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French Pages 134 [135] Year 2022
Une terre de légendes
‘’ Le littoral guinéen, terre de légendes et de récits mythiques ’’ est un recueil qui met en lumière d’anciennes traditions orales de cette partie du territoire guinéen, adossé à la mer. Il s’agit d’une œuvre littéraire destinée à la fois au public et aux pédagogues, pour la conservation et la retransmission des contes, des légendes, des récits mythiques, des anecdotes, des proverbes, des tabous, des totems et d’autres formes d’expression utilisées chez les locuteurs soussous.
Fodé Momo Soumah
LE LITTORAL GUINÉEN
Fodé Momo Soumah
Face à la variété et à la richesse du répertoire de ces localités, l’auteur, Fodé Momo Soumah, a fait son choix parmi tous ces récits qui, jadis, étaient les plus populaires, et il en a fait une transcription, la plus fidèle possible. Dans le présent ouvrage, l’auteur a compilé les paroles des anciens, gardiens des traditions, afin qu’elles ne s’évanouissent pas dans la nuit des temps et tombent dans l’oubli. « Verba volant, scripta manent », « Les paroles s’envolent et les écrits restent ». Fodé Momo Soumah est un enseignant chercheur en service à l’INRAP (Institut National de Recherche et d’Action Pédagogique). Ancien DPE (Directeur Préfectoral de l’Education), Fodé Momo Soumah a été aussi membre de plusieurs commissions de travail, tant au niveau de la restructuration des services déconcentrés du MEPU-EC que, dans le cadre de la rédaction du manuel de procédure de gestion pédagogique et administrative des IRE /DPE/DCE. L’homme est actuellement à la retraite et est domicilié au quartier Nongo dans la commune urbaine de Ratoma.
Illustration de couverture : © yarr65 - 123rf.com
ISBN : 8-2-14-028956-9
15 €
9 782140 289569
LE LITTORAL GUINÉEN
Du royaume de Khabitaye, de celui de Kaloum au royaume de Moria en passant par le Tabounssou, le Soumbouya, le Kimambourou, on a affaire à de nombreuses traditions orales.
LE LITTORAL GUINÉEN Une terre de légendes
Le littoral guinéen, une terre de légendes
Fodé Momo Soumah
Le littoral guinéen, une terre de légendes
Du même auteur, chez L’Harmattan À la découverte des sites et vestiges historiques de la Guinée, 2022
© L’Harmattan, 2022 5-7, rue de l’École-Polytechnique ‒ 75 005 Paris www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-14-028956-9 EAN : 9782140289569
Remerciements
Le fait de travailler à l’Institut National de Recherche et d’Action Pédagogique (INRAP), offre aux cadres en activité, des opportunités dans l’acquisition de compétences et le développement des curricula (conception/élaboration des programmes d’études, rédaction des manuels scolaires et autres matériels didactiques). Depuis 1997, après la rédaction des manuels d’histoire du primaire et la mise en forme de ceux du secondaire en commission disciplinaire, l’idée de produire des œuvres littéraires à caractère historique, m’a longtemps et tellement occupé l’esprit, que je me suis engagé finalement, dans le projet d’écrire un certain nombre de thèmes et de nouveaux contenus, destinés aux programmes d’histoire en vigueur. Pour mener à bien ce projet, je suis parti de textes de base pour produire des manuscrits. Aujourd’hui, ces manuscrits ont été lus et approuvés, mais ils ne seraient jamais devenus des ouvrages sans l’accompagnement de certaines personnalités de la place. Je voudrais — chers lecteurs — vous demander de vous joindre à moi, pour exprimer toute ma reconnaissance au Général Mathurin Bangoura, Gouverneur de la ville de Conakry, le mécène qui a parrainé l’édition de mes ouvrages, jusqu’à leur publication et leur dédicace. Qu’il en soit vivement remercié ! Je tiens aussi à formuler toute ma gratitude à deux collaborateurs de monsieur le gouverneur, des personnes ressources qui m’ont guidé auprès de son Excellence. Ce sont messieurs Mamadi Otis 7
Touré (Directeur régional des marchés publics) et Boubacar Sidighi Diallo (Consultant au Cabinet de Monsieur le Gouverneur). Je ne saurais terminer sans dire un mot à l’endroit du doyen El hadj Abdou Sylla (ex-directeur technique du Complexe Textile de Sanoyah), qui a participé à la mise en forme de mes textes de base, et aussi à l’endroit de monsieur Alkhaly Yamoussa Bangoura, conseiller chargé des questions minières à la Présidence de la République qui a bien voulu m’assister pendant mes investigations sur le terrain. Je vous remercie tous du fond du cœur.
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Préface
La République de Guinée est une mosaïque de populations réparties dans quatre régions naturelles : la Basse Guinée, la Moyenne Guinée, la Haute Guinée et la Guinée Forestière. Chaque région dispose d’un mécanisme intergénérationnel de préservation et de transmission de savoirs locaux, de vraies écoles où sont enseignées des valeurs morales, sociales et spirituelles. Les contes, les légendes, les proverbes, les anecdotes riches en métaphores et autres figures de style sont d’une part des contenus d’enseignement de ces écoles et de l’autre, des vecteurs de transmission des valeurs précitées. Le littoral guinéen, partie intégrante de la Guinée Maritime, objet de notre étude, n’échappe pas à cette constance sociologique. C’est pour faire revivre ces réalités que Monsieur Fodé Momo Soumah, professeur d’histoire et enseignant chercheur, a jugé utile de mettre le focus sur quelques sources orales de l’histoire du littoral guinéen. Le but de ses recherches est de permettre aux jeunes générations de découvrir non seulement les origines de certains contes, légendes, mythes, totems et autres tabous, mais aussi de souligner leur portée morale et surtout leur impact sur l’éducation que dispensaient les anciennes générations. Pour étayer les résultats de ses recherches, l’auteur a jugé nécessaire de procéder à la transcription des témoignages oraux sur les traditions des ancêtres, premiers habitants du littoral guinéen, et a recueilli des preuves irréfutables. Une manière de reconstituer des faits et 9
évènements qui ont profondément marqué la mémoire collective des communautés concernées. Par manque de documents écrits, l’auteur s’est lui-même rendu de village en village pour recueillir des informations, des avis, des opinions, auprès des vrais détenteurs des sources orales de l’histoire de nos localités. Vous remarquerez, chers lecteurs, à travers la variété et la diversité des récits ici proposés, que le littoral guinéen est une terre de légendes. Son répertoire est immensément riche en récits agréables à écouter. La plupart des légendes, contes, proverbes et anecdotes que l’auteur relate dans le présent recueil, sont puisés dans les coins et recoins des villages. Certains récits relatent des luttes héroïques menées par les premiers habitants du littoral, à la fois pour se défendre des bêtes féroces et pour assurer leur survie. D’autres sont des récits fabuleux de l’aube des temps, racontant les batailles sanglantes que se livraient des animaux entre eux d’une part, et aussi contre des humains, les ancêtres des premiers habitants du littoral guinéen. Soriba Fofana, sociologue, spécialiste des questions sociales et genres
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Présentation de l’ouvrage
L’ouvrage intitulé « Le littoral guinéen, terre de légendes et de récits mythiques » n’est pas un manuel scolaire dédié à un cycle d’enseignement ou à un niveau de classe donné. Ce n’est pas non plus, un roman historique destiné à exalter les valeurs héroïques d’un personnage ou d’une figure célèbre de la résistance face à la pénétration étrangère dans notre pays. C’est plutôt un support de recueil des anciennes traditions orales du littoral dans lequel contes, légendes et récits mythiques se côtoient, se mélangent et se confondent. L’œuvre s’articule autour de deux principales parties : La première partie est la présentation sommaire de l’environnement géographique de notre cadre d’étude, les éléments constitutifs de son relief, de sa végétation, de son hydrographie. Dans cette rubrique — présentation, un accent particulier est mis sur les différentes manières dont les premiers habitants du littoral guinéen communiaient avec des forces surnaturelles supposées être des esprits tutélaires, des génies protecteurs et autres divinités traditionnelles. La rubrique permet au lecteur de se faire une idée à la fois sur les considérations d’ordre mythique, les croyances anciennes et les sentiments religieux des ancêtres du littoral. Ce n’est pas tout. Cette présentation permet aussi au lecteur de découvrir les liens, les relations de cause à effet entre l’homme et la nature, le processus à travers lequel l’environnement géographique a influencé les conceptions et les mentalités, au point de pousser nos ancêtres à adorer 11
des éléments physiques de la nature, autour desquels les traditions ont brodé des légendes et des mythes relatifs aux divinités, aux lieux de culte, aux lieux sacrés, aux sanctuaires et autres abris naturels, demeures de sorciers anthropophages. La deuxième et dernière partie de l’ouvrage traite quant à elle des contes, des légendes, des proverbes et des mythes recueillis auprès des dépositaires que sont les anciens, gardiens des traditions. Cette dernière partie est constituée de la transcription de ces récits afin de les pérenniser pour qu’ils ne tombent pas dans l’oubli. Plusieurs récits ont été transcrits, parmi lesquels il y a lieu de citer ceux à caractère imaginaire fabuleux, légendaire et ceux à caractère mythique. Il y a aussi des proverbes et des adages. Le tout gravite autour de personnages fictifs ou réels. Il s’y ajoute aussi des récits à caractère historique, du genre épopée. Le but visé en rédigeant le présent ouvrage est de transcrire les paroles des anciens se rapportant à des faits et à des évènements qui ont profondément marqué la mémoire collective des populations du littoral à un moment donné de leur histoire. L’objectif final est de faire en sorte que ces faits et évènements ne disparaissent pas dans la nuit des temps et tombent dans l’oubli. Ne dit-on pas que « la parole s’envole, les écrits restent » ?
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Première partie :
Le littoral guinéen jadis
Tanou Baadra est aujourd’hui, le doyen d’âge de tous les habitants de sa contrée. Le village qui l’a vu naître, il y a de cela presque un siècle, se situe à proximité des côtes, non loin des rivages de l’océan Atlantique. Très tôt déjà, Baadra rêvait d’apprendre, ne serait-ce que de bouche à oreille, les anciennes traditions de sa localité, afin de les transcrire, si un jour le temps le lui permettait. Baadra fut élevé par ses grands-parents, plus exactement par sa chère grand-mère qui lui enseigna les valeurs morales et traditionnelles de leur contrée. Ce fut ainsi que l’adolescent et ses camarades d’enfance finirent par aimer les contes, les légendes, les proverbes, les devinettes, l’histoire de leur contrée, et tout cela de source orale. Ils parvinrent aussi à découvrir et à maîtriser le sens profond, chacun en ce qui le concernait, des totems, des interdits et autres tabous que les traditions ont tissés autour de certains villages. Ce fut ainsi qu’un jour, leur grand-mère qui avait un penchant naturel pour la pêche, la riziculture, l’extraction de l’huile de palme et de l’huile de coco, leur fit une révélation : « Mes chers enfants, retenez que Dieu, dans sa bonté infinie, et dans sa miséricorde, nous a fait don d’un endroit où il fait bon vivre. Cet endroit semblable à un trésor à sauvegarder s’étend à perte de vue vers l’ouest, du côté où le soleil se couche, derrière l’horizon. » Et la vieille femme d’enchaîner avec une question qu’elle posa aux enfants pour les pousser à réfléchir : « Qui de vous connaît ce lieu ? » Les deux adolescents restèrent figés, sans trouver la bonne réponse, et pour les débloquer la grand-mère reprit : « Cet endroit dont vous ne trouvez pas le nom est le point de rencontre entre la terre et la mer. C’est la bande de terre, cette zone comprise entre l’étendue maritime et la terre ferme, l’arrière-pays. Vaste et longue, elle s’étend 15
sur 300 km de distance, depuis les îles Tristao, dans la préfecture de Boké, jusqu’à la pointe Sud-Est de Salatougou, dans la préfecture de Forécariah. » Cet environnement géographique — au paysage pittoresque plein de merveilles et de curiosités — présente dans sa configuration, des traits caractéristiques qui en font le domaine des terres fertiles émergées, des îles. On y rencontre aussi des îlots, des archipels, des caps. Autour de ces différents écosystèmes marins, la tradition a tissé des récits imaginaires, des contes, des légendes, des proverbes et des mythes qui se côtoient et se confondent dans la nuit des temps. Pour preuve, dans les villages à proximité, il n’était pas rare d’entendre, le soir au clair de lune, les grands-parents raconter à leurs petitsenfants, d’une voix mélodieuse, des récits, des légendes mythiques propres à certains villages du littoral guinéen et aux îles. L’exemple le plus illustratif est le célèbre village de Matakan, situé sur l’île du même nom. En effet, Matakan, pour ceux qui ne le savent pas, c’est l’île qui forme avec Kakossa et Kaback, l’archipel de Kimambourou, dans la préfecture de Forécariah. Matakan, à l’instar des deux autres îles, est une bande de terre jadis complètement entourée d’eau. Il s’agit donc d’une vraie île autour de laquelle gravite une des légendes les plus célèbres du littoral guinéen. La tradition rapporte que sur cette île, vivait autrefois un homme hors norme surnommé « l’homme de Matakan ». Il s’appelait Naby Yéro et c’était un géant au sens plein du terme ! L’imagination populaire nourrie et entretenue dans la contrée soutient que « lorsque Naby Yéro marchait dans l’Océan, l’eau lui arrivait à peine aux chevilles. Aussi, quand il avait faim, il lui suffisait juste de se courber et de “ramasser” un poisson pour le “griller” au soleil en le plaçant sous ses rayons brûlants ». On compare le 16
gigantisme dde l’homme de Matakan, à celui du Colosse de d Rhodes, unee des sept merveilles du monde. Le littoraal, c’est aussi le domaine de la végétatio on luxuriante oùù les forêts de palétuviers côtoient les forêts de d palmiers à hhuile, de baobabs et de fromagers géants. Cees éléments qui constituent la végétation étaient entourés de d mythes, car ils étaient considérés par les anciens comm me des abris naaturels, véritables refuges des hommes au ux esprits malsaains appelés en soussou « mikhi nyakhé ».
On conssidérait ces éléments constitutifs de la végétation coomme des demeures de démiurges. Il s’agit là, l des divinitéés traditionnelles créatrices des lieux. On O pourrait à tiitre d’exemple, nommer les forêts sacrées de d Gbassikolo ou Bassikolo, sans oublier les sites dde Kakimbo, de Gbanankoumba, de Kikountoun, supposéés être des endrroits où vivaient autrefois des divinités localees, gardiennes dde la presqu’île de Kaloum, de Conakry et dees localités ennvironnantes. Au nombre des divinitéés traditionnellees du littoral, il y a lieu de nommer Mam ma Sonty, Tanooun Kamoun, considérées comme des espriits tutélaires ouu des anges gardiens chargés d’assurer la défense et lla sécurité de l’ancêtre commun de tous lees Soumah de Kimambourou, bref de tous ceux du littoraal. L’ancêtre connu sous le nom légendaire de Mandéén 17
Morikani, esst le fondateur des deux plus anciens villagees mandényis du littoral. Ces villages ont pour nom ms Morébayah, dans le Kimambourou et Morikania, dans le Samoun. Il faudra retenir que le littoral est aussi le domaine de d nombreux coours d’eau, rivières, fleuves, marigots, qui se s jettent tous dans la mer. C’est donc le lieu où les eau ux continentaless se mêlent aux eaux salées de la mer sous le regard tutélaaire de Mamy Wata, la déesse de l’amour, de la beauté, de laa mer et des eaux. Une autree caractéristique qui donne au littoral guinéeen toute sa paarticularité, c’est le fait que certains de sees villages se trrouvent arrosés par un cours d’eau, marigot ou o rivière, ou bbien se situent à proximité d’un fleuve ou prèès des embouchhures.
D’autres villages sont localisés aussi au pied d’un ne montagne, dd’une colline, près d’une forêt sacrée, siite mythique doont l’accès est interdit aux profanes, ou à proximité d’’un bras de mer. Ces endroits étaient autrefo ois considérés ccomme des sanctuaires, des lieux de culte, de d prière, de ssacrifice ou autres cérémonies rituelles. IIls étaient consiidérés comme tels, parce que supposés habitéés par des djinnns, des anges ou, des génies protecteurs dees localités conncernées. 18
Ce qui esst le plus remarquable, c’est qu’autrefois, dan ns la mentalité de nos ancêtres, chaque élément constitutif du d relief, de la vvégétation, de l’hydrographie avait sa légend de. Les montagnnes, la mer, les lieux de pêche, les fleuves et autres cours d’eau avaient leurs légendes et leurs divinités. À en ccroire l’imagination populaire, même lees personnes aauxquelles la tradition attribue des pouvoiirs occultes avaaient, elles aussi, leurs légendes. Pour preuv ve, Sognet Fodéé et Baba Senguélen, Bartè Kiri Kanyi, et tan nt d’autres avaiient leurs légendes. De la pprovince de Khabitaye, au royaume de d Soumbouya, en passant par le Tabounssou, au bord dees fleuves Kouunkouré, Badi, Soumba et Sarinka, se dressse majestueusem ment le mont Kakoulima.
Une monntagne au flanc abrupte, à la végétatio on changeante ssuivant les saisons. En effet, pendant la saisoon sèche, sous l’action dévastatrice de la chaleur du soleil et des feux aaux origines mystérieuses, cette végétatio on disparaît. M Mais dès que, les premières pluies tombent et qu’elles abreeuvent les terres par la grâce et la générosité de d Dieu du cieel, elle renaît aussitôt pour redevenir tou ute verdoyante et luxuriante. Et c’est justement, ce c 19
changement de couvert végétal qui explique la genèse oou tout au moinns, une des origines mythiques de la légend de sur la montaagne de Kontayah. Une légende qui fait l’objet de notre focuus dans le cadre de la présente étude. Il faut rap appeler que c’est la prestigieuse montagne de d Kakoulima qqui, dans son extension à travers les localitéés de Dubréka, de Manéah, a engendré le mont Gbalan.
d Il s’agit llà de la montagne qui surplombe la ville de Coyah, que lle public confond au mont Kakoulima. À ce niveeau, deux remarques s’imposent : La premiière, liée à l’origine linguistique du nom de d cette montaggne précise que le terme vient de Kakoulim mo qui est d’oriigine mandenyi et signifie « lieu de rencontrre où l’on vientt aussi piler » le riz et les autres céréales. La deuxièème remarque soutient que c’est la montagn ne de Kakoulim ma qui, dans son prolongement au-delà dees limites de lla ville de Coyah, a engendré les monts et collines de K Kaarba, de Kendoumaya, de Tomboya…
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Ces élévvations de terre, à en croire les tradition ns, auraient, au cours de leur prodigieuse évolution, donnné naissance à la mystérieuse montagne de Tambilo dans le village de Koontayah. Cette moontagne surmontée d’une crête à son somm met est tout un écosystème chargé d’histoires et de légendees fabuleuses. M Mais en plus des légendes, Tambilo est aussi le symbole de la demeure du démiurge des lieux que lees populations de la localité appellent affectueusement « Tambilo kanyi », « le propriétaire de Tambilo », autrement ddit l’ancêtre fondateur ou l’ancêtre totem de d Tambilo.
