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GIORNALE ITALIANODI FILOLOGIA
BIBLIOTHECA 30
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La Vie d’Auguste de Nicolas de Damas
Christophe Burgeon
© 2022, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium.
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D/2022/0095/85 ISBN 978-2-503-60047-5 E-ISBN 978-2-503-60048-2 DOI 10.1484/M.GIFBIB-EB.5.129563 ISSN 2565-8204 E-ISSN 2565-9537 Printed in the EU on acid-free paper.
TABLE DES MATIÈRES
TABLE DES MATIÈRES
Introduction 7 PARTIE I
LA VIE D’AUGUSTE DE NICOLAS DE DAMAS 15
Biographie de Nicolas de Damas 15 Le titre exact de l’œuvre et les objectifs de sa rédaction 29 La période de rédaction de la biographie d’Auguste 33 Contenu de la biographie d’Auguste 41 Les modèles littéraires et les sources de Nicolas 47 Les Mémoires d’Auguste 48 L’influence des Mémoires d’Auguste dans la section A de la Vie d’Auguste 53 L’influence des Mémoires d’Auguste dans la section C de la Vie d’Auguste 55 L’influence des Mémoires d’Auguste dans la section B de la Vie d’Auguste 59 Les auteurs s’étant inspirés de près ou de loin de la Vie d’Auguste de Nicolas 75 Conclusion 81 PARTIE II
OCTAVE/OCTAVIEN SELON LA VIE D’AUGUSTE DE NICOLAS DE DAMAS 85
L’ascendance et la jeunesse d’Auguste 85 L’éducation d’Octave 90 La personnalité d’Octave 97 5
TABLE DES MATIÈRES
Octave et César 102 La mort de César 112 Q uand Octave devint Octavien 123 Octavien et Cicéron 133 Octavien et Marc Antoine 138 Conclusion 148 CONCLUSION GÉNÉRALE 151 BIBLIOGRAPHIE 155 INDICES
Index des sources 169 Index général 177
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INTRODUCTION
Né en 64 avant J.-C. au sein d’une famille appartenant à l’élite aristocratique de Damas, Nicolas fut un polygraphe renommé. Sa carrière publique exercée sous les règnes d’Auguste et d’Hérode fut remarquée1. Les préceptes qu’il transmit en tant qu’enseignant et auteur à ses étudiants et à son lectorat étaient destinés tant à stimuler leur curiosité et leur intérêt pour les arts, les lettres, l’histoire et la philosophie, qu’à garantir leur respect des valeurs des Anciens. Démontrer la complexité de l’existence et tirer des leçons du passé constituaient donc, comme pour nombre de ses pairs historiens, les leitmotivs de Nicolas. Au demeurant, on lui reconnaît le mérite d’avoir su peindre une fresque mettant en exergue les premières actions d’Octave/Octavien. La partie sauvegardée de l’œuvre de Nicolas, mal connue, se compose des Histoires2, d’une étude ethnographique intitulée Schwentzel 2011 ; Id. 2013, 117-139 ; Hadas-Lebel 2017. Cent quarante-trois fragments ont été conservés des Histoires (titre notamment donné par l’Autobiographie (F 135), la Souda (T 1) et Flavius Josèphe (T 12)) dans le corpus de F. Jacoby. Cette œuvre, composée de cent quarante-quatre livres (T 11), relatait l’évolution des empires orientaux mésopotamiens, puis perses, avant de raconter l’histoire du monde grec depuis la guerre de Troie. La dernière référence précise renvoie aux livres 123 et 124 pour des faits remontant au règne d’Hérode en 14 avant J.-C., il y a lieu de croire que les livres suivants traitaient des dernières années du règne d’Hérode. Nicolas n’y fit œuvre que de compilateur, comme le déplore R. Laqueur (1936, col. 362-424). Par ailleurs, ses thèmes de prédilection étaient la dépravation sexuelle, le complot politique, le suicide, l’immoralité et les crimes (assassinat, inceste, parricide, fratricide, anthropophagie…). Il affectionnait tout particulièrement les anecdotes. Ses principales sources furent Hérodote, Ctésias, Xanthos, Polybe, Poseidonios et César. Shahin 2010 ; Biltcliffe 1969, 85-93 ; Toher 1989, 159-172. 1 2
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LA VIE D’AUGUSTE DE NICOLAS DE DAMAS
Recueil de coutumes3, d’une Autobiographie4 et d’une Vie d’Auguste. Ce dernier ouvrage est le plus ancien compte rendu détaillé conservé non seulement du meurtre de César, mais aussi des dixneuf premières années de la vie d’Octave/Octavien. La première partie, qui suit une brève introduction encomiastique5, est consacrée à la jeunesse et à l’éducation d’Octave6, puis à sa réaction à l’annonce de l’assassinat de son grand-oncle7. La deuxième partie constitue un excursus détaillé de cet épisode8. Enfin, la troisième relate la conduite d’Octave/Octavien à la suite des Ides de mars jusqu’au début du conflit qui l’opposa à Marc Antoine9 ; le récit s’interrompt en novembre 44 avant J.-C. Telle qu’éditée notamment par F. Jacoby10, la biographie d’Auguste est pour le moins lacunaire : elle ne comporte que 976 lignes. Les fragments 125129 sont contenus dans le Codex Peirescianus, et le fragment 130, le plus long puisqu’il constitue, à lui seul, environ 70% de la fraction conservée de l’ouvrage, dans le Codex Escurialensis ; les deux textes font partie des Excerpta Historica, commandés par Constantin VII Porphyrogénète durant la première moitié du xe siècle. La notion complexe de « Βίος » marque avant tout le mode de vie d’un individu. Il s’agit d’un concept historico-philosophique relevant du domaine moral, devenu un genre littéraire grâce au courant péripatéticien. Platon y accorda une importance 3 Cette œuvre ethnographique ne subsiste que sous la forme de citations éparses dans l’œuvre de Stobée (Anthologie, 4, 2, 25 ; 3, 1, 200 ; 5, 14-16 ; 38-39 ; 49 ; 69 ; 37a et b ; 3, 38, 52 ; 4, 13, 39-40 ; 52, 44 ; 55, 12-18), qui n’est pourtant pas un ethnographe. Nicolas centre son propos sur la moralité (vertu, sagesse, courage, justice, bonté…), ainsi que sur l’opposition entre la vie et la mort. Curnis 2006, 41-74 ; Lenfant 2000, 293-318. 4 Il en subsiste de nombreux fragments dont l’édition de référence est celle des FGrH IIA 90, 324-430 ; IIC, 229-291. Trois domaines de la vie de Nicolas y sont évoqués : le cadre familial et son éducation à Damas (F 131-133), son activité politique et diplomatique à la cour d’Hérode (F 134-136) et sa conception de l’existence selon les préceptes péripatéticiens (F 137-139). La Vita de Flavius Josèphe suit le même schéma. Stern 2010, 63-93. 5 F 125 (1) ; F 126 (2). 6 F 126 (3) ; F 127 (4-27) ; F 128 (28-35 ; F 129 (36). 7 F 130 (37-57). 8 F 130 (58-106). 9 F 130 (107-139). 10 FGrH IIA, 391-420.
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INTRODUCTION
toute spéciale11. Cornelius Nepos12 et Plutarque13 soulignent que le biographe différait de l’historien stricto sensu par le fait qu’il n’était pas tant concerné par « l’homme extérieur » et les batailles qu’il aurait pu livrer, que par sa personnalité. Toutefois, ils sont conscients que le sujet ne pouvait être complètement isolé de la sphère publique. De plus, l’écriture était étroitement liée à la politique. Bien qu’il fût vrai que, dans la biographie antique, l’individu devait être placé au cœur de son environnement, de nombreux facteurs socio-économiques et politiques façonnaient, par définition, le personnage étudié ; l’engagement dans la cité était indissociable à de nombreuses passions inhérentes à l’âme humaine, tantôt bénéfiques, tantôt funestes. Le portrait élogieux brossé par l’historien Nicolas du futur prince suit le canevas classique du Βίος. Outre le respect de la chronologie, ses intentions apologétiques sont manifestes : le ton du récit est éminemment dithyrambique à l’égard du petit-neveu et fils adoptif de César. Dans sa Vie d’Auguste, l’auteur participe à l’élaboration d’un archétype du souverain idéal, tant pour les citoyens de la partie occidentale de l’Empire que pour ceux de la partie orientale, tout en adressant une mise en garde au lecteur contre les dérives de la tyrannie et l’absence de modération, de courage et de piété14. Octavien gagna le respect et surtout le soutien de César. En tant que fils adoptif et héritier de ce dernier, il parvint, à l’aide de vétérans, à se prémunir de l’hostilité manifestée à son égard par Marc Antoine, le plus souvent dépeint par l’historien de Damas de manière négative, et prêt à venger la mort de son grand-oncle. Des épisodes de nature moralisante ou apologétique émaillent son récit. Ainsi qu’en témoigne la composition de Nicolas traitant de l’enfance et de la jeunesse d’Octave, sa biographie n’était pas destinée à livrer un compte rendu exhaustif de ce que le protagoniste avait réalisé tout au long de son existence. L’historien de Damas, qui entend avant tout mettre en exergue les qualités de son sujet, se montre très sélectif dans la narration des épisodes qu’il consigne. Pline estime d’ailleurs que cette biographie était Frazier 2012, 21 ; Sharples 2007, 607-620. Corn. Nep., Hann. 1-3. 13 Plut., Caes. 1-2. 14 Parmentier 2001, 91-99 ; Scardigli – Delbianco 1983, 21-25. 11 12
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LA VIE D’AUGUSTE DE NICOLAS DE DAMAS
« inter sermonem historiamque medius »15. Octavien est présenté comme un parangon de pudicitia, de prudentia et de temperantia, principalement après le 15 mars 44 avant J.-C. En outre, dans sa conduite publique, il fut estimé pour la fides qu’il manifestait à ses amis et à ses sympathisants, ainsi que pour sa volonté de ramener la concordia au sein de l’Vrbs et de l’Empire. Dans la mesure où Nicolas considérait le premier princeps comme le seul Romain digne d’émulation et que sa biographie, écrite à Rome, constitua le moyen par lequel il obtint la confiance d’Auguste, a-t-il fait davantage œuvre d’apologète que d’historien ? Sa Vie d’Auguste est-elle digne de foi ? Telles seront les questions qui serviront de fil rouge au présent ouvrage. Nous adopterons la méthode comparative et une perspective intertextuelle et historiographique. Parallèlement, nous tenterons de confirmer ou d’infirmer les analyses des Modernes, peu nombreux à s’être attelés à l’étude de cette œuvre, tout en proposant de nouvelles hypothèses, relatives notamment aux sources usitées par l’auteur et au portrait nuancé qu’il brosse de Marc Antoine. Ainsi ambitionnons-nous de combler un certain nombre de lacunes historiographiques. La première section de ce travail retracera la biographie de Nicolas, déterminera ses objectifs rédactionnels, le situera par rapport à ses modèles littéraires, et examinera le contenu de la Vie d’Auguste. Celle-ci présente moult problèmes à l’historien : son unité ne va pas de soi, sa datation pose question et ses sources sont inconnues. Nous insisterons sur le fait que si des similitudes intertextuelles entre les Res Gestae et la biographie d’Auguste ont été constatées, elle ne peut, dans la mesure où Nicolas écrivit vraisemblablement cette dernière durant la seconde moitié des années vingt avant J.-C., avoir dépendu du testament politique de l’empereur. En effet, si certaines analogies entre les deux écrits, en particulier les mentions de la Pannonie, de l’Illyrie et de la Dacie, sont patentes, il y a lieu de penser que ces liens scripturaires trouvent leur origine dans les Mémoires d’Auguste. La seconde section dépeindra Octave/Octavien tel que présenté dans la Vie d’Auguste. Ses aspects politico-moraux ont reçu peu d’attention de la part des Modernes. Pourtant, cette œuvre, Plin., Ep. 5, 5, 3.
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INTRODUCTION
comme nous le démontrerons, est une source de premier plan, car elle permet d’évaluer la manière dont Auguste présentait ses ascendants et surtout ses relations tant avec César et les césariens (Marc Antoine en tête) qu’avec les césaricides ; nous insisterons sur les liens qu’entretenaient César et son petit-neveu. Par ailleurs, elle indique comment un historien grec percevait sa geste peu après l’instauration du principat. La volonté de Nicolas de rationaliser tout en colorant son récit constitue l’une de ses constantes. Ainsi est-il attaché tant au pragmatisme politique qu’à la psychologie, notamment quand les principaux personnages se trouvent dans des situations désespérées ou périlleuses, tout en donnant aux événements décrits une vraisemblance certaine, en évitant, pour exemple, la retranscription fictive de discours. Au demeurant, il fait l’impasse de tout élément épique ou irrationnel. Cependant, si l’on fait siennes les méthodes de la critique historique contemporaine, sa biographie n’est pas dénuée de tout manquement, car elle fait la part belle aux topoi.
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PARTIE I
LA VIE D’AUGUSTE DE NICOLAS DE DAMAS
Nicolas de Damas, bien que grécophone, fut un peintre ayant pénétré l’âme romaine. Il fut également un moraliste et un philosophe capable d’élaborer un système historico-politique cohérent. Q uelles furent les lignes de force de sa biographie d’Auguste ? À quelle logique obéissait-elle ? Fut-elle uniquement d’essence augustéenne ? Nous aurons toujours à l’esprit que la Vie d’Auguste était avant tout la peinture d’un comportement moral individuel. Fut-il pour autant cohérent, exhaustif et objectif ? Il nous faudra être attentif aux thèmes et scènes centraux imposant une certaine image du protagoniste et de ses proches, adversaires et partisans vus à travers le prisme d’un historien grec au fait des principes romains. Ses lignes structurantes font apparaître les cadres de sa pensée.
Biographie de Nicolas de Damas Il convient avant toute chose de retracer sommairement la vie de Nicolas de Damas. Cependant, elle est à l’image de l’œuvre du personnage : lacunaire. En effet, nous ne la connaissons que par les fragments conservés de l’Autobiographie, les écrits de Flavius Josèphe1, dont les Antiquités juives présentent un compte rendu de la carrière de Nicolas à Jérusalem durant la dernière décennie
1 Parmentier 2013, 379-394 ; Edmondson – Mason – Rives 2005 ; Nodet 1990. Sur les fragments, voir : Holladay 1989.
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PARTIE I
du règne d’Hérode2, de très rares et brèves allusions d’auteurs latins et grecs et la Souda. Né vers 64 avant J.-C.3, Nicolas passa son enfance et sa jeunesse au sein d’une famille appartenant aux cercles dirigeants de Damas. Au début du ier siècle avant J.-C., la Syrie, divisée par les luttes fratricides de la dynastie séleucide, connut une longue période d’anarchie. En 64 avant J.-C., Pompée abolit cette royauté déliquescente, même s’il laissa subsister d’influents princes indigènes, à l’instar du tétrarque Ptolémée, et fit de la Syrie une province romaine un an plus tard. Loin de lui apporter la paix, cette annexion plongea indirectement la région dans les guerres civiles romaines. En outre, elle fut en proie aux invasions parthes après la défaite de Crassus à Carrhes, puis à l’appel du transfuge Labienus. Damas fut intégrée à la Décapole, elle-même incorporée à la province de Syrie. La cité bénéficia d’un régime d’autonomie, et fut presque entièrement réaménagée par la puissance conquérante pour regagner sa prospérité d’antan4. Antipater, le père de Nicolas, y exerça, entre autres5, la fonction de δεκάπρωτος (decemuir)6. Nous ignorons si les parents de l’historien étaient d’origine grecque ou syrienne7. Comme l’indiquent E. Parmentier et F. Prometea Barone, son père, sa mère, Stratonicè, et son frère, Ptolémaios, portaient des noms grecs, mais la constitution récente d’une classe de notables hellénisés estompa les différences entre Grecs d’origine et Syriens hellénisés, qui se distinguaient d’autant moins que la cité s’était forgé une légende de fondation puisant ses racines dans la tradition hellénique8. Toher 2003, 427-447. Son Autobiographie indique qu’il avait presque soixante ans en 4 avant J.-C. 4 Ray-Coq uais 1978, 44-73 ; Berenbaum 2007, 527. 5 L’Autobiographie (F 131 (2)) soutient qu’il « exerça toutes les magistratures locales ». 6 Selon Laqueur (1936, col. 364), il aurait figuré parmi les magistrats ayant accueilli Pompée à son arrivée à Damas en 63 avant J.-C., année au cours de laquelle la Syrie devint province romaine. 7 Millar 1993, 314 ; Id. 1987, 125 ; Geiger 2014 ; Gruen 1998, 19-22. 8 Nicolas de Damas. E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, XI-XII. Damas, toponyme d’origine sémitique, aurait été fondée par Damascos, né d’Hermès et de la nymphe Alimède, et qui aurait migré d’Arcadie vers la Syrie. Toher 2009, 125-144. 2 3
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LA VIE D’AUGUSTE DE NICOLAS DE DAMAS
La Souda livre quelques bribes d’informations relatives au cercle familial de Nicolas, qui ne peuvent provenir que de l’Autobiographie9. Son père et sa mère étaient connus pour κατά τε σωφροσύνην καὶ […] λαμπρότητα, mais ni leur richesse ni leur εὐδοξία n’étaient des sources d’autoglorification10. La λόγου δεινότης qu’Antipater possédait fut utilisée à des fins publiques et non privées. Sa δικαιοσύνη lui valut le respect et le fait d’être considéré comme un négociateur efficace lors des conflits11. Enfin, l’εὐσέβεια divine d’Antipater était remarquable. Ainsi insista-t-il pour que ses fils offrissent un sacrifice à Zeus12. Si l’exactitude d’un tel récit élogieux doit être mise en doute, son contenu détermine quelles qualités étaient nécessaires aux citoyens vertueux aux yeux de Nicolas. De plus, le vœu pieux d’Antipater fait sur son long lit de mort prouve son haut degré d’hellénisation. Le Damascène, à l’image de Platon et de Xénophon, fut formé à de nombreuses disciplines intellectuelles. Selon son Autobiographie, il s’intéressa, dans un premier temps, à la littérature, avant de composer des tragédies et des comédies en grec. Par la suite, il se nourrit de rhétorique, de musique, de sciences naturelles et de philosophie13. Aux dires de Porphyre, de Stobée14 et de Simplicius, Nicolas était connu pour être un péripatéticien, et l’auteur de divers traités (Sur les Plantes15, Sur les dieux, Sur les qualités de l’âme, Sur le tout, Sur le beau dans l’action et un Commentaire sur Aristote) mêlant étroitement recherche de la sagesse et étude de la physique au sens antique du terme. L’éducation de Nicolas est décrite en des termes très élogieux par la Souda, qui a sans nul doute emprunté les informations contenues dans les sections aujourd’hui perdues de son autobiographie16 : « Nicolas avait reçu une éducation complète parce que Vie d’Auguste, F 131 ; Suda, s. v. ‘Aντίπατρος. Vie d’Auguste, F 131 (1). 11 Autobiographie, F 131 (2). 12 Autobiographie, F 131 (3). 13 F 132 (2) ; Suda, s. v. Nικόλαος. 14 Parmentier 2012 ; Curnis 2008. 15 Nous n’avons conservé que quelques fragments du De Plantis, qui résume un ouvrage perdu d’Aristote, en y ajoutant des exemples empruntés à des traités de Théophraste. Cet ouvrage n’a subsisté qu’à travers des traductions. Drossaart-Lulofs – Poortman 1989. 16 Sur la naissance de l’autobiographie latine, voir : Cornell 2009, 15-40. 9
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PARTIE I
son père avait pris la chose très au sérieux, étant lui-même devenu riche et renommé grâce à son éducation ; Nicolas l’accrut encore par une passion inouïe pour la culture et par les dons naturels exceptionnels qu’il avait reçus ; moyennant quoi, il était célèbre dans sa patrie avant d’avoir de la barbe et se distinguait des jeunes gens de son âge »17. En ce qui concerne la culture, l’historien de Damas pensait qu’il convenait de consacrer davantage de temps à certains sujets et moins à d’autres, de se livrer à l’étude d’une discipline en tout ou en partie, puis qu’il importait d’en conserver la substance utile pour atteindre le foyer ancestral du savoir : la philosophie18. La παιδεία du Damascène fut donc complète. Sophronios de Damas19, patriarche de Jérusalem entre 634 et 638, prétend qu’il fut le tuteur des enfants de Marc Antoine et de Cléopâtre, les jumeaux Alexandre Hélios et Cléopâtre Sélénè, mais ne précise pas à quelle période. Cette information offre deux possibilités : soit Nicolas était à Alexandrie pour enseigner à la progéniture du triumvir au milieu des années 30 avant J.-C., mais aurait quitté le sol égyptien avant sa chute20 ; soit il ne s’est jamais rendu en Égypte, et instruisit les deux enfants lorsqu’ils vinrent à Rome après Actium pour y être pris en charge par Octavie, la sœur d’Auguste21. L’historien-pédagogue aurait rencontré Marc Antoine et Cléopâtre VII en 36 avant J.-C., lorsque cette dernière gagna Damas pour rejoindre son mari engagé dans une campagne contre les Parthes22 ; la même année, le triumvir lui fit don de la Syrie-Coélé et d’une partie de la Judée (la reine lagide devint souveraine de Damas). Il est peu probable que Nicolas ait gagné Alexandrie à la demande de Marc Antoine, et l’ait quittée peu avant Actium. En effet, dans la mesure où Cléopâtre mit au monde les jumeaux 17 F 132 (2) ; Suda, s. v. Nικόλαος. οὗτος ὁ Δαμασκηνὸς ἐν τῇ ἄλλῃ παιδείᾳ τεθραμμένος διὰ τὸ καὶ τὸν πατέρα αὐτοῦ περὶ ταῦτα μάλιστα σπουδάσαι, ἐπειδὴ ἀπ’ αὐτῆς αὐτῷ ὅ τε πλοῦτος καὶ ἡ δόξα ὑπεγένετο, ἔτι μᾶλλον ηὔξησε ταύτην ἔρωτά τινα ἀδιήγητον αὐτῆς σχών, ἄλλως τε καὶ φύσεως οὐ φαύλης λαβόμενος, ὥστε πρὶν γενειᾶν, εὐδόκιμος εἶναι ἐν τῇ πατρίδι καὶ τῶν ἡλίκων διαφέρειν. 18 F 132 (4) ; Suda, s. v. Nικόλαος. 19 T2 = Sophronios [c. 560-638]. 20 Malitz 2003, 1-2. 21 Plut., Ant. 87, 1. Toher 1989, 161. 22 R. Laqueur (1936, col. 365) pense que Cléopâtre a pu connaître Nicolas quand elle a visité Damas en 36 avant J.-C. (Jos., BJ 1, 362 ; AJ 15, 96).
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LA VIE D’AUGUSTE DE NICOLAS DE DAMAS
en 40 avant J.-C., Nicolas n’aurait pu se rendre utile sur le plan pédagogique avant 33 ou 32 avant J.-C. De plus, s’il avait enseigné à Alexandrie, Hérode, auprès duquel il demeura dix ans23, se serait vraisemblablement méfié de celui qui aurait été au service de son ennemie, la reine égyptienne. Enfin, si le Damascène avait demeuré dans la capitale lagide jusqu’en 31 ou 30 avant J.-C., il aurait partagé ses fonctions de διδάσκαλος avec Euphronios, mentionné par Plutarque24. Or ni ce dernier, qui connaît Nicolas dans la mesure où il le décrit comme un péripatéticien25 et un proche d’Hérode26, ni aucun de ses pairs ne citent l’historien de Damas parmi les tuteurs et précepteurs des jumeaux romano-égyptiens. Nonobstant, la décision d’occuper une autre fonction plus prestigieuse ailleurs dans l’Empire après avoir séjourné quelque temps en Égypte est invraisemblable, eu égard au fait que, durant les années 30 avant J.-C., il n’existait, pour un grécophone, aucun lieu plus influent et plus riche culturellement qu’Alexandrie. Il semble donc préférable de privilégier la seconde hypothèse27. En effet, il est possible que Nicolas ait été le précepteur des enfants de Marc Antoine lorsqu’ils furent envoyés à Rome par Octavien. Ils auraient alors été suffisamment âgés pour pouvoir bénéficier d’un maître au fait du triuuium et du quadriuium. De plus, cela expliquerait le silence des sources quant à la présence du Damascène à Alexandrie et, inversement, leur insistance sur son séjour à Rome au début des années vingt avant J.-C.28 Il y a dès lors lieu de croire qu’il faisait partie des nombreux intellectuels de langue grecque, parmi lesquels Denys d’Halicarnasse et Strabon29,
Cf. infra p. 8-9. Plut., Ant. 7, 2. Roller 2004, 15. 25 L’école péripatéticienne, fondée à Rhodes au ier siècle, s’efforça de diffuser, sous formes de commentaires ou de paraphrases, l’œuvre aristotélicienne. 26 Plut., Propos de table 8, 4, 1 (FGrH 90 T 10 b) ; Brut. 53, 5-7 (FGrH 90 F 99). 27 Bellemore 1984, XV ; Parmentier – Prometea Barone 2011, XIII-XIV ; Braund 2007, 35-44. 28 Cf. infra p. 8. 29 La probabilité de contacts entre Strabon et Nicolas de Damas transparaît du récit d’une ambassade indienne auprès d’Auguste en 20 avant J.-C. (Strab., 15, 1, 73 = Nicolas de Damas, Histoires, F 100). Cependant, si les deux historiens se sont rencontrés, ce fut à Rome, et non à Antioche (encore moins en Judée). Parmentier 2017, 438. 23 24
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PARTIE I
qui s’installèrent à Rome à la fin de la République et au début du principat ; l’histoire et la culture grecques trouvaient leur convergence à Rome. Q uoi qu’il en soit, le témoignage de Sophronios de Damas montre la notoriété dont jouissait encore Nicolas dans sa ville natale sept siècles après sa mort. Nous savons qu’il gagna la faveur d’Octavien. Les témoignages indiquent que ce dernier appréciait sa culture, mais aussi ses qualités humaines ; Auguste avait donné aux dattes que lui offrait l’historien de Damas le nom de Nicolas30. Athénée qualifie ce dernier d’« ἑταῖρος » du princeps31. Nous ne savons pas comment le Damascène parvint à obtenir son amitié. Les sources sont muettes sur cette partie de sa vie, et les points de vue des Modernes diffèrent, mais Flavius Josèphe suggère qu’il gagna la confiance et le soutien d’Hérode parce qu’il était déjà connu pour être protégé par Auguste32. Il y a également tout lieu de penser que la rédaction de la biographie du prince lui attira ses faveurs33. Vers 25 avant J.-C., une terrible sécheresse sévissant en Judée entraîna famine et épidémies. Hérode renonça alors à lever des impôts, et fit fondre certains de ses objets précieux en échange de blé récolté en Égypte, mettant à profit ses liens avec Petronius, gouverneur de cette province. Il veilla même, selon Flavius Josèphe, peut-être inspiré par Nicolas de Damas, à secourir les plus faibles, et à alimenter et à vêtir les individus les plus nécessiteux de son royaume ainsi que ceux des régions voisines34. En 20 avant J.-C., Nicolas accompagna le princeps dans un voyage au cours duquel il rencontra Hérode, à Gadara35. Ce fut sans doute à ce moment-là que les deux Orientaux s’entretinrent longuement de politique ; T 10 a-b. Ath., 14, 66. 32 Le roi avait offert de fournir des troupes à Marc Antoine lors de la campagne d’Actium. Après la victoire d’Octavien, lors d’une rencontre avec lui à Rhodes en 30 avant J.-C., il ne nia pas les faits. Sur la relation entre Hérode et Marc Antoine : Jos., AJ 14, 303 ; 325-329 ; 445-447 ; l’offre de troupes pour Actium : AJ 15, 109-110 ; Hérode rencontre avec Octavien : AJ 15, 184-193 ; BJ 1, 387-390. 33 Cf. infra p. 12-13. 34 Jos., AJ 15, 315. 35 Jos., AJ 15, 354-358. Les auteurs latins du « siècle d’Auguste » n’ont guère retenu l’image de ce souverain oriental, qui fut pourtant un allié du princeps. La tradition juive s’accorde avec la tradition chrétienne, en raison du légendaire « massacre des innocents » décrit par l’évangéliste Matthieu, pour voir en 30 31
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il s’agit du seul événement de l’existence de Nicolas postérieur à sa naissance pouvant être daté avec précision36. Comme l’écrit M. Hadas-Lebel, Hérode cherchait à se constituer une image prestigieuse. Conscient que ses origines iduméennes n’y contribuaient pas, il se voulait à la fois Juif, Grec et Romain. Aux dires de Flavius Josèphe, ne pouvant faire état d’archives nobiliaires de sa famille à Jérusalem, il chargea Nicolas de le rattacher à une quelconque famille noble juive originaire de Babylonie37. Au demeurant, Hérode ne se considérait pas comme un roitelet, mais comme un monarque cosmopolite et moderne pleinement hellénistique et romanisé38 apte à mettre en œuvre les innovations de son temps39. C’est à propos de l’affaire des Juifs d’Ionie, qui furent en butte aux vexations de leurs concitoyens grecs en 14 avant J.-C., que le Damascène fut, pour la première fois, qualifié de φίλος du roi40. Sans doute Hérode et lui se sont-ils plusieurs fois rencontrés entre cette date et leur première entrevue. Q uoi qu’il en soit, Nicolas devint alors le précepteur de ses fils, Alexandre et Aristobule41, et, pendant les dix premières années de l’existence du monarque, son secrétaire42, son ambassadeur43 et son confident44. L’année 14 avant J.-C. fut également marquée par le voyage qu’Hérode effectua en Asie Mineure aux côtés de Nicolas et d’Agrippa, avec
lui un tyran sanguinaire. Le personnage passa néanmoins à la postérité en tant qu’« Hérode le Grand ». 36 Autobiographie, F 100 ; Strab., 15, 1, 75. 37 Jos., AJ 14, 9. 38 Marshak 2015, 285. 39 Hadas-Lebel 2017, 133-134. 40 T 4 = Jos., AJ 16, 27-60. En d’autres occasions, Auguste et Agrippa s’engagèrent personnellement pour rétablir les droits et la liberté religieuse des Juifs d’Asie Mineure et de Cyrénaïque, lorsqu’ils furent informés que des Grecs de ces régions voulaient empêcher l’observance du sabbat et des fêtes, et surtout l’envoi de leurs contributions sacrées au Temple. Jos., AJ 16, 160-173 ; Pucci-Ben Zeev 1998, 235-283. 41 F 134. 42 F 71. Hérode comptait également parmi ses secrétaires un certain Diophante, « audacieux et habile à imiter l’écriture de n’importe qui », lequel finit par être condamné à mort pour faux et usage de faux. Jos., BJ 1, 529. 43 Cf. infra p. 9-10. 44 F 135-136.
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lequel il était lié depuis 23 avant J.-C.45 ; bien que connaissant le latin46, eu égard au fait que les principaux matériaux de sa biographie étaient rédigés dans cette langue, Nicolas s’adressa sans doute à Agrippa en grec. L’influence exercée par l’historien de Damas sur Auguste s’est souvent révélée bénéfique pour le roi juif. Par exemple, en 12 avant J.-C., les deux hommes se rendirent à Rome dans le but de soumettre au jugement d’Auguste les fils du roi et de Mariamme, Alexandre et Aristobule, accusés de trahison par leur père47. L’entrevue avec le prince aboutit à une réconciliation provisoire48. En outre, en 8 avant J.-C., après que Syllaios le Nabatéen49 eut accusé Hérode devant le princeps d’avoir envahi une partie de son territoire, les ambassadeurs du roi de Judée, alors tombé en disgrâce auprès du prince, furent sommés de quitter Rome50. Nicolas fut, au contraire, invité à s’y rendre dans le cadre d’une seconde ambassade51. Il parvint ensuite à réconcilier Hérode et Auguste, en convainquant ce dernier du bien-fondé de la politique menée par le monarque juif, tout en accusant Syllaios d’avoir fait assassiner ses détracteurs52. Toutefois, pendant cette période, les dissensions entre Hérode et ses fils, Alexandre et Aristobule, s’étaient aggravées, au point que les deux jeunes gens furent condamnés à mort pour trahison par un tribunal53 présidé par leur père et siégeant à Bérytos54. Si Nicolas plaida contre la peine capitale, il ne fut, cette fois, pas entendu55 : Alexandre et Aristobule furent exécutés en 7 avant J.-C. 45 Hérode rendit visite à Agrippa à Mytilène en 23 avant J.-C. Jos., AJ 15, 350. Flavius Josèphe (AJ 15, 361) écrit qu’Hérode devint le meilleur ami, après Auguste, d’Agrippa. Roddaz 1984, 55-60 ; Id. 2012, 117-135. 46 Selon T. Ilan (1998, 198), il ne fait aucun doute que Nicolas connaissait l’hébreux biblique, car il existe des similitudes entre ses écrits relatifs à Hérode et le livre de Samuel. 47 F 135. Parmentier 2017, 423-452. 48 Jos., BJ 1, 452-454 ; AJ 16, 90 ; 124. 49 Kokkinos 2007. 50 T 5 = Jos, AJ 16, 9, 3-4 ; 10, 8-9. 51 T 5 ; F 136 (1) 52 T5 ; F 143. Perea Yébenes 2011, 205-252. 53 Dès le iie siècle avant J.-C., les tribunaux juifs étaient pleinement hellénisés. 54 F 136 (2-3) ; Jos., AJ 16, 313-334 ; BJ 1, 526-537. 55 F 136 (4).
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Un autre procès, dont la direction fut confiée par Hérode à Nicolas, se tint deux ans plus tard56. Le fils aîné du monarque, Antipater, avait ourdi un complot contre lui afin de s’emparer du pouvoir. Alors que la compassion à l’égard du fils perfide gagna les jurés, Nicolas fut invité à prononcer son réquisitoire. Ce fut une occasion pour Flavius Josèphe de nous offrir un morceau d’éloquence reconstitué. Le Damascène, après avoir vilipendé le jeune homme, conseilla à Hérode de l’envoyer à la cours d’Auguste, qui donna son accord pour sa mise à mort57. Enfin, lorsqu’un différend relatif à la succession au trône d’Hérode, décédé quelques mois après Antipater, intervint entre ses fils en 4 avant J.-C., ce fut grâce au soutien de Nicolas qu’Archélaos devint le principal nouveau monarque judéen58. L’historien de Damas, à nouveau qualifié d’« ami du roi »59, avait défendu Archélaos sur deux fronts : d’un côté, sa famille, qui lui disputait la succession hérodienne ; de l’autre, l’opposition de cités grecques rattachées au royaume juif et celle de son propre peuple, qui préférait la tutelle directe romaine à celle des fils d’Hérode. Il céda sur les revendications des cités grecques pour réaffirmer la légitimité du pouvoir hérodien en Judée60. Toujours est-il qu’il avait plaidé la cause d’Archélaos d’un point de vue romain, car une insurrection dirigée contre les Q uirites présents en Judée venait d’être matée. Nicolas avait préalablement demandé à Auguste de ratifier le dernier testament rédigé de la main d’Hérode61, en divisant la Judée en deux parties égales : la première fut cédée à Archélaos, qui reçut le titre d’ethnarque ; la seconde fut partagée en deux zones, attribuées à Philippe et à Antipas, fils cadets du monarque. Le Damascène ne décrit pas leur réaction en apprenant cette décision. Il se trouva donc mêlé à de nombreuses étapes de la vie et de la carrière politique d’Hérode. Flavius Josèphe critique sa servilité vis-à-vis de ce dernier, en faisant profession, pour ce qui F 136 (5). F 136 (7). 58 T 8 = Jos, AJ 17, 9, 5-7. Matthieu 2012 ; Richardson 2012, 209-228. 59 T 7 ; T 7a. Savalli-Lestrade 1998. 60 F 136 (10) ; T 9 = Jos., AJ 17, 315-316 ; T 9a = BJ 2, 92. Czajkowki 2016, 473-496. 61 Parmentier 2006, 237-241 ; Günther 2007, 56-62. 56 57
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le concerne, d’indépendance à l’égard des rois et des puissants : « Mais nous, qui sommes pourtant d’une famille très proche des rois asmonéens et avons pour cette raison, reçu la prêtrise ainsi que d’autres dignités, nous considérons comme déshonorant d’écrire le moindre mensonge à leur sujet et rapportons les faits à l’état pur et avec équité »62. Les critiques de Flavius Josèphe sont à considérer à la lumière des conventions de la polémique historiographique et, surtout, de ses propres stratégies narratives63. Certes, il est possible que Nicolas ait exagéré son rôle dans les affaires sus-décrites, mais qu’il ait eu une influence notable sur Auguste, notamment en raison de ses talents de négociateur et de sa fidélité, est incontestable64. L’attitude d’Hérode envers le Damascène est également significative. Le premier eut en le second une confiance quasi absolue. Pour preuve, Nicolas demeura à la cour d’Hérode jusqu’à sa mort, et continua à jouer le rôle de médiateur entre Rome et la Judée jusqu’à sa succession effective. Son sens de l’honneur dans les affaires personnelles et judiciaires était tel que les accords écrits étaient inutiles65 ; cette probité lui apporta εὐδοξίαν τε καί τιμήν. Ses δικαιοσύνη et σωφροσύνη lui valurent le respect du princeps66 et celui d’Hérode67. Une telle influence ne semble pas l’avoir rendu présomptueux, car il affirme son désir (dans la vieillesse) de privilégier μετὰ τῶν δημοτικῶν et d’éviter τοὺς μεγάλους καὶ ὑπερπλούτους τῶν ἐν Ῥώμῃ68. Son éducation ou sa carrière publique n’ont pas non plus été utilisées πρὸς ἀργυρισμὸν. S’il est impossible de déterminer avec certitude à quelle période de sa vie se rapporte ce refus de fréquenter les « Romains puissants et riches », il y a lieu de croire que ce fut peu après 4 avant J.-C.69, quand il fut, pour la dernière fois, qualifié
62 Jos., AJ 16, 183-186. ἡμεῖς δὲ καὶ γένους ὄντες ἀγχοῦ τῶν ἐξ Ἀσαμωναίου βασιλέων καὶ διὰ τοῦτο σὺν τιμῇ τὴν ἱερωσύνην ἔχοντες τὸ ψεύσασθαί τι περὶ αὐτῶν οὐκ εὐπρεπὲς ὑπειληφότες καθαρῶς καὶ δικαίως ἐκτίθεμεν τὰς πράξεις. 63 Teets 2013, 88-127. 64 Marshak 2015. 65 90 F 137. 66 90 F 136 (1). 67 90 F 134. 68 90 F 138. 69 Cf. infra p. 13.
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de « φίλος [τοῦ βασιλέως] »70. Nous ignorons tout de la suite de l’existence de l’historien de Damas, mais sans doute continua-t-il à s’adonner à la philosophie. La judaïté marqua-t-elle la Vie d’Auguste de Nicolas ? L’effet que cette religion eut sur lui est étudié par B. Wacholder, qui conclut que l’autobiographie de l’historien est composée d’éléments juifs. Son argumentation repose essentiellement sur la prépondérance du contenu moral de cette œuvre71. Il existe en effet des parallélismes dans le mode d’existence prôné par Nicolas et Hillel l’Ancien, qui fustigent les vices tels que l’appât du gain et la luxure, et encouragent l’exercice de la vertu (le contrôle de soi, le courage, la fidélité à la parole donnée…)72. Ces similarités, à l’instar du fait qu’ils détenaient tous deux de vastes connaissances, sont cependant communes à un grand nombre d’auteurs antiques. Plus important, alors que l’écriture juive d’Hillel, qui fait la part belle aux questions théologiques, est centrée sur YHWH, celle de Nicolas est autocentrée. Parallèlement, si les deux penseurs prônaient des valeurs universelles, ils ne développèrent aucunement de philosophie commune73. Enfin, ne figure chez Hillel aucun exemplum moral de nature humaine. Nous pensons donc qu’il n’existe pas de preuves tangibles démontrant que Nicolas ait véritablement été influencé par la tradition juive, même si, au cours de son long séjour à la cour d’Hérode, il se familiarisa avec celle-ci. D’ailleurs, quand il fut son παιδευτής et secrétaire/historien, il était âgé d’une quarantaine d’années, période au cours de laquelle sa philosophie et ses idées politico-religieuses étaient déjà profondément enracinées. Sa Vie d’Auguste ne comporte à tout le moins aucun trait juif particulier. L’admiration que Nicolas vouait à Aristote est, quant à elle, assurée par la Souda. Un manuscrit syriaque souligne qu’il estimait que seule la brièveté de la vie humaine avait empêché le Stagirite de maîtriser l’ensemble de ses connaissances74. Nicolas lui emprunta une liste de sujets d’étude, et reprit l’idéal pédagogique T 8. Wacholder 1962, 43-44. 72 Wacholder 1962, 44-46. 73 F. 132 ; 137 (1). 74 Gg., 2, 14, II. 70 71
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et philosophique grec de l’ἐγκύκλιος παιδεία auquel Aristote avait souscrit. Tous deux recherchaient les effets rhétoriques et s’efforçaient le plus possible d’approfondir leur connaissance du vivant, laquelle constituait un idéal et une vertu, en ce sens qu’elle devait favoriser le bien-être universel75. En outre, Nicolas adopta les préceptes moraux de l’Éthique à Nicomaque76, notamment en soulignant l’importance de l’éducation et du rôle joué par les parents d’un enfant ou d’un jeune homme, et en présentant un tableau des valeurs fondamentales : courage, sagesse, générosité et justice. Ne pas agir vertueusement revenait, pour les auteurs, à mener une existence digne de celle d’un esclave ou d’un animal77. Ces éléments sont omniprésents dans la première partie de la Vie d’Auguste78. Il existe donc entre cette œuvre et celles d’Aristote un large consensus à propos de l’importance de l’éducation, de l’étude de la biologie et de la vertu79. Nicolas, peut-être pour tenter de dissiper l’image de l’homme riche oriental que d’aucuns lui avaient accolée, tire un portrait de lui-même empli de grauitas catonienne : « On reprochait à Nicolas de ne pas garder la plupart de l’argent qu’il avait reçu de ses amis, de passer plus de temps dans la compagnie des gens ordinaires qu’à fréquenter les Romains puissants et riches ‹…›, chez lesquels il n’allait jamais, malgré l’insistance d’un grand nombre de personnalités distinguées, et de se consacrer à longueur de journée à l’étude de la philosophie »80. Des passages conservés de l’autobiographie du Damascène stipulent que la richesse n’occupait nullement une place importante dans la vie de l’homme : « Tous les principes qu’il défendait, il les appliquait à sa propre vie et montrait par sa conduite qu’il était au-dessus de l’argent et mettait plu 90 F 137 (2 ; 6). Aristot., Nic. 3, 9-14 ; 4, 1-3 ; 5. 77 Aristot., Pol. 1337b, 4-5 ; 1338a, 11-12 ; 1338b, 2-3 ; Autobiographie, F 137b (19-21). 78 F 125-127. 79 Drossaart-Lulofs 1966, 145-148. 80 Autobiographie, F 138, rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 316. ὅτι ᾐτιῶντό τινες τὸν Νικόλαον πλεῖστα χρήματα παρὰ φίλων λαβόντα οὐ σώζειν αὐτά, καὶ ὅτι τὰς πλείους διατριβὰςἐποιεῖτο μετὰ τῶν δημοτικῶν, ἐκκλίνων τοὺς μεγάλους καὶ ὑπερπλούτους τῶν ἐν Ῥώμῃ, ‹ὧν εἰς τὰς οἰκίας› οὐδαμῶς ᾔει, πολλῶν καὶ ἐνδόξων αὐτὸν βιαζομένων, ἀλλὰ δι’ ὅλης ἡμέρας ἐν ταῖς φιλοσόφοις θεωρίαις ἦν. 75 76
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tôt son ambition à accomplir les actions les plus brillantes ; jamais on ne le vit commettre une seule bassesse pour de l’argent »81. Il recommande l’ἁπλότης82. Selon son opinion, tant qu’un objet est utilisé à des fins pragmatiques, son acquisition ne peut être critiquée83. Nicolas écrit : « Premièrement, acquérir de l’argent est comme acquérir des lyres ou des flûtes : cela n’a aucun intérêt, c’est l’usage qu’on en fait qui est le plus important ; l’homme qui emploierait son argent à vivre comme un débauché, comme un avare ou comme un individu sans morale ni raison serait à blâmer ; mais celui qui l’emploierait à mener une vie sage, rangée, sociable et généreuse, en l’acceptant quand il faut et de qui il faut, en le dépensant et en le laissant à ses enfants à sa mort, celui-là serait un homme meilleur. Deuxièmement, disait-il, l’homme de bien ne se fixe qu’une règle de conduite : toujours rechercher la société de gens vertueux ; et il voyait bien que ces derniers sont par nature plus nombreux chez les gens de condition ordinaire que chez les riches, car il faut que le destin soit très favorable à un riche pour le conduire jusqu’à la vertu, et il arrive plus souvent qu’il l’en détourne pour le mener vers les plaisirs et la vanité »84. Aristote et Nicolas déplorent tous deux que la richesse se retrouvait le plus souvent dans les mains d’individus peu dignes d’émulation85. Le Stagirite reconnaît le besoin acquisitif (κτητική) dans l’humanité86. Nicolas, quant à lui, est plus soucieux d’enquêter
81 Autobiographie, F 137 (1), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 312. ὅτι πάνθ’ ὅσα παρήγγελλεν ἐπὶ τῶν ἔργων διεξῄει αὐτῶν καὶ ἀπεδείκνυτο χρημάτων μὲν ὢν κρείττων, θᾶττον δὲ λαμπρότατα ἐφιλοτιμήθη, οὐθέν τε ὧν μὴ δεῖ ἐφάνη χρημάτων ἕνεκα πεποιηκώς. 82 Autobiographie, F 137 (1-2). 83 F 138. 84 Autobiographie, F 138, rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 316. ὁ δ’ ἀπελογεῖτο περὶ μὲν τῶν χρημάτων ὅτι ἡ κτῆσις, ὥσπερ λύρας ἢ αὐλῶν, οὐδενὸς ἂν εἴη ἀξία, ἡ χρῆσις δὲ τὸ κυριώτατόν ἐστιν, ἣν εἰ μέν τις εἰς ἄσωτον καὶ ἀμετάδοτον ἢ ὅλως ἄφρονα ἢ φαῦλον καταδαπανᾷ ‹βίον›, ἐπίμεμπτος ἂν εἴη, εἰ δέ τις εἰς σώφρονά τε καὶ κόσμιον καὶ κοινωνικὸν καὶ φιλάνθρωπον, δεχόμενος καὶ ὅτε δεῖ ταῦτα καὶ παρ’ ὧν δεῖ, καὶ προϊέμενος καὶ τοῖς τέκνοις ἀπολείπων, ἀμείνων ἂν εἴη. ὅρον δὲ ἕνα ἔφη ποιεῖσθαι τὸν ἄνδρα τὸν ἀγαθὸν τοῖς ἐπιεικεστέροις ἐθέλειν ἀεὶ συνεῖναι, τοιούτους δ’ ἐν τοῖς δημοτικοῖς ὁρᾶν πλείους ἢ ἐν τοῖς βαρυπλούτοις φυομένους. πολλῆς γὰρ ἀγαθῆς τύχης δεῖται πλοῦτος ὥστε εἰς ἐπιείκειαν φέρειν· ἐκτρέπει γὰρ τοὺς πλείους εἰς φιληδονίαν τε καὶ ὑπερηφανίαν. 85 Aristot., Nic. 1125a, 1-14. 86 Aristot., Pol. 1256b, 41-42.
