L’Algérie et les diables du paradis 9782414609130

Dans ce livre, j’ai essayé de relater une partie de ma vie professionnelle liée aux événements du 5 octobre 1988 (soulèv

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French Pages 286 Year 2023

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L’Algérie et les diables du paradis
 9782414609130

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Abdelouaheb Achoui

L’Algérie et les diables du paradis

Biographie

Abdelouaheb Achoui

L’Algérie et les diables du paradis

Cet ouvrage a été composé par Edilivre Immeuble Le Cargo, 157 boulevard Mac Donald – 75019 Paris Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50 Mail : [email protected] www.edilivre.com

Imprimé en France Texte intégral Dépôt légal. © Edilivre, juillet 2023

ISBN papier : 978-2-414-60913-0

Tous nos livres sont imprimés dans les règles environnementales les plus strictes. Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction, intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

Aux femmes et aux hommes de la Sûreté Nationale, Aux policiers du monde entier. A toutes les victimes du terrorisme. Aux victimes étrangères qui ont été assassinées chez nous après que nous leur avons promis protection et sécurité. A toute l’humanité. Enfin, à mon frère et ami de toute une vie, Lamri Tahar, sans qui cette traduction n’aurait pas vu le jour, et qui n’a jamais douté que l’Algérie sortirait victorieuse de son épreuve malgré le fléau et les ennemis.

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Mémoire de la patrie Écrire ! Convaincu, ma vie durant, qu’écrire n’était qu’une activité intuitive et relativement facile, que cela « coulait de source » comme on dit avec trop de légèreté, mais une fois devant la page blanche, j’ai dû me raviser : j’étais rapidement livré au désarroi, rongé par le doute et la crainte. Suis-je vraiment prêt à livrer mes pensées aux lecteurs ? Leur permettre de sonder les profondeurs de mon âme ? Sans barrière ? Sans circonspection ? Sans filtres ? Et puis, au fait, pourquoi diable dois-je écrire ? Et qui suis-je pour écrire et que puis-je écrire ? Des mémoires peut-être ? Des mémoires, qui racontent quoi ? Après une longue hésitation et maintes nuits sans sommeil, j’ai décidé de franchir le pas. Profondément affecté par les événements que connut l’Algérie durant celle qu’on appela « décennie noire » de par ma vie professionnelle, événements dont j’essayais de prendre pleinement conscience selon ma modeste compréhension. C’est de cette prise de conscience que naît cet ouvrage. Je fais partie de ceux que le destin a précipités dans la vie professionnelle dès leur plus jeune âge : j’ai entamé la mienne à dixsept ans pour diverses raisons. Mes parents, que Dieu leur fasse miséricorde, sont originaires du village-Martyre Ait Achour Akfadou à Bejaïa, dont le nombre d’habitants au moment de la Révolution ne dépassait pas deux cent personnes, et malgré cela, il a présenté quatorze martyrs dont les noms sont gravés sur la porte de sa mosquée. Mon père, Lounis, était un militant du Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques (MTLD). Au lendemain du déclenchement de la Révolution il été le premier à être nommé

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commissaire politique dans la région d’Akfadou, d’ailleurs il été connu beaucoup plus sous le nom de Al-Watani « Le nationaliste » que sous son vrai nom comme rapporté par le moudjahid Mahrez Chaabane dans son livre « Moujahid d’Akfadou ». Mais ce qui vous intéresse, vous Chers Lecteurs, mais ce qui vous intéresse, vous Chers Lecteurs, c’est que j’ai rejoint les rangs de l’armée dès mes dix-huit ans en tant que sous-officier contractuel à l’École Supérieure des Transmissions de Bouzaréah à Alger, puis à l’École des sous-officiers de Miliana ; toutes deux cédées, quelques décennies plus tard par le ministère de la Défense : la première transformée en université et la seconde en école publique. Après une période de formation de dix-huit mois, je fus affecté au siège du ministère de la Défense Nationale dans la capitale, avec le grade de sergent, avant d’être promu sergent-chef et affecté au Centre d’Instruction des Transmissions à Oued Namous, dans la troisième région militaire de Béchar. Ainsi, après avoir passé huit ans et demi dans les rangs de l’armée, je retournais à la vie civile en 1985 et il ne m’a fallu que peu de temps pour réaliser que je n’étais pas fait pour vivre une vie normale. Par “normale”, j’entends une vie tranquille et routinière. Je ressentais un besoin inexpliqué d’action et ce besoin allait être plus que comblé, attendez la suite et vous allez en juger par vous-même. J’ai, dans un premier temps, rejoint le corps des douanes toujours dans le domaine des transmissions, mais ce corps manquait de rigueur à mon goût et ne correspondait guère à ma personnalité forgée sur le terrain. Après une petite année dans ce secteur, j’ai décidé de mettre le cap vers une autre destination professionnelle. Suite à mon admission au concours d’inspecteur de police, et au stage de formation à l’école de police Rouchai Boualem sise dans la circonscription administrative de Belouizdad à Alger, j’ai entamé ma nouvelle carrière dans les rangs de la Sûreté Nationale. Trente ans de

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carrière, à partir du grade d’inspecteur de police, ponctuée par des promotions aux grades d’officiers de police, commissaire de police et achevée avec le grade supérieur de commissaire principal de police avant d’être mis à la retraite en 2016. J’ai passé ma vie professionnelle au sein de la police entre la Sûreté de Daïra de Bab El-Oued et la Direction des Ressources Humaines à Hydra. Bref, toute mon activité professionnelle, je l’ai passée dans les corps constitués. Les personnes, ayant exercé dans ces institutions, vous diront à quel point le travail dans ces secteurs nécessite tant de sacrifice et d’abnégation étant des métiers fort laborieux ; vous allez peut-être vous dire : « les sacrifices, c’est pour ceux qui sont sur le terrain mais une fois gradé, bonjour le confort », et vous auriez tort en disant cela. Bien au contraire, plus le grade est élevé, plus la pression du travail et ses exigences sans fin se font ressentir, plus le poids des différentes responsabilités qu’on vous assigne pèse lourdement sur vos épaules, les différents dangers qui vous guettent se multiplient et grandissent au fur et à mesure que votre carrière progresse, sans parler d’une administration sévère et rigoureuse qui peut s’avérer impitoyable au premier faux pas. La Sûreté Nationale est la seule institution étatique contrôlée à la fois par le parquet de la République, par l’Inspection Générale des services et par la Fonction publique rattachée au gouvernement. Ajoutez à cela le manque de moyens humains et matériels inadéquat aux résultats que l’on attend de vous. Exposé à des observations vexatoires, parfois blessantes, vous êtes accusé de tous les maux du monde. Même si vous êtes un ange marchant sur terre, vous n’êtes jamais à l’abri de l’ingratitude de beaucoup de gens, comme d’ailleurs, c’est le cas pour toutes les polices du monde. Peut-être que maintenant, Chers Amis Lecteurs, vous commencez à réaliser ce qui m’a incité à écrire ces paragraphes, c’est cette période où j’ai travaillé en tant qu’inspecteur de police à la sûreté de Daïra de Bab ElOued durant les années les plus sombres qu’ait connues l’Algérie depuis 9

l’indépendance, étape que je vais essayer de rapporter le plus honnêtement possible, des événements que je n’avais jamais pensé vivre, notamment dans un quartier antique parmi les plus populaires d’Algérie. À ce moment-là, avec le grade d’inspecteur de police, j’appartenais au rang du personnel d’encadrement et d’exécution sans aucun pouvoir décisionnel, contrairement à ceux de commandement ou de conception, et bien sûr, il y a toute une différence entre les deux : – Le cadre a pour mission de penser, analyser et étudier différentes données et prévisions avant de prendre des décisions. Il les transmet sous forme d’ordre au personnel d’encadrement et d’exécution opérant sur le terrain, sous forme d’instructions strictes et brèves, pour leur mise en exécution immédiatement, sans les discuter et sans aucune alternative. Les ordres sont indiscutables, c’est la devise dans tous les corps constitués du monde, ordres que le personnel d’encadrement et d’exécution va accomplir aux dépens d’une partie adverse formée, la plupart du temps, elle également, d’exécutants opérant pour le compte de forces occultes. Ces gens-là peuvent être des contrevenants, des casseurs, des bandes de malfaiteurs, et même des éléments des milices armées relevant des différentes mouvances. Vous voyez alors se dessiner les divergences des points de vue sur les événements selon l’angle dans lequel vous les regardez ; la pression résultant de la planification et de l’élaboration des stratégies dans des salles climatisées sont différentes de ce que vous vivez sur le terrain, là où les événements s’enchaînent et s’accélèrent sans guère vous laisser le temps pour penser. Ce sont parfois des événements terribles et inattendus, et où vous et vos collègues êtes les premiers à en subir de plein fouet les conséquences. Convaincu du droit des lecteurs et des historiens désireux d’en savoir plus sur l’époque sanglante qu’a vécue l’Algérie et de connaître le point de vue des personnes ayant appartenu aux corps de sécurité, en particulier ceux qui étaient sur le terrain, m’a poussé à écrire ces lignes, car même si notre rôle se limitait à l’exécution des ordres sans discussion 10

et sans commentaire, mettant en péril nos vies sans hésitation si nécessaire – beaucoup d’entre nous sont tombés au champ d’honneur – , cela ne nous empêchait pas d’avoir des opinions et des points de vue sur tout ce qui se passait tout en exécutant les ordres ; nous le faisions de manière professionnelle oui, mais convaincus de la noblesse de notre mission consistant à nous acquitter de notre devoir envers la patrie et nos concitoyens. J’estime que nous avons le droit d’être entendus et d’exprimer nos points de vue, non seulement parce que nous étions les plus ciblés et les plus touchés, nous étions ce qu’on appelle la chair à canon, mais aussi parce que nous étions les plus déterminés et les plus acharnés dans notre engagement à combattre les ennemis de la nation. J’avais lu beaucoup de ce qui a été écrit sur cette décennie sanglante, mais tous ces ouvrages, sans exception, sont écrits par des cadres supérieurs, qui avaient occupé des postes élevés dans les institutions de l’Etat ou dans ses différents corps de sécurité ; je n’ai jamais croisé de récits rapportés par ceux qui étaient au bas de l’échelle. Le grand public, et les historiens spécialisés, devraient percevoir l’opinion de la majorité silencieuse au cœur des services de sécurité, et Dieu sait s’ils ont des choses à dire… Permettez-moi de vous dire, dès le début, que je n’ai pas de secret à révéler pour stimuler l’appétit des lecteurs. Tout ce que vous trouverez dans ce manuscrit est un récit des faits et des événements terribles et extrêmement graves, fatals pour beaucoup de mes collègues, des événements macabres à vous glacer le sang, que nous avons vécus sur le terrain en tant qu’agents de police et que je vais vous rapporter le plus fidèlement possible. Nous exécutions les ordres et recevions bille en tête les réactions qui pouvaient s’ensuivre, les drames de la décennie noire que nous avons vécus et durant laquelle plusieurs de mes collègues avaient payé de leurs âmes et de leur sang ainsi que ceux de nos pères, mères, épouses et enfants dont le seul péché est d’être de notre sang et de notre chair. Maintenant, 11

après trente ans, nous souffrons encore avec nos familles des séquelles de cette macabre décennie (pour ceux d’entre nous qui en ont toujours une, entre dislocations familiales et assassinats). Cette tragédie hante encore nos consciences et colle à notre peau, elle nous accompagnera inévitablement jusqu’à notre dernière demeure, mais cela, nous l’avons accepté, c’était notre destin. Ce que moi et mes collègues n’accepterons jamais, c’est que certains œuvrent à sousestimer les sacrifices que nous avions fièrement accomplis à l’instar des divers autres agents des forces de l’ordre, de l’armée et des patriotes qui ont résisté à l’hydre intégriste ; ces mêmes personnes veulent que ce drame national soit enterré et oublié définitivement, et qu’il perdure éternellement dans les entrailles de la négligence et de l’indifférence. Certes, le peuple, y compris nous-mêmes, en votant « Oui » pour la réconciliation nationale, était d’accord qu’il fallait tourner la page pour construire une Algérie nouvelle dans laquelle l’amour et la paix régneront pour que le peuple puisse vivre dans la prospérité et l’épanouissement, mais ni ce dernier ni nous-mêmes avions demandé que la page soit déchirée, et même si ces événements ne sont que blessures, sang et larmes, ils doivent être également enregistrés tels qu’ils se sont produits sans aucune sélection ou censure préalable, faute de quoi, qui s’arroge le droit de choisir et que choisira-t-il ? En outre, de tels événements ont semé la mort et la désolation, des milliers de personnes ont été assassinées, blessées, mutilées, se sont retrouvées veuves et/ou orphelins, sans abri… Sans oublier l’effondrement de l’économie du pays. A-t-on l’intention de jeter tout cela à la poubelle ? D’effacer tout de la mémoire nationale ? Sous prétexte d’enterrer la hache de guerre ? Ce serait là un autre crime, tout aussi crapuleux, qui s’ajoute au premier, alors que la réalité est toute autre. Nous n’arriverons jamais à gérer les désaccords relatifs à cette époque sans les avoir au préalable méticuleusement contextualités et étudiés sous différents aspects et après avoir compris la problématique, les erreurs qu’on a commises et

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leurs répercussions, et en tirer toutes les leçons possibles pour que plus jamais un tel scénario ne se reproduise. Tout cela doit être enseigné aux générations futures afin qu’elles soient élevées dans des valeurs constantes tout en étant conscientes des fondements sacrés de la patrie et ayant foi dans la nation algérienne. J’admets d’emblée que ce modeste écrit n’est pas fait pour s’élever au rang de document historique, mais il peut toutefois servir à encourager d’anciens collègues, quel que soit leur rang au sein du corps de la sécurité, pour écrire ne serait-ce que des bribes sur notre vécu de l’époque noire, parce que nous nous sommes hélas retrouvés dans l’œil du cyclone ; et en vertu de notre profession, nous avons vécu ce que personne d’autre n’a vécu et nous avons vu ce que personne d’autre n’a vu, et peut-être avons-nous subi le fléau du chaos causé par cette sédition meurtrière plus que d’autres. Oui, nous devrions tous participer à la documentation de cette période de l’histoire algérienne, et par tous, j’entends tous les pans de la société. Période, certes, obscure et funeste, mais elle fait partie de notre mémoire collective, d’autant plus que nous constatons que les protagonistes de cette infâme tragédie nationale ne daignent montrer le moindre regret vis-à-vis des crimes qu’ils ont commis et ils ne semblent même pas effleurés par la honte à la vue de leurs mains souillées par le sang des innocents, parfois, on les voit se pavaner sur les réseaux sociaux, fiers de leurs méfaits, ils insistent toujours pour se faire passer pour des victimes, tels des loups dans les bergeries dont les crocs et les griffes demeurent encore rouges de sang, se prenant pour des agneaux ! Ils veillent à ce que cette chicanerie dure éternellement en minimisant l’abjection de leurs agissements et l’atrocité de leurs actes rétorquant que c’était normal que des Algériens tuassent d’autres Algériens pour la bonne cause. Ces criminels sont appuyés par certains opportunistes qui veulent nous faire régresser en les chevauchant encore une fois dans le cadre de leur course effrénée vers le pouvoir tant convoité, oui, c’est aussi 13

simple que ça, ils profitent du fait que les collègues qui sont toujours en service soient tenus par l’obligation de réserve, ainsi que tout fonctionnaire de l’État, imposée par la loi. La plupart du temps, ils écrivent très peu ou pas du tout sur ce sujet ; nous devons donc écrire pour défendre le peuple libre d’Algérie, les femmes et les hommes, qui ont donné leurs vies pour protéger le pays, les citoyens, la religion et l’honneur. Il est de notre devoir de protéger leur mémoire, c’est même le moins qu’on peut faire en reconnaissance de leurs sacrifices, et c’est avec de telles contributions que nous protégeons également toute personne soucieuse du bien-être de son pays, prêts à le défendre par tous les moyens possibles et imaginables. Et où que nous soyons nous les protégerons aussi de tout sentiment de culpabilité qu’essaient d’induire en nous les prophètes autoproclamés du XXe siècle, qui même après s’être fait damer le pion et après que Dieu lui-même eut exposé leur vraie nature et la bassesse de leurs intentions au grand jour, les voilà au vu et au su de tous qui essaient d’usurper l’histoire en tentant de tromper les gens, ils commentent toujours les événements, toute honte bue, sans aucun scrupule, ils insistent sur la légitimité de leur cause et que l’affront que constitue le fait de les avoir empêchés d’accéder au pouvoir leur donnait systématiquement le droit de tuer les croyants et les noncroyants, de brûler le pays et de saboter l’économie, « quel est donc ce visage d’acier dont Dieu t’a doté » comme disait ma mère, que Dieu ait son âme. Bien sûr, ces gens ne réussiront jamais à tromper tout le monde tout le temps, c’est impossible, et puis même s’ils réussissent à leurrer un certain nombre de personnes pour une certaine période, jamais ils tromperont le Créateur des Cieux et de la Terre et qui les tiendra pour responsable de chaque mot qu’ils ont prononcé pour alimenter encore plus les conflits entre les frères d’une même nation et attiser la flamme de la haine. Ils devront rendre compte de chaque goutte de sang versée sur cette terre sacrée par leur faute… 14

Personnellement, je vous promets de vous transmettre les faits que j’ai vécus sur le terrain avec mes collègues en toute honnêteté, sans aucune fourberie et avec la plus sincère des intentions, et que je relaterais la vérité, toute la vérité et rien que la vérité, dans tout ce que vous lirez à travers ces lignes, même si je vais, pour diverses considérations, changer parfois certains noms et lieux et omettre de préciser la date exacte de certains événements, aussi vais-je attribuer certaines actions que j’ai faites à mes collègues et vice-versa, je vous prie alors, Chers Lecteurs, d’être compréhensifs à mon égard. J’essaierai de relater, sans euphémisme, chaque événement marquant que j’ai vécu au cours de cette décennie, aussi choquant et horrifiant soit-il et je braverai pour vous la douleur qui brûle dans toute mon âme dès que je me remémore tous ces souvenirs car, croyez-moi Chers Lecteurs, il ne m’est guère aisé de visualiser pour la énième fois les corps purs, sans vie, de mes amis, que Dieu ait leur âmes, gisant dans des flaques de sang, parfois leurs cadavres profanés de plusieurs façons que j’éviterais de vous raconter, je remuerais le couteau dans mes plaies pour la énième fois en invoquant les images des veuves de nos martyrs, alors qu’elles pleuraient amèrement l’amour de leur vie, avec lequel elles étaient unies pour le meilleur et pour le pire ; elles pleuraient une union, qui la plupart du temps, n’avait duré que quelques mois, et parfois même quelques semaines voire quelques jours, avant que le rêve de leur vie ne se transformât en cauchemar, j’oserai à nouveau passer par tout cela, même si je me demande comment je vais gérer, encore une fois, les souvenirs des mères des martyrs disant adieu à leur fils qui venait alors de mourir à la fleur de l’âge dont leur seul péché était d’avoir la volonté d’être les porte-étendard de la sécurité et de la paix dans le pays de leurs ancêtres. Leur seul péché était qu’ils voulaient servir leur peuple et leur nation, leur seul péché était qu’ils aimaient leur pays et leurs concitoyens, comment vais-je faire quant à mon plus grand désarroi, lorsque je revois défiler les images d’orphelins jouant et riant innocemment devant le cercueil de leur père ne réalisant pas qu’ils 15

ne le reverront plus jamais et qu’ils grandiront privés de son amour et de sa bienveillante protection. Mais ne vous inquiétez pas pour moi, je vais le faire. Je préfère ingurgiter encore ce douloureux flux de souvenirs poignants et l’écrire si nécessaire avec mon sang en sacrifiant au passage chaque neurone qui me reste que de participer à un crime contre la patrie et contre les martyrs, l’odieux crime de l’oubli et de la négligence, le crime de l’ingratitude et du déni, et de toute façon, je continue à ruminer ces souvenirs même sans devoir les écrire. Car ces événements, comme je vous l’ai déjà dit, vont, à notre corps défendant, nous accompagner jusqu’à la tombe, et que Dieu guide mes pas pour être à la hauteur de la tâche.

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Passion et profession Ma carrière a débuté en tant qu’inspecteur de police à la sûreté de Daïra de Bab El-Oued, plus exactement au sein de la Première Sûreté Urbaine dont le siège est implanté au cœur même dudit quartier, non loin des Trois Horloges. Bab El-Oued est l’un des plus anciens quartiers populaires d’Alger. Il accumule dans ses ruelles les soupirs de toute la population et refoule dans ses alcôves les préoccupations de toutes les classes de la société. Un quartier illustre avec une histoire très riche remontant à l’ère coloniale. Dans les archives du siège de la sûreté de Daïra de Bab El-Oued, il y a des registres dits de main courante, dans lesquels le policier chargé de la réception du public transcrit tous les faits saillants de la journée, sans exception et sans aucune considération de degré d’importance. On trouve dans ces archives remontant aux années cinquante, les noms des martyrs et des moudjahidines, de nombreux détails sur les actions de guérilla ayant eu lieu dans le cadre de la révolution algérienne de 1954. Après l’indépendance, alors que la densité de la population ne cessait de croître, les taux de criminalité augmentent tout en se diversifiant. On y trouve de tout, du simple vol au trafic et à la consommation de drogues, du commerce illicite au recel d’objets volés, des agressions au port d’armes prohibées – principalement des armes blanches –, aux crimes sexuels, etc. Parallèlement à tout cela, on y trouve enregistrée l’activité secrète des différents courants politiques, clandestins pour la plupart ; ces affaires sont gérées par nos collègues des Renseignements Généraux, tandis que notre mission à la sûreté urbaine consiste surtout à la lutte contre la petite délinquance, mais pas seulement. À vrai dire, la sûreté urbaine est la vitrine de l’institution policière, elle a été et elle est 17

toujours chargée de recevoir, d’examiner et de traiter différentes plaintes des citoyens. Ce qui a attiré mon attention dès les premiers jours, c’est qu’aux yeux de la population, nous représentons, à nous seuls, l’État tout entier. Oui, pour les Babelouadiens, c’est nous l’État. Quel que soit le problème du citoyen, la sûreté urbaine est son unique recours ; à ses yeux la municipalité, la daïra, le tribunal ou toute autre institution étatique n’ont pas grand intérêt. En plus des plaintes pour divers délits tels les vols, les agressions et autres, les habitants de Bab ElOued nous exposent les disputes entre voisins et parents, et Dieu sait qu’il y en avait, ces gens tenaient à se plaindre de tout et de rien : des infiltrations d’eau émanant des voisins, de leurs conflits conjugaux, de l’indiscipline de leurs enfants, et même des mauvais résultats scolaires de leur progéniture. En effet, il arrive parfois qu’un père ou une mère débarque chez nous avec son fils pour interpeller l’un d’entre nous en privé et spontanément lui dire « s’il vous plaît faites peur à mon fils pour qu’il fasse plus d’efforts à l’école ! » Allons madame ! Soyez raisonnable, on n’est pas des ogres ! Tout de même ! Et vous seriez peut-être surpris si je vous disais que le commissaire de police, le premier responsable du service, recevait personnellement la plupart des citoyens qui venaient se plaindre ou solliciter une quelconque intervention et il les orientait vers les services concernés, selon le cas et le type de plainte. Rien nous est épargné, même pas les problèmes de santé urgents, physiques et psychiques des habitants, en particulier les malades mentaux présentant un danger pour eux-mêmes, pour leurs familles ou pour les citoyens, notamment lorsqu’ils étaient en possession d’armes blanches telle une épée, un couteau de boucher ou autres, nous étions chargés de les maîtriser, de les faire monter dans l’ambulance et de les accompagner au service psychiatrique de l’hôpital.

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Quand un citoyen meurt chez lui d’une mort naturelle, nous étions chargés de requérir un médecin de l’hôpital, de l’escorter au domicile du défunt afin qu’il puisse se prononcer s’il s’agit bien d’une mort naturelle et de délivrer le certificat médical requis ; dans le cas contraire, le corps est transféré à la morgue aux fins de son expertise par un médecin légiste désigné par le procureur de la république. Une enquête est ouverte pour déterminer les causes et les circonstances du décès. Ajoutez à tout cela les enquêtes judiciaires pour vols, agressions et autres crimes et délits qu’on doit mener sur le terrain, dresser les procès-verbaux des différentes plaintes, mettre en exécution les instructions du parquet dont leur volume nécessite à elles seules un service tout entier, sans compter bien sûr le travail préventif que nous accomplissions en effectuant des patrouilles pédestres et motorisées couvrant toute la circonscription de Bab El-Oued de jour comme de nuit. Il existe même des types d’intervention qui ne s’effectuent que la nuit. Par exemple, lorsqu’une femme est chassée, la nuit, du domicile conjugal par son mari, nous nous chargeons de l’accompagner jusqu’à son domicile et d’astreindre le mari à lui permettre de passer la nuit chez elle. Mais lorsqu’elle est chassée pendant la journée, nous l’invitons à s’adresser directement au procureur de la république territorialement compétent. Il existe d’autres types d’interventions que nous n’effectuons que le jour, comme la remise de convocations, mais la plupart de nos tâches sont obligatoires sans distinction entre le jour et la nuit, notamment celles urgentes fort nombreuses. Les citoyens nous exposent tous leurs problèmes. Après tout, à leurs yeux, nous étions l’État « El Houkouma » et tout le monde nous appelait ainsi, en particulier les jeunes qui utilisaient également d’autres noms comme : « Babak » (votre père) « Lahnoucha (serpents) » « Assourtia (policiers en civil) » etc. Bref, notre siège était un microcosme du quartier de Bab El-Oued, très mouvementé de jour comme de nuit ; on se croirait presque dans un souk et il n’est pas rare que se réunissent en même 19

temps un ivrogne et un fou, ainsi qu’une autre personne blessée lors d’une agression, alors qu’une autre n’est venue que pour demander des informations. Il y avait également une forte présence féminine de tout âge et certaines d’entre elles se présentaient accompagnées de leurs enfants et tout le monde parlait à haute voix, ce qui est une habitude dans les quartiers populaires, mais le plus surprenant dans tout cela c’est que nous nous occupions de tout le monde et nous discutions avec tout le monde de chaque problème et la plupart d’entre eux trouvaient une solution chez nous et de toute façon, les citoyens n’étaient pas prêts à quitter le siège si on ne trouvait pas de solution à leur problème ! Ce n’était jamais calme chez nous. Il n’y avait aucune différence entre la nuit, le jour, le matin, le soir, le dimanche, le vendredi, l’hiver et l’été. Tout cela se passait dans l’ancien siège de la sûreté urbaine – depuis un nouveau siège a été ouvert à proximité de l’ancien –, qui était situé au rez-de-chaussée d’un immeuble résidentiel. Les locaux mal aérés, meublés de quelques tables et de chaises métalliques, le nombre de chaises étant inférieur au nombre de tables, car celles-ci se détériorent facilement ; parfois, nous étions obligés de nous asseoir sur les tables. Nous étions peu nombreux, mais nous étions un groupe de jeunes passionnés par notre travail jusqu’à l’obsession ; il nous arrivait parfois de rentrer chez nous après les heures de travail réglementaires et se présenter quelques heures après volontairement au service, sans aucun accord préalable, pour porter assistance aux collègues chargés de la permanence, tout en participant, de temps à autre, en cas de nécessité, à diverses interventions nocturnes. En patrouille dans le quartier en dehors des heures de travail, nous empruntions rarement les grandes avenues comme l’avenue colonel Lotfi, ex rue de bouzareah ou l’avenue Mohamed Boubella, ex Avenue de la marne nous préférions plutôt les petites ruelles telles que rue Ramdane Ouramdane, ex-Rochambeau et rue Kadri

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Hussein, ex-Kerry et d’autres… Dans le but d’arrêter les malfaiteurs en flagrant délit. Nous étions un petit groupe, mais nous adorions notre travail, et nous étions heureux quand le citoyen remarquait que nous étions à sa disposition, surtout lorsque nous arrivions à l’improviste parmi les passants pour réprimer des agresseurs. Rien ne nous dissuadera de répandre la sécurité et la sûreté, et nous étions fiers de faire respecter la loi dans la rue. Les habitants appréciaient et respectaient notre travail. Les citoyens nous respectaient particulièrement lorsqu’ils constatent par eux même nos confrontations avec des jeunes sous l’emprise de drogue ou d’alcool, qui n’hésitaient pas à faire recours à la violence et aux armes blanches pour nous résister, il fallait d’abord les maîtriser pour pouvoir leur mettre les menottes. La plupart des habitants se rendaient compte que sans notre présence, les rues seraient devenues un véritable danger pour eux et pour leurs familles, et ils nous fournissaient des informations qui nous aidaient dans nos enquêtes. Même certains repris de justice essayaient de se lier « d’amitié » avec nous, ce que nous acceptions volontiers. Notre objectif de cette « amitié » était bien différent du leur de toute évidence. Oui, nous étions peu nombreux, et nos moyens étaient fort limités, mais nous avions fait tout ce qui était en notre pouvoir pour lutter contre le crime sous ses différentes formes, et le fait que nous appartenons tous à la même couche sociale et que nous avions tous grandi dans différents quartiers populaires de la capitale était notre point de force : on était comme des poissons dans l’eau, on se faufilait partout et on s’infiltrait facilement au sein de différents groupes de jeunes, combattant le crime sans relâche. On a appris par cœur rapidement tous les noms des rues et des ruelles de Bab El-Oued, les noms et les milieux d’activité de la plupart des criminels, qu’il s’agisse de vol de voitures et accessoires, de cambriolages, de vol à la tire, d’agression à l’arme blanche ou les noms des dealers… Nous 21

connaissions aussi les malades atteints de déficience mentale vivant dans notre secteur et tous les délinquants habituels qui passaient la plupart de leur temps chez nous pour une raison ou une autre, ceux qui étaient dangereux et ceux pacifiques, nous connaissions la plupart des familles de Bab El-Oued et les chefs des services des institutions administratives implantées dans notre secteur et presque tous les marchands et la plupart des vendeurs ambulants. Nous avions appris de nos prédécesseurs que dans notre profession toutes ces relations et ces informations étaient précieuses pour tout agent de police qui se respecte et bien sûr, nos supérieurs se faisaient un plaisir de recevoir toutes les informations qu’on pouvait leur apporter, de les documenter et de les classifier pour créer des références détaillées sur les personnes et les services à exploiter en cas de besoin. Alors que nous étions absorbés par notre combat contre le crime, le destin nous réservait bien des surprises et au-delà de notre perception, se cachait sous le voile de l’imprévisible un futur annonçant une succession de sombres tragédies toutes plus funestes les unes que les autres.

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Le choc En 1988, les prix du pétrole étaient au plus bas ; l’Algérie était confrontée à une crise économique étouffante suite à la baisse de ces prix. Les marchés et les magasins étatiques à l’époque, connus sous les appellations de Souk El Fellah et Galeries Algériennes, se vidaient de leurs marchandises à une vitesse ahurissante. Alors que l’été 1988 n’était pas encore arrivé, se procurer de la tomate en conserve relevait de l’exploit. Il était donc évident que les signes de l’explosion sociale étaient visibles et palpables de sorte que nos collègues des Renseignements Généraux signalent quotidiennement dans leurs rapports d’information cette situation et avertissaient de la survenue imminente d’événements dangereux qui risqueraient de mettre en danger la sécurité du pays. Même si les rumeurs disaient que les événements d’octobre 1988 avaient surpris le régime, ce n’était guère le cas à mon avis. Les dirigeants politiques étaient au courant de tout ce qui se passait et les rapports quotidiens décrivaient les conditions économiques très difficiles que subissait la population, sans parler de la rareté et même jusqu’à l’absence sur les étalages commerciaux des produits de première nécessité. La date de la grève générale nationale fixée pour le 5 octobre s’était répandue comme une traînée de poudre dans toutes les régions du pays, des grandes villes jusqu’au plus petit patelin, tout le monde attendait ce jour. Il n’est pas raisonnable de penser que les dirigeants politiques ignoraient ce qui se passait autour d’eux et d’oublier que les pays à régime socialiste étaient réputés pour avoir des services de renseignement qui contrôlaient le pays de très près et ne manquaient jamais de rapporter le moindre événement petit ou grand, tout rassemblement, réunion ou mouvement, et même les mariages et les fêtes organisés dans chaque quartier, chemin ou ruelle. 23

Par conséquent, de nombreuses autres rumeurs se sont répandues avant et après les événements et qui n’avaient aucun fondement, comme le fait qu’on nous avait désarmés avant les manifestations, que les policiers étaient retirés de la rue ou que des voitures circulaient dans les rues de la capitale en tirant des coups de feu en l’air. Les événements d’octobre n’ont donc pas surpris le régime, mais en réalité, ils nous ont surpris, nous en tant que policiers, en particulier ceux qui travaillaient dans les quartiers populaires. Ils nous ont surpris non seulement par le nombre de manifestants qui sont descendus dans la rue, mais surtout par la tournure des événements comme nous allons le voir. Le 5 octobre 1988 était un mercredi, mais les jeunes de Bab ElOued n’ont pas attendu cette date, des incidents ont éclaté chez nous l’après-midi du mardi 4 octobre, où la patrouille motorisée a informé la salle des opérations par radio, que certains jeunes du quartier de Oued Koriche « ex climat de France « ont mis le feu à des pneus pour bloquer la circulation. Le chef de la Sûreté de wilaya d’Alger, le regretté Hadj Sadok – paix à son âme – s’est rapidement rendu en personne au siège de la sûreté urbaine, précédé par une section de la police anti-émeute qu’il a instruite de s’y rendre et de rouvrir la voie publique, en insistant de ne recourir à la force qu’en cas d’extrême nécessité. Il a ordonné à certains d’entre nous, en tenue civile, de les accompagner. Nous sommes alors partis de la rue Basta Ali, ex Province notre première destination était le carrefour Triolet, en passant par l’avenue Colonel Lotfi, ex rue Bouzreah, pour accéder à Oued Koriche « Climat de France » par le bas en empruntant la rue Askri Ahcène, ex avenue Gi Vernaud, mais nous n’avons jamais pu l’atteindre, nous ne sommes même pas arrivés jusqu’à Triolet, car nous avons été piégés au bout de la rue de Bouzreah à environ 400 mètres du carrefour, là où la rue est étroite et confinée entre deux longues rangées d’immeubles. Vous ne croirez jamais tout ce qui nous a été lancé depuis les toits des immeubles et des balcons, des projectiles pleuvaient comme de la grêle sur nos têtes ; 24

et nous n’étions qu’un petit groupe confiné dans une voiture banalisée accompagnant deux fourgons de l’unité d’intervention. La voie devant nous fut rapidement entravée avec tout ce qu’on nous jetait dessus, nous avons alors essayé de faire demi-tour pour prendre un autre chemin, sauf que toutes nos tentatives se sont révélées vaines. Le temps pressait sans que nous ne puissions bouger, ne serait-ce d’un pas, le crépuscule ne tarda pas à arriver nous plongeant alors dans un noir absolu après que tout l’éclairage public fut détruit. La S.O. (Salle des Opérations) nous avait ordonné d’attendre sur place jusqu’à ce qu’une autre section arrive pour intervenir du côté de Triolet pour nous aider à sortir du piège ; nous nous sommes donc mis à l’abri à l’intérieur des bus avec la crainte de ne pas tenir le coup avec tous les projectiles qui se déversaient sur nous, et heureusement les collègues lançaient des bombes lacrymogènes de temps en temps, pour maintenir les manifestants à une distance respectable, autrement, on aurait figuré parmi les premières victimes des événements. Nous y sommes restés jusqu’à environ minuit. Quand le renfort est enfin arrivé et après un gros effort, il a réussi à briser le blocus et à nous sortir du piège dans lequel on était tombé. La S.O. nous a demandé de ne pas se rendre à Climat de France, étant donné que les événements s’étaient étendus à tout le quartier de Bab El-Oued et ses environs. On nous a ordonné de nous disperser à hauteur du Boulevard Saïd Touati, ex Bd de la champagne, près de l’hôpital Maillot, où notre mission pour le reste de la nuit était d’empêcher les jeunes des quartiers de Diar El-Kef et de Notre-dame d’Afrique de rejoindre le centre de Bab El-Oued. Les poursuites ont duré jusqu’à l’aube, les rues ont été alors soudainement désertées, nous sommes donc rentrés au siège à notre tour. Je suis entré dans l’un des bureaux pour m’effondrer sur l’une des tables et m’endormir profondément. Quand je me suis réveillé, le service grouillait de collègues ; la plupart faisaient partie des unités anti-émeutes alors que d’autres venaient de la Sûreté de Wilaya, nous avons appris que des événements similaires à ceux qui se sont produits chez nous, ont eu lieu également à Bachdjarrah et El Harrach. Au petit matin, des renforts 25

des unités d’intervention ont été placés dans les zones stratégiques de Bab El-Oued afin d’éviter que les événements de la veille ne se répètent. Bientôt, nous entamâmes des missions de patrouilles pédestres depuis notre siège jusqu’à la DGSN à l’est, à l’hôpital Maillot à l’ouest, au carrefour Triolet au sud et à la rue Commandant Mira, ex Malakove, au nord, même si cette zone géographique ne représente qu’une petite partie de la zone de Bab El-Oued, elle comprenait la plupart des établissements et des institutions de l’État de notre secteur d’activité, le siège de la Sûreté urbaine, le siège de la Municipalité, l’Imprimerie Officielle, l’hôpital, les Galeries Algériennes, le magasin de Souk El Fellah et un grand magasin de chaussures appartenant à l’État situé à la place des Trois Horloges. Tout semblait calme, mais il régnait une atmosphère électrique. Le calme qui précède la tempête. À midi, les escarmouches avec les manifestants ont recommencé et en très peu de temps le réseau de transmission se saturait, de dizaines de messages urgents qui rapportaient la sortie de plusieurs milliers de manifestants, mais cette fois-ci dans toute la capitale y compris notre secteur. Le nombre de manifestants augmentait à vue d’œil, les pillages, les incendies et les actes de vandalisme faisaient rage et commençaient rapidement à affecter toutes les propriétés de l’État. Il était clair que nous étions directement visés par les manifestants, nous avions essayé de résister au début. Nous avions l’habitude de suivre un protocole traditionnel mis en place spécifiquement pour être appliqué dans de telles circonstances et sur lequel nous nous sommes entraînés plusieurs fois. Dès que les actes de violences avaient commencé, les éléments des Renseignements Généraux photographiaient certains individus afin d’utiliser les photos plus tard si nécessaire, mais aussi pour nous aider, nous agents de la police judiciaire, sur le terrain, à identifier instantanément les meneurs et les personnes violentes ou agressives surtout parmi celles ayant des antécédents judiciaires ou qui étaient activement recherchées.

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Et dès que nous, avec nos collègues, identifions les personnes à arrêter, la police anti-émeute lançait des bombes lacrymogènes pour garder les manifestants à une distance respectable, affaiblir leur vision et les distraire, tandis qu’à chaque lancer de bombes, nous chargeons les manifestants et arrêtions certains d’entre eux en donnant la priorité aux personnes mentionnées précédemment pour les emmener au poste et poursuivre l’enquête avec elles. Mais peu à peu la balance commençait à être du côté des manifestants, car leur nombre était faramineux, ils affluaient de partout comme s’ils émergeaient du sol ! Toutes les équipes présentes sur le terrain demandent du renfort, et petit à petit la Salle des Opérations donnait des instructions aux unités qui nous apportent du soutien de quitter Bab El-Oued vers d’autres endroits de la capitale plus importants sur le plan stratégique, et naturellement, chaque fois qu’une unité ou une faction anti-émeute nous quittait, on se retirait, laissant plus d’espace aux manifestants. Nous observions ces vagues humaines déchaînées tout en réfléchissant à la façon dont on devait procéder pour sortir de ce bourbier. Des collègues pointent du doigt la salle de cinéma Marion située au début de la rue Ibrahim Gherrafa, ex Durando à environ six cents mètres de notre position. Et là nous avons aperçu un des collègues motards entre les mains d’un groupe de manifestants ; ils l’avaient plaqué au sol tout en le frappant de coups de pied après avoir mis le feu à la moto de service. L’officier de police a emmené trois d’entre nous du groupe d’intervention rapide et deux membres de la police anti-émeute et après avoir ordonné à chacun de nous d’apporter une matraque pendant que les deux autres éléments apportent en plus des deux matraques, deux fusils lance-grenades lacrymogènes, nous courions aussi vite que nous pouvions vers le collègue piégé. Nous savions que chaque seconde qu’il passait entre les mains – ou proprement dit les pieds – des manifestants, réduisait ses chances de rester en vie. À une distance d’environ cinquante mètres du groupe de manifestants, l’officier ordonna à deux éléments de s’arrêter et de tirer le maximum 27

de bombes lacrymogènes, pendant qu’il continuait à courir avec nous vers le motard. Dès notre arrivée, on a engagé une bataille féroce contre les manifestants, qui étaient, vraisemblablement, pour la plupart d’entre eux, sous influence de substances stupéfiantes, étant donné la férocité dont ils faisaient preuve pour nous résister alors qu’ils savent très bien qu’on ne se serait jamais retiré sans notre collègue. Heureusement, l’utilisation de grenades lacrymogènes les forçait à se retirer de quelques mètres. Cela nous a suffi pour prendre notre collègue et fuir vers le siège, tandis que deux éléments sont restés sur place pour un certain temps pour assurer notre couverture, toujours en lançant d’autres bombes lacrymogènes pendant qu’on battait la retraite. Ils nous ont finalement rejoints. Dieu soit loué, l’incident s’était terminé sans victime. L’enchaînement des événements m’avait empêché de me renseigner sur le nom du collègue et la raison de sa venue à ce moment-là à notre service. Nous sommes restés dans cet état jusqu’à l’après-midi où nous nous sommes rendu-compte que nous avions beaucoup reculé et que notre champ d’action ne dépassait plus les cinq-cents mètres de notre siège. Il ne restait plus qu’une seule section d’anti-émeute, ses membres se sont retirés avec nous, bien sûr, nous étions encerclés par des foules composées d’innombrables manifestants dont la plupart d’entre eux étaient des jeunes ; c’était la tranche sociale qui manifestait le plus d’hostilité envers nous. Des pierres, divers projectiles et des cocktails Molotov se déversaient sur nous en abondance. Je n’avais jamais vu cela auparavant. Beaucoup d’entre nous souffraient de blessures de diverses gravités, certains avaient perdu connaissance, d’autres saignaient en abondance, mais nous ne pouvions pas les transférer à l’hôpital, nous les faisions plutôt rentrer au siège pour les étendre à même le sol et revenir directement à la confrontation. C’est à ce moment, que le chef de la Sûreté urbaine « feu Commissaire Boubekeur Chaabane « a reçu un appel téléphonique d’un citoyen qui habite à la rue Mizon, pas 28

loin de l’usine de tabacs et l’informa qu’un groupe de jeunes tentait de mettre le feu à l’usine, ce qui serait l’équivalent à une véritable catastrophe. L’usine est entourée de centaines d’habitations et comme si cela n’était pas suffisant, la matière première dont le tabac, hautement inflammable, allait sûrement causer l’extension des flammes vers les habitations voisines. La fumée épaisse et toxique qui se dégagerait de la combustion aurait des répercussions graves sur la santé de beaucoup de personnes, dont le risque certain d’asphyxie, particulièrement les enfants et les personnes vulnérables atteintes d’insuffisance respiratoire. Le chef de la sûreté urbaine savait que nous n’étions pas en mesure d’intervenir étant donné la mauvaise posture dans laquelle on se trouvait déjà. Après vérification de l’identité de l’appelant et de l’information donnée par celui-ci, il s’était dirigé vers les cellules où se trouvaient ceux que nous avions arrêtés parmi les manifestants. Au moyen des notices de renseignements, il avait fait sortir tous les détenus habitant la rue Mizon et ses environs, il les avait rassemblés dans son bureau et leur avait divulgué les informations qui lui étaient parvenues et du grave danger que couraient les habitants de leur quartier, il leur avait clairement souligné qu’ils étaient le seul espoir surtout pour les femmes et les enfants, c’est-à-dire leurs mères, leurs frères et sœurs. Il leur avait dit qu’il était prêt à les libérer immédiatement à condition de se rendre directement à l’usine et rassembler le plus grand nombre possible de jeunes des quartiers voisins et de monter la garde autour de la fabrique jour et nuit jusqu’à ce que les choses se calment. Les jeunes se sont montrés très motivés pour cette mission ; le commissaire leur a donné son numéro de téléphone et leur a demandé de l’appeler de temps à autre pour l’informer de la situation, et ils ont été libérés ; il a également rappelé le citoyen qui l’a informé de ce qui va se passer tout en lui demandant de suivre de près les événements et de ne pas hésiter à le rappeler en cas de besoin.

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Des heures après, il nous est devenu de plus en plus clair que nous ne pourrons jamais arriver à affronter ces vagues humaines, les choses allaient de mal en pis ; car après avoir pris le contrôle de toutes les institutions de l’État, il ne leur restait plus que notre siège, et ils redoublaient maintenant d’effort pour en prendre le contrôle. Nous étions environ cent-cinquante agents faisant face à des milliers de jeunes. On connaissait très bien le sort funeste qui nous attendait si jamais par malheur, on tombait entre leurs mains, la distance qui nous séparait d’eux ne dépassait plus les deux cents mètres, et pour les garder à cette distance, nous étions obligés de lancer des bombes lacrymogènes et d’effectuer de courtes poursuites. Notre rayon d’action s’est dangereusement rétréci, et les manifestants avançaient à la même vitesse avec laquelle on reculait, la menace de mort qui planait sur nous s’était davantage accentuée. Lorsque le commandant de l’unité d’intervention nous a fait savoir que le stock de grenades lacrymogènes était sur le point de s’épuiser et que lorsqu’il avait contacté la Salle des Opérations pour en demander davantage, on lui a répondu que toutes les rues menant à notre siège étaient sous le contrôle des manifestants, qu’il n’y avait aucun moyen de nous joindre pour nous évacuer vers un endroit sûr. Toutes les unités étaient encerclées, nous n’avions pas d’autre solution que de résister et gagner du temps jusqu’à nouvel ordre, la situation semblait désespérée, des dizaines de milliers de manifestants, dont beaucoup étaient des repris de justice nous cernent. Ils menaçaient ouvertement de nous faire la peau, et on avait toutes les raisons de les croire avec ce qu’on savait grâce à notre réseau de transmission concernant ce qu’avaient subi certains de nos collègues dans d’autres quartiers populaires, tels que Bachdjarrah, la Montagne, Boubsila, etc. Bien que nous possédions nos armes individuelles, nous n’avions jamais envisagé de les utiliser pour des raisons d’éthique professionnelle, malgré l’état de panique dans lequel on était, surtout après avoir complètement épuisé notre stock de grenades lacrymogènes.

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Par conséquent, nous nous sommes tous retirés à l’intérieur du siège qui pouvait à peine nous contenir. Nos blessés gisaient dans la salle de réception, et une vingtaine de détenus étaient toujours à l’intérieur des cellules, les manifestants venaient maintenant d’encercler notre siège et commençaient à appeler certains d’entre nous exerçant à la Police Judiciaire (PJ) par leurs noms et exigeaient que nous les leur remettions autrement ils nous brûleraient vifs tous à l’intérieur. Tout ce que nous pouvions faire, c’était de réitérer les appels de secours à la S.O., qui à chaque fois nous recommandait de patienter encore. Lorsque certains chefs des unités d’intervention s’étaient portés volontaires pour venir nous sortir de ce piège, la S.O. le leur avait strictement interdit en raison de l’impossibilité de nous atteindre et que toute tentative de le faire en ces conditions engendrerait des pertes humaines très lourdes des deux côtés. Le responsable de la S.O. avait demandé à tout le monde de se calmer et œuvrer à gagner plus de temps en attendant que les conditions nécessaires à notre évacuation soient réunies et nous laisser à notre sort était totalement hors de question ; tout ce que nous avions à faire pour le moment, outre nous défendre, était de préparer les documents, les dossiers sensibles et les sceaux de l’État pour les emporter avec nous lors de notre imminente évacuation. Quels beaux discours quand ce n’était pas votre tête qui était mise à prix ! Mais nous n’avions pas vraiment d’autres choix et c’était ça l’amère réalité. Il fallait la prendre telle qu’elle est, risquée et incertaine. Le chef de la sûreté urbaine, le feu commissaire de police Boubekeur Chaabane est sorti du siège et a essayé de raisonner les manifestants en leur demandant de nous laisser la voie libre pour nous retirer vers la corniche en direction de la rue Malakoff et le siège serait à eux, mais la seule réponse qu’il reçut fut une grêle de pierres et divers projectiles, alors il s’est rapidement retranché à l’intérieur en fermant la porte derrière lui. 31

Les manifestants étaient devant notre porte, ils avaient même essayé de la briser. Malheureusement, l’arrière du siège avait un mur en briques de verre Nevada, et certains manifestants avaient apparemment réussi à en briser un certain nombre malgré leur épaisseur et à travers lesquels ils ont commencé à lancer des projectiles enflammés. L’affolement, notre principal ennemi, commençait à s’insinuer dans nos rangs. Certains d’entre nous criaient qu’on ne saurait tarder à être brûlés vifs à l’intérieur des locaux. Les suggestions sur la manière dont on doit s’y prendre pour sortir vivants de cette situation divergeaient. L’un d’entre nous suggérait à ce que nous formions avec nos corps une seule et grande masse solide et indissociable pour forcer notre chemin par la porte de devant, nous éparpiller ensuite dans la rue et survivra qui pourra. Paix à l’âme de celui qui mourra. Quelqu’un lui rétorqua aussitôt : – « Où est alors l’esprit de solidarité entre nous ? » Un autre dit : « Pourquoi nous ne tirons pas des balles en l’air, pour disperser les manifestants et nous permettre de nous retirer ? » J’ai répondu que peu importe la manière utilisée pour sortir du siège. Se disperser et faire « le chacun pour soi » va faire de nous des proies faciles pour les manifestants dans les ruelles étroites de Bab El-Oued. Nous avions commencé à parler à voix haute et tous ensemble en même temps, c’est là que le chef de la Sûreté urbaine avait crié de toutes ses forces : – « Écoutez-moi ! Silence tout le monde ! Vous êtes des hommes ! Nom de Dieu ! Et surtout des policiers ! » Il nous a rappelé que c’est à lui et à lui seul de donner les ordres. Il nous avait ordonné de commencer par éteindre instantanément tout projectile enflammé lancé par les manifestants à l’intérieur, et il avait instruit cinq d’entre nous, y compris moi-même, de sortir par-derrière la paroi vitrée et de rester à l’extérieur, et que cinq autres membres de l’unité de maintien de l’ordre nous accompagnent avec des fusils de lance-grenades à gaz lacrymogènes même vides. Il nous a expliqué que seul un petit nombre de manifestants se tenait derrière le mur et qu’ils fuiront sûrement dès qu’ils nous verraient, le reste devait se diviser en deux groupes : un groupe derrière 32

la porte, et l’autre devait se tenir derrière nous, sur le côté de la paroi en verre, pour intervenir en cas de besoin. Nous avons agrandi le trou que les manifestants avaient fait dans la paroi de verre, en utilisant différents outils qui se trouvaient à notre portée, et ainsi, nous sommes sortis dans la rue un par un où nous avions trouvé une soixantaine de jeunes qui se sont retirés dès que nous nous sommes tenus sur le trottoir et d’autres collègues se sont portés volontaires et sont sortis avec nous, pendant que nous cinq gardions les manifestants à distance respectable en tenant chacun un bâton en bois à la main. Cependant, nous faisions attention de ne pas nous éloigner de plus de vingt mètres de la Sûreté Urbaine, nous revenons rapidement sur le trottoir pour que la route du retour ne nous soit pas barrée, alors que les manifestants faisaient tout pour revenir devant le trou qu’ils avaient creusé dans la paroi en verre. Certains d’entre eux n’hésitent pas à sortir des armes blanches, couteaux et épées et engager des affrontements avec nous, sans parler de l’énorme quantité de pierres et divers projectiles qui nous arrivaient dessus, mais nous sommes arrivés péniblement à les repousser, car nous étions pleinement conscients que leur retour devant ce trou signifiait une mort tragique pour nous et pour tous nos collègues. Ainsi, nous avions pu sécuriser l’arrière du siège, mais nous savions que nous ne pouvions pas tenir longtemps, seule la miséricorde du bon Dieu avait fait que le chef S.U. nous a informés en criant une deuxième fois le talkie-walkie à la main, qu’une unité d’intervention est arrivée au front de mer à l’intersection de la rue Malakoff et la rue Dijon à environ trois cents mètres de la S.U. ; soudain, tout le monde s’est tu, et nous entendîmes par radio le chef d’unité d’intervention confirmer qu’ils étaient actuellement stationnés au point mentionné, mais qu’ils n’avaient pas l’intention d’avancer vers nous, car ils ne pouvaient pas affronter les manifestants sans subir d’énormes pertes et dégâts. Par conséquent, lui et ses éléments, au bout de cinq minutes environ, allaient commencer à lancer des bombes lacrymogènes ; ce 33

qui allait nous ouvrir un couloir à partir du siège jusqu’au point de stationnement. Nous avons d’abord ouvert les portes des cellules et demandé aux détenus de sortir après notre départ. Le chef a affecté deux éléments à chacun des blessés pour les aider à marcher. Il nous a également distribué des documents qui devaient être emportés, en conservant pour lui les sceaux d’État. Dès que le chef d’unité a donné le signal par radio, nous avons ouvert la porte de devant et sommes sortis. Effectivement, les tirs avec les bombes lacrymogènes ont forcé les manifestants à se retirer sur une distance permettant notre retraite. J’ai été consterné par toute la fumée qui émanait des véhicules garés devant notre siège, ils furent tous incendiés par les manifestants, non seulement ceux appartenant à la Sûreté nationale, mais d’autres voitures également, dont celle du commissaire, chef de la sûreté urbaine et une autre appartenant à un de nos collègues qui était en fin de carrière ; d’autres véhicules appartenaient à des citoyens qui les avaient garés devant notre siège estimant que ce serait un endroit plus sûr, mais c’était le dernier de nos soucis. On partit rapidement, selon le plan, vers le point de rencontre, empruntant un passage hypothétique tracé par d’épais nuages de gaz lacrymogène, la visibilité au milieu de ce dernier avoisinait le zéro, nous courions avec nos blessés et les documents qui nous ont été remis au milieu de ce nuage de gaz irrespirable qui nous paraissait miraculeusement comme une brise d’air fraîche et pure, nous avancions au milieu des flammes, qui par je ne sais quelle bénédiction nous n’avaient pas atteint, nous n’aurions jamais cru que nous en sortirons vivants, et malgré la courte distance entre la S.U. et le point de rencontre, celle-ci m’avait semblé interminable comme si je venais de courir le premier marathon de ma vie, nous sommes finalement arrivés à la rue Malakoff où nous avions trouvé nos collègues qui nous attendaient. Je ne sais pas pourquoi j’ai ressenti une impression de sécurité quand j’ai vu les vagues de la mer devant moi, comme si 34

le son qu’elles émanent en s’écrasant sur la plage m’avait chuchoté à l’oreille que tout irait bien et qu’on n’avait plus rien à craindre. Je me suis retourné et j’ai vu que les manifestants avaient refermé le couloir par lequel on s’était échappé, mais aucun d’entre eux n’a tenté de nous suivre. Ils étaient occupés à fêter l’acquisition de notre siège, nous avons donc marché derrière les deux fourgons de l’unité qui venaient de nous faire évacuer ; l’opération de sauvetage avait réussi, nos collègues ont pu sécuriser un passage et couvrir notre retraite, mais nous marchions silencieusement, traînant la patte, ressentant une profonde déception et un goût amer de défaite, nous étions tristes, car certaines choses sont liées à l’honneur du policier, comme la sécurité de ses collègues, sa propre arme, sa tenue de travail et son siège. Mais même si nous étions tristes, nous étions surtout reconnaissants au bon Dieu qui nous a sortis sains et saufs de cette fournaise. Nous voulions tous que ce jour maudit soit terminé le plus vite possible, peu importe comment, on voulait juste qu’il se termine. La route menant au siège de la DGSN était complètement vide, nous y sommes parvenus en peu de temps ; de nombreux collègues s’étaient rassemblés autour de nous pour nous consoler et s’assurer que nous allions bien. Le crépuscule s’étendait sur tout l’horizon donnant à la mer une teinte orange qui s’assombrissait au fur et à mesure que la nuit tombait. Après être entrés à l’intérieur, nous avons été dirigés vers une grande salle située au sous-sol où nous avions pu nous laver et nous reposer sur des chaises en bois, et c’est là où je me suis rendu compte que je n’avais pas mangé depuis plus de vingtquatre heures et que pendant cette période, je n’avais pas dormi plus de trois heures. Je ne m’étais pas assis depuis près de vingt heures. Le soir, nous allions dîner à la cantine et on nous avait demandé d’attendre dans le hall, car le directeur général en personne allait nous recevoir. Nous avions attendu longtemps et entre temps beaucoup d’entre nous avaient succombé à un profond sommeil, l’un assis sur une chaise, 35

l’autre allongé sur une table pendant que quelques-uns s’étaient contentés de dormir par terre jusqu’à ce qu’un des officiers nous réveille. Il était une heure du matin lorsque nous avons alors été dirigés vers un étage supérieur et conduits dans une salle luxueuse où j’ai souhaité pouvoir dormir sur l’un des fauteuils confortable se trouvant dans cette pièce, mais j’ai été vite tiré de ce fantasme par une vive voix nous demandant de nous tenir au garde-à-vous. Le DGSN est apparu. Il m’avait clairement paru beaucoup plus fatigué que nous, il nous avait serré la main, l’un après l’autre, et à chaque fois avant qu’il serrait la main de l’un d’entre nous, celui-ci le saluait militairement et se présentait formellement, c’est-à-dire qu’il énonçait son nom, son grade, son numéro d’immatriculation et le service auquel il appartenait ; puis il avait fait un court discours dans lequel il avait salué le sens de responsabilité et de professionnalisme dont nous avions fait preuve, et il nous avait assurés qu’il a suivi personnellement et en direct par radio, l’opération de notre évacuation, et il nous avait exhortés à persévérer et à continuer de travailler avec excellence. Il nous avait surtout remerciés de ne pas avoir utilisé nos armes à feu alors que nous étions en danger de mort, tout en ajoutant que l’Algérie n’avait rien à craindre tant qu’elle possède parmi sa population des jeunes comme nous prêts à se sacrifier pour elle, et toute sortes de phrases d’encouragement que vous, Chers Lecteurs, pouvez aisément deviner. Il avait clôturé son discours en nous rappelant la nécessité de continuer à faire plus d’efforts dans l’accomplissement de notre devoir et que ce n’était pas toujours facile, il nous avait assuré que le calme reviendrait bientôt dans le pays et que l’État n’allait sûrement pas tolérer encore plus de chaos, et que la force reste a la loi. À la fin, le DGSN quitta la salle après que l’ordre de se mettre au garde-à-vous nous eût été donné.

