La douceur dans la pensée grecque 2251325662, 9782251325668

Why speak of gentleness in a world dominated by justice and heroism, in which cruel myths and tragedies abound, and in w

326 51 8MB

French Pages 346 [350] Year 1979

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La douceur dans la pensée grecque
 2251325662, 9782251325668

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COLLECTION _':;-:ibliéesous

D'ÉTUDES

le patronage

de

ANCIENNES

l' ASSOCIATION

G UILLA

UME

B UDI!:

LA DOUCEUR

DANS LA PENSÉE GRECQ!!E PAR

JACQUELINE

DE

ROMILLY

Membre de l'l,{{,itut Professeur

au Collège de France

Ouvrage publié avec le concours du C.N.R.S.

SOCIÉTÉ D'ÉDITION

La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part que • les copies ou reproductions strictement réservées à l'u,sage privé du copiste et n~ destinées à une utilisation collective • et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, • toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants ~use, est illicite • (alinéa ter de l'Article 40). Cette représen1ation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les Articles 425 et suivants du Code Pénal.

© Société

d'édition« LEs BELLES

LETTRES»,

ISBN 2.251.32566.2

Paris, 1979

INTRODUCTION

Le projet d'écrire une étude sur la notion de douceur en Grèce peut à rernière vue, sembler mal inspiré. Il réclame en tout cas quelques m~ts e justification. Tout d'abord, on peut juger, non sans raisons, que la notion est floue. On voit bien, tout de suite, une des valeurs de la douceur qui peut t'appliquer à la Grèce : c'est la douceur au sens subjectif du terme, qui lait du doux le contraire de l'amer, le synonyme de l'agréable. Mais ce 11ns, précisément, n'entrera pas dans notre enquête. Il ne sera question loini de la douceur de vivre, ni de tout ce que les Grecs ont pu déclarer doux en ce sens, depuis le fait de voir la lumière jusqu'à celui de se venger. La douceur considérée dans ce livre est une attitude humaine et fllève du domaine de l'éthique. Mais l'attitude en question, une fois écartée cette première ambiguïté, l'est pas aisée à définir. On voit clairement à quoi elle s'oppose : elle est le contraire de la violence, de la dureté, de la cruauté. Mais ses contours restent incertains _ et cela d'autant plus qu'il s'agit de définir un comportement pratique, dont la nature varie selon les circonstances. Au niveau le plus modeste la douceur désigne la gentillesse des manières, la bienveillance que l'o~ Wmoigne envers autrui. Mais elle peut intervenir dans un contexte beaucoup plus noble. Se manifestant envers les malheureux, elle devient proche de la générosité ou de la bonté ; envers les coupables elle devient Indulgence et compréhension ; envers les inconnus, les hommes en lénéral, elle devient humanité et presque charité. Dans la vie politique, ic même, elle peut être tolérance, ou encore clémence, selon qu'il s'agit d"srapports envers des citoyens, ou des sujets, ou encore des vaincus. A la source de ces diverses valeurs, il y a cependant une même disposition à accueillir autrui comme quelqu'un à qui l'on veut du bien • . dans toute la mesure du moins où on peut le faire sans manquer à quelque autre devoir. Et le fait est que les Grecs ont eu le sentiment de ptte unité, puisque toutes ces valeurs si diverses peuvent à l'occasion llre désignées par le mot praos. Il les couvre toutes, et d'autres encore. Seulement il se trouve que la richesse même de ces acceptions invite à le rapprocher d'autres termes qui désignent avec plus de précision telle outelle attitude de l'homme doux. S'il s'agit de modération, on le

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rencontre à côté du mot épieikès ; s'il s'agit d'indulgence, à côté des mots désignant le pardon (suggnômè); s'il s'agit de générosité, à côté du mot philanlhrôpia, qui ne désigne pas exactement la « philanthropie >>, mais selon la définition de J. Festugière1, « une disposition générale de bien~eillance et de bienfaisance à l'égard des hommes>>. Et ces divers mots, à leur tour, peuvent être employés seuls, avec une valeur à peu près équivalente. L'extension de la notion semble croître de proche en proche. À titre anecdotique, on peut signaler que cette étude était partie d'un premier séminaire au Collège de France portant sur «la douceur et l'indulgence dans les textes grecs antérieurs à Aristote>> : on s'est vite aperçu que le thème dépassait les mots étudiés, et le séminaire suivant a porté sur le pardon ; deux ans après, un cours venait s'y joindre, consacré à la clémence. Qui plus est, ces aspects divers que peut revêtir la douceur ne vont pas seuls. Une action douce pourra s'inspirer de sentiments ou de vertus, qui entretiennent avec elle des rapports indiscutables. La douceur peut venir en effet de la pitié que l'on éprouve pour ceux qui souffrent, ou du sens que l'on a des égards dus à autrui, c'est-à-dire de l'aidôs. Elle peut venir aussi d'une attitude générale de réserve ou de modération, c'est-à-dire de sôphrosynè". Elle peut encore s'inspirer de la simple justice, ou bien du refus de tout excès, symbolisé par la maxime delphique c Rien de trop >>.Elle correspond en outre au souci d'user de la persuasion, de viser à la tranquillité, de respecter le bon ordre, les lois, la paix. Il a semblé qu'il y avait un péril assez net à s'engager sur cette voie - péril auquel les ouvrages consacrés à ce genre de valeurs n'avaient pas toujours échappé. Étudier ensemble ces mots ou ces idées pourrait co~tribuer à l'élaboration d'une philosophie de la douceur, mais risquerait, en attendant, de conduire à des méandres sans fin pour un profit fort incertain. On s'est donc contenté des mots cités en premier lieu et normalement associés à la douceur. Encore a-t-on, le plus possible, éliminé toute la part de leur che.mp sémantique qui s'écartait de la douceur. Ainsi la philanthrôpia peut coïncider avec la douceur quand elle désigne la bienveillance ou la clémence; elle s'en écarte au contraire quand elle désigne la générosité ou la libéralité : bien que les deux aspects soient s~~v~nt confondus,. on a tenté de ne retenir que le premier, ou de n ms1ster que sur lm. Tout ceci implique des omissions possibles ou des déviations, des glissements et des chevauchements. Ils tiennent à la souplesse de la (1) La réuélation d'Hermès Trismégiste, II, p. 301.

(2)_A ~e t!tre, elle relève d'études comme celles de Von Erffa (Aidôs und Verwandle Be~r1(fe in ihrer Enlwicklung von Homer bis Demokrit, Philologus, Suppl. XXX, 2, ~eipz1g, 19~7) ou de Helen North (Sophrosyne. Self-Knowledge and Self-Restraint in Greek L1terature, Cornell Studies in Class. Phil., XXXV, 1966). Réunir dans une seule étude toutes ces valeurs est cependant une tâche trop lourde comme le révèle Macurdy (The Quality of Mercy, the Gentler Virtues in Greek la_ tentative de G. J::I· L1ferafure, Yale Umv. Press, 1940, livre autrement fort attachant).

J:i',TRODUCTION

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:i.:-tion. mais aussi à la richesse même de ses acceptions - c'est-à-dire, ~ un sens, à sa vaste portée. . , II arrivera donc que les aspects divers de la douceur se succedent d ~m :.:.apitre à l'autre, en fonction du domaine c~nsidér~. Pourtant, l'umté tie par les Grecs ne devrait pas s'en tradmre moms nettement d3:n~ continuité de la pensée et le retour même des mots. Cette umte ~.;-meure.



.'.\lais, s'il est clair que la notion a_e~isté da?s la pensée grecqu~, on - ut encore se demander si elle méritait une s1 longue étude, et s~ elle i°;ait vraiment importante pour la compréhension de la Grèce anti~ue. Un examen superficiel pourrait suggérer que non. Les Grecs parlaient de justice, ou alors ils parlaient d'héroïsme. Leurs valeurs étaient si i:xigeantes, et si fortement centrées sur la vie collective, qu'ils ne pouvaient pas être très sensibles aux vertus toutes sentimentales qui correspondent à la douceur. Leurs philosophes en parlent peu. Quant à la vision qu'ils avaient de la vie humaine et dont on peut juger par leur littérature, c'est une des plus âpres et des plus violentes qui aient jamais existé. Leurs mythes étaient cruels. L' lliade est un poème de batailles et de mort. La tragédie devait rester le genre cruel par excellence. L'histoire de Thucydide décrit avec un réalisme inégalé les violences physiques et morales d'une guerre sans merci. La vie grecque n'était pas douce ... A cela on peut d'abord répondre que c'est précisément un des intérêts de cette recherche. Car l'épanouissement d'un idéal de douceur, fût-ce en marge des autres valeurs et en réaction contre les habitudes en vigueur, représente un phénomène d'autant plus remarquable. Et il vaut alors la peine de se demander comment cet épanouissement a pu avoir lieu dans un contexte apparemment si défavorable. Mais en même temps cet épanouissement même suggère que la peinture qui vient d'être esquissée n'exprime qu'un aspect de la réalité. C'est celui sur lequel les Grecs ont souvent insisté. C'est celui que les érudits ont eu tendance à privilégier parfois jusqu'à ne plus voir que lui. Et l'on a décrit par exemple le monde d'Homère comme entièrement commandé par l'idée du combat ou de l'exploit et par des valeurs compétitives. En fait, de telles vues supposent une forte simplification. Les Grecs ont cru, même au temps d'Homère, à la douceur. Et une étude de cette notion révèle que, dans la pratique, ils n'ont cessé d'y être de plus en plus attachés. Les deux siècles au cours desquels a fleuri la civilisation athénienne apportent le témoignage d'une poussée puissante de cette idée dans tous les domaines. Sous ses diverses formes, douceur dans les mœurs, clémence en politique, patience, tolérance, sérénité, la douceur a brusquement gagné en importance à la fin du ve siècle. Cela n'allait d'ailleurs pas sans problèmes. Dans le domaine de la cité, la douceur peut vous entraîner à trop d'indulgence, à du laisser-aller. Dans le domaine de la morale, elle devient aisément suspecte : si elle va contre la justice, n'est-elle pas condamnable? si elle correspond à un

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calcul politique, ne se mêle-t-elle pas d'ambition et de perfidie? Carenfin on peut être doux pour séduire ou pour asservir. Le point de vue, des hommes politiqu.es et celui des moralistes sont donc différents, de même que sont différents les points de vue adoptés pour une démocratie, ou pour une monarchie. Le ive siècle a tenté toutes ces voies, mesuré des risques, précisé des distinctions, esquissé des doctrines. Pourtant, à travers tous ces débats, la douceur ne cessait de gagner. Écartée d'un domaine, elle s'épanouissait dans un autre. Bientôt les vertus qu'elle inspire devenaient le symbole de la civilisation et le signe même de la Grécité, opposée à la barbarie. C'est sous ce jour qu'enfin. on les retrouve, partout présentes et fièrement revendiquées, dan~ l'œuvre de Plutarque. À cet égard, on peut même dire que la douceur n'a pas seulement une place à part dans la conscience grecque, à l'ombre de valeurs plus essentielles, mais qu'elle est, en définitive, éminemment caractéristique de l'idéal grec. Sous certaines de ses formes au moins, comme l'hospitalité, la gentillesse, la tendresse pour les enfants, on ne peut d'ailleurs pas mettre le pied dans la Grèce actuelle sans retrouver des survivances de cet idéal, qui a résisté à toutes les misères et à toutes les secousses de l'histoire. En tout cas, l'importance de la notion dans la Grèce antique nous est apparue de plus en plus nettement au fur et à mesure que se poursuivait notre enquête : elle se dégageait de la juxtaposition même des témoignages de toute espèce. Du coup, il semblait raisonnable de ne pas accepter sans réserve les théories souvent formulées, qui entendaient ou bien prêter à des influences étrangères les formes de la douceur prônées par les Grecs, ou bien opposer ces formes grecques à d'autres qui seraient, ailleurs, plus riches et plus en honneur. C'est ainsi qu'il est courant de prêter à des influences orientales les thèmes relatifs a la douceur du roi, qui est pour ses sujets comme un père ou comme un pasteur, et dont la tâche consiste à secourir les humblcH. Quand ces idées se rencontrent à propos des rois lagides, on invoque des influences pharaoniques. Quand elles se rencontrent dans la Cyropédie, on parle d'influences asiatiques. En fait, la générosité orientale, juive ou égyptienne, semble avoir eu un caractère différent de la générôsité grecque, et, comme il est normal en des pays de plus grande inégalité, s'adresser plus spécialement aux humbles 1 • Ces différences se traduiront même dans le sens que l'on a parfois donné au mot grec désignant lu douceur 2• Il a donc pu y avoir, dans des zones de contact entre cultures diverses, des influences et des emprunts. Mais, s'il est vrai que la comparaison jette un jour intéressant sur la douceur grecque, qui n'est, en effet, ni la bonté ni la bienfaisance, cette différence même garantit son originalité, et, pour qui suit, dans leur détail, la suite des témoignages grecs, leur continuité à elle seule en apporte une preuve éclatante. Ainsi, le cas de Xénophon pourrait, à la rigueur, laisser quelque incertitude ; mais on peut avoir bien des doutes (1) Cf. H. Bolkestein, WohlUil(gkeit und Armenpflege im vorchrist. Al!erlum, Utrecht, 1939, 492 pages (dont 220 relatives à la Grèce). (2) Ainsi dans la Septante : cl. ci-dessous p. 310 sqq.

INTRODUCTION

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9urla part de l'Orient réel dans la Cyropédie; et ces doutes se renforcent fluand on constate

que les mêmes idées se retrouvent dans d'autres oeuvres de Xénophon, qui n'ont rien de particulièrement oriental ; et ils le changent en certitude quand on compare ces œuvres avec celles d'Isocrate. Est-il esprit plus purement grec que celui d'lsocrate? Or il va plus loin encore que Xénophon dans sa peinture du monarque idéal 1t de sa douceur. Et sa pensée sur la douceur se présente comme une Naction directe à l'expérience du ve siècle, telle que l'avait décrite Thucydide. Il faut donc bien admettre que le thème de la douceur des rois, s'il a pu, à l'occasion, s'enrichir ou se nuancer lors de certains aontacts avec d'autres peuples, reste néanmoins grec dans son principe. Il se développe en Grèce, d'Homère à Plutarque, avec une pleine autonomie. Et la lucidité avec laquelle, à partir du ive siècle, il est mis en doctrines et en arguments apparaît, elle aussi, comme spécifiquement rrecque. L'impression est la même si, de la bienfaisance orientale, on passe à I'•humanité >>ou humanilas latine. Tout ce que la notion évoque de •olidarité et de réelle civilisation a été admirablement illustré par Cicéron. Ut c'est un fait que le grec n'a pas de mot tout à fait équivalent. Donc 1111découvre, ici encore, une différence intéressante. Pourtant, comme dans le cas précédent, la continuité même des témoignages renforce 1mnsidérablement la portée de chacun d'entre eux et l'on constate que l'évolution qui fait se succéder en grec des mots comme philanlhrôpos, (luis des adverbes plus généraux signifiant ou «de façon peu humaine >>,conduit bien près du sens latin. Les pièces récemment découvertes de Ménandre confirment avec éclat ce que certains avaient écrit à cet égard avant qu'elles ne fussent connues. Et l'examen dlls textes aboutit en définitive à restituer à la Grèce la vraie paternité dns notions qui furent plus tard illustrées par d'autres. Si le mot de tarbarus, dans le latin de Ciceron, désigne un manque d'humanité que 1111Romains opposent à leurs propres mœurs, c'était déjà la valeur donnée en grec au mot ,qui s'opposait alors à l'humanité clémence >>romaine, un terme qui 1recque. Il en va de même de la >. Les Romains ont pu donner à cette humanité ou à cette alémence une couleur qui leur est personnelle : il n'en reste pas moins qu'ils les ont puisées, et très directement puisées, dans l'héritage grec. La coupure, en revanche, est plus grande avec les chrétiens. De la 1lmple douceur, dont se réclamaient les Grecs, à la charité pure ou bien l l'amour pur, il y a un abîme. Comme les autres et plus que les autres, aatte différence permet donc de mieux saisir ce que la douceur grecque a dnspécifique. Elle permet aussi de percevoir les limites d'une morale qui 111 donne toujours plus ou moins la cité pour cadre, même quand les 11ltésn'ont plus grand rôle à jouer. Pourtant, ici encore, si la douceur rrccque paraît bien modeste au regard de l'amour chrétien, on est surpris dn voir combien les auteurs chrétiens ont en fait emprunté à la tradition 1rccque. Les Pères de l'Église, les évêques, les empereurs, ont adopté sa

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terminologie et reproduit ses argumentations. La douceur grecque, pour éloignée qu'elle soit de l'idéal chrétien, finit ainsi par pénétrer la pratique et la morale chrétiennes. La douceur qui, au début, se glissait dans la pensée grecque un peu comme une intruse, se présente donc en fin de compte comme un thème essentiel de cette pensée. Et son étude doit préciser tout ensemble les idées couramment reçues sur la morale grecque en général et sur SOtJ rapport avec les autres cultures avec lesquelles elle s'est trouvée eti relation. Il se peut que ce rayonnement de la douceur soit en outre un sujet de méditation assez approprié en une époque aussi inhumaine que la nôtre : il va sans dire que cet intérêt additionnel, s'il existe, ne constitue qu'une heureuse rencontre. Les justifications d'ordre scientifique étaient, on lfl voit, suffisantes par elles-mêmes pour inviter à entreprendre une telle étude.

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La tâche était donc séduisante : elle était cependant difficile. Tout d'abord, il importe de prendre conscience du fait que l'image de la douceur grecque retracée dans le présent ouvrage sera nécessairement incomplète et tronquée, par la faute même de nos sources. Le plus important, lorsqu'il s'agit de valeurs concernant les relations entre personnes, serait en effet de cerner la place de la douceur dans la, vie quotidienne et dans les jugements courants portés sur la conduite des individus. Or ce n'est presque jamais ce que les textes nous apportent. Certains traitent de la vie des héros mythiques, pour qui assurément la. douceur compte assez peu. D'autres retiennent des exploits plus récents, qui, dans le principe même, supposent plus d'héroïsme que de douceur. Enfin les auteurs mêmes, qui s'occupent de morale auront souvent tendance à parler avant tout des vertus les plus hautes, et les plus indiscutables ; or la douceur n'est pas du nombre. Qui plus est, la plupart de nos textes sont politiques : émanant d'historiens ou d'orateurs, de théoriciens de la politique ou bien de philosophes, ils parlent assez souvent de la douceur, a propos des relations entre les citoyens, ou bien entre les cités, ou encore à propos des devoirs des rois. En ce domaine les témoignages sont nombreux. Et force est de les suivre. Mais il est clair que, de ce fait, on privilégie nettement certaines formes de la douceur, qui ne sont pas a priori les plus séduisantes, ni les plus profondes. En tout cas elle ne concernent pas la vie quotidienne et les rapports privés. Il en va naturellement de même des témoignages épigraphiques. Les actes officiels ont peu de raisons de mentionner la douceur, si ce n'est celle d'un souverain ou d'un haut fonctionnaire, par conséquent - encore une fois - une douceur d'ordre politique. Seules les inscriptions funéraires pourraient nous faire entrer dans la vie des familles ; mais la brièveté qui est la leur à l'époque classique et le caractère stéréotypé qu'elles conservent pendant toute l'antiquité, rendent leur témoignage

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bien décevant. Qui oserait juger de notre vie et de nos mœurs d'après deséloges publics? À cela s'ajoute que des témoignages plus abondants resteraient fort difficiles à utiliser. Car il est malaisé de juger un comportement moral dans une société qui n'est pas la nôtre, et dont seuls certains aspects affleurent. Parlera-t-on de douceur pour un homme affectueux avec ses infants, mais qui possède des esclaves dont il ne se soucie pas? ParleP&-t-on de douceur pour un homme amical et hospitalier, mais qui peut-être est brutal ou méprisant avec sa femme ou ses parents? Chaque 1lvilisation, chaque milieu social, chaque époque, a ses habitudes, qui jouentdans des registres complexes et pour lesquelles les appréciations 11nt nécessairement relatives. Dans le domaine moral, on ne peut donc étudier avec quelque profit quece que les hommes de telle ou telle époque ont dit et pensé : les turements lucides sont plus aisément compréhensibles et comparables •Ue les pratiques de fait. Et ceci nous renvoie une fois de plus au domaine •u'ont retenu les textes grecs, c'est-à-dire au domaine politique. Cette déformation et cette lacune étaient donc inévitables. Elles p.. ent tout particulièrement sur notre troisième partie, où la vie privée 1111cupe les chapitres limites, avec Ménandre et Plutarque, mais où tout 111qui les sépare est d'ordre politique, comme le sont nos sources.