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sur ce qui motive l’acquisition de biens individuels87. L’argent ne doit donc ni être assimilé au bonheur, ni être dépensé pour de futiles motifs88. Conformément à l’enseignement aristotélicien, il se considérait lui-même comme un être mesuré et détaché des frivolités, dévoué au bien public89. Enfin, malgré son succès auprès de la noblesse romaine et son influence, il refusa de fréquenter les cercles aristocratiques, auxquels il préférait la compagnie des gens du commun. Nicolas puisa également au sein de la tradition romaine, qui préconisait de mener une vie simple, loin de l’extravagance et de l’opulence, tout en demeurant en accord avec la moralité, produisait, du reste, des citoyens responsables et des soldats aux qualités martiales indéniables. Cicéron, qui certifie que la Nature imposa impérieusement aux hommes l’obligation de la uirtus, argue que cette dernière constituait une force triomphant de tous les attraits de la volupté et du loisir inutile90. Nicolas épousa ce point de vue, notamment dans la deuxième partie de sa Vie d’Auguste91. Nous le constatons, l’historien de Damas, dont aucune œuvre ne nous est parvenue intégralement, pouvait se targuer d’avoir reçu une éducation brillante. Il témoigna d’abord de compétences de dialecticien et de rhétoricien héritées de son père, Antipater, qui lui permirent de gagner l’estime d’Agrippa et d’avoir l’oreille d’Auguste, avant de se rapprocher d’Hérode, dont il demeura le conseiller et le confident jusqu’à sa mort. Concomitamment, il resta toujours proche de son frère Ptolémaios, ministre (διοικητής) du roi juif 92. Des années d’expérience à la cour d’Hérode le formèrent à la Realpolitik. Ce point transparaît à de multiples reprises dans la Vie d’Auguste, notamment dans l’évaluation cir Topica, 118a, 11. Aristot., Nic. 1099b, 1 ; 1120a, 5. 89 F 137 (6). 90 Cic., Rep. 1, 1. 91 F 90-106. 92 T 20b = Jos., AJ 17, 225. En 40 avant J.-C., Ptolémaios se trouvait à Rhodes avec Sappinios, et portait secours à Hérode, qui venait de faire naufrage en direction de Rome (T 19). Les services qu’il rendit au roi furent récompensés puisqu’il reçut des biens immobiliers en Samarie (T 22 a-b). Détenant le sceau royal, c’est lui qui prononça l’éloge funèbre d’Hérode (T 21 a), et donna lecture de son testament à l’armée et au peuple (T 21 b). Il accorda ensuite une grande confiance à Antipas (T 8 ; T 8 a). 87 88
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constanciée des motivations des hommes en quête de pouvoir, et dans celle des forces politico-militaires en présence et des divers jeux d’alliance. Il n’en demeura pas moins un philosophe proche des idéaux moraux aristotéliciens.
Le titre exact de l’œuvre et les objectifs de sa rédaction Q uel titre exact Nicolas de Damas accorda-t-il à sa biographie d’Auguste ? Le Codex Turonensis C 980, contenant des passages des Excerpta de Virtutibus et Vitiis, résume l’ouvrage par les termes « περὶ ἀρετῆς καὶ κακίας : τες τοῦ αυ πατ καίσαρος ἀγωγῆσ ». Ils furent lus comme « τοῦ αὐτοῦ περὶ τῆς Καίσαρος ἀγωγῆς » par Valesius93, en 1634, et comme « τοῦ αὐτοῦ περὶ πρώτης Καίσαρος ἀγωγῆς » par T. Büttner-Wobst94, au début du xxe siècle. Le génitif τοῦ αὐτοῦ fait indubitablement référence à Nicolas de Damas, ainsi que le prouve la phrase précédente du manuscrit, qui ponctue les extraits conservés des Histoires. L’excerptum 25 indique τοῦ αὐτοῦ α περὶ τ Καίσαρος ἀγωγῆς et τέλος τοῦ ς λόγου τῆς Νικολάου ἱστορίας. J. Bellemore95 croit voir en les lettres α, τ et ς l’abréviation d’Αὔγουστος. Dès lors, il intitule la vie d’Auguste de Nicolas « περὶ Αὐγούστου Καίσαρος ἀγωγῆς », mais le nom « Auguste » mis au génitif ne peut se terminer par un sigma. Le Codex Turonensis C 980 conclut sa retranscription des travaux du Damascène par la mention « τέλος τῆς ἱστορίας Νικολάου Δαμασκηνοῦ καὶ τοῦ βίου Καίσαρος τοῦ νέου ». L’inscription « τέλος τοῦ βίου Καίσαρος καὶ τῆς Νικολάου Δαμασκηνοῦ συγγραφῆς », quant à elle, parachève le Codex Ω I 11, contenant les Excerpta de Insidiis (les § 37 à 139 de la biographie d’Auguste). Enfin, la Souda écrit à propos de la biographie de Nicolas : « Νικόλαος Δαμασκηνός […] ἔγραψεν […] τοῦ βίου Καίσαρος ἀγωγήν »96. F. Jacoby97 opte pour la formule « περὶ τοῦ βίου Καίσαρος τοῦ Σεβαστοῦ καὶ τῆς αὐτοῦ ἀγωγῆς », en combinant certaines locutions citées ci-avant, tout en y introduisant arbitrairement le terme de 93 Valesius, Polybii Diodori Siculi Nicolai Damasceni Dionysii Halicar. Appiani Alexand. Dionis et Ioannis Antiocheni excerpta ex collectaneis Constantini, Rome 1634. 94 Büttner-Wobst 1906. 95 Bellemore 1984, XXI. 96 Rodríguez Horrillo 2015, 17-39. 97 FGrH IIC, 261-262.
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« Σεβαστοῦ ». Ainsi que l’indiquent C. Müller98 et M. Toher99, dans le Codex Ω I 11 et la Souda, les mots βίος Καίσαρος constituaient l’élément central du titre de l’ouvrage de Nicolas consacré à Auguste. Nous nous rangeons à cet avis, eu égard au fait que l’ἀγωγή d’un homme, aussi brillant fut-il, ne constituait pas un élément de titre de biographie. Dès lors, nous emploierons généralement l’appellation « Vie d’Auguste ». Les objectifs de Nicolas, définis à deux reprises dans la rédaction de sa biographie, sont davantage établis que le titre exact de celle-ci. Le § 2 explicite que « concernant les hommes, les auteurs qui aspirent à la célébrité pour leurs beaux ouvrages se voient imposer une épreuve : celle de raconter et de décrire la force de sa sagesse et de sa vertu, pour montrer autant que possible, d’une part, la politique qu’il mit en œuvre dans sa patrie, d’autre part, les grandes guerres, civiles et étrangères, qu’il conduisit. Et moimême, je vais exposer ses actions, à partir desquelles il sera possible à tous de connaître la vérité »100. Velleius Paterculus, qui a sans doute lu la Vie d’Auguste101, paraphrase d’ailleurs le contenu de ce chapitre102. Cinquante-six chapitres plus loin, Nicolas écrit : « Je parlerai ensuite du deuxième César, Auguste, au sujet duquel j’ai entrepris cet ouvrage : je raconterai comment il est parvenu au pouvoir et quelles furent ses actions, quand il eut remplacé le premier César, dans le domaine de la guerre comme dans celui de la paix »103. Sur fond d’exercice d’un pouvoir autocratique, et dans un cadre de son acceptation par la majorité des Q uirites, l’objet avoué de Nicolas était donc de composer un récit élogieux qui apporterait une renommée à la fois au sujet de la biographie et Müller, FHG, t. 3, 343. Toher 2016, 151-156. 100 Vie d’Auguste, F 126 (2), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 210. περὶ δὴ τούτου τοῦ ἀνδρὸς φρονήσεώς τε καὶ ἀρετῆς ἰσχὺν δεῖξαι ὁπόσον δύναται, τὰ μὲν ἐκ τῆς πολιτείας ἥντινα ἐν τῇ πατρίδι ἐπολιτεύσατο τὰ ‹δὲ› κατὰ στρατηγίας μεγάλων πολέμων ἐγχωρίων τε καὶ ἀλλοεθνῶν, ἀγώνισμα μὲν ἀνθρώποις πρόκειται λέγειν καὶ γράφειν, ὡς ἂν εὐδοκιμεῖν ἐν καλοῖς ἔργοις· καὐτὸς δ᾿ ἀφηγήσομαι τὰ πεπραγμένα, ἐξ ὧν οἷόν τε γνῶναι σύμπασι τὴν ἀλήθειαν. 101 Cf. infra p. 43-44. 102 Vell., 2, 89, 6. 103 Vie d’Auguste, F 130 (58), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 242. ἔπειτα δὲ περὶ τοῦ ἑτέρου Καίσαρος, οὗ ἕνεκα ὅδε ὁ λόγος ὥρμηται, ὅπως τε παρῆλθεν εἰς τὴν ἀρχὴν καί, ἐπειδὴ ἀντ᾿ ἐκείνου κατέστη, ὁπόσα ἔργα πολέμου καὶ εἰρήνης ἀπεδείξατο. 98 99
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à son auteur104. Un autre motif d’ordre personnel est également suggéré : la biographie constituerait le moyen par lequel il réussirait à gagner l’estime d’Auguste. Si la vision du Damascène de Rome et de son empire était celle d’un étranger, sa connaissance des choses romaines est assurée (notamment sur le plan institutionnel), même si son interprétation des réalités de l’Vrbs dépendait forcément, en partie, de sa mentalité hellénico-syrienne. Ce regard ne fut nullement déformant ; il n’utilise, par exemple, jamais de terme abstrait pour décrire des valeurs romaines. Comme Polybe avant lui105, Nicolas se situait du côté des vainqueurs. Or, comme il en était conscient, il ne fallait pas négliger l’importance des conséquences socio-politiques dans le phénomène de la collaboration et de l’intégration antiques. Nonobstant, ayant rédigé sa biographie à Rome et étant particulièrement réceptif au bilinguisme, ainsi que le fut son prédécesseur mégalopolitain, il entendait toucher un public romain aristocratique, intrigué par le récit d’un personnage aussi remarquable que brillant. Il n’en demeure pas moins vrai que le lectorat de Nicolas était essentiellement grécophone. En effet, la Vie d’Auguste, rédigée en grec, était destinée à être lue par la population résidant dans l’est de l’Empire. Son essence hellénique est également démontrée par le fait que de nombreuses institutions romaines sont interprétées de façon à être facilement appréhendées par un lectorat grec. Pour exemple, lors des Lupercales, César était assis ἐπὶ τῶν ἐμβόλων106 λεγομένων, un endroit décrit un peu plus tard comme un ὑψηλός […] τόπος. Lorsque l’historien rapporte la réaction du peuple à la suite de la tentative de Marc Antoine de coiffer César d’un diadème, il écrit : « À ce moment-là, Antoine le couronna une deuxième fois et le peuple se mit à crier : ‘Vive le roi !’ dans sa langue »107. Plus significatif encore est le fait qu’il explique ce Vie d’Auguste, F 126 (2). Dubuisson 1985. 106 Ce terme apparaît plusieurs fois chez Polybe (3, 85, 8 ; 6, 53, 1 ; 2-9 ; 30, 4, 4-6), sans explication. Les successeurs du Mégalopolitain en feront un mot neutre. Diod., 12, 26, 1 ; 34, 33, 7 ; DH, 2, 26, 5 ; Plut., Cic. 23, 2 ; App., BC 2, 36. 107 Vie d’Auguste, F 130 (73), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 252. τὸ δ᾿οὖν δεύτερον Ἀντωνίου ἐπιτιθέντος ὁ δῆμος ἐβόησε « χαῖρε, βασιλεῦ » τῆς ἑαυτοῦ γλώττης. 104 105
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qu’est un ἐν τῷ πρὸ τῆς πόλεως πεδίῳ108, en analysant la nature des pouvoirs césariens. Au § 69, il glose autour de la statue dorée du dictateur s’élevant sur les Rostres, en expliquant combien les Romains étaient très méfiants de ce genre de représentation, car ils la considéraient comme un « δουλείας […] σύμβολον ». Dans le contexte de la monarchie hellénistique, pareil symbole n’aurait appelé aucun commentaire particulier, mais Nicolas savait pertinemment bien qu’il en allait différemment dans l’Vrbs. La distinction entre les théâtres grec et romain fait également l’objet d’une brève mention109. De même, le champ de Mars est décrit comme ἐν τῷ πρὸ τῆς πόλεως πεδίῳ. Dans sa Vie d’Auguste, l’objectif de Nicolas était donc de présenter le futur princeps comme le dirigeant d’un empire bilingue. Les intentions didactiques de l’auteur, qui a une conscience claire du système romain des relations interpersonnelles, sont orientées autour de l’art de gouverner, mais, si la première qualité morale du chef vertueux fut son courage sur le champ de bataille, il devait faire sienne la sagesse du philosophe. Celle d’Auguste, à l’instar de celles d’Arbakès110 et de Cyrus111 décrites dans les Histoires de Nicolas, n’égalait, pour celui-ci, que sa grandeur d’âme. L’auteur fait donc la part belle aux questions éthiques, et y loue la moralité de son sujet d’étude. La biographie présentant Auguste sous un jour favorable à ses sujets romains et grecs, nous inclinons à penser que c’est par le biais de cette composition, qui aida le prince à renforcer le soutien des habitants des provinces orientales de l’Empire à son égard, qu’il se fit connaître tant à Rome qu’en Judée et en Syrie. Denys d’Halicarnasse voulait, lui aussi, concevoir unitairement deux univers qui, à son époque, se pensaient le plus souvent distinctement ; dès le principat, le destin de Rome se confondait avec celui de l’oikoumène. En outre, l’historien grec, qui faisait de l’Vrbs une cité arcadienne, utilisa également à son profit la mise en exergue de la figure augustéenne par des envolées dithyrambiques, en établissant notamment un continuum historique entre Romulus, César 110 111 108 109
Vie d’Auguste, F 127 (13 ; 18) ; F 130 (81). Vie d’Auguste, F 127 (19). F 2 et 3. F 66 (12).
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et Auguste et en associant le nom de ce dernier au retour de la paix et à celui de la philanthropie112. De fait, le prince accorda sa confiance au Damascène, qui, par son sujet-matière, dressa des ponts entre l’Vrbs et l’Orient, et lui confia diverses missions à remplir. Nicolas, qui fit preuve de pédagogie, était au fait du fonctionnement de la société romaine. Toutefois, il n’entendait nullement procéder à une enquête pragmatique dénuée de toute idée préconçue. Ainsi a-t-il, sans surprise, privilégié sa renommée à la recherche de la vérité.
La période de rédaction de la biographie d’Auguste La date de composition de la Vie d’Auguste fait l’objet de discussions de la part des Modernes, qui proposent trois hypothèses : vers 25-20 avant J.-C.113 ; entre 12 et 4 avant J.-C.114 ; et après 14 de notre ère115. Dans ce chapitre, nous démontrerons qu’il convient de retenir la première. Notre analyse se fondera sur les étapes de la carrière de diplomate et d’auteur de Nicolas figurant dans les fragments de son Autobiographie et dans les œuvres d’autres historiens, tels Appien et Dion Cassius. Au cours de la période allant de 20 à 4 avant J.-C., Nicolas rédigea les cent quarante-quatre livres de ses Histoires. Simultanément, à partir de 14 avant J.-C., il fut dépêché par Hérode pour conduire de nombreuses missions diplomatiques116. De plus, dans son autobiographie, le Damascène écrit qu’il souhaitait se retirer de la vie politique après le décès d’Hérode, survenue en 4 avant J.-C., parce qu’il avait environ soixante ans ; il s’était rendu à Rome en compagnie d’Archélaos, fils d’Hérode, dans l’unique but de soutenir ses prétentions à la succession de son père117. Il ajoute qu’il faisait désormais preuve d’aversion pour la société
Delcourt 2005, 250-251 ; 366-368. FGrH IIC, 263 ; Gabba 1984, 62 ; Malitz 2003, 7-8. 114 Perea Yébenes 2011, 221 ; Toher 2009, 131. 115 Yarrow 2006, 355 ; FRH, t. 1, 460. Pour les FRH, la description des réalisations d’Auguste et l’absence de biographies écrites pendant sa vie laissent à penser que le travail est antérieur à la mort d’Auguste. 116 90 TT 4-9 ; F 81. 117 90 F 136 (8). Kokkinos 2010. 112 113
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aristocratique romaine118. Dès lors, il y a lieu de croire qu’il n’ait pas écrit la biographie du prince durant la tranche chronologique comprise entre 20 et 4 avant J.-C., au cours de laquelle il aurait été trop occupé pour s’y adonner, ni après celle-ci, dans la mesure où il s’était désintéressé des mondanités de l’Vrbs. Abordons à présent les éléments étayant la troisième hypothèse, celle d’une date de rédaction postérieure à l’an 14 après J.-C. Premièrement, l’introduction de la biographie de Nicolas et les Res Gestae diui Augusti, confiés en dépôt aux vestales en 13, comportent des similitudes. Les deux sources attestent d’une expansion de l’espace romain119 ; plusieurs passages se réfèrent à des victoires militaires contre les Pannoniens, les Illyriens, les Daces et des peuples habitant autour de la mer Ionienne120. En outre, les ambassades envoyées à Octavien/Auguste par des États situés à la périphérie de l’Empire pourraient être une interprétation plausible de la phrase de Nicolas « sans force armée, il persuada les peuples de l’écouter »121. Un intérêt pour l’inconnu et les explorations peut également être vu tant dans la biographie du Damascène que dans les Res Gestae122. Enfin, le ton du texte conservé convient à un moment du principat au cours duquel les 90 F 138. Vie d’Auguste, F 125 (1) : μακροτάτους τε ὅρους ἐποιήσατο τῆς Ῥωμαίων δυναστείας ; Aug., RG 26 : Πασῶν ἐπαρχειῶν δήμου Ῥωμαίων, αἴς ὅμορα ἦν ἔθνη τὰ μὴ ὑποτασσόμενα τῆι ἡμετέραι ἡγεμονίᾳ, τοὺς ὅρους ἐπεύξησα. 120 Vie d’Auguste, F 125 (1) : ἡμερωσάμενος ὁπόσοι ἐντὸς Ῥήνου ποταμοῦ κατοικοῦσιν ὑπέρ τε τὸν Ἰόνιον πόντον καὶ τὰ Ἰλλυριῶν γένη (Παννονίους αὐτοὺς καὶ Δᾶκας καλοῦσιν) ; Aug., RG, 26 : Ἐπαρχείας ἁπάσας, ὅσαι πέραν τοῦ Εἰονίου κόλπου διατείνουσι πρὸς ἀνατολάς, καὶ Κυρήνην ἐκ μείζονος μέρους ὑπὸ βασι1λέων κατεσχημένας καὶ ἔμπροσθεν Σικελίαν καὶ Σαρδὼι προκατειλημένας πολέμωι δουλικῶι ἀνέλαβον ; Aug., RG, 30 : Παννονίων ἔθνη, οἴς πρὸ ἐμοῦ ἡγεμόνος στράτευμα Ῥωμαίων οὐκ ἤνγισεν, ἡσσηθέντα ὑπὸ Τιβερίου Νέρωνος ὃς τότ’ ἐμοῦ ἦν πρόγονος καὶ πρεσβευτής, ἡγεμονίαι δήμου Ῥωμαίων ὑπέταξα τά τε Ἰλλυρικοῦ ὅρια μέχρι Ἴστρου ποταμοῦ προήγαγον· οὗ ἐπείταδε Δάκων διαβᾶσα πολλὴ δύναμις ἐμοῖς αἰσίοις οἰωνοῖς κατεκόπη. Καὶ ὑστερον μεταχθὲν τὸ ἐμὸν στράτευμα πέραν Ἴστρου τὰ Δάκων ἔθνη προστάγματα δήμου Ῥωμαίων ὑπομένειν ἠνάγκασεν. 121 ἄνευ ὅπλων […] ἔπεισεν ἑαυτοῦ ἀκροᾶσται. 122 Vie d’Auguste, F 125 (1) : ὧν δὲ πρότερον οὐδὲ ὀνόματα ἠπίσταντο οἱ ἄνθρωποι οὐδέ τινος ὑπήκοοι ἐγένοντο διὰ μνήμης ; Aug., RG 26 : Στόλος ἐμὸς διὰ Ὠκεανοῦ ἀπὸ στόματος Ῥήνου ὡς πρὸς ἀνατολὰς μέχρι ἔθνους Κίμβρων διέπλευσεν, οὗ οὔτε κατὰ γῆν οὔτε κατὰ θάλασσαν Ῥωμαίων τις πρὸ τούτου τοῦ χρόνου προσῆλθεν ; RG, 30 : Παννονίων ἔθνη, οἴς πρὸ ἐμοῦ ἡγεμόνος στράτευμα Ῥωμαίων οὐκ ἤνγισεν ; RG 31 : βασιλέων πρεσβεῖαι πολλάκις ἀπεστάλησαν, οὐδέποτε πρὸ τούτου χρόνου ὀφθεῖσαι παρὰ Ῥωμαίων ἡγεμόνι. 118 119
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controverses des premières années du règne d’Auguste étaient évanescentes. Dans le Βίος, on ne trouve d’ailleurs aucune trace de controverse ou de doute relatifs aux pleins pouvoirs de César. En raison de ces analogies, d’aucuns font valoir que Nicolas adapta une partie du contenu et de la phraséologie des Res Gestae, notamment lorsqu’il prit la plume pour écrire l’introduction de sa biographie. Néanmoins, les différences contextuelles entre les deux œuvres susmentionnées semblent indiquer que leurs similitudes syntaxiques et, dans une moindre mesure, thématiques sont fortuites. En effet, il était d’usage de mentionner des topoi élogieux destinés à louer un général ou un prince faisant figure de chef de guerre accompli123 repoussant les frontières de son empire et remportant des victoires sur le champ de bataille, tout en faisant montre de diplomatie. Ces analogies sont une forme d’αὔξησις, que tout auteur proche du régime en place, depuis Polybe, se devait d’adopter. De plus, même si un écrivain pouvait être peu ou prou influencé par certaines œuvres littéraires dans le corps de son récit, son introduction était le plus souvent le fruit de sa propre réflexion. Au demeurant, Nicolas nous raconte que les Pannoniens et les Daces, qui vivaient au-delà des Illyriens, furent pacifiés par Octave, alors que les Res Gestae établissent que la province d’Illyricum fut étendue au Danube, et que les Daces furent maîtrisés. Il est invraisemblable que la version livrée par le Damascène constitue un compte rendu approximatif des Res Gestae. Sans doute a-t-il décrit d’autres campagnes militaires n’ayant pas encore fixé la frontière impériale le long du Danube. Bref, les ressemblances entre les Res Gestae et la biographie d’Auguste de Nicolas ne sont pas patentes. De fait, elles ne sont pas en mesure de prouver que cette dernière ait été rédigée après la mort du princeps. Au surplus, comme nous le verrons124, Octavien/Auguste encensa César durant les années 20 avant J.-C. et, à l’instar de Nicolas, ne manquait pas de mettre en avant sa divinité, ce qu’il ne fit plus ensuite. R. Laqueur est persuadé que les temps des verbes choisis par Nicolas dans l’introduction de sa biographie d’Auguste prouvent qu’elle fut rédigée après 14 après J.-C. Les deux premiers para Cic., Or. 2, 85 ; Q uint., Inst. 3, 7, 15 ; Vell., 2, 89. Cf. infra p. 59-62.
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graphes de cette source comprennent huit aoristes. Cette prépondérance, qui implique, par définition, des actions décrites terminées, semble soutenir une datation postérieure à 14. Les aoristes pourraient se référer au principat, qui inaugura une ère de paix en mettant un terme à la troisième guerre civile. Néanmoins, ceux figurant aux lignes 14 et 15 ne posent aucune difficulté, car ils ne se rapportent pas directement aux activités d’Auguste. Il en est de même à la ligne 27, où Nicolas stipule qu’il souhaitait montrer la grandeur du futur prince. Par ailleurs, le présent de γεραίρουσιν, amorçant une digression érudite tout en élargissant le propos temporel, fait sans doute référence au culte impérial. Les aoristes choisis par l’auteur ne peuvent donc pas être considérés comme une preuve qu’Auguste était décédé au moment de la rédaction de la Vie d’Auguste. César, lui aussi, avait d’ailleurs utilisé le parfait dans le but de feindre d’adopter une position détachée par rapport aux événements qu’il avait relatés125. Nicolas dut dès lors faire de même dans l’introduction de sa biographie d’Auguste. Pour preuve, dans son autobiographie, il se plaît à user de l’aoriste126. De plus, l’âge du Damascène après la mort d’Auguste s’oppose à une datation basse ; il aurait été âgé d’environ 78 ans en 14127. Il n’existe aucune preuve qu’il ait vécu longtemps après son départ de la cour juive en 4 avant J.-C. Rappelons du reste qu’il voulait se retirer de la vie politique après le décès d’Hérode. Au surplus, le contenu de son introduction suggère qu’il écrivit sa biographie à Rome, car l’Italie constitue le centre de gravité du récit. Enfin, dans la mesure où Nicolas avait pour dessein d’écrire une biographie élogieuse d’Auguste, tout en s’attirant son respect et une certaine renommée, il n’avait aucune raison d’attendre un âge avancé et encore moins le décès de son sujet d’étude. Il nous reste à vérifier la première hypothèse. Nicolas fit la part belle aux relations qu’entretenaient Octavien et César. Or il était davantage aisé de les décrire à une époque où le futur princeps s’appuyait, au moins dans une certaine mesure, sur la puissance
Rambaud 1952, 29-32. 90 FF 137-138. 127 Vie d’Auguste, F 127 (4). 125 126
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du nom de son père adoptif. Le ton du récit de Nicolas cadrerait donc bien avec les années 25-20 avant J.-C.128 Un passage de l’autobiographie renforce cette hypothèse. Au F 135, nous lisons l’intérêt d’Hérode pour la philosophie et la rhétorique : « Hérode abandonna son ancien amour de la philosophie (comme il arrive d’ordinaire à ceux à qui le pouvoir procure une foule d’avantages qui les divertissent) et se prit d’une nouvelle passion pour la rhétorique. Il réclamait à Nicolas de faire de la rhétorique avec lui, et ils en faisaient donc ensemble. Puis une autre passion s’empare de lui, celle de l’histoire, dont le Damascène lui avait dit le plus grand bien en lui expliquant que c’était la science de la politique par excellence et qu’il y avait de l’utilité pour un roi à connaître les événements et les actions du passé. Hérode se tourna donc vers l’histoire avec ardeur »129. C’est quelque temps plus tard que le roi confia à Nicolas la tâche d’écrire les Histoires. Il semblerait donc que le premier considérait déjà le second comme un historien plusieurs années avant 12 avant J.-C. Dans la mesure où la biographie d’Auguste est sans nul doute le seul travail historique que Nicolas ait composé avant ses Histoires, qui ne furent terminées que huit ans plus tard, il est vraisemblable que cette première œuvre historique ait permis d’acquérir cette réputation. Elle aurait donc été rédigée aux environs de 25-20 avant J.-C. Cette thèse est également étayée par la dernière phrase de l’introduction (§ 1) de la biographie d’Auguste : « Parmi les peuples dont auparavant on ne connaissait même pas les noms – car, de mémoire humaine, ils n’avaient été les sujets de personne – il [Auguste] civilisa tous ceux qui habitent en-deçà du Rhin et au-delà de la mer Ionienne, ainsi que les peuples d’Illyrie, qu’on appelle Pannoniens et Daces ‹…› »130. Les événements figurant Cf. infra p. 19-20. Autobiographie, F 135, rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 304. ὅτι Ἡρώδης πάλιν διαμεθεὶς τὸν φιλοσοφίας ἔρωτα, ὃ φιλεῖ τοῖς ἐν ὑπεροχῇ οὖσι συμβαίνειν διὰ τὸ πλῆθος τῶν ἐξαλλαττόντων αὐτοὺς ἀγαθῶν, ἐπεθύμησε πάλιν ῥητορικῆς καὶ Νικόλαον ἠνάγκαζε συρρητορεύειν αὐτῷ, καὶ κοινῇ ἐρρητόρευον. αὖθις δ’ ἱστορίας αὐτὸν ἔλαβεν ‹ἔρως› ἐπαινέσαντος Νικολάου τὸ πρᾶγμα καὶ πολιτικώτατον εἶναι λέγοντος, χρήσιμον δὲ καὶ βασιλεῖ ὡς τὰ τῶν προτέρων ἔργα καὶ πράξεις ἱστοροίη. καὶ ἐπὶ τοῦτο ὁρμήσας προύτρεψε. 130 Vie d’Auguste, F 125 (1), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 208. ὧν δὲ πρότερον οὐδὲ ὀνόματα ἠπίσταντο οἱ ἄνθρωποι οὐδέ τινος ὑπήκοοι ἐγένοντο διὰ μνήμης, ἡμερωσάμενος ὁπόσοι ἐντὸς Ῥήνου ποταμοῦ 128 129
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dans ce passage semblent faire partie d’un point culminant rhétorique décrivant les principales réalisations d’ordre militaire du prince. S’il est difficile de déterminer avec exactitude à quel moment elles eurent lieu, dans la mesure où l’introduction ne fut conservée que partiellement et que certaines campagnes militaires ayant eu lieu durant le règne d’Auguste furent omises par Nicolas, il nous faut cependant savoir si ces victoires peuvent avoir été remportées avant les années 25-20 avant J.-C. De multiples spéculations concernant la mention introductive relative au Rhin ont cours131. Elle présente deux difficultés majeures. Premièrement, le texte est corrompu. Selon la version retranscrite par Valesius, Auguste se serait vu confier les opérations ἐντὸς Ῥήνου. Pourtant, la Gaule, à l’exception de l’Aquitaine132, fut en très grande partie pacifiée par César133 ; le Rhin constituait déjà l’une des frontières de l’Empire134. Deuxièmement, quelle interprétation exacte doit être donnée à ἡμερωσάμενος135 ? Prétendre qu’Auguste dirigeait une Gaule « modérée » jusqu’à la rive ouest du Rhin est possible, mais une « civilisation » ou « romanisation »136 dudit territoire l’est également. Certains éditeurs remplacent donc ἐντὸς par ἐκτὸς. Auguste aurait alors prétendu avoir repoussé l’influence romaine au nord. L’introduction de la biographie de Nicolas étant pour le moins élogieuse, une telle évaluation de la geste augustéenne est possible137. Cependant, aucune source ancienne ne va dans ce sens. En outre, avant l’instauration du principat, les positions romaines le long du Rhin demeuraient précaires. De plus, Auguste conseilla à Tibère de ne pas repousκατοικοῦσιν ὑπέρ τε τὸν Ἰόνιον πόντον καὶ τὰ Ἰλλυριῶν γένη (Παννονίους αὐτοὺς καὶ Δᾶκας καλοῦσιν) ‹…›. 131 F. Jacoby (FGrH IIC, 263) estime d’ailleurs que la référence au Rhin est la seule à même de permettre à l’antiquisant de dater la rédaction de la biographie d’Auguste. 132 En 29 avant J.-C., une insurrection aquitaine avait appelé un retour à l’ordre. Cette mission fut confiée à Marcus Valerius Messala Corvinus, qui la mena à bien. 133 Gilliver 2003 ; Goudineau 1992. 134 Sall., Hist. 1. 135 « Civiliser » : traduction donnée par Autobiographie, F 135, rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 304. 136 McMullen 2003. 137 Aug., RG 26. Geiger 2011, 233-266.
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ser les limites de l’Empire au-delà de ce fleuve, selon Tacite138 et Dion Cassius139. Nous privilégions donc la formule ἐντὸς Ῥήνου : le Rhin devait constituer la limite nord-nord-est de l’imperium de l’Vrbs. Nous ne reviendrons pas sur la question de savoir si la politique impériale augustéenne reposait sur un véritable objectif stratégique visant à stabiliser les frontières de l’Empire ou si elle adoptait le précepte de l’imperium sine fine avant le désastre de Varus140. De fait, Nicolas aurait fait référence dans son introduction à l’expulsion des Suèves de l’autre côté du Rhin en 29 avant J.-C., où le futur princeps s’illustra aux côtés de Caius Carrinas141, et peut-être aux batailles livrées contre les Aquitains, en 29 et 28 avant J.-C., et les Cantabres, en 26 et 25 avant J.-C.142 Ces derniers s’étaient soulevés en 29, puis avaient été matés par sept légions, divisées en trois corps et placées sous les ordres de l’empereur luimême143, qui fut ensuite atteint par la maladie à Tarragone ; il fut alors contraint de laisser le commandement à ses légats. Q uant aux campagnes d’Octavien en Illyrie, elles eurent lieu en 35/34 avant J.-C. L’Illyrica d’Appien, fondée en partie sur les Mémoires d’Auguste144, conte ces opérations en détails145. Elle argue qu’au cours d’une lutte en Illyrie, Octavien, qui fut blessé à deux reprises, s’empara de Segesta pour l’utiliser comme base d’opérations contre la Dacie146. Cette thèse est étayée par le fait que Nicolas place sur le même pied les Illyriens, les Pannoniens et les Daces ; peut-être Appien a-t-il, en partie, suivi son compte rendu. La mention ὧν δὲ πρότερον οὐδὲ ὀνόματα ἠπίσταντο οἱ ἄνθρωποι du Damascène fait écho aux noms de tribus qu’Auguste dut consigner dans ses premiers écrits147. En 29 avant J.-C., celui-ci fut célé-
Tac., Ann. 1, 11, 4. Dio Cass., 56, 33, 5. Voir aussi : Flor., 2, 30, 39. 140 Gruen 1998, 148-197 ; Alston 2013, 197-211. 141 Dio Cass., 47, 14. 142 Verg., G. 1, 509 ; Dio Cass., 51, 21, 6 ; 53, 22, 5. 143 Auguste avait mobilisé des troupes terrestres et maritimes. 144 Cf. infra p. 26-42. 145 App., Ill. 14-29. 146 App., Ill. 23. 147 Vie d’Auguste, F 125 (1). Voir : App., Ill. 16. 138 139
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bré par un triomphe148. Au demeurant, Dion Cassius enregistre un discours prononcé par Auguste devant le Sénat en 27 avant J.-C., où il établit que τὴν Παννονίας δούλωσιν149. De plus, cette région, désignée province sénatoriale la même année, dut alors avoir été considérée comme sûre150. Enfin, même si, dans ses Res Gestae, Auguste rendit hommage à Tibère pour ses victoires sur les Pannoniens et les Daces151, Nicolas faisait vraisemblablement référence à des campagnes auxquelles Octavien/Auguste prit part activement. Dès lors, les deux hommes ne faisaient allusion dans leurs écrits respectifs ni à celle de M. Vicinius et de Tibère entre 13 et 9 avant J.-C., ni à l’écrasement de la révolte pannonienne en 8 après J.-C.152 Au demeurant, Dion Cassius explique que Tibère réduisit davantage encore les Daces, ce qui implique qu’ils avaient déjà été vaincus une première fois153. Aucune donnée de la Vie d’Auguste n’invalide donc la thèse selon laquelle l’ouvrage ne pourrait pas avoir été écrit au cours des années 25-20 avant J.-C. ; la mention de campagnes près du Rhin et dans les Balkans convient mieux aux années trente et vingt avant J.-C. qu’à une période ultérieure. Ajoutons que pour Virgile, les années vingt étaient d’ailleurs « aurea […] saecula »154. Dion Cassius va dans le même sens en indiquant qu’au cours de cette période, l’Empire romain n’avait plus à souffrir des invasions parthes155. De plus, les portes du temple de Janus furent fermées en 29 avant J.-C., puis en 25 avant J.-C.156 Enfin, des délégations indiennes, décrites par Nicolas157, furent accueillies par Auguste en 26/25 avant J.-C. Au demeurant, il serait irréaliste de suggérer l’instauration d’une période de paix avant la fin de l’année 29 avant J.-C. Rappelons qu’après 20 avant J.-C., Nicolas se consacra aux Histoires, une œuvre colossale ne permettant pas la rédaction Dio Cass., 51, 21, 5. Dio Cass., 53, 7, 1. 150 Dio Cass., 53, 12, 4. 151 Aug., RG 30. 152 Aug., RG 30 ; Vell., 2, 39, 3 ; 96, 2 ; Dio Cass., 54, 28, 1-2 ; 36, 2. 153 Dio Cass., 54, 36, 2. 154 Verg., Aen. 6, 791-794. Voir aussi : Vell., 2, 89. 155 Dio Cass., 51, 18, 1-3 ; 20, 1. 156 Aug., RG 13 ; Dio Cass., 51, 20, 4-5 ; 53, 26, 5 ; 54, 36, 2 ; Vell., 2, 38, 4. 157 Histoires, F 100 = Strab., 15, 1, 73. 148 149
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d’autres compositions, et qu’il aurait eu près de quatre-vingts ans en 14 après J.-C. Or il n’existe aucune preuve qu’il ait vécu si longtemps. Dès lors, la composition de la biographie d’Auguste doit donc être datée des années 25-20 avant J.-C. Nous le verrons, l’importance accordée à César dans la section B de l’œuvre renforce cette thèse158.
Contenu de la biographie d’Auguste Par leur richesse, les écrits de Flavius Josèphe et de Suétone se sont imposés comme les principales sources narrant la période augustéenne. Dès lors, ceux de Nicolas de Damas ont demeuré longtemps dans l’ombre. Pourtant, les fragments conservés de la Vie d’Auguste sont pertinents à plus d’un titre. Selon les principes de la biographie péripatéticienne cherchant à illustrer le caractère d’un individu (ἔθος) par l’analyse de ses gestes (πράξεις), Nicolas met l’accent sur les actions et les réalisations entreprises par Octave/Octavien (πεπραγμένα). Il s’efforce de tirer des faits ce qui l’intéresse, tout en tenant cause de leur causalité. Les parties conservées de la biographie d’Auguste peuvent être scindées en trois sections : les § 1-57 (A), les § 58-106 (B) et les § 107-139 (C). Dans une brève introduction (§ 1-15), Nicolas définit notamment ses objectifs, analogues à ceux décrits pour César par Cicéron159 : An ego possum huic esse inimicus cuius litteris fama nuntiis celebrantur aures cotidie meae nouis nominibus gentium nationum locorum ? ; par Diodore160 : τὸ μέρος […] περὶ τὰς Βρεττανικὰς νήσους καὶ τὴν ἄρκτον ἥκιστα πέπτωκεν ὑπὸ τὴν κοινὴν ἀνθρώπων ἐπίγνωσιν […] οὗτος γὰρ τὴν Ῥωμαίων ἡγεμονίαν εἰς ἐκεῖνα τὰ μέρη πορρωτάτω προβιβάσας πάντα τὸν πρότερον ἀγνοούμενον τόπον ἐποίησε πεσεῖν εἰς σύνταξιν ἱστορίας ; et par Dion Cassius161 : καὶ πόλεις ἀναριθμήτους, ὧν οὐδὲ τὰ ὀνόματα πρότερον ᾔδειμεν, προσεκτήσατο […] ὧν γὰρ οὐδὲ τὰς ἐπικλήσεις ἀκούοντες ἐπιστεύομεν αὐτὰ εἶναι, ταῦθ᾿ ἡμῖν προσκατείργασται, ἐμβατὰ
Cf. infra p. 59-71. Cic., Prov. 22. 160 Diod., 3, 38, 2-3. 161 Dio Cass., 44, 42, 2-3 ; 5. 158 159
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μὲν τὰ πρὶν ἄγνωστα, πλωτὰ δὲ τὰ πρὶν ἀδιερεύνητα ἀπό τε τῆς μεγαλοπρεπείας καὶ ἀπὸ τῆς μεγαλογνωμοσύνης ποιήσας. Après ces prolégomènes, Nicolas retrace sommairement l’ascendance d’Octave (§ 3-4). Cette partie est essentielle, car il n’existe aucun autre compte rendu relatif à la naissance et au début de la vie du premier princeps. L’ensemble de la section A narre son histoire jusqu’au moment où il quitta Brundisium pour gagner Rome en avril 44 avant J.-C., après avoir appris la nouvelle de l’assassinat de César. De 56 à 47 avant J.-C., divers épisodes de son enfance et de sa jeunesse sont sommairement traités162 : cinquante-deux lignes leur sont consacrées, dont la majeure partie relate la rencontre entre Octave et Herophilus lors de son retour à Rome depuis l’Hispanie en 45 avant J.-C.163 Du reste, le récit du trajet parcouru par le petit-neveu de César depuis Apollonie jusqu’à son arrivée à Rome164 est traité en détails, dans la mesure où il est considéré par l’auteur comme le tournant de sa vie. Certains éléments, situés originellement entre les § 27 et 28165, doivent avoir disparus. Bien que le matériau des § 25-27 figure uniquement chez Nicolas, il n’est pas difficile de reconstituer le texte perdu. Octavien rejoignit César en Hispanie après la bataille de Munda, près de Carteia. En mai, il voyagea à ses côtés par mer jusqu’à Carthagène, récemment assiégée par Sextus Pompée166, où il aurait marqué l’esprit de son grand-oncle167. En effet, dans la mesure où les § 28 et 30 sont consacrés à l’excellence morale du jeune homme, le texte non conservé est susceptible d’avoir traité du même thème. Nicolas aborde la vie d’Auguste sous un angle essentiellement chronologique. Il ne fait exception à cette règle qu’à deux reprises. La première figure au § 30, dans lequel il écrit que César avait décidé d’adopter Octave avant de revenir d’Hispanie, mais qu’il garda ses intentions secrètes « parce qu’il craignait que, enorgueilli par l’espoir d’une si grande fortune – comme cela arrive habituellement à ceux qui sont élevés dans la richesse – il n’oublie 164 165 166 167 162 163
Vie d’Auguste, F 127 (4-15). Vie d’Auguste, F 128 (32-33). Vie d’Auguste, F 130 (38-57). FGrH IIC, 396 : « excidit folium ». Dio Cass., 43, 30, 1. Vie d’Auguste, F 127 (25-27). Perea Yébenes 2012, 7-18.
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la vertu et ne s’écarte de son style de vie »168. La seconde se trouve au § 45, avant qu’Octave n’ait quitté Apollonie. Il fut profondément ému par les marques de respect que des citadins lui témoignèrent, et, avant de mettre les voiles, « les remercia, et plus tard, une fois arrivé au pouvoir, il leur accorda la liberté, l’exemption d’impôts et beaucoup d’autres bienfaits qui rendirent la ville exceptionnellement florissante »169. La phrase βουλόμενος παρὼν τοῖς πραττομένοις καιροφυλακεῖν suggère d’ailleurs son affirmation grandissante sur la scène politique. Les sections A et C sont construites autour de la carrière d’Octave ; tous les autres personnages, y compris César, lui sont subordonnés. Pour preuve, le franchissement du Rubicon et son retentissement à Rome sont résumés en sept mots. De même, les combats que livra César au cours de la période 49-47 avant J.-C. n’occupent que quatre lignes dans le récit de Nicolas, lesquelles ont pour unique objectif d’introduire la relation unissant le petit-neveu à son grand-oncle170. Le retour de César dans l’Vrbs après sa campagne africaine est également utilisé par l’historien pour expliciter la nature des liens existant désormais entre les deux hommes171 ; près de deux tiers du contenu des § 14 à 33 sont consacrés aux relations qu’entretenaient le « premier César » et le « deuxième César ». Toute la section A, construite quasi exclusivement autour de l’attachement porté par l’imperator à Octave, constitue le fondement de la défense du Damascène des pouvoirs politiques obtenus par son sujet d’étude. Les fragments des Excerpta de Virtutibus se terminent au § 36 ; le reste de la biographie d’Auguste est fourni par les Excerpta de Insidiis. Toutefois, ceux-ci comportent une lacune ; le texte manquant devait indiquer les raisons pour lesquelles Octavien se rendit à Apollonie et mentionner les Romains qui l’accompa168 Vie d’Auguste, F 118 (30), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 226. ἔγνω μὲν οὖν καὶ πρότερον παῖδα ἀποδεῖξαι, δεδιὼς δὲ μὴ ἐλπίδι τοσαύτης τύχης ἐπαρθείς, ὃ φιλεῖ τοῖς εὐδαιμόνως τρεφομένοις ἕπεσθαι, ἐκλάθοιτο ἀρετῆς καὶ ἐκδιαιτηθείη. 169 Vie d’Auguste, F 130 (45), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 234. Ἀπολλωνιάτας δὲ τότε ‹τε› ἐπῄνεσε καὶ παρελθὼν εἰς τὴν ἀρχὴν ἐλευθερίαν τε αὐτοῖς καὶ ἀτέλειαν ἄλλας τε οὐκ ὀλίγας χάριτας ἐπιδοὺς καὶ εὐδαίμονα τὴν πόλιν ἐν τοῖς μάλιστα ποιήσας. 170 Vie d’Auguste, F 127 (14). Kagan 2006. 171 Vie d’Auguste, F 127 (16).
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gnaient. La fidélité d’Octavien à ses amici et sa volonté d’écouter leurs conseils sont des thèmes récurrents dans l’œuvre de Nicolas. Le magister dicendi Apollodore de Pergame, cité par Suétone172, est mentionné pour la première fois au § 44 : « Tous se préparèrent donc à prendre la mer, sauf Apollodore qui, prétextant de son âge et de sa santé, se retira dans sa patrie, Pergame »173. Ces informations sont incompréhensibles à moins qu’elles n’aient été mentionnées avant qu’Octavien n’ait quitté l’Italie pour l’Épire. Au début de la section B, Nicolas explique comment il entendait développer son thème principal (§ 58) : « À partir de ce point, mon récit va chercher à exposer comment les assassins exécutèrent leur complot contre César et comment ils réalisèrent toute l’affaire, puis ce qui se passa ensuite quand tout fut bouleversé. Ainsi, je vais d’abord présenter les origines du complot et son organisation, ainsi que les raisons pour lesquelles, une fois ourdi, il en arriva à de si graves conséquences. »174 La section B de la biographie d’Auguste livre donc un compte rendu des motifs des conspirateurs anti-césariens, des activités de l’imperator au cours des mois précédant sa mort et des événements ayant eu lieu lors des Ides de mars et durant les jours suivants. Cette fois, l’événement – les ides de mars – n’est plus véritablement intégré dans un flux historique continu puisqu’il est isolé, même s’il ne constitue nullement un excursus ; il apparaît comme une construction historico-morale servant les intérêts de l’auteur. Le récit des conséquences de l’assassinat aux § 90-106 constitue un excursus en ce qu’il ne concerne pas directement la biographie d’Auguste, et est rédigé de manière relativement impartiale, même s’il comprend un discours de Brutus (§ 100)175. Le ton est peu solennel. Par ailleurs, le but de cette digression est d’élucider Suet., Aug. 89. Vie d’Auguste, F 130 (44), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 232 ; 234. καὶ οἱ μὲν πρὸς τὸν πλοῦν παρεσκευάζοντο· Ἀπολλόδωρος δὲ ὑποτιμώμενος τό τε γῆρας καὶ τὴν ἀσθένειαν εἰς τὴν πατρίδα τὸ Πέργαμον ἀπελύετο. 174 Vie d’Auguste, F 130 (58), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 242. ἐπιζητεῖ δὲ τοὐντεῦθεν ὁ λόγος ὅπως συστήσειαν τὴν ἐπιβουλὴν οἱ σφαγεῖς ἐπὶ Καίσαρα καὶ ὡς τὸ σύμπαν κατειργάσαντο, τά τε μετὰ ταῦτα πραχθέντα, κινηθέντων τῶν ὅλων. διέξειμι οὖν αὐτήν τε πρῶτον καθότι ἐγένετο καὶ ὅπως τάς τε αἰτίας ὑφ᾿ ὧν συστᾶσα τοσόνδε ἐπεξῆλθεν. 175 Morstein-Marx 2004. 172 173
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les causes d’un événement qui marqua les esprits et bouleversa l’existence d’Octave. L’historien de Damas raconte avec force détails sa décision, contre l’avis de sa mère et de son beau-père, d’accepter le nom et l’héritage de César. Il n’était plus gagné par le doute, comme il le fut à Apollonie, car il estimait que sa cause était juste. Nicolas relie ensuite l’arrivée d’Octavien à Rome et les événements qui s’y étaient déroulés et qui sont relatés dans la section B. Dans la section C, davantage encore que dans la A, l’attention du lecteur est plus que jamais portée sur la figure centrale de la biographie. Elle reprend son histoire jusqu’au début du mois de novembre 44 avant J.-C.176 Octave regagna Rome, avant d’être opposé à Marc Antoine177. La mention de la levée de troupes par le petit-neveu de César à Calatia et à Casilinum destinée à lutter contre son adversaire politique et celle de son envoi d’hommes à Brundisium clôturent sa biographie178. Ces événements peuvent respectivement être fixés à la fin d’octobre et au début du mois suivant. Au demeurant, nous constatons que les trois mois et demi couverts par la section C occupent un quart du texte total conservé de la biographie d’Auguste. Dès lors, si une couverture similaire avait été appliquée au récit à partir de mars 44 avant J.-C. et que le terminus post quem de l’œuvre avait été l’an 27 avant J.-C. ou une date ultérieure, la majeure partie de celle-ci aurait été enfouie sous les sables du temps. Au demeurant, une lacune est à déplorer après le § 106. Le texte perdu nous aurait permis de savoir comment Nicolas plaçait Octavien par rapport aux intrigues politiques survenues immédiatement après le meurtre de César. Le § 103 traite de la situation à Rome et du soutien croissant que Marc Antoine et Lépide reçurent le 16 mars. Vindicatifs, les césariens se rencontrèrent pour décider de la position à adopter179. Le texte de Nicolas suggère que cette réunion eut également lieu le 16 mars, et qu’elle s’interrompit le lendemain, préalablement à la convocation du Sénat dans le temple de Tellus, situé dans le quartier des Carènes, 178 179 176 177
Vie d’Auguste, F 130 (136-139). Vie d’Auguste, F 130 (107-108). Vie d’Auguste, F 130 (136-139). Vie d’Auguste, F 130 (106).
