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French Pages 452 Year 2023
Harald Lesch & Josef M. Gaßner
Du néant jusqu’à ce matin
Traduit de l’allemand par Bertrand Orel
Traduction de l'édition initialement publiée en allemand de « Urknall, Weltall und das Leben » (4e édition, mise à jour) de Harald Lesch et Josef M. Gaßner.
Mise en pages : Ma petite FaB – Laurent Grolleau
Imprimé en France
ISBN (papier) : 978-2-7598-3126-5 ISBN (ebook) : 978-2-7598-3127-2
Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal.
© EDP Sciences, 2023
préface Une difficulté majeure se pose à tous les scientifiques lorsqu'ils tentent de résoudre certaines énigmes du cosmos. On choisit un élément, la naissance d’une étoile par exemple, et on se dit qu’il suffira de considérer un nuage de matière soumis à la gravité. À première vue, le calcul semble abordable. Et puis, on s’aperçoit que le nuage contient des atomes, des molécules, des grains de poussière. Qu’il est agité en tous sens par les mouvements de la matière à plus grande échelle, qu’il reçoit des chocs, qu’il rayonne de la lumière et en un rien de temps, les paramètres se multiplient, le problème devient insoluble. Il faut supposer un univers tout entier pour comprendre la naissance d’une seule étoile. Même les ordinateurs les plus puissants bredouillent face à la complexité des questions qui touchent au cosmos. Alors les astrophysiciens se rendent à l’évidence : il leur faudra convoquer un savoir encyclopédique pour lever le voile qui recouvre le mystère de nos origines cosmiques. Ce livre se propose de relever ce défi : partager un savoir encyclopédique en nous plaçant dans la position d’un témoin écoutant le dialogue entre deux physiciens. Au cours de leurs échanges, ils reprennent un à un les rouages de ce système imbriqué qu’est le cosmos, du big bang à la vie. Sous couvert d'un dialogue au ton léger, les auteurs n'hésitent pas à aborder les sujets les plus complexes de la physique, tout en leur associant une dimension humaine grâce à des anecdotes sur les grands penseurs de l'histoire. La phrase écrite par Peter Higgs en 1964 à un collègue, « Cet été, j'ai découvert quelque chose de complètement inutile », prend une dimension cocasse quand on comprend que le physicien venait de découvrir ce qu’on appelle aujourd’hui le boson de Higgs, qui est venu parachever le modèle standard de la physique de l’infiniment petit. On notera, en particulier, la présence de ces femmes oubliées des livres d’histoire comme Henrietta Leavitt. Elle qui voulait devenir pianiste a choisi l’astrophysique après avoir perdu une partie de son
ouïe. Par une magnifique revanche sur le sort, elle découvrit l’existence d’une rythmicité harmonieuse cachée dans la lumière des étoiles ! Et si nous savons aujourd’hui que l’univers a une histoire, c'est grâce à la musique céleste de Madame Leavitt. La position de témoin du lecteur requiert une attention soutenue, car même s’ils s’adressent à un public de non spécialistes, les auteurs ne s’imposent aucun sacrifice de l’irréductible complexité des processus physiques en jeu. Mais on y glanera des informations toujours fondées et parfois surprenantes. On apprendra ainsi qu'une banane rayonne une particule d'antimatière toutes les 1h15 ! Quand le potassium nous fait potasser la physique... « Les idéaux sont comme des étoiles. Nous ne les atteignons jamais, mais comme les marins sur la mer, d'après eux, nous orientons notre course. » La phrase de Carl Schurz citée par les auteurs résume assez bien l’objectif que pourrait se donner le lecteur profane qui s’engage dans cette aventure du big bang à la vie. Car, même si elle rappelle parfois les profondeurs invisibles de l’océan, l’histoire du cosmos est notre histoire. La connaître même un tout petit peu, nous offre des repères dont nous avons bien besoin en ces temps parfois déroutants. David Elbaz
Table des matières
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
Prologue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
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D’où savons-nous tout cela ? – Sur les épaules de géants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
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Le Big Bang – Le jour sans hier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
2.1 Du vide aux fluctuations quantiques – Le vide, ce n’est pas rien ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47 2.2 La frontière du connu – Le monde de Planck ! . . . . . . . . . . . . . . 60 2.3 La masse – La matière n’est pas composée de matière . . . . . . . . . 62 2.4 Le Temps – Un peu d’ordre s’il vous plaît ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69 2.5 Transition de phase et rupture de symétrie – Quel joker choisissez-vous ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73 2.6 Intermède – Où en sommes-nous ? Où allons-nous ? . . . . . . . . . 80 2.7 L’émergence de toute chose à partir du vide – Vers l’inflation avec une infinité de singes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83 2.8 La nucléosynthèse primordiale – En attendant le sensible . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94 2.9 La recombinaison – L’entrée en scène de l’atome . . . . . . . . . . . . . 98
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Le cosmos – Tout ce qui est, pas plus, mais pas moins non plus . . . . . . . . . . . . . 106
3.1 Morphogenèse – Ou comment des grains de poussière devinrent des étoiles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107 3.2 Vie et mort des étoiles – Du grand spectacle ! . . . . . . . . . . . . . 111 3.2.1 La nucléosynthèse stellaire – Que la lumière soit ! . . . . . . . 112 3.2.2 Les neutrinos – Sur les traces de grands intouchables . . . . . 115 3.2.3 Des géantes rouges aux naines blanches – Les voyages de Gulliver . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128 3.2.4 Supernova – La grande fanfare . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 146 3.2.5 De l’équilibre des forces aux cadavres stellaires – In the long run we are all dead . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151 3.3 Le principe anthropique – L’univers nous aime bien . . . . . . . . 160 3.4 L’enrichissement des galaxies – L’étoffe des héros. . . . . . . . . . 164 3.5 La Voie lactée – et ses voisins bossus. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171 3.6 Les constantes Naturelles sont-elles vraiment constantes ? – Sur cette pierre tu construiras . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 184 3.7 Notre système solaire – Home sweet home . . . . . . . . . . . . . . . . 193 3.8 Les exoplanètes – Strangers in the night . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 214 3.9 Une petite pause – Un regard en arrière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 230
4 La vie – Des procaryotes jusqu’aux poètes . . . . . . . . . . . . . . . . 232 4.1 Notre planète – Le diamant bleu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 233 4.2 De l’expérience d’Urey-Miller aux matériaux élémentaires de la vie – La potion magique de Panoramix . . . . . . . . . . . . . . . . 244 4.3 L’apparition de la vie – Les humeurs de la matière . . . . . . . . . . 254 4.4 Sommes-nous seuls dans l’univers ? – Allô, il y a quelqu’un ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 275 4.5 Catastrophes : les cosmiques et les autres – Shit happens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 290
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Et après ? – Vers d’autres rives ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 326
5.1 L’énergie noire – Houston, nous avons un problème . . . . . . . . . 327 5.2 La matière noire – Retour à la case départ ? . . . . . . . . . . . . . . . . 338 5.3 Le Large Hadron Collider – Beaucoup de bruit pour un Higgs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 349
5.4 Les ondes gravitationnelles – Ou quand l’espace-temps se met à trembler . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 381
6 Un regard au-delà de l’horizon – Une promenade à la limite du connu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 391 6.1 Cordes, boucles quantiques et supersymétrie – Et autres histoires folles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 394 6.2 Y a-t-il encore une place pour Dieu dans la science moderne ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 421 6.3 Qu’est-ce que tout cela nous apporte ? – Ou comment aimer les araignées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 424 Crédits et sources des illustrations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 435 Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 441
Le Big Bang, le cosmos et la vie
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Introduction « Aussi longtemps que vous l’expliquez, je comprends tout cela, mais lorsque je veux en parler à mes amis, j’ai tout oublié. » Que de fois ai-je entendu cette phrase ! Quand les scientifiques entrent dans l’espace public, ils doivent souvent reconnaître que les contenus complexes de la recherche moderne ne se prêtent que partiellement – pour ne pas dire insuffisamment – à la communication. Tenter de rapprocher la science du grand public intéressé, cela échoue presque toujours sur l’écueil du haut degré d’abstraction et du manque de clarté des contenus scientifiques. Les questions concernant l’infiniment grand ou l’infiniment petit – précisément les plus intéressantes puisqu’elles touchent aux problèmes de la totalité de l’univers et à la structure de la matière – nous conduisent souvent à un véritable abyme, celui de l’inconcevable. Avant d’y sombrer, accrochons-nous une dernière fois au ciel étoilé au-dessus de nos têtes. Là, à tout le moins, le cosmos offre encore à notre regard les lumières de ses boules de gaz rayonnantes, les étoiles, lesquelles ne se dérobent pas complètement à notre imagination. Aussitôt confrontés à quelques chiffres, beaucoup d’entre nous attrapent le vertige. Une sphère plus de cent mille fois plus lourde que la Terre, avec un rayon de sept cent mille kilomètres, où, de surcroît, à l’intérieur les noyaux atomiques se mettent à fondre ensemble, voilà bien une chose
Introduction
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que l’on a du mal à imaginer. Même les modernes jumbo-jets auraient besoin de plusieurs mois pour faire le tour d’un tel géant. Et des géants de ce genre, il y en aurait cent milliards dans notre Voie lactée, laquelle aurait une étendue de plusieurs centaines d’années-lumière ? Non, vraiment ! Cela dépasse l’imagination ! Il est vrai qu’elles sont belles, ces formations cosmiques, ces galaxies spirales. Magnifiques, ces nébuleuses de gaz moléculaire ou encore ces restes d’étoiles déjà explosées. Les nombreuses images que nous livrent les télescopes constituent un vrai régal pour les yeux de chaque observateur. Certains soupçonneront là-bas, loin dehors, d’innombrables secrets insondables, voire même l’action d’une intention mystique au sein de l’espace lointain infini ou au creux de l’incommensurable profondeur du temps. À de telles échelles de grandeurs, on ne doit pas attendre de message instantané ; toujours il faudra du temps, pour qu’un message provenant des limites de la réalité connue nous atteigne. Même la lumière du soleil, lorsqu’elle parvient à nos yeux, est déjà âgée de huit minutes. Ainsi, chaque fois que le public est confronté à l’impossibilité d’une simultanéité entre les événements du cosmos qui se produisent et leur perception, ce sont bien souvent des regards complètement désabusés que le scientifique croise dans la salle. Comment le non-initié peut-il croire que bien des objets célestes aujourd’hui encore visibles ont en réalité disparu depuis longtemps ? Lorsque, ce soir, les rayons de notre étoile la plus proche atteindront notre œil, il se pourrait bien que ce soit les derniers, si leur source avait été détruite lors d’une explosion, des années auparavant. Comment les hommes pourraient-ils donc accepter cela, tout habitués qu’ils sont à faire confiance à leurs six sens ? Et ce qui se passe au sein de la matière est plus incroyable encore. Comme toute matière sur Terre, nous sommes constitués d’atomes. Ils sont si minuscules, que leur petitesse dépasse de loin notre imagination et notre entendement échoue inlassablement à se les représenter. Un gramme seulement de notre index, construit de molécules extrêmement complexes, celles de la peau, contient environ un milliard de milliards d’atomes. De plus, chacun de ces atomes n’est pratiquement
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
constitué que d’espace vide, rempli de rien d’autre que d’un soupçon de probabilité de lieu d’une part, et d’un noyau des plus minuscules d’autre part. À y regarder de plus près, celui-ci s’avère en réalité lui aussi être constitué de… rien ! Allons bon ! Comment expliquer cela ? À cela vient s’ajouter un ultime défi pour un esprit sain : la relation entre l’infiniment petit et l’infiniment grand, ou si l’on préfère, ce qui advient quand l’univers se jette dans l’existence. Arrivé à ce point, il n’y a vraiment plus aucune place pour le dilettantisme. À moins que ce soit le contraire qui ne soit de mise ? Peut-être doiton, en effet, en abordant ces questions limites, en appeler de nouveau à une des capacités les plus profondes du genre humain : se représenter le monde avec une bonne et saine portion d’humour. Le caractère absurde des modèles du cosmos et de la matière est en fin de compte tout à fait évident. Avec notre monde quotidien, ils n’ont décidément rien à voir, et pourtant on pourrait encore se réjouir, de ce que notre entendement, justement adapté à notre monde quotidien, parvienne encore de quelque façon à s’aventurer à ces frontières du représentable. Et cela, il le fait avec beaucoup de réussite ! Mais pourquoi « ça marche » si bien ? Comment se fait-il que l’homme, lui-même partie de la nature, ne se contente pas seulement de s’interroger mais qu’il parvienne également à trouver des réponses, qu’il est de surcroît, en mesure de comprendre ? Pour le scientifique qui se tourne vers l’espace public s’ouvre ici une importante perspective. Il n’en va pas seulement de la présentation fidèle de chaque détail, dans l’espoir que chacun comprenne de quoi il s’agit. Il en va bien plus de la puissance de la raison, des possibilités que notre conscience nous offre. Ici nous en appelons à une faculté radicale en nous, celle de nous placer au-delà de nos sens et de nos représentations. Une conférence publique sur des thèmes de la recherche scientifique peut ainsi devenir une fête pour l’entendement. Autrement dit, n’en crois pas seulement tes yeux et tes oreilles, n’exige point un regard et une représentation directs au creux des choses au sens strict, mais bien plutôt, imagine-toi, qu’il y a plus que ce que tu vois, plus que ce que tu sens, plus que ce que tu goûtes et entends. Inversement, une part seulement de ce que tu crois exister existe bel et bien ! Une bonne part seulement !
Introduction
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Tout comme un musicien, plus ou moins bon pianiste, alors qu’il s’essaie chez lui à un morceau virtuose sans pour autant être lui-même expert dans l’art de la composition et dans la maîtrise de son instrument, se réjouit de ressentir ce qui est musicalement possible, ainsi pourrait se dérouler le dialogue entre l’espace public et la science, tout au moins sur le terrain des questions essentielles. Aussi les scientifiques devraient-ils s’efforcer avant tout de forger de nouveaux motifs et images qui incitent à penser. Lorsqu’ils y parviennent, il leur reste encore à construire une passerelle avec chaque individu en particulier : « En quoi cela me concerne-t-il donc ? » Dans le meilleur des cas, le scientifique se fait guide de voyage : il introduit le visiteur dans l’empire fascinant des modèles abstraits. Ce faisant, apparaît en même temps, par excès de spéculations en somme, le risque de quitter le sol assuré de la connaissance scientifique sans que le franchissement d’une frontière soit clairement reconnaissable. Régulièrement paraissent de nombreux ouvrages traitant de représentations alternatives du monde, de la théorie des cordes, de la gravitation quantique, d’univers parallèles, etc. La plupart de leurs contenus, en vérité, que ce soit grâce à de nouvelles observations cosmologiques ou à l’aide du Grand collisionneur de hadrons au CERN (actuellement notre guillotine scientifique la plus affûtée), ont été depuis renvoyés au cimetière des théories falsifiées, où ils se décomposent. Pourtant, dans le même temps et sans qu’on n’y prête attention, leurs versions vulgarisées et populaires n’en finissent plus de refleurir. Ce développement post-factuel correspond à notre longue tradition scientifique, qui fait de l’expérimentation la seule instance ultime de jugement au tribunal des théories. Quelle ironie ! Quel sarcasme ! Comment un scientifique doit-il réagir à tout cela ? Cela équivaut pour lui, à faire face à une construction fondée scientifiquement. Et à être fidèle à la maxime de Sir Winston Churchill We shall never surrender! (Nous ne nous rendrons pas !). Ainsi, c’est sous une forme délibérément multimédia (livre, livre audible, site internet, forum et canal vidéo YouTube) que le projet « Le Big Bang, le cosmos et la vie » est apparu. Sous la forme d’un dialogue avec Josef, l’opportunité s’est offerte d’examiner ouvertement notre conception scientifique actuelle du
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
monde – du Big Bang jusqu’à ce matin – et de l’exposer plus complètement que je n’y étais jusqu’alors parvenu, c’est-à-dire jusqu’aux limites mêmes de ma propre puissance d’imaginer. Compte tenu des thèmes formidables que l’on y découvre au fur et à mesure – les bords du temps, l’abîme sans fond des particules élémentaires, le cycle cosmique de la matière et enfin notre origine cosmique – l’enthousiasme est garanti. La question demeure : Et vous à la fin, serez-vous en mesure de l’expliquer à vos amis ? Été 2017,
Harald Lesch
Introduction
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« Le succès est une mosaïque à laquelle beaucoup participent. » (Franz Schmidberger)
Nous étions assis face à face un jour d’hiver au studio d’enregistrement. J’avais encore à l’oreille les paroles encourageantes d’Harald : « tout va bien se passer, nous discutons tout simplement, et puis voilà. » Probablement voulait-il me donner du courage. Moi, nouveau venu sur les médias, je me trouvais alors dans la situation impossible de devoir échanger directement avec lui, lui le professionnel confirmé de la communication. Soixante minutes avaient été prévues sur le thème « Comprendre l’univers ». Après que Harald, qui se définit lui-même comme un « rhéteur incontinent », eut commencé, deux cent soixante minutes s’étaient déjà écoulées en un rien de temps, et la fin n’était toujours pas en vue. À cet endroit nos remerciements vont à notre producteur Herbert Lenz, qui fit preuve de véritables nerfs d’acier et d’une souplesse admirable. En effet, après une session supplémentaire en studio, notre livre audio fut finalement sur le point d’être achevé et tous les participants concernés soulignèrent alors qu’ils n’avaient jamais douté de la réussite du projet. Ce n’est qu’ensuite que nos dialogues furent couchés sur papier. Les collègues de la NASA et de l’ESA mirent généreusement leurs images les plus récentes à notre disposition et notre ami commun Jörn Müller apporta son trésor d’expérience, en particulier son flair redoutable pour repérer les passages où de supplémentaires explications étaient encore nécessaires. À y regarder de plus près nos dialogues avaient trois thèmes principaux : l’hypothèse du Big Bang, l’état de la recherche spatiale, et le phénomène de la vie. Ceux-ci se différencient nettement du point de vue de leurs difficultés respectives, mais présentent cependant chacun l’intérêt d’être autonomes. Si, par exemple, l’arrière-fond théorique du
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
modèle du Big Bang apparaît trop fou au lecteur, il peut ainsi passer directement au chapitre concernant l’espace. Les nombreuses réactions nous ont conduits à créer autour du livre un site internet (http ://www.Urknall-Weltall-Leben.de) avec des contributions scientifiques actuelles sans cesse renouvelées ainsi qu’un forum et une lettre d’abonnement scientifique en ligne. Un grand merci à tous ceux qui y formulèrent leurs questions, leurs propositions concernant d’éventuelles modifications ou agrandissements et qui, espérons-le, continueront à le faire dans le futur. L’ensemble de leurs réactions est contenu dans ce livre. Les soins supplémentaires apportés au manuscrit garantissent parallèlement l’actualité des données et des chiffres. De ce point de vue un thème supplémentaire est apparu, celui concernant les questions limites de la physique théorique. En partant du titre du livre, nous avons créé en plus un canal YouTube, sur lequel on trouve constamment de nouvelles vidéos sur les thèmes scientifiques les plus divers. L’ensemble du projet « Urknall, Weltall und das Leben » (Le Big Bang, le cosmos et la vie) est à ce titre proprement devenu une tâche herculéenne. Pour moi personnellement, c’est une grande joie de constater combien participent au projet et nous soutiennent, que ce soit techniquement ou du point de vue des contenus. Tous, en quelque sorte, sont fous de science – j’espère en un sens positif – à vous d’en juger ! Nous espérons que ces présents dialogues vous apporteront autant de joie qu’ils nous en ont apportée, et nous vous invitons cordialement à vous joindre à nous, comme une troisième instance en quelque sorte. Une mise en garde cependant. Soyez conscients des risques : la fascination pour la science est un cheval de Troie, à l’aide duquel on touche à l’esprit des hommes. Ainsi serez-vous étonnés des circonstances extrêmement heureuses qui rendirent possible, depuis le Big Bang jusqu’à ce matin-même, l’apparition de la vie, et à ce titre, votre existence-même. Assurément ne serez-vous plus après coup en mesure de voir, ni le monde, ni vous-même, avec les mêmes yeux. Alors, ne protestez-pas ! Nous vous avions prévenus ! Été 2017,
Josef M. Gaßner
Prologue
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Prologue « Debout sur un monticule très refroidi de cendres, nous observons la continuelle extinction des soleils, et nous essayons de nous souvenir de l’éclat évanescent de l’origine des mondes. » 1.1 Georges Lemaître (1894 – 1966) Gaßner :
Entendez-vous vous aussi, chères lectrices et chers lecteurs, la profonde nostalgie dans ces paroles de Georges Lemaître ? C’est cette aspiration précisément, qui pousse jusqu’à aujourd’hui beaucoup de générations à pratiquer l’astronomie et la cosmologie. C’est aussi celle du désir primordial de comprendre le monde dans lequel nous vivons.
Lesch :
C’est vrai. Il en va de la question de savoir d’où tout provient, rien de moins. Il importe en effet d’explorer cette histoire, qui est aussi celle de toutes les histoires possibles puisqu’elle les contient toutes, et de la raconter. Le problème principal vient du fait que lorsque nous venons au monde, le monde nous préexiste. Aussi est-ce depuis notre petite enfance que nous essayons d’explorer ce monde fascinant.
Gaßner :
Un univers qui porte en son sein l’ensemble des conditions nécessaires pour réaliser, après des milliards d’années, la métamorphose incroyable de la matière inerte en organismes vivants, voilà qui constitue pour nous, êtres vivants réfléchissants, forcément une énigme admirable.
Lesch :
C’est évidemment pourquoi l’humanité, depuis la nuit des temps, chercha les raisons de l’existence et du fonctionnement des événements
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
cosmiques tout d’abord dans les sphères du divin et du mythe. Pour expliquer un monde si varié dans tous ses détails, on avait en effet besoin de recourir à la volonté d’êtres surhumains qui l’avaient conçu et qui étaient en mesure de le régler, grâce à leurs facultés exceptionnelles. Que le monde puisse s’être transformé, partant du vide ou d’un chaos désordonné, en un univers ordonné fut pendant longtemps simplement inimaginable et au fond, cela l’est encore aujourd’hui. Pour les esprits les plus curieux cependant, l’idée d’un univers éternel constituait déjà à l’époque une provocation. Mais pour les esprits moins critiques, cela représentait une position réconfortante en quelque sorte. Gaßner :
En ce qui concerne l’intérêt précoce de l’humanité pour les événements célestes, il en existe même une preuve archéologique : le disque céleste de Nebra. Il s’agit-là de la plus ancienne représentation connue du ciel et elle fut élaborée par nos ancêtres entre 2100 et 1700 avant notre ère. Depuis sa découverte en 1999 dans une grotte non loin de la ville actuelle de Nebra, dans la Saxe-Anhalt, les théories les plus diverses tentent d’éclairer son importance exacte.
Lesch :
La contemplation du ciel a toujours provoqué chez les hommes un profond désir de comprendre. Il y a quatre mille ans aussi. Dieu sait pourtant combien les problèmes des hommes de l’époque étaient autrement plus urgents.
Gaßner :
Ainsi le philosophe romain Lucio Annaeus Seneca (Sénèque) écrivit au début de notre ère : « Si les étoiles étaient visibles depuis un seul endroit sur la terre, les hommes ne cesseraient jamais d’y voyager pour les contempler. » Il n’y a qu’un pas entre l’étonnement et le désir de comprendre. Aussi le passage au « comprendre » vint-il avec le commencement de l’époque moderne et le développement des sciences naturelles empiriques. La recherche s’attaqua alors également à l’univers comme un tout. Les étapes de son développement devinrent de plus en plus claires. Au bout du compte, la représentation d’un cosmos éternel ne put tenir debout plus longtemps.
Lesch :
Dans les années vingt du siècle précédent, alors que toujours plus d’observations confirmaient l’expansion du cosmos, on assista à l’ultime soubresaut de l’hypothèse de l’univers éternel. La liste des critiques de
Prologue
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1.2 Le disque céleste de Nebra. Constitué de 2,3 kg de bronze et décoré de motifs dorés, il représente la succession des levers de soleil et les étoiles. En analysant les impuretés contenues dans le bronze, en particulier les isotopes du plomb, on a pu dater ce disque plat de trente-deux centimètres de diamètre, entre 2100 et 1700 avant notre ère. Au soir du solstice d’été (21 juin), sur le massif montagneux de la Mittelberg, le disque était disposé verticalement en direction du sommet du mont Brocken. Les couchers de soleil se déplacent ensuite le long de l’arc horizontal jusqu’au solstice d’hiver (21 décembre) et de là, retournent à leur point d’origine. Un second arc vertical, aujourd’hui manquant, marquait d’une façon analogue les levers de soleil. Les deux arcs forment un angle de 82 degrés. La coque de la partie inférieure représente probablement une barque céleste et n’a pas de signification astronomique.
l’expansion ressemblait à s’y méprendre à celle des scientifiques les plus en vue de l’époque : Fred Hoyle, Max Born, Robert Millikan, Louis de Broglie, Walther Nernst, Erwin Freundlich, Fritz Zwicky. Le doute s’installa lorsque que le calcul théorique de l’âge de l’univers s’avéra moindre que celui de notre système solaire, ce dernier établi cette fois expérimentalement. Par ailleurs, l’idée d’un principe cosmologique s’appliquant au temps et à l’espace apparut alors à beaucoup plus attrayante. Gaßner :
Dans les années qui suivirent, la question prit même une tournure politique. Même le Pape Pie XII se prononça sur ce sujet.
Lesch :
Heureusement, avec le temps, les méthodes de mesure s’améliorèrent toujours plus, et avec elles l’exactitude de la mesure de l’âge de l’univers. Avec le développement de la radioastronomie, on a réussi même à
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fournir la preuve directe que les galaxies étaient auparavant plus proches les unes des autres qu’elles ne le sont aujourd’hui. Gaßner :
Paradoxalement ce fut Sir Fred Hoyle, représentant principal de la théorie de l’univers statique, qui désigna péjorativement du nom de « Big Bang » , le modèle d’un cosmos en expansion, voulant ce faisant le ridiculiser. En parlant d’un « grand boum », il baptisa ainsi involontairement la théorie qui reste valable jusqu’à nos jours. Le modèle du « Big Bang » s’est en effet imposé définitivement. Il est aujourd’hui devenu le modèle standard reconnu de la cosmologie.
1.3 Sir Fred Hoyle (1915 – 2001)
Lesch :
Un bel exemple caractéristique de « branding ». Cela doit être dit une fois pour toutes : le modèle du « Big Bang » fut à l’époque chaudement mis en doute, et celui dont nous venons de parler précisément, se battit des dizaines d’années contre lui.
Gaßner :
Les réserves de Fred Hoyle et ses collègues sont cependant compréhensibles, si l’on se place du point de vue de l’époque. Un univers constamment en expansion fut évidemment hier plus petit et plus chaud qu’aujourd’hui, et que la semaine dernière également. Poussé jusqu’au bout, ce raisonnement rétrograde conclut à des températures et des densités qui augmentent toujours. Nécessairement, on est conduit de la sorte à concevoir un point d’origine d’une chaleur et densité inimaginables, où tout commença. Inévitablement, tout un ensemble de questions de vaste étendue y sont liées.
Lesch :
Quelle question vient en premier ne fait pas l’ombre d’un doute. Et je peux déjà deviner, chères lectrices et chers lecteurs, ce qui se passe dans votre tête. C’est que l’Homo sapiens ne peut s’empêcher de faire autrement, que de poser cette question. Si je prétends en effet que le Big Bang a eu lieu, alors rétorquerez-vous tout de suite : « Mais qu’y avait-il donc avant le Big Bang ? » N’ai-je point raison ?
Gaßner :
Cela ne s’arrête pas là ! Bien des questions supplémentaires apparaissent inévitablement : Comment quelque chose pourrait-il surgir de rien, à
Prologue
19
plus forte raison l’univers entier tel que nous l’observons aujourd’hui ? D’où vient l’énergie nécessaire ? Est-ce que l’espace va s’étendre indéfiniment ou bien va-t-il à un certain moment se contracter ? Comment sont donc nées toutes ces galaxies, ces étoiles et ces planètes ? Comment donc les atomes purent-ils s’organiser eux-mêmes jusqu’à devenir des organismes vivants ? Et dernier point, mais non des moindres : sommesnous seuls dans l’univers ? Lesch :
Autant de questions auxquelles nous nous voyons confrontés, en tant qu’astrophysiciens et théoriciens, au sein même de nos cercles de connaissances et d’amis, autour d’un verre de vin rouge à une heure du jour avancée. Ce qui est important ici, c’est de trouver une réponse compréhensible par tous, dépourvue de jargon scientifique en somme, sans que l’on réagisse en tant qu’homme de science, mais en tant qu’homme entier, si l’on peut dire.
Gaßner :
Mais cela doit tout de même n’être simplifié que jusqu’au point où cela demeure scientifiquement correct, je te prie !
Lesch :
Cela stimule les deux démarches et, de plus, cela s’avère également formateur pour l’homme comme pour le scientifique. En tentant de formuler pour d’autres clairement et simplement les relations entre les choses, s’instaure chez moi bien souvent une compréhension différente, et ce, d’elle-même, pour ainsi dire.
Gaßner :
Avant que nous avancions tous deux plus avant et que nous déployions le modèle actuel de la cosmologie, il est important de répondre à une question d’ordre supérieur : D’où savons-nous tout cela au fond ? Comment pouvons-nous être aussi sûrs de ce Big Bang très chaud ? Après tout, personne n’y était. Pour répondre à cela, rendons-nous loin en arrière au vingtième siècle, là où toute cette histoire débuta.
Lesch :
Alors, dans ces années vingt dorées, il était tout à fait possible qu’un boxer, avocat de surcroît, devienne un ardent défenseur des lois de la nature.
Le Big Bang, le cosmos et la vie
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1 D’où savons-nous tout cela ? Sur les épaules de géants Gaßner :
Ce fut une de ces journées mémorables et rarissimes, où l’image d’un monde, d’un coup, s’écroule. Ironie du sort, ce fut un ex-boxeur à gages qui porta le coup de poing décisif du K.-O. Edwin Hubble avait en effet observé, pendant des années, une catégorie singulière d’étoiles appelées Céphéides. Elles ont pour particularité de modifier leur énorme luminosité extrêmement régulièrement, pendant une période caractéristique de quelques jours, ce qui permit ainsi à Hubble de les traquer, depuis des millions d’années-lumière jusqu’au centre de notre galaxie la plus voisine. Sur la base des théories existantes alors concernant ce genre de variation lumineuse, il réussit à rassembler en un même diagramme l’éloignement d’une 1.4 Edwin Powell Hubble part, et la vitesse de ces objets d’autre part. (1889 – 1953)
Lesch :
Pas si vite ! Pourquoi Hubble a-t-il donc choisi des objets extrêmement lumineux ? C’est parce qu’ils restent observables même à très longue distance. Les Céphéides sont très claires, et présentent de surcroît une particularité très utile : leur luminosité absolue, c’est-à-dire leur luminosité à l’endroit où elles se trouvent, se laisse calculer théoriquement.
Gaßner :
Et c’est à Henrietta Leavitt que nous devons la théorie appropriée.
D’où savons-nous tout cela ?
21
Lechs :
Enfin apparaît une femme dans toute cette histoire ! La Bible, sur ce point, passait plus rapidement !
Gaßner :
Assurément, mais la version de la création que nous racontons ici « Le Big Bang, le cosmos et la vie » est en comparaison sensiblement moins volumineuse. Mais arrête de nous déconcentrer Harald ! Ça devient captivant justement ! Henrietta Leavitt fut véritablement une figure tragique. Dans ses années de jeunesse, une maladie dégrada tellement son ouïe, qu’elle dut abandonner son rêve : devenir pianiste de concert. En plus de ses études musicales, elle avait choisi en option l’astronomie : cela passait idéalement dans son emploi du temps hebdomadaire. Son handicap s’accentuant, elle fit de 1 5 Henrietta Swan Leavitt 1.5 (1868 – 1921) nécessité vertu, et gagna bientôt sa vie à l’observatoire de Harvard en analysant des plaques photographiques. Sa minutie et sa capacité de concentration devinrent bientôt légendaires et en 1912, après avoir analysé des milliers de plaques photographiques, elle découvrit la relation de type logarithmique qui existe entre la périodicité avec laquelle les Céphéides rayonnent et leur luminosité absolue. En un mot, plus la luminosité d’une Céphéide varie lentement, plus elle est lumineuse localement. Au passage, on les baptisa Céphéides d’après Delta-Céphéi, la première observée de ces géantes variables, dans la constellation de Céphée.
Lesch :
Hubble sut alors avec quelle puissance cette étoile rayonnait à l’endroit où elle se trouvait. Il la compara alors avec l’intensité du rayonnement qui parvient jusqu’à nous. Partant de cette relation, il put ainsi déterminer la distance.
Gaßner :
Ce principe, c’est celui du feu de camp, que nous connaissons tous. Plus l’on s’éloigne d’un feu, plus l’intensité du rayonnement de chaleur qui parvient jusqu’à notre corps diminue. Plus près du feu de nouveau, il fait plus chaud.
Lesch :
À une distance double, je ne reçois seulement qu’un quart du rayonnement. À une distance triple, un neuvième. L’intensité décroît avec le carré de la distance. Partant de là, on peut donc calculer notre éloignement par rapport à l’étoile.
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
1.6 La luminosité apparente décroît avec le carré de la distance. Cela est représenté par quatre bougies identiques placées à des distances différentes.
1.7 L’évolution d’une source lumineuse. ineuse. On mesure le nombre de photons ns à une distance r par unité de temps qui ui atteignent un écran de grandeur A, aussi faut-il ut-il pour le même nombre de photons à un éloignement double un écran quatre fois pluss grand , et pour une distance triple, un écran neuf uf fois plus grand. Gaßner :
À condition bien sûr de connaître la puissance du rayonnement au feu de camp, ou dans notre cas, sa puissance directement à la surface de l’étoile. C’est Henrietta Leavitt qui réussit cette percée décisive. Avec le calcul de la puissance lumineuse des Céphéides, ce sont autant de phares standardisés qui furent mis à la disposition de l’observateur, et qui sont utilisables jusqu’à une distance de dix millions d’années-lumière. Auparavant, l’efficacité des mesures de distance par triangulation restait limitée. Elles consistaient à viser un objet selon des angles différents et à mesurer ses changements de position par rapport à la voûte céleste fixe. On constate le même effet en fermant un œil et en fixant le pouce de la main tendue. Si l’on regarde de l’autre œil, alors la position apparente du pouce varie relativement à l’arrière-fond plus lointain. Plus la ligne de base est longue – ici la distance entre nos yeux – plus l’effet sera grand. Comme le nom même de triangulation le trahit, il est possible ainsi de construire des triangles et de calculer leurs mesures respectives. Malheureusement cette méthode est limitée par la longueur de la ligne de base. C’est la raison pour laquelle, même pour des observations décalées d’une demi-année, c’est-à-dire
D’où savons-nous tout cela ?
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effectuées à des positions opposées de notre orbite terrestre, elle n’autorise des mesures que sur des distances inférieures à 100 années-lumière. En conséquence, avant Leavitt, il n’était même pas possible de déterminer avec assurance si le nuage de Magellan ou la galaxie d’Andromède appartenait bel et bien ou non à notre Voie lactée. Lesch :
Leavitt venait en fait d’inventer de son propre chef un nouveau procédé de mesure, auquel elle ne donna pas même son nom, puisqu’il reçut la désignation de Harvard-Standard. Au début du siècle dernier en effet, la condition des femmes dans la recherche scientifique était alors très dure.
Gaßner :
Et ce n’est que bien plus tard, que le comité du prix Nobel songea à sa prestation révolutionnaire ; au bout du compte, Leavitt avait découvert plus de 2 400 étoiles variables et observé quatre supernovæ. Malheureusement, elle décéda à l’âge de 53 ans des suites d’un cancer, quatre ans avant sa nomination, et comme chacun sait, la distinction suprême n’est point attribuée à titre posthume. Nous l’avions mentionné auparavant : Henrietta Leavitt eut véritablement, et de tous les points de vue, un destin tragique. Habitués que nous sommes à la gloire rayonnante des grands noms des sciences de la nature, nous oublions trop facilement les nombreuses destinées particulières, dissimulées à l’arrière-plan.
Lesch :
À propos de grands noms, passons à nouveau à Edwin Hubble, si tu le veux bien. En plus de la distance, il détermina également la vitesse de fuite des objets célestes. Pour mieux le comprendre, jetons un œil dans l’atelier de l’analyse spectrale. Les atomes des divers éléments chimiques émettent des portions définies de rayonnement, lesquelles sont déterminées très précisément par les niveaux énergétiques des enveloppes électroniques. Les lignes spectrales sont en quelque sorte leurs empreintes digitales, et se laissent Hydrogène mesurer en laboratoire pour chaque type d’atome.
Hélium
1.8 Deux empreintes digitales caractéristiques : les lignes d’émission de l’hydrogène et de l’hélium.
Le Big Bang, le cosmos et la vie
24 Photon
Électron
Proton Orbite électronique deuxième orbite troisième orbite
lignes d’émission
1.9 Un atome avant et après le passage d’un électron du troisième cercle au deuxième autour du noyau atomique. Les électrons des cercles supérieurs possèdent plus d’énergie. En conséquence, cette différence énergétique sera libérée sous la forme d’un photon, visible comme ligne d’émission. Chaque longueur d’onde correspond à une énergie donnée. Des longueurs d’onde courtes signifient une haute énergie, des longueurs d’onde grandes une énergie plus faible. On appelle absorption le processus inverse, par lequel les atomes reçoivent de l’énergie d’un spectre donné, pour la disperser dans leur structure interne. Ce faisant, un électron sera par exemple dévié sur une trajectoire plus haute. L’énergie correspondante manque dans le spectre final. C’est pourquoi on appelle ces lignes noires caractéristiques des lignes d’absorption. Le concept de ligne spectrales rassemble, sous un concept plus général, les lignes d’émission et les lignes d’absorption. Gaßner :
Par rapport à nos données de laboratoire, les longueurs d’onde des lignes spectrales venant d’objets lointains sont déplacées. Cela nous permet d’en déduire une vitesse de fuite, comme l’on dit, encore que, nous le verrons, il faille être très prudent avec ce concept de « vitesse ».
Lesch :
Lorsque la sirène d’une ambulance ou d’une voiture de police passe, nous entendons l’effet Doppler. La fréquence ou la hauteur de la note du signal croît jusqu’à ce que le véhicule parvienne à notre hauteur. Lorsqu’il s’éloigne au contraire, la note descend brusquement à un niveau plus bas. L’Autrichien Christian Doppler l’avait annoncé dès 1842. Bien entendu, on ignorait à l’époque encore tout des sirènes d’automobiles.
D’où savons-nous tout cela ?
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1.10 En haut, le spectre de notre soleil ; en bas, les lignes spectrales du super-amas BAS11, éloigné d’un milliard d’années-lumière. Les lignes des objets lointains sont décalées par rapport aux lignes de référence des laboratoires terrestres.
1.11 Pour une source de rayonnement fixe (à gauche) on obtient une onde circulaire autour du centre, et la distance entre deux ondes concentriques caractérise la longueur d’onde de la lumière émise. Si en revanche, on déplace la source du rayonnement continuellement vers la droite, on obtient l’image de droite. Les longueurs d’onde sont plus courtes dans le sens du mouvement (décalage vers le bleu), dans le sens opposé, elles sont plus longues (décalage vers le rouge).
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
1.12 Le mouvement relatif d’une source de lumière (une étoile ici) opère un déplacement vers le rouge lorsque la source s’éloigne de l’observateur, et un déplacement vers le bleu lorsqu’elle s’en rapproche.
Gaßner :
Mais revenons à Edwin Hubble. Avec l’aide de la théorie fondamentale de la luminosité des Céphéides d’une part, et celle du déplacement des lignes spectrales d’autre part, il était désormais en mesure d’établir un diagramme, représentant point par point la distance et la vitesse de fuite des objets observés. S’appuyant sur des observations similaires, Georges Lemaître avait dès 1927 reconnu que les objets très lointains s’éloignaient tendanciellement de nous. Ce faisant, il porta un coup puissant et décisif à l’image établie d’un univers éternellement statique. Edwin Hubble posa une règle et traça une droite traversant les points mesurés sur son graphique, établissant ainsi une relation linéaire entre distance et vitesse de fuite. En un sens, un trait bien court pour un seul homme, mais aussi une droite pleine de promesses fructueuses pour le futur de la science.
Lesch
Joliment dit ! Mais combien de points Hubble avait-il donc dans son diagramme ?
Gaßner :
Je dirais environ trois dizaines. Et ils étaient répartis très irrégulièrement.
Lesch :
Belle performance. C’est très fort. Hubble a eu simplement le courage intellectuel de tirer une droite à travers ces points diffus et d’affirmer : « c’est ainsi ! » On reconnaît là le courage du boxeur qu’il était !
Gaßner :
Peut-être devrait-on inviter les Klitschko pour la prochaine analyse de données. Les boxeurs sont particulièrement avantagés en astrophysique : à l’occasion, ils voient aussi des étoiles en plein jour !
Lesch : Gaßner :
Il en est souvent ainsi en science : il faut avoir le courage d’oser. Un autre boxeur fameux – Mohammed Ali – a dit dans sa jeunesse : « je ne sais pas exactement de quoi je parle, mais je sais que j’ai raison. »
D’où savons-nous tout cela ?
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1.13 Le diagramme de Hubble. La distance des objets est représentée horizontalement, la vitesse de fuite verticalement (données corrigées compte tenu du mouvement propre du système solaire). Points noirs : Objets mesurés individuellement. Cercles : Nébuleuses, dont les objets ne pouvaient pas être isolés individuellement. Croix : Vitesse moyenne de 22 nébuleuses, dont la distance ne pouvait être définie individuellement. La droite en pointillés a été obtenue en tenant compte des cercles. La droite continue est constituée approximativement par les points noirs. D’un point de vue actuel, l’angle des deux droites est erroné. Mais l’idée fondamentale était aussi juste que révolutionnaire.
Ce type d’assurance n’était sans doute pas complètement étrangère à Edwin Hubble. Lesch :
Gaßner :
En tous les cas, ce fut véritablement un pas historique pour la physique que fit Hubble avec son diagramme. Ce tracé un peu fou – plus tard nommé d’après son auteur diagramme de Hubble – mit en lumière la relation qui existe entre la lumière et la vitesse de fuite. Les données montrent que les objets que l’on observe à partir de la Terre s’éloignent d’autant plus vite qu’ils en sont éloignés, et ce, quelle que soit leur direction. Cela ôte tout fondement théorique possible à
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
la conception d’un univers statique, et lui substitue même celle d’un univers en expansion. De nouveau, une victime de renom venait d’être sacrifiée sur l’autel de l’évolution progressive des sciences naturelles. Lesch :
À la manière des organes biologiques qui s’imposent dans un milieu ou qui en sont chassés, les théories des sciences de la nature sont soumises en quelque sorte à ce principe évolutionnaire. À ceci près cependant, que l’ennemi naturel de la théorie n’est pas ici une autre théorie, mais l’expérimentation elle-même.
Gaßner :
Bien des années avant la découverte de Hubble, Einstein avait développé la théorie de la relativité générale. Ses équations impliquaient nécessairement un univers en expansion. Avec beaucoup d’efforts et avec l’introduction d’une astuce mathématique – la constante cosmologique – on put en fin de compte rendre cette théorie compatible avec la conception d’un univers statique.
Lesch :
Il avait simplement ajouté une constante à la dimension de la surface inverse, et ce de façon si raffinée, qu’à la fin, tout « collait » de nouveau parfaitement.
1.14 Albert Einstein (1879 – 1955)
Gaßner :
Mais même un « poids-lourd » comme la théorie de la relativité générale a dû se plier un moment au dogme de l’univers statique, tant qu’elle n’eut pas de soutien expérimental, alors même qu’elle renversait sans peine de son piédestal toute la théorie newtonienne de la mécanique, rien de moins !
Lesch :
Encore une fois Einstein précède Hubble. La théorie de la relativité générale fut publiée en 1915. Ce fut seulement 14 ans plus tard que Hubble en fournit la preuve avec ses importantes observations. La théorie resta pendant tout ce temps en quelque sorte suspendue.
Gaßner :
Ce n’est pas tout à fait exact. Quelques-unes de ses prédictions avaient déjà été confirmées par l’observation : la courbure gravitationnelle de la lumière et le mouvement périhélique de Mercure.
D’où savons-nous tout cela ? Lesch :
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Pas si vite ! C’est trop de choses à la fois ! D’abord la théorie de la relativité générale de Albert Einstein a purement et simplement prédit que la trajectoire de la lumière, lorsqu’elle passe à côté d’objets très lourds, se courbe. Que la lumière se meuve, rien de plus normal, elle est comme les requins, elle doit toujours être en mouvement. Elle ne peut pas faire autrement. Mais que sa trajectoire se courbe ! On appelle cela la « courbure gravitationnelle ». C’est cet effet qui a rendu si célèbre la théorie de la relativité générale. 1.15 La courbure gravitationnelle de la lumière : la théorie de la relativité générale prédit que non seulement la masse, mais aussi l’énergie produit un effet gravitationnel, selon la formule E = m c2 . Ainsi, et au contraire de la théorie newtonienne, la lumière elle aussi peut être déviée par des objets massifs. L’image représente la courbure de l’espace causée par un objet massif (bidimensionnel). Les photons choisissent le chemin le plus court. Dans un espace-temps courbé, ceci n’est plus une droite, mais une ligne courbée.
Gaßner :
Et en ce qui concerne le mouvement périhélique de Mercure, il s’agit de l’interaction de la planète avec le champ gravitationnel du soleil. L’espèce « d’œuf » autour du foyer est en réalité le produit de perturbations des planètes Vénus et de la Terre. Il était déjà connu avant Einstein, mais avec une différence de 43 secondes d’arc par siècle entre les calculs théoriques et les mesures. La théorie de la relativité générale était en mesure d’expliquer la modification de la trajectoire en se référant à la courbure de l’espace due à la présence du soleil.
Soleil
Mercure
1.16 Le mouvement périhélique de Mercure.
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
Lesch :
Mais bien entendu, le coup d’éclat fut donné par la mise en évidence de la courbure gravitationnelle de la lumière. Josef, je ne veux pas trop m’éloigner du sujet, mais tu peux t’imaginer, comment cela a dû se passer à l’époque, lorsqu’Arthur Eddington revint de son expédition africaine avec les données mesurées lors de l’éclipse solaire et lorsqu’il les présenta à la Royal Society ? Il entra sur la scène, le buste d’Isaac Newton au-dessus de lui. Un vrai mélodrame ! L’illustre public de la société londonienne attendait, tendu. Il en allait du tout au tout : la théorie de la relativité générale d’Albert Einstein. Et effectivement, elle prédit clairement que la lumière en passant près de lourdes masses se courbe tant, que la position visible des sources lumineuses, c’est-à-dire ici les étoiles, diffèrent de leurs positions réelles. Afin de pouvoir observer cet effet minimal, on doit avant tout cacher le rayonnement tout puissant du soleil. De là le choix de l’éclipse solaire pour l’observation. La nature a été en quelque sorte de la partie. Sir Eddington a apporté les données qui précisément confir- 1.17 Arthur Stanley ment la théorie. Euréka ! Sonnez trompettes ! Eddington (1882 – 1944)
Gaßner :
Aujourd’hui l’action des ondes électromagnétiques dans des champs gravitationnels se laisse mesurer très précisément. Et même nous ne sommes plus astreints à des conditions d’observation favorables tenant compte des éclipses solaires et des étoiles en arrière-fond : on place désormais les appareils de mesure adéquats derrière le soleil. Grâce à la sonde Cassini, on a pu de cette façon démontrer l’existence de l’effet Shapiro (Irwin Ira Shapiro) : les signaux électromagnétiques lorsqu’ils traversent un champ gravitationnel, éprouvent un ralentissement, conformément à la théorie de la relativité générale. L’effet théorique a pu être confirmé expérimentalement avec une précision de 0,001 pour cent.
Lesch :
Certes, la relativité générale avait déjà expliqué nombre de choses il y a cent ans, mais ce ne fut qu’avec l’arrivée de Hubble et ses données observationnelles qu’elle réussit sa percée.
Gaßner :
L’art et la manière avec lesquels la théorie de la relativité générale délogea la mécanique newtonienne sont caractéristiques d’une forme
D’où savons-nous tout cela ?
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d’évolution douce dans les sciences modernes de la nature. Plus une théorie établie s’appuie sur des données expérimentales, plus il sera difficile de la rejeter en bloc. On la retrouve en quelque sorte absorbée et elle conserve comme cas particulier sa validité, comme c’est le cas de la mécanique newtonienne – elle reste valide pour des masses petites et moyennes et des vitesses clairement en deçà de celle de la lumière. Appliquée à l’industrie automobile, on parlerait alors plutôt d’un nouveau design que d’un changement de modèle. Lesch :
C’est sûr. La mécanique newtonienne a été en quelque sorte aspirée par la relativité générale. Malgré tout elle l’emporte en raison de sa simplicité et encore maintenant, sa précision est amplement suffisante pour bien des tâches de notre quotidien. Ceci dit en passant, j’eus tout de même trouvé captivant d’établir les effets relativistes avec lesquels il faut compter lors de la reconstruction théorique d’un accident de voiture, par exemple. Le champ gravitationnel de la Terre n’est pas le même à chaque endroit. Même les voitures exercent une gravitation, faible il est vrai, mais cependant bien réelle. Cela aurait été un calcul compliqué à souhait, au bout duquel la question de la responsabilité dans l’accident ne se serait assurément pas laissé établir clairement.
Gaßner :
Retournons à nos moutons si tu veux bien : le thème était celui du nouveau design plutôt que celui du changement de modèle.
Lesch :
Oui. Nous avons ici affaire à un développement de théories, lesquelles, exception faite de celle de Copernic, ont retiré la Terre du centre de l’image du monde où elle était jusque-là, pour y placer le Soleil. En ce qui concerne la révolution copernicienne, elle fut plutôt le fait de réformes que de révolutions.
Gaßner :
À propos, une image héliocentrique du cosmos existait déjà 1800 ans avant Copernic. C’est Aristarque de Samos qui l’avait développée, en partant des considérations d’Héraclite et de Philolaos. Si l’on observe pendant des mois la trajectoire nocturne de Mars devant le ciel des étoiles fixes, il semble effectuer une véritable boucle. Se retournant puis reculant, cette course rétrograde de Mars, comme on la nomme, n’en finit plus d’étonner.
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
1.18 Au centre à gauche, le Soleil, autour la Terre et Mars qui tournent autour de lui. La Terre dépasse Mars, en raison de sa trajectoire plus favorable d’une part et de sa vitesse moyenne supérieure d’autre part (29,78 km/s contre 24,13 km/s). Lorsqu’on observe la projection de Mars sur le ciel des étoiles fixes à partir de la Terre, pendant cette phase de dépassement, on constate un mouvement de va-et-vient, nommé le mouvement rétrograde de Mars (ici représenté à sept points caractéristiques qui tournent autour de lui). Lesch :
Ensuite vint Ptolémée avec sa théorie des épicycles, laquelle remit en quelque sorte la Terre à nouveau au centre. Comme on le voit, il existe pour chaque problème complexe de physique une explication aussi simple qu’erronée. À vrai dire, cette théorie des épicycles n’avait vraiment rien d’aisé.
Gaßner :
Les sciences de la nature sont traversées par un processus continuel d’adaptation, des théories s’imposent par petites mutations, ce qui les rend ainsi plus performantes. C’est seulement de temps à autre qu’apparaissent des transformations spectaculaires, déclenchées par des changements radicaux et rapides « des conditions de vie », pour reprendre la métaphore biologique. Les observations faites par Edwin Hubble constituent à ce titre quelque chose de comparable à « l’impact massif d’une météorite ». Lorsqu’elles furent connues, toute une série d’espèces théoriques disparurent complètement. À leur place apparut un nouveau modèle : celui de l’univers en expansion, lequel à son tour, subit bien des modifications, et connut jusqu’à ce jour d’innombrables confirmations.
Lesch :
La plus importante et la plus lourde des conséquences fut la découverte du rayonnement cosmique de fond. Si l’univers, dans sa phase initiale, fut
D’où savons-nous tout cela ?
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effectivement très chaud, alors il devait être possible, encore aujourd’hui, de détecter ce rayonnement fossile. Dès 1948, les physiciens américains Ralph Alpher et Robert Hermann avaient énoncé cette réflexion, en précisant même, que ce rayonnement devait être désormais de l’ordre des micro-ondes, en raison de son extrême déplacement dans le rouge, autour d’une température de cinq degrés kelvin environ. Gaßner :
Le physicien atomique russo-américain George Gamov rédigea également plusieurs travaux sur ce thème. Ses prédictions avaient, en vérité, à peine attiré l’attention. La découverte proprement dite fut le fait du plus grand des hasards. Aux laboratoires Bell dans le New Jersey, deux jeunes ingénieurs travaillaient au calibrage d’une grosse antenne cornet de 15 mètres, qui devait permettre l’étude des signaux radio provenant de la Voie lactée. Arno Penzias et Robert Wilson devaient se battre contre un mystérieux signal parasite micro-ondes enregistré à 7,35 centimètres de longueur d’onde, signal de surcroît isotrope, c’est-à-dire égal en toutes directions. Après avoir pendant un an écarté toute source potentielle d’erreur, et même, pleinement dubitatifs, après avoir enlevé les crottes de pigeons de leur antenne cornet, ils cherchèrent conseil auprès de l’université de Princeton. Là, on comprit bien vite qu’il s’agissait du rayonnement cosmique fossile.
1.19 Arno Penzias (à droite) et Robert Wilson (à gauche) devant leur antenne cornet de 15 mètres dans le New Jersey.
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
Lesch :
Ironie du sort. À l’automne 1964 à Princeton, une équipe de chercheurs réunie autour de Robert Dicke avait de son côté également construit une antenne, précisément afin de déceler ce rayonnement fossile. Il s’en est véritablement fallu d’un cheveu. Et c’est finalement presque par inadvertance que Penzias et Wilson furent les premiers à le repérer et obtinrent pour cela en 1978 le prix Nobel.
Gaßner :
Le plus piquant de l’histoire, c’est que Robert Wilson était un ami proche de Fred Hoyle. Les deux avaient même étudié ensemble. Et c’était justement ce modèle d’un univers statique, considéré par Hoyle comme son plus grand cheval de bataille et défendu ardemment, que Wilson balaya d’un coup d’un seul. À vrai dire, le rayonnement cosmique fossile est facile à mettre en évidence. Si l’on débranche la prise antenne de son téléviseur, il correspond à environ un pour cent du grésillement de l’image. On le reconnaît à ceci, qu’il n’est en rien lié à la position d’un objet quelconque dans le ciel, par exemple le soleil ou la Voie lactée. Un tel signal à ce point régulier et isotrope ne provient évidemment pas de notre galaxie.
Lesch :
Dans les années qui suivirent, ce fut une véritable course contre la montre qui s’institua : l’enjeu était de savoir qui le premier parviendrait à mettre en évidence la plus petite variation dans l’isotropie du rayonnement fossile. De telles variations doivent bel et bien avoir existé : à partir d’elles se formeront plus tard les étoiles et les galaxies.
Gaßner :
Les premiers appareils de mesure furent envoyés à hautes altitudes à l’aide de ballons, afin de minimiser l’influence de l’atmosphère terrestre. Plus tard des satellites spéciaux furent lancés en orbite : ils étaient effectivement capables de mesurer des différences de température de l’ordre de 5 · 10 – 5 kelvin dans le rayonnement cosmique de fond. La lumière qui en provenait était légèrement décalée dans le rouge. C’est en quittant un endroit où le champ gravitationnel est un peu plus dense que les photons subissent cette perte d’énergie supplémentaire. Une variation de température dans le rayonnement cosmique fossile équivalait donc à une variation de densité de l’univers primordial. On venait de découvrir, pour ainsi dire, les semences des galaxies. Nous reviendrons sur ce point lorsque nous traiterons de la « formation des structures ».
D’où savons-nous tout cela ?
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Lesch :
Pour des mesures de précision de ce genre, chaque enregistrement doit être dépourvu de toute source parasite potentielle, c’est-à-dire que toute source connue de rayonnement micro-onde doit être répertoriée et soustraite de l’enregistrement. On calcula même l’influence de notre mouvement autour du soleil et de sa rotation propre dans la Voie lactée : ils conduisent en effet à des décalages vers le bleu ou le rouge du spectre.
Gaßner :
Cela marqua le début d’une nouvel ère dans la cosmologie : la cosmologie de précision. Stephen Hawking a caractérisé la mesure des variations du rayonnement cosmique fossile dans une interview du London Times comme « la plus grosse découverte du siècle, si ce n’est celle de tous les temps ». C’est également la raison pour laquelle on se devait de décerner pour celle-ci un prix Nobel ; et ce fut en 2006 que George Smoot et John Mather l’obtinrent.
Lesch :
Mais les découvertes sensationnelles de ce genre se font plutôt rares les temps derniers. Plus les objets de la recherche moderne s’éloignent clairement de notre monde macroscopique, plus il nous est difficile de mettre au point les expériences appropriées permettant de poser les questions adéquates à la nature pour la vérification des théories.
Gaßner :
Pense seulement Harald, à la douteuse tentative de parvenir à la collision contrôlée de deux minuscules protons, dans un cercle souterrain de 27 km, constitué d’aimants supraconducteurs, lesquels doivent être constamment refroidis à une température proche du zéro absolu. Leur énergie atteint alors 7 TeV (Tera-Électron-Volts), ou pour être plus concret, les protons parcourent le cercle 11 000 fois par seconde. Cela correspond à 99,9999991 pour cent de la vitesse de la lumière. Nous sommes seulement 10 km/h en deçà.
Lesch :
Tu parles du Large Hadron Collider (LHC), cette tentative colossale de la part des physiciens expérimentaux, de rassembler l’énergie nécessaire, à tirer une fois de plus le rideau de côté et à pénétrer, le temps d’un regard furtif, dans le royaume de l’infiniment petit. À nouveau, on veut faire reculer d’un pas supplémentaire la frontière qui nous sépare du Big Bang originaire.
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
1.20 Le Large Hadron Collider (LHC), complexe souterrain de 27 km de long sur les territoires suisses et français. Gaßner :
Nous avons dans les serres de la physique théorique fait pousser tout un tas de plantes exotiques dans des conditions artificielles. Et désormais, il nous est devenu impossible de les placer dehors, devant la porte, pour continuer à expérimenter de manière naturelle. Le mécanisme évolutif des sciences naturelles s’est à cet endroit enlisé et notre serre artificielle menace de craquer sous toutes ses coutures.
Lesch :
Ces temps derniers, on a vraiment le sentiment que la physique a atteint, d’une certaine façon, ses propres limites. Bien sûr, cela a déjà été dit bien des fois auparavant, particulièrement au dix-neuvième siècle, lorsqu’on conseilla à Max Planck d’étudier autre chose que la physique : dans cette discipline en effet, tout aurait déjà été expliqué ! Mais aujourd’hui c’est un peu différent. Il semble plutôt que les questions de la physique se soient retirées hors de portée de toute tentative possible de leur fournir une solution. Prenons par exemple la théorie des cordes. Ce monstre mathématique, qui volontiers se cache et prend la fuite en n-dimensions, ne semble jamais sortir de sa puberté théorique. Il n’atteint jamais l’âge adulte. Depuis quarante ans déjà, cette théorie réclame… « Donnez-moi
D’où savons-nous tout cela ?
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plus de temps ! » Ce faisant, les indices se multiplient qui montrent que sa condition sine qua non, à savoir l’aspect quantique de l’espace-temps, n’a en aucune façon été démontrée par d’éventuels effets détectables. Sans effets mesurables cependant, il est impossible de pratiquer une science expérimentale. Les progrès en physique ne sont pas le résultat de l’espoir idéaliste de faiseurs de théories, mais celui d’observations et d’expérimentations, imaginées et réalisées par des gens prenant les théories au sérieux. Un étudiant en physique théorique exprima dernièrement sa frustration avec cette phrase : « je ne vais tout de même pas laisser détruire la physique par de simples faits expérimentaux ». Ici, on peut voir combien les théories mathématiques élégantes ont désaffecté le terrain brut des faits, ceux-ci constituant cependant la seule matière possible, grâce à laquelle la validité des découvertes en physique peut être établie. Gaßner :
Lesch :
Ce sera justement toujours plus difficile de mettre sur pieds de nouvelles théories. Comme tu l’as dit, elles doivent aussi bien intégrer les observations les plus récentes que celles déjà expliquées par le passé. C’est un peu comme le jeu de Mikado. Tu veux modifier la construction, tout en bougeant le moins possible. Notre connaissance établie est toujours malédiction et bénédiction à la fois. Voilà le dilemme. Il y a une phrase formidable d’Isaac Newton : « Nous sommes des nains assis sur les épaules de géants ».
1 21 : Isaac Newton 1.21 (1642 – 1727)
La science elle-même s’enrichit toujours plus. Chaque jour, c’est un nombre toujours croissant de gens qui pratiquent la science, et donc aussi toujours plus d’informations qui fluent ensemble. De ce point de vue, il est frappant de constater qu’un nombre important de personnes « privées » se sont engagées dans le travail de la science en dehors des institutions de recherche. Partant d’une nouvelle prémisse, elles s’imaginent pouvoir développer des conceptions radicalement nouvelles de l’univers. Il arrive régulièrement qu’une telle « apparition historique d’un monde nouveau « soit envoyée à un observatoire universitaire, sous la forme d’un document en dix points, sans paragraphe
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
ni ponctuation. On commence généralement par écarter tous ces « malentendus » précédents, concernant la mécanique quantique ou la théorie de la relativité générale. Ici c’est la véritable étendue du problème qui apparaît bien entendu : il sera toujours plus complexe pour un nouveau venu, d’assimiler convenablement tout ce qui lui préexiste comme informations. J’aime comparer cela avec un film dont j’ai oublié le titre, où Sean Connery et Catherine Zeta-Jones sont sur le point de cambrioler un musée. Pour ce faire, elle doit s’entraîner acrobatiquement. Gaßner :
Haute voltige, c’est le titre du film.
Lesch :
Depuis quand vas-tu au cinéma ? Dans le film, Catherine doit surmonter dans une incroyable danse des milliers de barrières photoélectriques. Ceci est aussi valable en astrophysique : autrefois, il n’existait pratiquement qu’une barrière unique, voire même aucune barrière du tout. Aujourd’hui il y en a tant, que l’on doit se contorsionner incroyablement pour développer des théories qui remplissent en même temps toutes les conditions possibles. Particulièrement difficile.
Gaßner :
Cher Harald, je t’interromps avant que nous sortions complètement de notre sujet. Je te rappelle notre feuille de route : le Big Bang, le cosmos et la vie.
Le Big Bang
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2 Le Big Bang Le jour sans hier
2.1 Représentation artistique du Big Bang comme superposition de trois fractales.
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
Gaßner :
L’univers est en expansion. Une phrase en apparence anodine ! Cela sonne si léger. En vérité, cette phrase est bourrée d’explosifs, ne serait-ce que parce qu’un univers en expansion a dû manifestement par le passé être plus petit, et en conséquence, plus chaud également. Si l’on va jusqu’au bout du raisonnement, l’histoire de notre cosmos commence avec une singularité, un état indescriptible de densité et de chaleur : le Big Bang !
Lesch :
Joseph, laisse donc nos lectrices et nos lecteurs méditer ce point. Et que ressort-il nécessairement de la réflexion ? S’il en est bien ainsi, alors l’univers doit avoir eu un commencement. Il y a bien eu un jour unique ayant cette propriété particulière : celle d’être un jour « sans hier ».
Gaßner :
Cette déduction contredit cependant notre image du monde et nos habitudes de penser : nous voulons toujours poser la question « et avant », et espérons toujours pouvoir obtenir une réponse. La faute en incombe au développement évolutif de notre cerveau, lequel s’est adapté parfaitement à la survie dans notre environnement macroscopique. Faire confiance à l’idée selon laquelle, pour tout effet donné, il existe une cause bien définie, fut un important avantage évolutionnaire pour notre espèce. Bien des expériences sur lesquelles nous nous appuyons furent obtenues par les organes des sens, qui eux-mêmes se sont perfectionnés évolutionnairement à la vie sur notre planète.
Lesch :
Nos yeux par exemple, perçoivent une gamme de longueurs d’onde de 380 à 780 nanomètres, car notre soleil a son maximum dans cette zone.
Gaßner :
De plus, notre atmosphère est perméable à ces longueurs d’onde, mais pas aux rayonnements gamma et aux rayons X, fort heureusement. Nous vivons au fond d’une mer d’air protectrice que nous appelons l’atmosphère. Que l’eau soit également perméable à ces fréquences d’ondes de la lumière visible est également tout à fait décisif. Après tout, nos descendants, qui ont pour ainsi dire inventé la vue, étaient originaires des océans. Là, bien avant que la couche d’ozone se constitue, les formes de vie primitives avaient trouvé une protection suffisante face au rayonnement puissant de notre jeune soleil. Certes, elles devaient pour cela résider suffisamment profondément en dessous de la surface de l’eau. C’est pourquoi pouvoir reconnaître le clair du sombre constitua un avantage évolutionnaire déterminant. Le clair était alors synonyme de
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danger, car trop proche de la surface. Les premiers récepteurs lumineux furent sans cesse perfectionnés par l’évolution, jusqu’à devenir une vision en couleur de haute définition dans tout le spectre du visible. Lesch :
Imagine à quoi le monde ressemblerait, si l’on pouvait voir dans tout le spectre électromagnétique !
Gaßner :
Le spectre complet serait probablement inadapté, mais je n’aurais rien contre une vision en infrarouge. Les poissons par exemple possèdent cette faculté. Plus l’espace vital est opaque, plus il semble qu’un appareil réceptif d’un spectre le plus large possible soit important. Comprendre la théorie de la relativité générale n’aurait apporté en revanche aucun avantage à nos descendants concernant leur survie. Est-on assis au sommet d’une montagne, que le temps passe effectivement plus vite que si l’on se trouve plus proche du centre de la Terre, où le champ gravitationnel courbe l’espace-temps plus intensément. Cet effet relativiste est si petit qu’il en est négligeable, et de ce fait, la formation d’un organe des sens qui lui correspondrait n’aurait constitué aucun avantage. De la même manière, un sens des relations du microscopique et de l’infiniment petit, en premier lieu la fameuse relation d’incertitude, n’aurait offert aucun avantage quantifiable dans un monde d’ennemis, eux tout à fait déterminés localement, agissant d’après un principe causal très clair : le coup de griffes d’abord, la douleur vient ensuite. Ainsi nous nous trouvons aujourd’hui prisonniers d’une vision universelle du monde, rassemblée dans les structures de pensée d’un cerveau de primate, laquelle, à y regarder de plus près, ne reproduit pertinemment qu’une petite partie de la réalité. Pour nous, une chose est comme ceci ou comme cela, quelque chose se produit ou il ne se passe rien. L’espace autour de nous sépare les objets les uns des autres et établit, se faisant, si quelque chose existe ou non. Tout se déroule sur la scène d’un espace invariable et d’un temps absolu. Si l’on veut parvenir à comprendre l’évolution de l’univers cependant, on doit rompre avec ces références si familières – accomplir en quelque sorte de soi-même un pas évolutionnaire. Que nous soyons en mesure de le faire constitue une performance tout à fait incroyable. Aucun autre être vivant sur cette planète ne le peut. Bien que nous nous soyons déterminés évolutionnairement, nous sommes capables de performances allant beaucoup plus loin que le simple nécessaire à notre survie. La nature – peut-être ne l’a-t-elle même
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
pas voulu du tout – a produit avec nous un modèle en mesure de parvenir à des découvertes, dont la portée dépasse de beaucoup le simple cadre de l’espace qui constitue notre monde immédiat. Lesch :
Alors si tu veux bien, tentons maintenant de faire ce pas en avant.
Gaßner :
Nous devons d’abord développer une sorte d’intuition de l’expansion de l’espace entre les galaxies, du vide entre ces choses. À cet égard, la représentation d’un Big Bang conçu comme une explosion nous induit en erreur. Selon celle-ci, l’univers aurait en effet un centre. Cela donne l’impression que les choses se seraient éloignées à partir de ce point central dans toutes les directions et l’on pourrait ainsi planter là un panneau : ici a eu lieu le Big Bang. Tout comme nous observons, à partir de la Terre, les galaxies s’éloigner de nous, nous en concluons alors qu’il en est ainsi pour chaque lieu de l’univers.
Lesch :
Tout de même, peut-être pas chaque lieu. Woody Allen, lui au moins, a justement reconnu : « Si l’univers est véritablement en expansion, pourquoi donc ai-je toujours plus de mal à trouver une place de parking ? »
2.2 L’expansion de l’univers, représentée par trois plans de coupe d’une même région de l’espace. Les galaxies conservent leurs étendues respectives, alors qu’entre elles, un espace nouveau est généré.
Gaßner :
Cher Harald, ici nous abordons un point essentiel. Il s’agit d’une pensée décisive pour la compréhension de celles qui viendront par la suite. Pour le dire ainsi, il doit exister une sorte de source du néant, de laquelle surgit entre les objets déjà existants constamment un nouveau vide. Comme
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une pâte gonfle avec la levure, ainsi s’étend l’espace entre les galaxies. Elles sont comparables à des raisins secs pris dans la pâte. L’espace les éloigne continuellement les unes des autres. Lesch :
Allons donc ! Une source de laquelle, pour ainsi dire, du néant tout neuf surgit ? Vous n’auriez pas un peu de rien en plus ? En tranches s’il vous plaît ! Notre imagination se trouve mise en déroute.
Gaßner :
Il y a encore pire : espace et temps sont liés par la théorie de la relativité générale : on parle d’espace-temps. En vérité, c’est cet espace-temps à quatre dimensions qui est en expansion.
Lesch :
Puisque tout arrive à une certaine vitesse, leur interdépendance se laisse deviner : la vitesse, c’est toujours la distance par unité de temps. Ainsi le temps entre en ligne de compte également.
Gaßner :
Encore qu’il faille être très prudent avec ce concept de vitesse lorsqu’on l’applique au vide qui se répand entre les choses. Les galaxies ne bougent pas véritablement. Elles s’éloignent les unes des autres, puisqu’entre elles, de la distance supplémentaire apparaît. Dans le diagramme de Hubble, la vitesse de fuite des galaxies augmente apparemment toujours plus avec la distance. Si les galaxies se déplaçaient alors véritablement, la vitesse de la lumière devrait constituer une limite vers le haut. En réalité, ces objets, lorsqu’ils sont suffisamment lointains, s’éloignent de nous à des vitesses supérieures à celle de la lumière. Du point de vue d’un observateur placé sur l’un d’eux, nous aussi nous nous éloignerions avec une vitesse supérieure à celle de la lumière. C’est pourquoi devrait-on bien plutôt placer ces concepts de « vitesse » et d’« éloignement » entre guillemets.
Lesch :
Chères lectrices et chers lecteurs, est-ce que vous nous suivez encore ? Est-ce que cela devient enfin plus clair ? Et qu’est-ce qu’on en fait maintenant de ce rien ? Et ce vide des physiciens, est-il si important ?
Gaßner :
Le vide constitue par excellence l’un des plus gros problèmes de la physique contemporaine. Rien ne nous occupe autant que le vide.
Lesch : Gaßner :
Mon Dieu !… si quelqu’un nous entendait, ou même nous lisait ! Aussi fou que cela puisse paraître, la matière elle-même, en dernier recours, n’est rien elle aussi. Il reste tout juste quelques propriétés pour la caractériser. Mais nous allons y revenir.
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Lesch :
Je le reconnais, tout cela n’est pas évident. Mais c’est probablement aussi ce qui nous fascine tant. Que notre espèce soit apparue au cours de longues années d’évolution et que nous disposions, grâce à elle, d’une panoplie d’instruments qui nous aident, dans un espace donné de choses données, tant bien que mal, à survivre convenablement, voilà qui est déjà bien étonnant. Mais que désormais nous nous aventurions jusqu’aux limites de notre cosmos. Là, vraiment, cela promet bien des difficultés. Il y a de quoi s’embrouiller durablement la cervelle !
Gaßner :
Récemment, j’ai remarqué lors d’un déplacement en train deux fourmis, qui s’étaient d’une façon ou d’une autre, égarées dans mon compartiment et qui regardaient la campagne défilant par la fenêtre. Cela m’a fait penser à nous autres, chercheurs en sciences de la nature. Nous aussi, nous fonçons à travers l’espace à la vitesse inimaginable de 30 km/s (plus de cent mille kilomètres par heure) autour du soleil, accomplissant lui, à son tour, sa trajectoire dans la Voie lactée à la vitesse de 220 km/s. La vitesse relative de la Voie lactée par rapport à l’arrière-fond cosmique atteint la valeur incroyable 627 km/s. Nous aussi nous regardons par la fenêtre de notre atmosphère terrestre et nous essayons, ébahis, de nous faire une idée des choses que nous observons au-dehors.
Lesch :
Une belle image, en effet…
Gaßner :
Et finalement, ce faisant, on parvient à la conception d’un espace-temps en expansion à quatre dimensions, voire même onze dimensions, qui lui-même fut produit dans la soupe chaude du Big Bang par une fluctuation quantique. C’est un peu comme si les deux fourmis se mettaient à philosopher, considérant que leur voyage avait probablement lieu à la surface d’une sphère et qu’il suffirait alors de continuer toujours ainsi, dans la même direction, pour retrouver son point de départ. Que notre cerveau soit parvenu à développer une chose aussi complexe que notre image actuelle de l’univers, image concluante et dépourvue de contradictions internes, voilà ce qui m’impressionne le plus dans tout cela.
Lesch :
Je pense que cela constitue d’un point de vue philosophique également une performance extraordinaire et remarquable, parce qu’elle n’a rien à voir avec le genre de langage que nous utilisons. Nous venons au monde, et le monde, par définition, nous précède et sa compréhension constitue
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donc pour nous le défi par excellence. C’est alors que pour mieux le connaître, on doit se confronter à des méthodes qui sont complètement étrangères à nos conceptions habituelles. Que nous soyons de surcroît désormais parvenus au problème de l’expansion d’un espace-temps quadridimensionnel, vraiment, c’est renversant ! Gaßner :
Et puisque nous sommes assis si confortablement, Harald, entre nous dit : ce sont naturellement les équations de la théorie de la relativité générale qui conduisent à cette conception en expansion d’un espacetemps à quatre dimensions. Nous assimilons simplement notre univers à un gaz parfait, au sein duquel les galaxies prennent la place des molécules. De la sorte, nous tenons simplement compte du fait que toutes les masses et énergies positives s’attirent en raison de la gravité, alors qu’au contraire, les énergies négatives, la pression négative du vacuum en particulier, produisent un effet expansif. Si l’on remplace dans le terme résultant de l’équation de l’équivalence des champs une énergie négative suffisante, le signe, devant, bascule, et nous concluons alors : « l’univers est en expansion ! » Le mathématicien en moi comprend cela. Mais franchement, quand je regarde dans la nuit le ciel étoilé et essaye de me représenter que le vide surgit entre les galaxies, alors, rien ne me vient à l’esprit. Et toi, parviens-tu à te le représenter ?
Lesch :
Pas du tout, je suis comme toi. Je ne crois pas du reste que quiconque puisse se représenter en image un espace en expansion quadridimensionnel.
Gaßner :
Dans ce cas, il en est de nous comme de ces deux fourmis voyageant dans le train qui n’ont aucune idée de rien. Absolument !
Lesch : Gaßner :
Tu as au début évoqué la question : qu’y avait-il avant le Big Bang ? Hé oui ! La question classique par excellence.
Lesch :
La question qui suivrait serait alors : Comment se peut-il que quelque chose se soit produit à partir de rien ? Car évidemment, rien ne saurait provenir de rien.
Gaßner :
Avez-vous vu cela, chères lectrices et chers lecteurs ? Précisément à cette place, le pas évolutionnaire annoncé est de mise, afin que notre cerveau puisse s’appuyer sur une intuition. C’est une bonne chose que soyons
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épaulés, chemin faisant, par des géants. Ceci dit, même un Einstein qualifia tout simplement de « magiques » les effets de la mécanique quantique. Il reconnut intuitivement que l’espace et le temps devaient lui être intégrés. Lesch :
Cela effraya « le grand maître de la lumière » lui-même.
Gaßner :
Les sciences de la nature abordèrent ce problème avec leur arme universelle : les mathématiques. Après que nous ayons gagné confiance au cours de plusieurs siècles, en cette forme de description de notre monde macroscopique, nous nous aventurâmes avec elle dans des régions du réel, que nul homme n’avait « vu » auparavant. C’est après-coup que l’évolution du cosmos se laisse déduire des équations mathématiques et traduire dans la langue et les modèles de notre monde macroscopique. Afin de réduire au maximum les inévitables erreurs de traduction, il est important de définir clairement les concepts de vide, fluctuation quantique, champ de Higgs, masse, temps, transition de phase, rupture de symétrie.
Lesch :
Qu’entendons-nous précisément par vide, lorsque nous nous posons la question de savoir comment notre univers pouvait surgir de lui ?
Le Big Bang
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2.1 Du vide quantiques
aux
fluctuations
Le vide, ce n’est pas rien ! Gaßner : Commençons
donc par quelque chose de solide. T’est-il déjà arrivé de devoir pousser une voiture ?
Lesch :
Oui ! Malheureusement !
Gaßner :
Pour mettre la voiture en mouvement, il faut fournir un certain effort. Un adulte y parvient tout juste. Une souris, elle, ne serait pas en mesure de fournir la quantité minimale d’effort nécessaire pour déplacer la voiture. Sans parler d’une fourmi ou d’un organisme unicellulaire. C’est pourquoi, en dépit des efforts qu’apporteraient ces aides minuscules, l’auto resterait immobile. En deçà d’un quantum minimum d’énergie, l’effort fourni semble n’avoir laissé aucune trace tangible.
Lesch :
Je comprends. C’est pourquoi pour un observateur, une voiture immobile est indéterminée, au sens où il est indifférent qu’une souris, qu’une fourmi ou qu’un unicellulaire cherche à la pousser ou non. Chacun d’eux pris séparément ou même, dans notre exemple, les trois réunis pour pousser l’arrière du véhicule ne modifieraient en rien l’état d’immobilité de la voiture.
Gaßner :
Tout à fait. Quel que soit celui des trois qui justement participerait à cette tentative de déplacement du véhicule, il resterait encore une certaine quantité respective d’énergie pour atteindre le quantum minimum nécessaire au mouvement. Le système serait également indéterminé du point de vue de cette portion manquante d’efforts. En effet, cet indéterminé est produit, parce qu’on ne passe pas d’un état singulier du système à un autre de façon continue. Si chaque petit supplément d’effort – si minuscule soit-il – impliquait un changement du système, il en serait autrement. On pourrait à chaque instant déterminer combien de souris et de microbes sont justement en train de pousser la voiture.
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
Lesch :
Mais le système est quantifié, c’est-à-dire que l’on passe de l’état « voiture immobile » à l’état « voiture en mouvement » lorsqu’un minimum d’effort adéquat a été fourni.
Gaßner :
Et c’est ainsi que l’on doit se représenter le monde de l’infiniment petit. Là, on a également besoin d’un quantum minimum d’énergie pour parvenir à changer un état. Cela concerne aussi bien le mouvement d’une particule que sa rotation, sa rupture d’avec une liaison existante que d’une façon générale son excitation à un état énergétique quelconque. Pourquoi en est-il ainsi ? Nous l’ignorons. Mais lorsque nous introduisons dans le modèle que nous utilisons pour décrire le monde de l’infiniment petit la quantification, sous la forme d’un quantum minimum « h », alors nous obtenons une théorie, qui jusqu’ici fut confirmée par bon nombre d’expériences. Nous appelons cette théorie mécanique quantique, l’expression devant nous rappeler constamment la quantification que l’on y a introduit. Bien sûr, ce succès a un prix que nous devons payer : précisément 2.3 Max Planck (1858 – 1947) l’indétermination, laquelle va de pair avec la quantification.
Lesch :
Des souris, des fourmis, des microbes même, qui veulent pousser une voiture… c’est fabuleux ! Personne jusqu’ici n’a jamais expliqué la constante de Planck (quanta minimum d’effet) de la sorte.
Gaßner :
D’une façon générale, on produit un effet lorsqu’on laisse agir une énergie pour un temps donné. C’est pourquoi l’on peut exprimer le travail de la constante de Planck h, comme le produit de l’énergie et du temps. En ce qui concerne un effet plus petit que h, ou plus précisément inférieur au produit énergie multipliée par temps, nous ne pouvons rien dire. À première vue, cela n’a guère d’importance, car la valeur mesurée de h à 6,6 · 10 – 34 joules secondes est extrêmement petite. Mais la formule « énergie multipliée par temps plus petit que h » vaut aussi pour de hautes énergies, du moment que la durée, cette fois, est assez courte.
Le Big Bang
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Lesch :
Pour une durée quelconque, l’indéterminé autorise ainsi une grande quantité d’énergie, à partir de laquelle, suivant la formule E = mc2, on peut « bricoler » de la matière.
Gaßner :
Ce faisant, la créativité de la nature semble sans frontière. Seules quelques symétries fondamentales et quelques lois de conservation doivent être respectées. En d’autres mots : s’il apparaît quelque chose avec une charge électrique donnée, alors doit également apparaître autre chose de correspondant avec une charge contraire, afin que le bilan soit respecté. Ces paires contraires, nous les appelons particules-antiparticules. C’est pourquoi, en plus des souris et des microbes, il y eut également autant d’anti-souris et autant d’anti-microbes qui poussèrent la voiture.
Lesch :
Une courte durée de vie seulement est allouée à ces paires virtuelles de matière-antimatière. Plus l’énergie nécessaire à leur apparition est haute, plus leur durée de vie sera courte.
Gaßner :
Ce processus d’apparition et de disparition se répète constamment, et c’est précisément ce que nous nommons fluctuation quantique.
Lesch :
Et ces fluctuations quantiques. Elles existent également dans le vide.
Gaßner :
Pas si vite ! Il s’agit-là d’un pas conceptuel conséquent. Je proposerais volontiers pour commencer une expérience de pensée : tu es depuis toujours un passionné d’aquarium, n’est-ce pas ?
Lesch :
Oh, un amateur tout au plus ! Et puis, cela fait désormais un certain temps que…
Gaßner :
Cela ne fait rien, ou plutôt, regardons ensemble si cela ne fait vraiment rien, justement. De ton aquarium, retirons en pensée tous les poissons. Bien sûr, nous les portons en lieu sûr – même lorsqu’il s’agit d’expériences de pensée, aucun être vivant ne doit en souffrir. Ensuite, nous retirons l’eau, les plantes, les graviers du fond, les pompes, enfin tout, simplement tout. Puis nous collons un couvercle sur le dessus et aspirons même l’air. En d’autres termes nous créons un vacuum idéal. Alors, que crois-tu ? N’y aurait-il plus rien dans ton aquarium ?
Lesch :
Les parois de l’aquarium émettraient encore un rayonnement de chaleur.
50 Gaßner :
Lesch :
Le Big Bang, le cosmos et la vie
Voila l’avantage des expériences de pensée : il suffit d’un rien pour avancer. Nous refroidissons donc les parois à zéro degré kelvin ou – 273,15 degrés Celsius. Dès lors, il n’y a plus de rayonnement calorifique. Avons-nous pour autant atteint, avec ce vacuum idéal, ce que nous pourrions véritablement concevoir comme un néant, où pour un lieu et un temps donnés l’énergie serait exactement égale à zéro ? Non ! La formulation peu conventionnelle de cette question nous met la puce à l’oreille : la relation d’incertitude de Heisenberg constitue encore un obstacle. Elle « interdit » pour ainsi dire un état de ce genre.
Gaßner :
Et c’est le point crucial. Ce que nous ne pouvons pas retirer de cet aquarium, ce sont les lois de la nature, particulièrement ici, celles de la physique quantique, selon lesquelles 2.4 Werner Heisenberg certaines paires de données ne se laissent (1901 – 1976) pas déterminer précisément simultanément. La constante de Planck (quanta minimum d’effet) impose une limite à la détermination. Habituellement, en ce qui concerne ces paires de données, il s’agit d’une valeur et de ses variations dans le temps. Ainsi, pour une particule, ce seront le lieu et la vitesse, ou encore le lieu et la quantité de mouvement. Mais cela concerne aussi l’intensité et la variation d’un champ quelconque. Heisenberg put de surcroît prouver mathématiquement une incertitude minimale de h/4/, laquelle est non seulement possible mais nécessaire. Comme nous l’avons déjà vu, l’énergie et le temps constituent une de ces paires, laquelle obéit à la relation d’incertitude. Là, pour un laps de temps très court, l’énergie en général et celle du vide en particulier sont indéterminées. Ici se referme la parenthèse des souris, fourmis et microbes qui essayaient de pousser une voiture, celle des poissons disparus de ton aquarium. Peu importe l’effort que nous investirions pour le vider davantage, le vide reste constamment plein de ces variations quantiques.
Lesch :
Cela est facile à dire : l’énergie et le temps forment une paire obéissant à la loi d’incertitude. Il n’y a rien de comparable dans l’expérience que
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nous faisons au quotidien. Vois-tu, toi, ici quelque chose apparaître pour disparaître de nouveau ? Gaßner :
Naturellement non. Nous sommes des géants macroscopiques en comparaison du monde quantique. Je le préciserais volontiers de la sorte : à une altitude élevée, la surface des mers semble plate comme une planche. Mais proche de la surface, il en est tout autrement. Ce sont des variations plus ou moins prononcées autour d’un point zéro – tout est en mouvement. C’est analogiquement le genre de modifications que l’on rencontre lorsque l’on s’approche du monde quantique. L’énergie et le temps forment un couple représentant un minimum d’incertitude. Si l’un reste fixe, l’autre varie. Si j’observe le vide à un moment précis donné, alors j’obtiens nécessairement une énergie fluctuante. De cette énergie peut apparaître quelque chose, selon la formule E = m c2, une fluctuation quantique justement. Avec une fluctuation à haute énergie nous disposons de peu de temps, tandis qu’une fluctuation à de plus basse énergie dure plus longtemps. Les choses macroscopiques ont besoin d’une immense énergie pour leur matérialisation. En principe, un poisson et un antipoisson pourraient bel et bien apparaître un bref instant dans ton aquarium vide, ou même ici aussi, en plein milieu de la pièce. Une telle fluctuation, que nous percevrions à l’œil nu, reste cependant extrêmement improbable. Selon toute probabilité, nous n’observerons jamais quelque chose de ce genre, même si nous restions assis-là, jusqu’à nos derniers jours.
Lesch :
J’espère, que tu ne raconteras rien à personne de notre expérience de pensée. Surtout rien des souris blanches ou des antisouris, même celles qui apparaissent dans mon aquarium et qui voudraient de surcroît pousser ma voiture ! Sinon, je ne réponds de rien !
Gaßner :
Laisse-moi encore une fois résumer, que nous ne perdions personne en cours de route. C’est que les fluctuations quantiques sont un peu dures à digérer. À petite échelle, le vide ressemble au balancement de la surface de l’eau : l’énergie du vide varie. Des paires de particules-antiparticules puisent dans le vide un peu d’énergie, ce qui leur permet de se matérialiser. La matière tout comme l’antimatière possèdent un effet gravitationnel attractif, ce qui correspond à une énergie positive. Les charges électriques opposées, le cas échéant, des paires particules- antiparticules
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
ne changent rien à l’affaire. Avant de retourner au néant, elles rayonnent de nouveau comme énergie et remboursent leur crédit provisoire. La durée de vie de ces particules virtuelles est d’autant plus courte, que leur masse, c’est-à-dire aussi l’énergie nécessaire à leur apparition, est grande. Lesch :
Je te l’accorde, tout cela fait songer à un tour de magie appliqué à la physique théorique, mais ces fluctuations peuvent être mesurées. Si l’on place des atomes dans le vide en effet, alors leurs niveaux d’énergie seront influencés par les fluctuations quantiques. Cela put être établi grâce à la spectroscopie, comme le fit Willis Eugene Lamb Jr., qui obtint pour cela le prix Nobel en 1955. 2.5 Willis Eugene Lamb Jr.
Gaßner :
Rapporté à notre expérience de pensée, cela (1913 – 2008) équivaudrait à placer quelqu’un derrière notre voiture, qui fournirait une énergie juste en deçà de l’énergie nécessaire au déplacement du véhicule. Puisque la voiture se met en mouvement tout de même, alors cela constituerait une preuve indirecte de l’existence de ces particules virtuelles.
Lesch :
Les variations quantiques ne se limitent pas à l’énergie qu’elles puisent dans le vacuum. Il suffit d’ajouter de l’extérieur suffisamment d’énergie pour constater que se forme aussitôt des paires de matière-antimatière. Cela se révèle être particulièrement irritant pour la recherche concernant les structures les plus petites. Pour déterminer la grandeur d’un électron, on utilise comme échelle de mesure la longueur d’onde de la lumière. Or, pour une échelle très petite, une grande quantité d’énergie sera cependant nécessaire. Si l’on approche cette « baguette » à haute énergie d’un électron, apparaît alors autour de lui nombre de fluctuations quantiques constituées d’électrons et de positrons. Les positrons sont les antiparticules des électrons et possèdent à ce titre une charge positive. Il en résulte un tohu-bohu que l’on appelle polarisation du vacuum, dans lequel il nous est impossible d’identifier la grandeur propre de l’électron à mesurer.
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2.6 Un électron (représenté ici dans le coin en bas gauche du schéma) est entouré d’un champ magnétique en raison de sa charge. Ce champ polarise le vacuum, c’est-à-dire que les paires virtuelles particules-antiparticules s’orientent suivant la disposition de leurs charges symétriquement, le long du rayon. Gaßner :
Lesch :
Dans l’univers de l’infiniment petit, il n’y a pas de règle du genre « regarder mais pas toucher ». Le simple fait d’observer modifie profondément précisément ce que l’on désirait mesurer. Chaque mesure équivaut à une intervention, peu importe ou non d’ailleurs, que quelqu’un observe effectivement cette mesure ou non. Chaque interaction dans la nature est en quelque sorte aussi une mesure. Si le vide n’est pas rien, quelles propriétés peut-on lui accorder ?
Gaßner :
D’un point de vue local, dans un petit volume quelconque, se trouvent des choses matérielles avec une énergie positive, mais aussi un vide « comprimé » correspondant à une énergie négative, une sorte « d’énergie de créanciers », afin que le bilan reste nul. Car il en est ainsi avec les créanciers : dès qu’ils ont prêté quelque chose, ils font pression pour le récupérer. Les emprunteurs ressentent naturellement cela comme une pression négative.
Lesch :
Quelle belle image ! Dans la vie, le créancier fait pression sur son détracteur. Cela vaut aussi en physique : la densité d’énergie équivaut physiquement à une énergie pour un volume donné, ou exprimé en unités adéquates, elle s’écrit en « newton mètre par mètre cube ». Il suffit de simplifier le dénominateur et le numérateur et l’on obtient des newtons par mètre carré. Cela correspond cette fois à une force pour une surface donnée, c’est-à-dire une pression. Densité et pression sont équivalentes. Un vide écrasé d’énergie négative exerce donc une pression négative.
Gaßner :
J’ai bien peur que cela soit difficile à comprendre ! Revenons à notre expérience de pensée et créons maintenant un vide dans un espace clos,
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
appelons-le, vide quantique, pour bien signifier qu’il est rempli de fluctuations quantiques. Imaginons qu’une des parois qui délimitent l’espace soit mobile, un peu comme un piston. Grâce à elle, nous pouvons agrandir le vide quantique, par exemple le doubler de volume. Localement, cela ne modifie en rien l’intérieur de notre récipient. Les fluctuations quantiques tout particulièrement ne se laissent pas diluer pour autant, contrairement à ce qui se passerait avec un gaz. L’expansion de l’espace agrandit en fin de compte uniquement l’espace dont elles disposent. De nouvelles particules-antiparticules remplissent l’espace nouvellement créé. En raison de l’expansion de l’espace, un gaz lui, se refroidirait, et sa pression, c’est-à-dire l’énergie pour un volume donné, elle, décroîtrait. Dans notre vacuum quantique au contraire, les données restent constantes. Un volume double contient une énergie double. Une expansion selon un facteur d’ordre deux a dupliqué en quelque sorte notre « vide ». Rien de dramatique à cela aussi longtemps que son énergie tourne autour de zéro : deux fois zéro donne à nouveau zéro. Lesch :
Mais que se passe-t-il, lorsque le vide quantique, pour une raison quelconque, se trouve dans un état falsifié, avec une énergie positive ?
Gaßner :
Le mouvement de notre piston aurait alors doublé cette énergie. Bien entendu, l’énergie n’apparaît pas simplement comme ça. Pour pouvoir tirer le piston, on doit utiliser exactement la même quantité d’énergie qui a été introduite à l’intérieur. En d’autres termes, le vide quantique s’est opposé à l’expansion par le biais d’une force, il y a donc une sorte d’aspiration, une pression négative qui s’exerce sur notre piston. Pire encore : cette pression négative reste constante, complètement indiffé-
2.7 L’expansion de l’espace ne « dilue » pas les fluctuations quantiques (ici en bleu). En effet, il se crée dans le supplément de volume des paires de particulesantiparticules.
Le Big Bang
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rente à l’expansion. Et c’est vraiment là, parmi toutes les caractéristiques du vide, la chose la plus étonnante, au sens étymologique du mot, puisque aussi bien, c’est elle qui constitua le moteur de l’expansion du Big Bang. Ou, si l’on veut, le « bang » du Big Bang. Depuis Einstein nous savons en effet que non seulement la masse, mais aussi l’énergie produit un effet gravitationnel, suivant la formule E = mc2. De la sorte, on peut associer une pression à une masse par volume, puisque comme nous l’avons vu, elle équivaut à une densité d’énergie. Cela paraît peut-être plus clair à travers l’expérience de pensée suivante : je tiens dans ma main deux ressorts spiraux identiques. Je laisse l’un détendu, tandis que je comprime l’autre. Lequel des deux est le plus lourd ? Lesch :
Le ressort comprimé est un peu plus lourd, parce qu’il dispose d’un peu plus d’énergie, l’énergie que je dois précisément dépenser pour maintenir le ressort comprimé.
Gaßner :
Pour toi, c’est facile ! Tu es un as en physique théorique. Mais expérience faite, il s’agit là d’un pas en avant difficile. Plus difficile encore sera la démarche inverse : une pression négative correspond à une énergie négative pour un volume donné, ce qui est comparable à une masse négative par volume. Celle-ci réduit en quelque sorte l’effet gravitationnel de la masse pour ce volume, c’est-à-dire que la pression a un effet antigravitationnel. Si cet effet est suffisamment important, alors le destin du tir à la corde entre attraction et répulsion est joué, et l’univers peut démarrer son expansion.
Lesch :
Nous avons donc affaire avec la libération d’une énergie antigravitationnelle provenant du vacuum, laquelle ne faiblira aucunement, même sous la plus extrême des expansions de l’espace. Je soupçonne que nous reviendrons sur ce point, lorsque nous nous mettrons à la recherche du « bang » du Big Bang.
Gaßner :
Et oui chères lectrices et chers lecteurs. Je vous imagine déjà bien dubitatifs : le vide produit une pression négative ? Allons donc ! Vous aimeriez avoir quelques preuves de cela ? Rien de plus aisé. Hendrik Casimir a dès 1948 mis au point un appareillage expérimental dans lequel deux plaques parallèles conductrices s’attirent mutuellement, et ce, plus que la seule gravitation ne saurait l’expliquer. (Schéma 2.9). Cette pression
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
négative entre les deux plaques apparaît car les ondes électromagnétiques ne peuvent pas se propager à travers le matériau conducteur. Les fluctuations quantiques entre les plaques sont de ce fait limitées, dans leur forme et nombre. À l’extérieur, au contraire, elles ne le sont point, et là, il existe pour elles plus de possibilités. La supériorité numérique des fluctuations à l’extérieur produit une pression s’exerçant sur les plaques. Grâce à des appareils de mesure perfectionnés, on a pu désormais mesurer cette pression des possibles avec une grande précision. Pour des plaques de la grosseur d’une main et une distance d’un dix 2.8 Hendrik Casimir (1909 – 2000) milles millièmes de centimètre, cette pression correspond environ au poids d’une goutte d’eau. Cet effet a même des conséquences d’une portée tout à fait pratique. Elle impose une limite théorique à la miniaturisation toujours plus croissante de machines, au-delà de laquelle les pièces mobiles colleraient tout simplement les unes aux autres.
2.9 Si l’on produit artificiellement un vide, par exemple grâce à deux plaques conductrices parallèles, alors on constate que les fluctuations quantiques subissent une limitation, qui n’existe pas au dehors d’elles. Cela devient plus clair lorsqu’on représente les fluctuations comme ondes (image de droite). Entre les plaques il n’y a de place que pour les ondes de longueur λ, qui passent entièrement dans l’espace d (en bleu), les ondes à une surface conductrice commençant et finissant toujours par une valeur nulle. À la suite de quoi les fluctuations quantiques entre les plaques sont moins nombreuses qu’ailleurs. Et cette pression du possible est mesurable. Elle croît selon le rapport de 1/d 4.
