L'Apocalypse - (chap. 10 à 21) - Version 2009 mise au propre [Tome 2]

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Père Marie-Dominique PHILIPPE o. p.

L’Apocalypse Chapitre 10 à 21

Conférences : 16 à 30

Attention : Texte non relu

Retraite prêchée au Foyer de Charité de « La Part-Dieu » juillet 1974

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Table des matières

Conférences Pages 1ère Rappel des trois nourritures et de leur ordre selon la Sagesse divine :  La Parole de Dieu  L’Eucharistie  La volonté du Père 2ème L’Eglise est l’Epouse vivant le même Mystère que Jésus crucifié. La Révélation de l’Eglise seule est l’objet de notre foi. S. Jean est le lien entre la Parole et la Tradition. L’Apocalypse : Révélation de la très Sainte Trinité. 3ème Les sept églises c’est à la fois l’Eglise et chacun d’entre nous. La victoire du Christ nous est montrée au début, ch. VI, par l’Agneau immolé, et à la fin, Ch. XIX, par la victoire du Cheval blanc. 4ème Vatican II nous fait revenir à la source par un contact direct avec l’Evangile. Nous sommes chrétiens dans la mesure où nous adorons. Le Mystère du sépulcre. Ch. X, XI. 5ème Nous sommes témoins dans la mesure où nous vivons pleinement le Mystère de Marie et le Mystère de l’Eucharistie. Marie, chef-d’œuvre de Dieu, est de notre race. Elle est notre Reine et notre Sœur. Ch. XII, 1-6. 6ème Le premier péché n’a pas été commis sur la terre mais dans le ciel : péché angélique. Toute la fureur du démon s’exerce s l’égard de la Femme, chef-d’œuvre de la création. Ch. XII, 7-14. 7ème La vraie libération réside dans l’adoration. Par la méditation nous sommes serviteurs de la Parole de Dieu. La contemplation fait de nous ses enfants. Marie hâte l’heure de Dieu à l’oraison. Ch. XII, 15-16. Le démon ne pouvant rien sur Marie, il attaque ses enfants. Ch. XIII, 1-2. 3

8ème En face de l’Agneau immolé apparaît l’anti-liturgie du démon qui, ne pouvant atteindre le croyant dans sa contemplation, agit de l’extérieur : c’est le salut de l’homme par l’homme. Ch. XIII, 1-16. 9ème La pensée hégélienne est le fondement de tous les athéismes contemporains qui sont les têtes de la bête de la mer. Elles sont nées de la corruption de la pensée chrétienne. (I Jn) Suivre l’Agneau partout où Il va, c’est être fidèle dans l’adoration et la contemplation, comme Marie de Magdala. C’est le Béatitude des Cœurs Purs. Ch. XIV, 1-13. 10ème Les attaques contre la foi. Le lutte entre les 2 signes : le Femme et le Dragon. L’Alliance de la Femme et de l’Agneau. Le triple discernement de Dieu. Le retour du Christ. Ch. XIV. 11ème La colère de Dieu est une purification et non une destruction. C’est parce qu’il nous aime que Dieu fait éclater sa colère. Ch. XV. Les sept coupes sont les corrections miséricordieuses et ultimes de Dieu envers l’Eglise et chacun de nous avant de démasquer l’œuvre de le bête. Ch. XVI. 12ème Les Apôtres des derniers temps. Les sept coupes. Ch. XV, 5 à XVII, 16. 13ème Dans les derniers temps, Dieu détruit l’œuvre du démon. Ch. XVII et XVIII. L’annonce des Noces de l’Agneau éclaire le dernier combat de l’Eglise. Ch. XIX. 14ème Cette conférence n’a pas été reproduite, explication 15ème Avant le triomphe définitif de l’Eglise glorieuse il y a le temps des catacombes spirituelles où Marie rassemble tous ses enfants pour le grand festin de Dieu. Ch. XX, XXI et XXII.

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1ère conférence

Rappel des trois nourritures et de leur ordre selon la Sagesse divine :  La Parole de Dieu  L’Eucharistie  La volonté du Père

Je vous rappelle très rapidement aujourd’hui, parce que je crois que c’est nécessaire, le sens de ce que représente la Parole de Dieu dans notre vie chrétienne. Vous savez bien, je vous l’ai déjà dit, du moins à certains d’entre vous, qu’au début de la retraite il est toujours bon de s’interroger, en face de l’Esprit Saint, et de nous demander si nous sommes vraiment une brebis grasse. Parce que Dieu aime la graisse, selon l’Ancien Testament. Comprenons bien ce que ça veut dire : une brebis grasse est celle qui vit pleinement de la nourriture que Dieu veut lui donner. Et le Mystère de l’Eglise, dans la perspective johannique, c’est le lieu des gras pâturages. Nous sommes Eglise là où il y a de gras pâturages. Et la teille du Père se fait pour que nous soyons toujours plus proches du tronc, afin de porter beaucoup de fruits. La grande vision johannique sur le Mystère de l’Eglise est donc très, très positive. Et porter beaucoup de fruits : c’est le mystère de la charité fraternelle. Tout aboutit à ce mystère. Regardez, dans l’Evangile de Saint Jean, les chapitres X et XV qui nous donnent les deux visions ultimes sur l’Eglise : le mystère du Bon Pasteur qui conduit ses brebis aux gras pâturages ; et l’allégorie de la Vigne qui nous montre comment Jésus est le cep et nous, les sarments, et que toute la taille du Père  puisque la Vigne appartient au Père  a pour but de rapprocher les sarments du tronc, pour qu’ils portent plus de fruits. Donc, si nous regardons ces deux aspects, nous voyons bien que le Mystère de l’Eglise est le lieu où nous est donnée la nourriture, le lieu des gras pâturages. La nourriture c’est : - la Parole de Dieu, - l’Eucharistie, et - la Volonté du Père. Il faut toujours revenir à ces trois nourritures. Il n’y en a pas d’autres. Cherchez bien dans l’Ecriture, vous n’en trouverez pas. Et ce qui est dit dans l’Ecriture, c’est directement le Mystère qui nous est révélé. « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de la Parole de Dieu ». Nous allons essayer de comprendre comment la Parole de 5

Dieu, l’Eucharistie, la Volonté du Père sont vraiment une nourriture. Jésus l’a dit à la. Samaritaine ; Il l’a dit à ses apôtres, qui n’ont pas compris du tout. C’est du reste très significatif ! C’est peut-être là qu’est le plus grand mystère. On comprend plus facilement qu’on se nourrisse de la Parole de Dieu, plutôt que de l’Eucharistie. Et c’est peut-être encore beaucoup plus difficile à comprendre qu’on se nourrisse de la Volonté du Père. Ordinairement, se nourrir de la Volonté du Père, c’est obéir. On n’a pas tellement l’impression que l’obéissance soit une nourriture, mais bien plutôt qu’elle nous coupe la tête, ce qui nous empêche de nous nourrir. Ordinairement, en aime bien la liberté, celle des petites brebis qui vont partout où elles ont un petit peu d’herbe a brouter ! Alors que l’obéissance, c’est un petit peu raide. Et cependant, c’est la nourriture de Jésus. C’est important de se le rappeler. C’est tout le Mystère de l’Eglise. Toute la hiérarchie, dans l’Eglise, est ordonnée à cela. Le mystère de l’enseignement est ordonné à la communication de la Parole. Le mystère du sacerdoce est ordonné à l’Eucharistie. Et le mystère de l’autorité est pour que la Volonté du Père se transmette. Les trois grands pouvoirs classiques de l’Eglise, il faut les considérer dans leur finalité, surtout aujourd’hui. En face du protestantisme, le Concile de Trente avait vu très nettement le point de vue des pouvoirs de l’Eglise. Et Vatican II nous demande de tout regarder en revenant à la source. Alors on a une vision nouvelle du Mystère de l’Eglise. Et cette vision nouvelle nous fait regarder, avant tout, pourquoi l’Eglise existe. L’Eglise n’est pas nécessaire. Jésus suffit à tout. Il faut bien se le dire. Il faut être très, très net sur ce point. C’est vrai que Jésus suffit à tout. Jésus est notre Sauveur. Ce n’est pas l’Eglise qui est notre Sauveur. Ce n’est pas Elle qui nous a donné la vie. C’est Jésus qui nous donne la vie. Et par Jésus, Marie, et par Marie, l’Eglise, avec Jésus. L’Eglise est notre mère et donc elle nous a donné la vie, à cause du Christ, par le Christ. Il faut donc comprendre que si Jésus a voulu le Mystère de l’Eglise, c’est par surabondance d’Amour. Et cette surabondance d’Amour est mystère de nécessité dans l’ordre de l’Amour ; mais elle n’est pas nécessaire au niveau de la justice. Aujourd’hui, on a beaucoup de peine à comprendre le Mystère de l’Eglise. Pour les jeunes surtout, Elle n’a pas un visage qui les aide à y entrer. Si c’était le lieu des gras pâturages, ce serait merveilleux. Ils se jetteraient dessus en disant : il y a de quoi brouter. Il y a de la confiture, du beurre ... il y a tout ce qu’on veut ! Alors on s’y précipite ! Mais ce n’est pas tout à fait ce qui se présente, parce qu’on a encore une vision, je dirais trop extérieure de l’Eglise, et alors on ne voit pas assez pourquoi l’Eglise est réalisée dans la pensée de Dieu. Dans la sagesse divine, l’Eglise existe pour qu’il y ait cette nourriture donnée en surabondance : pour que l’on puisse recevoir la plénitude de le Parole, le plénitude du Corps du Christ et pour qu’on puisse reconnaître la Volonté du Père.

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Vous voyez, c’est beaucoup plus difficile à reconnaître la Volonté du Père. La Parole de Dieu, elle, nous est donnée à travers l’Ecriture et l’Eglise la garde ; l’Eucharistie nous est donnée par Jésus et l’Eglise la garde. On dit « Parole de Dieu », mais « les sacrements de l’Eglise ». C’est très important. Ce sont les sacrements du Christ, mais on dit « les sacrements de l’Eglise », tandis que vous ne dites jamais « la Parole de l’Eglise ». C’est très important de souligner ces aspects qui nous montrent tout de suite la différence entre ces trois nourritures, car c’est par là que nous pénétrons dans le Mystère de l’Eglise. Et c’est bon, de se mettre dès le début de la retraite dans cette perspective des sacrements de l’Eglise. C’est Jésus qui nous donne son Corps mais qui le confie à l’Epouse. L’Epouse garde les gestes. C’est le propre de l’Epouse, cela. L’Epouse n’a pas la Parole puisque la femme ne parle pas dans l’Eglise (pour l’année de la femme, il ne faut pas l’oublier). Mais elle garde les gestes. C’est merveilleux. Alors si aujourd’hui on permet à la femme de parler dans l’Eglise, on comprend cette permission. Mais considérez bien que ce n’est pas son rôle premier. Son rôle premier est de garder la Parole comme la bonne terre. Et nous sommes tous femme dans la mesure où nous sommes disciples du Christ, dans la mesure où nous sommes l’Eglise. Le sacerdoce royal des fidèles, c’est le sacerdoce de la femme. Et donc on garde la Parole de Dieu ; et l’Epouse répond à l’Epoux par ses gestes. Et c’est pour cela que les sacrements, qui sont les gestes, sont remis à l’Eglise. C’est très beau ! La philosophie aujourd’hui revient très fortement sur le point de vue du geste et de la parole, qu’on avait un peu laissé tomber, il faut le reconnaître. Ce retour nous aide à comprendre beaucoup plus profondément, à saisir la différence qu’il y a entre la parole et le geste. Nous aurons l’occasion d’y revenir, mais c’est très important de comprendre que les sacrements sont les gestes. Les gestes sont beaucoup plus liés au corps, donc liés au cœur, et donc liés à l’Amour. Tandis que la Parole est liée, en premier lieu, à l’intelligence. Lorsque vous suivez un cours de mathématiques, vous ne demandez pas tellement au professeur de faire beaucoup de gestes. Il n’a qu’à parler de façon précise, à donner des équations et des raisonnements. Tandis qu’au contraire, lorsque vous regardez la communication des secrets, à ce moment-la la présence et les gestes ont une valeur beaucoup plus grande. Les sacrements sont du côté des gestes. Et, en dernier lieu, il y a la Volonté du Père. C’est peut-être le plus mystérieux, parce que Dieu a confié Sa Volonté à des hommes : « Comme mon Père m’a envoyé, je vous envoie ». Quand le Père envoie son Fils, ça va, parce que c’est son Fils bien-aimé, son Fils immaculé. C’est son Fils dans lequel il n’y a que l’Amour. Mais, « comme mon Père m’a envoyé, je vous envoie », c’est beaucoup plus périlleux ! Parce que les apôtres sont des pécheurs, dans tous les sens. Les apôtres sont des hommes qui peuvent se tromper. Et ça continue, on le sait très bien. Un Pape n’a pas toujours le même tempérament que son prédécesseur ! Regardez les trois derniers d’entre eux : Paul VI, 7

Jean XXIII et Pie XII. Alors certains sont en connaturalité avec Pie XI, disant « c’est le seul Pape ». Il paraît que maintenant ils ne disent plus « il faut revenir à Pie X ». Cela a déjà commencé à dégringoler après Pie X. C’est ce que l’on m’a dit l’autre jour, alors je le répète, c’est, intéressant d’écouter ces choses-là, la Tradition s’est arrêtée avec Pie XI. La Tradition prend des formes différentes. Dieu parle à travers des hommes, et c’est pour cela que Jésus peut dire « Comme mon Père m’a envoyé, je vous envoie ». Il ne faut pas croire que l’élection d’un Souverain Pontife relève du hasard. Oui, c’est le hasard dont se sert le Saint-Esprit. Puisque la première élection des apôtres s’est faite à la courte paille, cela pourrait continuer ? Ce sera tellement difficile la succession de Paul VI. Ce sera le signe qu’on sera tout à fait à la fin et à ce moment-là, ce sera Pierre II. La première élection dans l’Eglise s’est faite ainsi et le Saint-Esprit s’en est servi. C’est étonnant. « Comme mon Père m’a envoyé, je vous envoie ». Dans le mystère de l’autorité, Dieu se sert d’hommes avec leur tempérament, avec leur intelligence, et Il nous demande d’obéir à ces hommes mandatés par Lui. Vous comprenez que le mystère de l’obéissance est beaucoup plus difficile, parce que la médiation est beaucoup plus forte. Dans la Parole de Dieu, la médiation est beaucoup moins nette. On a la Parole de Dieu, on sait que c’est Sa Parole. Dans le mystère de l’Eucharistie, la médiation c’est le prêtre qui agit au nom du Christ, comme instrument. Dans l’autorité, la médiation est beaucoup plus forte. Dieu se sert de certains hommes et Il leur confie son autorité : « Comme mon Père m’a envoyé, je vous envoie ». C’est pour cela que le mystère de l’obéissance est particulièrement difficile. Et l’on s’en aperçoit aujourd’hui. Aujourd’hui, c’est très clair quand vous regardez l’Eglise, vous voyez très bien que dans les deux extrêmes on refuse l’obéissance. Il faut appeler les choses par leur nom. On est en dehors de l’obéissance, parce qu’on se met à discuter et à mesurer l’autorité. Une autorité qui se mesure n’est plus l’autorité. L’autorité, dans l’Eglise, c’est celle du Père et il faut l’accepter, même si on ne la comprend pas. On ne choisit pas son autorité. Vous choisissez un ami, mais vous ne choisissez pas l’autorité. L’autorité, elle, vous est imposée. Autrement, ce n’est plus l’autorité. Est-ce que avez choisi vos parents ? Ils avaient autorité sur vous. Personne d’entre nous n’a choisi l’autorité. Si l’on commence à vouloir la mesurer, en disant qu’elle n’est pas conforme à la Tradition, (au nom de quoi dites-vous cela ?), ce n’est plus l’autorité. L’autorité est au-dessus de la Tradition. Vous savez, j’habite la Suisse. On a été très secoué par les événements d’Ecône et vous verrez que ça secouera très fortement l’Eglise. Il faut qu’on y soit très attentif, mais non pas pour en juger. Ne jugeons pas notre frère. Mais ces événements nous obligent à repenser tout le mystère de l’obéissance.

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Alors vous voyez une attitude extrémiste, politiquement dite de droite (ce n’est pas évangélique droite ou gauche ...), et puis vous en voyez d’autres qui font des fantaisies. On ne les publie pas dans « La Croix » et cependant il y a des fantaisies partout. On en apprend tout le temps. Ce n’est pas l’obéissance. Et quand on le leur dit, ils répondent : Ah ! ad experimentum … tout est permis. On peut faire n’importe quoi ! Alors on constate cette chose très curieuse. Quand il s’agit de la Parole de Dieu, de l’Eucharistie, on n’ira pas directement contre elles. Mais on ira contre l’obéissance, ou plus exactement on la fera disparaître. Les apôtres eux-mêmes ont de la peine à comprendre ce qu’est l’obéissance, alors qu’ils ont compris la Parole ; aucun apôtre, selon l’Ecriture, n’a refusé la Parole. L’un d’entre eux a refusé l’Eucharistie : Judas. Et les apôtres n’ont pas compris quand il s’agissait de l’autorité. Ils y sont venus petit à petit. Il a fallu la grâce du Saint-Esprit. Si le Saint-Esprit nous est donné d’une façon très particulière aujourd’hui, c’est pour que nous puissions arriver à entrer dans le mystère de l’autorité, l’autorité du Père ; pour que nous puissions arriver à obéir comme le Christ nous le demande. L’obéissance, c’est rude, ce n’est pas commode du tout. L’autorité est au-dessus de la Tradition, bien qu’elle en fasse partie. C’est elle qui a le droit d’interpréter. Elle lui est donc supérieure. Dans l’Evangile de Saint Jean, on lit cette phrase très nette, à laquelle on doit beaucoup réfléchir actuellement. Jésus dit aux Pharisiens : « Vous scrutez l’Ecriture et vous croyez trouver la vie ». Jean réfléchit beaucoup à cette Parole, mise en parallèle avec « vous scrutez la Tradition et vous croyez trouver la vie ». La vie chrétienne n’est ni dans la Tradition, ni dans l’Ecriture ; elle est dans le Christ. C’est capital de le comprendre. Autrement la Tradition peut devenir un obstacle à la foi. On peut devenir traditionaliste et ne plus être du Christ et l’on pleure sur le pan de mur, sur les murs de Jérusalem. On pleure sur une Eglise dans laquelle on ne se retrouve plus. A ce moment-là, on perd du temps. Il ne s’agit pas de pleurer, il s’agit d’aimer. Il s’agit d’aimer pleinement. « Vous scrutez l’Ecriture et vous croyez trouver la vie ». Vous scrutez la Tradition et vous croyez trouver la vie. La vie, c’est Jésus. C’est Jésus qui est source de la Parole. C’est Jésus qui est source de la Tradition, parce que c’est Lui qui a l’autorité. Et l’autorité du Christ, c’est celle du Fils Bien-aimé et c’est Lui qui la communique. Voyez comment  et c’est très important  l’Ecriture et la Tradition sont des moyens conjoints à la source. Mais nous pouvons les en séparer. On voit une certaine exégèse aujourd’hui séparer complètement la Parole de Dieu de sa source. Et l’on voit une certaine conception de la Tradition, l’autre extrême qui la coupe complètement de sa source. A ce moment-là, ce n’est plus la Vie. Alors que, normalement, dans la grande vision de Dieu, il ne faut jamais l’oublier, Jésus est source de la Parole et source de l’autorité. C’est Lui qui nous donne la Parole et qui nous demande de la garder dans notre cœur. La Tradition, c’est Marie, intimement liée à la source. La Tradition, c’est la bonne terre qui garde la Parole de Dieu. La Tradition c’est ce qui nous aide à entrer plus profondément en contact avec Jésus et à vivre de Son Don. 9

Au début de la retraite, il est important de faire un petit examen de conscience, de vous demander si vous vivez vraiment de ces trois nourritures : la Parole de Dieu, l’Eucharistie et la Volonté du Père. Que nous vivions les circonstances actuelles dans l’Eglise avec des mentalités, des opinions différentes, cela n’a aucune espèce d’importance. On ne vit pas chrétiennement au niveau de ses opinions. On vit chrétiennement au niveau du Mystère du Christ. On sait très bien qu’on a ses opinions politiques. On sait très bien qu’on a sa petite théologie. On le sait très bien. Mais on ne vit pas de conclusions théologiques, si intelligentes soient-elles. On ne vit que de la Parole de Dieu, que de l’Eucharistie, que de la Volonté du Père. C’est capital de comprendre cela ; autrement on devient sec parce qu’on est coupé de sa source ; on devient un rameau sec, coupé du tronc. Il faut se le rappeler. Le démon aujourd’hui est terriblement astucieux. Il fait dire des choses contradictoires et les gens ne s’en aperçoivent pas. On dit : jamais je ne quitterai l’Eglise. Et puis on n’obéit pas ... C’est quand même contradictoire ! Il faut bien voir les choses telles qu’elles sont. On porte un témoignage et donc il faut quand même comprendre ces choses-là. Donc, on ne veut pas quitter l’Eglise et l’on n’obéit pas. Cela se constate dans les deux extrêmes et nous aussi nous portons en nous les deux extrêmes. Il y a la cave et le grenier ! Il y a des gens qui sont conservateurs quant au vin, et d’autres qui le sont quant aux meubles ... Ça dépend des formes du conservateur et du révolutionnaire qui sont en nous. Car en chacun d’entre nous il y a un petit conservateur et un révolutionnaire. Celui qui prétend n’être que conservateur est un monstre. Celui qui prétend être uniquement un révolutionnaire, est un monstre. On a toujours les deux tendances en nous. C’est extrêmement curieux, du reste, et on le sent. Il faut être un peu lucide dans sa psychologie et comprendre qu’en nous-mêmes il y a des choses semblables : la cave et le grenier. L’enracinement, c’est le vin. Cette bonne cave qui garde bien le vin. Et il y a le grenier, où l’on met les vieux meubles, les choses qui ne servent plus ! Mais au bout de trois générations, c’est intéressant de revenir dans un vieux grenier. On y trouve des choses étonnantes, qui n’avaient plus aucun intérêt, qui maintenant en reprennent un très grand. C’est extraordinaire : des vieux meubles qu’on avait rejetés et maintenant on les fait redescendre. Comme c’est beau ! C’est magnifique et dire qu’on les avait mis au grenier ! Heureusement qu’on ne les a pas détruits. Cela a du bon, les greniers, comme les caves, du reste. Il faut savoir garder, mais il faut en même temps toujours renouveler. Renouveler, revenir à la source. Il ne faut pas garder pour garder. Nous reviendrons sur le Mystère de l’Eucharistie et sur celui de l’autorité à l’occasion de l’Apocalypse.

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Entrons tout de suite dans le mystère de la Parole de Dieu pour bien comprendre comment nous devons la recevoir. Il y avait à élaborer une grande théologie de la Parole de Dieu. Elle a été partiellement faite, pas complètement. C’est même très curieux de le constater. Je crois qu’on devrait faire une grande théologie de le Parole de Dieu. Un Traité de l’Eglise, c’est è le fois : le Traité de le Parole de Dieu, le Traité de l’Eucharistie et le Traité de la Volonté du Père, si l’on fait un Traité de l’Eglise vu du côté de le finalité. En plus, j’ajoute tout simplement pour ceux qui réfléchissent à ces notions, que l’ordre entre ces trois nourritures est très important à saisir. Sinon nous aurions tout de suite des visions différentes de l’Eglise : Pensez à l’orthodoxie, aux protestants, aux catholiques, sans oublier Israël. Vous avez des visions différentes de l’Eglise : les protestants, les orthodoxes et les catholiques sont d’accord pour dire qu’il y a trois nourritures. Mais l’ordre des trois nourritures n’est pas le même chez eux. Il faut être très attentif à l’ordre, l’ordre de la Sagesse de Dieu. Nous allons voir, du reste, combien l’Apocalypse nous rend très attentifs à l’ordre. L’ordre n’est jamais la dernière vision, mais il nous aide à entrer dans le mystère. Considérons-le dans la perspective de l’Eglise catholique, puisque nous y vivons, tandis que nous ne vivons pas dans l’Eglise orthodoxe, ni protestante. Nous y avons peut-être vécu et de temps en temps nous éprouvons une petite tentation. Ou nous avons des amis qui en font partie et alors c’est intéressant de réfléchir d’une façon œcuménique, c’est-à-dire dans la vision de l’unité. Mais, dans la vision de l’unité, il faut être très lucide pour ne pas blesser. Il faut être très lucide pour témoigner. Il s’agit de ne pas blesser. Il s’agit d’aimer vraiment nos frères. Et puis il s’agit de témoigner. Dans l’Eglise catholique, le point de vue de l’obéissance à l’égard de l’autorité est particulièrement net. C’est à l’égard du Souverain Pontife que le mystère de l’autorité est le plus manifeste. Il est au point de départ et au terme. Tout s’achève dans l’exécution de l’obéissance. Et ceci en raison même du mystère de la Croix du Christ. Le Christ est mort dans l’obéissance. C’est la grande vision de l’Eglise catholique, où le Mystère de la Croix prend une telle place. Le Christ est mort dans l’obéissance. La première Parole de Jésus venant en ce monde est : « Tu m’as formé un corps pour que je fasse ta volonté » (He X, 6-7). Et Sa dernière Parole sur la Croix : « Père, je remets mon esprit entre tes nains » (Lc XXIII, 46). Donc, du point de départ au terne, toute la vie du Christ est dans les mains du Père. Toute la vie du Christ consiste a accomplir Sa Volonté. Puis il y a, dans l’Apocalypse, la grande vision sur l’Eglise : la Vierge qui suit l’Agneau partout où Il va.

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Saint Augustin nous dit : « Le chrétien c’est celui qui suit le Christ ». Et donc, c’est celui qui obéit au Christ. La vie chrétienne c’est l’obéissance au Mystère mène du Christ. Je crois que c’est ce que l’Eglise catholique a saisi, avec des modalités différentes. Et l’on sent très bien qu’aujourd’hui il y a une nette reprise pour essayer de comprendre le Mystère de l’autorité divine. L’autorité divine est une autorité de service parce que c’est une autorité d’Amour. On avait peut-être trop donné à l’autorité l’aspect du pouvoir, surtout à partir du 14ème siècle, avec le nominalisme. L’autorité n’est pas premièrement un pouvoir. C’est un service, service d’Amour. C’est une responsabilité. Ce n’est pas la même chose être responsable et avoir un pouvoir. Quand on a un pouvoir, on domine, et très souvent on tyrannise. Ce n’est pas le tyran qui a le plus d’autorité, et pourtant il a le plus grand pouvoir. Un tyran s’impose. La tyrannie exalte le pouvoir et tue l’autorité. La véritable autorité, au contraire, est un service d’Amour pour coopérer avec ceux dont on est responsable. Alors, on coopère et l’on fait une œuvre d’amour. Il faut de plus en plus que l’autorité, dans l’Eglise catholique soit une autorité d’Amour, celle du Bon Pasteur qui donne sa vie pour ses brebis. Dès que l’on a la plus petite autorité, par exemple celle de celui qui enseigne le catéchisme (c’est une autorité à l’égard des petits derniers), ou bien l’autorité du Curé, il faut s’en souvenir (surtout en face du danger de cléricalisme à outrance d’aujourd’hui). Il faut rappeler au Curé que son autorité est un service d’Amour. Et donc, il doit tenir compte du bien commun. Il doit tenir compte de ceux qui sont là. Et quand il y a trois personnes à sa Messe, il doit la dire conformément au désir de ces trois personnes, en respectent ce que l’Eglise demande ; il doit y être attentif, puisque les sacrements sont pour les hommes. On ne dit pas que les sacrements sont pour les curés. Non. Les sacrements sont « propter homines ». Les Curés doivent les garder en étant au service du peuple de Dieu. Toute autorité est un service d’Amour, parce que c’est une autorité sacerdotale. Toute autorité, dans l’Eglise, est sacerdotale. Qu’il s’agisse du sacerdoce ministériel ou du sacerdoce royal, c’est toujours une autorité sacerdotale. Et donc elle est un service. Et celui qui a autorité doit offrir se vie pour ses brebis. L’Eglise catholique, dans l’exercice de cette autorité, dans l’exercice de l’obéissance, comprend que le Parole est ordonnée è l’Eucharistie, au mystère du Pain de Vie. Parce que le Parole de Dieu est une Parole d’Amour, tout entière ordonnée au silence de l’Eucharistie. Vous voyez : le silence et le parole. Je vous disais tout à l’heure : le geste et le parole. On peut dire aussi : le geste, est silencieux. Par nature, le geste est silencieux parce qu’il est du côté de l’amour et que l’amour engendre le silence et l’accueille. L’amour réclame le silence. Il n’y a plus d’amour dans un monde où il n’y a plus que du bruit. Dès qu’il y a amour, il y a silence. C’est très curieux. Les anciens disaient que dès qu’il y a amour, on a des ailes, alors par conséquent on ne fait plus de 12

bruit. Ayez des ailes pendant le retraite : vous ne ferez plus aucun bruit. L’amour nous rend ailé et nous permet de nous élever et de ne plus avoir ce lourd pas pesant qui fait tout trembler sur son passage, comme un char d’assaut ! Ça écrase tout, ça ébranle tout ! Ce n’est pas l’amour cela. L’amour est ailé et silencieux. L’Eglise catholique a compris que la Parole est ordonnée à l’Eucharistie et que l’Eucharistie nous permet de comprendre la Parole. Je ne regarde pas les autres Eglises, ce n’est pas notre but ici. Je vais simplement vous rappeler l’ordre divin : est-ce que dans nos vies nous sommes conformes à cet ordre de Sagesse, le Parole ordonnée à l’Eucharistie et l’Eucharistie nous permettent de vivre de la Volonté du Père ? Et en vivant de la Volonté du Père vous pouvez de nouveau recevoir le Parole, vivre de l’Eucharistie et être en coopération efficace avec Sa Volonté. Vous voyez que la Volonté du Père est au point de départ et au terme. Pour nous tout doit s’achever, comme pour le Christ, dans l’offrande de notre vie. Toute notre vie, sur la terre, c’est de vivre le Mystère de la Croix du Christ, dans la lumière de la gloire. Et le mystère de la Parole alors ? Il faut être très sensible à ce que représente le mystère de le Parole divine. Dieu a voulu nous parler. Il aurait très bien pu illuminer intérieurement notre cœur et ne pas se servir de la parole humaine. Dieu a voulu se servir de la parole humaine. C’est assez étonnant. Dieu n’a pas pris un langage particulier qui lui soit réservé, un langage divin. Israël dit : il n’y a qu’une seule langue divine, l’hébreu. Toutes les autres langues sont conventionnelles. Le grec et le latin sont conventionnels. Le français, l’allemand, toutes les autres langues sont conventionnelles. Il n’y a qu’une seule langue divine. Eh bien, nous, nous ne disons même pas qu’il y a une langue divine. Nous disons que toutes les langues sont conventionnelles. Et que l’hébreu n’est pas, par nature, une langue sacrée. Dieu s’en est servi et quand Dieu s’en sert, elle devient sacrée, comme lorsqu’il se sert du grec, du latin, de toutes les autres langues. Du fait même que Dieu s’en sert, elles deviennent sacrées. Mais elles ne le sont pas en elles-mêmes. C’est important de se rappeler cela et c’est quand même extraordinaire que Dieu se soit servi du langage humain comme véhicule pour nous communiquer son Amour. Nous y sommes tellement habitués, on lit le Bible. Mais réfléchissons à cette chose inouïe : Dieu a commencé le Mystère de l’Incarnation par la langue. Les Pères de l’Eglise sont très sensibles à ce premier point de départ du Mystère de l’Incarnation. Dieu s’est servi du langage humain pour nous communiquer son Mystère. Quelle est la finalité de l’Ecriture ? Il faut toujours se poser la question. Quand on parle à quelqu’un, c’est qu’on a une intention. Je ne le cache pas, j’ai une intention en vous parlant : essayer, ensemble, de pénétrer davantage dans la Parole de Dieu, d’être ensemble un tout petit peu plus intelligents pour Dieu. Qu’ensemble notre cœur puisse aimer davantage. C’est cela l’intention profonde de la prédication ou des conférences de 13

retraite. Dans un cours de philosophie, dans une conversation, l’intention n’est pas la même. Dans une conversation amicale, peu importe ce qu’on dit, après tout. L’essentiel est qu’on soit là présent. Et c’est cela que l’on cherche avant tout. Au contraire, dans un cours, il y a une intention de vérité, on cherche une intention de vérité. Quelle est l’intention de Dieu lorsqu’il nous parle ? C’est important de se poser la question. Dieu nous parle en Père. Il se révèle à nous comme Père, tout de suite, dès l’Ancien Testament, dès la première Alliance. Dieu ne parle pas en philosophe, ni en savant, ni comme créateur. Comme créateur, il réalise l’univers Mais ce n’est pas une parole. C’est quelque chose qu’il réalise comme créateur. Tandis que, lorsqu’il s’agit du Mystère de Se Parole, c’est Dieu qui, en tant que Père, veut communiquer à ses enfants ses secrets, ce qu’il est, Son Amour. Toute l’Ecriture est ordonnée à la révélation de l’Amour du Cœur de notre Dieu. Toute l’Ecriture réclame de nous la foi. Nous ne recevons la Parole de Dieu qu’en tant que croyants. Quelqu’un qui ne croit pas ne la reçoit pas, mais il peut très bien lire l’Ecriture en disant : « C’est très intelligent. C’est très, très beau, c’est merveilleux ! » Il lit l’Ecriture comme une œuvre, de même que je puis regarder le feuillage en disant : « Comme c’est beau ! Celui qui l’a fait doit être merveilleux ». A ce moment-là je ne suis en contact qu’avec le Créateur, par la médiation de la création. Ce qui est extraordinaire, dans le mystère de la Parole de Dieu, c’est que j’entre dans l’intimité divine, par la foi. Prenons une comparaison qui nous aidera à mieux comprendre. Quand on regarde une exposition de tableaux, de meubles, une exposition d’architecture, une belle église, c’est l’œuvre qui nous intéresse avant tout. De temps en temps on dit : Ah, quand même, ce serait intéressant de connaître l’artiste qui l’a réalisée. Lorsqu’il s’agit d’une œuvre du 12ème siècle, c’est plus difficile. Donc, on admire l’œuvre et on essaie de connaître son auteur et on constate qu’il y a deux choses tout à fait différentes : l’œuvre et l’artiste. Eh bien, l’univers nous permet de connaître Dieu comme Créateur. La Parole de Dieu nous permet de rejoindre le Père, l’Ami, l’Epoux. La Parole de Dieu, à travers l’Ecriture, c’est la Parole du Père, de l’Ami, de l’Epoux. Il y a des degrés différents d’intensité. C’est pour cette raison que les Pères de l’Eglise n’hésitent pas à dire que dans le Parole de Dieu il y a des sens infinis. On y pénètre plus ou moins, suivent que notre foi est plus ou moins vive, plus ou moins ardente, suivant que notre soif est plus ou moins grande. Tous, nous le recevons comme croyants, mais quelquefois le croyant est uniquement un disciple. Oui. Il ne comprend pas grand chose. Ce n’a pas d’importance. On croit comme cela. Puis, petit à petit, on devient des enfants qui veulent connaître l’Amour du cœur de leur Père. Puis on devient des amis qui veulent coopérer. Puis on devient des épouses qui veulent entrer plus profondément dans les secrets. Il y a comme des degrés différents. C’est très net. La foi implique ces degrés différents. Et la foi implique que, dans ces degrés différents, l’on reçoive le Parole de Dieu selon des modalités différentes. Oui, dans le Parole de Dieu, il y a diverses modalités. Mais la finalité est toujours la même : nous révéler le Mystère de l’Amour de Dieu. 14

La Parole de Dieu et la foi sont donc corrélatives. Pour recevoir la Parole, il faut la foi, car Dieu n’a pas modifié la parole humaine. Il s’en est servi. Dieu se sert de notre intelligence humaine, Par la foi, la structure de notre intelligence n’est pas modifiée. C’est très curieux. Dieu aurait pu très bien dire que le croyant fasse taire son intelligence. Je le dis parce que ça reflète une petite tentation d’aujourd’hui. Selon Paul VI, le plus grande tentation des chrétiens, aujourd’hui  je l’ai entendu de mes propres oreilles  c’est de tomber dans le fidéisme. C’est important de se le rappeler. Le livre de Maurice Clavel qui vient de paraître le montre bien. Vous êtes en face d’un fidéisme. C’est très bien pour lui, personnellement. Mais qu’il ne fasse pas profession de foi d’un fidéisme. Je comprends très bien que quelqu’un, dont l’intelligence est fortement marquée par Kant, ne parvienne plus à croire. Seul le Saint-Esprit peut ressusciter des morts. Alors l’intelligence marquée par Kant est une intelligence morte, c’est vrai, au sens spéculatif. L’Esprit Saint peut très bien à ce moment-là donner le foi. Il est tout à fait libre de le faire. Mais dans ce cas, comprenons bien que Kant a tué notre intelligence et que nous ne vivons plus que par la foi. C’est très beau comme témoignage. C’est très beau de voir que la foi redonne une nouvelle lumière. Mais attention ! Ce n’est pas normal que l’intelligence soit morte ! Qui est-ce qui a créé l’intelligence ? « Le Verbe éclaire tout homme venant en ce monde ». Selon la grande vision des Pères de l’Eglise et de Saint Thomas, l’intelligence provient de Dieu. Elle est fille de Dieu. Notre intelligence est quelque chose de sacré parce qu’elle est capable de remonter jusqu’à Dieu. Elle est faite pour Dieu. Elle est « capax Dei » selon la magnifique expression de Saint Thomas. Notre intelligence a le capacité de remonter jusqu’à Dieu. Parce que notre intelligence vient de Dieu et qu’elle est faite pour la Vérité, et que le foi nous est donnée par notre Père  par Dieu en tant qu’il est l’Epoux, l’Ami, le Père  il y a un ordre entre l’intelligence et la foi. C’est bien évident. Il ne faut pas que l’intelligence passe avant la foi, mais qu’elle soit à son service. La foi ne supprime pas et ne détruit pas notre intelligence. Dieu ne peut pas détruire par le point de vue surnaturel, par le point de vue divin, ce qu’il e donné comme Créateur. Mais que notre intelligence soit blessée par certaines erreurs, qu’elle soit marquée d’une façon très forte par certaines méthodes philosophiques, c’est bien évident. Ce sont les conséquences du péché. Cependant, l’intelligence reste toujours, profondément une intelligence faite pour Dieu. Je crois qu’il y a ici un parallélisme important à comprendre. Ce sont des choses très actuelles, dans lesquelles nous sommes tous impliqués et pendant la retraite on doit un peu y réfléchir. On ne vous demande pas à tous d’être des personnes très intelligentes, quoique Dieu aime beaucoup que l’on soit intelligent pour Lui. Et vous êtes tous intelligents, dites-le vous bien. Nous avons tous une forme d’intelligence particulière.

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Une des choses dont je me souviens, et dont je me souviendrai toute ma vie, est ce que nous disait le bon Père M. qui était un merveilleux médiéviste. Il avait terminé ses jours au Saulchoir, après avoir été professeur à Fribourg et il nous donnait la goutte de lait. On se rappelle toujours la goutte de lait ! C’était pour nous initier à la philosophie, plus spécialement à la méthodologie historique. Le Père M. était un grand historien et il avait écrit un livre sur la méthodologie historique, très bien fait du reste. La méthodologie, ce n’est jamais drôle. Donc, il commençait, et puis au bout de trois minutes, il ôtait ses lunettes et se mettait à nous parler en vieux grand-père, avec toute son expérience. Alors, vous comprenez, on écoutait. Ce n’était plus la méthodologie, c’était la vie ! Un beau jour, je n’en souviens, il nous a dit : « Vous êtes tous intelligents », cela je l’ai retenu. « Vous êtes tous intelligents », cela vous le retiendrez ! Dites-vous bien que vous êtes tous intelligents. Et il avait parfaitement raison. Nous sommes tous intelligents pour Dieu, tous, absolument tous. Ce n’est pas une question d’érudition. Il y a des gens qui ont fait des quantités d’études et qui deviennent bêtes parce qu’ils ont trop de diplômes, une avalanche. Et il y a des gens qui en ont fait très peu et qui ont une intelligence d’une fraîcheur extraordinaire. C’est merveilleux, ils comprennent, alors que les autres ne comprennent plus. « Vous êtes tous intelligents », et il ajoutait, parce qu’il devait nous initier, « vous aurez des professeurs qui n’auront pas tous la même forme d’intelligence que vous. Si vous en avez un qui a la même forme d’intelligence que vous, il dira : j’ai un génie dans ma classe, tout simplement parce qu’il aura retrouvé la même forme d’intelligence. Dans le cas contraire, le professeur dira : « J’ai un imbécile dans ma classe, il ne comprend rien de ce que je dis ». Ce n’est pas étonnant. Il y a des familles d’intelligences. On devrait faire le jeu des familles au niveau philosophique. Il y aurait la famille kantienne, hégélienne, la famille aristotélicienne, platonicienne ... il y aurait des familles comme cela et l’on pourrait se rencontrer. Alors le Père M. terminait en disant : « Si vous trouvez quelqu’un qui vous dit que vous êtes un génie, dites-vous bien que vous n’en êtes pas un. C’est rare les génies. Et puis, les génies ne se déclarent pas géniaux. Le jour où ils le font, c’est fini. Par conséquent, il ne faut surtout pas qu’à ce moment-là ce soit la mouche qui l’emporte, la gloire humaine, sinon ils ne sont plus du tout intelligents. Ils sont subordonnés à la gloire. Si vous avez un maître qui ne vous comprend pas, cela n’a pas d’importance, vous en rencontrerez un autre qui vous comprendra. » Je crois que c’est très juste. Nous avons des formes d’intelligence différentes. Et nous devons garder la Parole de Dieu dans la foi, selon ces diverses formes. Il faut une grande souplesse du côté de l’intelligence. Un être intelligent est un être souple, parce qu’il est vivant. La vie, quand elle est vraiment forte, implique une très grande souplesse. La sclérose est signe de vieillesse. Or l’intelligence ne vieillit pas. Elle acquiert une souplesse toujours plus grande. Plus on avance, plus on dépasse justement toutes ces petites scléroses.

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Donc, comprenons bien : Dieu n’invente pas de langue spéciale. Il se sert du langage des hommes. Il ne modifie pas, par la foi, 1s structure de notre intelligence. Il l’ennoblit et lui permet de porter un nouveau jugement sur le mystère de Dieu qui nous est révélé. Par la foi, j’adhère au mystère d’Amour. Mais mon intelligence n’est pas étouffée par elle ; au contraire, elle est éveillée. Un vrai croyant doit mettre son intelligence, selon la modalité qui lui est propre, eu service de le Parole de Dieu. Voilà ce qu’on nous dit tout de suite quand nous regardons le mystère. Il faut ajouter que Dieu a donné Sa Parole à travers une histoire, et donc Il en a respecté le développement progressif. Le début de la Genèse et le Prologue de Saint Jean, ce n’est pas tout à fait la même chose ! Le début de le Genèse, c’est la crypte de l’Ecriture. Comme on aime beaucoup les cryptes aujourd’hui, il faut entrer dans les onze premiers chapitres de le Genèse, qui sont quelque chose de très fondamental, où il y a des dessins merveilleux, extraordinaires. Au contraire, le Prologue de Saint Jean, c’est la flèche, cette flèche merveilleuse d’or. Tandis que la crypte c’est quelque chose d’encore assez grossier. Mais c’est beau. Vous voyez que Dieu prend des langages différents, qu’il n’en a pas qu’un seul. Il y a le langage de l’Ancienne Alliance et celui de la Nouvelle. Et cependant entre les deux, il y a unité profonde. Alors il faut être très attentif aux différentes manières dont Dieu parle, mais il ne faut absolument pas perdre le finalité : Dieu nous introduit dans Son Mystère. Les études exégétiques regardent avant tout les manières différentes, le contexte historique dans lequel Dieu nous a perlé et comment Il s’est servi de tel ou tel instrument. Il ne faut pas oublier que tout cela est au service de la foi qui adhère immédiatement à l’intention de l’Auteur principal. Et l’Auteur principal de la Parole de Dieu, c’est l’Esprit Saint. Ce n’est pas Isaïe, ni Jérémie. Ce n’est pas Jean, c’est l’Esprit Saint. Et dans la foi je le rejoins immédiatement. Ce que nous disons dans le Credo, il s’agit de le vivre. Il ne faut pas que le Credo soit uniquement une récitation, mais qu’il soit notre vie. « Il a parlé par les prophètes ». L’Esprit Saint a parlé par les prophètes. C’est l’Esprit d’Amour qui a parlé par eux. Et donc dans la foi nous sommes capables de remonter à l’intention profonde. Voyez les deux attitudes, et c’est important de les souligner : celle des Pères de l’Eglise, et celle des exégètes modernes ! Je ne vais pas faire avec vous l’exégèse de l’Apocalypse, au bout de deux jours vous en auriez assez ! C’est très fatigant. Et ce n’est pas commode. Lisez le Père Hallot si vous le voulez, c’est la bonne exégèse de l’Apocalypse. Vous verrez toutes les opinions qu’il accumule. Depuis, on a fait d’autres ouvrages sur ce sujet, mais c’est le Père H. qui donne une très grande synthèse de cette exégèse. C’est très beau et très intéressant, mais cela ne vous donne pas la moelle de l’Apocalypse. Pourquoi ? Parce que l’exégète regarde avant tout la structure de la Parole, son contexte historique et il fait allusion à la mentalité et à la formation de celui qui en est l’instrument. C’est très bien. Mais il faut 17

dépasser cela parce qu’on ne s’en nourrit pas. Quelle est l’intention de l’Auteur principal ? Le sens littéral, comme dit Saint Thomas, nous est donné lorsque nous rejoignons l’intention de l’Auteur principal. Le sens littéral nous le découvrons dans la foi. C’est un mystère. Nous communions à l’intention de l’Esprit Saint qui se sert de Jean. Ceci est particulièrement vrai pour l’Apocalypse. Nous le verrons tout à l’heure. Parce que c’est une retraite que nous faisons, je voulais vous rappeler, au point de départ, les trois nourritures. Demandez-vous si vous vivez bien de la Parole de Dieu. Si, à propos de ce mystère, il y a des difficultés, des aspects un peu difficiles à saisir, n’hésitez pas à les noter pour les éclaircir ensuite. Il est important que tout soit clair. Les conflits proviennent très souvent d’un manque de netteté. Le démon est le prince de la confusion. Il faut préciser les choses pour ne pas tomber dans le panneau, ce qui est une perte de temps. Or très souvent le démon veut nous faire perdre du temps. Il ne s’attaque pas directement aux êtres spirituels, mais il leur fait perdre du temps en semant des confusions. Il s’agit donc de voir clairement les choses  pas à la manière cartésienne  mais dans l’ordre de l’Amour. Il faut comprendre ces trois nourritures. Le grand Mystère de la Parole de Dieu, parce que c’est un mystère, nous ne le découvrons que dans le foi. On ne peut pas traiter la Parole de Dieu comme on traite n’importe quelle autre parole. Pour l’étude de sa structure, on peut appliquer les mêmes méthodes, mais seule la foi nous permet d’entrer dans l’intention divine. Dans la seconde conférence, nous allons entrer un peu dans ce que représentent les grands écrits johanniques, et spécialement l’Apocalypse. C’est un fait que toute le Révélation se termine par les écrits johanniques. C’est quand même étonnant et c’est pour cela qu’il est si actuel de regarder Saint Jean. Une chose me frappe beaucoup : la formation de la plupart des prêtres, dans l’Eglise occidentale, s’est faite autour de Saint Paul. C’est excellent. Mais nous devrions être très attentifs à Saint Jean, parce que c’est ce qu’il y a d’ultime. Il ne s’oppose pas à Saint Paul, c’est bien évident. Il achève. Toute la Révélation s’achève par les écrits johanniques : l’Apocalypse, la première Epître de Saint Jean et son Evangile. Il faut les lire selon cet ordre. Je ne vais pas vous donner des lumières extraordinaires sur l’Apocalypse qui est un mystère. Nous allons essayer d’y pénétrer, à travers les grandes luttes de l’Eglise. Mais il faut entrer d’abord dans ce que représente la manière dont Dieu nous a révélé ce mystère : Il l’a fait par Jean, son apôtre.

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2ème conférence

L’Eglise est l’Epouse vivant le mêême Mystère que Jésus crucifié. La Révélation de l’Eglise seule est l’objet de notre foi. S. Jean est le lien entre la Parole et la Tradition. L’Apocalypse : Révélation de la très Sainte Trinité.

Je reviens un instant sur ce que je vous disais tout à l’heure, étant donné que toutes ces questions sont très délicates et importantes à saisir. Si la Parole de Dieu était une parole de philosophe, de mathématicien ou de scientifique, il n’y aurait pas de Tradition. C’est perce que la Parole de Dieu est celle d’un Père, d’un Ami, et d’un Epoux qu’il y a une Tradition. Il faut bien saisir qu’une parole liée, toute ordonnée à l’amour, demande à être reçue dans le cœur. La foi implique l’amour. A son point de départ, à sa racine, il y a un amour. La foi est une connaissance affective, une connaissance amoureuse. Ce n’est ni une connaissance spéculative, ni une connaissance scientifique, c’est une connaissance amoureuse, de sagesse, d’amour. Et la Parole du Père est une Parole ordonnée à l’amour. Et donc, elle demande à être reçue dans notre cœur de telle manière que nous la gardions. Vous voyez, c’est comme les traditions de famille ou d’amitié. Tandis qu’au niveau scientifique, il n’y a pas de traditions au sens fort, il y a des écoles. La tradition concerne le cœur. Et c’est parce que la Parole de Dieu est une parole paternelle, ordonnée à l’amour, que nous devons être la bonne terre qui la reçoit. Nous la recevons dans notre cœur pour qu’elle fructifie. C’est toujours ce que dit l’Ecriture. Aussi, le mystère de la Tradition est-il liée à celui de la Parole. En réalité, l’Esprit Saint n’a pas voulu qu’immédiatement après le Pentecôte, la première chose que les Apôtres aient faite soit de créer une commission apostolique pour composer un Evangile ! Aujourd’hui, nous créerions immédiatement une commission chargée de rapporter tout ce qu’on a gardé comme souvenirs sur le Christ et d’en former un Evangile ! Le Saint-Esprit n’a pas agi ainsi et ça me pose toujours un très gros problème. C’est curieux que la première action du Saint-Esprit n’ait pas été de constituer une commission pour composer un Evangile. Et pourtant c’eût été tellement normal : les Apôtres avaient vécu avec le Christ, ils étaient encore tout proches des événements ...

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Le Saint-Esprit vient les plonger dans l’Amour et leur faire comprendre l’importance de le Parole de Jésus. Et ils ont prêché. Puis, tout d’un coup, ils ont compris qu’il fallait quand même écrire quelque chose. Alors ils ont écrit : Marc, Matthieu, Luc, et puis Jean. Saint Jean n’avait pas du tout envie d’écrire, il aimait trop. Ce sont les intellectuels qui écrivent. Quand on aime trop, on veut parler, mais pas écrire. Demandez donc à une mère d’écrire sur sa fille morte toute jeune. Elle ne le fera que si on l’y contraint, mais pas spontanément. Je crois que Jean n’avait pas du tout envie d’écrire. Il avait rencontré Luc et en était très heureux. On peut dire de Luc qu’il est le « Aaron » de Jean. Dans l’Ancien Testament il y a quelque chose de très curieux : ce jumelage entre Moïse et Aaron, qu’on doit aimer beaucoup. Moïse reçoit la Révélation, mais il n’a pas du tout envie d’aller auprès du Pharaon. Il trouve donc une excellente excuse : il bégaie, donc c’est impossible, il ne peut pas s’y rendre. Mais Dieu poursuit sa finalité, parce qu’il ne boude jamais ! Tu bégaies ... tant pis, on va en mettre un autre à ta place : Aaron qui ne bégaie pas. « Et Moïse sera le Dieu d’Aaron », c’est l’expression même de l’Ecriture, qui est si belle. Voilà deux instruments jumelés. C’est assez curieux de voir comment. Dieu, de temps en temps, va jumeler les instruments : Moïse et Aaron. Je crois que nous retrouvons quelque chose de semblable dans la Nouvelle Alliance, entre Luc et Jean. Mais Jean ne bégaie pas. Il aime trop. Il y a deux raisons qui font que l’on n’aime pas parler : le bégaiement et le trop grand amour. C’est la peur qui vous fait bégayer. Quand on a été élevé à la cour du Pharaon, on n’a pas envie d’aller auprès de lui pour lui donner un ordre précis. Moïse savait trop bien ce qu’était l’autorité du Pharaon. Alors il préfère bégayer et garder sa tête. C’est une mesure de sauvegarde. Jean, lui, aime tellement qu’il n’a pas envie de parler. Alors Dieu lui envoie Luc et un lien très fort s’établit entre les deux. Tous les exégètes de Saint Jean et de Saint Luc le disent. Son Evangile, Luc l’a découvert auprès de Jean. Pas tout, mais des quantités de choses. Mettons-nous un instant dans le situation de Luc, qui a écrit son Evangile avant l’an 50. Jean existe encore et Marie est encore vivante. Luc est un être intelligent, un historien. Il veut remonter à la source et il va donc interroger Jean. C’est évident. N’importe quel historien aurait fait cela. N’importe quel être intelligent aurait été à la source en disant : oui, il y a un disciple qui a gardé le dépôt mieux que les autres, et puis il y a Marie. Alors Jean se croit débarrassé de ce fardeau d’écrire. Ce n’est pas drôle d’être un écrivain sacré. Cela comporte beaucoup de responsabilités. Le vrai prophète, contrairement au faux n’a jamais envie d’être prophète. Voilà donc que Jean, le vieux Jean (60, 62, 83 ans) est mis à la retraite, pas volontairement, mais tout simplement parce qu’on le persécute. A cause de la Parole et du témoignage de Jésus, il est rejeté. Il est obligé de quitter Ephèse et il se retire dans la petite île de Patmos. (Ceux qui ont été en Grèce la connaissent cette petite île de Patmos) 20

C’est là que l’Esprit Saint l’attend. Quand vous serez jetés en prison à cause de la Parole de Dieu et du témoignage du Christ, le Saint-Esprit vous attendra. Il nous prend au moment où nous sommes complètement dépouillés. Il est le Père des pauvres. Il a fait cela pour Jean-Baptiste, au moment où celui-ci connut la plus grande pauvreté de sa vie parce que son témoignage n’atteignait ni les lévites, ni les prêtres, alors que ce sont eux qui, en premier lieu, auraient dû être touchés. Mais c’est tout le contraire qui s’est produit. Les lévites et les prêtres qui sont venus faire une visite canonique à Jean-Baptiste n’ont pas demandé le baptême. S’ils l’avaient demandé, peutêtre que le Grand-Prêtre serait venu lui aussi, la nuit. Mais non, ils n’ont pas compris. Pour Jean-Baptiste, cette inefficacité est terrible. C’est à ce moment-là que le Saint-Esprit intervient. Cette façon d’agir est un leitmotiv de la conduite de Dieu sur nous. Dieu nous appauvrit pour que le Saint-Esprit vienne. Par un échec, n’importe lequel, Dieu nous appauvrit. Il y a des échecs qui ne se voient pas mais qui nous appauvrissent encore plus, et à ce moment-là l’Esprit Saint vient. Eh bien, l’Esprit Saint attend Jean relégué dans l’île de Patmos. Il le met dans un état d’extase. L’Apocalypse, selon ce qu’en dit Jean, c’est une extase. C’est pourquoi il est si difficile d’y pénétrer. Il faudrait être en extase soi-même, mais si vous vous mettez en extase dès le début de la retraite, que fera le Père Eberherd ? Je ne sais pas ... tout le monde en extase, vous voyez cela ! Tout le monde en extase, pris par le mystère de la Parole de Dieu. Et ça durerait parce que sortir d’une extase de l’Apocalypse, ce n’est pas commode. Il faudrait être au même niveau d’amour que Saint Jean pour le comprendre vraiment. Autrement on risque toujours de la regarder de l’extérieur et l’on n’y comprend rien du tout. Il faut regarder l’Apocalypse de l’intérieur, en étant nous-mêmes pris par 1’Esprit-Saint. L’Apocalypse est un livre qui est si difficile pour les exégètes. Si vous lisez le Père Hallot, vous le verrez bien. Et pourtant, ce n’est pas un livre tellement énigmatique. Il faut le regarder de l’intérieur et à ce moment-là tout devient merveilleux. Il nous met en extase. Jean a eu cette grande extase de l’Apocalypse qui a complètement changé son regard sur l’Eglise. Parmi les exégètes contemporains, le Père Feuillet, qui est un excellent exégète de Saint Jean, souligne que Jean était le dernier témoin de l’âge apostolique. Ce n’est pas commode d’être le dernier témoin de l’âge apostolique. Tous les autres sont morts. De tous ceux qui ont été disciples de Jésus et qui ont reçu la Parole de Dieu, Jean est le dernier. C’est comme quand on reste le dernier dans une famille, le dernier d’une génération. C’est une situation qui n’est pas facile parce qu’on reste le témoin d’une quantité de choses que les autres n’ont pas connues ou qu’ils n’ont connues que d’une façon indirecte.

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Jean voit le remplacement des Apôtres par leurs successeurs. Et il s’aperçoit que ne règne plus le même ferveur. C’est pourquoi il écrit aux sept églises d’Asie, c’est-à-dire aux successeurs des Apôtres. Il constate qu’il y a eu une baisse. On le comprend du reste. La vie de l’Eglise est un peu en dents de scie, avec des baisses et des remontées. Et Jean alors, grâce à l’Apocalypse, a un nouveau regard sur l’Eglise. Il voit l’Eglise dans ses luttes, liée au sort de Jésus, parce qu’Elle est l’Epouse. Tout ce que l’Epoux a vécu, l’Eglise doit le vivre à son tour. L’Eglise n’est pas triomphante sur la terre. Elle est en lutte, Elle porte sa croix. C’est l’Eglise qui est en agonie, c’est l’Eglise qui est crucifiée. C’est l’Eglise qui est au sépulcre. Quand on lit l’Apocalypse un peu attentivement, on s’aperçoit que Jean a saisi cela. Il a saisi l’Eglise dans son désarroi, comme Jésus dans l’agonie, comme Jésus à la Croix. « Pourquoi m’as-tu abandonné ? » L’Eglise, de temps en temps, est comme abandonnée. Profondément, elle sait très bien qu’elle ne l’est pas. Il y a l’Alliance qui demeure, mais extérieurement, elle est comme vaincue, rejetée. Jean a vu cela. Alors, par le fait même, il a vis-à-vis de l’Eglise un amour tout à fait différent : celui qu’il a eu pour Jésus crucifié. Je crois que Jean, au pied de la Croix, a eu pour Jésus un regard tout à fait différent de celui de Cana ou de la multiplication des pains, alors que Jésus était acclamé par la foule. A la Croix, Jean a regardé l’Agneau immolé. Il a découvert la pauvreté, la détresse du Cœur de Jésus. Il était là pour le soutenir et l’aider, vivre le même mystère que lui, comme l’ami. Et le regard de Jean sur Jésus se prolonge sur l’Eglise. Il faut nous habituer à regarder l’Eglise à travers le Crucifié. Cela change notre regard. On ne peut plus juger l’Eglise quand on la regarde à travers le Crucifié. Quand on regarde l’Eglise triomphante, c’est tout à fait différent. Mais quand on regarde l’Eglise qui n’en peut plus, comme Jésus crucifié, on a un autre regard. D’où la Première Epître : celle de la charité fraternelle. D’où l’Evangile écrit pour l’Eglise des derniers temps. Je crois profondément que la Première Epître et l’Evangile de Jean sont écrits pour l’Eglise des derniers temps qui a besoin de comprendre que la Croix est ce qu’il y a de plus grand dans la vie du Christ. Et que quand Elle est crucifiée avec Jésus, Elle se trouve au point culminant de son mystère d’Eglise. Evidemment c’est rude, ce n’est pas commode à vivre. Le triomphe, la victoire sont plus faciles. On peut en avoir la nostalgie de temps en temps, quand on regarde la carte de France avec toutes les abbayes qui existaient au 12ème siècle, au moment de la splendeur de Cluny. C’était extraordinaire cette floraison dans cette France si aimée de l’Eglise. La France était comme le paradis de Dieu. Partout des monastères, des lieux de prière, des lieux de contemplation. Et quand on la regarde aujourd’hui où l’on visite ces choses-là comme des musées ! C’est très, très beau, c’est merveilleux de les visiter, mais quand même, ce n’est pas fait pour cela. Les basiliques n’ont pas été construites pour devenir des musées, mais pour être des lieux de prière. Et de toutes ces basiliques, combien ont-elles été détruites, c’est impressionnant tout de même. 22

Lorsque l’Eglise est dans la splendeur, elle nous attire par sa beauté. Quand Elle est souffrante, toute proche de l’agonie, toute proche de la Croix, du sépulcre, comme aujourd’hui, on doit l’aimer encore davantage et l’on ne peut plus tolérer ceux qui la critiquent. On ne critique pas le Crucifié, on ne critique pas l’Agneau immolé. On ne critique pas quelqu’un qui n’en peut plus. Je sais bien qu’il y a le coup de lance ! Il faut, d’une certaine manière, que l’Eglise connaisse ce que Jésus a connu. Et qu’au lieu d’être regardée avec amour et tendresse, elle soit critiquée : le coup de lance. Celui qui est lié au mystère de la Croix du Christ ne peut plus répondre. Jésus ne répond plus quand on l’insulte. Durant se vie apostolique, Jésus a répondu à certains moments. Mais lorsqu’il arrive à la Croix, il ne peut plus répondre. C’est le plus grand moment de l’Eglise et c’est ce qui explique comment Jean écrit son Evangile pour cette Eglise des derniers temps qui doit vivre le Mystère du Christ. Comprenez « les derniers temps » au sens divin, et non temporel. « Les derniers temps » c’est lorsque l’Eglise vit la Croix, le sépulcre. Et dans la mesure même où l’Eglise vit ce Mystère, Elle est l’Eglise des derniers temps. C’est pour cette Eglise-là que Jean écrit son Evangile. C’est très important de saisir l’unité de ces trois grands écrits johanniques et de comprendre que le Saint-Esprit s’est servi de cet instrument qui est Jean, le disciple bienaimé. Jean peut se déclarer le disciple bien-aimé puisque tous les autres Apôtres sont morts. Du vivant de Pierre, ce n’eût pas été tout à fait convenable de dire : moi, je suis le disciple bien-aimé. Cela aurait signifié que Pierre était moins aimé. Jean ne peut pas dire cela du vivant de Pierre, c’est impossible. Mais Pierre mort, il peut dire certaines choses et, sa signature est celle du « disciple bien-aimé ». C’est très extraordinaire cela aussi. Il fallait que tous les Apôtres fussent morts pour que Jean puisse se déclarer « le disciple bien-aimé ». Toute la Révélation s’est achevée par le disciple bien-aimé pour nous faire comprendre le cœur de l’Ami, le cœur de l’Epoux, de l’Agneau. Jean est le seul qui ait été témoin à la Croix. Jean est celui qui a reçu Marie. Quel instrument merveilleux comparativement à Marc, à Luc. Les intellectuels doivent d’abord lire Luc, et puis après Jean. C’est l’Evangile des intellectuels, Luc. C’est un Evangile très intelligent. Ça ne veut pas dire que l’Evangile de Jean ne le soit pas ; mais il s’agit d’une autre intelligence, celle du cœur. Pour donner l’ultime Révélation de l’Amour, l’Esprit Saint a choisi le disciple bien-aimé, celui qui a été témoin à la Croix, qui a reçu Marie. L’Evangile de Saint Jean, rédigé longtemps après les autres, pose pour cette raison de gros problèmes aux historiens. Si l’Esprit Saint avait voulu que les Evangiles fussent avant tout des écrits historiques, Il aurait fait comprendre aux Apôtres qu’ils devaient les écrire immédiatement après la Pentecôte. Mais comme les Evangiles sont, en premier lieu, la révélation d’un mystère, il n’en pas été ainsi, bien qu’ils soient aussi des écrits historiques. 23

Il faut bien faire la différence entre l’événement et le mystère. On témoigne historiquement d’un événement. On ne peut pas témoigner historiquement d’un mystère. La révélation d’un mystère va beaucoup plus loin que l’histoire. L’histoire est impliquée dans le Révélation, mais ce n’est pas l’événement qui est regardé en premier lieu. (Je souligne cela parce qu’aujourd’hui on ne parle que de « l’événement »). Vous savez que ce mot est venu en pleine lumière à partir d’Auguste Comte. C’est lui qui a commencé à perler de l’événement. Dès lors, l’événement est devenu le fait qu’on peut regarder historiquement. L’événement, c’est un fait historique. Tandis que le mystère se situe au-delà du fait historique, on ne l’atteint que par la foi. Les Evangiles sont avant tout des témoignages du Mystère du Christ. Il ne faut pas l’oublier. Quand vous les regardez uniquement du point de vue historique, que faitesvous ? Vous dites : « Tel évangéliste a dit ceci, tel autre cela ... » et vous remarquez qu’ils ne concordent pas tout à fait. Et vous commencez à les critiquer. Quand vous regardez la Semaine Sainte, vous observez le rythme de Marc, de Matthieu, de Jean, de Luc qui ne sont pas tout à fait semblables. Alors vous êtes désarçonné. Vous vous dites : tout de même, ce sont des témoins historiques. Attention ! Les évangélistes sont des témoins du Mystère de la Croix. Les mystères assument l’histoire, mais la relativisent. L’histoire n’est pas absolue. L’absolu, c’est le Mystère d’Amour. Alors ce n’est pas étonnant, que le Saint-Esprit ait donné exprès des témoignages du Mystère selon des perspectives différentes, afin que nous ne nous arrêtions pas à l’absolu de l’histoire. L’histoire reste toujours une connaissance relative. Le seul absolu, c’est le Mystère. C’est pourquoi il y a eu toutes ces querelles au moment du Mystère de la Résurrection. Il faut bien saisir que les évangélistes, et spécialement Saint Jean, ne sont pas premièrement des historiens. Et c’est pour cela que le Saint-Esprit a voulu  car c’est Lui qui les a conduits  qu’ils n’écrivent pas tout de suite après le mort du Christ. Le Saint Esprit a voulu cette chose très particulière : que tout cela soit d’abord vécu intérieurement dans le cœur. Là nous retrouvons l’alliance de la Tradition et de la Parole. L’Evangile de Jean représente la Parole de Jésus gardée dans le Cœur de Marie. Je crois que Jean gardait très mal ; aussi Notre Seigneur lui a-t-il donné Marie. Marie, c’est la mémoire de Jean. Une femme a toujours beaucoup plus de mémoire qu’un homme. Quand il s’agit de choses aimantes, elle les garde profondément, fortement. Marie, c’est la Tradition. L’Evangile de Jean, c’est la Parole de Jésus gardée dans le Cœur de Marie. Cela ne veut pas dire du tout que cet Evangile ne soit pas historique : c’est historique. Mais c’est méta-historique, au-delà de l’histoire. Il est gardé dans le cœur de Marie. Et donc si l’Esprit Saint a voulu que ce vieillard, Jean, âgé de 85 ans, se mette à écrire l’Evangile, c’est justement pour que nous comprenions qu’au-delà de l’histoire il y a les témoins de l’Amour, les témoins du Mystère, qui assume l’histoire mais ne s’y arrête pas. 24

Parce qu’il est passé au travers du Cœur de Marie, l’Evangile de Saint Jean révèle une compréhension beaucoup plus profonde des gestes et de le vie du Christ. Son Evangile est le lien entre la Parole et le Tradition. C’est le lien. C’est un problème qui est resté en suspens au Concile de Vatican II. C’est le gros problème par rapport aux Protestants. Il ne faut pas l’oublier. C’est très important. C’est un problème foncier du point de vue de la foi. Vatican II est revenu là-dessus en disant : « Est-ce que nous allons préciser l’ordre qui existe entre la Parole et le point de vue de la Tradition ? » Ils ne l’ont pas voulu. C’est trop difficile, trop délicat. Alors ils n’ont rien dit. Quand c’est très délicat, on se tait. Il est important cependant de saisir cette relation. Je crois que l’Evangile de Jean nous fait comprendre le lien entre la Parole et la Tradition. La Tradition garde la Parole. La Tradition est ordonnée à la Parole. C’est tout le halo affectif, qui l’enveloppe. C’est l’humus. Quand on transporte une plante, il faut emporter la bonne terre avec elle. Eh bien, ici c’est la même chose. La bonne terre dans laquelle la Parole de Dieu porte ses fruits, c’est le Tradition. S’il n’y a plus de Tradition, la fécondité est supprimée. Dieu a voulu que la dernière révélation, l’ultime révélation officielle soit l’Evangile de Jean. Ensuite viennent des révélations particulières. Il y a une très grande différence entre la Révélation officielle de l’Eglise et les révélations particulières. La Révélation officielle de l’Eglise est norme de notre foi. Notre foi adhère à la Parole de Dieu confiée à l’Eglise et gardée par Elle. La norme de notre foi c’est la Parole de Dieu gardée dans l’Eglise et à travers le cœur des saints. Aujourd’hui surtout, où l’on ne sait plus très bien à quoi se référer, il faut comprendre que la norme de notre foi c’est cette Parole vécue à travers la Tradition de l’Eglise et précisée par son enseignement. Et chaque fois que l’Eglise définit un dogme nouveau, elle précise la Parole portée par la Tradition. Il ne faut jamais l’oublier. Le Mystère de l’Immaculée Conception vous ne pouvez pas le trouver directement dans la Parole. Mais vous le trouvez dans la Parole gardée par la Tradition. C’est la Tradition qui permet à la Parole de s’expliciter puisque la Parole est la semence qui tombe en terre pour porter beaucoup de fruits. C’est donc normal qu’il y ait explicitation de la Parole à travers la Tradition. C’est le propre de l’Esprit Saint de nous donner, à travers le cœur des saints, cette explicitation. Il faut donc bien comprendre que la norme de notre foi c’est le Parole de Dieu, le Révélation officielle de l’Eglise gardée à travers le cœur des saints. Les révélations particulières ne sont pas objets de foi. Même s’il s’agit d’une parole de la Sainte Vierge. Attention, elles ne sont pas objets de foi, mais objets de dévotion que nous devons recevoir à travers notre prudence. Il ne faut pas les mépriser pour autant. C’est très mauvais de mépriser les révélations particulières parce que nous savons très bien que 1’Esprit-Saint peut nous parler par elles. Mais elles ne sont pas objet de foi directement. Si on les prend comme telles, on risque de matérialiser sa foi. Il y a 25

un jeu du démon là-dedans. Il faut y prêter grande attention pour éviter la confusion. C’est le don de piété qui nous apprend à recevoir les révélations particulières, pour nourrir notre foi ; mais nous devons tout le temps revenir à le Parole de Dieu. Vous voyez toutes les révélations particulières qui peuvent se donner aujourd’hui ! Il y en a beaucoup, des quantités, comme dans tous les moments troublés. Du temps de Sainte Thérèse c’était comme cela aussi. Cela ne veut pas dire du tout qu’il ne faut pas les regarder, mais toutes ces révélations particulières doivent toujours être lues dans la lumière de l’Apocalypse, de le Première Epître de Saint Jean, dans la lumière de l’Evangile. Autrement nous risquons de matérialiser notre foi. Et nous ne pouvons jamais, dans le conduite de notre prudence, éclairée par la foi, prendre une révélation particulière comme une donnée immédiate rie notre foi. Cela aussi est très important. Nous n’obéissons pas aux révélations particulières. Or, on peut en recevoir comme une lumière qui nous aide à comprendre la situation particulière dans laquelle on se trouve. Mais on n’obéit pas aux révélations particulières. On obéit à l’autorité que Dieu nous a donnée. Il peut y avoir des moments très difficiles à vivre, quand par exemple on a l’impression que l’autorité ne comprend rien du tout. Il peut très bien se faire, à ce moment-là, qu’intérieurement nous gardions profondément ce qui nous semble être de Dieu. Mais nous ne pouvons pas dire qu’on obéit aux révélations particulières. Quand vous êtes près de quelqu’un qui a des révélations particulières, qui vous donne des lumières sur telle ou telle chose, ne les prenez jamais comme conduite explicite de votre vie. Ces lumières peuvent éclairer votre prudence, mais ce n’est pas làdessus que vous vous appuyez. Il faut vous appuyer sur la Parole de Dieu et sur l’action de l’Esprit Saint au plus intime de vous-mêmes. C’est délicat parce que pour chacun d’entre nous cela peut se présenter de façon assez diverse, mais c’est le grand principe que la théologie a toujours donné. Et Sainte Thérèse dit qu’il faut tout le temps revenir, dans ces moments-là, à la grande lumière de la théologie. Donc, il ne faut prendre ni les conclusions théologiques, ni les révélations privées comme conduite immédiate de notre vie, mais bien le Parole de Dieu gardée dans le cœur des saints. La Parole de Dieu est lumière. C’est une lumière aimante qui nous éclaire et nous aide à vivre. La Parole de Dieu est cette nourriture de notre intelligence, de notre prudence. Les signes que nous donne Dieu sont pour notre prudence, pour nous rendre plus attentifs, pour que nous revenions davantage à le Parole de Dieu. Vous voyez que les trois grands écrits johanniques éclairent notre espérance, notre charité et notre foi. L’Apocalypse, c’est le Livre de l’espérance. C’est pour cela que c’est tellement actuel. Ce dont nous avons surtout besoin aujourd’hui, c’est de nous fortifier dans notre espérance. La Première Epître de Saint Jean, c’est la charité, l’agapé, et l’Evangile c’est la lumière de notre foi. Tout est repris à travers ces trois grands écrits.

