Le français en diachronie: douze siècles d'évolution 2708009133, 9782708009134

Après les éclatants succès de la linguistique synchronique, les études diachroniques ont à leur tour connu un développem

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French Pages [180] Year 1999

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Le français en diachronie: douze siècles d'évolution
 2708009133, 9782708009134

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FRANÇAIS

LE FRANÇAIS EN DIACHRONIE : douze siècles d'évolution

Christiane MARCHELLO-NIZIA

OPHRYS

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https://archive.org/details/lefrancaisendiac0000marc

Le français en diachronie : douze siècles d'évolution

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COLLECTION L'ESSENTIEL FRANÇAIS

Le français en diachronie : douze siècles d'évolution

Christiane MARCHELLO-NIZIA

OPHRYS, 1999

COLLECTION L'ESSENTIEL FRANÇAIS dirigée par Catherine FUCHS

La conséquence en français, par Charlotte HYBERTIE La concession en français, par Mary-Annick MOREL

Les ambiguités du français, par Catherine FUCHS Les expressions figées en français, noms composés et autres locutions, par Gaston GROSS Les adverbes du français, le cas des adverbes en -ment, par Claude GUIMIER Approches de la langue parlée en français, par Claire BLANCHE-BENVENISTE Les formes conjuguées du verbe français, oral et écrit, par Pierre LE GOFFIC L'espace et son expression en français, par Andrée BORILLO Les constructions détachées en français, par Bernard COMBETTES L'’adjectif en français, par Michèle NOAILLY

Les stéréotypes en français, par Charlotte Schapira

L'intonation, le système du français, par Mario ROSSI

© Editions Ophrys, 1999 ISBN : 2-7080-0913-3 Le Code de la propriété intellectuelle n'autorisant, selon les termes de l'art. L. 122-5, $ 2 et 3a, d'une part, que «les copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que « les analyses et courtes citations » dans un but d'exemple ou d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait une contrefaçon sanctionnée par les dispositions pénales des art. L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Editions OPHRYS, 6, av. Jean-Jaurès, 05003 GAP CEDEX Editions OPHRYS, 10, rue de Nesle, 75006 PARIS

INTRODUCTION

Étudier les changements, analyser les régularités dans le changement, afin de mieux connaître la faculté de langage Le but de cet ouvrage est triple. Nous ferons l’histoire du français, et décrirons les changements survenus dans la langue française en douze siècles, aux différents niveaux sonore, graphique, morphologique, syntaxique, lexical, pragmatique, textuel, sémantique. Mais nous le ferons en nous plaçant dans une perspective exclusivement diachronique, c’est-à-dire en examinant les phénomènes sous l'angle de l’évolution, et non pas tels qu'ils apparaissent en synchronie aux utilisateurs de la langue. Par ailleurs, nous mettrons en évidence ce que ces changements eux-mêmes ou les processus qui les gouvernent ont de général où même d’universel. Toutes les langues connaissent des phénomènes de ‘réanalyse’ (voir Glossaire) de leurs constructions morphologiques, syntaxiques ou lexicales ;toutes présentent un grand nombre de faits de ‘grammaticalisation’ (voir Glossaire) grâce auxquels le dynamisme des langues est assuré; enfin, on a nommé ‘analogie’ (voir Glossaire) des faits de simplification des paradigmes. Ce sont là des processus universaux. Faut-il s’en tenir là ? Etre parvenu à une nomenclature, à une classification

des phénomènes, est déjà une grande avancée. Mais on peut se demander ensuite pourquoi, de façon privilégiée, ces phénomènes interviennent à tel endroit et non à tel autre, et à tel moment plutôt qu’à tel autre. En effet, si le changement se réalise dans toutes les langues du monde de façon continue, cela ne signifie pas qu'il s'agisse d’un phénomène monotone. C'est pourquoi, nous comparerons ponctuellement l'évolution du français à celle des autres langues romanes, ainsi qu’à celle d’autres langues indo-européennes où non.

Le français en diachronie

Dans une troisième étape, la mise en évidence de régularités dans le changement nous permettra, tel est notre espoir, de formuler quelques hypothèses sur l'activité cognitive liée à la faculté de langage.

Changements linguistiques et processus cognitifs Toutes les langues changent en effet: c'est une constante de leur fonctionnement, une règle empiriquement vérifiée à laquelle on ne connaît pas d'exception. Et dès lors que toutes les langues changent, et suivant des voies au moins partiellement comparables, on peut en inférer qu'il s’agit d’un caractère universel des langues, et donc d’un trait caractérisant la faculté de langage elle-même. Ainsi cette faculté, abstraite et inconnaissable directement, peut être éclairée par l'étude des langues, et spécialement par les changements qui les affectent, par leur évolution (voir Glossaire). Il existe dans le monde environ six mille langues. Seul un petit nombre d’entre elles ont fait l'objet d'études historiques, et cependant les acquis sont déjà considérables, même si, comme on le verra, on n’a pas toujours tiré de ces connaissances accumulées depuis deux siècles toutes les conséquences interprétatives qui s’offraient : notre tâche sera justement d'apporter quelques connaissances

supplémentaires,

mais aussi de proposer des interprétations

d'ensemble à ces phénomènes. Et si l’on était en mesure de décrire l'évolution qu'ont connue ces six mille langues, dans des conditions et à des dates extrêmement différentes, on parviendrait en les comparant à découvrir des régularités, des constantes, qui nous en apprendraient infiniment non seulement sur les langues, mais aussi sur le langage lui-même. Là est l’un des buts essentiels de la «linguistique historique» : décrire et analyser les changements survenus dans les différentes langues, mettre en évidence les régularités dans ces changements (ce que nous nommons «processus de changement», où «processus d'évolution»), et découvrir, à travers l'étude de l'évolution des langues, des propriétés de la faculté de langage.

« Le français et les siècles » : la norme et l’usage, l'oral, le locuteur natif Une idée qui court, liée peut-être au fait qu’on a l'impression que chacun lit sans trop de difficulté Molière ou Racine, Descartes ou La Fontaine, est que le français a peu changé depuis le 17°" siècle : c'est partiellement vrai. Mais c'est partiellement faux.

Introduction

Nous montrerons qu'il existe à toute époque des changements en cours,

et même dans les écrits, mais en particulier dans le français parlé (ou les français parlés), tant moderne que plus ancien, tel qu'il transparaît par exemple à travers certains documents reflétant plus ou moins les usages oraux. L'un des meilleurs exemples en est le «journal» tenu au début du 17% siècle par Jean Héroard, le médecin à qui le dauphin Louis (le futur Louis XIII) à été confié dès sa naissance, et qui retrace, avec une volonté de précision et d’exactitude exceptionnelle, les progrès, en particulier linguistiques, de son sujet. D’autres textes, tels un peu plus tard les «mazarinades», pièces politiques satiriques, ou au siècle suivant certains journaux de la Révolution, ou au 20°" siècle les lettres expédiées à leur famille par des soldats non ‘lettrés’, fournissent aussi des indications précieuses, sans qu’on puisse jamais dire qu'il s'agit là du ‘reflet’ exact de l'usage oral. On étudiera aussi, de façon également distanciée et soupçonneuse, la représentation que donnent de la langue parlée ceux qui écrivent sans vouloir nécessairement refléter un usage non standard: dialogues au théâtre, discours directs insérés dans les récits, monologues intérieurs sont des registres de langue qu'il ne faut pas systématiquement récuser, sans non plus naïvement considérer qu’on aura là une image véridique de l'oral d’une époque. Molière, Queneau, San Antonio mêlent imitation et fiction linguistique d’une façon pas toujours simple à démêler. Cette absence de l'oral direct est une première difficulté. Il en est une seconde, liée à celle-là : l'absence de «locuteur natif» garant de l'exacte description de la langue, et faute de qui on ne peut trouver en dernière instance de critère pour trancher entre une hypothèse ou une autre, pour tester la validité d’une analyse. Quelques textes permettent cependant d'approcher l'usage banal : les textes normatifs rédigés sous la forme «Ne dites pas x, dites y». Ainsi aura-t-on souvent recours aux recommandations, spécialement négatives, formulées par des auteurs — ainsi Ronsard recommandant au 16°" siècle d'employer l’article, où aux traités de ceux que l’on

nomme désormais les ‘Remarqueurs’ : Vaugelas, le Père Bouhours, où plus près de nous aux grammaires dont Ze Bon Usage de M. Grevisse est l'héritier bienveillant. Ce type de texte existe depuis bien longtemps, et les listes normatives telles que celles de l'Appendix Probi (5°%-7%% siècles) ne sont pas rares, qui recommandent de prononcer columna et non colomna, tabula et non 1abla, persica et non pessica (> pêche), et de dire exter et non extraneus (> étrange), etc.

Le français en diachronie

Le français et les langues romanes Le français se situe dans le grand ensemble des neuf ou dix langues que l’on appelle «romanes», car elles descendent toutes du latin: il s’agit du portugais, de l'espagnol, du catalan, de l’occitan, du français, de l'italien, du sarde, du rhéto-roman, du roumain. Le portugais brésilien et l'espagnol des pays d'Amérique du Sud ne sont pas encore suffisamment différents de l'espagnol et du portugais européens pour qu'on les considère comme des langues différentes !. On peut se demander s’il faut classer à part le sarde, dialecte italien assez différent des autres : les linguistes répondent en général oui. Ce groupe de langues présente une particularité historique très précieuse pour nous : c'est un groupe magnifiquement documenté, c’est l’un des rares cas au monde, avec le chinois et quelques autres, à bénéficier d’une tradition écrite très longue et ininterrompue s'étendant sur plus de deux mille ans — ce qui, pour un linguiste, est une chance extraordinaire.

Comment du nouveau entre-t-il dans la langue ? Ce qui se crée, ce qui se perd : processus du changement linguistique L'étude du changement a été longtemps l'apanage de l'«histoire» et des historiens, c'est-à-dire de ceux qui étudient les changements politiques et sociaux. Il a fallu attendre longtemps avant qu'on s’avise que les langues, comme toute autre institution sociale, changent aussi, puis qu’on pense à étudier ce changement”. A la question : comment du nouveau entre-t-il dans la langue, comment un changement se produit-il?, diverses réponses ont été apportées. La première réponse linguistique fut d'ordre phonétique : par l’évolution de la prononciation, disaient les premiers linguistes qui ont traité du problème du changement, au 19% siècle. Ainsi, lés voyelles et les consonnes finales s'étant affaiblies, cela fut la cause de la disparition de la déclinaison, ce qui entraîna ensuite la fixation des éléments essentiels de la phrase dans l’ordre «sujet-verbe-objet», pour éviter toute ambiguïté. 1. Le basque, bien indo-européenne.

qu'entouré

de

langues

romanes,

n'en

est

pas

une,

ni même

une

langue

2. Voir C. Marchello-Nizia (1995) : L'évolution du français, chapitre 1 : «L'évolution des langues naturelles, pour une théorie du changement linguistique».

Introduction

Une seconde réponse fut d'ordre géographique et historique, externe donc : par l'influence du «substrat», du «superstrat», de l'«adstrat» (voir Glossaire), c'est-à-dire par les langues qui ont entretenu avec la langue étudiée des rapports privilégiés, soit qu’elles l’aient précédée sur le même territoire (ainsi le gaulois ‘substrat’ du français), soit qu’elles aient coexisté quelque temps avec elle sur un même territoire dans une situation de concurrence partielle (ainsi le francique ‘superstrat’ du français), soit qu’elles aient été en contact étroit avec elle (le scandinave, ou l'allemand, ou l'italien, ‘adstrats’ du français).

Des phénomènes particuliers ne relevant d'aucune de ces explications ont conduit les linguistes à introduire la notion d‘analogie’ pour désigner ce phénomène d’unification qui fait que lorsqu'un paradigme comporte un élément fortement différent des autres, il y a de grandes chances pour que cette différence s'estompe. Ainsi, au présent de l'indicatif, par analogie avec la personne 2, la personne 1 des groupes 2 et 3 prend un -s à partir du 14% siècle, ce qui n'était pas le cas en ancien français. D’autres phénomènes ponctuels d'innovation dans le lexique s’expliquent par des emprunts, à des langues proches où non, ou par le néologisme, voulu où non. Ainsi au 14%" siècle, les traducteurs introduisent en français un très grand nombre de mots calqués sur le latin, car il fallait rendre compte de réalités qui n’existaient plus alors. Ou plus récemment, en 1955, à la demande d'IBM-France, le latiniste J. Perret créa le mot ordinateur pour désigner ce drôle d'appareil sur lequel je suis en train d'écrire, et que l'anglo-saxon désigne par le terme bien différent de computer. De façon plus globale, certains des concepts de théories linguistiques contemporaines peuvent rendre compte d’aspects importants du changement dans les langues, et c'est essentiellement à ces concepts, qui tous sont d'ordre syntaxique, que nous ferons appel pour décrire et expliquer les phénomènes évoqués dans cet ouvrage. Ainsi en est-il des concepts, fondamentaux en grammaire générative, de ‘réanalyse’ d'une part, lié à la période de l’apprentissage par l'enfant de sa langue, et de paramètres, auquel nous ferons appel à propos de l’ordre des mots. Selon la typologie linguistique historique, élaborée par W.P. Lehmann et Th. Vennemann

à partir des «universaux» mis au jour par J.H. Greenberg,

les grands phénomènes de changement sont pilotés par un mouvement syntaxique très général. Ainsi toutes les langues indo-européennes évoluent d’un type OV (‘objet-verbe’)* caractérisant par exemple le latin, le sanscrit,

3.

En typologie, V désigne le verbe conjugué, O le complément essentiel nominal (objet direct ou

indirect, attribut, complément essentiel autre); S désigne le sujet nominal.

Le français en diachronie

l’ancien persan, vers un type VO (‘verbe-objet’) qui est celui par exemple du français moderne, de l’anglo-américain, de l'espagnol, etc.

Enfin, les très nombreuses études portant sur le processus de ‘grammaticalisation’ — passage de mots du lexique à la grammaire

pour y occuper

des fonctions nouvelles — ont montré que c’est certainement là un phénomène d’ampleur considérable, à l'œuvre de façon ininterrompue dans les langues, et qui est l’une des voies essentielles de leur renouvellement.

Tous ces processus d'évolution sont les mêmes dans toutes les langues, quels que soient leurs caractères ; ils commencent à être bien repérés et bien décrits. On les met désormais en rapport, on les interprète aussi dans le cadre du fonctionnement pragmatique et informatif des énoncés (K. Lambrecht), de la structuration socio-linguistique de la langue (W. Labov), mais aussi en termes de la structuration stylistique et de spécialité des énoncés (D. Biber, E. Traugott).

Variation et langues de spécialité Tout changement est une ancienne variante qui a réussi; qui, après avoir

été employée en concurrence avec un autre élément, et en particulier à l'oral, l'a supplanté. Mais si tout changement procède d’une variation, peut-on en déduire qu'une variation est nécessairement signe d’un changement en train de se produire? Certainement non, et en particulier une variation qui est attestée à travers

les siècles ne doit pas à notre avis être considérée comme un changement en train de se faire. Labov avait mis en évidence l'existence dans tout état de langue de la variation inhérente. Ce sont des lieux où la variation est un phénomène en soi, qui appartient à la grammaire de la langue, et qui perdure à travers les siècles. Ainsi en est-il, semble-t-il, de la concurrence entre 7e...pas et pas pour marquer

l’assertion négative : ce fait est attesté avec certitude

depuis le milieu du 16°" siècle, peut-être existait-il déjà depuis plus longtemps, et en français moderne il subsiste toujours : tant à l'écrit qu’à l'oral soutenu, 7e ne montre aucune tendance à l'effacement. Ce phénomène est donc, à notre avis, à traiter non comme un changement en cours, mais comme une variation appartenant à la grammaire constante du français (voir chapitre VI). C'est souvent ce type de variantes qui permet à la langue de se structurer de façon ‘diastratique’ (différences sociales) ou ‘diaphasiques’ (registres), et qui, conceptualisées un peu différemment, ont donné lieu à des analyses de type socio-linguistique (voir A. Lodge 1993/1997) ou de type registral nettement plus affiné. Ainsi D. Biber (1988) reconnaît dans un corpus diversifié assez vaste une vingtaine de ‘genres’ discursifs; sa typologie est

Introduction

fondée sur des critères contrastifs internes, syntaxiques, morphologiques et sémantiques. Enfin, il faut ajouter à cette «typologie des variantes» un troisième cas de figure, outre celui où la variante nouvelle préfigure la nouvelle forme, et celui où la variation est interne à la grammaire. Il s’agit du cas où la variante nouvelle ne sera pas nécessairement victorieuse de l’ancienne forme dans un processus de changement. On voit ainsi des «essais» générant une

situation de variation pendant quelque temps, avant que la forme nouvelle disparaisse et que la grammaire retourne à la situation antérieure de non variation. Ce fut le cas en ce qui concerne le pronom démonstratif cil, devenu cils (avec un -s de cas sujet singulier fort correct) chez quelques auteurs du 14% siècle, sans doute par généralisation (essentiellement graphique d’ailleurs) de la déclinaison masculine ; cette forme fut assez vite abandonnée,

avant la chute de cette forme cil au 15°" siècle. Ce fut également le cas pour de nombreuses périphrases verbales modales nées aux 16°" et 17°" siècles et qui ont assez vite disparu, ce fut enfin le cas des infinitives et des participiales qui, aux 15°" et 16°" siècles, connaissaient une telle faveur à l'écrit qu’on aurait pu leur prédire un bel avenir aux dépens des subordonnées, et pourtant...

L’oral : lieu de toute innovation ?, ou conservatoire d’anciennes

constructions

devenues

‘incorrectes’?

Une question se pose en effet quant au statut de l'oral dans le processus de changement. Toujours, on l’a implicitement ou explicitement considéré comme le seul lieu où s'opère le changement. Cela venait sans doute d’une interprétation restrictive du sens à donner à «parole», lieu pour Saussure où se générait tout changement. Mais cela s’expliquait aussi par le fait que l'accès à des transcriptions ou à des enregistrements d’oral faisait apparaître des phénomènes non repérés jusqu'alors par les grammaires.. qui n'étaient bien sûr des grammaires que de l'écrit standard par fonction même. Steinmeyer (1979) proposa ainsi la notion de «français avancé» qui fut tout aussitôt confondue avec «français oral familier». Dès lors il n'apparaissait même pas pertinent de poser la question suivante : l'oral est-il le lieu innovateur par excellence, le lieu où s’origine tout changement? Or on voit que le français non cultivé, tant fait paraître des constructions qui, loin d'être contraire très «conservatrices» — au sens où grammaire bien plus ancienne. Cela concerne

oral qu'écrit proche de l'oral, transgressives, semblent au l’on y trouve

réalisée

une

par exemple le complément Ô

Le français en diachronie

déterminatif construit avec à lorsqu'il s’agit d’un animé humain ou assimilé (le fils au voisin, la voiture à Pierre : voir chapitre V), où encore les énoncés disloqués avec reprise (Pierre, il est venu en voiture : voir chapitre HD), ou l'emploi d'un que neutralisé au lieu de qui, dont, auquel (voir chapitre IV).

Peut-on prévoir le changement linguistique ? Au terme d'un parcours diachronique du français — mais ce serait sans doute la même chose pour toute autre langue —, on aura pu constater qu’au long des siècles, plus où moins, le changement a affecté tous les aspects de la grammaire : les constructions syntaxiques parfois de façon importante (voir chapitre III), les formes morphologiques parfois au point de disloquer d'anciens paradigmes ou d’en créer de nouveaux (ainsi pour les démonstratifs, voir chapitre IV), la prononciation bien entendu, qui est sans doute le domaine dans lequel se sont produits les changements les plus nombreux et les plus perceptibles, le lexique enfin — et il faudra à ce propos se demander si, comme certains le craignent, le français est vraiment menacé d’une invasion anglo-saxonne qui le dénaturerait. Mais ces changements, de quelque nature qu'ils soient et à quelque niveau qu'ils se produisent, ne sont pas absolument le résultat du hasard. En effet, on sait, et on constate, qu'il est impossible de prévoir ce qui va se réaliser comme changement dans la langue. Mais en même temps il apparaît que tout n’est pas possible, que n'importe quel changement ne peut pas se produire : si l’on ne sait pas à quoi s'attendre, on sait à quoi ne pas s'attendre, d'une part; et d'autre part, si l’on ne peut prévoir le changement, une fois qu'il s'est produit, on peut l'expliquer. Tels sont les fondements de la pratique diachronique. Comme on le verra, il y a des régularités que l’on peut repérer, décrire, et dont on peut analyser la signification et la portée. Là est la fonction du linguiste diachronicien. Ces régularités, comme on l’a dit, on les trouvera aux divers niveaux de la langue, mais pas seulement. Comme on a déjà eu l’occasion de le montrer, il est des changements dans la langue qui révèlent des mutations plus profondes, dans la forme même de la grammaire, dans la sémantique même des catégories et des structures : ce sont ces mutations du système, de nature macro-morphologique en particulier, que nous mettrons en évidence également. Car ces mutations dont nous faisons l’hypothèse rendent compte non pas de tel ou tel phénomène, mais d'un ensemble de phénomènes, et donc de la façon dont la forme même de la langue change de signification.

10

Introduction

Je remercie les collègues, étudiants, doctorants grâce auxquels ce travail a pu être amélioré à ses différentes étapes. Je dois beaucoup notamment aux étudiants

de DEUG

de Paris-7,

aux

étudiants

de l'UFSIA

à Anvers,

des

universités de Helsinki et de Jyväskylä en Finlande, aux étudiants ‘graduate’ de l'Université Yale, aux étudiants français et étrangers de l'ENS de Fontenay-St Cloud : à tous ceux auprès de qui j'ai pu expérimenter les premières versions de ce travail. J'ai une gratitude toute particulière à l'égard des collègues dont les remarques ou éclaircissements sont à l'origine d'améliorations innombrables, les collègues de l'UMR ‘Analyses de corpus’, de l'équipe CNRS ‘Langues, Textes, Modèles’, de l'UQAM, ainsi que ceux du Romance Linguistics Seminar de l’Université de Cambridge ; merci tout spécialement à Benoît Habert, Bernard

Combettes, Catherine Fuchs, Pierre Le Goffic,

Anna Sûôrés, Claire Blanche-Ben-

veniste, Fernande Dupuis, Sophie Prévost, Poul Skärup, Rosanna Sornicola et

Alberto Varvaro. Un tel ouvrage ne peutse concevoir sans un travail sur corpus considérable, qui assure ou renouvelle nos connaissances sur les langues : mes collègues informaticiens m'ont, depuis pres de dix ans, apporté un appui dontje ne puis dire le prix.

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CHAPITRE I

LE FRANÇAIS OU LES FRANÇAIS ? LE FRANÇAIS, LANGUE INDO-EUROPÉENNE ET LANGUE ROMANE ; L’'ÉVOLUTION DE SES STRUCTURES

1. LE français ou LES français ? Comment définissons-nous le français ? Ce que l’on nomme «français» est la langue parlée et écrite depuis le 9% siècle à l'extrémité occidentale de la péninsule européenne, sur le territoire que l’on appelle actuellement la France — mais les frontières n'étaient pas les mêmes à toutes les époques. Pendant tout le Moyen Age, c'est la langue qui était utilisée au nord de la Loire seulement : au sud on utilisait l’occitan (ou provençal). Dès ses origines, et tout au long de son histoire, le français a connu des dialectes, dont certains survivent encore ; jusqu’au 19°" siècle, ces formes orales du français ont été très vivantes, et souvent les seules pratiquées par les locuteurs non lettrés. Par la suite, le français a été utilisé dans d’autres pays que la France, comme on le rappellera dans le chapitre II, et cette expansion géographique à entraîné des phénomènes de diversification. En outre, sans cesse au contact de langues voisines

qui lui sont apparentées car appartenant à la même «famille indo-européenne», le français a pu très facilement leur faire des emprunts et subir leur 13

Le français en diachronie

influence. Enfin, que le français ait été sans interruption depuis ses origines non seulement oral, mais aussi écrit, suppose qu'a toujours existé un double registre au moins : chacun de nous sait qu'il ne parle pas comme il écrit. Ecrit où oral, registres sociaux, langues spécialisées, français de tel ou tel pays, standard ou dialectal, emprunts ou évolutions de contact, etc.: même si ces différentes réalisations se caractérisent par des traits bien repérés, l’intercompréhension est assurée, et c'est cela qui permet de parler de «français», au singulier où au pluriel, suivant que l'on traite du français

standard écrit par exemple, ou des variétés de français parlées dans différents milieux sociaux ou professionnels par exemple; il est des domaines, on le verra, où ces différences sont capitales : ainsi de la réduction de la négation double ne...pas à pas, où bien de l'emploi du passé simple, où encore de l'usage des mots en -0 (apéro, restau, bobo, etc.), ou enfin de la diphtongaison des voyelles en syllabe accentuable. Toute langue est en effet une structure complexe et dynamique, en constante réorganisation, et c’est d’ailleurs à cette condition qu’elle peut fonctionner.

2. Le français, une langue romane Le français appartient, à l’intérieur de la grande famille des langues indo-européennes, à la sous-famille où «branche» des «langues romanes» (voir figure ci-dessous). Cette branche regroupe, parmi les langues indo-européennes, les neuf où dix langues qui sont issues du latin : le portugais, l'espagnol, le catalan, l’occitan (ou provençal), le français, l'italien, le sarde (strictèement, politiquement, le sarde est un dialecte italien, mais si différent des autres dialectes que les linguistes ont coutume de lui reconnaître un statut autonome), le rhéto-roman (ou romanche, parlé dans quelques cantons suisses), et le roumain. Le français est en effet issu du latin : il y a deux mille ans environ, les langues celtiques qui étaient parlées en Gaule (Gallia en latin) ont été supplantées par le latin, ainsi qu'on le verra dans le prochain chapitre. Mais l'existence d’un «substrat» (voir Glossaire) celtique (gaulois continental) d'une part, l'influence d’un «superstrat» germanique d’autre part, sont sans doute à l’origine de traits distinctifs propres.

Le français ou les français ?

proto-indo-européen

branche celtique

branche hellénique

branche italique (osque, ombrien, latin)

branche germanique

branche slave

branche indo-iranienne

proto-roman (voir Glossaire)

portugais

espagnol

français

occitan

sarde

italien

rhéto-roman

roumain

3. Quels sont les traits communs aux langues romanes, et comment se sont-elles différenciées ? Les langues romanes dans leur ensemble ne ressemblent que fort peu à leur ancêtre commun le latin; comme on va le voir, elles s’en distinguent par plusieurs traits fondamentaux qui sont le fruit d'une évolution. Mais entre elles également les différences sont parfois très grandes.

L'ordre des constituants fondamentaux de l'énoncé est différent. Le latin préférait le verbe final, les langues romanes placent très majoritairement le verbe entre le sujet et l’objet nominaux. Autre différence essentielle : les langues romanes, à l'exception du roumain, ne possèdent plus de «déclinaison» pour les noms actuellement. Les sept cas du latin ont été d’abord réduits à deux; après avoir connu au Moyen Age une déclinaison nominale à deux cas (nominatif et «régime »), le français et le provençal l'ont perdue autour de 1300; le roumain est la seule langue romane à connaître encore une déclinaison nominale à deux cas (nominatif et génitif). Pour certains pronoms en revanche la déclinaison a bien résisté : toutes les langues romanes déclinent leurs pronoms personnels (je «nominatif», me “accusatif» ou «datif», moi «accusatif/génitif/datif/ablatif»), leurs pronoms relatifs (qui «nominatif» où «accusatif/génitif/datif/ablatif de personne», que «accusatif de non-animé», guoi pour les mêmes

cas prépo-

sitionnels), les interrogatifs … Au niveau inférieur, l’ordre des constituants du groupe nominal et l'ordre des constituants du groupe verbal sont également profondément différents. Le latin postposait souvent au nom la plupart des éléments tels qu’adjectif, possessif, démonstratif, que les langues romanes en général placent devant le nom (/e/mon/ce grand livre). Et le latin, contrairement aux langues 15

Le français en diachronie

romanes, ne possédait pas d’«articles» ou de «déterminants» définis, indéfinis ou partitifs. Les formes verbales sont devenues bien plus «analytiques» qu'en latin. Celui-ci ne connaissait qu'un auxiliaire, étre; presque toutes les langues romanes

en possèdent au moins

Que les langues romanes

un second, en général avoir.

aient autant de traits en commun

a conduit à

penser qu'il s'agissait d'innovations survenues dans la période qui a précédé l’'autonomisation des diverses langues, avant que la «Romania» (voir Glossaire) ne se scinde, en quelques siècles, en des pays dont l'histoire a divergé. On a donc formulé l'hypothèse d'une langue dont on n’a aucune attestation, et qui est peut-être un simple artefact linguistique comme l’indo-européen : ce que l'on nomme

le «proto-roman».