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Nous avons passé cette nuit au siège de la direction. Vers trois heures du matin, nos jambes arrivaient à peine à nous porter, après cela, je ne sais pas si j’étais dans un état de sommeil ou d’évanouissement ou de quoi que ce soit d’autre. Tout ce que je sais, c’est lorsque, ayant ouvert les yeux à neuf heures du matin, nous avions reçu comme instruction de ne pas nous éloigner du siège de la DGSN jusqu’à nouvel ordre. Je me suis rendu avec un collègue au café Le Brésil situé juste à côté, et ne me demandez pas pourquoi ils l’appellent comme ça. J’ai tout de suite constaté que tout le siège de la DGSN était entouré d’un grand nombre d’agents anti-émeute, mais cette fois-ci, ce n’était pas des policiers, mais des éléments de la gendarmerie nationale. Ils portaient tous de nouveaux uniformes anti-émeute, chacun d’eux avait son propre casque de protection et un bâton en bois accroché de manière particulière sous le genou et il y avait au milieu une voiture blindée arborant le drapeau national, un décor qui inspirait confiance et professionnalisme. C’était le matin du 6 octobre. À onze heures tapantes du matin, nous avons été transférés à bord des bus des unités d’intervention au siège de la Sûreté de Daïra de Bab El-Oued (S.D. Bab El-Oued), qui était implantée à l’époque à Saint-Eugène juste au-dessus du siège de la Sûreté urbaine. La route était sûre, car on longeait la voie maritime et parce que les manifestants ne se réveillent généralement pas avant midi. À notre arrivée, des collègues nous avaient dit que leur secteur était relativement calme par rapport à ce qui s’était passé dans différentes régions du pays, mais il semble que notre arrivée là-bas avait provoqué les jeunes du quartier, qui s’étaient rapidement rassemblés autour du siège. Et en un rien de temps, on s’était remis à jouer au « chat et la souris » avec les manifestants, même s’il n’y avait aucune comparaison entre la veille à Bab El-Oued et aujourd’hui à SaintEugène. Ce quartier est connu pour être habité par la classe moyenne et la plupart de ses habitations sont composées de petites villas coloniales. Le défunt chef de la S.D., Kanat Amar, appelé par les 37

policiers, Ammi Amar était avec nous constamment. Le chef S.W. lui avait ordonné par radio d’être vigilant afin que ce qui s’était passé à Bab El-Oued ne se répète pas aujourd’hui. Je me souviens qu’il lui avait répondu avec une totale confiance, qu’il avait pris toutes les précautions, notamment en s’approvisionnant d’une quantité suffisante de bombes lacrymogènes, ainsi que le transfert des éléments de la S.U. de Bab El-Oued – il parlait de nous – pour donner un coup de main, et que la reproduction du scénario de Bab El-Oued était impossible. Effectivement, on avait pu canaliser les manifestants, cette fois-ci sans que la situation nous échappe ; nous avons également appelé nos collègues de la Salle des Opérations pour nous informer de la manufacture de tabacs de notre secteur, à savoir Bab El-Oued ; ils nous avaient dit que selon les sources qu’on avait sur place, les jeunes du quartier avaient formé une chaîne autour de la fabrique empêchant quiconque de s’en approcher, la protégeant ainsi des manifestants. Durant toute notre présence à la Sûreté de Daïra, nous dormions sur les tables des bureaux dudit siège, tandis que nos collègues des Unités républicaines étaient hébergés dans une école primaire située juste en face du siège. On leur achemine quotidiennement les vivres (repas froids ou ce qu’on appelle des rations de guerre). Quant à nous, éléments de la sûreté de wilaya, personne n’avait pensé à notre ravitaillement quotidien. Les éléments des unités sont habitués depuis longtemps à ce type de mission et ont leurs propres services d’intendance ; mais ils partageaient, avec plaisir et par solidarité avec nous toutes leurs rations alimentaires, les crises renforcent la cohésion ; les habitants résidant à proximité du siège, nous envoyaient ce qu’ils pouvaient comme approvisionnement et nourriture. Ironie du sort, quand j’y repense, les manifestants qui nous lançaient des pierres et sur qui nous lancions des bombes lacrymogènes durant la journée, nous nourrissaient le soir. Comme tous les Algériens, nous suivions de près les événements pénibles que traversait notre pays, et beaucoup de quartiers populaires étaient 38

quasiment dépourvus de forces de police, le simple fait d’y penser était effrayant. Le deuxième jour, dans la soirée, le chef a remis à trois de mes collègues et à moi-même les clefs d’une voiture banalisée et une liste nominative contenant les adresses de tous les boulangers de SaintEugène. Nos supérieurs, nous ont ordonné d’aller chez ces artisans pour les aviser de la distribution de la farine dès le lendemain matin, comme d’habitude, et qu’ils doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour la réceptionner et reprendre leur activité habituelle. Nous étions tous les quatre de la Sûreté urbaine de Bab El-Oued afin que personne ne puisse nous reconnaître. Il était presque quatre heures du matin à notre retour au siège, et en effet la plupart des boulangeries de Saint-Eugène ont rouvert le lendemain matin. Nous avons commencé à effectuer des patrouilles pédestres en compagnie de nos collègues du secteur ; notre mission était de surveiller le cours des événements et de transmettre en temps réel des rapports sur la situation sécuritaire à la Salle des Opérations. À peine deux jours après, on nous avait réunis pour nous annoncer que nous devions immédiatement regagner notre siège à Bab El-Oued. En ce petit matin avant l’aube, deux sections des unités d’intervention avaient été envoyées sur place et étaient stationnées devant la S.U. La situation était relativement calme et par conséquent, il était temps de rejoindre le siège et donner un coup de main à nos collègues. Après tout, la protection des citoyens restait notre devoir sacré. Franchement, nous n’étions pas contents d’entendre cela. Nous n’étions pas préparés à retourner si vite à Bab El-Oued, et nous aurions préféré attendre un peu, le temps de nous en remettre, mais les ordres sont les ordres. Une heure après nous nous sommes retrouvés devant notre siège ou plutôt ce qui en restait, les manifestants avaient tout brûlé et saccagé, le siège et ce qu’il contenait, ils ont même démoli les minces cloisons de séparation, et bien sûr, nous ne pouvions pas l’utiliser en raison de l’énorme 39

quantité de gravats et de débris qui s’y trouvaient. La première chose qui nous était venue à l’esprit était de nous informer sur le sort de la famille qui vivait à l’étage d’en dessus, on nous avait tout de suite rassurés du fait qu’ils étaient chez des proches depuis le début des événements. Nous étions vraiment choqués par ce sinistre décor, car nous considérions notre siège comme notre deuxième maison, ou plutôt notre première maison, vu que nous y passions plus d’heures que dans nos foyers. Personnellement, j’ai été consterné par les dégâts énormes qu’a subit notre siège et en voyant ce panorama sordide, il m’est venu à l’esprit l’effroyable pensée que quelques minutes avant cette catastrophe s’étendant sous mes yeux, nous étions à l’intérieur de ces bureaux, et s’ils avaient pu pénétrer dans notre siège pendant que nous y étions ? J’ai préféré ne pas y penser. Mais nous n’avons pas eu le temps de contempler ou de philosopher, et par un heureux hasard les grands travaux en cours pour achever le nouveau siège pour la Sûreté de Daïra étaient presque achevés. Le nouveau siège était implanté juste en face, à quelques mètres seulement. Malgré la présence de tas de matériaux de construction, nous avons pu aménager le rez-de-chaussée tant bien que mal avec quelques fournitures de bureau et une machine à écrire. Le chef de la Sûreté urbaine nous a dit qu’il fallait occuper le lieu quel que soit l’état de celui-ci, et marquer notre présence sur le terrain, et cela, en attendant que les services de la municipalité réhabilitent l’ancien siège dont les travaux sont presque achevés. La scène avait un brin de comique. Certains d’entre nous – « Al houkouma » (le Gouvernement, l’État), comme on nous appelait – étaient assis sur des briques et d’autres sur des caisses en bois vides, mais nous avions commencé quand même à travailler. La première chose que nous avons faite a été d’ouvrir le registre de la main courante et d’y enregistrer un résumé des événements survenus le 4 et le 5 octobre 1988, la tragédie que nous avions vécue ;

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nous avions enregistré la perte de tous les fichiers et documents, à l’exception de ceux que nous avions emportés avec nous. Nous avions dressé aussi la liste nominative de tous les collègues travaillant ce jour-là et une liste nominative de tous les blessés ; toutes les pertes matérielles subies par notre siège furent également enregistrées. Les citoyens commencèrent à revenir à nos locaux, comme si de rien n’était et les patrouilles reprirent dans notre secteur dont la plupart étaient pédestres, nous évitons les voitures de service, sauf en cas d’extrême nécessité. Bien sûr, toutes les Institutions de l’État furent brûlées, pillées et vandalisées. Outre notre siège, il y avait le siège de la municipalité, la grande surface, appelée à l’époque Souk El Fellah située à Bazita et une autre au Boulevard de Flandres, sans oublier les Galeries Algériennes situées a la rue Bouzareah. Nous avions aussi eu vent des violations de domicile dont ont été victimes certains cadres de l’État. Des carcasses de voitures et de bus brûlés jonchaient les rues par dizaines sauf que les services communaux appuyés par les services de la Wilaya travaillaient jour et nuit pour faire disparaître toute trace des incendies et de vandalisme, de la restauration des locaux endommagés, le badigeonnage, le nettoyage et la plantation de quelques fleurs et arbustes. Les travaux ont été faits d’arrache-pied et exécutés rapidement. Nous avons pu réinvestir notre ancien siège en attendant que tous les travaux soient achevés au nouveau siège qui deviendra par la suite le siège de la première Sûreté urbaine et de la Sûreté de Daïra de Bab El-Oued. Juste après cette explosion sociale, un autre phénomène d’un autre genre se fit sentir : une vague de grèves quotidiennes qui ne s’arrêtaient pas, et qui touchaient tous les secteurs. Des réunions de différentes élites suivies par la signature de déclarations à buts multiples et de diverses provenances, furent toutes publiées en plein jour, nous n’avions jamais vu ça auparavant. La grève qui avait marqué les esprits de tous ceux qui travaillaient à l’époque à la police judiciaire, est sans doute la grève des 41

éboueurs, qui après avoir duré plusieurs jours, causa l’accumulation des déchets à Alger. La hiérarchie a livré à chaque groupe de trois agents de police un camion de nettoyage et trois prisonniers dont les peines étaient en voie d’expiration. Ces moyens furent tous affectés entre les différents districts où deux prisonniers collectaient les ordures sous la garde d’un policier, tandis que le troisième conduisait le camion et la situation était restée telle jusqu’à la cessation de la grève. Les activités de certains partis politiques et des mouvements associatifs et professionnels commencèrent à apparaître au grand jour, étudiants, avocats, médecins, journalistes, communistes, islamistes, libéraux, mouvements régionaux et ethniques, etc., chacun d’entre eux avait sa propre activité : des rassemblements, des sit-in et des marches non autorisées que nous empêcherons vu l’état de siège. Certains religieux connus se réunissaient dans différentes mosquées de la capitale et faisaient des déclarations pour calmer la situation pour certains et la rendre plus compliquée pour d’autres. Ils demandaient aussi aux autorités de prendre les mesures nécessaires pour calmer les esprits et de procéder à de profondes réformes, mais la situation entraînait rarement des affrontements avec les forces de l’ordre. Les événements ont commencé à s’accélérer, et même à se bousculer, dirais-je. Mais permettez-moi avant cela de mentionner l’enchaînement des événements depuis le 4 octobre, où, comme je l’ai dit plus haut, des événements ont éclaté le soir à Bab El-Oued et dans d’autres communes de la capitale, comme El Harrach, Bachdjarrah, etc. Le 5 octobre, toute la capitale était à feu et à sang en raison d’actes de pillage, de vandalisme et d’incendies qui ont endommagé les biens de l’État et tout ce qui le représentait. Et si nous considérons qu’à cette époque l’Algérie était socialiste, c’est-à-dire que toutes les institutions économiques, industrielles et autres étaient forcément étatiques, nous comprenons inévitablement l’ampleur de la destruction qui a frappé le pays, surtout après que la plus grande partie des forces de police ait été neutralisée. En 42

brûlant et en sabotant notre siège, et même en nous ciblant dans nos propres vies, notamment par les repris de justice. Il était devenu évident que les forces de l’ordre n’étaient pas en mesure de faire face à une explosion sociale de telle ampleur. Nous étions capables d’affronter professionnellement toute nouvelle réalité sécuritaire à condition qu’elle soit limitée dans le temps et le lieu ; quant à un événement d’une telle ampleur de violence et d’expansion de la zone géographique, ni nos capacités matérielles et humaines, ni notre formation à l’époque ne nous auraient permis d’en faire face. Un état de siège a été instauré à partir du 6 octobre 1988 avec l’imposition d’un couvre-feu de dix heures du soir à cinq heures du matin. Le matin du 7 octobre, on découvrait pour la première fois dans notre vie la présence de chars dans les carrefours les plus importants et à proximité des édifices publics pour préserver ce qui en restait, faire en sorte qu’ils soient restaurés et rouverts. Je pense que le rôle de l’armée se limitait à l’époque à cela ; il n’y avait pas eu d’action commune entre nous, à notre niveau au moins, et l’intensité de la violence s’est atténuée à un degré très significatif depuis que l’armée a investi la rue.

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Les prémices de la sédition À partir du 8 octobre, la nouvelle commençait à se propager annonçant qu’une grande marche allait se dérouler le 10 octobre à partir de la mosquée « Kaboul » de Belouizdad (ex Belcourt) vers Bab El-Oued. Cet itinéraire, à lui seul, causait inévitablement un cassetête à nos chefs, car il devait certainement mobiliser des dizaines de milliers de participants des quartiers populaires, vu que le point de départ est exactement au centre de la capitale à peu près à la même distance de tous les autres quartiers populaires : Diar Essaada, Diar El-Mahçoul, El Harrach, Hussein Dey, sans oublier qu’il se déversait à Bab El-Oued, considéré comme le doyen des quartiers populaires. C’est comme si ce chemin fut choisi pour un but précis. Des tracts ont commencé à apparaître dans toutes les mosquées de la capitale appelant à la marche et exhortant la jeunesse « musulmane » à y participer en force, même si cette marche n’avait pas obtenu l’approbation tacite d’aucun des Oulémas connus, tels que les cheikhs Sahnouni, Soltani, Nahnah, Bouslimani et autres. Au contraire, ils ont tous mis en garde contre les conséquences de l’incitation des jeunes à cette marche, en soulignant que la situation sociale était en état d’ébullition et le pays n’avait pas encore retrouvé son calme ; ils avaient évoqué l’avertissement de l’armée qui, depuis la proclamation de l’état d’urgence, avait publié une déclaration confirmant qu’elle ferait tout ce qui est en son pouvoir pour préserver la sécurité du pays et du peuple. Elle avait exhorté les citoyens à s’abstenir de répondre à tout appel de rassemblement pouvant être utilisé à des fins d’atteinte à l’ordre public. Toutes les personnalités nationales et religieuses s’étaient opposées à la marche, à l’exception d’une seule personne, la première à avoir appelé à cette manifestation. Au lieu

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d’écouter les conseils des oulémas, cette personne avait insisté sur sa position radicale mue par le mauvais orgueil et l’arrogance, elle avait refusé de revenir sur sa décision. Le but était clair, les événements qui s’étaient produits dans le pays ne portaient pas son empreinte, ou du moins celle-ci n’apparaissait pas de la manière qu’elle attendait, alors elle voulait corriger le tir. Cette personnalité s’était positionnée en boutefeu, en prenant la décision de « surfer » sur la vague, comme on dit, afin de se faire un nom sur la scène politique, quel qu’en soit le prix. Le 9 octobre, à partir de la mosquée Al-Sunna de Bab El-Oued, cette personne prononça un prêche enflammé, très violent, poussant les fidèles aussi loin que possible dans la haine. Elle sortit une balle de sa poche et la montra aux fidèles, disant qu’une telle balle a été tirée sur leurs « frères » par « l’ennemi » et appelait à la vengeance. Un prêche suintant la haine pour le jour fatidique. Mais c’était aussi un avertissement pour nous, en tant qu’hommes de loi, sur le sort qui nous attendait d’elle et de ses partisans. Elle n’avait pas hésité à nous menacer ouvertement et sans aucun ménagement et de nous tenir pour responsables pour tout ce qui s’était passé et ce qui pourrait se passer. Nous étions aux portes de la mosquée, suivant la situation de près. Nous n’avions jamais entendu autant de menaces et d’insultes, au point que notre chef de groupe avait demandé à la Salle des Opérations l’autorisation d’arrêter cette personne parce qu’elle avait dépassé toutes les lignes rouges sans aucune considération au lieu sacré qu’était la mosquée, mais la Salle des Opérations avait refusé cela et nous avait même averti de n’entreprendre aucune action ou intervention sans un ordre du Commandement et qu’il n’y avait pas de place pour des affrontements que désirait cette personne. Nous sommes restés là en nous limitant à observer la situation et transmettre les faits à la S.O. dans ce lieu sacré, où normalement, on n’a pas à exhiber des balles, encore moins à proférer des insultes et menaces. Bien que nous n’étions toujours pas sortis de l’état de choc en raison des événements du 5 octobre, nous n’avions bénéficié encore 46

d’aucun repos depuis cette date, nous étions fatiguées et démoralisés, mais, malgré cela, dans la nuit du 9 au 10 octobre et comme d’habitude avant tout événement important nous étions réunis au siège de la S.U., pour affecter et désigner les groupes, et établir le plan de travail du lendemain fixé par le commandement pour sécuriser la marche, bien qu’elle n’était pas autorisée. Le 10 octobre, des milliers de jeunes prirent le départ à partir de la mosquée « Kaboul » de Belouizdad (ex Belcourt) vers Bab El-Oued sans aucune objection des forces de sécurité qui, non seulement, ne répondaient pas aux provocations des manifestants, mais sécurisent la foule jusqu’à la Mosquée Al-Sunna, supposé le point de chute de la marche. Nous avons été répartis en petits groupes en tenue civile ; chaque groupe était commandé par un encadreur. Nous avions eu pour instruction de nous rassembler autour du chef de groupe en cas de fait saillant. Ce dernier nous avait ordonné de nous fondre au cœur de la marche et de n’intervenir que sur ses ordres. Nous avions pris position devant le siège de la Direction Générale de la Sûreté Nationale pendant de longues heures, attendant le début de la marche, mais juste quand celle-ci débutait, nous avons été surpris lorsque les collègues nous ont annoncé par radio que la personne qui avait invité les jeunes à la marche n’y participerait pas. Même la salle des opérations avait demandé aux collègues présents sur place de bien recouper l’information qui avait été bien confirmée. Personnellement, c’était le premier point d’interrogation que j’avais soulevé sur les intentions et les objectifs de cette personne, mais diable comment peut-elle appeler à une marche dont elle-même était absente ? Même si nous supposons qu’elle était soudainement revenue au droit chemin, la raison ne dit pas qu’elle devait appeler tout bonnement à l’annulation pure et simple de la marche ? Ou bien était-elle soucieuse de se protéger, sans aucun souci pour la vie des autres ? Nous avons continué à suivre le déroulement de la marche alors qu’elle se passait très lentement dans les rues de la capitale jusqu’à ce qu’elle atteigne la place des Martyrs, où elle était arrivée dans notre secteur. Nous avions donc rejoint la foule comme on 47

nous l’avait demandé, pour nous infiltrer parmi les manifestants. Nous avons marché vers la mosquée Al-Sunna, en passant à proximité du siège de la Direction générale de la sûreté nationale, la marche était silencieuse, et bien sûr, il y avait un grand nombre d’éléments de la sécurité qui cernaient le siège. Tout le monde avait commencé à pousser un soupir de soulagement quand la marche touchait presque à sa fin, car nous étions seulement à une courte distance de cette mosquée, mais à peine la foule arrivée devant le siège de la DGSN, une main criminelle a ouvert le feu sur les forces de sécurité stationnées devant le siège. Il était naturel dans ce cas que cela soit suivi d’un échange de tirs, car tout le monde était dans un état très tendu en raison de la fatigue, de la pression et de la méfiance. Eu égard à ce qui venait de se passer le 5 octobre, et qui n’était pas encore loin, et malgré la surprise, nous nous étions rapidement rassemblés autour du chef de groupe qui nous avait ordonné de sortir les blessés et de suivre l’évolution des événements en essayant d’identifier le tireur, de l’arrêter et d’être très vigilants. L’échange de tirs n’avait duré que deux ou trois minutes environ ; toutes les rues de Bab El-Oued s’étaient vidées de citoyens ; à part la présence des éléments des différents corps de sécurité. Nous avions donc transporté les blessés vers les ambulances. La salle des opérations avait donné des ordres aux différents groupes présents sur place de cadrer toute la zone et de passer au peigne fin tout le secteur. Quant à notre groupe, il lui avait été ordonné d’encercler le siège de la DGSN par crainte de toute tentative d’attaque ; nous y étions restés jusqu’à une heure tardive de la nuit avant de rejoindre notre siège. Malheureusement, un nombre de jeunes avaient été victimes de cet incident, il y avait eu des morts et des blessés. À mon avis, cet incident n’était qu’une tentative d’envahissement du siège de la DGSN dans le but de ressusciter les émeutes qui ne se sont pas encore définitivement calmées. Ce drame pouvait être évité si la personne mentionnée précédemment n’avait pas voulu se bâtir une réputation et une gloire en utilisant le sang des Algériens. Cette personne, ayant appelé à une marche, avait fait tout ce qu’elle pouvait pour mobiliser 48

les jeunes pour y participer, alors qu’elle-même s’était absentée en se cachant chez elle. Après cela, que restait-il comme arguments pour situer la responsabilité des victimes de la marche du 10 octobre ? Et permettezmoi de dire que je suis un policier et que tout au long de ma vie, je continuerai à penser avec la mentalité du policier. La suspicion est l’une des constantes de notre pensée, donc personne ne pourra me convaincre que l’absence de cette personne de ladite marche était un pur hasard et que ce qui s’était passé devant la Direction Générale de la Sûreté Nationale n’était pas quelque chose de prémédité et préparé à l’avance. À mon avis, cet individu était le premier et le dernier responsable du sang qui avait coulé ce jour-là. Cette marche était le premier pas des autres mille et un pas que cette personne – que je me suis interdit d’en prononcer à jamais le nom – va entreprendre pour l’effusion de sang, le sang des Algériens, le sang des fils des martyrs et des moudjahidines. Je le dis et c’est peu dire de sa responsabilité dans les événements du 10 octobre 1988 et dans tous les autres nombreux événements les plus sanglants dont notre pays sera témoin plus tard. Par ailleurs, tous les oulémas de la nation, l’avaient boycotté pour cette raison, ils l’avaient accusé d’imprudence et de légèreté pour le sang versé des Algériens. Ces oulémas lui avaient signifié explicitement « vous êtes en train de suivre le chemin des voyous et des hors-la-loi. » Abdelmalek Ramdani avait dit à l’époque à son sujet : « Sa méthode est très haineuse, sa pensée offensante et très sanglante. Quand je lui parlais en aparté, il acquiesça ; dès qu’il se confinait avec son groupe, il allumait sa troupe et disait d’autres mots. Notre souci maintenant est de savoir comment l’empêcher d’appeler à la confrontation et à l’effusion de sang. Nous lui avions dit à plusieurs reprises d’arrêter cela. Cesser de semer la sédition, et il nous répondait : « Oui, ce n’est pas bien », mais dès qu’il prenait la parole, il oubliait sa promesse ». Cheikh El-Hachemi Sahnouni l’avait tacitement accusé de mentir et de tricher parce qu’il avait appelé à une marche dans de telles circonstances où toutes les indications indiquaient que cela mènerait à l’effusion du sang, et par-dessus tout lui-même 49

s’absente de cette marche à la dernière minutes, un vrai désastre, mais très peu de gens comprirent le message de cet individu : il était loin d’être naïf et très sûr de ses intentions, car il voulait avant tout faire comprendre au Pouvoir que lui et ses partisans étaient prêts à l’affrontement. Ils n’hésitaient pas à faire couler le sang des Algériens rien que pour accéder au pouvoir sous forme de Califat, monarchie, république, peu importe. Les événements qui suivirent prouvent que son message avait été bien reçu par le pouvoir central qui, depuis, reculait jour après jour, et refusait l’affrontement. Même quand ils eurent dépassé, lui et ses militants, toutes les lignes rouges, en commettant les crimes les plus odieux contre la patrie et les citoyens. Ils semèrent les premières graines de la discorde et de la sédition dans le pays, et malheureusement le sang des Algériens avait coulé et allait encore couler pour arriver à ce damné pouvoir. Ce personnage sanguinaire dont je n’avais pas trouvé dans les replis de l’histoire musulmane un nom lui s’appliquant mieux que le nom de Nafi Ibn El-Azraq (mort en 685), qui avait dirigé le groupe des Kharidjites devenu par la suite Groupe des Azraqites du nom du fondateur El Azraq. Les historiens décrièrent le personnage de Nafi ibn Al-Azraq ainsi que son groupe les Azraqites : l’un des groupes Kharidjites les plus célèbres fondé par Nafi Ibn AlAzraq, opérait entre Bassora et Ahwaz. Ils étaient caractérisés par l’extrémisme et la violence ; et ils étaient apparus vers la seconde moitié du premier siècle de l’hégire. Ce personnage est connu également pour être un têtu n’acceptant aucune logique autre que la sienne. C’était l’unique philosophie des Kharidjites et la base de leur illusion. Lui et ses adeptes étaient convaincus que tous les musulmans étaient des infidèles, toute la Oumma était dans la mécréance à l’exception du chef Nafi Ibn El-Azraq et ses disciples partageant sa doctrine ; tous ceux qui ne le ralliaient pas étaient qualifiés d’infidèles. La personnalité de Nafi Ibn El-Azraq a joué un rôle primordial pour attirer plus de disciples, car celui-ci se distinguait par ses multiples talents, lui permettant ainsi de diriger le groupe des Kharidjites les plus féroces et les plus sanguinaires de toute l’histoire de l’Islam. Outre ses 50

talents oratoires exceptionnels qui lui ont permis d’avoir une forte influence sur ses compagnons en faisant de lui un grand leader des dirigeants Kharidjites. Le groupe s’était propagé en amalgamant les péchés mineurs avec ceux majeurs, la mise à mort de tous les musulmans qui rejettent leur doctrine, de tuer leurs enfants et de violer leurs femmes car pour eux ces derniers étaient de toute façon condamnés à rôtir éternellement en enfer avec leurs progénitures, sans oublier l’expiation pour ceux qui ne pratiquaient pas le djihad avec eux. Il aura fallu dix-neuf ans de guerre pour venir à bout de cette secte. Le destin a voulu que mon pays soit frappé, des siècles après, par la malédiction d’avoir affaire à la réincarnation d’un tel personnage, et par malheur nous étions appelés à le confronter, à subir son mal et son poison et à payer un lourd tribut pour venir à bout, à notre tour, de son venin.

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Misère et poison Malgré cet incident du 10 octobre, notre « Ibn Al-Azraq » à nous, était comme son prédécesseur, un brillant orateur, ce qui lui permettait de peaufiner son image de marque en exploitant les circonstances les plus diverses comme la faiblesse de l’État et la misérable condition sociale du peuple en général et de la jeunesse en particulier à l’époque. De plus, certaines personnes avaient vu en lui un moyen facile et rapide pour arriver au pouvoir, profitant ainsi de son ambition démesurée, sa soif irrésistible du pouvoir et de son niveau intellectuel très limité. Ils avaient tout fait pour couvrir les lacunes et les faiblesses de sa personnalité, car en fait, tout ce qu’il savait faire c’était lancer des anathèmes à partir des chaires des mosquées. Malheureusement, il impressionnait les jeunes, leur plaisait et les enthousiasmait, il pouvait donc les manier facilement, les faire sortir dans la rue quand il le voulait et les faire rentrer chez eux quand il le voulait. Des jours, des semaines et des mois s’étaient écoulés depuis la maudite marche, les conditions de notre travail deviennent de plus en plus difficiles, nous surveillons et suivons les grèves, les marches, les sit-in et toutes autres activités sociales, politiques et culturelles qui se déroulaient dans notre circonscription ; activités qui ne s’arrêtaient jamais. Ajoutez à cela notre travail quotidien au sein d’un quartier populaire avec ses multiples problèmes. Nous travaillions dans une atmosphère d’épuisement extrême et nous étions brisés psychologiquement, agressés, comme nous l’étions, dans nos corps et dans nos âmes par les manifestants. À l’époque, il n’y avait pas d’assistance psychologique, comme c’est le cas aujourd’hui. Nous étions traumatisés. On se demandait alors qui avait fait comprendre à ces jeunes que le passage à la démocratie 53

nécessite obligatoirement de passer sur nos corps ? Ne faisons-nous pas partie de ce peuple ? On ne se réjouissait pas quand il était heureux et on ne pleurait pas quand il était triste ? Ne faisons-nous pas tout ce qui était en notre pouvoir pour veiller à sa sécurité et à la sécurité de ses biens ? N’habitions-nous pas, tous, les quartiers les plus populaires du pays ? Oui, nous étions des agents de l’État et nous le sommes toujours et fiers de l’être ou de l’avoir été, mais dans tous les cas, c’était l’État du peuple algérien avec ses points positifs et négatifs, et d’ailleurs, il n’y a pas que la police qui est au service de l’état ; tous les fonctionnaires et agents étaient des commis de l’État comme nous. Tous les fonctionnaires qui percevaient leurs traitements de l’État sont considérés comme agents de l’État. Tout ce beau monde qui participait à la mise en œuvre de la politique de l’État, chacun dans son domaine de compétence, mais nous étions les seuls à subir la colère des manifestants ? Pourquoi quand il y avait des insuffisances dans la politique de l’enseignement, on blâmait à juste titre le gouvernement et on excusait les professeurs ? On comprenait les médecins et les fellahs même quand ça allait très mal dans les secteurs de la santé et de l’agriculture, sauf nous, personne ne cherchait à nous trouver des excuses ou nous comprendre, personne ne parlait de nos conditions de travail et du manque de moyens, personne ne pouvait donner une réponse satisfaisante à toutes nos questions. Nous avions donc noyé nos inquiétudes, nos peines, nos problèmes et nos chagrins dans le travail, nous travaillions à un rythme infernal et il n’y avait aucune considération pour les horaires légaux de travail (et pour ceux qui ne le savent pas encore nous faisons partie de la fonction publique comme les autres fonctionnaires des collectivités locales) et à ce titre-là, on était soumis au statut général de la fonction publique comme le reste des fonctionnaires des autres secteurs de l’État, mais sans la faveur de bénéficier d’aucune compensation financière pour les heures supplémentaires que l’État et le devoir nous obligent à effectuer, vu que notre statut particulier ne stipulait pas de nous payer une compensation financière en contrepartie des heures supplémentaires que nous faisions, mais plutôt l’obtention de jours de repos compensatoire, ce qui était impossible à mettre en application par 54

l’administration, compte tenu de notre nombre insuffisant par rapport à l’énorme charge de travail qui nous était imposée mais aussi son degré d’urgence et de sensibilité. La vérité est que si la Direction générale voulait vraiment nous compenser avec de l’argent elle aurait fait de nous les richards de notre époque et si elle voulait nous compenser avec des jours de repos elle se serait retrouvée dans l’obligation de quadrupler nos effectifs ou à nous renvoyer à la retraite précocement (à la quarantaine au plus tard). Nous travaillions et travaillions encore et encore aussi longtemps qu’il y avait du travail à faire, et sans poser de questions supplémentaires ; la même situation est toujours d’actualité jusqu’à aujourd’hui. Nous n’attendions notre salut que de Dieu le Tout-puissant. Il faut aussi dire que peu de temps après les événements d’octobre, l’intensité du contrôle de nos actions par le parquet avait beaucoup augmenté. Le procureur de la république avait commencé à effectuer des visites périodiques et inopinées à notre siège (ce qui n’avait jamais eu lieu auparavant) avec la priorité de contrôler la situation des détenus : le motif de l’arrestation, la durée, les circonstances, le bulletin de geôle, l’identité, le grade du signataire du bulletin de geôle, etc. Il suivait de très près aussi les différentes procédures judiciaires en particulier les Procès-verbaux d’audition des détenus et s’assurer que le détenu soit informé de tous ses droits légaux, en commençant par l’informer de son arrestation, son droit de consulter le médecin, de passer un appel téléphonique et autres droits légaux introduits dans les nouveaux codes pénal et de procédure pénale. Malgré le fait que certains détenus aimaient abuser de certains droits légaux, en particulier ceux liés à la visite chez le médecin, malgré un effectif réduit et la charge des servitudes, nous étions tenus à permettre aux détenus de jouir de tous leurs droits d’une manière rigoureuse, car, contrairement à ce qui se disait à l’époque, nous étions les premiers à accueillir à bras ouverts tous les changements juridiques qui avaient permis d’améliorer de plus en plus le concept des droits de l’homme dans notre travail. Nous n’avions jamais essayé un jour de faire obstacle au changement comme certains nous accusaient à tort, et 55

nous avions prouvé à tout le monde que nous sommes des Agents de l’État se conformant aux lois de la République. Nous avions mis en œuvre sa politique avec dévouement et sincérité, ni plus, ni moins. La vie politique et sociale était dans un état de renouvellement total, un renouveau qui avait eu un impact très profond sur la société et l’État, mais aussi sur nous en tant que Corps de sécurité. La création de partis politiques avait bel et bien commencé, leur nombre allait bientôt frôler le ridicule. Certains partis avaient pu lors de leur création, constituer un événement éclatant, notamment les partis religieux, ethniques ou à tendance régionale. Ce sont ces partis que la presse et les divers médias privilégient et se précipitent pour publier les nouvelles de leur création à la Une et leur réserver les gros titres. Ce sont ces partis-là que les gens suivaient et voyaient en eux le salut. C’était au milieu de tout ça que les feux des projecteurs se braquent sur « Belazreg » comme membre-fondateur d’un parti islamique le 18 février 1989. Ce parti que Belazreg et certains de ses complices allaient instrumentaliser pour en faire le cercueil de l’Algérie. Si ce n’était la bonté de Dieu et la détermination des hommes et des femmes, ce mouvement n’aurait pas attendu son approbation pour révéler sa philosophie à savoir qu’il n’était pas seulement un parti de l’opposition (chose normale), mais aussi un moyen diabolique pour mettre fin à la continuité de l’État algérien, avec toutes ses institutions, systèmes et lois. Le moins que je puisse dire à propos de ce parti, c’est que, depuis sa création, il occupe la majeure partie de notre temps de travail. Ce parti allait bientôt causer la mort, les blessures, l’orphelinat, le veuvage et le déplacement de dizaines de milliers de personnes pour s’accaparer le fauteuil du pouvoir, sans même se soucier si son autorité ne s’étendait pas au-delà du quartier dans lequel il réside. Depuis cette création malheureuse, notre vie, petit à petit, devenait un enfer.

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Avec le temps, on avait le sentiment qu’on devait choisir entre la mort et la mort, la mort professionnelle et celle spirituelle. Nous avions choisi la vie, même si le prix était la mort, que nous mourrons, mais que vive la patrie ; que nous mourrons, mais que vive la profession. Chaque fois qu’ils insistaient pour allumer le feu de la sédition et l’attiser, notre résolution renforçait notre détermination à l’éteindre, même si c’est avec nos derniers souffles de vie. Leur philosophie était de terroriser, rien que terroriser, tandis que notre philosophie était de défendre l’héritage légué par nos martyrs quel que soit le prix. Oui, il y avait bien parmi les membres fondateurs de ce parti, beaucoup de noms dont personne ne pouvait mettre en doute leur foi, leur patriotisme, leur nationalisme et leur loyauté envers l’Algérie. Mais ils n’ont jamais imaginé que Belazreg et ses complices les entraîneront dans des actions qui iraient au-delà de l’imaginaire. Ces braves se sont retrouvés sur la touche dès la fin de la frénésie de la déclaration fondatrice et reconduits par la force des choses au rôle de simples figurants, sans plus. Ils constatèrent avec amertume qu’il n’y avait que Belazreg et son président qui décidaient et qui relâchent les déclarations publiques : le premier pour enthousiasmer les jeunes et les pousser à des confrontations interminables avec les forces de l’ordre afin de maintenir une pression permanente sur l’État ; et le second, en usant de la ruse et de la tromperie de Muawiya qui planifiait la politique du parti en s’efforçant de trouver les chemins les plus courts menant au pouvoir, en brûlant les étapes. Pour cela, la fin justifiait les moyens. Son secret : il était le seul à pouvoir maîtriser Belazreg afin qu’il lui aplanisse la route vers le palais présidentiel. Quant aux autres membres, on ne leur voyait aucune trace, à l’exception de quelquesuns qui s’étaient publiquement révoltés contre notre Muawiya et Belazreg. Mais commençons d’abord par le début et nous reviendrons sur cette question plus tard. D’abord, ce parti, comme on l’avait souvent dit à 57

l’époque, était « né avec des moustaches » (né avec une cuillère en argent dans la bouche) ; des signes de grande richesse y sont apparus dès le début et il était clair que d’énormes sommes d’argent étaient octroyées par certains pays. Le parti possédait dès ses débuts un immense bâtiment au cœur de la capitale comme siège rue Ferhat Boussaad (ex Meissonier). Il avait également collecté d’énormes fonds qui allaient apparaître par la suite lorsque le parti financera l’organisation (transport, hébergement, restauration, intendance, matériel et autre) des interminables marches, meetings, sit-in et autres où participaient des centaines de milliers de ses partisans. D’ailleurs, Muawiya effectua plusieurs voyages à l’étranger juste après la création du parti et il était le seul des chefs de partis de l’époque à recevoir une invitation au pèlerinage à la Mecque et l’avoir acceptée. Je doute fort que l’invitation ne concernait seulement le pèlerinage. La philosophie du parti était aussi simple que diabolique. « La fin justifie les moyens » c’était le seul slogan qui a prévalu pendant des années, le but était la convoitise du pouvoir. Pour y arriver, les moyens étaient les mensonges, la fraude, la contrefaçon, l’intimidation, le meurtre et la mutilation des cadavres, même si au début leurs poings de fer étaient enveloppés dans des gants de velours, sous forme de bonne parole divine qui vous promet le paradis si vous êtes de leur côté. Dans le cas contraire ou si vous vous tenez sur leur chemin, vous serez jetés dans le feu de l’Enfer pour y demeurer éternellement, même si vous prônez la neutralité, vous êtes bons pour le feu de l’Enfer quand même. Ils avaient exploité avec art et habileté la condition misérable des larges couches de la société (Quiconque désespère de ce monde investit dans l’au-delà.). L’un d’eux avait demandé à Muawiya « Comment voulezvous réformer la société pendant que vous avez dans votre parti tant de criminels et de contrebandiers ». Sa réponse était : « Il s’agit de quantité et non de qualité, car toutes les voix se ressembleront le jour du scrutin. Le parti n’a pas été fondé sur des convictions religieuses telles qu’elles lui ont été attribuées, mais sur des avant-postes de colère, de traumas et de désespoir ». Personnellement, je n’avais pas compris comment ces gens appelaient à la réforme d’un côté et au désordre de l’autre. Ils diffusaient 58

des idées insensées. Leur parti était le premier parti en Algérie à exploiter la théorie du mensonge ; plus grand est, plus facile à le faire passer. Les responsables de ce parti disaient par exemple « lorsqu’ils gouverneront, le propriétaire d’une villa sera tenu de cohabiter avec d’autres familles sous son toit » juste pour que les personnes non logées votent pour eux. « Le patron d’une usine dans laquelle il fait travailler une vingtaine d’ouvriers pour deux cents dinars chacun, on lui fera embaucher vingt de plus à cent dinars chacun et tous les chômeurs du pays vont adhérer au parti ». Malgré un système structurel très efficace, il faut le dire, ce parti restait aussi le seul parti à l’époque qui n’avait jamais organisé son assemblée constitutive jusqu’à sa dissolution. Au sein du parti ont vu le jour les commissions de l’information, de l’organisation, de la coordination, des quartiers et des mosquées et autres, mais bizarrement jamais d’assemblée constitutive. C’était, bien sûr, pour ne pas permettre aux autres cadres du parti d’émerger et de freiner l’ardeur de Belazreg et de Muawiya. D’ailleurs, cheikh Sahnouni, membre fondateur de ce parti, dira justement à ce sujet : - « il y avait vraiment urgence à organiser une assemblée regroupant les membres-fondateurs devant déterminer et limiter les prérogatives de chaque responsable du parti en général et celle du porte-parole en particulier ». Le cheikh dira aussi que l’idée de l’assemblée constitutive, et même l’ordre du jour ont fait l’objet d’un consensus du conseil de la Choura qui a décidé d’aborder la question dans le cadre de l’établissement du règlement intérieur du Parti devant définir clairement les missions et les prérogatives de tous les membres du bureau exécutif et de son chef (entendu Muawiya et Belazreg) mais peut-être que c’est pour cette raison particulière que cette assemblée n’a jamais vu le jour. Cheikh Sahnouni confirmait que chaque fois que la question était soulevée pour discussion, il y avait ceux qui intervenaient pour la reporter, et cela, en poussant le débat dans des labyrinthes sans fin. Le cheikh admettait ce qui était encore plus grave, en confirmant que leur parti avait participé aux élections parlementaires sans même

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préparer un programme. Il disait : – « nous avons agi en réponse à des événements d’urgence plus que de suivre un plan préétabli et clair. » Et ce que le cheikh ne savait pas, ou savait et ne voulait pas admettre, c’est que cette politique était préméditée et destinée à ce que Muawiya et Belazreg puissent étendre leurs pouvoirs sur tout le parti. Pour Muawiya, tout était clair dès le départ, la prise du pouvoir quel que soit le prix. Sa monture était bien sûr Belazreg et quelques-uns de ses adeptes, donc il fallait marginaliser tous les autres membres du Conseil et les mettre au congélateur et faire en sorte que tout tourne autour de sa personne et celle de Belazreg. Les autres membres on avait fait appel à eux uniquement pour des faits mineurs et sans importance, des simples figurants, et ils n’étaient là que pour donner au parti la dimension nationale et religieuse. C’était ça l’attitude de ces gens envers les membres fondateurs du parti, alors qu’en était-il des opposants politiques des autres partis ? Parce que beaucoup de partis démocrates à l’époque pensaient que ce parti, malgré son caractère religieux, accepterait le principe du pouvoir par alternance. Je ne sais pas si c’était par naïveté ou par calcul politique. Pourtant, Belazreg et Muawiya n’avaient jamais cherché à dissimuler leur jeu ; n’est ce pas Muawiya qui avait dit « si vous faites tomber le pouvoir alors, prenez-le tous seuls », et il avait dit : « Nous avons convenu avec les autorités à ce qu’elles nous remettent le pouvoir d’une manière démocratique ». Même son serviteur Belazreg avait écrit un article avec un titre sensationnel : L’ultime raison pour abolir la démocratie. La même personne avait dit lors d’une autre occasion « je n’avais trouvé le mot démocratie nulle part, ni dans les dictionnaires de la langue arabe, ni dans le Coran, ni dans la Sunna ». Elle avait également dit « nous rejetons la démocratie parce qu’elle prend l’avis de la majorité, ce qui n’est pas du tout notre approche ». Pourtant, Dieu sait que c’était l’absence de la démocratie au sein de son parti qui le mènerait à la dérive et à la dissolution, comme on le verra par la suite, car s’il y avait démocratie en son sein, le parti n’aurait jamais pris la décision de la désobéissance civile et maints drames 60

auraient été épargnés à notre pays. L’histoire en jugera, et l’histoire notera que cela n’a pas empêché ces gens de se présenter plus tard aux élections et d’espérer prendre le pouvoir par voie démocratique. Sur ces principes-là, un parti a été formé, un parti qui allait vite enthousiasmer et éblouir l’esprit de beaucoup d’Algériens de bonne foi. Je n’en doute pas, mais malheureusement, les jours allaient leur démontrer qu’ils étaient pris en otage par un gang qui les avait poussés, eux et leurs enfants, à alimenter une sédition mortelle qui dévorera tout sur son passage dans un pays dont nous connaissons tous le prix qui a été payé pour le récupérer des mains du colonisateur. Une bande d’adorateurs du diable, qui avaient plus tard pu jouer avec l’esprit de certains jeunes et les convaincre que s’ils explosent une bombe au milieu des passants, ils dîneront avec le Saint Prophète. S’ils coupent le cou d’une fillette habillée d’une jupe et qu’ils se font tuer, ils passeraient leur nuit au paradis dans les bras des houris (les vierges du paradis). C’est ainsi que nos journées passaient avec de tels énergumènes, des gens convaincues par les chefs de gangs qu’ils étaient au-dessus de ce qui est permis et de ce qui interdit, car ils étaient des moudjahidines ; ils étaient persuadés qu’il était permis aux moudjahidines de faire ce qui n’était pas permis aux autres, car ils étaient au-dessus de la loi, supérieurs aux concepts sociaux hérités. Par la force des choses, ils devaient être contre toutes les coutumes et traditions sociales héritées, mœurs, manières de s’habiller, dialecte, transactions etc. Bref, bienvenue aux nouveaux Kharidjite et aux Hashashines du XXe siècle. Bien que tous les jours de la semaine étaient très chargés pour nous, le vendredi restait, depuis la création du parti, une journée de travail acharné, une journée qui demandait des efforts surhumains, particulièrement dans les quartiers de Bab El-Oued et Kouba, où Belazreg avait pris l’habitude de présider la prière du vendredi (en alternance avec la mosquée Al-sunna à Bab El-Oued et la mosquée

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Al-taqwa de Kouba), bien qu’il n’avait jamais été un imam. Il avait accaparé de force le poste pour les deux mosquées. Avec lui, la prière du vendredi commençait à midi et ne se terminait qu’à l’approche de la prière de l’Asr juste en fin d’après-midi. Les grandes foules devaient être exploitées à des fins de propagande par ce parti de malheur ; quand je dis la prière du vendredi, cela n’avait rien à voir avec la prière, car elle n’en portait que le nom et le lieu. Ce qui était censé être un prêche, était de la propagande rien que de la propagande pour le parti, ainsi que des acclamations et des incitations. Rien n’était dit dans leurs prières sur les transactions en islam, le culte, le caractère sacré du travail, la morale ou l’honnêteté. Quant à la pauvre Algérie, il était interdit d’en parler dans ces mosquées. Quand je dis que les vendredis ressemblaient au jour du jugement dernier, je sais de quoi je parle. Les foules composées d’adorateurs étaient rassemblées depuis très tôt le matin, occupant toutes les places adjacentes à la mosquée AlSunna. Les routes et les rues qui y mènent étaient fermées à partir de l’avenue Colonel Lotfi jusqu’à celle de Askri Ahcène (rue de bouzareah et l’avenue Gl Vernaud,), en passant par toutes les ruelles mitoyennes à cette mosquée, tel que la rue Christophe Colomb et la rue Mizon. Nous avions essayé de leur faire comprendre qu’il fallait laisser au moins un petit passage pour les voitures, notamment pour les pompiers et les ambulances, mais nous avions vite compris que nous n’avions aucune autorité sur ces gens ; il était évident qu’ils étaient programmés pour nous affronter et rien d’autre. Dans nos rangs, on se préparait très sérieusement pour les vendredis, l’absentéisme étant interdit, quel qu’en soit le motif. Nous occupions les placettes, les grandes artères, les rues et les ruelles dès le petit matin, soutenus par nos collègues des unités d’intervention positionnés dans des endroits précis et pas très éloignés, ils étaient bien équipés pour l’intervention. Bien que nous accomplissions nos tâches en civil, Belazreg et ses compagnons nous connaissaient parfaitement, ils savaient que nous

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étions présents et ils languissent pour nous défier et à nous faire entendre de respectueux mots. Nous nous étions vite retrouvés à l’approche des élections municipales, et la plupart des partis avaient annoncé leur participation, à l’exception du parti de la sédition. Le parti de la fitna, qui n’avait pas fait connaître sa position tout de suite, car un vif débat faisait rage entre ses cadres, ceux qui l’interdisent selon la Charia et ceux qui le permettaient, (hallal et haram), jusqu’à ce que Belazreg résolve le problème lui-même et revienne à l’histoire du prophète biblique Youssouf (Joseph). Il publie une fatwa autorisant la participation du parti aux élections. Bien sûr, Muawiya avait béni cette fatwa, et tout le monde s’était mis au « travail » avec la « bénédiction de Dieu ». Le douze juin 1990, les élections municipales eurent lieu, et sans aucune surprise, le parti de la fitna avait pu avoir la majorité, c’était normal, le seul souci du peuple était de voter contre le parti au pouvoir. Une élection vengeresse comme on l’a baptisée, mais pas seulement, il n’y avait pas non plus de partis sur le terrain qui croyaient en la capacité de leurs militants à travailler sur le terrain et à rivaliser avec les Soldats de Dieu. Dès que le parti de la fitna avait pris le contrôle de la plupart des municipalités de la République, il commença à semer la division parmi les Algériens, et avait même montré ouvertement le visage de la sédition. C’est ainsi qu’en se réveillant le matin, on constatait qu’ils avaient accroché aux sièges des communes des pancartes sur lesquelles étaient écrits des slogans déclarant enfin la “conversion” de ces communes à l’Islam. Depuis qu’elles s’étaient affiliées au parti de Muawiya et de Belazreg, et même « grâce à eux », presque toutes les wilayas avaient également joui de cette grâce, en attendant que Dieu guide, grâce à eux, le reste des municipalités et wilayas infidèles et athées. Les slogans en grosses

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lettres sur le fronton des préfectures et des municipalités récitaient : – « Commune Islamique de Bab el-Oued », « Commune Islamique de Bologhine », « Wilaya Islamique d’Alger », « Wilaya islamique de Tipaza, etc. Personnellement, j’attendais une réponse rapide et forte de l’État, je ne pouvais imaginer qu’il accepterait cette farce, une telle chose ne s’était jamais produite en Algérie, c’est une affaire très dangereuse ayant provoqué la réaction d’autres partis politiques, qui y avaient vu un indicateur de la fragmentation et de la dispersion de la société et de son entrée dans de fausses luttes dans lesquelles il n’avait rien à gagner, et si jamais certaines municipalités ou même wilayas avaient osé accrocher sur leurs frontons les slogans : « Wilaya… Chrétienne, juive ou même athée ? » Belazreg et son partenaire, leur auraient-ils déclaré la guerre ? Mais il paraît, comme disait l’autre, que le président de la République de l’époque croyait pouvoir coexister avec ces gens-là, et que peut-être un jour, il aurait même partagé le pouvoir avec eux.

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Avancer en arrière Et la farce continuait dans mon pays, et il ne fallut que quelques jours pour que chaque hôpital de la république se voit planter devant sa porte une grande plaque en métal sur laquelle était écrit le verset Coranique : « Et si je tombe malade, c’est Lui qui me guérira. » Je ne comprenais pas ce que signifiait tout cela : ne croyait-on pas que Dieu était à l’origine de toute guérison ? Si, par Dieu, mais seulement nous croyons aussi que Dieu nous recommandait de nous soigner de notre mieux et de prier Dieu pour la guérison. Les gens attendaient que vous amélioriez la situation des hôpitaux et changiez leur mode de fonctionnement, non fabriquer, à partir du Livre Sacré, des slogans et des banderoles attachés comme si on vous disait : « Il n’y a pas besoin d’aller à l’hôpital, le guérisseur c’est Dieu ». Et la noyade continue dans le bourbier de la sédition et de l’ignorance. Après les municipalités et les wilayas islamiques, le parti de la fitna avait commencé à créer des syndicats islamiques et des marchés islamiques, d’où la direction du Parti avait organisé un rassemblement à Bologhine pour appeler tous les travailleurs « musulmans » à lier l’action politique au syndicat. À l’issue de cette rencontre, plusieurs associations furent créées. À travers les discours prononcés devant les participants, des instructions étaient données pour veiller au niveau de toutes les institutions pour qu’aucun « musulman » n’adhère aux autres syndicats, à l’exception du syndicat musulman, car celui-ci tire sa légitimité du Coran et de la Sunna et des hommes sincères qui œuvrent à la renaissance de cette religion. Il y avait beaucoup d’autres projets qui n’avaient pas vu le jour. Leur but était de boucler la boucle et d’établir une république parallèle afin que le pays ait des institutions à deux faces, l’une dédiée aux pieux croyants et l’autre aux hérétiques infidèles. Et sans 65

la miséricorde de votre Seigneur, vous auriez vu dans l’Algérie des martyrs deux frères, dont l’un étudiant à l’Université musulmane et l’autre à l’Université des infidèles, deux frères, l’un appartient à l’union des travailleurs musulmans et l’autre à l’union hindoue, et bien sûr deux sœurs, l’une d’elles appartenant à l’union des femmes musulmanes honorables et pieuses et respectueuses et l’autre à l’union des femmes [… ] je préfère m’arrêter là. Bien entendu, tout ce qui était apparu sur le terrain n’était pas un hasard, mais le parti de la fitna, depuis sa création, s’est mis à créer des comités à travers lesquels il menait ses affaires, sous la houlette d’un cadre du parti, y compris le comité de planification et de programmation, qui avait travaillé dès le début pour mettre en place des institutions fonctionnant en parallèle des institutions étatiques existantes. Le processus était facile, ils s’étaient contentés d’ajouter le mot « islamique » et le problème était réglé, une police islamique, un syndicat islamique, un marché islamique, et même des organisations de masse et professionnelles islamiques, etc. C’était justement le comité de planification et de programmation qui fut chargé de la mission de faire main basse sur les mosquées de la République, du moins ce qui en restait. Un plan avait été élaboré à cet effet, ils commencèrent par les mosquées et les moussalas (salles de prière) situées dans les bas-fonds des quartiers populaires isolés comme Oued Ouchayah et Boubsila, puis ils avancèrent petit à petit au centre de la ville ; ils commençaient d’abord par envahir, la mosquée ciblée, par des centaines de leurs militants lors de chaque prière puis ils ordonnent à l’Imam officiel de céder sa place à l’un d’entre eux tout en le laissant officiellement titulaire du poste, sans le priver de son salaire. À ce moment, la mosquée passe sous leur contrôle, ils assument surtout la tâche de prononcer des sermons et des leçons, qui, bien sûr, tombent dans la catégorie de la propagande pour le parti de la fitna. La première chose qu’ils accomplissent, c’était de choisir un jeune imam sachant psalmodier le Coran d’une voix qui faisait trembler le cœur des croyants et des non-croyants. Dans les quartiers, les jeunes s’y rendent. La grande majorité veut écouter la voix mélodieuse même sans

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comprendre les versets ; les gens oubliaient que le musulman allait à la mosquée pour prier Dieu, pas pour assister à une cérémonie artistique. Même les sourates récitées à haute voix étaient soigneusement choisies. Dans le cas où l’imam officiel refuserait de leur céder la mosquée, alors là, ils transformeront sa vie en enfer. Ils entament, avec excès, son admonestation publiquement en lui donnant des soit disant conseils, et peu importe comment le pauvre essaie d’y faire face, ils trouvent toujours quelque chose pour le réprimander, comme, par exemple, de ne pas prier court si c’est prolongé ou ne pas prier avec dignité si ce n’est pas prolongé. Pour cela, ils ne se souciaient pas du chaos qu’ils pouvaient créer dans les mosquées, et même du fait que certains d’entre eux étaient témoins de batailles sanglantes, en particulier celles qui étaient contrôlées par les partisans d’autres partis islamiques, où ils s’étaient vantés de raisons fragiles pour attiser les conflits et combien de combats sanglants avonsnous vus et entendus dans les maisons de Dieu à cause de la prière « à cause des brèches de Satan et de la distance entre les pieds ». Ils n’avaient pas hésité à semer la sédition jusque dans les maisons de Dieu afin de gagner la bataille des mosquées et de les contrôler ; ils avaient réussi finalement à les mettre sous leur domination, car presque toutes les mosquées de la République étaient passées sous l’aile du parti de la fitna. Il était impossible qu’il y ait une quelconque ingérence, donner une leçon, un sermon, surtout le vendredi ou diriger la prière si vous n’étiez pas membre du parti. Si quelqu’un osait le faire, il se verrait « empêché et expulsé », même en utilisant la force si c’est nécessaire. Les mosquées en Algérie n’étaient plus ce qu’elles étaient, elles avaient perdu leur sérénité, leur quiétude et leur paix, de nombreux fidèles les avaient désertées, notamment les personnes âgées. Dès que vous franchissez le seuil d’une des maisons de Dieu, surtout si vous ne portiez pas la tenue officielle du Parti (barbe et kamis), vous trouverez quelqu’un qui vous conseillerait, pardon, qui vous demanderait plutôt de prier avec une manière bien définie et qui vous dirigera vers la bonne Qibla, et qui vous montrerait la distance à respecter entre vos pieds. Les conseils et les recommandations vous 67

suivaient même pour des gestes mineures et insignifiants, allant de la façon d’effectuer le mouvement de s’agenouiller et de se prosterner, de s’asseoir, de se tenir debout et la façon de réciter et de prier… Les mosquées dans lesquelles Dieu avait autorisé que son nom soit acclamé étaient devenues des lieux de propagande du parti de la fitna, de diverses manières, directes et indirectes. Toutes les leçons et tous les sermons n’avaient qu’un seul sujet, la glorification du parti de la fitna. Il n’y avait aucune différence entre le darss (leçon) du Maghreb le prêche du vendredi ou autre, les noms de Muawiya et de Belazreg étaient cités dans les mosquées tout le temps avec un un certain caractère sacré, comme si cela était lié à… Ce parti qui a utilisé ces mêmes mosquées, même après, pour l’appel au djihad à partir de leurs minarets, le jihad entre frères. Malheureusement, certains Algériens avaient réussi là où toute la France coloniale avait échoué. Les nouveaux harkis avaient réussi là où les anciens avaient échoué. Après le contrôle des mosquées, le parti de la fitna avait maintenant une seule préoccupation, le recrutement, uniquement le recrutement. Les soldats de Dieu « Jund al-Rahman » étaient passés des mosquées aux rues, peu importe, elles appartiennent toutes à Dieu. Pour cela, le parti de la fitna avait fait des marches et des rassemblements son pain quotidien, car ils étaient les moyens les plus efficaces pour le recrutement rapide d’un grand nombre de militants ; il était devenu clair que l’investissement dans les mosquées était très rentable, car elles étaient devenues un réservoir inépuisable pour enrôler des dizaines de milliers de militants et les pousser dans la rue pour participer à des marches, des rassemblements et des affrontements divers. Le Parti profitait de l’argent disponible en abondance pour fournir de nombreux moyens de transport, de la nourriture abondante allant du casse-croûte au méchouis (selon votre position hiérarchique), des fournitures et d’autres choses. Pour tous ceux qui voulaient trimballer dans les différentes wilayas où se déroulaient les rassemblements, vous verriez des jeunes chômeurs et des milliers de personnes qui passaient leurs journées à se promener

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d’une wilaya à l’autre tant qu’il y avait ceux qui assurent le transport, la nourriture, et même l’hébergement dans des camps. La planification de toute cette logistique avait lieu à l’intérieur des mosquées. Ainsi, certaines petites villes voyaient leur population doubler ou tripler. La plupart des rassemblements dans les wilayas intérieures utilisaient, pour commencer ou prendre fin, la grande mosquée de wilaya après ou avant de parcourir toutes les rues de la ville. C’était la plus grande propagande du Parti. Depuis qu’ils avaient envahi les mosquées, celles-ci ne fermaient leurs portes que très tard dans la nuit et des “halakates” étaient organisées pour expliquer et étudier les idées “géniales” de Muawiya et de Belazreg pour opérer des changements sur la société, en particulier chez les jeunes. Cependant, malheureusement, les changements n’avaient affecté que l’apparence sans vraiment toucher le fond. C’est évident : changer la société en profondeur demande beaucoup de temps, de travail, d’efforts, et nécessite de l’expérience et des compétences qu’ils n’avaient jamais acquises, ainsi nous avions surtout constaté des changements de look (barbe poussée et moustache rasée) et dans les habitudes vestimentaires en particulier le port des Kamis courts, avant que la mode afghane ne commençait à nous envahir terriblement, et bien sûr, se faire pousser la barbe était un préalable à l’affiliation à leur Parti. Et à la fin, vous comprendrez que si vous voulez appartenir à ce Parti, alors vous devez être différent des autres, style vestimentaire, apparence, façon de se nourrir, de boire, vos mouvements, vos mots, votre façon de parler et votre façon de penser, attention, vous êtes maintenant affilié à un parti islamique et donc vous êtes maintenant et seulement maintenant un musulman, et vous n’avez pas à vous faire des soucis si auparavant vous étiez parmi les plus dangereux des criminels, l’islam remet les compteurs à zéro, bien au contraire plus votre rang est élevé chez les criminels plus il est élevé aussi au sein de la Fraternité, on avait grand besoin de votre expérience pour intimider et faire peur aux gens ou les mettre en demeure et même les terroriser si besoin est, et plus vous portez de la haine et de l’inimitié envers le régime et les agents de 69

l’Etat, plus vous vous rapprochez des chefs de gang. Vous devez également être familier avec le nouveau lexique incluant nombre de mots étrangers à notre langage ou du moins qui n’étaient pas tellement utilisés auparavant : (Jihad) guerre sainte (yajouz) permis (la yajouz) pas permis (Akhina) mon frère, (okhtina) ma sœur (makrama) une grâce, (hadia) un cadeau, et d’autres mots seront également ajoutés plus tard : (mahchoucha) fusil à canon scié (habhab) mortier (taghoute) agent de l’Etat et tout cela s’accompagnait également de nouveaux comportements. Par exemple, lorsque vous entriez dans un café ou un fast-food où il n’y avait pas de chaises disponibles, vous verriez des individus assis accroupis par terre pour manger et boire, car il n’est pas permis de manger ou de boire debout. Et si vous prenez un taxi collectif et qu’il y avait parmi les passagers, ne serait ce qu’un seul militant de ce parti, il empêcherait le chauffeur propriétaire de la voiture et l’ensemble des passagers d’écouter une station radio, quant aux chansons enregistrées, n’y pensez même pas, excepter le Coran, et bien sûr tous les militants sans exception ne lisent que le journal du parti qui a donné la couleur verte au papier du journal : la couleur du paradis. Au final, si vous avez acquis tous les attributs, les comportements et les conditions mentionnés ci-dessus, alors c’est une bénédiction, sinon, vous devriez faire un pèlerinage à l’un des quartiers généraux de balazreg pour vous orienter vers le droit chemin, et si vous ne voulez pas être classé avec les partis de Satan ou les adeptes des tyrans, alors vous devriez aussi manifester de l’hostilité envers tous ceux qui n’appartiennent pas à votre parti et ne partagent pas votre « nouvelle patrie », même s’il s’agit là de votre père, votre frère ou même de votre mère, et nier tous vos amis et toutes vos connaissances, bref, des fois on se demandait si on vivait au vingtième ou au septième siècle, vit-on réellement dans les rues de la capitale d’Algérie ou dans les studios de cinéma en train de tourner le film Errissala (Le Messager) ? Et pour être sûr que votre appartenance à la meute ne serait jamais remise en cause, vous devriez aussi accepter de nier, de falsifier et fausser l’histoire de votre pays, lorsque l’Algérie avait fêté le premier anniversaire du 1er Novembre sous l’ère du pluralisme 70

politique, l’État avait invité tous les chefs des partis à assister au défilé militaire pour l’occasion, et l’invitation avait été acceptée par tous sauf Muawiya, sans aucune explication convaincante. Sachant que lui et ses adeptes appellent la Révolution de Novembre le « jihad de novembre », oubliant peut-être que même si c’était le cas, novembre 1954 reste aussi une révolution, une des plus importantes révolutions du XXe siècle, mais peu importe que Belazreg et Muawiya soient d’accord ou pas, et sinon, qu’allons nous faire des non-musulmans qui s’étaient sacrifiés pour l’Algérie ? Doiton renier Frantz Fanon, Henri Maillot, Maurice Audin et d’autres encore ? Doit-on les rayer de la liste de nos révolutionnaires et de nos martyres ? Au fil du temps, malheureusement le Parti de sédition devenait de plus en plus fort, Muawiya et Belazreg avaient vite compris que l’État avait bel et bien reçu leur message de la marche du 10 octobre 1988, ce qui les rendait plus audacieux en défiant et en violant l’Etat de droit. Alors que la faiblesse de l’Etat se faisait sentir de plus en plus, ne cessait de reculer, ne faisait que constater la tragédie qui se préparait et reportait la confrontation avec ces gens (pourtant, c’était évident qu’elle était inévitable), par crainte d’affrontements sanglants. Oui c’était clair dès le départ que l’Etat voulait éviter de faire couler le sang des algériens par des algériens, mais il faut être deux à vouloir la même chose pour réussir, et pour cause l’autre partie avait tout fait pour faire comprendre à l’Etat qu’elle était prête à reproduire le scénario du 10 octobre des milliers de fois mais en plus grand et en plus sanglant et plus meurtrier, surtout lorsqu’elle avait constaté que la méthode était très rentable en termes de recrutement de nouveaux adeptes, plus l’ampleur du défi et de l’infraction était grande, plus le nombre des adeptes progresse, bien qu’il y avait d’autres facteurs qui les avaient aidés à étendre leur autorité, comme le contrôle complet sur toutes les mosquées de la République, mais surtout le retour des volontaires algériens d’Afghanistan, car la 71

guerre afghane à l’époque était finie et dès leur retour en Algérie, ces volontaires avaient trouvé une atmosphère politique ouverte et démocratique. Leur compatibilité idéologique avec la vision du parti de la sédition a rapidement fait tilt, alors ils s’y étaient impliqués et l’avaient adopté, et ce sont eux qui avaient importé pour nous la plupart des comportements et tous les costumes afghans pour hommes et femmes ; ils étaient les premiers à porter ces vêtements à la manière des talibans, qui au début, c’était juste une apparence qu’ils utilisaient pour se distinguer du reste du peuple, comme s’ils disaient : nous sommes le contraire de vous. Nous adhérons toujours aux enseignements de la religion, sauf que le parti considérait cela comme une tenue officielle, et donc le port de cette tenue par un grand nombre de jeunes éblouissait les citoyens par l’abondance des militants du parti, et les poussait à les rejoindre avant qu’il ne soit trop tard, ces ex-talibans algériens circulaient en toute liberté dans les rues de la capitale, et en plus du port de la tenue afghane, ils laissaient pousser une barbe très longue teintée de henné et maquillaient leur yeux avec la poudre d’antimoine (Khol) comme s’ils étaient en guerre, la nation algérienne leur est également “reconnaissante” d’avoir introduit l’opium dans notre pays. A cette époque, des collègues travaillant dans diverses brigades stupe avaient commencé à découvrir un nouveau type de drogue jamais introduite auparavant chez nous, à savoir l’opium, avant que toutes les enquêtes déterminent que c’était à eux que revenait ce mérite. Plus tard, il s’était avéré que nos « frères » afghans toléraient la consommation de la drogue après la prière de l’Icha (celle du soir) même pendant le Ramadan, sans parler des mythes qu’ils racontaient à propos de leur guerre sainte qu’ils avaient accomplie dans le pays des Afghans, ainsi que les miracles que Dieu leur avait accordés, comme par exemple : lancer une poignée de sable sur un blindé pour le faire exploser en morceaux après avoir lu quelques versets du Coran libérant ainsi le pays de l’Islam de la plus grande force militaire dans le monde. Ils souhaitaient répéter cette expérience en Algérie et déclarer le djihad afin d’afficher leurs compétences militaires acquises pendant 72

la guerre contre les soviétiques. L’Algérie, Dieu soit loué, n’est pas colonisée comme en Afghanistan, et sa religion est l’islam depuis quatorze siècles, et ce, dont elle avait surtout besoin, c’était de développer ses infrastructures, ses installations et ne pas de les détruire. En tout état de cause, les arabes afghans en Algérie était le noyau de base en préparation du temps des actes criminels contre un peuple sans défense avec la bénédiction des pays occidentaux, de pays amis et frères. Pendant plus d’une décennie, l’Algérie avait été isolée et soumise à un siège terrible. Elle avait affronté, toute seule, le terrorisme et en avait payé le prix fort pour elle-même et pour les autres. Les Afghans algériens avaient commencé à émerger petit à petit, ils avaient été d’abord utilisés comme gardes du corps pour les chefs du parti et ils veillent à l’organisation des foules pour les rassemblements du même parti fitna. Vous les voyez alors marcher en dehors des carrés, vêtus de leurs costumes talibans distinctifs avec une démarche fanfaronne, ils étaient particulièrement admirés par les jeunes qui exécutent leurs ordres sur un simple geste de leur part. Ces mêmes afghans avaient joué un rôle décisif quant à la guerre des mosquées, et c’était grâce à eux que le parti de la fitna avait définitivement mis main basse sur toutes les mosquées du pays. Ils étaient considérés comme les premiers miliciens que nous avions appris à connaître et à confronter. Ils n’hésitaient pas à essayer de nous empêcher d’approcher leurs marches ou même de nous résister, lorsque nous intervenons pour les empêcher d’attaquer certains citoyens, ils formaient parfois un carré organisé semblable à celui des militaires et marchaient ensuite à un pas de course cadencé faisant taper le sol avec leurs pieds, en criant : « Police islamique, police islamique ». Et s’ils arrivaient à éblouir certains des jeunes présents lors de ce folklore, en ce qui nous concernait, ça nous faisait plutôt marrer.

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Par ces temps de folie Le parti de la fitna a tout fait dès le début pour exploiter en sa faveur tous les événements qui se présentaient, qu’ils soient nationaux, arabes, africains, ou même internationaux, du tremblement de terre de Tipaza à la guerre du Golfe. Immédiatement après le tremblement de terre qui avait frappé la wilaya de Tipaza en octobre 1989, les chefs de la sédition avaient profité de la bureaucratie et de la lenteur de l’État à fournir de l’aide aux sinistrés ; ils avaient alors mobilisé des dizaines de camions, pour former des centaines de convois, avec le financement dont la source n’était connue que de Dieu. Il semble que l’aide que certains pays avaient l’habitude d’apporter au gouvernement algérien dans de telles circonstances, ils l’avaient détournée désormais au profit du parti de la sédition, car ils y voyaient le cheval de Troie vers le pouvoir. L’aide était vite acheminée aux zones touchées, mais non sans un tapage médiatique sans précédent. Les camions étaient couverts de slogans du Parti et de versets coraniques, leurs dirigeants multipliaient les interviews et les rencontres avec les journalistes de la presse écrite et de la télévision pour faire honneur et gloire au parti et à ses multiples faveurs au peuple algérien, contrairement à l’État “infidèle” qui avait abandonné son peuple comme d’habitude. Et c’était tout le monde qui a laissé faire ça et l’appréciait même tant que l’affaire offrait un service humanitaire aux personnes touchées par le tremblement de terre. Sauf ceux qui savaient lire entre les lignes et qui voyaient les choses autrement. Ceux-là, avaient conscience que tout ce folklore n’avait rien à voir avec la bonté ou autre, et qu’il ne s’agissait là que d’installer un gouvernement parallèle au gouvernement légitime et mettre l’Etat devant le fait accompli. Je 75

n’avais entendu personne à ce moment-là dire « Ô peuple, notre religion n’encourage-t-elle pas la main gauche à cacher ce que la main droite donne ? » Et même si on doit faire de l’information ou de la propagande, ce n’était surtout pas pour encourager les bienfaiteurs à donner plus au nom de Dieu et pas au nom du parti ? Et même si on doit faire une campagne politique pour notre parti ne sommes nous pas censés nous préoccuper de la dignité de ceux que nous aidons ? Êtes-vous les premiers à apprendre au peuple algérien la solidarité et l’entraide ? Mais bon. Des semaines et des mois passent et le parti de la fitna laisse la main de plus en plus libre à sa milice, formée essentiellement de repris de justice et d’afghans algériens, profondément convaincus qu’une fois qu’ils se font pousser la barbe et qu’ils portent un miniKamis et surtout en présentant les signes de loyauté et d’obéissance à Belazreg et Muawiya, ils deviendront les maîtres du peuple, et la société oubliera tout le mal qu’ils lui ont causé, et le bon dieu leur pardonnera tous leurs péchés y compris ceux commis à l’avenir. Qui sait, l’un d’eux peut même se faire promettre le paradis, par belazreg. Ils instaurent alors un climat de peur et de terreur au sein de toutes les couches de la société. Dieu sait que je ne dis pas tout ça par rancune, même s’il y a de quoi être rancunier. Non, c’est uniquement parce que, en vertu de mon métier, et du lieu où je l’exerçais, j’avais vu ce que vous n’aviez pas vu, entendu ce que vous n’aviez pas entendu et vécu ce que vous n’aviez pas vécu. Bab-El-Oued était une de leurs forteresses et nous étions en confrontation avec ces gens, jour et nuit. Mes collègues et moi étions intervenus chaque fois que nous en avions l’occasion, mais il était clair que l’Etat n’avait plus les choses en main. Oui, l’absence de l’autorité de l’Etat était flagrante ; seul l’Etat au moment opportun aurait pu les dissuader, les arrêter et les empêcher d’agir à leur guise.