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Alors entrons, si vous le voulez, dans l’Apocalypse. Je rappellerai très rapidement ce que nous avons vu l’année dernière, pour ceux qui n’étaient pas là. Parce que je ne veux pas leur jouer le mauvais tour de reprendre tout de suite la où nous nous étions arrêtés, en disant « tant pis pour eux ». Non, c’est une extase ; il faut essayer d’entrer dans cet esprit. Il ne faut pas lire l’Apocalypse, je vous le disais tout à l’heure, comme un livre historique, sinon on se trompe. C’est métahistorique. L’Apocalypse est vraie pour l’Eglise d’aujourd’hui. Elle était vraie pour l’Eglise du Moyen Age, elle était vraie au temps de Saint Jean. Jean dit « bientôt ». Et le « bientôt » était vrai pour Jean, il est vrai pour aujourd’hui et nous disons « bientôt » de la même manière que Jean. Les Apôtres en croyant que le Christ allait revenir après la première génération (« cette génération ne passera pas ... ») ne se sont pas trompés. Nous avons beaucoup de peine à comprendre cela parce que nous nous plaçons toujours dans une perspective historique. Alors nous disons qu’ils se sont trompés. Mais non, ils ne se sont pas trompés. Le Christ reviendra à la fin de cette première génération parce que l’espérance eschatologique nous demande d’attendre son retour pour bientôt. Si nous ne l’attendons pas comme étant tout proche, nous ne sommes pas dans l’espérance eschatologique, c’est-à-dire dans l’espérance chrétienne. C’est plus difficile cela et c’est très important. L’Apocalypse nous montre ce qu’est l’espérance eschatologique, le « bientôt ». C’est facile, à un jeune de 20 ans, de mourir. Toutes les guerres l’ont démontré. C’est plus difficile pour celui qui en a 50 et plus difficile encore pour celui qui en a 70. Parce que les racines grandissent. Un jeune arbre a de petites racines et on le déracine très facilement. La jeune Eglise, la petite Eglise du Christ n’avait qu’un seul désir : le retour du Christ. Au bout de deux mille ans de pèlerinage, Elle est très enracinée. Elle a beaucoup moins envie, officiellement, de disparaître et de voir le retour du Christ. Qu’il ne soit pas pour tout de suite, il y a encore tellement de choses à faire, tellement de peuples à évangéliser, tellement de choses à dire, pas tout de suite, attendons. C’est très curieux cela. J’ai entendu des théologiens dire : « Vatican II, c’est le point de départ de l’Eglise, enfin l’Eglise a compris ! » Comme si l’Eglise n’avait rien compris à la Pentecôte. Comme si Jean n’avait rien compris. Je crois au contraire que Jean a compris beaucoup mieux que nous. Aussi peut-on se mettre à son école, c’est-à-dire à celle du Saint-Esprit qui s’est servi de lui. Je crois que les saints ont beaucoup mieux compris que nous. Les vrais saints se cachent, se taisent et si parmi vous il y avait quelqu’un qui dise : j’ai déjà l’auréole, je suis déjà un saint et un docteur de l’Eglise, je puis vous parler, il y a beaucoup de chances pour que celui-là ne soit jamais docteur ni saint dans l’Eglise. Les saints étaient humbles et pauvres.

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Donc, quand on dit que l’Eglise en est à son point de départ, cela prouve qu’on n’a rien compris. L’Eglise a tout de même deux mille ans de pèlerinage. Presque deux mille ans ... on y arrive. C’est difficile la montée des deux mille ans, c’est rude, surtout à partir de l’an 1975. Oui, il va être rude le dernier quart des deux mille ans et c’est pour cela que l’Eglise est sainte. On entre dans quelque chose de très important. Je ne sais pas pendant combien de temps l’Eglise va rester sur le terre. Je ne sais pas pendant combien de temps l’humanité va durer sur le terre. Je n’en sais rien, vous non plus. Sur ce point nous sommes tous dans la sainte ignorance, les uns et les autres. Je ne dis pas qu’on peut dire ce qu’on veut. Non. Il y a des signes, mais on ne peut pas avoir une certitude absolue. Ce qui est sûr, c’est que l’Eglise des Actes des Apôtres attendait le retour du Christ. C’était la jeunesse de l’Eglise, alors elle attendait le retour du Christ. C’est normal. Tandis que l’aspect juridique et la moralisation ce l’Eglise ont fait qu’Elle s’est implantée, qu’elle s’est enracinée. Elle a pris des racines très profondes dans le cœur ce l’homme et dans les civilisations humaines. Elle s’est temporalisée très fortement. C’est bien évident cela. Et voilà qu’avec Vatican II on ne cesse de proclamer le retour du Christ. C’est extraordinaire. On ne cesse de proclamer le retour du Christ ! Alors est-ce, que nous ne sommes pas au moment d’un petit printemps de l’Eglise ? Et le printemps de l’Eglise attend le retour du Christ. Il y a encore beaucoup de vieux meubles, mais un printemps s’annonce. Ce n’est pas parce que ce sont de vieux meubles qu’il faut les jeter. Pas du tout. Ils sont très vénérables, très beaux. Mais comprenons bien qu’il y a ce retour, ce petit printemps qui attend le retour du Christ. Nous ne savons pas où nous en sommes et sûrement que Vatican II marque une très grande étape dans l’Eglise. Et plus on avancera, plus on verra qu’il s’agit d’une étape impressionnante, difficile, à comprendre parce qu’elle est impressionnante. Vatican II semble être le concile de la charité fraternelle. Et le concile de la charité fraternelle, c’est l’Eglise qui ne condamne plus. Et quand l’Eglise ne condamne plus, Elle se met sur la Croix. Et ça ne peut pas durer longtemps. C’est le grain de blé qui tombe en terre et qui meurt. C’est l’Eglise qui prend conscience qu’Elle entre dans les derniers moments. C’est impressionnant, théologiquement c’est très impressionnant. Evidemment il y a deux manières de lire Vatican II. Il y a toujours 36 manières de lire Vatican II. Vous pouvez le lire en pensant à Vatican III : ce n’est pas la manière divine de le faire. Vous pouvez lire Vatican II en l’opposent au Concile de Trente : ce n’est pas non plus la manière divine de le faire. Il faut comprendre ce que l’Esprit Saint veut nous dire. L’Apocalypse est vraie pour nous. Je peux vous l’affirmer. Elle éclaire les luttes de l’Eglise d’aujourd’hui. Ces luttes, nous devons les regarder à travers ce qui nous est donné dans ce Livre. Donc l’Apocalypse ne doit pas être lue dans une perspective historique, mais dans une lumière d’éternité, pour le temps. C’est l’éternité qui s’empare 28

du temps et de la succession du temps en nous donnant une lumière fulgurante, divine, sur ce que nous devons vivre. Je relis le début parce qu’il faut entrer dans le point de vue du Prologue pour savoir la note, pour se mettre dans le ton johannique : « Révélation de Jésus-Christ, que Dieu lui a confiée pour découvrir à ses

serviteurs les événements qui doivent arriver bientôt ; (découvrir et non pas raconter) et

qu’il a fait connaître, en l’envoyant par son ange, à Jean, son serviteur, qui a attesté la Parole de Dieu et le témoignage de Jésus-Christ en tout ce qu’il a vu. Heureux celui qui lit et ceux qui entendent les paroles de cette prophétie, et qui gardent les choses qui y sont écrites, car le temps est proche ! » (Ap 1, 1-4) C’est très rare que dans un livre de l’Ecriture on dise : bienheureux ceux qui le lisent et qui l’entendent ! C’est donc qu’il y a une béatitude attachée à la lecture de l’Apocalypse. C’est la béatitude de l’espérance, la béatitude des pauvres, de ceux qui acceptent d’être déracinés. Car l’Apocalypse déracine et vous jette en pleine lutte, sur le champ. « Jean aux sept Eglises qui sont en Asie : grâce et paix vous soient données de la

part de Celui qui est, qui était et qui vient, et de le part des sept esprits qui sont devant son trône, et de la part de Jésus-Christ ; c’est le Témoin fidèle, le Premier-né d’entre les morts et le Prince des rois de la terre. » (Ap 1, 4-5) Cela aussi est très beau. C’est la première fois qu’on montre le Mystère de l’éternité comme assumant le temps. C’est tout à fait la perspective de l’Apocalypse. Dans l’Evangile, le Père n’est pas appelé « Celui qui est, qui était et qui vient ». Tandis qu’ici on est tout de suite d’attaque : on regarde le Dieu d’éternité qui assume le temps. Vous voyez que l’Apocalypse parle au nom de la Très Sainte Trinité et nous fera comprendre que l’Eglise est l’Eglise de la Très Sainte Trinité. C’est l’Eglise de l’Agneau, c’est l’Eglise des sept esprits, c’est l’Eglise du Père. Il faut nous habituer à considérer l’Eglise dans la lumière de la Très Sainte Trinité. Autrement on ne la saisit pas dans son Mystère. L’Eglise c’est le complément de la Très Sainte Trinité. Jean parle tout de suite au nom des Trois : au nom du Père dans son éternité ; au nom des sept esprits et au nom de Jésus qui est le Témoin fidèle, le Premier-né d’entre les morts et le Prince des rois de la terre. C’est tout le Mystère du Sacerdoce du Christ qui nous est ainsi immédiatement montré. C’est aussi très important cela. L’Apocalypse est le livre sacerdotal par excellence. Elle montre que l’Eglise est une église sacerdotale. Et que toute l’économie divine sur l’Eglise passe par le Sacerdoce du Christ. 29

Dès le début Saint Jean nous introduit dans le Mystère trinitaire par les trois dimensions qui nous sont montrées : - Celui qui est, qui était et qui vient ; - les sept esprits de Dieu et - Jésus-Christ. Jésus est décrit Lui-même d’une triple manière : Il est le Témoin fidèle. Jésus est Témoin fidèle à la Croix. Le Témoin fidèle, c’est Jésus dans son œuvre sacerdotale. Il est le Premier-né d’entre les morts : c’est le Mystère de le Résurrection, mystère de le victoire de l’Amour. Il est le Prince des rois de le terre : c’est Jésus dans se gloire, l’Ascension. Nous avons donc les trois grands Mystères de Jésus : - la Croix, - le Résurrection et - l’Ascension auprès du Père. Jésus, nous devons Le regarder dans le lumière trinitaire. Le Fils bien-aimé du Père : c’est le mystère de son Sacerdoce. Le victoire dans l’Amour : c’est Jésus sous le souffle de l’Esprit. L’accession à la droite du Père : c’est Jésus qui reçoit du Père tout pouvoir. Il faut nous habituer à regarder Jésus comme Celui qui nous révèle les Trois Personnes divines. L’Apocalypse est comme une icône merveilleuse représentant le Christ crucifié dans sa Résurrection et dans se Gloire. « A celui qui nous a aimés, qui nous a lavés de nos péchés par son sang, et qui

nous a faits rois et prêtres de Dieu, son Père, à lui la gloire et la puissance pour les siècles des siècles ! Amen. » (Ap 1, 6)

Voilà le mystère de l’Eglise, mystère de rois et de prêtres, une royauté sacerdotale. Nous sommes un royaume sacerdotal pour le Père ; un royaume sacerdotal pour Jésus ; un royaume sacerdotal pour l’Esprit Saint. Nous concevons très mal ce qu’est le sacerdoce parce que nous le regardons de l’extérieur. Il faut arriver, par l’Apocalypse, à le regarder de l’intérieur, comme étant la grande œuvre de l’Amour des sept esprits de Dieu. « A celui qui nous a aimés, qui nous a lavés de nos péchés », voyez que l’Apocalypse est un livre d’Amour. Ne regardons jamais l’Eglise en dehors de cet 30

Amour. « Le voici qui vient sur les nuées. Tout œil le verra, et ceux même qui l’ont percé ; et toutes les tribus de la terre se frapperont la poitrine en le voyant. » (v. 7)

Jean écrit l’Apocalypse dans la vision du retour du Christ. Il le voit. Si nous avions un peu plus d’espérance et une foi plus profonde, on verrait Jésus revenir. Pour ceux qui ne sont pas croyants, Jésus revient comme un voleur. Mais par ceux qui espèrent, Il est attendu. « Le voici qui vient sur les nuées ... », comme c’est proche du mystère de Jean témoin du coup de lance. Jean est là en tant que Témoin du coup de lance, puisqu’il nous dit dans son Evangile, après en avoir témoigné : « Ils regarderont celui qu’ils ont transpercé » (Jn XX, 37). Ici également, au début de l’Apocalypse, Jean, témoin, attend le retour du Christ. « Je suis l’alpha et l’oméga, le commencement et la fin, dit le Seigneur Dieu, celui qui est, qui était et qui vient, le Tout-Puissant ». (v. 8). Jean s’adresse donc aux sept églises de Dieu. A travers les sept églises, il parle à toute l’Eglise. C’est la petite Eglise d’Asie, mais c’est toute l’Eglise. Jean ne peut pas écrire à l’Eglise de Rome ; il n’a pas autorité pour le faire. Il ne faut pas l’oublier. Mais il écrit aux églises d’Asie, parce que c’est lui qui les a sauvées. Ce sont ses églises. Il en est responsable devant Dieu et l’église d’Ephèse vient en premier lieu. Donc il écrit aux églises d’Asie, mais c’est toute l’Eglise qui est visée. « Moi Jean, votre frère, qui participe avec vous à l’affliction, à la royauté et à

la patience en Jésus-Christ, j’étais dans l’île appelée Patmos, à cause de la parole de Dieu et du témoignage de Jésus » (v. 9).

L’Apocalypse unit toujours la Parole et le témoignage de Jésus. Il ne faut jamais les séparer. Si nous séparons la Parole du témoignage de Jésus, nous ne sommes pas dans la perspective de l’Esprit Saint. « Je fus ravi en esprit le jour du Seigneur, et j’entendis derrière moi une voix

forte, comme une trompette, qui disait : ‘Ce que tu vois, écris-le dons un livre, et envoie-le aux sept églises qui sont en Asie’ » (v. 10) Jean est ravi en extase et on lui demande de la décrire. Je ne sais pas comment cela s’est fait. Ne cherchons pas à le savoir. Ou plus exactement pensons à la magnifique 31

icône qu’on montre de Jean à Patmos, écrivant sous la conduite de l’Esprit. Je ne sais pas du tout comment ça se réalise. Ayez l’expérience d’une extase et à ce moment-là vous comprendrez l’Apocalypse ! Mais autrement, vous ne pouvez pas le savoir. C’est une extase d’amour. C’est un rapt. Jean est saisi. Il est pris. Et il doit écrire aux sept églises d’Asie. Le petit Prologue qu’il a ajouté nous fait comprendre que c’est au nom de la Très Sainte Trinité qu’il a parlé et c’est pour cela qu’il est entré dans cette extase d’amour. Dans toute l’Apocalypse la vision de la Très Sainte Trinité est toujours présente. On pourrait dire de ce livre qu’il est la vision de la Très Sainte Trinité. C’est le grand livre qui nous donne sur ce Mystère des lumières que l’on ne trouve nulle part ailleurs. Jésus, dans son Evangile, nous parle du Père et projet l’Esprit Saint. Tandis qu’au contraire, ici dans l’Apocalypse, on voit le ciel ouvert. Evidemment, c’est imagé. Vous ne pouvez pas représenter la Très Sainte Trinité en dehors de symboles. Mais ce sont des symboles divins. Ce ne sont pas des symboles inventés par un artiste qui essaierait de le représenter. Jean, saisi par le souffle de l’Esprit, nous montre le Mystère de la Très Sainte Trinité, qui est le Mystère de l’éternité. Et donc on va passer du ciel à la terre tout le temps. C’est cela qui est extraordinaire. Ce passage du ciel à la terre, comme deux inséparables, c’est la grande vision de l’Apocalypse. L’éternité est dans le temps et le temps est porteur d’éternité, pour le croyant. L’Apocalypse révèle les liens entre l’éternité et le temps. Alors, de temps en temps on a une vision d’éternité magnifique, on a l’impression d’être très loin de la terre et, tout à coup, on y revient. On s’y trouve, puisque Jean est là, sur la terre. C’est, je crois, ce qui nous fait le mieux comprendre comment nous vivons maintenant notre éternité. Et cependant, cette éternité que nous vivons dans la foi  l’Eglise vit l’éternité puisqu’Elle est l’Eglise de la foi  ne supprime pas notre conditionnement humain. La foi ne supprime pas le conditionnement de notre intelligence. La foi ne supprime pas notre condition de pèlerin. La foi, qui nous met dans l’éternité, nous laisse dans le temps. Je dirai que nous saisissons d’autant mieux le temps que nous avons plus le sens de l’éternité. Pour le croyant, il y a une saisie très profonde de ce qu’est l’instant présent. Dans la foi l’instant présent nous permet de rejoindre l’éternité. Etre croyant, selon la vision de l’Apocalypse, c’est vivre en présence de l’invisible, c’est vivre de l’éternité, à travers le conditionnement du temps présent. C’est ce qui donne à l’Apocalypse une telle plénitude et en fait un livre si difficile à exposer, parce qu’on passe sans arrêt de l’éternité au temps. On commence par l’éternité, du reste, et non par le temps. La première vision c’est celle de Jésus dans son sacerdoce éternel. Je ne vais pas la reprendre avec vous, je la rappelle simplement parce qu’elle nous fait comprendre que toute l’Apocalypse est une vision du Sacerdoce du Christ. Puis Jean s’adresse eux sept églises. Je vous en cirai un tout petit mot parce que c’est important, surtout au début de la retraite, c’est un examen de conscience merveilleux. Aujourd’hui on essaie de trouver des examens de conscience nouveaux. Et je pense que c’est dommage qu’on n’ait pas encore inventé un nouvel examen de conscience dans la lumière des corrections des sept églises. 32

3ème conférence

Les sept églises c’est à la fois l’Eglise et chacun d’entre nous. La victoire du Christ nous est montrée au début, ch. VI, par l’Agneau immolé, et à la fin, Ch. XIX, par la victoire du Cheval blanc.

Je vous disais donc que la chose la plus difficile, pour nous, est peut-être d’interpréter l’Apocalypse, à cause de ce passage constant du ciel à la terre. La seule grande description de Jésus dans son Sacerdoce glorieux nous est donnée au début de l’Apocalypse. Et c’est dans cette lumière-là que Jean voit les sept églises. Les sept églises sont directement sous la mouvance de Jésus dans sa gloire. Si l’on est attentif à cette correction qui leur est adressée, on voit qu’elle se fait sous un aspect particulier des sept esprits de Dieu. Et je crois qu’on pourrait y découvrir très facilement les sept béatitudes et les sept dons du Saint-Esprit. C’est normal, car les sept églises représentent l’Eglise dans sa totalité. Chaque église vit d’une béatitude particulière, comme chacun d’entre nous. Il est bon, de temps en temps, de se demander de quelle béatitude l’Esprit Saint veut que nous vivions spécialement. Est-ce la béatitude des pauvres, est-ce la béatitude des doux, est-ce la béatitude des miséricordieux ? Il faut se le demander de temps en temps. Car pour chacun d’entre nous il y a une béatitude particulière. Jésus les a toutes vécues, Marie aussi, mais nous, nous les vivons partiellement. Il peut se faire, du reste, que cela change durant notre itinéraire sur la terre. Mais ordinairement, il y a comme une béatitude qui nous est propre, qui forme notre lame de fond. « Bienheureux les pacifiques ... », il y a des gens qui sont pacifiques. Il y en a qui sont miséricordieux, il y en a qui sont dans la souffrance et qui doivent pleurer, suivant les sept dons du Saint-Esprit. Je ne vais pas tout reprendre avec vous, ce serait trop long. Mais relisez le début de l’Apocalypse. Et il y a là sept regards de Jésus sur les sept églises qui sont certes les sept églises d’Asie, mais qui correspondent à l’Eglise dans sa totalité. Certains ont cru y voir tout le cheminement de toute l’Eglise. Ce n’est pas exact. Ce n’est pas tout à fait cela, selon le point de vue de Saint Jean. Il s’agit beaucoup plus du regard sur l’Eglise actuelle, qui est les sept églises selon cette vision admirable que nous n’avons nulle part ailleurs. 33

Aujourd’hui on parle beaucoup du pluralisme. Eh bien, l’Apocalypse nous en donne une vision très juste, parce qu’il n’est pas demandé à l’église d’Ephèse la même chose qu’à l’église de Smyrne, ou qu’à l’église de Thyatire. Et si l’on est de l’église de Thyatire et qu’on se mette à loucher sur l’église d’Ephèse, ça ne va plus du tout ! Le Saint-Père, Paul VI, lors de son voyage en Amérique, au siège de l’ONU, a envoyé un télégramme aux sept églises. Vous vous en souvenez ? C’était assez curieux. Il a envoyé un télégramme aux sept églises du monde qui représentaient l’Eglise actuelle dans sa totalité. Et c’est vrai qu’il y a une différence entre les églises. On n’a pas idée de demander la même chose à l’église de France qu’à celle des Etats-Unis. Et l’église de Pologne est encore différente ! Sans tomber dans une espèce de spiritualité qui serait propre à chaque pays, il y a une fidélité à garder envers certains aspects, car il y a des grâces, il y a des saints particuliers. Ce n’est pas le hasard si certains saints sont nés dans telle ville plutôt que dans telle autre. Ils représentent un appel, une exigence particulière. Ils défendent une espèce de patrimoine familial. Donc, il ne s’agit pas de tomber dans un faux traditionalisme, mais de comprendre quel est l’appel particulier de chaque église. Si vous le voulez, je vais regarder uniquement l’église d’Ephèse, qu’il faut aimer très spécialement : c’est l’église de Jean, c’est l’église de Marie. « Ecris à l’ange de l’Eglise d’Ephèse : Voici ce que dit Celui qui tient les sept étoiles dans sa main droite, Celui qui marche au milieu des sept chandeliers d’or. » (Ap 11, 1) Les sept étoiles sont les sept anges des sept églises. Et les sept chandeliers sont les sept Églises. C’est Jésus qui marche eu milieu des églises. Donc c’est Jésus qui parle. « Je connais tes œuvres, ton labeur et ta patience ; je sais que tu ne peux

supporter les méchants ; que tu as éprouvé ceux qui se disent apôtres et ne le sont pas, et que tu les a trouvés menteurs. » (2-3)

Elle est intelligente l’église d’Ephèse. Elle sait discerner les vrais apôtres des faux. « … que tu as de la patience, que tu as eu à supporter pour mon nom, et que tu ne t’es point lassé. Mais j’ai contre toi que tu t’es relâché de ton premier amour. » (3-4) Voilà le correction à l’église d’Ephèse : tu t’es relâchée de ton premier amour ! « Souviens-toi donc d’où tu es tombé, repens-toi et reviens à tes premières œuvres ;

sinon je viendrai à toi, et j’ôterai ton chandelier de se place, à moins que tu ne te

repentes. Pourtant tu as en ta faveur que tu hais les œuvres des Nicolaïtes, œuvres que moi aussi je hais. » (5-6) Les œuvres des Nicolaïtes sont, sans doute, l’égarement doctrinal de ceux qui errent, parce qu’ils ne savent plus ce qu’est la vraie doctrine. On voit très bien que Jésus 34

aime la vérité. Il le cherche, Il en est le témoin et Il veut que nous le cherchions nous aussi. L’église d’Ephèse est fidèle. Elle a en horreur les Nicolaïtes. Et Jésus dit que sur ce point il est tout à fait en conformité avec son église. « Que celui qui a des oreilles entende ce que l’Esprit dit aux Eglises ! A celui qui vaincra, je lui donnerai à manger de l’arbre de vie, qui est dans le paradis de Dieu. » (Ap 2, 7) C’est très beau. C’est un des rares lieux où l’on voit, dans l’Ecriture, l’Esprit Saint corriger l’Eglise. Les théologiens n’ont pas à corriger l’Eglise. C’est l’Esprit Saint qui le corrige. On peut dire qu’on regrette certaines choses, mais on n’a pas à corriger l’Eglise. Seul l’Esprit Saint peut la corriger, puisque c’est Lui qui la conduit. Il y a très peu de lieux où l’on dise, explicitement, qu’il y a la taille du Père. Qu’est-ce que cette taille ? Ici, on le montre. On nous montre les points sur lesquels Jésus est vulnérable. Ce qui serait très beau à faire, et je vous demande de le faire vous-mêmes pendant la retraite, c’est un merveilleux examen de conscience pour voir si, premièrement, vous avez gardé le premier amour, si vous êtes dans la ferveur du premier amour. Car ce qui blesse le plus le Cœur de Jésus, c’est ce relâchement à l’égard du premier amour, même si tout le reste est parfait. On fait des choses très, très bien ; on a le souci de la doctrine ; « je connais tes œuvres, ton labeur, ta patience ... », elle est très intelligente l’église d’Ephèse, elle est merveilleuse. Mais elle a perdu la ferveur du premier amour. Et c’est ce que Jésus ne peut pas supporter. Nous devons toujours nous demander ce qui, en nous, blesse le Cœur de Jésus. Nous sommes tellement habitués à faire des examens de conscience selon notre propre point de vue, c’est-à-dire selon notre conscience psychologique. C’est comme les gens qui époussètent et qui balaient toujours à la mène place ! Et sous les meubles s’accumulent les moutons. Ils font le ménage ainsi, ce n’est tout de même pas bien fait ! Une fois par an il faut soulever les gros meubles pour essayer d’enlever toutes les poussières. Une fois par an, faites un examen de conscience un peu plus sérieux et non pas uniquement le petit époussetage. Je sais bien, je suis un vieux cheval, je tombe toujours dans les mènes ornières. C’est ainsi pour chacun d’entre nous. Nous n’avons aucune originalité dans nos péchés. Nous tombons tous dans les mêmes ornières qui sont les concupiscences. Nous avons tous le même péché dominant. Pas la peine de chercher loin. Ne faites pas de retraite pour chercher votre péché dominant : c’est l’orgueil, pour chacun d’entre nous. C’est très net. De temps en temps c’est moins visible. Chez ceux qui se disent les spécialistes de l’humilité, c’est moins visible. Mais c’est quand même l’orgueil, mène chez eux, j’allais dire surtout chez ceux-là. Nous avons tous le même péché. L’originalité n’est pas du côté du péché. La seule chose originale qui soit en nous, c’est notre amour pour le Christ. On est original, on est unique dans notre amour. Mais nos péchés ne sont pas du tout notre personnalité 35

profonde, c’est le bas de la montagne ! Alors ce qui est important c’est de comprendre ce qui blesse le Cœur de Jésus et non pas ce qui nous blesse. Quand nous faisons des examens psychologiques, nous regardons ce qui nous blesse parce que nous voudrions tout de même sortir un peu des ornières. Et si l’on a une psychologie pessimiste, on dit que ça ne va jamais bien. Il y a des gens pour lesquels tout va toujours mal. Ce n’est même plus la peine de le leur demander, on connaît d’avance leur réponse. Alors on leur dit carrément : ça va très mal, n’est-ce pas ? Et ils commencent à dire : euh, pas trop ... parce qu’on les a devancés ! Il y a des mentalités pessimistes, comme il y en a d’optimistes. Chez ceux-là, ça va toujours bien. C’est merveilleux, étonnant. Tout ce qu’ils font réussit. Et quand on regarde de plus près, on s’aperçoit que ça ne va pas si bien que cela ! Il ne faut pas faire des examens psychologiques. Il faut demander à Jésus de nous corriger. Par l’examen de conscience nous anticipons le jugement particulier. Quand nous verrons Jésus, nous n’aurons pas du tout envie d’être jugés par Lui. Nous aurons qu’un seul désir : lui dire notre amour. Alors anticipons le jugement, c’est tellement simple. La retraite est une manière très très merveilleuse d’anticiper le jugement particulier. Demandons à Jésus de nous juger. Son jugement sur les sept églises nous aide beaucoup. Il nous fait comprendre la manière dont Il regarde l’Eglise, et l’Eglise c’est nous. Les sept églises sont en nous. Si je ne le revois pas avec vous maintenant, c’est faute de temps. Mais c’est très beau, même pour ceux qui étaient là l’année dernière, il y a des tas de choses à redécouvrir dans ce jugement, cette correction d’amour du Christ sur les sept églises. Le but de la retraite consiste toujours à nous remettre dans la ferveur. C’est la grande spiritualité du Mont Sinaï. Ne manquez pas de lire, si vous le pouvez, l’échelle de Saint Jean Climaque, où il nous dit ceci : « Un novice fervent, c’est normal, autrement il ne serait pas novice. Un vieux moine fervent, c’est la sainteté ». La ferveur, c’est le premier amour. Et c’est très vrai. Il est difficile de rester fervent dans notre vieillesse, c’est-à-dire de ne jamais vieillir. Saint Thomas dit que le ferveur c’est quand l’eau bout. C’est très joli, n’est-ce pas ? C’est tout à fait Saint Thomas. Quand l’eau bout, que se passe-t-il ? Le couvercle se soulève et l’eau s’échappe. Dans le ferveur, le couvercle se soulève, on n’est plus dans les barricades, on n’est plus dans des déterminations qui nous limitent, c’est l’amour qui jaillit ! Regardons encore la dernière église : « Ecris encore à l’ange de l’Eglise de Laodicée : Voici ce que dit l’Amen, le Témoin fidèle et véritable, le Principe de la création de Dieu ... » (Ap 3, 14) C’est Jésus qui est l’Amen, Celui qui achève tout, Celui qui accomplit la volonté du Père. Quand on accomplit la volonté du Père on est l’Amen. Quand nous sommes 36

dans l’obéissance et que nous vivons de la volonté du Père, nous sommes l’Amen de Dieu. « Je connais tes œuvres : tu n’es ni froid ni chaud. Plût à Dieu que tu fusses froid

ou chaud ! Aussi, parce que tu es tiède et que tu n’es ni froid ni chaud, je vais te vomir de ma bouche. » (15-16)

Dieu ne peut pas accepter la tiédeur à l’égard de son amour, à l’égard de la doctrine chrétienne. « Tu dis : je suis riche, j’ai acquis de grands biens, je n’ai besoin de rien ; et tu ne

sais pas que tu es un malheureux, un misérable, pauvre, aveugle et nu. Je te conseille

de m’acheter de l’or éprouvé par le feu, afin que tu deviennes riche, des vêtements blancs pour te vêtir et ne pas laisser paraître la honte de ta nudité ; et un collyre pour

oindre tes yeux, afin que tu voies. Moi, je reprends et je châtie tous ceux que j’aime ;

aie donc du zèle et repens-toi. Voici que je me tiens à la porte et je frappe : si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui, je souperai avec lui et lui avec moi. » « Celui qui vaincra, je le ferai asseoir avec moi sur mon trône, comme moi aussi

j’ai vaincu et me suis assis avec mon Père sur son trône. Que celui qui a des oreilles entende ce que l’Esprit dit aux Eglises ! » (3, 17-22)

C’est très beau, c’est très fort de voir cette correction adressée à l’église de Laodicée qui souffre du mal le plus grand qui soit : la tiédeur. Faisons attention. La tiédeur c’est l’état de celui qui veut rester dans la tiédeur, de celui qui l’entretient. Ça ne veut pas dire du tout qu’après avoir souffert à certains moments on ne sente plus rien. C’est être dans la sécheresse, cela. Spirituellement on peut être dans la sécheresse, mais ce n’est pas la tiédeur. Etre dans la sécheresse peut très bien être une purification. Ne plus rien voir, ne plus rien comprendre dans la conduite de Dieu, ce peut être une épreuve. Le tout est de maintenir en nous le désir d’adorer. C’est par ce moyen qu’on évite la tiédeur. Dès qu’on se trouve dans la sécheresse, on doit faire des .actes volontaires d’adoration, des actes volontaires d’amour. On doit dire à Dieu : je veux vous aimer, je vous adore. Il y a des moments dans notre vie où Dieu nous demande d’avancer par des actes de volonté. C’est très important. Il ne faut pas dire : ah, je n’ai pas la grâce pour prier aujourd’hui, alors je ne prie pas. Les artistes, de temps à autre, sont un peu comme cela : aujourd’hui je n’ai pas d’inspiration, alors j’attends que le vent tourne. Il y a des gens qui disent : aujourd’hui je ne vais pas à la messe parce que ça ne me dit rien ! La question n’est pas que ça vous dise quelque chose ou que ça ne vous dise rien. Il faut exprimer à Dieu votre désir de l’aimer et donc faire des actes d’adoration, d’amour. Et si 37

vous le faites, vous verrez bien que le Saint-Esprit viendra. Tandis que si vous vous tournez les pouces, vous risquez alors, au bout d’un certain temps, de devenir comme un enfant gâté. L’enfant gâté tombe dans la tiédeur car il n’a envie de rien. Dieu veut que nous nous fortifions dans notre amour envers Lui, pour éviter la tiédeur. Certains ont dit que l’église de Laodicée représentait la dernière étape dans l’Eglise. Vous voyez l’indifférence. Pas la sainte indifférence, mais l’état de ceux qui sont complètement indifférents à l’égard de Dieu. Ça ne les gêne pas du tout. Ils ont construit leur vie complètement en dehors de Dieu. Ils sont dans une indifférence totale vis-à-vis du mystère du Christ, du mystère de l’adoration, dans une tiédeur complète ... Ça leur est bien égal, tout cela fait partie d’un autre monde ! Je crois qu’il y a quelque chose de juste dans cette réflexion sur la tiédeur aujourd’hui. L’église d’Ephèse, c’est vraiment l’Eglise du printemps. Je vous l’ai dit, il peut y avoir un dernier printemps. L’Eglise terminera sa vie sur la terre par le printemps. Soyez l’Eglise du printemps et vous serez l’église d’Ephèse. Et vous aurez le désir de rester dans la ferveur puisque c’est cela que Jésus demande. L’église de Laodicée représente la dernière étape de l’Eglise, quand tout est usé. On voit de temps en temps des chrétiens complètement désabusés ; on a l’impression qu’il n’y a plus rien à faire pour eux. Si, comme l’église de Laodicée, nous sommes contaminés par cette indifférence, écoutons le reproche de Jésus. Secouons-nous. De temps en temps, demandons à quelqu’un de nous secouer comme une vieille savate pour que toute la poussière dégringole et à ce moment-là nous commençons à revivre. Ou bien demandons qu’on nous passe à la paille de fer parce que nous sommes couverts de vermine et qu’il faut redécouvrir le vrai visage de Jésus. Jésus dit avec force : « Tu dis : je suis riche, j’ai acquis de grands biens, je n’ai besoin de rien ... ». L’église de Laodicée est satisfaite au niveau des biens matériels. Elle est complètement matérialisée. Il faut évidemment être secoué pour que l’on comprenne que cette petite satisfaction intérieure n’est rien du tout. Le pharisaïsme nous conduit à la satisfaction intérieure qui nous fait tomber très vite dans la tiédeur. C’est une des choses les plus terribles le pharisaïsme, être satisfait de soi, se dire : après tout, ce que je fais c’est bien ; je suis heureux, intelligent, je réussis bien. Quand je me regarde, je trouve que ça va bien. C’est horrible cela, par rapport à Jésus. Quand on le fait consciemment, on reste vraiment dans son petit cocon et l’on descend le fleuve et l’on continue de prendre la spiritualité de la planche. Alors, entendons la correction. Il y a toujours le danger qui nous guette. Ne disons pas : Oh, cela ne peut pas m’arriver. Attention ! Il y a toujours des tentations. La tiédeur arrive à un certain âge. Quand on est très jeune, on n’est pas tiède. L’église de Laodicée, c’est l’Eglise qui a déjà roulé un peu sa bosse ! On est satisfait de soi quand on a déjà un certain âge. Aussi faut-il toujours garder dans son cœur une certaine jeunesse, garante de la ferveur. Considérons les deux extrêmes : Ephèse et Laodicée et comprenons que nous portons en nous les sept églises et que nous sommes tous capables de tomber dans leurs défections et regardons le 38

Christ qui ne peut pas les tolérer. Avec le chapitre IV nous allons entrer dans ce qu’on appelle à proprement parler l’Apocalypse, ce qui doit arriver bientôt. Après cette correction, ce regard de Jésus sur l’Eglise, nous est donnée ici une grande vision céleste. Je ne le verrai pas en détail, bien qu’elle soit tellement belle, mais on l’a déjà vue. (Voir Apocalypse, première partie, prêchée en juillet 1974). Relisez le chapitre IV qui est une vision magnifique du ciel. C’est peut-être le plus belle vision du ciel qui soit donnée, avec la dernière vision des noces de l’Agneau.

Les noces de l’Agneau, c’est l’Eglise, tandis qu’ici nous sommes vraiment devant le Mystère de Dieu. Essayons d’entrer quand même dans cette très belle vision. Il y a le Trône, les Vieillards, les sept Esprits. Et en face du trône il y a comme une mer semblable à du cristal : c’est le Mystère de Marie. Vous voyez cette grande vision du ciel : les vingt-quatre vieillards qui représentent toutes les créatures ; le Mystère de l’Esprit Saint dans les sept esprits de Dieu ; le Mystère de Marie, lié à l’Esprit ; et puis le Mystère de Jésus. C’est normal que le Mystère du Verbe Incarné vienne après l’Esprit Saint et Marie. Mais en même temps, Il est sur le trône. Il vient après, c’est vrai. Marie est la mère et Il est l’œuvre de l’Esprit et de Marie. Mais en même temps Il est relié directement à Celui qui est sur le trône. Dans cette vision céleste apparaît un livre, parfaitement écrit, scellé de sept sceaux. Nous avons ici le premier symbolisme de l’Apocalypse : les sept sceaux. Les sept sceaux, c’est assez facile à comprendre, ce sont les décisions de Dieu, les sept grandes décisions divines ; ou, l’on pourrait dire, dans un langage théologique, le mystère de la prédestination. Dieu nous regarde et Dieu décide dans sa volonté d’amour. Cette décision implique des éléments multiples. Il y en a sept, correspondant aux sept esprits de Dieu. Et ce livre est complètement scellé. Personne ne peut en enlever les sceaux, sauf l’Agneau. Suit la grande vision de l’Agneau, l’Agneau comme immolé. Ceci est, je crois, capital du point de vue théologique et nous fait comprendre que le Mystère de l’Agneau est intimement lié au mystère de .toutes les décisions du Père. Il s’agit de l’Agneau immolé et donc de la blessure du Cœur de Jésus. On peut dire que toutes les décisions de Dieu, tout le grand mystère de la prédestination doit être considéré à partir de la blessure du Cœur de l’Agneau. Et ceci est capital. C’est capital de comprendre que nous sommes prédestinés dans le Cœur de Jésus. Marie a été prédestinée dans le Cœur de Jésus et tout le mystère de l’Immaculée Conception jaillit de la blessure de l’Agneau. Il y a là quelque chose de très 39

beau, de très grand. Théologiquement, c’est un des plus beaux passages de l’Apocalypse parce qu’on touche aux volontés de Dieu. Ces sept volontés nous sont montrées successivement et, à la septième nous entrons dans le silence de l’éternité, nous découvrons l’entrée du ciel ! La dernière volonté de Dieu sur nous, c’est la grâce d’entrer dans le ciel. Quand vous entrerez au ciel, vous verrez le septième sceau et, à ce moment-là, vous comprendrez les six autres. Mais, autant que possible, il vaut mieux les comprendre un tout petit peu auparavant. Et alors si vous regardez les six sceaux, qu’est-ce que vous voyez ? Le premier sceau, c’est le cheval blanc. C’est très beau. « Et je vis paraître un cheval blanc. Celui qui le montait avait un arc ; on lui donna une couronne, et il partit en vainqueur et pour vaincre. » (Ap VI, 2) On discute énormément là-dessus. Dans l’Apocalypse, on pourrait donner des quantités d’explications pour chaque symbole. Je vous donne ce qui m’en semble, après avoir beaucoup réfléchi. Et c’est correct théologiquement. Ce qui importe, c’est de dire ce qui est juste théologiquement. Il faut interpréter l’Apocalypse dans une vision théologique, sans fantaisie. Au chapitre XIX on retrouve le symbolisme du cheval blanc. Celui qui le monte a comme nom « le Verbe de Dieu ». Et donc on peut dire que le cheval blanc représente la victoire du Christ. Si j’essaie de comprendre ce qui est dit au chapitre XIX, 2 et que je le mets en parallèle avec le chapitre VI, 2, je crois qu’on peut dire que tout est prédestiné dans le Christ, dans la victoire du Christ. Nous sommes prédestinés dans la victoire de Jésus. Et la première volonté du Père sur nous c’est que nous soyons victorieux. Le chrétien est un Être victorieux dans le Christ. Voyez comme l’Apocalypse est le livre de l’espérance. Elle nous montre tout de suite le regard de Dieu sur nous, la victoire du cheval blanc. Mais faisons attention car le symbolisme du chapitre VI et celui du chapitre XIX ne sont pas tout à fait semblables. Le chapitre XIX c’est le cheval blanc qui achève tout. Au contraire, au chapitre VI, c’est le cheval blanc qui commence tout. Vous voyez la victoire du cheval blanc dans l’Enfant Jésus à la crèche. Vous voyez la victoire du cheval blanc dans Jésus ressuscité. Et vous comprenez tout de suite la différence entre les chapitres VI et XIX. Le chapitre VI, c’est Jésus qui vient au milieu de nous, qui est avec nous, qui chemine avec nous. L’Eglise chemine avec Jésus. Et nous cheminons avec Jésus, et Jésus lutte avec nous. Mais Jésus lutte avec nous de telle manière qu’il ne se manifeste pas. Il est comme un enfant. Il est victorieux mais il ne se manifeste pas avec sa puissance. C’est pour cela que de temps en temps on est comme les apôtres au moment de la tempête. On croit que Jésus dort et qu’il nous oublie, qu’il nous abandonne. C’est pour ces 40

moments-là que nous sont donnés les symbolismes. C’est là la force de l’Apocalypse qui nous fait voir que c’est le Saint-Esprit qui agit. Ce n’est pas un grand artiste, c’est le Saint Esprit. C’est quelque chose qui a une autre dimension. Et on le découvre tout le temps. Il y a une unité très profonde dans l’Apocalypse. L’Apocalypse doit s’interpréter par l’Apocalypse, pas autrement. N’interprétez pas l’Apocalypse par l’Ancien Testament. Ce serait une erreur. Parce qu’il y a une grande lumière qui n’est pas donnée dans Daniel. Les exégètes font des parallèles avec Daniel. Mais ce rapprochement ne nous fait pas comprendre le regard de l’Apocalypse. Ce qu’il y a d’unique dans l’Apocalypse, c’est la lumière de l’Agneau, et elle ne se trouve pas dans Daniel. Vous avez donc le symbolisme de l’Agneau et celui du cheval. Il faudrait relever, dans l’Apocalypse qui est d’une richesse extraordinaire, tous les symbolismes qui regardent Jésus et Marie. L’Agneau et le cheval, ce n’est pas tout à fait la même chose. Pourquoi y a-t-il l’un et l’autre ? L’Agneau c’est celui qui est immolé. C’est la douceur. C’est au moment où Jésus connaît la plus grande humiliation, en tant qu’Il est immolé, qu’Il connaît la plus grande gloire. C’est parce qu’Il est immolé que toutes les décisions du Père se prennent à travers le Cœur de l’Agneau. C’est bouleversant quand on essaie de le comprendre un peu. Le Père lui a remis tout pouvoir, et donc Il ne prend aucune décision sans la volonté d’amour de l’Agneau. C’est à travers la blessure de l’Agneau que toutes les décisions de Dieu sont prises, pour nous, pour l’Eglise. Vous voyez la grandeur du Sacerdoce du Christ. C’est tout cela le Mystère de l’Agneau. Le cheval blanc, c’est le mystère de la victoire du Christ. La gloire est exprimée par le cheval, qui est un animal noble. Employé comme symbole, il représente quelque chose qui a une certaine noblesse. L’immolation est exprimée par l’agneau. Puis vient immédiatement le deuxième sceau : « Et quand il eut ouvert le deuxième sceau, j’entendis le second animal qui disait : Viens ! » (VI, 3) Le second Vivant, c’est Jésus, en tant qu’il est les quatre Vivants. Encore un nouveau symbolisme : les quatre Vivants, l’agneau, le cheval, quelle multiplicité. Il faudrait faire une théologie à partir de tous ces symbolismes pour comprendre Jésus dans toutes ses dimensions. On en est resté à une théologie très belle, spéculative, scientifique, celle que Saint Thomas nous a laissée. « Et il sortit un autre cheval qui était roux ». (VI, 4) Cela, c’est moins noble. Je ne dis pas cela parce que je suis en blanc, mais c’est quand même ainsi ! Le blanc est plus noble que le roux. Ne dites pas que le roux ce sont les Franciscains ... c’est tout à fait différent. Ici, le roux c’est la couleur du dragon qui est aussi rouge feu. C’est curieux. Là aussi il y a tout un symbolisme des couleurs. 41

« Celui qui le montait reçut le pouvoir d’ôter la paix de la terre, afin que les hommes s’égorgeassent les uns les autres, et on lui donna une grande épée ». (VI, 4) C’est difficile de comprendre, à première vue, ce qui fait partie de la prédestination parce que Dieu laisse subsister en nous les conséquences du péché. Nous sommes prédestinés, mais nous restons dans la lutte. Et c’est pour cela qu’il y a la victoire du Christ au point de départ. Le mystère de la prédestination ne nous replace pas dans l’Eden. Les conséquences du péché demeurent et, de fait, il n’y a plus de paix. On doit toujours chercher à avoir la paix mais elle n’existe pas de façon durable. Même en famille, comme c’est difficile de le maintenir ! Vous voyez que, successivement, tous les sceaux montrent le conditionnement dans lequel nous sommes prédestinés. Alors il faut considérer le premier et le dernier. Le dernier sceau nous met en présence de ce que représente le dernier moment. « Et quand l’Agneau eut ouvert le septième sceau, il se fit dans le ciel un silence d’environ une demi-heure. » (VIII, 1) On entre dans la vision béatifique, il n’y a plus que le silence. Jean a connu ce grand silence. Au septième sceau, il a eu comme un avant-goût de la vision béatifique qui a duré une demi-heure. Une belle pause magnifique ! Le symbolisme des sceaux nous fait comprendre toutes les décisions divines, que je puis résumer de cette manière : (encore une fois, il faut faire grande attention à ces résumés, mais il faut quand même un tout petit peu les faire !) Nous sommes prédestinés dans la victoire du Christ. Et cette victoire du Christ apparaît au point de départ et au terme et elle nous associe à sa lutte. Nous sommes associés à la lutte du Christ premièrement par les concupiscences. Le démon, au plus intime de nous-mêmes, agit. Et nous avons des complicités avec lui. Puis on nous montre le victoire partielle : le cinquième sceau. Et le sixième sceau montre le pouvoir du démon sur le milieu ambiant. Autrement dit, il y a deux pouvoirs du démon qui nous sont montrés. Le démon agit de l’intérieur, imaginairement, par les concupiscences. Il connaît très bien notre psychisme. C’est le premier des psychanalystes ! Il peut vous enseigner des quantités de choses extraordinaires. Le démon connaît toutes les complicités de notre psychisme, sur lequel il agit par les trois concupiscences. Et il agit de l’extérieur, sur le milieu ambiant. Le démon a un très grand pouvoir sur le milieu ambiant. Il faut lire le sixième sceau, difficile à encaisser, mais qui est très beau. C’est le paroxysme de la lutte. La lutte a toujours existé depuis le début, mais plus on approche de la fin, plus elle devient intense, car le temps est limité. Au septième sceau, on sera au ciel, ce sera terminé. Donc le sixième sceau, c’est le dernier moment du pèlerinage de l’Eglise. Ça a toujours existé, mais dans le dernier moment du pèlerinage la lutte prendre une importance très grande. 42

Et puis viennent les trompettes dont le symbolisme est très différent. Ce ne sont plus les décisions, mais l’exécution. Vous allez me dire : mais pourquoi dites-vous cela ? C’est tout à fait arbitraire. Pas du tout. Ce n’est pas arbitraire. C’est directement à partir du texte que nous pouvons le déduire. Lorsqu’il s’agit des décisions, seul l’Agneau intervient. Les anges n’interviennent pas dans les décisions de Dieu. Donc, théologiquement, il faut comprendre que seul l’Agneau intervient dans les décisions divines, parce qu’il est Dieu. Et le sacerdoce du Christ, parce que c’est le sacerdoce du Fils bien-aimé, doit intervenir.

Au contraire, dans les trompettes, les anges interviennent. Ils servent de médiateurs. Nous sommes dans l’ordre de l’exécution. Et c’est du reste tout à fait normal. Je vous l’ai dit : la foi ne supprime pas notre condition humaine, notre manière de vivre. Or, dans notre vie, il y a des décisions suivies d’exécutions, deux choses tout à fait différentes. Il y a des gens qui décident parfaitement et qui sont des poltrons au moment de l’exécution. Les intellectuels sont ainsi. Ils sont fatigués d’avoir beaucoup cogité, alors ils ont une frousse intense d’entrer dans l’exécution. Il y en a d’autres, au contraire, qui ne réfléchissent jamais pour pouvoir se battre davantage ; ils sont toujours dans l’exécution. Mais ils ne savent pas où ils vont. Le tout c’est de faire quelque chose, de faire du bruit ! On leur dit : mais pourquoi ? On ne le sait pas, ça n’a pas d’importance, on fait du bruit ... Ils sont dans l’exécution ! On voit très bien qu’il y a des gens qui sont pour les décisions et d’autres pour l’exécution. Dans notre vie le véritable équilibre consiste à savoir décider et à savoir exécuter. Car on ne peut compter ni sur celui qui exécute sans n’avoir jamais rien décidé, ni sur celui qui décide sans jamais rien exécuter. Les décisions représentent les finalités et tout le conditionnement qu’elles assument. Les exécutions représentent tout simplement l’exécution. Nous avions bien vu, l’année dernière, comment les sept trompettes expriment l’exécution. Nous avions presque terminé. Je vais reprendre la fin, parce que c’est important de voir la sixième trompette. Il y a un parallélisme entre les décisions et les exécutions. Sans tomber dans une comparaison matérielle uniquement, on peut dire que les sept décisions de Dieu ont une répercussion sur les sept moments de l’exécution. Mais il s’agit, de deux ordres différents. L’ordre des décisions c’est le mystère même des volontés d’amour de Dieu sur nous. Et l’ordre de l’exécution c’est la manière dont Dieu veut que tout se réalise. Alors reprenons le chapitre IX, verset 13 : « Et le sixième ange donna de la trompette ; et j’entendis une voix sortir des quatre cornes de l’autel d’or qui est devant Dieu. » Voyez comment toutes les décisions et les exécutions se font toujours dans un 43

climat liturgique. Autrement dit, toute l’économie de Dieu, toute la conduite de Dieu sur l’Eglise et sur l’univers est une conduite liturgique. Comprenez « liturgique » dans le sens ancien de « leiturgia ». La liturgie c’est un acte sacré, religieux, qui nous relie à Dieu. Et donc toute cette conduite divine se fait vraiment à l’égard d’un peuple royal et sacerdotal qui doit toujours Être en union avec Dieu. C’est là où nous constatons un certain désaccord dans notre vie qui n’est pas entièrement liturgique. Nous faisons de petits partages : la vie profane, la détente, et puis, de temps en temps, la retraite. Pendant la retraite, vous vivez liturgiquement, bien que la liturgie soit volontairement sobre pour que vous puissiez vivre d’une façon plus liturgique, c’est-à-dire être plus proches du Cœur de Jésus, dans une communion plus profonde avec Lui. Notre vie est liturgique quand nous méditons, quand nous contemplons, quand nous pratiquons la charité fraternelle, quand nous avons une activité apostolique. A ce moment-là ce que nous faisons est sacré, c’est relié directement au Christ et c’est donc liturgique. « J’entendis une voix sortir des quatre cornes de l’autel d’or qui est devant Dieu. » L’autel d’or, c’est le Christ. Selon les Pères de l’Eglise, l’autel c’est toujours Marie. C’est elle qui a porté la victime. C’est elle qui l’a formée, et je crois que c’est vrai. Les Pères de l’Eglise du 12ème siècle ne cessent de voir Marie comme l’autel. Cette pensée est très profondément en eux. Cette voix qui sort des quatre cornes a autorité sur les anges. Marie est la Reine des anges. « Délie les quatre anges qui sont liés sur le grand fleuve de l’Euphrate. » (IX, 14) Ce symbolisme du fleuve Euphrate apparaît au début de le Genèse et réapparaît ici. Il apparaît dans les grandes circonstances car c’est le fleuve par excellence. Il représente quelque chose d’important. « Alors furent déliés les quatre anges, qui se tenaient prêts pour l’heure, le jour, le mois et l’année, afin de tuer la troisième partie des hommes. » (IX, 15) C’est étonnant de voir ces anges qui sont là, prêts à tuer. Ils sont en attente d’un ordre prémédité. Ce n’est pas du tout quelque chose qui se fait d’une façon passionnelle, c’est prémédité, ils sont là. Il faut essayer de comprendre. « Et le nombre des troupes de cavalerie avait deux myriades de myriades ; j’en

entendis le nombre. Et voici comment les chevaux me parurent dans le vision, ainsi

que ceux qui les montaient : ils avaient des cuirasses couleur de feu, d’hyacinthe et de soufre ; les têtes ces chevaux étaient comme des têtes de lions, et leur bouche jetait du

feu, de la fumée et du soufre. La troisième partie des hommes fut tuée par ces trois

fléaux, par le feu, par la fumée et par le soufre qui sortaient de leur bouche. Car le 44

pouvoir de ces chevaux est dans leur, bouche et dans leurs queues : car leurs queues, semblables à des serpents, ont des têtes, et c’est avec elles qu’ils blessent. » (16-19) Ne cherchez pas trop s vous représenter cette scène d’une façon plastique. Vous n’en dormiriez pas ! C’est symbolique. Il faut cependant le regarder attentivement parce que cette espèce de puissance extraordinaire ce n’est pas le hasard. Vous savez qu’on a fait des parallélismes à ce sujet pendant la dernière guerre avec les avions sirènes. On peut faire ce parallélisme. Mais ce n’est pas le sens profond de ce qui nous est donné ici. Je crois que les diverses tactiques de la guerre nous servent à mieux comprendre la tactique du démon ; et actuellement nous avons des exemples qui nous aident à mieux comprendre certaines choses, par exemple les armes légères des parachutistes. Mais il ne faut pas dire que l’Apocalypse éclaire la guerre. Non. L’Apocalypse éclaire notre lutte intérieure et mystique et non pas les luttes temporelles. Les luttes temporelles ne sont que l’extérieur de la lutte réelle qui se situe au niveau des esprits. Les luttes temporelles ont leur importance, c’est bien évident. Mais la vraie lutte est au niveau de l’esprit. Le démon se moque de la puissance matérielle. Ce qui l’intéresse c’est de dévoyer nos esprits, c’est de dévoyer nos âmes. « Les autres hommes qui ne furent pas tués par ces fléaux, ne se repentirent pas non plus des œuvres de leurs mains, pour ne plus adorer les démons et les idoles d’or, d’argent, d’airain, de pierre et de bois, qui ne peuvent ni voir, ni entendre, ni marcher ;

et ils ne se repentirent ni de leurs meurtres, ni de leurs enchantements, ni de leur impudicité, ni de leurs vols. » (IX, 20-21) Donc, on comprend que ces anges soient prêts à attaquer les habitants de la terre. Qu’est-ce que les habitants de la terre ? C’est l’homme qui ne voit plus que les biens temporels. C’est l’homme matérialisé. Dieu a envers l’homme une patience extraordinaire, infinie. Mais, à un moment donné, il ne peut plus supporter l’action du démon sur l’homme. C’est ce que la sixième trompette nous montre. A un moment donné, Dieu ne plus supporter que l’homme se laisse prendre par la séduction du démon. Et, alors, Dieu agit pour que celui-ci discerne ce qui est du démon et ce qui est de Dieu. C’est le grand discernement de la sixième trompette. Nous pouvons le dire nettement parce que c’est l’Evangile de Saint Jean qui éclaire l’Apocalypse, puisqu’il lui est postérieur et qu’il nous annonce que le discernement se fera lorsque le démon sera jeté bas. Quand on est en pleine lutte, comme aujourd’hui, c’est difficile de discerner le bon grain du mauvais. Et Dieu nous dit que nous n’avons pas à les séparer. (C’était l’Evangile de dimanche dernier). Si l’on sépare le bon grain du mauvais, on fait une Eglise de pureté, coupée des autres. Il faut accepter le mélange des deux. Jésus a accepté que Judas soit au milieu des apôtres. Ce n’est pas commode, mais c’est ainsi. Et, à un moment donné, il y a un discernement qui s’opère, lors de la sixième trompette, c’est-àdire avant la fin, pour laisser la possibilité à tous ceux qui se sont laissés séduire par le 45

démon de voir clair, de revenir à Jésus. C’est encore un geste de miséricorde qui provient de l’autel d’or et donc de la miséricorde maternelle de Marie. La sixième trompette c’est Marie qui, dans sa miséricorde, veut sauver les hommes. Et les sauver malgré eux, parce que les hommes sont des imbéciles qui se laissent séduire et qui n’arrivent pas à discerner l’œuvre du démon. Ils se laissent prendre par toutes les promesses de bien-être matériel. Ce discernement de la sixième trompette est rude car les hommes ne comprennent pas le langage de l’amour, le langage de la douceur. Et Dieu doit prendre le fouet. « Puis je vis un autre ange puissant qui descendait du ciel, enveloppé d’un

nuage, et l’arc-en-ciel au-dessus de la tête ; son visage était comme le soleil, et ses pieds comme des colonnes de feu. » (X, 1) C’est le Christ qui est désigné par ce nouveau symbolisme. Ici je puis le dire directement : c’est vraiment le Christ qui est là présent. Jean appelle toujours Jésus l’« envoyé », en grec « l’ange » c’est « l’envoyé ». Alors, de temps en temps, ce sont des anges qui sont les envoyés, et de temps en temps c’est Jésus Lui-même. Et ici nous pouvons très nettement préciser qu’il s’agit de Jésus. « Je vis un autre ange puissant », donc on le distingue des autres. Je vis, si vous voulez, un autre envoyé puissant, qui descendait du ciel. C’est toujours Jésus qui descend du ciel, qui descend du trône, enveloppé d’un nuage. Le nuage, c’est l’Esprit Saint. L’arc-en-ciel se rapporte à Dieu. « Bienheureux les pacifiques », c’est Jésus dans sa béatitude des pacifiques. « Il tenait à la main un petit livre ouvert ; et ayant posé le pied droit sur le mer et le pied gauche sur la terre, il crie d’une voix forte, comme rugit un lion. » (X, 2) C’est le Lion de Juda que vous voyez là, en ce moment de très grande lutte où se fait le discernement du sixième sceau. Je crois que nous y sommes presque à ce sixième sceau. La miséricorde de Marie est là qui nous l’annonce et qui nous montre bien qu’il viendra ce sixième sceau, c’est-à-dire des événements qui mettront à jour, nettement, l’œuvre du démon et l’œuvre de l’Esprit Saint. Et à ce moment-là les gens verront clair et il y aura un secours particulier du Christ : le petit livre. Et Jésus a le pied droit sur la mer et le gauche sur la terre pour bien montrer que tout l’univers lui appartient. Il est le Roi de l’univers. « Et quand il eut poussé ce cri, les sept tonnerres firent entendre leurs voix. » Les sept tonnerres, les éclairs, les voix, c’est l’Esprit Saint et Satan le comprend très bien ! « Après que les sept tonnerres eurent parlé, je me disposais à écrire, mais

j’entendis du ciel une voix qui disait : Scelle ce qu’ont dit les sept tonnerres, ne l’écris 46

point. » (X, 3) J’aurais bien aimé savoir ce qu’ils dirent ! Il faut que nous sachions faire le discernèrent nous-mêmes. Il faut que nous sachions reconnaître les sept tonnerres. Ils sont là pour montrer que chaque fois que le lutte est plus grande, le grâce surabonde. Plus nous sommes plongés dans la lutte, plus la grâce surabonde. La seconde Pentecôte c’est celle ces sept tonnerres, Pentecôte très particulière. « Alors l’ange que j’avais vu debout sur la mer et sur le terre, leva sa main

droite vers le ciel, et jura par Celui qui vit aux siècles des siècles, qui a créé le ciel et les

choses qui y sont, la terre et les choses qui y sont, la mer et les choses qui y sont, qu’il n’y aurait plus de temps, mais qu’aux jours où le septième ange ferait entendre sa

voix en sonnant de le trompette, le mystère de Dieu serait consommé, comme il l’a annoncé è ses serviteurs, les prophètes. » (X, 5-8) Nous sommes tout proches de la fin, dans l’ordre de l’exécution. « Et la voix que j’avais entendue du ciel, me parla de nouveau et me dit : Va,

prend le petit livre ouvert dans le main de l’ange qui se tient debout sur la mer et sur

la terre. Et j’allai vers l’ange, et je lui dis de me donner le petit livre. Il me dit : prends et dévore-le. » (X, 9) Voilà une nouvelle exégèse de le sixième trompette : il faut manger et dévorer l’Ecriture !

« Je pris alors le petit livre de la main de l’ange et je le dévorai ; et il était dans

ma bouche doux comme du miel ; mais quand je l’eus dévoré, il me causa de

l’amertume dans les entrailles. Puis on me dit : Il faut encore que tu prophétises sur beaucoup de peuples, de nations, de langues et de rois. » (X, 10-11) C’est comme s’il fallait tout reprendre, avec une espèce d’universalité absolue. Il faut saisir le printemps. C’est comme si rien n’avait encore été fait. Et le petit livre est donné. Et il faut le dévorer. On mange la Parole de Dieu. C’est très joli ce symbolisme très facile à comprendre. Il n’y a que les enfants qui mangent les livres. Les grandes personnes les lisent, c’est évident. Les enfants les dévorent. Il faut dévorer le petit livre, il faut le manger comme les tout petits. La sixième trompette annonce un moment où il faudrait un réalisme nouveau à l’égard de la Parole de Dieu. On doit la prendre avec une force et une conviction toutes nouvelles. Alors elle est douce à la bouche, puisqu’elle nous unit à Dieu. Mais elle est amère aux entrailles car elle nous plonge dans la lutte. 47

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4ème conférence

Vatican II nous fait revenir à la source par un contact direct avec l’Evangile. Nous sommes chrétiens dans la mesure où nous adorons. Le Mystère du sépulcre.