Le Big Bang
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Lesch :
Entre les plaques conductrices, et malgré la restriction imposée, il y a tout de même une infinité de fluctuations quantiques. Alors comment pourraient-elles être à l’extérieur en nombre supérieur à l’infini ?
Gaßner :
Dans les deux cas, il en existe une infinité. Reste cependant qu’il y en a plus dehors que dedans. Un exemple : il y a un nombre infini de nombres entiers, – 3, – 2, – 1, 0, 1, 2, 3 et ainsi de suite. De la même manière, il y a un nombre infini de nombres avec une virgule. Si j’ajoute encore quelques nombres qui ne sont pas représentables comme fractions, alors on en obtient à nouveau une infinité, mais une infinité plus grande que le nombre de nombres entiers.
Lesch :
Vraiment ! Tout cela est un peu difficile à admettre. Un infini plus grand que l’infini, des variations quantiques qui exercent une aspiration, une libération d’énergie provenant du vacuum lui-même !
Gaßner :
Si cette idée d’une pression des possibles apparait trop folle à certains, ils peuvent essayer de se représenter le problème en termes d’énergie. Plus les plaques sont proches les unes des autres, moins les fluctuations peuvent trouver place entre elles. Cela fait diminuer le point zéro énergétique. Cette différence d’énergie est alors transmise sous forme d’énergie cinétique aux plaques. Cela produit une pression négative, et nous voilà de nouveau revenus au thème de l’antigravitation.
Lesch :
Tout cela ne rend pas la chose plus aisée, j’en ai bien peur. De plus, les plaques sont maintenues comprimées ensemble, comment alors pourrait-on prouver une quelconque expansion ?
Gaßner :
L’effet Casimir prouve seulement dans un premier temps, qu’il existe bel et bien une pression négative, et qu’elle peut être expliquée par les fluctuations quantiques. Pour cela, on partage en quelque sorte le vide, à l’aide des plaques conductrices, en une zone de haute énergie du vacuum (au-dehors) et une zone de faible énergie (entre les plaques). Cette différence de pressions déplace les plaques les unes vers les autres, comme les nuages d’une zone de haute pression vers une zone de basse pression. L’expansion a lieu dans le vacuum sans l’aide d’aucune plaque et sans chute de pression. Peu importe qu’elle soit positive ou négative, peu importe son intensité, elle ne cause mécaniquement absolument aucun effet. Soulignons-le une fois de plus, car cela est
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décisif pour une juste compréhension : une pression correspond à une densité d’énergie, et l’énergie interagit gravitationnellement. L’énergie positive est gravitationnellement attractive, l’énergie négative, elle, gravitationnellement répulsive. Seul cet effet antigravitationnel de la pression négative nourrit continuellement l’expansion. Lesch :
Cela est vraiment rassurant de savoir qu’il existe des preuves concernant les qualités du vide, et qu’il ne s’agit pas de pures considérations théoriques.
Gaßner :
Expérimentation et calcul sont les seuls facteurs décisifs de la physique quantique. Il existe une phrase célèbre chez les physiciens quantiques : Shut up and calculate. Ce qui signifie un peu près ceci : « Montre-moi d’abord ce que tu as calculé et n’essaye surtout pas de le rendre plausible avec des mots. » Dès que l’on cherche à approcher la chose intuitivement, alors on échoue nécessairement, car la mécanique quantique est précisément complètement contre-intuitive.
Lesch :
Josef, est-ce que tu sais à quoi l’on reconnaît qu’un colloque de physique quantique s’est tenu ? À ce qu’après des heures discussion, tous les participants quittent la salle en hochant la tête.
Gaßner :
C’est que tout oscille, justement. Même les têtes de ceux qui s’occupent de ces questions.
Lesch :
Gaßner :
Même les grands précurseurs ont échoué sur la question de la représentation. Erwin Schrödinger est censé avoir dit un jour : « si cela devait en rester à ces satanés sauts quantiques, je regretterais tout simplement de m’être consacré à la physique quantique. » Le mot d’Albert Einstein est révélateur à cet égard : « Dieu ne joue pas aux dés » – une version aujourd’hui souvent citée. En vérité, il fut plus nuancé : « La mécanique quantique 2.10 Erwin Schrödinger constitue une discipline qui force le respect. (1887 – 1961) Mais une voix intérieure me dit, que ce n’est pas encore la vérité ultime. La théorie nous livre beaucoup, mais elle nous porte à peine plus près des secrets du Vieux (Dieu). En tous cas je suis persuadé que le Vieux ne joue pas aux dés. »
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Lesch :
Cela rend les choses si difficiles. Et lorsque l’on pense que nous devons décrire le commencement de l’univers avec des variations de quelque chose qui ne se laisse pas saisir, quelque chose qui, même, n’étant pas vraiment là, ne cesse d’onduler, cela fait naturellement de chaque théorie cosmologique des Modernes une sorte d’œuvre d’art mathématique incompréhensible. La seule chose à laquelle nous pouvons encore nous accrocher, ce sont les expérimentations. À travers elles, on a précisément trouvé les effets dont nous avons probablement besoin, pour comprendre l’univers à ses débuts. Sans expériences, cela n’irait tout simplement pas !
Gaßner :
Les expériences nous fournissent les garde-fous auxquels nous pouvons nous tenir in extremis, une fois placés au bord du précipice des connaissances scientifiques.
Lesch :
On pourrait tout aussi bien dire : par-delà le bien et le mal, il reste toujours le garde-fou de l’expérience. Cela aurait beaucoup plu à Nietzsche.
Gaßner :
Mais cela ne va sûrement pas plaire beaucoup aux physiciens expérimentateurs, que tu les places ainsi par-delà le bien et le mal. Pour moi, ces garde-fous sont de notre côté – ou juste à sa frontière. En tous cas, les fluctuations dont tu parles, sont bel et bien la cause de l’abîme, devant lequel nous nous trouvons. Cela est certainement stimulant de réfléchir aux raisons des limites de la connaissance en physique. On serait d’abord enclin à penser, lorsque l’on ne connaît pas précisément une chose, qu’il suffirait d’un appareillage plus gros, d’un instrument plus précis pour établir le nombre de chiffres après la virgule.
Lesch : Gaßner :
Oui, cela semble en effet pertinent et limpide à la fois. En fin de compte, il n’en est rien. En effet, la mécanique quantique suppose des fluctuations, alors que la théorie de relativité générale, tout aussi universellement valable elle aussi, les rejette. Ici se rencontrent deux théories, l’une quantifiée, l’autre continue. Normalement, elles coexistent pacifiquement, séparées l’une de l’autre, la mécanique quantique s’occupant de l’infiniment petit, la théorie de la relativité traitant des hautes énergies. Lors du Big Bang, nous avons à la fois affaire à de l’infiniment petit et à des énergies incroyablement élevées. Voilà le problème.
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2.2
La frontière du connu Le monde de Planck !
Lesch :
Marchant le long de cette frontière, nous suivons les pas de Max Planck. Il fut le premier qui évoqua l’idée d’une limite du connaissable pour les sciences de la nature. C’est pourquoi nous appellerons désormais cette « terra incognita », le monde de Planck.
Gaßner :
Ici réapparaît l’indétermination introduite par Heisenberg, et plus précisément sa relation d’incertitude : le lieu et la vitesse ne se laissent pas déterminer précisément en même temps. C’est-à-dire que si nous observons toujours plus précisément un lieu donné, alors l’indétermination de la vitesse, et avec elle, son énergie cinétique, augmentent dans les mêmes proportions, indépendamment de ce que l’on observe. À toute énergie correspond une masse, selon la formule E = m c2 et à ce titre, elle agit gravitationnellement, ce qui ne fait qu’accroître notre problème. Car en ce lieu, la gravitation augmente toujours plus, jusqu’à ce qu’elle ne laisse plus échapper la lumière. L’énergie de l’indétermination devient un trou noir. On dit que le lieu a « régurgité « son horizon événementiel.
Lesch :
Le minimum d’étendue, avec laquelle nous pouvons encore travailler est de 1,6·10 – 35 mètres. C’est vraiment incroyablement petit. Même un noyau atomique est 10 20 fois plus gros. Cela correspond relativement à la distance Terre-Soleil à un nanomètre.
Gaßner :
Mais cette longueur de Planck n’est pas nulle, justement. Elle constitue la frontière à l’étude du réel en physique. Au-delà, tout se dissout. À de tels passages à la limite, on doit fortement se garder de tirer mentalement des conclusions trop hâtives. Pour illustrer ce propos, le physicien anglais Michael Berry a conçu une histoire limpide : après avoir mangé une demi-pomme, il trouva dans le reste de la pomme un demi-asticot. Cela est bien entendu écœurant : il constata qu’il venait d’avaler le demi-asticot manquant. N’y aurait-il trouvé qu’un quart d’asticot que cela eut été encore plus écœurant, et ainsi de suite. En conséquence, au passage à la limite, c’est-à-dire lorsque plus aucun asticot ne se trouve dans ce qui reste de la pomme, son écœurement aurait dû théoriquement être à son comble. On le voit donc, en passant la frontière autour
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de zéro, il n’est pas toujours possible d’extrapoler. Et cela ne vaut pas seulement pour la constante de Planck. À l’autre extrémité de l’échelle de température – le zéro absolu – on rencontre des problèmes similaires. Lesch :
Pour nous les frontières d’un pareil monde restent simplement « inhumaines », ce qui veut dire que nous ne sommes pas de ce monde-là. Nous pouvons les observer et nous pouvons essayer de les explorer – peut-être même y trouvera-t-on un jour quelque chose – mais nous ne pouvons aucunement nous y transférer mentalement, cela est au-delà de notre imagination. Des esprits labiles pourraient bien, s’y essayant, devenir fous.
Gaßner :
En plus de la longueur de Planck, se laisse déduire de manière similaire la masse de Planck (2,2·10 – 5 grammes), la température de Planck (1,4·10 32 kelvins) et le temps de Planck (5,4·10 – 44 secondes). Le temps de Planck correspond exactement au temps que la lumière met pour parcourir la distance de Planck. À propos de ces unités dites naturelles, il existe une très belle citation de Max Planck : « ces grandeurs conservent leur signification naturelle aussi longtemps que les lois de la gravitation, de la propagation de la lumière dans le vide ainsi que les deux postulats principaux de la thermodynamique restent valables. Mesurées selon des méthodes les plus variées par des intelligences des plus variées également, elles doivent alors toujours se révéler identiques. »
Lesch :
Je commence à me sentir mal à l’aise dans ce monde de Planck, avec ces fluctuations quantiques. Laisse-nous maintenant passer au concept suivant et là, je m’y connais. Au moins, lorsque je me pèse sur ma balance, le matin, je sais avec certitude, quelle masse – non, dit de la sorte, cela n’est pas correct – quel poids, j’ai.
Le Big Bang, le cosmos et la vie
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2.3
La masse La matière n’est pas composée de matière
Gaßner :
Très bien. Consacrons-nous désormais à notre prochain concept, la masse. Macroscopiquement, elle nous est très familière. Notre monde est constitué apparemment de divers matériaux, correspondant chacun à une masse déterminée. Un premier malaise nous envahit lorsque nous considérons que la masse et l’énergie sont équivalentes, selon la formule E = m c2, avec en quelque sorte « un taux de change fixe », le carré de la vitesse de lumière. Le phénomène abstrait « énergie » et notre matière pesante familière, celle aux durs coins auxquels nous nous sommes, à l’occasion, déjà frappé la tête, ne seraient ainsi que les deux faces d’une même médaille ? Ce paradoxe apparent se laisse aisément dissiper une fois que l’on a une compréhension étendue de la constitution microscopique des matériaux.
Lesch :
Considérons un morceau de matière quelconque – par exemple un livre – et grossissons-le mentalement toujours plus, jusqu’à ce que nous entrions dans sa structure. Même la surface la plus lisse apparaît alors de plus en plus rugueuse et se transforme bientôt en un étrange paysage de gorges. Progressivement apparaissent des structures en Électron < 10–16 cm Noyau
Proton Neutron Quark < 10–16 cm
~ 10–12 cm Atome ~ 10–8 cm
~ 10–13 cm
2.11 Un atome est composé d’un ou plusieurs électrons à la périphérie et d’une combinaison de protons et neutrons au centre. Ces derniers, à leur tour, composés de trois quarks en forme de points électriquement chargés (respectivement 2 1 + et – de la charge élémentaire de la particule) sont tenus assemblés par 3 3 l’entremise des gluons (force nucléaire forte).
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grilles faites de molécules, lesquelles sont à leur tour constituées d’atomes. Grossissant maintenant un de ces atomes, nous reconnaissons le minuscule noyau, au sein duquel est contenu presque toute la masse. Il est entouré d’électrons situés à une distance énorme en relation. Si l’on grossit mentalement cet atome jusqu’à la grandeur d’un stade de football, alors ce noyau compact fait de protons et neutrons aurait à peine la taille d’un grain de riz placé au centre du terrain. Gaßner :
Notre tentative ressemble de plus en plus à l’ouverture d’un jeu de Matriochka, ces poupées russes, qui dans leur intérieur contiennent toujours de nouvelles poupées. Maintenant, examinons à la loupe un des constituants du noyau – peu importe que nous choisissions un proton ou un neutron. Quelle structure se découvre à nous alors ? Les physiciens expérimentaux ont même une réponse toute prête qui est tout à fait impressionnante : les protons, tout comme les neutrons, sont constitués respectivement de trois quarks et d’un grand nombre de particules ponctuelles sans masse, qui exercent une force attractive, ce qui leur vaut le nom de Gluon (en anglais glue signifie coller). Ainsi en nous mettant à la recherche du phénomène « masse », nous sommes parvenus à l’ultime Matriochka : les quarks – ou plus précisément les ups- et les down-quarks. Malheureusement leur masse équivaut à moins d’un centième de celle des protons ou de celle des neutrons. Pire encore : si la physique théorique devait garder raison, la masse ridiculement faible des quarks, devrait, comme pour nombre d’autres particules, de facto être nulle, égale. En vérité, l’impression que les particules ont une masse est produite par quelque chose « d’actif » présent partout, qui limite leur accélération. Nous appelons cela le champ de Higgs, d’après le nom d’un des six inventeurs de cette théorie, l’Écossais Peter Higgs.
Lesch :
Dans notre monde macroscopique cette fois, nous sommes habitués au mieux à des milieux qui s’opposent à un mouvement. Chacun de nous a déjà déplacé une cuiller dans un bocal de miel, ou sa main dans un bassin d’eau.
Gaßner :
Mais attention ! Dans ces exemples, le milieu freine, c’est-à-dire qu’il cause un frottement, qui modifie la vitesse. Au contraire, les particules dans le vide, sans influence d’autres forces extérieures, conservent leur vitesse en dépit de l’omniprésence du champ de
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
2.12 Peter Ware Higgs (né en1929) lors d’une visite au Large Hadron Collider.
Higgs – il y a conservation de l’impulsion. Le champ de Higgs n’a donc aucun effet sur la vitesse, il agit seulement à l’encontre de l’accélération. Pour certaines particules plus que pour d’autres. On parle alors d’un « couplage fort » au champ de Higgs, et pour les autres particules, d’un « couplage faible ». Ces dernières nous apparaissent moins résistantes à l’accélération. C’est cette résistance en général que nous caractérisons par le concept de masse. Lesch :
Nous pourrions donc déplacer sans effort la cuiller dans notre bocal de miel, avec une vitesse constante, mais lors d’une accélération nous sentirions soudain une résistance, jusqu’à ce que nous mouvions la cuiller à nouveau à une vitesse constante plus élevée. Rien de comparable dans le monde plein de frottements de notre perception immédiate.
Gaßner :
Plus nous pénétrons profondément au sein de la structure de la matière, plus le phénomène « masse » nous glisse entre les mains. C’est que la masse n’est nullement constituée de masse, mais d’énergie cinétique et d’énergie de liaison des structures présentes ainsi que leurs couplages respectifs au champ de Higgs. Il nous reste à faire la constatation suivante : la masse ne correspond pas seulement à une certaine énergie, suivant la formule E = mc2, mais la masse est énergie, et c’est aussi
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pourquoi l’énergie cinétique des gluons dépourvus de masse participe, et même pour la plus grande part, à la masse du tout. En conséquence, si l’on raisonne jusqu’au bout, on en arrive à ceci – et je t’en prie Harald, reste calme ! – au leitmotiv de l’ésotérisme ! Tout est énergie ! Lesch :
Comment c’était déjà ? Se cogner le crâne…
Gassner :
Pourquoi me regardes-tu comme ça ?
Lesch :
Comme ca, pour rien. Maintenant que nous savons désormais qu’aussi bien les composants de notre tête que ceux d’un livre sont affaire d’énergie, vérifions suspicieusement la chose et frappons-nous doucement la tête avec ce beau livre. Avez-vous, vous aussi, remarqué ? On sent une résistance. Comment cela est-il possible ?
Gassner :
Enrico Fermi découvrit qu’il y a, au fond, deux camps parmi les particules élémentaires. Ils se différencient selon une de leurs particularités quantiques, le spin. Les premiers, les bosons, se laissent presser à volonté dans un espace des plus restreints, alors que les seconds, les fermions, ignorent cette vie en société, et opposent aux particules semblables qui voudraient s’approcher davantage, une pression appelée pression de Fermi, sorte de réaction claustrophobique, par laquelle ils 2.13 Enrico Fermi (1901 – 1954) revendiquent pour eux-mêmes un espace minimal. De plus, les particules de même charge se repoussent, de sorte que les deux effets pris ensemble constituent une barrière, sur laquelle nous nous cognons le crâne. Les ingrédients • • • •
énergie, la charge électrique, couplage au champs de Higgs, présent partout, et le comportement claustrophobe des particules les moins sociables
finissent par « prendre », comme un « caillé » en quelque sorte, la forme de quelque chose de solide que nous appelons « matière ».
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
Bosons
Fermions
2.14 Les bosons se laissent rassembler quel que soit leur nombre dans un état d’énergie moindre. C’est pourquoi il n’est nul besoin d’énergie pour accepter des bosons supplémentaires. Les fermions au contraire, revendiquent toujours pour eux-mêmes un état quantique défini. Cette propriété quantique fondamentale fut déduite en 1925 par Wolfgang Pauli et est désignée depuis comme « principe de Pauli ». Si le niveau d’énergie le plus bas est déjà occupé, alors les fermions supplémentaires doivent dépenser l’énergie dite de Fermi, afin de pouvoir atteindre les niveaux d’énergie supérieurs. Ce besoin en énergie produit une pression, appelée pression de Fermi, qui concerne les groupes de fermions très denses. L’image de gauche cherche à illustrer ces phénomènes, à l’aide de la représentation d’un hôtel sans ascenseur, qui serait tour à tour habité par des bosons (à gauche) et par des fermions (à droite). Dans le cas des fermions, pour chaque résident supplémentaire, le portier aura sensiblement plus de travail. Lesch :
Espérons que notre petite expérience n’aura pas laissé une bosse sur votre tête.
Gassner :
Nous ajoutons écrit en petits caractères : pour les risques et les effets secondaires d’une expérience de pensée, veuillez consulter votre physicien.
Lesch :
Avec le vide, cela était assez difficile comme ça, et on le voit, avec la matière, cela est à peine mieux. La bonne nouvelle désormais, c’est que nous ne devons nullement savoir tout cela lorsque nous venons au monde. En effet, plus nous pénétrons dans ces questions existentielles (ici, non au sens philosophique du terme, mais tout de même, au sens de l’existence en général), plus les choses apparaissent sous un jour étrange. Tout cela n’est rien d’autre qu’un paquet de concepts abstraits, sans lien avec la réalité ! Si je bois une bouteille de Cognac, je suis soûl. Comment pourrait-il en être ainsi, s’il n’y a rien du tout dans la bouteille ?
Gaßner :
Cela tient au jeu entre les atomes eux-mêmes, à leurs liaisons moléculaires.
Le Big Bang
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Lesch :
Bien sûr, tu as raison, mais ce que je souhaiterais souligner ici, c’est la chose suivante : nous parlons depuis le début de modèles abstraits comme si le monde était effectivement ce qu’ils décrivent. En vérité, nous devrions écrire l’ensemble de notre texte au conditionnel : ils « pourraient, seraient, auraient, devraient ». Mais nous faisons comme s’il n’en était rien. Nous devons à nos lecteurs d’être tout à fait clairs sur ce point.
Gaßner :
Heureusement, les calculs que nous effectuons et rassemblons en physique théorique, permettent d’expliquer ces choses abstraites et fournissent sans cesse de nouveaux effets démontrables. La rampe qui nous sauve du naufrage est toujours à portée de main. Non seulement nous sommes capables de mesurer ces choses abstraites, mais nos ingénieurs développent à partir d’elles des appareils que nous utilisons au niveau macroscopique. Toute l’électronique de loisir, par exemple, a pour fondement certaines lois de la mécanique quantique, et personne ne doute un instant que des électrons se pressent bel et bien dans le circuit imprimé, bien que jamais personne ne les ait vus de ses propres yeux.
Lesch :
Voilà probablement le véritable miracle qui n’en finit plus de m’étonner : il fut possible à des êtres vivants sur notre planète d’apparaître et de développer des procédures si particulières et si puissamment révélatrices du monde, que ces mêmes individus en vinrent finalement à s’occuper de sujets comme celui des frontières de la réalité.
Gaßner :
Les frontières du réel apparaissent en raison des fluctuations quantiques. Dans le même temps, ces fluctuations sont la condition essentielle d’une matière stable. D’un point de vue classique, un noyau atomique positif doit électromagnétiquement attirer à lui les électrons. Jusque-là, rien de nouveau. De plus, cette force produit une accélération des électrons chargés négativement. Or, toute charge électrique, une fois accélérée, produit un rayonnement. Aussi les électrons devraient-ils constamment perdre de l’énergie sous la forme de rayonnement électromagnétique et s’écraser sur le noyau dans un intervalle de temps de 10 – 9 secondes. Il n’en est rien. Ce qui les retient sur leurs trajectoires, c’est la mécanique quantique. Elle établit que les électrons ont des propriétés corpusculaires et ondulatoires tout à la fois.
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
Lesch :
Ils ne sont ni particules ni ondes, mais « corpuscules et ondes » – une sorte d’être hybride, hermaphrodite.
Gaßner :
Si l’on se représente la probabilité du lieu d’un électron comme une fonction d’onde, alors il existe des nœuds, c’est-à-dire des lieux, où elle prend la valeur zéro. Pensé spatialement, il y a des zones « interdites », ou cette probabilité est nulle. C’est un peu comme avec les panneaux devant les boucheries : « les chiens doivent attendre à l’extérieur ». Les électrons eux aussi doivent rester dehors !
Lesch :
La stabilité de la matière suppose cependant les fluctuations de l’infiniment petit. Le flou quantique constitue la condition sine qua non des structures dures et durables.
Gaßner :
Peu à peu nous comprenons ce qu’Einstein voulait dire avec son fameux « effrayant ». Nous sommes ici parvenus à la frontière de la réalité.
Lesch :
C’est une autre frontière que l’on peut attester soi-même, chez soi, chaque matin dans la salle de bain. Un regard suffit, et l’on doit convenir que le temps passe.
Gaßner :
À ce propos il me vient à l’esprit une maxime de Diane de Fürstenberg : « Si tu n’aimes pas les photos de toi aujourd’hui, alors attends 5 ans et tu les aimeras ».
Lesch :
C’est bien juste, ma foi ! Le temps est peut-être une des expériences les plus graves que les hommes font ; notre temps passe. Mais en physique, il en est bien entendu tout autrement. Et bien parlons maintenant du temps, si tu le veux bien.
Le Big Bang
2.4
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Le Temps Un peu d’ordre s’il vous plaît !
Lesch :
Le concept de temps est difficile à comprendre. Déjà Augustin posait la question de ce qu’est le temps dans ses Confessiones en ces termes : « Si personne ne me pose la question, je le sais ; si quelqu’un pose la question et que je veuille expliquer, je ne sais plus. »
Gaßner :
Dans notre monde macroscopique, nous éprouvons le temps comme le tact d’une d’horloge aux battements de laquelle certains processus se déroulent. Ce faisant, et avec chaque tact, un seul et unique instant sera élu comme présent parmi une multiplicité d’états futurs possibles, et dès l’instant suivant, il s’inscrira aussitôt comme passé. En physique, cela signifie qu’il est irréversible, et c’est pourquoi on donne à cet écoulement temporel une direction bien définie : la flèche du temps. Pour mieux saisir ce phénomène physique, nous nous servons du concept d’entropie, un étalon de mesure du désordre d’un système donné, une sorte de relique du temps des machines à vapeur. À l’époque, on avait compris que la progression du temps était inévitablement liée à l’augmentation du désordre, jusqu’à ce que soit atteint l’état du plus grand désordre : l’équilibre. Cette seconde loi fondamentale de la thermodynamique – la première étant la loi de conservation de l’énergie – ne constitue aucunement une loi de la nature indiscutable, mais correspond simplement, si l’on examine les choses de plus près, à l’expression d’une probabilité qui dépend de quelques conditions fondamentales.
Lesch :
Sur ce point, veuillez bien me suivre s’il vous plaît, pour une petite expérience de pensée : nous prenons les cent premières pages de ce livre à la sortie de la photocopieuse, classées convenablement. Le manuscrit ainsi formé se trouve dans un état de désordre minimal, c’est-à-dire de minimale entropie. Sans faire attention, comme cela arrive parfois, nous laissons tomber la pile à terre et ensuite nous ramassons toutes les feuilles. Il y a là deux possibilités qui s’offrent à nous : 1) 2)
la pile est de nouveau dans le bon ordre, ou bien la pile est désormais dans un état plus élevé d’entropie, par exemple avec deux, trois ou quatre feuilles déplacées.
70
Le Big Bang, le cosmos et la vie
Le premier cas est en principe tout à fait possible. Mais extrêmement peu probable également, comparé au nombre énorme d’autres états possibles. Lorsque quelque chose tombe au sol, cela se casse ou se mélange. De sorte que c’est tout un travail de le réajuster afin d’obtenir à nouveau l’état désiré. Gaßner :
Il ne s’agit pas ici d’une loi de la nature, mais d’une probabilité, du moins tant que nous considérons le second cas comme le résultat naturel de notre expérience.
Lesch :
En effet. Nous vérifions maintenant la pile et nous comptons dix feuilles mal placées. Bien sûr, nous pourrions avoir l’idée, afin d’approcher au mieux l’ordre originaire des pages, de relancer à nouveau les feuilles en l’air et de les ramasser. Les chances de réussir cet essai sont particulièrement faibles, puisqu’à nouveau un petit nombre d’états de peu de désordre (ici, aucune ou deux jusqu’à neuf feuilles mal placées) fait face à une puissance clairement supérieure d’états de plus grand désordre (ici, onze feuilles mal placées ou plus). Le troisième état de notre expérience présentera ainsi avec une très grande probabilité une entropie plus élevée que le deuxième état. Et effectivement, nous dénombrons vingt-deux feuilles mal ordonnées. L’entropie a donc augmenté graduellement. Pour cette seule raison, on aurait pu ordonner les trois états correctement dans leur suite temporelle, et ceci sans prendre part aucunement à l’expérience.
Gaßner :
Les faiblesses de la seconde loi de la thermodynamique deviennent par là également manifestes : plus l’on s’approche de l’entropie maximale, plus l’on perd en puissance. De même, cette loi suppose un échantillon statistique suffisant – comme tout autre postulat statistique. Une pile de deux feuilles ne suffit pas, en effet, à produire un témoignage sensé.
Lesch :
Dans notre monde macroscopique, ces considérations ne sont que subtilités. La seconde loi de la thermodynamique décide de ce qui se passe réellement. Elle interdit de la sorte tout processus réversible ainsi que le légendaire Perpetuum mobile.
Gaßner :
Je signale au passage, à des fins ultérieures, que la probabilité de chaque état sera profondément modifiée par la présence de forces. Ainsi, placet-on dans un espace dépourvu de forces un grand nombre de particules, elles se répartissent alors dans tout l’espace disponible. L’état maximal
Le Big Bang
71
d’entropie serait ainsi celui de l’égale répartition des particules. Si une force entre les particules entrait en jeu – la gravitation par exemple – la situation s’inverserait. Désormais, les états de concentration plus élevée seraient forcément plus probables. La répartition régulière serait l’état minimal d’entropie, alors que l’agglutinement général augmenterait l’entropie et, ce faisant, indiquerait la direction de la flèche du temps. Mais quelle cible indique-t-elle au juste ? Eh bien, si la masse présente est suffisante, il risque fort de faire tout à coup bien sombre ! En effet, l’état le plus élevé d’entropie en présence de gravitation n’est rien d’autre… qu’un trou noir ! Lesch :
L’histoire du développement de chaque processus physique est profondément influencée par les forces qui y participent, mais la direction à prendre est toujours la suivante : suis le chemin de l’entropie croissante ! Augmentation de l’entropie sans gravité
Augmentation de l’entropie avec gravité
Temps
Temps
2.15 Si l’on libère dans un coin d’un récipient des molécules de gaz, elles se répartiront avec le temps ou, autrement dit, avec une entropie croissante dans l’ensemble du volume. Si l’on considère des particules lourdes et si l’on prend également en considération la gravitation, alors l’agglutinement progressif marque la voie que prend l’entropie croissante.
72
Le Big Bang, le cosmos et la vie
Gaßner :
Cela a quelque chose de croustillant. Au temps des machines à vapeur, la physique était encore claire et limpide. On pouvait alors pour ainsi dire la toucher de la main ou du pied. Il en est tout autrement avec le monde de l’infiniment petit, le Big Bang et le champ de Higgs.
Lesch :
Selon moi, il est tout de même difficile de comprendre que cette flèche du temps soit un simple pronostic statistique. Dans l’espace, nous pouvons nous déplacer dans une direction quelconque – vers la gauche ou la droite, vers le haut ou vers le bas et aussi en arrière. Dans le temps au contraire, la direction est toujours donnée. Il n’y a pas de retour en arrière possible. Et en fin de compte, c’est l’entropie qui en est la cause.
Lesch :
En principe, cela est possible, mais en même temps, cela ne l’est pas. C’est la Murphy’s Law (la loi de Murphy) : tout ce qui peut advenir, adviendra effectivement aussi – et le plus souvent, cela nous l’avons appris entretemps, quelque chose est par là inévitablement détruit. Le cas échéant, l’ordre lui-même.
Gaßner :
Mais c’est bien dommage que la marche en arrière dans le temps nous soit interdite. À l’ordinateur, nous avons toujours la possibilité d’annuler la dernière opération effectuée. Combien je regrette cette possibilité dans la vie de tous les jours ! Effacer d’un coup ce qui s’est déjà accompli, un mot de trop, une inattention ou une erreur. Mais « c’est la vie », il n’y a pas de double fond et pas de copie de secours. C’est précisément ce qui la rend si précieuse. Alors accrochons-nous : le temps est le comptable du changement et les forces en présence décident comment se conjugue ce dernier.
Le Big Bang
2.5
73
Transition de phase et rupture de symétrie Quel joker choisissez-vous ?
Gaßner :
Pour finir, et avant d’entreprendre notre expédition à venir vers le Big Bang, nous avons encore besoin d’un dernier concept : celui de transition de phase. Nous pouvons pour cela en appeler à notre expérience : le passage de la vapeur à l’eau et, finalement, celui à la glace, nous sont en effet bien connus. Le refroidissement de la vapeur réduit toujours plus l’énergie cinétique des molécules d’H2O, jusqu’à ce qu’apparaissent finalement des ponts hydrogènes hyperfins, lesquels créent des petits groupes de molécules associées.
Lesch :
Attends un peu ! Est-ce que chacun sait ce que l’on entend par ponts hydrogène ? Les liaisons entre les molécules sont de nature électromagnétique et proviennent dans notre cas, de ce que l’atome d’oxygène, afin de remplir complètement son enveloppe extérieure d’électrons, attire à lui les électrons des deux atomes d’hydrogène. Par le déplacement des charges électriques ainsi causé, apparaissent des molécules d’eau avec respectivement un côté légèrement positif et un autre légèrement négatif. Si bien qu’elles s’attirent les unes les autres et sont en mesure de créer des structures.
Gaßner :
Voilà pour la formation des ponts hydrogène. Lorsque toujours plus de ces molécules originairement libres deviennent prisonnières des structures formées, il apparaît alors des gouttes de condensation. En deçà de la température critique de 100 degrés Celsius – et selon la pression
2.16 Le pont hydrogène : un atome d’oxygène attire à lui les électrons des deux atomes d’hydrogène, ce qui contraint la molécule à former un angle de 104,45 degrés. Les côtés positif et négatif de ce dipôle se lient électromagnétiquement avec d’autres dipôles semblables (longueur typique de la liaison : 0,18 nm) ou avec d’autres molécules.
74
Le Big Bang, le cosmos et la vie
régnante – la transition de phase est alors complète. On voit très bien ici qu’une transition de phase va de pair avec ce qu’il est coutume d’appeler une rupture de symétrie. Sous la forme gazeuse, la molécule était libre d’évoluer autour de chaque axe de symétrie quelconque donné. Une fois prise dans un groupe, les seuls axes de rotation possibles qui lui restent sont ceux de l’ensemble total auquel elle appartient. Et cela ne constitue rien de moins qu’une rupture de symétrie ! Lesch :
Effectivement. Et de même, lors de la transformation de l’eau en glace, ce sont les rotations libres de chacun de ces ensembles de molécules qui se perdent dans une structure réticulaire : de fait, une rupture de symétrie supplémentaire. Lors de chacune de ces transitions de phase, de l’énergie est libérée. Dans le cas de l’eau, on parle tour à tour de chaleur d’évaporation et de cristallisation. Elles correspondent chacune aux différences dues aux réductions de l’énergie cinétique successives.
Gaßner :
Les ruptures de symétrie présupposent pour ainsi dire une décision, laquelle choisit une configuration qui prendra effectivement corps parmi une multitude de possibilités.
Lesch :
Je ne peux faire autrement que de penser ici à l’âne de Buridan, si paresseux et soucieux de bouger le moins possible, qu’il en mourut presque. Les deux balles de foin étaient en effet situées exactement à une égale distance de sa tête. Il voulut absolument choisir le chemin le plus court – dans le cas d’une symétrie parfaite, à quelle balle de foin doit-il d’abord s’attaquer ?
Gaßner :
Nos molécules d’H2 sont confrontées à un dilemme semblable : à quel regroupement de molécules doivent-elles donc se lier ? Et plus généralement, qui fait le premier pas ? Plus la symétrie de l’état initial est élevée et plus la modification des conditions extérieures est faible, plus cette « prise de décision » se conçoit difficilement. À l’échelle macroscopique, cela est tout à fait décisif. Si l’on refroidit par exemple de l’eau très pure aussi prudemment et lentement que possible, elle reste liquide en deçà du point de congélation. Le record de cette entreprise atteint actuellement les moins 17 degrés Celsius. Pour bien la différencier de l’eau habituelle, on parle alors d’eau sous-refroidie, parce qu’elle se trouve pour ainsi dire dans un état « falsifié ».
Le Big Bang
75
Lesch :
C’est seulement à partir d’un certain état d’affliction, que l’âne, tout comme les molécules d’H2O, se décide à briser la symétrie. L’âne sera alors rassasié et l’eau gèlera brusquement, libérant finalement à retardement la chaleur de cristallisation.
Gaßner :
Un champ peut également réaliser une transition de phase. En effet, si l’on attribue à chaque point de l’espace une valeur – les mathématiciens parlent d’un scalaire –, on obtient alors un champ scalaire. Par exemple, on pourrait mesurer dans une salle de concert le volume du son à chaque place et interpréter le tout comme un champ de forces.
Lesch :
Pour la physique moderne et la cosmologie, les champs scalaires sont véritablement devenus de véritables petits chouchous parmi tous les instruments théoriques de notre boîte à outils.
Gaßner :
Par bonheur, nous pouvons supposer pour nos observations du jeune univers un champ scalaire très simple, lequel se comporte d’une manière identique en chaque point. Nous aurions donc à faire à une salle de concert idéale, en quelque sorte. Pour chaque place assise, qu’elle soit proche de la fosse de l’orchestre ou qu’elle en soit éloignée, le volume serait toujours identique. En conséquence, le niveau du bruit de fond serait partout également élevé, et ce, dès le début du concert. Notre champ trouverait là son état initial. Seules les lois de la mécanique quantique produiraient une variation minime. L’actrice principale entre alors en scène, pour échauffer sa voix. Plus elle se donne du mal – caractérisons son effort par la lettre grecque q – plus le volume du son E à chaque place sera élevé. La relation ne doit pas être nécessairement linéaire. Même notre appareil auditif ne perçoit pas une énergie double comme un volume double. Le champ se comporte en quelque sorte de manière résistante par rapport aux variations de ses intensités de champ. On appelle « potentiel » cette propriété particulière du champ – l’ampleur de son entêtement, si l’on veut. L’évolution de ce potentiel peut être compliquée à souhait. Cela ne joue aucun rôle. Par exemple, cela pourrait ressembler à un oscillateur harmonique :
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
2.17 Un oscillateur harmonique. Cette évolution du potentiel est volontiers utilisée en physique, parce qu’elle permet d’intégrer naturellement les fluctuations quantiques. Il existe toujours une force rétrograde linéaire, c’est-à-dire un potentiel au carré, par lequel la force du champ oscille de façon sinusoïdale autour de l’état initial. Lesch :
Un pendule à ressort en train de se balancer serait un exemple d’un tel oscillateur harmonique. La force de rappel est toujours proportionnelle au déplacement latéral.
Gaßner :
Mais attention au point important ici ! Lorsque le pendule à ressort oscille, on parle encore et toujours d’obstination ou de résistance, que le champ en chaque point de l’espace oppose à l’élévation de l’état initial. Le pendule oscille, c’est-à-dire que la valeur de l’intensité de la force du champ en chacun des points considérés varie, et non quelque chose dans l’espace autour. L’état d’énergie minimale caractérise le vide. En conséquence, l’évolution du potentiel ne peut déprendre que d’autres facteurs, la température par exemple. Dans une salle de concert chaude, la relation entre l’effort vocal de la chanteuse et le niveau du volume aux places de fauteuils respectives pourrait être tout autre. (Schéma 2.18). La courbe rouge indique la valeur du champ pour une température très élevée. Après une phase de refroidissement, le champ est représenté par la courbe verte, plus aplatie, tandis que le vacuum en tant que valeur minimale demeure inchangé, centré au milieu de la fonction. En atteignant la température limite (courbe bleue), ce point minimum d’énergie devient de plus en plus aplati dans la largeur. En deçà de 2.18 Différentes courbes de potentiel en fonction de la cette température critique, le potentiel température (rouge : chaud ; forme de nouveaux points d’énergie bleu : froid). .
Le Big Bang
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minimale (courbe bleu foncé). Mathématiquement on obtient cette courbe par la fonction aΦ4 + b (T – Tcritique) Φ2. Pour Φ plus grand que 1, Φ4 « tire » l’évolution de la courbe toujours plus vers le haut. Ici, Φ4 et Φ2 portent encore le même signe, également pour le cas Φ4 – Φ2. Mais cela change pour Φ plus petit que 1, parce qu’alors chaque valeur multipliée par trois fois elle-même devient plus petite que celle-ci multipliée une seule fois par elle-même. ½ . ½ . ½ . ½ est en effet plus petit que ½ . ½. Prenant un signe négatif, Φ2 s’approche encore plus de l’état initial de l’évolution de la courbe. Son signe change précisément quand T = Tcritique. Lesch :
Josef, es-tu bien sûr que l’on ait besoin de tout cela pour bien comprendre ?
Gaßner :
Pas vraiment, mais je souhaite juste fournir autant d’aide que possible, parce qu’avec ce thème de la rupture de symétrie des champs scalaires, nous atteignons un haut degré d’abstraction. Ce qui est ici décisif, c’est qu’en deçà d’une température critique, le potentiel forme de nouveaux points (courbe bleu foncé du schéma 2.18). À l’état symétrique – force du champ nulle – à l’origine des coordonnées – le champ ne se trouve donc plus dans l’état initial, mais en un état « falsifié », un état plus élevé. Dans notre salle de concert, cela serait comparable à une personnalité officielle, qui arrive sur la scène pour communiquer quelque chose. Il racle sa gorge brièvement et soudainement le bruit de fond diminue et le silence s’établit.
Lesch :
Est-ce que ce nouveau niveau de volume est le nouveau état initial ?
Gaßner :
Oui. Et nous sommes presque parvenus à notre but. Il reste à prendre en considération plusieurs paramètres qui peuvent influencer la courbe du potentiel. Si par exemple deux chanteurs q1 et q2 se chauffaient maintenant la voix sur la scène, la courbe représentée par le schéma 2.17 serait identique à celle représentée par le schéma 2.19.
Gaßner :
La courbe bleu du schéma 2.18 devient elle aussi tridimensionnelle et ressemble à un sombrero (schéma 2.20). Aux amateurs de vin, elle rappellera sans doute le fond d’une bouteille. Lors du passage de l’état initial – désormais l’état falsifié – au nouvel état initial, il y a un problème, que l’on reconnaît dans le graphique : dans l’engorgement se trouvent autant
Le Big Bang, le cosmos et la vie
78
de points ayant le même droit d’être choisis comme nouvel état initial. Le système doit donc prendre une décision aux conséquences graves, choisir son nouvel état. Il doit opérer spontanément une rupture de symétrie.
2.19 Courbe de potentiel pour deux variables q1 et q2..
« faux » vide
q1
.
q2
.
2.20 Le « chapeau mexicain » : Le potentiel de champ E (q1 , q2 , T) forme en deçà d’une température critique une gorge avec de nouveaux points d’énergie plus faibles. L’état initial, jusqu’ici symétrique, se trouve alors dans un état « falsifié », situé plus haut, le faux vacuum.
Le Big Bang Lesch :
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Et voilà de nouveau notre âne!
Gaßner :
C’est exactement de la même façon que nous nous imaginons le développement du jeune univers. Dans le schéma 2.20, le vacuum est symbolisé par la sphère bleue, laquelle perdure pour un court instant dans un état symétrique « falsifié ». Une décision est nécessaire pour établir dans quelle direction la symétrie sera brisée, c’est-à-dire dans quelle direction la sphère roulera vers le bas, jusqu’à parvenir dans un état « juste » à niveau d’énergie moindre. Pour la durée de cette phase de prise de décision, ou pour être plus précis, jusqu’à ce que ce niveau d’énergie moindre soit définitivement atteint, le « faux » vacuum relativement au « vacuum juste » possède une énergie positive, et cela en chaque point de l’espace !
Lesch :
Tout cela est bien beau, mais personnellement, une courbe de potentiel ayant exactement ces propriétés me semble déjà être quelque chose de très construit. De quel droit peut-on présupposer un point de départ si particulier ? Si je peux poser dès le départ les choses comme cela m’arrange, alors tout est permis !
Gaßner :
C’est bien vrai. La réponse à cette question, c’est un chimpanzé qui va nous la donner.
Lesch : Gaßner :
Lesch :
Pardon ? Je vais en parler toute de suite. Mais d’abord, résumons brièvement, car nous avons désormais introduit beaucoup de concepts. Bon très bien ! Accordons-nous une petite pause.
80
2.6
Le Big Bang, le cosmos et la vie
Intermède Où en sommes-nous ? Où allons-nous ?
Gaßner :
À cet endroit, nous devrions établir une sorte de camp de base pour nos pensées, avant de démarrer notre expédition vers les limites du connaissable. Jetons un instant un regard sur l’équipement conceptuel dont nous disposons jusqu’ici. • Le vide est un terrain de jeu effervescent, où tout ce qui se laisse bricoler avec de l’énergie apparaît et disparaît, dans un laps de temps très court : particules, champs et d’autres choses encore, dont nous ignorons encore aujourd’hui si elles existent ou non. • Si l’énergie du vide n’oscille pas autour de zéro mais autour d’une valeur supérieure fausse, alors l’expansion du vide se renforcerait elle-même toujours plus antigravitationnellement. • La matière est constituée principalement par l’énergie de liaison de ses composants, et les gluons sans masse y prennent la part du lion. Autrement dit : la matière n’est point constituée de matière. • Les particules élémentaires ne possèdent pas de masse, quoi qu’en disent nos appareils de mesure. L’impression d’une masse est produite par un couplage au champ de Higgs omniprésent. Il doit être partout, ou du moins partout où des particules élémentaires sont présentes. • La statistique pousse chaque processus physique en direction de l’entropie. L’univers possède une flèche du temps. • Les transitions de phases peuvent libérer de l’énergie par rupture de symétrie, un état « faussé » intermédiaire qui peut apparaître un court moment. • Les champs scalaires peuvent eux aussi réaliser des transitions de phase.
Le Big Bang
81
Lesch :
Tu as vraiment bien résumé les choses et franchement, de manière formidablement courte et élégante. Reste à remarquer, que nous le voulions ou non, que sans influence extérieure, chaque processus physique prend l’état de l’énergie minimale, le sempiternel état de base. Celui-ci se révèle être un des obstacles les plus gênants dans notre effort pour passer de l’idée d’un vide perpétuel à celle d’une l’histoire pleine d’aventures, celle du Big Bang.
Gaßner :
Notre interprétation du vide comme aire de jeux quantique semble à première vue être très prometteuse. Sans cesse apparaît quelque chose, ceci ou cela. Déjà à l’instant suivant, quoi que cela fût, cela disparaît à nouveau, sans laisser aucune trace. Dans le cas d’un processus réversible revenant toujours à l’état initial, l’entropie reste constante. À partir de là, nous pouvons déjà engranger notre première moisson, c’est-à-dire la réponse à la question : Qu’y avait-il avant le Big Bang ? En tous cas, elle n’est pas ce à quoi on aurait pu s’attendre. Le concept d’« avant » n’est ici pas valide, parce que « avant », le temps ne passait pas.
Lesch :
Le cosmologue américain Lee Smolin a très bien exprimé ceci avec la comparaison : « qu’est-ce qui est plus au sud que le pôle Sud ? »
Gaßner :
Rien ! À la suite de quoi notre premier pas de cette évolution cosmique, le tact ou si l’on veut, le temps des choses, doit être créé lui aussi, à côté du quelque chose, qui lui se développera par ailleurs. Avant le Big Bang l’univers se trouve dans un état qui, bien qu’il se modifie sans cesse, reste cependant éternel.
Lesch :
Mais les fluctuations quantiques ont elles aussi besoin du temps pour advenir et disparaître.
Gaßner :
C’est juste. Plus précisément, on fait la différence entre l’échelle microscopique et l’échelle macroscopique. Les fluctuations quantiques évoluent dans une échelle de temps microscopique, en deçà de la relation d’incertitude d’énergie et de temps, sans que l’entropie s’en trouve modifiée.
Lesch :
C’est parfait ! On peut donc cocher une case définitivement. J’espère que vous êtes d’accord, chères lectrices et chers lecteurs, sinon relisez ce point toujours et encore… Il y a des choses qu’il faut avoir lues deux fois ou même n fois, pour parler mathématiquement. Vous pouvez rempla-
82
Le Big Bang, le cosmos et la vie
cer n par le chiffre qui vous convient, vous pouvez prendre un nombre naturel quelconque. Gaßner :
La naissance du temps est vraiment un défi pour notre cerveau habitué à penser causalement. C’est pourquoi la portée de la remarque de Saint Augustin me surprend d’autant plus, lorsqu’il écrivit au cinquième siècle : « Le monde et le temps ont eu un commencement commun. » Le monde fut créé non à un instant donné, mais en même temps que le temps. Mais dis-moi Harald, tu as l’air bizarre. Aurions-nous perdu quelqu’un en route… Chères lectrices et chers lecteurs, l’histoire du Big Bang jusqu’à la vie ressemble un peu à la courbe de difficulté d’un chemin de montagne. Au début, c’est plutôt raide – le Big Bang n’est sûrement pas un thème très digeste – mais ensuite vient un chemin de crêtes tranquille, où plus détendu, on apprécie alors un point de vue grandiose. Ne vous laissez pas décourager. Peut-être aurions-nous dû le dire beaucoup plus tôt, n’est-ce pas Harald ?
Lesch :
Si nécessaire, on peut aussi passer le Big Bang – et prendre directement le téléphérique jusqu’au chemin de crêtes. Bon. Mais cette fois allons-y ! « L’émergence de toute chose à partir du vide », je suis vraiment impatient d’y aller. En fait, c’est vraiment là que tout commence à devenir passionnant. Josef ! Retiens-moi !
Gaßner :
Harald, je suis là pour te soutenir. Nous avons introduit nombre de concepts – dans l’urgence. Et nous aurons besoin d’eux tous. Une action concertée est en effet nécessaire, avec l’ensemble de nos outils conceptuels, pour tirer le vide hors de ses fantasmes virtuels et le porter au cœur du réel. Dans quelque chose où le temps passe, puisqu’il dispose d’une entropie plus basse, que nous pouvons augmenter continuellement pendant des milliards d’années.
Lesch :
Bon. Allons-y !
Le Big Bang
2.7
83
L’émergence de toute chose à partir du vide Vers l’inflation avec une infinité de singes
Gaßner :
Imaginons un instant, que nous ayons été les témoins du Big Bang. Patiemment, nous aurions observé le devenir incessant des variations quantiques du vide et leurs évanouissements, jusqu’à ce qu’émergeât quelque chose, qui avant de disparaître à son tour, accomplît une transition de phase, comme la vapeur d’eau, qui lorsqu’elle condense libère de l’énergie. Malheureusement, en ce qui concerne la production de vapeur d’eau, elle nécessite plus d’énergie que la transition de phase n’en a produit. De sorte que nous ne pouvons pas rembourser le crédit temporaire qui fut nécessaire à la matérialisation de la vapeur d’eau. On se trouve en quelque sorte dans une situation de faillite énergétique et retombons de ce fait dans le vide. Et le jeu recommence à la case zéro.
Lesch :
Avez-vous remarqué combien notre attirail de concepts de base nous est ici utile ?
Gaßner :
Et nous verrons que nous aurons besoin d’eux tous. Ils n’étaient qu’un avant-goût de ce qui vient maintenant. Nous avons juste besoin d’un quelque chose, qui, lors d’une transition de phase, libère plus d’énergie qu’il en fut nécessaire à son émergence. Les cosmologues appellent ce quelque chose un champ inflationnaire – un champ scalaire qui se comporte selon le schéma 2.20.
Lesch :
Ensuite nous devrons livrer les fantasmes du vide à nos quatre forces fondamentales.
Gaßner :
À tout le moins, à la gravitation et à une force comprimée unifiée, appelée force GUT (Grand Unified Theory). La température baissant, c’est à partir de celle-ci que la force électromagnétique apparaîtra, laquelle à son tour laissera apparaître les forces atomiques forte et faible.
Le Big Bang, le cosmos et la vie
84 force atomique forte
Force GUT
intensité relative des forces
électromagnétisme force électrofaible force atomique faible
Gravitation Température (kelvin)
2.21 L’univers est déterminé par quatre forces fondamentales : • La gravitation est la force la plus faible. Elle est cependant responsable de la formation des structures très étendues, parce que son rayon d’action est illimité, elle agit sur toutes les particules, et rien ne peut lui faire écran. • Le rayon d’action de la force électromagnétique est lui aussi également infini, mais elle n’a d’effet que sur les particules possédant une charge : les charges de même nom se repoussent, les charges contraires s’attirent. Bien qu’elle soit 10 36 fois plus forte que la gravitation, son influence sur les grosses structures se limite aux processus de rayonnement, aux courants électriques et aux champs électromagnétiques. Les gros regroupements de particules sont neutres, parce qu’ils sont constitués d’autant de charges positives que de charges négatives. • La force nucléaire forte se charge de tenir les atomes ensemble. Elle parvient à dépasser la répulsion due aux éléments du noyau de même charge, parce qu’elle leur est en puissance 100 fois supérieure. Son rayon d’action cependant est limité à 10 – 15 mètres. Et ceci détermine la grosseur du noyau atomique. • La force nucléaire faible a un rayon d’action encore plus faible. Elle est limitée à 10 – 18 mètres et agit à l’intérieur des éléments qui constituent le noyau. Elle permet la transmutation des différentes sortes de quarks les unes dans les autres. Vue de l’extérieur, elle se manifeste par l’effet de désintégration : la radioactivité. Ces quatre forces fondamentales qui ne sauraient être plus différentes, ont dû émerger d’une force unique originaire, tout du moins si l’on suit la Grand Unified
Le Big Bang
85
Theory (GUT). Avec la baisse de la température, la gravitation se serait séparée la première d’une force unique appelée GUT-force. Celle-ci se serait scindée en une force nucléaire forte et une force électromagnétique faible, de laquelle auraient finalement émergé dans un passage de phase supplémentaire la force électromagnétique et la force nucléaire faible. Ce dernier point au moins semble assuré, grâce à la théorie de Sheldon Glashow, Abdus Salam et Steven Weinberg, pour laquelle ils obtinrent le prix Nobel en1979. Lesch :
Quelque chose doit sortir du vide, qui à la fin fournit plus que ce qui fut nécessaire à son apparition. Cela rappelle fort la crise financière dans notre vieille et bonne Europe de créanciers.
Gaßner :
Nous passons maintenant à la crise financière… là, on dérape complètement…
Lesch :
Et bien non ! Car c’est précisément en relation avec la crise financière que ces théories jouent un rôle, la physique quantique par exemple. En effet, les jongleurs des places boursières travaillent désormais avec des ordinateurs, machines quantiques par excellence. Aujourd’hui, ces Messieurs avides de gains, ne peuvent plus se permettre de perdre tant d’argent – si seulement nous n’avions pas inventé cette maudite mécanique, pardon que dis-je !, cette folle mécanique quantique. Car c’est elle qui a rendu tout cela possible. C’est aussi la raison pour laquelle nous ne comprenons plus, nous autres consommateurs économes et contribuables, le monde de la finance. C’est que ces Messieurs ne se comprennent plus eux-mêmes…
Gaßner :
En vérité, nous autres, astrophysiciens, devrions être vexés. Auparavant, nous avions le monopole des grands nombres. « Un nombre astronomique » disait-on face à un nombre dépassant le million ou le milliard. Entre-temps, les dettes nationales ont depuis belle lurette atteint des dimensions galactiques.
Lesch :
Revenons à nos moutons – et cette fois-ci, c’est moi qui reprends les rennes. Nous en étions restés à la théorie unifiée, la Grand Unified Theory, c’est-à-dire aussi à l’expansion inflationnaire.
Gaßner :
Nous observons patiemment ce quelque chose effervescent, jusqu’à ce qu’enfin quelque chose d’approprié émerge. Approprié signifie ici, quelque chose qui lors de la transition de phase qui va suivre, libérera plus
86
Le Big Bang, le cosmos et la vie
d’énergie qu’il en fut nécessaire à sa formation, et de surcroît, contient une force GUT, d’où sortiront plus tard les forces élémentaires connues. Lesch :
Là, je peux attendre longtemps…
Gaßner :
Je le reconnais, c’est une fluctuation quantique bien particulière que nous avons en tête. Nous devrons en conséquence attendre le temps qu’il faudra. Mais que signifie cela en regard de l’éternité que nous avons à notre disposition ? Manipuler mentalement des éternités et des infinités nous est étranger. Nous ne sommes pas habitués à regarder assez longtemps pour pouvoir observer des choses somme toute hautement improbables. Asseyons par exemple un chimpanzé devant une machine à écrire et attendons qu’il tape une touche. Avec quelle probabilité va-t-il choisir un « l » ? Négligeons la différence entre les majuscules et les minuscules et supposons que notre clavier ait cinquante touches. La probabilité pour un « l » serait donc 1/50. Ce n’est pas nul, ce qui signifie que la chose se produira un jour ou l’autre. Après le « l », nous aimerions avoir un « e », à nouveau avec la probabilité1/50. Pour la suite de lettres « le » la probabilité serait ainsi de 1/50 fois 1/50, ou (1/50) 2. L’expression de onze signes « Le Big Bang », le singe l’écrira avec une probabilité de (1/50)11. Cette probabilité infime, elle aussi, n’est pas nulle. Bien sûr, le chimpanzé écrira entre-temps toute sorte d’idioties, mais, si nous attendons assez longtemps…
Lesch :
Pas si vite Josef ! Laisse au lecteur un peu de temps pour sentir quelle force fascinante procure un espace de temps indéfiniment long.
Gaßner :
Vous le soupçonniez déjà : si nous attendons assez longtemps – et en disant assez longtemps je pense vraiment longtemps – le singe écrira sans erreur le contenu complet de ce livre : « Le Big Bang, le cosmos et la vie… ». Il est au fond indifférent de savoir combien une chose est improbable, dès l’instant qu’elle a une probabilité non nulle et que nous sommes en mesure d’attendre une éternité. Alors, elle se produira. Il en est de même avec les fluctuations quantiques, aussi complexes soientelles. On appelle cela par analogie typiquement le infinite monkey theorem.
Lesch :
Le théorème du chimpanzé tapant sans fin à la machine – il ne manquait plus que ça !
Le Big Bang
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Big Bang L'univers et la vie
2.22 Le théorème du singe infini : une infinité de singes ou un singe disposant d’une infinité de temps créent en tapant au hasard à la machine chaque texte imaginable, aussi improbable soit-il.
Gaßner :
Strictement mathématiquement, celui-ci remonte au lemme d’Émile Borel et Francesco Cantelli, mais notre exemple du singe le rend plus accessible.
Lesch :
Très bien – donc peu importe la fluctuation quantique considérée et sa dose d’excentricité ; si nous pouvons attendre assez longtemps, cela se produira.
Gaßner :
Nous nous mettons de nouveau à l’écoute et suivons une fois de plus patiemment l’activité des fluctuations quantiques. Une éternité passe sans qu’il faille faire appel au concept de temps, ou même qu’il soit justifié. Enfin, on y arrive : le jour sans hier commence ! Un univers contenant un champ inflationnaire et la force GUT apparaît. Après 10 – 35 secondes débute la transition de phase. La rupture de symétrie qui lui est liée, produit un retard temporel d’environ 10 – 32 secondes, pendant lesquelles le vide quantique se trouve dans un état falsifié, appelé vacuum faussé – comparable à l’eau refroidie artificiellement. Tant que la transition de phase ne s’est pas complètement achevée, le point d’énergie nulle de ce faux vacuum oscille autour d’une valeur faussement élevée.
Lesch :
Ce que cela signifie en vérité, nous le savons déjà : l’expansion antigravitationnelle du vide quantique se renforce toujours plus. Cette croissance exponentielle gonfle effectivement l’univers dans un espace de temps
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
inimaginablement faible (10 – 32 secondes), et d’un facteur d’expansion encore moins concevable de 10 50. Gaßner :
C’est cela le bang silencieux du Big Bang ! Oui cela est bien vrai, puisqu’il n’existait même pas un médium qui aurait pu propager le son. Les physiciens appellent cette phase de développement de l’univers l’inflation cosmique.
Lesch :
Une éternité sans temps et puis un bang silencieux. Chers lecteurs, vous suivez encore ? Je me le demande vraiment, parce que ce que raconte là mon collègue, c’est vraiment de la cosmologie des plus raffinées.
Gaßner :
Merci beaucoup Harald ! Mais cet éloge revient cependant à Alan Guth et Andrei Linde, qui ont développé cette idée dans les années quatre-vingt. Très bien. Aujourd’hui comme hier, l’univers n’a toujours rien contre une faillite énergétique comme celle que nous avons déjà vécue. À chaque instant, tous les efforts accomplis pourraient se résorber à nouveau dans le vide. Cette fois cependant, la transition de phase produisit assez d’énergie pour rembourser son crédit. Le supplément restant, l’univers l’investit en actifs : les particules élémentaires.
Lesch :
C’est à cela que l’on reconnaît que les crises ne se laissent pas résoudre simplement en faisant des économies répétées. On a besoin de croissance, sans elle, rien ne va dans l’univers. Je souhaiterais seulement savoir comment désigner le Président de cette banque centrale « univers-elle ». Le Président de la « BCU » peut-être ? En tous les cas, l’univers investit son excédent d’actifs en « choses ». Cela serait aussi de bon conseil en ce qui concerne la crise financière. Mais nous manquons certainement de grandeur pour de telles perspectives.
Gaßner :
Puisque tu parles de grandeur justement : l’entropie augmente spectaculairement avec l’apparition de ces 10 80 particules élémentaires – un 1 avec 80 zéros. Cependant, l’espace en expansion les répartit de manière quasiment homogène dans l’univers. Et c’est précisément à ce moment que la pendule de l’univers fut remontée. Cette répartition uniforme conjuguée à la force gravitationnelle forme ces états d’entropie extrêmement faibles, lesquels peuvent augmenter continuellement pendant des milliards d’années (schéma 2.15). S’il reste tant de temps pour le déve-
Le Big Bang
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loppement de l’univers, c’est précisément parce qu’à son commencement l’entropie fut si faible. Avec au début, une entropie plus élevée, la flèche du temps aurait irrémédiablement atteint son équilibre irréversible plus tôt. Peut-être trop tôt pour avoir donné une chance aux être vivants que nous connaissons sur la planète Terre. Lesch :
La masse existe-t-elle déjà à ce moment ?
Gaßner :
Je suppose que tu parles de la masse au repos. Là, je dois vraiment être plus catholique que le Pape, et expliquer que nous pouvons toujours faire correspondre, à une énergie non nulle, une masse, conformément à la formule E = m c2. Par exemple, même les photons possèdent une masse relativiste. Il en est autrement de leur masse au repos. Nous avons vu précédemment que la masse des particules composées correspond principalement à l’énergie cinétique et à l’énergie de liaison de leurs constituants. À ce moment de l’histoire du jeune univers, il n’existe cependant que des particules élémentaires – qui justement ne sont pas constituées d’autres composants. Les particules élémentaires dans leur ensemble obtiendront leur masse au repos plus tard, par interaction avec le champ de Higgs. Sans celui-ci, elles restent pour le moment sans masse. Le concept de masse au repos ne trouve alors pas encore à proprement parler une application qui lui donnerait un sens. Cela se modifiera brusquement avec une autre rupture de symétrie, au plus tard après 10 – 10 secondes après le Big Bang. D’un coup d’un seul, le champ de Higgs apparut alors à travers l’espace entier, et depuis lors, il n’en finit plus de s’opposer à l’accélération des particules élémentaires.
Lesch :
Comment cela est-il possible ? Comment peuvent émerger des forces grâce à des ruptures de symétrie ?
Gaßner :
En réalité, elles n’apparaissent nullement, tout aussi peu qu’un champ de Higgs émergerait soudainement. Les deux choses, champs et forces, existaient déjà. Seulement, jusque-là, elles ne pouvaient se manifester sous la forme qu’on leur connaît depuis.
Lesch :
Allons bon ! Mais tu viens justement de dire que les particules élémentaires sont encore sans masse, puisque le champ de Higgs n’existe pas encore.
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
Gaßner :
Parce qu’il n’interagit pas encore. Lorsque les nuages se refroidissent et qu’il commence à pleuvoir, lorsque les gouttes d’eau se condensent, là non plus, à proprement parler, les molécules d’eau ne sont pas encore apparues, mais elles existent sous une forme différente. De la même manière, les forces ou les lignes de champs peuvent « condenser » elles aussi, ou à des températures plus élevées « s’évaporer ». Les plus beaux exemples nous en sont fournis par les aimants, lesquels, en deçà d’une température critique, dessinent des lignes magnétiques agissant avec une force correspondante, et qui au-delà de cette température dite de Curie, disparaissent cette fois, laissant alors le matériau agir de manière neutre – bien que les propriétés magnétiques y soient fondamentalement encore présentes. Dès que la température baisse sous le seuil critique, les lignes de champs réapparaissent à nouveau comme par magie.
Lesch :
Est-ce que quelqu’un appuie sur l’interrupteur à partir d’une certaine température ?
Gaßner :
C’est tout comme ! D’une façon similaire, en plusieurs étapes, le champ de Higgs, la force nucléaire forte, la force nucléaire faible et pour finir la force électromagnétique se condensèrent tour à tour à partir de la force GUT, chaque fois aux températures critiques respectives correspondantes. L’univers forme une sorte de soupe cosmique originaire faite de particules et d’antiparticules et de photons, dans laquelle les quatre forces élémentaires finissent par émerger et interagir.
Lesch :
Un mot me vient à l’esprit : « bricolage ». Celui-ci décrit de façon appropriée la chose, car effectivement à partir de ce moment-là, tout dans l’univers s’affaire à « s’essayer » constamment. Les composants de la soupe originaire se transforment constamment les uns dans les autres, le rayonnement produit des paires particules-antiparticules, pendant qu’à d’autres endroits au contraire, ces paires s’irradient en photons.
Gaßner :
Pour être précis, les particules et antiparticules livrent par leurs collisions plus d’énergie qu’il en fut nécessaire à leur création, puisqu’en plus d’énergie au repos, elles disposent d’énergie cinétique. Toutefois, lors du rayonnement d’une paire, émergent deux photons qui doivent se partager cette quantité d’énergie. Au-delà d’une certaine température critique, cela
Le Big Bang
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ne porte pas durablement à conséquence, parce qu’alors les composants de la soupe primordiale interagissent sans cesse les uns avec les autres. Ils se donnent pour ainsi dire des coups de coude constamment, ce qui permet de conserver globalement un haut niveau d’énergie. Lesch :
Rien de tel parfois qu’un bon coup de pied bien placé… Bien entendu, il existe pour cela aussi une dénomination scientifique : on parle d’ équilibre thermique, lorsque des photons énergétiquement faibles subissent un choc énergétique par diffusion Compton inverse. Dis comme cela, cela sonne déjà plus universitaire.
Gaßner :
Ici nous nous devons d’expliquer les concepts : lorsque ces choses s’entrechoquent, elles s’influencent mutuellement. De l’énergie est transportée et les trajectoires originaires sont modifiées, et c’est ce que nous appelons dispersion. Les photons également peuvent « entrer en collision » avec les particules, par exemple avec des électrons. Généralement le photon transmet un peu d’énergie à l’électron, et c’est ce que nous appelons la diffusion Compton. S’il s’agit d’un électron à haute énergie, c’est le contraire qui peut se produire, ce qui signifie cette fois, que ce sont les photons qui reçoivent de l’énergie des électrons. Cette opération nous l’appelons diffusion Compton inverse. Dans le premier cas, c’est la matière qui sera chauffée, dans l’autre le rayonnement. En deçà de la température critique dont nous avons parlée, les chocs ne suffisent plus ni en nombre, ni en intensité pour alimenter les photons avec assez d’énergie pour la formation de paires. Précisément, il y a pour les différentes sortes de particules – quarks, gluons et électrons – différents niveaux critiques, selon la quantité d’énergie nécessaire à la formation de leurs paires. L’équilibre s’effrite alors, et le nombre de photons restants augmente toujours plus. Peu à peu, chaque particule devrait se désintégrer avec son antiparticule, et de la soupe originaire, il ne devrait rester qu’une soupe de photons passablement ennuyante, si l’univers n’avait pas eu – qui l’eût crû ? – un faible inexpliqué pour la matière. Dans cet océan du rayonnement cosmique fossile, il reste pour finir effectivement un peu de matière. Car une particule sur un milliard ne trouva pas son antiparticule. Les uns appellent cela une erreur de programmation, les autres un effet d’impureté, peu importe. Ce qui est
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
dans les faits certain : de cette surproduction mystérieuse se formeront un jour toutes les étoiles et galaxies, notre planète Terre et nous aussi. Lesch :
Est-ce à dire que je suis le résultat d’une erreur de bricolage ? Cela semble bien peu enthousiasmant. Comment une telle erreur aux conséquences gravissimes a-t-elle donc pu échapper à l’univers ? Cette chose ridiculement minuscule – ce soupçon de déséquilibre, en somme, serait-il la cause véritable de notre existence ? Une armée de scientifiques travaille à l’asymétrie matière-antimatière comme on dit, et pourtant nous n’avançons pas plus. L’ensemble des caractéristiques de la matière et de l’antimatière, masse, charge, spin, moment magnétique ne semble pas se différencier, sinon par leur signe. Pourquoi alors reste-t-il de la matière à la fin ?
Gaßner :
Il y a quelques années, on a même mesuré, pour la première fois, la ligne spectrale de l’antihydrogène. Là encore, il n’y a aucune divergence par rapport au niveau atomique de l’hydrogène normal. L’antihydrogène est construit de façon analogue à l’hydrogène, avec bien sûr un antiproton pour noyau et un antiélectron autour. Les niveaux d’énergie des atomes sont en principe faciles à mesurer. On irradie un atome à l’aide d’un laser avec une intensité doucement croissante d’énergie, jusqu’à ce que la transition ait lieu. Avec de l’antimatière toutefois, tout l’art de la chose consiste, en s’aidant d’un champ magnétique approprié, à « confiner » l’atome assez longtemps en un lieu, sans qu’il entre en contact avec de la matière, sans quoi il s’évanouirait en rayonnement. Le groupe de recherche ALPHA au LHC détient le record actuel – 17 minutes. On appelle de semblables récipients Penning-Fallen, ainsi nommés d’après le physicien hollandais Frans Michel Penning, qui le premier eut l’idée d’enfermer des particules grâce à des champs.
Lesch :
Combien avons-nous jusqu’ici fabriqué d’antimatière ? Je ne peux m’empêcher de penser ici à ce succès cinématographique : Illuminati de Dan Brown.
Gaßner :
Un millionième de gramme. Cela semble bien peu. Toutefois conformément à E = m c2, en raison du carré de la vitesse de la lumière, le taux de change entre l’énergie et la masse est très élevé. Un gramme correspond à l’énergie libérée lors de l’explosion d’une bombe atomique. C’est
Le Big Bang
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peu dire que les accélérateurs doivent travailler d’arrache-pied pour la production d’antimatière. Pour ce faire, on bombarde habituellement un obstacle, par exemple une plaque de graphite, avec des photons à haute énergie, et l’on filtre ensuite l’antimatière du mélange chaotique de particules qui en résulte. C’est plus facile avec les antiélectrons – on les appelle aussi les positrons. Ils apparaissent lors des processus de radioactivité, par exemple lors de la désintégration du potassium 40 en argon 40. 0,012 pour cent du potassium naturel se présente sous la forme de cet isotope radioactif. À cet égard, la banane que tu as apportée ici, en guise d’encas, émet en moyenne un positron toutes les 75 minutes. Lesch : Gaßner :
Ce n’est pas possible j’espère ! Cette banane rayonne de l’antimatière ? Si cela te semble dangereux, tu peux toujours me la donner, tu sais…
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
2.8 La nucléosynthèse primordiale En attendant le sensible Lesch :
C’est très gentil de ta part ! Mais je propose que nous continuions maintenant notre histoire de l’univers.
Gaßner :
Bien volontiers. Tout ce dont nous avons parlé jusqu’ici s’est produit dans les premières fractions de secondes du Big Bang ! Émergeant de la soupe « quarks-nucléons-électrons » les premiers protons et neutrons (particules de masse non nulle) se sont déjà formés. Pour que des noyaux atomiques durables puissent se constituer, l’univers doit encore se refroidir pendant trois minutes. Par rapport à l’échelle de temps jusqu’ici utilisée, c’est une éternité.
Lesch :
Gaßner :
C’est le deutérium, le noyau composé le plus simple, qui en est la cause. On l’appelle aussi hydrogène lourd. Normalement l’hydrogène possède juste un proton comme noyau. Le deutérium, un hydrogène biscornu en somme, possède quant à lui un noyau composé d’un proton et d’un neutron. La liaison deutérium est extrêmement faible, elle est toujours sur le point de se briser à nouveau. Il suffit d’une petite excitation provoquée par un photon et crac … Au temps du tout jeune univers, lorsqu’il y avait encore beaucoup de photons à haute énergie, le deutérium n’avait donc aucune chance de survie. Un tel deutérium est plutôt quelque chose d’approprié à un univers tiède. Il est trop sensible justement. Reste que l’ensemble des réactions nucléaires qui ont suivi ont eu besoin de ce produit intermédiaire pour pouvoir se réaliser. C’est seulement lorsque le rayonnement de fond fut suffisamment refroidi, qu’assez de deutérium fut disponible et que la synthèse nucléaire primordiale – donc la première fusion de protons et des neutrons en noyaux d’atomes – s’accéléra. Le coup d’envoi fut donné. La fusion reçut un véritable coup de fouet et généra ainsi les atomes de deutérium, d’hélium, de lithium et de béryllium. Mais la voie vers la fusion d’éléments encore plus lourds était alors barrée, car le béryllium se désintégra plus vite que ses partenaires potentiels d’alors n’eussent mis de temps pour le rejoindre et fusionner avec lui.
Le Big Bang
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Lesch :
La synthèse nucléaire primordiale est ainsi soumise à une forte pression temporelle. Après une durée moyenne de 15 minutes, chaque neutron libre se désintègre en effet, en un proton, un électron et un antineutrino. Pour éviter le destin d’une telle émission bêta, ils doivent se lier aux protons. Pour mieux les différencier, on nomme ces neutrons stables dans les noyaux, neutrons liés.
Gaßner :
Il s’agit donc de porter au plus vite autant de neutrons libres possibles à bon port : le noyau atomique. Après environ 20 minutes, l’horloge sonna la fin de ce processus. Après la désintégration des neutrons libres, il ne reste que des candidats chargés pour fusionner, et leur force répulsive ne peut plus être surmontée, en raison du refroidissement croissant. L’immense fête de la fusion dans l’univers cesse brusquement et ce qui lui subsiste, c’est un ensemble de matériaux, qui longtemps demeurera inchangé – en fait, jusqu’à l’apparition de la première étoile, si l’on excepte quelques processus de désintégration secondaires.
Lesch :
Et voilà ; c’est tout pour le moment. Beaucoup de bruit pour rien – bien qu’alors rien n’aurait pu être entendu. Vous vous souvenez ? Le Big Bang fut silencieux.
Gaßner :
Dans les premières 20 minutes apparurent les noyaux des éléments simples du système périodique : hydrogène, hélium, lithium, béryllium et un peu de bore. Depuis lors, l’univers reste composé principalement d’hydrogène et d’hélium, dans des proportions de trois pour un. Tous les autres éléments pris tous ensemble n’atteignent pas le un pour cent.
Lesch : Gaßner :
Ensuite tout devint merveilleux. Une nouvelle ère commença. Et ce, pas seulement pour le cosmos, mais aussi pour nous scientifiques. Au sujet des premières secondes après le Big Bang, nous n’avons en réalité que des modèles théoriques. Cela doit être explicité clairement ici. Sans preuves expérimentales ou observations, le sol s’évanouit sous nos pieds. Tout est en quelque sorte évanescent dans le jeune univers. Avec la synthèse nucléaire primordiale, nous atteignons enfin une terre ferme, et la fréquence de ces éléments dans le cosmos peut être encore confirmée aujourd’hui. En ce qui concerne un élément ou un autre, cette fréquence fut bien entendu modifiée au cours des derniers 13,82 milliards d’années, mais tous les événements à l’origine de ces change-
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
ments nous sont bien connus. En conséquence, nous pouvons calculer leur influence et obtenir des données d’observation corrigées, qui correspondent d’une façon impressionnante avec les valeurs théoriques calculées. Notre garde-fou expérimental se fait plus proche. Lesch :
En effet, ces mesures constituent les premières mesures permettant d’établir la confiance, une première preuve indirecte en somme, que les modèles ne peuvent pas être complètement faux. Et s’ils sont faux, alors véritablement, ils sont diablement bien faux !
Gaßner
Pour une première preuve directe – sous la forme d’une photographie du jeune univers – nous devons attendre la recombinaison. Pour cela l’univers dut dûment refroidir. Entre-temps, c’est-à-dire pour une période de 380 000 ans – c’est à un univers ennuyeux à mourir auquel on a affaire. Il se laisse décrire en deux mots : expansion et refroidissement. Dans la soupe primordiale, chaque variation, aussi infime fut-elle, dans cette purée de noyaux d’atomes et d’électrons fut immédiatement détruite, soit en raison des chocs qui se produisirent entre eux, soit en raison du rayonnement à haute énergie omniprésent. Il régnait alors une ferme interdiction de s’associer – même les plus petites agrégations se dissolvaient comme des morceaux de glace dans l’eau bouillante. Les noyaux des atomes durent attendre patiemment que la température tomba en dessous de la frontière magique des 4 000 kelvins.
Lesch :
Quelle patience ! 380 000 années ! Ce serait trop pour moi. Une chose me vient à l’esprit : connais-tu l’expérience la plus ennuyeuse qui n’ai jamais été faite ?
Gassner :
Où veux-tu en venir ?
Lesch :
L’ennui et la malchance peuvent parfois être très instructifs. Prenez l’expérience des gouttes de Brai. Thomas Parnell en 1927 a disposé à l’université de Queensland, Australie, un entonnoir rempli de brai. Il voulait montrer que le brai est effectivement un liquide et non un corps solide. Pendant trois ans, il tint l’entonnoir clos, laissant le brai reposer. En 1930 l’expérimentation entra dans sa phase critique, et l’on ouvrit le côté inférieur du récipient. En décembre 1938, les premières gouttes tombèrent dans le récipient en verre. Puis tous les 100 mois suivants,
Le Big Bang
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tomba une goutte supplémentaire. Ça, c’est ce que j’appelle avoir de la patience ! Gaßner :
Oui c’est vrai. Je l’ai lu moi aussi. Il y a presque 20 ans, on a installé une caméra pour enfin documenter la chute d’une goutte. Malheureusement, ils n’ont guère eu de chance ce 28 novembre 2000 : précisément ce jour-là, la caméra est tombée en panne. Il existe même un groupe de musique, dont le nom se rapporte à cette expérience : The Pitch Drop Experiment. Leurs premiers titres s’appellent « First Drop », « Second Drop » et « Third Drop »… 2.23 L’expérience des gouttes de brai à l’université de Queensland en Brisbane, Australie.
Le Big Bang, le cosmos et la vie
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2.9
La recombinaison L’entrée en scène de l’atome
Gaßner :
Lesch :
Déjà en deçà de 16 000 kelvins, les protons avaient commencé à capter électromagnétiquement des électrons libres. L’énergie cinétique de ces derniers avait en effet suffisamment diminué pour que cela devienne possible. Ce fut un véritable travail de Sisyphe, car chaque tentative transformée fut l’instant suivant tenue en échec, en raison du rayonnement de fond encore hautement énergétique. Les électrons furent constamment dérobés à leurs atomes : on appelle ce processus ionisation. Ce ne fut qu’en deçà de 4 000 kelvins qu’enfin la menace du rayonnement s’éloigna, ce qui permit, pour la première fois, les liaisons durables entre protons et électrons. Sonnez trompettes ! Et retenez bien cet instant : c’est une nouvelle ère qui commence. Le premier atome d’hydrogène durablement stable entre sur la scène !
Big Bang Supercordes ? Forces unies Expansion inflatoire Les forces se séparent
Temps
Formation Formation des nucléons des atomes années
Énergie
2.24 Le déroulement chronologique du Big Bang jusqu’à la recombinaison, avec les composants respectifs de l’univers : bosons W (W), bosons Z (Z), gluons (g), photons (γ), électrons (e), quarks (q) et protons (p).
Le Big Bang Gaßner :
Lesch :
Gaßner :
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Et ce fut aussi l’heure de naissance d’un des plus importants éléments pour la vie, du moins la vie telle que nous la connaissons. Chaque plante, chaque animal contient de l’eau (H2O), l’agrégat de deux de ces très vieux atomes d’hydrogène et d’un atome d’oxygène. Ce dernier fut produit plus tard dans le cœur des étoiles. Nous sommes constitués environ de huit pour cent de ces atomes d’hydrogène particuliers, tous reliques de cette jeune phase de l’univers. Ces atomes, s’ils le pouvaient, nous raconteraient une histoire détaillée vieille de 13 milliards d’années : une succession de vies passées dans les étoiles et dans les organismes qu’ils ont déjà constitués. Car notre corps n’est lui aussi qu’une station de passage. L’univers est vraiment le grand maître par excellence de l’art du recyclage – tout sera réutilisé, rien n’est perdu. Nous devrions en prendre exemple, ici, sur Terre. Et puis, où tout cela aurait-il donc pu aller, puisque l’univers est par définition tout ce qui est, rien n’est jeté, comme dans un foyer bien rangé. Au temps du jeune cosmos tout particulièrement, il y avait encore beaucoup trop à faire, puisque les photons avaient perdu leur principal partenaire d’interaction, les électrons. En fait, la probabilité d’une collision entre photons et électrons libres est des millions de fois plus grande que celle d’une collision entre photons et atomes ou noyaux atomiques. C’est à première vue étonnant : les atomes, tout comme leurs noyaux, sont foncièrement plus gros que des électrons. De plus, les électrons ne disparurent pas vraiment, emprisonnés dans les atomes, ils sont juste liés à leurs noyaux. Pourquoi alors, n’y a t-il plus guère de « rendez-vous » entre photons et électrons, pourquoi les deux ne se rencontrent-ils plus ? La solution de l’énigme réside dans le concept de « rencontre », qui contrairement à ce qui se passe dans le monde macroscopique, ne décrit pas un choc. C’est bien plus d’une « influence réciproque » que d’une interaction classique qu’il s’agit. Lorsque nous rencontrons quelqu’un en ville, cela ne signifie pas nécessairement que nous allons rentrer chez nous couverts de bleus et en saignant du nez. Une interaction est tout à fait possible, en dépit d’une séparation spatiale, l’autre côté de la rue par exemple, sous la forme d’une salutation ou d’une insulte, suivant le type de rencontre dont il s’agit. L’interaction entre photons et électrons
100
Le Big Bang, le cosmos et la vie
se réalise d’une façon similaire, sans contact. Sans aucun mot ni geste, mais électromagnétiquement. En raison de sa charge, l’électron est entouré d’un champ. Le proton interagit avec les lignes de force de ce champ – il « titille » pour ainsi dire ces fils imaginaires invisibles. Lesch :
Cela a alors pour effet d’accélérer les électrons et chaque charge électrique accélérée produit un rayonnement d’une longueur d’onde caractéristique. Nous connaissons ce phénomène, pensez aux ondes radios ou encore au téléphone mobile.
Gaßner :
Si la « stimulation » suffit pour faire osciller l’électron de telle sorte que le rayonnement libéré influence visiblement le photon, on parle alors d’interaction. Le cas idéal surviendrait alors, si le photon transformait totalement l’électron en énergie oscillatoire, pour ensuite rayonner, lors du retour à l’état de repos, de nouveau avec la même longueur d’onde, mais avec la direction inverse. Pour un observateur éloigné, l’impression reçue, dans les deux cas, est celle qu’un photon ayant touché un électron et qui l’aurait alors dévié sur une autre trajectoire. Ainsi, on comprend pourquoi les électrons libres interagissent beaucoup plus fortement avec les photons que leurs collègues liés à un atome plutôt lourd, et, subissant l’influence d’une énergie comparable, ceux-ci n’occasionnent aucune oscillation digne de ce nom. Pour être précis, le pourcentage d’interactions baisse en raison du carré de la masse du partenaire considéré.
Lesch :
Dans le jeune cosmos, cela correspondait à la disparition des électrons libres, mais aussi à la possibilité pour les photons du rayonnement cosmique de se déplacer librement. On y vit enfin plus clair. Une sorte de grande fête lumineuse de la séparation a dû avoir lieu à ce moment-là, ne crois-tu pas ?
Gaßner :
C’est bien possible. Après 380 000 ans de vie commune, le rayonnement et les atomes prirent pour la première fois des chemins différents, leurs températures respectives évoluèrent à partir de là de façons différentes. Depuis le début du temps, le rayonnement s’était refroidi plus vite que la matière, car à la dilution des photons par l’expansion cosmique, s’ajouta un allongement de la longueur d’onde du rayonnement lui-même. Son énergie est en effet inversement proportionnelle à la longueur d’onde, c’est-à-dire qu’une augmentation de la longueur d’onde correspond à
Le Big Bang
101
une perte énergétique. La matière et le rayonnement ne surent garder pendant tout ce temps une température commune qu’au prix d’une interaction constante, par laquelle en moyenne l’énergie de la matière fut transférée au rayonnement. Lesch :
Et pourquoi donc spécifions-nous en moyenne ? Parce que le rayonnement à une température donnée existe sous la forme d’un spectre continu, ou autrement dit, chaque photon peut avoir une énergie quelconque. Statistiquement parlant, la plupart d’entre eux cependant ne disposent de leur énergie qu’à l’intérieur d’une fenêtre restreinte, laquelle au fur et à mesure que la température descend, tend toujours vers une énergie moindre. De la sorte, le rayonnement, naguère si destructeur, perdit bien vite son pouvoir effrayant. Sous l’emprise de la gravitation, la matière commença alors allègrement à se condenser, jusqu’à former des galaxies.
Gaßner :
Minute ! Cela va trop vite ! Comment peut-il donc se former quelque chose en général, je veux dire les premières minuscules irrégularités, les premières graines en quelque sorte, à partir desquelles se formeront plus tard les nuages de gaz, les étoiles et les galaxies, si dans le même temps, l’expansion les éloigne les uns des autres.
Lesch :
En principe, tu as raison, mais l’expansion cosmique a un adversaire de choix : la gravitation. Plus la densité d’une région est élevée, plus l’attraction y est forte, et à partir d’une certaine densité donnée minimale, elle triomphe de l’expansion. La gravitation est la seule force à laquelle on ne peut pas faire écran. Elle attire toujours, goinfre, elle ne fait pas de régime – elle veut plus, et toujours plus, et toujours plus lourd. Pour que quelque chose ait pu exister dans l’univers, il devait dès le début y avoir quelque chose comme un déséquilibre. Il y a dû y avoir au moins un endroit un peu plus dense que le reste autour. Tu es d’accord avec moi ?
Gaßner :
Oui. Et c’est un vrai problème. Comment un tel grain de sable a-t-il pu se glisser dans l’engrenage de l’identique ? C’est que nous avons besoin d’une première semence qui dans un second temps pourra croître, c’està-dire en fait, d’une perturbation de l’équilibre…
Lesch :
Une perturbation – Précisément, c’est le mot que je cherchais.
102 Gaßner :
Lesch :
Le Big Bang, le cosmos et la vie
Mais comment donc y parvenir ? Nous avons déjà expliqué que l’univers s’est pour ainsi dire gonflé de manière fulgurante en un temps très court. Si tu prends un ballon avec autant de plis et de rides que tu veux et que tu le gonfles toujours plus jusqu’à atteindre 1050, sa taille initiale… …là, les plis disparaissent !
Gaßner :
Et c’est bien le problème. Après cette expansion gigantesque, les choses qui existaient originairement ne sont tout simplement plus là.
Lesch :
D’où a donc pu venir la première perturbation, laquelle qui plus est, a dû par la suite s’accroître, puisque de plus en plus de matière s’accumulait ?
Gaßner :
L’expansion – ce gonflement à partir des variations quantiques – a dû porter en elle-même des perturbations. Des variations dans le champ inflationnaire ont dû par exemple conduire à ce que l’état de vrai vacuum ne fut pas atteint partout en même temps. Tout oscille et les fluctuations quantiques sont partout. Ce fut notre credo au départ. L’expansion gigantesque a pu dès lors transformer de minuscules fluctuations quantiques en perturbations de loin beaucoup plus importantes, jusqu’à ce qu’elles portent atteinte significativement à l’équilibre macroscopique même.
Lesch :
Peut-être devrait-on ajouter à la fameuse phrase d’Héraclite Panta rhei, tout coule, un Panta saleuei, tout vibre. Cette fluctuation généralisée est finalement la cause de tout changement et, de fil en aiguille, de tout développement. C’est ce que voulait dire le philosophe grec avec sa phrase célèbre du fleuve sans cesse coulant des événements. Car si, au début, énergie et matière n’avaient pas fluctué, il ne se serait jamais rien produit. Jamais quelque chose n’aurait pu, sous l’emprise de sa propre gravité, s’effondrer sur soi-même – qu’il s’agisse là de matière visible ou de matière noire, ou autre, peu importe ici.
Gaßner :
Tu abordes un point très intéressant. Aristote était persuadé, en bon employé du service public qu’il était, que l’état naturel de la matière est le repos. Dès lors, qui donc déplace les objets dans le ciel ? Et même s’il existe une cause au mouvement, qui aura mis celle-ci en mouvement ? De son point de vue, il n’y avait pas d’autre voie que celle convoquant un
Le Big Bang
103
premier moteur, lui-même immobile, puisqu’il n’avait trouvé aucune cause qui fut elle-même sans cause. Lesch :
C’est bien vrai. Même avec nos théories cosmologiques les plus formidables, nous n’évitons pas cet écueil. Nous avons besoin d’une perturbation. Et nous invoquons alors la mécanique quantique : où tout oscille. Et si tout vibre, alors tout est vraiment en mouvement. Même l’univers en expansion oscille. Il est désormais clair d’où la perturbation provient. Cela est vraiment frappant. Sans mécanique quantique, rien ne va. Sans elle, pas d’univers.
Gaßner :
Et c’est précisément dans notre image de l’univers ce qui ne me plaît pas. Nous faisons ainsi nécessairement de la mécanique quantique quelque chose comme une cause du Big Bang, J’aurais presque dit comme un état « d’avant le Big Bang », mais il n’y a pas d’avant. La mécanique quantique est notre premier moteur. Certes, il n’est pas immobile, mais oscillant.
Lesch :
Si tant est que l’on parvienne à avaler cette pilule, la chronologie de l’univers se laisse alors décrire avec les modèles des sciences de la nature. La fin justifie les moyens.
Gaßner :
380 000 ans après le Big Bang, le rayonnement pouvait enfin se déplacer librement. Jusqu’à ce que Penzias et Wilson le découvrent et Smoot et Mather en « photographient » ensemble les variations de températures internes.
Lesch :
La preuve photo ! Notre univers surpris en flagrant délit de recombinaison. Le brouillard se dissipe enfin. Une photographie du temps d’avant n’est tout simplement pas possible. Avant régnait une effervescence continuelle, un jaillissement de chocs généralisés et leur diffusion sempiternelle. Mais alors vint enfin le grand jour.
Gaßner :
L’analyse du fond diffus cosmique se révèle être jusqu’à ce jour une véritable malle aux trésors. Dès 1967, Rainer Kurt Sachs et Arthur Michael Wolfe reconnurent que les premiers agrégats du jeune univers avaient laissé une signature : les photons du rayonnement fossile. D’une façon générale, les photons gagnent en énergie lors de leur rapprochement à une masse et perdent cette énergie gravitationnelle à nouveau, dès
104
Le Big Bang, le cosmos et la vie
qu’ils s’en éloignent. De manière imagée, les photons « tombent » dans un creux, un potentiel, pour ensuite « grimper » afin d’en ressortir. Si la forme du potentiel se modifie durant le court temps du séjour des photons (le creux s’aplatit par exemple en raison de l’expansion de l’espace), alors moins d’énergie sera nécessaire au grimpeur, et il reste ainsi un gain net d’énergie. Des mesures correspondantes à ce phénomène appelé effet (intégré) de Sachs-Wolfe ont bien été effectuées et confirment l’hypothèse d’une expansion de l’espace-temps. Lesch :
Et bien dis-moi. Tout cela est tout de même bien lourd à digérer !
Gaßner :
Mais heureusement, l’histoire de notre univers va devenir enfin plus limpide. Et bientôt apparaissent les premières miettes de matière qui tiendraient dans la main.
Lesch :
Cela me rappelle mon mot préféré : « bricolage », qui passe très bien ici, car il rend clair ce qui est alors en train de se faire. Je me représente la chose comme une multitude de petits ateliers : ici l’on tourne, là on coupe. Il en fut également ainsi dans l’univers d’alors. Partout, on travaille d’arrache-pied à la formation de structures.
2.25 En mesurant le rayonnement micro-onde d’environ 2,725 degrés kelvins provenant également de toutes les directions (isotropie), on obtient un enregistrement hautement décalé dans le rouge de l’univers 380 000 ans après le Big Bang. Il s’agit de l’image de la réalité la plus éloignée possible dans le temps, car les photons purent alors pour la première fois se propager sans obstacle sur de longues distances (phase de recombinaison). L’illustration montre la progression dans le temps de la projection imagée en deux dimensions du rayonnent diffus de fond. Depuis sa détection à l’aide d’une immense antenne cornet par Penzias et Wilson, on a lancé les satellites COBE (Cosmic Background Explorer), WMAP (Wilkinson Microwave Anisotropy Probe) et Planck. L’image elliptique est analogue à la projection de Mercator de la surface de la Terre sur une carte atlas bidimensionnelle. Les différences de couleurs symbolisent les variations de températures de l’ordre d’un vingt millième de degré kelvin (les
Le Big Bang
105
plus froides en bleu, les plus chaudes en rouge). L’influence perturbatrice de la Voie lactée se révèle par les traits horizontaux au centre des enregistrements. Pour obtenir une représentation épurée du fond cosmique diffus, il fut en effet nécessaire d’en retirer le rayonnement micro-onde provenant de la Voie lactée. et des autres sources parasites connues.
Le Big Bang, le cosmos et la vie
106
3 Le cosmos Tout ce qui est, pas plus, mais pas moins non plus
Rayonnement fossile de fond (après 380 000 ans)
Expansion accélérée en raison de « l’énergie noire » Ère sombre
Formation des galaxies, planètes...
Inflation
Fluctuations quantiques
Première étoile (après env. 400 millions d’années)
13,82 milliards d’années
3.1 L’évolution de l’univers représentée graphiquement. Chaque coupe verticale représente l’univers à un moment donné. Le rayon de la coupe (grandeur de l’univers) crût au moment de l’inflation cosmique de manière exponentielle pour évoluer par la suite de manière relativement plus lente. Parvenu à la moitié de sa vie environ, l’univers rentra à nouveau dans une phase expansive.
Le cosmos
3.1
107
Morphogenèse Ou comment des grains de poussière devinrent des étoiles
Gaßner :
Tout à fait. Cela devient vraiment passionnant. Mais comment la matière peut-elle se condenser, alors que, dans le même temps, l’univers est constamment en expansion ?
Lesch :
C’est le destin même de l’univers qui se joue ici. Être ou ne pas être, ce fut déjà la question par excellence.
Gaßner :
Et une étape aussi importante que délicate : elle ne tint qu’à un fil. En effet, les étoiles se forment lorsqu’un nuage de gaz au-delà d’une densité de 5 000 molécules par cm3 s’écroule sur lui-même sous l’effet de son propre poids. Cela n’est effectivement possible que si l’expansion de l’espace est suffisamment lente. En effet, une expansion trop rapide aurait diminué la densité plus vite que la gravitation n’aurait pu l’augmenter.
Lesch :
Dans le combat « condensation » contre « dilution », l’univers nous voulut du bien : il laissa vaincre la gravitation aux lieux où la densité de matière était suffisante. La matière, au départ distribuée presque également, commença alors à s’organiser. Une fois le processus mis en route, il se renforça lui-même. La pression gravitationnelle comprima le gaz, et ce faisant, le chauffa, augmentant en cela la contre-pression interne. Un équilibre ne put jamais s’établir, puisque par ailleurs une part du rayonnement se perdit constamment vers l’extérieur.
Gaßner :
Aussitôt qu’une pression interne se fut formée, il suffit à la gravitation d’attendre l’instant propice, où l’adversaire est suffisamment affaibli, par perte de chaleur. Une nouvelle phase de compression put alors commencer. Les îlots de matière attirèrent toujours plus de gaz et de la sorte, ils vidèrent littéralement l’espace entre eux. La véritable reine des forces, la gravitation, prit alors le contrôle des rênes. La fin de l’histoire aurait dû être un trou noir avalant tout. Aucun être vivant ne se serait alors posé la question de savoir pourquoi le monde est tel qu’il est… Une fois de plus, l’univers nous fut favorable. Rien ne fut en mesure d’arrêter l’augmentation de la pression, laquelle
108
Le Big Bang, le cosmos et la vie
convoqua, après 20 millions d’années environ, une force, qui ne se manifeste que lorsque les noyaux des atomes se rapprochent trop les uns des autres. Lesch :
À l’intérieur des nuages écroulés sur eux-mêmes, les atomes se disloquent en raison de la température immense, en protons chargés positivement d’une part, et en électrons chargés négativement d’autre part. On appelle plasma cet état particulier de la matière, où les électrons existent de manière indépendante.
3.2 La nébuleuse de l’Aigle, éloignée d’environ 7 000 années-lumière dans la constellation du Serpent, est un bel exemple de région du cosmos où naissent de nouvelles étoiles. Constituéz presque exclusivement de molécules d’hydrogène, elle s’étend sur environ 20 années-lumière. Les franges filamenteuses sont des zones où les naissances sont plus nombreuses et où l’âge moyen des étoiles est de moins d’un million d’années.