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Cette obéissance aux textes implique en outre une seconde difficulté ni, une seconde déformation possible. l)u fait que nous considérons ce que les Grecs ont écrit à propos de la 1lu11ceur- et, par suite de la douceur en politique - ces écrits risquent 1111nous entraîner sur des voies un peu suspectes. Ce sont souvent des ~111•its de circonstance. Et ils ont toute chance d'être teintés soit de l11111ulité, soit d'hypocrisie, soit des deux à la fois. Faire la leçon à un •nuverain, louer les vertus de la clémence, exalter la générosité de sa 11ruprecité, sont autant de lieux communs. Peut-être l'auteur n'était-il ,111'/imoitié persuadé du bien-fondé de son éloge. Peut-être trouvait-il 1111portunde répéter des thèmes depuis longtemps rebattm. C'est un peu 1•11111me si l'on prenait pour une doctrine les éléments d'un programme tll'oposé à des électeurs. Muis, du point de vue de l'histoire des idées, cela importe-t-il? l ,'l111portant est que l'opinion ait attendu ces thèmes et non pas d'autres, l'on ait été nourri, formé, conditionné par ces arguments et non par , '1t11Lres.Les lieux communs appartiennent de plein droit à l'histoire 1l11M idées et des valeurs. Les mensonges officiels aussi. Au reste il faut se montrer prudent. Avec les Grecs, on a souvent un 111111 vite fait de crier au lieu commun. Car un lieu commun a eu ses ,l.h11Ls.Il a été à l'origine une pensée neuve et originale. Seul le succès 1'11rendu banal. Il en est souvent ainsi de la pensée d'lsocrate, parce 1111'111le se veut raisonnable plus que personnelle, et parce que, lue,

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adaptée, imitée, reprise par Cicéron et par bien d'autres, elle a acquis valeur de rengaine. Mais elle n'était pas rengaine en son temps. Autrement dit les lieux communs nous intéressent dans la mesure où ils portent témoignage sur la vogue d'une idée ; mais ils nous intéressent aussi à l'heure où ils apparaissent, et où ils sont, dans toute leur jeunesse, de futurs lieux communs. On rencontrera dans le livre trop de douceur politique : la faute en est aux auteurs grecs. On y rencontrera aussi des pensées d'apparence banale : la faute en est à leur succès ; et ce caractère d'apparente banalité ne fait que confirmer l'importance qu'elles ont acquise .

.• . La méthode à suivre pour une telle enquête était de toute évidence chronologique : seule une série chronologique liant ensemble historiens et philosophes, poètes et orateurs, peut faire apparaître la continuité à laquelle il a été fait allusion. En outre, la suite chronologique se lit, comme si souvent, mais plus encore ici qu'ailleurs, sous la forme d'une aventure intellectuelle, avec ses phases bien distinctes. Jusqu'au début du ive siècle on assiste à une naissance. On voit apparaître, timidement d'abord, puis en plein éclat, les différents mots désignant la douceur et les notions voisines. Ils s'ouvrent une place dans le monde clos de la stricte justice. Ils gagnent du terrain là où le droit brutal du plus fort finit par en perdre. Et peu à peu ils s'entourent d'un reflet brillant, dont Athènes aime à se parer. Après cette période de découverte, qui se remarque si nettement dans le vocabulaire, vient l'âge des doctrines. On cherche à situer cetLe douceur, nouvelle venue parmi les vertus. On en mesure les beautés et, les risques dans l'intérieur de la cité, et dans les rapports entre cités. On aperçoit ses mérites dans le cas de ceux qui ont la force pour eux:, conquérants ou souverains. Enfin on tente de lui donner un statut dans l'analyse théorique, ce qui n'est pas aussi aisé que de la recommander dans le domaine pratique. On n'y arrive pas avant Aristote. Avec lui, et avec la fin de la vie des cités, les perspectives changent. Les relations privées prennent le pas sur les liens proprement civiques ; et le théâtre de Ménandre est un théâtre de la douceur. Mais, en mêm ~ temps, dans le domaine politique, l'existence des monarchies hellénistiques puis celle de l'empire romain constituent un terrain de choi::-.c pour la douceur des puissants. Toute l'époque qui va de Ménandre à Plutarque est celle de la doucelI. l" triomphante. Et l'œuvre de Plutarque en marque l'apogée. Deux chapitres, avant et après cette longue série, ont été traités ~ part, sous la forme d'un prologue et d'un épilogue. Le prologue est relatif à Homère. Il eût mérité plus et mieux. Car L~ présence de la douceur dans l'épopée en est un trait remarquable et tro ::il peu remarqué. Deux raisons expliquent que l'étude soit traitée de faço~ marginale. La première est qu'une thèse de troisième cycle est en courl:'3,

INTRODUCTION

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réeisément sur ce sujet, et lui donnera sa véritable importancei. La conde est qu'après Homère il y a, à cet égard comme à bien d'autres ne coupure. Ni les conditions sociales, ni la morale, ni le vocabulaire' e seront plus les mêmes ensuite. Et les Grecs, pris dans la dureté d; âge archaïque, de ses luttes et de ses mythes, auront ensuite à redéuvrir la douceur qu'Homère, en des temps révolus, avait été le premier célébrer. L'épilogue est relatif aux chrétiens. Plus encore qu'Homère, le hristianisme aurait mérité plus et mieux. Car on est désormais à une poque où tous, païens et chrétiens, parlent de douceur, avec insistance. ais, précisément pour cette raison, des études importantes ont déjà é publiées, pour l'époque en question, sur cette notion ou du moins r les notions voisines 2 • De plus, comme pour Homère, on assiste à une rtaine rupture de continuité. Le christianisme a commencé avant lutarque et les auteurs grecs ou latins l'ignoraient. Lorsqu'il apparaît us forme littéraire, il nous offre un mélange de traditions grecques, ou ives et de doctrine chrétienne. Un nouveau monde spirituel a commencé endant que Plutarque illustrait, avec tant d'éclat, ce que représentaii héritage des valeurs grecques traditionnelles. Il faut d'ailleurs reconnaître que la méthode et les difficultés ncontrées n'étaient pas les mêmes dans les diverses parties de l'enquête que les conditions changeaient au fur et à mesure que la douceur agnait du terrain. En dehors de quelques études générales portant sur l'emploi de rtains mots 8, le champ à explorer était à peu près vierge pour les eux premiers tiers de l'étude. Les témoignages mêmes y étaient assez res pour que l'on pût les relever à peu près tous, mesurant avec soin terrain gagné à chaque fois. Toute cette partie est donc assez détaillée représente une enquête presque toujours neuve. En revanche, dès e la notion a conquis ses lettres de noblesse, on rencontre des articles des chapitres de livres relatifs à la place de la notion chez chacun des uteurs considérés, ou encore dans les documents épigraphiques et apyrologiques. En même temps, le nombre des témoignages interdit de s considérer tous. Il interdit même de faire une place à chaque auteur. a première partie suivait une piste d'après des traces trop rares : la conde tente de dessiner des perspectives en élaguant dans une végétion trop touffue. Le problème est alors de savoir choisir. Il est aussi e voir si la considération d'une longue série chronologique ne jette as parfois un jour nouveau sur certains des problèmes d'interprétation, onsidérés jusqu'ici à propos de chaque auteur isolément. (l) Ce travail est actuellement poursuivi par Mil• F. Bardot, agrégée des Lettres. (2) Ces études portent surtout sur la notion de philantrôpia et sont particulièreent nombreuses en ce qui concerne Plutarque, l'entourage de l'empereur Julien et monarchie byzantine. On les trouvera mentionnées en leur place. (3) Sur la philanlhrf>pia ; S. Lorenz, De Progressu Nolionis I philanlhropia •, In. iss. Leipzig, 1914 (60 pages), S. Tromp de Ruiler, De vocis quae est qnÀcxv8pc,m(cx gniflcatione atque usu, Mnemosyne, 59 (1932), 271-306, R. Le Déant, • PhilanrOpia • dans la littérature grecque jusqu'au Nouveau Testament (Tite, III, 4), élanges E. Tisserant, 1964, I, p. 255-294.

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LA DOUCEUR DANS LA PENSÉE GRECQUE

Parmi les choix et les rejets, il en est deux qui sont particulièrement contestables et doivent être au moins signalés. Tout d'abord, on a ici écarté les témoignages latins, ou plutôt on ne les a mentionnés qu'en passant et comme point de comparaison. Pourtant, il vient un moment où entre le latin et le grec se fait un échange perpétuel. Des historiens grecs ou romains racontent les mêmes faits. Des traités grecs ou romains exaltent les mêmes vertus. On a cependant pensé que la notion même de >excluait de franchir les limites de la langue : autrement, jusqu'où ne serait-on pas allé? D'autre part, même à l'intérieur du cadre grec, on a, de façon plus arbitraire encore, renoncé à considérer les auteurs païens postérieurs à• Plutarque : s'ils ont été mentionnés, c'est, ici encore, en passant et comme point de comparaison. L'étude, certes, serait à faire. Mais notre propos était ici de décrire une progression ; et il a paru légitime d'arrêter l'évocation lorsque cette progression atteint un niveau qui ne pouvait guère être dépassé : c'est ce qui se passe avec Plutarque, pour le double domaine de la politique et de la morale. Sans compter que plus on allait et plus il devenait difficile d'isoler une pensée grecque soumise à des influences sans cesse multipliées, et inévitablement chargée d'imitations, de redites et d'artifices. Toujours est-il que ces divers choix, justifiés ou non, ont présidé à ln. : composition de l'ouvrage. On a essayé de le rendre lisible pour des lecteurs qui ne seraient pas , hellénistes. Sans doute y a-t-il des discussions de sens et de traduction qui leur paraîtront oiseuses ; mais nous ne pouvions les omettre : un des intérêts d'une étude de notion n'est-il pas de permettre, par la comparaison, de préciser ou de rectifier la signification même des textes? Pourtant, ce qui vient d'être dit du rôle de la douceur dans la pensée morale et politique permettait d'espérer que les spécialistes ne seraient pas les seuls à pouvoir tirer profit de la lecture du livre. Ce double souci se retrouve dans la présentation matérielle du texte, et le procédé employé ici a doublement besoin d'excuse. Normalement, les mots grecs correspondant aux termes essentiels ont été transcrits en caractères français. Comme ils reviennent de façon constante et qu'ils donnent aux citations une valeur beaucoup plus précise\ il eût été à la fois coûteux et lassant de les écrire chaque fois en grec. On a même admis qu'un lecteur ne sachant pas le grec finirait par discerner sans embarras le sens d'expressions comme «la praolès •>, «la philanthrôpia •>,etc. En revanche, les citations proprement dites ou les mots moins souvent employés ont été laissés en caractères grecs, afin d'éviter la laideur et l'obscurité des transcriptions. Un problème se posait d'ailleurs pour la graphie du mot principal désignant la douceur : faut-il écrire 1tp~oç, ou bien 1tp~oç avec un iota. (1) Nous avons en général indiqué entre parenthèses le mot grec employé dans lo texte cité. Il peut arriver que ce mot, s'il est transcrit au lieu d'être écrit en grec, ne soit pas donné dans sa forme grammaticale exacte (pour son cas, en particulier) ; il s'agit là d'un souci de clarté et d'élégance formelle, qui a paru sans inconvénient seul le choix du mot est en etlet intéressant.

1

INTHODUCTION

~

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uscrit? La seconde orthographe est nettement la plus répandue, du oins dans les manuscrits 1 • D'après l'avis de Pierre Chantraine, elle est probablement pas la meilleure ou la plus ancienne. Quoi qu'il en ,oit, il a paru quelque peu ridicule de respecter ici l'usage de chaque auteur ou de chaque éditeur. Pour simplifier, il fallait unifier. Il a paru P.lus.facile et aussi plus en_ accord a~ec la vra_isemblance historique il'umfier dans le sens de 1tpcxoc;,sans 10ta souscrit, et surtout d'écrire, ln transcription, praos. Cela ne veut pas dire que nous suivrions cette orthographe en d'autres circonstances, ni que nous la jugeons toujours \'raisemblable. - En vertu du même principe, nous n'avons pas signalé les cas où étaient employées les formes 1tpocOc; et 7tpYjOc; ou bien 1tpotOTI)c;, ainsi que les formes correspondantes du verbe et des composés. Quant aux traductions, afin de ne pas sembler solliciter les textes, nous les avons empruntées, de façon systématique, à la Collection des Universités de France, quand les éditions existaient. Quand elles n'existaient pas encore, nous avons donné une traduction personnelle2. Lorsque nous avons procédé autrement, l'auteur de la traduction citée 1 été mentionné en note.

(1) Les inscriptions écrivent normalement rrpocoç. (2) Les traductions de Polybe sont celles de D. Roussel (la Pléiade).

PROLOGUE

LA DOUCEUR DANS HOMÈRE

ttu

En préface à l'étude de la douceur dans la Grèce classique, une mise point est nécessaire. En effet, les études récentes sur la morale homérique, en insistant sur l'idéal héroïque et la morale guerrière, ont, temble-t-il, méconnu la place considérable qu'occupait la douceur dans 11monde de l'épopée. C'est ainsi que le livre, désormais classique, de A. W. H. Adkins, Merit and Responsibility, A Study in Greek Values jOxford, 1960) n'y fait pas allusion. Et l'on ne trouvera dans !'Index dece livre aucun des mots désignant la douceur ou l'indulgence. Cependtnt ces mots sont bien attestés dans l'épopée; en particulier le mot (16 attestations) ~Loc:;y est attesté vingt-cinq fois - sans parler d'&yocv6c; et, de ses composés comme cxyocv6cppwv et &yocvocppocruv"fJ1, sans parler non P.lusde µdÀLxoc;(4 attestations) ou de µeLÀLXLoc; (27 attestations), ni i'autres mots comme µocÀocx6c;, yÀuxuc;,ÈV"fJ~c;,, ou de leurs contraires, 6't-YJv~c;, xocÀerr:6c;, VYJÀ~c;. Le simple examen du vocabulaire montre donc ~len que ces valeurs n'étaient nullement inconnues de la société homérique2 • Si l'on a trop souvent négligé leur existence, c'est sans doute parce que l'Iliade est, selon le titre d'une étude de Simone Weil, «le poème de la force 1>8 • On y voit s'affirmer dans toute leur dureté la violence, la 1Duffrance et la mort. Pourtant l'impression générale n'est point une Impression dure ; et la description qui est faite de tous ces actes de ,lolence est constamment empreinte de pitié. C'est au reste ce que flconnaissait vers la fin l'étude qui vient d'être citée : elle montrait que etout ce qui est absent de la guerre, tout ce que la guerre détruit ou ftlr.naceest enveloppé de poésie dans l'Iliade>>et qu'uneet non pas « Le triomph_ 1 • Or il en est de même pour l'épopée dans son ensemble, ca_ d'Achille >> l' lliade se termine par un double deuil : jeux funèbres en l'honneur >, dit Télémaque à II, 47, (II, 234). Athéna répète la même formule à V, 12. Et Eumée se plaint qu'il ne retrouvera jamais un maître aussi èpios (XIV, 139). La description Car c'est Ulysse qu'il fait de ce maître est chaleureuse, affectueuse : >... > (XV, 490 : èpiou) : le mot est même détaché, en début clevers, avant une ponctuation. C'est le mot qui résume tout. Cette douceur, caractéristique de la royauté patriarcale, s'étend d'ailleurs à d'autres relations humaines. Les vrais héros la font rayonner llutour ù'eux, puisque Priam était pour Hélène 1toc-djp3' &ç ~moç octe:(, 1l que, si ses beaux-frères ou leurs sœurs ne l'étaient pas, Hector savait his retenir, par sa douceur et ses mots apaisants (lliade, XXIV, 772 : cm'î ocyocvoqipocrUV7J xocl.O'OLÇ IX)'OCVOLÇ hée:crm). En réponse, ceux qui sont traités avec douceur leur sont dévoués. Le vieil Eumée est dévoué pour ses maîtres ; et Homère dit qu'il a des ,ensers ~moc (Odyssée, XIII, 405; XV, 39; 557). Déjà s'annonce ainsi n réciprocité qu'entraîne la douceur, et qui deviendra un des arguments par lesquels on la recommandera à l'époque classique. Ces emplois sont donc révélateurs. Ils expriment un certain idéal 1olitique et humain. Et le mot continuera à traduire le même idéal chez 1f\S écrivains postérieurs jusqu'à la fin du ve siècle. Hésiode ne l'évoque 1111s à propos des hommes : il dit seulement que Nérée était >et qu'il ne connaissait que des pensées «justes et douces >> un retrouve les rois humains avec Hérodote : montrant que Cambyse ~tait un despote, mais Cyrus un père pour ses sujets, il dit du premier 11u'il était dur envers eux, du second qu'il était èpios (III, 89, 3). De 111êmeMykérinos, chez les Égyptiens, était èpios pour son peuple, allant jusqu'à donner de son bien pour consoler ceux qu'irritaient ses sanctions; 11ussiles Égyptiens le louaient-ils plus qu'un autre (Il, 129). Même Périandre, au début, était que son père (V, 92, ~' 1). Et

l

(1) Théogonie, 235-236. Les deux autres emplois d'Hésiode sont peu intéressants; Voir tou lefois, pour Léto, page 39, note 1.