Nous allons essayer de pénétrer dans le mystère de l’Apocalypse. Nous sommes maintenant à pied d’œuvre par rapport à ce que nous avions vu l’an dernier. Il faut toujours demander à l’Esprit Saint d’éclairer pour nous ce langage symbolique et tâcher de le regarder de l’intérieur. De l’extérieur il apparaît comme un mur qui cache tout. Si l’on se place à l’intérieur, et du reste c’est le mouvement même de l’Apocalypse, tout vient d’en haut. Et nous avons la possibilité par la foi de regarder nous-mêmes d’en haut. « Puis je vis un autre ange puissant qui descendait du ciel ... » (X, l) Nous pouvons le regarder de l’extérieur dans ses effets sur nous, à ce moment-là on ne comprend rien du tout. Tandis que si nous nous mettons dans la lumière du Christ, nous voyons que tout ce que l’Eglise fait, en tant qu’Eglise, et non pas d’une manière matérielle, elle le fait comme l’Epouse. Donc Elle le fait en union avec le Cœur du Christ. Elle le fait dans la perspective même du Cœur du Christ. Tout ce que nous faisons en tant que chrétiens, nous le faisons dans la lumière du Christ, en coopérant avec Lui. Dans la foi nous ne voyons pas cela. C’est là que réside la difficulté. Si l’on voyait, ce serait très simple, on n’aurait plus besoin de prédication ! On dirait : mais qu’ils sont bêtes, ils regardent de l’extérieur. Ils ne voient rien. Au lieu de regarder de l’intérieur, où tout est lumineux ! Tout est lumineux quand on regarde du côté du Christ, quand on regarde du côté du Père. Tout est lumineux quand on regarde du côté de Marie. La faute seule est obscurité et ténèbres. Tout le reste est lumineux. Mais nous avons toujours beaucoup de peine à nous mettre dans le perspective de la foi, parce qu’instinctivement, dès que nous dormons, nous nous replaçons dans le conditionnement humain. Et comme nous dormons tous les jours, nous nous remettons tous les jours dans le conditionnement humain. Etre éveillés, dans sa foi, c’est se placer dans la lumière du Christ. Le Christ est la lumière du monde. Et donc Il est Celui qui nous donne la vraie lumière sur toutes choses. Tant que vous ne regardez pas dans la lumière du Christ, vous regardez d’une façon extérieure, c’est-à-dire comme les païens. Si l’on faisait le compte de tout ce que 50

nous pensons durant la journée, on verrait qu’il y a des quantités de choses qui restent encore du païen, en nous, tout simplement. Et puis de temps en temps apparaît une toute petite lumière du chrétien, une petite lampe du sanctuaire, très très faible, qui brille encore puisqu’on a tous la foi et qu’on désire tous l’avoir, mais qui n’est pas très lumineuse, qui n’éclaire pas énormément. Et nous vivons, alors, selon notre conditionnement humain, nous nous laissons téléguider par tous ces raisonnements, cette propagande dans laquelle nous sommes et nous oublions de regarder dans la lumière du Christ. L’Apocalypse est cette gymnastique divine du Saint-Esprit qui nous oblige à faire sans cesse ces rétablissements. Il faut faire ces rétablissements constants, et c’est difficile. Evidemment, quand on peut le faire à l’occasion d’une retraite, ça va bien, mais après, dans la vie, on est repris par l’engrenage, un engrenage tellement fort que, pratiquement, on ne parvient plus à remonter à la source. Je reprends ce passage de la 6ème trompette, qui est tellement beau. La 6ème trompette prend une très grande importance dans la vision de l’Apocalypse. Et, actuellement, elle est plus importante que jamais. « Puis je vis un autre ange puissant qui descendait du ciel, enveloppé d’un

nuage, et l’arc-en-ciel au-dessus de la tête ; son visage était comme le soleil, et ses pieds comme des colonnes de feu. » (X, 1)

C’est toute la vie apostolique de Jésus. Les pieds, ce sont ceux des Apôtres, il ne faut pas l’oublier. Ces pieds sont comme du feu pour nous faire comprendre que la vie apostolique de Jésus est une vie qui nous révèle l’amour, uniquement. « Son visage était comme le soleil ... » La paix que Jésus donne est un signe de sa présence. « La paix soit avec vous ». Dès que Jésus est là, il pacifie, il met en nous une très grande paix au milieu du tumulte de la 6ème trompette qui représente les derniers assauts du démon mettant en action tout ce qu’il peut. Il téléguide les hommes de la manière la plus forte qui soit. Il mobilise toutes les puissances du monde. Quand on pense au potentiel d’énergie que l’humanité détient aujourd’hui, c’est invraisemblable ! Elle n’a jamais eu à sa disposition une telle puissance de destruction, capable d’anéantir, je ne sais combien de fois, l’univers. C’est une aberration complète par rapport à ce que représente la destinée de l’homme et ceux qui meurent de faim. Il faut voir cela du côté de l’Amérique et du côté de la Russie. Des deux côtés. Ils ne sont pas plus purs l’un que l’autre. Les intentions personnelles sont différentes, mais je regarde le point de vue du potentiel de destruction. Qui est-ce qui fait cela, qui n’est pas finalisé du tout ? On voit bien que l’humanité est téléguidée et qu’elle ne le sait pas. Elle n’est pas coupable, cette pauvre humanité. Combien y a-t-il d’hommes responsables aujourd’hui ? Quelle est la responsabilité, la liberté d’un haut fonctionnaire ? Pas grand chose. Ils sont obligés d’entrer dans le jeu, 51

sinon ils seraient tout de suite éjectés. Je me souviens de la question que m’avait posée ici, il y a une dizaine d’années, un directeur d’un des centres nucléaires français. Il me disait : « Je sais que parmi ceux qui travaillent avec moi 95 % sont positivistes. Pour eux, il n’y a qu’une seule chose qui compte : gagner de l’argent et l’efficacité, c’est-à-dire procurer un certain bien-être à l’humanité. Mais la plupart pensent d’abord à eux-mêmes, en premier lieu. » Il me disait : « Je suis directeur de ces gens-là et ne puis faire que peu de choses. Et ça me dégoûte parce que moi je suis chrétien. Tout cela pour moi n’a pas de signification profonde sauf si l’on pouvait en changer toute la structure, j’ai envie de m’en aller. Doisje donner ma démission ou non ? ». Cet homme se posait vraiment la question. Il avait organisé ici un Triduum sur l’Espérance chrétienne. Comment vivre de l’Espérance chrétienne lorsqu’on se trouve dans une position semblable ! Je lui ai dit : « Si vous donnez votre démission, on vous remplacera par quelqu’un qui ne se posera même pas le problème que vous vous posez. Vous, au moins, vous ayez un peu de lucidité. C’est déjà quelque chose, bien que vous ne puissiez pas changer grand chose. L’organisation du monde est telle qu’on ne peut pas changer beaucoup de choses. Tout détruire n’est pas une solution, car on commettrait des injustices pires encore. Ce qu’on peut faire, c’est rester lucides, et, au bon moment, donner un coup de frein pour éviter d’écraser quelqu’un. C’est déjà quelque chose que d’éviter de faire du mal. » C’est très curieux que l’humanité d’aujourd’hui qui parle tellement de liberté soit si peu libre. C’est sens doute pour cela qu’elle en parle tout le temps. C’est ce que disent les psychologues et là ils ont raison. Quand on parle beaucoup d’une chose, c’est qu’on cherche une compensation. Si l’on parle tout le temps de dialogue, c’est qu’il n’y en a plus. Les gens n’écoutent plus, ils sont tellement pressés. Alors on parle de dialogue ... et l’on croit qu’il existe. Mais non, on en parle en guise de compensation. De même, les philosophes parlent de le liberté, la liberté ... où est-elle la liberté ? Il y a une liberté intérieure. Oui. Mais celle-là, les psychologues ne le voient pas. C’est la liberté des enfants de Dieu. On peut en prison, dans une prison dorée, on peut être déterminé par un tas de choses, mais on peut garder sa liberté intérieure. C’est cela la lucidité. Je vous disais que Vatican II est une exigence d’intériorité demandée par l’Esprit Saint. Ce n’était pas commode pour l’Esprit Saint de manœuvrer Vatican II, étant donné la tension qu’il y régnait. Vous en avez vu les caricatures ! Le Saint-Esprit n’est ni conservateur, ni progressiste. Ces attributs, ces qualifications ne peuvent pas lui être appliquées. Vous ne pouvez pas dire : mon Esprit Saint est conservateur. Je le sais bien, il est conservateur ! Le Saint-Esprit est l’Amour. Il est au-dessus de nos classifications. Il nous aide. Les hommes sont progressistes ou traditionalistes, et l’on a tous en nous ces deux tendances, comme je vous le disais hier. L’Amour n’est ni progressiste, ni conservateur. L’Amour implique un dépassement. L’Amour est un don, le don de Celui qui se donne Lui-même. C’est ce que fait le Saint-Esprit et c’est ce qui est importent à 52

saisir dans cette actualité de la 6ème trompette. Nous ne pouvons pas nier qu’aujourd’hui nous vivons le paroxysme de la lutte. On ne sait pas combien de temps ça peut durer, mais la lutte en est à son paroxysme. Quand vous consulter les gens compétents dans les différents domaines, vous voyez que la tension n’a jamais été aussi forte, aussi profonde, du côté de l’intelligence, du côté économique. On le sent très bien. Actuellement tout est terriblement tendu. C’est la 6ème trompette. Quand vous regardez à l’intérieur de l’Eglise, c’est pareil. Mais à ce moment-là, Jésus est présent. Il veut être présent. Et c’est ce que dit la vision : « Puis je vis un autre ange qui descendait du ciel ». C’est le Mystère de l’Incarnation qui continue pour nous avec une intention toute nouvelle. « ... enveloppé d’un nuage », c’est le Saint-Esprit. « Il tenait à la main un petit livre ouvert ... » (X, 2) Il n’est pas fermé, celui-là. Donc, c’est la Révélation qui est la communication des secrets. Ce livre ouvert, c’est la Révélation que nous donne Jésus, c’est-à-dire l’Apocalypse. Le petit livre de Jean, c’est l’Apocalypse. Ce n’est pas drôle de devoir prophétiser. Jean reçoit ce petit livre du Christ, directement. Il doit le donner. Ce petit livre, c’est aussi l’Evangile de Jean. Ce petit livre est aussi, je vous le disais, les secrets de Marie. Je crois que tout cela est impliqué. Il y a des niveaux différents dans la Révélation. La Révélation du Père, la Révélation de l’Ami, la Révélation de l’Epoux. Et je crois que dans le petit livre, vous pouvez découvrir tous ces aspects. C’est comme une nouvelle Révélation. La nouvelle Pentecôte, et l’on en parle, implique une nouvelle Révélation. L’Esprit Saint nous donne toujours la lumière. Il n’est pas en contradiction avec le point de vue de l’intelligence ; il ne peut pas aller contre le point de vue de la doctrine. Mais Il peut, momentanément, être le tonnerre. Alors Il nous assomme. C’est ce que je vous disais en faisant allusion à Clavel. C’est très beau d’assommer quelqu’un ! Paul a été assommé. Mais ne demandez pas à celui qui est assommé d’avoir la lumière, il ne voit plus que des éclairs ! L’Esprit Saint, c’est le tonnerre, les éclairs, et enfin la voix. Quand c’est le SaintEsprit qui agit, au point de départ l’on est assommé, on ne voit plus rien du tout. Il faut détruire tout ce qu’on a construit. Ce qui est intéressant dans Maurice Clavel, c’est qu’il détruit toutes les idéologies. Et progressivement le Seigneur reconstruit. Quand c’est l’œuvre du Saint-Esprit, il y a reconstruction. Le Seigneur reprend. C’est pour cela que toute œuvre du Saint-Esprit implique une Révélation. « Il tenait à la main un petit livre ouvert ; et ayant posé le pied droit sur la mer et le pied gauche sur la terre, il cria d’une voix forte, comme rugit un lion. » (X, 2-3) C’est extraordinaire. Il faut que la voix du Christ soit plus forte que tous les bruits qui sont autour de nous et alors c’est vraiment l’Agneau qui rugit comme un lion. 53

« Et quand il eut poussé ce cri, les sept tonnerres firent entendre leurs voix. Après

que les sept tonnerres eurent parlé, je me disposais à écrire, mais j’entendis du ciel une voix qui disait : Scelle ce qu’ont dit les sept tonnerres, ne l’écris point. » (X, 4)

Cela est, je crois, très important pour nous faire comprendre qu’il s’agit d’une nouvelle Révélation mais, qu’en même temps, rien n’est nouveau. C’est cela qu’il faut sceller : rien n’est nouveau. Il ne faut pas croire qu’on va découvrir un nouvel Evangile maintenant. Non, c’est l’Evangile du Christ qui nous est redonné d’une manière nouvelle. Par la lumière du Christ et de l’Esprit Saint, il faut redécouvrir le sens de l’Ecriture. A cause des erreurs de la Réforme qui était pour une lecture directe de l’Ecriture sous le souffle de l’Esprit Saint, l’Eglise a eu très peur. Elle a dit : attention, attention ! Ne lisez pas trop vite l’Ecriture, ne lisez pas l’Ancien Testament ! Acceptez uniquement la doctrine qu’on vous, donne et on l’a canalisée. Il faut bien reconnaître que l’instruction donnée aux prêtres dans les séminaires était une canalisation. Quand Saint Thomas est canalisé, c’est quelque chose. Les restants de la scholastique ce sont des tuyaux d’une dureté absolue où l’eau coule à petits jets ; et encore, c’est bon quand ça coule. Au bout d’un certain temps, il n’y a plus de passage. Reste le tuyau, la canalisation : canalisation de la doctrine, de l’Evangile. On avait très peur de l’interprétation personnelle. Il ne faut pas accuser l’Eglise qui, au milieu de la lutte, a agi sagement. Aujourd’hui on se rend compte que si l’on continue ainsi, tout deviendra sec. C’est le phénomène que l’on constate devant tant d’idées émises n’importe comment par des prêtres qui ont reçu une « formation ». On a plutôt l’impression qu’ils n’ont rien reçu du tout, ou que, profondément, ils n’ont pas compris, car les méthodes étaient plus importantes que la foi. Aujourd’hui nous comprenons qu’il faut tout reprendre à partir de la source. Vatican II nous fait revenir à la source par un contact direct avec 1’Evangile. Je crois que Vatican II est ce petit livre qui nous est donné. C’est Jésus qui nous dit : « Mais lisez l’Evangile, lisez l’Ecriture. Ayez un contact direct avec la Parole de Dieu et gardez ce contact avec ma Parole, c’est cela qui vous fortifiera. » Il ne s’agit pas d’une nouvelle théologie, ni d’une nouvelle Révélation. C’est la première Révélation, à se source. C’est pour cela qu’il nous dit : « Scelle ce qu’ont dit les sept tonnerres, ne l’écris point ». Ce n’est pas du tout quelque chose de nouveau; c’est simplement que nous est redonné ce qui a été donné en premier lieu. « Alors l’ange que j’avais vu debout sur la mer et sur la terre, leva se main

droite vers le ciel, et jura par Celui qui vit aux siècles des siècles, qui a créé le ciel et les 54

choses qui y sont, le terre et les choses qui y sont, le mer et les choses qui y sont, qu’il n’y

aurait plus de temps, mais qu’aux jours où le septième ange ferait entendre sa voix en sonnant de la trompette, le mystère de Dieu serait consommé, comme il l’a annoncé à ses serviteurs les prophètes. » (X, 5-7) Donc, on annonce que nous sommes quelque chose de tout à fait inutile ! « Et la voix que j’avais entendue du ciel me parla de nouveau et dit : Va, prends

le petit livre ouvert dans la main de l’ange qui se tient debout sur la terre et sur le mer ». (X, 6) L’envoyé, l’ange, ici, c’est Jésus. Il faut recevoir l’Evangile directement de Jésus. C’est beau comme geste. Quand vous prenez l’Evangile, recevez-le de Jésus. C’est quand même très grand de le recevoir directement de Lui. C’est l’Alliance avec Lui. Nous l’oublions parce que nous voyons tous les intermédiaires. « Et j’allai vers l’ange, et je lui dis de me donner le petit livre. Il me dit : Prends,

et dévore-le ; il sera amer à tes entrailles, mais dans ta bouche, il sera doux comme du miel. Je pris alors le petit livre de la main de l’ange et je le dévorai. » (X, 9-10) A cause des méthodes exégétiques d’aujourd’hui, de toutes ces méthodes invraisemblables, c’est devenu tellement difficile de lire l’Ecriture que les pauvres profanes s’affolent. En face de cela, Jésus dit : dévore l’Ecriture, immédiatement. Comme c’est important ! J’ai déjà rapporté à certains d’entre vous la réflexion qui m’avait été faite par un jeune dominicain que je connaissais. Il aimait l’Ecriture et on l’avait envoyé à Jérusalem où il suivait les cours d’un Père exégète de saint Jean. En le revoyant à Jérusalem, je lui demandai : « Alors, ça va bien ? » Il me dit : « C’est palpitant, c’est beau, c’est merveilleux, extraordinaire ! » Je lui dis : « Qu’y a-t-il de très beau ? » « C’est merveilleux, à chaque cours surgit une nouvelle hypothèse sur le composition de l’Evangile de Saint Jean ! » Il ajouta : « La composition de l’Evangile de Saint Jean est tellement complexe que, je crois, je n’oserai jamais en parler ! » Je lui dis : « Si le but de vos études exégétiques est de montrer la complexité de la composition de l’Evangile de Saint Jean, c’est assez affolant. Cela prouve que vous mettez les méthodes avant la foi ! » Alors il m’a regardé, mais sans comprendre, il était déjà tellement pris par les méthodes qu’il ne croyait plus qu’en elles. Est-ce que vous croyez que le but de Saint Jean, dans son Evangile est de nous faire découvrir comment il l’a composé ? La foi, c’est l’ignorance du comment. Nous ne savons pas comment ont été composés les premiers chapitres de la Genèse, et nous ne le saurons jamais. Nous ne savons pas comment est apparu l’homme sur la terre, et nous ne le saurons jamais. Nous ne savons pas comment la vie est apparue. Nous ferons toutes les hypothèses, mais nous ne le saurons jamais. La foi ignore le comment pour ne regarder que la finalité. Or, toute la culture 55

d’aujourd’hui, parce qu’elle est scientifique, technique, ne regarde plus que le « comment », et oublie la « finalité ». Voilà pourquoi le chrétien apparaît comme un étranger. Après tout, ce n’est pas si mal ! On a beaucoup de peine à l’accepter. Et pourtant Saint Paul dit qu’il faut être un étranger, au milieu de notre monde. De même le premier chrétien était un étranger dans l’Empire romain. Quand un soldat se convertissait, il était presque obligé de quitter l’armée, à cause de tous les rites et de toute la liturgie à l’égard de César. Il était un étranger. Eh bien, nous retrouvons quelque chose de semblable dans cette culture technique, scientifique, qui ne recherche que le comment. La foi nous demande l’ignorance du comment, car elle est la connaissance du pauvre. Il ne faut pas l’oublier. C’est une connaissance, une noblesse de pauvre. Etre prêtre, c’est être pauvre, autrement on n’est pas prêtre. Le sacerdoce exige la pauvreté, puisque c’est une médiation. Or, être médiateur, c’est être pauvre ; c’est ne pas faire son œuvre, mais l’œuvre de Dieu. Et la foi exige que notre intelligence se mette au service de la vérité sans rien posséder. Le croyant ne possède rien : il reçoit tout de Dieu dans sa quête de la vérité qui le place en dépendance actuelle de la lumière de Dieu. Ce qui est beau ici c’est que l’on nous montre comment lire l’Ecriture : il faut la manger, spirituellement. Ça se mange, puisque c’est une nourriture. C’est la lumière de l’Eucharistie qui nous aide à comprendre le réalisme de la Parole de Dieu. La Parole de Dieu est une Parole d’Amour. Or, une Parole d’Amour se dévore, à la différence d’une parole qui est simplement de l’ordre de l’intentionnalité. On ne dévore pas une parole philosophique. Ce n’est pas la même chose. Il y a des gens qui analysent tout. Tandis qu’il y en a d’autres qui dévorent ! Quand vous avez faim, vous dévorez, vous n’analysez pas. La Parole de Dieu est douce au palais, à la bouche. « Je pris alors le petit livre de la main de l’ange et je le dévorai ». Ah, il faut être affamé pour dévorer. Il faut avoir un très très grand désir, sinon on ne dévore pas. La 6ème trompette nous met dans l’indigence de celui qui est en plein combat et qui nécessairement devient pauvre. En plein combat, on ne peut plus rien posséder. « Il était dans me bouche doux comme du miel ». (X, 10) Il faut que le Parole de Dieu, quand vous le dévorez, soit douce comme du miel à votre bouche. Vous sentez combien Dieu est bon. Si vous la recevez comme une Parole vivante, qui vous unit directement è la source, alors cette Parole est douce. « Mais quand je l’eus dévoré, il me cause de l’amertume dans les entrailles ». C’est un glaive. Ce n’est pas drôle d’avaler un glaive. Les entrailles représentent le point de vue de la séparation de l’être : On voit ce qui est de Dieu et ce qui n’est pas de Lui. On fait le discernement entre les choses qui sont du monde et celles qui n’en sont pas. Là est tout le symbolisme des entrailles. La bouche, c’est ce qui nous permet de goûter. Un goûte du point de vue de la bonté. Les entrailles, comparativement à la bouche, c’est la profondeur. C’est quelque chose de plus obscur, qui vient du plus 56

profond de nous-mêmes. La Parole de Dieu nous saisit dans tout ce que nous sommes. Elle répand la douceur dans notre manière de goûter, dans notre intelligence. Et elle est amère à nos entrailles parce qu’elle est le glaive exigeant de nous de ne pas être du monde. Le monde, au sens johannique, c’est le monde sous la mouvance du démon. La Parole de Dieu nous oblige à faire des séparations très profondes. C’est pour cela que c’est amer. C’est Dieu qui fait ce discernement, dans cette 6ème trompette, où tout est secoué. Je vous ai dit, au début de la retraite, que nos conclusions théologiques ne suffisent pas pour faire le discernement. Il se trompe celui qui, à partir de ses conclusions théologiques, fait le discernement dans le monde aujourd’hui. Car les conclusions théologiques dépendent de la logique, et alors on reste dans la lumière de la logique. Il faut remonter directement au Christ et voir, dans Sa Lumière, ce qui est authentique et ce qui ne l’est pas, ce qui est vrai et ce qui est faux. Alors, c’est amer. Cela exige un discernement beaucoup plus profond, plus radical, un discernement que seul Jésus peut nous donner. Nous sommes tous dans cet état-là. C’est cela qui est très très beau. Au moment des très grands bouleversements, le général et le petit piou-piou sont l’un à côté de l’autre ! Quand tout est ordonné, le général est à sa place et le piou-piou à la sienne. Au contraire, quand tout est bouleversé, il y a des choses étonnantes qui se font. Dans une Eglise militante, dans une Eglise en lutte, un laïc peut avoir un discernement beaucoup plus grand qu’un éminent théologien. Pourquoi ? Parce qu’il a pris le petit livre et l’a dévoré. Et cela a été très doux à son palais. Il a dévoré la Parole de Dieu. Il l’a savourée. Il faut savourer la Parole de Dieu. Il faut le garder dans la bouche longtemps pour que ce soit doux comme du miel. Ensuite, on peut faire le discernement divin. Ce discernement exige de ne pas nous engager n’importe comment. Nous n’en avons pas le droit. Et nous sommes obligés de faire certaines séparations. « Puis on me dit : Il faut encore que tu prophétises sur beaucoup de peuples, de nations, de langues et de rois. » (X, 11) Donc, c’est la reprise, c’est ce que je vous disais. Le 6ème sceau est une exigence de printemps. Il faut tout reprendre. Au milieu de la lutte, il faut une espérance merveilleuse. L’espérance eschatologique ne consiste pas du tout à se tourner les pouces. Nous devons tout reprendre comme si nous avions encore des siècles et des siècles à vivre. Il faudra faire cela jusqu’au bout, sinon nous ne vivons pas l’espérance eschatologique. Il est dit à Jean, au moment précis où il doit dévorer le petit livre : il faut encore que tu prophétises sur beaucoup de peuples, de nations, de langues et de rois. Nous allons entrer maintenant dans ce que la Bible de Jérusalem appelle le point 57

le plus obscur de toute l’Apocalypse. Je ne suis pas tellement d’accord, bien que ce soit tout de même obscur. Nous allons entrer dans le mystère qui suit le don du petit livre. Et c’est dans la lumière de ce don qu’il faut comprendre ce qui va être dit maintenant. « Puis on me donna un roseau semblable à un bâton, en disant : Lève-toi et mesure le temple de Dieu, l’autel et ceux qui y adorent. » (XI, 1) C’est le mystère de l’adoration. On n’est dans le temple de Dieu que dans la mesure où l’on adore. Si l’on n’adore pas, on fait du commerce. Et l’on n’est plus dans le temple de Dieu. Le commerçant, en nous, revient vite. Il y a des commerçants intellectuels ; il y en a d’artistiques ! Le commerçant c’est celui qui trafique, qui veut à tout prix gagner de l’argent. Symboliquement, commerçant signifie vouloir troquer avec n’importe quoi ! Donc, ou bien on adore, ou bien on est commerçant. Le sacré et le profane. « Mais le parvis extérieur du temple, laisse-le en dehors ». Il y a là quelque chose d’analogue au geste du Christ chassant les vendeurs du temple. C’est vu d’une manière toute différente par rapport à l’Eglise, mais c’est quelque chose de semblable. Les deux lieux s’éclairent l’un l’autre. « ... et ne le mesure pas, car il a été abandonné aux Nations, et elles fouleront aux pieds la ville sainte pendant quarante-deux mois. » (XI, 2) Qu’est-ce que ça veut dire ? Essayons de comprendre ce langage symbolique. « Mesurer » revient souvent dans l’Apocalypse. Mesurer, c’est l’œuvre de la sagesse de Dieu. Tout ce qui vient de la sagesse divine est ordonné et mesuré. On demande à Jean de mesurer le temple de Dieu et de laisser de côté les parvis extérieurs pour les nations. Ça fait penser au petit reste d’Israël. Dans la 6ème trompette il y a ce mystère particulier de Dieu qui demande le recueillement à son peuple. Vatican II intériorise et demande le recueillement. C’est mal compris, mais, en réalité, Vatican II demande le recueillement. Plus grande est la lutte, plus grand aussi doit être le recueillement. « Mesurer », c’est ramener dans le temple tous les enfants de Dieu, ceux qui adorent. Le temple de Dieu, c’est le Corps du Christ, c’est l’Eglise. C’est l’Eglise qui est le Corps mystique, le Temple du Saint-Esprit. Cette action de « mesurer » consiste à reprendre, à faire entrer tous les enfants de Dieu dans le recueillement. Vous voyez qu’il ne s’agit pas de revenir en arrière, mais d’entrer dans un recueillement plus grand dans l’ordre de l’adoration. Tout recueillement repose sur l’adoration. Nous ne pouvons pénétrer dans le temple de Dieu que si nous adorons profondément. 58

Cet ordre donné à Jean est la conséquence directe d’avoir dévoré le petit livre. Si nous revenons à l’Evangile, si nous revenons au Christ, nous comprenons que l’exigence première de notre vie chrétienne est l’adoration. Nous ne sommes chrétiens que dans la mesure où nous adorons. On commence à comprendre ce discernement qui se fait entre ceux qui adorent dans le temple et qui vont rester fidèles et les autres. C’est le petit reste. De même que l’Ancien Testament s’est terminé par le petit reste, l’Eglise, Elle aussi, assiste à ce phénomène. « Le petit reste » ne veut pas dire un petit nombre. C’est symbolique. Il faut comprendre qu’il y a nettement un discernement. « Et le parvis extérieur du temple, laisse-le en dehors et ne le mesure pas. Il a été abandonné aux Nations. » C’est comme une espèce de syncrétisme qui nous est annoncé là. Au début de l’Eglise il y a eu un syncrétisme, la gnose qui a été le mélange du point de vue chrétien et de la connaissance païenne. Eh bien, il y a quelque chose d’analogue aujourd’hui où l’on parle d’un christianisme syncrétique, mais invraisemblable. On va faire une nouvelle théologie à la manière de Kant, de Hegel, de Freud, de Marx. Cela, c’est « les Nations ». Ne t’en inquiète pas, laisse-les ... Ce n’est pas la peine de lutter contre elles. Laisse-les. Elles ne veulent pas entendre, elles n’entendront pas. C’est dit ici avec beaucoup de netteté. Le parvis extérieur devrait être dans le temple. Il devrait adorer, mais il n’adore plus. Une théologie où l’adoration n’est plus présente, est foulée aux pieds. C’est le critère de sa valeur, donné directement ici. Ceux qui sont dans le temple sont les vrais adorateurs. L’adoration n’est pas un critère de connaissance, c’est un critère de vie. C’est l’adoration qui nous met dans la vérité, une vérité pratique, parce qu’à ce moment-là nous touchons le roc. Autrement nous sommes dans le sable mouvant, dans le parvis extérieur et abandonnés aux nations. « … et elles fouleront aux pieds la ville sainte pendant quarante-deux mois. » (XI, 3) Quarante-deux mois, c’est toujours le chiffre de l’épreuve. Ce n’est pas la peine de chercher combien de temps cela représente, c’est un chiffre symbolique. C’est très beau parce que cela montre comme c’est actuel. Ceux qui sont dans le parvis extérieur faisaient partie du temple. Ils sont abandonnés aux nations. Ce ne sont pas les païens. Et vient maintenant cette promesse pour ceux qui adorent, afin qu’ils restent fidèles : « Et je donnerai à mes deux témoins de prophétiser … » Ces deux témoins, que représentent-ils ? Chaque fois que la lutte est plus forte, Dieu augmente la grâce correspondante. Nous ne la voyons pas tout de suite, et nous avons quelquefois l’impression d’être abandonnés. Il ne faut pas s’inquiéter. Les deux témoins seront donnés. « ... revêtus de sacs, pendant mille deux cent soixante jours. » 59

Faites la comparaison entre les mois de l’épreuve et les jours des témoins et vous aurez 1260 jours dans les deux cas ! Le langage des mois et des jours est très curieux. Il signifie que la grâce de Dieu est donnée chaque jour. Les témoins comptent par jours. Tandis qu’au contraire, quand on est dans la perversion, on compte les mois. En gros, il y a là une symbolique différente. Il faut entrer dans le mystère des témoins, qui sont l’ultime secours que Dieu donne. « Ceux-ci sont les deux oliviers et les deux candélabres qui sont dressés en présence du Seigneur de la terre. » (XI, 4) Le symbolisme de l’olivier, c’est la fécondité. C’est une plante pleine de promesses, pleine de vie. Ce symbolisme revient souvent. Les deux candélabres, c’est un langage proprement religieux. Les candélabres portent la lumière. Donc ces deux oliviers sont des vivants et ils portent la lumière. Ils sont vivants de vie féconde et de lumière. « Si quelqu’un veut leur nuire, un feu sort de leur bouche qui dévore leurs ennemis. » Ils sont gardés par Dieu. D’une certaine manière, on ne peut pas les atteindre. On se dit : mais comment tiennent-ils ? Ils devraient tomber ! Non. Pas du tout. Ils sont gardés par Dieu. C’est de leur bouche que sort le feu : une parole de feu, une parole d’amour qui dévore leurs ennemis. « C’est ainsi que doit périr quiconque voudra leur nuire. Ils ont la puissance de fermer le ciel pour empêcher la pluie de tomber durant les jours de leur prédication. » (XI, 5-6) Ces deux candélabres, ces deux oliviers, ce sont des prédicateurs puisqu’ils doivent prêcher. Et ils ont ce pouvoir de fermer le ciel pendant leurs jours de prédication. C’est merveilleux. Alors on peut vivre sous la tente. « ... et ils ont pouvoir sur les eaux pour les changer en sang, et pour frapper la terre de toutes sortes de plaies, autant de fois qu’ils le voudront. » Ils ont un pouvoir extraordinaire ! Ici l’on voit apparaître Elie par le pouvoir sur l’eau, sur la pluie et Moïse pour changer les eaux. Je ne dis pas qu’il s’agit de Moïse et d’Elie, mais il faut souligner cette allusion pour essayer d’en donner 1’interprétation. L’allusion est directe. Elie, c’est le prédicateur qui a le pouvoir de faire tomber l’eau du ciel, la pluie. Moïse a le pouvoir de changer l’eau en sang pour frapper la terre de toutes sortes de plaies : les plaies d’Egypte. Et ceci, autant de fois qu’ils le voudront. Dix fois, c’est un nombre parfait ! « Et quand ils auront achevé leur témoignage, la bête qui monte de l’abîme leur fera la guerre ... » (XI, 7) On n’en a pas encore parlé de cette bête, cela c’est l’illogisme des extases ! On verra la bête après, on l’annonce ici. C’est son action qui agit contre ces témoins. Les 60

hommes n’y sont pour rien. « ... la bête qui monte de l’abîme leur fera la guerre, les vaincre et les tuera ; et

leurs cadavres resteront gisants sur le place de le grande ville, qui est appelée en langage figuré Sodome et Egypte, le même où leur Seigneur a été crucifié. » (XI, 8)

C’est extraordinaire. La bête aura comme un pouvoir plus grand sur ces témoins. Dieu permet qu’ils soient invulnérables à l’égard des hommes, mais la bête pourra les vaincre. En outre, il est fait directement allusion au mystère du sépulcre. On voit les cadavres. Les témoins vivent ce que Jésus a vécu. Sur le Croix : le cadavre du Christ. Ici : le cadavre de ces deux témoins. « Des hommes des divers peuples, tribus, langues et nations verront leurs cadavres

étendus trois jours et demi, sans permettre qu’on leur donne la sépulture. Et les habitants de la terre se réjouiront à leur sujet. » (XI, 10) Les habitants de la terre, dans le langage apocalyptique, sont ceux qui sont mus par la bête de la terre. C’est-à-dire ceux qui ne cherchent plus que la finalité terrestre, l’efficacité, le bien-être humain, la béatitude terrestre. « ... ils se livreront à l’allégresse et s’enverront des présents les uns aux autres, parce que ces deux prophètes ont fait le tourment des habitants de le terre. » Ils ont dit la vérité qui était insupportable. Maintenant ce sont des cadavres. Ils n’étaient pas immortels ! On voit bien que Dieu n’était pas avec eux. « Si Dieu est avec toi, descends de le croix ... ». C’est toujours le même chose : les gens jugent selon le succès, d’après les résultats. Vous voyez la grande épreuve que l’Eglise doit connaître. C’est la 6ème trompette. L’Eglise doit vivre le mystère du sépulcre, pas à la manière de Jésus, mais en tant qu’Epouse. Et l’Epouse le vit par les deux témoins. C’est tout à fait, normal. Qui sont ces deux témoins dont la mort réjouit les habitants de la terre ? « Mais après trois jours et demi, un esprit de vie venant de Dieu pénétra dans ces

cadavres ; ils se dressèrent sur leurs pieds, et une grande crainte s’empara de ceux qui les regardaient. » (XI, 11) C’est donc le mystère de la résurrection qui est là, par rapport aux prophètes. C’est très mystérieux, je suis tout à fait d’accord. Si vous me dites que vous avez une claire compréhension de ce passage, il y a des chances que ce ne soit pas vrai. Je crois que ce sera très lumineux quand nous le vivrons. A ce moment-là nous comprendrons. Auparavant, c’est prophétique. Si l’on est attentif à ce qui se passe actuellement, on commence un tout petit peu à comprendre comment l’Eglise doit vivre le mystère du sépulcre. C’est la dernière épreuve. C’est la grande, grande épreuve. Pour Marie, il ne faut pas l’oublier, ça a été la grande épreuve. Marie de Magdala, elle, a perdu un peu 61

pied. C’est très difficile, pour les gens généreux, de vivre le mystère du sépulcre. Marie de Magdala c’est la générosité même, générosité merveilleuse, étonnante, mais elle a perdu un peu pied. Le sépulcre c’est l’épreuve dernière, tout est fini. Il ne faut pas oublier que le sépulcre du Christ a été gardé par des soldats, comme si le démon était persuadé d’avoir un droit sur le cadavre du Christ. Lorsque l’Eglise vivra ce mystère, le démon sera persuadé d’avoir un droit sur Elle, sur cette Eglise qui a cassé les habitants de la terre, qui les a empêchés d’être parfaitement heureux, et qui a rappelé tout le temps que la terre n’était pas le terme de l’humanité, qu’il y avait autre chose. Il faut être très attentif à ce que les évangélistes nous disent de ce mystère. C’est toujours le Christ qui éclaire l’Eglise, et non pas l’inverse, et donc il faut être attentif à ce que Jésus a vécu durant la dernière étape de sa vie. Le dernier Sabbat est pour le repos du Corps du Christ. Et Jésus a vécu ce mystère du sépulcre. Marie l’a vécu dans son Cœur. Les Pères de l’Eglise disent que toute la foi de l’Eglise était réfugiée dans le Cœur de Marie. Et quelqu’un qui se trouvait à Rome pendant le concile m’a dit que le Saint Père, en proclamant Marie Reine de l’Eglise, pensait au mystère du sépulcre. C’est comme si l’Eglise vit aujourd’hui ce mystère, que toute la foi des chrétiens est réfugiée dans le Cœur de Marie. Et que ceux qui n’auront pas cette fidélité dernière, cette alliance que Dieu nous a donnée en Marie, ne comprendront pas. Ils se laisseront prendre. C’est un signe très visible chez les théologiens. N’oublions pas que la lumière nous est donnée. Les trois derniers dogmes sont suffisamment nets : l’Immaculée Conception, l’Infaillibilité du Saint Père et l’Assomption. Vous savez bien que certains théologiens du concile voulaient faire proclamer que ces trois derniers dogmes étaient des minidogmes, des dogmes de valeur inférieure parce qu’ils étaient venus après la séparation de l’Orient et de l’Occident ! Il aurait fallu les mettre dans des casiers et ne plus en parler, comme s’ils n’existaient pas ! Ils nous sont donnés comme lumière. Si nous n’entrons pas dans cette lumière, nous risquons de nous laisser emporter par les parvis extérieurs, d’être mis en dehors et de ne pas comprendre alors ce qui se passe. Ce texte est très éclairant. Il reste cependant énigmatique, mais il est très éclairant. Il nous montre ce qu’est la grande et dernière épreuve qui aura lieu à l’intérieur même de l’Eglise. C’est relativement facile à supporter une épreuve venant de l’extérieur. C’est beaucoup plus difficile de vivre une épreuve intérieure, beaucoup plus rude. On le sait bien. Les guerres intestines sont beaucoup plus difficiles à supporter que les guerres externes. « Et l’on entendit une grande voix venant du ciel, qui leur disait : Montez ici. Et ils montèrent au ciel dans une nuée, à la vue de leurs ennemis. » (XI, 12) 62

C’est l’Ascension. Ce qui est vrai du Christ est vrai de l’Eglise et se prolonge dans le mystère de l’Eglise. « A cette même heure, il se fit un grand tremblement de terre; la dixième partie

de la ville s’écroula, et sept mille hommes périrent dans ce tremblement de terre ; les autres, saisis d’effroi, rendirent gloire au Dieu du ciel. » (XI, 13) « Le second malheur est passé; voici que le troisième malheur vient bientôt. Et le

septième ange sonne de la trompette, et l’on entendit dans le ciel des voix fortes qui disaient : L’empire du monde a passé à notre Seigneur et à son Christ, et il régnera aux siècles des siècles. » (XI, 14-15) Le septième trompette c’est la grande proclamation de la victoire du Christ. « Alors les vingt-quatre vieillards qui sont assis devant Dieu sur leurs trônes, se

prosternèrent sur leurs faces et adorèrent Dieu, en disant : Nous vous rendons grâces, Seigneur Dieu tout-puissant, qui êtes et qui étiez, de ce que vous vous êtes revêtu de

votre grande puissance et que vous régnez. Les nations se sont irritées, et votre colère est

venue, ainsi que le moment de juger les morts, de donner le récompense à vos serviteurs, aux prophètes, et aux saints, et à ceux qui craignent votre nom, petits et grands, et de

perdre ceux qui perdent la terre. Et le sanctuaire de Dieu dans le ciel fut ouvert, et

l’arche de son alliance apparut dans son sanctuaire. Et il y eut des éclairs, des bruits, des tonnerres, un tremblement de terre et une grosse grêle. » (XI, 14-19)

L’arche d’alliance, c’est Marie. Et tout se termine sur le grêle. Le symbolisme de la grêle, c’est encore autre chose. La 7ème trompette c’est le passage de la terre au ciel, dans cette proclamation de ceux qui sont les vieillards, qui représentent toute l’humanité, et qui sont là comme les grands médiateurs et qui font ce passage en proclament que toute l’œuvre de Dieu est bien faite. Donc, si nous sommes attentifs à ce langage de 1’Apocslypse, nous voyons que le symbolisme des deux témoins c’est ce qui va se passer tout à la fin. Les deux témoins sont donnés à l’Eglise qui doit vivre le mystère du sépulcre. Ils représentent ce qu’il y a de plus vivant dans l’Eglise et annoncent que l’Eglise terminera sa vie sur la terre comme le Christ. La venue du Christ suivra, glorieuse. De même que le Christ est ressuscité à partir du mystère du sépulcre, il faut que l’Eglise vive quelque chose de semblable. C’est cela qu’il faudrait essayer de comprendre : la lumière du sépulcre éclaire cette dernière étape de la vie de l’Eglise sur la terre. Ce n’est pas du tout l’Eglise 63

triomphante. Ça se termine par un petit nombre. Nous comprenons alors pourquoi il faut mesurer ceux qui adorent, l’adoration étant la fidélité. On n’est fidèle que dans la mesure où l’on adore. C’est pour cela que c’est si important pour nous de revenir à l’adoration. On l’a beaucoup trop oublié. Le renouveau liturgique aurait dû se faire dans l’adoration. Il s’est fait d’une façon extérieure. Dans le vrai renouveau, certains l’ont compris. Seule l’adoration nous permet de vivre pleinement à l’unisson du Cœur du Christ. C’est là que l’on reconnaît la marque de l’Esprit Saint.

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5ème conférence

Nous sommes témoins dans la mesure où nous vivons pleinement le Mystère de Marie et le Mystère de l’Eucharistie. Marie, chef-d’œuvre de Dieu, est de notre race. Elle est notre Reine et notre Sœur. Ch. XII, 1-6.

Essayons de pénétrer un peu dans ce mystère des deux témoins représentant les derniers moments de la vie de l’Eglise sur la terre. Ce mystère, comprenons-le bien, ne veut pas dire du tout que Dieu nous demande une attitude de repliement. Il y a toujours une tentation de repliement. Ce recul stratégique ne provient pas de l’Esprit Saint qui ne demande jamais de revenir en arrière. C’est une tentation : celle de pleurer sur les murs de Jérusalem. On a toujours envie de dire : Il y a 50 ans, ça allait mieux ! Donc, revenonsy ! Non. Il faut toujours aller de l’avant. Dieu est toujours devant et nous appelle à aller toujours plus loin. Cette manière de mesurer le temple montre l’exigence d’aller plus loin, d’entrer plus profondément dans l’accueil de Dieu. Le mystère de l’adoration consiste toujours à aller de l’avant et non pas à reculer. C’est une offrande de notre vie pour être plus libre et plus souple à l’action de l’Esprit Saint et pour laisser davantage Dieu prendre possession de nous. C’est une consécration plus profonde de notre être. Nous sommes consacrés à Dieu par le point de vue de l’adoration. Et le temple, c’est le lieu de la consécration. Nous devons être « temple de Dieu » dans un univers qui se matérialise, dans un monde qui ne sait plus ce qu’est l’Amour de Dieu. Et il faut garder ce trésor et être le temple de Dieu. Et à ce moment-là apparaissent les deux témoins. Qui représentent-ils ? Comme je vous l’ai dit, si nous regardons le texte, il y a une nette allusion à Elie et à Moïse. Elie et Moïse, ce sont les deux témoins du Thabor. C’est pour cela du reste que nous les retrouvons ici. Le Thabor annonce le mystère de la Croix. Et donc nous retrouvons dans le mystère de l’Eglise comme une reprise du mystère du Thabor. Les deux témoins sont là pour permettre que l’Eglise aille jusqu’au bout  l’Eglise c’est nous  pour que nous soyons fidèles jusqu’au bout.

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Alors, que représentent ces deux témoins de la Nouvelle Alliance ? Elie et Moïse ? La transformation d’Elie. On peut dire d’Elie qu’il est le prophète de Marie. C’est la grande spiritualité du Carmel. Elie, c’est Marie ; c’est l’annonce de Marie. Donc, les deux témoins représentent ceux qui sont voués d’une manière très particulière à Marie. C’est ce que nous voyons dans Saint Grignion de Montfort. Je prends cet apôtre parce qu’il est canonisé et donc ses écrits sont reconnus par l’Eglise comme venant de l’Esprit Saint. Mais à la suite de Saint Grignion de Montfort, on trouverait des quantités de choses analogues. La Salette, le Père Kolbe reviennent toujours sur cette annonce des prophètes des derniers temps. Les apôtres des derniers temps sont liés à Marie. Ils ont un lien particulier avec le mystère de Marie. Et donc il ne s’agit pas de restreindre ce lien à telle ou telle congrégation, ou à tel ou tel ordre. Je crois que c’est quelque chose de beaucoup vaste, dépassant toutes les congrégations, tous les ordres. Cela se situe à l’intérieur même du mystère de la consécration à Dieu, de cette consécration beaucoup plus profonde à Marie qui est témoin. C’est l’Eglise, en tant qu’Elle doit vivre le mystère de Marie dans une profondeur nouvelle. Et je crois que c’est vraiment cet aspect-là qui nous est montré. Le témoin c’est Elie qui revit à travers le Cœur de Marie et qui, dans notre cœur, doit nous faire vivre le mystère de Marie. C’est dans ce sens-là que nous sommes témoins. C’est-à-dire dans le mesure où nous vivons pleinement de ce mystère. Et dans cette même mesure, d’une certaine manière, nous sommes invulnérables. Personne ne peut nous atteindre en quelque sorte. Et cependant, dans la mesure où nous vivons le mystère de Marie, nous devons accepter le mystère de la Croix. La bête tue les témoins. Ce n’est pas le mystère de Marie qui est tué, mais il y a quelque chose de semblable. Les théologiens parlent de la mort de Dieu ; et aujourd’hui l’on sent chez beaucoup d’entre eux comme un oubli complet de Marie. Alors je crois que ce mystère nous est donné : nous sommes témoins de Marie. Toute notre vie apostolique, toute notre vie chrétienne est consacrée d’une manière toute particulière à le Sagesse de Dieu par Marie, selon Saint Grignion de Montfort, par cette consécration que les Foyers réclament et qui est la consécration que nous faisons au terme de la retraite et tous les jours. Cette consécration à Marie nous met dans son mystère pour l’Eglise d’aujourd’hui et nous fait vivre comme témoins, comme Marie a été témoin, dans le silence, en acceptant les plus grandes luttes. Marie est au cœur de la lutte. Elle est plus terrible qu’une armée rangée en bataille et donc elle est au cœur de la lutte, et si nous sommes vraiment liés à Marie, nous sommes nous aussi au cœur de la lutte. Et il faut accepter ce que Marie a vécu, le mystère du sépulcre. Et donc il faut mourir comme elle est morte à la Croix. Mourir dans ce que nous avons de plus cher, et être traité comme un cadavre. C’est ce qui nous est montré.

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Il ne s’agit pas nécessairement d’un cadavre visible, mais d’un cadavre spirituel. La suprême injure consiste à être traité comme des gens qui vivent encore quelque chose de révolu. On se fait montrer du doigt ! Et c’est ce que nous vivons actuellement. L’autre témoin, c’est Moïse, c’est le législateur. Quelle est la reprise du législateur ? C’est Jésus dans le mystère de l’Eucharistie. La voilà la nouvelle législation, la nouvelle institution. Il y a un parallèle très net à établir entre le Loi donnée à Moïse sur le Mont Sinaï et Jésus instituant l’Eucharistie lors du dernier repas, avec les Apôtres, où Il fait le geste de l’esclave. Et donc, le second témoin, c’est le Mystère de l’Eucharistie. Mais attention, ce n’est pas l’Eucharistie en soi, c’est l’Eglise vivant du mystère de l’Eucharistie. C’est donc nous-mêmes, en tant que nous sommes consacrés au Cœur Eucharistique de Jésus, par une consécration très particulière, faisant de nous les témoins de l’Amour, dans l’acceptation du silence et de la pauvreté de l’Eucharistie. Par le Mystère de l’Eucharistie, Dieu est désarmé, Il se donne. Il n’est plus que don sous la forme du pain. Le pain est le don le plus banal, le plus simple qui soit. Le pain est la nourriture des pauvres. Il faut que nous soyons nous-mêmes Eucharistie dans l’Eglise pour être le second témoin. Le mystère du pain, le mystère du don, le mystère du service, si nous le poussons jusqu’au bout, c’est le mystère de le charité fraternelle. Voyez comment Marie et le mystère de la charité fraternelle sont liés à l’Eucharistie, dans l’adoration. La charité fraternelle doit être entièrement basée sur le mystère de l’Eucharistie. Par le mystère de l’adoration, nous sommes entièrement donnés à nos frères. Je crois que les deux témoins expriment le renouveau de l’Eglise dans ce qu’elle a de plus profond. Tout mystère de l’Eglise doit être repris dans ces deux choses essentielles. Au cours des grandes luttes, on abandonne toutes les choses secondaires. Ceux qui ont connu l’exode de la dernière guerre savent ce que cela représente ! L’exode vous chasse de chez vous et vous met sur la route. Et l’on n’emporte plus que l’essentiel. Ceux qui ont vécu sous Staline, le savent aussi. J’ai connu un moine Orthodoxe qui m’a raconté cette petite histoire. A leur règlement de vie, ces moines avaient ajouté un article : préparez tous les soirs votre valise, parce que vous serez arrêtés la nuit. On vous arrêtera à deux heures du matin, c’est le moment où l’on a le plus de peine à se réveiller et à reprendre conscience. Tout cela était très élaboré. On vous réveillait et on vous laissant cinq minutes pour emporter les choses essentielles. Si vous ne les aviez pas préparées la veille, vous oubliiez complètement tout. Alors ces moines avaient comme spiritualité de préparer sa petite valise. Je trouve cela très joli, du reste : préparer sa petite valise chaque soir pour être prêt ! Je crois que c’est bien ce que Dieu réclame par ce renouveau dans l’Eglise. Il faut garder uniquement l’essentiel. Vous voyez, le retour en arrière, c’est le carré romain ! C’est le repli ! On veut tout garder. Quand on veut tout garder, on perd tout parce que l’on n’accepte pas la pauvreté. Nous ne pouvons pas vivre actuellement ce qui se vivait 67

au début du siècle. Ce serait faux de le faire et pas conforme au Saint-Esprit. Il ne fait jamais revenir en arrière. Ce mouvement de défense provient de notre conservatisme qui veut tout garder. Nous voulons garder toute la cave et tout le grenier ! Et cela nous occupe tellement qu’on oublie de garder la chose essentielle : l’Amour et la Foi. Alors on matérialise les choses suivant une très grave tactique du démon. Il faut au contraire accepter de tout perdre et de garder l’essentiel qui nous est montré ici par les deux témoins. Nous commençons à mieux saisir ce qu’ils représentent : c’est la purification dans l’Eglise, à laquelle il est demandé une très grande pauvreté pour pouvoir aller jusqu’au bout. Elle doit abandonner toutes les choses secondaires. La tactique du démon nous fait toujours confondre les moyens et le but, c’est-à-dire l’essentiel et le relatif. C’est la matérialisation. Quelquefois on peut matérialiser en voulant spiritualiser. Seul l’Esprit Saint nous apprend à garder l’essentiel : les deux témoins qui sont le mystère de Marie et le mystère de l’Eucharistie. Marie gardienne de l’infaillibilité est la gardienne de notre amour pour le Saint-Père. La proclamation des trois derniers dogmes nous montre l’Immaculée Conception et l’Assomption entourant le mystère de l’Infaillibilité. Seule Marie peut nous faire garder ce lien de piété filiale à l’égard du Saint-Père et c’est Elle qui nous aide à garder le mystère de l’Eucharistie, qui est le testament du Christ. Voyez quel appauvrissement Dieu nous demande pendant le dernière lutte : ceux qui adorent dans le temple doivent y être très attentifs. Il ne faut garder que l’essentiel. A ce moment-là, on est témoin pour l’humanité. C’est l’Eglise qui est témoin, l’Eglise des pauvres. Les deux témoins, c’est l’Eglise des pauvres. Evidemment, quand on parle de l’Eglise des pauvres, on ne pense pas aux deux témoins de l’Apocalypse. Mais on devrait y penser. L’Eglise des pauvres, c’est l’Eglise qui accepte cette dernière lutte. Nous y reviendrons. Nous reverrons cette dernière lutte. Elle sera mieux explicitée qu’ici où elle est donnée uniquement, d’une manière symbolique, par les deux témoins. Mais nous sommes les témoins. Nous sommes l’Eglise. Et donc si nous voulons être fidèles jusqu’au bout, comprenons comment la grande spiritualité des deux témoins est une grâce de Dieu. C’est une grâce prophétique de Dieu puisqu’ils doivent prophétiser ; ils doivent prendre possession de notre vie pour que nous ne gardions que ce qui est essentiel. Acceptons cette pauvreté. Et, en gardant l’essentiel, nous acceptons de suivre l’Agneau partout où il va et donc nous acceptons que la bête tue les deux prophètes. Il arrivera un moment où nous serons obligés de nous taire. Extérieurement, nous serons comme des cadavres ambulants. Peut-être nous montrera-t-on du doigt. En réalité, notre vie intérieure sera cachée, à la manière dont Marie a vécu le mystère du sépulcre. Et ce sera la patience des saints. A ce moment-là, il faudra attendre jusqu’à ce que tout reprenne vie.

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Donc, on nous indique par là comment l’Eglise doit suivre l’Agneau partout où il va, jusqu’au sépulcre. S’il y a des questions, par rapport à ces deux témoins, vous me les poserez. Mais je crois que nous devons chercher dans ce sens-là, en précisant de plus en plus, parce que pour chacun d’entre nous le mystère des deux témoins peut prendre une physionomie différente. C’est une spiritualité. C’est un esprit prophétique. Et la spiritualité du prophète c’est d’être témoin du Christ sous ce double aspect : Marie et l’Eucharistie. Et c’est accepter de mourir sur la place publique, sur la grande place de la grande ville qui est appelée, en langage figuré, Sodome et l’Egypte. Cela est aussi très important. Sodome, c’est l’érotisme; l’Egypte, c’est l’efficacité. Il faut accepter de mourir et d’apparaître comme mort, comme un cadavre en face de Sodome et de l’Egypte, qui représentent toute l’humanité. Il ne faut s’adapter ni à Sodome, ni à l’Egypte, mais au contraire accepter de leur être complètement étranger et encore de recevoir leur jugement, leur appréciation, pendant trois jours et demi. Ce qui représente quelque chose d’important. C’est le temps du sépulcre. Il faut apparaître comme des gens qui sont complètement en dehors de ce que représente le sens de l’histoire. Comprenons qu’à un moment donné il faut vivre ce grand mystère de la patience, sans nous laisser prendre par l’opinion publique, sinon nous ne pouvons pas être fidèles aux deux témoins. Les deux témoins représentent une rupture complète, dernière, exprimée par Jean qui mesure ceux qui adorent. C’est dans l’adoration, uniquement, que nous sommes les deux témoins. Et à ce moment-là intervient la 7ème trompette, l’entrée dans le ciel. Je n’insiste pas davantage.

Les sept signes, ch. XII Entrons maintenant dans ce que représentent les sept signes. C’est assez difficile du reste de dire « les sept signes », bien qu’on le dise ordinairement. Vous pouvez les nommer ainsi. Que représentent-ils ? Nous avons vu les sceaux, les trompettes, et voici maintenant les signes. Et ensuite, nous verrons les sept coupes. Dans l’Evangile de Saint Jean, les signes sont très importants. Ce sont eux qui nous donnent la compréhension profonde du mystère de la lutte. Les signes parlent à l’intelligence. Donc, avec les sept signes, on va nous faire entrer dans l’enjeu de la lutte. La lutte est facile à comprendre, avec les sept trompettes. Mais quel est son enjeu ? Il faut être lucide. Il faut être intelligent. Il ne faut pas lutter pour lutter. Il faut lutter en sachant que tout est ordonné par la Sagesse de Dieu. Et donc la lutte exige que nous soyons intelligents pour Dieu.

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Plus la lutte est forte, plus nous devons être intelligents pour Dieu, c’est-à-dire avoir cette lucidité profonde que donne l’Esprit Saint. Ce n’est pas l’intelligence mathématique ou philosophique, ce n’est même pas une intelligence théologique. C’est une intelligence divine, provenant directement du Don d’Intelligence, du Don de Sagesse, et du Don de Science. Et chacun d’entre nous possède ces Dons. Il faut donc que nous les exercions. Et c’est dans leur lumière que nous devons comprendre les mystères des signes. Vous voyez que c’est tout à fait différent de ce qui précède. Les sceaux représentent les volontés de Dieu. Les trompettes, c’est l’exécution. Par les signes, nous pénétrons à l’intérieur même de la lutte pour saisir le discernement de Dieu. Celui qui regarde la lutte, au niveau rase-mottes, ne comprend pas grand chose. Il voit simplement des gens qui frappent d’un côté, de l’autre ... Comme me disait un Allemand vivant à Fribourg : « C’est très curieux, quand je regarde les autoroutes allemandes (il parlait de celle reliant Munich à Stuttgart, peu importe), qu’est-ce que je vois ? Je reste là une heure et je vois des camions énormes qui transportent des meubles, dans un sens. Une demi-heure après, je vois d’autres camions qui transportent des meubles dans l’autre sens. Ceci n’est pas seulement vrai des meubles, mais aussi du blé, etc ... Et je me dis : quand même c’est curieux. Comment se fait-il qu’il y ait ce trafic intense, dans les deux sens ? Ils sont fous ... » On voit bien ce qu’il veut dire : quand on regarde le combat, on ne comprend rien du tout. Si vous regardez le combat dans l’Eglise, au niveau rase-mottes, vous ne verrez rien du tout, sinon que les uns tirent dans un sens et les autres dans l’autre sens. Les gens qui devraient s’entendre se déchirent. Ils ne peuvent pas coopérer. On ne comprend rien. Si l’on s’élève en hélicoptère, on voit un peu mieux déjà. On a un regard un peu plus vaste. Mais on ne comprend pas encore la signification du combat car on le regarde encore de l’extérieur. Dieu nous révèle le sens du combat. Il nous révèle la manière dont Jésus luttait. Ne disons pas : parce que Jésus savait tout d’avance, Il n’avait pas à lutter ! Plus on est prévenu, plus on doit lutter. Et plus Jésus connaissait vraiment l’issue profonde de toute se vie apostolique, plus Il luttait. Si nous savions que le Christ reviendrait nous voir ce soir ou à la fin de la retraite, nous continuerions à lutter aujourd’hui avec une intensité de vie merveilleuse. Samedi matin : rendez vous, le Christ reviendra dans sa Gloire et Il nous emportera tous avec Lui. Ce sera extraordinaire ! Vous croyez que, sachant cela, nous nous tournerions les pouces pendent le retraite en disant : ce n’est pas la peine, il n’y a plus que trois jours à vivre. Au contraire, nous ferions la retraite avec une intensité merveilleuse. Plus on sait, plus on lutte. Plus on est lucide, plus on lutte. La lutte est même le signe ordinaire de la lucidité. Les gens qui s’assoient en disant : on va regarder le train passer, on ne sera jamais le dernier et ça ira, ceux-là ne sont pas assez lucides. Ils sont fatigués. La lucidité de l’intelligence donne une vigueur plus grande. C’est l’imagination qui fatigue et le démon agit toujours sur notre imagination. Alors cela nous désarme parce qu’on ne comprend plus rien du tout et on perd la finalité. 70

Par l’Apocalypse de Jean, et plus spécialement ici, c’est Jésus qui nous éclaire sur la signification du Combat. Il nous redonne le sens de notre finalité en nous communiquant le sens profond des combats de l’Eglise d’aujourd’hui et de nos propres combats. Essayons d’entrer dans ces signes. C’est un des très beaux passages de l’Apocalypse que nous connaissons bien, du reste. Il est plus facile à comprendre que ce qui touche à l’exécution, par exemple. Ici nous sommes en face de quelque chose qui parle directement à notre intelligence contemplative, à notre foi. « Puis il parut dans le ciel un grand signe : une femme revêtue du soleil ... » (XII, 1) On passe dans une perspective différente : « puis ... » on entre dans un autre niveau. C’est la Femme. N’oublions jamais les trois grands lieux où Saint Jean parle de la Femme : Cana, la Croix et ici. Il y a un triangle : le grand triangle de la femme. C’est l’année de la femme. C’est ici qu’on doit la regarder si on veut le comprendre. Il faut regarder Cana, la Croix et l’Apocalypse, qui sont la grande vision trinitaire sur le mystère de la Femme. Cette grande vision est quelque chose de très émouvant que ni Luc, ni Matthieu, ni Marc ne donnent. C’est la vision dernière et donc actuelle. Car je crois que même lorsqu’on parle de l’année de la femme, cela a une signification qu’il faut chercher dans une perspective divine, et non pas politique. Mais, vous savez, l’édit de César, c’est assumé par Dieu ! Il y a des tas de choses que Dieu assume, mais en leur donnant une signification toute différente de la nôtre, quand elle reste extérieure. Puisque les théologiens ne parlent plus de Marie, il faut bien que nous le disions : Marie est le chef-d’œuvre de Dieu. C’est Elle qui donne sa signification à tout le reste. Nous devons comprendre sans entrer dans le point de vue politique ni sociologique, mais en entrant dans ce qui nous est révélé. « ... une femme revêtue du soleil … » Voilà la vision de la Femme. C’est le symbolisme de Marie. Aujourd’hui les meilleurs exégètes de l’Apocalypse reconnaissent que ce symbolisme de le femme représente en premier lieu Marie, en raison même des écrits johanniques ; il s’agit donc d’une interprétation interne de l’Apocalypse, par l’Evangile de Jean. Cela nous pouvons le dire d’une façon très nette : c’est en premier lieu Marie. En second lieu, c’est l’Eglise ; et en troisième lieu : l’humanité. C’est la femme qui représente l’humanité, aux yeux de Dieu. C’est curieux, mais c’est ainsi. Car la femme est la petite créature dernière, selon le langage de l’Ecriture, dans le début de la Genèse. Dieu ne s’est pas reposé après avoir créé le corps de l’homme, mais Il s’est reposé après avoir façonné la femme. Cela prouve qu’elle est l’œuvre ultime. Ce qui est ultime dans l’ordre de l’exécution est premier dans l’ordre de l’intention. Et donc toute la création est en vue de la création de la Femme, pour Marie. Ceci est vrai de Marie et aussi de la 71

créature. C’est cette vision que nous devons avoir en lisant : « … une femme revêtue du soleil ». C’est la petite créature revêtue du soleil. Selon la Tradition, selon la Bulle « Ineffabilis », l’Eglise a vu dans cette révélation le mystère de l’Immaculée Conception. Marie est revêtue du soleil, c’est-à-dire enveloppée de l’Amour du Christ. Et je crois que nous pouvons le dire depuis la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception. C’est vraiment le chef-d’œuvre de Dieu qui nous est montré ici. Toute la création est pour ce chef-d’œuvre divin, qui en est la clé de voûte. On ne comprend rien à la création sans regarder Marie. Dans toutes les théologies élaborées en dehors du mystère de Marie il y a quelque chose d’incompréhensible. Marie est la Reine des Anges. C’est Elle qui donne sa signification profonde, ultime, à toute la création, dans un regard de foi. Je ne puis pas dire cela au plan philosophique, mais au plan de la foi je dis : « une femme revêtue du soleil ». Le soleil n’est plus le monde sublunaire, mais c’est le Christ, toujours, selon le langage de l’Ecriture, ici dans l’Apocalypse. Le soleil c’est le mystère de l’Amour. Cette Femme est revêtue du soleil, c’est-àdire complètement portée, enveloppée, imprégnée par lui. Le mystère de Marie est inséparable du mystère du Christ. Elle est toute relative à Jésus. Et donc elle est revêtue du soleil. Je ne puis pas regarder Marie sans regarder Jésus. De même, si je suis chrétien, si je comprends le Cœur de Jésus, je ne puis pas le regarder sans regarder sa Mère. Parce que dans le Cœur de Jésus il y a la Perle et la Perle c’est Marie. Marie qui donne toute se signification à l’œuvre de la création et de la recréation. En Elle les deux sont intimement liées. C’est le mystère de l’Immaculée Conception. « ... la lune sous ses pieds … » Marie, Immaculée, est le chef-d’œuvre de Dieu et Elle est de notre race. C’est pour cela que la lune est sous ses pieds. Elle touche notre univers, notre monde. Elle est notre sœur. Elle est notre Reine, mais en même temps Elle est notre sœur. Et donc Elle est toute proche de nous. C’est une chose inouïe que le Chef-d’œuvre divin nous soit donné, qu’il soit pour nous, bien que nous soyons abîmés par le péché. Marie Immaculée nous est donnée. « … et une couronne de douze étoiles sur sa tête. » Elle est toute proche de nous et en même temps Elle est le Reine. Le Femme, notre sœur, notre Reine : voilà les trois grandes dimensions de ce mystère qui nous est révélé, et qui nous montre Marie revêtue du Soleil, Immaculée, le splendeur et la gloire du Christ crucifié. C’est Marie qui est la gloire du Christ crucifié. Elle en est toute la splendeur car tout le mystère de l’Immaculée Conception provient de la Croix. C’est le fruit du mystère de la Croix. On ne peut pas saisir le mystère du Sacerdoce du Christ sans regarder le mystère de l’Immaculée Conception. Ce serait très beau de revoir le mystère du Sacerdoce du Christ en considérant le mystère de l’Immaculée Conception, car le fruit fait comprendre la source. Et c’est bien 72

ce qui nous est montré : cette femme revêtue du soleil, la lune sous ses pieds, est notre sœur. Et elle accepte de lutter avec nous dans le monde corruptible. Le monde lunaire c’est le monde totalement relatif au soleil. « Une couronne de douze étoiles sur se tête » : Marie est Reine. Elle est la Reine des Apôtres. Les douze étoiles représentent les Apôtres, c’est sûr. Mais c’est aussi quelque chose de plus vaste. Dans l’ordre de la création, le ciel représente tout l’ordre parfait, tout l’ordre nécessaire. C’est le mystère de Marie : Elle est dans la contingence de la créature et en même temps il y a en elle des nécessités d’amour. « Elle était enceinte ... » Cette femme est mère. C’est la maternité dans son exercice même de le maternité. « … et elle criait, dans le travail et les douleurs de l’enfantement. » (XII, 2) On la représente au moment où le mystère de sa maternité la met dans une faiblesse, une vulnérabilité unique. Et Marie vit tout le temps ce moment-là. Il ne faut pas l’oublier. Parce qu’il est vécu dans l’Amour et que ce qui est vécu dans l’Amour est éternel. Marie a vécu dans l’Amour le mystère de sa maternité qui fait partie de son être. Donc, éternellement, Elle vit ce mystère. Ce qui est merveilleux, c’est que l’Apocalypse nous donne cette vision d’éternité sur Marie. Nous devrions la regarder comme cela si nous la regardions attentivement. Et donc Elle connaît cette vulnérabilité très particulière de celle qui porte son trésor, son fardeau. C’est à la fois son trésor et son fardeau : Celui qui, de fait, est son Dieu est son Fils. Et comme nous allons le voir, cette maternité, dans le regard de l’Apocalypse, représente les deux maternités : à l’égard de Jésus et à l’égard de Jean. Maternité joyeuse et douloureuse et, dans la vision de l’Apocalypse, les deux ne font qu’un. Nous, nous les séparons parce que nous ne regardons pas suffisamment la finalité. Mais, dans le regard divin, les deux maternités n’en font qu’une. De même que les deux préceptes d’amour ne font qu’un : aimer Dieu et aimer le prochain. En Marie, éternellement, les deux maternités sont intimement liées. Car Elle nous fait comprendre comment nous devons vivre à l’égard de Dieu, maternellement. Et Marie nous fait comprendre comment nous devons vivre maternellement notre charité fraternelle, par sa maternité spirituelle, mystique. Vous voyez comment la maternité exprime, en dernier lieu, l’attitude propre de la créature à l’égard de Dieu et à l’égard du prochain. C’est le complément du mystère de l’Esprit Saint, donc il a ce caractère maternel. C’est le grand mystère de la maternité qui est l’œuvre de l’Esprit Saint et Il nous fait entrer dans ce mystère de la maternité divine de Marie. « Un autre signe parut encore dans le ciel … » (XII, 3) C’est, dans le ciel, le second signe. Donc il y a les deux signes pour nous faire comprendre l’enjeu du combat. Quel est le cœur du combat ? C’est ce face à face de la Femme et du dragon. Et il est actuel. Ne disons pas : il a existé ... Non, il est bien actuel. Ce signe est l’enjeu numéro un qui indique que nous sommes au cœur du combat. Et ce 73

signe est dans le ciel pour nous montrer que, justement, ce combat ne se situe pas dans le temps, mais a une autre dimension.

« ... tout à coup on vit un grand dragon rouge, ayant sept têtes et dix cornes … » (Nous retrouvons ici la couleur rouge et ailleurs, le roux, les deux sont liés). Il faut bien voir la différence entre la simplicité de le Femme, chef-d’œuvre de Dieu, et la complexité du dragon. Un vrai chef-d’œuvre est toujours simple. Le mystère de Marie représente la simplicité de l’Amour. L’Amour nous rend simple. Au contraire, vous allez voir ici le complexité du dragon qui n’est pas du tout le chef-d’œuvre de Dieu et qui veut justement détruire le chef-d’œuvre divin. « Un grand dragon », parce qu’il a perdu le simplicité, il essaie de se rattraper du côté de la grandeur. C’est ce qu’on fait ordinairement. C’est la grenouille qui veut devenir aussi grosse que le bœuf. Le dragon est toujours enflé. Il ne peut pas en être autrement. Au contraire, la Femme est dans la simplicité de l’Amour. Les sept têtes et les dix cornes manifestent le déséquilibre du dragon. Les têtes représentent l’intelligence et les cornes, la puissance. Et ce grand déséquilibre du dragon représente le déséquilibre foncier entre l’intelligence et la puissance. Dans l’équilibre divin de l’Esprit Saint, l’intelligence est ordonnée à l’amour. On doit être intelligent pour aimer. Et toute la lucidité que Dieu nous donne doit être toujours ordonnée à l’amour, doit nous permettre d’aller plus loin dans l’amour. Toute notre intelligence doit être brûlée par l’amour, qui est sa finalité. Par l’orgueil, l’intelligence se sépare de l’amour, devient son rival et elle se met au service de la puissance. C’est très curieux cela, et c’est pourtant bien vrai. Quand on essaie de comprendre un tout petit peu l’œuvre du démon, on constate exactement ce déséquilibre foncier. Tous les autres déséquilibres proviennent de celui-là. Le déséquilibre foncier se situe au niveau de l’esprit, au niveau de notre intelligence. Notre intelligence est-elle ordonnée à l’amour ? Du bien est-ce qu’elle s’en sépare, le rejette, le nie, et ne veut que le puissance ? « ... et sur ses têtes, sept diadèmes ; de sa queue, il entraînait le tiers des étoiles du ciel, et il les jeta sur le terre. » (XII, 4) Les diadèmes sont le lien entre les cornes, qui expriment la puissance, et l’intelligence. Il y a cette, alliance entre les deux. La queue représente le mépris du dragon à l’égard des étoiles du ciel. Nous les regardons les étoiles, nous, et nous les admirons. Un beau ciel étoilé, c’est magnifique ! Pour notre cœur, les étoiles chantent la gloire de Dieu. Au contraire, pour le dragon, les étoiles sont objet de mépris. « ... Et il les jeta sur la terre » : c’est métaphorique, bien sûr. Si le tiers des étoiles tombaient sur la terre, pauvre petite planète, il n’en resterait plus grand-chose ! Il y a là un symbolisme très éloquent. Le dragon est face à la Femme. 74

« Puis le dragon se dressa devant la femme qui allait enfanter … » Il est tout entier relatif à la femme. Et il méprise souverainement ce que représente l’ordre des étoiles, ce que représente la voûte céleste. Ceci nous fait comprendre le mépris du démon à l’égard de notre univers. Le dragon c’est le serpent antique, c’est l’adversaire, c’est celui qui lutte contre Dieu, contre les saints. C’est important de saisir cela dans la foi. C’est difficile à concevoir, mais quand on essaie d’y pénétrer, ça vous donne un peu froid dans le dos ! Le démon a un mépris souverain à l’égard du monde matériel, que Dieu a réalisé. Le soleil, la lune, les étoiles : tout cela il le méprise complètement parce que c’est de la matière. Ce n’est rien du tout comparativement à l’esprit. Nous n’avons pas à mépriser la matière, mais à la mettre à sa place. Elle vient de Dieu. Elle peut être mobilisée pour Dieu. Elle peut être utilisée pour Dieu. C’est donc là où nous découvrons ce mépris du démon qui, en même temps, veut désorganiser cet univers par son geste de jeter les étoiles sur la terre. Plus profondément encore, les étoiles représentent pour l’homme l’ordre. Poincarré, le mathématicien, a dit des choses très belles là-dessus, sans penser à l’Apocalypse. Il pensait tout simplement à la tradition de la pensée humaine qui a vu que les étoiles ont donné à l’humanité le sens d’un mouvement nécessaire. Parce que les étoiles reviennent tout le temps d’une façon régulière. Et donc elles mettent dans l’intelligence et dans l’imagination humaines une vision des choses nécessaires. C’est vrai, quand on regarde les fourmis, ou l’herbe, on découvre que la nécessité, dans notre monde matériel, est sujette à une quantité de choses invariables, même les saisons. On le sait très bien. C’est très régulier. Tandis qu’au contraire les étoiles donnent le sens du nécessaire. Alors le geste du démon consiste à enlever, dans l’intelligence de l’homme, le sens du nécessaire, pour que l’intelligence humaine tombe dans une pure relativité. C’est ce qui est montré ici. C’est bien le tactique du démon. Dieu nous fait comprendre, que notre intelligence est faite pour Lui. Le démon ricane devant notre intelligence. Nous sommes si peu intelligents pour lui, nous avons l’intelligence de ceux qui marchent à quatre pattes, c’est-à-dire l’instinct d’un animal supérieur ! Alors le démon se dit : c’est impossible que ces hommes deviennent des contemplatifs, ce sont des imbéciles. Ils sont faits pour regarder le sensible. Ils sont faits pour l’univers. Ils sont les animaux supérieurs de cet univers. Ils sont incapables de considérer que l’intelligence est faite pour la vérité, qu’elle est capable d’atteindre le nécessaire. Elle est ordonnée à la relativité de notre monde. Je crois que c’est ce qui est exprimé ici. Si nous sommes attentifs à certaines choses déjà vues (souvenez-vous du 6ème sceau), nous retrouvons cette chose extraordinaire : les étoiles qui tombent sur la terre. Eh bien, cela c’est l’œuvre du dragon. La voûte céleste représente le point de vue de la nécessité, qui tombe sur notre monde sublunaire, représentant la relativité. C’est bien ce que fait le démon aujourd’hui. Nous ne pouvons pas nier que nous sommes vraiment en face de cette conception d’une intelligence qui n’est plus qu’un instinct supérieur, et qui n’est pas faite pour Dieu. 75

« ... afin de dévorer son enfant dès qu’elle l’aurait mis au monde. » (XII, 5) Nous voyons la rage, la colère du démon. Il se dresse devant la femme comme un chien de chasse devant le gibier. Il a exactement cette attitude-là, une attitude anticontemplative. Par la contemplation, nous nous mettons face à face, parce que nous sommes saisis d’Amour pour celui qu’on contemple. On ne contemple que dans la mesure où l’on aime. Et donc la contemplation nous met dans un face à face amoureux. On est attiré par celui qu’on contemple. Le démon, lui, veut dominer cette petite créature : la femme. Elle ne représente pas grand chose pour lui et, il veut la dominer de la manière le plus méchante, la plus rusée qui doit : il l’attaque dans se vulnérabilité. La plus grande vulnérabilité de la femme, c’est sa maternité. C’est l’acte par lequel elle va enfanter, donner la vie. Le dragon sait très bien qu’en dévorant l’enfant il attaque le femme plus profondément qu’en l’attaquant directement elle-même. Ici le démon est en arrêt, il est immobile, non pas du tout d’une façon contemplative, mais d’une façon volontaire, tyrannique. Il veut briser le cœur de la femme en détruisent l’enfant dès qu’elle l’aura mis au monde. Cela va très loin et exprime la furie du démon contre la fécondité. C’est une rage implacable. Il est intelligent le démon ! Il a une nature supérieure à la nôtre et donc une intelligence beaucoup plus grande que la nôtre. Or, il ne sait pas ce qu’est la fécondité. Ce mystère lui échappe complètement. Ne pouvons pas concevoir la fécondité, il veut la détruire. L’orgueilleux, et nous en avons tous l’expérience, n’accepte rien de ce qu’il ne comprend pas. C’est l’orgueil qui est sous-jacent à la philosophie idéaliste : Je ne puis pas épuiser la réalité dans ce qu’elle a de profond ; elle est autre que moi. Alors je préfère dire qu’elle n’existe pas, que ce n’est rien du tout, que je connais uniquement les apparences. C’est un orgueil très subtil que celui-là. Mais c’est bien de l’orgueil que de ne pas accepter ce qui nous dépasse. L’autre, c’est toujours celui qui nous dépasse. C’est celui qui exige de nous une attitude d’humilité. C’est reconnaître qu’il y a quelque chose qui est différent de nous. Le démon veut donc détruire la fécondité qui le met en face de ce qu’il y a de plus profond dans l’amour : sa surabondance. Le démon ne peut plus connaître l’amour et c’est pour cela qu’il est si furieux et il faut bien voir, dans le monde aujourd’hui, cette rage du démon devant la fécondité. Il l’attaquera de multiples manières, parce qu’il n’attaque jamais d’une seule façon. Il faudra saisir la réponse de le femme, la réponse de Dieu. « Or, elle donne le jour à un enfant mâle, qui doit gouverner toutes les nations avec un sceptre de fer ». (XII, 5) Donc nous voyons bien qu’il s’agit de la maternité de la Très Sainte Vierge à l’égard de Jésus. Or, nous disons que cette maternité est joyeuse, et non pas douloureuse. Et il nous est parlé de la maternité douloureuse. Quand nous gardons notre petite logique, nous n’y comprenons rien du tout. C’est parce que la vision de 76

l’Apocalypse regarde les deux maternités. Et comme la seconde maternité s’opère dans la douleur, nous regardons tout de suite le point de vue douloureux. Mais on nous montre le fruit premier de cette maternité qui est Jésus. C’est bien la vision messianique de Jésus. « Et son enfant fut enlevé auprès de Dieu et auprès de son trône, et la femme s’enfuit au désert, où Dieu lui avait préparé une retraite, afin qu’elle y fût nourrie mille deux cent soixante jours. » (XII, 6) Nous retrouvons le chiffre des grandes luttes : 1260 jours. Et puisque ici Dieu est avec le Femme, c’est le combat de Celle qui lutte avec Dieu et donc le temps est exprimé en jours et non en mois. Regardons attentivement cette vision de la naissance de Jésus. Quand vous regardez la naissance à Bethléem, telle que Saint Luc nous la donne, nous oublions de regarder celle de l’Apocalypse. Nous ne vivons pas beaucoup le mystère de Noël dans la lumière de l’Apocalypse. Nous devrions le faire car Elle nous donne une vision merveilleuse de la naissance de Bethléem, une vision étonnante. C’est une vision céleste, ce n’est pas la vision historique. Il s’est passé quelque chose ce jour-là. Les démons sont restés éveillés le jour de la naissance de l’Enfant-Jésus. Il ne faut pas croire qu’ils dormaient. Ce sont les descendants de David qui dormaient. Les démons étaient bien réveillés, d’où cette vision révélée ici. Le démon ne peut rien contre le Christ parce que Jésus, étant le Fils de Dieu, possède au plus intime de son âme une plénitude de Grâce. Et, selon la Tradition, les sommets de l’âme de Jésus, dès le premier moment de sa conception, et donc à sa naissance, sont dans la vision béatifique. C’est le sens de : « et son enfant fut enlevé auprès de Dieu ». Comment est-il enlevé auprès de Dieu ? Parce qu’il est face à Dieu. Par les sommets de son âme, Jésus est auprès de Dieu et donc le démon ne peut rien contre Lui. Il essaiera par tous les moyens de l’attaquer, puis il le fera mourir. Mais il ne peut rien contre Lui et c’est ce que l’Apocalypse nous montre d’une manière très majestueuse. Ne disons pas qu’il s’agit ici de l’Ascension. C’est bien la naissance, puisque Jésus est enlevé tout de suite auprès de Dieu. Jésus a le regard du Père sur toutes choses, puisqu’il est le Fils bien-aimé. Parce que Jésus reste auprès du Père, la Femme reste dans sa solitude. Parce que Jésus est le Fils bien-aimé, parce qu’il a au plus intime de son âme la vision béatifique, Marie est au désert.

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6ème conférence

Le premier péché n’a pas été commis sur la terre mais dans le ciel : péché angélique. Toute la fureur du démon s’exerce s l’égard de la Femme, chef-d’œuvre de la création. Ch. XII, 7-14.

Nous entrons dans la grande vision des signes qui indique le mystère et le contenu du combat et nous voyons tout de suite les deux adversaires mis en présence. Dans tout combat il y a deux extrêmes, deux contraires. D’un côté il y a la Femme, donc celle qui est revêtue du soleil, celle qui est le chef-d’œuvre de Dieu, celle qui est en même temps la Mère. C’est au moment où elle connaît le plus grande fragilité et, en même temps, au moment où elle coopère le plus étroitement avec l’Esprit Saint, que la tension est la plus forte. En face de la femme il y a le dragon. Si nous lisons l’Apocalypse nous voyons que le dragon c’est le serpent antique, l’adversaire, l’ange déchu. Il est très difficile de savoir ce que représente Lucifer dans le collège angélique, parce que nous n’avons pas beaucoup de connaissances sur ce point. Mais nous allons voir qu’il y a cette opposition farouche dans la famille de Dieu. Ils sont tous deux de la famille divine. Le dragon demeure dépendant de Dieu dans son être, car Dieu le soutient, Il ne l’annihile pas. Et Dieu lui laisse la liberté de s’opposer à son gouvernement. Le démon ne s’oppose pas à Dieu en tant que créateur, il est trop intelligent pour cela. Mais il s’oppose au gouvernement divin en refusant l’ordre de la Sagesse de Dieu. Il n’accepte pas cette prédilection d’Amour de Dieu à l’égard de la Femme. Dès le point de départ de la Genèse, vous voyez la première faute entre le serpent et Eve, et dès lors il y aura inimitié entre le démon, ou le serpent, et la femme. Et c’est la Femme qui doit écraser sa tête, tandis que lui le piquera au talon. Et donc, ce qui est annoncé au point de départ de la Genèse nous le retrouvons dans l’Apocalypse. C’est là qu’apparaissent clairement ce que Saint Augustin appelle ces « leitmotiv » de l’Ecriture. Ce n’est pas un seul passage, mais l’ensemble de l’Ecriture qui doit nous faire comprendre cette opposition terrible entre la Femme et le serpent.