Le cosmos Gaßner :
109
Les protons sont si proches les uns des autres, que la force d’attraction de leurs quarks – la force nucléaire forte – en dépit de sa portée extrêmement courte, peut alors agir sur les quarks des autres protons. Dès qu’ils sont « happés » les uns les autres, la force nucléaire forte prend le dessus sur la répulsion électromagnétique entre les protons de charges égales et les fait fusionner. Aussitôt que les constituants originellement séparés les uns des autres prennent une nouvelle configuration stable, de l’énergie est libérée. Elle résulte de l’action de la force nucléaire forte. Nous aborderons plus amplement ce sujet lorsque nous parlerons de la nucléosynthèse stellaire. Cette énergie de fusion libérée est aussi celle qui fait face à la gravitation. Elle empêche de la sorte le nuage de gaz dans son combat apparemment sans issue de s’effondrer complètement sur luimême, lui tenant tête pour une longue période. Et c’est cela que nous appelons une étoile.
3.3 La galaxie d’Andromède (M 31). Son étendue atteint environ 140 000 années-lumière. 500 milliards d’étoiles au moins tournent autour d’un trou noir central super massif, d’environ 100 millions de masses solaires. Notre voisine est aussi l’objet céleste le plus éloigné (2,5 années-lumière) qu’il soit possible de voir à l’œil nu.
110 Lesch :
Le Big Bang, le cosmos et la vie
L’histoire ne s’arrête pas là, Josef. La gravitation attend patiemment le jour où la fusion aura épuisé tout le matériau combustible. Rira bien qui rira le dernier ! Cela va encore durer un certain temps, des milliards d’années – cela dépend de la masse de l’étoile. Entre-temps, la gravitation aura rassemblé encore nombre de ces réacteurs de fusion stellaires pour en faire des galaxies ou même des amas géants, séparés les uns des autres par un espace vide sans fin. Le cosmos tel que nous pouvons l’observer aujourd’hui…
Lesch :
Et il est vraiment beau. Tout cela, on peut l’observer, dehors, on regarde le ciel et on voit des étoiles. Et si nous pouvons les observer, c’est seulement parce que entre elles, il n’y a rien pour arrêter la lumière. C’est vraiment incroyablement vide là, au dehors, mais tout de même il y a quelque chose qui se laisse observer à l’œil nu. Quelle galaxie pouvons-nous donc voir depuis la Terre ?
Gaßner :
En-dehors de la Voie lactée, tu veux dire ? Le nuage de Magellan n’est visible que depuis l’hémisphère sud. Reste alors la galaxie d’Andromède. Elle n’est visible que par des nuits très sombres et peut-être aussi, lorsqu’on a un peu trop bu.
Lesch :
Très bien. Il s’agit du ciel tel que nous le connaissons. Et c’est déjà beaucoup.
Gaßner :
Avec les étoiles, nous abordons désormais un nouveau sujet, et avec lui le processus dont elles tirent leur énergie : la nucléosynthèse stellaire.
Le cosmos
3.2
111
Vie et mort des étoiles Du grand spectacle !
3 4 Une superposition de plusieurs enregistrements de notre soleil, soleil aux lonlon 3.4 gueurs d’onde de 304,195 et 171 angströms effectuée par SECCHI Extreme UltraViolet Imager (EUVI) . On peut ainsi voir nettement les différences de température à la surface du soleil.
112
Le Big Bang, le cosmos et la vie
3.2.1 La nucléosynthèse stellaire Que la lumière soit ! Lesch :
Les étoiles méritent de notre part une attention toute particulière : elles constituent en effet les pépinières de la vie et de ses composants. Avant leur apparition, il n’existait qu’une poignée d’éléments dans l’univers. Ce fut seulement avec l’apparition de la réaction nucléaire en leur sein – appelée aussi synthèse nucléaire stellaire – que la pluralité des éléments fut forgée, tels que nous les connaissons aujourd’hui.
Gaßner :
L’homme est composé à 92 % de la poussière des étoiles, carbone, azote, oxygène, phosphore, fer, calcium, zinc, sélénium et nombre d’autres éléments. Comme l’a dit autrefois Novalis : « Toucher un corps, c’est comme toucher le ciel. » Nous savons aujourd’hui combien il avait raison.
Lesch :
Bien sûr, les éléments lourds représentent une portion ridicule dans la nucléosynthèse stellaire – l’univers est constitué à 99 pour cent d’hydrogène et d’hélium. Pour autant, ils restent irremplaçables pour l’apparition de la vie. C’est là précisément toute leur importance.
Gaßner :
Une étoile débute sa production d’éléments avec la fusion de quatre protons en un noyau d’hélium. Pour cela, la répulsion électromagnétique des deux charges de même signe doit être dépassée. La force nucléaire forte est en mesure de le faire, son rayon d’action est cependant très faible. La pression et la température à l’intérieur de l’étoile permettent aux protons de se rapprocher dans le rayon d’action de la force nucléaire forte. Elle attrape les particules et les force à s’assembler en un noyau atomique. Plus précisément, ce sont les quarks, présents à l’intérieur de chaque proton, qui collent ensemble, grâce à une colle très particulière : les gluons. Dès lors que les quarks des autres protons sont assez proches, cette colle les prend aussi. De son côté, la force nucléaire faible joue son rôle et fait se désintégrer deux protons en un neutron – notre noyau d’hélium est alors prêt. Dans le détail, cette fusion se déroule en plusieurs étapes intermédiaires que l’on appelle la chaîne p-p : du deutérium à l’hélium 3 puis à l’hélium 4. Mais pourquoi au juste cette réaction libère-t-elle de l’énergie ? Et celle-ci, d’où vient-elle ? Les protons et les neutrons sont réunis
Le cosmos
113
au cœur du noyau d’hélium par une sorte de colle, à la suite de quoi il serait justifié de considérer qu’une énergie fût nécessaire afin de décomposer le noyau à nouveau en ses parties élémentaires. Or, cette quantité d’énergie est exactement celle qui est libérée lors de la fusion. Cette énergie de liaison comme on la nomme, on la retrouve aussi dans le noyau d’hélium. Puisque l’énergie équivaut à la masse (E = m c2), le noyau fusionné pèse 0,66 pour cent moins que la somme de ses composants initiaux. Comment se figurer cela concrètement ? Notre soleil fusionne ainsi de facon gigantesque 564 millions de tonnes d’hydrogène (protons) par seconde en environ 560 millions de tonnes d’hélium. La différence de 4,3 millions de tonnes est transformée par notre étoile mère chaque seconde, en 3,85 1026 joules, sous la forme d’énergie de rayonnement. Cela correspond à plus d’énergie que n’en a libéré l’humanité dans toute son histoire, l’ensemble des peu glorieux tests atomiques y compris.
3.5 Lors de la chaîne de fusion proton-proton, les quatre noyaux d’hydrogène et les quatre protons fusionnent en plusieurs étapes en un noyau d’hélium. Le noyau ainsi formé pèse 0,66 pour cent de moins que ses produits initiaux. Ce défaut de masse est libéré sous forme d’énergie. Lesch :
En son centre – car à cet endroit seulement la température et la pression sont suffisamment élevées – notre soleil a émis depuis quatre milliards et demi d’années l’énergie de liaison d’innombrables noyaux d’hélium sous la forme de rayons gamma hautement énergétiques. Ceux-ci se heurtent inévitablement aux particules du plasma environnant le cœur, ce qui produit une pression qui stabilise le plasma contre son propre poids.
114
Le Big Bang, le cosmos et la vie
3.6 Dans les étoiles massives, la fusion de l’hydrogène est dominée par le cycle CNO, dont l’efficience dépend fortement de la température (jusqu’à T20). Lors de cette réaction en chaîne fermée, se lient successivement quatre protons à des isotopes du carbone, de l’azote et de l’oxygène. Deux protons se transforment à leur tour en neutrons, et finalement un noyau d’hélium apparaîtra comme produit de scission. Ce nouveau cycle de fusion raccourcit dramatiquement la durée de vie des étoiles massives, et vient s’ajouter aux processus qui s’accélèrent eux aussi en fonction des hautes températures correspondantes. En ce qui concerne le soleil, ce cycle supplémentaire de fusion, aussi appelé cycle de Bethe-Weizacker, joue un rôle marginal avec un pourcentage compris entre 0,8 et 1,6 pour cent de la fusion totale.
Le cosmos Gaßner :
115
Avec chaque choc, les photons transmettent de l’énergie à leurs partenaires d’interaction préférés, les électrons libres. Ceux-ci la transmettent à leur tour au reste du plasma, par chocs. Le rayonnement est donc profondément entravé dans sa dispersion par les particules directement environnantes, et il erre à l’intérieur du soleil, pendant des millions d’années, désorienté constamment par d’innombrables carambolages. Le tout à la vitesse de la lumière, s’il vous plaît ! Sans cette interminable odyssée, la vie sur Terre serait impensable. Car c’est seulement à cette condition que le rayonnement gamma mortel initial peut perdre, lors de sa quête de liberté commencée au centre de l’étoile, la quasi-totalité de son énergie pour finalement parvenir en un effort suprême à la surface, sous forme de lumière visible beaucoup plus favorable à la vie. Ajouté au rayonnement thermique du plasma, ceci représente la part d’énergie que l’étoile perd effectivement. Le reste est investi dans le combat contre l’implosion gravitationnelle, à l’exception d’un peu d’énergie due aux neutrinos, laquelle peut quitter l’étoile sans entrave.
3.2.2
Les neutrinos Sur les traces de grands intouchables
Lesch :
Les mystérieux neutrinos sont des particules élémentaires, ils n’ont donc pas de parties en lesquelles on pourrait les décomposer – pas de sous-structures. Leur masse est presque nulle et ils sont dépourvus de charge électrique. Ils apparaissent d’une façon générale lors de processus de désintégration. Dans le cas de la fusion de l’hélium, c’est la transformation de protons en neutrons, qui chaque fois produit un neutrino, lequel s’empresse alors de s’échapper, quasiment à la vitesse de la lumière.
Gaßner :
Farouches, ils sont les grands intouchables de notre univers. Rien ni personne ne semble les perturber. Leur taux extrêmement faible d’interaction leur permet d’échapper sans peine à toute influence, même dans le cœur très dense de notre soleil. Leur voyage à travers la boule de feu dure, en ce qui les concerne, moins de trois secondes. Avec eux disparaît environ un peu plus d’un pour cent de l’énergie de fusion.
Lesch :
Les neutrinos et les photons, une fois parvenus à la surface du soleil, n’ont plus qu’un saut de puce à faire pour parvenir jusqu’à nous, sur Terre :
116
Le Big Bang, le cosmos et la vie
après 8,3 minutes, ils sont là. Alors que les neutrinos volent sans entrave à travers notre entière planète, les photons, eux, sont attendus désespérément par les plantes, qui grâce à eux, à l’eau, au dioxyde de carbone et à un colorant fameux, parviennent à fabriquer de l’oxygène et du sucre. Gaßner :
À propos. Lorsque j’entendis pour la première fois parler de neutrinos lors de mes études de physique, je me suis dit : c’est complètement fou ! Lorsque tu places ton pouce en direction du soleil, il passe au travers de ton ongle, chaque seconde, 10 fois plus de neutrinos qu’il n’y a d’humains sur la Terre : 70 milliards.
Lesch :
L’histoire de leur découverte est vraiment incroyable. Nous avons déjà abordé lors de la nucléosynthèse primordiale le thème de la désintégration Bêta d’un neutron libre en un proton, un électron et un antineutrino. Lors de la découverte de ce processus de désintégration, au début de ce siècle, on ignorait encore l’existence des neutrinos. Les protons et les neutrons, eux, avaient été déjà mis en évidence en laboratoire. On connaissait l’énergie des neutrons d’une part, et on avait donc une idée précise de l’énergie que devaient avoir les autres produits de la désintégration d’autre part. Mais pris tous ensemble, ils n’avaient pas assez d’énergie. On chercha une explication : ou bien il manque ici une énergie quelconque, ou bien – et ce fut alors bien entendu une conception ridicule – on devait abandonner la loi de conservation de l’énergie, à tout le moins en ce qui concernait les processus de désintégration des plus petites particules alors connues – atomes et noyaux d’atomes. C’est alors qu’apparut mon héros favori : Wolfgang Pauli. Que cela reste entre nous ! Pauli inventa purement et simplement le neutrino, car il en avait besoin pour sauver la 3.7 Wolfgang Ernst Pauli (1900 – 1958) loi de la conservation de l’énergie. Un homme assurément très audacieux !
Gaßner :
Lorsque 20 ans après, avec la mise en évidence des neutrinos, son pronostic osé se confirma, il est censé alors avoir déclaré : « Toute chose réussit à celui qui sait attendre. » Aujourd’hui, on connaît trois formes de neutrinos et leurs antiparticules. Ils sont donc bien réels. La chose incroyable
Le cosmos
117
dans toute cette histoire, est que nous sommes à chaque instant traversés par un nombre incommensurable de neutrinos, cela fait froid dans le dos. Nous sommes habitués à nous protéger de toutes sortes de choses. Lorsqu’il s’agit des rayons gamma, nous construisons tout simplement un mur de plomb approprié. Si nous voulions nous mettre à l’abri des neutrinos, on pourrait concevoir un mur de protection similaire. Mais même si nous remplissions la totalité de l’espace qui existe entre la surface du soleil et notre planète avec du plomb, nous n’aurions pour autant qu’une protection négligeable. Lesch :
Le plomb, c’est bien connu, est un matériau très dense, mais pour les neutrinos, il ne constitue aucunement un problème. Mais s’ils n’interagissent presque pas, comment peut-on les mettre en évidence ?
Gaßner :
Pour qu’une interaction ait lieu, une masse énorme doit être préparée pour l’expérimentation. Et la mère de toutes ces expériences autour des neutrinos s’appelle Kamiokande. Le Kamioka-Nucleon-Decay-Experiment eut lieu en l’année 1982. À proximité de la commune japonaise de Kamioka, on plaça un récipient de 3 000 tonnes d’eau très pure dans une mine abandonnée, un kilomètre sous terre. Lors de l’expansion du projet en 1996 (Super Kamiokande), ce furent même 50 000 tonnes qui furent utilisées.
Lesch :
Il n’y a que les Japonais pour pouvoir se payer cela – aujourd’hui cela ne serait probablement plus finançable. Pourquoi aller si loin sous terre, au fond d’une vieille mine ?
Gaßner :
Le procédé de mesure est si sensible, qu’il doit être protégé du rayonnement cosmique qui se manifeste partout à la surface de la Terre.
Gaßner :
Ce furent les Américains qui firent le premier pas, dans une mine du Dakota Sud, la Homestake-Mine à 1 500 mètres de profondeur. Là, ils placèrent un réservoir de 380 000 litres rempli de tétrachlorure – du débouchant liquide, en somme. Il faut toute une éternité, ou presque, pour qu’un neutrino transforme un atome de chlore 37 en un atome d’argon 37. En Italie également, sous le massif montagneux du Gran Sasso, à l’intérieur d’un système de tunnels, un processus similaire change le gallium 71 en germanium 71. Le laboratoire est directement accessible par l’autoroute qui traverse la montagne en son milieu.
118
Le Big Bang, le cosmos et la vie
3.8 La mine japonaise abandonnée du Kamioka-Mozumi, 1 000 mètres sous un massif montagneux, pendant sa construction et après la pose des 11 000 détecteurs de neutrinos.
3.9 3 9 Après A è la l phase h terminale, t i l remplie li avec 50 000 tonnes d’eau très pure. Avant et après le remplissage, on nettoie les photomultiplicateur (ci-contre).
Le cosmos
119
3.10 Après l’effort, enfin la récompense. Enregistrement original d’une pluie de photons, déclenchée par une réaction de neutrinos. Des particules chargées (muons ou électrons) sont produites par différentes réactions, et elles se propagent dans l’eau plus vite que la vitesse de la lumière. Ceci ne contredit aucunement la thèse de la vitesse maximale possible dans l’univers, c’est-à-dire la vitesse de la lumière dans le vide (3 .10 8 m/s), car la lumière, dans l’eau, ne peut se déplacer qu’à la vitesse de 2,25 .10 8 m/s, et pour cette raison demeure en deçà de la vitesse maximale absolue. Sa vitesse peut donc être dépassée. En frôlant les molécules d’eau, les particules chargées dévient leurs électrons, lesquels en retournant à l’état initial libèrent des photons. Ce rayonnement devrait normalement autointerférer, c’est-à-dire s’annihiler lui-même à la vitesse de la lumière. En raison du déplacement des particules à une vitesse supérieure à celle de la lumière dans le médium, le rayonnement est généré plus vite qu’il ne peut interférer. Les particules poussent devant elles cette lumière en forme de cône, un peu comme une onde de choc devant un avion supersonique dans l’air. On nomme la lumière bleue qui en résulte la lumière de Cherenkov, d’après son découvreur Pavel A. Cherenkov. Lesch :
Josef, laisse-moi expliquer à nos lecteurs ces chiffres, probablement désorientants, placés après les éléments, et qui en caractérisent le nombre de nucléons. Chaque élément a un nombre fixe de protons en son noyau, et c’est ce qui détermine sa place dans le système périodique. Le chlore par exemple possède 17 protons. Le nombre de neutrons, quant à lui, n’est pas clairement fixé. La plupart des atomes de chlore possèdent 18 neutrons, mais un sur quatre en possède 20. Pour différencier ces différents isotopes, on place derrière eux le nombre de leurs nucléons, qui indique le nombre total de protons et neutrons. Dans le cas du chlore 37 par exemple, il s’agit d’un isotope de chlore avec 17 protons et 20 neutrons.
Gaßner :
Merci Harald. En pleine euphorie de neutrinos, j’ai oublié d’expliquer ceci. Les recherches dans des mines abandonnées furent finalement dépassées par l’expérience du IceCube, laquelle se déroule depuis quelques années au pôle Sud. Là, on a équipé un cube de glace d’un kilomètre cube avec des appareils de mesure. Pour ce faire, on perça
120
Le Big Bang, le cosmos et la vie
avec de l’eau chaude 86 trous pour y enfouir 5 000 senseurs. Ils enregistrent le faible cône de lumière que les neutrinos produisent, extrêmement rarement, lors de leur passage dans la glace. Le tout a lieu à une profondeur variant entre 1,5 et 2,5 km, car la glace à cette profondeur est si dense, qu’elle est suffisamment transparente pour les appareils de mesure. La distance moyenne que la lumière traverse sans entrave dans un tel environnement est d’environ 100 mètres. Sur ces 100 mètres, elle doit avoir alors atteint un des amplificateurs de photons, qui amplifient la douce lumière de Cherenkov pour en faire un signal sûr. Lors de la mise en route du dispositif, on a pu constater une chose étonnante : il arrive que les neutrinos à haute énergie émettent dans la glace un bruit caractéristique. On cherche encore à établir si ce signal acoustique pourrait être utilisé pour leur détection. Mondialement, nous sommes bien équipés avec tous ces détecteurs. Jour après jour, ils mettent en évidence un neutrino ou un autre. Effectivement, on en mesure peu. Haim Harari, un physicien des particules élémentaires a dit une fois : « La physique des neutrinos, c’est l’art d’apprendre beaucoup, sans rien observer du tout. » Ou comme tu l’as dit si joliment dans une conférence en paraphrasant Karl Kraus : « La physique du neutrino, c’est l’art de faire des boucles à un chauve. » Lesch :
Karl Kraus a dit beaucoup de belles choses. Bien qu’il n’ait eu aucune idée de l’existence des neutrinos.
3.11 Un des 5 000 amplificateurs enfouis au pôle sud entre 1 450 et 2 450 mètres.
Le cosmos
121
Gaßner :
Nous avons affaire avec une particule, qui fut d’abord inventée, pour expliquer un processus et « sauver » une loi physique essentielle. Ce n’est qu’ensuite que la particule fut découverte. Les premières expérimentations ont été faites environ 20 ans après son invention officielle. Ensuite, les astronomes débarquèrent et affirmèrent que si ces neutrinos existaient bien, ils devaient être produits par les réactions nucléaires au cœur des étoiles. Si l’on réussissait alors à mettre en évidence ces neutrinos, on pourrait enfin regarder à l’intérieur du soleil. On aurait alors une preuve directe que notre soleil est un réacteur de fusion.
Lesch :
Et c’est bien entendu au pôle Sud et non au pôle Nord qu’ils ont installé le dispositif expérimental IceCube. Au pôle Nord en effet, le changement climatique aura fait fondre la glace un jour ou l’autre. Les physiciens des particules élémentaires eux aussi doivent s’orienter d’après l’avenir du climat sur la Terre.
Gaßner :
Au pôle Sud non plus, le IceCube ne durera pas une éternité. La dérive naturelle de la glace l’aura détruit d’ici 10 ans.
Lesch :
J’espère que nous aurons, d’ici là, assez de mesures. Où en sommesnous actuellement avec la masse du neutrino ? Il y a bien eu en 2015 un prix Nobel de physique pour le Japonais Takaaki Kajita et le Canadien Arthur McDonald, n’est-ce-pas ?
Gaßner :
Nous savons que les neutrinos sont dépourvus de masse, parce qu’ils se transforment les uns dans les autres : on parle ainsi d’oscillation du neutrino. Il existe trois familles de neutrinos : tau-, muon- et électron-neutrinos. Lors du calcul de la probabilité de transformation apparaît un facteur avec la différence de masse, ce qui signifie que les masses des familles de neutrinos doivent différer, sinon la probabilité de transformation serait nulle. De la sorte, seule une famille de neutrinos peut être sans masse.
Lesch : Gaßner :
Et d’où savons-nous qu’ils se transforment les uns dans les autres ? Tout commença lorsqu’on constata que nous observions seulement deux tiers des électrons-neutrinos provenant du soleil relativement à ce que nous aurions dû mesurer théoriquement, compte tenu des réactions de désintégration en son cœur. De surcroît, le soleil ne devrait
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
théoriquement émettre aucun tau-neutrino et aucun muon-neutrino. Au Sudbury Neutrino Observatory – une mine désaffectée également – le groupe de recherche du Canadien McDonald put pourtant mettre en évidence des réactions avec des tau-neutrinos et muons-neutrinos. Pour l’expérimentation, ils remplirent les réservoirs non avec de l’eau très pure H2O, mais avec D2O, de l’eau lourde, dont le noyau d’hydrogène contient un neutron supplémentaire. En procédant de la sorte, il n’est pas possible de faire la différence exacte entre les différentes sortes de neutrinos, mais on peut à tout le moins établir s’il s’agit d’un électron-neutrino ou d’un neutrino quelconque. En partant de la différence de ces mesures, cela donne le nombre des neutrinos qui ne sont pas des électrons-neutrinos. La seconde clef du succès nous fut donnée cette fois par les chercheurs placés sous la direction de Kajita au Super-Kamiokande. Là, s’il n’est pas possible de mettre en évidence les tau-neutrinos, on peut par contre établir la direction des muons-neutrinos et électrons-neutrinos qui arrivent, grâce à la trace lumineuse qu’ils laissent dans l’eau. Pour que les neutrinos puissent générer la lumière de Cherenkov, ils doivent être chargés d’au moins 5 MeV (mégaélectronvolts) – une très haute énergie. En deçà de ce seuil énergétique, les réservoirs restent aveugles. Lors du procédé de transformation chimique du chlore en argon et du gallium en germanium, le seuil critique est cette fois bien plus bas, généralement autour de quelques centaines de keV (kiloélectronvolts). Mais dans ce cas, on ne peut que compter les neutrinos, pas plus. Kajita put alors établir que les muons-neutrinos qui apparaissent lors de l’interaction du rayonnement cosmique avec l’atmosphère, sont statistiquement plus nombreux lorsqu’ils proviennent d’en haut que d’en bas, après qu’ils aient traversé la planète entière. Les deux expériences prises ensemble conduisirent ainsi au résultat suivant : les neutrinos se transforment les uns dans les autres, par exemple au cœur de notre planète. Lesch : Gaßner :
Des vrais particules fantômes ! En prime, j’ai quelque chose d’intéressant : les neutrinos nous fournissent la seule possibilité à ma connaissance de pouvoir différencier dans l’univers la droite de la gauche. Si nous parvenions véritablement un jour à communiquer avec des extraterrestres et devions leur expliquer le sens dans lequel tournent nos horloges, il me viendrait à l’esprit
Le cosmos
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seulement l’exemple des neutrinos. Ils ont en effet la particularité de tourner toujours sur eux-mêmes vers la gauche, relativement à leur vol. Les neutrinos à gauche donc, les antineutrinos vers la droite… Lesch :
Les neutrinos ne tournent jamais vers la droite ?
Gaßner :
C’est ça. Il s’agit d’une propriété quantique qui leur est propre, que l’on appelle hélicité. Elle fut mesurée par Maurice Goldhaber. C’est qu’il nous arrive de faire des erreurs aussi. Je dis volontairement « nous », car lorsqu’il s’agit de progrès de la science, c’est toujours d’un « nous » qu’il s’agit. La paternité du succès est revendiquée par beaucoup, l’échec quant à lui, n’a qu’un seul père. Je me rappelle l’expérimentation Opéra. Pendant près d’une demi-année, on fut persuadé que les neutrinos pouvaient se déplacer à une vitesse supérieure à la vitesse de la lumière. On fit alors des mesures, de la Suisse jusqu’au Gran Sasso, le long d’un parcours de 730 km. Les neutrinos prirent naturellement le chemin le plus court à travers la croûte terrestre. Et effectivement, les neutrinos semblaient parvenir à destination 60 nanosecondes trop tôt, c’est-à-dire avec une vitesse de 1,0025 fois celle de la lumière.
Lesch :
Pour le dire franchement, je n’ai jamais compris comment on peut mesurer si exactement la vitesse des neutrinos, alors qu’ils interagissent à peine.
Gaßner :
Le pourcentage d’interaction augmente en fonction de leur énergie. Bien entendu, ils n’apparaissent dans la nature le plus souvent qu’avec quelques mégaélectronvolts, tout au plus. Pour des mesures de précision comme dans le cas de l’expérience Opéra, on crée artificiellement des neutrinos à haute énergie de plusieurs gigaélectronvolts. Pour ce faire, on accélère fortement des particules comme les muons que l’on projette ensuite sur une plaque de graphite. La cascade de réactions de désintégrations qui s’en suit produit des neutrinos à haute énergie avec un pourcentage d’interactivité clairement supérieur.
Lesch :
Tous ces efforts furent finalement vains. Un câble défectueux destiné à la mesure du temps de parcours fut en fin de compte la cause de l’écart mesuré. Voilà qui fut bien embarrassant pour toute la communauté scientifique. Cela aurait pu être évité par un travail propre et sérieux de recherche. Que je me fasse bien comprendre, Josef : bien sûr il y a tou-
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
jours des erreurs. Elles sont même le moteur de la recherche scientifique. Mais avant de se précipiter sur l’espace public pour publier, on devrait auparavant prendre le temps de bien vérifier ses résultats. Gaßner :
Sur ce point, tu te serais très bien entendu avec Erich Kästner : « Les erreurs ont leur valeur propre, mais seulement ici ou là. Il n’est pas donné à quiconque qui part pour l’Inde, de découvrir l’Amérique. » En tous cas, je ne comprends pas comment une telle erreur a pu perdurer si longtemps. Nous autres astronomes, nous avons au moins pu lui opposer une claire observation. En effet, les neutrinos et les photons de la supernova 1987A nous ont atteints pratiquement en même temps. Si les neutrinos n’étaient effectivement point parvenus à distancer les photons pendant ce parcours du marathon de 160 000 années-lumière, alors comment se pourrait-il donc qu’ils franchissent, lors d’un sprint court de 737 km, la ligne d’arrivée les premiers ?
Lesch :
Cela présuppose une certaine confiance, en un temps où la rationalité économique de la science génère toujours plus de concurrence, où toujours plus souvent « être le premier » est ce qui compte, tout comme le fait d’être le plus efficace possible dans la communication avec le grand public. Ce faisant, il arrive qu’on sacrifie au passage les standards scientifiques. Il est souvent plus question de relations publiques que d’analyses solides et différenciées ou de recherches critiques. Plus de Hollywood que de science, en somme.
Gaßner :
Tout au moins le contribuable peut-il voir de cette façon à quoi sert son argent, et ce qu’il en adviendra à la fin.
Lesch :
C’est le seul point positif dans tout cela. Cela explique en partie, un peu comme dans le secteur économique, les modifications frauduleuses d’un chiffre ou un autre. Même l’espionnage scientifique est devenu aujourd’hui un sujet. Peut-être devra-t-on à l’avenir informer tous les auditeurs d’une conférence, que personne n’est autorisé à faire des photographies ou quelques copies électroniques que ce soit. Cela signerait la fin de la recherche transparente et libre, la fin de la recherche concernant les fondements du monde.
Gaßner :
Mais comment pouvons-nous résister à « l’économisation » de la science ? Comment donc conserver les résultats de la recherche comme
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monnaie propre à la science, sans avoir à payer avec les mêmes pièces que celles qui circulent sur le marché ? C’est que la science coûte assurément de l’argent. Lesch :
Cela peut seulement fonctionner si nous ne cédons pas face à la mentalité de concurrence. Dès que je considère un autre groupe de chercheurs non plus comme collègues, mais comme concurrents, alors je ne suis plus libre dans ma recherche. Dans le pire des cas, il me faut même taire mes résultats, pour que les autres ne puissent point en tirer profit. C’est pourquoi il est si important de couper l’herbe sous les pieds du système, peut-être même de conserver une attitude naïve, afin de ne pas nous laisser corrompre par les promesses financières des donneurs de fonds. À ceci s’ajoute, qu’il faut d’abord publier ses résultats pour la communauté scientifique et en discuter, afin d’informer les collègues des procédés, des résultats et surtout des points critiques des recherches. On attend d’abord les commentaires des autres. Il est alors encore temps de se tourner vers le grand public pour présenter ses découvertes les plus récentes sur fond de trompettes et de feux d’artifices.
Gaßner :
Les prix scientifiques renommés et les récompenses ne font que jeter un peu plus d’huile sur le feu. Celle de l’investisseur russe Juri Milner est, à elle seule, dotée de 3 millions de dollars américains et le prix Nobel a lui aussi depuis longtemps dépassé le plafond du million d’euros. Cela stimule assurément la volonté d’être le ou les premiers. Les scientifiques sont eux aussi des femmes et des hommes comme tout le monde.
Lesch :
Ce sont presque des offres moralement malhonnêtes. La science actuelle a effectivement un côté très sauvage. C’est pourquoi je loue la bonne vieille physique des astres. Les étoiles sont incorruptibles. Quatre protons fusionnent en un noyau d’hélium. On sait toujours à combien on a affaire. La physique des étoiles, c’est de la physique nucléaire. Revenons-y ! Nous en étions restés à l’apparition de la lumière du soleil au cœur du plasma de notre étoile. Il faut se représenter la chose ainsi : le photon démarre de l’intérieur de l’étoile comme quanta Gamma. Hautement énergétique et encore sauvage, il veut voir le monde entier. Et lorsqu’enfin il sort de l’étoile, il a tout perdu ! Parti avec tant d’énergie, il arrive bon dernier ! Toujours est-il qu’après un court vol, il est accueilli sur la planète numéro trois par les plantes avec des acclamations de joie :
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« Tu tombes bien. Je voulais depuis longtemps finir ma molécule de glucose. » N’est-ce pas là une histoire merveilleuse, où ce qui il y a juste un instant encore passait pour un échec complet, se révèle alors constituer une réussite totale ? C’est formidable ! J’ai peine à comprendre que tu puisses nous présenter cela aussi calmement. Gaßner :
Lesch : Gaßner :
Ce qui me fascine avant tout, c’est la chaleur que les photons produisent directement sur ma peau. Alors il m’arrive parfois de songer à la durée titanesque de leur voyage au cœur de notre soleil, à leurs trajectoires sans cesse follement perturbées. Finalement, après des millions d’années, ils rencontrent mon visage et je me demande alors : Quels autres visages rencontreront donc les photons qui viennent, en ce moment précis, de débuter leur long voyage ? Tu veux parler de ceux qui parviendront jusqu’ici après leur Odyssée ? Et tout d’abord, y aura-t-il encore des hommes sur cette planète ?
Lesch :
Quelqu’un qui aura à se plaindre de coups de soleil ? Si l’on se penche sur le monde microscopique, alors la tête nous tourne bien vite. On saisit combien nous sommes liés à cette complète évolution cosmique, puisque nous nous trouvons constamment au beau milieu de ce courant d’énergie. Nous sommes vraiment les enfants des étoiles, comme on le dit souvent sans y penser. Car c’est une relation cosmique bien réelle qui existe entre la lumière d’une étoile et une rose éclose sur la planète Terre ! Mais qu’adviendra-t-il lorsque la réserve de protons au centre de l’étoile aura complètement été transformée en hélium ?
Gaßner :
Heureusement, cela ne touchera notre soleil qu’au plus tôt dans 5 milliards d’années. C’est la force nucléaire faible qu’il faut ici remercier, laquelle transmue deux protons en deux neutrons pour assurer un cycle de fusion réussi. Ce processus est si peu efficient, qu’une unique tentative sur un trillion (1018) conduit à une fusion. Si l’on suivait à la trace un proton particulier dans l’étoile, on devrait attendre environ pendant un temps correspondant à l’âge de l’univers. Ce frein oblige à une utilisation économique du combustible et assure de la sorte une longue vie à notre soleil. Qu’un tel processus puisse avoir lieu, une étape intermédiaire nécessitant plus de temps qu’il ne s’en est écoulé jusqu’ici depuis le début de l’univers, constitue déjà une chose en soi remarquable. Mais ce n’est pas tout : car
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l’étoile ne baisse pas les bras aussi vite. Avec ses 10 56 protons au moins, elle procède par seconde à tant de tentatives, qu’elle atteint finalement malgré tout un pourcentage suffisant de fusions réussies. Lesch :
Mais tout cela aura aussi une fin. Car l’étoile connaît finalement une crise, une crise énergétique. Sans le rayonnement que produisait la fusion, la gravitation prend à nouveau le dessus. Et la boule gigantesque s’écrase à nouveau sous l’effet de son propre poids. Ce faisant, la densité et la température augmentent en son centre.
Gaßner :
À partir de 100 millions de degrés Kelvin, la fusion nucléaire peut « passer la seconde » – la fusion des noyaux lourds d’hélium cette fois, principalement en carbone et oxygène. L’énergie qui est libérée lors de ce processus met fin à la contraction du centre et stabilise à nouveau l’étoile. Cela ne dure que quelques millions d’années, jusqu’à ce que les réserves d’hélium soient elles aussi épuisées, car dans l’étoile, chaque étape de fusion est moins efficiente que la précédente.
Lesch :
Ce qui arrivera ensuite dépendra avant tout de la masse de l’étoile. En effet, sa masse détermine la vitesse à laquelle les éléments seront générés. Une masse plus importante comprime davantage le four central et augmente le taux de fusion. En ce qui concerne notre soleil, il n’y aura pas d’autres phases de fusion supplémentaires. Nous avons une étoile de classe moyenne supérieure. Les phases supplémentaires de combustion ne concernent que les objets plus lourds de la gamme supérieure.
Gaßner :
Une étoile appartenant à la classe supérieure, par exemple une étoile deux fois plus lourde que notre soleil, ne vit qu’un milliard d’années – notre soleil au contraire aura brillé en tout 10 milliards d’années avant de disparaître. Il a déjà épuisé une bonne moitié de sa durée de vie. Il existe même des étoiles qui sont 50 ou 100 fois plus massives que le soleil. Elles ne vivent que quelques millions d’années.
Lesch :
Un bel exemple de réduction de la durée de vie pour cause d’obésité. Il en est pour les étoiles comme pour les humains !
Gaßner :
Une masse importante chauffe donc fortement le noyau. Ce qui fait que les processus de fusion deviennent clairement plus efficients, car ils dépendent directement de la température. Bien qu’il y ait beaucoup plus
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de matière, les réserves ne suffisent que peu de temps. On pourrait comparer cela avec les voitures haut de gamme. Elles ont elles aussi besoin de plus de combustible et bien qu’elles possèdent un réservoir plus grand, leur rayon d’action est plus court en comparaison. Rien de surprenant compte tenu de leur vitesse et de leur poids. Lesch :
Combien pèse l’étoile la plus lourde que nous ayons trouvée jusqu’ici ?
Gaßner :
L’observatoire Européen-Sud découvrit en 2010 l’étoile R 136a1 dans le Grand Nuage de Magellan, plus précisément, dans la nébuleuse de la Tarentule. Nourrisson d’un million d’années, elle est déjà à la tête du hit-parade en ce qui concerne sa luminosité et sa masse. Elle dépense sans compter : elle a déjà brûlé 55 bonnes masses solaires. Pourtant, elle pèse encore 265 masses solaires. Incroyable !
Lesch :
À l’intérieur de telles étoiles, presque toutes les réactions nucléaires possibles peuvent se déclencher facilement. Notre dispensateur d’énergie, quant à lui, est en comparaison bien frêle, et pour lui, tout s’arrêtera après la combustion de l’hélium. Notre soleil se transformera alors en une géante rouge, pour ensuite s’écrouler sur lui-même en une boule de matière très chaude de quelques kilomètres de diamètre et, finalement, refroidir doucement.
3.2.3 Des géantes rouges aux naines blanches
Les voyages de Gulliver Gaßner :
Sans donner aucune explication supplémentaire, il n’est encore pas très clair pourquoi une étoile devrait soudainement gonfler violemment. Cela reste à expliquer, ne crois-tu pas Harald ?
Lesch :
C’est juste. Je m’exécute immédiatement. En principe, il suffit d’une température suffisante dans le noyau pour que la fusion puisse avoir lieu. Lorsque le combustible a été utilisé, c’est-à-dire lorsque l’ensemble de l’hélium a été transformé en carbone ou en oxygène, la gravitation comprime alors l’étoile et la chauffe. Cela dure jusqu’à ce que l’enveloppe autour du noyau, jusqu’ici trop « froide » et donc contenant encore de l’hélium, atteigne alors à son tour une température suffisante pour la fusion.
Le cosmos
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Lesch :
Dès que l’hélium de cette enveloppe a été lui aussi épuisé, la gravitation chauffe à nouveau en comprimant, jusqu’à ce que la fusion soit possible dans la couche suivante, plus vers l’extérieur. La couche en fusion se déplace donc doucement vers l’extérieur.
Gaßner :
L’allumage de l’enveloppe d’hélium se produit très brusquement. Plus ces flashes ont lieu vers la périphérie, moins la pression de la masse extérieure est grande. Le plasma suit l’onde de choc, jusqu’à ce que les forces dirigées vers la périphérie et celles dirigées vers le centre atteignent un nouveau point d’équilibre. L’étoile adopte alors une nouvelle configuration beaucoup plus grosse : une géante rouge. Il faut s’imaginer notre soleil parvenu à ce stade : il atteindra pratiquement notre planète. Alors, les choses deviendront ici véritablement inconfortables. La vie sur la Terre prendra alors fin : In the long run we are all dead (John Maynard Keynes : « Sur le long terme nous serons tous morts »). Couches d’hydrogène en fusion
Couches extérieures de l’étoile
Noyau d’hélium
3.12 La combustion en couches successives de l’hydrogène : Après que l’hydrogène a fusionné en hélium au centre de l’étoile, la contraction due à la gravitation la chauffe à nouveau. Avant d’atteindre les 100 000 millions de degrés Kelvin, température minimale pour passer à la seconde vitesse, c’està-dire la fusion de l’hélium en carbone, la fusion de l’hydrogène en hélium se déclenche cette fois dans une enveloppe sphérique autour du noyau originaire. Les conditions de pressions changent en raison du déplacement continu de l’enveloppe vers l’extérieur et de ce fait font gonfler l’étoile.
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130 Lesch :
À tous les passionnés de vacances : il vous faudra avoir quitté la Terre d’ici là. Mais nous savons déjà grâce au roman de Douglas Adams Per Anhalter durch die Galaxis (« À travers la galaxie en stop »), qu’il y a, bien sûr, d’autres voies de salut épatantes. La déviation intergalactique est déjà en construction et alors on va pouvoir partir, tout simplement, et trouver quelque chose de neuf. Notre recherche de planètes nouvelles va justement bon train, et avant d’en arriver là, nous aurons trouvé une autre planète, c’est certain. Le seul problème que l’on peut encore raisonnablement évoquer est celui des ordinateurs, au développement desquels nous œuvrons tant, qui seront finalement assez intelligents pour ne pas nous laisser monter à bord. Eux voudront partir les premiers, et nous, nous devrons rester ici.
Couches de l’étoile
Couches d’hydrogène en fusion
Couches d’hélium en fusion
Noyau carbone/oxygène
3.13 La combustion de l’hélium : après la fusion dans le noyau de l’hélium en carbone, puis en oxygène, l’implosion gravitationnelle allume de nouvelles réactions de fusion dans la couche enveloppant le cœur de l’étoile. Cela fait gonfler l’étoile. Le changement brusque de combustion, en passant de la fusion de l’hydrogène à celle de l’hélium, déstabilise l’étoile et peut occasionner un déplacement général de ses enveloppes, voire même son explosion complète qui conduit alors à la formation d’une nébuleuse planétaire.
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Gaßner :
Espérons qu’il n’en sera rien. « Résidence secondaire chic située en plein cœur de l’été éternel de Gliese 667Ce. » Une annonce dans le journal de l’immobilier intergalactique pourrait bien, dans quelques millions d’années, s’intituler de la sorte. Cette planète est en co-rotation avec une de ses trois étoiles-mères, c’est-à-dire qu’elle lui présente toujours la même face, exception faite de quelques variations minimes. Qui l’aime chaud et ensoleillé doit vite prendre sérieusement à la lettre l’annonce dont il est question ici. Le matin, il sera certes difficile de s’extraire de son lit, à tout le moins jusqu’à ce que l’on se soit accommodé à la gravitation plus importante. Mais comme compensation, la terrasse nous donne l’occasion irremplaçable d’admirer, le soir venu, pas moins de trois couchers de soleils en même temps.
Lesch :
Notre astre solaire, à la fin, n’offrira quant à lui, qu’une mince compensation à ses exilés ; une scène ou un stade immense pour un grand spectacle laser : une nébuleuse planétaire. Cette dénomination est maladroite, car cela n’a de façon générale rien à voir avec les planètes. Plus la force gravitationnelle des couches extérieures de l’étoile perd en intensité, plus l’étoile se gonfle. De plus, les brusques passages successifs de la combustion des couches d’hydrogène à la combustion des couches d’hélium déstabilisent l’étoile. L’enveloppe peut alors ou bien dériver complètement, ou bien complètement exploser, et il ne reste finalement qu’un noyau ayant épousé la forme d’une naine blanche. Sa température extérieure peut atteindre les 10 000 kelvins. Le rayonnement qui en résulte illumine l’enveloppe à la dérive, formant un spectacle lumineux grandiose, qui dure en général 50 000 ans.
Lesch :
Nous avons jusqu’ici observé 200 de ces nébuleuses planétaires et elles offrent toutes un spectacle inégalable. Ma préférée est la nébuleuse de l’hélice. Éloignée de 700 années-lumière, elle est entre toutes les nébuleuses la plus proche de nous. Comment se sont constituées les formes fascinantes qu’elle arbore, cela reste une question qui n’a pas encore été complètement élucidée à ce jour. Probablement que les champs magnétiques jouent, ici, un rôle de premier ordre. Si je devais nommer une nébuleuse planétaire à cet égard, ce serait la nébuleuse de l’anneau.
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Le cosmos
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3..15 3 3.15 5
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3.17
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3. 8 3.18
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3.19 3.
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Le cosmos
3.20 3 3.20 0
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3.21 La nébuleuse de l’Esquimau (NGC 2392) dans la constellation des Jumeaux, à environ 3 000 années-lumière de distance, fut découverte dès 1787 par l’astronome Wilhelm Herschel. Cette nébuleuse de 0,7 année-lumière d’étendue est apparu il y a environ 10 000 ans, lorsque l’étoile centrale de la grosseur du soleil rejeta ses enveloppes. Probablement, ses enveloppes concentriques s’éloignent-elles à des vitesses différentes, alors que la naine blanche très chaude les fait lumineusement rayonner.
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3.22 La nébuleuse de l’Œil de Chat (NGC 6543) à une distance de 3 000 annéeslumière environ. L’étoile centrale est seulement grosse comme la moitié de notre soleil, mais est caractérisée par une température de surface de 80 000 kelvins. Probablement s’agit-il d’une des parties d’un système stellaire binaire. Les perturbations régulières qui frappent ses couches extérieures, dues à l’étoile qui l’accompagne et au vent stellaire soutenu, ont fini par former cette structure étrange.
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3.23 La nébuleuse de l’Œil Étincelant (NGC 6751) dans la constellation de l’Aigle constitue en fait une réjection de gaz de l’étoile chaude au centre. Sa distance est d’environ 6 500 années-lumière, son étendue de 0,8 année-lumière, et sa vitesse de propagation de 400 km/s. Elle fut découverte en 1863 par Albert Marth.
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3.24 La nébuleuse de l’Insecte (NGC 6302) dans la constellation du Scorpion, à environ 4 000 années-lumière de distance, photographiée par le télescope spatial Hubble. La température de surface de la naine blanche au centre (ici occultée par un anneau de poussière très dense) atteint une valeur inhabituellement élevée : 250 000 kelvins et la fait ainsi rayonner dans l’ultraviolet.
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3.2.4
Supernova La grande fanfare
Gaßner :
Nous en avons fini avec notre soleil, mais que se passe-t-il au juste avec les étoiles de masse nettement supérieure ?
Lesch :
Pour celles d’au moins huit masses solaires, la forge des éléments continue de bon train. Les fusions nucléaires suivent un ordre précis : le carbone, le néon, l’oxygène et le silicium. À chaque fois la fusion au centre s’interrompt, le noyau alors se comprime et devient plus dense et plus chaud jusqu’à déclencher de nouveaux processus de fusion. Et le manège de ces fusions tourne toujours plus rapidement, la réaction finale ne dure que quelques heures.
Gaßner :
Arrivé au fer, cela s’arrête définitivement, car les éléments plus lourds ne fournissent plus d’énergie lorsqu’ils fusionnent. À la fin, on obtient un noyau en fer, entouré de différentes enveloppes déterminées, à l’intérieur desquelles la température est encore suffisante pour maintenir la réaction de fusion correspondante. La structure de l’étoile ressemble à celle d’un oignon.
Lesch :
Et bien sûr, vous allez alors rétorquer qu’il existe d’autres éléments plus lourds que le fer, par exemple l’or, l’argent et le plomb. C’est juste, mais ils proviennent tous d’une autre phase bien particulière de la vie d’une étoile : l’explosion en supernova.
Gaßner :
Lorsqu’à l’intérieur un noyau de fer s’est formé et que d’autres phases de fusion ne sont plus possibles, alors l’étoile s’effondre sur elle-même définitivement. Ses enveloppes extérieures s’écroulent sur la partie centrale et compriment toujours plus les éléments qui la constituent – des noyaux de fer et des électrons principalement. Nous avons précédemment évoqué ce qui advient alors. Vous souvenez-vous, lorsque nous nous frappions le crâne avec un livre ? Il y avait la pression de Fermi d’une part, que nous avions comparée à une sorte de claustrophobie et qui exige un minimum de distance entre les électrons lors de leur compression, et d’autre part le repoussement mutuel des charges de même signe. Les deux effets conjugués produisent une sorte de barrière. Notre tête ne peut pas traverser le livre. En d’autres termes : on se cogne le crâne...
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Couches d’hydrogène en fusion
hydrogène pas encore entré en fusion
Couches d’hélium en fusion Couches de carbone en fusion Couches d’oxygène en fusion Couches d’azote en fusion Couches de magnésium en fusion
Couches de silicium en fusion noyau de fer
3.25 Les étoiles très massives sont traversées par toute une suite de phases de fusion jusqu’à la formation d’un noyau de fer. La température de l’étoile chute en allant vers l’extérieur. Les réactions de fusions qui peuvent encore justement se produire à une température donnée s’ordonnent dans les enveloppes sphériques autour du noyau suivant ce principe. Le résultat obtenu constitue une structure en oignon. Lesch :
Il en va également de la sorte pour les enveloppes qui s’effondrent sur le centre. Elles ne peuvent plus pénétrer à volonté dans la partie centrale faite de fer et d’électrons.
Gaßner :
Ce qui se produit alors est comparable à un effet de trampoline. En principe, il devrait y avoir un équilibre entre les forces internes et externes, comme dans le cas d’un sportif, qui tranquille, se tient sur son trampoline et déforme de son seul poids la toile tendue. Si le même sportif, cette fois, saute sur le trampoline d’une hauteur plus grande – donc avec une énergie cinétique plus grande – il dépasse alors ce niveau d’équilibre et rebondira pour finir. Pour l’enveloppe de l’étoile qui s’écoule, cela correspond alors à un rebond de plusieurs milliers de
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Énergie moyenne de liaison par nucléon (MeV)
kilomètres par seconde. Ce faisant, elle rencontre de plein fouet d’autres enveloppes qui continuent à s’écouler sur le centre. L’étoile se chauffe alors tant, qu’en l’espace de quelques minutes, dans une phase de fusion explosive, les éléments plus lourds que le fer se forment. C’est le supplément d’énergie fournie par l’explosion qui rend en premier lieu possible ces réactions de fusion. Un grand nombre de neutrons sont libérés et se retrouvent alors à proximité immédiate des noyaux. De plus, les processus de désintégration qui suivront assureront la très grande variété des éléments générés. Enfin, la supernova de type II, c’est le nom qu’on lui donne, propulse tous ces éléments dans le vide spatial – en fait la totalité des éléments du système périodique.
Désintégration du noyau
Fusion du noyau
Nombre de nucléons (A) = protons + neutrons
3.26 L’énergie libérée par les réactions nucléaires correspond principalement aux différentes énergies de liaisons des produits de départ relativement aux produits d’arrivée. L’énergie de liaison moyenne par nucléon augmente de l’hydrogène jusqu’au fer, c’est-à-dire que dans cette partie du graphique, les noyaux ont une énergie de liaison plus grande que celle de la somme de leurs composants initiaux. Cette énergie peut être libérée par fusion. Au-delà du fer, l’énergie de liaison moyenne par nucléon diminue toujours plus, jusqu’à l’uranium. Dans cette autre partie du graphique, il est énergétiquement plus rentable de fissionner des gros noyaux lourds en noyaux plus légers.
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Lesch :
Et que devient notre trampoline ou pour le dire plus justement la partie centrale de ce qui constituait auparavant une étoile ?
Gaßner :
La boule de fer au centre de la supernova souffre abondamment en raison des enveloppes successives de matière s’effondrant sur elle, et finalement, des forces gigantesques compriment les électrons jusqu’à l’intérieur des protons. Les charges opposées se neutralisent alors, à travers ce qu’on appelle une désintégration bêta inversée. Pour finir, il ne reste qu’une étoile à neutrons, c’est-à-dire un objet pesant entre une fois et demie et deux fois la masse solaire, le tout comprimé dans un rayon d’environ dix kilomètres seulement : la forme la plus dense de matière qu’il nous soit donné d’observer macroscopiquement. Par rapport à une sphère idéale, l’immense force gravitationnelle ne laisse émerger des irrégularités que de l’ordre de quelques millimètres.
Lesch :
Et par quel moyen une telle étoile à neutrons parvient-elle à se stabiliser face à la gravitation ? C’est que la fusion n’a plus lieu, elle qui aurait seule pu fournir l’énergie nécessaire à cette fin.
Gaßner :
Les étoiles à neutrons, tout comme les naines blanches, se stabilisent en premier lieu par la pression de Fermi. Cette fois-ci ce ne sont pas les électrons mais les neutrons qui sont claustrophobes. Les neutrons appartiennent également à la famille des fermions.
Lesch :
Je suis à nouveau très impressionné de constater que l’on puisse raconter tout cela sans peine. Car cela est presque difficile à croire, mais tous ces processus ont été abondamment étudiés et sont très bien connus. Disons-le encore une fois : la physique des étoiles, c’est de la physique nucléaire, et celle-ci peut s’étudier en laboratoire. Cela constitue la condition sine qua non sans laquelle nous ne pourrions comprendre des objets éloignés de nous par autant d’années-lumière. Commode, n’est-ce pas ?
Gaßner :
Oui, et bien entendu, se pose également la question de savoir comment raconter une histoire longue de plusieurs millions d’années. Évidemment, personne n’a pu l’observer. En vérité, ce sont de nombreuses étapes différentes que l’on a reconstruites en se servant des indices du présent et puis, on les laisse défiler comme autant d’images les unes après les
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autres, comme les pages d’un folioscope. Finalement, c’est le processus en son entier qui devient visible. Lesch :
C’est juste. Et l’univers a quelque chose à voir avec le cinéma. Il y a tant de choses à voir, une quantité extrêmement variée d’objets, dans toutes leurs phases de développements possibles de surcroît. Bien sûr, dans le cas précis d’une supernova, il faut parfois attendre longtemps avant d’en voir une.
Gaßner :
Théoriquement, il y en a toute une poignée par seconde. En conséquence, il s’en produit bien peu dans notre Voie lactée : une ou deux par siècle.
Lesch :
Heureusement ! Nébuleuse planétaire Étoile moyenne Géante rouge (Soleil)
Naine blanche
Étoile à neutrons nuage de poussière
Supernova Étoile massive
Géante rouge
Trou noir
3.27 Le cycle de vie des étoiles, relativement à leur masse initiale : la luminosité augmente constamment jusqu’à ce qu’une géante rouge se forme. Parvenu à ce stade, notre soleil ensuite perdra ses enveloppes et deviendra une nébuleuse. Seule une naine blanche subsistera. Les étoiles massives, quant à elles, finissent leur cycle en explosant par supernova ou en formant un trou noir.
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3.2.5
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De l’équilibre des forces aux cadavres stellaires
In the long run we are all dead Lesch :
Dans notre spectacle de cirque grandiose, il y a quelques numéros secondaires, mais intéressants, qui menacent toujours de faire disparaître la matière. Il s’agit toujours des forces en jeu. N’oublions pas : l’attraction universelle est la plus faible des forces dans l’univers.
Gaßner :
Mais nous devons beaucoup à cette faiblesse, peut-être même nous lui devons tout. Car si la gravitation n’était pas si faible, les étoiles ne seraient pas non plus si incommensurablement grosses. Car c’est bien parce qu’elle est si faible, qu’il faut au moins rassembler 1056 protons, pour qu’une étoile se mette à briller. Seulement alors, la boule de gaz est assez grosse pour s’écraser sous l’effet de son propre poids, et générer ainsi une température et une pression assez élevées pour que des noyaux d’atomes se mettent à fusionner.
Lesch :
Si la gravitation était plus forte, beaucoup moins d’atomes seraient nécessaires pour qu’une boule de gaz puisse devenir une étoile. L’étoile serait alors composée de beaucoup moins de matière. Elle conserverait cependant la même température en son noyau, et atteindrait la même efficience dans la fusion. En conséquence de quoi l’étoile aurait une durée de vie beaucoup plus courte. Dans un tel univers à gravitation plus forte, il ne pourrait y avoir de planète comme la nôtre, où en l’espace de quelques milliards d’années la vie s’est développée, de l’unicellulaire jusqu’aux plantes et aux animaux. L’étoile dispendieuse d’énergie ne vivrait tout simplement pas assez longtemps pour cela.
Gaßner :
Des hypothèses semblables pour les autres forces sont également intéressantes, car une étoile est le résultat de forces concurrentes. Elle est la résultante de la gravitation et de la pression du rayonnement qui apparaît en son centre, causée par les processus de fusion. L’efficience de la fusion nucléaire dépend de la puissance de la force nucléaire d’une part, et de la puissance de la force électromagnétique d’autre part. L’une intervient lorsque les protons sont suffisamment proches et les lie ensemble grâce à l’action de la force nucléaire faible, laquelle transforme l’un des deux
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protons en un neutron et forme ainsi un nouveau noyau atomique. C’est l’autre force, la force électromagnétique, qui fait en sorte que les protons ne soient que rarement proches les uns des autres, puisqu’il est bien connu que les charges électriques de même signe se repoussent. Seul le jeu équilibré et alterné des forces fait de l’étoile une source d’énergie durable pour la vie sous toutes ses formes. Lesch :
Sur la base de ces connaissances, on peut laisser l’imagination jouer à souhait : si la répulsion électromagnétique de deux charges du même nom était un tantinet plus faible, alors beaucoup plus de noyaux fusionneraient et le combustible de l’étoile serait épuisé en un temps beaucoup plus court. Une force nucléaire plus forte signifierait quant à elle, une combustion plus rapide et là encore, l’étoile parviendrait bien plus rapidement à son propre anéantissement.
Gaßner :
Les plantes, les animaux et la vie en général n’existent en vérité que parce que les forces dans l’univers ont rendu les étoiles possibles. Celles-ci en constituent les sources d’énergie centrales. Dès lors, si les forces étaient autres, nous n’existerions pas.
Lesch :
Il reste cependant intéressant de constater comment les quatre forces fondamentales de la physique coopèrent. Le monde physique se caractérise par un énorme réglage, lequel est, qui plus est, d’une finesse extrême. Chaque engrenage passe parfaitement avec l’autre.
Gaßner :
Cela est vraiment fascinant, en effet. À première vue, l’univers donne de lui une image extrêmement hostile à la vie, pleine de structures épouvantables : les innombrables étoiles de plasma avec leurs températures gigantesques, les pulsars avec leurs champs magnétiques destructeurs, et leurs trous noirs éternellement affamés, qui ne semblent qu’aspirer à une chose, détruire tout ce qui ose s’approcher d’eux.
Lesch :
Pire encore : l’espace entre toutes ces menaces est vide, et ce sur des échelles incommensurablement grandes, il est vide et froid, et il le devient toujours plus.
Gaßner :
Et cependant, cet univers précisément est devenu la patrie de la vie intelligente. Le jeu subtil et équilibré des forces, les proportions et les conditions de départ déterminées ont permis la formation de structures et
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une chimie complexe combinées à suffisamment de stabilité. Les structures, apparemment si hostiles à la vie, sont en vérité l’expression de la seule faiblesse de la gravitation, laquelle doit convenir d’un équilibre avec les autres forces. Pour ce faire, elle a besoin d’une masse inimaginable. C’est ce qui explique, par exemple, la grandeur gigantesque des étoiles. Comme nous l’avons déjà mentionné, il faut au moins 1056 protons, pour équilibrer gravitationnellement la répulsion électromagnétique des protons de même charge. C’est pourquoi les étoiles sont si grosses, si chaudes et si lourdes. Mais cette immense masse ne peut pas à la fin de la vie de l’étoile s’évanouir purement et simplement. Tout ce qui ne peut pas être expulsé, reste sous la forme d’un cadavre stellaire extrêmement compact – une naine blanche ou une étoile à neutrons – où la gravité, cette fois, convient d’un équilibre avec les forces de la mécanique quantique. 3.28 Les naines blanches sont généralement aussi grosses que notre planète Terre. Elles pèsent également environ une masse solaire, ce qui signifie que la matière est extrêmement dense et que la température à leur surface peut atteindre plus de 250 000 kelvins. C’est pourquoi elles rayonnent de la lumière blanche, alors que, dans le même temps, elles refroidissent sans cesse toujours plus. Les modèles théoriques suggèrent que leur forme intérieure est fortement dominée par le poids atomique des constituants oxygène et carbone. En d’autres termes, il s’agirait d’un noyau d’oxygène entouré d’un gigantesque diamant. Une fine écorce serait formée par quelques restes d’hélium et d’hydrogène. Gaßner :
Avec l’exemple des étoiles à neutrons, on peut aisément suivre les lois de conservation de la physique. La conservation du moment angulaire permet à un patineur sur glace de tourner plus vite lorsqu’il rassemble ses bras près du corps. Une étoile qui s’écroule sur elle-même procède de la même manière lorsqu’elle tire ses enveloppes externes toujours plus
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près de son noyau central. Dans le même temps, le nombre de lignes de force du champ électromagnétique reste constant. La surface de l’étoile s’écroulant diminue cependant continuellement. Les lignes de force du champ électromagnétique se pressent donc toujours plus densément les unes contre les autres : le champ magnétique augmente en force. Le résultat est un cadavre stellaire en rotation rapide avec un champ magnétique immense : un pulsar. Lesch :
Je crois que c’est un pulsar dans la constellation du Sagittaire qui détient toujours le record, avec ses incroyables 716 rotations par seconde. On est là très proche de la limite théorique des 1 000 rotations par seconde. Au-delà de cette limite, la force centrifuge déchirerait le pulsar.
Gaßner :
Vient s’ajouter à cela le fait que l’axe de rotation du pulsar ne coïncide pas avec l’axe magnétique. Cette rotation gyroscopique produit le caractère pulsatif du pulsar pour un observateur donné, c’est-à-dire en alternance un signal fort et un signal faible, comme pour un phare. De là son nom : pulsating source of radio emission. Le signal est fort lorsque l’axe magnétique coïncide précisément avec la direction de l’observateur.
Lesch :
Le rayonnement électromagnétique fort est produit par des particules, qui sont fortement accélérées le long de la ligne de fuite. Le processus précis est assez complexe, mais le principe, au fond, est connu de tout un chacun : c’est celui de la dynamo du vélo. Lorsqu’un aimant se trouve en rotation et que les lignes de son champ magnétique croisent un métal conducteur, alors apparaît un courant électrique. Dans le cas du pulsar, le courant ainsi induit correspond à une multitude de particules chargées qui se propagent alors le long de l’axe de rotation sous la forme de jets à travers le médium interstellaire. La forte accélération des particules dans ces jets produit un rayonnement synchrotron, que nous pouvons observer avec nos télescopes.
Gaßner :
Un pulsar constitue pour une étoile en phase de collapse, « la dernière sortie » avant l’anéantissement. Si la masse restante est trop élevée, alors il n’y a pas plus de compromis possible entre les quatre forces élémentaires. Pour en rester à notre analogie, le trampoline de la supernova ne résiste pas aux enveloppes stellaires s’écoulant sur lui et il se déchire.
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Rien ne s’oppose alors plus à la gravitation. Il se forme finalement un trou noir. Lesch :
Un trou noir est l’exemple par excellence d’un objet cosmique hostile à la vie. Il détruit tout ce qui s’aventure à sa proximité.
Gaßner :
Un tel trou noir stellaire – il en existe même des galactiques – attire sans cesse la masse autour de lui et ce faisant devient toujours plus lourd. Observé de loin, il ressemble à une sorte de siphon cosmique, où la matière vouée à sa mort définitive s’engouffre dans une spirale sans que rien ne puisse l’arrêter.
Lesch :
C’est seulement en raison de l’effet gravitationnel qu’il produit sur son environnement que nous pouvons reconnaître un trou noir. Cette « chose » ne laisse s’échapper aucun photon. Mais si quelque chose est happée vers l’intérieur, alors nous avons droit à un spectacle lumineux de première qualité. Les forces centrifuges déchiquettent la matière avant même qu’elle atteigne l’horizon du trou noir et se faisant, libèrent jusqu’à 43 pour cent de la masse au repos sous forme de rayonnement. On surnomme parfois cela, d’une manière quelque peu guerrière, le cri agonisant de la matière.
Gaßner :
Nous devrions ici expliquer en bonne forme le concept de force de marée. La gravitation diminue avec le carré de la distance à la masse attirante. Pour un parachutiste qui tombe avec les pieds en avant, cela signifie qu’une force gravitationnelle plus forte agit sur ses pieds, plus forte que celle qui agit sur sa tête. Les pieds sont justement plus proches de la masse attirante terrestre de la longueur du corps du parachutiste. Il ne remarque effectivement rien, car les forces qui tiennent son corps ensemble sont supérieures de plusieurs ordres de grandeur à la force causée par l’attraction. Bien sûr, plus grandes sont l’étendue du corps tombant et la masse attirante, plus grande sera ladite force de marée. Cela peut déformer le corps de manière extrême, jusqu’à le détruire, comme c’est le cas lors de sa chute dans le trou noir. En anglais, il existe un mot approprié pour décrire cela : spaghettify.
Lesch :
Tu devrais raconter cela à tous ceux qui rêvent d’un voyage à travers un hypothétique trou de vers.
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
Gaßner :
Je ne crois guère que ces idées soient vraiment sérieuses : c’est de la science-fiction. Mais les trous noirs sont bien réels et l’efficacité énergétique du rayonnement qu’ils libèrent est tout à fait impressionnante. Il n’est qu’à se souvenir en comparaison de l’énergie de fusion au cœur de notre soleil. Là, il n’est question que d’une transformation en énergie de 0,7 pour cent de la masse au repos. La haute libération énergétique des trous noirs constitue également la preuve qu’ils sont en rotation. Pour un trou noir au repos, l’efficace théorique serait de l’ordre de 7 pour cent de la masse au repos du corps tombant dans le trou noir.
Lesch :
Pour une évaluation de l’efficacité de la transformation, il faut connaître l’étendue de la chose. Comment peut-on établir la grandeur d’un objet si éloigné, alors même que seuls quelques photons parviennent jusqu’à nous ?
Gaßner :
L’intensité du rayonnement perçu varie dans un espace de temps caractéristique. Indépendamment des processus qui se jouent là-haut et qui contraignent un objet à modifier son rayonnement, la vitesse maximale avec laquelle ces modifications peuvent se transmettre est la vitesse de la lumière. Si par exemple, l’intensité varie en l’espace d’une heure, alors l’objet aura une grandeur maximale d’une heure-lumière. Lors de la découverte d’un tel rayonnement, cela nous livre un indice décisif quant à la nature de la lumière : il ne peut s’agir de la lumière d’une étoile. Un objet qui rayonne des milliards de fois plus lumineusement que notre soleil, et qui dans le même temps est seulement gros de quelques heures-lumière, ne peut en aucun cas avoir une origine stellaire. C’est pourquoi il fut baptisé du nom de quasar : quasi-stellar radio source.
Lesch :
Les disques en rotation autour du quasar produisent eux aussi des jets. Comme tu l’as justement expliqué pour les pulsars, lorsque quelque chose tourne et que des champs magnétiques entrent en jeu, il apparaît toujours des courants électriques en direction de l’axe de rotation. Même notre soleil émet des petits jets dans son environnement immédiat.
Gaßner :
Pour éviter tout malentendu, il faut dire que le champ magnétique de notre soleil est de l’ordre d’un gauss, alors que dans le cas des pulsars, il est question de milliards de gauss.
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Lesch :
Reste que le soleil appartient également à la jet-set de notre univers. On se devrait de le mentionner tout de même. Mais les champions toute catégorie, ce sont incontestablement les quasars. Le matériau de leur disque tourne autour de l’horizon événementiel. Les jets qui en résultent projettent des particules chargées pratiquement à la vitesse de la lumière, sur des distances de plusieurs millions d’années-lumière, très loin dans le médium intergalactique.
Gaßner :
L’horizon d’un trou noir – un lieu sans retour possible – constitue à nouveau une limite intéressante dans notre univers. Nous avions déjà parlé du monde de Planck et de la flèche du temps, les limites de l’espace et du temps dans notre modèle du Big Bang. Ici, avec les trous noirs, la boucle se ferme. Dans notre monde habituel, il nous appartient d’aller librement dans chaque dimension de l’espace. Dans la dimension du temps par contre, la flèche temporelle interdit tout retour en arrière. Après le passage de l’horizon événementiel du trou noir, il n’y a plus qu’une direction possible de mouvement : vers le centre du trou noir. La courbure extrême de l’espace-temps, de surcroît, ne laisse plus passer le temps. La flèche du temps devient une « flèche de l’espace ». Tout se passe comme si l’espace et le temps échangeaient leurs rôles.
Lesch :
Naturellement tout cela n’est qu’un modèle théorique. Nous n’expérimenterons jamais précisément ce à quoi ressemble la traversée de l’horizon d’un trou noir. Tout au moins il n’y aura jamais personne pour nous le raconter.
Gaßner :
Pour être précis, la formule « traversée du trou noir » est problématique, car ces limites représentent théoriquement la fin de notre univers quadridimensionnel. Au-delà de celles-ci, aucun événement n’a lieu pour l’observateur.
Lesch :
Si les trous noirs stellaires ne vous suffisent pas, nous pouvons également vous proposer parmi toute notre panoplie d’objets astronomiques leurs grands frères : les trous noirs galactiques. Au centre de notre Voie lactée par exemple, guette l’un d’eux avec plus de quatre millions de masses solaires. Il répond discrètement au doux nom de Sagittarius A*.
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3.29 Centaure A : la galaxie active la plus proche de nous (12 millions d’années-lumière). Ci-dessus, enregistrée sous plusieurs longueurs d’onde différentes (en optique avec ESO, en radio avec VLA et en rayons X avec le télescope Chandra). La superposition des enregistrements (en haut) montre un jet à haute énergie, sortant du trou noir au centre de la galaxie. Le jet s’étend sur plus de 13 000 années-lumière dans le milieu intergalactique.
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Gaßner :
Pour le moment, il est au régime. Mais déjà une étoile lourde de 15 masses solaires est tombée dans ses filets gravitationnels. Avec une vitesse de 5 000 km/s elle s’est déjà rapprochée à 90 unités astronomiques (une unité astronomique correspond à la distance Terre-Soleil). Lorsque celle-ci atteindra 2 unités astronomiques, alors la dernière heure de l’étoile aura sonné. Les forces de marée de Sagittaire A* dépasseront toutes les autres forces qui maintiennent l’étoile ensemble. Mais auparavant – dans environ 75 000 ans – notre trou noir sans cesse affamé aura droit comme hors-d’œuvre à un nuage de poussière, dont le destin est d’ores et déjà scellé.
Lesch :
Alors, bon appétit ! Dans la galaxie, guettent quelques douzaines de ces trous noirs super géants. Par chance, ils sont assez éloignés de nous pour que notre système solaire ne puisse leur servir d’amuse-gueules.
3.30 Sagittaire A* au centre de la Voie lactée. Un trou noir super massif avec plus de quatre millions de masses solaires.
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3.3
Le principe anthropique L’univers nous aime bien
Gaßner :
On ne saurait jamais assez se remettre à l’esprit ce paradoxe. Les structures véritablement hostiles à la vie que nous observons là, au-dehors, sont aussi des phénomènes, les trous noirs y compris, qui illustrent le fait que les relations entre les forces sont distribuées de telle sorte, que ces dernières constituent aussi ce dont nous avons absolument besoin pour permettre l’apparition de la vie. Ces phénomènes restent bien sûr menaçants, mais ils apparaissent ainsi sous une lumière nouvelle : un univers sans les relations que nous connaissons entre les forces serait nécessairement un univers sans nous. On doit s’y prendre à deux fois et jeter un regard précis sur notre univers pour bien comprendre cela : sous des apparences rudes, il cache un cœur tendre. On aurait presque envie de s’excuser auprès de lui pour ne pas l’avoir vu tout de suite.
Lesch :
Heureusement, la distance qui nous sépare de ces objets célestes est si colossale, qu’une coexistence pacifique avec ces dangereux cadavres stellaires est possible. L’univers a mis à notre disposition suffisamment d’espace habitable pendant les 13, 8 milliards d’années de son expansion…
Gaßner :
C’est une de ses nombreuses agréables propriétés. Plus nous pénétrons les secrets de la physique, et plus se renforce l’impression que l’univers, d’une certaine manière, nous a attendus. Arthur Eddington a très bien formulé cela : « Nous avons découvert une curieuse trace sur la côte de l’inconnu. Nous avons développé des théories profondes, les unes après les autres, afin d’expliquer son origine. Finalement nous sommes parvenus à reconstruire l’être qui avait laissé cette trace. Et voilà que c’est de la nôtre qu’il s’agit. »
Lesch :
Brandon Carter a donné à cette pensée le nom de principe anthropique. Et effectivement, nous ne pouvons qu’être ébahis devant la bienveillance dont cet univers fait preuve à notre égard, car dans un autre univers, un dépourvu de ces processus si finement ajustés les uns aux autres, personne ne serait là pour s’en émerveiller.
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Protons
Photons
Neutrons
3.31 Le processus triple-alpha. Trois noyaux d’hélium fusionnent en un carbone, en passant par l’étape intermédiaire du béryllium. Gaßner :
Cette manière de penser a même conduit à des découvertes scientifiques concrètes. Le cas le plus fameux concerne le niveau de résonance dans la fusion de trois noyaux d’hélium en un noyau de carbone, la réaction triple alpha.
Lesch :
La dénomination de particules alpha pour un atome d’hélium repose sur le fait qu’ils apparaissent également par désintégration radioactive. On parle alors de rayonnement alpha. Lors de la réaction triple alpha, trois de ces noyaux fusionnent, dans un premier temps deux d’entre eux, en un produit intermédiaire, le béryllium, lequel, dans un second temps, fusionne avec le troisième noyau d’hélium.
Gaßner :
Que cette réaction joue un rôle central dans le stade « géante rouge » d’une étoile, nous le savons d’ores et déjà. Dans les années cinquante, Fred Hoyle lui-même était parfaitement au courant de cette relation. Reste que ses calculs théoriques concernant la proportion de carbone alors produit le laissèrent perplexe. Les données observées ne correspondaient pas à ses attentes théoriques, et cette disparité était de plusieurs ordres de grandeur.
Lesch :
Ce qui clochait dans ses calculs, c’était précisément le noyau de béryllium, qui après seulement 2,6 . 10 – 16 secondes se désintègre en ses
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produits d’origine – les deux noyaux d’hélium. Si Hoyle augmentait la température de réaction afin d’obtenir plus de chocs entre les noyaux d’hélium, alors il obtenait un noyau de carbone avec un très haut surplus d’énergie. Le noyau, ne sachant en rien s’en défaire, serait alors conduit nécessairement à éclater. Gaßner :
De la sorte, ce sont seulement des quantités faibles de carbone qui auraient pu être produites durablement, tant est si bien que l’apparition de la vie basée sur des molécules carbone-hydrogène eût été dans l’ensemble impossible. Que pourtant, cette forme de vie existe bel et bien dans l’univers, Hoyle pouvait s’en assurer chaque matin en se regardant dans son miroir. Il résolut le problème spontanément, en introduisant, en quelque sorte, un ingrédient manquant à la chaîne des réactions, ce qui les renforça fortement. Avec un surplus énergétique de 7,65 MeV, la réaction pouvait alors avoir lieu avec une sorte de résonance, effet qui la favorise singulièrement : le carbone peut, en effet, distribuer cette énergie en portions quantiques dans sa structure interne. Même ainsi, seul un noyau de carbone sur mille peut survivre – mais dès lors, les proportions observées de carbone correspondaient aux pronostics théoriques.
Lesch :
Cela suppose une bonne dose d’assurance. On fait un calcul qui rate l’observation de plusieurs ordres de grandeurs et l’on déclare : Messieurs, il doit y avoir un effet de résonance autour de 7,65 MeV, cherchez-le. Le succès lui a donné raison – le niveau de résonance fut confirmé expérimentalement.
Gaßner :
Cette considération autour des 7,65 MeV peut se reconstruire de la manière suivante : si l’on additionne l’énergie au repos des trois noyaux d’hélium, et si l’on en soustrait le noyau de carbone ainsi obtenu, il reste une énergie de 7,275 MeV. L’énergie cinétique du partenaire dans la réaction apporte encore 0,1 MeV en plus, pour une température caractéristique de 250 millions de kelvins. Pour finir, on doit rester en deçà du niveau idéal, afin que la réaction ne se déroule pas complètement en résonance, c’est-à-dire qu’elle ne produise pas plus de carbone que nous en observons. La différence d’énergie est réglée extrêmement finement. Si l’on modifie seulement d’un pour cent l’énergie totale du partenaire
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dans la réaction, la production de carbone s’effondre à un trente-troisième de son efficacité. Lesch :
Nous devons absolument tous notre existence à cette infime précision. Fred Hoyle ajoutera, plus tard, que rien n’a à ce point ébranlé son athéisme autant que cette découverte.
Gaßner :
Si l’on considère la chose de plus près, cela est encore plus époustouflant. Car le manège de la fusion n’en reste pas là. Dans d’autres processus stellaires comme la fusion du carbone en oxygène, donc avec un autre noyau d’hélium, le carbone, pour nous si précieux comme élément vital, serait alors en grand danger. Et justement, cette réaction, elle aussi, possède un niveau de résonance analogue, lequel se trouve légèrement en deçà de la différence des énergies au repos. C’est la raison pour laquelle il n’est pas possible, en ajoutant de l’énergie cinétique, d’approcher ce niveau plus avant. Au contraire : avec chaque énergie supplémentaire le processus s’éloigne de son optimum. Ainsi, une grande quantité de carbone survit à toutes ces épreuves stellaires et rejoint, à la fin de la vie de l’étoile, le milieu interstellaire.
Lesch :
Alors vraiment ! Faire du carbone, c’est vraiment du grand art.
Gaßner :
Revenons à notre chapiteau de cirque, car la représentation cosmique continue. Dans le prochain numéro, nous observerons le prodigieux cycle de la matière en train de se dérouler et qui enrichit constamment les galaxies et, parmi elles, notre patrie, la Voie lactée.
Lesch :
Et je brûle d’impatience de voir ce prochain numéro, car dans un univers si merveilleusement et si finement harmonisé, il doit forcément se passer bien des choses. Et l’enrichissement des galaxies en éléments lourds constitue notamment une des plus belles histoires que l’on puisse raconter à propos de l’univers.
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3.4 L’enrichissement des galaxies L’étoffe des héros Lesch :
Comme nous l’avons déjà mentionné, toutes les étoiles ne sont pas les mêmes. Il y en a des grosses et des petites. Les grosses et lourdes vivent brièvement et elles sont très chaudes. Beaucoup d’entre elles explosent en une supernova et offrent les éléments qu’elles ont forgés en leur cœur au médium intergalactique. Les gros exemplaires sont beaucoup plus lourds que notre soleil. Il n’en existe que relativement peu dans la Voie lactée, seulement 10 pour cent. La majorité des étoiles sont plus petites et plus légères. Elles vivent bien plus longtemps que le soleil, elles produisent aussi moins d’éléments en leur intérieur. Leur masse, en effet, ne leur permet pas d’atteindre en leur centre les hautes pressions nécessaires aux phases de fusion avancées. La plupart du temps, tout s’arrête alors avec la fusion de l’hélium en carbone et en oxygène. Les petites étoiles s’éteignent alors lentement.
Gaßner :
Ainsi, avec le temps, c’est toujours plus de gaz qui est transformé grâce aux étoiles. Étant donné que la plupart d’entre elles s’éteignent, la quantité de gaz d’une galaxie diminue constamment. Comme nous l’avons dit, les étoiles massives ne sont pas très nombreuses, mais elles enrichissent le gaz interstellaire de nouveaux éléments lourds, et elles font tourner de la sorte le grand cycle de la matière. Elles sont en quelque sorte le sel dans la soupe interstellaire.
Lesch :
Le gaz chaud des étoiles massives qui ont explosé se refroidit dans l’espace et de nouveaux nuages de gaz se forment. Ils prennent un peu la fonction de compost cosmique. La masse de gaz des nouveaux nuages croît sans cesse jusqu’à ce qu’ils s’écroulent sur eux-mêmes, eux aussi, sous l’effet de leur propre gravité. À partir des restes de l’ancienne génération, ce sont de jeunes étoiles qui se forment à nouveau.
Gaßner :
De plus, une étoile ne naît généralement pas toute seule. Cela dépend de différents paramètres, lesquels peuvent jouer un rôle lors de sa formation. L’effondrement gravitationnel d’un nuage gazeux connaît plusieurs adversaires : la pression thermique, car le gaz se réchauffe, la pression magnétique, car les lignes de champ se rapprochent les unes des autres,
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et la force centrifuge, car la quantité de mouvement des particules de poussière se conserve. Le morcellement du nuage entier en plusieurs fragments, chacun s’écroulant sur lui-même de manière indépendante, facilite la tâche. Ce qui reste, c’est juste la quantité de mouvement du nuage complet, et non pas la quantité de mouvement de chaque partie. C’est pourquoi la fragmentation, sans cesse en progression, aide à redistribuer à des régions complètes à l’intérieur du nuage en rotation la quantité de mouvement. À la suite de quoi, de nombreuses étoiles voisines apparaissent, les deux tiers d’entre elles formant un système stellaire binaire. Lesch :
Nous devons la théorie de l’effondrement gravitationnel à Sir James Hopwood Jeans. La température joue un rôle essentiel, ou plutôt la capacité de refroidissement. Les nuages avec des éléments lourds se refroidissent mieux et ainsi s’écroulent plus facilement sur eux-mêmes.
Gaßner :
Les particules de poussière forment, tôt ou tard, un disque en rotation. C’est la quantité de mouvement originaire qui en est responsable, laquelle découle seulement du mouvement aléatoire de chaque nuage de poussière. La rotation lente caractérise un axe de rotation. Le long de cet axe, l’effondrement du nuage en direction du centre est privilégié. Perpendiculairement à l’axe, au contraire, les particules de poussière qui composent le nuage doivent surmonter, en plus de la pression interne, la force centrifuge. Cela a pour conséquence d’aplatir le nuage toujours plus, jusqu’à en faire un disque.
Lesch :
Il apparaît également que de façon privilégiée, ce sont de petites étoiles qui se forment plutôt que des grosses. Les étoiles massives atteignent, en effet, très vite la fin de leur vie, leur supernovæ et leurs résidus s’éloignant à des vitesses fulgurantes, emportant sur leur passage tout ce qui restait du nuage.
Gaßner :
En raison des compressions qu’elles produisent dans les nuages gazeux environnants, les ondes de choc de leurs explosions sont souvent la cause de nouveaux effondrements gravitationnels. La nébuleuse de la Tête de cheval dans la constellation d’Orion constitue un exemple particulièrement beau de ces composts cosmiques.
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3.32
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Axe de rotation
3.33 Un nuage de poussière en rotation se transforme toujours plus en un disque lors de son effondrement par gravitation. Perpendiculairement à l’axe, les particules de poussière doivent surmonter la force centrifuge en plus de la pression interne au nuage. Le long de l’axe au contraire le processus d’effondrement est plus favorisé. Lesch :
Laisse-moi réfléchir un instant. Les supernovæ ne jouent pas le rôle de sages-femmes mais elles induisent l’apparition d’autres étoiles, elles sont un peu comme la sexualité dans l’univers.
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3.34 Enregistrement infra-rouge du télescope spatial Spitzer d’une région riche en naissance d’étoiles W5 (IC 1848) dans la constellation de Cassiopée à 6 500 années-lumière. Les étoiles massives au centre de la région vide sont clairement plus âgées et ont probablement provoqué la formation des étoiles jeunes autour d’elles (rouge = poussière, blanc et vert = nuage de gaz dense). Gaßner :
C’est tout à fait juste. La vie et la naissance des étoiles semblent être étroitement liées. La vieille génération offre ses éléments lourds à celle qui lui succède, et c’est pourquoi les nuages gazeux les plus jeunes comportent plus d’éléments lourds que les plus vieux. Il existe pour ainsi dire comme une sorte de contrat non écrit entre les générations. À propos des galaxies, passons maintenant, si tu veux bien, à notre patrie galactique, la Voie lactée.
Lesch :
Volontiers. Mais j’aurais encore une dernière question concernant les étoiles : laquelle est la plus vieille ?
Gaßner :
Il s’agit de HD140283, la Mathusalem dans la constellation de la Balance. Elle est presque aussi vieille que notre univers, même si sa datation comporte une substantielle marge d’erreur. En dépit de son grand âge,
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
elle se déplace bien rapidement à la vitesse de 1,2 million km/h. L’avantage pour nous, observateurs, est qu’elle est seulement éloignée de 190 années-lumière. Elle se trouve donc dans notre voisinage galactique et peut être observée avec une paire de jumelles ordinaires. Elle fut probablement happée par notre Voie lactée, il y a 12 milliards d’années. .
3.35. (Ci-contre) Le classement des galaxies selon leur apparence : les galaxies elliptiques selon leur accroissement progressif, de E0 jusqu’à E7. Les galaxies spirales : selon la relation décroissante entre leur bulbe central et l’étendue totale de leur disque, de Sa jusqu’à Sc. Les galaxies à spirales barrées selon la relation décroissante entre leur bulbe central barré et l’étendue de leurs bras, de SBa jusqu’ à SBc. De plus, il existe toute une série de types intermédiaires de galaxies (S0), tout comme des galaxies naines et des galaxies irrégulières (non représentées ici).
Le cosmos
3.5
171
La Voie lactée et ses voisins bossus
Gaßner :
Des galaxies, il en existe des formes les plus diverses. La classification grossière procède selon trois catégories à tiroirs : elliptiques, spirales, et irrégulières, toutes très différentes les unes des autres. Pour des différentiations plus fines, ce sont les bras des spirales, les bulbes et les bosses et d’autres critères encore qui entrent en ligne de compte.
3.36
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180 Gaßner :
Lesch :
Le Big Bang, le cosmos et la vie
On peut décrire de manière optimale notre Voie lactée comme étant un disque. Elle s’est probablement formée par la fusion de milliers de galaxies naines. Nombre de flux mouvants de groupes d’étoiles, en son sein, nous rappellent encore cette origine. Pour être précis, notre patrie galactique constitue une galaxie à spirale barrée de type SBc. Personne ne l’a jamais vue ou photographiée. Nous sommes au cœur de la forêt et nous ne la voyons pas, en raison de la multitude d’arbres qui nous entoure. C’est Emmanuel Kant qui a formulé, dès 1755, le premier l’idée d’un disque. Il développa cette hypothèse, car les étoiles de la Voie lactée apparaissent dans notre ciel sous la forme d’une large bande, la projection bidimensionnelle d’un disque. Dans sa théorie du ciel, il a ainsi déterminé la position de notre système solaire.
Gaßner :
Bien sûr, il ne pouvait rien deviner du bulbe central de notre galaxie, lequel est constitué de 43 Emmanuel Kant nombreuses étoiles proches les unes des autres. 33.43 (1724 – 1804) Plus loin vers l’extérieur, la galaxie étend ses bras. Pour nous aujourd’hui, cette répartition est aisée à comprendre : au centre la gravitation est la plus forte, c’est pourquoi la densité de gaz, dès le commencement, y était déjà plus élevée. Là, de nombreuses étoiles se sont vite formées et le gaz fut rapidement transformé. Au pourtour, la densité du disque gazeux en rotation était plus faible, et en conséquence, le pourcentage de naissance d’étoiles aussi. Ici, les choses étaient en quelque sorte décalées dans le temps, et il fallut attendre qu’assez de gaz s’y soit rassemblé et qu’il se densifie.
Lesch :
À l’intérieur du disque d’une galaxie se déroule le grand cycle circulaire de la matière que nous avons mentionné auparavant, particulièrement dans les galaxies à bras. On estime que la durée d’un cycle est d’environ 50 millions d’années.
Gaßner :
La Voie lactée est âgée d’au moins 11,4 milliards d’années, la concentration de béryllium de certains amas globulaires indique même qu’il s’agirait plutôt de 12,5 milliards d’années. En tous cas, cela laissa assez
Le cosmos
181
de temps à la matière pour accomplir de nombreux cycles. Sans cesse, de nouvelles étoiles se créèrent, et une partie d’entre elles redonna au gaz interstellaire, lors d’énormes explosions, leurs enveloppes enrichies en éléments lourds. Comme les fontaines distribuent leur eau, ainsi les nuages provenant des explosions des supernovæ ont déversé leurs enveloppes à travers le disque galactique. Lesch :
Dans les cercles de spécialistes, on parle même ouvertement de galactic fountain (fontaines galactiques). Le gaz stellaire enrichi en éléments lourds s’élève au-dessus du plan du disque galactique, se refroidit, et tombe à nouveau dans le disque. Depuis bien des milliards d’années, ce cycle gigantesque redistribue la matière pour des millions d’étoiles. De la sorte, elle est sans cesse réutilisée par les forges des éléments atomiques de la fusion nucléaire. Chaque génération d’étoiles modifie la Voie lactée, modifie son gaz et l’enrichit toujours plus. Cela est vraiment caractéristique des galaxies spirales. Les galaxies elliptiques sont au contraire plutôt ennuyeuses. Elles constituent bien sûr les plus anciens et les plus lumineux représentants de leur confrérie ; elles comportent cependant principalement de vieilles étoiles rouges. Il s’y trouve encore à peine suffisamment de gaz pour former des étoiles nouvelles.
Gaßner :
Voilà un aperçu du développement général de l’univers. En août 2015, fut publiée une étude – Galaxy and Mass Assembly (GAMA) – selon laquelle l’univers aurait déjà perdu la moitié de sa luminosité. Concrètement, on a observé 200 000 galaxies dans 21 longueurs d’onde différentes, allant de l’UV jusqu’à l’infrarouge lointain. La production énergétique est tombée de 2,5 · 1035 W/Mpc3 à 1,26 · 1035 W/Mpc3.
Lesch :
La grande fête de l’apparition de la lumière est d’ores et déjà terminée. Que le dernier éteigne la lumière derrière lui !
Gaßner :
Nous avons, une fois de plus, de la chance avec notre soleil, qui est apparu seulement il y a quatre milliards et demi d’années. La Voie lactée avait alors déjà sept milliards d’années derrière elle. Le soleil est lui-même le descendant de nombreuses générations d’étoiles. Il est constitué principalement d’hydrogène et d’hélium, il contient également 1,8 pour cent d’éléments lourds, qu’il a hérités d’autres étoiles ayant explosé depuis longtemps.
Le Big Bang, le cosmos et la vie
182
Soleil
3.44 Une modélisation de la Voie lactée (galaxie spirale barrée de type SBc) avec un bulbe au centre et les bras en spirale en périphérie. Notre système solaire se trouve dans le bras d’Orion, au moins à 26 000 années-lumière du centre. L’étendue totale de notre galaxie est de 100 000 années-lumière avec une épaisseur de 3 000 années-lumière à la périphérie, et de 16 000 années-lumière au niveau du bulbe. Lesch :
On parvient même à dire assez précisément comment les choses ont dû se dérouler, il y a 4,567 milliards d’années. Les chondrites carbonées, sortes de météorites spéciales, nous servent de témoins privilégiés de cette phase de naissance. Leur composition montre assez bien, comment environ deux millions d’années avant l’apparition du système solaire, une ou deux étoiles d’environ 25 masses solaires ont dû exploser. Seules des explosions d’étoiles de la sorte sont en mesure de générer certains isotopes du fer. Et ce sont précisément ceux-ci que nous trouvons dans ces météorites.
Le cosmos
183
Gaßner :
Selon ces mêmes recherches, il semble que 85 pour cent de tous les éléments lourds de notre système solaire proviennent d’une étoile antérieure. Nos atomes se sont donc déjà rencontrés. Cela explique peut-être, pourquoi l’on a parfois le sentiment étrange d’un déjà-vu.
Lesch :
Les étoiles de plus de 25 masses solaires sont assez rares. Elles n’existent que dans les gros amas. Les plus récentes observations d’amas et leurs populations stellaires laissent penser que le soleil a dû apparaître dans l’un d’eux, parmi des milliers d’autres étoiles.
Gaßner :
Alors, les étoiles étaient assez proches les unes des autres et ont dû proprement s’influencer mutuellement, en raison des effets de leurs gravitations réciproques. Comment les planètes ont-elles donc pu adopter des trajectoires presque circulaires ?
Lesch :
Et bien mon cher, il s’agit à nouveau d’une de ces histoires extraordinaires. Effectivement, dans ces amas stellaires, les étoiles étaient relativement proches les unes des autres. Il est même très probable qu’au moins une étoile, soit passée au voisinage de notre système solaire en train de se former et ait catapulté nombre de planètes naines sur des trajectoires très excentriques. On a effectivement découvert ces planètes naines au cours des vingt dernières années. Le soleil, depuis leur naissance, s’est déplacé 22 fois autour du centre galactique en suivant une trajectoire hypocycloïde.
Gaßner :
Si nous ne tournons pas autour du centre de la Voie lactée en suivant une trajectoire elliptique – comme les planètes autour du soleil – c’est parce que la masse des galaxies n’est pas aussi concentrée au centre. Dans notre système solaire, notre étoile constitue à elle seule 99,86 pour cent de la masse totale. Dans la galaxie, la répartition est essentiellement plus équilibrée, bien qu’au centre se trouve avant tout un trou noir massif. Nous ne passons jamais deux fois au même endroit lors de notre voyage cosmique.
Lesch :
L’amas stellaire de naissance de notre soleil s’est dispersé depuis belle lurette et les distances entre les étoiles ont augmenté de telle sorte qu’elles influencent à peine directement la trajectoire des corps célestes aujourd’hui. Mais revenons à l’histoire de la Voie lactée. Est-ce que tu as remarqué quelque chose ?
Gaßner :
Non, quoi donc ?
184
Le Big Bang, le cosmos et la vie
3.6 Les constantes Naturelles sont-elles vraiment constantes ? Sur cette pierre tu construiras Lesch :
Nous avons parcouru très vite les étapes du développement de la Voie lactée. Et en chemin, nous avons toujours suivi une hypothèse, sans pour autant la formuler. Cette hypothèse est la suivante : les lois de la nature, que nous avons découvertes et expérimentées sur Terre, valent également partout dans l’univers. C’est seulement à cette condition et à elle seule, que nous pouvons pratiquer la physique de l’espace, c’est-àdire l’astronomie. On ne peut comprendre les processus dans l’univers qu’en extrapolant la physique de la matière telle que nous la connaissons sur la Terre, à ce qui se passe dans le cosmos, que ce soit dans les étoiles ou dans le gaz interstellaire.
Gaßner :
C’est vrai, pour nous les physiciens, la chose est claire. Si nous pouvons être aussi catégoriques, c’est parce que cette relation a été souvent confirmée. Mais ce ne fut pas toujours le cas. Dans la période de la guerre froide notamment, il y eut des chercheurs qui en doutèrent effectivement. Quelques-uns étaient persuadés que les constantes des lois naturelles n’étaient pas les mêmes dans les laboratoires des pays capitalistes que dans ceux des pays socialistes. Il serait tout simplement grotesque de penser de la sorte aujourd’hui.
Lesch :
Dieu merci, ces temps sont désormais révolus. Et désormais la thèse de lois de la nature valables universellement n’est plus disputée. Il est clair qu’il est parfaitement dépourvu d’importance pour les familles de particules élémentaires, pour les atomes, leurs noyaux et leurs électrons qui forment les étoiles ou les nébuleuses, de savoir s’ils se trouvent sur notre planète ou dans une galaxie quelconque. Ils se comportent toujours selon les lois de la nature, lesquelles leur permettent selon les conditions respectives, de se lier les uns aux autres comme atomes ou même comme molécules. Même la lumière émise par les particules a les mêmes propriétés partout dans l’univers que celles observées ici sur la Terre.
Le cosmos Gaßner :
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Et c’est là le point crucial. Les atomes des différents éléments chimiques émettent du rayonnement dans des portions données. Ces lignes spectrales sont définies précisément par les niveaux d’énergie des enveloppes électroniques. Elles constituent leur empreinte digitale en quelque sorte. On peut mesurer dans nos laboratoires terrestres ce rayonnement pour chaque sorte d’atomes selon la température et la densité. Une comparaison avec la lumière des étoiles permet finalement de déterminer les conditions physiques du gaz à la surface des étoiles. La totalité de l’information nécessaire est contenue dans ces lignes spectrales, elles sont comme les codes-barres du discounter du quartier. Les astronomes sont quasiment des déchiffreurs de codes-barres.
3.45 La lumière d’une longueur d’onde donnée, c’est-à-dire d’une certaine couleur, exprime une énergie correspondante. Les atomes et les molécules, au contraire, ne peuvent assimiler qu’une quantité donnée d’énergie, en raison de leurs structures internes, par exemple avec le transfert d’un électron sur une trajectoire plus haute. Cela « trahit » la présence de différentes sortes de molécules et d’atomes, dans la mesure où ils soustraient ainsi du spectre complet d’une source lointaine leurs longueurs d’onde caractéristiques. De la sorte, on peut définir la composition des différents nuages qui se trouvent en ligne directe entre la source lumineuse et notre télescope. Lesch :
L’expression « déchiffreur de lumière » me plaît davantage. Pour nous autres astronomes, la lumière constitue la seule source d’information
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
réelle, et si nous avons su en tirer quelque chose, c’est parce qu’en deçà de l’interprétation des astres du firmament, il existait toujours la conviction que la lumière des étoiles obéit aux mêmes lois que la lumière ici-bas. Gaßner :
Lesch :
L’astronomie, tout comme la physique de l’univers, réclame plus que la seule validité partout dans l’univers des lois de la nature. Elle revendique également cette validité pour tout le temps. Les lois naturelles doivent être toujours valides, toujours et partout. Alors, et seulement à cette condition, l’univers peut être étudié scientifiquement. Pourquoi tout d’un coup cette éternelle validité ?
Gaßner :
Parce que la lumière des étoiles et des galaxies a besoin de temps pour atteindre nos télescopes. La lumière du soleil voyage 8,3 minutes pour atteindre la Terre, celle de notre étoile la plus proche a déjà besoin de 4,2 années. La célèbre constellation de la Grande Ourse est constituée d’étoiles dont la lumière a fait un voyage de 100 ans lorsqu’elle atteint la Terre.