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LA DOUCEUR DANS LA PENSÉE

GRECQUE

Hérodote signale volont.iers que les rois ou les chefs répondent ((avec douceur>> au lieu de s'irriter 1 • Si la tragédie se contente surtout des emplois traduisant les rapports familiaux 2 , on retrouve dans la littérature de la même époque un' souvenir de cette douceur qui fait régner l'harmonie au sein de la collec-tivité : il concerne les emplois du mot èpios dans l'œuvre de Thucydide. En effet, si l'un est appliqué au traitement plus doux que Nicias attend des dieux 3 , les deux autres emplois s'appliquent à la vie de la cité mais, par un trait bien caractéristique, ils concernent toujours le rapports régnant ou devant régner à l'intérieur du groupe, ou de la: famille, que constitue Athènes. Périclès veut ramener les Athéniens irrités à plus de douceur (II, 59, 3: 1tpoç-c-à"Y)1tt6)-c-e:pov) ; et, en 411, a fore d'efforts et de promesses, on obtient que le peuple, d'abord exaspér par la lutte contre les Quatre Cents, devienne «plus doux>> et songe un peu plus au salut de la cité dans son ensemble (VIII, 93, 3). Aristophane lui aussi emploie le même mot pour qualifier l'attitude qu'il attend des Athéniens en général ; mais, comme Thucydide, il semble en réserver, l'application aux rapports entre citoyens, puisqu'il ajoute : (Paix, 934-936 : 1tpix6-c-e:po~) • Après quoi le mot disparaît pratiquement dans la langue classique. On en retrouve bien trois exemples chez Démosthène (dont un qui qualifie précisément la douceur que doivent montrer entre eux les Athéniens, dans le Contre Timocrale, 193), trois chez Platon et deux chez Aristote, appliqués le plus souvent au domaine médical ou animalli. Mais le mot ne figure plus ni chez Lysias, ni chez Xénophon, ni chez Isocrate, ni chez Eschine. Il ne figurera même plus chez cet avocat de la clémence qu'est Polybe. On peut penser que cette disparition tient en partie au fait que cette conception toute patriarcale de la douceur n'avait plus place dans la cité de type nouveau qui s'était alors instituée. Le mot devait rester lié à l'affectueuse solidarité régnant dans les clans du: passé. Il devait pourtant reparaître - mais dans une Grèce qui n'était 1 plus régie par les relations civiques et où revenaient au premier plan les (1) Ainsi Xerxès, à VII, 106, 1, ou Thémistocle à VIII, 60, l. (2) Cf. Euripide, Alceste, 310 (une belle-mère ne l'est pas), et fr. 960 (un père pour ses enfants) ; de même Troyennes, 63 (entre dieux auyyeveî~). Il y a aussi, en dehors' des emplois signalés ci-dessus, l'application aux dieux vis-à-vis des hommes (Phi/oc-' tète, 737; Bacchantes, 861). Mais le mot peut avoir une acception plus générale: dnns: un fragment de !'Érechthée d'Euripide (362 N 1 ), l'adjectif vaut dans tous les eus,! puisqu'il caractérise les sentiments qu'un père recommande à son fils (c'est du reste,, et le fait vaut d'être noté, le premier des conseils qu'il lui donne). 1 (3) VII, 77, 4. (4) Le sens de ~moc;;semble plus étendu dans l'autre emploi qu'en fait Aristophane, lorsque Bdélycléon demande que son père soit • doux • pour les gens ( Gu~pes, 879 : ijmov -.oîc;;&v8pC:mou;) ; mais il est clair par le contexte qu'il s'agit de son rôle de juge, qui l'apparente aux rois. (6) Encore peut-on relever que dans !'Histoire des animaux d'Aristote (619 b 24) il est dit que l'orfraie qu'elle est ijmoc;;xc,.1-.d: -.éxvcx èx-rpÉ> (35 : •miv~c;)4. Aussi, quand Patrocle mourra, ce sera un concert de regrets iur sa grande douceur. Ménélas s'écrie ainsi : (671). Le mot désignant la «bonté» de Patrocle est lvc(Yj,qui correspond à l'adjectif èv11~c; ; et cet adjectif ~'applique au 1111'me Patrocle à XVII, 204, XXIII, 252 et 648. Quant au mot signifiant ( 1) Voir ci-dessous p. 276 eqp. 314. Il y a eu quelques emplois exceptionnels dans l'lnlcrvalle - sans compter les textes où revient en honneur la tradition de la royauté tl'IJlysse - comme chez Philodème qui cite la formule mx:'t'l)p&,;;~moi;; ~e:v : cf. citJp11ous,p. 261. - A propos d'Ulysse, on remarquera que la douceur lui est assez 1111.urellementattribuée dans la littérature classique : son humanité apparait, chez llnphocle, dans le contraste avec Ajax: cf. ci-dessous, p. 85-86; le duri ... Ulixi del' Énéide p, 1 t1, entièrement isolé par rapport à la tradition grecque. ('l) Circonstance remarquable, les traits d'Apollon et d'Artémis sont qualifiés par 1, même adjectif (lliade, XXIV, 759; Odyssée, III, 280; V, 124; XV, 411), même l11r•11u'ilstuent. On peut penser que c'est parce que ces traits donnent une mort ttrnmpte et sans douleur, car le passage de l' lliade évoque une telle mort à propos titicadavre d'Hector: , le teint frais, comme si la vie venait seulement de t'abandont1Pr ,. Pénélope parle de même de la douce mort (µixÀixxov)qu'Artémis pourrait lui 1l1111ncr, et qui viendrait comme le sommeil. (:1) Cela ne veut pas dire que les chefs ne sachent pas se montrer tiyixvot soit dans 11vll' privée (Jliade XXIV, 772: Hector pour Hélène; Odyssée, XI, 203 : Ulysse pour 11 1nère; XV, 53 : tout seigneur pour ses hôtes), soit dans le maniement des hommes 1/11111le, 11, 164; 180; 189; IX, 113). l·1) Le poète confirme ce trait de caractère en disant : , Il ne s'agit pas ici d'un 1t111111 ne doux et facile (Iliade, XX, 467 : y).uxu8uµoi;;... où8' tiyixv6q:ipwv).

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LA DOUCEUR DANS

LA PENSÉE GRECQUE

«doux», c'est µd1.txoc; : il s'applique encore à Patrocle à XIX 300. Là ce n'est plus Ménélas qui pleure l'ami d'Achille: c'est Briséis, qui rappell qu'au plus fort de son malheur elle trouva en lui de la bonté : «Tu n me laissais pas pleurer; tu m'assurais que tu ferais de moi l'épous légitime du divin Achille, qu'il m'emmènerait à bord de ses nefs e célébrerait mes noces au milieu de ses Myrmidons. Et c'est pourquo sur ton cadavre je verse des larmes sans fin - toi qui étais toujours s doux 1»1 . Cette courtoisie gracieuse faisait sans doute elle aussi partie d'un certaine civilisation, alors en plein épanouissement. Toujours est-il qu le vocabulaire qui sert à l'exprimer ne devait pas durer plus que l famille d'èpios : les mots meilichos et meilichios ne sont plus guè employés, après le lyrisme, que dans le vocabulaire religieux ou dan des textes poétiques tardifs : Apollonios de Rhodes l'emploie, et le inscriptions tardives également (de même encore l'adjectif contraire apènès, se retrouve en grec tardif, mais est des plus rares en attique) Cette éclipse confirme que la douceur de Patrocle sembla longtemps lié à la civilisation homérique, comme celle d'Ulysse : la vie civique n'olTrai plus de place pour ce genre de douceur. Ces deux séries d'exemples et ces deux héros, qui, chaque fois, leu servent de prototypes suffisent à démontrer la présence de la douceu au sein même de la guerre homérique. Mais on peut aller plus loin : o constate en effet que cette douceur n'est pas seulement évoquée à propo de tel ou tel personnage, mais prônée et défendue pour elle-même, alor que l'excès de combativité est franchement blâmé. Si Patrocle s'en prend à la dureté d'Achille, il faut en effet rappele qu'Achille lui-même s'était plaint, en termes similaires, de la durd ' d' Agamemnon, ce roi (Iliade, I, 340 : cx7t1Jvéoc;), donL 1 ', colère devait coûter si cher aux Achéens. Et, dans l'Odyssée, la doue patience de Télémaque s'oppose à la violence des prétendants. D'Antinoos, Télémaque dit : « Tu sais qu' Antinoos est toujours querelleur, et ~e aigres propos (:x,OCÀe1toî:crw) excitent tous les autres» (XVII, 394-395). À.. Eurymaque, Ulysse dit de même : «Tu n'es qu'insolence en ton cœu sans pitié>> (XVIII, 381 · CX7t1Jv1Jc;). Mais surtout - et c'est là le trait le plus important - on voit d> (Iliade, VI, l~-16). Dans de tels cas, le scandale de l'ingratitude suggère que la gratitude ,,l'lt été normale. De fait, Pénélope le dit expressément - dans un passage qui, au 1·n11te,a parfois été considéré comme une addition postérieure ; c'est lorsqu'elle déclare qu'il faut bien traiter le mendiant, qui se révèlera 11'être autre qu'Ulysse. Le texte dit, dans la traduction de V. Bérard : • À vivre sans pitié pour soi-même et les autres, l'homme durant sa vie 11nreçoit en paiement que malédictions ; et, mort, tous le méprisent. À vivre sans rigueur pour soi-même et les autres, on se gagne un renom 1111cl'étranger s'en va colporter par le monde, et bien des gens alors v1mtent votre noblesse >>(XIX, 329-334). Il est évident que la traduction 1••t ici singulièrement libre. Celui qui vit est en fait cx.miv~c; ; ni. les mots ne sont qu'un commentaire 1111rle redoublement d'expression qu'emploie le grec: ac; µè:vCX.mJVYJ est impropre ; et le redouhhiment sert seulement à insister sur l'idée de douceur, en joignant à la 1IIMpositionpersonnelle de l'homme les sentiments qui en sont l'effet et l'nxpression. Il faudrait donc dire : .D'autre part, celui qui est, selon la traduction, 1 mns rigueur>> est seulement en grec cx.µuµwv,c'est-à-dire ; et le parallélisme est le même que dans l'autre membre de 11hrase : . La différence est importante : elle permet de constater que la douceur, 1111l'absence de dureté envers autrui font partie de la vertu, et de ce que l'on attend du héros, de l'homme fo6:Mc;3 ; l'homme irréprochable 11'opposeà l'homme dur. Et le texte fournit une argumentation en faveur tir• la douceur, que les siècles postérieurs allaient reprendre et étoffer. t:11rl'homme dur en pâtira, dans sa vie et après sa mort; tandis que l'l1omme qui n'est pas dur recueillera le fruit de sa vertu. La douceur, 111bienveillance et l'humanité ont ici pour effet et pour récompense l't•Ktime d'autrui et le bon renom, tout de suite et à jamais. Pénélope 111,va pas jusqu'à dire qu'un tel renom peut être utile ou avantageux;

( 1) Le mot grec est xcxÀe:n-6ç 1 (2) Cette traduction est contestable : cf. A. A. Parry, Blameless Aegisthus, A Study ••f~µuµ(,)v and other Homeric epithets, Brill, 1973, 292 p. Mais il s'agit en tout cas d'une •11111 li té très générale. (:1) cr. Théognis, 365, conseillant à Cyrnos de faire toujours régner le µe:lÀtxov •11r KU langue : • C'est chez les lâches que le cœur s'aigrit•·

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LA DOUCEUR DANS LA PENSÉE GRECQUE

mais, en en faisant la sanction telles doctrines.

d'une vertu, elle prépare la voie

Quoi qu'il en soit, l'ensemble des témoignages montre bien que l' douceur était une vertu dont Homère n'ignorait nullement le pri - qu'il s'agisse de l'Iliade ou de l'Odyssée, des héros ou de ceux qui le entourent. Avant que ne craque la société homérique, de telles valeurs n'étaien donc nullement méconnues. Et c'est sans doute ce qui distingue l'épopé homérique de bien d'autres épopées guerrières. Seulement il se trouve que cette société a craqué. Les mots donL s servait Homère pour évoquer ces vertus sont assez vite sortis de l langue. Les épisodes même de l'épopée, traités par les. auteurs post rieurs, en particulier tragiques, se sont chargés de cruauté. Le bo Ulysse est souvent devenu un fourbe ou bien un pleutre. Au lieu que l corps d'Hector soit traîné autour des murailles, Sophocle n'hésite pas faire traîner Hector tout vivant (Aja,x, 1031). Les suicides, les meurtre les vengeances ont pris le pas sur tout le reste. Et les tourments qu accompagnent la chute de la ville ont acquis un relief plus grand que le exploits dont cette chute se trouve être l'aboutissement. Pourtant ces malheurs mêmes étaient, dans la tragédie, destinés exciter l'indignation et la pitié. C'est donc que peu à peu on avait nouveau appris à connaître le prix de la douceur. Cette réinvention de l douceur fera l'objet des chapitres suivants, qui devront aussi cherche à préciser quelles formes a pu prendre cette douceur nouvelle, adapté à une vie autre, dans un monde renouvelé.

PREMIÈRE

PARTIE

A LA DÉCOUVERTE DE LA DOUCEUR : L'ESSOR DES MOTS AU ye SIÈCLE AVANT J.-C.

CHAPITRE

PRINCIPES D'HUMANlffl

I

DANS LA RELIGION ET LE DROIT

La vie durant ce que l'on appelle le Moyen Age grec dut être dure et ,iolente. La société archaïque, où bientôt se firent jour les difficultés t,onomiques et les troubles sociaux, n'offrit sans doute pas plus de place à la douceur. La douceur raffinée de l'époque homérique n'est plus, la douceur délibérée des temps à venir n'est point encore érigée en ,aleur. Époque de guerres civiles et de jalousies, où des hommes libres devenaient esclaves pour dettes 1 , puis où la richesse s'affranchissait peu à peu de la noblesse, l'époque archaïque s'ouvre pour nous avec les plaintes d'Hésiode, et avec l'apologue de l'épervier qui saisit le rossignol Il, l'emporte en triomphant : > ( Travau:c, 107 sqq.). Contre ce monde cruel les Grecs ont dressé un idéal d'ordre : c'était c11luide la justice. II assurait un premier rempart contre la violence et la force. De plus, il convient de constater qu'ils ont tiré de cette idée de Justice, en tous les temps de leur histoire, toutes les possibilités qu'elle l1dssait de faire place à l'indulgence et à la modération. Cela est vrai dus deux justices, justice divine et justice humaine . 4

.

4

La justice divine n'était pas absente de l'épopée homérique : M. LloydJones a brillamment montré combien il pouvait être inexact de le 11rétendre2 • Mais ceci mérite un mot de retour en arrière, qui remonte par-delà Homère, et concerne les mythes grecs en général, tels qu'on en trouve l'1\chochez Homère, chez Hésiode, ou chez les tragiques. Ces mythes n'ont rien de doux. Ils nous mettent en présence de (l) Solon mit fin à la contrainte par corps au début du v1• siècle. (2) The Justice of Zeus, Sather Class. Lectures, 41, Un. of Cal. Press, 1971, 230 pageE.

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LA DOUCEUR DANS LA PENSÉE GRECQUE

monstres, de mutilations, de meurtres, de génies vengeurs. Mais deu remarques doivent être faites à leur sujet. La première est qu'ils sont, autant que l'on puisse le dire, moi horribles qu~ les mythes plus anciens que l'on rencontre, par exempl dans les textes suméro-babyloniens. Ceux-ci évoquent ainsi très volontie . le pouvoir sans mesure de la déesse d'en bas, ou la terreur qu'elle inspi aux dieux et aux hommes 1 • - Les mythes grecs, en comparaison, s présentent comme moins effrayants et moins sombres. Mais la seconde remarque est surtout qu'ils le sont de moins en moin Il faut souvent remonter, par-delà les textes littéraires, aux écrits de mythographes pour découvrir les pires d'entre eux. De même que l religion grecque a très vite écarté les sacrifices humains, demeuré uniquement le fait d'un langage légendaire, de même le monde de mythes grecs s'est, dans les œuvres littéraires, peu à peu allégé de s. part la plus choquante. La tragédie, en particulier, retient surtout ccu . qui peuvent présenter pour l'homme un sens et une espérance. Or ce sens et cette espérance sont justement fondés sur l'existenc • d'une justice divine. Et, si celle-ci existe déjà de façon latente dan Homère, il est hors de doute qu'au seuil de l'époque archaïque elle prcn soudain plus de place. On en parle ; on s'en réclame ; on s'efforc. d'organiser autour d'elle la conduite des dieux. Et c'est elle, préci;/ sément, qui constitue la protection des faibles en butte aux mêrne~1 menaces que le rossignol d'Hésiode. ,ou >,ou 11111•ore ,constituent ainsi en Grèce oumrne un début de droit des gens, dont l'origine religieuse est indéniable. A cet égard, il n'est pas indifférent de rappeler que les dieux grecs _l,1i1mtbien faits pour jouer ce rôle de modérateurs. D'abord ils étaient 111• mêmes, d'une cité à l'autre. Ensuite, une assimilation toute naturelle INI misait avec les cultes voisins. Les dieux d'Homère entretiennent les 111~111es rapports avec Troyens et Achéens. Le Lydien Crésus consultait l'orucle de Delphes. Et Eschyle trouvait normal de présenter ses Perses, •~l't'. toute leur bigarrure orientale, comme occupés seulement de Zeus 111,,lu Poséidon. Quand les Grecs, d'ailleurs, apprenaient à connaître 1'11111,res cultes que les leurs, ils professaient à cet égard une parfaite 1 ,~,l~runce: toute l'œuvre d'Hérodote en est la preuve lumineuse. Offenser 111,lieu d'autrui ou bien son culte ou ses croyances eût été se montrer 1111pi1~. t!,•C'iimplique que les luttes entre cités, ou entre Grecs et barbares, ne 111•oient jamais colorées d'aucun fanatisme, et le même fait explique •H••Î comment le respect des dieux a pu naturellement comporter un 1•11rl.11in respect des personnes. l,1•11« lois divines» ou« lois communes à tous les hommes>>interdisaient 1h111r. divers excès tenus pour impies. Or, si elles ne furent pas toujours ~1•11liquées,elles ne furent jamais reniées : elles s'esquissent dans 1111111\re, sont invoquées par Hérodote et dans tout le ve siècle athénien, 11111r être reprises plus tard par Isocrate, par Platon, par Polybe, par 'lulnrque. Certes, on tendit de plus en plus à les appelerplutôt que «lois divines >>; mais elles traduisaient dans les ,,1111•1•iences le même sentiment d'un excès à ne pas commettre, fût-ce eu•••in de la guerre. l'uisque l'on craignait les dieux, on devait craindre de porter atteinte - ,,,, 11u'ils protégeaient : à leurs temples ainsi qu'à ceux qui s'y réfu•l11h•nt,à leurs rites, qui englobaient la sépulture et le respect dû aux 11111rl.11, enfin aux serments prêtés en leur nom. C'était là une série de ;,rl1111~11 auxquels la conscience grecque réagissait toujours très vivement. llrMer un sanctuaire, ou même le profaner par un usage laïc était un ~th1111, qui devait attirer la colère divine. llnns l'œuvre d'Eschyle, cet aspect de la guerre de Troie devient, 111111r la première fois dans les œuvres conservées, un aspect essentiel. 2

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C'est le crime dont s'est rendu coupable Agamemnon, et qui contrib à expliquer le désastre dont il est victime. Clytemnestre l'annonce dé par sa feinte prière : > (V, 102;. fait est que ces incendies se multiplièrent (VI, 19, 3; VI, 96, 1 ; V 101, 3; VIII, 33) ; mais celui qui devait rester le scandale de tous l temps fut celui d'Athènes. Et Eschyle n'a pas manqué d'en fair,i u _ sacrilège impardonnable, dont le désastre subi par Xerxès consLitu l'expiation : Iie, I dans Hérodote VI, 78: mais Cléomène finit maudit et frappé de folie.