Par la suite, cette langue commune,

forme de latin parlé ayant évolué, s’est diversifiée, donnant les langues romanes que l’on connaît, et dont les plus proches géographiquement sont également linguistiquement plus ressemblantes. C'est ainsi que par rapport aux autres langues romanes, le français possède des caractères singuliers dont certains font qu'il se rapproche davantage par exemple de l'italien que du roumain ou du sarde. Mais le passage du latin, ou «latin vulgaire», aux divers dialectes et langues romanes ne s'est pas fait en un seul mouvement; il convient d'y discerner plusieurs étapes. Depuis près de deux siècles, grâce à des recoupements fondés sur les ressemblances qui existent entre les langues, on a tenté d'élaborer une chronologie de ces changements : e avant le 3% siècle, on fait l'hypothèse d’un «proto-roman», ancêtre commun

à toutes les langues romanes,

que l’on ne peut qu'imaginer par

reconstruction ; e au 3°” siècle, lorsque la Sardaigne s'est séparée de la Romania, ce proto-roman s'est subdivisé en «proto-roman continental» et «proto-sarde» (ancêtre des dialectes sardes actuels):

e le proto-roman continental, nommé souvent «roman commun», est à l’origine des langues romanes occidentales ; e à l’est le «proto-balkano-roman» donnera le roumain ; e les diverses langues romanes se sont diversifiées sous l'influence d’une part des «substrats» différents sur lesquels le latin parlé s'était implanté (le gaulois en Gaule, les dialectes ibériques en Espagne, etc.), et d’autre part du développement de chaque langue propre, une fois établie l'autonomie politique des anciennes provinces romaines.

16

Le français ou les français ?

4. Les particularités du français par rapport aux autres langue romanes Mais par bien d’autres traits, le français s'oppose où au moins se différencie de ses langues «sœurs» : l'expression du sujet du verbe n'était pas obligatoire en latin, elle ne l’est toujours pas systématiquement dans les autres langues romanes, elle l’est devenue en français. L'ordre du verbe et de l’objet nominal (V-O) est également plus strict en français actuel qu'il ne l’est ailleurs, et qu'il ne l'était en ancien français. Le français est la seule de ces langues à ne pas avoir d’accent de mot dans l'énoncé, mais un accent de phrase, où de syntagme. Le français oral actuel, au quotidien, pratique non seulement la dislocation avec reprise, courante où possible dans toutes les langues romanes, mais les dislocations successives (Moi, le matin, le café, je le prends sans sucre). Comme on le verra tout au long de cet ouvrage il y a encore beaucoup d’autres caractéristiques qui font que quelqu'un lisant : Veni vidi vici ne pensera pas un instant à dire : c’est du français; ou inversement en

lisant : Je suis venu, j'ai vu, j'ai vaincu, à dire : quel beau latin c'est là!

Est-ce là le résultat d’une autre originalité du français, à savoir sa triple origine, à la fois fondamentalement latine, mais aussi fortement germanique, et légèrement celtique? Ou est-ce plutôt le résultat d’une évolution interne — peut-être déclenchée d’ailleurs par ce trait originel?

5. Les grandes étapes et les structures du développement du français Elles ont été définies selon la difficulté qu'il y a à comprendre les textes, c'est-à-dire en fonction du degré de différence avec le français moderne.

Si jusqu'au 18°" siècle il est souvent difficile de lire un texte, de quelque niveau et registre qu'il s'agisse, sans buter à chaque phrase où presque sur

une difficulté, depuis le 18°" siècle en revanche l’intercompréhension semble presque absolue. Le français de Rousseau, de Diderot ou de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen semble être le même que le nôtre : il n’est pas besoin d’un dictionnaire pour les lire : dès lors, on est dans le français moderne. On a coutume depuis le 19% siècle, où les linguistes ont commencé à faire l’histoire des langues et à décrire leur évolution, de distinguer pour le français différentes périodes successives, suivant leurs caractéristiques lin17

Le français en diachronie

guistiques et donc suivant le degré d’intercompréhension qu'elles permettent avec l'étape suivante : 1. l'ancien français (9"%-fin du 13% siècles), désormais AF : déclinaisons nominales et pronominales, verbe majoritairement en seconde position (loi de Thurneysen 1892), structuration des énoncés en ‘thème-rhème’, conservation de l'accent tonique de mot, diphtongues et hiatus nombreux, etc.;

2. le moyen français (14% et 15°" siècles), désormais MF : les déclinaisons nominales disparaissent, l'énoncé se structure en sujet-verbe-objet (objet nominal), l'accent de mot disparaît, les diphtongues ont presque toutes disparu ainsi que les hiatus; 3. le français de la Renaissance (16°"* siècle) : l'emploi du sujet devient la règle, périphrases verbales et locutions adverbiales se créent en quantité, le vocabulaire s'enrichit par de larges emprunts aux parlers dialectaux et à l'italien ; c'est de cette époque que datent les premières grammaires, préparant le siècle «normatif» suivant;

4. le français classique du 17°" siècle, désormais

décrit et fortement normé par les «remarqueurs» Sulefrançcaisimodemedu désormais FM;

ts

rdumiom

FCI. tout à la fois bien

et les grammairiens ;

er durdepumtcdus20m

siecle

6. et le français contemporain (désormais FC). Par ailleurs nous ferons, chaque fois que possible ou nécessaire, une différence systématique entre langue orale et langue écrite. Que ce soit à l'écrit ou à l’oral, un troisième type de distinction s'impose, entre les «styles» ou registres, et entre les langues plus ou moins spécialisées : un médecin, une plombière, un charcutier, une notaire, n’ont pas les mêmes expressions, pas le même vocabulaire, dans leur métier ou au-dehors, et suivant leur interlocuteur. Ce qui constitue une communauté linguistique, comme l’a montré Labov,

ce n’est pas de partager la même langue, c’est de partager la même norme à propos de la langue.

6. Les principaux changements du français au cours des douze siècles passés Pour terminer ce bref panorama linguistique de l'évolution du français et permettre de mieux saisir les jalons des phénomènes qui vont être étudiés de façon détaillée et organisée, on donnera une liste rapide des principaux faits d'évolution qui caractérisent d'une part le français, comme langue 18

Le français ou les français ?

romane, par rapport au latin, et d'autre part le français par rapport aux autres langues romanes. Le champ de la phonétique à été largement bouleversé. Le français a, par rapport au latin, un degré d’aperture en plus, qui lui permet de distinguer entre o, 0e et e ouverts et fermés; par rapport aux autres langues romanes, il possède une série de voyelles en plus, 0e 9 y, et en outre un groupe de voyelles nasales, 43 € æ ; le français possède aussi un chwa, à, dit «e muet», dont le rôle est important; enfin, il a perdu, à des époques diverses, l'opposition voyelle longue/brève (— U). Pour les consonnes, comme les autres langues romanes, le français a connu l'existence de consonnes affriquées, mais seulement pendant la période de l’ancien français : {s, dz, if Gtch»), dz («dj»); et il se caractérise aussi par la chute ou un affaiblissement singulier des consonnes intervocaliques et finales.

L’accentuation du français présente, au sein même des langues du monde, un cas assez singulier : il ne possède plus d’accent de mot, celui-ci disparaît au bénéfice d’un accent de groupe ou de phrase, ou d’un accent d'emphase. Cette disparition progresse dès l'AF à l'intérieur du groupe nominal, plus lentement sans doute dans les autres cas. Le ou les systèmes graphiques du français ont au total un peu varié, mais pas autant qu'on le prétend souvent. Les chiffres, écrits selon le mode romain jusqu’au 14°" siècle, commencent alors à être graphiés selon le mode moderne. La ponctuation, présente dès les plus anciens textes mais souvent

très différente de la nôtre, se systématise avec l'imprimerie à partir de 1470.

En morphologie, outre la perte de la déclinaison pour le groupe nominal et l’évolution vers une conjugaison analytique que nous avons déjà évoquées, les grands traits romans sont: l'invention des articles défini, indéfini, partitif (plus tardif); l'invention d'une double série de pronoms personnels (clitiques, non clitiques); et la généralisation d’une distinction entre éléments à fonction de déterminant et éléments à fonction anaphorique. En effet, si certaines formes restent communes aux pronoms et aux déterminants, comme en latin et dans d’autres langues romanes (ex: le/la/l/les), des formes de pronom spécifiques existent (77, lui, leur, eux); cette distinction s’est instaurée également pour les possessifs, et pour les démonstratifs dans le courant du Moyen Age. C'est là une des tendances profondes du français. La syntaxe elle aussi n’a plus guère à voir avec celle du latin; les contraintes en sont fondamentalement différentes : là où le latin pouvait jouer sur une relative dispersion des éléments de l'énoncé ou d’un même groupe nominal, le français (et les autres langues romanes) ne le peuvent plus : une règle de «contiguïité ordonnée» impose dès les débuts de la langue une syntaxe rigoureuse d’abord au groupe nominal (préposition + out + 19

Le français en diachronie

déterminant + cardinal/ordinal + indéfini + (adverbe + adjectif) + nom (adverbe + adjectif) + complément déterminatif + relative), mais aussi peu à peu au groupe verbal (pronom objet, puis pronom sujet cliticisés, puis place

du participe passé après l’auxiliaire), puis à l'énoncé (verbe-objet nominal, puis sujet-verbe). Cette contrainte de contiguïté ordonnée, plus forte en français que dans les autres langues romanes, à des conséquences sur l'évolution de la langue, comme on le verra (par exemple, elle conduit à sélectionner certains adverbes plutôt que d’autres); mais le français l'utilise pour forger de nouvelles constructions (le rayon enfants, question argent), et au niveau de l'énoncé elle permet une structuration facile en ‘thème-rhème” au plan pragmatico-informationnel (Pierre, son journal, il le lit tous les jours). La création d’un ‘noyau prédicatif très contraint (il le lit...) permet de formuler des hypothèses sur une possible évolution. Quant au lexique, c'est ce qui change le plus vite. On a montré qu’en dix ans, entre 1949 et 1960, dans le Petit Larousse, près du quart des articles

avaient bougé (apparition ou disparition de mots, modification des articles ou des définitions). Quels que soient les «dangers» d'emprunts faits sans discernement, il reste que 86% des mots du lexique du français sont d’origine latine : cette constante n’est pas remise en cause. Et, encore une différence

avec les autres langues romanes, la majorité de ces mots sont dissyllabiques.

7. Notions et concepts Concernant les changements de la langue, on utilisera des concepts bien connus, tels que ‘diachronie’, ou, pour désigner des processus de changement, ‘réanalyse’ (voir Glossaire), ‘grammaticalisation’ (voir Glossaire), ‘analogie', ‘emprunt’, ‘néologisme’. Mais il nous arrivera de pouvoir montrer à quel point la distinction saussurienne est importante : en effet, la démarche synchronique et la démarche diachronique ne prennent pas en compte les mêmes éléments d'analyse, et ce qui est pertinent pour l’une cesse de l'être pour l’autre. Nous distinguerons entre diachronie, pris au sens d’« histoire interne explicative », et histoire au sens d’«histoire externe ». On opposera

aussi changement,

qui est ce que tout locuteur peut percevoir, et évolution, qui désigne le mouvement qui sous-tend et ‘explique’ le changement, et qui est du ressort du linguiste. La notion de variation est elle aussi essentielle : tout changement procède d’un état de langue où il y avait variation possible entre deux termes, Où Constructions ; toute variante est en puissance source de changement, même si toute variante n’aboutit pas systématiquement à faire disparaître l’un des termes de la variation, ainsi qu’on le verra. 20

CHAPITRE II

BRÈVE HISTOIRE EXTERNE DU FRANÇAIS

1. Aux origines du français : l’institutionnalisation d’une langue Une langue ne «naît» pas naturellement, comme un homme où un arbre. La «création» d’une langue, son institutionnalisation, sont le résultat d’un acte social,

même

s'il est

inconscient

distinctions que l’on fait entre «dialecte». On parle en effet de nationale ou régionale (et il n’est nombreux : il n’y a que deux cent islandaise) ;on parle de la langue revanche on parlera du «patois



non

officiel.

Cela

se

voit dans

les

«langue» et «patois», entre «langue» et «langue» s'il s’agit de la langue officielle, pas nécessaire que les locuteurs soient très cinquante mille Islandais à parler la langue basque, ou de l’occitan comme langue, en nissard», du dialecte picard, du créole

réunionnais, etc. : explicitement, une hiérarchie existe.

Pour qu’une langue acquière le statut de langue, deux facteurs sont nécessaires, qui sont liés. Il faut d’une part la prise de conscience par les locuteurs, à une étape, d’une différence : différence de la langue qu'ils parlent réellement avec la langue qu'ils seraient censés utiliser («mon latin n’est pas parfait.….», écrivait en substance l'historien Grégoire de Tours au 6°" siècle). De la perception de cette différence, conçue dans un premier temps négativement, comme une façon de parler incorrecte, découle peu à peu la conscience positive d’une langue distincte dont les caractères propres sont 21

Lefrançais en diachronie

peu à peu perçus en tant que tels. Ce tournant se situe au 8°" siècle et au début du 9% siècle sans doute; en effet en 813, un Concile des évêques de Gaule réuni à Tours décide que lorsqu’à la messe un sermon sera prononcé, ce devra être en langue vulgaire (article XVID) : «Et ut asdem omelias quisque aperte transferre studeat in rusticam Romanam linguam aut Thiosticam, quo facilius cuncti possint intellegere quae dicuntur». (Et que chacun s'efforce de traduire par écrit ces homélies en langue vulgaire romane ou germanique,

afin que tous puissent comprendre plus facilement ce qui est dit’). Cette recommandation sera ensuite reprise par plusieurs assemblées conciliaires.

La deuxième condition nécessaire est la reconnaissance officielle ou officieuse qu'il s’agit de la langue nationale ou régionale : ce changement-là ne concerne plus seulement le locuteur en tant qu'individu social, mais le corps politique lui-même. Cette nouvelle étape se situe en 842, avec les Serments de Strasbourg, un texte officiel rédigé dans la nouvelle langue d’un nouveau royaume. Dans la majorité des pays, plusieurs langues «nationales» ou “officielles » coexistent : c’est le cas de l'Espagne, la Belgique, la Suisse, le Canada, les Etats-Unis, etc. La France fait partie des exceptions : c’est un pays qui s'identifie comme monolingue. Ce monolinguisme affiché ne va pas cependant sans difficulté ; les luttes pour les identités culturelles régionales passent toujours par la lutte pour la reconnaissance de la langue de la région. Pour le français, comment cela s'est-il passé? L'instauration du français comme langue de notre pays est le résultat de plusieurs faits politiques.

Mais tout d’abord, que parlait-on en «France» avant d'y parler «français»? C'est une longue histoire. Et, comme on va le voir, le français s’est développé dans un contexte de plurilinguisme qui peut nous aider à penser la situation dans laquelle le français se trouve actuellement en Europe et dans le monde.

2. Que parlait-on sur le territoire de l’actuelle France avant le 9% siècle ? Les événements qui ont ‘fait’ le français 2.1.

La conquête gauloise

Les témoignages historiques ne remontent pas au-delà du 5°" siècle avant J.-C. : c'est à cette époque que les Gaulois, peuple celtique! venu de

I. Les Celtes, au 3% siècle avant notre ère, dominent toute l'Europe moyenne.

[ee[e]

Brève histoire externe du français

l'Est, auraient envahi l’espace nommé actuellement «France». Ils en ont sans doute chassé des peuples dont nous ne savons rien sauf qu'ils devaient être relativement nombreux : en effet, le grand nombre de mégalithes, de grottes ornées

telles que

celle de Lascaux,

de traces

d'habitation,

d’ossements,

d'outils en pierre taillée montre que ce territoire était très peuplé. Quelle langue utilisaient-ils? L'ibère sans doute, une langue non indo-européenne? De cette étape on n’a conservé que des témoignages linguistiques indirects : bien des noms de rivières et de lieux sont pré-celtiques, tels Zutetia, l'ancien nom de Paris, ou la plupart des noms des grands fleuves français (Seine, Loire, Rhône, Garonne). Les Gaulois ont imposé leur langue, ou plutôt leurs nombreux dialectes. Quelques brefs textes, fragmentaires, nous en sont parvenus (voir Lambert 1997), insuffisants pour qu'on ait pu en reconstituer une grammaire ; et ces inscriptions nous sont parvenues sous une graphie

soit latine, soit grecque — ce qui correspond à ce qu'écrit à leur propos Jules César (La guerre des Gaules, chapitre 6). C'était une langue de la même branche que le breton, l'irlandais, le gallois, l'écossais, mais appartenant à la sous-branche du celtique continental”. Au sud de la Gaule, d’autres langues continuaient d’être parlées : au sud-ouest et en Aquitaine, des langues ou dialectes ibères (ancêtres du basque actuel? c'est discuté) ;au sud-est sur la côte, le grec était utilisé depuis le 6°" siècle avant J.-C. à cause de l'occupation par des marchands grecs venus d'Asie mineure («phocéens»); en outre on parlait là-bas le ligure, langue indo-européenne. Mais, globalement, on peut dire que le territoire de l'actuelle France était de langue celtique. 2.2.

La conquête romaine

Un événement historique va changer tout cela. Dans les années 58 à 51 avant notre ère, Jules César, général romain, conquiert et colonise «les Gaules», comme on disait alors. Des colonies de légionnaires y furent implantées, de diverses origines et parlant un latin plus où moins «correct» par rapport au latin de Rome ou au latin écrit qui servaient de référence. Dès lors, entre le premier siècle avant J.-C. et le 5% siècle après J.-C., au tournant de notre ère donc, la situation linguistique changea radicalement. Comme l'administration, et bientôt au début de notre ère la religion chrétienne, mais aussi la littérature, la réflexion scientifique, philosophique, morale, grammaticale, etc., s'écrivaient en latin, c’est cette langue qui très

2. Le gaulois appartenait à la sous-branche celtique dite « continentale », alors que les autres langues nommées appartiennent au « celtique insulaire ». Le breton actuel, qui est la langue de populations

chassées d'Angleterre au 5°%% siècle par des envahisseurs scandinaves, est lui aussi un dialecte celtique insulaire.

Le français en diachronie

vite a conquis une place prédominante. Ayant commencé par coexister avec

le gaulois, ou plus exactement avec les différents dialectes gaulois parlés au Nord de la Loire, le latin les a peu à peu supplantés, en devenant même la langue de tous les jours, la langue de communication normale de la plupart des locuteurs non lettrés. Et si le gaulois avait commencé à être écrit, désormais seul le latin le sera. Mais ce n’est pas en un jour qu'une langue disparaît : on pense qu'en certains lieux le gaulois a pu être parlé jusqu’à la findu 3 #%rsiècle: Du ligure, de libère, du gaulois, langues tour à tour minorisées puis disparues, nous ne connaissons l'existence que par les traces qu'elles ont laissées dans les langues romanes de ces provinces dont elles étaient le «substrat» (voir Glossaire) : on parle ainsi de «gallo-roman> pour désigner l'ancêtre du français et de l’occitan, et d’ «ibéro-roman» comme ancêtre de l'espagnol et du portugais. 2.3.

Du ‘latin quotidien’ au ‘gallo-roman’

Ce «latin ordinaire», ce «latin parlé» de tous les jours, de la vie familiale et sociale, c'est ce que l’on a appelé le «latin vulgaire» (sermo cotidianus, sermo vulgaris — de vulgaris «du peuple»), c'est ce que le spécialiste Joseph Herman définit ainsi : «la langue parlée par les couches peu influencées ou non influencées par l’enseignement scolaire ou par les modèles littéraires ». Ce latin parlé avait son lexique propre, pour une partie assez différent de celui que nous à transmis le latin «écrit» ou classique. Ce lexique oral, c'est celui qui est à la base du lexique de toutes les langues romanes (et par voie de conséquence de l’anglo-américain dont, il ne faut pas l'oublier, environ 40% du vocabulaire a été emprunté au «français» du Moyen Age). Dans ce latin parlé, on avait remplacé loquor «je parle » par parabolo «je raconte des histoires» (d'où parler) ou fabulo «je raconte des sottises» (d’où hablar en espagnol), equus par caballus «vieux cheval» (d’où cheval, caballo, cavallo), pulcher par bellus, ignis par focus (feu), etc. Les mots du latin classique se sont parfois conservés dans le français savant : /oquor a donné élocution, loquace ; equus est à l’origine d'équitation, équidé; pulcher n'a guère laissé de traces, à l'exception de la très recherchée pulchritude, alors que bellum fort peut attesté dans la littérature à donné naissance à belle, beau, mais aussi à beauté. Et c'est à travers ce latin oral que les mots, soit propres à la langue quotidienne, soit communs à tous les niveaux du latin, se sont transformés dans leur prononciation, et que leur forme a évolué jusqu’à celle que nous leur connaissons : nous reviendrons sur ces phénomènes dans les chapitres consacrés au lexique et à la phonétique et phonologie diachroniques du français. 24

Brève histoire externe du français

Une histoire du même type a eu lieu dans toute la «Romania» (voir Glossaire), c'est-à-dire dans toutes les provinces d'Europe qui étaient soumises à l’Empire de Rome (voir Annexe I). Et selon la plus ou moins grande rapidité avec laquelle ces provinces sont, peu à peu, devenues autonomes,

le «latin» que l’on y parlait a évolué plus ou moins fort et vite : c’est ainsi que le sarde, où le roumain, séparés politiquement de Rome très tôt, ont connu une différenciation plus précoce et plus radicale que d’autres régions plus longtemps soumises à Rome.

2.4. La conquête germanique Une nouvelle phase politique commence au 5°" siècle, où se produit une nouvelle colonisation du territoire actuel de la France, par des populations germaniques cette fois-ci, venues du nord-est et sans doute elles-mêmes pourchassées. Après plusieurs vagues qui à partir du 3°" siècle traversèrent les provinces du nord de la Loire sans s'arrêter, au 5°" siècle les Francs ripuaires, originaires des rives du Rhin, s'installèrent et instaurèrent une royauté. Ils continuèrent de parler leur langue, qui est restée celle des milieux dirigeants et de la cour jusqu’à la fin du 10°" siècle. Mais cette conquête n’a pas eu les mêmes effets que la précédente : le francique n’a pas remplacé le roman naissant, même s’il a eu sur lui, comme «superstrat», une influence importante, et pas seulement dans le lexique (voir chapitre VII). Les

nouveaux

conquérants, loin d'imposer leur langue, écrivaient, ou faisaient

écrire, en latin; et Charlemagne,

dont on sait qu'il parlait la langue de ses

ancêtres, a fait venir ses «ministres» tels qu’Alcuin, qui fonda l’école palatine, ou Paul Diacre, des monastères irlandais ou italiens où l’on parlait le meilleur latin. C'est ce que l’on a nommé «la réforme carolingienne» : ayant pris la mesure des changements qu'avait subis le latin depuis des siècles, l'empereur voulait le rétablir dans sa forme pure.

Mais par là même, la distance entre la langue écrite de référence et la langue de tous les jours devenait parfaitement perceptible, et cette dernière gagnait mieux encore son autonomie : dès 813 la décision du Concile de Tours en est la preuve, il fallait désormais parler aux fidèles «leur» langue, qui donc n'était pas le latin. C’est cette différence enfin qui a conduit en 842 les auteurs du traité de paix qu'étaient les Serments de Strasbourg à vouloir les écrire dans la langue que comprenaient les chefs de guerre présents. Ces deux décisions marquent le moment où le «français» est né. D’autres textes suivront bientôt, littéraires surtout, telle la Séquence de sainte Eulalie (881), et le Sermon sur Jonas, notes prises vers l’an mil par un prédicateur en vue d'un sermon. La plupart de ces documents, ce sont les érudits du 19°" siècle qui les ont redécouverts, à un moment où il s'agissait pour toutes les nations d'Europe de redécouvrir leurs racines.

Le français en diachronie

2.5.

La naissance du français et son contexte : une situation de plurilinguisme

Mais ce français dont on vient de retracer les premiers pas, ce n’est pas encore le français que l’on connaît, il en est doublement différent : dans sa forme bien sûr, mais aussi dans sa pratique. Car ce qui caractérise fondamentalement le français à ses origines, c'est qu'il se situe dans un contexte de plurilinguisme. Ainsi donc, avant même que le français (que l’on nommait au 12°" siècle

le françois, mais aussi le «romanz») n'ait commencé à être pratiqué de façon

consciente, oralement puis par écrit dès le 9% siècle, on parlait sur ces territoires diverses langues, qui avaient chacune leurs usages et leurs usagers propres :

e le latin «classique», utilisé dans la liturgie, et plus généralement par les clercs, jusqu'au 8% siècle sans doute (Banniard 1995); c'est la seule langue qui ait été écrite avant le 9% siècle;

e des patois dérivés du latin parlé, que l'on nommait déjà «vulgaris», ce que l’on a traduit par «vulgaire», mais qui signifie ‘de tous les jours’, quotidien. Uniquement parlés, et utilisés par les populations locales, donc différant de région à région, et même sans doute de localité à localité, ces patois étaient sans doute déjà largement utilisés, et étaient l’unique langue pratiquée par la majorité de la population ;

e jusqu'au 4°" siècle au moins, peut-être un peu plus tard, les dialectes gaulois continentaux ; au 5°" siècle, un dialecte gaulois de Grande-Bretagne a été emmené en Bretagne par des Bretons insulaires chassés de leur pays par l'invasion scandinave des Vikings ; e le «franc» où, très minoritairement, des dialectes germaniques, à la cour et dans l'entourage des rois et seigneurs (qui depuis la conquête du Nord de ce pays par les Francs étaient devenus la classe noble); e au Sud de la Loire, des dialectes occitans dérivés, comme

du Nord, du latin parlé; et dans la partie médiane,

les dialectes

des dialectes franco-

occitans;

+ à l'extrême Sud-Ouest, le basque, dont on sait qu'il est l’une des langues qui subsistent de la période qui a précédé l'occupation de tout l'Ouest de l'Europe par les indo-européens ;

+ et au Sud Est, sur la côte méditerranéenne langue indo-européenne italo-celtique ;

en particulier, le ligure,

e entre le 9% et le 11% siècles, dans la province devenue la ‘Normandie’, le parler des conquérants scandinaves, qui influença quelque peu la langue locale. 26

Brève histoire externe du français

Ainsi donc, on peut définir le français à ses débuts comme une langue romane, c'est-à-dire issue du latin, mais influencée par un ‘substrat’ celtique et un ‘superstrat germanique, et, plus légèrement, par un ‘adstrat’ scandinave. D'autres influences, antérieures, ont pu jouer aussi. Et à cela se sont ajoutés

tout au long de l’histoire des emprunts d'origines fort diverses.

