qu'il échappe aux contraintes quotidiennes et retrouve les mirages de son enfance. Ce qu'il se refuse à admettre habituellement, il l'accepte dans un certain climat artistique, dégagé des pesanteurs terrestres. La muse romantique est une sylphide et parfois une sybille. En effet Novalis découvre le sens poétique «étroitement apparenté au sens prophétique et religieux, à toutes les formes de voyance». 34 Hugo, Baudelaire et Rimbaud pous-
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sent celle-ci aux frontières d'un égarement volontaire dont les surréalistes tireront plus tard la leçon. Dans Aurélia, Nerval avoue: «Je crois que l'imagination humaine n'a rien inventé qui ne soit vrai dans ce monde ou dans les autres». Tandis que l'on s'efforce de tout contrôler, de tout expliquer, Balzac croit à la télépathie, au magnétisme, Barbey d'Aurevilly se plait à faire surgir le mystère du décor réel, Gautier agit de même après avoir jugé cet élément d'un emploi fort difficile pour le Français sceptique et qui craint d'être dupe. Maupassant et Mérimée eux-même ont dû sacrifier au fantastique. Huysmans, Villiers de l'Isle Adam sont contemporains de Zola, Odilon Redon de Bonnat. Sans parler des manifestations relevant soit d'une authentique mystique et qui échappent alors à cette étude, soit, à l'autre extrême, des superstitions les plus vulgaires, il faut noter certains faits tels que la vogue du spiritisme sous le Second Empire, celle du merveilleux scientifique chanté par Jules Verne à la fin du siècle. Désormais, si le domaine des idées se ferme au merveilleux, celui des images s'ouvre universellement à lui. Là où le philosophe se dérobe, triomphe le poète. Source d'oubli, le jeu et le rêve sont simultanément réhabilités et parfois même élevés au rang de moyens d'une connaissance dont le trésor est fait d'images. De plus en plus rare, l'émerveillement retrouve un prix qui est celui d'une nouvelle enfance ayant cessé d'être l'antichambre de l'âge adulte pour conquérir un prestige nouveau. Or l'enfance projette sur le monde le merveilleux qui est en elle et dont on cherche à capter le secret. D'emblée le rêve recourt à l'insolite qui authentifie les événements les plus surprenants. Contre la stérilité du scepticisme, tous deux élèvent un rempart invisible. En fait la signification du merveilleux continue à évoluer car il s'apparente, avons-nous vu, au principe du surnaturel discuté au X X e siècle par certains théologiens qui ne voient dans le miracle que l'action de Dieu à travers la nature, elle-même miracle. Du point de vue scientifique d'autre part, le naturel englobe progressivement celui-ci, tout phénomène inhabituel devant être justifié à plus ou moins longue échéance. Dans une certaine mesure, le merveilleux s'épure simultanément de tout un accessoirisme superflu et désuet. Dégagé de ces éléments troubles, de sa passivité, il tend alors obscurément vers le sacré. Tout vestige est trace et le parcours s'inverse. Sans doute, comme l'observe M. Georges Gusdorff, «l'activité fabulatrice augmente à mesure que la conviction diminue», 35 mais le monde est malléable, la conviction personnelle suffit à transfigurer le réel, à faire naître dans l'âme toute une féerie conçue à sa mesure et sur sa demande instante; l'essentiel est de rester apte à l'émerveillement, donc de ne point être choqué par l'éxagération. Sous le naturel transparait alors l'invisible. Jean Cocteau a traduit cette proximité redoutable en faisant du miroir d'Orphée la porte de l'au-delà: deux mains gantées et jointes suffisent à percer l'apparence. Il faut s'engager dans cette voie obscure, fermer les yeux pour les rouvrir ailleurs, ne pas chercher
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à comprendre mais à percevoir. L'artiste délivre le message merveilleux, alors le fantastique devient réel et c'est là son prodige admiré par M. André Breton. Evréïnoff n'estime-t-il pas que les trois quarts de notre vie se passent dans un monde imaginaire? 36 L'épanouissement de la chimère merveilleuse s'apparente désormais plus étroitement à la création artistique auprès de laquelle nous allons l'examiner maintenant. A son exemple, le merveilleux est, selon Jean Cocteau, un monstre capable de méduser comme la tête de la Gorgone.
CHAPITRE 2
Le merveilleux} catégorie esthétique
Depuis le XVIIe siècle, c'est sous la forme artistique principalement que le merveilleux se plait à se manifester en France. Il est du reste révélateur d'observer que c'est en tant qu'élément littéraire qu'il est généralement étudié dans les différentes encyclopédies. De plus, de très nombreuses études ont analysé les oeuvres - contes, nouvelles - qui ont recours à lui. Tout en reconnaissant le rôle important qu'il a joué dans l'inspiration poétique ou dans l'essai, il serait pourtant injuste de limiter là son pouvoir de suggestion. Les arts plastiques, à un moindre degré la musique et surtout les arts du spectacle, la fête ont tour à tour obéi à ses impulsions, évoqué ses mirages. C'est même, pour certains, le seul moyen de les appréhender. Quelques toiles de Dosso Dossi, Monsu Desiderio, Watteau ou Odilon Redon, la conjuration du Freischutz de Weber, le Scherzo de la Reine Mab de Berlioz, l'Ondine de Giraudoux, la Vénus (Fille de Mérimée, La Belle et la bête de Jean Cocteau ouvrent les portes d'un domaine merveilleux d'où surgissent aussi les ballerines impondérables, les danseurs à l'essor prodigieux, les pluies d'étoiles des feux d'artifices, de diamants des cascades. Il existe donc un fonds merveilleux commun à tous les arts et basé sur une aspiration intérieure plutôt que sur un répertoire de formules, comme certains auraient tendance à le croire. Ainsi nous voilà conduits à reconnaître que le merveilleux découvre aujourd' hui son existence la plus haute comme catégorie esthétique. Celle-ci n'est à proprement parler qu'un effet déterminé du pouvoir résidant dans l'oeuvre, une des structures d'un phénomène fondamental. L'examiner objectivement est donc la première opération du réalisme esthétique. Aux grandes catégories définies par Raymond Bayer et telles que, sublime, grâce, beau sous-entendant son antinomie laid, baroque, comique . . . s'adjoignent en effet un certain nombre de catégories secondaires parmi lesquelles le merveilleux mérite d'être analysé. A ce niveau le jugement esthétique revêt une objectivité nécessaire et dépasse la seule notion de valeur pour atteindre celle de réalité sur une structure donnée. Or le merveilleux possède dans l'univers de l'art un caractère permanent, une
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constance des aspects qui nous semble l'apanage d'une structure plutôt que du «stimmung». Cependant il est inséparable tant de l'anthropologie que de la sociologie comme nous avons pu le constater. La vision propre d'une époque, le goût qui suscite un style donné exercent sur son élaboration artistique une influence qu'il serait vain de négliger. Certes en lui se retrouvent certains caractères propres à d'autres catégories de base. De la grâce, il possède celui de l'antithèse de l'effort, le sens de la facilité joint à celui de l'inespéré, enfin une liberté par rapport à la technique. 1 Au sublime il emprunte une tension vers un idéal inaccessible, un culte de l'outrance mais échappe à la grandeur angoissante de ce dépouillement hautain. En lui l'émotion prend en effet le pas sur le tragique, la fatalité perd une partie de son caractère inexorable par suite de l'intervention éventuelle du «deus ex machina». Toutefois si le merveilleux sous-entend volontiers un accomplissement heureux et, au terme de diverses oscillations, une conclusion optimiste, celle-ci fait souvent défaut et il faut donc se garder de la retenir comme part intrinsèque. Le merveilleux admet éventuellement l'intervention du comique mais doit veiller à ne pas se laisser absorber par cet univers fermé et unique, perdant ainsi son caractère propre et son originalité. Il a en commun avec le baroque cette prédominence du dynamisme sur laquelle il nous faudra revenir à maintes reprises puisqu'elle est l'objet même de cette étude. Avec lui, il partage également cette fantaisie exhubérante, cette évasion des contraintes logiques et familières. Enfin le féerique, et dans une moindre mesure le fantastique déjà évoqué en marge de l'esthétique pure, relèvent du merveilleux dont l'un et l'autre commandent certains thèmes. Des rapports évidents lient cet univers à celui de l'onirisme. Mais alors que le rêve est l'aveu d'une impuissance d'agir, le merveilleux tente de corriger ce qu'il peut y avoir d'inachevé, d'irréalisable en lui, d'accomplir en quelque sorte ce que la vie n'a su satisfaire. Pour Raymond Bayer le merveilleux est «la rigueur dans l'aisance». 2 Sans cette rigueur en effet, il perdrait son pouvoir d'attraction. En lui se concilient diverses aspirations dont l'expression reste soumise à la mode, au moment et imprime à la catégorie cet aspect temporel, lié aux fluctuations du goût, qui ne doit pas dissimuler sa valeur profonde et permanente. Le merveilleux, quelle que soit la forme artiale qu'il adopte, implique par conséquent un certain nombre de qualités, établit des rapports qui lui sont propres, répond à des besoins qui le définissent en quelque sorte. Le merveilleux de situation prend le pas sur le merveilleux formel ou, plus justement, le merveilleux formel se définit par rapport à la situation merveilleuse. Le tapis ne devient merveilleux que parce qu'il vole, l'anneau que lorsqu'il rend invisible, l'ondine ne touche que lorsqu'elle apparaît sur la terre, la chatte fabuleuse que lorsqu'elle agit en princesse métamorphosée.
