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French Pages 224 Year 2001
Gérard Lambert
La Terre c ha uff e-t-elle ?
Illustrations de Jean-Michel Thiriet
ISCIENCES ËDPI 7, avenue du Hoggar Parc d’Activit6 de Courtaboeuf, B P I I2 91944 Les Ulis Cedex A, France
Bulles de sciences» Collection dirigée par Bénédicte Leclercq (c
En couverture : (( La Terre vue par le satellite Météosat 1). O ESA.
ISBN : 2-86883-515-5 Tous droits de t.aduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas z et 3 de l’article 41, d’une part, que les «copies ou reproductions strictement réservées à l‘usage privé du copiste et non destinées à une utilisation colle:tive», et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, «toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite )) (alinéa ier de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, p3r quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal.
O EDP Scieiices 2001
Préface
La vérification définitive du fait que le climat de la Terre se réchauffe et la mise e n place de mesures destinées à ralentir cette évolution sont sans doute les questions les plus importantes pour l’avenir des générations qui viennent. Serons-nous capables, collectivement, de faire les choix sans doute douloureux qui seront nécessaires pour que nos enfants, les enfants de nos enfants et ceux qui viendront après ne soient pas victimes de notre imprévoyance ? Avant tout, notre Terre se réchauffe-t-elle vraiment ? Les plus âgés ont toujours trouvé que, du temps de leur jeunesse, les hivers étaient plus froids, les étés plus chauds, les tempêtes moins fortes; e n un mot, que tout se dérègle. Mais qu’y a-t-il au fond de vrai ? La grande variabilité du temps qu’il fait d’une année à l’autre, le peu d’archives météorologiques précises dont nous disposons, font qu’il n’est pas facile de vérifier ces impressions. Toutefois cette vérification peut être faite, et elle est concluante: effectivement le climat moyen de la Terre se réchauffe. Du coup, plusieurs nouvelles questions s’ouvrent. Qu’implique, pour une région donnée, ce réchauffement global : plus de pluie, moins de pluie, une température locale plus 3
LA TERRE CHAUFFE-T-ELLE ?
élevée e n moyenne, ou le contraire.. . ? C e réchauffement estil la conséquence de phénomènes qui échappent à notre maîtrise (irrégularités du mouvement de la Terre, fluctuations à longue période.. .) ou, au contraire, d’évolutions dont l’action de la socictté humaine est la cause (production accrue de gaz carbonique.. .) ? Avons-nous les moyens de corriger cette évolution et le faut-il ? Et bien d’autres questions encore. Toutes ces questions ont des traits communs. Elles sont extrêmement complexes, elles font intervenir de nombreux phénomènes élémentaires relevant de disciplines scientifiques variées, dont les causes et les conséquences s’entremêlent, et seuls des rnodèles mathématiques compliqués permettent d’en combiner les effets contradictoires. S’ajoute à cela que les conséquences économiques et politiques des décisions à prendre sont si lourdes qu’il est évidemment tentant, pour les représentants des intérêts variés e n question, de mettre en cause les analyses et les résultats scientifiques intermédiaires, pour déconsidérer de façon indirecte les conclusions qui dérangeni. C’est donc, e n quelque sorte, à une enquête policière que s’attaque la communauté scientifique lorsqu’elle amasse les indices, les compare, les pèse, e n fait des synthèses pour savoir, e n fin de (compte, s’il y a un crime, s’il y a des coupables, comment ils ont agi, et comment réparer. Et, comme dans un procès d’assises, il y a un jury qu’il faut convaincre. En l’espèce, ce jury, c’est nous, ou plutôt ce sont nos représentants dans les grandes conférences scientifiques et politiques internationales qui traitent du réchauffement climatique. Mais nous sommes, heureusement, e n démocratie et, par ailleurs, les décisions qui seront prises concerneront sûrement chacun de nous, par exemple, si des restrictions sévères sont
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PRÉFACE
apportées à la consommation des ressources énergétiques fossiles. En cette affaire, chacun est donc à la fois accusé, juré et chargé de l’application des peines. I1 est donc de l’intérêt de chacun d’essayer de se faire son opinion. Mais pour cela, il faut d’abord que quelqu’un nous explique un peu plus comment se pose le problème. C’est ce que se propose de faire, dans ce livre, Gérard Lambert. Son héros, le détective de cette histoire policière, Charles D. Evans, dit CDE, est doué, pour les besoins de l’intrigue, à la fois d’une très grande compétence scientifique et d’un très grand pouvoir, puisqu’il représente le Président des États-Unis. Mais au fond, il représente chacun d’entre nous: un homme (ou une femme) honnête et de bonne volonté qui essaye de comprendre pour pouvoir agir au mieux. Nous l’accompagnons dans sa quête, nous rêvons de ses aventures, nous bénéficions de ses progrès. Et, au-delà du happy end du roman, où nous quittons CDE, nous aurons à construire, non pas une fin heureuse, mais un avenir collectif que l’on espère aussi heureux que possible. Puisse ce livre y contribuer ! Miche1 Demazure Président de la Cité des Sciences et de l’industrie
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Averti ssem ent
D’innombrables problèmes se posent à l’humanité : famine, rareté de l’eau potable, sida, paludisme, chômage, trafic de drogue, violences, et bien d’autres. Si graves qu’ils soient, tous ont en commun de ne concerner qu’une partie du genre humain, même s’il s’agit parfois de centaines de millions d’individus. En revanche, l’éventualité d’un réchauffement planétaire, dû ou non aux activités humaines, affecte la totalité de la vie sur Terre, hommes, animaux et végétaux confondus dans une même épreuve. C’est ce qui rend indispensable un minimum d’information du public sur la manière dont se présente ce défi majeur, notamment pour ceux qui risquent d’avoir à vivre sur une planète transformée, les jeunes d’aujourd’hui. C e livre s’adresse donc d’abord aux jeunes d’une yuinzaine d’années. Non pas que les plus jeunes ne soient pas concernés, mais il leur manquerait le minimum de connaissances qui permet une démonstration au lieu d’une simple affirmation. En effet, lorsqu’on expose les problèmes d’environnement, domaine toujours controversé, on doit non seulement expliquer, mais aussi convaincre de l’exactitude des explications. Bien sûr, les moins jeunes sont aussi les bienvenus ! 7
LA TERRE CHAUFFE-T-ELLE ?
La Terre chauffe-t-elle ? Telle est la question qui est posée à mon héros imaginaire, Charles D. Evans. Pour y répondre, il entreprend une grande enquête qui le mènera aux quatre coins de la planète, afin de rencontrer les scientifiques concernés, e n plein travail. S’agit-il d’une fiction ? À vous, ami lecteur, d’y répondre, et peut-être de rêver rejoindre un jour ceux dont vous allez faire connaissance. Sachez toutefois que si les noms de personnes sont tous fictifs, e n revanche les noms de lieux, d’organismes et de laboratoires sont exacts. Les textes documentaires sont reproduits, après corrections mineures, de mon précédent ouvrage publié au Seuil e n 1995 et intitulé : >. Si vous êtes paresseux mais que vous désirez vous informer sur ce sujet, ou tout simplement éblouir vos amis par vos connaissmces, contentez-vous de lire les chapitres 9 et 18. Sinon, que faut-il savoir pour lire ce livre ? 1. Savoir lire ! 2. lo3 signifie un 1 suivi de trois zéros, c’est-à-dire 1000; donc lo6 c’est 1O00000 (un million) et lo9 un milliard. 3. Les inverses s’écrivent avec un exposant négatif: un millième, soit i/i 000, s’écrit 4. Les atomes sont tous représentés par une lettre (ou un groupe de deux lettres) : C pour le carbone; O pour l’oxygène; H pour l’hydrogène ; N pour l’azote ; C1 pour le chlore. 5. Les mcilécules qui composent toute matière sont faites d’un certain nombre d’atomes: CO,, pour le gaz carbonique (ou dioxyde de carbone), signifie 1 atome de carbone et 2 d’oxygène; CH,, pour le méthane, signifie 1 atome de carbone et 4 d’hydrogène. Et c’est tout ! 8
La colère ne change pas le temps qu’il fait
I. Charles D. Evans, alias CDE, subit la colère présidentielle.
Colère noire à la Maison Blanche
Foutaises que vos histoires de réchauffement planétaire ! Regardez plutôt dehors ! Il paraît que je suis l’homme le plus puissant de la Terre; je peux envoyer des bombes atomiques à l’autre bout de la planète ; je commande à des centaines d’avions et d’hélicoptères e t je ne peux pas aller au coin de la rue acheter un sandwich au plus proche des drugstores. >> Le Président des États-Unis bouillait de colère en raison de la tempête de neige qui paralysait Washington depuis deux jours. De fait, c’était une des pires tempêtes qu’on ait vues depuis longtemps. La couche de neige était si épaisse que même les chasse-neige ne circulaient plus et que toute activité était suspendue dans la capitale fédérale. Cela dit, la colère du président n’y changeait rien. La victime du courroux présidentiel n’était autre que son conseiller scientifique, et jusqu’alors ami, Charles D. Evans que tout le monde appelait par ses initiales CDE, selon l’habitude des journalistes de ce côté de l’Atlantique. C’était un grand gaillard de 30 ans, mince et sportif. Malgré son jeune âge, CDE était un physicien connu pour ses travaux à la fois théoriques et expérimentaux dans le domaine des particules fondamentales. U n tel sujet, fort éloigné des
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2 Questions de météorologie
(Première lettre de CDE au Président des États-Unis) Monsieur le Président, La première action que j’ai entreprise dans le cadre de la mission que vous m’avez confiée a été de suivre moi-même le conseil que je vous avais suggéré, à savoir: consulter d’abord l’administration spécialisée. J’ai donc organisé une rencontre avec le Professeur J.L. Andersen (dit JLA) qui dirige les services météorologiques fédéraux, et je me suis rendu au siège de cet organisme, 1325 East West Highway, à Silverston dans le Maryland. Les lignes qui suivent sont la retransmission exacte de notre entretien, dont je n’ai retranché que les formules de politesse et les remarques sans intérêt du genre c< Voulez-vous du café ? ».Voici donc cet entretien. les météorologues interprètent-ils la tempête de neige exceptionnelle qui sévit actuellement sur Washington ? Pensez-vous qu’un tel événement remette e n cause les conclusions des climatologues sur le réchauffement de la planète ? ou d’inquiétantes sécheresses. Pour une bonne part, la pluviométrie dépend de ce qui se passe dans les océans. O r nous connaissons une variation relativement régulière qu’on appelle El Niiio : o n e n parle dans tous les journaux. - J’ai déjà entendu ce nom; expliquez moi e n quoi cela consiste. - L‘eau qui séjourne à la surface des océans ne peut couler vers les profondeurs que si elle est plus dense que les couches plus profondes. Ceci implique à la fois des conditions de température et de salinité qui ne se rencontrent qu’en deux points particuliers: la Mer de Norvège, au nord-ouest du continent européen, et la Mer de Weddell, coincée entre Péninsule et Continent Antarctiques. Les eaux froides de la Mer de Norvège descendent tout le long de l’Océan Atlantique, tournent autour de l’Antarctique où elles sont rejointes par les eaux de la Mer de Weddell, et remontent à la surface le long des ccîtes d’Amérique du Sud et d’Afrique. Un tour complet prend environ 3 O00 ans. Ces eaux profondes sont particulièrement riches e n sels nutritifs, si bien que quand elles approchent de la surface, donc de la lumière, au large du Pérou, elles donnent naissance à des pêches miraculeuses. Mais de temps à autre, à peu près tous les 4 ou 5 ans, le mouvement de remontée s’arrête et les pêcheurs péruviens prennent 100 fois moins de poissons que d’habitude. L‘absence e n surface des eaux profondes très froides entraîne un réchauffement spectaculaire de la surface du Pacifique de 2 à 6 OC, sur le quart de sa superficie et bouleverse le climat de toute la zone intertropicale, provoquant, selon les lieux, cyclones, inondations ou 23
LA TERRE CHAUFFE-T-ELLE?
sécheresses. Comme ce phénomène démarre e n général fin décembre, les Péruviens l’appellent > (pour >). C’est par rapport à toutes ces variations naturelles qu’il faut interpréter les observations à courte vue que nous sommes capaldes de faire. À vous de faire le point avec les géologues qui étudient l’histoire de la Terre, y compris celle des climats du passé ; ceci sort de ma propre compétence. >>
Voila, Monsieur le Président, les premières informations que je suis e n mesure de vous soumettre. Vous constaterez comme moi, je pense, que si un petit réchauffement semble exister à l’échelle de la planète toute entière, sa cause et sa signification sont douteuses. Je m’efforcerai de préciser ces questions.
Charles D.Euans
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Le passé recomposé
Un vrai roman: L‘histoire de la Terre
(Deuxième lettre de CDE) Monsieur le Président, Comme je vous l’annonçais dans ma précédente lettre, je me suis efforcé de retracer l’histoire de la Terre e n interrogeant les géologues. Malheureusement, je n’ai pas pu réaliser le même type d’interview que dans le cas des questions de météorologie, tant les géologues sont spécialisés chacun dans u n domaine qui m’a paru étroit. En conséquence, les lignes que vous allez lire sont une sorte de synthèse que j’ai rédigée moi-même. Géologie à usage présidentiel Notre planète, la Terre, est une vieille machinerie. On ne sait pas très bien comment elle s’est formée, mais, curieusement, o n sait quand: il y a 4650 millions d’années. Cette connaissance précise résulte de l’analyse des substances radioactives présentes dans les roches depuis la formation du Système solaire. 27
LA TERRE CHAUFFE-T-ELLE?
Un système planétaire se forme à partir d’un nuage de poussières et de gaz (essentiellement de l’hydrogène) qui se contracte sous l’effet de sa propre gravité. La zone de formation de la Terre était assez proche du Soleil pour que celui-ci soit capable de souffler au loin la plus grande partie de cet hydrogène gazeux. Plus loin du Soleil, l’hydrogène reste majoritaire dans la composition des planètes géantes, dites aussi gazeuses : Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune. La Terre est donc une planète dense, constituée de roches et de métaux, comme Mercure, Vénus et Mars. Cependant, notre planète est assez éloignée du Soleil pour ne pas griller comme Mercure. Très i:ôt, alors que la Terre n’était pas encore solidifiée, deux phénomènes se sont produits. D u n e part les atomes les plus lourds, comme le fer et le nickel, sont tombés au centre de la planète, sous l’effet de la pesanteur, tandis que d’autres plus légers comme le silicium, l’aluminium, se concentraient à la surface et dans une croûte externe e n formation, et que les plus légers d’entre eux, le carbone et l’oxygène (sous forme de gaz carbonique CO,), constituaient une bonne part de l’atmosphère primitive. Puis, ,ipeine cette séparation effectuée, la Terre a reçu de plein fouet un monstrueux projectile, de la taille de la planète Mars (le dixième de la Terre) qui lui a arraché tout un morceau de c’ette croûte. De volumineux débris se sont mis à tourner autour de la Terre e n s’éloignant progressivement, puis se sont de nouveau rassemblés sous l’effet de la gravitation. Nous pouvons encore apercevoir ce qui e n résulte, presque toutes les nuits: o n l’appelle la Lune ! Comment sait-on cela ? On le déduit des échantillons de sol lunaire ramenés dans les laboratoires par les missions Apollo, et aussi, de quelques considérations théoriques. 28
UN VRAI ROMAN : L‘HISTOIRE DE LA TERRE
C e t abandon d’une masse de matière terrestre aurait pu avoir de terribles conséquences. Si la masse de la Terre avait été trop réduite, la pesanteur sur notre planète n’aurait pas été suffisante pour retenir la vapeur d’eau qui devait rapidement donner naissance aux océans. Le merveilleux cycle d’évaporation suivie de pluies et de l’écoulement des rivières, grâce auquel la vie s’est développée sur Terre n’aurait pas pu voir le jour. La preuve ? C’est ce qui s’est produit sur notre voisine, la planète Mars où l’on décèle l’existence autrefois de grands fleuves, alors qu’elle est quasiment sèche aujourd’hui. Heureusement, la masse de la Lune n’est que 1’239’6 de celle de la Terre: nous n’avons pas trop perdu. Quoi qu’il en soit, depuis ce bouleversement initial, qui s’est produit il y a 4’5 1 milliards d’années, la Terre a connu une histoire fort animée, émaillée de changements considérables dans la distribution des continents au milieu des océans (voir la figure 3)’ d’apparitions de formidables massifs montagneux, rabotés ensuite par l’érosion (toujours ce fameux cycle de l’eau), et sans oublier l’apparition puis l’évolution des êtres vivants. Ceux-ci ont d’abord peuplé les mers puis conquis les continents e n dépit de la survenue de plusieurs grandes catastrophes au cours desquelles jusqu’à 90 96 des espèces vivantes disparaissaient e n un temps qui paraît court au regard de la géologie. Si l’existence de la vie sur Terre n’a rien changé aux couches profondes de notre planète, elle en a bouleversé la surface. Par exemple, des végétaux très primitifs ont absorbé le carbone du gaz carbonique CO, qui constituait jusyu’alors une part importante de l’atmosphère. C e faisant, ils ont libéré l’oxygène indispensable à la respiration des animaux ainsi qu’à la formation d’une couche d’ozone capable d’arrêter l’excès de rayonnement ultraviolet du Soleil. Le carbone quant à lui 29
LA TERRE CHAUFFE-T-ELLE ?
3. La dérive des continents. Le bloc formé par l’ensemble des continents s’est disloqué il y a 200 millions d’années. Les études modernes ont démontré la validité de la théorie initialement formulée par Alfred Wegener et reprise par la tectonique cles plaques.
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UN VRAI ROMAN : L‘HISTOIRE DE LA TERRE
s’est retrouvé dans la coquille d’animaux marins microscopiques qui, après leur mort, précipitaient sur le fond des océans ; million d’années après million d’années, ces dépôts calcaires ont formé les magnifiques falaises blanches de la côte normande ou d’énormes montagnes comme les Dolomites dans les Alpes italiennes. Toute cette aventure a pris des milliards d’années. Un milliard d’années s’est écoulé entre la formation de la Terre et l’apparition des tout premiers êtres vivants. C e n’était encore que des cellules élémentaires dépourvues de noyau (qu’on appelle pour cela procaryotes). Il a fallu un milliard d’années de plus, d’après les fossiles, pour qu’apparaissent des cellules dites eucaryotes, c’est-à-dire pourvues d’un noyau. Quant aux premiers animaux vertébrés (munis d’un squelette interne, comme nous), ils ne sont apparus que deux milliards d’années plus tard, soit il y a 500 millions d’années. Après cela, il nous semble que les choses s’accélèrent bien qu’il faille encore plus de 100 millions d’années pour qu’apparaissent les premiers dinosaures. Ceux-ci ont régné en maîtres sur la Terre depuis 235 jusqu’à 65 millions d’années, avant de disparaître à tout jamais (sauf dans l’imagination des écrivains de science-fiction) et probablement de donner naissance aux oiseaux. De telles durées sont si longues que notre esprit ne les conçoit pas. Aussi on peut les représenter par le même artifice que l’on utilise e n cartographie pour représenter un paysage: e n utilisant une échelle de réduction. Nous allons imaginer u n être nommé Supergéo, pour lequel le temps se déroulerait 50 millions de fois plus vite que dans la réalité (voir la figure 4). À cette échelle de 1/50000000, la Terre se réduirait à une mappemonde de 26 centimètres de diamètre, soit la taille d’un ballon de basket-ball. 31
LA TERRE CHAUFFE-T-ELLE ?
4 . Les ères de la Terre, rapportées à l’âge d’un personnage imaginaire, Supergéo, qui aurait 90 ans aujourd’hui.
Pour Supergéo, une minute de son temps vaut u n siècle de temps réel. Notre ami est donc âgé de 90 ans, temps écoulé depuis la formation de la Terre. On ignore tout de ses 20 premières années et il est âgé de 80 ans quand apparaissent les premiers vertébrés. À 85 ans, il découvre les premiers dinosaures qui vont régner 3,s ans et disparaître quand il a près de 89 ans. Les premiers hommes ne se manifestent qu’il y a une vingtaine de jours et l’homo sapiens sapiens, c’est-à-dire le premier représentant de notre propre espèce, est apparu hier; encore a-t-il fallu attendre la dernière heure pour voir surgir e n Égypte ces fameuses pyramides.. . vieilles de 4 000 ans. 32
UN VRAI ROMAN : L‘HISTOIRE DE LA TERRE
Et le climat, au cours de cette fabuleuse histoire ? Depuis que les continents ont été peuplés, on peut dater quelque peu les événements climatiques, grâce aux fossiles présents dans les diverses couches de terrain. On retrouve des traces de périodes glaciaires depuis 2 300 millions d’années (Supergéo avait 24 ans). Ces traces consistent e n restes de vallées creusées par l’écoulement des glaciers. On est averti aussi par l’existence d’énormes rochers complètement différents de l’environnement où on les trouve, et qui n’ont pu qu’être transportés par ces glaciers. Mais, comme les continents n’ont cessé de se déplacer à la surface de la Terre, il faut aussi apprécier s’ils étaient à cette époque plus près des pôles ou de l’équateur, et cette reconstitution demeure douteuse. Plus près de l’époque actuelle, durant une ère que les géologues nomment l’ère secondaire et qui va de 600 à 65 millions d’années, le climat de la Terre était doux et humide à quelques exceptions près. Les choses se gâtent depuis 50 millions d’années (depuis le 89“ anniversaire de Supergéo) et le climat de la Terre a été généralement froid, caractérisé par de longues périodes glaciaires entrecoupées de périodes moins rigoureuses dites interglaciaires. Par exemple, il faut retourner 125000 ans en arrière pour trouver un climat aussi plaisant que celui qui règne depuis 15O00 ans. Entre temps, de formidables calottes de glace afigure 5) et cette s’étaient accumulées sur les continents (voir l eau, prélevée aux océans, e n avait fait baisser le niveau de 80 mètres; on allait à pied sec de Sibérie en Alaska ou de France e n Angleterre. Les résidus de ces calottes de glace fournissent aujourd’hui les renseignements les plus précieux sur les climats du passé et, à ce qu’on m’a assuré, sur les causes de variation de ces climats. Encore faut-il s’assurer du sérieux de telles études 33
LA TERRE CHAUFFE-T-ELLE ?