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Cela, malheureusement, avait permis l’émergence de leadership charismatique engagé vis-à-vis de sa base, à défier l’autorité et de la non-reconnaissance des lois ni de l’ordre public. Chacun d’eux s’était imaginé être une école mobile et un puits de sciences et de savoirs. Les problèmes avec les municipalités islamiques s’étaient exacerbés, le parti étendait leurs pouvoirs de jour en jour, indifférent aux lois régissant la République, les poussait de jour en jour à accélérer le rythme de la confrontation avec les services de sécurité. Avec l’avènement du mois du Ramadan, le ministère de la Culture, comme chaque année, avait programmé plusieurs concerts dans différentes grandes villes, y compris bien sûr dans la capitale. La principale préoccupation des sécessionnistes était qu’à chaque fête, on les voyait se rassembler en grand nombre devant la place ou la salle dans laquelle la fête était programmée pour empêcher les gens de s’approcher, la cérémonie était annulée dans certains cas ce qui poussait certains jeunes, désirant assister à la soirée musicale, à les affronter. Nous intervenons alors pour les expulser et bien sûr des rapports de ces comportements sont rédigés. Il n’aura fallu que quelques jours pour recevoir l’ordre de mettre sous surveillance toutes les fêtes et d’empêcher quiconque de les arrêter ou d’affronter les organisateurs et les spectateurs. Un cycle infernal commence alors. Tous les spectacles qui se tenaient dans notre conscription étaient mis sous notre protection. Chaque fois, nos amis les miliciens se présentaient juste avant le début du spectacle ; parfois, nous entrions en confrontation avec eux jusqu’à l’aube, mais des fois leurs chefs leur ordonnaient de quitter les lieux et ils obéissaient sans aucune contestation. On pouvait alors passer une nuit de travail tranquille. Au cours de la seconde moitié du mois sacré, plusieurs concerts ont été programmés à la salle Atlas, située à la rue Mohamed-Seghir Sadaoui, à Bab El-Oued « ex rue borrilly », dont celui du célèbre artiste kabyle Lounis Aït Menguellet. Tout le monde s’attendait à ce que le parti de la sédition laisse passer ces concerts en toute 77

tranquillité prenant en considération leur sensibilité et leur spécificité, pour s’éloigner de tout ce qui pouvait provoquer des conflits ou des discordes à caractère racial ou régional dans un pays déjà très agité, non seulement parce que Lounis Aït Menguellet est un grand chanteur kabyle mais aussi tenant compte que les blessures des événements du printemps berbère n’étaient pas encore complètement cicatrisées. La chanson et la poésie avaient toujours été et sont toujours le moyen le plus utilisé par les militants de la cause Tamazight. Avec le temps, un groupe d’artistes émergeaient en tant que défenseurs de la cause ; ils chantaient aussi d’autres styles de chansons sentimentales et autres. Certains étaient devenus des symboles de la chanson engagée, dont Lounès Matoub, Idir et bien d’autres ; tout préjudice à leur égard pourrait transformer inévitablement le conflit en une affaire politique. Vous connaissez mieux que moi la complexité des affaires politiques qui peuvent même servir de prétexte pour une intervention étrangère afin de, soit disant, protéger les minorités. Mais rien n’avait d’importance aux yeux de Muawiya et Belazreg à part la propagation de la fitna au sein de la société, c’était l’essence même de l’existence de leur maudit parti prouvant ainsi une fois de plus que l’unité nationale était la dernière chose qui les intéressait. Les concerts de Lounis Aït Menguellet étaient devenus le cœur d’une discussion d’ordre national entre Hallal et Haram (licite et illicite), une discussion orchestrée bien sûr par Belazreg en personne, qui chaque soir pendant les prières de taraouih, mobilisait ses troupes pour empêcher le déroulement de ces concerts coûte que coûte, même s’ils devaient brûler la salle avec les spectateurs dedans. Malheureusement, je ne suis pas le premier à dire que nous sommes un peuple qui n’apprend pas de son histoire, comme l’avait dit le professeur Ahmed Al-Shanti dans un article publié en décembre 2018 sous le titre Kahina et Koceila une histoire qui avait mis à découvert tous les torts portés à notre société par l’extrémisme. Référez-vous à cet article et à l’histoire de Koceila et du fait qu’on l’avait forcé à égorger personnellement le mouton de l’aïd 78

(chose inconnue aux Amazighs de l’époque). Vous comprendrez alors l’ampleur des dégâts et les torts causés à notre société par les extrémistes. Savez-vous, seulement qu’au XVI siècle, beaucoup des soi-disant guides spirituels considéraient que boire un café était un péché ? Il existe dans notre société de nombreuses études sur les questions de l’extrémisme et du puritanisme, mais malheureusement ces études n’ont aucun effet sur nos comportements et agissements et encore moins sur notre pensée. Ce que je trouvais inquiétant à l’époque, c’était qu’aucun autre membre du parti n’avait ouvertement demandé à ses « frères militants » de laisser passer les concerts du chanteur Lounis Aït Menguellet. Aucun d’entre eux n’avait fait de déclaration télévisée ou autre dans ce sens. Je défie quiconque de présenter une preuve du contraire de ce que je dis, tout le monde avait peur de Belazreg et pour la soi-disant unité du parti. C’est ainsi que la peur de Belazreg était devenue plus grande que la crainte de Dieu et l’unité du parti plus importante que l’unité de l’Algérie. Les autorités savaient que repousser les concerts à une date ultérieure ou leur faire changer de lieu ne ferait qu’aggraver la situation, surtout que le chanteur, en tant qu’artiste engagé, déclarait publiquement qu’il était prêt à défendre son art et sa culture Amazighe, et qu’il ne reculerait pas d’un pouce. La milice du Parti de la fitna ne lui fait pas peur, ses fans s’étaient mobilisés eux aussi pour défendre leur idole. Ils avaient lancé une campagne médiatique pour être à ses côtés, le soutenir et le défendre, lui et les autres artistes. Belazreg avait réussi à créer une atmosphère de peur et d’anticipation au sein de la population qui suivait de très près la situation, par crainte d’affrontements graves avec les forces de l’ordre ou même des batailles rangées entre la milice du parti et les fans du chanteur. Si cela n’était pas de la sédition, alors enseignez-moi ce que c’est, s’il vous plaît, ne dit-on pas qu’on apprend à tout âge ? C’était dans une atmosphère pareille que nous avions entamé la seconde moitié du mois de Ramadan ; c’était en effet un Ramadan exceptionnel. Nous prenions le ftour (la rupture du jeûne) à la salle Atlas ; avant d’avaler 79

la dernière bouchée, nous sortions déjà pour être les premiers à occuper le terrain, nous prenions position dans toutes les rues entourant cette salle. Beaucoup d’entre nous étaient en tenue civile, mais il y avait aussi tout un mélange d’uniformes rassemblés aux alentours de la salle ; tous les éléments des différents services étaient sur le terrain y compris nous, de la police judiciaire bien sûr, mais aussi les agents du renseignement, la police administrative, la sécurité publique, les unités anti émeutes et bien d’autres. Les ordres étaient clairs et sans ambiguïté : tous les concerts, en particulier ceux programmés à la salle Atlas auront lieu et ils ne devraient être ni arrêtés ni perturbés ; ni l’artiste ni l’un des participants ne seront exposés à un danger quel qu’il soit. Le chef de la brigade de la police judiciaire d’intervention rapide, le commissaire de police A.B., nous avait clairement instruit : « Ne vous protégez pas les uns les autres, mais protégez Ait Menguellet et les spectateurs, ne négociez surtout pas. Seuls les commandants d’unités sont autorisés à négocier avec les partisans de Belazreg » et que nous devions exécuter ces instructions avec précision par tous les moyens légaux et quel qu’en soit le prix. Nous étions bien conscients de la signification du mot, quel qu’en soit le prix, mais en même temps, nous aimions davantage notre travail lorsque les ordres étaient explicites dès le départ. Cela nous faisait prendre conscience de la tâche qui nous était assignée et permettait à nos dirigeants de choisir la tactique appropriée. Ni moi, ni mes collègues, n’oublierons les difficultés vécues durant ce Ramadan ; nous endurions le jeûne pendant la journée tout en travaillant au poste de police du quartier populaire de Bab ElOued et nous prenions le ftour à la salle Atlas. Le repas que fournissait l’administration à chaque élément se composait d’un sachet de lait en plastique et d’une poignée de dattes (du type habituellement donné aux chèvres pour faire augmenter la production de lait). Si ce n’étaient pas les citoyens habitant tout près de la salle Atlas, à qui je rends un grand hommage. Ces derniers, une fois qu’ils avaient su que nous rompions notre jeûne à l’intérieur de la salle, malgré notre 80

nombre assez élevé, ils n’avaient pas hésité à partager avec nous leur repas du ftour. Grâce à eux, nous ne manquions de rien à l’heure de la rupture du jeûne. Immédiatement après, nous sortions dans la rue pour travailler dans des conditions que je n’aime même pas me rappeler. Nos journées de travail commençaient de neuf heures du matin jusqu’à l’aube du lendemain pour y revenir au même rythme le lendemain et ainsi de suite durant toute la deuxième quinzaine de ce ramadan. La journée, en plus de la difficulté du jeûne, nous exécutons des dizaines d’interventions à l’encontre des auteurs de délits et d’infractions : vols, agressions, rixes et autres, plus précisément au marché des Trois Horloges et ailleurs. Nous intervenons aussi pour résoudre les différends pouvant survenir entre les citoyens et dans les foyers. Nos nuits étaient consacrées aux interventions, poursuites et altercations contre la milice du parti de la sédition. Ces interventions s’étalaient toute la nuit jusqu’au petit matin et pendant toutes les nuits qui restaient du mois de ramadan. Ainsi parla Belazreg qui avait décidé de transformer les concerts de Ait Menguellet en une manœuvre paramilitaire pour sa milice. En ce qui nous concerne, nos responsables, en exécution des ordres reçus, avaient décidé de sécuriser les dits concerts, et pour ce faire, ils avaient opté pour une tactique bien pensée. On cernait d’abord toute la salle afin de bloquer toutes les entrées. Les chefs de groupes plaçaient les agents épaule contre épaule, pour qu’il n’y ait pas de brèche à travers laquelle les assaillants pourraient accéder jusqu’à l’une des nombreuses portes de sortie de secours de la salle, puis nous composons un large couloir humain avec nos corps s’étendant depuis le début de la rue borrilly, juste en face de notre direction générale, et jusqu’à la porte principale de la salle Atlas. Un certain nombre d’entre nous avait pour mission de procéder au contrôle et aux vérifications de ceux qui empruntent ce couloir un par un et Dieu sait que leur nombre était très important, hommes, femmes, jeunes, adultes, 81

enfants ; la plupart se présentaient en tenue kabyle traditionnelle aux couleurs vives. D’autres collègues, se positionnant derrière nous, avaient pour mission de tenir les miliciens à une distance respectable du couloir de sécurité (on va l’appeler ainsi) et de charger quiconque tente de nous approcher. Ceux qui étaient autorisés à emprunter le couloir de sécurité ne pouvaient même pas voir les bagarres rangées se passant derrière nous. Nous échangeons de temps à autre les positions avec nos collègues afin de leur permettre de se reposer, et à nous de recevoir notre part des projectiles lancées impitoyablement par les militants de ce parti, et sans considération aucune envers la sainteté du mois de Ramadan. De notre côté, nous ne leur faisions pas de cadeaux non plus, nous les chassions et les poursuivions jusqu’à la fin de la rue Malakove, l’avenue de la Marne et la rue Bouzareah, malgré leur nombre incalculable, j’allais dire, notre savoir-faire, notre expérience, notre détermination et notre courage nous avaient mis dans une position de force nous permettant d’élargir la zone de sécurité et de protéger définitivement le couloir de sécurité. Après que tous les spectateurs soient entrés dans la salle, nous nous dispensions de tous les éléments du couloir de sécurité et nous nous joignons, tous, à la défense de la salle. Bien sûr, nous remettrons le couloir de sécurité dans son état initial à la sortie des spectateurs. C’était dans ces conditions là que nous avions passé tout le mois sacré, sans le confort de la maison, sans la chaleur familiale habituelle du ftour du Ramadan, mais grâce à Dieu tous les concerts initialement programmés avaient eu lieu dans de très bonnes conditions. C’était le plus important à nos yeux, sauf que je me demandais ce qui poussait ces gens à se comporter de cette façon et pourquoi voulaient-ils empêcher coûte que coûte les concerts musicaux. Un jour ils arrivent même à dire : la salle est située en face de la mosquée El Taqoua et, par conséquent, cela empêche les croyants d’accomplir leurs prières. Malgré l’insistance du directeur de la salle 82

sur le fait que la salle et la mosquée – à l’origine une église –, appartiennent à l’époque coloniale et qu’il n’y avait jamais eu de problème dans leur coexistence. Mais ils avaient insisté sur leur position ; alors le directeur de la salle avait tenu à expérimenter une simulation en la présence de tout le monde : il ferma les portes de la salle et libéra les appareils sonores à l’intérieur au maximum possible. Il n’y avait pas eu de fuites audio, par miracle, ils étaient convaincus de l’expérience, mais ils étaient vite revenus avec une fatwa de Belazreg. Le problème se résumait au fait que la musique est interdite par la Charia. La musique interdite ? Mais Belazreg n’était pas un érudit religieux et n’avait pas légalement le droit d’émettre des fatwas. En mon jeune âge, je suivais chaque lundi une émission religieuse, sur la chaîne nationale I, de l’Imam Al-Ghazali (hadith du lundi) ; en réponse à une question sur ce sujet en particulier il avait insisté pour que le musulman fasse la différence entre art et art, entre art engagé et art des bas-fonds, et avait reproché à certains musulmans de mélanger les choses et moi alors que dois-je faire ? Écouter un grand érudit religieux dont je garde encore aujourd’hui des dizaines de ses livres ; un savant ayant étudié dans les grandes universités islamiques ou une personne anonyme dans le milieu religieux ? Belazreg, connaissait-il vraiment l’histoire de l’Algérie ? Connaissait-il le rôle joué par la troupe musicale du Front de Libération Nationale ? Alors je me demandais si Belazreg avait eu l’honneur d’apprendre la langue amazighe ? Et comprendre ce que dit Aït-Menguellet dans ses chansons ? J’en doute fort, et si c’était le cas, il aurait su que Lounis Ait-Menguellet est considéré à juste titre comme le plus grand philosophe-chanteur, passez moi l’expression, que l’Algérie a connu après Slimane Azem. Il suffit de renvoyer Belazreg à l’une de ses chansons, la chanson Ammi (mon fils), que je considère comme une chanson philosophique de très haut niveau, et elle est comparable au livre Le Prince de Machiavel. C’est un dialogue intéressant et raffiné entre un père et son

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fils dans lequel ce dernier demandait à son père un conseil sur la façon la plus pratique pour accéder au pouvoir. Le père recommandait à son fils de rester à l’écart du pouvoir ; il lui énuméra ses défauts et ses méthodes tordues, et en même temps, s’il insiste pour être aux commandes, il lui expliquait comment y arriver et y rester. En tous cas, la réaction d’Ait-Menguellet et son insistance à tenir ses concerts avaient fait de moi un être fier d’appartenir à l’Amazigh libre, et à partir de ce jour je suis devenu plus accro à ses chansons. Malgré cela, le parti de la fitna avait continué à envoyer ses disciples chaque fois qu’il y avait une fête ou un événement culturel pour essayer d’empêcher sa tenue. Il arrive que durant la préparation à l’affrontement, Belazreg ou l’un de ses messagers se présentait sur les lieux pour informer les siens qu’il était envoyé par Belazreg et leur ordonnait de partir, alors ils quittaient les lieux, têtes baissées. Ainsi, pendant tout le mois de Ramadan, Belazreg s’était transformé en pompier, comme l’appelait la presse à l’époque, avec une différence de taille, le feu qu’il prétendait éteindre, c’était lui qui l’allumait. Belazreg et son parti n’avaient pas cessé de souffler sur les braises de la sédition durant tout le mois du Ramadan. À la fin du mois, quand l’Etat avait annoncé que nous allions jeûner trente jours, le parti de la fitna avait annoncé que l’Aïd serait le trentième jour. C’était juste afin de faire de la fête de l’Aïd El Fitr une autre monture pour tenter d’attiser le feu de la sédition. Le trentième jour du Ramadan, la moitié de la population avait observé le jeûne, tandis que l’autre moitié était en fête. Les choses s’étaient chamboulées pour la population, en termes de prière de l’Aïd, de zakat, de visites familiales et autres. Il y avait eu plusieurs affrontements et altercations entre groupes d’individus, c’était une grande fitna et les choses avaient failli éclater ; la religion était malmenée ? Dieu nous en préserve, d’autant plus que 84

les anges disciples avaient campé sur leur position et avaient tout fait pour s’exhiber en public. Ils avaient rompu le jeûne, ils mangeaient et buvaient délibérément dans les rues de manière provocante, et même certains cafés et restaurants situés dans les quartiers populaires avaient ouvert leurs portes aux clients. C’était la première et la dernière fois, si Dieu le veut, que j’eusse vécu un tel aïd. Gloire à mon Seigneur, Gloire à mon Seigneur. On vivait au quotidien avec leurs ingérences honteuses dans la vie des citoyens, par exemple, avec l’apparition des paraboles pour capter les chaînes arabes et étrangères, les récepteurs étaient collectifs en raison de leurs prix élevés et les câbles s’étendaient d’un bâtiment à un autre ; les milices du parti ne s’étaient pas gêné de couper ces câbles et empêcher les citoyens de capter les chaînes arabes et étrangères. Bien sûr, c’était illicite (haram), sachant qu’à l’époque nous n’avions qu’une seule chaîne (appelée par le peuple L’orpheline) et ainsi de suite, ce sont ces gens qui déterminent comment vous vous divertissez, comment vous asseyiez, ce que vous mangiez, ce que vous buviez, ce que vous portiez, avec qui vous deviez vous marier et comment célébrer ce mariage, comment faire la nuit de noces, comment célébrer tes fêtes, comment porter le deuil, comment prier et comment s’exprimer, ce que vous deviez lire et ce que vous ne deviez pas lire, avec qui parlier, et à qui ne jamais adresser la parole, quand vous deviez rire et quand pleurer et s’ils le pouvaient, ils vous accompagneront jusqu’à la chambre conjugale pour observation et contrôle. Je me demande juste ce qu’ils feraient maintenant que les récepteurs sont devenus individuels et sont placés à l’intérieur des maisons, seraient-ils entrés dans les maisons ? Leurs interventions étaient caractérisées par une impolitesse sans pareille et sans aucun respect pour la dignité du citoyen ou de ses sentiments. Sous prétexte de combattre le vice, ils bloquaient le chemin de tous ceux qui étaient accompagnés d’une femme et réclamaient le livret de famille pour prouver la nature de la relation, même si celle qui vous accompagnait était plus âgée que vous, votre mère ou votre sœur peu importe. La 85

plupart de ces gens étaient analphabètes et ils n’hésitaient pas à envahir les parcs publics, à surveiller les visiteurs, à prendre d’assaut les salons de thé pour en expulser les filles et les femmes et à s’immiscer même dans les affaires personnelles. Si tu lisais un journal dans un café, quelqu’un viendrait à toi : « Mon frère, ne lis pas le journal des athées, lis plutôt le journal du parti, que Dieu te bénisse ». Si tu restais debout dans un café en prenant une boisson, on te faisait comprendre que ce que tu faisais, n’est pas permis et qu’il vaut mieux s’asseoir. C’est ainsi que les choses s’étaient passées. Ces gens étaient pourvus de l’autorité divine, et le langage, le dialogue et la persuasion n’étaient pas leur devise : eux, ils ordonnent et à vous d’exécuter, votre volonté, à vous, n’était pas leur problème. Les habitants des municipalités et des wilayas islamiques étaient obligés de se déplacer dans l’une des municipalités que Dieu n’avait pas encore bénies avec l’Islam, pour avoir juste un paquet de cigarettes puis vous devez choisir avec soin l’endroit où fumer votre cigarette. À Bab El-Oued, il n’y avait qu’un seul bureau de tabac situé à vingt mètres de notre siège, disons qu’il travaillait sous la protection policière. Tous les autres kiosques furent forcés de changer leurs activités, des dizaines et des dizaines d’exemples d’événements et de faits qui semblent maintenant impossibles à se produire. À cette époque, il s’agissait d’événements quotidiens récurrents à une fréquence élevée, et bien sûr de nombreux jeunes s’étaient d’abord révoltés contre ces agissements, mais ils furent toujours corrigés et finirent généralement aux urgences des hôpitaux. Les groupes de milice étaient chargés de tenir la population en laisse, marchaient en groupe, et contrairement à ce qu’on pourrait penser, ils étaient arrogants surtout à l’encontre de ceux qui n’étaient pas de leur parti en apparence et en affiliation, pensant que ce comportement leur assurait d’être craints par le public. En peu de temps, ils ont pu étendre leur contrôle sur de nombreux quartiers de la capitale. Le patronage et la propagande du parti les 86

avaient fait agir comme des soldats de Dieu sur sa terre. Malgré leur contrôle sur toutes les mosquées du pays, Belazreg, Muawiya et les autres, dans leurs nombreuses interventions, n’avaient jamais dit un seul mot qui puisse aider à calmer l’ardeur de leurs miliciens, faisant fi des condamnations quotidiennes prônées par différents partis et journaux exposant le grand nombre d’incidents et d’affrontements qui s’étaient produits entre les miliciens du Parti et les jeunes. Si vous osiez les critiquer ouvertement à ce sujet, ils vous répondront que vous êtes un adepte du parti de Satan, ils vous maudissaient et ils pouvaient même vous attaquer, mais si vous essayez, Dieu nous en préserve, de critiquer le parti, Belazreg ou Muawiya, ne serait ce qu’en faisant une simple observation négative, là je ne garantirai pas du tout votre sort, c’est comme si vous veniez de commettre un péché majeur comme si vous étiez exposé au divin ou à un de ses prophètes ou messagers, ici le processus de la flagellation ne répondait pas au but requis ; une punition plus sévère devait être trouvée, proportionnée au crime commis. Ce qui était étrange, c’est que le parti donnait un écho médiatique à ces agissements ; il prétendait à ceux qui voulaient l’entendre que cette milice sera, si Dieu le veut, le noyau de la police islamique, qu’ils purifieraient la société de l’impureté et des soldats de Satan, que c’est là le vrai rôle de la police.

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Le temps de l’apostasie Où était l’État dans tout cela, me diriez-vous ? D’abord pour la millième fois, je réponds pour dire que les citoyens étaient terrifiés à l’idée de déposer une plainte. Vous plaignez-vous de la main de Dieu ? Ou êtes-vous contre l’Islam ? Alors que vous arrivera-t-il après la plainte, surtout si vous vivez ou travaillez dans un quartier populaire. Avant de nous juger, vous devez remettre tous ces événements dans l’ambiance qui régnait dans le pays à cette époque, je ne me lasserai pas de dire que si vous contrôlez les mosquées, alors vous avez pris le contrôle du pays et vous n’avez plus besoin du palais présidentiel ou de quoi que ce soit d’autre. De là, vous pouvez orienter l’opinion publique comme vous le souhaitez et donner de la légitimité et le caractère religieux à tous les événements et actions de toute nature, et que si, avec cela, vous êtes sans scrupule, alors vous pouvez certainement faire ce que vous voulez de la société. La pure religion a fait de la mosquée une maison de Dieu, d’où seule la vérité vous viendra et seul ce qui convient à l’individu, au pays et à tous les serviteurs. Il ne vous vient jamais à l’esprit que le jour arrivera ou un groupe de criminels fait des maisons de Dieu et les chaires de ses messagers, leurs trompettes pour répandre la haine, les conflits, les mensonges, les menaces, les appels au meurtre, au massacre et à l’abattage, l’abattage des humains, bien sûr, pas des vaches. Un appel consistant à mettre en œuvre la politique de la terre brûlée tout en évitant les erreurs du colonialisme. Oui, c’était ça l’état de nos mosquées à l’époque, et c’est très peu de beaucoup de choses que je ne peux citer. Deuxièmement, nous n’avons pas été assez stricts dans nos interventions à leur encontre, car la politique générale du 89

gouvernement même si en apparence, il essayait d’appliquer un état de droit, mais il nous a ligoté les mains en nous recommandant d’éviter autant que possible tout contact avec ces milices. Le message de Belazreg le jour où il avait poussé des milliers à effectuer la marche du 10 octobre 1988, « tout en préservant sa personne » était parvenu au gouvernement, qui avait vite compris que l’intéressé n’allait pas hésiter à pousser ses partisans dans des affrontements meurtriers avec les services de l’ordre dans le cas où on lui refuserait ce qu’il demandait ou si on se mettait à travers son chemin vers la Présidence du pays. Il y avait eu une hésitation fatale de la part des autorités. Estce vrai que l’ex président Chadli Bendjedid croyait pouvoir à la fin, coexister avec eux ? Rêvait-il réellement que ces gens iraient un jour partager le pouvoir avec lui ? Ou seulement voulait-il reporter la confrontation jusqu’à la fin de son mandat ? Nous avions fait tout ce qui était en notre pouvoir dans le cadre de nos prérogatives en suivant les ordres qui nous avaient été donnés pour combattre le parti de la fitna et sa milice, mais l’affaire nous dépassait de loin. Nous vivions une période difficile d’ignorance et d’apostasie, nous essayions de toutes nos forces à ne pas disparaître et à ne pas laisser notre société disparaître. Nous avions tout fait pour préserver les descendants des martyrs et les éloigner du mieux qu’on pouvait de l’ignorance et de l’illusion que certains voulaient leur inculquer. Troisièmement, le parti de la fitna avait réussi à faire croire aux gens qu’il n’y avait pas de religion ou de foi en dehors du parti, et que c’était lui la religion et la planche du salut. Cela lui avait fait gagner, jour après jour, un élan persuasif plus symbolique et matériel pour atteindre ses objectifs, surtout depuis son accaparement des municipalités. Il avait tout fait pour exclure ceux qui le contredisent, notamment à travers les déclarations de ses dirigeants menaçant tous ceux qui se dressaient sur leur chemin, car le jeu de la démocratie n’était à leurs yeux qu’un moyen et une astuce pour accéder au pouvoir. Chaque jour, j’entendais des déclarations explicites de

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recourir au djihad si ce désir ou cette exigence ne se concrétise pas pour eux. Tous les dirigeants du parti s’étaient donné un aspect d’homme religieux ; leurs vêtements, la façon dont ils s’adressaient au peuple, l’exagération à citer les versets du Coran et les hadiths, leurs réunions dans les mosquées et surtout donner l’apparence de ceux qui ne s’intéressaient pas du tout aux biens matériels « en apparence seulement ». Tout cela avait poussé leurs adeptes et une large tranche de la population à les soulever au rang des pieux, pour ne pas dire les saints justes de Dieu ; ils s’en étaient transformé en porte-parole officiels au nom de la charia et les représentants exclusifs de la religion. Ceux qui les critiquent, critiquent la religion, et commettent un grand péché, bref ils avaient tout fait, du moins ce qu’ils pouvaient pour que les gens les placent dans la catégorie des infaillibles, – des chiites dans la robe des sunnites – Encore une fois, je n’ai de préjugé contre personne, mais j’essaie juste d’être honnête en transmettant les faits tels que je les ai vus, entendus et vécus, des faits dont certains dépassent les limites de l’imagination en termes d’ignorance et d’illusion et d’autres en termes de violence et d’extrémisme ainsi que d’autres événements en termes de mensonge, de tricherie, de fraude et de moquerie de l’esprit des gens. Ils avaient publié un guide pour les municipalités qu’ils dirigeaient, qu’ils avaient appelé le Répertoire des municipalités islamiques. Chaque exemplaire contient bien sûr le logo du parti, et en dessous la Basmala « Au Nom de Dieu ». Ce guide commençait directement par le discours d’adieu du messager de Dieu que la paix et le salut d’Allah soient sur lui. Je n’avais pas compris l’emplacement du sermon d’adieu dans un guide des municipalités algériennes. Le messager de Dieu avait changé le monde pour toujours, et son discours est venu après avoir approché la fin du projet divin. Est-ce là le cas du parti de la sédition ?

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Quelqu’un dira qu’ils avaient fait recours aux textes sacrés pour analyser, se prononcer et remédier à des faits sociaux qui n’avaient aucun rapport. L’emploi abusif de textes religieux dans les conflits mondains et politiques est évident et mélange l’idéologie aux mensonges et à la tromperie si nécessaire. Bien sûr pour les « nouveaux messies », gouverner est plus que nécessaire, sinon comment par Dieu expliquezvous ce qui suit : Lors d’un grand rassemblement qu’ils avaient organisé au niveau de la capitale après le folklore habituel, ils avaient utilisé la technologie du laser, qui n’était pas encore largement connue à l’époque, sauf qu’ils ne l’avaient pas utilisée à des fins scientifiques, thérapeutiques, techniques ou physiques, mais plutôt pour charlatanisme et tromperie : ils avaient procédé à l’écriture dans le ciel le nom d’Allah « Dieu » et du Messager de Dieu et d’autres expressions religieuses telles que l’Islam, Jihad, paradis et enfer… Sans aucun avertissement préalable, ni information aux participants. La foule avait immédiatement tremblé avec des acclamations et des « Allah Akbar ». Des centaines de personnes étaient tombées inconscientes, des dizaines d’autres avaient été évacuées vers les hôpitaux, c’est de justesse que nous étions sortis indemnes, car on avait frôlé l’émeute. Il ne manquait que l’apparition de Belazreg et Muawiya l’un chevauchant Al-Buraq et l’autre avec de l’eau giclant de ses doigts pour que les gens se prosternent devant eux. Quand même ! Nous sommes à Alger, capitale de la République algérienne, le pays de Jugurtha et Massinissa, le pays des Zianides et des Hammadites, le refuge du peuple d’Andalousie. Allons, messieurs, notre position géographique n’est qu’à 700 km de l’Europe. À propos, c’est de la fin du XXe siècle que nous parlons, faut-il passer par le Moyen-âge pour rejoindre la civilisation du vingtième siècle ? Avait-on besoin de miracles pour croire en Dieu ? Après avoir soigné les blessés, soulagé les surpris et les confus, essuyé les larmes de ceux qui étaient en pleurs et réconforté les abasourdis et après le réveil des hallucinés et l’échange des félicitations et de bénédictions entre les masses de croyants et de croyantes, le porte92

parole du parti (Muawiya) avait tenu une conférence de presse ; lorsqu’on lui avait posé la question sur ce qui venait de se passer et qui avait ébranlé la conscience des participants et de ce qui pourrait faire de notre capitale une destination pour le pèlerinage de tous les musulmans. Voici sa réponse mot pour mot et elle est toujours enregistrée sur le net : « Nous l’avons vu comme vous l’avez vu ». Il n’avait pas prononcé un seul mot sur l’utilisation de la technologie du laser et avait laissé les gens s’enfoncer dans leur ignorance, c’est ça donc qui allait être la politique des mollahs d’Algérie. Bien entendu, la nouvelle s’était répercutée rapidement à travers tout le territoire, et même à travers le monde entier. Un miracle divin s’était produit dans la Capitale, un miracle qui évoluait avec le temps bien sûr. Le Coran est apparu à l’ère des mu’allaqât, il est donc naturel que le miracle du XXe siècle soit un miracle technologique. Oui, une armée d’anges, docteurs en physique et en optique, – dommage qu’il n’y avait pas d’économistes parmi eux – est descendue du ciel pour tendre la main à Belazreg et à Muawiya en leur ouvrant la voie pour atteindre la suprématie du pouvoir. Le Créateur a béni le parti de la fitna en direct et devant le monde entier et pourquoi pas ? C’est bon, ne discutez pas trop, disciples de Satan, apostats, et il vaut mieux pour vous que vous mettez fin à cette discussion, sinon vous pourriez être battu, fouetté et peut-être plus. Et s’il le faut, on descendra par centaines de milliers dans les rues afin de donner légitimité et crédibilité à notre miracle. Nous ne plaisantons pas en ce qui concerne la doctrine, la doctrine du pouvoir bien sûr pour ceux qui ne le savent pas encore. Les chaînes étrangères n’avaient pas laissé passer l’affaire sous silence et elles avaient pour longtemps pris pour une plaisanterie et parlaient du charlatanisme qui sévissait chez nous et de la tromperie généralisée qu’on vit au XXe siècle. Certains pays dont les populations ignoraient même les rayons X avaient commencé à apprendre aux Algériens la signification des faisceaux laser. Ayez pitié des descendants des martyrs ! Quelques jours plus tard, à l’occasion d’une fête nationale, l’État avait également utilisé 93

cette technique et avait écrit des phrases nationalistes cette fois ; la transmission était en direct sur la chaîne nationale avec toutes les explications techniques nécessaires et les domaines dans lesquels elle pourrait être utilisée à l’avenir, mais le mal était consommé et la hache tombée sur la tête. Pendant de nombreux mois, des images du miracle divin avaient été vendues sur le marché par des pauvres égarés, pour cinq dinars l’unité. Un an s’écoulait depuis les élections municipales et déjà, la logique de l’autorité commençait à prendre le dessus sur la logique de la réforme. Certains membres du Conseil de la Choura avaient commencé à s’opposer en interne à Muawiya, que l’on accusait de vouloir bâtir sa carrière politique au détriment de l’intérêt du parti, surtout lorsqu’il avait pris une décision essentiellement provocatrice, à savoir, organiser une marche vers la présidence de la République. Pour la première fois depuis les événements d’octobre. Les marches étaient auparavant dirigées soit vers le palais du gouvernement, soit sur la Place du premier Mai d’où de nombreux députés et dirigeants politiques avaient déclaré leur forte opposition dont Ahmed Sahnoun et Cheikh Mahfoud Nahnah. Le Premier ministre avait également condamné cette décision. Par ailleurs, le Front de Libération Nationale (F.L.N.) – parti au pouvoir – s’était préalablement décidé à organiser le même jour une grande marche. Ce qui pouvait conduire à un terrible affrontement entre les partisans des deux partis, mais Muawiya avait insisté sur la marche ; cela avait vraiment eu lieu après que le FLN eût annulé la sienne et que Muawiya et ses amis sermonnent depuis une plate-forme qui était mise en place aux portes de la Présidence. Mais cette marche, même si elle avait eu lieu, avait laissé une fissure dans la direction du parti. Le Conseil de la Choura avait tenu une réunion, tenue secrète pendant de nombreuses années, adoptant une déclaration signée par la majorité qui inclut la destitution de Muawiya de la direction du parti. On avait dit que ce dernier était irrité par cela et il était resté en isolement chez lui pendant une semaine jusqu’à ce que Belazreg, comme d’habitude, ait parlé aux membres qui avaient signé la 94

déclaration ; il avait pu leur faire changer de position. Cependant, le Conseil de la Choura avait commencé, à partir de ce jour, à poser avec insistance le problème de la direction du parti, mais la guerre du Golfe avait reporté la guerre du commandement du parti.

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Le temps des déboires La guerre du Golfe. Bien que cette guerre ayant eu lieu à des milliers de kilomètres de chez nous, ses effets dévastateurs sur l’Algérie allaient être, sans la bonté de Dieu, presque plus destructeurs que sur les pays directement concernés, car le parti de la fitna avait délibérément exploité cette tragédie touchant particulièrement la nation arabo-islamique, une exploitation terrible, moche, sale et indécente. Les têtes de la fitna étaient comme des charognards ravageant les cadavres de leurs proies, sans se soucier que ces mêmes proies étaient jusqu’à récemment des lionnes attirant les regards admiratifs du monde entier. Le parti de la fitna avait délibérément quadruplé le nombre des marches et des rassemblements organisés à travers le pays plus particulièrement dans la Capitale et mettait encore plus haut la barre des revendications. Le langage de la menace et de l’intimidation était devenu maître de la situation. Comme si vous étiez en face d’adolescents, dont la liste des revendications ne s’arrêtait jamais, et vous ne trouviez jamais le moyen de les satisfaire, ils n’hésitaient pas à déclarer publiquement qu’ils appelleraient sans hésitation au Jihad s’ils en verraient la nécessité, et qu’ils ne prêtaient aucune attention à l’Etat « mais ça, on le savait déjà ». La population retenait son souffle ; tout ce qu’ils espéraient était que le gouvernement ne vienne pas contredire les seigneurs de la discorde (fitna) et qu’il réponde à toutes leurs doléances, parce que tout le monde savait qui serait le bois si le feu s’allumait. Dès que Saddam avait lancé son attaque contre le Koweït, le parti de la fitna lui déclara une guerre sans merci, en multipliant les déclarations et les conférences de presse en l’accusant de tous les 97

noms, et cela, sans attendre la position officielle de l’État ; ils l’avaient décrit comme un méchant et un lâche et avaient demandé à l’État Algérien de rejoindre l’alliance occidentale contre l’Irak. Pour la première fois, le parti s’était retrouvé nageant à contre-courant comme on dit. Tout le peuple sympathisait avec Saddam ; Muawiya et Belazreg étaient embarrassés vis-à-vis de leurs maîtres qui leur versent des sommes astronomiques, ils s’étaient vite ressaisis pour se retourner contre leur maître, ils avaient préféré nager avec le courant, non par amour pour Saddam, ses principes, sa politique ou sa cause. Non, mais uniquement pour préserver la base populaire. Le parti de la fitna, pour se racheter aux yeux de la population, avait même mandaté Belazreg à effectuer une visite en Irak. Quelques jours plus tard, en revenant au pays avec une rentrée fracassante, comme s’il avait vaincu, à lui seul, les armées des Alliés, il avait déclaré avoir rencontré Saddam en personne (je ne le crois pas). Cette nouvelle n’avait été rapportée par aucune chaîne arabe ou internationale. Il avait déclaré qu’il était d’accord avec Saddam pour lui envoyer des milliers de jeunes Algériens pour le Jihad « mais à quel titre bon sang ? ». Il avait multiplié ses déclarations dans les médias en exigeant que l’État envoie l’armée algérienne combattre à côté des forces irakiennes. Quand l’État ne lui avait pas accordé la moindre importance, de toute évidence, il avait alors ordonné aux municipalités islamiques de procéder à l’enregistrement des volontaires pour les envoyer en Irak, tout en exigeant de l’État de les armer et de les transporter jusqu’au champ de bataille « par Dieu ! Rien que ça ! » L’étourderie avait atteint son paroxysme lorsque le parti de la fitna annonça une marche pour le 18 janvier 1991. Une marche qu’il avait très bien planifiée à l’avance avec la ferme attention d’enflammer les braises de la sédition aujourd’hui avant demain, et pour cela toutes les chaires des mosquées de la République avaient été mobilisées dans ce but en exploitant toutes ses capacités financières. Il avait tout fait pour inonder la capitale avec des vagues humaines à leur tête devinez qui ? Belazreg en tenue militaire ! Oui Belazreg ! Quelle farce ! Un individu qui n’avait même pas eu 98

l’honneur d’accomplir le service national, vêtu de l’uniforme militaire ! Osant intimider l’Etat algérien avec des dizaines de milliers de ses partisans ; il les avait fait sortir des maisons de Dieu, pour enflammer l’Algérie pays de Dieu, après avoir gagné leurs sentiments avec des discours en feu. La foule se rendit au ministère de la Défense nationale, et bien sûr, nous étions prêts à toute éventualité depuis cinq heures du matin. La direction avait, depuis un moment, pris la décision d’acheminer la plupart des forces de police vers la capitale et les grandes villes. C’est ainsi que nos forces anti émeutes se déplaçaient d’une wilaya à une autre suivant le programme des rassemblements et des marches du parti de la fitna. Les collègues de ces unités ne rejoignent leurs sièges d’origine que très rarement et ils demeuraient confinés dans leurs casernes sans pouvoir rendre visite à leurs familles. Passons, l’important est que la marche avait commencé et s’était dirigée vers le ministère de la Défense, puis vers le ministère de l’Intérieur, nous la suivions depuis son départ. Les slogans habituels avaient prévalu, d’étranges drapeaux flottaient en l’absence totale du drapeau national ainsi que des portraits des martyrs. – Désolé, la photo est un péché – Ce fut une longue journée. Cela avait commencé à cinq heures du matin et ne s’était achevé qu’à minuit. C’était une journée plus fatigante que d’habitude et nous avons enduré plus de provocations et de harcèlements pour nous contraindre à intervenir. Nous avions déployé d’énormes efforts pour notre auto maîtrise et pour ne pas nous laisser guider par les appels à la sédition ; nos chefs nous y avaient bien sensibilisés. Le fitna parti avait prévu de faire de cette journée une journée de sang, notre professionnalisme en tant que corps de sécurité avait encore une fois prévalu. Dieu merci, ce jour-là s’était passé en paix. Cela ne m’empêche pas de me demander ce qui se serait passé si on nous avait ordonné d’empêcher la marche, si le scénario du 10 octobre venait à se répéter, sommes-nous une nation qui ne veut 99

pas apprendre de l’histoire ? Ou tout simplement, c’était ce que voulait Belazreg pour qui les victimes n’étaient que des chiffres destinés à l’opinion nationale et internationale, rien n’était cher pour les beaux yeux du poste de leader. Que Dieu nous en préserve ! Immédiatement après la marche, fitna parti avait commencé à mettre en place des camps d’entraînement sur les abords des montagnes et à la périphérie des villes, des camps dans lesquels des jeunes étaient rassemblés pour leur enseigner les arts martiaux, notamment par les Afghans algériens, l’éducation physique, et l’endoctrinement idéologique notamment. Ces camps avaient pour objectif déclaré de préparer la jeunesse et de la qualifier au Jihad en Irak, mais nous savions tous que le but de ces camps était la préparation au Jihad, oui, mais en changeant le lieu, le temps et le but, de sorte que le lieu devienne l’Algérie, le moment était le plus tôt possible, et le but était d’amener les leaders de la sédition au pouvoir. C’est ainsi que des couteaux s’aiguisent contre l’Algérie en vue d’un dernier coup de grâce, des camps d’entraînement clandestin ! Eh oui ! Dans mon pays, du temps où la décision revenait à des hommes libres, des camps d’entraînement pareils étaient ouverts dans le seul but de libérer le pays du joug colonial, mais du moment que la décision avait été remise aux esprits des femmes de chambre, les camps d’entraînement furent ouverts pour brûler le pays et le mettre à genoux. Alors quoi ? Le jihad, n’était-il pas le même ? En Algérie ou en Irak ? Ou en Afghanistan ou à Berberstan ? Peu importe, un seul jihad, une seule religion, une mort, un paradis, un enfer, une dévastation et une destruction, et le pouvoir aussi en est un, et c’était le plus important. Des dizaines de jeunes avaient été envoyés en mission dans certains pays arabes pour la formation et l’établissement de réseaux secrets. Les collègues des Renseignements Généraux avaient toujours tenu les dirigeants informés de tous les détails y compris bien sûr les camps d’entraînement, leurs nombres, leurs emplacements, les noms des recrues, le programme… Mais nous n’avions vu aucune réaction des autorités, il semblerait au final 100

que la sécurité eût une seule logique, et la politique en avait plusieurs. Le son des tambours de guerre se faisait entendre plus en Algérie que dans les pays concernés par la guerre et il était devenu évident que le fitna parti avait franchi toutes les lignes rouges et était entré dans le stade de l’irresponsabilité ; il s’était senti maître de la situation ; il faisait régner un climat de suspicion dans tout le pays. Il était clair que ces gens-là avaient fait de la guerre du Golfe uniquement un moyen pour atteindre des objectifs politiques pour accéder au pouvoir.

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Les hérétiques sur terre Le parti organisait des marches et des rassemblements les uns après les autres, et j’ai trouvé dans mes documents personnels un rapport sur l’un des rassemblements tenus au stade du 5 Juillet, et que nous avions suivi dans le cadre du travail, j’ai recherché la vidéo sur Youtube et je l’ai visionnée à nouveau, croyez-moi mes frères j’ai vu et entendu des choses que moi-même « qui étais sur place à l’époque », j’arrive difficilement à les croire de nos jours, et tout en visionnant j’ai commencé à me remémorer les souvenirs. Des images ont découlé de mon esprit comme si je vivais l’événement à nouveau ; le stade est archicomble. Ce jour-là, Muawiya était monté sur le podium pour s’adresser à une foule surexcitée et d’une manière qui vous faisait douter si la personne exécutait un monologue ou prononçait un discours politique. Il avait l’habitude de décrire le président de la République avec les descriptions et les épithètes les plus laides. Il avait dit « avoir lié certains événements les uns aux autres ». Il avait conclu que Chadli voulait reporter les élections. Ce jour-là, Muawiya avait franchi même les règles de la sagesse et de la religion. Il avait décrit les hommes d’État algériens comme des tyrans et les avait explicitement comparés aux sionistes. Voici littéralement une partie de ce qu’il avait dit dans ce discours : – « Il n’y a pas de place aux tyrans dans notre pays, nous disons aux sionistes et nous disons aux tyrans ici et là-bas que nous sommes pleinement préparés pour le jihad, je salue le peuple algérien pour son jihad pour Dieu, tout comme je ressuscite dans le peuple palestinien son jihad, ô peuple algérien, crie haut et fort : – je suis pour Dieu et pour le jihad. Il avait récité plusieurs versets du Coran qui parlent de jihad et répété à plusieurs reprises l’expression « Allah Akbar ! » « Dieu est grand ! »

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Pour s’adresser directement à ses fidèles : « S’ils disent élection, allez voter pour nous et s’ils disent non, combattez-les, et le peuple libérera l’Algérie et Jérusalem ! ». Il établit un lien entre la libération de l’Algérie et la libération de Jérusalem. Ainsi, la moquerie de l’esprit des gens se poursuit, l’un des participants lui remettait une chemise, qui selon lui, appartenait à Islambouli l’assassin du Président Sadate. Il affirmait qu’elle était offerte par la mère de ce dernier spécialement à Muawiya avec un message préférant le lire lui-même aux participants au milieu des cris hystériques : « Jihad » « Jihad » « Jihad » prononcés par des dizaines de milliers de personnes. Dieu est grand, Muawiya les avait interrompus à la fin : « Nous sommes tous pour le jihad, nous mourons tous sur la voie de Dieu », à la fin de son intervention. Ce jour-là, Muawiya avait omis de préciser à la foule que tout ce qui concerne ce soi-disant « Jihad » sera diffusé par des nombreuses chaînes appartenant à ses fils installés en Allemagne ; et que luimême suivait les nouvelles à partir du Qatar où il était confortablement installé dans un palais. Après cela, c’était au tour de Belazreg de prendre la parole qui, comme d’habitude, avait outrepassé son maître en proférant des menaces et intimidations tout en récitant les versets du Coran. Je ne les ais jamais entendus citer de versets pour d’autres situations que pour l’appel au jihad, le meurtre et le massacre depuis leur apparition, croyez-moi. Dans le cadre de l’exercice de mes fonctions, j’avais l’habitude de suivre sur le terrain, toutes leurs activités, leurs meetings et rassemblements, nous n’entendons plus parler des actes de culte, du Coran ou la Sunna et pourtant la plupart de leurs réunions se tenaient dans des mosquées, ils ne parlaient guère des différents maux sociaux et la façon dont ils allaient les éradiquer, je ne les avais jamais entendus parler de nos glorieux chouhadas. Le livre Saint est devenu juste une autre source à partir de laquelle ils infèrent la légitimité de leur prétention au sceptre du pouvoir dans 104

les plus brefs délais et sans condition. Ce jour-là, Belazreg avait dit littéralement qu’il porterait des armes : « Je porterai le Kalachnikov, et de cette plate-forme bénie, j’invite les soldats de l’armée algérienne à se retourner contre leurs officiers et j’invite également les policiers qui prétendent qu’ils font ce travail pour nourrir leur famille à jeter leurs uniformes pour nous rejoindre et nous vous nourrirons vous et vos familles ». Ce jour-là, j’aurais souhaité, si je pouvais lui répondre directement et devant ses macabres partisans, que « nous sommes des Algériens d’origine, des fils honorables de gens honorables, et chacun de nous a un nom de famille, et nous faisons notre travail par amour, passion et fierté et nous ne nous sommes jamais plaints à personne. Et en tout cas, pas à toi ». Le rassemblement se termina et tout le monde quitta les lieux sans que personne ne leur demandât de rendre des comptes de quoi que ce soit, mais tout cela n’avait pas allumé la mèche de la sédition comme le souhaitaient Belazreg et Muawiya. Ce dernier, pour la millième fois, apparaît sur les écrans de la télévision nationale pour déclarer publiquement que « le sang que les citoyens avaient collecté au profit des Irakiens fut donné par le gouvernement à la France, oui, à la France ». Je pense que le moins qu’on puisse dire de cette déclaration est que c’était une bombe visant à faire exploser à nouveau la situation. O Muawiya ! Tout peut passer avec la France, sauf le sang, s’il vous plaît il y’en a entre nous des rivières déjà, rien à faire. Muawiya persiste et signe, il avait insisté sur ses paroles et même déclaré qu’il avait un document officiel du ministère de la Santé prouvant ses déclarations. Ce soir-là, immédiatement après la déclaration, nous étions entrés en état d’alerte parce que la manière dont la nouvelle avait été livrée par Muawiya, contenait beaucoup d’incitations et de provocations. Alors, vous les dirigeants de la sédition, pour l’amour de Dieu dites moi si, par malheur, il y avait eu réellement une explosion populaire comme vous le souhaitez, avec de nouvelles victimes ? Qui en serait responsable ? Nous ? Une fois encore ? Encore et encore ? Inévitablement, vous auriez dit cela, puisque 105

c’était votre logique à vous et que nous aurions supporté à coup sûr tous vos péchés, toutes vos fautes, vos caprices, vos désirs, vos fantasmes et vos dérapages. Vous avez oublié ou vous faites semblant d’oublier qu’on ne peut rien cacher à Dieu et que le jour viendra où vous lui rendrez des comptes de tous vos agissements. Bien qu’il ait été prouvé que l’information que donnait Muawiya était fausse, même les trompettes de sédition s’étaient vite tues à ce sujet, et s’ils ne savaient pas déjà que l’affaire était liée à une manœuvre politique, ils ne seraient pas restés silencieux à ce sujet. Nous étions au plus haut niveau de l’alerte, prêts à toute éventualité, mais Dieu merci, il n’y avait pas eu de réaction de la rue à cette déclaration. C’était là un coup de pied sur le derrière des partisans de la sédition. Bien sûr, une affaire avait été instruite devant le tribunal compétent ; le jour de la séance préliminaire, nous étions sur le terrain à partir de six heures du matin. On savait qu’à chaque événement important – et des événements importants, il y en avait à la pelle –, dès huit heures du matin, les foules de sédition envahissent le tribunal cherchant à occuper tous les alentours et s’imaginaient être dans un rassemblement ou dans une marche, comme chaque fois qu’il y avait un procès d’un des leurs ou de l’un de leurs chefs. Ce jour-là, tout ce qu’avait présenté l’avocat de Muawiya comme preuve de ses déclarations était un document sans l’entête du ministère de la santé, ni le nom de la personne qui l’avait signé. Il n’y avait qu’un cachet rond s’étant avéré un faux et bien sûr, il n’y avait pas de témoins, et par grâce ne me dites pas que les témoins avaient peur de l’État. Tout individu de mon âge sait qu’à cette époque, les gens avaient plus peur de la milice du fitna parti que de l’État, de ses agents et de sa justice. Bien sûr, et comme d’habitude, l’affaire avait été enterrée d’un report à l’autre, avec l’aide d’une armée d’avocats que payait généreusement le parti. Le financement n’étant pas un problème pour lui.

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Sur le terrain, il ne nous a pas été facile de suivre tous ces événements, car notre nombre n’augmente pas avec l’augmentation des charges. On nous avait dit que le gouvernement était dans l’austérité et ne menait pas vraiment une politique de recrutement, donc nous exercions avec peu de ressources, nous travaillions plus de quinze heures par jour, les repas étaient à notre charge et, souvent, les heures de travail se prolongeaient jusque tard dans la nuit à l’heure où les transports publics étaient à l’arrêt, donc la plupart d’entre nous étaient obligés de passer le reste de la nuit au commissariat et cela se produisait souvent et pendant plusieurs jours consécutifs. Notre siège à l’origine n’était pas du tout équipé pour y passer la nuit, nous dormions sur les tables de nos bureaux ou sur des lits de camp pour les plus chanceux. Mais avec le temps, chacun de nous avait ramené de chez lui une couverture, un oreiller ou un tapis épais. Mais même ces quelques heures de sommeil obtenues n’avaient rien de réparateur à cause de la clameur, des cris et du vacarme qui ne s’arrêtait jamais au commissariat. Ces nuits ne différaient en rien des jours, en particulier dans le quartier de Bab El-Oued, dont les habitants croyaient catégoriquement que nous étions l’Etat. Ne vous ai-je pas dit que les citoyens nous appelaient « El Houkouma » l’Etat ? Et quand nous nous réveillons le matin, nous reprenions nos activités quotidiennes comme d’habitude et recevions les citoyens et leurs plaintes tandis que d’autres sortaient sur le terrain, pour mener diverses enquêtes car même au plus fort de la crise dans laquelle nous vivrons plus tard, qui menaçait notre existence, nous n’avions jamais cessé de faire notre métier qui consiste à lutter contre la criminalité, et à préserver la sécurité du citoyen et de ses biens, ainsi que de veiller à la salubrité publique. L’après-midi était généralement consacrée au suivi et à la surveillance des marches, rassemblements, sit-in et autres choses de cette nature. Quant aux soirées, on nous ordonnait généralement de protéger les différentes fêtes, soirées ou forums et réunions, qui se tenaient dans notre secteur de peur que les soldats de Dieu les 107

attaqueraient et arrêteraient l’activité qui s’y déroulerait, si elle ne leur plaît pas et parfois aussi quand le temps nous le permettait, on faisait des descentes dans des lieux connus pour leurs fréquentations nocturnes par des malfrats de tout genre (la Carrière, Plage ElKitani…) où se commettaient souvent certains crimes comme la consommation de drogue, la prostitution et autres. Des contrôles étaient également effectués dans les boîtes de nuit et les bars, pour procéder à la vérification d’identité pouvant permettre l’arrestation de personnes recherchées par la justice ou par des différents services de sécurité. Pour la plupart d’entre nous, nous dormions sans même enlever nos souliers, nous travaillions vraiment dans une atmosphère électrifiée et lassante. Nous travaillions et nous nous consacrions uniquement à notre travail, malgré la milice du fitna parti qui nous harcelait tout le temps et nous traitait de tyrans ennemis de la religion et de Dieu, d’apostats, d’infidèles et d’hérétiques, et qui essayait de nous provoquer, et même de nous empêcher de faire notre travail comme quoi la police islamique prendrait le relais. Les instructions étaient de ne pas se laisser entraîner à la confrontation, et ce n’était pas facile, mais cela ne nous avait pas empêchés, par diverses manières et moyens, de faire notre travail et que rien ne pouvait nous empêcher d’accomplir. Nous avions l’habitude de fournir tous les efforts possibles pour accomplir la noble tâche pour laquelle nous avions même négligé nos familles et nos enfants, oubliant nos propres problèmes, ambitions et espérances. Avec le temps, il était devenu clair pour tout le monde que la gestion des municipalités par le parti avait abouti à un échec catastrophique, car le chaos envahissait la distribution des biens immobiliers et la gestion des projets locaux, et le non-respect des promesses imaginaires faites avant les élections, en raison de la confusion entre la foi et la politique et parce que le groupe qui avait pris la responsabilité de la gestion n’avait aucune expérience dans le 108

domaine de la gouvernance et du management. Leurs municipalités avaient connu une grande stagnation, un déclin et un retrait par rapport à ce qui était le cas auparavant, alors ils avaient eu recours à l’idée de la conspiration contre eux ourdie par les laïcs et par l’État, arguant tantôt comme prétexte que l’Etat les avait dessaisi du pouvoir décisionnel, tantôt qu’il ne leur avait pas laissé la liberté de travailler et dans de nombreux cas sous prétexte d’absence de moyens… Ils avaient également pu détourner l’attention de leurs militants et de l’ensemble des citoyens sur des questions secondaires qui les distraient, sauf qu’au fond, ils savaient que le temps ne travaillait pas en leur faveur et qu’il ne leur restait plus que la fuite en avant. Alors Muawiya avait demandé la tenue des élections législatives anticipées et avait commencé à exercer, lui et ses partisans, une terrible pression sur l’État en utilisant les différentes méthodes auxquelles ils étaient habitués, comme les marches, les sit-in, les menaces, les déclarations… Le Président Chadli avait fini par céder et décida d’organiser les élections législatives le 21 juillet 1991. Il était naturel que le gouvernement apporte des amendements à la loi électorale, mais le nouveau texte de loi avait provoqué une scission au sein de leur parti ; cela n’avait pas du tout plu à Muawiya et Belazreg, ils voyaient dans ce texte une barrière destinée à leur barrer la route vers le pouvoir. Beaucoup d’autres cadres du parti pensaient qu’il n’était pas nécessaire de se confronter à nouveau avec le pouvoir et d’engager une nouvelle lutte avec lui, et que le parti devait gérer la situation avec sagesse et douceur, mais Muawiya, Belazreg et un groupe de ceux qui tournaient dans leur orbite avaient vu exactement le contraire. Le projet, à leur avis, était juste un moyen légal que l’Etat a voulu utiliser pour les priver du pouvoir et se détourner ainsi de ses promesses de leur laisser la gouvernance sur la base d’une élection libre et transparente. C’est ainsi que, suite à ce différend, un bras de fer entre le gouvernement et le parti a commencé. Ils avaient compris que l’État était dans sa phase la plus faible depuis l’indépendance et qu’ils étaient proches du fauteuil. Ils 109

savaient plus que d’autres que dans d’autres circonstances, et à un moment autre que celui présent, ils n’auraient eu aucun poids sur la scène politique. Ils avaient eu la ferme intention d’empêcher le projet de loi de passer et d’en faire une nouvelle excuse pour entrer en conflit avec le régime pour la millième fois, alors que le gouvernement, représenté par le Front de Libération National, considérait ce projet de loi comme sa dernière carte pour rester au pouvoir au moins en tant que partenaire ; les deux partis ont insisté sur leur position. Encore une fois, le baromètre avait commencé à s’approcher du danger et à avertir d’une explosion ; au lieu d’essayer de détendre l’atmosphère et de calmer la situation, l’insouciance et l’irresponsabilité avaient malheureusement de nouveau prévalu. Muawiya nous saluait depuis la Chaîne I nationale comme d’habitude et appelait à des élections pré-présidentielles en parallèle avec les élections législatives. Il avait décrit le président de la République comme le « clou de Djeha » et d’autres descriptions qui n’étaient dignes ni du poste ni de la personne, il l’accusait de beaucoup de mensonges et exigeait une fois encore le retrait du projet de loi en question. Comme d’habitude, cette séance télévisée comportait de nombreuses menaces si ses demandes n’étaient pas satisfaites. Ainsi, le fitna parti mordait la main qui le nourrissait car quoi qu’ils pouvaient dire du regretté Chadli, ils étaient forcés d’admettre qu’il était très patient avec eux. Peut-être même que c’était sa réticence à les affronter dès les premiers instants qui nous avait amenés plus tard à ce que nous savons tous, vu qu’ils avaient franchi les lignes rouges plusieurs fois avant cela. Oui, en refusant de frapper avec une main de fer depuis le début, et ce début avait été quand il avait cédé aux demandes de ces personnes et avait relâché celles emprisonnées dans l’affaire Bouyali. Des personnes qui avaient pris les armes contre l’Etat algérien et avaient mené une attaque armée contre l’école de police de Soumaa, et assassiné un brigadier de police (ancien moudjahid), au seuil de la retraite, sans aucune compassion pour son âge ni pour les nombreuses années qu’il avait passées au service du pays et du peuple. Il fallait agir aussi quand Belazreg 110

décrivait Bouyali comme un martyr et il parlait de lui, ouvertement, avec grande sympathie. Oui, le bon sens aurait voulu que le président Chadli Bendjedid ait arrêté ces malfrats depuis le début, depuis la création d’un parti religieux et la demande de libération des criminels, depuis l’affichage des slogans qui semaient la discorde et la division dans la société. Une ligne de démarcation aurait dû être tracée dès le début entre lutte pacifique et action de guerre, entre dialogue et chantage, entre religion et religiosité, entre opposition et trahison, mais malheureusement Chadli Bendjedid n’avait pas bougé un doigt, et je ne sais pas si c’était sa croyance en l’inviolabilité du sang algérien par l’algérien, et ce ne serait pas étrange pour le moudjahid qu’il était, surtout quand il avait vu que le côté opposé faisait tout ce qu’il pouvait par sa force et sa ruse pour pousser les choses au pourrissement et à l’écoulement du sang, ou bien tout simplement c’était encore l’amour de se maintenir au pouvoir le plus longtemps possible qui s’était emparé du président. Croyait-il vraiment qu’ils étaient de nature à partager le pouvoir avec quiconque ? Malheureusement, je ne suis pas le mieux placé pour répondre à ces questions, et j’espère vraiment connaître la réponse avant l’arrivée de mon heure. Le 23 mai 1991, nous avions appris par des informateurs que le Conseil de la Choura du fitna parti s’était réuni et discuté de la question de la tenue d’une grève générale nationale pendant une période de trois jours pour protester contre la nouvelle loi électorale, mais déclarée, publiquement, comme étant une grève illimitée pour faire pression sur le régime (le mensonge halal). Effectivement, un communiqué de presse avait été rendu public pour annoncer la tenue d’une grève nationale globale et illimitée à partir du 26 du même mois. De nombreux acteurs politiques de l’opposition à l’époque considéraient que les chefs de fitna parti, en prenant cette décision, avaient démontré leur naïveté et leur immaturité politique, mais aussi leur incapacité à s’élever au niveau 111

de la responsabilité qui leur avait été confiée. Les rapports reçus à l’époque d’informateurs confirmaient que de nombreux membres du Conseil de la Choura n’étaient pas du tout d’accord avec la décision de grève. Un groupe d’entre eux dirigé par Hachemi Sahnouni avait fait rappeler aux membres du conseil que l’objectif de la création du parti était de permettre à leur mouvement de participer à la vie politique pour réparer les erreurs du système depuis l’indépendance dans tous les domaines et qu’ils n’avaient pas l’intention d’accéder au pouvoir rapidement ou à n’importe quel prix. L’accession au pouvoir n’était pas un objectif en soi, ou du moins pas dans l’immédiat et ce qui les intéressait le plus était de réformer la société dans tous les domaines. Ils étaient même favorables à une participation à titre expérimental aux élections même avec la nouvelle loi, et quels qu’en soient les résultats. Ils n’étaient pas du tout inquiets s’ils ne gagnent pas cette année et ils renouvelleront la participation la prochaine fois et ils gagneraient à coup sûr, c’était là l’opinion du cheikh Sahnouni et de son groupe. J’imagine encore aujourd’hui ce qui se serait passé si tous les membres avaient écouté l’opinion du cheikh et de son groupe en optant pour la voie de la sagesse, de la perspicacité et de la prudence. Peut-être que Dieu nous aurait épargné les fleuves de sang et de larmes que l’Algérie a connus, mais malheureusement, la décision de la grève avait été prise dans un but tout autre que celui annoncé. Dans la tête de Muawiya, le véritable objectif n’était pas la réforme, mais la soif du pouvoir et son âge avancé ne lui permettaient pas d’attendre plus longtemps. Comme le dernier mot revenait toujours à lui et à Belazreg, cela ne lui avait pas demandé beaucoup pour faire adopter la décision de la grève. Selon les informateurs, Muawiya avait menacé de démissionner et de former un nouveau parti si aucune décision de grève n’était prise, et sur ce, le conseil avait cédé devant son chantage. Le communiqué de la grève avait été annoncé lors d’un grand rassemblement sur la place des Martyrs, que nous avions couvert comme d’habitude, et je veux ouvrir ici une parenthèse pour indiquer 112