Lesch :
De tels chiffres sont encore bien compréhensibles, car ils sont comparables à notre durée de vie. Mais lorsque l’on considère que la lumière de notre grande galaxie voisine, Andromède, nécessite 2,5 millions d’années pour atteindre la Terre, alors notre imagination est définitivement débordée.
Gaßner :
Cet astre est tout simplement trop lointain et trop sombre pour notre œil. La lumière que nous recevons de cette galaxie aujourd’hui fut émise au moment même où en Afrique orientale apparurent les premiers hominidés.
Lesch :
Quelle galaxie est la plus éloignée de nous, au juste ? Quel est l’état de la recherche sur ce point ?
Gaßner :
UDFj– 39546284. Elle est visible sur le cliché photographique Hubble Ultra Deep Field que nous devons au télescope spatial Hubble. Pour l’obtenir, on choisit en janvier 2004 une zone particulièrement sombre du ciel, sans étoile parasite en premier plan, avec un temps d’exposition d’un million de secondes. Ainsi, on était assuré de récolter le maximum de photons possible. Un projet tout à fait aventureux en réalité, si l’on considère qu’une seconde d’exposition coûte 10 euros et que l’existence
Le cosmos
187
d’un hypothétique objet à observer, elle-même, était littéralement parlant, bien obscure. Ce qui compliqua un peu plus la chose encore, c’est que, bien entendu, le télescope Hubble n’est point resté immobile pendant ces 11,3 jours, et que pour cette raison, il fallut regrouper 800 images réalisées au cours des 400 orbites autour de la Terre. Depuis 2009, quelques galaxies ont été analysées dans leurs moindres détails à l’aide de la caméra Wide Field du télescope Hubble. En 2014, les enregistrements furent complétés par des données dans l’ultraviolet. Le plus grand décalage dans le rouge est de l’ordre de 10, ce qui correspond à une distance de plus de 13 milliards d’années-lumière.
3.46 L’Ultra Deep Field (à gauche) du télescope Hubble montre la galaxie UDFj– 39546284, la galaxie la plus éloignée connue, avec 13,2 milliards d’années-lumière (grossie sur la droite). Lesch :
Incroyable ! On a vraiment du mal à le croire ! Si la lumière d’un objet aussi lointain ayant voyagé à travers des immensités sans fin peut nous parvenir intacte, c’est seulement parce que, là, au-dehors, il n’y a pratiquement rien. En termes de densité, moins qu’un centième de milliard de milliards que l’air que nous respirons. Si nous étions entourés d’une soupe épaisse, nous ne pourrions pratiquer raisonnablement aucune sorte d’astronomie. L’univers est un gouffre vide, effrayant, de temps et d’espace. Pour le dire avec humour, un électron partant de la périphérie
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
d’un amas globulaire pour le traverser rencontre en moyenne tous les 22 millions d’années un autre électron ! Gaßner :
Plus nous regardons loin dans l’espace, plus s’ouvre devant nous le gouffre du temps. Il existe des galaxies si éloignées de nous, que leur rayonnement fut émis à un moment où le système solaire et la Terre n’existaient pas encore. Lorsqu’aujourd’hui, nous recevons leur lumière dans nos télescopes et que nous l’analysons, nous supposons que les lois de la nature que nous connaissons, étaient alors tout aussi valables qu’aujourd’hui. Et ce, bien avant l’apparition de la vie dans notre galaxie.
Lesch :
La stabilité des lois de la nature, nous pouvons l’éprouver aussi à l’aune de notre propre corps. Nul besoin de se tourner vers l’espace. Les composants dont nous sommes constitués restent toujours les mêmes. Nous vieillissons bien sûr, mais la raison réside dans le jeu réciproque des molécules entre elles. Les éléments constituants, eux, restent les mêmes. « Tu es poussière et tu retourneras à la poussière » est une assertion complètement exacte du point de vue de la physique des atomes et de leurs noyaux.
Gaßner :
Chacun fois que nous respirons, cela prouve que les lois fondamentales de la matière et de la lumière ne se modifient pas, du moins pendant la durée de notre vie. Si les molécules d’oxygène que nous inspirons dans nos poumons, soudainement, ne devaient plus s’attacher à l’hémoglobine de notre sang, nous étoufferions tout simplement. Il n’en est rien, elles s’y attachent, rien ne peut modifier leur affinité à se lier, car elle obéit à des règles précises.
Lesch :
Juste un rappel : L’oxygène que nous respirons a été produit par les plantes lors de la photosynthèse. Elles utilisent pour ce faire l’énergie du soleil. L’oxygène lui-même provient d’étoiles qui ont disparu depuis longtemps. Lors de gigantesques explosions, elles se sont depuis belle lurette dissipées en gaz, lequel s’est comprimé en d’autre lieu pour donner naissance à de nouvelles étoiles. Notre soleil est l’une d’entre elles.
Gaßner :
L’immuabilité des lois de la nature constitue à la fois la condition et le fondement le plus important de la recherche scientifique. Si la nature était totalement chaotique ou si les lois qui régissent les structures de
Le cosmos
189
la matière changeaient continuellement, il n’existerait durablement aucune structure matérielle stable. Lesch :
Cela est tout à fait clair pour un physicien. Au contraire, cette immuabilité des lois naturelles semble particulièrement difficile à accepter pour un politicien. Il y a une histoire incroyable, concernant ce point, et je me dois de la raconter brièvement. Un spécialiste des questions concernant l’électricité tint d’une conférence sur la stabilité des réseaux devant une commission de l’Union européenne sur le transport de l’énergie électrique. Il évoqua alors plusieurs fois les limites physiques d’un tel transport, lesquelles résultent des lois de Kirchhoff. Ce sur quoi un politicien prit la parole et annonça : « Si les lois de ce Monsieur Kirchhoff constituent, comme il le semble, un problème réel, alors nous devons tout simplement les modifier. »
Gaßner :
Mon Dieu ! Comme j’aurais bien voulu voir la réaction sur le visage du technicien spécialiste ! Un météorologue n’aurait quant à lui aucun problème avec les lois de la nature, et il ne viendrait à l’esprit de personne, de chercher à négocier avec un cyclone qui fonce tout droit sur une côte : « Eh cyclone, aujourd’hui cela ne nous convient pas trop, peut-être pourrais-tu repasser une autre fois ? »
Lesch :
Pourquoi sommes-nous si sûrs que les constantes naturelles restent constantes sur de longs laps de temps ? Car en fin de compte, les quelques siècles où nous exerçons la physique ne sont rien, comparés aux échelles de temps cosmiques.
Gaßner :
C’est que nous avons des laboratoires qui sont bien plus âgés que nos sciences naturelles.
Lesch : Gaßner :
Et qui expérimente, là ? La nature elle-même. Au Gabon, en Afrique de l’Ouest, il existe une région nommée Oklo, avec plusieurs mines d’uranium. Elle est devenue célèbre grâce au Français Henri Bouzigues, qui fit en 1972 une découverte extraordinaire, lorsqu’il en étudia le minerai extrait. Son but était, en fait, d’en tester la qualité pour le compte de l’industrie nucléaire française. Pour les centrales nucléaires, en effet, 99 pour cent du minerai
190
Le Big Bang, le cosmos et la vie
extrait est sans aucune valeur. Car seule une proportion infime de 0,720 pour cent est constituée d’uranium 235, un isotope, et lui seul est fissible. Lesch :
Est-ce que cette proportion est la même sur toute la Terre ?
Gaßner :
En principe, oui. Les mesures faites dans les différentes régions d’extraction et même dans les météorites et dans la roche lunaire fournissent toujours les mêmes résultats. Mais pas à Oklo justement, où la proportion était de l’ordre de 0,717 pour cent.
Lesch :
0,717 au lieu de 0,72 ! Cela ne semble pas à première vue être très excitant comme découverte.
Gaßner :
Au contraire ! Car les processus chimiques à l’intérieur de l’écorce terrestre ne modifient en rien la proportion d’isotopes – ils sont indépendants du poids de l’atome. L’énigme fut enfin résolue, lorsque l’on trouva dans les couches de roches à Oklo, les produits caractéristiques de la fission. Là, il y a 1,8 milliard d’années, toutes les conditions étaient réunies pour que la fission de l’uranium 235 se produise. Un réacteur nucléaire naturel, en somme.
Lesch :
Pourquoi n’en vint-il pas à une réaction incontrôlée ? Un réacteur nucléaire livré à lui-même et sans entrave ni contrôle aurait dû exploser assez vite. Nous avons tous encore devant les yeux les images terribles de Fukushima.
Gaßner :
Mais ce réacteur souterrain fut bel et bien contrôlé, et ce par les eaux d’infiltration. Lorsque la réaction fut trop forte, l’eau s’évapora et la réaction s’interrompit. Après un refroidissement suffisant, les infiltrations d’eau permirent la remise en marche et reprirent le contrôle du réacteur. Ce fut un va-et-vient se répétant toutes les 20 à 30 minutes.
Lesch :
Presque comme le métro. Et cela se déroula aussi sous terre. Est-ce que cela pourrait se produire aussi de nos jours ?
Gaßner :
Non, car les 0,72 pour cent d’uranium 235 ne suffisent aucunement pour une réaction en chaîne, et c’est pourquoi nous devons enrichir cette concentration au moins jusqu’à 3 pour cent, par des procédés coûteux, pour pouvoir l’utiliser dans les centrales nucléaires. À l’époque du réacteur d’Oklo, la concentration naturelle d’uranium fissible était encore
Le cosmos
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assez élevée, car l’uranium 235 se désintègre bien plus vite (demi-vie de 710 millions d’années) que l’uranium 238 (demi-vie de 4,5 milliards d’années). Plus nous reculons vers le passé, et plus le rapport entre les deux se décale. Lesch :
Une bien belle histoire, en effet ! Mais ne voulais-tu pas nous parler des constantes naturelles ?
Gaßner :
Laisse-moi encore te raconter le clou de l’histoire. Nous avons avec Oklo un réacteur qui, il y a 1,8 milliard d’années, a généré des produits de fission. Beaucoup sont encore présents aujourd’hui. Avec les déchets nucléaires, nous avons malheureusement beaucoup d’expérience. À partir des résultats de la réaction, en particulier grâce à la présence d’un élément nommé Samarium, nous pouvons conclure précisément que les charges élémentaires des électrons et des protons, ainsi que la vitesse de la lumière et que la constante de Planck n’ont point changé depuis lors.
Lesch :
Eh ! Pas mal du tout ! Mais existe-t-il des découvertes qui permettent de remonter plus loin encore dans le passé ?
Gaßner :
Pour remonter encore plus loin, nous devons tourner nos regards vers l’espace. Même dans les spectres qui sont apparus il y a 10 milliards d’années, nous n’avons trouvé jusqu’ici aucune variation des constantes naturelles.
Lesch :
On peut donc vraiment compter sur ces constantes. Et cela compliquerait vraiment l’astronomie, si les constantes changeaient constamment avec le temps. S’il existe fondamentalement quelque chose, c’est parce que les forces physiques élémentaires invariantes se livrent une sorte de compétition éternelle les unes les autres. Le soleil comme boule de gaz ne « tient » que parce qu’il est un équilibre entre sa pression interne et sa gravité. La pression provient de la fusion nucléaire en son centre. Elle fait fusionner les noyaux d’atomes ensemble. L’énergie libérée lors de la fusion chauffe le gaz de l’étoile et la fait briller.
Gaßner :
À la fin, c’est l’homme qui profitant de ce spectacle, constitue lui-même une part de cette évolution. Il est constitué d’éléments qui lui viennent du ciel. Nous sommes vraiment les enfants des étoiles.
Le Big Bang, le cosmos et la vie
192 Lesch :
Il s’était déjà produit tout un tas de choses dans la Voie lactée avant qu’enfin la formation d’un système planétaire fut possible. Sur la troisième d’entre elles sont apparus, après quatre milliards d’années et demi, des êtres ayant conscience de leur propre existence.
Gaßner :
Nous approchons maintenant du chapitre suivant, la formation du système solaire et de ses planètes. Coming home pour ainsi dire. Après un voyage interminable nous parvenons enfin à la maison, à la place où non seulement nous vivons, mais aussi de laquelle nous avons entre temps compris, combien dans cette affaire, tout se joue à notre avantage.
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3.47 Le système solaire (les distances représentées ne sont pas proportionelles) : de loin la plus grande partie de la masse totale, 99,86 pour cent exactement, se trouve à l’intérieur du soleil.
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3.7
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Notre système solaire Home sweet home
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Vers l’intérieur gravitent les quatre planètes telluriques Mercure, Vénus, la Terre et Mars. Vers l’extérieur se trouvent les géants gazeux, Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune, également les planètes naines Cérès, Pluton et Éris (2003 UB313).
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
Gaßner :
Tu as déjà expliqué comment cela a dû probablement se passer, il y a 4,567 milliards d’années. Les enveloppes stellaires provenant de l’explosion de deux supernovæ, progressant dans le vide interstellaire, ont comprimé une partie d’un nuage gazeux et ainsi enclenché le processus de formation d’une étoile.
Lesch :
C’est cela. Les vitesses des résidus des étoiles sont supérieures à la vitesse du son, ce qui conduit à de fortes compressions du gaz. On connaît très bien cela sur Terre : il suffit de penser aux avions supersoniques. Quand le gaz comprimé se dilue à nouveau soudainement, cela produit dans notre atmosphère une détonation. Le gaz interstellaire, au contraire, se refroidit lors de la compression, car il perd alors de l’énergie par rayonnement. Plus il est dense, plus les atomes émettent du rayonnement. C’est pourquoi un gaz dans le médium interstellaire se refroidit par compression.
Gaßner :
Et lorsque le gaz devient plus froid, il réduit son énergie thermique. Si suffisamment de gaz est alors comprimé et si le refroidissement est assez avancé, le nuage s’effondre sur lui-même sous l’effet de sa propre masse. Cela provoque le réchauffement du gaz, car le rayonnement libéré ne peut plus s’échapper sans obstacle. Et cela dure jusqu’à ce que, finalement, la fusion des noyaux d’atomes au centre se produise, l’étoile se met alors à briller. Une belle boule de gaz rayonnante.
Lesch :
Cela est assez facile à comprendre. Au contraire, la formation des planètes est plus difficile à expliquer. En comparaison de celle d’une étoile, elle prend en effet en compte des formes beaucoup plus différenciées de la matière. Josef, prenons le cas de notre système solaire, considéré comme le cas normal pour ainsi dire. Comment cela s’est-il passé ?
Gaßner :
Les faits d’abord : au centre du système règne majestueusement le soleil. Sa masse est plus de 1 000 fois supérieure à celle de toutes les planètes qui l’entourent prises ensemble. C’est pourquoi, c’est lui qui détermine par sa gravitation, la course des planètes : elles doivent évoluer en un plan selon des trajectoires légèrement elliptiques.
Lesch :
Une course elliptique ? Cela est vite dit : sur une feuille de papier, on aurait bien de la peine à distinguer, à l’œil nu, la différence entre un
Le cosmos
195
cercle et la course elliptique de la plupart des planètes. Tout au plus repérerait-on Mercure et le dégradé Pluton, qui a perdu son statut de planète. Il doit désormais se contenter du titre de planète naine. Je trouve cela dommage, mais ne nous écartons pas du sujet. On aurait pu laisser Pluton parmi les « grands » un peu plus longtemps. Il fut découvert en 1930 par l’astronome américain Clyde Tombaugh et depuis, il n’a même pas eu le temps de faire une seule révolution autour du soleil ! Mais pardon, retournons à nos moutons. Gaßner :
Le soleil et ses planètes forment un système cohérent et ont une genèse commune. Le système solaire est non seulement composé de planètes et de leurs compagnons, les lunes, mais aussi d’astéroïdes et de comètes. Les planètes se répartissent en deux groupes, celles qui ressemblent à la Terre, les planètes telluriques d’une part, et les planètes gazeuses d’autre part. Les planètes telluriques ou rocheuses ont une composition similaire à celle de la Terre. Elles sont constituées de matériaux rocheux et de métaux. Leur densité est élevée, leur surface solide, et le nombre de leurs lunes est réduit. C’est à ce groupe qu’appartiennent les quatre planètes les plus proches du soleil : Mercure, Vénus, la Terre et Mars. Au contraire, Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune comptent au nombre des planètes gazeuses et évoluent autour du soleil à des distances allant en augmentant. Elles sont constituées presque uniquement de gaz, principalement d’hydrogène et d’hélium. Leur densité, comparable à celle de l’eau, est plutôt faible. Elles tournent rapidement autour de leur axe. L’objet le plus lointain que nous avons pu jusqu’ici visiter est le pauvre Pluton, traité en 2006 honteusement par l’Union internationale d’Astronomie. À l’époque, la sonde New Horizons était déjà en route vers les avantpostes du système solaire. Le 14 juillet 2015, elle venait de passer les blocs gelés de la ceinture de Kuiper, et avait rassemblé une multitude de données. Il y eut alors une levée de boucliers dans la communauté des fans de Pluton, lorsque fut rendu public, que Pluton était non seulement plus gros qu’on ne le pensait, avec ses 2 370 kilomètres de diamètre, mais aussi plus gros que la planète naine Éris (2 326 kilomètres de diamètre). Il est plus que probable que les premières pétitions visant à redonner à Pluton son rang de planète sont depuis en circulation.
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3.48 Le Soleil (voir aussi le schéma 3.4) est composé à 73 % d’hydrogène et de 25 % d’hélium, et de quelques éléments lourds. 99,86 % de la masse totale du système solaire se trouve réunie en son centre sous la forme de plasma. Là, par une température d’environ 14 millions de kelvins, l’hydrogène fusionne en passant par plusieurs phases : chaque seconde, 564 millions de tonnes de protons forment 560 millions de tonnes d’hélium (schémas 3.5 et 3.6). La différence de masse est émise sous la forme de particules et de rayonnement, qui se frayent d’abord un chemin vers la surface, aussi appelée photosphère (4), à travers plusieurs couches, celles-ci étant, au début, dominées par le rayonnement (2), et par la suite, lorsque la chaleur baisse, par la convection (3). De la surface, 99 % de l’énergie s’échappe sous la forme de rayonnement. Là où il y a convection, il se forme des zones de températures différentes baptisées granules (6). Les zones où les champs magnétiques empêchent la convection sont particulièrement frappantes : elles constituent des tâches sombres (5) représentées à droite, avec le cliché original, d’une étendue d’environ 20 000 km, à une longueur d’onde variant de 480 à 640 nm, et en coupe, avec une simulation numérique. Le champ magnétique chauffe la chromosphère (7) et la couronne solaire (9). Lorsque le plasma est en partie arraché par les lignes du champ magnétique, il se forme alors des déjections coronaires et des protubérances (8). Le soleil n’est pas un corps rigide et c’est pourquoi sa rotation est différentielle, c’est-à-dire qu’il tourne sur lui-même à l’équateur plus vite qu’aux pôles. Diamètre : Masse / densité moyenne : Pesanteur/ durée de rotation : Température effective / classe spectrale :
1 392.684 km 1,988 · 1030 kg / 1,408 g/cm3 274 m/s2 / 25,38 jours 5 778 K / G2V
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3.49 Mercure lors du passage de la sonde Messenger. La surface de la planète tellurique est couverte de cratères. Le plus gros d’entre eux, Caloris Planitia, avec 1 550 kilomètres de diamètre, fut causé par un objet qui a pu atteindre les 140 kilomètres. En raison de la proximité du soleil et de sa rotation très lente, il règne de grosses différences de température entre la face de jour et la face de nuit. Mercure est la seule planète tellurique, exception faite de la Terre, qui possède un champ magnétique digne de ce nom – 450 nanotesla. Son gros noyau de fer lui confère une densité très forte. Malgré tout, sa masse est trop faible relativement aux hautes températures de la surface pour permettre à Mercure de retenir une atmosphère. Les perturbations causées par d’autres planètes, ainsi que par la courbure de l’espace due au soleil proche, expliquent la rotation de sa trajectoire autour de son foyer orbital (cf. schéma 1.16). Diamètre : Masse / densité moyenne : Gravité : Rayon de l’orbite périhélie/ aphélie : Inclinaison du plan de l’orbite : Vitesse orbitale : Orbite /durée de rotation : Température de surface max. / min. : Atmosphère : Lunes :
4 879 km 3,3 · 10 23 kg / 5,427 g/cm3 3,7 m/s2 0,307 / 0,467 AU 7,00 ° 47,36 km/s 87,969 jours / 58,646 jours 430 °C / –173 °C aucune aucune
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Plafond de nuages d’acide sulfurique Vapeur d’acide sulfurique Troposphère
Température (degré Celsius)
3.50 Vénus. À gauche : l’enregistrement en UV du satellite Pioneer-Venus– 1 met en évidence la structure nuageuse de l’atmosphère très dense constituée de dioxyde de carbone. Les cartes radars de la sonde Magellan et une vue de synthèse informatique en coupe laissent deviner à quoi ressemblent les cratères Saskia, Danilova et Aglaonice. L’atmosphère très dense produit une pression de 92 bars. L’effet de serre galopant porte la température jusqu’à 460 °C, alors que dans les couches supérieures (mésosphère), règne une température glaciale de – 100 °C. Vénus ne présente que peu de cratères et les plus petits d’entre eux – en deçà de trois kilomètres – sont presque complètement absents, car les possibles intrus qui produiraient des cratères de cette taille se désintégreraient dans l’atmosphère dense. De plus, la surface est travaillée par un volcanisme prononcé et une forte tectonique très jeune – 500 à 800 millions d’années. Vénus possède une rotation rétrograde (par rapport au pôle Nord dans le sens des aiguilles d’une montre), ce qui fait que le soleil se lève à l’ouest… Diamètre : Masse / densité moyenne : Gravité : Rayon de l’orbite périhélie/ aphélie : Vitesse orbitale / inclinaison : Orbite /durée de rotation : Température de surface max. / min. : Atmosphère (92 bars) : Lunes :
12 103,6 km 4,869 · 1024 kg / 5,243 g/cm3 8,87 m/s2 0,718 / 0,728 AU 35,02 km/s / 3,395 ° 224,7 jours / 243,01 jours 470 °C / 120 °C CO2 (96,4 %), N2 (3,4 %), reste H2O et SO2 aucune
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Équ ate ur
plan elliptique
3.51 La Terre. Reconstruction à partir de quatre passages du satellite Suomi NPP. Des mesures détaillées montrent de claires variations par rapport à une sphère idéale. De ce fait, la rotation terrestre est théoriquement plutôt une rotation ellipsoïdale avec des aplatissements aux pôles. Le pôle Nord est cependant plus élevé tandis que le pôle Sud est plus enfoncé. Dans l’ensemble, on obtient une figue légèrement en forme de poire appelée géoïde. De plus, des variations de densité à la surface du manteau terrestre occasionnent des variations locales du champ gravitationnel. Celles-ci sont représentées grossies en haut à droite, par le modèle EIGEN– 6C, où les zones bleues représentent un potentiel gravitationnel plus élevé, et les zones rouges un potentiel plus faible. L’inclination de l’axe de rotation par rapport à l’axe orbital – d’une valeur de 23,43° – modifie, pendant l’orbite, l’angle d’incidence des rayons solaires, produisant ainsi le changement des saisons. Diamètre aux pôles/ à l’équateur : 12 713,5 / 12 756,3 km Masse / densité moyenne : 5,974 · 1024 kg / 5,515 g/cm3 Gravité : 9,81 m/s2 Rayon de l’orbite périhélie / aphélie : 0,983 / 1,017 AU Vitesse de rotation orbitale / inclinaison : 29,78 km/s / 5,145 ° Durée de l’orbite / durée de rotation 365,256 jours / 23,9344 heures Température de surface max. / min. : 58 °C / –89 °C Diamètre de la lune / masse : 3 476 km / 7,349 · 10 22 kg Atmosphère (1,014 bar) : N2 (78,08 %), O2 (20,95 %), Ar (0,93 %) CO2 (0,038 %)
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3.52 3 52 Mars Mars. Image composite provenant des donné données ées de la sonde Mars Global ées Surveyor. La poussière d’oxyde de fer (rouille) dans l’atmosphère fine et sur la surface sèche confère à cette planète sa couleur rouge caractéristique. Les images de la sonde spatiale et du robot martien montrent des traces profondes d’une tectonique passée : des canyons profonds et de hauts volcans. Avec le bouclier volcanique Mons Olympus (image de droite), Mars possède même la plus haute formation du système solaire (22 km par rapport au niveau moyen). En raison de la faible gravitation, le volcan put croître ainsi sans s’affaisser sous son propre poids. 3.53 Image panoramique du cratère d’impact Victoria, d’une largeur de 730 mètres et d’une profondeur de 70 mètres, composée de clichés superposés pris par le rover Opportunity du 6 octobre jusqu’au 6 novembre 2006. On étudie les couches de sédiments profonds sur ces pentes. Aux pôles, on trouve du dioxyde de carbone gelé, lié à de la glace, présente, elle,
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en moindres proportions. Elle fond en partie, en été. Probablement, l’atmosphère de Mars était beaucoup plus dense, il y a des milliards d’années. La couche de glace mesurée par radar a dû suffire alors, sous des températures et des pressions plus élevées, à couvrir la surface de la planète d’une couche d’eau de 11 mètres de profondeur. Les spéculations répétées concernant des formes de vie antérieures viennent de là. Quoi qu’il en soit, et malgré des efforts intensifs, on n’a trouvé 3.54 Surface rocheuse (Pathfinder) jusqu’à ce jour aucune forme de vie sur Mars. Le champ magnétique protecteur a chuté jusqu’à la valeur actuelle de 0,5 nanotesla, depuis que la désintégration d’éléments radioactifs dans le noyau liquide ne fournit plus assez de mouvements de convection. Un noyau dur, comme celui de la Terre, manque à Mars pour produire un champ magnétique similaire. Diamètre Masse / densité moyenne : Gravité : Rayon orbital périhélie / aphélie : Vitesse radiale de l’orbite / inclinaison : Durée orbitale / Durée de rotation : Température de surface max. / min. : Lunes Atmosphère (6 · 10 – 3 bars) :
6 792,4 km 6,419 · 1023 kg / 3,933 g/cm3 3,69 m/s2 1,381 / 1,666 AU 24,13 km/s / 1,85 ° 686,98 jours / 24,623 heures. 27 °C / –133 °C Phobos et Démos CO2 (95,97 %), N2 (1,89 %), Ar (1,93 %) O2 (0,146 %), CO (0,056 %), H2O (0,02 %)
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3.55 Jupiter. Les clichés de la sonde Cassini montrent l’ombre de la lune Europe sur les bandes nuageuses turbulentes et denses. La vitesse élevée de rotation du géant gazeux – moins de dix heures pour une rotation complète – est en grande partie responsable des tempêtes gigantesques, avec des vents atteignant les 550 km/h. L’imposant anticyclone, portant le nom de « tache rouge », frappe par son étendue : deux fois le diamètre de la Terre. La couche de nuages supérieure de Jupiter a une température de seulement –150 °C, et ce, bien que la planète la plus grosse et la plus lourde du système solaire soit toujours en train de se comprimer, libérant ainsi une énergie de gravitation équivalent à 1,7 fois l’énergie lui provenant du soleil. Un système d’anneau peu développé (schéma en haut à droite), formé de particules de poussière à peine visibles, tourne autour de la planète toute entière. Jupiter atteint une masse deux fois plus grande que toutes les autres planètes du système solaire prises ensemble. Par sa gravité dominante parmi les planètes du système solaire, Jupiter contribue essentiellement à la stabilité de l’ensemble. Jupiter appartient aux planètes gazeuses, c’est-à-dire qu’elle ne pos-
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sède point de surface dure et point d’atmosphère clairement délimitée. Presque toute la planète est constituée de gaz, avec une composition similaire à celle de notre soleil. Les enveloppes de gaz composées d’hydrogène, d’hélium, et de traces de méthane et d’ammoniac passent à l’état liquide au fur et à mesure que l’on progresse en profondeur. Le noyau de Jupiter formerait une zone dure d’éléments lourds pouvant peser douze fois la masse de la Terre. On désigne par surface chez les planètes gazeuses la partie où règne une pression de 1 bar. Jupiter a le champ magnétique le plus fort de toutes les planètes du système solaire. Sur la face exposée au soleil, sa forte interaction entre le vent solaire s’étend sur plus de 6 millions de kilomètres à l’intérieur de notre système solaire. Sur la face opposée, il atteint même l’orbite de Saturne. La capture continuelle de particules chargées a fini par former des anneaux, aux tori très particuliers, le long des 3.57 La magnétosphère avec à chaque fois orbites des lunes Io et Europe. un tore de plasma autour des orbites de Io (en vert) et Europe (en bleu). Diamètre au pôle / équateur : Masse / densité moyenne : Gravité : Rayon de l’orbite périhélie / aphélie : Vitesse orbitale / inclinaison : Durée orbitale / rotation : Température de surface : Atmosphère : Lunes :
133 708 / 142 984 km 1,899 · 1027 kg / 1,326 g/cm3 24,79 m/s2 4,95 / 5,46 AU 13,07 km/s / 1,305 ° 11 ans 315 jours / 9 h 50 min. –108 °C H2 (89,8 %), He (10,2 %), CH4 et NH3 67, avec les lunes galiléennes Io, Europe, Ganymède et Callisto
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3.58 3 58 Saturne L’enregistrement de la sonde Cassini montre un système complexe avec plus de 100 000 anneaux constitués de glace et de roches. On reconnaît clairement l’ombre portée qui en résulte à la surface de Saturne. La révolution orbitale des anneaux intérieurs dure 6 à 8 heures, celle des anneaux extérieurs dure quant à elle 12 à 14 heures. Les intervalles entre les anneaux sont produits par les innombrables influences gravitationnelles réciproques, comme celles produites par les nombreuses lunes de Saturne. Des lunes plus petites, également appelées satellites bergers, gravitent en deçà des espaces vides ou à leurs bords. De telles structures peuvent se former des années durant à partir de particules de poussières chargées électriquement. Saturne renvoie 2,3 fois plus d’énergie qu’elle n’en reçoit du soleil. Comme pour Jupiter, cela provient probablement d’énergie gravitationnelle produite par la compression de cette boule de gaz. Ainsi on estime que des températures allant jusqu’à 12 000 kelvins règnent au centre. Le noyau solide représente 25 % de la masse totale de la planète et est plus étendu que celui de Jupiter. Avec une densité moyenne faible, Saturne pourrait flotter sur l’eau. Diamètre au pôle / équateur : Masse / densité moyenne : Gravité : Rayon de l’orbite périhélie / aphélie : Vitesse orbitale / inclinaison : Durée orbitale / rotation : Lunes : Température de surface : Atmosphère :
108 728 / 120 536 km 5,685 · 1026 kg / 0,687 g/cm3 10,44 m/s2 9,04 / 10,12 AU 9,65 km/s / 2,49 ° 29,46 ans / 10 h 33 min. 62 –139 °C H2 (96 %), He (3 %), CH4 et NH3
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3.59 Uranus en couleurs naturelles (Voyager 2) et en infrarouges proches (Télescope Hubble). Seule la partie bleue de la lumière solaire pénètre les couches les plus hautes composées de gaz de méthane, ce qui donne à la planète sa couleur caractéristique. En deçà, entre des couches gaz à l’état liquide et un noyau, se cache un manteau très épais composé d’eau, de méthane et d’ammoniaque glacés. C’est pourquoi on parle volontiers d’un géant glacé, bien que la température en son centre atteigne les 5 000 °C. Le quadripôle magnétique constitue une chose inhabituelle. Uranus a bel et bien deux pôles magnétiques nord et deux sud. Dans le plan de l’équateur, on trouve de la glace et des roches d’une taille allant de plusieurs mètres de grosseur jusqu’à celle de fines particules de poussières formant un fin système d’anneaux. Diamètre au pôle / équateur : Masse / densité moyenne : Gravité : Rayon de l’orbite périhélie / aphélie : Vitesse orbitale / inclinaison : Durée orbitale / rotation : Température de surface : Atmosphère : Lunes :*
49 946 / 51 118 km 8,683 · 1025 kg / 1,27 g/cm3 8,87 m/s2 18,324 / 20,078 AU 6,81 km/s / 0,77 ° 84 ans / 17 heures 14 min. 24 s. –197 °C H2 (82,5 %), He (15,2 %), CH4 (2,3 %) 27, dont les 5 principales : Miranda, Ariel, Umbriel, Titania et Obéron
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3.60 3 60 Neptune au cours du passage de la sonde sond de de Voyager 2. Le méthane y cristallise sous forme de flocons de glace, dont les nuages de plus de 1 000 kilomètres de long et de 50 à 150 kilomètres de largeur viennent embellir la planète. Ce qui attire particulièrement l’attention, c’est la tache sombre au milieu : un cyclone d’une vitesse de plus de 1 100 km/h. La planète la plus centrifuge du système solaire ressemble fort à Uranus, y compris en raison de son quadripôle magnétique. Le géant de glace Neptune révèle un système d’anneaux encore plus fin et l’énergie qu’il émet est 2,5 fois plus importante que celle qu’il reçoit du rayonnement solaire. Diamètre au pôle / équateur : Masse / densité moyenne : Gravité : Rayon de l’orbite périhélie / aphélie : Vitesse orbitale / inclinaison : Durée orbitale / rotation : Température de surface : Atmosphère : Lunes :
48 682 / 49 528 km 1,024 · 1026 kg / 1,638 g/cm3 11,15 m/s2 29,709 / 30,385 AU 5,43 km/s / 1,769 ° 164 ans 288 jours / 15 heures 58 min. –201 °C H2 (80 %), He (19 %), CH4 (1,5 %) 14, dont les plus grosses Triton, Néréide et Protée
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3 61 La planète naine Pluton lors du passage de la sonde New Horizons. Horizons On 3.61 remarque tout de suite la formation de glace en forme de cœur, principalement située au nord de l’équateur, et qui fut baptisée du nom du découvreur de Pluton, Clyde Tombaugh. Les deux moitiés se différencient cependant par leur constitution respective. Celle de gauche (à l’ouest), appelée Plateau Spoutnik, est lisse et dépourvue de cratères, et de ce fait, probablement âgée d’à peine quelques millions d’années seulement. La définition de l’image de gauche rend possible la reconnaissance de structures d’une étendue supérieure à 2,2 kilomètres. L’image de droite montre une bande de 100 kilomètres de largeur, à la frontière sud du plateau de Spoutnik et son massif montagneux de 3 500 mètres d’altitude, composée de glace (eau), baptisé les montagnes de Norgay (un des premiers alpinistes à avoir gravi le mont Everest). L’orbite de la planète naine glacée est excentrique et fortement inclinée. Elle se trouve en une situation de résonance 3 :2 avec Neptune. Son atmosphère extrêmement fine est composée principalement d’azote et de monoxyde de carbone, et atteint une altitude de 1 600 kilomètres. Diamètre au pôle / équateur : 2374 / 2374 km Masse / densité moyenne : 1,303 · 1022 kg / 1,869 g/cm3 Gravité 0,62 m/s2 Rayon de l’orbite périhélie / aphélie : 29,658 / 49,305 AU Vitesse orbitale / inclinaison : 4,67 km/s / 17,16 ° Durée orbitale / rotation : 247 ans 343 jours / 6 jours 9,29 heures Température de surface : max. / min. : –218 °C / –240 °C Lunes : Charon, Nix, Hydre, Kerbéros et Styx –3 Atmosphère : (6 · 10 bars) : N2 , CO, CH4
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3.62 Objets transneptuniens. (TNOs). Illustration à l’échelle, de planètes naines et d’un objet plus petit, à l’intérieur de l’orbite de Neptune. Pluton est le plus gros objet, et Éris le plus lourd. Hauméa quant à elle, tourne en moins de quatre heures autour de son axe, ce qui fait que son diamètre, au pôle, n’a que la moitié de celui à son équateur. On entend en général par planète-naine un objet dépendant du soleil, qui en raison de sa gravitation prend la forme approximative d’une sphère. La différence avec une planète est fonction de la dominance de cet objet sur son orbite, c’est-à-dire s’il est largement libre de l’influence d’autres objets. Pour le moment 5 objets correspondent à cette définition : Cérès dans la ceinture d’astéroïdes entre Mars et Jupiter, tout comme les objets représentés en haut, Pluton, Éris, Makémaké et Hauméa. En deçà, vient la classe des objets plus petits, dont la masse ne suffit pas à former une surface sphérique. Le classement de Sedna est encore disputé – et éventuellement elle formera à elle seule une classe à part, en raison de son orbite fortement excentrique. Son aphélie est 20,5 fois plus éloignée du soleil que ne l’est le point le plus éloigné du soleil de l’orbite de Pluton. Cela correspond à une distance de 5 années-lumière. C’est-à-dire au-delà de ce qu’on appelle, en l’honneur de Gerald Kuiper, la ceinture de Kuiper, un ensemble d’anneaux au-delà de l’orbite de Neptune, qui hébergent des centaines de milliers d’objets, nombre d’entre eux plus gros que 100 kilomètres. Un tiers de ces dénommés Kuiper Belt Objects (KBOs) se trouve en résonance avec l’orbite de Neptune, ce qui stabilise leurs orbites respectives. Viennent-ils à être perturbés, alors apparaissent la plupart du temps des comètes à courte périodicité, ayant une durée orbitale inférieure à 200 ans. Les KBO forment un sous-groupe parmi les objets transneptuniens (TNOs).
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Nuage d’Oort Vent solaire
Héliosphère
3 63 Le système solaire 3.63 solaire, d’après une échelle de mesure logarithmique de la distance soleil/Terre (AU) – Le soleil est au centre et son vent solaire de particules chargées repousse le médium interstellaire au-dehors de l’héliosphère. Seules les particules électriquement neutres venant de l’extérieur parviennent à la pénétrer. À une distance caractéristique (Termination Shock), où la vitesse du vent solaire décroît et où les perturbations du plasma augmentent, la domination de notre étoile diminue progressivement. Avec l’héliopause, son influence sur le médium intermédiaire est finalement négligeable. La sonde Voyager 1 est le premier artefact à avoir atteint cette zone. Un ordre de grandeur plus loin, la poussière, la glace et des corps rocheux forment ce qu’on appelle le nuage d’Oort. Si l’orbite de ces objets est perturbé, ils peuvent atteindre sous la forme de comètes à longue périodicité (durée d’orbite supérieure à 200 ans) notre système solaire. Selon la théorie de l’astronome néerlandais Jan Hendrik Oort, cette zone à l’extrême limite de notre système solaire s’étend jusqu’à une distance de 100 000 AU dans le milieu interstellaire ; cela représente tout de même 1,6 année-lumière. Dans 300 ans environ, la sonde Voyager 1 pourrait atteindre son bord intérieur situé à environ 1 000 AU – sa traversée complète nécessiterait théoriquement 30 000 années supplémentaires. À 4,34 années-lumière, nous trouvons finalement le système stellaire le plus proche de nous : Alpha du Centaure.
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Lesch :
Notre système solaire s’étend sur des milliards de kilomètres dans l’espace. Au-delà de la planète Neptune se trouve la ceinture de Kuiper, un regroupement circulaire de roches, réparties sur environ 70 milliards de kilomètres, 500 fois la distance Terre-Soleil.
Gaßner :
Si nous ajoutons à cela le nuage de Oort, une zone sphérique autour du soleil remplie de roches de toutes sortes, reliques du temps de la formation du système solaire, on atteint alors les dix milliards de kilomètres, ou pour le dire autrement, une année-lumière et demie. La lumière du soleil a besoin de dix-huit mois pour atteindre le nuage cométaire de Oort.
Lesch :
Là, si loin au dehors, cela ne suffit plus pour un coup de soleil et il n’y a pas de planètes non plus. Notre patrie galactique est âgée de 4,56 milliards d’années. Comment savons-nous cela ? La détermination de l’âge est possible, comme nous l’avons déjà mentionné, grâce à l’analyse des météorites, ces rescapés vagabonds de l’époque de la formation du système solaire. Ils sont apparus en même temps que les planètes et le soleil.
Gaßner :
L’âge des météorites se laisse très précisément mesuré par la décroissance radioactive des éléments. La moitié des noyaux atomiques de l’uranium et du thorium se désintègrent sur un laps de temps de milliards d’années. Ces éléments sont les plus vieilles horloges de l’univers. En lisant la proportion d’atomes déjà désintégrés relativement à ceux encore non désintégrés, on détermine ainsi l’âge de la roche.
Lesch :
Par l’analyse des roches on peut reconstituer l’image suivante de l’histoire de notre système solaire : les planètes évoluent sur des orbites quasiment circulaires, dans un plan de quelques milliards de kilomètres de diamètre, depuis plus de quatre milliards d’années et demi autour du soleil. Mon dieu ! Nous devons faire attention à ne pas trop nous emballer ! Mais entre nous, chères lectrices et chers lecteurs, vous vous étonnez sûrement, vous aussi, que cela ait pu rester si stable aussi longtemps. Nous allons en parler prochainement, mais avant cela, une autre question scientifique : Comment est apparu le système solaire ?
Gaßner :
Il y a 4,56 milliards d’années, le soleil naissait à l’intérieur d’un nuage de gaz en phase de collapse. Autour de la jeune étoile, une partie du
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nuage stellaire se concentra sous la forme d’un disque plat en rotation, constitué de gaz et de poussière. Sa masse ne représenta qu’une fraction de la masse du soleil, mais elle s’étendit sur 15 milliards de kilomètres. C’est à l’intérieur de ce disque que sont apparues toutes les planètes. C’est pourquoi elles évoluent encore aujourd’hui pratiquement en un seul plan autour du soleil. Lesch :
La formation des planètes se déroule en deux phases. Lors de la première phase, le développement se produit au hasard des chocs des particules de poussières réparties régulièrement dans tout le disque. Elles s’accolent ensemble et forment ainsi des amas de plus en plus gros. Dans un espace de temps de quelques millions d’années seulement – un presquerien à l’échelle galactique – se forment alors à partir de ces amas les précurseurs de nos planètes, les planétisimaux, et certains atteignent déjà à l’époque la taille de plusieurs centaines de kilomètres. Pendant la seconde phase, plusieurs d’entre eux s’assemblent pour former des objets plus gros. En raison de leur masse, les plus gros croissent plus vite que les autres ancêtres de nos planètes. Selon ce modèle, se sont formées les planètes Mercure, Vénus, La Terre et Mars. Leur croissance s’acheva après 100 millions d’années, lorsque presque toutes les poussières du disque furent amassées.
Gaßner :
Les planètes gazeuses, quant à elles, ne peuvent se former que dans les régions plus extérieures du disque. Là, la température et avec elle l’énergie cinétique des molécules de gaz est si faible, qu’elles restent concentrées par gravitation autour des noyaux rocheux de ceux qui deviendront alors les géants gazeux. Au-delà d’une certaine frontière thermique, appelée ligne des glaces, le gaz se met même à geler, ce qui augmente sa densité. Cela rendit possible l’accumulation de grandes quantités de gaz par les planètes gazeuses. Jupiter grossit tant, qu’en moins d’un million d’années, elle finit par atteindre 317 fois la masse de la Terre.
Lesch :
Les planètes que nous observons aujourd’hui dans le système solaire sont, en fait, les gagnants, ce qui reste des nombreuses collisions du tout début. Pour les corps qui vagabondent sur des orbites très elliptiques, il existe une probabilité bien plus élevée de collision avec d’autres planètes. C’est pourquoi ils ont disparu depuis longtemps, ils furent fracassés lors d’une collision, ou bien se sont abîmés dans le soleil, ou encore ont quitté
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depuis longtemps le système solaire. Seules ont survécu les plus petites roches, comme les comètes ou les astéroïdes, qui croisent suivant des orbites très elliptiques le système solaire. Les planètes, au contraire, ont des orbites presque circulaires. La forme de la trajectoire est de première importance : les orbites circulaires jouent un rôle très positif en ce qui concerne la stabilité d’un système planétaire. Gaßner :
De quoi vraiment s’émerveiller : notre système solaire est stable depuis 4,56 milliards d’années. Depuis si longtemps déjà, la révolution des planètes autour du soleil se produit sans que leurs courses un tant soit peu elliptique aient sensiblement changé. Comment savons-nous cela ? La réponse est très simple : parce que nous sommes là !
Lesch :
À tout le moins depuis quelques millénaires. L’Homo sapiens n’a rien à voir avec cette stabilité elle-même.
Gaßner :
Bien sûr que non. Mais le fait que les hommes existent, suppose en soi-même quantité de choses. L’homme est une partie de la nature et, en cela, le résultat d’une très longue évolution biologique qui n’aurait jamais eu lieu, si la distance de notre planète au soleil s’était modifiée significativement. Une réduction importante de la distance Terre-Soleil aurait transformé notre planète en une zone hostile à la vie et l’eau des océans se serait même mise à bouillir. Si cette distance au contraire avait trop augmenté, la Terre aurait gelé. Le cours reconstruit de l’histoire de la Terre et tous les examens des roches conduisent à une conclusion unique : la distance Terre-Soleil est demeurée depuis une éternité pratiquement inchangée. À l’échelle cosmique, ce laps de temps est de toute façon minuscule.
Lesch :
Depuis leur apparition, les autres planètes sont également restées approximativement à la même distance du soleil lors de leur voyage circulaire autour de notre étoile. Sinon, elles seraient, elles aussi, entrées en collision avec les autres planètes ou se seraient tout simplement écrasées dans le soleil.
Gaßner :
Il est probable qu’il y eut ce genre de catastrophes. Ce que nous observons aujourd’hui, ce sont les gagnants de cette concurrence évictive.
Lesch :
D’où vient l’incroyable stabilité de ces survivants ?
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Gaßner :
Tout d’abord, les planètes ne perdent plus d’énergie par rotation. La densité du gaz entre les planètes est si faible, qu’il n’existe plus aucun frottement digne de ce nom. Ensuite, l’influence des autres planètes par la gravitation est si faible, qu’elle ne joue quasiment plus aucun rôle. Que tout semble « tourner rond », est apparemment redevable aux seules circonstances favorables : en effet, les petites perturbations ne se cumulent pas.
Lesch :
Cela ne suffit pas à me convaincre complètement. Tout ça aurait pu se dérouler tout autrement. D’autres enquêtes détaillées du mouvement des planètes ont montré que leur course stable ne pouvait être calculée que pour une période allant jusqu’à 200 millions d’années. Cela est tout à fait honorable, mais également inquiétant, ne trouves-tu pas ?
Gaßner :
Oui, mais au-delà, il est impossible de prédire cette stabilité, car justement, on ne peut plus calculer si les perturbations minuscules dues aux autres planètes se cumuleront un jour ou non, causant ainsi une légère modification des orbites planétaires, si stables au départ. Une planète pourrait, de la sorte, s’approcher insensiblement de la zone d’attraction d’une autre planète. Ainsi, les orbites respectives seraient toujours plus déformées et les planètes finiraient par entrer en collision.
Lesch :
Ou encore, les forces en présence augmentent de telle façon, qu’elles arrachent une planète complètement à son orbite initiale. Nous nous trouvons devant une véritable énigme. On ne peut complètement exclure le risque d’une perturbation s’accroissant toujours plus, bien que Dieu merci, tout se soit bien passé depuis 4,56 milliards d’années.
Gaßner :
Cela pose naturellement tout de suite la question de savoir si notre point de départ, selon lequel notre système solaire constituerait un cas standard à l’échelle cosmique, est vraiment une hypothèse correcte. Les orbites quasiment circulaires des planètes laissent surgir quelques doutes à ce sujet.
Le Big Bang, le cosmos et la vie
214
3.8
Les exoplanètes Strangers in the night
Lesch :
Là, je te donne raison. Si les dix dernières années nous ont appris à nous autres, astronomes, quelque chose : c’est bien l’admiration. Nous découvrons presque journellement de nouvelles planètes, c’est-à-dire des planètes dans des systèmes solaires étrangers. Nous en avons déjà découvert presque quatre mille. Leurs orbites sont, pour la plupart, beaucoup plus elliptiques que les orbites des planètes de notre système solaire.
Gaßner :
Depuis 1995, il est possible de mettre en évidence indirectement ces exoplanètes. Chaque étoile oscille un peu autour du centre de gravité qu’elle partage en commun avec une ou plusieurs autres planètes qui gravitent autour d’elle. C’est ce tir à la corde gravitationnel qui trahit sa présence. Les planètes peuvent également être découvertes avec beaucoup de chance, lorsqu’elles viennent à s’interposer, entre notre champ visuel et une étoile, occasionnant ainsi une variation infime dans sa luminosité. La NASA a envoyé en 2009 un satellite de plus de cinq mètres de haut et pesant plus d’une tonne, Kepler. Avec sa caméra de 95 mégapixels, il scruta jusqu’en 2013 le ciel à la recherche d’une nouvelle place pour nous, ou d’une résidence secondaire très chic. Et il fut particulièrement efficient. Il a ainsi pu observer la variation de luminosité de plus de 100 000 étoiles simultanément. Jusqu’au jour où, deux engrenages défectueux du système de navigation le rendirent hors d’usage. Mais les collègues n’ont pas baissé les bras aussi vite. Il reste encore deux engrenages intacts et les duses de réglage de hauteur fonctionnent encore. Ainsi, le télescope fut positionné de telle sorte que la pression de rayonnement du vent solaire ne le mette pas constamment en situation de rotation. En mai 2014, la recherche de planètes exogènes pu reprendre, non sans graves limitations. Désormais, ce sont spécialement les observations le long du plan écliptique qui sont réalisables, et le télescope est dirigé tous les 75 jours vers de nouvelles régions du ciel. Toute cette histoire reste cependant un succès, et de nouvelles trouvailles purent rapidement être rendues publiques. Entre-temps, les données récoltées furent analysées. En 2018 au plus tard, Kepler devrait être remplacé par le télescope spatial TESS (Transiting Exoplanet
Le cosmos
215
Survey Satellite), lequel sera capable en suivant des procédés similaires, d’observer plus du double d’étoiles, en particulier des étoiles G, K et M, ainsi que des naines rouges. Depuis 2015, les télescopes terrestres NGTS (Next-Generation Transit Survey) de l’observatoire européen sud (Chili) ont pris une importance croissante. Au départ, nous ne pouvions repérer que de très grosses planètes gazeuses, comparables à Jupiter ou Saturne. Désormais, nous parvenons à détecter des candidats d’un ordre de grandeur terrestre, des planètes similaires à la Terre donc, et là, cela devient vraiment intéressant. Lesch :
Gliese 581d fut un de ces candidats passionnants. Lors de sa découverte en 2007, il fut même désigné du nom de « seconde Terre ». Il se trouve effectivement dans la zone habitable. Il s’agit ici de la zone autour d’une étoile, où la température autorise la présence d’eau à l’état liquide. Cela constitue l’une des importantes conditions pour l’apparition de la vie, comme nous le verrons ultérieurement.
Gaßner :
Plus tard, on annonça la présence possible d’autres planètes autour de Gliese 581, jusqu’à atteindre même Gliese 581g. On eut beaucoup de mal à tempérer l’euphorie lors de la conférence de presse. Un des découvreurs – Steven Vogt – était même d’avis que les chances de présence de la vie sur cette planète étaient de cent pour cent.
Lesch :
Là, sous le feu de l’action, notre cher collègue est allé trop loin. Depuis, des analyses spectrales précises laissent planer un doute sur l’existence même de planètes. Il se pourrait qu’il s’agisse en fait de tout autre chose : une perturbation de la surface solaire. Reste que nous parvenons à suivre les variations radiales de l’étoile, d’un ordre de presque un mètre par seconde.
Gaßner :
Que l’on puisse mesurer les mouvements spectroscopiques d’une étoile lointaine « roulant au pas » est quelque chose de vraiment fascinant. Et nous faisons même mieux, en matière de mesure ! L’influence de l’orbite de la Terre autour du soleil par exemple. Celle-ci cause une variation de la hauteur de la surface solaire de 10 centimètres par seconde. Par comparaison, Jupiter « tire » 100 fois plus. De ce point de vue, nous serions bien incapables cependant, pour le moment, de nous découvrir nous-mêmes dans le vide sans fond de l’espace, par la seule méthode de calcul de la
216
Le Big Bang, le cosmos et la vie
vitesse radiale. La prochaine génération de spectrographes, ESPRESSO (Echelle SPectrograph for Rocky Exoplanet and Stable Spectroscopic Observations), est d’ores et déjà en train d’être installée à l’Observatoire de La Silla au Chili et devrait apporter une aide substantielle. Nous verrons bien ce qui nous attend – il me suffit de penser à l’enthousiasme que suscita Trappist 1. Les sept planètes similaires à la Terre autour de la naine rouge Trappist 1, à presque 40 années-lumière de nous, furent en ce qui les concerne, découvertes grâce à la méthode du transit, mais je crois savoir où tu veux en venir. Lors de la conférence de presse spécialement organisée, pleine d’animations artificielles et d’images censées représenter la surface des planètes, la NASA a vraiment versé dans le genre feux d’artifice très public relations. Il est tout à fait fascinant de constater combien les seules variations de luminosité furent alors interprétées avec tant de fantaisie. Juste un mot à ce sujet, sinon cela risque de devenir obscur pour le lecteur. Les planètes exogènes sont la plupart du temps répertoriées selon la forme « nom, chiffre, lettre ». Le nom et le chiffre caractérisent leur étoile-mère, soit suivant un catalogue d’étoile, comme dans le cas de Gliese (répertoire des étoiles proches de la Terre), soit selon les appareils d’observation respectifs comme Kepler ou Trappist (Transiting Planets and Planetesimals Small Telescope). Les candidats planétaires sont alors comptés à partir de la lettre « b » . Gliese 581g constitua donc le candidat numéro 6. Un candidat, comme tu l’as déjà évoqué, qui probablement se révéla être une erreur. Lesch :
Que crois-tu toi ? Allons-nous découvrir une planète avec de la vie ou bien sommes-nous les seuls dans l’univers ?
Gaßner :
Karl-Heinz Karius aurait répondu : « Nous sommes probablement les seuls dans l’univers. Seule l’absence de concurrence peut être en effet convoquée comme explication acceptable face à toutes nos faiblesses. » Sérieusement. La question est incroyablement intéressante. C’est passionnant ! Cette seule perspective, que là, loin au dehors, dans la profondeur du cosmos, quelqu’un scrute le ciel avec un télescope et sous la lumière d’un soleil lointain se pose les mêmes questions que nous… Si les calculs sont justes, et si effectivement, il existe au moins une planète située dans une zone habitable pour cinq étoiles semblables à notre soleil, alors le nombre approximatif de planètes effectivement habitables
Le cosmos
217
est époustouflant. Il existe cent millions d’étoiles de type G dans la seule Voie lactée. Même si nous éliminons les trois quarts d’entre elles, parce qu’elles se trouvent dans des systèmes solaires doubles ou pluriels, il en reste encore 25 millions. Un cinquième de 25 millions donne 5 millions de planètes habitables dans notre propre galaxie. Pour ne rien dire des 1011 autres galaxies restantes. Lesch :
Cela constituerait bien sûr un dernier affront pour l’humanité. Tout d’abord, nous avons appris que nous ne sommes pas le centre de l’univers, pas même celui de notre système solaire. Ensuite, nous avons dû accepter le fait que nous tournions, acculés dans une arrière-cour d’un bras d’une galaxie spirale quelconque, parmi des milliards d’autres. Et si maintenant la vie intelligente dans l’univers se révélait être un phénomène extrêmement répandu, alors nous pourrions tranquillement nous débarrasser de notre conception de l’homme, fleuron de la création.
Gaßner :
Cela constituerait également un défi pour les grandes religions. Existerait-il alors sur ces planètes habitables des prophètes ou des « bonnes nouvelles » ? Probablement la découverte d’intelligence extraterrestre dépasserait en bien des points notre faculté d’imagination.
Lesch :
Nous n’en sommes pas encore là. La mousse verte, capable de photosynthèse, n’est peut-être pas si rare dans l’univers. Mais qu’en est-il du bon vin et des belles femmes ?
Gaßner :
Le fait que chaque année d’observation apporte avec elle une véritable explosion du nombre des planètes exogènes découvertes, me semble constituer un indice important – ou à tout le moins un argument statistique pour la mousse extraterrestre verte. L’analyse approfondie des données de la mission Kepler a par exemple révélé en février 2014 l’existence de 750 nouvelles planètes exogènes. Précisons que nous parlons ici avec la mission Kepler de la méthode de transit, c’est-à-dire de celle présupposant des circonstances favorables, celles où la planète passe entre nous et l’étoile observée, causant ainsi une variation dans la luminosité de celle-ci. Et puisque nous constatons déjà une véritable inflation de découvertes avec cette méthode impliquant des circonstances improbables, alors il est permis de supposer qu’il existe là, dehors, une innombrable multitude d’autres planètes.
Le Big Bang, le cosmos et la vie
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Méthode radiale
3.64 Illustrations à l’échelle de planètes potentiellement habitables, classées selon leur distance en années-lumière (ici LJ). Les candidats douteux sont marqués d’une étoile. Lesch :
Malgré tout, nous ne sommes pas en mesure de fournir une preuve d’une quelconque vie extraterrestre.
Gaßner :
C’est sûr. Il n’existe à ce sujet que des lectures de marc de café et des arguments de type statistiques, peut-être avancés un peu vite. Cependant, je voudrais comparer cette situation avec celle de Simon Marius et Galileo Galilei, qui pour la première fois, il y a 400 ans, observèrent les lunes de Jupiter et reconnurent que notre planète n’est probablement pas située au centre du monde. Peut-être bien que dans 400 ans, nous nous pencherons à nouveau sur les données concernant les exoplanètes actuelles et jugerons que les hommes d’alors furent bel et bien conscients du fait qu’ils n’étaient probablement pas seuls dans l’immensité du cosmos.
Le cosmos
219
Lesch :
Nous verrons bien. Encore que, nous deux, serions bien en peine de devoir attendre 400 ans, et puis tu sais bien ce que l’on dit : « Il est bien difficile de faire des prévisions, particulièrement lorsqu’elles touchent au futur. » (Niels Bohr)
Gaßner :
Mon sentiment me souffle plutôt, que quiconque dans notre univers, croyant démontrer, qu’à un lieu donné, quelque chose d’absolument d’unique se joue, ferait fausse route en fin de compte. Car le phénomène de la vie ne représente pas une exception. Ce qui dans cette affaire fut pour moi tellement incroyable, ce fut le nombre de candidats de planètes similaires à la Terre que nous avons catalogués parmi les 100 systèmes stellaires proches de celle-ci. Gliese 581 est seulement éloignée de 20 années-lumière par exemple, Proxima du Centaure b, l’est quant à elle de 4,2 années-lumière seulement. Et puisque nous trouvons des exoplanètes pour ainsi dire dans notre jardin potager, lesquelles se trouvent, de surcroît, dans une zone habitable, alors il y a beaucoup à parier qu’il en existe une multitude dans l’immensité du cosmos.
Lesch :
« Un jardin potager », voilà une expression bien élégante et commode, si l’on prend en compte les distances. Même un signal radio – donc un signal allant tout de même à la vitesse de la lumière – aurait besoin de 4,2 années pour faire le trajet aller-retour. Il nous faudrait vraiment disposer de beaucoup de patience pour établir le cas échéant un échange épistolaire amical. Pour une visite spontanée, nous passerions plus de temps en route que l’histoire humaine en son entier jusqu’à ce jour. Au départ du vaisseau spatial, tous les concernés sauraient déjà qu’ils n’atteindraient jamais de leur vivant le but, pas plus que leurs enfants encore à naître pendant le voyage, ni leurs petits-enfants, et leurs arrières petits-enfants pas davantage. Pour ne rien dire des tensions sociales qui ne manqueraient pas d’apparaître sur un tel vaisseau générationnel. Même si l’on parvenait à conserver des astronautes pendant des millénaires, comme on le voit volontiers dans les romans de science-fiction, rien à leur retour ne serait plus semblable à ce à qu’ils auraient quitté. Ainsi, pour les voyages interstellaires, seuls de véritables bandits asociaux pourraient faire l’affaire. Cela devrait nous donner à penser, au cas où des extraterrestres atterriraient ici, chez nous. Mais nous en étions restés au thème de la zone habitable. Là, l’eau à l’état
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
liquide est en principe possible. Ce qui ne signifie aucunement qu’il y en ait automatiquement. Gaßner :
C’est sûr. Dans l’atmosphère de la planète exogène GJ1214b à 40 annéeslumière de nous, on a identifié de la vapeur d’eau. Si la planète se trouve en ligne directe devant son étoile, alors nous recevons de la lumière qui a traversé son atmosphère. Et les éléments contenus dans celle-ci produisent des lignes d’absorption, en l’occurrence des molécules d’H2O. Après une analyse plus précise, il s’est révélé que GJ1214b possède des propriétés extrêmes. La densité de la planète est de deux fois celle de l’eau. Comparé aux géants gazeux de notre système solaire, cela est très élevé, mais par rapport aux planètes telluriques, c’est bien peu. La densité de la Terre est 5,5 grammes par centimètre cube. Tout semble indiquer que GJ1214b a 2,7 fois le rayon de la Terre et est constituée principalement d’eau.
Lesch :
Il faut dire que nous sommes tout de même capables d’observer ces planètes à la luminosité extrêmement faible ! Cela constitue presque un miracle. Désormais, nous analysons même leurs atmosphères. Qu’avons-nous donc décrypté de plus dans la couleur de ces couchers de soleils exoplanétaires ?
Gaßner :
Ce sujet des planètes exogènes est tout simplement sans fin. Par exemple, on a trouvé du méthane sur HD189733b. Pour autant, la température de surface de 900 degrés Celsius ne conviendrait pas à des troupeaux de bovins. Quelques années-lumière plus loin, dans une région propice à la formation de nouvelles étoiles, Rho Ophiuchi, on a mis en évidence l’existence des plus élémentaires molécules de sucre. Les observations du système d’étoiles Kepler– 30 furent à cet égard particulièrement utiles. Là, ce sont trois planètes qui orbitent autour de leur étoile directement dans notre alignement. Et ce n’est pas tout : elles viennent obscurcir les unes après les autres, une tache solaire, qui s’avère être très heureusement à la bonne place. Dès lors, il nous fut possible de prouver que les planètes de cette étoile évoluent dans un plan unique. L’inclination de celui-ci relativement à l’équateur de l’étoile est effectivement inférieur à un degré gradient.
Lesch :
Les taches solaires apparaissent en raison de champs magnétiques intenses à l’intérieur de l’étoile. Si les lignes de champ émergent perpen-
Le cosmos
221
diculairement à la surface de l’étoile, ils empêchent les mouvements de convection du plasma, lesquels autrement, comme dans une casserole, transporteraient continuellement les matériaux des couches les plus profondes vers la surface. Cela réduit localement pour quelques jours la température de la surface à ces endroits précis. Dans le cas de notre soleil, la température chute en dessous des 4 000 degrés kelvin au lieu des habituels 5 780 kelvins (Cf. schéma 3.48). Gaßner :
La couverture montre une représentation artistique d’une tache solaire. En plus, on peut voir une protubérance en forme d’arc. Ces éruptions apparaissent lorsque du plasma chargé électriquement est emporté par les lignes de champ. Dans les cas les plus extrêmes, elles peuvent rejoindre d’autres lignes de champ voisines allant en sens contraire, et former alors une reconnexion, libérant une grande quantité d’énergie. On appelle ces éruptions lumineuses des flares ou éruptions coronales. Ils jouent un rôle important dans les considérations concernant la zone habitable, car la plupart des étoiles de la Voie lactée brillent plus faiblement que notre soleil. La zone habitable se trouve pour cette raison plus proche de ces étoiles et en conséquence, l’influence des flares pourrait avoir une influence fatale sur toute vie potentielle.
3.65 Enregistrement d’une éruption solaire (Solar Dynamics Observatory, août 2012). Pour une comparaison fidèle à l’échelle, la Terre a été ajoutée à l’image.
222
Le Big Bang, le cosmos et la vie
Lesch :
Mais toutes les observations faites sur les planètes exogènes sont limitées à notre Voie lactée, n’est-ce pas ?
Gaßner :
En principe, oui. Mais en novembre 2010, on découvrit à 2 000 annéeslumière HIP13044b. Cette planète appartient à un système stellaire qui est apparu dans une galaxie naine étrangère. Il y a quelques milliards d’années, cette galaxie a été avalée par la Voie lactée et cette planète devint ainsi à portée de nos télescopes. Ce qui est vraiment fascinant avec HIP13044b, c’est que son étoile a déjà son stade de géante rouge derrière elle. Malgré tout, la planète, similaire à Jupiter, a survécu, bien qu’elle orbite à une distance dangereusement proche de l’étoile.
Lesch :
Alors il y aura encore de l’espoir, lorsque notre soleil, un jour, deviendra lui aussi une géante rouge…
Gaßner :
J’admire ton optimisme, mais je préfère ne rien dire du tout en ce qui concernera alors nos chances de survie.
Lesch :
Existe-t-il quelque chose comme une observation directe d’exoplanète ? Quelque chose comme une photographie que l’on pourrait accrocher au mur ?
Gaßner :
Le rayonnement calorifique des planètes exogènes est extrêmement faible. C’est comme si tu voulais photographier une mite orbitant dans l’éclat accablant d’un phare maritime. Malgré tout, nous sommes parvenus à faire des enregistrements infrarouges réussis de très jeunes planètes, encore relativement chaudes, comme 1RXSJ160929.1– 210524 (plus de 2 000 degrés kelvin). De surcroît, avec 330 AE de distance, cette planète est suffisamment éloignée de son soleil. Mais c’est en dernier recours 2M1207b qui peut revendiquer l’honneur d’être la première
3.66 Premier cliché photographique d’une planète exogène. Le planète gazeuse (en rouge) orbite autour de la naine brune 2M1207 dans la constellation du Serpent d’eau (172 années-lumière). Le rayon de son orbite correspond à 40 fois la distance Terre-Soleil.
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planète a avoir été photographiée (septembre 2004). Elle orbite autour d’une étoile naine brune. Lesch :
Pour une tapisserie photographique assez riche, cela ne suffit pas semblet-il. Mais avons-nous expliqué au moins ce qu’est une naine brune ?
Gaßner :
Les naines brunes sont en quelque sorte des « étoiles ratées ». En s’écroulant sur elles-mêmes, leur masse ne fut pas suffisante pour déclencher en leur sein la fusion nucléaire, ou à tout le moins, pour la maintenir suffisamment longtemps. En conséquence, leur température de surface est relativement faible. Le détenteur du record dans cette discipline fut découvert par le Wide-field Infrared Survey Explorer (WISE), au printemps 2014, seulement à 7,2 années-lumière, c’est-à-dire directement devant notre porte : WISE J085510.83– 071442.5, avec une température de surface variant entre moins 48 et moins 13 degrés Celsius.
Lesch :
Ce qui pour moi est plus impressionnant encore que les températures glacées des naines brunes, c’est tout simplement le fait que depuis les nombreuses décennies que nous pratiquons l’astronomie, de toute évidence nous n’ayons pas encore découvert nos voisines naines brunes les plus proches.
Gaßner :
Elles représentent de faibles points infrarouges, à peine plus gros que Jupiter. Ces nains de jardin, pour les nommer ainsi, possèdent une masse allant de de trois à dix fois la masse de Jupiter. À l’été 2014, on a ajouté au Very Large Telescope (VLT) à l’Observatoire Sud de l’Union européenne au Chili un appareil appelé SPHERE, spécialement conçu pour des enregistrements d’une résolution la plus haute possible, destiné à l’observation de zones proches d’étoiles très brillantes et de ce fait aveuglantes. De la sorte, on espère révolutionner la recherche de planètes exogènes. Ceci devrait également sensiblement augmenter tes chances de posséder un jour une tapisserie photographique plus variée.
Lesch :
Il y a encore un point que je trouve remarquable à propos des exoplanètes. Elles ne se différencient pas seulement par la plus grande excentricité de leur orbite, attestée pour l’ensemble des systèmes stellaires par rapport à notre système solaire. La distance faible des géantes gazeuses à leur étoile-mère est surprenante. Comment sont-elles arrivées là ?
224 Gaßner :
Lesch : Gaßner :
Lesch :
Le Big Bang, le cosmos et la vie
Elles ne se sont assurément pas formées si proches de leurs étoiles. Dans un rayon si faible, la température est tout simplement trop élevée. Le gaz aurait atteint par échauffement tout de suite une vitesse supérieure à la vitesse de fuite. Probablement ont-elles émigré d’une orbite très éloignée vers l’intérieur du système planétaire, en raison du frottement occasionné par le disque de gaz et de poussière. Des émigrés en somme. Ont-elles pu s’intégrer facilement ? La migration fut achevée lorsqu’elles atteignirent le bord intérieur du disque. Là, le rayonnement de l’étoile vaporise littéralement la poussière, et il n’y a plus rien à quoi la géante rouge pourrait se frotter. Leur moment cinétique fut conservé. Une intégration parfaite et exemplaire.
Gaßner :
Le mouvement des grosses planètes de la périphérie vers l’intérieur a dû avoir des conséquences catastrophiques pour les autres planètes qui se trouvaient éventuellement là également. Leurs orbites en furent probablement si perturbées, qu’elles ont dû, ou bien entrer en collision avec les géantes gazeuses, ou bien s’écraser dans leur étoile, ou encore être catapultées hors de leur système. Tout cela n’est point arrivé à notre système solaire. Jupiter est cinq fois plus éloignée du soleil que la Terre. Suivant l’hypothèse d’une migration de l’extérieur vers l’intérieur, le disque de poussière a dû s’être déjà tant vaporisé, que Jupiter ne put pénétrer plus avant vers l’intérieur du système solaire.
Lesch :
Au passage, les effets les plus incroyables accompagnent le plus souvent ces errements planétaires. L’histoire la plus incroyable concerne Neptune et Uranus. Elles échangèrent leur place au cours de l’histoire de la formation du système solaire. Il y a 3,8 milliards d’années, Neptune se déplaçant vers la périphérie « a sauté » au-dessus de l’orbite d’Uranus. Le fait que Neptune possède une masse plus élevée vient corroborer les simulations qui indiquent qu’elle s’est originellement formée plus à l’extérieur.
Gaßner :
Cette hypothèse permet également d’en finir avec un certain nombre de problèmes liés à la formation du système solaire. L’axe de rotation de toutes les planètes par exemple, devrait être plus ou moins perpendiculaire au disque originaire. L’axe de rotation d’Uranus au contraire lui est parallèle. S’ajoute à cela que nous devrions avoir à l’extérieur plus de planètes naines
Le cosmos
3.67 Les trois états caractéristiques de notre système solaire selon la simulation dite de Nicen (2005). Ici on a représenté les orbites de Jupiter en vert, de Saturne en orange, d’Uranus en bleu clair, de Neptune en bleu foncé et la ceinture de Kuiper en blanc. AU signifie une unité astronomique et correspond à la distance moyenne Terre-Soleil. En haut : Les géantes gazeuses se développent au sein du proto-disque de gaz. Au milieu : Jupiter et Saturne tombent en résonance selon un rapport 2 à 1, c’est-à-dire que Saturne a besoin pour une orbite autour du soleil de deux fois plus de temps que Jupiter. Ce faisant, leurs forces gravitationnelles se combinent, et pendant des millions d’années le déstabilisent toujours plus, jusqu’à ce que les planètes adoptent une nouvelle configuration (Uranus et Neptune formèrent alors des orbites extrêmement elliptiques, et dans 50 % des simulations échangèrent même leurs places. Ce qui eut pour conséquence que bien des objets de la ceinture de Kuiper furent déviés vers l’intérieur du système solaire et occasionnèrent le bombardement tardif. En bas : La nouvelle configuration des planètes après le Grand Bombardement…
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
similaires à Pluton. Il n’en est rien. Pour finir, le grand nombre de cratères sur la Lune témoigne d’un Grand Bombardement encore non expliqué. Le saut de Neptune au-dessus d’Uranus permet d’expliquer tout cela au mieux. Il renversa l’axe de rotation d’Uranus, fracassa les supposées planètes naines de la périphérie et pour finir l’ensemble des débris atteignit les orbites intérieures et constitua la matière du bombardement tardif, comme on l’a aussi nommé. Lesch :
C’est tout de même incroyable : une danse planétaire avec pirouette ! Tout d’abord la planète Neptune joue un peu des hanches, jalouse qu’elle est de voir Saturne et Jupiter danser un pas de deux gravitationnel. Sa danse défiante la balance toujours plus de côté, jusqu’à ce que pour finir, elle quitte complètement son orbite. Cela fait peine à croire, mais les simulations le confirment effectivement toujours plus.
Gaßner :
Notre système solaire en apparence ne paie pas de mine. Mais il a en vérité des propriétés tout à fait particulières, et avant tout celle de contenir une planète tout à fait remarquable et même exceptionnelle, la Terre. Une planète sur laquelle apparaît une nouvelle forme de matière, foncièrement différente de ce qui s’y trouvait jusque-là : la vie.
Gaßner :
Désormais, nous devrions continuer notre histoire avec le thème de l’apparition de la Terre et avec elle, du développement de l’ensemble du vivant qui y foisonne. Mais je propose auparavant que nous fassions mentalement une sorte d’inventaire. C’est que partis du Big Bang pour arriver à la Terre, notre chemin ne fut pas toujours facile, parfois même, il fut carrément ardu. Nous avons justement parlé d’interprétation de la lumière. Est-ce que tu sais pourquoi tu es, en tant qu’astronome, invité aussi souvent à des manifestations publiques ?
Lesch : Gaßner :
Bien sûr. Parce que j’y montre de belles photographies. Non. C’est bien plus parce que tu as, en tant qu’interpréteur de lumière, une réputation exceptionnelle : il est en effet impossible à l’astronome de faire preuve de manipulations, nous ne sommes que de purs observateurs. Cela nous rend si inoffensifs. Et tant mieux. Qui sait si nous étions en mesure de changer les choses, si nous resterions effectivement aussi prudents…
Le cosmos
227
Lesch :
C’est bien vrai – cela dit, nous avons déjà suffisamment envoyé de déchets dans l’espace, et même, de temps en temps, un de nos ustensiles désormais inutiles nous tombe sur la tête.
Gaßner :
C’est du beau ! Je cherche justement à propager une image positive et le mieux que tu trouves à faire, est de placer ce thème des déchets spatiaux. D’un autre côté, tu as raison, l’humanité et ses déchets, ce sujet est devenu depuis longtemps un problème – même dans l’espace. Depuis le début de la conquête spatiale, en 1957 avec le satellite Spoutnik, on estime à 7 000 tonnes l’ensemble des matériels que nous avons laissés dans l’espace, en quelques décennies seulement, que ce soit pour les télécommunications, la météorologie, la navigation, la radio ou l’observation du climat ou les missions militaires. En ce qui concerne les seuls objets de 10 cm de grandeur et plus, ils sont pour nous encore bien observables, on en compte plus de 20 000 – la plupart d’entre eux (70 pour cent) suivant des orbites proches de la Terre (moins de 2 000 kilomètres). Les objets les plus petits ne peuvent qu’être estimés statistiquement. Probablement, il en gravite là-haut plus de 750 000 de la grosseur d’une bille. Leur densité spatiale augmente avec leur latitude.
Lesch :
En raison de leur vitesse élevée, ces morceaux de débris deviennent de véritables projectiles surdimensionnés et représentent, pour tout un chacun, une menace bien réelle. La station ISS est régulièrement contrainte à des manœuvres spectaculaires d’évitement. Cela devient particulièrement critique, lorsque le temps entre l’alarme et l’impact supposé de l’objet ne suffit plus pour une manœuvre. C’est ce qui s’est passé en mars 2012, lorsque l’équipage dut prendre la fuite dans une capsule spatiale.
Gaßner :
Pour le satellite de communication Iridium 33 (556 kg), cela ne s’est pas déroulé aussi bien. Il entra en collision le 10 février 2009 à 800 km au-dessus de la Sibérie avec le satellite russe hors service de 900 kg Kosmos 2251. On estime que ce seul choc causa l’apparition d’environ 2 200 débris, pour ne parler que des plus gros. Des collisions de ce genre viennent augmenter constamment le nombre de ces déchets. Cet effet boule de neige porte même un nom, le syndrome de Kessler, d’après le nom du conseillé à la NASA qui nous mit en garde précocement, Donald J. Kessler.
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
Lesch :
Le problème des déchets spatiaux a pris une telle importance, que désormais des conférences internationales se tiennent pour lui trouver des réponses appropriées. Dans le même temps, ce sont plus de mille satellites actifs qui se trouvent en orbite autour de la Terre, l’ensemble ayant une valeur estimée à plus de 100 milliards d’euros. Il est important de les protéger.
Gaßner :
Nous avons urgemment besoin d’un service de ramassage des ordures spatiales et il existe bel et bien une initiative allant dans ce sens, officiellement dénommée Clean Space. On a fait preuve d’imagination et les idées trouvées jusqu’ici sont pour le moins des plus aventureuses. Il est question par exemple de satellites de nettoyage équipés de lasers, de filets, de voiles et de tethers. Parfois, c’est d’un nuage de particules métalliques qu’il s’agit. Il devrait faire chuter les déchets vers la Terre pour ainsi les faire fondre dans l’atmosphère. Les Japonais ont lancé en février 2014 leur propre mission : Stars 2 (Space Tethered Autonomous Robotic Satellite 2). Ce satellite de nettoyage ne va pas vraiment toucher les déchets mais il va tester la possibilité de fixer un tether à l’un d’eux, c’est-à-dire en fait un fil métallique qui pend littéralement dans le vide et qui, en raison de son mouvement dans le champ magnétique de la Terre, serait en mesure d’induire un champ magnétique propre. La force dite de Lorentz le freinera alors toujours plus, pour le forcer finalement à suivre des orbites plus basses, où il finira par fondre. Comme nous l’avons dit, il s’agit là d’un simple test, et cette sorte de technique de pêche aux débris spatiaux serait réalisable au plus tôt vers 2019. Le fil de 300 mètres de long avec ses ramifications fut bel et bien développé par une entreprise d’ustensiles de pêche. Espérons que nous n’allons pas obtenir, avec toutes ces tentatives, involontairement encore plus de déchets spatiaux. Ici, comme pour toute tentative de guérison, c’est l’adage d’Hippocrate qui compte : Primum non nocere – en premier lieu, ne pas nuire !
Lesch :
Ça, tu aurais dû le dire à la République populaire de Chine, qui voulut absolument prouver au monde entier, le 11 janvier 2007, la précision de son arme antisatellite. Car tout cela a, bien sûr, une forte dimension militaire. En modifiant un missile de portée moyenne (Dongfeng 21), elle est parvenue à atteindre le satellite hors service Fengyun– 1C, à 850 km de hauteur. Résultat : 3 000 débris au lieu d’un. Si nous continuons
Le cosmos
229
de la sorte, le futur de l’aventure spatiale risque fort d’être sérieusement compromis. Comment le Capitaine Kirk pourrait-il, à l’avenir, voyager vers des étoiles lointaines, si à peine parti, son vaisseau est assuré de se fracasser ? Gaßner :
Au moins, le problème des débris spatiaux est un problème qui concerne jusqu’ici le seul système solaire. Même si nous considérons la sonde la plus éloignée de nous – Voyager 1 – tout au plus s’est-elle aventurée de seulement 17 heures-lumière dans l’espace.
Lesch :
Oui mais chaque année, elle s’éloigne de 525 millions de kilomètres en plus. Grâce à son alimentation énergétique au plutonium, elle ne perd, ce faisant, que seulement un pour cent environ de son énergie : elle est donc en mesure de nous faire parvenir ses salutations encore longtemps.
Gaßner :
Je pense qu’il est désormais grand temps de faire une petite pause.
Le Big Bang, le cosmos et la vie
230
3.9
Une petite pause Un regard en arrière
Lesch :
Ce sont toujours les petites imperfections, dans un cosmos qui n’en est pas tout à fait dépourvu, qui permettent de faire avancer les choses. Au départ, tout ce qui se trouvait dans l’univers était très chaud et réparti uniformément dans l’espace. L’univers était en forte expansion et, par là même, il se refroidit. Enfin, des grumeaux de matière se formèrent, des galaxies, des étoiles, et même pour finir des planètes. Toujours, ce furent les petites variations qui permirent la formation de ces îlots de matière.
Gaßner :
À certains endroits, c’est la gravitation qui augmenta en raison de petites concentrations, lesquelles attirèrent encore plus de matériaux jusqu’à en vider l’espace. À la périphérie de ces espaces vides se formèrent les galaxies, qui s’attirèrent alors réciproquement jusqu’à former des amas galactiques.
Lesch :
C’est à l’intérieur de ces galaxies que se déroula, à une échelle plus petite, partout le même scénario : des nuages de gaz se comprimèrent toujours plus, jusqu’à s’effondrer sur eux-mêmes, sous l’effet de leur propre poids, et formèrent ainsi des étoiles. Celles-ci, à leur tour, furent à l’origine de tout nouveaux mécanismes.
Gaßner :
Par la fusion de noyaux atomiques légers en d’autres noyaux plus gros, de l’énergie fut libérée. La lumière et les éléments lourds purent apparaître. Ces nouveaux éléments furent projetés dans l’espace lorsque les étoiles explosèrent. Il se mit ainsi en place tout un cycle de la matière, formant constamment de nouvelles étoiles, et avec elles, toujours plus d’éléments lourds.
Lesch :
Et c’est à partir d’eux que se forma notre planète-mère au bleu miroitant, la Terre. À propos : pourquoi notre ciel est-il bleu ?
Gaßner :
La lumière du soleil se propage dans l’atmosphère, dispersant sa part bleue plus que sa part rouge, car l’effet est proportionnel à la puissance quatre de la longueur d’onde. La Lune ne peut pas retenir une atmosphère et c’est pourquoi il n’y a pas de ciel bleu sur la Lune. Le même effet produit le rouge des couchers de soleil. En raison du faible angle
Le cosmos
231
d’incidence, la lumière du soleil doit parcourir une distance plus grande à travers l’atmosphère et en conséquence, beaucoup de bleu s’en trouve dispersé. Reste un disque solaire rouge. On parle généralement de dispersion de Rayleigh, dans le cas de la dispersion de photons à travers les particules, lesquelles sont beaucoup plus petites que les longueurs d’onde du rayonnement lui-même. C’est aussi le cas des molécules de gaz de l’atmosphère, alors que les gouttes d’eau et les cristaux de glace quant à eux, sont beaucoup plus gros que les longueurs d’onde de la lumière solaire. C’est la raison pour laquelle la lumière du soleil est réfléchie dans les nuages et que ceux-ci nous apparaissent en blanc. Lesch :
Quelle merveilleuse planète ! Leibniz avait bien raison : nous vivons dans le meilleur des mondes possibles. On n’est pas prêt de m’envoyer vers quelque exoplanète que ce soit, aussi belle soit-elle. Je suis et reste un terrien – un fils de la Terre !
Gaßner :
Et nous touchons désormais à l’un des thèmes les plus forts de notre parcours, la caractéristique la plus exceptionnelle de notre planète. Et je proposerais en guise de transition une citation d’Albert Schweitzer : « Quiconque observe la nature est vite captivé par le secret de la vie. »
Le Big Bang, le cosmos et la vie
232
4 La vie Des procaryotes jusqu’aux poètes « La vie provient dans tous les cas d’une cellule, et parfois, elle s’achève également, pour les bandits, dans une cellule. » (Heinz Erhardt)
4.1 La création d d’Adam d (Détaill d de lla ffresque d du peintre Michelangelo h l l Buonarroti au plafond de la chapelle Sixtine).
La vie
4.1
233
notre planète Le diamant bleu
Gaßner :
Imaginez une fleur. Rien de plus terrestre qu’une fleur. Elle sort de la terre. Elle vit d’eau et de minéraux, qu’elle tire de terre grâce à ses racines. Néanmoins, l’essentiel de son alimentation provient d’une étoile, laquelle, à 150 millions de kilomètres de distance, fusionne des protons pour en faire des noyaux d’hélium. La lumière du soleil est ainsi transformée avec un peu d’eau et de dioxyde de carbone en une molécule de sucre et en oxygène. Comme tous les êtres vivants, elle fait partie du grand cycle de l’eau, de la terre et de l’air, mais en fin de compte, elle s’alimente au feu solaire.
Lesch :
Voilà pour la fleur, Josef. Excuse-moi, mais pour ma part, je ne peux m’empêcher d’associer une autre image à celle du diamant bleu : un hip hip hip hourra en l’honneur de l’histoire de notre conquête spatiale ! Car nous lui devons une vue véritablement inégalable de notre planète, prise à une distance respectable. Le 21 décembre 1968 à 17 heures, heure locale sur la côte est américaine, l’humanité put pour la première fois contempler la boule terrestre dans sa totalité. Les trois astronautes d’Apollo 8 prirent alors un cliché qui fit le tour du monde. Dans le noir profond du cosmos, une planète bleue se tient suspendue, notre Terre. Son atmosphère ressemble à une enveloppe très fine qui recouvre sa surface. La plus grande partie de la sphère est couverte par l’eau des océans. Au travers de quelques groupements de nuages isolés, on devine les contours de nos continents.
Gaßner :
Tu as raison bien sûr, et pour l’équipage d’Apollo 8, ce fut un moment inoubliable. Les astronautes furent si boule-
4.2 Le premier cliché d’un lever de Terre, pris par Bill Anders pendant la mission Apollo 8 (1968).
234
Le Big Bang, le cosmos et la vie
versés par la beauté de leur planète-mère, qu’ils la comparèrent à un diamant étincelant. Dans le même temps, ils ressentirent la fragilité de cette sphère bleue lumineuse, et à la vue du spectacle qui se déroulait devant leurs yeux, il devint tout à fait clair pour ces trois hommes, que nous tous, sommes assis dans le bateau. Lesch :
Oui, ce fut un spectacle très impressionnant, même pour les enfants que nous étions alors, assis attentifs devant le poste de télévision.
Gaßner :
En ce qui me concerne, j’ai tout au plus tourné ma tête vers le haut du fond de ma poussette. Mais je voudrais dire ceci : les astronautes ne sont généralement guère suspectés de romantisme ou de mélancolie.
4.3 Cratères sur la surface de la Lune, photographiés par la mission Apollo 8 le 24 décembre 1968. Le gros cratère dans la moitié inférieure de l’image porte le nom latin de « Goclenius », d’après le nom du scientifique allemand Rudolf Gockel. En haut à gauche on peut voir le cratère Colombo A, baptisé d’après Christoph Colomb.
La vie
235
Ce sont plutôt des gros durs que l’on choisit. Malgré tout, James Lovell fut si fasciné par cette vue de la Terre sur fond d’univers noir, que cette image du diamant le marqua. Cette phrase célèbre vint à ses lèvres : « Pour découvrir la Terre, nous avons dû voler sur la Lune. » Ainsi, cette vue globale de la Terre devint le symbole d’une nouvelle idée : nous ne devons plus faire de la nature une servante, mais devons apprendre à mieux vivre avec elle. Détruire la nature, c’est aussi détruire les fondements de la vie. Lesch :
Les astronautes d’Apollo 8 purent également constater directement, lors de leur périple vers la Lune, combien un astre céleste peut être hostile à la vie, en l’inspectant lors d’une dizaine de passages à orbite basse. Sa surface est couverte de cicatrices : les cratères des météorites, et de ce fait, elle diffère en tous points de celle de la Terre. La Lune est littéralement morte, elle est dénuée d’atmosphère et est complètement sèche. Là, il n’y a rien d’autre que des pierres, aucune plante, aucune vie, aucun chant ou gazouillement d’oiseaux. Pas même « The Man in the moon » ne souhaiterait y vivre.
Gaßner :
Et vous vous demandez sûrement. Qu’est-ce que la Lune a donc à voir avec l’histoire de la formation de la Terre ? C’est que six mois après Apollo 8, lors d’une autre mission américaine, Neil Armstrong et Edwin Aldrin ont été les premiers hommes à marcher sur la Lune et à y ramasser de la roche. Cinq autres missions suivront. Elles permettront de collecter en tout près de 400 kg de roches, en guise de souvenirs. Des années d’examen de ces roches suivront, mettant au jour des découvertes d’une importance sensationnelle, se rapportant inexorablement à l’histoire de la formation de notre patrie galactique et doivent pour cette raison être exposées.
Lesch :
La Terre, lors de sa période de jeunesse, en a vu des vertes et des pas mûres. Les innombrables cratères lunaires à la surface de la Lune constituent une archive impressionnante de ce temps originaire, où la Terre, elle aussi, ne fut pas épargnée par ce bombardement venu de l’espace. La Lune constitue le témoin privilégié de ces événements dramatiques du début de l’histoire de la Terre. Ce qui est distinctement visible à sa surface encore aujourd’hui, c’est ce qui se déroula il y a 4,56 milliards d’années, au sein du tout jeune système solaire à
236
Le Big Bang, le cosmos et la vie
peine formé : un agrégat rocheux heurta un autre agrégat et les roches s’échauffèrent en raison de l’énergie libérée par l’impact. Les toutes jeunes planètes rocheuses étaient encore toutes gluantes, et s’accrurent en masse et en volume toujours plus, jusqu’à ce que leurs gravités respectives eurent fini de rassembler les morceaux de roches encore vagabonds à travers le système solaire. Gaßner :
Lesch :
La roche lunaire de la sixième mission Apollo montre tout à fait clairement (rapport isotopique d’O16 à O17), que la Terre dans sa période de jeunesse a survécu à une collision avec un corps céleste qui fut deux fois plus lourd que Mars. Ce corps avait pour masse un cinquième de la masse terrestre. Ce projectile fut complètement détruit par le choc. Son noyau composé de fer s’enfonça dans la masse gluante liquide de la Terre primitive. De gros morceaux de la légère surface terrestre et de celle du corps percuteur furent projetés dans l’espace et se rassemblèrent à environ 60 000 kilomètres de distance en un anneau de roches autour de la Terre, avant de former plus tard la Lune. Si on observe attentivement la simulation, il a dû même exister une phase intermédiaire avec deux lunes simultanément, lesquelles finirent par « coller » ensemble. L’une s’est apposée comme une crêpe à l’autre. Cela permet4.4 Simulation montrant deux lunes aux trait d’expliquer pourquoi le orbites similaires, lesquelles, après un côté caché de la lune est si choc, en vinrent à coller l’une à l’autre. différent du côté apparent. La Lune nous émerveille, et en vérité, la Terre ne mérite pas une telle lune. Elle pèse un quatre-vingtième de la masse terrestre et constitue, de ce fait, la cinquième lune la plus lourde du système solaire. Seules les géantes gazeuses comme Saturne et Jupiter, cent fois plus lourdes que la Terre, possèdent une lune aussi lourde.
La vie Gaßner :
237
En conséquence, la masse importante de la Lune influence fortement la Terre. Notre compagnon réduit les variations de l’axe terrestre à quelques degrés d’angle seulement – une des conditions essentielles pour un cycle stable des saisons, cycle sur lequel les plantes peuvent compter à leur tour. Sans la Lune, la Terre tournerait si vite sur son propre axe, que les vents à sa surface oscilleraient constamment entre 300 et 500 kilomètres par heure.
4.5 Simulation informatique de l’impact du percuteur à différents moments. Les couleurs représentent les différentes températures sur une échelle en kelvins.
238
Le Big Bang, le cosmos et la vie
Lesch :
Les êtres vivants y seraient très plats, de tous les points de vue. Une plante croissant en hauteur n’aurait assurément aucune chance. Des fleurs, aussi bien que des astrophysiciens, y seraient difficilement concevables.
Gaßner :
Il y a 4,56 milliards d’années, l’influence de la Lune était bien plus prononcée qu’aujourd’hui, et le spectacle du ciel également. Alors, bien des agrégats rocheux entraient encore en collision avec la jeune Lune titubante en pleine phase de formation, à 60 000 kilomètres de la Terre. Cette dernière tournait sur son axe en l’espace de sept heures seulement, son lourd compagnon orbitant autour d’elle. Les deux corps « ressentirent » leurs présences réciproques, leurs gravitations opposées s’influençant. Ces mêmes forces sont responsables encore aujourd’hui des marées montantes et descendantes sur Terre. Au cours du temps, les deux corps se freinèrent réciproquement toujours plus, réduisant leur vitesse de rotation propre, jusqu’à ce que la Lune, foncièrement plus légère, se « synchronise » finalement. Pour le dire autrement, elle fait un tour sur son propre axe pendant qu’elle exécute dans le même temps une orbite complète autour de la Terre. C’est pourquoi la Lune nous montre toujours le même côté. La Terre, elle aussi, tourne plus lentement en raison de ces forces d’attraction réciproques. Désormais, elle a été freinée jusqu’à atteindre un temps de rotation de 24 heures. L’énergie de rotation que la Terre perd, la Lune la gagne en énergie orbitale. Depuis lors, elle s’éloigne continuellement de la Terre. Les 60 000 kilomètres dont il était question au départ ont rétréci, entre-temps, à 385 000 kilomètres. Et ce processus continue encore aujourd’hui. La Terre tourne plus lentement et la Lune s’éloigne toujours plus d’elle : chaque année de quelques centimètres.
Lesch :
Voilà l’épopée des tout premiers jours de la Terre. Comme toutes les autres planètes, elle fut le résultat d’innombrables chocs et collisions, mais contrairement aux autres, elle prit une place toute particulière dans notre système solaire. Jusque dans les moindres détails, cet astre est particulier : ses mers, son atmosphère. Ses océans profonds de plusieurs kilomètres entourent les parties terrestres, qui n’émergent la plupart du temps que de quelques dizaines de mètres au-dessus de l’océan.
La vie
239
Gaßner :
Et puis il y a sur cette planète un phénomène remarquable, probablement unique dans le système solaire, et probablement bien au-delà aussi : la vie.
Lesch :
Dans l’ensemble, la Terre représente un grand système, dont les parties interagissent. L’exemple le plus impressionnant en est sans doute la formation de l’oxygène dans l’atmosphère, grâce à la photosynthèse des unicellulaires et des plantes. Sur cette Terre, la nature vivante et la nature inanimée forment une unité ; elles se conditionnent réciproquement et constituent un équilibre très sensible.
Gaßner :
Ainsi, tout comme nous parlons de l’évolution des organismes vivants, nous devrions également parler de l’évolution de la Terre comme une totalité. Car c’est bien elle qui créa les conditions d’un développement de la vie. L’atmosphère originaire était composée d’azote, d’ammoniaque, de méthane, de dioxyde de carbone et de vapeur d’eau, et soulignons-le, il n’existait aucun oxygène libre.
Lesch :
Aujourd’hui, la composition des gaz que libère une éruption volcanique est bien connue, et permet de comprendre rétrospectivement l’histoire terrestre d’alors. Nous savons, par exemple, que bien des éléments n’auraient jamais existé, si « l’air » avait alors contenu de l’oxygène. C’est que bien des liaisons moléculaires ne peuvent tout simplement pas exister dans une atmosphère oxydante. Bien entendu, cette reconstruction historique des processus qui eurent alors lieu, n’est pas complètement garantie, car pour la Terre originaire également, on ne peut jamais développer ce genre de modélisations que sur la base du savoir actuel.
Gaßner :
De surcroît, il existe encore un témoin que nous pouvons interroger : Vénus. Son atmosphère est, en effet, encore aujourd’hui très proche de celle de la Terre originaire. Sa température moyenne à sa surface de 470 degrés Celsius équivaut à la température à l’intérieur d’un four en faïence. Sans cet effet de serre gigantesque, la température théorique à sa surface serait de moins 40 degrés. Il en fut tout autrement chez nous et la raison essentielle porte un nom étrangement simple : la pluie.
Lesch :
Il a plu, un véritable déluge et, qui plus est, la pluie fut acide.
240
Le Big Bang, le cosmos et la vie
Gaßner :
Je ne sais pas le temps qu’il fait à l’endroit où vous lisez ces lignes, mais je peux vous garantir qu’alors, il faisait beaucoup plus mauvais. Dix fois plus qu’une moisson ordinaire, incroyable ! Pendant une période d’au moins 40 000 ans, il a vraiment plu des cordes. Là, on peut vraiment parler d’un temps de chien.
Lesch :
J’ai une théorie là-dessus : personne ne sait quel temps il faisait alors, car par un temps pareil, assurément personne n’a mis son nez dehors. C’est convainquant non ? Et il me vient cette chanson à l’esprit : I’m singing in the rain. Par qui a-t-elle été écrite déjà ?
Gaßner :
Gene Kelly.
Lesch :
La chanter aurait été alors tout à fait justifié. Qu’une telle quantité d’eau existe sur notre planète est une histoire tout autant extraordinaire. Là où sont apparues les planètes telluriques, l’eau ne pouvait exister originellement. Ses composants, ou plutôt, les gaz hydrogène et oxygène, n’auraient pu être retenus par la gravitation des planètes rocheuses, en raison des hautes températures qui régnaient alors. Ceci, nous l’avons déjà vu, lorsque nous avons parlé des géantes gazeuses. L’eau a donc dû être réintroduite sur Terre de l’extérieur, par quelques percuteurs quelconques, ceux-là même qui s’étaient accumulés loin dehors, bien au-delà de la frontière des glaces. Et effectivement, sur notre planète, ce si précieux liquide est caractérisé par exactement le même rapport entre le deutérium et l’hydrogène que la glace des astéroïdes. Dans la phase primitive, elle ne ré-entra dans l’atmosphère que sous la forme de vapeur d’eau.