PRINCIPES D'HUMANITÉ

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11uilaissèrent mourir le roi de Sparte en guettant sa mort depuis le toit 1 u sanctuaire devenaient également des maudits, dont la cité devait se 1IM1arrasser1 • Et nombre de tragédies commencent par enfermer un 1ouverain dans l'obligation de secourir des suppliants, installés auprès ,l'un autel. S'il ne le fait pas, c'est la souillure, et le refus de l'aide divine (11omme disent les suppliantes d'Eschyle, au vers 362 : ). A plus forte raison est-il criminel d'arracher 11" suppliant de l'autel par des paroles trompeuses, comme fait Ménélas 1lnns Andromaque. La tragédie confirme abondamment les données des hh1Loriens. Cette disposition s'étendait à tous les suppliants, quel que fût le 1lnnger impliqué ; et aucun problème ne se posait à cet égard. Hérodote 1•11pporteainsi l'hésitation des gens de Kymè, à qui les Perses réclamaient ln Lydien Pactyès, venu chez eux en suppliant. Ils consultèrent l'oracle, 'l"i leur dit de le livrer. Ne pouvant y croire, un des envoyés se mit à 1 clloger tous les petits oiseaux nichés autour du temple. La voix de l'oracle protesta : : l',mvoyé répondit que c'était justement la conduite que lui conseillait l'orncle à propos de Pactyès. >(Hérodote, I, 159)2 • 1)ans la guerre du Péloponnèse, au moment où les passions opposaient I••~ citoyens entre eux au sein des cités, on vit cette règle violée de façon ~l'lulante. Et le sobre Thucydide signale cette abomination : (III, Ml, !J) : c'est même à la mention de ce forfait qu'il accroche sa grande 111111'.ussion sur les atrocités des guerres civiles. Le texte commence en flllt. par ces mots : >(1010 : -ro~ 'EU~vCùv116µ.oL> (Antigone, 454). Cette obligation supposait un arrêt après chaque bataille, une trêve. Et les Incidents de Délion, puis des Arginuses, prouvent assez combien une l,nlle obligation était encore sentie comme impérieuse en pleine guerre duPéloponnèse. À plus forte raison était-il interdit d'outrager le corps des 111orts.Et une très belle anecdote illustre ce sentiment dans Hérodote IX, 78-79. Il raconte qu'après la victoire de Platée, un Éginète suggéra à Pausanias de traiter le corps de Mardonios comme celui-ci l'avait fait pour Léonidas, dont il avait cloué la tête à un pieu. C'eût été là, selon ce cxrtotttouç pnrsonnage, une juste mesure de rétorsion (niv oµOLYJV ,s·nµwp-fiae:ou). Mais Pausanias refusa avec indignation cette proposition, ,ugée par Hérodote lui-même .Léonidas, expliqua-t-il, lvait été vengé par la victoire ; et nulle vengeance ne saurait passer r,rle biais d'une impiété : >et . Par conséquent le point mot grec veut dire (Gorgias, 525 a-b) 1 . Cette réflexion nous écarte assurément des pratiques mêmes du droit, Cependant elle illustre à merveille le sens dans lequel évoluait ce droit, et l'orientation que prenait la pensée grecque sur la justice. Dans la mesure où la violence de la vengeance tendait de plus en plus à s'elTacer devant le souci du bien de chacun et de son éducation, une telle justice ouvrait la place à une certaine douceur, et en reflétait au moins le goût. Pourtant, c'est là qu'intervient le paradoxe : cette aversion naturelle des Grecs pour la violence, qui se traduit si bien dans leurs croyances et dans leur droit, fut ce qui ralentit le plus chez eux l'émergence des idées de douceur et d'indulgence, et ce qui donna à ces notions, dans le monde grec, leur forme particulière. En effet, les Grecs étaient si hostiles à cette violence qu'ils avaient, surtout à partir de l'époque archaïque, cherché passionnément à l'endiguer en instaurant partout et l'ordre des cités et le règne de la justice. Mais ils allaient dès lors être prisonniers de la forme prise par cette réaction. L'ordre des cités leur devint si cher qu'ils ne purent plus développer, ni dans l'exercice de la justice ni dans les rapports entre individus, des sentiments qui ne pouvaient s'en réclamer. Et le fait est qu'on ne verra la douceur, le pardon, l'indulgence, la compréhension, devenir des vertus reconnues qu'au moment où s'affaibliront le lien civique et le sens de la cité. De même, le règne de la justice occupa si bien leurs esprits, qu'il ne leur fut plus naturel d'aller chercher, par-delà cette justice, une rôgle différente qui pût régir les relations humaines. Il allait donc falloir, pour pouvoir venir au jour, que ces mêmes vertus se glissent doucement soit en marge de la justice, soit dans son sillage. ' Aussi bien peut-on constater - comme les chapitres suivunts s'efforceront de le montrer - que les différents termes désignanL ces vertus sont apparus dans le vocabulaire de façon tardive et progressive ; souvent même ils ont, avant de s'appliquer aux relations entre les hommes, désigné plus spécialement les sentiments des dieux envers les hommes. La puissance même des dieux faisait espérer leur douceur, (1) quand oblige ceté,.

cr. de même 478 a: • N'est-ce pas en vue d'une certaine justice que l'on punit, on punit avec raison (6p0wç) '/ •, et 478 d : • La justice

ainsi rendue, en effet,

à devenir plus sage et plus juste, et elle est comme la médecine de la méchan-

cr. encore République, 380 b, et Lois, 862 e.

CHAPITRE

II

NOUVEAUX MOTS POUR LA DOUCEUR:

PRAOS

ET PHILANTHROPOS

Les trois mots les plus couramment employés, à l'époque classique, pour désigner la douceur ou les idées apparentées sont, outre les mots ,lt\Hignant l'indulgence et le pardon, les adjectifs praos, philanlhrôpos

,1,épieikès.

1

Naturellement,

il y en a d'autres. Et il est bon de le rappeler, puisque atteste le prix attaché par les Grecs à ces Lions, ou plutôt à ces valeurs. Au lieu de dire qu'un homme est praos, 1111

1111peut dire qu'il est (Jason déclare en effet : Ces > (1tpoti'iv... ootpov) nous font découvrir, après la mansuétude du souverain, l'esprit de réionciliation. Ces deux aspects de la praotès joueront leur rôle dans la réflexion politique à venir. On peut ajouter que le souvenir de la colère ou de la violence à laquelle s'oppose la qualité de celui qui est praos reste sans doute assez présent : il se marque dans le fait que les premières attestations de l'adjectif, qui commencent à se multiplier au ve siècle, nous le présentent souvent au comparatif. Il s'agit de > (1365). De tels textes montrent bien comment s'élabore le sentiment d'une solidarité humaine et comment ce sentiment devient source d'indulgence'. Pourtant, la pitié qu'ils traduisent - et qui est un ressort de toute tragédie - reste liée à la présence du malheur, et se traduit plutôt par un refus de triompher : elle reste donc relativement négative par rapport à la notion de philanlhrôpia, qui impliquera une solidarité active et généreuse, s'exerçant indépendamment des circonstances. La naissance d'un tel mot représente, à vrai dire, une initiative des plus remarqua.Lies. Or il semble que les textes, en l'occurrence, soient eux aussi généreux. Si, en effet, on se limite à la suite des textes athéniens qui nous ont été conservés, on voit se dessiner et se préciser de proche en proche les modalités de cette naissance. Au début, semble n'avoir de sens que pour un

(!) Cf. République, Il, 375 c, Timée, 18 a. On rapprochera Démosthène, Organisa• lion financière, 17, Chersonèse, 33, où l'opposition est entre • sous les armes, el • au tribunal &, ou encore • dans les assemblées , et • dans les prépara tifs de la guerre •· (2) Cf. ci-dessous p. 86.

NOUVEAUX MOTS POUR LA DOUCEUR

45

M,re extérieur à l'espèce humaine et qui, du dehors, peut l'aider . c'est-à-dire un dieu, ou un être quasi divin. C'est exactement ce que l'on trouve dans les deux seuls textes : 111,héniens du ve siècle où le mot soit employé. Le premier est révélateur 1Is'agit d'un texte d'Eschyle ; et il s'agit du don le plus généreux qu'ait pu faire à l'espèce humaine quelqu'un qui n'était pas un homme. Le nupplice de Prométhée a en effet pour cause le don qu'il a fait aux hommes, et son attitude qu'Héphaïstos définit, au vers 28, par les mots : mu >(Paix, 392-394 : cI> > (Philippe, 114 : -rljv cpLÀocv6p(J)1tLocv xoc1 niv e:ÎJvoLocv ~v . .. ) 4 • L'origine semble donc assez nette 6 • Qui plus est, les textes nous ont, apparemment, conservé la trace de la façon dont s'est fait le passage ; et l'analyse apportée sur ce point par M. S. Lorenz est tout à fait convaincante6. Elle se fonde sur le rapprochement de deux textes où il est question de la générosité de Socrate, dont l'enseignement était gratuit. Dans les Mémorables, I, 2, 60, Xénophon se plaît à signaler cette générosité; et, par un emploi semi-plaisant, il y voit un trait de > : Socrate ouvrait à tous ses trésors de sagesse, même à des hommes qui ensuite devaient les revendre : ces hommes n'étaient pas, La note plaisante est ici bien sensible. Mais, dB!ls comme lui, S'YJµO-rLxoL l'introduction de ce petit développement, Xénophon ne se contente ~s de cet adjectif, si paradoxalement appliqué à Socrate : il en ajoute in autre, dont l'emploi devait être tout aussi audacieux; il déclare en e~t (1) VI, 5.

(2) La même valeur a pu s'attacher à l'adjectif qnMvwp qui désigne la génére-.ie hospitalité à laquelle préside Apollon (Bacchylide I, 150 Snell), ou la vie • amie Qlll hommes• que mènent les dauphins, jadis humains eux-mêmes (Pindare, fr. 236 Snet), Mais le mot s'est spécialisé, comme il était normal, pour désigner l'amour, non ile I'dtv6pw1toç, mais de l'a:117Jp. (3) 15, 4. Plus loin, à 19, 17, elle est dite encore qnMv6pwn-oç xo:l n-poce:ï:oc; mai1U s'agit là moins de ses bienfait8 que de la facilité avec laquelle elle ouvre aux homnea ses teclmiques : , Il suffit de regarder et d'écouter pour qu'elle nous fasse conna1rè ses secrets ,. (4) Le mot est repris au § 116, joint à e:Ùe:pye:crlocc; et n-po:6nrm. (5) li faudrait ajouter que cette attitude, amie des hommes• peut aussi apparutre chez des vivants étrangers à l'espèce humaine - comme les dauphins signalés ci-d1!B1J8 à la note 2, ou comme les animaux apprivoisés, dont Xénophon dit qu'il sQ.t • amis de l'homme• : chevaux dans le traité de l' Équitation, 2, 3, et chiens dans I' .J,t de la chasse, 6, 25. (6) Cf. d'ailleurs Pohlenz, , Furcht und Mitleid? •, Hermes, 1956, p. 57.

NOUVEAUX MOTS POUR LA DOUCEUR

47

111wSocrate, par cette façon d'agir, se révélait : Ôl)µo·nx.oi:;xoct cpLÀcx:v0pc.moi:;. C)r le mot, appliqué à Socrate et pris en ce sens, devait refléter un llrl(tm1ent répandu parmi ses élèves, et teinté d'humour: dans un dialogue ~vlclemment proche del' Apologie, à savoir l'Euihyphron, Platon fait de 111Ame dire à Socrate qu'on peut l'accuser de prodiguer sans discernement 1111premier venu tout ce qu'il a à dire, non seulement sans se faire payer, 11111is en étant prêt à payer lui-même quiconque accepterait de l'écouter plcl). Or, le sentiment qui le pousse à cette libéralité est ici encore appelé 1 l'11mour des hommes>> : u1to LÀocv8pwn(occ:; (5), ou bien de garder njc:; ,rcxpà. TOU-r.œv6p>envers tous se concilie les juges en montrant «tant de modé• ration et de bonté>> (Leptine, 128 : p.é't'ptovxoà (f)LMv8pc.mov)3. Le moi s'allie à tous ceux qui décrivent les vertus de sociabilité, et fait désormai1 partie de l'idéal de l'honnête homme. Il y est si bien entré qu'il était destiné à s'user rapidement, par l'influence même de cette diffusion. Déjà, dans les textes de Démosthène, un trait de caractère ou un discours philanthrôpos peuvent être simplement «aimable » ou « agréable >>.Il en est ainsi des discours ou des propos agréables que l'on trouve dans I' Ambassade, 95 et 220, ou dans le Contre Aristocrate, 165. Certains passages font même à cet égard difficulté, comme ce qui est dit des propos que Philippe fait tenir à ses séides et. dans lesquels n'apparaissent que les meilleures intentions : s'agiL-il de générosité, ou bien de banales flatteries ? 4 Le texte de l' Ambassade, 315, qui en parle, emploie une expression déjà manifestement passe-partout : Toctpr.Àœv6p,c_e signe bien appauvri de on accorde aussi cet autre don bien modeste, l'nncienne pitié (ÈÀe'Y)µoo-6v'l))4, •fiairappelle, de plus loin encore, l'ancien >. Cette IIMUre même est à la mesure de la soudaine et irrépressible extension •!'•'avaient connue le mot, et, avant le mot, la notion. À cet essor admirable, il faut toutefois apporter dès maintenant un lt\l(er correctif : il porte en germe tous les problèmes que ne pouvait 111nnquer de susciter plus tard cette douceur. Il faut en effet rappeler •!'•'elle ne pouvait se développer qu'en marge de la justice. Un texte 1•11ractéristiquede la Cyropédie précise ainsi que tous les biens des vaincus uppartiennent de droit aux vainqueurs : la philanlhrôpia sera de leur en lni11ser une partie, ce qui constitue un domaine d'action bien étroit. l'lus nettement encore, à l'intérieur de la cité, et là où existe un vrai 1lroit, la philanlhrôpia ne joue que lorsque la loi a parlé et dans le cadre 110liberté laissé par le droit. Elle ne saurait prévaloir contre la justice. Mieux, elle suppose, selon l'esprit de la justice, la réciprocité. Démosthène l'nllirme hautement dans la Midienne, 185 : si un citoyen est lui-même 1111 homme modéré, humain, charitable (ou, plus exactement : philan1/lt'IJpos et prenant en pitié beaucoup de gens), alors >; mais, si un citoyen est >, alors il est juste qutt cet homme-là reçoive le même apport que celui qu'il avait fourni aux autres >>1 . La douceur, la bonté, ne consistent donc jamais à .Il avait en ce sens un jumeau, èms:(xc:Àoç(à rapprocher de !xc:Àoç 1). Du sens de 111, dxc:Àoc;, dont le sens était toujours • rm1semblant >>,on passe aisément à celui de ,> (ainsi dans la C.U.F.); déjà l'anglais >)?ou bien un parti (les modérés)? ou bien seulement dol gens raisonnables, ennemis de la violence? Les deux premiers sen• peuvent être suggérés ; mais le troisième est sans aucun doute essentiel, De même, les épieikeis dont parle Démosthène dans le Conlre Arislogiton 1 donnent souvent leur garantie ou leur aide : ils ont à leur actif do• philanthrôpiai (86). Et quand Aristote écrit qu'après Périclès le peupl11 se donna des chefs qui n'avaient pas bonne réputation auprès del épieikeis (Const. Athènes, 28, 1), il désigne à la fois la noblesse et 1111 gens bien élevés, sans rien de tapageur. À la limite, quand on nous dlL qu'un mariage peut être agréé parce que les intéressés sont également joint à euvoLoc,déHignan t. le dévouement'. Il s'allie aussi à la douceur proprement dite; el, Plutarque parlera ainsi de l'épieikeia et de la praolès de Périclèt4 (Périclès, 39). Ailleurs, le groupement se fait avec la philanlhrôpia. C'est, ainsi que Démosthène, parlant d'un homme serviable, précise, dans lu discours 36 (Pour Phormion), 59, que cet homme se montre tel pa•· l'effet de > : U (1) Dans la Politique, V, 1308 b, Aristote, pour désigner les groupes opposés dan• la cité, distingue les épieikeis et la masse, les pauvres et les riches : le mot est ici pur" ment social. Pourtant, même là, il suppose chez l'élite des vertus dont la masse t. incapable. (2) H. Bolkestein (Wohltéitigkeit ... , p. 109, n. 4) signale ce groupement, mais en I C" faisant remonter, de taçon semble-t-il illégitime, à Hérodote. 1. (3) Le premier cas se trouve dans Isocrate, Contre Callimachos, 34 (où épieikeia même traduit dans la C.U.F. par •amabilité•). Le second se rencontre dans I•• Panégyrique, 63, où, une fois de plus, l'épieikeia devrait empêcher un acte de violence . (4) Ainsi dans la lettre IV d'Isocrate, § 1.

e•

e•

UN MOT QUI S'OUVRE À LA DOUCEUR

63

ime:Lxe(Cf.Et Plutarque dira de même, à propos, cette fois, de Flamininus (Flamininus, 24), que sa conduite envers les Grecs était « clémente et humaine » : È1tmi6j xod rpiÀ>: 't'o ycxp bm:Lxèc;xor.tcruyyvwµov. Il oppose d'ailleurs cette attitude à la stricte justice : «l'équité et l'indulgence sont toujours des entorses à la parfaite nxactitude aux dépens de la stricte justice>> (-rou 't'EÀÉou xoct &:xpLÔouc; Rotpcx.ÔLX'YJV tjv op6-fiv;) il retrouve ainsi la formule de Gorgias, dans 1• lnquelle il était question de la stricte rigueur de la loi, v6µou &:xpLoe:lor.c; Si l'épieikeia est restée proche de la justice, teintée par elle, souvent presque indiscernable, le mot est donc pourtant entré de façon remar11uable dans le vocabulaire de la douceur, où, à partir du ive siècle il a ••• place - une place entière - exactement comme les mots qui lui 11ppartenaient de plein droit et n'avaient jamais eu d'autre sens. Cette l.rnnsformation traduit donc la même ouverture à des valeurs nouvelles 11uele surgissement de mots comme praos et philanlhrôpos. Le vocabulaire ,'unrichit et évolue dans un sens bien déterminé - à la conquête de la 1louceur. Et l'histoire du mot épieikès confirme bien que si cette douceur l(ugne ainsi du terrain, elle le gagne en grande partie sur la justice pure 111, simple.

l

(2) A cette rigueur de la loi, Gorgias opposait l'op66-niç des paroles: chez Platon,

'"nie la justice est 6p6~. La rectification est si précise qu'elle parait presque être intenllonnelle.

CHAPITRE

LA SUGGNôMÈ

IV

ET LES FAUTES EXCUSABLES

On a rencontré à la fin du chapitre précédent l'idée de compréhension liée à celle d'épieikeia : c'était là un autre aspect de l'extension prise par l'idée de douceur. Le progrès de la compréhension, ou suggnûmè, reflète 1iette nouvelle conquête. Le mot lui-même est relativement récent. Homère ne connaît même 1,asyvwµYJ,bien qu'il emploie yiyvwcrxw : il ne connaît ni cruyyiyvwcrxw ni (j\)yyvwµYJ. Dire quels furent leurs débuts est délicat. À en croire Diodore de Micile, on les rencontrerait chez les sages anciens. Mais on sait combien de tels témoignages sont suspects, surtout en matière de vocabulaire 1 . En revanche, dans les textes que nous avons conservés, on voit d'abord llpparaître le verbe - comme toujours. On le trouve attesté pour la première fois chez Simonide 2• Le substantif, lui, commence à être attesté llll ve siècle. Mais, au début, il est clair que le verbe reste plus fréquent : l(t1chyle a un exemple du verbe et n'en a aucun du substantif; Hérodote Il vingt exemples du verbe pour sept du substantif ; avec Thucydide, l'Idée abstraite prenant corps, le substantif l'emporte déjà, par huit à Lrois; et de même chez Sophocle, par six à deux. Il ne cessera plus de 1ngner du terrain. Mais, si le mot est relativement neuf, le lien qui le rattache à l'idée lin douceur l'est plus encore : le mot se développe - comme praolès ou tiliilanthrôpia ; mais en même temps il évolue - comme épieikeia. Le 111ns premier l'étymologie l'indique assez - est en effet un sens Intellectuel. Il s'agit de participer soit à une connaissance :;oit à une tl~cision raisonnée. Ce sens se conservera mème à l'époque classique. Uhez Thucydide, par exemple, la seconde valeur est bien attestée. 111\riclès rappelle ainsi aux Athéniens qu'ils ont, avec lui, pris la décision 1111faire la guerre (Il, 60, 4 : ~uvéyvw-re:) ; ou bien Thucydide dit que les p. 80 sqq. p. 78 sqq.

( 1) Cf. chapitre suivant,

12)

Cr. ci-dessous,

66

LA DOUCEUR DANS LA PENSÉE

GRECQUE

Syracusains étaient d'accord avec le jugement exprimé par Hermocrate Or, par une belle évolution, bien caract~ (VII, 73, 2 : l;uveytyvwcmov)1. ristique du grec, c'est de la compréhension que naît l'indulgence, œ l'intelligence que nait le pardon. Au contraire, pour les Romains, l'indu!· gence vient d'un refus de constater, par lequel on «ignore» la faule (ignosco). L'attitude grecque est toute intellectuelle, alors que l'attituœ romaine est pratique. L'évolution par laquelle on passe de la valeur intellectuelle du mot a sa valeur morale est d'ailleurs bien naturelle ; et il est juste de rappel!I' que le premier emploi du mot qui nous ait été conservé - celui de Simonide - a déjà nettement la valeur de «pardonner». Cependant, sans vouloir forcer les choses, on peut dire que les valeurs intellectuelles semblent plus répandues au début qu'à la fin. Souvent, les deux valeura sont si proches que l'on peut hésiter sur la répartition. Il reste malgré tout qu'Hérodote a vingt exemples de la valeur intellectuelle contra sept de la valeur morale ; au contraire, la proportion s'inverse aveo Thucydide et Sophocle ; et seule la valeur morale est connue d'Euripide, Cette statistique sommaire suggère donc bien que l'indulgence et le pardon ont de plus en plus pris possession du mot, et qu'elles ont gagn du terrain, en ce domaine comme dans les autres. Toutefois, la valeur intellectuelle du mot reste importante : elle n' jamais cessé de peser sur le sens que les Grecs avaient du pardon•. Elle implique d'abord une différence d'extension. La suggnômè, étan >, a un champ d'application plus large que le« pardon• Elle ne suppose pas nécessairement une faute. Quand, dans les Suppliant d'Eschyle (215-216), le coryphée dit d'Apollon être une faute ; il est seulement µ'rjla-rlv )(pLWtlj -roü 1hne:ixoiiç op&tj, op% a· 11 ciÀ7J6oüç. (3) Ainsi dans l'édition de la C.U.F.; de même A. M. Dale. Marie Delcourt trad très bien : • je le comprends •· (4) cr. même édition; de même dans l'édition Érasme (P.U.F.). Ici encore, Ma Delcourt dit : • je comprends à présent ... •· (5) Peut-être cette notion permettrait-elle aussi de mieux interpréter les m pour lui d'Hyllos à la fin des Trachiniennes, quand il demande la cruyyv(J)µOO"Ull'lJ stigmatise l'&:yvwµoaull'l) des dieux; ! 'opposition n'est claire que si les deux mots o un sens large, comme c sympathie I et • dureté 1. 'Ayvwµ.oaull'l) a d'ailleurs lui aus très souvent, une valeur intellectuelle. Pour le sens de • dureté •, cf. Hérodote, V, et surtout Démosthène, Sur la Couronne, 207 \OÙ l'on a tort de parler de c I'aveug ment• de la fortune) et 252 (où le mot est joint à (3otO"Xot11lœ).