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Il y a, dans l’Ecriture, deux grands leitmotiv : la Femme et l’Agneau ; et la Femme et le serpent. Nous les reverrons. D’une part, il y a très nettement la perspective que la Femme est la créature ultime, dernière, donc le plus aimée ; elle est le chef-d’œuvre de Dieu, son chef-d’œuvre d’Amour. Le chef-d’œuvre divin de l’intelligence, c’est l’ange, c’est bien évident que ce n’est pas l’homme. L’ange est le chef-d’œuvre de l’intelligence de Dieu. C’est à lui que Dieu a communiqué le plus de lumière. Mais ce n’est pas ce que Dieu cherche en premier lieu. Le chef-d’œuvre de Dieu est un chef-d’œuvre d’Amour, car Dieu crée par Amour. En conséquence, du côté de la création, c’est la femme, la plus pauvre, la plus petite parmi les créatures, la plus enveloppée d’Amour, qui est la plus aimée. Et ici on le voit bien : Elle est revêtue du soleil. Et vient l’opposition, le dragon déformé par le péché. Le Femme, telle qu’elle est présentée ici, est immaculée. Elle est source de vie et immaculée. Tandis que le dragon est déséquilibré par le péché. Voyons immédiatement la faute du dragon qui va nous faire comprendre le pourquoi de son opposition à l’égard de la Femme. C’est raconté en langage apocalyptique, on passe de la terre au ciel. Ici très nettement on voit l’opposition, sur la terre, entre le Femme et le dragon. « Il y eut un combat dans le ciel … » (XII, 7) Cela, c’est magnifique. Ce ne veut pas dire du tout que le combat de la terre se soit prolongé dans le ciel. Non. C’est l’inverse. Il y a eu d’abord un combat dans le ciel. La première faute ne s’est pas réalisée sur la terre. Il ne faut jamais l’oublier. Le premier péché ne s’est pas commis sur la terre, mais dans le ciel. La première faute a été un péché angélique. C’est toujours très important de se le rappeler. Parce que la femme n’a pas péché seule : elle l’a fait sous l’influence du démon. Et nous ne péchons jamais seuls, mais toujours sous l’influence du démon. Et c’est parce que nous subissons l’influence de quelqu’un de plus intelligent que nous que nous sommes pardonnables. Nous nous laissons séduire. C’est comme dans une famille, où les aînés séduisent les petits derniers. Cela peut arriver. Parce qu’ils sont plus intelligents, qu’ils ont davantage d’expérience, ils disent aux plus jeunes : quand même, ne reste pas ainsi à obéir, libère-toi ! On imagine très bien cette scène des aînés par rapport aux cadets. Eh bien, qui punit-on le plus ? L’aîné, bien sûr, pas le cadet. A celui-ci on dire : fais attention, il ne faut pas te laisser prendre ! Ici c’est la même chose. Les aînés ce sont les anges ; ils sont bien plus intelligents que nous. La petite cadette, la petite benjamine, c’est la femme. Elle s’est laissée tenter. Elle s’est laissée séduire par quelqu’un de bien plus intelligent qu’elle. Et donc elle est pardonnable. De même l’homme : il se laisse séduire. Dès qu’on se laisse séduire, on est pardonnable. Le démon, au contraire, a péché seul, dans son orgueil. Et c’est pour cela qu’il ne peut pas être pardonné, car il n’avoue pas sa faute. Le propre de l’orgueilleux c’est de s’enfler, de s’enfermer dans sa faute et d’être persuadé d’avoir raison. Le démon est bien 80

persuadé qu’il a raison. Il faut bien comprendre cela actuellement. Le démon est en dehors du temps, de notre temps. Il est dans un temps très particulier et il est persuadé d’avoir raison. Et s’il fallait recommencer, il recommencerait, exactement de la même façon. Nous sentons cela très bien quand nous péchons par orgueil. Nous ne voulons pas avouer que nous nous sommes trompés. C’est ce qui est si terrible dans l’orgueil. Quand on aperçoit cela chez un gosse, c’est risible. Mais chez un être très intelligent, c’est triste. L’orgueil diminue l’intelligence, il ne faut pas l’oublier. Car si l’on était très intelligent, on reconnaîtrait que l’on peut se tromper. Après tout, c’est notre condition humaine de pouvoir nous tromper. Même si l’on a une grande expérience, on peut toujours faire erreur. Personne d’entre nous n’oserait dire qu’il ne peut pas se tromper. Dans les recherches philosophiques ou scientifiques, et dans la pratique, on peut toujours tous se tromper. C’est un fait d’intelligence de le reconnaître et c’est un manque d’intelligence que de s’entêter. Or, l’orgueil nous met dans l’entêtement, il nous empêche de revenir sur ce que nous avons dit. Il faut comprendre que le démon est dans cette position. Il est celui qui, de fait, s’enferme dans son orgueil. Et il est persuadé d’avoir raison. Nous allons le voir. C’est beau de regarder le grand lieu de la faute du démon car c’est quand même un des points importants de notre théologie. Même si aujourd’hui certains théologiens refusent d’affirmer l’existence du démon. Ils ont tort. En tant que croyants, nous devons affirmer son existence. Je ne vous demande pas si c’est votre avis ou pas, c’est l’enseignement de l’Eglise. Nous devons y croire, tout simplement. Du reste, il suffit d’être un tout petit peu intelligent et d’ouvrir les yeux sur le monde pour s’apercevoir qu’il est manœuvré par quelqu’un de plus intelligent que les hommes. Regardez. Les hommes sont téléguidés, ce sont des marionnettes. Quand vous interrogez les gros banquiers suisses, de Bale ou de Zurich, ils en sont persuadés. Ils jouent en très grand rôle, c’est évident, mais à certains moments, c’est très drôle de voir les frousses intenses qu’ils peuvent avoir ! Quant aux chefs d’Etats, ils sont persuadés que ce sont eux qui gouvernent le monde. Quand vous écoutez les économistes vous retrouvez la même persuasion. Je veux bien admettre que cela joue un grand rôle. Mais qui est-ce qui téléguide l’ensemble ? C’est bien difficile de le savoir. Surtout à l’heure actuelle où tout se tient et où la politique est dépendante de l’économie. Quand il y avait de petits chefs d’Etats, ils pouvaient encore avoir quelque chose à dire ; mais aujourd’hui le réseau est tellement serré ! Qui est-ce qui dirige tout cela ? Pour le chrétien, c’est très net. Saint Paul nous dit : nous avons un combat qui ne se livre pas seulement sur le plan humain, mais également sur le plan spirituel. Le démon est cette force spirituelle. C’est une personne. Ne disons pas que c’est « le mal », comme certains. Le philosophe peut détecter le mal et le mal n’est pas un mystère. 81

Tandis que le démon en est un. Le mal n’est pas un mystère, sauf pour l’imbécile qui dit que le mal n’existe pas. Il faut vraiment avoir les yeux complètement bouchés pour dire cela. Le mal existe, il s’étale et quelquefois il nous donne l’impression qu’il est d’une puissance extraordinaire. Donc on ne peut pas nier son existence. La foi nous enseigne qu’au-delà du mal, que nous constatons, il y a une personne. Il y a des personnes qui sont mauvaises à cause de leur orgueil, source de tout le mal. On pourrait même le dire au plan philosophique. Si l’on a une vue suffisamment pénétrante, on peut dire que le mal physique dépend du mal spirituel et que le mal spirituel, c’est l’orgueil. Cela on peut le constater. Ce n’est jamais drôle de vivre à côté d’un orgueilleux. En cohabitant avec nous-mêmes, nous faisons tous cette petite expérience. Car il y a toujours en nous un petit orgueilleux qui, de temps en temps, se manifeste. Nous avons essayé de le remettre bien à sa place, mais il relève la tête de temps en temps. Et puis, l’orgueil nous le décelons mieux chez le voisin ! L’orgueil tue l’amour et il est source d’homicide. Donc, au plan purement philosophique, nous pouvons dire que le mal est commandé par le point de vue de la faute spirituelle de l’orgueil. Au plan de la foi, nous devons accepter l’existence du démon et cela me semble assez facile. Quand vous écoutez les exégètes modernes qui essaient par mille astuces de montrer que dans l’Ecriture on ne parle pas du démon, c’est assez gros ! J’ai lu un petit livre là-dessus, de Haag, un théologien exégète, qui démontre que ce sont des mythes. Et quand Notre Seigneur parle du démon, c’est qu’il s’adapte à son époque, et donc il parle bien d’un mythe ! C’est assez gros. Je crois que Notre Seigneur, habituellement, n’emploie pas tellement de mythes. Et que le propre du Christ, qui est d’enseigner, serait plutôt de démythiser, puisqu’il est la Vérité. Je ne crois pas qu’on puisse soutenir ces choses-là vraiment sérieusement. Du point de vue de la foi, il n’y a pas tellement de progrès du Christ à nous. Marie avait une foi plus pénétrante que le nôtre. Il y a un progrès du côté philosophique. Platon emploie des mythes, mais lui, il le dit. Il n’est pas dupe. Alors quoi, Jésus dirait : oui, je prends votre langage, un langage mythique, alors parlons du démon ... Mais en réalité, le démon, comprenez bien ce que cela veut dire. Notre Seigneur donne de très bonnes leçons quand Il parle en paraboles. Mais Il dit qu’il parle en paraboles et il les explique, car les Apôtres ne comprennent pas. Eh bien, Notre Seigneur aurait fait la même chose par rapport au démon. Il aurait déclaré : je prends un langage mythique parce que c’est le seul que vous puissiez comprendre. Je dois vous éduquer ! Comment Notre Seigneur aurait-Il employé un langage mythique sans l’expliquer, alors qu’il explique les paraboles ? Ça ne se tient pas très bien ! Il faut quand même être un tout petit peu loyal. Ce sont les thèses qu’on veut établir et qu’il faut démolir car elles vont à l’encontre de tout le sens de l’Ecriture.

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Il faut tout simplement reconnaître qu’il existe des anges mauvais qu’on appelle les démons. Et qu’il existe, parmi les anges mauvais, un Lucifer. Ne demandez pas d’avoir d’expérience avec lui. Si le Seigneur le permet, très bien, la grâce divine vous sera alors donnée. Mais ne le demandez pas. Quelquefois cela peut tenter notre curiosité. Il y a quelques années, je prêchais dans la Sarthe, pendant les vacances. Il y avait là une famille de Paris qui m’a invité è prendre le café. J’ai donc été leur dire bonjours, c’est toujours à ce moment-là qu’on dit les choses les plus intéressantes. Et une étudiante en philosophie m’a posé la question, devant tout le monde : « Est-ce qu’on a le droit d’interroger le démon ? Ce doit être intéressant, c’est un type intelligent. Ce doit être intéressant d’entrer un peu en dialogue avec lui. » C’était très sérieux, pas du tout une blague. Alors, devant tout le monde, je n’ai rien dit, mais ensuite je lui ai demandé : « Mais que vouliez-vous dire exactement ? »  « Ah oui, on m’a offert la possibilité d’interroger le démon ». Je lui ai dit de préciser et j’ai repéré la filière. « Oui, disait-elle, on m’a offert cette possibilité et le démon, s’il existe, est une pure intelligence et ce doit être intéressant de l’interroger. » Je lui dit : « Attention, si vous commencez à interroger le démon, ça l’intéressera au point de départ, mais que va-t-il faire ensuite ? Il va vous prendre progressivement dans sa dialectique, bien plus forte que votre petite dialectique à vous ! Il est tellement plus intelligent que vous. Mais sur lui vous avez une supériorité : vous avez la foi ! (Car elle avait quand même la foi, cette étudiante. Une foi un peu endormie, mais elle l’avait. Elle avait l’espérance et l’amour. Elle croyait dans le Christ.) Si vous interrogez le démon, il va essayer de vous ôter cela. » Lucifer est un mystère que nous devons, dans la foi, regarder bien en face. Le démon n’aime pas à être démasqué. Il aime énormément se cacher, se dissimuler, et faire dire de lui qu’il est un mythe. Ça le rend très heureux car il se dit : Ah, il ne sont pas plus intelligents que cela, ils me prennent pour un mythe. Le démon essaie toujours de se cacher car il agit toujours dans les ténèbres. C’est pourquoi il faut regarder en face le mystère du démon. L’Apocalypse est un des grands lieux de l’Ecriture qui nous le montre. C’est le mystère de la lutte. A sa tête il y a un général en chef. Il s’agit de voir, il s’agit de comprendre. « Et il y eut un combat dans le ciel : Michel et ses anges combattaient contre le dragon. » (XII, 7) Ici ce n’est pas le dragon et la Femme, c’est Michel et le dragon, Nous voyons donc la tête du combat, le dragon, et ce qui s’est passé avant la Femme. Il y eut un moment donné où l’ange, créé par Dieu, était bon, mais ensuite il s’est révolté. Cela reste un très grand mystère. Nous y reviendrons, car c’est importent ; ce sont des choses difficiles à préciser, mais fondamentales. « ... mais ils ne purent vaincre et leur place même ne se trouve plus dans le ciel. » Donc il y eut un combat. Nous disons la lutte des bons et des mauvais anges. Et 83

les mauvais anges n’ont plus de place dans le ciel. Ce qui signifie qu’ils quittent la contemplation. « Et il fut précipité, le grand dragon, le serpent ancien, celui qui est appelé le diable et Satan, le séducteur de toute le terre, et ses anges furent précipités avec lui. » (8-5) Michel ne nous a pas fait un très beau cadeau en précipitant le démon sur la terre. Charité de Michel ! Il s’agit de bien saisir ce que ça représente : c’est que nécessairement, le dragon n’ayant plus de place dans le ciel, il se précipite sur la terre. Il a perdu sa vie contemplative et devient un très grand actif. Il se rattrape du côté de l’activité. Il est le prince de l’agitation, le prince du tourbillon ! Dès qu’il y a agitation, il y a le démon, tout le temps. Par comparaison, on comprend mieux la béatitude des pacifiques. On comprend mieux l’arc-en-ciel qui est le propre de Dieu, le propre de l’Amour. L’Amour met l’unité et la paix. Tandis que le démon, au contraire, apporte l’agitation. « Et il fut précipité, le grand dragon, le serpent ancien, celui qui est appelé le diable et Satan, le séducteur de toute la terre ... » Vous voyez qu’on fait le lien avec le Genèse, ici, à l’intérieur même de l’Ecriture où l’on nous montre le rôle du démon. Et il est aussi 1’Accusateur, comme on dire dans un autre lieu de l’Ecriture. Le démon est séducteur et accusateur. « Et j’entendis dans le ciel une voix forte qui disait : Maintenant le salut, la

puissance et l’empire sont à notre Dieu, et l’autorité à son Christ ; car il a été précipité, l’accusateur de nos frères. » (XII, 10) L’accusateur de nos frères. Le démon c’est le rapporteur. C’est extraordinaire. Le démon est tout le temps à nous regarder. Il ne nous quitte pas des yeux. Et dès qu’il voit qu’on fait un faux pas, il rigole avec son ricanement démoniaque. Cela l’amuse. Et il en prend note et il accuse. Il montre à Dieu que Dieu s’est trompé. Voilà ton chef-d’œuvre, regarde ce qu’il fait ! Le démon agit tout le temps ainsi, il est accusateur et rapporteur. Ce n’est jamais beau de rapporter. C’est important de voir quel a été le premier rapporteur, le prototype de l’anti-charité fraternelle. Rapporter, accuser quelqu’un, c’est l’anti-charité fraternelle. « … l’accusateur de nos frères, celui qui les accuse jour et nuit devant notre Dieu. » Voyez l’opposition avec Jésus qui est l’Avocat, notre Avocat auprès de Dieu. Jésus ne cesse de présenter à Dieu la blessure de son Cœur car, par Amour pour nous, Il a tout pris sur Lui. Et le démon fait exactement l’inverse. « Eux aussi l’ont vaincu par le sang de l’Agneau et par la parole à laquelle ils

ont rendu témoignage, et ils ont méprisé leur vie jusqu’à en mourir. C’est pourquoi, 84

réjouissez-vous, cieux, et vous qui y demeurez ! Malheur à la terre et à la mer, car le

diable est descendu vers vous, avec une grande fureur, sachant qu’il ne lui reste que peu de temps. » (XII, 11-12) La fureur du démon est d’autant plus grande qu’il sait qu’il lui reste peu de temps. Alors il ne dort pas : c’est un pur esprit. Il est tout le temps prêt à attaquer. Sachant cela, il sait aussi que le pèlerinage de l’Eglise ne durera pas toujours, que le temps de l’épreuve aura une fin. Et pendant ce temps il essaie d’attirer vers lui les benjamins, les petits derniers qui sont aimés d’une façon unique. Et c’est pour cela qu’il a envers eux une jalousie farouche. « Quand le dragon se vit précipité sur la terre, il poursuivit la femme qui avait mis au monde l’enfant mâle. » (13) Essayons de revenir un instant sur le péché du démon. C’est un point très important parce que ça fait partie de l’intelligence que nous devons avoir de la lutte. Que pouvons-nous savoir du péché du démon dont il nous est parlé ici ? Ce que nous pouvons constater c’est qu’il y a une inimitié entre le démon et la Femme. Ceci nous indique que la Femme est le plus aimée ; elle est celle qui garde le secret. Marie est gardienne du secret. Et la femme est toujours gardienne du secret dans la mesure où elle est la bonne terre qui garde la Parole de Dieu. Marie est gardienne du secret d’Amour. C’est son rôle propre. Et le démon, c’est l’arracheur des secrets. Il essaie toujours, par tous les moyens, d’arracher les secrets. C’est curieux, il n’aime plus. Et c’est pour cette raison qu’il y a inimitié entre lui et la Femme. Que représente la tentation qui a fait tomber le démon dans la faute ? C’est le rôle du théologien d’essayer de le comprendre car l’Ecriture ne l’indique pas directement. Ce que je vous dis est une conclusion théologique. Et donc vous pouvez l’accepter ou pas. Mais ce qui est sûr, ce qui est de foi, c’est que le démon existe et qu’il s’oppose farouchement au gouvernement de Dieu, qui est un gouvernement d’Amour. Donc, le théologien essaie de comprendre quelle a été le tentation et le péché du démon. Comment a-t-il été tenté et comment s’est-il laissé prendre ? Ce dont nous pouvons être sûrs, c’est que les anges ont été créés comme des créatures bonnes, aimées, des fils de lumière, et qu’ils ont été créés dans un état de grâce de justice originelle. Et donc ils ont été créés dans la foi. Il y a donc eu une épreuve puisque la foi attend la vision béatifique. Les bons anges sont dans la vision béatifique. Quelle a été leur épreuve de foi ? Là les théologiens émettent des opinions différentes. Ces sujets étaient très débattus au Moyen Age, aujourd’hui ils le sont beaucoup moins. Au Moyen Age on avait le sens de ce que représentait la faute de l’ange pour éclairer les luttes de l’Eglise. Tous les théologiens disent que la faute du démon ne peut être qu’une faute d’orgueil. Pourquoi ? Parce qu’il est un pur intellectuel. Un intellectuel ne pèche que par 1’intelligence, donc par orgueil. Le démon s’est donc opposé, non pas 85

directement à Dieu, mais à la volonté de Dieu, dans son gouvernement. Il s’est opposé à la volonté divine qui voulait réaliser son chef-d’œuvre en Marie, la rendant la Mère de Celui qui est le Fils bien-aimé du Père, le Mère du Verbe devenu chair. Le démon, Lucifer, c’est-à-dire l’ange avant se faute, n’a pas accepté cette économie divine. Il n’a pas accepté le dessein de Dieu qui voulait que son chef-d’œuvre soit la petite créature. Une créature qui ne soit pas angélique, mais qui, selon l’ordre de la création, est quand même la dernière.

Comment la benjamine peut-elle être la première ? Le démon s’est révolté contre cet ordre de la Sagesse de Dieu, Dieu voulant réaliser son chef-d’œuvre dans l’Amour et non pas dans l’intelligence. Au fond, je crois que c’est cela le point de vue principal. Le démon a opté pour l’intelligence. Lucifer a opté pour l’intelligence, n’acceptant pas que l’Amour passe avant. L’orgueil c’est cela et c’est toujours cela : on n’accepte pas que l’amour soit premier. Que ce soit l’orgueil de la justice, ou l’orgueil de l’intelligence de nos opinions, de notre jugement, on n’accepte pas que l’amour passe devant. Or, si le Femme est le chef-d’œuvre de Dieu, si Marie est le chef-d’œuvre de Dieu, elle est un chef-d’œuvre d’Amour. Marie a une intelligence merveilleuse, mais elle n’a pas une intelligence angélique. Elle a une intelligence humaine. Son intelligence reste donc inférieure à celle des anges. Et donc, du côté de l’intelligence, Marie n’est pas le chef-d’œuvre de Dieu. Ce sont les chérubins et les séraphins qui sont le chef-d’œuvre de Dieu du côté de l’intelligence. Lucifer n’a pas accepté que l’Amour gratuit désorganise l’ordre de l’intelligence. Il a refusé que Dieu, dans sa gratuité, établisse, dans l’ordre surnaturel, un ordre qui n’était pas en harmonie avec l’ordre naturel. Selon l’ordre naturel, il faudrait que les plus intelligents soient les plus aimants. Cela le démon l’aurait accepté. Vous n’avez qu’à le lui demander, ou plutôt n’en faites rien. Il aurait accepté que les plus intelligents soient les plus aimants et que l’on maintienne un ordre qui soit uniquement l’ordre de l’intelligence. Cela il l’aurait accepté. Mais ce qu’il a refusé c’est que l’ordre de l’Amour dépasse l’ordre de l’intelligence. Et donc le petite dernière, la femme (je ne la dis pas moins intelligente que l’homme, ça ferait hurler, n’est-ce pas ?  mais selon le vison du Moyen Age, le femme moins intelligente que l’homme est plus capable d’aimer) passe la première. Je crois qu’aujourd’hui il faut dire qu’il y a deux formes d’intelligences différentes et complémentaires en ce qui concerne l’homme et la femme. L’intelligence de la femme est plus pénétrante et perspicace, plus intuitive. Et celle de l’homme est plus rationnelle, plus logique. Quand je prends le train de Lausanne à Fribourg, j’entends des conversations qui sont quelquefois extraordinairement intéressantes. En entendant ces raisonnements, on constate que chez la femme, c’est toujours l’intuition qui passe avant 86

et chez l’homme, c’est le raisonnement : « Raisonnons un peu, voyons. Comprends un peu, ce n’est pas ainsi que ça se passe ! Il s’agit de comprendre ! » L’homme raisonne, analyse. La femme constate que c’est ainsi et que ce n’est pas autrement. C’est l’intuition directe. Tandis que l’homme, tant qu’il n’a pas raisonné, il n’a pas compris. Voilà bien deux formes d’intelligence différentes. Il est certain que l’intelligence humaine est inférieure à l’intelligence angélique. Et c’est pour ce motif que le démon n’a pas accepté la volonté de Dieu. Je crois que nous pouvons aller un peu plus loin que les théologiens du Moyen Age parce qu’il y a eu un progrès dans la théologie. Il me semble qu’on peut dire ceci, sans s’appuyer sur la tradition des théologiens du Moyen Age, qui s’est attachée au mystère de l’Incarnation et de la Maternité Divine de Marie. C’est très beau, mais je crois qu’on peut aller plus loin en s’appuyant sur ce que Saint Augustin dit : « Dieu a d’abord créé les anges. Et puis Il a voulu continuer son œuvre de création en créant un monde physique, un monde matériel et, à partir de ce monde matériel, réaliser son chef-d’œuvre : l’homme et le femme. » C’est une idée invraisemblable : Dieu Esprit qui crée le matière ! Et Dieu à ce moment-là, je ne dis pas qu’il demande conseil aux anges, mais Il leur communique son intention. Cela on le comprend très bien. Et je me demande si ce n’est pas là que se situe fondamentalement l’opposition des mauvais anges, de Lucifer. C’est-à-dire au moment où Dieu communique aux anges sa volonté, son intention de Créateur. Il ne s’agit pas seulement du gouvernement divin, mais c’est Dieu, en tant que Créateur, qui communique aux anges, dans leur foi, son intention de réaliser un monde matériel, dans le but de faire son chef-d’œuvre. C’est, autrement dit, la vision qui nous est donnée dans la Genèse. Dieu a voulu, à partir d’un monde matériel, créer l’homme et la femme. Je crois que c’est ce que Lucifer n’a pas accepté. Son refus est encore plus radical, en ce sens qu’il ne regarde pas seulement le Mystère de l’Incarnation et le Mystère de Marie, mais quelque chose de plus : Lucifer n’a pas accepté que Dieu réalisât son chef-d’œuvre à partir d’un monde matériel. Il refuse ce monde physique qui n’est pas digne de Dieu. Comment Dieu peut-Il, lui qui avait créé les esprits, prolonger son œuvre de Créateur en faisant un monde matériel et, à partir de là, réaliser son chefd’œuvre ? Cela n’est vraiment pas digne de Dieu. Dieu est Esprit et Il ne devrait créer que des esprits. Je souligne cela parce que c’est toujours par le point de vue des tentations que l’on dépiste le mieux la faute du démon. C’est le vieil adage philosophique : chacun agit selon ce qu’il est, et il agit semblablement à ce qu’il est. Donc, c’est à travers la manière dont le démon nous tente que nous découvrons sa propre tentation. Et, en conséquence, se propre faute. Or, c’est tout de même extrêmement curieux de constater qu’une des erreurs les plus fondamentales qui ait existé dans l’Eglise, et avant l’Eglise, ait été de considérer que la matière était le mal. Par là nous comprenons très bien comment le démon n’accepte pas la matière. Pour lui, elle est mauvaise. Et il a introduit cette notion dans le cœur de l’homme en lui faisant croire que la matière est quelque chose qui le limite qui l’arrête. Nous disons bien que la matière nous conditionne. Mais, pour le 87

démon, la matière n’est pas seulement quelque chose qui nous limite, mais c’est le mal en soi. C’est la grande erreur manichéenne qui a duré très longtemps. Même Saint Augustin ne s’en est pas purifié totalement. Les manichéens considéraient même que le sensible était quelque chose de mauvais et que le corps était mauvais. Cela a duré jusqu’au 13ème siècle. Saint Thomas n’est jamais tombé dans cette erreur. Vous savez ce que raconte la légende, c’est une chose très belle, et qui se retrouve dans son procès de canonisation. Saint Thomas est invité à la table de Saint Louis. C’est intéressant de voir des saints qui se rencontrent de leur vivant. Ils ne savent pas encore qu’ils sont saints, mais ils se rencontrent quand même. Donc Saint Thomas, invité à la table de Saint Louis, n’avait aucune envie d’y aller. C’était une perte de temps. Alors il a refusé, mais son prieur l’a obligé à accepter formellement. Saint Thomas obéit donc parce qu’il est saint. Mais il savait très bien ce qu’est l’obéissance : elle consiste à exécuter. Donc il avait parfaitement le droit de continuer à réfléchir, tout en se trouvant à la table du roi. C’est ce qu’il a fait et tout à coup, alors qu’il se trouvait tout près du roi, il frappe sur la table. « J’ai trouvé », dit-il  Qu’avez-vous trouvé ?  J’ai trouvé la réponse contre l’erreur manichéenne. Si l’on moralisait, on dirait : grâce à l’obéissance, Dieu a illuminé l’intelligence de Saint Thomas et il a découvert à la table de Saint Louis (peut-être grâce à la prière de S. Louis) que la matière est une potentialité, qu’elle n’est pas mauvaise en soi. La matière limite. Mais la limite n’est pas le mal, elle conditionne. Ce n’est pas parce que vous peser 70 kilos que ce poids est mauvais. C’est simplement une limite. Celui qui pèse davantage dire : ça ne va pas. Celui qui pèse moins dire la même chose ! Nous sommes conditionnés par la matière, mais elle n’est pas mauvaise en soi. Donc, c’est à la table de Saint Louis que Saint Thomas découvre cela. Et alors, Saint Louis immédiatement, avec sa complaisance, demande à un scribe de venir et Saint Thomas lui dicte sa découverte, car une intuition pourrait repartir. Je crois que dans le cas de S. Thomas il n’y avait pas de danger qu’elle reparte, il l’avait vraiment découverte. Mais c’est beau de voir qu’il a fallu 12 siècles à l’Eglise pour sortir de l’impasse du manichéisme. Et que voit-on après ? Le démon ne cherche pas à éviter les erreurs, il cherche à séduire. Aussi change-t-il son fusil d’épaule d’une façon remarquable. Quand un argument, ne marche pas, il en prend un autre. Que voyons-nous actuellement ? L’inverse : il n’y a plus de distinction entre la matière et l’esprit. Le démon se dit : je vais essayer de les rouler d’une autre manière. On va faire croire que la matière et l’esprit ne font qu’un. Il ne faut pas distinguer l’âme spirituelle du corps, mais il y a unité entre eux : la matière évoluée devient l’esprit. Poussons très fort sur la matière, elle deviendra esprit. Voyez l’antithèse : c’est tout à fait la marque du démon et je crois que c’est une erreur très fondamentale. En réfléchissant à cette tactique diabolique, nous pouvons dire que la grande tentation qui a fait tomber le démon a été la création du monde matériel. Pourquoi Dieu a-t-il créé la matière et réalisé son chef-d’œuvre en réunissant l’esprit et 88

la matière ? On a souvent besoin d’un plus petit que soi. C’est très joli cela ! Si Dieu crée la matière, c’est pour pouvoir communiquer plus d’Amour, car la matière cache, limite. L’union de l’esprit et de la matière est très humiliante pour notre intelligence qui doit passer par les sens. Mais pour l’Amour, c’est autre chose. L’intelligence, c’est la parole. L’amour, c’est le geste. Je vous ai dit cela au début. Le geste est lié au corps et il s’en sert pour transmettre l’amour.

C’est étonnant de voir que Dieu se serve de la matière pour une communication plus profonde de son Amour. Et c’est pour cela que l’homme et la femme sont le chefd’œuvre divin dans l’ordre de l’Amour, pas suivant l’intelligence. Or, Dieu est Créateur avant tout par son Amour plus que par son intelligence. Si Dieu n’avait créé qu’un monde, uniquement intellectuel, c’est-à-dire les anges, on dirait que Dieu est avant tout Créateur parce qu’il est lumière. Mais nous devons dire que Dieu est Créateur avant tout parce qu’il communique une surabondance d’Amour. La création n’ajoute rien à Dieu. Dieu a créé un monde spirituel, puis un monde matériel, pour communiquer plus d’Amour. Et dans cet univers matériel, le chef-d’œuvre c’est la femme. Et, à cause de la faute, Dieu va réaliser le chef-d’œuvre dernier et absolu en Marie. Je crois qu’il faut dire que la faute du démon c’est son refus du monde matériel, ce qui explique sa rage furieuse à l’égard de tout notre univers. Le dragon, de sa queue, a entraîné le tiers des étoiles du ciel et les a jetées sur la terre. Cela montre bien son mépris souverain à l’égard du monde physique. Pour lui, toute la matière, tout ce monde matériel ne signifie rien du tout, de même que l’homme et la femme au milieu de cet univers. De sorte que sa tactique (puisque le démon reste toujours persuadé que Dieu s’est trompé en créant un monde matériel), toute son astuce consiste à amener l’homme à détruire l’univers. La voilà sa finalité : il pousse par tous les moyens à la destruction de l’univers, pour montrer que ce cosmos est idiot. La beauté de l’univers ne signifie rien du tout pour lui. Et la vie apparue dans cet univers, il cherche à la détruire, car c’est ce qu’il y a de plus fragile, qui exige justement un équilibre très particulier. Le démon veut cette destruction. Et la cause de son inimitié avec la femme, c’est qu’elle se trouve au terme de ce monde matériel. Dieu l’a créée en dernier lieu, elle renferme en elle le secret de l’Amour de Dieu pour ce monde matériel. D’où la fureur du démon à son égard. A travers la femme, c’est l’homme, et c’est tout l’univers physique que le démon ne peut pas accepter. Pour lui tout cela est une erreur. Dieu a trop aimé, c’est une erreur de son Amour. Dieu aurait dû uniquement prouver son intelligence. Le démon ne veut que l’intelligence et il l’exalte. Voyez que l’on peut essayer de pénétrer dans cette lutte, dans ce combat céleste. Dès que le démon s’oppose à Dieu, il perd la grâce. Et donc il perd sa finalité profonde 89

de créature intelligente, créée par Amour, pour la contemplation. Le démon a perdu son droit à la contemplation. Aussi se précipite-t-il dans l’agitation. C’est normal comme réaction. « Ils ne purent vaincre et leur place même ne se trouva plus dans le ciel » (XII, 6). Le ciel est le lieu de la contemplation. Et ailleurs : « ... il fut précipité sur la terre », c’est le démon lui-même qui se précipite sur la terre, lieu du mouvement et il veut détruire ce lieu. Car le démon ayant été créé avant le monde matériel, il se considère comme l’aîné. Il se dit le prince de ce monde et il considère qu’il a des droits sur l’univers parce qu’il est plus intelligent que l’homme. Pour lui tous les droits relèvent de l’intelligence. Le démon ayant perdu la contemplation veut nous dominer d’une façon tyrannique. C’est un véritable tyran. C’est pour cela que le péché, dans le langage de l’Evangile, nous rend esclaves. Le démon cherche à faire de nous des esclaves. Il nous attire par le point de vue de l’orgueil, nous faisant perdre notre filiation d’Amour avec Dieu. Tout ce qui subsiste chez lui, c’est ce désir de dominer. Il ne faut pas oublier qu’il a sept têtes et dix cornes. Chez lui l’équilibre est complètement rompu car son intelligence n’est plus ordonnée à l’Amour, à la contemplation. Elle uniquement ordonnée à la puissance. C’est l’orgueil qui tyrannise. Tout orgueilleux est un tyran. Quand il ne peut pas dominer sur beaucoup de personnes, il en tyrannise une ou deux. Cela on le sent très bien. D’ailleurs, il suffit d’être un peu lucide avec soi-même pour s’en rendre compte. Nous avons tous en nous la psychologie de l’orgueilleux. Le fin fond de notre psychologie, c’est l’orgueil. Quand les psychanalystes dénotent qu’il y a toujours en nous un pouvoir de domination, ils disent vrai. Mais au lieu de dire que c’est la nature humaine, ils devraient dire que c’est le péché. C’est l’orgueil qui met en nous ce désir de domination. Et nous avons en nous tout le temps un désir de domination. C’est très rare que l’amour puisse vraiment être un amour oblatif, c’est-à-dire orienté vers le bien. Cela, c’est le chef-d’œuvre de la grâce. Car, à cause du péché, nous avons une propension à la domination. Et lorsque nous dominons, nous n’avons pas du tout le véritable amour, puisque nous ramenons tout à nous, comme un tyran. Toute l’intelligence du tyran sert son désir de dominer. Saisissons bien ce qui nous est montré ici. Il faut beaucoup réfléchir sur ce grand moment de la lutte parce que ça nous éclaire énormément sur ce qui se passe à le fois dans le monde et en nous. Nous devons être lucides. Il faut dépasser la psychologie. Le foi va beaucoup plus loin qu’elle car elle nous donne une vision de la lutte dans ce qu’elle a de tout à fait premier. Et c’est cette vision de la lutte, dans ce qu’elle a de premier, qui nous fait saisir comment le dragon veut uniquement l’ordre de l’intelligence et non plus l’amour. « Quand le dragon se vit précipité sur le terre, il poursuivit le femme ... » (XII, 13) C’est sa première proie. Comme il est intelligent, il attaque la femme plutôt que 90

l’homme qui, à ses yeux, est moins importent, moins intéressant. Tandis que la femme est l’ultime créature et donc c’est par elle qu’il pourra le mieux montrer que Dieu s’est trompé. Selon la grande vision de l’Ecriture, selon la Genèse, la Femme est médiatrice d’amour. Elle doit garder l’amour et le communiquer. Alors on comprend très bien que le démon, qui ne sait plus ce que c’est que l’amour, va s’attaquer à elle en premier lieu. « … il poursuivit le femme qui avait mis au monde l’enfant mâle. » Cela rejoint le point de vue de la Genèse. C’est la femme et c’est Marie. « Et les deux ailes du grand aigle furent données à la femme pour s’envoler au

désert, en sa retraite, où elle est nourrie un temps, des temps et la moitié d’un temps, hors de la présence du serpent. » (XII, 14)

La Genèse parle du serpent. Ici l’on parle du dragon pour bien montrer leur identité. Comment Dieu vient-Il en aide à la femme, à Marie ? Le grand aigle, c’est l’Esprit Saint. Il est l’aigle et la colombe. L’aigle exprime sa force, la colombe, sa douceur. L’Esprit Saint agit toujours « fortiter et suaviter ». « … les deux ailes du grand aigle » que représentent-elles ? Selon les Pères de l’Eglise, les deux ailes sont la foi et l’espérance. Je crois qu’on peut le dire, mais on peut peut-être aller plus loin et y voir plutôt la coopération avec l’Esprit-Saint, par où la Femme échappe complètement à l’emprise du serpent, à l’emprise du dragon. Comment échappons-nous complètement à cette emprise ? Par notre relation directe à Dieu. Tant que nous sommes dans notre psychisme, le démon étant un merveilleux psychologue, il nous attrape toujours, car il est plus fort que nous. Mais quand nous sommes reliés à Dieu, immédiatement, nous lui échappons, il ne saisit plus notre trace. Les deux ailes sont l’adoration et la contemplation. Lorsque nous adorons, nous sommes immédiatement reliés à Dieu et le démon perd notre trace. Aussi lorsqu’on est tenté, il faut tout de suite adorer. Si l’on se met à raisonner, la tentation devient une tempête de lac, car c’est une tempête à l’intérieur de notre imagination. Et notre imagination est un lac profond. La psychologie des profondeurs ! C’est l’imaginaire relié à tous les instincts qui sont en nous. Tandis que si, dès que l’on est tenté, on adore immédiatement, nous échappons à l’influence du démon. C’est plus difficile d’entrer tout de suite en contemplation, mais on peut tout de suite adorer, et, par l’adoration, entrer en contemplation. « Et les deux ailes du grand aigle furent données à la femme pour s’envoler au désert ». L’adoration, c’est le premier désert qui est en nous. Et la contemplation c’est le second. Les deux déserts, du reste, se rejoignent. Mais c’est vraiment par l’adoration que nous entrons dans le désert. Quand nous adorons Dieu, nous creusons en nous un désert. Nous sommes seuls avec Dieu et personne ne peut nous atteindre. Nous échappons complètement à l’emprise du démon, et à toute espèce d’emprise humaine. Alors on comprend comment 91

les deux ailes du grand aigle sont données à la femme pour s’envoler au désert et y être nourrie hors de la présence du serpent. Dieu l’attend là, dans ce refuge, dans ce désert intérieur qui est creusé en nous car l’adoration et la contemplation.

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7ème conférence

La vraie libération réside dans l’adoration. Par la méditation nous sommes serviteurs de la Parole de Dieu. La contemplation fait de nous ses enfants. Marie hâte l’heure de Dieu à l’oraison. Ch. XII, 15-16. Le démon ne pouvant rien sur Marie, il attaque ses enfants. Ch. XIII, 1-2.

Aujourd’hui doit être vraiment une journée très dense, puisque c’est le troisième jour de notre retraite, au point de vue de l’adoration et de la prière. C’est toujours au bout de trois jours de marche dans le désert que l’on commence à se dépouiller et donc, à être plus léger. Alors, profitez-en beaucoup ! Continuons à essayer d’entrer dans ce grand mystère de la lutte et à comprendre cette stratégie du démon qui est un pur intellectuel. Parce qu’elle est séparée de l’amour, l’intelligence du démon est une lumière métallique. Son intelligence n’a plus de finalité, elle est errante et très habile. Il y a un art du démon et le stratégie qu’il déploie pour essayer de nous attirer en dehors de l’amour en est un ! Pour lui, tous les moyens sont bons. C’est ce qui est extraordinaire et c’est pour cela que nous sommes dépistés, que nous sommes constamment déconcertés par ce qu’il fait. Il a à la fois une logique implacable et déconcertante. Sa logique angélique est tellement supérieure à notre petite logique ! Elle est tellement déconcertante car il passe d’un extrême à l’autre : fusil de droite, fusil de gauche, ce lui est bien égal ! On ne peut pas dire que le démon soit progressiste. On ne peut pas dire non plus qu’il soit conservateur. Il n’est ni l’un, ni l’autre. Cela, ce sont des catégories humaines. Le démon est celui qui, tout le temps, lutte contre l’amour et essaie d’en tarir la source. Dans ce but, il se sert de tous les claviers. C’est ce qui est si extraordinaire et qui nous est montré ici, un tout petit peu. Il y a, dans l’Ecriture, d’autres passages qui nous révèlent la stratégie du démon et qui sont très importants et intéressants. Mais nous prendrons le début, la Genèse, car c’est intéressant de voir les deux extrêmes. Le Genèse nous révèle la première tentation, le première manière dont use le démon pour mettre la femme en dehors de sa finalité : « Vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal » (Gn III, 5). Voilà la grande tactique du démon : faire passer la connaissance avant l’amour, c’est-à-dire l’intelligence avant l’amour ; et ensuite, faire passer le dominium avant l’intelligence. 94

Au fond, le démon veut nous abrutir. Il veut faire de nous des êtres entêtés, inintelligents. Il ne faut pas croire du tout qu’il veut que nous soyons intelligents. Il séduit notre intelligence et après il nous abrutit. Car nous ne sommes vraiment intelligents que lorsque nous aimons. Une véritable intelligence profonde est toujours au service de l’amour. Comme il est astucieux, le démon, en premier lieu, sépare l’intelligence de l’amour, il défait cette alliance très fondamentale dont nous parlions. Ensuite, il met l’intelligence au service du dominium : il s’agit de dominer cet univers par le science, par la technique. Je ne dis pas que la science et la technique proviennent du démon ! Mais en user uniquement pour dominer, cela provient du démon. La science est-elle au service de l’homme ou est-ce l’inverse ? Le jour où l’homme est au service de la science signifie que la signature du démon est présente. Car l’homme croit, à ce moment-là, que c’est la technique qui va le sauver. Voyons comment cela nous est montré, dès le début de l’Ecriture. Il ne faut pas oublier que le démon est le premier herméneute, comme on dit aujourd’hui, c’est-à-dire le premier interprète de la Parole de Dieu. Et c’est intéressant de comparer la manière dont la foi reçoit la Parole de Dieu et celle dont le démon, dès le point de départ de la Genèse, l’interprète. Ce qui est au point de départ se retrouve au terme puisque le démon singe toujours l’économie divine. Or, la Parole de Dieu nous est donnée afin que notre cœur soit transformé dans le Cœur du Christ. C’est sa finalité. Elle rend notre cœur de plus en plus aimant, l’empêchant de se replier sur lui-même et l’ouvrant toujours plus à l’Amour divin. Toute la Parole de Dieu tend à ce but. Et Dieu veut que nous soyons intelligents pour Lui. Il veut que notre intelligence domine tout l’imaginaire qui est en nous. Plus nous sommes intelligents pour Dieu, plus nous l’aimons. Selon l’ordre de la Sagesse divine, nous devons mettre toute notre intelligence au service de la Parole de Dieu pour arriver à l’aimer plus. Le démon, au contraire, interprète la Parole de Dieu dans le sens inverse. Il nous fait comprendre que la Parole de Dieu n’est pas du tout celle d’un Père, d’un Ami, d’un Epoux, comme il n’a plus la foi, il ne peut pas saisir son intention profonde. Et donc il ne saisit plus que la structure de cette Parole. Il y a un structuralisme qui peut être bon et un structuralisme démoniaque. Le démon saisit uniquement la structure, la fonction de la Parole, ou plutôt pour lui le parole devient une fonction. Et l’on se sert des mots, d’un langage, d’une grammaire, de tout l’aspect de la fonction de la parole pour démontrer que Dieu est le rival de l’homme, qu’il veut le dominer, l’asservir. C’est exactement ce que le serpent dit à Eve : « Vous n’avez rien compris ; en réalité Dieu a très peur qu’ayant pris du fruit de l’arbre de vie, vous ne deveniez semblables à Lui ... » Le démon est le premier qui insuffle dans l’intelligence de l’homme cette idée que Dieu est son rival. Vous retrouvez cela au cœur de tous les athéismes contemporains. C’est si impressionnant ! Nous le reverrons car ces pages de l’Apocalypse doivent nous éclairer énormément sur ce qui se passe actuellement. C’est normal, tout est révélé. C’est nous qui ne comprenons pas, mais tout est révélé. Nous devrions avoir à l’égard des événements actuels, par l’Ecriture, un regard divin et pas seulement une compréhension 95

extérieure, que tout le monde peut avoir. Mais un regard divin, où l’on découvre la tactique du démon qui est toujours la même : il interprète la Parole de Dieu (il est l’herméneute), mais il en supprime l’intention. Et ne considérant que l’aspect fonctionnel de la Parole de Dieu, il la transforme en vue de montrer l’opposition qui existe  opposition fallacieuse  entre Dieu et l’homme. Donc, je vous ai bien rappelé hier (voir conférence précédente) que ce désert intérieur c’est l’oraison, la contemplation. Par l’adoration, nous échappons complètement au démon. Dès que vous adorez Dieu, vous ne dépendez plus que de Lui. Vous êtes libérés de toute autre influence. Si l’on comprenait vraiment cela, on aimerait adorer pour se libérer de toutes les influences, quelles qu’elles soient, même des influences humaines ! Et l’on garderait toujours la vraie liberté, même sous l’influencé du démon ou de la propagande. La vraie libération se trouve dans l’adoration qui en est le premier moment. Il est impossible d’avoir un cœur libre en dehors de l’adoration. Seule elle nous libère complètement car elle nous montre que nous dépendons directement de Dieu, que notre âme est créée directement par Lui et que personne d’autre que Lui n’est notre Créateur. Nous ressemblons plus à Dieu qu’à nos propres parents. Savoir cela c’est très libérant et ne signifie pas du tout que nous n’aimons pas nos pères et mères ! Mais il est vrai que nous ressemblons plus à Dieu qu’à nos propres parents. Nous leur ressemblons dans notre sensibilité, biologiquement. Mais la ressemblance radicale, intérieure, en nous, est à l’égard de Dieu. Cette certitude nous libère de tous les conditionnements, de tout l’atavisme. Habituellement, nous disons : ce n’est pas étonnant que je sais ainsi, je suis comme mon grand-père, et nous nous croyons téléguidés à cause de notre atavisme. C’est faux. Notre atavisme nous conditionne, bien sûr. Mais il y a en nous quelque chose de plus fondamental qui nous permet de remonter à la source. La véritable autonomie nous la découvrons dans l’adoration. Par elle, nous sommes directement reclus en Dieu, qui nous prend sous sa protection. Il nous prend sous son aile et nous garde comme la prunelle de son œil. Nous devenons la prunelle de Dieu par l’adoration. Et Dieu attend de nous cet acte volontaire d’adoration qui nous remette à Lui. Nous adorons quand nous le voulons. Nous n’adorons pas instinctivement. Il faut bien comprendre cela. Quand nous dormons, nous n’adorons pas. Nous pouvons offrir notre sommeil à Dieu pour sa gloire. C’est ce que dit Saint Paul : « Soit que vous buviez, soit que vous mangiez, faites tout pour le gloire de Dieu. » Nous glorifions Dieu par l’intention qui est en nous, mais nous n’adorons vraiment que lorsque nous le voulons. Dans tout acte d’adoration il y a nécessairement un acte de volonté qui consiste à se réveiller pour se mettre en face de Dieu. Cela c’est le premier désert en nous. Il faut s’y habituer, il faut l’aimer. Et l’autre désert, c’est la contemplation.

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La contemplation, nous devons la demander car nous ne pouvons pas nous mettre dans un état contemplatif quand nous voulons. Nous pouvons adorer quand nous voulons, mais nous mendions la contemplation. Nous mendions l’oraison. Nous sommes comme des pauvres, des enfants qui attendent. Cela, je vous l’ai déjà dit, mais j’y reviens parce qu’au cours de la retraite il faut toujours bien discerner ce que représentent la méditation et l’oraison. Nous avons tendance à confondre les deux. Il ne s’agit pas de faire des séparations absolument catégoriques, mais il faut bien comprendre, dans notre vie, que la méditation n’est pas l’oraison. Beaucoup de gens croient qu’ils font oraison quand ils méditent et alors quelque chose ne pénètre pas en eux. Par la méditation, nous mettons notre intelligence au service de la Parole de Dieu. Le théologien, en tant que tel, médite. Quand vous lisez la Parole de Dieu, vous méditez. Si vous êtes artiste, vous faites une méditation merveilleuse en recomposant les lieux : je vois la crèche, c’est comme si j’y étais. C’est merveilleux ! Cela c’est la méditation qui rend votre intelligence et votre imagination divines et les oriente vers Dieu. Quand nous pouvons méditer, faisons-le. Quand nous pouvons faire un peu de théologie, faisons-le ! C’est très bien d’être un peu intelligents pour Dieu. Faisons de la bonne théologie, pas de la mauvaise qui avec elle amène les mauvaises herbes ! Il y aura du chiendent et l’on n’arrivera plus à le retirer. La mauvaise théologie ne nous oriente pas vers la contemplation, tandis, que la bonne nous y achemine. Par la mauvaise méditation on s’exalte tout simplement soi-même. Comme je suis intelligent ! J’ai des idées magnifiques. A ce moment-là on n’est plus orienté vers Dieu. La méditation est donc l’œuvre du serviteur. Quand nous méditons, quand nous faisons de la théologie, nous sommes serviteurs de Dieu. C’est pour cette raison que le théologien doit être au service des évêques, au service du Souverain Pontife. Le théologien est serviteur de la Parole de Dieu au sens très très fort. Quand on enseigne le catéchisme, il ne faut pas l’oublier, on fait de la théologie en mettant notre intelligence au service de la Parole de Dieu pour essayer de la communiquer aux petits, aux humbles. S’il s’agit de la communiquer à des adultes, à des intellectuels, on le fera différemment, mais ce sera toujours dans le but de transmettre le Parole de Dieu. Et ce sera également pour labourer la terre, pour nous et pour les autres. On laboure la terre, on retire les gros cailloux, le chiendent, car il y en a toujours ... Il faut les retirer par la méditation. La contemplation c’est l’œuvre de l’enfant, de l’ami, de l’épouse, accomplie dans la foi, l’espérance et la charité. C’est un exercice tout à fait divin de la foi par l’Amour. Elle est l’œuvre de l’Esprit Saint en nous. Nous ne pouvons pas faire oraison avec des méthodes. Tandis qu’il y en a pour méditer, et d’excellentes, à des niveaux différents, suivant votre genre 97

d’intelligence. Si vous avez une intelligence artistique, prenez donc une méthode artistique, ou au contraire, spéculative. Cela c’est le point de vue de la méditation et du théologien. L’oraison est l’œuvre directe de l’Esprit Saint en nous. Et c’est pour cela que nous sommes mendiants, que nous ne savons pas faire oraison. Nous pouvons devenir un spécialiste de la méditation et dire : « Moi je sais méditer, mon intelligence est suffisamment développée pour comprendre un peu certaines choses. Je puis lire Saint Thomas avec intelligence, donc je sais méditer. Je puis lire tous les théologiens, ça me dit quelque chose. C’est intéressant, c’est beau, je compare, je vois les divers courants de spiritualité. » Tandis que du côté de l’oraison, on n’est jamais un spécialiste. On est toujours mendiant de l’Esprit Saint. Et plus l’oraison prend possession de notre vie, plus on est pauvre et l’on réclame le secours de l’Esprit Saint. L’oraison ce sont ces gémissements de l’Esprit Saint au-dedans de nous. Et ils prendront des modalités différentes pour chacun d’entre nous. Il y aura l’oraison de l’enfant, du tout petit. La foi nous met dans l’attitude de petitesse. Et plus la foi est grande, plus elle nous met dans cette attitude de pauvreté, de petitesse. Alors nous exerçons cette foi du mendiant, du tout petit qui demande à Dieu la lumière, qui réclame à Dieu son Amour. Nous Lui disons notre désir, notre foi. L’oraison peut être celle de l’ami. Nous demandons à l’ami ses secrets. L’ami a droit aux secrets et il les réclame de son ami car il veut faire œuvre commune avec lui. Il veut pénétrer dans les profondeurs de Dieu. L’oraison peut être celle de l’épouse qui, elle, pénètre au plus intime du cœur de l’Epoux. L’épouse pénètre dans le secret substantiel. Elle vit à l’unisson de l’Epoux, dans l’unité. « Il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon Père ». D’où ces modalités différentes, suivant les moments de notre vie et les appels de Dieu. Saint Thomas définit admirablement l’oraison quand il commente les Noces de Cana. Il dit que les Noces de Cana, prises au sens mystique, c’est le mystère de l’oraison. Il faut bien comprendre. Le mystère de l’oraison, c’est la transformation de notre cœur dans le Cœur du Christ. Nous apportons l’eau, l’eau du serviteur. C’est notre bonne volonté et toute notre méditation. Nous avons bien labouré la terre. Nous apportons l’eau et nous en remplissons les jarres, parce que nous avons beaucoup médité. Nous avons mis toute notre intelligence au service de la Parole de Dieu. Et puis Jésus, par l’Esprit Saint, transforme l’eau en vin. Il transforme notre bonne volonté dans l’Amour de son Cœur. C’est là le mystère de l’oraison. C’est la transformation de notre amour humain en un Amour divin. Et c’est Jésus Lui-même qui transforme nos désirs, tous nos désirs, qui restent humains, dans son Amour. Et c’est pour cela que l’oraison est un mystère de noces, comme le dit Saint Thomas. Ce sont les noces de notre âme avec le Christ. C’est la transformation profonde de tout nous-mêmes dans le Christ, de notre cœur dans son Cœur. 98

L’oraison est un mystère d’alliance nuptiale, au sens fort. C’est quelque chose de beaucoup plus simple que le méditation. Nous pouvons très bien, à certains moments de notre vie, ne plus avoir le temps de méditer. Mais nous n’avons jamais le droit de ne plus faire oraison. Parce que nous pouvons tous consacrer au moins cinq minutes à l’oraison, tandis qu’on ne peut pas toujours les consacrer à la méditation. Il y a des jours où c’est impossible dans une vie beaucoup trop prise. Mais on peut toujours et l’on doit toujours maintenir le désir de l’oraison. On commence par y consacrer cinq minutes ; au bout d’un certain temps, ce sont dix minutes, puis un quart d’heure et l’amour prend de plus en plus possession de notre cœur. L’amour est au-dessus du temps et il nous fait comprendre que notre temps doit être brûlé, dans l’oraison, pour Dieu. Tandis que dans la méditation ce n’est pas ce qui se passe. Elle nous fait acquérir un certain avoir. Dans l’oraison on n’acquiert rien. On s’appauvrit, on se dépouille. C’est pour cela qu’instinctivement nous transformons nos oraisons en méditations, si nous ne faisons pas grande attention. L’homme est un propriétaire. Il a le sens du temps et il ne veut pas le perdre. Il veut avoir la possibilité, pendant l’oraison, de lire le dernier bouquin de théologie. J’ai entendu un professeur de théologie donner ce conseil à ses étudiants, au Saulchoir : « Surtout ne perdez pas de temps pendant votre oraison, il s’agit de continuer votre vie théologique et dès que vous avez terminé votre oraison, notez tout de suite les idées qui vous sont venues. » C’est l’instinct de propriété qui tue complètement l’oraison. Dans cette attitude on ne peut plus être un contemplatif. On reprend le temps donné à Dieu. Dans l’Ecriture il y a un passage extraordinaire : celui où les fils du vieux prêtre Elie, pendant la nuit, font des rapines et viennent prendre la graisse des victimes, avec des crochets. Cela illustre exactement ce que je viens de dire. On offre son temps à Dieu dans l’oraison. Et puis on reprend la graisse des victimes et l’on s’engraisse. Parce que c’est intéressant de lire des bouquins, quand on n’est pas bête. C’est intéressant de s’enrichir. Et puis on peut en parler, dire : j’ai lu ce livre. Tandis que dans l’oraison, il faut accepter de brûler le temps pour Dieu, de ne rien acquérir, mais uniquement d’aimer. L’amour nous appauvrit toujours. Le véritable amour nous rend d’autant plus mendiant qu’il augmente encore plus en nous la soif d’aimer. Vous voyez que ce n’est pas du tout une œuvre intellectuelle l’oraison. C’est une œuvre d’amour. Tandis que l’intelligence est toujours un peu propriétaire. Elle réclame un avoir. On connaît les choses et l’on a une belle bibliothèque intérieure. Avec, sur la rangée supérieure, les livres qu’on aime le plus. On a lu tout cela, et ainsi de suite. On a une belle bibliothèque intérieure où tout est bien rangé. Un véritable intellectuel est ainsi : c’est un fichier qui peut tout de suite donner les références et c’est merveilleux. Il a un avoir, une propriété. Au contraire, celui qui fait oraison, il est mendiant. Il est pauvre. Il aime l’Amour. C’est la seule chose qui compte à ses yeux et il pleure parce que l’Amour n’est pas aimé, à la suite de Saint François. Et il comprend ce qu’est la soif du Cœur de Jésus. Et c’est le « sitio » du Christ qui prend possession de son cœur. 99

Le voilà le grand mystère de notre vie : il faut entrer dans l’oraison pour y être à l’écoute de l’Esprit Saint. C’est celui qui est mû par l’Esprit qui est enfant de Dieu. Il faut écouter l’Esprit Saint. Et pour cela il faut faire un peu silence en soi par l’adoration. Il faut entrer au désert pour que 1’Esprit-Saint puisse nous prendre et nous conduire là où Il le veut, sans que nous lui posions de questions. L’Esprit Saint nous conduit toujours là où Il le veut, sans explications. Un jour, s’il le veut, Il nous les donnera. Mais Il nous conduit où Il le veut et c’est toujours dans le Cœur de Jésus. Saint Thomas ajoute : Marie est toujours invitée à l’oraison. Il n’y a pas de méthode d’oraison, mais il y a un milieu divin et c’est Marie. Marie est toujours invitée aux noces et Elle hâte l’heure de la transformation de l’eau en vin, de notre cœur dans le Cœur du Christ. Il faut inviter Marie. Elle est toujours là mais il faut quand même l’inviter et lui demander de hâter l’heure de l’Esprit Saint et de lui permettre d’agir en nous en toute liberté. Marie est celle qui présente notre âme à Jésus. Personne d’entre nous n’est digne de l’oraison, personne. Et ne disons pas : moi, je suis un actif. Je n’ai rien à faire avec l’oraison. Je me souviens d’un bon Père Carme qui me disait, en parlant d’une postulante entrée au Carmel : « Oh, celle-là, c’est une contemplative, c’est une sanguine ! » Ce n’est pas cela la contemplation, ce n’est pas une question de tempérament. Il y a des gens qui ont un tempérament actif, généreux, tant mieux. Ils dormiront à l’oraison ! Il y en a qui sont lymphatiques, bilieux ... L’oraison n’a aucun rapport avec la chair et le sang. Il faut se connaître, tout simplement, avec ses défauts et ses qualités. Il faut comprendre que le Saint-Esprit est au-dessus de notre conditionnement. Ne disons pas : celui-ci a un tempérament contemplatif. Saint Jean était le fils du tonnerre ! Et Moïse, l’homme le plus doux de la terre, a tué l’égyptien et l’a mis dans le sable ! Ensuite il est devenu d’une douceur merveilleuse. L’oraison n’a rien à voir avec le tempérament. C’est, par elle, le Saint-Esprit qui nous transforme. Nous, nous risquons toujours de dire : ah oui, l’oraison c’est pour la femme ; elle est plus dévote, elle est plus orientée vers cela. C’est vrai qu’ordinairement les femmes sont plus fidèles que les hommes. Quand elles ont compris l’exigence de l’amour, elles vont jusqu’au bout. Les hommes s’amusent davantage en chemin. Ils ont leur bibliothèque, ils ont leur atelier ou des quantités de choses semblables, qui les intéressent. Alors ils s’arrêtent davantage. Ils sont plus méditatifs, ils aiment bien leur avoir. Les hommes n’aiment pas beaucoup être pauvres. Quand on est pauvre, on est dépendant. Il faut être dépendant du Saint-Esprit pour entrer dans l’oraison, par la grâce de Dieu. Et la grâce nous est donnée, à chacun, pour que nous entrions dans l’oraison qui est le grand mystère de notre vie chrétienne. Je crois qu’aujourd’hui, avec toutes les luttes qui nous entourent, nous ne pourrons être fidèles à notre foi, d’une façon plénière, que s’il y a en nous un désir de vie contemplative. C’est la contemplation qui maintient un lien personnel avec le Christ. Nous touchons dans la foi la blessure du Cœur de Jésus. Nous sommes le petite colombe qui se cache dans l’enfractuosité du rocher. A ce moment-là, nous avons un contact 100

direct et personnel avec Jésus et nous pouvons être témoin du Christ. Sans ce contact direct, nous risquons toujours d’être une roue, détachée du char. Au contraire, quand on est témoin de l’Amour du Cœur de Jésus, il y a en nous toute la souplesse de l’Amour. Dans le monde aujourd’hui c’est le partage qui est en train de se faire. La foi dite traditionaliste, celle qui provient uniquement des traditions familiales, tombe ; tout cela est complètement dépassé. Il faut que chacun d’entre nous ait rencontré Jésus. Et l’oraison nous permet de le rencontrer. Tout le but de l’oraison est de nous faire toucher le Cœur de Jésus ; d’être en face de Lui ; de nous entendre appeler par Lui, appeler par notre nom. L’Apocalypse dit que chacun d’entre nous a un petit caillou blanc sur lequel est inscrit son nom. C’est le secret qui est très profond dans notre cœur. Il faut que nous entendions ce nom par lequel Dieu nous appelle et que nous soyons capables de répondre à son appel. C’est là le mystère du face à face, de l’intimité. L’oraison est vraiment la rencontre d’un ami avec son ami, de la fiancée et du fiancé. Quand deux fiancés se rencontrent, ils n’ont, pas chacun un bouquin dans leur poche pour lire chacun de son côté, en disent : ce dernier livre est intéressant. Ou alors, qu’estce que l’amour signifie ? Et nous, dans l’oraison, nous faisons cela : nous avons notre bouquin et nous nous mettons à lire ! Nous retombons dans le travail du laboureur qui laboure son champ. Mais ce n’est plus l’esprit de l’enfant, de l’épouse, de l’ami. Il y a des jours où l’oraison est un vide absolu, nous sommes comme un iceberg en face de Dieu. Jésus est la fournaise brûlante, mais ça ne fond pas du tout ... Alors on est tenté de se dire : plutôt que de perdre du temps, prenons un livre pour nous réveiller un petit peu. Ce n’est pas du tout ce qu’il faut faire. Si vous êtes un iceberg, acceptez d’être dans cet état-là, pour comprendre votre pauvreté. C’est une grande grâce que de comprendre sa pauvreté. On se trouve en face de la fournaise brûlante d’Amour et l’on ne sent rien. On comprend, à ce moment-là, l’épreuve de la foi. Et l’on comprend aussi l’espérance, dans sa pauvreté. Et l’on comprend comment il faut, par un acte de volonté, rester debout : « Stabat Mater ». Marie et Jean-Baptiste au désert sont les deux qui se tiennent debout. Il faut rester là, debout auprès du Seigneur en disant « je crois ». Et l’on répète cela indéfiniment et l’on supplie. Seigneur, je crois en ta présence, en ton Amour, attire-moi. On répéterait cela cent fois, ce serait infiniment mieux que de se mettre à lire un livre car, ainsi, nous exprimons à Dieu les désirs de notre cœur. Et c’est cela que Dieu veut que nous lui exprimions. L’oraison demande beaucoup de force. La méditation n’en demande pas tellement ; elle réclame un peu d’intelligence. C’est plus facile d’avoir de l’intelligence que de la force, dans l’ordre de l’Amour. Ce n’est pas commode d’accepter de rester comme une bûche devant le Seigneur. Ou hébété comme une jument, « ut jumentum », selon l’expression de l’Ecriture.