En dehors de son caractère emblématique, la crête qu ue porte la monntagne de Tambilo est un signe distinctif tenan nt lieu de bouussole, de guide, d’éclaireur, de phare. On O raconte danss le village qu’il s’agit là d’un dispositif sacrré, 21
servant d’observatoire, qui est mis en place par des divinités tutélaires pour orienter et diriger les piroguiers et les pêcheurs égarés en pleine mer. Beaucoup de légendes et de récits mythiques sont brodés autour de ce site. C’est à la fois la demeure des djinns, des génies protecteurs, et aussi un lieu de culte, de rencontre et de reproduction des oiseaux migrateurs, en provenance des îles Alkatraz, Kapket, Kakossa, Kaback et d’autres îles situées au large de Conakry. C’est la chasse effrénée aux pélicans, oiseaux migrateurs appelés Gbonboe en soussou, en séjour sur ce site, qui a donné naissance à la célèbre légende de « gbonbon tongo Kontayah » dans le Soumbouyah. Une observation attentive de la montagne de Tambilo ou Tambilo Guèya laisse croire qu’il s’agit là d’un lieu fantastique, un site qui, aux dires de nos informateurs, était autrefois sacré, mais d’autres disent hanté. Les sources locales la présentent comme un endroit mythique et effrayant parce qu’on a la chair de poule lorsqu’on tente de s’y aventurer ou d’escalader ses flancs, pour une balade ou une randonnée à son sommet. Le littoral est la partie du pays adossée à la mer. À quelques encablures de la vaste étendue d’eau salée, des villages se succèdent tant au niveau des bras de mer qu’à proximité des estuaires ou à l’embouchure des fleuves. De la presqu’île de Kaloum au royaume de Moriah en passant par le Soumbouyah, le Kimambourou, on a affaire, à des localités au répertoire très riche en contes, en légendes et en récits mythiques ou totémiques. Ces localités sont aussi très riches en récits, en petits faits curieux, en anecdotes dans lesquels sont décrites des scènes de la vie quotidienne en rapport avec la pratique des activités traditionnelles que sont la pêche, la chasse, la cueillette, l’extraction du sel, etc.
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Ces localités sont aussi, le berceau des récits racontant des scènes de sorcellerie à l’image de celles gravitant autour de Saangbéli dans le Khabitaye, de Bartè Kiri Kanyi ou de Baba Senguélen, dans le Kimambourou. On peut aussi citer des récits mettant l’accent sur des sobriquets, des surnoms que l’imagination populaire a tissés autour de certains villages du littoral, des expressions créées pour se moquer : Guemba khalé Manéah, Souroungba Khalé Morébayah, Kinfèkolé Koket, Gbongboe tongo Kontayah, Tanah Foréba yéboun, Bengué Toli khabitaye… Des expressions à valeur de tabous, employées depuis la nuit des temps, mais qui restent encore, de nos jours, gravées dans la mémoire collective des communautés concernées ou, dans les annales de leur histoire. Expressions totémiques, récits mythiques ou légendaires transmis de bouche à oreille, ces traditions constituent des sources orales inépuisables pour qui veut connaitre ou écrire, l’histoire de nos localités. Elles montrent aussi à quel point le littoral est une contrée au répertoire très riche en éléments constitutifs de la tradition orale.
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Deuxième partie :
Transcription de quelques contes et légendes
II. 1 R Récits mythiques autour des lieux de pêche
Traditionnnellement, la pêche est l’une des principalees activités dees populations du littoral guinéen. Elle se s pratique souus diverses formes : à l’aide d’hameçon ns accrochés auu bout de lignes ; à l’épervier ; à l’aide de d harpons ; avvec des filets tressés appelés Tètè yèlè en e soussou. Cettte dernière méthode était utilisée uniquement par les femm mes. Il existaitt aussi des étangs à poissons sur le littoral. Selon la vieille Nmah Fanta, originaire du village de d Morébayah, et gardienne du temple des tradition ns, beaucoup dee récits mythiques gravitaient autour de cees lieux de pêchhe et relataient des scènes de vengeance dont les causes pprofondes étaient la lutte pour la survie et la préservationn de l’espace vital. 27
Cela est vrai, au regard des réalités jadis vécues le long du littoral de notre pays, et notre informatrice précise que les bords de mer de Conakry étaient autrefois couverts de nombreux étangs à poissons. C’était des lieux de pêche ou de capture de poissons, des sites appelés Rôffès en soussou. Il s’agit des lieux de pêche aménagés par les femmes elles-mêmes, comme sources d’approvisionnement en poissons et autres produits de mer. … Ces sites semblables à des petits lacs aménagés en bordure de mer étaient entourés de gros blocs de pierres superposées les unes sur les autres. Ces pêcheries étaient tantôt rectangulaires, tantôt circulaires. Les vagues de la marée montante y entraînaient des bandes de poissons que les femmes venaient pêcher pendant la marée basse. » Il faut préciser, toujours selon la vieille Fanta, que ces lieux de pêche étaient des endroits sacrés, pleins d’interdits, de mythes et de mystères. Sur ces sites, interdiction formelle était faite à toutes les femmes de s’aventurer dans les étangs des autres, à plus forte raison de pêcher les poissons qui s’y trouvaient. Interrogés sur les raisons de cette interdiction, certains détenteurs des sources orales de l’histoire de ces lieux de pêche ont témoigné. À l’époque où Conakry n’était constituée que de petits villages de pêcheurs, les Roffès étaient la propriété exclusive des femmes. D’autres ont soutenu que la préservation et la protection de ces lieux de pêche en faveur des femmes étaient liées aux mythes. Les traditions rapportent que les femmes étaient placées sous la surveillance et le contrôle des esprits tutélaires. Les Roffès étaient donc des sanctuaires, des lieux sacrés où les femmes allaient faire des offrandes, des sacrifices et autres cérémonies rituelles en faveur des divinités traditionnelles. Elles le faisaient à l’idée que celles-ci puissent leur apporter le bonheur en rendant leur pêche fructueuse et abondante pour leur survie. 28
La vieille Fanta nous a aussi révélé que malgré cette protection, les Roffès étaient des lieux où se produisaient très souvent de graves accidents. Des accidents mortels que l’imagination populaire mettait sur le compte des sorciers anthropophages ou des mauvais génies… À peine la vieille Fanta a-t-elle terminé ses révélations qu’un autre grand connaisseur des sources orales de cette histoire qui s’appelle Doumbouya Sory Youla, originaire du village de Morifindia, sous-préfecture de Mafreinya, renchérit : « Retenez pour la petite histoire que les côtes guinéennes, dans un passé lointain, aux dires de nos ancêtres, étaient le plus souvent, le théâtre de drames répétés. Des drames qui, souvent endeuillaient les populations des villages situés le long des côtes. Ces accidents se déroulaient lors des pillages des ressources de la mer, dans ces sanctuaires de pêche. » D’autres informateurs nous ont aussi révélé que ces faits et évènements douloureux s’étaient produits à l’époque ou le littoral était habité par nos lointains ancêtres. Pour d’autres encore, ces évènements eurent lieu, bien avant la conquête coloniale. L’imagination populaire, nourrie et entretenue par les habitants des villages situés le long des côtes, soutient qu’un jour, un prédateur d’une espèce méconnue, aux allures de monstre marin auquel ni requin ni baleine ne résistaient, était, semblait-il, décidé à en découdre toute sa vie durant, avec les populations du littoral. Sa principale cible était la gent féminine. Pourquoi les femmes étaient-elles les victimes malheureuses de ce prédateur ? D’après la vieille Fanta, ce sont les femmes qui, un jour, au cours d’une séance de pêche, prirent dans leurs filets les petits du prédateur qui était en fait un caïman femelle. Depuis lors, pour se venger, il est à l’affût des
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femmes, dans les entrailles des estuaires, dans les bras de mer et même sur les berges des cours d’eau. La présence et les agissements de ce mystérieux caïman défrayèrent longtemps la chronique, le long du littoral. Pour certains, il s’agissait d’un être humain à l’esprit malsain qui incarnait ce caïman. Pour d’autres, c’était un vrai caïman-sorcier, mangeur d’hommes. Vous vous demandez certainement comment ce prédateur s’en prenait aux victimes pour leur donner la mort… Selon la vieille dame, il attaquait pendant la marée basse, au moment où les rivages, les bras de mer et le long des côtes grouillaient de pêcheurs. C’est à ce moment précis que le monstre des eaux, tapi dans la boue à l’ombre des palétuviers, surgissait de sa cachette. Il faisait irruption au milieu des femmes pendant qu’elles pêchaient. La gueule ouverte ; il bondissait sur l’une d’elles et l’entraînait immédiatement dans les eaux profondes où, par noyade, il lui ôtait la vie. Ensuite, il la trimballait dans les palétuviers pour dévorer quelques parties de son corps. Il y revenait ensuite achever sa besogne, signant ainsi son ignoble crime avant d’abandonner en ces lieux les pauvres restes de sa victime… On ne dispose pas du nombre exact de personnes qui ont été dévorées, mais nos informateurs s’accordent à dire que chaque localité comptait au moins une ou deux fois par an, une victime malheureuse de ce prédateur, depuis les îles Tristao (1) dans la préfecture de Boké, à la pointe sud-est de Sallatougou, dans le Samoun préfecture de Forécariah, en passant par les villages de Khabitaye à Dubréka, les îles Kaback, Kakossa, jusqu’à l’archipel des îles de Loos, Kassa, Fotoba et Room, au large de Conakry. 30
Face à l’ampleur des attaques meurtrières du monstre, prières et sacrifices furent faits et l’appel au combat et à la résistance lancé. Mais cet appel ne fut pas entendu, pas dans l’immédiat du moins et le monstre continuait à endeuiller les pauvres populations du littoral, et ce, durant plusieurs années. Désemparés, les gens ne savaient plus à quel saint se vouer. À l’époque, détresse et désolation se lisaient sur toutes les figures. Chacun, à en croire nos informateurs, devait rester sur ses gardes comme s’il avait l’épée de Damoclès au-dessus de la tête. Durant le long « règne de la terreur » imposée par ce prédateur, les hommes restèrent impuissants. Même celui qui était réputé le traqueur de caïmans et autres monstres, qui s’appelait Sôgnet Fodé, ne put rien faire contre le maître des lieux. Mais, puisque toute chose a une fin, ce que tout le monde souhaitait, arriva. Ce jour-là, le sort du caïman fut scellé, et le destin joua en faveur des femmes. Elles parvinrent à mettre en coupe réglée ce monstre de caïman. Mais concrètement, comment les femmes organisèrentelles leur vengeance ? Comment ce caïman-sorcier qui mit fin à plusieurs vies et qui régna sans partage sur un territoire considéré comme une zone interdite, fut-il vaincu par les femmes ? La victoire des femmes s’expliqua par leur courage, leur bravoure et leur détermination à en finir avec ce monstre. Un monstre qui s’était fixé pour objectif, d’en découdre avec elles, de les éliminer une à une. Le désir de vengeance des femmes était sous-entendu dans les anecdotes et adages qu’elles échangeaient. Certaines ne disaient-elle pas, en se tapant les cuisses : « N’Bôh sognè soubé donfé khôyi kha mara, gbégnôkhèh narah. » Ce qui signifie : « Ma jumelle, ce n’est pas par envie, par gourmandise ou par friandise qu’on mange la chair du caïman, mais c’est plutôt pour se venger. » 31
D’autres disaient entre elles : « Dounounya dendenkoun dendenkoun nara ». Ce qui signifie : « Dans le monde icibas, la vengeance engendre la vengeance. » De nos jours, des versions différentes disent que la vengeance féminine a imprimé une fin tragique au règne de ce prédateur mythique. Sur le littoral, chaque village dispose d’une ou de plusieurs sources orales pour expliquer cette légende. Les versions varient d’un village à un autre, d’une source à une autre. Face à la diversité des sources recueillies, nous avons trouvé les récits de la vieille Fanta, qui nous raconte la fin du règne de ce prédateur, plus authentique et plus proche du vécu quotidien des premiers habitants des villages du littoral. « Le caïman dont il s’agit n’était pas un caïman ordinaire. C’était plutôt un caïman en mission, incarné par des sorciers, de véritables « gongolis », « maîtres sorciers » en langue soussou. Il devait éliminer physiquement toutes les femmes du littoral… Pour en venir au récit proprement dit, c’est dans le lieu sacré où elles pratiquaient la pêche que les femmes se heurtèrent, nez à nez à ce monstre de caïman, en train de se gaver de leurs poissons ! Et c’est dans ce sanctuaire que la scène s’était déroulée ! Quand elles le trouvèrent là, en vérité, elles ne paniquèrent pas. Elles ne l’offensèrent pas non plus. Elles eurent plutôt le réflexe de prendre leurs dispositions et de rester sur la défensive. Sachant bien que le caïman vit de proie animale capturée vivante, il serait capable de s’attaquer à elles. Mais, le caïman ignorerait-il que l’être humain est aussi prédateur que lui sinon davantage ?
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Fortes de toutes ces considérations, les femmes se mirent à se préparer pour ne pas perdre ce combat tant attendu. Pour en finir avec ce monstre, elles commencèrent d’abord par dégainer leurs poignards ensuite elles apprêtèrent leurs coupe-coupe et pour finir, elles tirèrent d’un coin de leur sanctuaire, qu’elles étaient les seules à connaître, leurs pioches dont l’une des extrémités est très pointue et l’autre en forme de hache, très tranchante… Tout en mettant au point leur dispositif de défense, elles surveillaient le caïman du coin de l’œil. Il avança vers l’une d’entre elles lentement d’abord, ensuite rapidement, et enfin, gueule ouverte, les dents menaçantes, il bondit à l’idée de se jeter sur sa cible. Elle l’esquiva avec une grande agilité et sans hésiter lui enfonça de toutes ses forces la pioche dans la gueule. Ce premier coup fut si rude et si violent qu’il lui arracha une partie de la langue et certaines de ses dents acérées. De concert, les autres femmes s’emparèrent rapidement de leurs coupe-coupe et tranchèrent net la queue de l’énorme reptile. Le monstre surpris et mal en point, s’agita un moment sous l’effet de la douleur puis, s’allongea. Par prudence, les femmes se mirent à l’écart pour le regarder agonir… Comme il ne bougeait plus, elles comprirent que c’était fini pour lui... Pour l’achever, elles prirent leurs poignards et comme de véritables amazones au front, elles plantèrent leurs lames de chaque côté de la mâchoire du monstre qu’elles ouvrirent jusqu’au niveau de ce qui lui restait comme queue. Le reptile expira. Pour ne rien rater des différentes séquences du récit, et pour une meilleure reconstitution des faits, il fut demandé à la vieille de bien vouloir se rappeler ce qui s’était passé après la mort du prédateur.
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Ce fut ce qu’elle fit après un moment de réflexion comme pour se remémorer le dénouement du drame : « Mes enfants, les cris des femmes qui appelaient au secours se faisaient entendre jusqu’au village. Les sauveteurs qui, armés de fusils et de sabres, qui de coupe — coupe et de sagaies arrivèrent sur les lieux, en provenance de tous les coins et recoins du village et des environnants… Ils trouvèrent le grand reptile mort… Séance tenante, le caïman fut dépecé et sa chair découpée en morceaux fut répartie dans des bassines que l’on transporta au village. Des bijoux, des bracelets, des boucles d’oreilles et même des touffes de cheveux furent découverts dans son ventre, ce qui laissa penser qu’il avait fait beaucoup de victimes parmi la gent féminine… » Les habitants du littoral ressentirent un grand soulagement après la fin du règne du reptile prédateur. Ils connurent cependant d’autres drames similaires ou tout à fait différents ou liés, qui firent du littoral guinéen une terre de légendes. La vieille Fanta ajouta que quelques jours après la mort de ce caïman, une femme tomba gravement malade de l’autre côté du village ; elle devint folle et se mit à délirer. Elle était restée longtemps dans cet état et au moment de mourir, elle ne cessait de répéter comme pour faire son mea-culpa : « oui, c’est moi qui avais coutume de me métamorphoser en caïman, ou en d’autres prédateurs pour en découdre avec les habitants du littoral en général, et avec les femmes en particulier... » Ce n’est pas tout. Le littoral est le creuset d’autres légendes et d’autres récits mythiques. Les plus populaires sont ceux puisés dans les tréfonds des villages les plus reculés. On peut en raconter d’autres encore.
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II.2 Léégendes et récits mythiques autour dee Saangbeli dans le Khabitaye, province de Dubréka. .