67

LES FAUTES EXCUSABLES

Mais même lorsqu'il y a une faute et qu'il s'agit de l'excuser, ce sens Intellectuel pèse encore sur la notion grecque et en modifie la valeur ; li lui donne un sens plus rationnel, mais aussi plus limité, qui l'empêohera de s'épanouir en une vertu comparable au pardon chrétien. Le fait se marque principalement dans ce que l'on peut appeler l'aspect objectif de la suggnômè, c'est-à-dire dans ce qui lie l'excuse à l'analyse cle la faute. En effet, avant d'être une disposition morale et une vertu, ht suggnômè se présente dans les textes grecs sous une forme quasi juridique, où se reconnaît une fois de plus l'importance qu'avait pour les Urecs la justice, et sa tendance à primer tout le reste. Pour être ainsi ustifiée, la suggnômè repose sur une analyse de la faute et de ses circons,ances. C'est une suggnômè dont on discute, à laquelle les gens ont droit ou n'ont pas droit, et qui fait l'objet de règles, progressivement élaborées. D'un bout à l'autre du développement qui va d'Hérodote à Aristote, nos règles se ramènent toujours à la même idée : seuls auront droit à la 1uggnômè, dans le droit comme dans la réflexion morale, les actes qui 111mvent être qualifiés d'involontaires ; et ils sont de deux sortes : ceux 1111cl'on commet sous l'effet de l'ignorance et ceux qui sont dus à la nontrain te. Cette distinction a été fort bien analysée par L. Gernet dans sa thèse 111!.ituléeRecherches sur le développement de la pensée juridique et morale "' Grèce (Paris, 1917). Il a montré que le langage s'en faisait le témoin, 1111isquel'on disait normalement en Grèce >(ocôtxeï:véxwv), mais ( I, 32, 5) 1 • Toutefois, chez Thucydide, justement, l'excuse de la contrainte est beaucoup plus fréquente. Dans ce 1nonde de ,tiolences et yy(ywc:nce). Ces deux types d'arguments sont donc déjà clairement fixés et lnrgement répandus au ve siècle. Ils étaient destinés à servir encore aux 11rateurs du ive siècle. Et ils servent encore de cadre à l'analyse que fait Aristote, dans l'Élhique à Nicomaque, de l'acte involontaire (III, 1, 1109 b sqq.) 2 : il range en effet dans cette catégorie les actes accomplis Mous la contrainte (~(qt), ou bien sans 'savoir (&yvoLotv). Par cet effort tl'élucidation, les Athéniens de la fin du ve siècle ont donc posé avec r,,rmeté les bases d'une justice plus clémente ; et ils ont offert à la ,louceur, au sein même du jugement le plus lucide, des possibilités précises de se faire entendre.

Ils ont même été plus loin, en cherchant, dans la pratique, à rendre ,lus efficace cette justification par la contrainte, déjà si riche de ressources. \ lien ne les a autant passionnés - et tous les textes le prouvent, depuis lt•Htémoignages relatifs à Périclès jusqu'aux discours fictifs d'Antiphon 1111cde chercher à cerner les responsabilités. Or, il est clair que, le plus Mouvent, le but de ces réflexions était d'innocenter quelqu'un qui semblait /1première vue l'auteur d'un acte, mais qui, à tout bien peser, n'en était 1111Hvraiment responsable. La responsabilité était renvoyée à un autre. Ce type d'argument apparaissait fort clairement dans le dernier 11x,~mplccité, où l'Hélène d'Euripide (dans les Troyennes) se prétendait Innocente de ses fautes. En effet, elle accusait tout le monde, sauf elle : 11,\cube, le sauveur du jeune Pâris, Ménélas, et surtout la déesse, rcspon111hlede tout le mal. De fait, pour mieux montrer que l'on n'a rien voulu, 1111a tout intérêt à désigner un autre coupable. Cela s'est toujours fait. !,'indulgence d'Homère à. l'égard d'Hélène offrait déjà un premier modèle. Mnisil semble bien que ce soit là. un art dans lequel les sophistes soient p11Hsés maîtres et aient abondamment fait école. 1-,ous sa forme la plus simple, ce rejet de responsabilité consiste à r1111voyerà un ordre donné par un supérieur : l'exécutant n'est pas r11Mponsabledes ordres qu'il reçoit. C'est l'aspect que revêt surtout l'11rgumcnt chez les historiens ; et il peut se présenter chez eux de la l11~onla plus candide et la plus légitime, comme aussi la plus pleine de Nnwrie. Crésus, dans Hérodote, craint les répressions qui seront exercées 1ur Sardes et tente de les éviter : la ville est, dit-il, (1078-1082) 1• Utilisé avec hypocrisie par les coupables ou simplement par les uccusés, accepté avec générosité par les autres, l'argument allait connaître une longue carrière. Xénophon, dans la Cyropédie, se livre ainsi à toute une digression sur la question de savoir si l'on peut ou non se prémunir ,•ontre l'amour (V, 1, 9-17) ; il semblerait que oui; mais lorsqu'en fin de ,~ompte l'amour dont on pesait les risques ou les chances a effectivement t.riomphé, Cyrus pardonne à celui que sa passion a entraîné à mal agir ; nt il justifie ce pardon en expliquant que les dieux passent bien pour 116derà l'amour, et que beaucoup d'hommes tenus pour sensés y ont, à l'occasion, succombé (VI, I, 36)2 • L'excuse accordée au> (Héraclès, 536). La colère peut être une excuse; ainsi Teucros dit, dans Hélène : « Oui, j'ai eu tort. Et ma fureur in'a emporté trop loin. C'est aussi que la Grèce entière déteste Hélène. Pardonne moi d'avoir parlé ainsi que je l'ai fait>> (80-82)5 • L'absence d'enfants peut être une excuse pour un mari qui cherche une autre union (Médée, 490-491). Plus tard, l'ivresse pourra de même être une excuse (Démosthène, Contre Midias, 38; Lysias, Contre Simon, 43)8 • La pauvreté pourra aussi en être une; elle le sera si elle joue comme une contrainte, empêchant les gens d'adopter une conduite généreuse ·qu'ils auraient adoptée autrement ; ainsi Lysias déclare, dans le Contre (1) cr. Démocrite B 253, surie fait qu'il est inévitable de commettre des fautes, mais tlifficile de pardonner. (2) cr. de même Lysias, Pour l' Invalide, 17 : • On estime que les jeunes gens ont droit à l'indulgence des vieillards ... •· (3) Trad. Marie Delcourt. La traduction de la C.U.F. introduit une nuance adver1utive qui fausse la valeur de l'argument. (4) Même traduction. (5) Même traduction. Cette excuse, consistant à invoquer la colère, est fermement t•ontestée par Lysias, Contre Théomnestos, 30, qui rappelle que• le législateur n'accorde Mucuneexcuse à la colère •· (6) Cet\.e excuse semble peu décisive dans le même discours, 19.

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LA DOUCEUR DANS LA PENSÉE GRECQUE

Philon, Il : « Nous pardonnons aux pauvres et aux infirmes parce que nous jugeons leurs fautes involontaires >>.Elle le sera encore si - autre contrainte - elle les a poussés à mal agir ; ainsi Démosthène dit, dans le Contre Stéphanos I, 67 : «Pour qui juge avec humanité, la contrainte du besoin est une excuse >>. Elle le sera enfin dans la mesure où elle explique l'absence d'aide et de protection autour de l'accusé pauvre et où cette considération doit compenser l'aide fournie aux riches en fonction de leur influence; c'est ce qu'affirme hautement le Contre Midias, 183 et 209 1 • Plus l'on descend le cours du temps, plus les excuses tirées des circonstances se multiplient et se diversifient. La faiblesse des hommes en général, qui semblait, dans Thucydide, un alibi un peu artificiel, se présente ainsi, dans chaque cas particulier, comme le reflet d'un sentiment réel, qui tend à expliquer les fautes par la faiblesse particulière de chaque groupe d'hommes considéré à part. Au niveau d'une psychologie encore rudimentaire se répand ainsi une tendance à remplacer l'accusation par une explication - tendance qu'à l'époque moderne la psychanalyse contribuera à pousser jusqu'à son terme extrême. Encore faudrait-il ajouter à ces excuses, pourtant si nombreuses, tirées exclusivement de l'acte incriminé et des circonstances qui y ont présidé, d'autres considérations, qui viennent, elles aussi, militer en faveur de la suggnômè. Il y a ainsi - et l'on sait quelle importance cet argument avait dans tous les plaidoyers athéniens - les arguments relatifs à la conduite passée du coupable ou aux services rendus par lui. Ils étaien~ déjà familiers à Thucydide et déjà bien représentés dans les premières pièces d'Euripide. Médée demande à Jason d'être indulgent à sa colère (auyyvwµovcx)en pensant aux services d'antan qui les lient l'un à l'autre (Médée, 870) 2 ; les Platéens de Thucydide utilisent le même argument auprès des Péloponnésiens, et Nicias, dans sa lettre aux Athéniens, au nom des services qu'il a auparavant rendus compte sur leur ~uyywµ."1) (VII, 15, 2). En revanche, on peut constater, dans l'œuvre de Thucydide, que l'argument se trouvait déjà parfois contesté, quand des mérites anciens venaient aggraver la faute récente : ainsi dans le discours de Sthénélaïdas à I, 86, 1, ou dans celui des Thébains, à III, 67, 2: les deux textes affirment qu'une double punition devrait frapper un pareil changement d'attitude. Ce beau retournement est sans doute une réponse à la vogue même de ce type d'excuse ; et il ne devait pas mettre fin à sa carrière, loin de là. Il n'est pas un discours où les services passés, les liturgies, voire les exploits des aïeux, ne soient longuement énumérés, comme des titres supplémentaires à l'indulgence. Enfin, à ces excuses, si bien représentées en justice, il faudrait encore ajouter toutes celles qui étaient Învoquées de personne à personne 8 • (1) Cf. Sur la couronne triérarchique, 11. De ces idées, on peut rapprocher celltl selon laquelle quelqu'un qui tourne mal, alors qu'il a reçu de gros avantages, est impardonnable (Euripide, fr. 297). (2) Dans Œdipe à Colone, Antigone demande à son père de recevoir Polynice par égard pour Thésée, à qui Œdipe doit tant: le service rendu joue par personne interposée. (3) Elles jouaient aussi parfois dans les procès, lorsque le plaideur faisait appel à la sympathie des juges pour des démocrates comme eux.

LES FAUTES EXCUSABLES

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Une femme, par exemple, attend l'indulgence d'autres femmes. C'est le cas déjà chez Sophocle, comme l'atteste le fragment 618 de sa Phèdre : il réclame l'indulgence et un silence complice au nom de la solidarité féminine 1 • De même, un crime accompli pour l'amour d'un frère s'autorisera de ce que l'être imploré connaît lui aussi l'amour fraternel ; tel est le cas dans la prière qu'Iphigénie adresse à Artémis dans Iphigénie en Tauride : > du christianisme. On peut aussi parler du respect que l'on éprouve pour autrui et qui nous retient de lui nuire : c'est le beau 2 ; et déjà il nous fait passer mot d'YX,(l)pe:i:v), qu'ils acquittent un accusé et reconnaissent son - cela sans parler des mots qui apparaîtront plus innocence (&.µ1tti8e:r.a.. Si l'on a choisi de suivre ici le sort de la seule suggnômè, c'est seulement parce que l'évolution ainsi dessinée est plus nette qu'une autre, et qu'elle permet de saisir l'unité qui rattache cette indulgence plus large à l'indulgence juridique, si visible dans les textes. Au reste ce sens large de l'indulgence se reflète jusque dans le domaine de la justice. Car, si la mention des services rendus et des liturgies crée une sorte de droit dont l'accusé peut se prévaloir, les appels à la pitié des juges sont un thème au moins aussi fréquent dans les plaidoyers. Et ce n'est pas seulement un argument rhétorique - sous cette forme, nous le connaissons encore - car il faut se rappeler que les plaideurs faisaient comparaître devant les juges des enfants en larmes et des familles éplorées. Il y avait là, vraiment, un appel au sentiment. Les Guêpes d'Aristophane prouvent assez que l'usage était courant dès le ve siècle 1 • Et ce fut, on le sait, une sorte d'éclat de la part de Socrate que de se refuser à un rite qu'il jugeait indigne de la justice 11• La suggnf>mè n'est donc qu'une des formes de la douceur, de la. pitié et de la compassion ; son progrès au long des textes grecs ne fait qu'illustrer, sur un exemple particulier, celui d'une tendance générale, qui fut toujours vivante au cœur des Grecs.

.. *

La suggnf>mè, comme la philanthrôpia, commence chez les dieux : c'est d'abord chez eux qu'on la trouve ou que l'on voudrait la trouver. En effet, le premier emploi du mot qui nous ait été conservé appa.rt.ient à un texte poétique et se situe dans une prière : ce texte est le beau poème de Simonide sur Danaè, transmis par Denys d'Halicarnasse (37 B = 13 D). Danaè flotte à l'abandon sur la mer, avec son enfant qui vient de naître ; elle exprime son angoisse, avec sa tendresse pour son fils ; et elle supplie Zeus de mettre fin à leurs épreuves. Pour finir, elle lui dit (25-27) : « Si quelque chose dans ma prière est arrogant ou sans justice, pardonne moi >) - 01Jyyvw6tµot. En fait, rien ne pourrait être moins arrogant ou moins injuste que sa prière : Danaè n'a aucune faute de ce genre à se reprocher. Mais, avec les dieux souverains, on ne saurait jamais être assez prudent ; aussi, sans même se sentir coupable, Danaè demande-t-elle pardon des offenses qu'elle pourrait avoir commises. Elle implore donc ce pardon sans se (1) Gu~pes, 568-574; 975-984. (2) Platon, Apologie, 34 d - 35 c. Au 1v• siècle, l'habitude n'avait cependant rien perdu de sa régularité : cf. entre autres Lysias, Pour Polyatratoa, 34 ; et voir D over, Greek Popular Moralitg, p. 195.

L'APTITUDE

À PARDONNER

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fonder sur la nature de sa conduite, mais seulement sur l'espérance que l'on place en la clémence des dieux. Sa prière est humble, et émouvante ; et cette humilité acquiert un sens plus riche encore du fait que le salut devait en effet lui être accordé ainsi qu'à son fils. Ici, on attend donc que Zeus pardonne les offenses. Le texte est d'autant plus remarquable que les dieux grecs, normalement, étaient peu portés au pardon. Ils se vengeaient, souvent de façon terrible et avec un véritable acharnement. C'est le cas chez Homère. C'est encore le cas chez Eschyle. La seule différence entre les deux est que, dans l'intervalle, cette vengeance est devenue moins personnelle, plus proche d'une justice rigoureuse. Mais, si les dieux sont devenus justes, ils ne sont pas devenus bons. Dans la pratique, presque aucun texte grec ne retrouvera tout à fait l'accent de celui de Simonide. Pourtant, à toutes les époques de la civilisation grecque, les dieux ont été capables de pitié et de compassion. C'est bien pourquoi on les prie. Dans les textes d'Homère ou d'Eschyle, ces prières sont surtout des appels à l'aide. Les suppliantes d'Eschyle demandent aux dieux d'être propices (140 : 1tpEO!'-E"EÏ:ç),bienveillants (144 : 6ÉÀouaoc),sauveurs (150 : poaLoç),de jeter un regard sur leur sort (359 : t8oL-ro).Les dieux grecs, en effet, peuvent avoir pitié des malheurs humains. Et même un peu plus tard, dans un monde où les dieux se sont éloignés de 1'action et se tiennent à l'écart du malheur, dans une sorte d'impassibilité1, ils conservent cette aptitude. Castor le déclare dans l'Électre d'Euripide : «Hélas ! hélas ! ton langage est cruel à entendre, même pour les dieux. Car moi-même et les habitants du ciel, nous savons compatir aux misères humaines>> (1327-1330)2 • Comment les dieux grecs n'auraient-ils pas été capables de compassion? La pitié est pour les Grecs une forme de la sagesse ; et un peu comme dans le dicton français qui déclare : « C'est toujours le plus intelligent qui cède>>,la pénétration d'esprit, en Grèce, porte à la douceur. C'est ainsi que dans Électre, Euripide fait dire à Oreste : « La pitié ne naît 8• pas dans un esprit obtus, mais dans un esprit pénétrant» (295 : aoc:poi:at) Et Iolaos, dans les Héraclides, souhaite avoir un ennemi sage et non pas incompréhensif, car, si cet ennemi est sage, on peut, même dans le malheur, rencontrer de sa part des égards (458-460). La sagesse des dieux doit donc leur permettre, à eux aussi, de distinguer entre les fautes : la justice de Zeus n'est nullement aveugle. Et, comme le dit Lichas dans les Trachiniennes, si Héraclès «s'était vengé de façon loyale, Zeus lui eût pardonné d'avoir frappé selon le droit» (279 : auvéyv6l). (1) cr. Hippolyte, 1396, 1441; Troyennes, 837. (2) cr. HtracMs, 1115, où il est dit que• même un dieu• gémirait si cela lui arrivait (interprétation qui n'est pas celle de la C.U.F.). L'épitaphios de Lysias dira de même: 1 Quel dieu n'eO.t pas été touché (~Àtl)cre:v) de la grandeur de leur péril ? Quel homme n'eOt pas versé sur eux des larmes ? • (40). (3) Traduction Marie Delcourt. La traduction de la C.U.F. parle d'esprit • sans culture•• ce qui est assez impropre : li s'agit d'â.µ0t610t,c'est-à-dire d'incompréhension. Les deux mots, employés en contraste dans le passage des Héraclides mentionné ensuite, sont les mêmes.