qu’un changement s’était produit dans le protocole d’intervention des chefs du fitna Parti, où depuis sa création, ils avaient donné toujours la parole d’abord à Belazreg puis, en dernier lieu, à son maître Muawiya et comme le style oratoire de Belazreg dépassait de loin celui de Muawiya, ils avaient remarqué que de nombreux militants quittaient le rassemblement dès que Belazreg finissait de discourir. Cette démarche avait causé un grand embarras à Muawiya, alors ils avaient changé le protocole en faisant d’abord passer Muawiya et après venait Belazreg « le meilleur pour la fin » ainsi, on garantissait la plus grande audience pour les deux. Alors, Belazreg avait prononcé son discours après celui de Muawiya. Il avait maintenant acquis une habitude, dès qu’il montait sur le podium, quelle que soit l’occasion, les gorges de milliers de participants se mettaient à crier, dans une hystérie collective comme on peut le voir chez les adeptes de la secte chaâbaniya et chez d’autres sectes répandues dans tous les pays musulmans pratiquant le charlatanerie et la magie noire en utilisant ce que certains appellent la musique spirituelle : « Jihad, Jihad, Jihad ». Belazreg leur répondait en levant les mains vers le ciel, saluant ses fans, tous fiers de lui, sous les appels au Jihad de ses disciples dans le pays des martyrs. J’avais personnellement assisté à de nombreux rassemblements dans lesquels Belazreg avait prononcé des discours et dans beaucoup d’autres et pas une seule fois, je ne l’avais jamais entendu réprimander les participants pour avoir appelé au Jihad, ou du moins essayer de leur expliquer que ce mot, même là où c’est nécessaire, doit, à ma humble connaissance, rester la prérogative des seuls ulémas “savants”, mais cette fois, et c’est la première et la dernière, il avait demandé aux participants dès le début du discours de ne pas applaudir ou appeler au jihad. Il leur avait dit que l’heure était grave et délicate, leur demandant donc de se taire et d’écouter attentivement, et tout le monde se tut, ce fut un silence funèbre. Il était resté silencieux pendant un moment, comme s’il attendait que la révélation divine allât le faire parler ; il avait souvent exécuté ces mouvements théâtraux, et finalement il avait parlé, avait annoncé la grève et leur avait donné de nombreuses recommandations et conseils 113

dont celle de se préparer surtout à une guerre de grande haleine en procédant entre autres au stockage de tous les produits de première nécessité, et de ne pas arrêter la grève sauf sur ordre de son honorable personne ou celle de Muawiya le bien-aimé, et bien sûr, il avait oublié de nous dire s’il devait se préparer à une guerre féroce ou à une grève pacifique dont la durée avait été secrètement convenue ne dépassant pas trois jours. Une grève pacifique ? Que je vous ai dit ? Pardon, mon Dieu, tout le monde sait maintenant qu’après que l’État eût finalement mis la main sur le siège du fitna Parti, parmi ce qui avait été trouvé, il y avait un document préparé avant le début de la grève. Ce document avait été signé par Muawiya lui-même, et avec le sceau du parti, mettant à nu les intentions de Belazreg et de son complice. Ce document était tout simplement un plan complet préparé à l’avance pour incendier le pays, un ensemble d’instructions destinées aux militants. Il s’agissait plutôt d’un guide d’application expliquant comment ériger des barricades pour entraver les progressions des forces de l’ordre, comment fabriquer des cocktails Molotov et de nombreux autres conseils pratiques qui devaient les aider à résister efficacement aux forces de l’ordre, à les attaquer et à s’alterner entre eux jour et nuit pour ne pas les laisser se reposer. Tout avait été préparé à l’avance dans ce guide, le pays entier divisé en régions, des comités de résistance avaient été mis en place et des chefs avaient été désignés à leur tête avant même que la grève ne soit annoncée. Toutes ces dispositions pour une grève pacifique de trois jours ? Ou une guerre sans fin, une guerre qui devait brûler tout sur son passage ? Immédiatement après l’achèvement du meeting de la place des Martyrs, des marches et des rassemblements avaient commencé un peu partout sur l’ensemble du territoire national sans attendre la date fixée pour le début de la grève. Mais contre toute attente, lorsque le jour de la grève est arrivé, les résultats avaient été décevants, seuls quelques commerces avaient fermé et toutes les administrations publiques avaient poursuivi leurs activités normalement. Le même résultat pour le deuxième jour ; tout le monde avait constaté l’échec de la grève et on s’était dit qu’à la fin, ils seraient forcés de constater 114

leur échec et finiraient par mettre fin à cette action dès la fin du troisième jour comme convenu secrètement. Mais au troisième jour, l’atmosphère avait radicalement changé ; la milice du parti avait pris les choses en main, elle était descendue dans la rue et avait occupé les quartiers et les grandes avenues de toutes les villes. Les maires des municipalités islamistes étaient personnellement descendus sur le terrain, incitant les marchands et les commerçants à baisser les rideaux et les fonctionnaires à déserter leurs postes de travail pour rallier la grève. Les commerçants avaient été même menacés explicitement du sort noir qui les attendait des mains de l’État islamique s’ils n’adhéraient pas à leur action ; ils les avaient traités d’apostats. Ils s’étaient mis à appliquer un nouveau protocole d’action. À chaque fois que nous voulions intervenir contre un groupe de milices, nous trouvions le maire de Bab El-Oued devant nous, essayant de nous donner des ordres pour les libérer. Et bien sûr, nous ne lui avions prêté aucune attention, car sa relation avec nous était dans l’impasse depuis longtemps ; et dès la mi-journée du troisième jour de grève, la milice avait déjà pris le contrôle du terrain et instauré un climat de peur et de terreur, elle faisait diriger des manifestants par milliers pour encercler les magasins et les institutions publiques qui essayaient d’ouvrir leurs portes ou d’exercer une activité quelque soit sa nature. À la fin de la journée, ils avaient occupé complètement toutes les ruelles, les rues, les avenues, les grands boulevards. Dès la tombée de la nuit, la peur s’était installée dans nos villes. Le lendemain, la grève s’était transformée, avec l’aide de Dieu, à une désobéissance civile généralisée, d’où la plupart des places publiques étaient occupées par des sit-in de jour comme de nuit. Le chaos avait prévalu, la grève était totale, et des dizaines de milliers de personnes squattaient les placettes publiques durant la nuit pour y dormir et errer à travers les rues pendant la journée, des marches sans fin, des routes envahies par des foules humaines, empêchant tout moyen de transport de circuler et tout lieu de travail d’exercer. Toute école, 115

toute usine, toute administration, tout cabinet médical, tout commerce, étaient paralysés, tout le monde devait obéir aux ordres de la sainte milice. La place des Martyrs était l’une des plus grandes places de sit-in à Alger ; c’était l’un des endroits qui nous avaient été assignés. On se relayait entre nous de façon à être constamment présents sur le terrain, car la situation risquait d’exploser à tout moment, de jour comme de nuit. On nous avait ordonné de surveiller et de suivre les marches et d’en rendre compte par radio à tout moment, on procédait aussi à des arrestations de nuit et de jour selon le cas en prenant d’énormes risques tout en accomplissant certaines tâches de routine qui ne pouvaient aucunement être interrompues. Nous nous permettons de temps à autre un petit moment pour somnoler dans nos bureaux, et quotidiennement, le chef autorise deux d’entre nous à rentrer chez eux pour quelques heures afin de se laver, de changer de vêtements et d’apporter de la nourriture qu’ils partageraient naturellement avec les autres, c’est comme si nous étions avec eux sauf que nous étions de l’autre côté de la barrière, avec une différence quand même. Ils étaient beaucoup plus nombreux que nous, leur nombre leur permettait de ne passer sur la voie publique que quelques heures pour que la place soit occupée de jour comme de nuit, tandis que notre nombre ne nous permettait même pas d’obtenir un moment de repos. Eux, on leur apportait à boire et à manger toutes sortes de plats ; des milliers de personnes mangeaient et dormaient et priaient sur les places publiques matin et soir, jour et nuit. La vie s’était arrêtée dans tous les domaines à l’exception de cette activité, et le chaos s’était répandu dans les villes et l’horreur avait frappé le cœur des Algériens, en particulier les enfants et les femmes, qui ne quittent désormais plus leurs maisons par peur de l’explosion soudaine de la situation. Des victimes pouvaient résulter des nombreuses querelles et accrochages « sans armes » qui s’étaient produites entre nous et les manifestants. Nous respirons plus de gaz lacrymogène que d’air frais ; la situation était devenue insupportable, et il était clair que nous n’aurions pas pu supporter ce rythme de 116

travail pendant longtemps, un rythme infernal aggravé par un manque flagrant de moyens humains et matériels. Le fitna parti avait compris qu’il jouait sa dernière carte, alors il cherchait à nous épuiser. C’était une guerre d’usure par excellence, mais justement miser sur cette carte, c’était ignorer notre entêtement, notre détermination, notre persévérance et notre dévouement à Dieu et à la patrie. Et me voilà amené à parler de l’histoire d’un de nos collègues B.F. qui par malchance avait programmé auparavant son mariage dans la même semaine, il n’avait pas pu obtenir de permission pour le célébrer, mais il avait réussi à obtenir, de justesse, l’autorisation pour deux jours tout juste pour la nuit de noces. Neuf mois après, il a été assassiné. Que Dieu ait pitié de toi mon frère Farid. Le citoyen aussi était particulièrement épuisé par la situation, car les magasins, les marchés et les administrations publiques étaient fermés ; les étudiants étaient interdits d’étudier, les gens sortaient rarement, car il était très difficile de se déplacer même sur une courte distance, et rendre visite à un médecin était devenu presque impossible, surtout après que les milices avaient empêché les moyens de transport de rouler et en avaient même incendié et détruit beaucoup. Ils continuaient à assiéger toutes les activités de toute sorte et de toute ampleur, ils se ralliaient autour avec leurs cris hystériques « Jihad, Jihad », jusqu’à faire cesser l’activité visée. Les intérêts des citoyens étaient gravement perturbés, l’État était menacé dans son existence tant qu’il ait été incapable de gérer les affaires des gens et de garantir leurs intérêts. Enfin, après neuf jours d’enfer, le 2 juin 1991, le ministère de l’Intérieur publia un communiqué dénonçant les dirigeants du fitna Parti pour leur poursuite incessante d’atteinte à la sécurité et à la stabilité du pays. Le même jour au soir, le ministère publiait un second communiqué dans lequel il parlait de l’existence d’un groupe travaillant avec tous les moyens pour entraver même les activités sensibles et vitales de la société, et qu’à partir d’aujourd’hui des mesures réglementaires 117

allaient être prises pour disperser les rassemblements non autorisés. Le président de la République apparaissait à la télévision nationale prononçant un discours accusant les chefs du parti d’avoir tenté de tromper l’opinion publique, tout en leur demandant de revenir sur la voie de la rectitude. Tout le monde s’attendait à ce que les dirigeants du parti prennent les avertissements pour une fois au sérieux et arrêtent la politique de l’inconscience et de la fuite en avant et donc d’arrêter l’insurrection ; malheureusement, rien de tel ne s’était produit, mais en revanche une incroyable escalade de la violence avait commencé le 3 juin. Des rassemblements démoniaques ont été organisés sous la supervision des chefs du parti dénonçant le discours du président et l’appelant à démissionner. Des menaces ont été proférées : encore des menaces, toujours des menaces et rien que des menaces. Ce fut une journée longue et épuisante plus que d’habitude, car les marches avaient commencé tôt le matin et ne s’étaient terminées qu’après le coucher du soleil. De violents affrontements eurent lieu avec les miliciens, ils montèrent même sur le toit du bâtiment en face de la sûreté de wilaya d’Alger, sis avenue colonel Amirouche, ex rue Baudin et y avaient installé des dizaines de haut-parleurs tous dirigés vers le siège de la sûreté de wilaya et réglés au maximum émettant des psalmodies du Coran préenregistrées. C’était impossible de travailler dans de telles conditions à l’intérieur des bureaux dudit siège, en raison du vacarme intense produit par un grand nombre de haut-parleurs. Lorsque des collègues voulurent monter sur le toit de l’immeuble pour décrocher ces hautparleurs, ils constatèrent que les portes du bâtiment étaient encerclées par des centaines de manifestants. Le chef de la S.W. avait ordonné à ses éléments de ne pas entrer en confrontation avec eux. Un groupe de collègues, choisis parmi les meilleurs tireurs, montèrent sur le toit de notre siège, et, à l’aide de fusils de haute précision, ils ont réduit au silence ces haut-parleurs. Bien qu’ils étaient physiquement en forme et que nous étions épuisés, notre formation et notre expérience des bagarres de rue ont

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eu le dernier mot dans toutes les batailles que nous avons menées contre eux ce jour-là. Nous étions donc le barrage protecteur pour nos collègues de l’anti-émeute, notre expérience acquise au fil du temps nous a permis de nous coordonner entre nous de manière hautement professionnelle, même si nous avons enregistré plusieurs blessés dans nos rangs, mais les arrestations ciblées que nous avons effectuées ce jour-là nous ont épargné de lourdes pertes. Assistés de nos collègues des Renseignements Généraux, nous identifions surtout les Afghans et nous procédions à leur extraction au milieu des manifestants et c’étaient là des manœuvres très risquées, mais des ordres très stricts en ce sens avaient été donnés, et que nous exécutons même au péril de nos vies, c’est comme ça qu’on avait été formé et pas autrement. La vérité est que seuls ceux ne connaissant pas le fitna Parti et ses dirigeants pensaient qu’ils arrêteraient la grève, pour quoi l’arrêteraientils alors qu’ils fermement convaincus que l’État n’oserait jamais utiliser la force pour les évacuer des places publiques ? Et même s’il décidait de le faire, il pensaient qu’on était pas capables de mener à bien la mission, ou peut-être savaient-ils aussi que l’État n’avait d’autres choix que de mettre fin au sit-in par la force, et c’était ce qu’ils recherchaient en réalité pour faire davantage de victimes. Après la publication des deux déclarations et du discours du Président, l’État algérien avait fait évacuer la plupart des places publiques des manifestants en une seule nuit, et il y avait eu des victimes des deux camps, mais les marches avaient doublé de nombre et d’agressivité, la situation allait vraiment s’échapper des mains de l’Etat. Tous les voyants sécuritaires étaient au rouge, alors le président de la République annonça l’état de siège pour une durée de quatre mois, mais qui pouvait être levé à n’importe quel moment pourvu que la sérénité et le calme reviennent au pays. En effet, l’armée était descendue dans la rue et avait imposé le couvre-feu. Un calme relatif était revenu, les gens poussèrent un soupir de soulagement y compris nous, éléments des services de l’ordre. Ce qui 119

était étrange, vingt-quatre heures après la descente de l’armée, c’est que Muawiya avait annoncé la fin de la désobéissance civile, une annonce devenue évidemment sans importance. Cette annonce, nous l’attendions bien avant cette date ou tout au plus après la publication des deux déclarations et du discours du président de la République, mais maintenant que les victimes étaient tombées et que l’armée était descendue dans la rue, il n’y avait aucun sens « à votre annonce », car il avait été mis fin à la grève grâce à l’intervention des forces de l’ordre. Les citoyens attendaient que la situation se calme et que tout le monde reprenne le chemin de la sagesse et de la raison après ces jours difficiles, mais rien de tout cela. Les manifestations et les rassemblements s’étaient poursuivis, les poursuites, les disputes, les bagarres et les délits étaient devenus notre pain quotidien. Nous avions reçu des pierres et divers projectiles en quelques jours, ce que ne nous n’avions pas reçu depuis des mois, et il y avait eu plusieurs tentatives pour prendre d’assaut plusieurs commissariats de police par les masses de manifestants. La milice était allée encore plus loin, ses membres s’étaient emparés d’un gros engin des travaux publics et avaient essayé de prendre d’assaut le siège de la Sûreté de Wilaya d’Alger, ils avaient pris le départ à partir de la place du 1er mai, des centaines de manifestants entouraient l’engin qui s’approchait dangereusement du siège. La foule qui se dressait entre nous et l’engin avait tout fait pour nous empêcher de l’atteindre et de le mettre hors d’état de nuire. L’affaire s’annonçait très délicate, car nous ne connaissions pas leurs intentions, et s’ils l’avaient bourré d’explosifs ? Et s’ils projetaient d’envahir ce siège ? On disait que le problème était parvenu en haut lieu et que l’autorité avait ordonné l’envoi de la brigade spéciale sur place avec ordre de stopper l’engin coûte que coûte, il ne devait en aucun cas se rapprocher du siège de la Sûreté de Wilaya et qu’il ne devait pas dépasser au maximum la place Mauritania. Nos chefs avaient vite aligné deux sections de la police judiciaire et une section de la police anti-émeute ; cette dernière commençait au plus vite à lancer des grenades lacrymogènes vers la foule entourant l’engin, alors que nous les avions immédiatement attaqués, bien que la plupart d’entre eux 120

étaient armés d’armes blanches, dont des épées, des couteaux, de bâtons, de barres de fer… Nous nous sommes affrontés dans une bataille sanglante qui nous avait coûté beaucoup de blessés, car il fallait agir très vite et par conséquent, nous n’avions pas vraiment du temps pour bien nous protéger efficacement, mais notre sacrifice avait vite payé, une brèche importante était ouverte au milieu de la foule. À la fin, nous avons réussi à ouvrir un passage pour les collègues de la brigade spéciale qui avaient entrepris une pénétration rapide et efficace au cœur de la foule et concentré tous leurs efforts pour s’emparer finalement de l’engin, le stopper, arrêter le conducteur et ceux qui l’entouraient. Nous les rejoignons à notre tour pour prendre possession dudit engin. Ceci n’est qu’une infime partie de tout ce que nous avions enduré avec ces gens-là avant et durant la désobéissance civile. Les citoyens avaient aussi souffert avec nous du chaos répandu dans leurs quartiers et de l’impossibilité pour leurs enfants de quitter les maisons. La tranquillité d’esprit semblait à jamais perdue et le climat de sécurité définitivement pollué. Je pense que tout le monde avait cédé à la panique et au désespoir. Le 14 juin 1991, un nouveau gouvernement a été formé. Monsieur Ghozali avait déclaré que son gouvernement s’engageait à poursuivre le processus démocratique et à organiser des élections malgré tout ce qui s’était passé, et il avait mentionné que l’état de siège sera levé dès le retour du calme. Les citoyens étaient très satisfaits de cette déclaration et tout le monde attendait que l’autre partie appelle également au calme et à la rationalité. En effet, Muawiya et Belazreg avaient tenu une conférence de presse au lendemain de la déclaration du Premier ministre, mais malheureusement elle était beaucoup plus pour justifier la désobéissance civile qu’autre chose et Muawiya dira là, qu’elle était le seul moyen pour que les élections soient justes et transparentes. Il disait aussi que le régime était mort et que chaque mort devait se voir offrir une tombe ; il semble qu’il voulût vendre la peau de l’ours encore vivant, pas un traître mot pour apaiser la situation ou calmer les esprits. Au contraire, il avait donné au nouveau gouvernement quarante-huit heures pour retirer l’armée 121

des villes avant de déclarer officiellement le jihad, « encore ? Et c’est parce que tout ce qu’on a vécu ce n’était pas du Jihad ? Par Dieu ! » Quant à Belazreg, il n’est pas allé par quatre-chemins, il déclara qu’il porterait les armes et qu’il ne se souciait guère du fait qu’il soit déclaré hors la loi, et que tout ce qui comptait pour lui, c’est de ne pas s’écarter de la Sunna et du Coran. Et ma foi, je n’avais jamais réussi à comprendre d’où détenaient-ils cette assurance quand ils se prenaient pour les croyants les plus pieux qui peuvent exister sur terre. Belazreg avait aussi brandi une photo qui, selon lui, était celle de son défunt père, mais il l’avait hissée si haut et de manière à ce que personne ne puisse reconnaître la personne de la photo, et tout ce qu’on pouvait voir, c’était une personne tenant une mitraillette, il avait dit littéralement : – « Mon père avait porté une arme, moi aussi, je porterai une arme et j’irai au maquis dans les montagnes ». La vérité était qu’il avait incité des milliers d’Algériens à cela, oui, mais en ce qui le concernait la seule montagne qu’il avait gravie dans sa vie étaient les hauteurs des Tagarins lors de la marche vers le ministère de la Défense nationale. Il avait appelé tous les Algériens à porter des armes et rejoindre les maquis, mais il n’avait jamais dit un mot pour expliquer aux gens contre qui prendre les armes, et qui étaient ceux qui se trouveraient dans les montagnes pour les tuer et qui seraient les victimes de ces armes, mais c’était comme ça, lui et son maître, avaient dit tout ce qu’ils voulaient dire et quitter les lieux sans que personne ne leur demande des comptes, c’est ainsi qu’était devenue la liberté d’expression dans mon pays, c’était d’appeler les Algériens à prendre les armes contre les Algériens. Et c’étaient ces personneslà, que malheureusement, certains défendent encore aujourd’hui et disent qu’ils sont innocents du sang des Algériens, non, par Dieu, ils sont impliqués jusqu’au cou, et leurs déclarations sont toutes documentées et enregistrées. L’histoire est enregistrée et sera réenregistrée, lui qui disait brutalement et sans égal qu’il n’est pas de son devoir d’appeler à la fin de la violence, mais est-il de son devoir de demander au peuple de prendre les armes ? Les trompettes de la 122

sédition étaient donc restées représentées par Belazreg. Son maître et les assistants travaillent jour et nuit pour inciter leurs militants à nous affronter avec force et violence, et même de ne pas respecter le couvre-feu décrété par l’Etat. Dans l’un de ses discours, Belazreg leur avait demandé de s’accaparer des armes là où ils les trouveraient. Si des appels pareils venaient de Yacef Saadi, du commandant Azzedine, de l’icône de la révolution ou de Boupacha ou d’autres héros de notre révolution, on aurait peut-être dialogué avec eux et cherché à comprendre les raisons qui les poussaient à cette position radicale, mais de là à entendre de telles bêtises de la part de gens qui ne valaient même pas l’air de ce pays qu’ils respirent, là, il fallait à mon avis mettre un terme à un tel crime dès le départ. Le 24 juin 1991, vers deux heures du matin, nos chefs nous avaient organisés en deux groupes ; chaque groupe relevant de la P.J. avait été joint à une section de la police anti-émeute dont l’ensemble était commandé par deux officiers de police. Il a été ordonné à notre groupe de se rendre au siège de l’APC de Oued Koriche en compagnie de quatre employés de cette institution, tandis que l’autre groupe était orienté vers le siège de l’APC (Municipalité) de Bab ElOued, toujours avec quatre employés de cette dernière structure. Notre mission était de protéger les employés de la mairie pendant qu’ils enlevaient les slogans de la municipalité islamique. Le trajet entre notre siège et celui de l’APC de oued koriche n’était pas un problème en soi à deux heures du matin, mais à notre arrivée sur place, nous avions compris le pourquoi du déploiement de toutes ces forces de police pour protéger quatre travailleurs. Des milliers de fidèles de Belazreg entouraient la municipalité et chantaient, bien sûr, leur hymne national : « Jihad, Jihad, Jihad ». L’officier de terrain désigné à notre tête avait ordonné aux forces anti émeutes de lancer des grenades lacrymogènes pour les déstabiliser afin de nous permettre de les charger et de les éloigner le plus possible du siège de l’APC tout en arrêtant les personnes qui essayaient de nous résister.

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Les employés de la municipalité étaient restés dans la voiture jusqu’à ce que nous contrôlions complètement la situation. Nous avions commencé à travailler, et même si les gaz lacrymogènes gênaient énormément notre travail, cela nous avait beaucoup aidés à les chasser, malgré la résistance féroce dont ils avaient fait preuve. Ils nous avaient même contraints à mener un combat corps-à-corps pendant presque une heure. Nous avions arrêté des dizaines d’entre eux avant d’arriver finalement à maîtriser la situation et à sécuriser l’ensemble du bâtiment et ses environs, les forçant à s’éloigner et à rester à une distance respectable qui ne leur permettrait pas de blesser les travailleurs avec les projectiles qu’ils nous lançaient. L’officier avait assuré aux employés de la municipalité qu’ils peuvent travailler en toute sécurité et que nous les protégions avec nos corps. Les travailleurs s’étaient mis à accomplir leurs tâches tandis que nous nous occupions des manifestants jusqu’au retrait complet des banderoles. Un petit groupe avait été chargé d’accompagner les travailleurs chez eux pendant que nous sommes restés sur place pour protéger le site attendant que les manifestants se dispersent. Le matin commençait à se profiler à l’horizon, et soudainement et sans avertissement, nous entendions le bruit des coups de feu venant du milieu de la foule et un de mes collègues S.A., se trouvant à quelques mètres de moi, tombait au sol. Certains d’entre nous répondirent directement en tirant en l’air, en un clin d’œil le lieu fut déserté, nous les avons poursuivis, mais sans résultat ; alors l’officier avait ordonné d’évacuer sous escorte notre collègue blessé, il avait reçu une balle à l’épaule et une autre au cou. Il avait perdu beaucoup de sang, malgré tous nos efforts, le tireur n’avait pu être arrêté cette nuit-là bien que nous ayons passé au peigne fin le siège et ses alentours. Nous n’avons rejoint notre siège que vers neuf heures du matin environ pour y trouver la macabre nouvelle, notre collègue est décédé à l’hôpital, et à qui cela peut intéresser, il était fils unique, célibataire et fils de Chahid. Malgré cela, on nous avait fait savoir que les collègues désignés pour la mission de l’APC de Bab El-Oued avaient rencontré 124

encore beaucoup plus de difficulté pour remplir leur mission. Dès leur arrivée sur place, ils avaient eu un accrochage armé qui avait duré plus d’une demi-heure. Il avait fallu envoyer des renforts supplémentaires. C’était, une nuit fatidique, nous avions aussi appris que l’Etat avait mené la même opération cette nuit-là au niveau de toutes les communes de la République et que nos collègues avaient rencontré une résistance farouche et que de nombreuses victimes étaient tombées des deux côtés. L’enquête avec les détenus de cette nuit-là nous avait permis d’identifier le tireur de l’APC de Oued Koriche, il s’agissait du nommé R.G. ; un bulletin de recherche avait été publié à son sujet, il est devenu l’une des personnes les plus recherchées pour plusieurs affaires de terrorisme. Malheureusement, après cela, il avait réussi à assassiner un certain nombre de nos collègues que Dieu ait pitié de leurs âmes, avant que nous puissions le neutraliser à la rue Rachid Kouache (Léon Roche) à Bab El-Oued, non loin du siège de la Sûreté de Daïra, après qu’un collègue l’ait reconnu et pris attache avec nous par téléphone. C’était le début de l’émergence des résultats des discours incendiaires prononcés par Belazreg et ses complices. La politique d’escalade et de confrontation qui avait été rejetée – en vain – par de nombreux dirigeants du parti, de sorte qu’il était dit que le Conseil de la Choura de ce parti avait ordonné aux municipalités se trouvant sous son égide de ne pas se confronter avec nous si l’Etat décidait d’enlever les emblèmes des APC islamiques, sauf que le groupe affilié à Belazreg et Muawiya avait émis un contre-ordre et leur avait ordonné de nous braver et de nous en empêcher par la force, ce qui avait abouti à toutes ces confrontations et toutes ces victimes. Ce que je sais et que tout le monde sait, c’est qu’après cette dangereuse escalade, l’État avait pris la décision d’arrêter les chefs de la sédition, ce qui était initialement prévu environ une semaine avant le 30 juin. De plus, tout le monde sait aujourd’hui que cheikh Sahnouni était intervenu en haut lieu pour demander l’ajournement de l’arrestation de ces personnes et qu’en contrepartie, il leur 125

parlerait pour qu’ils fassent tout ce qui était en leur pouvoir afin d’apaiser la situation. Vu que cheikh sahnouni était très bien considéré, on lui avait exaucé son vœu à condition que le vendredi qui suit soit le dernier ultimatum pour calmer les esprits. Cheikh Hachemi Sahnouni s’était, effectivement, entretenu avec Belazreg le jeudi. Ce dernier lui avait répondu « Je ne suis pas fou d’inciter les gens à plus de violence, jamais, si on n’arrive pas à gouverner cette année, on y arrivera dans cinq ou dix ans, ce n’est pas grave et ce n’est pas le but ». Le vendredi suivant, le bureau exécutif de la wilaya d’Alger du parti rencontrait Belazreg dans la cabine de la mosquée, pendant que Muawiya donnait un discours et disait : « Ces chars de l’armée ne nous font pas peur, et si je donne l’ordre aux militants, ils les mangeront avec leurs dents » on se croirait dans un film de Walt Disney. Les membres du bureau exécutif s’attendaient à ce que Belazreg calme la situation comme promis, mais dès qu’il était monté sur la chaire, son discours était plus violent que celui de son maître, il avait accusé tous ceux qui étaient avec lui dans la cabine d’être des agents au service du gouvernement, et à leur tête cheikh Sahnouni. A la fin, je crois que l’individu était réellement fou. Un esprit sain est incapable de comprendre l’insistance de Muawiya, de Belazreg et de certains de leurs partenaires du parti de la sédition sur la logique de l’escalade et de la confrontation même en voyant le sang des Algériens versé. Et on nous dira après que ce fût dans l’intérêt de l’islam ! Vraiment ? Êtes-vous sûrs ? Alors, vous m’excusez, mais mon Islam à moi n’est pas du tout comme ça, sûrement pas. De nombreux membres de leur conseil appelaient à la sagesse et à la prévoyance, appelant à épargner le sang des Algériens alors pourquoi n’avaient-ils pas été entendus ? Ces membres-là, n’étaient-ils pas des musulmans autant que toi ? N’agissent-ils pas dans l’intérêt de la religion ? Notez que le gouvernement de l’époque avait montré qu’il était prêt à dialoguer sans condition aucune et qu’il ne demandait que l’apaisement de la 126

situation et l’arrêt de la violence, malheureusement ces gens-là faisaient la sourde oreille à tous les appels à la sagesse. Tous ceux qui prônent le dialogue et le calme étaient accusés de trahison. Était-il raisonnable d’accuser El-Hachemi Sahnouni de trahison, alors qu’il n’avait commis aucun péché, sauf qu’il avait appelé à l’arrêt de l’effusion de sang ? Et les autres alors ? Et Merani, et Fekih, et Harrani et bien d’autres ? Tous étaient des agents de l’Etat ? Tous des infidèles ? Tous des hérétiques ? Alors, il ne restait que vous deux en tant que vrais musulmans, de vrais Algériens ! Bien sûr, parce que vous avez appelé à la politique de la terre brûlée ? Des rapports indiquaient également à l’époque que le 25 juin, une réunion avait eu lieu au siège du parti regroupant tous ses cadres. La plupart d’entre eux avaient demandé à Belazreg d’apaiser la situation dans la rue et d’éviter qu’il y ait plus de victimes. Il leur avait répondu qu’au contraire, il va tout faire pour que la situation s’aggrave et qu’il conduise à plus de résistance. C’était là que trois des cadres du parti s’étaient levés pour quitter la réunion après avoir informé les autres qu’en ce qui les concerne, ils assument leurs responsabilités devant Dieu, devant l’Histoire et devant le peuple algérien. Ces derniers se sont rendus directement au siège de la télévision nationale. Il s’agissait respectivement de cheikh Hachemi Sahnouni, cheikh Fekih et cheikh Marani, des noms qui pèsent lourd au sein du parti. Tous les trois étaient des membres-fondateurs du Parti et pour la première fois depuis sa création, les Algériens découvraient qu’il y avait parmi eux des Algériens parlant couramment autre chose que la langue de la menace et de la violence, sachant apprivoiser les esprits et les cœurs, mais surtout, ils maniaient bien la logique. Ils parlaient de compassion, d’affection, de tolérance, ils rappelaient que la divergence dans ce monde est tolérée, elle est même nécessaire à la continuation de la vie, car un monde sans divergence est un monde sans vie pour annoncer à la fin de leur intervention qu’ils se 127

démarquent complètement de tous les agissements de Muawiya et Belazreg. Ils les accusaient explicitement et sans aucune ambiguïté d’avoir semé la violence et la sédition, entrainant ainsi le pays dans une spirale de violence sans précédent et le poussant vers un chemin inconnu, cherchant à atteindre le pouvoir à tout prix et qu’ils étaient un danger pour le mouvement islamiste, et une menace pour l’islam et l’Algérie en tant que nation et en tant que peuple, appelant par la même occasion leurs partisans à rester calmes, et à résoudre les problèmes avec sagesse et cesser de perdre des vies humaines innocentes sans raison. Les cheikhs prenaient le peuple algérien pour témoin. Après cette intervention, le Conseil de la Choura du parti avait expulsé deux de ses membres et avait demandé au troisième (Sahnouni) de s’excuser ; ce dernier avait refusé catégoriquement en maintenant ses déclarations. La vérité, s’excuse-t-elle du mensonge ? Et les dirigeants de la sédition, comme d’habitude, avaient fait tout porter sur le dos de l’Etat, leurs problèmes, leurs erreurs et leurs différends. Et bien sûr, ils avaient accusé les trois cheikhs d’être des agents de l’Etat infiltrés dans les rangs du parti « le contraire m’aurait étonné », quelle farce ! Vraiment ! Un proverbe arabe dit : « Si tu n’as pas honte, alors fais ce que tu veux, ou plutôt dis ce que tu veux », AlHachemi Sahnouni ? Le cheikh aveugle ? Le fils du quartier de belcourt ? Et pourtant, il activait dans la mouvance islamiste avant la naissance de Belazreg. Marani ? Fils de la Casbah d’Alger ? Fekih le fils de Sidi-Bel-Abbès ? Tout ce qu’il avait fait durant sa courte vie, c’était servir l’islam et c’était son souhait exclusif et rien d’autre. La vérité est que tous les trois avaient un passé en tant que militants pacifistes, et ils étaient bien plus connus dans l’arène algérienne que Belazreg et Muawiya. Cependant, ils étaient connus pour propager la juste parole et éduquer les jeunes, pas en appelant au massacre, au meurtre, au sabotage, et à l’intimidation en cherchant de raccourcir le temps 128

nécessaire pour atteindre le pouvoir. D’autres noms rejoindront plus tard la liste des opposants à la politique d’escalade, et tous étaient des érudits distingués, étaient-ils tous de l’Intelligence ? Donc, il ne restait plus rien dans ce parti à part Muawiya et Belazreg, encore une fois. La vérité est que les dissidents étaient tous des Algériens fidèles à leur pays. Ils étaient sur la scène politique avant la création du parti, sauf qu’eux n’étaient pas des assoiffés du pouvoir surtout lorsque celui-là était entaché du sang de leurs compatriotes. Prenant leur responsabilité de la seule crainte de Dieu, ils n’avaient pas peur de dire la vérité, oui, leur but n’était pas de satisfaire l’État dans l’espoir de gains mondains, ni même de plaire au peuple, car ils savaient que la majorité était éblouie par la propagande des meneurs de la sédition. Leur objectif était de servir le peuple et le pays et de plaire à Dieu et seulement à Dieu et à la crainte de Dieu et seulement Dieu. Ils avaient préféré revenir au chemin de la vérité et de la raison, et y a-t-il plus noble que d’épargner le sang des Algériens et empêcher qu’il soit versé, pour des raisons inventées par des demis-fous ? Lors de la première prière du vendredi, après l’intervention télévisée des trois cheikhs, précisément le 28 juin, Belazreg n’avait pas prononcé un seul mot à ce sujet, comme si de rien n’était, et la politique de fuite en avant continuait sans aucun scrupule. Il avait menacé de déclarer le Jihad (cette fois j’ai bien envie de dire un gros mot) si l’état d’urgence, n’était pas levé, bien sûr, au milieu des cris hystériques de milliers de participants, comme d’habitude, « Jihad, Jihad, Jihad », j’aurais souhaité n’avoir pas été mis au monde par ces temps où le mot Jihad serait entendu jour et nuit ; matin et soir, dans la rue, dans les mosquées, les stades, les cafés, les restaurants, les bains, les quartiers, les écoles, les villes, les villages, les plages, les montagnes et décrété par l’apprenant, l’analphabète, l’universitaire, l’enseignant, l’étudiant, le sain d’esprit, le fou, comme si la vie n’avait été créée par Dieu que pour ça, comme s’il n’y avait que ce mot dans 129

leur dictionnaire, mais au fait, je n’avais jamais entendu un seul savant religieux algérien parler de Jihad. Le Jihad, n’est-il pas avant tout une question religieuse ? Ou est-ce qu’à mon époque à moi, les choses s’étaient tellement mélangées, au point que c’était le médecin qui se chargeait des fatwas, l’ingénieur de la sécurité, l’agriculteur des affaires politiques, l’avocat de l’agriculture et l’analphabète s’emparait du droit à la vie et à la mort ? À mon époque, je voyais les clés du paradis et de l’enfer entre les mains d’une association de malfaiteurs, et le droit au pardon de Dieu n’était acquis qu’en appartenant au fitna parti, dont la devise est le verset coranique « Vous étiez au bord d’un gouffre… » Et les jours allaient nous prouver que le gouffre dont il prétendait nous sauver, il étaient le premier à vouloir nous y jeter dedans et aucun effort ne serait épargné pour cela, si ce n’était la bonté de Dieu et le sacrifice des hommes et des femmes. Je ne comprends nullement la logique de Belazreg et de son maître lorsqu’ils avaient demandé que l’état de siège soit levé à l’époque, le pays était dans un état de chaos écrasant, la peur et la panique dominaient la nation. Alors comment serait la situation s’il venait à être effectivement levé ? Le 29 juin, pour la deuxième fois, des visages du Conseil de la Choura du parti apparaissent à la télévision, il s’agissait d’Ahmed Marani de la capitale, Bachir Fekih de Sidi-Bel-Abbès et de Cheikh Al-Shinqiti de Ghardaïa ; tous des membres-fondateurs, ils avaient à leur tour déclaré leur répudiation de la direction de leur parti et mis en garde des conséquences dramatiques de sa politique et du sang qu’il allait faire couler. Le 30 juin 1991, l’Etat avait finalement assumé ses responsabilités et arrêté les chefs de la sédition, parmi lesquels, bien sûr, Muawiya et Belazreg. Finalement ! Quelques jours après ces arrestations, les manifestations s’étaient quelque peu apaisées et le conflit avait fait rage ouvertement entre les différentes mouvances du parti, en particulier entre les anciens 130

fondateurs, dont certains appelaient à la fin des comportements irresponsables. Ils avaient fait circuler un document appelant à calmer la situation ; et ils n’avaient pas du tout évoqué les noms de leurs dirigeants arrêtés et jetés en prison, mais un autre groupe faisait son apparition et qui serait connu sous le nom de « Aldjazaara » resté fidèle à Muawiya et Belazreg, mais aussi à de nombreux autres groupes et tendances. Nous avions entendu leurs conférences se tenir ici et là ouvertement et en secret à Batna, Alger et dans d’autres villes d’Algérie. Les nouvelles de Muawiya avaient presque disparu depuis son arrestation, et on disait que ses amis l’avaient mis à l’écart et l’avaient tenu pour responsable de tous les événements qui se sont déroulés, alors il leur avait soumis sa démission de la direction du Parti. C’est ainsi que l’on disait. Si c’était vrai, je suis particulièrement surpris que l’on charge la responsabilité à Muawiya lui seul. L’exemption de Belazreg, « même si ce dernier n’était qu’un outil entre les mains de Muawiya », mais cela ne l’exempte pas de ses responsabilités, étant adulte et vraisemblablement en possession de toutes ses facultés mentales. D’un autre côté, Belazreg avait continué à diriger les événements derrière les barreaux en envoyant des lettres à ses militants. La première prière du vendredi après son emprisonnement avait consacré son sermon à travers toutes les mosquées de la capitale pour lire la lettre qu’il avait envoyée de prison où il était en détention et c’était un vendredi particulièrement pénible pour nous. Le quartier avait été envahi par une armée de militants ; toutes les ruelles avoisinant la mosquée Al-Sunna étaient occupées depuis le petit matin et ce n’était que vers une heure de l’après-midi que le prédicateur était monté sur la chaire et avait lu la lettre comme s’il s’agissait d’un texte sacré. Ce dernier avait été éloquent en expliquant ses phrases et ses mots comme s’il expliquait le… « Je ne sais quoi dire ». Tout cela au milieu des gémissements, des pleurs et des cris et, bien sûr, des appels hystériques au Jihad. Les foules étaient 131

particulièrement excitées. À la fin du sermon et avant qu’il n’accomplisse la prière, l’imam avait demandé de rester après la prière à l’intérieur de la mosquée et d’observer un sit-in jusqu’à ce que leurs chouyoukh emprisonnés soient relâchés. Rien que ça ! Et dès que la prière avait pris fin, tous les présents commencèrent à courir vers l’intérieur de la mosquée, mais comment diable une mosquée pouvant accueillir à peine trois-cent fidèles allait entasser des milliers ? Rapidement ceux qui étaient à l’intérieur avaient fermé la porte de la mosquée sur eux-mêmes. La marée humaine restée à l’extérieur n’avait pas trouvé de mieux à faire que de nous attaquer. Comme ça ! Pour rien ! Gratuitement ! sans aucune raison plausible, mais nous étions prêts à toutes les éventualités comme chaque vendredi. Très vite, plusieurs sections de la police antiémeute nous avaient rejoints et la guerre de rue commençait une fois de plus. La confrontation s’était intensifiée dans laquelle avaient été utilisés divers projectiles, pierres, bâtons, couteaux, bombes lacrymogènes et mains nues. Malgré les immenses foules humaines et la violence avec laquelle ils nous avaient confrontés, nous les avions chargés et poursuivis jusqu’à l’avenue de la marne près du siège de la Direction Générale de la Sûreté Nationale où on nous avait ordonné de laisser la suite de la mission à d’autres collègues déjà sur place et de retourner au plus vite à la mosquée Al-Sunna pour attendre les instructions sur place. A notre arrivée à la mosquée, nous avions constaté que la congrégation avait terminé la prière du Asr il y a quelque temps déjà, mais sans ouvrir la porte de la mosquée, ils avaient plutôt commencé à diffuser des enregistrements du Coran à travers des hautparleurs installés au sommet du minaret, qui sont généralement utilisés pour l’appel à la prière ; de temps à autre, un orateur « qu’on avait reconnu d’après sa voix comme étant le lecteur de la lettre », prenait le micro pour s’adresser aux gens se trouvant dehors en leur demandant de les soutenir et de soutenir leurs cheikhs et de venger le sang de leurs frères.

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Aussi, nous avons trouvé sur place le chef de la Sûreté de daïra ; ce dernier était connu dans nos rangs comme un chef très courageux, qu’on trouvait souvent à nos côtés même dans les missions ou les interventions dites difficiles ou délicates, un homme de terrain comme on dit. Dès notre arrivée, il avait instruit trois d’entre nous à monter au sommet du minaret et de défaire les haut-parleurs ; il avait également ordonné aux autres de retirer tous les amplificateurs entourant la mosquée, dont la mission était accomplie en quelques minutes. Après quoi, le responsable avait essayé de négocier avec eux pour les faire sortir de la mosquée, en vain, ils avaient refusé catégoriquement, pas avant de libérer leurs maîtres, pardon, leurs cheikhs, et pensaient-ils vraiment que l’État allait répondre à leur demande ? Franchement, si ça dépendait de moi, alors vous pouvez y rester mille ans si vous le souhaitez. Le chef de la Sûreté de daïra nous avait rassemblés et nous avait dit qu’à « l’intérieur de la mosquée se trouvent des collègues à nous en tenue civile et que leur vie peut être en danger si on vient à découvrir leurs véritables identités et qu’on est à présent responsables de leur sécurité et qu’on doit à tout prix les faire sortir de là, sains et saufs ». Le chef nous avait demandé de nous préparer immédiatement à l’assaut, et de ne pas oublier d’arrêter le lecteur de la lettre au passage, il nous avait fait comprendre aussi que « nos collègues à l’intérieur vont nous aider à localiser le fameux lecteur « khatib » à l’intérieur de la mosquée. À l’instant même, on avait encerclé la mosquée. Chaque groupe d’entre nous se tenait devant une des portes de la mosquée, attendant le signal de notre chef pour commencer l’assaut. Et voilà que l’une des portes venait de s’ouvrir et que l’un d’eux sortait pour demander à parler à notre “patron” selon son expression, il fut immédiatement présenté au chef S.D. L’individu avait informé notre chef que la majorité des personnes à l’intérieur voulait sortir de la mosquée à condition que nul ne soit arrêté. Le chef avait immédiatement répondu favorablement à cette requête, mais à une condition : « Que l’orateur se livre à nous 133

spontanément et que les autres rentrent directement chez eux et qu’ils n’essaient pas de se regrouper dehors ». L’intéressé avait répondu qu’il ne pouvait pas se prononcer sur ces deux conditions et qu’il ne pensait pas que le groupe aller les accepter, mais qu’il reviendra sous peu pour nous informer du résultat, alors nous l’avions laissé rentrer à la mosquée et nous avions attendu plus d’une demi-heure sans rien de nouveau. Le chef leur avait parlé à l’aide d’un bigophone les avertissant que « nous interviendrons dans cinq minutes à partir de maintenant. » Effectivement, le chef avait désigné les quatre inspecteurs qui devraient effectuer l’assaut ; chacun de nous à la tête d’un groupe de dix encadreurs et agents, tandis qu’un officier de police, à la tête d’un autre groupe d’une vingtaine d’éléments, encercle la mosquée. Le chef de la Sûreté de daïra allait superviser lui-même toute l’opération, mais à la dernière minute la même personne revenait à nouveau pour annoncer au chef que « les avis sont très mitigés à l’intérieur quant aux conditions que nous avions posées, mais ils avaient finalement convenu que chacun d’entre eux devrait faire ce qu’il jugeait approprié et qu’il y avait un grand nombre d’individus qui voudraient partir ». Le chef lui avait demandé de rentrer à l’intérieur et d’ouvrir uniquement la grande porte de la mosquée, et nous nous tiendrons devant et que c’est nous qui allons organiser toute l’opération pour faciliter l’évacuation de tous ceux qui le souhaitent, puis nous verrons comment traiter avec ceux qui insistent pour y rester ». Ensuite, le chef nous avait ordonné de rassembler le plus grand nombre d’entre nous devant la grande porte dont deux collègues connaissent le prédicateur, et il nous avait demandé d’être prêts. « Dès qu’ils ouvrent la porte, nous devons être en mesure de contrôler la situation, et veiller à ne pas être pris au dépourvu car ils peuvent toujours nous charger et créer une situation chaotique. On doit impérativement organiser la sortie de la foule en petits groupes de cinq personnes au maximum, et de n’arrêter personne à part l’orateur. Quant aux autres, laissez-les partir ». L’un des officiers lui avait demandé, « que devons134

nous faire de ceux qui refusent de partir ? Il lui avait répondu qu’ils « partiront tous et de leur plein gré, il suffit de leur donner le temps nécessaire et que le prédicateur reste seul ». Le chef avait continué à donner ses ordres. Nous devons surveiller toutes les autres portes, un petit groupe est resté avec le chef pour observer la situation. Après environ un quart d’heure, la porte centrale de la mosquée s’ouvre, nous la refermons avec nos corps immédiatement, et avec beaucoup de difficulté, mais nous avons pris le contrôle de la porte sans aucune confrontation ni bagarre, juste des cris des deux côtés, nous avons commencé à les faire sortir, cinq à cinq comme demandé. Après nous être assurés que le prédicateur n’était pas parmi eux, nous leur avions permis de sortir. Le Responsable avait demandé aux patrouilles se trouvant aux alentours de surveiller la situation et de s’assurer qu’ils ne se rassemblent pas dans la rue, qu’ils ne troublent pas l’ordre public. La plupart des manifestants étaient partis à un rythme assez rapide, et le khatib n’en faisait pas partie. Au bout d’un moment, il ne restait qu’une soixantaine de personnes assises criant Dieu est grand (Allah akbar). Nous nous tenions devant la porte à les regarder alors que le chef était là devant nous et il nous demandait de temps à autre de ne pas faire attention à ce qu’ils disaient et de se contenter de faire notre travail, comme s’il les exhortait à sortir et à rentrer chez eux, et que la question de leurs cheikhs n’était pas de notre ressort, qu’elle ne les concernait pas eux non plus et que ce n’était là qu’une question politique. De temps à autre, l’un d’eux se levait et s’en allait sans que les autres ne s’opposent, ni nous d’ailleurs. Plus le temps passait et plus le rythme des départs s’accélérait. Nos collègues des Renseignements Généraux restés à l’intérieur ne nous avaient pas adressé la parole et nous avions, à notre tour, évité de les regarder, car nous en connaissons certains, mais pas tous. Après un certain temps, il n’y avait plus que sept personnes à l’intérieur, et l’une d’elles se tenait debout en criant aux autres à haute voix, leur demandant de rester fermes et de ne pas laisser tomber les cheikhs, et que l’État islamique se souviendrait inévitablement de leur Jihad, mais ce n’était que pour un moment jusqu’à ce qu’un des 135

membres du groupe se levât et demanda à partir. Ce dernier avait eu ce qu’il voulait. Et il ne restait que la personne qui criait et cinq autres personnes s’étaient levées à ce moment-là et lui avaient dit qu’elles appartenaient à la police et qu’il devait sortir immédiatement, autrement il serait évacué manu militari. Il n’avait pas dit mot et sortit instantanément. Le chef s’était immédiatement adressé aux collègues et leur avait demandé où le khatib s’était caché ? Alors, ils nous avaient orientés vers la cabine de l’imam (El maksourah), où après une brève recherche, nous l’avions trouvé caché dans une armoire en bois. Il avait été arrêté, emmené au service puis libéré après que son identité ait été prise et vérifiée au fichier. La mission s’était terminée paisiblement. Cependant, les lettres de Belazreg ne s’arrêtaient pas, même si elles n’étaient plus lues dans les mosquées comme avant, mais affichées dans la hâte et dans la clandestinité sur les murs. Les conférences, rassemblements, manifestations et altercations s’étaient poursuivis jusqu’à ce que l’Etat ait fixé le 26 décembre 1991 comme nouvelle date des élections législatives. Les différents partis avaient annoncé leur position quant à la participation et au boycott. Le parti du Front de Libération Nationale était le premier à annoncer sa participation, tandis que son opposant direct, le fitna Parti, avait réussi à rassembler un groupe fidèle à Belazreg et Muawiya et avait mis main basse sur la direction et annoncé aussi sa participation. Après l’achèvement des préparatifs et la publication des listes de candidats, la campagne électorale avait commencé. Comment allions-nous organiser des élections fatidiques alors que le terrain était complètement miné ? Je pense que si le gouvernement avait fait preuve de clairvoyance, il aurait d’abord assaini la situation avant de s’engager dans la tenue d’une élection. Je n’ai jamais compris comment le gouvernement avait cédé à la pression du gang et avait décidé d’organiser des élections législatives dans des circonstances pareilles.

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Mais ainsi, le président Chadli avait décidé de tenir des élections dans une atmosphère de chaos et dans un pays où la loi n’avait plus aucune autorité ; la seule autorité présente à l’époque était entre les mains des milices du fitna parti. Au fur et à mesure que les milices se répandaient, elles occupaient le terrain et l’accaparaient pour elles seules. Bien sûr, notre circonscription ne faisait pas exception, bien au contraire, on ne voyait que des barbes et des kamis partout dans les quartiers de Bab ElOued : Diar El Kef (Carrière Jaubert), groupe Taine, La Boucheraye, les places publiques, le parc Taleb Abderrahmane, les Trois Horloges, le jardin de Prague et les ruelles principales telles Avenu Malakove, Rue Borrilly, Avenue de la marne, Rue Bouzareah, Rue Baudin, Guillemin, Léon roche, Province, Frais vallon, sans oublier que toutes les mosquées de la République devinrent, toute la journée et une partie signifiante de la nuit, des trompettes pour faire la propagande du parti et de ses candidats. Les versets du Coran s’étaient fait tordre le cou et étaient parfois interprétés, et même déformés de leurs significations afin de propager la philosophie du sinistre parti. Si par malheur quelqu’un osait critiquer le parti, il était humilié, chassé et traité de tous les noms, et même qualifié de serviteur de Satan car ne voulant pas que l’islam règne et en un clin d’œil entouré par une foule impressionnante. Après quoi, son sort était entre les mains de Dieu. Tout le monde avait compris le message, laisser les rues, les places et les mosquées au seul fitna parti. Leur discours était vraiment un discours de schizophrènes. Vous les voyiez dans les rues et les mosquées prêcher au peuple et lui dire que la démocratie est une hérésie ; Belazreg lui-même disait avant son arrestation et à haute voix. « Je n’ai jamais pensé qu’en Algérie l’Islam serait soumis aux élections », mais bien sûr, il n’y avait personne pour lui dire : – « mais vous n’êtes pas l’Islam et qui vous a donné cet honneur ? Êtes-vous l’un des messagers ? » Mais quand lui et ses serviteurs apparaissent dans les médias, vous les voyez comme les premiers à glorifier la démocratie et ses lois et le respect de la constitution. La plupart des

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discours étaient des copies conformes de ceux des élections municipales « On ne change pas une équipe qui gagne ». Il disait toujours à ses partisans qu’ils gagneraient avec ou sans élections, que l’emblème de la religion serait le plus haut et que la parole de Dieu gouvernerait ce pays. Oui, Belazreg, mais qui t’as mandaté pour mettre tout ça en application ? Mais ce parti, autoproclamé dès le départ comme représentant exclusif de la religion et porte parole de la parole de Dieu en se servant sans scrupules des versets coraniques, des hadiths et des paroles des compagnons du Prophète sous en les projetant sur les événements politiques contemporains, afin de gagner les élections. Ainsi était le climat pendant la campagne électorale, des foules humaines sortant des mosquées, errant dans les rues en scandant le slogan « Pas de charte, pas de constitution “Dieu a dit” c’est tout ce qui compte. » « État islamique sans le vote », alors c’était ainsi que les nouveaux messagers de Dieu voulaient que nous ayons un État sans constitution et sans lois, quitte à falsifier l’histoire et à nous leurrer que les pays islamiques depuis les califes n’avaient pas de lois régissant la société. Leur seule compréhension était la prolifération de slogans superficiels et flashy pour éblouir les esprits des masses pour pouvoir régner et c’est tout. Et le jour des élections était arrivé ; et comme d’habitude, nous étions prêts pour l’événement, nous gardions les bureaux de vote jours et nuits, deux jours avant les élections, en application du protocole suivi depuis longtemps. Nous nous étions largement répandus comme d’habitude dans tous les lieux le jour du scrutin, et avions veillé également à la sécurité des urnes et des divers documents liés à l’élection, que ce soit lors de leur transport ou lorsqu’ils étaient dans les bureaux de vote. Nous avions tenu à appliquer la loi comme nous le pouvions et les élections s’étaient déroulées dans une atmosphère électrifiée, mais sans incidents graves. À Bab El-Oued, malgré le fait que toutes les patrouilles aient informé la salle des opérations du déploiement massif des miliciens qui tenaient à faire rappeler aux passants qu’ils devaient non 138

seulement aller voter, mais aussi devoir voter pour l’Islam, et que Dieu le jour du jugement dernier leur demandera des comptes sur ce vote, elle nous avait ordonné de ne pas intervenir à moins que les miliciens ne s’approchent des bureaux de vote, ce qui ne s’était pas produit. Et les résultats avaient été annoncés, et bien sûr le fitna parti était en tête. Tout le monde connaissait les détails des résultats, même si le taux de réussite avait diminué par rapport aux élections municipales, cela est dû à l’apparent échec dans la gestion des municipalités et au non-respect des promesses faites, ainsi qu’aux résultats désastreux de la désobéissance civile, en plus de « l’émergence » d’autres partis islamiques modérés. Dans tous les cas, seuls les crédules s’attendaient à des résultats contraires. Les résultats de ces élections, Messieurs, avaient été acquis à l’avance, le résultat était déjà assuré depuis longtemps, depuis la création du parti et depuis que Muawiya avait déclaré qu’ils s’étaient mis d’accord avec le régime pour qu’il lui donne le pouvoir de manière démocratique. Existe-t-il un moyen plus démocratique que les élections ? Le parti vainqueur avait fait l’éloge des élections, les décrivant comme une victoire écrasante pour l’islam et les musulmans pour qui Dieu avait achevé une conquête claire, et que sans certaines irrégularités – pour lesquelles il avait présenté des recours –, le taux de victoire aurait été de 100 %.