Le merveilleux,
catégorie esthétique
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Il faut donc observer tout d'abord que le merveilleux est essentiellement dynamique. L'action y prend le pas sur la contemplation qui se fait elle-même active. Tantôt l'être se transporte, s'envole par téléphorèse ou sur un char, un nuage, un cheval volant, tantôt c'est le cadre qui change autour de lui par magie; lui-même évolue à son tour, le nain grandit, la femme laide devient belle et l'animal, grand seigneur. La matière est atteinte de proteïsme. Le temps comme l'espace se ressère soudain ou se distend à l'infini. Les effets d'accélération et de ralentissement subits sont également recherchés. Rien n'est immobile, tout bouge, tout se transforme et parait donc insaisissable. Le second caractère est l'exagération. Les extrêmes se touchent; de l'état le plus heureux, on passe très vite au malheur le plus horrible, puis, sans transition, le désert ou la prison deviennent jardin enchanté. La modération, la mesure sont ici hors de propos, on comprend donc la réserve adoptée à l'égard du merveilleux par la doctrine classique. Mais il serait un peu sommaire de ne voir en celui-ci, à l'instar de Marmontel, qu'une addition arithmétique de masse, de force et de vitesse. De plus une certaine concision donne plus de prix au détail suggestif, plus de champ à l'imagination. Le palais n'est pas de pierre mais de cristal, la fée est couverte de pierreries, le vin et le miel coulent des arbres, des sources. On ne marche pas, on danse, on se réfugie sous un pétale de rose, on saute par-dessus une montagne. Le héros triomphe de monstres innombrables; les épreuves sont aussi fabuleuses que les félicités proposées. En effet il faut avant tout surprendre, éblouir ou terrifier. De l'étonnement au ravissement ou à l'horreur, il n'y a qu'un pas. Aussi le décor se modifie-t-il en un instant, la fête affecte-t-elle un faste incroyable; mené par des chemins obscurs, le spectateur est-il surpris par de soudaines illuminations. Au détour d'un couloir, d'une allée, il découvre une perspective immense, il se perd sous des voûtes vertigineuses. Une porte dérobée ouvre une chambre sur un théâtre, un cachot sur un bois d'orangers. Le musicien choisit des instruments au timbre curieux, des combinaisons de sons inattendus; le sculpteur, l'architecte imaginent des points de vue nouveaux. L'invention est souveraine. En fait ces trois caractères mobilité, instabilité, exhubérance et tentation de vertige se retrouvent dans la définition du merveilleux comme dans celle du baroque. C'est pour cela que le style baroque fait au merveilleux une place toute particulière et trouve en lui une de ses plus fécondes sources d'inspiration. Les rapports habituels sont bouleversés. Ainsi se pose le problème de la vraisemblance souci classique par excellence. En effet pour l'homme du X V I I e siècle, tout événement échappant aux lois de la raison familière relève, avons-nous vu, du merveilleux. 3 En fait le merveilleux admet une sorte de vraisemblance qui lui est personnelle, et diffère de celle de la vie quotidienne. Pour peu que l'on respecte une ultime liaison avec le familier, il suffit à rendre vraisemblables des événe-
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ments, des interventions inexplicables sans lui. «Donnez-moi un dragon, une roussalka et des sylvains, donnez-moi ce qui n'existe pas»: demande, entre autres, le musicien Liadov. 4 En fait la passion pour le merveilleux prend ici le pas sur la logique courante et donne licence au créateur. Les «trucs» sont acceptés dans la mesure où ils permettent à l'artiste et au spectateur de satisfaire un appétit commun. Peu importe donc l'artifice avoué, image et projection d'une exigence intime. 5 Toutefois il faut respecter une certaine cohérence intérieure, un dosage entre réel et merveilleux. C'est dans cet esprit que Cazottc introduit dans son récit quelques détails concrêts qui parlent à l'imagination; le cadre connu rend par exemple plausibles les aventures fabuleuses qu'il accueille. Et nous pouvons conclure avec M. Etienne Souriau: «La seule limite est de ne pas nous mettre en face d'être si étranger à notre expérience que nous n'en puissions avoir aucune intelligence». 6 Car la loi de causalité diffère elle-même de celle qui régit le monde familier. Une baguette magique bouleverse par son action une destinée. Le sortilège enchante la nature, deux ailes aux talons suffisent à porter dans les airs un athlète, un rayon de lune tend un pont d'argent de clocher en clocher. Les effets dissimulent aussi soigneusement les moyens que les machines, leurs cordages et contrepoids. C'est donc le triomphe de l'équivoque. M. Pierre-Maxime Schuhl a justement relevé une loi observée notamment par le Père Ménestrier: la règle d'or est qu'une possibilité d'explication rationnelle accompagne discrètement le mystère de l'interprétation merveilleuse. 7 Enfin le rôle de l'illusion est souverain en la matière. Merveilleux s'apparente à miroir, a noté M. Pierre Mabille, c'est-à-dire à illusion par excellence. L'un comme l'autre ne sont que reflet insaisissable. Par cet artifice, le réel et l'apparence sont disjoints. L'instabilité, la fluence universelle et arbitraire y trouvent parfaite expression. Aussi ne s'étonnera-t-on pas de ne découvrir que poupées de bois là où se mouvaient des fées, que solitude là où s'élevait un palais de rêve, que murs aveugles où se profilait un péristyle de marbre. Le merveilleux surgit et disparait comme un songe, son prix est dans son évanescence. Hallucination provoquée, l'illusion doit y être elle-même limitée et passagère, elle ne trouble qu'un moment la conscience, et tout disparait comme fumée chassée par le vent, dont les bribes s'accrochent cependant de ça de là dans la mémoire, germes de prochaines résurrections. A l'instar du sacré dont il est un des reflets sensibles, le merveilleux est ambigu selon le regard que l'on porte sur lui. Son ambivalence se traduit par la transfiguration comme par l'anéantissement, par l'extase bienheureuse ou la transe. Tour à tour il recherche la précision et le flou, la clarté éblouissante et les ténèbres. Les puissances, les actes qui relèvent de lui sont tantôt bénéfiques, tantôt malfaisants et satisfont la nostalgie de Paradis perdu ou le goût satanique de destruction. Volontiers manichéen, 8 il oppose les valeurs diurnes et nocturnes, le Bien et le Mal en
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un dualisme foncier. Les forces maléfiques et les esprits lumineux s'affrontent constamment en lui sans jamais se concilier, usant de moyens différents, fascination infernale, ou attrait idéal. Le merveilleux répond de plus au besoin d'évasion hors des contraintes coutumières, de revanche contre le positivisme, le réalisme ambiant, d'exploration d'un domaine infini aux frontières lointaines et imprécises. Sous son aspect concrêt, il est la manifestation d'une sorte de sixième sens, transcendantal. Plus qu'ailleurs la gratuité des moyens mis en oeuvre s'affirme dangereuse ici car susceptible de tuer la transcendance. Selon la qualité de l'activité instauratrice, le merveilleux témoigne d'une réalité supérieure vers laquelle il tend. M. André Malraux estime: «Il faut beaucoup de réel pour faire un conte de fées, mais il faut que ce réel y perde son poids». 9 C'est précisément dans cette légèreté impalpable que résident le mystère et la difficulté d'appréhender le merveilleux. Le merveilleux implique une sorte de clair-obscur permettant de souligner ainsi certains éléments au détriment des autres et de développer le caractère mystérieux inhérent à sa nature. Il a quelque chose d'imprévisible, d'alogique qui empêche à première vue d'en dégager les lois. Celui qui l'étudié doit donc se garder de toute systématisation arbitraire, procéder par analyse de ses manifestations plutôt que par synthèse audacieuse. Il ne doit pas oublier non plus que le merveilleux conserve un caractère juvénil qui se traduit par ses différents attributs: dynamisme, exagération et jusqu'à cette vision absolue, manichéenne du monde. Son attirance repose essentiellement sur les possibilités fabuleuses dont il dispose. Ses emplois sont variés; le plus souvent, l'artiste y recourt de façon volontaire, c'est-à-dire avouée, faisant appel à la mythologie, à la féerie, à certains procédés qui lui sont propres comme apothéoses, métamorphoses, enchantements, apparitions, v i s i o n s . . . Parfois son emploi est plus discret: création d'une atmosphère fabuleuse, équivoque finale. Souvent primordial, son rôle peut également être secondaire, purement ornemental ou incident. Son intervention par un hasard ingénieux provoque un effet qui peut accroitre son prix. Le goût contemporain influe évidemment sur le succès de tel ou tel mode. U n élément - événement ou sentiment — emprunté au monde familier peut éventuellement toucher au merveilleux par la contagion d'un milieu donné. 10 De toutes façons, chacun des arts doit subordonner la fantaisie de l'invention aux nécessités de l'exécution. «La création est contingence»: remarque Raymond Bayer. 11 L'art traduit le merveilleux selon son propre statut et élit les thèmes qui lui conviennent. Comme il n'en est aucun qui le récuse, son domaine apparaît extrêmement étendu et, si l'on en juge par l'inspiration de Chagall, de Ionesco, de Julien Gracq parmi tant de sourciers d'invisible, il n'a pas fini de croître. Il est certain que ce domaine n'a de valeur au sens esthétique du terme que pour celui qui en a le désir. Il porte donc témoignage d'une part sur l'artiste, de l'autre
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sur ses admirateurs, c'est un rapport entre le désirable et le désiré, le second étant l'accomplissement d'un impératif donné de la sensibilité humaine. Il est évident que le merveilleux n'a de valeur que par contraste. Mais comme le remarque Raymond Bayer, la bourse des valeurs apparait de nature sociologique. 12 Et il nous est impossible de faire abstraction de cette constatation, de détacher artificiellement le fait esthétique du milieu qui l'a élaboré et accueilli. Toutefois le plan sociologique n'est autre chose que l'étude des variations du goût, il est donc limité aux généralités. Si nous voulons atteindre à l'universel, il nous faut revenir à la technique en qui repose la valeur esthétique dans son autonomie. Du jugement de connaissance, nous passerons au jugement de réalité sur lequel se fonde du reste l'élection de la catégorie évoquant au passage le jugement de goût par lequel se définissent successivement le créateur et le spectateur plus sensibles à telle ou telle forme. Pour découvrir le merveilleux, il faut par un premier trajet abstractif aller de
S», que tout ce qui est lourd léger, que tout corps devienne danseur, tout esprit
devienne
oiseau. NIETZSCHE
Conquête de l'espace Contrairement aux autres arts, la danse académique a toujours et par tous les moyens tendu vers un but unique: la conquête de l'espace, la lutte contre la pesanteur. A l'opposé du géant Antée qui, d'après la fable, retrouvait force au contact du sol nourricier, c'est quand elle s'écarte de celui-ci qu'elle accomplit son plus profond vouloir. Le méconnaître est pour elle se trahir et disparaître dans l'acro-
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bâtie ou la pantomime, double tentation où sombre un moment la danse de style italien au XVIIIe siècle pour la première, au X I X e pour la seconde avec l'étonnant Salvatore Vigano. C'est d'ailleurs cette tension dynamique de l'envol spirituel qui différencie profondément le système académique des systèmes andalous ou orientaux, pour ne parler que de danses élaborées et conscientes. A danse consciente correspond évidemment un merveilleux conscient, inhérent à cette aspiration à l'impondérabilité que seule, autorise une longue préparation. En fait il n'y a guère de témoignages écrits autres que techniques, de cette esthétique de Y élévation dont le X I X e siècle prendra pleinement conscience. Ce silence ne signifie nullement que ce point de vue ait été négligé jusqu'alors mais plutôt réservé aux seuls professionnels et parfois un peu éclipsé par le prestige de la