3. Les grandes périodes du français comme «institution» On distingue cinq grandes périodes qui marquent l'histoire institutionnelle et culturelle du français.

3.1. 915%

des paliers dans

siècles : Le Moyen Age : ancien français, moyen

français, le français du manuscrit On nomme ‘ancien français’ l’ensemble des dialectes parlés et du français écrit entre le 9% siècle et la fin du 13°" siècle, au Nord de la Loire, et se différenciant de région à région en une série de dialectes où de «scriptas»

dialectalisées, et par des usages différents les origines il y a de l'écrit, la plus grande de langue française ne lisent ni n’écrivent,; proportion de la population sachant lire et

des différentes «langues»; si dès part des habitants des provinces on peut estimer à 1% ou 2% la écrire en cette période.

Les Serments de Strasbourg sont d’ailleurs un exemple symboliquement très fort de ce fait : c'est en effet un texte écrit en deux versions, française et allemande, caractérisé par un échange entre deux communautés de locuteurs de langue différente (les Français, les Germains), et inséré tel quel

dans une Historia écrite en latin! Tout le Moyen Age se caractérise en effet par le plurilinguisme, chaque langue étant réservée à une fonction déterminée — c'est ce que R. Balibar à nommé «co-linguisme»: latin pour les clercs dans l'exercice de leurs fonctions, français («roman») où plutôt français dialectaux dans la vie quotidienne mais aussi, bientôt, pour écrire la littérature épique et romanesque naissante; francique à la cour et dans l'entourage des souverains d’origine germanique jusqu’en 987, avènement de la lignée Capétienne, où pour la première fois le roi de France (c’est-à-dire alors d'Ile-de-France) ne

parlait pas une langue germanique. Ainsi par exemple les «clercs», c’est-à-dire les religieux ou les lettrés, étaient à toutes les époques au moins trilingues, utilisant le dialecte maternel, le français écrit des chartes et des textes de fiction, et le latin du catholicisme et de la science. 27

Le français en diachronie

En 1066, à la suite de la «conquête» de l'Angleterre par Guillaume de Normandie, seigneur d’origine nordique d’une province française, le français devient la langue de l'administration, de la littérature, de la justice anglaises pour deux siècles au moins. De cette période, le français laissera des traces très profondes dans l'anglais : cette influence s’ajoutant à des emprunts, etc., fait que l'anglais actuel a un lexique composé d'environ 40% de mots d'origine latine : d'où une certaine facilité de compréhension de l'anglais écrit par des locuteurs de langue romane. Par ailleurs, géographiquement, l’ancien français oral est en fait une mosaïque de dialectes parlés : picard, champenois, orléanais, wallon, lorrain, anglo-normand, normand, dialecte de l'Ile-de-France (ce qu'au 19°% siècle les spécialistes ont nommé «le francien» : «le français de Pontoise» comme disaient certains clercs du 12°" siècle). A partir de la fin du Louis, la royauté centrale vers les Alpes : dans ces le limousin au centre; et

12% siècle, avec Philippe-Auguste, puis avec saint s'étend vers l'Ouest, et au Sud de la Loire, et jusque régions étaient parlés le «franco-provençal» à l'est, au Sud, la «langue d’oc», «provençal» où «occitan».

Comment connaît-on le français avant l’âge de l'imprimerie, entre le 9°" et le 16% siècles? D'abord par les manuscrits. Mais ce qui dans un premier temps est écrit en français est bien limité. Si le premier texte en 842 est un texte «juridique» et «diplomatique», c'est pour des raisons politiques que nous avons évoquées : c'est un traité de paix entre des parties de langue différente, que leur langue emblématise et fixe. Ensuite, pendant des siècles, le français est surtout réservé aux textes de fiction : les domaines de la science, de la religion, de la philosophie, sont du ressort du latin. De la fin

du 11°%siècle au milieu du 13°" siècle sont écrites en français un grand nombre de chansons de geste et de vies de saints ; et dès 1150-1170 un nouveau genre va se développer, qui connaîtra un succès ininterrompu : le roman, en vers jusqu'au 13% siècle, en prose aussi à partir du second tiers du 13°" siècle. C’est à partir de ces textes, que dès la fin du 18°" siècle et surtout au 19°" siècle, on a recomposé la langue du Moyen Age, dont on possède deux grands dictionnaires : celui de Fr. Godefroy, et celui d’A. Tobler et E. Lommatzsch. Ce qui frappe dès sa «mise en écrit», c'est que le français est déjà une koïnè : une «scripta» (pour reprendre le terme de C. Gossen) «transdialectale » (pour lui ajouter l’épithète très juste de B. Cerquiglini). Dans aucun texte, même le plus dialectal, on ne trouve une parfaite homogénéité dialectale, toujours il y a une majorité de formes qui peuvent être comprises, donc lues, dans les autres dialectes.

Cependant dès le 13°” siècle le français commence à gagner sur le latin à l'écrit : des chartes commencent à être écrites en langue vulgaire ; suivront la réflexion philosophique, l’histoire et les chroniques.

Brève histoire externe du français

Au 14% siècle s’initie un mouvement qui sera d’une très grande importance pour la langue et surtout pour le lexique : nombreuses sont alors les traductions d'œuvres latines (d’historiens tels que Tite-Live, de médecins, etc.) ou d'œuvres grecques traduites en latin (celles d’Aristote par exemple). Cette démarche, commanditée par les plus éclairés des souverains et des grands seigneurs de cette époque, tels Jean le Bon ou Charles V (le «fondateur» de la Bibliothèque Nationale de France), a été à l’origine de la création de très nombreux mots nouveaux souvent calqués sur le latin : Pierre Bersuire ou Nicole Oresme, fameux traducteurs du 14% siècle, se sont expliqués sur cette pratique : nous y reviendrons. Y a-t-il eu une réflexion sur l’origine de la langue pendant cette période? Elle reste fort limitée : Dante (De vulgari eloquentia 1304), rattache les trois langues romanes qu'il connaît, le français, l'italien, la langue d’'oc, au latin. Mais ni les embryons de grammaires fabriqués pour tel ou tel seigneur anglais désireux de se faire comprendre, ni le fait que les seules grammaires du latin continuaient à être des dérivés des grammaires de l’Antiquité ne montrent une réflexion approfondie. En revanche, c'est chez les philosophes dits «modistes» que s'initie alors une réflexion proprement linguistique.

3.2.

16% siècle : le français de l’imprimerie : la Renaissance, Villers-Cotterêts, les premières grammaires du français

Une invention révolutionnaire va favoriser de façon spectaculaire la progression de l'écrit : l'imprimerie, qui se développe en France en 1460-70. Cette invention a aussitôt contribué à établir, puis à généraliser des normes,

tant du point de vue des graphies — l'histoire de l'orthographe française (voir chapitre IX) illustre bien ce phénomène — que du point de vue de la conscience de l'unité de la langue. C'est au 16°" siècle que la question de l’origine du français est explicitement posée et débattue. S'affronteront pendant deux siècles et demi plusieurs positions : l'hébreu, hypothèse abandonnée cependant assez vite; le grec; le celthellénisme, le celte étant en quelque sorte l'ultime figure par laquelle le français venait du grec et s’opposait à la filiation latin-italien si assurée. Du Cange et d’autres, plus pragmatiques, soutinrent l'hypothèse polygénétique d’une source complexe. C'est seulement au 18° siècle que l'hypothèse de l’origine latine à été pleinement assurée (voir Cerquiglini 1991 : 8-17).

Cette période est marquée par deux actes importants : un édit célèbre de François 1‘, dit ‘Edit de Villers-Cotterêts’, et la naissance de la grammaire.

La progression du français par rapport au latin s'était étendue, mais inégalement. En 1539, François 1° prit une ordonnance qui stipulait : «Nous 25)

Le français en diachronie

voulons doresnavant que tous arrestz ensemble toutes aultres procedures soient des cours souveraines ou aultres...soient de registres, enquetes, contratz,.….soient prononcez, enregistrez et deliverez aux parties en langage

maternel françois et non aultrement». d’autres ordonnances,

Cette décision

dont celle de Nîmes

avait été précédée

en 1531, où, à la demande

des

états généraux du Languedoc, il était précisé que les arrêts de justice devaient être prononcés dans la langue des parties : «Les trois Estais de nos pays de Languedoc.nous ayant bumblement fait dire et remontrer que...lesdits notaires escripvoient en latin et autre langage que de ceux qui font lesdits contralz et dispositions.….Ordonnons et enjoignons auxdits notaires passer et escripure tous et chacun en langage vulgaire des contractants» (voir H. Walter, 1994 : 244). On a pu interpréter l'ordonnance de Villers-Cotterêts soit comme la confirmation de celle de Nîmes pour instaurer le primat de la langue maternelle (quelle qu'elle soit) sur le latin, soit comme une volonté de standardiser le français juridique aux dépens des langues régionales (voir A/Lodse 1995; "173); A la même époque paraissaient les premières grammaires du français : celle de Palsgrave d’abord, élaborée à l'intention d'un public anglais (1520-1530). Suivront celles de Louis Meigret (qui déjà proposait une réforme de l'orthographe...), R. Estienne, Ramus... Et surtout, Robert Estienne avait élaboré un Dictionnaire français-latin où, au cours des rééditions, les mots français avaient pris la plus grande place ; le Thresor de la langue française tant ancienne que moderne de Jean Nicot, qui paraît en 1606, se situe explicitement dans sa lignée ; or c’est là le premier dictionnaire consacré totalement à la langue française, définissant des mots français en français.

3.3.

17°%

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Le français en diachronie

CHAPITRE III

L'ORDRE DES MOTS DANS LA PHRASE ET SON ÉVOLUTION EN FRANÇAIS : L'ÉNONCÉ DÉCLARATIF

1. Ce qui a changé, ce qui n’a pas changé L'ordre des éléments

constitutifs de l'énoncé, à savoir le verbe et ses

arguments essentiels, est l’un des domaines où l’évolution a été la plus forte en français. Du latin à l’AF d’abord, puis de l’AF au FCI, la position relative du verbe, du sujet (au sens grammatical : celui qui donne ses marques au verbe), de l’objet direct ou indirect nominal, a radicalement changé. On résume généralement le changement qui s’est produit entre le latin classique et le français classique en disant que l’on est passé d’une langue à verbe final, à une langue avec verbe médian entre le sujet et l’objet, ou,

plus simplement

encore,

de OV à VO’ dans la perspective définie par

1. En typologie, V désigne le verbe conjugué, O le complément essentiel nominal (objet direct ou indirect, attribut, complément essentiel indirect), et S désigne le sujet nominal. La recherche tend à définir un ‘ordre de base’, qui, comme l’a montré récemment Dryer (1997), ne coïncide pas systématiquement avec l’ordre le plus fréquent dans tous les genres de textes. Chez Greenberg (1963) il s'agit d’ ‘ordre dominant’, ce qui a donné lieu à diverses interprétations. S'agissant du français et de son évolution, on désignera par ‘ordre dominant’ l’ordre de surface le plus fréquemment observé pour les constituants essentiels dans les énoncés déclaratifs non marqués au sens défini par R. Jakobson : c'est l’ordre qui peut être utilisé en toute circonstance et qui de ce fait est en général le

esUN

Le français en diachronie

W. P. Lehmann (1974) : c’est ainsi que la typologie sérielle, c'est-à-dire la typologie morpho-syntaxique fondée sur l’ordre des éléments tels qu'ils se présentent en surface dans les énoncés, et initiée dans les années 60 par JH. Greenberg, permet d'analyser cette évolution. Mais, comme on le verra, l’organisation informationnelle et pragmatique des énoncés est également à prendre en compte dans ces changements, soit comme moteur de changement, soit comme conséquence. Une seule structure n’a que peu changé, celle comportant un objet direct ou indirect pronominal ; le pronom personnel est placé devant le verbe conjugué : XOprV : Charles le voit ; dans ce cas précis, l’ordre latin avec l’objet antéposé au verbe qui le régit a subsisté, comme dans la plupart des langues romanes (Sûürés, 1995 : 62); mais lorsque le verbe régisseur est un infinitif, si l'AF construit encore Charles le vuelt veoir, entre le 15°" et le 18°" siècles la montée du pronom régime vers son verbe s’est généralisée : Charles veut le voir.

2. L'ordre des mots : un enjeu idéologique Dès que l’on a commencé à s'occuper des langues, l’ordre des mots s’est révélé un enjeu philosophique et esthétique. Avec l'avènement de la «grammaire générale» au 17°" siècle l'enjeu idéologique s'affiche. Les langues qui comme le français placent en première position le sujet, et ensuite le prédicat verbal, furent dites suivre l’ordre «naturel» des pensées et donc de la logique : cet ordre est celui qui place le «sujet» (au sens logique d’abord, puis au sens grammatical de : «qui donne ses marques au verbe») de la «proposition» (au sens logique d’abord) avant le «prédicat» ou l’«attribut». C'est en effet la grammaire générale qui à introduit dans le métalangage grammatical ces concepts capitaux, empruntés à la logique, et qui dès le siècle suivant vont prendre en grammaire le sens qu'on leur connaît.

Les langues offrant un ordre différent de cet ordre «naturel», telles que le latin, ou l'allemand, ou le russe, sont dites «transpositives», donc a priori (suite note 1)

plus fréquent dans les textes ;les énoncés marqués se définissant a contrario par leurs emplois plus contraints, et par le fait qu'eux-mêmes peuvent toujours être remplacés par l’ordre non marqué. C'est à la suite d'une part de la pratique de la plupart des typologues, et d'autre part de l'argumentation de Dryer (1997), que nous adoptons le critère de fréquence. Ce critère est en outre très utile dans la perspective diachronique. Par ailleurs, concernant l’AF, nous traitons le sujet pronominal comme le sujet nominal, car jusqu’au 15° siècle il jouit de la même possibilité d'autonomie, ce qui n’est plus le cas ensuite quand le pronom personnel sujet sera devenu une sorte d’affixe ne pouvant être séparé du verbe.

36

L'ordre des mots dans la phrase et son évolution en français

moins aptes à refléter l’ordre des pensées. Au 18°" siècle cette distinction susCitera un débat théorique qui conduit à distinguer la «proposition», renvoyant à l’ordre logique et abstrait, et la «phrase», désignant la structure de surface. Au 19% et au 20°" siècles, cette question de l’ordre des éléments constitutifs de la phrase syntaxique est restée capitale, et la grammaire générative aussi bien que la typologie sérielle en font un critère essentiel. L'approche typologique développée par Greenberg et ses successeurs et que nous utilisons ici, est un modèle puissant qui permet de définir des types’, par la présence concomitante dans une langue donnée d'une série de traits syntaxiques dont l'évidence est fondée empiriquement grâce à l'analyse d’un très grand nombre de langues du monde.

3. D’où partons-nous ? Syntaxe de l’énoncé latin, et passage de OV à VO en latin tardif et dans les langues romanes Le proto-indo-européen compléments à gauche.

était

de type

OV,

il construisait

donc

ses

Le latin était encore une langue de type SOV dominant (avec déjà cependant deux traits de type VO); un trait fort visible du type SOV consiste, dans les énoncés déclaratifs non marqués, à placer le verbe à la fin, précédé de l’objet ou du complément essentiel (attribut, objet indirect); le sujet lorsqu'il était exprimé se trouvait à gauche; cet énoncé de César est une illustration parmi d’autres de ce type d’énoncé : Caesar ad Lingonas litteras nuntiosque misit

Sujet — Cpit-datif — Objet direct nominal — Verbe ‘César aux Lingons une-lettre des-messagers-et envoya’ (César, Guerre des Gaules I, 26). Certes,

il n’est

différemment.

pas

rare

de trouver

en

latin des

énoncés

construits

Mais cette structure de type OV rend compte au moins de

65% des énoncés déclaratifs des textes en latin classique (F. Charpin, 1994;

J.N. Adams, 1976), et de 85% d’entre eux chez César. Or toutes les langues romanes sont devenues des langues où le verbe ne se trouve plus à la fin, sauf parfois s’il est intransitif. Dans toutes ces langues issues pourtant du latin, le verbe se trouve le plus souvent entre le sujet et l’objet. Ainsi, en ancien français, on lit dans La Chanson de Roland (v. 181 et v. 417) deux énoncés fort proches de la phrase de la Guerre des Gaules citée ci-dessus ; le premier présente déjà l'ordre moderne, et le second ô7.

Le français en diachronie

place en tête l’objet nominal, mais tous deux placent le verbe non plus à la fin, mais en seconde position : «Li reis Marsilie m'ad tramis ses messages.» Sujet — verbe — objet direct nominal. ‘Le roi Marsilie m'a envoyé ses messagers.” « Vostre message fesimes a Charlun.» Objet direct nominal — verbe — datif ‘Votre message nous-avons-fait à Charlemagne’.

4. L'ancien français : quel type? Un problème de chronologie : l'acquisition des traits du type OV Cependant l'ancien français pose problème : on rencontre assez fréquemment encore l'objet direct nominal placé avant le verbe au 12° siècle, c'est-à-dire OV(X) comme

ci-dessus, mais également VO à verbe en tête, et

même encore SOV ou OV à verbe final : Li amiralz la sue gent apele. (Chanson de Roland v. 3400) Sujet — objet direct nominal — verbe ‘L'émir les siens harangue”.

L'AF est-il encore OV? Déjà VO? Déjà SVO? Rien de tout cela, ou tout cela à la fois. Car il faut prendre en compte d’autres traits que l’ordre relatif du verbe et de l'objet, ou du sujet, du verbe et de l’objet. Dans la ligne du travail fondateur de J.H. Greenberg (1961/1963), W.P. Lehmann (1974) d'une part, Th. Vennemann et R. Bartsch (1973) d'autre part, ont proposé et défini le concept de «type homogène». Un type se définit non seulement par la position relative des éléments constitutifs du schéma argumental ou actanciel V et O (objet direct nominal, objet indirect, attribut, complément essentiel), mais également par la position relative des autres têtes avec leur complément : y a-t-il préposition ou postposition? l'adjectif épithète se place-t-il avant ou après le nom? et le génitif? et la relative? Ce sont là les principaux traits syntaxiques utilisés pour définir un type”. On définit le «type cohérent» où «homogène» par la co-présence des différents traits liés soit à OV soit à VO. On attend ainsi d’une langue à verbe final, c'est-à-dire de type OV, que les compléments soient à gauche et les têtes à droite ; une langue OV offrira donc des postpositions, aura le génitif placé 2. Bien d'autres traits ont été proposés et utilisés, notamment pour les langues romanes par Sôrés (1995) et Renzi (1989) « Wie kônnen die romanischen Sprache typologisch Karakterisiert werden?» Vox Romañnica 84, 1-12.

38

L'ordre des mots dans la phrase et son évolution en français

devant le nom, l’épithète de même, la relative de même, le complément du comparatif de même.

Or suivant ces critères strictement morpho-syntaxiques, l’'AF est depuis l'origine une langue du type VO (ou à ordre de base VO), puisque c’est une langue à prépositions, où, sauf quelques traces, le génitif ainsi que la relative suivent le nom — même si certains adjectifs employés comme épithètes peuvent se placer avant ou après le nom. Le latin tardif lui-même était déjà devenu une langue partiellement de type VO, comme l'ont montré J.N. Adams (1976) et Br. Bauer (1995), même si les précisions apportées par H. Pinkster (1991) modalisent quelques généralisations. En effet, dès le plus ancien latin, deux changements avaient déjà eu lieu: le latin ne possédait plus que des traces de postpositions (mecum), il était devenu une langue à prépositions ;en outre, chez les plus anciens auteurs, la relative tendait déjà à suivre son antécédent : ce n’est que dans les Zois des Douze Tables qu'on trouve l’antéposition de la relative. Dès le latin classique deux autres changements se sont dessinés : l'épithète jusqu'alors systématiquement antéposée au nom pouvait se post-

poser, et le fera de plus en plus; on passe de AdjN à NAdj. Et le génitif a fait de même : les auteurs latins du 1‘ siècle avant notre ère tendaient à préférer NGén. à GénN. Quelques rares traces d’antéposition du génitif ont subsisté jusqu’en AF (/a roi cont, l’autrui joie, la Dieu merci), et même jusqu'en FM (Dieu merci), mais tout cela est figé. Enfin la construction du complément standard de comparatif est passée de l’ablatif antéposé à la construction en quam postposée, origine du français plus grand que X.

Donc suivant le paradigme des traits qui se réalisent aux niveaux inférieurs de l'indicateur syntagmatique (niveau du syntagme, niveau de la composition des mots), l'AF est déjà une langue «VO» de type presque homogène, puisqu'on y trouve toujours les traits Préposition et N+Relative, et presque toujours N+Génitif et N+Adijectif (quelques épithètes parmi les plus fréquentes sont quasiment toujours antéposées : voir chapitre V). Cette évolution du latin au français, et plus largement aux langues romanes, est généralement désignée comme le passage d’un «branchement à gauche» à un «branchement à droite» (voir M. Harris, 1976; CI. Buridant, 1987; A. Sûrés, 1995; Br. Bauer, 1995), ou d’une langue à «tête» à droite avec complément

à gauche, à une langue qui inverse cet ordre.

Mais la chronologie du passage de OV à VO mérite qu'on s'y arrête car elle pose à la typologie la question de la chronologie relative d'acquisition des traits qui définissent un type. En effet, si les traits ‘préposition’ et ‘relative postposée’ sont acquis dès le latin, si le génitif postposé a commencé à s'installer en latin classique et a complètement remplacé Génitif-Nom dès le 12% siècle, si l’épithète postposée est déjà la seule possibilité en AF pour 39

Le français en diachronie

la grande majorité des adjectifs (même si les plus fréquents d’entre eux, cher grand, bel, continuent de s’antéposer), le trait fondamental du type, à savoir la séquence ‘Verbe-Objet nominal’, s'est réalisé dès l’AF, mais du point de vue de la fréquence il ne domine pas avant le milieu du 12°% siècle. Ainsi, le trait acquis le plus tardivement semble être justement celui qui concerne les éléments de plus haut niveau V et O : esquissé dès le latin tardif, le passage de Objet-Verbe à Verbe-Objet s'installe vraiment au 13°" siècle seulement. Ce fait est un argument supplémentaire en faveur de la nécessité de reposer la question des traits déclencheurs et de la chronologie d'un changement de type, que l’on n’abordera pas ici.

5. L'ordre relatif deS, O, V : l’'AF est une langue V2, à thème en tête 5.1.

L’AF n’est plus une langue à verbe final comme le latin

Que l’on puisse rencontrer en AF des énoncés tels que Mabumet sert (Mahomet il-vénère’) ne signifie pas qu'on a encore la structure latine en verbe final précédé de l'objet nominal (désormais On) : OnV ne concerne au 12°" siècle qu’un énoncé déclaratif sur dix environ, et au 13°" siècle environ un sur cent, ce qui est fort peu. Et dans les énoncés avec attribut et verbe copule (Recreanz est : «Lâche il-est») les résultats sont les mêmes. Quels que soient les textes étudiés, les énoncés à verbe final sont devenus très minoritaires au 12% siècle, et quasi inexistants en prose au siècle suivant.

Reprenant la problématique formulée par Lehmann et Vennemann, nous nous demanderons donc quelle est en AF la structure dominante des énoncés non marqués tels que les définit la typologie sérielle, c'est-à-dire des énoncés déclaratifs à objet nominal et à sujet nominal. Mais à cause des spécificités de l’AF, langue où le pronom sujet est presque aussi autonome

qu’un nom

d'une part, et où d'autre part, comme on va le voir, l'expression du sujet n'est pas obligatoire et est même longtemps minoritaire, nous intégrerons dans notre étude l'examen non seulement les énoncés déclaratifs avec Sn, On et V, mais aussi ceux avec Sp (c'est-à-dire ‘sujet pronominal”) et avec sujet non-exprimé (ou ‘sujet Zéro’).

5.2. Les positions relatives de S, V et O en AF L'AF à ses débuts est encore bien loin de la syntaxe moderne. Ainsi, La Chanson de Roland organise, dans les 1090 déclaratives qu'elle comporte, 10

L'ordre des mots dans la phrase et son évolution en français

V,OetS (S étant exprimé où non) suivant neuf configurations différentes (sur les dix-neuf théoriquement possibles), dont quatre au moins sont assez fréquentes; et sur ces quatre trois n’ont pas le sujet exprimé :

e XVOn (Si recevrai la chrestiene lei «(Adverbe-repère) je-meconvertirai-à la chrétienne religion») : 33% e OnV(X) (Esperons d'or ad en ses piez fermez «Des-éperons d’or il-a à ses pieds attachés») 21% e SVOn:

17%

e VOn (Baisset sun chef «Il-baisse sa tête») 13%. Ainsi, d'emblée, l'étude des positions relatives révèle plusieurs «ordres des mots» possibles non marqués, tant du point de vue de la fréquence que de la définition proposée par R. Jakobson (est non marqué ce qui peut se trouver partout, en tout type de texte ; est marqué ce dont l'emploi est soumis à certaines conditions, à certains contextes). Mais faut-il se contenter d’une

énumération des structures possibles, ou bien peut-on discerner des traits conducteurs ? Pour y voir clair, il faut entrer dans le détail des constructions, et dans l'analyse de leur évolution. Nous retenons cinq traits qui nous ont paru pertinents pour rendre compte de la syntaxe de l'énoncé en AF : 1. l'expression du sujet, qui n’est pas obligatoire, on l'a dit: l'AF est généralement considéré comme une langue «pro-drop» (c'est-à-dire où le sujet nul est possible); 2. la place du sujet nominal où pronominal par rapport à V, car en AF il se place avant ou après la forme verbale conjuguée ; 3. la place du verbe conjugué; depuis un siècle le trait «verbe en seconde position dans l'énoncé», ou V2, repéré en AF par J. Le Coultre (1875) puis

généralisé par R. Thurneysen (1892), passe pour une caractéristique de PAF; 4. et 5. la place et l'expression de l’objet; nous introduisons la question de l'expression, jusqu'ici jamais évoquée, car nous avons remarqué que si l'expression de l’objet nominal en FM oral est loin d’être obligatoire (K. Lambrecht et K. Lemoine 1996), en revanche en AF il n’est que peu d'exemples de son absence (C. Marchello-Nizia 1995, et L. Schoesler 1998); du point de vue de leur expression, sujet et objet semblent suivre en français une évolution opposée : c’est un point sur lequel nous reviendrons (voir Conclusion).

5.3.

Expression du sujet

Si en FM l’expresion du sujet est la règle, ce n'était pas le cas en AF. Plusieurs études du phénomène nommé par la grammaire générative 41

Le français en diachronie

«pro-drop» ont précisé ce trait (M. Adams, 1987; F. Dupuis, 1989; P. Hirschbühler, 1988), le mettant en rapport avec le fait que les langues qui possèdent ce paramètre sont souvent des langues où la flexion verbale est riche et explicite, et où les marques personnelles en particulier sont clairement distinguées. En AF, avant le milieu ou la fin du 13°% siècle, l'expression du sujet n’atteint pas en général la moitié des énoncés déclaratifs en général, et des énoncés déclaratifs à objet nominal en particulier. La Chanson de Roland, chanson de geste en vers composée vers 1080 où 1100 (mais dont le manuscrit date de la fin du 12°" siècle), est bien représentative d’un type de textes épiques faits pour être dits oralement. On y a relevé au total 1090 déclaratives avec verbe transitif et objet nominal, et 305 déclaratives avec copule et attribut. Or le sujet n°’ y est exprimé que dans

26% des énoncés à verbe transitif : trois énoncés sur quatre sont donc à sujet nul. Cette proportion monte à 60% dans les énoncés avec attribut; nous reviendrons sur cette différence. La Queste del saint Graal, composé vers 1230, est un texte triplement différent de La Chanson de Roland : par sa date, parce qu'il est en prose, et parce que c'est un roman et non plus une chanson de geste. L'expression du sujet atteint 49% dans les déclaratives à objet nominal : quasiment un sur deux. Mais comme dans le Roland, l'expression du sujet est bien plus forte dans les déclaratives à attribut (78%, cf. Marchello-Nizia 1995 : 71-102, et 1996 : 103-105).