Ilyozo
Actuellement
‘2 ._ u O
5. Le monde en période glaciaire. II y a environ
20000 ans, les continents de l’hémisphère nord étaient recouverts d’une calotte de glace de plusieurs kilomètres d’épaisseur, qui les faisait ressembler à l’Antarctique.
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qui reposent sur l’analyse d’échantillons infimes et fragiles. C e devrait être la prochaine étape de mon enquête. Pour cela, je compte me rendre dans l’Antarctique, où les échantillons de glace sont prélevés, puis dans les laboratoires où o n effectue les mesures. Un fait apparaît déjà clairement : depuis l’apparition de la vie sur Terre, malgré tous les événements violents qui ont pu s’y produire, et malgré les fantastiques changements de climat qu’elle a connus, la vie s’y est maintenue. Mais à quel prix? À plusieurs reprises, on voit dans les couches géologiques un changement complet de la végétation et des animaux qui vivaient à une certaine époque et sont remplacés par d’autres. Parfois, c’est plus de 90% des espèces vivantes qui disparaissent d’un seul coup à ce qu’il nous semble, mais e n des milliers d’années e n vérité. Bref, la vie a la peau dure, mais les espèces sont fragiles. Aussi, en ce qui concerne l’humanité, on doit prendre très au sérieux tout ce qui concerne l’avenir de son environnement : notre espèce n’est probablement pas moins fragile que toutes celles qui ont disparu. C’est la leçon de la géologie.
Charles D. Evans
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6. Notre héros CDE contacté par un représentant des industriels du charbon.
Une rencontre inattendue
Charles D. Evans (nous l’appelons comme tout le monde CDE) avait promptement mené son enquête auprès des géologues. Contrairement au mois de décembre, qui avait vu se multiplier les tempêtes avec ou sans neige, janvier s’annonçait froid mais ensoleillé. Le dernier laboratoire consulté par CDE n’était autre que le fameux US Geological Survey de Denver, dans le Colorado. I1 était connu dans le monde entier pour la surveillance systématique des volcans situés sur le continent américain ou dans les îles Hawaii. Avant de reprendre l’avion pour son bureau de Washington où il comptait rédiger son rapport sur l’histoire de la Terre, CDE avait décidé de s’accorder quelques heures de détente. I1 se rendit e n voiture jusqu’au célèbre site du Red Rocks Theater, situé dans la banlieue de Denver. En dépit de l’altitude (Denver est situé à près de 2 O00 mètres d’altitude), il ne faisait pas trop froid au grand soleil de cette fin de matinée et CDE rêvassait, assis sur les gradins, e n contemplant le prestigieux spectacle des Montagnes Rocheuses, toutes proches et étincelantes de neige. I1 réalisa tout à coup qu’un petit homme emmitouflé dans une épaisse pelisse venait de s’asseoir à côté de lui. 37
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Belle matinée, n’est-ce pas Docteur Evans ? - Vous connaissez mon nom ? - Pas seulement votre nom. Je sais aussi de quelle mission vous êtes chargé par le Président. - Ce n’est pas un secret d’État. Tous les scientifiques que j’ai consultés sont au courant. Travaillez-vous au Geological Survey ? - Pas directement, dit le petit homme qui se mit à rire silencieusement. Disons que je m’intéresse à la production d’énergie. - Vous voulez dire à la prospection ? - Disons plutôt aux aspects économiques. C’est ce qui fait que je m’intéresse beaucoup au contenu de votre rapport. - Pour le moment, vous pouvez e n avoir une bonne idée e n lisant des ouvrages de vulgarisation sur la météorologie et sur l’histoire géologique de la Terre. - J e m’en doute. Mais ce qui m’intéresse tout particulièrement, je veux dire moi-même et ceux que je représente, ce sera votre conclusion et les recommandations qui e n résulteront. Je me demande si vous réalisez bien ce que représente la production d’énergie dans ce pays, je veux dire e n milliards de dollars. - Ma foi, je crois que j’ai une bonne idée du chiffre d’affaires des, pétroliers, des installations nucléaires et autres fournisseurs d‘électricité. - Je note avec inquiétude que vous ne parlez pas des mines de charbon. - C’est ça votre domaine ? - Dites que c’est l’avenir de notre pays et peut-être de l’humanité toute entière. >> Le petit homme s’excitait e n parlant de son domaine d’intérêt
Le petit homme s’en alla aussi discrètement qu’il était venu, laissant CDE méditatif. > À cette pensée, renonçant à regret à son tourisme, CDE s’en fut prendre le premier avion pour Washington, afin de rédiger le chapitre que nous venons justement de lire.
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Glaces
Depuis deux jours, le Thala Dan essayait de franchir la barrière des glaces flottantes agglutinées par le vent. C’était toujours le même scénario : le bateau reculait e n repoussant e n arrière les glaçons déjà brisés, puis il se lançait à sa vitesse maximale à l’assaut de la banquise. Sa coque arrondie lui permettait de grimper sur la glace que son poids brisait e n morceaux. Puis le même manège se reproduisait, indéfiniment. Pour les passagers, ces manœuvres étaient épuisantes. I1 n’était pas question de fermer l’eil de jour comme de nuit à cause du bruit infernal des machines. Avec l’impression en plus d’être fixé sur le dos d’une machine-outil e n plein travail. Sans compter qu’au-delà du cercle polaire, e n plein été antarctique, la nuit était inexistante. Le seul moment de répit avait été obtenu quand le bateau, entraîné trop e n avant par son élan, était bien monté sur la glace, mais ne l’avait pas brie sée: il était resté échoué et toutes les tentatives pour reculer étaient restées vaines (voir la figure 7). > 41
LA TERRE CHAUFFE-T-ELLE ?
7. Le bateau polaire, baptisé Thala Dan et destiné à recueillir des carottes glaciaires en Antarctique, est i c i bloqué dans la banquise.
De fait, après quelques heures d’immobilité, les manœuvres avaient repris de plus belle. On était parvenu tout près du but, la station antarctique française de Dumont d’Urville, dont on (hait séparé par plusieurs centaines de mètres de banquise et une grande étendue d’eau libre, appelée Pour CDE, l’aventure avait commencé précipitamment dès son retour de Denver. Le secrétariat du Président avait bien fait son travail. Avec son efficaciré coutumière, Mrs. Jackson
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GLACES
avait trouvé les bonnes informations auprès de la Direction des Recherches polaires américaines qui avait mentionné la programmation d’un raid français au départ de leur station de Terre Adélie, en direction du Dôme C où un forage glaciaire était e n cours; le raid avait pour but de récupérer les échantillons de glace prélevés à grande profondeur, dans des couches vieilles de plusieurs dizaines de milliers d’années. Les échantillons devaient ensuite être transportés e n évitant de les fondre, jusqu’au laboratoire de glaciologie de Grenoble où ils seraient analysés suivant un processus complexe dont CDE n’avait aucune idée. Encore fallait-il rejoindre à temps le bateau polaire affrété par les Expéditions Polaires Françaises, au départ de Hobart, dans la grande île de Tasmanie (au sud de l’Australie). CDE n’avait eu que le temps de renouveler ses bagages pour attraper le premier avion pour Melbourne et Hobart. > Le voyage e n avion s’était passé sans encombre, et à l’are rivée dans le port de Hobart, quitté le jour même, CDE avait hérité d’une couchette confortable dans une cabine qu’il partageait avec deux autres membres de l’expédition : Sébastien et Arnold. Ils étaient tous les deux des techniciens, chargés de
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traiter les échantillons de glace, et, lors du raid de retour, de veiller à leur bonne conservation. Heureusement pour CDE, le peu de français qu’il connaissait était complété par les connaissances en anglais de ses camarades de cabine : ils comprenaient assez bien les propos de CDE, mais parlaient avec un difficile quoique charmant accent français. Au grand étonnement de CDE, l’expédition était dirigée par une jeune femme, Michèle Delémont, qui venait de terminer sa thèse de doctorat sur l’utilisation des glaces anciennes en climatologie. CDE et Michèle sympathisèrent rapidement et passèrent les longues heures d’inactivité forcée, à bord du navire, à discuter toutes sortes de sujets. CDE lui posa bien entendu quantité de questions sur son travail et tout particulièrement sur ces fameux échantillons de glace qu’ils allaient chercher. CDE comprit que la composition des cristaux de glace était très légèrement différente selon leur température de formation. La molécule d’eau, H,O, était toujours de deux atomes d’hydrogène pour un seul atome d’oxygène, mais les proportions des différents isotopes de l’hydrogène et de l’oxygène variaient avec cette température (le mot > est expliqué page 50). De plus, on retrouvait dans la glace de nombreuses Elulles d’air, emprisonnées au moment de la formation initiale de la neige. Ces bulles d’air avaient évidemment la composition de l’air au moment où la neige était tombée. Or, depuis peu, o n était capable d’analyser cette composition et de retrouver ainsi l’histoire de la composition de l’atmosphère en différents gaz présents en très petites quantités. Pour plus d’informations, Michèle l’invita à assister à la petite conférence qu’,elledevait donner à bord, pour expliquer son travail à l’ensemble des scientifiques qui se rendaient en Antarctique
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en vue d’y effectuer toutes sortes de recherches dans des domaines très différents (voir un résumé de cette conférence à la fin de ce chapitre). Les deux premiers jours de mer avaient été difficiles: le Thala Dan roulait d’un bord sur l’autre e n raison de sa quille arrondie propre à affronter les glaces, mais mal adaptée à la haute mer. Dès le troisième jour, ce fut pire encore. Le Thala Dan traversait les fameux Quarantièmes Rugissants et les Cinquantièmes Hurlants. La mer était démesurément grosse et le bateau recevait par le travers d’énormes paquets de mer qui semblaient à chaque instant le renverser et le faisaient à tout le moins pencher de plus de 45”. Pour grimper un escalier e n travers du bateau, il valait mieux attendre qu’il devienne quasiment horizontal. Le cinquième jour, tout s’arrangea miraculeusement. Le ThalaDan était sorti de la zone des grands vents et naviguait désormais entre les glaçons dont l’effet était d’apaiser l’énorme houle de l’océan Austral. Par exemple, quand les glaçons se resserrèrent pour former une ligne épaisse et continue, le Thala Dan se transforma e n cette espèce de machine outil dont nous avons parlé. Après trois journées éprouvantes, le navire atteignit l’eau libre et fut rapidement e n vue de la base polaire. Les épreuves n’en étaient pas finies pour autant. A peine le Thala Dan était-il à l’ancre qu’un vent terrifiant se leva e n moins d’une minute. Ce phénomène, caractéristique des régions côtières de l’Antarctique est appelé du nom barbare de
Six jI.xrs plus tard, tous les échantillons étaient emballés et placés sur les traîneaux qui devaient les ramener d’abord à la base, puis à bord du Thala Dan, où ils seraient stockés e n chambre froide. Une fois parvenus à Melbourne, but du navire, ils seraient expédiés dans les mêmes conditions au laboratoire de Grenoble et étudiés au cours des mois suivants dans une installlation maintenue à une température très inférieure à zéro degré. Quant à CDE et ses compagnons d’expédition, ils devaient être rapatriés par avion, grâce à la collaboration entre les expéditions françaises et américaines, ces dernières fournissant les avions montés sur skis capables de se poser sur la glace à côté du Dôme C. Mais le destin ne devait pas épargner les émotions de nos amis. En effet, en raison de l’altitude 48
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élevée du plateau antarctique, aux environs de 3 O00 mètres, le décollage de l’avion nécessitait de renforcer le moteur par des rétrofusées. Or, celles-ci refusèrent de fonctionner et l’avion, au lieu de décoller, piqua lamentablement du nez dans la glace. Heureusement, personne ne fut blessé, mais l’avion était devenu inutilisable. Aussi, o n fit appel à un deuxième appareil, identique. Toute l’expédition monta à bord, complétée par les deux pilotes du premier avion, et le même accident de décollage se reproduisit. Heureusement, les expéditions américaines disposaient d’un troisième et dernier appareil. Son décollage était rendu d’autant plus difficile que, désormais, deux passagers supplémentaires devaient être emmenés : les pilotes du deuxième avion. On peut imaginer l’angoisse qui régnait à bord au moment du décollage, mais cette fois, tout se passa bien, et
9. Michèle Delémont présente une carotte de glace. On a réussi à obtenir des carottes de glace analogues à celle-ci jusqu’à 3000 mètres de profondeur.
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LA TERRE CHAUFFE-T-ELLE ?
deux heures plus tard l’avion se posait sans encombres à la grande base américaine de Mac Murdo, qui est, elle, équipée d’un véritable aérodrome permettant l’atterrissage et le décollage tradiitionnels de longs courriers. Là, CDE fut accueilli avec les égards dus au représentant personnel du président des États-Uniis, et il fit bénéficier ses compagnons du confort typiquement américain. > Quelques jours plus tard, juste le temps de se détendre après les émotions vécues ensemble, un avion long courrier déposait rios amis à Christchurch, e n Nouvelle Zélande, où ils se séparèrent e n attendant la prochaine visite de CDE à Grenoble, pour assister à la suite des opérations menées sur les précieux tkhantillons, rapportés entre temps.
Aperçu de la géochimie des isotopes de l’oxygène Rappelons qu’un atome se compose de deux parties différentes : un noyau chargé positivement qui représente quasiment toute la masse, concentrée en un très petit volume; un certain nombre d’électrons négatifs qui gravitent autour du noyau et dont le nombre fixe les propriétés chimiques de l’atome. On appelle (( isotopes )) des atomes ayant le même nombre d’électrons, mais des noyaux de masses légèrement différentes. L’oxygène possède trois isotopes stables. L’oxygène-16, dont le noyau comporte 8 protons et 8 neutrons, est de loin le plus
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abondant puisqu’il représente en moyenne 99,758 ‘lodes atomes. Avec respectivement un et deux neutrons de plus, les isotopes 17 et 18 ne représentent que 0,0373 et 0,2039% des atomes. On apprend dans les premier et deuxième cycles des études universitaires que les propriétés chimiques des isotopes sont indiscernables. Ce n’est pas rigoureusement vrai, du moins en ce qui concerne la cinétique, car un isotope plus lourd sera nécessairement échangé plus lentement entre deux milieux ou deux molécules. Harold Urey, prix Nobel de chimie 1934 pour la découverte de l’eau lourde, et beaucoup d’autres ont montré que tous les échanges qui se produisent dans le cycle de l’eau et des organismes vivants sont accompagnés de fractionnements isotopiques. Plus précisément, lorsque l’eau s’évapore depuis la surface de la mer, l’oxygène-18, moins volatil que l’oxygène-16, est appauvri dans la phase vapeur d’environ 1%.Quand la vapeur se condense, les mêmes causes entraînent un enrichissement en oxygène-18 de la phase condensée, donc un appauvrissement supplémentaire de la vapeur non condensée. La vapeur émise dans les régions tropicales parvient donc dans le névé antarctique très appauvrie en oxygène-18, d’environ 5 %. Cet effet est suffisant pour que, lors d’une époque glaciaire, l’accumulation sur les continents de glace pauvre en oxygène-18 entraîne par contraste un enrichissement de tous les océans en cet isotope. On détecte un tel enrichissement dans les coquilles des micro-organismes marins morts depuis longtemps, et accumulées dans les sédiments. On sait carotter le fond des océans, trier les squelettes de différentes espèces planctoniques, analyser leur composition isotopique avec une précision stupéfiante, et en déduire la succession des climats de la planète, et plus spécialement l’évolution des températures. W. Dansgaard, C. Lorius et 1. Jouzel, notamment, ont su également relier la composition isotopique de la glace à sa température de formation. On peut donc distinguer sur une grande épaisseur
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LA TERRE CHAUFFE-T-ELLE ?
de glacier les couches formées en été ou en hiver, et, en comptant ces couches à partir de la surface, trouver l’âge de la couche analysée. Bien entendu, les différences qui caractérisent les saisons se retrouvent également à plus longue échelle de temps pour distinguer les périodes glaciaires (froides) et interglaciaires (chaudes), et reconstituer l’évolution du climat des régions polaires. C’eijt ce type de mesures que l’on réalise sur les échantillons de glace prélevés en profondeur, donc de glace ancienne.
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Un accueil importun
L‘avion ramenant CDE aux États-Unis se posa sans encombre sur l’aéroport international de Washington Dulles. Notre ami se réjouissait de retrouver ses vieilles habitudes américaines, au moins pour quelque temps. I1 comptait bien se reposer du long périple qui l’avait conduit jusqu’au cœur de l’Antarctique, même s’il gardait quelque nostalgie de son intimité forcée avec Michèle, durant le raid sur la glace. Au sortir de la douane, une surprise plutôt désagréable l’attendait, sous la forme d’un petit homme vêtu de gris, qui le salua d’un grand sourire. >
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7 Une vérité dans la boue
Pour cette fois, CDE n’avait pas à se rendre à l’autre bout du monde, ni même à traverser les Etats-Unis pour les besoins de son enquête. Le laboratoire de géophysique marine le plus réputé n’était autre que le Lamont lnstitute of Oceanography, installé à Palisades, dans la banlieue de New York. C’est là qu’il comptait être e n mesure de comparer les données climatiques déduites des carottes de glace, et celles qui résultaient des travaux des océanographes. Précédé de sa réputation, CDE fut rapidement reçu par le Professeur Alex Semialof, directeur du département de sédimentologie. C’était un géant à la voix tonitruante, qui passait le plus clair de sa vie à bord de bateaux océanographiques et dont on disait que même les tempêtes avaient peur de lui (ce qui expliquait, disait-on, pourquoi ses travaux étaient généralement favorisés par une période de beau temps !). Cela dit, si ses collaborateurs le craignaient, ses étudiants l’adoraient et les cours qu’il professait entre deux missions e n mer attiraient une foule d’auditeurs.
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UNE VÉRITÉ DANS LA BOUE
CDE ne put rien tirer de plus de son interlocuteur et s'en fut, non sans l'avoir chaleureusement remercié pour sa coopération. 40 -60 80
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12. Comparaison des variations paléoclimatiques mesurées par des glaciologues (courbe du haut) et par des océanographes (courbe du bas). Bien des travaux ont été nécessaires pour établir une échelle de temps unique, valable aussi bien pour les couches de glace polaire que pour les sédiments marins.
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LA TERRE CHAUFFE-T-ELLE ?
Un carbone radioactif Dès sa découverte, le carbone-14 s’est révélé un auxiliaire irremplaçable des biologistes désireux de marquer certaines molécules, mais aussi de la géologie, de l’anthropologie, et comme nous allons le voir plus en détail, de la géochimie. Le noyau du carbone ordinaire, ou carbone-12 qui représente 98,9% du carbone, comprend 6 protons et 6 neutrons. Une faible proportion de carbone, de i,iY0, comporte un neutron supplémentaire : c’est le carbone-13. Les physiciens ont découvert l’existence d’un noyau de carbone possédant encore un neutron de plus, soit 6 protons et 8 neutrons : le carbone-14. Ce neutron supplémentaire rend le noyau instable. Celui-ci ne demande qu’à transformer un neutron en proton en émettant un électron, par radioactivité bêta pour donner naissance à un nouvel atome comportant 7 protons et 7 neutrons, qui n’est autre que le très ordinaire azote-14. L’intérêt du carbone-14 vient de la découverte de Willard Franck Libby, qui lui a valu le prix Nobel de chimie en 1960, selon laquelle ce radio-isotope existe dans la nature et qu’il peut servir à dater des échantillons biologiques anciens. Rappelons que la haute atmosphère est constamment bombardée par un rayonnement de particules extrêmement énergiques, venu des espaces intersidéraux: c’est le rayonnement cosmique. Lorsqu’un noyau d’azote-14 de l’air, qui comporte donc 7 protons et 7 neutrons, est frappé par un neutron cosmique, il capture ce neutron et expulse un proton ; il est donc transmuté en carbone-14. Ce dernier est vite oxydé en gaz carbonique ‘ K O , et entre ainsi dans le grand cycle du carbone: il est assimilé par les végétaux (y compris les micro-,algues qui constituent le plancton végétal), mangé par les herbivores (dont le plancton animal), qui sont à leur tour dévorés par les carnivores, dont nous autres, humains, faisons partie. Ce cycle d’échanges ne prend que quelques années, ce qui est peu par
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UNE VÉRITÉ DANS LA BOUE
rapport à la période radioactive du carbone-14 de 5700 ans environ (la période radioactive d’un isotope radioactif est le laps de temps, toujours le même pour un isotope donné, au bout duquel la moitié des atomes se sont désintégrés). L’énergie du rayon bêta émis par le carbone-14 est faible, ce qui rend sa détection délicate, mais comme nous allons le voir, le jeu en vaut la chandelle, et même son million de dollars. En effet, c’est le prix d’un accélérateur de particules qui permet de séparer les noyaux de carbone-14 et de les compter un par un à partir d’un échantillon d’à peine un milligramme de carbone. Auparavant, on devait brûler le carbone pour le transformer en gaz carbonique, introduit à l’intérieur d’un compteur très spécial de radioactivité; cette technique est encore utilisée car plus précise et moins coûteuse, mais elle exige des échantillons mille fois plus lourds, de l’ordre du gramme. L’idée géniale de Libby était que le rayonnement cosmique étant à peu près constant, tous les organismes vivants ont une proportion de carbone-i4 quasi identique, qui correspond à une radioactivité de 0,227 désintégrations par seconde et par gramme de carbone (soit 58 milliards d’atomes, ou encore 1,3 x io-’* gramme de carbone-14 par gramme de carbone). En revanche, lorsqu’un organisme meurt, il cesse d’échanger matière et énergie avec le milieu ambiant et la proportion de carbone-14 décroît par radioactivité, selon une loi parfaitement connue. Par exemple, si cette radioactivité n’est plus que la moitié des 0,227 désintégrations par seconde et par gramme de carbone, on en conclut que l’organisme correspondant a cessé de vivre il y a 5700 ans. C’est le principe merveilleusement simple de la datation par le carbone+. Bien sûr, dans la nature, les choses ne sont jamais rigoureusement conformes à la théorie, et il a fallu apporter des corrections à ce beau schéma, mais dans l’ensemble il s’est avéré juste : on l’a vérifié en datant des échantillons archéologiques de l’Égypte ancienne dont les historiens connaissaient la provenance, ou 69
LA TERRE CHAUFFE-T-ELLE ?
bien en datant les anneaux que les arbres forment chaque année et que I’ori compte patiemment. Toutefois, une difficulté apparut lorsqu’on constata un décalage progressif entre les âges calculés par le carbone-14, et les archives historiques qui étaient, elles, indubitables. La responsabilité en incombait à une lente dérive du champ magnétique terrestre, qui modifiait l‘intensité d u rayonnement cosmique et, par suite, la teneur de l’atmosphère en carbone-14. L’ambiguïté a finalement étCI levée grâce à des mesures croisées entre les âges de formation du corail, mesurés par deux méthodes nucléaires différentes : le carbone-14 et le couple uranium-thorium. La technique est désormais parfaitement au point et d’un usage courant en archéologie. En géologie, on peut également l’utiliser à condition de découvrir des échantillons contenant du carbone. Par exemple, lorsque le niveau de la mer baisse en abandonnant des coquillages sur une ancienne plage, on peut dater leur carbonate. On date de la même manière les coquilles de micro organismes extraits des strates de sédiments marins pour en déduire le moment de leur déposition: cette technique est à la base de la paléoclimatologie. Les exemples sont innombrables, et des laboratoires de datation par le carbone-14 se sont montés dans tous les pays scientifiquement actifs.