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Et alors le Seigneur nous prend s’il voit qu’il y a en nous un cri d’amour. Faisons des actes d’adoration, faisons des actes de foi. Prenons tel ou tel passage de l’Ecriture. Quand je dis prendre un livre, je ne parle pas de l’Ecriture. L’Ecriture, au contraire, il faut la lire, non par curiosité, mais pour être en contact avec Jésus, la Parole Vivante. C’est très bien de prendre les lieux que nous connaissons le mieux, que nous préférons. La Parole de Dieu doit être présente dans l’oraison. C’est bien évident qu’il faut lire aussi des ouvrages de théologie, ou de spiritualité. On les écrit pour que vous les lisiez, mais en dehors de l’oraison. Mais, attention, ces livres doivent nous conduire au silence de l’Amour. Ceci doit nous faire comprendre les deux déserts : l’adoration et la contemplation. La contemplation est bien un désert, tandis que je ne dirais pas que la méditation en est un, puisque c’est un avoir, une richesse. Le théologien sait très bien qu’il n’est pas bête, en tant que théologien. Il a un avoir ; saint Thomas dira : un habitus. Et donc il a un avoir et c’est même la plus grande des richesses. La théologie est la plus grande des richesses parmi toutes les richesses humaines. C’est une richesse extraordinaire. Or il est plus difficile à un riche d’entrer dans le royaume des cieux. Et le royaume des cieux, c’est l’oraison. Et donc ce n’est pas commode d’entrer dans l’oraison quand on est théologien. Il faut accepter de déposer tout son avoir pour redevenir un tout petit. C’est pour cela qu’il y a des quantités de théologiens qui plafonnent. Ils restent avec leur avoir, leurs méditations théologiques, sans entrer dans le royaume de Dieu. Ils n’entrent pas dans la petitesse de l’oraison. C’est là où le démon déploie toute son astuce : il a horreur que nous entrions dans l’adoration et la contemplation. Il est furieux de voir se développer les deux extrêmes de notre cœur par l’adoration et la contemplation. Notre cœur humain est fait pour adorer et pour aimer. L’adoration nous donne le sens du respect et le point de vue de l’oraison nous donne le sens de l’intimité, du face à face. Ce sont là les tenants et les aboutissants de notre cœur humain, de notre volonté. Quand je parle de volonté, je parle du cœur. Dans le langage de Saint Thomas, volonté et cœur ne font qu’un. C’est avec Descartes qu’il y aura coupure entre les deux. Mais la volonté est faite pour aimer, pour aller toujours plus loin dans l’amour. Donc, nous voyons que la femme nous donne l’exemple de ce qu’il faut faire. Elle s’enfuit au désert. Elle a les deux ailes du grand aigle. Chacun d’entre nous a reçu ces deux ailes pour s’envoler au désert, en sa retraite. « Alors le serpent lance de sa gueule, après le femme, de l’eau comme un fleuve, afin de la faire entraîner par le fleuve. » (XII, 15) C’est la description de la rage du démon. Dès que nous lui échappons par l’adoration et la contemplation, il fait entendre sa fureur. Il lance de sa gueule de l’eau comme un fleuve ! C’est très curieux, cela. Il veut faire croire à la femme qu’il est source de vie. Le symbolisme de l’eau, c’est la vie. Il veut attirer le femme par cette eau qui provient de sa gueule, comme un fleuve, en lui faisant croire qu’il est capable de 102

redonner la vie. Vous voyez l’antithèse avec l’Esprit Saint. C’est l’Esprit qui vivifie, qui est l’eau, le fleuve. Et le démon essaie de faire croire que c’est lui le source de la vie. « Mais la terre vint au secours de la femme ; elle ouvrit son sein et engloutit le fleuve que le dragon avait jeté de sa gueule. » (XII, 16) La terre c’est l’humilité et la pauvreté. Ce que le démon ne peut pas accepter, c’est la matière et la terre. Et la femme, dans son réalisme d’amour  le réalisme de l’adoration et de la contemplation  nous fait comprendre que, par nous-mêmes, nous sommes incapables de répondre aux astuces du démon ; aussi n’y a-t-il pas de dialogue entre elle et le dragon. Le dragon la poursuit, essayant de la distraire, de l’entraîner dans les choses merveilleuses qu’il fait, mais la terre vint au secours de la femme. C’est donc le réel, au sens très fort. Appelez les choses par leur nom. Appelez un chat, un chat, et la terre, la terre. C’est le réalisme qui nous empêche de tomber dans la séduction du démon. Ce dont le démon a le plus peur, c’est d’appeler les choses par leur nom, parce qu’il sait très bien que l’univers est créé par Dieu, et donc qu’il ne lui appartient pas. Le réalisme nous maintient dans l’humilité, il nous fait respecter l’autre. La terre, nous ne l’avons pas faite, ni la matière. Elles existaient avant nous. Cette constatation nous maintient dans la petitesse, la pauvreté et l’humilité. C’est la seule réponse à faire quand on est tracassé par toutes les séductions du démon, au point de vue imaginatif. Ici il est question de Marie. Le démon ne pénètre pas dans son imagination. C’est la différence entre Elle et nous qui sommes sujets à toutes sortes de tentations intérieures car, par notre psychisme, le démon pénètre dans notre imagination. Quand nous sommes tentés, profondément tentés, le seule manière de réagir est celle qui est montrée ici : « la terre vint au secours de la femme … » « Et le dragon fut rempli de fureur contre la femme, et il alla faire la guerre au

reste de ses enfants, à ceux qui observent les commandements de Dieu et qui gardent le commandement de Jésus. Et il s’arrête sur le sable de la mer. » (XII, 17-16) Donc, on voit que le démon ne peut rien sur la femme, sur Marie, bien qu’il l’ait poursuivie. C’est beau ce lieu. Quelquefois nous avons, sur la Très Sainte Vierge, des conceptions qui ne sont pas du tout réalistes. Marie a été, parmi les créatures, celle qui a été le plus poursuivie par le démon. Il n’a jamais cessé de poursuivre Celle qui est pour lui une énigme. Marie lui échappe complètement. Et il en furieux parce que Marie est une petite enfant d’Eve, comme nous. Et le démon, qui se dit le prince de ce monde, croit avoir un droit sur les descendants d’Eve. Le propre de l’orgueil est de transformer les permissions en droits. Vous dépistez tout de suite votre petit orgueil lorsque vous faites cela. On vous a accordé des permissions. Puis huit jours après, vous demandez la même chose et l’on vous la refuse. Alors vous dites : mais, on me l’a accordée il y a huit jours ... Oui, c’était normal. C’était une permission. Mais vous avez transformé, dans votre orgueil, cette permission en droit. Réfléchissez là-dessus, ça va très loin. 103

L’Eglise, aujourd’hui, accorde des quantités de permissions. Mais les permissions de l’Eglise ne sont pas les volontés de Dieu. Attention ! Ce n’est pas parce que l’Eglise le permet qu’on doit le faire. Il faut être très attentif. Si l’Eglise accorde certaines choses, c’est pour que chacun d’entre nous ait une option plus personnelle et plus aimante. C’est pour que nous comprenions mieux ce que l’Esprit Saint réclame de nous, ce que Jésus nous demande. Certaines fois, nous comprenons cette permission, c’est très bien, nous la prenons. Si l’Eglise décide de la retirer, on dira : mais quoi, elle l’avait permis, et nous transformons cela en droit ! Les volontés de Dieu nous demandent d’obéir. Elles ne donnent pas des droits. Nous n’avons pas de droits sur la liturgie. La liturgie nous est donnée. Elle-nous est commandée. Et parfois il y a quelques aspects qui restent libres pour les permissions. Mais ce ne sont pas des droits. Et donc nous devons, devant ce choix, garder une attitude de pauvreté. C’est un don que Dieu nous fait. Par la liturgie, c’est Dieu qui vient vers nous, au-devant de nous. C’est Dieu qui nous indique la présence de Jésus, nous transmet son Amour à travers cette présence. Ne transformons pas nos permissions en droits, comme le fait le démon qui est l’orgueil personnifié. D’une certaine manière  il est l’orgueil dans toute son intelligence  le démon transforme toutes les permissions accordées par Dieu en droits. Dieu lui a laissé une très grande permission : tout homme qui naît est sous l’emprise du démon. C’est une permission qui va très loin que celle du péché originel. Nous avons tous été sous l’emprise du démon, sauf Marie. Et, dans la mesure où Marie prend possession de nous, nous lui échappons, nous devenons immaculés, et nous le serons pleinement dans le ciel, où sa maternité pourra s’exercer totalement. Mais sur la terre, sa maternité s’exerce partiellement. Et nous nous consacrons à Elle pour que se maternité se réalise de plus en plus. Marie a échappé complètement à l’emprise du démon et c’est pour cela qu’il est si furieux et qu’il l’a poursuivie. Car le démon est suffisamment intelligent pour savoir que Marie peut pécher. Tandis qu’en présence du Christ, quand il s’est aperçu qu’il était le Fils de Dieu, il n’y avait plus qu’une seule chose à faire : le tuer. Il savait très bien que le Christ ne pouvait pas pécher. Le démon cherche le mort de l’âme, car c’est un spirituel. Ce n’est pas un matérialiste. C’est un être faussement spirituel, mais c’est un spirituel. Et quand il ne peut atteindre l’âme, il se rabat sur le corps. C’est ce qu’il a fait pour Jésus. Il l’a tenté et comme il a vu qu’il ne pouvait rien sur Lui, il l’a fait mettre à mort. Marie est une pure créature, bénie, enveloppée de l’Amour et de la miséricorde de Dieu, mais c’est une pure créature et donc elle, peut pécher. Et tant qu’elle était sur la terre, elle pouvait pécher. Maintenant qu’elle est dans la vision béatifique, c’est bien évident qu’elle ne le peut plus ! Mais tant qu’elle était dans son pèlerinage terrestre, elle était à l’épreuve. Marie a connu l’épreuve. Elle n’est pas retournée du tout dans le 104

paradis terrestre. Et donc le démon l’a poursuivie durent toute sa vie, avec une rage unique. La rage du démon à l’égard des saints est très impressionnante. Ceux qui ne croient pas au démon n’ont qu’à se trouver auprès des saints. Quand on n’est pas saint, je comprends que l’on n’y croie pas, parce qu’on est dans sa gueule et on ne le voit pas. Un chien, quand il tient un os dans sa gueule, est content, il n’aboie dus. Alors on dit : bien sûr, le démon n’existe pas ! Mais auprès d’un saint, qui échappe complètement à l’emprise du démon parce qu’il est entièrement en Marie, le démon se met à hurler. Quand on se trouve tout près de ceux qui sont vraiment bénis de Dieu, on les voit les rages du démon. Ses rages sont visibles, ordinairement, car il veut toujours nous impressionner. Et c’est toujours impressionnant lorsque le démon se met à faire du bruit, surtout la nuit. Il renverse les tables, les chaises, il met du désordre. Il essaie d’agir sur le milieu ambiant, pour nous troubler, pour que nous ne soyons plus entièrement ce que nous devrions être. Le démon a toujours poursuivi Marie. Cela, il faut le découvrir. Et ce petit passage de l’Apocalypse nous le montre bien. Le Femme, Marie est poursuivie par le démon. Et il a essayé sur elle tous les moyens. Et il a agi sur l’atmosphère puisque, de fait, « le serpent lança de sa gueule, après le femme, de l’eau comme un fleuve ». C’est le milieu ambiant, c’est la douche démoniaque ! On voit très bien ce milieu ambiant qui se transforme, qui change pour essayer de nous troubler et de nous faire croire que le démon est le prince de ce monde. Marie est la nouvelle Elie qui agit sur le point de vue de la pluie, qui a le pouvoir de la bénédiction de Dieu sur notre monde. Elle est le Reine du monde. En face d’elle, le démon rugit et fait le clown de temps en temps. Il fait des choses extraordinaires pour nous distraire. C’est beau de voir ce passage pour comprendre comment Marie a été poursuivie par le démon. C’est pour cette raison qu’elle nous comprend si bien. Si Marie n’avait pas été tentée, si elle n’avait pas connu la puissance du démon, elle serait moins proche de nous. Le démon a une puissance angélique, comparativement à Marie, petite enfant d’Eve et donc, comme nous, dans la fragilité d’une descendante d’Eve. Et le démon lui, agit avec une puissance de dragon, en face de la faiblesse de la femme. Marie a connu cela qui nous est montré ici symboliquement. Marie a été tracassée par le démon qui ne l’a jamais laissée cinq minutes en paix. Jamais ! Mais comme Marie est au désert, elle ne s’inquiète pas, elle ne se laisse pas troubler et elle a continué son chemin. Et le démon, jusqu’au bout, l’a poursuivie sans ne l’avoir jamais atteinte et donc il se venge sur ses enfants. Tous ceux qui ont parlé de « la descendance de la Femme » ont prédit que le démon les attaquerait plus profondément parce qu’ils sont attachés à Marie. Ce n’est pas une raison pour ne pas se consacrer à la Très Sainte Vierge ! Mais c’est un fait que plus on est lié à Marie, plus le démon nous attaque. Mais plus aussi on a la force intérieure de lutter. Et, après tout, c’est bon de sentir cette lutte qui nous empêche de dormir et de croire qu’on est en temps de paix. Sur la terre, on n’est jamais en temps de paix, mais toujours en lutte. C’est le temps de l’Eglise militante. Très facilement on se reposerait, par un manque de prudence divine, en disant : oh, maintenant le démon me laisse 105

tranquille ! Non, on est toujours tenté, toujours capable de l’être, de multiples manières. Donc, « il s’arrête sur le sable de le mer. » (XII, 18) C’est le démon qui médite. Il médite sur le sable de la mer pour essayer d’attaquer la descendance de la femme. C’est Jean et c’est nous, dans la mesure où nous voulons être liés à Marie. Il faut comprendre cette fureur du démon et nous allons voir maintenant sa stratégie à l’égard de la descendance de la femme. Le dragon a attaqué directement la femme. Et maintenant il va déployer, à l’égard de ses enfants, une stratégie enveloppante. Quand on ne réussit pas en attaquent directement, on prend une méthode enveloppante. « Puis je vis monter de le mer une bête qui avait sept têtes et dix cornes, et sur ses cornes dix diadèmes, et sur ses têtes des noms de blasphèmes. » (XIII, 1) Cette bête est la réplique exacte du dragon. Le démon aime les répétitions. Il répète tout le temps ce qu’il fait. Tandis que le Saint-Esprit ne se répète jamais. Il fait toujours quelque chose de nouveau parce qu’il fait une œuvre d’Amour et que l’amour est toujours nouveau. Quand il n’y a plus d’amour, ça devient une répétition, indéfinie. « Et sur ses cornes, dix diadèmes » : il y a ici une différence. Le dragon a sept diadèmes sur ses sept têtes. Au contraire, la bête de la mer a sur ses cornes des diadèmes, et sur ses têtes des noms de blasphèmes. Cela va nous faire comprendre qui est la bête de la mer. La bête de la mer, c’est le suppôt du démon. C’est le démon qui se sert de l’homme pour attaquer l’homme. Aussi la bête de la mer est-elle à la fois semblable au dragon et différente de lui. Elle ressemble au dragon en ce sens qu’elle présente le même déséquilibre, la même excitation de l’intelligence, au service de la puissance. Mais elle a quelque chose de particulier : sur ses têtes, il y a des noms de blasphèmes. Le démon se sert de l’homme pour blasphémer Dieu. Et c’est l’œuvre de la bête de la mer. Ce que le démon cherche, c’est de pervertir notre intelligence. Il cherche à pervertir notre cœur, c’est évident, mais plus profondément encore il veut la perversion de notre intelligence. Notre intelligence faite pour la reconnaissance de l’existence de Dieu, sa louange, son Amour, il veut en faire une intelligence révoltée, pleine d’amertume et qui blasphème. Quel est le blasphème par excellence ? C’est de dire que Dieu n’existe pas. C’est de dire que Dieu est rival de l’homme, que l’homme seul existe et qu’il doit se sauver par lui-même. Je crois que c’est cela le blasphème par excellence. Il y a le petit blasphème qui consiste à dire : il y a des injustices, Dieu est injuste. Dans ce cas, on reconnaît encore Dieu. Mais quand on dit que Dieu n’existe pas, on blasphème. Et cela, le démon ne peut pas le dire. Seul l’homme peut le dire. Et le démon est joyeux que l’homme le proclame pour montrer à Dieu qu’il s’est trompé. Dieu s’est 106

trompé en mettant sa confiance dans l’homme, se confiance d’Amour. Comment l’homme lui répond-il ? En disant que Dieu n’existe pas ! Dieu est un Père pour l’homme et que fait l’homme ? Il tue le Père. Le voilà le blasphème par lequel nous entrons dans la tactique profonde du démon qui se sert de l’homme pour attaquer l’homme, pour attaquer la descendance de la femme. « Le bête que je vis ressemblait à un léopard ; ses pieds étaient comme ceux d’un ours, et se gueule comme une gueule de lion. » (XIII, 2) Là encore, ne cherchez pas a vous représenter cela d’une façon plastique. Ce serait assez terrible. Voyez les trois aspects de cette bête : léopard, ours, lion. C’est un aspect monstrueux qui comporte l’avidité du léopard, la lourdeur de l’ours et la royauté placée dans sa gueule ! « Le dragon lui donna sa puissance, son trône et une grande autorité. » (XIII, 3) Il y a donc une alliance profonde entre les deux bêtes. « Donne-moi ton âme, je te donnerai mon trône », l’autorité et la puissance. C’est toujours ainsi que ça se passe. « Donne-moi ton âme ». Tu n’auras plus d’âme spirituelle et tu deviendras un monstre. Voilà l’alliance du dragon avec l’humanité : il veut la transformer en une bête de la mer. Nous continuerons à voir ces deux grandes alliances du démon avec les hommes (la bête de la terre et de la mer) pour essayer de découvrir, à travers ce symbolisme, comment le démon s’infiltre dans l’humanité pour lui ôter son âme spirituelle et la rendre esclave de sa puissance.

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8ème conférence

En face de l’Agneau immolé apparaît l’anti-liturgie du démon qui, ne pouvant atteindre le croyant dans sa contemplation, agit de l’extérieur : c’est le salut de l’homme par l’homme. Ch. XIII, 1-16.

Continuons d’entrer dans ce grand mystère de la lutte. C’est important de la saisir pour mieux comprendre ce que Dieu attend de nous. Le démon nous éclaire : nous nous servons de sa tactique pour mieux saisir les exigences de Dieu sur nous. Il ne faut pas dire : je mets le démon entre parenthèses. Ce serait oublier justement la réalité dans laquelle nous vivons : nous sommes en lutte et nous savons que le dragon essaie, par tous les moyens, de nous détourner des exigences de l’amour. Nous avons donc vu que le dragon s’est attaqué à la femme sans pouvoir l’atteindre. C’est curieux de constater qu’en face de Marie il n’y a eu que l’attaque du dragon. C’est l’astuce du démon, parce que pour lui Marie est l’ennemie numéro 1. Marie est celle qu’il fallait détourner à tout prix. Et Marie s’est servi du démon pour aller plus vite. Plus le démon la poursuivait, plus Elle avait hâte de répondre à l’Amour de Dieu. Marie est vraiment la hâte de Dieu et il ne faut jamais l’oublier. Marie a une hâte merveilleuse. Toute sa vie est prise par cet appel très profond du Père ; et c’est avec hâte qu’elle tend vers le Père. Et le démon l’aide à répondre avec plus de force. Quand on est talonné par l’ennemi, on sait qu’on n’a pas de temps à perdre et donc on va plus vite. A notre égard, le démon va prendre une double attitude. Il va prendre l’aspect de la bête de la terre et de la bête de la mer. Si nous lisons attentivement le texte de l’Apocalypse, nous voyons bien que la bête de la mer représente l’alliance du démon avec l’homme. Et je dirais, d’une façon plus précise, que c’est l’alliance du démon avec l’intelligence de l’homme. Le démon, étant un être spirituel, essaie en premier lieu de s’allier notre intelligence, en la pervertissant. Notre intelligence doit être ordonnée à Dieu. Ce n’est pas commode d’être intelligent pour Dieu. Il faut que nous fassions un effort pour tâcher de l’être, car Dieu aime notre intelligence et il faut que nous la Lui donnions.

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Saint Thomas dit cela très joliment parce qu’il avait l’expérience : on aime toujours mieux des étudiants intelligents. Et donc Dieu aime mieux que nous soyons intelligents pour Lui. C’est très simple et c’est vrai. Nous faisons des efforts pour être intelligents pour les choses humaines ; à plus forte raison nous devons nous efforcer d’être intelligents pour les choses de Dieu. Le démon essaie toujours de dominer notre intelligence. La bête de la mer montre la manière dont le démon pervertit notre intelligence. « La bête que je vis (la bête de la mer) ressemblait à un léopard; ses pieds étaient comme ceux d’un ours, et sa gueule comme une gueule de lion ». (XIII, 2) Le léopard est, je crois, la subtilité, la ruse. L’ours, c’est la pesanteur. Et n’oublions pas que Jésus est le Lion de Juda. Il y a donc là une opposition. Jésus est le Lion de la tribu de Juda en raison même de sa royauté. Et la bête de la mer va faire semblant d’être royale. La royauté, c’est avant tout la magnanimité. Un cœur est royal quand il est magnanime, quand il n’est pas limité, quand il veut aller très loin dans l’amour. Nous avons tous en nous une nostalgie de grandeur. Il faut bien l’éduquer pour en faire une grandeur intérieure, en vue de l’amour. Si nous recherchons la grandeur extérieure, cela devient ridicule; cela devient de la vanité. Il faut que notre intelligence soit toute entière polarisée par l’amour. « Le dragon lui donne sa puissance, son trône et une grande autorité ». (XIII, 3) Elle est très curieuse n’est-ce pas cette autorité qui vient du démon. Il y a des gens qui ont du prestige. Or, toute paternité et toute autorité viennent de Dieu. Et donc il y a, même dans l’autorité, un court-circuit. Il faut faire attention. Il y a des autorités qui ne viennent pas de Dieu, mais du dragon. Ne disons pas : parce qu’il a l’autorité, nécessairement elle vient de Dieu. Voyez ce qui est dit ici : « Le dragon lui donne sa puissance, son trône et une grande autorité ». C’est une autorité fausse, fallacieuse, c’est du prestige. « Une de ses têtes paraissait blessée à mort ». Alors là, faites très attention. Il y a sûrement un très grand mystère. J’essaie de pénétrer dans cette perspective selon laquelle le démon est toujours l’antithèse de l’œuvre du Père. L’œuvre terminale de la Révélation, c’est le coup de lance, c’est la blessure du Cœur de Jésus. C’est importent de découvrir ici, son antithèse faite par la bête de le mer. « … mais sa plaie mortelle fut guérie, et toute le terre, saisie d’admiration, suivit la bête. » (XIII, 4) La blessure du Cœur de Jésus est la lumière de toute la Jérusalem céleste. Toute l’Eglise est illuminée par cette blessure. Le démon essaie de séduire par une fausse lumière. « Une de ses têtes paraissait blessée à mort », il s’agit de la tête, et non pas du 109

cœur. Le démon n’a plus de cœur. Il n’y a pas d’antithèse du côté du cœur, c’est impossible. Mais elle se trouve du côté de la tête qui nous montre comment le démon veut dominer sur l’intelligence. Alors apparaît cette chose très curieuse. Nous allons essayer d’entrer progressivement dans ce symbolisme, qu’il faut découvrir. Car vous n’avez jamais rencontré la bête de la mer telle qu’elle est décrite. Si vous l’avez rencontrée, vous me le direz après la conférence, ça m’intéresserait beaucoup ! Vous n’avez jamais rencontré de bête ayant l’aspect d’un léopard, des pieds d’ours et une gueule de lion. Donc, c’est un symbole pour décrire la monstruosité du démon. Le dragon fait de l’homme, chef-d’œuvre divin, un monstre. On en rencontre des monstres, des spirituels avant tout. C’est ce que le démon veut. Vous comprenez très bien que ce n’est pas le point de vue du monstre matériel qui est l’œuvre du démon. C’est le hasard de la matière, quelquefois. Dieu permet qu’il y ait des choses monstrueuses à cause de la matière. L’œuvre du démon consiste à attaquer l’esprit et à faire qu’une âme devienne monstrueuse. De quelle manière le démon va-t-il séduire ? « Une de ses têtes paraissait blessée à mort ». C’est par l’intelligence. Le démon va agir sur l’intelligence humaine en lui donnent un pouvoir de séduction. « Mais sa plaie mortelle fut guérie ». Le démon va singer la résurrection du Cœur du Christ. C’est l’antithèse, c’est sa manière de répondre à la blessure du Cœur de Jésus qui est une blessure glorieuse, puisque Jésus ressuscite dans son Cœur blessé. « Et toute le terre saisie d’admiration suivit le bête ». Le démon a séduit toute la terre, c’est-à-dire tous les habitants de la terre. Ça ne veut pas dire tous les hommes, mais tous ceux qui se matérialisent, tous ceux qui sont pris uniquement par une espérance, un messianisme temporel. « … et l’on adora le dragon ... » Ah, le voilà le désir du démon : prendre la place de Dieu. Le démon veut que l’homme l’adore. Et il la demandé à Jésus au désert. Jésus a refusé : « Tu n’adoreras que Dieu seul. » Alors il essaie de séduire les petits rejetons, la descendance de la femme. « Et l’on adore le dragon parce qu’il avait donné autorité à la bête ». (XIII, 4) C’est celui qui est source d’autorité, celui qui est source de l’intelligence que l’on voit dans la bête. En adorant le bête on adore le démon. Le grand désir du démon c’est d’amener l’humanité à l’adorer, en adorent des idoles. C’est toujours sa grande tactique : créer des idoles. Dans l’âge primitif de l’humanité, les idoles sont de pierre, de bois, comme il est dit dans les Psaumes. Quand l’humanité est beaucoup plus cultivée, les idoles deviennent intérieures. Ce sont des idéologies. C’est le logos de l’idole et l’on suit des idéologies. En devenant esclaves quand on en fait la ligne de conduite de notre vie. Eh bien, à ce moment-là, on adore la bête de la mer. 110

« … et l’on adore la bête en disant : qui est semblable à la bête, et qui peut combattre contre elle ? » (XIII, 4) On est dans une telle admiration devant la bête que l’on ne peut pas ne pas la suivre. Il faut être de son temps. On ne peut pas revenir en arrière. On est battu d’avance. « Et il lui fut donné une bouche proférant des paroles arrogantes et blasphématoires, et il lui fut donné pouvoir d’agir pendant quarante-deux mois. » (XIII, 5) Nous retrouvons le temps exprimé en mois : le temps de la lutte. Le démon compte en mois et Dieu en jours. Il y a là une clé qui nous permet de discerner ce qui est de Dieu et ce qui est du démon ; sur le champ de bataille les deux sont mélangés. Si nous regardons l’univers nous voyons l’action de l’Esprit Saint actuellement sur les hommes, et l’action du démon également. Le terrain de la lutte, c’est nous. Le démon essaie de pénétrer en nous. L’Esprit Saint et Marie nous défendent. Et plus nous sommes pris par Marie, plus nous échappons au démon qui rugit. Et nous l’entendons rugir si nous sommes à Marie. Si nous sommes complètement au démon, nous ne l’entendons plus rugir parce que nous sommes dans sa gueule. Alors c’est très simple, il est très heureux. Tandis que si nous lui échappons, nous l’entendons bel et bien rugir. Donc, la bête de la mer essaie de dominer. « Et elle ouvrit sa bouche pour proférer des blasphèmes contre Dieu, pour blasphémer son nom, son tabernacle et ceux qui habitent dans le ciel ». (XIII, 6) Le tabernacle de Dieu, c’est Marie. « Et il lui fut donné de faire la guerre aux saints et de les vaincre ; et il lui fut donné autorité sur toute tribu, tout peuple, toute langue et toute nation. » (XIII, 7) Le pouvoir de cette bête de la mer est un grand raz-de-marée. C’est l’idéologie qui prend tout. Cela devient très clair pour nous si l’on regarde ce qui se passe dans le monde d’aujourd’hui. Le pouvoir de certaines idéologies est invraisemblable. Et, en réalité, les hommes les adorent ces idéologies qui les saisissent totalement et les rendent esclaves. « Il lui fut donné de faire la guerre aux saints et de les vaincre », apparemment, bien sûr, et c’est ce que l’on voit actuellement. Le démon gagne du terrain. Il est en train de vaincre les saints. « … et tous les habitants de la terre l’adoreront, ceux dont le nom n’a pas été écrit dans le livre de vie de l’Agneau immolé, dès la fondation du monde. » (XIII, 8) Les habitants de la terre sont ceux qui ne regardent que le point de vue matériel, 111

l’efficacité humaine. Et voyez l’Agneau immolé qui apparaît là, juste en face de la tête blessée. Donc, on est en présence de cette astuce extraordinaire du démon qui fait agir l’homme sur l’homme. Dieu a voulu sauver l’homme par l’homme, par l’Incarnation, par le mystère de l’Agneau. Et le démon fait la singerie, l’opposition, l’antithèse de l’Incarnation, par une alliance avec l’intelligence humaine. Il la pervertit pour l’amener à blasphémer Dieu, à lutter contre les témoins de l’Amour du Christ. Les saints sont les témoins. Et toute l’astuce de la bête de la mer a pour but d’amener les hommes à l’adorer, par l’aliénation de leur intelligence et de leur cœur entièrement pris par ces idéologies qui promettent monts et merveilles, un bonheur terrestre, la puissance, la gloire humaines. Par l’adoration, nous sommes au service de Dieu. La fausse adoration, l’idolâtrie, nous met au service des idéologies. On va mieux comprendre la bête de la mer en regardant tout de suite l’autre bête, la bête de la terre. Elles sont de connivence. Il n’est pas bête le démon. Il est le malin. « Puis je vis monter de le terre ... » (XIII, 11) Les deux bêtes n’ont pas la même origine. C’est très curieux que l’on nous montre l’origine des deux. Par l’origine, c’est à l’intérieur même du devenir de l’homme que le démon intervient. C’est toujours ainsi. Il n’agit pas directement sur ce que nous sommes mais il agit sur notre devenir. C’est à partir de notre conditionnement qu’il s’infiltre. « Puis je vis monter de la terre une autre bête, qui avait deux cornes semblables à celles d’un agneau, et qui parlait comme un dragon. » (XIII, 11) Cette bête n’a pas de tête; elle n’a que deux cornes uniquement. Elle n’est pas intelligente. Il faut donc que l’intelligence soit donnée à la bête de la terre. En outre, vous voyez le mensonge établi dans cette bête de la terre. Apparemment elle est douce. Elle a deux cornes comme un agneau. Mais ce sont tout de même des cornes. Tout est ordonné à la puissance. Elle parle comme un dragon. « Elle exerçait toute la puissance de la première bête en sa présence, et elle

amenait la terre et ses habitants à adorer la première bête, dont la plaie mortelle avait été guérie. » (XIII, 12) Donc, elle est entièrement téléguidée par la bête de la mer, puisqu’elle n’a pas de tête. Et elle est toujours relative à la bête de la mer ; elle est « en sa présence » toujours. Elle ne fait rien par elle-même. Vous voyez, comme on dit « en présence de Dieu », on dit « en présence de la bête de la mer ». C’est l’opposition. On voit très bien l’antithèse, l’opposition violente entre les deux. Et elle veut toujours amener le cœur de l’homme à adorer la bête de la mer, et par elle, le dragon. Comptez le nombre de fois où cela apparaît. Et le première bête est qualifiée ainsi : « dont la plaie mortelle avait été guérie », exactement comme on qualifie « l’Agneau comme immolé ». 112

« Elle opérait aussi de grands prodiges ... » (XIII, 13) « … jusqu’à faire descendre le feu du ciel sur la terre … » La bête de la terre ne blasphème pas, elle fait des prodiges extraordinaires ! C’était déjà ainsi dans l’Antiquité. N’oubliez pas le grand mythe de Prométhée : prendre le feu aux dieux pour obtenir leur puissance. Sans le feu l’homme n’aurait pas eu d’armes. Toute la technique relève du feu : il faut donc le capter. On voit cela ici où « le feu du ciel » est quelque chose qui relève d’un pouvoir divin, quelque chose qui nous échappe, qui est en dehors de ce que la science a pu capter. La bête de la terre reçoit donc de la bête de la mer ce pouvoir extraordinaire de faire descendre le feu du ciel sur la terre, à la vue des hommes. C’est un pouvoir extraordinaire, qui échappe au contrôle de la science. « Et elle séduisait les habitants de la terre (toujours le séduction) par les prodiges qu’il lui était donné d’opérer en présence de la bête, persuadant aux habitants de la

terre de dresser une image à la bête qui porte la blessure de l’épée et qui a repris vie. » (XIII, 14) C’est la troisième fois où il est parlé de la bête en ces termes. Cette insistance a de l’importance. Ce qui la caractérise ce n’est pas n’importe quoi, mais le fait qu’elle ait été blessée à mort et qu’elle a repris vie. « ... de dresser une image », une icône selon le mot grec, pour qu’il y ait une présence. L’icône sainte c’est la présence du Christ ou des saints, au milieu de nous. C’est cela le sens de l’icône. Alors le démon en fait l’antithèse. Il y a une espèce de liturgie qui relève de la bête de la terre, une anti-liturgie en son honneur, si vous voulez. L’homme a besoin d’une liturgie. Quand on la lui supprime, il en prend une autre, immédiatement. C’est très net, parce que nous sommes à la fois esprit et corps. Et notre corps a besoin de gestes, de paroles. Il a besoin d’une liturgie. Alors il y a la liturgie représentée par l’image, avec une petite lampe de sanctuaire. Dans la mesure où l’on ôte les lampes des sanctuaires, on les met ailleurs. On les met devant l’image de la bête. Il y aura une anti-liturgie. Elle commence. On le voit cette liturgie qui relève de la bête de la terre pour le glorifier. « Et il lui fut donné d’animer l’image de le bête de façon à la faire parler et à faire tuer tous ceux qui n’adoreraient pas l’image de la bête. » (XIII, 15) « Animer l’image de la bête », c’est-à-dire lui donner vie, faire croire qu’elle a la puissance sur la vie. Ça va jusque là. C’est dit. Il faut faire grande attention à ces choseslà qui nous sont révélées. Donc, il y a le pouvoir sur le feu du ciel pour montrer aux hommes que l’on peut tout faire. Dieu n’a pas besoin d’exister. Les hommes ont un pouvoir absolu. Et puis « il lui fut donné d’animer l’image de la bête de façon à la faire parler ... », on pièce un 113

magnétophone derrière l’image de le bête et alors elle va parler. Et par le fait même elle exerce son pouvoir de faire tuer tous ceux qui n’adoreraient pas son image. La tyrannie c’est la puissance qui s’exerce de cette manière implacable. Dès que l’on tombe dans l’attitude religieuse, on devient intransigeant. Toute attitude purement religieuse est intransigeante. On devient facilement fanatique. Si nous n’avons pas la foi en la miséricorde et que nous restons uniquement dans l’attitude religieuse, nous risquons de mettre l’absolu dans l’attitude religieuse. Il y a des gens qui mettent l’absolu dans les gestes liturgiques et qui deviennent fanatiques. Les gestes liturgiques sont toujours relatifs à l’absolu. Mais quand la foi n’est plus contemplative, le seul absolu étant la contemplation, on met l’accent essentiel dans l’attitude religieuse. La liturgie eucharistique devrait être contemplative, normalement. Elle peut l’être plus ou moins en ce sens qu’une liturgie plus silencieuse conduira à la contemplation. La grande Sainte Thérèse avait très bien compris cela en disant : « Il faut alléger la liturgie pour la contemplation ». Mais, d’autre part, il faut savoir que le peuple a besoin de la liturgie. Il a besoin d’être réanimé parce qu’il n’est pas dans la contemplation. Pour les carmélites, c’est différent : elles sont dans la contemplation. Pour ceux qui font une retraite, également : à ce moment-là, ils tendent vers le contemplation. Mais lorsqu’elle s’adresse au peuple chrétien, la liturgie doit l’éduquer, le conduire vers l’Eucharistie. Le grand moment, le sommet liturgique, c’est l’Eucharistie. Par Elle nous communions directement à la blessure du Cœur de Jésus qui illumine toute le Jérusalem céleste. Alors, l’antithèse c’est l’image de la bête devant le silence de l’Eucharistie. « Il lui fut donné d’animer l’image de la bête, de façon à la faire parler. » Quand il n’y a pas d’amour, il faut tout le temps bavarder. La liturgie du silence c’est celle de l’amour. Mais quand il n’y a plus assez d’amour, on remue pour empêcher les gens de s’endormir : il faut les réanimer et le dialogue devient nécessaire. Cette liturgie du dragon est importante en ce sens qu’elle nous fait comprendre ce qu’il ne faut pas faire. La liturgie de la bête consiste uniquement à faire parler. Alors on est en admiration parce que la bête parle. C’est extraordinaire ! « … et à faire tuer tous ceux qui n’adoreraient pas l’image de la bête ». Cela c’est l’intransigeance. « Elle fit qu’à tous, petits et grands, riches et pauvres, libres et esclaves, on mit

une marque sur la main droite ou sur le front, et que nul ne pût acheter ou vendre, s’il n’avait pas la marque du nom de la bête ou le nombre de son nom. » C’est l’aspect tyrannique de cette liturgie qui prend tout, jusqu’au travail. C’est l’antithèse de la marque du sacrement. On est marqué par le sacrement. Et le démon, puisqu’il est spirituel, voit la marque sacramentelle en nous qui est le signe du Christ. 114

L’antithèse de la bête c’est de nous marquer à sa façon qui ne peut être que visible, par la liturgie qui prend tout. Quand il y a une vie intérieure, la liturgie ne prend pas tout puisqu’il y a la contemplation. Le démon ne peut pas faire l’antithèse de la contemplation. Il essaie donc de faire l’antithèse de la liturgie. Il agit toujours de l’extérieur, par la parole, par les gestes et nous sommes là en présence de la liturgie de la bête de la terre. « Elle fit qu’à tous, petits et grands, riches et pauvres », vous voyez l’œcuménisme de la bête de la mer et de la terre. Il faut regarder cette espèce d’antithèse de l’unité. « ... libres et esclaves », ça lui est bien égal que l’on soit libres ou esclaves. « … on mit une marque sur la main droite ou sur le front » : le démon ne peut pas atteindre directement l’intelligence. Alors, il touche le front. Et la main droite représente la main qui s’engage. Voilà le symbolisme du front et de la main droite.

La tactique du démon veut parvenir, au moyen de cette liturgie de la bête de la mer, à rassembler tous les hommes. A tel point que tous ceux qui n’ont pas l’image de la bête, c’est-à-dire qui ne lui appartiennent pas, n’ont plus qu’une seule chose à faire : disparaître. On voit cette tyrannie absolue aujourd’hui, mieux que jamais. « C’est ici le sagesse ! Que celui qui a de l’intelligence compte le nombre de la bête ; car c’est un nombre d’homme et ce nombre est six cent soixante-six. » (XIII, 18) Il nous est donc donné le conseil de dépister la bête, de ne pas rester passif, mais d’essayer de comprendre. « C’est ici le sagesse ! » c’est-à-dire qu’il faut s’élever jusqu’à Dieu, jusqu’à l’Agneau pour, dans sa lumière, comprendre ce qui nous est dit. Alors, ayez l’intelligence pour comprendre ce nombre. Je ne vais pas entrer dans tous les computs qui ont été fait sur ce nombre. C’est quelque chose qui relève directement de la Sagesse divine et pas du tout d’une espèce de symbolisme du nombre. Ce n’est pas livré aux sages, mais à la sagesse par le Don d’intelligence. Donc il faut le comprendre dans la lumière de Dieu et non pas dans une lumière purement philosophique. Cette dernière peut nous aider, c’est sûr. Mais il faut le comprendre avant tout dans la lumière divine. Alors, de quoi s’agit-il ? Que veut faire le démon ? Nous le savons dès sa première tentation : il veut faire croire à l’homme que le salut vient de l’homme, qu’il n’est pas sauvé par Dieu ; que l’homme n’est pas sauvé par le Christ, mais qu’il est capable de se sauver lui-même. Autrement dit, il veut que l’homme se replie sur lui-même en s’exaltant. Et que l’homme se détache de Dieu parce qu’il ne comprend plus que c’est par l’Esprit de Dieu qu’il atteint se plénitude. Le démon s’oppose donc directement aux sept Esprits de Dieu. C’est par les sept Esprits de Dieu que l’homme atteint sa plénitude, sa fin. C’est dans la mesure où nous 115

sommes mus par l’Esprit Saint que nous sommes vraiment Enfants de Dieu. Et qu’à ce moment-là, nous atteignons à ce qui est l’essentiel de notre vie chrétienne : le filiation divine. Le nombre 6 signifie ce qui arrête et qui fait que l’homme se repliant sur luimême, veut se sauver seul. Alors nous commençons à comprendre comment il faut lire le nombre 666 trois fois six et non pas six cent soixante-six. C’est l’anti-Trinité. Nous sommes à l’image de Dieu et à l’image de la Très Sainte Trinité. Par la grâce chrétienne, par les sept Esprits de Dieu, nous grandissons dans la lumière de Dieu et nous sommes sauvés par le Christ et par l’Agneau. Si l’homme veut se sauver lui-même, il doit d’abord se couper de Dieu en se repliant sur lui-même. Je crois que c’est le signification du nombre six : l’homme qui se coupe de Dieu. Il se replie sur lui-même pleinement, dialectiquement. Cela donne cette espèce de dialectique extraordinaire par laquelle l’homme découvre l’homme et ne découvre que l’homme. C’est l’illustration de ce que me disait une fois quelqu’un en perlant d’un philosophe : « Il est toujours heureux parce que chaque fois qu’il interroge la nature, elle prononce son nom : 666. » Vous voyez que c’est exactement ce point de vue d’un immanentisme absolu. C’est l’homme qui ne veut absolument pas se dépasser. Or, le dépassement de l’homme se fait par l’amour, par la sagesse dans la contemplation et l’adoration. Si l’homme ne veut pas se dépasser par l’amour, il se replie sur lui-même. Et il reste dans cette immanence absolue de l’homme par rapport à lui-même. Il veut tout trouver en lui-même. Cette interprétation est directement soulignée ici par le point de vue de le sagesse et de l’intelligence. L’exaltation de l’homme : 666, c’est l’opposition à l’image de Dieu en lui. Pour trouver en nous l’image de Dieu, nous nous mettons en référence à son égard et alors nous voyons que nous sommes créés à l’image de le Très Sainte Trinité. Et à ce moment-la il y a un ordre dans notre dominium qui est ordonné à l’amour. Tout dominium est ordonné à l’intelligence et toute intelligence est ordonnée à l’amour. L’œuvre du démon ne peut pas supprimer l’intelligence, ni l’amour, ni le dominium. Mais elle peut supprimer la finalité quand l’amour, au lieu d’être ordonné à Dieu, pour permettre un dépassement, se tourne vers nous-mêmes et devient notre propre exaltation. C’est l’amour de soi : 666. On s’aime par-dessus tout. Et l’on se recherche toujours dans les autres. On ne les aime que dans la mesure où l’on se retrouve en eux. 666, ça se répète indéfiniment. On se coupe de la transcendance, du dépassement, et l’amour replié sur lui-même ne veut plus regarder que soi. Essayons de pénétrer plus avant dans ce grand symbolisme de la bête de la terre et de la mer qui veut façonner un nouveau type d’homme. Le démon ne tolère pas que l’homme soit créé à l’image de Dieu, et qu’il soit son chef-d’œuvre. Alors il veut façonner un nouveau type d’homme, qui soit à la ressemblance du dragon. Un homme qui soit 666 et qui soit heureux de le proclamer. La grande victoire du démon c’est de parvenir à faire un nouvel homme qui se libère par lui-même et qui soit heureux de ne 116

plus rencontrer que lui. Comment le démon va-t-il s’y prendre ? Ce que nous voyons aujourd’hui doit nous aider beaucoup à comprendre ces deux symbolismes. Car je crois que nous nous trouvons assez nettement en présence de la bête de la terre et de la bête de la mer. La stratégie du démon consiste toujours à cacher son jeu. Tout en étant reliées entre elles, la bête de la terre et la bête de la mer sont, extérieurement, très différentes. D’un coté il y a l’exaltation pure de la puissance : les deux cornes. De l’autre il y a les prodiges : des prodiges extraordinaires ; tout est possible aujourd’hui. On va arriver à des conceptions in vitro de l’embryon humain. On va faire un nouvel homme. On arrivera à faire des choses extraordinaires. Tout est possible à la science ! Tout est possible è la technique. On parvient à faire croire cela très profondément. Le feu du ciel est descendu sur la terre. On peut faire parler une image, on peut faire n’importe quoi. Il n’y a plus de limites. On veut montrer que la toute-puissance n’est plus remise à Dieu, mais à l’homme.

C’est vrai que la science a un très grand pouvoir. Mais elle n’est tout de même pas la toute-puissance de Dieu. Elle a des limites. Et elle le constate. Les grands savants le savent. Mais il y a la vulgarisation qui est la bête de la mer, ou de la terre ... Le démon exploite le point de vue de la vulgarisation qui est toujours un mensonge plus ou moins latent. On le sait très bien. Ceux qui voient comment se font les propagandes savent que c’est toujours plus ou moins falsifié. Pourvu que le tout soit vraisemblable. On ne recherche pas la vérité. Si on le cherchait, on ferait faillite. Alors, évidemment, il ne faut surtout pas chercher la vérité. Il faut essayer de montrer que les choses sont merveilleuses. L’œuvre de la bête de la terre c’est l’intimidation par la puissance. Tout est possible. Il ne faut surtout pas retourner en arrière. La bête de la mer, c’est la perversion de l’intelligence. Le démon ne peut pas faire la caricature de l’amour. Mais il replie l’homme sur lui-même, le ramenant à l’amour de soi. Et son autre grand procédé, c’est l’intimidation par la puissance. Il y a très peu de gens qui, en face de la puissance, gardent leur sang froid. Pour résister à l’intimidation, il faut une très grande force du cœur, de l’intelligence. Quand on est intimidé, on dit : oui, c’est vrai, il le faut bien ... Tout le monde le fait. Il faut essayer de faire comme on peut. L’intimidation par la puissance, on la voit aujourd’hui : puissance d’une armée, puissance des moyens de destruction, puissance d’envahissement. C’est très impressionnant. C’est l’intimidation de la bête de la terre qui n’est qu’une bête, mais c’est une bête puissante, sous les apparences d’un agneau. « Pas de guerre, nous sommes pour le paix ! », c’est l’agneau qui parle, mais il le dit à la façon d’un dragon. Il veut dominer sur tout. Mais bien sûr, il ne veut eue la paix. La guerre, c’est vous autres qui la voulez, nous, nous ne voulons que la paix ... 117

Par l’intimidation, la bête veut posséder les hommes pour qu’ils l’adorent ; pour qu’ils soient à plat ventre devant elle. Dans cette sorte d’adoration, l’intelligence et le corps ne sont plus que des esclaves. La bête veut rendre les hommes esclaves dans toute leur vie. Cela, c’est l’intimidation par la puissance. Une fois qu’il y est parvenu, le démon s’attaque à pervertir progressivement l’intelligence. Quand on a été éduqué d’une certaine manière, pendant des années, on met beaucoup de temps à sortir de ce conditionnement qui nous a marqués. J’avais à Fribourg un étudient de 35-40 ans qui venait de l’autre côté du rideau de fer. Il était médecin et avait toujours été chrétien et catholique. Il attendait le moment où il pourrait enfin faire des études philosophiques et théologiques pour devenir prêtre. Eh bien, cet homme m’a dit qu’il lui a fallu plusieurs années avant de se retrouver luimême. Il me disait : « Je croyais, je luttais, je luttais, pour maintenir ma foi, mais je me laissais prendre par une quantité de choses au point de vue de l’intelligence, au point de vue de le manière d’être. J’étais pris dans tout un climat. Il a fallu longtemps, deux ou trois ans, avant de pouvoir libérer mon intelligence et de retrouver une véritable liberté d’esprit. » Et cet homme n’était pas n’importe qui. Il avait un but et il avait dû lutter sans cesse pour ne pas se laisser prendre. Il ne faut jamais oublier que le plus grande victoire du démon c’est de pervertir l’intelligence humaine. Tout est par lui ordonné à la perversion de l’intelligence qui, à ce moment-là, blasphème Dieu. Elle le rejette et s’adore, soit elle-même, soit dans ses idoles. Et cette humanité ainsi pervertie adore, en dernier lieu, le démon. Le démon ne cherche pas à être adoré directement, il est trop intelligent pour cela. Mais il essaie de passer par le point de vue des idéologies, c’est-à-dire par l’homme. Je crois que c’est cela qui nous est montré ici. Alors il faudrait essayer de comprendre comment la bête de la mer, avec ses sept têtes, est plénitude. Et donc comment elle essaie de corrompre l’intelligence humaine dans sa plénitude. C’est ce que nous voyons actuellement dans ces idéologies nées depuis 100 ans, ou 130 ans si vous voulez, et qui toutes impliquent, dans leur essence, le rejet de Dieu et l’exaltation de l’homme. Ne sont-elles pas l’illustration de ce que l’Apocalypse nous montre ici : les sept têtes de la bête de la mer essaie de corrompre complètement l’intelligence humaine, ordonnée naturellement vers Dieu, et de le tourner vers une chose unique : l’exaltation de l’homme. Il faut sauver l’homme par l’homme. Et au cœur de ces idéologies qu’y a-t-il ? La blessure de la bête. Autrement dit, ces idéologies diverses ont quelque chose de commun : le blessure de la tête (de la bête). On insiste par trois fois sur ce point pour nous faire comprendre que là réside la grande séduction. Donc ces idéologies ont un point central commun  cette blessure  qui est l’antithèse du mystère de la Croix du Christ, l’anti-Révélation du Cœur du Christ, l’anti-Révélation de la blessure de l’Agneau. C’est une blessure apparente, mais aussi une blessure réelle de la tête, et qui permet de faire croire que la bête ressuscite. 118

Nous reviendrons sur ce passage important en raison de ce que nous vivons actuellement. Réfléchissez sur ce point central. Pourquoi le démon rugit-il si fort devant la blessure du Cœur de Jésus ? Parce que c’est cela que Marie a vécu avec la plus grande intensité. Parce que c’est par cette blessure que Jésus nous attire si fortement à Lui. Parce que c’est à ce moment-là que l’Eglise est née, selon la grande vision si merveilleuse de Saint Augustin. Les sacrements naissent de la blessure du Cœur de Jésus et ont pour but de nous y conduire. Cette blessure nous fait comprendre le Mystère de l’Eglise. Nous sommes nés à ce moment-là. Alors on comprend très bien la rage du démon à l’égard de ce mystère et qu’il essaie, à sa manière, de faire quelque chose de semblable, en corrompant l’homme de l’intérieur.

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9ème conférence

La pensée hégélienne est le fondement de tous les athéismes contemporains qui sont les têtes de la bête de la mer. Elles sont nées de la corruption de la pensée chrétienne. (I Jn) Suivre l’Agneau partout où Il va, c’est être fidèle dans l’adoration et la contemplation, comme Marie de Magdala. C’est le Béatitude des Cœurs Purs. Ch. XIV, 1-13.

Maintenant il faut entrer de plus en plus dans cette grande lutte. Je reviens un instant sur sa signification mystérieuse. J’avoue que cela me pose toujours un point d’interrogation. C’est bon, du reste, d’interroger le Saint-Esprit. Il aime bien qu’on l’interroge, parce que ça prouve que nous avons un désir d’entrer profondément dans ce qu’il nous enseigne, et que nous comprenons que c’est Lui qui doit nous éclairer. Alors essayons. Je crois qu’il faut se servir de la tactique du démon pour mieux comprendre dans le plan divin la place du mystère du coup de lance qui, selon l’Evangile de Jean, est sûrement capital. C’est très important le mystère du Cœur blessé de Jésus, le mystère de l’Agneau immolé. Ce mystère de l’état de victime de l’Agneau, qui dépasse le sacerdoce et qui l’achève, nous aide à préciser un peu toute la conduite de l’Amour de Dieu. Car c’est là où la Révélation s’achève. Et toute la Révélation est une révélation d’Amour. D’où l’importance de comprendre ce qui nous est montré ici. C’est peut-être cette vision qui a fait comprendre à Jean l’importance du coup de lance dont les autres Evangiles ne parlent pas. Il n’y a pas de raison pour ne pas le dire. Par cette vision qu’il a eue de cette bête dont la tête est blessée et qui revit, l’Esprit Saint lui a montré que c’était là qu’il fallait vraiment saisir comment la tactique du démon s’opposait à la grande, à l’ultime manifestation de l’Amour. Le démon ne peut pas s’opposer à l’Amour ; il le met entre parenthèses. Il essaie de considérer que l’Amour est une question de sentiment. Ce n’est pas cela qui est important, mais bien l’intelligence. C’est l’intelligence qui est l’essentiel, pour le démon. Alors, quelle est, du côté de l’intelligence, l’antithèse par rapport à la blessure du cœur ? L’intelligence n’est finalisée que dans la mesure où elle cherche la vérité. L’intelligence ne peut Être au service de l’amour que lorsqu’elle cherche la vérité. Et elle cherche la vérité justement quand elle est en dépendance de la réalité. L’intelligence est 121

ordonnée à l’être. C’est une intelligence qui cherche la vérité. Je crois qu’on peut le dire assez facilement, sans entrer dans des explications métaphysiques. C’est forcé, dès qu’on touche à l’intelligence, on touche un peu la métaphysique. Il ne peut pas en être autrement. Que voyons-nous aujourd’hui ? Nous voyons que l’intelligence est ordonnée au néant : le primat du néant. C’est quand même très impressionnant de le constater et ce n’est pas absolument nouveau parce que tout avait déjà été dit en Grèce. Les Sophistes comme Protagoras, juste avant Socrate, disaient déjà que le néant est avant l’être. Et que l’intelligence est donc ordonnée au néant. C’est assez impressionnant du reste de le retrouver dans la philosophie heideggérienne d’aujourd’hui. La philosophie de Heidegger est un succédané de la philosophie de Hegel, il ne faut pas l’oublier. Heidegger, le grand philosophe allemand d’aujourd’hui, ne dépasse pas Hegel. Il reste encore sous sa dépendance. C’est-à-dire qu’il ne redécouvre pas vraiment ce pourquoi l’intelligence est faite. Et dès lors, qu’est-ce qui prime dans toute la philosophie moderne ? C’est la négation. Toute la philosophie moderne met le primat sur la négation et non pas sur l’affirmation. Alors que, dans la philosophie classique, l’affirmation était première. Du reste, il suffit d’avoir un peu de bon sens pour dire que l’affirmation est première. Je crois que dès qu’on réfléchit un tout petit peu, on constate que, de fait, ce qui est affirmé vient avant, et que la négation vient en second lieu. Même dans le langage, c’est très net. On dit : ceci est. On ne dit pas : ceci n’est pas. Vous voyez que la négation est quelque chose de plus complexe. Tandis que dans la philosophie contemporaine, la négation est avant, et ceci en fonction de toute une position dialectique. L’intelligence qui nie est une intelligence qui s’affirme comme dominant le réel. C’est dans la négation que nous avons le plus le sens de la puissance de l’esprit. Pourquoi le gosse aime-t-il tellement dire non ? Voilà un petit garçon très gentil : je lui dis « bonjour ». Il répond : « non ». Il est, comme disent les psychologues, dans l’âge de la négation. Pourvu que ça passe ! C’est étonnant. Pourquoi dit-il « non » ? Pourquoi cette espèce d’amour de la négation ? Et cela demeure tout le temps. On aime nier. Parce que quand on dit « oui », on tend la main et l’on s’engage. On accepte qu’il y ait quelqu’un d’autre et on le suit. Suivre le Christ, c’est dire « oui ». Le Christ c’est l’Amen du Père. Ce n’est pas la négation du Père. Le Christ a dit « oui » toute sa vie. Il était l’Amen. Alors on commence un tout petit peu à comprendre que ce qui se passe dans la philosophie contemporaine a mis du temps pour arriver à pervertir l’intelligence d’une manière si profonde que l’on arrive maintenant à trouver normal que la première chose que l’intelligence dise soit « non ». Il a fallu du temps pour y arriver. Quand on suit l’idéalisme depuis Descartes, on en voit le cheminement. Pour Descartes, ce n’est pas d’abord le « non » qui est premier. Tandis que dans le philosophie contemporaine, à partir de la dialectique hégélienne, la négation est première. Les négations expriment 122

plus profondément la domination de l’intelligence. Parce que quand vous niez, vous n’avez pas besoin de reconnaître le réel. C’est étonnant ! Vous n’avez pas besoin de vous soumettre à la terre. C’est vous qui dominez. Vous avez une position première. Vous dominez et vous dites « non ». En disant « non », vous affirmez votre intelligence. La négation nous permet de nous affirmer plus profondément que l’affirmation. Par l’affirmation, on suit : on reconnaît que l’autre est devant nous. Par la négation, on est premier. Alors on voit comment l’idéalisme conduit à dire que la négation est première. Et en disant cela, on dit que le néant est premier. Le néant c’est le fondement de la négation. Alors on parvient à comprendre un peu le mouvement profond de la dialectique qui permet à l’intelligence de créer quelque chose. Si la négation est première, l’intelligence va pouvoir, à partir de là, créer toute chose. Il y a un poème de Mallarmé, que je ne connais pas assez de mémoire, mais qui est merveilleux et qui dit que celui qui veut créer, pour être créateur, doit d’abord nier tout ce qui est avant lui ! Quand on définit la création, on dit : ex nihilo. On crée à partir de rien. Donc, si l’on veut être créateur, il faut nier et dire : « il n’y a rien ». Rien n’est avant moi, et tout vient de moi ! Voilà l’orgueil de l’intelligence : être son petit dieu, faire comme Dieu. Et donc pouvoir dire qu’avant nous il n’y a rien et que tout provient de nous ! Quand nous pensons, nous créons. C’est ce qu’il y a de fondamental dans tout l’idéalisme contemporain. Et la dialectique hégélienne est ainsi : c’est l’intelligence qui crée. Et le mouvement dialectique de l’esprit mesure le réel. Alors je me demande si ce n’est pas cela qui nous est révélé ici. Evidemment, c’est très difficile de le prédire. Quand on dit : « la tête est blessée à mort », c’est la négation, c’est bien la négation de la vie. La blessure du Cœur de Jésus est la blessure mortelle. Si l’on identifie intelligence et vie, il est blessé à mort. Et en même temps, il va redonner vie. Donc le mouvement dialectique consiste à dire que la négation est première et que l’intelligence redonne vie. Et que tout provient de l’intelligence humaine qui montre son pouvoir extraordinaire de séduction en voulant recréer un nouveau monde. Je ne vais pas vous faire un cours sur la dialectique hégélienne, mais, croyez-le, son emprise est très très forte. Elle pénètre chez les théologiens. Il y a quelques années, un théologien à l’Institut Catholique de Paris disait qu’il ferait un cours sur la Très Sainte Trinité dans la lumière de la dialectique hégélienne. C’est textuel, ce n’est pas moi qui l’invente. Et lorsque les étudiants lui ont dit : « Ne pourriez-vous pas faire un cours sur le Très Sainte Trinité dans le lumière des Pères de l’Eglise ? », (c’était une manière très astucieuse de leur part de dire qu’ils n’aimaient pas tout à fait cela), il a dit : « Eh bien, si c’est ce que vous voulez, je ne ferai pas de cours ». Et il est parti. Je le sais par quelqu’un qui était le présent.

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Vouloir donner une vision de le Très Sainte Trinité dans le dialectique hégélienne, qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire justement qu’il y a une espèce d’opposition profonde entre le Père et le Fils. Entre le Père et le Fils il y a une opposition fondamentale : le Fils tue le Père. C’est toujours ce qui arrive dans la dialectique hégélienne. Et il y a la synthèse qui est, évidemment, l’Esprit Saint. Mais il y a une opposition entre les deux, puisque c’est à partir de cette opposition que va naître la chose. Donc, il faut la mort pour la résurrection. C’est vrai qu’il faut la mort pour la résurrection. Je suis tout à fait d’accord. Mais ce n’est pas cela qui explique la Très Sainte Trinité. Cela explique un mouvement très profond de la vie. Il faut que le grain de blé meure pour porter beaucoup de fruits. Mais ce n’est pas du tout le mouvement dialectique. Parce que pour porter beaucoup de fruits, il faut que l’Amour de Dieu soit donné à partir de la mort. Et c’est Dieu qui ressuscite les morts. Ce n’est pas le mort qui se ressuscite lui-même. Tandis que dans la dialectique, l’intelligence nie radicalement pour affirmer le néant et se redonne la vie elle-même. Dans la dialectique hégélienne, l’intelligence humaine est dieu. On n’a plus besoin de Dieu. Donc c’est l’intelligence humaine qui, dans un mouvement dialectique et d’immanence, redonne la vie. Et elle fait l’œuvre propre de Dieu qui est de ressusciter. Est-ce que la bête de la mer, qui est justement le point de vue du dragon qui se sert de l’intelligence humaine pour blasphémer, ne veut pas dire que l’intelligence humaine n’a plus besoin de Dieu ? Qu’elle est Dieu et qu’elle n’a pas besoin d’autre chose ? Et voici son signe : le tête blessée à mort et qui se redonne vie. Voyez comment, dans un langage symbolique, c’est magnifiquement exprimé. C’est le primat du néant. Et parce qu’on se donne le primat du néant, on peut ressusciter. On ne ressuscite rien du tout, mais l’on s’est donné le primat du néant ! C’est bien cela le rôle de la bête de la mer. C’est un mensonge, un mensonge extraordinaire qui consiste, à partir de la blessure mortelle, à dire qu’on n’a plus besoin de résurrection puisqu’on se ressuscite soi-même. L’intelligence, quand elle n’est plus ordonnée à l’amour, se tourne sur elle-même, reste donc dans l’immanence et alors fait cette chose étonnante. Demandez au SaintEsprit de vous éclairer là-dessus. Une chose me semble très nette : c’est que la dialectique hégélienne est le fondement de tout l’athéisme contemporain. Hegel n’est pas un athée ; il veut faire une nouvelle théologie. Et alors il a suivi des cours qu’il trouvait tellement rasoirs qu’il a dit : mais, ils ne savent rien du tout, on va redonner une nouvelle vie à le théologie. Pour lui, donner une nouvelle vie à la théologie, c’était réabsorber tout dans sa perspective dialectique. Et toute sa dialectique est un mouvement d’immanence où l’intelligence humaine progressivement s’exalte et où, au terme, elle se dit Dieu. L’esprit c’est Dieu. Nous sommes identifiés à Dieu. Tant pis. Il n’y a plus de possibilité d’un point de vue surnaturel. Absolument plus. Nous sommes dans l’immanence absolue. 124

On comprend dès lors comment la dialectique hégélienne a donné naissance à la dialectique marxiste. Tout le monde le sait. C’est le mouvement d’immanence. C’est l’intelligence qui imprime à la réalité son propre mouvement, et on peut dire que pratiquement les idéologies modernes n’auraient pas pu prendre un tel développement s’il n’y avait pas eu la dialectique hégélienne. Cela, je le crois. Le positivisme, c’est un petit peu différent. Mais, même le positivisme, tel qu’il est vécu aujourd’hui, est influencé par la pensée hégélienne pour qu’il reste dans l’immanence. De sorte que toutes les idéologies contemporaines qui aboutissent au rejet de Dieu, à la considération que Dieu est un rival, et que, de fait, c’est l’homme qui se manifeste dans toute sa puissance, nous pouvons les considérer comme les têtes de la bête de la mer. Sans vous faire un cours de philosophie, je vous cite quelques-unes de ces idéologies. Nous, nous pensons toujours à l’idéologie marxiste. Eh bien, elle n’est pas seule. Il y a également le positivisme qui est l’exaltation de la connaissance scientifique jusqu’à dire que la connaissance scientifique prime tout. Le positivisme d’Auguste Comte (1796-1653), né en France, rejette Dieu. C’est évident. Il devient la religion, le serviteur de l’homme. Cet athéisme ne rejette pas l’attitude religieuse, mais il la transforme en disant que la véritable religion consiste à être au service des hommes. La véritable religion consiste à se vouer entièrement à la justice sociale. Toutes ces idées, c’est du positivisme et elles s’infiltrent fortement jusqu’à supprimer, au bout d’un certain temps, le sens de Dieu. C’est évident. Il n’y a plus que l’homme. Et on ne regarde plus que l’homme, en premier lieu. Il y a l’existentialisme à la manière de Sartre, qui est l’exaltation de la liberté. Il y a l’évolutionnisme de Huxley (1825-1895) qui est une espèce d’absolu dans le point de vue de la vie. C’est l’évolution de la vie qui prime. Il y a Nietzsche (1844-1900), qui est une forme d’athéisme par l’exaltation propre de la création par la volonté de puissance. C’est quand même très impressionnant de voir tous ces idéalismes qui saisissent l’homme dans toutes ses dimensions, dans ses six grandes dimensions. Il y a l’idéalisme d’un Brunschvicg (1869-1944). Ce n’est pas l’idéalisme absolu. C’est très curieux de voir comment Brunschvicg définit Dieu. Pour lui, Dieu est le concept le plus parfait que nous ayons en nous, dans notre pensée. C’est donc l’équation différentielle. Il interprète de cette manière l’affirmation : « In principio erat Verbum », au commencement était le Verbe. Pour lui, le verbe, c’est le concept mathématique ! Il faut lire la querelle entre Brunschvicg et Gabriel Marcel. Gilson dit : si c’est cela votre Dieu, je vous le laisse. Ce n’est pas Dieu, c’est tout simplement vous qui avez produit ce concept. C’est l’homme. Vous voyez qu’on est toujours dans l’immanence et que toutes ces formes multiples et diverses d’athéisme expriment l’exaltation de l’homme. C’est ce qu’il y a de plus impressionnant. Et c’est un phénomène tout à fait nouveau dans la pensée philosophique. Or, tout cela est né de la pensée chrétienne. C’est une corruption de la pensée chrétienne, en milieu protestent ou catholique. Et puis c’est né aussi d’Israël. Par Marx (1816-1883), il ne faut pas l’oublier, il y a un lien. 125

Saint Jean nous dit, dans sa première Epître, que les antéchrists sont nés chez nous. L’antéchrist n’est pas païen. C’est une corruption du christianisme, une corruption de la Révélation. Alors on comprend mieux le symbolisme de la bête de la mer. C’est de l’intérieur que le démon agit. Il essaie, du dedans, de corrompre ce que peut représenter la tradition d’une pensée chrétienne ; (Descartes fait partie d’une tradition chrétienne, on ne peut pas le nier) ; et, à partir ce cette pensée, progressivement, se dégageront ces idéologies qui rejettent Dieu et qui exaltent l’homme. Ces idéologies sont pour moi un des signes très très nets de ce que représente le monde d’aujourd’hui. Elles sont les nouvelles idoles qui viennent prendre possession du cœur de l’homme et qui l’amènent à adorer ses propres idées. Je vous affirme qu’un homme pris par la dialectique marxiste ou hégélienne, ou par le positivisme, adore ses propres idées. Il ne veut absolument rien entendre d’autre. Il est tellement pris par cet immanentisme humain, et par ses propres élucubrations intellectuelles, qu’il n’y a plus possibilité de lui montrer qu’il y a autre chose. Eh bien cela c’est un phénomène tout à fait nouveau. Nous devons comprendre ce qui se passe dans notre monde d’aujourd’hui à la lumière de l’Apocalypse. Quand nous regardons ce qui nous est dit de la bête de la mer, on est très impressionné. C’est extraordinaire. C’est vraiment cette grande montée de la mer. La mer est le symbolisme de la vie. Tous ces athéismes sont des exaltations de la vie. Parce que la vie c’est l’immanence. Alors on fait la confusion très profonde entre l’être et la vie, entre l’esprit et la vie. Et c’est la vie qui prend tout. Suivant les grandes traditions du Moyen Age et le tradition grecque, on distinguait toujours l’Etre, la Vie, l’Esprit. Il y avait les trois aspects. Et cette distinction est présente dans la Genèse. Elle n’est pas uniquement philosophique. Au plan de notre foi, il nous est dit, dans le Genèse, que Dieu est le Créateur de toutes choses ; Dieu est le Père qui commande la vie ; et Dieu communique l’esprit. Dieu est le Créateur de tout ce qui existe et donc des esprits. Et donc tout ce qui existe dépend directement de Dieu. Et Dieu communique la vie. On ne peut pas dire, au sens absolu, que la vie soit créée. Il faut bien comprendre cela. C’est très important dans la position actuelle parce que les athéismes les plus violents, entre autres l’athéisme de L. Feuerbach (1804-1872), fait cette confusion entre l’être et la vie. Et à partir de là on l’a répété. Dieu crée des êtres. Le créateur c’est celui qui communique l’Être. Il communique des êtres qui sont vivants et des êtres qui ne sont pas vivants. Et donc il est bien le créateur des êtres vivants, mais aussi de tous les êtres. Dieu communique la vie. Vous ne pouvez pas dire que la vie soit directement créée, parce que le vivant a son autonomie. Le vivant est source de vie, en tant que tel. Et le vivant spirituel est capable de poser des actes libres. Donc, en tant que vivant, il ne peut pas être dépendant. Il n’est dépendant qu’en tant qu’il existe. Mais en tant que vivant, il a son autonomie. C’est ce qui est extraordinaire. 126

Alors, si l’on fait un blocage entre l’être et la vie, on dire que c’est contradictoire : le vivant, ayant son autonomie, ne peut pas être créé. Puisque, en tant que vivant, il est autonome ; et, en tant que créé, il est dépendant. Donc, c’est contradictoire. C’est le raisonnement direct de Feuerbach qui a joué un rôle très important et qui a été repris après. En confondant être et vie, on ramène l’esprit à la vie parce que la vie c’est l’immanence, alors que l’esprit et l’intelligence sont faits pour reconnaître l’être. Et tous les athéismes contemporains ramènent l’être à la vie et l’esprit à la vie. Et alors on n’est plus que dans l’immanence absolue du vivant et l’on comprend très bien qu’il n’y a plus de place pour Dieu. Le vivant est avant tout. Ces quelques petites confusions expliquent certaines positions extrêmement nettes et qu’il n’est pas facile de démontrer si l’on ne voit pas ces quelques petites distinctions. Si l’on a un peu d’intelligence, de bon sens, on comprend tout de suite qu’il y a des êtres vivants et des êtres non vivants. Depuis qu’on a découvert la lune, c’est très facile, et puis auparavant il y avait le soleil ! Les Anciens disaient que le soleil était vivant, mais quand même, c’est abandonné. On sait bien que la vie ne peut pas être dans le soleil. Ce n’est pas possible. On sait bien que la vie n’existe pas dans la lune. Donc il y a des êtres qui ne vivent pas et il y a des êtres vivants. Tout est créé par Dieu. Et le Créateur est le Père qui communique la vie. Les Grecs, au deuxième siècle avant Jésus-Christ, avaient déjà fait cette distinction. Je trouve cela très beau au plan philosophique. Ils disaient qu’il fallait toujours distinguer le Créateur et le Père, en Dieu. Le créateur c’est celui qui crée des réalités et le Père c’est celui qui communique la vie. Et le Père communique la vie qui, à un moment donné, est telle qu’elle est l’esprit. Il y a une différence de degré dans l’ordre de la vie entre l’animal et l’homme. Il ne faut pas ramener l’homme à l’animal. Il faut donc comprendre qu’il y a dans l’homme : l’esprit. Et l’esprit implique bien la vie, mais c’est quelque chose de nouveau. C’est quelque chose qui a une autre dimension. L’esprit est directement créé par Dieu. Tandis que la vie est communiquée. Le démon est très astucieux pour arriver à proclamer que Dieu n’existe pas, la grande et la seule issue, est de ramener l’être à la vie, de ramener l’esprit à la vie. Car, à ce moment-là, on est dans l’immanence et il ne peut plus y avoir la possibilité d’un dépassement. Je ne m’attarde pas davantage, mais ce brin de philosophie était nécessaire pour expliquer le point de vue de la bête de la mer, c’est-à-dire ce que représente le blasphème. C’est l’intelligence, faite pour reconnaître Dieu, qui refuse Dieu parce qu’elle n’a plus sa dimension d’intelligence, étant tout simplement ramenée au niveau de vie immanente.

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Voyons maintenant le chapitre XIV. Si l’on regarde les signes, d’une certaine manière, on peut dire que c’est le quatrième. Ce n’est pas tout à fait juste, du point de vue exégétique. Il y a un signe dans le ciel : c’est la femme. Le second signe, c’est le dragon. On n’a pas dit que la bête de la mer était un signe. La bête de la mer, c’est une réalité très tangible. Remarquez que la femme aussi est une réalité très tangible. Mais peu importe. C’est intéressant d’essayer de mieux préciser cette ponctuation. Donc, nous avons vu le cœur de la lutte qui est le dragon face à la femme. Et nous voyons la descendance de la Femme et celle du dragon. La descendance de la Femme ce sont tous ceux qui observent les commandements de Dieu et qui sont témoins du Christ. La descendance du dragon c’est la bête de la mer et le bête de la terre. Avec le chapitre XIV, nous arrivons à quoique chose de tout à fait différent. « Je regardai encore et voici que l’Agneau se tenait sur la montagne de Sion, et

avec lui cent quarante-quatre mille personnes, qui avaient son nom et le nom de son Père écrits sur le front. » (XIV, 1)

La lutte nous met sur la terre, puisque le dragon est précipité sur la terre. Avec le chapitre XIV nous allons nous élever jusqu’au ciel et comprendre que cette lutte est toujours dominée par la victoire, le victoire de l’Agneau. Quand on regarde la bête de la terre et la bête de la mer, on a l’impression que toute la pauvre humanité est prise par le chiffre de la bête. Et l’on risque d’identifier les habitants de la terre et l’humanité. Alors, le chapitre XIV va nous donner un peu d’oxygène au plan spirituel, en nous faisant comprendre la victoire de l’Agneau au milieu de la lutte. Il nous montre une grande vision céleste, le grande vision des victorieux, la grande vision de ceux qui sont à la suite de l’Agneau. « Et j’entendis un son qui venait du ciel, pareil au bruit de grandes eaux et à la voie d’un puissant tonnerre. » (XIV, 2) C’est l’Esprit Saint, on l’a vu. Et les grandes eaux, c’est le tonnerre. N’oubliez pas que nous sommes à Patmos ; alors évidemment le bruit de l’eau est dans l’oreille de Jean. Et Jean entend ce bruit, mais ce n’est pas un bruit matériel, c’est un bruit intérieur. « Et le son que j’entendis ressemblait à un concert de harpistes jouant de leurs instruments. » C’est harmonieux, ce n’est pas n’importe quel bruit, mais quelque chose d’une harmonie merveilleuse ! Voyez comme c’est tout à fait liturgique. La harpe, il ne faut pas l’oublier, revient à la mode. L’Apocalypse continue. « Et ils chantaient comme un cantique nouveau devant le trône, et devant les quatre animaux et les vieillards. » (XIV, 3) 128

C’est le lien entre l’Eglise de la terre et l’Eglise du ciel. Ou, plus exactement, nous retrouvons la grande vision céleste. Plongés dans la toute-puissance de la bête de la terre, nous regardons le ciel. C’est le réalisme de notre vie chrétienne. Il faut pouvoir regarder bien en face la bête de la terre et la bête de la mer, les discerner, comprendre leur signification et, en même temps, regarder le ciel. Les pieds sur la terre et la tête dans le ciel, il faut savoir que nous sommes ce lien. Le sacerdoce est une médiation ; et si nous sommes un royaume de prêtres, nous jouons ce rôle de médiateurs. Et donc cela prouve que, vivant sur le terre, nous sommes capables de discerner la bête de la terre et la bête de la mer, et qu’en même temps nous sommes reliés au ciel. « ... et nul ne pouvait apprendre ce cantique, si ce n’est les cent quarantequatre mille qui ont été rachetés de la terre. » Ce sont les habitants de la terre rachetés, repris par l’Agneau. « Ce sont ceux qui ne se sont pas souillés avec des femmes, car ils sont vierges. Ce

sont eux qui accompagnent l’Agneau partout où il va. Ils ont été rachetés d’entre les

hommes, comme des prémices pour Dieu et pour l’Agneau ; et il ne s’est point trouvé de mensonge dans leur bouche, car ils sont irréprochables. » (XIV, 4-5) Il faut bien comprendre ce passage. Il est très très beau, il est très grand. C’est la grande vision céleste de ceux qui sont marqués d’une façon particulière, chantant le cantique nouveau de cette liturgie céleste, de cette liturgie d’amour. « Ce sont ceux qui ne se sont pas souillés avec des femmes, car ils sont vierges ... ». Selon l’expression même de l’Ecriture et de la Bible, comprenons bien que la virginité est conçue premièrement comme le point de vue de la fidélité. C’est là le réalisme de l’Ecriture, il ne faut pas l’oublier. Nous sommes beaucoup plus moralisants et nous comprenons beaucoup moins bien. La véritable virginité, c’est la fidélité, dans la foi, à l’adoration et à la contemplation de ceux qui accompagnent l’Agneau partout où il va. Voilà la fidélité : accompagner l’Agneau jusqu’au calvaire. C’est Marie de Magdala qui accompagne l’Agneau, même si elle a été la femme pécheresse. Elle a la virginité du cœur en raison même de sa fidélité. C’est le sens qu’il faut comprendre ici, dans cette phrase. Donc, la virginité c’est la fidélité du cœur, dans l’adoration, dans la contemplation, de ceux qui restent liés à l’Agneau è travers tous les obstacles et toutes les luttes et qui iront jusqu’au bout de cette fidélité d’amour. Cette pureté du cœur, c’est la béatitude des cœurs purs, au sens fort. La béatitude des cœurs purs, c’est la fidélité. Et c’est suivre l’Agneau partout où il va. « Il ne s’est point trouvé de mensonge dans leur bouche ... » Le signe du démon, c’est toujours le mensonge. Il est le père du mensonge comme il est dit dans Saint Jean au chapitre IX. Le démon c’est celui qui est à la source de tous les mensonges et qui rend notre vie mensongère quand nous jouons le double jeu par lequel nous ne sommes pas entièrement au Christ ; si bien que les gestes que nous 129

faisons à l’extérieur ne correspondent pas aux intentions de notre cœur. C’est cela que Dieu ne peut pas supporter. N’oubliez pas le début de l’Ecriture : Caïn et Abel. Caïn représente celui qui justement est soumis à la tentation du démon, parce qu’il est double. Il accomplit les gestes liturgiques mais son cœur est loin de Dieu. Ce ne sont pas les gestes liturgiques qui nous sauvent, mais bien la pureté, la fidélité du cœur. Caïn fait les mêmes gestes liturgiques qu’Abel ; mais la différence c’est que le cœur d’Abel est en harmonie avec ses gestes. Aussi Dieu agrée-t-il son sacrifice. Tandis qu’au contraire, les gestes de Caïn ne correspondent pas aux intentions profondes de son cœur. Et c’est pour cela que Dieu n’agrée pas son sacrifice. C’est là où nous comprenons cette exigence de fidélité, de limpidité du cœur dans l’adoration et dans la foi. Dieu veut que notre foi soit intègre. Je ne dis pas intégriste, mais intègre. C’est-à-dire que notre foi doit être absolument limpide. La foi implique toujours quelque chose d’invisible. On ne peut pas choisir dans la foi qui est la doctrine de l’Eglise. On doit y entrer pleinement et tous les conciles, y compris Vatican II, doivent être intégrés dans notre foi, qui doit les accepter. Notre foi les comprend à la manière dont il faut les comprendre, mais, en tant que croyants, nous n’avons pas le droit de faire un choix. On peut se sentir plus proche d’un concile que d’un autre. Très bien, mais ça concerne votre piété ou votre affection personnelle, ou votre sensibilité. Ou encore votre intelligence. On peut préférer un concile doctrinal à un concile moins doctrinal ; mais on doit tous les accepter parce que la foi implique une attitude pratique. Quand on dit que Vatican II n’est pas un concile doctrinal et donc qu’il n’est pas de foi, c’est faux. Parce que la foi exige que l’on accepte tous les conciles, de l’intérieur, dans leur intégrité. La foi doit tout prendre, tout ce qui est enseignement de l’Eglise. Autrement on risque d’être dans le mensonge. « ... car ils sont irréprochables … » (immaculés). (XIV, 5) Marie nous rend immaculés. Tous ceux qui suivent l’Agneau sont de la race de la Femme. C’est Marie qui, la première, a suivi l’Agneau partout. La virginité par excellence du cœur de Marie c’est d’être présente à la Croix. C’est une virginité du cœur dans le sang de l’Agneau. Et c’est la pureté dans l’amour. Il n’y a pas de vraie virginité sans amour car c’est l’amour qui purifie notre cœur. Et l’exigence même de l’amour, c’est la fidélité. Vous voyez ce contraste entre la lutte des habitants de la terre et ceux qui sont rachetés de la terre. Et c’est mis exprès en parallèle pour que nous comprenions mieux l’action de l’Agneau. Au milieu du combat, l’Agneau nous saisit, nous prend, et nous demande d’aller jusqu’au bout de la fidélité. Et voici un cinquième signe. Je veux bien, quoique ce ne soit pas indiqué dans le texte : « Puis je vis un autre ange qui volait par le milieu du ciel, tenant l’Evangile 130

éternel, pour l’annoncer aux habitants de la terre, à toute nation, à toute tribu, à toute langue et à tout peuple. Il disait d’une voix forte : Craignez Dieu et donnez-Lui

gloire, car l’heure de son jugement est venue ; adorez Celui qui a fait le ciel et la terre, le mer et les sources des eaux. » (XIV, 6-7)

Cela correspond assez bien au petit livre qui est repris ici d’une autre manière, pour nous faire comprendre l’enjeu de la lutte. Nous sommes dans la catégorie des signes, on reste dans la lumière des signes. Ce qui est plus difficile, c’est de les ponctuer. Nous voyons bien comment seuls ceux qui suivent l’Agneau, partout où il va, peuvent vivre de cette liturgie céleste et éternelle, à cause de leur fidélité absolue dans l’adoration. Il n’y a pas de fidélité en dehors de l’adoration. Il n’y a pas de virginité du cœur sans l’adoration. C’est impossible, parce qu’autrement, on tombe dans l’idolâtrie. Le mystère de l’Agneau nous est donné et nous montre que la vraie virginité du cœur consiste à suivre l’unique vrai Dieu qui est l’Agneau. C’est une virginité qui se fait dans le sang de l’Agneau. Et alors, pour que nous soyons fidèles il y a de nouveau le don de l’Evangile. De même qu’à la 6ème trompette, au moment où la lutte est particulièrement grande, il y a le don du petit livre. Mais ici on précise : « ... tenant l’Evangile éternel ... ». « Il disait d’une voix forte : Craignez Dieu » (XIV, 7). La crainte de Dieu se réalise dans l’adoration. C’est elle qui nous fait respecter l’autorité absolue de Dieu et on ne peut la reconnaître que par l’adoration. L’autorité de Dieu est absolue parce que c’est une autorité unique. Et l’adoration est le geste propre qui reconnaît l’autorité de Dieu. Donc, la crainte de Dieu, ici, nous rappelle encore l’exigence de l’adoration. Cette exigence est tout le temps présente dans l’Apocalypse. « ... et donnez-lui gloire car l’heure de son jugement est venue ». C’est la première fois où il est parlé de l’heure du jugement. Nous entrons vraiment dans la lumière des signes, dans la lumière de la lutte, avec l’heure ou jugement. Encore une fois, vous constatez que ce n’est pas annoncé chronologiquement. C’est ce qui nous déroute. Nous aimons un certain ordre dans le temps parce que nous sommes tellement habitués à un point de vue historique. Ici, il ne s’agit pas du tout d’un point de vue historique : ce sont des lumières successives qui nous donnent un regard, tantôt sur le ciel, tantôt sur l’œuvre du démon. « Adorez Celui qui a fait le ciel et la terre, la mer et les sources des eaux ». (XIV, 7) Donc, l’adoration et la crainte vont de pair. Elles sont profondément liées. Je crois qu’on ne peut vraiment craindre Dieu que par l’adoration. 131

« Et un autre ange suivit, en disant : Elle est tombée, elle est tombée, Babylone la grande, qui a abreuvé toutes les nations du vin de la fureur de son impudicité ! » (XIV, 6) Voici cet autre ange qui annonce le début de la fin, si j’ose dire, la chute de la Babylone. On n’a pas encore expliqué qui était la Babylone. De même qu’on a parlé de la bête sans avoir expliqué qui elle était, ici l’on parle de la Babylone. Nous allons voir qui elle est. On annonce se chute : cela c’est le jugement. On entre vraiment dans le point de vue apocalyptique.