Ainsi, si l'expression du sujet progresse fortement entre le 12°" et le 13°" siècles, et entre le vers et la prose, il n’en reste pas moins qu'au 13°" siècle, la non-expression du sujet peut encore concerner jusqu'à la moitié des énoncés déclaratifs ; et les chiffres que nous venons de donner sont confirmés

par de nombreuses études. Mais un phénomène est les types de textes, semble-t-il, le sujet est nettement énoncés définitionnels comportant un attribut; cela important de distinguer les «styles», les genres, les l'on analyse.

à souligner : dans tous plus fréquent dans les montre combien il est registres d'énoncé que

L'absence du sujet est un phénomène qui disparaît entre le 15°" et le 17% siècles. Dès le début du 15°% siècle, même lorsque le sujet d’un verbe est co-référentiel à un nom déjà connu ou exprimé, il apparaît tout de même sous la forme d’un pronom bientôt cliticisé, qui deviendra un simple affixe de personne sans autonomie syntaxique ni prosodique. Ainsi que le montre l'étude de G. Zink (1997 : 138-155), c'est vers 1400 que l’on commence à trouver Moi je.., là où antérieurement ge/je/gié, pronom sujet tonique, suffisait : Ef ge a ton los le ferai (12° siècle : ‘Quant à moi j'agirai selon ton

conseil) n’est plus possible, on a dès le 15°" siècle : Et moyje l'ordonne. 42

L'ordre des mots dans la phrase et son évolution en français

5.4. Position du sujet La position du sujet était elle aussi différente en AF. Si en FM, sauf cas marqué, il est antéposé au verbe, en AF on constate que le sujet, tant nominal que pronominal, peut se placer avant ou après le verbe — et cela aussi va changer en MF : «Li reis Marsilie-sujet m'ad tramis ses messages-objet.» (Roland 181) Dis blanches mules-objet fist amener Marsilie-sujet. (Roland 89). Quelques chiffres, fondés sur la comparaison des deux mêmes textes, éclaireront cette situation et son évolution au cours du Moyen-Age. Dans La Chanson de Roland, la construction SVO, c’est-à-dire l’antépo-

sition au verbe du sujet quand il est exprimé, est loin d’être majoritaire. Le sujet est exprimé dans seulement un quart des énoncés de notre corpus, on l'a dit (282 des 1090 déclaratives à objet nominal); dans ce cas, il précède le verbe dans deux énoncés sur trois, mais cela correspond à seulement 17% du total des énoncés. On peut donc dire que, dans les énoncés où à la fois l'objet et le sujet sont présents, l’ordre SVOn est déjà majoritaire... mais à condition de préciser que les énoncés où sujet et objet sont co-présents ne forment qu’une minorité. En effet, du fait qu'il n’est pas systématiquement exprimé, le sujet est moins fréquemment antéposé au verbe que l’objet nominal : SVOn ne se trouve que dans 17% des énoncés étudiés, alors que OnV(S), avec l'objet nominal en tête, concerne

27% d’entre eux.

Ainsi, lorsqu'on a tout à la fois le sujet et l’objet nominal exprimés, la structure «moderne» est déjà dominante, mais ces énoncés en SVOn ne représentent qu'environ un énoncé sur cinq. En revanche, bien plus de la moitié des énoncés à attribut ont un sujet exprimé qui est majoritairement antéposé ; mais cela ne correspond encore qu’à un tiers des énoncés à sujet et à attribut (38%). Les deux traits «modernes», expression quasi obligatoire du sujet, et antéposition du sujet au verbe sauf cas marqués (Fuchs, 1997), sont certes représentés, mais encore minoritaires au total dans les énoncés en vers à cette période. Les deux chiffres croissent pour se rapprocher de la syntaxe moderne.

Au 13°" siècle et en prose, la position du sujet a fortement évolué, parallèlement à son expression qui atteint désormais près d’un énoncé sur deux. Mais, même s'il se trouve dans 74% des énoncés avec sujet exprimé de La Queste del saint Graal, Yordre SVOn ne concerne encore qu'un tiers des énoncés déclaratifs à verbe transitif avec objet nominal et sujet exprimés. Dans les énoncés avec attribut en revanche, le sujet est désormais antéposé dans un peu plus d'un énoncé sur deux. Mais dans la mesure où cette 43

Le français en diachronie

construction est devenue la seconde pour la fréquence (36% des énoncés ‘transitifs’), juste après celle en XVOn à sujet nul (50%), on peut dire qu’au 13°% siècle la progression de SVO est le phénomène le plus marquant pour la diachronie. Le passage à une grammaire où SVO devient l’ordre «dominant», sans être encore majoritaire, commençait, il est vrai, à être perceptible dès le milieu du 12°% siècle, mais sans être très sensible à cause de l’absence fréquente du sujet;ainsi, par exemple, dans l’unique texte en prose française de cette époque, Les Quatre Livres des Rois, adaptation en français de livres de la Bible (Vulgate), qui parfois calque le texte latin, SVO se dessine un peu plus nettement que dans les textes versifiés. En subordonnée, on le verra (chapitre IV), le processus, différent, conduit plus rapidement à un ordre dominant SVO dès le 12° siècle dans plusieurs l des types de subordonnées.

5.5.

Position et expression de l’objet et de l’attribut

Nous avons montré qu'une structure syntaxique déjà bien installée dans la grammaire de La Chanson de Roland se développe de façon décisive et très rapide avec la prose au 13°" siècle : il s’agit de V-On.

Quelques chiffres illustrent bien ce changement. Au 12°" siècle, en vers, on peut facilement placer en tête d’énoncé l’objet nominal ou lattribut. En effet, comme

on vient de le voir, on trouve OnV(S) dans 4 des déclaratives

à On (265 sur 1090 dans Roland), et AttributV(S) dans 4 également des déclaratives définitionnelles. Mais au 13°" siècle, c’est 97% des déclaratives qui offrent l’ordre VO, et 96% des définitionnelles à attribut. L'objet nominal en tête a donc très fortement régressé, et il est soumis à une série de contraintes ; ou bien il faut qu'il soit le thème de l'énoncé (référence anaphorique au contexte immédiatement précédent), de ce fait emphatisé, ou bien il appartient à une construction à verbe support (voir Marchello-Nizia, 1995 : chap. 3); au siècle précédent ces contraintes n'auraient pas été pertinentes : Eticele table-objet establi li Aigniax sanz tache. (Queste del saint Graal p.74 : ‘Et cette table c'est l’Agneau sans tache qui l’a instituée’)

«Saluz-objet vos mande li bons chevaliers (p.30 : ‘Salut vous adresse le bon chevalier) «Pucele-attribut est ele voirement.» (Queste p.237 : ‘Vierge elle-est elle CENeS

L'ordre des mots dans la phrase et son évolution en français

L’antéposition, tant de l’objet nominal (3%) que de l’attribut (4%), a donc très fortement régressé, et il s’agit au 13°" siècle de constructions marquées.

Ce sont d’autres éléments qui se trouvent en tête d'énoncé déclaratif, et en particulier c’est devenu la position normale du sujet quand il est exprimé, ce qui est plus sensible qu’au 12°" siècle parce que l'expression du sujet atteint à présent et va dépasser 50% des énoncés. L'interprétation que l’on peut donner de cette évolution est que la structure OV est encore vivante au 12°" siècle, puisqu'elle décrit un quart des énoncés déclaratifs comportant un On, et qu'elle n'apparaît pas spécialement marquée. Ainsi que j'en ai formulé l'hypothèse (Marchello-Nizia, 1995710 V(S)nE Sert pas 4 emphatiser au 12 siecle OV(S)lindique simplement que l’objet nominal est le thème, c’est-à-dire l'élément tout à la fois connu et qui est l’objet du discours. Si on veut emphatiser l’objet nominal on fait autrement, on a recours à une autre structure : ‘Un graal-obijet antre

ses deus mains — complément-de-manière une damoisele-sujet tenoit-verbe, énoncé grammatical mais très peu fréquent, donc marqué, utilisé par Chrétien de Troyes (Le conte du graal) dans un contexte fort singulier, celui de la première apparition du graal. En revanche au 13°" siècle l’ordre OnV est marqué.

Mais la quasi disparition de On en tête au 13°" siècle ne signifie pas que c'est le sujet qui d'emblée va se trouver à cette place : c’est encore XV, avec en tête un élément autre que $S ou O, qui est au 13°” siècle la structure dominante ou, selon les textes, aussi fréquente que SV. En ce qui concerne l'expression de l’objet en revanche, l'évolution s’est faite d’une langue où elle était quasi obligatoire à une langue, le FM, où elle ne l’est plus autant (voir plus bas). On a là l’exact inverse de ce qui s’est produit pour le sujet. En effet, c’est la structure argumentale même qui a changé dans le passage du latin au français”. L’AF est encore au stade latin de ce point de vue: l'expression du sujet (ou argument-1) n'est pas obligatoire, celle de l'objet direct ou indirect (ou argument-2) l'est. L. Schoesler (1998) montre que c’est grâce à cette règle que dans des phrases ambiguës pour nous modernes, l'ambiguïté était levée pour le locuteur-auditeur médiéval, comme dans Cum veit le lit esguarda la pulcela (Vie de saint Alexis 56 : ‘Quand il veit le lit il regarda la jeune fille’); Après iceste altre avisiun sunjat (Chanson de Roland 725 : ‘Après celui-ci [ce rêve] il eut un autre rêve’); esguarder, sungier sont transitifs : c'est comme objet qu'il faut interpréter leur unique argument,

et non comme

sujet.

3. Comme je l'avais indiqué (1995) et comme L. Schoesler l'a montré (1998).

Le français en diachronie

5.6. L’AF «langue V2» : dominance du verbe en seconde position... Comme

on vient de le voir, diverses combinaisons apparaissent comme

non marquées en AF dans les énoncés déclaratifs, mais aussi dans la plupart des subordonnées, et elles se ramènent toutes à «verbe en seconde position”, où V2, ainsi que l'avaient déjà noté il y a un siècle J. Le Coultre (1875) et R. Thurneysen (1892). Car lorsque le sujet n’est pas exprimé, ou lorsqu'il est postposé au verbe, ce n'est pas le verbe qui se trouve en début d’énoncé; il est précédé par un autre constituant du schéma actanciel (objet direct ou indirect nominal), où par l’attribut, ou bien plus fréquemment encore par un élément circonstanciel ou un adverbe, et l'on a XV(S)O. Cette propriété caractérise toute la période de l’'AF, du 9°" siècle à la fin du 13°" siècle et même un peu au-delà. Nos chiffres montrent tous la prévalence du verbe second. Dans Za Chanson de Roland, V2 rend compte de quatre énoncés sur cinq (les autres faisant précéder le verbe de deux éléments) et de quasi tous les énoncés déclaratifs de la Queste. Le même trait ressort de toutes les descriptions données des textes de cette période, quel que soit leur style. Les résultats et l'évolution que nous avons définis sont concordants avec les études de J. Herman (1954) sur les Quatre Livres des Rois pour le 12°" siècle, de J. Le Coultre (1875) et d’autres sur les romans de Chrétien de Troyes qui écrivait dans le dernier tiers du 12°" siècle, d’'E. Siepmann (1937) sur une chronique historique écrite par G. de Villehardouin au début du 13°" siècle, de J. Rychner (1970) et de Y. Haruki (1981 et 1984) sur La Mort le roi Artu,

un texte en prose fort proche de la Queste del saint Graal, et d'A. Dees (1980) pour les chartes composées au 13°" siècle. En AF, jusqu'à la fin du 13°" siècle, le schéma le plus fréquent est XV... : on place en tête l'élément thématisé (celui à propos de quoi l’on va dire quelque chose), où bien l'élément point de départ de la relation prédicative (si, or, lors, donc..), et qui est en général un anaphorique où un élément connu (comportant donc une anaphore). On peut ainsi avoir comme premier élément (nous soulignons le verbe) : e le sujet : Zi rois apele un escuier (Béroul, Tristan et Yseut, vers).

l’objet direct nominal : Jtieus paroles distrent lifrere de Lancelot (La Mort le roi Artu, prose). un adverbe : Si s’en test li contes a tant (Queste del Saint Graal, prose).

un complément temporel : Au matin s'apareilla por aler au tornoiement (La Mort le roi Artu).

e un autre complément : Sur tuz les altres est Carles anguissus (Chanson de Roland). 46

L'ordre des mots dans la phrase et son évolution en français

Cependant en AF d’autres éléments se trouvent préférentiellement en tête, sans qu'ils soient aucunement anaphoriques : ainsi des intensifieurs ou quantifieurs (moult, poi), où de certains attributs : e un

intensifieur : Molt vi mon

oncle iluec pensis (Béroul ; voir p. 57, et

Chapitre V, pp. 78-79). e un attribut : Halt sunt li pui... (Chanson de Roland). 5.7.

… avec thème en tête

Face à la diversité, mise en évidence ci-dessus, des structures de l'énoncé en AF, on pourrait être tenté de s’en tenir à cette caractéristique «V2». Mais

elle est trop générale pour définir un type préter, passer à un autre plan d'analyse. V2 structure communicationnelle de l'énoncé l'organisation syntaxique de l'énoncé, mais

syntaxique. Il faut, pour l’interindique que l’on a affaire à une : ce qui prime, ce n'est pas la structuration de l'information

transmise ; il s’agit, ainsi que l’a vu Th. Vennemann

(1974), d'une structure

de type ‘thème-rhème’ («Topic-Comment»). Cette organisation de la phrase domine la période qui va du 9°" siècle à la fin du 12°" siècle. Au 13°% siècle, avec la généralisation de l’ordre ‘verbe-objet nomina/’,

le type VO est accompli, et ‘objet nominal-verbe’ ne subsiste que comme structure rare donc marquée, ce qui dans les énoncés suivants est indiqué par la présence d’une forme emphatique, par exemple la forme très longue de déterminant démonstratif icestui, où par l'instauration d’un contraste entre deux expressions objets directs :

Icestui message-objet ne ferai je ja, se Dieu plaist. (La Mort le roi Artu 144 : ‘Ce message-là, je ne le ferai pas, s’il plaît à Dieu’) Lors osta Boorz son

hiaume

et Galaad

le suen et s’espee,

mais son

bauberc-objet ne volt ilpas oster. (Queste del Saint Graal, p. 200 : ‘Alors Bohort Ôta son casque et Galaad le sien ainsi que son épée, mais pour ce qui est de son haubert, il ne voulut pas l’ôter’). Mais ces énoncés sont rares. Dès cette époque la structure syntaxique commence à s'imposer à la structure informationnelle en ce qui concerne l'objet nominal, et l'on a V2 avec VOn comme ordre dominant à tous niveaux : si au 12°" siècle VOn se rencontrait seulement dans trois énoncés sur quatre ayant un verbe transitif avec objet nominal, au 13°* siècle en prose la fréquence de ce schéma VOn domine absolument (97%). C'est au 13°" siècle que le premier changement définitif de la structure de l'énoncé déclaratif se réalise, par la grammaticalisation de VO à tous niveaux. Mais la première position n'est pas encore systématiquement occupée

par le sujet:

la grammaticalisation

de l’ordre

‘verbe-objet

nominal

est

47

Le français en diachronie

accomplie, mais pas celle de la présence du sujet et de l’ordre ‘sujet-verbe’; et l'on a, pendant tout le 13°" siècle, trois structures également fréquentes et non marquées, où se trouve encore en tête l'élément anaphorique et donc thématique ou point de départ de la relation : e SVO : Li chevaliers li oste l’escu dou col (Le chevalier lui ôte le bouclier du cou’); ou, avec sujet pronominal : Z/ resgarde l'enfant. e XVO : Lors met la main a l'espee (‘Sur ce il empoigne son épée’). e XVSO (dans le cas où X est plus thématique que S) : Lors tret Boort l’espee (Alors Bohort tire son épée’).

Au siècle suivant, un autre phénomène se développe : l'emploi du pronom sujet devant le verbe, qui vers 1400 aboutira à en faire un pronom atone conjoint, sinon un proclitique, comme on l’a déjà vu plus haut (voir G. Zink, 1997 : 138-155). C'est le premier pas vers la grammaticalisation de SV, et vers l'expression quasi systématique du sujet qui caractérise le français depuis let17"%sièclé:

Ce décalage chronologique net qu'offre l’AF entre la grammaticalisation de VOn d'une part, et celle de SV d'autre part, va dans le sens de M. Dryer (1997), qui propose

non pas, comme

Lehmann

(1974) de ne tenir compte

que de V et O, mais de distinguer systématiquement les deux relations, S et NACRE

O!

En outre jusqu’au 15° s., et spécialement en AF, le sujet pouvait être omis, mais pas le thème. A présent, sujet grammatical et thème coïncident quasi systématiquement, y Compris en ayant recours au passif pour thémaüser l’objet direct. Et lorsque ce n'est pas le cas on à recours à d’autres types d'organisation de l'énoncé déclaratif : la dislocation permet de placer en position de thème, à l'initiale de l'énoncé donc, tout constituant majeur de l'énoncé — c'est ce que l’on nommera avec K. Lambrecht «topicalisation» (voir ci-dessous (7.2. et suivants). Il existe par ailleurs d’autres types d'organisation de l'énoncé qui, eux, permettent de placer en tête ou en queue d’énoncé, détaché, le rhème : il s’agit des constructions clivées C'estX qui/que/à qui…., semi-clivées, ou pseudo-clivées : Celui que..., c'est X.

6. Du 15°" siècle au FM : après VO, SV se fige : une langue XSVO à thèmet(s) en tête

6.1. Aux 15°% avoir; e des créations ont eu lieu : le conditionnel (qui n’existe pas dans beaucoup de langues au monde, et qui apparaît dès l’origine en français en 881, dans la Séquence de sainte Eulalie), et le passé-composé à côté du parfait et de l'imparfait ;ces deux paradigmes, comme le futur, utilisent le nouvel auxiliaire babere. Placé devant le verbe au participe passé il sert à exprimer le passé, et les deux éléments restent séparés (1/a chanté); mais placé après l’infinitif, il exprime le futur (cantare habeo «j'ai à chanter»), et le futur antérieur (cantare babebam j'avais à chanter») ou le conditionnel («j'aurais à chanter»), et dans cette position habere se soude à l’infinitif dès le 4°" siècle : il devient la terminaison personnelle de ce nouveau paradigme verbal; le passé composé c'est-à-dire la périphrase habeo dictum comme ‘temps’ à valeur temporelle et aspectuelle se «grammaticalise» vers le 4-5" siècle (Herman,

1998).

L'AF connaît 4 groupes de verbes, correspondant aux 4 marques d’infinitifs non déponents issues du latin : en -er, en -fr, en -eir/oir, en -re; les verbes déponents latins ont disparu ou se sont régularisés. En AF les verbes en -er s'opposent aux autres par leur morphologie au présent; nous développons plus bas la structure des formes verbales et leur évolution en français : elle est assez complexe.

Le français à ses débuts, comme le latin, connaît peu de périphrases verbales : une seule est relativement courante : #/ va chantant, qui au début marque un procès («chanter») accompagnant un mouvement («aller») : Taillefer… devant le duc alout chantant

de Karlemaigne et de Rolant…. (Wace, Roman de Rou, v. 8035 sq. : écrit en 1160 : ‘Taillefer.….s'avançait devant le duc en chantant l’histoire de Charlemagne et de Roland...) Mais après grammaticalisation,

cette locution marque

simplement

l’as-

pect duratif, où progressif, du procès («il est en train de chanter») :

La sue mort li vait mult angoissant. (Roland 2232) «Car chevalchez ! Pur qu'alez arestant ?» (Roland 1783 : ‘Pourquoi vous arrêtez-vous ?). Dh)

Le français en diachronie

Enfin, dès les plus anciens écrits on peut repérer des «locutions verbales à verbes supports» dont la valeur sémantique et le comportement syntaxique présentent des traits spécifiques : prendre conseil, prendre congé, avoir peur, faire domage, prendre fin, avoir honte... Du roman également date sans doute l'emploi en tant que pro-verbe de faire. Le premier emploi apparaît dans le plus ancien texte français : Les Serments de Strasbourg : ‘si saluaraïi eo cist meon fradre Karlo..….in o quid il mi altre si fazet' (‘j'apporterai mon appui à mon frère Charles ici présent... dans la mesure où il fera de même pour mo’).

1.3.

1.3.1.

Les désinences personnelles

Simplification : le rapprochement entre personnes 1 et 2,

et4et5 Durant toute la période ancienne un processus s’est amplifié : le rapprochement entre certaines personnes. Dès le 13°" siècle, les personnes 4 et 5 du parfait (nous chantames, vous chantastes) rapprochent leur graphie (nous chantasmes). Un peu plus tard, entre le 14°" siècle et le 17°" siècle un rapprochement, au moins graphique, s’est produit entre les personnes

1 et 2 : en AF la personne

1 est formée au

présent de l'indicatif du radical nu : je chant, je di, je viegn ; dès le 14°" siècle, la 1" personne de l'indicatif présent des verbes en -er prend un -e (je chant-e), et celle des autres groupes prend un -< : je viens, et plus tard, je dis et je crois. En revanche, pour dire et faire qui, comme étre, avaient des personnes 4 et 5 anomales : nous dimes, vous dites et nous aimes, vous faites, la personne 4 se régularise en dions puis disons, et en faisons, mais la personne 5 reste telle quelle. Mais, dès que des composés se forment, leur personne 5 est régulière : vous contrefaisiez, vous contredisez.

1.3.2.

Indicatif présent et subjonctif présent : la perte d’une opposition simple

Les désinences opposent les verbes du premier groupe aux verbes des deuxième et troisième groupes : les verbes à infinitif en -er ont -e de désinence aux personnes 2 et 3 à l'indicatif présent, les autres ont les mêmes désinences au subjonctif présent; inversement, les verbes à infinitif en -er ont en AF le radical nu pour la première personne, suivi de -s ou de -t aux personnes 2 et 3 au subjonctif, comme le montrent les tableaux ci-après.

100

Morphologie et semantique verbales, syntaxe du groupe verbal

Indicatif Présent 1sg 2 sg

Subjonctif Présent

|chant (+0), gart, salu, aim, pleur, |chang-e (+e d'appui) |chant-es, gard-es, salu-es, aim-es,

chant, gart, salu, aim, pleur, chang-e (te d'appui) chan-z (t+s), gar-z, Salu-z, ain,

leur-es, chang-es

3 sg

1pl 2 pl

|pleur-s, chang-es (+e d'appui)

|chant-e, gard-e, Salu-e, aim-e, pleur-e,

|chant (tb), gart (d+t), salut, ain,

chang-e |chant-ons,gard-ons,salu-ons,am-ons, lor-ons,chang-iens |chant-ez, gard-ez, salu-ez, am-ez,

bleur-t, chang-e (+e d'appui) |chant-ons,gard-ons,salu-ons,am-ons, lor-ons, chang-iens chant-ez, gard-ez, Salu-ez, am-ez,

|1blor-ez, chang-iez

3 pl

|plor-ez, chang-iez

|chant-ent,gard-ent,salu-ent,aim-ent, pleur-ent,chang-ent

|chant-ent,gard-ent,salu-ent, aim-ent,pleur-ent,chang-ent

Tableau 1 : verbes du 1‘ Groupe

Indicatif Présent

Me personne du singulier _|/enis (+0), garis 2° personne du singulier |/enis (+s), garis,

3m personne du singulier |fenis-t, garis-t feniss-ons, gariss-ons 1°" personne du pluriel 2m personne du pluriel

|feniss-(i)ez, gariss-(t)ez

3°" personne du pluriel

feniss-ent, gariss-ent

Subjonctif Présent |feniss-e, gariss-e eniss-es, gariss-es feniss-e, gariss-e |feniss-ons/iens, gariss-ons/-iens |feniss-tez, £gariss-iez |feniss-ent, gariss-ent

Tableau 2 : verbes du 2°”: Groupe

Indicatif Présent

1 sg |sai (+0), puis, vueil, vien/vieng, |pren, doi

2 sg |se-s, pue-z/pue-s, vuels, viens, |pren-s/z, doi-s 3 sg |se-t, pue-t, vuel-t, vient, pren-t,

doit

Subjonctif Présent sach-e, puiss-e, vueill-e, viegn-e/vieng-e, pregn-e/preng-e, doiv-e sach-es, puisses, vueill-es, viegn-es/vieng-es, |bregn-es /breng-es, doiv-es sach-e, puiss-e/puis-t, vueill-e, viegn-e/vieng-e, pregn-e/preng-e, doive

1 pl |sav-ons,po-ons,vol-ons,ven-ons,

sach-iens, puiss/boiss-iens/ons, voill-iens,

|pren-ons, dev-ons 2 pl |sav-ez, po-ez, vol-ez, ven-ez, |pren-ez, dev-ez

sach-iez, puiss/poiss-iez, voill-iez/vueill-iez, ven-iez, pren-iez, dev-iez

3 pl'|sev-ent,pue-ent, vuel-ent,

sach-ent, puiss-ent, vueill-ent,

|

vien-ent, pren-ent, doiv-ent

ven-iens/ons, pren-ons, dev-ons

viegn-/vieng-ent, pren-/breng-ent, doiv-ent

Tableau 3 : verbes du 3°” Groupe 101

Le français en diachronie

Comme le FM, l’AF avait des conjugaisons «irrégulières» : là encore, la langue a connu une grande stabilité dans l’irrégularité. Il s’agit essentiellement de six verbes très fréquents : — _estre : IP : sui, es, est, somes, esles, sont. SP : soie, soies, soit, soions/sotiens, soiez/Soiiez, soient. — avoir : IP : ai, das, a, avons, avez, ont. SP : die, aies, ait, aions/atiens, aiez/atiez, aient.

— faire : IP : faz, fais/feis/fes, fait/feit/fet, faimes, faites, font. SP : face, faces, face, faciens, faciez, facent. dire : IP : di, dis, dist/dit, dimes, dites, dient. > : die, dies, die, dions/diiens, diez/diiez, dient.

— aller : IP : vois, vais/ves/vas, vait/vet/va, alons, alez, vont. SP : voise/alge/aille, voises/alges/ailles, voist/alge/aut, voisiens/ailliens, voisiez/ailliez, voisent/algent/aillent. — Nas IP : don/doing, dones, done, donons, donez, donent. - doigne/doinse, doignes/doinses, doigne/doint/doinse/doinst, doine doigniez/doinsiez, doignent/doinsent. 1.4. /

Un affixe sujet? Expression du sujet, pronom conjoint

Ensuite-et surtout, se produit un phénomène très important : la généralisation de l'expression du sujet, en particulier comme pronom personnel, et l’affaiblissement accentuel de ce pronom personnel sujet vers 1400. Corrélativement se produit un affaiblissement des finales absolues marquant la personne. Cela a abouti en FM à l'oral, et sans doute déjà bien plus tôt, à une conjugaison avec des désinences personnelles neutralisées (même si la graphie les conserve) donnant l'impression d’un verbe presque invariable précédé d'un affixe sujet et éventuellement d’un affixe objet ou négatif (je/tu/il voi-s/-t, je le vois, je ne le vois pas). C'est ainsi que le FM est la seule langue romane à faire porter la désinence personnelle en premier lieu par le pronom ‘préfixé’, alors que dans les autres langues c’est presque toujours encore le suffixe qui la porte. Et les créoles d'origine française révèlent une évolution dans ce sens.