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Une glace qui pétille
CDE pensait se reposer quelque temps après les dures heures d’apprentissage e n compagnie des océanographes, mais la réalité devait être toute autre. À peine rentré à Washington, il reçut un courrier électronique de son amie Michèle Delémont, l’invitant à venir de toute urgence e n France, plus précisément au laboratoire de Glaciologie de Grenoble, où des résultats nouveaux l’intéresseraient particulièrement. L‘efficace secrétaire de la Présidence, Mrs. Jackson, lui trouva immédiatement une place d’avion à destination de l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle, avec correspondance pour Grenoble. Elle e n profita pour le railler gentiment e n lui demandant s’il comptait, cette fois encore, se nourrir de harengs sucrés à la scandinave, comme lors de son périple antarctique e n compagnie des Français. )
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LA TERRE CHAUFFE-T-ELLE ?
les syndicats de pilotes ni de stewards et un coup de téléphone à l’ambassade des États-Unis se révéla aussi inefficace pour la simple raison qu’on était dimanche après-midi et que tous les responsables étaient introuvables. I1 ne restait plus, à cette heure tardive, qu’à faire contre mauvaise fortune bon cœur, et à aller passer la nuit dans un des hôtels proches de l’aéroport. Malheureusement, e n raison de la grève qui bloquait nombre de voyageurs, ils étaient tous complets, et, pour la même raison, il ne restait aucun espoir de louer une voiture. En dépit de sa fatigue, CDE, après avoir prévenu Michèle de son retard, réussit à gagner la capitale et à se présenter chez des parents de cette dernière qui l’hébergèrent pour la nuit. Le lendemain il put attraper un train et finit par arriver, passablement fatigué, au Laboratoire de Glaciologie où l’attendaient, outre Michèle, ses anciens compagnons du raid antarctique, Arnold et Sébastien. Ils l’accueillirent tous avec amitié, mais quelque peu goguenards de lui faire remarquer qu’il lui avait été plus difficile de traverser la France tout seul que l’Antarctique en leur compagnie. Le 1al)oratoire était en pleine ébullition, car on était e n train de terminer des mesures sur les derniers échantillons de glace rapportés d’une station située encore plus au cœur de l’Antarctique que le Dôme C où s’était rendu CDE, la station russe de Vatok. «Pourquoi êtes-vous tous si excités par les mesures de Vostok ? interrogea CDE. Qu’est-ce qui nécessitait ma venue d’urgence ! - Tu n’es pas heureux de me revoir? répondit Michèle. Moi, j’étaiis impatiente de retrouver mon camarade de traîneau. Bien entendu tu annules tes réservations à l’hôtel, car c’est moi qui t’héberge. 72
UNE GLACE QUI PÉTILLE
- J e croyais que tu habitais un minuscule logement où tu ne pouvais loger pas même un poisson rouge de plus. - J e n’aimerais pas qu’un poisson rouge partage ma chambre à coucher, mais un ami, c’est différent. Nous ne sommes plus e n raid, Charly, et je ne voudrais pas t’imposer les mêmes inhibitions. - Vive la France, conclut CDE et que Mr. Robinson n’en sache rien, sans quoi je risquerais d’être taxé de corruption. - Qui est Mr. Robinson? - C’est le côté négatif de ma conscience professionnelle ; quelque chose comme un autre Mr. Hide pour le Dr. Jekyll que je suis. Là-dessus, parle-moi de Vostok. >> Michèle lui expliqua que le grand intérêt des échantillons de glace récoltés à cette station provenait de la très faible accumulation de neige e n cet endroit, proche du pôle d’inaccessibilité. > Michele entraîna CDE dans les sous-sols où ils s’arrêtèrent devant une impressionnante porte de chambre froide. Ils revêtirent des tenues dignes d’explorateurs polaires et pénétrèrent dans le laboratoire froid, dont la température était maintenue à - 15”. «C’est ici que nous entreposons les carottes de glace et que nous les sortons de leur emballage. On en prélève les petits morceaux sur lesquels on fera les mesures de composition isotopique. Une fois que les échantillons sont préparés, on les remmte dans le laboratoire où ils seront placés dans un spectromècre de masse de très grande précision. - Qu’est-ce que c’est que cet appareil ? - C’est un engin très perfectionné qui permet de séparer les atomes des différents isotopes d’une espèce chimique donnée. Pour faire cela, on accélère les atomes dans des champs électriques et on courbe plus ou moins leur trajectoire grâce à des aimants. Cela fait que suivant leur masse, les différents isotopes aboutissent- à des cibles différentes où on les compte un par un. - Vous vous en donnez du mal. - I1 faut bien ... On t’a déjà expliqué à quoi servent ces mesures isotopiques. Par contre, tu n’as pas encore entendu parler de nos mesures de la composition chimique des bulles d’air. >> 74
UNE GLACE QUI PÉTILLE
Au fond du laboratoire froid, une porte étanche donnait accès à une pièce de dimensions modestes. Un ronronnement trahissait la présence de ventilateurs.
Toute l’équipe était rassemblée autour de la table traçante où les derniers points de mesure devaient s’afficher. Un cri 75
LA TERRE CHAUFFE-T-ELLE ?
d'enthousiasme et des applaudissements saluèrent la fin des opérations. > CDE et Michèle ne demandaient qu’à se retirer dans le petit appartement de cette dernière, mais avant de s’y rendre, ils durent se joindre à tous les membres du laboratoire qui fêtaient le succès de la grande campagne de Vostok.
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Effet de serre et alternance des climats
(Troisième lettre de CDE au Président) Monsieur le Président, Ne soyez pas étonné si vous n’avez rien reçu de ma part depuis la lettre que je vous ai adressée de Denver, Colorado, et l’espèce de roman de la Terre qu’elle contenait. La vérité est que les étapes de l’enquête dont vous m’avez chargé se sont quelque peu bousculées. Je joins à cette lettre les rapports détaillés que j’ai établis jusqu’alors. Mais je ne crois pas pouvoir garder plus longtemps par-devers moi les très importantes informations que j’ai recueillies à Grenoble, France. Grâce à une excellente collaboration entre les départements de recherche polaire américain, russe et français, une carotte de glace d’une longueur exceptionnelle a été extraite à la station russe de Vostok, située au voisinage immédiat du pôle d’inaccessibilité antarctique. Les foreurs se sont volontairement arrêtés à la profondeur de - 3 623 mètres, ce qui, compte tenu de la faible accumulation annuelle de l’ordre de 2 centimètres d’équivalent e n eau, représente une durée estimée à 420000 ans. Si vous vous souvenez de Supergéo, pour 81
LA TERRE CHAUFFE-T-ELLE?
qui le ternps s’écoule 50 millions de fois plus vite que dans la réalité, cette durée ne représente que les trois derniers jours précédant son 90‘ anniversaire (revoir la figure 4, page 32) ; mais c’est: tout de même 100 fois l’âge des pyramides. À cette époque, la Terre ressemblait beaucoup à ce qu’elle est aujourd’hui, mais il s’en fallait encore de 350000 ans pour que notre espèce, Homo sapiens, commence à la peupler. La carotte de glace de Vostok a été nettoyée, découpée et emballée dans des tubes plastiques avec les plus grandes précautions, comme je m’en suis assuré lors de ma visite à cette autre station antarctique du Dôme C. Tous les éléments ont été rapportés au Laboratoire de Glaciologie de Grenoble, où je me trouve actuellement, et, ici aussi, traités avec un maximum de précautions e n laboratoire froid, soigneusement dépoussiéré. J’insiste sur ce point en raison de la nouveauté des résultats scientifiques obtenus. Une première série de mesures concerne la composition isotopique de la glace, c’est-à-dire les rapports deutérium (ou hydrogène lourd) sur hydrogène normal, et oxygène- 1ô sur oxygène- 116. On en déduit l’évolution de la température dans l’Antarctique au cours de la période concernée. Comme vous pourrez le constater sur la courbe que mes collègues m’ont remise, cette température a évolué sur une dizaine de degrés et présente une série d’oscillations quasi périodiques avec des maximums correspondant à la période actuelle ainsi qu’à des dates espacées d’environ 100000 à 125 O00 ans. C e rkultat prouve définitivement que notre planète a connu, au cours de la période géologique actuelle (appelée Holocène), une alternance de climats glaciaires, froids, et interglaciaires, chauds, ces derniers étant toujours de beaucoup plus courte durée. Tout se passe comme si, depuis 82
TROISIÈME LETTRE DE CDE AU PRÉSIDENT
3 millions d’années, le climat normal de la Terre était un climat glaciaire, les périodes chaudes étant l’exception. C’est en particulier le cas du climat favorable que nous connaissons depuis quelque 15O00 ans. Toutes les dérives climatiques futures dont nous nous préoccupons sont à examiner à la lumière de ces constatations. Ces phénomènes avaient été prévus au X I X ~siècle par un physicien yougoslave du nom de Milankovitch, imprononçable pour l’Américain que je suis, dont les calculs sont repris de nos jours, avec des moyens d’une autre puissance, à l’université de Louvain-la-Neuve, Belgique, où je projette bien entendu de me rendre. C e qui est le plus nouveau, c’est que, parallèlement aux mesures relatives à la température, les géochimistes de ce laboratoire ont réussi à récolter et analyser les micro bulles d’air occluses dans la glace. I1 est possible de mesurer les concentrations de deux gaz suffisamment stables chimiquement pour qu’on les suppose inchangés depuis l’époque lointaine où ils ont été piégés dans le névé en formation. I1 s’agit du dioxyde de carbone, ou gaz carbonique, de formule CO,, et du méthane de formule CH,. Tous deux sont des gaz à effet de serre. Or, ce qui ressort des mesures, et de la courbe que je vous joins, c’est que les concentrations atmosphériques de ces deux gaz ont rigoureusement suivi les variations de température de l’air antarctique, c’est-à-dire finalement du climat de la planète. Ces gaz sont plus concentrés quand il fait chaud, et moins quand il fait froid: de 280 à 180 parties par million pour afigure 13, page 76). le CO,, et de 0,7 à 0,3pour le CH, (voir l La question qui se pose immédiatement, c’est de savoir si les changements du climat provoquent les variations de concentration, ou si c’est l’inverse. L‘opinion proférée ici est 83
LA TERRE CHAUFFE-T-ELLE ?
que les deux paramètres, climat et gaz, réagissent l’un sur l’autre. Cettle question est fondamentale pour notre propos, puisqu’on considère aujourd’hui que les gaz à effet de serre ont déjà beaucoup trop augmenté et seraient à l’origine d’un début de réchauffement général de la Terre. Cette question va occuper une bonne partie du temps qui me reste avant d’être e n mesure de conclure l’enquête dont vous m’avez chargé. Je m’y consacrerai dès mon retour de Belgique
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La Terre est une grosse toupie Michèle et CDE filaient le parfait amour dans la bonne ville de Grenoble, mais ce dernier ne pouvait pas ignorer trop longtemps la mission dont il était investi, au grand dam de la première qui n’envisageait pas d’un bon œil leur prochaine séparation. > Les deux amoureux éclatèrent de rire, et Michèle décida du coup qu’elle accompagnerait CDE en Belgique où elle le présenterait au fameux professeur Paul Béranger, le spécialiste de la théorie astronomique des changements de climat. De ce fait, CDE évita de faire l’erreur classique des visiteurs d’outre Atlantique, c’est-à-dire de se rendre à l’ancienne ville de Louvain au lieu de Louvain-la-Neuve. La ville de Louvain est célèbre e n Belgique et dans le monde pour sa très ancienne Université et la bibliothèque qui lui est associée. Elle est située dans la partie de la Belgique où 85
LA TERRE CHAUFFE-T-ELLE ?
l’on parle flamand e t son vrai nom est Leuven. Lorsque la Belgique a décidé de se constituer e n trois grandes régions selon la langue qu’on y parlait, les universitaires francophones ont quitté Leuven et fondé une nouvelle ville universitaire en territoire Wallon, nommée Louvain-la-Neuve. C’est là qu’enseignait le professeur Paul Béranger auprès de qui CDE devait se rendre. Pour une fois, les services diplomatiques américains avaient bien fait les choses, et à l’arrivée de nos deux amis à l’aéroport de Bruxelles, une somptueuse limousine de l’ambassade les (ittendaitainsi que son chauffeur. CDE n’était pas peu fier de montrer à Michèle l’importance de son statut d’envoyé spécial du Président. À \rai dire, rien de tout cela n’impressionna le moins du monde rii Michele, ni le professeur Béranger, qui se révéla être un bon vivant, aussi compétent en ce qui concerne les vins français que l’astronomie. I1 s’apprêtait justement à faire une conférence à un large public et invita ses deux visiteurs à y assister. «La Terre est une sorte de grosse toupie, commença le professeur Béranger. Pour commencer, nous allons supposer que la Terre tourne autour du Soleil e n décrivant un cercle parfait, dont cet astre occupe le centre, et que l’axe de rotation de
14. La Terre éclairée par le Soleil. Les régions situées entre les tropiques font face au Soleil, tandis que celles qui se trouvent près des ptlles sont en quelque sorte couchées dans le rayonnement solaire. Aussi reçoivent-elles rnoins de lumière par unité de surface au sol.
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LA TERRE EST UNE GROSSE TOUPIE
la Terre est perpendiculaire au plan du cercle : en fait, ces deux hypothèses sont un peu fausses, mais nous cherchons à simplifier. Dans ce cas, à midi, les rayons du Soleil arrivent toujours perpendiculairement sur les régions proches de l’équateur (voir la figure 14). En revanche, ils arrivent tangentiellement dans les régions polaires. Qu’est-ce que ça change ? C’est le problème du soldat exposé à un tir de mitrailleuse: il se couche par terre pour offrir une surface aussi faible que possible au flux de projectiles, sauf s’il veut se suicider, auquel cas il se dresse de toute sa hauteur pour e n recevoir le plus possible. Pour e n revenir à notre Terre simplifiée, on calcule facilement qu’à la latitude de 45” (celle du sud de la France) le flux solaire n’est plus que 70 % de ce qu’il est à l’équateur. Audelà, vers les pôles, la décroissance est rapide : 50 % à 60” de latitude et rien du tout au pôle, à 90”. Par contre, au voisinage de l’équateur, la diminution est lente: 17 % seulement entre l’équateur et la latitude de 30°, proche des tropiques. (Pour les matheux, je dirais que c’est une loi sinusoïdale.) Par conséquent, toujours dans ce modèle simplifié, il fait constamment chaud aux latitudes tropicales et très froid aux pôles. En fait, l’axe de rotation de la Terre est incliné de 23” 27’ par rapport à la perpendiculaire au plan du cercle. Cela ne change pas beaucoup l’insolation sous les tropiques (moins de 17 % comme o n l’a vu), mais cela la modifie complètement dans les régions polaires. En effet, suivant la position de la Terre dans sa course autour du Soleil, les régions situées autour du pôle nord reçoivent un rayonnement solaire non négligeable pendant les mois de juin à août, alors que le pôle sud est dans le noir absolu - c’est l’été dans l’hémisphère nord - et l’inverse entre décembre et février - on est alors e n hiver dans l’hémisphère nord e t e n été dans le sud (%loirla figure 1.5). 87
LA TERRE CHAUFFE-T-ELLE ?
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15. Le mécanisme des saisons. L‘axe de rotation de la Terre n’est pas perpendiculaire aii plan de sa trajectoire autour de Soleil. Cela fait que le Soleil éclaire davantage tantôt l’hémisphère nord (en juin), tantôt l’hémisphère sud (en décembre). qui connaissent alors une saison d’été.
Cet effet est accentué par un autre phénomène. C’est que la trajectoire de la Terre n’est pas tout à fait un cercle, mais elle est un peu allongée en forme d’une ellipse. En juin, la Terre est à 152 mi1.lions de kilomètres du Soleil alors qu’elle n’en est plus qu’à 147 millions en décembre. Pour cette raison, par rapport à l’hémisphère sud, nous recevons environ 6% de rayonnement en moins pendant notre été (nous avons moins chaud) et 6 % eri plus pendant notre hiver (nous avons moins froid). Cette situation est celle que nous connaissons actuellement. On a l’impression qu’elle a duré ainsi de toute éternité, et qu’elle continuera encore quand toute vie aura disparu sur Terre. Mais en réalité, elle change lentement au cours de milliers d’années. En effet, la Terre n’est pas tout à fait sphérique : e l k est aplatie aux pôles et renflée à l’équateur. Ceci fait que l‘attraction du Soleil et des autres planètes du système solaire modifient un peu sa trajectoire et sa position sur cette trajectoire. D’abord la trajectoire s’éloigne alternativement plus ou moins du cercle pour former une ellipse plus ou moins allongée : on dit que l’excentricité de l‘ellipse varie périodiquement 88
LA TERRE EST UNE GROSSE TOUPIE
avec des constantes de temps de 100000 et 400000 ans, mais l’effet de cette variation est faible. Deux autres effets jouent davantage sur le climat. Comme pour une toupie ventrue qu’on a lancée, l’axe de la Terre oscille autour de sa position d’équilibre d’environ 1” 30’’ avec une périodicité de 41 O00 ans. En même temps, il pivote autour de la direction perpendiculaire au plan de la trajectoire avec des périodes de 23000 et 19000 ans. Ainsi, dans quelque 11O00 ans, c’est dans l’hémisphère sud que l’été se produira aux mois de juin à août, et c’est cet hémisphère qui connaîtra des saisons tempérées par la distance plus ou moins grande de la Terre au Soleil: juste retour des choses (voir Ia figure 16). ORBiE J E LA TERRE
16. Dans iiooo ans, contrairement 2 la situation actuelle, la Terre sera plus proche du Soleil au solstice d’été (21 juin) qu’au solstice d’hiver (21 décembre) : les saisons seront donc plus contrastées dans l’hémisphère nord que dans le sud.
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Tows ces petits mouvements ont peu de conséquences dans les régions tropicales, puisqu’on a vu qu’une inclinaison un peu plus grande ou un peu plus petite des rayons solaires jouait peu sur le flux d’énergie reçue. I1 n’en va pas de même dans les régions polaires qui, elles, sont très sensibles à cette inclinaison. Toutefois, les régions polaires nord et sud vont ressentir différemment ces effets pour la simple raison que leur géographie est très différente. Autour du pôle sud s’étend un vaste continent complètement englacé. Même e n période froide, o n ne peut pas y ajouter beaucoup de glace, car alors elle coulerait plus rapidement jusqu’à la mer où d’énormes icebergs se (détacheraient du continent pour fondre dans l’océan. A u nord, le tableau est bien différent : une mer couverte de banquise (faite d’eau de mer gelée) est entourée par les continents américain et eurasiatique. En période froide, la neige peut s’accumuler sur les parties les plus au nord de ces continents et y accumuler une formidable calotte de glace, analogue à celles qui recouvrent l’Antarctique et le Groenland. I1 y a 18000 ans, les environs de Bruxelles où nous sommes étaient recouverts par 3 kilomètres de glace. Toute cette eau manquait aux océans dont le niveau était 80 mètres plus bas. Le facteur principal qui détermine le climat de la planète n’est autre que le flux d’énergie solaire reçue autour de la latirude de 65” nord. S’il est insuffisant e n été pour fondre la neige quii y est tombée e n hiver, celle-ci va réfléchir les rayons solaires l’été suivant, ce qui fair que peu d’énergie sera conservée par le sol et que le gel s’y installera pour de bon: ce sera le début d’une période glaciaire. Elle durera jusqu’à ce que les petits mciuvements de la Terre dont nous avons parlé envoient dans cette région assez d’énergie pour fondre la glace, ce qui peut prendre des siècles. 90
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Alors il n’y a rien d’étonnant à ce qu’on retrouve dans la succession des périodes glaciaires et interglaciaires les mêmes périodicités que dans les petits mouvements de la Terre sur son orbite (voir la figure 17). Mais, comme je l’ai dit, ces mouvements ne sont pas équivalents du point de vue de leurs conséquences. Donnons quelques chiffres. Le flux solaire au sommet de l’atmosphère équatoriale est e n moyenne de 1400 watts par mètre carré. À la latitude de 65” nord, il n’est plus que d’environ 600 watts. La rotation de l’axe de la Terre le fait varier de + ou - 50 watts ; l’inclinaison de l’axe le fait
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17. La théorie astronomique des climats. Les mouvements de l’axe de rotation de la Terre font varier la quantité d’énergie que reçoivent les différentes régions du Globe. Si les glaces ne fondent plus en été sur les continents de l’hémisphère nord, elles s’y accumulent et provoquent l’apparition d’une période glaciaire.