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sur l’Esquilin. Le récit conservé reprend à la fin juillet (§ 108). Il glose alors autour de festivités en l’honneur de Vénus Genetrix180, auxquelles fut indirectement associé le défunt César, et au cours desquelles Octavien tenta, pour la deuxième fois, d’exposer la chaise d’or et la couronne tendue de son père adoptif lors des Lupercales181. Nicolas indique qu’il rencontra une nouvelle opposition. Il dut dès lors évoquer dans la partie non conservée de son œuvre la première occasion au cours de laquelle, selon Appien182, Critonius interdit la présence de ces objets jugés contraires aux principes républicains. Les indices relatifs à la teneur du texte perdu sont peu nombreux. Cependant, au § 117, le Damascène explique qu’un soldat cria qu’il assassinerait Marc Antoine de ses propres mains s’il ne respectait pas les dispositions prises par César et ratifiées par le Sénat. La nature de celles-ci doit avoir été explicitée plus tôt. Il est possible que l’auteur ait également déploré qu’à la fin du mois d’avril, Marc Antoine ait quitté Rome pour fonder de nouvelles colonies dans le sud de l’Italie, où s’établiraient des vétérans. Alors qu’il s’engageait dans cette entreprise, Octavien arriva à Rome183. Dès lors, Marc Antoine regagna l’Vrbs. De fait, Nicolas aurait établi un lien prégnant entre le début de la section C, la fin de la B et la A, laquelle se conclut par le départ d’Octavien pour l’Vrbs. Dans chacune des sections décrites et analysées ci-avant, comme l’explique O. Devillers, ont été mis en œuvre des procédés qui concourent à construire la personnalité d’Octave : pour simplifier, la focalisation dans la première section, la comparaison implicite dans la deuxième, la comparaison explicite dans la troisième. En outre, une gradation est perceptible dans l’ensemble de l’ouvrage184. Si la Vie d’Auguste commence par une description de l’ascendance d’Octave, il n’est pas aisé de déterminer son terminus post quem originel. En effet, l’auteur ne livre à ce propos que de 180 CIL, 12, 330 ; Dio Cass., 43, 21, 3-23, 6 ; App., BC 2, 102-421 ; Plut., Caes. 55, 4 ; Iul. 38, 2-39. 181 Vie d’Auguste, F 130 (108). Voir : Michels 1953, 35-59 ; North 2008, 144-160. 182 App., BC 3, 28. Torrens 2010, 91-182. 183 Toher 2004, 174-184 ; Id. 2016, 154-152. 184 Devillers 2014, 2.
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maigres indices, et la longueur originale de l’œuvre ne peut être évaluée en raison de la disparité du traitement des différentes étapes de la vie du protagoniste. Au § 2, il déclare son intention d’examiner la φρονήσις et l’ἀρετῆ d’Octavien ; pour ce faire, il dut s’inspirer de l’Éthique à Nicomaque d’Aristote, qui fait notamment la part belle à la φρονήσις de Périclès, une valeur qui ne vient, en principe, qu’avec l’âge et l’expérience185. En outre, à l’entame de son récit consacré à César (§ 58), il promet d’expliquer plus loin comment Octavien arriva au pouvoir et rétablit la paix. Toutefois, la longueur de cet épisode, dont l’importance est significative, ne peut être déterminée avec précision. Les campagnes militaires d’Octave au cours de la guerre civile prirent fin après la bataille d’Actium. F. Jacoby estime donc qu’il y a lieu d’accepter 27 avant J.-C. comme dernière date explorée dans la biographie d’Auguste186. Cette thèse est plausible, mais 25 avant J.-C., l’année de parution des Mémoires d’Octave187, semble plus probable, car il apparaît que Nicolas les a consultés pour rédiger sa biographie.
Les modèles littéraires et les sources de Nicolas Il est difficile de déterminer la façon dont Nicolas construisit sa biographie d’Auguste, eu égard à son état fragmentaire. S’il l’écrivit dans les années vingt avant J.-C., il y a fort à parier qu’il n’eut à sa disposition que peu de documents de première main. Comme ce fut le cas pour les Histoires, il dut privilégier l’utilisation d’une source. Certains Modernes s’accordent à penser que le Damascène s’est probablement principalement appuyé sur les Mémoires d’Auguste188 ; pour G. Dobesch189, il ne pourrait en être autrement, dans la mesure où la Vie d’Auguste constituait un outil de propagande augustéenne. Néanmoins, M. Toher190 et É. Parmen-
Aristot., Nic., 1140a24-1142a30. FGrH IIA, 9. 187 Suet., Aug. 85, 1. 188 Misch 1931, 152 ; FGrH IIC, 263-265 ; Flamerie de Lachapelle 2012, 178 ; Gabba 1984, 62 ; Malitz 2003, 12 ; Martin 2012 (b), 49. 189 Dobesch 1978, 91-174. 190 Toher 2009, 125-144. 185 186
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tier191 estiment que Nicolas, s’il s’est approprié cet écrit, s’est livré à une présentation personnelle d’Octave/Auguste. Concomitamment, pour tenter de reconstituer le contenu de la biographie de ce dernier, il nous faut nous atteler à l’exercice périlleux de l’élaboration d’une typologie des auteurs antiques en mesure d’y avoir eu recours pour la rédaction de leurs propres ouvrages. S’il est vrai que parvenir à une certitude en ce qui touche les emprunts faits par un auteur à un autre est chose malaisée, d’autant plus lorsque l’œuvre du second écrivain a disparu et que l’on ne peut en déterminer la nature et les tendances que de façon approximative, nous pourrons toutefois nous faire ainsi une idée de l’influence qu’a exercée le travail de Nicolas sur ceux des historiens des premier et deuxième siècles. Les Mémoires d’Auguste Auguste a beaucoup écrit au cours de son existence192. Outre son testament, la rédaction de nombreuses lettres personnelles est attestée par Suétone193. Ce dernier mentionne également une réponse à Brutus, le Sur Caton, et l’écriture Des encouragements à l’étude de la philosophie194. Nous savons du reste qu’il publia des pamphlets dès 36195. L’autobiographie d’Auguste constituait un récit composé de treize livres196. En grec, on parle d’hypomnemata197 ; en latin, de uita sua198, de memoria uitae suae199, commemoratio uitae sua200. Selon le T3201, l’œuvre était dédiée à Agrippa et Mécène. La date précise de composition est inconnue, mais elle devait se situer peu de temps après la fin de la guerre de Cantabrie, en 25 avant Parmentier 2000, 313-335 ; Id. 2001, 91-99. Q uint., Inst. 6, 3 ; Plut., Mor. 206 F-208A ; Macr., 2, 4-5. 193 Suet., Aug. 85, 1 = T1. 194 T1 = Suet., Aug. 85, 1. 195 App., BC 5, 130. 196 T1 = Suet., Aug. 85, 1 ; T2 = Suda, s. v. Augoustos Kaisar. 197 T3 = Plut., Comp. Dem. Cic. 3, 1 ; F5 = Plut., Comp. Dem. Cic. 3, 1 ; F6 = Plut., Brut. 27, 1-3 ; F7a, b, c. 198 F3 = Ulp., Dig. 48, 24, 1. 199 F2 = Serv., Ecl. 9, 46-47. 200 F10 = Serv., Aen. 8, 696. 201 T3 = Plut., Comp. Dem. Cic. 3, 1. 191 192
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J.-C.202, dernier événement décrit dans les fragments conservés ; ce succès valut un triomphe au princeps. Par ailleurs, ce fut la dernière lutte armée au cours de laquelle il prit les auspices sur le champ de bataille203. Q uelles sont les raisons qui guidèrent Auguste à écrire son autobiographie à cette époque ? En 25 avant J.-C., il était davantage en sécurité qu’il ne l’avait été auparavant. En outre, il pouvait alors prétendre avoir remporté un certain nombre de succès militaires. Nonobstant, leur mise par écrit, dans la mesure où la guerre constituait l’un des éléments clés des autobiographies latines conservées204, lui aurait permis de suivre les traces de César ; les F9205, F10206 et F16207 sont relatifs aux exploits guerriers d’Octavien. Il est naturel de s’attendre à un compte rendu complet et pleinement augustéen de la guerre contre Cléopâtre, minimisant l’implication du prince dans le conflit civil ; la volonté de se présenter sous son meilleur jour est patente. L’autobiographie, outil de propagande, faisait l’objet de méfiance de la part des Q uirites : il existait donc, pour le prince, un risque d’être mal vu par certains d’entre eux. Cependant, une attention particulière est apportée par C. Pelling au traitement par Auguste de son attitude pitoyable sur le champ de bataille de Philippes. Le Moderne conclut que l’empereur se montra relativement modeste, pratiquant une rhétorique de l’honnêteté et admettant certaines de ses erreurs208. K. Welch, qui a étudié les mémoires rédigés tantôt par des opposants, tantôt par des alliés, en déduit qu’Auguste fit plus que laisser une place à ses rivaux politiques dans le monde littéraire, et qu’il encouragea même leur production écrite209. Toujours est-il que pour A. Powell, la thématique apologétique demeurait centrale dans les mémoires augus-
Rich 2009, 145-172. T4 = App., Ill. 15, 43. Dans son travail sur les guerres illyriennes, Appien exprime sa dette à l’égard l’autobiographie d’Auguste. 204 Candau 2011, 121-159 ; Tatum 2011, 161-187 ; Ridley 2011, 267-314. 205 F9 = App., Ill. 14-15. 206 F10 = Serv., Aen. 8, 696. 207 F16 = Plut., Ant. 68, 1-2 208 Pelling 2009, 41-64. 209 Welch 2009, 195-223. 202 203
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téens ; un lien peut être opéré avec Virgile, propagandiste officiel du princeps210. Le récit de Tite-Live, conservé de manière lacunaire, ne nous permet pas de savoir s’il s’inspira des mémoires du prince, mais il en eut inévitablement connaissance. Velleius, pour sa part, dut les avoir consultés, sans pour autant en avoir fait sa source principale. Suétone se servit à plusieurs reprises de l’autobiographie pour rédiger sa Vie d’Auguste. Dion Cassius connaissait l’ouvrage princier puisqu’il en cite (inexactement) un passage dans son œuvre (F12), lequel décrit les relations entretenues entre Octavien, Marc Antoine et Decimus en 44 avant J.-C.211 Il en est de même pour Appien, qui cite explicitement les hypomnemata d’Auguste (F7c212) lors de son récit des campagnes illyriennes. Le compte rendu de l’Alexandrin est d’ailleurs caractérisé par la prééminence d’Octavien, général anticipant les embuscades213, montrant l’exemple à tous les légionnaires, même blessé214, et témoignant toujours d’une grande vigueur au combat215. Identifier des fragments authentiques de l’autobiographie nécessite quelques précautions. Selon les FRH, dix sont solidement attribués à l’autobiographie, huit sont « possibles » et un est « douteux »216. Le F1 est la seule citation textuelle possible de l’œuvre. Il confirme qu’elle fut écrite à la première personne (consecrauimus). M. Toher argue que la Vie d’Auguste mérite d’être considérée pour elle-même, et ne doit pas être perçue comme un assem-
Powell 2009, 173-194. Millar 1987, 83-102. 212 F7c = App., BC 4, 110. 213 App., Ill. 18. 214 App., Ill. 20. 215 App., Ill. 26. 216 Les F11 (Suet., Aug. 2, 3), F14 (Suet., Aug. 27, 4), F15 (Suet., Aug. 62, 2) et F16 (Plut., Ant. 68, 1-2) sont tous introduits par le verbe scribit. FRH, t. 1, 455156. Les F7 a (Plut., Ant. 41, 5-8), b (Plut., Ant. 22, 2) et c (App., BC 4, 110) sont relatifs à l’année 42 ; le F8 (App., BC 5, 42-45) à celle de 40 ; le F9 (App., Ill. 14-15) aux années 35-33 ; le F10 (Serv., Aen. 8, 696) à 31. Les fragments possibles pouvant être datés avec certitude sont les F14 = Suet., Aug. 27, 4 (43 ou 42) ; le F15 = Suet., Aug. 62, 2 (39 ou 38) ; le F16 = Plut., Ant. 68, 1-2 (31) ; le F18 = Plin., Nat. 2, 24 (36) ; et le F19 = Dio Cass., 48, 44, 4 (38). 210 211
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blage de sources, parmi lesquelles celles rédigées par le prince217. En effet, alors qu’Auguste consacra deux livres entiers aux événements antérieurs à novembre 44 avant J.-C., Nicolas n’utilisa que dix mille mots environ pour les décrire218. Le compte rendu de celui-ci est beaucoup moins dense que les Mémoires. Dès lors, ces derniers purent lui fournir suffisamment d’informations pour mener à bien son projet d’écriture. Toujours est-il qu’il est évident que Nicolas n’avait aucun intérêt à composer un récit historique allant à l’encontre de la vulgate augustéenne. En comparant son texte à celui d’Auguste, tout en dressant la liste des faits mentionnés uniquement par ce dernier, nous démontrerons que l’historien de Damas s’est vraisemblablement servi à plusieurs reprises des Mémoires rédigés par son sujet d’étude. La méthode d’évaluation de la dépendance de Nicolas à l’autobiographie consistera à montrer que certaines informations dans son récit ne peuvent provenir que des écrits d’Auguste. La biographie se divisant commodément en trois sections, chacune fera l’objet d’une analyse particulière. Nous ferons valoir que A et C sont tirés d’une source différente de B. Plusieurs passages de l’autobiographie du Damascène font directement écho à ceux de sa biographie d’Auguste. Une grande partie du livre 1 des Mémoires, à l’instar de la section B de la biographie de Nicolas, traitait des réactions des Romains face à la mort de César et des préparatifs du voyage d’Octavien pour Rome. Nous savons par ailleurs que le livre 2 de l’autobiographie du princeps, comme la biographie grecque, faisait la part belle aux jeux funéraires donnés en l’honneur de César peu après son décès (F2)219. L’attention des deux auteurs devait également porter sur les relations entretenues entre César et Octave. Au surplus, il est intéressant de noter que dans les F3 et F16 des Mémoires220, l’accent est mis sur la légalité du comportement d’Octavien, thématique omniprésente chez l’historien de Damas.
Ridley 2011, 267-314. Vie d’Auguste, F 130 (136) ; Aug., F4. 219 F1 = Plin., Nat. 2, 93-94 ; F2 = Serv., Ecl. 9, 46-57. 220 F3 = Ulp., Dig. 48, 24, 1 ; F16 = Plut., Ant. 68, 1-2. 217 218
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Les F4221, F5222 et F13223 de l’œuvre d’Auguste traitent de la relation entre Octavien et Cicéron. Le F5224 stipule que, comme Charès, Diopeithès et Leosthenes avaient eu besoin de Démosthène, Pompée et Octavien voulaient bénéficier de l’aide et de l’appui de Cicéron. Cependant, le F13 contient une critique, sans doute exprimée en 43 avant J.-C., de l’amour du règlement de Cicéron. Il en est de même chez Nicolas. Le F12225 montre comment Auguste gagna le peuple à sa cause, et put lutter contre les assassins de son père adoptif. Au demeurant, nous pointons dans les deux ouvrages le rôle actif joué par les parents dans l’éducation de leurs enfants226. Comme Nicolas, Auguste tenait à faire savoir aux Romains qu’il était issu d’une « vieille et riche » famille, récemment entrée en politique (F11227). Du reste, tous deux eurent à cœur de gérer efficacement les affaires politiques228. Enfin, la σωφροσύνη était une caractéristique recherchée par le prince et l’historien grec229 ; il en était de même pour la bravoure et l’endurance230. En revanche, il est impossible d’échafauder à partir de ces similitudes la thèse selon laquelle Nicolas aurait opéré un transfert entre ses propres valeurs et celles d’Auguste dans la biographie qui lui était consacrée. Ces thématiques sont courantes dans tout panégyrique. En fait, comme nous le verrons, aucun élément relatif à la jeunesse d’Octave figurant dans le récit de Nicolas n’aurait été hors de propos dans une œuvre d’essence romaine, notamment dans les Mémoires d’Auguste231. Dans la section A de la Vie d’Auguste, le propos est centré sur Octavien en tant qu’être humain. Dans la C, où les topoi sont moins présents, le volet psychologique laisse la place au rôle politique joué par le protagoniste. F4 = Tert., Anim., 46. F5 = Plut., Comp. Dem. Cic. 3, 1. 223 Plut., Cic. 45, 6. 224 F5 = Plut., Comp. Dem. Cic. 3, 1. 225 F12 = Dio Cass., 44, 35, 2-3. 226 F 132 (1) ; Octave, F 127, 4-6 ; 10. 227 F11 = Suet., Aug. 2, 3. 228 F 134 ; 136 ; Octave, F 127, 16 ; 27 ; F14 = Suet., Aug. 27, 4. 229 F 137 (4) ; 138 ; Octave, F 127, 16 ; 128, 28 ; 129, 36. 230 F 137 (2) ; Octave, F 127, 23-24. 231 Smith – Powell 2009. C. Smith réunit 5 testimonia, 10 fragments, 8 fragments « possibles » et un fragment « douteux ». 221 222
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L’influence des Mémoires d’Auguste dans la section A de la Vie d’Auguste Cette section de la biographie de Nicolas comprend de nombreuses informations relatives à Atia, mère d’Octave et nièce de César. En effet, elle y est mentionnée pas moins de seize fois232. L’historien insiste sur l’éducation que cette femme de pouvoir fit dispenser au futur empereur, sur le rôle qu’elle joua tout au long de son adolescence et sur le soutien indéfectible qu’elle lui témoigna. Le contenu du courrier que la mère envoya à son fils après qu’il eut appris l’assassinat de César n’est que brièvement rapporté par l’historien de Damas233 : Atia, dressant un tableau sombre de la situation en insistant sur les appuis dont les assassins de César disposaient, conseilla alors à Octavien d’agir comme un homme, tout en réfléchissant à la manière dont il pourrait assurer son avenir. Arrivé à Lupies, en Calabre, il attendit de recevoir des nouvelles de sa mère et de ses amis avant de gagner Brundisium234. Une fois sur place, il reçut un message d’Atia, l’incitant à retourner au sein de la demeure familiale. Le topos du chagrin maternel est prégnant. Aucun autre auteur ancien ne mentionne le contenu de cette correspondance. Le fait que Suétone235 se réfère aux epistulae autographae retrouvées dans les archives de Rome démontre que ces écrits n’avaient pas été recopiés. Contrairement au biographe latin, Nicolas, à l’instar de ses pairs contemporains, n’avait pas accès au tabularium. Ces échanges épistolaires devaient donc figurer dans un travail du prince contant l’assassinat de César et ses conséquences immédiates. Au § 54, Nicolas décrit les sentiments mitigés exprimés par Atia à propos de la position occupée par son fils. Une nouvelle fois, la section est rhétorique : « Elle hésitait entre l’opinion de Philippus, son mari, et celle de son fils »236. Le seul facteur qui fit douter ce dernier était τὸ ἄδηλον 232 Vie d’Auguste, F 127 (5-7 ; 10 ; 12 ; 14 ; 22) ; F 128 (31 ; 32 ; 33 ; 34) ; F 130 (38 ; 48 ; 51 ; 52 ; 54). 233 Vie d’Auguste, F 130 (38). 234 Vie d’Auguste, F 130 (51). 235 Suet., Aug. 71, 2 ; 87. 236 Vie d’Auguste, F 130 (54), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 238. τῆς τε τοῦ ἀνδρὸς Φιλίππου καὶ τοῦ υἱέος.
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τοῦ δαίμονος. Il est improbable que pareille considération ait été le fruit de l’imagination du Damascène ; il doit avoir suivi Auguste, qui fut le seul à accorder une telle importance à Atia. Au demeurant, Nicolas fait la part belle aux relations entretenues entre César et Octave. La prétendue inquiétude du dictateur pour la santé de son petit-neveu fait l’objet de deux mentions237. De plus, au début du récit, il rapporte que César avait l’intention de faire d’Octave son fils adoptif et de l’associer indirectement au pouvoir. Un trait singulier de la biographie de Nicolas est le nombre pléthorique de détails relatifs aux objectifs et aux prises de décisions d’Octave : sa demande à César de libérer le frère de M. Agrippa, catonien ; le dilemme présenté par le pseudo-Marius ; les conseils prodigués à Brundisium par sa mère et par Philippus et sa manière de juger de leur pertinence238. Pour chacun de ces items, Nicolas expose les alternatives qui s’offraient au futur princeps, et résume le fruit de ses réflexions. Un compte rendu de chacune de ces thématiques visant à présenter Octave comme un être réfléchi, habile et charismatique doit avoir figuré dans les Mémoires239. Nicolas insiste également sur le fait qu’Octavien réunissait toujours, notamment au lendemain de la mort de César, un concilium d’amis ou de relations avant de prendre une décision, comme devait le faire tout bon haut dignitaire romain garant du consensus social, et qu’il tint généralement compte des conseils prodigués. L’historien de Damas met également l’accent sur son respect de la légalité et de la tradition et sur sa modération240. L’affirmation selon laquelle l’Italie fit appel à Octavien pour qu’il s’emparât du pouvoir parce qu’il usait d’εὐσέβεια à l’égard de César dut avoir eu recours aux Mémoires. Toujours est-il que ces différentes inclusions relevaient de la propagande augustéenne. Enfin, le Damascène décrit C. Claudius Marcellus, marié à Octavie la Jeune et consul en 50 avant J.-C.241, comme « le
Vie d’Auguste, F 127 (15 ; 20). Vie d’Auguste, F 127 (16) ; F 128 (32-33) ; F 130 (40-43 ; 53-56). 239 Vie d’Auguste, F 130 (38-46). 240 Vie d’Auguste, F 130 (42 ; 46 ; 57). 241 Cic., Fam. 15, 7-11. 237 238
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Romain le plus sage et le plus noble de sa naissance »242, alors qu’il avait été un farouche opposant de César. Dès lors, cette louange, aussi succincte soit-elle, aurait paru incongrue si Nicolas n’avait, pour le rédiger, utilisé les Mémoires d’Auguste, qui ne devaient guère, pour autant, valoriser l’action des anti-césariens. Parallèlement, Marcellus fut un fervent partisan d’Octavien243. Il est donc probable que Nicolas ait repris de ce dernier l’éloge fait aux Claudii Marcelli. Il y a donc lieu de croire que l’essentiel de la section A de la biographie, notamment les § 5-12, 14, 22, 31-35, 38-39, 51-52 et 54, fut directement inspiré des Mémoires augustéens. En s’attachant aux actions et aux pensées d’Octave, Nicolas se conforma aux impératifs du genre biographique, tout en suggérant le transfert de pouvoir qui s’opéra du dictateur perpétuel au princeps. Du reste, le lecteur découvre les événements italiens à travers le prisme de la position occupée par le fils adoptif de César. L’influence des Mémoires d’Auguste dans la section C de la Vie d’Auguste La dernière section de la biographie d’Auguste est examinée après la première, car elle poursuit le récit relatif à l’existence d’Octavien. La question qui servira de fil rouge au présent sous-chapitre peut être formulée comme suit : existe-t-il suffisamment de liens et de points de comparaison patents avec la section A pour démontrer que Nicolas utilisa une nouvelle fois les Mémoires d’Auguste ? Plusieurs thématiques traitées dans la section A sont développées dans la C. En effet, l’historien de Damas continue à présenter Octavien comme un partisan de la concorde et un gardien des traditions, et loue une nouvelle fois sa tempérance et sa constance244. Après avoir demandé à Marc Antoine, consul, de lui permettre d’exposer publiquement la chaise curule et la couronne de César 242 Vie d’Auguste, F 128 (28), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 224. ἀνδρὸς σωφρονεστάτου καὶ κατ᾿ εὐγένειαν ἀρίστου Ῥωμαίων. 243 Verg., Aen. 6, 860. 244 Vie d’Auguste, F 130 (127).
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et avoir essuyé un refus catégorique, « il s’en alla sans protester, puisque l’interdiction venait du consul »245. Par ailleurs, malgré la rivalité opposant les deux césariens, Octavien se rendit tous les jours dans la maison de Marc Antoine, non seulement parce que c’était son devoir, mais aussi parce que ce dernier avait été un fidèle allié de son père adoptif 246. De même, la section C revient sur les relations unissant le futur prince à Atia. Son mari et elle furent préoccupés par les dangers inhérents à l’animosité de Marc Antoine à l’égard du jeune homme. C’est la raison pour laquelle ils lui conseillèrent de se retirer de la scène politique après les Ides de mars247. Nicolas met une nouvelle fois l’accent sur la volonté d’Octavien de s’enquérir de l’avis de ses proches248. Cependant, quand il demanda le soutien des cités campaniennes colonisées par César, « il choisit de ne pas révéler son véritable programme à sa mère, pour qu’elle n’élève pas d’obstacle à ses grands desseins par amour et par faiblesse, car c’était une femme et une mère »249. Pour le Damascène, l’εὐσέβεια et la πίστις du jeune homme à l’égard de César et de l’État s’imposaient plus que jamais. Dans la section C, davantage que dans la A, Nicolas insiste sur le droit d’Octavien de succéder à César250. De plus, il soutient que ce dernier avait décidé de l’adopter, non seulement parce qu’il appartenait à sa gens, mais également parce qu’il était digne d’éloges. Parallèlement, Octavien est présenté comme le vengeur de son grand-oncle, alors que Marc Antoine et Dolabella n’étaient guère soucieux de rendre honneur à leur ancien chef. Nicolas écrit : « Octave restait seul pour venger son père, étant donné
245 Vie d’Auguste, F 130 (108), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 274. ὁ δ᾿ ὅμοια ἠπείλησεν εἰ μὴ τούτων ἀποστὰς ἡσυχίαν ἄγοι. 246 Vie d’Auguste, F 130 (122). 247 Vie d’Auguste, F 130 (126). 248 Vie d’Auguste, F 130 (40 ; 41 ; 43 ; 55-57 ; 107-108 ; 117 ; 119 ; 126 ; 132-133). 249 Vie d’Auguste, F 130 (134), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 290. τῇ μητρὶ δ᾿ οὐκ ἐδόκει τὴν γνώμην δηλοῦν, μὴ ὑπὸ φιλοστοργίας ἅμα καὶ ἀσθενείας, οἷα γυνή τε καὶ μήτηρ. 250 Vie d’Auguste, F 130 (53 ; 113).
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qu’Antoine en avait complètement abandonné le projet et était favorable à une amnistie des assassins »251. Au § 107, Octavien gagne Rome, où il se heurte immédiatement à l’hostilité de Marc Antoine. Leurs différends constituent le cœur de la troisième section de la biographie de Nicolas. Tandis que le premier est encensé, le second est fustigé. Il est vilipendé par l’historien pour avoir été arrogant et menaçant252, avoir été un dissimulateur253, avoir détourné des fonds et fait preuve d’hypocrisie à l’égard de César, dont il ne salua jamais véritablement la mémoire254. Il fit même circuler une rumeur selon laquelle il était victime d’une conspiration, laissant entendre qu’Octavien en était l’instigateur255. Tout au long de la section C, Marc Antoine fait figure d’anti-exemplum vertueux. Au contraire, face à l’immoralité de ce dernier et aux intrigues dont il fut victime, Octavien demeura, une fois encore, selon Nicolas, maître de lui-même. Nul doute que pareille dichotomie devait figurer dans les Mémoires. Concomitamment, le Damascène omet volontairement toute action préjudiciable à Octavien ou favorable à Marc Antoine. Ainsi ne mentionne-t-il pas le fait qu’au moment de sa réconciliation avec son rival, le successeur de César, malgré sa jeunesse et son statut de patricien, souhaitait succéder à un tribun décédé256, une action empreinte d’illégalité qui provoqua la colère de Marc Antoine257, ainsi que celle de Plancus et de D. Brutus258. Dans les faits, la modération et l’honnêteté constantes que Nicolas trouve en Octavien259 sont donc contredites par cette volonté de faire fi des institutions. L’argumentation de l’historien grec visant à prouver qu’il était un citoyen épris de paix, mais qu’il fut forcé 251 Vie d’Auguste, F 130 (110), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 274. μόνος δ᾿ ἔτι λοιπὸς ἦν Καῖσαρ τιμωρὸς τῷ πατρί, διαμεθέντος Ἀντωνίου τὸ σύμπαν καὶ τὴν πρὸς τοὺς φονεῖς ἀγαπῶντος ἀμνηστίαν. 252 Vie d’Auguste, F 130 (108 ; 114-115). 253 Vie d’Auguste, F 130 (116 ; 121-122). 254 Vie d’Auguste, F 130 (50 ; 106 ; 110). 255 Vie d’Auguste, F 130 (123-129). 256 Faute de pouvoir exercer le consulat, de nombreux hommes politiques romains non patriciens affichaient le dessein de se faire élire tribun de la plèbe. 257 Plut., Ant. 16, 1 ; App., BC 3, 31 ; Suet., Aug. 10, 2 ; Dio Cass., 45, 6, 2-3. 258 Cic., Fam. 11, 10, 4. 259 Vie d’Auguste, F 130 (108 ; 113-114 ; 117-118 ; 120 ; 124 ; 130 ; 132).
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par Marc Antoine de prendre des mesures, n’est pas confirmée par Cicéron260. Il existe également des preuves textuelles tendant à démontrer que sa principale préoccupation était de renverser Marc Antoine, et, qu’à cette fin, il était prêt à faire des compromis avec les césaricides261. Dès lors, la vision apologétique de l’histoire véhiculée par Nicolas put avoir été empruntée aux Mémoires. Au demeurant, le Damascène écrit que les vétérans soutinrent Octavien parce qu’ils voyaient en lui le seul digne successeur de César262. A contrario, une lettre de Cicéron263, pourtant discrètement hostile à ce dernier et envoyée à Atticus en mai 44 avant J.-C., rapporte que Balbus lui confia les plans de Marc Antoine, qui demanda aux vétérans de soutenir les actes de César. Dans quatre lettres couvrant la période de mai à août 44 avant J.-C., Cicéron traite des tensions existant au sein des deux factions césariennes264. D’autres missives de l’Arpinate fournissent des preuves que Nicolas adopta la même ligne qu’Auguste à propos de son recrutement de troupes en Campanie à la fin d’octobre et au début du mois de novembre 44 avant J.-C. Cicéron expose à Atticus le contenu d’une lettre reçue d’Octavien : « Il obtint le soutient des vétérans à Casilinum et Calatia ; ce n’est pas surprenant puisqu’il donna 500 deniers à chacun »265. L’Arpinate ajoute qu’il pensait se rendre dans d’autres colonies, et que, deux jours plus tard, il apprit de deux lettres d’Octavien qu’il divisait les hommes en centuries tout en leur versant leur solde à l’avance. Il conclut : « Je me rends compte que la guerre est imminente. »266 Nicolas rapporte des propos similaires : « Il persuada les deux légions [les VIIe et VIIIe] de l’accompagner à Rome en passant par les autres colonies et de repousser vigoureusement toute action violente qu’Antoine pourrait tenter. Il recruta aussi d’autres soldats en leur versant une solde élevée, fit faire l’entraînement aux nouvelles recrues et les instruisit tous en cours de route, en leur expliquant individuellement Cic., Att. 15, 2, 3. Cic., Att. 16, 15, 3. 262 Vie d’Auguste, F 130 (115). 263 Cic., Att. 14, 21, 2. 264 Cic., Fam. 11, 2 (fin mai 44) ; Att. 15, 20, 2 (17-21 juin) ; Fam. 11, 3 (4 août) ; Att. 16, 7, 1 (19 août). 265 Cic., Att. 16, 8, 1. 266 Cic., Att. 16, 9. 260 261
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ou collectivement qu’il allait combattre Antoine »267. Les analogies entre les récits de Cicéron et Nicolas pourraient être dues au fait qu’ils se contentèrent de raconter la vérité historique. Cependant, il est très peu probable qu’Octavien ait pu convaincre à ce moment-là les vétérans de marcher sur Rome uniquement dans le but d’attaquer Marc Antoine. S’ils étaient inquiets quant à la validation des acta de César, ils n’envisageaient pas de provoquer des divisions au sein des césariens. Q ue Nicolas et Cicéron aient tous deux mis en exergue le motif de la levée rapide de troupes césariennes par Octavien est possiblement dû au fait qu’ils obtinrent l’information de celui-ci. Il nous est donc permis de conclure que la section C de la biographie d’Auguste poursuit les thèmes fondateurs de la A, tout en les approfondissant. L’éloge appuyé d’Octavien, représenté comme le seul digne successeur de César et l’unique garant de la concorde civique, et la critique acerbe de Marc Antoine, anti-exemplum de moralité tout au long du dernier tiers du récit de l’historien de Damas, suggèrent que les Mémoires d’Auguste durent avoir constitué la principale source de Nicolas pour la troisième partie de sa Vie d’Auguste. L’influence des Mémoires d’Auguste dans la section B de la Vie d’Auguste Les sections A et C de la Vie d’Auguste ne livrent aucune critique de César. Au contraire, elles louent ce dernier pour avoir été un chef de guerre brillant et un homme politique remarquable. Sans surprise, le contenu de la section B demeure globalement pro-césarien. La clementia du dictateur et sa préoccupation générale du bien-être des Romains sont mises en exergue268. S’il fut un impera-
267 Vie d’Auguste, F 130 (138), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 294. καὶ πείθει ἀμφότερα τὰ τάγματα εἰς Ῥώμην αὐτὸν παρὰ τὰς ἄλλας κατοικίας προπέμψαι, τήν τε Ἀντωνίου βίαν, εἴ τι κινοίη, ἐρρωμένως ἀμύνεσθαι. προσκατέλεξε δὲ καὶ ἄλλους στρατιώτας μεγάλοις μισθοῖς, καὶ τοὺς μὲν νεολέκτους ἐγύμναζέ τε καὶ ἀνεδίδασκε κατὰ τὴν ὁδὸν ἰδίᾳ τε καὶ κοινῇ πάντας διαλεγόμενος ἐπὶ Ἀντώνιον ἥκειν. 268 Vie d’Auguste, F 130 (59 ; 62). Peut-être Nicolas s’est-il, sur ce point, inspiré d’un passage de Diodore (32, 2, 1).
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tor connu et reconnu de tous, il conserva une grande simplicité269. Certaines de ses actions et positions politiques furent cependant critiquées. L’attaque principale dirigée contre lui fut sa volonté, à la fin de son existence, de concentrer entre ses mains l’essentiel des pouvoirs républicains270. Parallèlement, Nicolas prend soin de noter que la statue dorée à son effigie et coiffée d’une couronne était considérée par les Romains comme un δουλείας […] σύμβολον271. Q uoi qu’il en soit, la substance de la section B diffère des deux autres, car la figure centrale n’est pas Octavien, mais César. Le récit de la section B peut être divisé en trois parties : un examen des motivations des conspirateurs ; quelques épisodes illustrant la manière dont l’opposition à César se renforça ; et un compte rendu de l’assassinat et de ses conséquences. La première et surtout la dernière sont construites adroitement pour servir les objectifs narratifs de Nicolas. Auraient-elles été également fondées sur les Mémoires d’Auguste ? Les fragments conservés de ceux-ci n’indiquent pas si Auguste traita de manière exhaustive la période suivant immédiatement les Ides de mars. Si F. Jacoby272 avance que la section B de la biographie de Nicolas fut basée sur les Mémoires, nous verrons que cette théorie est controversée. Auguste doit avoir fait référence au meurtre de César dans ses écrits273. Il n’en demeure pas moins vrai que, malgré sa reconnaissance envers lui, il ne voulait pas paraître comme l’ombre de son grand-oncle. Nicolas l’a bien compris, car bien qu’il mentionne leur συγγένεια, il souligne que ce furent les qualités d’Octavien qui persuadèrent l’imperator de l’adopter274. Il convient également de noter le commentaire d’Appien quant aux écrits d’Auguste : οὐ γαρ ἀλλοτρίας πράξεις ὁ Σεβαστὸς, ἀλλά τὰς ἑαυτοῦ συνέγραφεν275. Il est donc possible que certaines formules de la section B de la biographie d’Auguste de Nicolas, qui narre la façon dont Octa-
Vie d’Auguste, F 130 (79 ; 80 ; 95 ; 97). Vie d’Auguste, F 130 (60-61 ; 63 ; 67 ; 73). 271 Vie d’Auguste, F 130 (63 ; 67 ; 69). 272 FGrH IIC, 272. 273 Voir : Aug., RG 2. 274 Vie d’Auguste, F 128 (30) ; F 130 (120). 275 App., Ill. 14. 269 270
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vien apprit la mort de César et les conséquences immédiates de cet assassinat, aient été inspirées des Mémoires. Néanmoins, il existe des éléments démontrant que, pour certains faits figurant au sein de la section B, Nicolas recourut à une source inusitée ailleurs dans la Vie d’Auguste et qui n’aurait pas appartenu au corpus augustéen. Cette thèse se fonde sur le traitement différencié de Marc Antoine, sur les incohérences présentes entre les sections A et B et sur l’attitude du Damascène à l’égard des conspirateurs et de César dans la deuxième section. Il a même été suggéré que l’épisode des ides de mars ne faisait originellement pas partie du Βίος, mais des Histoires de Nicolas. Toutefois, nous ne voyons pas où il aurait pu s’insérer dans la partie conservée de cette œuvre, qui ne fait guère la part belle aux événements se déroulant à Rome. L’hostilité témoignée à l’encontre de Marc Antoine dans les § 107 à 139 est grandement atténuée voire inexistante dans la section B. Le bras droit de César est d’abord introduit dans l’épisode des Lupercales (§ 71-75) : « Marc Antoine fut choisi pour mener la procession : il s’avançait en tête à travers le Forum, selon la coutume, et le reste de la foule marchait derrière lui. César était assis sur ce qu’on appelle les Rostres, sur un trône d’or, revêtu d’un manteau de pourpre. Dans un premier temps, Licinius, une couronne de laurier à la main (mais à l’intérieur de laquelle on entrevoyait un diadème), s’approcha de lui et, soulevé par ses collègues de magistrature (car l’endroit d’où César parlait au peuple était surélevé), déposa le diadème à ses pieds. Alors le peuple cria de le lui poser sur la tête et demanda à Lépide, qui était maître de la cavalerie, de le faire. Mais Lépide hésitait. Sur ce, Cassius Longinus, l’un des conjurés, faisant comme s’il était dévoué à César pour pouvoir mieux cacher ses intentions, prit les devants et déposa le diadème sur les genoux de César. Publius Casca était avec lui. César repoussa le diadème et alors, Antoine accourut en hâte, le corps nu et oint parce qu’il était en procession, et lui posa le diadème sur la tête. César l’enleva et la jeta à la foule »276. Contrairement aux Vie d’Auguste, F 130 (71-72), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 250 ; 252. ἡγεμὼν ᾑρέθη Μάρκος Ἀντώνιος· καὶ προῄει διὰ τῆς ἀγορᾶς, ὥσπερ ἔθος ἦν, συνείπετο δὲ αὐτῷ καὶ ἄλλος ὄχλος. καθημένῳ δὲ Καίσαρι ἐπὶ τῶν ἐμβόλων λεγομένων ἐπὶ χρυσοῦ θρόνου καὶ ἱμάτιον ἁλουργὲς ἀμπεχομένῳ πρῶτον Λικίνιος δάφνινον ἔχων στέφανον, ἐντὸς δὲ διάδημα περιφαινόμενον, 276
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attaques continues de Nicolas à l’encontre de Marc Antoine figurant dans la section C de la biographie d’Auguste, le récit retranscrit ci-dessus ne lui est pas défavorable. En effet, le consul n’aurait été que la troisième personne à tendre une couronne à César. Par ailleurs, comme l’indique sans prendre position Nicolas, l’action du bras droit du dictateur reçut une partie de l’approbation populaire277, dont une frange pensait qu’il « n’avait pas pu agir ainsi sans l’accord de César »278. Le ton adopté dans cette partie de son récit n’est donc pas globalement défavorable à Marc Antoine. Du reste, il est le plus complet de ceux décrivant cette procession. P. Lambrechts estime d’ailleurs que le témoignage de Nicolas relatif aux Lupercales est le plus vraisemblable279. Nous verrons plus loin pourquoi l’auteur n’a pas « lissé » son image du personnage dans l’ensemble de l’œuvre280. En décrivant les événements ayant eu lieu après l’assassinat de César, le Damascène opère une dichotomie entre son passé auréolé de gloire et sa solitude la plus complète dans la mort : « Aucun de ses amis – et pourtant il en avait beaucoup – n’était à ses côtés, ni quand on l’avait tué, ni après le meurtre, sauf Sabinus Calvisius et Censorinus. Ces derniers, après avoir un peu résisté à l’attaque des partisans de Brutus et de Cassius, s’étaient enfuis devant le nombre de conjurés. Les autres ne songeaient qu’à leur propre salut. Pour d’autres, enfin, ce qui était arrivé était conforme à leurs désirs »281. S’il avait utilisé les écrits d’Auguste, Nicolas aurait προσέρχεται ‹καὶ› (ἦν γὰρ ὑψηλὸς ὁ τόπος ἐφ᾿ οὗ Καῖσαρ ἐδημηγόρει) βασταχθεὶς ὑπὸ τῶν συναρχόντων κατέθηκεν αὐτοῦ πρὸ τῶν ποδῶν τὸ διάδημα. βοῶντος δὲ τοῦ δήμου ἐπὶ τὴν κεφαλὴν τίθεσθαικαὶ ἐπὶ τοῦτο Λέπιδον καλοῦντος τὸν ἱππάρχην, ὁ μὲν ὤκνει· ἐν τούτῳ δὲ Κάσσιος Λογγῖνος, εἷς τῶν ἐπιβουλευόντων, ὡς δῆθεν εὔνους ὤν, ἵνα καὶ λανθάνειν μᾶλλον δύναιτο, ὑποφθὰς ἀνείλετο τὸ διάδημα καὶ ἐπὶ τὰ γόνατα αὐτοῦ ἔθηκεν. συνῆν δὲ καὶ Πόπλιος Κάσκας. Καίσαρος δὲ διωθουμένου καὶ τοῦ δήμου βοῶντος, ταχὺ προσδραμὼν Ἀντώνιος, γυμνὸς ἀληλιμμένος ὥσπερ ἐπόμπευεν, ἐπὶ τὴν κεφαλὴν ἐπιτίθησιν. Καῖσαρ δὲ ἀνελόμενος αὐτὸ εἰς τὸν ὄχλον ἔρριψε. 277 Cairns – Fantham 2003. 278 Vie d’Auguste, F 130 (73), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 252. οἱ δὲ οὐκ ἔξω τῆς γνώμης [αὐτοῦ] διεθρόουν τοῦτο Ἀντώνιον πεποιηκέναι. 279 Lambrechts 1954, 135-136. 280 Cf. infra p. 49-88. 281 Vie d’Auguste, F 130 (96), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 264 ; 266. παρέστη δ᾿ αὐτῷ τῶν φίλων οὐδεὶς πολλῶν ὄντων οὔτε σφαττομένῳ οὔτε μετὰ ταῦτα, ὅτι μὴ Σαβῖνος Καλουίσιος καὶ Κηνσωρῖνος.
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sans nul doute mentionné le nom de Marc Antoine parmi les amis du dictateur n’ayant pas fait montre de courage le 15 mars 44 avant J.-C.282 Plutarque283 et Dion Cassius284 expliquent d’ailleurs qu’il s’isola immédiatement après le meurtre de César parce qu’il craignait pour sa vie. Au demeurant, selon Nicolas, Marc Antoine soutint le point de vue d’Hirtius, selon lequel des pourparlers de paix devaient être entamés avec les conjurés285 : ils devaient avoir la vie sauve afin d’éviter un bain de sang dans l’Vrbs. Or l’attitude conciliante et pacifiste de Marc Antoine ne fait l’objet d’aucune critique particulière dans la Vie d’Auguste. Nicolas insiste même sur le fait qu’il n’ait pas été à l’initiative de cette proposition d’armistice puisqu’il ne fit que se ranger aux côtés d’Hirtius. Pourtant, au § 50, le Damascène avait porté un tout autre regard sur la position antonienne au lendemain de la mort de César. Un autre argument en faveur de l’utilisation d’une source différente pour l’écriture de la section B de la Vie d’Auguste repose sur des incohérences entre les § 1-57 et les § 58-106. La première concerne les funérailles de César. Le § 48 indique que, d’après le rapport adressé à Octavien à Lupies, César avait chargé Atia de s’occuper de ses funérailles et explique comment, dans sa fureur, la foule avait dressé un bûcher et immolé le corps au milieu du Forum. Néanmoins, aux § 97 et 98, Nicolas raconte que Calpurnia était sortie de la maison avec une multitude de femmes et de serviteurs en invoquant le nom de son mari et en pleurant parce qu’elle l’avait inutilement encouragé à ne pas sortir ce jour-là, et que ce furent les amis de César qui préparèrent ses funérailles286. οὗτοι δὲ ἐπιφερομένων τῶν περὶ Βροῦτον καὶ Κάσσιον μικρὸν ἀντιστάντες ἔφυγον διὰ τὸ ἐκείνων πλῆθος· οἱ δὲ ἄλλοι τὸ κατὰ σφᾶς περιέβλεπον· τοῖς δὲ καὶ βουλομένοις ἦν τὰ γιγνόμενα. 282 Vie d’Auguste, F 130 (96). Jehne 1987. 283 Plut., Ant. 14, 1 ; Caes. 67, 2. 284 Dio Cass., 44, 22, 2. 285 Vie d’Auguste, F 130 (106). 286 Vie d’Auguste, F 130 (97-98), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 266. καὶ ἐπειδὴ πλησίον τῆς οἰκίας ἐγένετο, πολὺ δὴ μείζων ὑπήντα κωκυτός· ἐξ‹επ›επηδήκει γὰρ ἡ γυνὴ μετὰ πολλοῦ ὄχλου γυναικῶν τε καὶ οἰκετῶν, ἀνακαλουμένη τὸν ἄνδρα καὶ ἑαυτὴν ὀδυρομένη ὅτι μάτην προύλεγε μὴ ἐξιέναι τὴν ἡμέραν ἐκείνην. τῷ δ᾿ ἤδη μοῖρα ἐφειστήκει πολὺ κρείττων ἢ κατὰ τὴν αὐτῆς ἐλπίδα. καὶ οἱ μὲν αὐτῷ τάφον ηὐτρέπιζον.