C’est le dernier moment, celui du discernement, où le prince de ce monde est jeté bas. Et è ce moment-là, c’est le Babylone qui tombe. Tout ce que fait le démon est dans le regard de Dieu un jeu de cartes. Le démon fait des choses tout à fait fallacieuses. C’est un artiste extraordinaire, mais c’est factice ce qu’il fait. Il ne crée pas. Aussi la Babylone qui est l’œuvre du démon est-elle l’antithèse de l’Eglise, l’antithèse de la Jérusalem céleste. Par elle le démon veut réaliser son œuvre, son ciel, sa cité ; c’est tout cela la Babylone. Elle est, au sens biblique, le repaire de tous les démons. Cette Babylone est une construction uniquement extérieure. Elle ne recrée pas. Le démon sème le désordre ; il ne peut que donner des physionomies extrinsèques. Alors on annonce qu’elle est tombée Babylone la grande, qui a abreuvé toutes les nations du vin de la fureur de son impudicité. L’impudicité, ici, comme l’adultère, c’est avant tout l’idolâtrie. C’est lorsque les hommes oublient d’adorer et c’est ce qui blesse le plus Dieu. « Et un troisième ange les suivit, en disant d’une voix forte : Si quelqu’un adore

la bête et son image, et en prend la marque sur son front ou sur sa main, il boira, lui aussi, du vin de la fureur de Dieu, du vin pur versé dans la coupe de sa colère, et il sera tourmenté dans le feu et dans le soufre, sous les yeux des saints anges et de l’Agneau.

Et la fumée de leur supplice s’élèvera aux siècles des siècles, et il n’y aura de repos, ni jour ni nuit, pour ceux qui adorent la bête et son image, ni pour quiconque aura reçu la marque de son nom ». (XIV, 5-11) Après avoir montré l’action de la bête de la terre et de la mer, vient ici le jugement, le discernement. C’est Dieu qui démasque. Nous ne sommes pas encore tout à fait arrivés à ce moment-là. Ça va venir. Actuellement nous voyons l’action très forte de la bête de la terre et de la bête de la mer. Et alors nous est annoncé le jugement ou tout sera démasqué. Les croyants, par la contemplation, anticipent le jugement. Mais les autres ne le voient pas encore. Contempler, c’est anticiper le vision béatifique. Quand nous lisons l’Apocalypse, nous anticipons le jugement parce que Dieu nous donne la lumière pour que nous comprenions. Nous pouvons dire : voilà ce que représente la bête 132

de la terre et la bête de la mer. Mais l’humanité qui est sous son emprise, elle, ne lit pas l’Apocalypse. Les habitants de la terre n’ont plus la foi. Et pourtant ils sont toujours des enfants de Dieu, toujours à l’image de Dieu. Ils ne sont peut-être pas responsable de cet état de choses. Il y a des quantités de gens aujourd’hui qui sont sous l’emprise de la bête de la mer et qui n’y peuvent absolument rien. Ils sont téléguidés. Des quantités de gens sont téléguidés aujourd’hui. Alors Dieu continue de les aimer et permet au démon d’avoir cette influence extraordinaire. Mais arrive le moment où Dieu ne l’accepte plus, puisque c’est une permission, c’est alors le moment du jugement où Dieu sauve ceux qui sont sous l’emprise de la bête de la terre et de la bête de la mer, en démasquent son œuvre perverse. Et c’est le Babylone qui tombe !

On va le voir progressivement. C’est un grand théâtre divin. Quand vient le discernement, tout d’un coup, le jeu de scène dégringole. C’est un metteur en scène que le démon. Il cache son jeu, son jeu de scène grave. C’est une lutte sérieuse. Il cache son jeu et les hommes se laissent prendre. Et Dieu continue d’aimer son image. Le Christ est mort pour tous les hommes. Le sang de l’Agneau coule pour tous les hommes. Et donc Dieu ne les abandonne pas, même quand ils sont sous l’emprise de la bête de la terre et de la mer. Mais pour qu’ils puissent revenir à Lui, il faut nécessairement qu’un grand coup soit porté à la bête, téléguidée par le dragon. Et c’est le dragon qui doit être jeté bas. Le jugement porte sur le dragon en premier lieu. Exactement comme, après la première faute, le jugement de Dieu porte sur le serpent, sur la femme et sur l’homme, il y a ici le jugement de Dieu sur les trois. Ici nous sommes en présence du grand jugement apocalyptique qui démasque l’action de l’ennemi de Dieu. L’ennemi de Dieu, ce n’est pas l’homme, mais c’est le dragon qui téléguide la bête de la terre et la bête de la mer. N’identifions pas la bête de la terre et de la mer avec l’homme. Elles représentent l’homme sous la mouvance du démon. Et lorsque l’homme est sous la mouvance du démon, il n’est plus lui-même. Il est aliéné. C’est tout à fait différent quand il est sous l’emprise du Saint-Esprit : il n’est pas aliéné, mais ivre d’amour. Ce n’est pas la même chose ! Il est fils de Dieu, vivant de la liberté des enfants de Dieu. Dans l’Esprit Saint l’homme garde une liberté plénière. Tandis qu’au contraire, quand il est sous l’emprise du dragon et qu’il devient la bête de la terre et la bête de la mer, il est totalement aliéné. Et Dieu veut le libérer. Et c’est cela le jugement. C’est cela qu’il faut saisir dans l’Apocalypse ! Autrement nous la regardons de l’extérieur, disant : c’est effrayant, qu’est-ce que ce massacre ? Cette Apocalypse est encore vraiment un livre de Yahvé, Dieu des armées, ça fait partie de ces choses invraisemblables. C’est le Dieu méchant ! ... Ah non. C’est le Dieu libérateur des hommes. Il a permis l’emprise du démon et cela c’est le grand mystère de Dieu. Mais il veut libérer l’homme. C’est exactement ce qui s’est passé quand 133

le peuple d’Israël était sous le joug du pharaon. Nous retrouvons cela ici. Les plaies d’Egypte annonçaient ce que Dieu allait faire pour libérer l’humanité de l’emprise du démon ; le pharaon représentant, dans ce cas, l’emprise du démon puisqu’il détournait le peuple d’Israël de sa mission. Il voulait le mettre uniquement dans un point de vue d’efficacité, donc dans une perspective terrestre. Alors, comme le pharaon ne comprenait pas, il fallait taper, taper de plus en plus fort. Et ici nous voyons la même chose par rapport à ce que représente cette emprise de la bête de la terre et de la bête de la mer, et où le combat a une dimension beaucoup plus grande puisqu’il est universel. Tandis que quand il s’agissait du pharaon, c’était quelque chose de très particulier. Ce qui nous est donné dans l’Ancien Testament préfigure toujours ce que l’Eglise doit vivre. Et cela doit nous aider. Dieu ne peut pas accepter que l’homme adore la bête et son image. Et c’est ce qui explique sa colère, de même que Jésus, dans le Temple, ne souffrait pas la confusion entre le sacré et le profane. Dieu ne peut pas tolérer que son image, faite pour Lui, se laisse séduire. Comme les hommes ne comprennent pas le point de vue de la Parole, le point de vue de la Révélation, il faut que Dieu frappe fort. Vient alors la correction de Dieu, qui est correction de miséricorde, correction d’amour, pour reprendre son image. « C’est ici que doit se montrer la patience des saints, (je comprends !) qui gardent

les commandements de Dieu et le foi en Jésus. Et j’entendis une voix venant du ciel

qui disait : Ecris : Heureux dès maintenant les morts qui meurent dans le Seigneur ! Oui, dit l’Esprit, qu’ils se reposent de leurs travaux, car leurs œuvres les suivent. » (XIV, 12-13) Il nous est toujours montré les deux versants pour que nous ne voyons pas qu’un seul aspect. Au moment où l’on voit Dieu frapper le plus fort, on chante la béatitude de ceux qui meurent dans le Seigneur. Comprenons bien l’enjeu du combat. Nous sommes tous l’enjeu du combat. Il y a en nous à la fois quelque chose de céleste et quelque chose qui appartient au démon. C’est sûr. Personne d’entre nous, tant qu’il est sur la terre, ne peut se dire absolument immaculé. Ce qu’il y a d’immaculé en nous, c’est ce qui est transformé par l’Agneau. A ce moment-là nous sortons de l’emprise de la bête. Et toute la tactique divine en face de la stratégie du démon consiste à nous arracher à l’emprise de la bête, et à nous remettre dans la grande perspective du mystère de l’adoration. Avec le sixième signe nous allons entrer dans les aspects qui sont, je crois, les plus difficiles à pénétrer de l’Apocalypse. Et il faut les considérer dans la lumière de ce que nous venons de voir ici. Nous sommes dans la ligne des signes qui doivent nous éclairer, nous orienter. Si nous sommes attentifs à ce qui nous a été montré par rapport au dragon et par rapport aux bêtes, nous pouvons saisir ce qui suit. Si vous commencer tout 134

de suite par le chapitre XV de l’Apocalypse, vous ne comprenez rien du tout !

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10ème conférence

Les attaques contre la foi. Le lutte entre les 2 signes : le Femme et le Dragon. L’Alliance de la Femme et de l’Agneau. Le triple discernement de Dieu. Le retour du Christ. Ch. XIV.

Continuez de pénétrer dans le désert, avec un désir d’aller plus loin dans l’adoration et la contemplation. Ayez soif de cela et dites-le à l’Esprit Saint et à la Très Sainte Vierge. Plus le combat est extraordinairement violent, plus il faut en profiter pour aller toujours plus loin. Je crois profondément que l’Eglise n’a jamais vécu quelque chose d’aussi violent que ce qu’elle vit maintenant. Les historiens ont toujours tendance à dire : cela a déjà été vécu. Si nous regardons dans la perspective de l’Apocalypse, nous pouvons dire : non. C’est quelque chose de tout à fait nouveau, parce que l’Apocalypse nous montre que, plus on s’approche du terme  or, on est plus proche du terme maintenant qu’on ne l’a jamais été , plus le combat est fort et plus il est intérieur. Le grand combat, en dernier lieu, consiste en ce que le démon essaie, par tous les moyens, de nous arracher la foi, qui est le fondement. Il ne peut pas attaquer directement la foi. La foi est un don de Dieu qui est reçu au plus intime de notre intelligence et de notre volonté. Mais il peut l’attaquer indirectement par toute une tactique, une stratégie enveloppante, de multiples manières, en faisant regarder l’Eglise d’une manière uniquement sociologique, selon son conditionnement : Le Saint-Père est prisonnier, donc il ne peut plus parler, donc il n’y a plus d’autorité. Vous voyez ces raisonnements, très subtils, qui sont sophistiques au sens rigoureux. C’est très vrai que le Saint-Père est prisonnier, que le conditionnement est de plus en plus fort. Mais ce n’est pas à cause de cela que l’obéissance est supprimée, que nous devons alors vivre uniquement chacun pour soi, comme au moment de l’exode. On transpose des tactiques vraies au niveau humain à un niveau divin. Voilé le sophisme. Il faut être très attentif et comprendre que la finalité du Saint-Esprit passe à travers tout. 136

« Je suis la Résurrection. » Jésus dit cela avant la Croix. Et ceci est vrai pour l’Eglise. L’Eglise est l’Eglise de la Résurrection du Christ. Et donc même si, de fait, sociologiquement parlant, on ne voit plus que le conditionnement, il faut que nous croyions, à travers tout, que le Christ est la Résurrection et que nous Le rejoignons directement, dans la foi, l’espérance et l’amour. Il reste toujours pour nous le mystère de la Parole de Dieu, le mystère de l’Eucharistie, le mystère de la Volonté du Père. Si Dieu permet ce conditionnement, c’est pour que nous soyons héroïques dans l’obéissance, au sens très fort, comme on le voit de temps en temps dans la vie religieuse. Je me souviens d’un petit exemple très simple : c’était le bon Père Sertillanges, au Saulchoir, le jour d’une élection de Prieur. Il y avait un jeune Père qui était tout content. Le Père Sertillanges le rencontre et lui dit : « Vous avez l’air très joyeux aujourd’hui. »  « Mais oui, on vient d’élire un Prieur qui est magnifique, il est jeune, il nous comprendra. » Le Père Sertillanges le regarde : « Ah, vous n’êtes pas fier ... »  La joie de l’autre commençait à disparaître.  « Vous n’êtes pas fier ... Vous obéissez à un homme ! » Cela en dit long. Il regardait le conditionnement, et non le mystère de l’autorité. Le mystère de l’autorité peut être très caché à travers un conditionnement invraisemblable. Et Dieu peut permettre que le Saint-Père soit terriblement conditionné par beaucoup de choses. On dit toujours à Rome : « Chaque fois que le Pape vieillit, les requins grandissent. » Ce sont des choses humaines, ce n’est pas étonnant. L’Eglise est dans les choses humaines. C’est cela, la merveille de Dieu : Dieu fait confiance aux hommes et les hommes en abusent souvent. Mais Dieu fait confiance aux hommes, jusqu’au bout. Il a fait confiance aux Apôtres et, parmi les Apôtres, il y avait Judas. C’est là qu’il faut entrer dans le mystère de l’Eglise dans tout son réalisme divin et comprendre que, même si le conditionnement est très fort, Dieu nous demande de regarder l’autorité divine, la finalité. Je crois que, dans le monde d’aujourd’hui, on est dans ce que les philosophes appellent une « situation-limite », c’est-à-dire que le conditionnement devient tellement fort qu’on ne voit plus la finalité. Alors, ce qu’il faut, c’est, dans la foi, arriver à découvrir, à travers tout et tout le temps, la finalité, au delà de tous les conditionnements  sans les supprimer, parce que ce serait faux, ce serait un idéalisme  mais à travers tous les conditionnements, dire : « Je ne vois que cela, j’accepte, je m’engage complètement et je sais que Dieu répondra. » « Dieu a entendu le cri de l’enfant dans le désert. » C’est ce qu’il faut toujours se rappeler. Dieu nous met dans des situations très difficiles, chacun d’entre nous. Ce n’est pas le peine de comparer pour savoir quelle est la situation la plus difficile. Cela n’a pas tellement d’importance. Dieu nous a parachutés là ... Pendant la dernière guerre, j’avais un petit groupe de petits bonshommes et de petites bonnes femmes de 10 ans. Je les 137

avais baptisés : un groupe de parachutistes de la Sainte Vierge. C’était merveilleux au plan spirituel, parce que le spiritualité du parachutiste exige d’aller très loin : accepter d’être parachuté dans le camp ennemi avec des armes légères. On est impressionné par les armes des autres. Un journaliste me disait, qui savait ce dont il parlait : « Quand le Saint-Père parle, c’est traduit en trois langues. Quand tel théologien parle, c’est traduit immédiatement en dix langues. » C’est un petit signe, qui nous fait comprendre le tissu sociologique dans lequel nous sommes. Ce tissu sociologique, qui est très puissant, essaie d’étouffer la finalité. L’Apocalypse nous montre que tout cela n’est pas étonnant, que ce doit être ainsi. Alors, c’est merveilleux. C’est une très grande grâce que Dieu nous fait de vivre ce que nous vivons. Ne regardons pas le petit bouton, en disant : « C’est dommage, ma peau commence à s’user ... » Mais disons : « C’est magnifique, cela exige de nous la sainteté. » Mais une sainteté qui n’est pas visible ni reluisante, parce que, quand on est dans le combat, en est recouvert de terre, on ne voit rien, on ne peut pas se laver, on est dans des situations impossibles. Ce n’est pas très beau. La sainteté reluisante, c’est la sainteté archéologique. Mais ce n’est pas du tout la vraie sainteté qui, elle, est actuelle. N’ayons pas le rêve de retourner dans la chrétienté primitive, celle des Actes des Apôtres ! Le Saint-Esprit ne fait jamais marcher en arrière, toujours en avant. Nous le savons par l’Apocalypse et c’est pourquoi l’Apocalypse est un livre merveilleusement optimiste; c’est le livre de l’espérance, parce que c’est le livre de la victoire du Christ, qui nous fait comprendre que cette victoire coûte cher. Elle a coûté cher à Jésus, puisque Jésus a vécu toutes les morts et Il a accepté de les vivre pleinement, jusqu’à la mort du cadavre, jusqu’au coup de lance. Et ce qui est vrai du Christ, est vrai de toute l’Eglise. Jésus nous choisit, bien que nous soyons très faibles. Nous n’avons pas l’héroïsme des stylites. De temps en temps, il faut regarder les stylites ; c’est beau. Mais je crois qu’aucun d’entre nous ne pourrait passer un hiver comme le passaient les stylites. Dieu ne nous demande pas la même chose. Dieu nous demande un héroïsme de petitesse d’amour, l’héroïsme de la petite Thérèse de l’Enfant Jésus. Thérèse de l’Enfant Jésus, c’est une très grande lumière qui nous est donnée, qui annonce Vatican II. Il faudrait lire Vatican II dans la lumière de la petite Thérèse. Cela expliquerait des quantités de choses, parce que c’est une grande lumière intérieure pour nous faire comprendre ce qu’est la petitesse évangélique, la sainteté des pauvres. Il y a des saintetés héroïques, plus visibles, de grands fondateurs d’Ordres qui font des choses extraordinaires. Nous ne sommes plus maintenant à cette époque là. Nous sommes à l’époque des petits derniers, les benjamins des benjamins. Dans une grande famille, les benjamins, on sait ce que c’est ... Les aînés ont reçu une éducation forte et ils sont là pour montrer l’exemple. Les benjamins, que voulez-vous, leur père était déjà un grand-père, leur mère une grand’mère ...

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Nous sommes beaucoup plus faibles, il faut le reconnaître. Cela ne dépend pas de nous, mais effectivement, nous n’avons plus la force de nos ancêtres. Il nous est demandé une sainteté beaucoup plus cachée, dans la petitesse évangélique, la sainteté de la petite Thérèse. C’est pour cela qu’il faut tellement aimer la petite Thérèse et revenir souvent à elle. Vous savez que les Foyers sont très unis à elle. Il y a un lien très souterrain. Marthe continue l’œuvre de la petite Thérèse pour l’achever. C’est cela, la grande lumière qu’il faut voir, avec la révélation plénière de ce que représente le mystère de Marie. Il y a là des choses que nous devons essayer de comprendre, parce que c’est important d’avoir un peu de lucidité dans la lutte. Le plus fatigant, c’est de ne rien comprendre. Au bout d’un certain temps, on est fatigué intellectuellement, on ne voit plus rien du tout et on arrive à être un peu dégoûté, de soi et puis des autres. Alors, il faut beaucoup de lucidité et l’Apocalypse doit nous donner cette lucidité, parce qu’elle nous fait regarder le combat dans la lumière de Dieu, et non dans notre lumière. Dans notre lumière, on ne voit rien. Dans la lumière de Dieu, on voit la finalité et c’est cette finalité qu’on doit découvrir. Quand on analyse l’Apocalypse, cela peut sembler quelque chose de lointain, mais dès qu’on réfléchit un instant, dans la foi et l’espérance, on voit que c’est exactement ce que nous vivons et que cela n’a jamais été vécu avec une aussi grande intensité, parce que le combat va très loin, puisque la foi est directement en cause. « Quand le Fils de l’Homme reviendra sur la terre, y aura-t-il encore la foi ? » Il ne faut pas oublier cette parole de Notre Seigneur. Le démon, veut supprimer la foi. Il ne peut pas l’attaquer directement, il essaie d’attaquer le milieu ambiant. La foi se nourrit par la Parole de Dieu ; le démon essaie de relativiser la Parole de Dieu. Faites grande attention à toutes les exégèses modernes, parce que beaucoup d’exégèses modernes relativisent la Parole divine. Quand on vous dit : « Pas une parole de l’Ecriture ne vient du Christ ... », alors vous ne savez plus. Qu’est-ce que la Parole de Dieu ? Ecoutez les bons exégètes à la manière du Père Feuillet qui dit : « Tout dans le Nouveau Testament est historique. » Là, il est dans la vérité ; il est dans la tradition profonde de l’Eglise. Mais on sent très bien que là est l’attaque actuelle la plus pernicieuse du démon par rapport à la Parole de Dieu. Parce que la Parole de Dieu est le fondement de notre foi, les tremblements apocalyptiques, dont on parle toujours, proviennent de le relativisation de la Parole de Dieu : cela fait tout trembler, parce que le fondement est mis en cause et il ne peut plus y avoir de stabilité, pas une fixité immobiliste, mais une stabilité divine. Il faut trouver le roc. La foi s’appuie sur le Christ, et quand on prend la Parole de Dieu, on doit découvrir le Christ, Parole vivante qui nous fait découvrir le roc. A ce moment là, nous avons la possibilité d’avancer toujours plus loin et d’aimer toujours plus profondément.

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Donc il faut avoir le souci de garder, avant tout, une foi contemplative, l’espérance des pauvres, parce que le démon justement essaie d’attaquer la foi en nous mettant dans le désespoir. Mais c’est la foi qui est en dernier lieu attaquée à travers le mystère de la Parole de Dieu. Le démon est très puissant sur le milieu ambiant ; il se dit le prince de ce monde. Il essaie d’agir sur le milieu ambiant pour nous conditionner progressivement de manière telle que nous ne puissions plus respirer un air chrétien. Or, on respire, quand on vit de la Parole de Dieu. Autrement, on ne respire plus. Nous avons commencé ce grand mystère des signes. Je crois de plus en plus qu’il faut respecter très fort ce que nous montre l’Apocalypse ici : Les deux signes, la Femme et le Dragon. Je crains qu’en ponctuant avec les sept signes, on ne relativise. Au terme de l’Apocalypse, il est dit d’une façon extrêmement nette qu’il ne faut rien ajouter, qu’il faut prendre la Parole de Dieu d’une manière extraordinairement forte : « Je déclare aussi à quiconque entend les paroles de la prophétie de ce livre que, si

quelqu’un y ajoute, Dieu le frappera des fléaux décrits dans ce livre ; et que, si quelqu’un retranche des paroles à ce livre prophétique, Dieu lui retranchera sa part de l’arbre de la vie. » (XXII, 16) C’est beau de voir que Dieu donne cela, pour nous mettre en garde contre tous ceux qui veulent retrancher ou ajouter. Les paroles de l’Apocalypse doivent être prises, je ne dis pas matériellement  ce serait faux  mais dans leur plénitude. Il s’agit d’entrer dans la pensée profonde de Dieu. Nous avons donc le signe de la Femme et la descendance de la Femme : Marie, l’Eglise et, dans l’Eglise, ceux qui veulent être fidèles jusqu’au bout. C’est très beau, parce que cela fait comprendre, si nous sommes attentifs, tout ce grand mystère de la consécration particulière à Marie. La descendance de la Femme, ce sont ceux qui, consciemment, veulent appartenir au mystère de Marie d’une façon très spéciale. Dieu ne nous l’impose pas ; ce n’est pas une loi, c’est une exigence intérieure. En face, nous avons le Dragon. Le Dragon est furieux en face de la Femme : il veut avoir se progéniture. Il n’a pas d’amour, il n’a aucune fécondité. La fécondité de la femme est double : il y a une fécondité selon la chair et le sang et cette fécondité selon la chair et le sang est ordonnée, dans la grande vision de Dieu, à la fécondité divine. Il ne faut jamais l’oublier, la vraie fécondité de la femme, c’est la fécondité spirituelle, la fécondité de l’amour. L’Eglise l’a toujours compris ainsi et c’est pourquoi, de fait, il y a des êtres qui peuvent se consacrer totalement à Dieu et se dispenser de la fécondité selon la chair et le sang, pour la fécondité spirituelle qui est la finalité dernière. Et la descendance de la Femme, c’est cette fécondité selon l’esprit, dans la grâce. Le démon, lui, remplace la fécondité par la dialectique. Quand on est attentif à ce qu’est la dialectique, c’est évidemment difficile à bien comprendre, mais c’est, je crois, la caricature de la fécondité. Vous voyez Monod  je ne le suis pas, mais de temps en 140

temps, il dit des choses extrêmement intelligentes ; ainsi, dans son livre « Le hasard et la nécessité », cette idée que j’ai retenue : la vie n’est pas dialectique, la fécondité n’est pas dialectique. En disant cela, il montre quelque chose que je crois très important : le mystère de la fécondité est un mystère de vie et de surabondance de vie, et la dialectique, c’est l’intelligence coupée de l’amour, qui veut remplacer la fécondité par une démarche purement intellectuelle. La dialectique peut être efficace, mais elle n’est pas féconde. L’efficacité peut devenir l’antithèse de la fécondité. C’est le grand drame de notre civilisation moderne et c’est là que l’on voit combien le démon est le prince de ce monde, car qu’est-ce qui domine dans toute la culture d’aujourd’hui ? L’efficacité, par la dialectique, en opposition vis-à-vis du mystère de la fécondité. Et cela nous est montré d’une façon éclatante dans l’Apocalypse, si nous savons lire ce texte : le mystère de la fécondité de la Femme et la tactique du Dragon, la rage du Dragon en face de la Femme. Il a sa progéniture qui n’est plus une descendance, mais une fausse alliance. Toutes les alliances avec le démon sont des alliances dans le mensonge et par la tyrannie, tandis que la véritable alliance est dans l’amour. Alors, on voit cette alliance du Dragon avec le Bête de la terre, avec la Bête de la mer, et nous avons là une vision nette du mystère, de la fécondité de l’amour et du mystère de l’efficacité dialectique. Nous sommes en face d’une lutte implacable. Il n’y a pas de compromis, pas de zone neutre. Ce que dit Notre Seigneur : « Celui qui n’est pas avec moi est contre moi. » On voudrait trouver la zone neutre de l’homme qui n’est ni avec Dieu, ni contre Dieu. Ce serait la grande astuce : une neutralité qui serait tout simplement du domaine de l’homme. On pourrait se reposer, se détendre, en dehors de la lutte. Eh bien, selon la vision de l’Evangile et de l’Apocalypse, il n’y a pas de zone neutre. Ou on est de la descendance de la Femme, ou on est pris par la Bête de la terre et on est tout de suite marqué sur le front et sur la main, parce qu’on ne sera efficace que si on est relié à cette Bête de la terre. Quand Notre Seigneur parle de haine, c’est ce qu’il veut dire : « Ils m’ont haï, ils vous haïront. » La haine est cette chose implacable qui conduit à l’homicide. La Bête de la terre a ce caractère implacable, ce caractère de nécessité qui fait que tous ceux qui ne sont pas avec la Bête doivent disparaître. On le dit et on le proclame et, au bout d’un certain temps, les gens le croient. « C’est le sens de l’histoire. Vous devez aller dans ce sens là. Si vous n’acceptez pas ce conditionnement actuel, si vous n’acceptez pas les exigences du progrès, vous êtes perdus d’avance ... » Vous voyez comment la Bête s’installe. Elle peut tout prendre. Toute la propagande est pour elle. Elle essaie de faire que le front et la main de l’homme soient scellés. Le front, c’est l’intelligence; la main, l’efficacité. Elle essaie de pervertir l’intelligence et de posséder l’efficacité de l’homme. 141

Vous voyez le double regard que vous pouvez avoir sur l’humanité d’aujourd’hui. Vous pouvez voir le combat en disant : « On est fichu. Le nombre de chrétiens diminue. C’est un phénomène très nouveau. Jusque là, l’Eglise progressait. D’autres sectes progressent. Mais l’Eglise catholique ne progresse plus. Elle donne des signes de vieillissement, de repli. Elle n’est plus adaptée à notre monde d’aujourd’hui. Il faut à tout prix la transformer. Il faut entrer dans les idéologies modernes. » J’ai lu, dans une Semaine ecclésiastique, la conférence d’un théologien contemporain qui disait en substance : « Regardons le problème en face ! Les grands génies de notre humanité d’aujourd’hui : Hegel, Marx, Freud, Nietzsche, sont apparus en dehors de l’Eglise. L’Eglise est donc un ghetto. Il faut changer profondément l’Eglise et accueillir ces génies. Faisons donc une alliance avec ces génies, faisons une nouvelle théologie à base hégélienne, à base marxiste, à base freudienne ! » Si on disait : chaque fois que le peuple d’Israël s’endort, Dieu suscite le philistin, Dieu suscite Goliath, là je suis tout à fait d’accord. Tout ce que nous voyons, ces athéismes, ces grands génies, c’est pour réveiller le peuple de Dieu. Il faut le reconnaître : on s’est un peu endormi, dans un moralisme, un juridisme, un certain bienêtre ; on s’est un peu embourgeoisé ; la chrétienté s’est un peu repliée sur elle-même. Alors, Dieu suscite le philistin, Dieu permet au Goliath d’aujourd’hui d’être là et de ricaner. Regardez le musée de Moscou ! C’est très net : « L’Eglise chrétienne a préparé le marxisme et ce qui doit succéder à l’Eglise chrétienne, c’est le marxisme. L’Evangile contenait des choses merveilleuses, mais qui ne pouvaient pas aller assez loin, parce qu’il y avait encore de vieux mythes qui demeuraient. Il faut que ces vieux mythes disparaissent, pour qu’il n’y ait plus que l’homme et l’homme victorieux ... » Alors, on entre dans ces perspectives en disant : « Mais oui, c’est vrai. » Il faut considérer que ces athéismes contemporains, c’est un Goliath : « Personne ne pourra me vaincre. » Il faut nous réveiller, pour être le petit David. Mais ne faisons pas de compromis ! Quand le petit David accepte de se battre contre Goliath, que fait-il ? Le roi Saül lui donne son armure, pour qu’il soit égal à Goliath. Le petit David prend l’armure et, au bout de deux minutes, il s’aperçoit que cela ne lui va pas du tout. Alors, il envoie promener son armure et va lutter contre Goliath avec sa petite fronde et ses cheveux blonds. C’est merveilleux ! Il est habitué au combat, il est habitué à lutter contre le lion ; il n’a pas peur, parce qu’il a dans son cœur une force divine. C’est exactement ce que nous devons faire. Ne prenons surtout pas les armes de l’adversaire ! Ne faisons surtout par un cocktail théologique, c’est-à-dire une théologie à la manière de Hegel, de Freud, de Marx ! Tout cela fait nécessairement perdre la foi. Ce serait la manière extrêmement habile du démon de pénétrer en nous pour nous faire perdre la foi. Il faut que, on face de toutes ces idéologies contemporaines, nous ayons un regard très pur sur la foi. Il y a une extraordinaire exigence de pureté de la foi dans notre 142

monde d’aujourd’hui. Il faut retrouver le caractère naïf de la foi, la limpidité, le petitesse évangélique de le foi  comme la petite Thérèse  et donc cette force massive et divine de la foi qui est d’ordre divin, qui n’a rien à voir avec toutes les idéologies, qui est tout à fait autre chose, parce qu’elle nous donne le sens de notre destinée. Alors, on n’hésite pas à entrer dans le combat. Il ne s’agit pas de retourner dans un ghetto en disant : « J’ai très peur. Levons les ponts-levis ! » Non. Acceptons d’être dans ce monde et dans ces idéologies fausses, avec beaucoup de netteté, et ayons cette force intérieure. Notre petite fronde, ce sont les armes divines et les armes divines, ce sont les béatitudes évangéliques, c’est l’amour. C’est une dynamite plus forte que tout le reste, une énergie nucléaire qui dépasse tout. Ces armes sont déjà victorieuses dans le Christ et nous les possédons au plus intime de nous-mêmes. N’essayons pas de faire un compromis. Acceptons  ce qui est parfois difficile  cette victoire apparente de la Bête de la terre et de la Bête de la mer. Acceptons ou, plutôt, reconnaissons. Et puis luttons tout le temps, là où nous sommes, même si notre lutte est extrêmement faible, parce que nos armes sont inégales. Mais nous sommes sûrs que la victoire du Christ nous est donnée. C’est là que le Goliath moderne nous réveille dans notre foi. Les théologiens s’étaient endormis dans la scholastique, dans leurs conclusions, sur beaucoup de choses. Ils sont obligés de se réveiller, en prenant ces âmes légères, celles que le Christ Luimême leur donne. Le fruit de cette lutte, c’est que nous sommes liés à l’Agneau, et plus que jamais. Je crois que l’Eglise terminera son pèlerinage par cette alliance très forte des benjamins avec le Cœur blessé de l’Agneau. Nous sommes liés à l’état victimal du Christ. Jésus a terminé tout Son holocauste par l’holocauste de la Croix et l’holocauste du Cœur. L’Eglise doit s’achever par l’holocauste du cœur, un holocauste très intérieur. C’est pour cela que nous sommes sans doute plus faibles, parce qu’il faut intérioriser davantage. Instinctivement, quand Dieu enlève la puissance extérieure, il n’y a plus qu’une seule issue : l’intériorité, mais une intériorité d’amour, qui va beaucoup plus loin. C’est le sens, je crois, du chapitre XIV : cette grande vision de tous ceux qui suivent l’Agneau partout où il va. Et suivre l’Agneau partout où il va, c’est Le suivre jusqu’au coup de lance, car c’est là l’aspect extrême. Ce sont les vierges fidèles, ceux qui ont la virginité du cœur. L’Eglise d’aujourd’hui doit être vierge, d’une virginité d’amour. Elle doit comprendre que toute sa grandeur, c’est cette fidélité dans l’amour, qui montre donc une foi intrépide, pour suivre l’Agneau partout où Il va et chanter ce cantique nouveau, que nul autre ne peut chanter. Comprenons qu’il y a, au plus intime de nous-mêmes, un lien avec l’Agneau et que nous devons Le louer intérieurement. Je ne die pas que ce cantique nouveau, c’est la nouvelle liturgie ! Mais il y a là un petit signe. Nous devons redécouvrir une nouvelle 143

liturgie intérieure. Quand on fait une nouvelle liturgie uniquement par originalité et par besoin de changer tout le temps, c’est un renouvellement extérieur qui n’est pas celui de Dieu, un renouvellement dialectique, car la dialectique est dans le devenir. Il y a un danger de tomber dans un renouvellement dialectique. Le renouvellement doit, au contraire, se faire par l’intériorité et par l’adoration. Et c’est ce qui nous est montré dans ce chapitre XIV. Il faut relire souvent ce passage, pour comprendre que ceux qui sont de la descendance de la Femme sont liés à l’Agneau. Nous retrouvons là la grande vision de l’Evangile de Saint Jean : le lien entre la Femme et l’Agneau, entre la descendance de la Femme et l’Agneau. Je crois que c’est un des secrets de l’Evangile de Saint Jean, la perle. Or, ici, c’est net. C’est pourquoi je n’aime pas beaucoup mettre « le quatrième signe », parce qu’alors, on coupe. Il faut voir que c’est dans la continuité. La Femme est celle qui suit l’Agneau partout où Il va. Voilà la définition de la Femme. Et la descendance de la Femme, c’est la virginité du cœur, la fidélité. Le fruit profond de la fécondité de Marie, c’est la béatitude des cœurs purs. Et ce sont tous ceux qui suivent l’Agneau partout où Il va, parce que Marie a été fidèle jusqu’au bout, parce qu’Elle est restée debout su pied de la Croix, ce que l’Evangile de Jean nous montre et que, seul, il nous montre. C’est très important d’approfondir l’alliance de la Femme et de l’Agneau, parce que c’est tout le mystère du Sacerdoce mystique des fidèles, le Sacerdoce de la Femme. L’homme n’est pas exclu. La Femme est prise ici dans le sens ultime de la créature, la créature dernière, la créature bien-aimée, la benjamine. C’est le Sacerdoce du benjamin, c’est-à-dire celui qui achève tout. Le Sacerdoce du Christ s’achève dans le cœur de Marie. Le Sacerdoce du Christ s’achève dans le mystère de l’Agneau et l’Agneau le relie à la Femme, puisque, de fait, le Christ étant déjà mort, il ne reste plus que la Victime, l’Agneau, et c’est le blessure du Cœur qui est remise à la Femme, pour être offerte par Elle. Ce qui est vrai de Marie et de Jésus est vrai de nous et de l’Eglise. Et nous devons essayer de comprendre cela pour nous concrètement dans notre vie. Qu’est-ce que faire partie de ceux qui suivent l’Agneau partout où Il va ? C’est un excellent examen de conscience, un examen de conscience divin. Avons-nous le souci, dans notre vie, de suivre l’Agneau partout où Il va, pour garder un cœur virginal, un cœur fidèle, pour faire partie de ceux qui chantent ce cantique nouveau ? Et dans notre cœur, y a-t-il ce cantique nouveau ? Cela a-t-il pour nous une signification ? Si on ne l’a pas encore découvert, il faut demander au Saint-Esprit de nous faire découvrir ce cantique nouveau : La louange qui jaillit de l’oraison et de l’adoration et de cette adoration liée au mystère de l’Agneau et au mystère de Marie. Dans cette lumière, le fruit divin de la lutte est de faire de nous ceux qui sont fidèles jusqu’au bout. On n’est fidèle qu’à travers la lutte. Celui qui n’a jamais lutté, on ne sait pas s’il est fidèle, tandis que celui qui est passé à travers la lutte et qui reste fidèle, 144

celui-là est vraiment fidèle. C’est pourquoi ce chapitre XIV ne peut être donné qu’après la Bête de la terre et la Bête de la mer. Alors, on voit le fruit. On voit que, nécessairement, cette lutte est faite pour la purification du cœur. Celui qui n’a jamais lutté, n’a aucune pureté ; c’est une chose tout à fait extérieure. La vraie pureté intérieure, c’est cette virginité dans la lutte. Celui qui est vraiment fidèle c’est celui qui, à travers toute la lutte, peut dire son choix de prédilection. Jean choisit le Christ, quand le Christ est crucifié. Et nous aussi choisissons le Christ, quand Il est crucifié. Et donc nous choisissons d’être crucifiés avec Lui ou d’être liés avec Lui. A ce moment là, « ils sont irréprochables, ils sont immaculés. » (XIV, 5) Ce mystère de pureté est le fruit direct de la blessure du Cœur de Jésus. Dans cette même perspective, nous commençons à comprendre que nous touchons à ce qu’il y a d’ultime dans la lutte, au fruit dernier, et c’est pour cela que nous est annoncé à ce moment-là le jugement. Ce n’est pas un nouveau signe, c’est à l’intérieur de la lutte que Dieu juge. Si l’Eglise est liée au sort de l’Agneau, nécessairement le jugement se fera à l’intérieur de la lutte. Notre Seigneur nous montre que c’est au moment de la lutte suprême que le jugement se fait : à la Croix. Donc le jugement se fait, quand l’Eglise est crucifiée. Tant que l’Eglise n’est pas crucifiée avec l’Agneau, tant qu’il n’y a pas de fidélité dernière pour aller jusqu’auprès de l’Agneau, le jugement ne peut pas ce faire. L’Eglise a toujours souffert et a toujours eu des martyrs. Mais il y aura un moment où le martyre sera plus intérieur. Quelle différence y a-t-il entre l’Eglise d’ici et l’Eglise de l’autre côté du Rideau de fer ? C’est que l’Eglise d’ici n’a pas de martyre sanglant et Dieu lui demande un martyre intérieur, dans la fidélité. Il est bien évident que, aujourd’hui, si on veut être fidèle, il faut quelquefois accepter d’être chassé des synagogues. A ce moment là, c’est le martyre intérieur de la solitude. Normalement, l’homme est un animal politique et, quand il est seul, très facilement, il est paniqué. La tactique du démon consiste à nous mettre dans la solitude pour nous angoisser. Alors, on doit comprendre qu’il faut la solitude de la Croix, la solitude de l’Agneau blessé. Le premier moment du jugement est donc au paroxysme de la lutte. C’est important. Il faut que la lutte aille jusqu’au bout de ses exigences pour qu’il y ait un jugement. Le jugement de Dieu se fait de l’intérieur. Nous sommes tellement habitués à identifier le jugement et la manière de mesurer les choses. Quand on mesure de l’extérieur, on ne juge pas vraiment. Le jugement consiste à discerner, de l’intérieur, ce qui est de l’ordre de l’amour et ce qui est en dehors de l’amour. Ce qui est dans l’ordre de l’amour, de la finalité, demeure éternellement. Ce qui est dans l’ordre du devenir, du pur conditionnement, tombe. Et c’est là le discernement que fait Dieu. Ce jugement intérieur est un jugement d’amour, un jugement de sagesse, un jugement contemplatif. Dieu juge toujours à travers la blessure du Cœur de Jésus, à 145

partir de l’Agneau, et donc Son jugement est un jugement intérieur dans l’amour. « Craignez Dieu et donnez-Lui gloire, car l’heure de Son jugement est venue. » (XIV, 7) L’Apocalypse va maintenant nous faire entrer dans ce mystère du jugement, à l’intérieur de cette grande vision des deux signes, à l’intérieur de cette lutte. « Adorez Celui qui a fait le ciel et la terre, la mer et les sources des eaux ! » Voilà le discernement : il se fait à partir de l’adoration, dans l’adoration. Vous ne pouvez pas être sauvés sans l’adoration. Là, on voit l’antithèse : adoration  orgueil, les deux aspects ultimes. Et le discernement se fait là. Le discernement de Dieu passe dans notre cœur entre tout ce qui, en nous, est adoration et ce qui est orgueil, en chacun d’entre nous, actuellement. Tout ce qui, en nous, est adoration, est du côté de l’Agneau. Tout ce qui, en nous, n’est pas adoration, c’est l’orgueil. Il n’y a pas de zone neutre. C’est pourquoi l’adoration est si importante : c’est ce terrain que nous offrons à Dieu. Par elle, nous devenons terre sainte, la terre de l’Agneau, la terre baignée dans le sang de l’Agneau, la nouvelle terre rouge. Par elle, nous devenons le temple du Saint-Esprit et l’orgueil disparaît, parce que le propre de l’adoration est de nous mettre dans l’attitude radicale de la pauvreté. « Et un autre Ange suivit, en disant : ‘Elle est tombée, elle est tombée, Babylone la grande.’ » (XIV, 8) D’un côté, l’adoration. De l’autre côté, la destruction de la Babylone. Babylone, c’est l’œuvre du Dragon, l’œuvre de la Bête de la terre et de la Bête de la mer, l’œuvre de l’orgueil. Le discernement que Dieu fait, c’est de la balayer, parce qu’elle est uniquement vaine. Toute l’œuvre du démon est sans finalité. Le démon a perdu sa finalité, il ne sait pas où il va. C’est pour cela qu’il est tellement agité. Le repos de Dieu, c’est l’amour ; on se repose en Dieu dans l’amour. « Et un autre Ange suivit ... » c’est beau de voir qu’il y a les deux Anges : l’Ange pour l’adoration et l’Ange pour la destruction de Babylone, pour bien montrer que ce n’est pas seulement une distinction, mais une séparation. Ce sont deux mondes différents : le monde acquis au sang de l’Agneau, qui nous fait terre sainte, et la Babylone. « Elle est tombée, Babylone la grande, qui a abreuvé toutes les nations du vin de la fureur de son impudicité. » Les élus sont comptés, chacun en particulier. Babylone, on ne la nombre pas. C’est la collectivité, l’anonymat. Dès qu’il y a anonymat, il y a la trace du démon. J’ai déjà cité à certains d’entre vous cette définition de l’Eglise qui m’avait tellement frappé et qui est très actuelle : « L’Eglise, c’est là où il y a des relations personnelles. » C’était un brave missionnaire qui, après avoir fait une Ordination au 146

Saulchoir, s’est levé et a dit : « Mes frères dans le Sacerdoce, je vous demande de retenir, toute votre vie, que l’Eglise, ce sont des relations personnelles. » C’était magnifique.

Là où il n’y a plus de relations personnelles, on est dans l’anonymat, ce n’est pas l’œuvre du Saint-Esprit. C’est un discernement merveilleux, parce que le Saint-Esprit veut que la personne s’engage dans sa responsabilité. Dans l’amour et dans la charité fraternelle, on engage sa propre personnalité et on n’hésite pas à le dire, tandis que, quand on a peur de s’engager, on se tourne vers l’autre : « Ce n’est pas moi, c’est le serpent ... » « Ce n’est pas moi, c’est Eve. » « Ce n’est pas moi, c’est la commission ... » La commission, c’est personne. Saint Thomas a cette phrase merveilleuse en commentant Saint Jean : « Personne n’a condamné le Christ, uniquement le sanhédrin. » Il est important de voir les signatures du démon, de les repérer. Le chiffre de la Bête n’est pas personnel ; il n’implique pas la responsabilité personnelle. Le démon fait toujours une œuvre anonyme, il est légion. Donc « elle est tombée, Babylone la grande. » C’est une œuvre magnifique, mais elle a l’anonymat des choses colossales. « Elle a abreuvé toutes les nations du vin de la fureur de son impudicité. » Tout le monde s’est laissé prendre. « Et un troisième Ange les suivit, en disant d’une voix forte : ‘si quelqu’un adore la Bête et son image’ ... » Vous voyez les jugements différents : La Babylone est détruite. Babylone, ce n’est pas l’homme, c’est l’œuvre du démon dans l’homme. « Si quelqu’un ... » Là, on regarde l’homme. « Si », c’est le conditionnel. Tandis que la Babylone, ce n’est pas le conditionnel : elle existe et il s’agit de la faire tomber. « Si quelqu’un adore la Bête et son image, et en prend la marque sur son front ou sur sa main, il boira, lui aussi, du vin de la fureur de Dieu ... » C’est un avertissement prophétique. La fureur de Dieu, on le voit sur Babylone qui est tombée. Mais si quelqu’un, pendant sa vie, a été entièrement pris par un conditionnement qui l’empêchait de réfléchir, il y aura un moment d’éclair dans sa vie où Dieu lui demandera s’il accepte ou s’il n’accepte pas. C’est très beau de voir ces discernements successifs. « Si quelqu’un adore la Bête et son image et en prend la marque sur son front et

sur sa main, il boira, lui aussi, du vin de la fureur de Dieu, du vin pur versé dans la

coupe de sa colère. Il sera tourmenté dans le feu et dans le soufre, sous les yeux des saints anges et de l’Agneau. » (XIV, 10) Donc on l’avertit et on montre que c’est le mystère oc l’idolâtrie : « adorer la Bête 147

et son image ». « C’est ici que doit se montrer la patience des saints. » (XIV, 12) Si nous sommes au moment du jugement, c’est-à-dire au moment de la lutte suprême, la patience des saints est exigée. Nous rêvons toujours d’une communauté pure dans l’Eglise, où il n’y ait que le bon grain, et l’ivraie au dehors. La patience des saints consiste à accepter que l’ivraie pousse avec le bon grain. Ce n’est pas drôle d’être à côté d’un chardon qui vous pique tout le temps, qui prend de l’espace, qui grossit, si vous êtes une petite violette. « Laissez-moi un peu d’espace vital ! » La patience des saints ... Il faut se la rappeler souvent. Cela fait partie de la petitesse évangélique et de la force de la petitesse évangélique. L’héroïsme de la patience, c’est le martyre non sanglant. Et c’est cette vertu cachée que Dieu nous demande aujourd’hui. Accepter de pâtir comme le grain de blé qui tombe en terre et qui meurt. « C’est ici que doit se montrer la patience des saints qui gardent les commandements de Dieu et la foi en Jésus-Christ. » La patience nous permet de garder, de durer. Il s’agit de durer autant de temps que Dieu veut, là où nous avons été parachutés, et selon le langage de l’Ecriture, quelquefois on est parachuté sur « le trône de Satan ». Cela nous arrive parfois, il faut accepter d’être là et d’attendre. « Et j’entendis une voix venant du ciel qui disait : ‘Ecris : Heureux dès maintenant les morts qui meurent dans le Seigneur !’ » (XIV, 13) Dès maintenant : c’est l’espérance dans la patience. C’est déjà là, c’est déjà présent. Si nous mourons à nous-mêmes, si nous mourons à une quantité de choses que nous aimerions voir s’épanouir, si nous mourons à notre efficacité, quand Dieu nous met dans une situation où l’efficacité est très réduite, heureux à ce moment là. « Oui, dit l’Esprit, qu’ils se reposent de leurs travaux, car leurs œuvres les suivent. » Nous retrouvons là, au terme, le fruit de la lutte, mais entre deux, il y a le discernèrent et le discernement est triple : - le fruit de la récolte divine, c’est le mystère de l’adoration ; - la destruction massive, c’est le Babylone ; - l’avertissement divin. « Puis je regardai, et voici que parut une nuée blanche … » (XIV, 14) C’est le retour du Christ. Le jugement est juste avant, qui se fait dans le combat, ici 148

sur terre. « Et sur la nuée, quelqu’un était assis, qui ressemblait à un fils de l’homme, ayant sur sa tête une couronné d’or, et dans sa main une faucille tranchante. » Nouveau symbolisme du mystère du Christ et du Sacerdoce du Christ. Le Sacerdoce du Christ s’achève avec comme instrument liturgique la faucille tranchante. Quand vous verrez dans la liturgie la faucille tranchante, vous commencerez à comprendre que c’est le retour du Christ. C’est un instrument liturgique assez particulier, mais qui symbolise le réalisme du retour du Christ : Il vient pour moissonner. La nuée blanche, c’est l’Esprit Saint, la nouvelle Pentecôte qui annonce le retour du Christ. Il faut découvrir, à travers cette nuée blanche et cette nouvelle Pentecôte d’amour, la venue de Jésus. « Ayant sur sa tête une couronne d’or » : c’est la Royauté manifestée, le Sacerdoce royal du Christ à qui tout pouvoir est remis. « Et un autre Ange sortit du sanctuaire, criant d’une voix forte à celui qui était assis sur la nuée : ‘Lance ta faucille et moissonne’. » (XIV, 15) C’est un passage très mystérieux. « Celui qui est assis sur la nuée » ne peut être que Jésus et il y a un Ange qui commande à Jésus. C’est Jésus qui, dans Son Sacerdoce royal, vient moissonner. Sa plus grande joie, Il nous le dit dans le passage après la Samaritaine, est de moissonner : « La moisson est blanche ... » Et là, on a cette vision du Christ qui revient dans la Gloire, qui revient comme Roi. « Lance ta faucille et moissonne ; car le moment de moissonner est venu, parce que le moisson de la terre est mûre. » On peut toujours dire que c’est un envoyé du Père. Mais je ne demande s’il n’y a pas autre chose qu’il faut essayer de comprendre. « Alors Celui qui était assis sur la nuée jeta sa faucille sur la terre et la terre fut moissonnée. » (XIV, 16) Cela se fait en un instant, parce que nous sommes dans l’ordre divin. C’est Jésus qui récolte la moisson, qui est là dans Sa Gloire pour recevoir tous les élus. « Un autre Ange sortit du sanctuaire qui est dans le ciel, portant lui aussi une

faucille tranchante. Et un autre Ange, celui qui a pouvoir sur le feu, sortit de l’autel, et s’adressa d’une voix forte à celui qui avait la faucille tranchante, disant : ‘Lance ta faucille tranchante, et coupe les grappes de la vigne de la terre, car les raisins en sont mûrs’. » (XIV, 17-16) 149

La moisson représente la fin, et elle est prise avec la vendange. Vous retrouvez le double symbolisme du pain et du vin, pour nous montrer que tout le mystère de l’Eucharistie, c’est le mystère du viatique. Et donc tout le mystère de l’Eglise s’achève à travers le point de vue de la moisson, le blé, et celui de la vendange, le vin. « Et l’Ange jeta sa faucille sur la terre, et vendangea la vigne de la terre, et il

en jeta les grappes dans la grande cuve de la colère de Dieu. La cuve fut foulée hors de la ville, et il en sertit du sang jusqu’à la hauteur du mors des chevaux, sur un espace de mille six cent stades. » (XIV, 19-20) « Puis je vis dans le ciel un autre signe ... » (XV, 1) Si je compte, c’est le troisième ; signe. Ce n’est pas juste de mettre « le septième signe ». Il y a sept sceaux, sept trompettes, mais trois signes. Il est importent de comprendre que les signes sont seulement trois. Si vous mettez sept, c’est tout simplement un phénomène de répétition qui n’est pas du Saint-Esprit. Il faut suivre le texte. « Puis je vis dans le ciel un autre signe, grand et étonnant : sept anges qui

tenaient en main sept plaies, les dernières, car c’est par elles que doit se consommer la colère de Dieu. » (XV, 1) « Et je vis comme une mer de verre, mêlée de feu, et au bord de cette mer étaient

debout les vainqueurs de la Bête, de son image et du nombre de son nom, tenant les

harpes sacrées. Ils chantaient le cantique de Moïse, le serviteur de Dieu, et le cantique

de l’Agneau disant : ‘Grandes et admirables sont vos œuvres, Seigneur, Dieu toutpuissant ! Justes et véritables sont vos voies, ô Roi des siècles ! Qui ne craindrait,

Seigneur, et ne glorifierait votre nom ? Car vous seul êtes saint. Et toutes les nations viendront se prosterner devant vous, parce que vos jugements ont éclaté’. » (XV, 2-4) Nous reviendrons sur ces trois signes et nous essaierons de comprendre ce que représente ce symbolisme de la moisson et de la vendange et comment il y a cet ange qui commande à Jésus pour Sa moisson.

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11ème conférence

La colère de Dieu est une purification et non une destruction. C’est parce qu’il nous aime que Dieu fait éclater sa colère. Ch. XV. Les sept coupes sont les corrections miséricordieuses et ultimes de Dieu envers l’Eglise et chacun de nous avant de démasquer l’œuvre de le bête. Ch. XVI.

Nous voyons, dans le chapitre XIV, comment le jugement qui est annoncé est le jugement de Jésus qui doit moissonner pour le Père. C’est cela qu’il faut saisir. Jésus est venu de la part du Père ; Il est l’Envoyé du Père, venu pour moissonner pour le Père. Alors quel est cet ange qui commande à Jésus ? « Un ange sortit du sanctuaire, criant d’une voix forte ... » (XIV, 15). C’est très mystérieux. Dans quelle mesure le Père a-t-il remis tout pouvoir au Fils et le Fils a-t-il remis tout pouvoir à Marie ? Quand on proclame Marie Reine de l’univers, Reine de l’Eglise, cela a une signification profonde. Ce n’est pas purement métaphorique. Marie a vraiment un pouvoir. Alors je me demande si cet ange, symboliquement, ce n’est pas Marie qui intervient et qui coopère à l’œuvre de la moisson, comme Elle a coopéré à l’œuvre de la Croix. Jean nous montre, d’une manière très nette, Marie coopérant à l’œuvre de la Rédemption. Elle est au pied de la Croix. Elle coopère. C’est ce que nous disons quand nous disons qu’elle est Médiatrice, qu’elle est co-Rédemptrice. Ce sont des expressions difficiles à bien comprendre parce que nous touchons là un mystère de surabondance d’Amour. Si le Mystère de la Croix était uniquement un mystère de justice, Marie n’aurait pas coopéré. Il faut bien le préciser théologiquement. C’est très difficile de parler du Mystère de Marie parce que c’est un Mystère qui doit être vu uniquement dans la lumière de Jésus. Il faut le dire aux protestants qui ont toujours de la peine à le comprendre. (Je ne parle pas des orthodoxes, mais des protestants). Il faut leur faire saisir que le Mystère de Marie ne retire rien au Mystère du Christ. Au contraire : Jésus est Dieu, tandis que Marie est créature. Et il faut maintenir cela très nettement. Mais Elle est la créature entièrement reprise par Dieu. C’est la plus petite, la plus fragile de toutes les créatures. C’est la Femme, et donc la benjamine. Mais c’est la plus petite qui est en même temps la première. Parce que Dieu veut que ce soit Elle la plus aimée. Et Marie accepte d’être la plus petite, la dernière, la plus fragile ; et Elle est enveloppée du soleil parce que, justement, Elle est dans cet état de pauvreté. 152

En conséquence, le Mystère de Marie Coopératrice doit être compris en tenant compte que le Mystère du Christ Crucifié n’est pas seulement un mystère de justice. C’est un mystère d’Amour. Le Mystère de la Croix ne peut pas être saisi si l’on regarde uniquement du côté de la justice. C’est un mystère de surabondance d’Amour. Un seul acte d’humilité de Jésus aurait suffi pour sauver tous les hommes, du point de vue de la justice. Un seul acte d’adoration du Christ aurait réparé toute l’idolâtrie de l’humanité. Parce que le Christ est Homme et Dieu, un seul de ses actes a une valeur infinie. Mais Dieu a voulu que Jésus portât l’iniquité du monde dans cet Amour de surabondance. La Croix est un Mystère d’Amour. Ce n’est pas un mystère de justice, comme le disaient les Jansénistes. Et parce que c’est un mystère d’Amour, il est normal qu’il y ait une surabondance d’Amour et une médiation de surabondance. Je crois qu’il faudrait dire que Marie est la médiation de surabondance. Parce que c’est la médiation de la Femme, la médiation de la créature toute pure, appelée par Dieu à faire œuvre commune avec Lui. La merveille en Marie, c’est qu’Elle fait œuvre commune avec Dieu, bien qu’elle soit notre sœur. Elle est toute proche de nous. Elle a connu une fragilité plus profonde que la notre puisque Marie était plus sensible que nous, qu’Elle avait une intelligence plus fine que la nôtre. Et donc Marie a connu parfaitement la condition de la créature et plus profondément que n’importe qui d’autre. Dans une lucidité plus grande que la nôtre, Elle est la plus petite de toutes les créatures et la plus pauvre. Et c’est pour cela qu’Elle est tellement aimée. La pauvreté provient de l’Amour et la véritable humilité également. On est humble quand on aime. On est pauvre quand on aime. On est dépouillé de soi quand on aime. L’orgueil c’est le rejet de l’amour. Marie possède une plénitude d’Amour. Donc il y a en Elle une plénitude de pauvreté. Et parce qu’Elle est totalement pauvre, Elle peut coopérer pleinement à l’œuvre de Jésus. Et Elle peut être Médiatrice d’Amour, Médiatrice de la surabondance d’Amour. Dans l’ordre de l’amour il n’y a pas de limites, tandis qu’il y en a dans l’ordre de la justice. La justice, c’est donnant-donnant ! C’est pour cela qu’il ne peut pas y avoir d’autre Médiateur que Jésus dans l’ordre de la justice. Mais dans l’ordre de l’amour et de la surabondance d’Amour, il peut y avoir cette surabondance de la créature faisant œuvre commune avec son Dieu. Ce qui est invraisemblable. Et c’est la grandeur du Sacerdoce Royal de Marie. Elle fait œuvre commune avec son Dieu. L’œuvre de Dieu se prolonge dans sa créature, pas du tout parce que Dieu en avait besoin, pas du tout parce qu’il manquait quelque chose à la Passion du Christ, mais tout simplement parce que l’œuvre du Christ est une œuvre d’Amour. Et l’Amour réclame la surabondance. Il est capital de saisir cela dans le Mystère de Marie. C’est toujours ce qu’il faut dire quand on est en face de ceux qui ne le comprennent pas. Il faut leur faire comprendre que supprimer le Mystère de Marie, c’est retirer quelque chose à l’efficacité de la Croix.

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Si vous supprimez le Mystère de Marie, vous ne voulez pas aller jusqu’au bout de l’efficacité de la Croix, et donc vous mutilez ce Mystère. Il faut renverser l’argument. Les arguments du démon sont toujours dans un ordre à rebours. Il faut donc renverser l’argument du démon et comprendre que c’est juste l’inverse : le Mystère de Marie est la Gloire du Mystère de la Croix parce qu’il montre la surabondance de l’Amour. Et ce que Marie est à la Croix, Elle l’est au Jugement dernier ; dans la mesure où l’on a été humilié, on est exalté. Par son Sacerdoce Royal, Marie fait œuvre commune avec l’Agneau : c’est l’alliance de la Femme et de l’Agneau. C’est un très grand mystère mais c’est le mystère le plus foncier qui nous soit montré là. Marie, à la Croix, est plus humiliée qu’aucune créature ne le sera jamais. Elle est la Mère du condamné à mort que l’on traite de cette manière invraisemblable, que l’on considère comme le dernier des derniers. Elle est sa Mère et donc Elle porte dans son Cœur ce lien avec Jésus crucifié, avec l’Agneau. Alors, dans cette même mesure, Elle est exaltée. La servante devient Reine. La Mère devient Reine : Elle est associée intimement au Jugement dernier. C’est magnifique. C’est comme si Jésus ne pouvait rien décider sans Elle. C’est Dieu qui volontairement, dans son jugement royal et sacerdotal, se fait dépendant de la Femme. Le Fils bien-aimé du Père nous fait ainsi comprendre Son Amour. Quand Jésus fait le geste de l’esclave, lors de l’Institution de l’Eucharistie, Il nous fait comprendre comment, au moment de l’acte royal de discernement ou de jugement, le Roi est celui qui juge en dernière instance. C’est cela le propre du pouvoir royal : juger en dernière instance sans que personne n’intervienne après lui. Le roi peut toujours gracier un condamné à mort et c’est là que réside la royauté. Dans n’importe quelle royauté, même dans celles d’aujourd’hui qui n’ont presque plus de pouvoir, on laisse encore au roi ce pouvoir-là. C’est très très beau. Et donc, Son pouvoir royal, le Christ l’exerce justement dans ce discernement ultime, dans son Jugement. Et Jésus veut que Marie y soit activement associée. Quand Jésus s’associe quelqu’un, ce n’est pas du tout pour le subordonner. C’est au contraire Jésus qui se subordonne à lui. C’est là la merveille de l’Amour. Quand vous vous associez quelqu’un dans l’ordre de l’amour, vous ne le subordonnez pas, sinon ce ne serait pas l’amour, mais vous vous subordonnez à lui. Alors je crois que c’est ce qui nous est révélé. Mais encore une fois, c’est très voilé, parce que c’est un très grand secret. Mais si vous voulez le comprendre, il faut aller jusque là. De même quand Jésus fait le geste de l’esclave, au moment où Il se donne pendant l’Eucharistie, qu’est-ce que cela veut dire ? C’est le geste de la charité fraternelle. Dans la charité fraternelle, on se fait l’esclave de son frère. On est totalement dépendant de lui. On se met entièrement à son service, autrement on ne vit pas le Mystère de l’Eucharistie. Quand il s’agit de Jésus et de Marie, quel est le lien de charité fraternelle qui les unit ? Comment Jésus se fait-il l’esclave de Marie ? En lui remettant ce qui lui appartient en propre : son autorité royale. 154

Tous ces mystère d’effacement, nous avons de la peine à les saisir. Le Père s’efface devant le Fils. Le Fils s’efface devant Marie. C’est la grande loi trinitaire parce que c’est la loi de l’Amour. C’est juste l’inverse de l’orgueil. Quand on aime beaucoup quelqu’un, on veut toujours qu’il passe devant. C’est même le signe de l’amour que l’on a pour lui. Quand l’amour diminue, on passe devant l’autre en lui faisant sentir qu’il vient après nous. Mais quand on l’aime beaucoup, on le fait passer devant. C’est spontané. Dans notre cœur ce n’est pas difficile, ce n’est pas humiliant, c’est exaltant. La loi de l’Amour, de l’humiliation profonde, de l’anéantissement, elle est au cœur de la Très Sainte Trinité. C’est en ce sens-là que Marie est l’Amen de la Très Sainte Trinité. Elle en est la dernière Révélation, Elle, la Femme. Et Elle veut que Jésus, dans son autorité royale, passe devant. Je reprends ce passage que nous lisions tout à l’heure. Le mot envoyé, le mot ange, peut symboliquement exprimer Marie en tant qu’Elle est l’envoyée du Père. Et c’est en tant qu’Elle est l’envoyée du Père que Jésus s’efface devant Elle. Parce que Marie est donnée à Jésus par le Père ; Elle est l’envoyée du Père auprès de Lui, en tant que Sa Mère. Et Jésus reconnaît qu’Elle est l’envoyée du Père et c’est pour cela qu’il la fait passer devant. « Et un autre ange sortit du sanctuaire, criant d’une voix forte à celui qui

était assis sur la nuée : Lance ta faucille et moissonne ; car le moment de moissonner est venu, parce que la moisson de la terre est mûre. »(XIV, 15)

Donc, c’est Marie, intimement associée à l’œuvre de la moisson lors du discernement ultime. C’est Jésus qui récolte tout. Cet aspect est très peu regardé dans le Mystère de Marie, parce qu’on regarde très peu ce qu’est la Régence de Marie. On est toujours fixé sur la Maternité. C’est très bien de regarder la Maternité en premier lieu. Mais il y a aussi la Régence de Marie où lui est laissée l’œuvre de la moisson. C’est un secret qu’Elle porte dans son Cœur : le secret de Marie. « Alors Celui qui était assis sur la nuée jeta sa faucille sur la terre, et la terre

fut moissonnée. Un autre ange sortit du sanctuaire qui est dans le ciel, portant, lui aussi, une faucille tranchante. » (16-17) C’est Marie cet autre ange. Elle est Celle qui ordonne et qui est associée à l’œuvre de la moisson. Jésus, c’est le pain et Marie est associée au sang, à la vendange. « Et un autre ange, celui qui a pouvoir sur le feu, sortit de l’autel, et s’adressa

d’une vois forte à celui qui avait la faucille tranchante, disant : Lance ta faucille tranchante, et coupe les grappes de la vigne de la terre, car les raisons en sont mûrs ». (18-19) C’est le symbolisme du pain et du vin montrant la double moisson et le discernement qui doit se faire. « Et l’ange jeta sa faucille sur la terre, et vendangea la vigne de la terre, et il 155

en jeta les grappes dans la grande cuve de la colère de Dieu. » Comprenons bien : la colère de Dieu c’est la purification. Les colères divines ce sont des purifications. La colère de Jésus purifiait le Temple. Ne l’interprétons pas comme une destruction. Et ici, c’est la cuve de l’ultime purification. « La cuve fut foulée hors de la ville ... » Nous retrouvons le parallélisme avec le Mystère de la Croix pour bien comprendre que le Mystère du Jugement dernier, c’est le Mystère de la Croix étendu à toute l’Eglise. « Hors de la ville », c’est très net, c’est signé : Jésus est mort hors de la ville, pour signifier que la cuve fut foulée hors de la ville. Donc c’est une allusion directe au Mystère de la Croix. « ... et il en sortit du sang jusqu’à la hauteur du mors des chevaux, sur un espace de mille six cents stades. » (20) C’est quelque chose qu’on ne peut pas mesurer, qui nous dépasse et qui est comme le secret de Dieu. C’est impressionnant de voir que le symbolisme de l’Eucharistie nous fait comprendre le mystère de la moisson, le discernement qui se fera en dernier lieu par Jésus, dans son rôle de Juge. Son rôle sacerdotal est montré par le symbolisme de la moisson, comme s’il fallait que nous soyons entièrement transformés par le pain de vie pour être moissonné par le Christ. Entièrement transformés par le sang du Christ pour être le sang du Christ. Nous ne le sommes jamais totalement et c’est pour cela qu’il y a une purification dernière. Progressivement, nous devenons le pain et le sang. Et toute l’Eglise doit devenir pain et sang. Elle ne le sera jamais totalement sur la terre. Il faut qu’Elle le soit pour être dans l’éternité, puisque le Sacrement de l’Eucharistie est d’institution divine. Et donc, c’est par l’Eucharistie que se fait le discernement entre ce qui est éternel et ce qui est temporel. Il y a donc là un langage liturgique du Mystère de l’Eucharistie qui nous donne la signification de ce que nous appelons « le viatique ». Le Sacrement de l’Eucharistie éclaire le Mystère du Jugement. Il nous fait comprendre sa mesure. Et la mesure du jugement doit se comprendre à l’intérieur de l’Amour. Tout ce qui a été transformé, tout ce qui a été transsubstantié par l’Eucharistie, est éternel. Tout ce qui a été transsubstantié par le sang du Christ est éternel. Le reste doit être purifié dans la cuve de la colère. Vous voyez le rôle de Marie. Evidemment, c’est difficile à comprendre pour notre pauvre petite logique qui bascule dans ce cas-là. Mais je crois que c’est ce qui nous est montré : la coopération de Marie, puisque c’est Marie qui offre la dernière goutte d’eau et de sang. Il y a un lien spécial du sang de Jésus avec Marie. Il y a un lien particulier qu’il faut découvrir et que l’Eglise tend à nous faire découvrir aujourd’hui, puisqu’Elle veut nous donner un sens plus aigu du Mystère du Sang du Christ. Le symbolisme même du sang du Christ à la messe  le vin  doit nous redonner un sens plus profond du Mystère de l’Eucharistie. Et si je prends le texte de Saint Jean dans l’Evangile et ce qui 156

nous est montré ici, les deux textes s’éclairent et nous montrent que c’est Marie qui offre la dernière goutte d’eau et de sang.