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varier de + ou - 15 watts; l’allongement plus ou moins long de la trajectoire (l’excentricité de l’ellipse) le fait varier de + ou -2 watts seulement. Ce sont donc les périodes de l’ordre de 20000 ;ins qui prédominent, et leur multiple d’environ 100O00 ans. >> Le professeur Béranger se tut au milieu des applaudissements de l’auditoire, applaudissements auxquels CDE et Michèle s’étaient joints de bon cœur. «I1 y a quand même une question que je voudrais vous poser dit CDE. C’est peut-être un changement de l’intensité du Soleil qui s’est produit dans le passé et qui a entraîné les changements climatiques dont on parle tant. - De fait, les théories astrophysiques récentes admettent que le flux d’énergie solaire a pu varier d’environ 20% dans un passé très lointain (des centaines de millions d’années), et on ne comprend toujours pas comment des conditions de vie acceptables se sont maintenues sur Terre au cours de telles variations. On peut seulement imaginer que l’effet de serre les a compeiisées, mais au fond, on n’en sait rien. En revanche, on sait bien que la température du Soleil ne peut pas changer rapidement en raison de sa masse qui est énorme : plus de 300000 fois celle de la Terre (et encore 1O00 fois celle de Jupiter, la plus grande des planètes du système solaire). De plus, le Soleil n’est pas seulement une boule de feu en train de se refroidir. Si cela était, il serait du reste froid depuis longtemps. Eii réalité, le Soleil est constamment réchauffé par des réactions nucléaires qui consistent à transformer son hydrogène en un gal: plus lourd, l’hélium, ce qui se fait avec un fort dégagement de chaleur. - Je pense bien, c’est ce qui se passe dans une bombe à hydrogène. 92
LA TERRE EST UNE GROSSE TOUPIE
- Là, nous entrons dans votre spécialité de physicien des particules. - J e vois que vous me connaissez bien. - Mais savez-vous que de nos jours, l’énergie reçue du Soleil au sommet de l’atmosphère n’est pas rigoureusement constante ? La surface du Soleil présente un nombre variable de taches qui changent un tout petit peu son rayonnement. Et comme il pivote sur lui-même à raison d’un tour e n 27 jours au niveau de l’équateur et 35 jours dans les régions polaires (le Soleil n’est pas un solide), o n a vainement cherché à mettre en évidence des périodicités semblables dans les phénomènes atmosphériques. Cette tâche est pratiquement sans espoir, car e n dépit d’une répartition non uniforme des taches solaires, l’énergie émise dans la direction de la Terre est quasiment constante. Par contre, le nombre de taches à la surface du Soleil varie beaucoup, avec une périodicité voisine de 11 ans. Les mesures réalisées e n satellites montrent que la quantité d’énergie qui atteint le sommet de l’atmosphère peut varier d’environ 0’1% entre maximum et minimum du cycle solaire. Vos amis de la NASA auraient dû vous raconter ça, puisque ce sont eux qui ont fait les mesures. - C’est pas beaucoup, 0’1 %. - Non. On peut calculer qu’il e n faudrait 10 fois plus, c’est-à-dire 1%, pour faire varier la température d’équilibre de la Terre de trois quarts de degré. Pour déceler un effet climatique, il faudrait se débarrasser de toutes les variations qui se produisent au hasard et qui sont très supérieures à l’effet recherché. Autrement dit, il faudrait des observations sur de longues durées. Toutes ces recherches n’ont évidemment rien à voir avec les prévisions météorologiques à court terme.
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LA TERRE CHAUFFE-T-ELLE?
Cependant une curieuse coïncidence a été observée sur plusieurs siècles. On observe les taches solaires depuis un bon millier d’années, et on sait que de temps e n temps elles disparaissent presque complètement, même en période où leur nombre devrait être maximum. La dernière observation de ce phénomène, appelée > s’est produite au XVIF siècle et a coïncidé avec l’apparition de climats sensiblement plus froids qu’aujourd’hui (pas de plus d’un demi degré e n moyenne, tout de même), justifiant le nom de Aprks les félicitations d’usage, nos deux amis prirent congé de leur hôte et rejoignirent Bruxelles.
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Chauffage aux gaz
1 La Terre est un énorme lézard
De retour à l’ambassade des États-Unis à Bruxelles, CDE y trouva un télégramme de Mrs. Bramble, la dynamique représentante des écologistes. « A i retrouvé votre trace grâce à mes relations de l’ambassade. Mes amis et moi trouvons que vous perdez trop de temps à vous intéresser aux climats d’autrefois et pas assez au futur qui nous préoccupe, nous, à juste titre. Suspectons là le résultat des pressions exercées par Robinson et autres stipendiés des marchands de charbon, pétrole et autres poisons de l’atmosphère. Grand temps de vous y mettre. Signé Edwina Bramble. >> CDE allait jeter le texte de ce télégramme avec rage, quand il s’aperçut qu’une deuxième page lui avait été remise. I1 lut avec davantage d’ennui le texte suivant. > Au reçu de ces télégrammes, CDE se précipita à l’aéroport et revint en toute hâte aux États-Unis. Là, pour aller plus loin dans son enquête, notre ami devait essayer de comprendre le 97
LA TERRE CHAUFFE-T-ELLE ?
fonctionnement du climat de la planète. Or, n i les météorologues, ni les géologues ne semblaient prêts à lui inculquer leurs connaissances à ce sujet. Sa qualité d’envoyé spécial du Président des États-Unis, qui lui avait ouvert toutes les portes, avait aussi pour conséquence d’inciter ses interlocuteurs à ne pas sortir de leur spécialité étroite. C’est ainsi que les dirigeants de la NASA lui firent savoir que leur rôle se bornait à faire voler des satellites, dont certains étaient bien chargés d’observer la Te.rre et d’apprécier son climat, mais que la science climatique n’était pas de leur responsabilité. CDEl commençait à se demander s’il serait e n mesure de poursuivre son travail de documentation, quand la solution se présenta miraculeusement e n la personne de Mrs. Bramble, la représentante passionnée des écologistes américains. >
Équilibre radiatif et effet de serre La T’erre, comme tous les corps célestes, se déplace dans un espace pratiquement vide de matière et glacé qui est le royaume des rayonnements, seuls processus de transmission de l’énergie dans le vide. La température absolue qui y règne est, - 270 OC, ou en degrés Kelvin, de 3 O K . (Les degrés Kelvin sont analogues aux degrés Celsius, mais le zéro de l’échelle des températures de Kelvin correspond à - 273 O C , dans l’échelle ordinaire des températures.) La température superficielle d’un corps céleste résulte seulement de l’équilibre entre l’énergie qu’il reçoit, et celle qu’il rayonne. La loi physique qui relie température et rayonnement est simple et nous dit que l’énergie rayonnée par unité de temps est proportionnelle à la 4e puissance de la température exprimée en degrés Kelvin, ce qui s’écrit : W = O T4 où W est la puissance rayonnée, T la .température en O K et O un coefficient constant. Si la Terre était isolée dans l’espace, elle serait tout de même un peu plus chaude que la température ambiante, grâce à la
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chaleur qui monte de ses entrailles, et dont on pense qu’elle résulte principalement de la radioactivité des roches. Ce flux, dit géothermique, de 4 4 0 0 0 milliards de watts (0,087 watt par mètre carré de sol en moyenne) la réchaufferait d’environ 30° à - 243 OC, ce qui n’est tout de même pas bien chaud. Heureusement pour nous, la Terre n’est pas isolée dans I’espace; elle reçoit du Soleil un torrent d’énergie, de 1,7 x 1017 watts, environ 4 0 0 0 fois plus fort que le flux géothermique, soit quelque 340 watts par mètre carré de sol, en moyennant saisons, jour et nuit, et géographie. Là-dessus, une centaine de watts, soit 30% de l’énergie reçue du Soleil, est réfléchie vers l’espace par le sol, par le sommet des nuages et, dans une moindre mesure, par l’air luimême. Cette proportion d’énergie directement réfléchie répond au doux nom d’albedo. En fait, cette valeur moyenne de 30% dissimule de grandes variations entre les différentes régions de la Terre : la neige fraîche peut réfléchir jusqu’à 95% de la lumière solaire et la mer, de 30 à 4 0 % ; au contraire, une forêt de conifères en absorbera jusqu’à 95%. Sur les 240 watts reçus du Soleil et non réfléchis, les 2 / 3 (160 watts) atteignent la surface du sol et le dernier 1 / 3 (80 watts) est absorbé par l’atmosphère. En quelque sorte, l’énergie tourne en rond, selon un processus qu’on appelle ((l’effet de serre)), entre le sol et l’atmosphère. Le sol reçoit ainsi un rayonnement supplémentaire de 330 watts et l’atmosphère, un complément de 460 watts, dont 100 watts sous forme d’échanges directs de chaleur, et 360 watts rayonnés par le sol. Finalement, c’est 490 watts, et non pas 240 watts, qui parviennent au sol, ce qui rend bien compte de sa température plus élevée que la simple température d’équilibre radiatif (voir la figure 19). Intéressons-nous davantage aux 360 watts rayonnés par le sol et absorbés par l’atmosphère. À la température du sol, il s’agit d’un rayonnement de grande longueur d’onde, qu’on appelle ((infrarouge lointain ». L’azote et l’oxygène de l’air sont partiellement transparents pour ce rayonnement qui traverserait ainsi 105
LA TERRE CHAUFFE-T-ELLE?
19. Bilan raiiiatif de la Terre. 30% du rayonnement solaire est réfléchi vers l’espace. Heureusement pour nous, la chaleur rayonnée par la Terre chauffe l’atmosphère grâce aux gaz à effet de serre, qui nous assurent ainsi une température con fortable.
l’atmosphère (si celle-ci n’était constituée que de ces deux gaz) en n’y abandonnant que peu d’énergie. Toutefois, quelques gaz présents dans l’air en faibles concentrations absorbent le rayonnement infrarouge lointain et contribuent à l’effet de serre dans des proportions beaucoup plus fortes que leurs faibles concentrations rie le laisseraient prévoir. Ces gaz sont, en premier lieu, la vapeur d’eau (H,O), pour 100 watts, bien que sa concentration oscille entre o,i et I%, et le gaz carbonique (CO,), pour 5 0 watts, bien que sa concentration oscille autour de 0,03O/O. D’autres gaz très peu abondants absorbent également quelques watts (voir la figure 20). 106
LA TERRE EST UN ÉNORME LÉZARD Voyons plus en détails en quoi consiste cet effet de serre, dû en définitive aux propriétés des molécules qui composent I’atmosphère et qui réagissent plus ou moins avec les rayonnements. Un peu de physique classique Tout système vibratoire, qu’il s’agisse d’un pendule, du ressort spirale d’une montre mécanique, d’un oscillateur électronique ou, comme nous allons le voir, une molécule, est caractérisé par sa fréquence de vibration. Les oscillations peuvent être entretenues à partir d’une source extérieure d’énergie qui délivre des impulsions. Si ces impulsions sont en phase avec l’oscillation, c’est-à-dire qu’elles sont maximales quand l’amplitude de l’oscillation est elle aussi maximale, on dit qu’il y a résonance. Alors, l’amplitude des oscillations peut croître considérablement, ce qui montre que le système vibratoire absorbe un maximum d’énergie de la source extérieure.
20. Courbes d’absorption des rayonnements infrarouges (dont les longueurs d’onde sont comprises entre 5 et 100 micromètres) par quelques gaz de I’atmosphère. Ce sont quelques gaz particuliers, présents en faibles concentrations, qui absorbent la majeure partie du rayonnement du sol: la vapeur d’eau (H,O), le gaz carbonique (CO,), le méthane (CHJ et l’ozone (O$. En revanche, les deux principaux constituants de l’atmosphère que sont l’azote (N,) et I’oxygène (O,), sont transparents à ce rayonnement.
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LA TERRE CHAUFFE-T-ELLE ?
C’est ainsi que fonctionnent les récepteurs radio dont on règle la Fréquence sur celle de l’émetteur que l’on veut capter. C’est aussi la raison pour laquelle les soldats n’ont pas le droit de marcher au pas cadencé quand ils passent sur un pont: ils pourraient le briser par résonance, comme cela s’est déjà produit.
Très peu de physique moléculaire Une molécule est un système vibratoire qui possède une ou plusieurs, fréquences propres de vibration. Ces fréquences sont très élev4es et correspondent aux fréquences des rayonnements lumineux, visibles ou invisibles tels que les rayons infrarouge, ultraviolet et jusqu’aux rayons X. Si une molécule est frappée par un rayonnement dont la fréquence (autrement dit la couleur) correspond précisément à une de ses fréquences propres de vibration elle ijbsorbe ce rayonnement et le transforme en énergie cinétique : en langage courant, on dit simplement que sa température a augmenté. Le truc de I‘effet de serre La surface du Soleil, qui est très chaude, plus de 5500 O C , nous envoie trois sortes de rayonnements: 42,4?40 de rayonnement visible ; 9,2O/O de rayonnement plus énergique, ultraviolet; et 48,4% (presque la moitié) de rayonnement de plus faible énergie ou infrarouge, qu’on appelle parfois calorifique, parce qu’on ne le voit pas mais que l’on en ressent la chaleur. II se trouve que la plupart des molécules qui constituent l’air ont des fréquences de vibration très éloignées de celles du rayonnement solaire, ce qui fait que l’atmosphère dépourvue de nuages est pratiquement transparente aux rayons issus du Soleil, qui parviennent sans encombre jusqu’au sol. Une exception, toutefois, pour les rayons ultraviolet qui sont arrêtés vers 2 0 - 2 5 kilomètres d’altitude par la couche d’ozone et qui chauffent la partie de la haute atmosphère qu’on appelle la stratosphère. 108
LA TERRE EST UN ÉNORME LÉZARD
Parvenus au sol, les rayons visibles et infrarouges (et très peu d’ultraviolet) le réchauffent, mais fort heureusement à une température de l’ordre de + 15 OC, donc bien inférieure à celle du Soleil. À cette température, ie SOI émet un rayonnement uniquement infrarouge, ce qui explique qu’on n’y voit rien pendant une nuit sans Lune, et dont l’énergie est beaucoup plus faible que celle des rayons infrarouge reçus du Soleil (revoir la figure 28, page 202). Pour ces rayonnements, changement essentiel, I’at mosp hère n’est plus transparente: au contraire, elle absorbe une grande partie de ce rayonnement et chauffe en conséquence. La Nature a réalisé à l’échelle de la Terre entière ce que nous savons faire pour une serre de jardinier: laisser passer les rayons qui descendent du Soleil et empêcher de ressortir les rayons émis par le sol. Et les autres planètes du Système solaire? L’importance de l’effet de serre est bien attestée par une comparaison entre la Terre et les autre planètes du système solaire. En effet, quatre planètes dites telluriques, plus la Lune, gravitent autour du Soleil : Mercure à 58 millions de kilomètres, Vénus à 108 millions, la Terre e t la Lune à 150 millions, et Mars 2 2 2 8 millions. Le Soleil est leur unique et commune source d’énergie, mais, en dépit de dimensions pas trop différentes, on peut difficilement imaginer des caractéristiques climatiques plus dissemblables. Sans s’attarder sur la cas de Mercure, littéralement rôtie par le Soleil, une comparaison entre Mars et Vénus est pleine d’enseignement. Rappelons que Mars possède une atmosphère ténue donnant au sol une pression de 6 hectopascals, soit moins de 0,6OO/ de l’atmosphère terrestre, et une température à l’équateur qui varie autour de 200 O K (-73 OC). Vénus, 2 fois plus proche du Soleil, reçoit 4 fois plus de rayonnement par unité de surface, ce qui devrait correspondre à une température d’équilibre radiatif d’environ 1,4 fois celle de Mars (à cause de la loi des rayonnements en T4, citée précédemment).
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LA TERRE CHAUFFE-T-ELLE ?
Or, la température du sol de Vénus est d’environ 730 O K O C ) soit plus de 3,5 fois celle de Mars. Elle est même supérieure d’environ 60 O C à la température maximale de Mercure, pourtant 2 fois plus proche du Soleil. C’est que, loin d’avoir eu son atmosphère «soufflée» par les émissions solaires, il règne à la surface cle Vénus une pression de 95 500 hectopascals (94 fois la pression atmosphérique terrestre). Cette atmosphère est principalement constituée de gaz carbonique (à 95,5?40) qui assure un puissant effet de serre, responsable de cette température élevée. (460
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2 Une station scientifique dans les îles Hawaii
CDE correspondait régulièrement avec son amie Michèle. Cette dernière lui fit remarquer que si la science des climats passés apportait un précieux éclairage au problème de l’évolution des conditions de vie sur Terre, et représentait un intérêt scientifique certain, elle ne saurait e n aucun cas se substituer à une évaluation objective des risques découlant de l’augmentation actuelle rapide des gaz à effet de serre. «C’est vrai qu’il est temps que tu examines dans quelle mesure les concentrations de ces gaz augmentent dans l’atmosphère, à quel rythme et quelles e n sont les conséquences sur le climat de la planète. - Ma foi, tu as raison. Je vais commencer par le gaz carbonique, puisque c’est probablement celui qui nous pose le plus de problèmes. Les courbes montrant l’augmentation de la concentration atmosphérique du CO, sont publiées par le Professeur Downing de la SCRIPPS Institution of Oceanography. Le résultat semble parfaitement clair (voir la figure 21) : e n 1958, lorsque l’enregistrement a commencé, cette concentration était de 315 parties par million, elle attei111
LA TERRE CHAUFFE-T-ELLE ?
gnait 3551 en 1990, et elle est de 365 en ce début de millénaire. N o n seulement la concentration a augmenté, mais la vitesse d’augmentation a augmenté elle-même. C’est à peu près ce que nous appelons une exponentielle. I1 y a un deuxième effet très net: chaque année, la concentr,xion diminue au printemps pour augmenter à nouveau d’autant plus vite en hiver. C’est interprété très simplement comme un effet du cycle de la végétation qui pousse au printemps en fabriquant de la matière végétale au détriment du carbone atmosphérique, et qui meurt en automne puis pourrit en hiver en relâchant du CO,. I1 semble que la plupart
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Croissance du dioxyde de carbone (CO,) à la station de Mauna Loa (à Hawaii). Depuis le début des mesures de précision, en 1958, le CO, a augmenté de 16%. La courbe montre également l’existence de variations saisonnières qui s’expliquent par le:; changements d’activité de la végétation entre l’été et l’hiver. 21.