Entre les localités de Khorira et de Tayiré, à l’entrée de d la province de Wassou dans le Bouramaya, sur la rou ute nationale Coonakry – Boké via Boffa, s’étend à perte de d vue, l’imm mense territoire de Khabitaye. Autrefoiis, royaume au même titre que Tabounssou, le Khabitaye a toujours étéé une contrée au passé riche, en termes de d légendes et de récits mythiques. La légende la plu us populaire qqui mérite d’être connue par les jeunees 35
générations, pour éviter qu’elle ne tombe dans l’oubli, est celle de Saangbéli. L’imagination populaire a brodé sur cette légende un célèbre récit mythique que les traditions orales présentent sous le vocable de « Bengué Toli Khabitaye » ce qui signifie : « les ruines de la mystérieuse pirogue de Khabitaye » ou bien « les débris ou morceaux de tuiles de Khabitaye ». Mais concrètement qui était et que signifie Saangbéli ? Le terme Saangbéli — aux dires des traditions — dériverait du prénom Sayon qui fait référence au rang de naissance d’un enfant qui vient au monde directement après, des jumeaux ou des jumelles. À cet enfant, la tradition attribue plus de pouvoirs occultes qu’aux frères et sœurs jumeaux, qui sont ses aînés. Le terme « gbeli » est quant à lui, un qualificatif, un complément de nom qui renvoie au teint clair ou à la couleur rouge qui recouvre la peau, les poils, les écailles ou le pelage. Saangbéli, c’est donc la contraction soussou de Sayon et de gbéli ou par extension de Sognè et de gbéli « caïman rouge ». Dans le cadre de la présente légende, le rouge traduit le pacte de sang, celui de la violence et du crime. Le rouge, c’est aussi le symbole du danger mortel. Autrefois, à en croire la tradition, la seule évocation du nom Saangbéli ou de l’expression « Saangbéli fa » faisait trembler de peur et de frayeur les habitants des villages du littoral. Le spectre du personnage hantait tous les esprits et planait comme une épée de Damoclès au-dessus de toutes les têtes. La psychose s’était installée ! C’était, à en croire nos informateurs, une époque difficile et pénible, caractérisée par d’innombrables actes de terreur. Cela se comprend parce que le nom Saangbéli incarnait le personnage le plus mythique de la légende, aux récits fabuleux empreints de frayeur et de peur, qui retracent 36
d’un côté des faits et des actes de cruauté, et de l’autre des actes d’exploits et de vengeance. Ces actes ont profondément marqué la mémoire collective des populations des villages du littoral, pendant les premières heures de leur histoire. Plusieurs personnes ressources consultées soutiennent que Saangbéli était un être humain, descendant d’Adam et d’Ève. Mais contrairement à nous autres communs des mortels, cette créature était capable de se transformer, de se métamorphoser ou de se dédoubler, « falinyi » en soussou, d’incarner d’autres créatures et même de grands prédateurs. * Par contre, d’autres affirment que Saangbéli était un personnage fictif, créé de toutes pièces par l’imagination populaire, que c’était une pure invention de l’esprit, un personnage de légende. Pour les uns et les autres, ce personnage mythique apparaissait généralement sous la forme d’un caïman emblématique de couleur rouge appelé « Sognè Gbéli », « caïman rouge » en soussou. Ce nom mythique, disent nos informateurs, variait en fonction de l’hydrographie ou des noms des différentes localités du littoral que fréquentait régulièrement ce caïman. Voilà pourquoi certains le désignaient sous le nom mythique de « Soumba Sognè », « le caïman de la Soumba », en référence à la rivière Soumba qui arrose les villages de Dubréka et qui se jette dans le fleuve Kounkouré qui lui, prend sa source dans les massifs montagneux du Fouta Djallon. Dans les eaux de ce majestueux fleuve, le nom du prédateur apparaît sous le vocable de « Kounkouré bamba », nom emblématique du caïman du fleuve Kounkouré, bamba signifiant caïman en malinké. Dans l’un ou dans l’autre des cas, on est tenté d’affirmer sans risque de se tromper que c’est ce reptile 37
géant qui écumait, à la manière d’un pirate des mers, les eaux profondes des rivières de la Soumba et celles du fleuve Kounkouré. Et, c’est le même reptile qui sillonnait les cours d’eau des rivières de Sarinka de la ville de Coyah, du Kili Fandjé dans la sous-préfecture de Mafreinya. Et c’est aussi le même qui séjournait dans les îles Kakossa, Kaback, après avoir traversé la rivière de Kitema de Manéa, les bras de mer des villages de Morébayah de Kokè, pour se retrouver dans le Samoun en passant par le Kissi-Kissi et la Méllikhouré, dans le Moria. Les informations recueillies dans ces localités, au sujet de ce prédateur, se recoupent et se complètent. Leurs dépositaires sont tous unanimes à dire que la légende de Saangbéli gravite autour d’une vieille pratique : celle de la sorcellerie, exercée par un groupe de personnes, à leur tête, Saangbéli. Mais concrètement, quelle est la version la plus répandue de l’origine de ce personnage mythique ? Comment a-t-il pu sévir au point de troubler la quiétude et la tranquillité des habitants du littoral ? Comment a-t-il disparu ? L’origine mythique de Saangbéli, « Le caïman de la Soumba », le « Soumba Sognè » Plusieurs versions tentent de rendre compte de la genèse de la célébrité de ce personnage, grand maître en sorcellerie. Les sources locales soutiennent que, ce sont les ancêtres des premiers habitants des villages du littoral qui provoquaient d’autres créatures et cela donna naissance à cette légende dont les récits retracent des faits et événements qui se sont déroulés bien avant la conquête coloniale, avant la construction des ponts métalliques par la compagnie minière française sur le fleuve Kounkouré, dans le cadre de l’exploitation de la bauxite de Fria. En ces 38
temps-là, la traversée de la Soumba ou du Badi se faisait uniquement par voie fluviale, à bord des pirogues. Selon la doyenne NMah Fanta Soumah, à l’époque des faits, les hommes voulaient conquérir pour eux et leurs progénitures, toutes les terres du littoral, afin d’exercer leur domination sur toutes les autres créatures. Jadis, les êtres humains se croyaient tout permis et prenaient l’habitude d’abuser des autres créatures. C’est ainsi qu’un jour, ils capturèrent dans leur filet de pêche, leur « cassineti », un caïman femelle. Sans pitié, ils lui ôtèrent la vie en le criblant de flèche et, en l’assommant de coups de harpon. En gros consommateurs de protéine, ils se répartirent la chair de l’animal. La même source rapporte que la scène de ce carnage se serait déroulée le long des cours d’eau de la rivière Soumba et ce, sous le regard d’un des petits de la victime. Kini Fodé, lui-même, dans ses célèbres contes rapporte que l’assassinat du caïman femelle ne laissa pas indifférent son rejeton. Face à cette tragédie, le petit caïman entra dans une grande colère. Il prit son mal en patience et jura de se venger. Devenu adulte, son instinct le conduisit aussitôt sur le chemin de la vengeance et des attaques meurtrières se répétèrent… Il sauva l’honneur et prouva aux êtres humains qu’il était aussi prédateur qu’eux. Face à cette situation, les habitants du littoral restaient sur le qui-vive et gardaient dans leur subconscient, de manière indélébile, le nom mythique de Soumba Sognè. D’ailleurs, les Soussous employèrent couramment l’expression au point d’en faire un vieil adage relatif aux agissements et à la turbulence du caïman de la Soumba. En effet, en pays soussou, selon la tradition, lorsqu’un enfant est trop téméraire, turbulent et agité, on le rappelle à l’ordre en lui disant : « i tan ikarin, isoussa, iya makhorokho alo soumba sognè », « Toi, ton audace et tes 39
caprices sont pareils à ceux du caïman de la rivière Soumba ». Cela montre à quel point ce caïman était un symbole, une référence à l’époque. Un reptile emblématique ! Pour certains, il était le plus craint parce que, le plus agressif, capable de menacer tous ceux ou toutes celles qui s’aventuraient près de son espace de vie, les berges, les bords des rivières, des marigots, des fleuves, les embouchures Pour d’autres, il était le plus redouté et le plus redoutable parce que le plus revanchard, capable de poursuivre et de pourchasser les piroguiers en mer, de faire chavirer leur barque et d’ôter la vie à celui dont il devait régler le compte. Une autre expression, à ce moment à la une, chez les Soussous, était employée dans tous les coins et recoins des villages du littoral guinéen. À travers elle, l’Homme du littoral mettait l’accent non seulement sur le sentiment d’amour profond à l’endroit de son prochain, mais, il sut aussi traduire la ferme volonté de vengeance qui habite les créatures. L’expression, dans son vrai sens, est un proverbe qui renvoie à une conception de la vie telle que les Soussous la définissent : « Dununya ndendekoun ndendekoun nara, ina i boré maama dekoun, gbètè nan fan i maama dekoun ma » ce qui signifie : « nul ne doit ôter la vie à la grandmère d’autrui par étranglement, au risque de voir quelqu’un d’autre venir briser le cou de la sienne et de la même façon. » Selon la vieille NMah Fanta, ce vieil adage a valeur de conseils et de remarques pertinentes véhiculées en direction de ceux-là qui causent des préjudices à leurs prochains. Pour notre informatrice, ce qu’il faut rappeler à ces indélicats, c’est qu’ici-bas, tout se paie : « Le bien se paie par le bien, le mal se paie aussi par le mal. » 40
Cela, non pas que l’esprit de tolérance ne soit pas recommandé, mais l’essence de la citation renvoie à l’idée que, le mal fait à autrui nous revient toujours, d’une manière ou d’une autre. L’explication mot à mot de cette maxime suppose que, chacun de nous ressent un amour profond pour les siens, surtout pour sa grand-mère. Par rapprochement, disons que cette expression fait penser à la loi du talion : « œil pour œil, dent pour dent ». Elle est aussi synonyme de « courte queue se paie avec courte queue », expression puisée dans l’ouvrage intitulé « La belle histoire de Leuk-le lièvre » de L. Senghor et A. Sadji.
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II. 3 Témoignages sur les actes de sorcellerie à l’actif de Saangbéli
Pour montrer à quel point, les attaques meurtrières du caïman étaient monnaie courante le long du littoral dans le passé, nous vous rapportons, les témoignages d’une vieille femme originaire de la contrée. Elle porte plusieurs noms emblématiques : NSira Kankan-la pour les uns, Nsira Kankanyi, « Nsira “la bégayeuse” », pour d’autres, à cause de son bégaiement. NSira Kouye, NSira “la grande” à cause de sa grande taille. Elle nous fait quelques révélations : « Moi, NSira qui vous parle, je fus moi-même un jour, attaquée par surprise par un caïman. C’était à l’endroit paisible et sacré où j’allais pécher, que nous appelions communément Roffè en soussou. Par la grâce de Dieu, je réussis à lui régler son compte ! Quand il se jeta sur moi, pour le mettre hors d’état de nuire, je lui fendis net la gueule, ensuite je lui cassai les dents. Et enfin avec mon coupe-coupe de fabrication locale, je le mis en coupe réglée, comme dirait l’autre, en pièces détachées. C’est au terme de cet exploit que l’on me donna le sobriquet ‘Sognè Nsira’, "NSira la tueuse de caïmans". » Et la vieille de poursuivre : « Mais s’agissant de l’affaire Saangbéli, je ne puis que transmettre ce que j’en ai appris et non prétendre faire un témoignage. Je le dis parce que, je n’ai pas vécu les faits. Ce que je vais donc vous rapporter, m’a été raconté par ma chère grand-mère. Tradition oblige. Elle m’a dit que l’affaire Saangbéli 43
relevait d’un domaine très mythique, celui de la pure sorcellerie. C’était l’œuvre d’un groupe de sorciers, composé d’hommes et de femmes ayant à leur tête, Saangbéli. Ce sont les membres de ce réseau qui, par des moyens occultes ou par la magie noire, tuaient les gens et plongeaient le littoral dans la désolation et la tristesse. Saangbéli, personnage-clé de cette bande, était une créature mystérieuse qui se déguisait et se métamorphosait soit en un reptile géant, en caïman, soit en d’autres prédateurs, implacables et pleins de force. Ce personnage incarnait aussi des esprits malsains capables de jeter de mauvais sorts. Aux dires de ma grand-mère, le règne de Saangbéli était un temps très fort de l’histoire de la sorcellerie dans le littoral. Il était l’incarnation du mal, de la violence et du crime. On le comparait à Malaykal mawtii, l’ange qui, dans la tradition musulmane, a pour mission de séparer l’âme du corps, d’ôter la vie aux créatures humaines. Il s’agit de l’équivalent de Hadès, Dieu des morts, maître des enfers dans la mythologie grecque. L’on tenait Saangbéli, responsable de tous les maux dont souffraient les populations du littoral à cette époque-là. Ce n’est pas tout. Ma grand-mère en s’inspirant de l’imagination populaire nourrie et entretenue le long du littoral, nous a rapporté que Saangbéli était aussi à l’origine de la propagation des épidémies et de nombreux décès chez les enfants, les femmes, au niveau de la population toute entière » En complément d’information, Tanou Baadra,*qui assistait à l’entretien, a ajouté que dans les villages du littoral à l’époque, partout où on se trouvait, on avait à l’esprit le spectre de Saangbéli, toujours présent ! La terreur semée par ce prédateur, parfois métamorphosé en fauve, ou en une autre bête féroce, planait en permanence au-dessus des têtes ! » 44
Je tiens l’information de mon grand-père qui, dans les contes, nous disait qu’à l’époque de Saangbéli, le littoral était en proie à des actes malsains et sordides. » Selon le vieil homme, « il n’était pas rare d’entendre les gens déclarer que, des hyènes avaient dévasté tel ou tel village, déterré des cadavres derrière les habitations, ou que des chacals et des fauves comme des lions et des panthères se sont introduits dans les enclos et ont décimé tout le bétail. » Et à Baadra de conclure en disant que leur grand-père leur a dit de retenir que tous ces faits bizarres et actes mystérieux qui, à l’époque, pesaient sur les populations du littoral étaient l’œuvre maléfique de Saangbéli qui se transformait. Le constat que l’on peut faire, c’est qu’à l’époque des faits, le littoral, objet de notre étude, était totalement enclavé et les différents localités et villages qui le constituaient étaient entièrement isolés, les uns des autres. Tout y était comme dans une jungle, à l’état naturel : pas de routes, pas de ponts et naturellement, la nuit, seul le clair de lune perçait la pénombre. Les fleuves et autres cours d’eau étaient les seules voies de navigation qui permettaient aux habitants du littoral de se rendre en pirogue sur les rives d’une localité à une autre. Ensuite, le reste du chemin s’effectuait à pied et à gué sur des troncs d’arbre, des ponts de fortune que les soussous appelaient « falé ». Ils avaient aussi, en guise de souvenir, baptisé un village du nom de Faléssadé, lieu où foisonnent des ponts de fortune. C’est dans le Bakhonyi, le long du fleuve Bady, dans le Tondon. C’était au niveau des estuaires, des embouchures, des berges des cours d’eau, des bras de mer que le caïman, incarné par Saangbéli se glissait, prenait position, se 45
mettait à l’affût pour bondir, attaquer, capturer et entraîner ses victimes dans les eaux profondes. C’était là qu’il leur ôtait la vie par noyade.
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II.4 La tentative de meurtre d’un étranger par Saangbéli métamorphosé
À ce propos, beaucoup d’anecdotes et de récits mythiques circulent autour de la légende de Saangbéli. On raconte qu’un jour, un homme serait venu d’une lointaine contrée pour un voyage d’études sur les terres du littoral. Ce voyage avait pour but précis la découverte de la mer et aussi de la manière dont les premiers habitants du littoral faisaient l’extraction traditionnelle du sel, de l’huile rouge et de l’huile de coco. Lorsque le voyageur arriva à un village de la côte, nommé « Dantéma », non loin du site d’extraction du sel, en attendant l’arrivée de la pirogue qui devait lui faire traverser le fleuve, il décida de s’offrir une petite balade aux abords immédiats de l’autre rive du fleuve. Au moment où il empruntait le gué, un caïman qui attendait dans l’eau se projeta comme une flèche et lui bondit dessus ! L’homme fut propulsé tel un projectile, mais en bon athlète, il atterrit, par la grâce de Dieu, non pas dans les eaux profondes, mais plutôt sur la terre ferme, bien loin des mâchoires du prédateur. La légende rapporte que la scène se serait déroulée au bord du fleuve Konkouré*, non loin de Tanènè*. Arrivé sur la terre ferme, le rescapé détala à toutes jambes avant de s’arrêter un instant à côté d’un buisson pour observer son bourreau. Il eut la grande surprise de voir apparaître un homme, à la place du caïman ! En plus, il avait, à la main, le sac que le voyageur portait en bandoulière. La
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mystérieuse apparition interpella l’étranger et, lui dit : « Eh toi homme, reviens prendre ton sac ! » Il répliqua : « ö, ö yè ! Ce sac, je te l’offre. Je n’en veux plus. Tu peux le garder. On en fabrique beaucoup chez nous ».
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II.5 Sognet Fodé, un personnage de légende
Pour certains de nos informateurs, Sognet Fodé est un célèbre personnage de la légende de Saangbéli. Pour d’autres, il est plutôt le héros de sa propre légende, une légende aux récits fabuleux pleins de suspense, qui racontent la vie de l’homme, ses actions et la lutte opiniâtre qu’il a menées dans le cadre de la traque des caïmans en vue de la pacification du littoral. En effet, les traditions rapportent que les premiers habitants du littoral étaient confrontés à d’énormes problèmes d’espace, de vie, de survie et de cohabitation avec d’autres créatures. Les berges des rivières et des fleuves qu’ils se partageaient, étaient devenues, à vrai dire, sources de conflit, et même dangereuses pour les humains. Pour mettre fin à ces nombreuses menaces récurrentes, des sources soutiennent que l’honneur revint à un homme auquel la tradition attribue des pouvoirs occultes, de trouver une stratégie de lutte contre toutes les formes d’insécurité que connaissait la contrée. En réalité, le combat de cet homme mythique, connu sous le nom de Sognet Fodé, visait à pacifier le littoral, en le débarrassant des esprits malsains, des sorciers anthropophages et autres jeteurs de mauvais sorts qui se réincarnaient dans toutes les créatures emblématiques. Beaucoup de récits oraux racontent la lutte héroïque menée par ce personnage, mais de tous les récits, ceux des conteurs traditionnels constituent la source la plus fiable de cette légende. Il n’existe pas un seul village dans le
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littoral guinéen où l’on ne trouve un conteur en titre détenant une version orale de l’histoire de Sognet Fodé. Ces sources, aussi diverses soient-elles, sont toutes relatives aux exploits à l’actif de cet homme dans la lutte contre Saangbéli, les esprits malsains et toutes les créatures de mauvais augure qui peuplaient autrefois le littoral. Les récits recueillis auprès des anciens des villages de cette contrée, attestent que Sognet Fodé ne mena pas seul le combat héroïque de pacification, mais le dirigea. Ce fut l’œuvre de chacun et de tous. À l’époque des faits, le littoral était plein de mythes et de mystères. C’était un monde où cohabitaient des créatures qui n’avaient d’autres soucis que d’assurer leur survie, advienne que pourra. Parmi celles-ci, il y en avait que les anciens soussous appelaient khouli Nkhorèe, des hommes avec une queue, des cannibales ou anthropophages, parce qu’ils se nourrissaient de chair humaine et buvait du sang humain. Ce monde, aux dires de certains de nos informateurs, était une jungle où « la raison du plus fort était toujours la meilleure ». Seul Sognet Fodé vivait en parfaite harmonie avec ses fétiches qu’il considérait comme ses seuls moyens de défense et de protection. Ils lui permettaient de se transformer, de se métamorphoser en n’importe quelle autre créature et d’anéantir les pouvoirs de celle-ci. On raconte que, où qu’il se trouvait, Sognet Fodé pouvait tout voir et tout entendre. On disait aussi qu’à cette époque-là, le littoral était le refuge des maîtres sorciers qui se réincarnaient dans les prédateurs comme les caïmans, les crocodiles et autres reptiles géants. Dans ce climat d’incertitude et de suspicion, pour que règnent la paix et l’harmonie entre les habitants, Sognet Fodé ordonna la mise en branle d’un dispositif de défense et de combat. Dans chaque village, des résistances 50
farouches furent organisées contre des bêtes féroces et toutes les autres créatures qui troublaient la quiétude des populations. Les bêtes féroces et autres prédateurs malgré leur force et leur cruauté furent combattues jusque dans leur dernier retranchement par Sognet Fodé et les membres des groupes de défense. Leur stratégie consistait à éliminer purement et simplement tous les prédateurs. Pour y parvenir, Sognet Fodé et ses hommes utilisèrent tout ce qui était à leur portée, même des moyens traditionnels occultes. Ils se métamorphosaient en prenant l’apparence de la cible elle-même, avant de se rendre invisibles à ses yeux. Enfin, ils poursuivaient le prédateur jusque dans son environnement. Une fois les dispositifs mis au point, Sognet Fodé et ses hommes reprenaient leur apparence normale pour attaquer sans répit à coups de flèches, de sagaies et de harpons les prédateurs. Quant aux caïmans réputés violents, ils étaient traqués sans pitié et sur tous les fronts. Dans les cours d’eau, ils étaient étouffés sous les nasses et sous les éperviers, de grands filets de pêche en forme de cône évasé au centre. Pour les capturer morts ou vifs, c’était ces grands filets appelés « cassineti » en soussou, que Sognet Fodé et ses hommes leur lançaient à partir des rivages ou des embarcations. Une fois qu’ils étaient pris dans le piège, ils les exterminaient à coups de flèches ou de harpons. La tradition rapporte que pour vivre dans l’harmonie et dans la paix, tous les habitants du littoral unis comme un seul homme derrière Sognet Fodé, multiplièrent les moyens de combat. Ils traquèrent sans pitié les caïmans redoutables prédateurs redoutés, en utilisant aussi de gros hameçons de fabrication locale : il s’agit d’une sorte de crochet en fer, à pointe barbelée. Au bout de chaque 51
hameçon, ils plaçaient un morceau de chair canine fraîche pour servir d’appât ; les caïmans en raffolent. Tout le dispositif était prêt au niveau des lignes matérialisées par de puissantes cordes aux endroits que fréquentait le prédateur, de jour comme de nuit. Une fois que la proie mordait à l’appât, elle se débattait jusqu’à l’épuisement ou jusqu’à ce que mort s’ensuive. Le bouchage du terrier fut une méthode employée aussi, pour bloquer le prédateur dans sa retraite souterraine. Une fois le saurien consigné dans son abri naturel, Sognet Fodé et ses hommes bouchaient toutes les galeries, empêchant ainsi l’air d’y pénétrer. Cette méthode de confinement étouffait complètement la proie et provoquait sa mort. Les traditions rapportent que Sognet Fodé s’était illustré toute sa vie durant, en combattant et en traquant les caïmans sous toutes les formes. Mais, ironie du sort, il fut tué par un tout petit lézard ! L’expression soussou qui suit est née de ce fait : « Sognet Fodé, kaasa na afakha », comme pour dire que souvent, de petites épreuves pourraient engendrer la mort. Au regard de tout ce qui précède, on pourrait affirmer sans risque de se tromper que Sognet Fodé fut un grand homme, par les actions d’éclat et la résistance opiniâtre qu’il a menées pour la pacification du littoral. L’homme devrait être considéré comme un héros national, une figure célèbre. Les récits fabuleux font de ses actions héroïques une épopée glorieuse qui plonge ses racines dans la lutte pour la survie, la sauvegarde de l’espace vital des premiers habitants du littoral, exposés aux attaques meurtrières répétées des sauriens prédateurs.
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II.6 Les conséquences du non-respect des clauses du pacte signé entre Saangbéli et son Griot.