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machine. 18 Le désir d'envol, foncier chez l'être humain, et l'un des ressorts du monde onirique, ne s'accomplit nulle part plus poétiquement. Appliquant à la danse académique la théorie de Focillon, on peut distinguer différents stades, non sans interférences et réserves. Ce sont: 1) l'âge expérimental tolérant à l'égard des négligences de style, c'est-à-dire l'élaboration de la technique aux XVIe et XVIIe siècles. 2) l'âge classique qui confirme certaines tendances appartenant au précédent mais respecte frontalité et symétrie, parfaite clarté des plans. Il s'épanouit au XVIIIe siècle, caractérisé par la grâce noble. 3) l'âge du raffinement qui est souvent apothéose de la forme - scission totale entre celle-ci et l'expression - et correspond au ballet du X I X e siècle. Fermé de plus en plus sur lui-même, il provoque à son tour une désaffection, puis une réaction salutaire. 4) l'âge baroque enfin qui substitue sur le plan formel au jeu des verticales et des horizontales, celui des obliques, de l'épaulement, de la ligne fuyante, l'illusionnisme de profondeur et même éventuellement par contraste une passagère laideur. D'autre part il intègre plus étroitement l'expression au geste chorégraphique et l'exaspère jusqu'au paroxysme passionnel. Si, au XVIIIe, Noverre s'élève déjà contre la symétrie classique, c'est au X X e qu'il appartient d'accomplir cette tendance. Il est évident que l'ère des recherches est toujours ouverte et qu'il est possible actuellement à l'artiste de relever, selon sa vocation, de l'un ou l'autre de ces stades. Tous quatre sont utiles et peuvent accueillir le merveilleux spécifique. Le quatrième accomplit les désirs du premier grâce aux moyens acquis par le deuxième et le troisième. S'il est vrai que tout art commence par le hiératisme et s'anime par la dissymétrie, qui traduit selon M. André Malraux l'éveil de la liberté humaine, la danse en effet part de la position de base croisé19 et n'admet que progressivement l'épaulement. Il est bon de noter que si la danse du X V I I I e siècle par sa rigueur et sa presque totale frontalité semble appartenir essentiellement au style linéaire, c'est en réalité seulement le X X e siècle qui a pu, grâce au développement technique et à la maîtrise que celui-ci entraîne, en tirer un parti complet. La danse est un jeu supérieur. Si, sur le plan technique, elle évolue rapidement, c'est toujours en accord avec un idéal qui ne change jamais. Elle est inviolable car transgresser ses lois ou plutôt les négliger, serait sortir du jeu. 2 0 Il est possible certes de feindre seulement de les respecter, comme le font les artistes médiocres, mais non de les ignorer car les ignorer serait détruire l'ordre académique luimême. A titre de jeu, la danse académique est créatrice d'un monde qui dépasse les apparences et relève par conséquent du merveilleux. Elle fait également appel à celui-ci de trois manières grâce à la surprise qui entraîne inévitablement le dé-
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paysement et conduit à l'évasion transcendante, c'est-à-dire le dépassement des possibilités humaines, des contraintes familières, de la pesanteur quotidienne. Elle relève du merveilleux par ce qu'elle est et par ce qu'elle nie: - Ce qu'elle est: libération, grâce supérieure et édifiée en principe, mouvement et perpétuelle métamorphose, matière transmuée en esprit, effort patient en insouciance, ordre et méthode en désordre apparent et spontanéité feinte. - Ce qu'elle nie: la pesanteur, la lenteur, la monotonie, l'immobilité, la lassitude, le réalisme, la chute. Il s'agit évidemment d'un merveilleux fondé sur l'illusionnisme sensoriel que la danse académique peut traduire par des moyens exclusivement personnels. Contrairement à l'opinion de Ruskin niant la spécificité des arts, et selon le propos d'Oscar Wilde «le sculpteur pense en marbre», le choréauteur pense en chair. Et les autres éléments du ballet ne sont authentiques que dans la mesure où ils sont soumis à cette exigence primordiale. L'essence de ce merveilleux est donc chorégraphique et se situe sur trois plans étroitement dépendants: primo le vocabulaire, secundo la chorégraphie, tertio l'interprète. Précisons à l'aide de quelques exemples attestant la permanence historique de cette constatation. Dans son Esthétique du mouvement M. Paul Souriau note: «La pensée inconsciente s'applique sourdement et d'une manière continue à éviter l'effort». 2 1 Tel est également le désir constant de la technique académique française, sous cette forme: sinon éviter, du moins dissimuler donc supprimer apparemment ce dernier. Dès le XVIIe siècle le premier principe de \'en-dehors,22 d'abord partiel puis progressif, les commandes passées de la hanche et non du genou, les reins affermis, les pliés, cette synergie enfin autorisent la virtuosité. Le long travail à la barre permet de développer l'art de la «capriole», de l'entrechat pour lesquels importe, par dessus tout, cette aisance souveraine. Cette recherche de facilité apparente restera une des dominantes de l'école française, sur laquelle artistes et critiques reviendront à maintes reprises, tandis que l'école italienne se base essentiellement sur la virtuosité. En France le goût de dissimulation de l'effort est tel que l'on l'exige même au Théâtre de la Foire au début du X V I I I e siècle. Le suprême éloge que les Frères Parfaict décernent à Nivelon n'est-il pas: «loin de faire paraître aucun effort, il semblait qu'il mettait de la grâce partout»? Du reste le Registre de la Grange distingue nettement à propos de Psyché les «danseurs» et les «sauteurs» qui exécutent des acrobaties à l'instar de Cardelin. Le critique Geoffroy note au début du X I X e siècle la différence entre virtuosité et danse en disant d'Auguste Vestris: «Il n'y a aucun agrément réel à tourner longtemps sur un pied, cela n'est que difficile». En fait la virtuosité nécessaire pour accroître le vocabulaire, ne devient de l'art et le véhicule du merveilleux que lorsqu'elle disparait devant une grâce supérieure. Spencer fait donc une erreur de
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jugement lorsqu'il décrit dans son Essai sur la grâce un danseur dont il condamne les «dislocations barbares», les tours de force, découvrant les seuls moments de grâce vraie dans les mouvements qui coûtent peu d'efforts. Le danseur qu'il décrit trahit incontestablement son art. Normalement l'effort ne doit apparaître à aucun instant. C'est sur cette parfaite maîtrise que reposent non seulement la grâce, mais encore l'harmonie fabuleuse, donc merveilleuse. Cette aisance est visible autant dans les enchaînements - jetés, coupés, glissés, pas de bourrée - que dans les prouesses - les sauts, battements, pirouettes qui apparaissent au X V I I I e siècle. Elle triomphe dans le principe de l'aplomb.23 En effet, si dans la vie courante l'homme recherche la multiplicité des points d'appui, dans la danse il les supprime au maximum et fait un charme nouveau de cet équilibre en perpétuelle discussion. Tel apparaît le failli, qui, selon Desrat «représente le mouvement d'une personne qui risque tomber par terre» 2 4 et suscite ainsi dans l'esprit du spectateur une appréhension puis une surprise admirative devant le rétablissement imprévu de l'artiste. On peut même trouver un charme magique dans ces équilibres incroyables, ces sortes d'arrêts artificiels dans une position parfaitement instable, tel un développé à la seconde avec épaulement, une pause sur pointe en arabesque non soutenue, le passage d'une attitude instable à une autre qui ne l'est pas moins, ces retards également et le ralentissement qu'ils supposent, ou bien l'accélération vertigineuse des fouettés brusquement arrêtés en cinquième position. Dans la nature tout grand mouvement est suivi d'un petit qui en est la résonance; il en est différemment dans la danse où le mouvement doit s'arrêter nettement sans bavure, avec une aisance qui fait naître la surprise et l'émerveillement. Quant aux préparations, elles doivent être presque invisibles et obligent le danseur à les effectuer sur les temps faibles; le spectateur qui voit l'artiste retrouver le sol en mesure, ne peut réaliser cette sorte de contretemps, et suppose l'exécution plus rapide qu'elle ne l'est en vérité. Illusion et domination de la matière qui enchantent parce qu'inexplicables selon la logique habituelle. Progressivement la technique en découvrant de nouveaux secrets, trouve aussi de nouveaux problèmes à résoudre. Vestris multiplie par exemple les pirouettes à la hauteur25 qu'il se contente de terminer en trépignant; ses successeurs devront perfectionner cet arrêt fruste et s'immobiliser en plein élan. Le ballon ne consiste pas seulement dans la faculté supérieure de bondir. Noverre ne constate-t-il pas à propos de Melle Théodore: «C'était un ballon qui rendait son exécution si légère que sans sauter et par la seule élasticité de son coup de pied, on se persuadait qu'elle ne touchait pas terre»? 2 6 Pour sa part, Geoffroy observe le 14 Avril 1812: «Si l'on daigne encore toucher terre, on se pique du moins de ne la toucher que d'un seul pied». Au soulier à talon on substitue le chausson souple, au pied soutenu, la demi-pointe puis la pointe féminine, au simple développé27 une arabesque qui, à son tour, s'étirera progressivement jusqu'à devenir néo-classique au X X e siècle.
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Par le moyen de l'élévation - tension moelleuse et infinie - le danseur non content de dominer les contraintes physiques tend à s'échapper vers le ciel. A chaque siècle correspond une forme d'élévation en accord avec le stade d'évolution esthétique. Prenons trois exemples, en reconnaissant tout ce que cette sélection peut avoir d'arbitraire. Il est difficile de parler à ce point de vue du X V I I e siècle, période de formation plus que d'épanouissement où l'on s'en remet souvent à la machine exclusivement. Au X V I I I e siècle nous possédons de précieux témoignages sur l'art de Dupré. Casanova, entre autres, en donne dans ses Mémoires une description peu avertie, mais d'autant plus éloquente qu'elle est sincère et date de 1750, c'est-à-dire de la fin de la carrière du danseur âgé de cinquante trois ans: «Dupré fait toujours la même chose et chaque jour nous croyons le voir pour la première fois. Telle est la puissance du beau, du bon, du sublime et du vrai qui pénétrent l'âme!»: fait-il dire à son interlocuteur et initiateur. Ce beau qu'est-il? Casanova l'explique en décrivant au Ile acte un danseur masqué qui s'avance, puis s'arrête dans «une position parfaitement bien dessinée; tout à coup cent voix disent Ah! mon Dieu, mon Dieu! il se développe . . . Effectivement il paraissait un corps élastique qui, en se développant, devenait plus grand». 2 8 Ce développé magique, Marie Taglioni le transforme un siècle plus tard en arabesque. Après avoir prouvé sa légèreté aérienne par une série de balonnés moelleux, elle s'immobilise sur la pointe, fragile support, et de tout l'élan de sa personne tend à l'infini. L a ballerine se tranforme en idée. Nul mieux que la persistance de l'arabesque au X X e siècle n'illustrera cette tendance métaphysique sur laquelle nous reviendrons ultérieurement. Ses équilibres menacés, ses ralentissements incroyables et la façon dont elle étirait ses arabesques ont rendu Spessivtseva inimitable. M. Boris Kochno raconte pour sa part avoir vu la danseuse interpréter avec une parfaite facilité l'acte II du Lac des cygnes sur un tempo deux fois plus lent qu'il n'est normal, image surprenante d'harmonie et détachée de tous liens terrestres. 29 «Dans notre lutte contre la pesanteur, la chute, c'est la défaite, constate M. Paul Souriau, l'équilibre, c'est la défensive; le mouvement de simple translation, c'est un commencement d'affranchissement; le mouvement ascensionnel, c'est le triomphe» 3 0 ou bien plutôt l'évasion. Evasion faite d'élan et non de repliement, la danse académique est en effet excentrique. Bras et jambes dégagent, développent, le pied monte sur la pointe, le buste s'étire au maximum, la tête se redresse sur le cou dardé, contrairement à ce qu'il advient dans la danse orientale concentrique, extatique et comme enivrée par un stupéfiant. Elle se confond alors avec la grâce, autrement dit pour reprendre les termes de M. Bayer: «se réfère dans l'apparence tantôt à la résistance et tantôt à la puissance (...). Elle est toute dans l'éclosion des élans et dans le passage aux repos». 31 Elle offre le reflet d'un monde merveilleux où des causes inconnues engendrent des effets qui ne le sont pas moins.