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UNE STATION SCIENTIFIQUE DANS LES ILES HAWAII
des stations de mesure confirment ces résultats, mais cet accord est peut-être biaisé car ils s’appuient sur des étalons fournis par la SCRIPPS. Pour ma part, je ne suis pas tout à fait convaincu de l’exactitude des mesures effectuées dans notre station-phare, celle qui a démarré e n 1958, et qui se trouve au sommet du Mauna Loa, dans l’île d’Hawaii. Tu m’accompagnes là-bas ? - Malheureusement non. J’ai mon travail à poursuivre à Grenoble, et de plus ma présence continuelle auprès de toi finirait par te gêner. Et ça, je ne le veux à aucun prix, parce que je compte bien que tu me reviendras à la fin de ta mission. - Tu prends un risque e n me laissant aller tout seul dans les îles du Pacifique, réputées pour leur ambiance amoureuse. - Pas si tu m’aimes autant que tu le dis. >’ CDE et Michèle se rendirent ensemble à l’aéroport où ils se séparèrent, cette dernière retournant dans son laboratoire de Grenoble, tandis que CDE se préparait à effectuer la moitié du tour du monde en direction de la grande île d’Hawaii. Après plus de quinze heures d’avion et douze heures de décalage horaire, CDE se sentit épuisé à son arrivée à Honolulu, dans l’île de Oahu, capitale du nouvel état américain des îles Hawaii. Deux jours de vacances sur la célèbre plage de Waikiki le remirent e n forme. On était e n avril, et le printemps était délicieux, l’air des vents alizés doux et parfumé, et l’ambiance détendue à souhait. L‘eau était tiède et la mer parcourue par de molles ondulations qui venaient mourir sur le sable. I1 fallut à CDE un véritable effort de volonté pour s’arracher à ce paradis des tropiques. U n e demi-heure d’avion suffit à conduire CDE de Honolulu à Hilo, minuscule capitale de la plus grande des îles Hawaii. Quel contraste avec Oahu qu’il venait de quitter. Le 113
LA TERRE CHAUFFE-T-ELLE?
paysage etait sauvage, accidenté, noir de toutes les coulées volcaniques que vomissaient fréquemment deux volcans en éruption quasi permanente. En raison du congé qu’il s’était octroyé, personne n’attendait CDE à son arrivée, et il dut se procurer une voiture dans une des agences de location. Autre problème, cette location stipulait qu’il ne devait pas s’aventurer sur la route traversant l’intérieur de l’île, jugée dangereuse. Or, c’est justement ce qu’il lui fallait faire pour gagner l’observatoire oii l’on effectuait les mesures de gaz carbonique. CDE s’engagea, comme o n le lui demandait, bien décidé à ne pas tenir compte de cette interdiction. Un peu tendu, au début, en abordant une route qui lui était interdite, CDE se rassura progressivement, au fur et à mesure qu’il trouvait cette route très comparable e n réalité à une petite route campagnarde d’Europe. À mi-chemin de l’autre côté de l’île, une piste démarrait sur la droite qui devait le conduire à l’observatoire atmosphérique de Mauna Loa, à 3 O00 mètres d’altitude. I1 savait que cette piste d’une vingtaine de kilomètres avait été spécialement construite dans ce but par une armée de prisonniers de droit commun. Elle était étroite et accidentée, mais somme toute guère plus difficile que celles qu’il avait parcourues e n compagnie de sa chère Michèle, et pour leur seul plaisir, dans les environs de Grenoble. Par contre, le paysage qu’il traversait était impressionnant, la piste étant tracée au milieu de blocs de basalte noirs, ponctués de loin e n loin d’une touffe d’herbe ou d’une petite fleur poussées là par hasard. Moins d’une heure plus tard, CDE déboucha sur un plateau noir et désertique sur lequel s’élevaient quelques bâtiments préfabriqués et les poteaux soutenant la ligne électrique alimentant la station. I1 arrêta sa voiture et se présenta dans le 114
UNE STATION SCIENTIFIQUE DANS LES ILES HAWAII
premier des laboratoires où il fut accueilli par les grognements d’un individu d’aspect rébarbatif. )
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CDE ne se mettait pas souvent e n colère mais, peut-être sous l’effet de l’altitude, son souffle était. devenu court et un cercle d’acier lui enserrait le crâne. > À peine une heure plus tard, que CDE mit à profit pour visiter la station, le Dr. Simpson arrivait, sourire aux lèvres. «Soyez le bienvenu, Dr. Evans. Je crains que vous ayez été accueilli par notre bouledogue de service. Mais pourquoi diable ne m’avez-vous pas indiqué votre heure d’arrivée: je vous aurais accueilli à l’aéroport et amené ici moi-même. - Content de vous rencontrer, Dr. Simpson. Je me suis peut-être montré un peu vif, mais je ne dois pas oublier que je suis e n charge d’une importante et difficile mission confiée par notre Président e n personne. De plus, j’ai un violent mal de tête. - C’est l’effet de l’altitude à laquelle vous n’êtes pas habitué. - Au fait, pourquoi avez-vous établi votre observatoire à cette altii ude, ce qui vous a imposé diverses contraintes, par exemple, bâtir une route pour vous tout seul? - Le professeur Downing, qui a fondé cet observatoire e n 1958, a cherché non pas l’altitude e n elle-même, mais l’isolement par rapport à deux sources possibles de parasites pour nos mesures: les émissions de gaz carbonique par les installations humaines, habitations, voitures et, bien entendu, par l’industrie, et les échanges de composés carbonés avec la végétation. - Celle-ci m’a paru plutôt pauvre, au milieu des éboulis de basaltes. 116
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croyez pas ça : c’est exact à l’altitude où nous sommes, mais nous sommes aussi sous les tropiques et les plaines de notre île sont particulièrement fertiles. On cultive force canne à sucre e t plus encore d’énormes plantations d’ananas. - Alors, vous pouvez affirmer que vos mesures sont exemptes de toute interférence locale ? - Malheureusement non. Le problème est que nous ne sommes pas éloignés du cratère du Mauna Loa. Le volcan est en sommeil, heureusement pour nos bâtiments, mais il y a encore de nombreuses émissions de gaz par des fumerolles. Celles-ci sont irrégulières, et le transport des gaz émis dépend évidemment de la direction et de la force du vent. - Alors, comment faites-vous pour épurer les résultats de mesure des émissions volcaniques ? - Grâce à l’enregistrement continu de la concentration du gaz carbonique. On voit très bien sur cet enregistrement quand les valeurs sont quasi constantes ou quand il y a des variations subites, souvent très importantes, de concentration. Dans ce dernier cas, on élimine les valeurs douteuses et on n’insère dans nos statistiques que celles qui ne posent pas de problème. D’ailleurs les mêmes précautions sont valables pour toute espèce de perturbation due aux activités humaines. On ne peut pas éviter des remontées d’air depuis les plaines habitées et cultivées, avec des teneurs e n gaz très différentes de la concentration basique qui est celle qui nous intéresse. - Si j’ai bien compris, vous écartez de votre statistique, et donc de vos publications, toutes ces données que vous estimez non représentatives de la concentration moyenne du CO, dans tout l’hémisphère. - C’est bien cela. -Ne
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LA TERRE CHAUFFE-T-ELLE ?
- Mais
comment êtes-vous sûrs que vous n’avez pas aussi une certaine dérive des émissions de gaz carbonique par les volcans de l’île, ou des pratiques agricoles, ou même des ascendances de l’air des plaines ? - Nous en sommes à peu près sûrs, mais pas tout à fait, et c’est ce qui explique la nécessité d’avoir d’autres stations de mesures, situées un peu partout à la surface de la Terre, et toujours, dans la mesure du possible, à l’abri des pollutions locales. De plus, il nous faut des données non seulement dans l’hémisphère nord, où nous sommes ici, mais dans l’hémisphère sud, où les emplacements de stations sont rares. Une des meilleures stations a été installée par les Français au sud de l’océan Indien, dans l’île d’Amsterdam qui est éloignée de tout, dépourvue de cultures et de volcan, et qui n’est habitée que par une dizaine de scientifiques. Une autre station, que je vous conseille de visiter, se trouve au nord ouest de la Tasmanie, la grande île au sud de l’Australie. - Réjouissez-vous : il n’y a que deux hémisphères. - Cela ne me concerne pas: c’est vous qui payez pour ce qui est des stations américaines. Cela dit, vous trouverez dans ce petit opuscule la description détaillée de la méthode de mesure et de l’appareillage utilisé. >> À la lecture du document (voir ci-après), CDE fut persuadé du sérieux des mesures effectuées sur place, mais aussi de la nécessité où il se trouvait de rendre visite, au plus vite, au Pr. Downing, organisateur de tout le réseau de mesures de CO,, et :surtout fournisseur des étalons de référence. D’un autre côtc!, il n’était pas fâché à l’idée de se retrouver à nouveau dan:’ son bon vieux pays.
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UNE STATION SCIENTIFIQUE DANS LES ILES HAWAII
Mesurer le gaz carbonique Rien de plus facile que de mesurer le CO,, grâce à sa propriété d’absorber le rayonnement infrarouge; tous les garages sont équipés pour contrôler les gaz d’échappement des automobiles. Toutefois la difficulté n’est plus la même lorsqu’il s’agit de mesurer avec une grande précision les teneurs atmosphériques qui ne sont tout de même pas considérables, et plus encore leur évolution lente. Le dispositif habituel consiste à aspirer l’air à analyser dans une petite cellule traversée par un rayonnement de longueur d’onde adéquate, et à mesurer l’échauffement du gaz sous l’effet de ce rayonnement. On compare pour cela la pression dans cette cellule à celle qui règne dans une cellule de référence, identique, mais remplie d’un mélange d’air et de CO, dont on connaît parfaitement la teneur. Les difficultés sont de plusieurs ordres. D’abord, il faut bien mesurer une différence de pression due au seul échauffement, et non pas une variation de la pression atmosphérique. Autrement dit, la cellule de référence doit être traversée par un flux de gaz à la même pression atmosphérique que l’air analysé, donc ouverte sur l’extérieur. Ainsi on rejette dans l’atmosphère un précieux mélange étalon air- CO, de composition connue, et ce faisant, on vide progressivement la bouteille qui le contenait. Or, le CO, étant beaucoup plus lourd que l’air, il sort un peu moins vite de la bouteille dont la teneur augmente progressivement. On doit donc corriger la composition du gaz de référence par rapport à un autre gaz étalon, moins utilisé, lui même comparé à un étalon très rarement utilisé. Comment être sûr de la constance de ce dernier mélange? Tout l’art des laboratoires de la SCRlPPS fut de mettre au point une mesure barométrique de haute précision qui a permis d’établir une échelle absolue. Une méthode différente a été élaborée plus récemment qui consiste à doser le CO, par pesée ultra précise.
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LA TERRE CHAUFFE-T-ELLE ?
Une fois en possession de ces étalons, les difficultés ne sont pas terminées. En effet, le CO, n’est pas le seul gaz capable d’absorber les rayons infrarouge. La vapeur d’eau, beaucoup plus abondante, est également très absorbante. D’où la nécessité d’en débarrasser l’air à analyser, sans toutefois détruire ou absorber son CO,. Pour cela on fait d’abord passer l’air dans un réfrigérant à -100 O ’ C , qui condense pratiquement toute l’eau et laisse passer un air parfaitement sec. NOUSvoilà munis d’un bon appareillage. Encore faut-il le placer en un lieu où les mesures aient une signification autre que purement locale. Bien entendu, personne n’aurait l’idée de placer ce précieux appareillage au milieu d’une ville, ni d’une forêt dont les arbres absorbent ou émettent abondamment du CO,. Mais le panache d’air pollué d’une ville s’étend très loin, et une prairie est à peine moins active qu’un sous-bois. D’où la recherche de lieux particulic‘?rement favorables, éloignés de toute civilisation et si possible de toute végétation.
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Un visiteur intempestif
CDE débarqua à Washington à la mi-mai, e n pleine Aoraison printanière. I1 était d’autant meilleure humeur que personne ne le guettait à son arrivée. I1 se promettait donc un repos bien mérité et se demandait s’il parviendrait à décider son amie Michèle à venir passer quelques jours de vacances avec lui. Après une nuit réparatrice, il s’apprêtait à savourer un de ces breakfasts à l’américaine qui lui avait beaucoup manqué au cours de tous ses voyages. Las, un coup de sonnette le ramena à la réalité : c’était, comme il le craignait, l’incontournable Mr. Robinson qui venait le relancer jusque chez lui. > Enfin délivré de la présence de son visiteur importun, CDE s’occupa d’organiser son voyage e n Californie, où travaillait le Pr. Downing.
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Pourquoi le gaz carbonique augmente-t-il ?
Comme sur toute la côte est des États-Unis, le printemps resplendissait aussi à San Jose, Californie. CDE était en avance pour son rendez-vous, et comme l’immeuble de la SCRlPPS était e n bordure du Pacifique, il se promena un bon moment sur la plage, au milieu des étudiants effectuant leur jogging matinal. Le moment venu, il se présenta au laboratoire. Personne ne pourrait douter que le Pr. Downing avait l’esprit méthodique. À peine CDE avait-il été introduit dans son bureau que le célèbre professeur se plongea dans son registre de rendez-vous pour vérifier que CDE était bien attendu, et juste à ce moment précis. Comme c’était le cas, il lui souhaita la bienvenue et lui demanda l’objet de sa visite. > Downing et CDE descendirent au sous-sol où un important banc à vide trônait au milieu d’une pièce soigneusement climatisée. Les différents mélanges étalons d’air et de CO, fournis aux laboratoires de mesure répartis dans le monde entier y Ctaient comparés à d’autres étalons, dans des récipients dont o n mesurait soigneusement la pression. «Ce:; étalons de référence n’ont pas bougé de plus d’un millionième depuis qu’ils ont été préparés, expliqua Downing. De plus, depuis deux ans, des étalons sont également préparés e n France et au Japon, par des méthodes différentes de la mienne: ma méthode est volumétrique, la leur est gravimétrique, et les résultats se recoupent parfaitement. - N’est-ce pas plus avantageux, dans la méthode gravimétrique, de faire une pesée? plutôt qu’une mesure de pression et de volume comme vous le faites, ce qui nécessite de se placer à température constante, demanda CDE. - Cela devrait être le cas, dit le Pr. Downing en riant, mais e n fait pour faire des pesées aussi précises, il faut aussi placer la balance dans une pièce maintenue à température constante et sous une pression barométrique bien calibrée : finalement cela demande encore plus de précautions. >> 126
POURQUOI LE GAZ CARBONIQUE AUGMENTE-T-IL !
Après un examen approfondi de tous les processus utilisés, CDE se trouva convaincu que les étalons de la SCRIPPS étaient inattaquables, et par conséquent que la concentration atmosphérique du gaz carbonique avait réellement augmenté comme les courbes le montraient. .Tant pis pour Mr. Robinson et ses patrons, déclara CDE. I1 me reste à me plonger dans votre prose pour comprendre le pourquoi de cette augmentation. >> Après avoir lu la brochure du Pr. Downing (voir ù la fin de ce chapitre), CDE retourna voir son hôte. «Eh bien, Mr. le Professeur, j’ai grand peur que Mr. Robinson ne soit pas content à la lecture du rapport que je vais faire. Un CO, qui augmente de plus en plus vite dans l’atmosphère et qui dépasse déjà de 30% tout ce qu’on a connu depuis 400 O00 ans (revoir les figures 13, page 76 et 2 1 , page 112) ; et un charbon qui e n dégage deux fois plus que le gaz naturel. Vous y allez peut-être un peu fort dans la mesure où vous n’êtes pas tout à fait sûr de votre bilan du carbone. Quelles preuves pouvez-vous avancer que votre brochure reflète bien la réalité ? - Nous e n avons plusieurs. D’abord, la dizaine de stations réparties entre Arctique et Antarctique montrent toutes des courbes de la croissance moyenne du CO, très voisines, bien que les variations saisonnières soient différentes puisqu’elles sont déterminées par les conditions climatiques régionales (les saisons sont e n opposition dans les deux hémisphères). - Mais toutes ces stations sont américaines ? - Pas du tout : la moitié seulement. I1 y a des stations australiennes, françaises, japonaises et d’autres en préparation. De plus, dans le bilan des échanges de carbone entre l’atmosphère, la mer et la végétation, on peut recouper les valeurs de flux que 127
LA TERRE CHAUFFE-T-ELLE ?
j’ai indiquées grâce à des mesures de composition isotopique du gaz carbonique e n carbone- 12 et carbone- 13. - C e carbone-13 est-il radioactif comme le carbone-14 ? - Non, l’atome de carbone-13 est rare, mais stable. - Alors, comment intervient-il ? - C e qu’on veut, c’est distinguer la part des fuels fossiles dans 1’acc.roissementdu CO, atmosphérique, car on pourrait imaginer que celui-ci provient de l’océan. Lors des échanges de carbone entre les plantes et l’air, l’isotope le plus lourd s’échange moins vite, ce qui fait que les plantes sont appauvries e n carbone-13. O r le charbon et le pétrole sont d’anciennes plantes fossilisées; ils ont donc des teneurs e n carbone-13 comparables aux plantes vivantes, et ce n’est pas du tout le même appauvrissement pour les composés carbonés dissous dans l’eau de mer. On a noté qu’au fur et à mesure que le CO, augmentait dans l’atmosphère, il s’appauvrissait e n carbone-13, ce qui prouve qu’il provient bien de la combustion du pétrole et du charbon et pas d’un dégagement de l’océan. De plus, les calculs montrent que le bilan des échanges de carbone total est confirmé par le bilan du seul carbone-13. C’est péremptoire. - I1 reste encore un point à éclaircir: c’est la part du méthane let des autres hydrocarbures dans le bilan du carbone. - Là, les valeurs sont tirées des études du cycle de ces composés, et il vous faudra interroger d’autres que moi pour obtenir plus de prkisions. D’ailleurs, vous avez d’autant plus d’intérêt à le faire qu’il s’agit là aussi de puissants gaz à effet de serre. - C’est ce que je vais faire, merci de vos conseils. Qui devrais-je consulter, à votre avis ? - Vous qui aimez les voyages, vous allez être servi: les meilleurs mesures sont faites par les Australiens du CSIRO, 128
POURQUOI LE GAZ CARBONIQUE AUGMENTE-T-IL ?
dont le centre de recherche se trouve à Aspendale dans le New South Wales, au sud de l’Australie. En plus, ils ont une célèbre station de mesures à Cape Grim, au nord ouest de la Tasmanie. - Brrr, c’est déjà l’hiver là-bas. - Rien ne doit arrêter le courageux scientifique américain chargé d’une mission d’intérêt humanitaire, dit sarcastiquement le Pr. Downing. >> Là-dessus, CDE se retira et rejoignit sa chère ville de Washington afin de s’équiper pour faire face aux dures conditions climatiques qui l’attendaient à l’autre bout du monde. >
Croissance du CO, atmosphérique et cycle du carbone Pour comprendre l’évolution de la concentration atmosphérique du CO,, nous sommes en face d’un problème classique de baignoire, dont on aurait ouvert à la fois le robinet et la vidange. Le niveau de l’eau se stabilise dans cette baignoire lorsque les deux débits sont égaux; si nous ouvrons un peu plus le robinet, le niveau de l’eau monte jusqu’à ce qu’il en résulte un accroissement de la vitesse de vidange qui compense l’augmentation de débit du robinet. Et si cette seconde augmentation ne se produit pas, la baignoire finira par déborder. 129
LA TERRE CHAUFFE-T-ELLE ?
Le ‘CO, étant chimiquement stable, sa concentration dans l’atmosphère est le résultat d’échanges incessants entre celle-ci et les deux autres grands réservoirs de carbone que sont d’une part la biomasse continentale (la végétation) et d’autre part les différents cornposés carbonés présents dans la mer (voir la figure 23).
23. Les réservoirs et les flux de carbone. Les réservoirs de carbone susceptibles
d’échanger rapidement leurs contenus, atmosphère, végétation et océan superficiel, ! a n t à peu près équivalents. II est remarquable que les activités humaines, qui déséquilibrent ces échanges, ne représentent que 3 % du total.
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POURQUOI LE GAZ CARBONIQUE AUGMENTE-T-IL ?
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Les réservoirs de carbone Des trois grands réservoirs de carbone, atmosphère, océans et biomasse continentale, les deux premiers sont relativement aisés à évaluer. Pour l’atmosphère, dont la masse est de 5 x 1015 tonnes, une partie par million en volume de CO, (on dit 1 ppmv) représente 7,5 milliards de tonnes de CO, par ppm soit 2 milliards de tonnes pour le seul carbone. (Rappelons que la masse de l’atome de carbone C est de 12 unités, et celle de l’atome d’oxygène O est de 16 unités; ainsi le carbone représente 12/44 de la masse d’une molécule de CO,.) Au début de l’ère industrielle, la concentration était de 280 ppm, soit 560 milliards de tonnes de carbone. La valeur actuelle de 365 ppm correspond à 730 milliards de tonnes de carbone, soit une augmentation de 170 milliards de tonnes de carbone depuis la fin du XVIF siècle. En ce qui concerne l’océan, le carbone y est essentiellement sous forme d’ion bicarbonate HC0,-, à une teneur un peu inférieure à 140 milligrammes par litre d’eau, soit 28 milligrammes pour le seul carbone (la masse de l’atome d’hydrogène H est de 1 unité, d’où la masse 61 pour l’ion bicarbonate HC0,-). Pour un volume des océans de i,4 milliards de kilomètres cubes, on trouve un contenu impressionnant de 40 ooo milliards de tonnes de carbone. Ces calculs simplifiés ne sont malheureusement pas possibles en ce qui concerne les continents. Dans la végétation, on admettra que l’essentiel du carbone se trouve dans le bois des forêts. Cellesci recouvrent environ 3 600 millions d’hectares (le quart des surfaces émergées) dont une moitié sous les tropiques. II est déjà plus délicat d’estimer le contenu en carbone d’un hectare ((moyen )) de forêt. Une valeur acceptable de 150 à 200 tonnes de carbone à I’hectare conduit à une estimation de 540 à 720 milliards de tonnes. On peut, à la rigueur, considérer l’ensemble des prairies et de tous les animaux comme négligeables par rapport aux forêts, mais il reste une grande inconnue: quelle est la quantité de carbone stockée 131
LA TERRE CHAUFFE-T-ELLE ?
dans le stol sous forme de composés organiques divers qui donnent justement au sol sa fertilité? En analysant divers types de sols, et en considérant leurs répartitions en surface, on arrive à estimer de façon très imparfaite le contenu en carbone des sols végétaux à environ 1600 milliards de tonnes, soit deux fois plus de carbone audessous Ide la surface du sol qu’au-dessus. Cependant, à une échelle de temps de quelques décennies, seules l’atmosphère, la végétation, une partie du sol végétal et la partie la plus superficielle des océans échangent leur carbone et déterminent ainsi la concentration atmosphérique en CO, qui est celle qui intervient dans l’effet de serre et le bilan radiatif de la Terre. C’est pourquoi, au-delà de l’évaluation des réservoirs de carbone, ce sont les flux échangés entre ces réservoirs superficiels qu’il nous faut connaître. En ce qui concerne les océans, les échanges de carbone sont essentiellement dus à la plus grande solubilité du CO, dans les eaux froides que dans les eaux chaudes. Ainsi, le CO, est absorbé par la mer dans les régions froides, transporté par les courants marins, et redégagé dans l’air au-dessus des régions chaudes. Les flux sont calculés en multipliant la vitesse d’échange des gaz à la surface de la mer, qui dépend de la vitesse du vent, par le degré de sursaturation ou d’insaturation de l’eau en gaz carbonique. On sait à peu près évaluer la première à partir d’observations météorologiques, mais le second doit être mesuré directement, et on manque encore de données. On calcule néanmoins avec une précision ac’ceptable qu’environ 90 milliards de tonnes de carbone par an sont échangés dans les deux sens entre l’atmosphère et les océans. Les échanges naturels de carbone entre la végétation et I’atmosphèrc! peuvent, quant à eux, être estimés parce qu’on connaît la vitesse de pousse des différents végétaux, et, par déduction, leur taux de pourrissement y compris dans le sol où ils finissent par s’enfouir. On arrive ainsi au chiffre de 120 milliards de tonnes par an échangés dans les deux sens entre l’atmosphère et la biomasse.