Beaucoup d’autres petits récits curieux sont taillés sur mesure et collés à l’image de Saangbéli. Mais il convient de retenir que les cours d’eau du littoral furent dans le passé, le théâtre de graves accidents mortels au nombre desquels, celui d’un griot qui était à bord d’une pirogue. Il était en train de chanter les louanges de Saangbéli lorsqu’il fut brutalement enlevé par le personnage lui-même ! Non seulement il l’emporta, mais il lui ôta la vie de façon mystérieuse, sans aucune forme de procès. Mais que s’était-il donc passé avant le drame ? Il semblerait que des interdits et tabous avaient été transgressés. En effet, selon la tradition des populations du littoral, le voyage en mer, avant l’utilisation des moteurs, était soumis à des règles strictes et à des lois que les piroguiers et leur équipage devaient respecter sous peine de graves sanctions. Ces lois et principes étaient édictés par les esprits tutélaires et autres génies protecteurs dont les décisions, à en croire les traditions, devaient être respectées à la lettre : « La pirogue une fois en haute mer, nul ne doit se livrer au bavardage inutile. Et surtout, on ne doit pas non plus nommer tout ce qu’on voit passer ni observer les alentours. Il faut s’abstenir de faire du bruit ou de se lancer dans des bavardages inutiles et stériles ». En embarquant, obligation était faite aux piroguiers d’exécuter des cérémonies de sacrifice rituel en faveur des dieux ou des déesses des eaux et de la mer, pour demander 53
leur bénédiction, la protection de l’équipage et celle de la pirogue. Tous ces actes devaient être faits dans le strict respect des rituels, des coutumes et de la tradition pour un voyage tranquille et paisible. Les sources consultées attestent du bien-fondé de la sanction que Saangbéli infligea à son griot, et sont unanimes à soutenir qu’il a été lui-même, l’artisan du malheur qui lui est arrivé, car il n’a pas su respecter les interdits et les tabous. En chantant et en jouant du tam-tam au cours d’un voyage en pleine mer, il a commis une entorse à la loi, a foulé au pied les valeurs traditionnelles que tous les habitants du littoral se devaient de respecter. À l’époque des faits, la loi du plus fort était la meilleure et cela, le griot ne l’avait pas compris, et n’avait pas su s’accommoder à la tradition. Saangbéli n’avait donc pas tort de lui infliger la peine capitale car, il existait entre les deux personnages, un pacte de défense et d’assistance mutuelle que chacun se devait de respecter. Selon les clauses de ce pacte, Saangbéli était le seul maître du griot qui, à travers des chansons épiques, devait faire les éloges et chanter les mérites de son maître, mais en un lieu bien précis, fixé d’un commun accord. Le maître des lieux devait lui aussi apporter assistance et protection au griot. Le tam-tam dont jouait le griot appartenait à Saangbéli, et ce n’était pas qu’un simple instrument de musique. Il revêtait un caractère sacré. On n’en jouait pas à tout moment et en tout lieu. Les sources orales du littoral guinéen rapportent que dès que le griot touchait à l’instrument, le son amplifié était aussitôt transmis et répercuté au niveau du maître. Immédiatement, une liaison secrète s’établissait entre lui, l’instrument et le griot, qui ignorait que ce lien mythique existait. En entendant le griot entonner l’hymne du salut, intitulé « Saangbéli mamayo », « salut à toi, Saangbéli » hors du cadre qu’ils avaient fixé, le maître se sentit trahi et 54
assimila cette trahison à un crime et le coupable, à un criminel. Et voilà ce que le griot excessivement zélé et indiscret dit aux passagers de la barque : « Écoutez — moi, compagnons de voyage. Je suis le griot attitré de Saangbéli. Je connais tous ses secrets… » Juste au moment où il allait dévoiler des secrets et rompre les clauses du pacte qui les liait, Saangbéli, comme un python de mer, se glissa mystérieusement dans la pirogue et se métamorphosa en caïman sorcier, avide de chair humaine. Il s’empara et de son griot, et de son tam-tam pour les entraîner dans les profondeurs de la mer. Ainsi, Saangbéli fit disparaître à jamais son griot et son tam-tam, sans aucune autre forme de procès.
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II.7 La disparition mystérieuse de Sognet Fodé
Depuis la rupture du pacte avec le griot, Saangbéli s’était rendu à l’évidence que l’homme est une créature bizarre, synonyme de trahison et par ricochet, de danger, une créature sur laquelle il ne fallait pas compter. Il se dit alors tout bas : « la trahison de mon griot exacerbe mon ardeur à redoubler d’efforts dans la lutte contre l’Homme. Comme on dit qu’il est la plus “merveilleuse des créatures de Dieu”, il se voit déjà à l’image du Créateur et se croit invincible. Voilà pourquoi, il s’en prend à n’importe qui. » Ainsi, Saangbéli se mit à ourdir un plan contre Sognet Fodé et se dit : « Moi, ma stratégie pour vaincre l’homme est toute simple. Elle consiste à mettre d’abord hors d’état de nuire, le plus redouté et le plus redoutable de tous les hommes de la contrée, celui qui se fait passer pour le plus grand traqueur de caïmans, le nommé Sognet Fodé. Tout le monde dit de lui “a guéré ra fan ama”, “qu’il aime la bagarre”, la preuve, il porte toujours sur lui, soit une arme blanche soit un fusil ; ce qui prouve qu’il est toujours prêt… Donc, prêt pour le combat ! Puisqu’il aime la guerre, j’avoue qu’il l’aura… » Ainsi dès après ce monologue, Saangbéli mit à exécution son plan. La tradition rapporte qu’il se métamorphosa en petit lézard venimeux, déterminé à frapper fort celui qui jusque-là, se croyait invincible. Aux dires des dépositaires des sources orales de cette légende, ce minuscule lézard mystérieux se faufila dans la 57
case secrète de Sognet Fodé, le mordit et lui inocula ainsi le venin fatal. Selon les sources populaires, la scène s’était passée en présence de nombreux visiteurs et des proches de Sognet Fodé, mais personne ne se rendit compte du drame. N’estce pas le lieu de dire que la vengeance engendre la vengeance et que c’est un plat qui se mange froid ? La victime, peu après la morsure, perdit connaissance et se mit à délirer, à hurler et à aboyer comme un chien avant de rendre l’âme ! Quant au petit lézard, il disparut dans la nature pour ne plus jamais réapparaître. La suite de la scène est restée pathétique et légendaire. La disparition de Sognet Fodé marqua de façon indélébile la mémoire collective des populations du littoral en général et celle des locuteurs soussous en particulier. Ils ne cessaient de penser à l’homme, de se souvenir de lui à travers l’adage : « Sognet Fodé kassa na afakha », « le plus grand traqueur de caïmans, Sognet Fodé fut tué par un simple petit lézard. » La mort mystérieuse de ce personnage ne mit pas fin aux batailles sanglantes et meurtrières pour la survie entre les différentes créatures vivant tout le long du littoral. Cette disparition exacerba plutôt les contradictions et intensifia les idées de vengeance chez les populations pour qui Sognet Fodé n’était pas mort de mort naturelle. Les causes mystérieuses de sa disparition amenèrent les uns et les autres à se demander qui l’avait tué et pour quelle raison ? Des féticheurs, des marabouts et des prédicateurs des différents villages du littoral, conjuguèrent leurs pouvoirs pour entrer en liaison spirituelle avec les génies, les esprits tutélaires et toutes les divinités traditionnelles de la contrée. Il s’agissait pour eux, de situer les responsabilités et les causes exactes de la mort mystérieuse de Sognet Fodé, mais aussi et surtout, de lui rendre justice, quitte à 58
passer à la vengeance. Ainsi, après sept semaines de retraite, tous, à l’unanimité, s’accordèrent et arrivèrent à la même conclusion : « Il n’y a pas de doute, Saangbéli est à l’origine de l’empoisonnement de Sognet Fodé. Il s’est métamorphosé en lézard venimeux, l’a mordu et lui a inoculé la dose de venin qui lui a ôté la vie. » Ils décidèrent alors d’utiliser tous les moyens, même le syncrétisme religieux, la combinaison de l’Islam et des croyances animistes, pour faire sonner le glas du pouvoir et du règne de Saangbéli sur les terres du littoral. D’après la tradition orale de cette contrée, la lutte fut certes difficile, mais pas insurmontable parce que les populations, toutes unies, eurent la ferme détermination de défendre leur territoire. Ils purent vaincre Saangbéli et pacifier le littoral. Il ne faut pas occulter cependant que cette victoire fut en partie, l’œuvre d’un grand marabout très pieux qui s’était converti à l’islam dès les premières heures. Tous les habitants du littoral l’appelaient à l’époque, « Karamôkhô Amara Donma iguéli ». Il était squelettique, et d’après les dires, il superposait plusieurs boubous pour se donner l’apparence trompeuse d’un homme costaud. On raconte aussi que ce marabout, en égrenant son chapelet et en récitant des versets du coran, pouvait dialoguer avec les bêtes féroces, les inviter à le rejoindre au village et à se coucher à ses pieds sans jamais s’attaquer aux humains. Un miracle !
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II.8 La fin mystérieuse de Saangbéli et la pacification du littoral
Pour arracher le littoral des griffes de Saangbéli, le saint homme ne lésina pas sur les moyens. Il organisa une véritable levée de boucliers en sillonnant toutes les localités du littoral, une à une. Ma grand-mère me raconta qu’il fit un séjour discret d’une semaine dans chaque village, sans attirer l’attention de qui que ce fût sur sa personne. Il se consacrait aux prières, à la lecture du Saint Coran, à faire des zikr et à méditer. La combinaison de ces séances de recueillement lui permit d’établir une liaison spirituelle avec l’Éternel, pour Lui demander de lui donner la force nécessaire afin de pouvoir débarrasser le littoral des « gongolis », « des sorciers ». Au terme de son périple, il décida de lancer l’assaut final et défia à voix haute, plusieurs fois, Saangbéli et tous les membres de son clan, ainsi que tous ceux qui troublaient la quiétude des habitants du littoral par des actes ignobles et sordides liés à la sorcellerie. Ces appels au combat final furent-ils entendus aussitôt ? Pour certains de nos informateurs, les appels du saint homme eurent un écho si retentissant qu’un jour, tous les prédateurs que Saangbéli avait coutume d’incarner quand ils se métamorphosaient, sortirent de leurs abris naturels. Ils se dirigèrent tous vers la place publique. Ils avaient l’air de revenants qui s’extrayaient des profondeurs de leurs tombes, tristes, affaiblis, épuisés… de vrais zombis !
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Selon la légende, leur aspect pitoyable reflétait les effets mystiques qu’opéraient sur eux, les prières et les zikrs que le saint homme avait adressés à l’Éternel, l’Architecte de l’univers, pour les anéantir. Pour d’autres, les prières du saint homme furent du coup exaucées parce qu’un miracle se produisit. En effet, une fois Saangbéli et son groupe de prédateurs massés sur la place publique, le démiurge des lieux, d’un coup de baguette magique, lança un virus qui se répandit aussitôt, atteignant et ravageant ainsi tous les prédateurs, au même moment ! Selon la légende, ce fut ce virus, semblable à celui de la peste qui emporta Saangbéli et ses acolytes, permettant ainsi la pacification du littoral.
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II.9 L’après Saangbéli et l’avènement de la mystérieuse pirogue de Khabitaye ou le « bengué toli Khabitaye »
En général, les calamités qui frappent toute une contrée restent gravées dans le subconscient collectif, et hantent pendant longtemps les populations, même au-delà de leur zone géographique. La terreur semée par Saangbéli sur le littoral était sans égale. Sa disparition ne fit pas oublier sa redoutable légende et son spectre continua de planer sur le littoral de sorte que dans certains endroits, on se surprenait même à le croire ressuscité. Ce fut le cas de Khabitaye ou les apparitions de son fantôme poussèrent les populations à abandonner leurs villages. * Faut-il rappeler que Saangbéli vit le jour sur les terres de Khabitaye ? Malgré cela, les habitants de la localité, la peur au ventre se disaient : « Bien que notre contrée soit le berceau de ce personnage, nous ne voulons plus qu’il soit l’épicentre autour duquel viendra encore graviter la pratique sordide de la sorcellerie. » Pour éviter la récidive, la tradition rapporte que notables, sages et autres bras valides se lancèrent dans un déménagement forcené pour abandonner le village et aller loin, très loin, sous d’autres cieux. Pour leur départ effectif, ils construisirent un navire, le navire de Khabitaye d’une grande performance pour les khabita-kayés. Ils le fabriquèrent de toutes pièces avec des tuiles faites d’argile et de terre, cuites au four. Le navire fut mis au point et entra effectivement en fonction. 63
Ce fut à bord de ce navire que notables et sages de Khabitaye embarquèrent, pas seulement pour le plaisir du voyage, mais par égoïsme ! Ils refusèrent que leurs progénitures s’embarquent avec eux. Leur but final était de partir seuls loin de Khabitaye, pour se mettre à l’abri de la prochaine venue de Saangbéli sur les terres de leurs ancêtres. Rempli à ras bord, alourdi par son propre poids et celui de ses passagers, le navire commença à tanguer dès qu’on largua les amarres. Arrivé en haute mer, sous l’effet conjugué de la charge trop élevée, des vagues, des vents violents et de la marée montante, le navire fit naufrage et s’enfonça dans les profondeurs de l’Océan. Ce naufrage stoppa net cette « émigration clandestine » des initiateurs. Il nous montre à quel point une aventure peut être aussi bien suicidaire que douloureuse. On raconte qu’il n’y eut aucun survivant, tous périrent : sages, doyens, notables… un vrai désastre ! Les traditions du littoral rapportent que le naufrage du navire de Khabitaye reste à la fois un mythe et un mystère construits autour des préoccupations sociales d’une communauté à un moment donné de son histoire. Pour certains, cet épisode est le dernier des histoires de la légende de Saangbéli. Pour d’autres, la fuite des habitants de Khabitaye fut le point de départ d’un important mouvement des populations, aux allures d’un exode massif vers d’autres royaumes du littoral. Ce fut donc le début d’une nouvelle histoire, celle de la mise en place des populations du littoral guinéen. D’autres versions interprètent différemment ce dernier épisode pour expliquer les faits et évènements marquants qui l’ont émaillé. Les avis et opinions des cadres ressortissants de khabitaye divergent ou varient selon les humeurs et au gré des désirs. Alors que certains, sans entrer dans les détails rejettent d’un revers de la main la 64
thèse de l’émigration clandestine, d’autres par contre, par chauvinisme ou par plaisanterie soutiennent que leurs ancêtres voulaient être les premiers à effectuer les voyages en haute mer afin d’initier les grandes découvertes géographiques. Ils affirment que, leurs ancêtres, s’ils n’avaient pas chaviré, auraient découvert l’Amérique avant Christophe Colomb en 1492 et auraient fait le tour du monde avant Magellan en 1498. Ce qu’il faut retenir en dernier ressort c’est que ce naufrage mythique du navire de Khabitaye, avait amputé la contrée d’une frange très importante de sa population… Les personnes âgées. Elles constituaient le socle de la communauté et l’équilibre social de chaque localité. En souvenir de ce naufrage dramatique aux dégâts et conséquences incalculables, l’expression « Bengué toli khabitaye », qui fait allusion au naufrage de la barque de Khabitaye, fut introduite dans la langue soussou pour se moquer ou pour envoyer un message codé aux habitants de Khabitaye, afin de leur rappeler le manque de jugement de leurs ancêtres indélicats qui avaient causé leur propre perte. Cette expression était interdite dans ces contrées autrefois, et était même devenue un tabou, car source de provocation et de bagarre.
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Troisième partie
Le littoral guinéen, terre de légendes (suite)
Le répertoire des contes et des légendes de la partie Sud-Est du littoral guinéen offre une diversité de très belles légendes aux récits fabuleux qui racontent d’une part, la vie quotidienne des premiers habitants desdites localités et de l’autre, leur mode de vie traditionnel, leur lutte pour la survie et pour la préservation de leur espace vital. Les récits qui véhiculent des contenus éducatifs sont instructifs et dignes d’intérêt, car, non seulement ils mettent l’accent sur le courage et la bravoure des personnages mis en scène, mais traduisent aussi et surtout le sens élevé de leur attachement à leur terre. Voici quelques légendes.
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III.1 Senguélén Bartè
« Senguéllén Bartè, Baba Sénguélen, Bartè Kiri Kanyii » sont trois syynonymes qui désignent à la fois le prénom et le sobriquet du personnage de la légende que je vais vou us raconter. L’iimagination populaire a toujours véhiculé de d bouche à oreeille, les récits sur la vie du personnage, sur sees relations tum multueuses avec des habitants des villagees voisins et suur les rapports mythiques qu’il entretenait aveec son animal tootem. Les tradiitions rapportent que dans le royaume de d Kimambouroou, vivaient autrefois un homme et son doublle. Cet homme mythique rodait aux alentours des villagees situés sur lee chemin qui conduisait aux îles Kakossa et Kaback. Il eest dépeint sous les traits caractéristiques d’u un prédateur reddoutable et redouté. On le connaît sous le nom mythique dee « Senguélén barthè gbéli », « la panthèrre 71
rouge de Senguelén ». Une panthère qui fit beaucoup de ravages dans les localités de Senguelen, de Madinagbé et dans les environnements ! Sokho Sory, grand connaisseur des récits de cette légende, nous confie que les agissements de ce prédateur avaient autrefois bouleversé le quotidien des Kimambouroukayé, troublé leur quiétude, les empêchant même de vaquer à leurs occupations quotidiennes. De crainte de tomber sous les griffes de Séguelen barthè, ils passèrent une partie de leur vie repliés sur eux-mêmes, remplis d’angoisse, d’incertitude et d’insécurité. La peur dans le ventre, les kimambouroukayé furent à l’époque, réduits à leur plus simple expression. Mais concrètement, qu’est-ce qui fut à l’origine de cette situation de détresse ? À l’instar de la légende de Saangbéli, celle de Séguélen barthè gravitait elle aussi autour de la vieille pratique de la sorcellerie à l’état pur, œuvre de plusieurs groupes d’hommes et de femmes, avec à leur tête, un homme tristement célèbre connu sous le nom de « Baba Sénguélen », « Séguélen Baba ». C’était à vrai dire, un homme, aux origines mythiques très controversées. Penchons-nous sur les origines de Senguelen Baba ! Certaines sources orales consultées soutiennent que le récit de Senguélen barthè est une histoire vraie, une histoire vécue dont le protagoniste est Baba Soumah. Pour d’autres par contre, Baba est un personnage de légende, un personnage fictif créé de toutes pièces par l’imagination populaire. Les informations glanées auprès des différentes sources se recoupent et se complètent. Elles soutiennent que Baba Senguelen est un personnage mythique auquel la tradition a attribué des pouvoirs occultes à caractère sacré dont lui seul détient les secrets.