« Puis je vis dans le ciel un autre signe, grand et étonnant : sept anges qui

tenaient en main sept plaies, les dernières, car c’est par elles que doit se consommer la colère de Dieu. » (XV, 1) Vous êtes en face du troisième signe, et non pas du septième. Par ce dernier signe, nous entrons dans le symbolisme des coupes. Les deux premiers signes nous faisaient comprendre l’enjeu de la lutte. Et le troisième signe  il s’agit du troisième signe  nous en fait comprendre le fruit. C’est pour cela que, je crois, il vaut mieux respecter les trois signes qui sont un aspect plus profondément trinitaire. Les sept signes sont liés au sept esprits de Dieu ; ils se situent donc dans l’ordre du devenir. Mais les signes ne sont pas dans l’ordre du devenir, ils sont dans l’ordre de l’être. Et c’est pour cela que c’est trinitaire. Nous sommes dans l’ordre de la connaissance. Tandis qu’au contraire, les sept nous mettent dans l’ordre du devenir, parce que ce sont les esprits de Dieu donnés à l’Eglise et qui représentent son dynamisme. Les trois signes donnent l’intelligibilité du devenir. Et nous comprenons qu’il ne peut y en avoir que trois. Il ne peut pas y en avoir d’autres. Or, l’intelligibilité du devenir, Aristote nous l’a dit, c’est les deux contraires. On comprend un mouvement quand on est en face de ses deux contraires. Quels sont les deux contraires ? Le dragon et la Femme. Il n’y en a pas d’autre. Et le mouvement se comprend par son terme. Quand il aboutit au terme apparaît le fruit : c’est la coupe. C’est très fort comme structure. C’est là où l’on reconnaît la marque de Dieu. C’est beaucoup plus intelligent que tout ce que nous pouvons comprendre. Dans l’Apocalypse il y a une intelligence très poussée. Nous la découvrons progressivement, en grattant la terre. C’est ce que la Sainte Vierge a demandé à Bernadette : de gratter la terre. Nous grattons la terre sans voir grand chose puis, soudain, la source jaillit. Et c’est le troisième signe. « Et je vis dans le ciel un autre signe »... Les signes sont toujours dans le ciel. Donc ils nous donnent bien la lumière de l’éternité sur le temps. Ici nous sommes arrivés à l’achèvement. Tout le pèlerinage de l’Eglise se termine là. On va l’expliquer. C’est le terme. « … car c’est par elles que doit se consommer la colère de Dieu ». Faisons toujours grande attention. Comprenez bien que le symbolisme de la colère représente le point de vue du discernement et du jugement. On se met en colère quand on est en face d’une injustice. Vous le savez bien. La grande manière de connaître son voisin, c’est de voir quand il se met en colère, ce qui découvre les vulnérabilités de son coeur. Il se met en colère quand il est en face d’une injustice. Celui qui ne se met jamais en colère, c’est un pauvre type ! Cela prouve qu’il n’a plus aucun sens de la justice. Et 157

plus nous avons le sens de l’ordre de la justice, ou de l’ordre de la sagesse, plus nous sommes irrités devant quelque chose de désordonné. Ici, ce symbolisme de la colère est transposé en Dieu. La colère de Dieu signifie qu’il ne peut pas tolérer le mélange du sacré et du profane.

La colère de Jésus dans le Temple est l’anticipation de la colère dernière de Dieu. Il ne faut pas l’oublier. La colère du Christ dans le Temple est eschatologique. Elle annonce la grande colère qui éclatera encore dans le Temple, c’est-à-dire dans l’Eglise. Le Temple c’est l’Eglise qui doit porter toute l’humanité. Et alors, à l’intérieur de l’Eglise, cette confusion entre le sacré et le profane, entre ce qui relève de l’Esprit Saint et ce qui ne relève pas de Lui, fera éclater la colère de Dieu qui se manifestera par un discernement. Dieu se met en colère pour réaliser ce discernement d’Amour. C’est une colère d’Amour. C’est parce que Dieu nous aime beaucoup qu’il se met en colère. Surtout ne demandez pas à Dieu de ne plus se mettre en colère parce que ça prouverait qu’il ne nous aime pas assez ! Quand on aime quelqu’un profondément, on se met en colère quand il fait une bêtise, immédiatement : « Quand même, tu aurais pu faire attention ... ». C’est parce qu’on voit un petit désordre et ses conséquences et que l’on voit que celui qu’on aime aurait pu très bien glisser dans ce désordre. Alors on se met en colère. Jésus se met en colère parce qu’il nous aime. Comme Il a envers nous une tendresse extraordinaire, Il est très sensible à toutes nos bêtises. Une mère, quand elle aime beaucoup son enfant, est sensible à toutes ses bêtises. De même un père qui aime tendrement son fils ou sa fille se met en colère dès qu’ils font des bêtises ... Les pédagogues vous diront qu’il ne faut pas trop se mettre en colère à cause de ses répercussions sur l’enfant. Mais, de temps en temps, c’est quand même bon. Si l’on comprend profondément la colère, on sent qu’elle exprime un très grand amour. Les colères de Jésus sont merveilleuses. Il faut les aimer. Il faut lui demander de temps en temps de se mettre en colère contre nous, pour nous purifier. Ce n’est pas la peine d’attendre les derniers moments, il vaut mieux que ça ait lieu maintenant ! La colère de Jésus qui prend le fouet dans le Temple est une colère eschatologique annonçant cette dernière colère où Jésus va purifier ce qui est de Dieu et ce qui n’est pas de Dieu. « Et je vis comme une mer de verre, mêlée de feu ... » (XV, 2) Cette mer on l’a déjà vue, au début de l’Apocalypse, Ch. IV, 6 : « En face du trône, il y a comme une mer de verre semblable à du cristal ». Ce symbolisme que nous retrouvons ici signifie l’omniprésence de Dieu. C’est l’omniprésence du Créateur, l’omniprésence de Celui qui recrée tout. Et, d’une certaine manière, c’est le symbole de Marie aussi. 158

« ... et au bord de cette mer étaient debout les vainqueurs de la bête, de son image et du nombre de son nom, tenant les harpes sacrées. » Ils sont en conjonction avec cette mer, puisqu’ils sont sur son bord. Ils continuent l’œuvre de Marie en étant vainqueurs de la bête. Ils continuent le mystère de sa Compassion. Ils continuent le mystère de sa co-Rédemption. Il faut être vainqueur du nombre 666 et pour cela il faut le discerner. « Tenant les harpes sacrées », donc ils sont dans la joie et la gloire. « Ils chantaient le cantique de Moïse, le serviteur de Dieu, et le cantique de l’Agneau. » (XV, 3) Nous sommes toujours en face de ceux qui sont associés directement à l’œuvre de Marie. « Grandes et admirables sont vos œuvres, Seigneur, Dieu tout-puissant ! Justes

et véritables sont vos voies, ô Roi des siècles ! Qui ne craindrait, Seigneur, et ne glorifierait votre nom ? Car vous êtes seul saint. Et toutes les nations viendront se prosterner devant vous, parce que vos jugements ont éclaté. » (XV, 3-4) « Après cela, je vis s’ouvrir dans le ciel le sanctuaire du tabernacle du témoignage. » (XV, 5) Ce signe est important. C’est le signe de l’achèvement, de la consommation. Et nous allons voir tout ce qui est commandé par lui. Les deux premiers signes donnaient l’intelligibilité de la lutte. Ce signe, au contraire, en donne le fruit. Cette lutte a une finalité. Si Dieu la permet, c’est pour que nous devenions des saints. Dieu permet la lutte pour que l’amour grandisse. C’est pour qu’il y ait à la fin un fruit merveilleux qui nous est montré par ce dernier signe. « Et les sept anges qui ont en main les sept plaies sortirent du sanctuaire. Ils

étaient vêtus d’un lin pur et éclatant, et portaient des ceintures d’or autour de la poitrine. » (XV, 6) Ces anges sont représentés dans un rôle sacerdotal. Les anges ne sont pas des prêtres. Est-ce que là encore « ange » ne veut pas dire « envoyé » ? Est-ce que nous ne sommes pas là en présence de tout ce que représentent les apôtres, puisque Notre Seigneur dit qu’ils seront associés à Jésus dans son jugement. Il y a deux manières d’être associé : celle de Marie, comme Reine ; et ces anges qui sont prêtres. Ces anges, en tant que prêtres, ne sont pas ce que nous appelons les anges. Mais ce sont les envoyés du Christ, les envoyés du Père. Ils représentent le sacerdoce éternel de Jésus auprès de ceux qui sont associés à son rôle ultime de prêtre. Ils ont un rôle sacerdotal : ils sortent du sanctuaire. En outre, le « lin pur et éclatant et la ceinture d’or » sont toujours le symbole du sacerdoce. Le lin pur c’est le sacerdoce dans 159

l’Ancien Testament. La ceinture d’or, c’est la royauté du Christ. Ce qui nous est parvenu dans le symbolisme de l’aube. C’est pour cela qu’on n’aime pas les prêtres qui disent leur messe sans aube : ils se mettent en dehors de ce que représente la liturgie. Il faut voir les choses dans leur essence et ne pas dire : ça ne signifie rien du tout ! Au contraire, cela fait partie d’une liturgie qui engage tout l’homme. Et donc l’aube représente la tenue sacerdotale. On n’a pas le droit de modifier ce que l’Apocalypse nous dit : « Ne retranchez rien, autrement vous serez retranchés ». Il y a là quelque chose qu’il faut redécouvrir. On laïcise tout et c’est ce qui blesse le Cœur de Jésus. Laïciser certaines choses en raison de la miséricorde, ou de certains aspects apostoliques, c’est bien, et c’est normal. Mais attention : que ce soit uniquement en fonction de la miséricorde. On a ce droit dans la mesure où la miséricorde le réclame. Et lorsque la miséricorde ne le demande plus, on n’a plus le droit le laïciser. On doit au contraire comprendre qu’il y a une consécration qui doit se manifester. C’est quand même très fort de voir cela ici : « Ils étaient vêtus d’un lin pur et éclatant et portaient des ceintures d’or autour de la poitrine. » « Alors l’un des quatre vivants donna aux sept anges sept coupes d’or, pleines de la colère du Dieu qui vit aux siècles des siècles. » (XV, 7) Voyez le lien avec les quatre vivants que nous avons vus l’année dernière et qui sont le Mystère de Jésus, dans son Incarnation. Si l’on pousse ce symbolisme jusqu’au bout, on ne peut pas s’arrêter aux Evangélistes. Les Evangélistes sont les témoins de Jésus. Et donc « les quatre vivants » c’est le mystère de Jésus dans sa vie. C’est la vie plénière du Christ. Le Verbe Incarné est le Vivant, selon la grande expression de l’Apocalypse. Et il faut que Jésus soit le Vivant pour nous, source de toute vie. « Et le sanctuaire fut rempli de fumée par la gloire de Dieu et par sa puissance,

et personne ne pouvait entrer dans le sanctuaire, jusqu’à ce que fussent consommées les sept plaies des sept anges. » (XV, 8)

Nous retrouvons le dernier symbolisme : après celui des sceaux, celui des trompettes, voici les coupes. Et entre deux, il y a eu les trois signes. C’est l’ordre profond de l’Apocalypse. Les coupes symbolisent la récolte. On ramasse les fruits. Il faut ramasser les fruits et on les ramasse dans des coupes. Et les plaies sont la dernière purification. L’ordre est donc : décision, exécution, récolte. Etre associé à la récolte du Christ est un rôle sacerdotal. Les anges des trompettes n’étaient pas du tout le sacerdoce. L’Agneau seul peut enlever les sceaux. Les anges des trompettes sont dans l’ordre de l’exécution et ils nous font comprendre comment tous les anges sont liés au sort de l’Eglise. Et, dans ce dernier aspect, ici ils représentent les apôtres, ceux qui sont envoyés par le Christ et qui sont en conséquence reliés au Mystère du Christ. Ce sont les quatre vivants qui donnent les sept coupes. Leur rôle est de 160

récolter. Voyez le geste des apôtres, après la multiplication des pains : ils ramassent les miettes. C’est, symboliquement, le même geste qu’ils feront au terme de toute la vie de l’Eglise : ramasser les fruits ; et il y aura le mystère des plaies.

***

Entrons dans ce symbolisme des coupes et des plaies : « Et j’entendis une grande voix qui sortait du sanctuaire, et qui disait aux sept anges : Allez et versez sur la terre les sept coupes de la colère de Dieu. » (XVI, 1) Ce n’est pas drôle que tout doive se terminer par les sept coupes de la colère de Dieu ! C’est un fait que l’humanité, telle qu’elle vit, ne peut pas être purifiée par ellemême. Il faut qu’elle soit purifiée par les coupes de la colère de Dieu. « Et le premier partit et répandit sa coupe sur la terre; et un ulcère malin et

douloureux frappa les hommes qui avaient la marque de la bête et ceux qui adoraient son image. » (XVI, 2) A ces hommes marqués de la bête, qui vivent dans son ambiance et qui lui sont entièrement subordonnés, qui adorent son image et qui sont complètement aveuglés, il s’agit de rendre la vie, il s’agit de rendre la connaissance. Il s’agit de les purifier. D’où cette purification par l’ulcère malin fit douloureux. C’est quelque chose de particulier. Dieu agit de cette manière par l’intermédiaire de ses envoyés en vue d’une purification intérieure. La souffrance peut redonner un certain sens religieux. Quand on est tout proche de la mort (l’ulcère malin et douloureux conduit à la mort), il y a quelque chose de profondément naturel qui se réveille en nous. C’est Dieu qui purifie de cette manière pour redonner le sens religieux à ceux qui sont complètement pris par le point de vue de la bête, par son efficacité et qui sont perdus par l’idolâtrie. Il n’y a rien qui fasse perdre davantage le sens religieux que l’idolâtrie ! « Puis le second répandit sa coupe dans la mer ; et elle devint comme le sang d’un mort, et tout être vivant qui était dans la mer mourut. » (XVI, 3) 161

C’est la purification du milieu ambiant sur lequel le démon veut régner. Il ne faut pas oublier que le démon est sûr de régner sur le milieu ambiant, lui, le prince de ce monde ! Alors Dieu le récupère en le purifiant. « Puis le troisième répandit sa coupe dans les fleuves et les sources d’eau ; et les

eaux devinrent du sang. Et j’entendis l’ange des eaux qui disait : Vous êtes juste, vous

qui êtes et qui étiez, vous le Saint, d’avoir exercé ce jugement. Car ils ont versé le sang des justes et des prophètes, et vous leur avez donné du sang à boire : ils en sont dignes ! Et j’entendis l’autel qui disait : Oui, Seigneur, Dieu tout-puissant, vos jugements sont vrais et justes. » (XVI, 4-7) Il faut essayer d’entrer dans cette symbolique ultime. « Puis le quatrième répandit sa coupe sur le soleil, et il lui fut donné de brûler

les hommes par le feu ; et les hommes furent brûlés d’une chaleur extrême, et ils blasphémèrent le nom de Dieu qui est le maître de ces plaies, et ils ne se repentirent point pour lui rendre gloire. » (8-9) « Puis le cinquième répandit sa coupe sur le trône de la bête et son royaume fut

plongé dans les ténèbres ; les hommes se mordaient la langue de douleur, et ils blasphémèrent le Dieu du ciel à cause de leurs douleurs et de leurs ulcères, et ils ne se repentirent point de leurs œuvres. » (10-11)

Pensez aux plaies d’Egypte. C’est de cette manière-là qu’il faut comprendre ces plaies : c’est la dernière correction de Dieu. L’univers lui appartient, alors que la bête avait fait croire aux hommes que c’était le dragon qui avait tout pouvoir. Comme l’humanité est complètement falsifiée, qu’elle est complètement prise par ses idéologies, Dieu emploie un argument frappant. Il n’a plus d’autre moyen. Et c’est sa miséricorde qui fait cela. Dieu nous a laissé la liberté. Si nous avions été plus humbles, nous aurions compris. Mais l’humanité est séduite par l’orgueil collectif : c’est la Tour de Babel. Elle est entièrement téléguidée par le dragon. Et Dieu qui ne peut pas la tolérer déverse dans sa colère les sept coupes. « Puis le sixième répandit sa coupe sur le grand fleuve de l’Euphrate ... (On retrouve l’Euphrate, ce symbolisme qui est à l’origine de tout, d’une certaine manière.) … et les eaux en furent desséchées, afin de livrer passage aux rois venant de l’Orient. » (XVI, 12) Nous verrons cela : les rois de l’Orient sont une symbolique assez particulière ! « Et je vis sortir de la bouche du dragon, et de la bouche de la bête, et de la bouche du faux prophète, trois esprits impurs, semblables à des grenouilles. » (XVI, 14) C’est extraordinaire : des esprits impurs semblables à des grenouilles. Les coupes 162

obligent le dragon à montrer ce qu’il est en réalité. C’est Dieu qui le pousse à bout et il ne peut plus jouer un rôle de séduction. Je ne sais pas si les esprits impurs sortent les trois en même temps, ou l’un après l’autre, puisqu’ils ont trois sources. Toujours est-il qu’il y en a trois « semblables à des grenouilles », ça c’est moins séduisant ! « Car ce sont des esprits de démons qui font des prodiges, et ils vont vers les rois de

toute la terre, afin de les rassembler pour le combat du grand jour du Dieu toutpuissant. Voici que je viens comme un voleur. Heureux celui qui veille et qui garde ses

vêtements, pour ne pas aller nu et ne pas laisser voir sa honte ! Et ils les rassemblèrent dans le lieu appelé en hébreu Armagédon. » (15-16) Le sixième ange représente le dernier moment de la lutte. C’est le dernier soubresaut du dragon et de la bête acculés dans leur repaire. Ils sont directement pris par la sixième coupe et ils sont obligés, à ce moment-là, de prophétiser. Ils essaient par tous les moyens de dominer dans la dernière lutte, que l’on reverra. Elle est annoncée ici symboliquement. « Et ils les rassemblèrent dans le lieu appelé en hébreu Armagédon » : c’est très curieux et cette chose-là est toujours présente dans l’Apocalypse. C’est comme si, dans la dernière lutte, tout l’univers serait réuni. Il y aura un moment où tout l’univers sera en lutte. C’est ce qui est dit ici, si l’on est attentif. Il y a 50 ans, cela n’aurait pas été possible. Maintenant, cela est devenu possible. Il devient possible que l’univers soit divisé en deux, en raison même de l’unité qui se fait du point de vue économique. Ce n’est pas un œcuménisme par le sommet et par l’amour, c’est un œcuménisme par le bas ! Cela se voit et devient évident ! « Puis le septième répandit sa coupe dans l’air ; et il sortit du sanctuaire une

grande voix venant du trône, qui disait : C’en est fait ! Et il y eut des éclairs, des voix,

des tonnerres, et un grand tremblement, tel que jamais, depuis que l’homme est sur la terre, il n’y eut tremblement de terre aussi grand. » (17-16) Donc on voit l’action de l’Esprit et le tremblement de terre qui expriment que les bases elles-mêmes, dans ce qu’elles ont de plus fondamental, seront secouées. C’est la fin. « La grande cité fut divisée en trois parties, et les villes des nations s’écroulèrent,

et Dieu se souvint de Babylone la grande, pour lui faire boire la coupe du vin de son ardente colère. » (19)

Ce vin de l’ardente colère de Dieu est une colère d’Amour, une colère de miséricorde. C’est un vin qui exprime la surabondance. « Toutes les îles s’enfuirent, et l’on ne retrouva plus de montagnes. Et des grêlons 163

énormes, pouvant peser un talent, tombèrent du ciel sur les hommes ; et les hommes blasphémèrent Dieu à cause du fléau de la grêle, parce que ce fléau était très grand. » (XVI, 19-20) On nous montre la colère directe de Dieu. C’est cela qu’il faut saisir. Pour sauver les hommes de l’emprise de la bête, Dieu agit directement pour montrer que tout Lui appartient. Rien n’appartient au démon, dans cet univers. Le démon n’a qu’une permission. Et Dieu intervient de cette manière. Alors il faudrait regarder ici toutes les interventions : L’intervention directe sur l’homme, par l’ulcère; l’intervention sur le milieu ambiant, par la mer, les fleuves (et revoir la différence entre la mer et les fleuves, que nous avons déjà vue) ; l’intervention sur le soleil. Tout ce qui a été donné auparavant, par les trompettes, est repris par cette ultime intervention de Dieu sur ce que représente notre univers. Puis c’est l’intervention directe de Dieu sur le trône de la bête, intervention qui va jusqu’au bout. Et alors nous assistons au dernier sursaut de la bête : « C’en est fait ». Dans cette septième coupe, vous voyez l’action directe de Dieu démasquant l’œuvre du démon. Et vous voyez aussi que les hommes continuent de blasphémer. Ils ne comprennent pas cette action de Dieu, cette manière dont Dieu veut leur redonner la signification profonde de leur vie. Le symbolisme des coupes est analogue à celui des trompettes, mais en même temps il est différent parce qu’il est ultime. Il nous montre l’intervention de Dieu au niveau de chaque individu et au niveau cosmique. S’agit-il du cosmos physique ou d’un cosmos symbolique ? C’est toujours la grande question qu’il faut se poser.

Si nous la prenons matériellement, nous dirons que cette intervention concerne l’univers physique. Il y aura la querelle ! Mais attention ! C’est toujours là que réside la grande difficulté de l’Apocalypse si on l’interprète uniquement d’un point de vue matérialiste. Or, en premier lieu, il faut l’interpréter spirituellement. Alors essayons de lui donner cette interprétation spirituelle. C’est vrai que c’est exprimé dans un langage cosmique, mais ce langage a une intention dernière : sauver l’homme. La lutte est une lutte spirituelle. Ce n’est pas une lutte physique d’abord. La lutte physique reste très extérieure. La lutte est avant tout spirituelle. Et Dieu intervient directement ; donc Il intervient au niveau spirituel bien que ce soit exprimé d’une façon cosmique, il faut d’abord l’interpréter d’une façon spirituelle. Mais, d’autre part, il faut comprendre que ce symbolisme cosmique doit aussi avoir un fondement physique, mais qui n’est pas le premier. Il faut respecter l’ordre divin. 164

Si l’on essaye de comprendre de façon symbolique l’ulcère malin, on ne va pas dire nécessairement qu’il s’agit du cancer. Ceux qui en sont atteints ne sont pas ceux que Dieu poursuit. Ne matérialisons pas. Cela signifie que le cancer, l’ulcère malin et douloureux, est un signe de la désagrégation profonde de l’homme. Alors Dieu intervient pour lui faire sentir la désagrégation complète dans laquelle le met la bête et son image. L’homme est désagrégé quand il oublie sa finalité. L’humanité d’aujourd’hui ne sait plus ce qu’est sa finalité. Elle n’adore plus, elle est errante. Elle ne sait plus où elle va. Même beaucoup de chrétiens ne le savent plus. J’allais dire même beaucoup de prêtres, de religieuses. Ils ne savent plus ce pourquoi ils sont faits. Tout cela, c’est l’emprise de la bête à laquelle Dieu veut arracher l’humanité. Pourquoi l’angoisse chez les jaunes ? Parce que les adultes qui devraient leur montrer la route ne savent plus où aller. Alors ils sont dans l’angoisse. Un être qui n’est pas fixé dans une finalité peut, par le fait même, recevoir toute espèce d’influence. Il y a des gens qui sont dans un état morbide, dans un état de faiblesse telle que dès qu’ils passent dans un endroit, un virus se jette sur eux. Et les virus le sentent cet état de faiblesse, ils sont malins. Alors l’humanité se trouve dans un état de faiblesse telle qu’elle ne sait plus où elle va. C’est la première coupe. La seconde coupe : la mer, le milieu ambiant, la source de la vie. Je crois qu’il faut comprendre que l’homme n’a plus aucun respect de la vie. Dieu fait comprendre à l’homme, par cette correction de la seconde coupe, que, de fait, la vie ne lui appartient pas. La bête lui fait croire que la vie lui appartient. Mais Dieu nous montre, par cette coupe, qu’il est le Maître de la vie, en transformant la mer en sang. C’est le tragique de la vie ! C’est important de saisir ce symbolisme des coupes qui sont quelque chose de tellement actuel pour nous. Nous sommes arrivés à ce moment-là, je le crois. Nous devons essayer de saisir ce que représentent les corrections de Dieu. Il faut les comprendre. Le geste de la colère du Christ dans le Temple, il faut le saisir pour nous, à travers ces diverses corrections. Il faut le saisir spirituellement. Quand il s’agit du monde physique, c’est plus facile à comprendre. Mais quand c’est au plan spirituel, c’est beaucoup plus difficile. Ce sont les sept corrections ultimes de Dieu. L’Apocalypse a commencé par les sept corrections sur les églises. Et nous retrouvons ici les sept corrections dernières.

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12ème conférence

Les Apôtres des derniers temps. Les sept coupes. Ch. XV, 5 à XVII, 16.

« Après cela, je vis s’ouvrir dans le ciel le sanctuaire du tabernacle du témoignage. » (XV, 5) Il est toujours important de remonter, chaque fois, à la source. « Le sanctuaire du tabernacle du témoignage », c’est vraiment le mystère de l’Alliance dans ce qu’elle a de sacré. « Et les sept anges qui ont en main les sept plaies sortirent du sanctuaire. » Ils sont liés très nettement au mystère du sanctuaire. « Ils étaient vêtus d’un lin pur et éclatant, et portaient des ceintures d’or autour de la poitrine. » Ces envoyés, ces anges, ne sont-ils pas les apôtres des derniers temps ? On me pose la question, parce que, selon une tradition constante, les apôtres des derniers temps auront quelque chose de particulier, d’ultime. Or là, on est vraiment dans quelque chose de tout à fait ultime et ce sont des envoyés, donc des apôtres. Ils sont prêtres, ils sont de la race des apôtres, non du haut du ciel (On ne verse pas la coupe du haut du ciel, comme de la purée de poix !) mais dans le combat. Tout prêtre, tout apôtre, par le Sacerdoce ministériel, est nécessairement un envoyé direct du Christ, par l’intermédiaire de la hiérarchie. Mais dans les moments de grande lutte, quand la hiérarchie commence à trembler, il y a une sorte de lien beaucoup plus immédiat avec le Christ. Au plus vif du combat, le Général en chef et le soldat sont l’un à côté de l’autre, alors que, quand l’armée est bien rangée, cela n’arrive jamais. C’est ce qui explique la mobilisation des laïques, qui correspond, si on regarde attentivement l’Evangile de Jean, à la liturgie du sépulcre : Joseph d’Arimathie et Nicodème sont des laïques. Les apôtres des derniers temps, c’est une alliance très forte des prêtres avec les laïques. Si cette interprétation est vraie, elle donne une théologie magnifique des apôtres des derniers temps. Je dis : « Si elle est vraie », parce que je ne peux pas l’affirmer d’une façon absolue; il faut toujours demander la grâce au Saint-Esprit. Mais elle correspond à une tradition très ancienne et qui est répétée constamment, qui est très profondément 166

inscrite dans l’économie divine. Ces apôtres des derniers temps sont sept, pour montrer qu’ils sont sous la conduite de l’Esprit Saint. « Alors l’un des quatre vivants donna aux sept anges sept coupes d’or … » Vous voyez l’alliance directe avec Jésus, qui ne supprime pas la hiérarchie, mais qui est comme une mission particulière. « Sept coupes d’or pleines de la colère du Dieu qui vit aux siècles des siècles. » (XV, 7) Les apôtres des derniers temps sont ceux qui doivent manier le glaive de la parole avec une force très particulière et, en même temps, la miséricorde de Marie. Il y a les deux aspects. Ils sont envoyés pour reprendre tout très fortement dans ce qu’il y a d’essentiel. « Et le sanctuaire fut rempli de fumée par la gloire de Dieu et par sa puissance,

et personne ne pouvait entrer dans le sanctuaire, jusqu’à ce que fussent consonnées les sept plaies des sept anges. » (XV, 8)

Voyons maintenant d’une façon plus profonde l’action de ces apôtres des derniers temps. Je crois que les Foyers de Charité font partie des apôtres des derniers temps. Si on regarde l’origine profonde des Foyers, cela me semble très net. Ils ne sont pas les seuls, mais ils sont rattachés directement à Saint Grignion de Montfort, de façon tellement extraordinaire qu’on peut dire que, vraiment, il y a un lien. Il ne s’agit pas de découvrir les sept Foyers ! Maintenant, ils sont quarante, donc plus que sept. Il y en a au Vietnam qui, sûrement, aujourd’hui sont les apôtres des derniers temps et pour lesquels il faut prier ; ils sont en pleine lutte. Mais du jour au lendemain, cela peut arriver en France et on verra très bien ce que représentent les apôtres des derniers temps. « Et j’entendis une grande voix qui sortait du sanctuaire et qui disait aux sept anges : ‘Allez et versez sur la terre les sept coupes de la colère de Dieu’. » (XVI, 1) Cette grande voix qui sortait du sanctuaire, c’est l’Esprit. Ils sont mus par l’Esprit. Ils sont envoyés par le Christ. Ils sont sous la puissance de Marie. « Et le premier partit et répandit sa coupe sur la terre ... » (XVI, 2) Donc ils ont une fonction analogue à celle de Moïse qui devait libérer le peuple d’Israël. Il s’agit de libérer les enfants de Dieu de l’emprise de ce que représentent non plus les pharaons, mais pires que les pharaons, la bête de la terre et la bête de la mer. Ils doivent libérer les intelligences de toutes les idéologies, par le glaive de la parole. Ils doivent libérer les esprits de la peur de la bâte de la terre, puisque, par la peur, on fait que les gens ne voient plus : c’est un procédé psychologique très connu et la technique 167

de la psychologie des groupes est très avancée. Vous voyez toujours les deux aspects : la bête de la terre et la bête de la mer ; la perversion de l’intelligence et la perversion de l’affectivité par la puissance qui intimide. Il faut les dépister et en libérer les gens. « Et un ulcère malin et douloureux frappa les hommes qui avaient la marque de la bête et ceux qui adoraient son image. » (XVI, 2) Il n’y a rien qui désagrège plus l’homme que l’idolâtrie, donc le manque d’adoration. Quelqu’un qui n’adore plus, a un ulcère malin et douloureux, parce qu’il est désagrégé. Vous comprenez le remède homéopathique : il faut faire saisir aux hommes qui adorent la bête, qu’ils ont cet ulcère malin et douloureux ; il faut leur faire comprendre leur situation tragique, ils en ont besoin. Il ne faut pas attendre que les psychanalystes le fassent. Cela fait partie du rôle apostolique. Si les prêtres étaient plus prêtres, on aurait moins besoin de psychiatres et de psychanalystes. Je ne dis pas qu’il n’y en aurait pas, mais il y en aurait moins, parce que l’humanité serait plus finalisée et donc plus unifiée, tandis qu’une humanité qui n’est plus finalisée, est capable de toute espèce de désagrégation et la désagrégation psychique est très nette. Voilà la première chose, la première coupe : montrer à l’humanité son état de déchéance, parce que la bête de la mer et l’image de la bête de la mer, quand on l’adore, nous font croire qu’il n’y a plus de péché. Faire croire aux gens qu’ils ne sont pas pécheurs et qu’il suffit d’un équilibre psychologique et d’une adaptation pour s’en tirer, c’est les maintenir dans cet ulcère malin et douloureux et c’est une des grandes astuces du démon. « Puis le second répandit sa coupe dans la mer ; et elle devint comme le sang d’un mort, et tout être vivant qui était dans la mer mourut. » (XVI, 3) Le démon agit par la bête de la terre et la bête de la mer sur le milieu ambiant, pour nous faire croire que c’est lui qui est l’auteur de la vie et que le démon veut détruire la vie. Il faut faire comprendre que, si nous continuons ainsi, la vie disparaîtra. Quand Malraux disait à la télévision : « Si nous continuons ainsi et qu’il n’y ait pas une grande religion qui vienne, la civilisation dans laquelle nous sommes, ne durera pas plus de trente ans ... », ce n’était pas prophétique, mais tout simplement intelligent. Des études se font actuellement sur toutes les pollutions. C’est un signe que de fait, tout le milieu ambiant dans lequel nous sommes, se détruit. Le congrès qui a eu lieu sur la pollution de la mer comme de l’air, n’a abouti à aucune décision. Simplement, on constate que tout se désagrège de plus en plus. Je crois qu’il y a une lucidité à avoir sur cela. Dieu veut faire comprendre aux hommes que c’est eux-mêmes qui détruisent. C’est la seconde coupe ! Ils transforment la mer dans « le sang d’un mort ». Pas seulement tragique, mais morbide : nous faisons de notre univers, qui était initialement un Eden, un cadavre. 168

« Puis le troisième répandit sa coupe dans les fleuves et les sources d’eau ; et les eaux devinrent du sang. » (XVI, 4) Ici, ce n’est pas le sang d’un mort, mais le sang. C’est la manière tragique dont les hommes utilisent ce que représentent les ressources naturelles. « Et j’entendis l’ange des eaux qui disait : ‘Vous êtes juste, vous qui êtes et qui

étiez, vous le Saint, d’avoir exercé ce jugement. Car ils ont versé le sang des justes et des prophètes, et vous leur avez donné du sang à boire : ils en sont dignes !’ » Et j’entendis « l’autel qui disait : ‘Oui, Seigneur, Dieu tout-puissant, vos jugements sont vrais et justes’. » (XVI, 5-7) Cette justice de Dieu consiste à montrer le désordre de ce qui est en train de se faire, qui est soi-disant un progrès et qui va, on fait, vers la destruction. La troisième coupe est très proche de la seconde, avec la différence que la mer, ce sont les ressources profondes, et les fleuves, l’eau qui permet immédiatement la fécondité. Quand il n’y a plus de sources d’eau, il n’y a plus de fécondité. On voit cela très bien dans les pays de désert. La mer ne donne pas la fécondité immédiate. C’est la réserve d’eau salée. Pensez à toutes les querelles sur les sources des eaux du Jourdain ! Il n’y a pas de querelle par rapport à la Méditerranée ; ce n’est pas la peine. Mais la mer est toujours la source profonde de la vie, tandis que les fleuves, c’est la source immédiate. Il y a les deux aspects différents, mais des deux côtés, c’est la transformation de l’eau, en sang. L’homme est en train de faire que les sources de vie disparaissent. Quand vous lisez Nietzsche, vous voyez qu’il est très frappé par le tragique du monde d’aujourd’hui. Je crois que c’est cela, l’image du sang, alors que la vie n’est pas tragique. La vie implique une spontanéité, exprimée dans le symbolisme des fleuves, des sources d’eau. La source est limpide, à l’inverse du sang. Le tragique n’est jamais limpide. Et on montre qu’il n’y a plus de lieu où se trouve cette source d’eau limpide, que tout est pollué, tout devient tragique. « Puis le quatrième répandit sa coupe sur le soleil ... » (XVI, 8) Le soleil, c’est le symbolisme du Christ. Nous avons vu que, après les trompettes, le soleil doit être complètement obscurci. Ici, la présence du Christ n’est plus ce qu’elle doit être : Jésus n’est pas le Roi de l’humanité. Dans le monde d’aujourd’hui, la Royauté du Christ est très loin. « Et il lui fut donné de brûler les hommes par le feu ; et les hommes furent brûlés d’une chaleur extrême, et ils blasphémèrent le nom de Dieu ... » (XVI, 9) Si vous remplacez le Christ comme source d’amour dans le cœur des hommes, le Christ qui attire à Lui et qui permet aux hommes d’aimer, il n’y a plus qu’un aspect factice de l’amour. N’est-ce pas ce qui nous est montré ici ? Le cœur de l’homme ne peut 169

plus aimer d’une façon vraie et tout devient fébrile. Dans l’érotisme artificiel d’aujourd’hui, les hommes ne sont-ils pas brûlés d’une façon fallacieuse, au lieu d’être éduqués par l’amour ? On intervient artificiellement pour intensifier, soi-disant, le plaisir et, par là, l’amour et, en réalité, ce n’est plus l’amour : on transforme l’amour en plaisir.

La quatrième coupe doit faire comprendre cela. « Et les hommes furent brûlés d’une chaleur extrême, et ils blasphémèrent le

nom de Dieu qui est le maître de ces plaies ; et ils ne se repentirent point pour lui rendre gloire. » (XVI, 9)

C’est très vrai. Quand vous touchez à la question de l’érotisme, vous voyez comment les gens vous reçoivent. « Puis le cinquième répandit sa coupe sur le trône de la bête ... » Cela va plus loin encore. Là, on touche le cœur de l’homme, pour lui faire saisir que cet amour était un faux amour. Progressivement, on doit dépister la source de tout ce qui, dans le monde d’aujourd’hui, est mensonger. Répandre sa coupe sur le trône de la bête, ce n’est pas drôle comme fonction. On le voit bien dans l’Ancien Testament, quand un prophète est appelé par Dieu, il a très peur. Quand Moïse est appelé par Dieu pour aller auprès du Pharaon, il bégaie ; il désire ne pas accomplir sa fonction, qui est terriblement difficile. « Et son royaume fut plongé dans les ténèbres ; les hommes se mordaient la

langue de douleur, et ils blasphémèrent le Dieu du ciel à cause de leurs douleurs et de leurs ulcères, et ils ne se repentirent point de leurs œuvres. » (XVI, 10-11) Comme c’est dur pour ces apôtres ! L’inefficacité de ce témoignage nous est montrée, puisque les hommes ne se repentirent point pour rendre gloire à Dieu. Ils refusent de reconnaître que Dieu est le Maître de la vie, le Maître de l’amour. Ils refusent de reconnaître que la bête veut leur mal ; l’alliance est si forte qu’ils no veulent pas l’admettre. On voit là le rôle de Jean-Baptiste et d’Elie qui doit revenir à la fin du monde. Ce sont les derniers apôtres qui sont revêtus du manteau d’Elie. L’apostolat d’Elie devant les prêtres et les lévites n’a eu aucune efficacité. Mais ils sont là pour rappeler les exigences profondes de Dieu avec un pouvoir particulier qui est celui de la colère de Dieu. « Puis le sixième répandit sa coupe sur le grand fleuve de l’Euphrate, et les eaux en furent desséchées, afin de livrer passage aux rois venant de l’Orient. » (XVI, 12) 170

On voit très bien l’allusion au passage de la Mer Rouge, à la dernière plaie d’Egypte qui permet aux Hébreux de passer. Il y a quelque chose d’analogue ici. On n’explique pas qui sont ces rois venant de l’Orient. Ce qui vient de l’Orient, c’est toujours la lumière. Est-ce comme une alliance mystérieuse qui se fait avec la sixième coupe et un dernier rayon d’une lumière liée à la puissance ? Le sixième sceau, la sixième trompette et la sixième plaie, c’est toujours quelque chose de particulièrement difficile à saisir, parce que tous les sixièmes marquent l’aspect ultime de la lutte. « Et je vis sortir de la bouche du dragon ... » (XVI, 13)

Ces apôtres des derniers temps auront, en dernier lieu, à lutter contre la bête et contre le dragon. Au point de départ, c’est contre les effets de la bête  procédé homéopathique  pour faire comprendre aux hommes dans quelle impasse ils sont. Ils sont envoyés directement pour cela. Ce n’est pas un aspect missionnaire comme les autres. Les autres missionnaires doivent répandre le Royaume de Dieu parmi les païens. Ici, les apôtres des derniers temps sont en face de chrétiens corrompus, d’un monde qui a été chrétien et qui est sous l’emprise de la bête. C’est très différent. C’est une mission beaucoup plus difficile et qui consiste à éclairer, à redonner la foi, à enlever l’idolâtrie. L’idolâtrie de ceux qui ont été chrétiens et qui tombent dans l’idolâtrie, est bien pire que celle des païens. Il suffit d’entendre les missionnaires qui viennent d’Afrique et qui arrivent en Europe. Ils disent : « Retournons le plus vite possible là-bas, car en Europe, c’est effrayant ! » Et c’est vrai. Quand on va là-bas, on est en face d’une jeunesse d’Eglise qui est à peu près saine, tandis que, ici, on a l’impression d’être dans un marécage. Les apôtres des derniers temps doivent faire un discernement qui est très difficile. Le démon, prince de la confusion, fait des confusions tellement subtiles que l’intelligence humaine est battue d’avance. Ce n’est plus une question d’intelligence, c’est une question d’amour et c’est pourquoi ces apôtres sont envoyés directement. Le mystère de Marie peut seul les éclairer. « Et je vis sortir de la bouche du dragon, et de la bouche de la bête, et de la bouche du faux prophète, trois esprits impurs, semblables à des grenouilles. » (XVI, 13) C’est ce symbolisme très difficile à préciser des esprits impurs « semblables à des grenouilles ». La dernière volonté du dragon est de corrompre complètement l’intelligence. « Car ce sont des esprits de démons qui font des prodiges, et ils vont vers les rois de

toute la terre, afin de les rassembler pour le combat du grand jour du Dieu toutpuissant. » (XVI, 14) Le démon, sentant que ses jours sont comptés, veut tout rassembler pour un grand 171

combat, le dernier combat. Le dernier combat spirituel peut être aussi matériel. Le démon rassemble tout, il veut faire une unité. C’est quand même assez impressionnant d’entendre certains parler de l’œcuménisme. Vous savez ce que la franc-maçonnerie a dit : « L’œcuménisme, c’est pour nous. C’est nous qui allons recueillir l’œcuménisme. » L’œcuménisme ne va pas assez loin : il veut rassembler tous les hommes dans l’unité, non pas du tout par rapport à Dieu, mais par rapport à la gloire de l’homme. Il y a eu des choses très étonnantes. La franc-maçonnerie est multiple et diverse ; elle a des tentacules un peu partout. C’est très souterrain et cela a l’air d’être grand. Construisons l’homme de demain, le surhomme ! Ecoutez Nietzsche ! La dernière attaque, c’est celle-là, en face des apôtres des derniers temps, en face de ce sixième qui a un pouvoir sur le grand Euphrate. L’Euphrate, si on regarde le début de la Genèse, c’est le symbolisme de ce qui est tout à fait à la racine, comme si on touchait actuellement à l’équilibre du monde, à l’équilibre de notre planète. Notre Seigneur nous dit qu’il y aura des signes, et des signes visibles, pour comprendre où l’on on est dans le pèlerinage de l’Eglise. Nous avons beaucoup de peine à les comprendre, sauf quand ils sont vraiment sous notre nez. Nous n’avons pas envie de les regarder, parce que nous n’avons pas envie de dire que nous sommes peut-être tout proches de la fin. Chacun d’entre nous dit : « Attendons quand même notre génération ! Ce sera pour la génération d’après ... » Un jeune meurt facilement. Un vieillard est très enraciné. La toute jeune Eglise meurt très facilement et elle accepte le retour du Christ avec joie. L’Eglise qui a deux mille ans de pèlerinage a une peine énorme à dire : Il faut que le Christ revienne et que je disparaisse. Ceux qui ne sont pas installés, sont comme Jean-Baptiste au désert : ils peuvent attendre le retour du Christ. Mais ceux qui sont installés dans la forteresse (il ne s’agit pas nécessairement de Rome. Il y a beaucoup de forteresses qui se sont multipliées un peu partout ; les Eglises nationales deviennent des forteresses), ceux-là n’ont aucune envie de disparaître. Ils feront toutes les alliances temporelles nécessaires pour survivre, pour essayer de garder leur place. On voit bien ce qui se passe de l’autre côté du Rideau de fer. Il faut entendre de temps en temps ceux qui reviennent de là-bas. C’est difficile d’être installé et d’accepter de mourir. C’est difficile d’être installé et de rester pauvre. N’oublions pas que ce sont les grands-prêtres qui ont rejeté Jésus et qui ont fait dire à la foule : « Crucifiez-le ! » Ce n’est pas la foule qui l’aurait fait, ce n’est pas le bon peuple d’Israël, ce sont les grands-prêtres. Ce qui est vrai de l’Ancien Testament, est vrai du Nouveau. Tout ce qui est donné dans l’Ancien Testament est en préfiguration. Je crois que, aujourd’hui, il est très difficile d’exercer l’autorité. L’autorité, depuis un certain nombre d’années, se transforme très facilement en pouvoir. On dit bien « l’Eglise des pauvres », on dit bien que l’Evêque doit être un Père et que les prêtres sont là pour servir et qu’ils ont compris. Mais il y a un 172

cléricalisme plus forcené que jamais qui est en train de naître et qui en veut même aux religieux. Il suffit d’ouvrir les yeux. On dit « l’autorité au service ». Mais il faut marcher comme ceci, et les fidèles doivent en passer par là, d’une façon absolument impérative. Je vois la différence avec il y a trente ans, pour nous, comme manière de collaborer, je ne dis pas partout, mais il y a une tendance à vouloir dominer, un système. Quand on sait ce qui se passe de l’autre côté du rideau de fer, on sait ces alliances souterraines. Le Cardinal de Cracovie, que je connais bien, qui est un ami, m’a dit : « Chaque fois que nous avons une réunion de prêtres, nous ne savons pas comment, mais on est sûr que l’Etat est informé de tout ce qu’on a dit. » J’ai ajouté : « Et quand c’est une réunion d’évêques ? » Il m’a répondu : « C’est la même chose ... Alors, il faut prier. Nous continuons et nous parlons ouvertement, puisque nous sommes entre nous. Eh bien, ils sont avertis. Je ne cherche pas à savoir par qui. Je leur fais confiance à tous. » C’est beau de dire cela. Jésus a fait confiance à Judas jusqu’au bout. On ne peut pas dire : recherchez le traître ! Le Cardinal de Cracovie m’a dit aussi : « On peut vous le dire, à vous, mais quand je vais à Paris et que je vois combien l’intelligence française est marquée par le marxisme, je souhaite actuellement que le marxisme soit à Paris et que les communistes soient là, pour que l’intelligence française redécouvre sa liberté. Avant, je n’aurais pas osé le dire. C’est lourd de conséquences. Mais maintenant, je le souhaite. » Il m’a dit cela, il y a trois mois, parce qu’il en avait plein le cœur de tout ce qu’il avait entendu et de tout ce qui vient de France. La Pologne est liée à la France. Tout ce qui vient de France, touche toujours les Polonais cultivés et les livres de théologie les blessent dans ce qu’ils ont de plus profond. On voit très bien que le Cardinal de Cracovie est un apôtre des derniers temps. C’est quelqu’un qui sent les choses avec beaucoup de force, un homme extraordinaire. Une vocation tardive : il a, d’abord, été ouvrier, puis il a fait du théâtre. Il a fait un peu de tout dans sa vie. Cela lui sert beaucoup. Il a même fait du journalisme. Il a une sorte de liberté. En outre, il est philosophe  il n’y a pas beaucoup de Cardinaux qui font des conférences philosophiques  et, de plus, thomiste ; un thomisme un peu slave, qui s’accommode de pas mal de choses, mais il défend, il aime Saint Thomas. Il sent qu’il faut faire réfléchir les gens sur tout cela ; c’est pourquoi il accepte, dès qu’il peut avoir des contacts. Il faut entendre aussi les orthodoxes parler un peu de ce qui se passe làbas, c’est impressionnant. « Je vis sortir de la bouche du dragon, et de la bouche de la bête, et de la bouche du faux prophète, trois esprits impurs … » Vous voyez cette fausse trinité. C’est l’anti-Trinité, et surtout, l’anti-trinité de la trinité qui s’est réalisée à la Croix : Jésus, Marie, Jean. Le démon ne peut pas faire une caricature de la Trinité dans le mystère même de la Trinité, tandis que ce qui se passe a la Croix : Jésus, Marie, Jean, c’est la petite trinité de l’Eglise, c’est le mystère de l’Eglise trinitaire. Tout est le présent dans la cellule initiale. C’est le premier moment de la 173

fécondation et de la fécondité, et le nombre de l’Eglise est présent, dans ce grand vivant. Je crois que c’est la caricature ici : le dragon, la bête de la terre et la bête de la mer, les trois qui sont présents. Comme au point de départ, tout part de la plaie du Christ, et c’est l’eau et le sang, et l’Esprit qui rendent témoignage, à la dernière action, il y a les trois esprits impurs. « Car ce sont des esprits de démons qui font des prodiges, et ils vont vers les rois de toute la terre, afin de les rassembler ... » C’est la mobilisation générale qui se fait par des esprits de démons. C’est un téléphone très subtil. Les rois, ce sont tous ceux qui ont le pouvoir. « … afin de les rassembler pour le combat du grand jour du Dieu tout-puissant. » Le démon est traqué. C’est la fin. A ce moment là, nous voyons l’annonce : « Voici que je viens comme un voleur. Heureux celui qui veille et qui garde ses

vêtements, pour ne pas aller nu et ne pas laisser voir sa honte ! Et ils les rassemblèrent dans le lieu appelé en hébreu Armagédon. » (XVI, 15-16)

La logique de ce passage est très curieuse. Quand vous faites l’analyse, tout à coup, il y a une coupure très nette. C’est le style apocalyptique. Le dragon agit dans sa perspective souterraine. Dieu, Lui, voit tout ce qui se passe et Il agit au moment où le dragon est persuadé qu’il est victorieux. Il faut toujours regarder la mort du Christ, pour comprendre ce qui se passera à la fin des temps, car cela reste pour nous très difficile à saisir. Nous ne savons pas exactement comment, mais il y a quand même une certaine lumière. Les hommes ont tout fait ou, plus exactement, le peuple d’Israël, les gardes et les soldats ont tout fait, pour que Jésus meure crucifié et qu’il meure de la Crucifixion. Or, Jésus est mort avant, par miséricorde pour le peuple d’Israël. C’est la tendresse du Christ pour Israël. Il meurt avant, pour bien montrer que ce ne sont pas les hommes qui l’ont tué, mais qu’il a offert sa vie. C’est très, important. Il suffit de lire l’Evangile de Jean avec un peu d’attention pour s’apercevoir que Jean en a été très frappé. Les deux qui avaient été crucifiés avec Jésus, n’étaient pas encore morts. Et donc Jésus a hâté l’heure de sa mort. Il a offert sa vie librement, parce qu’il fallait l’holocauste libre. Et c’est pourquoi, Jésus ayant offert sa vie, étant mort, il y a eu le coup de lance qui, normalement, n’aurait pas dû exister, parce qu’il n’était pas commandé ; il a été tout à fait gratuit, pour constater que Jésus était bien mort et, en même temps, pour donner ce signe de surabondance d’amour. Je crois que, comme la tête a terminé son pèlerinage, le mystère de l’Eglise terminera le sien de la même manière, et il me semble que ce qui est dit ici le confirme. Nous voyons que le dragon, la bête de la mer et la bête de la terre mobilisent toutes leurs forces et qu’ils sont sûrs de la destruction de l’univers, parce que c’est ce qu’ils désirent et ils sont sûrs de posséder tout l’univers. Au moment précis où ils croiront dominer 174

tout l’univers, Dieu viendra comme un voleur ; Il ne laissera pas les hommes être totalement dominés par le dragon, la bête de la terre et la bête de la mer, ce qui serait la mort de l’humanité. Alors, Il prévient. Et l’Eglise, à ce moment là, fera le geste de Jésus de s’offrir en holocauste. Elle terminera par un holocauste d’amour pour l’humanité condamnée à mort par l’emprise de plus en plus grande du démon. Donc c’est le dernier moment du pèlerinage de l’Eglise sur la terre. « … Et ils les rassemblent dans le lieu appelé en hébreu Armagédon. » Le dragon, la bête de la terre et la bête de la mer ont tout prévu. Ils ont un plan, un projet. Ce sont de bons militaires ! Alors, ils ont prévu le lieu où il fallait faire le rassemblement. A ce moment là, Dieu viendra comme un voleur.

« Puis le septième répandit sa coupe dans l’air ; et il sortit du sanctuaire une grande voix venant du trône, qui disait : ‘C’en est fait !’ » (XVI, 17) La septième coupe, c’est la fin. Dans l’air : le souffle. « C’en est fait. » C’est la parole : « Tout est consommé » et elle vient du ciel. La terre ne peut pas le dire : elle est sous l’emprise du démon. Mais c’est l’Esprit Saint qui le dit. « Et il y eut des éclairs, des voix, des tonnerres, et un grand tremblement, tel que

jamais, depuis que l’homme est sur la terre, il n’y eut tremblement de terre aussi grand. » (XVI, 18) C’est la fin représentée par le point de vue de l’Esprit Saint, Celui qui achève tout et qui dit : « C’en est fait ! » et, du côté de l’humanité, par le tremblement de terre. On va voir en détail la destruction. « La grande cité fut divisée en trois parties, et les villes des nations s’écroulèrent,

et Dieu se souvint de Babylone la grande, pour lui faire boire la coupe du vin de son ardente colère. Toutes les îles s’enfuirent, et l’on ne retrouva plus de montagnes. » (XVI, 19-20) C’est l’annonce exacte de ce que nous voyons au chapitre XX, quand Dieu fait un nouveau ciel et une nouvelle terre. Tout ce qui est ancien disparaît. Et c’est la septième coupe qui nous montre cette fin de tout le pèlerinage de l’Eglise sur la terre et de toute l’humanité. Et c’est Dieu qui l’annonce par l’Esprit Saint. « Et des grêlons énormes ... » (XVI, 21) Que signifient ces grêlons ? Les grêlons font des dégâts considérables ; ils détruisent toutes les fleurs, toute l’herbe; et quand ils tombent au mauvais moment, il n’y a plus rien après. Je crois que ces grêlons veulent dire que notre univers est fini. 175

L’univers était le lieu de la fécondité, le lieu où la vie devait demeurer. Et les grêlons expriment qu’il ne peut plus y avoir de vie. Ce sont de ces symbolismes assez simples, très enfantins, mais qui expriment quelque chose de profond. Chaque fois que l’Esprit prend un symbolisme plus enfantin, c’est pour révéler un plus grand secret. « Et des grêlons énormes, pouvant peser un talent ... » Dans l’imagination de Saint Jean, on voit très bien ce que cela représente « … tombèrent du ciel sur la terre ; et

les hommes blasphémèrent Dieu à cause du fléau de la grêle, parce que ce fléau était très grand. » (XVI, 21) Comparativement à tout le reste, on a l’impression que ces grêlons, même très gros, ne sont pas grand chose. Ils veulent dire que, avec la fin de tout notre univers, ce sont les hommes qui reçoivent la dernière punition. Ces sept coupes représentent quelque chose de difficile. C’est normal. Nous sommes dedans. On le pressent, mais ce n’est pas encore très net. « Puis l’un des sept anges qui portaient les sept coupes vint me parler en ces

termes : ‘Viens, je te montrerai le jugement de la grande prostituée qui est assise sur les grandes eaux, avec laquelle les rois de la terre se sont souillés, et qui a enivré les

habitants de la terre du vin de son impudicité.’ Et il me transporta en esprit dans un désert. Et je vis une femme assise sur une bête écarlate, pleine de noms de blasphème, et ayant sept têtes et dix cornes. » (XVII, 1-3) Vous voyez l’antithèse de la Femme, de Marie. « Cette femme était vêtue de pourpre et d’écarlate ; et richement parée d’or, de

pierres précieuses et de perles ; elle tenait à la main une coupe d’or, remplie

d’abominations et des souillures de sa prostitution. Sur son front était un nom, nom mystérieux : ‘Babylone la grande’ ... » (XVII, 4-5) La femme et la ville ne font plus qu’un. Toujours la même image. Tout est brouillé du côté du démon. C’est à la fois une personne et une cité. Les deux choses vont ensemble. Le symbolisme montre cela admirablement. Cette femme et cette Babylone, c’est l’œuvre du dragon, de la bête de la terre et de la bête de la mer, qui essaient de faire leur petite église, une anti-Eglise. « Babylone la grande, la mère des impudiques et des abominations de la terre.Je

vis cette femme ivre du sang des saints et du sang des martyrs de Jésus ; et en la

voyant, je fus saisi d’un grand étonnement. Et l’ange me dit : ‘Pourquoi t’étonner ?’... » (XVII, 6-7) C’est merveilleux, il faut être un ange pour dire cela ! « Moi je vais te dire le mystère de la femme et de la bête qui la porte ... » (XVII, 7) Vous voyez le symbolisme curieux : On a dit « la femme et la Babylone ». Et ici, 176

il y a la bête qui la porte. Elle est liée à la bête. La femme et la Babylone ne font qu’un et elles sont portées par la bête. « La bête qui la porte et qui a les sept têtes et les dix cornes. La bête que tu as

vue était et n’est plus ; elle doit remonter de l’abîme, puis s’en aller à la perdition. Et les habitants de la terre, dont le nom n’est pas écrit dès la fondation du monde dans le

livre de la vie, seront étonnés en voyant la bête, parce qu’elle était, qu’elle n’est plus, et qu’elle reparaîtra. » (XVII, 8) Ceci nous montre le côté périssable, la corruptibilité de tout ce que fait le démon, à l’inverse de Celui qui est, qui était et qui sera. Tout ce que fait le démon est uniquement dans le devenir ; cela ne pas de consistance. Le démon ne peut pas créer des êtres. Il fait des figures, des expressions de notre univers. Il fait un monde fallacieux, un monde de figures multiples. « C’est ici qu’il faut un esprit doué de sagesse. Les sept têtes sont sept montagnes,

sur lesquelles la femme est assise. Ce sont aussi sept rois : les cinq premiers sont tombés, l’un subsiste, l’autre n’est pas encore venu, et quand il sera venu, il doit demeurer peu de temps. » (XVII, 9-10) « Et la bête qui était et qui n’est plus, en est elle-même un huitième et elle est des sept, et elle s’en va à la perdition. » (XVII, 11) Là, on perd toute sa logique. C’est voulu. Nous sommes dans un monde chaotique avec la Babylone. Le monde du démon est anarchique. Il n’y a plus d’ordre. C’est juste l’inverse de l’ordre des choses de Dieu qui est exprimé ainsi. Alors, il faut un esprit doué de sagesse. Il y a toujours un de plus que les sept. Il y a les sept béatitudes et puis une huitième. « Et les dix cornes que tu as vues sont dix rois qui n’ont pas encore reçu la royauté, mais qui recevront un pouvoir de roi pour une heure avec la bête. Ceux-ci ont un seul et même dessein, et ils mettent au service de la bête leur puissance et leur

autorité. Ils feront la guerre à l’Agneau, mais l’Agneau les vaincra, parce qu’il est Seigneur des seigneurs et Roi des rois, et ceux qui l’accompagnent sont les appelés, les élus et les fidèles. » (XVII, 12-14) C’est la dernière guerre, la guerre eschatologique qui nous est montrée ici, avec cette mobilisation générale à l’aspect chaotique. Il n’y a pas d’unité dans le monde des démons, et pourtant ils sont tous unis contre l’Agneau. Ce n’est pas une finalité, c’est un désir de détruire, qui les rassemble. « Et il me dit : ‘Les eaux que tu as vues, au lieu où la prostituée est assise, ce

sont des peuples, des foules, des nations et des langues. Et les dix cornes que tu as vues 177

sur la bête haïront elles-mêmes la prostituée ; elles la rendront désolée et nue ; elles mangeront ses chairs et la consumeront par le feu’. » (XVII, 15-16) Il y aura une guerre intestine parmi eux. « Car Dieu leur a mis au cœur d’exécuter son dessein, et de donner leur royauté à

la bête, jusqu’à ce que les paroles de Dieu soient accomplies. Et la femme que tu as vue, c’est la grande cité qui a la royauté sur les rois de la terre. » Je ne sais pas si Jean a compris quelque chose à cette explication angélique, mais on voit bien qu’elle essaie d’exprimer cette espèce de construction dernière qui se fait au delà de tout. Il y a quand même des choses que nous pouvons saisir. On voit les gens les plus divers qui sont unis, un instant, contre l’Agneau et qui, après, luttent entre eux. Il nous faut la sagesse pour comprendre que c’est le monde de l’anarchie et ne pas nous laisser séduire. Nous continuerons demain. Il faut voir le terme et la victoire dernière. Ici, on est dans le creux, le soubassement. On voit la tyrannie du démon. On essaie de mettre de l’ordre. On n’y comprend rien. Il y a l’antithèse de la femme, l’antithèse de la cité, et tout cela est lié d’une façon chaotique. Et plus on avance dans l’Apocalypse, plus on voit cet aspect chaotique.

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13ème conférence

Dans les derniers temps, Dieu détruit l’œuvre du démon. Ch. XVII et XVIII. L’annonce des Noces de l’Agneau éclaire le dernier combat de l’Eglise. Ch. XIX.

Je tiens à vous rappeler qu’il faut profiter de cette dernière journée de désert, de silence, de contemplation, d’adoration. Demandez à la Très Sainte Vierge d’être là. Les grandes conversions se font toujours le dernier jour, ne l’oubliez pas. Il faut demander très ardemment au Saint-Esprit de nous convertir. Il le peut. Il le désire. Nous avons tous à être convertis à l’Amour. Nous avons tous à entrer beaucoup plus profondément dans ce mystère de pauvreté pour lequel personne d’entre nous ne peut dire qu’il est au point. Dans l’ordre de la justice, on peut dire : je n’ai pas de dette. L’équilibre est fait. Mais dans l’ordre de la pauvreté, c’est impossible. Il y a des abîmes successifs qui doivent se creuser pour que nous soyons de plus en plus réceptifs à l’Amour. Nous avons vu hier ce jugement sur Babylone, la destruction de ce que représente l’œuvre du démon. Je crois que c’est cela que l’Apocalypse veut nous faire comprendre. Dieu ne détruit pas ce qui vient de Lui. L’homme est créé à son image. Il y a une alliance fondamentale entre l’homme et Dieu, et Dieu n’ira jamais à 1’encontre de cette alliance fondamentale. Dieu ne retire pas son premier Amour qui demeure éternellement, toujours avec la même ferveur du côté du Créateur et du côté de Jésus à la Croix. De la part des hommes, la ferveur diminue car ils se laissent prendre, ils se laissent contaminer ; ils oublient cet Amour et perdent leur ferveur première. Et ceci est intolérable pour le Cœur du Christ et pour le Père. C’est ce qui explique leur colère. Je vous ai dit qu’il fallait bien comprendre le mystère de la colère de Dieu. Regardons toujours cette colère de Jésus au début de sa vie apostolique. Jésus se met en colère dans le Temple, c’est-à-dire à l’égard de ce que représente l’amour des hommes pour Dieu. Ils ont peu à peu perdu le respect, le sens de la majesté de Dieu car ils se sont affadis. Ils font des confusions entre le sacré et le profane. N’oublions jamais que le profane est en connaturalité la plus immédiate avec notre conscience, psychologique. Nous vivons dans un monde où la conscience psychologique risque de tout prendre ; car au niveau psychologique et sociologique, nous sommes des être profanes. 179

Il faut aller beaucoup plus loin pour découvrir le sacré. Le sacré est naturel en nous. Notre intelligence est quelque chose de sacré. L’adoration est naturelle et elle maintient en nous le sacré. Nous ne vivons pas beaucoup, au niveau psychologique, de notre attitude religieuse. On le pourrait : si l’aspect religieux était très fervent en nous, il prendrait possession de notre psychologie. Mais ordinairement il est assez enfoui. Et c’est pour cela que nous nous laissons emporter si facilement par le profane, parce que représente le trafic, le point de vue du commerce, dans ce sens que ces échanges humains n’ont pas d’autre finalité que de se maintenir entre eux. Cela peut exister au niveau de l’intelligence, au niveau du cœur, au niveau de la sensibilité, au niveau économique ... On peut faire du trafic à tous les niveaux. Il faut essayer de comprendre ce que cela signifie dans le langage même des habitants de la terre. Le profane c’est ce qui risque toujours d’étouffer en nous le sens du divin. Le Cardinal Suhard avait écrit, quand il était archevêque de Paris, une très belle lettre pastorale sur la disparition du sens de Dieu. Qu’est- ce qu’il dirait aujourd’hui ? Le sens de Dieu disparaît. Le sens religieux également. C’est peut-être l’une des choses les plus visibles, les plus palpables de voir que le trafic devient de plus en plus important. Nous en avons des signes visibles sur les routes. On voit bien que le trafic devient de plus en plus intense. Ce signe exprime quelque chose de beaucoup plus profond. La télévision, la TSF font aussi du trafic constamment en essayant de prendre de plus en plus possession de tout le cœur de l’homme, de toute son intelligence. Tout cela explique cette colère de Dieu. Je vous l’ai déjà dit : il faudrait faire la théologie de la colère de Dieu. Ce serait très important. Parce que c’est très grand. A travers toute l’Ecriture, ce mystère de la colère divine est présent. C’est curieux que ce problème n’ait pas été étudié car c’est tout de même important de saisir ce qu’il y a de vulnérable dans le Cœur de Dieu. Nous manifestons la vulnérabilité de notre cœur lorsque nous nous mettons en colère. Et c’est la vulnérabilité profonde du Cœur de Dieu, du cœur de notre Père, du Cœur de Jésus qui est manifestée par cette colère dernière. Et donc, d’une certaine manière, elle est grosse de toutes les autres colères. Je crois qu’on peut dire que cette colère de Dieu éclate parce que les hommes ne l’ont pas écouté, qu’ils n’ont pas répondu à son Amour, qu’ils ne l’ont pas compris. Alors la dernière colère éclate. Et Dieu ne reviendra plus sur cette colère. Elle est ultime, c’est la colère des coupes. Et elle se transmet à travers les Apôtres. Les Apôtres montrent l’ordre de la Sagesse divine et le désordre du trafic. L’ordre de la Sagesse vient de Dieu. C’est Dieu qui ordonne tout à l’Amour. L’Amour est un ordre qui est divin, et non pas purement logique. Tandis que ce que fait le démon est toujours fallacieux, désordonné, anarchique ; c’est toujours gonflé, amplifié pour nous séduire, pour nous détourner de la vraie route, pour nous faire perdre du temps, pour nous empêcher d’aimer. Nous faire perdre du temps c’est nous 180

empêcher d’aimer. C’est tout cela qui nous est montré dans ce chapitre XVII, tout cet aspect chaotique de l’œuvre du démon et, à l’intérieur même du démon, des tensions violentes, tragiques. « Et l’ange me dit : Pourquoi t’étonner ? Moi je vais te dire le mystère de la

femme et de la bête qui la porte, et qui a les sept têtes et les dix cornes. La bête que tu

as vue était et n’est plus; elle doit remonter de l’abîme, puis s’en aller à la perdition. Et les habitants de la terre, dont le nom n’est pas écrit dès la fondation du monde dans

le livre de la vie, seront étonnés en voyant la bête, parce qu’elle était, qu’elle n’est plus, et qu’elle reparaîtra. » (XVII, 7-8) Voilà, d’une manière précise, la vision divine sur les œuvres du démon, puisque la femme ici est l’antithèse de Marie ; c’est la femme démoniaque qui est l’œuvre du dragon. Et alors on montre son caractère extrêmement passager : « Elle était et elle n’est plus ». « C’est ici qu’il faut un esprit doué de sagesse. » Vous voyez comme c’est important que la Sagesse nous permette de découvrir ce caractère vain, non finalisé. Tout ce qui n’est pas finalisé est vain. Tout ce que fait le démon est fallacieux et ne dure pas. C’est du sable mouvant. Et alors à l’intérieur même des œuvres du démon existe une opposition : « Et les dix cornes que tu as vues sur le bête haïront elles-mêmes la prostituée. » (XVII, 16) Il y a une haine entre la bête et la femme. Mais une haine à l’intérieur de leur complicité. C’est toujours ce qui existe. Il n’y a pas de communion entre les démons, mais entre eux une rivalité perpétuelle. Alors à l’intérieur de l’œuvre même du démon nous découvrons cette rivalité soulignée ici : « Elles la rendront désolée et nue ; elles, mangeront ses chairs et la consumeront par le feu. » Toujours cette espèce d’antithèse de la communion. Il y a une liturgie démoniaque qui s’oppose à la liturgie de l’Eucharistie. « Car Dieu leur a mis au cœur d’exécuter son dessein. » Dieu se sert même de la bête contre la prostituée. C’est très beau de nous faire saisir de cette manière comment, à l’intérieur même de l’œuvre du démon, il y a le ver rongeur de l’égoïsme, le ver rongeur de l’orgueil. Toutes les œuvres du démon sont basées sur l’orgueil et tout ce qui est basé sur l’orgueil s’oppose nécessairement à l’orgueil de l’autre. Vivez dans une communauté d’orgueilleux, vous verrez ce que ça donnera ! La communauté chrétienne est basée sur la pauvreté et l’humilité. Une communauté démoniaque est basée sur l’orgueil. Alors, à ce moment-là, il n’y a plus 181

d’unité mais une rivalité permanente. Il n’y a plus de communion. Ici, Dieu se sert de la bête pour faire comprendre à la prostituée ce qu’elle est. « Et la femme que tu as vue, c’est la grande cité qui a la royauté sur les rois de la terre. » (XVII, 18) Elle croit régner, elle croit régner sur tout. En réalité, il y a le ver rongeur. On voit bien : la seule chose que Dieu détruit, c’est l’œuvre du démon. C’est ce qu’il faut saisir dans l’Apocalypse. Dieu détruit dans le dernier moment, dans la dernière période. C’est l’œuvre des apôtres des derniers temps de détruire l’œuvre du démon. Dans l’Ancien Testament, un Gédéon est appelé par Dieu pour détruire les idoles. D’une certaine manière, tous les prophètes de l’Ancien Testament sont des destructeurs d’idoles. On peut dire que c’est là l’essentiel de leur mission. Voyez Elie : le grand sacrifice d’Elie est là pour montrer à la face du peuple de Dieu qu’adorer Baal c’est adorer les faux dieux. Je crois qu’on peut dire que les apôtres des derniers temps (ce que nous avons essayé de découvrir) sont eux aussi envoyés pour détruire les idoles et les idoles c’est Sodome et l’Egypte. Les idoles vont toujours par paire. La femme prostituée et la bête : la puissance dans l’efficacité, dans le progrès, une puissance qui veut tout ; et puis cette espèce d’égoïsme forcené qui se situe uniquement au niveau d’un plaisir sensible, qui n’a plus de finalité et donc qui se détruit lui-même.

***

Voyons le chapitre XVIII. « Après cela, je vis descendre du ciel un autre ange, qui avait une grande puissance ; et la terre fut illuminée de sa gloire. » (XVIII, 1) C’est un ange extraordinaire ! Qui est-il ? Puisque tous ces anges n’ont pas de noms, il faut bien que nous les reconnaissions. « Il cria d’une voix forte, disant : Elle est tombée, elle est tombée Babylone la

grande. Elle est devenue une habitation de démons, un séjour de tout esprit impur, un

repaire de tout oiseau immonde et odieux, parce que toutes les nations ont bu du vin de la fureur de son impudicité, que les rois de la terre se sont souillés avec elle, et que les marchands de la terre se sont enrichis par l’excès de son luxe. » (XVIII, 2-3) 182

Babylone, en réalité, est un repaire de démons, alors qu’elle passait pour être l’alliance avec les hommes. C’est le moment où est démasquée l’œuvre démoniaque. « Et j’entendis du ciel une autre voix qui disait : Sortez du milieu d’elle, ô mon

peuple, afin de ne point participer à ses péchés, et de n’avoir point part à ses

calamités ; car ses péchés se sont accumulés jusqu’au ciel, et Dieu s’est souvenu de ses iniquités. Payez-la comme elle-même a payé, et rendez-lui au double selon ses

œuvres ; dans la coupe où elle a versé à boire, versez-lui le double ; autant elle s’est

glorifiée et plongée dans le luxe, autant donnez-lui de tourment et de deuil. Parce

qu’elle dit en son cœur : Je trône en reine ; je ne suis point veuve et ne connaîtrai point le deuil, à cause de cela, en un même jour, les calamités fondront sur elle, la mort, le deuil et la famine, et elle sera consumée par le feu ; car il est puissant le Seigneur Dieu qui l’a jugée. » (XVIII, 4-8) Voilà la destruction de Babylone proclamée du haut du ciel. Il faut bien saisir que c’est vraiment la vérité qui est démasquée. C’est le Mystère même de Dieu qui nous montre la vérité. « Les rois de la terre qui se sont livrés avec elle à l’impudicité et au luxe,

pleureront et se lamenteront sur son sort, quand ils verront la fumée de son

embrasement. Se tenant à distance, par crainte de ses tourments, ils diront : Malheur ! Malheur ! Ô grande ville Babylone, ô puissante cité, en une heure est venu ton jugement. » (9-10) « Et les marchands de la terre pleurent et sont dans le deuil à son sujet, parce que personne n’achète plus leur cargaison : (Voilà le trafic !) cargaison d’or, d’argent, de pierres précieuses, de perles, de lin fin, de pourpre, de soie et d’écarlate, et le bois de

senteur de toute espèce, et toute sorte d’objets d’ivoire, et toute sorte d’objets de bois très

précieux, d’airain, de fer et de marbre, et la cannelle, les parfums, la myrrhe, l’encens, le vin, l’huile, la fleur de farine, le blé ... » (11-13) Tout va ensemble : c’est le trafic dans tous les sens. C’est le trafic pour le trafic. C’est toute la multiplicité des choses qui ne connaît pas de limites. Quelle différence avec l’adoration où l’Esprit Saint ramène tout à l’unité. Ici on en rajoute tout le temps. Nous vivons une civilisation où l’on doit toujours en ajouter, en ajouter ... Le commerce pour le commerce, la fabrication pour la fabrication ... c’est exactement cela. L’homme devient un rouage, un robot. C’est la corvée d’eau en plein midi (comme pour la Samaritaine). Et donc son âme est perdue par le commerce, prise dans ce rouage. Le démon peut être un maître dans l’art dû commerce puisqu’il s’agit d’un art, d’une technique. Il peut être un maître dans ce domaine où il est d’une habileté 183

souveraine. Il peut faire une dialectique d’ordre commercial. Il peut faire absolument ce qu’il veut. Quelqu’un que j’aime beaucoup et qui travaille dans la recherche pour les lancements de fusées m’en dit long là-dessus. « Dans toutes ces recherches, dit-il constamment, nous mobilisons tous les cerveaux humains, mais pourquoi ? On pousse, on pousse ces recherches avec le plus de précision possible, pour découvrir quelque chose de plus. Mais pourquoi ? »  Alors je lui ai posé la question : « Est-ce que cela peut avoir une application pour le bien-être de l’homme ?  Non, ça ne peut servir qu’à une seule chose : la destruction ! » C’est invraisemblable. Plus la destruction progresse, plus il faut se gendarmer contre elle. Alors on se renvoie la balle indéfiniment, sans finalité. L’homme disparaît complètement et seule subsiste la rivalité !