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POURQUOI LE GAZ CARBONIQUE AUGMENTE-T-IL ?
II faut remarquer l’énormité de ces flux naturels de quelque 200 milliards de tonnes de carbone par an échangés dans les deux sens. Si les émissions s’arrêtaient (ce qui est tout à fait invraisemblable) 3 ou 4 années suffiraient à vider l’atmosphère de son CO,. Pour reprendre notre image initiale : le robinet et la vidange sont grand ouverts, mais la baignoire n’est qu’un petit lavabo.
Les émissions de CO2 par i‘homme IIest permis de penser que, dans les conditions naturelles, les sources de CO, et les mécanismes d’absorption (on dit Moins d’une heure et demie plus tard, Peter et Nancy West accompagnés de CDE tiraient des bords au milieu de l’immense baie.
Peter West se lança dans un speech enthousiaste qui semblait quelque peu surréaliste à bord du petit voilier où les deux scientifiques étaient confortablement allongés à l’avant, le dos appuyé au mât, et les pieds calés contre le bastingage. > Peter West aurait volontiers poursuivi sa causerie, mais son épouse Nancy protesta que l’heure était venue de préparer le lunch, et que c’était à lui de prendre la barre s’il ne voulait pas affamer leur hôte. > 139
LA TERRE CHAUFFE-T-ELLE ?
Sur quoi, il ne fut plus question de science de tout le reste de la journée. Au moment de se séparer, Peter West indiqua à CDE qu’une place d’avion avait été retenue pour lui, à destination de la petite ville de Devenport, e n Tasmanie, juste en face de Melbourne et à seulement 150 kilomètres de Cape Grim. I1 ferait le reste du voyage e n voiture.
De fait, le lendemain matin, CDE fut accueilli à l’aéroport par tun grand type qui le salua d’un solide: «David Trumble. Ravi de vous connaître, Dr. Evans. Je dois justement me rendre à Cape Grim où nos mesures de radon ne marchent pas. - Que vient faire le radon dans cette station? - Comme vous le savez certainement, le radon est un gaz radioactif, un des derniers descendants de la famille de l’uranium. I1 se dégage de la surface des continents et quasiment pas de celle des océans. Par conséquent, quand on en détecte dans l’air, c’est qu’il s’agit d’une masse d’air continentale, et dans le cas contraire, nous avons affaire à de l’air purement marin. C’est un paramètre important pour l’interprétation des autres mesures faites à la station dans la même masse d’air. - D’accord, je comprends l’intérêt de vos mesures. >> Entre temps, un petit avion avait emmené les deux compagnons en moins d’une demi-heure jusqu’à Devenport. Une petite Toyota fut mise à leur disposition dont CDE prit le volant, après avoir failli se tromper de porte, car il avait 140
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DU MÉTHANE EN TASMANIE
oublié qu’en Australie, on circule à gauche comme e n Angleterre. Comparée à la côte sud-est de l’Australie, qui est peuplée et urbanisée, la Tasmanie apparaît presque comme une terre vierge. Dès qu’ils eurent quitté la bourgade de Devenport, après s’être munis de copieux sandwichs, CDE et David Trumble traversèrent d’abord une longue banlieue étirée entre la mer et la route. Puis, rapidement, la route s’éloigna de la côte et traversa sur plus de 30 kilomètres la grande forêt d’eu/ calyptus et de fougères arborescentes qui occupe la plus grande partie de la Tasmanie. Au sortir de la forêt, ils passèrent sous un grand portail qui marquait l’entrée d’une immense propriété où les prairies succédaient aux prairies. «Notre station est construite à l’extrémité de ce domaine privé, complètement inhabité à l’exception des troupeaux de moutons et de tout un tas d’animaux bizarres. - Des kangourous ? - Bien sûr, mais aussi des opossums. Vous risquez d’en apercevoir quelques-uns, car nous avons encore une vingtaine de kilomètres à parcourir. - C’est vraiment un immense domaine. - Oui, et son accès est interdit au public, bien qu’il n’y ait pas de gardien ni de serrure, comme vous l’avez constaté. L‘interdiction suffit quand même à assurer à notre station l’isolement nécessaire aux mesures très fines de substances chimiques dont les concentrations dans l’air sont si faibles que la moindre trace de pollution pourrait perturber les résultats. - Les moutons ne sont pas une cause de trouble ? - Ils le seraient s’ils approchaient, et si nous n’étions pas presque toujours dans un courant d’air de secteur ouest, donc dans de l’air marin. C’est d’ailleurs mon radon qui permet de 141
LA TERRE CHAUFFE-T-ELLE ?
le vérifier. En fait, les îles et les continents les plus proches sont à des milliers de kilomètres. - C’est un sacré isolement. Combien de personnes survivent ici ? - Une demi-douzaine, principalement des techniciens qui sont rejoints de temps e n temps par des étudiants ou des dépanneurs comme moi. >> A p r k avoir contourné un dernier vallonnement, la voiture débouc ha sur une vaste place de parking et CDE aperçut une imposant,e construction entièrement en bois. Elle était bâtie sur un promontoire qui dominait la mer d’une centaine de mètres.
David Trumble présenta CDE aux deux techniciens qui s’apprêtaient, dans la salle commune, à préparer chacun dans son coin un frugal repas. David et CDE s’installèrent à la table et déballi‘rent leurs propres sandwichs dans l’indifférence la plus totale des personnes présentes. > Effectivement, un gros homme jovial fit son apparition et salua les deux nouveaux venus d’un large sourire. > Bertie Nechinsky conduisit CDE à l’extérieur du bâtiment, là où aboutissaient les tuyaux de prélèvements de l’air à analyser, puis dans les laboratoires impeccablement tenus et visiblement très équipés. CDE reconnut les appareils de mesure du CO, qu’il avait déjà vus à Hawaii. À côté, on mesurait le méthane par deux méthodes indépendantes: une méthode optique et une autre qui nécessitait un appareillage impressionnant. > Bert le éclata de rire et répliqua : )et des absorptions (les CDE, très impressionné par tout ce qu’il avait vu, s’apprêtait à regagner rapidement sa petite voiture après avoir pris congé de ses hôtes. Mais son attention fut attirée par un grand bruit qui provenait d’un petit bâtiment annexe. > En cette saison, l’obscurité était déjà bien avancée. De plus, le temps avait de nouveau changé, et la belle journée d’automne laissait place à une espèce de neige fondue qui rendait la route glissante. «Une. seule route jusqu’à Devenport, pensa CDE. Je ne risque pas de me perdre, et avec aussi peu de circulation, la conduite $1 gauche ne va pas me gêner, même si la visibilité n’est pas f,,imeuse. >> La petite voiture avançait sans problème, bien qu’à tout moment des kangourous de toutes les tailles bondissaient dans 146
DU MÉTHANE EN TASMANIE
le faisceau lumineux des phares. CDE repassa le portail du domaine et s’engagea dans la forêt. Aucun nouvel animal n’apparaissait plus et la pluie avait cessé. I1 accéléra donc son allure. C’est alors qu’une silhouette bondit hors d’un fourré quasiment sous les roues de la voiture. CDE donna un coup de frein et braqua à fond pour ne pas écraser ce qui lui sembla être un gros kangourou. La voiture dérapa et les deux roues avant plongèrent dans le fossé qui bordait la route : fossé assez profond pour permettre l’écoulement de l’eau des plus fortes averses. I1 était aussi assez profond pour rendre illusoire tout effort de CDE d’en retirer sa voiture sans aide. CDE n’était heureusement pas blessé et il réussit à s’extraire de la voiture, non sans en avoir coupé le moteur et éteint les phares. Mais sa situation n’était guère brillante : seul, au milieu d’une forêt inconnue et manifestement déserte, à plus de 30 kilomètres de tout lieu habité. Comme son lunch ne s’était composé que de quelques sandwichs, il était
25. Les routes de Tasmanie peuvent être dangereuses.
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LA TERRE CHAUFFE-T-ELLE ?
I1 s’aperçut alors que le kangourou, auteur de ses malheurs, n’avait pas débouché d’un fourré, comme il l’avait cru, mais d’un petit chemin de traverse, à vrai dire fort boueux. Dans la situation où SE’ trouvait CDE, toute initiative était meilleure que de rester à pester sur le bord d’une route déserte. I1 s’engagea donc dans le chemin et ne tarda pas à déboucher dans une sorte de clairière clù un rayon de lune lui fit entrevoir un groupe de cabanes. Les portes étaient fermées par des cadenas quelque peu rouillés, et CDE parvint à ouvrir la porte d’une des cabanes. I1 se rendit compte, e n tâtonnant, qu’il était dans une cabine pour touristes et découvrit d’abord des allumettes, puis à la lueur qu’elles jetaient, ô merveille, une lampe à pétrole et des couchettes avec toute une provision de couvertures. Malheureusement, il n’y avait rien à boire ni à manger. I1 se consola en se blottissant sous un amas de couvertures et s’endormit paisiblement. Le lendemain matin, un athlétique policier réveilla CDE et lui apprit que la disparition de l’envoyé spécial du président des États-Unis avait secoué le monde diplomatique des cinq continents, et tout particulièrement les autorités de Tasmanie. Une foule de rangers et de policiers avaient parcouru la Tasmanie une partie de la nuit, après avoir repéré sa voiture accidentée, sans s’apercevoir qu’il dormait paisiblement à quelques centaines de mètres de la route. Tout étant heureusement fini, CDE put s’expliquer et rejoindre sans autre mésaventure son confortable bureau de Washington. Là, il devait trouver une convocation fort sèche du président l’invitant à lui rendre compte de ses activités dès le lendemain matin.
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Seconde entrevue avec le Président
À l’heure prescrite, CDE fut introduit dans le petit bureau que le Président occupait lorsqu’une entrevue ne devait avoir aucun caractère officiel. Le Président semblait de bonne humeur, si bien que CDE fut surpris du ton passablement agressif sur lequel on le questionna. > CDE raconta par le menu sa mésaventure nocturne et, de fil e n aiguille, la visite qui l’avait précédée, et les raisons de son voyage. Il s’agissait de démêler les rôles respectifs du CO, et des autres gaz à effet de serre dans le réchauffement éventuel de la planète. > -
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Du grisou dans l‘agriculture
«Quand on parle du méthane, déclara le Pr. Khaleb, il faut bien distinguer entre ce qu’on connaît parfaitement, ce qu’on connaît assez bien et ce qu’on estime être le plus proche possible de la vérité. Ce qu’on connaît parfaitement c’est le contenu de l’atmosphère et le taux d’augmentation annuel, parce qu’on les mesure. La concentration moyenne du méthane dans l’atmosphère en ce début de X X I ~siècle est d’environ 1’8 ppm (parties par million, c’est-à-dire centimètres cubes de méthane par mètres cubes d’air). Elle se mesure aisément par les techniques modernes de chromatographie e n phase gazeuse que vous avez vues à Cape Grim. Compte tenu de la masse énorme de l’atmosphère, de 5 x 10” kilogrammes, et d’une densité du CH, qui vaut 16/27 celle de l’air, cette très faible concentration correspond à un réservoir atmosphérique assez conséquent de 5 O00 millions de tonnes de CH,. Laugmentation du méthane dans l’air s’effectue au rythme de + 1 % par a n soit + 50 millions de tonnes de CH, par an. C e taux de croissance est à peu près le triple de celui du CO,, ce qui montre déjà l’importance des activités humaines dans la croissance du méthane (voir la figure 26). 151
DU GRISOU DANS L‘AGRICULTURE
D’où vient le méthane? Là encore, on sait de quoi on parle. Alors que l’excès de gaz carbonique est produit par la combustion brutale de fuels fossiles dans de grosses installations industrielles, voire dans de puissants moteurs, le parcours du méthane est subtil, lent et caché. Le méthane est fabriqué par des bactéries à partir de composés carbonés, à l’abri de l’oxygène et de la lumière (on dit dans des conditions > CDE se sentit submergé par l’avalanche de faits et de chiffres contenus dans le document du Pr. Khaleb (voir ù la fin de ce chapitre) et essaya de les résumer. «Si je fais le compte de toutes les valeurs que vous m’avez infligées, je trouve que plus de la moitié du méthane de l’atmosphère y est injecté par les activités humaines. C’est bien ça ? - Absolument. - Alors, comment ce fait-il que le taux de croissance ne soit que le onzième de ce qui est injecté chaque année. Si je compare avec le cycle du CO,, je trouve que tout ce que vous m’avez raconté pose quelques problèmes. - Pourquoi ça ? - Dans le cas du CO,, les activités humaines ne comptent que pour 3 % de la source naturelle, et il subsiste la moitié de ces 3 % dans l’atmosphère. Autrement dit, l’absorption de carbone par le milieu naturel n’a augmenté que de 1,5%. Pour le méthane, les activités humaines comptent pour plus de la moitié, 153
LA TERRE CHAUFFE-T-ELLE ?
370 millions de tonnes par an, et il n’en subsiste que 50 millions de tonnes dans l’atmosphère. Autrement dit, chaque année, 320 millions de tonnes de plus que dans les conditions naturelles s’éliminent de l’atmosphère. Pourquoi cela ? - Votre remarque est très juste et va tout à fait dans le sens de ce que je vous ai dit. En effet, la réaction d’oxydation du méthane par les radicaux OH est grossièrement proportionnelle à la concentration de ce gaz, et justement celle-ci a fait plus que doubler depuis le début de l’ère industrielle. - Mais est-ce qu’on n’aboutit pas à une sorte d’épuisement des radicaux OH ? - À une consommation, oui; à un épuisement, pas encore. Cependant, vous avez raison sur un point: si le méthane devait croître considérablement, sa vitesse de disparition de l’atmosphère ne serait plus directement proportionnelle à sa concentra tion, par raréfaction des radicaux OH. Les molécules de méthane résideraient plus longtemps dans l’atmosphère, et sa concentration augmenterait d’autant plus vite. >> Telle fut l’entrevue entre le Pr. Khaleb et CDE. I1 restait à ce dernier à tirer les conséquences de tout ce qu’il avait appris sur les gaz à effet de serre.
La production de méthane Les (conditions anaérobies favorables à la production de CH, se rencontrent d’abord dans ce qu’on appelle les «zones humides )) naturelles telles que marais, tourbières, lacs peu profonds, zones périodiquement inondées (y compris les forêts équatoria-
154
DU GRISOU DANS L'AGRICULTURE
les) et d'autre part les rizières : un peu plus de io0 millions de tonnes par an pour chacun de ces deux types de terrains humides (voir la figure 27).
Bilan (arrondi) du méthane (en millions de tonnes/an) Sources naturelles
3céans et eaux douces Te rrains humides Term ites Hydrates
30
115 30
5
Total
180
Sources Humaines
Rizières Incendies Bovins Décharges Gaz et charbon
120
55 80
40 75
Total Total des sources
370 550
Puits
OH
500 10
Sols Accroissement atmosphérique
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Total
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27. Bilan des émissions de méthane (CH,). Les activités humaines comptent pour plus de la moitié des émissions de CH,. Pour une bonne part, elles sont dues à l'agriculture (rizières et bovins) et leur réduction poserait le problème de l'alimentation des populations du Globe. II sera plus facile de réduire la petite contribution industrielle.
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LA TERRE CHAUFFE-T-ELLE?
Le système digestif des animaux constitue lui aussi un milieu à l’abri de l’’air. Aussi, il s’y produit du méthane par la décomposition bactérienine des végétaux qu’ils ont mangés. Globalement cette source est responsable d’une émission de CH, comprise entre 65 et 100 milliclns de tonnes par an dont 75% dans l’hémisphère nord; l’essentiel est dû aux bovins. Mais, aussi curieux que cela puisse paraître, des animaux aussi petits que les termites constituent une source non négligeable de méthane: ils sont petits mais infiniment nombreux. La meilleure estimation globale de cette source est alors dans une fourchette comprise entre 15 et 35 millions de tonnes par an : c’est lincroyable. En dehors de la végétation et des animaux, il y a bien d’autres sources de méthane qui sont directement le produit des activités humaines. Par exemple, les feux de végétation concernent chaque année au moins 2 0 millions de kilomètres carrés, principalement dans les régions tropicales, où 1 à 2 milliards de tonnes de matière sèche sont brûlées chaque année. Ces feux émettent dans l’atmosphère de nombreux gaz en traces : principalement CO,, mais aussi CO, des oxydes d’azote NO et NO, et des composés soufrés qui se forment au cours de la combustion. Mais ils émettent aussi un certain nombre de gaz imbrûlés, qui étaient présents daris la matière végétale, et qui n’ont pas eu le temps d’être oxydés, tels que CH, et d’autres hydrocarbures. La production croissante de méthane par la biomasse brûlée est due principalement à l’extension des zones cultivables dans les écosystèrnes tropicaux (savanes, forêts) ou tempérés, et aux pratiques agricoles de combustion des déchets, par exemple pour la canne à sucre ; cette source est surtout localisée dans les tropiques pendant la saison sèche, et semble être en augmentation. Une production importante, et très mal évaluée, résulte de l’utilisation de combLstibles à usage domestique (cuisine au charbon de bois). Seule l’observation par satellites permet d’évaluer l’étendue des feux. La production de méthane par les feux est ensuite calculée à partir d’une évaluation de la quantité de combustible
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DU GRISOU DANS L‘AGRICULTURE
consommé, et d’un facteur d’émission. Toutefois les estimations récentes sont encore approximatives et entachées d’une grande incertitude: de 2 0 à 110 millions de tonnes par an. Les matières organiques contenues dans les déchets industriels et urbains sont aussi une source importante de méthane. Dans un premier temps, elles sont dégradées par des bactéries aérobies (en présence d’air). Cette décomposition produit CO,, H,O et de la chaleur, et consomme de l’oxygène. L’oxygène disponible décroît rapidement, et la décomposition anaérobie des matières organiques peut se développer. Le G biogazn résultant est composé d’environ 50 YOde CO, et 50 O/O de CH,. Le taux de production de CH, par les décharges est estimé à quelque 50 millions de tonnes par an. Le problème des décharges est typique des choix devant lesquels les pouvoirs publics se trouvent confrontés. En effet, la question se pose de maintenir ces décharges, éventuellement en recueillant le méthane produit, ou de brûler le tout avec dégagement d’un certain nombre de gaz, y compris du CO,, ainsi que du méthane et des oxydes d’azote, qui favorisent tous deux la production d’ozone. C’est à ce propos qu’un classement des différents gaz à effet de serre, en fonction de leur nuisance, serait nécessaire. Dans tous les gisements de charbon, le méthane existe sous forme de poches d’un gaz appelé (( grisou ». II est responsable de terribles explosions dans les mines de charbon, qui font parfois des dizaines de morts. L’ouverture des mines, en vue de leur exploitation, favorise évidemment la fuite du méthane. II est piquant de rappeler que même une mine dont l’exploitation est arrêtée continue à dégager du méthane. Les flux globaux à partir des mines de charbon ont été estimés récemment à un total de l’ordre de 5 0 millions de tonnes par an. Le méthane est aussi le principal constituant du gaz naturel, qui est une source d’énergie de plus en plus utilisée, et à juste raison, car il produit moins de CO, pour une même quantité d’énergie.
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LA TERRE CHAUFFE-T-ELLE?
Les pertes de CH, lors de l’exploitation ou le transport de gaz naturel par rapport à la production totale sont difficiles à estimer, puisqu’elles peuvent varier fortement d’un pays à l’autre, et les informations !;ont volontairement très rares. En Europe de l’ouest, les distributeurs estiment que les fuites de gaz ne dépassent pas o,i% à 0,5% de la production totale. Elles se produiraient essentiellement dans le réseau (( basse pression », où elles sont imputées à la vétusté des tuyauteries. Pour la seule région parisienne, il faudrait remplacer pas moins de 20 ooo kilomètres d’anciennes canalisations, à raison de i ooo ou 2 ooo kilomètres par an. En fait, cette estimation ne prend pas en compte les fuites situées au-delà du compteur, chez les utilisateurs, puisque dans ce cas, le gaz a été facturé. Mais il suffit de compter le nombre d’immeubles qui explosent chaque mois dans le monde, à cause d’une fuite de gaz, pour comprendre que le total ne doit pas être négligeable. En outre, chaque fois, ce sont des morts et des blessés ensevelis sous les décombres. Des chiffres de pertes importants sont avancés pour le stockage souterrain aux États-Unis, et plus encore pour le transport et l’utilisation du gaz dans l’ex-URSS, dont on a prétendu (sans la moindre preuve, il est vrai) qu’elle exportait plus de gaz par l’atmosphère que par gazoduc. Les récentes estimations de cette source se fondent sur un taux de perte global évalué, plus ou moins arbitrairement, de 2 à 4%. Cette estimation conduit à calculer un flux global de CH, lors de l’exploitation du gaz naturel, compris entre 25 et 50 millions de tonnes par an. La caractéristique de ce C H 4 est d’être de formation géologique très ancienne, et par suite d’être dépourvu de radiocarbone (i4C) ce qui permet de le différencier des sources biologiques.