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On rapporte aussi que Baba est une créature humaine, comme le commun des mortels, mais capable de se dédoubler, de se métamorphoser et de se réincarner dans une panthère ou de prendre son apparence. Beaucoup de témoignages relatifs aux récits de sa vie nous ont été rapportés tant à Conakry qu’ailleurs. Une vieille dame du nom de N’Doura Camara, considérée comme la gardienne en charge de la protection des traditions, se rappelle ce qui lui a été raconté par son grand-père. Elle précise qu’elle n’a pas vécu la même époque que Baba Senguelen, elle n’était pas encore née, mais son grand-père lui a dit qu’autrefois, Seguelen n’avait pas les dimensions d’un village dans le vrai sens du terme, et que leurs ancêtres vivaient à l’état primitif. Quelques cases étaient dispersées dans un environnement qui n’avait rien à envier à une jungle, peuplée en partie d’animaux sauvages. C’est dans ce milieu hostile que Baba et quelques familles cohabitaient presque à l’état de nature. Un autre témoignage qui laisse croire que Baba Senguelen était une figure emblématique nous a été rapporté par le doyen Sokho Sory Soumah. Son grand-père feu Alkhaly Sory Youla, ancien chef du village de Morfindia, ancien chef p. i du canton de Morbayah — Kaback en 1951, lui a décrit les traits du caractère de Baba. Donc ce qu’il nous raconte est loin d’être une invention de sa part. Selon le vieil homme, Baba était bel et bien une créature humaine, mais pas comme nous autres. En effet à notre jeune âge, l’imagination populaire faisait répandre la rumeur selon laquelle, Baba faisait partie de la catégorie des hommes qui avaient des traits simiesques comme certains animaux. D’ailleurs il était venu au monde avec une queue pendante au niveau de son postérieur, comme chez les animaux, et la tradition dit 73
qu’elle avait quelque chose de sacré, en ce sens que Baba était capable de la faire disparaitre aux yeux des profanes et des visiteurs indélicats. Parallèlement à ces témoignages, monsieur Khèma Sory, enseignant à la retraite, originaire du village de Senguélen nous a affirmé que la queue que portait Baba était un symbole, un emblème, l’incarnation d’un pouvoir, d’une force sacrée, celle de la panthère supposée être son animal totem. D’aucuns disent que c’était son ange gardien, l’esprit tutélaire que les divinités traditionnelles lui ont assigné pour sa protection. Pour d’autres, c’était l’animal qu’il incarnait pour assurer sa propre protection et celle de toute sa descendance. Le fait de se métamorphoser, de se réincarner, de se dédoubler, « falinyi » en soussou, revêt un pouvoir mystérieux, secret, mythique qui a servi de source d’inspiration aux habitants de la localité. Ils glorifiaient Baba dont ils comparaient la force de frappe à celle d’une panthère. Voilà l’origine du surnom que l’imagination populaire a brodé autour de l’homme et qui finit par donner les expressions « Baba barthè soyé » ou « Baba barthè kiri kanyi », « Baba, le déguisé en panthère » ou « Baba le détenteur ou le propriétaire de la peau de panthère ». La panthère dont il prenait l’apparence. Notre séjour au village Un chroniqueur attitré, nommé Aboubacar Sylla, deuxième iman de la mosquée du village de Senguelen, grand connaisseur des sources orales de l’histoire des villages de Kimambourou, en accord avec tous les notables de la localité, a accepté de nous raconter ce qu’il sait de Senguelen Baba : un homme au destin exceptionnel, 74
- à l’ennfance difficile, aux relations tumultueuses avec ses hôtes ! - Un hhomme qui, selon la tradition n’a rien fait de d bon ! - Maiss qui a plutôt passé la vie à poser des actes de d sorcellerie. Le chronniqueur à l’entame de ses propos, commencce par faire sa ppropre biographie.
Écoutons-le : « Je suis l’un des arrières petits-fils de d Baba Senguelen. Son histoire m’a été enseignée par mees grands-pareents, en l’occurrence par sa chère grand-mèrre. Mes parentts et mes grands-parents sont tous dees descendants de Baba Senguélen. » Selon mees ancêtres, Baba est issu de la grande famillle Soumah des Mandenyis de Samoun Nboro. Pour ceux qui q ne le savennt pas, Samoun Nboro est un des célèbrees villages de la sous-préfecture de Benty, préfecture de d Forécariah. D’après ssa grand-mère, le jeune Baba perdit très tôt sees parents. Ce fut un orphelin à qui tous les habitants du d village devaaient apporter assistance et protection. Comm me le veut la traadition, on l’appelait « Taadidi », « l’enfant du d village ou l’enfant appartenant au village ». Ses parentts, 75
avant de mourir, l’avaient doté de moyens de défense et de protection. Deux objets symboliques lui avaient été remis : une peau de panthère et une peau de caïman qui devaient lui servir dans ses actes de sorcellerie, dans le cadre de son dédoublement. En lui attribuant ces deux objets, ses parents lui avaient fait croire que c’était des jouets, mais, en réalité, il pouvait s’en servir pour se défendre, mais, aussi pour ôter la vie de façon mystérieuse à ses adversaires. Les parents plaçaient ainsi leur progéniture au cœur de la sorcellerie, de l’occultisme. Baba sut s’approprier l’héritage légué par ses parents. Turbulent, violent et agressif, par la force des choses, il devint irrécupérable dès son adolescence, et ce, en dépit des efforts fournis par ses frères pour l’encadrer, sachant qu’il détenait de grands pouvoirs occultes. Ne pouvant s’entendre avec personne, ni en famille, ni au village, ses frères lui demandèrent alors de quitter non seulement la concession familiale, mais aussi le village, et de s’en aller hors de la contrée. Ils lui dirent : « Toi ! Ton destin n’est pas ici ! Il est ailleurs ! » Après un temps de méditation, l’adolescent turbulent fut contraint de s’engager sur le chemin de l’aventure et de l’exil. Il quitta donc le village à la recherche d’une terre promise, où il ferait bon vivre pour lui. Il quitta Samoun et, au terme de plusieurs semaines de marche, il traversa le Moria et arriva dans le Kimambouro, une autre contrée habitée par des Mandényis. Récit de la première étape de l’accueil de Baba : l’étape de Morifindia La première destination de Baba dans le royaume de Kimambourou fut le village de Morifindia. Là, il fut accueilli avec tous les honneurs réservés à un fils de retour au bercail. 76
Après un temps de détente et de repos, le lendemain de son arrivée, il y eut un grand rassemblement sur la place publique, lorsqu’il fut convoqué par le chef de village. Celui-ci présenta l’honorable étranger qui vivait déjà parmi eux depuis deux jours. Et, lui donna la parole. Baba remercia les uns et les autres pour l’accueil chaleureux et l’hospitalité qui lui ont été réservés. Il se présenta comme venant d’une contrée lointaine, que le destin a conduite en ces lieux. « ’Mon souhait le plus ardent, dit-il est de vivre désormais avec vous, si vous me le permettiez »’. Séance tenante, un accord de séjour provisoire lui fut accordé. Par la suite, des connaissances se nouèrent, des relations se créèrent. Des rapports devant conduire au mariage virent le jour. Quelques semaines plus tard, cette entente cordiale commença à céder la place à la mésentente. En effet, des signes de mauvais augure commencèrent à pointer à l’horizon et à troubler la quiétude des habitants de Morifindia. L’accord de séjour provisoire est certes un acte de reconnaissance en faveur de l’étranger, mais il n’a pas valeur de liberté absolue, car, celui qui en bénéfice ne doit pas se croire libre au point de faire tout ce qu’il veut. L’acte est plutôt assorti d’un moment d’observation, d’un temps d’enquête de moralité menée autour de l’étranger par ses hôtes. Et c’est justement au cours de ce temps d’observation que certains habitants du village surprirent Baba en train de se métamorphoser en panthère ; d’autres le virent en rêve en train de se transformer tantôt en panthère, tantôt en caïman. Ces actes abominables montrèrent que Baba, dans ses relations avec les habitants du village, n’avait pas été clair dès le départ. Il n’avait pas non plus avoué les vrais 77
mobiles de son départ, les raisons profondes pour lesquelles ses frères l’avaient chassé de leur village. Mais qu’à cela ne tienne ! Les choses viennent à point nommé pour qui sait attendre. L’envie d’utiliser « les jouets » que ses parents lui avaient légués en héritage ne cessait de le gagner, de le hanter. Ce fut la pomme de discorde qui mena au point de rupture entre l’étranger et ses hôtes. Baba s’engagea alors dans une campagne forcenée pour acquérir le droit d’utiliser ses pouvoirs sur les terres sacrées de ses hôtes. Advienne que pourra ! Ainsi au cours d’une nuit noire, l’on aperçut la silhouette de l’étranger se rendant chez le chef de village pour lui suggérer ses intentions. Celui-ci de hausser la tête et de se dire en son for intérieur : « Les songes et les rêves des uns et les autres sont révélateurs d’une grande part de vérité. Des vérités qui prouvent à suffisance que Baba n’est pas un simple mortel. » Et pour toute réponse aux doléances de l’étranger, le chef lui demanda de se retirer et d’attendre le lendemain matin. Ainsi, au premier chant du coq, peu après la prière du matin, le chef intima l’ordre de battre la tabala et ce, à un rythme sacramentel. Une manière de faire comprendre à tous que la nouvelle à transmettre était importante et qu’il n’y avait pas lieu de retarder ou de s’absenter. Il s’agissait non seulement de porter le message de Baba à la connaissance de la population, mais aussi, et surtout de permettre à l’intéressé de le déclarer de vive voix, lui-même. Au dernier coup de tabala, la mobilisation autour du chef fut totale et effective. Immédiatement, avec la permission du chef, la parole fut donnée à Baba.
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Il déclara : « Mes chers hôtes, je vous informe que je dispose de deux objets sacrés qui m’ont été légués en héritage par mes parents. Mon souhait le plus ardent est de les utiliser ici chez vous, si toutefois, vous me le permettez. » — Quels sont ces objets ? À quoi servent-ils ? demanda l’assistance. — Ce sont à la fois, leur répondit-il, « des jouets » et des moyens de défense. L’un est une peau de panthère et l’autre une peau de caïman. Ils peuvent me permettre de me transformer soit en panthère, soit en caïman, selon le contexte et les circonstances dans lesquelles je me trouve. Mais, depuis que je suis ici, je ne les ai pas encore utilisés. Ma préoccupation est de savoir si je peux m’en servir ou pas ? Face à cette demande, les réactions ne se font pas attendre : — Il n’en est pas question ! disent les uns. — Ces jouets, nous n’en voulons pas ! disent les autres. — Baba, tu n’es qu’un sorcier anthropophage. Nous ne voulons plus de ta cohabitation. Dehors ! Va-t’en de chez nous ! Déclarent d’autres encore. Le chef prit la parole pour calmer les tensions et freiner les ardeurs avant de proclamer le verdict : « Baba ! Notre village fait partie des villages sacrés du littoral. Nos ancêtres qui l’ont fondé n’ont jamais accepté la cohabitation avec les mécréants, les incrédules et ceux-là qui pratiquent la sorcellerie et l’occultisme sous toutes leurs formes. Ce village depuis le temps de nos ancêtres est resté placé sous la protection de Dieu et des anges contre toute invasion. Si nous t’acceptons avec tout ce dont tu disposes comme pouvoirs occultes, tu finiras par profaner nos coutumes et nos mœurs. Nous ne pouvons que te demander gentiment de continuer ton chemin vers d’autres lieux, de préférence vers Madinagbé, une des 79
terres de tes parents Mandényis très hospitaliers qui sauront t’offrir toute l’assistance nécessaire. Aussitôt dit, aussitôt fait ! Le même jour, Baba quitta Morifindia pour Madinagbé. Récit de la deuxième étape de l’accueil de Baba : l’étape de Madinagbé Baba arriva très tôt dans la matinée à Madinagbé, le lendemain de son départ de Morifindia, et se dirigea immédiatement chez le chef du village. Après les salutations d’usage, le chef, entouré de ses principaux collaborateurs, ordonna que l’étranger soit logé dans les meilleures conditions. Le lendemain et comme le veut la tradition, Baba fut reçu en audience par le chef du village.. Une manière de lui donner la parole, afin de se présenter. Et Baba s’exprima en ces termes : « Je suis un étranger venant de Samoun, le pays des Mandényis. Je voudrais trouver asile chez vous et si possible y rester définitivement si vous le permettez. Mais il faut que je vous annonce que je possède deux objets hérités de mes parents. » L’assistance demanda : « Quels sont ces deux objets et à quoi servent-ils ? » — Les deux objets sont une peau de panthère et une peau de caïman. Ce sont « mes jouets », mais ce sont aussi et surtout des moyens de défense. Ils me permettent de me métamorphoser soit en panthère soit en caïman selon le milieu où je me trouve. Je précise que je peux aussi les utiliser pour ôter la vie selon le contexte et les circonstances. Je voudrais, si vous le permettez, les introduire chez vous. Le chef lui rétorqua : « Nous n’y sommes pas opposés. Seulement, nous ne vivons pas en bordure de mer. Ici, nous sommes sur la terre ferme. Pour cela, nous préférons 80
que tu viennes avec la peau de panthère, parce que cet animal vit sur terre comme nous. Si tu le comprends ainsi, nous te donnons le feu vert et tu peux l’apporter et l’utiliser comme bon te semble. » Le pacte « couleur de sang » est ainsi scellé ! Quelques jours après, la signature de ce fameux pacte, le destin des habitants de Madigbé commença à se sceller. En effet, des signes annonciateurs des moments d’angoisse se dessinèrent à l’horizon. Un groupe de 7 personnes disposant de pouvoirs occultes acceptèrent de s’approprier aussi la peau de panthère pour s’adonner de façon mythique à des actes sordides de sorcellerie, mais leurs agissements furent dévoilés et portés au grand jour sur la place publique. La preuve fut donnée au cours d’un après-midi. De retour des travaux champêtres, un notable du village, du nom de Morigbé, aperçut à la lisière d’une forêt, un homme en train de se métamorphoser en panthère. Déjà, la tête et le tronc étaient comme enfilés dans la peau de l’animal. Morigbé eut énormément peur. Il n’eut la vie sauve que grâce aux versets du saint coran dont la lecture à voix basse lui permit de se faufiler en catimini, sans se faire remarquer par le fauve. Le soir, à l’heure de la prière, l’homme en fit un large écho. Mais pour dire vrai, personne ne le crut, car il avait la réputation de quelqu’un qui parlait beaucoup. Les habitants de la localité s’étaient divisés en deux camps à l’issue du feu vert donné à Baba pour exécuter ses actes de sorcellerie : Le camp de ceux-là qui soutenaient Baba dans l’idée d’utiliser la peau de panthère et le camp de ceux qui la rejetaient. Les habitants étaient divisés et opposés ! Le camp soutenu par Morigbé, prônait la sensibilisation et la dénonciation ouverte des actes de sorcellerie auxquels se livrait le groupe de Baba qui lui, planifiait des attaques81
surprises. Ces attaques consistaient à prendre d’assaut des lieux comme les rivières, les marigots, les champs… fréquentés par les habitants de la localité, ou des lieux de passage. La bande de Baba prenait position en ces endroits, se mettait à l’affut pour harceler les passants, les attaquer, les capturer, les trimballer loin dans les forêts profondes où elle leur ôtait la vie. L’autre groupe faisait de la sensibilisation son cheval de bataille, uniquement à travers les concessions du village et dans la mosquée. Pendant ce temps, Baba et les autres perpétraient des attaques-surprises jusque dans les zones les plus reculées. Leur première attaque eut lieu à Mabéré, un des hameaux de Madinagbé. Elle porta sur un homme. L’intéressé avait été déjà ciblé par le groupe de sorciers métamorphosés en panthères. La scène s’était passée tard dans la nuit. L’homme était sorti de sa chambre pour aller aux toilettes externes. Il fut brusquement pris et emporté au fond de la forêt par les sorciers métamorphosés en panthères. Ils le décapitèrent et le dévorèrent sans aucune autre forme de procès. Sa tête fut retrouvée la même nuit par les habitants de la localité. Ils se mobilisèrent aussitôt pour se rendre chez le chef de village à qui, la tête sans corps de la victime fut présentée. Des attaques ignobles se succédèrent sans répit L’heure devint grave et la situation critique. On se rappela les propos de Morigbé. On ne croyait pas ses dires au départ. Ce crime crapuleux et odieux fut dénoncé et condamné par tous ceux qui sont contre les actes ignobles de sorcellerie. Le chef de village invita à renforcer la vigilance à son plus haut niveau. Malgré cela, Baba et son équipe ne modifièrent pas d’un iota, leur stratégie d’attaques. Bien au contraire, ils les multiplièrent et accélérèrent le rythme. 82
À Madinagbé, comme partout dans les localités environnantes, ils ne cessaient de frapper à mort toutes les personnes visées. Peu importait où elles se trouvaient : au champ, au marigot, en déplacement… Quand elles se trouvaient en pirogue ou en mer, en train de pêcher, Baba et ses hommes adaptaient leur stratégie aux réalités du terrain. Ils se métamorphosaient en caïmans, attaquaient la victime et, lui ôtaient très rapidement la vie et disparaissaient dans la nature. Les attaques-surprises de la bande de Baba Senguelen devenaient si inquiétantes que n’importe qui pouvait être leur cible. Aucune entité de la population n’était épargnée. Baba et son équipe, sous les traits de la fameuse panthère de Senguélen firent pendant un jour de fête, une attaque que les Kimambouroukayé gardèrent en mémoire toute leur vie. Cette attaque, ils la qualifièrent, d’ignoble, parce qu’elle frappa le cœur de la couche la plus sensible. Un crime ! C’était le jour de la fête annuelle organisée par les jeunes de Madinagbé avec à leur tête, un certain Matakè. C’était une fête au cours de laquelle, les jeunes sans distinction de sexe, filles et garçons se concertaient, cotisaient et invitaient les jeunes des autres villages. Le but visé était d’échanger des expériences, chanter les cantiques religieux, se connaître et enfin, se fixer des objectifs à long, moyen et court termes. Cette année-là, la rencontre s’était tenue dans la grande salle de réunion, près du caravansérail, la résidence des hôtes de marque. Leur leader, Matakè tenait à la réussite de l’évènement et ne voulait aucun raté dans son déroulement. À l’heure de servir les plats aux convives, il se rendit compte qu’il manquait des tasses dans lesquelles on devait servir le thé aux invités, après qu’ils auraient fini de déguster les petits plats. Matakè sortit de la salle, traversa un petit sentier 83
pour se rendre à son domicile, afin de compléter les tasses. Juste à quelques encablures de la résidence des hôtes, sous un bosquet, une panthère embusquée là, se jeta sur lui et lui ôta la vie sur place ! Ayant constaté que leur ami tardait à revenir, des jeunes sortirent de la salle pour le rejoindre et lui prêter mainforte au besoin. Mais hélas ! Ce fut le corps sans vie de leur ami qu’ils trouvèrent allongé, gisant dans une mare de sang avec des blessures et des traces de griffes, partout ! Ce fut la débandade et la désolation ! L’assassinat surprenant de Matakè plongea toute la jeunesse et toute la population de Kimambourou, dans une profonde consternation ! Tous portèrent le deuil sans exception. Baba lui-même, à en croire les chroniqueurs, fut tellement touché qu’il décida d’imposer un principe dans sa bande. Désormais, ne plus ôter la vie aux enfants, à la couche juvénile et aux étrangers. Il y a une anecdote à propos de ce principe qui dit que lorsqu’un enfant ou un étranger tombait sous les griffes de la fameuse panthère et qu’il parvenait à dire : « Eh Baba pardonne — moi ! Je suis un étranger » ou « je suis un enfant ! » aussitôt la fameuse panthère redevenait un homme et soufflait à l’oreille de la victime « Bolonta ! Bolonta ! » Il s’agit du remède pour guérir et cicatriser au plus vite, les blessures imprimées sur le corps par des griffes ou des défenses. Aux grands maux des grands remèdes ! Face aux attaques et aux morts en série, Morigbé et ses amis décidèrent d’annihiler au plus vite les actions du camp adverse. Après concertation, ils convinrent d’entrer en contact secrètement avec une personne puissante aux pouvoirs occultes capables d’anéantir les pouvoirs 84
mythiques de Baba et de ses comparses. Au bout de beaucoup de recherches, Morigbé trouva un féticheur du nom de Bollé dont les moyens de nuisance n’égalaient pas ceux de Baba. Lorsque Baba et son équipe surent que Morigbé s’était assigné la mission de les anéantir, ils le prirent pour la cible à abattre, ourdirent de le devancer en attaquant les premiers, afin de le réduire à sa plus simple expression et même de lui ôter la vie. L’élimination physique de Morigbé leur permettrait à coup sûr d’avoir les mains libres. Avant de passer à l’action, il y eut une réunion de concertation au cours de laquelle Baba et ses complices devaient prendre des dispositions pour éviter que leur action échoue. Ils fixèrent la date et le lieu de l’opération. La seule femme membre de l’équipe, du nom de Ngoni, eut un doute et les interrogea : « Mais qui est celui que nous devons attaquer ? Qu’est-ce qu’il nous a fait concrètement ? » Il lui fut répondu : « Il s’agit de Morigbé, le chef du groupe de ceux qui nous dénoncent. » Aussitôt, la vieille femme répliqua : « Ah si c’est celuilà, je me désolidarise de vous pour la simple raison que Morigbé n’a d’antécédent avec aucun habitant de ce village. Je dirais même qu’il est l’homme le plus correct du village. Jamais de ma vie, je ne saurais le trahir… » La vieille Ngoni en parlant ainsi avait ses raisons. Morigbé avait fait d’elle sa confidente. Il lui apportait souvent des noix de cola et du tabac à priser quand il passait la voir. Ces petits gestes furent à la base des relations très cordiales entre Morigbé et la vieille femme qui le considérait déjà comme un protégé. L’attitude de Ngoni en faveur de Morigbé créa la discorde au sein de l’équipe de Baba, mais permit de l’arracher des griffes de la panthère et de ses associés.