Du 17% au 20% siècles, le fait le plus important est sans doute le développement de l'emploi de on au lieu de nous, dont on a des témoignages dès le 177% siècle, avec. accord.au,pluriel (Fournier MOST SSSrrte remplacement à l'oral de nous par nous on depuis la fin du 19°" siècle accentue encore cette tendance : en FM oral (nous) on vient s'est généralisé. Cet emploi de on comme personne-4 apparaît bien dans les phénomènes d'accord quand le verbe est à une forme composée : On est venus à quatre 102

Morphologie et semantique verbales, syntaxe du groupe verbal

beures, On était heureuses que tu sois là. Dès lors pour une majorité de verbes, en particulier ceux du groupe à infinitif en -er, le paradigme de l'IP ne varie plus qu’à la 5% personne : je/tu/il/elle/nous on/ils/elles chant(e/es/ent, non prononcés) et vous chantez. écrit

oral

pronom marque de personne

radical + désinence personnelle

marque de personne

radical + désinence personnelle

je tu

chant- e chant- es

[3] [ty]

(at (at

il elle nous /nOuS on vous

chant- e chant- e chant- ez

li] / [el] [nu 5] [vu]

(ätl (au (jâte]

ils/elles

chant- ent

(il / (el

HET]

Tableau 4 : IP du verbe chanter : désinences personnelles : écrit, oral Pour certains verbes des autres groupes

les personnes

5 et 6 restent

marquées à l'oral (vous venez, ils viennent). Et aux autres temps tous les verbes présentent en plus où moins grand nombre ces terminaisons neutralisées : soit aux personnes 1 à 4 (je/{u/il/on vin-), soit à toutes les personnes sauf 5 (je/tu/il/on/ils venaï-), soit aux personnes 2 à 4 (tu/il/on chantera/viendra). 1.5.

Affixes temporels et modaux

Il s’est produit un changement important dans la prononciation des marques d’infinitif : le -r de désinence à cessé de se prononcer en MF: définitivement pour les verbes en -er (parler>parle), même si la graphie l'a conservé ; en revanche pour les autres infinitifs il y a eu peut-être coexistence de variantes en -r prononcé et sans -r, et le -r s’est finalement rétabli (finir>fini>finir; pooir>povoi>pouvoir).

Autre changement dans la prononciation : les marques d’imparfait et de conditionnel aux personnes

1, 2, 3 et 6, qui se prononcent [el] et [Re] et se

graphient -ai- et -rai- en FM, étaient prononcées [oil et [r oil jusqu’à la fin du 12è% siècle, puis [we] et [rwe]l au 13°" siècle, puis dès la fin du 13°" siècle sans doute {el et [Re], ont continué à se graphier suivant la prononciation du 12è% siècle jusqu’au 19°" siècle, où l’Académie, cédant aux sarcasmes de Voltaire et d’autres, a accepté de les transcrire par la graphie diphtongale -ai-, -rai- (prononcée il est vrai [e]). Les marques de l’imparfait, du futur et 103

Le français en diachronie

du ‘conditionnel’ suivent depuis l’origine les mêmes règles de formation qu'en FM (voir P. Le Goffic, 1997). Il existe en outre, à côté de la série désinentielle quasi généralisée dans l'écrit dès le 12°" siècle, deux désinences d’ imparfait dialectales jusqu’au 13% siècle dans la koinè écrite, mais bien plus tard dans la prononciation ; elles concernent uniquement les verbes du premier groupe : l’une est anglonormande (Ouest et Nord-Ouest) : -oe/oue, -oes/oues, -ot/out, -iions, -iiez, oent/ouent: d'où : chantoe, etc.; l’autre caractérise l'Est : -eve, -eves, -eve, -iions, -iiez, -event; d'où chanteve, etc.

1.6.

Les radicaux : les alternances vocaliques du radical de certains verbes en ancien français, et leur évolution

Une variation de la voyelle radicale (ou plus rarement d’une consonne radicale) crée une opposition à l’intérieur de trois paradigmes en français, et ce depuis les origines. C'est le cas à l'indicatif présent et au subjonctif présent, entre les personnes 1, 2, 3 et 6 d’une part, qui sont accentuées sur le radical, et les personnes 4 et 5 d'autre part, dont le radical est inaccentué, et qui donc sont accentuées sur la désinence; ainsi en français moderne venir, appeler, mourir, etc. C'est le cas également au parfait en ancien français et jusqu’au 15°" siècle entre les personnes 1, 3, et 6 d’une part (je vin/j'oi/je conut/je pris, il vint/ot conut/prist, eles vindrent/ orent conurent /pristrent) et les personnes 2, 4 et 5 d'autre part (fu venis/otis où eüs/conetüs/presis, nos venimes/ otimes où etimes/conetimes/presimes, vos venistes/otistes où etistes/ conetistes /presistes). La forme inaccentuée du radical va se retrouver aux temps où c'est la désinence qui porte l'accent : à l’infinitif (sauf pour les verbes en -RE qui sont accentués sur le radical : croire), à l'indicatif imparfait, au futur pour la plupart des verbes, au participe présent, aux parfaits «faibles» en -a/-i/-u, et à certains participes passés (venu, appelé). On distinguait en AF douze types d’alternance vocalique ou syllabique, dont plusieurs se sont simplifiées, mais dont quelques-unes se retrouvent, telles quelles où légèrement modifiées, jusqu'au FM; beaucoup de verbes en effet ont unifié leur conjugaison sur un seul radical, et aucun verbe ne s’est enrichi d’une nouvelle alternance. Ces douze types sont : 1. non-accentué 4 / accentué e : — a/E£ baer (il bee/nos baons), haïr (il bee/nos baons), paroir (il pert/nos barons), savoir (je sai/il set/nos savons); et aussi comparer (il compe-

re/nos comparons) laver (il leve/nos lavons). 2. non-acc. a+m,n / acc. ai+m,n : — simplifiée en a

amer (il aime/amons), clamer (il claime/nos clamons). 104

Morphologie et semantique verbales, syntaxe du groupe verbal

3. non-acc. e / acc. ie : — 9/ €, je, £/Ë achever (il achieve/nos achevons), ferir (il fiert/nos ferons), querir/querre (il quiert/nos querons), seoir (il siet/nos seons), tenir (il tient/nos tenons),

venir (il vient/nos venons);

mais

aussi cheoir (il

chier/nos cheons), cremir/criembre (il crient/nos cremons), grever (il grieve/nos grevons), lever (il lieve/nos levons), 4. non-acc. e / acc. ei, oi : presque partout simplifiée boivre (il beit, boi/nos bevons);: mais aussi croire creire creit,croi/nos creons), esperer (il espoire/nos esperons), peser poise/nos pesons), veoir (il voit,veil/nos véons).

(il

(il

5. non-acc. e+m,n / acc. ei+m,n : — 9 /£ mener (il meine/nos menons).

6. non-acc. 0 / acc. ue (ui) —u/o:—0o/u 2 bases ou 3 bases (avec 1sg comportant un -i-) : certains verbes ont conservé

l'alternance :

movoir

(il

muet/nos

movons),

voloir

(il

vuell,veut/nos volons), morir (je muir/il muert/nos morons), pooir (je puis/il puet, peut/nos poons); d’autres verbes ont généralisé soit # soit o : courir (il cuevre/nos covrons), coillir (il cueille/nos coillons), prover (je pruis/il prueve/nos provons), sofrir (il suefre/nos sofrons), trover (je truis/il trueve/nos trovons); quelques verbes enfin ont disparu : estovoir ‘falloir’ (il estuet), rover ‘demander’ (je ruis/il rueve/nos rovons), soloir ‘avoir l'habitude” (il suelt/nos solons). 7. non-acc. o / acc. ou,eu : simplifié en FM : demorer (il demeure/nos demorons), plorer (il pleure/nos plorons).

8. non-acc. ei,oi / acc. i : simplifiée en FM eissir/oissir ‘sortir’ (il ist/nos eissons), netier/notïier (il nie/nos noïons),

proiier/pretier (il prie/nos proions), proisier/preisier (il prise/nos proisons). 9. non-acc. oi / acc. ui : simplifiée en FM apotier (il apuie/nos apoions), enotier (il enuie/nos enoions), voidier vider (il vuide/nos voidons).

10. non-acc. e / acc. à : gesir (il gist).

11. non-acc. e (?) / acc. :£/e — o/Ee : apeler (il apele/nos apelons). 12. Alternances syllabiques : non-acc. une syllabe en moins / acc. une syllabe en plus : soit simplification, soit évolution en deux verbes (dîner, déjeuner) aidier (aiu,aiues,aiue, aidons, aidiez,aiuent) disner (desjun, desjunes, desjune,disnons, disnez,desjunent) mangier (manju,manjues, manjue,manjons,mangiez, manjuent)

parler (parol,paroles,parole,parlons,parlez,parolent).

Le français en diachronie

Outre cette variation, au parfait une autre variation se produisait en AF

et jusqu'au 14% siècle ou au 15°" siècle, entre deux sortes de parfaits : e «faibles» : à radical non-accentué, toujours accentués sur la désinence ; la désinence est formée d’une voyelle caractéristique et des désinences de personne; chant-a, mour-ut, dorm-i(t); ce sont les futurs passés simples en -G, -i, -u; e «forts» : à radical accentué aux personnes 1, 3 et 6, et non-accentué aux personnes 2, 4 et 5; la désinence est : 0 pour 1, -{ pour 3, -ent pour 6; et -is pour 2, -imes pour 4, -istes pour 5; ce sont les futurs passés simples «consonantiques», qui ont subi en MF une simplification sur leur radical le plus court. Ainsi : AF vin, venis, vint, venimes,

venistes, vindrent se simplifie en MF sur le radical vin-. L'histoire de la simplification (ou parfois de la complexification) de ces paradigmes, seulement esquissée ici, est développée excellemment par P. Le Goffic (1997). 1.7.

Classer les verbes ?

S'agissant utilisées :

de classer

les verbes,

trois sortes

de classement

ont

été

e soit la désinence de l’infinitif, en quatre groupes : -er, -ir, -oir, -re; e soit le nombre de bases sur lesquelles les verbes se conjuguent, en ajoutant à celles du présent que l’on vient d'examiner celles du parfait, du participe passé, éventuellement du subjonctif; ainsi par exemple éfre se conjugue sur 8 bases : sui, es(t), som(mes), et(es), sont, soi, ser-, fu-; venir et tenir sur 4 : vien(s-1), vienn(ent), ven-(-ons/-ez/-ait/-), viend(-ra/-rait); bien des verbes

du 1° groupe surtout se conjuguent sur un seul radical : ainsi chant-er, parl-er, etc. e soit le croisement de plusieurs critères hétérogènes : c’est le classement traditionnel en trois groupes depuis le 19°" siècle : verbes en -er, verbes en -ir/-issant (type finir, finissant), verbes en -oir, -re, -ir (type venir, venant). Ce classement présente l'avantage de correspondre à des critères fonctionnels non indifférents : le premier groupe des verbes en -er est le plus nombreux de très loin (plusieurs milliers) et le seul productif, il rassemble des verbes pour la plupart à une base; le second groupe rassemble quelque 300 verbes; le troisième, non productif, comprend à peine 200 verbes, mais ils sont parmi les plus complexes à conjuguer, et les plus employés. 1.8.

Les auxiliaires avoir et être En AF comme

en FM estre/étre est auxiliaire :

e pour le passif des verbes transitifs, 1l est apprécié de tous, 106

Morphologie et semantique verbales, syntaxe du groupe verbal

e pour le passé des verbes réfléchis, Le soleil s'est levé; mais en AF les verbes réfléchis deviennent souvent des passifs au passé: Li soleilz est levez, marquant l'aspect accompli plus que le temps passé; e pour le passé de certains verbes intransitifs, de mouvement en particulier : Il est venu; tout au long de l’histoire du français des changements peu importants

sont intervenus : aller en AF ne se construit pas toujours avec

estre au passé : il a alé/ il est alé.

Voici la liste de quelques verbes intransitifs se construisant, en AF et parfois encore en FM, avec l’auxiliaire avoir aux temps composés : aler, apareilliera Inf, baer a, cerchier, chevauchier, corir, demorer, dormir, errer,

ester, estre (a, durée, en/a), esploitier (bien, mal), faillir a, florir, fructifier, gaaignier, gesir, guerroier, habiter en, languir, mengier, parler, passer (mpers.+ durée), pechier, perdre, regarder, seoir, soffrir, touchier a, veillier, venir

(Impers.), voler. 1.9. Accord des participes : participe présent, participe passé conjugué avec être et avec avoir L'un comme l’autre s'accordent sans restriction en AF, dès lors qu'un élément existe avec lequel accorder. C'est ainsi que la cohésion grammaticale du syntagme est marquée alors, puisque la disjonction de l’auxiliaire et du participe est possible. Le participe présent s'accorde avec son agent, et ce jusqu’au 17°% siècle,

y compris lorsque cette forme verbale a un objet direct. Au 17% siècle après bien des hésitations on édicte la règle de l'invariabilité dès que la valeur verbale domine,

l'accord avec le nom

étant réservé aux cas où le verbe a

valeur adjectivale : fatiguant / fatigant. Et l'on distingue alors ‘gérondif”, participe présent et adjectif verbal, désignant ainsi les trois cas possibles d'accord et de construction possibles.

En FM «le participe passé non accordé là où il devrait l'être se trouve chez tout le monde» (CI. Blanche-Benveniste, 1997 : 40). Or l’AF donne l'impression exactement contraire : il s’est produit une évolution que nous allons brièvement retracer, bien que l’histoire n’en soit pas encore totalement éclaircie. En AF, dans les manuscrits, le participe passé d’un verbe transitif avec objet et construit avec avoir apparaît bien plus souvent accordé que ne le demanderait la règle d'accord moderne, et spécialement dans les textes et les manuscrits du 13°" siècle. La règle générale semble être en AF : accord du participe passé construit avec avoir avec l’objet direct, quelle que soit la nature nominale ou pronominale de celui-ci, et quelle que soit sa position (Dupuis, 1989) : vos avez mauvesement chevalerie emploiee, nos avons bui 107

Le français en diachronie

veues merveilles. On rencontre cependant des cas, très minoritaires, où l'accord n’est pas fait; mais si l'on prend en compte le fait qu'il s’agit de locutions déjà figées telles que faire compagnie, oir messe, avoir volenté, etc. (le lyon qui li avoit fet compaingnie), où bien de cas d'objets coordonnés avec un accord difficile, il reste peu de cas où l'accord n'est pas fait. En MF l'accord devient moins systématique, au point que Clément Marot au 16 Sectes Nostre langue a ceste façon Que le terme qui va devant Voluntiers regist le suyvant.…. La chanson fut bien ordonnée qui dit : m'amour vous ay donnée... Il fault dire en termes parfaictz : Dieu en ce monde

nous a faictz;

Fault dire en parolles parfaictes : Dieu en ce monde

les a faictes :

Et ne fault point dire en effect : Dieu en ce monde les a faict.…. L'italien dont la faconde Passe les vulgaires du monde Son langage a ainsi basty En disant : Dio noi a fatti. (Epitre à ses disciples, HD. Cette règle d'accord du participe avec l’objet antéposé sera reprise et tempérée au 17% siècle, en particulier pour Vaugelas, fixée dès lors. Mais l'usage, révélé par les manuscrits d'écrivains, les correspondances, etc., montre que les «fautes d'accord» ne sont jamais sorties de la pratique. Au point que l’on a pu penser que seule l'intervention de la norme explicite, puis de l’école publique, a ralenti et empêché cette évolution de la langue. Il est vrai que l’un des grammairiens fondateurs, au début du 19% siècle, d'une lignée de célèbres manuels, écrivait que l'accord du participe passé construit avec avoir était «l'épouvantail des enfants, la ressource consolante de l’ignorant pédagogue» (1837, Grammaire nationale, p. 667; cité par Chervel, 1977). La tolérance admise par l’arrêté de 1901 n’a jamais été reçue par les manuels, ni les correcteurs d'imprimerie, ni les maîtres. Les grammaires continuent donc à imposer l'accord, et les locuteurs à tenter de ne pas faire trop de fautes — mais en vain. Ce type d'accord se rencontre encore dans quelques langues romanes, mais dans certaines autres il est optionnel (italien, catalan).

Morphologie et semantique verbales, syntaxe du groupe verbal

1.10.

Périphrases verbales, aspects et modalités

Au 16°" siècle, de très nombreuses périphrases verbales se développent; seules quelques-unes resteront : je vais chanter, je suis après chanter (vivante au 17°% siècle, elle reste dans les créoles), je viens de chanter; dans tous ces

cas il y a eu un processus de «grammaticalisation» de verbes dont le sens propre a été remplacé par un sens aspectuel; au début du 17°" siècle, le dauphin Louis emploie encore rarement s'en aller + Infinitif, et aller + Infinitif, et dans ces emplois le verbe aller semble conserver parfois son sens originel; il y a cependant quelques cas où la grammaticalisation a eu lieu : je gage qui va faire nui (23.4.05), «D. se retournant tout soubdain guaiement

sur le costé je m'en va faire semban de domi tout a bon» (6.6.06). 1.11.

Futur et conditionnel : une évolution cyclique ?

Depuis longtemps les linguistes se sont intéressés au cas du futur, et en particulier au futur des langues romanes. Toutes les langues ne connaissent pas le futur (ainsi le finnois), et parmi celles qui l'utilisent beaucoup le forment avec une périphrase verbale : ich werde kommen, I will come. Or dans les langues romanes il semble que cette catégorie temporelle ait été successivement exprimée soit par une forme «synthétique» (chanterai), soit par une forme «analytique» (cantare habeo en latin tardif, vais chanter en FM) : on aurait là un bel exemple d'évolution cyclique. Il existait un futur synthétique en latin : cantabo ‘je chanteraï’. Mais le futur français ne vient pas du futur latin; il vient d’une périphrase verbale formée du verbe habeo (‘jaï) et de l’infinitif du verbe : habeo cantare / cantare babeo : ‘j'ai à chanter’.

Dès le latin classique, à côté du futur normal, il existait en effet plusieurs périphrases verbales qui pouvaient elles aussi signifier le futur, indiquer qu'une action aurait lieu dans l'avenir, marquer donc le virtuel : cantare/ babeo, volo, debeo, venio, où habeo ad cantare.

Et dans toutes les langues

romanes ce sont certaines de ces périphrases qui sont à l'origine du paradigme du futur. Il y en avait une autre aussi, avec le participe futur et l’'auxiliaire esse, qui était aussi employée et aurait pu jouer le rôle de nouveau futur ;aux 40-65 siècles, certains auteurs tels Egérie ou Grégoire de Tours n'utilisent que amaturus sum ‘jaimerai ; mais cette forme ne s'est pas imposée : à cause sans doute de la question de l'accord, il n’y avait pas possibilité de construire un paradigme synthétique.

Dans l’ouest de la Romania et en particulier en gallo-roman, c’est cantare babeo qui domine. Mais dans d’autres langues romanes ce sont d’autres périphrases qui sont restées en tant que telles : en sarde c’est debeo/habeo/ba109

Le français en diachronie

beo ad cantare; en roumain, volo cantare (= voiu cînta; en romanche, c’est

venio cantare — veng cantar. En roman occidental dès le 4% siècle, cette périphrase s’est figée et a formé un seul mot: °cantaräyyo; l'infinitif perd son accent propre, le verbe habeo devient une désinence et ses formes se réduisent. Ce n'est cependant qu'au 6% ou au 7% siècle que son usage s’est

généralisé en roman occidental. Selon S. Fleischman (1983) le futur ou son équivalent sémantique aurait été : analytique en indo-européen, puis synthétique en latin classique; en bas-latin et latin oral une variation apparaît : des périphrases verbales exprimant le futur à travers l'obligation (cantare debeo), la volonté (cantare volo), où simplement une action destinée à être accomplie (cantare habeo) coexistent avec le futur synthétique. Dès le 4°"%-5° siècle et pendant tout le Moyen Âge, le futur est à nouveau synthétique. Au 16°" siècle apparaît une nouvelle périphrase avec aller (il va chanter), qui depuis coexiste avec le futur synthétique. Verra-t-on un nouveau stade où le futur périphrastique remplacera le futur analytique et se soudera en une nouvelle forme, comme cela s’est produit récemment en espagnol (dialecte de la région de Mexico : voy 4 dormir s'est soudé en vadormir qui se conjugue avec le clitique de personne devant : yo vadormir), ainsi que plus anciennement dans le créole haïtien d’origine française (moi après chanter > m'ap-chanté)? Quant à la valeur de ces deux futurs en concurrence, des recherches en cours montrent que l’origine et la signification du futur analytique périphrastique sont liées à la saillance du locuteur énonciateur (cf. je vais voir cefilm / je ne vais pas voir ce film ne sont pas absolument symétriques ; {u vas voir ce film a plutôt valeur d'injonction). L'étude des emplois du futur périphrastique en bas-latin, spécialement chez les auteurs chrétiens, montre qu'il se produit préférentiellement à la 1% personne, et avec certains verbes; or la confusion phonétique qui serait à l’origine de l'abandon du paradigme latin n'existe en fait réellement qu'à la personne 3, car cantabit au futur devient, par perte de l’occlusion, cantavit, qui est aussi la forme de parfait 3. Cela conforterait-il l'hypothèse d’un changement de la conception du futur née à l'avènement du christianisme? Signalons enfin la valeur ‘jussive’ du futur (Oppermann 1997) servant, aux personnes

2 et 5 surtout, à donner un ordre, à formuler une invitation,

parfois modalisés par bien et une intonation interrogative : Vous prendrez bien un café?

110

Morphologie et semantique verbales, syntaxe du groupe verbal

2. Les valeurs sémantiques des paradigmes verbaux 2.1.

Les valeurs des paradigmes verbaux ; oppositions temporelles et modales : l'expression du passé

Bien des valeurs et emplois des divers paradigmes verbaux sont restés quasi constants depuis le 11°" siècle ou du moins depuis PAF. Le présent est utilisé également pour exprimer le futur ou le passé («présent historique» : cf. dès l’AF dans la Chanson de Roland et Tristan et Yseut de Thomas par exemple).

Pour exprimer le passé, le français possède dès ses origines le passé composé, le parfait (ou passé simple), l'imparfait, et, également, le présent historique; ils ont des emplois parfois différents, et parfois, nous semble-t-il, synonymes. En AF et jusqu’au 19°" siècle on oppose le parfait, récit d'événements totalement passés, et le passé composé, indiquant qu'un événement passé a des conséquences présentes (ce qui a conduit Henri Estienne au 16°" siècle à formuler la «loi des 24 heures»). Le parfait est souvent accompagné de compléments ou adverbes de temps. Depuis le début du 20°" siècle, le parfait a cessé d’être utilisé dans

l'échange

oral courant,

mais il continue

d’apparaître dans certains types de récits spécifiques, à l'écrit et même à l'oral (CI. Blanche-Benveniste, 1997 : 51-52); il s'agit d’un changement dans les variations SOCiO- _linguistiques portées par les formes verbales.

Quant à l’imparfait, il marque le descriptif, la durée, la répétition. Au 17% siècle, la règle est d'employer l’imparfait pour les descriptions. Mais non accompagné de complément ou adverbe marquant une temporalité précise, il est apte également à exprimer le virtuel ou le non-réel : on le trouve dès le 12°% siècle dans la protase des systèmes hypothétiques : Si j'étais riche... et pour marquer l'entrée dans les récits de rêves dès le milieu ue siècle :; ces deux emplois se sont grammaticalisés à partir du Siècle sont toujours de règle en FM. En MF déjà l'imparfait se trouve davantage en subordonnées (environ 60% de ses occurrences), alors que le parfait apparaît surtout énoncés déclaratifs (pour 75% de ses occurrences) (R. Martin, 1971).

Et dès le 12°" siècle, l'imparfait peut marquer un potentiel non réalisé :

«Se le roy dan Pietre fust demorré ou pays paisiblement, elle estoit droite biretiere de Castille.» (Froissart, fin 14°" siècle).

Jusqu'au 16°" siècle, il existait un emploi du parfait dit «généalogique» : «Mon pere fut ung savetier», qui sera, comme dans bien d’autres cas de parfait descriptif, remplacé par l’imparfait. 111

Le français en diachronie

Le parfait de certains verbes (devoir) servait aussi en AF à marquer une action qui aurait dû avoir lieu mais a manqué : cet emploi aussi a été remplacé par l’imparfait en FCI : Li emperes li tent sun guani, le destre; Mais li quens Guenes iloec ne volsist estre.

Quant le dut prendre, si li caist a tere. (Roland 331-333 : Quand il aurait dû le prendre...).

En AF et jusqu'au 15°" siècle, le passé composé est toujours, d’une façon ou d’une autre, corrélé au présent : pour présenter comme encore actuelle la conséquence d’un acte passé, en relation avec l'emploi du présent historique en particulier, ou pour exprimer la vision subjective d’une action passée ; ainsi :

«Ne veez vous comment les Espaignols couronnerent a roy ung bastard, le roy Henry, et ceulx de Portingal ont couronné aussi ung bastard..» (Froissart : le roi de Portugal règne encore, d'où le passé composé, alors que le roi Henri IT est mort). Ce n'est qu'à partir du 15°" siècle que le passé composé va être utilisé pour la narration également. 2.2.

Les futurs

Les deux futurs du FM (voir ci-dessus $ 1.11) n'ont pas toujours valeur, et ne sont pas également possibles dans certains contextes emploie plutôt la périphrase pour une échéance dont on prévoit sans le préciser : il va avoir dix-huit ans (mais on a plutôt : i! aura ans le 22 mars/ dans un mois). 2.3.

la même : ainsi on le terme dix-huit

Le passif

Le passif, formé avec l’auxiliaire être généralement, peut également être exprimé en français, comme dans plusieurs langues romanes, par le réfléchi : Le jaune se voit beaucoup cette saison, C'est quelque chose qui se dit partout, Celle pièce se joue partout. Dans ce cas l'agent ne peut être exprimé.

3. La syntaxe groupe verbal et son évolution Le GV s'ordonne peu à peu entre le 9%" et le 18° siècles, contrairement au GN ordonné dès le roman commun. it

Morphologie et semantique verbales, syntaxe du groupe verbal

3.1.

La valence verbale : l'expression et la position du sujet et du régime, évolution

En AF l'absence de sujet est possible ; mais dès le 14°"-15°% siècle, on l’a dit, la situation change et le pronom sujet devient peu à peu un affixe proclitique.

Pour le régime direct, on l’a vu (cf. chapitre ID),à partir du 13°" siècle et spécialement en prose, l’ordre des mots a changé. Dans la très forte majorité des énoncés, le complément d'objet nominal suit le verbe conjugué. Quant au pronom régime, il suit la syntaxe décrite au chapitre précédent ; il est en général conjoint au verbe s’il est atone, et dès l’origine se place presque toujours devant le verbe : et Karlus non lostanit, si io returnar non l'int pois... (SStr); Il li enortet, dont lei nonque chielt, que... (Eulalie) :forme conjointe en général, forme disjointe si elle est en début d’énoncé. Parfois, comme

suit le verbe 15°"

siècle,

c’est le cas dans d’autres langues romanes,

conjugué cette

ou

infinitif:

construction

ne

dist li, por veoir la. Mais se

rencontre

plus,

le pronom

depuis le

les pronoms

sont

devenus des proclitiques, ils précèdent toujours le verbe, sauf à l'impératif affirmatif : prends le. Avec l'infinitif gouverné par un autre verbe, dont les modaux : vouloir, pouvoir, devoir. ou les verbes de parole, pensée, opinion..., on a dès l’origine soit une complétive Que, soit l’infinitif. En AF le pronom régime de l’infinitif se place devant le verbe régisseur : /e le vueil veoir , il la comence a veoir. Mais dès la fin du 14°" siècle une variation s’instaure, qui durera jusqu’à la fin du 18°" siècle, entre : je le veux voir et je veux le voir; en revanche je commence à la voir s'impose seul. C'est au 19% siècle que se généralise je veux le voir. Ce n’est qu'avec les verbes perception et faire et laisser que l’ancienne construction perdure, mais dans ce cas le pronom est l'agent de l’infinitif: je loi chanter — je l'entends chanter, je le faz/lais chanter — je le fais/laisse chanter.