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Evolution des conceptions planimétriques
et stérêométriques
Dans l'ordre du ballet académique, vocabulaire et chorégraphie, matériau et oeuvre ne peuvent être séparés arbitrairement. Comme le peintre, le choréauteur compose sa palette. En fait l'importance de celui-ci n'a cessé de croître, suivant en cela le développement du système académique. A l'origine, étant donnée la relative simplicité du vocabulaire, il s'agit pour lui de tracer des «chemins» subtils, conception géométrique et planimétrique. Tels des pions, les danseurs se déplacent sur ses ordres dessinant sur le sol des étoiles, des soleils, des carrés, des cercles ou même des lettres et des devises qui passent parfois pour trop complexes. Tout cela reste encore très proche de l'emblématique chère aux lettrés du XVIe siècle. La danse se ressent de ses origines humanistes. Parfois elle se contente exclusivement d'un jeu de lignes simples. Laissons par exemple la parole à Beaujoyeux décrivant le ballet de Circé où les danseurs exécutèrent: «quarante passages ou figures géométriques, et icelles toutes justes et considérées en leur diamètre tantôt en carré, et ores en rond, et de plusieurs autres façons, et aussitôt en triangles accompagnés de quelques autres petits carrés et autres petites figures», évolutions régulières qui «tournaient en rond, s'entrelaçaient en chaîne, dessinant des figures variées avec un ensemble et un sens des proportions qui émerveillaient l'assistance». Le caractère de continuité de ces évolutions, la façon insensible dont l'une se métamorphose en l'autre enchantent particulièrement les spectateurs. Il est inutile d'insister sur le caractère merveilleux de cette conception, géométrie mobile à l'image des féeries astronomiques que Ronsard a évoquée en ces termes: Le ballet fut divin qui voulait se reprendre, Se rompre, se refaire et tant dessus retour Se mesler, s'écarter, se tourner à l'entour Contrimitant le cours du fleuve de Méandre. Ores il estoit droit, ores long, ores estroit Ores en poinctes, en triangles .. . En général le chorégraphe commence par régler les danses lentes puis, par une gradation naturelle, passe aux danses rapides. Parfois il préfère aux jeux de lignes simples, des recherches plus subtiles dont les finesses restent probablement incomprises de la plupart, mais dont l'élégance est généralement très admirée. Très révélateur de cette tendance apparaît le finale du grand ballet d'Alcine dansé de 17 Janvier 1610 dans la Salle du Louvre par douze chevaliers désenchantés. Cette chorégraphie hiéroglyphique était basée, soi-disant, sur l'alphabet des anciens
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Druides («trouvé depuis quelques années dans un vieil monument»). Elle en évoquait successivement douze caractères ou double sens du terme puisqu'il s'agit d':
Amour puissant:
ambitieux désir:
vertueux dessin:
renom immortel:
«Les susdites figures se marquaient chacune d'une cadence entière tournant ou retournant en leur même place; puis après ces quatre, les Chevaliers d'un autre pas plus gai et plus relevé, puisque du tout à capriolles, ils rentraient d'un bel ordre en la cinquième figure» et ainsi de suite évoquant tour à tour:
grandeur de courage:
peine agréable:
constance éprouvée:
vérité connue:
et enfin heureux destin:
aimé de tous:
couronne de gloire:
pouvoir superbe:
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Nous ne possédons malheureusement que le dessin général de ces évolutions mystérieuses. Il est vraisemblable que celui-ci primait le contenu. A défaut de traité français contemporain, on peut toutefois sachant l'influence des maîtres italiens à la cour de France, se reporter à ceux de Fabrizio Caroso et de Gesare Negri qui témoignent d'un degré déjà avancé dans la complexité. Certes il faut se garder de trop interpréter les pas anciens selon l'optique moderne. On peut constater pourtant que les principes essentiels de l'illusionnisme sont déjà respectés ou du moins déjà posés. Les bras sont encore sacrifiés aux jambes. Ils ne seront que tardivement l'objet d'étude. La force prime souvent la grâce et cela explique qu'il faille attendre le siècle suivant et la réforme des costumes pour connaître l'éclat de la danse féminine. A la danse basse s'adjoignent toutes les ressources de la danse haute: caprioles, entrechats, tours divers . . . Une réelle connaissance de ce vocabulaire permet seule de régler en quelques heures les innombrables mascarades improvisées dans les châteaux dès 1600 et de les distinguer des pantomimes donc de les doter par l'intermédiaire du langage chorégraphique d'un certain facteur merveilleux. En fait les figures complexes comme celles d'Alcine sont réservées aux grands spectacles. Elles se déroulent vite sur un plateau incliné. Pour remédier au caractère assez sommaire, sur le plan chorégraphique, des mascarades à peine concertées, les seigneurs s'en remettent à la fantaisie burlesque des costumes, des machines mobiles, et il est difficile de préciser dans quelle mesure les pas ont été réellement dessinés à l'avance. 32 Les ballets sont alors divisés en parties, chacune composée de dix à douze entrées «servant toutes au sujet, écrit Marolles, mais avec une telle diversité qu'on n'ait pas le loisir de s'en ennuyer, c'est-à-dire qu'il ne faut pas les faire trop longues et qu'elles doivent être inégales, quelques-unes d'une seule Partie, d'autres de deux, ou de trois ou de quatre et d'autres de cinq ou de six, quoique beaucoup plus rarement et avec des pas parfaitement ajustés à la représentation.» 33 Certes la principale tâche du choréauteur est d'abord d'établir les diverses figures, c'està-dire aux X V I I e et X V I I I e siècle le dessin géométrique au moyen des pas académiques; chacune d'entre telles, selon Michel de Pure, apparaît d'autant plus enchanteresse «qu'elle dure quelques moments et qu'elle donne le loisir d'en apercevoir les grâces». 34 Mais rapidement le talent du choréauteur se manifeste particulièrement dans la beauté et l'originalité des enchaînements; ce sont ceuxci qui laissent libre cours à son invention créatrice. On ne cesse d'attendre d'une chorégraphie l'originalité du développement dans la surprise suscitée par l'inattendu. Assez révélatrice de cette recherche apparaît la critique du ballet des VingtQuatre heures, réglé par Blondy en 1722 et qui «divertit fort S. M. (Louis XV) par la variété et la bizarrerie plaisante dont il était égayé d'un bout à l'autre». Vraisemblablement le choréauteur a tardé à posséder l'autonomie créatrice dont
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il jouit habituellement aujourd'hui. Durant plus de deux siècles, entre autres exemples, les danseurs professionnels succédant aux amateurs de qualité ont conservé le privilège de régler eux-mêmes leurs entrées, privilège dont ils arguaient très souvent pour mieux servir leur talent personnel, nuisant ainsi à l'équilibre de l'ouvrage. M. de Cahusac se plaint notamment de ce qu'un «danseur croit ne rien avoir fait lorsqu'il exécute les figures qu'on lui demande. Il veut se dessiner de caprice et réussit presque toujours à faire de son entrée un contre-sens». 35 Ainsi peut-il rompre par un souci vain de performance le climat merveilleux créé par l'action chorégraphique. Tout naturellement avec l'évolution de la technique ces tolérances devenues dangereuses pour l'unité de style de l'ouvrage tendent à disparaître. 3 6 Cependant, en dépit de l'indépendance conquise par Pierre Gardel et Jules Perrot, natures intransigeantes, les ballerines souveraines au X I X e siècle n'hésitent pas à renouveler à leur avantage les erreurs de leurs aînés. A leur gré, elles insèrent telle variation de leur choix dans une oeuvre où elle n'a que faire et ne peut que nuire au climat général. Par contre s'affaiblit, sauf dans les ensembles, l'importance du chemin, dessin au sol dont George Balanchine «habile géomètre» renouvellera de nos jours les prestiges tandis que Léonide Massine et Serge Lifar s'attachent pour leur part à intégrer geste lyrique et expression dramatique.
Variations. Pas de deux.
Ballabiles
La création chorégraphique se rapproche, avons-nous dit, de la création musicale. De même que le compositeur fait appel d'une part à l'orchestre, de l'autre éventuellement à un ou plusieurs instruments concertants, de même le choréauteur anime alternativement ou concurremment corps de ballet et solistes. Pécourt semble avoir été assez inventif à l'égard des ensembles si l'on en croit le chroniqueur de la fête de Chantilly de 1688. Il y fit apparaître vingt-et-un danseurs déguisés en faunes, et montés sur les épaules les uns des autres; «ceux qui estoient les plus élevés sautaient en cadence de quatre mesures en quatre mesures, et comme il n'en sautoit que trois à la fois, on en voyait toujours trois qui formoient la même figure que les trois premiers». Ainsi l'allée fut toujours remplie avant que fut exécuté le ballet général, prestige des évolutions rythmés au déroulement infaillible. Peu à peu le nombre des «figurants» va augmenter. D'après les témoignages contemporains. Noverre était très doué pour les ensembles ou ballabiles auxquels il prêtait une vivacité inhabituelle. Son influence reste forte à cet égard et se manifeste notamment en la personne de Pierre Gardel qui excelle dans ces vastes tableaux animés, ces déploiements grandioses qui impressionnent l'imagination de Napoléon. Par la suite on note le talent de Coralli, le manque d'aisance
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de Mazilier, la monotonie de Saint-Léon. Gautier loue Jules Perrot à propos de la Filleule des Fées: «Personne ne manie avec plus d'aisance que Perrot les masses chorégraphiques; de cette foule, tout danse depuis la rampe jusqu'à la toile de fond et chaque danseuse exécute quelque chose de joli et de bien dessiné».37 Peu à peu la science des ensembles déclinera tellement en France à la fin du siècle qu'il faudra attendre la venue des Ballets russes pour que Jean-Paul Toulet puisse admirer grâce à Michel Fokine cet art de faire mouvoir les masses selon les étroites lois d'un désordre rigoureusement ordonné. Quittant ce point de vue strictement technique, il est permis de considérer comme relevant du merveilleux visuel cette machine ingénieuse et diverse, microcosme ou kaléidoscope de formes et de couleurs dont l'harmonie semble l'oeuvre d'un bienheureux hasard. Le pas de deux occupe pour sa part une place très particulière. Pas de deux signifie chorégraphiquement un pas dansé par un danseur et une danseuse. Certes, il peut advenir qu'il soit interprété par deux danseurs ou deux danseuses, mais le plus souvent dans ce cas il implique l'exécution presque symétrique d'une suite de pas et ne répond alors que partiellement à l'acception habituelle. Ce dédoublement relève directement du merveilleux du miroir. Le public peut s'imaginer qu'il ne s'agit que d'un reflet, d'un mirage en quelque sorte. En fait le pas de deux n'apparaît qu'au début du XVIIIe siècle, époque à laquelle David Dumoulin se distingue déjà dans cet art raffiné auprès de Melle Sallé. Noverre lui reconnaîtra à cet égard «une supériorité que l'on aura peine à atteindre; toujours tendre, toujours gracieux, tantôt papillon, tantôt zéphyr, un instant inconstant et un instant fidèle». 38 Tout au long du siècle cet art, transfiguration harmonieuse de la dualité du genre humain, ne cesse de se perfectionner. A l'origine, il reste proche de la danse mondaine - du menuet par exemple - danseurs et danseuses exécutent des pas voisins. Peu à peu, la multiplicité des équilibres, des temps A'aplomb, la simplification du costume annoncent le triomphe de l'adage romantique, véritable cantilène à deux voix où la danse masculine et la danse féminine mettent en commun leurs secrets, où l'amour se transfigure par la grâce des portés, le plain-chant des arabesques déjà esquissées par Blasis; il s'épanouit notamment avec Jules Perrot et Lucien Petipa partenaires discrets des grandes ballerines. Au X X e siècle il découvre enfin son apogée dans un parfait équilibre régnant entre les interprètes. L'adage forme le sommet de la danse académique, du ballet où il s'insère. Par le chemin de la transfiguration émotionnelle, l'héroïsation, il se prête au merveilleux, rejoint les mythes premiers. Par l'étrangeté du langage plastique, il se situe sur un plan supérieur où le geste suggère l'idée et le sentiment. Sans insister davantage sur la variation dont l'essence déjà évoquée sous l'angle de la composition est aisée à pénétrer, nous pouvons reconnaître avec Batteux que la Danse académique comprend des soli, des duos, des choeurs, des reprises, des
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rencontres qui ont les mêmes règles que la musique. 39 L'harmonie consiste à accorder ces différentes parties entre elles: avec la musique, le rythme lent ou vif, le développement dramatique ou du moins l'équilibre général de l'oeuvre.