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Conférence capitale au Capitole
Pour une fois, c’est CDE qui avait convoqué Mr. Robinson et Mrs. Bramble, mais pas seulement eux. I1 y avait foule dans cette petite salle de réunion située dans les sous-sols du Capitole, ce bâtiment à la coupole et aux colonnades imposantes qui abrite le Sénat et la Chambre des Représentants des États-Unis. Étaient présents météorologues, agronomes, pétroliers, électriciens traditionnels et nucléaires, métallurgistes, chimistes et autres représentants de l’industrie, sans oublier ceux sans qui aucune réunion digne de ce nom ne pourrait se tenir aux États-Unis, sociologues et psychologues. CDE ouvrit les débats : cc Après six mois d’enquête, je suis e n mesure de confirmer la validité des mesures effectuées par les scientifiques du monde entier, tant sur notre atmosphère actuelle que sur celle qui régnait autrefois, au cours des trois dernières périodes glaciaires et interglaciaires, c’est-à-dire depuis 400 O00 ans. Donc, ce que nous savons avec certitude, c’est que la concentration du gaz carbonique (CO,) est de près de 30% supérieure à ce qu’elle a été pendant 400000 ans. Elle continue à croître actuellement de 0,3% par a n et sa croissance s’accélère. A ce rythme, la concentration préindustrielle de 280 ppm (parties 159
LA TERRE CHAUFFE-T-ELLE?
par million) aura doublé avant un siècle. On sait aussi que cette augmentation est entièrement due aux émissions qui résultent des activités humaines. - Ah permettez, Dr. Evans, interrompit Mr. Robinson.. . - Non, Mr. Robinson, je ne permets pas. Cette affirmation vient de ce que l’accroissement dûment constaté du CO, est inférieur de moitié à ce qu’il serait si le milieu naturel n’absorbait pas une partie de ces émissions humaines. Donc ce n’est pas le milieu naturel qui est à l’origine des augmentations, bien au contraire. >> Un silence pesant accueillit cette première partie de l’exposé de CDE. Les représentants des industries mises e n cause s’entre-reqardaient et se tenaient cois. c< Je continue, asséna CDE. Le CO, n’est pas le seul gaz à effet de serre dont l’augmentation soit due aux activités humaines. Le niéthane (CH,) a lui déjà atteint une concentration 2’5 fois plus élevée qu’au cours des 400000 dernières années, et son rythme de progression de 1% par an est le triple de celui du CO,. Pourtant, cette croissance est beaucoup plus faible qu’elle pourrait istre, lorsqu’on considère que les émissions humaines dépassent la production naturelle. Si cette croissance n’est que de 1% par an, c’est dû à l’oxydation du CH, par les radicaux OH de l’atmosphère, avec une efficacité d’autant plus grande que la concentration du gaz est plus élevée. Mais cet aspect bénéfique est limité par la consommation de ces radicaux OH par la réaction elle-même, si bien qu’on ne peut pas exclure dans un avenir plus c~ moins proche une vitesse de croissance beaucoup plus grande, même à émissions constantes. >> Cette fois, ce furent les représentants de l’agriculture qui affichèrent leur gêne, ce qui permit à Mr. Robinson de se manifester de nouveau. 160
CONFÉRENCE
CAPITALE AU CAPITOLE
Là, au moins, les charbonniers n’y sont pour rien. - Erreur, Mr. Robinson, et vous auriez mieux fait de ne pas intervenir, car les fuites de grisou depuis les mines de charbon, même abandonnées participent à l’accroissement du CH,. De plus, les fuites de gaz naturel, domaine auquel vous n’êtes pas étranger, suffisent presque à expliquer la croissance du méthane. J’ajoute, continua CDE, qu’à côté de ces deux principaux gaz à effet de serre, nous devons tenir compte d’autres produits de l’activité humaine, tels que les chlorofluorocarbures (les CFC), dont la production a été arrêtée e n raison de leur impact sur la couche d’ozone stratosphérique, mais qui sont encore présents pour des décennies. Je n’aurai garde d’oublier l’ozone de la basse atmosphère qui est un sous-produit des gaz d’échappement des voitures. >> Les représentants de l’industrie automobile se firent tout petits, mais relevèrent la tête quand le Pr. Andersen, directeur des services météorologiques, manifesta qu’il voulait intervenir. « H e m , Dr. Evans, vous n’avez pas tenu compte du fait que, de loin, le plus abondant des gaz à effet de serre n’est autre que la vapeur d’eau dont la concentration est généralement comprise, si j’utilise les mêmes unités que vous, entre 2 O00 et 10O00 ppm, au lieu de 360 pour le CO, et 1’5 pour le CH,, et beaucoup moins pour les autres gaz mentionnés. - Vous avez parfaitement raison, mais je ferai deux observations. D’abord, nous avons à considérer l’augmentation de l’effet de serre par rapport aux conditions naturelles qui régnaient encore au début de l’ère industrielle. Ensuite, la vapeur d’eau elle-même, si elle n’est pas émise de façon significative par les activités humaines, peut être renforcée à la suite d’un début de réchauffement de la Terre, car l’évaporation
Le célèbre météorologue se leva à nouveau, et avec une timidité qu’on n’aurait pas soupçonnée chez un homme exerçant d’aussi lourdes responsabilités et connu pour son autoritarisme, il commenta les résultats les plus récents de la climatologie. > Ici, le Pr. Semialof intervint avec autorité de sa voix tonitruante pour asséner quelques vérités. > Dans le silence qui suivit, Mr. Robinson fit une nouvelle tentative :
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LA TERRE CHAUFFE-T-ELLE ?
Là-dessus, le groupe des chimistes de l’atmosphère se dressa comme un seul homme e n hurlant. ? - Cc sont de petites particules solides ou liquides qui restent longtemps e n suspension dans l’air e n raison de leur petite taille de quelques dixièmes de micromètre. I1 y e n a plusieurs espèces mais principalement ceux qui sont émis par les grandes explosions volcaniques, et il y e n a eu plusieurs ces temps-ci.. . - Vous allez voir qu’on va e n accuser les charbonniers, insinua Mr. Robinson. - ... et ceux qui sont dus à la pollution industrielle. Ils peuvent &re fabriqués par l’action du rayonnement solaire ultraviolet sur les gaz d’échappement des voitures, ou par oxydation des impuretés de soufre dans le pétrole et plus encore dans le charbon. Mais oui, Mr. Robinson. Jusqu’à récemment, c’est à ce par contraction de smoke (fumée) et fog (brouillard). L‘air de Londres n’a été purifié que par l’abandon des poêles à charbon. 164
CONFÉRENCE CAPITALE AU CAPITOLE
C’est exact, confirma le Pr. Andersen. Lorsqu’on a pris e n compte l’augmentation des aérosols, on est retombé sur des augmentations de température proches de ce qu’on mesurait (voir la figure 29). - J e suppose que c’est pour cette raison que j’ai vu à Cape Grim une installation de prélèvement de ces aérosols atmosphériques, dit CDE. >> I1 se devait de reprendre la direction des discussions. > Mrs. Bramble, qui jusqu’alors s’était bien gardée d’intervenir, se leva, jeta un regard impérieux autour d’elle et prit la parole. > C e discours enflammé ne semblait pas avoir convaincu le redoutable Dr. Mac Cauley, le célèbre sociologue qui avait déjà conseillé les deux présidents prédécesseurs de l’actuel. I1 avait la réputation de faire semblant de dormir au fond de la salle de conférences lors des congrès auxquels il assistait, et de se lever tout à coup comme un diable pour montrer l’inanité des propos que venait de tenir un orateur. > -
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Mrs. Bramble bondit à son tour en criant :
C’est Ursula Bateson qui répondit. Elle avait la réputation d’être la psy la plus belle de toute l’Amérique. Ses collègues, peut-être jaloux, prétendaient que ses patients venaient la consulter pour le seul plaisir de la voir un instant, avant de s’allonger sur le traditionnel divan du psychanalyste. > Cette fois, c’est l’agronome qui se sentit concerné. I1 n’avait rien de rural dans son aspect, ressemblant davantage à l’idée qu’on se fait d’un employé de banque. Aussi, personne ne fut surpris qu’il commence ses commentaires par le rappel d’un bilan. « S i je résume ce qu’on connaît du bilan du CH,, son taux d’augmentation correspond e n gros à 20 % des émissions liées aux activités humaines. Donc une réduction de 20 % permettrait de stabiliser sa concentration, au moins pendant un certain temps : c’est beaucoup plus favorable que pour le CO,. Trois grandes sources sont à considérer: les rizières, les bovins et: un mélange d’activités industrielles telles que les mines de charbon, les décharges de déchets divers et les fuites de gaz naturel (revoir la figure 27, page 2 55). Comme o n peut difficilement réduire les rizières ou les bovins sans affamer les populations, je crois que nous devons nous concentrer sur cette dennière catégorie. 170
CONFÉRENCE CAPITALE AU CAPITOLE
- J e vous vois venir, intervint avec sa violence habituelle Mr. Robinson. On ne touche pas à l’agriculture qui est votre domaine, mais o n ferme les mines de charbon et les gazoducs. - J’ai proposé, non pas de les fermer, mais d’en réduire les fuites. - Tout ce qui peut être fait dans ce sens est souhaitable, commenta CDE. - Certes, mais les rizières et les bovins représentent les sources les plus importantes. Une petite réduction de ces sources suffirait donc. - C’est de toute façon ce que nous essayons de faire, reprit l’agronome. On développe la culture du riz à sec, o n diminue les émissions de méthane e n choisissant les bons engrais, et on teste de nouveaux aliments pour le bétail. - Autres que les farines animales de fâcheuse mémoire en Grande-Bretagne avec leur cortège de vaches folles dans toute l’Europe, j’espère, déclara péremptoirement Mrs. Bramble. - Bien sûr. - Eh bien, cette fois, il me reste à vous remercier tous pour vos interventions, reprit CDE. Toutes vos propositions seront prises e n compte dans la version finale de mon rapport au Président. - Mais n’oubliez pas, Dr. Evans, que tout cela perd tout intérêt dans la mesure où l’augmentation des gaz à effet de serre n’aurait pas le moindre impact sur le climat de la planète, intervint encore Mr. Robinson. - J’en prends bonne note, Mr. Robinson, et je vais sans tarder m’attaquer à cette partie de mon enquête. Je crois que nous pouvons lever la séance. - Pas encore, murmura une petite voix timide. Vous avez négligé un problème qui pourrait devenir catastrophique. 171
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- Expliquez-nous
ça, Miss Mulingham. - Voyez-vous, je suis spécialisée dans l’étude des terrains gelés e n profondeur dans les régions polaires, ce qu’on appelle les >
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Qui, de la Nature ou de la technologie, se chargera de ralentir la croissance du CO,? Bien que la part des combustibles fossiles dans le bilan global des émissions de CO, soit à peine 3%, cela suffit à faire croître sa concentration atmosphérique dans des proportions comparables à celles qu’on a observées durant les grands changements climatiques, mais à une rapidité sans commune mesure avec les variations séculaires enregistrées dans le passé. Nous en savons assez pour que cette croissance nous préoccupe et pour que nous examinions s’il en existe des remèdes. Quelques chiffres pour se rendre compte de la dimension du problème. La consommation d’aliments par un être humain représente environ 2 000 kilocalories par jour, soit io0 watts. Mais la consommation totale d’énergie de l’humanité se chiffre à quelque 1013 watts, soit, en moyenne, 2 ooo watts par personne : 20 fois plus. Ces chiffres moyens dissimulent une grande disparité selon les pays. Ainsi, en Amérique du Nord, la consommation par habitant est égale à 5 fois la moyenne, celle de l’Europe 2 fois, et celle de l’Asie et de l’Afrique n’en est que le tiers. S i nous disposions de capteurs solaires fiables avec un rendement énergétique de io%, il nous faudrait en moyenne pas moins de i o 0 mètres carrés par personne pour assurer ces besoins en énergie. Pour toute l’humanité, ces capteurs couvriraient 500 000 kilomètres carrés, quasiment la surface de la France. En admettant un fonctionnement fidèle pendant 5 à i o ans, le maintien du parc exigerait d’en fabriquer 50000 à 100 ooo kilomètres carrés par an, et plus encore pour tenir compte de l’augmentation prévisible de la population. Ces chiffres ne condamnent pas l’énergie solaire pour autant, car on remarque que, compte tenu de la consommation
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actuelle d’énergie dans les pays en voie de développement, quelques mètres carrés de capteurs par personne résoudraient bien des problèmes. Les besoins en énergie de l’humanité sont aujourd’hui couverts en grande partie par l’utilisation des combustibles fossiles qui introduisent dans l’atmosphère 6 x 109 tonnes de carbone par an. On peut rêver d’absorber chimiquement ce CO, comme on le fait dans les espaces confinés, tels que les sous-marins, par de la chaux (encore faudrait-il que la fabrication de la chaux ne nécessite pas un supplément trop important d’énergie). On fabriquerait alors un carbonate de calcium CO,Ca, qui représenterait une masse de 50 x 109 tonnes par an, soit à peu près le volume du Mont Blanc, chaque année. On peut préférer, pour beaucoup de raisons, faire absorber ce carbone par la végétation, par exemple par une forêt. Rappelons qu’il s’agit alors de planter une nouvelle forêt, car c’est seulement pendant son développement qu’une forêt s’enrichit en carbone : par définition même, une forêt à l’équilibre ne gagne ni ne perd de carbone. Trois tonnes de carbone par hectare et par an est un bon rendement. Dans ces conditions, l’absorption du CO, anthropique exigerait de faire pousser une forêt de 20 millions de kilomètres carrés, soit 3 fois la superficie du Sahara. Et 70 ans plus tard, il faudrait en planter une autre, sans toutefois détruire la première. On voit qu’en face de l’énormité du problème les moyens humains semblent quelque peu dépassés. Alors, la nature peutelle suppléer aux insuffisances de la technologie?
Que peut-on espérer des océans? Pour comprendre le rôle des océans dans le cycle du CO,, il nous faui: d’abord rappeler un certain nombre de connaissances. Le gaz carbonique est soluble dans l’eau mais dans des proportions qui dépendent tout particulièrement de sa température. Pour des concentrations atmosphériques égales, on peut dissoudre 2’2 fois plus de CO, dans une eau de mer à O O C qu’à 2 4 OC.
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L’atmosphère étant presque homogène, on voit que, d’une façon très générale, les régions polaires absorberont du CO,, tandis que les mers tropicales en relâcheront. Après sa dissolution, le CO, réagit avec l’eau pour donner un ion bicarbonate HC0,- qui se met rapidement en équilibre avec un ion carbonate CO,-- : CO, gaz H CO, dissous w HC0,- w CO,--. L’eau de mer étant un milieu chimique complexe, de nombreux ions interviennent dans la fixation de cet équilibre, qui dépend notamment de l’abondance des chlorures et sulfates, mais aussi des phosphates, borates, etc. Le tout forme ce que les chimistes appellent un ((milieu tampon )) dont le pH légèrement basique est fixé aux alentours de 8,2. On ne comprendrait rien à la mer, si on se bornait à la considérer comme une solution chimique gouvernée par la seule thermodynamique. L’océan est le siège d’une activité biologique intense: d’abord le CO, est absorbé par une foule de microalgues, constituant ce qu’on appelle le (( phytoplancton », qui se développent comme tous les végétaux grâce à l’énergie solaire, donc à des profondeurs assez faibles pour que les rayons solaires y pénètrent. Ce phytoplancton est brouté par le plancton animal, ou zooplancton, qui sert d’aliment à son tour à des animaux de plus en plus gros, jusques et y compris les baleines. L’ion bicarbonate est beaucoup plus soluble que l’ion carbonate et représente donc environ 90 % du carbone présent dans la mer. L’ion carbonate forme un carbonate de calcium dont une foule d’espèces animales de tailles très diverses feront leur coquille. À leur mort, ces coquilles descendent doucement; certaines d’entre elles se déposent au fond des océans avec les sédiments et représentent donc pour l’eau de mer une perte (un puits) de carbone. Cependant, la circulation générale de l’eau des océans limite ce dernier processus. En effet, cette circulation est induite par la plongée des eaux polaires froides et denses qui alimentent tout le fond des océans.
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Ces eaux, lorsqu’elles étaient au contact de l’air, un bon millier d’années plus tôt, s’étaient chargées en CO,. Or, celui-ci va déplacer l’équilibre carbonate/bicarbonate selon la réaction suivante : CO, + CO,-- + H,O -+ 2 HC0,-. La diminution de concentration des carbonates qui en résulte a pour effet de redissoudre le carbonate de calcium des coquilles. Plus généralement, on a donc un effet paradoxal selon lequel, quand on ajoute du CO, dans la mer, on diminue le puits de carbone en direction des sédiments. Certaines espèces d’animaux, qbi ont déjà des difficultés à fabriquer leur coquille à partir des carbonates existant, n’ont peut-être pas les mêmes raisons que nous d’être rassurées si la concentration de ces derniers diminue: I’aLgmentation du CO, atmosphérique peut donc avoir des conséquences écologiques très néfastes dans l’océan. En résumé, lorsque la concentration atmosphérique du gaz carbonique augmente, une partie de ce supplément de CO, se dissout dans les régions froides de l’océan, où il est absorbé par la biomasse, et parallèlement transformé en bicarbonate. Cependant les courants entraînent les eaux froides vers des régions où elles se réchauffent et relarguent un CO, devenu insoluble à cette température plus élevée. Le même phénomène se produit à des échelles d’espace et de temps beaucoup plus longues, lorsque les eaux de fond, froides et chargées en CO,, remontent à la surface dans les régions tropicales. Les échanges de CO, entre la mer et l’atmosphère dépendent donc, avant tout, de l’état de saturation ou de sous-saturation de ce gaz, fonction de la température, mais aussi de la proportion absorbée par la biomasse et transportée en profondeur. On note ainsi qu’au printemps, où les diverses espèces de plancton se développent, et parfois pullulent, les eaux superficielles deviennent sous-saturées, et par conséquent aptes à absorber du CO, qui sera eventue Ileme nt reIâché durant I’h iver. On peut imaginer des techniques qui seraient capables d’accélérer le pompage de CO, par les océans. On a proposé d’accélérer
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les transferts verticaux, en utilisant des tuyaux et des énormes pompes dont la consommation d’énergie ne serait néanmoins pas prohibitive. Plus intéressante peut-être serait l’idée d’accroître la production biologique en apportant à l’océan les éléments nutritifs qui en limitent la croissance, et principalement du fer. Est4 besoin de préciser que ces idées sont encore du domaine de l’anticipation scientifique et qu’un certain nombre d’océanographes redoutent les effets pervers qu’elles pourraient receler. En face de cela, une double menace paraît autrement réaliste: d’une part, à la suite d’un réchauffement climatique, I’augmentation, même légère, de la température superficielle des océans entraînerait un fort dégagement de CO, par diminution de sa solubilité; d’autre part, en raison des pollutions marines aussi diverses qu’inconsidérées, la productivité biologique pourrait diminuer.
La fertilisation de la végétation continentale, espoir suprême La végétation pousse essentiellement en assimilant le carbone du CO, atmosphérique. Les maralchers savent depuis longtemps qu’ils peuvent obtenir plus rapidement des salades ou des tomates plus grosses en les faisant pousser dans une atmosphère confinée, enrichie en CO,. On admet que cette propriété est générale, et qu’au fur e t à mesure que l’atmosphère libre s’enrichit en CO,, l’ensemble des plantes de la planète va pousser plus et plus vite, et compenser, au moins en partie, les émissions humaines. Effectivement, dans une atmosphère enrichie en CO,, et lorsque le sol est enrichi par des engrais, les arbres poussent plus vite; sur sol normal, au contraire, la différence est peu appréciable (voir la frgure30). Dans tous les cas, cependant, il apparaît que les plantes poussant dans un air enrichi en CO, nécessitent moins d’eau et, ce qui va dans le même sens, résisteraient mieux à la sécheresse. Finalement, en dépit d’une déforestation qui a pris des proportions inquiétantes, le milieu naturel constitué par l’ensemble
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de la végétation et des océans absorbe plus de carbone qu’il n’en émet. C’est cette propriété qu’il faudrait favoriser par tous les moyens possibles.
30. Effet d’un enrichissement en dioxyde de carbone (CO,)
sur la pousse des plantes. De gauche à droite, deux plantes ont poussé dans des conditions normales (pots iotés 9, deux autres sur un sol fertilisé à l’azote (pots notés TN), deux autres sur un sol Fertilisé et sous une atmosphère dont la teneur en CO, a doublé (pots notés C0,N) et les deux dernières sur un sol normal et sous une atmosphère enrichie en CO,. Le CO, favorise nettement la croissance des plantes sur sol riche.