Gaßner :
Pour être tout à fait franc, Harald, quand j’ai entendu cette histoire pour la première fois, je n’y ai pas cru du tout ! J’ai pensé : « Jamais de la vie ! L’ensemble de l’eau des océans et des mers doit provenir d’astéroïdes ? » La chose ne devint pour moi compréhensible seulement lorsque j’ai visualisé les proportions de grandeurs. Bien sûr, la surface de la Terre est couverte à 70 pour cent d’eau, mais les océans ont une profondeur de quelques kilomètres seulement. Mise dans une goutte d’eau imaginaire, l’ensemble de l’eau à la surface terrestre représenterait effectivement une « goutte » de 700 kilomètres de diamètre. Peut-être y aurait-il sur notre planète – ou pour le dire plus justement dans notre planète – encore plus d’eau qu’on ne le suppose habituellement.
La vie
241
4.6 Si l’on pouvait rassembler l’ensemble de l’eau de notre planète en une seule et même goutte, on obtiendrait alors le surprenant rapport de grandeur suivant. Bien qu’ils occupent presque 70 pour cent de la surface terrestre, les océans n’atteignent en raison de leur profondeur modeste en comparaison du volume de la Terre qu’un volume relativement petit (une sphère de 700 km de rayon).
En mars 2014, Graham Pearson de l’Université d’Alberta, a présenté les résultats de ses recherches. Ceux-ci laissent à penser qu’à l’intérieur de la Terre – précisément dans la partie transitoire entre le manteau supérieur et le manteau inférieur de la Terre – il y aurait plus d’eau qu’à la surface. Le manteau supérieur de la Terre est constitué principalement par le minerai Olivine, lequel n’emmagasine pratiquement pas d’eau. À la profondeur de 410 jusqu’à 660 km cependant, la pression et la température transforment l’olivine en d’autres minerais, Wadsleyit et Ringwoodit. Ce dernier, lui, absorbe très bien l’eau, tout au moins, les groupes OH dans une proportion atteignant environ un pour cent de son poids. Ceci, nous le savons grâce à l’analyse des roches météoritiques. Un pour cent, cela semble bien peu, mais si l’on rapporte ce chiffre à une couche du manteau intermédiaire estimée à 250 km, cela donne un volume considérable.
Noyau externe
Manteau inférieur
Manteau supérieur
Noyau interne
Le Big Bang, le cosmos et la vie
242
4.7 Structure interne de la Terre. Lesch :
Existe-t-il des preuves intangibles de l’accumulation d’eau dans ces couches ? On peut se poser la question. En effet, les forages profonds dans la presqu’île russe Kola atteignent à peine une profondeur de 12 kilomètres. Et les recherches sismiques ne sont pas assez précises. Et tout ce qui parvient à la surface naturellement, par exemple par le volcanisme, est bien entendu soumis à des transformations importantes.
Gaßner :
Il y a un an, on trouva cependant un diamant à Mato Grosso, au Brésil. Cette pierre de trois millimètres transportée à la surface probablement par l’activité volcanique comportait en son sein un morceau intact et parfaitement conservé de 40 micromètres de ringwoodit. Sa composition en eau se porte à 1,5 pour cent de son poids.
Lesch :
De l’eau provenant de 400 kilomètres de fond, cela aurait plu à Jules Verne.
Gaßner :
Les analyses des minéraux conduisent constamment à des résultats passionnants. Dans les collines Jacks Hills de l’Ouest australien, on a découvert du zircon, comportant des inclusions d’uranium et de plomb, nous permettant de les dater à moins de 200 millions d’années après l’apparition de notre planète. Et ce n’est pas tout ! Leur structure révèle que l’eau sous forme liquide a joué un rôle dans leur constitution.
Lesch :
Incroyable. De l’eau sous forme liquide, à une époque où l’on suppose que la planète fut une boule gluante, sur laquelle s’écrasèrent les asté-
La vie
243
roïdes les uns après les autres. Et, peut-être, une atmosphère très dense constitue-t-elle la solution à notre problème. Une atmosphère dont la pression élevée ait pu liquéfier l’eau, même à des températures élevées. Une chose est définitivement sûre : l’eau fut apportée par des astéroïdes, le rapport du deutérium à l’hydrogène en constitue une preuve indiscutable.
Enceladus
Nuage d’Oort
de la famille dite de Jupiter
Saturne
Jupiter
Uranus Neptune
Astéroïdes
Terre
Rapport D/H
Disque protosolaire
4.8 Le rapport deutérium/hydrogène dans notre système solaire. Les carrés représentent des mesures faites sur place, les ronds des mesures faites indirectement. En bleu : les planètes et la Lune. En gris : les chondrites carbonées provenant de la ceinture d’astéroïdes entre Mars et Jupiter. En rouge : les comètes du nuage d’Oort. En vert : comètes aux périodes courtes, dites de la famille Jupiter. Gaßner :
Un des zircons comportait même du carbone. Bien entendu, tous les collègues se sont précipités là-dessus, pour établir le rapport des isotopes C12/C13. Et effectivement, la concentration en C13 était clairement moindre, comme dans les liaisons biogènes, c’est-à-dire dans les cellules des êtres vivants. Cela serait vraiment un scoop ! Y aurait-il eu, il y a 4,7 milliards d’années, des premières formes de vie, bien avant les premiers microfossiles ?
244
Le Big Bang, le cosmos et la vie
4.2 De l’expérience d’Urey-Miller aux matériaux élémentaires de la vie La potion magique de Panoramix Gaßner :
Nous devons nos connaissances sur l’atmosphère primitive et celles sur les premiers pas de l’apparition de la vie à une expérience intéressante, réalisée dès 1953, celle d’Urey-Miller. Stanley Miller et Harold Clayton Urey avaient alors composé, dans un laboratoire de Chicago, un mélange particulier de gaz, mélange qu’ils croyaient alors juste, et ils ont alors simulé des éclairs en y déchargeant des charges électriques. Et effectivement, sous le globe de verre, des molécules organiques sont apparues. Aujourd’hui, nous savons que le mélange des gaz ne fut pas tout à fait optimal. L’expérience constitua cependant une petite révolution. Pour l’apparition de la vie, deux des liaisons moléculaires ainsi apparues sont particulièrement importantes : celles des plus simples acides aminés, glycine et alanine. 4.9 Stanley Lloyd Miller (1930 – 2007)
Lesch :
Ah oui, il s’agit de ces cylindres remplis de ladite soupe originaire, et que l’on bombarda de rayons ultraviolets. Un commentaire sur ce point, si tu veux bien. D’abord, cette expérience fit de l’apparition de la première molécule, telle qu’elle existe dans les êtres vivants, pour la toute première fois quelque chose de l’ordre d’un processus scientifique. Cela ne signifie rien de moins que la vieille représentation selon laquelle une étincelle divine aurait initié tout cela, fut d’un seul coup, définitivement mise au placard par les scientifiques, dans ce cas Miller et Urey. Une expérience en laboratoire venait d’être réalisée, reproduisant les conditions de la planète originaire et l’émergence de molécules, celles-là même qui plus tard jouèrent un rôle primordial pour tous les êtres vivants de notre
La vie
245
planète. Elles apparurent dans l’expérimentation, alors même qu’on était parti de fausses prémices. Ce fut une premier essai en somme, comme en Italie, au volant, la priorité à droite. Il n’y a qu’une loi qui vaille : pas de loi…
4.10 En 1953 Harold Clayton Urey et Stanley Miller de l’université de Chicago reproduisirent la composition gazeuse, celle supposée de l’atmosphère originelle. Pour mieux rendre les éclairs, ils libérèrent des décharges électriques. Finalement, ils purent montrer que plusieurs molécules organiques s’étaient formées. Gaßner :
Mais ce serait vraiment une nouvelle, n’est-ce pas ? Les acides aminés sont des liaisons organiques composées de 10 à 30 atomes, avec au moins une Amin- (NH2) ou radical carboné (COOH). Deux acides aminés peuvent être associés, et libèrent alors la molécule d’eau. Avec l’aide de cette liaison peptide, les acides aminés longs peuvent constituer des protéines. Celles-ci, à leur tour, forment les composants de la vie. Aujourd’hui, lorsque nous observons le cosmos qui nous est proche, nous y trouvons également des acides aminés. Dans l’atmosphère de Jupiter par exemple, dans le gaz des nébuleuses interstellaires et sur les météorites, il existe des acides aminés très simples.
Lesch :
Encore que sur les météorites, il existe bien plus de genres d’acides aminés qu’il y en a ici, sur Terre, dans les êtres vivants.
Gaßner :
C’est vrai. Des centaines d’acides aminés sont connus, mais parmi eux, bien peu sont protéinogènes, c’est-à-dire susceptibles de produire des protéines. 21 d’entre eux seulement suffisent aux terriens pour leur constitution chimique. De surcroît, notre biosphère s’est spécialisée avec les acides aminés enroulés vers la gauche. Probablement, trois minéraux
246
Le Big Bang, le cosmos et la vie
ont joué un rôle comme catalyseurs. Sur les météorites, on trouve autant d’acides aminés enroulés vers la gauche que vers la droite. Dans l’expérience de Urey-Miller également, les deux sortes d’acides aminés sont présents. Lesch :
La vie est manifestement une chose très sélective, voire même pointilleuse. Lorsqu’elle s’est décidée pour une chose, alors cela est définitif, à condition que ce choix soit un succès.
Gaßner :
Enfin, la vie doit coder ses composants en vue de sa reproduction. Cela est un processus complexe, et chaque pas en avant fait augmenter d’un coup le nombre d’informations nécessaires. Le code correspond à une sorte d’alphabet morse. Bien sûr, il n’est pas question ici de points et de traits, mais de quatre « signes », dénommés bases : l’adénine, la thymine, la guanine et la cytosine. Ordonnées par paires, elles constituent la double hélice de l’ADN. Trois bases suffisent pour coder un acide aminé.
Lesch :
Au fait ! Il y a eu entre-temps de nouvelles expériences d’Urey-Miller, qu’on me passe l’expression, mais cette fois avec une composition atmosphérique nettement modifiée, avec plus de monoxyde de carbone avant tout et de vapeur d’eau. En avril 2017, on obtint alors, avec ce mélange, en plus des produits intermédiaires que sont le formamide et l’hydrogène de Cyan, la synthèse de tous les composants de l’ARN, le précurseur probable de l’ADN.
Gaßner :
Là, pour ce cocktail, chacun a sa propre recette. Miller lui-même, avait repris cinq années plus tard son expérience légendaire en lui ajoutant du sulfure d’hydrogène, un gaz, que les éruptions volcaniques libérèrent en grandes quantités. Pour la petite histoire, les échantillons originaires furent retrouvés et réanalysés par un de ses anciens étudiants. Les méthodes modernes mirent au jour une panoplie clairement plus variée d’éléments élémentaires de la vie qu’on ne l’avait supposé préalablement.
Lesch :
La production de molécules hydrocarbonées marche très bien, mais reste un gros point d’interrogation. Je ne veux pas paraphraser Schopenhauer, mais comment peut bien émerger de ces éléments de construction un être vivant, lequel avec son vouloir-vivre, a bien dû passer à l’action, et non pas simplement attendre passivement dans quelque liquide. Je m’interroge sur l’étincelle qui fait toute la différence. Des molécules, il
La vie
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y en a apparemment plus qu’il n’en faut. Mais la vie… Et qu’est-ce donc que la vie et comment vient-elle dans la molécule ?
4.11 La double hélice de l’acide désoxyribonucléique (ADN) : les quatre bases organiques adénine, thymine, guanine et cytosine, en se combinant par trois, déterminent un acide aminé particulier. On doit lire le tableau de ce code de l’intérieur vers l’extérieur, par exemple verticalement et lu vers le haut GGG donne de la glycine. Le code dans sa phase finale n’est pas univoque : GGU, GGC ou GGA forment également de la glycine. Gaßner :
L’avertissement de Schopenhauer reste plus actuel que jamais, même après presque deux siècles : « Chaque gamin idiot est capable d’écraser un coléoptère. Mais tous les professeurs du monde n’en peuvent fabriquer aucun. » La complexité de la tâche est pour nous une fatalité. Même des cellules les plus simples sont en vérité des structures très complexes. Il suffit de rappeler l’ordre des grandeurs : si une molécule d’eau était aussi grosse qu’une balle de tennis, alors un virus aurait la taille d’une semi-remorque et une bactérie celle d’une maison. Le secret de la réussite, en physique, consiste à réduire toujours plus un problème, jusqu’à ce que des relations les plus fondamentales et élémentaires soient reconnaissables. Cette manière de circonscrire le problème échoue ici complètement. Si tu observes, par exemple, une molécule d’eau très précisément, alors tu perds une propriété essentielle de l’eau, plus précisément, le fait qu’elle soit liquide dans des conditions normales.
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
La propriété « être liquide » ne concerne même pas une seule molécule d’eau isolée, mais seulement la liaison de beaucoup d’entre elles. Si l’on réduit le phénomène de la vie à ses composants, alors disparaissent les propriétés essentielles qui font que la vie est bel et bien vivante. À la question de savoir pourquoi la matière devient de mauvaise humeur ou encore pour la première fois tombe amoureuse, on ne saurait répondre en suivant cette méthode. Lesch :
C’est comme pour un disque. Tu peux le briser en mille morceaux, les diviser en atomes, quarks ou tout ce que tu veux. Ce faisant, tu ne trouveras nullement la musique qui y est enregistrée.
Gaßner :
Procédons maintenant de manière inverse et construisons la vie à partir de ses composants simples. Le problème reste alors entier, car comment pourrait donc émerger par soi-même quelque chose d’aussi incroyablement complexe que la vie. Fred Hoyle l’a parfaitement résumé avec cette formule : « imaginez une décharge sur laquelle on a disposé proprement, bien séparées les unes des autres, les innombrables pièces d’un jumbo-jet. Quelle est la probabilité qu’un phénomène naturel – par exemple une tempête – assemble les parties de telle manière, qu’à la fin, on ait devant nous un jumbo-jet prêt à décoller ?”
Lesch :
La complexité est vraiment un problème considérable. Les particules élémentaires ne sont pas distinguables les unes des autres. Lorsqu’un électron vole à côté d’un champ magnétique, on peut prédire exactement ce qui va se passer. Lorsqu’un badaud passe devant une vitrine alléchante au contraire, il réagira plutôt suivant son humeur du moment.
Gaßner :
C’est la raison pour laquelle l’expérience d’Urey et Miller pose forcément au moins autant de questions qu’elle n’en résout. Tout au plus indique-t-elle une voie possible. Sur ce point, il y a une anecdote intéressante. Enrico Fermi à propos de cette expérience d’Urey-Miller avait demandé : « Comment pouvez-vous être si sûrs ? »
Lesch : Gaßner :
Fermi ! Venant de sa part ! Et Harold Urey, qui avait le sens de la formule, a répondu du tac au tac : « Si Dieu ne l’a pas fait de cette façon, alors il a vraiment raté une bonne occasion. »
La vie
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Lesch :
Quel sens de l’humour ! Urey et Miller, eux au moins, ont expérimenté quelque chose. Alors que Fermi, spécialiste de physique des particules, fut, quant à lui, quelqu’un qui s’est toujours occupé de choses qui étaient essentiellement impossibles à voir. En effet, la physique des particules peut se résumer purement et simplement par la relation hypothèse-contrôle, conformément à la formule suivante : « Bonjour, puis-je vous montrer les hypothèses que je pressens concernant telle ou telle particule ? Bien sûr, on ne peut pas la voir, mais cela fonctionne très bien. » Et chaque physicien est fondamentalement persuadé que les supposées particules, celles que l’on doit expérimentalement mettre en évidence, existent bel et bien. Pourtant, il ne saurait en être certain ! Et justement, c’est l’un des hommes de cette discipline, si incertaine s’il en est, qui osa mettre en question les théories des biologistes, eux qui travaillent toujours avec des faits : « Comment pouvez-vous être si sûrs ? » Une histoire invraisemblable, n’est-ce pas ?
Gaßner :
Ça oui ! C’est comme Fermi et la « sécurité ». Cela me vient bien entendu tout de suite à l’esprit. Le 2 décembre 1942, était-il alors sûr de lui ?
Lesch :
Tu veux parler de la première réaction en chaîne nucléaire contrôlée ? Ce fut vraiment une pure folie.
Gaßner :
Ils avaient alors amassé des tonnes de minerai d’uranium et encore plus de graphite, ce dernier servant à freiner les neutrons devenus libres. Les barres de commande absorbantes de cadmium furent hissées par le haut, par des cordes, et le plan d’arrêt d’urgence consistait simplement à couper ces cordes à l’aide d’une hache. Quelle entreprise risquée, en plein cœur de la métropole de Chicago, habitée par des millions d’âmes ! J’ai peine à concevoir quelles conséquences une erreur de calcul ou un coup dur auraient pu avoir ! Qu’une erreur puisse se produire rapidement, Fermi en a fait lui-même l’expérience. Lors d’une conférence, il a confondu une particule élémentaire avec une autre. Lorsqu’on le lui fit remarquer, il répondit sur un ton énervé : « Si je pouvais retenir par cœur tous les noms de toutes ces particules, je ne serais pas devenu physicien, mais botaniste. »
Lesch :
Et nous voilà revenus aux biologistes. Je suis vraiment persuadé que les physiciens sous-estiment grandement le saut dans la complexité, celui
250
Le Big Bang, le cosmos et la vie
qui apparaît avec le passage aux processus biologiques. Lorsque l’on veut comprendre vraiment le complexe, on ne peut, ni ne doit, y regarder trop précisément. En connaître tous les constituants constitue tout au plus la moitié du chemin. Ce qui est déterminant, ce sont les règles qui poussent ces éléments à se structurer et à se former, pour qu’à la fin, une membrane se forme, une peau autour de la cellule ou même quelque chose à l’intérieur de la cellule. Le réticule endoplasmique par exemple, et comment s’appelle déjà l’autre chose, celle que j’oublie toujours ? Le machin-truc, pas l’appareil de télévision, bien sûr, mais cela y ressemble. Gaßner :
L’appareil de Golgi.
Lesch :
C’est cela. C’est un des éléments de la cellule, si important par ailleurs pour la synthèse des protéines. À bien considérer la chose, la cellule est déjà éloignée d’un univers entier, de ce à quoi est confronté, par exemple, un physicien spécialiste de l’atome. Je pense qu’il reste encore beaucoup de travail à faire pour que les sciences de la nature parviennent à un point, où il soit effectivement possible de reconnaître la voie qui nous fera passer, par pas lents, du noyau atomique à l’atome, de l’atome à la molécule, de la molécule à une molécule plus grosse, et de celle-ci à… à quoi donc au juste ?… aux prémices de la vie.
Gaßner :
À cela vient s’ajouter une difficulté supplémentaire : les conditions sur La Terre étaient alors tellement différentes d’aujourd’hui, que la vie ne pourrait désormais plus apparaître sur la Terre de manière naturelle. La différence essentielle réside dans une activité volcanique extrêmement prononcée et dans la composition des mers et de l’atmosphère. Sans oxygène libre, il n’y avait pas de couche d’ozone, c’est-à-dire aucune protection contre le rayonnement ultraviolet.
Lesch :
Tu l’as dit. Tous ces éléments pris ensemble constituaient alors les conditions sous lesquelles la vie pouvait apparaître. Mais dès qu’il prit forme, le phénomène « vie » commença à modifier ses propres conditions d’existence sur notre planète, les faisant devenir toujours plus favorables à lui-même, et ce, jusqu’à aujourd’hui.
Gaßner :
Le point crucial consiste à ne pas détruire les conditions de possibilité planétaire de la vie, alors que pour soi-même, en tant qu’espèce, on améliore toujours plus sa condition. Les cyanobactéries ont, par
La vie
251
exemple, inventé la photosynthèse oxygénée, celle dont nous avons parlée tout le temps, parce qu’elle libère de l’oxygène. Auparavant, la nature avait effectivement expérimenté une autre forme de photosynthèse, laquelle produit du souffre, mais cela n’a guère d’importance pour notre réflexion. Les cyanobactéries ont libéré pendant des milliards d’années tant d’oxygène, que l’effet de serre dans l’atmosphère cessa, et qu’une couche de glace globale couvrit la planète. La Terre boule de neige comme on dit. Ce faisant, les cyanobactéries ont détruit leurs propres conditions d’existence. Lesch :
Cela rappelle fortement notre propre influence sur cette planète. Mais nous, nous menaçons nos conditions d’existence en suivant un principe inverse : nous renforçons l’effet de serre. Comment les cyanobactéries s’en sont-elles donc sorties ?
Gaßner :
Pas de leur propre chef, et ceci devrait constituer pour nous un avertissement. Heureusement, le volcanisme naturel a lentement mais sûrement, après leur extinction, rejeté à nouveau du dioxyde de carbone dans l’atmosphère et renouvelé l’effet de serre. La différence de température considérée est significative. Sans effet de serre, la température moyenne sur la Terre atteindrait les moins quinze degrés Celsius, avec effet de serre, les plus quinze degrés Celsius. Les premiers représentants de la photosynthèse de l’oxygène étaient d’une manière générale des « aventuriers du hasard ». L’oxygène, dans certaines proportions, est en effet pour les cellules un poison très efficace. Elles ont su tirer l’énergie qui leur fut nécessaire, mais au prix de la production de ce déchet, lequel, à la longue, menaça leur environnement. Dans le même temps, elles ont préparé le chemin pour d’autres formes de vie, lesquelles apprirent à éviter l’oxydation de leurs propres cellules au moyen de certaines enzymes. Bien des unicellulaires ne réussirent cependant pas ce saut évolutionnaire. Ils furent, ou bien supplantés, ou ils durent se retirer dans des niches environnementales dépourvues d’oxygène. L’intestin humain constitue par exemple un tel lieu.
Lesch :
Nous racontons ici le début de l’évolution de notre planète, comme si nous avions été présents et avions documenté le tout pour la postérité.
252 Gaßner :
Lesch :
Le Big Bang, le cosmos et la vie
En vérité, une telle chronique existe bel et bien, sous la forme de BIFs. À l’intérieur de ces Banded Iron Formations, ces couches formées de galets ferrugineux, on trouve en alternance des strates ferrugineuses et des couches de chaille, d’une épaisseur allant de quelques millimètres jusqu’à quelques centimètres. Ces couches sédimentaires accumulées peuvent atteindre, selon les lieux, plusieurs centaines de mètres de hauteur, et elles nous permettent de connaître par reconstruction, la concentration en oxygène des océans et de l’atmosphère d’alors, couche par couche. Les océans primitifs contenaient du fer dissous, lequel, au contact de l’oxygène, se transforma en oxyde de fer (Fe2O3), difficilement solvable et qui coula au fond des mers. La plus vieille trace de cette chronique du temps passé remonte à 3,8 milliards d’années. Elle indique la présence significative d’oxygène libre, il y a 2,5 milliards d’années. Auparavant, O2 restait une chose rare, qui se formait lors de la scission de l’H2O ou du CO2 par le rayonnement UV. Comment le fer a-t-il atteint les mers ?
4.12 Couches de galets ferrugineuses, en Australie. Le fer atteignit la mer primordiale sous l’effet des précipitations et du volcanisme. Il fut lié à différents processus et s’accumula finalement au fond des mers. La question essentielle est la suivante : s’agissait-il alors d’une sédimentation d’oxyde de fer (Fe2O3) ou bien de liaisons moléculaires qui n’étaient jamais entrées en contact avec l’oxygène libre ? Couche après couche, cette information fut enregistrée. Et grâce à elle, on peut déduire rétrospectivement le contenu en oxygène des mers. Ce fut une fois que le fer fut complètement emmagasiné dans ces strates, que la concentration en oxygène de l’air put augmenter significativement.
La vie
253
Gaßner :
Grâce au volcanisme. Les océans primordiaux avaient d’une manière générale une composition différente de celle d’aujourd’hui. Le PH de l’eau était hautement basique. Ce seul fait suffit pour conclure que, si la vie est alors apparue sous de telles conditions, aujourd’hui, elle ne pourrait plus émerger.
Lesch :
Car les mers ne sont plus que légèrement basiques et par-dessus le marché, elles sont salées. Comment en est-on arrivé là ?
Gaßner :
La base est apparue grâce à l’H2O, un peu de carbonate de sodium et de chlorure de sodium. Ce dernier est aujourd’hui encore rejeté dans l’atmosphère sous la forme de cendre volcanique. L’eau lava pour ainsi dire le chlorure de calcium dans les océans. Là, les deux éléments se transformèrent en chlorure de sodium et les mers devinrent en l’espace de deux milliards d’années des océans salés.
Lesch :
Et n’oublie pas le carbonate de calcium. On ne peut pas le voir, mais je cogne justement dessus : mon crâne ! Car effectivement, à partir de ce moment, la formation des os fut pour la première fois possible. Inimaginable ! Il a fallu deux milliards d’années, pour que le matériau qui permit la formation d’os et de squelettes enfin apparaisse. C’est une histoire formidable ! Tout cela est tout simplement incroyable !
Gaßner :
Très bien. Il est important désormais de faire le lien entre les acides aminés, les océans primitifs, tous les éléments dont nous avons besoin, et l’apparition de la vie elle-même.
Lesch :
Et comme c’est beau, c’est formidable ! Peu importe qu’on la raconte souvent ou non, cette histoire du développement de la vie sur notre planète, avec son prélude cosmique, reste vraiment quelque chose de miraculeux.
Gaßner :
Et désormais, nous sommes véritablement en mesure de raconter la chose dans sa totalité. Bien sûr, personne n’était là pour la voir. D’ordinaire, le témoin visuel est l’ennemi naturel de l’historien. Mais quand je pense à la façon dont chaque épisode s’inscrit finalement dans l’ensemble, alors, moi aussi, je suis emballé. Nous arrivons maintenant à l’apogée de cette longue histoire du Big Bang jusqu’à l’homme, je veux parler du phénomène de la vie.
254
4.3
Le Big Bang, le cosmos et la vie
L’apparition de la vie Les humeurs de la matière
Gaßner :
Ainsi, il s’agit de la plus grande transformation que la matière ait jamais atteinte, l’apparition de la vie. Comme pour l’apparition du cosmos, la même règle reste valable : personne n’était là pour le voir. C’est que les seuls êtres vivants, qui aujourd’hui s’interrogent sur l’apparition de la vie comme telle, constituent eux aussi le produit d’une évolution longue de plusieurs milliards d’années.
Lesch :
Nous ne pouvons pas évoquer toute la littérature scientifique des différents modèles possibles d’une telle évolution, cela serait tout simplement trop. Il existe des bibliothèques entières sur ce sujet. Non, nous aborderons le sujet sur un plan général, directement avec les faits physiques qui y sont liés. Par exemple la question : Comment en est-on arrivé à un modèle raisonnable concernant l’apparition de la vie ?
Gaßner :
Ne me dis pas que tu vas ressortir ton tour de passe-passe de physicien ?
Lesch :
Et bien si ! Nous débutons de la même façon qu’auparavant, avec l’hypothèse selon laquelle les lois naturelles que nous connaissons étaient alors également valables et efficaces. Une seconde présupposition consiste également à considérer que les êtres vivants les plus simples se sont développés les premiers. Les formes élémentaires de la vie évoluèrent et coopérèrent, permettant ainsi plus tard l’apparition de formes de vie plus grosses et plus complexes.
Gaßner :
Oui bon. Mais allons au cœur du problème. Qu’en est-il du début de la vie elle-même ?
Lesch :
Avant, il n’y avait rien de tel. Au fond, le problème se pose de la même manière qu’avec le thème du début de l’univers. À nouveau, c’est un regard très objectif sur la matière qui vient à notre secours.
Gaßner :
Considérons un instant le système périodique des éléments. Nous le devons à un scientifique russe très pluridisciplinaire, Dmitri Ivanovitch Mendeleïev. Un véritable touche-à-tout, qui fut le dernier de 17 enfants. Il a par exemple introduit le système métrique en Russie, révolutionné
La vie
255
les méthodes de prospection du pétrole, et en chimie, son travail de doctorant portait sur un sujet, qui le rendit définitivement inséparable de l’âme russe. Son titre : « À propos de la liaison de l’alcool avec l’eau ». Lesch :
Vodka !
Gaßner :
Tu as vu juste. Aujourd’hui encore, nombre de ses propositions concernant l’amélioration des processus de production sont restées inchan- 4.13 Dmitri Ivanovitch gées, tout comme le degré moyen d’alcool. Mais Mendeleïev (1834 – 1907) revenons à sa plus grande réalisation : le système périodique. Celui-ci ne contient pas un élément particulier à la vie, de telle sorte que l’on pourrait dire : « Si cela contient l’élément X, il s’agit de matière vivante, et lorsqu’il manque, de matière morte. » La vie doit se débrouiller avec les mêmes éléments de construction élémentaires que le reste du monde qui l’inclut. Son secret doit alors résider dans son organisation. Cela vaut aussi pour la vie extraterrestre. C’est justement ce qui est si convenant dans le système périodique : il est complet. Il débute avec l’hydrogène – avec un unique proton dans le noyau – et avec chaque proton supplémentaire, on passe à l’élément suivant. Il n’existe nullement, là-haut, dans l’infiniment lointain du cosmos, quelque demi-proton, que l’on pourrait encore caser entre les éléments du système. Aussi est-on sur ce point en droit de cocher définitivement une case : le système périodique reste définitivement établi.
Lesch :
C’est que la vie constitue un phénomène complexe et elle doit donc enregistrer une quantité énorme d’informations dans les gènes. Concernant le talent d’organisation, la Palme d’Or revient au carbone, champion toutes catégories parmi les éléments, en raison de sa quadruple valence électronique. Car mis à part le silicium, seul le carbone possède quatre électrons sur l’enveloppe extérieure. Ils servent de points d’ancrage pour les liaisons avec d’autres molécules.
Gaßner :
Mais le carbone bat son concurrent silicium en raison de ses avantages biologiques. Il possède la belle propriété d’autoriser les liaisons doubles,
256
Le Big Bang, le cosmos et la vie
comme avec les deux électrons de valence de l’oxygène. Devenu ainsi dioxyde de carbone (CO2), il peut aisément prendre la forme gazeuse. Lesch :
Le silicium quant à lui ne permet pas la formation de doubles liaisons. Mis à part quelques exceptions notoires, il forme donc des structures en grille, en règle générale, des corps durs.
Gaßner :
De plus, la liaison du carbone avec lui-même est quasiment deux fois plus forte que celle du silicium avec lui-même. Cela constitue une condition importante pour la formation d’une longue et robuste chaîne moléculaire. Rien d’étonnant donc que le carbone représente la moelle épinière de la vie sur notre planète.
Lesch :
Mais si je place un morceau de brique de charbon à côté d’une plante formée d’autant d’atomes de carbone et que je les baigne dans la lumière du soleil, ils se développeront de manière complètement différente. Le carbone seul ne réagit aucunement.
Gaßner :
Mais il reçoit le support important de la seule liaison moléculaire de deux gaz qui, dans des conditions normales de pression et de température, se trouve à l’état liquide. Deux atomes d’hydrogène et un atome d’oxygène forment H2O, notre eau, cette dispendieuse de vie. Elle sert de diluant, de protection contre les rayons UV, de stabilisateur des structures fragiles au regard de l’attraction terrestre, de partenaire dans les réactions de photosynthèse et de plus, elle possède une propriété, qui fut peut-être décisive pour l’apparition de la vie : certaines molécules se sentent attirées par l’eau – d’où leur nom d’hydrophiles, par opposition à celles qu’elle repousse, les hydrophobes. La matière est constituée d’atomes, qu’elle soit vivante ou non. Les atomes, à leur tour, forment des molécules. Les êtres vivants sont composés de très longues chaînes de molécules, lesquelles sont principalement constituées de carbone, d’oxygène, d’azote et d’hydrogène. D’autres familles d’atomes, comme le phosphore, le calcium, le fer et d’autres, sont incrustées dans ces longues chaînes carbonées.
Lesch :
La vie sur la Terre a assurément commencé avec des liaisons carbone très simples et relativement courtes, les monomères, pour ensuite se complexifier, au cours du temps, en formant des associations d’ensembles moléculaires toujours plus complexes et plus grands, les polymères. Une
La vie
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évolution de ce type suppose des conditions extérieures telles, qu’elles furent favorables à la formation et à la dislocation des molécules, tout comme à l’apparition de nouvelles liaisons. Gaßner :
Et effectivement, il y eu, dans la période de jeunesse de la Terre, une atmosphère très dense composée de dioxyde de carbone et d’eau, qui fut continuellement enrichie par d’autres liaisons moléculaires, grâce à l’activité volcanique. Ce furent de véritables fleuves de magma gluant et liquide qui jaillirent de la surface terrestre. Les forces dues à l’attraction de la Lune, alors encore très proche, pétrirent littéralement la Terre. L’atmosphère était continuellement remplie d’orages et d’éclairs. Il faisait très chaud. Les rayons ultraviolets du soleil n’étaient point absorbés par une couche d’ozone alors inexistante. Ils atteignirent sans entraves la surface terrestre encore très chaude.
Lesch :
L’enfer est en comparaison franchement confortable ! Summa summarum, il existait de nombreuses sources énergétiques pour le développement de liaisons organiques. L’eau comme diluant, le rayonnement ultraviolet et les éclairs, comme destructeurs de ces liaisons, en partie ou en totalité. Les conditions atmosphériques, volcaniques et cosmiques extrêmes, conduisirent en permanence à d’autres expérimentations chimiques. Le début de la vie équivaut, en fait, à un essai, à l’échelle planétaire, des combinaisons les plus diverses de la chimie organique. Dans le même temps, cette tentative fut soutenue par un apport énergétique constant venant de l’extérieur, lequel fit mijoter continuellement la marmite. Une salle d’opération en somme, pour les convulsions d’un travail qui donna finalement naissance à la vie…
Gaßner :
Plutôt un laboratoire géant, dans lequel ça tonnait, sifflait, vapotait constamment. Mais il a dû y avoir aussi dans l’histoire de la jeune Terre quelque chose comme un principe contraire, consistant à « faire son nid » dans l’environnement. Des molécules particulièrement stables ont dû pouvoir se développer lentement, sans être dérangées, sans être livrées à la menace permanente de la destruction. Si toutes les molécules s’étaient constamment dissoutes dans l’eau ou avaient été détruites par le rayonnement ultraviolet, jamais nous ne serions parvenus à la première cellule. On ne devrait jamais oublier que les cellules pensables les plus simples constituèrent en réalité des unités
258
Le Big Bang, le cosmos et la vie
chimiques véritablement complexes. Elles furent déjà capables de s’auto-stabiliser et de se protéger en partie de l’environnement destructeur, en s’entourant d’une couche moléculaire particulière, la membrane. Lesch :
Nous avons donc d’une part, le monde des possibles moléculaires comme champ expérimental, nourri par des sources énergétiques externes. D’autre part, nous avons des niches, au sein desquelles peuvent perdurer avec succès des molécules de ce fait stables et susceptibles d’effectuer d’autres étapes évolutives, si des circonstances particulièrement favorables le permettent. La nature est d’un certain côté progressive, lorsque le flux énergétique est suffisant, d’un autre côté particulièrement conservatrice, c’est-à-dire ici protectrice, lorsque certaines liaisons moléculaires se sont révélées particulièrement stables. Généralement, l’évolution invente rarement quelque chose de vraiment neuf. Sa force réside plutôt dans la variation du déjà existant. Dès qu’un organisme apparaît, alors les modifications doivent avoir lieu en plus du fonctionnement courant. C’est qu’il n’est pas possible d’accrocher un panneau au cou d’un être vivant « fermé provisoirement pour cause de chantier ».
Gaßner :
Les sources d’énergie et les niches propices à la vie ne constituent que deux des possibles sages-femmes qui assistèrent la vie. Pendant la jeune phase de la Terre beaucoup de facteurs différents ont dû probablement jouer un rôle pour l’apparition de la vie : à ceux que nous avons déjà évoqués viennent s’ajouter les surfaces des roches stratifiées, dont la structure poreuse a dû servir d’infrastructure pour la formation de molécules et leur différenciation. Le volcanisme toujours renaissant également, en formant des solutions d’eaux salées et chaudes particulièrement riches en minéraux, et leur inclusion dans les molécules déjà existantes, a dû 4.14 Modélisation d’un minéral participer pour une grande part à leur à surface poreuse. stabilité et leur aptitude à survivre.
La vie
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4.15 Des courants d’eau froide à quelques degrés, et d’eau de chaude à 400 degrés se rencontrent au fond de la mer. En raison du refroidissement soudain de l’eau chaude riche en minéraux, les sulfites et les sels du fer, du cuivre, du manganèse et du zinc précipitent. Les sels ferrugineux confèrent à la cheminée sa couleur bleu foncé caractéristique : les fumées noires. Les sulfates ou le dioxyde de silicium laissent quant à eux une trace claire, on parle alors de fumées blanches. Par sédimentation, les cheminées peuvent atteindre jusqu’à 60 mètres de hauteur.
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
Lesch :
Oui, c’est un point important. Les éruptions de volcans gigantesques se révélèrent être une bénédiction pour la vie. L’émergence de chaînes moléculaires membraneuses eut une signification particulièrement importante : en modifiant la concentration en sels ou en minéraux de la solution qu’elle incluait, la membrane empêcha l’entrée de molécules d’eau supplémentaires. Ces molécules hydrophobes créèrent des conditions physiques nouvelles, en particulier de pression et de densité, lesquelles à leur tour furent favorables à la construction et à la persévérance des structures moléculaires. Dès lors, les molécules incluses dans la membrane purent interagir beaucoup plus intensément les unes avec les autres, puisqu’elles ne furent plus continuellement dissoutes par l’eau. Les membranes ne laissèrent plus passer que certaines familles d’atomes et de molécules dans les espaces qu’elles entouraient. Inversement, elles permirent aux déchets chimiques produits de quitter l’espace protégé. Et voilà : la naissance du tout premier métabolisme !
Gaßner :
Ainsi, les molécules de l’intérieur purent se procurer les matériaux dont elles avaient précisément besoin pour subsister et se développer. Dans les parties protégées par la membrane, il a dû exister, très tôt, une division du travail à l’œuvre, selon les molécules, laquelle favorisa la stabilité du tout et, en fin de compte, la construction d’une cellule simple, qui fut même capable de se reproduire. On se dispute encore, quant à la question de savoir où ce modèle réussi d’une première cellule fut inventé. La théorie la plus établie est celle des Black Smokers, bien connus des explorateurs du fond des mers. Là, il y régnait, déjà à l’époque, les conditions nécessaires : de grosses différences de températures et de pressions d’une part, tout comme une protection suffisante contre le rayonnement UV d’autre part. Il y a quelques années, on a découvert dans le Pacifique nord un champ complet de cheminées géothermiques que l’on a baptisé du beau nom de Lost City. Il intéresse depuis particulièrement les biologistes, car le liquide rejeté est alcalin. Si l’on en croit certains modèles, d’après lesquels l’océan primordial était un milieu enrichi en dioxyde de carbone, c’est-à-dire un milieu chimiquement acide, alors un déséquilibre naturel existait. Cela a pu constituer une source possible d’énergie chimique. Nos membranes cellulaires utilisent également une telle différence acide-base. Un employé de la NASA du Jet Propulsion Laboratory a entrepris de reproduire en laboratoire ces cheminées hydrothermales.
La vie
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En avril 2014, il publia ses premiers résultats, qui démontrèrent que sur la couche extérieure de la cheminée, en plus des minéraux dissous, se forme une différence de concentration, un gradient de protons. Un échange d’électrons entre les liquides sortant des cheminées et ceux de l’océan environnant est également pensable et aurait permis la formation de liaisons simples carbonées. Certains minéraux auraient pu avoir une influence catalytique, le molybdène par exemple. D’autres sédiments, comme la rouille verte, auraient pu produire, grâce à cette différence en protons, une molécule contenant du phosphate, similaire au carburant énergétique dans nos cellules : l’adénosine triphosphate (ATP). Tout cela reste de l’ordre de la pure spéculation, mais en tous cas, les cheminées géothermiques fournissent une différence de potentiel naturelle et extrêmement intéressante. Une simple différence de température suffit pour transporter les molécules de A vers B, car elles sont poussées d’une zone de haute activité thermique vers une zone de moindre activité, comme les nuages passent d’une zone de haute pression à une zone de basse pression. Ces thermophorèses peuvent même modifier les concentrations des pores. Lesch :
C’est vraiment fascinant. Qu’en est-il de l’autre fraction de chercheurs, de ceux qui pensent que tout cela débuta avec « il était une fois une mare chaude… »
Gaßner :
Cette version a connu une renaissance au printemps 2012, grâce au biophysicien Armen Mulkidjanian. Lors de l’analyse cellulaire d’organismes simples, 60 gènes retinrent l’attention de son équipe, car ils apparaissent dans tous les organismes étudiés. Aussi, les ancêtres de ces organismes cellulaires auraient-ils pu également posséder de tels gènes. Or, les premières cellules étaient encore perméables aux ions. C’est pourquoi il est possible d’argumenter qu’il a dû régner dans leur milieu des conditions semblables à celles présentes à l’intérieur des cellules, c’est-à-dire une haute concentration en zinc, manganèse et phosphore, tout comme un pourcentage élevé de potassium par rapport au sodium. Et toutes ces conditions, nous les trouvons dans les sources géothermiques.
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
Lesch :
Des mares peu profondes n’offrent pas assez de protection contre le puissant rayonnement UV. Il séparerait à nouveau les polymères à peine formés.
Gaßner :
Mais là aussi, Mulkidjanian a une réponse à ce problème : il suffit d’une fine couche de sulfure de zinc au fond de la mare pour que celle-ci offre autant de protection UV que 100 mètres de hauteur d’eau.
Lesch :
Toutes ces théories connaîtront sans doute d’autres versions. Et nous sommes bien contents d’être des physiciens et non des biologistes. En comparaison, nous nous trouvons sur un sol plus stable. Que l’on considère brièvement quelques chiffres encore : les êtres vivants sur la Terre sont composés de 92 pour cent de poussière d’étoiles, et de 8 pour cent de l’hydrogène, celle précisément dont les noyaux sont apparus dans les premières secondes qui suivirent le Big Bang.
Gaßner :
Exception faite de quelques éléments présents en infime quantité, nous les mammifères, nous utilisons 21 éléments du système périodique. Chez nous les humains, l’iode est le plus lourd d’entre eux. Celui qui trimbalerait avec lui une grosse quantité d’éléments plus lourds aurait vraiment un problème.
Lesch :
Presque toutes les formes de vie utilisent, d’une manière ou d’une autre, l’énergie du soleil. Et la Lune a même permis finalement que la Terre ne tourne pas trop vite autour de son propre axe ou même bascule. Le soleil, la Lune, et les étoiles, tous ont participé et participent encore à ce que nous sommes. Incroyable mais vrai !
Gaßner :
La question des origines de la vie a été désormais traitée, pour nous physiciens. Les différentes disciplines physiques, la thermodynamique, la physique atomique et moléculaire, et la physique de l’interaction entre le rayonnement et la matière parviennent à expliquer les bases et les conditions initiales de l’apparition et du développement de grosses chaînes moléculaires, lesquelles durent nécessairement être là pour que des cellules simples puissent se former. Ces molécules délimitèrent grâce à leur membrane des espaces, où une première forme de métabolisme est apparue. Rien là-dedans de très romantique, n’est-ce pas ?
La vie
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Lesch :
La vie est d’un point de vue physique un phénomène auto-organisant, auto-reproduisant, un phénomène dissipatif en déséquilibre.
Gaßner :
Sans influence extérieure, chaque processus physique vise un état d’équilibre. La vie, quant à elle, doit s’organiser et se délimiter par rapport à son environnement. C’est le principe suivant qui vaut : « ici, je suis, et là, je ne suis pas ». D’où cette définition bien peu romantique d’un « système dissipatif en déséquilibre ». Dans la langue de tous les jours, cela ne signifie rien de moins que ceci : la vie constitue un état non naturel. Le combat continuel contre la tendance à la destruction et à la décomposition coûte de l’énergie. Cela vaut pour toute forme pensable de vie. Et celui qui penserait secrètement : « Certes, il est bien possible, qu’ici, sur notre planète, les acteurs privilégiés aient été le carbone, l’eau et la lumière solaire. Mais ailleurs dans l’univers, il a pu en être tout autrement », celui-là, dans tous les cas, ne saurait échapper au problème de l’apport énergétique et doit également compter avec le même système périodique. À cet endroit, les fantaisies de la science-fiction s’évaporent vite en fumée.
Lesch :
Une fois en chemin, la vie a besoin pour s’auto-reproduire d’un mécanisme de copie. Cette reproduction est inséparable d’une perte dans la réplication. De petites différences dans le patrimoine génétique conduisent à des mutations, lesquelles se révèlent être plus ou moins bénéfiques pour l’être vivant par rapport à son environnement.
Gaßner :
À partir de là, les deux forces actives de l’évolution, mutation et sélection, décident du destin des innombrables visages de la vie.
Lesch :
Le rôle de l’eau pour l’apparition et le développement de la vie est d’une importance telle, qu’il est d’usage de définir la zone habitable autour d’une étoile comme l’espace où l’eau peut exister à l’état liquide. Plus loin, à la périphérie, il fait trop froid, et plus proche de l’étoile, il fait trop chaud.
Gaßner :
Mais attention, Harald, la luminosité de l’étoile varie avec le temps. Notre soleil brille aujourd’hui un tiers de fois plus qu’il y a quatre milliards d’années et demi, lors de la phase d’apparition de la Terre. La zone habitable émigre pour cette raison lentement vers la périphérie. De plus, l’espace autour de l’étoile propice à la vie augmente, s’il s’agit d’une planète possédant une atmosphère. Si la composition de celle-ci l’auto-
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
rise, l’effet de serre peut engendrer des températures plus chaudes à la surface de la planète. Pour cela, des molécules avec trois atomes au moins sont nécessaires. Elles peuvent transformer le rayonnement calorifique à grandes longueurs d’onde en oscillations. Des molécules différentes couvrent également des régions différentes du spectre. Après quelque temps, elles retombent dans leur état initial et dispensent l’énergie au hasard dans diverses directions. Une partie est rejetée vers la planète. Dans le cas de notre Terre, cela correspond tout de même à 30 degrés de différence de température. Les processus de désintégration à l’intérieur de notre planète ou les processus géothermiques peuvent également produire de la chaleur. À la surface terrestre il s’agit d’un apport de 0,06 watt par mètre carré. 4.16 Au centre de la Terre règnent des températures similaires à celles présentes à la surface de notre soleil. Le schéma 4.7 en montre une structure détaillée. Lesch :
Sans le soleil, la chaleur de la Terre et l’énergie chimique comprise dans les liaisons moléculaires, il n’y aurait pas de vie sur Terre. Les êtres vivants sont comparables à des chauffe-eau cosmiques, qui comme les truites dans leur ruisseau, baignent dans un flux énergétique produit par la chaleur solaire.
Gaßner :
L’énergie doit se présenter sous une forme adéquate. Lorsque nous autres, humains, nous avons faim, cela ne sert à rien d’aller dans un sauna. Là, on y reçoit certes une bonne quantité d’énergie calorifique, mais elle n’assouvit aucunement notre faim. Les plantes, elles aussi, ont besoin pour la photosynthèse d’une bande étroite du spectre électromagnétique, que l’atmosphère doit laisser passer de surcroît. Un rayonnement microondes serait inapproprié. Mettre une plante dans un four à micro-ondes, ce n’est pas précisément ce qu’on appelle avoir les pouces verts !
Lesch :
Tous les rouages s’articulent finement, et le soleil, avec son apport énergétique, fait tourner sans cesse le moteur de ce système évolutionnaire.
La vie
265
4.17 En raison du rôle-clef que joue l’eau dans l’apparition de la vie, on parle d’une zone habitable autour d’une étoile précisément pour la zone où l’eau peut exister à l’état liquide. Le diagramme (à échelle logarithmique) montre, en haut, notre système solaire avec la zone habitable entre Vénus et Mars. Pour une étoile plus lumineuse, la zone habitable serait plus éloignée du centre, pour une étoile à luminosité plus faible, elle en serait plus proche. D’autres facteurs peuvent agrandir la zone habitable (lignes rouges et roses), comme l’intensité de la réflexion à la surface, appelée albédo, une atmosphère éventuelle et une source de chaleur propre à la planète considérée. Gaßner :
La Terre s’échaufferait sans cesse si elle n’était pas en mesure de renvoyer une grosse part de l’énergie qu’elle reçoit du soleil vers l’espace.
Lesch :
Là, au-dehors, règnent aujourd’hui des températures très faibles de moins 271 degrés Celsius. Ceci est le résultat glacé de 13,8 milliards d’années pendant lesquels l’univers fut sans cesse en expansion et de ce fait s’est constamment refroidi.
Gaßner :
La différence de potentiel – dans ce cas la différence de température – constitue la source motrice de la vie. Grâce à elle, l’auto-organisation de structures complexes fut désormais possible. C’est un peu comme un fleuve qui coule tranquillement. Ses parties coulent également réparties. Arrive une différence de potentiel, par exemple une chute d’eau, la
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
situation change alors du tout au tout. L’eau s’organise selon une forme complètement nouvelle. Elle mousse, tourbillonne, écume et éclabousse. C’est la différence de hauteur qui rend tout cela possible. Lesch :
De la même manière, c’est seulement parce que le soleil est si chaud et l’espace si froid que deux astrophysiciens à sang chaud peuvent expliquer la plus grande histoire réussie qui soit : l’histoire de toute chose et du vide.
Gaßner :
À propos d’histoires réussies, quel est le pluricellulaire qui a le mieux réussi sur notre planète ?
Lesch :
L’homme ! C’est très clair. La Terre n’a jamais connu un phénomène comparable à nous.
Gaßner :
Mais attention à ne pas répondre à cette question de manière trop anthropocentrique : le krill de l’Antarctique pèse en moyenne deux grammes, il peut atteindre les 6 centimètres et vivre jusqu’à six ans. Il en existe 500 millions de tonnes. C’est définitivement plus que toute l’humanité pesée dans sa totalité.
Lesch :
Vraiment, 500 millions de tonnes de krill ? Que signifie cette réussite superlative ? Ont-ils une recette particulière pour survivre ?
Gaßner :
Cela dépend de l’échelle que tu utilises. Du point de vue du nombre, le krill vient en tête parmi les pluricellulaires. Et d’un autre point de vue, il nous dépasse de beaucoup. En effet, il vit suivant un cycle écologique entièrement renouvelable. Et à ça, nous autres êtres humains, nous ne sommes jamais parvenus ; exception faite peut-être de petites peuplades ou tribus.
Lesch :
Mais le krill ignore tout de sa réussite. Ces processus complètement naturels, aussi réussis soient-ils, fonctionnent parfaitement lorsqu’il s’agit de se reproduire à outrance. L’inconvénient en est que le krill n’en sait rien. Il n’y a pas de chose comme une assemblée générale où il serait annoncé : « Bon ! Cette année nous sommes à nouveau parvenus à produire 100 millions de tonnes de krill, sans altérer l’environnement. » Si une baleine passait par là, elle les mangerait tous. Bon appétit ! En une bouchée tous les participants disparaissent. Est-ce que les baleines mangent vraiment du krill ?
La vie
267
4.18 Krill de l’Antartique (Euphausia superba). Gaßner :
Oui. Krill est le vocable norvégien pour « aliment des baleines ».
Gaßner :
Et puis, il y a aussi les fourmis, qui nous dépassent également en nombre. On estime le leur à environ 10 mille milliards, du moins si l’on considère les deux mille espèces dans leur ensemble. Leur poids moyen est de 0,006 gramme, mais elles sont capables de transporter 200 fois leur propre poids. Je doute que nous serions aussi performants, si nous essayions de soulever 16 tonnes et de les transporter lors d’un sprint. Ces êtres minuscules à six jambes ont réalisé, grâce à leurs facultés, la plus grande construction du monde : une colonie allant de la Riviera italienne, traversant la France et l’Espagne et rejoignant finalement le Portugal. Même le record de la muraille de Chine est battu.
Lesch :
J’apprends naturellement avec beaucoup d’intérêt dans quelle mesure une forme donnée de vie peut réussir aussi bien. Mais cela ne me suffit pas pour définir le succès d’une espèce biologique. C’est pourquoi je continue de penser que l’espèce qui a réussi le mieux, les 500 000 dernières années, reste l’Homo sapiens. En effet, aucune autre forme de vie ne s’est aussi bien adaptée à son milieu que nous l’avons fait. Peu importe où nous sommes allés, dans les glaces ou les déserts, ou même sur la Lune, et surtout, nos tentatives de nous rendre indépendants autant que possible de notre milieu nous rendent uniques en notre genre. Nous sommes capables de modifier nos conditions de vie pour survivre, et je trouve, en gros, assez remarquable, ce que jusqu’ici nous sommes parvenus à réaliser. Malheureusement, tout un tas de problèmes vient s’ajouter à cela. Mais au moins pour un moment, je désirerais encore porter haut les couleurs de l’humanité.
268 Gaßner :
Lesch :
Le Big Bang, le cosmos et la vie
Bon très bien. Le krill que l’on vient d’évoquer ne va pas aux urnes et n’écrit pas non plus des poèmes. En ce sens, Homo sapiens a peut-être bien le devant en ce qui concerne la flexibilité et la faculté d’adaptation à l’environnement. Il existe cependant un autre maître de l’évolution : le tardigrade. Ce petit animal à huit pieds peut survivre des décennies sans alimentation ou sans eau, par des températures de moins 240 jusqu’à 77 degrés Celsius et ne craint même pas le rayonnement cosmique très élevé. Sa recette ? La cryptobiose (ou anabiose) – réduction extrême du métabolisme ! De l’ordre d’un millimètre de grosseur, le tardigrade peut réparer son ADN et réduire la quantité d’eau de son corps jusqu’à un pourcentage faible. Notre star a prouvé sa faculté exceptionnelle de survie lors d’un test à l’extérieur d’une capsule spatiale en orbite. En comparaison, le saut de Felix Baumgartner du haut de la stratosphère n’est qu’une promenade de santé. Mais le PR du tardigrade était probablement plus mauvais que le sien, tout comme ses interviews évidemment. Tu me fais marcher ! Et où vit-il donc ?
4.19 Le tardigrade sur une mousse verte (environ 1 mm). Enregistrement coloré pris au microscope électronique.
La vie
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Gaßner :
Partout où c’est humide, dans les mers, tout comme chez toi dans la gouttière ou dans le jardin. Il s’accommode aussi bien de pressions quasiment nulles que des conditions extrêmes, celles qui règnent au fond des mers par exemple. À première vue, il ressemble sous le microscope électronique à un sac d’aspirateur. En raison de ses aptitudes remarquables, le tardigrade a de surcroît manqué d’un cheveu de réussir le premier vol habité vers Phobos, l’une des lunes de Mars. La mission russe Phobos-Grunt échoua malheureusement en raison d’une défaillance du lanceur, sans quoi cette lune serait depuis longtemps colonisée par nos minuscules camarades, quelque peu patauds il est vrai.
Lesch :
Bon très bien, je retire en ce qui nous concerne, l’argument de la faculté adaptative. Les véritables seigneurs inavoués de notre planète sont encore bien plus capables d’adaptation et sont bien plus petits que les tardigrades : j’ai nommé les microbes. Ils nous sont bien supérieurs en nombre et en masse.
Gassner :
Parmi eux, il y a les procaryotes. Ce sont des unicellulaires qui ne possèdent pas encore de noyau. Et il en existe véritablement plusieurs milliards de tonnes. Les procaryotes existent depuis des milliards d’années sur notre planète. Au début, ils avaient la Terre pour eux seuls. Ce qui signifie qu’ils furent les maîtres uniques et absolus de la plus grande partie de l’histoire terrestre.
Lesch :
Les Procaryotes, c’est cela. On peut vraiment dire qu’ils sont les êtres vivants originaires. Tout ce qui existe aujourd’hui sur la Terre et que
4.20 Bacillus subtilis grossi 1 000 fois (à gauche) et à côté sous le microscope électronique (coloré). De 2 à 3 μm de long et environ 0,6 μm de large, ces unicellulaires appartiennent aux microbes sans noyau, que l’on nomme procaryotes (en grec « pro » pour avant et « karyon » pour noix ou noyau) ou encore monera.
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
l’on qualifie de vivant s’est en fin de compte développé à partir des procaryotes. Gassner :
Oui. Un seul gramme de terre cultivable héberge cent mille de ces êtres vivants. À peu près autant se bousculent sur un centimètre carré de ta peau.
Lesch :
Je regarde au creux de ma main gauche. Je la referme ensuite sur ellemême et ce faisant, je force vraisemblablement 100 000 familles de procaryotes à déménager.
Gaßner :
En tout, tu portes plus de procaryotes avec toi que tu n’as de cellules en propre. Ils pèsent plus d’un kilo, la plupart d’entre eux se trouvent dans l’appareil digestif. Tu es en quelque sorte un paquebot de luxe pour procaryotes. La prochaine fois que quelqu’un te demandera combien tu pèses, tu pourras tranquillement soustraire deux kilos au poids mesuré.
Lesch :
Bien volontiers. Et à la question de savoir comment je vais, je répondrai : « Je vais bien merci. Mais comment vont mes procaryotes, je ne le sais pas exactement. »
Gaßner :
Chacun de nous est même entouré de son nuage individuel de microbes. Nous rejetons chaque heure environ un million de particules biologiques et de bactéries dans l’air, autour de nous, et ce, même lorsque nous ne bougeons pas. On pourrait même nous identifier à cette signature caractéristique, comme l’a prouvé une expérience menée par l’université de l’Oregon (États-Unis) en septembre 2015.
Lesch :
Ainsi, chaque être humain a un parfum particulier. Mais si comme tu l’as dit, mes sous-locataires sont plus nombreux que les cellules de mon propre corps, alors ils devraient peser bien plus encore, non ?
Gaßner :
Les 220 types de cellules humaines environ sont d’un ordre de grandeur et de complexité plus haut, et sont donc plus lourdes que les cellules sans noyau. Les 100 milliards de cellules que tu possèdes sont en moyenne d’une taille d’une quarantaine de millième de millimètre et constitueraient, une fois mises les unes au bout des autres, une chaîne faisant cent fois le tour de notre planète.
Lesch :
Que l’on puisse former une chaîne de cette sorte avec les éléments qui me constituent, cela est vraiment difficilement concevable.
La vie
271
Gaßner :
En tous les cas, tu dois te dépêcher, car le nombre de tes cellules diminue constamment. Chaque jour, 100 000 cellules nerveuses disparaissent de notre cerveau.
Lesch :
Alors empressons-nous de continuer, avant que plus rien ne vienne à l’esprit.
Gaßner :
Le pas évolutionnaire passant des procaryotes aux eucaryotes – les cellules possédant un noyau – fut considérable et a duré deux milliards d’années. Selon la théorie endosymbiotique, un type de procaryotes en a englouti un autre sans le digérer. Les deux purent alors gérer ensemble les ressources, mieux qu’ils ne l’auraient fait auparavant, chacun séparément. Plus tard, ces endosymbiotes se sont développés en organelles, c’est-à-dire en éléments complexes de la cellule. 4.21Théorie endosymbiotique.
Lesch :
Ainsi, des compagnons particulièrement indigestes peuvent avoir du bon. Nous sommes tous plus ou moins procaryotes.
Gaßner :
En tous cas nous sommes des pluricellulaires, ce qui nécessita un pas évolutionnaire supplémentaire, lequel fut probablement causé ou favorisé par la teneur toujours plus riche en oxygène de l’atmosphère. Au-delà d’un certain pourcentage d’oxygène, l’oxydation directe d’hydrates de carbone par la respiration fut rendue possible. Ce processus d’oxydation, et même généralement la présence d’oxygène dans les liaisons chimiques, offre une source d’énergie très effective, sans laquelle notre organisme humain ne serait pas en mesure de survivre. Sans eau et sans alimentation, nous tenons un certain temps, mais sans oxygène, pas plus de quelques minutes, sinon s’en est fini de nous. À propos, nous devons encore aujourd’hui aux procaryotes la plupart de l’oxygène présent dans l’air. Grâce à la photosynthèse, ils produisent plus d’oxygène libre que toutes les plantes réunies de notre planète.
Lesch :
Ils sont responsables d’une bonne atmosphère de travail, d’un bon climat. Ils nous mettent de bonne humeur en somme. Pas étonnant : nous leur offrons la pension complète !
Le Big Bang, le cosmos et la vie
272
Lesch : Gaßner :
On pourrait dire que les procaryotes se soucient de l’air alors que les eucaryotes s’occupent amoureusement : en effet, les premiers se reproduisent non sexuellement, tandis que les seconds ont inventé la reproduction sexuée. Nous voilà désormais initiés ! Avec la sexualité vint aussi la mort. C’est pour moi une chose époustouflante. On s’attendrait plutôt à ce que la mort, comme phénomène, ait été obligatoirement liée au phénomène de la vie, mais il n’en est rien.
Oxygène (Vol. %)
Gaßner :
En millions d’années à partir d’aujourd'hui
4.22 L’évolution de la concentration en oxygène de notre atmosphère. Il y a environ 2 milliards d’années cessèrent les processus d’oxydation dans la mer et l’oxygène libre atteignit pour la première fois des valeurs significatives. Il y a un milliard d’années, la concentration en oxygène dépassa pour la première fois trois pour cent, ce qui conduisit au cours des 400 millions d’années qui suivirent à la formation de la première couche d’ozone. Avec l’apparition des plantes terrestres il y a 500 à 600 millions d’années, le pourcentage en oxygène augmenta alors rapidement, dépassant il y a 350 millions d’années le niveau actuel pour atteindre même, sous l’ère du Carbonifère, les 35 %. Cela favorisa la croissance extrême de bien des formes de vie diverses. C’est avec la période de très forte activité volcanique lors du passage du Permien au Trias que la concentration en oxygène chuta à 15 %, période suivie de plusieurs variations fortes avec, pendant le Crétacé, un haut provisoire de 30 %, l’âge des dinosaures. Après la collision d’un astéroïde, il y a 65 millions d’années, la concentration oscilla finalement autour de sa valeur actuelle de 20,95 %.
La vie
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Car en fait, les procaryotes, dans la reproduction, passent complètement identiques à eux-mêmes à la génération suivante. Du moment qu’ils ne sont pas dévorés, détruits accidentellement ou que les conditions extérieures ne se sont pas radicalement modifiées, ils sont quasiment immortels. On parle d’immortalité somatique. Les êtres vivants complexes, au contraire, payent pour leur développement évolutionnaire un prix élevé : ils sont seulement capables de transmettre le plan de construction de la vie, de vieillir et de mourir. Lesch :
Mais, quand même, je suis et reste volontiers un pluricellulaire. La vie d’un procaryote me semble particulièrement ennuyeuse. À ce propos, il y a 400 millions d’années, la vie en milieu aquatique devint trop ennuyeuse ou plutôt trop dangereuse. Voulant échapper au sempiternel « être dévoré », la vie a osé s’octroyer un nouvel espace vital. Ce fut le premier mouvement d’occupation des sols, pour ainsi dire.
Gaßner :
L’oxygène libre fut à nouveau la condition nécessaire à ce mouvement, lequel rendit possible dans l’atmosphère la formation d’une couche d’ozone protectrice. Jusque-là, les océans étaient vitaux pour protéger du rayonnement UV puissant. Le reste appartient presque à l’histoire – du premier pas sur Terre ferme au premier pas sur la Lune. Il existe aujourd’hui environ 8,7 millions d’espèces d’organismes eucaryotes, 6,5 millions d’entre eux sont terrestres et 2,2 millions d’entre eux sont marins, tout du moins si l’on en croit le recensement « global » du Census of Marine Life de l’université de Hawaii. Et seulement 14 pour cent d’entre eux ont été à ce jour étudiés.
Lesch : Gaßner :
Quel est ou qu’est-ce qui constitue le plus gros organisme sur Terre ? Ce n’est pas si facile de répondre à cette question et cela dépend fondamentalement de ce que l’on entend par organisme. Est-ce que les fourmis argentines, en raison de leur construction énorme ne constituent pas un organisme ? Est-ce que les plantes végétatives, c’est-à-dire celles qui prolifèrent en se clonant, constituent un organisme ? Finalement notre Terre entière ne forme-t-elle pas un organisme ? Le candidat le plus probable pour l’obtention du titre est probablement un champignon vieux de 2 400 ans de l’espèce armillaire : Armillaria ostoyae. Son mycélium pèse 600 tonnes et s’étend sur plus de neuf kilomètres carrés de la Malheur National Forest. Normalement le mycélium du champignon
274
Le Big Bang, le cosmos et la vie
est constitué d’un enchevêtrement microscopique de fibres appelées hyphes. En ce qui concerne ce monstre, elles ont la grosseur de lacets à chaussures. Lesch :
C’est vraiment le nom qui convient à ce parc national malheureux. Et bien entendu, l’organisme le plus gros vit aux États-Unis. Comment pourrait-il en être autrement ?
Gaßner :
À la question de savoir quel est le plus petit organisme ou la plus petite cellule, il n’est guère plus facile de répondre. Pendant longtemps, on a cru que la taille minimale des bactéries était de 0,013 micromètre carré, en raison de l’espace minimum qu’occupe le matériel génétique et de certaines conditions spatiales liées au métabolisme. Mais en mars 2015, on découvrit des bactéries ultra-petites, de seulement 0,009 micromètre carré. Elles enroulent et compriment leur matériel génétique dans des spirales très denses et renoncent à tout métabolisme dans certaines de leurs parties. On ne doit jamais sous-estimer la richesse inventive de la nature, et on devrait faire de ce point une sorte de maxime et la garder constamment présente à notre esprit, en particulier, en ce qui concerne la recherche de la vie extraterrestre. Ces minuscules travailleuses en équipes tirent les éléments nutritifs qui leur manquent d’un échange intensif avec d’autres micro-organismes, échange 4 . 2 3 C r y o - m i c r o s c o p i e pour lequel ils développèrent des fila- (congélation) d’une bactérie de ments spécialement adaptés appelés les 300 nanomètres de diamètre à structure filée (Pili). Pili.
Lesch :
Nous y voilà ! Le principe qui a le plus de succès sur cette planète n’est justement pas survival of the fittest (que survivent les plus enclins à l’adaptation), mais le principe de la coopération ! À méditer !
La vie
4.4
275
Sommes-nous seuls dans l’univers ? Allô, il y a quelqu’un ?
Gaßner :
Ce serait vraiment intéressant de découvrir une planète similaire à la Terre à une distance très éloignée. Comment nous considérerions-nous nous-même alors ? Dirions-nous, bon, très bien, la forme de vie la plus répandue, ce sont les procaryotes, ou dirions-nous au contraire, que ce sont le krill antarctique et les fourmis, parce qu’ils sont en nombre et en masse les êtres pluricellulaires qui ont le plus réussi ? Ou bien encore, que les êtres vivants les plus importants ce sont les humains, parce qu’ils écrivent même des poèmes ?
Lesch :
On ne doit pas oublier que nous faisons nos découvertes à partir d’icibas. Ainsi nous sommes limités aux informations que nous pouvons lire à partir du spectre de la lumière. S’il existait des procaryotes sur la planète inconnue, alors ils modifieraient la composition de l’atmosphère. C’est l’oxygène, ou en fin de compte, une couche d’ozone qui serait le signe le plus significatif pour la vie. Et ensuite seulement, percevrions-nous peut-être les stations de radio et les chaînes de télévision et toute l’électronique utilisée par les habitants de cette planète…
Gaßner :
Oui et c’est précisément ce que nous faisons. L’ozone est particulièrement intéressant, parce que dans l’atmosphère, il réagit chimiquement très rapidement et se transforme. Si l’on trouvait quelque part de l’ozone, cela ne signifierait rien de moins qu’il existe un processus qui fournit en permanence de l’ozone frais. Et il n’existe qu’une forme de vie qui soit en mesure de le faire : celle qui utilise la photosynthèse. Nous cherchons en conséquence le biomarqueur ozone dans le spectre de la lumière d’une part, et des signaux radio à courtes longueurs d’onde d’autre part.
Gaßner :
Dans les années 70, on capta un signal semblable. Une seule et unique fois cependant ! Est-ce que tu te souviens de cet événement aussi appelé Ohio-Wow-Signal ?
276
Le Big Bang, le cosmos et la vie
4.24 Pour la recherche de la vie extraterrestre, on observe particulièrement les marqueurs biologiques. Ce sont des molécules qui sont liées directement ou indirectement à des processus biologiques. Un indice idéal serait l’ozone (O3 ), car il est constamment détruit par des réactions avec d’autres gaz. S’il en existait dans l’atmosphère d’une planète très éloignée, c’est parce qu’il serait de toute évidence constamment renouvelé par de l’oxygène « frais ». Par conséquent, une telle trace constituerait un signe probable de photosynthèse. Le schéma montre les spectres de la planète Terre (bleu), Vénus (jaune) et Mars (rouge). Pour chaque molécule présente dans l’atmosphère, on peut attribuer une ligne d’absorption lui correspondant, c’est-à-dire une divergence par rapport à la répartition de Planck (ligne pointillée). Le dioxyde de carbone (CO2 ) est présent dans les trois atmosphères. L’ozone (O3 ) et l’eau (H2O) ne sont présentes que dans l’atmosphère terrestre. Lesch :
Oui, très bien. C’était au temps de la guerre froide, l’Est contre l’Ouest. Chacun s’observait alors à distance et pensait le pire de son adversaire.
Gaßner :
De nos jours, on observe bien même nos alliés. Mais même le NSA pâlirait d’envie devant la plus grosse offensive d’écoute cosmique alors possible qui fut conduite au télescope de l’Ohio State University. On lui donna un nom approprié : The Big Ear (la grande oreille).
La vie
Intensité du signal
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Temps (s)
4.25 Le 15 août 1977, l’astrophysicien Jerry Ehman capta au radiotélescope de l’Ohio State University un signal d’ondes courtes de 1420,456 MHz de fréquence provenant de la constellation du Sagittaire. Image de droite : la remarque sur l’imprimé informatique a donné son nom au signal : le « Ohio-Wow ! ». Horizontalement sont représentés différents domaines de fréquences qui furent examinés, puisqu’on ignore la fréquence d’émission d’une possible intelligence extraterrestre. Ligne pour ligne, l’intensité du signal est représentée par une échelle logarithmique allant de 1 à 9 et de A à Z. Pour la fréquence en question, on mesura la suite d’intensités « 6EQUJ5 » pendant 72 secondes. Le paramètre de la durée est d’une grande importance lorsqu’il s’agit de différencier le signal des signaux terrestres. En effet, le télescope est fixe et suit le mouvement de rotation terrestre. Un signal extraterrestre doit par conséquent augmenter pendant 36 secondes pour ensuite diminuer pendant le même laps de temps. Le télescope se tourne en quelque sorte lui-même vers le signal, puis s’en détourne. La cause de cet événement reste encore inexpliquée. On penserait aujourd’hui volontiers à une irruption de rayonnements gamma. Lesch :
Le signal Ohio-Wow fut un signal radio ayant toutes les caractéristiques de celui émis par une station de radio, avec ses pics ou ses lobes latéraux.
Gaßner :
Je n’explique pas ici, ce que sont ces lobes latéraux, car ce n’est en rien important en ce qui concerne cet événement. Ce qui fut vraiment
278
Le Big Bang, le cosmos et la vie
important, c’est que ce signal un peu louche dura 72 secondes. Cela permit sa différenciation d’avec les signaux de provenance terrestre. Le télescope suit le mouvement de rotation terrestre pendant 36 secondes, se tournant ainsi vers le signal extraterrestre pour s’en détourner ensuite. Malgré des recherches intensives, la mesure de ce signal resta un événement unique. L’astrophysicien Jerry Ehman le baptisa du nom de l’expression qu’il inscrivit sur le listing informatique « Wow ! » Lesch :
Et pourquoi ne l’a-t-on perçu qu’une seule fois ? Est-ce parce qu’à l’époque, ils avaient déjà déchiffré nos stations de radio et de télévision et étaient vite parvenus à l’opinion qu’ils ne voulaient rien avoir à faire avec nous.
Gaßner :
C’est ça ! La recherche d’une intelligence extraterrestre présuppose qu’elle soit assez bête pour vouloir entrer en contact avec nous.
Lesch :
Ce qui me surprend le plus, c’est que ce signal frôle la ligne des 21 cm. Il n’est certainement pas facile de se mettre d’accord sur une fréquence, lorsque l’on veut parler avec un supposé partenaire placé au fin fond de l’univers. S’il existait au moins une convention, beaucoup pensent qu’il s’agirait de la ligne des 21 cm, parce que cette fréquence porte en elle-même une signification particulière pour chaque forme de vie dans l’univers.
Gaßner :
Et nous-mêmes, nous envoyons nos messages dans l’espace sur cette fréquence, car elle correspond à la trace radio de l’hydrogène neutre. Cette transition de structure hyperfine, comme on l’appelle, apparaît, lorsqu’un électron modifie l’orientation de son spin. Celui-ci peut être parallèle ou non à celui du proton, et ces deux états se différencient par leurs énergies différentes d’environ 5,9 · 10−6 eV. Cela correspond à une fréquence radio de 1 420,405 MHz et une longueur d’onde d’environ 21 cm. Le signal Ohio-Wow était de 1 420,456 MHz.
Lesch :
Nous avons déjà abordé le thème du spin lorsque nous avons évoqué la pression de Fermi. Il s’agit du moment angulaire propre à la particule elle-même. Pour les fermions, elle est d’un demi-multiple de la constante de Planck divisé par 2/, pour les bosons, elle est d’un multiple entier du même nombre.
La vie
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4.26 La structure hyperfine de l’hydrogène neutre. La direction des spins respectifs des protons et électrons est représentée par la flèche. Un photon est émis lors de la transition l’état parallèle à celui antiparallèle avec l’énergie de 5,9 ·10−6 eV. Cela correspond à une fréquence radio de 1 420,405 MHz et à une longueur d’onde d’environ 21 cm. Gaßner :
Lesch :
Je serais pour ma part très prudent avec le concept de moment angulaire propre. En réalité, rien de tourne là-dedans. Si nous considérons vraiment sérieusement l’idée de ponctualité pour les particules, par exemple pour les électrons, alors leur moment angulaire est nul. Et je ne veux rien dire pour le moment de ce qu’il en est des photons. Même lorsque les électrons manquent le rayon de 10– 18 mètres, cela ne marche pas du tout. Il suffit d’utiliser les valeurs et de faire le calcul : le moment d’inertie d’une masse sphérique est de 2/5 fois la masse multipliée par le rayon au carré. Le moment angulaire est constitué par le moment d‘inertie de la force multiplié par la vitesse de la surface et le rayon. Si tu poses que cela doit équivaloir à h/4/ et que la vitesse maximale à la surface équivaut à la vitesse de la lumière, alors cela ne serait possible que pour des électrons qui auraient des valeurs bien au-dessus des limites expérimentales. Même compte tenu des facteurs de corrections relativistes, cela ne change rien. Là, il n’y a rien qui tourne. Tu es vraiment drôle ! Qu’est-ce que le spin alors, si rien ne tourne ?
Gaßner :
Une qualité abstraite de la mécanique quantique. Ni plus, ni moins. Comme souvent en physique quantique, il est conseillé de ne pas chercher un analogon classique.
Lesch :
Tu as toujours quelque chose à objecter. Dans tous les livres, on explique le spin comme un moment angulaire spécifique.
Gaßner :
« Et même s’ils sont tous du même avis, ils peuvent cependant tous avoir tort. » Bertrand Russell. Et pour une fois j’ai vraiment quelque chose à
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
objecter : nous nous sommes trop éloignés de notre sujet. Nous en étions restés aux informations possibles d’origine extraterrestre. Lesch :
Très bien. Qu’avons-nous à offrir au lecteur à ce sujet ?
Gaßner.
Je pense à l’année 1967, lorsque Jocelyn Bell découvrit, dans le cadre de son doctorat, le premier pulsar. Le premier signal fut d’une fréquence constante de 1,3 hertz. Trop parfait pour être d’origine naturelle, pensa-t-on alors. Son directeur de thèse à l’université de Cambridge, Antony Hewish, soupçonna d’abord le trafic automobile voisin d’être responsable de ces perturbations, plus tard, il invoqua même les réflexions du signal à la surface de la Lune. Enfin, on s’accorda sur un signal de vie intelligente de provenance extraterrestre. Cet objet fut baptisé du nom de « LGM– 1 », les initiales de Little Green Man One. Lors de la conférence de presse, partout se tenaient là, debout dans la salle, 4.27 Jocelyn Bell Burnell (née en 1943) plein de petits hommes verts en carton.
Lesch :
Sais-tu au moins pourquoi les extraterrestres sont verts ? Pour parvenir jusqu’à nous, ils ont dû voyager une éternité dans leurs soucoupes volantes tournantes. À leur place, tu aurais un visage bien vert toi aussi.
Gaßner :
Aussi amusant que cela semble paraître, l’histoire connut une fin peu fameuse. Ce que l’on venait d’enregistrer pour la première fois était, en fin de compte, le signal d’un pulsar. En 1974, Antony Hewish et Martin Ryle reçurent ensemble le prix Nobel de physique pour cette découverte, alors que la véritable découvreuse repartit les mains vides.
Lesch :
Est-ce que le SETI-project existe encore, cette recherche de civilisations extraterrestres (Search for Extraterrestrial Intelligence) ?
Gaßner :
Je crois qu’après 50 ans de recherches sans succès, ils ont dû réduire l’ampleur du projet, du moins du point de vue des finances publiques. The Big Ear (La Grande Oreille) fut construite en 1998 et sur son terrain aujourd’hui, on peut jouer au golf. L’euphorie de départ, on rêvait de 300 civilisations dans la Voie lactée, est bel et bien passée. Des initiatives
La vie
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privées continuent de supporter le projet, mais là aussi, probablement que les mécènes privés ont entre-temps compris combien les distances entre les civilisations supposées sont énormes, dans une galaxie grosse de 100 000 années-lumière. Lors de l’ouverture de l’Observatoire d’Arecibo en 1974, on envoya un message spécial de salutations sous la forme d’une bouteille à la mer digitale, vers l’amas stellaire sphérique M13. Sorte de carte de visite interplanétaire, elle est constituée de uns et de zéros codant les chiffres et les atomes simples, signes par lesquels nous nous présentons, comme forme de vie intelligente. Nous devrons encore attendre 50 000 ans la réponse potentielle à ce message. Lesch :
SETI, cela sonne comme Yeti, les deux synonymes d’efforts en vain. Qui est autorisé à répondre à un tel signal extraterrestre ? 4.28 Le message d’Arecibo fut envoyé en 1974 en direction de l’amas stellaire sphérique M13. Le signal est codé en binaire, c’est-à-dire que les couleurs servent uniquement à une meilleure différenciation des différents contenus des messages singuliers. 1. Premier paragraphe (en blanc ) : Les nombres 1 à 10 codés en binaire 2. Second paragraphe (en rouge) : Le nombre de protons des atomes constituant principalement le corps humain : hydrogène, carbone, azote, oxygène et phosphore 3. Troisième paragraphe (en vert) : les quatre nucléotides comme composants de l’ADN humain 4. Quatrième paragraphe (bleu et blanc) : structure de l’ADN (Le nombre des nucléotides 4 294.441 822, et en bleu la structure en double hélice de l’ADN est suggérée en bleu 5. Cinquième paragraphe (bleu, rouge et vert) : L’anatomie humaine (mesure et forme) et le nombre total de la population mondiale 6. Sixième paragraphe (en blanc) : la position de la Terre dans le système solaire 7. Septième paragraphe (magenta, blanc) : Informations concernant le télescope
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
Gaßner :
Sur ce point, l’humanité n’est certainement pas en mesure de s’accorder. Plusieurs voix nous mettent même en garde : signaler notre existence par nos signaux radio, pour ne rien dire d’un contact direct, cela ne serait pas sans danger. On ne devrait pas le sous-estimer, surtout concernant des espèces plus développées. Les exemples historiques terriens parlent d’eux-mêmes, et « être découvert » tourne souvent très mal. On ne sait jamais, cela dépend dans quelles mains – ou dans quels mécanismes robotiques – notre bouteille postale cosmique finira par tomber.
Lesch :
De plus, les observations des systèmes planétaires extrasolaires montrent que seules les étoiles qui possèdent au moins autant d’éléments lourds que notre soleil sont entourées de planètes. Moins une étoile possède d’éléments lourds, plus elle est âgée. Ainsi notre système solaire serait l’un des premiers systèmes planétaires de la Voie lactée. Ainsi, d’ores et déjà, nous compterions parmi les membres de droit de la High-Society galactique.
Gaßner :
Je serais plus prudent. Tout cela est vrai des grosses planètes gazeuses, mais en ce qui concerne les planètes telluriques plus petites, on en a découvert ces dernières années également autour d’étoiles possédant moins d’éléments lourds. Lars Buchhave, et son groupe de travail à l’Institut Niels-Bohr à Copenhague, ont examiné 152 étoiles de 226 exoplanètes d’une masse jusqu’à quatre fois la masse terrestre. L’étoile centrale avec la plus petite fréquence d’éléments lourds en contenait seulement un quart par rapport à notre soleil. En juin 2014, les collègues du Harvard-Smithsonian Center for Astrophysics frappèrent encore plus fort, en découvrant Kepler– 10c. Cette planète tellurique de 17 fois la masse terrestre est âgée de presque 11 milliards d’années. Dans un tel système solaire, la vie a pu apparaître beaucoup plus tôt. Un échange d’informations serait en conséquence unilatéral et je ne conseillerais même pas une partie d’échecs à distance.
Lesch :
Ce qui est caractéristique de l’humanité, je l’ai lu récemment sur une affiche : Si l’on doit, à l’avenir, échanger des informations avec les extraterrestres, alors cela ne sera sûrement pas gratuit ! Le capitalisme vous salue bien !
La vie
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Gaßner :
Probablement que le premier message sera le numéro d’une carte de crédit. Mais pour le moment, le débat n’est pas encore actuel. C’est que ce n’est pas si facile avec la vie. Le pronostic de l’astronome Frank Drake, selon lequel 300 civilisations devraient exister dans la Voie lactée, est en vérité constitué d’une superposition de probabilités. Quelle probabilité y a-t-il qu’une étoile comportant un système planétaire se forme ? Quelle est la fréquence de planètes dans la zone habitable ? Quelle est la probabilité que la vie y soit apparue ? Et quel est l’intérêt pour la communication interstellaire ?
Lesch :
100 000 années-lumière représentent une belle meule de foin. Et depuis 50 ans, nous n’avons pas encore découvert les quelques aiguilles qui y sont cachées.
Gaßner :
Nos modèles théoriques d’une planète habitable sont très restrictifs. Par exemple, chez les procaryotes, il y en a qui peuvent vivre sous des conditions extrêmes, d’où leur nom d’extrémophiles. Le Streptococcus mitis, une bactérie habituellement présente dans la bouche et la trachée humaine, devint soudainement célèbre. Un simple excès de toux d’un employé de la NASA suffit, et ce microbe s’installa sur la caméra de la sonde Surveyor– 3, laquelle en 1967, atterrit sur la Lune. Avec la mission Apollo– 12, on récupéra l’appareil et, avec lui, le passager clandestin. Streptococcus mitis avait survécu pendant des années dans le vide, exposé constamment au rayonnement cosmique et à des températures variant de moins 160 degrés Celsius à plus 130 degrés Celsius. À peine eut-il réintégré son armoire de laboratoire, qu’il recommença à proliférer. Chaque fois que j’ai mal à la gorge, je ne peux m’empêcher de penser à l’adversaire redoutable qui siège là, dans ma gorge.
Lesch : Gaßner :
J’en avale ma salive ! Mais le mot extrémophile me plaît beaucoup. Certains de ces microbes font véritablement honneur à cette dénomination. Dans la glace polaire, par exemple, à une hauteur neuf fois la hauteur du mont Everest, ou à quatre kilomètres sous la surface terrestre, il en existe qui résistent à des températures de moins 200 degrés Celsius et de plus de 130 degrés Celsius. On les nomme les thermophiles. Ils forment des communautés luxurieuses autour des fontaines géothermiques. Les Archaee Strain 121 et Methanopyrus kandleri, par exemple,
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
se sentent en pleine forme, même par 121 degrés Celsius. Pyrolobus fumarii, au contraire, arrête sa croissance quand la température tombe sous les 90 degrés Celsius : trop froid pour lui. Même les eucaryotes sont représentés autour des fontaines des fumées noires, par exemple avec le vers Alvinella pompejana, qui supporte fièrement les 80 degrés Celsius. Lesch :
Et cela peut monter jusqu’où ?
Gaßner :
Au-dessus d’une frontière théorique d’environ 150 degrés Celsius, l’ADN est détruit plus vite que les mécanismes de réparation travaillent, et ils ne peuvent compenser les dégâts, du moins en ce qui concerne les mécanismes connus jusqu’à ce jour, comme ceux à l’œuvre chez les tardigrades. Mais qui sait où la créativité de l’évolution s’arrête vraiment ? La recherche d’organismes extrémophiles en est à ses débuts, car ces êtres minuscules ne se sentent guère à l’aise sous les conditions régnant habituellement en laboratoire, où ils cessent, pour cette raison, de se reproduire. La génomique de la cellule unique, comme on l’appelle, devrait apporter bientôt une aide supplémentaire. Une molécule d’ADN unique suffit à son déchiffrement.
Lesch :
Peut-être devrait-on redéfinir une nouvelle fois l’expression « zone habitable ».
Gaßner :
Dans la recherche de la vie extraterrestre, la question la plus importante est celle de savoir où la vie peut originairement apparaître, bien avant celle de savoir quels habitacles elle peut conquérir au cours de son évolution. Cela dit, il est des formes de vie terrestres qui retiennent vraiment l’attention. Par exemple, lors de forages dans la mine d’Afrique du Sud à Mponeng, on est tombé sur le Desulforudis audaxviator, qui vit là, caché depuis 25 millions d’années dans une obscurité absolue et constitue à lui seul son propre écosystème. Cette bactérie en forme de bâtonnet vit dans l’isolement le plus complet, uniquement grâce aux substances que l’eau libère du minerai et avec lesquelles elle forme un cycle métabolique à l’aide de la radioactivité naturelle.
Lesch : Gaßner :
Le minimum vital. Mais comment s’appelle cette bactérie déjà ? Desulforudis audaxviator. Elle doit son nom au géologue Tullis Onstott, et au roman de Jules Verne : Voyage au centre de la Terre. Dans cet
La vie
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ouvrage, l’expédition suit l’inscription latine : Descende, audax viator, et terrestre centrum attinges (Descends, voyageur intrépide et tu atteindras le centre de la Terre). Et l’on dit que les scientifiques ne sont pas romantiques ! Lesch :
Pour Desulforudis audaxviator, cela a dû être un véritable choc culturel d’être ainsi retirée des profondeurs.
Gaßner :
Puisque tu parles justement d’un minimum existentiel, les détentrices du record dans cette discipline, ce sont des bactéries du fond du Pacifique nord. Là, de forts courants, conjugués à une densité d’éléments nutritifs faible, sont la cause d’une sédimentation extrêmement faible, moins d’un millimètre par millénaire. Les couches de sédiments forment ainsi une chronique de l’histoire terrestre couvrant des millions d’années. C’est pourquoi Hans Røy de l’Université Aarhus et ses collègues ont fouillé ces sédiments à l’aide d’une sonde, y cherchant des formes de vie susceptibles de trahir leur présence par leur consommation d’oxygène. Et tiens-toi bien ! À 30 mètres de profondeur, ils sont tombés sur des bactéries qui furent complètement isolées du monde extérieur pendant 86 millions d’années, c’est-à-dire que la dernière fois qu’elles se sont alimentées, les dinosaures peuplaient encore notre planète. La façon dont elles purent conserver leur structure cellulaire reste encore un mystère. Une division cellulaire serait possible une fois par millénaire.
Lesch :
86 millions d’années sans alimentation – j’en ai des crampes d’estomac. S’il existe encore des bactéries de cette époque, alors l’histoire du film Jurrasic Park n’est peut-être pas si étrange et un jour peut-être reconstruirons-nous effectivement l’ADN d’un dinosaure.
Gaßner :
C’est amusant que tu en parles. Jurrasic Park est basé sur l’idée qu’on ramena à la vie un dinosaure, à partir d’une goutte de sang d’un moustique fossilisée dans une pierre de Bernstein. D’un point de vue scientifique, les chances de réussite d’une telle entreprise sont plutôt faibles. Jusqu’à il y a quelques années, on ne connaissait seulement que quatre fossiles de ces parasites suceurs de sang provenant des forêts résineuses ancestrales : deux mouches des sables, une punaise et un moustique. En septembre 2013, on ajouta à ceux-ci un autre moustique vieux de 46 millions d’années, se trouvant déjà depuis 25 ans dans les mains d’un
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
collectionneur privé. Il fut originairement découvert dans le Montana (États-Unis). Dans l’estomac du moustique, on retrouva son dernier repas sanguin, que l’on put effectivement reconstruire, tout au moins les restes d’une molécule d’hémoglobine (le colorant rouge du sang). Après avoir sucé du sang, la dame moustique fut probablement emprisonnée immédiatement dans les sédiments anaérobioses du fond d’une mare, sans que son corps fin, rempli de sang, ne fut abîmé. En avril 2017, cette découverte fut même dépassée lorsqu’on découvrit un moustique vieux de 25 millions d’années, qui avait capturé un peu de sang d’un mammifère, et dans lequel on put même prouver la présence du parasite Babesia microti. Cependant, une reconstruction de l’ADN de l’hôte est bien entendu hors de question après un temps aussi long. La demi-vie de l’ADN est d’environ 500 ans. Même sous des conditions favorables, les informations seraient, au plus tard après 6,8 millions d’années, définitivement perdues. Le plus vieux génome intact pour le moment provient d’un cheval, conservé il y a 700 000 années dans le Permafrost. Lesch :
Il y a 46 millions d’années, les dinosaures avaient de toute façon déjà disparu.
Gaßner :
Pour dire les choses d’une façon précise, ils n’ont jamais complètement disparu. On trouve nombre de leurs caractéristiques dans les oiseaux. On soupçonne l’oiseau préhistorique Archaeopteryx d’avoir été responsable de la transition. Ainsi, l’oiseau que tu entends justement gazouiller, n’est rien de moins qu’un descendant des dinosaures.
Lesch :
Je me les serais imaginés plus gros. Mais à propos, nous en étions restés à des êtres vivants plus petits, les extrémophiles.
Gaßner :
C’est juste. On ne peut pas s’en débarrasser si vite. Même dans le circuit d’eau de refroidissement des centrales atomiques, on trouve des procaryotes.
Lesch : Gaßner :
Probablement qu’ils protestent contre les centrales nucléaires ! Bien au contraire ! Ce sont des organismes radiophiles. Ils sont plus que favorables à l’énergie atomique. Ils utilisent en fait le rayonnement ionisé, qu’ils transforment en énergie à l’aide de la mélanine. À Tcher-
La vie
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nobyl, ces extrémophiles forment une couche noire sur les murs du réacteur détruit… Lesch :
Gaßner :
Lesch : Gaßner :
Incroyable ! Une couche noire dans un réacteur atomique, qui a flambé qui plus est, mon Dieu, ils résistent vraiment à tout. Et cela n’est pas vrai seulement des microbes. Tchernobyl est un exemple 4.29 Wangiella dermatitidis et étonnant de l’efficacité de l’évolu- Cryptococcus neoformans sur le tion. Déjà deux décennies après la réacteur 4 à Tchernobyl. catastrophe, la vie est revenue dans la zone mortelle – 30 kilomètres autour du réacteur. La radioactivité est, aujourd’hui comme hier, encore des milliers de fois trop forte. Les êtres vivants sont toujours menacés par le césium137 et le strontium90. Ces isotopes radioactifs sont assimilés par les organismes en raison de leurs confusions biologiques avec le kalium et le calcium. Sans parler du plutonium, métal lourd toxique. Malgré tout, la vie a trouvé un chemin. En guise d’exemple, on peut citer les bouleaux qui ont poussé à la place des forêts de pins détruites. Leur patrimoine génétique est plus petit comparé à celui des conifères, ce qui les protège de mutations. Et qu’en est-il de la faune ? Après la catastrophe, les premières générations souffrirent d’importants dommages cellulaires dus à l’oxydation. Le niveau des antioxydants ne suffit pas à éviter les malformations et les cancers causés par les altérations de l’ADN. Entre-temps, les choses cependant semblent avoir changé. La zone interdite de 2 600 kilomètres carrés est devenue pour quelques espèces menacées un véritable terrain privilégié. Probablement, y a-t-il là, plus de gibier sauvage qu’avant l’accident. La radioactivité semble être pour celui-ci, un moindre mal comparé à la chasse, l’agriculture et la sylviculture, activités toutes liées à la présence humaine. Comment ces espèces résistent au rayonnement constitue une des questions posées à la recherche actuelle. Ismael Galván par exemple – Chef du conseil de la recherche espagnole CSIC – publia à la fin du mois d’avril 2014 une
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
étude concernant 152 oiseaux de 16 espèces différentes. Ils furent pris dans des filets étendus, pour l’analyse de leur sang et de leurs plumes, pour être pesés, avant d’être finalement relâchés. Les échantillons sanguins révélèrent des résultats surprenants : leur teneur en glutathion (un antioxydant) était d’autant plus forte que l’exposition à la radioactivité avait été élevée. Les oiseaux s’étaient manifestement adaptés physiologiquement aux conditions environnementales qui avaient évolué en l’espace de quelques décennies. Lesch :
En conséquence de quoi, on peut en conclure que même une guerre atomique sur notre planète ne suffirait pas à éradiquer complètement la vie.
Gaßner :
À tout le moins les extrémophiles qui y auraient survécu recommenceraient depuis le début. C’est en vérité une consolation. J’espère cependant que l’humanité, après des débuts bien difficiles, sera finalement en mesure d’écrire quelque chose de positif dans le livre de l’histoire de la vie. Nous serions au moins en droit d’attendre une note du genre « élève fait des efforts, en progrès », selon la formule consacrée.
Lesch :
Avant que cela ne devienne trop sérieux, laisse-moi sortir ma blague préférée. Deux planètes se rencontrent sur leur orbite, et l’une confie à l’autre : « Tu as mauvaise mine!” L’autre de répondre : Tu parles ! J’ai attrapé Homo sapiens. » « Oh la la, je suis vraiment désolé pour toi ! Mais ne t’en fais pas trop, cela passera complètement de soi-même, de toute façon. »
Gaßner :
Hi hi, un peu macabre non ? La plus grosse menace c’est effectivement nous-mêmes. Au moins pour l’Homo sapiens, et non pas pour la vie sur la planète Terre en général. Peu importe ce que nous faisons à celle-ci, nous ne parviendrons pas à en éradiquer complètement la vie. Mais nous pouvons cependant emporter avec nous dans l’abîme un grand nombre d’espèces.
Lesch :
Cela signifie, en d’autres termes, que cette place dans l’univers sera toujours habitée.
Gaßner :
Il adviendra toujours quelque chose sur cette Terre. Du moins aussi longtemps que notre soleil brillera paisiblement. Et cela même si, de
La vie
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temps à autres, de profondes perturbations se produisent. L’espace de vie qu’est la Terre est constamment soumis à de profondes transformations. On doit considérer deux choses à ce sujet. D’une part, la composition de l’atmosphère terrestre pendant les deux premiers milliards d’années et la température de sa surface pendant les 500 millions d’années étaient différentes de celles d’aujourd’hui. D’autre part, il y a eu des événements dans l’histoire terrestre qui ont eu pour conséquence des disparations monstrueuses et massives d’êtres vivants. Lesch :
Le cas le plus connu est celui de la disparition des dinosaures, il y a 65 milliards d’années, disparition provoquée probablement par l’impact d’une météorite. Ou à tout le moins, il y a fortement contribué. Après une telle catastrophe, l’évolution biologique a comblé très vite les niches devenues vides dans l’environnement avec les êtres vivants restant, ou plutôt avec leurs versions améliorées. Et effectivement, à la disparition des dinosaures, suit le défilé victorieux des mammifères et avec lui, finalement, l’apparition du genre Homo, duquel provient l’humain d’aujourd’hui.
Gaßner :
En règle générale, ce sont les petits organismes qui profitent le mieux des modifications des conditions d’existence. Ils parviennent mieux à limiter leurs besoins et se reproduisent plus vite. Ceci, on le voit particulièrement bien lorsqu’on examine les disparitions massives qui eurent lieu encore auparavant. Par exemple…
Lesch :
Tu ne veux tout de même pas faire l’inventaire du catalogue complet des catastrophes cosmiques ? Josef, il est déjà assez souvent question de la fin du monde, et cela sans que nous devions dire ici tout ce qui aurait pu se passer ou ce qui pourrait se passer à l’avenir, sinon…
Gaßner :
Oui, mais tu as toi-même commencé avec les astéroïdes, les dinosaures il y a 65 millions d’années, etc. Et les catastrophes ont aussi leurs bons côtés ! Sans impacts de météorites, il n’y aurait pas eu d’eau sur la Terre, et sans eau, probablement pas de vie.