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LA DOUCEUR

DANS LA PENSÉE

GRECQUE

Mais surtout la sagesse des dieux devrait leur assurer, à défaut de bonté, une certaine patience à l'égard des fautes humaines; c'est du moins ce qu'attendent d'eux les hommes de la fin du ve siècle. Quand le serviteur d'Hippolyte voit l'arrogance de son jeune maître envers Aphrodite, il se tourne vers elle et réclame son indulgence; pour cela, il invoque sans doute des excuses 1, mais il en appelle surtout à la clémence que doivent posséder les dieux:« Il faut pardonner à qui, dans l'emportement d'une âme juvénile, t'adresse des propos inconsidérés. N'aie pas l'air de l'entendre : les dieux doivent être plus sages que les mortels• (Hipp., 118-120). Créuse, dans Ion, compte bien sur la même indulgence, quand elle s'écrie : > (1440). On espère même que les. dieux pardonneront là où il n'y a pas d'excuse ; et Tirésias n'hésite pas à aller prier Dionysos pour Penthée, l'impie, ► (4:18-447). La référence à la nature humaine, qui fait commettre de,; fautes, et la mention de la toute-puissance de l'amour, à qui nul ne peut ré~ister, rappellent de très près les excuses passées en revue dan,; le chapitre précédent. Pourtant, la résonance est assez différente ; et le fait que Déjanire rapproche son propre cas de ceux d'Héraclès et d' Iole (444 : : c'est le même mot qu'à la fin de la pièce 1 , qui signifie à la fois borné et cruel : ceci ne saurait nous surprendre. Mais l'important est que le mot, ou plutôt son contraire, désigne un trait de caractère, une qualité durable appartenant à une personne : le pardon n'est plus lié à l'acte que l'on juge, mais au tempérament de la personne qui juge. De fait, on a trouvé chez Euripide l'adjectif auyyvµCùv (indulgent) 2 , et l'on trouve à la fin des Trachiniennes le substantif cru'Y)'Vwµoo-uv"f) (indulgence )3 • L'attitude de Déjanire donne donc déjà le ton de la nouvelle suggnômè, fondée sur la compréhension et la solidarité humaine. On retrouve dans d'autres pièces des échos de ce sentiment de commune fragilité, en des termes plus généraux, plus proches encore de ceux d'Hérodote. Ainsi, dans Philoctète, le héros supplie Néoptolème, avec une insistance désespérée, en lui demandant de le prendre en pitié ; et il ajoute, pour mieux le convaincre:> (121-126). Cette réflexion si noble aurait de quoi retenir l'attention de toute manière : le fait qu'Ajax ait voulu s'en prendre précisément à lui, Ulysse, le fait que la déesse ne l'encourage en rien à ce genre de sentiment, tout contribue à lui donner du relief. Mais ce relief s'accroît encore quand on constate qu'à la fin de la pièce Sophocle prête une seconde fois à Ulysse des idées d'une générosité comparable. Alors que Ménélas et Agamemnon poursuivent leur rancune contre Ajax par-delà la mort du héros et refusent de le laisser ensevelir, Ulysse, qui était l'ennemi attitré d'Ajax, intervient en sa faveur. Dès qu'il

(!) cr. chapitre précédml, p. 66, n. 5. (21 On le trouve dans le fragment 645, cité plus haut, p. 80, el dans Médée, 870. (3) 1265.

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LA DOUCEUR DANS LA PENSÉE GRECQUE

arrive, il appelle Ajax «ce brave» (1319) ; il pense que Teucros, s'il a manqué au respect qu'il devait à ses chefs, a peut-être eu des excuses ; et, sitôt mis au courant du litige, il demande à Agamemnon de ne Pas refuser «impitoyablement >>une sépulture à Ajax. « Pour moi aussi», explique-t-il, «il était le pire ennemi que j'eusse dans toute l'armée »; «et, malgré tout, je ne saurais répondre à sa haine par un affront» (1336 sqq.). Et plus loin encore : > (269). Le fragment 130 du même Euripide veut que l'on n'insulte pas l'infortune, pour le cas où on la connaîtrait soi-même un jour. Démocrite dit, de façon comparable qu'il ne faut pas rire des malheurs d'autrui, mais les prendre en pitié (107 A) ; il semble d'ailleurs que la morale de Démocrite ait fait une assez large place à la solidarité humaine ou au moins civique : le fragment 255 recommande ainsi l'aide des riches pour les pauvres, aide qui permet la pitié, écarte la solitude, et crée des liens de camaraderie, de secours réciproques, enfin de concorde. L'argument de la fragilité humaine, et de la solidarité qui doit en être la conséquence, se retrouve avec plus de précision chez Démosthène. Dans le discours Sur la liberté des Rhodiens (21 ), il dit qu'il faut aider autrui > signifie compréhension et indulgence. Cette idée de la solidarité humaine se complète d'ailleurs par un dernier aspect, puisque l'on rencontre l'affirmation qu'il faut traiter des prisonniers « comme des hommes qu'ils sont>> : c'est le propos que Xénophon prête à Agésilas dans le traité qui porte son nom (1, 21). Le respect de la personne humaine perce ici sous l'appel à la douceur. Encore flottante et mal définie, la notion d'humanité commence donc nettement à poindre dans les textes. Elle s'épanouira plus tard avec Ménandre 8 • Mais il est clair que, même si la notion n'a pas la même valeur qu'en latin, d'ores et déjà elle existe, et vient rejoindre l'idéal de la douceur. Une des caractéristiques de la générosité et de l'indulgence grecques restera cette solidarité humaine qui en constitue le fondement. Alors que, dans certaines civilisations, on parle de faire du bien aux pauvres ou d'être indulgent avec les humbles", la générosité et l'indulgence grecques M'exercent non seulement entre citoyens, mais entre hommes, unis dans une commune condition, qui mène à la fraternité. Et ce trait apparaît dès les premiers textes où s'amorce cette notion. (1) Pour d'autres exemples, dans lesquels il s'agit moins nettement de pardon, op. cil., p. 270-271. (2) § 70; cr. le même adverbe, appliqué à la teneur d'une loi, au § 83.

cr. Dover,

(3) Cf. ci-dessous, p. 203. (4) cr. le livre de H. Bolkestein cité ci-dessus, note 1, p. 4.

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LA DOUCEUR DANS LA PENSÉE GRECQUE

La morale qui perce dans l' Ajax constitue donc un moment important dans l'histoire de la douceur grecque : les textes postérieurs le confirment. Peut-être l'attitude personnelle de Sophocle ne se confond-elle pas avec celle d'Ulysse : c'est un problème un peu vain que de chercher à doser la part d'admiration ou d'approbation que Sophocle voulait voir attribuer à l'intransigeance d' Ajax ou à l'humanité d'Ulysse. Mais une chose est sûre : on voit nettement apparaître dans ce théâtre une morale de l'indulgence et de la compréhension. Celle-ci n'est pas encore celle sur laquelle l'auteur concentre toute la lumière ; mais elle est au moins définie en profondeur comme un effet et une conséquence de la solidarité humaine 1 .

... Dans le théâtre d'Euripide, la suggnômè n'occupe pas une place aussi constante, et sa nature n'est plus liée au même sens tragique de la condition humaine. Mais, si elle paraît assez peu dans son œuvre, elle s'y présente cette fois sous un jour nettement idéalisé - ce qui est nouveau. Certes, le monde d'Euripide, déchiré par les passions, n'est guère, dans l'ensemble, porté au pardon. Médée laisse à la fin le spectateur en face de deux haines irréconciliables. Les Héraclides s'achèvent sur le refus obstiné de faire grâce à Eurysthée. Hécube se conclut par une vengeance de la dernière cruauté. En fait, pour que les haines humaines renoncent à s'exercer, il faut en général - comme dans le Philoctète de Sophocle - l'intervention d'un dieu. Dans Hélène, ce sont les Dioscures qui exigent : (1300 sqq.). Phèdre a donc, conformément au cadre de pensée défini dans le chapitre précédent, la double excuse de la contrainte et de l'ignorance. Elle a agi oùx Éxou01x.Et la faute, en vertu d'un rejet de responsabilité, revient toute entière à Thésée, qui a agi trop vite. Pourtant, Thésée lui-même peut à son tour être excusé : (1435-1436). Aussi, Artémis une fois partie, le père implore-t-il de son fils ce pardon qu'elle lui a recommandé d'accorder; et celui-ci lui pardonne, sans réserve. Ce qui t'ltait acquittement fondé sur des excuses d'apparence presque juridiques 1levient dès lors un vrai pardon venu du cœur : >. Simplement, comme pour mieux insérer cette clémence dans le progrès dala suggnômè, Xénophon, cette fois, a employé le mot : GUï(Lyvwaxe: 3 • ~ mx-rpl (1) C'est ce qu'admet J. P. Vernant, Mythe et tragédie en Grèce ancienne, Paris,

IV72,p. 67. (2) Cf. Xénophon, Apologie, 20 : • J'en sais à qui tu as persuadé de t'obéir à toi

flutôt qu'à leurs parents •· (3) Sur la clémence de Cyrus en général, cf. ci-dessous, chapitre VIII, p. 137sqq. bl, Xénophon ne voulait probablement pas suggérer que cette leçon de pardon pflt 1'1ppliquer au cas de Socrate et de ceux qui avaient causé sa mort. Ils n'avaient pas IN mêmes raisons. Et si le sage rappelle Socrate, il ne lui sert pas de symbole et n'est llllllement un personnage à clef.

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LA DOUCEUR DANS LA PENSÉE GRECQUE

Il n'y a pas lieu de poursuivre plus loin une évolution aussi nclte 1 : seule doit être considérée ici la montée de la suggnômè au eours du ve siècle ; et l'exemple de la Cyropédie ne fait que prolonger ce développement. De toute façon, qu'elle appartienne à Artémis, au sage, ou bien au roi, il est clair que la suggnômè est désormais une vertu. Elle peut servir à caractériser un homme. Et Aristote précisera qu'elln est liée à sa praoMs ; celle-ci rend les hommes peu vindicatifs, et au contraire «indulgents» (ltthique à Nicomaque IV, 11, 1126 a 2 : où y«p ·nµCùplJTLXO> (II, 37, 2). Dans la phrase suivante une telle conduite sera 1 ; et cela correspond bien à notre appelée (ocvmocx_0c7>> (11, 39, 1). De même la générosité ,('Athènes, toujours prête à aider les faibles et à les prendre en pitié,

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LA DOL'CEUI{ DANS LA PENSÉE

GRECQUE

est un thème classique dans tous les éloges de la cité 1 . Mais c'est envers les villes soumises qu'avant tout une cité peut avoir à être ;et le fait est qu'il sera question dans les textes de cette douceur-là. Celle qui règne dans la cité est forcément différente. Là, il n'y a pas de maîtres et de sujets. Mais on parle de la douceur des lois, quand elles prévoient des peines légères, et de la douceur des citoyens dans leurs fonctions de juges, s'ils les remplissent avec indulgence 2 • Il peut aussi exister une douceur des citoyens entre eux, s'ils tolèrent les uns chez les autres ce qui pourrait susciter l'irritation ou l'animosité. En tout cas, selon les circonstances ou selon sa propre pensée, chaque auteur loue une des formes de cette douceur. Quelquefois ce n'est qu'un mot en passant, dans un plaidoyer : ainsi on lit dans le Contre Andocide transmis sous le nom de Lysias que l'impunité du personnage est due à la douceur des Athéniens ( praoleta) et à leur manque de loisir (34) ; ou bien on lit dans le Sur l'invalide que les Athéniens ont la réputation d'être entre tous compatissants (7 : &ÀEl)[J.OVl::G't'IX't'm ) 3.

En revanche, chez Isocrate et Démosthime, les textes sonL plus insistants. Isocrate mentionne la douceur d'Athènes dès son Éloge d'Hélène. En effet il reconnaît clans l'attitude des Athéniens l'héritage de la douceur de Thésée : (:37 : praolèlos). Comme Isocrate s'occupa surtout de la politique d'Athènes en Grèce et de son hégémonie, c'est dans ce domaine essentiellemenL qu'il reconnaît cette ,et ne cesse d'en faire l'éloge. Dans le Panégyrique, quelques années apri~,; l'Hélène, il dit ainsi qu'Athènes a agi avec philanlhrôpia, puisqu'elle n'a pas gardé pour elle les avantages qui se trouvaient a sa disposition, mais qu'elle a sol'it>lé dLÀa.v8pc:in-i> ) 1 - les uns regardant les actes des victimes de la malchance de telle serte que, comme dit le proverbe, en voyant ils ne voient pas, en entendantis n'entendent pas, et les autres faisant ce qu'ils font de telle manP.~ qu'on voit bien qu'ils prennent des précautions et ont de la honte. Ceit ce qui fait durer et subsister solidement la cause commune de tou1 le bonheur de la cité, la concorde>> (87-89). Dans ce texte, on retrouve l'idée exprimée par Thucydide, avec 315 limites clairement définies. Il s'agit, non de la vie politique et du respit des lois, mais des égards régnant entre les personnes dans la vie qu,,tdienne2. Il est important de le relever pour deux raisons. D'abord .. il nature de nos sources a pour effet de privilégier toujours les aspec:s politiques ou juridiques de la douceur ; or cette douceur dans les rappc,11& quotidiens, bien que moins souvent évoquée, était destinée à se dév•lopper plus librement, sans se heurter à la barrière des lois ; et elle ou~ ainsi une perspective, qui sera trop vite refermée ici, sur un des aspEœ les plus accomplis de la douceur d'Athènes. Quant au second intérêt que présente cette évocation, il se ratta,~~ au premier. En effet la douceur impliquera souvent, dans la vie politiqu l'existence d'une souveraineté; c'est ce qui empêchera de jamais céléb:n; la d'un citoyen envers les autres, lorsqu'il s'agit de l'acti,a. publique. Or, on constate ici que, dans les relations courantes, la douce;r (1) Nous modifions le sens donné à ce membre de phrase par G. Mathieu. De llL~ie les mots • le faire,, plus haut, sont de nous, et aussi, plus haut encore, les expresllios relatives à la vie dans les familles et dans la cité : voir note suivante. rr:6)..woli,-~,e: (2) Démosthène parle bien de la vie collective dans la cité ('TTJV 87Jµ.oalci;), mais il ne parle pas de vie politique, ni même de vie • publique et nationa1 1, _ Il rapproche seulement les relations que l'on a au sein d'un groupe restreint et au su:i d'un groupe plus large.

LA DOUCEUR D'ATHÈNES

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pouvait fort bien s'accommoder de l'égalité et de la démocratie. La seule réserve est que Démosthène, qui n'emploie pas ici le mot praos pour désigner un groupe de citoyens par rapport à un autre, réservera cette notion pour la cité dans son ensemble, ou son régime 1 • Autrement, c'est bien la même douceur que dans les tribunaux. Elle se place avant tout procès ; elle consiste à les éviter, à >. Que ce soit là une des formes essentielles de la tolérance n'est pas douteux. Par une rencontre révélatrice, Dion Cassius prête à Livie (LVIII, 2) une formule équivalente lorsqu'il s'agit de définir la clémence qu'elle attend d'Auguste. Peut-être même la comparaison offerte par Démosthène peut-elle aider à comprendre la phrase un peu allusive de Thucydide, parlant des « vexations qui, même sans causer de dommage, se présentent au-dehors comme blessantes >>.Les Athéniens de Démosthène, comme ceux de Thucydide, se contentent de discrétion ; ils font semblant de ne pas voir ; ils ne s'indignent pas. Quant à la tolérance dont faisait preuve le texte de Thucydide en parlant de l'homme qui (et non pas ou (81 : tAe:ov, t7UY'(VWµ"l)v, qnÀocv0pwrrlocv). La douceur des Athéniens serait, en quelque ,mrtn, innée. Il Hepeut en plus qu'elle suppose une idée comme celle que développe Platon dans le Ménéxène, rappelant qu'Athènes, à la différence de Sparte, Il toujours été habitée par une seule et même population : les Athéniens ,mnt donc, dit le texte, «tous frères nés d'une même mère » (238 e-239 a) ; nt cette parenté de fait explique, selon Platon, la modération avec lnquclle ils se réconcilièrent en 403 (244 a). À cela s'ajoute l'idée que cette douceur correspond à la qualité de ln civilisation qui règne à Athènes. Ceux qui la vantent semblent en ,,lfct penser toujours plus ou moins que c'est encore un de ces cas où Athènes se trouve être >.Après tout, il est admis 4111eles hommes se distinguent des animaux par leur aptitude à se c•oncerter de façon pacifique ; il est admis aussi que les Grecs sont en ce ,lomaine supérieurs aux barbares, dont la cruauté est souvent reconnuel. IHocratc est peut-être celui chez qui cette idée de la civilisation s'exprime ln plus nettement. Il rappelle que la parole a permis ainsi d'échapper à ln vie sauvage (Nicoclès, 6; Sur l'échange, 254) ; et il compare l'éducation ,les hommes aux procédés qui, en apprivoisant les animaux, leur donnent • plus de douceur»; il est même choqué que l'on puisse à ce sujet avoir ,lm, doutes : «En outre, bien qu'ils voient, à propos des chevaux, des d1iens et de la plupart des animaux, des gens posséder des méthodes 11uidonnent aux uns plus de courage, aux autres plus de douceur 2 , aux 11utres plus d'intelligence, ils croient que, touchant la nature humaine, un n'a inventé aucun système d'éducation capable d'amener les hommes 1au point où ceux-ci amènent les bêtes brutes (... ) Alors que chaque 1111née ils voient, dans les spectacles offerts à la curiosité, des lions qui montrent plus de douceur envers qui s'occupe d'eux que certains hommes ,,nvers leurs bienfaiteurs, ...même devant cela ces gens ne peuvent ,·umprendre quelle est la valeur de l'éducation» (Sur l'échange, 211-214)3. i\l.hènes, qui a fait don à la Grèce de l'éducation, qui a développé ces ( l) cr. par exemple Thucydide VII, 29, 4. - Ménandre présente un personnage ,1111 se reproche sa dureté en se traitant de barbare sans cœur (Arbitrage, 878 sqq.).

(2j '.',ous modifions pour ce mot la traduction de la C.U.F. : le grec dit n:p>.Après quoi il était revenu directement de ce libéralisme à l'attitude des citoyens par rapport aux lois : « Malgré cette tolérance, qui régit nos rapports privés, dans le domaine public, la crainte ... >>.Par conséquent, cette tolérance était un des caractères du régime politique d'Athènes : elle obéissait aux mêmes principes et se combinait avec les autres mérites qu'il présentait. Ce lien s'est encore précisé au 1v0 siècle: c'est en effet avec la démocratie et en liaison étroite avec elle que la douceur se trouve, selon les cas, louée ou condamnée. Isocrate prend ainsi grand soin de signaler, chaque fois que son propos le permet, qu'elle est caractéristique de la vraie démocratie, celle d'autrefois, celle des ancêtres, telle qu'il voudrait la voir revivre. Cette démocratie-là, écrit-il, n'était pas mensongèrement appelée du nom > (Aréopagitique, 20 : 't"é;) XOLVO't"CX't'Cp 1tpotO't'IX't'Cp) : au contraire, alors régnait, à ses yeux, une démocratie saine et digne de ce nom. Dans le Panégyrique, il loue déjà le régime que se donnèrent les Athéniens en disant qu'il était tout ensemble > et propre à faire que les gens se sentent (41: otxd; elle se marque à ses yeux dès l'époque de Clisthène, et se traduit dans le comportement du peuple, qui tolère, sans les bannir, ses ennemis (en l'occurrence, les amis des tyrans). Si cette relation entre démocratie et douceur apparaît bien nette dans ces textes, elle prend plus de précision chez Démosthène, dont l'esprit démocratique n'est pas douteux et qui lie résolument la douceur d'Athènes au principe même de la démocratie. À ses yeux, elle est le signe et la vertu de ce régime. Dans un passage répété de.ux fois ( Contre Androlion, 51 = Contre Timocrate, 163), il expose cette idée : « Cherchez, je vous prie, pour quelle raison on aime mieux vivre dans une démocratie que dans une oligarchie. La première qui vous viendra à l'esprit, c'est que, à tous égards, il y a dans une démocratie plus de douceur ('Tt'cxVTot 'Tt'poco-re:p' ecr't"(v).Et, dans les deux discours, ce rapport est précisé avec insistance et fermeté. Dans le Contre Timocrate, il ne s'agit pourtant pas d'un plaidoyer pour la douceur, tout au contraire : Démosthène ne fait qu'attaquer en passant le peu de douceur d'Androtion; il saisit ainsi l'occasion de louer la tradition athénienne à laquelle celui-ci s'oppose. Il saisit d'ailleurs d'autres occasions encore : lorsqu'il plaide pour l'application des lois que Timocrate voulait suspendre, il dt.vient même plus clair. Il vante l'utilité et l'excellence de ces lois en disant : «Rien de dur, de brutal, d'oligarchique dans leurs prescriptions; bien au contraire, la procédure qu'elles formulent est toute humaine et démocratique•> (24: qnÀotv0pwmùç xotl.81jµo-rtxwç). En effet cette procédure établit les droits réguliers du peuple, et elle interdit par là toute forme d'arbitraire ; elle protège donc les droits de tous, ce qui est le véritable sens de la démocratie 1 • En face des tyrans ou des oligarques, l'ordre légal est déjà, par lui-même, douceur. Mais, dans le Contre Timocrate, Démosthène reprend aussi les arguments avancés dans le Contre Androlion, un an et demi plus tôt, pour attaquer le manque d'égards du personnage 2 ; et ces arguments apportent des analyses plus poussées, dans lesquelles il ne s'agit pas seulement de l'ordre démocratique, mais de la liberté qui en est la base. Il précise ainsi que, dans les lois et les traditions nationales d'Athènes, on trouve « la pitié, l'indulgence, tous les sentiments qui conviennent 8 aux hommes libres >>(57) : le lien avec la liberté est donc fermement affirmé. Il correspond du reste au mouvement même qui était celui de l'exposé dans Thucydide : «Nous pratiquons la liberté non seulement ... ,

(1) Cf. Aristophane, Grenouilles, 952, où le mot •démocratique• s'applique au procédé d'Euripide faisant parler même les personnages les plus humbles, et Assemblée des femmes, 411, où il s'applique à un vaste programme d'entraide réciproque. Cf. Dover, op. cit., p. 289 (qui cite également le fragment 192, 9 d'Aristophane et Euboulos, fr. 72). (2) Les § 53-56 du Contre Androtion sont repris, avec de légères modifications, dans Je Contre Timocrate, 165-168. Nous renvoyons ici au texte du Contre Androtion. (3) Traduction modifiée pour ces quelques mots, en fonction de la discussion qui 1uit.