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Ce même rapport reçu à Lupies, que F. Jacoby287 juge inauthentique en raison de sa concision, indiquait que « les deux premiers jours, où les amis de César étaient encore sous le choc, beaucoup de gens s’étaient joints aux meurtriers ; mais ensuite, quand les colons des cités voisines, que César avait établis et qu’il avait installés dans les cités, vinrent en masse se ranger aux côtés de Lépide, maître de la cavalerie, et d’Antoine, collègue de César au consulat, pour venger l’assassinat, nombreux furent ceux qui se dispersèrent »288. Pourtant, les § 99 à 101 révèlent comment les conspirateurs descendirent du Capitole, adressèrent un discours au peuple, puis se retirèrent à nouveau sur ladite colline le 15 mars avant J.-C., leur présence n’ayant pas été accueillie favorablement par le populus. Ils se résignèrent alors à envoyer des représentants auprès de Lépide et de Marc Antoine pour leur proposer d’unir leurs forces et de trouver des intérêts communs. Ce dernier déclara qu’il leur fournirait une réponse le lendemain. Au § 49, la formule τούς τε δούλους καλεῖν ἐπ᾿ ἐλευθερίᾳ συμμάχους de Nicolas, proche de celle de Plutarque (ἐπὶ τὴν ἐλευθερίαν παρεκάλουν τοὺς πολίτας289), constitue un véritable appel à la liberté pour le peuple romain. Chez Plutarque290 et Florus291, la prise du Capitole est présentée comme une action préméditée, alors qu’Appien292 et Dion Cassius293 font savoir que les assassins de César ne s’y retirèrent que lorsqu’ils échouèrent à trouver du soutien parmi la population. Cette occupation était à tout le moins marquante sur les plans symbolique (site religieux sauvé par les oies en 390 avant J.-C.) et tactique (colline à partir de laquelle il était initialement possible de contrôler la majeure partie de la ville). FGrH IIC, 281. Vie d’Auguste, F 130 (49), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 236. τῇ τε πρώτῃ ἡμέρᾳ καὶ δευτέρᾳ καταπεπλη‹γ›μένων ἔτι τῶν Καίσαρος φίλων, πολλοὺς αὐτοῖς προσέχειν, ἐπεὶ δ᾿ οἱ ἐκ τῶν περιοικίδων πόλεων κληροῦχοι, οὓς ἐ | κεῖνος κατῴκισέ τε καὶ ταῖς πόλεσιν ἐγκατέστησεν, ἧκον παμπληθεῖς ὡς τοὺς περὶ Λέπιδον τὸν ἱππάρχην καὶ Ἀντώνιον τὸν συνύπατον Καίσαρος ἐπεξιέναι αὐτοῦ τὸν φόνον ὑπισχνουμένους, σκεδασθῆναι τοὺς πολλούς. Osgood 2016, 210-213. 289 Plut., Brut. 18, 7 ; Caes. 67, 3. 290 Plut., Caes. 67, 3 ; Brut. 18, 7. 291 Flor., 2, 17, 2. 292 App., BC 2, 119, 501-120, 503. 293 Dio Cass., 44, 21, 2. 287
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De manière générale, les § 58 à 106, principalement les § 60 à 64, critiquent les césaricides, qualifiés de lâches, de cupides, d’ambitieux et d’ingrats ; nombre de conjurés espéraient prendre la place de César, déplore Nicolas294, et d’autres voulaient exprimer leur colère à la suite des pertes subies durant la deuxième guerre civile ou se venger de ne pas avoir occupé de hautes fonctions après celle-ci295. L’historien, dans un élan augustéen, fustige la jalousie de certains Romains frustrés et gagnés par l’ambition, alors qu’ils avaient bénéficié du pardon de César296. Toutefois, il peut comprendre le ressentiment du fidèle partisan traité d’une manière identique à son ancien adversaire297. De plus, il accorde un traitement laudatif à Marcus Brutus298, « honoré durant toute sa vie pour sa sagesse, pour la gloire de ses ancêtres et pour sa modération réputée »299. C’est son influence modératrice et sa popularité qui dissuadèrent ses pairs de tuer des partisans de César300. Le seul discours figurant dans la biographie de Nicolas est d’ailleurs celui que le fils de Servilia, qui partageait l’hostilité de Caton, son oncle, envers quiconque détenait le monopole du pouvoir politique, adressa au peuple le 15 mars avant J.-C.301 Le Damascène, ajoutant une tonalité pathétique au récit, ne peut s’empêcher de souligner son patriotisme. Les Junii Bruti sont d’ailleurs loués : « Tous étaient stimulés par l’antique gloire de la famille de Brutus, dont les ancêtres avaient renversé les rois de Rome, successeurs de Romulus, et fondé la République »302. Après l’assassinat
Vie d’Auguste, F 130 (60). Vie d’Auguste, F 130 (60). 296 Vie d’Auguste, F 130 (60-64). 297 Vie d’Auguste, F 130 (61-63). 298 M. Brutus ne fait l’objet d’aucune mention dans le Bellum ciuile de César. Peut-être avait-il décidé de ne pas dévoiler sa trahison. Tempest 2017, 81-99. 299 Vie d’Auguste, F 130 (100), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 268. κατὰ πολλὴν ἡσυχίαν τοῦ δήμου τὸ μέλλον προσδεχομένου, σωφροσύνῃ τε βίου διὰ παντὸς τιμώμενος κα | τά τε εὔκλειαν προγόνων καὶ τὴν ἐπ᾿ αὐτοῦ ἐπιείκειαν εἶναι δοκοῦσαν. 300 Vie d’Auguste, F 130 (93). 301 Vie d’Auguste, F 130 (100). 302 Vie d’Auguste, F 130 (61), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 244. πολλὰ δ᾿ ἐξώτρυνε καὶ ἡ ἐκ παλαιοῦ Βρούτοις ὑποῦσα εὔκλει‹α› τῶν προγόνων τοὺς ἀπὸ Ῥωμύλου βασιλέας τῆς Ῥώμης καταλελυκότων καὶ δημοκρατίαν πρῶτον καταστησαμένων. 294 295
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de César, ajoute Nicolas, les conspirateurs criaient qu’ils avaient agi pour défendre la liberté commune303. Ajoutons que les § 67 à 79 sont moins éclairants pour l’historien : les articulations entre les épisodes sont brèves ou inexistantes, et les précisions chronologiques font souvent défaut : « en tout cas, cela ne fut connu que plus tard [mais] à ce moment-là […]304 » (§ 67) ; « tel fut le débat en cette occasion. Ensuite […] »305 (§ 71) ; « pas longtemps après »306 (§ 76). Ces contrastes suggèrent que les parties les plus construites de la section B aient été assez proches des transcriptions de la source utilisée par Nicolas, alors que les § 67 à 79 furent tirés d’un récit plus long, puis résumés avec diligence. Au contraire, la composition littéraire des § 80 à 87 est soignée. La tension est créée par l’opposition antithétique des amis et ennemis de César, laquelle charpente le récit. La – principale – source de la section B de la biographie de Nicolas est empreinte d’objectivité : aucun motif des conspirateurs ne fait l’objet d’un jugement personnel ; le traitement de Marc Antoine lors de la fête des Lupercales participe à la même logique. Elle doit être appréhendée comme un compte rendu issu d’une source ni pro- ni anti-césarienne et favorable à M. Brutus. En outre, la section B se lit davantage comme une histoire factuelle que comme une biographie. Elle ne peut donc en aucune façon avoir été inspirée par les Mémoires d’Auguste. Il nous faut de fait tenter d’identifier l’auteur de la ou des sources utilisées pour l’élaboration de cette section. Un examen des similitudes entre la Vie d’Auguste et les comptes rendus de Plutarque, de Dion Cassius, d’Appien et de Suétone ne nous éclairent guère. En effet, si tous s’accordent sur la séquence des événements ayant précédé l’assassinat de César, des éléments les distinguent. La base factuelle de ces écrits peut néanmoins provenir à l’origine du travail d’un seul auteur, lequel aurait connu des ajouts successifs, comme le banquet organisé chez Lépide le 14 mars avant J.-C., ainsi que le grand nombre de présages qui auraient précédé la mort de César.
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Vie d’Auguste, F 130 (94). ταῦτα μὲν οὖν ὕστερον ἐγνώσθη· τότε. τοιαῦτα μὲν δὴ τότε ἐλέγετο· μετὰ. μετ᾿ οὐ πολὺ.
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Q uels auraient pu être les auteurs auxquels Nicolas aurait accordé foi ? F. Jacoby307 estime que Socrate de Rhodes put avoir compté parmi eux, mais aucune preuve formelle n’est avancée par les Modernes pour étayer cette thèse. En ce qui concerne les historiens latins, la situation n’est guère plus éclairante. Tite-Live publia son compte rendu de l’ère césarienne trop tardivement pour avoir été une référence pour Nicolas, si la datation déterminée par nos soins de la biographie d’Auguste est acceptée308. À tout le moins, les parties conservées des livres 115 à 117 de l’Ab Vrbe condita permettent de déterminer qu’elles n’ont pas inspiré le Damascène, ce qui renforce d’ailleurs notre thèse selon laquelle la composition de la Vie d’Auguste aurait eu lieu entre 25 et 20 avant J.-C. Il en est de même pour l’Atticus de Cornelius Nepos309. De son côté, Varron ne traita la susdite période que succinctement. De plus, sa vision de Marc Antoine cadre mal avec le ton modéré dont use Nicolas dans la section B. La biographie de César écrite par C. Oppius310, un césarien gagné à la cause d’Octavien311 et demeurant proche de Cicéron312, semblait, d’après Plutarque313, avoir été trop partisane pour inclure un éloge de M. Brutus, fût-il modéré ou ambigu. Le fait que ce consul ait nié la paternité césarienne de Césarion314 renforce cette thèse. Après la mort de César, L. Cornelius Balbus, lui aussi, soutint activement Octavien. De plus, il ressort clairement de la correspondance de Cicéron qu’il désapprouvait totalement les projets des césaricides315. Les écrits de Nicolas le confirment. Alors que les césariens discutaient de l’attitude à adopter envers les assassins, Balbus se montra vindicatif : « Balbus s’opposa à lui [à Hirtius] et, d’accord avec Lépide, dit que ce serait une impiété de laisser impuni le meurtre de César et que, par ailleurs, il y allait FGrH IIB, 927-928. Cf. supra p. 16-20. 309 Nep., Att. 12, 1 ; 19, 2-4 ; 20, 3, 5 ; 20, 4. 310 FRH, t. 1, 380-382 ; FRH, t. 2, 774-781 ; FRH, t. 3, 483-485. 311 Cic., Att. 16, 15, 3. 312 Cic., Att. 11, 18, 1-2 ; 12, 13, 2 ; 19, 2 ; Fam. 6, 19, 2 ; 9, 6, 1. Townend 1987, 325-342. 313 Plut., Pomp. 10 ; Caes. 17, 4, 6. 314 Vie d’Auguste, F 130 (68) ; Suet., Caes. 52, 2 = T3 (FRH). 315 Cic., Att., 14, 20, 4. 307 308
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de la sécurité de tous ceux qui avaient été ses amis »316. Un éloge de M. Brutus n’aurait dès lors pu figurer dans le récit de Balbus. M. Valerius Messalla Corvinus317, né vers 64 avant J.-C. et qui fut présent à Rome dès juin 44 avant J.-C., put avoir été lu par Nicolas. Il servit probablement sous les ordres de César en Afrique318, mais rejoignit finalement M. Brutus319, peut-être sur les conseils de Cicéron, avec lequel il entretenait une correspondance320, avant de combattre aux côtés des républicains à Philippes. Dans ses écrits321, Cassius et Brutus sont présentés comme des gens vertueux qui furent les derniers véritables défenseurs de la res publica. Après leur mort, il fit allégeance à Marc Antoine322, mais, en 36 avant J.-C., désillusionné, il se rangea aux côtés d’Octavien323, pour lequel il combattit à Actium324. Deux facteurs, cependant, laissent entendre qu’il ne fut pas une source de la Vie d’Auguste de Nicolas : premièrement, dans la mesure où le début de son récit traite des batailles de Philippes, il n’est pas certain qu’il ait rapporté le décès de César325 ; deuxièmement, le nom de Marc Antoine n’est mentionné – de manière totalement neutre – qu’une seule fois dans les fragments conservés de son œuvre326, alors qu’il figure plusieurs dizaines de fois dans la section B de Nicolas. Les Histoires de C. Asinius Pollio méritent une attention particulière327. Le Marrucin connut le « premier triumvirat »328, la 316 Vie d’Auguste, F 130 (106), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 272. Ἴρτιος δὲ διαλέγεσθαι καὶ φιλίαν τίθεσθαι. ἄλλος δὲ τὴν ἐναντίαν εἶπε τῷ Λεπίδῳ προσθέμενος, ὡς καὶ ἀνόσιον εἴη περιορᾶν νήποινον τὸν Καίσαρος φόνον καὶ αὐτοῖς μέντοι οὐκ ἀσφαλές, ὅσοι ἐκείνῳ ἦσαν φίλοι. 317 FRH, t. 1, 463-471 ; FRH, t. 2, 896-899 ; FRH, t. 3, 546-550 ; Valvo 1983, 1663-1680 ; Leppin 1998, 181-197. 318 Bell. Afr. 86. 319 Cic., Brut. 1, 12, 1 ; 15, 1 ; Plut., Brut. 41 ; Tac., Ann. 4, 34 ; Vell., 2, 71, 1 ; App., BC 4, 38. 320 Cic., Brut. 1, 15, 1-2. 321 Tac., Ann. 4, 34 ; Dio Cass., 47, 24. 322 App., BC 4, 38, 136 ; 5, 113 ; Plin., Nat 33, 50. 323 App., BC 5, 102-103 ; 109 ; 112 ; Dio Cass., 53, 27, 5 ; Tac., Ann. 11, 7. 324 Plut., Brut. 40, 11 ; App., BC 4, 38, 161. 325 Seul le F6 (FRH, t. 2, 898) = Sen., Suas. 1, 7 mentionne César. 326 F6 (FRH, t. 2, 898) = Sen., Suas. 1, 7. 327 Malitz 2003, 9 ; Yarrow 2006, 95. 328 Cette appellation moderne ne se retrouve dans aucune source contemporaine.
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guerre civile entre César et Pompée, la dominatio césarienne, le « second triumvirat », l’affrontement entre Octavien et Marc Antoine et la quasi-totalité du principat d’Auguste. De tous ces événements majeurs de ce que l’on a coutume d’appeler la Révolution romaine, il ne fut pas un simple spectateur, mais l’un des principaux protagonistes. Membre de l’État-major de César au Rubicon, à Pharsale et durant la guerre intestine et correspondant de Cicéron, il fut à la base l’adoption du traité de Brindes. En outre, Virgile lui a réservé une place de choix dans ses Bucoliques. Néanmoins, en raison du petit nombre de sources textuelles disponibles relatives à la position prise par Pollion par rapport au principat, celle-ci a fait l’objet d’âpres discussions et de maintes hypothèses : tandis que certains estiment que Pollion s’était rallié à la cause augustéenne, d’autres, tentent de prouver qu’il fut un adversaire du régime politique impérial. Pour nous, il est donc vraisemblable qu’il ait dû prendre la plume dès 35 avant J.-C., lorsque Lucius Ateius Praetextatus lui a apporté son aide en matière philologique et linguistique : sans doute a-t-il esquissé quelques pistes de réflexion dès le début de sa retraite politique, vers 38 avant J.-C.329 Selon Flavius Josèphe, après la paix de Brindes, Hérode fut convié à Rome. Il y reçut la couronne de Judée des mains de Marc Antoine et d’Octavien330. Si nous connaissons la date approximative de cet événement (en septembre ou octobre 40 avant J.-C.), nous ne sommes pas certains que celui-ci se soit déroulé sous le consulat de Pollion, puisque nous ignorons le moment exact où ce dernier quitta l’Italie pour aller se battre contre les Parthini. Il demeure néanmoins envisageable que Pollion, qui était consul, ait rencontré le futur roi de Judée lors de son couronnement. Du reste, Flavius Josèphe écrit qu’en l’an 23331 ou 22332 avant J.-C.,
Burgeon 2020. Jos., AJ 14, 386-388. Selon Appien (BC 5, 75), Strabon (16, 2, 46) et Tacite (Hist. 5, 9), cette cérémonie n’avait été organisée que par Marc Antoine. Cette décision, prise à l’unanimité par les sénateurs, était exceptionnelle, les Romains ayant pour principe de n’accorder le titre royal qu’aux descendants des anciennes dynasties. Schwentzel 2011, 42. Une cérémonie et un banquet furent organisés pour l’occasion. Jos., AJ 14, 388-389. 331 Cette date est proposée par Goodman 1996, 742. 332 Cette date est proposée par Zecchini 1982, 1281 ; Noy 2000, 92. 329 330
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le roi de Judée envoya à Rome deux de ses fils, Alexandre et Aristobule ; ils y furent hébergés par un certain Pollion, un des amis les plus dévoués du roi d’Hérode333. Ils reçurent même la permission de demeurer chez Auguste334. L. H. Feldman a la conviction qu’il s’agit de Pollion335, car ce dernier, notamment par le biais d’auteurs comme Horace, Timagène ou Alexandre Polyhistor, un historien qu’il a pu rencontrer, mais surtout, par l’intermédiaire de César et de Marc Antoine, dont les politiques ont été salutaires pour les juifs, devait connaître le monde hébraïque, sa civilisation et son histoire. Au demeurant, dans ses Antiquités Judaïques, Flavius Josèphe, citant comme source Strabon, ajoute que ce dernier s’était inspiré de Pollion336. Selon cette vue, Hérode aurait donc envoyé ses fils chez Pollion parce qu’il était féru d’études judaïques, peut-être même être un sympathisant de la cause juive qui aurait adopté certaines pratiques israélites, sans en embrasser complètement la religion337. Au demeurant, ce Pollion mentionné par Flavius Josèphe aurait aussi pu être Vedius Pollion338. Ce riche homme d’affaires et ami d’Auguste, choisi probablement pour ses capacités d’administrateur, avait séjourné quelque temps en Asie, où il aurait été en contact avec Hérode339. Ce personnage, producteur de vin à Chios et à Cos, était d’ailleurs un des fournisseurs à la cour du roi de Judée340. En définitive, et malgré la difficulté qu’il y a à trancher sur ce dossier341, il est possible que Pollion, en tant qu’homme politique influent, ait eu des contacts plus ou moins étroits avec le roi de Judée. Nous pourrions en outre voir dans l’accueil des enfants d’Hérode la volonté de Pollion de poursuivre la politique césarienne. Il est toutefois étonnant que Flavius Josèphe n’ait pas cité le Marrucin de manière plus explicite. Pollion et 333 Jos., AJ 15, 342-343 : ἔγνω τοὺς παῖδας αὐτοῦ πέμπειν εἰς Ῥώμην Ἀλέξανδρον καὶ Ἀριστόβουλον, συντευξομένους Καίσαρι. Tούτοις ἀνελθοῦσιν καταγωγὴν μὲν ἦν Πολλίωνος οἶκος ἀνδρὸς τῶν μάλιστα σπουδασάντων περὶ τὴν Ἡρώδου φιλίαν. Voir : Jacobson – Kokkinos 2009. 334 Jos., AJ 15, 343. 335 Feldman 1985, 240-242. 336 Jos., AJ 14, 138. 337 Feldman 1953, 80. 338 Bosworth 1972, 446. 339 Syme 1961, 30. 340 Finkielsztejn 2006, 123-139. 341 Noy 2000, 92.
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Nicolas auraient donc partagé des intérêts communs et auraient probablement eu des contacts. Toutefois, aucune source ancienne n’en fait mention. Il demeure aussi que les arguments en faveur de l’identification à Vedius Pollion, qui eut de nombreux contacts commerciaux en Orient, ne manquent pas non plus de pertinence, même si Vedius, pour avoir ordonné en présence d’Auguste de jeter un de ses esclaves en pâture aux murènes qui avait brisé un vase précieux, faillit perdre l’amitié du princeps342. Au demeurant, à l’instar de Nicolas, Pollion a été l’auteur d’un ouvrage historique, lequel connut une grande diffusion et une notoriété certaine343. Ces Histoires en latin344 couvraient la période allant de 60 à 42 avant J.-C. Nous n’en avons pratiquement rien conservé, sinon quelques fragments qui nous sont parvenus par des auteurs postérieurs. Pollion, comme Nicolas, accordait une grande place à la Fortuna345 (le couple Virtus-Fortuna était très présent dans l’historiographie romaine)346. L’origine d’une telle conception de l’histoire tournée vers la Fortuna serait à rechercher chez Salluste ou Ateius Praetextatus347, dit Philologus348, auteur du Breuiarium rerum omnium Romanarum, une sorte d’abrégé de l’histoire de Rome, mais aussi dans l’expérience personnelle de Pollion. Appien, à son tour, se serait inspiré de cette perception de l’histoire. Polybe s’était également livré à une réflexion sur la versatilité de la Fortune, et sur le degré d’influence que l’individu avait sur les événements afin de mettre en garde son lectorat349. Il écrit à propos de l’échec de Regulus face à Xanthippe durant la première guerre punique. Concomitamment, l’approche biologique et déterministe de l’histoire, chère tant à Pollion qu’à Nicolas, était
342 Plin., Nat. 9, 77 ; Sen., Ira 3, 40, 2 ; Clem. 1, 18, 2 ; Dio Cass., 54, 23. Burgeon 2020. 343 Firpo 2012, 15. 344 Sen. Rhet., Suas. 6, 24. 345 Sen. Rhet., Suas. 6, 24. 346 McDonnell 2006, 84-94. 347 FRH, t. 1, 833. 348 Suet., Gramm. 10, 6 : Coluit postea familiarissime C. Sallustium et eo defuncto Asinium Pollionem, quos historiam componere aggressos alterum breuiaro rerum omnium Romanarum, […] instruxit, alterum praeceptis de ratione scribendi. 349 Pol., 1, 35, 6.
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très répandue chez les auteurs gréco-romains350. Il suffit pour s’en convaincre de relire Platon, Aristote, Polybe, Salluste, Cicéron ou encore Tite-Live. Pollion a toujours défendu le camp césarien. Dans ce cadre, ses Histoires auraient pu être une œuvre de parti qui exposait la vision césarienne puis antonienne du bellum ciuile351. Il est cependant tout aussi possible qu’elles aient été rédigées selon une perspective républicaine352, voire, selon certains, anti-césarienne353. Pollion, en tant qu’ami de César et proche de Marc Antoine, et tout en gravitant autour de la sphère d’Auguste quelques temps après Brindes, fut un témoin direct et incontournable de l’histoire des guerres intestines qui ont miné l’empire de l’intérieur. Il peut avoir été amené à consigner son expérience afin de corriger certains points de vue présents chez d’autres, qu’il jugeait, à tort ou à raison, en particulier chez César, à qui il reprochait un manque d’objectivité et de rigueur. Un passage authentique des Histoires, repris dans les Annales de Tacite, aurait pu influencer Nicolas. Le contexte est le suivant : en 25 après J.-C., un procès s’est tenu contre Cremutius Cordus pour violation de la lex maiestatis. Accusé d’avoir loué Brutus et Cassius, ce dernier répondit que beaucoup d’autres Romains avaient écrit leur histoire, et que personne n’avait parlé d’eux sans éloge354. Parmi ceux-ci, il cita Pollion. Curieusement, ce procès eut lieu dans l’année où un petit-fils de Pollion, Marcus Asinius Agrippa, fils d’Asinius Gallus, était consul. Tacite ajoute que les écrits de Pollion et de Messala, qui connurent une diffusion certaine, ne retraçaient de Brutus et de Cassius que de nobles souvenirs355. Il nous faut toutefois préciser que nous ne savons ni l’emplacement de cette laudatio dans le travail historique de Pollion, ni sa formulation exacte dans celui-ci dans la mesure où nous ne sommes où nous ne connaissons ce jugement que par Tacite. À cet égard, Pollion n’aurait, selon nous, pas placé cet éloge de Brutus et de Cassius immédiatement après la mort de César, Diod., 23, 15, 1-6. Zecchini 1982, 1292. 352 Syme 1952, 461-462. 353 Kraus 2000, 452. 354 Tac., Ann. 4, 34, 2. Voir : Wisse 2013, 299-361. 355 Tac., Ann. 4, 34, 4. 350 351
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car cela aurait profondément entaché la fidélité dont il avait fait preuve envers son premier protecteur, et nui à la memoria du dictateur. Au lieu de cela, il semble plus probable que Pollion ait placé ces louanges après le récit de la bataille de Philippes, qui vit la mort brutale des deux républicains. En outre, dans ses Histoires, Pollion aurait pu vanter les mérites et la personnalité de ses adversaires en adoptant une position césarienne tournée vers la clementia. Nous ne pouvons donc penser que le testimonium sommairement positif de Pollion envers les césaricides tel que le rapporte Tacite ne concernait en rien l’acte commis aux Ides de mars. Q ui plus est, comme nous l’avons dit, il déplorait la guerre civile qui suivit la tentative avortée de restauration de la République. Il est par ailleurs possible que Pollion avait dressé de Brutus et de Cassius un portrait contrasté, dont Cremutius n’aurait retenu que le versant favorable, le plus approprié à son argumentation au moment de son procès, sous Tibère. Avant 40 avant J.-C., les relations entre Pollion et Octavien ont dû être tendues, dans la mesure où les deux hommes s’étaient indirectement affrontés pendant la guerre de Pérouse. Toutefois, leurs rapports se sont certainement améliorés après les accords de Brindes. Toujours est-il que lorsqu’Octave demanda au Marrucin de l’accompagner à Actium, il refusa. Il se serait alors expliqué en disant les services rendus à Marc Antoine avaient été trop grands356. Selon Velleius Paterculus, qui précise que Pollion avait cessé de suivre le parti de Marc Antoine, après avoir vu que l’âme de celui-ci s’était amollie dans l’amour de la reine Cléopâtre, il demeura en Italie après Brindes357. Si Pollion n’a pas, tout en quittant les rangs antoniens, répondu à l’appel d’Octavien, c’était aussi parce qu’il se tenait à l’écart du champ de bataille depuis plusieurs années, et qu’il ne voulait plus prendre part à une guerre civile. Son absence à Actium était en outre la preuve éclatante de son refus de poursuivre la guerre contre d’anciens membres de la ligue césarienne358.
Vell., 2, 86. Vell., 2, 86. 358 R. Syme (1952, 277-278) interprète le refus de Pollion de suivre Octavien en Épire comme un témoignage de l’absolue neutralité du Marrucin après qu’il s’est retiré de la vie politique. 356 357
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Du reste, il apparaît surtout qu’à ce moment, l’ancien consul triomphateur, qui avait œuvré à la paix de Brindes, n’ambitionnait plus que de devenir un poète, un historien, et un protecteur des lettres. Nous pensons que Pollion n’était ni un nostalgique de la République359 ni un affidé d’Octavien/Auguste. Il jouissait d’une certaine liberté de parole depuis qu’il s’était retiré de la scène politique360. Traditionaliste, Pollion s’était montré respectueux à l’égard du princeps, et fidèle à sa personne parce que, comme l’atteste indirectement le fait que ses descendants ont occupé les plus hautes fonctions de l’État361 – Asinius Gallus, qui aspirait à succéder à Auguste362, fut même amicus de l’empereur et beau-père du fils de Tibère –, il aurait eu trop à perdre à s’opposer à lui. Cependant, il nous semble exagéré de présenter Asinius Pollion comme un intime du princeps. Ajoutons que le programme politico-moraliste d’Auguste s’apparentait à ce que devait préconiser Pollion, notamment en ce qui concernait la protection des citoyens. Il n’a donc pas pu se lamenter sur une éventuelle évanescence des valeurs ancestrales. Pourtant, le volet post-républicain augustéen de la libertas qui donnait une apparence de République363 et qui était lié à l’élément populaire qui sera dénoncé par Tacite comme assimilé au regnum et à la dominatio364, pouvait, lui, inspirer des réticences dans le chef de Pollion. En outre, Pollion dut insister sur la notion de libertas républicaine. Lors de la guerre civile opposant Marc Antoine à Octave, ce dernier substitua à la libertas politique, qui ne mobilisait plus grand monde, la libertas nationale, menacée par le joug oriental. Après son avènement en 27, Auguste tenta de convaincre le peuple qu’il pouvait à nouveau jouir d’une liberté politique tout en vivant en paix. En conséquence, de même qu’il a fait preuve de fidélité à l’égard de César, même s’il désapprouvait sa politique, Pollion, qui n’a pas voulu prendre en aversion 359 C’était précisément peu de temps avant de franchir le Rubicon, acte foulant aux pieds la légalité républicaine, que Pollion avait rejoint César dans sa marche sur l’Italie. 360 André 1949, 24-25. 361 Cette formule est une reconstruction. Voir : Hurlet 2015. 362 Tac., Ann. 1, 13. 363 Tac., Ann. 13, 28, 1. 364 Tac., Ann. 12, 7, 1-3.
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Auguste, ne s’est sans doute jamais livré à une véritable critique de l’empire. Il devait, selon notre hypothèse, se situer quelque part entre ces deux extrêmes que constituent le pro-républicanisme et l’anti-principat. Bref, il est possible que, pour rédiger la section B de sa biographie, Nicolas ait utilisé certains passages des Histoires de Pollion. À aucun moment, il ne contredit la moindre information de ces dernières, du moins dans leur forme conservée, et plusieurs parallèles entre les deux textes peuvent être établis. Il est également possible que les deux historiens aient eu des contacts personnels, notamment par l’entremise d’Hérode. Bien que les preuves du recours direct de Nicolas à Pollion fassent défaut, il est envisageable que le premier ait lu des passages du second relatifs aux événements de 44 avant J.-C. Cependant, contrairement à Nicolas, Pollion ne fut nullement un propagandiste d’Auguste. Dès lors, les Histoires ne furent vraisemblablement pas la source principale du Damascène.
Les auteurs s’étant inspirés de près ou de loin de la Vie d’Auguste de Nicolas Les écrits de Plutarque diffèrent par leur structure de la biographie d’Auguste écrite par Nicolas. En effet, si le premier relate chronologiquement la carrière d’Octave et insiste sur sa moralité, il met moins d’emphase que le Damascène à fournir un compte rendu des hauts-faits réalisés par son protagoniste. Plutarque se distingue également de son prédécesseur en portant un regard plus critique sur le premier prince de l’Vrbs365. Enfin, contrairement à Nicolas, le recours aux hypothèses était fréquent chez Plutarque366. Cependant, s’il considérait Caton l’Ancien comme le Romain le plus vertueux367, le biographe de Chéronée n’a pas pour autant négligé les sources césariennes368. Il aurait donc pu enrichir son portrait Plut., Pelop. 25, 7. Pour G. Polman (1974, 170), la biographie d’Auguste de Nicolas de Damas était une forme intermédiaire entre les écrits péripatéticiens et ceux de Plutarque. 366 Les hypothèses sont nombreuses dans la Vie de Brutus. 367 Boulogne 1994. Sur la morale romaine dans les Vies parallèles, voir : Frazier 2012. 368 Boulogne 1994, 25-35. 365
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de César grâce aux écrits de Nicolas. Les deux auteurs, dans leur présentation des faits privilégient souvent la morale à la précision historique. Du reste, il aurait disposé des textes de Caton, de Munatius Rufus et de Publius Clodius Thrasea Paetus pour la Vie de César369, et de ceux de Théophane pour celle de Pompée370. Suétone, quant à lui, décrit le caractère d’Auguste, mais se désintéresse de ses réalisations entreprises avant le principat, et se montre moins soucieux que Nicolas de respecter un ordre strictement chronologique. En écrivant, « Fuit C. Octauius ut non patricia, ita admodum speciosa equestri genitus familia, grauis, sanctus, innocens, diues », Velleius Paterculus371, de son côté, reprend la formule nicoléenne : « … »372 Tous deux notent donc les origines modestes de la branche paternelle d’Octavien. Les deux auteurs, qui suivirent l’ordre chronologique tout en traitant séparément quelques rares sujets, ne se retinrent pas de porter des jugements sur les hommes et les événements. Ils rappelèrent également l’importance jouée par la Fortune, même s’ils étaient convaincus que les individus faisaient l’histoire373. En outre, la tonalité morale de leurs récits est prégnante374. De plus, le bref compte rendu de Velleius Paterculus375 relatif à la vie d’Octave jusqu’à son entrée à Rome en 44 avant J.-C. trouve nombre de similitudes avec celui du Damascène. Les déclarations de César relatives au fait qu’il fut rejoint en Hispanie par Octavien, la façon dont il percevait son petit-neveu (« numquam aut alio usum hospitio quam suo aut alio uectum uehiculo ») et les réactions d’Octavien en apprenant à Apollonie son assassinat figurant dans l’œuvre de Velleius constituent des réminiscences de la biographie de Nicolas376. Velleius Paterculus n’indique pas si son compte rendu des liens unissant le dictateur à son petit-neveu est tiré des Mémoires d’Auguste ou de la Vie
Arnaud-Lindet 2001, 226. Pelling 1979, 85. 371 Vell., 2, 59, 1-2. 372 Vie d’Auguste, F 126 (3). 373 Vell., 2, 75, 2-3. 374 Vell., 2, 1, 1-2. 375 Vell., 2, 59, 3-6. 376 Vie d’Auguste, F 127 (20-24) ; F 130 (38-44 ; 47). 369 370
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d’Auguste de Nicolas377, mais il est difficile de déterminer quelle autre source il aurait pu utiliser ; son admiration pour Auguste378 et Tibère était notoire. En raison des similitudes factuelles et syntaxiques existant entre les écrits des deux historiens pro-augustéens, Velleius consulta la biographie du Damascène. Au demeurant, la méthodologie de Tacite dans son Agricola est comparable à celle de Nicolas. Les deux auteurs, qui ne cessèrent de cultiver les choses de l’esprit, insérèrent moult informations d’ordre moral et factuel. En outre, ils estimaient que l’histoire politique trouvait place dans toute biographie, et avaient pour principal objectif d’honorer un personnage en rapportant ses hauts-faits. Nicolas et Tacite avaient le souci de mettre à nu, par touches successives, la φύσις de leur sujet, tout en l’intégrant dans un discours apologétique. Ils n’explorent pas uniquement la vie d’un personnage pour son intérêt individuel ou pour tirer des conclusions morales de leurs actions, comme le fait notamment Plutarque, mais ils sont soucieux de souligner l’existence de qualités nécessaires dans certains contextes donnés. Aux dires de Nicolas, des qualités perçues chez Octave par César valurent au jeune homme d’être considéré comme un Romain digne d’exercer les plus hautes fonctions de l’État379. Au § 23 de sa biographie, le Damascène raconte les difficultés auxquelles Octavien fit face en se rendant en Hispanie en 45 avant J.-C. pour rejoindre son grand-oncle, avant d’apparaître tel un être doté d’une moralité digne d’émulation. Les § 32 et 33 content la rencontre d’Octavien à son retour d’Hispanie avec les citoyens romains, qui lui témoignèrent le plus grand respect, comme le firent plus tard les Romains au retour d’Agricola. Tacite, qui fournit matière attachante au récit, est soucieux de souligner qu’Agricola, lui aussi, évita les pièges moraux tendus par ses adversaires380. Son service militaire était par ailleurs un modèle d’efficacité et de commandement (nec licenter […] neque segniter), tant et si bien que son général le présenta comme un exemplum de vertu381. De même, aux 377 Velleius cite Caton (1, 7, 2-4) et les Annales de Q . Hortensius (2, 16, 2-3). Rich 2011, 120. 378 Vell., 2, 89, 1-3. 379 Vie d’Auguste, F 127 (16-18 ; 24-25 ; 27) ; F 128 (30). 380 Tac., Agr. 4. 381 Autobiographie, F 131 (5).
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chapitres 5 et 6 de la biographie consacrée à son beau-père, Tacite décrit sa personnalité de manière élogieuse et le respect dont il fit l’objet de la part du peuple romain. Par ailleurs, la digression de la section B de Nicolas présente des similitudes thématiques avec l’histoire de la Bretagne romaine dans l’Agricola. Le Damascène et Tacite narrent chronologiquement les activités d’un chef romain porté aux nues jusqu’à ce qu’ils atteignent un tournant dans leur vie : la mort de César chez Nicolas, celle d’Agricola chez Tacite382. Les deux auteurs délaissent à un moment du récit leur personnage central pour se tourner vers la politique de manière plus large : Tacite nous fournit des détails quant à la géographie et à l’ethnologie de la Bretagne, et sur les contacts des Romains en territoire breton avant le gouvernement d’Agricola ; Nicolas, pour sa part, procède à une analyse des forces politiques et sociales en présence qui mirent un terme au césarisme et ouvrirent la voie à l’octavianisme383. Ainsi font-ils tous deux œuvre à la fois de pédagogie, de pragmatisme et d’apologétisme afin d’asseoir leurs représentations stylisées de l’autokrator. Il est donc possible que l’annaliste ait lu, du moins en partie, l’œuvre de Nicolas, mais il est peu probable qu’il s’en soit inspiré. Tacite fait d’ailleurs montre d’un pessimisme résultant du spectacle de la vie contemporaine (exils, primauté accordée à l’intérêt personnel, hypocrisie à l’égard du pouvoir en place, délation fréquente…), alors que Nicolas, loin d’abhorrer son époque, du moins jusqu’à la fin des années 20 avant J.-C., se montre positif eu égard aux mesures prises par Octavien. Q uant à Appien, il put avoir utilisé le Βίος. Son objectif, en retraçant l’histoire de Rome depuis Énée, était de comparer les valeurs romaines à celles des peuples voisins384. Comme d’autres historiens grecs de l’époque romaine, il occupe une position notable dans le champ de la science historique antique, car son exégèse, à l’instar de celle de Nicolas, relève à la fois de l’histoire romaine et de la philologie grecque. En outre, il lut probablement les écrits d’Auguste pour rapporter les faits s’étant déroulés entre Vie d’Auguste, F 126-130 (3-57) ; Tac., Agr. 4-9. Vie d’Auguste, F 130 (59-106) ; Tac., Agr. 10-17. 384 App., Praef. 12, 46. 382 383
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les Ides de mars et septembre 43 avant J.-C.385 Il est, par ailleurs, le seul, avec Nicolas, à faire mention du discours de Brutus prononcé au Sénat le 17 mars 44 avant J.-C.386 Néanmoins, à propos du traité de Brindes, chez Appien, le ton pro-antonien, qui reflétait l’amitié de Pollion pour Marc Antoine, concorde mal avec l’avis de Nicolas. De plus, et surtout, nous nous opposons à la théorie selon laquelle Appien aurait emprunté une partie de son récit au Damascène, dans la mesure où les tendances anti-césariennes de l’historien d’Alexandrie ne peuvent lui avoir été empruntées ; Appien exprima également envers les populares, pourtant menés par des chefs issus de la noblesse, une hostilité notoire387 qui ne figure nullement dans la Vie d’Auguste. Dans son introduction, Nicolas argue qu’il exposera l’ensemble des actions du prince, à partir desquelles il sera possible à tous de connaître la vérité388. Toujours est-il que le T12, issu des Antiquités juives de Flavius Josèphe389, prétend que Nicolas ne fut pas véritablement un historien digne de foi. Il stipule qu’il écrivait pour plaire et servir Hérode, sélectionnant les faits susceptibles de contribuer à sa gloire, construisant un contrepoids à nombre de ses iniquités notoires et mettant tout son zèle à les dissimuler390. Le testimonium ajoute que son œuvre fut un éloge continuel et hyperbolique de la justice du roi et une apologie zélée de ses illégalités391. De fait, conclut-il, il ne fournissait pas une véritable histoire à son lectorat, mais bien un service au monarque juif 392. Pour justifier son jugement, Flavius Josèphe fournit trois arguments : le Damascène omit volontairement de gloser de la profanation du tombeau de David par Hérode393 ; il qualifia mensongèrement Mariamme, la femme de ce dernier, d’ἀσέλγεια, après qu’elle eut envoyé son portrait à Marc Antoine, pour justifier son
Gowing 1992, 43. App., BC 2, 347-386. 387 App., BC 2, 150-169. 388 Vie d’Auguste, F 126 (2). 389 Jos., AJ 183-186. 390 T 12 (184). 391 T 12 (185). 392 T 12 (186). 393 Jos., AJ 16, 183 = T 12. 385 386
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exécution394 ; il accusa Alexandre et Aristobule de haute trahison395. Ces faits sont-ils avérés ? Premièrement, rien ne prouve que la profanation de la sépulture du roi de l’Ancien Testament ait eu lieu, d’autant que le récit de Flavius Josèphe contient un événement auquel il est difficile d’accorder foi : les gardes d’Hérode auraient été mis à mort par une flamme surgie à l’intérieur du tombeau au moment où ils y pénétrèrent396. Par ailleurs, David fut honoré d’un monument de marbre blanc d’un grand prix, érigé devant son tombeau à Jérusalem ; cette construction est présentée comme une preuve de piété à l’égard des patriarches juifs397. Deuxièmement, il ne subsiste aucun fragment de Nicolas accréditant la thèse de la culpabilité de Mariamme. Troisièmement, l’historien explique que si Alexandre et Aristobule étaient victimes de calomnies de la part d’Antipater, leur manque de piété à l’égard de leur père était notoire. Il semble donc que les critiques de Flavius Josèphe adressées à l’historien de Damas soient à mettre au compte de son hostilité originelle à l’égard d’Hérode. Il n’en demeure pas moins que les derniers actes de la tragédie domestique hérodienne figurant dans l’Autobiographie de Nicolas, à savoir l’exécution d’Alexandre et d’Aristobule (thèmes de la calomnie, du complot ourdi par les deux intéressés, de la succession d’Hérode…)398, la mise à mort d’Antipater après son jugement (hostilité générale envers Antipater, complot, condamnation, adresse d’un courrier d’Hérode à Auguste…)399 et le décès du roi ainsi que le conflit lié à sa succession qui s’en suivit (plaidoirie pour Archélaos, réponse aux accusations des juifs, règlement de la succession d’Hérode…)400, sont traités selon un ordre et dans un style identiques à la fin du livre I et au début du livre II de la Guerre des Juifs 401. De même, l’Autobiographie de Nicolas et les Antiquités juives de Flavius Josèphe présentent moult similitudes factuelles (séquences narratives) et stylistiques (vocabulaire Jos., AJ 16, 185 = T 12. Jos., AJ 16, 185 = T 12. 396 Jos., AJ 16, 182. 397 Jos., AJ 16, 180-183. 398 Autobiographie F 136 (2-4) ; Jos., BJ 1, 445-551. 399 Autobiographie F 136 (5-7) ; Jos., BJ 1, 552-665. 400 Autobiographie F 136 (8-11) ; Jos., BJ 2, 1-100. 401 Parmentier 1998, 118-119 ; Id. 2006, 203-212. 394 395
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politique et judiciaire, analogies sémantiques…)402. Tous deux racontent comment, en 14 avant J.-C., Nicolas intercéda auprès d’Hérode afin qu’il obtînt d’Agrippa la levée de la sanction infligée aux citoyens d’Ilion403. Ils rapportent également qu’Hérode s’opposa à Syllaios dans l’affaire de la Nabatène404 ; cet épisode ne figure toutefois pas dans le corpus de F. Jacoby. Il en est de même pour l’exécution d’Alexandre et d’Aristobule405, le procès d’Antipater406 et la succession d’Hérode407. Néanmoins, la dimension de l’œuvre de Flavius Josèphe et celle des travaux de Nicolas diffèrent au point qu’il est impossible que le premier se soit contenté de recopier le second408. Nous ignorons si Flavius Josèphe pensait que la Vie d’Auguste constituait un ouvrage digne de foi, mais il dut voir en son auteur un partisan du prince, même si lui-même se fit adouber par la dynastie flavienne. Cependant, il y a lieu de croire que la biographie de Nicolas dut être consultée par certains historiens anciens, tel Velleius Paterculus.
Conclusion Nous avons vu que les sections A et C de la biographie d’Auguste se sont vraisemblablement fondées sur les Mémoires du prince. Ainsi cet ouvrage de Nicolas constitue-t-il une source fiable pour l’étude des points de vue adoptés par le prince et pour la propagande orchestrée par ses soins au cours des années vingt avant J.-C. L’historien grec d’Asie, en contacts étroits avec Rome et présent sur place durant plusieurs années, contribua à la consolidation du pouvoir augustéen dans la partie orientale de l’Empire en procédant à une vulgarisation, pour le monde grec, de l’autobiographie qu’Auguste lui-même avait rédigée en latin quelques années avant la rédaction de la Vie d’Auguste. D’une manière comparable aux 402 Par exemple : AJ 14, 8-9 ; 16, 183-186. Toher 2016, 427-447 ; Bond 2012, 295-314. 403 Autobiographie, F 134 ; Jos., AJ 12, 125-128 ; 16, 27-58. 404 Autobiographie, F 136 (1) ; Jos., AJ 16, 271-299 ; 335-355. 405 Autobiographie, F 136 (2-3) ; Jos., AJ 16, 370-394. 406 Autobiographie, F 136 (5-7) ; Jos., AJ 17, 1-6 : 93-133. 407 Autobiographie, F 136 (5-7) ; Jos., AJ 17, 240-249 ; 299-320. 408 Jos., AJ 16, 181-187.
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Antiquités romaines de Denys d’Halicarnasse, excepté le fait qu’il s’agisse, dans le cas qui nous occupe, d’une histoire strictement contemporaine du « préprincipat », la biographie d’Auguste devait servir le pouvoir, en plus des intérêts de son auteur. Les § 58-106 de l’œuvre, quant à eux, ne sont pas tirés des Mémoires, qui n’ont sans doute pas décrit avec force détails l’assassinat de César. Ils découlent de l’écrit d’un auteur certes bienveillant à l’égard de César, mais moins hostile à l’égard de Marc Antoine que ne l’était Auguste, tout en présentant M. Brutus sous un jour favorable. Le ton employé, les liens opérés entre les différentes phases post-Ides de mars et la description des principaux acteurs de 44 avant J.-C. livrée dans la section B de la biographie de Nicolas suggèrent que des pans entiers de cette source furent repris par ses soins. En raison des motifs exposés ci-avant, l’une des sources de cette partie de la Vie d’Auguste pourrait avoir été les Histoires d’Asinius Pollion. Du reste, le Damascène, conseiller et historiographe d’Hérode, ainsi que témoin oculaire des péripéties de la Judée, démontra tant son intérêt pour la psychologie et la φύσις humaine, que ses connaissances de la vie politique romaine. Toutefois, les éloges qu’il décerne à son sujet d’étude sont nombreux. Font-ils de sa Vie d’Auguste une œuvre entièrement apologétique ? Comment celle-ci présente-elle Octave/Octavien ?
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« En signe d’honneur, on lui décerna ce titre [celui d’Auguste] : un culte avec des temples et des sacrifices lui est rendu sur les îles et les continents, par les cités et les peuples, pour répondre à la grandeur de sa vertu et à ses bienfaits envers eux »1. Ainsi s’ouvre la Vie d’Auguste de Nicolas de Damas, qui ajoute que le prince repoussa les frontières de l’Empire romain, tout en apportant à ses sujets sécurité, humanité et paix2. Toutefois, que nous apprend-il de l’ascendance d’Octave, de son éducation, de sa personnalité et de ses liens tant avec César qu’avec Marc Antoine ? En quels termes le Damascène représenta-t-il le futur premier prince de l’Vrbs ? C’est à ces questions que tentera de répondre la présente partie de notre ouvrage. Nous nous attacherons particulièrement aux dimensions psychologique et morale, ainsi qu’aux implications politiques de l’Octave/Octavien nicoléen3.