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La vieille Ngoni ne s’arrêta pas là. Pour mettre Morigbé et sa famille en sécurité, la vieille Ngoni, dès après leur entretien, incarna un petit oiseau et s’envola dans les airs pour se rendre chez son confident et lui dit : — Je te rends visite à une heure si tardive pour te confier dans le creux de l’oreille la menace qui plane sur toi et ta famille : Baba Senguelen et ses hommes préparent une attaque contre ta résidence à Senguelen, pour vous tuer aujourd’hui même. Je les ai entendus en parler lors de leur dernière réunion. Je te conseille donc d’aller chercher ta famille et surtout ne pas passer la nuit chez toi². Aussitôt après les conseils de la vieille femme, Morigbé sortit son sabre magique pour l’aiguiser et le remettre dans son fourreau. Ensuite, il prit la direction de Senguelen, à la recherche des siens. À peine était-il sur le chemin qui mène chez lui, à la lisière de la forêt, qu’une panthère lui emboîta le pas. Une fois à Senguélen, Morigbé ne parvint pas à en ressortir. Il était déjà 19 h, l’heure de la prière ; il faisait tard. Quant à la panthère, au moment où Moribé arrivait chez lui, elle était embusquée non loin de sa concession. Elle se mit soudain à hurler et à lancer des mots provocateurs en direction de Morigbé : « Morigbé ! Si tu es un homme, viens me trouver et tu auras de mes nouvelles ! » Morigbé répliqua : « Toi-même, viens me trouver là où je suis ! Tu tâteras de ce sabre magique avec lequel mon grand-père a fait sauter la tête de tes ancêtres, ces “gongolis” sorciers anthropophages ! » Toute la nuit, la guéguerre à distance entamée en fin de journée entre Morigbé et la panthère s’était poursuivie. Elle ne cessait de hurler et d’inviter Morigbé à sortir la tête et à la rejoindre s’il était un homme. À chaque appel, remonté, l’orgueil piqué, il voulut se ruer dehors, sabre au clair, mais son épouse s’accrochait à 86
lui et lui barrait le passage. Elle lui dit : « Non ! N’y va pas ! Elle n’est pas seule. Ils sont nombreux. » Cette scène imprima à la nuit un caractère dramatique et troubla le sommeil de tout le voisinage ! La nouvelle des échanges entre la panthère et Morigbé s’était aussitôt répandue comme une trainée de poudre à travers tout le Kimambourou. C’était à vrai dire, le comble de la sorcellerie et de l’occultisme ! Face à la situation qui devenait de plus en plus inquiétante, ceux qui condamnaient la sorcellerie au village se concertèrent et se mirent de nouveau à la recherche d’un détenteur de pouvoirs occultes qui dépassaient ceux du groupe de Baba. Le groupe de Morigbé finit par être informé de l’existence d’un érudit Diakanké du nom de Karamokho Amara Donma igueli, habitant à Yorokoguia, dans le royaume de Tabounssou, actuelle préfecture de Dubréka. À en croire la tradition, le saint homme muni de son chapelet et des versets du Saint Coran qu’il lisait, était capable de faire des miracles et de dompter des bêtes féroces. Muni de dix noix de colas bien emballées comme présent, Morigbé avait pour mission de se rendre immédiatement à Yorokoguia pour entrer en contact avec le saint homme. À l’aurore naissante, il enfourcha sa bicyclette. Avant le crépuscule, il était déjà arrivé à destination et fut aussitôt reçu par celui que tout le monde appelait ici, affectueusement, « l’homme de Dieu ». Après les salutations d’usage, le Karamoko lui déclara : « Je ne vais pas te demander de te présenter, car je connais déjà ton nom. Mieux, je connais aussi le mobile de ta présence chez moi. Je te suis depuis que tu es parti de ton village. Je ne vais pas te retenir longtemps. Je sais que le voyage dans nos contrées est éprouvant et je te souhaite la bienvenue. » 87
Il donna l’ordre à ses talibés de nourrir et de loger l’étranger dans les meilleures conditions, dans la résidence réservée aux hôtes de marque. Comme mot de la fin, le saint homme dit à Morigbé : « Nous nous verrons à l’aube avant ton retour au village. » Le grand marabout retourna dans sa case secrète et entra en liaison spirituelle avec l’Éternel pour qu’il lui indique les voies et les moyens efficaces pour mettre fin aux pouvoirs occultes et aux agissements de Baba Senguelen et de son groupe. Le lendemain matin à l’aube, après le petit déjeuner, le saint homme serra la main de Morigbé et lui dit : « Devance-moi. Rentre le premier. Dis à ceux qui t’ont envoyé que l’affaire est entre de bonnes mains. Je viens de finir mon khalwa sur la panthère qui ne cesse de vous causer préjudice. Nous la vaincrons inchallah ! Dis aux uns et aux autres de commencer à construire un enclos fortifié, dès ton arrivée. Je vais prendre la route aussi. » Sur ces mots, Morigbé enfourcha de nouveau sa bicyclette et prit le chemin du retour. Il arriva au village au crépuscule, rendit compte de sa mission à ceux qui l’avaient mandaté. Le jour suivant, ils entreprirent déjà la construction de l’enclos fortifié que même les Bangoura, dont l’animal totem est la panthère, ne pourraient détruire pour secourir le futur prisonnier des Soumah. La construction de l’enclos fut achevée très vite. L’homme prodige arriva dans le même temps et fut officiellement reçu par le chef du village. Sans tambour ni trompette, il prit contact avec Morigbé et son équipe, sous la houlette du chef de village. Il fut confortablement logé dans la maison des hôtes. Le soir, en sortant de la mosquée, le saint homme eut un entretien avec Morigbé : « Il n’y a pas lieu de s’inquiéter Morigbé ! lui dit-il. J’ai encore prié pour le
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cas de la panthère ; elle a réagi et elle est prête à me rencontrer à tout moment et en tout lieu. » Avant la tombée de la nuit, le marabout exigea que des gigots de viande soient placés au fond de l’enclos. « Cissé le Blanc » reçut l’ordre d’aller s’emparer du bélier le plus gros du troupeau de Tanoun Toumalaye de Balébokaria à Morébayah. Tard dans la nuit, le saint homme se retira pour aller s’enfermer dans sa chambre et continuer à égrener son chapelet. Peu de temps après, le fauve, attiré à la fois par l’odeur alléchante de la viande et par la puissance du saint coran, pénétra précipitamment dans l’enclos. Son instinct de conservation lui dictait de s’emparer rapidement de la viande et de ressortir aussitôt du piège. Hélas ! La porte de l’enclos se ferma et se verrouilla. Bloquée à l’intérieur, la panthère, terriblement blessée dans son orgueil, hurlait, gémissait et même miaulait tel un gros chat. Finalement, complètement épuisée de s’être démenée avec autant d’énergie sans être parvenue à se libérer, elle s’allongea et attendit le sort qui lui était réservé. Le marabout savait que sa proie était dans la gueule du loup, prise au piège ! À l’aurore naissante, la tabala retentit. Tous les habitants du village accoururent chez le chef où ils apprirent que la mystérieuse panthère était prise au piège dans l’enclos construit à cet effet dans la cour arrière de la concession de Morigbé. Tous, hommes et femmes, comme un seul être se rendirent sur les lieux qui pour voir la panthère pour la première fois, qui pour la maudire pour ses actes ignobles, pour l’angoisse et le calvaire dans lesquels elle avait plongé les populations. Une fois sur les lieux, devant l’enclos, ils se demandèrent ce qu’on allait faire de la bête, vu qu’on ne pouvait pas l’approcher… 89
On fit appel alors à deux chasseurs, les plus adroits de la contrée, eux qui n’avaient jamais raté leur cible ! Avec détermination, le premier chasseur lui envoya un coup qui l’atteignit à l’épaule. Ce coup lui cassa la clavicule et, sans laisser transparaître le signe de la moindre douleur, la panthère léchait tranquillement le sang qui coulait de son épaule. Quelques instants plus tard, une rafale partit et la toucha à la poitrine. L’impact fut si fort qu’il lui traversa la cage thoracique. Ce fut le coup fatal qui mit fin à la vie de la mystérieuse panthère qui s’étala de tout son long pour ne plus jamais se relever. Le cadavre de l’animal fut transporté à Forécariah et présenté aux autorités d’alors. L’ordre fut donné par le commandant de cercle de l’incinérer. L’acte, sans tarder fut exécuté par les prisonniers, sous la houlette des gardes de cercle. Une médaille d’honneur fut décernée au saint homme et à chacun des chasseurs pour service rendu aux populations indigènes de Kimambourou en général, aux habitants de Madinagbé et à ceux de Senguelen en particulier. Le village de Senguelen après la mort de la mystérieuse panthère… La mort de la fameuse panthère ne mit pas fin à la légende de Baba Senguelen. En effet, il semble que le saint homme n’avait pas demandé à l’Éternel la disparition des hommes qui se réincarnaient dans la panthère. C’était la mort de cette dernière qu’il avait demandée. Et c’est ce qui fut fait. Mais nous retiendrons que les membres du groupe de Baba, après la mort de la panthère, se dispersèrent... Aussitôt, un autre groupe prit la relève pour continuer l’œuvre entamée par les prédécesseurs. Les attaques devinrent fréquentes et ciblées, tous les jours ! L’inquiétude ne cessait de grandir au sein des populations. 90
Cela fut porté à la connaissance du saint homme qui déclara : « Il n’y a pas lieu de paniquer ! Il s’agit d’un cas isolé de moindre importance. Je m’en occupe. » Le saint homme se retira une fois de plus, pour entrer en liaison spirituelle avec l’Éternel, en vue de la pacification définitive de toutes les localités de Kimambourou. Au lendemain de sa retraite, il ordonna la mise au point d’un système de piège traditionnel. Piège surmonté d’un fusil dont le canon contient de nombreux plombs de fabrication locale. Juste, au niveau de la bouche du canon fut placé un gros morceau de viande. Une fois le dispositif en place, le saint homme retourna dans sa chambre et s’engagea dans une longue prière en égrenant son chapelet. Il récitait des versets du saint coran pour attirer l’animal vers le dispositif meurtrier qui l’attendait, appâté par son mets favori. Les heures avançaient. Enfin, tard dans la nuit, le prédateur, animal totem des Bangoura, fit son apparition et commença à roder autour des lieux, attiré par l’odeur appétissante de la chair et aussi par la puissance du saint coran. Il fit un bond formidable sur l’appât placé au bout du canon et aussitôt, une grande explosion semblable à celle d’une bombe retentit. Cette fois-là, le coup d’essai était un coup de maître car, la panthère, ainsi que toutes les personnes qui l’incarnaient explosèrent et disparurent à jamais ! La scène, à en croire le chroniqueur Aboubacar Sylla, s’était déroulée à Senguelen où résidait finalement Baba qui avait fait de ce lieu, l’épicentre de la sorcellerie jadis implantée à Madinagbé. Comme l’indiquent les sources locales consultées, Baba s’était réapproprié son héritage, la peau de panthère et avait pris le titre élogieux de « Barthè kiri kanyi » ! Avec lui, Senguelen devint désormais la citadelle imprenable de la sorcellerie ! Tout 91
tournait désormais, autour de celui qu’on appelle ici « Barthè kiri kanyi », « l’unique propriétaire de la peau de panthère ». Le jeu de cache-cache entre père et fils Baba, en dépit de son départ précipité de Morifindia, avait gardé de très bons rapports avec la localité, car il avait épousé une de leurs filles ; la nommée Mawoula. De leur union naquirent deux garçons : Woula Kèlè et Woula Kerfalla. Comme leur géniteur, ils étaient dotés de pouvoirs occultes. La différence était que les leurs étaient aux antipodes de la sorcellerie. Nous nous souviendrons que le saint homme avait mené une lutte à outrance contre les groupes de sorciers de Madinagbé à Senguélen, mais Baba n’en avait cure ! Il refusa d’abdiquer et continua de collaborer, à la sauvette, avec un petit groupe de sorciers. Les attaques ciblées étaient toujours inscrites dans leur pratique quotidienne. Baba, pour tout dire, resta une icône, une référence dans le domaine de la sorcellerie dans le Kimambourou. On voyait derrière chaque attaque perpétrée par une panthère ou un caïman, la main assassine de Baba Senguélen. Partout et à tout moment, il était question de Baba. Même si quelqu’un trépassait naturellement, les gens disaient : « C’est encore l’œuvre de “Baba Senguélen”, le sorcier attitré des villages de Kimambourou. » Ces accusations étaient-elles vraies ou fausses ? On n’en sait vraiment pas grand-chose. Ce qui reste clair c’est que la réputation, bonne ou mauvaise, colle à la peau et que finalement, tous en avaient ras le bol de Baba Senguelen et voulaient en finir avec lui. Kèlè et Kerfalla étaient confrontés à d’énormes difficultés.
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D’une part ils devaient défendre leur père qui était devenu la cible principale des habitants du village qui disaient être les victimes malheureuses de cet homme qui ôtait la vie des leurs, enfants et parents… D’autre part, les deux hommes devaient lutter contre les velléités d’un père sorcier assoiffé de sang humain, car, Baba Seguelen, ne pouvant plus trouver de victimes parmi la population, voulut s’en prendre à sa propre progéniture ! Quelle horreur ! Baba, assoiffé de sang et taraudé par le désir de consommer de la chair humaine, projetait souvent de s’attaquer à Kèlè et Kerfala. Les deux frères usaient alors de leurs moyens occultes et se métamorphosaient en oiseaux ou en un tourbillon et se fondaient dans la nature. Ce jeu de cache-cache était devenu le quotidien entre Baba Seguelen le sorcier et ses deux fils. Aux abois, il était prêt à dévorer sa propre progéniture ! Baba Seguelen au crépuscule de sa vie Décidément, le passé de Baba était très chargé depuis son village natal de Samoun où ses relations avec ses frères étaient déjà bien tumultueuses, jusqu’à Morifindia et Madinagbé. Au regard de ses intentions malsaines visà-vis de ses propres enfants, les habitants de Senguélen eurent la certitude alors, que la fameuse panthère qui les avait tant traumatisés n’était autre que la réincarnation d’un homme, et cet homme c’était Baba ! Dès lors, les senguélenkaye, comme un seul homme, décidèrent d’en finir avec lui, bien qu’il soit au crépuscule de sa vie. En effet, chaque fois que quelqu’un tombait sous les attaques d’un animal, les uns et les autres s’armaient qui de pilons, qui de bâtons, qui de sabres, qui de coupecoupe, et prenaient d’assaut la demeure de Baba pour le 93
lyncher. Aussitôt, Kélé et Kerfalla se dressaient en rempart et formaient un bouclier devant leur père et priaient les voisins de pardonner au vieil homme. Les villageois finissaient par pardonner et rebroussaient chemin. Baba avait ainsi la vie sauve grâce à ses deux fils. Baba Senguélen connut une fin de vie très mouvementée. La période qu’il vécut fut émaillée d’innombrables atrocités à son actif : de nombreuses pertes en vies humaines, des morts en série ! Ceci est resté dans les annales de l’histoire de Kimambourou. Dès qu’on pense à la légende de « Barthè Kiri Kanyi », ces faits-là, à en croire nos informateurs, remontent aussitôt à la mémoire des habitants de Senguélen. Ils ont conservé et transmis de génération en génération les évènements qui ont grandement marqué la vie de leurs ancêtres aux premières heures de l’occupation de leur territoire. Les sources orales consultées soutiennent que la légende de Baba a donné naissance chez les soussous à l’une des plus belles chansons de geste qui exalte le courage et la bravoure de leur ancêtre. Cette chanson n’a jamais été écrite, mais transmise de bouche à oreille. Elle nous a été interprétée par la vieille Ndora Camara qui nous a fredonné les refrains en soussou : - Eh Baba yo ! (bis) Baba mugakhuma dé ! - Senguélen Baba, barthè kiri kanyi gakhumadé! - Barthè kiri kanyi, Baba mou gakhuma! - Senguelen Baba yo mikhiyé dyié! - Baba Yo ! - Bolonta bolonta 94
mou
Traduction - Eh toi Baba ! (bis) - Baba n’a pas peur ! - Baba de Senguelen n’a pas peur ! - Baba détenteur de la peau de panthère Ne doit jamais avoir peur ! - Un propriétaire de la peau de panthère n’a jamais peur ! - Eh Baba de Senguelen ! - Attention ce sont les enfants d’autrui ! - Bolonta ! Bolonta ! La fin du règne mythique de Baba Senguelen La date de la fin du règne de Baba Senguelen n’est pas connue avec précision. Ses descendants, petits-fils et arrières petits-fils soutiennent tous par l’intermédiaire du chroniqueur Aboubacar Sylla que leur ancêtre est mort de mort naturelle tout en évoquant avec fierté que rien n’est éternel sur cette terre. Pour toute chose un délai est fixé, comme nous le rappelle Dieu dans le Saint Coran. Il y’a donc un terme à tout ! La fin des actes horribles, des troubles et le retour à la quiétude furent l’œuvre des populations sinistrées des différentes localités de Kimambourou. Mais ce fut aussi l’œuvre d’un homme dont le chapelet et les prières se sont toujours avérés efficaces. Il s’agit d’un grand marabout que tous les habitants du littoral avaient sollicité et avaient appelé de tous leurs vœux pour ses connaissances cultuelles et spirituelles : Karamokho Amara Donma iguéli, ce fils prodige qui leur apporta le salut. Pour mettre un terme à la vie de la mystérieuse panthère de Séguelen, le saint homme entra plusieurs fois en « khalwa », « retraite spirituelle religieuse ».
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Le « khalwa » consiste à se retirer de la vie quotidienne, à s’isoler, à s’enfermer dans sa demeure pour s’adonner uniquement aux prières et à la lecture du Saint Coran pendant plusieurs jours. Cette retraite avait pour objectif principal de demander à l’Éternel de lui donner la force nécessaire pour venir à bout de la mystérieuse panthère et de tous les autres prédateurs qui ne cessaient de troubler la quiétude des populations de Kimambourou. À la fin de la retraite, le saint homme avait lancé un appel pressant à tous les prédateurs, les invitant à une rencontre sous l’arbre à palabre, à l’orée du village. Tous, dans un état de réelle décomposition physique, sortirent complètement lessivés de leurs abris. Le premier à répondre présent à l’appel fut Baba Séguelen enroulé dans une peau de panthère. Vinrent ensuite tous les autres, un à un. Aussitôt, l’homme fit son mea culpa en ces termes : « oui, c’est moi, Baba Sénguélen. C’est moi qui me déguisais en panthère pour mettre à dure épreuve tous les voisins de mon village et ceux des autres villages. La raison, c’est que je les soupçonnais d’être à l’origine de la disparition physique de mes trois premiers enfants. » Séance tenante, peu après son réquisitoire, un déluge de feu provenant du ciel, leur tomba dessus. Tous furent calcinés et transformés en cendre. Telle fut la fin tragique de la mystérieuse panthère de Séguelen.
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Quatrième partie
Autres légendes
Au nombre des légendes répertoriées, nous avons jugé utile de transcrire deux autres aux récits fabuleux, pour le grand bien des jeunes générations. En effet, il s’agit de celles de deux autres localités du littoral. Deux localités dont les populations vivant à l’état de nature, partageaient à peu près, les mêmes modes de vie traditionnels. Ces populations sont les ancêtres des habitants des villages de Kontaya, dans le Soumbouya, et ceux de Tanah, dans le Moria. Les habitants de Kontaya et ceux de Tanah qui sont réputés les premiers dans l’art de dénicher les oiseaux, et les seconds spécialisés dans la cueillette des fruits, décidèrent d’améliorer leurs conditions d’existence. Chacun disposait de sa propre stratégie. Les premiers pour l’obtention d’une abondante provision de protéine portèrent leur choix sur les gros oiseaux migrateurs qui nichaient sur le flanc de leur montagne, la mystérieuse montagne de Kontayah.