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Le soleil et le tamis Nous ne représentons peut-être pas la majorité quant à notre avis sur ces élections, mais personnellement peu m’importe que je sois du côté de la majorité ou de celui de la minorité, c’est ma conviction et je la défendrai jusqu’au dernier jour de ma vie, pour dire que truquer les élections ne se fait pas forcément qu’en manipulant les voix de l’électorat, non, il peut y avoir fraude avant, pendant et après les élections. Si la fraude, pendant et après les élections, est limitée bien sûr dans le temps et le lieu, la fraude d’avant élection, elle, n’est pas comme ça, car elle peut précéder les élections avec des années, en d’autres termes, il y a fraude pure et simple et fraude déguisée, fraude directe et fraude indirecte. Le trucage de ces élections avait commencé le jour où la création d’un parti religieux islamiste avait été autorisée dans un pays musulman. Dieu sait que nous ne sommes pas une minorité dans notre pays, pour que nous ayons besoin d’un parti qui défend nos droits religieux. Sinon, il aurait été plus approprié alors de dissoudre les autres partis à l’avance, et se satisfaire de ce parti, vu qu’il ne peut y avoir qu’un seul Islam, et que Dieu nous épargne tous de ce tralala. N’étions-nous pas à l’époque habitués au parti unique ? De toute façon, vous ne trouverez personne en Algérie ou dans aucun autre pays musulman qui va voter contre un parti qui élève le slogan de Dieu et de son Messager, quelle que soit la personne qui se cache derrière le slogan, pieu musulman soit-il, ou irréligieux athée, un imminent savant soit-il ou un analphabète illettré, un patriote fidèle, ou un harki fils d’un harki, peu importe, l’islam, Dieu merci pardonne et efface tout ce qui précède. Les musulmans où qu’ils soient voteront toujours pour un parti islamique 141

indépendamment de son programme social ou politique, ou même s’il n’a pas de programme du tout pourvu qu’on mette à sa disposition les mosquées pour qu’il puisse s’approprier de la qualité d’unique porteparole de la religion ! Oui, c’est tout ce qu’il faut pour un parti islamiste pour rafler toutes les voix d’une élection libre et indépendante. Alors comment pourriez-vous demander aux Algériens de voter contre un parti qui avait adopté de nombreux versets coraniques pour des slogans imprimés sur ses documents officiels et toutes ses publications, un parti qui avait inondé les quartiers, les villages, les villes, les routes et chaussées, placettes et parcs, les stades et les plages ne ratant ni fêtes ni obsèques pour vous brandir à la figure des slogans qui feront de vous un apostat de l’islam si vous ne votez pas pour eux : – Votre voix peut vous épargner l’enfer. Votre voix est une responsabilité dont vous devez répondre le jour de la résurrection. Votez en faveur de l’islam ne soyez pas un ennemi de votre religion. Ne permettez pas aux ennemis de Dieu de régner et autres slogans de ce genre, sans parler des milliers de fidèles qui bloquent les électeurs sur la route et leur demandent de donner leur vote au parti de la religion islamique. Après tout ça, vous attendez vraiment que le peuple Algérien, aille voter pour un parti autre que le parti du paradis ? Sérieux ? La grande tricherie avait commencé le jour où ce parti avait été autorisé à prendre le contrôle de toutes les mosquées du pays et à en faire un terrible outil de propagande travaillant jour et nuit en sa faveur, propagande diffusée depuis les maisons du Seigneur qui normalement ne sont là que pour glorifier le nom d’Allah et seulement Allah, oui son nom seulement, pas les noms de Belazreg et de Muawiya, ni de Pharaon, de Qarun, ni d’autres. La propagande à partir des mosquées avait ancré dans l’esprit des gens que ce parti incarne à lui seul la religion de l’islam. Les autres partis représentant l’apostasie et l’hérésie. C’est à vous de choisir, oui libre à vous, choisissez entre le paradis et l’enfer, entre le bonheur éternel et la souffrance éternelle, c’est à vous de voir, mais n’oubliez surtout pas que pour le grand public, celui qui faisait cette propagande était un 142

imam, un homme de religion et qui n’avait rien à avoir avec la politique. Bien sûr, il parlait du haut de la chaire d’une mosquée, oui, il parlait de la chaire de notre Prophète. Oh ! Allons, Messieurs, doisje vraiment expliquer ce que cela signifie pour un musulman ? La religion, Messieurs, c’est le bonheur éternel, quiconque vous le garantit, vous serez certainement derrière lui, et le contraire fera de vous un abruti – pardon pour l’expression – sachant que tout ce qu’on vous demande pour le moment, c’est une enveloppe en son nom à mettre dans une boite, c’est trop demander ? Quant à la crédibilité de tout ce qui est dit, il lui suffit pour prouver sa véracité qu’il parle debout sur la chaire du Prophète et que toutes les discussions et les orientations se tiennent à l’intérieur des maisons de Dieu. Plus rien à vendre, plus rien à ajouter. Et en tout cas, chez nous, les gens se sont habitués pendant des décennies à des élections qui ne changent en rien leur situation et une fois de plus ou de moins, ma foi ce n’est pas ça qui va changer la donne. Les élections, mesdames et messieurs, ont été truquées le jour où le parti a été autorisé et encouragé à créer une république parallèle dans le pays : la police islamiste, un marché islamiste, et beaucoup d’autres organisations de masse comme le syndicat islamiste et l’ouverture de camps d’entraînement militaire… Elles ont été truquées le jour où on avait permis aux leaders de la sédition d’appeler les criminels prisonniers d’opinion, exiger leur relaxe et en fin de compte, leurs exigences étaient satisfaites. Les élections ont été bafouées le jour où l’Etat avait décidé de les tenir dans la précipitation, et ce, malgré le chaos accablant qui régnait dans le pays. Emprisonner les dirigeants du parti sans dissoudre le parti lui-même avait eu un effet complètement opposé à celui escompté, car sa dissolution et l’arrestation de ses cadres dirigeants devaient avoir lieu beaucoup plus tôt. Oui, ils auraient dû être arrêtés dès qu’ils avaient adopté le langage de la menace et du chantage, le jour où ils avaient prononcé pour la première fois le mot Jihad, et 143

bien avant qu’ils fassent de ce mot leur monnaie courante comme s’il s’agissait d’un pique-nique gratuit ou d’une promenade maritime, il fallait les arrêter le jour même où Belazreg a commencé à s’immiscer dans la politique extérieure du pays et à se permettre d’agir au nom de la République Algérienne, le jour où il avait porté l’uniforme de l’armée, le jour où le peuple Algérien avait été divisé en musulmans et non musulmans, et l’Algérie en wilayas et municipalités musulmanes pour certains et sans identités religieuses pour les autres, le jour où ils avaient décrété deux Ramadans et deux Aïds pour une seule communauté. Bien sûr, le peuple était en droit de vouloir se protéger, il pensait qu’en cédant le pouvoir au fitna parti, on éviterait le fléau de la sédition parce qu’il s’était vite rendu compte que si Muawiya, Belazreg et compagnie n’accédaient pas au pouvoir, ils mettraient inévitablement le feu au pays. Les cris « Jihad, Jihad » que des dizaines de milliers de militants scandaient dans toutes leurs marches et rassemblements résonnaient encore dans les oreilles des électeurs le jour des élections. Les dirigeants de la sédition l’avaient dit maintes fois déjà, sans détour et depuis longtemps, soit c’est nous au pouvoir, soit il n’y aura plus du tout de pouvoir. Le jour où vous avez permis à la milice du parti de faire régner la peur et la terreur dans le cœur des Algériens, vous avez truqué les élections, Messieurs, et classé définitivement l’affaire, alors après tout cela, attendiez-vous que les Algériens votent pour autre chose que ce parti ? Oui, les Algériens ont voté pour le parti de la sédition afin d’éviter la sédition, et si les résultats des élections municipales n’étaient en réalité qu’une vengeance du parti au pouvoir de l’époque, les résultats des élections législatives, étaient en vérité une expression directe d’une peur profonde sincère et réelle des flammes de la sédition. Les élections ont été truquées le jour où l’État avait cru que le report, jour après jour, de l’affrontement avec la milice, le dispenserait complètement de cet affrontement, et aussi le jour où les 144

services de sécurité avaient été enchaînés et empêchés de faire leur travail et d’imposer le respect de l’Etat de droit. Oui, il y avait eu une grave défaillance sécuritaire, mais pas à cause de la faiblesse des services de sécurité ou de leur incompétence, car malgré le manque de ressources sous toutes ses formes, nous aurions pu, si on nous avait soutenus, imposer le respect de la loi et leur couper les ailes avant qu’ils n’apprennent à voler. Les autorités auraient dû, entre autre, mettre en œuvre les divers protocoles de sécurité existant déjà à l’époque, en particulier en ce qui concerne les Algériens revenant d’Afghanistan ; il fallait au moins qu’ils passassent à des examens de situation et faire l’objet de sérieuses enquêtes, suivre leurs traces, les mettre sous contrôle et non les relâcher dans la nature, libres dans leurs mouvements, sachant que la plupart d’entre eux étaient rentrés au pays par la voie légale. L’Etat aurait dû empêcher l’ouverture des camps d’entraînement, arrêter ceux qui s’y trouvaient et mener une enquête approfondie sur ceux qui étaient derrière ce crime odieux contre la nation afin d’assurer des élections vraiment équitables. L’Etat algérien aurait dû couper, dès le début, la langue et le cou au premier individu prononçant le mot Jihad en Algérie indépendante. Jihad « guerre sainte » des Algériens contre des Algériens, oui il fallait lui couper la langue et à toute autre personne osant le soutenir de quelque manière que ce soit, il fallait fusiller dès la première heure ceux qui avaient appelé les Algériens à prendre les armes contre d’autres Algériens et tous ceux qui avaient appelé nos valeureux militaires et policiers à se rebeller. Oui il fallait être très ferme à ce sujet, quel qu’en soit le prix car le prix que l’Algérie a payé à cause de la politique de complaisance n’aurait jamais dû être payé. Enfin, l’État aurait dû, à l’époque, réunir toutes les conditions, juridiques, sécuritaires et autres nécessaires et se positionner à la même distance de tous les partis et courants politiques tout en obligeant chacun d’eux à respecter la loi à la lettre, avant de céder aux exigences des uns et des autres et de s’engager dans l’organisation des élections. 145

Il devait protéger les maisons de Dieu de ceux qui les avaient accaparées pour les utiliser à d’autres fins que celles dont elles étaient destinées. Il aurait dû protéger la jeunesse algérienne des campagnes de discours trompeurs et frauduleux, et protéger le peuple algérien de la brutalité des miliciens, et il fallait et fallait et fallait, mais bon, c’était la destinée de mon pays et celle de notre génération, c’est comme ça, mère Algérie je n’y peux rien pour toi et tu n’y peux rien pour moi. Pardon mère, je n’ai pas été à la hauteur de tes autres glorieux fils Didouche et Amirouche et… oui, je ne peux rien et vous ne pouvez rien non plus, car ceux qui pouvaient vraiment, avaient au contraire tout fait pour nous pousser tous au fond du ravin, tous sans exception : hommes, femmes, enfants vieux, jeunes, moins jeunes, bébés, nouveaux nés, bref la politique de la terre brûlée, mais en épargnant leurs propres familles et leurs proches et bien sûr leurs minables personnes. Dès que les résultats ont été confirmés, beaucoup de personnes avaient commencé à comprendre ce qui était réellement en train de se passer et ce qui allait se passer inévitablement. Tout le monde avait commencé à regarder le problème sous un autre angle et à réfléchir par exemple aux accusations et aux menaces qu’échangeaient ces gens entre eux même avant les élections : qu’en est-il après les avoir gagnées ? Beaucoup parmi ceux qui avaient voté pour ce parti réexaminaient attentivement leurs calculs et regardaient de près l’expérience de l’Afghanistan, ils découvraient avec stupéfaction comment les gens de ce pays s’étaient divisés en factions et finissaient par se disputer et se tuer entre eux ; ils n’épargnaient même pas les enfants et les femmes, et incendiaient les hôpitaux, les mosquées et les écoles. Des factions anéanties dans des combats fratricides plus que ceux tombés en combattant les Russes. Les gens, maintenant, reconsidèrent cette révolution parce que ceux qui revenaient en Algérie étaient les principaux piliers de ceux qui se préparaient à prendre le pouvoir. La perception des gens de cette école afghane qui les avaient formés est loin de les rassurer, ils invoquaient Dieu de les protéger et de protéger leur 146

pays, la déception du peuple de la “révolution” afghane était grande parce que ceux qui en revenaient la décrivaient comme une grande victoire et une conquête claire, mais la réalité avait vite pris le dessus, et apparaît maintenant que cette soit disant révolution avait fait reculer le peuple des siècles en arrière, et qu’elle avait fait beaucoup plus de mal que de bien, et la même chose en Iran et au Soudan. Donc les trois révolutions que le fitna parti essayait de présenter comme un modèle à copier chez nous, étaient finalement dans une impasse, que faire maintenant ? Ainsi, contrairement à ce qui était dit à l’époque et promu de nos jours, beaucoup de gens s’étaient sentis à l’aise lorsque le président Chadli Bendjedid avait présenté sa démission ; seule la peur des milices avait empêché les masses populaires de célébrer cet événement dans la rue. Les Algériens avaient toujours exigé de ceux qui les gouvernaient qu’ils soient à la hauteur. C’était pour ça que beaucoup d’Algériens, jusqu’à ce jour, demeurent admiratifs envers la personne du président Boumediene, malgré sa dictature, ils l’appellent le moustachu à ce jour. Les Algériens par nature aiment la fermeté et le sérieux quand il s’agit de la Présidence du pays, ils savent que son charisme, son autorité, et même sa dictature avaient beaucoup œuvré à sauvegarder l’unité du pays ; et garantir sa sécurité, les Algériens savent que ce n’est pas chose facile pour un pays de la taille d’un continent, d’autant plus qu’il venait juste de se libérer d’un colonialisme qui avait duré près d’un siècle et demi et d’une guerre sanglante que le peuple avait menée contre une des plus grandes puissances coloniales du monde de l’époque. Ce qui est arrivé à de nombreux pays dans le monde, en particulier en Afrique, est la preuve de ce que j’avance, bien qu’il ne s’agit là que des pays plus petits, moins peuplés et aussi moins importants stratégiquement et géopolitiquement parlant. Le peuple était satisfait, et nous avec, de la démission de Chadli Bendjedid et de l’arrêt du processus électoral, même si nous étions certains que ce qui nous attendait de la part des ennemis de la nation ne serait pas facile, mais nous savions aussi que dans tous les cas, ce serait beaucoup moins que ce qui nous attendait si jamais ils venaient 147

de prendre les rênes du pouvoir. Ils avaient accumulé de la haine et de la rancune depuis l’indépendance envers tout ce qui est administration, tout ce qui est progrès et civilisation, et surtout tout ce qui est loi, ordre et discipline, et par conséquent envers tout ce qui est corps constitués, armée, gendarmerie, police et autres. Au fait, c’est envers tout ce qui est Algérien, car ils considéraient que c’était le nationalisme qui avait mis fin à l’existence du Califat islamique dans le monde et ils rêvaient de la rétablir, voire même qu’ils étaient fin prêts à la rétablir sur le sol algérien où la seule condition pour y adhérer et s’installer serait de prétendre être musulman, même si on devait donner refuge à un milliard d’individus, après tout la terre, c’est la terre de Dieu non ? Les dirigeants du parti ne cachaient nullement leurs intentions et plusieurs d’entre eux avaient fait des déclarations qui faisaient trembler l’ensemble des Algériens, il y avait ceux qui annonçaient qu’ils iraient mettre sur pied des tribunaux populaires qui siégeraient sur les places publiques et d’autres qui disaient que les cadres du parti allaient remplacer de facto tous les cadres de l’Etat et ceux qui prônaient que la femme algérienne ne serait à l’avenir qu’une femme au foyer. Certains des militants de ce parti affirment qu’ils avaient déjà fait la distinction entre leurs amis et leurs ennemis et qu’ils sauront bientôt se venger des ennemis de Dieu inchallah « Si Dieu le veut » ! Une partie d’entre eux confirmait que l’heure de la justice sociale avait sonné et que la redistribution de la richesse nationale était imminente. L’un des dirigeants avait déclaré que ceux qui possèdent de grandes maisons devraient se préparer à recevoir chez eux des familles n’ayant pas de logement et le même sort pour tous les autres propriétaires de biens de quelque nature que ce soit « nationalisation ! Encore ? » Mais ce qui était inquiétant, c’était les menaces qu’ils faisaient ici et là. Ils assurent à leur entourage qu’ils allaient intensifier leur politique de violence, un de leur cadre avait même rappelé à ceux qui veulent bien l’entendre la déclaration de Muawiya à la télévision avant son arrestation. Disons que les services 148

de sécurité seraient appelés à disparaître et que le budget qui leur est alloué par l’Etat sera reversé pour les administrations travaillant pour le bien-être de la société, et nous alors ? « Travaillons-nous pour le mal-être de la société ? Existe-t-il un bien-être au milieu d’un climat d’insécurité ? Et de quel argent parles-tu pauvre ignorant ? Ne saistu pas que nous sommes la dernière roue de la charrette ? » Dans tous les cas, il était certain que s’ils prenaient le pouvoir, ils érigeaient sur chaque arbre une potence pour pendre tous les hommes et toutes les femmes appartenant aux forces de police, de l’armée, de la gendarmerie et des autres services de sécurité, ils exécuteront tous les employés exerçant dans les banques, les impôts et les assurances, ils seront tous exécutés, oui, sans aucun doute. À la fin, tous les employés et fonctionnaires de l’Etat, hommes et femmes, quel que soit leur secteur d’activité, y passeraient. Ils exécuteront tous les chanteurs, chanteuses, peintres, danseurs, danseuses, athlètes « hommes et femmes », je vois que vous voulez m’arrêter quand j’ai dit « athlètes », vous souriez ? Eh bien non, regarder l’usage qu’on avait fait du stade de Kaboul sous l’emprise des Talibans, plus grave encore ils avaient classé les citoyens en plusieurs rangs de citoyenneté, à leurs têtes leurs dirigeants qui portaient le titre de clergé, pardon hommes de religion, et en bas de l’échelle la femme, bien sûr, entre les deux se trouvaient les musulmans de basse gamme comme ils les appelaient, puis les demimusulmans, jusqu’aux gens de la dhimmah et les gens du Livre (les chrétiens et les juifs) et après eux les polythéistes, les infidèles et d’autres couches sociales « juste avant les insectes et les déchets ». Croyez moi, je dis tout ça, mais dans mon cœur je ressens une boule, car les diverses mouvances islamiques, nous y avions grandis avec, moi et le reste des algériens de ma génération, Au début de notre jeunesse, on y voyait en elles la planche du salut pour nous et pour notre société, nous avions l’habitude d’écouter, de profiter de beaucoup de leçons et des sermons de leurs imams, que ce soit à travers des mosquées telles Al149

Arqam à Chevalley Alger, ou celle de la FAC centrale, la mosquée de la cité universitaire Taleb Abderrahmane a Benaknoun ou à travers la chaîne de télévision nationale, comme l’émission « le discours du lundi » animé par Al-Ghazali et les diverses conférences données à l’occasion de la Conférence de la Pensée Islamique. Nous avions cru à un moment de notre vie que ces mouvances allaient nous guider vers un monde meilleur, on croyait dur comme fer qu’elles allaient être la bouée de sauvetage de toute la nation. Nous n’avions jamais imaginé à cette époque, que nous aurions écouté certains de ceux qui allaient plus tard nous égorger comme des moutons, sans même prendre la peine d’aiguiser leurs couteaux et sans avoir commis de péché sauf celui d’avoir choisi – pour beaucoup d’entre nous – et forcés, pour certains d’autres, d’exercer le métier de policier pour protéger le citoyen et ses biens. C’était l’unique faute des hommes et des femmes des corps constitués. Quant aux autres victimes, certaines d’entre leurs fautes étaient de choisir des métiers ne correspondant pas à leurs humeurs : musique, théâtre, danse, d’avoir opté pour un parti autre que le leur ou ne voulant pas exploiter leur rang social pour faire de la propagande à leur parti, ou tout simplement d’avoir été créées femmes pour la majorité des personnes de sexe féminin. Je dis cela avec grand regret, croyez-moi, car si ma critique envers ces gens est violente, c’est peut-être à cause de notre grande déception vis-à-vis d’un mouvement que nous pensions être religieux, répandant la miséricorde dans notre société, nous faisant avancer, éclairant notre chemin dans la vie d’espoir et d’amour, de progrès et de prospérité. Mais à la première occasion, voilà que le mouvement s’était politisé et les masques tombaient. Tout ce que j’entendais, que ce soit dans leurs sermons ou dans leurs marches et rassemblements, c’était l’appel à des tueries, à des massacres, du chantage, des menaces, la glorification du parti et de ses dirigeants parfaits et infaillibles, des appels répétés et incessants à leur remettre immédiatement le pouvoir aujourd’hui et non demain, avant que leur patience ne s’épuise. Leur impatience à gouverner était très suspecte, et justement à ce sujet j’avais lu une opinion de Cheikh Marani 150

(membre-fondateur du parti) dans laquelle il disait « le chef du Parti (c’est-à-dire Muawiya) avait quitté la charia depuis avril 1990. Depuis cette date, le Conseil de la Choura du parti était devenu une simple couverture pour la domination du chef du parti et de son groupe, et que l’objectif principal de la grève était de faire pression sur Chadli Bendjedid pour le presser à organiser les élections présidentielles. L’ambition de Muawiya pour la présidence l’avait conduit, lui et son parti, vers ce que nous savons. À vrai dire, c’était lui qui avait impliqué le Parti dans des problèmes majeurs ». Les citoyens étaient très soulagés de ne pas remettre le pouvoir entre les mains de ces gens, parce qu’ils étaient arrogants, insolents et méprisants dans leur conduite et dans leur politique ; ils appelaient tous ceux qui étaient en désaccord avec eux avec des noms et des adjectifs les plus laids ; ils qualifiaient le régime et le Président avec des descriptions des plus méprisantes, même l’opposition n’échappe pas à leur insolence y compris les partis islamistes. Quand le défunt Mahfoud Nahnah avait demandé une alliance entre les partis d’obédience islamiste, il avait entendu beaucoup de mots honteux, et on lui avait dit dans un article publié dans leur journal : « L’éléphant, s’allie-t-il avec la fourmi ? » Aussi, même le défunt Abdelhamid Mehri avait appelé à l’alliance de la tendance nationale avec la tendance islamiste, on ne lui avait accordé aucun intérêt. De même que le président Bendjedid était surnommé « le clou de Jeha », le défunt M. Nahnah comme une fourmi et le défunt A. Mehri comme un non-événement. Sahnouni, Marani et d’autres comme étant des agents à la solde de l’Etat et les chouhadas n’avaient plus donc d’hommes sincères et intègres ! L’Algérie, le berceau du nationalisme depuis la nuit des temps, n’avait donc plus de nationalistes encore solvables ? Plus d’hommes de la trempe de Larbi Ben M’Hidi ou de Abane Ramdane ? Plus de femmes de la taille de Hassiba, Djamila et Ourida. Il ne restait peut-être que Muawiya et Belazreg alors ! Je pense que c’était là l’un des signes du jugement dernier.

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La Prière et le sang Ce qui attirait vraiment l’attention, c’était le vocabulaire obscène qu’ils utilisaient dans leurs sermons en s’en prenant indéfiniment aux différents corps de sécurité en général et aux services de police en particulier. Ils ne ratent aucune occasion pour porter atteinte à notre dignité et intégrité au point où les imams, étant tous des militants de ce parti, lors de la prière du vendredi, demandaient à Dieu à rendre nos femmes des fornicatrices, nos enfants des orphelins, oui rien que ça, et dans les maisons de Dieu et en présence de leurs dirigeants. Parfois, c’étaient eux-mêmes qui montaient au créneau. Ces prières avaient fait naître dans nos cœurs des blessures inguérissables, d’autant plus que ça se disait en notre présence. Nous étions devant eux, fin prêts à toute éventualité, mais nous, contrairement à eux, nous avions de la considération pour la sainteté des maisons de Dieu ; jamais nous n’étions intervenus pour des raisons personnelles sans ordres, même pour défendre notre dignité. Si je n’avais pas entendu ces prières de mes propres oreilles, je n’y aurais jamais cru ! Comment tu t’étais permis une chose pareille Belazreg ? Tu n’avais pas honte ? Les petites-filles de Tinhinane, Ben Bouali, Bouhired, Boupacha, Medad, Fatima, Fadela, Bahia, Fatiha Maryam Saadane ? Leurs petites filles sont-elles des fornicatrices ? Cela ne t’avait pas suffi que les enfants de Ben M’hidi, Amirouche, EL-Haouas, Malek, Malki, Mira, Touati, Mourad, Lotfi, Basta, Toumiyat et Zabana, et des millions d’autres avaient grandi sans leurs pères pour que tu pries Dieu de rendre leurs petits-fils orphelins également ? Ne serait-il pas plus approprié pour vous de nous considérer comme vos frères ? Nous nous sommes estimés ainsi jusqu’à récemment, et Dieu sait que je ne vous avais jamais entendu parler 153

d’autre chose que du mal pourquoi ? Pourquoi toute cette haine, pourquoi avez-vous mobilisé la jeunesse pour la rendre haineuse de la police ? Je dis la haine de la police avant la haine du système, parce que c’était un plan prémédité ? Ou bien, vous aviez d’autres mobiles que nous ignorions ? Et c’était pour cela, que votre premier acte criminel était l’attaque contre une école de police ? En ce qui me concerne personnellement, je vous dis à tous, et à votre maître Belazreg en premier, que vous ne nous aviez jamais fait peur, et louanges à Dieu qui avait prolongé ma vie et celles de beaucoup de mes collègues, pour vous répondre, bande d’ignorants ! Nos femmes sont nobles. Un proverbe arabe dit « la femme noble même quand elle a faim, elle ne tète jamais de ses seins ». En ce qui concerne les orphelins parmi nos enfants, je vous dis que « déjà être un martyr pour l’Algérie est le sacre suprême pour chacun de nous ». On n’avait pas du tout peur pour nos enfants, ils étaient et ils sont entre de bonnes mains, les mains de Dieu, les mains de l’Algérie. Beaucoup de lions algériens d’aujourd’hui étaient à l’indépendance des lionceaux. Des enfants de martyrs étaient élevés dans la misère, la privation et la douleur, mais Dieu merci, ils sont aujourd’hui des seigneurs dans leur pays libre et indépendant grâce à Dieu et aux sacrifices des martyrs, mais aussi au sacrifice des veuves de chouhadas, ces lionnes d’Algérie qui avaient sacrifié non seulement leurs époux, mais aussi leur jeunesse pour que les petits lionceaux grandissent et deviennent les lions de l’Algérie d’aujourd’hui. Je n’avais pas compris à l’époque, je ne comprends toujours pas aujourd’hui et je ne veux même pas comprendre, la cause de toute cette haine que vous aviez contre l’amour et la paix, toute cette haine de la vie, d’où avez-vous eu tout cet amour pour la violence, la dévastation et la destruction ? Toute cette adoration du sang et des larmes, on voyait clairement à travers vos discours répétés et ennuyeux que votre plus grand souhait était que le système vous donne l’opportunité d’allumer la mèche de la guerre civile, et vous avez insisté sur cette approche jusqu’à ce que vous lui mettiez le dos au mur et qu’il n’y ait plus le choix que de vous affronter.

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Je ne sais de quelle école vous aviez appris toute cette hypocrisie et qui avait fait rentrer dans vos petites cervelles, si vous en aviez une, que l’Islam ait besoin de violence et de destruction pour durer et se propager. Qui vous avait fait comprendre, si vous arriviez à comprendre, que l’Islam avait besoin de gens comme vous ? L’islam, avait-il disparu de ce pays avant votre arrivée ? En votre présence ou en votre absence, Dieu, et Dieu seul, préservera notre religion, c’est ainsi que ça était dit dans le Coran, et c’est comme cela que ça se passera, jusqu’au Jour du Jugement dernier. Le penseur Abbas Mahmoud AlAqqad dans son livre Philosophie coranique, dit : « La charia du Coran n’a jamais utilisé l’épée quand il ne fallait pas et elle ne l’avait jamais utilisée où elle peut s’en passer ». Et le regretté Abu Hamid Al-Ghazali dire avant lui : « O Musulmans, souvenezvous et prenez garde, souvenez-vous de ce que veut votre ennemi, et prenez garde de l’aider sur vous-mêmes » (De la condamnation de la Vanité). Et après tout ça, vous prétendez toujours qu’on est de la même descendance ? Que les auteurs de sédition disaient qu’ils défendent l’islam qui est leur objectif, c’était un mensonge. À ma connaissance, le gouvernement algérien n’avait jamais combattu l’islam, sinon comment expliquer que nos jeunes se bousculent par milliers pour rejoindre les rangs des services de sécurité et de l’armée ? Comment un régime qui combattait la religion tenait annuellement les Séminaires de la Pensée Islamique (Multaqa al-fikr al-islami) auxquels assistaient les grands savants de la nation islamique ; un pays qui avait accueilli à bras ouverts tous les savants musulmans persécutés chez eux, ne peut être accusé d’être hostile à l’islam, n’avait-on pas offert refuge à El-Ghazali, El-Ghanouchi et bien d’autres ? Un régime qui avait construit de grandes universités islamiques, et même un système qui avait permis la création de partis islamiques ? 155

Après l’annulation des élections, où que vous alliez et où que vous vous rendiez, vous n’entendrez rien d’autre que le mot Jihad. De nombreuses affiches avaient été apposées sur les murs des ruelles et accrochées dans les mosquées appelant explicitement à la constitution de maquis dans les montagnes après avoir obtenu des armes de quelque manière que ce soit. Il y avait même des appels au Jihad lancés à partir des minarets des mosquées par des haut-parleurs au milieu de la nuit (je pense, si je me souviens bien que le ministre iranien des Affaires étrangères de l’époque avait salué ces actions et cela avait conduit à la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays.). Bien sûr, Belazreg avait dû faire valoir ses arguments dans cette affaire, et comment ! N’était-il pas le sponsor officiel de ce mot ? Il avait envoyé une autre lettre à partir de son lieu de détention (il s’est avéré qu’il avait pu le faire grâce à la complicité de son avocat.) ; une lettre dans laquelle il dépassait toutes les lignes rouges, affichée furtivement dans de nombreuses mosquées, et dans divers ruelles, cette lettre, je préfère ne pas la commenter personnellement, mais je vais citer l’opinion de Cheikh Marani à ce sujet : « Je m’arrête précisément à l’un des versets coraniques qu’il avait utilisé dans sa [Belazreg] lettre pour justifier l’appel au Jihad après l’arrêt du processus électoral. Le verset se trouve à la page 4 de sa lettre : « Et tuez-les, où que vous les rencontriez ; et chassez-les d’où ils vous ont chassés : la sédition (fitna) est plus grave que le meurtre ». Le but de ce verset est qu’il avait été révélé afin de répondre aux polythéistes qui avaient contraint le Messager de Dieu et ses compagnons à quitter La Mecque, où l’idolâtrie et le polythéisme avaient prévalu. Le combat ou le Jihad dans ce cas n’était pas contre les croyants, y compris les chrétiens et les Juifs, mais contre les polythéistes qui croyaient en leurs idoles et fétiches, en tant que divinités les rapprochant de Dieu, et donc cela implique que ces versets cités à travers cet exemple ne peuvent être, en aucun cas, généralisés ou être appliqués à la situation actuelle. Tous les versets avaient été révélés à travers certaines circonstances historiques et avec des objectifs clairs et précis. » Il parlait également dans sa lettre des 156

invasions prophétiques et présentait les bénéfices et les leçons qui en avaient été tirées. Ces projections historiques étaient à la tête de la sédition et de l’expiation que la société algérienne avait connues après l’arrêt du processus électoral. De la page 4 à la page 12, il poussait les Algériens sur le chemin de la tuerie ; de la page 12 à 15, il rejetait tous les hadiths que le Ministère des Affaires religieuses avait cités pour épargner le sang des Algériens et éteindre le feu de la sédition dont je cite quelques-uns : – « Ne vous entretuez pas après moi comme des infidèles » – rapporté par Boukhari. – « Celui qui prend les armes contre nous ne peut être considéré comme l’un des nôtres » – rapporté par Boukhari. – « Si deux musulmans se font face à face avec leurs épées, alors les deux seront en enfer » – rapporté par Boukhari. Des pages 16 à 21, il présente des justifications, des arguments et des ancrages juridiques à la grève nationale comme n’étant pas une sédition mais une action politique pacifique, oubliant les vies humaines perdues pour des fins qui n’avaient rien à voir avec la patrie ou la religion. Et la question qui se posait à cet égard est de savoir si le jihad qu’il ordonnait à travers ce message et son interférence excessive avec les versets résultait de sa conviction que cette société était polythéiste et ignorante ? Ou était-ce un produit de la culture de l’homme le plus radical (je trouve l’expression « le plus sanguinaire » plus appropriée) et qui n’était préoccupé que par la vengeance ? Jusqu’à ce que ça le conduise à une grave confusion et à une mauvaise utilisation des versets coraniques. S’il vous plaît, que personne ne vienne me dire que leurs actions étaient non intentionnelles et que les gens avaient fait ce qu’ils avaient fait de bonne foi. Il s’agissait là d’une nation, de tout un peuple, un peuple pas comme tous les autres peuples ; il s’agit de tout un pays, un pays pas comme tous les autres. Personne n’a le droit de parler de la vie et de la mort de notre peuple. Les ignorants, les analphabètes et les demiintellectuels n’auraient jamais dû s’engager dans des domaines éloignés de leur perception et de leurs capacités intellectuelles. L’islam possède de 157

nombreux aspects, comme l’avait dit l’imam Ali. Le Jihad, ce noble mot est l’un des concepts de base de la pensée islamique, il a un impact très important sur l’âme des individus, mais tout le problème réside dans la manière d’utiliser ce terme stratégique, et il est malheureusement souvent sujet à des interprétations diaboliques et désastreuses par des esprits maléfiques et sataniques, des interprétations qui n’ont rien à voir en réalité ni avec l’esprit des textes sacrés, ni avec les textes eux-mêmes. Dans la mesure où son but était d’employer la religion à des fins personnelles qui n’avaient absolument rien à voir avec ce qui était annoncé, vous me trouvez alors dans les rangs de ceux qui ne croient jamais à ces gens se permettant de prononcer ce mot en Algérie, et même si nous essayons de les considérer comme des opposants politiques, étaient-ils vraiment d’un niveau intellectuel qui les autorise à prononcer seulement ce mot et de bien mesurer son poids et ses conséquences ? Comment permettaient-ils à une personne seule de se prononcer sur un sujet de cette importance et d’émettre des fatwas ? Quel que soit leur niveau intellectuel, leur expérience de vie ou leur savoir en matière de religion, ces gens-là comprenaient-ils vraiment ce qu’ils disaient ? N’était-il pas préférable, même dans les pires cas, d’utiliser le mot lutte, disputer, débattre ? Ou même révolution dans son sens métaphorique ? Mais pas le mot Jihad, car c’est un mot qui a son caractère sacré pour les musulmans et devient ainsi une obligation pour quiconque pouvant accomplir ce devoir, sinon, il tombera dans le péché. Ne savaient-ils pas que même, Dieu nous en préserve, si, par malheur, ils avaient réussi à s’emparer du pouvoir par la force, la porte de la violence une fois ouverte, elle ne se referme que très rarement sans en payer le prix fort, car il y aurait des dizaines de factions leur déclarant la désobéissance armée pour un simple désaccord sur des détails mineurs, il ne suffit pas de déclarer un état islamique pour avoir un consensus, et ce qui s’était passé en Afghanistan, au Soudan et ailleurs en est la preuve. D’ailleurs chez nous aussi, ils s’étaient battus entre eux bien qu’ils n’aient pas le pouvoir, ce qui leur avait coûté plus de pertes qu’ils n’en avaient subi quand ils s’étaient battus contre l’Etat. Ne savaient-ils 158

vraiment pas que le régime, n’importe quel régime, qu’il soit démocrate ou totalitaire, dirige le pays grâce aux institutions de l’Etat ; à ses employés et à ses agents tous corps confondus, et si on comptabilise leurs familles avec, ils représentent bien plus de la moitié de la société. Même si certains d’entre eux s’étaient, peut-être laissés entraîner par les slogans du parti pour un moment, aucun d’entre eux n’aurait suivi leur chemin de la destruction, de la ruine et de la folie. Où se croyaient-ils vraiment quand ils appelaient l’armée et les services de sécurité à la révolte et à la désobéissance ? Fermer vos gueules, espèce de malhonnêtes, vous qui ne connaissez même pas le pays dans lequel vous vivez. Les services de sécurité en Algérie, à leur tête l’Armée Nationale Populaire, ont pour une colonne vertébrale la discipline et l’assiduité, et nous l’avons prouvé au cours des années de la sédition qu’avait connue le pays. Malheureusement, je ne pense pas que vous ignoriez tout cela, non, vous le saviez exactement comme vous connaissez vos pères et vos enfants. Mais vous vouliez brûler le pays des martyrs, il n’y a pas un être humain digne de ce nom qui ignore ce qu’engendre la division de l’armée. Si la division des gens non armés avait entraîné autant de destruction et de dévastation, alors qu’en est-il de la division de ceux qui possèdent des avions et des chars ? Ce qui était arrivé dans de nombreux pays (sans citer de nom) ne serait jamais arrivé si leur armée ne s’était pas divisée ou elle n’avait pas fui ses responsabilités, et Dieu merci l’armée algérienne a toujours fait face à ses responsabilités historiques avec un courage exemplaire. Le progrès des nations s’évalue à la mesure du sens de la responsabilité que ses hommes et ses femmes sont capables d’assumer, surtout dans les moments délicats, sensibles et difficiles. Sur ce sujet en particulier, Abbas Mahmoud Al-Akkad disait dans un de ses livres – : « Les critères du progrès sont nombreux et variés, ils ne font pas toujours l’unanimité ; si nous disons que le progrès est dans le bonheur, on remarque qu’il peut être disponible pour les 159

minables et interdit pour les grands, et si nous disons que c’est la richesse, on sera forcé de constater que l’ignorant peut s’enrichir et que le cultivé peut s’appauvrir. Et si nous disons que le progrès est dans le savoir, alors pourquoi les nations décadentes et vieillissantes avaient appris et de jeunes nations étaient restées dans l’ignorance. Un seul critère dans lequel la différence et le déséquilibre n’existent pas, c’est la mesure du sens de la responsabilité et d’en accepter conséquences, dès qu’on fait la comparaison entre deux hommes, deux femmes ou deux nations, on trouvera vite que le meilleur d’entre eux est celui qui a la plus grande part de sens de responsabilité, qui a plus de probabilités d’avancer et d’exercer ses droits et devoirs. » Que Dieu tout-puissant vous châtiera, vous qui vouliez démanteler l’armée algérienne. L’histoire rapportera que vous aviez été les premiers à prononcer le mot sacré Jihad en Algérie, le vider de son sens et à le sortir de son contexte. Grâce à vous, ce mot était devenu le sujet préféré de vos adeptes, ils l’avaient inclus dans leurs chansons et le scandaient dans les tribunes des stades et dans vos rassemblements d’une manière hystérique nous rappelant les rituels du temps d’avant l’Islam. Vous étiez les premiers à banaliser ce mot, à banaliser le crime. Vous considérez toujours que les dizaines de milliers de victimes qu’avait engendrées la banalisation de ce mot, est tout à fait normale, alors dites ceci à celui qui vous demandera des comptes demain, le Jour de la Résurrection quand vous vous tenez devant lui, oui, vous lui direz que l’effusion de sang de dizaines de milliers d’êtres humains est une chose naturelle et normale quand il y a un différend entre le dirigeant et le gouverné, pauvres ignorants. Pensez-vous toujours que les gens de la sédition n’avaient eu recours à la violence qu’après l’annulation des élections ? Mais est-ce la suspension du processus électoral en Algérie qui a créé Al-Qaïda, et ses branches un peu partout dans le monde, ou est-ce qu’Al-Qaïda qui avait créé ses organisations politiques et militaires pour 160

démanteler l’État national civil en Algérie ? Pourquoi certains pays islamiques ne sont-ils pas exposés à ce à quoi d’autres pays islamiques et non-islamiques sont exposés ? Y a-t-il un processus électoral arrêté au Niger, au Burkina-Faso et au Cameroun ? À titre de référence, de telles questions ne sont pas seulement posées à ceux qui utilisent encore la stratégie de propagande basée sur l’utilisation de la religion à des fins politiques, mais plutôt à ceux qui adhèrent toujours au slogan « la tendance à l’éradication » et « l’oligarchie » et d’autres slogans vides, pour justifier et faire passer les crimes du terrorisme. Pourquoi n’admettons-nous pas que ces gens-là avaient adopté la violence et l’intimidation comme méthode de travail dès le début. En 1982, ils avaient organisé un rassemblement devant l’Université centrale d’Alger au cours duquel ils avaient distribué des cassettes audio et des tracts appelant au Jihad, et immédiatement après, un poste de contrôle de la gendarmerie nationale avait été attaqué où un élément avait été blessé par balle à la suite de cette attaque. Avant cela, un étudiant avait été tué à la cité universitaire de Ben-Aknoun suite à d’altercations avec un groupe d’islamistes. Ces derniers feront plus tard un cadeau au peuple Algérien, le mouvement armé de Bouali, qui avait attaqué l’École de Police de Soumaa et assassiné un brigadier de police. De nombreux membres de ce mouvement criminel étaient devenus des membres actifs dans le fitna parti après leur libération des prisons sous la pression des chefs de ce parti. N’avaient-ils pas enlevé l’inspecteur de police C.T. et l’avaient séquestré dans la mosquée Kaboul à Belouizdad (Belcourt) pendant plusieurs jours avec la complicité de Belazreg en personne. Quand nous avions appris où il se trouvait, nous étions allés là-bas pour le libérer, mais Belazreg avait ordonné de le relâcher avant notre arrivée ? Détrompez-vous, Chers Lecteurs, la violence avait commencé bien avant les législatives de 1991, tout le monde sait qui avait créé les milices pour protéger les cadres du parti en premier lieu puis pour agresser les citoyens au nom de « l’interdiction du vice » en second lieu. Qui avait ouvert les centres d’entraînement au combat ? 161

Et qui menaçait ouvertement de déclarer le jihad jour et nuit, et nul n’ignore encore aujourd’hui qui avait écrit le livre intitulé La Désobéissance civile, dont l’auteur était passé immédiatement après à la clandestinité, et avait commencé à préparer une action armée : ce livre a été bel et bien approuvé par Belazreg et Muawiya, il contenait 22 points tous visaient l’escalade de la violence et la nonreconnaissance de la légitimité de l’Etat et de l’ordre public. Du fait de ces violences lors de la désobéissance civile, 18 personnes avaient été tuées et 181 gravement blessées dans les rangs des forces de sécurité, mais aussi des victimes de l’autre côté, sans parler de la destruction de 16 institutions, sabotage général et 360 incendies entre camion et bus, et autres pertes matérielles en milliards de dinars. Après la grève, de nombreux incidents violents s’étaient également produits, notamment l’enlèvement et le meurtre d’un policier. Le 21 novembre 1991, avait eu lieu l’attaque d’un petit poste frontalier à Guemmar, dans la Wilaya d’El-Oued, par un groupe terroriste. Des jeunes soldats du service national avaient été tués, défigurés et mutilés ; des jeunes Algériens que leurs mères ne verraient plus jamais, leur seul péché était d’assurer la surveillance des frontières du pays. Pour ne pas vous embrouiller, je vous rappelle que les élections n’avaient pas encore eu lieu, alors pourquoi cet acte sordide ? Tous les partis avaient réagi contre ce crime odieux, tous l’avaient condamné et dénoncé haut et fort sans équivoque à l’exception du fitna parti se contentant d’un bref communiqué de quelques lignes. On n’avait pas entendu parler de ces jeunes dans les mosquées, ni dans leurs interventions dans la presse et la télévision, pourtant toutes les mosquées étaient sous leur autorité. La presse et la télévision se précipitaient vers eux. Même pas une prière implorant Dieu d’accorder sa miséricorde à ces jeunes morts pour le pays. Si ça ne dépendait que d’eux, nos martyrs n’auraient même pas droit à la prière funéraire, et ils ne pourraient même pas être enterrés dans des cimetières musulmans. Ceux qui sont morts, ne sont-ils pas des jeunes d’Algérie ? N’étaient-ils pas musulmans ? N’étaient-ils pas des 162

êtres humains ? Plus grave encore, immédiatement après cet acte criminel, les forces spéciales de l’armée avaient mené une opération dans la région et avaient neutralisé de nombreux terroristes et arrêté quelques autres. À la fin de l’enquête judiciaire, il a été clairement établi que la planification, la préparation et la mise en œuvre de l’opération, ainsi que l’entraînement du groupe criminel, avaient été menés sous la supervision des responsables locaux du fitna parti qui dirigeaient la municipalité de Guemmar et Mokrane. Une voiture chargée d’armes avait été découverte à l’intérieur de la municipalité. Mais, Dieu merci, l’histoire retiendra et que ça n’en déplaise à certains que la population locale avait prêté main forte à l’armée contre ces criminels meurtriers, et avait contribué à découvrir leurs cachettes et à leur élimination. Néanmoins, le parti de la sédition était resté silencieux et n’avait pas publiquement renié ses criminels, qui étaient ses élus, et même, il avait essayé indirectement de leur procurer des justifications, comme s’il y avait une justification au massacre de jeunes Algériens n’étant pas membres de leur parti par exemple ? De nombreuses autres opérations terroristes avaient eu lieu avant les élections et avant l’arrestation des chefs de la sédition. Je ne les citerai pas toutes, mais les chercheurs peuvent y revenir dessus, les événements datent d’à peine deux décennies et non pas des siècles. Après tout cela, vous me dites que ces gens étaient pacifistes ! Frères, nous n’allons pas nous mentir, quelle que soit la raison du désaccord et quel que soit le degré d’injustice qu’ils avaient subi de la part du régime, déclencher une guerre dont on savait à l’avance que ses victimes seraient les enfants du peuple, ça reste un crime contre la nation, n’est ce pas que le sang d’un musulman doit être épargné à tout prix, est-ce parce que le régime t’avait refusé le pouvoir que tu te permettais de me tuer ? Est-ce une raison pour pousser les frères à s’entretuer ? Est-ce vraiment pour l’Islam ou pour accéder au pouvoir ?

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De plus, le sort du parti et tous les développements qu’avait connus la situation sont dû en grande partie aux agissements de Belazreg et Muawiya. Et encore une fois, le témoignage de cheikh Marani à cet égard l’avait confirmé en disant : « Ce qui avait accéléré la dissolution du parti de la sédition était la grève nationale qui s’était transformée en désobéissance civile conduisant l’Algérie vers une terrible série de violences sans précédent »

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Silence, on meurt Quelques jours après que Belazreg ait décrété le Jihad à titre officiel, via sa lettre envoyée de la prison, on avait été frappés à Bab El-Oued dans nos profondeurs, où six de nos meilleurs collègues avaient été lâchement assassinés de nuit à la rue de La Lyre (Bouzrina) dans la basse Casbah. À ce moment, nous étions en patrouille motorisée sur les hauteurs de Bab El-Oued, non loin du quartier de Diar El Kef (La Carrière) ; il était environ deux heures du matin, je pense, lorsque les appels à l’aide de nos collègues de la rue de La Lyre avaient commencé à être lancés par radio, leur présence au niveau de cette rue était censée être une simple demande d’intervention banale, sollicitée par des citoyens, personne n’avait alors pensé qu’il s’agissait d’une embuscade armée ; la première voiture qui avait été dirigée à la rue Bouzrina était bien sûr celle qui portait l’indicatif désigné pour le secteur de la place de La Régence (place des Martyrs). L’un des éléments du groupe à bord était le frère d’un autre policier se trouvant avec nous en patrouille à la cité La Carrière, qui après avoir entendu ce qui se passait, nous a demandé si on savait où son frère était désigné pour travailler cette nuit. L’un de nous lui avait répondu qu’il était dirigé vers la Haute Casbah, bien sûr, la Salle des Opérations dès le début du guet-apens avait commencé à organiser des opérations de renfort et de soutien. Plusieurs équipes étaient dirigées sur place tandis que les principaux groupes étaient maintenus, chacun dans son secteur, par crainte d’autres attaques, tout en se tenant prêts à toute éventualité. Et en exécution des instructions reçues, nous continuions notre patrouille et chacun de nous était distrait dans ses idées. Des collègues, à peine quelques heures s’étaient écoulées avant le début 165

des patrouilles, étaient avec nous en train de bavarder et rigoler ; ils allaient travailler et ils ne reviendront plus jamais. On nous a demandé de prendre position au siège de la Sûreté de daïra, l’un des membres de mon groupe m’avait informé que le frère de notre collègue présent avec nous était parmi les victimes, je lui avais demandé de n’informer le frère qu’au petit matin. Malgré son insistance à poser des questions au sujet de son frère, aucun de nous ne lui avait révélé la vérité, alors il s’était isolé dans un coin, silencieux et pensif, comme nous tous d’ailleurs, jusqu’au matin sans savoir qu’il avait été mis fin à la vie de son frère par des mercenaires à la solde de Belazreg. L’accrochage qui avait coûté la vie à six de nos collègues, a duré environ une heure, après quoi les criminels se sont retirés, sans que nous puissions atteindre aucun d’eux. La police algérienne n’était pas prête à affronter ces actes ignobles. La formation dans les écoles de police pour le combat et la manipulation des armes ne dépasserait pas quelques heures, la plupart pour le tir au pistolet individuel et au combat à mains nues. Nous n’aurions jamais imaginé que la situation s’aggraverait à ce point, une embuscade contre nous avec des armes automatiques, en plein centre de la capitale ? Une attaque avec des kalachnikovs contre des jeunes, tout ce qu’ils portaient n’étaient que des pistolets à sept coups, des jeunes dont le métier est de lutter contre la petite criminalité, non pas de combattre les gangs armés. Nous étions victimes de la première opération criminelle qui avait eu lieu dans la capitale juste après le message de Belazreg. Quelques jours après cet acte ignoble, la voiture de secours opérant dans le secteur de Bouzaréah, dans laquelle se trouvaient deux policiers, un chauffeur et un chef de bord, avait fait l’objet d’un traquenard vers trois heures du matin près du stade du 5 juillet, sur le bord de la route. En voyant deux personnes qui se bagarraient, les policiers s’étaient arrêtés pour les séparer, alors que deux autres individus se cachant dans le noir, pointant leurs armes sur eux et les 166

tuant sur place. Les deux victimes furent dépouillées de leurs armes individuelles et leurs corps brûlés à l’intérieur de la voiture même. Les détails nous avaient été fournis un an après le crime, par un terroriste arrêté. Le rythme des assassinats de nos collègues s’accélérait à une terrible vitesse, nous commencions à avoir un enterrement presque chaque jour. Nous manquions terriblement d’expérience, l’autre partie par contre comptait parmi ses membres, et en grande majorité, des éléments revenant d’Afghanistan possédant des années d’expérience dans le combat et l’utilisation de différents types d’armes. La feuille de route du Jihad contre nous était préparée des années à l’avance. Des milliers de jeunes Algériens, dupés par Belazreg et ses complices, étaient dirigés vers les montagnes et y attendaient pendant que les Afghans étaient cachés dans les quartiers des villes et désignés spécialement pour les assassinats des agents de sécurité. Ils s’étaient mis à exécuter leur macabre plan sans aucune pitié, et avec une brutalité sans précédent. Des centaines d’Algériens revenant d’Afghanistan avec une grande expérience dans le domaine du crime et de l’assassinat exécutaient des policiers algériens dont la moyenne d’âge ne dépassait pas les 22 ans ; des jeunes dont la majorité n’avait jamais tiré un seul coup de feu de leur vie hors des champs de tir. Des Algériens tuaient des Algériens de tout âge et sans distinction de sexe. Ils n’eurent pitié ni de nos jeunes, ni des moins jeunes, ni de nos aînés, ni de nos vieux, ni de ceux qui étaient au début de leur carrière, ni de ceux qui étaient aux portes de la retraite, ils n’avaient pas eu pitié ni de nos hommes ni de nos femmes, ni de nos cadres, ni de nos encadreurs, ni de notre personnel d’exécution. Même le personnel non-policier n’avait pas été épargné, les employés de cuisine, les agents polyvalents, les femmes de ménage et autres, étaient assassinés, et pourtant, ils savaient qu’ils n’étaient pas dotés d’armes de service. 167

Au fil des jours, la première question que nous nous posions chaque matin était de savoir qui était arrivé au service et qui n’était pas encore arrivé, nous craignons beaucoup pour les retardataires. Les assassinats ne se déroulaient pas lors d’affrontements armés directs, à l’exception de la première embuscade de la rue Bouzrina. Presque la quasi-totalité des assassinats avaient été commis soit à l’entrée ou à la sortie du domicile pour rejoindre le travail ou pour des achats, ou lorsque les agents se tenaient dans le quartier. Ils ont profité du fait que nous résidions tous dans des quartiers populaires, et que nous étions connus par tous. Nous n’étions pas une police secrète, mais une police populaire. Nous avons tous été nourris au sein de la misère et de la pauvreté et nous sommes tous sortis de sous le manteau de la détresse et du dénuement. Qui d’entre vous n’a pas un membre de sa famille parmi les services de sécurité ? Oui nous en étions et nous sommes comme ça et nous serons toujours fiers de cela, et nous le resterons malgré la tragédie, malgré la souffrance, malgré la douleur, malgré le sang, malgré la sueur et les larmes, malgré la mort. Et chaque jour qui passait, le nombre de nos victimes augmentait, les criminels pensaient que nous étions l’anneau le plus faible parmi les services de sécurité. Alors, ils ont concentré tous leurs efforts sur nous ; le Ramadan 1993 était le mois des martyrs pour la police algérienne. Nous l’avons appelé ainsi comme le mois de mars l’était pour la révolution algérienne, peut-être notre consolation restera-t-elle, que nos martyrs rencontreront le Seigneur à jeun, portant le burnous du martyr, si Dieu le veut. Les assassinats avaient atteint un seuil incroyable. On nous avait répartis en groupes pour assister aux enterrements de nos frères. Et nous n’avions pas pu mener des opérations de grande envergure contre ceux qui nous tuaient, car l’action terroriste était à ses débuts et les informations à leur sujet étaient rares, d’autant plus que les assassinats se déroulaient sans grand risque, nos membres leur sont connus et on ne peut pas dire le contraire dans la plupart des cas, les agents de renseignements travaillaient jour et nuit, 168

conscients de la responsabilité qui leur incombait ; nous étions paralysés : sans renseignement, chaque jour qui passe fait inscrire des noms en plus dans la liste de nos victimes, comme si nous faisions la queue pour la mort, chacun de nous attendait son tour, et l’autre partie pariait sur le temps avant que nous nous rendions, mais ils oubliaient une seule chose, essentielle, très essentielle même, que nous sommes des Algériens, notre nombre était peut-être en diminution, mais jamais notre moral, jamais notre courage, ni notre volonté, encore moins notre détermination. Oui, je le dis en toute franchise et en toute sincérité je le dis surtout pour l’histoire que j’ai même été surpris par toute cette détermination de la part de mes collègues. Ils attendaient tous le premier véritable affrontement avec nos tueurs, juste pour leur montrer que nous sommes des hommes, des vrais, des Algériens, des vrais, des musulmans, et des vrais aussi. Notre foi nous avait appris depuis notre naissance que la mort est un moment qui ne peut être ni retardé ni avancé et que nos collègues sont considérés comme des martyrs. Les venger n’est qu’une question de temps. Pour l’histoire, il n’y avait pas eu de démissions ni même de doléances, oui, pour l’histoire encore et encore, on n’avait jamais pensé à changer le fusil d’épaule. Un jour, notre chef de Sûreté de Daïra feu Mahmoudi Abdelkader, à la fin d’un petit briefing, nous avait demandé de redoubler d’efforts et que les choses aillent certainement changer rapidement en faveur de la loi, et d’oublier pour le moment les autres considérations, comme l’augmentation des salaires, car l’Etat est dans une politique d’austérité. Un collègue ayant le grade d’inspecteur de police avait demandé la parole, et lorsque le chef l’avait autorisé, il s’était levé et avait dit : « Monsieur, nous vivons effectivement dans des conditions sociales et professionnelles très difficiles, mais nous ne sommes pas des mercenaires, nous sommes les descendants de Ben Boulaid et des autres chouhadas, nous avons porté le drapeau depuis que nous avons rejoint le corps de la police, nous étions et nous sommes et nous serons toujours fidèles au pays, fidèles à la nation, fidèles aux 169

Algériens et à l’Algérie. Nous travaillerons, même gratuitement s’il le faut, et même si nous devons payer de nos poches les munitions pour nos armes, nous paierons l’administration pour obtenir l’honneur de nous sacrifier pour l’Algérie » Si Abdelkader (que Dieu ait pitié de son âme) avait pleuré et nous avait dit : « J’ai voulu vous remonter un peu le moral, mais je constate que c’est vous qui le faites pour moi, merci à vous tous, que Dieu vous aide dans votre travail, plus rien à dire, la séance est levée ». Les jours passaient, nous travaillions dans une atmosphère infernale, nous mourions, enterrions et attendions, mais nous travaillions quand même, bien qu’on nous avait laissés seuls, tous seuls. Il n’y avait pas eu de dénonciations des crimes dont on avait été victimes, ou du moins c’étaient des dénonciations très timides. Ce n’était pas comme les dénonciations qu’il y avait après que les crimes se soient étendus à tous les segments de la société. Par naïveté peutêtre, mais nous attendions une condamnation plus large, par les hommes de religion, par les médias et par la société civile, nous avions été abandonnés par tout le monde. Même les citoyens avaient déserté nos sièges, parce qu’ils connaissaient notre malheur, et de peur d’être accusés de communiquer avec nous. Nous avons été désertés même par nos familles et amis, sauf les plus proches qui avaient peur pour nous d’un côté et pour eux-mêmes de l’autre. Il n’y avait eu aucune visite à nos sièges, ni de la part des associations de défense des droits de l’homme, ni celles de charité, ni des partis politiques qu’ils soient communistes, capitalistes, islamistes, laïcs ou autres. Nous aurions accueilli n’importe qui ; on vous aurait pris dans nos bras, on vous aurait embrassés, par Dieu, mais personne n’était venu à nous et vous nous aviez laissés seuls. Mais bon sang, avons nous travaillé pour assurer la sécurité du peuple de Khandistan ? Cela ne nous fait-il pas de mal que les habitants de notre propre pays nous aient reniés et aient jeté la chair de nos corps pour les chiens qui les rongeaient ? Ils étaient restés là, debout à regarder en silence ! Que Dieu vous pardonne mes frères, nous étions et nous sommes toujours 170

les protecteurs de l’héritage des chouhadas, nous étions et nous serons toujours fidèles à notre métier, nous étions et nous sommes toujours et nous resterons pour toujours prêts à sacrifier nos vies pour votre sécurité, vos enfants et vos biens. Que le Tout Puissant nous vienne en aide pour pouvoir servir l’Algérie et vous servir. Fort heureusement chaque règle a une exception, le jour où les femmes étaient sorties dans une marche dans les rues de la capitale, un groupe d’entre elles nous avait apporté au commissariat de police un bouquet de fleurs ; elles avaient été accueillies très chaleureusement par tout le monde, elles étaient surprises quand elles avaient trouvé parmi nous deux inspectrices de police, surtout quand ces dernières leur avaient dit que c’étaient elles qui refusaient d’être mutées dans un quartier plus sûr et qu’elles resteraient avec leurs frères jusqu’à ce que Dieu décide autrement. Cette visite nous a fait un immense plaisir, c’était un geste qui est allé droit au cœur. La preuve en est que je m’en souviens encore après trente ans. Merci à vous toutes. Le même jour, la délégation avait visité plusieurs autres commissariats de police dans la capitale, la femme algérienne s’est souvenue de nous à un moment où nous étions les oubliés de tous et abandonnés par tout le monde à notre sort inévitable, même nos morts, nous les enterrions tous seuls, par nous-mêmes et sans les protocoles réglementaires habituels, sauf ce que nous faisions seuls pour nous remonter le moral, nous croisions les mains et nous nous tenions devant la tombe en chantant l’hymne national lors de l’enterrement, et bien sûr, même si nos chefs voulaient faire pratiquer le protocole des enterrements, ils n’auraient pas pu le faire sans aucun doute. Les martyrs y étaient tellement nombreux, mais il y avait un protocole qui était demeuré présent depuis 1954, il le demeurera tant que l’Algérie vivra, il s’agit de la couverture du cercueil avec le drapeau national et la sortie du martyr de chez lui avec les youyous des femmes, des youyous vous transperçant le cœur, des youyous vous laissant abasourdis et complètement déboussolés. Cette scène, à elle seule, nous donnait une force et une détermination que Dieu seul 171

connaît. Croyez-moi, cette scène vous fait envier la personne qui est allongée dans son cercueil. À ce moment-là, je me suis rendu compte que la femme algérienne restera l’icône des femmes du monde, elle est la gardienne éternelle de ce pays. Avez-vous déjà vu ou entendu une femme sur cette terre qui fait des adieux définitifs à son mari, son frère, et surtout à son bien-aimé, son bébé, son amour de toujours, son fils, son fils unique, sa raison d’être sur terre, elle le fait sortir de sa maison pour toujours, elle sait qu’elle ne le reverrait jamais, plus jamais, elle l’envoie à sa tombe, à sa dernière demeure en lançant des youyous ! Il ne suffit pas d’être femme pour pouvoir faire ça, il faut être algérienne par dessus tout, parce que ça dépasse le courage de toutes les femmes du monde bien que la femme algérienne soit aussi comme les autres femmes exprimant sa joie en lançant des youyous, mais elle est la seule femme au monde à le faire aussi quand la douleur lui déchire les tripes, en espérant que notre mère, l’Algérie, sera satisfaite. Ne dit-on pas que dans la satisfaction de la mère il y a la satisfaction de Dieu ? En-dehors de cela, nous étions seuls sur le terrain. Un de nos collègues a été assassiné, il s’appelait Madjid, que Dieu lui fasse miséricorde. Il travaillait avec nous à BEO et habitait Cherarba, et bien que l’administration lui ait proposé de le rapprocher de son domicile, il avait refusé catégoriquement, car, comme nous tous, BEO était pour lui aussi le quartier du cœur et avait préféré rester avec nous. Il avait été assassiné près de chez lui lorsqu’il était allé rendre visite à sa mère malade. Trois de mes collègues et moi-même avions été désignés pour assister aux funérailles et représenter le reste des collègues ; et bien entendu, c’était le service de police territorialement compétent qui devait veiller sur les funérailles, d’assurer la sécurité autour de la maison et du cimetière. Nous sommes entrés dans le quartier de Cherarba. Le quartier semblait être habité par des fantômes. Des collègues qui nous avaient reçus à la périphérie de cette agglomération, étaient tous armés de fusils automatiques. Tous ensemble, nous nous sommes dirigés vers la maison de Madjid. Ce quartier faisait partie des 172

premiers quartiers où le fitna parti s’était implanté. Par conséquent, nous avions pris nos précautions en matière de sécurité. Nous sommes entrés dans la maison, une maison à la limite d’un bidonville où nous avions trouvé la mère, épuisée par les pleurs, un frère, une sœur et la voisine, une femme âgée. C’est tout ce qu’il y avait dans la maison de deuil. « Madjid était orphelin de père » et à l’approche de la prière d’El-Asr, nous avions porté le cercueil de Majid sur nos épaules, recouvert du drapeau national comme d’habitude. En sortant de la maison, la mère et la sœur s’étaient levées et poussaient des youyous d’une manière très émouvante. La voisine avait essayé au début de les faire taire par peur pour elles, mais rapidement, elle s’était jointe à elles, des youyous longs et sans fin qui donnaient la chair de poule à tout le monde, des youyous qui m’avaient rappelé la fin du film L’opium et le bâton quand l’actrice Marie-José Nat alias Faroudja dans le film, pleurait son frère Chahid Ali (Sid Ali Kouiret). Ces youyous, qui accompagnaient la sortie des chouhadas de chez eux, résonneront dans ma tête jusqu’à la fin de mes jours. Nous portions le corps de Madjid sur nos épaules en scandant l’hymne national : Nous jurons ! Par les tempêtes dévastatrices abattues sur nous Par le sang noble et pur généreusement versé Par les éclatants étendards flottant au vent Sur les cimes altières de nos fières montagnes Que nous nous sommes dressés pour la vie ou la mort Car nous avons décidé que l’Algérie vivra Soyez-en témoin ! Soyez-en témoin ! Soyez-en témoin ! On nous avait montré le chemin de la mosquée et nous nous dirigeâmes pour que la prière du mort soit donnée pour Madjid juste après celle d’el-Asr. Le moment venu, certains d’entre nous avaient prié avec les fidèles tandis que d’autres, avec leurs armes, montaient la garde. Juste après que l’Imam ait fini la prière, tout le monde s’est empressé de partir ! Oui, ils avaient tous quitté la mosquée y compris l’imam. En une 173

fraction de seconde, nous nous sommes retrouvés tous seuls dans la mosquée. Encore ! La mosquée était pourtant pleine, même ici à la mosquée, vous osez nous laisser seuls ? Ma foi, ce n’est pas une conduite d’hommes ça, nous abandonner comme ça, un groupe de policiers en tenue, seuls avec un mort sur les bras, un mort victime d’assassinat qui ne demandait qu’à être enterré dans la dignité humaine, vous n’avez pas honte de vos agissements fils de… Deux hommes, quand même, étaient restés avec nous, ils avaient la soixantaine environ ; ils nous avaient regardé avec des regards plein de chagrin et d’excuses, ils semblaient défier la mort et la peur eux aussi. Pendant des minutes, nous étions restés figés, étonnés de l’horreur du choc, nous n’avions pas compris au début ce qui se passait, mais nous nous étions vite ressaisis, instinctivement, nous avions serré nos armes entre nos mains, nous avions craint le pire. Nous nous étions tenus prêts à toute éventualité, pour un moment nous avions oublié qu’on était dans une maison de Dieu, et voilà qu’un de nos collègues se mettait à genoux prosterné devant notre créateur. Il se plaignait à lui en silence, aucun parmi nous ne l’avait approché, le chef du groupe nous avait demandé de le laisser entre les mains du Tout-Puissant, lui seul sait s’il apaisera notre angoisse un jour, finalement un des deux hommes s’était approché de lui, l’avait fait relever et l’avait pris entre ses bras en lui parlant à basse voix pendant un moment. Nous avons été blessés dans nos croyances, dans notre foi, dans notre religion. Nous pensions que nous n’étions en désaccord que sur des questions mondaines et politiques, mais la prière funéraire ne nous était jamais venue à l’esprit. Cinq collègues d’entre nous avaient fait la prière funéraire de Madjid, puis nous l’avions emmené à sa dernière demeure et louanges à Dieu, Seigneur des mondes, et il nous avait fallu environ une heure et demie pour quitter le quartier de Cherarba parce que nous avions changé de chemin et nous étions sur nos gardes, nous marchions très lentement. Après ce qui s’était passé à la mosquée, en particulier avec le crépuscule qui s’approchait, nous avions pris toutes les précautions et les mesures de sécurité possibles, et ce n’était pas simple du tout, c’était extrêmement compliqué pour nous, car les ruelles 174

étaient étroites et les maisons accolées les unes aux autres. L’important était que nous étions revenus sains et saufs à notre commissariat. Quelques jours après, le frère – chômeur – de Madjid était assassiné également, et sa sœur kidnappée, aucune trace d’elle. La mère de Madjid, suite à ces chocs, fut internée dans un asile psychiatrique après avoir sombré dans la démence. Le dossier de Majid dans cette vie avait finalement été clos à jamais, es-tu soulagé maintenant, Belazreg ? L’islam, a-t-il été plus propagé avec ça ? Est-ce ainsi que tu te présenteras devant notre Seigneur le jour de la résurrection ? Les assassinats se succédaient dans un terrible silence de vous tous, comme si vous vouliez que nous payions à votre place, sauf que nous n’avions pas quoi payer et pourquoi payer ? Nous n’avions jamais volé la richesse du pays bien au contraire. Nous n’avions jamais empêché quiconque d’adorer son Seigneur ou d’honorer les rituels de la religion, même si les appels à nous tuer et à nous massacrer ne venaient pas des ivrognes et ne sortaient pas des bars et des bordels. Vous savez tous qui avaient émis les fatwas pour nous tuer et nous égorger, et vous savez tous d’où sortaient ces fatwas. Les criminels n’accordaient aucune importance ni à la sainteté de l’Aïd, ni à celle du mois sacré, ni pour aucune autre occasion religieuse, nationale ou autre. T.A., un collègue qui travaillait avec nous à BEO pendant des années, avant d’être muté au quartier de Leveilley à Hussein Dey, père de deux petites filles, chaque fois qu’il en avait l’occasion, il ne parlait que d’elles ; le premier jour du Ramadan, il fut assassiné en présence des deux fillettes qui s’étaient égarées dans le chaos qui avait régné juste après l’attentat. Les collègues étaient confus, informeraient-ils la veuve de l’assassinat de son mari ou de la perte des deux filles ? Dieu soit loué, au dîner, elles avaient été retrouvées par les citoyens, l’une d’elles est maintenant brigadier de police, la photo de son père ne quitte jamais son bureau. Les criminels n’avaient pas épargné non plus les agents de la circulation qui ne faisaient que réguler la circulation routière ; 175

beaucoup d’entre eux étaient lâchement abattus en plein travail, ce qui avait contraint nos chefs à leur affecter une protection, même des rondes de policiers en civil étaient assurées dans tous les carrefours et ronds-points de notre secteur. Un agent assimilé dont je ne connais pas le nom (car n’exerçant pas avec nous) avait été assassiné devant l’hôpital Aissat Idir dans la Haute Casbah à quelques mètres de chez lui. À notre arrivée sur les lieux de l’attentat, nous avons trouvé la victime étendue par terre au milieu d’une flaque de sang. Il y avait un chat qui a réussi à percer le sachet noir en plastique que la victime tenait entre les mains ; l’animal était en train de manger les abats de poulet que le martyr avait achetés. L’un des témoins nous avait déclaré que l’auteur avait inondé le cadavre par des coups de pied, car après la fouille corporelle, il n’avait pas trouvé d’arme, normal, les agents civils n’étaient pas dotés d’armes au début en raison de la nature des tâches qui leur étaient assignées. Ce sont là quelques cas que je voulais vous raconter, car ils font partie des centaines de cas qui habitent ma mémoire et ne veulent pas quitter mon imagination jour et nuit au point d’avoir peur, que cela me conduise à la folie. Peut-être que si vous m’aidez, ce sera moins pénible pour moi car je ne peux pas les oublier et je ne le veux pas d’ailleurs, jamais, ce sont des Algériens, ce sont mes vrais frères. Je pleurerai pour eux toute ma vie, pardon Madjid, pardon, Mourad, pardon Achour, Mohamed, Elias, Ali, Lakhdar, Arezki, Ramadan. Pardonnez-moi tous. Tant que vous êtes, Dieu sait que ce n’est pas de ma faute si je suis resté en vie et achevé mon parcours professionnel, et vu grandir mes enfants alors que vous vous en étiez privés ; c’était la volonté de Dieu, et même si j’ai réalisé tout ça avec l’aide de Dieu, c’était avec amertume et désolation, je n’avais connu depuis votre mort que du faux bonheur. Peut-être que la seule chose que je ne regrette pas, c’est que Dieu avait prolongé ma vie jusqu’à ce que l’Algérie retrouve sa sécurité et son réconfort et c’était le souhait de tous, le vôtre en particulier. 176

L’administration n’avait pas tardé à s’adapter à la nouvelle situation, tous les services de police furent dotés d’armes automatiques. On nous avait aussi donné des instructions de ne pas sortir en patrouille ou à des missions de services qu’avec deux voitures jumelées et de maintenir une distance de sécurité entre les deux, avec au moins deux P.A dans chaque voiture, de ne pas rentrer à la maison tous les jours, de ne pas entrer et sortir du travail ou de la maison à la même heure à chaque fois, et ne pas fréquenter toujours les mêmes lieux publics tels que les cafés et les gargotes, tout en évitant ceux qui se trouvent à proximité du service, et de ne rentrer qu’en groupe et en prenant beaucoup de précautions ; nous ne prenions plus les transports en commun, on se faisait transporter entre nous avec les véhicules du service s’il le faut, d’autant plus que nos visites chez nous étaient rares, du jour au lendemain, on ne dormait qu’avec nos armes sous l’oreiller, et les cadres dormaient avec le poste radio en fonction, on ne sortait plus de la maison avant d’ausculter bien la rue par toutes les fenêtres de la maison et de s’assurer de l’identité de chaque piéton, véhicule, moto, vélo ou autre, chaque sortie de la maison était devenue un supplice beaucoup plus pour nos familles que pour nous-mêmes. Au final, avant d’enjamber la porte de la maison, on devait s’assurer que la balle est bel et bien dans la chambre à feu et le chien en position de tir, on mettait le pistolet dans la poche de la veste ou du manteau ; après une dernière prière, on sortait enfin de la maison le doigt sur la gâchette. Si vous êtes victime d’une tentative d’assassinat, vous n’avez tout au plus que trois ou quatre secondes pour riposter afin de sauver votre tête, sinon vous risquez de vous retrouver à la recherche d’une prière de funérailles. Le moment de la sortie de la maison ou d’entrée était devenu un moment de vie ou de mort. Vous sortiez, le doigt sur la gâchette en regardant les visages des gens, en se méfiant de tout le monde, tout le monde était suspect, tout le monde était considéré comme un ennemi, n’importe qui, même tes voisins et tes amis avec qui tu avais grandi, tu ne savais pas sur qui tu devais tirer, tu ne savais pas qui tu devais tuer pour sauver ta vie. C’était tout simplement une course vers la vie, le dernier arrivé le premier à mourir. Que Dieux vous épargne 177

vous et vos enfants des moments pareils, des moments que je ne souhaite pas pour mes pires ennemis, et pourtant, il faut le dire. Les voisins dès qu’ils nous voyaient, ils nous tournaient le dos pour nous faciliter la tâche. Combien de voisins avaient envoyé des messages d’avertissements par l’intermédiaire de leurs mères ou de leurs femmes à la maison d’un policier l’avertissant du danger. Qu’est-ce qu’ils n’avaient pas fait ces… ! Sincèrement ? je croyais qu’écrire allait atténuer ma rage, mais rien de rien, ils avaient banalisé la mort ces fils de je ne sais qui, il y avait même des collègues qui habitaient des quartiers très chauds, à haut risque tels que la Boucheraye, Eucalyptus, Oued Ouchayah, ils ne pouvaient plus aller chez eux, alors c’était l’inverse, c’était la famille qui rendait visite au policier, dans les locaux de la police, pour lui permettre de voir sa mère, ses enfants, et sa femme, et il y avait même des policiers qui réservaient pour une nuit ou deux dans un hôtel proche (pas la peine de vous faire un dessin) et pour les policiers de la Sûreté de Daïra de BEO et de la DGSN siège, c’était plutôt l’hôtel La Famille sis a frais vallon. Je n’oublierai jamais une vieille femme qui venait au commissariat pleurer amèrement. Elle avait deux fils, dont l’un était policier et l’autre terroriste. La pauvre, elle était confuse au sujet de ses sentiments, parce qu’elle est avant tout une mère. Il fallait vraiment être fort dans le lavage des cerveaux, le mensonge et le baratin pour arriver à semer l’hostilité, l’agressivité et la cruauté entre frères, entre père et fils, ils avaient réussi même à convaincre leurs disciples que tuer un membre des services de sécurité, même très proche, les rapprocherait de Dieu. Depuis quand le crime se commettait-il sous le patronage de la religion ? Alors ? Si cela n’était pas une banalisation du crime, alors encore une fois apprenez-moi ! Ne dit-on pas qu’on apprend à tout âge ? J’ai récemment entendu un enregistrement audio des pirates de l’avion d’Air France en 1994 où ils disaient à la lettre : « Nous sommes les soldats de Dieu et on a tué des otages pour se rapprocher de Dieu » et ils ont aussi dit littéralement : « Par cet acte, nous ne cherchons que le rapprochement de Dieu ». Quand les forces de sécurité avaient amené la mère de l’un d’entre eux et qu’elle l’avait 178

supplié de libérer les otages, il avait répondu mot pour mot : « J’irai au paradis en tuant le tyran ». Et par tyran, il faut comprendre tous les agents de l’Etat, et les non-musulmans bien sûr, c’est ça le résultat du lavage de cerveau auquel notre jeunesse était soumise depuis des années ; c’était le résultat de l’occupation des maisons de Dieu par un gang criminel, heureusement et grâce à Dieu, la grande majorité du peuple ne s’était pas laissée faire aussi facilement. De nombreux habitants du quartier appelaient Police Secours quand ils remarquent un inconnu dans le quartier. Dès que les événements s’étaient accélérés, le haut commandement nous avait soumis à une formation intensive, sous forme de conférences et de courtes leçons pratiques qui nous étaient données à l’intérieur même du service, on nous apprenait surtout les techniques de combat de jour et de nuit et les différents scénarios possibles sur les opérations de l’assaut final, la manière de procéder pour arrêter les criminels surtout sur la voie publique en prenant soin d’épargner les autres passants, et même sans que personne ne se rende compte de ce qui se passe. D’autres leçons et conférences nous avaient été dispensées aussi par des officiers des Renseignements Généraux, on nous avait surtout appris la théorie de ce que nous savions déjà auparavant dans la pratique, sur le concept de l’action terroriste et ses caractéristiques ainsi que les méthodes de le combattre. Le terrorisme nous avait été surtout défini comme étant une violence organisée visant à atteindre des objectifs politiques en répandant la peur et la terreur au milieu de la société, une violence sous toutes ses formes visant les citoyens et le pouvoir en place : les citoyens pour les obliger à embrasser leurs idées et leur approche, suivre leurs politiques et assister surtout à leurs rassemblements et à les soutenir en s’engageant dans leurs rangs ; pour les hommes du pouvoir, afin qu’ils n’interfèrent pas dans leurs politiques et ne mettent pas une fin à leurs agissements, et à renoncer à leur devoir de les affronter. Leurs moyens au départ, c’était d’utiliser des milices non armées, qui pouvaient se réorganiser très rapidement sous la 179

forme de groupes armés, c’est-à-dire qu’ils passent de la violence morale à la violence armée, comme cela s’était malheureusement produit chez nous. Le but de tout cela était de provoquer la confrontation de l’opinion publique contre les autorités et de montrer leur incapacité à les protéger, mais aussi à isoler l’Etat au niveau international, et frapper les infrastructures du pays et développer leur idéologie et la diffuser dans la communauté, plus particulièrement au sein des jeunes, afin de les recruter. Les équipes étaient divisées en plusieurs groupes, chaque groupe avait une mission particulière. Il y avait un groupe qui se chargeait des affaires sociales prenant en charge la collecte des contributions, des dons financiers, la fourniture d’abris et de nourriture pour les membres du groupe, et la prise en charge des familles des terroristes éliminés. Il investissait également l’argent obtenu par le pillage, le vol et l’extorsion, afin d’assurer la liquidité de trésorerie du groupe. Il existait un groupe de santé, composé principalement de médecins des secteurs public et privé, ainsi que des infirmiers, des pharmaciens et des professionnels du secteur de la santé dont la mission était de voler des médicaments et du matériel médical dans les hôpitaux et de soigner les terroristes blessés lors des affrontements. Un groupe de communication dont la mission était de mener une guerre psychologique : le recours aux médias et à la propagande pour répandre des rumeurs, travailler pour amplifier les opérations terroristes, imprimer et distribuer des publications incendiaires et de propagande. Le groupe de recrutement dont le rôle était de travailler pour alimenter le groupe avec de nouvelles recrues parmi les proches, les voisins, les amis, mais aussi parmi les sympathisants et surtout parmi la population défavorisée et pauvre incapable de contribuer au jihad avec de l’argent ; mais ces organisations faisaient également appel, souvent, à d’autres façons d’enrôlement en recourant à des méthodes coercitives telles les menaces et le chantage. La police algérienne avait pu rapidement développer un plan global pour déterminer les moyens de confrontation et de lutte contre les 180

groupes terroristes. Par confrontation, nous entendions toutes ces actions exécutées constamment avant l’intervention finale pour mettre fin à leurs agissements soit par arrestation ou élimination le cas échéant : comme la collecte d’informations et la neutralisation des réseaux de soutien et autres. À cet effet des équipes de police judiciaire spécialisées dans la lutte antiterroriste ayant pour appellation : Brigades Mobiles de la Police Judiciaire (BMPJ), brigades spécialisées qui pouvaient venir à bout des organisations criminelles de ce genre, en collectant les informations continuellement et en suivant leurs traces avant de les éliminer définitivement. Nous avions eu le grand honneur à BEO d’accueillir la première BMPJ à l’échelle nationale, dont le siège est à Oued Korich, puis de nombreuses autres équipes avaient vu le jour dans la capitale : Kouba, Baraki, El Harrach, Eucalyptus et autres, et au vu du succès impressionnant obtenu par ces brigades, il avait été rapidement décidé d’en ouvrir des dizaines au niveau national. Aussi, un Office National de Répression du banditisme avait également été créé à Alger en 1992 avec deux services régionaux un à l’est et l’autre à l’ouest du pays ; ils centralisent et collationnaient tout le travail de la lutte antiterroriste en étroite collaboration avec d’autres services de sécurité, et bien sûr, l’Etat avait mobilisé toutes ses autres capacités afin de mettre fin à ce phénomène qui aurait pu saper les piliers de l’Etat algérien, en particulier l’Armée Nationale Populaire, la gendarmerie nationale, la garde municipale et d’autres services de sécurité, a chacun ses prérogatives réglementaires. Tous les services impliqués dans cette guerre travaillaient en étroite coordination entre eux, notamment en ce qui concerne l’échange d’informations relatives aux groupes terroristes, et aux groupes de soutien, car s’enquérir de ces derniers était une question vitale. Il s’agissait de connaître les capacités réelles de l’adversaire, en termes de nombre d’individus, de méthodes de recrutement, d’armement, de sa capacité à se déplacer, de ses réseaux de soutien, et surtout de sa capacité à enquêter, les actions destructrices qu’il avait l’intention d’entreprendre, ses relations internes et externes, ses sources de financement… Cependant, obtenir ces informations 181

n’était pas chose facile, car ces groupes imposent à leurs membres un règlement interne strict basé principalement sur le secret et la menace réelle de mort d’une manière atroce même pour une suspicion de collaboration avec les services de sécurité. Cela outre les méthodes classiques de collecte d’informations sur ces groupes, telles que le recrutement d’informateurs de l’intérieur, la pénétration, l’infiltration, le repérage, pistage et l’interrogatoire des détenus à condition que les informations reçues soient rapidement exploitées. Toutes ces méthodes restaient toujours valables même si d’autres méthodes modernes telles que les écoutes téléphoniques, les surveillances électroniques et d’autres sont désormais appliquées dans le domaine des enquêtes. Le démantèlement des réseaux de soutien à ces groupes est un pilier fondamental de la lutte contre les groupes armés, car c’est leur artère vitale et sans ce soutien, il disparaîtrait inévitablement. Nous suivions diverses conférences et pratiquions plusieurs exercices à ce sujet avec beaucoup de passion et intérêt, et nous apprenions très vite, c’est logique, c’était une question de vie et de mort avant tout, même les collègues absents pendant les cours à cause de leurs préoccupations professionnelles, on leur transmettait ce que nous avions appris. Cela nous aide à apprendre plus rapidement, étant « La meilleure façon d’apprendre est d’enseigner aux autres » selon le mot d’Ahmed Deedat. Bien que les assassinats se suivaient à un rythme effroyable, nous avions déçu les espoirs des groupes terroristes, nous n’avions pas abandonné comme ils s’y attendaient, au contraire, chaque fois qu’un martyr tombait, cela augmentait notre détermination et notre force, chose que je n’arrive à m’expliquer à ce jour. C’est une force que le Seigneur tout-puissant avait insufflée en nous, pour nous permettre de faire face à ceux qui nous avaient méprisés. Dieu a voulu que nous soyons accrochés à leur gorge comme un hameçon.