L’ascendance et la jeunesse d’Auguste L’ascendance du sujet étudié occupait généralement une place importante dans les biographies anciennes, à l’instar de celles 1 Vie d’Auguste, F 125 (1), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 208. ὅτι εἰς τιμῆς ἀξίωσιν τοῦτον οὕτω προσεῖπον οἱ ἄνθρωποι ‹καὶ› ναοῖς τε καὶ θυσίαιςγεραίρουσιν, ἀνά τε νήσους καὶ ἠπείρους διῃρημένοι καὶ κατὰ πόλεις καὶ ἔθνη τό τε μέγεθος αὐτοῦ τῆς ἀρετῆς καὶ τὴν εἰς σφᾶς εὐεργεσίαν ἀμειβόμενοι. 2 Vie d’Auguste, F 125 (1). 3 Cette évocation se retrouve dans les Res Gestae (F 135). Dans son Autobiographie, Nicolas considère d’ailleurs l’histoire comme une discipline éminemment politique, dont l’utilité pour les gouvernants est patente.
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d’Isocrate4, qui consacre près d’un dixième de son compte rendu d’Evagoras à ses ancêtres et parents, de Tacite5 et de Suétone6. Toutefois, chez Xénophon, l’ascendance de Cyrus est pour le moins concise7. Ménandre le Rhéteur recommandait aux auteurs d’omettre toute discussion relative à la filiation, si elle n’était marquée par aucun trait distinctif 8. Plutarque se range le plus souvent à cet avis9. Il en est de même pour Nicolas. En effet, il ne livre aucune information pertinente relative à la naissance d’Octave, qui eut lieu dans une maison située à l’est du Palatin le 23 septembre 63 avant J.-C., et à sa vie avant l’âge de neuf ans, ainsi qu’aux rêves et présages qui y étaient associés10. Il convient de préciser que le Damascène ne s’intéresse guère aux phénomènes surnaturels, même s’il décrit sommairement ceux ayant précédé la mort de César11. Seuls quarante-quatre mots, figurant au § 3, sont consacrés au père et aux grands-parents paternels d’Octave. Certes, ils semblent avoir été peu connus ; Suétone stipule qu’il avait été incapable d’en apprendre beaucoup sur ces individus12. Il y a donc lieu de croire qu’Auguste, dans ses Mémoires, ait, lui aussi, été bref à leur sujet, puisque le biographe latin13 s’inspira de cette œuvre lors de la rédaction sa biographie du princeps. À propos de son père, C. Octavius14, Nico Evag., 12-20. Tac., Agr. 4. 6 Suet., Aug. 1-4 ; Tib. 1-4 ; Cal. 1-7 ; Cl. 1 ; Ner. 1-5. 7 Xen., Cyr. 1, 2, 1. 8 Men., 340, 9-14. 9 Plut., Ant. 1-2, 2 ; Pyr. 1 ; Alex. 2-3. 10 La foudre aurait frappé les remparts de Vélitres, peu de temps avant sa naissance. Endormie à l’intérieur du temple d’Apollon, Atia se serait unie en songe avec le dieu, qui avait pris la forme d’un serpent. En outre, des oracles thraces de Bacchus auraient prédit à Caius Octavius que son fils gouvernerait un jour l’oikoumène. Enfin, un aigle se serait emparé d’un morceau de pain que mangeait le jeune Octave, avant de le lui rendre. Suétone et Dion Cassius reprirent des récits qui circulèrent sans doute au début du principat. Suet., Aug. 94, 3-4 ; Dio Cass., 45, 1-2. 11 Cf. infra p. 65-71. 12 Suet., Aug. 2. 13 Autobiographie, F 85, 1 ; 2, 3. 14 C. Octavius, issu de l’ordre équestre, devint un homo nouus. Préteur en 61 avant J.-C. et proconsul de Macédoine en 60, il mourut en 59, avant de pouvoir briguer le consulat. D’après Suétone (Aug., 94), il serait arrivé en retard à la curie en raison de la naissance de son fils, au moment où Cicéron évoqua devant les 4 5
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las se contente d’écrire qu’il fut sénateur. Q uant à ses grands-parents paternels, nous savons simplement qu’ils possédaient une fortune peu commune, laquelle revint à leur petit-fils à la mort d’Octavius15. Au demeurant, le texte conservé de la Vie d’Auguste ne dit mot des ancêtres maternels du premier princeps, alors que l’influence exercée sur lui par Atia, fille de Marcus Atius Balbus d’Aricie, sénateur apparenté à Pompée le Grand, est significative, et qu’une mention de la fille de la sœur cadette de César, Julie16, aurait mis en exergue les liens entre la gens Julia et Octave. Pour mettre d’emblée l’accent sur la modération et la tempérance d’Octave, Nicolas indique que ses tuteurs17 dilapidèrent l’argent, mais qu’il renonça à les poursuivre en justice, se contentant de ce qui en restait18. Cependant, Valère Maxime19, Suétone20 et Appien21 rapportent qu’Octavien fit assassiner son tuteur Toranius pendant les proscriptions de 43 avant J.-C. L’escroquerie orchestrée par un tutor constituait une accusation fréquente à Rome. Il est plausible que Nicolas ait été succinct quant aux ascendants biologiques d’Octave parce qu’il cherchait à mettre en évidence ses liens avec César. En effet, tout au long de sa biographie, il établit des rapports étroits entre ce dernier et Octave, surnommé « le jeune César ». En outre, une partie substantielle de son travail traite de son adoption par l’imperator. Par ailleurs, Octave, avant cet événement, n’appartenait pas à l’une des plus illustres familles républicaines se passant le consulat de main en main22. Les § 4 à 11 constituent un catalogue de topoi : rapide maturité du sujet, maîtrise des savoirs, dévotion et respect de la tradition. Les données factuelles que livre Nicolas sur la période 65-46 sénateurs la menace d’un complot. Toutefois, il est possible que ce synchronisme ait été établi après coup. Velleius Paterculus (2, 59, 1) présente le mariage d’Atia avec C. Octavius comme un honneur pour lui. 15 Vie d’Auguste, F 126 (3). 16 Cic., Phil. 3, 15-16 ; Suet., Aug. 4, 1. 17 Le seul tuteur connu d’Octave fut C. Toranius, collègue édile de C. Octavius. ILS, 47. 18 Vie d’Auguste, F 126 (3). 19 Val. Max., 9, 11, 5. 20 Suet., Aug. 27, 2. 21 App., BC 4, 12. 22 Cosme 2005, 9.
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avant J.-C. sont brèves. Au § 4, il note qu’Octave « avait montré la supériorité de sa nature dans cet âge si précoce »23 lors d’un discours public qu’il prononça en 54 ou 53 avant J.-C. ; nous le savons grâce à la locution περὶ ἐννέα ἔτη. Le texte n’est cependant pas clair : au § 5, les termes ἀποθανούσης δ᾿ αὐτῷ τῆς τηθῆς sont ambivalents, car successivement précédés de la référence à l’allocution d’Octave et de la déclaration selon laquelle il fut élevé par Atia et Philippus. L’un des événements centraux du récit de Nicolas est la mort de la grand-mère d’Octave, Julie, la sœur cadette de César, en 51 avant J.-C. Le contexte suggère que le discours mentionné par l’historien fut prononcé lors de ses funérailles. Conformément à la tradition romaine, Octave était présent à cette cérémonie. Mais le Damascène explique qu’il n’avait que neuf ans lorsqu’il prit publiquement la parole, alors qu’il en avait trois de plus quand sa grand-mère décéda24. Comment expliquer cette possible erreur ? Il a été suggéré que Nicolas put avoir confondu la mort de la fille de César, Julie, survenue en 54 avant J.-C., avec celle de sa sœur cadette. Q u’Octave ait lu un bref discours composé par un tiers, comme Tibère l’eut fait à l’âge de neuf ans25, est possible, mais les émeutes ayant eu lieu lors de la cérémonie funèbre26 vont à l’encontre de cette thèse. Une autre explication veut que Nicolas fasse effectivement référence à l’allocution prononcée par Octave en l’honneur de sa défunte grand-mère en 51 avant J.-C., et qu’en prétendant que le jeune garçon n’avait que neuf ans au moment des faits, il ambitionnait de renforcer son prestige et d’annoncer l’éminent orateur qu’il deviendrait quelques années plus tard. Il écrit d’ailleurs que des applaudissements chaleureux lui furent décernés par une foule venue nombreuse lorsqu’il prononça sa laudatio sur les Rostres27. Enfin, il est possible que Nicolas ait fait allusion à un discours qui ne nous est pas connu par d’autres sources. Si cette dernière hypothèse n’est pas dénuée de fondement, il aurait été étrange que Nicolas ait passé sous silence 23 Vie d’Auguste, F 127 (4), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 212. φύσεως ἀκρότητα δηλώσας ἐν τοιᾷδε ἡλικίᾳ. 24 Q uint., 12, 6, 1 ; Suet., Aug. 8, 1. 25 Suet., Tib. 6. 26 Plut., Pomp., 53, 4-5 ; Caes., 23, 4 ; Diod., 39, 64. 27 Vie d’Auguste, F 127 (4).
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la harangue déclamée en 51 avant J.-C., laquelle est rapportée par Suétone et Q uintilien28. Il est dès lors raisonnable de conclure que ledit discours cité par le Damascène était la laudatio funebris de Julie, sœur de César. Nicolas aurait donc rajeuni Octave pour les raisons évoquées ci-avant. Le même passage soulève une autre question : Octave fut-il élevé par sa mère après que C. Octavius et Julie la Jeune eurent respectivement expiré en 59 et en 51 avant J.-C. ? L’imparfait du verbe principal de la phrase (ἐτρέφετο) indique soit qu’il fut éduqué par Atia et son beau-père Philippus Lucius dès 51 avant J.-C.29, soit commencerait à l’être. Si la première hypothèse devait être retenue, il aurait été peu utile de mentionner la mort de Julie dans ce contexte ; si c’est la seconde qu’il convient de suivre, le texte montrerait sa place fondamentale dans l’éducation du futur prince après le décès de son père. Toutefois, Suétone, dans son bref compte rendu des premières années d’Octave, n’attribue aucune influence particulière à Julie dans sa formation30. Toujours est-il que le fait que Nicolas traite de la mort de la matrone suggère une relation étroite entre elle et Octave. C’est d’ailleurs peut-être par l’entremise de sa sœur que César accorda pour la première fois de l’attention et du temps à son petit-neveu. Au demeurant, ce dernier ne put avoir vécu avec Atia et Philippus avant la fin des années 50, eu égard au fait que leur mariage avait été célébré à cette période. Du reste, Nicolas sous-entend qu’ils voulurent épargner au futur prince les vicissitudes des guerres civiles, car, pendant le conflit opposant César à Pompée, ils l’envoyèrent dans un de leurs domaines31. Au § 8 de sa Vie d’Auguste, Nicolas mentionne la cérémonie au cours de laquelle Octave revêtit la toge virile. L’événement ayant eu lieu le 18 octobre 48 avant J.-C.32, il n’avait alors que quinze ans. Pourtant, l’historien de Damas prétend qu’il avait « environ quatorze ans » (περὶ ἔτη […] ιδ′). En supposant qu’Auguste luimême n’ait pas falsifié son âge et que la particule ιδ′ ne soit pas Q uint., 12, 6, 1 ; Suet., Aug. 8, 1. Philippus Lucius était un descendant des vainqueurs de Philippe V de Macédoine. Voir : Liv., 39, 48 ; 42, 37. 30 Suet., Aug. 6. 31 Vie d’Auguste, F 124 (7). 32 Suet., Aug. 5 ; CIL, I², 332. 28
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corrompue, Nicolas aurait rajeuni Octave afin de renforcer sa précocité ou, du moins, fait preuve de peu de rigueur. Q uoi qu’il en soit, l’historien de Damas souligne d’emblée sa piété vis-à-vis des dieux et son respect des sacerdoces, annonçant de fait sa politique mise en œuvre durant son principat. « Admiré de tout le peuple pour sa belle allure et la splendeur de sa noblesse »33, Octave fut inscrit dans le collège des pontifes à la place de Lucius Domitius Ahenobarbus, pompéien qui exerça le consulat en 54 avant J.-C. et qui décéda à Pharsale. En réalité, il occupa cette fonction grâce à l’influence de César, grand pontife depuis 63 avant J.-C. Nicolas dessine donc d’emblée l’image dynamique d’un caractère en formation. Après l’évocation de l’enfance d’Octave, s’engage celle de son éducation, dont la nature contribue à faire du héros ce qu’il est.
L’éducation d’Octave Nicolas livre des détails sur la formation d’Octave aux § 5-6 de sa Vie d’Auguste : « Octave fut élevé auprès de Philippus comme auprès d’un père et laissa entrevoir des qualités prometteuses ; il semblait déjà digne d’honneur même aux plus nobles enfants de son âge. Et ceux-ci l’escortaient en foule, ainsi que des jeunes gens en nombre non négligeable, qui avaient l’espoir d’agir. Beaucoup de monde l’accompagnaient tous les jours – des adolescents, des adultes et des jeunes de son âge – soit quand il sortait de la ville pour faire de l’équitation, soit quand il rendait visite à des parents ou à d’autres relations. Il cultivait son esprit par les activités les plus belles et son corps par les nobles et martiaux exercices, et il mettait en pratique ses connaissances acquises plus vite que ceux qui les lui enseignaient, si bien que dès lors il s’acquit une grande estime dans sa patrie »34. 33 Vie d’Auguste, F 127 (9), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 214. περιβλεπόμενος δ᾿ ὑπὸ παντὸς τοῦ δήμου διά τε εὐπρέπειαν καὶ λαμπρότητα εὐγενείας. 34 Vie d’Auguste, F 127 (5-6), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 212. παρὰ δὴ τῷ Φιλίππῳ ὁ Καῖσαρ ὡς παρὰ πατρὶ τρεφόμενος πολλὴν ὑπέφαινεν ἐλπίδα 20 ἤδη ‹τ᾿› ἀξιότιμος καὶ τοῖς ἥλιξιν ἐφαίνετο τοῖς εὐγενεστάτοις παισί· καὶ συνῄεσαν πρὸς αὐτὸν παμπληθεῖς, οὐκ ὀλίγοι δὲ καὶ τῶν νεανίσκων οἷς τὸ πράττειν δι᾿ ἐλπίδος ἦν. προύπεμπον δὲ αὐτὸν πάμπολλοι ὁσημέραι καὶ
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De manière régulière, Nicolas prête une attention particulière à la formation intellectuelle et morale d’Octave, et en fait un décideur exemplaire. Il argue que ce dernier était doté d’une plus grande habileté que ses professeurs et d’une capacité oratoire hors norme35. Le Damascène explique que, faisant preuve d’un charisme remarquable et jouissant d’une popularité sans pareille, nombre d’individus cherchaient son amitié, en particulier les plus influents36. De manière anachronique, Octave est représenté, dès l’adolescence, comme un patronus37. Sa renommée généralisée et croissante, à l’instar de celle du Kypsélos des Histoires38, est également fréquemment commentée39. Comme nous le verrons, le récit de Nicolas avait pour objectif de démontrer qu’Octave incarnait un exemplum de moralité. Concomitamment, la formation physique qu’il reçut ne se résuma pas à l’entraînement militaire et à l’équitation, car elle faisait également la part belle à la tactique militaire. Le but de l’aristocrate romain était d’exercer des fonctions de premier plan au cœur de l’Vrbs. Pour cela, il devait se conformer aux vertus morales de ses ancêtres, tout en faisant preuve de rigueur sous toutes ses acceptions. Sa biographie montre que le jeune Octave possédait les qualités utiles à la pérennité de la res publica. Sa modération, notamment soulignée lors de ses confrontations et de ses négociations avec Marc Antoine, est constamment mise en exergue40. Nicolas met ainsi sur le même pied le futur princeps et Nicolaos, fils de
μειρακίσκοι καὶ ἄνδρες καὶ ἥλικες παῖδες, εἴτε ἐφ᾿ ἱππασίαν ἔξω τοῦ ἄστεως προῄει εἴτε παρὰ συγγενεῖς ἢ ἄλλους τινάς. ἤσκει γὰρ καὶ τὴν ψυχὴν τοῖς καλλίστοις ἐπιτηδεύμασι καὶ τὸ σῶμα ταῖς γενναίαις καὶ πολεμικαῖς μελέταις καὶ τῶν διδασκόντων θᾶττον αὐτὸς τὴνμάθησιν ἐπὶ τῶν ἔργων ἀπεδείκνυτο, ὥστε ἀπὸ τοῦδε καὶ ἐν τῇ πατρίδι πολὺν ζῆλον ἐνέγκασθαι. 35 Vie d’Auguste, F 127 (6 ; 9 ; 12 ; 19). 36 Vie d’Auguste, F 127 (16 ; 18). 37 Le devoir de la fides d’un patron à l’égard de ses clients constituait une obligation religieuse que Denys d’Halicarnasse (2, 10, 3) fait remonter au conditor Romulus. La loi des XII Tables (8, 21) confirmait que l’entrée in clientelam constituait en effet un devoir sacré (sacer esto). Le citoyen qui s’engageait dans une relation patron-client la plaçait sous le regard des dieux. La sacratio frappait en effet tout partenaire qui rompait le contrat de manière unilatérale. 38 F 57-58. 39 F 59. 40 Vie d’Auguste, F 130 (40 ; 43 ; 55-56 ; 119 ; 126-127 ; 132-133).
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Périandre, qui, dans les Histoires, se distinguait par sa μετριότης41. L’ouverture d’esprit et la franchise d’Octave contrastent avec le comportement sournois et obtus adopté par ses futurs adversaires politiques42. En outre, en tant que citoyen dévoué à la patrie, il tint des consultations avec des amis avant d’entreprendre quelque action. Au surplus, s’il avait un certain succès auprès de la gente féminine, Octave refusa toujours de sombrer dans la luxure. Cette attitude, saluée par ses concitoyens43, devait contraster avec celle de Marc Antoine. À tout le moins, la première femme de sa vie fut sans conteste sa mère. L’influence d’Atia, et, dans une moindre mesure, de Philippus, beau-père d’Octave, sur la personnalité du futur empereur est également prégnante dans la Vie d’Auguste. Ils le surveillaient étroitement, et attendaient des rapports réguliers, voire quotidiens, de ses tuteurs à propos de ses activités44. Même après qu’Octave eut revêtu la toge virile, Atia continua à procéder de la sorte45. Jusqu’au dernier fragment conservé de la biographie d’Auguste de Nicolas, sa mère joue un rôle fondamental dans son existence, en lui prodiguant des conseils et en guidant ses pas46. Il existait d’ailleurs une relation privilégiée entre les femmes romaines pieuses et fidèles à leur patrie (le « matriotisme ») et à leur famille et les divinités du panthéon romain. La relation entretenue entre Atia et Auguste est présentée par Nicolas comme conforme à l’éducation prônée par le mos maiorum. En effet, les Romains conservateurs recommandaient une surveillance personnelle de leurs enfants47, qu’ils aient été formés par eux-mêmes ou par des esclaves48. L’idéal éducatif décrit par Nicolas dans sa Vie d’Auguste est donc celui de l’aristocratie romaine. L’image d’un Romain fidèle aux valeurs ancestrales et doté d’une solide formation reconnue par la nobilitas constitue F 59. Vie d’Auguste, F 130 (110-114 ; 122). 43 Vie d’Auguste, F 130 (107). 44 Vie d’Auguste, F 127 (6). 45 Vie d’Auguste, F 127 (8-9). 46 Vie d’Auguste, F 127 (14 ; 16 ; 22) ; F 128 (31-32 ; 34) ; F 130 (38 ; 21-54 ; 125). 47 Cic., Q . 3, 17 ; Rep. 4, 3 ; 5, 5 ; Plut., Cat. 20 ; Plin., Ep. 8, 14, 4 ; Suet., Aug. 64. 48 Plut., Aem. 6 ; Hor., Sat. 1, 6, 81. 41 42
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sans aucun doute l’image qu’Auguste voulait donner de luimême49. Le Damascène semble donc avoir transmis stricto sensu cet éthos. Dans ses Dialogues des orateurs, Tacite, qui se montra réservé à l’égard des philosophes et qui oscillait entre scepticisme et pessimisme, décrit une grande partie de la décadence de l’époque par les desidia iuuentutis et neglegentia parentum et inscientia praecipientium et obliuione moris antiqui50. La scène contemporaine manquait de seueritas et de disciplina, valeurs ayant jadis fait la grandeur de l’Vrbs, lorsque l’influence prégnante d’une mère était primordiale. Une surveillance aussi étroite et stricte était courante, comme le soutient Horace51. Caelius, chez Cicéron, est également présenté tel un jeune homme ayant reçu une formation à la romaine. Son père, à l’instar de la mère d’Octave, s’enquérait toujours de son éducation, même après qu’il eut enfilé la toge virile. Par la suite, il fréquenta les demeures des Romains les plus en vue et les plus cultivés, une pratique que Nicolas attribue à Octave52. Cornelia, la mère des frères Gracques, fut également fréquemment qualifiée de mère modèle53. La preuve la plus convaincante que le compte rendu du Damascène de l’éducation d’Octave est empreint de « romanité » tant au niveau du contenu que des perspectives figure dans la Consolatio ad Marciam de Sénèque54. Métilius, fils de Marcia, était, comme Octave, orphelin de père et, bien qu’ayant des tuteurs privés, fut élevé et surtout surveillé par sa mère. Marié, il demeura profondément attaché à elle, car il savait qu’il lui devait le meilleur de sa formation. La Consolatio ad Marciam, dont l’objectif était de réconforter une mère en deuil, indique qu’il convenait pour une mater Romana d’offrir à un fils tout ce qu’il y avait de meilleur et en conformité avec l’idéal romain. Est-il possible de déterminer la nature des relations entre Octave et son beau-père, dans la mesure où elle ne fait l’objet que Suet., Aug. 64. Tac., Dial. 28. 51 Hor., Ep. 1, 1, 22 ; Od. 3, 6, 39. 52 Vie d’Auguste, F 128 (28) ; F 130 (34). 53 Cic., Brut. 211 ; Plut., Tib. 1, 4-5. 54 Sen., Marc. 24. 49 50
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d’une analyse très partielle de la part de Nicolas ? Les exploits de son ancêtre, Marcius Philippus, figurent au § 5. En outre, Octave fut amené dans la résidence de Philippus, ὡς παρὰ πατρὶ τρεφόμενος55. Selon le droit romain, un beau-père ne jouissait d’aucune autorité légale sur ses beaux-enfants. La raison en était que la familia était agnatique. Au demeurant, si, après la mort du père, la mère se remariait, son nouveau mari n’avait une relation ni agnatique ni cognatique avec ses enfants56. Toujours est-il que Philippus seconda Atia dans la supervision de l’éducation du puer57. Pendant la confusion qui régna à Rome en 49 avant J.-C., il mit à l’abri son épouse et Octave58. Jusqu’alors, ce dernier et Philippus avaient entretenu des liens cordiaux. Néanmoins, leur relation se détériora peu à peu (§ 34). Nicolas écrit : « Arrivé à Rome [depuis l’Espagne en 45 avant J.-C.], il [Octave] s’installe près de la maison de Philippus et de sa mère. Il passait son temps avec eux et ne faisait rien sans eux, sauf parfois pour inviter à dîner des gens de son âge, ce qui arrivait rarement »59. Malgré l’assurance de l’historien, il est étrange de constater qu’il passa presque tout son temps avec Atia et Philippus, tout en trouvant préférable de ne pas séjourner chez eux. Deux paragraphes plus loin, Nicolas raconte que lorsqu’il gagna la Calabre et qu’il y apprit le décès de César, Philippus lui demanda dans une lettre de procéder avec prudence : « De son côté, son beau-père Philippus lui écrivait en le priant de ne pas accepter l’héritage de César, de ne même pas prendre son nom, étant donné ce que César avait subi, et de vivre tranquillement à l’écart de la politique »60. Nicolas ajoute : « Octave ne doutait pas que ces conseils ne fussent dictés par la bienveillance,
Vie d’Auguste, F 127 (5). Gray-Fow 1988, 184-199. 57 McCarthy 1931, 362-373. 58 Vie d’Auguste, F 127 (7). 59 Vie d’Auguste, F 128 (34), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 228. ὡς δ᾿ ἧκεν εἰς Ῥώμην, κατάγει πλησίον τῆς Φιλίππου οἰκίας καὶ τῆς μητρὸς καὶ τὴν δίαιταν εἶχε σὺν ἐκείνοις, καὶ οὐκ ἄνευ τούτων διῆγεν, πλὴν εἰ μή ποτε καὶ αὐτὸς τῶν ἡλικιωτῶν τινας βούλοιτο ἐστιᾶν· τοῦτο δὲ σπάνιον ἦν. 60 Vie d’Auguste, F 130 (53), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 238. ἐπέστειλε δ᾿ αὐτῷ καὶ ὁ πατρῳὸς Φίλιππος δεόμενος μὴ προσελθεῖν τῇ Καίσαρος κληρονομίᾳ, φυλάξασθαι δὲ καὶ αὐτὸ τοὔνομα, δι᾿ ἃ πάθοι κεῖνος, | ζῆν δ᾿ ἀπραγμόνως καὶ ἀσφαλῶς. 55 56
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mais il était d’un avis opposé, car il avait déjà de grands projets et de grandes ambitions »61. La recommandation de Philippus pourrait être interprétée soit comme une volonté de se soucier de la sécurité d’Octave et, dans le même temps, de rassurer Atia, soit comme la genèse d’une opposition politique. Le 22 avril 44 avant J.-C., Cicéron écrivit à Atticus : « Nobiscum hic perhonorifice et peramice Octauius. Q uem quidem sui Caesarem salutabant, Philippus non, itaque ne nos quidem »62. Ce refus avait un caractère politique et des implications personnelles. Par ailleurs, l’Arpinate prétend que Philippus était opposé à surnommer Octavien « César », un désaveu majeur de soutien, à moins que le beau-père n’ait agi en accord avec le beau-fils, ce qui est peu probable, tandis que Nicolas, s’appuyant peut-être sur les Mémoires, stipule qu’Atia adopta une position contraire à celle de son mari63. Q ue Philippus, gagné par la prudence, se soit dissocié des activités d’Octave ressort dans une autre lettre de Cicéron datée du 9 ou du 10 juin 44 avant J.-C.64, dans laquelle il explique que, ayant eu peine à décider quelle position adopter envers Octavien, il avait pris conseil auprès de Philippus : « Sed quid aetati credendum sit […] magni consilii est. Vitricus quidem nihil censebat […] Sed tamen alendus est »65. Les quatre derniers mots de cette citation montrent qu’au mieux Philippus était apathique à propos d’Octave, tandis que la locution nihil censebat suggère qu’il avait choisi de suivre une autre voie que la sienne sur le plan politique. Suétone, lui aussi, mentionne l’opposition du beau-père à l’égard des desseins du beau-fils66. En septembre, ni Philippus, ni C. Claudius Marcellus, beaufrère d’Octavien, ne semblaient fiables aux yeux de Cicéron67. 61 Vie d’Auguste, F 130 (53), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 238. ὁ δὲ Καῖσαρ ᾔδει μὲν ὑπ᾿ εὐνοίας ταῦτα παραινοῦντα, ἐγίνωσκε δὲ τἀναντία, μεγάλα ἐπινοῶν ἤδη καὶ φρονήματος μεστὸς ὤν. 62 Cic., Att. 14, 12, 2. 63 Vie d’Auguste, F 130 (54). 64 Le 8 juin 44 avant J.-C., Cicéron rencontra, à Antium, Brutus, Junia Tertia, femme de Cassius et sœur de Brutus, Servilia, Porcia, épouse de Brutus, puis Cassius. Ils s’interrogèrent sur la conduite à tenir devant les mesures prises par Marc Antoine. 65 Cic., Att. 15, 12, 2. 66 Suet., Aug. 8. 67 Cic., Att. 16, 14, 2.
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À la mi-novembre, ils cherchèrent, en vain, son soutien68. Par ailleurs, il existe des preuves que Philippus ait joué un double jeu. Il semble qu’en 41 avant J.-C., par l’entremise de Marc Antoine, il ait espéré obtenir pour son propre fils, né d’une précédente union, le consulat, en lieu et place de Cassius ou de Brutus69. Une missive de ce dernier envoyée à Atticus indique clairement la ferme opposition publique de Philippus à Octavien dès juin 43 avant J.-C.70 De plus, Cicéron écrivit deux mois plus tard à Octavien pour lui faire savoir qu’il était heureux que ce dernier ait pardonné ses actions passées ainsi que celles de son père71. Si nous ignorons la faute commise, le contenu de la lettre indique que Philippus s’était, à un moment donné, opposé à son beau-fils. Nicolas, pour sa part, se contente d’écrire que le beau-père prodigua des conseils à Octavien72. Il ne dit donc mot des hésitations ou de l’opposition politique exprimée par le premier à l’égard du second. Octavien opta pour une autre voie que celle choisie par son beau-père, non pas à cause d’une animosité personnelle, mais parce que son devoir était de venger César. Dès lors, fort d’une pietas filiale, que Cicéron mettait sur un pied d’égalité avec la pietas s’exerçant à l’égard des dieux73, il lui fallait prendre des engagements politiques et gagner la cause césarienne. Si la biographie de l’historien de Damas ne contient nulle opposition entre le beaupère et le beau-fils, c’est parce qu’Auguste entendait démontrer l’exactitude et la droiture de son comportement, sans s’opposer frontalement à l’un de ses proches parents, car il ne devait pas être accusé d’impietas. Concomitamment, il ne voulait en aucun cas afficher des divergences apparentées à une absence de concordia. Dès lors, un sentiment prégnant de loyauté envers la famille imprègne la biographie de Nicolas, qui replace, comme il se doit, l’εὐσέβεια dans le cadre moral romain. Il fit de même lorsqu’il Cic., Att. 16, 14, 2. Cic., Fam. 12, 2, 2. Syme 1952, 134 ; 228. 70 Cic., Brut. 1, 17, 5. 71 M. Tulli Ciceronis Epistulae, 3, 160. 72 Vie d’Auguste, F 130 (53). 73 Cic., Planc. 80 ; Fin. 3, 73. On trouve dans le Pro Cn. Plancio (29) le témoignage d’une pietas filiale où le père était honoré à l’instar d’une divinité : « La manière dont il vit avec les siens et d’abord avec son père (car à mon avis la piété filiale est le fondement de toutes les vertus) qu’il révère à l’égal d’un dieu (et en effet c’est bien à peu de choses près ce qu’est un père pour ses enfants) ». 68 69
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expliqua qu’Octavien entendait châtier les césaricides. Un parallèle peut être dressé avec l’Eryxo des Histoires, femme d’Arkésilas, qui était prête à ne pas laisser la mort de son mari impunie, tout en étant dévouée à son peuple74. Selon Tacite, le jeune Octave, qui entendait venger César- son grand-oncle et père adoptif, avait mis sur le compte de sa pietas filiale les débuts de son action politique75. C’était donc cette valeur que le premier princeps de Rome avait mise à l’honneur après les Ides de mars. Toutefois, Octavien ne prit des mesures formelles contre les assassins de César qu’en août 43 avant J.-C. en faisant voter la lex Pedia, qui institua une quaestio extraordinaria pour les condamner à l’aquae et ignis interdictio et à la confiscation de leur propriété76. En outre, à travers ses dimensions familiale et patriotique, la pietas permit à Octavien de légitimer son engagement militaire contre Marc Antoine, qui avait délaissé les valeurs romaines qu’incarnait César pour épouser, symboliquement, les mœurs orientales et, corporellement, la reine d’Égypte, Cléopâtre VII. Nicolas dut le mentionner dans la troisième partie de sa Vie d’Auguste. L’action du jeune héros et le cadre moral qui rend la manifestation des vertus indispensable prend progressivement corps chez Nicolas, pour qui la silhouette socio-vertueuse d’Octave doit être très tôt saluée.
La personnalité d’Octave Deux vices étaient particulièrement décriés par les Romains : la luxuria et l’immoderatio. Le fait de mener une vie simple, en faisant fi de celles-ci, tout en demeurant en accord avec la moralité produisait, du reste, des citoyens responsables et des soldats aux qualités martiales indéniables. Cicéron, qui certifie que la Nature imposa impérieusement aux hommes l’obligation de la uirtus, argue que cette dernière constituait une force triomphant de tous les attraits de la volupté et du loisir77. F 50. Tac., Ann. 1, 9, 3-4. 76 Aug., RG 2 ; Liv., Ep. 120 ; Vell., 2, 69, 5 ; Suet., Aug. 10, 1 ; Galb. 3, 2 ; Nero 3, 1 ; Plut., Brut. 27, 4-5 ; Dio Cass., 46, 48-49. 77 Cic., Rep. 1, 1. 74 75
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La biographie de Nicolas traite de l’attitude d’Octavien visà-vis de la luxuria et de l’immoderatio. Très jeune, le futur empereur, eu égard à son apparence, à son lignage et à sa fortune, aurait pu être tenté par des aventures sexuelles diverses : « Il se rendait aux temples les jours prescrits, mais la nuit, parce que le moment lui était propre, car sa beauté et la splendeur de sa famille affolaient beaucoup de femmes. Elles avaient beau lui tendre des pièges, il n’était jamais évident qu’il se trouvât pris, car d’un côté sa mère le tenait à l’écart en le surveillant et en ne le laissant aller nulle part, et de l’autre, lui-même était déjà raisonnable parce qu’il avançait en âge »78. Nicolas poursuit : « Octave ne s’enivrait pas et vivait dans la modération. Ses amis connaissaient aussi de lui un autre point remarquable : pendant une année entière, à cet âge où les jeunes gens sont pleins de désir sexuel – et parmi eux encore plus ceux qui sont riches, il s’abstint des plaisirs de l’amour, afin de prendre soin de sa voix et de sa forme physique »79. L’historien de Damas suggère donc qu’Octave, comme tant d’autres membres de la nobilitas, fit preuve d’érotisme en dehors de cette période spécifique d’une année. Sans doute reprit-il cette allégation des Mémoires d’Auguste, car il est peu probable qu’il ait laissé entendre que ce dernier s’abandonnât à des activités sexuelles. Il nous faut donc nous poser la question de savoir pourquoi Auguste n’a pas prétendu avoir fait complètement fi de toute tentation charnelle au cours de sa jeunesse, alors que Cicéron, dans sa troisième Philippique, soulignait la castitas octavienne afin de critiquer la démesure de Marc Antoine80. En réalité, le commentaire de Nicolas entendait démontrer qu’Octave était capable de contrôler ses pulsions dès le plus jeune âge, ce qui faisait de lui un 78 Vie d’Auguste, F 127 (12), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 214. ἐφοίτα δὲ καὶ εἰς τὰ ἱερὰ ἐν ταῖς νομίμοις ἡμέραις νύκτωρ διὰ τὴν προσοῦσαν αὐτῷ ὥραν, ἅτε δὴ καὶ πολλὰς γυναῖκας ἐκμήνας εὐπρεπείᾳ καὶ λαμπρότητι γένους. ἐπιβουλευόμενος δὲ παρ᾿ αὐτῶν οὐδαμῆ ἐφαίνετο ἁλωτὸς ὤν, ἀλλὰ τὰ μὲν ἡ μήτηρ ἀπήρυκεν αὐτοῦ φυλάττουσα καὶ οὐδαμόσε μεθιεῖσα, τὰ δὲ καὶ αὐτὸς ἤδη ἔννους ὤν, ἅτε εἰς τοὔμπροσθεν τῆς ἡλικίας προϊών. 79 Vie d’Auguste, F 129 (36), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 228. ὅτι ἔνηφε καὶ ἐγκρατῶς διῆγεν ὁ νέος Καῖσαρ. θαυμαστὸν δέ τι κἄλλο συνῄδεσαν αὐτῷ οἱ φίλοι· ἐπ᾿ ἐνιαυτὸν γὰρ ὅλον ἐν τοιᾷδε ἡλικίᾳ, ἐν ᾗ μάλιστα σφριγῶσιν οἱ νέοι καὶ τούτων δ᾿ ἔτι μᾶλλον οἱ εὐτυχεῖς, ἀφροδισίων ἀπείχετο φωνῆς ἅμα καὶ ἰσχύος προνοῶν. 80 Cic., Phil. 3, 3-32. Voir : Stevenson – Wilson 2008.
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exemplum vertueux. À l’instar de Scipion l’Africain qui ne s’était nullement soumis à la uoluptas et à la luxuria, et qui avait été le rassembleur de la communauté lato sensu à la fin de la deuxième guerre punique, tout en incarnant la dimension métaphysique de la uirtus fondée sur la rencontre de l’humain et du divin (Scipion se disait « fils de Jupiter »)81, Auguste devait être présenté comme l’ennemi du uitium. Au demeurant, Nicolas argue qu’Octave voulait démontrer sa volonté de prendre les armes, et que César l’admirait pour son courage82. Au sens civique du terme, être « courageux » signifiait être un citoyen sur lequel on pouvait compter. Par conséquent, la uirtus était une vertu altruiste fondamentale pour tous ceux qui s’étaient vu confier la mission de défendre leur cité et leurs concitoyens. Comme le prétend Cicéron, le courage qui est prompt à faire face au danger, s’il n’est pas inspiré par le civisme mais par ses propres intentions égoïstes, devrait être appelé effronterie plutôt que courage83. A. McIntyre explique que la uirtus d’un Romain fier se manifestait surtout dans sa capacité à risquer sa propre existence pour une noble cause et, plus précisément, dans le but de privilégier son concitoyen ou la libera res publica à sa propre vie ou à son intérêt84. C’est pourquoi, comme le savait fort bien Nicolas, cette ἀνδρεία constituait une qualité sociale recherchée et un aiguillon à la racine de l’action digne d’émulation. Parallèlement, moult amici et citoyens demandèrent à Octave d’intercéder en leur faveur auprès de César. Ainsi le héros se fait-il aisément le refuge de l’opinion désorientée et les ralliements suscités par son action donnent-ils l’occasion à Nicolas d’en expliquer le mécanisme. Lorsqu’il y consentait, Octave attendait toujours le moment le plus opportun pour le faire, et savait se montrer convaincant85, tout en n’allant jamais à l’encontre des intérêts de son protecteur. Au demeurant, enfant, écrit Nicolas, Octave mettait déjà un point d’honneur à toujours porter la toge86 ; plus tard, il déploya des efforts considérables pour maintenir et étendre Liv. 29-30. Vie d’Auguste, F 130 (108). 83 Cic., Off. 1, 63. 84 Macuntyre 1981, 179. 85 Vie d’Auguste, F 127 (18). 86 Vie d’Auguste, F 127 (11). 81 82
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son usage87. Ce sont notamment cette habileté et cette fides qui conduisirent César à l’adopter88. Parallèlement, le Damascène insiste sur le fait qu’il ait vécu sobrement89. Malheureusement, la section la plus exhaustive en la matière, le § 22, est incomplète. Le jeune Octave faisait à tout le moins preuve de moderatio et de temperantia, même après que César l’eut pris sous son aile90. Chaque uirtus était en fait la manifestation, dans un domaine donné, de la volonté sans faille de l’individu soucieux du respect des préceptes romains : courage en situation périlleuse (fortitudo), loyauté et fidélité à la parole donnée (fides), modération dans l’usage de toutes choses (temperantia), maîtrise de soi (continentia), respect des ascendants (pietas)… Nicolas s’est peut-être inspiré de Cicéron, qui lie ces qualités91. Aux dires du Damascène, la frugalité était également pratiquée en toutes circonstances par Octavien. Ce bienfait, conforme au mos maiorum, n’était plus guère appliqué, ainsi que s’en plaint Salluste : l’époque où les hommes étaient dans la retenue avait laissé place à la décadence92. À son retour en Italie, il veillait à ne pas encourir de censure moraliste pour comissatio, en ne dînant pas avant la dixième heure, sauf en compagnie des membres de sa famille93. Ce fait constituait un critère moral non négligeable chez Cicéron, qui fustigea notamment certains partisans de Catilina pour avoir imaginé que omnis industria uitae et uigilandi labor in antelucanis cenis expromitur94. A contrario, il encensa Archias pour ne pas s’être adonné tempestiuis conuiuiis95. Selon Suétone, Néron et Vitellius ordonnèrent le plus souvent que la cena commençât à midi96. L’hora nona semble avoir été l’heure la plus précoce acceptée pour les Romains pour prendre la cena97, bien qu’en Suet., Aug. 40, 5. Vie d’Auguste, F 128 (29-30). 89 Vie d’Auguste, F 128 (34) ; F 129 (36). 90 Vie d’Auguste, F 127 (14-27) ; F 128 (30). 91 Cic., Imp. Cn. Pom. 36. 92 Sall., Cat. 9, 2, 11 ; 12, 2 ; Jug. 4, 4 ; 7. 93 Vie d’Auguste, F 128 (28). 94 Cic., Cat. 2, 22. 95 Cic., Arch. 13. 96 Suet., Ner. 27 ; Vit. 13. 97 Cic., Fam. 9, 26, 1 ; Mart., 4, 8, 6 ; Plin., Ep. 3, 1, 8-9. 87 88
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hiver, elle pouvait avoir lieu plus tôt. Le chef de famille était tenu de pourvoir au ravitaillement de sa maisonnée, sans quoi, il aurait déshonoré sa lignée. Auguste dut mentionner probablement sa frugalité dans ses Mémoires. Enfin, les applications de son ingenium lui valurent les louanges des Romains plus âgés98. Nicolas se plaît à expliquer qu’Octavien, notamment en raison de son éloquence, était estimé de ses concitoyens et des hommes lui devant obéissance, car ils voyaient en lui un général convaincant et fédérateur99. Cette assertion renvoie à la prose d’Aristote100, de Xénophon101 et d’Isocrate102. Nous le voyons, la mère et le beau-père d’Octave avaient été attentifs à son éducation et à sa formation ; ils avaient veillé à ce qu’il épousât l’ensemble des préceptes du mos maiorum. Ainsi évita-t-il de tomber sous les charmes des jeunes filles et des dames, usait-il de prudence au moment opportun, s’abstint-il de s’enivrer afin de rester maître de lui-même et de se sustenter plus qu’il n’était nécessaire. Parallèlement, il savait l’importance que recouvraient la uirtus et la fides. Plus tard, Auguste adopta nombre d’attitudes semblables à celles que Nicolas lui attribue dans sa jeunesse. Le Damascène, qui fait de lui un exemplum moral, était parfaitement au courant des valeurs ancestrales prônées par l’aristocratie romaine. En effet, la dimension morale et éthique de sa biographie concorde parfaitement avec le traditionalisme romain. Toutefois, dans la mesure où plusieurs épisodes de virilité et de générosité, à l’instar du voyage en Hispanie, relèvent de la laudatio et revêtent des connotations politiques, ils furent probablement empruntés aux Mémoires d’Auguste. Concomitamment, dans les faits, le jeune homme ne s’est jamais véritablement illustré en tant que dux sur le champ de bataille. Du reste, la quasi-totalité des écrits apologétiques insistaient sur l’excellence intellectuelle du sujet mis en exergue103. La capacité d’Octave à rassembler très tôt les foules et à convaincre les soldats placés sous son commande-
Vie d’Auguste, F 127 (4-6). Vie d’Auguste, F 130 (37-45). 100 Aristot., Pol. 1284a3-14 ; b27-34. 101 Xen., Cyr. 1, 1, 3. 102 Isoc., Pan. 80. 103 Plut., Cic. 2, 2 ; Tib. 4, 4 ; Sall., Jug. 6, 1 ; Cic., Arch. 3, 4. 98 99
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ment de suivre ses ordres constituait un autre topos historiographique. La composition par séquences permet d’intégrer sans difficulté l’image cohérente et de donner du corps à un personnage donné. La narration suivie nicoléenne présente une unité statique prédéterminée. C’est en elle qu’il convient de chercher le principe d’unification du récit.
Octave et César Tout au long de sa biographie, Nicolas rappelle les liens prégnants unissant Octavien avec César. Dans la première partie, ce dernier est représenté comme un imperator vertueux, impressionné par les capacités et la personnalité de son petit-neveu. Nicolas montre aussi comment César lui permit d’acquérir une expérience des affaires civiles et militaires. Ces éléments témoignent de l’intention de l’imperator de faire d’Octavien un personnage incontournable104. Au § 13 de la Vie d’Auguste, grâce à l’influence de César, il acquit une expérience de juriste pendant les Feriae Latinae105. Nicolas raconte le rôle joué par Octave à Rome pendant la célébration de ces réjouissances : « Octave vint d’asseoir à une tribune au milieu du Forum et une foule innombrable s’approcha de lui pour obtenir justice, mais aussi sans autre raison que de le voir. En effet, il était admirable aux yeux de tous, surtout dans cette circonstance où il était investi de majesté et de dignité »106. L’historien, qui suit un ordre chronologique, situe l’événement après la cérémonie de la prise de la toge virile, en 48 avant J.-C., mais avant le départ de César pour l’Afrique, l’année suivante107. Si la célébration, comme cela semble probable, eut lieu alors, elle se serait produite Toher 2003, 132-156. Les Feriae Latinae, instituées par Tarquin l’Ancien ou par son fils, étaient annuellement célébrées sous la surveillance des consuls, au printemps, sur le mont Albain, près d’Albe-la-Longue. 106 Vie d’Auguste, F 127 (13), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 216. καθίζει ἐπὶ τὸ βῆμα Καῖσαρ ἐν μέσῃ ἀγορᾷ. προσῄεσαν δ᾿ ἄπλετοι ἄνθρωποι δικαιοδοσίας χάριν, πολλοὶ δὲ καὶ μηδενὸς πράγματος χάριν, θεωρίας ἕνεκα τοῦ παιδός· ἀξιοθέατος γὰρ πᾶσιν ἦν, καὶ μάλιστα ἐν τῷ τότε σεμνότητα καὶ ἀξίωμα προσειληφώς. 107 Vie d’Auguste, F 127 (14-15). 104 105
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entre le retour de César à Rome en septembre, lorsque les consuls (ὑπάτοι)108 Q . Fufius Calenus et P. Vatinius furent nommés, et la fin du mois de novembre, quand l’imperator quitta à nouveau la capitale. À tout le moins, Nicolas ne décrit pas avec précision la position occupée à l’époque par Octave. Il suggère qu’il était alors responsable de la δικαιδοσία en vertu de son pontificat, et prétend, à tort, que les pontifes devaient remplacer les consuls pour rendre la justice durant les Feriae Latinae109. Il est possible qu’Octave ait été désigné pontifex qui praeesset priuatis, prêtre-juge. Cependant, il est plus probable que sa fonction, consistant à administrer la cité durant le festival, ait été celle de Praefectus Vrbis Feriarum Latinarum causa110. Il est possible que Nicolas ait mal compris le sens de cette titulature latine. Au § 18, après avoir synthétisé la geste césarienne en Afrique, Nicolas mentionne les fonctions αὐτοκρατορικὰς de César. Le terme d’αὐτοκράτωρ est le pendant grec de dictator et d’imperator111. Selon le contexte, l’historien doit se référer à la période de dictature exercée par le vainqueur de Pompée pendant dix ans après sa campagne africaine112. Le titre d’imperator en tant que praenomen ne lui aurait été décerné qu’en 45 avant J.-C.113 Ajoutons que si le Damascène n’en dit mot, Octave fut élevé par César au rang de patricien la même année, le maître de Rome ayant fait promulguer une loi qui instituait de nouvelles familles patriciennes, parmi lesquelles la gens Octauia114. Au paragraphe suivant, Nicolas rappelle que César avait à cœur de faire acquérir à Octave l’expérience de l’organisation des jeux publics et la gestion des dépenses inhérentes à ceux-ci. Ce fragment fait écho à la Cyropédie de Xénophon115. Dans ce but, le dictateur confia à son petit-neveu la présidence du théâtre grec. Pour montrer son dévouement et sa bienveillance, ce dernier ne Baltrusch 2004. Vie d’Auguste, F 127 (13). FGrH IIC, 268. 110 Pomponius, Dig. 1, 2, 2, 6. 111 Pol., 3, 86, 7 ; Diod., 12, 64, 1. 112 Dio Cass., 43, 14, 4 ; MRR, 2, 294-295. 113 Suet., Caes. 76, 1 ; Dio Cass., 43, 44, 2-5. 114 Suet., Aug. 2, 1 ; Dio Cass., 45, 2. 115 Xen., Cyr. 1, 1, 6. 108 109
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quittait jamais les gradins avant la fin d’une représentation, même lorsque la canicule frappait les spectateurs, si bien qu’au cours de l’une d’elles, il eut un malaise. « Tout le monde fut pris de peur, s’inquiétant à l’idée qu’il arrivât quelque chose de mal à une telle nature, et César plus que tout. C’est pourquoi tous les jours, soit il venait lui-même le voir pour l’encourager, soit il envoyait des amis, et il interdisait aux médecins de le quitter »116. Non sans emphase, Nicolas ajoute qu’un jour, alors qu’il dînait, César apprit que son petit-neveu se portait mal. Il se serait alors aussitôt levé de table, et serait parti pieds nus à l’endroit où il était soigné, avant de supplier les médecins, la voix pleine d’angoisse, de le sauver. Il veilla sur lui jusqu’à ce qu’il reprît connaissance117. Octave demeura en convalescence sept mois durant. Ainsi Nicolas fait-il jouer à César un véritable rôle de pater familias empli d’attention envers son futur fils adoptif. César partit pour l’Hispanie début novembre afin de combattre Sextus Pompée, laissant Octave, souffrant, à Rome. Il lui demanda de le retrouver aussitôt sa guérison. En attendant, il enquit de nombreuses personnes à s’occuper de son protégé118. Finalement, les forces lui revinrent. Après avoir choisi les plus vigoureux de ses serviteurs, il rejoignit son grand-oncle119, faisant fi des objections maternelles, et, en dépit des dangers inhérents au voyage120. Il n’existe en notre possession aucun compte rendu détaillé de l’itinéraire emprunté par Octave pour se rendre en Hispanie. Nicolas ne livre que des bribes d’informations quant à la trajectoire suivie par le petit-neveu de César121. La rencontre des deux hommes s’opéra à Carteia, dans la baie de Gibraltar. Octavien
116 Vie d’Auguste, F 127 (19), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 220. χαλεπῶς δὲ διακειμένου πάντες μὲν ἐν φόβῳ ἦσαν, ἀγωνιῶντες εἴ τι πείσεται τοιαύτη φύσις, μάλιστα δὲ πάντων Καῖσαρ. διὸ πᾶσαν ἡμέραν ἢ αὐτὸς παρὼν αὐτῷ εὐθυμίαν παρεῖχεν ἢ φίλους πέμπων ἰατρούς τε ἀποστατεῖν οὐκ ἐῶν. 117 Vie d’Auguste, F 127 (20). 118 Vie d’Auguste, F 127 (21). 119 Nicolas (Vie d’Auguste, F 127 (22)) précise que c’est ainsi qu’il appelait César. 120 Vie d’Auguste, F 127 (22-23). 121 Vie d’Auguste, F 127 (22-23).