La part de
l'interprète
Comme le musicien, le choréauteur ne travaille pas une matière brute. Son oeuvre diffère intensément de celle du sculpteur et s'appuie sur celle du maître de ballet, du professeur qui ont en quelque sorte modelé le corps de l'interprète selon des canons aussi minutieux qu'originaux. La création chorégraphique se situe donc sur deux plans: d'une part il faut façonner l'instrument, le danseur; d'autre part, ordonner la gamme de ses possibilités. Selon que le choréauteur développe la technique académique dans un sens donné, il utilise plus volontiers tel ou tel style à l'intérieur du système, tel ou tel genre de variation (petite batterie ou temps d'adage par exemple), il est amené à cultiver chez ses interprètes des possibilités accordées à ses goûts. A travers le choix ou l'utilisation qu'il fait des artistes, de leurs qualités prépondérantes (lyrisme, précision ou légèreté, puissance) il oriente son art dans la mesure où une part du public l'approuve, où il suscite des disciples. Le prestige de la scène, la perfection d'une exécution progressivement réservée aux professionnels ont transformé sous l'Ancien Régime un passe-temps agréable en un cérémonial merveilleux. Le rôle de l'interprète apparaît d'autant plus important de prime abord que jusqu'au milieu du X I X e siècle les spectateurs et la critique attribueront toujours aux seuls interprètes les innovations introduites dans le vocabulaire académique. Ils confondront ces charmes inédits avec la personnalité même qui les leur révéla ou dont le talent les mit soudain en évidence. On peut citer à cet égard Melle Heinel et Auguste Vestris pour la pirouette qui leur est antérieure, Marie Taglioni pour Y arabesque sur pointe, Fanny Cerrito pour certains effets de virtuosité. Au fur et à mesure pourtant que ces prouesses se diffusent et se vulgarisent, le public plus initié les distingue de leurs exécutants. En réalité, abstraction faite des exagérations dues aux ignorants, l'interprète a une influence plus profonde sur la technique qu'il ne semble d'abord. Certes à la classe, le danseur est seulement un instrument. Il développe l'une après l'autre, les différentes parties de son corps selon une esthétique élaborée par d'autres. Le merveilleux qui peut se dégager éventuellement de son activité est essentiellement celui du vocabulaire fait chair, donc plus difficilement perceptible car non élaboré et privé des prestiges spectaculaires et de l'éclat de l'exécution publique. «L'exercice, déclare Stéphane Mallarmé, comme invention, sans l'emploi, comporte une ivresse d'art et simultané un accomplissement industriel». 40
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Mais, comme il ressort du travail de répétition, les possibilités mêmes du danseur - sans parler de ses recherches personnelles - suggèrent parfois au choréauteur certains mouvements enrichissant l'oeuvre. 41 Au cours d'entretiens avec divers créateurs, tels Serge Lifar, Roland Petit, Peter Van Dijk» nous en avons eu confirmation. Avant même que le ballet ait pris forme, la personne de l'interprète oriente le choréauteur. Il est difficile en effet de concevoir l'image mentale d'une chorégraphie notée selon un système car le spécialiste ne la peut déchiffrer qu'en fonction de l'expérience préalable d'une chorégraphie déjà réalisée. Le plus souvent le choréauteur compose donc en fonction de l'interprète, que celui-ci soit déjà désigné donc réel, ou qu'il soit imaginaire et idéal comme il advient par exemple pour Balanchine. L'oeuvre n'existe qu'à partir du danseur. Alain énonce: «Dans tous les arts, c'est de l'exécution même que naît le beau et non point du projet (...) on ne peut inventer une danse sans danser». 42 Danser ou faire danser, dirons-nous, sans oublier qu'il n'est pas d'exemple de choréauteur qui n'ait été quelque peu danseur. La respiration n'est-elle pas «le berceau du rythme» selon Rilke? Le danseur doit avant tout apprendre à respirer, et la variation doit être conçue en fonction de cette loi première, connue seulement par l'expérience personnelle. Du reste la description cinématique du mouvement est indissociable de ce que M. Gaston Bachelard appelle: «la considération dynamique de la matière travaillée par le mouvement» 43 c'est-à-dire ici le corps du danseur. Par cette initiation préalable, le choréauteur a acquis le savoir donc le pouvoir magique d'illusionnisme qui lui est inhérent par la recherche de dissimulation de l'effort. Restant dans le domaine des généralités, on ne peut refuser à l'interprète une part dans la création dont il est à la fois l'objet et le sujet, l'acte et l'artisan. Si par hasard choréauteur et interprète se trouvent confondus, les deux fonctions coexistent toujours comme nous l'avons déjà noté. Et même ainsi que le constate judicieusement Mme Gisèle Brelet à propos de la musique, cette exécution «ne peut être considérée comme l'exécution archétype de l'oeuvre». 44 En matière de ballet, il n'existe réellement pas d'archétypes. Essentiellement humaine dans ses conditions, surhumaine dans ses aspirations, la danse académique s'offre comme un faisceau de possibilités qui dépendent uniquement de l'interprète, de ce coefficient personnel, imprécisable à l'avance, entraînant diversité et surprise. Et Paul Valéry vient à l'appui de cette assertion quand il s'écrie: «Il n'est pas de très belle oeuvre qui ne soit susceptible d'une grande variété d'interprétations également plausibles. L a richesse d'une oeuvre est le nombre des sens ou des valeurs qu'elle peut recevoir tout en demeurant elle-même». 45 Il peut suffire d'une simple erreur de compréhension, d'une nuance de vulgarité pour trahir l'esprit d'un ballet, d'une variation, pour n'en plus donner que la lettre privée de sens. Or il existe toujours des affinités électives entre telle oeuvre et tel interprète, de même qu'entre tel choréauteur et tel danseur. Théophile Gautier loue dans la collaboration Perrot-Carlotta Grisi:
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«une double perfection qui se complète; l'exécution égale à l'idée, l'idée ne trompant pas l'exécution . . . L'idéal du ballet réalisé». 46 Cette entente précieuse, librement consentie existe aussi bien pour le corps de ballet que pour les solistes. U n manque de compréhension réciproque entraîne indubitablement l'échec. Par exemple Noverre imposé à l'Opéra par la volonté royale ne peut parvenir en dépit d'interprètes de mérite à exprimer fidèlement comme il l'avait fait à Stuttgart dans un tout autre climat, une esthétique qui n'est ni celle du public, ni celle de la plupart des danseurs. Plus encore que dans la musique, l'accord spontané des interprètes est nécessaire au choréauteur dont l'idéal ne peut à aucun titre s'imposer par la force. Les témoignages de Serge Grigoriev à propos de l'activité chorégraphique de Nijinsky sont très révélateurs à cet égard. La liberté créatrice est d'ailleurs très évidente chez le soliste qui a toute latitude d'ordonner sa variation plus ou moins heureusement à l'intérieur d'un nombre de mesures délimité d'avance et peut même souvent choisir avec le chef d'orchestre le tempo qui lui convient et permet la fluide continuité du mouvement, quête principale de la danse académique. Le ballet ne s'accomplit que dans la représentation et lorsqu'il est abandonné par son auteur aux exécutants qui semblent le découvrir aux yeux des spectateurs. Ces considérations semblent en apparence s'éloigner de notre propos, pourtant elles ne visent qu'à préciser dans quelle mesure étroite le merveilleux chorégraphique dépend du danseur et à quel point une oeuvre peut être trahie ou transfigurée par une interprétation maladroite ou radieuse. Elles sont fondées sur le témoignage précieux d'artistes comme Yvette Chauviré, Nina V y r o u b o v a . . . Le merveilleux peut émaner soit du ballet, donc du choréauteur, soit de l'interprétation, donc du danseur. Or quelle que soit l'époque et sans même élire l'ère romantique idolâtre des ballerines, l'interprète conserve vis-à-vis du public français un prestige incomparable. Il est considéré en quelque sorte comme le grand prêtre d'un rite mystérieux. Souvent même il est traité par ses admirateurs de «Dieu» dont l'apparition pleine de grâce enchante, transporte l'âme du spectateur et satisfait son désir profond de légèreté, d'aisance surnaturelle. La certitude que ces dernières n'ont été acquises qu'au prix d'un effort acharné reste complètement dérobée par la facilité de l'excution. Seule, la conscience inférieure doit veiller sur la maîtrise. Laissant la prouesse qui n'est qu'effet musculaire, objet d'étude superficielle, pour une compréhension plus haute de son art et de ses pouvoirs spécifiques, la véritable «étoile» doit toujours être digne de l'observation d'André Levinson: «On peut rivaliser avec elle dans les difficultés. Mais qui l'égalerait dans l'exécution parfaite des choses simples»? 47 Essentiellement éphémère et menacée de disparition complète par oubli, la part de l'interprète apparaît également source de légende tels ces prodiges accordés aux danseurs disparus. Noverre évoquant ces ombres fragiles, observe juste-
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ment: «C'est à votre imagination de leur prêter un corps et le mouvement; si vous lui donnez l'essor elle vous créera des êtres parfaits, remplis de grâces, dansant, sautant et pirouettant à merveille». D'autre part le danseur possède le pouvoir merveilleux de susciter chez le spectateur des sentiments analogues à ceux qu'il exprime spontanément par son propre rayonnement expressif. Nous avons déjà parlé à ce propos de Dupré, de Marie Sallé, Marie Taglioni, Jules Perrot et Emma Livry ou Carlotta Grisi. On peut constater en dehors de ce rayonnement émotionnel, que l'on peut retrouver d'ailleurs dans d'autres branches des arts spectaculaires, un merveilleux de la «virtuosité», du triomphe sur la maladresse, sur la disgrâce, dans la mesure bien entendu où l'exercice est transcendé. Les frères Malter, Melles Camargo et Lany, Auguste Vestris, Pierrina Legnani en sont de parfaits exemples. Il s'agit toutefois d'une tendance assez peu française. Cochin au XVIIIe siècle le confirme en ces termes: «ce n'est pas dans la difficulté surmontée que consiste le vrai talent de plaire» dans la mesure du moins où cette victoire reste visible; et il craint que l'orchestre rapprochant danseurs et spectateurs ne supprime particulièrement pour la «danse haute», l'illusion nécessaire du manque d'effort. Comme le remarque Carlo Blasis, «le comble de l'art c'est de rendre sa présence invisible». C'est à ce moment seulement qu'apparaît éventuellement le merveilleux chorégraphique. A tout instant le danseur est appelé par le double chemin de l'exécution et de l'instinct à pratiquer ce qu'André Lhote appelle «l'utilisation plastique des coups de foudre». Pierre Gardel donne le précieux conseil pour apprécier un danseur de l'arrêter à un moment d'une attitude, d'une position et de l'examiner. Seule en effet, une constante observance des règles académiques, une orthodoxie parfaite donne au danseur la domination de lui-même et par là le dote dans une certaine mesure de pouvoirs merveilleux. Trahir à quelque moment que ce soit l'ordre académique c'est, pour lui, quitter un monde surnaturel pour retomber dans la quotidienneté, c'est retrouver sa condition humaine et renoncer à la démiurgie dont on pouvait le croire doué. La présence physique du danseur en dehors même de la perfection apparente de ses formes et de son éternelle jeunesse, est un facteur premier du «charme» qu'il exerce, directement influencé par son pouvoir de métamorphoses. Pratiquement le spectateur vient voir Dupré ou Marie Taglioni, en fait il est subjugué par Apollon ou la Sylphide. L'individu continue à exister, mais il se transforme sous nos yeux en un autre, inconnu, dont le comportement nous est parfaitement étranger. Aussi le mythe de Protée a-t-il souvent été évoqué à propos de ces transfigurations chorégraphiques où non seulement le visage, mais les moindres inflexions corporelles jouent un rôle important. Or la nature même de l'artiste le rend plus ou moins apte à telle ou telle métamorphose: divinité, héros, créatures intermédiaires ou élémentaires. Bien que pro-