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Nos collègues des Renseignements Généraux avaient redoublé d’efforts, ils donnaient le meilleur d’eux même, ils s’introduisaient dans les cellules de la garde à vue déguisés en détenus pour écouter les conversations, ils conduisaient des faux taxis assurant surtout les liaisons d’Alger vers les zones infectées de terrorisme. Ce n’était que quelques semaines plus tard que les résultats de leurs efforts commençaient déjà à se traduire sur le terrain : le groupe terroriste d’El-Achour vient de tomber, c’est là que les auteurs de l’attentat de la rue de la Lyre furent éliminés, entre autres B.M et F.M et d’autres criminels. Quelques jours après, c’était l’opération de Bouzaréah, une opération spécifique, qualitative, une opération dans laquelle avaient été neutralisés un certain nombre de chefs de groupes terroristes, dont le plus célèbre D. Al-Afghani ; les criminels continuaient à subir des coups douloureux. Chaque fois que l’un d’entre eux apparaissait dans notre secteur en voulant se faire un nom dans le monde du crime et du terrorisme, on travaillait dur pour le faire tomber, on suivait sa trace jour et nuit et on ne soufflait point avant de l’arrêter ou de l’abattre, c’est devenu désormais une affaire personnelle avant que ça soit une affaire d’Etat. L’intensité des assassinats commençait vraiment à s’estomper. Lorsque les dirigeants des groupes criminels avaient remarqué notre fermeté et notre détermination, ils avaient entrepris contre nous une sale guerre psychologique, comme faire répandre des mensonges et essayer de semer la suspicion et la confusion parmi nous. Ils propagent des rumeurs à notre sujet, ils promeuvent l’idée que les assassinats dont ils avaient été victimes n’étaient pas autres que des règlements de comptes entre nous ! Imbéciles ! Ils exploitent notamment une station de radio secrète d’une chaîne de radio mobile, dont l’affaire avait été rapidement révélée et avait cessé de diffuser après que les services spécialisés fussent intervenus et les individus arrêtés. Nous avions également découvert un site secret dans le quartier La Carrière sur les hauteurs de BEO où ils faisaient imprimer des tracts de propagande se rapportant aussi aux 183

nombreux assassinats qui nous visaient ; les criminels avaient pris possession de plusieurs postes radios et ils interféraient dans nos fréquences pour nous écouter. Des fois même, ils nous parlaient et tentaient de nous démoraliser voire nous intimider, notamment en appelant certains d’entre nous par leurs vrais noms. La salle des Opérations avait du mal à nous faire taire et nous obligeait à ne pas répondre à leurs provocations, car beaucoup d’entre nous s’amusaient à échanger des insultes avec eux. Et aussi en appelant certains d’entre eux par leurs noms, en particulier ceux dont la voix est reconnue, car beaucoup d’entre eux avaient un casier judiciaire et étaient très connus de nos services et résidaient dans notre secteur, « œil pour œil et dent pour dent » Notre commandement avait été contraint de nous fournir finalement un code chiffré pour sécuriser nos messages afin qu’ils ne connaissent pas les endroits où nous allions ou les tâches assignées. Après une courte période, les services techniques ont pu trouver une solution pour neutraliser chaque appareil radio que les terroristes s’accaparent. On n’entendait plus leur voix, mais la guerre psychologique continuait. Cette fois-ci, les criminels mettaient un linceul et un morceau de savon devant les portes des domiciles des policiers, avez-vous vu ou entendu une absurdité plus que celle-là ? Une absurdité qui avait peut-être affecté la psychologie de nos familles, mais, par Dieu, elle n’avait fait qu’accroître notre dédain et notre indignation pour ces gens. Face à notre fermeté et à notre résistance acharnée, les criminels étaient passés dans leur guerre avec nous à un niveau que les nazis envieraient inévitablement. Imaginez qu’ils avaient fait exploser une voiture piégée à l’intérieur de la cité de police de Garidi à Kouba ; le même jour, trois autres voitures piégées avaient explosé dans trois cités de police au niveau du pays. Des victimes étaient tombées, des familles de policiers, dont des femmes et des enfants et bien sûr Belazreg n’était pas du tout responsable de leur sort. Bien entendu, immédiatement, toutes les cités de police étaient placées sous protection, leur nombre ne dépassait pas dix sur l’ensemble du 184

territoire national, dont trois dans la capitale. On aurait aimé qu’ils s’arrêtent là, ils avaient kidnappé un policier résidant dans les environs de Hammam Melouane, l’avaient torturé pendant plusieurs heures avant de le tuer et de mutiler son corps, le comble, c’est qu’ils avaient enregistré toute l’opération sur cassette vidéo qu’ils avaient envoyée à sa famille, on aurait aimé qu’ils s’arrêtent là. Vers onze heures du matin, j’étais à bord de la voiture de service avec deux collègues, y compris le chauffeur, et une deuxième voiture avec trois autres membres, qui nous suivait, je commandais le groupe formé des deux voitures. Nous avions été désignés pour effectuer des patrouilles de surveillance et accomplir toute mission que l’on nous ordonnait. Après quelques minutes, je reçois un message de la salle des opérations : – Omar1mobile – rendez-vous immédiatement au point 16 et contacter Omar personnellement ! Terminé ! Reçu. Omar 1mobile, c’était moi et le point 16, c’était le siège de la Sûreté de daïra et Omar (tout court, sans numéro) était l’indicatif du chef de la Sûreté de daïra en personne. Bien sûr, j’avais ordonné au chauffeur de retourner aussitôt au siège. À notre arrivée, j’avais laissé tout le groupe au rez-de-chaussée, j’étais monté au bureau du chef de la Sûreté de daïra, et dès que j’y suis entré, il m’avait demandé de lui confirmer si le collègue Z.M. est avec moi dans le groupe, je lui avais répondu par l’affirmative. Il m’avait demandé de trouver une astuce pour le désarmer de son arme individuelle et de l’arme collective s’il en a une, et de l’accompagner dans son bureau avec un autre élément du groupe. Quand il avait vu la surprise s’afficher sur mon visage, il m’avait informé que trois terroristes avaient pris d’assaut sa maison familiale à la casbah et tué sa mère, deux sœurs et un jeune frère de douze ans ; et qu’il valait mieux le désarmer avant de l’informer de peur qu’il perde le contrôle de lui-même d’où il pouvait constituer un danger pour lui-même ou pour autrui. Je suis retourné au rez-dechaussée et ai appelé Z.M. avec un autre collègue et leur ai dit que le chef nous demandait tous les trois dans son bureau pour nous confier une mission. Passage obligé par le secrétariat où j’avais déposé mon 185

arme de service et leur avais demandé de faire de même. L’un d’eux m’avait demandé : « Depuis quand, on ne peut pas entrer avec nos armes dans le bureau de notre chef ? Je lui avais répondu sèchement : « Depuis quand on discute les ordres ? » Ils s’étaient exécutés sans autre commentaire ; nous sommes entrés au bureau du chef, il avait demandé à Z.M. de s’asseoir, pendant que je me tenais derrière lui. Même désarmé, j’avais eu peur qu’il se jette par la fenêtre, le bureau étant au troisième étage, ou il pourrait ressortir rapidement du bureau et descendre au Rez-de-chaussée, il pourrait facilement prendre une arme collective d’un des collègues surtout que personne n’était encore au courant de ce qui venait de se passer, et il fallait prendre toutes les précautions pour que la situation ne se dramatise pas davantage. Le chef de la sûreté de daïra l’avait informé du drame, son visage était devenu jaune pâle, il m’avait regardé avec un regard que je paierais la moitié de ma vie pour qu’il disparaisse de ma mémoire, comme s’il me demandait de démentir la nouvelle, ou qu’il ne s’agit là que d’une mauvaise blague, hélas mon frère, j’aurais aimé que ce soit le cas. Je n’avais pas prononcé un seul mot, j’ai senti mon sang se glacer dans mes veines, comme si je venais à l’instant d’apprendre la nouvelle. Je ne comprenais pas comment je n’avais pris conscience de l’horreur de cette calamité que maintenant, un lourd silence s’était abattu sur le bureau du chef jusqu’à ce que l’affligé prononce une phrase : « Mais je n’ai pas vu ma mère depuis plus d’un mois lorsqu’elle est venue me rendre visite ici au siège, et je ne suis pas allé chez moi depuis plus de trois mois », comme si cela allait changer le cours de l’histoire. Il était clair qu’il ne savait plus ce qu’il disait, subitement, il s’était mis debout, il allait quitter le bureau. « Où estce que tu vas ? » Lui dis-je. « Où vais-je ? Mais chez moi, Abdelouahab, je dois y aller parce que… » Soudain, il se tut, vint vers moi, je l’ai pris dans mes bras, il pleura en silence, il pleura comme un enfant, des pleurs que j’ai sentis émerger du fond de ses tripes. Mon Dieu, pourquoi j’ai été créé en pareille époque ? Pourquoi cette 186

profession de policier ? Pourquoi moi ? Que dois-je faire maintenant ? Que puis-je dire à la personne qui pleure sur mon épaule ? Puis-je lui dire d’être courageux, tu n’as perdu que ta mère, deux sœurs et un frère à la fois ? Mon frère, mon frère, sois patient, ne vas pas chez toi, d’ailleurs, tu n’as plus maintenant un chez toi, il faudra t’habituer à cela à l’avenir. Mon frère, mon frère, mon frère soit compréhensif, la mort de ta famille était pour la bonne cause, c’était pour le bien de la religion », ou devrais-je lui dire : « Tu es coupable d’avoir choisi la profession de policier ? Coupable d’avoir aimé ton pays ? Coupable de vouloir protéger ton peuple ? » Pardon, mon créateur pardonne moi, je ne suis qu’une faible créature. Tout cela est certainement pour une sagesse que Tu ne connais que Toi. Pardonne-moi mon Dieu, tu sais ce que nous ne savons pas. D’ailleurs, nous ne savons que ce que Tu nous as appris ». Le même jour, le service avait reçu des informations complètes sur l’ignoble crime dont avait été victime la famille de notre collègue. Le principal auteur était le dénommé N.W. connu par tous les habitants de la Casbah et aussi par nos services, repris de justice notoire déjà reconnu plusieurs fois coupable de plusieurs crimes et délits dont un pour atteinte à la pudeur sur un mineur, condamné plusieurs fois pour la vente de pilules hallucinogènes, agressions avec armes blanches et autres. Quand les groupes terroristes avaient pris le contrôle de toute la Casbah, ils lui avaient donné le choix de les rejoindre ou de quitter la Casbah ; alors il avait choisi la première option. Ils lui avaient demandé de prouver sa loyauté, pour démontrer sa bonne foi, il procéda à l’assassinat de la famille du collègue parce qu’il déteste les policiers bien sûr, mais aussi parce qu’ils étaient du même quartier, lui et le collègue, ils avaient grandi ensemble. D’ailleurs, il appelait la mère de ZW « khalti », ma tante. Du jour au lendemain, il est passé du statut d’un criminel méprisable à celui d’un terroriste, méprisable, il l’était et le restera toujours, mais aussi un dangereux terroriste, ayant un groupe armé sous ses ordres avec lequel il imposait le contrôle de la Casbah. Nous avions eu 187

l’information qu’il n’avait pas quitté la casbah, même si nous ne rentrions plus à l’intérieur qu’avec des renforts très importants, ce qui handicapait considérablement notre mobilité, ainsi nous avions perdu peu à peu l’effet de surprise, mais nous surveillons toutes les entrées et sorties de la casbah. Nous avions réussi à avoir de notre côté, tous les commerçants, tous les marchands ambulants et beaucoup de jeunes. On savait tout ce qui se passait à l’intérieur du vieux quartier, et bien sûr N.W. le savait et il ne s’était jamais aventuré à quitter le centre de la Casbah ; nous lui envoyons des messages verbaux avec les gens de la Casbah (à l’insu de nos chefs), on leur demandait de l’informer que ses jours sont comptés, et que nous nous approchions de lui petit à petit, et effectivement, on ne pensait qu’à lui, on faisait une fixation sur ce criminel, il hantait nos esprits jour et nuit. Notre problème, pour l’arrêter était qu’il avait l’habitude de changer de cachette chaque nuit, mais nos services de renseignements ne dormaient pas eux, de jour comme de nuit, il savait comme nous tous qu’il fallait faire payer les tueurs de femmes et d’enfants le prix de leurs crimes pour que chacun sache se tenir à l’avenir, et ça avait fini par payer. Ils avaient pu recruter le chef de groupe qui était chargé d’assurer le soutien logistique, (ne me demandez pas comment, moi-même je l’ai sus que dernièrement). C’est à lui que revient la délicate tâche de trouver les cachettes pour les chefs de groupe dont N.W. Notre état-major est désormais au courant au quotidien de l’endroit où il passe sa nuit, ils avaient donc attendu plusieurs nuits, car on savait qu’il ne pouvait pas quitter la Casbah. Jusqu’au jour où il allait passer sa nuit dans un appartement à la rue A.A., je ne suis pas sûr, mais je crois que c’était l’état-major qui avait aménagé cet appartement pour le chef de la logistique pour qu’il le propose au groupe de criminels vu qu’on pouvait y accéder par véhicule, mais ça se peut aussi que N.W. a commencé à être confiant plus que nécessaire, ce n’était pas son habitude de dormir à la périphérie de la Casbah. L’informateur nous avait fait savoir que l’appartement est situé au dernier étage et que le criminel possède un 188

talkie walkie qu’il utilise pour l’écoute uniquement, et qu’il passe sa nuit avec quatre de ses lieutenants. Les chefs ont décidé alors de déclencher l’opération à huit heures du matin, selon les informations, le criminel dormait encore à cette heure-ci vu qu’il était allé au lit depuis environ deux heures seulement. Nous sommes allés dans la salle d’exercice, on nous a étalé les plans de l’appartement, du bâtiment et de la ruelle fournis par le personnel des Renseignements. Le plan de l’intervention nous a été expliqué en détail : deux d’entre nous devaient emprunter la rue à pied et maîtriser avec délicatesse le guetteur, dont on connaissait exactement l’emplacement. Un petit groupe se tient à l’entrée ouest de la rue A.A. et un autre à l’entrée est pour barrer la route aux passants, alors que nous, une vingtaine d’agents, avançons vers le bâtiment. Il fallait marcher vite, marcher en silence sous les balcons ; nous allions tous directement au dernier étage, nous tous, car, juste après notre entrée dans le bâtiment, un autre groupe était déployé, occupant la rue et l’entrée du bâtiment et tous les alentours le cernant ainsi de tous les côtés. Il y avait aussi un groupe portant un marteau-piqueur pour démolir les surfaces de béton ; ce groupe doit entrer dans le bâtiment directement derrière nous, il doit prendre position sur le toit du bâtiment. Nous devions d’abord assurer le passage sur le toit du bâtiment pour ce groupe, car les expériences précédentes nous ont appris que les terroristes font souvent piéger l’entrée principale de l’appartement dans lequel ils se trouvaient et préparaient à l’avance plusieurs sacs de sable ou tout autre pare-balles derrière lequel s’abriter lorsque c’est nécessaire. Cela nous a coûté souvent beaucoup de temps et d’efforts, et même des victimes pour réussir à y accéder, surtout si l’édifice ne dispose pas de balcon, comme c’est le cas dans cette opération. Nous avons donc préféré faire un, ou plusieurs, petits trous sur le toit de l’appartement afin de pouvoir lancer à l’intérieur des grenades offensives, fumigènes et même assourdissantes pour faciliter, entre autres, la tâche de l’artificier qui devançait le groupe d’assaut afin de s’assurer que l’entrée de la porte soit libre d’explosifs et, le cas 189

échéant, de les neutraliser. Nous ne disposions pas plus de quelques minutes pour rejoindre le dernier étage, il fallait à tout prix éviter que l’assaut d’un appartement devienne l’assaut de tout un bâtiment, ça aurait compliqué terriblement notre tâche. Juste après avoir pris nos emplacements, un autre groupe faisait sortir tous les habitants des autres appartements adjacents en les conduisant à un endroit dans les environs, où leurs identités étaient vérifiées avant d’être escortés vers un lieu sûr. Ce groupe avait été chargé de poursuivre sa mission, quoi qu’il arrive, c’est-à-dire en présence ou en absence de coups de feu. Nous sommes partis de notre siège à la BMPJ d’Oued Koriche, sous le commandement du chef de la brigade, et qui dans le but de brouiller les pistes des terroristes si jamais ils étaient à l’écoute, avait échangé plusieurs messages par radio avec la salle des opérations pour l’informer qu’il se dirigeait avec son groupe en mission à Sidi El kébir à proximité de Rais Hamidou » Pointe Pescade » (c’est-à-dire du côté opposé de la Casbah) en donnant tous les détails de la fausse mission. Après nous avoir déposés à la porte du lycée Okba et déposé l’autre groupe à la rue de la Lyre, nous avons marché en silence, en accélérant le rythme comme convenu. Dans notre for intérieur, on était au bord de l’explosion à cause de l’intensité de la rage qu’on éprouvait. La rage d’affronter enfin les tueurs de femmes et d’enfants, de voir leurs réactions et comportements faisant face à des hommes. Nous avions poussé un soupir de soulagement lorsque nous avions atteint la porte du bâtiment et sommes montés au dernier étage. L’absence de coups de feu signifiait que les criminels dormaient encore et que nous avions toujours l’effet de surprise, mais tout de même nous n’avions que peu de temps pour prendre nos positions de combat comme convenu dans l’exercice pratique. Mais voilà que dès que le groupe portant le marteau-piqueur est monté sur le toit, que le crépitement des balles commençait. Ils commençaient à tirer de derrière la porte de l’appartement et des fenêtres vers la rue.

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Le Créateur tout-puissant nous avait donné un sang-froid exemplaire à chaque fois que nous faisions face à ces criminels, c’est comme si nous n’étions pas en train de confronter la mort ou comme si nous étions dans un exercice d’entraînement. Nous avions pris position dans les escaliers, et nous étions bien positionnés, les balles tirées de l’intérieur de l’appartement étaient sans aucun effet sur nous, c’était pour des moments pareils que les exercices qu’on répétait à chaque fois étaient utiles, nous aurions aimé gagner quelques minutes supplémentaires pour que l’artificier fasse sauter la porte de l’appartement, mais les choses ne s’étaient pas toujours déroulées exactement comme nous le voulions, peu importe, nous avions gardé nos positions sans riposter selon l’ordre du chef de groupe, qui par contre avait ordonné à l’autre groupe de continuer sa montée vers la terrasse et commencer à creuser le trou au plus vite. Ils avaient quelques mètres à enjamber sous les balles ennemies ; deux d’entre nous avaient commencé à tirer en direction de la porte pour les couvrir, quelques secondes leur étaient suffisantes pour qu’ils passent et en un clin d’œil, ils étaient déjà sur la terrasse en train de percer le toit de l’appartement. Après quoi, le chef avait lancé aux assiégées les avertissements légaux, et leur avait ordonné de se rendre car ils étaient cernés. La seule réponse que nous avions entendue était plusieurs rafales d’armes automatiques. Un membre du groupe d’intervention sur le toit était redescendu pour informer le chef que le trou avait été fait ; ce dernier leur avait ordonné de commencer à lancer des grenades à l’intérieur et à nous de concentrer nos tirs sur la porte ; immédiatement, nous avions vidé plusieurs chargeurs de nos armes en direction de la porte sans quitter nos positions, bien sûr, nous nous sommes concentrés surtout sur la serrure de la porte, et ce n’était que quelques instants et voilà que la porte sautait en éclat. Même si nos collègues sur le toit avaient déjà lancé plusieurs grenades à travers le trou, les criminels tiraient toujours de l’intérieur. Nous étions trois du groupe d’assaut en plus de l’artificier et du chef à être dotés d’un masque à gaz. Immédiatement après que la porte avait volé en éclats, nous sommes allés tous les quatre vers l’entrée de l’appartement, tout en assurant une protection complète à l’artificier, qui 191

d’un rapide coup d’œil à l’entrée de l’appartement, nous avait indiqué d’un geste la main que l’entrée n’était pas piégée. Maintenant, nous sommes à deux pas du hall de l’appartement, le responsable de cette opération, par radio, avait demandé au groupe du toit de cesser le lancer des grenades sauf pour les fumigènes. Nous avions entamé une lente progression à l’intérieur, centimètre par centimètre, et en prenant des précautions autant que possible pour ne pas être dans la ligne de tir, celle de nos collègues ou des terroristes. Nous avions, à notre tour, lancé des grenades à l’intérieur, notamment des grenades fumigènes et défensives. Tout en continuant à tirer de l’intérieur de l’appartement des tirs non ciblés. Les terroristes étaient désormais totalement encerclés par un torrent de bombes lancées sur eux depuis le toit et à travers la porte, sans parler des balles tirées par ceux qui étaient avec nous dans le groupe. Avec un signe de la main, on s’entendait, nous les quatre que nous allions, ensemble, lancer quatre grenades assourdissantes à la et entrons directement au milieu du hall principal de l’appartement, comme nous l’avions convenu dans la salle d’entraînement. Le chef avait pris les devants, donnant ainsi son accord à cette dernière opération. Nous avions donc lancé les quatre grenades en une seule fois ; après environ une minute, nous nous étions couchés au milieu de l’appartement. Je ne voyais pas grand chose et tout ce que je faisais était de tirer intensément, nous avions dû tirer dans toutes les directions car il n’est pas possible de déterminer dans des moments pareils où se cache l’ennemi, aucun de nous ne s’était levé du sol et nous sommes restés couchés parce que des collègues n’arrêtaient pas de lancer des grenades, mais nous nous faufilions et avancions à l’intérieur, nous étions divisés en trois, l’un de nous se dirigeait vers la grande chambre et l’autre vers la cuisine, tandis que le chef du groupe se dirigeait vers le salon. L’échange de tirs se poursuivait alors que nous avancions vers le centre de l’appartement, tout le monde s’était arrêté maintenant de lancer des grenades, les autres collègues avançaient derrière nous dans l’appartement. L’échange de tirs s’était terriblement intensifié, de sorte que des éclats nous avaient survolés 192

de tous les côtés, car les terroristes étaient également armés d’armes automatiques, et ils jouaient également leur vie pendant ces quelques minutes. Mais ce qui me dérangeait personnellement lors d’échanges de tirs et de lancers des bombes dans des endroits fermés comme les appartements, c’était le son qui vous coupe les oreilles, les grenades assourdissantes, comme l’indique leur nom, font un bang douloureux même dans des espaces ouverts, alors qu’en est-il à l’intérieur d’un appartement fermé ? Bien que le lancement des grenades ait maintenant cessé, les tirs des armes automatiques ne cesse, en revanche, d’augmenter terriblement, et l’expérience m’avait appris qu’il y a un point culminant que les tirs des armes doivent atteindre avant que la courbe amorce sa descente jusqu’à l’arrêt complet, parallèlement, bien sûr, à la tombée des victimes et au silence de leurs mitrailleuses, et effectivement ce n’est que quelques minutes après que le bruit des balles diminue. Dans toutes les opérations se déroulant dans des lieux clos, le processus de l’assaut final ne durait que quelques minutes, il est de dix minutes tout au plus ; vivent qui vivent et meurent qui meurent. L’assaut final est la dernière étape de toute l’opération, mais c’est certainement l’étape la plus dangereuse, vu qu’elle est décisive, les assiégés savaient très bien qu’ils n’avaient aucune chance et ils ne sont qu’à quelques minutes de la mort, maintenant ils n’ont plus rien à perdre, ce qui complique encore les choses, surtout que dans de telles missions, nous travaillions dans un espace très étroit et très réduit, ce qui entravait et limitait grandement nos mouvements et notre capacité de manœuvre. Dans tous les cas, le dernier mot revenait toujours aux assiégeants. C’est cinq minutes au plus, oui, mais qui semblent des journées entières, toute réflexion se fige et vous ne cherchez que l’adversaire pour faire de votre mieux pour le neutraliser avant qu’il ne le fasse lui-même. Durant l’assaut final, ce n’est pas la technicité des attaquants ou des défenseurs qui détermine le résultat final, mais c’est plutôt leur courage et leur audace, c’est la confiance absolue existant entre eux, à croire qu’ils communiquent par télépathie, leurs mouvements et leurs actions sont automatiques. Quelques détails 193

subtils déterminent le nombre de victimes des deux côtés, donc en réalité l’assaut final n’a duré qu’une dizaine de minutes, et le son des tirs commence à diminuer mais il y avait un léger tir parvenant de l’une des pièces ; il s’est avéré qu’il s’agissait d’une seule personne à qui le chef du groupe s’est adressé d’une voix forte, sèche et ferme : – « rends-toi, toute résistance est inutile, tu vois bien que tes complices sont neutralisés ». Il avait répondu qu’il était blessé et prêt à se rendre. Nous lui avions demandé son nom et il avait répondu ; et nous lui avions posé plusieurs autres questions auxquelles il avait répondu. Nous avions délibérément posé certaines questions parce que la manière dont il allait répondre nous faisait discerner ses intentions ; l’individu nous suppliait de le transférer à l’hôpital, le chef du groupe lui avait ordonné de laisser son arme sur place et de ramper vers nous en dehors de la salle s’il était sincère dans ses intentions. Il avait juré qu’il est sincère et qu’il veut se rendre. Il nous supplia en pleurant de ne pas tirer sur lui. Notre chef lui avait dit que, contrairement à eux, nous nous battions, mais nous ne tuons pas, tout en lui promettant qu’il sera soigné et traduit devant la justice s’il sortait de la salle. Cette personne avait fini par ramper hors de la pièce et il ne tenait aucune arme entre ses mains ; nous lui avions demandé d’ouvrir sa chemise et elle avait obtempéré. Nous lui avions demandé de garder ses mains visibles, et l’un de nous s’était approché d’elle très prudemment, l’avait fouillée soigneusement. Après lui avoir mis les menottes, nous l’avons évacué à l’extérieur. Nous avions fouillé le reste de l’appartement en compagnie de l’artificier qui nous précédait ; il n’y avait personne d’autre à part les corps des quatre terroristes éliminés. Le chef informa la S.O. par radio que l’appartement est complètement sécurisé tout en lui transmettant le bilan final et la fin de l’opération. Nous nous sommes retirés pour laisser place aux collègues de la Scientifique et des Renseignements Généraux. Il ne me reste plus qu’à vous informer que notre collègue Z. n’avait pas participé à l’opération, car nos dirigeants l’ont envoyé en mission hors de la capitale quelques jours auparavant, craignant pour sa vie d’une part et pour que nous apprenions tous que nous ne travaillons pas pour satisfaire notre 194

instinct de vengeance, mais plutôt pour appliquer la loi et seulement la loi. Le désespoir a commencé à gagner le cœur des groupes terroristes. Par ailleurs, nous nous sommes adaptés, pour ainsi dire, à la nouvelle situation rapidement, de sorte qu’assassiner un agent des forces de l’ordre ne se commettait plus aussi facilement comme avant, les terroristes ont alors décidé de changer de stratégie : les assassinats touchant maintenant l’élite et les symboles de la société civile en particulier les esprits critiques. Le terrorisme commença à révéler son vrai visage et son hostilité à tous ceux qui ne sont pas avec lui, hostilité pour tout ce qui est savoir, pour tout ce qui est culture, ni les hommes des médias, ni les savants, ni les écrivains, ni les médecins, ni les hommes d’art et de théâtre, ni les enseignants, les professeurs, ni les employés, ni les imams, ni les juges ni les avocats, ni les militaires, ni les gendarmes, ni les policiers, ni les simples citoyens et citoyennes ont été épargnés de leur sauvagerie et de leur barbarie, mais surtout de nombreux étrangers qui sont censés être nos hôtes. Je ne mentionnerai pas tous les noms, car ils sont nombreux, que Dieu ait pitié d’eux tous, et je ne mentionnerai pas toutes les professions, car ils n’en excluaient aucune, mais l’acharnement contre les journalistes et les intellectuels était terrible, les criminels ont tout essayé pour arrêter la plume des journalistes. Ceux qui ont écrit et innové non pas pour soutenir un régime ou un groupe au pouvoir, ni pour obtenir des avantages matériels, mais uniquement pour consacrer le principe de la liberté d’expression et informer la société sur tout ce qui se passe dans le pays, ce à quoi les criminels ne se sont pas habitués, ils ont donc assassiné près de 100 professionnels de l’information et de la culture. Les médias ont subi à leur tour de nombreux actes terroristes qui ont fait beaucoup de victimes en particulier des journalistes de la presse écrite, de la radio ou de la télévision, du secteur privé ou public, tous égaux aux yeux de la 195

terreur. Le premier à être assassiné, le poète, romancier et journaliste Tahar Djaout du journal francophone hebdomadaire L’actualité, victime de balles d’un groupe terroriste près de son domicile à AinBenian, et le journaliste de la télévision nationale Zenati Rabhi, assassiné près du domicile de sa famille à Cherarba. Parmi les crimes les plus violents commis contre les gens de la presse nationale au cours de la décennie noire : le journaliste et poète Youssef Sebti égorgé à son domicile à El-Harrach. Les assassinats avaient touché toutes les personnes travaillant dans le secteur de l’information, outre les journalistes, des reporters, des photographes, des directeurs éditoriaux, des correcteurs, et même des chauffeurs. Le secteur avait, à son tour, payé de sa chair et de son sang un lourd tribut, des dizaines et des dizaines de victimes dont la seule faute était d’insister à penser et à écrire sans se soucier vraiment des menaces des terroristes. Leur vie à eux avait changé aussi, ils ne dormaient pas souvent à la maison, sortaient rarement, et la plupart d’entre eux sortaient de chez eux déguisés. Parmi les martyrs, j’avais eu l’honneur de faire la connaissance de Ouari Nasser, que Dieu ait pitié de lui, un journaliste spécialisé dans la langue des signes, un homme très respectueux, gentil, modeste, serviable dans la plus grande mesure, il avait un bureau à BEO. Quand nous trouvions des difficultés à prendre les déclarations d’un sourd-muet, nous recourons à ses services et il venait vers nous avec grand plaisir pour nous faire la traduction, et nous exhortait même à le contacter sans hésitation lorsqu’il s’agissait de cette frange de la société qu’il aimait de tout son cœur. Il avait été assassiné. Que Dieu ait pitié de toi, Nasser, je pense à toi souvent, ta blessure restera toujours ouverte dans mon cœur comme pour tous mes autres collègues. Des centaines de journalistes assassinés sans pitié, ils étaient une proie facile pour les criminels, ils n’étaient pas armés, leurs seules armes n’étaient que leurs stylos, leurs appareils photo et leurs 196

microphones, pas formés pour la lutte armée, et la seule guerre dans laquelle ils excellaient était la guerre des idées. Tous auront beaucoup à dire à Belazreg le Jour du jugement dernier. Dites-moi que c’était de l’acharnement, dites-moi ce que vous voulez. Dans la dernière conférence de presse que Belazreg avait tenue avant son arrestation, il décrivait les journalistes comme des mercenaires, des opportunistes et de maintes autres accusations en déclarant que si le pouvoir était resté longtemps sur place, c’était grâce au soutien qu’il avait reçu des médias, comme s’il s’agissait de la dernière volonté de Belazreg envers les groupes terroristes. Qui êtes-vous pour vous permettre de juger nos journalistes, ils vous surpassent en savoir et en culture, et certainement en éducation et en éthique ! Ils n’avaient jamais porté atteinte à ta misérable personne même si vous en aviez massacré des dizaines d’entre eux, n’est-il pas absurde pour un journaliste d’étudier la moitié de sa vie et de voir ensuite abandonner sa maison, ou sortir dans son propre pays, déguisé ? Contraint de le faire par un analphabète ? J’étais très affecté par l’assassinat du rédacteur en chef du journal Al-Khabar, Omar Ourtilane, ainsi que de l’oncle Saïd Mekbel, du journal francophone Liberté. J’étais l’un de leurs fans et de ce qu’ils écrivaient, que la Clémence et la Miséricorde de Dieu soient sur eux. Mais malgré tous ces crimes abominables, je dirais que ni moi, ni aucun d’autre ne s’attendait à ce que les criminels gravissent les planches du théâtre dans notre pays, je ne croyais pas que la main du crime s’étendra à Abdelkader Alloula et Azzedine Medjoubi, deux grandes figures du théâtre algérien. Le théâtre était la seule activité culturelle qui n’avait pas été arrêtée par les assassinats, tous les grands comédiens du théâtre quand on leur avait proposé l’immigration en France, en Tunisie ou ailleurs, avaient catégoriquement refusé. Même Alloula, que Dieu ait pitié de lui, avait répondu quand on lui avait demandé d’émigrer : « Je n’abandonne pas ce que nous faisons et je refuse de me cacher chez moi » malgré plusieurs messages de menace reçus. 197

Le théâtre en Algérie avait été depuis notre jeune âge le seul espace où nous pouvions reconnaître à travers ses activités nos rêves et nos espoirs, le théâtre chez nous avait toujours été le porte-parole des pauvres, le porte-voix des sans voix, le représentant des opprimés, le porte-drapeau des pauvres, des malheureux et des misérables, et je me suis toujours émerveillé de la liberté dont il jouissait même à des moments où la liberté d’expression n’était pas accessible à tous. De nombreuses pièces, dont certaines jouées au théâtre de la capitale, d’autres que j’avais vues à la télévision, et, qui demeurent et demeureront dans mon esprit pour toujours : El khobza, Les martyrs reviennent cette semaine, Babourghrak, El Ajouad et bien d’autres. Nos artistes y avaient excellé, même si c’était au détriment de leur vie, et les assassinats se poursuivaient ; les criminels passaient maintenant aux assassinats ciblés des têtes pensantes. Des personnalités avaient été abattues froidement, des noms dont je doute fort que les générations futures croient bien que c’étaient des mains algériennes qui les avaient assassinés. Était-il possible d’assassiner un professeur de médecine ? Des éminents docteurs ? Des professeurs d’universités et des enseignants ? Debbazi, l’enseignant martyr égorgé comme un mouton au milieu de son école et devant ses élèves à Béni Slimane dans la wilaya de Médéa parce qu’il avait refusé de se joindre aux groupes terroristes. Cette école, théâtre du crime, sera fermée pendant des années. Par Dieu, je doute que vous soyez des êtres humains, vous et ceux qui vous soutiennent et soutiennent vos actes. Par Dieu, des crimes sales, absurdes étaient commis gratuitement. Par Dieu, une vieille Française de plus de soixante-dix ans, née à BEO que tout le monde connaissait et appelait Tante Rose, elle passait la plupart de son temps à nourrir les chats de rue avec les restes de nourriture que les habitants de BEO et les restaurateurs lui remettaient avec joie ; elle parlait l’arabe avec un accent particulier. Cette dame, aimée et chouchoutée par tous les habitants de son quartier, petits et grands et surtout par les vieilles de sa génération qui la connaissaient depuis le temps de la colonisation, avait été assassinée par balles alors 198

qu’une gifle aurait suffi à tuer la pauvre femme. Un grand nombre de citoyens ont assisté à ses funérailles au cimetière chrétien de Bologhine « Saint Eugène ». De ma vie, je n’avais pas vu autant de monde au cimetière chrétien, il y avait surtout beaucoup de vieilles personnes ; tout le monde avait pleuré ce jour-là. Un couple chrétien gérait une bibliothèque au centre de la Casbah, depuis l’indépendance, avait été violemment assassiné. De nombreux autres chrétiens avaient été dépouillés de leur vie en toute méchanceté, malheureusement, l’histoire retiendra que les frères chrétiens avaient souffert durant cette période comme ils ne l’avaient jamais souffert auparavant à travers l’histoire, même durant la guerre de libération. Tout cela sous prétexte qu’ils devaient retourner dans leur pays d’origine. Les criminels avaient oublié que la plupart d’entre eux étaient nés en Algérie, et beaucoup d’entre eux ont participé à la guerre de libération, sans parler de ceux qui ne sont plus liés par aucun lien avec la France ou un autre pays au monde, alors où voulez-vous qu’ils aillent ? Où est-ce que tante Rose devait bien partir après soixante-dix ans de vie chez nous ? Peut-être chez… J’ai bien envie de dire le mot qu’il faut ma foi. Avez-vous oublié que nous leur avions donné toutes les assurances pour leur sécurité lors de l’indépendance ? Lisez l’histoire de votre pays, imbéciles, lisez la déclaration du premier novembre, puis Dieu ne nous a-t-il pas interdit de combattre ceux qui ne nous ont pas combattus ou chassés de chez nous ? Vous, je ne sais pas, mais moi, je l’avais lu clairement dans le Coran. Tante Rose, vous avait-elle combattus ? Et les prêtres chrétiens assassinés ? Vous avaient-ils expulsés de vos maisons ? Est-ce que les étrangers qui travaillaient dans notre pays vous avaient combattus, alors que leur destin les avait amenés chez nous à des milliers de kilomètres de leur pays juste pour gagner de quoi vivre et faire vivre leurs enfants. Vous les avez égorgés, bandes de maboules. Dieu vous a autorisé à égorger des moutons le jour de l’aïd, pas des êtres humains et à longueur d’année, espèces d’idiots. Pourquoi vous aviez donné, de nous, une image que nous sommes un peuple qui égorge les humains ? 199

Votre colère et votre indignation grandissent encore plus lorsque vous vous rendez compte que la plupart de ceux qui avaient commis ces crimes odieux n’étaient que des criminels endurcis, et qu’ils aient une longue histoire de crime avant même que le parti meurtrier ne soit créé, bien sûr, seul ce segment de créature de Dieu pouvait commettre ce type d’assassinat. Je vous ai parlé plus haut du type de personnes que les chefs de ce parti recrutaient dans leurs rangs ; je vous ai informé aussi que plus leur position dans le monde du crime était considérée, plus ils seraient mieux considérés et respectés chez les notables du fitna parti. Un simple coup d’œil aux noms qu’ils s’étaient donnés vous donne déjà un aperçu de leurs personnalités, des personnalités sanglantes assoiffées de sang, de pouvoir et de violence à un degré terrifiant. Une fois, nous avions trouvé sur les hauteurs de Bouzaréah un cadavre dont la tête était fracassée avec un gros rocher, quelques jours plus tard, nous avions appris que le soidisant, chef d’un groupe criminel H.F., avait menotté la victime et l’avait jetée au sol, puis avec l’aide de l’un de ses assistants, ils lui avaient fracassé la tête avec ce rocher et abandonné sur les lieux. La victime était membre du groupe, la tuer de cette manière à cause d’un différend dont je ne me souviens pas la nature. C’est ce qu’ils avaient fait à l’un de leurs partisans, alors que pensez-vous des autres ? Les adeptes de cette phalange avaient un effet désastreux sur le parti. Beaucoup de militants de cette mouvance étaient déçus de leurs comportements, d’autant plus que la plupart étaient restés sur leurs habitudes de consommer des drogues et de l’alcool, n’est-il pas dit que l’un des chefs du GIA avait rejoint le maquis avec une bouteille de vin à la main ? Cela avait incité beaucoup de leurs partisans à se rendre aux autorités, et c’est parce qu’ils voyaient en leurs chefs une mauvaise moralité, mais pas seulement, ils savaient également à propos de leurs dirigeants qu’ils étaient peu sûrs d’eux, et disposés à vendre (l’affaire) à tout moment et dès qu’ils ressentaient le danger, ou tout simplement parce qu’ils avaient bénéficié d’un privilège, c’est ce qui était arrivé par exemple à Tlemcen où le nommé K.A qui avait 200

soulevé les soupçons des éléments de la police judiciaire de la sûreté de wilaya de Tlemcen à un point de contrôle des véhicules à l’entrée de la ville. Après avoir constaté que la plaque d’immatriculation est spécifique à la capitale, les policiers avaient demandé au conducteur le motif de sa visite à Tlemcen, et bien qu’il leur avait répondu calmement, les policiers avaient demandé à la SO, par radio, la vérification de l’identité des deux personnes et la plaque d’immatriculation de la voiture. La réponse avait été que la voiture ne faisait pas l’objet de recherches, mais qu’une des deux personnes avait déjà été jugée pour détention et consommation de drogue. Il n’avait pas fallu beaucoup d’efforts pour conclure que les deux personnes étaient venues à Tlemcen afin de s’approvisionner en stupéfiant destinée à la commercialisation au niveau de la capitale. Les deux personnes avaient été conduites au commissariat, et après un interrogatoire serré, les policiers avaient effectué une perquisition légale dans la chambre qu’ils occupaient à l’hôtel les Zianides sous de faux noms, où une quantité importante de Kif avait été saisie. La chambre était louée aux noms de deux personnes natives de Tlemcen. L’enquête avait permis d’arrêter les deux individus et un cadre gestionnaire de l’hôtel. Tout ce monde avait été conduit au siège de la brigade des stupéfiants à Tlemcen tandis que les éléments du service étaient en train de préparer une procédure judiciaire pour association de malfaiteurs, détention et commercialisation de stupéfiants, faux et usage de faux et complicité, K.A. avait demandé à parler avec le chef de brigade à qui il avait avoué sa participation, sous la menace, dans une affaire terroriste. L’intéressé avait déclaré qu’il y a environ un mois, il a fait transporter deux caisses de munitions de Kalachnikov de Tlemcen à la capitale. Immédiatement, l’enquête avait été remise à l’ONRB dont le siège était à Alger. Les renseignements fournis par K.A. avaient permis l’arrestation d’un réseau de soutien de huit individus qui alimentait un groupe terroriste en munitions provenant du Mali. Les terroristes avaient délibérément choisi Tlemcen comme point de passage malgré la 201

longue distance pour éviter les postes de contrôle Ce criminel n’avait pas hésité à vendre ses complices dans l’espoir que la justice tienne compte de cette coopération pour alléger sa peine, et ce n’est là qu’un petit exemple parmi de centaines d’autres cas où les criminels se précipitent pour donner les renseignements aux autorités rien que pour échapper aux lourdes peines d’emprisonnement. A l’approche du jour de la fête de l’indépendance de 1993, le ministère de la Culture avait prévu un grand concert artistique assuré par le chanteur Cheb Hasni au stade 5 juillet, un concert ? Tout le monde connaissait les conditions de sécurité dans lesquelles nous nous trouvions ? Et dans le plus grand stade du pays ? Un stade pouvant accueillir plus de cent mille spectateurs. C’était un grand défi pour tout le monde, pour le chanteur, pour le peuple, pour les autorités locales, pour nous et pour l’Etat. Je n’avais jamais douté de notre capacité à sécuriser pleinement la cérémonie, mais d’un autre côté, je doutais que des jeunes assistent au concert, même s’il s’agissait de Cheb Hasni, le prince incontesté de la musique Rai et de la jeunesse alors que les criminels avaient rapidement menacé de transformer la fête en grandes funérailles. Des mesures de sécurité draconiennes avaient été prises par le commandement ce jour-là. Nous avions travaillé dès le matin à BEO, et nous nous étions occupés de plusieurs tâches, la plupart dans le cadre de l’organisation de la fête. Le concert devait débuter à 21h, et nous étions restés dans notre secteur jusqu’à environ 23h quand on nous avait demandé de rejoindre le stade pour donner main forte à nos collègues en cas de besoin. Une fois à l’intérieur du stade, je n’arrivais pas à croire mes yeux, suis-je dans un autre pays ? Ai-je fait un voyage dans le temps ? Un stade d’une capacité de plus de cent mille spectateurs plein à craquer, et comme dit le proverbe populaire : « Si je jette une aiguille, elle n’atteindra pas le sol ». La jeunesse algérienne défie les groupes terroristes, notre jeunesse disait au monde entier, à tous ceux qui voulaient l’entendre qu’elle désire 202

vivre, qu’elle aime la vie, et qu’elle refuse de mourir. Les jeunes Algériens n’acceptent pas que vous leur dictiez quoi que ce soit ; ils n’aimaient pas qu’on leur imposait par la force ni des idées à adhérer, ni des conduites à tenir. Des jeunes hommes dont les pères ne s’étaient pas soumis à une armée des plus puissante au monde, alors comment voulez vous que leurs enfants aillent se soumettre à un groupe de meurtriers et de criminels ? Au milieu du stade Cheb Hasni était debout comme un lion, chantait comme un rossignol. Le concert avait duré toute la nuit et n’avait pris fin qu’aux premières lueurs du matin. Le prince avait pu, même si ce n’était que pour une soirée, leur faire oublier les soucis, les inquiétudes, les chagrins, les larmes, le sang et la mort. L’adage populaire dit : « Il vaut mieux vivre une nuit en tant que coq mieux que de vivre une année en tant que poule », oui Cheb Hasni avait été encore une fois le héros de toute une jeunesse même s’il allait sacrifier sa vie à cause de cet acte de bravoure ; oui, une main criminelle avait mis fin à la vie de Cheb Hasni, la main d’une personne qui ne valait même pas la poussière sur laquelle marchait Hasni, oui le prince avait été assassiné par un de ses voisins ; oui oui vous avez bien entendu, par un voisin, mais par dieu depuis quand ces gens-là ont observé la sainteté du voisin, et pourtant ils prétendaient être allés au jihad pour l’amour de Dieu, ça ne les avait pas empêchés de blesser et traumatiser profondément des millions de jeunes Algériens en mettant fin à la vie de leur bien-aimé Hasni. Cet Oranais combattant n’ayant pas été découragé par son environnement pauvre dans lequel il avait grandi, ni par son échec dans plusieurs autres activités dans lesquelles il avait essayé de se démarquer avant de devenir un professionnel de l’art et de s’asseoir sur le trône de la chanson algérienne. Que Dieu ait pitié de lui, il restera pour toujours un symbole éternel de résistance aux criminels, et personnellement, je considère ce concert parmi les premières indications du tournant descendant du terrorisme dans notre pays.

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Et c’est ainsi que j’ai compris pourquoi Belazreg avait essayé avec sa milice, en leur temps de gloire, d’interdire les concerts, surtout après qu’un groupe d’artistes algériens avait interprété collectivement une chanson patriotique ; j’ai aussi compris l’objectif voulu par la révolution algérienne qui avait créé son propre orchestre musical. On dirait que peu à peu les groupes terroristes commencent à perdre la tête au fur et à mesure qu’ils perdent du terrain. Ils n’avaient jamais imaginé que le peuple se révolte contre eux, mais alors quoi ? Pensaient-ils vraiment que le peuple algérien les applaudirait pour l’assassinat d’Algériens ? Nous ne comprendrons jamais la logique de ces gens, et maintenant, la politique de l’autruche est devenue leur approche. Des assassinats, ils nous avaient conduits aux explosions aveugles ; ils avaient déclenché une vague d’explosions sans précédent, des explosions terrifiantes tuant des centaines de citoyens. Leur première cible était l’aéroport de la Capitale fin août 1992, période pendant laquelle nos émigrés retournent en France, et nombre d’entre eux sont tombés victimes de cette sauvagerie aveugle, que Dieu ait pitié d’eux, et que Dieu vous maudisse ! Après, ils avaient visé le siège de la Sûreté de wilaya d’Alger, la bombe était placée à l’intérieur d’un bus bondé de passagers, dois-je également expliquer qui prend les bus ? Et encore une fois, le sang de nos policiers s’était mélangé au sang de nos citoyens, comme quoi la terreur ne faisait pas de différence entre les Algériens. Celui qui se faisait appeler le porte-parole du fitna parti aux Etats-Unis (il avait fui l’Algérie vers l’Amérique où il avait sollicité l’asile politique) n’avait pas hésité à faire l’éloge de l’opération, ne prêtant pas attention aux dizaines de victimes civiles tombées ; il avait donc été mis en prison à la suite de ses déclarations. D’innombrables autres attentats avaient tous malheureusement fait des victimes civiles innocentes. Même les maisons de Dieu n’avaient pas été épargnées par les explosions criminelles, et parmi les mosquées ayant été touchées par ces crimes une mosquée de Bouzaréah, où deux bombes avaient explosé à l’intérieur, faisant plusieurs morts et blessés, mais 204

le crime qui a fait pleurer toutes les franges de la société algérienne était le jour où les “pacifiques” avaient placé une bombe contre des collégiens qui hissent le drapeau national. À Mostaganem, lors de la célébration de la journée du premier Novembre, un certain nombre d’anges étaient tombés martyrs par les mains criminelles des fils des harkis, et quand je dis les fils des Harkis, je ne parle pas seulement de ceux qui avaient posé la bombe, mais surtout de ceux qui avaient initié le jihad et s’étaient permis de prononcer ce mot pour la première fois en terre d’Algérie. Plusieurs opérations de ce genre menées par des criminels, des opérations dans lesquelles beaucoup de massacres gratuits et beaucoup d’humiliation, que les Algériens ne pouvaient tolérer. Bien sûr, notre secteur n’avait pas échappé à la barbarie des explosions où malgré tous les efforts que nous avions consentis, une voiture avait explosé près du siège de la municipalité de BEO, qui avait malheureusement coûté la vie à des innocents citoyens ; même chose était arrivée à la place des Martyrs après que les criminels aient placé une bombe dans une petite ruelle bondée de passants. Avant de finir ce sinistre chapitre des explosions aveugles qu’avait connues la capitale, j’aimerais bien terminer avec une anecdote vécue avec les habitants de la rue Omar Benaïssa « Cardinal Verdier » qui est une rue densément peuplée, et où les jeunes de ce quartier avaient arrêté une personne qui avait garé une voiture et s’apprêtait à prendre la fuite. Vu que l’endroit est près de notre siège, nous étions sur place quelques minutes plus tard ; nous avions trouvé la personne à l’intérieur d’un café, sous l’emprise d’un groupe de jeunes, qui visiblement voulaient lui faire la peau alors que l’artificier était allé directement à la voiture. Nous avions entamé l’interrogatoire à l’intérieur même du café, et lui avions demandé avant toute chose de nous dire combien de temps, il restait avant l’explosion, il regardait par terre sans un traître mot. L’un des jeunes du quartier avait proposé de l’attacher à l’intérieur de la voiture jusqu’à ce que l’artificier termine son travail. Un de mes collègues et moi-même l’avions entraîné dans un coin du café et nous lui avions dit que si jamais il ne se mettait 205

pas à table immédiatement, on va déplacer la voiture mais qu’on le laissait aux mains des jeunes, il est resté pensif juste quelques secondes avant de nous dire qu’il ne reste que vingt minutes avant l’explosion, il savait le sort qui l’attendait s’il avait été abandonné à ces jeunes, mais ce qu’il nous avait dit là était très inquiétant, non seulement les vingt minutes restantes étaient insuffisantes, mais parce que nous savions par expérience que de nombreuses bombes, portées, véhiculées ou placées, explosent avant l’heure communiquée au porteur, on leur mentait délibérément au sujet de l’heure H pour ne pas avoir le temps de se rétracter. Je m’étais retourné vers l’artificier pour le mettre au courant de ce que je venais de savoir, la situation était très grave, et le temps ne nous suffisait guère pour évacuer tous les habitants du quartier, surtout que nous ignorions le temps dont nous disposions réellement, et si jamais – Dieu nous en préserve – la voiture explose, la catastrophe qui se produirait alors serait au-delà de toute description, car les criminels n’avaient pas choisi le lieu arbitrairement, la rue était fermée avec deux rangées de bâtiments, et plus l’endroit de l’explosion était fermé, plus la déflagration serait désastreuse. Nous devions décider rapidement et nous n’avions même pas le temps de revenir vers nos chefs, tous les regards se tournaient alors vers l’artificier qui avait déclaré que « nous connaissons, tous, le protocole appliqué dans de telles circonstances, il faut toujours évacuer tous les civils des alentours et qu’il ne faut jamais risquer leurs vies et privilégier dans tous les cas le déplacement de l’engin explosif si c’est possible, si jamais il y a le moindre risque pour les citoyens ». On a toujours appliqué le protocole au risque de notre vie et que ce n’est pas aujourd’hui que ça va changer, justement dans ce cas précis, on ignorait le temps dont on disposait avec certitude. L’artificier, sur place, dispose d’une petite marge pour juger et décider de l’action à entreprendre, dans ce cas précis, il opte pour le déplacement de l’engin, c’est-à-dire la voiture, vers Ferhani, le lieu sûr le plus proche, et que Dieu nous protège. L’un de nous proposa qu’il conduise la voiture lui-même, mais l’artificier coupa court à la discussion et insista sec pour qu’il la conduise lui-même et que les explosifs, c’est son domaine exclusif, alors 206

je lui avais demandé de me suivre ; il monta seul dans la voiture piégée. Nous étions à l’avant, y compris le détenu, la voiture piégée en deuxième position ; le deuxième véhicule du service fermait le cortège. Nous avons démarré à grande vitesse avec un grincement de pneus effroyable sous les applaudissements des jeunes du quartier. Heureusement, notre voiture était équipée de gyrophares, ce qui nous a beaucoup aidé à faciliter le passage, on roulait à une vitesse vertigineuse, il ne s’agissait pas que de nos vies, mais surtout la vie de centaines de citoyens, dont des femmes et des enfants. Nous avions l’habitude de circuler à grande vitesse dans les ruelles étroites de BEO si nécessaire. Nous étions montés sur le trottoir plusieurs fois, je ne sais pas pourquoi ni comment, mais dans des situations pareilles, la personne cesse de penser et elle est dépossédée de tout sentiment et de toute sensibilité, ce qui avait nécessité seulement quelques minutes pour arriver à Ferhani Beach. On avait fait une entrée fracassante en tirant des rafales en l’air pour faire fuir tous les curieux. L’artificier avait arrêté la voiture juste au bord de la mer, les roues dans l’eau et il s’était joint à nous en hâte ; on se tenait tous à une distance qu’il avait lui-même fixée pour nous. L’endroit avait été évacué, les minutes étaient passées très lentement et la voiture n’explose pas. À un moment, l’un des collègues avait voulu aller jeter un coup d’œil pour voir ce qui se passait, l’artificier n’avait pas hésité à manœuvrer son arme en le menaçant de lui tirer sur les jambes s’il s’amusait à mettre en exécution ses dires, et qu’il préfère le voir handicapé que mort déchiqueté. J’allais intervenir pour calmer les esprits quand un grand bruit assourdissant se fit entendre et ressentir ; une grande explosion s’était produite, la voiture s’éleva de plusieurs mètres dans les airs, causant un gros cratère dans le sol. Je ne pouvais m’empêcher d’imaginer si une telle explosion s’était produite dans une rue fermée et bondée comme celle dans laquelle la voiture était garée. Tous les services travaillaient d’arrache-pied, jour et nuit, pour mettre fin à ces explosions aveugles, où les citoyens payaient à nouveau le prix. En effet, des semaines plus tard, le Haut 207

Commandement avait pu avoir l’information du lieu d’où les criminels nous envoyaient leurs voitures piégées et leurs explosifs, c’était au fait depuis la région de Ben Allal, située non loin de Sidi Moussa, dans la banlieue-est de la capitale, on l’appelait Bora Bora d’Algérie. L’Armée Nationale Populaire avait mené une opération d’envergure pour neutraliser tous les criminels qui s’y trouvaient et avait mis la main sur tous les explosifs qu’il y avait à l’intérieur, mettant ainsi fin à la série d’explosions dans la capitale et ses environs. Les criminels en s’attaquant à toute la société sans distinction n’avaient obtenu aucun acquis. Au contraire, cette dernière s’était unifiée désormais en un seul front contre eux avec un seul mot d’ordre : résistance.