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avait fait escale à Tarraco, puis avait bifurqué vers le sud122. À tout le moins, il semble évident qu’aucun plan ni itinéraire n’avait été préalablement établi, ce qui tend à démontrer son impréparation ou son manque d’empressement à combattre. Nous ignorons également à quelle date exacte il arriva sur place. Selon le § 22 de la Vie d’Auguste, il rejoignit César en Hispanie lorsque « la guerre fut terminée, en sept mois ». Si cette donnée se révèle exacte, le jeune homme dut se mettre en route au début de novembre 46 avant J.-C., et la rencontre aurait eu lieu fin mai ou début juin de l’année suivante, plusieurs mois après la bataille de Munda. Dion Cassius a donc tort de prétendre qu’Octave y participa123 ; si tel avait été le cas, Nicolas n’aurait pas manqué de le faire savoir. Toujours est-il que des réminiscences du récit emphatique d’Auguste décrivant son périple et sa présence en Hispanie émaillent celui de Nicolas, qui encense son endurance et la volonté dont il fit preuve pour atteindre cette région de l’Empire124. Sans doute le futur prince entendait-il témoigner d’une celeritas rivalisant avec celle de son grand-oncle. Arrivé, il reçut d’ailleurs des éloges de ce dernier, « qui l’accueillit comme un fils » et « ne le laissait aller nulle part sans lui »125. Ainsi que l’indique Nicolas, ce contact étroit présupposait l’adoption de l’adolescent par l’imperator126. Les deux hommes se rendirent à Carthagène, le chef de guerre avait diverses affaires à régler (jugements à rendre et problèmes administratifs à résoudre)127. Peu de temps plus tard, les Sagontins, accusés de divers motifs128 par l’imperator, cherchèrent recours auprès d’Octave, qui, se faisant leur avocat, prononça publiquement une défense efficace en présence de son grandoncle. Admiratif des talents oratoires de son petit-neveu, il libéra des accusations ces fidèles alliés de Rome, puis les renvoya dans leur cité. Le compte rendu de Nicolas est précieux, car il constitue une preuve de la négociation efficace, sur les plans juridique Vie d’Auguste, F 127 (23). Dio Cass., 43, 41, 3. 124 Vie d’Auguste, F 127 (22-23). 125 Vie d’Auguste, F 127 (24). 126 Vie d’Auguste, F 128 (30) ; F 130 (120). 127 Vie d’Auguste, F 127 (25-27). 128 Les termes choisis par Nicolas (F 127 (27)) sont vagues : « Ζακύνθιοι […] δεόμενοι βοηθείας ». 122 123
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et philanthropique, entre l’autorité romaine et les provinciaux. Au demeurant, Octave pouvait désormais utiliser son influence auprès de César au profit de communautés entières, et non plus au bénéfice de quelques connaissances ou amis129. Au surplus, si Nicolas se garde de décrier ouvertement Sextus Pompée, au § 24, il écrit : πολλῶν πολεμίων καὶ ληστηρίων, une référence à la faction pompéienne, sévissant toujours après la bataille de Munda le long de la côte ibérique, comme en témoigne Strabon130. Peu de temps après, Octave demanda à César la permission de rentrer chez lui131. Cette décision soudaine s’explique par le fait qu’il souhaitait revoir sa mère132. Nicolas précise qu’une fois à Rome, une foule de citoyens l’entoura chaleureusement133 ; l’expression « πλείστοι ἀνθρώπων » peut implicitement faire référence au recensement opéré en 28 avant J.-C. Ainsi le présente-t-il anachroniquement comme un conditor. Si son compte rendu est correct, Octave quitta l’Hispanie pour Rome à la mi-juillet, au plus tard. La date du retour à Rome de César n’est pas connue avec précision. Cicéron écrit à Atticus depuis Tusculum à propos des événements du 24 août 45 avant J.-C. : « De aduentu Caesaris […] quaeris, quid cogitem de obuiam itione. Q uid censes nisi Alsium ? Et quidem ad Murenam de hospitio scripseram […] »134. César traversa donc l’Étrurie, avant de regagner l’Vrbs. L’Arpinate révèle dans une autre lettre que « Magister [Caesar] adest citius quam putaremus »135, suggérant que César s’était hâté de le faire. Le 26, il argue que « etsi hercle iam Romam ueniendum est, ne ille ante aduolet »136. Seulement deux jours auparavant, Octave avait eu l’intention de voyager vers Alsium, en Étrurie, pour revoir César au plus vite, mais fut forcé de se dépêcher pour atteindre Rome avant le magister. Octave et César s’y seraient retrouvés vers la fin du mois d’août ou au tout début de septembre, bien que Nicolas ne le mentionne Vie d’Auguste, F 127 (16). Strab., 3, 4, 5. 131 Vie d’Auguste, F 128 (31). 132 Vie d’Auguste, F 128 (31). 133 Vie d’Auguste, F 128 (32). 134 Cic., Att. 13, 50, 3. 135 Cic., Fam. 7, 25. 136 Cic., Att. 13, 51, 2. 129 130
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pas. Alors qu’il régnait une grande ferveur, Octave ne sut que faire à la vue d’un jeune homme137 venu le saluer au cœur de l’Vrbs. Après réflexion, il lui déclara que César était le maître de la famille et le chef de tout l’empire138. Suétone semble déplorer qu’Auguste ait évité les salutations officielles139. Toutefois, Nicolas met l’accent sur sa sobriété et sa prudence, et centre son propos sur la confiance que César avait placée en lui. Pourtant, Plutarque argue qu’Octave accompagna son grand-oncle à travers toute l’Italie au retour d’Hispanie. Cette différence de version ne semble pas s’expliquer par le fait que l’auteur des Vies parallèles détaille davantage les faits que le Damascène. De plus, Plutarque, contrairement à ce dernier, décrit la manière dont César honora Marc Antoine en le faisant monter sur son char dans toute l’Italie, tandis que Brutus Albinus et Octave étaient venus ὄπισθεν140. Octave apparaissait donc comme un simple contubernalis de l’imperator. Il semble que Nicolas, peut-être inspiré par les Mémoires d’Auguste, n’entendait pas préciser que ce dernier bénéficia de la part de César d’un traitement moins favorable que Marc Antoine. Au § 16 de la Vie d’Auguste, Nicolas raconte que l’imperator se montra cruel à l’égard de certains Romains. Il souligne sa colère et son intransigeance quand il rentra à Rome après sa campagne africaine ; il ne voulait accorder son pardon qu’à très peu de prisonniers l’ayant trahi à deux reprises après avoir bénéficié de sa clementia une première fois. Le Damascène narre ensuite la manière dont Octave obtint la libération du frère de M. Agrippa, un catonien. Cette demande auprès de César est présentée comme un geste d’une grande solennité. Ce faisant, il montre que le petit-neveu était en mesure d’influer sur les décisions prises par le grandoncle. Concomitamment, il atténue le courroux césarien afin de tenter de démontrer qu’Octavien fut un exemplum de moderatio. Il explique que si César fustigeait ceux qui l’avaient trahi après avoir obtenu son pardon et que, dans un premier temps, il semble avoir voulu les mettre à mort, il revit sa position vis-à-vis d’eux. De fait, de nombreux appels à la clementia césarienne, parmi lesquels Vie d’Auguste, F 128 (31). Vie d’Auguste, F 128 (33). 139 Suet., Aug. 53, 2. 140 Plut., Ant. 11, 1. 137 138
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celui du fils de Caton, furent entendus141. Cicéron confirme ces dires en écrivant que César était en colère contre ceux qui s’étaient opposés à lui en Afrique, mais que son attitude s’adoucit quelque temps plus tard142. Velleius Paterculus abonde dans le même sens : nec dissimilis ibi aduersus uictos quam in priores clementia Caesaris fuit143. Q uant à Dion Cassius, il rapporte que l’imperator épargna nombre de soldats ayant combattu contre lui en Afrique, car chacun de ses compagnons et soldats fut autorisé à réclamer la libération d’un citoyen pompéien ou catonien144. En 46 avant J.-C., Octave fut convié à participer au quadruple triomphe césarien145. Lors de celui-ci, « il [César] ordonna au jeune Octave – dont il avait déjà fait son fils et qui, par ailleurs, l’était déjà naturellement d’une certaine façon, à cause de la proximité de leurs familles – de suivre son char, l’ayant paré de décorations militaires comme s’il avait été son compagnon de tente pendant la guerre. De la même façon, lors des sacrifices et dans les processions en l’honneur des dieux, l’imperator plaçait son petit-neveu tout près de lui et ordonnait aux autres de lui céder le passage. »146 La joie de César de partager du temps avec son petit-neveu en toute sécurité est décrite par Nicolas en termes très positifs147, lesquels reflètent la propagande augustéenne. La piété du jeune homme était aux antipodes de l’impiété des fils de Lycaon telle que décrite dans les Histoires de Nicolas148, qui force le trait en décrivant la moralité civique d’Octave. La teneur de ce 141 Cic., Fam. 4, 4, 3 ; Liv., Ep. 114 ; Sen., Ira 2, 23, 4 ; Plut., Cat. 73, 1. César avait pourtant rédigé un Anti-Caton, dans lequel il accusait son ancien ennemi de cupidité, d’alcoolisme et de débauche. 142 Cic., Fam. 6, 13, 3. 143 Vell., 2, 55, 2. 144 Dio Cass., 43, 13, 3 ; 17, 3-6. 145 Liv., Ep. 115 ; Plin., Nat., 19, 144 ; Suet., Caes. 37, 49, 4 ; Aug. 8, 1 ; Plut., Caes. 55, 1-4 ; App., BC 2, 101, 418-102, 422 ; Flor., 2, 13, 88-89 ; Dio Cass., 43, 14, 3 ; 19, 1-21, 2 ; Oros., 6, 16, 6. 146 Vie d’Auguste, F 127 (17), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 218. καὶ τὸν νέον Καίσαρα υἱὸν ἤδη πεποιημένος, ὄντα δὲ τρόπον τινὰ καὶ φύσει διὰ τὸ ἀγχοτάτω τοῦ γένους εἶναι, ἐκέλευσε τῷ ἑαυτοῦ ἅρματι ἕπεσθαι, κόσμοις αὐτὸν στρατηγικοῖς ἀσκήσας, ὡς ἂν αὐτοῦ σύσκηνον ἐν τῷ πολέμῳ γεγονότα. ὁμοίως δὲ καὶ ἐν ταῖς θυσίαις καὶ ἐν ταῖς πρὸς τοὺς θεοὺς προσόδοις ἐγγύτατα ἵστη τούς τε ἄλλους εἴκειν προσέταττεν αὐτῷ. 147 Vie d’Auguste, F 127 (20-21 ; 24). 148 F 38.
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récit fut sans nul doute empruntée aux Mémoires, dont l’intention peut avoir été de souligner subtilement qu’Agrippa, véritable vainqueur d’Actium, avait été redevable à Octave. La volonté d’établir une comparaison implicite entre César et Octave chez Nicolas est remarquable : le premier, en dépit de ses qualités morales et militaires, échoua finalement là où le second réussit. En effet, le futur Auguste, qui fit moins preuve de passivité et qui écouta davantage les conseils prodigués par ses amis les plus fidèles, parvint à imposer la paix romaine, tout en feignant de restituer la libera res publica. Le Damascène projette d’ailleurs en Octavien une image paradigmatique du bon gouvernant. De fait, à certains égards, ce dernier s’inscrit dans la lignée des chefs barbares qui, comme Arbakès pour les Mèdes149 ou Cyrus pour les Perses150, placèrent leur peuple à la tête d’un empire. Le rejet de tout pouvoir anticonstitutionnel, à l’instar de la dictature perpétuelle de César, est prôné par Nicolas de Damas, qui insiste sur la légalité de toutes les actions entreprises par Octavien. Cette histoire officielle donna au décès de César, vu à travers le prisme du premier prince de Rome, une tonalité à la fois solennelle et affective. Le dictateur, qui fut déifié, n’était plus un simple mortel. Entre 44 et 27 avant J.-C., son héritier sut exploiter cette divinisation. En effet, la divinité de César lui permit de promouvoir ses intérêts personnels, tout en préparant sa propre apothéose151. En 43 avant J.-C., ce dernier devint le sujet d’une émission monétaire annonçant son apothéose. Elle comprenait tantôt une représentation du sidus Julium accompagné de la légende « Divus lulius », tantôt le visage du défunt surmonté de la comète apparue au cours des jeux organisés par Octavien en juillet 44 avant J.-C.152 Le F1 des Mémoires d’Auguste témoigne de l’intérêt qu’il portait à cette vision153. Octavien, fixant l’astre du regard, est généralement représenté aux côtés de son aïeul154. Les légendes C CAESAR COS PONT AUG et C CAESAR DICT PERP PONT MAX F 3. F 66. 151 White 1988, 334-356 ; Alföldi 1973, 99-128. 152 Ramsey – Licht 1997 ; Pandey 2013, 405-449. 153 Cf. supra p. 26-29. 154 BMCRR 2, 404-405 ; Catalogue des monnaies de l’empire romain, t. 1, 87 ; 190-191 ; Rowan 2018, 30-52. 149 150
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indiquent qu’il ne craignait alors pas de s’associer à un dictator perpetuus. De plus, en 42 avant J.-C., les triumvirs se mirent d’accord pour qu’un temple fût élevé en son honneur là où son corps avait été incinéré, près de la Regia. Après avoir été consacré en 29, il devint un lieu de culte familial et civique155. Nous ignorons comment César fut traité dans l’autobiographie augustéenne, mais nous n’avons aucune raison de présupposer qu’il le fut de manière négative. Toutefois, la faible visibilité de César dès l’instauration du principat soulève diverses hypothèses : Auguste craignait-il de rester dans l’ombre de son père adoptif ? Était-il mal à l’aise par rapport à la destruction de la République provoquée par ce dernier ? Il était opportun pour le prince de se dissocier de César, car le premier prétendait avoir restauré la République, alors que le second fut décrié par d’aucuns pour l’avoir grandement ébranlée. Bien que « Divi filius », il cherchait sa légitimation dans la République : la fonction de « dictateur perpétuel », acquise le 14 février 44 avant J.-C., devait être oubliée. Dans ses Res Gestae, Auguste insiste sur son rejet de cette magistrature illégale lorsqu’elle lui fut offerte156, afin de marquer le contraste avec son grand-oncle. Il ajoute qu’il n’accepta aucun pouvoir en dehors de ceux promus par la République157, même après avoir été nommé Auguste158. Concomitamment, il explique qu’après avoir reçu le commandement suprême, il confia la libera res publica au Sénat, suggérant, là aussi, une opposition avec son père adoptif. Du reste, s’il se plut à qualifier ce dernier de divin159, c’est essentiellement pour montrer qu’il désirait venger le meurtre d’un être diuus et démontrer sa pietas filiale. Pour leur part, les poètes augustéens minimisèrent généralement l’importance de la figure césarienne. Virgile n’est guère élogieux à son égard. Aux vers 826-835 du livre 8 de l’Énéide, Pompée et lui attisent la guerre (bellum) et le massacre (stragemque). Ils sont décriés pour avoir usé de leurs forces armées Ramage 1985, 223-245. Aug., RG 5. 157 Aug., RG 6. 158 Aug., RG 34. 159 Aug., RG 19-20. 155 156
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contre les Romains (patriae ualidas in uiscera […] uiris). De plus, Anchise ne laisse aucun doute quant à savoir qui a déclenché cette guerre civile, car il insiste pour que César dépose les armes160. A contrario, Auguste, intervenu quelques vers plus tôt, est présenté comme apportant un nouvel âge d’or jusqu’aux extrémités de la terre, et même au-delà des étoiles. Il faut également noter que César n’apparaît pas parmi les héros figurant sur le bouclier d’Énée161. En outre, ses succès en Bretagne, en Égypte, en Afrique du Nord et au Pont sont considérés comme secondaires au fait qu’un si grand héros lui succéda à la tête de l’Empire162. Toutefois, le Mantouan montre le futur empereur combattant à Actium protégé par l’étoile de son père divinisé au-dessus de sa tête163. Horace164 fait également mention de l’astre julien (Julium sidus) brillant de mille feux. Il ne fait aucun doute qu’Auguste promut l’omen de la comète en tant que représentation astrale du divin César à des fins apologétiques. Pour Ovide, le conquérant de la Gaule chevelue devait être fait dieu afin qu’Auguste ne fût pas né d’une semence mortelle165. Par ailleurs, le premier est forcé d’admettre (fatetur) que les réalisations du second sont supérieures aux siennes (suis maiora), ce dont il se réjouit166 (uinci gaudet ab ilbo)167. Ainsi la figure césarienne telle que dépeinte par la vulgate tardo-augustéenne fut-elle différente de celle présentée dans la biographie de Nicolas de Damas. Cette conclusion renforce notre hypothèse d’une date haute pour la rédaction de cette œuvre. Du reste, par l’emploi de touches successives marquées par la morale sociale et les relations interpersonnelles, l’historien dessine un binôme ne lâchant pas la bride aux passions et ne se laissant pas emporter par une vaine témérité propre aux démagogues. Verg., Aen. 8, 834-835. Verg., Aen. 8, 626-731. 162 Verg., Aen. 8, 758 : tantum genuisse uirum. 163 Verg., Aen. 8, 681. 164 Hor., Od. 1, 12, 46-47. 165 Ov., F. 760-761. 166 Ov., F. 850-851. 167 Ovide (F. 855-858) fournit une liste de pères et de fils qui furent dans la même situation. Atrée céda la place à Agamemnon, Égée à Thésée, Pélée à Achille et Saturne à Jupiter. 160 161
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La mort de César Plutarque analyse la figure de César à travers le prisme du personnage public. Pour sa part, Suétone, qui n’accorde qu’une importance relative à la carrière césarienne, privilégie ses diverses réalisations. Nicolas, quant à lui, conjugue ces deux dimensions. Il est surtout l’auteur le plus prolixe concernant le décès de l’imperator. Ce dernier avait obtenu les faveurs de la plèbe par des distributions de terres et de blé, puis avait pu s’appuyer sur la fidélité de l’armée des Gaules, laquelle comptait nombre de chevaliers et de vétérans. À l’issue de la guerre civile, il s’était trouvé à la tête de seize légions. Parallèlement, il avait tissé des liens avec des hommes d’affaires et des notables provinciaux. Il avait également gagné le soutien de moult sénateurs de rang inférieur, notamment après avoir épongé leurs dettes grâce au butin amassé lors de ses conquêtes168. Du reste, il avait récompensé ses partisans, et avait pardonné à certains de ses anciens adversaires, tout en leur octroyant des magistratures, dont le nombre augmenta considérablement, et des commandements militaires. Si le Sénat laissa César arborer la pourpre ainsi que la couronne de laurier, attribut de Jupiter, les tenants de l’oligarchie, qui avaient soutenu Pompée et qui jugeaient qu’il menaçait leurs intérêts, voulaient le neutraliser après l’instauration d’un gouvernement personnel ; même Sylla n’avait pas été désigné dictateur à vie, estimaient-ils. Peu de temps avant de mourir, César rassembla seize légions pour engager une guerre contre la Parthie. Il avait prévu de quitter Rome le 18 mars 44 avant J.-C.169 Nicolas rédige une brève introduction du complot fomenté contre César. Il explique que, dans un premier temps, il présentera les origines et l’organisation de ce putsch, puis qu’il racontera comment le « deuxième César », Auguste, remplaça son père adoptif, « dans le domaine de la paix comme dans celui de la guerre »170. 168 Le parti de César avait notamment accueilli d’anciens pompéiens, parmi lesquels Marcus Junius Brutus et Caius Cassius Longinus, ses futurs assassins. Syme 1952, 68-97 ; Cosme 2005, 24 ; Epstein 1987, 566-570. 169 Goldsworthy 2006, 250-282 ; Dando-Collins 2010. 170 Vie d’Auguste, F 130 (58) : ὁπόσα ἔργα πολέμου καὶ εἰρήνης ἀπεδείξατο.
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L’historien grec fustige Decimus Brutus, qu’il présente à tort comme un ami proche de César, Caius Cassius et Marcus Brutus, qui avaient combattu aux côtés de Pompée171. Après Pharsale et Thapsus, ils avaient obtenu la clémence de César. Pourtant, ils n’avaient pas chassé de leurs esprits l’hostilité ressentie à l’égard du césarisme. Nicolas demeure flou quant aux motivations des conjurés (« ils avaient à la fois des motifs individuels propres à chacun et des motifs publics communs à tous »172), mais il précise que tous étaient stimulés par l’antique gloire des Bruti173. Ainsi fait-il des deux Brutus les figures de proue de la conjuration ayant pour objectif l’assassinat du dictateur. Ensuite, il explique que diverses rumeurs prétendaient que ce dernier, après avoir succombé aux charmes de Cléopâtre, avait choisi Alexandrie comme capitale de son futur royaume terrestre et maritime. Le dictateur lui-même démentit ce bruit dans son testament174. Il n’en demeure pas moins que Cicéron et les optimates se méfiaient des femmes étrangères, et que la présence de la reine égyptienne alimentait la rumeur selon laquelle César voulait devenir roi. Mais Nicolas insiste surtout sur le fait qu’on lui ait voté une statue dorée s’élevant sur les Rostres et que d’aucuns voulurent qu’il devînt monarque175. Ainsi que nous l’avons vu dans la première partie du présent ouvrage, le récit de Nicolas est remarquable par rapport au reste de la tradition sur les trois points : les personnages qui tentèrent de couronner César et la manière dont ils lui offrirent le diadème ; le rôle joué par la foule à ce moment-là ; et la conclusion ambiguë de l’affaire. Le Damascène insiste sur le fait qu’un certain Licinius, Cassius Longinus et Publius Servilius Casca furent impliqués dans la présentation à César du symbole royal avant que ne le fut Marc Antoine. Cicéron et Dion Cassius n’enregistrent qu’une seule tentative de couronnement. Le coconsul aurait grimpé à la tribune pour déposer un diadème sur la tête de César en s’écriant : 171 App., BC 2, 143 ; Suet., Caes. 83. La présence de Decimus Brutus dans les rangs césariens durant la guerre des Gaules est d’ailleurs attestée par César (BG 3, 11, 5). 172 Vie d’Auguste, F 130 (60) : ἰδίᾳ τε ἑκάστοις καὶ κοινῇ πᾶσι γεγονυῖαι. 173 Vie d’Auguste, F 130 (61). 174 Vie d’Auguste, F 130 (68). 175 Vie d’Auguste, F 130 (69).
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« Le peuple t’offre ceci par mon intermédiaire »176. De maigres applaudissements peinèrent alors à briser le silence. Lépide, nouvellement nommé maître de cavalerie, désapprouva cette action177. César retira aussitôt le diadème. Plutarque178 et Dion Cassius179 mentionnent des tentatives répétées du coconsul. Si nous ne saurons jamais ce qui se passa exactement le jour des Lupercales, cet incident suscita la crainte de moult citoyens. Nicolas de Damas180, à l’instar des deux autres historiens de langue grecque, explique que pléthore d’entre eux crurent qu’en rejetant la couronne, le dictateur avait voulu tester son ambition royale. Par ailleurs, le Damascène fait référence à quatre reprises à la réaction de la foule. De fait, il tient absolument à démontrer qu’un pan des citoyens, issus tant de la nobilitas que de la plèbe, était favorable au couronnement du dictateur, mais que celui-ci était opposé à toute volonté de regnum. Nicolas rapporte que d’aucuns s’adressèrent à César tel un roi. Suétone écrit qu’une voix s’éleva de la foule venue accueillir ce dernier en l’appelant rex. Le cri fut bientôt repris en chœur, mais le maître de Rome répondit qu’il n’était que César181. Le diadème fut placé dans le temple de Jupiter Capitolin, ajoute l’historien, ambitionnant de souligner une dernière fois la pietas du dictateur, laquelle servit d’exemple à Octavien. Dion Cassius écrit que seul le maître de l’Olympe pouvait être le roi des Romains182. Selon Nicolas, le complot ourdi contre César tenait davantage de l’intrigue de cour et de la jalousie que de la défense de la liberté et de la République183. Certes, il ne peut être objectif en décrivant la mise à mort du père adoptif de son sujet d’étude, mais il avait l’habitude des machinations, nombreuses en Judée. Certains comploteurs, parmi lesquels D. Brutus, envisageaient d’assassiner Marc Antoine en même temps que César. Cependant, Dio Cass., 44, 11, 2. Cic., Phil. 5, 38. 178 Plut., Caes. 61, 6. 179 Dio Cass., 44, 11, 3. 180 Vie d’Auguste, F 130 (73). 181 Suet., Caes. 6, 1. Les tribuns Marullus et Caesetius firent arrêter l’homme. Ils furent éliminés par César, ce qui lui fut reproché. 182 Dio Cass., 44, 11, 3. 183 Vie d’Auguste, F 130 (60). 176 177
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M. Brutus s’y opposa. Les conjurés, objecta-t-il, agissaient au nom de la loi romaine et de la pérennité de la libertas, et ne devaient pas se livrer à un massacre des césariens. D’ailleurs, Brutus ne désespérait pas de voir Marc Antoine, qu’il tenait en estime, changer de dispositions ; personne ne désirait le retour de la guerre civile184. Pourtant, Nicolas se garde de mentionner cette attitude. Le soir du 14 mars 44 avant J.-C., César, accompagné de Marc Antoine, sortit dîner chez Lépide. Les sources anciennes s’accordent à soutenir qu’à un moment, la conversation porta sur la façon la plus noble d’expirer. Selon Appien185, c’est César lui-même qui suggéra ce sujet. Sa réponse, aux dires de l’historien d’Alexandrie, de Plutarque186 et de Suétone187, fut une mort fortuite188. Nicolas tait cet épisode. Peut-être l’omet-il parce que, selon le biographe latin189, César s’était alors comparé à Cyrus, un monarque absolu. L’historien de Damas décrit ensuite le plan des conjurés : ils devaient séparer le dictateur de ses gardes du corps, tout en le flattant, notamment en lui déclarant qu’il convenait que l’ensemble du populus le considérât désormais comme un homme sacré et l’appelât Père de la patrie190 ; le même titre lui avait pourtant été décerné après la bataille de Munda191. Ce passage en paraphrase un du Bellum Gallicum de César192, ce qui prouve bien la maîtrise du latin de Nicolas, ainsi que sa connaissance des mémoires de l’imperator. Il leur fallait également lui faire croire qu’ils l’admiraient tellement qu’il n’avait nul besoin de protection pour se rendre au Sénat ; d’aucuns avaient pensé commettre l’assassinat au cours d’une compétition de gladiateurs193, mais cette option fut rapide-
Plut., Ant. 13, 1 ; Brut. 18, 3 ; App., BC 2, 113. App., BC 2, 115. 186 Plut., Caes. 63, 7. 187 Suet., Caes. 87. 188 Parenti 2003, 124-129. 189 Suet., Caes. 87. 190 Vie d’Auguste, F 130 (80). Le thème du souverain en tant que « père » remonte à la tradition homérique (Od. 2, 46-47 ; 233-234 ; 5, 11-12), et se retrouve notamment chez Xénophon (Cyr. 8, 2, 9). 191 Dio Cass., 44, 4, 4. 192 Caes., BG 3, 22, 1-4. 193 Lintott 1999, 83-85. 184 185
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ment écartée194. Nicolas est le seul à présenter cette version, mais elle semble plausible, car elle laissait aux gladiateurs une liberté de mouvement qu’ils n’auraient jamais eue s’ils avaient été mobilisés dans l’arène195. César se rendrait seul à l’assemblée, tandis que les conjurés, nombreux à y occuper des sièges, détiendraient des dagues sous leurs manteaux196. C’est ce plan qui reçut l’assentiment des putschistes. La Fortuna, un topos récurrent, contribua à l’exécution de ce plan, estime l’historien. En effet, elle fit en sorte que César expirât le jour de la réunion des sénateurs au cours de laquelle il devait présenter des propositions de loi197. Il écrit : « En cette occasion, la divinité montra quel est le cours des affaires humaines, toutes instables et soumises au destin, en conduisant César sur le terrain de l’ennemi, devant la statue [de Pompée] duquel il allait rester étendu mort. Du vivant de Pompée, César l’avait battu, mais après sa mort, il se fit tuer au pied de sa statue. Le destin aussi est très puissant, si toutefois un destin a dirigé ces choses, car ses amis essayèrent de l’empêcher d’aller au Sénat à cause de certains mauvais présages, ainsi que ses médecins à cause d’une maladie mystérieuse qui le frappait régulièrement et qui l’affectait ce jour-là. Et par-dessus tout, sa femme Calpurnia, épouvantée par des visions qu’elle avait eues en rêve, s’agrippa à lui en lui interdisant de sortir de la journée »198. Nicolas ajoute que les prêtres apportèrent des victimes devant l’entrée du Sénat pour que César fît un sacrifice. Toutefois, les auspices étaient défavorables. Dès lors, les devins, inquiets, tuèrent d’autres animaux pour savoir si de meilleurs présages apparaîtraient. Rien n’y fut. Ils déclarèrent donc solennelle Perea Yébenes 2012, 169-184. Strauss 2018, 142-143. 196 Vie d’Auguste, F 130 (81). 197 Vie d’Auguste, F 130 (82). 198 Vie d’Auguste, F 130 (83), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 258. τῷ δ᾿ ἄρα ὁ δαίμων διεδείκνυε τὰ † ἔθη ὁποῖα εἴη, ὡς πάντα ἀστάθμητα καὶ τῆς τύχης ἥττω, εἰς τὸ τοῦ ἐχθροῦ αὐτὸν ὑπάγων χωρίον, ἐν ᾧ ἔμελλε πρὸ τοῦ ἐκείνου ἀνδριάντος νεκρὸς κείσεσθαι, καὶ οὗ ζῶντος περιεγένετο, τούτου τεθνεῶτος πρὸς τῷ εἰδώλῳ ἀποσφάττεσθαι. ἰσχυρότερον δέ τι καὶ ἡ μοῖρα, εἰ δή τις ἐπέστη τούτοις. οἵ τε γὰρ φίλοι ἐκείνης τῆς ἡμέρας ἐκώλυον διά τινας φήμας οἰωνιζόμενοι πορεύεσθαι εἰς τὸ βουλευτήριον, ἰατροί τε διὰ νόσον σκοτώδη ἑκάστοτε συμβαίνουσαν αὐτῷ καὶ τότε προσπεσοῦσαν, ἥ τε γυνὴ πάντων μάλιστα, Καλπουρνία ὄνομα, διά τινας ὄψεις ἐνυπνίων δειματωθεῖσα ἐνέφυ τε αὐτῷ καὶ οὐκ ἔφη ἐάσειν ἐκείνης ἐξιέναι τῆς ἡμέρας. 194 195
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ment que les dieux étaient hostiles à cette réunion politique. En colère, le dictateur se tourna alors vers l’occident, ce que les devins interprétèrent comme un présage défavorable supplémentaire. Ses alliés le supplièrent de reporter la réunion du jour, ce qu’il consentit, mais, au même moment, D. Brutus l’exhorta à faire de sa vertu son seul présage. Le dictateur y consentit, et entra au Sénat199. Pour l’historien de Damas, les sacrifices défavorables avant de rejoindre ledit lieu faisaient augurer de son destin200. Enfin, le fait qu’il soit mort aux pieds de la statue de Pompée souligne l’ironie de la vie201. Il y a lieu de croire que Nicolas reprochait à César de ne pas avoir tenu compte des omina, et donc, d’avoir fait preuve d’impiété. Appien202, Suétone203 et Dion Cassius204 font d’ailleurs de même. Mais, selon l’historien de Damas, le principal coupable du meurtre de César était M. Brutus, considéré par sa victime comme l’un de ses meilleurs amis. Le fils de Servilia se rendit dans sa demeure, et le convainquit de se moquer de « présages stupides » et de « rêveries », et l’encouragea à gagner le Sénat, qui l’attendait205. Dans un second temps, préférant suivre l’avis de Brutus à celui de ses meilleurs amis et des prêtres, César y pénétra sans aucune inquiétude. Après son assassinat, le conjuré, qui prétendit au peuple qu’aucun malheur n’était arrivé, se glorifiait d’avoir tué un « tyran »206. Nicolas en fait donc un anti-exemplum de loyauté et de fidélité. Toutefois, l’intervention de D. Brutus put avoir été inventée par l’historien, car aucune autre source ne confirme cette version, et Auguste, son « patron », exécrait cet homme. L’agression semble avoir été chorégraphiée. Voyant entrer César, les sénateurs se levèrent pour honorer sa présence. Les conjurés l’entourèrent, parmi lesquels le premier fut Tillius Cimber, qui, feignant de le supplier de faire revenir à Rome son frère exilé par sa faute, le saisit par la toge. Le dictateur, furieux, réagit avec violence. Les conspirateurs, munis de leurs poignards, Vie d’Auguste, F 130 (86-87). Vie d’Auguste, F 130 (86). 201 Vie d’Auguste, F 130 (83). 202 App., BC 2, 116. 203 Suet., Caes. 81, 4. 204 Dio Cass., 44, 18, 4. 205 Vie d’Auguste, F 130 (84). 206 Vie d’Auguste, F 130 (92). 199 200
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passèrent alors à l’action en se précipitant sur lui207. Le premier coup fut donné par Publius Servilius Casca, ami de César ; le second, par son frère. Nicolas, comme le firent Plutarque208 et Appien209 après lui, stipule que Casca était armé d’une épée, alors que Suétone210 mentionne seulement des pugiones. Comme l’explique le Damascène211, Casca s’adressa à son frère en grec pour se faire comprendre dans la confusion (ὑπὸ θορύβου), bien que l’utilisation de cette langue à ce moment précis pût également évoquer les traditions helléniques de tyrannicide. Casca, nerveux212, frappa probablement par le haut, mais, s’il visait le cou de sa victime, il le manqua. Cassius, à son tour, le blessa au visage, pendant que D. Brutus lui transperça les flancs de part en part et que Cassius Longinus toucha, par erreur, la joue de M. Brutus. Nicolas souligne leur furor en écrivant qu’ils semblaient se disputer la victime213. Sous la multitude des coups, trente-cinq au total selon l’historien grec, elle s’écroula214. Hormis Dion Cassius215, qui évoque « de nombreuses blessures », tous les autres auteurs anciens s’accordent à dire que César fut frappé de vingt-trois coups de couteaux et non de trente-cinq. Il est possible qu’une erreur paléographique se soit glissée dans le texte archétypal. Contrairement aux récits plutarquien216, suétonien217 et appionien218, celui du Damascène suggère que le mourant ne put vraiment rien tenter pour se défendre. À ses dires, les conjurés n’eurent aucun mal à piéger le dictateur, car « il était franc par Vie d’Auguste, F 130 (88). App., BC 2, 117. 209 Plut., Brut. 17, 4 ; Caes. 66, 7. 210 Suet., Caes. 82, 2. 211 Vie d’Auguste, F 130 (89). 212 Vie d’Auguste, F 130 (89). 213 Vie d’Auguste, F 130 (8). 214 Vie d’Auguste, F 130 (90). 215 Dio Cass., 44, 19. 216 Plut., Caes. 66, 10. Plutarque écrit que César se retourna, puis saisit le poignard de Casca par le manche. 217 Suet., Caes. 82, 2. Selon le biographe, le dictateur attrapa le bras de son agresseur, et parvint à le frapper à l’aide de son stylet. Il ajoute que César voulut se lever, mais qu’il n’y parvint pas. 218 App., BC 2, 117-493. Appien argue que César repoussa Casca avec une grande violence. 207 208
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nature, et peu habitué aux stratagèmes politiques à cause de ses campagnes militaires à l’étranger »219. Ainsi accorde-t-il indirectement une plus grande volonté d’action à Cimber qu’au dictateur. La même tradition figure chez Dion Cassius220. Par ailleurs, nous ne trouvons nulle trace dans la biographie d’Auguste de la locution καὶ σὺ τέκνον, prononcée, selon Suétone221 et Plutarque222, à la vue de Brutus223. Nos cinq principales sources, à l’exception de Nicolas, ajoutent que César se couvrit le visage. C’était là un geste de protection, de résignation ou de modestie224. Seul Appien insiste véritablement sur les qualités militaires de la victime. En outre, l’historien de Damas est le seul à prétendre que tous les conjurés sans exception frappèrent le corps de César, gisant par terre, afin de sceller dans le sang leur complicité225. Cette allégation sonne comme une touche poétique, faisant écho au sort réservé à la dépouille d’Hector par Achille, le prince troyen vaincu226, même si cet épisode de l’Iliade est construit autour d’un duel. Q uant au silence et à l’inaction des césariens au cours de l’assassinat dans l’œuvre de Nicolas, ils ne contrastent nullement avec les récits ultérieurs. Seuls Calvisius, légat de César en Étolie en 48 avant J.-C., et Censorinus, noble dont les ancêtres avaient combattu les Carthaginois durant la première guerre punique, tentèrent de prendre la défense de leur chef 227. Le Damascène se garde néanmoins de leur attribuer un rôle notable dans l’affaire. Ils n’avaient pas longtemps lutté contre Brutus et Cassius228 ; Calvisius devint d’ailleurs préteur urbain en 43 avant J.-C. Après une description vibrante et « bruyante » du meurtre de César, Nicolas introduit brusquement le silence en décrivant le cadavre inerte abandonné dans la curie. Il s’agit là d’un exemple éclairant Vie d’Auguste, F 130 (67). Dio Cass., 44, 19, 5. 221 Suet., Caes. 82, 2. 222 Plut., Caes. 66, 12. 223 Dubuisson 1980, 881-890 ; Woolf 2006, 1-51. 224 Strauss 2018, 165. 225 Vie d’Auguste, F 130 (90). 226 Il. 22, 371. 227 Vie d’Auguste, F 130 (96). 228 Vie d’Auguste, F 130 (96). 219 220
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de l’effet pathétique ornant le récit historique recommandé par Cicéron dans sa lettre à Lucceius229. Aux § 91 à 106, les mouvements des césaricides sont en parfait contraste avec les actions des césariens. Le récit, solennel et dramatique, est organisé sous la forme ABAB. Premièrement, aux § 91-94, la confusion créée par le meurtre de César est clairement décrite par l’utilisation des mots chargés sur le plan émotionnel : κραυγή […] μυρία ; partout était φευγόντων πλέα μετὰ κραυγῆς ; le τάραχος saisit le peuple. L’atmosphère était également éminemment confuse : les changements de réactions des uns et des autres augmentèrent la confusion, laquelle provoqua le retrait des assassins sur le Capitole. Par ailleurs, la formule « εἰ τε ἡ πόλις ἁλισκομένῃ » constitue le topos de la cité capturée par l’ennemi, employés par César lui-même lors de la prise de Massilia230. Les § 95-97, en revanche, sont empathiques. L’accent est mis sur le νεκρός. La capricieuse tristesse de la vie est soulignée par le contraste entre le succès mondain de César et sa désertion totale dans la mort231. Nicolas rappelle le pouvoir égalisateur de la mort. Le pathétique de ce tableau se manifeste par le transport de la dépouille de César : les bras tombants et le visage tuméfié s’offrirent à la vue de tous les spectateurs lorsque les draps furent retirés. Des gémissements et des cris, notamment ceux de Calpurnia, accompagnèrent cette scène macabre232. En écrivant que le corps de celui qui avait poussé la conquête en Occident jusqu’en Bretagne et jusqu’à l’Océan, et avait projeté de l’étendre en Orient jusqu’aux royaumes des Parthes et des Indiens, gisait sur le sol maculé de sang, tandis que personne n’osait le déplacer, tout en ajoutant que ses amis avaient tous pris la fuite et se cachaient, certains sous des déguisements, Nicolas entend déplorer une dernière fois la perfidie des partisans et des proches de César233. Les § 98 à 102 sont moins empreints de pathos. Ils racontent les actions des assassins après leur méfait, et le discours que prononça Brutus devant le peuple. Les § 103-106 reviennent sur les hauts-faits de Cic., Fam. 5, 12, 4-5. Caes., BC 2, 7, 3. 231 Vie d’Auguste, F 127 (22-23). 232 Vie d’Auguste, F 130 (124). 233 Vie d’Auguste, F 130 (95). 229 230
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l’imperator, puis décrivent le renforcement progressif de l’opposition à sa politique. Nicolas explique que Brutus et Cassius, après leur forfait, occupèrent le Capitole, et avaient appelé des esclaves à les rejoindre, leur promettant l’affranchissement. Ils avaient les poignards « nus » et les mains couvertes de sang234. Ainsi entend-il rappeler qu’il s’agissait bien d’une véritable conjuration à l’instar de celle orchestrée par Catilina235. Lorsqu’il descendit au forum, Brutus se fit escorter par des gladiateurs et des esclaves236. L’historien de Damas souligne là le manque d’ἀνδρεία et de dignité du césaricide perfide. Plutarque, pour qui Brutus était un héros, explique au contraire qu’il se fit accompagner par un groupe d’hommes éminents237. Du reste, s’il écrit que le peuple s’émut du destin de César, Nicolas rapporte que, après un discours prononcé par Brutus, « chacun se préoccupait de sa propre sécurité en mettant déjà de côté l’intérêt public, dans la crainte de complots et d’agressions subis »238. Plutarque239, Appien240 et lui241, à la différence de Cicéron242, s’accordent sur le fait que le fils de Servilia était un orateur convaincant ; Tacite loue sa grauitas243. Ainsi n’était-il pas, par définition, un être entièrement amoral. Le 16 mars 44 avant J.-C., d’aucuns césariens, placés sous l’égide de Lépide, maître de cavalerie, et de Marc Antoine, consul, se réunirent chez ce dernier. Ils appelèrent à la vengeance de César. Le lendemain, les sénateurs se réunirent au temple de Tellus (le temple de Jupiter Capitolin était occupé et la curie aurait été un lieu de rassemblement macabre). Le choix de cet endroit n’était pas fortuit. En effet, un rite traditionnel voulait que l’on offrît un sacrifice à la Terre-Mère lorsqu’il s’agissait de puri Vie d’Auguste, F 130 (94) ; Plut., Brut. 18, 3. Sall., Cat. 22. 236 Vie d’Auguste, F 130 (99). 237 Plut., Brut. 18, 11. Voir : Osgood 2006. 238 Vie d’Auguste, F 130 (103), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 270. ἕκαστός τε τὸ καθ᾿ ἑαυτὸν ἐφυλάττετο τοῦ κοινοῦ ἤδη ἀφεστηκώς, φοβούμενος τὰς ἐξαπίνης ἐπιβουλὰς καὶ ‹ἐπι›χειρήσεις. 239 Plut., Brut. 18, 11. 240 App., BC 2, 122. 241 Vie d’Auguste, F 130 (100). 242 Tac., Dial. 18, 5 ; 25, 5. 243 Tac., Dial. 25, 5. 234 235
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fier une demeure où s’était produit un décès244. L’image de la dépouille de César hantait donc les esprits245. Lors de la séance, Cicéron représenta les césaricides, demeurés sur le Capitole, mais il rejoignit Marc Antoine sur la nécessité d’un compromis. Après les discours des deux parties en présence, le Sénat adopta un décret garantissant l’immunité aux assassins et ratifiant les acta Caesaris. Concomitamment, les vétérans de César se rassemblèrent en masse dans Rome. Le Damascène prétend qu’à leur vue, la plupart des partisans des conjurés se dispersèrent246. Contrairement à Appien247, il ne précise pas que la foule en liesse accueillit Brutus et Cassius lorsqu’ils descendirent du Capitole. S’il se garde de gloser autour de l’amnistie, il stipule que Marc Antoine prônait celle-ci248. Ainsi dédouane-t-il Lépide, prompt à attaquer les assassins de César, de toute responsabilité. Enfin, il ne mentionne pas l’éloge funèbre de celui-ci, prononcé par Marc Antoine le 20 mars et empreint de pathos mais applaudi par le peuple249. Comme durant les guerres civiles, la concordia, valeur si chère aux Q uirites, avait été grandement mise à mal. Ainsi annonce-t-il la troisième partie de sa Vie d’Auguste, hostile au futur adversaire d’Auguste et présentant le futur prince comme le garant de l’unité romaine. En contant l’assassinat de César, Nicolas précise le cadre politique qui s’esquissait à travers la remise en question de la figure césarienne, tout en soulignant les dimensions tant passionnelle que rationnelle lorsque les adversaires politiques s’affrontèrent physiquement et idéologiquement. Environné de divers sentiments inhérents à la réalité humaine, l’historien n’a pas pour autant trouvé refuge dans la doxa ou le moralisme.