3.2.

La négation : dès l’AF, ne + V/ne + V + pas, mie, point

Le français est la seule langue romane, avec l'italien du nord, à employer une négation en deux éléments qui encadrent le verbe conjugué, et dont le premier est un clitique. La question de l'effacement de ne en français oral a donné lieu à des études approfondies dont les résultats sont importants pour l'interprétation de la variation en diachronie. Par ce phénomène, le français s’est rapproché de la seule langue romane qui nie ainsi, l’occitan. Mais

surtout, si nous traitons de cette question dans le cadre de ce chapitre 113

Le français en diachronie

consacré au groupe verbal, c'est que nous interprétons cette évolution en terme non pas de morphologie, mais de syntaxe : dans le cadre d'un changement qui tend à placer tous les adverbes après le verbe conjugué, comme on l'attend d'une langue de type VO homogène, y compris la négation, qui est le morphème à déroger assez fréquemment à cette règle.

Dès le début du 17°% siècle, le grammairien Maupas (Grammaire françoise, 1607) signale chez les étrangers (mais n'est-ce pas à élargir aux locuteurs français?) l’omission du premier élément re dans les phrases négatives. Ce phénomène devait être attesté sans doute un peu plus tôt à l'oral dans les énoncés négatifs — et non plus seulement dans les interro-négatives — ce dont on a des attestations dès le 13°" siècle — où la valeur de pas où de point est virtuelle et non pas pleinement négative. Les relevés faits sur l'édition du journal d'Héroard montrent que pendant les années 1605 à 1611 (le futur Louis XIII a entre quatre et dix ans) le dauphin emploie ne une fois sur deux en moyenne, du moins dans la transcription donnée par Héroard : «j'ay pas dejuné». Mais ce n'est pas une idiosyncrasie du jeune enfant : certains des adultes qui lui parlent semblent avoir la même grammaire : {Mme de Monglat] ba jhesu monsieu j fau pa faire cela, on vou recognetré pa pour le fi du Roy seulemen [...] ba monsieu jfau pas dire cela, ifau pas palé ainsi au gouvernante..cela n'e pa beau monsieu (23.09.1607). L'excellente étude de W. Ayres-Bennet (1992) fait le point sur cette question; elle conduit à considérer qu'il s’agit là d'une variation en très longue période, et non d'un changement en train de s’instaurer, comme le pensaient M. Harris (1976 et 1988) et W. Ashby (1988). On proposera donc l'analyse suivante : le très AF ne possède qu'un morphème marquant l’assertion négative portant sur l’ensemble du prédicat : non, qui cependant apparaît dès le 10°" siècle sous la forme atone et conjointe au verbe ne, n°. Dès le 11°" siècle se développent mie, pas et point d'abord comme intensifieurs de la négation («ne pas manger même une miette de pain», etc.); après grammaticalisation comme adverbes pouvant se construire avec toutes sortes de verbes, ils pourront marquer, non la négation à eux seuls, mais la virtualité, en particulier dans les interrogatives attendant une réponse positive, et les hypothétiques : «Sui ge pas bele dame et gente?» (Roman de la Rose 5768). En effet l’'AF distingue, comme le FM, réel / virtuel / négation; mais là où le FM rassemble les deux premiers, l'AF marque de la même façon les deux derniers. Sont marqueurs de virtualiténégation dans lancienne langue : l'emploi du subjonctif, l'emploi des forclusifs (nul au lieu de un, rien au lieu de une rien), l'absence de déterminant. À côté des morphèmes ja, onques, nul, maïs, rien qui ne sont pas négatifs en soi en AF mais accompagnent ne pour marquer la négation

partielle, on ajoute dans le même

paradigme les trois substantifs mie, pas,

Morphologie et semantique verbales, syntaxe du groupe verbal

point, ainsi que goule et quelques autres moins fréquents, après une étape de grammaticalisation.

Le fait que pas et point d'abord, puis les autres termes accompagnant habituellement ne puissent dès le 16°"-17% siècle marquer la négation pleine lorsqu'ils sont employés seuls, montre que la valeur de ces morphèmes a changé : jusqu'alors ils marquaient la virtualité ou la non réalité, mais non la négation. Dès lors, employés seuls, ils deviennent morphèmes pleinement négatifs. En outre, certains phénomènes annexes propres à l'oral également accentuent sans doute cette évolution : par exemple le développement (voir ci-dessus) de la forme 07 comme personne 4, car la confusion phonique est facile devant voyelle, entre on n'entend pas et on entend pas. Négation totale OMPIOESS" As: mi 12°nefin 13° 14€ mi

non ne, n,nenne...pas (rare) ne, n, nen (rare) ne.mie/pas/point ne..pas/point/(mie)

16% 6.

ne, n'

17%-20°% s

[oral?? : pas] l'écrit et oral soutenu : ne...pas/ point (rare) oral quotidien : pas :

Négation partielle non.nule/nonque |ne...nul/onques ne...nul/onques ne..nu/aucun/jamais

[222] écrit et oral soutenu : ne..aucun/pas un / jamais oral quotidien : aucun/pas un/jamais

Tableau chronologique des formes de la négation

On notera en FNS oral (français oral non standard) l’antéposition de pas ou ne pas avant une subordonnée : pour pas que ça s'arrête. 3.3.

La place du participe passé par rapport aux auxiliaires, et de l’infinitif par rapport aux verbes régisseurs

Au 17% siècle, les «remarqueurs» condamnent unanimement la séparation d’avoir et du participe passé par l’objet nominal (* il a son journal lu), mais admettent leur séparation par un circonstant, ce qui est encore possible en FM ({ a toujours lu son journal le matin, il a sans peine mangé trois croissants). Pour être de même, la séparation de l’auxilaire et du participe par le complément d'agent passe pour archaïque au 17° siècle (57 a été par le vent arraché), et mais l'insertion d’un circonstant est admise et pratiquée encore en FM; pour le passé passif, Vaugelas préfère // a esté plusieurs fois contraint à Il a plusieurs fois esté contraint; mais le FM admet encore les deux.

Le français en diachronie

3.4. Verbes supports et «locutions verbales» Peu nombreuses en latin, les fréquentes en AF; elles le seront 17% siècles, et le FM, loin de s’en de nouvelles. Il semble donc bien

: de l’'AF au FM

locutions verbales semblent bien plus encore bien davantage au 16°" et au tenir à celles déjà existantes, en produit que ce type de formation, qui s'est sans

doute développé en roman commun ou en proto-français, soit toujours productif, même s’il présente parmi ses traits spécifiques, comme on le verra, des caractéristiques qu’on qualifie d’archaïsmes syntaxiques.

Ce type de locution est perçu comme une unité sémantique où le verbe a perdu son sens propre et porte les marques morphologiques de personne, mode et temps, alors que c’est le nom qui porte le sens notionnel et donne ses propriétés au groupe; ces locutions ont d’ailleurs souvent un équivalent verbal ayant pour radical le nom «supporté» : donner conseil/ conseiller, Léa m'a fait peur/ Léa m'a effrayé. Le même type de traits sémantiques et syntaxiques définit ces locutions au long des siècles : compositionalité sémantique partielle, et grammaire souvent archaïque. En effet au plan sémantique, les verbes dits supports sont semi-compositionnels : le choix du verbe support est figé et n'est pas prévisible par rapport au nom opérateur : prendre peur, faire peur ; et ce verbe a des propriétés différentes de ses emplois comme verbe plein. En revanche le nom conserve une bonne part de ses propriétés et son sens; au niveau syntaxique le déterminant du nom prédicat est contraint (souvent déterminant zéro, où impossibilité de possessif ou de complément déterminatif par exemple); au niveau sémantique le sujet du verbe support est analysé comme le sujet du nom opérateur.

Ainsi en AF au plan syntaxique, le nom prédicatif de ces locutions a souvent un déterminant zéro : poor avoir, conseil prendre / doner/ metre, etc. : «de chevalerie terriane n'en porroit il eschaper, se Nostre Sires n'i metoit conseil (Queste p. 50: ‘si Notre Seigneur ne s’en occupait; tous les

exemples qui suivent sont extraits de ce texte). Le nom prédicatif objet se place encore couramment en tête d’énoncé déclaratif au 13°" siècle, alors que l’objet direct nominal ne se trouve plus en cette position, sauf s’il est thématisé (et dans ce cas il comporte un déterminant anaphorique) ou topicalisé ; le nom prédicatif ainsi antéposé est immédiatement suivi du verbe, sans clivage ni extraposition possibles, et le sujet est le plus souvent non exprimé, ce qui en cas d’antéposition de l’objet nominal est rare : «Merveilles me dites, fet Perceval». I n'y a pas de possibilité d'expansion à droite pour l’objet nominal supporté antéposé, elle est alors déplacée après le verbe : «Honor ti avra il grant»; il peut y avoir une épithète à gauche, mais elle est intensive : Grant bonor i avra; parfois un déterminant indéfini tel que autre, 116

Morphologie et semantique verbales, syntaxe du groupe verbal

nul, tel est présent : «se Nostre Sires n'i met autre conseil». Enfin, on remarque

qu’on trouve ces locutions le plus souvent en discours direct. Toute une série de locutions à verbe support ont déjà été identifiées en AF, construites en général avec les verbes /aire, avoir/prendre/ porter/ tenir / trover, crier/ demander / doner, dire/ oïr/ veoir/ savoir, envoyer /mander

(‘envoyer’) / metre / vouloir : ainsi avoir/ faire bonte /honor, avoir peor, prendre fin, merveilles dire/ oïr/ veoir, etc. Dès l’AF beaucoup de ces locutions ont comme paraphrase des verbes simples : doner conseil / conseillier, saluz mander / saluer, bataille faire / combattre, prendre fin /finir, etc. En MF, au 16°" siècle et peut-être surtout au 17°" siècle, ce schème se révèle extrêmement productif. Pour rendre compte des deux cas, où la locution a une valence simple ou double (J! a peur/ Léa fait peurà Pierre), M. Gross (1976) a proposé une double analyse qui rend compte de la structure de ces expressions à toutes les époques : soit (1) N;Vsup [Det Npred

Prep Nilsx; soit (2) No Vsup [Det Npredls [Prep Nil».

L’antéposition du nom prédicatif objet est devenue impossible aux 16-175" siècles, mais le déterminant zéro reste une caractéristique forte de ces locutions : il ne faut pas voir là seulement un trait archaïque — bien qu'en ce cas ce soit une composante indéniable, mais c’est une possibilité constante tout au long de l’histoire du français pour construire un emploi intensionnel du nom, et qui donc appartient à la grammaire du FM, même si elle s'est réduite (Fuchs et Léonard, 1980). De façon générale les mêmes spécificités sémantiques et syntaxiques se retrouvent, même si plusieurs de ces noms ont pris un article aux 18°"%-19%% siècles tels que courir risque, prendre parole, et quelques autres; dès 1632 le grammairien Oudin donne une liste de ces expressions «où le nom se met sans article», et elles sont

nombreuses (Fournier 1998 : 171-172).

117

CHAPITRE VII

RELATEURS : PRÉPOSITIONS, SUBORDONNANTS, COORDONNANTS, ADVERBES DE PHRASE ET DE SYNTAGME

1. Prépositions : des prépositions de base aux locutions prépositionnelles Quatre prépositions issues du latin, 4 de, en et par, servent, depuis l'origine, au français pour former d’autres prépositions ou locutions prépositives (parmi, en avant de, par devant, par dessus, à cause de...) ou des adverbes ou locutions adverbiales (par dessus, en avant, à peine...). Tout au long des siècles, ces prépositions ont des emplois et des sens assez variés ; elles marquaient sans doute à l’origine des relations spatiales fondamentales : localisation ou direction, origine, passage. Certains de leurs emplois sont tout à fait grammaticalisés, tels que celui d’introducteur de l'infinitif pour de ( est difficile de mentir) qui apparaît dès le MF. D'autres emplois, notamment temporels, ont disparu au profit d’une construction directe (au matin — le matin), où d’une préposition plus précise (de longtemps — depuis longtemps). L'AF possédait un petit nombre de prépositions; certaines existent encore : outre les quatre mentionnées, contre, des, devant, entre, parmi, pour, IE)

Le français en diachronie

sans, Sur, SOUS, vers; d'autres ont disparu : ainz (avant, plutôt), atot endroit (vers, du côté de, pour ce qui est de’), estre (‘excepté’), l'extérieur de’), joste (à côté de’), lez (le long de, à côté de’), o/od puis (mais a donné depuis). Deux formes en -ant étaient dès cette

(‘avec’), fors Cà (‘avec’), époque

employées comme des prépositions, puisqu'elles étaient devenues invariables : Oiant toz, Veant toz : «En présence de tous, Sous les yeux de tous» : «Et en devenrois mes bom.…., voiant tous mes barons.» (Lancelot prose, mi-13° siècle : ‘Et vous deviendrez mon vassal...sous les yeux de tous mes barons.').

Le MF et le 16° siècle ont créé un grand nombre de locutions nouvelles : au milieu de, autour de, avant, au côté de, hors, quantà, quant est de, sauf...; durant et pendant sont encore parfois postposés et accordés, donc pas encore totalement grammaticalisés, excepté de même. En FM un certain nombre de circonstants peuvent se construire directement : le matin, le 20 mars, un soir, mais ils sont peu nombreux : l'emploi des prépositions n'a pas diminué au total. Il faut signaler cependant le développement contemporain d'une construction directe, N + N, dite à «substantif épithète» (voir chapitre V, $ 1.3.3.), au lieu d’une

construction

prépositionnelle : le rayon enfants, le problème chômage. Une conséquence du succès de cette construction est d’avoir conduit peut-être, au moins dans deux cas, à la création de nouvelles prépositions : côté et question ont subi un début de grammaticalisation : question prix, côté assurance. On le voit, depuis lAF et tout au long des siècles c'est surtout à partir de substantifs combinés aux prépositions de base, ou à partir d’adjectifs, de participes passés ou présents, que se sont formées de nouvelles prépositions : ä cause de, faute de, par rapport à, face à, sauf, plein, excepté, vu, passé, moyennant.

Mais ce qui différencie sans doute le du FM, c'est que la langue moderne prépositions et adverbes. Il n'était pas rare morphème ait les deux emplois possibles.

plus nettement l’ancienne langue distingue bien davantage entre jusqu’au 17% siècle que le même Mais le FM a distingué nettement

entre eux : sur/ dessus, sous/ dessous, pendant/ cependant, hors de/ debors, etc; il ne reste plus guère que après, avant, devant, à pouvoir être bivalents; et certains emplois absolus de pour et avec sont à situer dans cette grammaire en longue période : i/ est venu avec, c'est fait pour. Ce mouvement de distinction entre niveaux de l'analyse syntaxique, qui est, ainsi qu'on l’a vu

à diverses largement. 120

reprises,

l’un des traits de l’évolution

du français,

l'emporte

Prépositions, subordonnants, coordonnants, adverbes de phrase et de syntagme

2. 2.1.

Subordonnants

et relatifs

Les relatifs

Du point de vue des formes, la seule différence dans le paradigme est le remplacement de l’ancienne forme de ‘génitif-datif cui par dont, qui existait déjà mais avec le sens de ‘d'où’; dont génitif semble d’ailleurs être resté constamment une forme de l'écrit standard : nombreux et constants sont les témoignages de grammairiens soulignant les emplois fautifs : Le livre dont il m'en a parlé (avec redondance), /e livre qu'i m'en a parlé (avec décumul). De façon plus générale, et les textes anciens en témoignent également, c’est, tout au long des siècles, la même hésitation sur des formes

qui/ qu'il/ que, les deux premières se prononçant de la même façon devant consonne ; quant à la troisième, elle est par excellence le marqueur relatif et subordonnant. 2.2.

Les subordonnants

de base

Comme pour les prépositions, on peut en diachronie reconnaître un certain nombre de subordonnants de base : outre les relatifs déjà évoqués, il s’agit de que, si qui s’est graphié longtemps se dans la plupart des dialectes au Moyen Age, quant/quand et comme. À partir de l’un d’eux, que (graphié aussi ke) se sont engendrés beaucoup d’autres subordonnants par combinaison. Que sert en outre de ‘pro-subordonnant’, de forme de remplacement, à d’autres. En FM oral non standard, que «passe-partout» est désormais bien repéré, employé soit en lieu et place de subordonnants plus explicites : 1! a réussi que je puisse vraiment pas le faire (in Gadet, 1989 : 162 : «à ce que»), soit là où on n'attend pas de subordination : j'ai fait un cours qu'on aurait entendu une mouche voler, qu'est-ce qui t'arrive que tu es toute trempée ? (ibid.).

2.3.

Les subordonnants composés

La productivité de la forme de base que se révèle en français comme dans les autres langues romanes, et plus encore que dans les autres peut-être. Divers modes de composition sont utilisés : e redoublement de que : que que en AF (‘pendant que’), que ce que en FM comme complément de comparaison ;

e que..ne : ne descendé pas que ne n'aye mon chapeau (dauphin Louis 1604) 121

Le français en diachronie

e préposition + que, préposition + ce + que, adverbe + que : a ce que

/ lors que, / des ce que, lors ce que (AF : ‘étant donné que’), des que mais que (AF — FCI. ‘pourvu que’), pendant que, pour l'amour que

(MPENPCLEN parceque): Mr aimé vous bien l'Infante?- D. non.-— Mr pourquoy?- pou l’amou qu'’ale est Espagnoleje n'en veu point. (1605, Ernst p. 145). Une autre forme composée, comme quoi, à la signification aussi imprécise, se rencontre dès le 17°" siècle; le FM oral l'emploie couramment après un verbe où un substantif d'expression : j'ai reçu une lettre comme quoi ma demande était rejetée.

2.4.

D’autres subordonnants

?

Depuis l’'AF il y a la possibilité d'introduire une subordonnée à partir d'un adverbe ou d'une expression énonciative : si m'aist Diex que (Je vous jure que...'), espoir que (‘peut-être que’), bien sûr que, certainement que, heureusement que... Le FM construit encore : Heureusement que tu es là, Bien sûr queje suis venu (voir Chapitre IV, p. 69). 2.5.

Subordonnées coordonnées, subordonnant zéro

Un changement important s’est produit à l'époque du MF concernant le mode de coordination de deux subordonnées du même type. En AF les deux subordonnées étaient assez souvent simplement coordonnées par ef sans que soit répété le subordonnant : Fortune qui m'a esté mere jusque

ci, et or m'est devenue marrastre, me

fet user le remenant de ma vie en douleur (Kancelot en prose, 1 asiecie) …il vit un home qui tua un autre, et fu pendu, et avoit une piece de vigne a Mourcent…. (Chartes de Saint Magloire, 1296) il vit un home qui tua un autre, quifu pendu a Paris, qui avoit heritage a Mourcent… (ibid., cité par S.Marcotte 1997 : 81). Ce phénomène se rencontre tout au long de l’histoire du français, mais avec une plus où moins grande fréquence. Ainsi que l’a montré $S. Marcotte (1997 : chap. 2), une série de contraintes pèse sur la non expression du second subordonnant : en particulier, qu'un coordonnant soit explicite, que les deux subordonnants aient la même fonction, que la personne verbale et le temps verbal soient les mêmes. Cet effacement étant semble-t-il optionnel, l'AF paraît le pratiquer nettement plus que le FM; en particulier l’un des différences est que l'AF pratiquait l'effacement même si le second sujet était 122

Prépositions, Ssubordonnanis, coordonnants, adverbes de phrase et de syntagme

différent, et quand c'était le même il le répétait souvent, ce que ne ferait pas lé FM : S'il estoit vis et jel savoie, (Chrétien de Troyes, Cligès) Et quant il ot vetie la tombe son frere et il sot de voir que la reïne l'avoit Jet morir, il...(La mort le roi Arthur) Lors dist a son escuier qu'il mete la sele en son cheval et li aport ses armes. (Quête du saint Graal). Un autre changement, évoqué plus haut, est la quasi disparition, depuis l'apparition de la prose au 13°" siècle, des constructions paratactiques (voir Chapitre IV, pp. 69-70). Dans le FNS oral ce phénomène existe encore :je sais c'est pas bien.

3. Connecteurs 3.1.

et adverbes

Portée et incidence, position

Ainsi que le propose C. Guimier (1996), nous distinguons entre ‘portée’ et ‘incidence’ de l’adverbe; la portée est sa référence sémantique, l'incidence indique à quel terme il est syntaxiquement rattaché ; ainsi dans Pierre travaille joyeusement, ladverbe a pour incidence le verbe, mais pour portée sémantique le sujet (Pierre est joyeux). Cette distinction permet de rendre compte

plus facilement du fait que, comme il est facile de le constater, presque tous les adverbes peuvent porter sur des éléments de différents niveaux d'analyse d’une part, et d'autre part, selon leur position, mais parfois aussi quelle que soit leur position, ils peuvent se rapporter à n'importe quel élément de l'énoncé, et même à l’énonciateur ou à l’allocutaire : Honnêtement, je ne peux tl’assurer que je viendrai demain; Franchement, peux-tu prétendre avoir raison ? Pour ce qui est de leur position, si l’adverbe n’est pas en tête, comme dans les langues de type VO, il suit le verbe conjugué (i/ a bien travaillé, mais il a travaillé efficacement). 3.2.

Coordonnants

: l’accentuation de la distinction

Dès l’AF, font partie de ce paradigme : ef, ni, ou /ou bien, mais, qui peuvent relier deux propositions ou deux syntagmes, où deux éléments de

syntagmes. A propos de ces termes, un phénomène est à souligner : l'effort de distinction graphique. Le -{ de et est purement graphique dès l'AF; en MF 123

Le français en diachronie

ni, forme dialectale anglo-normande,

est préférée à la forme

standard

de

l'AF ne, de même que la forme moins ambiguë mais s'est maintenue au détriment de la forme alors prononcée mes. L'absence d'élision devant voyelle tant pour ni que pour ou va dans le même sens, celui de la distinction maximale. 3.3.

Adverbes connecteurs

3.3.1.

Temporels et spatiaux

Ces adverbes fonctionnent souvent en couples d'opposition : avant/ après, dessous / dessus, près / loin, etc. Quelques-uns ont disparu sauf en figements (amont, aval), peu se sont créés au total.

Mais ce qui est important, c'est de souligner qu’un bon nombre de connecteurs temporels sont devenus des connecteurs argumentatifs : mais (quantitatif en latin, temporel, quantitatif et argumentatif en AF, uniquement

argumentatif depuis le 16% siècle), or (temporel

référant

à la situation

d'énonciation, devenu argumentatif au 16°" siècle).

Et dans ce processus, des distinctions sémantiques se sont perdues. Ainsi, mais S'Opposait à ainz, ce dernier unissait deux énoncés complémentaires, ce qu’assume également mais depuis le 16°" siècle : Après ceste parole ne demora point li vallez, ainz s'en ala... (La Mort le roi Artu, 13% siècle ‘.… le jeune homme ne resta pas, mais s’en alla’).

Une autre distinction disparue est celle que faisait l'AF entre or, référant à la situation d’'énonciation, et lors; dès lors que or n'est plus qu’un connecteur argumentatif, alors en FM regroupe les deux valeurs. sans

Enfin, de l’AF au 17% siècle, la distinction entre ci (lieu de l’énonciation mouvement), ça (mouvement vers le lieu d’énonciation), /ä (hors

situation dénonciation) était fort vivante; le FS n’emploie plus guère que /à dans les trois cas, le contexte levant la possible ambiguïté : Viens la! C'est cette même distinction qui s'est perdue dans la réorganisation du système des démonstratifs (voir Chapitre V pp. 88-89). L'expression temporelle 7 y a... (que) existait dès l’AF, et comme en FM (P. Le Goffic, 1993, $ 340) pouvait également être, comme ci, veez la) une formule existencielle. 3.3.2.

voici / voila (veez

Adverbes de manière

La seule formation spécifique d'adverbes de manière en AF était la même qu'en FM : l’adjectif au féminin suffixé en -ment. Ces adverbes, tout au long des siècles, passaient facilement de l'expression de la manière à l'expression 124

Prépositions, subordonnants, coordonnants, adverbes de phrase et de syntagme

de modalités énonciatives. Ainsi en était-il par exemple de voirement (voir signifie ‘vrai’) en AF, et de vraiment où réellement, franchement, beureusement,

etc.,

en

FM.

D'autres

adverbes

de

manière

présentent

la même

évolution ou la même polyvalence : bien entre autres (Vous prendrez bien quelque chose?) (A. Culioli, 1990 : 157-171).

3.3.3.

Connecteurs argumentatifs : du temporel et du quantifiant au logique

On a déjà souligné cette constance de l’évolution qui va du temporel ou du quantifiant au logique, à propos de mais où or. Mais il faut étendre cela à certains emplois de déja (C'est quoi, déjà, ton nom?), de maintenant (ls viennent de se marier; maintenant,

sont-ils beureux?), de toujours (Prends

toujours ça), de enfin (Enfin, qu'est-ce qui te prend?) entre autres, ainsi que la pragmatique et la théorie des opérations énonciatives l’ont montré. Enfin, quelques emplois de formes verbales en particulier impératives, spécifiques à l'oral semble-t-il, doivent également être analysés ainsi : Attends ! Arrête ! Tiens, Remarque, Ecoute/Ecoutez... où encore : Penses-tu, tu

penses ! (CI. Clanche-Benveniste, 1997) : « Qu'est-ce que tu veux dire ? — Regarde, je vais te donner un exemple». 3.3.4.

Reformulations

Il existe dès l’'AF quelques marqueurs de l'opération de reformulation : c'est assavoir, ce est a dire. Le FM utilise en outre enfin pour cela, qui reformule en corrigeant : Monsieur Badinter a introduit les travaux d'intérêt général qui sont des condamnations



le détenu



enfin pas

le détenu,

mais

le

condamné— est à, est condamné à autre chose qu'une peine de prison. (cité par CI. Blanche-Benveniste, 1997 : 49). Ainsi, concernant leur évolution, les adverbes et connecteurs confirment

l'hypothèse développée dans le cadre de la grammaticalisation : l'évolution se fait du spatial et surtout du temporel et du quantifiant vers l’argumentatif et l’énonciatif, de l'objectif vers le subjectif (E. Traugott, 1991).

125

CHAPITRE VIII

LE LEXIQUE, SA CONSTRUCTION ET SON ÉVOLUTION

Le lexique est la partie de la langue qui change le plus vite, infiniment plus vite que la syntaxe où même la morphologie. Ainsi entre le Petit Larousse de 1949 et celui de 1960, près du quart des «entrées» ont changé (apparition, disparition, modifications). Ce phénomène est amplifié par le fait que les mots apparaissent tout d’un coup, mais disparaissent lentement.

1. Les sources : gloses, dictionnaires, textes techniques et autres Si le français a longtemps fonctionné sans grammaire enseignée ou écrite, en revanche son lexique a fait l’objet très tôt de «gloses”», c'est à dire de petits lexiques bilingues ou unilingues, où le mot censé être difficile est traduit ou expliqué dans une langue plus accessible. Cette pratique à d’abord concerné des mots du latin classique, que l’on avait dû ‘traduire’ en latin vulgaire ou chrétien. Ainsi les Gloses de Reichenau qui datent sans doute du 8°" siècle donnaient la traduction en latin vulgaire de mots du latin classique. Dans la même tradition, on a ensuite traduit les mots latins en langue vulgaire. Puis viendront des gloses qui, à l'inverse, donneront l'équivalent latin de mots de la langue courante. Tout au long du Moyen Âge une série de gloses latin-latin sont écrites, dont certaines seront la source

de gloses latin-français. Ainsi 127

Le français en diachronie

l'Elementarium

doctrinae erudimentum

latin-latin de Papias, écrit en 1063,

inspire la première glose comportant du français, l'Abavus latin-français de la fin du 13% siècle. La Summa

quae vocatur Catholicon de Jean de Gênes

(1286), glose latin-latin, inspirera à son tour toute une série d'ouvrages qui jusqu'au 16°" siècle seront très utilisés et inspireront à leur tour Robert Estienne. Mais ce n’est qu'au début du 16°" siècle qu'on verra apparaître les dictionnaires bilingues entre langues vernaculaires (1502 : Calepinus, Dictionarium latin-grec, puis 1545 du même auteur Pentaglottas latin-grec-allemand-français-flamand).