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LA DOUCEUR DANS LA PENSÉE

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mais ... >>.En retour, la phrase de Thucydide pourrait aider à préciser ce que veut dire ici Démosthène. Car il semble bien s'agir de la conduite 1 : qui sied à des hommes libres, et leur commande d'être c'est le sens de la traduction qui donne ces sentiments pour >(52)3 ; or quoi de plus contraire au statut d'un voulez-vous chercher la différence entre homme libre? > (563 b). Mais on ne Haurait oublier que cette description célèbre n'est pas, dans le livre VIII, la première évocation de la démocratie : elle analyse seulement les raisons qui font sa perte. Lorsque la démocratie, au contraire, s'instaure, Platon commence par en faire un éloge ironique, qui s'attache à trois mérites supposés - en fait à trois vices profonds. Or deux de ces trois mérites, ou de ces trois vices, sont du domaine de la douceur. Le premier, à vrai dire, en est aussi très proche, puisqu'il s'agit de (1) o(hwç ~µtpoL xod . Ce fier refus, qui ouvre le ive siècle, ne pouvait pas venir de n'importe quel accusé ; il fallait être Socrate. :\fais les marques d'impaLicnce, chez les orateurs, sont multiples. On peut se t:ontenter de quelques exemples. Voici d'abord un ancien discours, transmis dans les œuvres de Lysias mais qui date de la guerre du Péloponnèse (XX : Pour Polyslralos) : l'orateur se contente de suggérer qu'il n'est guère convaincant de vouloir épargner un accusé en considération de ses enfants : (188). Ou bien s'agit-il de gens qui vont intercéder pour l'accusé? Démosthène

LES LIMITES DE L'INDULGENCE

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réagit de même : il ne veut pas que l'on écoute les frères d'Eschine : • S'il convient qu'ils s'intéressent à Eschine, vous, c'est aux lois que vous devez vous intéresser, à tout l'État et, avant tout, aux serments que vous avez prêtés avant de siéger>>( Ambassade, 239) 1 . Enfin, voici, après l'effondrement d'Athènes, l'indignation de Lycurgue, qui voudrait obstinément réveiller l'éthique ancienne de la cité. Ces ,mpplications lui semblent scandaleuses : >(148). Si Midias nt ses amis devenaient jamais les maîtres de la cité, «quelle indulgence, 11uelségards &croit-on qu'un accusé trouverait auprès d'eux? Alors, la ,ionclusion est claire : « Ne vous comportez pas d'autre façon, Athéniens, A l'égard de gens qui vous traiteraient ainsi» (209-210). Mais surtout l'on a, dans le Contre Midias, quelque chose de plus : on a une comparaison qui fait de la pitié non pas un don, mais un prêt, ou plutôt une cotisation - nous dirions peut-être une prime versée à une caisse de 1olidarité. On ne l'accorde que pour compter sur elle en retour : si ,,uelqu'un est «modéré, humain, pitoyable 2 » à l'égard des gens, il reçoit Il son tour la même contribution des autres le jour où il se trouve en difficulté avec la justice; mais celui qui est un impudent se verra lui uussi payer, ce jour-là, de même monnaie, et nul n'aura d'égards pour lui (184-185). La comparaison marque mieux que ne pourrait le faire 11ucun commentaire la force et les limites de l'indulgence athénienne. Ka force est d'être civique et de reposer sur un sens aigu des devoirs Impliqués par une société. Ses limites sont d'être moins une vertu prônée fl0Ur elle-même que l'objet d'un troc, soumis à toutes les règles du troc nt al.tendant toujours d'être payée de retour. Cela ne veut point dire que l'indulgence et la bonté des Athéniens n'aient pas été spontanées ni vives, loin de là. Cela veut dire seulement 11u'ils réprimaient la tentation de s'y abandonner et cherchaient à •oumettre leur penchant aux exigences de la justice, celle-ci demeurant toujours, à leurs yeux, souveraine. Leur attitude a d'ailleurs ses prolonl(oments dans la nôtre. Et, si la charité ou la bonté sont devenues, avec Ir, christianisme, des vertus en soi, qui n'attendent rien en retour, le hcsoin de réciprocité et d'équité, qui se traduisait si impérieusement nhez les orateurs grecs, continue de marquer l'attitude de la plupart des lfllnS,non seulement dans la vie judiciaire, mais dans la vie quotidienne 11Lprivée. Quoi qu'il en soit, le fait est qu'à Athènes l'idée d'une bonté gratuite n'existait pas. Se montrer généreux sans pouvoir compter sur rien en

r.

(1) Contre Aristogilon 1, 81-84. Nous modifions la traduction du dernier mot, uni11uernentpour faire mieux apparaitre la place occupée par la justice dans ce refus de ln pitié. (2) Nous modifions la traducl ion du mot grec l:.Àt&v.

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LA DOUCEUR DANS LA PENSÉE GRECQUE

retour était simplement un procédé de dupe 1 • Démosthène, quand il se plaint de l'indulgence excessive d'Athènes combine avec le mot 1tpor.6't'Yjc; celui d'e:ù~Oe:~or., qui signifie naïveté, candeur, sottise : il parle alors, en les groupant sous un même article de la candeur d'Athènes et de sa uµe:-répor.v e:ù~0e:iocv xocl 1tpoc6't'Yj-rot ( Ambassade, 104). Ailleurs, douceur: -rYJV il parle simplement de candeur (e:ù'Yj0docc;) et l'on traduit par ((bonté» (Contre Timocrale, 52), tant les deux mots deviennent équivalents. Mais peut-être jamais Démosthène n'est-il aussi sévère que lorsque, justement, il se refuse à dire le nom que mérite cette bonté : dans le Contre Aristocrate (156), il pratique une belle aposiopèse, en évoquant ce moyen de salut qui est le même pour tout le monde : lequel? «C'est cette tendance que vous avez, Athéniens, qu'il faille l'appeler bonté (philanlhrôpia) ou bien de quelque autre nom ... >>2 • Cet autre nom désigne sans équivoque possible l'aptitude à être dupé. Or, dans le domaine privé, une telle aptitude peut exposer au ridicule ou aux déboires ; mais dans le domaine de la cité elle devient aussitôt ruineuse - ce qui explique que la réaction ait été, en ce cas, encorn plus nette et plus vive.

...

Qu'une telle attitude puisse être ruineuse dans le domaine de la politique extérieure n'est que trop évident : les chapitres suivants auront relever que les à évoquer ce risque. Mais on peut dès maintenant rapports avec les autres cités avaient leur retentissement sur la vie même dans la cité et les rapports entre citoyens. Deux passages déjà cités de Démosthène s'élevaient contre l'idée que l'on pût montrer de l'indulgence à l'égard des traîtres 3 ; et ils sont loin d'être isolés. Mais on pouvait aller plus loin et assimiler aux traîtres bien des citoyens considérés comme coupables envers la patrie. Cela était vrai des ennemis du régime. Malgré la réconciliation de 403, l'indulgence en ce cas était aisément suspecte ; et Lysias, dans le Contre Ératosthène, ne manque pas de le signaler : ((Le moment est venu où il ne doit y avoir dans vos cœurs ni pardon ni pitié (...) : pendant que vous triomphez dans les combats des ennemis de la cité, n'allez pas, par votre vote, donner la victoire à vos ennemis » (79) ; ou encore : > (218)2 • Et Isocrate y apporte la touche moralisante qui le rapproche de Platon, quand il écrit dans l' Aréopagitique 47 : > la (1) Hellenica, XIII,

p. 223-224.

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LA DOUCEUR DANS LA PENSÉE GRECQUE

plaie dont souffre la ville et d'y rétablir l'harmonie en y accueillant l'exilé 1 • De même Hérodote signale que, si Cambyse était , Cyrus, lui, était doux (111, 89, 3 : èpios) ; il justifie ainsi la formule prêtée aux Perses : ils «disent de Darius qu'il fut un traJiquant, tandis que Cambyse était un maître et Cyrus un père >>.En Egypte également, Mykérinos était èpios pour son peuple, allant jusqu'à donner de ses biens pour consoler ceux qu'irritaient ses sanctions ; aussi les Égyptiens le louaient-ils plus qu'un autre (11, 129). Ces formules prennent d'autant plus de relief que, dans la période qui sépare Homère du ve siècle avant J .-C., une longue expérience avait enseigné aux Grecs le danger de la toute-puissance, quand aucune douceur ne vient la corriger et qu'elle tourne à la tyrannie. On le Voit bien chez Hérodote. Le tyran fait violence aux femmes et met à mort les gens sans même qu'il y ait de jugement (III, 80). Pour en donner une idée, à propos du cas de Corinthe, Hérodote insère dans son histoire un discours d'une longueur exceptionnelle et d'une utilité immédiate contestable, qui la flétrit avec éloquence. La tyrannie est, dans ce injuste et sanguinaire>> (V, 92, ex). De fait, Kypsélos bannit, discours, > : c'en est fini de sa douceur. Il peut donc y avoir des princes doux ; mais le discours prouve bien que la tyrannie comporte le risque du contraire - ce contraire n'étant pas seulement défini par l'arrogance ou la sévérité, mais par le meurtre et l'arbitraire. Les mêmes attaques contre la tyrannie se rencontrent dans la tragédie - que ce soit dans le Prométhée d'Eschyle, ou dans les nombreuses allusions que contient l'œuvre d'Euripide. Pendant la guerre du Péloponnèse, l'idée semble s'être précisée, en fonction de la réflexion qui assimile l'empire d'Athènes à une tyrannie 2 • Dans les Suppliantes, toute une analyse reprend, de façon très fidèle, les thèmes esquissés par Hérodote ; elle y ajoute l'idée importante que le tyran craint les complots (446). Euripide précisera un peu plus tard 3 , dans Ion, que ces craintes gâtent la vie du tyran 4 ; et il définira dans les Phéniciennes la tyrannie injustice heureuse>> (549). On reconnaît dans ces elle-même comme une >. Une brève évocation de tous les meurtres de tyrans exécutés par leurs proches illustre cette situation : la haine de tous met le tyran en grand danger. Pour éviter de tomber dans les mêmes maux, les rois doivent éviter t.out ce qui peut faire naître l'hostilité. Ils doivent être justes ; ils doivent nussi être doux. C'est ce qu'Isocrate recommande au jeune roi de Chypre, Nicoclès, qui semble avoir été son élève 1 • Dans le traité qu'il lui adresse, vers 370, le traité À Nicoclès, il rappelle le rôle que joue, pour les simples particuliers, l'existence des lois et de la liberté de parole, avec les critiques (1) Cf. Sur l'échange, 40.

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que celle-ci autorise : les tyrans, manquant de ce double appui, sont. livrés a eux-mêmes et tombent dans une vie de malheur. Que faut-il donc? Isocrate va l'expliquer, car un tel enseignement peut, selon lui, rendre plus solide le pouvoir des souverains et plus douce la vie politiqun Dès l'énoncé de son thème, Isocrate fait donn des sujets (8: 7tpoto't'époc.ç)1. intervenir la douceur. Elle reparaît dans la doctrine elle-même. Son premier point est en effet que le roi doit songer toujours au bien du pays. Platon n'aurait pas dit mieux. Mais Isocrate ajoute d'autreM mérites : > Autrement dit le roi d'Isocrate poursuit le bien, comme celui d11 Platon ; mais, à la différence de ce dernier, il y met aussi la gentillessl!, les égards, l'humanité, qui lui permettront de se concilier ceux sur lesquelM il règne. Les devoirs du roi se combinent avec un art de gouverner et d11 se faire accepter. Il a besoin de ses sujets et doit gagner leur eunoia•. L'authenticité de l'autre écrit portant le nom du même prince, 1,, Nicoclès, est contestée. Mais le moins que l'on puisse dire est que l"" mêmes traits s'y retrouvent avec une éclatante fidélité. Le plaidoym· pour la douceur y est même encore plus marqué. Cette fois, c'est Nicoclès qui est censé s'exprimer et définir les devoirM de ses sujets. Mais il définit aussi, de façon plus ou moins véridique•, ses propres mérites, et ceux de la royauté telle qu'il la pratique. Pour cela, il se livre à un éloge de la monarchie qui n'est pas san• (1) Dans le Sur l'échange, 70, Isocrate, résumant le traité A Nicolès, dit de mêmu qu'il n'a pas flatté Nicoclès, mais a préparé à ses sujets «dans la mesure de mes moyeu•, le régime le plus doux• (wc; o!6v n 7tpoto't'!l'l"l)V). (2) Ce dernier passage ne figure pas dans la citation du Sur l'échange et certains 0111 pensé que les phrases se trouvant dans ce cas étaient dues à quelque commentato111· tardif. S'il en est ainsi, celui-ci serait étonnamment fidèle à l'esprit d'lsocrate. Souveul, ceux qui repoussent ces phrases se fondent sur l'opposition entre l'emploi des argumenh d'intérêt et la présence d'un idéal : cette alternance et cette combinaison sont en t11II caractéristiques d'Isocrate. ~ La partie citée dans le Sur l'échange dit, au paragrapht• suivant, d'éviter la dureté et les châtiments excessifs. (3) Sur l'importance de cette notion dans la pensée politique d'Isocrate, cf. not.ru étude « Eunoia in Isocrates or the political importance of creating good-will •, J.H.!!!,, 78 (1958), p. 92-101. (4) Nicoclès est présenté sous d'autres traits par les historiens anciens: cf. Athén•, XII, p. 53 AE.

LA DOUCEUR DES PRINCES

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rappeler l'examen des régimes dans Hérodote ; mais les différences sont révélatrices. Otanès, dans Hérodote, se plaignait que la royauté ne fût ni agréable ni bonne (III, 80 : oiS-re:yocp ~au oiS-re&ycx66v).Or Nicoclès déclare que ce régime est plus agréable, plus doux et plus juste qu'un autre (17 : 'YJa(wvfo-,rtxcxt 7t"poco-répcx xoct~txcxto-répoc) : un critère de plus est donc ajouté - celui, une fois de plus, de la douceur 1 . Qui plus est, dès le paragraphe précédent, Nicoclès attire l'attention sur ce nouveau critère ; car, après avoir parlé de la reconnaissance des mérites de chacun, il précise : « Qui plus est (16 : ocÀÀcx µ~v), nous serions en droit de trouver qu'il est plus aisé de s'appliquer ce régime d'autant plus doux (1tpcxo-répocv) à exécuter la décision d'un seul homme que de chercher à plaire à des esprits multiples et divers >>.On le voit : la monarchie, à la faveur d'un paradoxe, se trouve ôter à la démocratie la palme de la douceur. Nicoclès, d'ailleurs, démontre ce paradoxe par divers arguments; entre autres, il montre que ceux qui n'ont point à lutter pour le pouvoir ne mêlent point de jalousie à leur dévouement (20 : leur eunoia) : la royauté ne connaît pas les luttes et les coteries que déjà, dans Hérodote, le discours de Darius donnait pour un des inconvénients de la démocratie. Mais ceci n'est possible que parce qu'il s'agit d'un bon roi, qui précisément cherche à plaire, pour éviter d'être en butte aux haines. Nicoclès explique plus loin combien il s'est donné de peine pour ses sujets. . La royauté est douce quand les rois eux-mêmes sont doux. Au reste, les sujets peuvent les y aider : >(46) 1 • Que l'éloge corresponde ici à la réalité est, encore une fois, peu probable 1 : la mutation qu'lsocrate fait subir au personnage d'Évagoras n'en est que plus révélatrice. Les succès d'Évagoras s'expliquent tous par de si bons principes. Encore faut-il compter au nombre de ces succès l'influence qu'il a exercée sur son peuple. Dans le Nicoclù, la douceur du roi s'appuyait sur la vertu des citoyens : par un rapport inverse, dans l'Évagoras, la vertu du roi fait fleurir la douceur des sujets : « Non seulement il accrut l'importance de sa ville, mais il amena tout le pays environnant à une vie douce et modérée» (49 : 1rp0t6T1j-rot xotl 1,u:-rpt6-ni-r0t). Auparavant inabordables et durs, ces sujets se font hellénisés, civilisés, humanisés. Cette tâche d'éducateur du peuple frappe même tellement Isocrate qu'il insiste et répète (cela lui arrive ... ) : «Il avait trouvé un pays tout entier insociable et à tous égards sauvage; il le rendit plus doux et plus facile» (67 : ~!J,e:pC:m:pov x.ocl1tpoc6-re:pov). Isocrate utilise tout ce qui peut suggérer cette accession à des rapports vraiment humains, qui lui était si chère et lui semblait la clef de tous les succès. Évagoras et Nicoclès offrent donc des modèles étrangement semblables. Ils sont loin d'être les seuls; et l'idéal d'lsocrate reparaît à propos de bien d'autres princes. Parmi ceux à qui il a également prodigué ses conseils figurent les fils (ou les beaux-fils) de Jason de Phères : la lettre qui leur est adressée 3 veut les détourner de la tyrannie, et évoque les craintes ou les malheurs qui les menacent en tant que tyrans. Parmi eux figure aussi Timothée d'Héraclée, le fils de ce Cléarchos, qui avait été l'élève d'Isocrate et de Platon, et qui, tyran lui aussi, avait été, comme Jason de Phères, assassiné : la lettre qui lui est adressée félicite le jeune homme de s'être réconcilié avec les citoyens ; elle lui rappelle que le rôle des bons rois est, « au lieu d'être durs et cruels envers tous et de négliger leur propre salut, de diriger l'État avec tant de douceur (5 : 1tpcx(l)t;) et de respect des lois que personne n'ose comploter contre eux>>; le jeune roi doit avant tout utiliser le pouvoir qu'il a reçu de façon belle et humaine (6 : cpr.Àocv8pwm,>c;). Enfin, la lettre tient à rappeler les mérites de Cléarchos, procédant ainsi comme Isocrate l'avait fait pour Évagoras, le père de Nicoclès. Et quels sont donc ces mérites? On n'eût point osé espérer une si parfaite formule : «ceux qui le rencontraient reconnaissaient tous que c'était le plus libéral, le plus doux et le plus humain de ceux qui parti(1) Isocrate ajoute qu'il était polilikos dans son administration : ce mot est réservé par Aristote, dans les premiers mots de la Politique, à une autorité qui est exercée selon les normes de la science politique et que le même homme n'exerce pas dans toua les domaines: il l'oppose à l'autorité• royale•· On voit que, pour Isocrate, les deux aspects pouvaient se concilier. (2) Cf. E. Brémond, dans la Notice de la C.U.F., p. 143: • Quelques détails laissent entrevoir une vie agitée, au cours de laquelle les intrigues intérieures, les désordre• d'une cour imprégnée des mœurs asiatiques, se mêlent à d'audacieuses entreprise• politiques et militaires•· (3) L'authenticité en a été contestée ; mais son tour correspond en tout cas à la doctrine isocratique.