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fondement différent de la danse archaïque, le système académique conserve certains de ses caractères. Le danseur académique à l'instar de l'initié possédé par son déguisement, mais sans s'abandonner à la transe, perd dans une certaine mesure sa personnalité pour en incarner une nouvelle, passage qui ne se fait pas sans une ascèse préalable, d'autant plus sévère que la métamorphose est plus complète. Comme le note Bonnet en 1724, la perfection en la matière consiste à conserver étroitement dans les gestes et postures chorégraphiques le caractère du personnage que l'on représente, ce qui fit dire encore à un étranger de considération qui n'avait jamais assisté à ces sortes de spectacles, ne voyant qu'un seul Danseur avec des masques et des habits différents pour représenter un ballet, qu'il fallait que dans un seul corps il y eut plusieurs âmes. 48 Cette métamorphose est à la fois plus subtile à opérer et plus complète, lorsqu'elle s'accomplit pleinement, que celles proposées par le théâtre dramatique. En l'absence de parole, l'adoption d'un vocabulaire d'exception la situe d'emblée dans un climat de dépaysement. D'autre part, elle exige une domination totale des moyens corporels, une véritable incarnation et enfin pour susciter une expression authentique, une compréhension toute intérieure sans laquelle il n'est ni création, ni par conséquent créance. Le célèbre professeur Marcel prétendait au XVIIIe siècle déceler le caractère d'un homme d'après sa seule démarche et son comportement dans la danse. Sans aller jusque là les théoriciens spécialisés s'accordent à reconnaître que la danse est le plus direct des modes d'expression et de communication des sentiments que les artistes extériorisent puis font naître chez le spectateur. A plusieurs reprises, nous avons cité pour sa virtuosité Melle Camargo. Celle-ci sans chercher à traduire de nuances psychologiques, à l'instar de sa rivale Marie Sallé, imprimait toujours à son art une séduisante gaîté, une insouciance allègre. Il serait aisé de supposer, puisqu'il s'agit de «danse pure» par opposition à la «danse d'action» qu'elle ne faisait ainsi que laisser libre cours à une tendance naturelle. Or il s'agit en vérité d'une conception personnelle de la danse et d'une transformation scènique. M. l'abbé de Fontenai révèle en effet à propos de cette apparence joyeuse: «Ce dernier caractère paraissait si naturel ( . . . ) qu'elle l'inspirait aux gens même qui en étaient le moins susceptibles. Effort heureux de son amour pour ses talents». 49 Car l'auteur précise que cette joie qui l'animait toute entière en scène semblait s'éteindre dès qu'elle rentrait dans les coulisses, soulignant la métamorphose émotionnelle. En fait le contact avec le public provoque fréquemment cette sorte d'état second. Pour sa part Jean Cocteau a déjà décrit: «le contraste entre le Nijinsky du Spectre de la Rose qui rentrait saluer et sourire cinquante fois sous un tonnerre d'acclamations et le pauvre athlète qui, entre chaque salut, râlait contre un portant une main à ses côtés, presqu'évanoui (...) offrant côté face une merveille de grâce et côté pile un exemple extraordinaire de force et de faiblesse». 50
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L'observation de ces divers processus intérieurs et extérieurs est d'autant plus rigoureuse que le ballet fait appel fréquemment à des allégories, à des êtres fantastiques: sylphes, ondins, péris ou à des actions surnaturelles, mythologiques ou féeriques. Enfin, pour en revenir à un domaine plus strictement spécifique, de même que les rites archaïques utilisent la substitution et le report, la danse clas -
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sique satisfait par le moyen du danseur une aspiration confuse à une grâce irréelle, une adresse et une rapidité de mouvement basée sur l'illusionnisme de la technique. P a r l'intermédiaire du danseur, le merveilleux de la métamorphose se satisfait aussi de ralentissement de temps proposé par l'adage, le bond, ou au contraire d'une accélération feinte, illustrée en particulier par les tours en l'air, la pirouette et \'entrechat. Sur le plan du spectateur, l'impression du mouvement chorégraphique est l'émotion objectivée et attribuée à l'artiste qui exécute le pas, ou plus justement à l'être dansant. Historiquement parlant, nous avons pu constater qu'aux périodes de déclin chorégraphique correspondaient des éclipses du merveilleux spécifique incompatible avec la gratuité de certains procédés. D'une part donc, le merveilleux est lié à une certaine trancendance de la danse académique, le mépriser est souvent la mépriser ou du moins la trahir, de la part du spectateur comme de l'artiste; l'un et l'autre sont ennemis du positivisme, du réalisme. Cela est si vrai qu'à une époque où s'affaiblit, dans d'autres arts, l'attrait du merveilleux, il est cependant entré dans les moeurs au point de provoquer un décret de Napoléon réservant en 1806 à l'Opéra l'exclusivité des ballets mythologiques ou nobles, faisant appel au merveilleux. 51 Dans le domaine de la technique, la valeur merveilleuse du saut de l'ange, entre autres, ne réside nullement dans sa hauteur très inférieure au saut athlétique mais dans l'illusion où il tient le public quant à sa portée réelle. L'Aulnaye a donc parfaitement tort lorsqu'il ne voit dans la «danse pure»: «qu'une suite de mouvements inexpressifs, de pas arbitraires, peu propres à émouvoir un spectateur sensible et qui ne pourrait tout au plus intéresser que par le triste mérite de la difficulté vaincue». 52 Le but de la danse n'est pas d'émouvoir mais de transporter le public dans un univers inhabituel. Elle y parvient au moyen de pas complexes dont le prix ne repose pas sur l'effort - constamment dissimulé en princ i p e - m a i s sur la liberté surnaturelle qu'implique cette aisance. Il s'agit là non plus de surpasser le finalisme pratique de l'instrument corporel, mais plutôt de satisfaire le finalisme poétique détenu en puissance par le corps humain. D'autre part le merveilleux inhérent à la technique même prend difficilement vie; il s'évanouit devant la simple performance. Profondément humain, il faut que le servent des artistes authentiques, choréauteur et danseur qui ne peuvent rien l'un sans l'autre. Aux périodes de déclin, les noms se font plus rares, le génie disparaît avec le merveilleux purement chorégraphique. Seul demeure éventuellement celui du livret, plus ou moins littéraire, simple procédé parfois. Certes l'interprète inspiré peut conférer un éclat surprenant à une variation banale, suggérer l'invisible. Mais pour que naisse une oeuvre accomplie, il faut que se rencontrent choréauteur et danseur dans une mutuelle compréhension de leur art. Celle-là seulement peut capter le merveilleux et lui conférer un nouveau visage.
CHAPITRE 7
Le merveilleux et le livret
«Le sujet est l'âme même du ballet» observe Michel de Pure, «il règne uniquement durant toute l'action et dans toute la durée du divertissement encore que les entrées en paraissent séparées». Le titre doit avant tout contenir le dessein entier. Souvent il consiste à mentionner le principal personnage - Alcine, La Sylphide, Le Diable amoureux, Petrouchka - parfois évoque l'action - La Délivrance de Renaud, Le Sacre du Printemps, Les Noces fantastiques, ou bien encore la dualité de celle-ci — Giselle ou les Willis. Le livret est plus ou moins le développement du sujet. Il n'est pas indispensable car nous avons vu qu'il pouvait exister des ballets dits de «danse pure». Toutefois l'usage du livret est presque constant dès le X V I I e siècle. Il peut être l'oeuvre d'un poète, de l'ordonnateur du spectacle, voire même du musicien ou du décorateur, ou bien encore oeuvre collective. L'idéal est qu'il soit celle du choréauteur qui aura à en exprimer toutes les finesses, et sait ce qu'il veut ou peut dire et par quels moyens. Cependant au X V I I e siècle les rôles apparaissent généralement distincts et il faut attendre le milieu du XVIIIe siècle pour que le choréauteur en assume éventuellement l'élaboration, en s'inspirant soit de légendes antiques, soit d'oeuvres littéraires, tel Noverre. Le voyager allemand Kotzebue ne fait que prouver son ignorance lorsqu'il demande aux chorégraphes de s'en tenir à la seule chorégraphie considérant que la composition du livret doit être exclusivement réservée aux poètes distingués. Il ne fait guère de différence entre le plan du ballet et celui du drame et néglige d'observer que les moyens mis en oeuvre, le climat spécifique, le but enfin ne se ressemblent pas. On ne peut en effet prendre au pied de la lettre la définition de Michel de Marolles «la danse est une comédie muette», définition basée sur les auteurs antiques et qui convient plus à la pantomime romaine qu'au ballet académique. Le livret a pour but de concrétiser le sujet. Son importance varie au cours des siècles. Il demeure en général le seul élément durable de cet art éphémère, lorsqu'il est imprimé pour être distribué aux spectateurs ou revendu aux curieux. Par
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là même, il reste un des principaux, parfois le seul document qui permette de juger un ouvrage ancien. Et ce faisant, nous n'ignorons pas combien cette connaissance est imparfaite et que Noverre a raison de dire: «Ce n'est point en lisant un programme de ballet (.. .) que l'on peut en saisir les traits (. ..) les détails et l'ensemble. Les beautés de cet art sont fuyantes et passagères». 1 Le livret n'est qu'un canevas. En règle habituelle, il exprime le goût contemporain, certaines préférences actuelles pour un thème donné, une situation ou un personnage souvent en rapport avec les tendances littéraires. Sous l'influence d'un Benserade, il s'enrichit au X V I I e siècle. Il s'adjoint alors souvent un récit «ornement étranger au ballet mais que la mode a naturalisé et (. . .) rendu comme nécessaire»: constate Michel de Pure. 2 Ce récit déclamé ou chanté doit toujours rester lié à l'action, explicatif. Il connaîtra son apogée d'une part dans la comédie-ballet de Molière, d'autre part dans la tragédie-ballet de Quinault. Ce dernier en effet se montre excellent librettiste, reste conscient des lois du ballet, délaisse l'histoire pour la légende, s'appuie essentiellement sur le merveilleux, remplaçant au besoin les interventions célestes par la magie. De plus dans le cycle chevaleresque comme dans le cycle mythologique, il n'hésite pas à s'inspirer directement de livrets de ballets antérieurs (La Délivrance de Renaud et Les Amours déguisés pour Armide, Ercole amante et le ballet de Flore pour Proserpine) mettant en évidence le lien qui unit ballet de cour et tragédie-ballet et qui est le ressort merveilleux. Il ne faut pas déduire de ces premiers exemples que le livret fasse nécessairement appel au merveilleux. Il peut fort bien lui rester totalement étranger, tels La Fille mal gardée, Ninette à la cour, Le Roi d'Yvetot, La grande Jatte, Les Matelots. Dans ce cas il se fonde généralement sur l'élément comique plus ou moins social quelles que soient les conventions irréalistes du genre chorégraphique. Cependant un très grand nombre de livrets ont recours soit accessoirement, soit principalement au merveilleux. Littérairement, ils sont souvent écrits par des poètes dont l'invention peut ici se donner libre cours, ou bien empruntés à des ouvrages antérieurs, à moins qu'ils ne s'inspirent du fonds légendaire tels La Belle au Bois dormant, Les créatures de Prométhée, Icare... Quelle que soit la personnalité du librettiste, il existe entre le merveilleux et l'action chorégraphique des affinités dont il admet très souvent le caractère électif. En fait certaines oeuvres littéraires peuvent inspirer le ballet à condition qu'elles soient repensées en fonction de lui ou que d'elles-mêmes, elles se trouvent lui convenir. L'influence qu'elles exercent de préférence est indirecte, exception faite pour l'Arioste et le Tasse. Au X V I I e siècle par exemple, les ouvrages de Rabelais, Cervantes ou Madeleine de Scudéry ne font guère l'objet de transpositions chorégraphiques. Néanmoins Rabelais n'est pas sans suggérer le merveilleux bur-
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lesque, Cervantes et Madeleine de Scudéry, le merveilleux héroïque ou galant en vogue à l'époque. Les héros principaux sont évoqués au passage telle la Sybille de Panzoust, Don Quichot (sic), les bergers du Lignon, Amadis. A leur tour Perrault, Cazotte, Nodier, Gautier, La Motte Fouqué, Balzac . . . inspireront le ballet. 3 Ainsi le merveilleux chorégraphique peut-il s'adjoindre les ressources du merveilleux littéraire. Pourtant Noverre qui conseille au choréauteur de rédiger un cahier de sujets d'après les différents chefs d'oeuvre anciens et modernes en élaguant les détails superflus, constate avec justesse que l'action chorégraphique doit être variée et rapide, et par dessus tout «l'art de faire passer par l'expression vraie des mouvements (...) nos sentiments et nos passions dans l'âme des spectateurs». En passant du roman ou du poème au ballet, l'oeuvre subit une transposition. En principe les détails accessoires, les intrigues secondaires sont éliminés par souci de clarté. Dans le cas d'une adaptation fidèle, l'ambiance est respectée, non la lettre. L a vision remplace en effet la description, la sensation prend le pas sur la réflexion. Toutefois les nécessités scèniques imposent parfois certaines limitations. Il faut tenir compte de ce que le langage chorégraphique reste plus allusif que directement expressif. De préférence on doit donc éviter toute action trop complexe, exigeant de longues explications, genre qui fut cependant à la mode durant le Romantisme. A leur tour, les oeuvres dramatiques peuvent inspirer le ballet. Les tragédies Phèdre d'Euripide, Othello, Roméo et Juliette de Shakespeare notamment - ont sollicité l'invention chorégraphique. L'oeuvre de Molière a donné naissance aux Fâcheux, à Fourberies ... Opéras et opéra-comiques tels Carmen, La Belle Hélène, Le Trouvère ... ont prêté leur livret au ballet. Dans le meilleur des cas, qui n'est pas le plus fréquent, l'accent a été mis sur l'esprit de l'oeuvre et non sur les diverses péripéties. L a danse apporte son caractère suggestif, communique le sentiment dramatique plutôt qu'elle n'en analyse la subtilité. Une adaptation minutieuse comme celle de Lavrovsky pour Roméo et Juliette doit beaucoup à l'école de Stanislawsky et à la mimique traditionnelle transfigurée par l'art des interprètes. Cette réussite de conviction relève d'une esthétique déjà ancienne. Du point de vue du merveilleux, l'adaptation ne fait en général que remplacer un mode d'expression par un autre. Son originalité réside éventuellement dans l'exaltation d'un climat, féerique par exemple, d'un caractère, sensualité, démesure héroïque . . . Le livret offre en principe la brève description de l'action chorégraphique et le cas échéant son découpage en ensembles, pas de deux, de trois, de cinq . . . variations. Il est préférable que celle-ci soit aussi claire que rapide et suffisamment riche en péripéties, par conséquent variée et changeante. Elle peut être empruntée à l'histoire, à la fable ou bien dépendre de la seule imagination. Le Père Ménestrier, grand spécialiste en matière de livret de ballet, divise les sujets en trois sor-