Ici, cela nous est décrit sous ce mode tout à fait simple, symbolique. On voit bien ce que représente Babylone. C’est le démon qui essaie de faire que l’homme devienne un robot. Et le jour où il a réussi à faire de l’homme un être matérialisé, oublie son âme spirituelle, le démon en fait ce qu’il veut. Mais il lui donne, en compensation, quelques petites jouissances, parce qu’il n’a plus de vie intérieure ... C’est toujours ainsi que le démon agit. N’oubliez pas ce que je vous disais à propos du péché de Lucifer : Lucifer n’accepte pas que l’homme soit le chef-d’œuvre divin. Et il veut prouver que Dieu a eu tort de réaliser son chef-d’œuvre en unissant l’esprit et la matière. Pour le démon, l’homme est incapable de vie spirituelle. Il est tout simplement au sommet de la matière ; donc il la domine et, ensuite, la matière le dominera, car c’est ce qui arrive fatalement. En poussant la technique à un point tellement élevé, il arrive qu’au bout d’un certain temps ce soit la technique qui domine l’homme. L’homme devient lui-même dépendant de la technique. On voit cela aujourd’hui très nettement, pour la vitesse par exemple. La vitesse sert l’homme jusqu’à un certain point. Et puis, à un moment donné, il n’en est plus maître. C’est la vitesse qui le domine. A un certain degré de vitesse, la prudence humaine ne plus rien dire. L’homme, entièrement livré, devient esclave. On pourrait prendre quantité d’autres exemples. C’est toujours la tactique du démon : faire de nous un robot astreint à la corvée d’eau en plein midi ! Pensez à la Samaritaine qui représente l’humanité ayant perdu sa finalité. Parce qu’elle n’aime plus et qu’elle n’est plus aimée. Il n’y a plus d’amour dans le monde : on n’a plus le temps d’aimer. Je revois ce vieux normand, rencontré il y a quelques années, qui avait 90 ans. Il était resté célibataire, mais pas par amour du célibat. Je lui ai demandé : « Mais comment se fait-il que vous ne vous soyez pas marié ? » Il m’a regardé : « Il faut du temps pour se marier. Que voulez-vous, mes parents sont morts lorsque j’étais jeune ; il fallait 184

reprendre la ferme. Et les vaches, elles, n’ont pas de dimanche. Et les filles intéressantes on les rencontre à la messe. Alors, comment voulez-vous, je n’ai pas pu me marier. Impossible ! » C’était dit avec un bon sens extraordinaire de normand. Mais c’est une parabole magnifique : les gens n’ont plus le temps d’aimer. Or, il faut du temps pour aimer. Pourquoi tant de divorces ? Pourquoi, dans les foyers, tant de séparations ? Pourquoi si peu d’amour entre parents et enfants ? Il n’y a plus de temps. Tout le monde est saisi par le trafic. Il faut actuellement être très lucide et comprendre que nous sommes en plein dans ce trafic. Il durera jusqu’à l’heure où le ciel dira : cessez, maintenant c’est suffisant ! La colère de Dieu par rapport au dragon, à la bête de la terre et de la mer éclatera : vous avez fait votre travail et suffisamment détruit l’homme. Et Dieu mettra un terme à l’œuvre du démon. Mais auparavant, je crois que cela ira très très loin car, si l’on regarde le Mystère de Jésus, on voit que cette œuvre de destruction a été très loin. Ce sera pareil pour l’humanité dont Jésus est la tête. « ... les bestiaux, les brebis (on les retrouve), les chevaux et les chars, et des corps et des âmes d’hommes. » (XVIII, 13) On fait le trafic des âmes. Tout y passe. C’est le trafic pour le trafic. Mais le démon a un but que les hommes ne voient pas. Ils sont dans le rouage. Mais le démon poursuit son but qui est de détruire. On détruit par le mouvement. Les Anciens déjà avaient compris que le mouvement, s’il est naturel, peut être ordonné vers le bien. Mais le mouvement artificiel, lui, n’a pas de fin. Et donc il détruit progressivement. Il produit l’usure qui conduit à la destruction. On est loin de la splendeur première ! « Les fruits dont tu faisais tes délices s’en sont allés loin de toi ; toutes les choses

délicates et magnifiques sont perdues pour toi, et tu ne les retrouveras plus. Les

marchands de ces produits, qui se sont enrichis avec elle, se tiendront à distance par crainte de ses tourments ... » (XVIII, 14-15) Ils étaient des alliés, dans l’ordre de l’utilité. Il y a divers types d’amitié. L’amitié utilitaire joue jusqu’au moment où elle ne sert plus à rien, où les choses sont usées. « ... ils pleureront et se désoleront, disant : Malheur ! Malheur ! Ô grande ville,

qui était vêtue de fin lin, de pourpre et d’écarlate, et qui était richement parée d’or, de pierre précieuses et de perles, en une heure ont été dévastées tant de richesses ! » (16)

C’est une très belle liturgie, une liturgie charismatique que de proclamer : Malheur ! Malheur ! Un jour Dieu mettra fin à cet espèce de tourbillon dans lequel nous sommes et nous verrons clair. Nous verrons l’inanité de tout ce mouvement, mais alors tout sera terminé. En outre, nous retrouvons le fin lin qui est toujours le symbole du sacerdoce, et qui se retrouve ici uniquement comme manifestation d’une gloire humaine. La gloire divine est exprimée par le point de vue du sacerdoce. C’est la gloire de l’Eglise, royaume sacerdotal. Alors on voit comment Babylone en fait une espèce d’antithèse. 185

« Et tous les pilotes, et tous ceux qui naviguent vers la ville, les matelots et tous

ceux qui exploitent la mer, se tenaient à distance, et ils s’écriaient en voyant la fumée de son embrasement : Que pouvait-on comparer à cette grande ville ? » (17-18) On ne peut rien comparer à la bête, à la grandeur de ce que représentait Babylone. Elle était parvenue à son sommet de luxe, de richesse, de bien-être matériel, incomparable. « Et ils jetaient de la poussière sur leur tête, et ils criaient en pleurant et en se

désolant : Malheur ! Malheur ! La grande ville dont l’opulence a enrichi tous ceux qui avaient des vaisseaux sur la mer, en une heure elle a été réduite en désert. » (19) Ce style imite le style prophétique des lamentations. Mais ce sont de fausses lamentations. On pleure sur Babylone, sur sa destruction, parce que le cœur de l’homme était quand même pris par cela. « Réjouis-toi sur elle, ô ciel, et vous aussi, les saints, les apôtres et les prophètes ; car, en la jugeant, Dieu vous a fait justice. » (XVIII, 20) Voici que le ciel doit se réjouir de la destruction de Babylone ! C’est merveilleux ! Enfin la justice divine se manifeste. L’ordre de la Sagesse de Dieu éclate sur tous ces pauvres types qui se lamentent par cette liturgie de malheur ... Dieu a jugé Babylone pour libérer l’homme. La grande libération de l’homme, dont on parle tant, consiste à découvrir ce qu’est en réalité Babylone : quelque chose de tout à fait fallacieux, qui ne dure pas. Dans tous les domaines, depuis les idéologies (puisque ce sont les intelligences qui sont saisies par Babylone), jusqu’à l’érotisme, tout est pris par ce grand trafic. Quand on regarde attentivement notre monde, on en voit bien les deux aspects : d’un côté le luxe ; de l’autre, le manque du nécessaire. Prenez l’Europe et la Chine, ou l’Amérique et la Chine, en passant par la Russie avec les petits pays qui sont à leur remorque ... On voit les Chinois qui viennent planter du riz en Afrique, pour pouvoir s’y implanter. C’est une merveilleuse implantation ! De leur côté, l’Amérique et l’Europe essaient, par leur commerce, de les attirer. C’est extraordinaire cette espèce de lutte dans laquelle l’humanité se débat. Que devient la présence de Dieu, la présence du Christ dans notre Europe qui a été chrétienne, et en Amérique ? L’Apocalypse nous donne ici une description très nette de cet état de choses. La seule chose que le démon puisse créer, ce sont des relations. Il ne crée pas des êtres. La seule chose qu’il puisse faire, c’est un ordre nouveau, qui est un désordre, puisqu’il n’est pas finalisé. C’est un ordre faux, émanant d’un tissu de relations de plus en plus nombreuses. C’est séduisant une nouvelle relation. Et ces relations ont l’air de s’équilibrer pendant un certain temps mais, comme elles ne sont pas finalisées, elles sont rivales et tentent d’aller le plus loin possible dans leur domaine. C’est très astucieux ce 186

que le démon fait pour mener le monde. Ne pouvant le prendre dans l’unité, il le maintient dans l’opposition. Et il le maintiendra ainsi jusqu’au bout. Car l’opposition a l’immense avantage de faire oublier à l’homme ce qu’il est. Et alors il ne voit plus que la rivalité qui le pousse à aller le plus loin possible dans sa spécialité pour pouvoir dominer. L’homme a disparu. Je crois que c’est ce qui nous est montré ici. Autrement dit, Babylone c’est le démon qui veut réduire l’homme à n’être plus qu’une fonction dans tous les domaines : intellectuel, économique et familial. On veut réduire la famille à une fonction, uniquement. Dans la lumière de Dieu, Babylone n’est qu’un jeu de relations, sans finalité. « Alors un ange puissant prit une pierre semblable à une grande meule, et la

lança dans la mer, en disant : Ainsi sera soudain précipitée Babylone la grande ville et on ne la retrouvera plus. » (XVIII, 21)

C’est le langage de l’âge de la pierre. Il y a un moment où les hommes ne comprennent plus que ce langage-là ! On se rappelle ce qu’a dit Notre Seigneur : « Celui qui scandalise un de ces petits, il vaudrait mieux qu’il soit précipité au fond de la mer ! » C’est très net : Babylone scandalise les petits parce qu’ils sont incapables de comprendre. L’Europe scandalise l’Afrique, terriblement ; et l’Amérique également. Les Chinois, au contraire, leur donnent l’impression d’être plus sains, plus honnêtes. Et que dire du scandale provoqué par tous ces camps de nudistes sur les plages, par rapport à la mentalité musulmane. Voilà ce que les pays chrétiens leur apportent ! D’où, ici dans l’Apocalypse, cette réaction violente. Il faut saisir que Babylone a le souci de scandaliser les petits. Cet ange puissant nous donne une vision partielle du jugement de Dieu sur Babylone et il veut nous faire comprendre, en même temps, que c’est une prophétie destinée à nous éclairer. Au lieu de considérer Babylone de l’extérieur et de nous laisser séduire, ayons sur elle ce regard divin. Nous pouvons anticiper le jugement de Dieu. L’Apocalypse nous est donnée dans ce but. Et donc, dès maintenant, tâchons de discerner ce que représente Babylone afin de ne pas nous laisser prendre. Cet ange puissant nous donne un autre aspect du jugement de Dieu. C’est intéressant, du reste, de comparer ces aspects différents et complémentaires. Son geste est symbolique, mais il est divin, donc efficace : Babylone sera détruite par la grande meule qu’on lance dans la mer. « En toi on n’entendra plus les sons des joueurs de harpe, des musiciens, des

joueurs de flûte et de trompette; en toi on ne trouvera plus d’artisan d’aucun métier, et le bruit de la meule ne s’y fera plus entendre. » (22) Vous allez voir comment se produira juste l’inverse dans la Jérusalem céleste où l’on entendra les harpes éternellement. Mais dans Babylone tout est détruit. Toute sa liturgie, en un instant, disparaît. C’est très intéressant de voir qu’il y a un discernement 187

entre la liturgie divine et démoniaque. Le démon peut inventer une liturgie, car il n’est pas si bête, pour contaminer la liturgie chrétienne. Mais le discernement se fait dans la finalité. Saint Thomas dit que toute liturgie provenant de Dieu conduit à la prière intérieure, toujours. Le propre de la prière vocale, de toute liturgie, est de nous amener à la prière intérieure. Une liturgie qui nous conduit à l’adoration, à la contemplation, au silence, provient du Saint-Esprit. Mais si elle nous met dans l’extériorité, souvenez-vous de cette parole : « Dieu a horreur du sang des taureaux et des boucs. » Il ne faut jamais l’oublier et se demander quel est, aujourd’hui, le sang des taureaux et des boucs. Dieu a horreur de cette liturgie qui extériorise, qui empêche de prier. J’entends encore les plaintes de ceux qui, venant d’un milieu communiste, très engagés, se sont convertis et qui, maintenant, quand je les retrouve, me disent : je ne sais plus où aller prier. On retrouve les méthodes communistes, tous ces meetings, toute cette agitation qui nous met dans l’impossibilité de prier. Voyez l’infiltration, jusque dans la liturgie ! C’est même à ce niveau-là qu’elle s’est faite le mieux. N’oublions pas que le premier discernement qui nous est montré, dans l’Ecriture, a pour objet le geste liturgique de Caïn et d’Abel. C’est quand même très important. Cela nous est donné en exemple et l’Apocalypse le reprend en nous montrant : d’un côté la liturgie de Babylone et, de l’autre, celle de la Jérusalem céleste. Et il faut faire un discernement entre les deux. Ce n’est pas commode. Nous n’avons pas le droit d’être complice car nous avons tous un radar intérieur qui nous permet de juger. Le Saint-Esprit nous a donné le Don de Conseil. Donc, par la foi, nous avons tous la possibilité de faire ce discernement, si nous demandons l’aide du Saint-Esprit. Saint Thomas disait déjà : quand un fidèle assistant au prêche de son curé le dimanche constate que, du haut de la chaire, il est dit quelque chose de contraire à la foi, il a le devoir d’aller le dire à son curé. Pas tout de suite, bien sûr, mais 8 jours après, en lui apportant un bouquet de fleurs ou quelque chose d’agréable ! Ainsi il pourra le lui dire. S’il y va tout de suite, le curé l’enverra promener. Mais 8 jours après, il l’acceptera. Il faut avoir du tact dans nos rapports fraternels et savoir ménager les susceptibilités. Nous en avons tous, et c’est normal. Il faut savoir prendre son frère pour l’amener vers le bien, vers la vérité. Donc, nous avons, au-dedans de nous-mêmes, par la foi, un radar divin qui nous oriente, qui nous polarise vers la vérité. Et ce qui est vrai du sermon du curé est vrai de la liturgie. Nous avons le devoir de dire ce qui nous semble déplacé. Mais ne le faisons pas trop vite. Acceptons d’attendre quelquefois un certain temps. Demandons la lumière et nous l’obtiendrons. « En toi on n’entendra plus les sons des joueurs de harpe ... » La harpe n’est pas nécessairement sacrée. Quelqu’un disait : mais la harpe est un instrument sacré. Attention, attention, elle est aussi dans Babylone. Aucun instrument n’est sacré en luimême. Il le devient suivant l’usage qu’on en fait. Tout peut devenir sacré dans ce senslà. 188

« ... on n’y verra plus briller la lumière de la lampe ; on n’y entendra plus la

voix de l’époux et de l’épouse : parce que tes marchands étaient les grands de la terre, parce que toutes les nations ont été égarées par tes enchantements. Et c’est dans cette ville qu’on a trouvé le sang des prophètes et des saints, et de tous ceux qui ont été égorgés sur la terre. » (XVIII, 23-24) On nous a donc décrit, symboliquement, ce que représente cette espèce de luxe, de grandeur apparente de la grande Babylone.

***

Ch. XIX « Après cela, j’entendis dans le ciel comme une grande voix d’une foule immense qui disait : Alléluia ! » (XIX, 1) Notre petit alléluia, c’est celui-là. Il est l’écho du ciel sur la terre pour proclamer la grandeur de Dieu et montrer que tout ce qui est en dehors de Lui ne peut pas être éternel ! « Le salut, la gloire et la puissance appartiennent à notre Dieu, parce que ses

jugements sont vrais et justes. Il a jugé la grande prostituée qui corrompait la terre

par son impudicité, il a vengé le sang de ses serviteurs répandu par ses mains. » C’est une vengeance divine, comprenez bien ! « Et ils dirent une seconde fois : Alléluia ! Et la fumée de son embrasement monte aux siècles des siècles. » (2-3) « Et les vingt-quatre vieillards et les quatre animaux se prosternèrent et adorèrent Dieu assis sur le trône, en disant : Amen ! Alléluia ! » (4) Suivant le rythme de la liturgie apocalyptique, les vingt-quatre vieillards représentent toujours les créatures. Vous pouvez très bien prier en disant uniquement : Amen ! Alléluia ! Vous êtes à ce moment-là en harmonie avec les vingt-quatre vieillards. 189

L’Apocalypse est le livre de l’adoration : Elle revient sans cesse, elle en est la note fondamentale. « Et il sortit du trône une voix qui disait : Louez notre Dieu, vous tous ses

serviteurs, et vous qui le craignez, petits et grands ! Et j’entendis comme la voix d’une foule immense, comme le bruit des grandes eaux, comme le fracas de puissants

tonnerres, disant : Alléluia ! Car il règne, le Seigneur notre Dieu, le Tout-Puissant !

Réjouissons-nous, tressaillons d’allégresse et rendons-lui gloire ; car les noces de l’Agneau sont venues, et son épouse s’est préparée, et il lui a été donné de se vêtir de fin lin, éclatant et pur. Ce fin lin, ce sont les vertus des saints. » (C’est le sacerdoce royal de l’épouse). « Et l’ange me dit : Ecris : Heureux ceux qui sont invités au festin des noces de l’Agneau ! Et il ajouta : ces paroles sont les véritables paroles de Dieu. » « Je tombai alors à ses pieds pour l’adorer ; mais il me dit : Garde-toi de le faire ! Je

suis ton compagnon de service, et celui de tes frères qui gardent le témoignage de Jésus. Adore Dieu. Car le témoignage de Jésus est l’esprit de la prophétie. » (XIX, 5-10)

Ce passage est très curieux. Cette liturgie a, comme toujours, un double aspect : d’un côté les lamentations sur la destruction de Babylone ; et, au contraire, dans le ciel, la joie, la proclamation de la gloire de Dieu. Tout est remis à Dieu. Et c’est dans l’adoration qu’on le loue. Toute la fin de l’Apocalypse sera réservée aux noces de l’Agneau pour montrer que toute l’alliance s’achève dans ces noces. En voici le premier moment, avec le verset 7 : « Réjouissons-nous ... ». Il faut que Babylone soit détruire pour entrer dans la gloire. Il faut que le grand Mystère de la Croix s’étende à toute l’Eglise pour que le prince de ce monde soit jeté bas, car c’est par le Mystère de la Croix que l’Eglise entre dans la gloire. Et Elle doit vivre le Mystère des noces de l’Agneau, annoncées au verset 9 : « Heureux ceux qui sont invités au festin des noces de l’Agneau ! » C’est le rôle de la nouvelle liturgie que d’annoncer la gloire, avec un accent plus profond que l’ancienne. C’est le côté très étonnant de la nouvelle liturgie : elle annonce le mystère de la gloire. Alors quand on sait que ceux qui l’ont établie ne sont pas tellement dans cette perspective, on se dit que le Saint-Esprit est tout de même arrivé à leur faire dire quelque chose qu’ils ne comprenaient pas très bien ! Et c’est très beau, car là on discerne la signature de l’Esprit Saint. Dans la liturgie actuelle il y a très nettement cette attende du retour du Christ : « Heureux ceux qui sont invités au festin des noces de l’Agneau ! » Et il ajouta : « Ces paroles sont les véritables paroles de Dieu ». Jean est tellement ému. Il faut le comprendre, il est émerveillé ! Après la destruction de Babylone fleurit dans son cœur le nouveau printemps. Il se dit : enfin, enfin, voici les noces de l’Agneau. 190

Enfin le triomphe, alors que toute cette destruction paraissait faire croire que le Mystère de la Croix ne portait pas ses fruits. C’est mystérieux que Dieu laisse Babylone se construire. Il a l’air d’abandonner l’humanité : « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ... ». Dieu semble livrer l’humanité au dragon, à la bête de la terre et de la mer, et l’abandonner à toutes les idéologies. C’est l’impression que l’on ressent quand on regarde superficiellement ce qui se passe et, à ce moment-là, on peut être du désespoir. Mais Jean voit que lorsque Babylone est détruire, c’est le moment des noces de l’Agneau. C’est à partir du sépulcre que Jésus ressuscite. Et le sépulcre, apparemment, représente la victoire du démon. Les gardes sont là et la résurrection a lieu malgré eux. On croyait qu’on allait venir prendre le corps du Christ de l’extérieur, mais il l’a été de l’intérieur. Le Christ est ressuscité, toute porte étant fermée. Il en sera de même pour l’Eglise. Le démon met des cadenas partout. C’est bien gardé. La police est là. On ne peut pas bouger. Il faut que tout le monde soit marqué du sceau de la bête. Mais à l’intérieur il y aura les noces de l’Agneau. De l’intérieur, Dieu reprend son image, après une purification. Il faut une fameuse purification à tous ces pauvres marchands, à toute cette humanité réduite à l’état de marchands. Il faudra qu’elle soit purifiée. Il y aura un petit moment de désolation, car tout de même on avait espéré, on avait cru que l’humanité entrerait dans un âge nouveau, que la libération de l’homme aurait enfin lieu, et la libération de la femme aussi, bien sûr ! On avait cru tout cela. On s’était tous laissés un peu séduire par ces perspectives ... Mais patatras ... au moment où tout le monde le croira, ça dégringolera d’un seul coup, comme un château de cartes. Car du dedans (l’action de l’Esprit Saint est toujours intérieure) Dieu reprend tout. Alors on comprend l’émotion de Jean ! L’ange me dit : « Heureux ceux qui sont invités au festin des noces de l’Agneau ! » Il faut entendre cette parole comme l’ange l’a dite, parce que c’est l’annonce du printemps de l’Eglise, et donc de ses noces avec l’Agneau. Normalement, l’épouse est jeune. Cette annonce du printemps exige de nous une jeunesse et une beauté intérieures. Et il ajouta : « Ces paroles sont les véritables paroles de Dieu ». Il y a une certitude dans cette espérance, toute nouvelle. Alors on comprend l’émotion de Jean : « Je tombai à ses pieds ... » Ce n’est pas de l’idolâtrie, mais c’est l’émotion qui le fait tomber aux pieds de l’ange. Il y a là peut-être un message pour nous, devant le danger de nous laisser prendre par une espèce d’émotion très très forte. On se précipite à cause de notre sensibilité pour les choses immédiates. On croit que c’est déjà fait. « Mais l’ange dit : ‘Adore Dieu’. Car le témoignage est l’esprit de la prophétie. » (10) Je vous recommande de méditer cette petite phrase. 191

Qu’est-ce que l’esprit de prophétie ? C’est le témoignage de Jésus. C’est important pour nous aujourd’hui où il y a beaucoup de prophètes. Qu’est-ce que le vrai prophète ? C’est le témoin de Jésus. L’Esprit Saint nous conduit toujours au Cœur blessé de Jésus, parce qu’il nous est donné à partir de cette blessure ; et l’Esprit Saint aujourd’hui, plus que jamais, nous fait revenir à la source du Cœur blessé de Jésus. Et la prophétie n’est vraie que lorsqu’elle nous remet dans les Paroles de Jésus. L’Esprit Saint ne nous donne pas un nouvel Evangile. Il est le nouveau paraclet qui nous conduit au premier paraclet pour nous faire vivre du Mystère du Christ.

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Nous arrivons maintenant à la dernière partie, suivant la division habituelle. Ces « divisions » ne sont pas révélées ! Nous sommes libres de les accepter ou non ! « Puis je vis le ciel ouvert, et il parut un cheval blanc ; celui qui le montait

s’appelle Fidèle et Véritable ; il juge et combat avec justice. Ses yeux étaient comme une flamme ardente ; il avait sur la tête plusieurs diadèmes, et portait un nom écrit

que nul ne connaît que lui-même ; il était revêtu d’un vêtement teint de sang : son nom est Verbe de Dieu. » (XIX, 11-13) Mettez en parallèle avec ce nouveau symbolisme du Christ la première vision sur Jésus dans son sacerdoce, que nous avons au chapitre I. Toutes deux regardent Jésus dans sa gloire, Jésus prêtre dans le sacerdoce du Christ. « Et son nom est le Verbe de 192

Dieu » : c’est la première fois, dans la Révélation, que la seconde Personne de la Très Sainte Trinité est appelée le Verbe de Dieu. On appelle .Jésus le Verbe Incarné. Et Jean reprendra cette expression dans la Première Epître et dans l’Evangile. « Les armées du ciel le suivaient sur des chevaux blancs, vêtues de fin lin, blanc

et pur. De sa bouche sortait un glaive affilé (à deux tranchants) pour en frapper les nations ; c’est lui qui les gouvernera avec un sceptre de fer, fît c’est lui qui foulera la

cuve du vin de l’ardente colère du Dieu tout-puissant. Sur son vêtement et sur sa cuisse, il portait écrit ce nom : Roi des rois et Seigneur des seigneurs. » (14-16) Cette description du caractère royal du sacerdoce du Christ qui apparaît dans sa gloire est à mettre en parallèle avec la première vision, donnée au ch. I. « Et je vis un ange debout dans le soleil ; et il cria d’une voix forte à tous les

oiseaux qui volaient par le milieu du ciel :: Venez, rassemblez-vous pour le grand

festin de Dieu, pour manger la chair des rois, la chair des chefs militaires, la chair des soldats vaillants, la chair des chevaux et de ceux qui les montent, la chair de tous les

hommes, libres et esclaves, petits et grands. » (17-16) Il est extraordinaire cet appel à cette espèce de festin ! « Et je vis la bête et les rois de la terre avec leurs armées, rassemblés pour faire la guerre à Celui qui était monté sur le cheval et à son armée. » (XIX, 19) Vous retrouvez ici ce que nous avions déjà vu dans la sixième coupe : l’unification qui se fait par la bête. Entre les deux, il y a eu cette grande vision céleste pour nous montrer comment se fait, dans le ciel, la grande préparation du jugement de Babylone. On revient ici à l’aspect terrestre du dernier combat. On nous a montré le dernier jugement et maintenant on nous montre le dernier combat. C’est curieux comme ordre. Et si nous le comprenons matériellement nous ne voyons plus rien. Il faut essayer de rejoindre l’ordre de la Sagesse de Dieu, qui donne la lumière sur le jugement de Babylone. Je crois qu’il y a quelque chose d’analogue à ce passage dans l’Evangile de Saint Jean où, juste avant la dernière semaine (la dernière semaine, c’est le dernier combat ; ici il s’agit de la dernière semaine de l’Eglise), Jésus dit : « Je suis la Résurrection. » Il nous fait comprendre que tout le Mystère de la Croix est vécu dans la lumière de la Résurrection. Je crois que c’est la même chose ici. On nous montre le jugement sur Babylone, tandis que monte l’annonce des noces de l’Agneau. C’est le « Je suis la Résurrection », vu du côté de l’Eglise et pour chacun d’entre nous. Et c’est cette lumière qui éclaire le dernier combat. C’est là l’ordre de la Sagesse de Dieu auquel nous ne sommes pas habitués. Dans 193

notre dépaysement, nous plaçons ces divers moments selon un ordre chronologique. L’Apocalypse n’est pas un livre chronologique, décrivant des événements selon un ordre successif du temps. Elle est toujours l’éternité qui illumine le temps, d’où cet ordre de la Sagesse divine qui nous déroute. Il me semble difficile d’intituler ce passage « troisième partie ». Je n’aime pas beaucoup cette classification. Ce n’est pas la troisième partie, mais tout simplement, à l’intérieur de la lumière qui nous est donnée, un nouvel éclairage sur le dernier combat de la bête, le combat eschatologique.

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14ème conférence

(La 14ème conférence se composant uniquement de questions posées par les retraitants, et auxquelles le Père répond, n’a pas été reproduite.)

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15ème conférence

Avant le triomphe définitif de l’Eglise glorieuse il y a le temps des catacombes spirituelles où Marie rassemble tous ses enfants pour le grand festin de Dieu. Ch. XX, XXI et XXII.

En terminant cette retraite sur l’Apocalypse, il ne faudrait pas croire que, désormais, tout est clair pour nous dans ce que nous avons lu. Ce ne serait plus l’Apocalypse. Elle nous a donné et donne toujours une lumière tamisée, à travers les divers symbolismes, qui éclaire ce que nous vivons. Elle éclaire les événements progressivement. C’est un Livre difficile à pénétrer, qu’on doit lire et relire. Chaque fois que notre potentiel d’espérance diminue, relisons-le. Et cela nous redonne des grâces très extraordinaires d’espérance. Lorsque j’étais étudiant au Saulchoir, il y avait du brouillard. La seule chose qui me redonnait l’espérance, c’était l’Apocalypse ! C’est le meilleur anti-brouillard. C’est toujours le manque d’espérance qui nous fait nous replier sur nous-mêmes. L’espérance, au contraire, nous ancre sur le Seigneur. Quand je lisais l’Apocalypse dans ma jeunesse, je grattais la terre, et je continue de la gratter. Vous voyez qu’il y a déjà un certain temps que je fais cela ! Et il faut continuer, à cause de l’opacité. Mais, progressivement, on découvre des choses nouvelles. C’est surtout le Mystère de Marie qui apparaît de plus en plus dans l’Apocalypse. Il y est très voilé, mais très présent. C’est comme dans l’Evangile de Saint Jean, au cœur duquel Marie, la Femme, est là présente, mais de façon voilée. Si l’on est attentif on voit que c’est le cœur du mystère qui est l’enjeu de la lutte. Je reprends ce que nous avions commencé à voir, ch. XIX, 11-18 : « Puis je vis le ciel ouvert et il parut un cheval blanc. » Nous entrons dans la dernière exécution, celle du dernier combat sur la terre, qui débouche dans le ciel. C’est très grand ce dernier combat, où Jésus lutte directement. Dans l’Ancien Testament, il est dit que Yahvé lutte avec son peuple. Yahvé est le bouclier, il est le roc. Yahvé arme son peuple. Tout cela est juste et c’est encore infiniment plus vrai pour l’Eglise : Jésus lutte avec nous ; nous luttons avec Lui, pour Lui. Il est notre bouclier, il est notre arme. Evidemment, il nous donne tout le temps ses 198

armes légères qui sont les Béatitudes. C’est donc vraiment le mystère de la grande lutte du Christ à la Croix qui continue. Eternellement Jésus est Celui qui lutte au milieu de nous comme il a lutté à la Croix. Eternellement Jésus nous aide à lutter dans le même sens que la lutte de la Croix. La Croix représente le paroxysme de la lutte. Et l’Eglise continue cette lutte qui a connu une intensité unique à la Croix. « Les armées du ciel le suivaient sur des chevaux blancs ... » : tout le ciel est mobilisé. C’est la mobilisation générale pour le dernier combat. « De sa bouche sortait un glaive affilé ... » : Jésus dirige tout dans sa lumière et son Amour. Son arme c’est la Parole de Dieu. « Et je vis un ange debout dans le soleil ... » : comme cela reste mystérieux. On aimerait voir Marie dans cet ange debout dans le soleil. Quant aux oiseaux qui volaient par le milieu du ciel, ce ne sont évidemment pas des oiseaux. Ce sont les contemplatifs, ceux qui ont des ailes et qui volent. C’est vraiment la mobilisation générale, il faut bien le comprendre. « Le grand festin de Dieu » ce sont les noces de l’Agneau, c’est l’Eucharistie. « Et je vis la bête et les rois de la terre avec leurs armées, rassemblés pour faire la

guerre à Celui qui était monté sur le cheval et à son armée. Et la bête fut prise, et

avec elle le faux prophète qui, par les prodiges faits devant elle, avait séduit ceux qui avaient le marque de la bête et ceux qui adoraient son image. Tous les deux furent

jetés vivants dans l’étang de feu où brûle le soufre ; le reste fut tué par le glaive qui sortait de la bouche de Celui qui était monté sur le cheval ; et tous les oiseaux se rassasièrent de leurs chairs. » (XIX, 19-21) Voilà l’autre aspect du combat : ceux qui sont matérialisés. C’est difficile à bien saisir cette espèce de carnage. On y reviendra car c’est complexe. Il y a sûrement là quelque chose d’important à voir au sujet de ces oiseaux. Ce doit être des rapaces, mais ils sont en dépendance directe de l’ange debout dans le soleil.

ch. XX « Et je vis descendre du ciel un ange qui tenait dans sa main la clef de l’abîme et une

grande chaîne ; il saisit le dragon, le serpent ancien, qui est le diable et Satan, et il

l’enchaîna pour mille ans, et il le jeta dans l’abîme, qu’il ferma à clef et scella sur lui, afin qu’il ne séduisit plus les nations, jusqu’à ce que les mille ans fussent écoulés. 199

Après cela, il doit être délié pour un peu de temps. » (1-3) C’est le fameux « mille ans » qui a été traduit de mille façons. Vous voyez le démon enchaîné pour mille ans. Alors, à ce moment-là, toutes les souris dansent. Je crois qu’il ne faut quand même pas le comprendre matériellement, comme toujours. Qu’est-ce que ça veut dire exactement ? Les « mille ans », pour les partisans de l’Eden, ce sera sur la terre un moment merveilleux, une paix généralisée qui durera mille ans. Je ne crois pas du tout que c’est cela. D’abord, on veut montrer par là que Dieu laisse au dragon une permission mesurée. Et Dieu peut retirer cette permission quand Il le veut. C’est d’abord cela qui est dit ici : le démon est dépendant de Dieu. Il fait partie du gouvernement divin. Alors je me demande si les mille ans ne représentent pas quelque chose de particulier dans le mystère même de l’Eglise, c’est-à-dire comme une zone profonde où le démon ne pénètre pas. Pour que l’Eglise ait pu faire ce parcours de presque deux mille ans, il fallait nécessairement qu’il y eut en Elle quelque chose de pacifique, d’éternel. Le grand moment de l’assaut, au contraire, ne peut pas durer si longtemps. Il y a des zones différentes. Là aussi c’est très difficile de bien comprendre l’Apocalypse, parce qu’il y a beaucoup de demeures dans la maison du Père. Il y a beaucoup de demeures dans l’Eglise. J’aimerais presque croire que tout l’aspect de la contemplation dans l’Eglise ce sont ces mille ans. L’Eglise est dans la paix par une présence de Dieu mystérieuse où, d’une certaine manière, le démon ne pénètre pas. Ça ne veut pas dire que les couvents étaient et sont des lieux où le démon ne pénètre pas. La vie contemplative ce n’est pas le couvent : c’est la foi gardée dans le cœur des saints. On va le voir. J’ai simplement posé ici un point d’interrogation. « Puis je vis des trônes, où s’assirent des personnes à qui le pouvoir de juger fut

donné, et je vis les âmes de ceux qui avaient été décapités à cause du témoignage de Jésus et à cause de la parole de Dieu, et ceux qui n’avaient point adoré la bête ni son

image, et qui n’avaient pas reçu sa marque sur leur front et sur leur main. Ils eurent la vie et régnèrent avec le Christ pendant mille ans. » (XX, 4) Il y a, bien sur, un règne de paix sur la terre. « Mais les autres morts n’eurent point la vie, jusqu’à ce que les mille ans

fussent écoulés. C’est la première résurrection ! Heureux et saint celui qui a part à la

première résurrection. La seconde mort n’a point de pouvoir sur eux ; ils seront prêtres de Dieu et du Christ, et ils régneront avec lui pendant mille ans. » (5-6) On insiste sur ce point de vue des mille ans. C’est quand même quelque chose qui, dans l’Eglise, représente un aspect très important. « Quand les mille ans seront accomplis, Satan sera relâché de sa prison, et il en 200

sortira pour séduire les nations qui sont aux quatre extrémités de la terre, Gog et Magog, afin de les rassembler pour le combat : leur nombre est comme le sable de la mer.

Elles montèrent sur la surface de la terre, et elles cernèrent le camp des saints et

la ville bien-aimée ; mais Dieu fit tomber un feu du ciel qui les dévora. Et le diable, leur séducteur fut jeté dans l’étang de feu et de soufre, où sont la bête et le faux prophète, et ils seront tourmentés jour et nuit aux siècles des siècles. » (7-10) Tout cela est très mystérieux. On voit très bien le combat et, à l’intérieur, une espèce de zone pacifique de mille ans, où règnent vraiment les amis de Dieu, les saints. C’est un moment de paix sur la terre. A travers toute l’histoire de l’Eglise, il y eut un moment, mille ans, où la lutte fit place au triomphe. L’Eglise a triomphé sur la terre, il ne faut pas l’oublier. L’Eglise a été à la tête de la culture, de l’art, de la civilisation. C’est quand même un triomphe de l’Eglise, cela. Et, à ce moment-là, le démon a été obligé de lui laisser la place. L’Eglise sur la terre a quand même joui d’un moment de grande paix, qui impliquait nécessairement que le dragon soit enchaîné. Ça ne veut pas dire qu’il n’y avait pas de péché, ni de divisions. Le dragon, c’est le dragon. Mais les conséquences du péché originel demeurent. Il ne faut pas croire que pendant ces mille ans tout ait été merveilleux. Non. Cependant, pendant mille ans l’Eglise a triomphé, Elle a été parfaitement ce qu’elle pouvait être, ce que Jésus voulait qu’elle soit. Quand les mille ans furent accomplis, Satan a été relâché de sa prison. Je crois que nous sommes à ce moment-là. « ... et il en sortira pour séduire les nations … » (XX, 7) Dans le royaume de Satan règne toujours la division. Gog et Magog expriment cette opposition. « Leur nombre est comme le sable de la mer » : Quelle multitude ! C’est la victoire du démon. L’Eglise n’est plus triomphante. Elle lutte, cachée ; c’est l’Eglise souterraine. Nous vivons les catacombes spirituelles. Il y a eu les catacombes visibles au départ de l’Eglise ; les catacombes spirituelles sont pour la fin parce que tout s’intériorise. Comme au début de l’Eglise, les chrétiens aujourd’hui sont heureux de se retrouver autour du Mystère du Christ. Ils ne peuvent manifester publiquement leur amour et leur foi dans le Christ. Le milieu de travail est hostile ou indifférent; il vous oblige à garder le silence. Alors il faut des oasis où l’on puisse se réchauffer, parler librement de Dieu, prier. On éprouve ce besoin. Les réunions de prières, les retraites peuvent être ces oasis. On se retrouve à quelques-uns pour prier, pour parler de Dieu puisque c’est ce qui nous tient le plus à cœur. C’est, je crois, ce qui nous est montré ici au moment où éclate la fureur du démon relâché. « Puis je vis un grand trône éclatant de lumière et Celui qui était assis dessus : 201

devant sa face la terre et le ciel s’enfuirent et il ne fut plus trouvé de place pour eux. Et je vis les morts, grands et petits, debout devant le trône. Des livres furent ouverts ;

on ouvrit encore un autre livre, qui est le livre de la vie ; et les morts furent jugés, d’après ce qui était écrit dans ces livres, selon leurs œuvres. » (XX, 11-12) Le jugement vient de Dieu, toujours. C’est la volonté de Dieu. Personne ne juge, sinon Dieu seul. « La mer rendit ses morts ; la Mort et l’Enfer rendirent les leurs ; et ils furent jugés chacun selon ses œuvres. » (13) C’est un style très imagé ! Si la mer rendait tous ses morts, ce serait extraordinaire. Et la Mort et l’Enfer viennent rendre leurs comptes. « Puis la Mort et l’Enfer furent jetés dans l’étang de feu : c’est la seconde mort,

l’étang de feu. Quiconque ne fut pas trouvé inscrit dans le livre de la vie fut jeté dans l’étang de feu. » (14-15) Nous retrouvons le livre de vie que la Tradition, du reste, a toujours gardé. Pour la théologie, au Moyen Age, c’était une grande question. Ce livre de vie, symboliquement, correspond à ce qui nous est montré au début : le livre scellé. Ce sont toutes les décisions de Dieu. C’est l’Amour de Dieu pour nous. C’est la prédestination. C’est tout cela. Comprenons bien et ne matérialisons pas en imaginant un registre sur lequel Dieu a inscrit ou pas notre nom ... « Est-ce que tu es dessus ?  On va voir.  Tu n’y es pas, je regrette ! » Ce serait une matérialisation absolue de ce qu’est la prédestination. Mais, symboliquement, cette comparaison nous fait comprendre que tout relève de l’Amour de Dieu. « L’étang de feu » c’est premièrement le lieu où est Lucifer. Il ne faut pas l’oublier. Et la bête de la terre et de la mer se ramènent à cet étang de feu car elles sont en liaisons avec le dragon.

Ch. XXI « Et je vis un nouveau ciel et une nouvelle terre ; car le premier ciel et la première terre avaient disparu, et il n’y avait plus de mer. » (XXI, l) Enfin voici que Dieu reprend tout radicalement pour sa gloire. Vous voyez que le jugement a été donné après ce dernier combat. On veut nous faire comprendre qu’il y a un dernier grand combat et qu’il est spirituel. C’est pour cela que je parle des catacombes spirituelles. C’est vraiment dans ce combat que Jésus apparaît avec le glaive de sa Parole ; il y a les oiseaux dans le ciel et cet ange debout dans le soleil. C’est le rôle extraordinaire de Marie, à la fin, qui rassemble ses enfants. 202

« Venez, rassemblez-vous pour le grand festin de Dieu. » Voilà le rôle de Marie : faire l’unité, par le Don de Piété. « ... pour manger la chair des rois, la chair des chefs » : cela reste évidemment difficile à bien saisir. Ne serait-ce pas pour rassembler ce qu’il y a de bon dans tous les hommes ? Dans tous les hommes il y a quelque chose de bien. Ils sont menés par la bête, mais il faut retrouver en eux l’image de Dieu. Et l’image de Dieu est en tous, d’où ce grand rassemblement pour le festin divin. « Manger la chair des rois », c’est la communion. La communion c’est la charité fraternelle. Et la charité fraternelle est la mère de tous ceux qui doivent être rassemblés. Il faut comprendre cette expression intérieurement et spirituellement. Le grand festin de Dieu c’est la charité fraternelle, dont l’Eucharistie est le signe. Ce n’est pas encore la vision béatifique. Mais c’est le rassemblement de tout ce qu’il y a de vrai, de juste dans tous ces hommes dispersés et qui ont été séduits. Le temps des catacombes spirituelles c’est celui pendant lequel Marie travaille pour rassembler toutes ces bonnes volontés. Voyons maintenant le terme. Ça demande évidemment quelques petites explications. Mais je crois qu’on peut saisir au moins l’intention qui nous est donnée. Les « mille ans » restent difficiles à interpréter. Je n’ai lu aucune explication qui pratiquement m’ait séduit. Alors, demandez au Saint-Esprit de vous éclairer. J’en arrive toujours à croire que c’est vraiment, dans l’Eglise, ce qui lui a permis de rester deux mille ans sur la terre. Dieu a voulu qu’il y ait ce pèlerinage de deux mille ans et pour cela il fallait mille ans de calme, de paix, pour que l’Eglise puisse triompher. Triomphe d’une gloire un peu humaine, bien sur, mais c’est quand même quelque chose. L’Eglise a été à la tête de toute la civilisation. Cela a existé. On ne peut pas le nier. « Et je vis un nouveau ciel et une nouvelle terre ... » (XXI, 1). C’est la fin, après le grand combat. C’est là où il faudrait se reposer la question de ce matin : Que deviendra notre univers ? Que deviendra la planète Jupiter, Vénus, la lune ? Que deviendra le soleil ? Toutes les étoiles, toutes les galaxies ? Que va devenir notre petite terre ?  Nous n’en aurons plus besoin. Un corps glorieux n’a plus besoin de la terre car il est lui-même un univers. Notre corps glorieux aura des dimensions tout autres que celles qui sont en vigueur dans notre univers. Le corps glorieux est sans dimensions. Il a la dimension de Dieu. Il participe à l’éternité. Il participe à l’omniprésence. Alors on se demande si, au fond, tout cet univers matériel ne sera pas transformé dans le corps glorieux. Autrement dit, tous les corps glorieux seront cet univers nouveau avec, au centre, le Corps glorieux du Christ. Les Pères de l’Eglise avaient senti cela d’une certaine manière, en disant que toutes les étoiles auraient été données aux élus : à chacun sa petite étoile ! C’est gentil ! Les Pères de l’Eglise avaient encore très fortement cette vision des Anciens selon laquelle les corps glorieux étaient la quintessence ; c’étaient donc des corps incorruptibles. C’est la vieille notion grecque : le monde physique des étoiles ne peut se corrompre. D’après cette vision, on comprend très bien 203

qu’il fallait dire que le nombre des élus correspondait au nombre des étoiles. Et donc il y avait pour chacun une petite ou une grosse étoile. Et à ce moment-là le corps glorieux pouvait habiter dans une étoile de feu, sans dommage pour lui, qui est encore plus brûlant qu’une étoile ! Nous ne pouvons plus dire cela aujourd’hui ! Nous avons progressé dans la connaissance des étoiles et nous ne pouvons plus en affirmer la quintessence. Nous devons donc considérer que tout cet univers, dont nous connaissons encore très mal l’équilibre, est pour l’homme. Nos connaissances du monde physique sont encore si minimes. On découvre maintenant ce qu’est l’atmosphère, depuis qu’on peut y pénétrer, et l’on s’aperçoit que c’est quelque chose d’extraordinaire, de même que l’équilibre de tout l’univers physique, en vue de permettre la vie. Mais la vision de l’unité du monde, nous ne l’avons pas. Nous voyons de petites choses partielles. Mais, si nous avons un regard chrétien, nous pouvons dire que tout l’univers est pour le corps et l’âme de l’homme. Selon la grande vision de l’Ecriture, on peut l’affirmer. Y a-t-il d’autres vivants que l’homme ? Je n’en sais rien. Ce sont des hypothèses. Théologiquement, je ne puis rien dire. Scientifiquement, non plus, on ne peut rien dire. Ce sont de pures hypothèses. Mais ce que nous pouvons dire, selon la vision biblique du début de la Genèse, c’est que l’homme et la femme sont le chef-d’œuvre de Dieu. C’est net. Et donc tout l’univers physique est pour l’homme et la femme. Et tout l’équilibre de cet univers a pour but de permettre la vie. Cela je l’affirme théologiquement, étant donné ce qui est révélé. Tout l’univers physique existe en vue de la procréation et pour que l’homme puisse continuer à vivre jusqu’au moment où Dieu voudra. Le jour où il n’y aura plus de procréation parce que l’homme ne sera plus là, il n’y aura plus de vie biologique à entretenir sur terre et dans l’atmosphère. L’herbe, les petits lapins, les petits oiseaux, tout cela disparaîtra ; ils ne seront plus nécessaires puisque l’homme ne sera plus là. A ce moment-là tout notre univers physique sera transformé : « Je vis un nouveau ciel et une nouvelle terre, car le premier ciel et la première terre avaient disparu » (XXI, 1). Tout sera transformé pour cet univers nouveau qui sera un univers glorieux. Or, l’univers glorieux ne peut être glorieux qu’en fonction de l’âme. Il ne peut pas y avoir une transformation glorieuse sans l’âme. C’est impossible. La matière peut être glorieuse grâce à l’âme, par l’âme. Mais ce que sera notre corps glorieux, nous n’en avons aucune expérience. On tâtonne dans la foi ... Un jour notre corps sera glorieux, translucide, merveilleux. Nous ressusciterons tous en splendeur, nous admirant les uns les autres. Notre âme sera purifiée et tout en nous sera parfaitement harmonieux. En parlant du Corps glorieux du Christ, les Pères de l’Eglise le comparent à de l’or et à du vitrail. J’aime beaucoup ces deux expressions. L’or : pour montrer la valeur et le poids de l’Amour qui habitent le corps. Et le vitrail : pour montrer que la lumière provient de l’intérieur. Dans un corps glorieux, toute la lumière provient de l’âme. Et nos corps seront translucides, illuminés par la gloire de Dieu. Ils glorifieront Dieu. 204

Les étoiles annoncent les corps glorieux. Elles en sont comme les images parleur lumière et leur chaleur. Les corps glorieux sont la lumière et la chaleur en ce sens que c’est l’Amour qui prend tout. Alors, si nous lisons attentivement le texte, nous voyons bien que le premier ciel et la première terre disparaissent. Ils ne sont pas anéantis. L’ordre de la Sagesse divine ne détruit rien. « Et je vis descendre du ciel, d’auprès de Dieu, la ville sainte, une Jérusalem nouvelle, vêtue comme une nouvelle mariée parée pour son époux. » (XXI, 2) C’est l’Eglise glorieuse, qui a porté son fardeau durant tout son pèlerinage terrestre. Elle l’a déposé maintenant. Et le fardeau que l’Eglise porte, c’est toute l’humanité. L’Agneau de Dieu a porté l’iniquité du monde. Et l’Eglise porte et doit continuer de porter toute l’iniquité du monde. Et donc son fardeau est quelquefois si lourd qu’elle tombe sous son poids. Mais, à la fin, ce fardeau sera sa gloire. L’Eglise aura, par sa fécondité merveilleuse, sauvée toutes les nations ! C’est ce que fait comprendre le mot d’ordre de Marie : « Rassemblez-vous pour le grand festin de Dieu ». L’Eglise rappelle l’exigence de la vérité et de la charité pour tous les hommes, en portant son fardeau sur la terre. Son triomphe n’apparaîtra qu’au ciel. « Et j’entendis une voix forte qui disait : Voici le tabernacle de Dieu avec les

hommes : il habitera avec eux, et ils seront son peuple ; et lui-même il sera le Dieu avec eux, il sera leur Dieu. Et Dieu essuiera toutes larmes de leurs yeux, et la mort ne

sera plus, et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur, car les premières choses ont disparu ». (3-4) Voilà la grande occupation de Dieu : essuyer toutes les larmes. C’est merveilleux cette tendresse ! On sait très bien que sur la terre il y a beaucoup de larmes et l’on comprend dès lors que Dieu les essuiera toutes. Dans cette vision de gloire, il n’y a plus que le tabernacle. Notre cœur glorifié sera le lieu de rencontre de Dieu et des hommes, dans l’Amour. Tout sera Amour. Nous ressusciterons et il n’y aura plus que l’Amour. L’égoïsme qui nous fait instinctivement nous replier sur nous-mêmes aura disparu. Nous serons tous dans un état d’extase d’Amour. Un corps glorieux, c’est un corps qui est entièrement au service de l’Amour. « Et Celui qui était assis sur le trône, dit : Voici que je fais toutes choses nouvelles. » (5) C’est donc la recréation totale. Tout ce qui existait auparavant, dans la première création, est repris d’une autre manière, glorieuse, c’est-à-dire pour la beauté et l’éclatement de l’Amour. La seconde création est une création de beauté. Tandis que la première est une création en vue de la bonté. La beauté y est cachée. Plus les choses sont 205

matérielles, plus elles sont belles. Plus les choses spirituelles existent, moins on en voit la beauté. Il y a une beauté extraordinaire dans le monde physique. Il y a une beauté extraordinaire dans le monde animal. Il y a une beauté très particulière dans l’homme et dans la femme. Mais elle est passagère. Dans le monde animal, elle dure plus longtemps. Et il y a aussi des choses monstrueuses : la beauté d’un hippopotame ou d’un crocodile est assez curieuse ! Il vaut mieux être assez éloigné pour la regarder. La première création est en vue de la bonté. La recréation est en vue de la beauté car l’Amour communiqué en plénitude n’a plus qu’à éclater. Et notre corps glorifié sera l’ostensoir de l’âme. Il la manifestera et permettra, de ce fait, l’éclatement de tout l’Amour qui est en nous. Nous voudrions bien que notre corps, de temps en temps, puisse communiquer notre amour. Alors nous essayons par les yeux qui lancent des flammes, d’amour, de feu. Mais, à ce moment-là, c’est tout le corps glorifié qui sera vraiment un ostensoir d’Amour. « Et il ajouta : Ecris, car ces paroles sont sûres et véritables. Puis il me dit : C’est fait. Je suis l’alpha et l’oméga, le commencement et la fin. » (XXI, 5-6) Nous sommes au terme et c’est le Père qui parle, ce qui n’est pas arrivé dans toute l’Apocalypse. Ici c’est le Père qui parle. C’est lui qui est à l’origine et à la fin.

« A celui qui a soif, je donnerai gratuitement de la source de l’eau de la vie.

Celui qui vaincra possédera ces choses; je serai son Dieu et il sera mon fils. Mais pour les lâches, les incrédules, les abominables, les meurtriers, les impudiques, les magiciens, les

idolâtres et tous les menteurs, leur part est dans l’étang de feu et de soufre : c’est la seconde mort. » (6-8) Du moment où c’est affirmé qu’il y a une seconde mort et un étang, c’est difficile de dire qu’il n’y en a pas ! Ils existent sûrement pour le dragon et pour tous ceux qui s’y sont voués. « Alors l’un des sept anges qui tenaient les sept coupes pleines des sept dernières

plaies, vint me parler et me dit : Viens, je te montrerai la nouvelle mariée, l’Epouse de l’Agneau. » (9) Il faut monter très haut pour la regarder. On voit bien Jean qui est en extase. Il faut aller encore un peu plus haut dans l’extase. Il y a des paliers. Il faut aller encore un peu plus loin. « Et il me transporta en esprit sur une grande et haute montagne, et il me

montra la ville sainte, Jérusalem, qui descendait du ciel d’auprès de Dieu, brillante de

la gloire de Dieu, et l’astre qui l’éclairé est semblable à une pierre très précieuse, à une 206

pierre de jaspe transparente comme le cristal. » (10-11) Jérusalem, c’est nous. C’est tous ceux qui font partie du Mystère de l’Agneau, qui désirent en faire partie. L’Eglise n’est pas extrinsèque à ses membres. « Elle a une grande et haute muraille, avec douze portes ; à ces portes sont douze

anges, et des noms inscrits, ceux des douze tribus des fils d’Israël. Il y a trois portes à

l’orient, trois portes au nord, trois portes au midi et trois portes à l’occident. La muraille de la ville a douze pierres fondamentales sur lesquelles sont douze noms, ceux des douze apôtres de l’Agneau. » (12-14) La Jérusalem céleste, œuvre parfaite de Dieu, est représentée par une œuvre architecturale. Les Anciens sont toujours très impressionnés par l’architecture qu’ils considèrent comme l’art le plus parfait. Et donc il s’agit, par cette image, de nous montrer que tout est repris par Dieu. Nous sommes moins sensibles à cette comparaison. Mais il n’en reste pas moins vrai que c’est par une vision architecturale que nous est montrée la Jérusalem céleste, la cité de Dieu. « Et celui qui me parlait tenait une mesure, un roseau d’or, pour mesurer la

ville, ses portes et sa muraille. La ville est quadrangulaire, et sa longueur est égale à sa largeur. Il mesura la ville avec son roseau, jusqu’à douze mille stades ; la longueur, la largeur et la hauteur en sont égales. Il en mesura aussi la muraille, de cent quarante-quatre coudées, mesure d’homme, qui est aussi mesure d’ange. » (15-17) C’est une mesure divine et contemplative. L’Eglise, qui est pour les hommes, est contemplative, d’où l’expression « mesure d’homme qui est aussi mesure d’ange ». « La muraille de la ville est construite en jaspe, et la ville est d’un or pur, semblable à un pur cristal. » (18) Les pierres précieuses évoquent toujours, chez les Pères de l’Eglise, l’intériorité de la lumière. Ce n’est pas une lumière électrique, métallique. C’est une lumière chaude, d’une chaleur d’Amour. C’est ce que veulent exprimer symboliquement toutes ces pierres précieuses. « Les pierres fondamentales du mur de la ville sont ornées de toutes sortes de

pierres précieuses ; la première base est du jaspe ; la deuxième, du saphir ; la troisième,

de la calcédoine ; la quatrième, de l’émeraude ; la cinquième, du sardonyx ; la sixième, de la sardoine ; la septième, de la chrysolithe ; la huitième, du béryl ; la neuvième, de la topaze ; la dixième, de la chrysoprase ; la onzième, de l’hyacinthe ; la douzième, de l’améthyste. » (19-20) Il faut voir à Istanbul le musée des pierres précieuses pour comprendre ce passage. Je crois que ce musée contient les plus belles pierres précieuses, énormes. Vous 207

retrouverez tout de suite l’Apocalypse et vous penserez à Saint Jean, parce que c’est le même lieu. Ces pierres splendides nous font découvrir ce que représente cette lumière chaude, brûlante de la Jérusalem céleste. « Les douze portes sont douze perles ; chaque porte est d’une seule perle ... » (2l) C’est Jésus qui est la Porte, qui est la Perle. « La rue de la ville est d’un or pur, comme du verre transparent ; je n’y vis point de temple, car le Seigneur Dieu tout-puissant en est le temple, ainsi que l’Agneau. » (22) Quelle imagination extraordinaire que celle du vieux Saint Jean. On voit tout ce qu’il portait en lui, tous ces rêves de perles et d’or. Si on le psychanalysait, on découvrirait qu’il a eu cette espèce de désir du merveilleux, alors qu’il vivait pauvrement, il rêvait d’un palais magnifique, et ce palais c’est le ciel ! Ce n’est pas ce qui est dit ici, évidemment. Mais c’est exprimé de cette manière très simple. Jean ressent une telle joie, après avoir vu ce qu’était la bête et tous ces combats, de découvrir le lieu de la paix, de la lumière et de l’Amour ! Et pour lui c’est extraordinaire qu’il n’y ait plus de temple : il n’y a plus de distinction entre le profane et le sacré. Tout est religieux. Et le temple c’est Dieu et c’est l’Agneau. Nous vivrons nous aussi cette intériorité merveilleuse. « La ville n’a besoin ni du soleil ni de la lune pour l’éclairer, car la gloire de

Dieu l’illumine, et l’Agneau est son flambeau. Les nations marcheront à sa lumière, et les rois de la terre y apporteront leur magnificence. Ses portes ne seront point fermées

chaque jour, car il n’y aura point de nuit. (C’est l’accueil perpétuel !) On y apportera ce que les nations ont de plus magnifique et de plus précieux ; et il n’y entrera rien de souillé, aucun artisan d’abomination et de mensonge, mais ceux-là seulement qui sont inscrits dans le livre de vie rie l’Agneau. » (XXI, 23-27) Le livre de vie nous fait comprendre que tout est prédestiné dans le Mystère du Cœur de Jésus.

Ch. XXII « Puis il me montra un fleuve d’eau de la vie, clair comme du cristal,

jaillissant de trône de Dieu et de l’Agneau, au milieu de la rue de la ville ; et de part et d’autre du fleuve, des arbres de vie qui donnent douze fois leurs fruits, les rendant une fois par mois, et dont les feuilles servent à la guérison des nations. » (1-2) Quelle fécondité merveilleuse ! Le fleuve d’eau de la vie, c’est Marie. Les arbres, 208

c’est sa maternité divine qui s’étend à tous ceux qui sont autour d’elle et qui sont transformés par elle. « Il n’y aura plus aucun anathème ; le trône de Dieu et de l’Agneau sera dans

la ville ; ses serviteurs le serviront, et ils verront sa face, et son nom sera sur leurs fronts. » (3) C’est le face à face de la vision béatifique, dans toute cette orchestration architecturale et liturgique. « Il n’y aura plus de nuit, et ils n’auront besoin ni de la lumière de la lampe, ni

de la lumière du soleil, parce que le Seigneur Dieu les illuminera ; et ils régneront aux siècles des siècles. » (4-5) Tout cela veut essayer de nous faire comprendre ce que représentent les Noces de l’Agneau. Toute cette accumulation de splendeur, toute cette orchestration signifient que la lumière et l’Amour divins sont éternels, comme les pierres précieuses qui ne se corrompent pas. « Et l’ange me dit : Ces paroles sont certaines et véritables ; et le Seigneur, le

Dieu des esprits des prophètes, a envoyé son ange pour montrer à ses serviteurs les choses qui doivent arriver bientôt. » (6) « Voici que je viens bientôt. »

On insiste constamment sur la vérité, l’authenticité des paroles révélées. Et le « bientôt » de Dieu n’est pas notre bientôt. Il ne faut pas l’oublier. Le bientôt de Dieu est beaucoup plus réel que le nôtre. Et donc il faut comprendre que lorsque Dieu dit Bientôt, c’est vrai que c’est bientôt. Qu’est-ce que mille ans par rapport à l’éternité ? « Heureux celui qui garde des paroles de la prophétie de ce livre ! » (XXII, 7) La béatitude est donnée au point de départ et au terme de l’Apocalypse. Au départ il nous est dit : « Heureux celui qui lit et ceux qui entendent les paroles de cette prophétie, et qui gardent les choses qui y sont écrites, car le temps est proche ! » (I, 3) Et cette béatitude nous la retrouvons ici, au terme. Quelle merveilleuse résolution de retraite : il faut garder profondément les paroles de cette prophétie. Et c’est l’Apocalypse elle-même qui nous la donne ! « C’est moi, Jean, qui ai entendu et vu ces choses. Et après les avoir entendues et

vues, je tombai aux pieds de l’ange qui me les montrait pour l’adorer. Mais il me dit : Garde-toi de le faire. Je suis serviteur au même titre que toi, que tes frères, les prophètes, et que ceux qui gardent les paroles de ce livre. Adore Dieu. » (8-9) Jean reçoit une petite semonce, pour la seconde fois ... « Et il me dit : Ne scelle point les paroles de la prophétie de ce livre, car le 209

moment est proche. Que celui qui est injuste fasse encore le mal ; que l’impur se souille encore ; que le juste pratique encore la justice, et que le saint se sanctifie encore. » (1011) Les dés sont joués, c’est cela que ça signifie. Cette parole semble curieuse, mais il faut la voir dans la lumière de l’éternité. « Que celui qui est injuste, fasse encore le mal », ça ne veut pas dire du tout qu’il faut encore pécher, mais que le pécheur n’écoute pas. La liberté est laissée à chacun. « Et voici que je viens bientôt, et ma rétribution est avec moi, pour rendre à

chacun selon son œuvre. Je suis l’alpha et l’oméga, le premier et le dernier, le

commencement et la fin. Heureux ceux qui lavent leurs robes, afin d’avoir droit à

l’arbre de la vie, et afin d’entrer dans la ville par les portes ! Dehors les chiens, les magiciens, les impudiques, les meurtriers, les idolâtres, et quiconque aime le mensonge et s’y adonne ! » (12-15) Voyez comme on insiste sur le mensonge. Jean est farouche là-dessus. Le mensonge est toujours la marque de l’appartenance au démon. « C’est moi, Jésus, qui ai envoyé mon ange vous attester ces choses, pour les

Eglises. C’est moi qui suis le rejeton et le fils de David, l’étoile brillante du matin. Et

l’Esprit et l’Epouse disent : Venez ! Que celui qui entend dise aussi : Venez ! Que celui

qui a soif, vienne ! Que celui qui le désire, prenne de l’eau de la vie gratuitement ! Je déclare aussi à quiconque entend les paroles de la prophétie de ce livre que, si

quelqu’un y ajoute, Dieu le frappera des fléaux décrits dans ce livre ; et que, si quelqu’un retranche des paroles de ce livre prophétique, Dieu lui retranchera sa part de l’arbre de la vie et de la cité sainte, qui sont décrits dans ce livre. » (16-19) « Celui qui atteste ces choses, dit : Oui, je viens bientôt. Amen ! Venez Seigneur Jésus ! Que la grâce du Seigneur Jésus-Christ soit avec vous tous. Amen ! » (XXII, 2021) La fin de l’Apocalypse c’est ce cri d’attente du retour du Christ. Ce cri d’impatience, c’est l’ardeur de l’espérance eschatologique. Il faut demander à l’Esprit Saint de continuer à nous faire pénétrer dans ce livre, de découvrir toujours plus profondément ce qui nous est montré ; enfin, de comprendre la place de Marie dans le combat et dans la gloire. Et pour cela il faut toujours revenir à l’Evangile de Saint Jean. Marie est au centre du combat, au pied de la Croix. Jésus, Lui, le dépasse, puisqu’il est Fils de Dieu. Tandis que Marie, pure créature, en est l’enjeu numéro un. Et c’est elle que le démon poursuit. Il faut regarder tout ce qui est dit du dragon et de la Femme dans la lumière de la Croix. 210

Et la Croix, c’est notre désert, il ne faut jamais l’oublier. Il y a le désert de JeanBaptiste, qui est le désert de Juda. Il y a le désert de Jean, disciple bien-aimé du Christ, qui est le Christ crucifié. C’est le désert de l’adoration, de la contemplation et de la charité fraternelle. Tandis que le désert de Jean-Baptiste, c’est celui de l’adoration avant tout.

Nous avons tous à entrer dans le désert de la Croix, au milieu de la foule, comme cela, sans séparation, au milieu de tous, en pleine lutte. C’est cela le vrai désert, le nouveau désert où se trouve Marie, la Femme. Et c’est là que Dieu nous conduit, dans le désert nouveau de la Nouvelle Alliance. Il ne faut pas vouloir retourner en arrière dans le désert de Jean-Baptiste. Donc, Marie est au coeur de la lutte et c’est Elle qui est, en premier lieu, la Jérusalem céleste. Elle est tout l’univers pour Dieu puisqu’Elle résume toute la création. Donc Elle est bien la Jérusalem céleste. Ce sera extraordinaire de voir la splendeur de Marie dans sa gloire. Le corps glorieux de Marie est glorifié sur le modèle du Corps glorieux du Christ. Les stigmates du Corps du Christ apparaîtront sur le corps glorieux de Marie et sur tous les corps glorieux des élus. Car toutes les blessures de Jésus sont glorieuses. Le geste que nous ferons tout à l’heure, ensemble, pour terminer cette retraite, faisons-le avec Saint Jean, avec le désir d’être des apôtres des derniers temps. Jean connaît à la Croix la plus grande solitude. En un rien de temps, il a connu la trahison de Judas, la lâcheté des neuf, et parmi ces neuf il y avait son frère. Pauvre Saint Jacques, il est devenu saint après, mais il était quand même parmi ceux qui sont partis. Il a connu le reniement de Pierre. Et il est seul à la Croix. Il faut toujours se dire que Marie nous est donnée au moment où nous connaissons les plus grandes solitudes. Quelquefois, Dieu nous met dans de très grandes solitudes pour que Marie nous soit mieux donnée. Nous connaissons tous une certaine solitude dans le monde d’aujourd’hui et il y aura des moments où elle sera encore beaucoup plus grande. Il faut le prévoir. C’est un geste prophétique que nous faisons ce soir. Marie nous est donnée pour nous permettre de vivre pleinement et totalement du Mystère de Jésus. Marie est toujours relative à Jésus et Elle s’efface devant Lui. C’est Elle qui nous porte vers Jésus. C’est pour cela que parfois on ne la voit plus. On ne voit plus que Jésus. Et Jésus nous porte vers le Père. Pour bien saisir ce que représente le geste d’amour de Jésus nous donnant sa Mère, cet Amour de prédilection de Jésus à la Croix pour nous, lorsqu’il dit : « Femme, voilà ton fils; fils, voici ta Mère », il faut regarder un passage de l’Ancien Testament qui est magnifique, où l’on saisit le mieux la tendresse merveilleuse qui est dans le cœur de l’homme.

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C’est a la fin de la Genèse, au chapitre XLII, avec Ruben, le fils aîné de tous les enfants de Jacob. Jacob a eu douze enfants. Mais il y en a deux qu’il aime d’un amour unique : Joseph et Benjamin, les deux fils de Rachel. Il a eu le coup de foudre pour Rachel. La Révélation nous montre leur rencontre. C’est la première fois où l’on voit un homme choisir une femme dans l’Ecriture. C’est très étonnant. On n’a pas vu comment Abraham a choisi Sarah, qui avait un caractère assez particulier. Mais elle a été sanctifiée parce que Dieu l’aimait beaucoup. Isaac, lui, était trop dans les jupes de sa mère pour pouvoir choisir son épouse. Et les psychologues aujourd’hui comprendraient fort bien son cas ! Abraham le connaissait bien aussi et il a choisi pour lui. C’est extraordinaire de voir cela. Le seul, le premier qui ait choisi, c’est Jacob. Il a choisi Rachel mais ça n’a pas été commode. Il ne l’a pas eue tout de suite. Ce qui importait au père de Rachel, c’était que l’aînée passe avant la cadette, sinon elle n’aurait jamais pu se marier. C’est étonnant de voir comment l’Ecriture nous fait comprendre le cœur de l’homme. Pour nous aussi il existe ce moment privilégié : c’est le geste de Jésus à la Croix qui découvre la prédilection du Père sur nous. Donc, Ruben annonce à Jacob qu’il ne rapportera du froment d’Egypte que s’il y retourne avec Benjamin. C’était la condition posée par Joseph, d’une façon merveilleuse du reste. Joseph, on croyait qu’il était mort. Voilà que tout lui a réussi. Il est devenu premier ministre, le bras droit du Pharaon, qui a essayé de le garder auprès de lui. Quand Joseph a vu venir à lui ses frères, bien que très ému, il n’a rien dit. Il s’est maîtrisé d’une façon étonnante et les dix ne l’ont pas reconnu. Et c’est Joseph qui les interroge : il veut les éprouver. Vont-ils être capables de traiter Benjamin comme ils m’ont traité ? Alors il leur pose sa condition. Et une fois que Benjamin est là, il déploie une ruse merveilleuse : il met des vases importants et de l’argent dans le sac du petit benjamin et dès qu’ils seront partis, on dira qu’ils les ont volés. C’est un vol préfabriqué, pour découvrir le fond de leur cœur. Et c’est à ce moment-là que Ruben a un rôle très beau. Ruben c’est l’aîné ; son attitude explique un tas de choses. Benjamin, c’est l’Eglise. Donc Ruben dit : plutôt que de mettre Benjamin en prison, ce qui tuerait notre vieux père Jacob, c’est moi que vous allez mettre en prison. Et c’est alors que Joseph se manifeste. Je crois qu’il y a dans ce passage des tas de choses très intéressantes pour nous. Je me demande toujours si ce n’est pas une grande prophétie concernant l’épreuve du peuple d’Israël, actuellement. Est-ce que Dieu ne veut pas, de nouveau, éprouver son cœur ? Le peuple d’Israël a rejeté Joseph. Aura-t-il la même attitude par rapport au benjamin ? C’est la responsabilité de l’Eglise que d’être Benjamin en face d’Israël ! Je crois que c’est ce que nous vivons actuellement. Il y a à découvrir là quelque chose de très grand. Dans la Genèse c’est Ruben qui est obligé d’avouer à son père : « Nous n’aurons pas de froment si Benjamin ne vient pas avec nous. » A ce moment-là, le poids de la souffrance arrache au cœur du vieux Jacob son secret. Il y a des secrets qu’on ne 212

révèle que dans la très grande souffrance. Et le vieux Jacob déclare devant les dix aînés : « Si vous m’enlevez Benjamin, je n’aurai plus d’enfant ! » Pour lui, il n’y en a que deux : Joseph et Benjamin. Et l’Ecriture souligne que le cœur de Jacob était collé au Benjamin. C’est très fort. Pourquoi ? Parce que les deux enfants avaient la même mère, Rachel.

Transposons ce texte avec ce qui se passe à la Croix. Jacob, c’est le Père. Et c’est Joseph qui est immolé. Ses deux enfants que le Père aime d’un amour unique. Il veut les unir dans le même Amour à travers la même Mère. Rachel préfigure Marie. Avoir la même Mère que Jésus, c’est inouï ! Le Père a choisi Marie pour Jésus. Et pour nous faire comprendre que nous sommes aimés d’un Amour unique de prédilection, Il veut que le benjamin, l’Eglise, ait la même Mère que son Fils bien-aimé. Nous sommes aimés du même Amour que Jésus, parce que pour le Cœur du Père, seuls comptent Joseph et Benjamin. Ils ont la même Mère. Cela n’exclut pas l’amour pour les autres ; mais c’est cette prédilection qu’il faut essayer de saisir. Relisez ce passage de la Genèse qui est très beau. D’ailleurs, la Genèse est un livre qu’il faut relire énormément, à partir du chapitre XI, bien que le début aussi soit très important. C’est très intéressant toutes ces petites histoires, merveilleuses. C’est très psychologique, très humain et en même temps très divin. Il faut la mettre en parallèle avec l’Evangile de Saint Jean : c’est le point de départ et le terme qui donnent les deux aspects de la famille de Dieu. Après vient le peuple. Dès qu’on est en face du peuple, la femme disparaît. Il y a de temps à autre des prophétesses, mais au fond c’est la famille qui est impliquée, en montrant le rôle de la mère, de la femme. Et le rôle de la femme ici est montré magnifiquement dans Rachel. Lorsque Jésus dit à Jean : « Voici ta Mère », il faut entendre le cœur du vieux Jacob dire qu’il n’a que deux fils : Joseph et Benjamin. C’est nous Benjamin. C’est l’Eglise. Nous sommes Benjamin et il faut que Jésus et l’Eglise soient unis dans la même Mère.

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