En 1539, Robert Estienne publie un Dictionnaire français-latin : pour la première fois on dispose d'un relevé assez important des mots français, classés par ordre alphabétique, traduits en latin, mais expliqués en français. Le mot dictionnaire lui-même est un néologisme, un calque de dictionarium (dictio signifie ‘mot). Ce dictionnaire où le français occupe pour la première fois de son histoire une place majoritaire aura une influence capitale sur les futurs dictionnaires qui suivront, en particulier pour l'orthographe des mots. R. Estienne est de ce point de vue l’un des responsables de l'orthographe moderne. En effet comme on le verra (chapitre IX) le 16°" siècle a conservé des graphies archaïsantes et recréé des formes étymologisantes. En 1606 a lieu pour la première fois de façon assez systématique une prise en compte des couches historiques du français : Jean Nicot fait paraître son Zhresor de la langue française tant ancienne que moderne, qui se donne pour une réédition modernisée de l'ouvrage de R. Estienne. Mais c'est la fin du 17° siècle qui marque une étape décisive dans la réflexion et la pratique des dictionnaires. Richelet publie en 1680 à Genève un

Dictionnaire françois

contenant

les mots

et les matières

et plusieurs

nouvelles remarques sur la langue françoise, ses expressions propres, figurées et burlesques, la prononciation des mots les plus difficiles, le genre des noms, le régime des verbes.….tirés de l'usage et des bons auteurs. En 1690, A. Furetière publie à La Haye un Dictionnaire universel contenant tous les mots tant vieux

que modernes et les termes des sciences et des arts. Enfin l'Académie, seule habilitée alors à faire paraître en France un ouvrage de ce type, publie en 1694 le dictionnaire dont elle avait la charge depuis sa création, et qui se fonde sur un corpus d'auteurs assez archaïques. Très vite de nouvelles éditions de ce dictionnaire verront le jour, qui intègreront chaque fois des modifications importantes. Actuellement la 9°" édition est en préparation depuis 1986. Aux 18° et 19% siècles, quatre grandes entreprises nouvelles voient le jour : le grand Dictionnaire de Trévoux (1704 en 3 volumes, 1771 en 7 volumes), l'Encyclopédie de D'Alembert et Diderot dont l'esprit est fondamentalement 128

différent

(dictionnaire

des

«choses»

et non

des

mots),

le

Le lexique, sa construction et son évolution

Dictionnaire d'E. Littré (achevé en 1877), le Grand Dictionnaire universel

du 19” siècle de P. Larousse, dont depuis 1906 le Petit Larousse est l'héritier. Le 20°" siècle à poursuivi d’une part la tradition encyclopédique, et d’autre part la tradition du dictionnaire avec notamment Le Grand Larousse de la langue française (1971-78), le Robert de la Langue française (1964, puis 1985), et plus récemment le 7résor de la langue française, ce dernier présentant une nouveauté considérable, qui est le recours à un immense corpus automatisé; il est en outre conçu comme une base de données indéfiniment enrichissable. L'importance symbolique de ce type d'ouvrage se révèle à travers le succès assuré de la publication, attendue et commentée chaque année, du Petit Robert et du Petit Larousse.

2. Les origines du lexique français jusqu’au 14°"° siècle Selon D.Messner (1975), le lexique français serait :

e à 86,5% d’origine latine (d’origine populaire, ou savante : cheval/ équitation) ; >

e à 1,35% d’origine germanique;

e à 0,12 d’origine scandinave ; e à 0,08% d’origine celtique;

e le reste (12%) : emprunts divers. 2.1.

Origine latine L'immense

majorité des mots français vient donc du latin, mais essen-

tiellement du latin vulgaire : à eguus (le cheval) l'oral substituait caballus (‘vieille rosse’); à pulcher (‘beau’) ou formosus, bellus (que lon rencontre deux fois chez Térence) ;à ignis (le feu’) focus (le foyer) ;à caput (la tête”), testa (‘tesson de cruche’); à /oqui (parler), parabolare (raconter des histoires’); et l’on pourrait multiplier les exemples. Les termes seconds résultent souvent de figures de style bien connues : métonymie (/ocus ‘le feu’), métaphore (testa), terme dépréciatif ou ironique (caballus, parabolare,…). Bon nombre de mots du latin écrit standard, qui n'était pas seulement du latin oral, sont passés en français, en subissant au long des siècles les modifications de prononciation habituelles (voir chapitre IX) : librum = livre, mare —

mer, civitatem —

cité, oculos

— yeux,

rationem



raison, etc. 129

Le français en diachronie

2.2.

Origine celtique

Avant la conquête et l'occupation de la Gaule par les Romains, c’est le gaulois qui y était utilisé (cf. chapitre ID. De ce ‘substrat’ celtique il reste une centaine de noms communs : chemin, dune, lande, talus; arpent, lieue; char, charrue, soc; cervoise; bouleau, chêne, if, sapin, bruyère; alouette, lotte,

mouton, ruche (mais abeille vient du latin). Des suffixes de noms de lieux aussi témoignent de cette période de l’histoire : -dunum («colline») : Lugdunum

(Lyon, Loudun,

Laon, Leyden), Augustodunum

(«marché») : Rotomagus (Nemours);

2.3.

(Rouen);

-nemeto

-lan («plaine») : Mediolanum

(«lieu

(Autun), etc.; -magus

sacré») : Nemetodurum

(Meulan).

Origine germanique

Les Francs installés au nord de la Loire (5°"* siècle) ont introduit plusieurs centaines de mots, souvent latinisés entre le 6°" et le 11°% siècles, surtout dans les domaines des institutions, de la guerre, de la chasse, des couleurs : guerre, guet, gagner, garder, baïr; danser, regarder, guérir..….; éperon, étrier,

flèche, gonfanon, hache, haubert, heaume; fief, féodal; bande, baron, maréchal, marquis, sénéchal; bois, baie, jardin, hêtre, boux, roseau, saule.. ; banc, fauteuil; soupe («tranche de pain»); blanc, bleu, blond, brun, gris; gai, laid, long...

2.4.

Origine normande

Les Vikings, à qui le roi de France avait cédé la Normandie en 911, ont eu peu d'influence sur la langue commune. Les quelques apports ont trait au vocabulaire maritime : hauban,

hune, turbot, vague...

En revanche, la toponymie locale est plus révélatrice, et les suffixes sont d’ailleurs souvent

mal interprétés : -bec («ruisseau») : Caudebec,

Bolbec… :

-fleur («baie») : Honfleur, Harfleur...; - tot (toft «ferme, village») : Yvetot. 2.5.

Emprunts à l’arabe

Tant les croisades, qui commencèrent à la fin du 11°" siècle et se poursuivirent sur plus de deux siècles, que les traductions d'ouvrages scientifiques, où de traités philosophiques antiques conservés par la tradition arabe, ont été le véhicule d'emprunts importants à cette langue : amiral («émir»), al- (alambic, algarade, alcool, alchimie, algèbre.) ; hasard («dé»), orange, azur, Sucre; chiffre, zéro. 130

Le lexique, sa construction et son évolution

3. Du 14°" siècle au 20°" siècle 3.1.

Comment

crée-t-on de nouveaux

mots?

Comment

introduit-on

du nouveau dans le lexique ? On peut se demander comment, à partir d’un fonds donné, on peut ‘créer des mots nouveaux. Les procédés sont bien repérés, et on les voit à l'œuvre à toutes les époques. On innove par emprunt à d’autres langues, ou en calquant des mots étrangers; en modifiant ou enrichissant la signification d’un mot (ex : écriture après R. Barthes); également en créant véritablement des termes nouveaux, mais le plus souvent par dérivation et composition à partir de mots existants, et suivant des règles précises ;parfois par troncation, siglaison; enfin, en créant des lexiques parallèles construits suivant une grammaire précise (le verlan actuel ‘jeune’, aux règles de formation strictes), dont la durée de vie est normalement brève, mais dont parfois quelques termes restent définitivement dans la langue : beur, meuf sont entrés dans quelques dictionnaires, y resteront-ils ?

Dérivation et composition opèrent par suffixation ou préfixation: la forme et surtout l'emploi et la valeur des suffixes, plus que des préfixes, a cependant varié. En outre, les mots composés posent un problème linguistique important. Alors que les mots simples relèvent presque toujours de l'arbitraire du signe, les mots construits apparaissent motivés, puisque d’une part les éléments, suffixes ou préfixes, qui servent à les construire appartiennent à la morphologie (-eur, -erie, té, -tion, -able, re-, in-..), et que la base

sur laquelle ils sont construits est déjà dans le lexique. Ainsi que l'écrit D. Corbin, dont les règles et éléments de composition du lexique est le champ de recherche, «[les mots construits] ne ‘naissent’ ni ne ‘meurent’. Ils sont toujours déjà là dans la langue, si les règles qui les construisent et les bases sur lesquelles ils sont construits sont dans la langue» (Corbin, 1987 : 40). Dès lors, et contrairement aux mots simples, les mots construits peuvent être interprétés et compris en dehors de tout énoncé, hors emploi. La mise au jour des opérations linguistiques générant la forme des mots construits commence à être bien connue ; on sait ainsi que le français place d’abord le suffixe d’agent, puis le suffixe locatif : parfum-e(u)r-ie (après application des règles de bonne formation morpho-phonologique);les règles de leur interprétation sémantique ont été explorées (voir en particulier M. Temple, 1996); la fréquence d'emploi des divers préfixes et suffixes du français, leur ‘rendement’, est désormais bien connu grâce aux travaux d'E. Brunet (in Chaurand, 1999 : 698-702) : en longue période, de 1550 à 1960, il note grâce à ses analyses factorielles menées sur le corpus FRANTEXT, que les suffixes -isme, -iste, -ion ont connu une montée régulière, alors que 131

Le français en diachronie

les suffixes -eur, -esse, -eux, -able connaissent une baisse régulière, que -{ude, -tion, -té, -ure, -at, ise, -ée ont un usage sans à-coup mais sans augmentation. D'un point de vue diachonique il reste encore beaucoup à découvrir dans ce champ des mots composés, en liaison certainement avec le développement de la description des ‘langues de spécialité’.

3.2.

Les étapes des changements dans le lexique

Les 14% et 15% siècles marquent une étape importante, car de nombreuses traductions d'œuvres latines, ou grecques mais traduites en latin, ont été faites à l'initiative des rois Jean le Bon et Charles V (le créateur de la Bibliothèque Nationale). Pierre Bersuire (en 1354-56) traduit une partie des Histoires de Tite-Live, et sa traduction sera à son tour traduite en anglais et catalan. Jean

Golein

traduit

le Cité de Dieu

de saint Augustin.

Nicole

Oresme traduit huit œuvres, dont la version latine de trois traités d’Aristote (La Politique, Les Economiques, L'Ethique à Nicomaque). Pour les frères de Charles V, Laurent de Premierfait traduit Cicéron (De amicitia, De senectute)

et Boccace. Enfin, au 15°" siècle, Charles le Téméraire, duc de Bourgogne, fait traduire César, Quintilien, etc.

Les auteurs de ces traductions introduisent de nombreux néologismes. P. Bersuire place en tête de sa traduction de Tite-Live un lexique de 70 mots nouveaux, soit calques du latin, soit mots existants mais avec un sens nouveau : augur, cirque, comice, colonie, magistrat, inaugurer, transfuges,

blébiscite,

inauguration.

N. Oresme

fait 301 emprunts

directs au latin:

abnégation, abus, abstraction, anarchie, aristocratie, arctique, atténuer, austral.…..définir, démocratie, détermination...Parfois ces mots vont être «oubliés» quelque temps, pour renaître plus tard. C'est à cette époque aussi que sont introduits en français des mots d'origine grecque : soit directement par emprunt savant, soit indirectement après passage par le latin. C'est ainsi qu'il existe des doublets tels que amande et amygdale, le premier venant du latin amandula qui est lui-même un emprunt du grec amygdalé («amande»), tandis que le second qui apparaît en 1370 est un emprunt savant direct au grec auquel on a donné un sens figuré. De même blämer et blasphémer viennent tous deux du grec blasphemia, le premier par l'intermédiaire du latin chrétien blastemare («faire des reproches»), le second étant un emprunt direct. La plupart des mots

ayant une

racine grecque

sont des termes

savants

ou techniques. Dans le domaine médical, à partir du 18°" siècle, le grec et le latin sont institués langues internationales des sciences, et deviennent bientôt les bases de formation systématique des néologismes. On aboutit ainsi parfois à des formations mixtes, mais on a là un cas rare où deux langues 182,

Le lexique, sa construction et son évolution

anciennes servent systématiquement de ‘réservoirs à formants’. Ce type de néologismes présente l'avantage d’une certaine systématicité, mais l’inconvénient d’une absence presque totale de transparence sémantique pour le locuteur non technicien, ce qui est de toute façon l’un des traits des «langues de spécialité ».

Grâce à cette intense activité néologique, environ 40% du vocabulaire actuel datent des 14°" et 15% siècles, dont une très grande partie du vocabulaire abstrait et savant : nombreux composés en -ion, -tion, -ité, -ence . causalité, déduction, évidence, existence, réflexion,

A la fin du 15% et au 16° siècle, l’humanisme, et le fait que le roi Henri II ait épousé Catherine de Médicis, suscitent de nombreux emprunts à l'italien, spécialement dans les domaines

des arts (balcon, arcade, façade, artisan,

fresque, cadre; sonnet, madrigal; romanesque, chevaleresque, arabesque, grotesque..), de la guerre (camp, cavalerie, soldat, caporal, colonel, enfanterie), de la banque (banque, bilan, crédit, faillite). Parallèlement, dans un mouvement complémentaire, plusieurs régionalismes sont introduits par Rabelais et les poètes de la Pléiade.

Au 17°% siècle, une volonté inverse, et explicite, d'apurement de la langue s'impose institutionnellement (Malherbe, l'Académie française). Sont exclus les archaïsmes, les néologismes, les régionalismes, les «mots bas» ou techniques. Au 18% siècle, la Révolution provoque de grandes transformations dans le lexique. Les nouvelles institutions, les nouvelles unités de mesure (mètre, litre, gramme), le renouvellement des termes politiques provoquent un mouvement important. Une édition du Dictionnaire de l'Académie publiée en 1798 comporte un supplément de 300 termes politiques créés à la Révolution. Parallèlement, la politique d'expansion du français langue de tous les Français conduit à condamner l'usage des dialectes. Au

19%

(alarmant,

siècle apparaissent

en grand nombre

des adjectifs en -ant

inquiétant, avilissant, rassurant), des dérivés privatifs en

dé-,

dis-, anti-, in-. Plus encore qu'au siècle précédent, les emprunts à l'anglais se multiplient (budget, club, congres, jury, parlement...). Mais c'est surtout par le développement des terminologies techniques qui exploseront au 20°" siècle que le lexique change.

Le 20°" siècle utilise les siglaisons et acronymes en quantité, infiniment plus que jamais auparavant. La troncation génère de nombreuses formes nouvelles : sécu, ciné, télé... Les mots tronqués en -0, qui avaient connu entre

la fin du 19°" siècle et 1945 un large développement mais uniquement en composition (/a secte opportuno-socialo-radicale, judéo-marxiste, plouto-démocratie, etc.) (Arnold, Dougnac et Tournier, in HLF 1995) se sont beaucoup 133

Le français en diachronie

développés récemment : radio, vélo, moto, auto, météo, bosto, photo, MacDo,

bobo, coco, dodo... ; ils ont formé un groupe important qui sert de modèle à des mots même graphiés autrement, mais se terminant en [ol] : au fameux métro, boulot, dodo se sont ajoutés restau où resto, etc. : ainsi métro boulot dodo, restau expo disco, bistrot loto photo, etc.). Entre 1914 et 1945, bien des nouveaux termes ou de nouvelles acceptions de mots existants apparaissent, liés à la situation de guerre et à la politique : résistance,

cellule,

section,

collaboration,

etc.

Et en

grand

nombre

se

développent des composés en anti-. 3.3.

Comment

observer l’évolution du vocabulaire ?

En 1956-1964, fut élaborée par G. Gougenheim et trois autres linguistes la base du ‘français fondamental’, enquête qui permit de dresser une liste des 1063 mots à fréquence supérieure à 20 dans l'enregistrement de 275 témoins; ces mots sont également répartis suivant divers paramètres (sexe, âge, région, niveau de culture, profession, thèmes traités). Au total, en FM,

les mots les plus employés sont à ventiler entre, d’une part des termes que l'on retrouve en tout type de discours (les formes de être, avoir, et, il, dire,

faire, les articles la, le, les, les prépositions de et 4, les pronoms 1, ils, on, vous, les démonstratifs ce et ça...), et d'autre part des termes spécifiques de tel ou tel discours. Une telle approche fournit une assez bonne vue chronologique du FM du milieu du siècle, mais ne dit rien sur les éventuels changements. E. Brunet (1981) à entrepris une analyse des changements et des mouvements des mots. Cette étude statistique a été menée sur un corpus exclusivement écrit, celui du TLEF, très majoritairement littéraire. Ce travail est

cependant précieux par les indications qu'il donne. On voit ainsi que les 907 mots de très haute fréquence appartiennent au fond le plus ancien et le plus populaire, et qu'ils couvrent environ 90% du total des occurrences. Et sur deux siècles, 40% des mots révèlent un net changement, à la hausse, à la baisse, ou sont des apparitions (concept, causalité, déterminisme, chemin de Jfer..…). Cette étude présente une seconde limitation à notre curiosité de diachronicien : l'absence d’analyse des changements de sens d’un même mot; ainsi par exemple, même si franc, honnête, comprendre, entendre n'ont jamais cessé d’être employés depuis le plus ancien français, leur signification a beaucoup évolué (voir J. Picoche, 1994 : 326-334).

134

Le lexique, sa construction et son évolution

3.4. Politique linguistique : la féminisation, les anglicismes La féminisation des noms d'agent et de métier est actuellement une question politique. Au Canada, en Suisse et en Belgique la situation à plus vite avancé qu'en France; des livrets ont institué professeure, auteure, recteure, etc. Et l'on tend à réemployer pour des emplois prestigieux des termes féminins qui existaient mais étaient dévalorisés par rapport au terme masculin correspondant : directeur/directrice, administrateur/administraIMICEMEIC.

Quant aux anglicismes, présentés comme un danger potentiel pour l'intégrité du français, il ne semble pas qu’à l'heure actuelle, dans le français standard, ce soit le cas. Même dans certaines langues de spécialité plus poreuses que d’autres, par nature, aux anglicismes, la ‘francisation’ et la création néologique selon un format français jouent leur rôle. En informatique ordinateur, bogue, la Toile, la souris, etc., montrent à l'évidence ce souci,

même si certains termes font pour l'instant difficulté : on n’a pas encore trouvé le terme concis et exact qui puisse remplacer e-mail.

135

CHAPITRE IX

L'ÉVOLUTION DES SONS ET DES GRAPHIES

Pour toute la période antérieure à la fin du 19°" siècle, où est apparue en 1877 la possibilité d'enregistrer les sons (et où ont été créées les Archives de la parole, premier laboratoire de phonétique expérimentale en France), comment peut-on connaître la façon dont les mots étaient prononcés? On sait qu'il n'existe aucun système graphique qui soit absolument transparent, et l'orthographe française l’est moins que toute autre. Dès lors, comment connaît-on la prononciation? Il existe plusieurs moyens pour cela. Tout d’abord le témoignage des grammairiens : il existe des descriptions un peu précises du français à partir du 16% siècle. Pour le Moyen Âge, deux séries d'indications sont précieuses ;tout d’abord les rimes (qui unissent

voyelles

et consonnes),

ou

les «assonances»

(qui unissent

seulement des voyelles) quand elles ne sont pas «du même au même», c'est-à-dire quand elles se font entre des mots ayant phonétiquement des origines différentes. Ainsi, si un participe passé en -6 rime avec un autre participe passé en -6, cela n’apprend rien. Mais que -és et -67 puissent rimer, que bel (< bellu) rime avec tel (< tale), ce qui ne se passe qu'à partir du 13°% siècle, cela montre que la prononciation de -Z final a cessé d’être affriquée, et pour bel et tel que leur -e- est devenu semblable, ce qui n'était pas le cas jusqu'alors. D'autre part un changement de graphie peut être instructif : qu’à l'extrême fin du 13°" siècle, le nom propre /ehan de Greil s'écrive tantôt ainsi, tantôt Grey, montre

un début de transformation

du /

palatal en yod. 197

Le français en diachronie

1. L'évolution de l'accent tonique En latin, comme dans les langues romanes actuelles autres que le français, il existait un accent de mot, avec une règle d’accentuation sur la pénultième ou l’antépénultième syllabe. En FM, il existe un accent de phrase, ou de syntagme, sur la dernière syllabe. Et entre les deux? En AF, sans doute l'accent de mot existait encore au moins pour certains mots (cf. formes toniques de pronoms personnels où

démonstratifs), existait

aussi

et au moins certainement

jusque vers 1400. Mais l'accent de syntagme

en

AF, c'était

l'une

des

marques

de

cohésion

syntaxique.

On observe cependant en FM oral, dans quelques idiolectes, une tendance à accentuer presque systématiquement la première syllabe du premier mot du groupe nominal (le premier mot). S'agit-il d'un changement durable ?

2. Évolution des sons 2.1.

Les systèmes phonologiques successifs

Dans le passage du latin tardif oral au français, ont lieu six phénomènes globaux qui différencient nettement le français des autres langues romanes, et qui font que le passage d’une période à l’autre du français est à chaque fois importante :

1. l'évolution des voyelles toniques qui pour la plupart se diphtonguent, en deux étapes successives, la première qui concerne tout [ÈS]

le domaine roman, la seconde qui ne touche que le français; l'affaiblissement concomitant des voyelles atones non initiales, qui soit s'effacent soit aboutissent à schwa (9):

3. la nasalisation des voyelles suivies d’une nasale (m, n, 1):

4. la palatalisation de très nombreuses consonnes au contact de yod (j) où, pour les vélaires, au simple contact d’une voyelle antérieure;

5. l’affaiblissement, ou lénition, de presque toutes les consonnes intervocaliques, en deux étapes là aussi, l’une concernant tout le domaine roman (pb, t-d, k-3g), l’autre ne touchant que le français (b=v, d s’amuit, g—j ou s’amuït) :

6. l'effacement de la plupart des consonnes finales ou implosives. 138

L'évolution des sons et des graphies

Les trois tableaux suivants donnent un aperçu des différences existant entre les systèmes successifs principaux : latin, AF, FCI.

13 sons

e 10 voyelles simples, longues ou brèves, en 3 degrés d’aperture et 2 séries : avant : ae arrière : OU e_3 diphtongues : au ae 0e

vocaliques

16 sons consonantiques

i;

e 13 consonnes:

ptk; bdg; mny;f;s;lr; h? kw? |+ 2 semi-Consonnes : 7 w

Tableau 1 : Le latin classique : 29 phonèmes

26 sons vocaliques (l'opposition de longueur n'existe plus) (4 degrés d’aperture) (3 séries :

oraux | 9 voyelles simples : aeei; oe#7y; 5ou; 2? 11 diphtongues : ai au ei ei ie oi oi ou JE VS Vi 2 triphtongues : eau ieu nasaux|

2 voyelles nasales : & 5 2 diphtongues nasales : yE äi

avant, arrière,

médiane) 23 sons

21 consonnes

consonantiques

DRAC

EME

SE

EU

ALAN

2 semi-consonnes

|w y

Tableau 2 : L'ancien français de la fin du 12°": siècle : environ 50 phonèmes

16 sons vocaliques (il n’y a plus de diphtongues : la plupart ont disparu au 13265) 20 sons

[oraux

|12 voyelles simples en 3 séries : d'avant et non-arrondies, ou d'avant et arrondies, ou d’arrière (et donc arrondies) : ae ei} 0097);

20U;9

nasaux | 4 voyelles nasales : 4 2 € 17 consonnes : DIR DIDIER

consonantiques :

Se

DRE

3 semi-consonnes :

|[jw y

Tableau 3 : Le français du 20°": siècle : 36 phonèmes (ou 34)

139

Le français en diachronie

2.2.

Le système vocalique de départ ; latin classique, latin tardif : de l'opposition de longueur à l'opposition d’aperture

Le latin classique possédait treize phonèmes vocaliques : cinq voyelles longues ou brèves, suivant trois degrés d’aperture (ouvert, moyen, fermé) se répartissant en antérieures (a, e, i) et postérieures (o, uw), et trois diphtongues (au, ae, 0e).

En latin tardif, et déjà en latin vulgaire, ce système avait évolué, l'opposition de longueur s'étant doublée d’une opposition d’aperture qui a fini par la remplacer : 4 long et bref s'étaient confondus, e long et 1 bref ainsi que oe étaient devenus e fermé, e bref s'était ouvert en e ouvert de même que de, o bref s'était ouvert, o long et # bref étaient devenus o fermé; ? long et u long ont conservé le même son. Ainsi le latin tardif a un système de sept phonèmes vocaliques reposant non plus d’abord sur la longueur, mais sur le degré d’aperture, plus une diphtongue : aeeioou ;au.La longueur a cessé d’être distinctive en roman. Sous l'accent et en syllabe ouverte seulement, cinq de ces voyelles se diphtonguent, en deux temps : soit dès le 3°" siècle et dans tout l’espace de la Romania (diphtongaison dite ‘romane’), soit aux 5°"-6° siècles et seulement dans l’espace gallo-roman (diphtongaison dite ‘française”) :

a devient ae puis e long (patrem > pere, mare > mer), e devient ie (bene > bien),

e devient ef puis oi puis o € (fidem > feôe > foi), devient ue (cor > cuer),

o devient ou puis eu (florem > flour > fleur).

En outre, soit sous l'influence de la palatale yod [j], soit en se combinant avec lui, les voyelles toniques mais en syllabe fermée aboutissent aussi en gallo-roman à des diphtongues. Quant à u [ul], il s'est palatalisé en [y] vers le 8° siècle en conservant la même graphie. Ce n'est guère qu’en syllabe initiale ou en syllabe tonique fermée que subsistent des voyelles simples.

Ainsi, dès le 9°% siècle et jusqu’à la fin du 12°" siècle sans doute, le système vocalique du français était extrêmement riche en voyelles se distribuant suivant quatre degrés d’aperture, en diphtongues de toutes sortes, une douzaine environ, et même en triphtongues. C’est de cette époque que date l'essentiel de notre notation vocalique, très riche en ‘digrammes’ pour noter des sons vocaliques simples (voir ci-dessous $ 3.2.). Et dès le 13°" siècle la série médiane, antérieure arrondie, s'enrichit de [oe] et [ol.

140

L'évolution des sons et des graphies

En outre dès le 11°" siècle se développe, comme dans aucune autre langue romane, la nasalisation des voyelles et diphtongues suivies d’une consonne nasale (m/n/p) : il s'agit d’une anticipation de la prononciation de la consonne,

due

à un

affaiblissement

articulatoire.

Là encore,

c'est un

phénomène global qui touche les voyelles concernées en toute position, d’abord les voyelles les plus ouvertes (4 > à), ensuite les moyennes (e > E, 2 > 3, 0e > ®), ensuite seulement les plus fermées (7 et à).