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tes: historiques (excluant à première vue le merveilleux), fabuleux c'est-à-dire mythologiques, poétiques enfin qui peuvent comprendre tous les genres fantasques (Ballet du Château de Bicêtre) — comique (Les Montagnards) - gracieux (Les Amours déguisés - naturel (Les Saisons) - allégorique ou même philosophique (Les Songes). Ces derniers, il est vrai, sont plutôt l'apanage des collèges jésuites que de la Cour. Mais le Père Ménestrier reconnaît sans discussion que ce sont les sujets romanesques qui sont les plus enchanteurs «car ils se composent ( . . . ) d'éléments merveilleux et qui n'ont rien de vraisemblable parce que c'est aux enchantements que l'on en attribue les effets». 4 Nous avons vu Alcine, le cycle mélodramatique du duc de Luynes, Les Plaisirs de l'île enchantée. Mais en mentionnant la vraisemblance, nous retrouvons un point de la doctrine classique qui n'est pas sans intéresser par action ou par réaction le ballet comme nous avons pu le constater déjà et qui suscite maintes controverses selon le sens que l'on lui attribue. Certes le ballet continue à échapper à la règle des trois unités et séduit par cela même qu'il laisse libre cours à l'imagination et au rêve. La seule unité qu'il ne cessera de réclamer est celle de style, le choix d'un style qui lui soit propre. Cependant pour croire à ce qu'il voit, fut-ce un instant, le spectateur a besoin que l'action ait une relative vraisemblance. Ce réalisme superficiel est en fait nécessaire pour édifier l'irréalisme foncier, et le merveilleux a lui-même, avons-nous vu, sa logique interne qui n'est pas la logique courante. D'Aubignac admet «que les choses impossibles naturellement deviennent possibles et vraisemblables par puissances divines ou par magie»; donc qu'il ne doit pas négliger «le merveilleux qui rend les événements d'autant plus nobles qu'ils sont imprévus». Ce caractère d'imprévu et de rebondissement inattendu fait naître et maintient l'attention en haleine. Il contribue aussi efficacement au dépaysement foncier que recherche le public. D'Aubignac constate du reste que si le sujet est à'intrigue, et qu'il arrive constamment quelque événement nouveau, cela «donne une merveilleuse satisfaction aux spectateurs», s'il est de passion, cela les ravit par des mouvements violents et extraordinaires qui pénètrent dans leur âme; enfin les sujets mixtes les surprennent et les ravissent en même temps «de sorte qu'ils sont presque toujours merveilleux et qu'il faut un long temps pour leur faire perdre toutes leurs grâces». 5 En étudiant les différents thèmes nous aurons en effet l'occasion de constater la permanence de ceux-ci en dépit des réserves théoriques et des réactions véristes diverses. Sans être exclusif ou absolu, le rôle joué dans le livret de ballet par le merveilleux est donc très important. Parlant des grands ballets royaux du début du X V I I e siècle, Michel de Marolles définit les différents éléments qui doivent être conjugués: rare, plaisant, comique et magnifique, merveilleux enfin «car si ce qu'on y mêle, poursuit-il, n'est pas rare, le merveilleux n'y sera pas surprenant, et le plaisant ou le comique ne sera guère divertissant, s'il n'y a de la nouveauté, c'est pour quoi l'on y doit join-
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dre pour l'ordinaire les trois ensemble, bien que les sujets fussent communs; mais principalement le rare et le merveilleux doivent paraître si les sujets sont tout à fait sérieux». 6 Ainsi le mélange des genres est-il parfaitement admis alors dans le ballet, à condition toutefois que le merveilleux et l'extraordinaire tiennent fréquemment en éveil l'attention publique. L'auteur des Règles pour faire des ballets, manuscrit attribué à Pécourt 7 considère la fable ancienne, la mythologie comme une source essentielle «par la liberté qu'il a de feindre et d'inventer». L'auteur du livret peut faire «une fable nouvelle sur le tissu de l'ancienne», il peut également baser celle-là sur l'histoire en la déguisant toutefois car «ce n'est pas qu'on ne puisse mêler dans les sujets de ballet quelque chose de véritable et d'historique, mais il faut que l'art rende ces choses fabuleuses pour être dansées ou que de soi, elles se trouvent ressemblantes à la fable», donc conclurons-nous qu'elles relèvent du merveilleux. A l'exception de quelques mascarades très grossières, il n'est guère d'exemples de livrets qui, à l'époque, renoncent totalement au merveilleux. Si la continuité de l'action est en général peu respectée, le principe des entrées séparées favorise l'intervention de personnages ou de faits supra-naturels. L e ballet n'est-il pas en quelque sorte l'exutoire de certaines aspirations populaires, progressivement détournées des théâtres dramatiques? A u X V I I I e siècle, le ballet tend à négliger l'action. L a danse «pure» est l'objet principal, elle s'insère généralement comme divertissement dans les actes d'opéra-ballets souvent juxtaposés arbitrairement sous le nom de «fragments». L e livret lyrique se contente d'évoquer dans le ballet personnages allégoriques et mythologiques dont la danse est la seule raison d'être. Par ailleurs dans Les Fêtes de l'Hymen et de l'Amour, Cahusac prétend avoir réalisé sa conception du grand ballet héroïque avec emploi continu du merveilleux et de la danse étroitement mêlés à l'action. En fait le livret joue ici un rôle extrêmement réduit et se borne le plus souvent à mentionner les différents personnages et leurs entrées respectives, personnages de convention: faunes, tritons, folies, fleurs ou passions, vents ou furies. L'action disparaît devant le divertissement à peine relié lui-même à l'opéra-ballet par un canevas sommaire. Peu à peu sous l'influence des philosophes révoltés par cet illogisme foncier, l'action dramatique tend à reprendre ses droits à l'instigation de Noverre et - à l'étranger - d'Hilverding et Angiolini. Si l'on observe attentivement on peut déceler déjà les prémices de la réforme de Noverre — abstraction faite des essais de Marie Sallé et de Ballon - dans le préambule de Fuzilier. L e librettiste des Indes galantes met en avant le souci de «vraisemblance», de «dessein raisonné et pittoresque» afin de répondre à l'attente du public. Dans Le Siècle de Louis XV, nous lisons une indication précieuse et peu connue: «est-il rien audessus de ces scènes muettes? N'est-il pas étonnant que l'on puisse imiter avec
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tant d'exactitude toutes les actions, toutes les passions (...). On est maîtrisé par l'enthousiasme». Peu à peu le livret se rapproche du théâtre dramatique. Après avoir lu le programme de Médée et Jason de Noverre, Favart constate qu'il est excellent et pourrait même servir à une tragédie «n'en déplaise à tous les compositeurs de ballet». 8 Sans nier les lois de son art, Compan écrit en 1787: «Il est indispensable que la Danse soit toujours intimement liée à l'action principale, qu'elle n'y fasse qu'un seul tout avec elle, qu'elle s'y enchaîne avec l'exposition, le noeud et le dénouement» (sic).9 Le choix que Noverre fait de sujets héroïques ne réussit pas à convaincre ses partisans et même Grimm; pourtant le principe de la danse d'action donc du livret s'impose désormais à la fin du siècle. Tous les préromantiques Gardel, Didelot, Deshayes puis les romantiques le reconnaîtront. Elève de Gardel, Blasis déclare: «il ne me suffit pas de plaire aux yeux, je veux intéresser le coeur». 10 Le sujet d'intrigue ou de passion cher à d'Aubignac revient donc à la mode. Mais la réforme du X V I I I e siècle qui tend selon certains à imposer au ballet le joug de la raison, ne parvient heureusement à s'exercer pleinement que dans le ballet «bourgeois» illustré par Maximilien Gardel, Dauberval et surtout Aumer et Milon, genre qui réapparaît périodiquement jusqu'à nos jours, plus ou moins inspiré par le théâtre dramatique. C'est un comédien, Pierre Bertin, qui imagine l'action de La Grande Jatte, une comédie de Goldoni qui donne naissance à La Mirandoline soviétique. Au X I X e siècle l'usage et bientôt l'abus des mimiques inclinent les chorégraphes à choisir des livrets longs et complexes. Ce ne sont pourtant pas ceux-ci, trop riches en épisodes, qui suscitent les chefs d'oeuvre et font appel de façon efficace au merveilleux. Car sur le conseil de Blasis, ces derniers ont une action peu compliquée; ils laissent au besoin le spectateur compléter avec son imagination les silences du livret. La Sylphide par exemple se fonde sur un livret très simple, inspiré par le «Trilby» de Nodier, mais adapté aux nécessités chorégraphiques. De celui de Giselle sont progressivement exclues toutes les superfluités chères au librettiste Théophile Gautier. Jamais n'a été plus vraie la phrase de Marmontel: «Les passions sont les dieux du théâtre». Jusqu'à la fin du siècle l'amour sera le principal ressort des livrets de ballet. Au X X e siècle, sans bannir réalisme et naturalisme, les livrets conservent au merveilleux une place importante qui atteste la permanence du genre. Certes on règle Les Biches, Train Bleu ou La Grisi, mais Jean-Louis Vaudoyer fait surgir d'un poème de Gautier Le Spectre de la rose. Selon Marie de France, Serge Lifar transforme en biche la Damoiselle, Jean Anouilh métamorphose le loup en homme et réciproquement tandis que Philippe Hériat nous montre un bagnard devenu papillon diapré. Peter Van Dijk emprunte à Balzac le thème de La Peau de chagrin au pouvoir magique. Dans l'ensemble, il faut observer le souci constant de dépouil-
í. «La Danse de corde»
6. Marcel
Marceau
dans «Le Petit
Cirque»
7. Jean-Louis
Barrault et Etienne Decroux
dans «.Cband d'habits»
ou
«Baptiste»
F A M T A S M A DO Ri E DE ROBERTSON, Dans sa Maison Boitli'vai'd Mont-martre . N :j2 . APPARITIONS tfu
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/ 4°2, 4°4> 4°8 Séverin, 124 Shakespeare, W., 4, 77 Siemecowitz, 395 Silvestre, Israël, 155, 246 Simenon, G., 81 Siohan, R., 83, 387 Skouratoff, W., 210 Slingsby, 268 Slodtz, 96, 162 Sourdéac, 91, 100, 246 Souriau, A., 406 Souriau, E., 8, 22, 42, 86, 357, 365, 380, 382, 383. 396, 411 Souriau, P., 59, 61, 200, 357, 367, 385, 398, 411, 412, 413 Spencer, 59 Spessivtseva, O., 61, 347, 353 Staats, L., 217, 271, 347 Staël, Mme de, 196, 413 Stendhal, 135 248, 392, 402 Strawinsky, I., 88, 208, 218 Taglioni, F., 50 Taglioni, M., 61, 67, 70, 96, 150, 191, 211, 218, 256, 268, 295. 300, 343, 367 Tallemant des Réaux, 404, 411 Talon, P., 144, 288 Tapié, V.-L., 13, 381 Taras, J., 294 Tchaïkowsky, 84, 88, 387
441
Théodore, Melle, 60 Torelli, G., 91, 97, 99, 100, 102, 103, 141, 151, 162, 172, 183, 188, 204, 251, 315, 359, 399 Torré, 164, 189, 212, 328, 409 Toscani, 137 Tuccaro, A., 125, 126, 391 Urfé, H. d', 15, 100 Valéry, P., 274, 332, 362, 383, 386, 402, 405, 409, 412 Van Dijk, P., 68, 80, 347 Varagnac, 408 Vaucanson, 137 Vaudoyer, J.-.L., 80 Védier, G., 98, 412 Veinstein, A., 28, 382, 411 Vénua, 87 Verne, J., 17, 151, 278 Vertpré, 206 Vestris, A., 59, 67, 96, 256 Vestris, G., 53, 54, 60, 95, 128, 198, 208. 209, 320, 343, 359, 360, 399 Vestris, Mlle, 53, 210, 266 Vigano, S., 57, 248, 249 Vigarani, C., 47. 97, 99, 102, 103, 155, 162, 188,233,251,252,316,401 Villars de Montfaucon, 192, 381 Villiers, A., 352, 410 Voltaire, 3, 137, 148, 249, 303, 380 Volynsky, A., 384 Vyroubova, N., 69, 342, 353, 399 Wagner, R., 88 Wague, G., 125 Watteau, 19, 45, 92, 319, 351, 407 Weber, C. M von, 19, 83, 227 Weigert, A., 163 Widor. C. M., 88, 402 Wier, 126 Zambelli, C., 84, 209, 386
Tables des illustrations
Illustrations 1.
hors texte
Nina Vyroubova dans La Mort du cygne Seule, la chorégraphie suffit à métamorphoser la ballerine en néréïde ou en oiseau blessé.