Lesch :
Bon, bon, très bien, raconte alors. Je me tais. À ton tour.
Le Big Bang, le cosmos et la vie
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4.5
Catastrophes : les cosmiques et les autres Shit happens
Gaßner :
Commençons par les menaces présentes dans notre propre maison. Le super volcan Toba érupta il y a quelques 74 000 années à Sumatra. La désignation de « super volcan » laisse déjà deviner quelles conséquences dévastatrices une éruption peut engendrer. Ses cendres bloquèrent pour très longtemps l’accès à la source la plus importante de la vie : la lumière du soleil. La flore fut décimée. La chaîne alimentaire fut de ce fait rompue et la faune fut, elle aussi, inévitablement emportée.
Lesch :
Il y a 74 000 ans, Homo sapiens vivait en Afrique, Homo neanderthalensis en Europe et en Asie Homo erectus ou plutôt Homo floresiensis. Que leur est-il alors arrivé ?
Gaßner :
Là, tu mets le doigt sur la plaie. À l’époque, il y avait diverses formes d’hominidés, alors que l’humanité actuelle trahit une étonnante parenté génétique. Afin d’expliquer cette similitude, Toba constitue un des morceaux manquants du puzzle caché. Cette catastrophe naturelle a occasionné un véritable appauvrissement, un goulot d’étranglement génétique. Seuls quelques milliers d’Homo sapiens ont survécu. Ils sont ensuite partis de l’Afrique de l’Est pour atteindre les portes de l’Europe et l’Asie. C’est pourquoi, nous, citoyens de la Terre, sommes en vérité de si proches parents. À tout le moins, les calculs concernant le pourcentage de mutation et le suivi de l’ADN mitochondrial confirment cette proximité.
Lesch :
Une histoire dramatique, mais avec une fin heureuse. Nous sommes tous frères et sœurs !
Gaßner :
Des extinctions en masse de cette sorte, il y en a eu a toute une série sur notre planète. Le cas le plus sévère eut lieu il y a 252 millions d’années, probablement également causé par une éruption volcanique. 96 pour cent des habitants des mers et 70 pour cent des êtres terrestres furent décimés. Les processus de datation à l’aide de la chaîne de réactions de désintégration uranium-plomb et les isotopes de l’argon se sont constamment
La vie
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améliorés. Depuis le printemps 2014, nous savons que cette phase dura environ 60 000 ans, un presque rien du point de vue géologique. Nous devons cette découverte à une coopération sino-américaine – on croit rêver ! À Meishan (Chine), l’Académie chinoise des sciences a examiné les couches caractéristiques du passage du Perm-Trias et les datations ont été faites au Massachusetts Institute of Technology (États-Unis). Lesch : Gaßner :
Lesch :
C’est que la science relie les hommes. Plusieurs résultats expérimentaux ont été regroupés. D’abord, on mesura une augmentation soudaine de la concentration en CO2 dans les océans. Ensuite, d’énormes champs de lave de plus de quatre millions de kilomètres carrés d’envergure sont apparus simultanément : les trapps de Sibérie. Enfin, une importante libération de méthane s’est produite, gaz fatal à effet de serre, due au métabolisme de bactéries vivant dans les mers chinoises du Sud appartenant au groupe des Methanosarcina. Un facteur essentiel pour la reproduction de ce tueur à effet de serre est constitué par la présence de nickel, laquelle était alors entre deux et sept fois plus élevée. Le volcanisme très actif a pu en libérer de telles quantités qu’il garantit l’explosion de croissance de ces microbes. Une suite fatale d’événements en somme.
Gaßner :
En juin 2014, on data de 510 millions d’années les champs volcaniques de dimensions similaires dans le Kalkarindji australien. Ceux-ci coïncideraient avec une extinction massive, par laquelle la moitié des êtres vivants disparurent. Probablement, une grande quantité de dioxyde de souffre et de méthane atteignit alors directement l’atmosphère.
Lesch :
Comme on le voit, on ne plaisante pas avec les catastrophes naturelles. Est-ce que ces super volcans existent aujourd’hui encore ?
Gaßner :
Il y en a un qui veille sous le Parc National de Yellowstone. Les champs Phlégréens en Italie, le Taupo en Nouvelle-Zélande et la caldeira Garita au Colorado constituent autant de candidats dangereux.
Lesch :
Alors ne les réveillons pas et parlons plutôt des catastrophes cosmiques.
Gaßner :
Là, je proposerais les supernovæ par exemple. Si elles sont assez proches, le rayonnement gamma qu’elles produisent, endommagerait en tous cas durablement notre atmosphère.
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
4.30 Les extinctions massives des dernières 542 millions d’années. La proportion des espèces disparues des habitants des mers formant des fossiles y est représentée, avec l’ère géologique correspondante : Cambrien, Ordovicien, Silurien, Dévonien, Carbonifère, Permien, Trias, Jurassique, Crétacé, Paléogène et Néogène (chacun d’eux représenté ici par une couleur distincte).
Lesch : Gaßner :
Lesch : Gaßner :
Lesch :
De combien « assez proches » ? Évalué grossièrement, environ 150 années-lumière. Cela dépend de nombreux facteurs, naturellement, mais en deçà de cette limite, il vaudrait mieux qu’aucune supernova n’explose. 150 années-lumière, cela paraît confortablement sûr. Oui, mais il existe un candidat : IK-Pegasi. Pour être plus précis une double étoile, éloignée d’environ 150 années-lumière. Juste à la limite précisément, c’est vraiment juste…
Gaßner :
Et l’on doit ajouter, pour être tout à fait juste, que IK-Pegasi s’éloigne de nous à une vitesse d’environ 20 kilomètres par seconde. Ce qui signifie que cela risque de durer un certain temps avant que notre Terre soit complètement hors de danger.
Lesch :
Je n’ai aucune confiance dans ce truc. Comment s’appelle cette étoile déjà ?
La vie
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Gaßner :
IK-Pegasi dans la constellation de Pégase. Les lettres « IK », placées avant le nom, indiquent que la luminosité de l’étoile primaire varie, avec une périodicité d’une heure environ. Par conditions idéales d’observation, on peut même voir ce système d’étoiles double à l’œil nu dans le ciel nocturne.
Lesch :
IK-Pegasi, quel nom ! Si je m’appelais ainsi, comme étoile, je ne songerais qu’à exploser. Est-ce que l’on est vraiment sûr qu’elle est le seul candidat dangereux dans les environs ?
Gaßner :
Autant que je sache, oui. Au moins pour un laps de temps relativement proche, elle est l’unique candidat. IK-Pegasi doit d’abord se transformer en géante rouge. Les couches extérieures de l’étoile s’approcheront alors dangereusement de son satellite, une naine blanche. Celle-ci commencera à s’approprier une part de la masse de l’étoile et, ce faisant, initiera une chaîne de réactions fatales. En fait, une naine blanche est un cadavre stable constitué de carbone et d’oxygène, comme nous l’avons déjà évoqué. L’étoile initiale n’avait pas assez de masse pour provoquer en son cœur la fusion nucléaire. Ainsi, le carbone et l’oxygène ont survécu pour ainsi dire comme 4.31 Le système stellaire double Pegasi dans la constellation de Pégase, photographié par le télescope spatial Hubble (ACS). Les deux étoiles éloignées de 150 années-lumière constituent une source lumineuse unique. Seul l’examen spectroscopique révèle ce système à étoile double. À gauche de l’image centrale, on devine la nébuleuse planétaire IRAS 23166+1655. Le système stellaire double en son centre est caché par un nuage de poussière, les couches successives sont cependant reconnaissables, parce qu’elles reflètent la lumière d’une autre étoile proche. Cette structure en spirale s’étend sur un tiers d’année-lumière et se répand à la vitesse de 50 000 kilomètres par heure. Chaque 800 ans environ, une nouvelle couche suit la précédente. Cela correspond à la durée orbitale du système binaire caché.
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cendres et la pression de Fermi des électrons stabilisa la naine blanche contre sa propre gravité. Par l’apport de masse provenant des couches extérieures de la géante rouge, la naine blanche obtient une seconde chance. Elle s’approprie la masse de cette dernière, jusqu’à ce que la gravité atteigne un niveau suffisamment élevé pour allumer le feu nucléaire dans le mélange explosif du noyau. Cette audace lui sera pour finir fatale. D’un coup, les éléments du noyau se mettront à fusionner en nickel et la libération d’énergie infernale qui accompagne ce processus désintègre la naine blanche elle-même : il s’agit d’une supernova de type Ia. On la différencie facilement de celle de type II, parce que l’on trouve à peine les lignes caractéristiques de l’hydrogène dans son spectre. Lesch :
Et bien ! En somme, si tout se passe bien, IK-Pegasi aura comme satellite une géante rouge, et ce ne sera alors plus qu’une question de temps, avant qu’elle n’explose. Que pourrait-elle donc faire d’autre, une étoile pareille ? C’est intéressant en fait – je ne dis pas que cela est facile – mais une étoile est tout simplement une chose qui est lourde. Et par sa propre gravité, lorsque son satellite devient une géante rouge et gonfle par exemple, elle peut s’approprier ses couches de matière et finir par exploser. Or, une supernova produit du rayonnement gamma. Hormis ceux-ci, y-a-t-il encore quelque chose d’autre qui pourrait être dangereux pour nous ?
Gaßner :
Non. La menace vient de l’incidence des rayons gamma sur notre atmosphère. Ce point constitue notre tendon d’Achille. De surcroît, un nombre incroyable de neutrinos seraient libérés, mais comme nous le savons déjà, ils passent à travers tout, sans que rien ne se produise.
Lesch :
Tout au plus remarquerait-on un peu plus de pression sur les ongles des pouces.
Gaßner :
Par chance, ils ne seraient pas tant que ça. La supernova 1987A a tout de même libéré 99 pour cent de son énergie sous la forme de neutrinos – un nombre incroyable, 1058 neutrinos. Avec tous nos détecteurs pris ensemble, nous n’en avons détecté que deux douzaines seulement.
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Lesch :
24 neutrinos sur 1058. Malgré tout, ce n’est pas mal pour le service public ! Mais il faut dire que SN 1987A était très éloignée de nous, plus de 160 000 années-lumière, je crois bien.
Gaßner :
C’est cela, dans le Grand Nuage de Magellan. Cela nous mène à une histoire qui en dit long sur la vie d’un astronome : pendant une pause-cigarette devant son observatoire au Chili, le collègue canadien Ian Shelton observa un point lumineux, qu’il tint d’abord pour un avion. Après un instant cependant, il lui fut clair qu’il avait affaire à une supernova, si proche et si lumineuse, qu’il pouvait la voir à l’œil nu. Le sprint qui suivit jusqu’à l’observatoire fut certainement digne des olympiades.
Lesch :
Ce cher Ian m’a raconté l’histoire lui-même. Il a tout de suite appelé tous les grands observatoires de l’hémisphère sud : « Les amis, pointez tous là !” Après coup, on put constater qu’il s’agissait de l’explosion d’une supergéante bleue d’environ 17 masses solaires.
Gaßner :
En ce qui concerne les supernovæ du futur, nous sommes mieux équipés, grâce au Super-Kamiokande et à l’IceCube. Peut-être que nous disposerons même d’ici la prochaine explosion stellaire d’un Hyper-Kamiokande, dont le réservoir souterrain est actuellement encore en construction, réservoir conçu pour aller à la chasse aux particules, avec un million de tonnes d’eau extrêmement pure et 99 000 multiplicateurs photoélectriques améliorés. Au cas où une supernova se produirait dans notre Voie lactée, ces détecteurs super géants mettraient en évidence nombre de neutrinos.
Lesch : Gaßner :
Quand a-t-on pu observer des supernovæ dans l’hémisphère nord ? Déjà en 1006, on reporta l’apparition d’une Supernova dans la constellation du Loup. Les Européens du Nord n’en surent rien, mais elle fut clairement visible à ceux du Sud. Le 4 juillet 1054, des astronomes chinois observèrent une source lumineuse dans le ciel – dans la constellation du Taureau – laquelle fut visible plus de trois semaines en plein jour. Il s’agissait de la supernova de la nébuleuse du Crabe, éloignée d’environ 6 300 années-lumière. Dans les Flandres, un moine nous a également laissé des documents la concernant, et il en existe plus d’une douzaine de traces provenant du monde entier, de
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cultures les plus différentes qui soient. Les premières observations scientifiques en Europe remontent à Tycho Brahe (la SN 1572 dans la constellation de Cassiopée) et Johannes Kepler (la SN 1604 dans la constellation du Porteur de serpents). Elles furent suivies en 1885 par la première supernova provenant d’une galaxie étrangère qui put être observée – bien entendu, il s’agissait de la galaxie d’Andromède. Lesch :
À l’époque, on ignorait que la nébuleuse d’Andromède fut une galaxie. Jusqu’au siècle dernier, on pensait que cette nébuleuse était un nuage gazeux qui appartenait à notre Voie lactée. Ce n’est que grâce aux travaux d’Edwin Hubble que l’on put montrer qu’il existait d’autres galaxies, et de ce fait, l’univers s’agrandit d’un coup de nombreux milliards d’années-lumière.
Gaßner :
Les astronomes modernes ont observé en 1979 pour la première fois une supernova dans une galaxie dans un amas galactique très éloigné : SN 1979C dans l’amas de Virgo, à 56 millions d’années-lumière de nous. Son rayonnement en rayons X continue d’être important aujourd’hui encore.
Lesch :
Nous devrions à cet endroit expliquer la nomenclature des supernovæ. Chacune d’elles est nommée d’après l’année de sa découverte, par exemple SN 1987A. Pendant cette année, on marque alphabétiquement la suite chronologique de leurs découvertes. SN 1987A fut alors la première de l’année 1987. Et effectivement, cette supernova explosa 160 000 années auparavant, la lumière mit autant de temps pour parvenir jusqu’à nous.
Gaßner :
SN 1006 a dû paraître très étrange aux gens. Le témoin égyptien Ali bin Ridwan parla d’une source lumineuse dans le ciel qui fut pendant des mois plus lumineux qu’une pleine lune.
Lesch :
Aujourd’hui encore, les supernovæ échappent en partie à la recherche scientifique. Pendant longtemps, on n’est pas parvenu à les faire « exploser » correctement dans les simulations informatiques. Et ce n’est qu’en ajoutant au calcul des pressions, celle causée par les neutrinos en chemin au travers de l’étoile et des couches successives qui la constituent, que les calculs purent devenir concluants.
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Gaßner :
C’est tout de même incroyable : une particule qui n’interagit pour ainsi dire avec rien ni personne, présente alors en un nombre si incroyablement élevé, exerce finalement une force suffisante sur la matière stellaire, elle aussi incroyablement dense, pour qu’une pression significative puisse en résulter. Ce n’est qu’avec ce coup de pouce supplémentaire que les couches de l’étoile parviennent à échapper à la gravitation. C’est complètement fou.
Lesch :
Vu à une certaine distance respective, assurément, cela constitue un spectacle de la nature impressionnant… Mais s’il vous plaît, pas trop près de chez nous !
Gaßner :
Probablement, il y a trois millions d’années, une supernova s’est produite juste devant notre porte.
Lesch :
Vraiment ! Comment a-t-on pu établir cela ?
Gaßner :
Toujours en suivant l’hypothèse de l’immuabilité des lois de la nature. On peut en trouver sa trace sur notre planète en examinant les sédiments de manganèse au fond des océans. On y trouve circonscrit, du fer 60, un isotope radioactif du fer, qui est produit seulement par les supernovæ et qui n’existe pas dans notre système solaire. Le fer 60 est une montre idéale, car sa demi-vie est d’environ 2,6 millions d’années. Sur les fonds marins, à une profondeur de 5 000, on trouva des atomes de fer 60 âgés de trois millions d’années et qui indiquent l’explosion d’une supernova, éloignée de nous de juste 100 années-lumière.
Lesch :
Trois millions d’années ! À l’échelle cosmique, cela représente pour nous autres, êtres humains, une égratignure. Pour les êtres vivants de l’époque, cela ne fut cependant pas très menaçant. Les hominidés de la famille des Australopithecus ont de toute évidence bien survécu à cette explosion, nous en sommes la preuve vivante. Qu’aurions-nous sinon à proposer d’autre, à notre menu des catastrophes cosmiques ?
Gaßner :
Il existe encore quelque chose qui dépasse la supernova : l’hypernova. Il s’agit d’une supernova qui se produit dans des conditions tout à fait particulières et qui libère encore plus de rayons gamma hautement énergétiques. Avec elle, une distance de sécurité plus grande est nécessaire.
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4.33
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4.34 PKS 1459– 41. Les restes de la supernova SN1006 à 7 000 années-lumière, répartis sur plus de 60 années-lumière. En bleu : le rayonnement en rayons X ; en rouge : rayonnement dans la bande radi ; quelques marques en jaune : la lumière visible.
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4.35 Les restes de la supernova SNR 0509– 67.5 dans le Grand Nuage de Magellan. En rouge : lumière visible. Télescope spatial Hubble. En vert : rayonnement en rayons X. Télescope pour rayons X.
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4.36 Restes de la supernova N 49 dans le Grand Nuage de Magellan. Une étoile à neutrons à rotation rapide et champ magnétique fort, un magnétar, tourne avec 1200 rotations par seconde. 4.37 (À droite) Les restes de la supernova Cassiopeia A, éloignés de 11 000 années-lumière. La lumière de la supernova atteignit la Terre pour la première fois il y a 330 ans. Le collage graphique représente l’histoire de l’apparition de ce revenant jusqu’à son stade actuel, d’une étendue d’environ 15 années-lumière.
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Étoile à neutrons
Une étoile à neutrons chaude se met à briller sous l’effet de rayons X. Le refroidissement très efficace observé révèle une forme particulière de matière en son centre : un état de superfluidité des neutrons. Ceux-ci sont si serrés les uns sur les autres, que la force nucléaire forte limite fortement leur liberté de mouvement. En deçà d’une température critique, deux neutrons libres s’associent cependant, en émettant deux neutrinos pour former une paire superfluide, qui se meuvent dans cet état de matière modifiée pratiquement sans entraves.
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4.38 La nébuleuse du Croissant (NGC 6888) dans la constellation du Cygne, à environ 5 000 années-lumière. L’étoile centrale massive provoque un vent stellaire énorme, avec émissions de soufre (rouge), d’hydrogène (vert) et d’atomes d’oxygène (bleu). Elle « pouffe » ainsi tous les 10 000 ans l’équivalent d’une masse solaire. Son envergure est de 25 années-lumière.
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Lesch :
Une hypernova est une éruption de rayons gamma, ce qui n’est pas si facile à expliquer. En principe, la partie centrale d’une étoile qui implose devient un trou noir, avant même que les couches extérieures ne puissent être expulsées. Mais le trou noir en se formant rejette le long de son axe de rotation un jet à haute énergie. Et celui-ci perce à travers les couches extérieures de l’étoile qui existent encore, provoquant par là une explosion de rayons gamma.
Gaßner :
Les hypernovae sont des supernovae d’un genre particulier : de grandes impatientes. Elles ne veulent pas attendre, et voudraient sur-le-champ devenir un trou noir. Probablement que la rotation rapide du noyau joue un rôle central. Mais ceci fait encore l’objet de recherches…
Lesch :
Mais il n’en existe aucune à proximité, n’est-ce pas ?
Gaßner :
Oui et non. La distance de sécurité supposée est de 6 500 années-lumière, et le candidat le plus dangereux est WR 104, un système à double étoile à environ 8 000 années-lumière de distance. Le vent solaire des deux étoiles massives forme une spirale de poussière, grâce à la forme de laquelle on peut établir la direction de l’éruption de rayons gamma. Les uns estiment l’angle d’évitement de la Terre à 16 degrés, les autres à 30 degrés. L’embêtant avec une hypernova, c’est qu’elle ne libère pas son énergie de manière isotope, mais dans une direction déterminée. C’est un peu comme si on tirait un boulet de canon, et si tu te trouves précisément sur la trajectoire du projectile, alors là, tu risques forcément d’avoir des problèmes. Dans une paire de millions d’années, une des étoiles de WR 104 deviendra une hypernova. Alors, nous en saurons plus.
Lesch :
Je suis rassuré. Il fallut bien des hasards pour que notre système solaire fonctionne aussi bien qu’il le fait, et je suis optimiste en ce qui concerne l’univers aussi. Il nous voudra à l’avenir aussi du bien et ne laissera sûrement pas rayonner une hypernova dans notre direction.
Gaßner :
En fait, nous recevons presque tous les jours des rayons gamma provenant d’éruptions, que nous détectons grâce aux télescopes spatiaux spécialisés SWIFT (1 470 kg, 5,5 m, lancement novembre 2004) et FGST (Fermi Gamma-ray Space Telescope, 4 300 kg, 2,9 m, lancement juin 2008). Dans les deux cas, on détecte un court éclair énergétique, suivi
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
de quelques échos, pendant quelques jours, dans des longueurs d’onde élevées. Tous proviennent de distances très éloignées. Les photons les plus énergétiques pour le moment, et de loin, nous atteignirent le 27 avril 2013 avec une énergie de 95 GeV. D’un point de vue statistique, un tel événement ne se produit qu’une fois dans la vie d’un scientifique. Sa source, GRB 130427A, fut même relativement proche : seulement 3,8 milliards d’années-lumière. Sa phase de postcombustion fut encore mesurable en septembre 2013, et révéla la présence de l’explosion d’une étoile massive à rotation rapide, dont la masse de 20 à 30 masses solaires fut comprimée à seulement trois à quatre fois le rayon solaire : une étoile dite de Wolf-Rayet. On soupçonnait depuis longtemps déjà, quelquesuns de ces candidats d’être la cause d’éclairs gamma, sans cependant avoir pu en établir la preuve directe. Les occurrences sont également trop complexes, pour que l’on puisse les réduire à un seul et unique phénomène. La collision de cadavres massifs d’étoiles comme les naines blanches, ou les étoiles à neutrons, ou encore les trous noirs pourraient également avoir pour conséquence l’éruption massive de rayons gamma. Lesch :
N’est-ce pas les Américains qui furent les premiers, lors de leur occupation préférée, l’espionnage, à mesurer les éclairs gamma ?
Gaßner :
Oui, c’est tout à fait juste ! Ce fut dans les années soixante, alors qu’ils surveillaient les tests atomiques de l’URSS avec le satellite d’espionnage Vela. À l’époque, ils étaient en mesure de mesurer toute une série de rayons gamma. Mais de manière inattendue, les signaux provinrent d’en haut, donc de l’espace, et non de la surface terrestre. En raison du secret militaire, les résultats ne furent publiés que des décennies plus tard. Avec GRB 130427A, nous avons réalisé un grand pas pour percer les secrets des éclairs gamma.
Lesch :
Par chance, toutes ces sources de rayonnement dangereux sont très éloignées. Mon Dieu, toutes ces catastrophes cosmiques ! Et que dire de ces étoiles, qui, si elles croisaient notre course, dérangeraient le bel ordre des orbites planétaires, ou pire, le transformerait en un véritable chaos généralisé ?
Gaßner :
Il en existe environ une douzaine – on les appelle les passantes – qui chaque milliard d’années, croisent la trajectoire de notre soleil à une
La vie
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distance de moins de trois années-lumière. Mais pour véritablement nous détruire complètement ou menacer notre existence, en modifiant notre orbite ou même peut-être nous envoyer nous écraser dans l’astre solaire, elles devraient s’approcher à moins de quelques mois-lumière. Même dans ce cas, beaucoup de masse serait nécessaire. Et selon toute probabilité, nous ne fréquenterons pas de tels objets. Lesch :
Ce qui se passe réellement lors d’une telle catastrophe pourrait être décrit un peu près comme ceci : une masse très lourde passe à une certaine distance du système solaire. Son champ gravitationnel en est tellement perturbé, que les planètes sont expulsées de leurs trajectoires orbitales habituelles. Tu viens de dire qu’il devrait exister une douzaine de ces passantes. Quel beau mot au passage ! Cela donne 12 passantes massives par milliard d’années-lumière, qui croisent notre système solaire à une distance d’environ trois années-lumière. C’est pour ainsi dire, pratiquement la porte d’à côté. L’âge du système solaire – que l’on peut très précisément déterminer à l’aide de météorites – avoisine les 4,567 milliards d’années, à 17 millions d’années près. De nombreuses mesures furent même plus précises, à 11 millions d’années près. Aujourd’hui, jour pour jour, il y a 4,567 milliards d’années, notre système solaire est né. Cela sonne joliment, n’est-ce pas ? Supposons un instant, que depuis cette époque, 60 passantes soient passées près de nous – nous pouvons multiplier tranquillement le nombre de ces objets par cinq. Aucune d’entre elles ne fut assez turbulente, pour tirer notre système solaire et ses planètes véritablement hors de leur état d’équilibre.
Gaßner :
En vérité, il suffirait qu’une passante perturbe significativement le nuage de Oortsche. Vous vous rappelez ? Cette ceinture où se sont accumulées toutes ces roches. Dans ce cas, cela serait assez désagréable pour nous, et nous devrions compter avec significativement plus de comètes et météorites. Même sans cette influence extérieure, environ deux des leurs croisent, chaque année, l’orbite de la Terre autour du soleil.
Lesch :
Mon Dieu ! je l’ignorais complètement. Si un agent d’assurance lisait ceci, alors les polices deviendraient probablement très coûteuses.
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
Gaßner :
Aucun souci, l’orbite de la Terre autour du soleil est immense. De plus, les roches de moins de 50 mètres de diamètre ne constituent pas vraiment une menace pour la Terre. Certes, il entre chaque jour dans notre atmosphère plusieurs morceaux de quelques kilogrammes, gros comme des balles de tennis, mais on entraperçoit seulement tous les mille ans un exemplaire de la catégorie des 50 mètres. Cela est trop peu fréquent pour trouver place parmi les lignes minuscules du bas des contrats d’assurance.
Lesch :
Tout de même ! L’astéroïde 2012DA14 nous a manqué de peu en février 2013. Et cela n’est pas pour me rassurer. De toutes les menaces cosmiques, la plus grande est précisément celle qu’une roche météorite nous frappe un jour. Après tout, nous connaissons dans notre système solaire plus de 600 000 astéroïdes et, de plus, 90 pour cent d’entre eux évoluent pour ainsi dire juste au coin de la rue, entre Mars et Jupiter.
Gaßner :
Le frôlement de 2012DA14 dans les limites de l’orbite géostationnaire de nos satellites fut vraiment impressionnant. Et comme si cela ne suffisait pas, le même jour tomba sur Tcheliabinsk (Russie), une météorite de 19 mètres de diamètre seulement, donc beaucoup plus petite, fort heureusement. Ces objets provinrent de directions différentes, il s’agissait donc d’un hasard. La météorite se révéla être, après coup, un véritable chauffard du système solaire. Ce furent des scientifiques sibériens de l’Institut de Géologie et Minéralogie (IGM à Nowosibirsk) qui lui adressèrent ce reproche. Suivant le consensus alors établi, il s’agirait d’une météorite d’environ 12 000 tonnes, qui explosa à 30 kilomètres de hauteur. Cela correspond, par un angle d’entrée dans notre atmosphère de 16 degrés, à une course infernale durant 30 bonnes secondes, à une vitesse allant jusqu’à 65 000 km/h.
Lesch :
Ce qui me fascine le plus, ce furent les nombreuses images de tous les morceaux entrants. J’ignorais, jusque-là, que chaque conducteur russe ou peu s’en faut, possède une caméra dans sa voiture. Et pourquoi en est-il ainsi ? Parce qu’en Russie, les tentatives de fraude des assurances sont de toute évidence assez répandues et parce que dans un pays aussi grand, bien des accidents restent sans témoins. Le risque d’être blessé, ou même de perdre sa vie par accident de voiture en Russie, est par conséquent, assurément bien plus élevé que celui d’être frappé par une
La vie
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météorite. Le orésident Poutine a cependant, en réaction à l’impact de la météorite, parlé d’améliorer les mesures de défense contre ces intrus de provenance céleste. Il ne fit cependant point mention de la sécurité sur les routes russes. Intéressant ! Gaßner :
Lesch : Gaßner :
Ici, je dois exceptionnellement prendre la défense de Vladimir Poutine. Bien sûr, le risque d’être percuté par une voiture en Russie est plus grand que celui d’être atteint par une météorite. Ceci est vrai partout, où des voitures se déplacent. Pas seulement chez nous, mais probablement aussi sur la Lune et sur Mars – bien qu’il faille tout de même une malchance extrême pour être percuté par le Rover. Cela fait cependant sens à mes yeux, de réfléchir à des mesures de protection contre de possibles impacts, et ceci d’autant plus pour des pays de surface très étendue. Mais les possibilités restent très limitées à ce jour. Si l’on devait reprocher quelque chose à Poutine, ce serait plutôt ses promesses non tenues – c’est un politicien, justement. Oui, oui. Naturellement tu as de nouveau raison. Mais revenons un instant à la météorite de Tcheliabinsk. Il s’agit pour être précis d’une chondrite LL5 avec moins d’un cinquième de fer, par rapport à son poids total. Des incrustations de quelques millimètres sont caractéristiques des météorites de ce genre, incrustations où l’on peut très bien mettre en évidence des traces de fusion, et c’est là que cela devient passionnant. Viktor Scharygin de l’IGM s’en est servi comme autant d’indices dans le procès contre la météorite ayant causé l’accident. Dans les morceaux les plus sombres qui furent trouvés à proximité du lieu 4.39 Coupe d’un éclat du météorite de l’impact, on retrouva des traces de Tcheliabinsk (grandeur réelle). de liquéfaction se rapportant à À l’intérieur des chondrites de type LL5 d’autres objets, autant de délits de (traces de métal et de fer, 18,5 pour fuite en somme, autant d’objets cent de la masse est constituée de fer) on reconnaît clairement des traces de que Rowdy avait précédemment liquéfaction.
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
percuté. Un vol très proche de notre soleil constituerait également une autre explication possible pour la présence de ces traces. Il faut souligner qu’elles n’ont rien à voir avec celles présentes à la surface de la météorite, lesquelles sont apparues lors de l’entrée de la météorite dans l’atmosphère terrestre. Lesch :
Espérons que nous ne rencontrerons pas de telles boules de neige menaçantes en chemin.
Gaßner :
Et bien, avec 2004BL86, à la fin du mois de janvier 2015, un morceau de 330 mètres nous a croisé. Par chance, au-delà de la distance de sécurité nécessaire de 1,2 million de kilomètres (en comparaison, la Lune est en moyenne éloignée de 385 000 km). Le bloc 3122Florence, quant à lui, avait même 4,4 kilomètres de diamètre (1 septembre 2017). Pour 2027, on attend déjà de pied ferme 999AN10, un autre gros bloc dans la catégorie des plus d’un kilomètre de grandeur – environ à une distance lunaire. Un jour ou l’autre, un morceau dangereux viendra nous frapper ici, ce n’est, en vérité, qu’une question de temps.
Lesch :
Arrête de m’inquiéter. Peut-être devrions-nous clarifier les concepts de météorite, météoroïde et d’astéroïde. Les blocs les plus petits qui volent là au-dehors, nous les nommons météoroïdes, et les plus gros, astéroïdes. Au cas où ils tomberaient bel et bien à nos pieds, on parle alors de météorites – parfois de météoroïdes « en chute ». Les petits morceaux que nous rencontrons pendant notre voyage à travers l’espace ionisent notre atmosphère. L’effet lumineux qui en découle, c’est ce que nous admirons sous le nom d’étoiles filantes.
Gaßner :
D’un point de vue statistique, c’est tous les 50 millions d’années que nous frappe une roche de grandeur menaçante. Ainsi nous sommes depuis longtemps en retard sur le programme. Et du point de vue des assurances, il s’agirait alors d’une catastrophe naturelle, dans le sens fort du mot.
Lesch :
À côté de la destruction totale due à l’impact lui-même, il y aurait toute une série de conséquences. Comme avec Toba, la poussière dégagée réduirait l’intensité de la lumière solaire. Les simulations montrent des tremblements de terre plus fréquents et un volcanisme plus actif, lesquels engendrent tsunamis et pluies acides.
La vie Gaßner :
Lesch :
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Dans ces modèles, la face de choc de l’impacteur joue un rôle essentiel. Cette onde de choc qu’il propage devant lui augmente le potentiel destructif de manière significative. Ce fut effectivement le cas lors de l’impact d’un astéroïde de 14 kilomètres de diamètre à Mexico, il y a 65 millions d’années. Pour ne rien dire de celui qui eut lieu il y a 252 millions d’années : un impact d’un objet de 11 kilomètres de diamètre maximum, correspondant à la transition Perm-Trias. Peut-être fut-il même le déclencheur du volcanisme terrible et de la plus grande des destructions de masse, laquelle frappa même les insectes. Comment prouve-t-on qu’un impact d’astéroïde a bel et bien eu lieu ?
Gaßner :
À partir des restes de l’impact, les morceaux appelés Buckyballs. Pour l’essentiel, ce sont des formations minuscules de carbone, qui ressemblent à des ballons de football microscopiques. Leur particularité est qu’elles tiennent prisonnier en leur sein un isotope de l’hélium, lequel ne saurait provenir de notre planète.
Lesch :
Comme c’est fascinant ! Des gaz extraterrestres, prisonniers de la roche !
Gaßner :
Les collègues de l’Université de Stanford ont présenté en avril 2014 une simulation d’après laquelle nous avons dû être frappés, il y a 3,26 milliards d’années, par un objet dont la taille dépasse notre imagination : un gros calibre de 37 à 58 kilomètres. Autour du cratère que l’on estime à 500 kilomètres, la roche évaporée a plu ensuite sur l’ensemble du globe sous la forme liquide d’un silicate incandescent. La surface des océans bouillit. Des analyses effectuées à l’est de Johannesburg (Afrique du Sud) dans la ceinture de roches vertes de Barberton semblent indiquer que l’impact causa de nombreuses fractures dans l’écorce terrestre, ce qui fait de cet astéroïde l’une des causes de la tectonique des plaques.
Lesch :
Difficile d’imaginer quelque chose tombant du ciel en comparaison de laquelle le mont Everest n’est qu’un jouet miniature.
Gaßner :
Qu’en est-il exactement de l’astéroïde 35357 1997 SX9, plus connu sous le nom de Haraldlesch ? Pourvu qu’il ne nous tombe pas sur la tête celui-là !
314 Lesch :
Gaßner :
Le Big Bang, le cosmos et la vie
Il parcourt tranquillement son orbite au-delà de Mars, tout aussi tranquille que celui qui lui donna son nom. J’en suis très heureux. Et venant de toi, je n’attendais pas autre chose.
Lesch :
Là-dessus, je ne ferai pas de commentaires. Je les réserve plutôt pour 67P/Churyumov-Gerasimenko, ce gros bloc de trois fois cinq kilomètres de grosseur, qui, lui aussi, se promène là-dehors et sur lequel nous avons atterri de façon spectaculaire en novembre 2014. La comète doit son nom particulier à ses découvreurs, Klim Iwanowitsch Churyumov et Swetlana Gerasimenko.
Gaßner :
Les missions de ce genre nécessitent beaucoup de patience. La mission Rosetta a débuté il y a déjà dix ans. En raison de la distance très importante qui la sépare du soleil, la sonde, bien qu’elle fût équipée d’un gros module solaire, a dû être plongée dans une sorte de sommeil profond pendant 957 jours, afin d’économiser l’énergie. La joie fut d’autant plus grande lorsque, le 20 janvier 2014 à 19 h 18, au siège de l’ESA, la sonde sortit comme prévu de son hibernation. Elle avait déjà débuté son service à proprement parler six heures auparavant, et avait commencé à réchauffer ses composants les plus importants, à orienter ses panneaux solaires vers le soleil et ses antennes vers la Terre. C’est ce que j’appelle la ponctualité allemande : la sonde fut effectivement construite à Friedrichshafen.
Lesch :
Rosetta s’est constamment rapprochée de sa comète cible, pour finir par adopter une orbite stable et atteindre la boule de neige cosmique en août 2014, lors de son vol en direction du soleil.
Gaßner :
Déjà les premières images du système caméras à bord, OSIRIS montrait que 67P était constitué de deux morceaux, lesquels, ou bien ont été cuits ensemble dans la phase jeune du système solaire, ou bien se sont détachés d’un élément plus gros, après qu’une répartition asymétrique à sa surface ait fondu par sublimation. Sublimation signifie le passage direct de l’état solide à l’état gazeux. En raison des conditions de température et de pression régnantes, il n’existe pas d’état liquide sur 67P. Le matériau est en tous cas identique sur les deux morceaux de la comète. Dans le groupe de travail du projet OSIRIS,
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on a affectivement surnommé affectueusement cette formation petit canard de bain. Lesch :
Le 12 novembre, on écrivit finalement une page nouvelle dans le livre d’histoire de la conquête spatiale, en atterrissant pour la première fois sur une comète. Le module d’atterrissage de 100 kilogrammes Philae a d’ailleurs connu les pires difficultés. Ses duses de propulsion, celles-là mêmes qui auraient dû le faire coller à la comète, n’ont pas fonctionné, pas plus que ses deux harpons, avec l’aide desquels il aurait dû s’y accrocher. C’est pourquoi il rebondit et s’éloigna loin de sa zone d’atterrissage prévue, et tourbillonna effectuant deux pirouettes supplémentaires, jusqu’à, pour finir, se nicher dans le creux d’une falaise. Pendant longtemps, le module-mère ne put localiser sa position exacte.
Gaßner :
Oui, et parler d’atterrissage à propos de ce crash est pour le moins fort exagéré. Mais on doit tout de même reconnaître que Philae ne possédait pas de motorisation en propre, et qu’il fut originairement conçu pour être lâché sur une comète beaucoup plus petite, et de ce fait, beaucoup plus légère 46P/Wirtanen. Elle a dû sentir venir le coup et s’est évanouie à temps : le lancement de la mission fut ajourné de plus d’un an. Ce ne fut que suite à l’échec du lanceur Ariane, que 67P devint une des options possibles. Alors, il fut clair que l’on aurait affaire avec quelques problèmes. Les trois jambes de Philae étaient conçues pour une vitesse d’atterrissage de 1 km/h. La chute libre sur 67P , quatre fois plus lourde, à une hauteur de 22 km, dura 7 heures, ce qui propulsa le module à la vitesse de 3,4 km/h. Sans duses de rétroprojection et sans harpons, le rebond, d’une vitesse de 0,33 km/h ne fut pas sans conséquences graves. C’est à première vue étonnant de constater, comment un module d’atterrissage d’environ 100 kilogrammes peut tournoyer dans l’air comme une plume. En raison de la force gravitationnelle plus faible de la comète, son poids à la surface n’est que d’environ 1 gramme, rapporté à l’échelle terrestre. Que Philae se soit coincée dans un fossé, ce fut à la fois une bonne et une mauvaise chose. Bonne, parce qu’elle ne rebondit pas dans l’espace, mauvaise, parce que le lieu de la chute était ombrageux, ce qui lui interdit pour longtemps le chargement de sa batterie secondaire. En fait, Philae aurait dû recevoir pendant un demi-jour de comète, la lumière solaire (une orbite dure 12,4 heures).
316
Le Big Bang, le cosmos et la vie
À l’ombre du bord du cratère, l’exposition ne fut que de 1,3 heure au lieu des 6,5 prévues. La batterie primaire fut complètement vide après 60 heures, heures pendant lesquelles le vaillant module envoya encore de précieuses données à la maison. Lesch :
Nous fûmes particulièrement curieux de tout ce qui concernait la composition du canard, parce qu’elle – nous l’espérions tout au moins – ne s’était pratiquement pas modifiée depuis l’apparition de notre système solaire, il y a 4,64 milliards d’années. Les questions les plus poignantes concernaient, par exemple, celle de la présence ou non, de molécules organiques. S’agissait-il seulement de celles d’entre elles orientées vers la gauche ? Quel est le rapport isotopique du deutérium à l’hydrogène ? Est-ce que vinrent sur Terre d’autres éléments nécessaires à l’apparition de la vie – comme l’eau – grâce aux impacts des comètes sur notre planète ? Est-ce que des objets similaires au canard furent, il y a quatre milliards d’années, à l’origine de notre existence ?
4.40 La sonde Rosetta avec son module Philae. À droite : la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko, photographiée par OSIRIS à une distance de 285 kilomètres. Son volume de 21,4 km3et son poids de 10 milliards de tonnes lui procurent une densité moyenne de 470 kg/m3. Gaßner :
Quelques-unes des analyses prévues, notamment les forages, se révélèrent extrêmement difficiles, car Philae se trouvait couchée sur son côté. Une sonde destinée à la mesure de la répartition de température put effectivement être introduite dans le sol, mais elle rencontra, à 20 cm de profondeur, une couche de glace impénétrable. Par chance, la sonde-mère restée en orbite était équipée d’un spectromètre de masse puissant appelé Rosina, lequel examina à la loupe la composition de la queue de la comète, composée d’eau, de dioxyde de carbone, et de monoxyde de carbone.
La vie
317
À partir de là, on put en conclure que, dans la phase jeune de la Terre, 67P n’appartenait pas à la catégorie des fournisseurs d’eau potentiels. Son rapport deutérium/hydrogène est trois fois trop élevé pour cela. Si l’on recherche du deutérium (un isotope de l’hydrogène avec un proton et deux neutrons) dans nos océans, on en trouve statistiquement un atome pour 6 410 atomes « normaux ». Dans la glace, sous la surface de 67P, ce rapport est de 1/1 887. Pour d’autres comètes, comme celle de la famille Jupiter, cela « colle » au contraire très bien, par exemple 103P/ Hartley– 2, avec un rapport de 1/6 200. Cela est encore mieux avec les chondrites carbonées provenant de la ceinture d’astéroïdes entre Mars et Jupiter (cf. schéma 4.8).
4.41 Partie de la tête de la comète 67P, photographiée à 8 kilomètres de hauteur. La définition de l’image est de 15 cm / Pixel.
318
Le Big Bang, le cosmos et la vie
Lesch :
À la surface de la comète proprement dite, il n’y a pas de glace généralement. Probablement l’a-t-elle perdue par sublimation au cours de son voyage cosmique.
Gaßner :
La surface est un lieu incroyablement poussiéreux. La sublimation des flocons de neige sale a laissé retomber la poussière, ce qui a formé de véritables dunes. Dans l’ensemble, 67P est l’un des endroits les plus sombres du système solaire, avec un taux de réfraction de seulement 6 pour cent, mesuré grâce au spectromètre Virtis (Visible, Infrared and Thermal Imaging Spectrometer). Cela montre que nous avons affaire à des sulfures de fer, des silicates sombres, et des liaisons riches en carbone. Ce mélange isole le noyau de la comète très efficacement. Probablement s’agit-il d’une formation très poreuse. Un mélange compact de glace et de poussière, d’une densité de 1 500 à 2 000 kg/m3. Avec son volume de 21,4 km3 et ses 10 milliards de tonnes, la densité de 67P atteint à peine les 470 kg/m3.
Lesch :
Je trouve également très intéressant la longue faille de 500 mètres de longueur, sur le cou de 67P. Là, se trouve la zone la plus active en ce qui concerne l’échappement du gaz, lequel en s’expulsant, arrache les particules de poussière. Lorsque le 13 août 2015, la plus grande proximité au soleil fut atteinte, 186 millions de kilomètres seulement, le module-mère a même dû, par sécurité, se retirer sur une orbite plus haute.
Gaßner :
Les plus optimistes avaient espéré, avec ce rapprochement au soleil, que Philae eût une seconde chance et qu’il sortît à nouveau de son sommeil. On parla même d’effectuer des manœuvres courageuses : Philae aurait dû, par exemple, s’élever rapidement sur ses jambes, et ce faisant, tenter un saut courageux en dehors de l’ombre. Cela aurait rétrospectivement été un formidable coup de chance que le système d’ancrage dans le sol n’ait pas fonctionné. Un contact radio a pu effectivement encore être établi. Pour un réveil suivi des premiers signes de vie, une puissance de 17 watts aurait suffi, car heureusement pour l’électronique, la température dépassait les moins 40 degrés Celsius. La joie cependant ne fut que de courte durée. Depuis ce dernier échange, aucune prise de contact supplémentaire n’a plus réussi. Un des deux émetteurs a définitivement dû lâcher et probablement d’autres platines ont-elles été, elles aussi, endommagées par les grosses variations de température.
La vie Lesch :
319
Et comment a fini la mission ?
Gaßner :
Rosetta a suivi la comète lors de son retour vers les profondeurs du système solaire encore un bon moment, afin d’examiner l’interaction de la queue de la comète avec le vent solaire. Avant que la puissance livrée par les panneaux solaires ne chuta sous un niveau critique, on força Rosetta, le 30 septembre 2016, à s’écraser à la vitesse de 0,9 m/s sur la comète, étape ultime dans l’acquisition de savoir-faire. Quelques semaines auparavant, la caméra OSIRIS, pour sauver l’honneur de la mission, réussit encore une photo du module d’atterrissage depuis longtemps disparu.
Lesch :
Très bien, mais, en ce qui concerne l’atterrissage sur des objets extraterrestres, ces derniers temps, nous autres Européens, nous n’avons pas vraiment brillé. Nous avons aussi échoué avec la sonde Schiaparelli de la mission ExoMars. Au moins, entre-temps, le vol jusqu’à ces objets nous réussit-il. Je dirais, un vingt sur vingt pour le vol, et pour l’atterrissage, un zéro. En 2020, l’atterrissage du Mars Rover européen est à l’ordre du jour- nous verrons bien où nous l’enverrons promener cette fois. Cela ne sera sûrement pas une catastrophe, aussi sommes-nous ici parvenus à la fin de notre douloureux sujet.
Gaßner :
En vérité, nous sommes loin d’en avoir fini. Nous avons déjà évoqué que dans environ cinq milliards d’années, notre soleil se transformera inévitablement en géante rouge. Alors serons-nous parvenus à la moitié de l’histoire terrestre. En septembre 2013, des collègues de GrandeBretagne ont présenté des simulations selon lesquelles il nous reste seulement 1,75 milliard d’années, car les flares solaires atteindront alors une dimension mortelle (cf. Schéma 3.67). Espérons que jusque-là, ces 1,75 milliard d’années seront des années heureuses pour la vie sur la Terre.
Lesch :
Peut-être réussirons-nous à développer des mesures de protection contre les éruptions solaires, ou encore à coloniser Mars.
Gaßner :
Si l’on en croit les échantillons du sol de Mars prélevés par le Rover Curiosity de l’été 2014, il y avait, il y a trois milliards d’années, des conditions de séjour tout à fait agréables sur notre planète voisine. Pourrions-nous les réintroduire ? Tout au moins aurions-nous assez d’eau à
320
Le Big Bang, le cosmos et la vie
notre disposition : Curiosity a décelé dans les roches de la surface deux pour cent d’eau. Aux pôles également, il en existe une grande quantité. Il suffirait de la chauffer pour obtenir le précieux liquide. Lesch :
Santé donc ! Et si nous n’aimons pas l’eau, nous pouvons nous installer sur Europe, lune de Jupiter. Ou plutôt, non pas sur, mais sous la surface lunaire. Depuis 1998, on soupçonne qu’il existe là des océans cachés. À la surface glacée règnent des températures de moins 160 degrés à l’équateur et de moins 220 degrés aux pôles. Parfait pour les sportifs d’hiver.
4.42 Le Rover Curiosity de 900 kilogrammes atterrit sur Mars le 6 août 2012, après plus de huit mois de voyage. Il est équipé de dix instruments permettant l’analyse de la roche, de l’atmosphère et du rayonnement, afin de déterminer également si Mars, dans le passé, a hébergé la vie ou en serait susceptible dans le futur. La photographie montre un autoportrait, réalisé grâce au Mars Hand Lens Imager (MAHLI). Monté sur un bras de 2,1 m de long, il prit plusieurs douzaines de clichés, lesquels seront superposés par la suite, afin d’obtenir un seul cliché d’ensemble, de sorte que le bras ne soit finalement plus visible. Les manipulations de ce genre ont été simulées à l’avance à Pasadena (NASA Jet Propulsion Laboratory), afin que la mission, lourde de 1,9 milliard d’euros, ne soit pas mise involontairement en danger par un selfie.
La vie
321
Gaßner :
Géologiquement parlant, la jeune surface d’Europe, claire et couverte de part et d’autre de fosses et de crevasses, constitue sa particularité la plus remarquable. Elle doit sa couleur rougeâtre aux minéraux accumulés au cours du temps. Ce satellite de Jupiter est environ dix fois plus petit que notre lune terrestre et il est très plat. Il existe à peine de dénivellations supérieures à quelques centaines de mètres. Les cratères plus profonds furent probablement nivelés par de la glace fraîche.
Lesch :
Que penses-tu de l’hypothèse selon laquelle il pourrait y avoir de la vie à l’intérieur d’Europe ?
Gaßner :
Aussitôt que l’on trouve, ou même simplement que l’on soupçonne, la présence d’eau, les plus optimistes associent automatiquement cela à
4.43 En haut : Mosaïque d’image de la lune de Jupiter Europe, provenant de la superposition de clichés pris par la sonde Voyager 2 (9 juillet 1979). En dessous, deux clichés pris par la sonde Galileo (1998). À gauche : l’image colorée à haute définition montre une surface d’environ 100 kilomètres carrés. À droite : avec ses 13 kilomètres de rayon, le cratère d’impact géologiquement très jeune, Pwyll, âgé de 30 millions d’années, au plus.
322
Le Big Bang, le cosmos et la vie
la présence de vie extraterrestre. Et en effet, Europe fut introduite dans le cercle restreint des candidats à la vie, au plus tard lorsque les mesures du champ magnétique prélevées par la sonde Galileo révélèrent les traces caractéristiques que cause un liquide conducteur en mouvement, l’eau par exemple. Mais même à l’état liquide, elle ne constitue qu’une des nombreuses conditions nécessaires à l’apparition de la vie. Europe est un candidat particulièrement intéressant, parce qu’elle possède un élément supplémentaire tout aussi nécessaire : une source d’énergie. À cet endroit, il peut s’agir aussi bien des mouvements de convention provenant des couches profondes de la planète, que des forces de marées, dues à Jupiter extrêmement proche. Le long de son orbite légèrement excentrée, cette lune est tour à tour comprimée et étendue. Ceci ne fournit pas seulement de la chaleur, mais théoriquement conduit également, lorsque Jupiter se trouve à une plus grande distance, à ce que les crevasses à la surface de la lune s’étirent, et ce, dans de telles proportions qu’elles s’entrouvrent, laissant alors jaillir des fontaines d’eau. Celles-ci constitueraient, en plus des mesures sismiques déjà existantes, une preuve tangible de la présence d’eau liquide.
4.44 Illustration de l’océan sub-glacial avec une profondeur estimée de 150 km. Les forces de marées de Jupiter ouvrent des crevasses dans le blindage de glace, par lesquelles les fontaines d’eau se frayent leurs chemins.
La vie
323
Lesch :
En décembre 2013, le télescope spatial Hubble a effectivement permis d’observer, aux environs du pôle Sud, les spectres caractéristiques de l’oxygène excité et de l’hydrogène, ce qui suggère une interaction des molécules d’eau avec le champ magnétique. Dans ces données fournies par Hubble, certains chercheurs optimistes veulent reconnaître une fontaine d’eau de 200 kilomètres. On démontra de surcroît la présence à la surface de cette lune de peroxyde d’hydrogène et d’acide sulfurique, autant d’indices forts d’un volcanisme sous-marin, similaire en tous points à son équivalent terrestre.
Gaßner :
Mais le rapprochement avec la Terre a aussi ses limites. À peine se serait-on établi sur Europe, qu’une autre menace se presserait à notre porte, à peine quatre milliards d’années : la galaxie d’Andromède. Elle collisionnera avec la Voie lactée à la vitesse d’environ 410 000 kilomètres par heure puisque nous nous trouvons sur la même trajectoire. Nous devrions cependant survivre à ce crash sans guère subir de dommages. La collision de deux galaxies sera comparable à deux essaims de moustiques. Tout d’abord, elles chuteront l’une dans l’autre pour se rassembler ensuite autour d’un centre de gravité commun. La gravitation laisse en quelque sorte danser les systèmes d’étoiles de façon similaire, et cela modifiera alors l’aspect de notre ciel nocturne.
4.45 Montage photo représentant le ciel nocturne, tel qu’il pourrait apparaître dans environ quatre milliards d’années. La bande familière caractéristique de la Voie lactée tient compagnie à la galaxie d’Andromède.
324
Le Big Bang, le cosmos et la vie
Lesch :
Et en plus, les masses gazeuses tourbillonnantes déplacées allumeront un véritable feu d’artifice de nouvelles étoiles naissantes.
Gaßner :
Pour revenir au thème des catastrophes, nous aurions encore à vous offrir la supernova par production de paires. Ici, le rayonnement interne est si élevé, que des paires particules-antiparticules apparaissent spontanément à partir des photons. D’un seul coup, beaucoup de la pression due au rayonnement disparaît, ce qui conduit inévitablement à une implosion…
Lesch :
Cher Josef, si cela ne te fait rien, passons à des sujets plus gais ; tu veux bien ?
Gaßner :
C’est que tout ce qui se joue et existe là-bas, au-dehors, est véritablement fascinant. Les quatre forces élémentaires se conduisent comme un quartet et nous invitent constamment à admirer les œuvres d’un vernissage sans fin. Et les catastrophes cosmiques comptent également pour moi – admirées à une distance sûre – parmi ces œuvres d’art. Mais ce qui est encore plus fascinant, c’est que nous, sur notre planète, sorte de singes au museau un peu sec, soyons en mesure de nous faire une idée de ces phénomènes incroyablement lointains et étrangers – et même peut-être de les comprendre, au moins en partie. Mais si le thème des catastrophes te met mal à l’aise, alors changeons bien entendu de sujet. Que penses-tu de celui des mesures de protection que nous avons déjà prises – ou est-ce que cela te rendrait également quelque peu nerveux ?
Lesch :
Nous sommes vraiment sans défense contre des événements d’une telle envergure.
Gaßner :
Je ne veux pas parler comme Poutine, mais nous sommes tout de même équipés de différents systèmes de détection des astéroïdes qui s’approchent trop près de la Terre. Il existe même un site internet (www. spaceweather.com), sur lequel les rencontres potentielles avec ces NEOs ou encore Near Earth Objects sont documentées. Là, tu peux contrôler tous les matins, si cela vaut la peine d’aller travailler ou non.
Lesch :
Si besoin, pour les cas difficiles, on envoie Bruce Willis, il s’envole et règle le problème.
La vie
325
Gaßner :
Le film Armageddon est évidemment inspiré de plans concrets de l’US Air Force et de la NASA. Dans le cas d’un astéroïde avec une trajectoire de collision – on parle alors de PHAs (potentially hazardous asteroids) – on imagine effectivement la rencontre se déroulant d’une manière similaire. L’astéroïde ne sera pas conduit à exploser, mais à modifier sa trajectoire, car d’éventuels débris dus à l’explosion constitueraient encore une menace, celle d’autant d’objets aux trajectoires incontrôlables. Selon les cas, l’entreprise réussirait, soit grâce à l’action de duses de propulsion fixées sur l’astéroïde, soit grâce à l’onde de choc d’une explosion déclenchée à sa proximité. Si nous avions assez de temps, on pourrait même installer sur celui-ci une voile solaire, afin de manœuvrer le bloc rocheux en s’aidant du vent solaire.
Lesch :
Il ne me reste qu’une chose à dire : hisse et oh ! Prions pour que l’homme à la barre prenne la bonne direction.
Gaßner :
Mais ce n’est pas tout. L’idée la plus amusante je trouve, est de peindre la moitié de l’astéroïde en blanc. La chose se rapporte à l’effet dit de Yarkovsky. La surface exposée au soleil est évidemment plus chaude que celle à l’ombre. La surface chaude émet des photons énergétiques, qui produisent une réaction minimale de contre-propulsion. Si l’on a assez de temps devant soi, on peut utiliser cette force minimale ridicule pour modifier la trajectoire. L’effet est simplement renforcé par la peinture blanche.
Lesch :
Et tu considères tout cela comme rassurant ? J’espère seulement que jamais nous ne devrons réaliser effectivement ces plans aventureux.
Gaßner :
Très bien, je voudrais encore raconter ce qu’il en est d’Apophis, un astéroïde gros de 200 à 300 mètres, dont nous avons longtemps pensé qu’il nous frôlerait dangereusement en l’an 2029. Mais d’une part, les estimations originaires se sont entre-temps modifiées, et d’autre part… je lis sur ton visage que nous devrions enfin nous occuper à nouveau avec des sujets plus joyeux. Que dirais-tu d’une petite promenade le long de la frontière de la connaissance ?
Lesch :
Allons-y !
Le Big Bang, le cosmos et la vie
326
5 Et après ? Vers d’autres rives !
5.1 Montage photographique : le détecteur CMS au LHC représenté comme un pays inexploré sur la carte de l’explorateur Amerigo Vespucci de1507.
Et après ?
5.1
327
L’énergie noire Houston, nous avons un problème
Lesch :
Est-ce que cela finit ici ? Sommes-nous désormais parvenus à la fin de l’histoire de toutes les histoires, de celle qui les comprend toutes ? Possédons-nous une image du monde avec l’aide de laquelle nous pouvons comprendre de façon cohérente l’univers ? Une image du monde qui vaille pour tous les temps, et dans le meilleur des cas, pour laquelle il suffira de quelques corrections mineures, qui ne concerneraient, pour ainsi dire, que les quelques chiffres après la virgule ? La connaissance du tout nous couronne-t-elle comme joyau de l’évolution ? Dans les faits, un abîme sépare nos modèles cosmologiques des observations empiriques depuis une vingtaine d’années. Son nom : la matière noire. Aucune explication possible, même partielle, qui ne pointe à l’horizon.
Gaßner :
Maintenant que vous avez patiemment suivi le fil de nos explications, nous pouvons vous le confesser : cela serait très prématuré de renvoyer les étudiantes et étudiants à la maison et d’éteindre définitivement la lumière. Les sciences de la nature connaissent leurs limites et c’est justement pourquoi elles sont sans frontières. À certaines portes de notre image du monde frappent doucement les sceptiques, à d’autres ils ont déjà arraché la porte entière, apportant des observations qui ne sont pas compatibles avec les théories établies jusque-là. Il est ici question de supernovæ lointaines, qui brillent plus faiblement que les théories ne le prévoient.
Lesch :
Nous considérons ici un type tout à fait particulier d’entre elles : une Supernova Ia. Leur déroulement nous est déjà connu par l’exemple de IK-Pegasi. Une naine blanche, dont le noyau composé de carbone et d’oxygène tire de son satellite autant de masse qu’il est nécessaire, pour que la gravitation, finalement, initie la fusion nucléaire.
Gaßner :
Nous devons au passage la théorie fondamentale des supernovae Ia à un Indien
5.2 Subrahmanyan Chandrasekhar (1910 – 1995)
328
Le Big Bang, le cosmos et la vie
nommé Subrahmanyan Chandrasekhar. En 1930, celui-ci s’ennuyait sur le bateau qui le menait de Madras vers Southampton – à l’époque le voyage de l’Inde jusqu’à l’Angleterre durait encore 18 jours. Alors ce jeune homme s’assit, armé de son crayon à papier et d’une page blanche et se mit tout simplement à écrire une page de physique qui fera date. La masse limite, à partir de laquelle s’allume une naine blanche, se laisse effectivement calculer sur une feuille de papier, sans simulation informatique, sans observations laborieuses. En fin de compte, la structure des naines blanches, en raison de leur incroyable densité, est exclusivement déterminée par des lois de la mécanique quantique. Et c’est ce qui les rend pour ainsi dire calculables. Elles sont des objets quantiques de la grosseur de notre Terre. La mécanique quantique rendue stable et macroscopique ! Comme c’est fascinant ! Elles semblent s’être égarées dans un monde étranger, comme Gulliver lors de ses voyages. Lesch :
À la fin, on obtient une masse – vous l’aurez deviné la masse dite de Chandrasekhar– qui dépend uniquement des constantes naturelles. Si l’on remplace, dans le calcul, les variables par les valeurs constantes, on obtient 1,457 fois la masse solaire.
Gaßner :
Les constantes naturelles sont toujours et partout les mêmes. Et c’est là que réside la clef du succès. Peu importe où se produit dans l’univers une bombe supernova de cette sorte. Nous savons exactement combien d’explosions étaient impliquées et comment elle était construite. Et avec cela, nous connaissons aussi exactement la puissance lumineuse de cette explosion. C’est comme si quelqu’un avait allumé un feu de signal gigantesque à notre attention, un feu possédant cette luminosité standard. Un loto gagnant pour l’astronomie, qui nous met en position de pouvoir définir la distance qui nous sépare de cet objet lointain.
Lesch :
Nous devons juste nous assurer que nous avons bel et bien observé des supernovæ de type Ia et non pas quelque autre explosion d’étoile pouvant avoir une luminosité des plus variées. Une supernova commune constitue une source lumineuse inadaptée et inutile, parce nous ne pouvons pas déterminer assez précisément la puissance de l’explosion.
Gaßner :
Mais comme souvent, le spectre du rayonnement nous apporte une aide précieuse. Lors d’une explosion de supernova commune, l’étoile qui
Et après ?
329
explose est constituée d’une multitude d’éléments qui sont projetés dans le médium interstellaire. Et nous pouvons les reconnaître sans peine, par l’analyse de leurs spectres. Dans le spectre d’une supernova Ia, on ne voit au contraire aucune trace d’hélium et d’hydrogène. Car dans cette bombe-là, il n’y a que du carbone et de l’oxygène, qui fusionnent en passant par le stade intermédiaire de la fusion du silicium au nickel. Lesch :
C’est vrai, et en plus, les supernovæ de type Ia possèdent une propriété supplémentaire très commode. Il faut savoir que les noyaux du carbone sont constitués de six protons et six neutrons. Ceux de l’oxygène de huit protons et huit neutrons. De la sorte, la naine blanche possède, au départ, autant de protons que de neutrons. Ce qui donne comme produit final le nickel56 ayant lui aussi autant de protons que de neutrons. Mais les noyaux lourds sans surplus de neutrons sont radioactifs. Et c’est précisément l’évolution de cette radioactivité que nous surveillons d’un œil attentif.
Gaßner :
C’est effectivement très pratique. Environ 10 pour cent de l’énergie de l’explosion se transforme en radioactivité. Dans un premier temps, le nickel56, avec une demi-vie de 7 jours, se désintègre en cobalt56. 77 jours supplémentaires sont nécessaires pour la transformation du cobalt56 en fer56. En raison de la libération différée de cette énergie, la supernova Ia peut être observée tranquillement pendant plusieurs semaines.
Lesch :
Les observations qui suivent durèrent plus de deux décennies. C’est que les astrophysiciens sont des gens patients. Saul Perlmutter, Brian Schmidt et Adam Riess obtinrent pour leur patience en 2011 le prix Nobel. Une nouveauté : pour la première fois, cette distinction fut attribuée pour un phénomène dont on ignorait tout.
5.3 Saul Perlmutter, Brian P. Schmidt, Adam Riess
Le Big Bang, le cosmos et la vie
Luminosité [mag]
330
Jours
5.4 L’évolution temporelle de la lumière d’une supernova suit toujours le même schéma : l’intensité augmente dans les mêmes proportions que le rayonnement parvient à se frayer un chemin au travers des couches denses de l’explosion. Le maximum, facilement reconnaissable, est suivi par la phase de désintégration du nickel radioactif, de 40 jours environ. Le caractère propre de la chandelle standard apparaît sur l’image du dessous, après que chacun des graphiques ait été calibré. La corrélation est simple : plus il y a de nickel56 qui fusionne, plus grande est l’énergie libérée (le maximum du graphique). La largeur de celui-ci est également liée à la masse de nickel impliquée, car une plus grande quantité de nickel fournit d’autant plus d’énergie de désintégration sur un laps de temps plus long. Si l’on recalibre toutes les courbes par rapport au même maximum, alors une évolution similaire apparaît dans la largeur.
Et après ? Gaßner :
331
En pratique, on procède de préférence de la manière suivante : on prend une photo d’une galaxie quelconque, et ensuite, on part pour trois semaines en vacances. Au retour, on reprend le même cliché, et avec beaucoup de chance, on peut voir un point lumineux supplémentaire et ainsi constater qu’une supernova s’est produite entre-temps. Si ce n’est pas le cas, on photographie une autre galaxie et l’on repart pour trois semaines de vacances…
5.5 Les enregistrements du télescope spatial Hubble montrent des galaxies avant et pendant une supernova. La flèche marque sa position. Lesch :
En fin de compte, les nominés eurent droit au prix Nobel pour couronner leurs vacances !
Gaßner :
Au départ, ils voulaient corroborer le diagramme de Hubble pour les grandes distances. Comme souvent dans les sciences, il en sortit tout autre chose. Les supernovæ de type Ia, très éloignées, n’étaient pas aussi lumineuses que prévu. Elles devaient donc être plus éloignées qu’on ne le pensait. Conclusion : l’expansion de l’univers s’est à nouveau accélérée à environ mi-parcours.
Lesch :
Le laïc s’en étonne, et le professionnel également y trouve matière à réflexion.
Gaßner :
Ce qui nous conduit à un nouveau Global Player. Nos quatre forces fondamentales bien connues n’offrent en effet aucune explication à cette soudaine accélération. On devrait à proprement parler d’un Universal Player. L’énergie noire comme on l’appelle, seule responsable de cette
332
Le Big Bang, le cosmos et la vie
Distance
accélération, représenterait ainsi 68,3 pour cent de l’énergie totale de l’univers. Cela alourdit fortement le bilan.
Décalage dans le rouge
5.6 Le diagramme de Hubble pour les objets très lointains montre un décalage dans le rouge de 1,0. Données : Calan/Tololo (jaune) et le Supernova Cosmology Project (rouge). Pour les grandes distances, Il y a donc une accélération visible de l’expansion. Lesch :
Nous devrions malgré tout rester prudents en ce qui concerne de telles conclusions gravissimes. Il y a encore beaucoup d’incertitudes. Nos considérations sont par exemple fondées sur le postulat selon lequel, la masse dans l’univers serait répartie uniformément à grande échelle, de façon homogène donc. Ces temps derniers, on recherche très activement dans la direction d’une répartition hétérogène. Ainsi la gravitation « tirerait » plus fort à un coin qu’à un autre. Cela conduirait à une image expérimentale similaire.
Gaßner :
Les observations du satellite X-ray Chandra nous laissent également penseurs. Lorsqu’une naine blanche attire la matière de son satellite à soi, il apparaît à sa surface un rayonnement X caractéristique. Chandra parvint à découvrir quelques exemplaires de ce phénomène, dans six
Et après ?
333
galaxies différentes, et finalement, on ne put mettre en évidence que seulement cinq pour cent des valeurs théoriques attendues. Probablement nous ne comprenons pas ces phénomènes aussi bien que nous l’avions espéré. Lesch :
Il existe, en effet, des sceptiques depuis longtemps, car les masses rejetées jusqu’ici observées par les supernovæ Ia ne suffisent pas à atteindre la masse de Chandrasekhar. Si l’on additionne tous les débris pris ensemble, on obtient moins de 1,457 masse solaire.
Gaßner :
Et nous n’avons pas encore découvert de naines blanches de plus de 1,25 masse solaire. C’est pourquoi il existe des théories dites Subchandrasekhar. D’après elles, une naine blanche tirerait de son satellite de l’hélium et l’accumulerait dans une couche périphérique. Ensuite, cette couche allumerait le feu nucléaire, lequel libérerait suffisamment d’énergie pour permettre au noyau composé de carbone et d’oxygène de fusionner, même en deçà de la masse de Chandrasekhar.
Lesch :
On connaît ce principe, c’est celui de la bombe à hydrogène.
Gaßner :
Peut-être que les naines blanches avoisinent par le haut la frontière de Chandrasekhar. Naturellement, aussi longtemps qu’elles ne sont pas complètement composées de carbone et d’oxygène, elles ne peuvent pas être plus lourdes que 1,457 masse solaire. Une classe particulière d’entre elles pourrait cependant avoir accumulé – pour une raison ou une autre – une proportion d’hélium plus importante. Cette couche d’hélium supplémentaire fusionnerait en carbone, et de la sorte ferait déborder le vase, sans qu’un satellite orbital soit nécessaire.
Lesch :
Mais si les observations elles-mêmes semblent douteuses, qu’en est-il des modèles théoriques ? Supposons un instant qu’il existe bel et bien quelque chose comme de l’énergie noire, juste comme ça, pour ainsi dire, pour plaisanter… à quel genre appartient-elle ? Une force, un champ ou une constante cosmologique ?
Gaßner :
D’un point de vue théorique, les forces et les champs sont les deux faces d’une même médaille. Les champs échangent des particules virtuelles, ce par quoi une force visible est transmise vers l’extérieur. Un champ électrique par exemple est rempli de photons virtuels qui transmettent
334
Le Big Bang, le cosmos et la vie
une force électromagnétique. Depuis la mise en évidence du champ de Higgs, cette interprétation du monde par la théorie des champs quantiques a désormais presque carte blanche. Pour chaque effet encore inconnu, on peut effectivement définir un champ scalaire lui correspondant, qui le cas échéant, peut osciller dans l’espace ou dans le temps. Dans le cas de l’énergie noire, on l’a nommé quintessence par allusion aux philosophes grecs antiques. Il s’agit d’une première possibilité, appelons-la A. Ce champ posséderait des particules d’échange quelconques, lesquelles transmettraient une force, laquelle laisserait s’expandre l’univers de la manière que nous l’observons. La possibilité B quant à elle est liée à l’équation de la relativité générale, celle-la même qui nous permet de décrire l’expansion de l’univers. On les déduit par intégration, ce qui produit une constante, à laquelle on donne habituellement la valeur nulle. Par un choix approprié de la valeur de cette constante cosmologique, on retrouve également la correspondance avec les données expérimentales. Ainsi, l’énergie noire serait une propriété intrinsèque de l’espace. Cela expliquerait également pourquoi elle croît au fur et à mesure que l’espace augmente. Lesch :
Serait-il possible de départager les deux possibilités expérimentalement ?
Gaßner :
Quintessence et constante cosmologique se différencient par leurs effets. Malheureusement, il nous manque encore la précision nécessaire pour faire la différence. La constante cosmologique est par exemple un concept rigide. Pour les phases initiales de l’univers, on peut la négliger tout à fait, et pour finir, elle ne se laisse pas plier à souhait pour épouser la courbe d’évolution de l’accélération. L’approche par la théorie des champs est en comparaison plus souple, car le champ peut varier avec le temps. Une brique posée sur l’accélérateur produit une accélération différente de celle variable causée par le pied d’un conducteur. La quintessence aurait pu ainsi jouer un rôle dès les premiers temps de l’univers, par exemple pendant la nucléosynthèse primordiale. Le prix à payer pour cette faculté d’adaptation est cependant très lourd. À chaque variation temporelle ou spatiale de l’intensité du champ correspondrait nécessairement une variation de certaines constantes qui lui sont liées.
Et après ?
335
Et cela ne semble pas être le cas, si l’on considère les cas d’Oklo et des lignes d’absorption des quasars. Lesch :
Mais s’il existe un tel champ, qui évidemment interagit gravitationnellement puisqu’il laisse s’expandre le cosmos dans son ensemble, alors on devrait pouvoir, en principe, le mettre en évidence.
Gaßner :
Mais comme nous l’avons mentionné, le problème est de parvenir, pour cela, au degré de précision nécessaire. En avril 2014, les collègues de la TU de Vienne sont parvenus à faire un grand pas dans la bonne direction. Grâce au procédé dit de la spectrométrie par résonance gravitationnelle, ils ont pour ainsi dire approché la quintessence de tout près. Il s’agit de placer des neutrons ultra-froids entre deux parallèles, deux plaques horizontales. Là, ils ne peuvent qu’adopter deux états quantiques discrets, lesquels à leur tour sont influencés par la gravité. On a alors à sa disposition une construction expérimentale des plus sensibles, permettant d’enregistrer des variations infimes, celles-là mêmes que l’interaction théoriquement présupposée d’un champ de quintessence avec la gravité devrait laisser derrière elle. C’est alors que la résonance entre en scène. Une des plaques est mise en état d’oscillation contrôlé selon différentes fréquences. Ainsi, on excite en quelque sorte les neutrons et lorsqu’on atteint précisément la différence d’énergie entre deux états quantiques, le neutron saute dans le niveau énergétique plus élevé le plus proche. De la sorte, on peut lire les différents niveaux d’énergie de façon très précise, et avec eux les possibles variations dues à la présence supposée d’un champ de quintessence. En dépit de la précision de mesure de plus de quatre ordres de grandeur ainsi fièrement atteinte, il ne fut cependant pas possible de mettre en évidence de quelconques variations.
Lesch :
En ce qui concerne l’hypothèse de la quintessence, cela devient donc tout de même un peu serré, et pas seulement entre les plaques.
Gaßner :
Reste alors la constante cosmologique d’Einstein. Lorsque je demande, dans notre couloir, à ceux parmi mes collègues qui sont spécialistes du sujet « matière noire » ce qu’ils en pensent, la réponse vient toujours accompagnée d’un sourire grimacé : « oui, la constante cosmologique ». Pourquoi grimacé ? Parce que du côté des théoriciens, naturellement,
336
Le Big Bang, le cosmos et la vie
personne ne souhaite devoir compter avec un paramètre cosmique supplémentaire, lequel de surcroît nécessiterait pour être correctement déterminé, une mise au point très fine. Mon sentiment me conduit à ne pas oublier le fait que l’énergie noire agit en premier lieu entre les galaxies, donc à un endroit très proche du vide. C’est pourquoi, en ce qui concerne l’énergie noire, je parierais pour ma part sur des fluctuations du vide quantique. Leur énergie est en principe sans fin, parce qu’elles sont constituées d’un nombre infini de longueurs d’onde. Peut-être trouverons-nous à l’avenir une valeur minimale à ces longueurs d’onde, qui effectivement contribueraient à former une énergie du vide. Si l’on devait par ailleurs découvrir que le temps et l’espace doivent eux aussi être considérés de manière quantique, alors la grandeur de ce quanta minimum constituerait un candidat idéal pour une limite naturelle, puisque les longueurs d’onde en deçà de ce minimum n’ont précisément aucune incidence sur notre monde. Lesch :
Une autre possibilité consisterait également en ce que la gravité se comporte autrement que nous l’avons jusqu’ici imaginé, lorsqu’on passe à des échelles de grandeurs extrêmes. Dans ce cas également, le problème serait, là aussi, réglé d’un coup.
Gaßner :
Le Dark Energy Survey devrait fournir des réponses à ces questions dans les prochaines années, tout du moins en ce qui concerne le rapport de la gravitation relativement à l’énergie noire. Sur le Cerro Tololo, au Chili, à 2 200 mètres d’altitude, nos collègues ont justement commencé à examiner un huitième du ciel nocturne avec des capteurs photosensibles de 570 mégapixels montés sur un télescope de quatre mètres. Ainsi, ils ont examiné la lumière de plus de 300 millions de galaxies et de 4 000 supernovæ. Ce faisant, ils ont dirigé leurs regards jusque dans un passé lointain, vieux de plus de huit milliards d’années et ils analyseront finalement le comportement de plus de 100 000 amas galactiques. À un moment donné, selon que ces clusters ont plutôt tendance soit à s’agglomérer soit à s’étendre, c’est tour à tour la gravitation ou l’énergie noire qui prendra le dessus.
Lesch :
Il y a là encore beaucoup à faire. Le problème de l’énergie noire va nous occuper encore beaucoup…
Et après ? Gaßner :
337
Jusqu’à ce que, à un moment ou un autre, la lumière en vienne à percer les ténèbres.
338
5.2
Le Big Bang, le cosmos et la vie
La matière noire Retour à la case départ ?
Lesch :
Et comme si cela ne suffisait pas, 26,8 autres pour cent de l’univers sont composés d’une forme de matière que jusqu’ici personne n’a pu « voir » directement. On est, littéralement, complètement dans le noir. Cela n’est pas si surprenant, puisque qu’elle est caractérisée par une propriété essentielle. En effet, la matière noire n’interagit pas électromagnétiquement, et particulièrement pas avec la lumière. Et c’est précisément à partir des informations contenues dans la lumière que nous avons formé la quasi totalité de notre image du monde ! Espérons qu’une idée lumineuse nous viendra à l’esprit.
Gaßner :
La matière noire se laisse seulement mettre en évidence indirectement, par gravitation, en ce qu’elle dévie plus fortement encore la lumière autour des galaxies, et là, y retient les gaz très chauds de la gamme des rayons X, lesquels, sans sa présence, auraient dû avoir pris depuis longtemps le large, en raison de la vitesse de leurs particules, supérieure à la vitesse d’échappement. La matière noire fait également tournoyer les galaxies autrement qu’elles ne le feraient, si la seule matière visible était impliquée.
5.8 (Image de droite) L’effet de lentille gravitationnelle. Lorsque la lumière en provenance d’une galaxie lointaine dans son trajet jusqu’à nous est déviée gravitationnellement, par un amoncellement de matière, il apparaît alors des formes caractéristiques de cette déviation. Si l’amoncellement de matière sur la trajectoire de la lumière est en rotation symétrique, alors on obtient un anneau, nommé anneau d’Einstein (en haut à droite). S’il s’agit au contraire, d’une matière en forme d’ellipsoïde, on obtient une croix dite d’Einstein (au milieu). Un amoncellement aléatoire produit plusieurs petits arcs (en bas à droite). En soustrayant l’ensemble de la matière visible, alors on peut déterminer la part de matière noire.
Et après ?
339
Répartition sphérique de la matière
Terre
Répartition elliptique de la matière
Terre
Répartition quelconque de la matière
Terre
Le Big Bang, le cosmos et la vie
Vitesse de rotation V
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corps solides trajectoire de Kepler constante observation Rayon (distance à partir du centre galactique)
5.9 En haut : lorsqu’un corps est solidaire de son axe de rotation, alors la vitesse de rotation d’une partie quelconque du volume augmente proportionnellement à la distance le séparant de l’axe de rotation (courbe verte). Si les objets ne sont pas solidaires, mais seulement liés gravitationnellement au centre de rotation, alors la vitesse de rotation diminue en allant vers l’extérieur (courbe bleue). Cette propriété est particulièrement bien visible pour les planètes de notre système solaire et leurs trajectoires elliptiques. La vitesse orbitale de la Terre est d’environ 30 km/s, celle de Mars est déjà plus lente avec 24 km/s, celle de Neptune atteint seulement les 5 km/s. En ce qui concerne les vitesses de rotation des étoiles au cœur des galaxies, on s’attendrait à obtenir, proche du centre, où la liaison gravitationnelle est très forte, des vitesses similaires à celles de corps rigidement solidaires et également, pour des distances plus éloignées, avec un lien gravitationnel faible par rapport au centre donc, des orbites correspondants du type des ellipses de Kepler. Les observations (courbe rouge) montrent au centre effectivement ce à quoi on s’attendait, mais les vitesses de rotation des étoiles vers l’extérieur restent quasiment constantes, contredisant ainsi les lois de Kepler. En bas : vue de côté de la Voie lactée (demi-disque) du centre jusqu’au bord.
Et après ?
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5.10 La zone de naissance de nouvelles étoiles NGC 604 à l’intérieur de la galaxie spirale M33 (3 milliards d’années-lumière), avec une envergure d’environ 1 300 années-lumière. L’enregistrement du télescope spatial Hubble a été ici superposé avec une image fournie par le télescope à rayons X Chandra (en bleu). Le gaz chauffé jusqu’aux rayons X possède plus d’énergie qu’il n’en faudrait pour quitter le champ gravitationnel causé par la seule matière visible.
Lesch :
La formation des structures dans la phase jeune de l’univers requiert également une forme de matière qui reste indifférente au rayonnement fossile, alors intense, et qui se comprime par gravitation. La matière visible
342
Le Big Bang, le cosmos et la vie
connue ne saurait donc faire l’affaire, puisqu’elle réagit avec les photons du rayonnement cosmique de fond. Tout agglomérat, aussi insignifiant soitil, serait immédiatement détruit, tout comme une tempête d’automne répartit à nouveau les feuilles dans un jardin, où elles y avaient été auparavant péniblement rassemblées en un tas. Ces premiers grumeaux constituent cependant le point initial de la formation des structures, les graines de semence, qui, peu à peu, augmentèrent progressivement leur force gravitationnelle, jusqu’à ce qu’ils soient en mesure de « tenir » également la matière visible, pour finalement former les étoiles et les galaxies. Gaßner :
En ce sens nous devons à la matière noire même notre existence. Cela va tout de même risquer de durer un certain temps avant que nous soyons en
5.11 Cette représentation tri-dimensionnelle de la matière noire a été réalisée à partir de l’effet de lentille gravitationnel. Le point d’observation se trouve à gauche, à l’origine des axes de coordonnées. Les axes x et y marquent la position dans le ciel. Dans la direction de l’axe z, on plonge notre regard dans la profondeur, ce qui signifie que le décalage dans le rouge augmente toujours plus. Cela équivaut à regarder dans le passé et, de la sorte, on reconnaît de droite à gauche (du passé vers le présent) comment, toujours plus, la matière noire s’agglutine progressivement sous l’effet de la gravité.
Et après ?
343
mesure de la remercier. Tout ce que nous savons à son sujet jusqu’à présent, c’est effectivement, qu’elle n’interagit pas avec la lumière. Et toutes les informations que nous récoltons là, au dehors, proviennent de la lumière, si on néglige les quelques particules qui nous frappent directement. Cela ne signifie rien de moins que nous cherchons à l’aide de la lumière quelque chose, dont nous ne savons qu’une chose : qu’elle n’a rien à voir avec la lumière. Cela me rappelle cette histoire de l’ivrogne qui, la nuit, cherche les clefs de la maison sous une lanterne de rue. Un passant, tout prêt à l’aider, se joint alors à lui et les deux de se mettre à chercher… Finalement le passant s’impatiente et demande « Êtes-vous bien sûr d’avoir perdu vos clefs ici ? » L’ivrogne lui répond « Non. J’ai perdu mon trousseau dans l’obscurité, de l’autre côté de la rue. Mais là, je ne le trouverai jamais. Ici sous la lanterne, au moins j’ai de la lumière ». Et c’est exactement de cette façon-là que nous cherchons la matière noire dans l’univers. Lesch :
L’idée qui se cache derrière tout cela est en vérité toute simple. C’est que nous ne voudrions pas que vous croyiez que nous sommes, nous autres astronomes, tous des ivrognes. En fait, nous observons quelque chose qui se déplace. Par exemple, nous constatons que les lignes spectrales sont décalées dans le rouge ou dans le bleu. Si le décalage est dans le rouge, c’est que cela s’éloigne de nous. Si le décalage est dans le bleu, cela s’approche de nous. Nous pouvons donc lire dans la lumière ce qu’il en est du déplacement. Et c’est là le point décisif : les grandes masses ne peuvent être déplacées que par gravitation, autrement dit, lorsqu’une d’entre elles est déplacée, seule une autre masse peut être la cause de son mouvement. En conséquence de quoi, nous examinons tous les cas de figures possibles de la vitesse, par exemple la vitesse de rotation circulaire des galaxies. Elles tournent trop vite, si l’on considère la seule masse visible présente. Il doit donc y avoir une masse invisible qui accélère leur rotation. Le meilleur exemple d’un tel raisonnement reste la découverte de la planète Neptune. On la découvrit, parce qu’Uranus, si elle avait vraiment été la dernière planète du système solaire, n’aurait jamais pu se mouvoir comme elle le fait. On sut dès lors que quelque chose d’autre devait exister plus loin, au-dehors. Sinon tout aurait été autrement.
Gaßner :
En pratique, il s’agit toujours d’investir sa confiance dans quelque chose qui fonctionne bien, et puis de l’appliquer à de l’inexpliqué, afin de
Le Big Bang, le cosmos et la vie
344
fournir au moins un début d’explication. Nous ne sommes pas capables pour le moment d’expliquer ce qu’est la matière noire. Mais qu’elle soit bel et bien là, et qu’elle agisse effectivement en accélérant la matière visible que, elle, au moins, nous connaissons bien, nous en sommes profondément persuadés. Lesch :
C’est que nous sommes justement coupables d’être extrêmement persuasifs. Ainsi, nous avons fait un premier pas, comme Ptolémée et ses épicycles. Et ce qui nous manque encore maintenant, c’est une sorte de Newton ou d’Einstein – ou une femme aussi – qui nous expliquerait de quoi est proprement formée la matière noire. C’est selon moi, le problème le plus grand. Nous aurions besoin de quelqu’un qui, pour nous, fasse la lumière dans l’océan sombre de la matière noire et de l’énergie noire.
Gaßner :
Bêtement, les galaxies les plus vieilles – issues de l’époque de la plus importante naissance d’étoiles, entre environ 2,5 jusqu’à 7 milliards d’années après le Big Bang – indiquent des anomalies sensiblement moins étendues dans leurs rotations. La cause pourrait en être le gaz contenu dans les galaxies, qui depuis, se serait contracté pour former un noyau compact de matière visible, alors que la matière noire serait quant à elle, répartie plus largement. Sans interagir électromagnétiquement et ne possédant pas, de ce fait, de mécanisme de refroidissement effectif, elle collapserait ainsi beaucoup plus difficilement. De plus, une grande partie de la dynamique des galaxies de cette période pourrait avoir été contenue dans les turbulences alors beaucoup plus actives du disque gazeux, Comme on le voit, il existe nombre d’observations – mais une idée qui embrasse l’ensemble manque encore. Le physicien hongrois Albert de Szent-Györgyi a formulé ceci on ne peut plus clairement : « on fait une découverte, lorsque l’on observe ce que tout le monde observe aussi, et ce faisant, l’on pense à quelque chose à laquelle personne n’avait encore pensé. » 5.12
Et après ?
345
Lesch :
Nous les astronomes, nous sommes seulement ceux qui observent, et à ce titre, nous sommes dépendants de la lumière que le ciel nous offre, et nous devons la « lire » de quelque façon, en la décomposant.
Gaßner :
Mais lorsqu’il s’agit de la matière noire, même parler humblement d’observation ne convient pas. Nous observons des irrégularités. Et ces irrégularités nous les amalgamons avec la théorie et concluons alors qu’il doit exister une masse supplémentaire invisible, afin que la théorie et les irrégularités observées, prises ensemble, aient à nouveau un sens.
5.13 Le Bullet-Cluster ou amas de la balle (1E 0657– 558) à 3,35 milliards d’années-lumière de distance. L’ensemble de galaxies à droite, dont la forme de projectile balistique donne son nom à l’amas global, a traversé il y a 100 millions d’années l’ensemble à gauche. Si l’on ajoute les enregistrements pris dans différentes longueurs d’onde aux calculs de la matière noire (en bleu) que nous fournissent les lentilles gravitationnelles, on obtient alors ceci : la matière noire suit sans être freinée le mouvement des galaxies, alors que la matière baryonique (visible) est, quant à elle, retenue lors de son passage par l’interaction électromagnétique avec le gaz intergalactique. Les photographies des galaxies dans la gamme visible ont été effectuées grâce aux télescopes Magellan et Hubble. La couleur rouge provient des enregistrements en rayons X fournis par le télescope Chandra.
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
Notre observation est imprégnée de théorie, et là, nous devons être très prudents. Lesch :
Chaque expérimentation, chaque observation est véritablement imbibée de théorie. Et chaque théorie également en appelle à un phénomène ou un autre, comme fait initiateur de son propre développement. Les choses sont donc très intriquées. Lorsque nous faisons aujourd’hui de la science, il ne nous est justement plus possible de parler simplement de cause de l’effet, comme d’une relation d’un point à un autre. Bien plutôt, nous avons affaire à tout un champ de problèmes et donc aussi à tout un réseau d’arguments – en cosmologie, cela vaut non seulement pour les très gros objets, mais aussi pour les plus petits. Ce réseau est constitué par un ensemble de conditions se soutenant mutuellement les unes les autres. Toujours selon la structure logique : si ceci, alors cela… si ceci et ceci, alors forcément cela. Il en sort toujours la même chose, et le nombre des conditions est toujours plus grand. Il en va également de même avec la matière noire. Le mouvement de la matière visible, nous le « lisons » à l’aide de la lumière. Et nous supposons automatiquement que les mécanismes de production du rayonnement lumineux sont les mêmes partout dans l’univers. Tous les atomes produisent de la lumière de la même façon que celle que nous observons en laboratoire. Cela nous le traduisons comme un état de mouvement. Et de cet état de mouvement, nous constatons précisément des irrégularités, à propos desquelles nous pouvons dire, les yeux plein d’émerveillement : Oh ! les choses se meuvent bien trop vite !
Gaßner :
Mais nous orientons tout de même nos efforts vers une possible observation directe.
Lesch :
Tu penses probablement à l’expérimentation du CRESST ? Elle a lieu depuis 1999, sous le massif montagneux du Gran Sasso, à l’abri des influences extérieures. L’idée est on ne peut plus simple : même si nous ne savons pas comment une particule de matière noire agit précisément, elle doit bien sous une forme ou une autre, laisser derrière elle une trace énergétique lorsqu’elle entre en collision avec quelque chose. Si cette collision se produit dans une sorte de grille formée de cristaux en réseau, alors une force de réaction doit être mesurable. Tout l’art de la chose
Et après ?
347
consiste à amplifier suffisamment cette minuscule portion d’énergie, de telle manière qu’elle puisse émerger distinctement du bruit de fond. Gaßner :
Lesch :
Ici entrent en jeux les calorimètres de basses températures. CRESST est l’acronyme de Cryogenic Rare Event Search with Superconduction Thermometers. Si l’on place un de ces « thermomètres » extrêmement proche de la frontière entre une phase normale et une phase de supraconduction, la moindre élévation de température conduit à un grand effet de mesure. De la sorte nous pourrions mettre en évidence les collisions produites par la matière noire. Sur notre orbite autour du soleil, nous devrions être en mesure d’observer, d’ici à un an, les variations de ces collisions potentielles avec la matière noire.
Gaßner :
Mais cela ne marche pas encore. On doit véritablement faire diablement attention avec ces observations d’une extrême sensibilité, et ceci même lorsque qu’on est situé à l’abri des influences extérieures sous un massif montagneux. Par exemple, les données d’il y a quelques mois montrèrent une corrélation évidente avec les rythmes des saisons, et beaucoup pensèrent alors qu’ils avaient trouvé quelque chose. Mais ce qu’on avait réellement mesuré, ce fut une variation saisonnière du flux du rayonnement cosmique dans l’atmosphère, parce que, en hiver, l’air est en moyenne plus sec qu’en été.
Lesch :
C’est incroyable la manière dont les mesures sont effectuées de nos jours et tout ce à quoi sont confrontés nos collègues. Jusqu’ici, nous ne possédons que des informations indirectes en ce qui concerne ces fameuses irrégularités. On marmonne alors : ha, si ceci, ou ceci, alors cela. En fait, on aurait vraiment bien besoin d’un peu de matière noire. Et voilà que celle-ci, pour couronner le tout, serait peut-être constituée de particules que nous n’avons pas encore découvertes.
Gaßner :
Procédant de la sorte, nous construisons à partir de deux irrégularités une irrégularité unique plus grosse encore.
Lesch :
Et ce n’est pas tout. On décida alors : construisons un accélérateur encore plus gros. On espéra avec lui découvrir autant de particules nouvelles que possible. Et peut-être, parmi elles, les particules de la matière noire. Sensationnel. Et dans cette physique du plus improbable, du plus petit,
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
et peut-être aussi celle des débuts de l’univers, on a vraiment fait de nouvelles découvertes. En particulier, cette fameuse particule de Higgs. Cela n’a bien sûr rien à voir avec la matière noire. Mais à propos, est-ce que les chasseurs de particules du Large Hadron Collider en Suisse, l’ont vraiment définitivement trouvée ? Il y en a encore qui doutent profondément.
Et après ?
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5.3 Le Large Hadron Collider Beaucoup de bruit pour un Higgs
5.14 Le Large Hadron Collider (Suisse/France) a été construit dans le tunnel de l’accélérateur de particule précédent, le LEP, alors devenu obsolète, à une profondeur variant entre 50 mètres (à gauche dans la direction du lac de Genève) et 175 mètres (à droite sous le Jura). Dans un cercle d’au total 26 659 mètres de long, on fait entrer en collision à quatre endroits définis des faisceaux de protons d’une énergie maximale de 7 Te V circulant en sens contraire. Les particules ainsi produites par le choc sont analysées par les détecteurs ATLAS, ALICE, CMS et LHCb (dans le sens des aiguilles d’une montre à partir de 1 heure dans l’image ci-dessus) et également par les détecteurs plus petits LHCf et TOTEM. Gaßner :
Avant que nous puissions présenter avec assurance ce boson de Higgs dans notre vitrine des particules élémentaires, il nous reste encore à faire une paire de tests. Tout d’abord l’interactivité dudit boson avec d’autres particules dont la masse en dépend. La décroissance radioactive des paires lourdes particules-antiparticules devrait ainsi se produire plus souvent qu’avec des paires plus légères. Le point le plus intéressant concerne la probabilité avec laquelle la particule nouvelle se désintègre en quarks ou en Tau-Lepton. Si ces occurrences devaient effectivement révéler une corrélation avec la masse des particules, comme le prédisent les calculs théoriques, alors cela devrait persuader même les adversaires
Le Big Bang, le cosmos et la vie
350
les plus sceptiques de cette théorie. Ce qui, au contraire, ne fait plus désormais l’objet d’aucun débat, c’est le fait que l’on ait bel et bien capturé une nouvelle particule dans les filets du LHC, bien qu’en fin de compte, on ne puisse, là aussi, parler que d’une observation probabiliste. Lesch :
C’est toujours ça. Et actuellement, où en sommes-nous ? De quel ordre de grandeur est cette probabilité ?
Gaßner :
Pour le dire d’une façon technique, nous avons désormais atteint les six Sigma. Lors de la conférence de presse légendaire du 4 juillet 2012, on en était encore à cinq Sigma. Le risque qu’il s’agisse d’un écart statistique était alors inférieur à 0,00003 pour cent. Même obtenir huit six consécutifs au lancer d’un dé est encore deux fois plus probable. Si tu as déjà joué aux petits-chevaux dans ta vie, alors tu sais bien que cela n’est pas si facile.
5.15 L’écart standard σ (Sigma) fournit, en statistique, une échelle pour la dispersion des valeurs que peut prendre une variable aléatoire autour de la valeur attendue μ. Intervalle
Essais statistiques conformes aux valeurs attendues
Exceptions statistiques en dehors des valeurs attendues
μ±σ
68,3 %
1/3
μ ± 2σ
95,4 %
1 / 22
μ ± 3σ
99,7 %
1 / 370
μ ± 4σ
99,994 %
1 / 15 787
μ ± 5σ
99,99994 %
1 / 1 744 278
μ ± 6σ
99,9999998 %
1 / 506 797 346
Et après ?
351
Lesch :
Cela dépend aussi du dé. Si je trafique le dé, cela marche toujours. Mais au LHC, on ne trafique pas, on observe bien plutôt attentivement la nature.
Gaßner :
On pourrait cependant parler d’un appareillage préparé de manière tout à fait exotique. À l’intérieur de l’accélérateur de particules de 27 kilomètres de long se trouve le vide le plus parfait de tout le système solaire. Même l’atmosphère de la Lune, en comparaison, est 10 fois plus dense. Ainsi les projectiles ils peuvent se propager sans résistance jusqu’à leur collision. Incroyable !
Lechs :
Et à ce propos. Combien de collisions sont-elles ainsi générées ?
Gassner :
Jusqu’ici 600 millions par seconde. Dans le jargon technique, au lieu de parler de collisions par seconde et par surface, on utilise le terme de luminosité. Elle constitue à côté de la quasi-inconcevable énergie de collision, le deuxième paramètre le plus important d’un accélérateur de particules. En effet, les hautes énergies offrent la possibilité de générer des particules de masse plus élevée, conformément à la formule E = mc2, mais seule une luminosité élevée autorise de bonnes statistiques. Au LHC, les deux critères seront constamment améliorés par plusieurs phases de constructions encore à venir. On espère ainsi encore augmenter la luminosité par quatre, jusqu’à 2020, ce qui devrait donner à l’accélérateur le nouveau nom de High Luminosity Large Hadron Collider. Il existe même au fond d’un tiroir des plans déjà prêts pour un High Energy Large Hadron Collider avec une énergie de 33 TeV. Nous verrons bien. Les caisses de l’État sont vides et le débit actuel de données de 15 pétabytes par an (15 million de gigabytes) est d’ores et déjà à peine gérable. Le LHC génère en données, chaque seconde ou peu s’en faut, l’équivalent d’un CD et les envoie à travers un réseau répandu sur tout le globe, afin qu’elles soient analysées et stockées, le fameux LHC Computing Grid. Son débit est à couper le souffle. À l’intérieur de ce réseau, le déchargement d’un film de deux heures durerait à peine quelques minutes. Je suis impatient de savoir comment ce réseau lui aussi se développera. Même pour le détecteur précédent au CERN, le Large Electron-Positron Collider, le physicien Tim Berners-Lee a développé un réseau, il y a 23 ans maintenant. On l’appelle aujourd’hui l’Internet ou le
352
Le Big Bang, le cosmos et la vie
World Wide Web et notre vie quotidienne est devenue à peine pensable sans celui-ci. Lesch :
Il est fascinant de constater qu’une telle révolution technique est pratiquement apparue comme produit secondaire, et fut alors mise à la disposition de l’humanité gratuitement.