On a alors un système vocalique complexe et exceptionnellement riche, qui subsiste peu de temps en l’état, et qui se structure en : e 4 degrés d’aperture ; e 3 séries (antérieures non rieures arrondies) ;

arrondies,

antérieures

arrondies,

posté-

des sons simples, diphtongués ou triphtongués ; des voyelles orales ou nasales; e etune central devenant schwa [ol.

Assez vite des phénomènes de simplification se produisent. Les deux phénomènes que l’on vient de voir, diphtongaison et nasalisation, vont subir un mouvement inverse : dès le 13°" siècle pour le premier, entre le 14°" et le 16°% siècles pour le second. Presque toutes les diphtongues, après être devenues des diphtongues ascendantes (bascule de l'accent sur le second élément de la diphtongue), donc instables, se sont simplifiées. Ou bien elles se sont réduites à des voyelles simples : we et eu se simplifient en une arrondie d'avant æ (ou 9), nouvelle série de voyelles qui est apparue alors en français, et en français seulement;

af et ei deviennent

€; ou se réduit à w (amour).

Ou bien elles sont devenues des voyelles précédées d’une semi-consonne j, w ou y: ie devient je, 0€ est prononcé [we] puis [wa] tout en continuant à être graphié -ot-. Quant aux voyelles nasales, toutes ne se sont pas conservées : les voyelles nasales placées devant une consonne nasale explosive, donc se prononçant encore, se sont dénasalisées (ex. :femina > femme > au 11°" siè-

cle fëme > au 127% siècle fäme > au 14°" siècle fame), et seules les voyelles nasales placées devant une consonne nasale implosive s'effaçant sont restées nasales ;enfin les plus fermées de ces voyelles nasales se sont ouvertes (7 en éetten œ fin fin JE, étuñn>-un-®), Par ailleurs, l'AF possédait un grand nombre d’hiatus, du fait de l'effacement de nombreuses consonnes intervocaliques : habutu — ei, credutu — cretü, vidisti — veis, etc. Tous ces hiatus sont réduits à leur tour

au 14% siècle, accentuant la brièveté relative des mots français par rapport aux mots correspondants dans les autres langues romanes. 141

Le français en diachronie

En revanche, tous les grammairiens du 16°" et du 17°" siècles le disent, il s’est instaurée une différence de prononciation entre elong et bref (chantée, chantés, chantées/ chanté), i long ou bref (finie, finis, finies / fini), u long ou bref (venue, venus, venues / venu), distinction instaurée dès lors que -e final et -s final ont cessé d'être articulés, sauf, pour le dernier, dans les phénomènes de sandhi (ou liaison). Ce phénomène de compensation de

l'effacement d’une consonne par allongement de la voyelle précédente aurait réintroduit en français une opposition de longueur qui n'était plus fonctionnelle — mais pour quelque temps seulement. Pour finir, une question prospective : faudra-t-il réintroduire dans le système phonologique du français quelques phonèmes que l’on conserve actuellement dans la prononciation de quelques mots empruntés mais fréquents, tels que [d3] dans jazz, [n] dans parking, Itf} dans tchao?

2.3.

Les sons consonantiques, les phénomènes de sandhi

Les sons Consonantiques ont subi entre le latin et le FM trois changements importants :

e un affaiblissement des consonnes placées entre deux voyelles (vita) aboutissant pour plusieurs d’entre elles à une disparition, et ce en roman ; e un affaiblissement des consonnes implosives, en fin de mot (dès le 13°" siècle) ou de syllabe (est, tombe : du 11°" au 14° siècles) e une palatalisation des consonnes suivies de [jl, d’où résultèrent de nouveaux sons, dès l’époque romane, [tfl et [d3], qui sont devenus

par simplification au 13°" siècle [f] et [4]. L'amuïssement des consonnes finales est complet en finale de groupe ou d'énoncé ;mais devant un mot appartenant au même groupe et commençant par une voyelle, le français connaît des phénomènes de sandhi (ou liaison) assez complexes, en particulier pour le -s final de pluriel et les -s et -t finaux des conjugaisons. Mais leur usage peut varier considérablement. Ainsi la consonne finale des verbes semble être totalement inactive au début CH APSIÈCIer «maman ga nous allon l’un apé l'autre comme ceu qui von au paradi»

(Le dauphin Louis, 1606).

L'évolution des sons et des graphies

2.4.

Hypothèse d’une évolution cyclique : les quatre modes phonétiques Selon

le phonéticien

E. Matte

(1982),

le français

aurait

connu

une

évolution cyclique, entre les quatre modes phonétiques suivants : e décroissant (intonations à mélodie descendante ; alternance nette entre

syllabe accentuée/atone) ; e relâché (état instable et flou, diffusion voyelle/consonne; centralisation des voyelles) : relâché et décroissant : 912%" siècles; e croissant (effort articulatoire croissant; syllabe tendant à se terminer par une voyelle ; énergie répartie également entre les syllabes sauf la dernière tonique) du IS ul ES siècles: e tendu (consonnes énergiques, voyelles tendues ; système d'opposition centrifuge ; égalité syllabique ; intonation montante) : du 18% au 20% siècles.

3. Brève histoire de l’orthographe française : phonèmes et graphèmes, ponctuation 3.1.

Mot graphique et syntaxe: groupe accentuel et clitiques

Le mot graphique tel qu'il se trouve actuellement dans les dictionnaires ne coïncide pas systématiquement avec ce que pendant longtemps on trouve dans les textes. En particulier, les articles, les pronoms personnels, le pronom adverbial en, les prépositions, l’intensifieur fres, etc., se trouvent très souvent dans les

manuscrits du Moyen Age attachés au mot suivant enmeine, illevoit, del roi (avec enclise), tresbel.

(clitiques) : len/fant,

L'imprimerie régularise peu à peu cela, et généralise, en même que d’autres signes diacritiques, l’apostrophe. 3.2. 3.2.1.

temps

Phonèmes et graphèmes en FM Les voyelles

Le FM possède des voyelles simples particulièrement tendues. Mais leur graphie n'est pas toujours aussi ‘simple’ que leur prononciation : l’utilisation dans bien des cas de graphies de diphtongue («digrammes») pour transcrire des voyelles simples est un trait caractéristique de l'orthographe française : 143

Le français en diachronie

e [a] est transcrit à, as, at, as, az (raz), e [El]: e, ai, ei, é.. [e] : e, ai, ei, et, er, ez (nez), ée.. li11e [. eu, OU, [ol : eu, œu, œufs, eux [yl: u, eu, us e [5]: 0, au (Maur, Paul) [o]: o, au, aux, eau, eaux, ot, 05,

[u] : ou, oux, ous, oup, oug (joug), où A] : an, en, ant, ent, end

[Ë] : ain, ein e [[E] : un e [5]: on, ont, ond

3.2.2.

Semi-consonne + voyelle

Le FM. a conservé du 12°" siècle des «digrammes» diphtongaux, mais qui depuis le 13°" siècle sont devenus des séquences en ‘semi-consonne + voyelle’; il s’agit de : e [wa]: transcrit oi, of e [wË] : oin

e [je]: e [El]:

e [je] : ie, ied (pied) e a ieu, yeux, ieux (mieux)

e [ui]: e [dE]: win 3.2.3.

Consonnes

Beaucoup de consonnes sont ‘muettes’, mais elles ont valeur distinctive à l'écrit : ainsi du -s du pluriel , du -{ final, ou du -e [al (schwa) du féminin. Le schwa permet d’articuler une consonne qui sans -e resterait muette : ainsi long-longue, plein-pleine, part-parte-partes-partent… En finale absolue cependant il existe des cas où -s et -{ ne sont plus ‘muets’ : un effet de sandhi se produit, entre éléments d’un même syntagme 144

L'évolution des sons et des graphies

en général, que l’on nomme liaison’ : les enfants [lezafal. Il n’y a pas liaison entre deux syntagmes : les enfants arrivent (lezäfäaRiv], les enfants ont appris une chanson (lezàafà5tapRiynfäs5l : liaison entre /es et enfants, entre ont et appris, rarement entre appris et une normalement pas entre enfants et ont. 3.3.

Brève histoire de l’orthographe française

3.3.1.

Les sons

L'origine de notre graphie alphabétique est latine. Mais dès l’époque romane,

et plus encore

au Moyen Age, les copistes se sont trouvés dans

l'obligation de résoudre quelques difficultés de transcription, soit à cause de l'ambiguïté des graphies latines, soit à cause de l'apparition de sons étrangers au système latin. Aussi peu à peu s'est-il instauré un système graphique à peu près transdialectal, une sorte de ‘koinè’ graphique correspondant à cette grammaire ‘supra-dialectale’ évoquée au début de cet ouvrage : e i note voyelle et consonne,

de même

wu; s est sourd où sonore

suivant sa position;

e ign note n palatal; e il] ou il final notent / À /; e on utilise c pour noter soit /k/ devant o,a,u, soit l’affriquée /ts/ devant

ou e;

e on utilise z pour /ts/ en finale ou /dz/ entre voyelles; e on invente ch pour noter /tf/; e on utilise x comme abréviation pour -us puis on l’a conservé; + les jambages sont souvent ambigus : fie (vie, ive, iue, ine, uie, nie, jue, me), tiiie (mée, nue...)

e h non étymologique est utilisé pour désambiguïser : huile, huit, huis. Et dès le 13°" siècle on redouble -n- où -m- pour indiquer la nasalité de

la voyelle précédente : bonne [b5nol. En MF on réintroduit des consonnes étymologiques, mais souvent avec valeur diacritique, pour indiquer que le signe suivant est une consonne :

debvoir, advenir, adjouster, vingt. On introduit ung pour l’article. Au 16% siècle deux mouvements se dessinent : d’unification par limprimerie; et déjà une proposition de simplification est formulée par Louis Meigret. Ce sont cependant les graphies adoptées dans le Dictionnaire françois-latin de Robert Estienne qui serviront par la suite de modèle, jusqu'au FM. 145

Le français en diachronie

Diverses propositions de simplification, modernisation, etc. ont vu le jour au cours des siècles : le Dictionnaire de l'Académie française en marque bien les étapes. Mais les difficultés rencontrées dans l'application de la dernière réforme révèlent les réticences des institutions, et aussi peut-être des locuteurs eux-mêmes, à toute modification consciente. Ainsi au 19°" siècle l'orthographe est devenue un moyen de sélection sociale, et elle le reste.

L'orthographe contemporaine du FM, dans ses complexités, est cependant le reflet de deux époques dont elle a conservé les graphies : pour noter les voyelles, on utilise encore les digraphes du 12°" siècle qui notaient des diphtongues ou des triphtongues simplifiées ensuite; pour les consonnes, on note la prononciation du 11% siècle dans la majorité des cas, avec les consonne

finales amuïes

au

13°" siècle sauf en liaison, et les consonnes

implosives amuïes pourtant dès le 11°" siècle (es/), les nasales implosives servant à indiquer la sonorité de la voyelle précédente (bon, bonté). 3.3.2.

Les accents

L'accent aigu existe dès l'AF dans les manuscrits pour j à distinguer de u, v, n.…. L'accent grave et l'accent circonflexe sont plus tardifs (16°"° siècle). 3.3.3.

La ponctuation

Dès l'Antiquité existent des traités de ponctuation. En AF les manuscrits sont presque toujours un peu ponctués, mais selon

un système parfois assez différent du nôtre : + en vers, le point au milieu de la ligne, qui équivaut à notre virgule, sépare des syntagmes juxtaposés ayant même fonction : le roi. la reine. les chevaliers. ; mais il est peu fréquent; ° en prose, ce point au milieu de la ligne est très utilisé pour séparer les unités syntaxiques et sémantiques ; on a aussi le comma, point virgule inversé, assez fort, mais qui semble parfois marquer une élévation de la voix, et qui se trouve aussi après Ha, Hé...; * partout, la majuscule, qui sauf pour les noms propres indique le début d'une unité syntactico-sémantique, ou du discours direct; + la majuscule précédée d’un point équivaut à notre point:

e iln' ya pas de :»; donc il existe d’autres marques du discours direct (verbes) ; + il existe le point d'interrogation, moins rare qu’on ne croit. 146

L'évolution des sons et des graphies

4. Un système cohérent et efficace derrière l’arbitraire apparent N.

Catach

(1994)

et son

équipe

ont

montré

que

sous

l'impression

d’arbitraire que donne, dans sa complexité, l'orthographe française, se discerne un système assez économique, mais dont le seul défaut serait la complexité. Le ‘plurisystème du français comporte essentiellement quatre niveaux de signes, dont les trois premiers ont valeur distinctive, et le dernier non

:

les phonogrammes : les graphèmes correspondant directement aux phonèmes; ceux-ci ont souvent des variantes positionnelles : eau, Oo, au sont des graphèmes pour [ol]; certains de ces phonogrammes, dont le rendement est très fort, sont appelés archigraphèmes parce que, plus que les autres ou bien à eux tout seuls, ils servent à noter un phonème : ainsi 4 note toujours [y], i couvre 98% des transcriptions de fi], etc.; les morphogrammes : désinences de personne, genre, nombre, suffixes et préfixes : -s de pluriel, qu'il soit prononcé où non; -e féminin, qui de fait sert souvent à articuler la consonne précédente mais n'est pas prononcé :petite; -ons de personne-4 du verbe, etc. ; les logogrammes : monosyllabes où mots courts très fréquents, à graphie différenciée de façon à distinguer les homonymes : ce sont des ‘homophones-hétérographes’

: ainsi ou, où, août; où bien tant,

taon, temps, tend; ou encore sans, sang, cent, sent; eux, œufs, euh... les lettres historiques ou étymologiques non distinctives : ainsi appeler, offenser, théâtre, prompt...

147

CONCLUSION

Au terme de ce parcours, nous ferons le point sur la validité des approches que nous avons utilisées pour rendre compte des phénomènes de changement qui se sont produits au cours des douze siècles de l’histoire du français.

Quatre d’entre elles se sont révélées, soit globalement, soit régionalement, et à des niveaux différents, particulièrement adéquates : l'approche typologique, l'identification du processus de grammaticalisation, ainsi que deux mouvements que nous avons mis au jour pour l’évolution du français spécialement et, de façon moins radicale, dans les langues romanes : la

«contiguité ordonnée», Caux.

et la constitution de «méta-paradigmes» grammati-

La typologie linguistique est le cadre qui nous a permis de décrire l'évolution du français dans son ensemble, ce qui nous semble capital. C'est plus spécialement la typologie dans la version inaugurée par W.H. Lehmann à laquelle nous avons eu recours, dès lors qu'il s'agissait de décrire une langue indo-européenne, et romane. Cette perspective nous a permis de rendre compte en effet des changements syntaxiques les plus importants, et de les mettre en rapport les uns avec les autres : existence des prépositions dès le latin le plus ancien, apparition très ancienne des relatives postposées au nom, remplacement progressif du génitif antéposé au nom par le génitif postposé dès l’époque classique, tels sont les traits qui marquent l’évolution du latin, langue ‘OV’ à l’origine, vers un type ‘VO’. L'ancien français poursuit cette évolution, en 149

Lefrançais en diachronie

postposant plus systématiquement l’épithète au nom, et l’adverbe au verbe (l'apogée étant atteint avec l'implantation de la négation postposée à l'oral), puis l’objet et l’attribut, et en abandonnant les traits accompagnant le type [ONE

Mais, nous l'avons vu, il faut intégrer à cette approche une composante «informationnelle» forte pour rendre compte de ce qui s'est passé en français : Th. Vennemann, CI. Buridant, B. Combettes l'avaient d’ailleurs montré. C’est grâce au recours aux concepts de ‘thème’, ‘rhème’, ‘topicalisation’ et ‘focalisation que l’on a pu décrire de façon satisfaisante, c’est-à-dire globale, prédictive et partiellement falsifiable, la structure des énoncés en AF et en MF : la syntaxe seule n'y suffisait pas, elle conduisait simplement à repérer en AF plusieurs ordres de fréquence relativement comparable, également non marqués a priori, qui pouvaient donc tous être dits ‘dominants’; seul le recours à la structure informationnelle permettait de dépasser cet émiettement syntaxique. Chemin faisant, on a pu mettre en évidence un phénomène

intéressant, non observé jusqu'ici croyons-nous, de ‘décumul’ du thème, dans le passage de l'AF au MF et à la structure des énoncés modernes. Il a fallu aussi, on l'a vu, intégrer à notre approche typologique une composante énonciative : faute de quoi on ne rend compte qu'imparfaitement, de façon gauchie, des structures en XSVO qui se développent en MF, et dans lesquelles on peut voir les prémices des énoncés à repérages énonciatifs enchaînés tels que Moi, mon frère, sa voiture, le week end, i'm la prête. Tout cela nous permet, pour conclure, de résumer ainsi l’évolution globale de la structure de l'énoncé déclaratif en français :

1”* étape : En ancien français, du 9% au 12°% siècles, le thème est en tête, mais ce peut être un mot de n'importe quelle nature et de n'importe quelle fonction. 2°" étape : Au 13°" siècle l'objet nominal cesse d'être courant en tête comme thème ; il devient rare, donc marqué, c'est donc désormais en cette position un thème ‘topicalisé’. Mais le sujet nominal ou pronominal, les circonstants, les adverbes, les connecteurs continuent d'être des thèmes potentiels et banals (il est à noter cependant que quelques connecteurs argumentatifs tels que reporquant n'étaient pas thème : c'est ce que les grammaires traduisent en disant qu'ils ne provoquaient pas la postposition du sujet; c'est en fait qu'on commençait par là à ‘décumuler’ le thème, a Driori ambigu puisque porteur potentiel d'indications aussi polysémiques que la notion moderne de ‘thème’ elle-même, et ce n'est pas un hasard). C'est par cette contrainte portant sur l’objet qu’on commence à restreindre

la possibilité pour le thème d'assumer n'importe quelle fonction syntaxique.

Conclusion

3°" étape : En moyen français une possibilité nouvelle se développe : les structures

à tête

complexe,

en

XSVO,

XXSVO,

XXXSVO..

deviennent

relativement fréquentes. S'agit-il d'un double thème, comme le pense B. Combettes? Ou bien, comme nous en faisons l'hypothèse, d'un «décumul du thème», avec analyse de ses divers éléments jusque là compactés (repère énonciatif : si, or, lors, maintenant, alors, ainsi, où thème-constituant essentiel : sujet, objet, attribut, ou circonstant anaphorique ou situationnel).

4 étape : Le français classique écrit comme le moyen français. Mais à l'oral, les dislocations, qui se rencontraient depuis les origines en français comme dans toutes les langues romanes ou presque, et comme en latin tardif d’ailleurs, se développent, et ce sera aussi le cas des clivées, qui à l'écrit restent rares avant le 16°" siècle. 5°"* étape: Le français moderne ment, comme

le moyen

ou un adverbe

standard écrit où oral utilise fréquem-

français, des énoncés

repère, que suit le groupe

introduits par un circonstant,

SVO. Mais le français oral non

standard privilégie, on l’a vu, et A. Culioli en avait dès les années 60 montré toute l'importance, les énoncés à repères enchaînés et thème initial, ces éléments disloqués étant pour les constituants repris par des anaphoriques clitiques dans le ‘noyau prédicatif ; on a ainsi : « Repère(s) énonciatif(s) + Thème(s) + Noyau prédicatif » : Moi, mon frère, sa voiture, le week end, i'm la prête. Où bien ce sont des expressions existentielles qui sont utilisées à l’initiale comme noyau prédicatif : Y'a un prof, i dit toujours queje suis nul.

Le deuxième concept auquel nous avons eu recours très souvent est celui de grammaticalisation. Il s’agit non d’une théorie explicative, mais de la désignation, et désormais de la description, d’un processus extrêmement productif et sans cesse à l’œuvre dans les langues. En français, nous l'avons évoqué pour analyser la ‘création’ des déterminants défini et indéfini à partir d’un démonstratif et d’un numéral, l'invention des adverbes de négation Mie, pas et point à partir de noms désignant de petites quantités, l'apparition d’un grand nombre de prépositions grâce à l'usage délexicalisé de participes (étant donné, vu, durant, pendant, etc.) où d’autres lexèmes (grâce à, malgré), la recomposition des intensifs les plus fréquents à partir de très et beau coup, la fabrication à l’aide de habere auxiliarisé du passé composé et du futur, la réintroduction dans la grammaire de valeurs aspectuelles grâce au figement de aller manger, venir de manger, où l'invention de ce pronom si peu ‘roman’, on, avatar incertain de l’homo latin.

Et ce ne sont là que quelques exemples parmi d’autres de ce processus. Mais ce qui devra nous intéresser à présent, c’est d'expliquer pourquoi ce processus

se déroule

en tel lieu et pas

un

autre,

et à tel moment

de

préférence : c’est alors que nous tiendrons une parcelle d'explication. 151

Le français en diachronie

On a enfin introduit deux notions, qui se sont révélées fort pertinentes pour le français, car elles regroupent et éclairent des phénomènes de changement qui jusque là apparaissaient sans lien entre eux, et leur apparition n'avait reçu aucune explication — ils ‘avaient eu lieu’, c’est tout. La première notion est celle que nous avons nommée ‘contiguité ordonnée’. Les romanistes signalaient ce phénomène, mais comme un trait

secondaire,

à désigner, sans plus. Or nous avons

pu mettre en évidence

combien ce trait était important dans l'installation progressive des structures

syntaxiques du français, qui est parmi les langues romanes celle qui offre la réalisation la plus homogène de ce type de marque de cohésion. La seconde est celle de ‘méta-paradigme’. Nous l'avons utilisée pour désigner le fait que, dans chaque grammaire, des paradigmes différents sont porteurs de distinctions comparables. Ainsi, selon les époques ou les langues, la grammaire permet où non de distinguer formellement, par exemple, l’'animé et le non animé, l'aspect et le temps, le présent et le futur, grâce à des morphèmes spécifiques, et non pas en ayant recours au lexique. Il s’agit des distinctions, des oppositions, de la signification donc, dont est porteuse la grammaire d’une langue. Ce qui est ainsi apparu, c’est la généralisation progressive

en

français,

au

cours

des

siècles,

d’une

distinction

entre

les

niveaux de l'analyse syntaxique. Là où le latin ne distinguait pas dans les formes entre pronom et déterminant, entre adverbe portant sur le nom et adverbe portant sur l'adjectif, le français, plus que les autres langues romanes, introduit cette distinction de niveau. C’est ainsi que s'explique pleinement, et complètement, le bouleversement du système des démonstratifs entre le 13°" et le 16°" siècles, où la distinction sémantique entre déictique et anaphorique s'est perdue au profit de la distinction morpho-syntaxique entre déterminant et pronom. C’est ainsi qu'on peut expliquer aussi l’évolution du système des possessifs, ou encore la création de chaque et de quelqu'un qui permettent de systématiser cette même distinction, ou enfin le remplacement de l’adverbe ‘généraliste’ moult par très qui porte sur l'adjectif ou l’adverbe, constituants de second niveau, et beaucoup qui porte sur le nom et le verbe, constituants de premier niveau.

Ce qui reste à interpréter à présent, ce sont les opérations interprétatives et cognitives qui sous-tendent ces changements; et ce sont aussi leurs

conséquences dans la représentation que les locuteurs ont de leur langue, de chaque langue dans sa singularité.

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PAPOMeC CIUnCMienCé DOSHONE Reedteen

125

32 21

(Coordonnant -laccentuinon dé la diSinétiOon re. AY ElDeS CONNECT UTS Re ne een te ee eee cd

125 124

Chapitre VII : Le lexique, sa construction et son évolution

127

1. Les sources : gloses, dictionnaires, textes techniques et autres ….…

127

2. les origines dulexique français jusqu'au 147% siècle EE A ne Co eue cames PRIME ETS DA RS D EE PAST O AT TR EETE SO DEN NOIRE TO ATEN CRE PE RO a a ren eut au

129 129 130 130 130 130

D

151

CO

3.1. Comment

OO

OC

mu

crée-t-on de nouveaux

TNA

JE US

mots? Comment

iearrerare introduit-

Res

1 169

Lefrançais en diachronie

22.Les étapes des changements dans derlétiques ere 3,3: Comment observenlévolutiomdumocabulaires" "rer 3.4. Politique linguistique : la féminisation, les anglicismes

Chapitre IX : L'évolution des sons et des graphies l'OL'évoluionde M

EVONITONUIES

la CentIOMAUENTE SON STAR

EE RER

RS

TR

ER

EU

tt

ie NADIA

21: TésevstémetphOonolIOgquEsSUCCe CIE Re 2.2. D Le système vocalique de départ ; latin classique, latin tardif: de l'opposition de longueur à l'opposition d’aperture .3. Les sons consonantiques, les phénomènes de sandhi........…… 4. Hypothèse d'une évolution cyclique : les quatre modes phoD LIU RS D a 3. Brève histoire de l'orthographe française : phonèmes et graphèmes, POLAR

3.1. Mot graphique et syntaxe : groupe accentuel et clitiques …… D 2 MP HOTNÉMESCT SHAIDACMESLCQ ENT RS. 20 BIEN IUHSIOMe de lOMROS ADRESSE 4. Un système cohérent et efficace derrière l'arbitraire apparent ……

CONCHISION TES ER UT

Bibliographies GIOSSAÏPE

ER

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IAOUHS EIRE" AIN avenue d’Embrun, 05003 GAP cedex Tél. : 04.92.53.17.00 Dépôt légal : 531 — Juin 1999

Imprimé en France

LE FRANÇAIS EN DIACHRONIE Après les éclatants succès de la linguistique synchronique, les études diachroniques ont à leur tour connu un développement considérable au cours des vingt dernières années. Ce renouveau est dû pour l'essentiel aux apports de la typologie fondée par JH. Greenberg (1963) et développée par ses successeurs, ainsi qu'à la conceptualisation du processus de «grammaticalisation», et à certains développements récents de la grammaire générative. Les langues romanes, et le français en particulier, bénéficient comme peu de langues au monde d'une tradition écrite ininterrompue et très dense. Or les outils et les procédures nécessaires au traitement de très gros corpus existent désormais, et permettent l'analyse beaucoup plus fine et complexe d'un nombre infini de textes de genres très variés. Ces moyens puissants ont déjà conduit à éclairer des changements importants qu'une analyse moins fine n'avait pu évaluer et interpréter : ainsi du développement parallèle des démonstratifs, des déterminants et des pronoms personnels, ou des changements survenus dans l'ordre des mots. Nouvelles approches théoriques et nouveaux outils ont conduit les diachroniciens à remettre en cause le schéma de causalité légué par le 19ème s., qui procédait du phoné:tique au syntaxique en passant par la morphologie. Aussi, pour la première fois dans un ouvrage d'ensemble de cette sorte, la première place est donnée à la syntaxe et à la sémantique. Mais si l'explication par la phonétique s'est révélée insuffisante, il serait illusoire de croire qu'il suffit d'inverser l'ordre des causalités pour "expliquer" le changement. Notre option théorique a d'abord pour but de montrer que d'autres explications existent. Nous n'en sommes pas encore à pouvoir dire quelle est «la» cause de l'évolution des langues, mais de nouvelles voies sont frayées, qui se révèlent déjà riches d'enseignement concernant la faculté de langage et les processus cognitifs qui lui sont liés. Christiane MARCHELLO-NIZIA est professeur de linguistique à l'Ecole Normale Supérieure de Fontenay/Saint-Cloud et membre de l'Institut Universitaire de France. Auteur de nombreuses études de linguistique historique, elle présente dans cet ouvrage une vue d'ensemble de l'évolution du français de ses origines à aujourd'hui, fondée sur une très vaste documentation, et en dégage les grandes lignes directrices. Son analyse se situe dans le cadre d'une forme de la typologie linguistique qui prend en compte les structures informationnelles et le marquage énonciatif. ICTDAI

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