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2. Yvette Chauviré dans Nautêos 3. Miss Aenea ou La Mouche d'or dans Les Pilules du diable
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4. Le Papillon, Acte I, 2° tableau Le ballabile enchanté par le prestige des évolutions rythmées et leur harmonie complexe. 5. La Danse de corde La funambule devient sylphide avant de s'envoler comme une abeille.
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Marcel Marceau dans Le Petit cirque après la Dans le rêve d u mime forain, les créatures fantastiques sont fascinées par le cercle fatidique. 7. Jean-Louis Barrault et Etienne Decroux dans Chand d'habits ou Baptiste . . . „ Par sa seule présence, l'homme blanc fait surgir de la réalité le merveilleux sous-jacent.
6.
8. Dien. Affiche pour la Fantasmagorie de Robertson
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9. Dumont d'après Servandoni. Feu d'artifice tiré à Paris le 21 juin 1730 . . . Le décor prend d'autant plus de relief qu'il transfigure un cadre familier. 10. J e a n Bérain (d'après —). L'enlèvement de Proserpine Des dessous aux cintres, toutes les ressources de la machinerie sont mises en oeuvre pour produire un effet merveilleux.
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11. Olga Spessivtseva et Serge Lifar dans Bacchus et Ariane Le langage acrobatique s'efforce de traduire la transe dionysiaque. 12. Daniel Rabel. Ballet du Château de Bicêtre. Entrée des Lutins
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13. Daniel Rabel. Ballet de la Douairière de Billebahaut. Entrée des Damoiseaux gelés 14. Henry de Gissey (atelier - ) . Les Noces de Pêlée et de Thétis. Habit de demi-dieu marin Symbolique, le costume irréalise d'emblée le danseur. 15. Guéraud (d'après - ) . Marie Taglioni dans La Bayadère C'est par ses charmes terrestres, que la bayadère séduit le Dieu. 16. Israël Silvestre. Les Noces de Pêlée et de Thétis, Acte I, scène 1 Torelli a situé dans cette caverne souterraine la ronde des magiciens et l'envol du char attelé de dragons. 17. J e a n Bérain. Le songe d'Atys 18. J e a n Bérain. Etude de machines pour une entrée de démons Des procédés mécaniques minutieux permettent ces illusions oniriques.
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Nina Vyroubova et Peter van Dijk dans Les Noces fantastiques, I I I " tableau . Le spectre du capitaine entraine au fond des mers sa fiancée.
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20. Solange Schwarz et Serge Lifar dans Le Chevalier et la Damoiselle, Acte I . . . „ 224 La princesse-biche attend au fond des bois la venue du chevalier qui l'arrachera à l'enchantement maléfique. 21-24. Serge Lifar dans Icare „ 225 De l'envol à la chûte. 25. Louis Boquet. Décoration chinoise après la page 240 Aux cascades de feux chinois répondent les gambades des danseurs. 26. Jean Bérain. Deux études d'habits de Carnaval Il est vraisemblable que ces curieux habits étaient destinés à une entrée commune. 27. Daniel Rabel. Ballet des Fées de la Forêt de Saint-Germain. Entrée des coupe-testes L'invention fantasque s'épanouit dans l'invention de ce casque escargot ou de ce joyeux décapité. 28. Daniel Rabel. Ballet de la Douairière de Billebahaut. Entrée des Hocricanes et des Hofnaques 29. Louis Boquet (attribué à - ) . Melle Vestris, sultane dans Scanderberg, Acte I La chorégraphie dédaigne sans conteste tout souci d'authenticité.
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30. Célestin Nanteuil. Sacountala, Acte II En dépit du souci évident de couleur locale, le tutu de l'héroïne promise au bûcher conserve son caractère insolite. 31. Daniel Rabel. Ballet de la Douairière de Billebahaut. Entrée des Androgynes . . Prétendus américains, les androgynes sont traditionnellement parés de plumes. 32. Maurisset. Palais enchanté. Grandes soirées mystérieuses de M. Philippe (Talon) 33. Alexandre Lacauchie. Carlotta Grisi dans Giselle Désormais la ballerine romantique ne touche plus terre. 34. Martinet. Marie Taglioni et Mazilier dans La Sylphide 35. Van Blarenberghe. Feu d'artifice tiré sur la Place de la Couture, à Reims le 26 Août 1765
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39. Jacques Chesnais au milieu des marionnettes de la Pastorale alpestre . . . . 40. Les étoiles et le corps de ballet de l'Opéra dans Suite en blanc Rigueur et symétrie classique transportent l'esprit dans une harmonieuse rêverie. 41. Yvette Chauviré et Serge Lifar exécutant arabesques classique et néo-classique A la rigueur géométrique de la première se superpose l'élan lyrique de la seconde.
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42. Castelli. Le Théâtre des Funambules Aux yeux rêveurs d'un public choisi, la fée surgit des coulisses pour répondre aux voeux de Colombine.
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36. Honoré Fragonard. La Fête de Saint-Cloud Jeux d'eau, de feu, marionnettes ou danseurs, recourent au merveilleux. 37. Claire Sombert, Roland Petit et Jean-Bernard Lemoine dans Le Loup.... L'attitude, l'expression plus encore que le costume fantastique métamorphosent le danseur en loup fabuleux. 38. Jacques Chesnais. Le Mystère de la Nativité
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tables
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illustrations
Les documents Nos. 3, 4, 5, 8, 9, 15, 16, 30, 32, 33, 34, 35 42 proviennent de la Bibliothèque de l'Arsenal (Coll. Rondel). Les documents Nos. 12, 17 proviennent d u Cabinet des Estampes (Bibl. Nat.), Nos. 10, 25, 29 de la Bibliothèque de l ' O p é r a , Nos. 13, 27, 28, 31 d u Cabinet des Dessins d u Louvre, Nos 18, 26 des Archives Nationales, No. 14 de la Bibliothèque de l'Institut. Les clichés 1, 19, 37, 40 sont dus à Fred Brommet, No. 6 à Etienne-Bertrand Weill, No. 38 à Photo-Ely, No. 39 à Photo-Lipnitzki, No. 41 à Photo-Serge.
Illustrations
dans le texte
Louis-René Boquet: Melle Peslin et Dauberval dans Tancrède Furie dans ^oroastre oroastre Prêtre dans Z Vestris en faune Démon Melle Lany en phrygienne
82, 312-313 90 194 215 231 324
Jacques Chesnais :
Marionnette Marionnette Marionnette Marionnette
architecte chevalier champignon vaisseau
12 139 176 2 76
Jean Cocteau:
Vaslav Nijinsky dans Schéhérazade
Valentine Hugo:
Danseuses dans Le Sacre du printemps
Monique Lancelot:
Adage, porté Soubresaut ou saut de l'ange T o u r en l'air sans changement de pied Dramma per musica T o u r en l'air avec chute allongée Saut de basque La Mort du cygne Serge Lifar dans Icare Solange Schwarz et Serge Lifar dans Le Chevalier et la Damoiselle . Yvette Chauviré et Michel R e n a u l t dans Mirages Adage: dégagé à la seconde Nina Vyroubova et Serge Lifar, adage
Marcel Marceau :
Bip L'annoncier Bip m a r c h a n t Bip, jambes croisées Bip, fleur à la bouche
111 115 119 259 129
M. Moynet:
Gloire déployée Nuage ouvert
104 145
271 . .
18, 33, 55, 189, 192, 201, 219, 223 1 24—25 40-41 44 56-57 72-73 170 250 296-297 344-345 368 374
Table des matières
Introduction Introduction Chapitre 1. Le merveilleux - Essai de définition Merveilleux et fantastique Merveilleux et surnaturel Influence du climat contemporain Chapitre 2. Le merveilleux, catégorie esthétique Chapitre 3. Le spectacle, miroir du merveilleux
3 6 9 10 11 19 27
Première partie: les Techniques I. Le Ballet Académique
35
Chapitre 4. Condition esthétique 37 Chapitre 5. Problèmes de la création 43 Chapitre 6. Merveilleux chorégraphique 48 Création chorégraphique 51 Conquête de l'espace 56 Evolution des conceptions planimétriques et stéréométriques . 62 Variations. Pas de deux. Ballabiles 65 La part de l'interprète 67 Chapitre 7. Le merveilleux et le livret 75 Chapitre 8. Merveilleux musical 83 Chapitre 9. Merveilleux décoratif 91 Le costume 93 Décor 97 Machinerie 102 Magie lumineuse 106
446
Table des matières
II. Les Arts Voisins
110
Chapitre Chapitre Chapitre
111 115 119 120 125 130 130 136 140 140 146 153 158 168
Chapitre
Chapitre
Chapitre Chapitre Essai de
10. Présentation 11. Le cirque 12. Pantomimes et funambules 1. Pantomimes 2. Funambules 13. Marionnettes et automates 1. Marionnettes 2. Automates 14. Magie blanche et fantasmagorie 1. Magie blanche 2. Fantasmagorie et théâtres d'ombres 15. Jeux d'eaux 16. Jeux de lumière et pyrotechnie synthèse
Deuxieme partie : les Thèmes Introduction Chapitre 17. Le merveilleux naturel 1. Représentations réalistes et imitatives 2. Evocation allégorique Chapitre 18. Les dieux 1. Cycle païen 2. Cycle chrétien 3. Merveilleux infernal Chapitre 19. Les héros 1. Héros conquérants 2. Héros humanitaires 3. Héros maudits 4. Héroïsation Chapitre 20. L'exotisme 1. L'exploration de terres lointaines, plus ou moins connues . 2. La découverte de Vile inconnue 3. A la recherche du temps passé 4. A la recherche des temps futurs
171 177 180 189 195 201 219 223 237 240 248 253 255 260 263 272 273 278
Table des matières
Chapitre 21. La féerie 1. La féerie burlesque ou cocasse 2. La féerie fantasque 3. La féerie poétique Chapitre 22. La fête 1. La fête gratuite 2. La fête payante 3. La fête au théâtre Chapitre 23. L'évasion abstraite 1. Uabstraction géométrique 2. L'abstraction métaphysique Chapitre 24. Situation du merveilleux 1. Merveilleux et émerveillement 2. Le public 3. Rapports avec l'onirisme
447
280 284 289 302 305 314 327 330 331 335 341 349 349 354 362
Conclusion Conclusion
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Notes Index des ballets, opéra-ballets cités Index des principaux ouvrages et périodiques cités Index des noms cités Tables des illustrations
380 414 435 439 442
Cet ouvrage a été achevé d'imprimer en janvier 1965, sur les presses de l'imprimerie Hooiberg, Epe, Pays-Bas.