Gaßner :
Avec les accélérateurs de particules nous ne sommes jamais à l’abri d’une surprise ou d’une autre, et ce, de tous les points de vue. Et c’est justement pour cela qu’ils sont en service : ils nous réservent des millions de surprises potentielles par seconde.
Lesch :
Et l’énergie de chaque collision correspond à une température 100 000 fois supérieure à celle qui règne au centre de notre soleil. Là, je suis vraiment refait ! Mais d’où nous vient toute cette incroyable énergie ?
Gaßner :
Les projectiles sont chargés électriquement, c’est pourquoi ils se laissent accélérer électromagnétiquement. Ce procédé est en principe extrêmement efficace, compte tenu de la masse réduite des protons. Et c’est justement parce qu’ils sont proportionnellement légers, que l’on doit les propulser jusqu’à 10 km/h en deçà de la vitesse de la lumière. C’est alors seulement que leur énergie totale, constituée de la masse au repos et de leur énergie cinétique atteint une valeur assez élevée pour générer les particules que nous recherchons. Chaque proton particulier porte en lui l’énergie d’un moustique. Cela semble bien peu, mais dans l’accélérateur, ce sont 2 808 paquets qui se déplacent, chacun d’eux comportant 100 milliards de protons, ce qui dans l’ensemble correspond à l’énergie d’un train de marchandise moyen se déplaçant à la vitesse de 150 km/h. C’est la raison pour laquelle il existe à l’intérieur de l’accélérateur un tunnel d’échappement, équipé d’un bloc de plaques de graphite, servant d’amortisseur de choc, au cas où le faisceau énergétique deviendrait incontrôlable. Dans ce cas précis, il serait dévié de sa trajectoire originaire en l’espace de trois passages giratoires, ce qui, à une vitesse avoisinant celle de la lumière, correspondrait à seulement quelques fragments d’une milliseconde.
Lesch :
Un centième du battement d’un cil.
Et après ?
353
Gaßner :
Ces mesures de sécurité sont assurément nécessaires. À peine neuf jours après le début des expériences, il s’est en effet produit un incident. Une soudure reliant deux aimants ne résista pas et l’arc électrique qui en résulta, perça les réservoirs et les conduites, libérant ainsi des tonnes d’hélium. Aussi, la grandeur de l’accélérateur constitue-t-elle aussi bien son talon d’Achille. Les phases lunaires par exemple, occasionnent une élévation et un enfoncement de la croûte terrestre de 25 cm, ce qui cause à son tour une variation de longueur de l’accélérateur d’un millimètre. L’influence des saisons doit également être corrigée. Au printemps, ce sont de grandes quantités d’eau provenant de la fonte des neiges du Jura qui coulent dans le lac de Genève tout proche. Cela conduit à une modification sensible des forces qui agissent sur le LHC.
Lesch :
Tout cela me semble fort ressembler à l’entreprise suivante : à New York et à Berlin quelqu’un tire au fusil en même temps un projectile gros comme une aiguille et ceux-ci doivent se rencontrer quelque part au-dessus de l’Atlantique.
Gaßner :
Les tubes contenant les protons semblent être relativement gros avec cinq centimètres de diamètre, mais le faisceau de trois millimètres sur un millimètre en coupe est concentré à l’intérieur : on ne peut en effet se permettre le moindre écart.
Lesch :
Pourquoi a-t-on besoin d’un aimant supraconducteur ? Cela rend en effet la chose extrêmement compliquée et coûteuse.
Gaßner :
L’énergie qui doit être atteinte par un accélérateur se laisse calculer avec une bonne approximation de la manière suivante : le produit de la charge du projectile par la vitesse de la lumière, multiplié par l’intensité du flux magnétique et par le rayon du cercle formant l’accélérateur. Des spires conventionnelles nécessiteraient un cercle de 120 km de long afin de courber suffisamment la trajectoire des protons pour les énergies considérées. Avec les 27 kilomètres du LHC, on a besoin pour une énergie de 7 TeV d’un flux magnétique d’une intensité de 8,33 teslas. À cette fin, on fait circuler 11 700 ampères à travers les spires. De plus, les protons au cours de leur trajectoire perdent constamment de l’énergie en raison du rayonnement synchrotron, comme on l’appelle, lequel apparaît toujours, lorsque des charges sont contraintes à adopter une trajectoire courbe.
354
Le Big Bang, le cosmos et la vie
Lesch :
C’est fou ! 104 ampères, cela correspond à l’ordre de grandeur d’un éclair.
Gaßner :
Et c’est là que se cache la réponse à ta question : des spires conventionnelles chaufferaient et s’enflammeraient, en raison de leur résistance. On a fait, il est vrai de manière effrénée, beaucoup de recherches sur les matériaux supraconducteurs à hautes températures, mais jusqu’ici, la céramique constitue un matériau trop rigide pour un conducteur flexible. C’est pourquoi nous n’avons pour le moment à notre disposition que des supraconducteurs à températures basses, en Niob-Titan. Et le prix à payer est celui du système de refroidissement extrême de milliers d’aimants spéciaux, à la température de 1,9 kelvins, laquelle constitue la température minimale absolument nécessaire afin que le matériau atteigne la supraconductivité. Cela nécessite deux à trois semaines de travail, 10 000 tonnes d’azote liquide. À 40 euros le kilo.
Lesch :
Cela n’est pas donné, en effet. Je suis encore impressionné par la puissance du courant dans les spires. Quelle est au juste la consommation d’électricité pour l’ensemble de l’installation ?
Gaßner :
Une fois activé, l’accélérateur engloutit, pour ainsi dire, 120 mégawatts et lorsque les expérimentations sont en cours, environ 22 mégawatts supplémentaires. C’est pourquoi on l’éteint pendant les mois d’hiver et on l’utilise en été, afin de profiter des prix plus économiques du courant électrique. Ceci dit, même pendant la période hivernale, 35 mégawatts restent nécessaires, le système de refroidissement consommant 27,5 mégawatts à lui seul.
Lesch :
Le LHC constitue vraiment une machine des extrêmes : d’un côté des aimants qui doivent être refroidis quasiment à zéro degrés absolus, et de l’autre, à quelques mètres de distance seulement, des collisions à des températures follement élevées, qui n’existent sinon qu’à de très rares autres endroits de l’univers, dans des objets cosmiques bien particuliers.
Gaßner :
Puisque que nous en sommes arrivés au thème des températures extrêmes, il est clair que le point le plus chaud dans l’univers fut naturellement le Big Bang. Mais où se trouve donc l’endroit le plus froid ?
Et après ?
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5.16 : Représentation schématique d’un 1 232 dipôle magnétique de l’accélérateur. À l’intérieur du segment long de 14,3 m, on reconnaît les deux trajectoires opposées de 5 cm de diamètre, dans lesquelles 2 808 paquets de protons de chacun 110 milliards de particules, 11 245 fois par seconde accomplissent un tour complet. Les aimants les entourant produisent grâce à leur force électrique de 11 700 ampères une densité de champ de 8,33 teslas.
Lesch :
Tu veux dire, un phénomène naturel plus froid que le fond de rayonnement cosmique de 2,7 kelvins ? Et est-ce qu’une telle chose existe au juste ?
Gaßner :
Sans aucune autre sorte d’intervention, bien sûr que non. Pour que la température de la matière, laquelle baigne en fait dans un bain de photons, puisse tomber en deçà de la température des photons euxmêmes, il est nécessaire d’effectuer un travail, un travail pareil à celui que produit par exemple un gaz en expansion. La nébuleuse du Boomerang, à quelques 5 000 années-lumière de nous, est l’actuelle détentrice du record en la matière – si je puis dire. Son envergure de presque une année-lumière augmente en raison du vent stellaire produit par son étoile centrale, à une vitesse de 600 000 kilomètres par heure. L’extrême expansion refroidit les molécules à la température d’un degré Kelvin.
Lesch :
Pour le coup, c’est froid !
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
5.17 : La nébuleuse du Boomerang, à 5 000 années-lumière dans la direction de la constellation du Centaure. Les clichés du télescope spatial Hubble furent pris avec différents filtres de polarisation, d’où leurs colorations correspondantes.
Et après ?
357
Lesch :
Il s’agit donc de la place la plus froide que nous connaissons. Encore que le LHC a une température qui lui est supérieure de seulement un degré. Oui, revenons au LHC. Où y a-t-on exactement détecté le boson de Higgs ?
Gaßner :
Deux modules se partagent cette tâche : ATLAS (A Toroidal Lhc ApparatuS) et CMS (Compact Muon Solenoid). Les deux cherchent séparément chacun de leur côté, le plus indépendamment possible, afin que nous soyons en mesure de détecter une éventuelle erreur dans le système. Atlas à lui seul pèse l’équivalent de 100 jumbo-jets. CMS est plus compact par sa construction, comme le dit déjà le C dans son nom, il nécessite des aimants magnétiques plus puissants, ce qui lui confère un poids encore supérieur.
Lesch :
Quelle entreprise extraordinaire ! Des milliers de scientifiques venant de tous les pays qui se mettent à la recherche d’une particule élémentaire.
Gaßner :
Lesch :
Je me réjouis vraiment pour Peter Higgs qu’on l’ait trouvée. Après la conférence de presse, il avait la larme à l’œil. Cela le rend encore plus sympathique à mes yeux. Lors d’une visite au LHC, il nous a raconté comment sa publication sur le mécanisme de Higgs – longue seulement d’une page et demie et comportant seulement quatre équations – fut d’abord refusée par les revues. Elle leur parut trop excentrique. Cela ne l’a alors pas blessé davantage, lui qui se dénomme lui-même « physicien des forêts et des champs ». Toute l’assemblée a ri de bon cœur. Dans une de ses lettres à un de ses collègues, il écrivit en 1964 : « Cet été, j’ai découvert quelque chose de complètement inutile. » Même un Werner Heisenberg, rien de moins, est censé avoir qualifié le champ de Higgs de juste bon pour la poubelle. En 2013, le comité Nobel a considéré la chose différemment. Ensemble avec François Englert, il fut récompensé et alors une véritable vague
5.18 Peter Ware Higgs (né en 1929)
5.19 François Englert (né en 1932)
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
d’enthousiasme déferla, une comme je n’en ai jamais connue à propos de la découverte de particule élémentaire. Gaßner :
Pour les non-initiés, cet enthousiasme autour du boson de Higgs est probablement difficilement compréhensible : « Ça y est, ils ont encore trouvé un nouveau truc. » La grande motivation cachée derrière tous ces problèmes de physique théorique provient du fait que depuis plus de cinquante ans, notre image scientifique du monde bat sérieusement de l’aile. Notre modèle qualifié de standard, jusqu’ici si performant, s’est mis brusquement à livrer, pour les processus concernant les particules élémentaires possédant une masse, des pronostics contradictoires, atteignant des probabilités supérieures à 100 pour cent, et même pour certaines d’entre elles, allant jusqu’à l’infini. Même notre vache sacrée – la symétrie de jauge comme on l’appelle – ne fut plus respectée.
Lesch :
Les symétries de jauge constituent un des objets des plus intéressants, également d’un point de vue philosophique. On les reconnaît dans nos équations, mais existent-elles réellement dans notre monde ou seulement sur le papier ?
Gaßner :
Je crois qu’il est temps désormais d’en venir au modèle standard, sinon personne, ou presque, ne sera en mesure de comprendre ce que nous entendons par « symétrie ».
Lesch :
Je ne crois pas que l’on puisse éclairer ce que sont les symétries de jauge, sans jeter un regard profond dans la mathématique. Et même arrivé là, cela reste assez difficile. Lorsqu’on fait de l’égyptologie, on parvient également au point où il faut bien se mettre à déchiffrer les hiéroglyphes. Comprendre ce que sont des symétries de jauges, c’est un peu comme s’il fallait comprendre les hiéroglyphes des mathématiques. Évidemment, cela ne nous aide guère.
Gaßner :
Comme tu es drôle, Harald ! Nous ne pouvons tout de même pas nous dérober à nos lecteurs et à la page trois cent et quelque chose, déclarer comme ça, qu’à partir de maintenant, il faut être physicien, qui plus est expert en physique théorique, pour nous suivre. Ou alors, il aurait fallu le dire plus tôt. Je reste pour ma part persuadé que chaque scientifique doit être capable d’éclairer ses pensées de telle sorte, qu’elles puissent
Et après ?
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dans les grandes lignes, être comprises par des non-scientifiques intéressés. Lesch :
Bon, je suis bien curieux de savoir comment tu vas t’y prendre pour expliquer aux néophytes, même en gros, ce qu’est une symétrie de jauge !
Gaßner :
Je vais bien sûr avoir besoin de ton aide. C’est à nouveau un Écossais qui est au départ de cette histoire à succès. James Clerk Maxwell avait unifié entre 1861 et 1864 l’électricité et le magnétisme dans une unique théorie, la première théorie des champs. Alors, le monde de la physique semblait encore être ordonné : une charge électrique produit une force, et, au moyen de quatre équations différentielles 55.20 20 James Clerk Maxwell partielles de premier ordre, on pouvait (1831 – 1879) décrire complètement l’électromagnétisme de manière satisfaisante. Encore qu’il nous faille ajouter que Maxwell n’a jamais vu les équations qui portent son nom sous la forme extrêmement compacte que nous utilisons pour les écrire aujourd’hui. Ce formalisme mathématique élégant a son importance, car on lui doit la mise à jour de termes dans les équations, qui de tout évidence, peuvent être définis de façon libre, sans que le résultat final en soit affecté. Simplifié à l’extrême, cela serait un peu comparable avec une expression de la forme suivante X + (0 ∙ Y). Là aussi, le Y que je choisis ne joue aucun rôle. Le potentiel électrique fournit un exemple pratique de choix. L’important, c’est toujours la différence entre deux potentiels. Peu importe quelle valeur je leur ajoute, elle disparaît toujours par soustraction. Les moineaux sur les toits ou, encore mieux, sur les lignes à haute tension chantent cette liberté de jauge, sans laquelle ils ne pourraient en aucun cas se poser sur celles-ci sans dommage. Il existe donc des transformations mathématiques qui n’affectent pas durablement un processus ou une chose ; et c’est précisément celles-ci que l’on nomme symétries. En jargon de physicien, cela donne « les équations de Maxwell sont par transformation de jauge invariantes », ou encore « elles possèdent une symétrie de jauge ».
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
Lesch :
Bon. Très bien ! Un objet est dit symétrique lorsqu’on peut l’affecter en quelque manière par un quelconque processus, lequel une fois accompli, n’a en rien modifié l’objet. S’il en est vraiment ainsi, pourquoi ne pas laisser les choses comme elles sont au départ ?
Gaßner :
Il se peut bien que cela ressemble à un exercice de style mathématique, mais cela a bel et bien des conséquences d’une large ampleur. Déjà il y a cent ans, la mathématicienne allemande Emmy Noether démontra que des symétries continues sont nécessairement liées à la conservation de grandeurs. La loi de conservation de l’énergie par exemple, se caractérise en cela que l’on 21 Emm Emmy Noether peut choisir librement le moment auquel 55.21 (1882 – 1935) l’expérience commence. Que tu lâches un pendule aujourd’hui ou demain, il aura toujours le même mouvement de va-et-vient. Existerait-il des pendules du dimanche – c’est-à-dire des pendules qui après une dure semaine de travail faibliraient quelque peu – alors le principe de conservation de l’énergie ne serait effectivement point respecté. C’est la même chose en ce qui concerne le lieu de l’expérimentation. Si on est libre quant au choix du lieu, alors la loi de conservation de la quantité de mouvement s’applique pour les processus physiques – ou comme on le dit si élégamment dans le jargon des physiciens : « le processus est symétrique par translation ». Le raisonnement est également similaire, lorsqu’on déduit de l’invariance de la rotation, la conservation du moment angulaire, et ainsi de suite.
Lesch : Gaßner :
Chapeau, c’est génial ! Emmy Noether fut de bien des manières une personnalité impressionnante. En 1900, il était encore interdit aux femmes d’étudier les mathématiques. Elle ne renonça pas, et en raison de ses aptitudes exceptionnelles, elle fut finalement tolérée comme auditrice libre. Plus tard, elle devait devenir la première femme à obtenir l’habilitation. Une affectation à une place d’enseignante en Allemagne lui resta interdite jusqu’à la fin de ses jours, en dépit de ses énormes mérites. Résigné, le
Et après ?
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mathématicien David Hilbert remarqua à ce sujet : « Je ne vois vraiment pas pourquoi le sexe d’un postulant devrait être décisif pour sa nomination comme maître de conférences. Nous appartenons ici à une Université et non aux bains publics. » Lesch :
Albert Einstein écrivit quelques semaines après la mort d’Emmy Noether les mots suivants : « Mademoiselle Noether fut le génie le plus remarquable et créatif des mathématiques depuis l’instauration d’un haut niveau d’instruction pour les femmes. »
Gaßner :
Pour que nous ne nous perdions pas parmi les anecdotes, je récapitule : on ne doit pas comprendre les symétries dans le sens géométrique habituel, mais au contraire comme décrivant d’une façon générale la possibilité de transformer librement un objet ou un processus, sans en affecter en aucune sorte le résultat.
Lesch :
Mais n’aurait-ce pas été beaucoup plus intéressant que quelque chose arrivât ou même se modifiât, lorsqu’un processus quelconque entre en jeu ? Un monde complètement symétrique ne serait que pur ennui. Et que les physiciens, eux précisément, qui souhaitent toujours transformer quelque chose, se mettent subitement à la recherche de symétries, où par définition, rien ne se passe, cela m’étonne profondément. Là apparaît en pleine lumière notre grande proximité avec les très vieux philosophes grecs. Eux aussi furent à la recherche d’éléments qui ne changent pas dans le monde, ses constituants immuables. Mais qu’il doive précisément s’agir de symétries ? Voilà qui est bien déroutant en vérité !
Gaßner :
Ce qui est pour la physique avant tout pertinent, ce sont les symétries continues, c’est-à-dire les transformations que l’on peut effectuer à volonté, par petites étapes successives. L’exemple par excellence serait la rotation d’un corps symétrique, comme la sphère, autour de son axe symétrique. Les mathématiques connaissent également des symétries discrètes, dont par chance, nous ne devons pas nous occuper davantage, parce qu’elles n’apparaissent pas dans la nature. Dans le cas de la sphère, cela correspondrait à une brusque et infiniment rapide réflexion autour du plan de symétrie.
362
Le Big Bang, le cosmos et la vie
Lesch :
Avant que cela ne devienne trop abstrait, reprenons l’essentiel : chaque conservation de grandeur nécessite une symétrie continue et inversement.
Gaßner :
Et ce faisant, les physiciens, si débrouillards par ailleurs, n’ont rien fait d’autre que de poser la question de l’œuf et de la poule. Qu’est-ce qui est premier, ou pour mieux le dire, quel est le premier principe ? Ainsi, en formulant la symétrie de jauge comme principe supérieur, on pourrait bien parvenir à en dériver les équations de Maxwell. Cela pourrait bien être le grand triomphe des théories de jauge, et c’est ce qui conduisit, en 1954, Chen Ning Yang et Robert Mills à rechercher une description de la force nucléaire faible et de la force nucléaire forte, précisément à l’aide de symétries de jauge généralisées. Bien entendu, le concept de « charge » doit être ici redéfini. On parle alors de couleur de charge et de goûts des charges comme causes desdites forces en présence.
Lesch :
Le terme de couleur de charges doit son nom à ce que les trois charges neutralisent l’interaction forte, tout comme la superposition du rouge, du vert et du bleu donne la couleur neutre blanche. La théorie fondamentale de la Quantumchromodynamique (QCD) utilise cette dénomination, sans qu’elle ait de quelque façon quelque chose à voir avec les couleurs.
Gaßner :
La description de phénomènes physiques par une théorie des champs mise en relation avec des symétries de jauge sembla longtemps constituer la voie ultime. Peu importe quels défis lui furent adressés au cours du temps, elle parvint toujours à les relever avec succès. L’idée d’un monde quantique conduit nécessairement à la théorie des champs, laquelle permit d’identifier les particules responsables des interactions comme des quanta. L’introduction de la théorie de la relativité conduit ensuite à une théorie des champs relativiste. Un succès sur toute la ligne !
Lesch :
Peut-être la science aurait-elle dû s’arrêter là. Tout ce qui suivit fut en effet plus difficile.
Gaßner :
En fin de compte, les symétries de jauge furent rattrapées par leur point de départ, l’électromagnétisme, où la seule particule inter-
Et après ?
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agissante est le photon – ne possède ni masse ni charge. Les deux forces nucléaires, au contraire, sont essentiellement plus complexes. La force nucléaire forte agit entre les trois couleurs de charges et elle se transmet à l’aide de huit gluons. Comme si cela n’était déjà pas assez compliqué comme ça, les gluons portent eux-mêmes une couleur de charge et les quarks une charge électrique supplémentaire. Les particules interactives de la force nucléaire faible, les bosons W et Z, quant à eux, sont lourds : leur masse au repos est de respectivement 80 et 91 GeV. On touche ici à un point crucial. La notion de masse en particulier se révèle alors, dans les considérations théoriques, être de plus en plus bornée, alors même que l’ensemble des données mesurées attribuent on ne peut plus clairement une masse aux particules élémentaires.
Masse Charge Spin
Bosons de jauge
Leptons
Nom
5.22 Le modèle standard : en relation avec leurs spins, on différencie les fermions (colonnes I, II et III) et les bosons de jauge. L’ensemble des particules est soumis à la force nucléaire faible, laquelle est transmise par les bosons W et Z. Les particules chargées électriquement sont soumises de surcroît à l’interaction électromagnétique avec le photon comme boson de jauge. La force nucléaire forte est transmise par huit gluons et n’agit que sur les particules qui possèdent une couleur de charge (quarks et gluons). Le phénomène masse au repos émerge par le couplage au champ de Higgs.
364 Lesch :
Le Big Bang, le cosmos et la vie
Qu’entends-tu par bornée ?
Gaßner :
Dans le standard modèle, la chiralité est l’ennemi par excellence de la masse. À l’aide de cette propriété des quanta, on peut partager le monde en deux. On parle également de particules droitières ou gauchères, car cette propriété implique qu’elles tournent en se mouvant sur ellesmêmes vers la droite, dans le sens des aiguilles d’une montre, ou bien vers la gauche dans le sens contraire. Et c’est là que les choses se gâtent. Le modèle standard prévoit normalement que les particules possédant une masse changent leur direction de rotation, et ce d’autant plus souvent qu’elles sont plus lourdes. De plus, les particules gauchères se différencient des particules droitières par une caractéristique supplémentaire que l’on nomme surcharge faible et qui constitue une grandeur constante. Or, si celle-ci doit rester inchangée, alors les particules ne devraient pas du tout modifier la direction de leur rotation !
Lesch :
Une contradiction dans les termes, et habituellement, une telle contradiction signifie aussi la fin d’une théorie.
Gaßner :
Le modèle standard fut cependant si performant pour nombre de questions de détails vérifiables, qu’on ne voulut pas le jeter à la poubelle si vite. De deux choses l’une : ou bien les symétries internes n’étaient plus conservées, et avec elles les constantes qui leur sont liées, ou bien les particules devaient être dépourvues de masse, ce qui équivaut à rien de moins que de déclarer les mesures expérimentales dans leur totalité comme étant erronées ! Le modèle standard semblait entrer dans une crise sans issue. C’était sans compter avec six physiciens, Robert Brout († 5/2011), François Englert, Gerald Guralnik, Carl R. Hagen, Peter Higgs et Tom Kibble qui, indépendamment les uns des autres, évitèrent son abandon définitif. Ils publièrent une théorie audacieuse, que l’on appelle aujourd’hui le mécanisme de Higgs. Selon cette théorie chaque particule élémentaire possède de facto une masse nulle. Ainsi, elles n’ont nul besoin de modifier le sens de leur rotation et la surcharge faible reste conservée. En contrepartie, les choses devinrent un tantinet plus abstraites. Toutes ces particules élémentaires n’ont rien à voir avec la masse. C’est seulement par l’interaction avec un champ partout omniprésent, que la masse inerte apparaît, comme un effet produit en somme. Ainsi
Et après ?
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les appareils de mesure peuvent indiquer une masse inerte, alors même que les particules élémentaires en sont dépourvues. Lesch :
Mais vraiment Josef, crois-tu vraiment que, mis à part quelques physiciens spécialistes des particules, il y ait encore quelqu’un qui puisse te suivre, même grosso modo, selon ta formulation ? Même moi, bon vieux physicien des plasmas ayant, j’aurais presque envie de dire, encore les pieds sur terre, tout cela semble bien étrange. On a en théorie un problème avec un phénomène que l’on appelle masse et qui est confirmé expérimentalement des milliers de fois. Et l’on pense résoudre ce problème en déclarant spontanément les particules élémentaires comme dépourvues de masse et en convoquant en contrepartie un champ de Higgs, lequel doit donner l’impression de masse inerte ? Et finalement, des décennies plus tard, l’existence de ce champ est effectivement confirmée. Alors là vraiment, je reste sans voix.
Gaßner :
Et ce n’est pas tout ! L’idée n’était pas tout à fait neuve – dans la physique des corps solides, on sait depuis longtemps que les électrons dans un milieu particulier deviennent jusqu’à 40 fois plus pesants que dans
5.23 Vue de l’appareillage expérimental ATLAS (A Toroidal Lhc ApparatuS) pendant sa construction. Longueur 46 mètres, diagonale 25 mètres, poids 7 000 tonnes.
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
le vide. Avec le mécanisme de Higgs cependant, on a le choix entre le Diable et Belzébuth, car on doit compter avec une nouvelle rupture de symétrie, et ce précisément dans la phase jeune de l’univers, lorsque le champ de Higgs entre en scène pour la première fois. Non seulement cela ne se produit qu’une unique fois et, ce qui est encore plus important, toutes les ruptures de symétries internes au modèle standard sont pacifiquement écartées. Il s’agit d’une rupture de symétrie spontanée, expression par laquelle on veut souligner qu’il s’agit encore fondamentalement d’une symétrie, caractérisée cependant par différents états fondamentaux. Certes, après le passage dans un de ces états fondamentaux équivalents en droit, on ne voit plus la symétrie originaire dans l’ensemble du système, néanmoins elle serait à nouveau présente au-delà d’un certain niveau énergétique critique – précisément à l’endroit où les systèmes doivent se décider pour un de ces états fondamentaux. Nous avons déjà utilisé cette construction théorique en essayant de réponde à la question du « bang » du Big Bang (voir schémas 2.18 et 2.20). Alors, dans les rigoles de notre chapeau mexicain, nous avions même une infinité d’états fondamentaux possibles. Dans le monde de la finance, on caractérise ce genre de procédures du nom de bad bank. Lorsque, tout au fond du compte gestion, se cachent des « ruptures de symétries », alors on crée une nouvelle institution – une nouvelle banque – pour y déplacer le problème. Le champ de Higgs n’est au fond rien d’autre que la bad bank du modèle standard. Lesch :
Tout cela est bien beau, mais comment pour l’amour de Dieu s’y prend-on pour démontrer l’existence d’un tel champ présent partout dans l’univers ?
Gaßner :
La théorie des champs quantiques nous offre un point de départ : avec suffisamment d’énergie, on peut en quelque sorte faire osciller le champ de Higgs de telle façon, que les oscillations le dévoilent, sous la forme d’une particule : le boson de Higgs. Avec l’aide de la machine la plus grosse jamais construite de mains d’hommes, et avec le plus gros contingent de chercheurs ayant jamais participé à un projet, on a finalement bel et bien pu prouver expérimentalement l’existence du champ de Higgs. Ce fut de bien des façons un blind date. On savait déjà beaucoup de choses concernant ce champ et les particules qui interagissaient avec
Et après ?
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lui, par exemple que cela devait être neutre électromagnétiquement, posséder un spin nul, mais nous ne l’avions jamais vu. Enfin, nous nous trouvions face à face avec lui. Lesch :
Le problème, c’est que cet blind date ne dura que quelques 10 – 22 secondes. Puis la particule de Higgs s’évanouit immédiatement au lieu et place où elle était apparue.
Gaßner :
Ça, c’est du rapide ! Tout ce que nous pouvons faire, c’est alors nous mettre à la recherche de ses traces ; c’est que le farouche Higgs ne se désagrège pas sans en laisser quelques-unes. Nous avions, en effet, des prévisions théoriques qui nous permettaient d’établir quels produits résiduels doivent alors apparaître – selon leurs probabilités respectives. Et ce sont précisément ces produits résiduels que nous avons recherchés. En faisant se collisionner des protons avec des protons, nous produisons un véritable zoo de particules de tous genres. Les protons sont des particules constituées de trois quarks et d’une multitude de gluons. Cela nous offre une combinaison élevée de collisions possibles et autant de données à analyser. Le niveau énergétique de sortie n’est pas, lui non plus, fixé précisément, car lors du choc de particules d’un proton avec les particules d’autres protons, les parties en présence ne jouissent pas de l’énergie totale du proton. Cela constitue un défi supplémentaire à la statistique. Il nous aurait été de loin préférable, de faire se collisionner des quarks avec des quarks, mais cela n’est malheureusement pas possible, car les quarks n’existent que groupés.
Lesch :
Des quarks tirés sur des quarks. Çà, nous deux ne risquons pas de le voir de notre vivant.
Gaßner :
Une autre possibilité qui s’offrirait à nous consisterait à utiliser des électrons et des positrons comme projectiles, ce qui fut pratiqué avec le prédécesseur du LHC. Pour un accélérateur de ce genre, l’International Linear Collider (ILC) au Japon, il existe à tout le moins des plans. Malencontreusement, le rayonnement synchrotron augmente à la puissance quatre pour un accélérateur circulaire de particules légères, ce qui donne pour un électron (environ 1/2 000 de la masse du proton) un facteur de 20 004. C’est la raison pour laquelle il devrait alors s’agir d’un accélérateur linéaire, d’une ligne droite, en fait, d’au moins 31 kilomètres. Une
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
énergie de collision allant d’un demi jusqu’à un téravolt devrait alors suffire, pour mesurer avec beaucoup plus de précision la découverte faite au LHC. Mais la réalisation du projet « coince » encore, en raison de son coût. Lesch :
Pour moi, la fin du possible en la matière a été atteinte avec le LHC, du moins en ce qui concerne l’aspect financier.
Gaßner :
Quatre milliards de francs suisses, ce n’est assurément pas rien. Et je ne compte pas les innombrables heures de travail des chercheurs ayant pris activement partie au projet. Leurs coûts sont répartis sur 20 nationalités différentes, mais les Allemands en sont les principaux bailleurs de fonds, avec 20 pour cent du financement. Cette question du financement des accélérateurs revient régulièrement avec chaque nouvelle génération. Il me vient à l’esprit l’histoire de Robert Wilson, qui en 1969, devant le Congrès américain, devait alors plaider pour la construction du plus gros accélérateur de l’époque : Fermilab. La guerre du Vietnam avait laissé des trous profonds dans les comptes de l’État, et à l’époque, 250 millions de dollars américains représentaient beaucoup d’argent. De cette rencontre résulta un dialogue des plus remarquables entre le sénateur John Pastore et Wilson :
Pastore :
Est-ce que cet accélérateur fournira en quelque manière un soutien pour la sécurité nationale ?
Wilson :
Non Monsieur, je ne le pense pas.
Pastore :
Rien du tout ?
Wilson :
Rien du tout.
Pastore :
Il n’aura aucune valeur pour notre défense, rien qui puisse nous donner quelque avantage sur les Russes ?
Wilson :
Sa valeur a quelque chose à voir avec nous, les hommes, avec notre culture. Il en va de l’élargissement de nos connaissances, que nous respectons et sur lesquelles nous veillons. C’est pourquoi cela n’a aucun lien direct avec la défense de notre pays, si ce n’est que cela lui confère en partie une raison de plus d’être défendu.
Lesch :
Bravo ! Et je présume que le budget fut voté.
Et après ? Gaßner :
Lesch :
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Et oui, dans sa totalité. Un tel accélérateur de particules est vraiment très intéressant. Lors de mes études, j’ai longtemps cru que quelque chose devait réellement collisionner avec autre chose, afin que nous puissions voir ses composants. Et que parmi les milliers de débris, nous devrions trouver finalement ce que nous cherchions. Oui, et alors ? Cela semble plausible, n’est-ce pas ?
Gaßner :
En vérité, le boson de Higgs n’est nullement contenu dans les particules que nous faisons collisionner au LHC ! Ce n’est pas comme si nous cassions des noix de coco les unes avec les autres, pour accéder au lait présent à l’intérieur. Grâce à la collision, c’est seulement l’énergie nécessaire qui est produite. Et de cette énergie émerge alors quelque chose.
Lesch :
Comme avec les fluctuations quantiques que nous avons abordées lors du Big Bang.
Gaßner :
Nous n’atteignons malheureusement pas l’énergie du Big Bang au LHC, et j’appellerais plutôt cela un « Small Bang ». Reste que dans ce tohubohu, apparaissent toutes sortes de choses, tout ce qui peut se confectionner avec une paire de terra-électronvolts.
Lesch :
Même des trous noirs ?
Gaßner :
Merci de me tendre la perche, la question devait être posée. Oui, théoriquement, les trous noirs peuvent apparaître. Mais ceux qui ont suivi attentivement peuvent répondre eux-mêmes à la question de savoir si ces objets représentent un quelconque danger.
Lesch :
C’est juste ! Deux protons entrent en collision l’un avec l’autre, avec comme énergie quelques téravolts. Cela fournirait l’énergie nécessaire à la masse d’une paire de milliers de bombes à hydrogène. Mais le tout ne peut devenir un trou noir que si cela est contenu dans un espace follement minuscule, voyez l’ère de Planck.
Gaßner :
Le terme de « trou noir » fait tout de suite penser aux trous noirs stellaires ou même galactiques. Le danger provenant de tels objets est lié à leurs immenses masses. Des trous noirs microscopiques sont en conséquence légers et inoffensifs.
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
Lesch :
Par comparaison, les particules cosmiques hautement énergétiques, appelées UHECR (ultra-high energy cosmic rays) libèrent par collision avec notre atmosphère beaucoup plus d’énergie. Là aussi, il n’est encore apparu aucun trou noir, à tout le moins aucun qui nous aurait avalé. Reste que ce genre de propos réapparaît lors de la construction de chaque nouvel accélérateur. Cela a probablement plus à voir avec le marketing publicitaire qu’avec la recherche. Les UHECR, quant à elles, n’inquiètent en vérité personne.
Gaßner :
Revenons à notre véritable préoccupation, le boson de Higgs. Lors des réactions énergétiques qui ont lieu lors d’un Small Bang, on recherche d’abord quelque chose, qui lors de la collision produit un quark, à partir duquel un nouveau proton apparaît, par combinaison avec un autre quark provenant d’un autre proton. Ce quelque chose sera systématiquement filtré toujours plus. Comme pour une procédure de recherche d’indices, on isole tout ce qui nous tombe sous la main. À cet effet, nous avons construit deux parcours d’obstacles gigantesques, qui interrogent en quelque sorte tous les éléments générés lors du Small Bang, avec des questions on ne peut plus claires. Chère particule, comment réagis-tu électromagnétiquement ? Est-ce que tu es perturbée par les aimants ou bien est-ce que tu continues ta course comme si de rien n’était ? Jusqu’à quelle profondeur pénètres-tu certains matériaux, ou pour le dire autrement : combien portes-tu d’énergie en toi ? Ensuite, il s’agit avant tout de tenir précisément un livre de compte. Combien d’énergie entra et combien avons-nous été capables d’en identifier à la sortie ? Manque-t-il quelque chose ? Ou bien avons-nous mesuré dans une moitié du détecteur plus d’énergie que dans l’autre ? En d’autres termes : quelque chose nous a-t-il échappé, quelque chose d’aveugle à notre parcours d’obstacles ? Nous prenons en compte également toutes les désintégrations radioactives possibles, et c’est seulement lorsque ce qui reste correspond aux caractéristiques bien précises annoncées par la théorie que nous pouvons proclamer : « Ça y est, nous le tenons enfin notre boson de Higgs. »
Et après ?
371
Lesch :
Puisque tu parles tout le temps du boson de Higgs, comment peux-tu être sûr que la nouvelle particule est un bien un boson ?
Gaßner :
Seuls les bosons se désagrègent en deux bosons Z. Leur désintégration exclut un spin de h/2/, conformément au théorème de Landau-Yang (Lev Landau et Chen Ning Yang). Ainsi, selon la probabilité la plus élevée, seul un spin nul reste en lice, comme il convient pour un boson d’un champ scalaire. Le modèle standard apporte avec lui un chaperon très serré pour la chasse aux particules. Ce qui est important, c’est que nous puissions reconnaître ce qui apparaît dans chacune des réactions considérées.
Lesch :
Et ceci est précisément la tâche des deux parcours d’obstacles dont tu as parlé, les détecteurs ATLAS et CMS.
Gaßner :
Il s’agit de parcours d’obstacles aux particules extrêmement complexes. À l’intérieur de cylindres concentriques s’étalent, en rangs serrés, appareils de mesures contre appareils de mesures. En tout, ce sont presque 20 000 tonnes de matériel qui s’accumulent là. Les détecteurs souffrent bien entendu sous le flux constant de particules et de ce fait leur durée de vie est limitée à 15 ans.
Lesch :
Jusque-là, espérons que nous en saurons beaucoup plus.
Gaßner :
Ce qui est amusant, c’est la provenance du laiton au CMS. Car il en existe une quantité énorme : il provient du recyclage des douilles d’obus de la flotte de la Baltique russe.
Lesch :
Troquer des épées contre des charrues ! Avec les événements actuels en Ukraine, il aurait peut-être été préférable de recycler la flotte balte en son entier.
Gaßner :
Lors de la découverte du boson de Higgs, on compara volontiers la chose à la recherche d’une aiguille dans une meule de foin. La vérité est pire encore : la durée de vie moyenne des particules qui apparaissent lors d’un tel Small Bang est si courte, que nous ne pouvons identifier que leurs résidus, après qu’elles se soient désintégrées. Ceux-ci présentent d’un côté l’avantage d’être prévisibles par le calcul, conformément au modèle standard, mais d’un autre côté, les résultats produits sont malheureusement très dépendants de l’énergie.
Le Big Bang, le cosmos et la vie
372
Spectromètre à muons
Calorimètre hadronique Neutrino
Protron Neutron Muon
Calorimètre électromagnétique
Suivi
Transition Rayonnement Traceur Détecteur de pixels/SCT
Électron Photon
Aimant
5.24 Coupe du détecteur Atlas, où sont représentés les parcours de différentes particules. En pointillés, les trajectoires de celles qui ne sont pas visibles pour le détecteur. Les éléments internes servent au tracking, comme on dit, des couches concentriques de platine envoient un signal, aussitôt qu’une particule les traverse – la chasse est ouverte. Les particules chargées positivement ou négativement sont déviées par de puissants aimants dans des directions diverses. Ensuite les particules s’échouent dans des appareils appelés calorimètres, qui leur opposent des interactions particulières. Les électrons dans des calorimètres électromagnétiques par exemple, les protons dans des calorimètres hadroniques. On lit leur énergie respective à la mesure de la profondeur de leur enfoncement. Plus à l’extérieur encore, d’autres spectromètres repèrent la trajectoire des muons. Les neutrinos ne sont pas repérés par les détecteurs du LHC.
Et après ?
373
5.25 Une couche en platine de la partie du tracking (20 cm de rayon).
5.26 Transport des segments du calorimètre.
5.27 Les douilles des obus de la flotte de la Baltique furent recyclées pour former le nez en laiton des détecteurs du CMS.
Le Big Bang, le cosmos et la vie
374
5.28 Coupe du cylindre de 21 mètres de long et 16 mètres de haut du détecteur CMS (Compact Muon Solenoid) d’environ 12 500 tonnes.
Le boson de Higgs, par exemple, se désintègre autour d’un niveau énergétique de 126 GeV de la manière suivante : Probabilité
produits de la désintégration
58 %
b-quark, antib-quark
22 %
boson W et boson W virtuels
8,5 %
gluon, gluon
6%
t-quark, antit-quark
2,5 %
boson Z et boson Z virtuels
2,5 %
c-quark et antic-quark
0,2 %
photon, photon
0,15 %
photon, boson Z
À d’autres énergies, la distribution des désintégrations est répartie de façon complètement différente. Pour pouvoir trouver ce que l’on
Et après ?
375
cherche, on doit auparavant savoir combien pèse la particule que l’on espère trouver. On doit d’abord savoir de quelle meule il s’agit, avant de chercher une aiguille déterminée.
Gaßner :
Si la meule représente le niveau énergétique, alors tu as raison, bien sûr. Et ce qui complique encore la chose, ce sont les produits de la désintégration les plus courants, comme les b-quarks, qui apparaissent alors en nombres élevés, également lors d’autres collisions et réactions similaires. Les désintégrations du Higgs sont particulièrement difficiles à identifier dans ce perpétuel bruit de fond. Et pour couronner le tout, un grand nombre de neutrinos apparaissent, particules dont l’énergie ne peut pas être mise en évidence dans le LHC. C’est déjà beaucoup mieux lorsque le boson de Higgs se désintègre en deux photons ou en deux bosons Z, lesquels à leur tour se transforment en deux électrons ou muons. Le bruit de fond parasite pour ces particules est définitivement moins élevé, cela dit, ces réactions se produisent proportionnellement plus rarement. Probabilité de désintégration
Lesch :
5.29 Distribution probabiliste théorique des différents faisceaux de désintégration rapportés à la masse supposée du boson de Higgs. La notation suit le tableau précédent. Lesch :
Ha ! C’est pourquoi nous avons besoin pour conduire une bonne statistique de beaucoup d’essais. Même s’il ne s’agit toujours pas de cogner les
376
Le Big Bang, le cosmos et la vie
noix de coco les unes contre les autres. Encore que je trouve séduisante, l’idée de porter des noix de coco à une vitesse avoisinant la vitesse de la lumière dans un accélérateur de 27 kilomètres de long en Suisse. Gaßner :
Tu dois être depuis trop longtemps en route à travers la Voie lactée. Pour un peu, j’aurais cité le chimiste et Prix Nobel Harold Kroto : « les plus grandes découvertes proviennent des idées les plus bêtes », mais je n’ose pas vraiment. Valeurs mesurées Fit Valeurs de fond
5.30 Découverte de la particule de Higgs au détecteur CMS suivant un faisceau de désintégration particulièrement « propre » en deux protons. Le diagramme montre le nombre d’occurrences par GeV par rapport à l’énergie totale des deux photons. Les mesures expérimentales montrent un écart significatif par rapport au bruit de fond entre 120 et 130 GeV. √s représente l’énergie de collision au point de gravité et L, la luminosité. Gaßner :
On saisit ici toute la particularité de la physique dont il est question – il convient, je crois, de le souligner explicitement une bonne fois. Ce n’est plus une physique qui a à voir avec notre vie quotidienne. Comment en serait-il autrement, puisqu’on opère avec ces particules infiniment
Et après ?
377
petites, qui au moment où je les cherche, n’existent même pas vraiment et que je dois d’abord faire apparaître en atteignant un certain niveau énergétique particulier, lequel sous certaines conditions de réalisation expérimentales seulement, génère finalement la particule espérée, que de surcroît, je ne peux même pas mettre en évidence directement, mais après quatre ou cinq étapes dans une suite de recherches d’indices… Lesch :
Si oui – sinon, alors oui – mais alors si – ça non ! Tout cela est assez complexe comme ça. D’un côté, être arrivé au savoir qu’a acquis la science actuelle, constitue un des signes les plus flagrants de son succès, de l’autre cependant, un problème des plus sérieux apparaît : on doit disposer d’une masse de connaissances immense comme savoir préalable, pour être capable de comprendre de quoi parle la science aujourd’hui – dans notre cas la physique théorique en général et la physique des particules élémentaires en particulier.
Gaßner :
Même les appareillages sont calibrés d’après ce savoir préalable. Dans des procédures de recherche d’indices, on ne peut évidemment « filtrer » que ce que l’on connaît à l’avance. Today’s sensation is tomorrow’s calibration (La mesure exceptionnelle d’aujourd’hui sera l’étalon de mesure des appareils de demain). À l’avenir, nous aussi, nous cataloguerons dans une montagne de résidus des collisions, les particules, les bosons de Higgs ou même leurs produits dérivés comme « connus », afin d’examiner ce qui reste, notre nouveau point de départ. Cela deviendra vraiment passionnant, lorsque nous mesurerons avec une certitude statistique élevée, le couplage du boson de Higgs avec d’autres particules, le topquark, le bottom-quark, le boson W et le boson Z en particulier. Si des écarts devaient alors apparaître par rapport aux prédictions du modèle standard, cela aurait des conséquences concernant la rupture de symétrie de la force électromagnétique faible. Voilà la meilleure preuve que la particule de Higgs ne constitue nullement une fin, mais au contraire un nouveau départ. Certaines théories prévoient cinq sortes différentes de boson de Higgs, rien de moins, deux avec charges et trois sans charges.
Lesch :
J’espère que tu ne parles pas sérieusement. C’est déjà assez déroutant comme ça, avec un seul boson de Higgs. Et si nous parvenions avec ce livre à mettre un peu de lumière dans les ténèbres, je serais pour ma part déjà satisfait.
378 Gaßner :
Lesch : Gaßner :
Lesch : Gaßner :
Lesch : Gaßner :
Le Big Bang, le cosmos et la vie
Encore que je ferais volontiers encore une remarque au sujet du champ de Higgs. Je dois vous prévenir : il ne s’agit aucunement de la théorie officiellement enseignée, mais bien plus de mon interprétation fantaisiste. Alors là, je suis bien curieux d’en savoir plus ! Explique-toi ! Nous avons commencé par stipuler que tout dans l’univers fluctue. Cette assomption ne vient pas de rien, car effectivement, nous avons constaté pour nombre de phénomènes, que s’ils nous apparaissaient d’abord constants, pour autant il se révélaient ensuite fluctuants. Le rayonnement cosmique fossile constitue un exemple idéal de ce changement de paradigme. Où veux-tu en venir ? Puis nous avons découvert ce champ scalaire, le champ de Higgs, ou pour être plus précis, nous l’avons mis en évidence. Il confère aux particules élémentaires une masse inerte par couplage, et tous estiment que cette propriété demeure constante dans l’espace et le temps. Même nous autres, avec notre estimé collègue Hartmut Arenhövel, nous avons pu démontrer par des calculs concernant la nucléosynthèse primordiale que la valeur attendue du vacuum pour le champ de Higgs n’a pu varier au cours des 13,8 milliards d’années que d’une valeur visible qu’à partir de cinq chiffres après la virgule, au maximum. C’est ce que j’appelle être constant. Qu’en serait-il, si le champ de Higgs connaissait de petites variations dans l’étendue ? Supposons un instant que l’univers ait été en équilibre, et ce juste avant que le champ de Higgs ne se fige, et poursuivons notre raisonnement jusqu’au bout. Comme tu le dirais, juste pour le plaisir. Après que le champ de Higgs eut commencé à entrer en action, il serait alors apparu des sortes de grumeaux aux endroits un semblant plus faibles, c’est-à-dire où il aurait généré moins de masse inerte. Ceux-ci constitueraient les graines de semence pour la formation de structures à venir, jusqu’à celle des galaxies actuelles. Ainsi, nous serions débarrassés des théories compliquées concernant la formation des premières structures. Les images du rayonnement cosmique fossile constitueraient en réalité une sorte de carte des variations du champ de Higgs dans l’espace.
Et après ? Lesch :
Gaßner :
379
Josef, tu m’étonnes de plus en plus. Est-ce que le champ de Higgs peut varier dans l’espace ? Je l’ignore pour ma part. Je l’ignore également, mais je trouve l’idée tout simplement fascinante.
Lesch :
Et là encore, les théoriciens ne peuvent faire autrement que d’attendre de plus amples données expérimentales avant de se prononcer.
Gaßner :
La science vit littéralement de cet échange entre la théorie et l’expérience. Les théoriciens érigent une construction théorique et les physiciens expérimentaux s’assurent à chaque étape, que les fondements restent solides et que la statique tient bon. Au cours des dernières décennies, la théorie de Higgs avait bâti quelques étages sans garde-fous. Il était grand temps qu’une confirmation expérimentale advienne. Désormais, c’est chose faite, et nous pouvons nous occuper désormais des plans du prochain étage.
Lesch : Gaßner :
Espérons qu’à la fin nous n’aurons pas une tour de Babel. En plus du boson de Higgs et l’euphorie générale qui lui est liée, il y a toute une série d’autres expériences intéressantes au LHC, auxquelles on ne porte, malheureusement, que trop peu d’attention. Rien qu’au module appelé ALICE (A Large Ion Collider Experiment) travaillent des milliers d’employés, tous occupés à mettre au point un plasma quarksgluons – comme celui dont nous supposons l’existence au tout début de l’univers, quelques microsecondes après le Big Bang. Le but suivi est d’obtenir la température la plus élevée possible, et c’est pourquoi on ne fait pas entrer en collision des protons avec des protons, mais des noyaux de plomb avec des noyaux de plomb. Ceux-ci sont constitués de 208 nucléons, dont 82 protons. Bien entendu, seuls les protons, chargés positivement, sont aptes à être utilisés par l’accélérateur. En principe, on obtient 82 fois 2 fois 7 TeV. Pour des quarks et des gluons relativistes, la température augmente seulement proportionnellement selon la racine quadruple de la densité d’énergie. On doit donc avoir 16 fois plus d’énergie pour faire doubler la température. La chose positive dans cette affaire de plasma quarks-gluons, c’est que contrairement à la particule de Higgs, cet événement se produit constamment. À condition bien sûr que l’on ait atteint la température minimale, qui correspond à 170 MeV. Cela n’arrive pratiquement qu’une fois par seconde, lorsque deux noyaux de
380
Le Big Bang, le cosmos et la vie
plomb se collisionnent de front. Beaucoup moins de collisions sont donc nécessaires qu’au CNS et qu’à ATLAS. Lesch :
Est-ce que le détecteur d’ALICE est aussi grand ?
Gaßner :
Il n’est pas clos hermétiquement, ce qui signifie qu’il ne couvre pas la totalité des angles dans l’espace. De plus, la puissance de son aimant est beaucoup plus faible. Cela dit, l’ensemble de l’appareillage pèse tout de même 10 000 tonnes, pour 25 mètres de long et 16 mètres de large. La forme de la construction se différencie par rapport au CMS et à ATLAS. Pour ALICE, le point crucial et le défi à la fois, ce sont le grand nombre de particules qui apparaissent lors d’une collision, et pour chacune d’entre elles, le peu de quantité de mouvement qui lui reste. Les particules tiennent à peine sur leurs jambes pour ainsi dire, et c’est la raison pour laquelle il est nécessaire d’en prendre grand soin, afin qu’elles ne s’évanouissent point dès la première mesure expérimentale.
Lesch :
Living next door to Alice. Nous souhaitons à tous les collègues physiciens expérimentaux beaucoup de succès.
5.31
Et après ?
381
5.4 Les ondes gravitationnelles Ou quand l’espace-temps se met à trembler Gaßner :
La plus grande nouvelle d’une réussite scientifique depuis la mise en évidence du boson de Higgs reste incontestablement la mesure directe d’une onde gravitationnelle, le 14 septembre 2015.
Lesch :
Que ces tremblements de l’espace-temps existent véritablement, cela était déjà clair dès 1974, lorsque Russell Hulse et Joseph Taylor observèrent le système double PSR1913+16 éloigné de 21 000 années-lumière, constitué d’une étoile à neutrons et d’un pulsar. En raison de leur rotation rapide autour de leur centre de gravité commun – environ 17 fois par seconde – les deux objets causaient des perturbations de nature profonde dans l’espace-temps et par là, perdaient continuellement de l’énergie qu’ils émettaient sous la forme d’ondes gravitationnelles. Ainsi, les deux objets se rapprochaient l’un de l’autre d’environ 3,5 mètres par an, et ce changement de trajectoire fut effectivement mesuré (Prix Nobel 1993).
Gaßner :
Mais une mise en évidence directe, une mesure confirmant les prédictions faites par Einstein il y a 100 ans, cela semblait constituer une barrière impossible à surmonter. Einstein lui-même tint une telle précision dans la mesure pour impossible à réaliser. Il est ici question d’une compression et d’une dilatation de l’espace-temps d’un ordre de grandeur de 10 – 21, ce qui signifie, rapMiroir porté à la distance Terre-Soleil, qu’une onde gravitationnelle traverserait une variation d’à peine un diamètre d’atome. Une telle précision ne peut être obtenue qu’en utilisant la lumière. En principe, on utilise pour la mesurer un interféromètre. La lumière d’un faisceau laser est déviée au moyen d’un miroir (à demi perméable) dans deux bras perpendiculaires, au bout
Miroir
Lesch :
Laser Diode photoélectrique
5.32 Esquisse d’un interféromètre de Michelson.
382
Le Big Bang, le cosmos et la vie
desquels elle est reflétée et à nouveau ré-collectée par le miroir splitter. On utilise comme détecteur une diode. À l’état initial, les parcours le long des deux bras sont étalonnés de telle sorte que les trajets parcourus par la lumière représentent précisément une demi-longueur d’onde, ou pour le formuler différemment, que les ondes lumineuses se différencient l’une l’autre, en ce que la première revient le long de son parcours de retour en effectuant une oscillation vers le haut, tandis que la seconde effectue une oscillation vers le bas (et inversement). De telle sorte que, lors de leur rencontre au miroir splitter, elles s’annihilent mutuellement, sans qu’aucun signal ne soit généré au niveau de la diode. Aussitôt que, pour une raison ou une autre, une de ces longueurs se modifie, cette interférence destructive, comme on l’appelle, est mise en suspens : cette fois, de la lumière atteint la diode et celle-ci déclenche l’alarme. Gaßner :
Effectivement, les ondes gravitationnelles doivent révéler leur existence par des modifications de la longueur en tant que telle – car c’est précisément leur essence, que de successivement comprimer et dilater l’espace-temps perpendiculairement à leur axe de propagation. Reste que ce tremblement de l’espace-temps – analogiquement, comme on parle d’un tremblement de terre – est si faible, que même s’il était question de mettre en évidence des événements colossaux qui affectent le fin fond de l’univers, comme la fusion de deux trous noirs par exemple, des bras d’interféromètre longs de plusieurs milliers de kilomètres au moins seraient encore nécessaires. La courbure de la Terre représente ainsi une frontière à l’expérimentation, dès qu’on passe à une distance supérieure à quelques kilomètres. De plus, pour une telle distance, un laser d’une puissance immense de plus de 750 kV serait nécessaire, puissance qui à elle seule serait en mesure de dérégler fortement les miroirs de l’interféromètre. Il nous faut alors « truquer ». Tout d’abord, on utilise la distance de quatre kilomètres plusieurs fois, pour être plus précis 280 fois. Pour ce faire, on installe un miroir supplémentaire et l’on obtient ainsi ce qu’on appelle un résonateur de Fabry-Pérot, lequel « projette » la lumière du laser dans les bras de nombreuses fois, dans un sens et dans l’autre. Ainsi on a alors un interféromètre de la longueur désirée ou si l’on veut, de la réceptivité voulue. Pour obtenir une définition la plus élevée possible du signal au niveau de la diode, c’està-dire autant de photons que possible par seconde, on ne se sert point d’un laser puissant, mais d’un recyclage intelligent des photons d’une
Et après ?
383
Résonateur de Fabry-Pérot
source lumineuse de seulement 200 watts. Lors du passage de la lumière, chaque photon singulier est ainsi bichonné et chouchouté par le miroir de recyclage, afin qu’aucun ne reste inutilisé. C’est un peu comme dans la vie de tous les jours : celui qui dépense peu parvient à joindre les deux bouts, même avec un petit budget.
Miroir
Résonateur de Fabry-Pérot
5.33 L’interféromètre Laser (LIGO) – Laser-Interferometer Gravitational Waves Observatorium (advanced LIGO) à Hanford (Washington). Les résonateurs de Fabry-Pérot amplifient les distances parcourues respectivement par la lumière jusqu’à atteindre pour chacune d’elles 1 120 km. Un vacuum puissant protège le tout d’influences parasites indésirables, et les miroirs de 40 kg aux points de réflexion du faisceau lumineux sont précautionneusement découplés plusieurs fois successives de toute influence extérieure. De plus, les miroirs de recyclage contiennent le plus de photons possible qui proviennent du laser de seulement 200 watts de puissance. Il existe un second interféromètre de construction pratiquement identique, qui se trouve à quelques 3 000 kilomètres de distance, à Livingston (Louisiane).
384
Le Big Bang, le cosmos et la vie
Lesch :
Il est vraiment incroyable que l’on puisse régler de telles installations avec cette précision ! Cela tient du miracle. Mais supposons qu’un miroir bouge et que la diode fournisse un signal. Comment peut-on être sûr que l’on a véritablement mesuré le passage d’une onde gravitationnelle et qu’il ne s’agit pas d’un « dysfonctionnement » quelconque ? Et si par exemple, quelqu’un venait à tousser brusquement, ou encore dehors, un camion à passer ? Sans parler de perturbations d’ordre sismique.
Gaßner :
Les miroirs de 40 kilogrammes sont très insensibles aux interférences d’origine mécanique, et, qui plus est, ils ont été fixés de telle sorte qu’ils soient découplés plusieurs fois de toute modulation. Concrètement, ils sont suspendus à un ressort, lequel est lui-même pendu de manière similaire à une troisième du même genre, à son tour accroché à une quatrième de même ordre. En dépit d’une telle précision, de nombreux signaux parviennent à traverser le dispositif, ce qui constitue un véritable bruit de fond parasite. Les résultats restent cependant très localisés, alors que les ondes gravitationnelles agissent, quant à elles, globalement. C’est pourquoi on utilise simultanément plusieurs détecteurs séparés par une distance importante. Si, par exemple, à Hanford, un camion passait, son signal sera dépisté et effacé, car rien de semblable n’aura été visible à 3 000 kilomètres de là, à Livingston. Pour le dépistage de sources globales de pertur- 5.34 Miroir à fixation quatre fois découplée. bations, il existe au centre de commande une armada de détecteurs à haute sensibilité et d’autres appareillages similaires, qui comparent sans cesse les sources potentielles d’interférences. Enfin, et pour le meilleur, même les théoriciens donnent un coup de main, en ce qu’ils ont calculé à l’avance, pour chaque source susceptible d’émettre une interférence, son signal caractéristique appelé chirp, élaborant de la sorte un catalogue constitué d’autant d’avis de recherches de tracés, à l’aide duquel il est possible de comparer les résultats expérimentaux mesurés.
Et après ? Lesch : Gaßner :
Lesch : Gaßner :
385
Et comment calcule-t-on un « chirp » ? Pour cela, il nous faut d’abord expliquer de manière générale comment les ondes gravitationnelles apparaissent. Elles ne se diffusent pas à n’importe quelle vitesse, mais elles doivent, elles aussi, respecter la limitation de vitesse universelle : la vitesse de la lumière. Ainsi, s’il était possible de faire disparaître dans l’instant notre soleil, les conséquences n’en seraient sensibles qu’après huit minutes et demie seulement, aussi bien en ce qui concerne la lumière, qu’en ce qui concerne l’effet gravitationnel manquant. L’information « le soleil a disparu » voyagerait, en effet, ce laps de temps jusqu’à nous parvenir. S’il était possible, avec une autre formule magique, de déplacer le soleil périodiquement vers le haut et vers le bas, l’information selon laquelle « le soleil a bougé un peu vers le bas ou vers le haut » nous parviendrait également avec un tel décalage dans le temps et déploierait, après coup, ses conséquences : nous serions secoués sur notre orbite comme une bouée à la mer. Avant que les perturbations atteignent Mars lui aussi, il faudrait encore attendre un peu plus, en raison de sa plus grande distance par rapport au soleil – autant de temps qu’il est précisément nécessaire à l’information pour parvenir jusqu’à lui. Il en faudrait encore plus pour Jupiter, et ainsi de suite. Pour un observateur éloigné, cela ressemblerait à une vague « d’effets gravitationnels » traversant le système solaire, secouant les planètes, les unes après les autres, selon leur éloignement par rapport au soleil. Cela est bien sûr simplifié à l’extrême, selon la conception de la mécanique newtonienne. Selon la relativité générale au contraire, ces secousses sont transmises par les modifications affectant la courbure de l’espace-temps, et nous appelons ces modifications de la courbure de l’espace-temps ondes gravitationnelles. Et celles-ci modifient la longueur des bras des interféromètres ? Exactement. Et à chaque source différente correspond une courbe particulière – le « chirp » justement. Les trous noirs qui fusionnent ensemble donnent une autre courbe de signal que les étoiles à neutrons qui collisionnent ensemble ou les explosions de supernovæ. Un cas particulier nous est fourni par les systèmes en rotation symétrique, lesquels ne livrent aucun signal, conformément au théorème de Birkhoff. Cela est déjà évident avec notre petite expérience de pensée concernant le soleil.
386
Le Big Bang, le cosmos et la vie
À l’extérieur d’une masse sphérique, l’effet gravitationnel se manifeste comme si l’ensemble de la masse se trouvait au centre de la sphère (au centre de gravité). Cela doit être clairement entendu : ne serait-ce que pour des raisons de simple symétrie – seul le point central est également éloigné de chacun des points de la surface – le champ gravitationnel est également le même dans toutes les directions. L’étendue du soleil ne joue donc aucun rôle pour notre planète en ce qui concerne son effet gravitationnel. Seules sa masse et la distance de son centre. Si le soleil, pour une raison ou une autre, doublait de rayon ou rétrécissait de moitié, de grosses masses seraient bien entendu déplacées, mais la position de son centre de gravité resterait la même, et avec elle, l’effet gravitationnel sur les planètes. Lesch :
Le « chirp » constitue pour la recherche la clef du succès. Lorsque deux trous noirs tournent l’un autour de l’autre, avant de fusionner ensemble, leurs orbites respectives se rapprochent continuellement,
5.35 Le « chirp » caractéristique de deux trous noirs entrant en collision, de 29 et 36 masses solaires respectivement, mesuré au Advanced LIGO le 14 septembre 2015 sur une échelle de temps de 0,3 seconde. On appelle les modifications de longueurs spécifiques « strain ». En gris : la mesure ; en rouge, la courbe selon la théorie. En haut du schéma, l’esquisse de la position des trous noirs relativement l’un à l’autre. La différence de masse correspondant à trois masses solaires a été émise sous forme d’ondes gravitationnelles, lesquelles purent être mesurées environ 1,2 milliard d’années plus tard sur Terre.
Et après ?
387
accélérant leurs masses et augmentant corrélativement les perturbations de l’espace-temps. Lors de leur fusion, elles atteignent un maxima et le signal devient alors nul, car l’objet résultant de leur fusion est un objet symétrique selon l’axe rotation. Gaßner :
Lesch :
Les deux trous noirs mesurés avaient respectivement 36 et 29 masses solaires, et ils ont fusionné en un nouvel objet de 62 masses solaires, ce qui signifie que la différence incroyable de trois masses solaires fut émise en l’espace de quelques fractions de secondes sous la forme d’ondes gravitationnelles. Cela dit, l’espace-temps ici, chez nous, à 1,27 milliard d’années-lumière, a seulement faibli selon un facteur 10 – 21. L’espace-temps est de toute évidence extrêmement rigide. De surcroît, lorsque la source est si distante, l’amplitude du « chirp » diminue presque linéairement par rapport à la distance. Comment donc me représenter cela : « l’espace-temps est rigide » ?
Gaßner :
Pour qu’une onde se propage rapidement dans un milieu donné, cela nécessite la rigidité la plus grande possible des éléments mis en vibration. Le son, par exemple, se propage à la vitesse de 343 m/s dans l’air ambiant, à 1 484 m/s dans l’eau et dans le béton, à 3 800 m/s. Dans le diamant, il atteindrait les 18 000 m/s. Les ondes gravitationnelles, quant à elles, se propagent à la vitesse de la lumière. Pour que cela soit possible, il faut une corrélation au milieu extrêmement rigide, ce qui signifie également une très faible élongation.
Lesch :
Avec la détection d’ondes gravitationnelles, nous avons ouvert une fenêtre supplémentaire sur l’univers, ou à tout le moins, percé une ouverture. En effet, jusque-là, des grands événements du cosmos, nous n’avions jamais vu que leur lumière, désormais nous « entendons » aussi leur bruit.
Gaßner :
Bravo – en plus des ombres et lumières de l’univers, nous avons maintenant droit au vacarme – espérons que cela nous facilitera la tâche. Avec le nombre croissant de détecteurs (GEO600 en Allemagne, Advanced VIRGO en Italie, KAGRA au Japon et INDIGO en Inde), nous pourrons au moins localiser l’origine des signaux avec plus de précision. Jusqu’à ce jour, cela n’était possible qu’approximativement, sur la base de la différence de temps de leur enregistrement entre Hanford et Livingston.
388
Le Big Bang, le cosmos et la vie
En effet, si les ondes nous atteignaient simultanément, directement dans l’axe, une ligne droite, le retard serait de 10 ms. Dans les faits, il fut seulement de 7 ms, et à partir de là, on put calculer l’angle d’incidence. Par triangulation, nous pourrons, à l’avenir, considérer les événements du cosmos, traitant séparément les photons et les ondes gravitationnelles et comparer leur vitesse de propagation. Tout cela est lié à la question de savoir si le supposé graviton est bel et bien dépourvu de masse. Lesch :
Je trouve amusant que les collègues, en dépit de cet énorme travail de préparation, aient raté leur plus sûr triomphe. Car le 14 septembre 2015, ils dormaient. L’onde gravitationnelle GW150914 fut mesurée aux ÉtatsUnis à une heure très matinale. Ainsi, sa découverte eut lieu d’abord ici, en Allemagne, à 10:53 heure locale.
Gaßner :
Et même ici, au début, on ne voulait pas le croire. Marco Drago, Postdoc à l’institut Albert-Einstein à Hanovre, a d’abord cru à ce qu’on appelle une blind injection. À l’aide de faux signaux, on teste régulièrement l’attention des chercheurs impliqués. Cela est comparable à une alerte au feu, et tous pensèrent en effet : « Encore un exercice ! » Ce ne fut que le matin suivant que les jeunes chercheurs surent qu’ils venaient de vivre un moment historique.
Lesch :
À propos des fake news concernant les ondes gravitationnelles, il me vient à l’esprit le groupe de recherche Bicep (Background Imaging of Cosmic Extragalactic Polarization) ou plus précisément son successeur, Bicep2, qui publia, en 2014, une preuve de l’inflation cosmique. Depuis plusieurs années, on utilise l’air particulièrement sec du pôle Sud à 2 800 mètres d’altitude, pour scanner un échantillon de deux pour cent du ciel, en vue d’y trouver des structures particulières dans le rayonnement cosmique de fond. Les yeux toujours fixés sur le même point, cela a presque à voir avec de la méditation Zen.
Gaßner :
En effet, l’inflation cosmique également a dû produire théoriquement une accélération immense, et les ondes gravitationnelles qui en résultèrent, à leur tour, ont dû laisser une trace structurelle caractéristique dans la polarisation du rayonnement cosmique de fond. On différencie ainsi celles appelées E-Moden de celles appelées B-Moden. La polarisation est une propriété du rayonnement électromagnétique, lequel vibre
Et après ?
389
alors dans une direction préférentielle. Reste que l’attention autour de l’événement sensationnel attendu retomba littéralement en poussière. Car on avait supposé de manière erronée, que la partie observée était dénuée de toute poussière galactique, laquelle produit un effet similaire à l’effet attendu sur les photons. Et effectivement, c’est seulement une année plus tard, que les données de la mission Planck et du télescope Keck à Hawaii montrèrent que l’échantillon céleste des mesures effectuées par Bicep2 contenait bel et bien de la poussière galactique. Pour autant, on effectua de nouvelles mesures à des fréquences plus élevées. À 353 gigahertz par exemple, les polarisations sont presque exclusivement causées par la poussière. Soustrait-on ces données de celles de Bicep2, l’effet restant n’est plus concluant. Bien entendu, cela ne réfute pas le phénomène de l’inflation cosmique en tant que tel, mais la recherche d’une preuve dure encore.
Le Big Bang, le cosmos et la vie
390
plus froid plus chaud
Répartition de la température du point de vue d’un électron
plus froid
plus chaud
plus chaud
plus froid
5.36 En haut : une onde de densité plate, qui arrive perpendiculairement de la gauche, produit à un point quelconque de l’espace une modification de la répartition de la température et la polarisation caractéristique qui en découle. Ces E-Moden, comme on les appelle, sont représentés par des rayures. En bas : une onde gravitationnelle, provenant de la gauche, produit des tourbillonnements B-Moden dans la polarisation, car l’espace successivement se compresse (flèches rouges) pour ensuite se dilater (flèches bleues).
Un regard au-delà de l’horizon
391
6 Un regard au-delà de l’horizon Une promenade à la limite du connu « Pour toute chose qui existe, il est sensé de se demander, comment elle s’est formée, comment elle change et comment OiiOJbu66d6Zk6iOjOky _(Gerhard Vollmer)
6.1 Gaßner :
Cette prise de position simple est également la nôtre en cosmologie. La cosmologie moderne se pose désormais, depuis plus de 100 ans, les questions de savoir comment l’univers est apparu, comment il se transforme, et comment tout cela finira.
Lesch :
Ces trois questions, tout comme celles de l’épigénèse et de l’expansion de la matière, sont liées aux théories concernant les particules élémentaires, à la physique nucléaire et à celle de l’atome, et toutes les expérimentations les concernant. Ces trois composantes constituent ensemble les questions programmatiques de la physique en général.
Gaßner :
Ce n’est qu’avec l’apparition d’un modèle avec un commencement très chaud que la cosmologie est devenue une des parties importantes de la physique. Un univers statique, éternel, serait resté étranger aux programmes de recherche des sciences naturelles, car la question de son origine serait restée close aux méthodes de la recherche en physique.
392
Le Big Bang, le cosmos et la vie
Lesch :
Le modèle du Big Bang remplit une des conditions fondamentales de la méthode expérimentale. L’unité de la nature, comme celle de l’univers lui-même, s’est constituée à partir de ce modèle.
Gaßner :
L’état initial du cosmos fut autre que l’état actuel. On peut suivre parfaitement cette évolution à l’aide des lois fondamentales de la thermodynamique.
Lesch :
Avant tout, le modèle du Big Bang correspond au caractère processuel de la recherche empirique moderne, en cela qu’il fait des connaissances qui nous manquent encore autant de tâches pour la recherche à venir, et non des propriétés établies – tâches comme celles relatives à l’origine et la composition de la matière noire, ou celles relatives à l’origine et au développement de l’énergie noire. Des propriétés établies interdiraient tout questionnement de fond supplémentaire.
Gaßner :
Le modèle du Big Bang a pris le dessus sur l’ensemble de ses concurrents, non seulement en raison de son potentiel explicatif et de sa capacité de prédiction, mais aussi en fournissant à la curiosité et à l’envie de comprendre du cerveau sans cesse questionnant du genre Homo sapiens, de nouvelles nourritures qui se renouvèlent sans cesse.
Lesch :
Et il nous a fait faire un grand bond en avant dans nos efforts de compréhension de l’univers.
Gaßner :
Chères lectrices et chers lecteurs, ce fut pour nous un grand plaisir de partager un tant soit peu cet effort avec vous.
Lesch :
Stop. Pas question à cet endroit de te laisser placer quelque chose comme un mot final. Cela ne s’arrête pas là, et même pour notre plus grand plaisir, cela continue. En fin de compte, l’univers semble être constitué à 95 pour cent de quelque chose d’invisible pour nos instruments aveugles. Cette ignorance pèse tant, que le bel édifice du monde, à peine construit, se met soudain à craquer et à se fissurer sous son propre poids. Nos connaissances, si impressionnantes jusque-là, se mettent soudain à fondre à quelques cinq pour cent de l’énergie cosmique et de la matière prises ensemble.
Gaßner :
Cher Harald, nous risquons le tout pour le tout. Si les sciences de la nature étaient un parti politique allemand, alors elles échoueraient au
Un regard au-delà de l’horizon
393
parlement lamentablement, restant sous la barre des 5 pour cent. Encore que, quelqu’un qui est en état de comprendre qu’il voit 5 pour cent de l’univers, en « sait » forcément davantage Matière noire sur le tout, sinon il ne pourrait pas avancer ce chiffre de 5 pour cent. Ensuite, nous Matière visible devons être particulièrement Énergie noire prudents avec le concept de « vérité ». En fait, en tant que scientifiques, nous ne pouvons rien dire sur la vérité. 6.2 Les contenus de l’univers. Lesch :
Tu abordes un point tout à fait important, nous sommes des « falsificateurs » et non des « vérificateurs ». Nos méthodes peuvent tout au plus montrer qu’une théorie n’est pas fausse. Nos outils, ce sont le doute et l’erreur. Nous nous trompons continuellement.
Gaßner :
Ou autrement dit avec Georges Duhamel : « L’erreur est la règle, la vérité est un accident de l’erreur. »
Lesch : Gaßner :
Cela devient maintenant un peu abstrait. Peut-être qu’un exemple concret aiderait. Soit l’hypothèse selon laquelle, tous les cygnes sont blancs. Avec chaque observation supplémentaire d’un cygne blanc, nous serions en mesure de montrer que l’hypothèse n’est pas fausse. Elle n’est cependant pas vraie pour autant, car nous ne pouvons pas exclure, qu’un cygne de couleur existe quelque part, un cygne que nous n’aurions pas encore observé. Inversement, une observation unique d’un cygne noir suffit à faire basculer l’hypothèse. Voilà le sabre de la falsification, le sabre avec lequel nous devons nous frayer un chemin à travers la jungle des hypothèses.
Le Big Bang, le cosmos et la vie
394
6.1 Cordes, boucles quantiques et supersymétrie Et autres histoires folles Lesch :
Notre outil, c’est le doute. Et il existe bel et bien des théoriciens sceptiques quant à notre image du monde. Avec leurs sifflets, ils manifestent déjà au cœur même des lieux sacrés de la science. Sur leurs transparents innombrables est inscrit, par exemple, théorie des cordes ou encore gravitation quantique à boucles. La représentation de particules élémentaires, formes ponctuelles ou celle d’une singularité initiale, également ponctuelle, leur déplaît.
Gaßner :
Je comprends très bien ces considérations. La plupart des forces en physique augmentent selon leur carré, lorsque leurs charges respectives, leurs masses, ou tout ce qui cause une force, se rapprochent les unes des autres. Aussi longtemps que les objets en question ont une étendue finie, tout va bien – Leur rapprochement trouve une fin naturelle. Deux boules de billard peuvent bien se toucher, la plus grande partie d’une des boules reste séparée de la plus grande partie de l’autre boule. Des particules élémentaires en forme de points, les électrons et les positrons par exemple, peuvent quant à elles se rapprocher jusqu’à une distance nulle, la force entre elles atteignant alors une grandeur infinie.
Lesch :
Et dans notre image du monde, il n’y a pas de place pour des forces de grandeur infinie.
Gaßner :
La théorie des cordes contourne le problème, en ce qu’elle introduit une poupée russe supplémentaire à l’intérieur des particules élémentaires : les fameux strings. Ces plus petits éléments de toute chose en général, ont une étendue minimale épousant la forme d’une dimension unique. Ainsi, toute chose ayant une forme ponctuelle est par avance exclue.
Lesch :
En appeler à des filaments unidimensionnels à la place de points sans dimension, cela ne me semble pas constituer au premier abord un grand pas en avant. Dans notre monde macroscopique, l’un existe aussi peu que l’autre.
Un regard au-delà de l’horizon
395
Gaßner :
C’est certain, mais en science, on n’est attentif à ce qui est dit, que si l’on est en mesure d’expliquer quelque chose qui jusque-là ne pouvait être expliqué, ou encore, lorsqu’on peut décrire le connu avec des moyens encore plus simples. L’approche avec les strings semble promettre un peu des deux : de nouvelles perspectives sur la voie d’une unification des forces élémentaires et toute une série de simplifications supplémentaires concernant la description de notre monde. En premier lieu, le nombre de particules se restreint et, à leur place, les strings entrent en scène, lesquels ne possèdent que quelques propriétés. Avec ce modèle, les fluctuations ou plutôt les états vibratoires des filaments sont interprétés comme des charges, spins et ainsi de suite. Les strings peuvent ainsi posséder une orientation préférentielle ou non. Ils peuvent être ouverts (filaments) ou fermés (boucles). Les particules interactionnelles de la gravitation, les gravitons, seraient alors fermés, les photons et les gluons seraient des cordes ouvertes. Jusque-là, tout va à merveille. Malheureusement, cette réduction à un plus petit élément possible se paye à prix élevé.
Lesch :
Le diable se cache souvent dans les détails, car nous avons à notre disposition dans la physique moderne d’innombrables expérimentations apportant un savoir colossal d’informations détaillées. Pour leur intégration, on en appelle à toute une série de modèles expliquant l’agencement et l’interaction des particules les plus diverses. Certains de ces modèles diffèrent profondément – par exemple, dans l’un, on parle de particules, dans l’autre, d’ondes.
Gaßner :
Une théorie fondamentale – et c’est bien comme telle que se revendique la théorie des cordes – doit donc s’étendre et se courber dans tous les sens pour rendre compte de l’ensemble des phénomènes connus. De surcroît, cette théorie avance sur un terrain où nous ne pouvons pas pénétrer avec notre plus puissant instrument : l’expérience. C’est pourquoi il existe non pas une unique théorie des cordes, mais une pluralité de perspectives. La seule chose à laquelle nous pouvons encore nous accrocher fermement, ce sont les symétries continues fondamentales et les constantes qui leur sont liées. Et ce sont précisément ces symétries que la théorie des cordes ne respecte pas – tout du moins dans un espace-temps à quatre dimensions.
396
Le Big Bang, le cosmos et la vie
Lesch :
Et c’est pour cela que nous aurions besoins de 11 dimensions ? Veux-tu bien m’expliquer, s’il te plaît, pourquoi 11 serait meilleur que 10 ou que 12 ?
Gaßner :
Et ce, j’imagine, de préférence en trois phrases, que tout un chacun peut comprendre ?
Lesch :
Tu peux aussi essayer de le faire en 11 phrases. Comme tu l’as si bien dit au sujet des symétries de jauge : un scientifique doit être toujours capable d’expliquer ses pensées, de telle sorte que…
Gaßner :
Et bien, je vais essayer. Fondamentalement, nous voulons expliquer quelque chose qui se joue dans un espace à n-dimensions, par exemple l’effet des forces sur la matière ou dans le jargon des théoriciens, l’interaction entre les bosons et les fermions. Pour ce faire, on peut représenter les bosons comme des vecteurs. Pour les fermions, il existe une forme mathématique similaire que nous appelons spinores. Une interaction serait le résultat d’une opération de calcul entre vecteurs et spinores, un peu comme une multiplication. Comme nous savons qu’à la fin, nous devrons respecter différentes symétries, nous nous mettons donc tout de suite à la recherche d’une forme de calcul ayant la propriété de permettre l’opération inverse, afin de pouvoir avancer et reculer – un peu comme avec une division et une multiplication. Et c’est là que les problèmes commencent. On appelle un espace possédant ces propriétés divisions algébriques et nous avons déjà appris depuis 1958, grâce à la démonstration des mathématiciens John Milnor et Michel Kervaire, qu’il n’existe de divisions algébriques que de dimension une (les nombres réels), de dimension deux (les nombres complexes), de dimension quatre (les quaternomes) ou de dimension huit (les octaves). Une fois arrivés là, on peut, au choix, se mettre à douter ou bien se mettre à rêver un peu, et se réjouir de ce qu’avec par exemple huit dimensions, les bosons de jauge autant que les fermions pourraient être formalisés par des octaves. On obtient ainsi une description unitaire de la matière et des forces – un nid tout prêt pour la supersymétrie.
Lesch :
On en est encore qu’à huit dimensions, avec le temps comme dimension supplémentaire, neuf.
Un regard au-delà de l’horizon
397
Gaßner :
C’est juste, mais seulement lorsqu’on part de particules ponctuelles, qui au cours du temps tracent une courbe unidimensionnelle dans l’espace. Or les strings apportent eux-mêmes une dimension supplémentaire. Lorsqu’un tel filament se déplace, il définit une surface. Cela apporte une dimension de plus. On en est alors à dix. Si l’on accepte, en plus du string unidimensionnel, des branes bidimensionnels, ces dernières figurent au cours du temps un volume dans l’espace, et l’on obtient pour finir encore une dimension de plus.
Lesch :
Je comprends : Buy two, get one free (pour l’achat de deux produits, l’un vous est offert).
Gaßner :
Et voilà : nous tenons notre espace-temps à 11 dimensions, libre de toutes particules ponctuelles et de singularités.
Lesch :
Et puis, c’est tout. Point final ! Les collègues devraient plutôt relire Galileo Galilei : « Nos arguments doivent se référer au monde dont nous faisons l’expérience, et non à un monde de papier… » En ce qui me concerne, je considère toutes ces théories comme autant de tigres de papier, lesquels, tôt ou tard, finiront par brûler au feu de l’expérimentation.
Gaßner :
Avec chaque dimension supplémentaire, tes tigres de papier acquièrent une liberté de plus pour leurs fluctuations, ce qui augmente les chances d’intégrer, d’une manière ou d’une autre, les symétries dans une théorie considérée. Ainsi, nous aurions besoin de toujours plus de dimensions, jusqu’à constater qu’avec 11 dimensions, nous serions parvenus à une théorie finalement en accord complet avec les observations et les lois de conservations fondamentales, leurs constantes, et toutes ces choses. C’est ce qui pousse certains à croire que nous vivons dans un espace à 11 dimensions ; il y en a même qui en souhaiteraient 26. Lors de la tentative d’unifier toutes ces théories en une unique M-théorie, on est parvenu à reconnaître qu’il serait préférable de s’accorder, non sur un dénominateur commun d’un string unidimensionnel en forme de filament, mais plutôt sur celui de branes à deux et à cinq dimensions.
Lesch :
Josef, s’il-te-plaît ! Vraiment tu m’effraies parfois. Pourquoi ne voit-on rien de toutes ces dimensions supplémentaires ?
Gaßner :
En vérité, je ne suis pas défenseur de la théorie des cordes ou de la M-théorie, mais tu m’as interrogé sur leurs fondements. Les dimensions
Le Big Bang, le cosmos et la vie
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macroscopiques non visibles seraient enroulées sur elles-mêmes à une échelle des plus petites. Cette idée d’une compacité, comme on l’appelle, offre, elle aussi, beaucoup de liberté et elle divise les esprits. La topologie des espaces considérés influe sur le modèle de fluctuation des cordes. Ainsi, dans un tuyau d’orgue, la vibration de l’air diffère de celle d’un piccolo, et cette dernière d’un saxophone. Je crois bien que dans cent ans, en regardant sur nos pas, nous serons à tout le moins très impressionnés. Soit par la prédiction géniale de 11 dimensions, sans qu’aucune preuve expérimentale d’aucune sorte n’ait été nécessaire, soit par la persistance obstinée de certaines idées absurdes dans les sciences. Lesch :
La théorie des cordes promet depuis des années déjà beaucoup, mais elle n’apporte rien pour le moment. Une façon de procéder que nous connaissons plutôt en politique qu’en science. Tu as précédemment évoqué le nom de « supersymétrie », que l’on nomme encore en abrégé SUSY. Où en est-on actuellement ?
Quarks
Squarks
Leptons
Sleptons
Particules des forces
Particules SUSY des forces
Higgs
Higgsino
6.3 Représentation extrêmement simplifiée de la supersymétrie : pour chaque boson existe un fermion partenaire et inversement. Les particules virtuelles partenaires des fermions sont représentées avec le préfixe « S », les partenaires SUSY des bosons prennent, quant à eux, le suffixe « ino ». Gaßner :
L’idée n’est pas neuve. Déjà dans les années soixante-dix, on était parvenu à cette symétrie en décrivant les bosons et les fermions par le biais de la théorie des cordes. Mais là aussi, le manque de possibilités
Un regard au-delà de l’horizon
399
expérimentales fut le problème principal, et il le reste. L’idée fondamentale consiste à supposer qu’à chaque boson correspond un fermion partenaire et inversement. Le modèle de base, dénué de tout apparat superflu, est appelé MSSM (Minimal Supersymmetrisches Modell). Même dans cette version épurée, il a besoin de cinq particules de Higgs : deux neutres de masses différentes, et deux à charge non nulle, et une particule pseudoscalaire de Higgs. Pseudoscalaire signifie ici que, bien que cette dernière possède un spin nul, elle n’est pas identique avec son image dans le miroir. On nomme théorie des superstrings la théorie des cordes qui s’accorde avec la supersymétrie. Lesch :
Tout cela est bien beau, mais la question de savoir si le LHC mettra en évidence au moins les plus légères des particules SUSY reste entière.
Gaßner :
À tout le moins pour les quelques promoteurs de la supersymétrie, l’échéance approche. Ils prévoient, en effet, en deçà de 500 GeV, l’existence d’une des particules partenaires légères des top-quarks, le stop. Tôt ou tard, les collègues au LHC, ou bien le mettront en évidence, ou bien ils démentiront la théorie.
Lesch :
J’ai rencontré au restaurant italien du coin une des particules associées au boson W : le Wino. Il en existe de deux sortes, le blanc et le rouge. Probablement que les collègues cherchent au mauvais endroit.
Gaßner :
La dénomination de « goût de charge » dans la théorie dynamique chromatique des quanta (QCD) a effectivement vu le jour chez un marchand de glace, suivant les différents parfums de glace proposés. C’est du moins ce qu’un collègue a rapporté, Harald Fritsch, l’un des fondateurs de la QCD. Après un examen attentif du Wino, on aurait peut-être même eu droit à un événement comme pour le « Higgs », qui sait ? Si les collègues, que ce soit au LHC ou au restaurant italien, échouaient à mettre en évidence des particules SUSY, cela ne signifierait pas nécessairement pour autant l’échec de la théorie des cordes, comme on le colporte trop souvent. Toutefois, les tentatives allant vers une unification trouveraient là un frein, tout du moins en ce qui concerne les modèles simplifiés du GUT, dont les courbes des intensités de couplage avec les forces nucléaires forte et faible et avec la force électromagnétique sans MSSM ne se couperaient plus.
Le Big Bang, le cosmos et la vie
400 Modèle standard
MSSM
6.4 Les forces respectives de l’interaction sont spécifiées dans la théorie quantique des champs par une constante de couplage. Elles dépendent de l’énergie, car elles sont soumises aux fluctuations quantiques. On parle ainsi de running couplings. Si l’on porte dans un diagramme les valeurs respectives des constantes de couplage (α1) pour la force électromagnétique, (α2) pour la force nucléaire faible, et (α3) pour la force nucléaire forte, on n’obtient avec le modèle standard aucun point de coupure commun, alors qu’avec le modèle supersymétrique minimal (MSSM), un point commun de coupure apparait (Image de droite).
Lesch :
Mais les modèles GUT simples comportent encore des problèmes en ce qui concerne la désintégration du proton. Selon eux, la demi-vie d’un proton ne devrait pas dépasser au maximum 1031 années. Dans les faits, la valeur expérimentale la plus basse dépasse, d’ores et déjà, de plusieurs fois cet ordre de grandeur.
Gaßner :
Le seul fait qu’il soit possible d’obtenir des données expérimentales pour ce genre de durées, je trouve cela incroyable. Notre univers existe seulement depuis 1010 années. Le truc consiste à observer assez de protons en un lieu donné, pour qu’en l’espace d’une année, statistiquement quelques désintégrations apparaissent. Et nous revoilà au Super-Kamiokande, que nous avions déjà rencontré lors du thème de la détection des neutrinos. Pour ses 50 000 tonnes d’eau très pure, on compte 1034 protons. Selon le modèle théorique de leur désintégration considéré, par exemple, en un positron et un pion, ou un antimuon et un pion, à chaque fois, doit apparaître une trace caractéristique au détecteur de photons, laquelle se différencie clairement de celles causées par les neutrinos. Mais jusqu’ici, aucun résultat probant. La limite inférieure de leur demi-vie a déjà atteint les 1035 années.
Un regard au-delà de l’horizon
401
Lesch :
Cela est toujours vrai : diamonds are forever. Et c’est tant mieux, car nous-mêmes, nous sommes composés d’un grand nombre de protons, environ 1028. Et si nous avions continuellement des désintégrations radioactives dans notre corps, cela ne serait pas très réjouissant. Mais dis-moi, ne nous as-tu pas parlé au départ d’une simplification ? Jusque-là, je ne vois que deux fois plus de particules et tout un tas de dimensions supplémentaires.
Gaßner :
En fait, à certains endroits, cela devient effectivement plus simple. Comme je l’ai déjà dit, la théorie des cordes limite le nombre des particules en les remplaçant par des cordes possédant quelques types de vibrations et les constantes naturelles se limitent à la vitesse de la lumière, la constante de Planck et une longueur fondamentale de corde. La théorie inclut naturellement une particule de masse nulle, que l’on peut, en adoptant quelques postulats supplémentaires, identifier comme étant le graviton – la particule supposée de la gravitation. En excitant ses états, on serait même en mesure de bricoler des ondes gravitationnelles. Tout cela exerce un attrait certain sur les théoriciens. La théorie SUSY, quant à elle, élimine les divergences. Lorsqu’en raison des particules virtuelles, les termes de corrections menacent d’augmenter toujours plus, on a alors à sa disposition une particule SUSY partenaire avec le même facteur élevé de correction, mais de signe contraire. Dans leurs recherches effrénées de particules SUSY, la motivation principale de beaucoup de physiciens expérimentaux diffère cependant. Ces particules sont de toute évidence lourdes, sinon on les aurait depuis belle lurette mises en évidence dans les accélérateurs. Dans le même temps, elles n’interagissent pas facilement, sinon on les aurait, dès à présent, attrapées dans nos filets.
Lesch :
Ainsi, les particules SUSY constituent de parfaits candidats pour expliquer la matière noire !
Gaßner :
Le cas échéant, et sans autre procès, une particule ne peut que se désintégrer en particules plus légères, sinon on devrait apporter en quelque façon de l’énergie pour l’apparition de masse supplémentaire. Les particules SUSY également n’échappent pas à cette règle. Même si l’ensemble de ces particules s’était déjà désintégré dans la phase jeune de l’univers, la plus légère d’entre elle, le neutralino, devrait encore exister. Il s’agit
402
Le Big Bang, le cosmos et la vie
d’un poids lourd de plusieurs centaines de fois la masse d’un photon, électriquement neutre – parfait pour la matière noire. Lesch :
Mais en contrepartie, les théoriciens, dans leur euphorie, ont ouvert la boîte de Pandore. La théorie SUSY devint quasiment le Saint Graal de la physique théorique, sans pour autant qu’aucune des particules prédites n’ait pu être mise en évidence – jusqu’ici.
Gaßner :
Très bien, mais en tant que principe appartenant à un ordre supérieur préalable, la théorie SUSY devrait s’établir, si nécessaire, même sans théorie des cordes et sans dimensions supplémentaires. Dans ce cas, les paramètres libres du modèle standard seraient multipliés par cinq. Malgré tout, les cordes, les super-cordes, M et tout le reste constituent en tant que tels des théories valables mathématiquement. La question essentielle est alors la suivante : Est-ce que l’une de ces théories a quelque chose à voir avec notre réel ? Comparée à cela, la question de savoir s’il nous est préférable de supposer un dualisme corpuscules-ondes et de devoir alors renormer les phénomènes ponctuels, plutôt que de réduire 11 dimensions à 4, me semble secondaire. Les deux solutions n’inspirent pas vraiment la confiance.
Lesch :
Je ne te savais pas si pessimiste.
Gaßner :
Dans ce cas, finissons avec quelque chose de positif concernant la théorie des cordes : le temps et l’espace gardent leurs significations comme « scène ». Cela constitue à tout le moins un aspect positif. Même la théorie de la gravitation quantique à boucle en fait fi, et postule pour le temps et l’espace, un quanta minimum, un grain d’espace-temps en quelque sorte. Ces grains sont en effet tissés de cordes. Lorsqu’on les détisse, le temps et l’espace disparaissent avec eux.
Lesch :
Un thème essentiel de plus, et même, un des plus gros défis pour l’ensemble des théories du tout, globales, globalisantes : la quantification de l’espace-temps.
Gaßner :
C’est pourquoi la théorie gravitationnelle des cordes m’est essentiellement plus sympathique que les supersymétries ou la théorie M. Le monde est rempli de grandeurs quantifiées, pourquoi diable l’espace et le temps ne posséderaient-ils pas eux aussi un quantum minimal ?
Un regard au-delà de l’horizon
403
En ce qui me concerne, cela peut être bien sous la forme de cordes, tissées comme une grille d’espace-temps, ou bien une sorte de liquide d’espace-temps, composé de différents fluides. Lesch :
Et que dirais-tu d’une mousse quantique ? Que notre monde soit constitué d’une mousse, voilà bien une idée étrange.
Gaßner :
Au moins, ce serait officiel. Nous les scientifiques, nous sommes des bavards intarissables. Mais sérieusement, une unité minimale d’espace et de temps aurait un énorme avantage. On pourrait éviter naturellement les divergences qui jusqu’ici existent toujours, dès que l’on veut additionner des énergies. Dans le chapitre sur l’« énergie noire », j’avais déjà évoqué brièvement cela. Les longueurs d’onde plus courtes sont toujours d’une énergie plus élevée. Sans une limite inférieure pour celles-ci, on ne peut éviter le problème de la divergence. Jusqu’ici, on s’arrête volontairement à la longueur de Planck. Volontairement, parce que cette limite à notre compétence trouve sa justification théorique pure dans la physique quantique et dans la relativité générale, et ne doit pas supposer nécessairement un phénomène physique réel particulier, lequel permettrait une coupure à une longueur d’onde encore plus faible. S’il existait une portion minimale d’espace, alors, en deçà de cette étendue minimale, les longueurs d’onde ne joueraient plus aucun rôle dans notre univers, et les ignorer serait physiquement justifié. L’addition ou l’intégration d’énergies quelconques aurait en conséquence toujours une valeur finie. La théorie quantique gravitationnelle des cordes autorise également, en plus de l’intégration de la longueur de Planck, une extension supplémentaire permettant le passage entre la description quantique et la description continue de l’espace-temps.
Lesch :
Qu’en est-il des preuves expérimentales ? Car après tout, la longueur de Planck (1,6 · 10– 35 mètres) tout autant que la constante temporelle de Planck (5,4 · 10– 44 secondes) sont si petites, qu’elles ne sont pas mesurables. Est-ce qu’on peut réellement additionner des effets aussi incommensurables de ce genre, jusqu’à ce qu’ils puissent effectivement être mis en évidence ?
Gaßner :
La confirmation de la théorie quantique gravitationnelle des cordes pourrait bel et bien être à la portée d’observations astronomiques.
404
Le Big Bang, le cosmos et la vie
En effet, plus les objets que nous observons sont éloignés, plus il faut s’attendre à ce qu’une structure grainée de l’espace-temps apparaisse dans nos télescopes, car en fin de compte, le rayonnement lumineux se déplace dans l’espace-temps. La structure en grains devrait affecter quelque peu la lumière durant son long trajet jusqu’à nous. Nous devrions être en mesure de percevoir cette incidence minimale. Plus particulièrement, pour des rayonnements de type pulsionnel très élevés, il devrait exister un décalage, c’est-à-dire que la vitesse de la lumière devrait, aux énergies proches de la constante énergétique de Planck, dépendre de la fréquence. Et effectivement, les données provenant du blasar Markarjan 501, dans la constellation d’Hercule, nous fournissent un premier indice. Le trou noir au centre de cet objet éloigné de 500 millions d’années-lumière produit un jet atteignant presque la vitesse de la lumière, directement en direction de la Terre. Il constitue pour nous un agencement expérimental quasiment parfait pour l’exploration de rayonnements pulsionnels durs. Il y a déjà dix ans, on trouva des anomalies et au télescope de 17 mètres MAGIC de La Palma en 2005, on put observer une éruption du blasar, lors de laquelle des photons d’une valeur énergétique de l’ordre du TeV, nous parvinrent quatre minutes plus tard avec 500 MeV. Le télescope FGST (Fermi Gamma-ray Space Telescope) nous fournira, on l’espère, quelques éclaircissements. Ce dernier est en effet spécialisé pour des géants comme Markarjan 501. Lesch :
Entre-temps, on recherche activement des anomalies dans la lumière provenant d’objets éloignés. Quoi qu’il en soit, des années d’efforts à l’aide de ces disques de diffraction d’Airy n’ont jusqu’ici rien donné. Rien du tout ! Les images des galaxies les plus éloignées sont complètement nettes, et on a pu même mettre en évidence des modèles de diffraction. À l’aide de cette interférence constructive, on put complètement éliminer les perturbations dans l’intensité ou dans la phase. Le grain de l’espace-temps, s’il existe, ne révèle aucune influence visible sur le rayonnement.