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L’IMAM L’État de droit avait commencé à prendre le dessus, chaque jour qui passait était une victoire de plus pour nous, on récupérait du terrain de plus en plus. Le Haut Commandement avait jugé qu’il était grand temps de récupérer les mosquées. L’Etat Algérien avait décidé de récupérer les maisons de Dieu des mains des ennemis de Dieu et de les rendre aux serviteurs de Dieu, et ce, à travers tout le territoire national. En ce qui nous concerne, nous étions chargés de récupérer la mosquée d’Essounna qui se trouvait, désormais dans notre juridiction, en collaboration, bien sûr, avec la direction des affaires religieuses de la wilaya d’Alger, qui avait en premier lieu nommé un jeune imam. Notre chef avait, de son côté aussi, désigné un groupe de six membres de la police judiciaire dont la tâche consistait à accompagner l’imam depuis sa maison à la mosquée et d’y être présent à l’intérieur lors des cinq prières quotidiennes. J’ai gardé un merveilleux souvenir de cet imam, qui, malgré son jeune âge, était bien instruit et informé, diplômé de l’université algérienne spécialisé en charia, bien éduqué ; il se distinguait par un grand sens de responsabilité, il parlait beaucoup aux gens et leur expliquait que la sécurité et la paix étaient l’affaire de tous, y compris les hommes de religion et des imams, dont il est l’un d’eux. La préservation du sang des Algériens est le devoir de tout un chacun et nous en serons responsables devant Dieu, demain, le jour du jugement dernier. Il avait l’habitude de répandre ces enseignements bien qu’il sût que cela le placerait en tête de liste de ceux que les terroristes veulent assassiner, mais il était courageux et audacieux. Malgré de nombreuses tentatives exercées par certains pour le décourager et le pousser à démissionner de son poste, il était d’une volonté d’acier et

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d’une conviction sans faille, un homme avec des principes dont il ne s’écarte jamais ; il résistait à toutes les manœuvres malsaines que certains fidèles, à maintes reprises, essayaient de l’empêcher de diriger les prières, et même de l’affronter par la force, malgré notre ferme intervention il nous était arrivé de demander des renforts par radio. Mais ce qui nous avait fait reconnaître son courage et son audace, c’était sa volonté de sacrifier même sa vie pour ses principes. Un vendredi matin, nous nous étions déplacés chez lui pour l’escorter vers la mosquée avec deux véhicules : la première voiture avec quatre policiers devançait le cortège armé de quatre kalachnikovs alors que moi-même, j’étais dans la deuxième voiture avec trois autres collègues et l’imam. Nous l’avions fait asseoir à l’arrière entre moi et un collègue, et bien sûr nous portions tous des gilets pare-balles y compris l’imam et chacun de nous quatre, les policiers, était muni de kalachnikov. À notre arrivée au carrefour de Triolet, les deux voitures avaient été exposées à des tirs de balles très nourris, ça tirait de tous les côtés, heureusement nous avions été entraînés plusieurs fois sur des scénarios similaires, nous n’étions vraiment pas affolés et nous n’avions pas hésité une seconde, chacun de nous connaissant exactement ce qu’il devait faire dans des circonstances pareilles. Les consignes qui nous avaient été données étaient que dans un tel cas, notre objectif premier ne devait pas être du tout de chercher à éliminer les assaillants, mais c’était surtout de faire sortir le VIP au plus vite du guêpier et pour cela, la première voiture doit couvrir le retrait de la deuxième voiture dont le chauffeur ne devait marquer aucun temps d’hésitation et essayer de trouver un chemin pour sortir du champ de bataille, sauf si le chef de bord juge que le repli devait se faire à pied ; dans ce cas, il doit immédiatement donner des instructions fermes et à haute voix. C’est lui qui a l’obligation de commander le repli toujours sous la couverture de la première voiture, et de ramener le VIP dans un endroit sûr dès que possible (généralement, plusieurs lieux sont prédéfinit prédéfini à l’avance). Les deux voitures s’étaient arrêtées, impossible d’avancer ou de reculer, la puissance du feu était telle qu’on ne pouvait même pas nous 210

entendre entre nous. À la seconde même, j’avais ordonné à tout le monde de quitter la voiture ; et dès que j’avais mis les pieds sur terre, j’ai tiré l’imam de sa veste hors de la voiture. Très rapidement, je l’avais assis sur le sol et l’avait entouré de mon corps alors que tous les autres collègues avaient pris des positions défensives avant de commencer à tirer. Peut-être, ce qui nous distinguait des criminels était que dans de telles situations, notre entraînement nous faisait agir calmement, avec sang-froid, on ne tirait pas au hasard. Dans toute embuscade, les premiers instants sont ceux qui vous sauvent ou vous tuent, parce que l’effet de surprise sur lequel compte l’assaillant s’estompe rapidement, surtout si l’autre partie est psychologiquement prête et a reçu une formation approfondie pour faire face à de telles situations. J’avais demandé à l’un de mes collègues de me suivre et ordonné à tout le reste du groupe de couvrir notre repli et d’empêcher les criminels de nous suivre, quel qu’en soit le prix. J’avais avisé la S.O. brièvement de ce qui vient de se passer. À pas de course, nous nous étions retirés tous les trois vers l’avenue GI Vernaud, tout en protégeant l’imam ; et arrivés à ce qu’on appelait auparavant le grand arbre (un arbre centenaire qui avait fini par tomber et malheureusement, il avait tué un vieil homme pendant sa chute) en nous éloignant un peu du champ de bataille, j’avais informé la S.O. avec un message codé à propos de notre position, ils m’avaient informé qu’un cortège de trois voitures avait déjà pris le départ à partir de la DGSN et qu’il serait devant nous dans trois minutes. Alors que je n’ai même pas fini la transmission que le cortège s’était arrêté devant nous. Nous étions à quelques centaines de mètres du siège de la DGSN et en un clin d’œil, nous étions montés tout en gardant l’imam entre nous deux. Les trois voitures roulaient à grande vitesse s’éloignant du champ de bataille. En passant devant le grand portail de la DGSN, le cortège avait à peine ralenti nous avions sauté, moi et mon collègue en entraînant avec nous l’imam ; nous étions restés à la DGSN tandis que le reste du groupe avait continué le chemin vers la mosquée Essouna pour brouiller les pistes si jamais un autre guet-apens nous attendait et aussi pour sécuriser 211

complètement la mosquée Essouna en l’inspectant minutieusement avant notre retour avec l’imam, ce qui avait été fait avec succès environ un quart d’heure avant l’heure de la prière du vendredi. Bien que nous soyons restés à l’intérieur de la mosquée, nous avons tenu à suivre passionnément le déroulement de l’opération entre nos collègues et le groupe terroriste. Des renforts avaient été envoyés rapidement en nombre suffisant d’où la balance avait vite tourné en notre faveur ; les assaillants tentaient de se replier pour s’échapper du champ de bataille ; ils voulaient longer le boulevard de champagne ; pour pouvoir monter vers la cité carrière jobert et de là, ils essaieraient de s’infiltrer facilement vers Bouzaréah, par Sidi Bennour. Des instructions fermes avaient été données pour que deux autres groupes venus en renfort prennent position en haut des escaliers menant à la carrière jobert depuis Triolet, et à partir de cet endroit, ils pourraient surveiller facilement toute tentative de repli. D’autres équipes de renfort étaient arrivées sur les lieux et s’étaient mises à barrer les voies de repli pour les assaillants. Les voies d’accès menant vers l’avenue GI Vernaud, Chevalley, la Boucheraye et le groupe Taine avaient été fermées. En ce qui nous concernait, le chef de la Sûreté de Daïra nous avait ordonné de prendre position à l’intérieur de la mosquée Assounna et ses environs, tandis qu’il commandait, à partir de la Salle des Opérations, le déroulement des opérations jusqu’à la fin ; la bataille avait duré plus de cinq heures pour se terminer par la neutralisation de cinq terroristes et la fuite d’autres. Les terroristes, même s’ils avaient bien choisi le lieu de l’embuscade, du fait que le carrefour de Triolet compte plus de six échappatoires pour se retirer, ce qui leur laissait une large marge de manœuvre lors du retrait, mais ils avaient commis une erreur fatale en sous-estimant l’expérience que nous avions acquise. Nous avions aussi appris à doubler le nombre de l’effectif aux carrefours, aux abords des tunnels, des ponts et ailleurs, mais ce qui m’avait vraiment étonné, c’était la position de l’imam, qui dès que nous sommes entrés dans la mosquée jusqu’à ce qu’il ait commencé à se préparer pour la prière du vendredi, alors que nous avons essayé de le convaincre que nous essayons d’amener un autre 212

imam pour le remplacer au moins pour cette prière, toutes nos tentatives étaient vaines, insistant sur sa position. Il avait obtenu ce qu’il voulait ; il avait assuré la prière du vendredi sous le bruit des coups de feu. Il avait aussi conduit les autres prières de la journée comme si de rien n’était. Il était resté, accomplissant ses tâches quotidiennes comme d’habitude jusqu’à ce que la mosquée Assounna retrouve sa fonction religieuse comme le reste des mosquées de la République où l’État avait pu les récupérer en un temps record grâce à la volonté de Dieu et des hommes sincères. Les prières du vendredi et les cinq prières quotidiennes à BEO sont devenues comme celles des autres mosquées situées dans les quartiers de la capitale et du reste du pays. L’État algérien avait également fermé les salles de prière aléatoires, qui étaient répandues sur tout le territoire national. Nous, nous avions participé à la fermeture de quatre lieux de culte non autorisés dans le quartier de BEO, un dans le quartier de Diar el-Kef, un au groupe Taine et deux à Sidi Lekbir. C’est alors que nous avions commencé à entendre que certains citoyens réclamaient des armes pour se défendre. Personnellement, au début, je n’y croyais pas, et je me suis dit dans ma tête que, même s’ils demandent cela, l’État n’oserait pas leur satisfaire cette demande, mais ce n’était que quelques jours, après quoi je me suis rendu compte que je me trompais lourdement. Effectivement, me trouvant en mission dans l’un des villages de la banlieue de Boufarik lorsque des collègues m’avaient assuré que notre ANP venait d’armer pas mal de citoyens ; le nombre de demandeurs d’armes dépassait de loin le nombre d’armes allouées par l’Etat pour cette opération de grande envergure ; ils avaient ébloui le monde entier par leur courage, leur patriotisme et leur détermination à finir avec cette hydre. Quelques semaines avaient suffi à l’Algérie pour se doter d’une armée de jeunes résistants appelés « les patriotes » répartis à travers les villages. Le processus des enquêtes d’habilitation ralentissait quelque peu la démarche, mais de nombreuses dispositions avaient été prises pour faire 213

avancer la procédure plus vite. En effet, dès que l’armée avait proposé d’armer les citoyens, les gens accouraient de partout pour être les premiers servis. Les Algériens s’étaient armés pour combattre le terrorisme aveugle inconnu auparavant par la société, ils furent dirigés pour la plupart par d’anciens moudjahidines malgré leur vieillesse et la souffrance de beaucoup d’entre eux de nombreuses maladies chroniques, par des anciens militaires et membres de service de sécurité. Une armée de patriotes qui allait basculer le cours de l’histoire, elle aura avec le temps le mot décisif pour vaincre les criminels. Le peuple algérien, en portant les armes, avait démontré une fois de plus son défi aux forces du mal et sa détermination à leur résister quitte à payer encore le prix fort encore et encore. De toutes les manières, quand le peuple sent le danger rôder autour de son pays, il met sa main dans la main de son armée et celles des hommes fidèles de l’État. À la rentrée scolaire, les groupes criminels avaient appelé au boycott de l’année scolaire, figurez-vous que même les enfants des montagnards n’avaient pas cédé à la menace. Même dans les villages les plus reculés et les plus isolés, la DGSN avait lancé une opération de recrutement de quelques centaines de policiers et voilà des dizaines de milliers de dossiers de candidatures déposés au niveau des structures concernées. Les groupes terroristes avaient lancé un avertissement contre quiconque se conformait à la convocation de l’armée pour effectuer le service national, mais les jeunes avaient afflué vers les bureaux de recrutement pour obtenir l’ordre d’appel. L’armée avait fait appel aux réservistes qui n’ont pas tardé pas à répondre à l’appel sans l’ombre d’hésitation, faisant fi des éventuelles opérations de vengeance, que les criminels avaient menées contre des citoyens sans défense, mais ils n’avaient réussi à les faire reculer. Quelle grandeur chez nous les Algériens ! Nous avions prouvé à ceux qui doutaient encore que nous sommes un peuple dont le sacrifice court dans notre sang et dans nos gènes. Les Algériens, en s’armant et en répondant à l’appel du service national, ne s’étaient pas contentés de se sacrifier eux même, mais ils avaient aussi sacrifié leurs enfants en les inscrivant dans les écoles et dans les casernes du service national, et ce n’était pas facile, en particulier pour 214

les habitants des zones rurales et isolées. Les élèves avaient pris l’habitude d’aller à l’école sous la protection des parents et des résistants ; les jeunes hommes du service national des régions isolées avaient quitté leurs maisons dès qu’ils avaient rejoint les casernes et ne rendaient pas visite à leurs familles durant les permissions, et même à la fin du service militaire, beaucoup d’entre eux s’étaient installés chez des proches dans les grandes villes pour ne jamais retourner dans leurs villages. Malgré tout, les jeunes n’avaient pas boycotté le service national. Mille salutations à eux, et que Dieu les récompense. Les Algériens avaient démontré que, quand il s’agit de leur pays, ils ne voyaient de couleurs que le vert, le blanc et le rouge. J’ai encore dans ma mémoire l’image d’une mère qui apparaissait à l’époque sur l’écran de la chaîne nationale, portant une arme, vivant dans l’un des villages de Jijel ; les criminels lui avaient pris son fils de force entre ses mains et l’avaient égorgé devant elle, car il effectuait le service national. Le jeune homme venait juste en permission pour lui rendre visite, c’est toujours sur le net, mais je ne le recommande pas à ceux qui ont le cœur faible. Mais rien ne décourage les jeunes Algériens, ils continuent à se bousculer par milliers aux portes des casernes et des commissariats, eh oui, on est comme ça et on n’y peut rien. Lorsque les terroristes se sont retrouvés dos au mur, leur génie s’est consacré à une autre façon de semer la mort et la ruine. C’est pour éblouir le monde avec leur brutalité et l’effusion de sang, qu’ils entreprennent de commettre d’innombrables massacres dans les villages et les douars dans plusieurs wilayas où des centaines de victimes avaient été tuées, des victimes civils, et comme d’habitude les bouchers ne faisait pas de différences entre jeunes et vieux entre homme et femmes, entre valide et invalide, ils n’épargnent même pas les bébé et les malades mentaux. Le sang coulait à nouveau et à flot dans les vallées. Seuls, quelques-uns me croient peut-être quand je dis que dans les corps de sécurité, nous souffrions plus pour les victimes civiles que pour nous, car nous, nous avions au moins les moyens de nous 215

défendre, et avec le temps, nous sommes devenus prêts et aguerris pour nous battre, à la fois psychologiquement et physiquement, mais quel sort est réservé aux femmes et aux hommes sans défense ? Aux enfants et aux filles, aux personnes âgées ? Tous étaient notre famille, nos bien-aimés, nos frères et nos amis, ils faisaient partie de nous et nous étions une partie d’eux. Demandez à n’importe quel élément des services de sécurité, il vous confirmera que nous pouvions travailler en toutes circonstances et quel que soit le degré du risque, à condition que nous soyons rassurés de la situation de nos familles surtout en ce qui concerne leur sécurité, et pas seulement, mais aussi parce que nous avons promis à Dieu que nous assurons la protection du citoyen et de ses biens, en d’autres termes la sécurisation du citoyen est notre raison d’être, ainsi nous témoigneront tous que nous avions déployé des efforts surhumains et travaillé jour et nuit, sacrifié nos vies pour ça, tout comme les martyrs l’ayant fait hier, afin de mettre fin rapidement à ces massacres. J’avoue que nous ne nous attendions pas du tout car nous étions censés affronter des humains et des Algériens, mais la tâche n’était pas du tout facile comme beaucoup le pensaient, car nous travaillions dans des circonstances difficiles et exceptionnelles et parce que les criminels avaient choisi ce type de crimes en raison de la facilité de sa mise en œuvre et de la difficulté qu’il y avait pour mettre fin rapidement. Ils agressent des citoyens sans défense. L’ensemble de l’opération avait été soigneusement et terriblement planifié avant le début de sa mise en œuvre. La planification n’était pas seulement en termes de mise en œuvre, comme le choix du moment, du lieu, de l’équipement et du nombre, mais aussi un plan médiatique international.

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Qui se moque de qui ? Dès le début des massacres, il s’était vite constitué ce qu’on appelle communément maintenant un Groupe de réflexion ou Think Tank. Ce groupe très actif en Europe, surtout en France, comprenait les noms d’hommes politiques et de journalistes, et bien sûr de nombreux membres du parti dissous ; leur seul but consistait à porter des accusations contre l’Armée Nationale Populaire d’avoir perpétré les massacres. Ce groupe avait bénéficié d’un fort soutien du gouvernement français, qui avait mis tout son appareil médiatique à son service. Ce même groupe qu’on appellera par la suite « le groupe de qui tue qui ? » voulait introduire la suspicion chez les Algériens, afin de blanchir les groupes terroristes, dont le masque était tombé depuis un certain temps déjà. Il est étrange que le groupe ait voulu accuser l’armée alors même que les groupes armés eux-mêmes revendiquent clairement les massacres, mais vu la gravité du crime, commençons par le début : — La position internationale au lendemain de la suspension des élections. En fait, et très malheureusement, même après soixante ans d’indépendance, les grandes nations persistent à considérer l’Algérie comme la chasse gardé de la France, la position internationale à l’égard de l’Algérie s’était alignée directement derrière la position française ; et c’est là une position que le moins qu’on puisse dire c’est qu’elle n’a jamais été favorable à l’Algérie. Si cela est normal vu le caractère colonial de l’Etat français, alors seuls un naïf pourrait croire que la France pourra un jour se repentir de cette position, et, au cours de mes recherches pour cet humble travail, j’ai lu sur le net un article de l’écrivain et universitaire en droit international et relations internationales, M. Jaydal Bin Al-Din sur la 217

position internationale envers les événements d’Algérie, et comme je suis d’accord avec le professeur-chercheur dans tout ce qu’il dit, je partage ici une partie de cet article, notamment : « Le monde ne connaissait pas le vrai visage du terrorisme, et ne croyait pas encore à sa barbarie et à sa sanglante philosophie, et qu’il s’agissait d’un crime terrible que le droit international doit condamner et qualifier de crime menaçant la paix et la sécurité internationales jusqu’aux événements du 11 septembre 2001. Oui, les avoirs financiers de ce qu’on appelait GIA et d’autres gangs criminels en Amérique et en Europe n’ont été gelés qu’après les événements du 11 septembre, l’Algérie n’a pu acheter le matériel de la vision nocturne infrarouge qu’après cette date et après des années d’attente. La machine de propagande pour l’extrémisme religieux en Algérie a bénéficié du soutien de la propagande occidentale, et aussi, en particulier, de l’incitation et de l’obscurantisme arabes basés sur l’argent étranger, dont la force réside dans les prédicateurs (oulémas) qui parlaient au nom de partis bien connus. Parmi les éléments les plus importants de ces systèmes de propagande, qui dirigeaient singulièrement l’opinion publique, se trouvaient les chaînes de télévision et les journalistes ayant reçu une formation de haut niveau dans les plus importants laboratoires de propagande, soutenus par des érudits religieux, qui s’étaient construit un “charisme” tout au long des années du jihad afghan, et ils l’avaient mis à la disposition du plus offrant pour inciter et remettre en question la nature des crimes atroces commis en Algérie. On leur avait donné une directive générale pour l’appliquer sur l’Armée nationale algérienne, rôle assigné à une chaîne arabe bien connue dans la guerre de propagande qu’elle avait menée contre l’Algérie à l’époque, et qui avait été la raison pour épuiser le sang des Algériens par l’incitation et le recrutement. Cette chaîne est un échantillon du type de mobilisation et de propagande qui a pu faire circuler le slogan du « qui tue qui ». La plupart des positions des pays occidentaux ont été influencées par le flux de propagande financé par des partis suspects, surtout après l’implication d’organisations non 218

gouvernementales dans la promotion de ce slogan. Et les pays occidentaux malveillants ont trouvé leur opportunité de saper l’Algérie et son armée, cette armée qui est en réalité et à son origine l’Armée de libération nationale, le bras militaire du Front de libération, qui a infligé une défaite amère à la France et à l’OTAN et a libéré l’Algérie d’un colonialisme de 132 ans. » Certes, je n’ajouterai aucun commentaire à ce qu’avait dit le professeur Jaydal Bin Al-Din, car c’est certainement lui le maître et moi l’élève. Je tiens seulement à rappeler pour l’histoire que la France, qui à l’époque, posait déjà des conditions draconiennes pour l’octroi de visas d’entrée aux Algériens, avait soudainement allégé la procédure de délivrance des visas, mais à certaines catégories d’Algériens ; il suffisait de prouver que vous êtes recherché par les services de sécurité algériens pour obtenir un visa. Peu importait le crime commis ou le type de document que vous présentiez, de sorte que beaucoup d’entre eux avaient pu avoir un visa juste en présentant une simple convocation leur demandant à se présenter au commissariat, même s’il s’agissait d’un dossier administratif, alors que ce sésame avait été refusé à des personnalités algériennes bien connues, comme l’héroïne algérienne Hassiba Boulmerka. La question des visas avait provoqué une agitation médiatique en France. Le cas de Hassiba avait été porté directement à l’ancien ministre français de l’Intérieur M. Charles Pasqua, lors d’une conférence de presse, qui avait prétendu ignorer cette question, mais ce qui s’était passé, c’est qu’immédiatement après, toutes les entreprises françaises avaient quitté l’Algérie, et avec elles bien sûr toutes les compagnies aériennes, maritimes et agences de tourisme. Ah ! Comme l’histoire se répète. Même si on ne se souvient pas de 1962 parce que nous étions jeunes à l’époque, mais ce n’est pas une date lointaine et l’histoire est encore là que nous lisons et relisons mille fois si nécessaire. Bientôt, toutes les entreprises internationales étrangères avaient emboîté le pas aux entreprises françaises. L’Algérie avait donc connu un terrible isolement politique et sécuritaire et tout le monde avait abandonné l’Algérie, la laissant seule, comme le dit bien le professeur. 219

Je ne sais pas de qui la France avait voulu rire lorsqu’elle avait tenté de nous convaincre qu’elle défendait les droits du peuple algérien ? Et depuis quand ? Est-ce depuis le temps quand ses soldats éventraient les femmes enceintes pour tenir des paris sur le sexe du bébé ? Est-ce depuis les crimes contre l’humanité qu’elle avait commis en Algérie en exterminant des villages entiers ? ou depuis qu’elle exécutait de sang-froid les vieillards et les enfants ? Parallèlement au commencement des massacres de centaines d’Algériens, les portes de l’enfer des médias français, s’étaient ouvertes en menant une campagne de désinformation, une propagande venimeuse contre notre chère Algérie sans aucun scrupule ; sans aucun respect pour les martyrs, pour notre armée, pour notre Etat, pour nos Institutions. Toutes les chaînes françaises, sans exception, travaillaient jour et nuit, juste pour nous salir ; des enquêtes médiatiques interminables, des programmes spéciaux les uns après les autres, et des invités de tout horizon, qui exonèrent tous les groupes terroristes et blanchissent leurs actes macabres. Dans une période historique qu’il faut souligner, où le monde entier, malheureusement, s’était mis à innocenter les criminels et accuser ceux qui étaient en position de légitime défense alors que la France a contribué largement au financement des groupes terroristes au nom des œuvres caritatives et a accordé l’asile à leurs membres, ses médias ne cessaient de répéter les mensonges stupides de la propagande terroriste, emballés et décorés de slogans civils modernes tels que la démocratie et les droits de l’homme, mais quand il s’agissait des droits de ceux qui voulaient dire la vérité ou faire leur travail avec un professionnalisme sincère, les médias français avaient été les premiers à enfreindre leurs droits et à les jeter dans la poubelle de l’oubli, et c’est ce qui s’était passé dans le cas du célèbre journaliste français, Didier Contant, ancien rédacteur en chef de la Fondation Gama, qui avait fait l’objet d’une campagne féroce de la part des médias français et de leurs journalistes, au point que sa compagne les avait décrits comme les talibans français et les avait accusés de former un lobby politique médiatique visant à empoisonner l’opinion publique internationale en répandant la théorie 220

du « qui tue qui ». La mort de Didier en 2004, camouflée en suicide, alors qu’il s’apprêtait à publier sa troisième enquête sur le meurtre des moines de Tibehirine en Algérie est plus que suspecte. Il avait déjà publié deux enquêtes : la première était dans le Magazine Le Pèlerin en février 2003, la seconde dans Le Figaro Magazine en décembre 2003 dans lequel il avait conclu que les services algériens étaient innocents du sang des moines ; il s’était déplacé plusieurs fois dans la wilaya de Médéa, depuis l’achèvement de la deuxième partie de l’enquête, mais le lobby précité, dans une campagne tendancieuse sans précédent dans l’histoire de la presse française, dont l’habitude est la solidarité et la synergie entre eux, surtout s’il s’agit d’un journaliste français, ce lobby avait contraint le Figaro à s’abstenir de publier la troisième partie de l’enquête. Il avait été accusé de travailler pour les services de renseignements algériens, et même l’enquête qui avait suivi son meurtre avait conclu naïvement au suicide, ce qui avait conduit sa compagne à porter plainte devant le tribunal qui avait rendu justice au journaliste assassiné et avait statué pour une indemnisation. Il est étrange que l’affaire, malgré sa gravité, ait été entourée d’un grave black-out médiatique, ce qui ne laissait aucune place au doute que l’État français était embourbé dans le marais du complot du « qui tue qui » ? Même le meurtre des moines de Tibherine, on avait tenté de l’exploiter pour extorquer l’Algérie, alors pour l’enquête sur ce meurtre, on avait nommé le juge Marc Trévidic connu pour être l’un des plus fervents défenseurs de la théorie du « qui et qui ». Plus le temps passait, plus l’hallucination des médias français augmentait, et ils devenaient maintenant ouvertement opposés aux officiers algériens et les accusaient en les décrivant avec les plus laides descriptions. Pour ternir l’image de l’Armée Nationale Populaire, armée dont la plupart de ses cadres avaient grandement contribué à l’indépendance de l’Algérie, à la reconstruction des institutions souveraines de l’État, au développement du système militaire et du renseignement et à l’instauration d’une forte idéologie patriotique et 221

combative parmi ses affiliés. Cette ancienne institution avait permis de surmonter les intrigues et les complots qui affligent l’Algérie depuis l’indépendance ; elle avait réussi à construire une relation étroite entre l’armée, les institutions de sécurité et le peuple, ce qui avait poussé la dernière légende de la politique nationale, le regretté Abdelhamid Mehri, à dire : « Pardieu, je ne comprends pas pourquoi le peuple algérien se sent à l’aise lorsqu’il voit le blindé sur le bord de la route et dans les rues, et que de nombreux pays occidentaux, et même arabes avaient parié que cette crise serait le début de la fin pour une patrie nationale qui rassemble tous les secteurs de la société algérienne. Il permettra à la France de réaliser enfin le plan du général de Gaulle approuvé en 1959, pour diviser le pays et s’emparer du Sahara ; elle avait fait l’impossible pour l’imposer et forcer les Algériens à renoncer à la région du grand Sahara, sous prétexte que les frontières de l’Algérie en 1830 ne l’incluant pas, des revendications auxquelles le GPRA (gouvernement provisoire algérien) avait fortement rejeté. Les ambitions de la France et des autres puissances coloniales à mettre la main sur les biens de l’Algérie avaient obligé ces ennemis à faire l’impossible pour dénaturer l’image de tous ceux qui avaient contribué à cette indépendance. Les médias français avaient mis en avant ce qu’ils appelaient la question des officiers français ; nous les appelons : les Officiers Libres, ces Algériens, qui avaient quitté l’armée française pour rejoindre les rangs des révolutionnaires, dont certains s’étaient infiltrés dans l’armée française sous les ordres de la direction du Front de Libération Nationale, comme cela, s’était produit avec Tahar Aishi, Mohamed Yazouran et Ahmed Zaidat. Ces derniers avaient été désignés par le commandement de la région de la grande Kabylie, en l’occurrence par Krim Belkacem, pour infiltrer l’armée française. En formant des cellules, similaires aux cellules de l’Armée de Libération Nationale à cette époque, composées de plusieurs individus entre 15-20 personnes, puis le 30 septembre 1956, ceux-ci avaient déserté l’armée française avec ce qu’ils avaient acquis comme expérience et avec leurs équipements complets ; ils avaient 222

rejoint les moudjahidines. Ce récit historique se trouve dans le numéro 3 du journal El-Moudjahid, organe officiel du FLN. Là où les grands moudjahidines (pages 51 à 56). On trouve aussi une lettre des officiers algériens qui étaient dans l’armée française, adressée simultanément au président de la République française et au Gouverneur Général d’Algérie de la période historique s’étendant de février 1956 à mai 1958, qui n’était autre que le boucher Robert Lacoste : « vous [autorités françaises] méprisez tout ce qui est musulman. Dans notre chère Algérie votre but final est de mettre notre pays au service des français. Nous souffrons d’injustice, de discrimination et de mépris, tant physiquement que moralement. Vous faites cela pour réitérer votre supériorité et votre pouvoir sur nous, en paroles et en actes, et même si nous sommes à l’aise matériellement, nous soutenons la juste cause de nos frères. Votre but ultime est d’éliminer tout ce qui est musulman. Nous voulons notre indépendance et nous savons que la France ne nous la donnera pas, parce que nous nous rendons compte que la France ne renonce pas facilement à ses anciennes colonies. Nous ne combattrons pas nos frères et chacun devrait assumer ses responsabilités. Nous nous battrons dès aujourd’hui pour libérer notre pays et la cause FLN est une cause juste » ce sont-là les paroles de moudjahidines que la canaille appelle les officiers de France. Mais d’abord pourquoi des gens qui n’ont peut-être rien à voir avec la Révolution, se mêlent-ils et se font écouter et peut-être même croire, alors que le commandant Azzedine, le chef d’état-major pendant la Révolution, connu pour n’être complaisant avec personne lorsqu’il s’agit de la Révolution, dans un entretien accordé récemment à l’une des chaînes privées algériennes, il a pris la défense de ces moudjahidines libres, en rejetant complètement ce terme insultant, et il a récité le verset : « Apportez votre preuve si vous êtes honnêtes ». Oui, pour ceux qui avaient rejeté toutes les tentations d’une vie confortable et les privilèges qui leur étaient accordés par l’armée française, ils ne peuvent pas être qualifiés de trahison et il est 223

déraisonnable pour tout le monde de garder le silence sur l’injustice dont est soumise la plus grande Révolution de tous les temps et sur l’insulte infligée à ses moudjahidines et à ses martyrs. N’est ce pas suffisant que quiconque se donne l’honneur d’avoir participé, et de compter les membres de sa famille parmi les martyrs sans lui demander aucune preuve ? Et maintenant, nous touchons aussi à l’honneur des martyrs et des moudjahidines ? Toujours sans la moindre preuve. A t-on déjà oublié le grand rôle que ces officiers libres avaient joué pendant la guerre du Ramadan contre les sionistes en 1973 où les forces spéciales algériennes avaient humilié les sionistes dans le port égyptien El-Adabia ? Dirigé par un général algérien de ceux appelé « officiers de France » ? – L’armée algérienne avait complètement anéanti une brigade militaire dirigée par Ariel Sharon qui était le seul survivant, et on sait que la France pendant cette période avait fait l’impossible pour se tenir aux côtés de l’entité sioniste. Même quelques années avant le déclenchement de cette guerre arabe, la France avait fourni à Israël la bombe nucléaire, et si ces officiers étaient des agents de la France comme on le prétend, alors pourquoi n’ont-ils pas faussé compagnie aux égyptiens et ne seraient pas entrés dans cette guerre dès le début, affaiblissant ainsi le front égyptien d’une part et d’une part créant un fossé profond entre le dirigeant algérien Houari Boumediene et Anouar Sadate causant ainsi des grands problèmes diplomatiques entre les deux pays, ce qui aurait divisé l’unité arabe de l’époque et contrecarrer toute tentative militaire arabe de frapper Tel-Aviv, mais cela ne s’était pas du tout produit. Au contraire, le rôle de l’Algérie dans la guerre d’octobre était un rôle de pionnier. Camelia, la fille d’Anouar Sadate, avait déclaré que la victoire de la guerre d’octobre était en grande partie due à la fois au roi Fayçal et au président Boumediene. L’Algérie en tant que puissance militaire n’avait pas été créée à partir de zéro, mais avait plutôt grandi et s’était développée grâce aux 224

compétences et au leadership de généraux et de cadres qualifiés, dont certains étaient dans l’armée française. Ce sont eux qui avaient formé ces jeunes officiers qui sont actuellement dans l’Armée Nationale Populaire, et avaient veillé à ce qu’ils acquièrent les meilleures compétences militaires et technologiques avancées dans les collèges de guerre les plus prestigieux du monde. Ils avaient également veillé à ce que l’Algérie dispose d’un service de sécurité figurant parmi les plus efficaces au monde. Et c’est sans aucune exagération ni chauvinisme, oui, nous avions et avons encore des services de sécurité professionnels qui connaissent bien leur travail, oui, la police algérienne comptait et compte encore dans ses rangs de jeunes cadres choisis parmi les meilleurs de la jeunesse algérienne. Issue du peuple, cette jeunesse a reçu une éducation dans les universités algériennes, et une formation dans les différentes écoles supérieures de sécurité en Algérie et à l’étranger. La réputation des services de sécurité algériens, vous ne me croyez peut-être pas, elle a dépassé nos frontières. La plupart des grands pays demandent à l’Algérie d’établir une coopération sécuritaire étroite. Au cours de ma carrière, j’ai vu presque toutes les nationalités fréquenter les écoles et les services de sécurité algériens, cherchant à profiter de leur expérience et de leur expertise. La plupart des pays ont refait leurs calculs et ont écouté finalement la voix de l’Algérie et son appel d’alerte sur le danger de ce fléau international. L’Amérique, la superpuissance ayant reçu de nombreux coups douloureux, dès qu’elle ait reçu la première gifle, ne s’est pas tournée vers la Grande-Bretagne ou le Japon, mais s’est plutôt tournée vers l’Algérie, ce pays qui a résisté seul et seulement avec le courage de son peuple et de son armée, et ce, malgré l’embargo qu’on lui avait imposé. On lui avait même interdit d’acquérir du matériel militaire pour se défendre, oui l’Algérie avait résisté seule aux spécimens humains les plus sanguinaires qui puissent exister sur terre, l’élite de l’institut supérieur de la sauvagerie que la guerre en Afghanistan nous avait exportée dans le cadre d’une « coopération technique » forcée, tout cela sans être entendu pour un appel de 225

détresse, car l’affaire concernait les Algériens seuls et pas les autres. Même les pays qui se considéraient comme forts en matière de renseignement et de sécurité, se sont excusés auprès de l’Algérie pour leur manque de compréhension de ce phénomène dangereux. L’ambassadeur de France en Algérie, Bernard Aimé, admet que « la France n’était pas, dans les années 1990, consciente de la réalité de la violence terroriste ». C’est pourquoi il a été fait appel à l’expertise et l’expérience algériennes acquises par les différents services et agences spécialisées dans la guerre contre le terrorisme. Par conséquent, beaucoup cherchent à déformer l’image de l’armée algérienne, qui au jour de l’indépendance avait organisé le premier noyau de toutes les agences de sécurité nationale, oui il y a plusieurs parties qui tentent de porter les accusations les plus brutales sur l’armée et sur les différents services de sécurité. Le point commun pour eux est de se concentrer sur le fait que nous étions derrière les massacres et les destructions en Algérie. Que nous sommes derrière l’arrêt du processus électoral, qui était une nécessité stratégique pour la sécurité et la survie de l’État, car le grand public n’était pas au courant à l’époque de la stratégie infernale des dirigeants de la sédition, car il y avait plusieurs discours de belazreg disant qu’ils joueront le jeu démocratique pour une fois mais qu’ensuite, ils l’annuleront et établiront ce qu’on appelle le califat islamique. Nombreux étaient les analystes de la situation en Algérie dans les années 1990, liant les crimes terroristes odieux commis par les groupes terroristes armés à la suspension du processus électoral, sans se soucier des circonstances ayant conduit à la victoire du fitna parti, malgré le fait qu’il était seulement à ses débuts. L’analyse qui est restée répandue et dominante, c’est que la violence en Algérie est principalement causée par le manque de respect aux résultats électoraux. En fait, cette justification n’était qu’une couverture sur laquelle s’était appuyée et alimentée la machine de propagande d’un mouvement qui avait soulevé le slogan « Pas de loi, pas de constitution Dieu a dit, le Messager a dit ». Et cette organisation, ses dirigeants et ses affiliés portaient des costumes militaires en déployant une police parallèle à la police d’État qu’ils avaient déclaré ne 226

pas reconnaître. Si l’armée n’avait pas assumé ses responsabilités historiques avec courage et détermination, le fitna parti aurait légitimé sa milice armée et ses groupes paramilitaires dès son arrivée au pouvoir, « Hezbollah bis » du Liban ou les gardiens de la révolution de L’Iran et bien d’autres. Oui, l’armée avait assumé ses responsabilités malgré les sacrifices coûteux qu’elle avait endurés ; ces sacrifices n’étaient pas vains, malgré les fatwas fabriquées par certaines parties pour offenser certains des acteurs ayant joué un rôle déterminant à ce stade des événements. Dans le cas de l’Algérie, la Constitution en soi et le système républicain, étaient menacés de transformation, ainsi que le caractère de l’État algérien qui serait, sans doute, devenu un émirat ou un califat théocratique ne reconnaissant pas le système républicain ou le principe de l’alternance au pouvoir. La mouvance islamique avait fait le premier pas vers la violence, en commençant par la violence verbale puis vers un militantisme oppressif, en particulier contre les femmes. C’est quelque chose que les Algériens savent. Quiconque dit le contraire, ou il a tort, ou c’est un mystificateur, malgré tout ce qui s’était passé à cette époque, les menaces et les actions réelles mettant en danger l’existence même de la République, de briser la légitimité et la légalité et de consolider un régime dictatorial basé sur le slogan religieux. Disons-le en toute franchise, car un jour ou l’autre, cette vérité quelqu’un devrait le dire, si ce parti avait le pouvoir, le pays des martyrs aurait été divisé en états microscopiques ; le pays d’Ali La Pointe aurait sombré dans la nouvelle guerre de Troie du vingtième siècle. Ces gens donc, sciemment ou par ignorance, je ne sais pas, avaient emprunté depuis longtemps un chemin tracé par des forces obscures contre l’intérêt du peuple. Malheureusement, les mêmes trompettes diffusent encore aujourd’hui la sédition leurs accusations à l’Armée Nationale Populaire, dans l’objectif de saper la confiance dans l’institution militaire et les différentes institutions sécuritaires et dans leurs officiers et leurs membres. Nous entendons encore aujourd’hui beaucoup de propagande malveillante et insidieuse affectant tous ceux qui sont nommés à un poste élevé dans l’armée nationale ou 227

dans les services de sécurité nationale, même si tous ceux qui avaient travaillé avec eux ou les avaient connus leur ont témoigné un professionnalisme et une compétence hors de commun, bonne moralité et humilité, moi-même j’en suis témoin. Nous avions eu l’honneur d’être inspectés à plusieurs reprises par le colonel Maïza, alors commandant du secteur militaire, opérationnel, pardieu, il nous éblouissait par son professionnalisme et ses connaissances, Il avait pris l’habitude de se joindre à nous sur le terrain au milieu d’accrochage armé, il nous rendait souvent visite au foyer. Il avait l’habitude de tenir des séances de travail avec nous de temps en temps. Alors, nous nous étions habitués à voir en lui notre idéal, un homme bien éduqué, un militaire nanti d’un professionnalisme irréprochable. Comme étant une personne dotée d’une culture et d’un savoir sans fin dans les différents domaines, il était un phare du patriotisme. J’avais également assisté à un événement en 1994 que je vais vous rapporter : par une nuit froide, l’heure dépassait minuit ; sur instructions de la salle des opérations, nous avions dressé un barrage de contrôle de véhicules à la rue Rovigo à la Haute Casbah. Par radio, nous dictions les numéros des plaques d’immatriculation des voitures, ainsi que les noms des conducteurs et de tous les passagers, et voilà que le chef d’État-major de l’armée, Mohamed Lamari, arrivait vers nous. Il était connu pour ses tournées en solitaire dans la capitale, donc on n’était pas vraiment surpris de le voir à son arrivée au point de contrôle, il avait ralenti comme à son habitude, nous l’avions salué en présentant nos armes à tour de rôle comme d’habitude. « vigilance oblige », il s’était complètement arrêté avec sa voiture. Il avait commencé à s’inquiéter de notre état de santé, moral, etc. Un de nos collègues s’était adressé à lui en disant : « Mon Général, je voudrais vous embrasser ». Tout le monde s’était tu, c’était là un manquement à l’éthique envers la plus haute autorité militaire. Je disais dans mon for intérieur que cette nuit n’allait pas bien finir. Il sortit de sa voiture et lui répondit en disant : « Tout l’honneur est pour moi, mon fils », il le prend dans ses bras et nous 228

serre la main tous, un à un. Avant de retourner à sa voiture, il nous dit « Que Dieu vous bénisse » avant de prononcer « au revoir ». Il avait souvent suivi notre travail également via notre réseau, surtout lorsque nous étions en mission de combat, et il nous avait souvent encouragés et remerciés après les opérations. Pourquoi je vous raconte tout cela ? Parce que beaucoup de délires utilisés pour diffuser des informations infondées telles que l’armée ne faisait pas confiance au reste des autres services de sécurité, non pardieu, bien au contraire, l’armée avait déployé beaucoup de moyens pour nous aider dans les grands combats, nous aidait à ratisser les zones urbaines de grande densité comme la Casbah ou les zones semi-urbaines comme Notre Dame d’Afrique et Sidi Bennour, les zones extra-muros comme la banlieue de BouIsmail ou Zéralda et d’autres. Aucune des tâches que nous menions avant la tragédie ne nous avait été retirée, cela ne s’était jamais produit pendant toute la période de la tragédie nationale. Quelques exemples : les services de police, jusqu’à ce jour, prennent en charge la surveillance de la mosquée dans laquelle prie le président de la République le jour de l’aïd, bien avant la prière et toute la matinée, où nous restons à l’intérieur de la mosquée avec nos armes individuelles, accompagnés par la garde présidentielle jusqu’à la fin de la prière et la fin de la procession. Tout au long de la période de la tragédie, les présidents de la République avaient l’habitude de se déplacer vers et depuis l’aéroport en voiture, et il n’est jamais arrivé que les présidents de la République utilisent l’hélicoptère dans leurs déplacements, et bien sûr, à chaque fois, c’est la police qui se déploie le long de la route et on ne nous a jamais demandé d’abandonner nos armes ; même après la fin de la crise, l’Armée Nationale Populaire recevait à chaque fois des éléments de la police judiciaire spécialisés dans la lutte antiterroriste et les formait aux divers arts de combat dans les meilleures écoles militaires algériennes. Les cadres représentant la DGSN étaient toujours invités aux cérémonies de remise des diplômes à la fin de chaque session, nous avons toujours 229

été bien reçus par les chefs des établissements et des cadres supérieurs de l’armée. Nous avons assisté à diverses manœuvres et exercices de combats, et jamais au grand jamais quelqu’un nous a posé des questions sur nos armes individuelles. Pourtant, ils savaient bien que nous étions armés. Les cérémonies se passaient toujours en présence de hauts cadres de cette prestigieuse Institution. Il y avait une grande confiance entre nous, mais surtout un grand esprit de solidarité ; le but suprême de protéger l’héritage des chouhadas nous avait unis, il nous avait unis contre l’ennemi commun, mais laissez-moi vous assurer que le même sentiment et le même traitement prévalait et prévaut toujours dans diverses transactions entre les éléments de toutes les Institutions de l’État. Chacun se présentait à tout le monde sur la base qu’il est un collègue, il n’y a aucune différence entre la police et la gendarmerie, l’armée, la garde communale et tous les agents de l’État, protection civile, wilaya, daïra APC, ainsi que les travailleurs hospitaliers et bien d’autres. Nous sommes tous des collègues dans le respect mutuel et de confiance entre nous, et celui qui dit le contraire n’est que faux et absurde. N’oublions pas que quand on lit la carte géostratégique de la région, on note que le Mossad, les agences de renseignements françaises et américaines ont installé des bases dans la plupart des pays africains voisins, notamment après la destruction et l’affaiblissement de nombre d’entre eux, et que leur ultime objectif et le grand prix demeure l’Algérie. Leur désinformation médiatique constante, dure déjà depuis une décennie, un plan diabolique dont nous devons nous méfier. C’est bien connu dans les tactiques de guerre que pour cibler les États ennemis, la première étape est d’affaiblir psychologiquement l’adversaire et à remettre en question ses symboles et ses institutions souverains, mais surtout lui faire installer le doute sur son histoire par l’utilisation d’une propagande médiatique ciblée et étudiée, avant de mener une action militaire contre lui. Le dossier des officiers de France n’est qu’un pion entre leurs mains pour essayer d’infiltrer l’esprit de la jeunesse algérienne, en particulier la nouvelle génération qui n’a pas été témoin 230

des années de terrorisme aveugle, et ne connaît pas exactement les détails de ce qui s’était passé dans les coulisses et dans les salles obscures pour la destruction de l’Etat algérien, en répandant le poison des radiations malveillantes et des mensonges, pour qu’ils fassent payer à l’Algérie, comme je l’ai dit, le prix de ses positions, surtout son indépendance et son refus de s’agenouiller et de se soumettre même durant ses jours les plus sombres, eh oui ! Elle est ainsi notre mère l’Algérie, elle ne peut pas changer de caractère même si elle le veut, elle est la seule à n’avoir jamais accepté aucune base étrangère sur son territoire, en 2012 elle avait officiellement refusé de louer aux Américains une base à Tamanrasset. Combien de pays dans le monde sont capables de refuser une telle demande émanant des Etats-Unis, surtout après les événements de septembre ? Les proches de l’ancien président Sarkozy reconnaissent qu’après la Libye et la Syrie, celui-ci avait l’intention de s’occuper de l’Algérie parce qu’elle avait résisté à l’OTAN, surtout lorsqu’elle avait rejeté l’idée d’un rassemblement méditerranéen parce qu’Israël en est membre. La France est toujours déterminée à briser l’épine de ce pays qui continue à la défier et à contester sa politique contrairement à beaucoup d’autres : l’Algérie, n’at-elle pas rejeté l’initiative de San Egidio alors même lorsqu’elle était au bord de l’effondrement ? L’Algérie, n’a-t-elle pas renvoyé l’avion transportant la brigade d’intervention rapide du GIGN qui se dirigeait vers l’aéroport algérien lors du détournement de l’avion français, car la France voulait faire intervenir ses troupes ici en Algérie alors que le pays était toujours dans une crise financière et sécuritaire étouffante ? L’Algérie, n’a-t-elle pas refusé toute aide étrangère dans le cadre de l’opération de Tiguentourine ? Et enfin, le stade du 5 juillet à Alger n’était-il pas rempli de plus de soixante-dix mille spectateurs pour un match amical opposant l’équipe nationale de football à l’équipe de Palestine ; et les soixante-dix mille spectateurs n’avaient pas encouragé leur équipe nationale pour laquelle ils avaient « envahi » le Soudan ! Non, ils avaient encouragé l’équipe nationale palestinienne et avaient même menacé les joueurs de l’équipe nationale avant le match de ne pas 231

battre l’équipe palestinienne. Finalement, l’équipe palestinienne gagne le match. Quand les joueurs avaient marqué le but gagnant, cela avait déclenché les acclamations de soixante-dix mille spectateurs présents sur les gradins du stade olympique, et ceux qui ne connaissaient pas la jeunesse algérienne étaient confus sur « qui a marqué le but ? ». Cela importait peu à notre jeunesse, à vrai dire leurs cris « Vive la Palestine » jaillissaient avec sincérité, espérant voir un jour la Palestine libre et indépendante, oui, c’était un match de football pas plus, mais tout cela avait des connotations profondes ne passant pas inaperçues chez les sionistes et leurs alliés. Alors, si les commandants de l’armée étaient des officiers de la France, comme le clame certains, pourquoi alors l’armée algérienne n’est-elle pas inféodée à l’armée française ? Nous sommes la seule ancienne colonie de France, dont les pilotes n’avaient jamais piloté un seul avion Rafale. Notre armée est la seule de ces anciennes colonies à ne pas s’armer de la France, et enfin, vous pouvez simplement comparer comment la France et les Français se comportent dans toutes leurs anciennes colonies et comment ces pays les traitent en leur accordant des privilèges, des facilités pour acheter des biens immobiliers et de leur permettre de s’immiscer dans les affaires politiques, l’entrée sans visa et autres. Avec la situation de la France et de ses ressortissants en Algérie où ils sont traités comme les autres étrangers avec les mêmes droits et devoirs. L’Algérie est le seul Etat qui assure l’octroi de visas d’entrée à son territoire, avec le même traitement, pour les ressortissants français et ceux de tous les pays du monde, y compris les superpuissances.

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Que la lumière jaillisse Ce qui agitait de plus en plus les médias français, c’est que notre armée, comme d’habitude, applique le dicton « la caravane passe et les chiens aboient », donc elle n’a pas pris la peine de répondre aux délires des télévisions et de la presse françaises, elle s’occupe de ses missions constitutionnelles et rien que ses missions qui lui sont conférées dans le cadre des pouvoirs constitutionnels. Personnellement, je trouve que c’est la meilleure réponse, le mensonge du « qui tue qui » n’est dit et cru que par les imbéciles ou les mal-intentionnés, et j’essaierai, avec l’aide de Dieu, dans ce qui suit, de démontrer dans les limites de mon humble expérience d’homme de loi qu’il est impossible pour l’armée de jouer un rôle de loin ou de près dans cette tragédie. — Chaque armée dans le monde a une culture, une tradition, et un honneur. L’armée algérienne est une armée populaire, héritière de l’Armée de libération, la majorité de ses cadres et dirigeants avaient participé à la guerre de libération, et donc son histoire, son honneur, sa culture et sa composition ne lui permettent même pas de penser à quelque chose du genre. — L’armée algérienne est une armée moderne, respectée, organisée et très bien structurée à la manière des grandes armées du monde, et tous ses membres reçoivent une formation de grande qualité avant de rejoindre ses rangs, y compris les jeunes du service national. Vous ne trouverez pas dans les rangs de l’armée algérienne un militaire ou un cadre qui ne soit passé par l’école ou l’académie militaire, et notre armée n’a jamais été une armée de républiques bananières, ni une armée composée de mercenaires ou d’aventuriers, avez-vous déjà entendu parler de rébellion dans les rangs de l’armée comme il arrive souvent dans les pays du tiers-monde, malgré tous 233

les événements que le pays a connus de nombreuses fois, et malgré les divisions de la classe politique ? — Tous ses membres sont issus de la classe populaire ; les massacres commis en requièrent un grand nombre d’exécutants pour les mettre en œuvre, surtout s’il y a beaucoup de massacres simultanément dans une vaste zone géographique, alors d’où l’armée pouvait-elle rassembler un si grand nombre d’individus qui accepteront un rôle aussi sale dont la mission consistait à tuer leurs parents, leurs familles et leurs frères, où trouve-t-on le chef qui garantit leurs loyautés et leurs agissements après cela ? Même dire que c’était le travail des services de renseignements algériens qui utilisaient les gangs criminels pour ces crimes abjects, personne ne peut le croire, eu égard aux nombreux massacres ayant eu lieu à des moments très rapprochés, plusieurs massacres dans la même nuit parfois, alors pour réaliser ce macabre plan, il faudrait que tous les groupes criminels soient à la solde de l’armée. Reconnaissons alors que Belazreg et Muawiya étaient également sous le commandement de l’armée. De plus, la plupart des chefs criminels avaient été éliminés par l’armée, alors comment auraient-ils accepté de coopérer avec ceux qui les tuaient à tour de rôle, un par un ? La logique ne veut-elle pas qu’une fois que les premiers dirigeants de ces groupes soient tués, les autres se soulèveraient et se rebellaient contre l’autorité de l’armée ? — J’étais moi-même sous-officier pour plus de huit ans dans cette armée, et même durant tout au long des années de mon travail dans la police, j’ai toujours été en contact avec son personnel, y compris des hommes des renseignements, en raison des nécessités de mon travail. A mon âge, je n’attends plus grand chose de la vie encore moins de quiconque et je ne demande plus rien que de quitter la vie avec ma dignité, cette dignité qui grâce à Dieu ne m’a jamais abandonné, alors si je témoigne là devant vous, vous pouvez me croire. Oui, je témoigne devant vous, comme je témoignerai devant 234

Dieu demain, que je ne connaissais en eux que des hommes et des femmes honnêtes, intègres, professionnels aimant leur profession et très compétents. Oui, ils sont également de bons croyants et très bien éduqués. Non, jamais ce genre d’hommes et de femmes auraient pu exécuter des missions que même le diable lui-même rejette. Ils ne pouvaient jamais, et au grand jamais, penser ou avoir l’idée de tuer des civils sans défense qui ne sont que leurs frères de sang, de religion, de langue et d’histoire. — Quand vous inspectez une scène de crime commis pendant l’un de ces massacres, vous comprenez alors que celui qui avait accompli une telle action, ne pouvait le faire juste pour exécuter un ordre dans le but de gagner de l’argent ou même parce qu’il se trouvait sous l’influence de la drogue, un seul mobile peut pousser un ignorant à faire cette chose, vivre avec les groupes terroristes isolés de la société et du monde moderne, et soumis à un lavage de cerveau prolongé et ininterrompu. On faisait croire à cet ignorant, une fois convaincu, qu’en agissant ainsi, il exécute un ordre divin pour s’assurer ainsi une place au paradis. Lors de l’interrogatoire de membres des groupes terroristes, ils vous diront longuement de l’horreur que leurs dirigeants leur avaient inculqué et de la manière dont ces derniers exécutent certains d’entre eux (normal quand les proxénètes et les dirigeants se faisaient surnommer : Batri, Napoli, Flicha, Éléphant, Toba et autres surnoms anormaux), c’est normal lorsque le proxénète le plus pur et le plus sain que vous trouvez était déjà condamné deux ou trois fois pour des crimes qui par respect à mes lecteurs, je ne préciserais pas la nature, alors vous comprendrez peut-être, je dis peut-être, comment un être humain pratique cela à des êtres humains, je n’ai jamais pensé que l’ignorance et la politique de la carotte et du bâton étaient exécutées avec cette violence dans mon pays, un paradis aussi large que les cieux et la terre si vous obéissez, mais si vous ne faites pas le travail requis ou si vous refusez, vous serez massacrés d’une manière odieuse, et pour fuir n’y pensez même pas. Pour aller où finalement ? 235

— Des dizaines et des dizaines de programmes avaient été diffusés sur les chaînes françaises, et des centaines de personnes avaient été invitées pour analyser et débattre de la situation en Algérie, mais surtout pour accuser et juger les dirigeants et l’armée algérienne, toutes les catégories possibles y avaient été invitées : chefs de partis, hommes politiques, professionnels des médias, historiens, universitaires, professeurs, étudiants, athlètes, commerçants, bouchers, agriculteurs, artisans médecins, chômeurs, bref, quiconque accepte de porter atteinte à l’honneur des Algériens et à l’honneur de son armée, était le bienvenu sauf deux catégories qui n’avaient jamais été invitées. Aucun des défenseurs de l’armée algérienne n’avait été invité, et pourtant les volontaires ne manquaient pas, mais malheureusement, ces derniers vivaient un blocus total de la part des médias et des chaînes françaises. La deuxième catégorie concerne les membres du groupe français GIGN ; ce groupe que les Français considéraient à juste titre comme la crème de leur armée, chargé de missions spéciales : aucun de ses membres n’avait jamais été invité par une chaîne de télévision, ni même un retraité, et pourtant les médias français, connus pour leur amour pour montrer ce groupe, et ne manquaient jamais une occasion d’accueillir ses membres même si c’était juste pour la protection des droits des chats et des chiens. Alors pourquoi dans un cas pareil, ils se sont abstenus de les inviter ? La raison est simple : – les membres de ce groupe ne portaient pas l’Algérie dans leur cœur, quelle que soit leur haine envers l’armée algérienne, pour avoir été empêchés d’atterrir à l’aéroport de la capitale, (l’armée algérienne avait insisté sur le fait que c’étaient les prérogatives de son l’armée ou des forces spéciales de la police algérienne. Effectivement, une fois l’enlèvement annoncé, les équipes spéciales des deux institutions « police et armée » avaient commencé à se préparer pour l’opération) et quelle que soit la bonne intention des membres du GIGN de coopérer avec les médias de leur pays, ils restaient avant tout des professionnels et ils savaient avec certitude qu’il était techniquement impossible, que l’armée algérienne soit impliquée de près ou de loin à de telles opérations, sans que les choses ne lui échappent, mais ils étaient 236

plutôt sûrs qu’elle avait fait tout pour mettre fin aux massacres. Les membres du groupe ne pouvaient dans ce cas mettre à l’épreuve leur réputation professionnelle, car le grand professionnalisme qui les distinguait et leur réputation professionnelle les empêchaient d’adhérer à une cause perdue d’avance. — Dans une enquête criminelle, l’indice le plus éloquent est souvent la désignation de la partie à qui profite le crime. Ils disent que l’armée était le bénéficiaire et ajoutent que ces massacres pousseraient la population à se retourner contre les gangs criminels, mais ils négligent délibérément la vérité, à savoir que l’armée a armé plus de cent mille résistants avant que les criminels ne commencent à commettre leurs massacre, et qu’il y avait une forte demande pour recevoir ces armes et rejoindre les rangs de la résistance. L’armée n’avait vraiment pas besoin de cette macabre tragédie que le peuple avait refusée. Ces groupes, depuis qu’ils avaient adopté la logique de la violence, et depuis que la population avait constaté que les criminels parlant du Jihad, ne parlaient pas au sens figuré, mais bel et bien au sens propre. En outre, la généralisation des assassinats et des attentats à la bombe qui affectaient toute la société avait eu un effet contraire, car le public s’était rendu compte qu’il était bel et bien concerné par le conflit en cours et que ce qui se passait n’était pas une confrontation entre l’autorité et une opposition armée, comme la présentaient les médias occidentaux et autres, mais c’était une guerre entre les Algériens libres appartenant à toutes les couches de la société sans distinction et des groupes terroristes ayant pris pour philosophie de vie le crime, les massacres et la destruction, menaçant la vie de tous. L’armée, en armant les résistants, avait renversé la table sur ses ennemis comme on dit. Ceci est la preuve, une fois de plus, que nous avons une armée populaire par excellence, et qu’il y a une confiance totale entre cette institution et le peuple, et khamssa fi ainelhoussad (cinq dans les yeux des envieux).

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— Les groupes criminels, en accomplissant leurs actes méprisables, voulaient en fait à la désintégration des forces de l’armée et l’assouplissement du siège qu’elles avaient opéré contre les troupes dans les montagnes. Lorsque les forces de sécurité avaient pris conscience de ce qui se tramait contre eux, et grâce à leur professionnalisme, leur sacrifice et leur loyauté, ils avaient pu brouiller les plans de l’ennemi, les queues du colonialisme nous avaient attribué injustement les sordides crimes. Pourquoi ne pas reconnaître tout simplement que les criminels s’adonnent à la vengeance aveugle contre la population, dont la grande majorité avait rejoint les rangs de la résistance pour combattre les terroristes, ce qui avait provoqué leur isolement dans les montagnes et les coupait de tout contact avec leurs bases de ravitaillement ? Il était arrivé aussi qu’ils se vengeaient des habitants de certains villages où les gens abritent par contrainte des groupes terroristes rivaux. On sait qu’à l’époque, les combats entre ces groupes rivaux (pour la leadership) avaient engendré un nombre de victimes bien plus élevé que celui obtenu, parmi eux, par les services de sécurité. — La vérité montre clairement que les criminels en commettant ces massacres tiraient les dernières balles de la miséricorde sur leur présence en Algérie, car leur but, caché derrière les massacres, était d’essayer d’intimider la population jusqu’à ce qu’elle revienne de son côté ou de la déplacer vers les villes (la politique de la terre brûlée) pour qu’elle prenne possession des terres et prétendre ainsi avoir des territoires libérés (zone autonome). — Pourquoi personne ne parle de l’un des chefs du fitna parti dont le père était un collaborateur du colonialisme français, il avait été exécuté par le martyr Cdt Mira. Ce chef lui-même était impliqué dans l’assassinat de l’étudiant Kamal Amzal en 1982, pour lequel il avait été emprisonné jusqu’à ce que le président Chadli le libère sous la pression des dirigeants de la sédition. Il avait été exécuté avec 15 autres terroristes en 1995 dans la région de Médéa par ce qu’on appelait le GIA. Cette personne avait déclaré être prête à liquider 238

deux millions d’Algériens pour purifier le pays. Alors pourquoi les médias français n’avaient-ils pas parlé de lui ? Pourquoi ne lui attribuez-vous pas les massacres ? Du moins reconnaître qu’il en était le planificateur. — Seuls ceux qui avaient adopté la philosophie et la pensée des Kharidjites et de leurs escadrons de la mort comme les Azraqites, connus dans l’histoire islamique, peuvent commettre des massacres d’une nature aussi odieuse. L’histoire nous dit à leur sujet qu’ils avaient l’habitude de faire l’amalgame entre péchés mineurs et péchés majeurs, en accusant tous ceux qui les contredisent d’être des infidèles et déclarent leur excommunication ainsi que tous ceux qui s’étaient absentés au jihad à leurs côtés ; ils les déclarent ouvertement comme des infidèles et les condamnaient à mort. Ils n’hésitaient pas aussi à condamner à mort les enfants de tous ceux qui refusaient de les rejoindre pour le jihad et de s’accaparer leurs femmes. Ma foi, ils avaient réponse à tout : ils disaient que tuer les enfants de leurs ennemis afin de les protéger, au risque qu’en grandissant, ils deviennent des infidèles et iront en enfer. Pour justifier les massacres atroces commis, ils avaient mutilé les adultes et mis les bébés dans les fours, ils disaient que c’est pour faire peur aux infidèles et aux polythéistes. Sachez, Messieurs, que tout ça ce ne sont pas mes paroles à moi, mais ce sont des déclarations faites par des terroristes arrêtés ou repentis. Beaucoup de ces déclarations sont même sur le net ; aussi les livres d’histoire nous rapportent beaucoup des faits similaires, saviez-vous maintenant pourquoi nous demandons de juger tous ceux qui prônent le jihad ? Bien avant qu’ils ne passent à l’acte, et leur couper leurs langues avant de couper leurs têtes ! Sinon on laisse la porte grande ouverte à l’émergence de malades psychiatriques capables de tuer pour tuer, et aux groupes de Kharidjites, de nouveaux hachachines qui vont sans aucun doute propager le chaos et l’insécurité dans le monde entier. Les dirigeants du fitna parti savaient tout cela et plus encore lorsqu’ils se vantaient de cela devant des dizaines de milliers de leurs adeptes, et à travers leurs sermons, leurs directives et leurs positions extrémistes, ils semaient alors 239

les graines d’une pensée qui nous avait menés directement face au mur, au crime, au sang, à la mort et au feu. Au fait, les chefs de la sédition avaient envers les actes terroristes une position maléfique et diabolique, c’est le moins qu’on puisse dire, d’un côté pour embellir leurs images devant la population ; ils nient toute relation avec ces actes et accusent ouvertement les services de l’Etat d’être derrière, mais de l’autre côté, ils s’abstiennent de les condamner ouvertement pour garder la bonne relation avec les groupes criminels. Le sang des dizaines de centaines de nos collègues, tous services confondus : armée, gendarmerie, police et autres ; leur sang n’ayant même pas séché et que voilà déjà, on voulait nier nos sacrifices. On avait tendance à oublier le lourd tribut de victimes que l’armée et les autres services de sécurité avaient payé. Au fait, c’est pour une telle raison que les vrais professionnels des affaires de sécurité avaient toujours décliné l’invitation des médias français. Il faut bien mentionner que la première chose que faisaient les criminels avant chaque massacre était de miner le chemin qui menait vers le village assiégé pour tendre des embuscades aux militaires afin de récupérer des armes. Cependant, les forces armées prenaient toutes les précautions de sécurité lors de leurs sorties et s’étaient ainsi heurtées aux criminels sans perdre une seule arme, cela on omet souvent de le préciser, mais si l’Algérie est sauve, c’est aussi grâce au fait que l’armée a su préserver ses armes même en payant le prix fort. — Les criminels aspiraient à démontrer aux Algériens et au monde entier que l’armée était incapable de protéger la population, mais la rapidité avec laquelle l’armée avait repris l’initiative avait complètement brouillé les cartes des criminels, et il était tout à fait normal que l’armée ait besoin d’un peu de temps pour affiner la stratégie de lutte contre ce genre de crimes ; il est vrai aussi que personne ne s’attendait à ce que des gens censés être sains d’esprit commettent ce genre de crimes, s’attaquer à des citoyens innocents, à leurs familles, à des femmes et à des enfants ! L’armée avait vite redéployé ses différentes unités pour faire face à ce phénomène contre-nature en protégeant les habitants de tous les villages, même 240

si en attendant, il fallait exhorter les citoyens des villages les plus reculés à se déplacer provisoirement vers des endroits plus sûrs. Mais interrogeons-nous sur les massacres qui avaient, malheureusement, eu lieu dans de nombreux pays africains, pourquoi les médias français n’avaient pas accusé les forces armées de ces pays d’avoir commis ces crimes ? Même pas un doute, et ils ne s’étaient même pas interrogés sur l’identité des auteurs. De tels massacres avaient déjà eu lieu dans de nombreux pays à travers le monde, Cambodge, Philippines… Les armées de leurs pays n’avaient jamais été accusées sauf dans le cas de l’Algérie ! Pourquoi les médias français ne parlaient, ou du moins ne parlaient pas beaucoup du cas de Khaled Kelkal, qui avait été accusé de plusieurs attentats terroristes sur le territoire français, arrêté avec son complice Karim Koussa le 27 septembre 1995, dans la forêt de Malval à la périphérie de Lyon ? Les services de sécurité français n’avaient admis avoir arrêté que le nommé Karim Koussa après l’avoir blessé, et que Khaled Kelkal s’était enfui, malgré le fait que la forêt était encerclée par 800 gendarmes selon le communiqué de la gendarmerie française, mais tout le monde sait maintenant que le nommé Khaled Kelkal avait été arrêté avec son complice dans une seule et même opération. L’arrestation du nommé Kelkal avait été tenue dans le secret absolu aux fins de l’exploitation complète de toutes les informations en sa possession pour enfin annoncer son élimination lors de son arrestation. Dans un précédent, le premier du genre, où le processus d’élimination avait été filmé, suivi d’un scandale sécuritaire, car le terroriste était au sol et blessé au moment de son élimination. C’était vraiment un scénario de mauvaise qualité, mais le service de renseignement français avait rapidement clos le dossier et empêché quiconque de parler de cette affaire. — Les imbéciles sont les seuls à nier que la population s’était retournée contre les terroristes et avait coopéré pleinement avec l’armée dès la première occasion, c’était normal, les criminels avaient semé la terreur parmi les habitants. Ils avaient réduit les femmes à 241

l’esclavage, avaient imposé aux citoyens un extrémisme religieux sans précédent ; ils avaient tout interdit : la radio, la télévision, les fêtes de mariage. Les citoyens avaient même été empêchés de pratiquer leurs activités économiques habituelles. Par exemple, les habitants de notre région de montagnes Akfadou, dans la wilaya de Bejaïa, avaient été empêchés d’élever leurs bovins, et même les chiens de garde et de chasse afin qu’ils ne puissent se rendre dans les forêts voisines pour le pâturage, pourtant, c’est l’activité principale dans cette région depuis des siècles. Ils avaient coupé les régions montagneuses et les régions isolées du reste de l’Algérie, les citoyens ne pouvant plus se déplacer dans leur propre pays en raison de l’atmosphère de terreur que les criminels avaient imposée dans la campagne et dans beaucoup de villages. Personnellement, je n’avais pas pu visiter le village d’Ait Achour à Akfadou (Bejaïa), le village de mes parents, la terre de mes ancêtres, pendant plus d’une décennie ; je n’avais pas pu me rendre à tous les petits villages que j’aime tant : Aït Mahiou, Izaghthouthene, Tasgha, etc. Je n’avais pas pu assister à l’enterrement de ma mère, que Dieu ait son âme, elle est décédée chez moi ici dans la capitale, mais quand la famille avait pris la décision de l’inhumer au village, j’avais dû faire les derniers adieux à celle qui m’avait mis au monde ici à Alger sans l’accompagner à sa dernière demeure. C’est ainsi qu’avait décidé Belazreg, pour quoi suis-je obligé de m’arrêter ? De ne pas tout dire ? Parce que j’ai vraiment beaucoup à dire à cet individu. Les villageois avaient beaucoup souffert du zèle de ces criminels qui accaparent leur argent et les désignaient ainsi que leurs enfants aux travaux forcés tout en nuisant à l’honneur des gens. Les médias français ne s’étaient jamais inquiétés du sort des femmes que les terroristes avaient enlevées chaque fois que les circonstances leur avaient permis ? Est-il concevable, par exemple, que l’armée avait aussi enfermé ces femmes dans les casernes ? Ce pourrait être le cas, si dans ces casernes, il y avait des soldats de Karzastan, Je crois que beaucoup doivent réviser leurs cours d’histoire.