Dubosson-Sbriglione 2018. Grimal 2012, 378. 246 Vie d’Auguste, F 129 (49). 247 App., BC 2, 142-143. 248 Vie d’Auguste, F 130 (49-50). 249 Cic., Phil. 2, 91 ; App., BC 2, 143-146 ; Plut., Ant. 13, 3 ; Dio Cass., 44, 35, 5-50. Au dire de Suétone (Caes. 84, 2), sans doute influencé par la production littéraire anti-antonienne, il n’organisa pas d’oraison funèbre en bonne et due forme. 244 245
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Q uand Octave devint Octavien À l’exception des lettres de Cicéron, la biographie de Nicolas est la plus ancienne source contant la genèse de la geste octavienne après la mort de César. En outre, elle fournit davantage d’informations sur cette période que tout autre travail antique conservé. Ce chapitre examinera des sections spécifiques de la Vie d’Auguste en tentant de déterminer à quels moments son auteur s’écarte de la vérité dans son compte rendu relatif à la vie d’Octavien. L’enterrement public de César aux frais de l’État ne respectait pas les normes limitant les dépenses somptuaires des funérailles, ce que Nicolas se garde bien d’écrire. Contrairement à Appien250 et à Plutarque251, il tait également le fait qu’une faction du Sénat ait, en vain, tenté d’empêcher la lecture publique du testament de César. Par ailleurs, le Damascène, davantage que ses pairs, suggère que les obsèques du dictateur se sont transformées en une occasion violente qui coûta aux assassins toute chance de gagner l’approbation populaire pour leur acte252. En ce qui concerne le dernier testament de César, Suétone explique qu’il fut rédigé de sa main le 13 septembre 45 avant J.-C. dans sa propriété de Lavicum et confié à la grande Vestale253, puis ouvert à la demande de Lucius Pison, son beau-père. Sa lecture se fit dans la demeure de Marc Antoine. Dans ce document, César nommait trois héritiers, les petits-fils de ses sœurs, à savoir : Octave pour les trois quarts, et Lucius Pinarius et Q uintus Pedius pour le restant. Par une dernière clause, il adoptait Octave, et lui donnait son nom254. Suétone ajoute que César désignait parmi les tuteurs de son fils, au cas où il lui en naîtrait un, plusieurs de ceux qui le frappèrent, parmi lesquels D. Brutus. Enfin, il léguait au peuple romain ses jardins près du Tibre, et trois cents sesterces par tête255.
App., BC 2, 135, 566-136, 569. Plut., Brut. 20, 1-4. 252 Vie d’Auguste, F 130 (98-101). 253 Suet., Caes. 83, 2. 254 Martin (2012 b), 43-53. 255 Suet., Caes. 83. Auguste (RG 15, 1) rapporte la même information. Dion Cassius (44, 35, 3) fit une erreur en remplaçant le « tricenos » de l’autobiographie augustéenne par « trecenos ». 250 251
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Auguste soutint qu’il versa de l’argent à deux cent cinquante mille citoyens256. Le Damascène explique que César adopta Octave par disposition testamentaire, et en fit son héritier τῆς τύχης πάσης257. Il précise que « selon le droit naturel et selon la loi, le pouvoir lui revenait, puisqu’il était le plus proche parent de César et son fils adoptif »258. Le dictateur, soucieux de protéger les intérêts de son fils, avait pris toutes les dispositions nécessaires pour qu’il fût le heres principal ; s’il avait eu un enfant mâle d’une femme romaine, il aurait été en droit de rédiger un nouveau testament, et faire alors d’Octave un heres substitutus. Plancus écrivit une missive à Cicéron le 23 juillet 43 avant J.-C., dans laquelle il expliqua qu’Octavien avait été reconnu comme fils de César259. Q uand il rédigea son testament en septembre 45 avant J.-C., il n’avait pas d’enfant mâle pour hériter. Or il devait avoir été soucieux de perpétuer les rites religieux de sa gens et de léguer sa fortune. L’adrogatio d’Octave le permettrait. À en croire Nicolas, le dictateur n’avait pas informé son petit-neveu de ses intentions d’en faire son principal héritier260. Dès son arrivée à Brundisium, au début du mois d’avril, ce dernier exprima sa volonté d’accepter l’adoption. Ses partisans l’appelaient déjà « Caesar »261. Cependant, pour achever la procédure, la ratification d’une lex curiata était nécessaire262. Or Marc Antoine fit tout pour la retarder, notamment en faisant savoir que pour faire Octavien πρὸς τὰ ἀλλα ἀσθενέστερος, il devait jouir de l’auctoritas263. Selon Dion Cassius, son intention était d’empêcher celui-ci d’hériter de l’argent de César au motif qu’il n’était Aug., RG 15, 1. Vie d’Auguste, F 128 (30). Avant la guerre civile, César avait fait de Pompée son successeur. Suet., Caes. 83, 1. 258 Vie d’Auguste, F 130 (53), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 238. καὶ γὰρ φύσει καὶ νόμῳ τὰς ἀρχὰς αὐτῷ προσήκειν ἄγχιστα τοῦ γένους ὄντι καὶ ὑπ᾿ αὐτοῦ κείνου παιδὶ τεθειμένῳ. 259 Cic., Fam. 10, 24, 5. 260 Malitz 2003, 62. 261 Nicolas prend garde de ne pas confondre les deux individus qu’il appelle « Καῖσαρ », nom mentionné quatre-vingts fois dans le Βίος. Six fois, il est accompagné de l’adjectif νέος (§ 14 ; 16-17 ; 32 ; 37 ; 51). 262 Dio Cass., 45, 5, 3-4. 263 Dio Cass., 45, 5, 4. 256 257
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pas – encore – légalement le fils de César264. À en croire Appien, Marc Antoine avait espéré être adopté par le dictateur265. Dans le même temps, l’ancien maître de cavalerie s’opposait à l’accession de son rival au grand pontificat, lui préférant Lépide. Une lex curiata fut adoptée après enquête par les pontifices pour rendre officielle l’adoption d’Octave. La même loi garantit également le transfert de la clientela de l’adrogator. S’il se faisait désormais appeler C. Iulius Caesaris filius Caesar Octauianus, il abandonna quelques mois plus tard toute référence à la gens Octauia ; les décrets du Sénat cités par Cicéron266 pour l’année 43 avant J.-C. le nomment C. Caesar C. f. pontifex. Selon Nicolas, moult Romains appelèrent alors Octavien ἐπὶ τὰς πατρᾠους, mais il avait à cœur d’accéder aux fonctions de son père adoptif en recevant l’approbation du Sénat pour légitimer son pouvoir267. L’historien ajoute que le jeune homme devait prouver ses ἀρχαί268. Si Octave hérita de tous les droits, devoirs, biens privés et clients de César, le titre de « dictateur perpétuel » ne pouvait lui revenir. Cependant, Nicolas milita en faveur de revendications politiques pour Octavien en raison de son adoption par César. Au § 53, il fait savoir, dans une longue apologie de son sujet d’étude, qu’après la mort de César, φύσει καὶ νόμῳ τὰς ἀρχὰς αὐτῷ προσήκειν. Ainsi, en plus de ses références à Octavien comme le παῖδα et le διάδοχον de César, il énonce clairement le point de vue selon lequel l’ἀρχή et le κράτος de César appartenaient à Octavien par héritage269. Mais dans la mesure où l’adoption était une affaire strictement privée, ces réclamations étaient incompatibles avec la loi romaine. Eu égard à l’illégalité de ces affirmations, elles ne peuvent avoir figuré dans les Mémoires d’Auguste ; elles durent provenir de Nicolas lui-même, qui se montra constamment soucieux de présenter un récit apologétique du prince intelligible à un public grec habitué à la monarchie, tout en légitimant autant que faire se peut le statut du futur prince.
Dio Cass., 45, 5, 4. App., BC 2, 101. 266 Cic., Phil. 5, 17. 267 Vie d’Auguste, F 130 (57). 268 Vie d’Auguste, F 130 (115). 269 Vie d’Auguste, F 130 (115). 264 265
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Velleius se livre à des allégations similaires : « Spreuit [Octavien] itaque caelestis animus humana consilia et cum periculo potius summa quam tuto humilia proposuit sequi […] »270 Le terme de summa ne peut se référer qu’à la vie politique. Par ailleurs, Cicéron écrivit à Atticus en novembre 44 avant J.-C. : « At quae contio ! nam est missa mihi. Iurat ita sibi parentis honores consequi liceat, et simul dextram intendit ad statuam »271. Les honores cicéroniens font écho aux πατρῴους τιμάς de Nicolas. Il serait déraisonnable d’interpréter ces paroles de Cicéron comme une volonté d’Octavien d’être traité comme le fils de César, tout en passant par chacune des étapes du cursus honorum. Il utilisait son adoption par le dictateur pour rallier les césariens à sa cause. Q uand Octave apprit-il le décès de César ? Nicolas n’est pas précis à ce sujet : « Le quatrième mois ; un affranchi arriva chez lui [Octavien], venant de sa patrie et envoyé par sa mère : plein de troubles et d’inquiétude, il apportait une lettre annonçant que César avait été tué dans le Sénat par Cassius, Brutus et leurs complices »272. Le messager déclara qu’il était pressé de pouvoir s’adresser à Octavien. Les mots que Nicolas fait dire au coursier (ἔφη τε ὡς παραχρῆμα Καίσαρος ἀναιρεθέντος πεμφθείη273), en plus de rappeler que les césariens constituaient un groupe cohérent en raison du statut de leur chef, suggèrent qu’il quitta Rome le 15 mars 44 avant J.-C., immédiatement après avoir appris l’assassinat de César274. Le messager semble avoir été le premier à apporter, le 20 ou le 21 mars, cet événement à Apollonie, base militaire où résidait, à la demande de son grand-oncle, Octave depuis six mois275. En apprenant son assassinat, ses amis et lui furent plongés dans la confusion et l’incertitude276. Le Damascène justifie cet état d’esprit par le péril qui menaçait la famille du futur prince, eu égard au Vell., 2, 60, 2. Cic., Att. 16, 15, 3. 272 Vie d’Auguste, F 130 (38), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 230. τετάρτῳ δὲ μηνὶ ἧκεν ἐκ τῆς πατρίδος πεμφθεὶς ὑπὸ τῆς μητρὸς ὡς αὐτὸν ἀπελεύθερος τεταραγμένος καὶ πολλῆς ἀθυμίας μεστός, ἐπιστολὴν κομίζων ἐν ᾗ ἐγέγραπτο ὡς Καῖσαρ μὲν ἐν τῇ συγκλήτῳ ἀποθάνοι ὑπὸ τῶν περὶ Κάσσιον καὶ Βροῦτον. 273 Vie d’Auguste, F 130 (39). Osgood 2006. 274 Vie d’Auguste, F 130 (103). 275 Suet., Aug. 8 ; Vell., 2, 59 ; App., BC 3, 9 ; Dio Cass., 45, 3. 276 Vie d’Auguste, F 130 (40). 270 271
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fait que les nombreux assassins de César entendaient pourchasser ses proches. Ainsi Octave ne fit-il nullement preuve de couardise, mais bien de circonspection277. Nicolas n’insiste guère sur les mouvements opérés par Octave entre son audition du meurtre de César et son arrivée à Naples, le 18 avril. Si nous savons qu’il quitta Apollonie278 pour Lupies en Calabre, avant de rejoindre successivement Brundisium279, Naples et Rome, nous ignorons combien de temps il demeura dans chacune de ces cités. Il était accompagné de quelques amis, parmi lesquels Agrippa et Salvidienus Rufus. En Calabre, aucune nouvelle précise du renversement à Rome n’était encore parvenue aux habitants280. Cette donnée renforce la conviction selon laquelle il ne resta pas longtemps à Apollonie, après avoir appris la mort de César281. Nicolas, dont le récit concorde avec celui d’Appien, l’explique : « Les habitants d’Apollonie, après s’être réunis, prièrent Octave, auxquels ils étaient très attachés, de rester chez eux pendant un certain temps. Au nom de leur affection envers lui autant que vénération pour le mort, ils mettraient la ville à sa disposition pour faire ce qu’il voudrait. Mieux valait pour lui, étant donné la force de ses ennemis, attendre les événements dans une ville amie. Mais Octave voulait être sur place pour épier l’occasion, aussi ne changea-t-il pas d’avis, disant au contraire qu’il lui fallait partir »282. Le soutien qu’il reçut de cavaliers, de fantassins, de tribuns militaires, de centurions et de bien d’autres individus qu’il reçut est mis en exergue par Nicolas283, sans doute pour indi Vie d’Auguste, F 130 (39). Velleius Paterculus (2, 59) et Suétone (Aug. 8) indiquent que César avait envoyé Octave dans cette cité épirote pour y poursuivre ses études et y préparer l’expédition qu’il projetait contre les Daces et les Parthes. Le jeune homme s’y rendit avec Agrippa et Salvidienus Rufus (Vell., 2, 59 ; Suet., Aug. 89). 279 Vie d’Auguste, F 130 (51 ; 57) ; App., BC 3, 10-12 ; Dio Cass., 45, 3-4. 280 Vie d’Auguste, F 130 (47). 281 Vie d’Auguste, F 130 (44). 282 Vie d’Auguste, F 130 (45), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 234. Ἀπολλωνιᾶται δὲ ἀθροισθέντες ἄχρι μέν τινος ἐδέοντο Καίσαρος ὑπὸ φιλοστοργίας μένειν παρὰ σφίσι· παρέξειν γὰρ αὐτῷ τὴν πόλιν εἰς ὅ τι βούλεται ὑπό τε τῆς πρὸς αὐτὸν εὐνοίας καὶ τῆς πρὸς τὸν τεθνηκότα εὐσεβείας· | καὶ αὐτῷ δὲ ἄμεινον εἶναι τοσούτων ἐχθρῶν ἐφεστώτων ἐν φίλῃ πόλει τὰ ἐσόμενα καραδοκεῖν. ὁ δὲ βουλόμενος παρὼν τοῖς πραττομένοις καιροφυλακεῖν, οὐ παρέλυε τὴν γνώμην, ἀλλ᾿ ἀναγκαῖον ἔφη εἶναι ἀποπλεῖν. 283 Vie d’Auguste, F 130 (46). 277 278
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quer qu’il comptait déjà nombre d’appuis, principalement dans la sphère militaire. L’impression de promptitude est confirmée au § 47 : Καῖσαρ δ᾿ ἀνήχθη τοῖς ἐπιτυχοῦσι πλοίοις χειμῶνος ἔτι ὄντος σφαλερώτατα. Si Nicolas ne livre aucun indice permettant de dater le départ d’Octave de Brundisium, Cicéron rapporte qu’il entendit pour la première fois parler de son périple italien le 11 avril, alors qu’il se trouvait à Astura. Atticus ne savait pas exactement ce qu’il se tramait à Brundisium, mais il eut à cœur d’informer son correspondant des mouvements de l’héritier de César284. Selon cette source, les Romains auraient appris le départ d’Octave vers Naples dès le 8 ou le 9 avril 44 avant J.-C.285 Octave et son escorte y débarquèrent le 18 avril avant J.-C.286 Balbus le rencontra le lendemain matin. Le 21, Octave se rendit à Cumes, où il demeura au moins une journée dans la villa de son beau-père située à côté de celle de Cicéron287. La suite de la correspondance de ce dernier ne dit mot de cette progression vers Rome. À Terracina, Octave fut informé de la situation politique post-césarienne288. Son entrée dans la Ville fut probablement célébrée fin avril ou début mai. De fait, environ sept semaines se seraient écoulées entre son arrivée à Rome et le meurtre de César. Là, il mit tout en œuvre pour connaître les tenants et les aboutissants de cet événement, indique Nicolas289. La section de la biographie d’Auguste concernée par son séjour à Brundisium nécessite toutefois des commentaires additionnels. La seconde moitié du § 55 de la Vie d’Auguste se lit comme suit : « Il [Octave] envoya tout de suite chercher en Asie les fournitures de guerre et l’argent que César y avait envoyés auparavant pour la guerre Parthique. Q uand cela lui fut rapporté, et en même temps le tribut annuel des peuples d’Asie, Octave, se contentant des biens de son père, envoya l’argent public à l’Aerarium de la
Cic., Att., 14, 1, 2 ; 15, 13, 1. Cic., Att., 11, 21, 1. 286 Cic., Att., 14, 10, 3. 287 Cic., Att., 14, 11, 2 ; 12, 2. 288 App., BC 3, 12. 289 Vie d’Auguste, F 130 (43). 284 285
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cité »290. Pourtant, comme le dictateur perpétuel un an auparavant, il fut accusé de détournements de fonds publics291. L’éclairage livré par le Damascène sur cette affaire n’est guère explicite. Il y a tout lieu de croire que le futur Auguste aurait affirmé avoir simplement demandé une somme d’argent ayant appartenu à César et envoyée en Asie pour financer sa campagne parthe, argent qui lui revenait désormais de droit. Il aurait ensuite pris soin de distinguer les sesterces de son père adoptif de ceux qui appartenaient au Trésor public. Le fait qu’il reçut des ressources d’Asie prouve à tout le moins la volonté de certains soldats de montrer qu’ils reconnaissaient Octavien comme le descendant et le digne successeur de César, comme le laisse entendre Appien292. Les § 41-42, 46 et 56-57 de la Vie d’Auguste expliquent que le jeune homme avait rejeté toute idée de recourir à des forces armées en provenance de colonies italiennes et macédoniennes. Nicolas affirme que le petit-neveu de César avait demandé diverses ressources en Asie, une région éloignée de l’Italie où il ne jouissait encore d’aucune véritable influence. Appien293 et Dion Cassius294 s’accordent sur le fait qu’Octave reçut des hommes et de l’argent à Brundisium. Cependant, le premier écrit que, dans cette cité, il fut rejoint par des soldats prenant ἀποσκευὰς ἢ χρήματα en Macédoine ou apportant χρήματα καὶ φόρους ἐξ ἐθνῶν ἄλλων. Dion Cassius ajoute qu’il eut χρήματα πολλὰ καὶ στρατιώτας συχνοὺς συμπροπεμφθέντας. Les trois historiens placent l’information à des points identiques dans leur récit. À tout le moins, les Mémoires d’Auguste doivent avoir constitué la trame de l’historien grec, qui insiste sur le fait qu’après la mort de César, le soutien populaire et militaire d’Octavien ne fit que se renforcer. Du reste, comme l’indique Nicolas aux § 107 à 109, Octavien tenta de convaincre les sénateurs d’accepter par décret la cou290 Vie d’Auguste, F 130 (55), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 240. ἔπεμψε δὲ παραχρῆμα καὶ ἐπὶ τὰς ἐν τῇ Ἀσίᾳ παρασκευὰς καὶ τὰ χρήματα ἃ προύπεμψε Καῖσαρ πρότερον ἐπὶ τὸν Παρθικὸν πόλεμον. καὶ ἐπειδὴ ἐκομίσθη, καὶσὺν αὐτοῖς ὁ ἐτήσιος φόρος τῶν | ἐν Ἀσίᾳ ἐθνῶν, ἀρκούμενος Καῖσαρ τοῖς πατρῴοις τὰ δημόσια εἰς τὸ ταμιεῖον τῆς πόλεως ἀπέπεμψεν. 291 Vie d’Auguste, F 130 (55). 292 App., BC 3, 11-13. 293 App., BC 3, 11. 294 Dio Cass., 45, 3, 2.
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ronne de César, tendue durant les Lupercales par Marc Antoine, et la chaise dorée qui lui avait été accordée par le Sénat lorsqu’il siégeait au théâtre295. L’auteur explique qu’Octavien essaya de faire appliquer ces mesures à deux reprises ; la seconde se fit pendant les Ludi Victoriae Caesaris, lesquels se déroulèrent du 20 au 30 juillet296. Sa tentative d’afficher publiquement la chaise et la couronne de César fut vaine : « Mais à son entrée au théâtre, le peuple l’applaudit très chaleureusement et les soldats de son père, indignés parce qu’on lui refusait le droit de rendre les honneurs à son père, multiplièrent les applaudissements pendant tout le spectacle en se tournant vers lui »297. Si Nicolas ne mentionne pas le nom de la personne s’étant opposée à la première tentative d’Octavien d’afficher les reliques césariennes, Appien, dont le récit est proche de celui de l’historien de Damas, évoque Critonius, édile298. Écrivant à Atticus le 22 mai depuis Arpinum, Cicéron, lui aussi, fit allusion à la chaise césarienne : « De sella Caesaris bene tribuni ; praeclaros etiam XIV ordines »299. Il est généralement avancé que cet épisode est le même que le premier mentionné par Nicolas et Appien, lorsque Critonius refusa la demande d’Octavien300. Cependant, cette thèse est infondée. En effet, l’Arpinate se réfère non seulement à une exposition effective de la chaise, mais également à des tribuni, alors qu’Appien301 et Nicolas302 ne mentionnent qu’un seul individu, Critonius, qui ne permit nullement aux citoyens d’apercevoir la dite chaise. Marc Antoine était, lui aussi, opposé à l’exposition ; selon Appien303 et Nicolas304, il était à Rome quand il contra les Plut., Ant. 16, 2 ; Suet., Caes. 76, 1 ; Dio Cass., 44, 6, 3 ; 45, 6, 5. Vie d’Auguste, F 130 (108) ; Cic., Att. 15, 2, 3 ; Plin., Nat. 2, 93-94 ; Plut., Ant. 16, 2 ; App., BC 3, 28 ; Dio Cass., 45, 6, 4-5. 297 Vie d’Auguste, F 130 (108), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 274. εἰσιόντα γε μὴν αὐτὸν εἰς τὸ θέατρον ἐκρότει ὁ δῆμος εὖ μάλα καὶ οἱ πατρικοὶ στρατιῶται ἠχθημένοι διότι τὰς πατρῴους ἀνανεούμενος τιμὰς διεκωλύθη, ἄλλους τε ἐπ᾿ ἄλλοις κρότους ἐδίδουν παρ᾿ ὅλην τὴν θέαν ἐπισημαινόμενοι. 298 App., BC 3, 28. 299 Cic., Att. 15, 3, 2. 300 Toher 2016, 46-47. 301 App., BC 3, 28. 302 Vie d’Auguste, F 130 (108). 303 App., BC 3, 28. 304 Vie d’Auguste, F 130 (108). 295
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intentions d’Octavien en soutenant Critonius. Toujours est-il que le Damascène insiste sur le fait que le futur prince essuya avec diplomatie ce refus d’exposition de la chaise de César305, mais qu’il se préparait à affronter son rival, Marc Antoine. Q ue peut-on savoir du départ d’Octavien de Rome vers la Campanie en octobre 44 avant J.-C. en lien avec ce positionnement politique ? Nicolas représente son action comme un contre-mouvement à la marche de Marc Antoine vers Brundisium306. Concomitamment, Cicéron, résidant à Puteoli, reçut une lettre du petit-neveu de César le 1er novembre 44, dans laquelle il lui explique avoir obtenu le soutien de Casilinum et de Calatia, qui lui fournirent trois mille vétérans307. Nicolas suggère qu’il n’eut besoin que de quelques jours pour y parvenir308. Octavien doit avoir atteint Calatia le 25 octobre au plus tard. Il a donc probablement quitté Rome avec sa suite pour s’établir à Capoue aux alentours du 20 octobre. Si, tout au long de la biographie, le magnétisme augustéen est mis en valeur, Nicolas n’enregistre qu’un seul exemple de discours d’Octavien pour l’ensemble de l’année 44, au moment où l’intéressé sollicita l’aide des vétérans de Calatia309. Il ajoute qu’il « envoya aussi les plus malins et les plus intrépides de ses partisans à Brundisium, pour voir s’ils pourraient persuader aussi les soldats récemment venus de Macédoine de prendre son parti, en les appelant à ne pas oublier César, son père, et à ne pas trahir son fils en aucune façon »310. Le point culminant de la popularité d’Octavien fut atteint lorsqu’il affirma vouloir venger la mort de son grand-oncle ; sa progression vers Rome suscita l’approbation populaire. Le sénat de Calatia put d’abord s’être montré réticent, mais le peuple
Vie d’Auguste, F 130 (108). Vie d’Auguste, F 130 (130-131). 307 Cic., Att. 16, 8. 308 Vie d’Auguste, F 130 (136). 309 Vie d’Auguste, F 130 (136 ; 138). 310 Vie d’Auguste, F 130 (139), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 294. πέμπει δ᾿ ἑτέρους τῶν ἑπομένων φρονήσει τε καὶ τόλμῃ διαφέροντας εἰς τὸ Βρεντέσιον, εἴ πως δύναιντο καὶ τοὺς νεωστὶ ἥκοντας ἐκ Μακεδονίας στρατιώτας πεῖσαι τὰ αὑτῶν ἑλέσθαι μεμνημένους Καίσαρος τοῦ πατρὸς καὶ μηδενὶ τρόπῳ καταπροδόντας τὸν ἐκείνου παῖδα. 305
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afficha un enthousiasme constant311. Ce soutien est présenté par Nicolas comme une réaction salutaire mobilisant les foules. Dans ses Histoires, pour faire écho à cet épisode, il explique qu’en Lydie, Cadys et Ardys avaient été chéris du peuple, et que le second, très aimé des Lydiens, devint le meilleur de tous les rois, notamment grâce à son sens de la justice312. Avant de raconter le voyage d’Octavien en Campanie, le Damascène réintroduit Brutus et Cassius dans son récit. Ils seraient restés, en octobre, à Puteoli : « Informés de la foule qui avait suivi Octave depuis Rome et dont – comme toujours – la rumeur augmentait le nombre, ils furent alarmés et pris d’une grande crainte, car ils crurent que l’expédition était dirigée contre eux. Aussi s’enfuirent-ils de l’autre côté de l’Adriatique, Brutus en Grèce et Cassius en Syrie »313. L’historien opère de fait une dichotomie entre le soutien obtenu par Octavien et celui remporté par les deux césaricides. Parallèlement, il laisse entendre que les assassins de César auraient craint Octavien, mais pas Marc Antoine, qui n’aurait pas été un véritable césarien314. Cicéron précise qu’il vit Brutus à Velia, juste avant qu’il ne s’apprêtât à quitter l’Italie315. La réunion prévue avec Cassius, qui avait rassemblé sa flotte, peut avoir été fixée au 1er août316. Le nombre de jours écoulés avant son départ ne peut être déterminé avec précision. Une lettre qui lui fut adressée par Cicéron, écrite probablement fin septembre 44 avant J.-C., montre qu’il résidait alors toujours en Italie317. Cependant, un autre courrier rédigé par le même auteur début octobre suggère que Cassius avait, cette fois, quitté la péninsule318. Vie d’Auguste, F 130 (136-137). F 44 (10). 313 Vie d’Auguste, F 130 (135), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 292. καὶ πυθόμενοι τὸ πλῆθος τῶν ἐκ Ῥώμης συνεξεληλυθότων Καίσαρι, καὶ τῶν ἀγγέλων ἐπὶ τὸ μεῖζον ταῦτα διηγουμένων, οἷα φιλεῖ γίνεσθαι, συνεταράχθησαν καὶ ἐν μεγάλῳ δείματι ἦσαν οἰόμενοι ἐπὶ σφᾶς εἶναι τὴν ἔξοδον· καὶ φεύγουσι διὰ τῆς Ἀδριανῆς θαλάττης. καὶ Βροῦτος μὲν εἰς Ἀχαίαν ἧκε, Κάσσιος ‹δ᾿› εἰς Συρίαν. 314 Vie d’Auguste, F 130 (135-137). 315 Cic., Att. 16, 7, 5 ; Phil. 10, 8. 316 Cic., Phil. 10, 8. 317 Cic., Fam. 12, 2, 3. 318 Cic., Fam. 12, 3. Malheureusement, nous ne possédons plus la correspondance ultérieure entretenue entre les deux hommes jusqu’en février 43 avant J.-C. 311 312
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Nous le voyons, Nicolas insiste sur le soutien populaire envers Octavien après qu’il fut adopté par César et sur son refus d’entreprendre toute action téméraire, même s’il sut se montrer audacieux lorsque les circonstances l’exigeaient, notamment lorsqu’il s’est agi de sauver les intérêts des césariens et de saluer la mémoire de César. S’il ambitionnait de devenir tribun de la plèbe en dépit de sa condition de patricien, il respecta l’avis de Marc Antoine, consul. Toutefois, quand il organisa finalement son armée pour le défier en Campanie, il y eut une première véritable dislocation des césariens, ce que ne semble pas avoir regretté Nicolas. Nous y reviendrons319. Octavien et Cicéron Cicéron se méfiait de César. En privé, il le qualifiait de « roi »320 ; l’imperator le savait, mais il ne le craignait pas en raison de son manque de courage321. Toutefois, en public, il le louait. Ainsi l’Arpinate écrivit-il à propos de lui qu’il était « quasiment, de tous les orateurs, celui qui parlait le latin avec le plus d’élégance »322 ; César lui retourna le compliment323. Toujours est-il qu’entre 46 et 44 avant J.-C., Cicéron eut une abondante production philosophique décrivant les idéaux républicains, prônant le maintien de la libertas et rejetant avec virulence toute forme de tyrannie. S’il ne joua vraisemblablement aucun rôle durant les Ides de mars, il influença probablement les esprits des conspirateurs. Après les faits, il se réjouit de la mort du dictateur, mais déplora la manière dont s’y étaient pris les conjurés324. Par ailleurs, Cicéron rencontra régulièrement Octave/Octavien ; Philippus et lui étaient amis325, et avaient des villas voisines à Cumes. Les relations entretenues entre le futur prince et l’orateur sont connues en grande partie par ses lettres Ad Familiares Cf. infra p. 83-88. Cic., Att. 2, 1, 8. 321 Cic., Att. 13, 37, 2. 322 Cic., Brut. 252. 323 Cic., Fam. 9, 16, 3. 324 Everitt 2002 ; Rawson 1983. 325 Cic., Att. 14, 11, 2. 319 320
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et Ad M. Brutum, et par ses Philippiques. Certaines de celles-ci ne tarissent pas d’éloges à l’égard du petit-neveu de César326. Néanmoins, la quatorzième révèle clairement ses revirements politiques, ainsi que son manque de confiance à l’égard d’Octavien327. Q uels motifs lièrent et opposèrent Cicéron à Octavien ? En route vers Rome depuis Apollonie en 44 avant J.-C., Octavien demeura chez son beau-père à Cumes, le 21 avril. Balbus, Hirtius et Pansa l’y rejoignirent328. Cette réunion convainquit Cicéron de la modération du jeune homme. S’il critiquait les césariens, il ne lui était pas défavorable329. Cependant, ce dernier fut vexé de n’être appelé Caesar ni par Philippus ni par Cicéron330, pour lequel le chef de la res publica devait être un parangon de pudor et de uerecundia331 : « Primum in Caesarem ut maledicta congessit deprompta ex recordatione inpudicitiae et stuprorum suorum ». […] « Ignobilitatem obicit C. Caesaris filio, cuius etiam natura pater, si uita suppeditasset, consul factus esset. ‘Aricina mater’ »332. Deux reproches sont ici adressés à Octavien : son immoralité et sa naissance humble, deux motifs fréquents dans la littérature latine aristocratique333. Le princeps, comme Nicolas, n’a jamais nié les origines modestes de son père. Au demeurant, l’inaction de Cicéron immédiatement après la mort de César, matérialisée par son absence lors de la réunion du Sénat du 17 mars 44 avant J.-C., est relative. Dans un premier temps, le 15 mars, il explicita l’attitude qu’il souhaitait adopter : « Meministine me clamare ilio ipso primo Capitolino die debere senatum in Capitolum a praetoribus uocari ? Di immortales, quae tum opera effici potuerant laetantibus omnibus bonis, etiam sat bonis, fractis latronibus »334. Cependant, deux jours plus tard, à la suite d’un examen plus détaillé de la situation politique de l’Vrbs et lorsqu’il se rendit compte que les conspirateurs n’avaient Cic., Phil. 5, 49-51 ; 14, 28. Cic., Phil. 14, 28-29. 328 Cic., Att. 14, 11, 2. 329 Cic., Brut. 1, 17, 5 ; Plut., Cic. 45, 1. 330 Cic., Att. 14, 12, 2. 331 Cic., Rep. 5, 6. 332 Cic., Phil. 3, 15-17. 333 Wiseman 2009 ; Borgies 2016. 334 Cic., Phil. 1, 6. 326 327
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conçu aucun plan précis, il prôna l’amnistie, et soutint la formation d’une coalition entre césariens et républicains. Par ailleurs, son absence continue au Sénat entre le 17 mars et le 2 septembre s’explique par le fait que, durant cette période, Marc Antoine en avait le contrôle, ou, du moins, était capable de dicter la conduite de la plupart des sénateurs les plus influents. Or l’Arpinate n’entendait pas faire preuve de flagornerie ; son retour à la séance de l’assemblée du 2 septembre fut salué par nombre de Romains. À tout le moins, il savait que la République ne subsisterait pas, car la dictature césarienne avait changé trop de choses dans la Cité pour qu’il fût possible de remonter le cours de l’histoire. Il se montra d’ailleurs incapable d’annihiler la menace que représentaient les antoniens. Il savait une seule personne susceptible de le faire : Octavien, mais il était évident pour Cicéron que ce dernier n’avait rien à gagner d’une restauration d’une forme traditionnelle de gouvernement. Concomitamment, il était hautement improbable que l’héritier de César eut envisagé de confier docilement le contrôle des affaires de l’État aux républicains. Cicéron et C. Vibius Pansa Caetronianus, tribun césarien en 51 avant J.-C., qui, en tant que tel, avait opposé son droit de veto à plusieurs résolutions sénatoriales visant à limiter les pouvoirs de César335, sont fustigés par Nicolas pour avoir attisé la haine dans Rome après les Ides de mars et ne pas avoir pris position pour l’une des parties336. Il semble probable qu’Auguste, dans ses Mémoires, ait tenté de répondre à une accusation relative soit à ses rapports avec Cicéron, soit à son éventuelle implication dans son assassinat. Il était à tout le moins utile de montrer comment l’Arpinate avait joué un double jeu tout au long de l’année 44 avant J.-C. Q uoi qu’il en soit, Nicolas tait ensuite son nom jusqu’à la fin du récit conservé. Cicéron maintint pourtant son intérêt pour les activités menées par Octavien à Rome. En effet, même loin de la Ville, il s’efforçait d’influer sur le cours des événements et de préparer l’ère post-césarienne, ce que Nicolas ne prend pas soin de notifier. Bien qu’il ait trouvé désagréable le ton d’un discours d’Oc-
Cic., Fam. 8, 8, 6-8 ; Att. 14, 19, 3. Vie d’Auguste, F 130 (111). Meulder 1995, 247-273.
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tavien prononcé à la mi-mai337, il savait qu’il constituait le dernier rempart contre Marc Antoine338. Début juin, Octavien persuada l’Arpinate qu’il n’avait aucune rancœur à l’égard des meurtriers de César, alors que, dans le même temps, il séduisait les vétérans de celui-ci, désormais placés sous les ordres de Marc Antoine, en insistant sur l’échec de ce dernier à traduire les césaricides en justice339. Par ailleurs, Cicéron demeurait partisan de ces derniers. Il n’était pas seulement en constante correspondance avec Cassius et Brutus, mais rencontra celui-ci au moins à deux occasions : le 8 juin, à Antium, où Cassius les rejoignit quelques jours plus tard, et le 17 août340. Lors de la première entrevue, Cicéron, estimant que l’essentiel était de faire en sorte que les conjurés restassent en vie, conseilla à Brutus d’accepter la mission confiée en Asie. Au cours de la seconde, il put être envisagé que Brutus et Cassius soulevassent les armées stationnées à l’est afin de contrebalancer la puissance d’Octavien s’il réussissait à renverser Marc Antoine ou à lui succéder à la tête des césariens. Néanmoins, nulle part dans la correspondance de Cicéron ne figure une quelconque planification visant à faire face aux conséquences d’un éventuel conflit entre Marc Antoine et Octavien. En outre, il devait savoir que ce dernier ne reconnaîtrait jamais Brutus ou Cassius en tant qu’hommes politiques dignes de foi. Cependant, la conjonction de leurs armées aurait sans doute permis la restauration de la République après des pourparlers avec Octavien. À la fin du mois d’août 44 avant J.-C., Marcus Brutus et Cassius, éloignés de Rome depuis avril, furent poussés à quitter l’Italie. Ils avaient obtenu les gouvernements respectifs de la Crète et de la Cyrénaïque, provinces secondaires. Toutefois, c’est en Grèce qu’ils rassemblèrent leurs partisans et levèrent des troupes. Cicéron renonça à les suivre. Il devait tenter d’exercer une certaine influence sur Octavien, qui ne semblait plus guère hostile à Brutus, notamment en l’empêchant de contracter une alliance avec le consul. Ensuite, il n’est plus mentionné dans la correspon Cic., Att. 15, 2, 3. Cic., Att. 15, 2, 3. 339 Cic., Att. 15, 12. 340 Cic., Att. 15, 12, 2. 337 338
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dance jusqu’au 2 novembre341. Néanmoins, Appien342 rapporte que les relations entre l’Arpinate et le futur prince se détériorèrent lors des Ludi Victoriae Caesaris, célébrés en juillet. Toujours est-il que dans sa quatrième Philippique, Cicéron se montra satisfait de la position réservée adoptée par le Sénat à l’égard d’Octavien : « Je vous félicite, Romains, pour votre accueil avec la plus chaleureuse gratitude, le nom d’un jeune homme très noble, ou plutôt garçon. Car si ses actes appartiennent à l’immortalité, le nom du garçon appartient à son âge »343. Lors de sa campagne de recrutement en Campanie, Octavien tenta d’enrôler les principaux soutiens de Cicéron. Dans l’une de ses lettres, le successeur de César fit part à l’Arpinate de ses plans pour combattre Marc Antoine, et lui proposa de se rencontrer secrètement à Capoue pour donner ensemble une suite aux événements344. Toutefois, Cicéron se montra circonspect à cette idée345. Octavien insista en lui envoyant Caecina et Volaterra, deux proches amis qui lui rappelèrent le danger imminent que représentait Marc Antoine pour la République. « Bien sûr, il se met en tant que chef et pense que nous ne devons pas lui faire défaut »346, écrit Cicéron à Atticus. L’Arpinate ne savait s’il devait regagner Rome et apparaître aux côtés d’Octavien ou rester dans sa ville natale, au risque d’être considéré comme un pleutre voire un traître347. Si Octavien lui écrivait régulièrement348, les réserves émises par Cicéron sur son jeune âge persistaient. De plus, il craignait que le jeune homme ne perdît ses soutiens en Campanie et dans le Samnium avant qu’il n’atteignît Rome349. Ainsi qu’en témoignent ses confidences à Atticus, il opta pour la procrastination avant de prendre la décision qui l’engagerait jusqu’à la fin de son existence350. En mars 43 avant J.-C., Cicéron loua le patriotisme d’Octavien, Cic., Att. 16, 8. App., BC 3, 28-32 ; 39-40. 343 Cic., Phil. 4, 3. Knight 1968, 157-164. 344 Cic., Att. 16, 8, 1. 345 Cic., Att. 16, 8, 1. 346 Cic., Att. 16, 8, 2. 347 Cic., Att. 16, 8, 2. 348 Autobiographie, 16, 9. 349 Cic., Att. 16, 11, 6. 350 Cic., Att. 16, 13. 341
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après qu’il eut levé des troupes pour prendre les armes contre Marc Antoine351. Si Octavien l’emportait sur son rival, les acta de César seraient définitivement confirmés ; sa défaite signifierait que Marc Antoine ne ferait plus face à aucune opposition structurée352. Malheureusement, nous ignorons si Nicolas présenta d’une manière identique le Cicéron crépusculaire. Q uoi qu’il en soit, chez le Damascène, distingué comme un éminent membre de οἱ ἐν μέσῳ, il est confondu par Octavien, qui se doutait que ses acolytes et lui l’utilisaient comme contrecarrer les plans de Marc Antoine353. Le traitement qu’il fait de Cicéron devait constituer une réminiscence de celui figurant dans les Mémoires augustéens. L’Octavien de Nicolas, garant de la concordia et des intérêts de la res publica, eut le souci de montrer qu’il n’était en aucun cas l’outil d’un homme, même s’il chercha, pendant quelques mois, à obtenir l’appui de Cicéron, figure éminemment peu présente dans la Vie d’Auguste. À aucun moment, la πίστις octavienne n’est donc remise en question dans cette œuvre. A contrario, la fidélité et la loyauté de l’Arpinate furent pour le moins douteuses : l’orateur, contrairement à Octavien, ne constituait donc nullement un exemplum vertueux aux yeux du Damascène.