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IV.1 La légende de la mystérieuse montagne de Kontayah
À une dizzaine de kilomètres de la commune urbaine de d Coyah, côté Sud – Est de la ville, entre Kendoumaya et Tambaya, see situe le village de Kontayah, au pied de la montagne duu même nom. Il s’agit là, d’un charmant pettit village au réépertoire très riche en contes, en légendes et en e récits mythiiques avec ses totems, ses tabous et autrees interdits.
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Une des légendes de ladite localité qui autrefois, étaait racontée auxx enfants par les parents ou les grands-paren nts et qui de noos jours, mérite d’être connue par les jeunees générations, est celle de la mystérieuse montagne de d Kontayah. Cette montagne, aux allures d’uun impressionnaant contrefort, est un enchevêtrement de d plusieurs moontagnes qui se situent dans le prolongement du mont Kakkoulima, supposé être la montagne — mère. Cette légeende fabuleuse que des conteurs traditionneels transmettentt de génération en génération est présentéée sous le titre dde « Gbongbo tongo Kontayah ». D’ailleurss, certains de nos informateurs disent que le premier nom m de cette montagne est « Tambilo guèya a» parce qu’ellee forme une sorte d’écran autour des localitéés de Kendoum maya, Tomboyah, Guèmè Soron, Tambaya, à quelques enccablures de Mangatta... Pour d’auutres, « Tambilo Guèya » est une montagn ne sacrée, charrgée d’histoires fabuleuses, mais aussi plein ne de mythes, dde totems et de tabous. Selon Aboubacar Syllla, chef de secteur de Kontayah, Tambilo était un endro oit vraiment sacré, le refuge des génies protecteurs et des de esprits tutéllaires, chargés d’assurer la prospérité et le bonheur dess kontayakayés. C’était aussi, aux dires de d Saidouba Caamara, un autre fils du terroir, un sanctuairre, un lieu de cuulte devant lequel les premiers habitants de la 102
contrée venaient tous se prosterner, pour faire des offrandes, des sacrifices et autres cérémonies rituelles en faveur des divinités traditionnelles. La montagne de Tambilo était supposée être un lieu hanté par des revenants et autres créatures bizarres, semblables à des monstres. Et c’est à cause de cela que les parents disaient à leurs progénitures de ne jamais aller sur le site de Tambilo, au risque de se faire tabasser par des mains invisibles. À propos des cérémonies rituelles, la tradition rapporte qu’elles se tenaient périodiquement, suivant des dates bien précises, établies au cours de l’année. Quant à celles organisées en faveur des femmes mariées stériles, elles se déroulaient, chaque fois que le besoin s’imposait. Le rituel se faisait sous l’autorité d’un maître chargé des cérémonies du village, appelé Barimakhorinyi en langue vernaculaire soussou. Dans un langage codé, inaccessible aux profanes, le maître entrait en liaison spirituelle avec les génies, pour transmettre le message et les offrandes, afin qu’ils puissent intercéder à la demande qui leur était faite. À en croire Younoussa Camara, un des notables du village, tous les sacrifices faits pour que les femmes soient fécondées, étaient toujours exaucés par le démiurge des lieux. Aux dires de la tradition, la divinité protectrice du village avait un penchant naturel pour les femmes fertiles. Voilà pourquoi, elle acceptait leurs doléances et leur facilitait la procréation. À propos de la fondation et de l’origine mythique du village, les sources locales consultées, lors de notre séjour au village, sont unanimes à reconnaître que la chute du royaume Sosso et la destruction de sa capitale par Soundiata Keita, lors de la bataille de Kirina en 1235, sont à l’origine d’un exode massif des populations vers de 103
nouvelles zones plus habitables. Il s’en est suivi à l’époque des troubles un peu partout dans les provinces du Sosso et même au-delà. Face à cette situation de menaces et d’incertitudes, les parents n’eurent d’autre solution que de consulter les devins et s’en tenir à leurs réponses. C’est ainsi qu’un vieil homme qui, bien qu’aveugle sachant lire l’avenir dans le sable, se rendit chez un thaumaturge. Le but de sa visite était de consulter les paroles des divins dans le cadre de la sauvegarde de l’avenir de son fils ainé Kontah, un enfant pour lequel les anciens avaient prédit l’accession au trône quelque part. L’homme censé faire des miracles, après consultation déclara sans détour au vieil homme : « Respecté sage ! Les oracles sont catégoriques. Leur réponse est sans ambages : l’avenir est obscur. De graves incidents et incertitudes pointent à l’horizon. Quant au devenir des enfants, il n’y a pas d’autre solution que leur départ pour d’autres contrées plus paisibles ». Le vieil aveugle face à la gravité de la situation se dit qu’il n’y avait pas de temps à perdre. De retour chez lui, il appela aussitôt Kontah et lui dit : « Je vous intime l’ordre, à toi et à tes frères, de quitter de toute urgence notre contrée pour d’autres cieux où règne la paix. De préférence, je vous suggère d’aller beaucoup plus vers l’ouest, du côté où se couche le soleil, plus précisément vers la mer. » Après leur entretien, à l’aurore naissante, le vieil homme répondit à l’appel de Dieu. Le lendemain des obsèques, Kontah, ses frères, et certains de ses compagnons, sans tarder, prirent le chemin de l’exil forcé. Après des semaines de marche sans repos, sur des sentiers tortueux du royaume du Sankaran au royaume de Soumbouyah, en passant par le diwal de Timbo, les royaumes de Kania et Friguiagbé, la caravane du futur roi
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arriva enfin à destination très tard dans la nuit, au pied du mont Gbalan. C’était au début de la troisième semaine. Juste au niveau d’un buisson, Kontah et ses compagnons de route montèrent leur tente pour un repos réparateur, après une si longue marche. À l’aube, ils virent comme par miracle sortir des buissons une biche ! Elle vint gambader en face de la caravane, comme pour dire à ses occupants : « Réveillezvous et suivez-moi ! Je suis ici ce matin pour vous accueillir et vous indiquer le chemin ! » Elle alla ensuite se blottir au pied d’un arbre, à la lisière de la forêt. La troupe, clopin-clopant emboîta le pas à l’animal mystérieux, avec l’idée, pour certains de ses membres, de lui ôter la vie et d’en faire leur petit-déjeuner. Sur le sentier escarpé des flancs de la montagne, des coups de feu retentirent, suivis de jets de flèche dans le but d’abattre la belle biche. Peine perdue ! Aucun coup de feu, aucune flèche décochée ne l’atteignit car l’animal était à la fois sacré et invulnérable. Après un petit temps d’égarement, les marcheurs aperçurent finalement l’animal sur la cime de la mystérieuse montagne de Kontayah. Le futur roi et sa troupe précipitèrent leurs pas et vinrent se blottir comme, un seul homme, au pied de la prestigieuse montagne. La voix grave aux échos retentissants d’une créature mystérieuse vint rompre le silence dans les montagnes : « Respectés étrangers, l’honneur me revient de vous souhaiter la bienvenue sur la terre de mes ancêtres. Vous êtes ici, désormais chez vous ! C’est là que vous devez vous installer et construire votre avenir ! Finies les pérégrinations sans lendemain ! » Sur ces mots, les étrangers se regardèrent les uns les autres, et se dirent : « Oh ! Que le destin est inexorable ! Personne ne peut se soustraire à ce qui lui est prescrit ! »
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À ce moment-là, les paroles du vieil aveugle leur remontèrent en écho à la mémoire : « Ne ratez pas l’occasion ! À votre arrivée, vous serez accueilli par une belle biche ! Elle vous conduira au pied d’une montagne ! C’est là que vous passerez le reste de votre vie ! » D’après certains de nos informateurs, cet animal mythique était un messager qui avait aussi la mission d’accueillir, de réceptionner et de guider les étrangers afin qu’ils ne s’égarent pas dans les méandres de la forêt. Pour d’autres, le mandataire de cette mission n’est autre que Tambilon, le démiurge de Kontayah, la divinité traditionnelle protectrice de la contrée. On le considère comme l’ancêtre fondateur de la localité. C’est lui qui aurait donné son nom à la mystérieuse montagne de Kontayah qui surplombe le village du même nom et qui s’y dresse comme un bouclier, un rempart. Le village ainsi fondé par Manga Kontah eut pour noyau primitif le roi et ses compagnons qui furent rejoints au fil des ans par d’autres populations. Le petit village devint petit à petit une grosse agglomération. Face à cette croissance, il s’est posé par la suite des problèmes de ressources pour la survie des habitants de Kontayah qui se lancèrent dans une lutte acharnée contre les oiseaux migrateurs qui nichaient dans les flancs de leur montagne. C’est cette lutte-là pour la survie qui a donné naissance à la célèbre légende de la montagne de Kontayah. L’imagination populaire a donné à cette légende un nom : « Gbongoe Tongo Kontayah ». En effet, les premiers habitants de Kontayah puisaient toutes les ressources nécessaires à leur survie des flancs de leur montagne : ils cueillaient des fruits, déterraient des taros, du manioc, de l’igname et autre tubercule ; ils se mettaient à l’affût des gibiers et des oiseaux, récoltaient du miel, organisaient des battues pour traquer du gibier, coupaient du bois de chauffe pour la cuisine, pêchaient 106
dans la rivière. Les poissons qui leur servaient de nourriture étaient apportés par les oiseaux migrateurs. Pendant la saison sèche, les hommes mettaient partout du feu et calcinaient tout, en endommageant ainsi la montagne et son couvert végétal. L’exploitation des flancs de la montagne ne leur suffisait plus. Ils décidèrent alors de grimper à la cime… À propos, la légende rapporte que pour permettre aux gens de Kontayah d’atteindre les gros oiseaux appelés gbongboe, une race de pélicans nichés au sommet de la montagne, ils se lancèrent tous pour l’escalader. Ils se concertèrent et prirent la décision de capturer les plus gros oiseaux, mais aussi de ramasser tous les œufs et tous les oisillons qu’ils trouveraient là. Pour arriver à leur fin, ils mirent au point une stratégie qui consistait à couper et à attacher les unes aux autres les lianes les plus solides trouvées dans leur forêt, pour en faire des cordes. Les hommes les plus forts du village les fixèrent et les attachèrent aux arbres les plus solides. Les sources locales disent que cette escalade se faisait en saison sèche, lorsque la nourriture venait à manquer… Les hommes forts du village allaient dans la montagne pour se procurer de la chair. Mais cette année-là, l’escalade se fit en saison pluvieuse à cause des affres de la disette. La mobilisation fut totale et effective. Tous les habitants du village, sans exception prirent d’assaut les lieux en s’accrochant aux lianes, pour la randonnée au sommet de la montagne. Ce fut à mi-parcours que le démiurge des lieux, excédé par l’indélicatesse des hommes, donna l’ordre aux génies protecteurs de la localité de mettre en branle le dispositif sécuritaire de Tambilon. Aussitôt, la nature entra dans une grande colère et le ciel se mit à gronder, la terre se mit elle aussi à trembler et avec elle, tous les éléments constitutifs de l’écosystème. Du coup, les lianes sous le poids des 107
hommes, se brisèrent, les entraînant dans une chute vertigineuse, des flancs au pied de la montagne. Ce fut la catastrophe, l’hécatombe. C’est presque tous les bras valides de Kontayah qui périrent dans cette chute des falaises. Vous vous demandez quelles furent les conséquences de ce drame ? Ce drame marqua de façon indélébile la mémoire collective des habitants du village et au-delà, de tous les Soumbouyakaye. La suite donna naissance à une grande prise de conscience chez les rares survivants qui regrettèrent leurs actes. Pour réparer le préjudice causé à la montagne, ils décidèrent d’assurer désormais la protection du site et la sauvegarde de tout l’écosystème. Ils élevèrent les pélicans et les autres gros oiseaux de la montagne au rang « d’ancêtres totems » à protéger. La consommation de leur chair fut interdite. Depuis lors, les descendants des survivants de ce drame gardèrent en mémoire l’escalade meurtrière de leur montagne. Voilà pourquoi ils n’acceptent pas les railleries ni les surnoms moqueurs à l’endroit de leur village. L’expression « Gbongbo tongo kontaya » qui signifie « Kontaya haut lieu de capture des pélicans » dont l’utilisation avait engendré des conflits dans le village, fait partie des interdits. Les survivants en avaient fait un des totems du village et n’acceptaient pas que l’on fasse le voyage à rebours vers le passé de leur localité. La preuve est qu’ils ne permirent jamais aux visiteurs indélicats d’observer de façon exagérée les flancs de leur montagne. Ceux qui le tentèrent, le firent à leurs risques et périls. Aussitôt qu’ils essayaient, des mains invisibles s’acharnaient sur eux en les rouant de coups de fouet ! Les habitants actuels de cette localité, avec l’appui des autorités, doivent faire de cette montagne un lieu de recueillement, un haut lieu de mémoire. Pour cela, chacun 108
se doit de jouer sa partition dans le cadre du reboisement de ses flancs, de sa protection contre des feux de brousse. Ces actions, si elles sont bien menées, le site montagneux de Kountayah fera peau neuve. Cet habitat naturel pour oiseaux et autres animaux, redeviendra ce qu’il fut autrefois, et surtout, un lieu touristique utile au pays.
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IIV.2 Le Tanah et sa légende
Aux alenntours des localités de Forodou, Yinguisssa, Kabèlèya, G Gbérika et Kalémodia, se dresse, majestueu ux, l’un des plus anciens villages de Moriah que l’on appellle « Tanah Forrébayéboun ». Que signnifie « Tanah Forébayéboun » ? D’où vient cette appellaation plutôt ce surnom moqueur ? Deux verrsions tentent d’expliquer l’origine linguistiqu ue de cette topoonymie et sa signification. La premièère version soutient que les premiers habitan nts du village dde Tanah et ceux des autres localités voisinees seraient des Mandényi, une communauté qui aurait conn nu un fort braassage avec les Soussous, avec lesquels la cohabitationn est restée plus ou moins pacifiqu ue. Cultivateurss de leur état, la terre était leur principal moyen de subsistance.
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L’occupation et l’entretien des terres étaient autrefois sources de querelles intestines entre les deux communautés Mandényis et Soussous, mais elles étaient toujours tranchées à l’amiable. Chaque communauté connaissait les limites géographiques de son territoire, mais lorsqu’une communauté jetait son dévolu sur les possessions de l’autre, les anciens les réunissaient autour de l’arbre à palabres et tranchaient le différend en ces termes : « Wo fatèmuna Tah nu nana ka Tah munu na? », « A votre arrivée, y’avait-il un village proche des terres en conflit ? ». Si oui, le domaine en question était aussitôt considéré comme propriété du village le plus proche. L’expression « Tah nu nana » aurait donné le nom du village Tanah. La deuxième version quant à elle dit que le mot Tanah vient du nom du fondateur du village Tanah Moriba Touré, le fils ainé de Fodé Katibi Touré, lui-même fondateur du village de Forécariah. Le village de Tanah, à sa création, était un charmant petit village avec des terres fertiles et il fut très tôt l’objet de la convoitise des autres enfants de Fodé Katibi Touré. Tous étaient jaloux des possessions de leur frère aîné et en voulaient aussi à leur père qui aurait cédé à leur frère, les meilleures terres de la contrée sans leur consentement. Pour calmer les ardeurs et les tensions, Fodé Katibi, un jour réunit tous ses enfants et leur dit : « L’objet de la présente rencontre est de vous inviter au respect de mes décisions de mon vivant et ce, même après ma mort. Elles demeurent irrévocables. Je demande aux plus jeunes d’obéir à leur aîné qui reste mon remplaçant. » Le vieil homme termina ses propos en leur disant sagement : « Wo tara, wo tana nara », expression a valeur de proverbe qui met l’accent sur la place et sur le titre de l’aîné comme personne sacrée à respecter et à considérer. 112
Les Tanakaye soutiennent que cette expression serait de d « Tanah » qui veut dire « totem », « tabou » ou o « interdit ».
Des chrooniqueurs soussous grands connaisseurs dees sources oralles de l’histoire de Tanah donnent d’autrees significationns à la toponymie au mot « Tanah » : Pour certaains Tanah signifierait danger mortel, malheu ur, pour d’autres il pourrait signifier « Village caché », « village invisible de loin ». C’eest comme le village Baga de « Ta Sanna » dans Dabompa. En dehoors de toutes ces considérations d’ordr dre historique, uune légende semblable à celle du village de d 113
Kontaya gravite autour du village de Tanah, une légende transmise de bouche à oreille, de génération en génération sous le titre de « Tanah Foréba yeboun. » Que dit cette légende ? Au moment où les premiers habitants de Kontaya escaladaient leur montagne pour capturer de gros oiseaux afin d’améliorer leur quotidien, les Tanakaye, en quête de nourriture, cherchaient eux aussi à protéger leur espace vital jusque dans les profondeurs des eaux de leur rivière, même en pleine crue, au prix de tous les sacrifices. Selon la légende, les ancêtres des premiers habitants de Tanah n’avaient pas le sens de la réverbération de la lumière lorsqu’elle reflétait l’image d’un objet dans l’eau ; le Tanaka s’imaginait que c’était l’objet réel qui se trouvait là. Pendant les moments de soudure, lorsque les provisions s’amenuisaient, les Tanakaye subissaient de plein fouet la famine. L’imagination populaire nourrie et entretenue dans le village et dans les alentours soutient que le Tanah fut, au cours d’une certaine année, frappé par une disette sans précédent. Ses habitants, pour la plupart des Touré, qui ne savaient à quel saint se vouer, se disaient entre eux : « Tout ce qui ne tue pas engraisse ». En effet pour survivre, ils se ruaient sur tout ce qu’ils pouvaient se mettre sous la dent. C’est ainsi que lors d’une nuit de pleine lune, ils furent émerveillés par la lumière éclatante de l’astre. Tout joyeux, ils se mirent à observer ses reflets au-dessus des habitations et surtout dans les profondeurs de la rivière au bord de laquelle se trouvaient des arbres dont les beaux fruits suspendus aux branches, se reflétaient dans l’eau. Ce spectacle inédit fut porté à la connaissance du roi qui ordonna aussitôt à ses sujets de battre la tabala. Séance tenante l’autorisation de passer à la récolte fut donnée et les habitants, toutes catégories confondues, salivant déjà, se mirent en branle, foncèrent 114
en direction des arbres dont les fruits très juteux se reflétaient dans l’eau. Tous, comme un seul homme, plongèrent dans les eaux profondes de la rivière à l’idée de bondir sur les fruits. Mais, ne sachant pas nager, ils se noyèrent tous. Le désir d’assouvir la faim qui les torturait leur fit vivre un cauchemar. La légende rapporte qu’ils furent tous entraînés par les eaux pour se retrouver dans les profondeurs de l’océan où ils périrent. Comme ceux de Kontaya, les rares survivants de Tanah n’acceptaient jamais que l’on remonte le passé de leur localité pour rappeler leur drame ni en son ni en lumière. Il faut avouer que cette calamité marqua de façon indélébile les Tanakayés au point qu’ils restèrent allergiques au surnom moqueur « Tana foré ba yé boun », « Tana, le village aux fruits d’or dont la cueillette se fait sous l’eau » par les Touré. Mon cousin Mohamed Tana Touré m’a confié que l’usage de cette expression y est resté formellement interdit même sous forme de conte ou de proverbe. Celui qui s’entêtait et transgressait l’interdit, s’exposait à la colère des héritiers et même risquait de se faire tabasser par des mains invisibles. À bon entendeur salut !
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Cinquième partie
Des sobriquets et des faits curieux autour de certains villages du littoral.