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L'avenir de la planète
Le colloque international de Harvard
On sonne à la porte de CDE. Coucou, Charly ! - Michèle, quelle bonne surprise! Je ne t’attendais pas avant la semaine prochaine. - Ainsi, tu savais bien que j’allais venir pour assister à ce fameux colloque de Harvard auquel tu ne dois pas être étranger. - Tu peux même dire que c’est moi qui l’ai organisé, et non sans mal. - Tu ne m’étonnes pas : un colloque de cette ampleur programmé et organisé e n six mois, ça ne s’est jamais vu. D’habitude il faut plus de deux ans. - C’est vrai, mais le temps presse et je dois bientôt remettre mes conclusions à un Président anxieux d’être réélu l’année prochaine. Toujours esteil que te voilà et que nous allons pouvoir passer huit jours de vacances ensemble. - Cela n’a pas été sans mal pour les participants non plus. I1 a fallu trouver des crédits pour venir ici et séjourner dans cette bonne ville de Cambridge, Massachussets, où la vie est chère pour des Européens. I1 y aura quand même une bonne participation des principaux labos français : celui de Glaciologie de Grenoble, que tu connais bien et aussi le et de . - Poiirquoi ça ? - À ‘cause de la faible augmentation de l’effet de serre. Rendez-vous compte: la Terre reçoit du Soleil e n moyenne annuelle, et par mètre carré moyen de sol, 340 watts, dont elle réfléchit 100 watts, ce qui fait qu’il en reste 240 watts. En fait, le sol en reçoit plus du double: 490 watts par mètre carré. C’est le rttsultat des échanges d’énergie entre le sol et l’atmosphère. qu’on a appelé > (revoir la figure 19, page 106) Dans les conditions naturelles, celui-ci est essentiellement dû à la vapeur d’eau plus un peu de gaz carbonique et de méthane. Or, les émissions de gaz dues aux activités humaines ont très peu perturbé ces rayonnements. On estime que l’augmentation de gaz carbonique de 30% n’a augmenté l’effet de >erre que de 1,5 watt. Quant au méthane, il a beau avoir été multiplié par 2,5, il ne compte que pour 0,5 watt. Dans ces conditions, on s’attendait à une certaine imprécision dans les calculs, mais les résultats ont été pires : l’élévation de température calculée a été le double de celle observée à partir des années 1960. Cela n’a pas amélioré l’image de marque des modélisateurs. - Vous en êtes l à ? - Heureusement non : Zorro est arrivé. - Qui est Zorro? - Un spécialiste des aérosols de sulfates. Je pense qu’on vous a déj;i expliqué que dans la combustion du pétrole et du charbon 0111 brûle aussi des impuretés de soufre, qui s’oxydent 188
LE COLLOQUE INTERNATIONAL DE HARVARD
dans l’air pour donner des microparticules e n suspension dans l’atmosphère, autrement dit des aérosols de sulfates. - Il y e n a beaucoup ? - Non, moins d’un milliardième, c’est-à-dire un microgramme par kilogramme d’air. De plus, ils sont répartis de façon très hétérogène, car ils ne résident pas plus d’une semaine dans l’atmosphère. - Qu’est-ce qu’ils deviennent ? - Ils sont incorporés dans les nuages et sont précipités au sol avec les pluies. - Comment agissent-ils ? - Ils ont la propriété de réfléchir une partie du rayonnement solaire, donc, ils refroidissent le sol. - Cela suffit-il à décaler vos courbes ? De si petites particules en si faible abondance. - Le décalage est de 1/2 degré, ce qui suffit à faire coïncider les courbes mesurées et calculées. I1 faut dire que l’action de ces aérosols est double. À côté de leur action directe, ils servent aussi de noyaux de condensation pour former les nuages à partir de la vapeur d’eau e n excès. Et ce sont ces nuages qui agissent ensuite sur le rayonnement : c’est l’effet indirect. - Vos calculs ne doivent tout de même pas être très précis, puisque vous avez du mal à modéliser les nuages. - C’est vrai, mais assez tout de même pour faire bien coller les calculs et les mesures. Cela montre qu’en définitive, nos modèles sont assez bien représentatifs de la réalité. - Je vous remercie de toutes ces explications, et je me sens mieux armé pour assister à la suite du colloque. >>
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Prévision météorologique et (( GCM )) Les lois de l’écoulement d’un fluide comme l’air sont bien connues. Elles relient en chaque point de l’espace, et à tout instant, pression, densité, viscosité et vitesse du fluide. Elles sont exprimées par des équations aux dérivées partielles (qui font appel à cles mathématiques non élémentaires), dites (( équations de Navier-Stokes », auxquelles s’ajoute l’équation d’état des gaz parfaits (1ui introduit le facteur tem pérature. Malheureusement, sauf dan!; quelques cas simples, on ne sait pas résoudre ce système d’équations, c’est-à-dire trouver une fonction mathématique unique qui le vérifie. En revanche, on peut en trouver des solutions numériques approchées, c’est-à-dire, connaissant en tous points les valeurs de certaines variables, par exemple pression et température, calculer les autres paramètres de l’écoulement. Ces calculs numériqhes ont été rendus possibles par le développement des ordinateurs. Dès lors qu’il s’agit de l’atmosphère toute entière, de tels calculs sont singulièrement compliqués pour plusieurs raisons. D’abord, les mouvements de l’air sont relatifs à la Terre, donc à un solide sphérique en rotation et non pas un plan fixe, ce qui introduit des forces d’inertie supplémentaires, force centrifuge et force de Coriolis, dont l’effet est, entre autres, de faire tourner les masses d’air ijutour des zones de haute ou basse pression, au lieu de les faire circuler de l’une à l’autre (voir la figure 32). Ensuite, l’air est pesaiit, et l’atmosphère est soumise à des rayonnements divers, qui en modifient la température et par conséquent la densité. Enfiri, la surface du sol est tout, sauf uniforme: elle présente une rugosité qui varie avec le relief, la végétation, l’urbanisme, etc., ce qui introduit des forces de frottement variables d’un endroit à i’autre. Notamment les grands massifs montagneux, tels
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32. Circulation d u vent entre un anticyclone (haute pression) et une dépression. À cause de la force de Coriolis (due à la rotation de la Terre), le vent suit approximativement les lignes d’égale pression.
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que les Alpes et l’Himalaya, mais aussi les collines les plus modestesS., engendrent des tourbillons et des mouvements ondulatoires :I grande distance: les ondes de relief. Pour compliquer encore, il ne faut pas oublier que l’atmosphère peut se réchauffer ou se refroidir au contact de la surface du sol. Par exemple, une différence notable existe entre les grandes masses continentales, chaudes en été et froides en hiver, et la surface des océans, dont la température varie dans de moindres proportions : cette différence engendre la mousson, et, à une échelle plus modeste, des brises côtières. L’atmosphère échange également avec le sol de l’eau par évaporation ou précipitation de pluie ou de neige, ce qui entralne d’autres échanges de chaleur, par exemple quand la vapeur se condense en nuages. On arriverait encore à tenir compte de toutes ces difficultés, si i’on disposait à la fois d’observatoires météorologiques innombrables (par exemple un par kilomètre carré), et d’ordinateurs d’une puissance quasi infinie, nécessaires pour en utiliser les informations, ce qui n’est évidemment pas le cas. On est donc réduit à bâtir des méthodes de calcul, qu’on appelle des (( modèles », qui permettent de résoudre numériquement les équations fondamentales, à partir des seules mesures expérimentales. Ces modèles de circulation générale de l’atmosphère (en anglais M General Circulation Model)) ou GCM) permettent de représenter, à I’échellc du Globe, plus vite que dans la réalité, l’évolution d’une situation météorologique donnée, donc de formuler des prévisions sur son évolution ultérieure réelle. D’une façon générale, les GCM sont des modèles à points de grille. Ceh signifie qu’on utilise les variables atmosphériques aux nœuds d’un maillage tridimensionnel, régulier ou non, et à des instants bien déterminés. L‘intervalle entre deux instants successifs est le pas de temps. Par exemple, au Centre européen de prévision à moyen ‘rerme, qui se trouve à Bracknell, en Grande-Bretagne, et qui centralise les informations concernant l’Europe, le maillage horizontal est défini par des parallèles (en latitude) et des méridiens (en
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LE COLLOQUE INTERNATIONAL DE HARVARD
longitude) espacés de 1,875~ (c’est-à-dire environ 200 kilomètres), et utilise 15 niveaux d’altitude. Cela conduit à une grille d’environ 30 000 points, pour un pas de temps de 15 minutes, si bien qu’une prévision à io jours nécessite 500 milliards d’opérations. Une dernière grande difficulté consiste à initialiser le modèle. En effet, les observations météorologiques ne sont pas effectuées aux nœuds des mailles ni aux instants prévus par le pas de temps. II est bien clair, en effet, qu’on ne dispose en aucun cas d’une densité de stations météorologiques (qui plus est capables de faire des sondages verticaux à haute altitude), qui soit égale à celle des mailles : pensez, entre autres, à l’immensité des océans. Depuis le développement des satellites météorologiques, on peut suppléer à certaines des informations manquantes, grâce notamment à I’observation du sol à diverses longueurs d’onde, y compris en infrarouge, avec une définition de l’ordre du kilomètre; mais aucun système de satellites n’observe en permanence la totalité de la Terre. Dans un premier temps, on calcule à partir des mesures existantes, ce qu’auraient été les valeurs observées aux nœuds des mailles, et au bon moment. Par la suite, on corrige les résultats des calculs en les comparant aux nouvelles mesures effectuées. Tous ces modèles globaux sont, par définition, hypermétropes, en ce sens qu’ils ne voient pas les phénomènes qui se produisent à une échelle d’espace inférieure à la maille, et à une échelle de temps plus courte que le pas de temps. Ces derniers phénomènes, petits par la taille et la durée, sont introduits dans le modèle sous forme de sous-modèles simplifiés, et constituent ce qu’on appelle une paramétrisation. Le malheur, c’est que parmi ces petits phénomènes, on trouve l’essentiel des nuages dont les dimensions dépassent rarement la dizaine de kilomètres, et qui sont d’une importance primordiale pour les échanges de chaleur: ils font de l’ombre au-dessus du sol, ils absorbent les rayonnements infrarouges venus du soleil ou montant du sol, et au moment de leur formation par condensation de la vapeur d’eau, ils restituent à I’atmosphère la chaleur qui avait été nécessaire à son évaporation. 193
2 Coup de chaleur et coup de froid
Après une semaine passée e n compagnie de son amie Michèle, CDE avait fait de réels progrès e n français. Par exemple, il connaissait les noms français de toutes les parties de la charmante anatomie de sa compagne. d’un climat chaud (on dit interglaciaire) à un climat froid, éventuellement glaciaire, qui dure des siècles et parfois des millénaires. - Et il y a beaucoup d’exemples de ce type de phénomène ? - Plus d’une dizaine pendant les derniers 400 O 00 ans que nous connaissons bien. - Qu’appelez-vous de > ? - Pow vous répondre, je dois entrer plus avant dans mes explications. - Allez-y. - Au cours de ces derniers 400000 ans, se sont succédé 5 périodes chaudes, y compris celle que nous connaissons actuellement, entrecoupées de 4 périodes glaciaires. Ces -
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COUP DE CHALEUR ET COUP DE FROID
dernières sont les plus longues, environ 60000 à 80000 ans, alors que les périodes chaudes durent à peine 10000 ans, à l’exception de l’actuelle qui dure depuis 20000 ans. Vous voyez qu’il ne reste pas beaucoup de temps pour les passages de l’une à l’autre: e n général 4 ou 5 milliers d’années. - C e n’est pas ce que j’appellerais un changement soudain. - Vous avez raison, encore que vous devez vous rappeler qu’entre les deux périodes, le niveau de la mer varie de 100 mètres, ce qui fait tout de même 2 mètres par siècle. - Ce n’est pas ce que vous appelez un changement rapide ? - Non. Nous avons beaucoup mieux. - Vous êtes sûr de ç a ? - Mais oui. Par exemple, il y a 8 200 ans, nous avons eu un coup de froid de 3 ou 4 degrés qui a duré environ deux siècles. - Comment le savez-vous ? - On le voit principalement e n étudiant les sédiments lacustres mais aussi dans les océans. Quand il fait froid, il y a très peu de vie marine et les sédiments prélevés au fond de l’océan ne sont formés que de petites particules d’argile brun foncé apportées par les fleuves. Quand il fait chaud, le plancton est abondant et les coquilles microscopiques tombent au fond de l’eau où on les retrouve dans les sédiments. Comme elles sont blanches, la couleur de la carotte de sédiments est beaucoup plus claire. Or, la limite entre les deux est tracée comme d’un coup de canif (voir la figure 33). - C’est surprenant. Cela se produit-il juste à la limite entre deux périodes climatiques différentes ? - Oui, entre autres, mais aussi de temps en temps en plein milieu d’une période donnée. Vous devez comprendre qu’à l’intérieur d’une grande période glaciaire ou interglaciaire, vous avez de nombreuses variations de courte durée. Les 197
LA TERRE CHAUFFE-T-ELLE ?
33. Contraste entre différents sédiments dans une carotte marine. Les zones claires correspondent aux périodes chaudes, de forte productivité, et les zones foncées aux périodes froides.
mieux connues sont des événements qui surviennent en pleine période froide, qu’on appelle > Après la déclaration préliminaire de son président, les travaux dte la session ont permis un accord des participants sur plusieurs conclusions. La première question examinée concernait l’évolution du climat de la planète à laquelle o n pouvait s’attendre si rien ne changeait dans les activités humaines. Nul doute, alors, que le CO, continuerait à croître et atteindrait des niveaux 2 fois, 3 fois, 4 fois supérieurs à sa valeur préindustrielle de 280 ppm (parties par million) voire davantage (voir 2a figure 36). (Dans u n premier temps, on convint de ne s’occuper que de ce gaz, jugé le plus critique.) La seule inconnue était alors à quelles dates ces niveaux seraient atteints, clares qui dépendaient de la réaction du climat et du milieu naturel sur le comportement du CO,. Les participants notèrent l’existence d‘un facteur favorable : à la concentration atteinte par le CO, une bonne partie de son pouvoir ahsorbant vis-à-vis du rayonnement infrarouge est déjà saturée. En effet, alors que l’accroissement actuel de + 70 ppm a entraîné un effet de serre additionnel de + 1,5 watt, on calcule qu’un accroissement quadruple (+ 280 ppm, soit le doublement 204
FUTUR INCERTAIN
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I 36. Scénario de croissance du dioxyde de carbone (CO,). Le premier travail pour représenter différentes versions de notre avenir consiste à imaginer ce que pourrait être l’augmentation future des gaz à effet de serre.
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LA TERRE CHAUFFE-T-ELLE?
de la valeur préindustrielle) n’aboutit qu’à + 4 watts. L‘augment-ationde température correspondante resterait faible e n absence d’effets amplificateurs, lesquels existent malheureusement. Un début de réchauffement entraîne e n effet un excès d’évaporai:ion, donc un accroissement de l’effet de serre de la vapeur d’eau. On calcule alors une élévation de la température moyenne de la Terre de 2 à 4 OC. C e t ltchauffement peut paraître faible, mais il n’en est rien. En effet, les régions tropicales et polaires se comportent très différemment. Ces dernières sont caractérisées par de basses températures pour lesquelles la teneur de l’air e n vapeur d’eau est très faible. Au contraire, le CO, est réparti à peu près uniformément, et son effet est donc plus important dans les régions polaires, dont la température pourrait croître d’environ 10 O C , tandis que la température des régions tropicales changerait peu. La banquise fondrait partiellement, si bien que la surface blanche, qui réfléchit les rayons solaires, serait transformée e n une surface noire qui les absorbe, d’où une amplification progressive du réchauffement. Les températures des régions polaires et tropicales deviendraient moins différentes, ce qui devrait diminuer le vent e n gknéral et les tempêtes. Malheureusement, l’augmentation de l’évaporation favoriserait au contraire la plus grande fréquence des orages violents et des cyclones tropicaux. Rappelons que ceux-ci se forment lorsque la température superficielle de l’eau atteint ou dépasse 27 OC. Un réchauffement de 1 OC, par exemple, suffit à faire passer à 27 O C l’eau qui se trouve déjà à 26 O C . Enfin, l’influence de l’effet de serre se fait surtout sentir quand le rayonnement solaire est faible ou absent, c’est-à-dire pendant l’hiver et la nuit. On sait que le sol des continents 206
FUTUR INCERTAIN
réagit vite à l’absence de Soleil e n se refroidissant, alors que les océans ont une grande inertie thermique. C e sont ces différences de température entre continents et océans qui engendrent le phénomène des moussons. L‘effet de serre limitant le refroidissement des continents, le risque est grand de voir les moussons sensiblement diminuées, ce qui pourrait entraîner une grave sécheresse des régions subtropicales, les régions tempérées recevant alors un excès de pluies avec son cortège d’inondations. Comment ces changements de climat joueraient-ils sur l’augmentation de la concentration atmosphérique du CO, ? Celle-ci est le résultat d’un équilibre entre les émissions et les absorptions de carbone par la mer et la végétation, équilibre perturbé par les émissions dues aux activités humaines. On compte que l’augmentation de cette concentration devrait favoriser la pousse des végétaux qui absorberaient plus de carbone, mais à condition qu’ils trouvent en suffisance les autres aliments dont ils ont besoin. Cet effet, qu’on appelle > Une deuxième série de questions fut débattue dans la suite de cette session: quels seraient les effets des changements prévisibles des sociétés humaines ? On peut prévoir qu’au cours du XXF siècle, la population de la Terre passera de 6 à 10 ou 11 milliards d’individus. De plus, un certain nombre de pays actuellement en développement devraient atteindre un niveau de vie comparable à celui de l’Europe occidentale. Ces deux facteurs combinés entraînent nécessairement une augmentation de la consommation d’énergie. Si l’on veut limiter l’accroissement de l’effet de serre 209
LA TERRE CHAUFFE-T-ELLE?
à son rythme actuel, il faut compenser cette augmentation par
des économies d’énergie dans les pays déjà développés. Les accords internationaux prévoient pour ces derniers un retour rapide aux émissions de gaz à effet de serre telles qu’elles étaient en 1990. I1 est clair qu’une telle mesure limiterait la vitesse de croissance de l’effet de serre, mais ne la stopperair pas. De plus, divers trucages paraissent possibles. D’abord le remplacement du pétrole et, mieux encore, du charbon par le gaz naturel permet de diminuer les émissions de CO,, tout e n maintenant constante la consommation d’énergie. Ce type de gain n’est réalisable qu’une seule fois. Ensuite, les économistes ont imaginé la possibilité pour les pays grands consommateurs d’échanger des > avec les pays peu développés, moyennant des compensations qui pourraient consister en installations de haute technologie, iaiblement consommatrices d’énergie. C e type de marché, discutable sur le plan de la morale, aurait néanmoins l’avantage de développer plus vite les pays actuellement en retard. Mais l’avenir plus lointain n’en est pas amélioré, dans la mesure où le marché des droits à polluer finirait par se restreindre. En tout état de cause, o n voit mal, en ce début de XXF siècle, ce qui permettrait de revenir aux conditions climatiques de la fin du X I X ~siècle et de s’y maintenir (revoir la figure 36, ,>age 205).
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Retour à la Maison Blanche
C e matin-là, le Président était d’excellente humeur : bien qu’on soit déjà à la fin juillet, aucun cyclone n’avait encore frappé le sol des États-Unis. I1 avait invité CDE à partager son breakfast,composé comme d’habitude de jus d’orange, œufs au bacon et céréales. >
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Remerciements Je dois beaucoup à tous ceux de mes collègues qui ont passé du temps à compléter mes informations et qui m’ont procuré les documents dont j’avais besoin. Mon épouse, Marianne, a accepté de lire un manuscrit inachevé et d’y apporter ses corrections pertinentes. Michel Demazure a su exprimer dans sa préface l’esprit du livre et les espoirs de son auteur : qu’il e n soit remercié. Jean-Michel Thiriet a prêté sa plume artistique à la silhouette de mes personnages. J’ai trouvé à EDP-Sciences, et particulièrement auprès de Bénédicte Leclercq, l’appui et les compétences dont ce livre avait besoin.
Gérard Lambert
219
Bibliographie
A. BERGER, Le climat de la Terre, un passé pour quel avenir ? De Boeck Université, 1992. La Météorologie, PUF, 1986. A. BERROIR, J.-L. BOBIN,L'énergie, Dominos Flammarion, 1996. J.-L. BOBIN,H. NIFENECKER et C1. STÉPHAN, L'énergie dans le monde: bilan et perspectives, U n dossier scientifique, SFP et EDP-Sciences, 2000. J.-C. DUPLESSY et P. MOREL,Gros temps sur la planète, Odile Jacob, 1990. S.JOUSSAUME, Climat d'hier d demain, CNRS éditions, 1999. G. LAMBERT, L'air de notre temps, le climat, les hommes et les molécules, Seuil, 1995. G. LAMBERT et al., Questions d'atmosphère, Revue du Palais de la Découverte, no 50, 1998. J. LABEYRIE, L'homme et le climat, Denoël 1985. E. LE ROY LADURIE,Histoire du climat depuis l'an mil, Flammarion, 1967. C. LORIUS,Glaces de l'Antarctique : une mémoire, des passions, Odile Jacob, 1992. G. MÉGIE,L'ozone stratosphérique, Académie des sciences 41, 1998. G. MOUVIER, La pollution atmosphérique, Dominos Flammarion, 1994. B. SAUCIER, Végétation et atmosphère, Dominos Flammarion, 2000. Collectif, L'atmosphère, dossier hors-série Pour la science, no 12, juin 1996. 221
Table des matières
Préface
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Avertissement
7
Partie I. La colère ne change pas le temps qu’il fait
1. Colère noire à la Maison Blanche 2. Questions de météorologie
11 17
Partie II..Le passé recomposé
3. Un vrai roman: l’histoire de la Terre
4. Une rencontre inattendue 5 . Glaces
27 37
41
Aperçu de la géochimie des isotopes de l’oxygène
6. U n accueil importun
53
7. Une v6rité dans la boue
57
Un carbone radioactif
8. Une glace qui pétille
71
9. Effet de serre et alternance des climats
81
10. La Terre est une grosse toupie
85
Partie III. Chauffage aux gaz
11. La Terre est un énorme lézard
97
Équilibre radiatif et effet de serre
12. Une station scientifique dans les îles Hawaii Mesurer le gaz carbonique 222
111
13. Un visiteur intempestif
121
14. Pourquoi le gaz carbonique augmente-t-il ?
125
Croissance du CO, atmosphérique et cycle du carbone
15. Du miéthane en Tasmanie
137
16. Seconde entrevue avec le Président
149 151
17. Du grisou dans l’agriculture Opuscule du Pr Khaleb
18. Conflorence capitale au Capitole
159
Qui, de la Nature ou de la technologie, se chargera de ralentir la croissance du CO, ?
Partie IV. L’avenir de la planète
19. Le cclloque international de Harvard
181
Prévision météorologique et R GCM N
20. Coup de chaleur et coup de froid
195
21. Futur incertain
203
22. Retour à la Maison Blanche
21 1
Remerciements
219
Bibliographie
22 1
223