Octavien et Marc Antoine La rivalité entre Octave et Marc Antoine est suggérée dès la section B de la Vie d’Auguste, à travers l’indication selon laquelle certains Cic., Fam. 12, 25a, 4. Après mars 43 avant J.-C., la désillusion s’empara de Cicéron (Fam. 11, 8, 2). À partir de mai, Octavien et lui se regardaient en chiens de faïence (Cic., Fam. 11, 10, 4) : Cicéron (Fam. 11, 20, 1) se méfiait de la soif de pouvoir du jeune homme, alors que ce dernier lui reprochait de jouer un double jeu. La sollicitation de Cicéron (Brut. 1, 10, 4) à M. Brutus pour qu’il libérât l’Vrbs avec son armée d’Orient sonna le glas de l’amicitia entre l’Arpinate et Octavien. Brutus comprit qu’Octavien représentait une menace potentielle plus grande que Marc Antoine. Plancus, de son côté, se contenta de souligner son appartenance à la cause républicaine (Cic., Fam. 11, 24, 4-6). Cicéron fut désemparé quand Octavien obtint le consulat le 19 août, après avoir marché sur la capitale de l’Empire avec huit légions (Suet., Aug. 26, 1 ; App., BC 3, 88 ; Dio Cass., 42, 4 ; 43, 1, 3-4 ; 46, 41, 3). Selon Appien (BC 3, 92), l’Arpinate demanda alors une entrevue au nouveau maître de Rome, lequel le railla ouvertement. 353 Vie d’Auguste, F 130 (111). 351 352
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Romains crurent que derrière l’affaire des Lupercales se dissimulait une manœuvre plus ou moins habile du coconsul pour se faire adopter par César354. C’est toutefois à la section C que l’antagonisme entre Octavien et Marc Antoine est manifeste puisqu’il domine le récit. La position politique occupée par ce dernier dès le 17 mars 44 avant J.-C., consistant à se reposer sur un compromis paradoxal entre césariens et césaricides, fut condamnée par Nicolas, car il donnait l’impression de trahir la mémoire de César, tout en courant le risque de voir ses partisans l’abandonner, au profit d’Octavien. Pourtant, ce dernier consentait à postposer sa vengeance pour renforcer sa position face à Marc Antoine, quitte à s’appuyer sur les anciens adversaires de César. Octavien justifiait ses prétentions au pouvoir par l’octroi de la dignitas de César. Grâce à elle, il obtint le soutien des vétérans, ainsi que celui de la plupart des césariens et d’une frange importante du populus. Nicolas souligne la fidélité à la parole donnée des césariens à l’égard du futur prince à Apollonie, en mars 44 avant J.-C.355 Il écrit : « Les soldats attachaient un grand prix au fait qu’il était le fils de César et avait été désigné comme son successeur dans son testament, qu’il portait le même nom et laissait entrevoir de nobles espérances, fondées sur son caractère énergique : c’est en considération de cette qualité, autant que de leurs liens de parenté, que César l’avait choisi comme fils, pensant qu’il était le seul à pouvoir garantir la préservation de tout son pouvoir et du prestige de sa famille »356. L’appel de ralliement d’Octavien aux vétérans devait faire en sorte qu’il conservât τὸ τοῦ οἴκου κράτος357. Pour lui, il était légitime de réclamer l’appui de ceux ayant bénéficié d’avantages matériels grâce à César. Selon Nicolas358, Octavien déclina momentanément la proposition des soldats de marcher avec lui sur Rome pour annihiler Vie d’Auguste, F 130 (74). Cf. supra p. 72-76. 356 Vie d’Auguste, F 130 (120), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 282. ἐκεῖνον μὲν γὰρ ἐποιοῦντο παῖδά τε εἶναι καὶ διάδοχον ἀποδεδεῖχθαι ἐν ταῖς διαθήκαις | τῷ τε ὀνόματι ὁμοίως προσαγορεύεσθαι, γενναίαν τε ὑποφαίνειν ἐλπίδα καὶ ἀπὸ τοῦ τῆς φύσεως δραστηρίου, εἰς ὃ ὁ Καῖσαρ ἀποβλέψας οὐχ ἧττον ἢ τὴν συγγένειαν ἀποδείξειεν αὐτὸν παῖδα, ὡς μόνον ἐχέγγυον αὐτοῦ τήν τε σύμπασαν ἀρχὴν καὶ τὸ τοῦ οἴκου ἀξίωμα διασώζειν. 357 Vie d’Auguste, F 130 (131). 358 Vie d’Auguste, F 130 (57). 354 355
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les forces des césaricides. Bien que félicitant ces milites pour leur fidélité, il leur déclara ne pas encore avoir besoin de leurs services. De manière plus explicite, à Brundisium, l’Octavien de Nicolas, s’il a la conviction qu’il faudra tôt ou tard venger César, apparaît pacifique et mesuré359. Un passage postérieur relie toutefois cette attitude à la volonté de guerroyer contre Marc Antoine, de plus en plus hostile à son égard et inconstant : « Octave restait donc seul pour venger son père, étant donné qu’Antoine en avait complètement abandonné le projet et était favorable à une amnistie des assassins »360. L’historien semble avoir été soucieux de souligner la modestie et la modération de son sujet d’étude afin qu’il constituât un exemplum moral, à la différence de Marc Antoine. Plutarque361 écrit qu’Octavien bénéficia de ces vétérans césariens quand il rendit visite à Cicéron à Naples fin avril 44 avant J.-C. Certains d’entre eux ont pu se trouver parmi la foule escortant ou saluant Octavien en route pour Rome, ainsi que l’explique Appien362, mais, comme le récit de Nicolas l’indique clairement, aucune preuve ne vient étayer la thèse selon laquelle le fils adoptif de César comptait sur ces troupes de manière significative avant fin octobre 44 avant J.-C. Nicolas ajoute que, comme le voulait César, Octavien distribua l’argent dû au peuple, lequel salua ce geste363. Il est le seul auteur ancien à le mentionner. Ce fait n’est pas daté, mais il suit de peu les funérailles du dictateur364. Son héritier était conscient de devoir obtenir l’appui du populus, car Marc Antoine, mais aussi les consuls et nombre de sénateurs lui étaient inamicaux. Du reste, la même section de la Vie d’Auguste défend Octavien et exècre la propagande antonienne jugée contraire aux intérêts de l’État. En effet, après avoir critiqué Marc Antoine et Dolabella, élu consul suffect le 17 mars 44 avant J.-C. et rangé aux côtés des conjurés, pour détournement de fonds et opposition à Octavien, Nicolas Vie d’Auguste, F 130 (53). Borgies 2016, 18-26. Vie d’Auguste, F 130 (110), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 274 ; 276. μόνος δ᾿ ἔτι λοιπὸς ἦν Καῖσαρ τιμωρὸς τῷ πατρί, διαμεθέντος Ἀντωνίου τὸ σύμπαν καὶ τὴν πρὸς τοὺς φονεῖς ἀγαπῶντος ἀμνηστίαν. 361 Plut., Cic. 44, 1. 362 App., BC 3, 12-40. 363 Vie d’Auguste, F 130 (109). 364 Vie d’Auguste, F 130 (110). 359
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souligne que ce dernier fut soutenu par la majorité des Q uirites365. Chez le Damascène, de l’arrivée d’Octavien à Rome en mai 44 avant J.-C. jusqu’à son départ pour la Campanie en octobre366, son sujet d’étude s’indigne de l’attitude de Marc Antoine, présenté comme un être sournois et immodéré incarnant l’antithèse d’Octavien. Le Damascène explique en outre que ce voyage pour demander de l’aide lui fut imposé par l’hostilité du coconsul. Les autres récits relatifs au périple campanien d’Octavien sont plus brefs que celui de Nicolas. Chez Cicéron, son objectif, en levant l’armée, était de combattre Marc Antoine. Velleius Paterculus, dans un souci d’apologétisme octavianien, écrit : « Torpebat oppressa dominatione Antonii ciuitas. Indignatio et dolor omnibus, uis ad resistendum nulli aderat, cum C. Caesar […] mira ausus ac summa consecutus priuuto consilio maiorem senatu pro re publica animum habuit. »367 Bien que bref, l’historien latin, contrairement à Nicolas, ne fait aucune mention des animosités personnelles entre les deux césariens. Le récit livien est plus court encore : « Caesar et sibi et rei p. vires aduersus eum paraturus deductos in colonia‹s› ueteranos excitauit »368. Ce synopsis est proche du récit du Damascène, dans la mesure où il reconnut la primauté d’action à Octavien (sibi). Le compte rendu d’Appien s’accorde aussi avec celui de Nicolas. Dès que Marc Antoine quitta Rome pour Brundisium début octobre, « Octavien avait peur qu’Antoine revînt avec son armée et le capturât. Dès lors, il se rendit en Campanie avec de l’argent pour convaincre les villes colonisées par son père de gagner sa cause »369. Cependant, les vétérans, arrivés à Rome, pensaient qu’ils viendraient soutenir l’alliance entre Marc Antoine et Octavien, et se venger des assassins de César. Ils refusèrent donc de combattre Marc Antoine ; certains d’entre eux voulaient même rentrer chez eux370. Octavien ne peut donc avoir déclaré aux vétérans campaniens, contrairement à ce que suggère
Vie d’Auguste, F 130 (110-111). Cf. infra p. 85-88. 367 Vell., 2, 61, 1. 368 Liv., Ep. 117. 369 App., BC 3, 40. 370 App., BC 3, 42. 365 366
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Appien371 et à ce que stipule Nicolas372, qu’il avait l’intention de les faire directement combattre contre Marc Antoine. Au § 113, le Damascène fait d’Octave le seul maître légal de l’Vrbs : « Dans cette situation, étaient en place de puissantes armées et autant de chefs, chacun prétendant exercer le pouvoir suprême ; toute forme de légalité et de justice avait disparu et les affaires n’étaient arbitrées que par la force dont chacun disposait. Seul Octave, à qui le pouvoir souverain avait été laissé par la loi, en vertu de l’autorité de son prédécesseur et de sa parenté à lui, était privé de toute puissance. Il était dans l’errance, projeté çà et là par la jalousie de ses ennemis politiques et par l’avidité de ceux qui l’épiaient, lui et l’État entier »373. La suite du récit souligne que seul Octavien, qui figurait à lui seul la res publica, œuvra pour le bien commun374. Ainsi Nicolas le représente-t-il en miroir avec Kypsélos, présent dans les Histoires, dont la sagesse, la générosité et surtout le sens de la justice faisaient de lui le parangon de l’ὀρθῶς375. Les choses se complexifièrent lorsque la περιοψίᾳ de Marc Antoine suscita la colère des vétérans de César376. Après un long justificatif de leur attitude, vient une entrevue avec Marc Antoine, à qui l’on reprochait les activités post Ides de mars. Nicolas écrit : « Après ce discours, pour ne pas avoir l’air de s’opposer à leur élan (il avait besoin d’eux), Antoine déclara qu’il acceptait et, pour sa part, approuvait leurs propositions, à condition que, de son côté, Octave se modère et lui accorde le respect qui lui était dû ; il était prêt à engager avec lui des pourparlers, auxquels les soldats pourraient assister comme auditeurs. Ces derniers le louèrent et App., BC 3, 40. Vie d’Auguste, F 130 (138). 373 Vie d’Auguste, F 130 (113), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 278. τοσαῦτα μὲν στρατεύματα ἐν τῷ τότε συνειστήκει, καὶ τοσοίδε ἄρχοντες, αὐτός τις ἕκαστος ἑαυτὸν ἀξιῶν τὴν τῶν ὅλων δυναστείαν ἔχειν, ἀνῃρημένου παντὸς νομίμου καὶ δικαίου, κατ᾿ ἰσχὺν δὲ τὴν ἑκάστοις προσοῦσαν τοῦ πράγματος βραβευομένου. μόνος δὲ Καῖσαρ, ᾧ τὸ σύμπαν κράτος καταλέλειπτο νομίμως κατά τ᾿ ἐξουσίαν τοῦ πρότερον κεκτημένου καὶ συγγένειαν, ἄμοιρος ὢν δυνάμεως ἡστινοσοῦν, ἐπλάζετο μεταξὺ αἰωρούμενος φθόνου τε πολιτικοῦ καὶ πλεονεξίας τῶν [τε] ἐφεδρευόντων αὐτῷ καὶ τοῖς σύμπασι πράγμασιν· ἅπερ ὕστερον ἐπρυτάνευσεν ὀρθῶς τὸ δαιμόνιον καὶ ἡ τύχη. 374 Vie d’Auguste, F 130 (165). 375 F 47. 376 Vie d’Auguste, F 130 (115). 371 372
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convinrent de l’accompagner au Capitole pour se faire les médiateurs de la réconciliation, s’il le voulait. Antoine fut d’accord et, se levant tout de suite, il partit pour le temple de Jupiter et les envoya chez Octave »377. Les circonstances entourant cette paix provisoire entre Marc Antoine et Octavien sur le Capitole sont nébuleuses378. Pour l’heure, ce dernier voulait éviter tout affrontement armé. Nicolas insiste sur le fait que les vétérans le convainquirent qu’il avait davantage de chances de succès s’il s’unissait à Marc Antoine, ou, plus exactement, si ce dernier lui « venait en aide »379. Le même propos apologétique est enregistré chez Tite-Live380. Octavien, partisan de la concorde, fit comme on le lui avait conseillé381. Si Nicolas ne donne aucun détail des accords conclus entre les deux chefs césariens, il salue, dans un langage diplomatique, le rôle joué par Octavien durant cette période troublée382. Parallèlement, il fait de son rival le parangon de l’instabilité. En effet, il explique qu’il regrettait la réconciliation opérée avec les césaricides, et qu’il changea d’avis dès que les soldats de César l’abandonnèrent pour escorter Octavien. Selon certains, poursuit-il, il ne serait resté à distance à ce moment-là uniquement par crainte que les milites ne le tuassent383. A contrario, Nicolas prend soin de présenter son protagoniste comme un être loyal et convaincu de la πίστις de Marc Antoine, en soutenant qu’il venait le voir quotidiennement à son domicile en lui rendant les honneurs dus à son rang384. Au demeurant, l’ancien maître de cavalerie de César convoqua les comices tributes le 3 juin 44 avant J.-C. afin qu’elles votassent 377 Vie d’Auguste, F 130 (116), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 280. ταῦτα λεγόντων, ὡς μὴ δοκοίη ἐναντιοῦσθαι τῇ ὁρμῇ Ἀντώνιος, ἐπειδὴ καὶ δεόμενος αὐτῶν ἐτύγχανεν, ἔφη βούλεσθαι καὶ ταῦτα δοκιμάζειν, εἴ γε μετριάζοι κἀκεῖνος τήν τε προσήκουσαν αὐτῷ τιμὴν ἀπονέμοι, ἕτοιμός τε εἶναι εἰς λόγους ἐλθεῖν, παρόντων ἐκείνων καὶ ἐπακροωμένων. οἱ δ᾿ ἐπῄνουν καὶ συνέθεντο αὐτὸν ἄξειν εἰς τὸ Καπιτώλιον καὶ μεσιτεύειν τὰς διαλλαγάς, εἰ αὐτὸς ἐθέλοι. συνέφη δ᾿ οὖν, καὶ εὐθὺς ἐξαναστὰς ᾤχετο εἰς τὸ τοῦ Διὸς ἱερόν, ἐκεῖνοί τε ἔπεμψαν ὡς τὸν Καίσαρα. 378 Vie d’Auguste, F 130 (115-119). 379 Vie d’Auguste, F 130 (118). 380 Liv., Ep. 117. 381 Vie d’Auguste, F 130 (117). 382 Vie d’Auguste, F 130 (122). 383 Vie d’Auguste, F 130 (121). 384 Vie d’Auguste, F 130 (122).
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une loi lui cédant la Gaule cisalpine et la Gaule chevelue, en lieu et place de la Macédoine, province administrée par Caius, frère de D. Brutus, et dont il contrôlait l’armée. La rupture entre Brutus et Cassius, d’une part, et Marc Antoine et les césariens, d’autre part, était consommée. Octavien en profita pour manipuler certains hauts dignitaires romains385, ce que Nicolas ne mentionne pas. Dans le même temps, se sentant menacé, Marc Antoine fit croire à d’aucuns qu’Octavien avait secrètement décidé de l’occire386. Nicolas écrit que ce dernier était pourtant prêt à tout pour protéger son associé, mais qu’il comprit qu’il avait maintes fois été trompé, et que, pour ne pas déroger à ses obligations, il demanda l’avis de ses amis sur la conduite à adopter387. Q uelque temps plus tard, Octavien craignait que son rival ne soudoyât l’armée et ne lui déclarât la guerre. Nicolas, dont le récit est ici pour le moins vague d’un point de vue chronologique, écrit : « Aussi Octave était-il plein d’une juste colère et de circonspection à l’égard d’Antoine, dont les intentions étaient claires. En considérant tous les aspects de la situation, il voyait qu’il ne pouvait pas rester sans réagir (c’était extrêmement dangereux) et qu’il devait chercher une aide qui soit à la hauteur de la puissance et des desseins de son adversaire. Après avoir agité toutes ces pensées, il décida de chercher refuge dans les colonies de son père, où ce dernier avait fait des distributions de terres et fondé des cités : en leur rappelant ses bienfaits et en leur tirant des larmes sur le sort de son père et sur le sien propre, il obtiendrait ainsi des appuis et en gagnerait d’autres par des distributions d’argent »388. Après avoir obtenu le soutien des vétérans stationnés à Calatia, il leur demanda de l’accompagner et de garantir sa sécurité personnelle. App., BC 3, 88-90 ; Dio Cass., 42. Vie d’Auguste, F 130 (123-124). 387 Vie d’Auguste, F 130 (126-127). 388 Vie d’Auguste, F 130 (131), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 290. ὀργῆς οὖν δικαίας ἐπίμπλατο εἰς αὐτὸν ἅμα καὶ προνοίας περὶ αὑτοῦ, φανερᾶς τῆς ἐκείνου γνώμης γενομένης, πάντα ‹τε› περισκοπῶν ἑώρα οὐχ ἡσυχαστέον ὂν ἑαυτῷ (οὐ γὰρ εἶναι τοῦτο ἀκίνδυνον), ἀλλὰ ζητητέον τινὰ ἐπικουρίαν ἀντίπαλον τῇ ἐκείνου δυνάμει τε καὶ ἐπινοίᾳ. ταῦτ᾿ οὖν ἐνθυμούμενος ἔγνω χρῆναι φεύγειν ἐπὶ τὰς πατρῴους ἀποικίας, αἷς ἔδωκε τὰς κληρουχίας ὁ πατὴρ αὐτοῦ καὶ οἰκιστὴς ἐγένετο τῶν πόλεων, ὡς ἀναμνήσας τοὺς ἀνθρώπους τῶν ἐκείνου εὐεργεσιῶν καὶ ὀδυρόμενος περὶ ὧν ἐκεῖνος τε ἔπαθε καὶ αὐτὸς πάσχει, λάβοι βοηθούς, τοὺς δὲ καὶ χρημάτων δό | σει προσαγάγοιτο. 385 386
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Des arguments identiques furent utilisés pour persuader ceux de Casilinum de se rendre avec lui à Rome et de résister fermement à toute forme de violence pouvant émaner de Marc Antoine. Aux dires de Nicolas, pendant l’été 44 avant J.-C., Octavien ne voulait prendre d’autres mesures que celles visant à se protéger, mais la pression populaire et militaire, les conseils de ses amis et l’hostilité croissante de Marc Antoine le firent changer d’avis389. La raison de l’appel du jeune homme aux vétérans campaniens était donc d’assurer sa survie. L’historien justifie cette ligne de conduite par le fait qu’il ne pouvait ni renoncer à l’héritage paternel à cause de personnes prêtes à recourir à l’illégalité, ni mourir de façon criminelle et inique390. Dans la mesure où la biographie d’Auguste fut publiée quelques années après Actium, présenter le principal adversaire politique, néanmoins césarien, comme une réelle menace était nécessaire. Le Damascène semble suggérer que le futur prince avait été la principale victime d’un Marc Antoine empreint d’hybris et prêt à tout pour devenir le seul maître de l’Vrbs. De fait, il présente Octavien comme un liberator. Dans ses Res Gestae, Auguste, qui prétend avoir restauré la libertas391, insiste davantage que Nicolas sur sa volonté de venger César. L’historien de Damas paraît d’ailleurs quelque peu critique vis-à-vis d’Octavien lorsqu’il tenta d’éveiller les consciences des habitants de Calatia en plaidant l’injustice de la mort de son père et les complots ourdis contre lui392. Nicolas explique qu’à cet appel, Octavien argumenta que, puisque ce dernier leur avait donné la colonie et les avait honorés, « ce n’était pas à Antoine, mais à lui que revenait le droit de bénéficier de leur aide et de servir de leur puissance et de leurs armes. »393 Si Nicolas explique que, dans un premier temps, Octavien se montra incapable de persuader Marc Antoine de renoncer à toute hostilité envers sa personne en raison des velléités de l’ancien Vie d’Auguste, F 130 (131). Vie d’Auguste, F 130 (131), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 290. 391 Aug., RG 1. 392 Vie d’Auguste, F 130 (136). 393 Vie d’Auguste, F 130 (136), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 292. προσήκειν τε οὐκ Ἀντωνίῳ, ἀλλ᾿ ἑαυτῷ καὶ καρποῦσθαι τὴν ἀπ᾿ αὐτῶν ὠφέλειαν καὶ χρῆσθαι τῇ δυνάμει τε καὶ τοῖς ὅπλοις. 389 390
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maître de cavalerie de César, aux § 115-120, il raconte comment les deux hommes furent finalement convaincus du bien-fondé de la conclusion d’une alliance. En réalité, ce revirement s’explique surtout par le fait que la majorité des légionnaires l’estimaient nécessaire pour venger l’assassinat de César394. Il semble raisonnable de conclure qu’Octavien était conscient qu’il lui était profitable de sanctionner les césaricides. Le nom, l’héritage et la vengeance de son grand-oncle constituaient autant d’outils à utiliser pour s’attirer le soutien de vétérans. L’ultio césarienne conjugua les intérêts d’Octavien et ceux des vétérans césariens au cours des années 44 et 43 avant J.-C. Dion Cassius stipule que le futur princeps l’utilisa pour gagner le soutien des vétérans campaniens dès novembre 44 avant J.-C.395 La correspondance de Cicéron va dans le même sens396. Velleius Paterculus mentionne également le motif de l’ultio. Décrivant les raisons qui poussèrent Octavien à s’associer à Marc Antoine au milieu de 43 avant J.-C., il fait dire à ce dernier que « plus Caesarem patris quam se amici ultioni debere »397. La Lex Pedia, qui déclara « ennemis publics » les césaricides, fut d’ailleurs adoptée à la même époque par les deux hommes forts de l’Vrbs. Velleius Paterculus a sans doute utilisé la Vie d’Auguste, invoquant la même justification. Il ajoute que certains amici d’Octavien lui conseillaient de rejoindre les troupes macédoniennes, placées sous le commandement de Marcus Acilius, puis de rentrer à Rome pour venger son père en tuant ses assassins398. L’historien explique les raisons pour lesquelles ces mesures furent toutefois rejetées : « Mais ce projet semblait difficile à réaliser pour un homme très jeune et dépassait son âge et son expérience, d’autant plus que l’opinion du plus grand nombre n’était pas encore connue et que les ennemis étaient nombreux »399.
394 Cic., Att. 15, 2, 3 ; App., BC 3, 28 ; Dio Cass., 45, 7, 3. Freyburger-Galland 2009, 17-30. 395 Dio Cass., 45, 12, 2. 396 Cic., Att. 15, 2, 3. 397 Vell., 2, 65, 1. 398 Vie d’Auguste, F 130 (41). 399 Vie d’Auguste, F 130 (42), rendu dans la traduction de E. Parmentier et F. Prometea Barone 2011, 232. ἀλλὰ ταῦτα δυσχερῆ ὑπεφαίνετο ἀνδρὶ κομιδῆ νέῳ καὶ μείζω ἢ κατὰ τὴν παροῦσαν ἡλικίαν τε καὶ ἀπειρίαν, ἄλλως τε καὶ ἀδήλου ἔτι οὔσης τῆς τῶν πολλῶνδιανοίας καὶ πολλῶν ἐφεστώτων ἐχθρῶν.
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Cette union sacrée des césariens, mise en exergue par Nicolas, inquiéta Marc Antoine. L’accent mis sur la détention de ses pouvoirs octroyés pacifiquement dans la Vie d’Auguste doit avoir servi à contrebalancer le récit à suivre de sa carrière triumvirale empreinte d’illégalité. Seulement deux sections plus loin (§ 138), nous lisons qu’il forma de nouvelles recrues avant de regagner l’Vrbs. Encore une fois, un lien est opéré entre l’émotionnel et la stratégie politique construite autour de la mort de César. Q uelques lignes plus loin, le véritable motif, la lutte pour le pouvoir avec Marc Antoine, ressort pourtant explicitement du récit. C’est par un combat des deux hommes forts de Rome que s’achève le § 138400. Pareille construction n’est d’ailleurs guère éloignée de celle à laquelle se livre César au début de son Bellum Ciuile401. Nous le voyons, Nicolas, à l’instar de Cicéron402, témoigne de la lâcheté de Marc Antoine. La seule raison pour laquelle il avait accepté un rapprochement avec Octavien avait été d’éviter d’affronter les vétérans césariens. Tandis que le fils adoptif de César avait fait montre de franchise, seule une peur irrationnelle avait amené son rival politique à la négociation. Pire, aux dires du Damascène, Marc Antoine avait accusé Octavien de couardise403. Sa bravoure, qui l’avait rapproché de son père404, n’avait d’ailleurs fait que se renforcer au lendemain des Ides de mars405. Il s’était donc conformé au précepte cicéronien406 selon lequel l’homme vertueux ne pouvait agir par crainte. Dans la Vie d’Auguste, par un jeu de miroir, l’hostilité manifeste de Marc Antoine, gagné par la démesure, à l’égard d’Octavien407 ne fit que renforcer la moralité de ce dernier. Enfin, en raison de la situation dangereuse, Nicolas, pour écarter toute hypocrisie de la part d’Octavien, explique que, προστασίας δεόμενος πολιτικῆς408, celui-ci n’avait d’autre choix que Vie d’Auguste, F 130 (138) : ἐπὶ ᾽Αντώνιον ἥκειν. Martin 2012 (a), 365-381 ; Dettenhofer 1992 ; Mayer 2011, 189-232. 402 Cic., Phil. 2, 74 ; 89. 403 Suet., Aug. 10, 4 ; 16, 2. 404 Vie d’Auguste, F 130 (111). 405 Vie d’Auguste, F 130 (47 ; 53-55). 406 Cic., Rep. 1, 3 ; 5 ; 2, 42. 407 Vie d’Auguste, F 130 (113 ; 130-132 ; 136-138). 408 Vie d’Auguste, F 130 (110). 400
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celui de contracter une alliance politique avec Marc Antoine. Si le motif de la vengeance de l’assassinat de César n’est pas patent, il est toutefois réel.
Conclusion La Vie d’Auguste de Nicolas de Damas présente quelques événements clés de l’enfance et de la jeunesse d’Octave, généralement à travers le prisme de la moralité. L’auteur semble avoir transmis un point de vue éthique fidèle à l’esprit des Mémoires d’Auguste. Il ne fait aucun doute que l’ensemble du volet moral de sa biographie est d’empreinte romaine, comme le démontrent notamment les parallèles thématiques dressés avec l’œuvre cicéronienne. Des structures narratives et morales nicoléennes se dégagent une image de la vertu proprement civique et politique, et surtout un dévouement absolu à la Cité. Le leitmotiv de Nicolas était de souligner les qualités intellectuelles et surtout morales d’Octave/Octavien : son courage (ὰρετή), son intelligence (φρόνησις ; φρόνημα), sa sagesse (σῶφρον), sa grandeur d’âme (μεγάλοφρον), sa générosité (φιλανθρωπία)… Il faisait également preuve de tempérance et de modération aux yeux de l’historien, car, en tentant le plus longtemps possible de ne pas prendre part à une nouvelle guerre civile, il incarnait l’antithèse du temerarius dux. En outre, attaché à la concordia, il ambitionnait d’œuvrer conjointement avec les sénateurs, du moins en apparence409. Nicolas présente donc la figure octavienne de façon à ce qu’elle puisse rivaliser avec les modèles les plus illustres de l’Antiquité. De fait, de manière didactique, il en fait un exemplum civico-politique et militaire digne d’émulation puisqu’il s’est agi d’indiquer aux habitants de l’Empire la voie à suivre pour reconstruire une Rome ravagée par les guerres civiles. Concomitamment, à l’instar de Virgile et de Tite-Live, Nicolas fit le choix de l’ordre contre le chaos, celui du droit contre l’arbitraire. Le thème du soutien de masse à Octavien occupe également une place de choix dans la biographie de Nicolas. Il devait constituer une étape dans l’apologétisme du prince centrée autour du consensus uniuersorum. La section introductive mention Vie d’Auguste, F 130 (43 ; 55 ; 118 ; 122 ; 139).
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nait déjà la « révérence » (γεραίρουσιν), l’« allégeance volontaire » (ἐθελουσίους τε προσαγόμενος) et la « reconnaissance de sa bonté » (τὴν εἰς σφᾶς εὐεργεσίαν ἀμειβόμενοι)410. Cette popularité auprès des citoyens constitua un invariant tout au long de la Vie d’Auguste. Son élection comme pontifex, la philanthropie et l’évergétisme411 dont il fit preuve à l’égard du peuple, sa pietas et sa fides vis-à-vis de César, une arme puissante émotionnellement et politiquement, et son intellectualisme lui permirent de remporter l’approbation de nombreux Romains issus de toutes les classes sociales. Toujours est-il que cette seconde partie a mis en évidence un manque de clarté et d’exactitude de Nicolas, dues en partie à l’abréviation – pas toujours très heureuse – d’une source plus complète, mais plus encore à sa volonté de faire œuvre de propagandisme, principalement en présentant Marc Antoine, excepté dans la section B, comme un être instable et gagné par la démesure ; Nicolas nuança la peinture du caractère antonien afin d’en saisir différentes facettes autour d’un noyau central unifié. De plus, la φιλανθρωπία et la σωφροσύνη étaient à la fois des lieux communs des inscriptions hellénistiques et romaines et des topoi repris à Isocrate et à Éphore412. Il n’en demeure pas moins vrai que la Vie d’Auguste permet d’analyser la manière dont le prince orchestra sa propagande lorsqu’il voulut annihiler les forces opposantes ou dissimuler les hauts-faits de Marc Antoine peu après la mort de César.
Vie d’Auguste, F 127 (4-6). Son évergétisme rappelle un passage de Xénophon (Cyr. 8, 7, 13). 412 Parmentier 2008. 410 411
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La biographie de Nicolas, ancrée au cœur de son actualité, est d’une valeur considérable en raison de son étude détaillée de la façon dont Auguste traita, principalement dans ses Mémoires, certaines de ses activités politiques et militaires et celles de ses adversaires politiques en 44 avant J.-C. Inscrite dans un cadre organiciste conjuguant phases ascendantes et phases descendantes, elle offre au lecteur la narration d’un processus d’évolution de la figure d’Octavien. En effet, l’entreprise de l’historien de Damas consista à insérer les évènements historiques à l’intérieur d’un schéma évolutionnel dont le point ultime devait être la victoire d’Actium. Dans une perspective dialectique, le redéveloppement de l’Vrbs s’était traduit par une période de croissance culminant après l’assassinat de César et l’adoption d’Octave, qui incarnait à lui seul la collectivité et personnifiait les valeurs du mos maiorum depuis sa prime jeunesse. Nicolas, dont les valeurs de clémence et d’humanité étaient au cœur de sa pensée, le considérait comme le véritable moteur de l’histoire de Rome post-césarienne et comme un exemplum de concorde, car il fut le seul à même de préserver l’unité civique, condition indispensable à la survie de la cité. À aucun moment dans la Vie d’Auguste, il n’est dépeint comme un adversaire du Sénat, qui représentait toujours le corps législatif de la cité, ou comme un usurpateur, même s’il se méfiait de certains sénateurs. En effet, il se montra capable de respecter les limites institutionnelles fixées par les Anciens ; Nicolas ne s’attarde pas sur le fait qu’il ait ambitionné d’exercer le tribunat de la plèbe. De fait, par l’intermédiaire de son sujet d’étude, la Vie d’Auguste participa sans nul doute à la revitalisation morale de 151
CONCLUSION GÉNÉRALE
Rome et de son Empire, principalement de ses provinces orientales, telle que voulue par le premier princeps. Octavien adopta une position dynastique lors de son appel au soutien des vétérans césariens, et mit en exergue son adoption par César afin d’obtenir le concours de ceux qui s’appuyaient sur Marc Antoine ou sur les césaricides. Bien que l’ultio césarienne fût soulignée dans le récit nicoléen, elle n’en constitua pourtant pas un pilier du moins dans sa partie conservée. En effet, bien qu’il fût déterminé à venger César, Octavien œuvra essentiellement contre le déclenchement d’une nouvelle guerre civile en 44 avant J.-C., ce qui fut salué par le Damascène. Parallèlement, il n’est à aucun moment soupçonné par lui d’avoir voulu concentrer les pouvoirs entre ses mains. En outre, la Vie d’Auguste éclaire les premiers mois de la guerre de propagande survenue entre Octavien et Marc Antoine. Dans ce compte rendu imprégné de dualisme est explicitée la façon dont le premier répudia les accusations d’illégalité et de faiblesse de caractère prononcées par le second. Le pudor, la fides, la pietas et la moderatio d’Octavien contrastaient avec celles de Marc Antoine, le plus souvent représenté comme un être gagné par la précipitation, l’envie et la démesure. La sévérité du ton choisi par Nicolas, principalement dans la section C du texte, pourrait ailleurs être comparée à celle des censeurs, fonction occupée à plusieurs reprises par Auguste dès 18 avant J.-C. A contrario, dès son rapprochement avec César, Octavien fait montre d’une maîtrise de soi hors norme, laquelle lui permit de gérer au mieux sa progression sur la scène politique. De la dialectique temporelle, il sut jouer avec habileté. Ce procédé narratif permettait au Damascène de proposer au lectorat une grille de lecture d’une histoire se déroulant selon un schéma facilement appréhendable ; la lisibilité du sens de l’évolution historique était patente. Par des jeux de miroirs, la dramatisation et des silences assourdissants, Nicolas s’attacha donc à assurer la cohérence globale de sa construction historique en essayant de rendre compte des contre exempla que lui imposait la réalité des faits. Concomitamment, la Vie d’Auguste, dont l’auteur n’a sans doute pas fait mystère de ses ambitions, n’ignorait point les topoi littéraires omniprésents dans les littératures grecque et romaine. En effet, notamment en arguant que le chaos moral ne pouvait 152
CONCLUSION GÉNÉRALE
être annihilé que par la figure octavienne, celle-ci n’est pas dénuée d’idéalisme. Ainsi le contenu idéologique du récit s’avère-t-il presque toujours en accord avec les valeurs défendues par le protagoniste. Nicolas, œuvrant en tant que panégyriste non officiel du prince, lui donna quitus pour la quasi-totalité de ses actions menées jusqu’à la fin de l’année 44 avant J.-C. Le flou entourant certains évènements lui permit sans doute de procéder à quelques déplacements et ajustements historico-narratifs. Il put également compter sur les incertitudes inhérentes à la tradition historiographique pour choisir parmi les variantes celles qui répondaient au mieux à ses intentions. Le fait historique s’est parfois amenuisé afin qu’il gagnât en valeur instructive et tendît le plus possible vers l’exemplum. Nous nous gardons cependant de penser que, par le biais de ces modalités narratives, il procéda à un travail de réécriture de l’histoire. En effet, sa connaissance du monde gréco-romain était réelle, car ses analyses historico-politiques ne sont nullement dénuées de tout fondement ; rationnel au sens moderne du terme, il fit, à l’instar de Plutarque, peu de cas des prodiges. Toujours est-il que nous ne pouvons exclure que l’historien ait perdu ses illusions au fur et à mesure que la réalité autocratique, autoritaire et dynastique du principat se dévoilait, même si la section conservée de sa fresque de l’histoire césaro-augustéenne ne laisse rien transparaître de tel.
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BIBLIOGRAPHIE
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INDICES
INDEX DES SOURCES
INDEX DES SOURCES
90 F 134 24 90 F 136 (1) 24 90 F 137 24, 26 90 F 138 24, 34 App. BC 2 108 2, 36 31 2, 101 125 2, 113 115 2, 115 115 2, 116 117 2, 117 118 2, 117-493 118 2, 119 64 2, 122 121 2, 142-143 122 2, 143-146 122 2, 150-169 79 2, 347-386 79 3, 9 126 3, 10-12 127 3, 11 129 3, 12 128 3, 12-40 140 3, 28 46, 130, 146 3, 28-32 137 3, 31 57 3, 40 141, 142 3, 42 141 3, 88 138
4, 12 87 4, 38 68 5, 102 68 5, 130 48 Ill. 14 39, 49, 50, 60 15 49 18 50 20 50 23 39 26 50 Praef. 12, 46 78 Aristot. Nic. 26, 27, 28, 47 3 26 Pol. 26, 27, 101 Ath. 14, 66 20 Aug. RG 1 145 2 60, 97 5 110 6 110 13 40
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INDEX DES SOURCES
15, 1 124 19-20 110 26 38 30 40 34 110 BJ 1, 445-551 80 Caes. 23, 4 88 BC 2, 7, 3 120 BG 3, 22, 1-4 115 Cic. Arch. 3, 4 101 13 100 Att. 2, 1, 8 133 11, 18 67 11, 21, 1 128 13, 37, 2 133 13, 50, 3 106 13, 51, 2 106 14, 10, 3 128 14, 11, 2 133, 134 14, 12, 2 95, 134 14, 21, 2 58 15, 2, 3 58, 130, 136, 146 15, 3, 2 130 15, 12, 2 95, 136 16, 7, 5 132 16, 8 131, 137 16, 8, 1 58, 137 16, 8, 2 137 16, 9 58 16, 11, 6 137 16, 13 137 16, 14, 2 95, 96 16, 15, 3 58, 67, 126 Brut. 1, 12 68 1, 15 68 1, 17, 5 96, 134
27, 4-5 97 211 93 252 133 Cat. 2, 22 100 Fam. 4, 4, 3 108 6, 13 108 5,12, 4-5 120 7, 25 106 8, 8, 6-8 135 9, 16, 3 133 9, 26, 1 100 10, 24, 5 124 11, 2 58 11, 10, 4 57 12, 2, 2 96 12, 2, 3 132 12, 3 132 15, 7-11 54 Imp. Cn. Pom. 36 100 Off. 1, 63 99 Or. 2, 85 35 Phil. 1, 6 134 2, 91 122 3, 3-32 98 3, 15-16 87 3, 15-17 134 4, 3 137 5, 17 125 5, 38 114 10, 8 132 14, 28-29 134 Planc. 80 96 Q. 3, 17 92 Rep. 1, 1 28, 97 1, 3 147 5, 6 134
170
INDEX DES SOURCES
Corn. Nep. Hann. 1-3 9 Dio Cass. 43 42, 46, 103, 105, 108 43, 30, 1 42 44, 4, 4 115 44, 6 130 44, 11, 3 114 44, 18, 4 117 44, 19 118 44, 19, 5 119 44, 21, 2 64 44, 22, 2 63 45, 1-2 86 45, 2 103 45, 3 126 45, 3, 2 129 45, 3-4 127 45, 5, 3-4 124 45, 6 57, 130 45, 12, 2 146 46, 48-49 97 47, 14 39 47, 24 68 51 39, 40 51, 21, 5 40 53, 7, 1 40 53, 12, 4 40 53, 27 68 54 40, 71 56, 33, 5 39 Diod. 3, 38 41 12 31, 103 23, 15, 1-6 72 39, 64 88 Evag. 12-20 86 F 3 109 44 (10) 132 47 142
57-58 91 50 97 59 91, 92 66 32, 109 85 86 118 (30) 43 124 (7) 89 125 (1) 8, 34, 37, 39, 85 126 (2) 8, 30, 31, 79 126 (3) 8, 76, 87 127 (4) 36, 88 127 (4-6) 101, 149 127 (5) 94 127 (6) 92 127 (7) 94 127 (8-9) 92 127 (11) 99 127 (12) 98 127 (13) 102, 103 127 (14) 43 127 (16) 43, 54, 106 127 (17) 108 127 (18) 99 127 (19) 32, 104 127 (20) 104 127 (21) 104 127 (22) 104 127 (23) 105 127 (24) 105 128 (30) 60, 77, 100, 105, 124 128 (31) 106, 107 128 (32) 106 128 (33) 107 128 (34) 94, 100 129 (36) 8, 98, 100 130 (8) 118 130 (38) 53, 126 130 (39) 126, 127 130 (40) 126 130 (41) 146 130 (42) 146 130 (43) 128 130 (44) 44, 127 130 (45) 43, 127 130 (46) 127 130 (47) 127
171
INDEX DES SOURCES
130 (53) 56, 94, 95, 96, 124, 140 130 (54) 53, 95 130 (55) 129 130 (57) 125, 139 130 (58) 30, 44, 112 130 (60) 65, 113, 114 130 (61) 65, 113 130 (68) 67, 113 130 (69) 113 130 (71) 61 130 (73) 31, 62, 114 130 (74) 139 130 (80) 115 130 (81) 32, 116 130 (82) 116 130 (83) 116, 117 130 (84) 117 130 (86) 117 130 (88) 118 130 (89) 118 130 (90) 118, 119 130 (92) 117 130 (93) 65 130 (94) 66, 121 130 (95) 120 130 (96) 62, 63, 119 130 (99) 121 130 (100) 65, 121 130 (103) 121, 126 130 (106) 45, 63, 68 130 (107) 92 130 (108) 46, 56, 99, 130, 131 130 (109) 140 130 (110) 57, 140, 147 130 (111) 135, 138, 147 130 (113) 142 130 (115) 58, 125, 142 130 (116) 143 130 (117) 143 130 (118) 143 130 (120) 60, 105, 139 130 (121) 143 130 (122) 56, 143 130 (123-124) 144 130 (124) 120
130 (126) 56 130 (126-127) 144 130 (131) 139, 144, 145 130 (135) 132 130 (136) 51, 131, 145 130 (138) 59, 142, 147 130 (139) 131 130 (165) 142 131 (1) 17 131 (2) 16, 17 131 (3) 17 132 25 132 (2) 17, 18 132 (4) 18 134 8, 21, 52, 81 136 (1) 22, 81 136 (2-3) 22, 81 136 (2-4) 80 136 (4) 22 136 (5) 23 136 (5-7) 80, 81 136 (7) 23 136 (8) 33 136 (8-11) 80 136 (10) 23 137 (1) 27 137 (1) 25 137 (6) 28 138 26, 27 Flor. 2, 13, 88-89 108 2, 17, 2 64 2, 30, 39 39 Hor. Ep. 1, 1, 22 93 Od. 1, 12, 46-47 111 Sat. 1, 6, 81 92 Isoc. Pan. 80 101
172
INDEX DES SOURCES
Jos. AJ 14, 9 21 14, 138 70 14, 388-389 69 15, 315 20 15, 343 70 15, 354 20 16, 9 22 16, 27-60 21 16, 160-173 21 16, 180-183 80 16, 181-187 81 16, 182 80 16, 183 24, 79 16, 183-186 24 16, 185 80 16, 271-299 81 16, 313-334 22 16, 370-394 81 17, 1-6 81 17, 9, 5-7 23 17, 225 28 17, 240-249 81 17, 315-316 23 183-186 79 BJ 1, 452-454 22 1, 529 21 1, 552-665 80 2, 1-100 80 Liv. 29-30 99 Ep. 114 108 115 108 117 141, 143 120 97 Macr. 2, 4-5 48 Mart. 4, 8, 6 100 Men. 340, 9-14 86
Nep. Att. 12, 1 67 Oros. 616, 6 108 Ov. F. 760-761 111 F. 850-851 111 Plin. Ep. 3, 1, 8-9 100 5, 5, 3 10 8, 14, 4 92 Plin. Nat. 2, 93-94 51, 130 9, 77 71 19, 144 108 Plut. Aem. 6 92 Ant. 1-2, 2 86 7, 2 19 11, 1 107 13, 1 115 13, 3 122 14, 1 63 16, 1 57 16, 2 130 68 49, 50, 51 68, 1-2 49, 50, 51 87, 1 18 Brut. 17, 4 118 18, 3 121 18, 7 64 18, 11 121 20, 1-4 123 40, 11 68 41 68
173
INDEX DES SOURCES
Caes. 1-2 9 55, 1-4 108 61, 6 114 63, 7 115 66, 10 118 66, 12 119 67, 3 64 Cat. 20 92 2, 2 101 23 31 44, 1 140 45, 1 134 45, 6 52 73, 1 108 Plut. Comp. Dem. Cic. 3, 1 48, 52 Mor. 206 48 Pomp., 53, 4-5 88 Pol. 1, 35, 6 71 Pomponius Dig. 1, 2, 2, 6 103 Q uint. Inst. 3, 7, 15 35 6, 3 48 12, 6, 1 88, 89 Sall. Cat. 9, 2 100 22 121 Hist. 1 38 Jug. 6, 1 101 Sen. Ira 2, 23, 4 108 3, 40, 2 71
Marc. 24 93 Rhet., Suas. 6, 24 71 Suas. 1, 7 68 Serv. Aen. 8, 696 48, 49 Ecl. 9, 46-47 48 9, 46-57 51 Strab. 3, 4, 5 106 15, 1, 73 40 15, 1, 75 21 Suet. Aug. 1-4 86 2 86 2, 1 103 2, 3 52 4, 1 87 5 89 6 89 8, 1 88, 89 10, 1 97 10, 2 57 10, 4 147 26, 1 138 27, 2 87 53, 2 107 64 92, 93 71, 2 53 85, 1 47, 48 89 44, 127 94, 3-4 86 Caes. 6, 1 114 37, 49, 4 108 52, 2 67 76, 1 103, 130
174
INDEX DES SOURCES
81, 4 117 82, 2 118, 119 83 113, 123 83, 1 124 83, 2 123 87 115 Ner. 27 100 Tib. 6 88 T 12 (184) 79 12 (185) 79 12 (186) 79 Tac. Agr. 4 77, 86 4-9 78 10-17 78 Ann. 1, 11, 4 39 1, 13 74 4, 34 68 4, 34, 2 72 4, 34, 4 72 1, 9, 3-4 97 11, 7 68 12, 7, 1-3 74 13, 28, 1 74 Dial. 18, 5 121 25, 5 121 28 93
Tert. Anim. 46 52 Ulp. Dig. 48, 24, 1 48 Val. Max. 9, 11, 5 87 Vell. 2 30, 35, 40, 68, 73, 76, 77, 126, 127, 141, 146 2, 55, 2 108 2, 69, 5 97 2, 89 35, 40 2, 89, 6 30 Verg. Aen. 6, 791-794 40 6, 860 55 8, 626-731 111 8, 681 111 8, 758 111 8, 834-835 111 G. 1, 509 39 Xen. Cyr. 1, 1, 6 103 1, 2, 1 86 90 F 134 24 90 F 136 (1) 24
175
INDEX GÉNÉRAL
INDEX GÉNÉRAL
Actium 20, 47, 109, 151 Agrippa 21, 22, 28, 48, 54, 72, 81, 107, 109, 127, 162 Alexandrie 18, 19, 79, 113, 115 Antipater 16, 17, 23, 28, 80 Apollonie 42, 43, 45, 76, 126, 127, 134, 139 Appien 33, 39, 49, 50, 60, 64, 66, 69, 71, 78, 87, 115, 117, 118, 119, 121, 122, 123, 125, 127, 129, 130, 137, 138, 140, 141, 164 Archélaos 23, 33, 80 Aristote 17, 25, 27, 47, 72, 101 Asie 21, 70, 81, 128, 129, 136, 163 Atia 53, 56, 63, 86, 87, 88, 89, 92, 94, 95 Brundisium 42, 45, 53, 54, 124, 127, 128, 129, 131, 140, 141 Casilinum 45, 58, 131 César 7, 8, 9, 11, 30, 31, 32, 35, 36, 38, 41, 42, 43, 44, 45, 47, 49, 51, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 72, 74, 76, 77, 78, 82, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 94, 95, 96, 97, 99, 100, 102, 103, 104, 106, 107, 109, 110, 111, 112, 113, 114, 115, 116, 117, 118, 119, 120, 121, 122, 123, 124, 125, 126, 127, 128, 129, 130, 131, 132,
133, 134, 135, 136, 137, 139, 140, 141, 142, 143, 145, 146, 147, 149, 151, 152, 157, 158, 159, 162, 163 césaricides 11, 58, 65, 67, 73, 97, 120, 122, 132, 136, 139, 140, 143, 146, 152 Cicéron 28, 41, 52, 58, 67, 68, 69, 72, 86, 93, 95, 96, 97, 98, 99, 100, 106, 108, 113, 120, 121, 122, 123, 124, 126, 128, 130, 131, 132, 133, 134, 135, 136, 137, 138, 140, 141, 146, 147, 158 clementia 59, 73, 107 Cléopâtre 18, 49, 73, 97, 113 concordia 10, 96, 122, 138, 148 Cornelius Nepos 9, 67 Critonius 46, 130 Daces 34, 35, 37, 39, 127 Damas 7, 8, 9, 15, 16, 18, 19, 20, 22, 23, 25, 28, 29, 41, 45, 51, 53, 54, 55, 59, 75, 80, 85, 89, 96, 98, 109, 111, 114, 115, 117, 119, 121, 130, 145, 148, 151, 156, 157, 159, 160, 161 Denys d’Halicarnasse 19, 32, 82, 91, 156 Dion Cassius 33, 39, 40, 41, 50, 63, 64, 66, 86, 105, 108, 113, 114, 117, 118, 119, 123, 124, 129, 146
177
INDEX GÉNÉRAL
Dolabella 56, 140 egypte 18, 19, 20, 97, 111 exemplum 25, 57, 59, 77, 91, 99, 101, 107, 117, 138, 140, 148, 151, 153, 161 fides 10, 91, 100, 101, 149, 152 Flavius Josèphe 7, 8, 15, 20, 21, 22, 23, 41, 69, 79, 80, 81, 160, 161 Forum 61, 63, 102 fragment 7, 8, 15, 17, 33, 41, 43, 49, 50, 52, 60, 68, 71, 159, 162 guerre 7, 30, 35, 36, 47, 48, 49, 58, 59, 65, 69, 71, 73, 74, 99, 105, 109, 110, 112, 113, 115, 119, 124, 128, 144, 148, 152, 159 Hérode 7, 8, 16, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 28, 33, 36, 37, 70, 75, 79, 80, 81, 82, 157, 158, 160, 161, 162, 163 Histoires 7, 19, 29, 32, 33, 37, 40, 47, 61, 68, 71, 72, 75, 82, 91, 92, 109, 132, 142, 161 Illyriens 34, 35, 39 Judée 18, 19, 20, 22, 23, 24, 32, 69, 82, 114 Julie 87, 88, 89 Jupiter 99, 111, 112, 114, 121, 143 Lépide 45, 61, 64, 66, 67, 114, 115, 121, 122, 125 Lupercales 31, 61, 66, 114, 130, 139 Marc Antoine 8, 9, 10, 11, 18, 19, 20, 31, 45, 50, 55, 56, 57, 58, 59, 61, 63, 64, 66, 67, 68, 69, 72, 73, 74, 79, 82, 85, 91, 95, 96, 97, 98, 107, 113, 114, 115, 121, 122, 123, 124, 130, 131, 132, 133, 135, 136, 137, 138, 140, 141,
142, 143, 144, 145, 146, 147, 149, 152 Mémoires 10, 39, 47, 48, 51, 52, 53, 54, 55, 57, 58, 59, 60, 61, 66, 76, 81, 82, 86, 95, 98, 101, 107, 109, 129, 135, 138, 148, 151 moderatio 100, 107, 152 Naples 127, 128, 140 Octave 7, 8, 9, 10, 35, 41, 42, 43, 45, 48, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 73, 74, 75, 76, 77, 82, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 95, 97, 98, 99, 100, 101, 102, 103, 104, 105, 106, 107, 109, 123, 124, 125, 126, 127, 128, 132, 133, 138, 140, 142, 144, 148, 151, 159 Octavien 7, 8, 9, 10, 19, 20, 34, 35, 36, 39, 41, 42, 43, 45, 47, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 63, 67, 68, 69, 73, 74, 76, 77, 78, 82, 85, 87, 95, 96, 97, 98, 100, 101, 102, 104, 107, 109, 114, 123, 124, 125, 126, 129, 130, 131, 132, 133, 134, 135, 136, 137, 138, 139, 140, 141, 142, 143, 144, 145, 146, 147, 148, 151, 152 Pannoniens 34, 35, 37, 39 Paterculus 108 Philippus 53, 54, 88, 89, 90, 92, 94, 95, 133, 134, 158 pietas 96, 97, 100, 110, 114, 149, 152 Platon 8, 17, 72 Pline 9 Plutarque 9, 19, 63, 64, 66, 67, 75, 77, 86, 107, 112, 114, 115, 118, 119, 121, 123, 140, 153, 155, 157 Pollion 69, 71, 72, 73, 74, 75, 79, 82, 155, 156 Polybe 7, 31, 35, 71, 157 Pompée 16, 42, 52, 69, 76, 87, 89,
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INDEX GÉNÉRAL
103, 104, 106, 110, 112, 113, 116, 124, 162 Res Gestae 10, 34, 35, 40, 85, 110, 145 Rhin 37, 38, 39, 40 sagesse 8, 17, 26, 30, 32, 65, 142, 148 sénat 131 Souda 7, 16, 17, 25, 29, 30, 48 Strabon 19, 69, 70, 106 Suétone 41, 44, 48, 50, 53, 66, 76, 86, 87, 89, 95, 100, 107, 112, 114, 115, 117, 118, 119, 122, 123, 127 Syrie 16, 18, 32, 132, 162 Tacite 39, 69, 72, 74, 77, 78, 86, 93, 97, 121 testament 10, 23, 28, 48, 113, 123, 124, 139, 161 Tite-Live 50, 67, 72, 143, 148 tyrannie 9, 133
uirtus 28, 97, 99, 100, 101 Velleius Paterculus 30, 73, 76, 81, 87, 127, 141, 146 vertu 8, 25, 26, 27, 30, 43, 77, 85, 99, 103, 117, 142, 148 Vie d’Auguste 8, 9, 10, 15, 17, 25, 26, 28, 30, 31, 32, 33, 34, 36, 37, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 47, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 75, 76, 77, 78, 79, 81, 82, 85, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99, 100, 101, 102, 103, 104, 105, 106, 107, 109, 112, 113, 114, 115, 116, 117, 118, 119, 120, 121, 122, 123, 124, 125, 126, 127, 128, 129, 130, 131, 132, 135, 138, 139, 140, 141, 142, 143, 144, 145, 146, 147, 148, 149, 151, 152, 161 Virgile 40, 50, 69, 103, 110, 148 Xénophon 17, 86, 101, 115, 149
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