Il existe plusieurs villages du littoral autour desquels la tradition a brodé des sobriquets et autres surnoms moqueurs. Nous pouvons compter parmi eux les villages de : - Manéah ou le Guemba khalé Manéah ; - Morébayah ou le Souroungba khalé Morébayah, - Koket ou le kinfè Kolé Koket, - Tanah ou le Tanaforébayeboun, - Kontayah ou le Gbongboe TongoKontayah, - Senguélen ou Senguélen Barthet. Nous avons abordé ici le cas des trois premiers villages, les trois autres ayant été traités dans la rubrique des « Légendes et récits mythiques ». Les trois villages traités sont : 1- Guemba khalé Manyah, « la coquille des crabes de Manya » 2— Souroungba khalé Morébayah, « les coquilles des moules de Morébayah » 3— Kinfè kolé Kokè, « les morceaux ou la lame de la manchette de Kokèt » Ce sont des anecdotes ou des récits mythiques humoristiques qui sont nés de l’imagination populaire, nourris et entretenus par les populations. Ces expressions ont une origine, une explication et un sens. Elles sont toujours liées aux réalités géographiques ou à des faits socio-historiques ayant profondément marqué la mémoire collective des communautés concernées. Habitant le long du littoral, aux abords des bras de mer ou dans des îles, les populations qui connaissent ces appellations ou surnoms 119
jouissent d’un mode de vie maritime, d’où l’appellation de « Guinée Maritime », autre nom de la « Basse-côte », en référence à la composition régionale naturelle de notre pays, au nombre de quatre. Un pays gâté par Dame Nature ! L’expression « Guemba khalé Manyah » renseigne sur le fait que Manvah village a une situation géographique propice à l’éclosion des cétacés et des crustacées, notamment des crabes. C’est aussi le lieu de rencontre d’une abondante source d’eau douce venant des montagnes et de l’eau de mer venant de plusieurs estuaires. Autrefois, les crabes foisonnaient dans les mangroves de Manyah, d’où le surnom moqueur affublé aux premiers habitants de cette localité. Ce surnom fait allusion au fait qu’ils sont de gros consommateurs de crabes, guemba en soussou. C’était la base de leur sauce en matière de protéine. Et ce qui prouve qu’ils en consommaient beaucoup c’est que l’on trouvait dans l’arrière-cour de chaque concession des monticules de coquilles de crabes, d’où le sobriquet « Guemba khalé Manya ». Il en est de même pour l’expression « Souroungba khalé Morébayah », un surnom moqueur collé à ce village et à ses habitants. Le souroungba, pour ceux qui ne le savent pas, c’est l’une des variétés de moule, le bivalve, que l’on trouve généralement enfoui dans le sable des plages, sur la berge. On en rencontrait en abondance sur les rives du bras de mer de Morébayah qui va de Touguikéren aux embouchures des îles Kaback et Kakossa. En aval du bras de mer Morébayah, après Bouraya, s’étendait une longue plage sablonneuse. Les mamans allaient, autrefois, par marée basse, chercher à l’aide de pique en bois, le souroungba sur cette plage. 120
Le souroungba est une sorte de moule allongée qui niche alors dans le sable. Cette moule, en sauce, est un mets délicieux dont les habitants de Morébayah raffolaient en toute saison. On en trouvait à foison à Morébayah de sorte que le village avait fini par prendre le surnom de « Souroungba khalé Morébayah ». C’est la construction de la grande digue à Kaback dans les années 1951-1953, en aval de Morébayah, qui fut la cause de la disparition de cette belle plage par envasement et également celle du souroungba à Morébayah. À cause de son penchant naturel pour ces moules, et du fait que les monticules de coquilles de moules se trouvaient entassées aux abords de chaque concession du village, l’imagination populaire a tissé autour de la localité l’anecdote « Souroumba khalé Morébayah ». - Kinfè kolé Koket : L’expression Kinfè kolé Koket est un autre surnom moqueur attribué aux habitants de la localité de Koket. Deux versions tentent d’expliquer le sens de cette expression. La première est liée à l’activité que menaient les kokèka-yé ou Kokèké. Traditionnellement, nos paysans utilisaient plusieurs outils pour travailler. On en compte trois sortes chez le kokèka. Il y a le Dagama pour nettoyer les marais, le kinfè pour couper les arbres et la houe pour labourer. À Koket, les gens pratiquaient la culture sur brûlis. Le kinfè leur servait donc à couper des forêts entières pour la culture du riz ou du fonio. Ils étaient réputés pour cette forme de culture. Puisque chaque famille avait plusieurs kinfès, les gens des autres villages du littoral leur donnèrent le surnom de kinfèkolé Koket, de « grands cultivateurs. » La deuxième version quant à elle, met l’accent sur le caractère belliqueux des Kokèkayé. Selon l’imagination populaire, les habitants de ce village étaient non seulement 121
agressifs, mais leurs réactions épidermiques s’apparentaient aux mouvements des marées. Imprévisibles à tout moment et en tout lieu, ils pouvaient se bagarrer, s’affronter entre eux, même en pirogue à coups de « kinfè », « machettes ». Et puisqu’ils aimaient se battre avec des kinfès, on les a comparés à des gladiateurs de la Rome antique et on leur a donné le surnom de « lutteurs faisant usage d’armes blanches », d’où le surnom « kinfè Kolé Koke
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Annexes
A — Lexique des mots et signification de quelques expressions Le littoral, le bord de mer, c’est “fôkhè yé” ou “yé khônè” en soussou. L’estuaire est la partie du littoral qui n’est couverte d’eau qu’à la marée montante. C’est cet endroit que les soussous appellent “Dabonyi” ou “Sankinè” lorsqu’il s’agit du petit estuaire. Les cours d’eau du littoral, fleuves et/ou rivières, se jettent dans les estuaires. C’est là, le refuge des caïmans. Quant aux cours d’eau douce, ils sont habités par les crocodiles. Origine des iles Tristao Les îles Tristaos sont un ensemble d’îles situées au large de l’Océan Atlantique entre la Guinée-Conakry et la Guinée-Bissau. Elles doivent leur nom à Nuno Tristao, navigateur portugais du XVème siècle. Chargé de l’exploration des côtes africaines en 1441 par le prince Henri dit Henri le navigateur. Nuno Tristao fut le premier européen à doubler le Cap blanc la même année pour atteindre les côtes de ce qui devint la Guinée portugaise puis la Guinée Bissau. Cinq ans plus tard, en 1446, lors d’une expédition, il opéra une razzia sur les populations
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indigènes à l’embouchure du fleuve Sénégal, mais succomba sous leurs flèches empoisonnées. Dès lors, les îles situées au large de la Guinée prirent son nom et une statue à son effigie fut érigée à Bissau en 1966. Salatougou est un ensemble de petites îles situées au large de l’Océan Atlantique, dans la Préfecture de Forécariah. Salatougou est un mot mandényi qui désigne un ensemble de petits villages de pêcheurs Sognet Fodé : En pays soussou, chaque nom a un sens, une signification. Fodé, un prénom propre, est aussi un titre que les musulmans donnent à un érudit ou à un homme qui a su, non seulement maîtriser le Coran, mais qui sait aussi le traduire et l’interpréter. Quant au mot “sognet,” c’est le nom générique donné au caïman. Dans le contexte précis du récit, “Sognet Fodé” est le sobriquet donné à l’homme qui, autrefois, était réputé dans la capture et dans la traque des caïmans. Il s’agit d’un homme mythique, dépositaire de beaucoup de connaissances, de pouvoirs occultes et de beaucoup de secrets. Mais cet homme, par ironie du sort, fut malheureusement tué par un lézard. Pour rappeler la façon dérisoire dont il est mort malgré sa puissance, les soussous utilisent l’adage “Sognè Fodé kassa na a fakha”. Cela suppose que nul n’est invincible. Un homme, aussi fort soit-il a son talon d’Achille qui pourrait lui être fatal. L’expression “talon d’Achille” est tirée de l’épopée guerrière ou des poèmes épiques d’Homère racontant les aventures de la guerre de Troie dont Achille est un des héros célèbres apparue dans l’Iliade et l’Odyssée. Quant à la ville de Troie, elle représente la cité légendaire de la mythologie grecque de la fin du XVIIIème siècle. Cette expression est l’équivalent de ce que Djibril Tamsir Niane 124
appelle “Tana”, l’“ergot de coq blanc”, “talon d’Achille » de Soumangourou Kanté, dans son ouvrage “Soundiata ou l’épopée du Manding”. Kounkouré est le nom soussou pour le fleuve du même nom à cause de sa partie rétrécie à un endroit, semblable au cou d’un homme. Kounkouré serait donc la déformation de “konkhouré” Dantèma : l’extraction du sel en Guinée ne se fait pas dans des marais salants, mais par cuisson et évaporation de l’eau recueillie de la boue imbibée, “khoubé” en soussou. NB : Selon Abou Bangoura, chez les Soussous, cette eau s’appelle “Maouli” et le village où le sel est extrait “Dantèma” qui signifie “feu ultime”. La réincarnation ou le dédoublement du sorcier : C’est la capacité de l’homme-sorcier à se transformer en animal. “La peau” de bête s’appelle en soussou “Labè”. Il y avait donc “Sognè gbéli Labè” ; “Bokhimassé Labè”, “Barthè gbéli Labè”. Signification de la couleur rouge : De façon générale, de nos jours, la couleur rouge semble être un symbole universel du danger mortel. Voilà pourquoi on parlait déjà de panthère rouge, “barthè gbéli”, de “serpent rouge” de la catégorie du serpent boa de couleur rouge, de “feu rouge”, de “ligne rouge” et même “d’alerte rouge”. Bolonta : Une autre propriété thérapeutique de bolonta est sa capacité de guérir la toux, lorsque le malade mâche et avale le jus de la moelle contenue dans la membrane d’une branche nouvellement formée.
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Khabitaye : Sur le plan de la toponymie, Khabitaye est une expression soussou qui dérive de la contraction de deux mots khaboui et de taye, ce qui, par recoupement, signifie “le village des forgerons”. Aux dires de Dantouma Bangoura, Khabitaye est le village des forgerons. Tanènè est un mot soussou qui signifie “nouveau village” ou “nouvelle ville” par opposition à Tafori qui veut dire “ancien village” ou “ancienne ville”. Tabounssou, selon El hadji Ousmane Soumah, premier iman de la mosquée de Nongo Tafori, est un mot d’origine baga qui est entré dans le vocabulaire soussou. Il signifie “regroupement de plusieurs villages”. Soumbouya est aussi un mot soussou. Bien qu’il ne s’écrive pas de la même façon que Tabounssou, ils ont la même signification et traduisent la même réalité : “un rassemblement de plusieurs villages” ou “un regroupement de villages”, ils renverraient à la notion de Nation. Kimambourou est un mot mandényi qui signifie les terres fertiles. Par extension, il s’agit des lieux où l’on travaille. Mahamoudou Kana Diallo, dans son Mémoire de Diplôme d’Études Supérieures qui a pour thème “L’île de Kaback”, on désigne par le mot Kimambourou, l’ensemble de la région comprise entre les embouchures de la Morébaya et de Forécariah constituée par l’île Kaback, l’île Kakossa, et la région littorale de la côte jusqu’aux environs de Bokara. N.B : s’agissant des Mandényis, Mahamoudou Kana Diallo note dans son mémoire que ces derniers constituent la frange la plus importante de la population actuelle de l’île de Kaback. Ils représentent plus des 3/5 de cette 126
population. Traditionnellement, le territoire leur appartient. On les connaît sous le nom de “gens des îles” “sourimakae”, c’est-à-dire “insulaires”. Le Colosse de Rhodes Le Colosse de Rhodes est une statue gigantesque représentant l’image d’Hélios, symbole du Dieu soleil de l’antiquité grecque. Sa construction débutée en 292 avant JC a durée 12 ans. Il s’agit là d’une statue qui fait partie des 7 merveilles du monde. Sa durée de vie a été l’une des plus brèves. Soixante ans. Toutefois, sa popularité a été si grande qu’elle a été détruite et reproduite à plusieurs reprises. Des informations issues de cette description et de ces reproductions répétées laissent savoir qu’il s’agit d’un homme quasiment nu portant une couronne de rayons solaires sur la tête et brandissant une torche. On raconte aussi que le visage du colosse de Rhodes était celui d’Alexandre le Grand. Mais il nous est impossible de le confirmer ou de l’infirmer. B — Liste des personnes ressources consultées 1— NMah Fanta Soumah, originaire de Morébayah, Mafreinya, Préfecture de Forécariah. 2— Doumbouya Sori Youla, originaire de Morfindia, Mafreinyah, Préfecture de Forécariah. 3— Mamadie Sory Soumah, originaire de Morébaya, notable résidant dans la commune urbaine de Coyah, 4 — N’Fansoumane Soumah, originaire de Kiria, Administrateur civil, ex-Préfet de Forécariah, 5 — Bah Aliou, fonctionnaire à la retraite, originaire de Coyah, ex — Directeur Technique de la SOBRAGUI, 6 — Ansoumane Camara, résidant à Genève, originaire de Morébaya, Foulamodia. 127
7— Fodé Mamoudou Bangoura géophysicien originaire de Wonkiffong, Préfecture de Coyah. 8— Aboubacar Camara, âgé de 80 ans, originaire de Bètaya, résidant à Bawa, ancien président de P R L, notable. 9— N’Dora Camara, doyenne 72 ans, gardienne des traditions, résidante à Senguélen. 10— Khèma Sory Soumah, 73 ans, originaire de Senguelen, enseignant à la retraite. 11— El hadj Siré Ousmane Soumah, originaire de Kangoléa, conseiller communal, commune rurale de Khororéa 12— Yéli Youssoufou Camara, 128 ans, originaire de Gbensenken, doyen de district 13— Naby Laye Camara, frère cadet de Yeli youssouf, 98 ans 14— Emmanuel Delacroix Camara, les éditions l’Harmattan Guinée
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Postface
La Guinée est connue pour être un réservoir de ressources minières, très souvent même qualifiée de scandale géologique. Ces ressources (bauxite, or, diamant…) sont au cœur du processus de développement économique. La Guinée c’est aussi une mosaïque culturelle et sociologique où la tradition orale a toujours joué un rôle important dans la transmission des savoirs avec des spécificités dans chaque région naturelle. Dans ce pays côtier de l’Afrique de l’Ouest, chaque région naturelle a sa “propre culture” composée de chants, de danses, de contes et légendes transmis de génération en génération, un vrai patrimoine. Je reste convaincue qu’il est du devoir de l’État en relation avec toutes les parties prenantes de sauvegarder et de promouvoir cette richesse qui fait de nous ce que nous sommes avec obligation de la transmettre à nos enfants et petits-enfants. C’est pourquoi, la Ville de Conakry, partie intégrante du littoral guinéen a souhaité accompagner ce projet d’écrire de Feu Fodé Momo Soumah. Paix à son âme. Il est toujours douloureux de perdre un artiste, un écrivain, un Homme de culture. Ceci dit, Fodé Momo Soumah, nous a laissé une œuvre qui, elle, restera éternellement. “Le littoral guinéen, une terre de légendes et de récits mythiques” second ouvrage de l’auteur, nous replonge dans cette richesse culturelle de la Basse côte, région naturelle de la Guinée bordée sur plus de 300 km par l’océan atlantique, véritable mosaïque culturelle et sociologique. Native de Boffa, préfecture de cette même région et première autorité de la Ville de Conakry, je mesure à juste titre, l’importance d’un tel ouvrage remettant au goût du jour nombre de légendes qui nous ont 129
été rapportées dans le cadre de notre éducation familiale. Revenant à l’œuvre de Feu Fodé Momo Soumah, au-delà de cette mine d’informations qu’elle fournit sur la géographie et la toponymie de cette région côtière de la Guinée, elle nous ouvre l’univers traditionnel et mystique des populations de cette région, à une époque où cohabitaient des créatures qui n’avaient d’autres soucis que d’assurer leur survie, advienne que pourra. Ce récit fascinant fait dans une logique de préservation et de transmission de ces mystères et croyances, constante sociologique de ces lieux, est finalement l’œuvre que nous laisse Fodé Momo Soumah, qui a été un vaillant enseignant chercheur en service à l’Institut National de Recherche et d’Action pédagogique. Il a été un passionné de la transmission des savoirs. Cet ouvrage est d’actualité d’autant plus que nous ne pourrions espérer refonder notre État en le mettant au service de tous, sans redonner une place prépondérante à nos cultures et traditions. C’est ce travail qu’à entamé Feu Fodé Momo Soumah et que nous avons devoir de continuer. Hadja M’Mahawa Sylla, Gouverneure de la Ville de Conakry
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Table
Remerciements ............................................................... 7 Préface ............................................................................ 9 Présentation de l’ouvrage ............................................. 11 Première partie : ............................................................ 13 Le littoral guinéen jadis ................................................... 13 Deuxième partie : ........................................................... 25 Transcription de quelques contes et légendes ................. 25 II. 1 Récits mythiques autour des lieux de pêche ........ 27 II.2 Légendes et récits mythiques autour de Saangbeli dans le Khabitaye, province de Dubréka. .................... 35 II. 3 Témoignages sur les actes de sorcellerie à l’actif de Saangbéli ................................................................. 43 II.4 La tentative de meurtre d’un étranger par Saangbéli métamorphosé .............................................................. 47 II.5 Sognet Fodé, un personnage de légende ................ 49 II.6 Les conséquences du non-respect des clauses du pacte signé entre Saangbéli et son Griot. .................... 53 II.7 La disparition mystérieuse de Sognet Fodé .......... 57 II.8 La fin mystérieuse de Saangbéli et la pacification du littoral ...................................................................... 61 131
II.9 L’après Saangbéli et l’avènement de la mystérieuse pirogue de Khabitaye ou le « bengué toli Khabitaye »63 Troisième partie ............................................................. 67 Le littoral guinéen, terre de légendes (suite) .................... 67 III.1 Senguélén Bartè.................................................... 71 Quatrième partie ............................................................ 97 Autres légendes ................................................................ 97 IV.1 La légende de la mystérieuse montagne de Kontayah .................................................................... 101 IV.2 Le Tanah et sa légende ....................................... 111 Cinquième partie .......................................................... 117 Des sobriquets et des faits curieux autour de certains villages du littoral. ......................................................... 117 Annexes ...................................................................... 123 Postface ...................................................................... 129 Table ........................................................................... 131
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Une terre de légendes
‘’ Le littoral guinéen, terre de légendes et de récits mythiques ’’ est un recueil qui met en lumière d’anciennes traditions orales de cette partie du territoire guinéen, adossé à la mer. Il s’agit d’une œuvre littéraire destinée à la fois au public et aux pédagogues, pour la conservation et la retransmission des contes, des légendes, des récits mythiques, des anecdotes, des proverbes, des tabous, des totems et d’autres formes d’expression utilisées chez les locuteurs soussous.
Fodé Momo Soumah
LE LITTORAL GUINÉEN
Fodé Momo Soumah
Face à la variété et à la richesse du répertoire de ces localités, l’auteur, Fodé Momo Soumah, a fait son choix parmi tous ces récits qui, jadis, étaient les plus populaires, et il en a fait une transcription, la plus fidèle possible. Dans le présent ouvrage, l’auteur a compilé les paroles des anciens, gardiens des traditions, afin qu’elles ne s’évanouissent pas dans la nuit des temps et tombent dans l’oubli. « Verba volant, scripta manent », « Les paroles s’envolent et les écrits restent ». Fodé Momo Soumah est un enseignant chercheur en service à l’INRAP (Institut National de Recherche et d’Action Pédagogique). Ancien DPE (Directeur Préfectoral de l’Education), Fodé Momo Soumah a été aussi membre de plusieurs commissions de travail, tant au niveau de la restructuration des services déconcentrés du MEPU-EC que, dans le cadre de la rédaction du manuel de procédure de gestion pédagogique et administrative des IRE /DPE/DCE. L’homme est actuellement à la retraite et est domicilié au quartier Nongo dans la commune urbaine de Ratoma.
Illustration de couverture : © yarr65 - 123rf.com
ISBN : 8-2-14-028956-9
15 €
9 782140 289569
LE LITTORAL GUINÉEN
Du royaume de Khabitaye, de celui de Kaloum au royaume de Moria en passant par le Tabounssou, le Soumbouya, le Kimambourou, on a affaire à de nombreuses traditions orales.
LE LITTORAL GUINÉEN Une terre de légendes