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— Les criminels avaient enlevé des centaines de femmes et de filles et les considéraient comme des butins de guerre et des esclaves. Beaucoup de ceux qui étaient arrêtés avaient raconté des histoires horribles sur la façon dont ces personnes avaient traité les kidnappées et la barbarie qu’ils avaient l’habitude de leur faire subir. Les enlevées, elles-mêmes, avaient narré des histoires insoutenables sur ce qu’elles avaient enduré durant les années d’esclavage, des viols et des mariages djihadistes. Ils se faisaient échanger entre eux, les femmes, ces porcs humains (toutes mes excuses pour l’animal) avaient piétiné sur l’honneur des Algériens de sorte que le Conseil suprême pour la fatwa avait évoqué le problème de la grossesse résultant du viol et du mariage forcé par des terroristes pour de nombreuses femmes libérées de l’oppression des groupes criminels, sans parler des circonstances difficiles dans lesquelles elles vivaient. — Ils blâment l’armée de pouvoir sécuriser des événements majeurs dans le pays, tels que des élections, et de ne pas pouvoir protéger la population, alors que l’armée algérienne n’avait jamais négligé de protéger le pays et son peuple, et avait payé un lourd tribut pour cela, et n’attend ni récompense ni remerciements pour cela. Ceux qui nous critiquent ignorent-ils vraiment les bases du travail de sécurité ? Les élections ça demande une mobilisation pour une période de trois jours au maximum, et donc tout le monde va sur le terrain et tout le monde est dévoué à la tâche. Tous les personnels, sans exception, sont assignés pour le travail jour et nuit, mais il est impossible techniquement, de maintenir ce protocole en action pendant une longue période. — Les « médias » se concentrent uniquement sur les massacres au cours desquels les terroristes avaient pu atteindre leurs objectifs méprisables, mais ils n’avaient jamais prêté attention aux nombreuses tentatives que l’armée avait contrecarrées même si des déclarations avaient été publiées à chaque fois à leur sujet.

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— L’armée avait avorté la tentative d’empoisonner l’un des petits barrages au dernier moment dans l’ouest de l’Algérie, et avait ainsi évité des milliers de victimes, mais notre institution avait préféré occulter cette réalisation pour ne pas inciter d’autres groupes à réessayer. L’armée s’était contentée de renforcer la garde sur les barrages, et comme d’habitude la sécurité des gens avait été préférée à l’éblouissement médiatique. Pour plus de précision, je vous présente l’enquête de terrain menée par le correspondant de la chaîne arabe CNN en Algérie, M. Hamza Atbi, qui s’était déplacé dans plusieurs villages de la province de Médéa et avait écrit plusieurs articles sur les massacres ayant eu lieu pendant la décennie noire. Il avait rapporté entre autres : L’oncle Saïd (c’est comme ça que tout le monde l’appelle), l’un des survivants du massacre, nous raconte l’abominable histoire chapitre par chapitre, en disant que quelques jours avant le massacre, les forces de sécurité avaient demandé aux habitants de quitter le village vers d’autres zones plus sûres, et le jour où les familles s’apprêtaient à partir, un groupe armé les a attaqués et a tué beaucoup d’hommes, de femmes et d’enfants et a kidnappé trois femmes. Ami Saïd ajoute qu’après avoir coupé l’électricité, ils ont demandé aux habitants de quitter leurs maisons et de rejoindre la place publique. Ces groupes ont l’habitude de rencontrer les habitants et leur donner des leçons de religions et leur rappeler leurs recommandations qu’ils doivent respecter à la lettre comme l’interdiction de regarder la télé « pour les isoler du monde extérieur », mais hélas cette ci fois, la réunion était différente de ses prédécesseurs, car presque tous les villageois avaient été exécutés. Les résidents se souviennent également de ce que ces groupes ont fait des pires formes de maltraitance, et l’histoire de ce bébé de sept mois n’est rien d’autre que la meilleure preuve que citent tous ceux à qui nous avons parlé, où un groupe de terroristes a accroché la tête du bébé dans la maison après l’avoir frappée par un clou. Non loin de là, il y a un autre village appelé Al Chaâba, où tous 244

ses habitants se souviendront pour toujours d’une de leurs familles qui a été liquidée par un groupe terroriste parce que le fiancé de leur fille a rejoint les rangs des gardes municipaux. Un jour de 1996, raconte Rabah, un groupe terroriste, lourdement armé, est entré dans le village, a fait irruption dans une maison, a kidnappé une jeune femme avec sa mère et les a tués, il leur a tranché la tête et les a suspendus à la plaque de l’arrêt de bus dans la région de Sidi Akrout, à moins d’un kilomètre du village (promotion de la vertu et prévention du vice). Le même village s’est réveillé un jour de 1997, sur un incident douloureux, lorsqu’un terroriste est entré dans le village avec un groupe armé jusqu’à la maison d’une famille bien connue de la région et a demandé au propriétaire de la maison la main de sa fille, mais le père a fermement refusé cette demande et s’est enfui avec sa fille de sa résidence située à l’entrée de la village, vers une autre maison située au centre, essayant de sauver sa fille mais le groupe a réussi à les rattraper et a kidnappé la fille. Et l’affaire ne s’est pas arrêtée là, ils ont fait exploser une bombe artisanale à l’intérieur du café appartenant au père de la jeune fille, faisant de nombreuses victimes. Ils sont retournés chez lui et l’ont également fait exploser et tué le frère de la fille ». Franchement, et là je me fie à votre conscience, voyez-vous là les agissements d’une armée régulière ? Ne semble-t-il pas clair que les victimes connaissaient leurs bourreaux ? Le narrateur, n’a-t-il pas dit explicitement au journaliste que le groupe avait l’habitude de rencontrer les gens du village avant le jour fatidique ? N’est-ce pas le pouvoir du fort sur le faible, l’armé sur le sans défense ? Ou après cela, vous insistez sur vos accusations insensées contre notre armée. — En fin de compte, nos frères de sang et de religion, avec qui nous partageons l’intercession du sang des martyrs et la bénédiction de l’étoile, du croissant et des trois couleurs, si nous avions un soupçon sur mille milliards que l’armée tuait notre peuple, serionsnous restés fidèles à l’État ? Vos fils dans l’armée, le restaient-ils ? Les 245

glorieux moudjahidine seraient-ils alignés au côté des résistants ? Par Dieu, si c’était le cas, alors ces gens ne seraient pas montés dans les montagnes avant nous, mais croyez-moi par Dieu, si jamais il se passe dans n’importe quel pays du tiers-monde, et même dans de nombreux pays développés, un tiers ou un quart de ce qui s’est passé en Algérie, leurs armées seraient divisées en quatre, la sécurité en cent et le pays en mille. Vous n’avez qu’à bien analyser ce qui s’est passé et se passe dans de nombreux pays. Notre armée est l’ombre de nos martyrs, c’est le symbole de notre unité et le secret de notre survie, et sans elle, il n’y aurait pas eu sur la carte politique mondiale un État indépendant appelé Algérie. — Oh, mon Dieu, mon Dieu, mon Dieu, notre témoignage n’est ni de la complaisance ni de l’hypocrisie. Dieu mon créateur, avec ton consentement, nous n’avons pas besoin du consentement de tes créatures, et sous ta colère, la satisfaction de la créature ne nous profitera point.

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Le commencement de la fin La France et ses pairs avaient réussi à imposer un siège douloureux à l’Algérie, un terrible siège sécuritaire, politique et économique, qui s’ajoutait à la crise économique suffocante qui avait ravagé le pays. Nous ne trouvions plus de voitures pour les tâches quotidiennes, et nous étions à peine équipés de petites voitures de tourisme Daewoo dans lesquelles nous étions entassés à l’intérieur ; nous étions fort gênés lorsque nous devions faire rapidement pied à terre si nous étions pris dans une embuscade. Heureusement que la wilaya d’Alger nous avait remis quelques voitures saisies par décision de justice, et qui étaient destinées aux enchères publiques. M. Liamine Zéroual avait pris la présidence du pays ; sa première décision a été celle de contacter les chefs de sédition emprisonnés leur demandant une seule chose : un appel à l’arrêt de la violence et les meurtres, après cela, tout est sujet à discussion, et même, il les avait fait sortir de leur lieu de détention pour les placer en résidence surveillée. Beaucoup de leurs assistants avaient été libérés, ils avaient été autorisés à contacter qui ils voulaient, recevoir la visite de ceux qu’ils souhaitaient, mais ces gens étaient d’un orgueil diabolique, ils pensaient qu’ils étaient toujours en position de force, eux qui n’avaient pas l’habitude de dialoguer quand ils sont dans cette position. Le président avait réitéré les tentatives de dialogue l’une après l’autre, en vain. Au contraire, les services de sécurité, en éliminant l’un des chefs terroristes, avaient trouvé dans sa poche une lettre de Belazreg dans laquelle il vantait les actes terroristes, les décrivait comme djihad et affirmait sa volonté de les rejoindre s’il n’était pas en prison. Face à cette intransigeance, le président Zéroual les avait renvoyés en prison et l’armée a intensifié sa lutte. 247

Au fil des semaines et des mois l’armée avait commencé à reprendre peu à peu l’initiative en étendant son autorité sur les montagnes et les campagnes, nous soulageant de beaucoup de souffrances. L’intensité des assassinats avait vraiment commencé à s’estomper, surtout quand l’armée avait pratiquement pris le contrôle de tout le territoire. Elle avait mené plusieurs grandes opérations faisant beaucoup de mal aux groupes terroristes. Je citerai l’opération Zbarbar et de Ain Defla, et aussi le grand nombre de morts et de blessés enregistrés lors des batailles ayant eu lieu entre les factions terroristes elles-mêmes, et ils se comptent par centaines. Nous avions confirmé des informations sur la mort en quelques jours de plus de 200 individus dans les montagnes de Médéa et de Bouira à la suite de bataille acharnée entre ces groupes terroristes. Ils avaient également planté des milliers de mines dans les forêts de ces montagnes pour s’entre-tuer, au point que l’on racontait que l’armée avait réduit sa présence dans ces zones pour la redéployer ailleurs. Cette offensive de l’armée nous avait beaucoup aidé, nous aussi, car la campagne et la banlieue des villes étaient les lieux où les criminels se réfugient chaque fois que nous les traquons. Nous sommes maintenant des unités combattantes plus que des forces de sécurité, nous avions appris les différentes techniques de combat sur le terrain, nous avions appris de nos erreurs, de nos victimes, nous avions appris avec notre sang, nos nerfs, mais nous avions appris. Nous avions bénéficié des connaissances de collègues qui avaient déjà servi dans l’armée ou effectué le service national, tout cela sans négliger nos tâches fondamentales de préservation de la sécurité des personnes et des biens. Nous avions repris le contrôle sur la grande majorité de la capitale, mais il restait certains quartiers dans lesquels nous ne serions pas rentrés sans un renfort important et des mesures de sécurité draconiennes, je parle là des quartiers comme Oued Ouchayah, la Casbah, les alentours de Zéralda, Boubsila, la 248

Montagne. Les forces spéciales de l’armée avaient effectué des opérations qualitatives dans la banlieue d’Alger, Zéralda Larbaa et les Eucalyptus. De notre côté, nous avions effectué des opérations ciblées notamment à BEO, Sidi El-kébir à Raïs Hamidou, à la forêt de Bainem, au Plateau, à Ain El-benian, mais aussi à Oued ouchayah et Blad El-Madani (au-dessus du tunnel), à la Prise d’eau, à El-Harrach, la rue d’El-Oued à Bel-air, et plusieurs autres opérations. Je ne peux clôturer ce chapitre sans parler de l’héroïsme de notre martyr K.M., cet héros avait écrit une page glorieuse de l’histoire de notre police dans un accrochage qu’on avait eu avec un groupe terroriste composé majoritairement d’éléments « afghans algériens » au cours d’une opération qui s’était passée à la cité des Palmiers qui donne directement au côté nord sur la petite forêt dite blad ElMadani au-dessus du tunnel de Oued Ouchayah. C’était une nuit glaciale, la pluie tombait rendant la visibilité quasi nulle et le terrain très accidenté. La cité des Palmiers était connue pour être très difficile d’accès même quand on intervient que pour les délits du droit commun ; quant à la petite forêt de blad El Madani elle était boueuse et très glissante et elle-même n’était qu’une pente, l’opération se poursuit jusqu’après-minuit, et K.M. commandait un petit groupe. Ils avaient pris position à la partie inférieure de la forêt de Blad ElMadani, mais quand l’affrontement s’était intensifié et vu le manque de visibilité et le temps pluvieux, K.M. s’était retrouvé isolé et détaché de son groupe. Bien qu’il soit doté d’un poste radio avec lequel il avait demandé de l’aide, en donnant sa position au-dessus du tunnel, son groupe, se trouvant de l’autre côté de la forêt, n’a pu arriver jusqu’à lui en raison de la férocité des combats, alors que les deux autres groupes étaient à l’intérieur de l’un des bâtiments de la cité. Un affrontement très violent, bien que le groupe terroriste était assiégé, il était aussi armé que nous, avec énormément de munitions et de grenades offensives. Le commissaire qui commandait l’opération avait ordonné à cinq d’entre nous de se retirer du combat et d’aller chercher le collègue. Cependant, l’obscurité intense et la férocité de 249

l’affrontement, cette nuit-là, avaient beaucoup entravé notre progression vers notre collègue. La salle des opérations avait alors dirigé le groupe de réserve en position devant le tunnel pour y monter et nous prêter main forte, mais les criminels nous avaient précédés et l’avaient assassiné ; il était alors âgé de vingt-huit ans, mais avant qu’il ne meure, il nous avait fait ses adieux par radio. Il nous avait dit qu’après quelques secondes, il lancerait le poste radio et son arme vide par-dessus le tunnel. Il nous avait vivement recommandé de continuer à nous battre pour l’Algérie et de prendre soin de son fils. Il avait conclu ses paroles en prononçant trois fois « vive l’Algérie » et en prononçant la prière avant de jeter sa dotation par-dessus le tunnel sur la route principale en contrebas comme il l’avait promis. Environ une heure plus tard, le groupe avait pu trouver le martyr au milieu de la forêt, et récupérer l’arme et la radio sur la route, que Dieu ait l’âme des Martyrs. Dans la capitale, il nous ne restait que la Casbah à nettoyer définitivement des groupes criminels qui avaient fait d’elle leur dernier rempart. Nous n’y rentrons qu’avec d’importants renforts, et c’est ce qui gênait beaucoup notre façon de procéder, car nous nous sommes habitués à travailler en petits groupes, légers mais rapides et très efficaces, avec peu d’équipement. On attaquait nos ennemis par surprise, de nuit comme de jour, notre première arme, était le renseignement précis et une confidentialité totale. Notre efficacité était surtout de travailler en groupe qui se complète mutuellement, la confiance entre nous était sans faille, chacun de nous connaissait bien l’autre, comment penser et quelle était sa réaction. On pouvait anticiper les mouvements de l’autre, comme si on communiquait par télépathe. Nous avons été courageux sans imprudence et forts sans violence. Nous nous réunissions avant et après chaque opération, pour étudier le plan de mise en œuvre de l’opération dans ses moindres détails, puis pour déterminer nos forces et nos faiblesses, où nous avons commis une erreur et où nous avons réussi, nous apprenions beaucoup de nos 250

erreurs, mais aussi des erreurs de nos ennemis. On frappait aussi sans aucune préparation si l’urgence de l’information l’exigeait, on exploitait souvent les renseignements que les terroristes arrêtés nous fournissent durant l’interrogatoire, sauf que les interpellés doivent être interrogés aussitôt arrêtés. Les informations obtenues devaient être rapidement exploitées avant que leurs partenaires n’aient eu connaissance de la nouvelle de leurs arrestations ; de nombreuses opérations réussies avaient été menées sur la base des informations que les interpellés avaient fournies, et contrairement à ce qui était une rumeur, ils avaient l’habitude de coopérer avec nous dès que le procureur les en informait qu’il prendrait en compte leur coopération lors de leur jugement. Même parfois, ils se concurrencent entre eux pour donner le plus d’informations, ils se portaient également souvent volontaires pour nous fournir des informations sur les factions rivales. Bien que nous ayons parfois effectué des petites opérations dans le quartier de la Casbah, de nuit comme de jour, les citoyens avaient été soumis à des représailles aveugles après notre départ. Les habitants vivaient dans une grande peur et panique. Une fois, nous avions encerclé un criminel dans l’une des maisons du vieux quartier, et avant que nous lancions l’assaut, il avait voulu mettre le feu à la maison dans laquelle il se cachait, pour qu’il puisse s’échapper. L’un de nous avait vu dans la cour de la maison voisine un tuyau d’arrosage, alors nous avons demandé aux gens de la maison de le connecter au robinet et de l’ouvrir, ainsi, nous avions circonscrit le feu et fini la mission. Après notre départ, cette nuit-là, nous avions appris que les criminels avaient assassiné une jeune fille de dix-sept ans, qui était la fille de cette famille à qui nous avions requis le tuyau pour éteindre le feu, et comme si la pauvre famille avait un autre choix que de se conformer à notre demande, il s’agissait avant tout, d’éteindre un feu qui se serait inévitablement répandu dans les maisons voisines, et quelle était la faute d’une adolescente ? Lors d’une autre mission, nous étions retournés du même côté après environ deux semaines, à seulement trois cents mètres environ de la 251

maison de la défunte où nous avions éliminé un groupe de six terroristes, parmi eux le macabre terroriste M.J, cette opération a été monté grâce à des informations fournies par nos responsables. Nous nous interrogions à l’époque sur la qualité et la quantité de renseignements que le commandement réussissait à nous fournir en peu de temps. Il nous avait fallu de nombreuses années pour savoir que les dirigeants de l’époque avaient décidé de ne pas procéder au dernier nettoyage de la Casbah avant de la vider de la plupart des groupes terroristes afin qu’aucun affrontement majeur ne se produise le jour de l’opération et écarter toute éventualité d’avoir des victimes parmi la population civile. Compte tenu de la nature architecturale de la Casbah, et pour atteindre cet objectif, le commandement avait décidé de maintenir le siège du quartier et de renforcer la surveillance déjà existante aux entrées et aux sorties de l’ancien quartier comme je l’avais déjà rapporté. Dans le plus grand secret, avec des collègues résidant à la Casbah, il avait été établi une liste nominale de jeunes de la casbah et après des enquêtes de terrain certains furent sélectionnés pour être contactés de diverses manières secrètes, ils étaient recrutés par la Sûreté nationale dans des grades en fonction du niveau d’instruction de chacun d’eux, conformément à la réglementation en vigueur sur le recrutement de l’époque. Chaque recrue avait été invitée de ne fournir aucun dossier administratif, de rester à l’intérieur de la Casbah et de collecter le plus d’informations possibles. Bien sûr, les collègues des renseignements avaient leurs propres méthodes pour prendre en charge les nouvelles recrues dans des circonstances exceptionnelles et aussi comment garder le contact avec elles en toute confidentialité et sans éveiller les soupçons. Ces recrues avaient joué un grand rôle en nous fournissant des informations précieuses nous permettant de neutraliser un grand nombre de criminels activant dans la Casbah, y compris le nommé : K.R., connu sous le sobriquet de « l’égorgeur » Ces policiers, n’étaient admis dans les écoles de police pour subir leur formation qu’après le nettoyage complet de notre chère Casbah, qui selon mes souvenirs 252

était le dernier quartier de la capitale sur lequel nous étendions à nouveau l’autorité de la loi. Et c’était la première opération antiterroriste de cette envergure à laquelle nous avions participé. Cette nuit-là, on nous avait demandé de dormir tôt pour partir en mission le matin sans que personne ne nous informe de la destination prévue, c’est tout à fait naturel, car l’information est donnée seulement lorsque nécessaire, ni avant ni après. Au petit matin, nous avons été transportés dans le quartier de Bab El-Jedid aux premières lueurs du jour, et là, on nous avait dit qu’aujourd’hui est le jour de la récupération complète de la Casbah. On nous informa « que durant la nuit les forces spéciales de l’armée avaient cerné tout le quartier, bouclé toutes les entrées et sorties et occupé toutes les terrasses. Notre rôle, à nous maintenant, est d’entrer à l’intérieur de la Casbah et de passer au peigne fin tous ses quartiers et ruelles, maison par maison, des centaines de nos collègues entreront à leur tour ». Chaque groupe s’était vu attribuer la porte par laquelle il devait accéder et le circuit à suivre. et c’est ainsi que d’autres groupes sont entré par Bab Azzoune Cadix (coté debbih chérif) ZoudjAyoune place des Martyres et square Port Saïd, des instructions nous avaient également été données sur la façon de travailler, de fouiller les maisons et de demander l’autorisation et de présenter des excuses aux occupants et de les remercier pour leur coopération. Sûrs de prendre toutes les précautions de sécurité habituelles à savoir, que si jamais il y avait un accrochage avec les criminels, il faudrait se contenter d’assiéger le lieu, empêcher leur fuite, d’informer instantanément la salle des opérations, et les forces spéciales s’occuperont d’eux après si c’est nécessaire. Il y avait une organisation parfaite, nous nous étions préparés à toutes les éventualités. En ce qui nous concernait, nous avions commencé notre travail de Bab El Jédid dans une ligne descendante vers BabAzzoun. Mon attention fut attirée par le grand nombre de collègues 253

que le commandement avait mobilisés pour cette opération ; nous allions de ruelle en ruelle et de maison en maison, j’avais été agréablement surpris par l’hospitalité des résidents, ils nous ouvraient volontiers la porte de leurs maisons, beaucoup d’entre eux avaient pleuré en nous voyant. Tout le monde nous suppliait de ne pas les abandonner de nouveau à leur sort. Il était évident que la population avait été opprimée par l’injustice des groupes terroristes, on leur avait promis de ne plus les laisser seuls et qu’on ne s’était pas donné toute cette peine pour repartir encore une fois, maintenant qu’on y est, on restera avec eux quitte à laisser nos vies et que les criminels doivent passer sur nos corps d’abord avant d’entrer à nouveau dans la Casbah. L’opération avait duré plus de dix heures, nos mouvements et les conversations entre nous avaient facilité la tâche. Les éléments des forces spéciales qui étaient sur les Terrasses étaient très disciplinés. Chaque fois que je levais mon regard vers eux, je les voyais immobiles, sur leur garde, tandis qu’un hélicoptère de l’armée n’a pas cessé de faire des tournées depuis le matin, et cela nous donnait une grande confiance, les éléments des forces spéciales étaient les premiers à entrer dans la Casbah et les derniers à en sortir, il n’y avait pas d’affrontements avec les criminels ce jour-là, mais le commandement avait, dans certaines maisons désignées à l’avance, fait cacher dans le plus grand secret des petits groupes de quatre à six policiers, je ne me souviens plus du nombre d’agents qui avaient été implantés ce jour-là à l’intérieur de la Casbah, nous n’avions pris connaissance de cette affaire que des années après, mais ce que je sais, c’est qu’à la tête de chaque groupe, il y avait un officier équipé d’un poste radio. Ce dernier avait auparavant reçu toutes les explications et instructions nécessaires pour la mission, et on lui avait demandé de garder le secret jusqu’au jour de l’exécution. Après la fin de l’opération, nous avons quitté la Casbah et sommes retournés à notre siège à l’instar du reste des autres forces participantes. 254

Dans la même nuit, avait commencé l’une des plus importantes opérations de la Capitale, c’était après minuit, en étroite coordination de la Salle des Opérations et sous le commandement d’un officier supérieur. Les différents groupes désignés durant le jour avaient encerclé quatre cachettes des groupes terroristes. D’importantes forces de divers services de sécurité, y compris nous-mêmes et les forces spéciales de l’armée, étaient entrées au milieu de la nuit dans la Casbah où après de violents affrontements, un nombre important de criminels furent neutralisés et d’autres arrêtés. C’était là, je crois, le résultat et le fruit apportés par les renseignements recueillis par les jeunes recrues habitant la Casbah avant qu’ils ne rejoignent les écoles de formation. Cela restera, sans doute, une action de renseignement sans précédent dans l’histoire contemporaine du monde du renseignement ; il témoignera pour toujours du génie algérien défiant la peur et la mort quand il s’agit de la patrie. Je me souviens d’un dicton qui était écrit en grandes lettres au champ d’entraînement de l’une des écoles de formation des forces spéciales de l’Armée Nationale Populaire : « Le brave meurt une fois et le lâche meurt cent fois ». Après le rétablissement du contrôle sécuritaire sur tous les quartiers de la capitale, nous avons pu reprendre l’initiative, car nous avions progressé plus rapidement malgré le maintien de tous les protocoles de sécurité dans notre mouvement et notre travail. Le peuple algérien et nous, commencions à croire que nous pouvions vraiment relever le défi et vaincre les forces du mal. L’Algérie, avec son peuple, son armée et son État, avait impressionné le monde entier, elle avait défié tout le monde en restant debout, blessée, mais debout, toute seule mais courageuse ; elle avait pu faire face à toutes les conspirations tissées contre elle. L’Algérie relevait les défis, l’un après l’autre, et à chaque fois elle en sortait victorieuse grâce à la volonté de son armée, de son peuple et de sa jeunesse. Parallèlement à tout cela, l’État avait annoncé la tenue d’élections présidentielles. Le président en poste Liamine Zéroual s’était porté candidat, et comme d’habitude, les groupes 255

terroristes s’étaient précipités pour publier des dizaines de communiqués pour menacer l’Etat et le peuple, de mettre le pays au feu et au sang. Ils avaient menacé de mort tous ceux qui décidaient d’aller voter. En vérité, le fait de prendre la décision d’organiser des élections dans les circonstances de l’époque, était un vrai défi, car si la situation dans les grandes villes était complètement maîtrisée, ce n’était pas le cas dans tous les villages et communes. Beaucoup de campagnes étaient encore le théâtre de nombreux affrontements entre l’armée et les criminels, ainsi qu’entre les factions criminelles elles-mêmes. Comme d’habitude, nous ne doutions pas de la capacité de l’armée et des services de sécurité à assurer le bon déroulement des élections, autant que nous craignions le taux de participation. Pour nous, la large participation du peuple était un autre aspect de soutien pour nous en plus des précédents, c’était une expression flagrante du rejet de tous les aspects de la violence et de la criminalité vers lesquelles les parties internes et extérieures avaient essayé de nous entraîner, et d’en faire un certain destin pour nous. Le jour tant attendu arriva enfin, l’armée et les autres services de sécurité, comme d’habitude, eurent une position héroïque. Notre armée avait assuré la sécurité de toute l’Algérie profonde ; tous les villages furent sécurisés. Aucun bureau de vote n’était fermé, ni changé d’emplacement, même dans le désert ou sur les hauteurs des montagnes. Tous les bureaux électoraux, aussi isolés soient-ils, fonctionnaient normalement et bénéficiaient d’une couverture sécuritaire complète. Nous étions remplis d’une joie indescriptible, l’Algérie avait posé la première pierre du retour à la légitimité constitutionnelle que le monde occidental chérissait et pour laquelle il faisait assiéger l’Algérie au niveau international, la joie que nous avons pleinement rempli notre devoir malgré les circonstances difficiles, la joie que l’armée a pu garantir une couverture sécuritaire. Sur plus de deux millions de kilomètres carrés, la joie que des dizaines de milliers de résistants armés par l’Etat se sont tenus côte à côte avec l’armée pour assurer le bon déroulement des élections, et ils n’ont pas changé de fusil d’épaule comme on dit. 256

Mais ce qui nous avait vraiment remonté le moral, c’était le taux de participation sans précédent. Des milliers et des milliers de jeunes, vieux, hommes et femmes faisaient la queue pour exprimer leurs voix et leurs positions au mépris de toutes les menaces des criminels. Dès que les résultats définitifs avaient été annoncés par la victoire du président Zéroual, les tirs des coups de feu avaient été entendus dans toute la Capitale ; il s’était avéré que les forces de sécurité tiraient des balles en l’air pour exprimer leur joie, non pas que le président Zeroual avait gagné les élections, car nous étions sûrs qu’il allait la gagner, nous tirions pour n’importe qui aurait remporté ces élections. Pour nous, ces élections furent la vraie victoire sur les terroristes, la participation du peuple avec une telle intensité fut pour nous le début de la fin pour les criminels.

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Paix. Paix. Paix Depuis le début de la crise, l’État algérien n’avait épargné aucun effort pour trouver une solution pacifique, il avait toujours gardé la porte ouverte à tous ceux qui voulaient se repentir et il y avait eu de nombreuses initiatives surtout à l’époque du président Zéroual. Ce dernier n’avait pas été découragé par le refus du dialogue de la part de Belazreg et de Muawiya, en posant des conditions irréalisables. Personne ne peut nier le rôle joué par le président Zéroual dans la fixation des règles et les premières bases des orientations de la politique du dialogue qui avaient accompagné la gestion par l’État des dossiers de la situation sécuritaire. Dans les étapes ultérieures, et eu égard à sa profonde conviction que l’affaire avait dépassé les chefs de la sédition, sa démarche était soutenue par tout le peuple algérien, toutes les couches et toutes les factions politico-sociales dont le seul souci était d’arrêter le bain de sang affectant toutes ses composantes. Dans sa démarche, le président s’était appuyé sur deux stratégies parallèles, la première était la création de groupes d’autodéfense pour combattre les groupes armés, et la seconde concernait la recherche d’une solution politique en promulguant la Loi de Clémence ou de Miséricorde (Qanun al-Rahma) qui a ouvert la voie à des centaines d’individus armés de se repentir et à déposer les armes. Le projet pacifique avançait en parallèle avec les victoires remportées par l’État sur le terrain. Pour ne pas nous mentir, ces gens-là n’avaient pas tendance à négocier quand ils se retrouvaient en position de force, mais seulement lorsqu’ils étaient affaiblis et à genoux. Lorsque le président Bouteflika est arrivé au pouvoir, le terrain était déjà prêt. Il

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avait proposé l’initiative de la Concorde civile (al-Wiam al-Madani) qui avait remporté l’approbation de la grande majorité des Algériens. Le 25 août 2003, Muawiya avait lancé un appel à ses partisans pour mettre fin à l’insurrection armée ; il avait quitté immédiatement après le pays de son plein gré pour l’Arabie Saoudite qu’il n’avait pas tardé à quitter pour rejoindre la Malaisie. Les autorités de cet Etat, à leur tour, l’avaient invité à partir, alors il avait opté pour l’émirat du Qatar. L’appel à la fin de l’insurrection n’avait été émis qu’après la défaite des groupes terroristes. Dix ans s’étaient écoulés, le pays nageait dans son sang et ses larmes, comptant les morts, les massacrés, les égorgés et les déracinés avant que cet appel présumé ne soit lancé. Trop tard. Les Algériens libres, tous les Algériens libres s’étaient mobilisés pour éteindre le feu de la sédition et avaient insisté pour que se rétablissent la sécurité et la stabilité dans le pays, ce qui avait ouvert la voie au nouveau président pour faire passer l’Algérie de la Concorde civile à une autre étape plus élevée et plus globale incarné dans la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Encore une fois, c’était une indication de l’acceptation de cet effort par la population, d’autant plus que tous les éléments pour le succès du projet de réconciliation nationale avaient été fournis sur la scène nationale. Le référendum de 2005 était venu confirmer que l’Etat algérien, avec toutes ses composantes, le peuple, l’armée, recherchaient tous la paix et la sécurité. Il n’était pas arrivé que l’armée soit opposée à un quelconque projet de réconciliation, que ce soit la Loi de miséricorde ou avant ou après. L’histoire gardera que toutes les initiatives prises par l’Etat pour épargner le sang des Algériens avaient été bénies par l’armée, et la seule condition qu’elle posait à chaque fois que ce devait être une initiative purement algérienne. Elle ne devait en aucun cas porter, ne serait-ce un brin de suspicion d’une intervention étrangère, ni de loin ni de près. L’État algérien et l’Armée nationale populaire étaient et ils sont toujours sensibles à tout ce qui est ingérence étrangère, conscients 260

que le salut de l’Algérie ne vient que des Algériens eux-mêmes, ma foi le temps a toute a fait donné raison à notre armée, et il n’y a qu’à voir pas très loin de chez nous comment l’ingérence étrangère n’a fait que perdurer la crise, et même le peuple algériens adhère complètement à ce principe. Au cours de ces années, j’ai souvent entendu tous sans exception répéter le dicton populaire : « L’étranger ne va pas te vouloir du bien ». Même le chercheur tunisien Riad AlSidawi, lorsqu’un journaliste lui avait demandé de parler du printemps arabe en Algérie, s’est excusé en disant que les Algériens sont parmi les peuples les plus sensibles au monde aux ingérences extérieures. Nous aussi en tant que personnel de sécurité de la base au sommet, nous avons soutenu et béni toutes les initiatives parce que nous avions toujours été convaincus que notre mission est avant tout d’exécuter les ordres, d’appliquer la loi et de faire en sorte qu’elle soit appliquée par tous, et ce n’est pas du tout notre mission d’aimer ou de haïr les lois. Nous ne faisons pas de distinction entre les textes de loi, et comme je l’ai dit depuis le début, notre ferme conviction est que cette guerre n’aurait pas dû exister du tout si… Il n’est pas nécessaire de parler longuement maintenant. Le plus important est que la Réconciliation nationale fut adoptée comme une charte contraignante, comportant des privilèges pour les terroristes pénitents. Un grand nombre de chefs de groupes terroristes armés ont bénéficié de cette loi, et sont devenus de fervents défenseurs de celle-ci, voire ont appelé leurs camarades d’armes à s’y engager. Nous avons commencé à voir nos ennemis d’hier se pavaner librement devant nous, ils affirmaient tous qu’ils n’étaient pas impliqués dans des crimes de sang, mais qu’ils étaient dans la cuisine ou pour apporter de l’eau et du bois de chauffage. Gloire à Dieu, avons-nous combattu les fantômes ? Mais croyez-moi, tout ce qui compte pour nous, c’est l’avenir de l’Algérie et rien d’autre, même si beaucoup avaient essayé de souffler sur les braises. On est même arrivé à mettre la main sur des brochures secrètes, dont les rédacteurs affirment avoir créé une association secrète pour venger les martyrs, 261

tuer les pénitents et leurs proches, attaquer les femmes voilées et les hommes barbus. Immédiatement après, des instructions claires et explicites ne comportant aucune ambiguïté : l’affaire doit être prise très au sérieux, il fallait combattre ceux qui étaient derrière avec la même détermination et la même force, sinon plus. Notre foi, notre patriotisme, notre discipline et notre formation avaient fait le reste, et avec l’aide de Dieu nous avons pu fermer la porte à toutes les tentatives de ce genre. En tant qu’hommes et femmes des services de sécurité, y compris les membres de l’armée, nous avions mené cette guerre qui nous avait été imposée afin de restaurer la sécurité et le réconfort au pays et au peuple, sans aucun but politique ou idéologique. Nous n’avions pas combattu l’islam et les musulmans, mais plutôt nous avions été les vrais musulmans. Nous avions combattu le crime et les criminels, mais tout en demeurant pacifistes. En vain, certains essayaient de nous faire ressentir un complexe de culpabilité, non, pardieu, nous n’avions fait que ce que nous avions à faire, nous n’avions aucun intérêt matériel ou financier ou quoi que ce soit d’autre. La clause suivante de la Charte de la réconciliation nationale l’exprime bien, elle se présente comme suit : — L’Algérie a survécu grâce au patriotisme et aux sacrifices des unités de l’Armée nationale populaire, des forces de sécurité et de l’ensemble des Patriotes qui ont su, patiemment et avec détermination, organiser la résistance de la nation face à cette agression criminelle, inhumaine. Le peuple algérien honore et honorera à jamais la mémoire de tous ceux qui ont consenti le sacrifice suprême pour que vive la République algérienne démocratique et populaire. Il demeurera aux côtés des familles des martyrs du devoir national et des familles des victimes du terrorisme, parce que leurs sacrifices sont dignes des valeurs de la société algérienne. L’Etat n’épargnera aucun effort, moral et matériel, pour que ces familles et leurs ayant droit continuent de faire

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l’objet de sa considération, de son hommage et d’un soutien à la mesure des sacrifices consentis. Le peuple algérien est et restera indivisible. C’est le terrorisme qui a ciblé les biens et les personnes, qui a fait perdre au pays une partie inestimable de ses richesses humaines et matérielles et qui a terni son image sur le plan international. En ratifiant cette charte en toute souveraineté, le peuple algérien affirme qu’il n’autorise personne, en Algérie ou ailleurs, à invoquer les blessures de la tragédie nationale avec l’intention de saper les Institutions de la République algérienne démocratique et populaire, de déstabiliser les fondements de l’État, de stigmatiser l’honneur de tous ses agents sincères à son service, ou de ternir l’image de l’Algérie au niveau international.

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Entre vous et moi Chers lecteurs, entre vous et moi, je ne parle pas des chefs de la sédition, je me suis interdit de prononcer ou d’écrire leur nom, et de leur adresser la parole même par un intermédiaire, oui, nous avons voté pour la réconciliation nationale comme le reste du peuple algérien. Nous avons veillé à ce que la loi soit appliquée et nous l’avons exécutée nous-mêmes à la lettre ; la paix et la sécurité prévalent dans tout le pays par Dieu et louange à Dieu, mais en ce qui concerne nos sentiments, nous n’avons pas de contrôle dessus, nous ne sommes que des humains. Un dicton populaire dit : « On a demandé à un orphelin de choisir entre sa mère et sa belle-mère, le pauvre a répondu, je choisis ma belle-mère et ce qui est dans mon cœur y restera ». Et je crois que c’est notre cas à nous, car il est déraisonnable de nous demander d’avoir de la compassion ou même du respect pour ceux qui avaient causé l’anéantissement de nos familles et le meurtre de nos collègues et amis, nos élites, nos journalistes, nos artistes et notre peuple sans différencier en cela entre ceux qui étaient armés et ceux qui ne l’étaient pas, entre les hommes et les femmes, entre les vieux et les jeunes. Il n’est pas raisonnable de nous demander d’aimer ceux qui étaient à l’origine de l’assassinat et du massacre de tout ce nombre d’hommes et de femmes algériens, l’extermination des villages entiers, qui avaient conduit des dizaines de milliers de jeunes hommes dans les montagnes pour un prétendu jihad contre leurs propres compatriotes afin d’accéder au pouvoir. Je tiens personnellement pour responsables, non pas ces jeunes trompés, pour ceux-là et en ce qui me concerne personnellement, je leur ai pardonné devant Dieu et devant les hommes. Je parle plutôt des chefs de sédition, de ceux

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qui avaient réveillé la sédition et refusé d’éteindre son feu. Personnellement, ce dossier restera ouvert au fond de moi jusqu’au Jour de la Résurrection, où nous et les martyrs demanderons inévitablement à Allah notre Créateur, le châtiment des chefs de la sédition, mais tant que nous sommes de ce monde et si nous sommes vraiment fidèles aux martyrs, nous devons tous travailler pour déraciner la sédition de ses profondeurs, car une personne avisée ne doit jamais se faire mordre deux fois par le même scorpion. Je ne dis pas cela pour exiger des sanctions pénales ou autres, car cet aspect a été tranché par le peuple en votant pour la réconciliation, et Dieu départagera tous ses sujets le jour de la résurrection. Je vous demande la permission que je puisse m’adresser à vous et pas à d’autres ; peutêtre que si nous nous entraidons tous, les uns et les autres et avec l’aide de Dieu, nous pourrons en tirer des leçons pour les générations futures. Comme commandé par le Seigneur à ses serviteurs, dans de nombreux versets, car la réflexion et la pensée sont avant tout une question divine. À mon avis, pour atteindre ce noble objectif, nous devons d’abord documenter les événements, en particulier de la part des agents de l’État. J’ai lu de nombreux écrits qui défendent les forces du mal et des ténèbres, et très peu de ceux qui défendent la vérité, même si, ni nous, ni l’armée nationale, n’avons besoin d’être défendus, car tout le monde connaît parfaitement l’armée et la police algérienne, il connaît ses racines, mais cela ne nous empêche pas du tout de documenter et de témoigner. L’Histoire est malheureusement souvent détournée et falsifiée, les historiens et les spécialistes doivent assumer leur part de responsabilité de même que les sociologues, les religieux, les philosophes, les économistes, le personnel de sécurité, militaires et autres. Il doit y avoir une discussion approfondie, dans laquelle nous, les professionnels de tous les services, et tous les citoyens ayant vécu cette tragédie, participons en tant que témoins oculaires, pour étudier les conditions ayant provoqué le réveil de la sédition endormie, les causes, les malheurs et la détermination de la responsabilité et éduquer la jeune génération en la sensibilisant pour 266

évaluer à sa juste valeur l’aggravation de ce qui s’était passé en Algérie, et que cela n’était jamais un destin inévitable, mais plutôt une malice et une intrigue d’êtres humains. Chacun doit être conscient de la profondeur du mal causé par la tragédie, mais surtout mettre fin à la sédition dans notre pays une fois pour toutes, et faire tout ce qui doit être fait pour que plus jamais les générations futures ne vivent une situation pareille, que Dieu nous en préserve. La protection de la génération montante est la priorité de l’Algérie et elle le restera, que ce soit en promulguant des lois ou en établissant de nouvelles politiques ou autres, le dicton : « Mieux vaut prévenir que guérir » est valable en tout temps et en tout lieu ; tout le monde doit participer à la mise en place des garde-fous garantissant la stabilité de la société, car la loi n’obtient son respect et son autorité qu’avec la participation de chacun à son application. Si la loi perd le respect du citoyen alors toute la police du monde ne pourrait arrêter le désir de l’enfreindre et de la contourner. Nous devons enseigner à nos enfants que Dieu nous a donné l’intellect pour examiner à travers lui toutes les données et les nouvelles qui nous sont transmises, plus jamais nos jeunes ne seront des cloaques qui avalent tout ce qu’on leur dit sans tamisage et sans filtrage. Jeunes d’Algérie, protégez-vous et protégez vos enfants des charlatans des temps modernes, protégez-les des aventuriers qui n’hésitent pas à miser sur la vie des gens, protégez-les des hachachines du XXIe siècle. À mon avis, la première chose pour laquelle Muawiya et Belazreg auraient dû être jugés, c’était l’incitation des mineurs à l’assassinat et à d’autres infractions répréhensibles. Les Algériens n’avaient jamais imaginé qu’ils devraient empêcher leurs enfants de fréquenter les maisons de Dieu afin de les protéger. Ô, jeunes d’Algérie, protégez les maisons de Dieu des ennemis de Dieu, ne laissez pas le premier venu monter la chaire de la mosquée, méfiez-vous des semi-instruits, ne donnez jamais de chèque à blanc à quiconque quand il s’agit de votre foi, de votre pays, de votre vie, et de votre honneur ; ne détruisez pas vos maisons avec vos propres mains, faites gaffe à l’héritage des martyrs. Jeunes ! 267

Rappelez-vous toujours que vous êtes les héritiers de la plus grande révolution de l’histoire. Apprenez par cœur la lettre de Hassiba, allez en pèlerinage à la maison de l’icône Djamila tant qu’elle est avec nous, et lisez son histoire si elle vient de nous quitter. Souvenez-vous de la tête de Zabana et de la torture de Ben M’hidi. Sachez que l’œil de vos ennemis ne se ferme guère, il vous guette jour et nuit, querellez-vous entre vous comme vous voulez si ça vous chante, mais pour l’amour de Dieu n’acceptez jamais, jamais que ces querelles engendrent l’écoulement du sang, votre sang. C’était ça les dernières orientations de notre prophète à l’occasion de son dernier pèlerinage. Souvenezvous que vos ancêtres n’avaient pas franchi ce pas malgré tous les complots du colonialisme. Je dis cela parce que, franchement, bien que l’Algérie est maintenant solide plus que jamais, je ressens comme une épine dans la gorge à chaque fois que je vois certains prendre encore la défense des criminels et essayer de les innocenter de leurs crimes, bien qu’eux même n’avaient jamais nié ou condamné le recours à la violence dans leur pays, et même si ces mêmes personnes ne nient pas leur responsabilité, mais plutôt leur soutien sans réserve à ce qui s’est passé, Ils ne montrent aucun remords ni aucun regret pour tout ce qu’ils ont fait. Belazreg n’a-t-il pas déclaré récemment qu’il était naturel que les victimes tombent en cas de différend entre les gouverneurs et les gouvernés ? Par Dieu, cette déclaration peut-elle venir vraiment d’une personne raisonnable, une personne qui réclame toujours la présidence de l’Algérie ? Non, par Dieu, il n’est jamais normal et il ne le sera jamais lorsqu’un Algérien meurt des mains d’un autre Algérien. Par Dieu, il n’est jamais normal que des dizaines de milliers d’Algériens tombent dans des combats entre eux pour que cette personne et ses semblables occupent le siège du pouvoir, qu’il y ait des milliers d’orphelins et de déplacés juste pour satisfaire les caprices d’une bande de fous assassins qui n’avaient pas hésité à appeler depuis les minarets des mosquées au jihad, qui depuis des années organisent des rassemblements regroupant des milliers de personnes au cours desquels ils les encouragent et les poussent à 268

marcher sur la voie de la violence aveugle et accepter l’idée du Jihad d’un frère contre son frère et le père contre son fils ; ils leur avaient appris à détruire leur pays au lieu de le construire, demandez-leur s’il vous plaît ce qui leur était arrivé ? Comment arrivent-ils à trouver le sommeil ? A ceux qui leur ont demandé d’appeler à l’arrêt de la violence, ils avaient répondu que ce n’était pas leur mission ! Ah oui, allumer le feu, c’était votre mission, mais pour l’éteindre ils s’en lavaient les mains, et bizarrement, ils continuent à parler des choses bidon et sans intérêt comme si de rien n’était. Et si, à un taux d’un sur cent, le miséricordieux les rend responsables de toutes les victimes ? Ont-ils pris une alliance avec Dieu ? Par Dieu, si j’étais à leur place, je me réfugiais dans les cavernes, pour le restant de mes jours et je ne me lasserais pas de demander pardon au Créateur. Ce qu’ils avaient fait n’est pas anodin, et ils étaient censés connaître ça mieux que nous, et s’ils vous répondent que leur but était de faire régner la Charia, ne les croyez surtout pas. L’Algérie a toujours été gouvernée conformément à l’esprit de l’Islam, progressivement oui comme toutes les autres nations musulmanes, c’est normal, toute la nation venait de sortir d’une très longue ère de colonialisme. N’auraient-ils pas pu contribuer à la réalisation de ce projet au lieu d’allumer le feu de la guerre ? Le martyr Mohamed Bouslimani n’avait-il pas appelé à appliquer progressivement la Charia et à combattre les gens avec de l’amour ? (Salim Qalalah, Différend ou différence) Mais au lieu d’adhérer à ses idées, ils l’avaient égorgé parce qu’il avait refusé, contrairement à beaucoup d’autres, d’émettre une fatwa autorisant le djihad. Est-ce que la Charia se résume simplement à fouetter le fornicateur et à couper la main du voleur ? Où est passée donc la philosophie de l’islam ? Son âme ? Sa sagesse ? Demandez-leur de nous expliquer comment ils comptaient régner sur un pays-continent comme l’Algérie, eux qui s’étaient battus entre eux avant même d’atteindre le sommet du pouvoir. Lisez les confessions des nommés M.M.et A.A., et c’est sur le réseau, vous vous assurerez que ces gens s’étaient battus entre eux plus qu’ils avaient combattu le pouvoir. Oui, un grand conflit avait éclaté entre Muawiya et Belazreg d’un côté et des 269

chefs de groupes armés de l’autre pour le contrôle de la soi-disant armée, ce qui avait donné beaucoup de divergences, de conspirations, et d’intrigues au sommet du groupe de la sédition, et un nombre très important de victimes au sein des différentes factions terroristes. Et bien sûr on accuse l’état après dans le dossier des disparus, sachant que tous les terroristes dès qu’ils montent au maquis ils se débarrassent de leurs pièces d’identités. Pour l’amour de Dieu, ne leur permettez pas de se comparer aux agents de l’Etat et à ses institutions, comme ils avaient l’habitude de le faire, nous sommes des fonctionnaires de l’Etat, nous sommes dotés d’armes de service conformément aux lois de la République, nous sommes chargés de la sécurité des personnes et des biens, d’assurer la tranquillité et la salubrité publique, et si jamais nous avions failli à notre mission, que Dieu nous en préserve, l’histoire n’aurait pas fait de différence entre nous et ces criminels. Il ne fait aucun doute qu’ils ne manqueront pas l’occasion de vous parler de la corruption qui existait dans le pays. Mais tout est relatif dans la vie. Si vous comparez l’Algérie à la Suède, alors nous sommes inévitablement embourbés dans la corruption, et si vous la comparez au Nigéria, faites l’analyse vous-même, et personne n’avait jamais dit que nous vivons dans La République de Platon. Un esprit sain veut que lutter contre la corruption ne signifie pas brûler le pays. Éradiquer le mal ne nécessite pas d’égorger les humains, le messager de Dieu que la paix soit sur lui, avait-il brûlé la Mecque et fait exécuter ses habitants afin de répandre son message ? Ces gens, avaient-ils entendu parler de Mandela, Gandhi et autres, sachant que ces leaders, même s’ils s’étaient battus contre des envahisseurs étrangers, leur lutte restait pacifique. Mais si après tout ce que je viens de dire, ils continuent à nier leur soutien indéfectible aux criminels, demandez-leur pourquoi ils ne s’absolvent pas publiquement de toutes les formes de violence. S’ils nient leurs récentes déclarations selon lesquelles il est tout à fait 270

normal qu’il y ait des victimes pour régler les différends politiques alors pourquoi ils ne démentent pas ? Par Dieu, comment se permettent-ils toujours de parler de banalités comme le problème des coupures de l’électricité et de la circulation à Alger, eux qui avaient massacré et tué des enfants et des femmes, mis le feu au pays, puis avaient refusé même de participer à son extinction ? Ayez pitié des familles des victimes, demandez-leur de nous cacher leurs visages et de se tenir à distance des médias sociaux et de tous les moyens de communication. Louange à Dieu qui ne ferme pas une seule porte sans en ouvrir une dizaine comme le disent nos pères. Que Dieu soit loué qu’il y ait de vrais hommes et érudits dans notre pays respectueux de la sainteté du sang humain. Le grand cheikh Hachemi Sahnouni n’avait jamais été pris par « fierté du péché », il n’avait pas hésité dès le début à dénoncer les chefs de la sédition dès qu’ils avaient montré leurs mauvais visages. Être un membre-fondateur du parti et l’un des piliers de l’enseignement religieux en Algérie ne l’avait pas empêché de ne ménager aucun effort malgré son âge et sa maladie afin d’œuvrer pour la sécurité et la sûreté.

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Entre-moi et mes collègues Avant de disparaître derrière le rideau pour toujours, permettezmoi d’adresser ces derniers mots du fond du cœur à mes frères encore en activité et à mes enfants en formation dans les écoles de police. — Ce que fait un policier est une mission universelle et pas seulement un travail ; le message que vous portez est une grande responsabilité ; vous êtes l’incarnation vivante du pouvoir de la société indispensable pour se défendre contre ceux qui altèrent sa sécurité et les scrutateurs du comportement public, vous représentez l’organe chargé de la noble mission de protéger la société et son identité. La police ne pourrait assumer correctement cette responsabilité sans la coopération de tous… Et si l’amélioration du niveau de performance de la sécurité est nécessaire, l’attention portée à la réputation de la police est plus que nécessaire et plus importante, car la police est la vitrine de l’État par excellence. Nous espérons que la police gagnera la confiance et le respect du public et qu’elle pourra le faire grâce à la coordination de ses performances, sa discipline, son prestige et sa bonne réputation. Pardessus tout, vous devez vous considérer comme des serviteurs du peuple et écouter attentivement ceux qui vous demandent de l’aide ; votre devise à vous est l’abnégation et le sacrifice, vous faites un métier pas comme les autres ; vous occupez le terrain quand tout le monde le déserte ; vous avancez quand tout le monde recule, vous exercez un métier qui est un métier à risques, tous les risques, un métier à problèmes tous les problèmes. N’attendez les remerciements de personne sauf de Dieu, ne faites pas attention à l’ingratitude des gens, c’est l’une des caractéristiques de notre métier partout dans le monde, adoptez une conduite dans votre vie privée et publique qui incite les gens à vous regarder comme un exemple de stabilité, de sincérité et de droiture, 273

d’être un exemple à suivre, et de faire un double effort pour vous éloigner des lieux de suspicion et de dérapage. Vous devez la dévotion à Dieu et à la patrie, vous devez sanctifier la profession et les ordres, sanctifier les ordres, et sanctifier les ordres, ayez pour religion de toujours les exécuter sans discuter de la nature de ces ordres, n’apprenez votre religion que de la bouche des savants de votre nation. Gardez à l’esprit que vous appartenez à une Institution importante et honorable, alors soyez fiers de votre appartenance. Donnez beaucoup de considération à l’entraînement avec tous ses aspects techniques et spécialisés qui vous seront utiles dans votre travail, en plus de l’entraînement au tir, aux arts martiaux, la condition physique et aux relations publiques qui augmentent la confiance et l’estime de soi, ne jamais refuser d’apporter de l’aide à autrui. Agissez toujours fermement et avec calme, soyez forts sans violence, courageux sans imprudence, miséricordieux sans faiblesse. Prenez le contrôle de vos émotions et de vos sentiments, peu importe ce à quoi vous vous opposez, rappelez-vous toujours qu’en plus d’être des hommes de loi, vous êtes des Algériens, Que Dieu vous aide et guide vos pas.

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Entre moi et ma fille Ma plus jeune fille, qui est chez les scouts, m’a dit : Papa, que penses-tu du Hirak que connaît notre pays ces jours-ci ? » Je suis resté silencieux, et je ne lui ai pas répondu, mais quand je me suis réveillé le lendemain matin, je lui ai remis ma réponse écrite comme suit : Si le chemin est encore long et que mon seigneur m’appelle Fais-moi serment, ma fille, que tu continues la lutte. Aux dernières volontés de Hassiba et d’Ourida, tu t’accroches, Algérienne, tu es Algérienne, tu resteras, tu ne t’inclines point ni à l’orient ni à l’occident. Ni régionalisme ni nervosité, telle est ta ligne, Pacifiste, pacifiste, maintenir le cap pour l’amour du Seigneur, ma fille fais moi serment. Ma fille n’a pas été surprise par ces lignes, car j’ai l’habitude de traiter avec elle par écrit, mais celui qui a été surpris, c’est plutôt moi, car il n’est pas dans ses habitudes de traiter avec moi de la même façon, mais cette fois-ci, j’ai trouvé sur mon bureau un bout de papier sur lequel elle a écrit : Je te promets mon père. Ourida et Hassiba sont mes idéaux. Et toutes les martyres sont mes mères. Les Djamilates sont mes symboles et toutes les moudjahidates sont dans mon cœur. Ton combat, mon père, est mon cheval que je chevauche, l’amour de l’Algérie est mon combustible. Algérienne véritable et authentique

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Combattante et militante toute ma vie, tel est mon destin, Pacifiste, Pacifiste, c’est ma démarche, Au nom du sang des martyrs, c’est mon serment, Avec l’aide du Seigneur, je te promets mon père.

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Le temps de la conscience Et maintenant ? Que puis-je ajouter ? Je vous ai raconté à peu près tout ce que j’ai vécu pendant la moitié de ma vie professionnelle, ni moi ni personne parmi mes collègues n’aurions voulu que ce soit ainsi, mais c’est la volonté de Dieu et il fallait bien que des Algériens fassent le travail. Le Seigneur nous a choisis pour cela et nous avons fidèlement accompli notre mission, au prix que certains d’entre nous ont laissé la vie, d’autres sont restés souffrants de divers handicaps permanents dus aux amputations d’organes et à la perte des sens, et d’autres souffrent de plusieurs maladies chroniques. Nous avons tous été tourmentés par des images terribles que nous avons vues et des situations terribles et tristes que nous avons vécues, des souvenirs d’amis que nous avons laissés au milieu du chemin. Des images de corps déchiquetés que nous avons ramassés lambeaux par lambeaux, des têtes humaines dont on ignorait l’identité, des corps humains égorgés comme des chèvres, scènes de mères pleurant la perte pour toujours de leurs progénitures, des veuves faisant ses adieux aux amours de leurs vies, dont certains n’ont duré que quelques mois voir quelques jours, d’enfants plaisantant et riant avec les corps de leurs pères étendus et sans vie. Et de nombreuses atrocités, malheurs et tragédies, dont j’ai préféré vous épargner la lecture afin de ne pas vous choquer et de choquer la génération montante, tout cela est enfoui profondément dans notre conscience et a conduit beaucoup d’entre nous à la folie. Maintenant, tout ce que nous demandons à Dieu est de quitter ce bas monde avec nos facultés mentales, nous ne voulons pas de récompense ou de gratitude, même si nous souffrions et souffrons encore comme le reste de la population algérienne, la difficulté de vivre, étant donné pour les bas salaires que nous

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recevons et tout le monde sait quelque chose sur les salaires de la fonction publique, sauf que nos parents nous ont appris que se plaindre à quelqu’un d’autre que Dieu est humiliant. Celui qui travaille pour le pays ne doit pas présenter de facture, sinon quelle serait alors la demande des moudjahidines ou même les pieux martyrs. Je dis seulement que Dieu protège l’Algérie. Rien n’est chèrement payé quand il s’agit de notre mère l’Algérie, et tout ce qu’on avait vécu ou donné pour elle est nul et non avenu et prétendre le contraire de cela est une insulte pour les martyrs et les moudjahidines et les moudjahidates. Ce que j’ai écrit n’est pas pour dire que nous avons sauvé l’Algérie. Par Dieu, ma conviction est profonde qu’avec ou sans nous, l’Algérie vivra éternellement, que ça déplaise à ses ennemis, comme un aigle au sommet des montagnes. Dans tous les cas, le sang de ses martyrs aura bien l’intercession pour elle devant Dieu pour la garder intacte jusqu’à la fin des temps. L’Algérie est le don des martyrs et jusqu’à récemment, l’Algérien quand il vous parle de choses graves, il jure avec le sang des martyrs. L’Algérie peut tournoyer, mais elle ne tombera jamais, peut tomber malade, mais elle ne mourra jamais, avec l’aide de Dieu. Je me souviens que dans les années 1980, l’emblématique moudjahida Bouhired, que Dieu prolonge sa vie, avec tout son passé révolutionnaire, et au cours d’un entretien de presse avec un journaliste d’un magazine libanais que je pense être « El Moustakbal » ou « Koul al arab », le journaliste lui avait demandé si elle ne ressentait pas de l’ingratitude de la part de l’Etat Algérien vu qu’aucune école ou ruelle ou autre ne porte son nom, elle l’héroïne mondialement connue ? Savez-vous quelle était la réponse de l’icône ? Diplômée de l’Université de la Bataille d’Alger ? Savez-vous quelle était la réponse de celle que la France avait enlevée, et pour laquelle de nombreuses manifestations avaient eu lieu dans les grandes capitales du monde ? Jusqu’à ce que la France soit finalement forcée d’admettre qu’elle était en prison où elle avait été soumise aux 278

formes les plus horribles de torture ? Ses tortionnaires avaient même usé de son corps pour y éteindre leurs cigarettes. Elle avait répondu avec la spontanéité des enfants, l’innocence des anges et la sagesse des révolutionnaires : – « Je n’ai rien offert à l’Algérie et qui mérite d’être honorée, car l’honneur est pour les seuls martyrs et non pas pour les autres ». Plus rien à écrire, plus rien à dire, plus rien à ajouter, stylos séchés et journaux pliés. Paix, paix et paix. Alger, samedi 23 mai 2020 Une heure quarante-cinq du matin. Au plus fort du confinement sanitaire, et que Dieu lève l’épidémie de Corona pour toute l’humanité. Amine. Amine. Amine.

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Références bibliographiques — LièsBoukraa, La sainte horreur — Ahmed Marani – Sédition — Salim Kalala, Différend ou différence — Achoui Mustafa, L’école algérienne vers où ? — Abbas M. Al-Aqqad, Philosophie coranique — Mohammad El-Ashmawi – L’islam politique — Hmida Ayachy, Les islamistes algériens entre pouvoir et balles — Seirin Laya, Les islamistes algériens entre Urnes et jungle — Borhane Gallium, Le sort de la culture arabe entre salafisme et dépendance.

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Table des matières Chapitre 1 – Mémoire de la patrie ............................................

7

Chapitre 2 – Passion et profession............................................

17

Chapitre 3 – Le choc ...................................................................

23

Chapitre 4 – Les prémices de la sédition..................................

45

Chapitre 5 – Misère et poison ...................................................

53

Chapitre 6 – Avancer en arrière ................................................

65

Chapitre 7 – Par ces temps de folie ...........................................

75

Chapitre 8 – Le temps de l’apostasie ........................................

89

Chapitre 9 – Le temps des déboires ..........................................

97

Chapitre 10 – Les hérétiques sur terre......................................

103

Chapitre 11 – Le soleil et le tamis .............................................

141

Chapitre 12 – La Prière et le sang .............................................

153

Chapitre 13 – Silence, on meurt ................................................

165

Chapitre 14 – L’IMAM ...............................................................

209

Chapitre 15 – Qui se moque de qui ? .......................................

217

Chapitre 16 – Que la lumière jaillisse .......................................

233

Chapitre 17 – Le commencement de la fin ..............................

247

Chapitre 18 – Paix. Paix. Paix....................................................

259

Chapitre 19 – Entre vous et moi ...............................................

265

Chapitre 20 – Entre-moi et mes collègues ...............................

273

283

Chapitre 21 – Entre moi et ma fille ..........................................

275

Chapitre 22 – Le temps de la conscience .................................

277

Chapitre 23 – Références bibliographiques ............................

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