Gaßner :
Même le rayonnement dit d’Hawking – devions-nous le mesurer effectivement un jour – devrait avoir, si l’on en croit la théorie quantique des cordes, un spectre caractéristique. L’idée fondamentale dudit
Un regard au-delà de l’horizon
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rayonnement est facile à comprendre : comme nous l’avons vu dans le chapitre sur le Big Bang, il existe partout dans l’univers des fluctuations quantiques sous la forme de paires antipaires de particules, et il en est de même à l’horizon du trou noir. Lorsqu’une des deux particules virtuelles s’engouffre dans le trou noir, c’est-à-dire lorsqu’elle se soustrait au permanent devenir et disparaître de toute chose, sa particule associée subsiste quant à elle, comme particule réelle. Si son énergie est suffisante, elle échappe à l’environnement immédiat de l’horizon du trou noir, et alors, vu de l’extérieur, tout se passe comme si le trou noir avait émis une particule. Si plusieurs particules se joignaient de la sorte lors de leur escapade, elles pourraient se désintégrer ensemble et les photons qui en résulteraient pourraient ainsi s’échapper.
6.5 Le rayonnement d’Hawking. Lors d’une fluctuation quantique sous la forme d’une particule (en bleu) et d’une antiparticule (en rouge), l’une d’elles s’engouffre dans le trou noir et laisse sa partenaire derrière elle (trajectoire verte). Si l’énergie est suffisante pour qu’elle s’échappe de l’horizon du trou noir, alors, pour un observateur extérieur donné, il semble que le trou noir ait émis une particule. Si, lors de leur voyage, plusieurs particules et antiparticules se rencontrent, elles peuvent s’annihiler mutuellement. Les photons qui résultent alors de cette annihilation peuvent s’échapper (en jaune). Lesch :
Tout cela me semble un peu vague. Mon pronostic à ce sujet : ces théories vont toutes prendre l’eau – mousse quantique ou non.
Gaßner :
Plus concrets et plus prometteurs sont les décalages potentiels des dénommés Greisen-Zatsépine-Kouzmine-Cutoff (GZK-Cutoff). On entend par là une limite maximale de l’énergie des photons qui parcourt un long trajet et que nous observons cependant sur la Terre. Théoriquement, les photons, au-dessus de cette limite énergétique, devraient en chemin constamment réagir avec les photons du rayonnement
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
cosmique et, ce faisant, ils devraient produire des particules. Cela coûte de l’énergie. Pour une énergie entre 4 et 8 · 1019 eV environ, 20 pour cent de l’énergie serait convertie, par exemple, en pions, et de surcroît, la trajectoire des photons en serait modifiée. Ils ne seraient donc pas libres de transporter également, donc indépendamment de la distance, des énergies au-delà de la limite de GZK-Cutoffs. En général, cette distance est limitée à quelques centaines de millions d’années-lumière. Si l’on observait des photons ayant une énergie supérieure à cette limite, ils devraient provenir de sources plus proches. Sinon, la théorie des réactions fondamentales devrait être modifiée. La théorie quantique gravitationnelle des cordes prédit un tel décalage. Au Japon, le Akeno Giant Air Shower Array (AGASA-Experiment jusqu’en 2004) a pu mesurer des photons dépassant cette frontière de GZK-Cutoffs, et qui plus est, des photons quasiment isotropes. Les télescopes spécialisés les plus récents attendent, pour le moment en vain, de tels événements rarissimes. Lesch :
En tous les cas, je trouve réconfortant que la gravitation quantique à boucles formule clairement ses propres thèses, et que celles-ci restent accessibles à l’expérimentation ou à l’observation. Ce n’est malheureusement pas toujours le cas de nos jours. La théorie des cordes ne se soumet pour le moment pas du tout au tribunal de la science.
Gaßner :
Seules ses rares prévisions sont falsifiables. Par exemple, elle prédit nécessairement que les constantes naturelles varient avec le temps. Mais dans l’ensemble des expérimentations, les constantes naturelles se révèlent être exceptionnellement stables – d’où leur nom. Certains collègues espèrent aussi mettre en évidence les signatures caractéristiques des cordes comme reliques de la phase d’inflation de l’univers dans le rayonnement cosmique fossile.
Lesch :
Est-ce que l’une de ces théories appartient d’ores et déjà au futur ou est-ce qu’elles doivent laisser la place à des modèles, qui n’ont pas encore été conçus ? Qu’en penses-tu ?
Gaßner :
Je pense comme Mark Twain : « Il existe deux instants dans la vie d’un homme où il ne devrait pas penser : le premier, lorsqu’il ne peut pas se le permettre, et le second, lorsqu’il le peut. »
Un regard au-delà de l’horizon
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Lesch :
Je vois. Il est temps qu’un météore vienne frapper le paysage des sciences naturelles.
Gaßner :
Qui sait, peut-être que justement à cet instant, quelqu’un est en train de tracer une ligne dans un graphique – il n’est pas nécessaire que ce soit un ancien boxeur…
Lesch :
Puisque nous parlons à nouveau d’Edwin Hubble : l’interprétation de son décalage dans le rouge comme vitesse de fuite dans un espace-temps en extension a vraiment quelque chose à voir avec les efforts pour mettre en évidence l’existence d’un grain de l’espace-temps.
Gaßner :
Tu parles de l’hypothèse de la fatigue de la lumière, hypothèse alternative, selon laquelle le décalage vers le rouge serait dû à une interaction de la lumière de type jusqu’ici inconnu, lors de son chemin jusqu’à nous. Une granulation de l’espace aurait assurément remis cette hypothèse au goût du jour. Selon elle, plus la lumière est en chemin, plus la perte d’énergie des photons s’accumule. C’est pourquoi les objets les plus lointains nous apparaîtraient plus décalés dans le rouge.
Lesch :
J’ai déjà parlé des disques de diffraction d’Airy. À l’évidence, il n’existe là, au-dehors, aucune interaction de ce genre, sinon nous n’aurions pas obtenu ces images extrêmement nettes sur des milliards d’annéeslumière. En fin de compte, les défenseurs d’une telle théorie veulent promouvoir une image du monde sans Big Bang. Ce faisant, et indépendamment de l’interprétation du décalage dans le rouge, ils mettent complètement de côté les observations concernant la nucléosynthèse primordiale et celles concernant le rayonnement cosmique de fond. Depuis l’apparition de la radioastronomie, on est même en mesure d’observer directement combien certains objets donnés étaient auparavant plus proches les uns des autres. Si tu veux mon avis, la théorie de la fatigue de la lumière est vraiment une théorie très fatiguée.
Gaßner :
Elle connut son apogée juste après les observations de Hubble, c’est-àdire bien avant les moyens techniques que nous possédons aujourd’hui. Alors, bien des scientifiques de renom avaient quelques difficultés à accepter l’idée d’un espace-temps quadridimensionnel en expansion. Einstein lui même avait préféré écrire ses équations de la théorie de la relativité générale de telle sorte qu’elles induisent un univers statique.
Le Big Bang, le cosmos et la vie
408 Lesch :
Ce sont de vieilles histoires. Car la chose est désormais établie, et ce, au plus tard avec la mise en évidence du rayonnement cosmique de fond. Ce rayonnement constitue une dispersion de Planck, ce qui exclut nombre d’alternatives. Il ne peut être ici question de la lumière des étoiles ou celle provenant d’un quelconque plasma, sinon nous en verrions les lignes d’absorption. Nous avions seulement besoin de quelque chose de chaud, par quoi toute chose se trouve en équilibre thermodynamique.
Gaßner :
Il s’agit même de la meilleure adéquation qu’il nous ait jamais été permis d’observer jusqu’à aujourd’hui entre les mesures expérimentales et la dispersion de Planck théorique ; même en laboratoire, nous ne sommes pas parvenus à atteindre cette qualité. Et cette dispersion a une particularité : si on augmente le volume et le décalage dans le rouge du rayonnement contenu, comme il convient de le faire dans le cas d’une expansion de l’univers, alors la dispersion de Planck reste une dispersion
Données mesurées du rayonnement fossile de fond Répartition de Planck (2,725 K)
Fréquence 6.6 Le rayonnement cosmique de fond correspond à une dispersion de Planck à 2,725 K.
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de Planck. Elle se décale seulement vers des températures plus basses. Si on augmente au contraire le seul décalage vers le rouge des photons sans augmenter le volume, comme il convient de le faire si l’on considère l’hypothèse d’une fatigue de la lumière dans un univers statique, alors cette dispersion s’effondre et prend une autre forme. En raison de la coïncidence extrême des données avec une dispersion de Planck théorique, il ne reste guère de place pour d’autres explications. Une source alternative de rayonnement – on a proposé de minuscules pointes de fer chaudes comme reliques de supernovæ – devrait se trouver à proximité immédiate, en deçà de la moitié de la distance qui nous sépare de la galaxie d’Andromède. Cela contredit les observations. Lesch :
Même Fred Hoyle, l’adversaire le plus acharné de la théorie du Big Bang l’a acceptée et, pour finir, a jeté à la poubelle son modèle statique. Ce qui en sortit finalement, ce fut une théorie modifiée du Steady State, basée sur le raisonnement suivant : « bon, l’univers est bien en expansion, mais cela ne signifie nullement qu’il y ait eu un Big Bang. » Il se pourrait également très bien qu’il existe de toute éternité et qu’il pulse, c’est-à-dire qu’il s’étend et se contracte successivement. Pour le moment, il serait dans une phase d’expansion, évidemment.
Gaßner :
Aussi longtemps que l’on considère seulement les effets d’une expansion sur l’espace et sur les photons qu’il contient, on ne saurait persuader les dubitatifs à cent pour cent. Par chance, il existe un test superlatif, qui lui prend aussi en compte les effets d’une expansion sur le temps. Si notre univers s’étend sous la forme d’un espace-temps quadridimensionnel, cela doit avoir des effets mesurables sur le temps, c’est-à-dire que, non pas les seules longueurs doivent être étirées, mais aussi le temps luimême. Nous avons donc besoin ici d’une sorte d’horloge, qui tique aussi loin que possible dans le passé, et que nous puissions comparer avec les horloges actuelles. Et bien sûr, nous utilisons à cet escient à nouveau nos chandelles standards, les supernovæ de type Ia. Dix pour cent de leur énergie est transformée en désintégrations radioactives, cela, nous l’avons déjà vu dans notre chapitre Énergie noire. Ces désintégrations peuvent être utilisées comme un chronomètre idéal, et effectivement, les supernovæ éloignées de type Ia apparaissent avec un temps prolongé d’un facteur (1 + le décalage dans le rouge). Il est facile de se représenter
Le Big Bang, le cosmos et la vie
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cela clairement, si l’on a présent à l’esprit, que les photons qui sont envoyés à la fin de ce processus, doivent parcourir une distance rallongée par l’expansion, par rapport à ceux qui furent émis à son commencement.
Expansion
Dilatation
Fatigue de la lumière
Décalage dans le rouge
6.7 La durée de la supernova observée de type Ia relativement à son décalage dans le rouge. La suite des événements apparaît prolongée d’un facteur 1 + décalage dans le rouge. Cela correspond aux prédictions de la relativité générale. Lesch :
C’est la substance même de la science. Les théories en lice avec leurs prédictions s’affrontent les unes les autres dans une sorte de compteà-rebours, jusqu’à ce que les observations et les expérimentations aient clarifié les choses. Ensuite, de nouvelles hypothèses sont formulées, lesquelles à leur tour apporteront de l’eau au moulin.
Gaßne :
Oui, voilà le pragmatisme sans pitié de la science : le Roi est mort, Vive le Roi ! Et dans le même temps, on sait bien que ce roi lui-aussi – ici, la théorie – ne vivra pas éternellement. Cela dit, avec chaque nouvelle observation, il sera toujours plus difficile de formuler de nouvelles hypothèses. Chaque nouvelle idée doit, en effet, passer avec succès tous les tests déjà existants. En comparaison, il y a encore 100 ans, cela était plus facile – on pouvait esquisser des conceptions entièrement nouvelles
Un regard au-delà de l’horizon
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du monde. Je comparerais volontiers cela avec ces dessins que l’on trace en reliant des nombres qui se suivent. Les points donnés sont un peu comme les données empiriques. Reliant quelques points seulement, on pourrait presque dessiner toute chose. Mais à chaque point supplémentaire s’ajoutant, cela devient plus difficile. Lesch :
La curiosité intarissable de l’esprit humain nous conduira toujours vers de nouveaux rivages. Aristote le savait déjà.
Gaßner :
Je voudrais quelque peu freiner ton euphorie. Ce qui est en question ici, c’est la manière avec laquelle nous faisons nos observations. Que ce soit dans le fin fond du cosmos, là au-dehors, ou dans le monde de l’infiniment petit, nous tombons toujours sous le joug de la loi dite de l’effet sélectif de l’observateur. Nous cherchons inévitablement à contrôler des théories au moyen d’interprétations de données expérimentales, ellesmêmes imbibées de théories.
Lesch :
L’effet sélectif dû à l’observateur constitue une sorte de point aveugle et se laisse facilement expliquer : admettons qu’à la pêche, tu attrapes seulement des poissons d’une certaine grosseur minimale donnée, et que de là, tu en déduises la théorie qu’il n’existe pas de poissons plus petits. Un jour quelqu’un te demande comment tu attrapes tes poissons. Tu lui réponds « avec un filet de mailles de 10 centimètres ». Ce à quoi l’autre rétorque : « Alors tu ne dois pas t’étonner de ne pas avoir de poissons plus petits. »
Gaßner :
Le filet avec lequel nous travaillons, dehors, c’est la lumière. C’est pourquoi il est si difficile pour nous de prendre en compte des objets avec lesquels elle n’interagit pas. Dans le monde de l’infiniment petit, nous tissons un filet avec les prévisions que nous donne le modèle standard. Et au-dessus de tout cela, la mathématique règne en maître, elle s’entremêle à chaque type d’observation. C’est ce sur quoi je voulais attirer l’attention, lorsque je parlais « d’observations imbibées de théories ». Il est intéressant de constater la puissance des mathématiques en ce qui concerne la description de notre monde. Les deux, les mathématiques et le monde, reposent à l’évidence sur une certaine structure. C’est cette structure du monde qui permet en fin de compte à la vie d’apparaître. La continuité d’un développement et cette structure interne lui procurent
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
les bases dont elle a besoin. Si au contraire, tu cherchais à prévoir ou calculer le comportement d’un seul homme, tu te rendrais vite compte que les mathématiques ne sont guère adaptées pour cela. Lesch :
J’en suis bien sûr. Nous l’avons déjà souligné, le cerveau humain est effectivement le plus complexe réseau qu’il nous ait été donné de découvrir jusqu’ici dans l’univers. Rien qu’à la lecture de ce livre, tout ce qui se passe dans votre cerveau, chères lectrices et chers lecteurs, est tout simplement incroyable – et cela n’a pas seulement à voir avec le contenu du livre.
Gaßner :
Les mathématiques ne sont pas capables de représenter avec succès cet amalgame de 1,4 kilogramme de graisse, d’eau et de quelques éléments présents sous formes de traces. Mais pour ce qui est de la description du cosmos, dans lequel, nous les humains, nous vivons, et avec nous notre cerveau, elles est au contraire on ne saurait plus appropriée.
Lesch :
Une petite remarque tout de même : cela ne concerne pas tout ! Mais seulement ce qui peut se mesurer effectivement. Par exemple, cela ne marche pas pour moi-même, ou pour l’expérience immédiate que je fais du monde. Mon expérience intérieure n’est pas accessible empiriquement. Je reste intimement persuadé du fait de mon existence intérieure ou de la tienne et de celles de tous les autres hommes également, dont pourtant je ne saurais véritablement saisir empiriquement l’intériorité, c’est-à-dire au moyen de méthodes scientifiques de mesures. Pour cela, je suis uniquement tributaire de ma seule conviction.
Gaßner :
Les convictions ne se laissent point mesurer, pas plus les concepts d’espérance ou de foi. Ce ne sont pas des concepts mathématiques. Cela marque cependant la vie intellectuelle d’un Homo sapiens d’avoir espoir en l’avenir.
Lesch :
Ou bien d’espérer effectivement pouvoir résoudre un jour un problème mathématique et non d’en douter en permanence. Ce que je veux dire, c’est que les mathématiques constituent en tant que tel un instrument exceptionnel pour la science. Notamment parce que nombre de nos théories mathématiques ont été inventées complètement sans raison.
Un regard au-delà de l’horizon Gaßner :
Lesch :
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Qui aurait pu le formuler mieux que Richard Feynman : « La science, c’est comme le sexe. Parfois, il en résulte quelque chose de sensé. Mais ce n’est pas la seule raison pour laquelle nous faisons l’amour. » Exactement. Les mathématiques n’ont aucunement besoin de phénomènes naturels. Ou plutôt inversement : les mathématiciens n’ont pas besoin de phénomènes naturels pour s’occuper l’esprit et commencer à travailler. Au contraire ! Ils s’essayent même à la construction de théories concernant des mondes qui ne sauraient exister du tout. Tout du moins si l’on en croit les physiciens eux-mêmes.
6.8 Richard P. Feynman (1918– 1988)
Gaßner :
Les mathématiciens sont complètement libres d’imaginer tout scénario possible, alors qu’au contraire, nous les physiciens, sommes liés par des contraintes dures. Nous nous confrontons au monde tel qu’il est. Nous nous émerveillons devant l’orchestre placé devant nous, et nous ne nous posons pas la question de savoir, comment sonnerait le concert, si quelques instruments en plus, ou en moins, y participaient.
Lesch :
C’est que nous autres physiciens, nous sommes des mathématiciens domestiqués. Nous sommes très bien éduqués. De quelles méthodes éducatives avons-nous profitées ? De ces lois sans pitié, conservation de certaines grandeurs, comme celle de l’énergie, qu’on ne peut que transformer, et non créer ou détruire, et ainsi de suite. Cela constitue – comment doit-on dire ? – les règles qui rendent possibles ces lois de conservation. Et nous n’utilisons effectivement qu’une toute petite partie des théories mathématiques possibles.
Gaßner :
Je formulerais cela en mélangeant les propos de Richard Feynman et Henry Huxley : La science c’est l’imagination dans une camisole de force et son plus grand malheur est la ruine d’une belle hypothèse par des faits hideux.
Lesch :
Ce qui est remarquable, ce serait bien plutôt, qu’en chemin, nous avons développé des instruments mathématiques qui expliquent la stabilité de ce monde. Pourquoi ce dernier reste-t-il, pour l’essentiel, tel qu’il est ? Pourquoi cette table devant moi ne se désintègre-t-elle pas, et toi pas
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
davantage ? On considère une solution qui « marche », puis on l’adapte un peu, ou on extrapole. Là, j’ai le plus grand respect envers les mathématiques. Mais il ne semble pas exister quelque chose comme une propriété universelle du monde. Les mathématiques constituent un instrument merveilleux, mais elles ne sont pas la raison dernière, la cause finale du monde. Celle-ci ne me semble pas être de nature mathématique. Gaßner :
Les mathématiques ne nous disent d’abord rien du monde. Tu viens justement de dire qu’elles offrent plus de possibilités que le monde luimême en porte. À cet endroit, il faut être prudent, particulièrement en ce qui concerne la physique théorique. Il nous faut faire attention à pouvoir toujours nous appuyer avec force sur les observations. L’expérimentation et la théorie doivent jouer au ping-pong – ou pour un fan de football comme toi, selon les mots de Sepp Herberger : Après l’expérience, c’est encore avant l’expérience. Si nous marchons trop longtemps sans entraves, alors on en vient facilement à culbuter.
Lesch :
Nous sommes assurément parvenus à un point dangereux en physique théorique. Les théories modernes se nourrissent de la croyance selon laquelle les forces fondamentales étaient unies en une force unique, correspondant à un haut niveau énergétique, peu après le Big Bang (cf. schéma 2.21). En premier lieu, aucune observation de phénomène naturel d’aucune sorte ne vient corroborer ce point. Weinberg et Salam ont bien fait un premier pas en avant avec leur unification réussie de la force nucléaire faible et de la force électromagnétique, l’unification de toutes les forces fondamentales, quant à elle, reste pure spéculation.
Gaßner :
On voit ici que l’espoir résonne encore : notre image complexe du monde se laisserait une nouvelle fois simplifier. Au temps des philosophes grecs, tout était encore en ordre. Il y avait quatre éléments qui formaient l’ensemble du monde : la terre, le feu, l’eau et l’air. Avec les sciences naturelles, on passa à 92 éléments stables. Ensuite, une simplification fondamentale réussit. On constata que ces 92 éléments étaient composés de trois parties : protons, neutrons et électrons. L’euphorie ne fut que de courte durée. Elle fut bientôt accompagnée de nouvelles découvertes : pions, muons, neutrinos, tout un tas de particules avec leurs antiparticules. L’ensemble, ajouté à de nombreuses règles et à trois forces fondamentales, se laissa subsumer sous un concept unique, portant le
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nom de « modèle standard ». La quatrième force fondamentale – la gravitation – ne s’intègre malheureusement pas dans cet édifice de pensée. Je comprends tout à fait cet espoir d’unification et de simplification. Lesch :
Une particule par-ci, une particule par-là, encore je veux bien. Mais tout de même, il est ici question d’unifier les quatre forces fondamentales, lesquelles ne sauraient être plus différentes les unes des autres. Les unes ne s’exercent qu’à l’intérieur d’un noyau atomique, les autres, ayant un rayon d’action illimité, entre les amas galactiques.
Gaßner :
Et c’est précisément là qu’apparaît toute la puissance du mécanisme de Higgs. Les forces agissent essentiellement grâce à des particules. Ces bosons de jauge, un peu comme des préposés de la poste, sont échangés entre les partenaires de l’interaction. Les bosons de jauge de la force nucléaire faible sont très lourds, et notre facteur virtuel a beaucoup à porter. C’est pourquoi cette force élémentaire a un rayon d’action faible. Les photons, les particules d’échange de la force électromagnétique sont dépourvus de masse, un paquet qui se transporte donc sans peine, c’est pourquoi leur rayon d’action est illimité. Mais si tous ces bosons de jauge avaient tous eu, au moment du jeune univers, une masse identique nulle au repos – alors le champ de Higgs n’avait encore aucun effet qui leur eut conféré une masse –, alors nous approcherions à grands pas de l’unification de ces forces.
Lesch :
Mais il n’existe aucune raison de rechercher des théories ultras à n-dimensions. On devrait dire à ce propos – et je le pense sérieusement – qu’il s’agit de mathématiques expérimentales !
Gaßner :
Juste avant sa mort en 1988, Feynman a dit à propos de la théorie des cordes approximativement ceci : « Cela ne me plaît pas, qu’ils ne vérifient pas du tout leurs idées par le calcul. Cela ne me plaît pas, qu’ils ne fournissent aucune explication des valeurs numériques du modèle standard. Cela ne me plaît pas, que pour tout ce qui ne correspond pas à l’expérience, ils bricolent une explication, d’après laquelle ils peuvent affirmer : oui, il se pourrait bien que ce soit tout de même juste. La théorie demande, par exemple, dix dimensions. Très bien, peut-être cela est-il possible mathématiquement d’enrouler six d’entre elles, mais pourquoi pas sept ? Ce sont bien les équations qu’ils utilisent qui
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devraient pouvoir décider combien de dimensions il nous faut enrouler, et non leur souhait d’une coïncidence avec l’expérience. Il n’y a aucune raison qui tienne pour ne pas enrouler huit des dix dimensions et de laisser les deux autres de côté, ce qui serait en complète contradiction avec l’expérience. » Lesch :
Comme bien souvent, il a touché juste, et ce, il y a trois décennies. Depuis, rien n’a atténué la force de ses arguments.
Gaßner :
Lorsque j’entends parler d’espaces à 11 dimensions dans lesquels nous vivons, il me vient spontanément cette phrase de Lessing à l’esprit : « Qui ne perd pas raison à la considération de certaines choses, celui-là n’a pas d’esprit à perdre. » Mais par chance, nous avons dans les sciences de la nature nombre de choses concrètes à présenter également.
Lesch :
Si les théories des cordes constituent bien des mathématiques expérimentales, ce n’est que dans le sens d’une tentative purement interne à la structure de la science. De telles hypothèses structurelles ne doivent pas nécessairement échouer sur l’écueil de l’expérience, mais cela fait sens de réfléchir à leur sujet : il se pourrait bien, qu’un jour, quelque chose de positif en sorte. L’espoir, c’est ce qui meurt en dernier.
Gaßner :
À l’origine, la théorie fut mise au point pour décrire la force nucléaire forte. Des obstacles insurmontables s’étaient cependant érigés, par exemple, celui de l’apparition d’une mystérieuse particule sans masse. Après avoir plus tard utilisé la théorie dans un tout autre contexte, cette particule mystérieuse, précisément, s’est avérée être une véritable bénédiction : on peut l’interpréter comme étant le graviton manquant.
Lesch :
C’est cela que j’entends par mathématiques expérimentales : on développe un instrument mathématique et ensuite on recherche pour celle-ci une application en physique. Qu’est-il alors advenu de l’expérience comme principe de base de la méthode naturaliste ? Du côté de la physique, nous n’avons, jusqu’à aujourd’hui, absolument rien trouvé qui nous autoriserait à dire « Ah, avec ceci, nous pouvons enfin te tester, théorie des cordes. »
Gaßner :
Oui, mais l’hypothèse de dimensions supplémentaires s’est retranchée toute proche du monde de Planck, au-delà de notre portée empirique.
Un regard au-delà de l’horizon
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Lesch :
De quelle taille doit-on s’imaginer une corde, par rapport à un atome par exemple ?
Gaßner :
Afin qu’une corde atteigne à peu près ta taille, on devrait utiliser une échelle, en comparaison de laquelle un atome aurait alors presque les dimensions de notre système solaire.
Lesch :
Très bien, mais jamais nous ne pénétrerons aussi profondément dans le monde de l’infiniment petit.
Gaßner :
Malgré tout, je reste fortement persuadé que l’esprit de recherche trouvera un chemin expérimental pour nous permettre de statuer sur la théorie des cordes. Une première lueur d’espoir pourrait nous être donnée par des trous noirs microscopiques, de telle sorte qu’on mettrait les cordes en évidence. Mais il s’agit en vérité d’un bien et d’un mal à la fois. Si celles-ci venaient à dépasser un certain niveau énergétique, elles constitueraient alors une limite pour d’autres observations à venir. Dans une certaine mesure, elles érigeraient un mur, obstruant pour toujours notre regard vers des particules plus lourdes, au-delà de cette frontière.
Lesch :
Cela n’a alors plus guère de sens de produire des collisions à des énergies toujours plus hautes. D’ailleurs comment reconnaîtrions-nous un trou noir au LHC ?
Gaßner :
Il devrait normalement se révéler grâce à un événement extrêmement isotrope. Lors de collisions normales, on voit apparaître un jet, c’est-àdire quelque chose qui vole en éclat dans des directions opposées. Opposées, sinon la loi de conservation de la quantité de mouvement serait non respectée. Lorsqu’un proton venant de droite entre en collision avec un proton venant de la gauche, l’ensemble de la quantité de mouvement au centre de gravité est nul. En conséquence, ce qui s’éloigne doit également avoir une quantité de mouvement nulle – c’est-à-dire s’éloigner dans la direction opposée. Pour un trou noir, nous attendons qu’il se dissipe après un temps très court par rayonnement d’Hawking. Ce processus, prédit théoriquement – lui aussi en raison de la loi de conservation de l’énergie – devrait montrer une répartition quasiment isotrope, et non pas générer deux jets en deux directions, mais un quelque chose dans toutes les directions. C’est comme ça que l’on reconnaîtrait les trous noirs. Nous connaissons très bien leurs grands frères, les trous noirs
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
stellaires. Nous n’avons encore pas mis en évidence le rayonnement d’Hawking, mais nous connaissons bien la relation entre leur rayon et leur masse et nous savons quel rôle joue la gravitation. Lesch :
Et ce, bien que le collègue Hawking ait mis en question la théorie des trous noirs. Et là, je dois faire attention à ne pas m’énerver. Il n’avait de toute évidence aucune idée des observations déjà réalisées, sinon il n’aurait point affirmé un tel propos. Les noyaux galactiques actifs, les mini-quasars, les variables cataclysmiques, etc. existent bien. Autant de faits indéniables de l’astrophysique observationnelle, que l’on ne peut expliquer que par l’existence et les effets des trous noirs, leurs disques d’accrétion et la manière dont ils tournent, et ce, qu’ils soient stellaires ou encore supermassifs. Et je ne comprends pas comment quelqu’un comme Hawking a pu mettre en doute tout cela. Tu voudras bien m’excuser, mais cela devait enfin sortir.
Gaßner :
Je pense que cela fut quelque peu précipité. On le voit bien à la seule considération de la manière dont ses idées ont été rendues publiques, avant même qu’il ait livré quelques calculs significatifs, pour ne rien dire d’une publication scientifique digne de ce nom. Mais je peux tout de même comprendre son objectif. Hawking s’est heurté – tout comme nombre d’autres théoriciens – au fait que l’information, en s’engouffrant dans le trou noir, se perd irrémédiablement, ou plus spécialement à la question de savoir ce qui s’engouffre effectivement dans un trou noir. Celui-ci accroît sa masse bien sûr, mais de surcroît, dans le meilleur des cas, son moment de rotation et sa charge également – toutes les autres caractéristiques de la matière assimilée semblent pourtant être définitivement perdues. Ici, la relativité générale est en contradiction avec la mécanique quantique, l’information devant, selon cette dernière, se conserver. On parle alors de paradoxe de l’information. Si celle-ci ne disparaissait pas avec la matière dans le trou noir, mais était en quelque sorte enregistrée à l’horizon du trou noir, le conflit entre les deux théories les plus importantes de la physique serait surmonté. L’information pourrait même, grâce au rayonnement d’Hawking, revenir de l’horizon, dans un état, il est vrai, irréversiblement dégradé. Voilà en quelque mots l’idée de notre collègue Hawking. Je propose que nous attendions ses publications à venir pour une évaluation plus définitive.
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Lesch :
Très bien ! Mais revenons à notre recherche de dimensions supplémentaires au LHC à l’aide de trous noirs microscopiques.
Gaßner :
La gravitation chute pour les objets macroscopiques avec le carré de la distance, c’est-à-dire 1/r2. Avec l’aide de la théorie quantique des champs, on peut démontrer que cette chute dépend de façon plus générale du nombre de dimensions N, selon la formule 1/r(N– 1). Si nous devions tomber sur ces trous noirs microscopiques au LHC et s’ils se comportaient différemment de ce que la théorie établie prédit, alors serions-nous en mesure de tirer de cette divergence des conclusions en ce qui concerne le nombre de dimensions de l’espace qui doit régner dans le monde de l’infiniment petit, en tenant compte évidemment du rôle établi de la gravitation, qui, elle au moins, nous livre encore une image d’ensemble sensée. Secrètement, on espère pouvoir expliquer la relative faiblesse de la gravitation par rapport aux autres forces et ainsi s’approcher de nouveau d’une unification théorique. Il serait bien possible, en effet, que la gravitation soit, en réalité, beaucoup plus forte et que l’impression de sa faiblesse relative provienne de ce qu’elle fût l’unique force régnante contenue dans les dimensions supplémentaires enroulées de l’espace. Dans nos trois dimensions macroscopiques, nous ne percevrions peut-être qu’une fraction de sa force réelle – suivant le mode et la manière dont elle agit. C’est également pourquoi les gravitons sont représentés dans ces modèles comme des cordes fermées, qui ne peuvent nulle part être fixées topologiquement, alors que les particules d’échange des autres forces y sont représentées comme des brins ouverts, dont les extrémités collent à nos quatre dimensions bien connues de l’espace-temps. Et c’est pourquoi ces dernières ne peuvent s’en échapper.
Lesch :
Ainsi, la réponse à cette recherche de dimensions supplémentaires nous serait fournie par la gravitation.
Gaßner :
C’est du moins ce que l’on espère. Peut-être que les dimensions enroulées potentielles sont plus grosses que prévu et peut-être que nous parviendrons à atteindre au LHC des échelles de grandeur plus petites encore. À l’intérieur des dimensions compactées, la gravitation serait plus élevée et favoriserait ainsi la formation de trous noirs. Cela trahirait alors l’existence de ces dimensions supplémentaires.
Lesch :
C’est un peu trop de « peut-être » et de conditionnels à mon goût.
420 Gaßner :
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Bien sûr, cela semble un peu fou. Mais lorsqu’on considère ces choses, il faut être à la fois très prudent, et ne pas non plus être victime de son propre manque de fantaisie. Dans tous les cas, il convient de faire usage de prudence et de fair-play scientifique, aussi longtemps que nous ne sommes pas parvenus à confondre cette hypothèse – aussi farfelue nous semble-t-elle. Il y a cent ans, Einstein a calculé que le temps et l’espace se courbent en présence de la matière, ce qui ne plut guère à bon nombre de gens. Cela dit, il a toujours raison à ce jour. Et lorsque Michael Faraday entre 1831 et 1854 réfléchit sur l’existence de lignes de force invisibles et publia finalement ses Experimental Researches in Electricity, ses idées semblaient également à l’époque extrêmement étranges. Les aurait-on mises de côté, le monde d’aujourd’hui serait 6.9 Michael Faraday tout autre sans électricité. (1791 – 1867)
Lesch :
On se raserait encore à la lame.
Gaßner :
Le Premier ministre britannique William Gladstone demanda alors à Faraday : « Tout cela est bien beau. Mais que nous apportent donc ces lignes de force invisibles ? » Et Faraday de répondre : « Vous avez raison. J’ignore ce qu’elles apporteront de bon. Mais je sais qu’un jour, vous en collecterez des impôts. »
Lesch :
C’est ce que j’appelle voir loin. À ce propos, une question fondamentale : y a-t-il encore une place pour Dieu dans la science moderne ?
Un regard au-delà de l’horizon
421
6.2 Y a-t-il encore une place pour Dieu dans la science moderne ? « Qui pose de fausses questions ne doit pas espérer obtenir les bonnes réponses » (Horst Kaltenhauser)
Gaßner :
Le boson de Higgs est souvent dénommé particule divine. Sais-tu pourquoi ?
Lesch :
Le prix Nobel Leon Ledermann a déposé en 1993 un manuscrit au sujet du Higgs. Afin de souligner combien la recherche en était « diablement » difficile, il a intitulé son manuscrit The God Damn Particle (la « Dieu soit maudite » particule). L’éditeur supprima, sans autre forme de procès, le Damn et, ce faisant, a canonisé le boson de Higgs.
Gaßner :
Ainsi, il s’est agi d’une bien malheureuse association. Et même sans ce malentendu, la théologie, pour beaucoup de gens, semble compétente, là où la science ne s’est pas encore aventurée. Depuis toujours, les théologiens s’embourberaient dans une sorte de repli sur eux-mêmes. En vérité, ils ne se trouvent pas du tout sur le même terrain que les scientifiques, ou alors, les uns y jouent au football et les autres y cueillent des pâquerettes. Construire une compétition éliminatoire sur cette base serait une erreur.
Lesch :
Au regard d’une science qui est parvenue jusqu’à la longueur de Planck de 10 – 35 mètres, l’argumentation fallacieuse dont tu parles réduirait Dieu à la taille d’un bonsaï.
Gaßner :
Nous devons absolument le souligner une fois de plus : les scientifiques n’ont pas la compétence pour juger des questions de foi, et ce, même si ces temps derniers, toujours plus d’entre eux s’y sont sentis appelés.
Lesch : Gaßner :
Je suis tout à fait de ton avis. Que je sois athée ou non, seul Dieu le sait. Les scientifiques sont les architectes d’intérieur du cosmos. Nous observons, mesurons et examinons le mobilier. En ce qui concerne un possible maître d’œuvre de la construction ou même ses intentions supposées, nous ne savons rien.
422
Le Big Bang, le cosmos et la vie
Lesch :
La physique est dépourvue de sens et libre de tout Dieu. Dans nos équations n’apparaît nulle part un terme divin. Il n’existe aucune intégrale allant de 0 à 1 sur le sens de la vie ou encore aucune dérivation selon Dieu. Pour autant, la physique n’est ni insensée, ni impie.
Gaßner :
Et on devrait en rester là. Sinon, on ne parviendrait seulement qu’à éveiller le soupçon de vouloir alimenter la querelle. Qui saurait mieux exprimer le problème que Robert Jastrow : « Il semble que la science ne sera jamais en mesure de lever le voile sur le secret de la création. Pour le scientifique, qui a expérimenté la puissance de la raison, tout cela finit comme dans un mauvais rêve. Il a gravi la montagne de l’ignorance, il est même sur le point d’atteindre le plus haut sommet, et alors qu’il se hisse au-dessus du bord du dernier rocher, il est salué par une kyrielle de théologiens, qui sont assis là depuis des centenaires. »
Lesch :
On avance volontiers aussi l’argument suivant : Si tout doit aussi précisément s’agencer pour que la vie apparaisse, alors cela est une preuve flagrante de l’existence d’un créateur. Il a tout si bien arrangé. Mais vous vous souvenez peut-être de l’histoire du chimpanzé et de la machine à écrire. Peu importe combien une chose apparaît invraisemblable, si l’on est en mesure d’attendre suffisamment, elle se produira.
Gaßner :
Lorsqu’on ne peut pas du tout décider entre deux hypothèses, il nous reste encore le principe d’Ockham. Celui-ci exige que l’on use le plus économiquement possible des valeurs de départ et des conditions. En d’autres termes, pour plusieurs explications données d’une même chose, je dois préférer celle qui est la plus facile. Mais je te le demande : quelle hypothèse fonde le plus facilement l’agencement extrêmement fin de notre univers : une infinité d’univers ou un créateur ?
Lesch : Gaßner :
Ne me le demande pas. Laissons la réponse à Chuang Tsu : « Personne n’est aussi loin de la vérité que celui qui connaît une réponse à tout. »
Un regard au-delà de l’horizon
6.10
423
Le Big Bang, le cosmos et la vie
424
6.3
Qu’est-ce que tout cela nous apporte ? Ou comment aimer les araignées
Gaßner :
Lesch : Gaßner :
Nous avons beaucoup parlé de la vie et des conditions qui doivent être remplies, pour qu’elle puisse voir le jour. Cela me semble constituer un point essentiel : l’agencement fin des processus et des forces qui sont impliquées dans notre univers a une portée existentielle – un lien invisible cosmique qui relie toutes les choses que nous observons, et qui constitue les conditions de notre propre expérience. Exceptionnellement, je voudrais citer quelqu’un pour mieux le contredire. Ludwig Wittgenstein : « Nous sentons, alors même que toutes les questions scientifiques possibles ont trouvé leurs réponses, que cela ne touche en rien les problèmes de notre existence. » De mon point de vue, c’est précisément le contraire qui est juste : toutes les questions scientifiques sont en fin de compte liées à notre existence, et il nous appartient d’en tirer les conclusions pour nos problèmes dans l’existence. Que veux-tu dire ? Un univers sans étoiles, naines blanches, géantes rouges, trous noirs et tous ces autres objets exotiques, serait un univers sans nous. Bien qu’en apparence, nous leur soyons très différents, nous sommes tous le résultat des quatre forces fondamentales. L’univers s’est donné beaucoup de peine pour nous autres, les êtres vivants. Pour moi, c’est là que repose la fascination propre à l’astronomie. Cela implique aussi une responsabilité, celle envers la vie. Et à nouveau, ce fut Kant, ce précurseur génial qui dans son existence sortit à peine des murs d’enceinte de Königsberg, qui formula le mieux cela : « Deux choses remplissent le cœur d’une admiration et d’une vénération toujours nouvelles et toujours croissantes à mesure que la réflexion s’y attache et s’y applique : le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi. Je les vois tous deux devant moi et je les relie immédiatement à la conscience de mon existence. »
Un regard au-delà de l’horizon
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Lesch :
Puisque tu cites les philosophes, permets-moi de le faire également et d’opposer à ta citation, celle de Georg Wilhelm Friedrich Hegel : « L’homme n’est pas une bête, parce qu’il sait, qu’il en est une. »
Gaßner :
Bon, mais alors là, on cherche à nouveau à se distancer des êtres vivants – cela ne me plaît guère. Il n’y a qu’un pas vers le « Soyez les dominateurs la Terre ». Nous devons faire attention à ne pas nous rendre trop importants, nous autres humains. Pour mon propre compte, je peux dire que depuis que je m’occupe de toutes ces choses, mon attitude dans la vie de tous les jours s’est quelque peu modifiée. Je suis devenu plus attentif envers le vivant. Auparavant, j’ai souvent tué sans y penser davantage, des êtres vivants « indésirables », comme les araignées. Aujourd’hui, je les capture intactes et les relâche dans le jardin. De tueur d’araignées, je suis devenu leur protecteur.
Lesch :
Je les laisse tout simplement là où elles sont. Mais sérieusement, modifier son propre point de vue grâce à des nouvelles découvertes, interroger ses propres actions et finalement se modifier soi-même, cela constitue une véritable performance !
Gaßner :
Cela aurait plu à John Ruskin. « La vraie récompense de nos efforts n’est pas notre rétribution, mais ce que nous devenons grâce à eux. »
Lesch :
Voilà qui est bien parlé. On apprend incroyablement de ce qui a dû se produire pour qu’aujourd’hui quelque chose puisse être : un univers doit apparaître, avec lui une flèche du temps et une multitude de particules élémentaires. Issu de la désintégration de la matière et de l’antimatière, un reste mystérieux a dû subsister. La formation de structures qui suivit a dû prendre le dessus sur l’expansion. La poussière se concentra alors en étoiles et en galaxies. La pluralité des éléments a été fusionnée dans les étoiles et les explosions de supernovæ les ont dispersés comme une corne d’abondance dans les galaxies. Finalement, de ces éléments sont nées les planètes, et sur la surface de celles-ci, la vie. Un véritable château de cartes, mais cette fois, réalisé avec des lames de rasoir en équilibre les unes sur les autres.
Gaßner :
Et tout en haut de cet édifice de lames de rasoir, nous sommes assis et contemplons ébahis vers le bas, et nous émerveillons que tout cela a pu s’établir en notre faveur. Les forces dans l’univers sont ajustées si fine-
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
ment qu’elles rendent la vie possible. Le rapport des forces est symbolisé par les constantes naturelles. Bien entendu, leurs valeurs ne rendent compte que du système d’unités utilisé. Mais cela n’empêche pas que chaque système d’unités constitue une configuration favorable à la vie et que nous puissions mesurer exactement ces valeurs dans l’univers. Les constantes naturelles sont comparables à des codes PIN et TAN, avec l’aide desquels nous pouvons retirer de l’argent – la vie – à notre distributeur cosmique – la planète Terre. Si l’on tape d’autres combinaisons, celui-ci nous refuse ses services. Lesch :
Espérons que nous ne dépasserons pas notre autorisation de découvert.
Gaßner :
Je suis optimiste. L’univers équivaut à un casino avec la vie comme limite la plus haute, parmi toutes les mises. En vérité, nous gagnons sans arrêt le jackpot sans avoir vraiment conscience de notre chance.
Lesch :
Mais toute série chanceuse finit un jour. La vie, sur notre planète aussi, est constamment dans la situation d’un équilibriste sur sa corde. Nous sommes à la fois très dépendants et constamment vacillants sous le grand chapiteau du monde.
Gaßner :
Et ce, souvent sans filets ou double fond ! La technique moderne génère un sentiment de sécurité presque tout puissant envers la nature. Aussi, nous oublions trop facilement, combien notre condition d’être vivant est fragile. Qui pense que l’on peut réaliser tout ce qui est techniquement possible, n’a rien compris aux interdépendances de ce monde. La vie intelligente n’est possible qu’à l’intérieur d’un corridor étroit. Albert Schweitzer nous a avertis il y a déjà un demi-siècle : « Nous vivons des temps dangereux. L’homme contrôle la nature avant qu’il ait appris à se contrôler lui-même. »
Lesch :
Un homme sage. Avant de tout détruire ici-bas, nous devrions ne pas oublier que les prochaines exoplanètes habitables ne sont pas atteignables dans l’espace de temps d’une vie humaine. N’oublions pas non plus de réfléchir, malgré toute notre technologie et nos possibilités techniques. Ce savoir et cette prise de conscience doivent forcément être le fait d’une humanité plus économe envers le monde. Je dois t’avouer honnêtement être véritablement déprimé à la lecture d’articles scientifiques. Tout ce que l’on peut y trouver, par exemple en ce qui concerne le réchauffement
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global, le changement climatique. Et je ne pense pas à la banalité du fait qu’il fait plus chaud et que l’humanité en est en partie responsable du fait de l’augmentation de l’émission de gaz à effet de serre. Gaßner :
Tu penses aux détails physiques de la recherche climatique ?
Lesch :
Tout à fait, à l’application de la physique à tous les horizons de la recherche sur le climat. Je prends un exemple : la température plus élevée produit tendantiellement de plus gros flocons de neige, et cela réduit en retour la capacité de réflexion.
Gaßner :
Ce qui signifie que plus d’énergie en provenance du soleil est emmagasinée et que la neige devient encore plus chaude.
Lesch :
Oui. Et moi, professeur d’astrophysique théorique, assis dans mon observatoire, je lis tout cela, étudie les interactions, contrôle certains des aspects du problème et recherche dans divers ouvrages. Pour les physiciens les problèmes se posent de manière claire et distincte, car la recherche climatique n’est en fait rien d’autre que la physique du climat.
Gaßner :
Je crois savoir où tu veux en venir. Pour une bonne part, nous faisons tous ce grand écart entre des recherches hautement intéressantes aux confins de l’univers d’une part, et les recherches d’une importance vitale concernant le réchauffement global, l’exploitation des ressources et autres conséquences de notre agir terrestre d’autre part.
Lesch :
Précisément. Quel contraste ! Je sors de mon bureau, rencontre des collègues, et de quoi parlons-nous ? D’énergie noire et de matière noire – tout cela quelque part au-dehors, très loin de nous. Même les étoiles de la Voie lactée sont extrêmement éloignées de nous. Nous ne savons même pas si elles existent encore. Et chez nous, ici, la glace fond toujours plus vite ! Et moi, un physicien au beau milieu.
Gaßner :
Je comprends le dilemme. Mais on pourrait extrapoler, en fait, à tous les problèmes de ce monde. Si nous étions, en effet, en mesure d’arrêter le réchauffement climatique, il resterait nombre de problèmes très importants à régler. On pourrait par exemple se demander comment pouvons-nous nous occuper de matière et d’énergie noire, alors qu’on n’a toujours pas résolu des problèmes comme ceux de la faim dans le monde, des guerres, des réfugiés et autres catastrophes sociales. Dans
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
le cas du réchauffement climatique, cela te vient d’autant plus à l’esprit, qu’il s’agit d’un phénomène physique. Il est dans le champ de notre compétence. Comme habitant de cette planète, nous sommes ensemble tous également responsables pour tous les autres problèmes. Considéré de cette façon, également les boulangers, le paysans et les juges devraient se demander comment ils peuvent, en toute bonne conscience cuire leurs pains, cultiver leurs champs et rendre leurs jugements à la vue des problèmes de ce monde. Je crois qu’une de nos tâches les plus importantes, en tant que scientifiques, consiste à saisir les résultats des recherches et à les adapter pour le public en messages, à les faire entrer dans les têtes afin de sensibiliser. Lesch :
Dans le même temps, l’utilisation effrénée de toutes les ressources naturelles continue. Sur la majeure partie du globe, on utilise des énergies fossiles, ce qui pousse les paramètres de l’ensemble des systèmes naturels inévitablement vers le réchauffement global. Les résultats fondés scientifiquement concernant différentes rétroactions et différents cycles de réactions ne sont pas assez sérieusement pris en considération par les structures politiques ou économiques de décision, pour que des changements de stratégie s’en suivent immédiatement. Le scénario business as usual feint une sorte de stabilité écologique, laquelle se révélera catastrophique pour maintes zones côtières et leurs centres urbains, en raison de l’élévation du niveau des mers. Les régions polaires avant tout vont connaître des réactions climatiques considérables, en raison du retrait dramatique de la calotte glacière et de la diminution de la réflexion, et leurs suites, immigration climatique, mauvaises récoltes, longues périodes de disette, tempêtes et inondations entraîneront également des conséquences majeures à l’intérieur du continent européen. Nous autres humains, nous modifions tellement les conditions d’existence sur notre planète, que l’on doit parler d’ère de l’anthropocène, pour ce qui caractérise notre temps.
Gaßner :
Je trouve la dénomination d’ère du « singe fou » plus appropriée. Une famille de singes devenue visiblement un peu folle se sépare de l’équilibre naturel, et avec sa domination, renverse, au moins provisoirement, les règles qui le constituaient. Mais procédant de la sorte, nous nous chargeons en vérité de bien des fautes. Nous causons des destructions
Un regard au-delà de l’horizon
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en masses d’espèces – nous sommes les astéroïdes des temps modernes. Et ce qui est tragique pour nous scientifiques, c’est de constater que nos connaissances ont jeté les bases de ces transformations. Sans ce Know-why de la science moderne, nous ne serions jamais parvenus au Know-how de l’ingénierie technique correspondante. Si l’exploitation des ressources naturelles tire ses racines jusque dans l’Âge de pierre, c’est bien avec la révolution technologique que son effet extrême de levier est apparu. Paradoxalement, c’est la raison humaine qui nous a rendu capables d’agir aussi déraisonnablement. Lesch :
La physique des systèmes complexes fournit ici un indice intéressant. Fondamentalement, les systèmes complexes se développent lorsqu’un grand nombre d’acteurs se trouvent dans une situation liée au concept de criticité auto-organisée. En d’autres termes : les systèmes complexes se développent toujours le long d’une limite, la limite justement de ce qui est encore possible. Dans notre cas, la limite des ressources.
Gaßner :
Vues de cette façon, nos erreurs de comportement envers l’environnement feraient encore partie d’un processus naturel.
Lesch :
Le triomphe des sciences empiriques a semé un anything goes dans nos cerveaux. Tout ce qui est techniquement réalisable semble possible. Mais malheureusement, nous oublions par là les conséquences de notre action à grande échelle. Ce faisant, les gains obtenus sont individualisés, mais les risques, les déchets et les pertes, eux, sont socialisés. Le ressort pulsionnel de tout cela, c’est la cupidité – le désir d’avoir plus que les autres.
Gaßner :
Ce comportement est humain et a foncièrement à voir avec le fait que nous sommes des mammifères. La loi impérative des mammifères modèle depuis des millénaires notre action. À l’intérieur d’un groupe, nous voulons continuellement améliorer notre position. C’est une très vieille recette à succès, pour imposer nos propres gènes dans la compétition.
Lesch :
Il est donc grand temps d’en revenir à la raison. C’est à elle que Nicolas Copernic en appelait alors : « Ne soyez pas comme les bêtes ! »
Gaßner :
Là, tu en demandes beaucoup, Harald. Par chance, nous n’avons pas que des mauvaises nouvelles, mais aussi des nouvelles formidables,
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
comme celle de la plus belle histoire de tous les temps que nous venons de raconter. Celui qui accuse et qui montre du doigt seulement, finira un jour ou l’autre résigné ; il laissera les choses passer. Celui au contraire, qui est fasciné par la beauté du monde, réfléchira nécessairement aux conséquences de son action. Lesch :
Et c’est là le point crucial. Le monde est en vérité si incroyable, si étrange, si merveilleux et inconcevable à la fois, qu’il nous effraie peut-être, mais placés devant ce qu’il est convenu d’appeler la création, nous nous tenons remplis d’admiration et de respect.
Gaßner :
C’est là que réside notre chance. Un nombre toujours plus important de gens se demandent d’où viennent les produits qu’ils consomment, ou si leurs producteurs ont été justement rémunérés, si les ressources ont été utilisées de façon sensée et les animaux élevés dans des conditions convenant à leur espèce. Bien entendu, tout le monde ne peut pas se permettre une consommation appropriée ; celui qui a financièrement la corde au cou, je ne lui en veux pas d’acheter constamment le moins cher. Mais un nombre croissant de personnes a de plus en plus le choix et c’est à cela qu’il faut parvenir. Pas à pas. Les biens que nous n’achetons plus aujourd’hui ne seront plus les produits de demain.
Lesch :
À cette cadence, nous sommes sûrs de perdre la course contre la montre du changement climatique.
Gaßner :
Qui abandonne a déjà perdu. Ou selon les mots de Ernest Hemingway : « Le monde est si beau si précieux, que l’on se bat pour lui. » Peut-être trouverons-nous encore une solution, par exemple sous la forme de la fusion nucléaire.
Lesch :
Physiquement parlant, nous dominons depuis longtemps le sujet de la fusion dans les étoiles, mais ici sur notre planète, la fusion de noyaux nucléaires est presque devenue chose impossible. Contenir un plasma de cent millions de degrés dans un anneau – un tokamaks – en utilisant des champs magnétiques constitue un défi technologique considérable. Dans 20 ans, le réacteur nommé ITER devrait apporter la percée technologique annoncée. Mais nous avions déjà fait cette promesse il y a 20 ans avec le modèle précédent. Désormais, en plaisantant, on nomme ce délai la constante de fusion. Il n’est pas sûr que l’on réussisse un jour à mettre
Un regard au-delà de l’horizon
431
en service un réacteur de fusion, de telle sorte qu’il livre plus d’énergie qu’il n’en consomme pour son fonctionnement. Si l’on y parvenait, il s’agirait d’installations industrielles colossales, que seuls quelques pays pourraient s’offrir. Les problèmes dus à une production d’énergie centralisée en seraient augmentés. Nous avons justement besoin d’une solution contraire : une production d’énergie décentralisée ! Gaßner :
Déployer la plus forte de toutes les forces dans l’univers afin de faire finalement chauffer de l’eau, c’est en suivant cette approche obstinée que nous avons déjà échoué avec la fission. Et que précisément toi, physicien des plasmas, tu ne crois même plus au succès des réacteurs à fusion, cela est bien peu encourageant.
Lesch :
Je ne crois guère à la fuite en avant technologique. Elle modifie notre vie dans des proportions telles, qu’à tout le moins pour ma part, j’ignore complètement comment, en tant que société, nous devons répondre à ces changements. Par exemple, l’automatisation associée à la mise en réseau des données informatiques, va révolutionner le marché du travail. Les robots et des softwares apprenant d’eux-mêmes vont remplacer à l’avenir beaucoup de postes de travail. Pire encore : la perspective de systèmes d’armes autonomes et automatisés est devenue réalité. Mais ce sont autant de thèmes pour un autre livre. Dans tous les cas, il est clair que les efforts de recherche des physiciens sont comme une médaille à deux faces. Nos possibilités d’agir en tant qu’êtres humains augmenteront toujours bel et bien, mais elles seront aussi de plus en plus dangereuses.
Gaßner :
Et comment finalement nous protéger de nous-mêmes et d’un fatal « ils ne savent pas ce qu’ils font » ?
Lesch :
Je crains bien que nous n’apprenions que par des catastrophes. Je trouve très belle ta phrase, selon laquelle il y aura sur cette planète toujours de la vie, aussi longtemps que le soleil luit paisiblement. Cela présente nos erreurs sous un jour quelque peu réconfortant, dans un cadre qui les dépasse.
Gaßner :
La différence entre ce qui est intéressant et ce qui est pertinent s’applique par chance aussi dans la direction opposée. Cela peut être effectivement très réconfortant. Lorsque chez moi cela ne tourne pas très rond et que l’état des choses ne correspond pas à l’ordre souhaité, alors je laisse
432
Le Big Bang, le cosmos et la vie
volontiers quelques photons bien frais frapper mon visage, et songe à combien de hasards grandioses ont dû s’associer, afin que ces rayons de soleil et moi-même aient pu exister. Voilà mon antidépresseur personnel. Lesch :
Et qui plus est, libre de tout effet secondaire indésirable. Les équations de l’hydrodynamique magnétique peuvent également constituer un lieu de refuge.
Gaßner :
Considéré à une échelle cosmique, nous ne sommes qu’un jeu dans le monde. Cet univers s’est permis un luxe fascinant. À partir du cycle continuel de la matière, une forme extrêmement étrange s’est développée, et elle s’est mise à questionner : d’où venons-nous et où allons-nous ? De l’espèce du singe au nez sec, une espèce a émergé évolutionnairement, dont le cerveau a accompli beaucoup plus que ce qui fut nécessaire à sa simple survie. Avec cette redondance, nous cherchons des réponses, et voilà que nous nous retrouvons à nouveau dans le contexte du continuel cycle de la matière. Il y a 4,56 milliards d’années, notre système solaire est apparu et après un temps comparable, il va disparaître. D’ici là, nous en comprendrons tout au moins en partie les connexions, pour finalement disparaître inéluctablement à nouveau dans le cycle de la matière.
Lesch :
Quel drame cosmique ! Si William Shakespeare avait su. Nous devons d’ailleurs à notre cerveau la découverte du feu. Et ce fut alors, mise à part, peut-être, la photosynthèse des cyanobactéries, l’invention hightech la plus significative sur notre planète. L’évolution nous a équipé de divers avantages – des glandes de la transpiration pour le refroidissement, jusqu’au pouce, pour saisir. Mais c’est seulement à partir de la cuisson de nos aliments, que nous fûmes capables d’ingurgiter une quantité suffisante de protéines pour construire notre arme décisive : le cerveau humain. Un appareil manducateur plutôt petit nous a fourni de surcroît la place nécessaire.
Gaßner :
La vie comme phénomène prend vraiment une place de choix à l’intérieur de la création. Nous autres humains, nous ne devons en aucun cas nous représenter comme les uniques gouvernants intelligents dans l’univers – nous ne le sommes même pas sur la Terre. Notre planète a déjà connu plusieurs maîtres supposés, les procaryotes, les dinosaures,
Un regard au-delà de l’horizon
433
et ainsi jusqu’à nous. Nous sommes les premiers qui avons pleinement conscience de notre rôle, ce qui ne fait pas pour autant de nous des êtres d’une grande sagesse. Peut-être que la Terre fera une nouvelle tentative de démarrage – Evolution reloaded – et tout ira bien à la fin. Lesch :
« Et même si cela n’est pas bon, ce n’est pas pour autant la fin. » Oscar Wilde.
Gaßner :
Peut-être bien même que d’un point de vue évolutionnaire, cela n’est pas un hasard, si nous possédons des cerveaux qui nous permettent toutes ces découvertes. Peut-être bien qu’alors, il est urgent de faire preuve de plus d’humilité envers notre monde et plus d’attention dans nos rapports avec la diversité des formes de vie qu’il contient, afin de pouvoir survivre durablement en tant qu’espèce. La vraie réussite de la vie n’est pas une compétition éliminatoire, la survie des plus forts physiquement, mais bien la coopération. Nous autres eucaryotes, nous sommes apparus lorsque des procaryotes aux aptitudes les plus diverses se sont unis – les uns purent, peut-être un peu mieux que d’autres, réaliser la photosynthèse, les autres étaient plus performants pour l’appropriation d’autres ressources. Ensemble, ils purent mieux affronter les exigences de la vie. Peut-être devrions-nous nous souvenir de nos racines, de cette concorde entre les différentes espèces. Nous avons le don de pouvoir réfléchir à notre propre action, et nous devons en faire usage. Avec notre cerveau, nous avons hérité d’un hardware incroyablement puissant – malheureusement nous l’utilisons avec un système d’exploitation passablement vieilli. Il est temps de procéder à une mise à jour ! L’impératif des mammifères et l’élimination de toutes les autres espèces ont pu constituer des stratégies à succès par le passé, mais les exigences de notre temps nécessitent un humain 2.0, qui se tienne luimême pour moins important, et à partir de là, puisse effectivement, sur le long terme, jouer véritablement un rôle important sur cette planète. L’évolution continuera continuellement, la question est seulement celle de savoir si nous autres, crazy apes, nous allons être remplacés, ou si nous réussirons le prochain pas en avant.
Lesch :
Et cela promet de rester captivant pour les êtres vivants sur notre planète.
Le Big Bang, le cosmos et la vie
434 Gaßner :
Et probablement bien au-delà. La vie – cet état de la matière peu naturel, qui lutte continuellement sur une multitude de fronts contre l’état d’équilibre – est merveilleuse et mystérieuse à la fois ! Nous tous, nous disposons de ce formidable trésor, même si beaucoup ne semblent pas en avoir conscience. Je fais à nouveau une tentative pour un mot final. Kurt Tucholsky : « Profitons de la vie, aussi longtemps que nous ne la comprenons pas. »
Lesch :
Entendu ! Je n’aurais pas pu dire mieux et contre ton trésor inépuisable de citations, je ne suis également pas de taille.
Gaßner :
Mais parce que nous avons parlé des étoiles à nos lectrices et nos lecteurs et en avons appelé à leurs idéaux également, je t’en propose encore une dernière, à emporter avec toi. Elle est de Carl Schurz. « Les idéaux sont comme des étoiles. Nous ne les atteignons jamais, mais comme les marins sur la mer, d’après eux, nous orientons notre course. »
Harald Lesch
Josef M. Gaßner
Crédits et sources des illustrations
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Crédits et sources des illustrations Couverture : Crédit : ESA, NASA, G. ’Tinetti (University College London, UK & ESA) and M. Kornmesser (ESA/Hubble), http ://just4cool.files.wordpress.com/2008/12/dna.png 1.1
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1.2
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1.3
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1.4
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1.5
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http ://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/d/d8/Nebra– 5.jpg
1.6
Source inconnue
1.7
J. M. Gaßner, à partir de Wikipedia
1.8
J. M. Gaßner, à partir de Wikipedia
1.9
H. Lesch und J. Müller : Sterne, C. Bertelsmann, München 2008, Illustration 21
1.10 http ://de.wikipedia.org/w/index.php ?title=Datei :Redshift.png 1.11 J. M. Gaßner 1.12 http ://de.wikipedia.org/w/index.php ?title=Datei :Redshift_blueshift.svg 1.13 Hubble, E. P. (1929) Proc. Natl. Acad. Sci. USA 15, 168–173. (Copyright 1929, Huntington Library, Art Collections and Botanical Gardens) 1.14 http ://www.universitaetssammlungen.de/wpdimg/Albert_Einstein.jpg 1.15 http ://www.ita.uni-heidelberg.de/research/bartelmann/grav_lens.shtml 1.16 http ://de.wikipedia.org/wiki/Datei :Drehung_der_Apsidenlinie.svg 1.17 http ://www.famousquotesandauthors.com/pictures/sir_arthur_eddington.jpg 1.18 http ://www.sjaa.net/eph/0711/retrograde-motion.jpg 1.19 http ://www.scienceblogs.de/deutsches-museum/Blog_Bild3_KuT.jpg 1.20 http ://www.lhc-facts.ch 1.21 http ://www.astronomie.de/typo3temp/pics/a10f96c74c.jpg 2.1
J. M. Gaßner (Superposition de trois fractales)
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J. M. Gaßner, à partir de http ://en.wikipedia.org/wiki/File :Universe_expansion.png
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http ://planckausstellung.mpiwg-berlin.mpg.de/fotos/pressefotos/01PlanckPortrait_1905.jpg
2.4
http ://de.wikipedia.org/w/index.php ?title=Datei :Bundesarchiv_Bild183-R57262,_Werner_ Heisenberg.jpg
2.5
http ://www.lambaward.org/
2.6
Josef M. Gaßner
2.7
Josef M. Gaßner
2.8
http ://www.aip.org/history/newsletter/fall2000/webphotos/casimir_hendrik_a2_lg.jpg
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bubbles.pn ; J. M. Gaßner, basierend auf http ://www.calphysics.org/images/casimir.jpg 2.10 http ://de.wikipedia.org/w/index.php ?title=Datei :Erwin_Schrödinger.jpg 2.11 http ://caballo-doc.com/html/assets/images/Bild_atom_quark3.jpg
Le Big Bang, le cosmos et la vie
436
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3.2
Crédit : Jeff Hester and Paul Scowen (Arizona State University), and NASA/ESA
3.3
Crédit : GALEX, JPL-Caltech, NASA, http ://apod.nasa.gov/apod/ap120518.html
3.4
http ://spacetelescope.org (NASA/ESA)
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3.6
http ://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/f/f8/CNO_Cycle_de.svg/2000px-CNO_ Cycle_de.svg.png
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http ://de.wikipedia.org/w/index.php ?title=Datei :Pauli.jpg
3.8/9 Crédit : Kamioka Observatory, ICRR (Institute for Cosmic Ray Research), The University of Tokyo, http ://www-sk.icrr.u-tokyo.ac.jp/sk/gallery/index-e.html 3.10 http ://www.ps.uci.edu/~tomba/sk/tscan/pictures.html 3.11 http ://icecube.wisc.edu/ 3.12 www.physics.uoregon.edu/~jimbrau/astr122/ 3.13 www.physics.uoregon.edu/~jimbrau/astr122/ 3.14 Hubble Heritage Team (STScI/AURA/NASA/ESA) 3.15 Crédit : NASA, ESA, C.R. O‘Dell (Vanderbilt University), and M. Meixner, P. McCullough, and G. Bacon (Space Telescope Science Institute).
Crédit : NASA/ESA and The Hubble Heritage Team STScI/AURA 3.16 NASA, ESA, and C. Robert O’Dell (Vanderbilt University). 3.17 Crédit : ESA/Hubble and NASA 3.18 Crédit : Bill Snyder 3.19 Crédit : NASA, ESA and the Hubble Heritage Team STScI/AURA)
Crédits et sources des illustrations
437
3.20 Crédit : NASA/ESA and The Hubble Heritage Team STScI/AURA) 3.21 Crédit : NASA, ESA, Andrew Fruchter (STScl), and the ERO team (STScl + ST-ECF) 3.22 Crédit : NASA, ESA, HEIC und das Hubble Heritage Team (STScI/AURA) 3.23 Crédit : NASA/ESA, The Hubble Heritage Team STScI/AURA 3.24 Crédit : NASA, ESA and the Hubble SM4 ERO Team 3.25 www.physics.uoregon.edu/~jimbrau/astr122/ 3.26 http ://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/e/e7/Auftragung_Bindungsenergie_gegen_Massenzahl.svg/2000px-Auftragung_Bindungsenergie_gegen_Massenzahl.svg.png 3.27 J. M. Gaßner, basierend auf essayweb.net/astronomy/images/stellar_evolution_large.jpeg 3.28 J. M. Gaßner, basierend auf http ://www.cfa.harvard.edu/news/archive/pr0407image.html 3.29 Crédit : Gammastrahlen : NASA, CXC, R.Kraft (CfA) et al ; Radiobereich : NSF, VLA, M.Hardcastle (U Hertfordshire) et al ; optischer Bereich : ESO, M.Rejkuba (ESO-Garching) et al., http :// apod.nasa.gov/apod/ap080110.html 3.30 Crédit : NASA, CXC, MIT, F.K. Baganoff et al.
http ://chandra.harvard.edu/photo/2003/0203long/0203long_xray.jpg 3.31 http ://de.wikipedia.org/w/index.php ?title=Datei :Triple-Alpha_Process.svg 3.32 Crédit : NASA, ESA, and the Hubble Heritage Team (AURA/STScI) 3.33 http ://www.aerospaceweb.org/question/astronomy/q0247.shtml 3.34 Crédit : Lori Allen, Xavier Koenig (Harvard-Smithsonian CfA) et al., JPL-Caltech, NASA, http :// www.starobserver.org/ap111120.html 3.35 J. M. Gaßner 3.36 NASA, ESA and the Hubble Heritage Team (STScI/AURA) 3.37 NASA, ESA, S. Beckwith (STScI), and The Hubble Heritage Team STScI/AURA) 3.38 NASA, ESA, the Hubble Heritage Team (STScI/AURA), and R. Gendler (for the Hubble Heritage Team). Acknowledgment : J. GaBany 3.39 NASA, ESA and the Hubble SM4 ERO Team 3.40 ESA/Hubble & NASA 3.41 NASA, ESA, and The Hubble Heritage Team STScI/AURA) 3.42 NASA, ESA, and The Hubble Heritage Team STScI/AURA) 3.43 http ://lekradettest.files.wordpress.com/2009/12/immanuel_kant_2.jpg 3.44 http ://commons.wikimedia.org/wiki/File :236084main_MilkyWay-full-annotated.jpg 3.45 http ://www.hs.uni-hamburg.de/DE/For/Exg/Igm/absorption.jpg 3.46 Crédit : NASA, ESA, G. Illingworth (University of California, Santa Cruz), R. Bouwens (University of California, Santa Cruz, and Leiden University) and the HUDF09 Team 3.47 Crédit : IAU/A. Barmettler 3.48 Crédit : NASA / JAXA 3.49 Crédit : NASA/Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory/Carnegie Institution of Washington 3.50 Wikipedia, Crédit : NASA – NSSDC Photo Gallery Venus 3.51 Crédit Geoid : https ://media.gfz-potsdam.de/gfz/wv/05_Medien_Kommunikation/Bildarchiv/ Geoid%20DPS/Geoid+2011.jpg 3.52 Crédit : NASA/JPL/MSSS – http ://www.jpl.nasa.gov/spaceimages/details.php ?id=PIA02653 file NASA/JPL-Caltech/GSFC – http ://photojournal.jpl.nasa.gov/jpeg/PIA02031.jpg 3.53 Crédit : NASA/JPL-Caltech/Cornell – http ://marswatch.astro.cornell.edu/pancam_instrument/991B_cape_verde.html / http ://photojournal.jpl.nasa.gov/catalog/PIA09104
Le Big Bang, le cosmos et la vie
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3.54 Crédit : NASA/JPL – http ://photojournal.jpl.nasa.gov/catalog/PIA02406 3.55 https ://de.wikipedia.org/wiki/Jupiter_%28Planet%29 3.56 Crédit : NASA, ESA and M. Wong and I. de Pater (University of California, Berkeley) 3.57 https ://commons.wikimedia.org/wiki/File :PIA04433_Jupiter_Torus_Diagram.jpg 3.58 Crédit : Hubble Heritage Team (AURA/STScI/NASA/ESA) 3.59 Crédit : NASA/ESA and Erich Karkoschka, University of Arizona 3.60 https ://solarsystem.nasa.gov/multimedia/gallery/Neptune_Full.jpg 3.61 Crédit : NASA, Johns Hopkins Univ./APL, Southwest Research Inst. und NASA/JHUAPL/SwRI 3.62 https ://de.wikipedia.org/wiki/Vorlage :TNO8 3.63 Crédit : NASA/JPL-Caltech 3.64 Crédit : Planetary Habitability Laboratory (UPR Arecibo) und NASA / JPL-Caltech 3.65 Crédit : Solar Dynamics Observatory (SDO) 3.66 http ://de.wikipedia.org/w/index.php ?title=Datei :Primera_foto_planeta_extrasolar_ESO.jpg 3.67 http ://de.wikipedia.org/wiki/Datei :Lhborbits.png 4.1 4.2
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Crédits et sources des illustrations
439
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http ://spacetelescope.org/static/archives/images/large/potw1020a.jpg 4.32 Crédit : NASA, ESA and Allison Loll/Jeff Hester (Arizona State University). Remerciement : Davide De Martin (ESA/Hubble) 4.33 Crédit : X-ray : NASA/CXC/SAO, Infrared : NASA/JPL-Caltec ; Optical : MPIA, Calar Alto, O.Krause et al., http ://chandra.harvard.edu/photo/2009/tycho/ 4.34 Crédit : X-ray : NASA/CXC/Rutgers/G.Cassam-Chenaï, J.Hughes et al ; Radio : NRAO/AUI/NSF/ GBT/VLA/Dyer, Maddalena & Cornwel ; Optical : Middlebury College/F.Winkler, NOAO/AURA/ NSF/CTIO Schmidt & DSShttp ://chandra.harvard.edu/photo/2008/sn1006c/sn1006c.jpg 4.35 Crédit : Röntgenstrahlung : NASA/CXC/SAO/J. Hughes et al., sichtbares Licht : NASA/ESA/ Hubble Heritage Team (STScI/AURA ; http ://www.starobserver.org/ap120112.html 4.36 Crédit : NASA/ESA and The Hubble Heritage Team (STScI/AURA)
http ://spacetelescope.org/images/opo0320a/ 4.37 Crédit : NASA, ESA, and the Hubble Heritage STScI/AURA)-ESA/Hubble Collaboration. Remerciement : Robert A. Fesen (Dartmouth College, USA) and James Long (ESA/Hubble), http :// spacetelescope.org/static/archives/images/large/heic0609c.jpg
Crédit : X-ray : NASA / CXC / UNAM / Ioffe / D.Page, P.Shternin et a ; Optical : NASA / STSc ; Illustration : NASA/CXC/M.Weiss), http ://apod.nasa.gov/apod/ap110305.html 4.38 Crédit : J-P Metsävainio (Astro Anarchy)
http ://apod.nasa.gov/apod/image/1208/NGC6888-hstpalMetsavainio.jpg 4.39 http ://commons.wikimedia.org/wiki/File :Meteorit-chebarkul-macro-mix2.jpg 4.40 Crédit : ESA/Rosetta/MPS for OSIRIS Team MPS/UPD/LAM/IAA/SSO/INTA/UPM/DASP/ IDA 4.41 Crédit : ESA/Rosetta/MPS for OSIRIS Team MPS/UPD/LAM/IAA/SSO/INTA/UPM/DASP/ IDA 4.42 Crédit : NASA/JPL-Caltech/Malin Space Science Systems 4.43 NASA/JPL-Caltech/MSSS, http ://photojournal.jpl.nasa.gov/catalog/ ?IDNumber=PIA01180,
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Le Big Bang, le cosmos et la vie
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6.2
J. M. Gaßner
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http ://www.weltmaschine.de/sites/site_weltmaschine/content/e158/e171/e284/Supersymmetrie_ A4.jpg
6.4
http ://www.nobelprize.org/nobel_prizes/physics/laureates/2004/phypub4highen.jpg
6.5
Josef M. Gaßner
6.6
Josef M. Gaßner, basierend auf « Cmbr » von Quantum Doughnut (gemeinfrei)
6.7
S. Blondin et al., Time dilation in type Ia supernova spectra at high redshift
6.8
http ://24.media.tumblr.com/tumblr_l2mya345j21qz7xw0o1_500.jpg
6.9
http ://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/d/d5/Michael_Faraday_Millikan-Gale– 1906. jpg
6.10 Crédit : Sidney Harris
Index
441
Index A
B
Acide aminé 244-247, 253 Acide désoxyribonucléique 247 Adénine 246, 247 Adénosine triphosphate 261 ADN 246, 268, 281, 286, 287, 290 AGASA 406 Aglaonice 198 Airy (Disques de diffraction d’–) 404, 407 Albedo 265 Ali, Mohammed 26 ALICE 349, 379, 380 Allen, Woody 42 ALPHA 92, 161, 209 Alpher, Ralph 33 Alvinella pompejana 284 Amas de Virgo 296 Antenne cornet 33, 104 Antihydrogène 92 Antimatière 49, 51, 52, 92, 93, 425 Apophis 325 Appareil de Golgi 250 Archaeopteryx 286 Arecibo 281 Arenhövel, Hartmut 378 Argon 93, 117, 122, 290 Aristote 102, 411 Armillaria ostoyae 273 Arp-273, 172 Astéroïde 195, 212, 289, 310, 312, 313, 324, 325 ATLAS 104, 349, 357, 365, 371, 372, 380 Atmosphère 40, 44, 220, 230, 233, 235 Augustin 69, 82 Australopithèque 297
Babesia microti 286 Bacillus subtilis 269 Banded Iron Formations 252 Barberton (Ceinture de roches vertes de –) 313 Barque céleste 17 Bases 246, 247 Bell (Laboratoires) 33 Bell, Jocelyn 280 Berners-Lee, Tim 351 Berry, Michael 60 Béryllium 94, 95, 161, 180 Bicep 388, 389 BIFs 252 Big Ear 276, 280 Black Smoker 260 B-Moden 388, 390 Bohr, Niels Hendrik 219, 282 Bombardement tardif 225, 226 Borel, Emile 87 Boson 65, 66, 278, 357, 358, 369371, 374, 375, 377, 379, 381, 396, 398, 399 Boson de jauge 363 Boson W 98, 363, 374, 377, 399 Boson Z 98, 363, 371, 374, 375, 377 Boucles quantiques 394 Bougie standard 22 Bouzigues, Henri 189 Brahe, Tycho 296 Brane 397 Bruit de fond 75, 77, 347, 375, 376, 384 Buchhave, Lars 282 Buckyballs 313
Le Big Bang, le cosmos et la vie
442 C Callisto 203 Calorimètre 347, 372, 373 Caloris Planitia 197 Cantelli, Francesco 87 Carbone 112, 114, 116, 127, 128, 129, 130 Casimir, Hendrik 55, 56, 57 Cassini 30, 202, 204 Cassiopée A 169 Catastrophes 212, 289-291, 297, 308, 324, 427, 431 Census of Marine Life 273 Centaure A 158 Céphéide 20, 21, 22, 26 Ceres 193, 208 Cerro Tololo 336 Césium 287 Chaine Proton-Proton 113 Chaleur de cristallisation 75 Chaleur d’évaporation 74 Champ inflationnaire 83, 87, 102 Champ scalaire 75, 83, 334, 371, 378 Chandra, satellite rayons-X 158, 332, 341 Chandrasekhar 327, 328, 333 Chapeau mexicain 78, 366 Cherenkov, Pawel A. 119 Chiralité 364 Chirp 384-387 Chlore 117, 119, 122 Chondrite, carbonée 182, 243, 317 Chromodynamique quantique 362 Chromosphère 196 Churyumov, Klim I. 314 Clean Space 228 CMS 326, 349, 357, 371, 373, 374, 376, 380 Cobe 104 Colombo A 234
Combustion de l’hélium 128, 130 Combustion en couches 129 Comète 195, 208, 209, 212, 243, 309, 314, 315, 316, 317, 318, 319 Constante cosmologique 28, 333, 334, 335 Constante de couplage 400 Constellation 21, 108, 142, 144, 145, 154, 165, 169-179, 186, 222, 277, 293, 295, 296, 306, 356, 404 Copernic, Nicolas 31, 429 Couleur de charge 362, 363 Couronne solaire 196 Course rétrograde de Mars 31 Cratère Victoria 200 Cryptobiose 268 CSIC 287 Curiosity 319, 320 Cyanobactéries 250, 251, 432 Cycle CNO 114 Cycle de Bethe-Weizsäcker 114 Cytosine 246, 247
D Danilova 198 Dark Energy Survey 336 Débris spatiaux 226-229, 325, 333 Décalage dans le rouge 187, 332, 342, 407, 408, 410 Défauts de masse 113 Démos 201 Désintégration Bêta 116 Désintégration Bêta inverse 149 Desulforudis audaxviator 284, 285 Deutérium 316, 94, 112, 240, 243, 317 Dicke, Robert 34 Dieu 58, 248, 420-422 Diffusion Compton 91
Index
Disque de Nebra 16, 17 Division algébrique 396 Dongfeng 21 228 Doppler, Christian 24 Double hélice 246, 247, 281 Double liaison 256 Drago, Marco 388 Drake, Frank 283 Duhamel, Georges 393
E Eau 255 Eau sous-refroidie 74 Écart standard 350 Eddington, Arthur 30, 160 Effet de Sachs-Wolfe 104 Effet de serre 198, 239, 251, 264, 291, 427 Effet de Yarkovsky 325 Effet sélectif de l’observateur 411 Ehman, Jerry 277, 278 EIGEN-6C 199 Einstein, Albert 28, 30, 46, 55, 58, 68, 335, 338, 344, 361, 381, 388, 407, 420 Électrons de valence 256 Émission 23, 24, 95, 154, 277, 306, 427 E-Moden 388, 390 Énergie de liaison 64, 80, 89, 113, 148 Énergie noire 327, 331, 333, 335, 336, 344, 393 Englert, François 357, 364 Entropie 69, 70, 71, 72, 80, 81, 82, 88, 89 Épigénèse 391 Équations de Maxwell 359, 362 Équilibre thermique 91 Erhardt, Heinz 232 Eris 193, 195, 208
443 Éruption coronale 221 Éruption de rayons gamma 307 Éruptions solaires 221, 319 Espace-temps 29, 41, 43, 44, 45, 104, 381, 382, 385, 387, 395, 397 Espresso 216 État initial 74-78, 81, 119, 264, 382, 392 Étoile à Neutron 149, 150, 153, 304, 305, 381 Étoile de Wolf-Rayet 308 Eucaryote 271-273, 284, 433 Europe (lune de Jupiter) 202, 203, 320-323 Exomars 319 Exoplanète 214, 218, 219, 222, 223, 231, 282, 426 Expérience de Pitch Drop 97 Expérience de Urey-Miller 246 Expérience des gouttes de Brai 96 Expérience Opera 123 Expérimentation du CRESST 346 Extinction de masse 293 Extrêmophile 283, 284, 286, 287, 288
F Fabry-Pérot-Resonator 382, 383 Faraday, Michael 420 Faux vacuum 78, 87 Fengyun-1C 228 Fer 112, 146-149, 182, 197, 200, 236, 252, 256, 257, 259, 297, 311, 314, 318, 409, 431, Fermi, Enrico 65, 248 Fermion 65, 66, 149, 278, 363, 396, 398, 399 Feynman, Richard 413 FGST 307, 404 Flash 129
Le Big Bang, le cosmos et la vie
444 Flèche du temps 69, 71, 72, 80, 89, 157, 425 Fluctuation quantique 44, 46, 4959, 61, 67, 76, 81, 86, 87, 102, 106, 369, 400, 405 Fontaine galactique 181 Force atomique faible 84 Force électromagnétique 83, 84, 85, 90, 151, 152, 334, 377, 399, 400, 414, 415 Force électromagnétique faible 85, 377 Force GUT 83, 84, 86, 87, 90 Force nucléaire forte 62, 84, 85, 90, 109, 112, 305, 362, 363, 400, 416 Forces de marées 155, 159, 238, 322 Forces fondamentales 83, 84, 152, 331, 414, 415, 424 Fourmi argentine 273 Fumées blanches 259 Fumées noires 259, 284 Fusion atomique 112, 114, 115, 126, 148, 161, 194, 230
Gerasimenko, Swetlana 314 Germanium 117, 122 GJ1214b 220 Glashow, Sheldon 85 Gliese 667Ce 131, 218 Gliese 581 215, 219 Gluon 62, 63, 65, 80, 91, 98, 112, 363, 367, 374, 379, 395 Glutathion 288 Goclenius 234 Goldhaber, Maurice 123 Gran Sasso 117, 123, 346 Grand Unified Theory 83-85 Granule 196 Gravitation quantique à boucles 394, 402, 406 Gravitation 83-85 Graviton 388, 395, 401, 416, 419 GRB 130427A 308 Greisen-Sazepin-Kusmin-Cutoff 405 Groupe OH (hydroxyle) 241 Guanine 246, 247 Guth, Alan 88 GW150914, 388 GZK-Cutoff 405, 406
G Galaxie 163, 164, 169-171, 180, 181, 182, 183, 184, 186, 187, 188 Galaxie d’Andromède 23, 109, 110, 296, 323, 409 Galaxie de la piscine 173 Galaxie de l’Antenne 177 Galaxie du Sombrero 178 Gallium 117, 122 Galván, Ismael 287 GAMA 181 Ganymède 203 Géantes rouges 128, 424 Génomique de la cellule 284 Géoïde 199
H Haraldlesch, Astéroïde 313 Harari, Haim 120 Hawking, Stephen 35, 404, 405, 417, 418 HD140283 169 HD189733b 220 Hegel, Georg Wilhelm Friedrich 425 Heisenberg, Werner 50, 60, 356 Hélicité 123 Héliopause 209 Héliosphère 209 Hemingway, Ernest 430 Héraclite 31, 102 Hermann, Robert 33
Index
Herschel, Wilhelm 142, 140 Hewish, Antony 280 Higgs, Peter 63, 357, 364 Hilbert, David 361 HIP13044b 222 Hippocrate 228 Homestake-Mine 117 Hominidé 186, 290, 297 Homo erectus 290 Horizon événementiel 60, 157 Hoyle, Fred 17, 18, 34, 161-163, 248, 409 Hubble, Edwin 20, 23, 26, 32, 296, 407 Hulse, Russell 381 Huxley, Henry 413 Hydrogène 92, 94, 95, 98, 112-114, 122, 129-131, 148 Hydrophile 256 Hydrophobe 256, 260 Hyper-Kamiokande 295 Hypernova 297, 307
I IC 1848 169 IC 4406, 135 IceCube 119, 121, 295 IK Pegasi 292-294, 327 Immortalité somatique 273 Impacteur 313 Inflation 83, 88, 106, 217, 388, 389, 406 Io 203 Ionisation 98 Iridium-33 227 Isotope 17, 93, 114, 119, 182, 190, 243, 287, 290, 297, 307, 313, 317 Isotropes 33, 34, 406, 417 ITER 430
445 J Jastrow, Robert 422 Jeans, James Hopwood 165 Jets 154, 156, 157 Jupiter 193, 195, 202-204, 208, 211, 215, 218, 222-226, 317, 320, 321, 322 Jurrasic Park 285
K Kajita, Takaaki 121, 122 Kalkarindji 291 Kaltenhauser, Horst 421 Kamiokande 117 Kant, Emmanuel 180, 424 Karius, Karl-Heinz 216 Kästner, Erich 124 Kepler, Johannes 296 Kervaire, Michel 396 Kessler, Warner Donald J. 227 Keynes, John Maynard 129 Kosmos 2251 227 Krill 266-268, 275 Kuiper, Gerald 208
L Laiton 371, 373 Lamb, Willis Eugene 52 Landau-Yang-Theorem 371 Large électron-positron Collider 351 Leavitt, Henrietta 20-23 Ledermann, Leon 421 Lemaître, Georges 15, 26 Lessing 416 LHC 35, 36, 92, 326, 349, 350-354, 357, 365, 367, 368, 369, 372, 375, 379, 399, 417, 419 Liaison peptide 245 Liberté de jauge 359 Ligne d’absorption 24, 220, 276, 335, 408
Le Big Bang, le cosmos et la vie
446 Ligne des glaces 211, 240 LIGO 383, 386 Linde, Andrei 88 Lithium 94, 95 Little Green Man One 280 Lois de Kirchhoff 189 Lois des Mammifères 429 Lost City 260 Luminosité 20-22, 26, 150, 214, 216, 217, 220, 263, 265, 328, 330, 351 Lune 195, 226, 230, 234-238, 243, 257, 262
M M13 281 M27 139 M31 109 M33 341 MAGIC 404 Malheur National Forest 273 Marius, Simon 218 Markarjan-501 404 Marqueur biologique 276 Mars 31, 32, 193, 195, 200, 201, 208, 211, 236, 243, 265, 276, 310, 311, 314, 317, 319, 320, 340, 385 Mather, John 35, 103 Matière noire 102, 327, 335, 338, 342-348, 392, 393, 401, 402, 427 Maxwell, James Clerk 359 McDonald, Arthur 121, 122 Mécanique quantique 38, 46, 58, 59, 67, 75, 85, 103, 153, 279, 328, 418 Meishan 291 Menzel, Donald 140 Menzel 3, 140 Mercure 28, 29, 193, 195, 197, 211
Messenger 197 Messier, Charles 139 Météorite 309, 310, 311, 312 Météoroïde 312 Methanopyrus kandleri 283 Methanosarcina 291 Méthode de transit 217 Mills, Robert 362 Milner, Juri 125 Milnor, John 396 Mission Apollo 233, 234, 236, 283 Mission Rosetta 314 Mitochondriale 290 Modèle standard 18, 358, 363, 364, 366, 371, 377, 400, 402, 411, 415 Monera 269 Monomère 256 Mont Olympus 200 Mort massive 287 Mousse quantique 403, 405 MSSM 399, 400 Mulkidjanian, Armen 261 Muon 119, 121-123, 357, 372, 374, 400, 414
N N-49 304 Naine blanche 128, 131, 142, 145, 149, 150, 153, 293, 294, 308, 327-333, 424 Naine brune 222, 223 Near Earth Objects 324 Nébuleuse de l’esquimau 142 Nébuleuse de l’œil de Chat 143 Nébuleuse de la fourmi 140 Nébuleuse de la Rétine 131 Nébuleuse de la Tête de Cheval 165167 Nébuleuse de l’Aigle 108 Nébuleuse de l’Haltère 139
Index
Nébuleuse de l’hélice 131, 135 Nébuleuse du boomerang 355, 356 Nébuleuse du Crabe 295 Nébuleuse du Petit Fantôme 141 Nébuleuse planétaire 130, 131, 139, 150, 293 NEOs 324 Neptune 193, 195, 206-208, 210, 224-226 Neutralino 401 Neutrino 95, 115-124, 294, 295, 296, 305 Newton, Isaac 30, 37 NGC 1300 179 NGC 2392 142 NGC 3132 133 NGC 4038 177 NGC 4039 177 NGC 4258 174 NGC 604 341 NGC 6302 145 NGC 6369 141 NGC 6543 143 NGC 6720, 136 NGC 6751 144 NGC 6888 306 NGC 7293 135 NGC 7320 175 NGTS 215 Nietzsche, Friedrich 59 Noether, Emmy 360, 361 Norgay, Tenzing 207 Novalis 112 Nuage de Magellan 23, 110, 128, 295, 303, 304 Nucléosynthèse 94, 109, 110, 112, 116, 334, 378, 407
O Objets transneptuniens 208 Octave 396
447 Oklo 189-191, 335 Onstott, Tullis 284 Oort, Jan Hendrik 209 Organelles 271 Oscillateur harmonique 75, 76 Ozone 40, 250, 257, 272, 273, 275, 276
P Paradoxe de l’information 418 Parnell, Thomas 96 Particule divine 421 Particules Alpha 161 Particule élémentaire 65, 80, 88, 89, 115, 120, 121, 184, 248, 349, 358, 363-365, 377, 378, 391, 394, 425, Passantes 308, 309 Pastore, John 368 Pauli, Wolfgang 66, 116 Penning, Frans Michel 92 Penzias, Arno 33, 103 Périhélie de Mercure 28 Perlmutter, Saul 329 Perpetuum mobile 70 PHAs 325 Philae 315, 316, 318 Phobos 201, 269 Phobos-Grunt 269 Phosphore 112, 256, 261, 281 Photosphère 196 Photosynthèse 188, 217, 239, 251, 256, 264, 271, 275, 276, 432, 433 Pili 274 Pion 400, 406, 414 PKS 1459-41 302 Planck, Max 36, 48, 60 Planète naine 195, 207 Planétésimale 216 Plasma quark-gluons 379
Le Big Bang, le cosmos et la vie
448 Plasma 108, 113, 115, 125, 129, 152, 196, 203, 209, 221, 365, 379, 408, 430, 431 Pluton 193, 195, 207, 208, 226, 229, 287 Polarisation du vacuum 52 Polarisation 52, 356, 388-390 Polymère 256, 262 Ponts hydrogènes 73 Potentially hazardous asteroids 325 Poupée russe 63, 394 Pression des possibles 56, 57 Principe anthropique 160 Procaryote 269, 270, 271, 272, 273, 275, 283, 286, 432, 433 Processus triple-Alpha 161 Proxima du Centaure b 219 Pseudoscalaire 399 PSR1913+16 381 Pulsar 152, 154, 156, 280, 381 Pwyll 321 Pyrolobus fumarii 284
Q Quadripôle magnétique 205, 206 Quantité d’énergie 49, 52, 54, 90, 91, 113, 221, 264 Quark 62, 63, 84, 91, 94, 98, 109, 112, 248, 349, 363, 367, 370, 374, 375, 377, 379, 398, 399 Quasar 156, 157, 335, 418 Quaternome 396 Quintessence 334, 335 Quintette de Stephan 175
R R136a1 128 Rasoir d’Ockham 422 Rayonnement fossile 33, 34, 103, 106, 341, 408
Rayonnement synchrotron 154, 353, 367 Recombinaison 96, 98, 103, 105 Reconnexion 221 Réglage fin 152 Relation d’incertitude 41, 50, 60, 81 Réticule endoplasmique 250 Rho Ophiuchi 220 Ridwan, Ali bin 296 Riess, Adam 329 Ringwoodit 241, 242 Rosina 316 Røy, Hans 285 Rupture de symétrie 46, 73, 74, 77, 78, 80, 87, 89, 366, 377 Ryle, Martin 280
S Sachs, Rainer Kurt 103 Sagittaire A* 159 Salam, Abdus 85, 414 Samarium 191 Saskia 198 Satellites bergers 204 Saturne 193, 195, 203, 204, 215, 225, 226, 236 Saveur de charges 362, 363, 399 Schiaparelli 319 Schmidberger, Franz 13 Schmidt, Brian 329 Schopenhauer, Arthur 246, 247 Schrödinger, Erwin 58 Schurz, Carl 434 Schweitzer, Albert 231, 426 Sedna 208 Sénèque, Lucio Annaeus 16 SETI 280, 281 Shapiro, Irwin Ira 30 Shelton, Ian 295 Sigma 350 Signal Ohio-Wow 277, 278
Index
Simulation de Nicen 225 Smoot, George 35, 103 SN1006, 302 SN1572 301 SN1604, 296 SN1987a 295 SNR 0509-67.5 303 Solar Dynamics Observatory 221 Soleil 111-117, 121, 125-131, 156, 157, 159, 164, 182, 183, 186 Sonde Galileo 321, 322 Spaghettification 155 Spectroscopie 52 SPHERE 223 Spin 65, 92, 278, 279, 363, 367, 371, 395, 396, 399 Spinores 396 Spoutnik 207, 227 Standard d’Havard 23 Stars-2 228 Strain-121, 283 Streptococcus mitis 283 Strontium 287 Structure hyperfine 278, 279 Superfluidité 305 Super-Kamiokande 122, 295, 400 Supernova de type Ia 294, 328, 329, 331, 409, 410 Supernova de type II 148 Supernova par production de paires 324 Supersymétrie 396, 398, 399, 402 SWIFT 307 Symétrie de jauge 358, 359, 362 Syndrome de Kessler 227 Szent-Györgyi, Albert 344
T Tâche rouge 202 Tardigrade 268, 269, 284 Taylor, Joseph 381
449 Tcheliabinsk 310, 311 Tchernobyl 287 Télescope de Spitzer 169 Température de Curie 90 Temps 41, 43, 44, 45, 46, 48, 50, 69, 71, 72, 396, 397, 402, 403 Termination Shock 209 Terre 193, 199, 233, 235-242 Terre boule de neige 251 TESS 214 Tether 228 Tétrachlorure 117 The Big Ear 276, 280 Théorème du singe infini 87 Théorie de la fatigue de la lumière 407, 409, 410 Théorie de la Relativité 28-30, 38, 41, 43, 45, 59, 362, 407 Théorie des cordes 36, 394, 395, 397-402, 406, 415-417 Théorie des épicycles 32 Théorie des superstrings 399 Théorie du steady-state 409 Théorie du Tout 402 Théorie M 402 Théories dites de subchandrasekhar 333 Thermophile 283 Thermophorèse 261 Thymine 246, 247 TOBA 290, 312 Tokamak 430 Tombaugh, Clyde 195, 207 Transition de phase 73-75, 83, 85, 87, 88 Transition Perm-Trias 291, 313 Trappist-1 216 Trapps de Sibérie 291 Triangulation 22, 388 Trous noirs 60, 71, 152, 156, 157, 159, 160, 382, 385, 386, 387
Le Big Bang, le cosmos et la vie
450 Tsu, Chuang 422 Tucholsky, Kurt 434 Twain, Mark 406
Vollmer, Gerhard 391 Voyager 205, 206, 209, 229, 321
W U UDFj-39546284 186, 187 UGC 1810 172 UGC 1813 172 UHECR 370 Uranium 148, 189, 190, 191, 210, 242, 249, 290 Uranus 193, 195, 224, 225, 226, 343
V Valeur attendue du vacuum 378 Vela 308 Vénus 29, 193, 195, 198, 211, 239, 265, 276 Virtis 318 VLT 223 Vogt, Steven 215 Voie lactée 23, 33, 34, 35, 44, 105, 110, 150, 157, 159, 169-171, 180-184
Wadsleyit 241 Weinberg, Steven 85, 414 Wilde, Oskar 433 Wilson, Robert 33, 34, 103, 104, 368 WISE 223 WISE J085510.83-071442.5 223 Wittgenstein, Ludwig 424 WMAP 104 Wolfe, Arthur Michael 103 World Wide Web 352 WR-104 307
Y Yang, Chen Ning 362, 371
Z Zircon 242, 243 Zone habitable 215, 216, 219, 221, 263, 265, 283, 284 _ du Centaure 209
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