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cipaient à mon enseignement>> (12 : ÈÀe:u0e:ptcl>-roc-rov ... xoct 1tpoc6-ra:-rov xcx:.t q>LÀa:v0pc,m6-ra:-rov). On pourrait ajouter qu'Isocrate a de même adressé lettres, conseils, éloges et prières à des princes bien connus : Archidamos à Sparte, Denys de Syracuse, Philippe et Alexandre. Mais - on ne saurait s'en étonner il leur parle surtout de la Grèce 1 : le fait ne compte ici que dans la mesure où il témoigne de sa confiance obstinée dans les bons monarques. En revanche, certains éloges donnés aux bons rois du passé illustrent directement son idée de la douceur des princes. Thésée, en particulier, av ait exactement les qualités que loue la lettre à Timothée ; on lit en effet dans !'Éloge d'Hélène, 37 : > (19). De même, il récom(1) Ceci s'oppose nettement à la tyrannie; cf. 12, où • imposer une domination tyrannique aux gens malgré eux • revient à tomber dans une vie de Tantale. (2) Comme dans la théorie rappelée au chapitre précédent, la sévérité sera inexorable dans le cas des• incurables• (XIV, 8 : iivl)xécr-rou;). De même XII, 11-12.

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pensait, mais ne punissait pas. Aussi les gens de qualité l'aimaient-ils ; mais les autres conspiraient contre lui et se jouaient de lui. Dans la maison ou à l'armée, par conséquent, punitions et récompenses, sévérité et douceur, forment un système : l'une ne va pas sans l'autre. Le problème des rois, en revanche, est, comme chez Isocrate, un peu différent. Car les rois ont aisément tendance à devenir des tyrans : leur mérite le plus grand est donc, de toute évidence, de savoir déjouer ce péril. De même que le Timothée du Sur l'échange d'Isocrate devait combiner un peu d'amabilité avec son sens de la rigueur, les généraux de Xénophon, dans un autre domaine, doivent combiner, peut-être en proportions égales, bienveillance et sévérité. Mais, de même qu'Isocrate loue avant tout Nicoclès ou Évagoras pour leur douceur, de même Xénophon insiste volontiers sur la douceur des rois. Et il insiste d'autant plus qu'il s'agit de souverains plus puissants, pour qui cette douceur représente un plus grand mérite. Agésilas, roi de Sparte, diffère encore assez peu des généraux de l' Anabase. Pourtant, Xénophon signale fréquemment sa douceur. Dans le traité qu'il lui consacre, celle-ci se révèle à la fois dans la conduite de la guerre et dans la vie de tous les jours. Agésilas, sans doute, était un homme de guerre. Mais il n'ignorait pas non plus l'art de se concilier les peuples : il ne se souciait pas seulement de soumettre ses adversaires par la force : il savait aussi les gagner par la douceur (I, 1, 20 : par sa praolès). Il se préoccupait des prisonniers, qui, du coup, éprouvaient pour lui de bons sentiments (22 : eùµeva:i:ç).Il se préoccupait aussi du sort des villes conquises. Quant à celles qui ne l'étaient pas, il les gagnait par sa générosité (sa philanlhrôpia). Dans la vie courante, de même, il était affable (VIII, 1) 1 et d'un abord toujours facile ( IX, 2 : eù1tp6cro8oç). La conclusion du traité revient encore sur cette douceur du roi de Sparte, qui est rappelée aussitôt après sa piété : (XI, 2 : praos). Mais Xénophon précise aussi que cette douceur n'était pas aveugle. Comme la douceur athénienne, elle savait faire la différence entre les fautes privées et celles des magistrats : pour les premières seules il montrait de l'indulgence (XI, 6 : 1tp&.wç~> - cela >(III, 89). La mansuétude de Cyrus envers les souverains qu'il vainquit est d'ailleurs un fait historique bien établi. Xénophon reprend ce trait ; et il le développe. Il supprime les luttes de Cyrus avec les siens ; il préfère le montrer réunissant les royaumes de Perse et de Médie grâce à des liens amicaux. De plus, chaque fois qu'il le peut, il insiste sur la douceur du prince dans tous les domaines. Dès le début1, la nature de Cyrus enfant est décrite par trois superlatifs, disant qu'il montrait au plus haut degré l'amour des hommes, du savoir (1, 2, 1). Cette et de l'honneur : le premier mot est qaÀocv8pc.m6-roc-roç nature s'accorde, selon ce que Xénophon fait dire à Mandane, avec la tradition politique de la Perse : Cyrus doit laisser aux Mèdes tout ce qui est despotisme, se régler sur les lois, et être roi plutôt que tyran ( I, 3, 18). En tout cas, personnellement, le jeune Cyrus possède l'art de s'attacher ses petits camarades : on passe par lui pour obtenir quelque chose du roi; il s'entremet à cause de sa générosité (1, 4, 1 : sa philanlhrôpia); et le roi lui accorde tout à cause de l'affectueuse sollicitude que Cyrus lui a montrée - et qui est, apparemment, de l'invention de Xénophon. Si l'on passe du début à la fin, on constate que cette amabilité reste un des traits dominants du héros de la Cyropédie. Son art principal consiste à savoir se faire des amis (VIII, 1, 48). Il y arrive par la philanthrôpia qu'il ne cesse de faire paraître (VIII, 2, 1) : comme il est malaisé d'aimer ceux qui semblent nous haïr, on ne peut guère être détesté par ceux qui se sentent aimés ; la sollicitude et les bienfaits de Cyrus sont ainsi la raison des sympathies dont il est entouré. Aussi Xénophon reprend-il à son compte l'idée ancienne du roi qui est (1, 2, 7)1 • César, de même, lit la Cyropédie et en parle à ses amis (Suétone, César, 87). Bien plus, cette influence devait subsister jusqu'à l'époque de l'empire byzantin : Synésios de Cyrène, dans son discours Sur la Royauté, adressé à l'empereur Arcadius, rappelle que l'attachement à ses amis > (231 : philanthrôpia) 1• Il faudrait ajouter que, pour Athènes elle-même, la douceur et la générosité sont le plus souvent dans les mots, puisque ses protestations justes et généreuses (28 Philippique, 1) restent si souvent lettre morte. Là aussi, la philanlhrôpia n'a pas de consistance 3 • Dans l'ensemble, elle ne semble donc avoir aucune place réelle dans la politique internationale. Elle peut fournir des arguments diplomatiques'; mais il ne faut ni croire à sa réalité, ni la pratiquer soi-même à sens unique, dans un monde qui l'ignore. De fait, le réalisme de Démosthène n'a d'original que la force avec laquelle il s'exprime : c'est ce qui lui vaut d'avoir ici servi d'exemple, indépendamment de toute considération chronologique. Pour le reste, il est clair qu'il correspond à une distinction bien enracinée dans la pensée grecque et dont on trouve le témoignage à diverses époques, chez des auteurs très différents. Cette distinction consiste à opposer radicalement la déontologie qui vaut à l'intérieur d'un groupe et à l'extérieur, en considérant que les vertus à montrer ne sont pas les mêmes selon qu'il s'agit du dedans ou du dehors, des amis ou des ennemis. Démosthène en a eu vivement conscience ; et on la rencontre à plusieurs reprises dans son œuvre. Ainsi il écrit dans le discours Sur l'organisation financière, 16 : > (IV, 19, 2 : 7tpo; et l'utilisation de ce trésor commun à des dépenses Aussi la Grèce purement athéniennes constituait une aggravation : > (1, 75, 3-4). Cette notion devait commander, dans Thucydide, toute la suite de la politique athénienne. Elle obligea aux répressions, puis aux conquêtes. Cléon l'évoque à propos du débat sur Mytilène; et l'on doit évidemment ,:omprendre que ses raisons justifient aussi les répressions brutales nxercécs un peu plus tard contre Toronè, Skionè et Mélos. Les Athéniens l'évoquent pour justifier leur désir de réduire Mélos ; et Alcibiade l'emploie pour justifier l'opportunité d'une conquête de la Sicile. Or, cette politique exclut la douceur ; et Thucydide a pris soin de le faire expliquer par Cléon. En effet, au livre III, il reprend presque mot pour mot l'analyse de Périclès ; il reprend même le terme de tyrannie, qu'avait employé Périclès:> (40, 3) 3 • C'est donc bien la nature même de l'empire-tyrannie qui exclut les différentes formes de la douceur et fait que celle-ci deviendrait, en l'occurrence, périlleuse. Athènes, prise entre les haines de ses sujets et les craintes de ceux qui ne le sont pas encore, n'a pour recours que de renforcer ces craintes, afin de tenir en respect tous ceux qui la guettent et dont la vengeance serait redoutable. Non seulement elle ne peut pratiquer la douceur, mais elle le peut de moins en moins. Seuls les Athéniens du livre I affirment en avoir fait preuve ; et l'existence des nombreux procès qu'on reprochait à la cité est ici invoquée comme confirmation : alors qu'elle aurait pu agir par la force, les critiques auxquelles elle est en butte sont dues en partie à sa modération (1, 76, 4 : xcxt èx -rou Ème:1xouç).Mais plus tard, dans l'œuvre, les Athéniens n'ont plus de ces fiertés : l'empire-tyrannie a de moins en moins la possibilité d'un tel luxe. On pourrait donc penser que la douceur si chère à la démocratie athénienne n'avait ici aucune possibilité de se développer, ni de plaider sa cause. Pourtant, la clarté même avec laquelle cette situation est analysée dans l'œuvre de Thucydide suggère qu'il y avait là un problème senti comme tel par les Athéniens de l'époque. Et le fait est qu'à y regarder de plus près on découvre dans l'œuvre de ce Thucydide si réaliste tous les points de départ qui devaient plus tard mener aux diverses théories en faveur de la douceur envers les cités 4 •

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• •

(!) ,o xoc8' -/jµépocv &8d:,; x.oct &ve:môouÀe:u,ov1tpo,; )(936 : 7tpoto't'e:poL). Le même comparatif revient donc quand il s'agit des relations avec l«!SGrecs en général (Paix, 998) et quand il s'agit des relations avec les alliés (ibid., 936). C'est un comparatif révélateur : il confirme que cet appel à la douceur est une réaction contre un présent qui en était trop dépourvu. La dureté des temps réclamait un allégement et un retour vers autre chose : elle réclamait que l'on fût . Les autres pièces d'Aristophane évoquent parfois de façon indirecte c,ii thème de la douceur envers les alliés. On peut aussi en rapprocher la hclle image de la pelote de laine dans Lysislrala. À vrai dire, elle ne r,oncernc pas les alliés : Athènes étant alors fort divisée, la première unité à recréer, la seule qu'envisage la pièce, est celle de la cité elle-même. Pour cela on triera, on assemblera tous les brins de bonne laine, on les IKsociera, on en fera une grosse pelote groupant (579 : xmv~v e:Üvototv).Or déjà l'on peut remarquer que parmi Lous ces brins de laine figurent les métèques, les étrangers amis d'Athènes, et les villes peuplées de colons. Mais surtout il est frappant de voir ce rt,le de l'eunoia prendre tant d'importance, comme chez le Diodote de 1'hucydide, tout en revêtant un caractère plus vivant et plus chaleureux. Isocrate, ici encore, devait combiner les deux traditions. Il devait prendre dans Thucydide l'idée que la douceur envers les alliés est utile 11.profitable ; d'autre part, dépassant de beaucoup Aristophane, il devait r~ver après lui à cette belle et solide unité qui serait celle non plus d'une tillé luttant pour sa survie, mais d'une fédération dirigée par Athènes 11,lonles voies de la douceur. Déjà, par conséquent, Thucydide et Aristophane nous projettent vers bocrate. Et sans doute ne sont-ils pas les seuls à lui avoir ouvert la voie. Sans chercher au ve siècle d'autres témoignages préparant l'éclosion • venir du panhellénisme, sans citer ni Euripide ni Gorgias, sans glaner IMallusions à la beauté ou à l'utilité d'une politique modérée au-dehors, Il "st du moins un dernier texte que l'on peut placer en regard de ceux 1111i ont été examinés ici. En principe il est supposé en être contemporain. ( 1) Cf. Gu~pes, 715 et Nuées, 212; on peut rapprocher le fragment comique cité ~llr Plutarque, Périclès, 7, 8. (2) Cavaliers, 1114; le passage n'a cependant rien qui soit, directement du moins, 111111 critique. 6

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LA DOUCEUR DANS LA PENSÉE GRECQUE

Or c'est le plaidoyer le plus ardent qui ait été écrit dans la Grèce classiqu,, pour la douceur avec les autres peuples. Ce n'est pas un texte athénil'l1 : c'est le discours du Syracusain Nicolaos, que nous a transmis Diodori• de Sicile, au livre XIII, 20-27. Ce discours est censé être prononcé par ledit Nicolaos pour demancl,·1· que l'on traite avec humanité les Athéniens faits prisonniers danM ln fameuse expédition de Sicile racontée par Thucydide. En fait, il est fort douteux, pour ne pas dire impossible, que ce discom" puisse vraiment remonter au ve siècle. Diodore était bien originaire de Sicile ; il avait donc pu connaître 11PM sources locales, qui auraient gardé la trace de l'intervention de Nicoluo~. N'est-ce pas d'ailleurs à la même époque, ou presque, que se place ln générosité de ce Gellias d'Agrigente (ou Tellias), qui accueillait tout 11 monde et traitait les gens philanlhrôpôs (XIII, 83)1 ? On commençuil alors à parler de clémence et de bonté. Pourtant la vraisemblance est autre. Diodore écrivait quatre siècl"" plus tard. Et des historiens plus scrupuleux que lui refaisaient à leur guise, on le sait, les discours de leurs personnages. Surtout, le discourH prêté à Nicola.os en dit vraiment trop sur la douceur ! Et ce qu'il dil. ressemble trop à la tradition que devait fonder Isocrate et qui devait,, après lui, se perpétuer et s'amplifier chez bien des historiens. Il faut s11 souvenir que Diodore utilise beaucoup Éphore, lui-même discipl11 d'lsocrate 2 , qu'il utilisait aussi Timée, spécialiste de la Sicile, formt'! selon l'esprit isocratique, ce Timée que Polybe blâmait pour le caractèr,, rhétorique des discours qu'il mêle aux faits ... Tout ceci renvoie donr presque sans appel le discours de Nicolaos à une tradition postérieure, datant au moins du ive siècle avant J .-C. et peut-être d'une époque plu~ tardive. En fait, il est même possible que ce discours ait été élaboré par Diodorn ou de son temps. Diodore semble avoir été, dans l'ensemble, très sensiblu aux idées de douceur et de clémence 3 • Il en a parlé à propos de la Macédoine et de Rome; il en a parlé à propos de l'Égypte. Il en a surtout parlé à propos de la Sicile : on peut même signaler qu'il a retrouvé, :\ propos de Thrasybule, le tyran de Syracuse, la formule même dont se servait Platon dans le livre III des Lois, à propos des rois de Perse, 3 • écrivant que Thrasybule éLait «haï et plein de haine>>: µLcrwvµ1crouµevoc; Cette orientation d'esprit se complète enfin par la vogue accordée, avec le temps, à certains thèmes : ce débat sur le sort des vaincus n'est pas, ainsi, sans faire penser au débat que devait contenir l'œuvre de Diodorn sur la destruction de Carthage : de toute évidence, un tel débat devait présenter des considérations proches de celles qui nous occupent 6 • La 1

(1) Sa libéralité resta célèbre; elle est mentionnée par Valère Maxime et par Athénée. (2) E. Schwartz (R.E. col. 681) penche en faveur d'un texte inspiré d'Éphore, en particulier à cause des rapprochements possibles avec Isocrate. (3) Cf. ci-dessous, p. 250 sqq. (4) Platon Lois, Ill, 697 d; cf. Diodore XI, 67, 5. (5) Cf. XXVII, 13 sqq.

MAUVAISE

POLITIQUE

ENVERS

LES

CITÉS

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réflexion sur la douceur a ses débuts, qui sont assez nets ; mais elle ne cesse ensuite de s'épanouir et de s'amplifier, jusqu'au ive siècle après ,J.-C. ; et le discours de Syracuse renvoie à un état d'épanouissement 1léjà grand. Mais précisément pour cette raison ce discours revêt un intérêt particulier : portant sur des faits de la guerre du Pélopoonèse, prêté à un homme de cette époque, il offre une possibilité dP, contraste. En ce qui concerne la douceur, les textes athéniens nous fournissaient des premiers jalons, des repères qu'il fallait chercher et découvrir, et qui ne faisaient 11uepréparer la voie aux futures doctrines d'Isocrate : dans le discours de Nicolaos la théorie de la douceur avec les peuples s'étale avec complaiMnnce,avec trop de complaisance. Le discours fait d'ailleurs partie d'un ensemble. Deux Siciliens, llermocrate et Nicolaos, parlent en faveur de la clémence ; le spartiate C :ylippc soutient au contraire, comme le faisait Cléon à Athènes, la 1·11usede la sévérité. Et ses arguments rappellent de très près les débats ,lu 1v8 siècle. Comme les contradicteurs à qui s'en prend Isocrate, Gylippe ruppelle les cruautés de l'impérialisme athénien, en citant les votes ,•datifs à Mytilène, Skionè et Mélos (30, 4-6) : ceux-ci sont d'autant plus 11hoquants qu'ils viennent d'une cité qui, comme le disent les orateurs ,lu JYe siècle, prétend à la philanlhrôpia (30, 7). Par suite, comme llémosthène dans le domaine intérieur, Gylippe s'oppose à une indulgence 4111iserait contraire à la justice (31, 1). Le discours de Nicolaos s'insère 1lonc dans tout un débat qui traite dans son ensemble de la question de l'indulgence, et la traite avec des arguments que ne connaissait pas 1•11corcle ve siècle, du moins à Athènes. Quant au discours lui-même, on y trouve tous les thèmes auxquels 11.ocrale devait donner une portée politique. Nicolaos déclare en effet 'Ille la décision à prendre engage l'honneur et l'intérêt de Syracuse : les Athéniens, sans doute, ont mal agi ; mais ils ont été vaincus et se sont 1·1•ndus: ils ont donc droit à la générosité des vainqueurs (21, 6 : 'l'LÀcxv6pc,mlcxç). Ils sont devenus des suppliants et ce serait le fait de gens que de les maltraiter ; il faut 1•r1iellement déraisonnables (&.yvwµove:ç) 41ue les peuples sachent être cléments (Ème:txe:'tç).Les sujets, en effet, l(Uettcnt une occasion d'agir contre ceux qui ne règnent que par la 1•1·ainte; au contraire, ils s'attachent solidement à ceux qui les dirigent L'empire des Mèdes a ainsi été nvec humanité (22, 1 : > (54). Sparte, au contraire, agit avec dureté : . (56 : µ.e:'t'pLo't'epov C'est au reste ce que prouve la longueur de la domination athénienne comparée ù la brirveté de celle de Sparte. Puis vient le même mouvement de réfutation 4ue dans le Panégyrique : sans doulr il y a eu les excès et les répressions - Mélos, Skionè, Toronè (63). Mais Isocrate répète que Sparte a fait bien pire : sa souveraineté a : les été pins dure et plus cruelle (65 : mxpo't'Épotvxoct :x_ocÀe;m,i't'Épocv) morts sans jugements sont pires que les procès ; les tributs levés par Athènes servaient à rendre aux alliés des services que Sparte ne leur a jamais rendus ; en plus, sous la domination de Sparte, les destructions de villes connurent une ampleur bien plus grande. La domination d'Athènes l'emporte donc autant sur celle de Sparte que des hommes «très raisonnables et très doux>> (121 : cppovLµw't'OC't'OL xoct 1tpoc6't'oc't'OL) l'emportent sur les bêtes les plus sauvages et les plus cruelles. Avec de légères variantes de détail, qui ne comptent pas pour notre propos, l'argumentation du Panalhénaïque est donc rigoureusement semblable à celle du Panégyrique : à la faveur d'une comparaison aveo Sparte, elle consiste à mettre en lumière les bienfaits d'Athènes et sa douceur, plaidant ainsi du même coup et pour Athènes et pour la douceur à l'égard des cités en général. Il faut ajouter qu'entre les deux discours Isocrate n'avait pas manquj de louer ceux qui, à Athènes, semblaient se conformer à un tel idéal, comme son disciple Timothée. Sans doute celui-ci était-il rude et gauche avec ses concitoyens 1 ; mais, avec les cités grecques, il faisait tout ce que pouvait souhaiter Isocrate : (Sur l'échange, 122). Pour cela, Timothée veillait à ne jamais inquiéter les cités, il interdisait toute espèce de pillage ; quant aux villes prises de force, il les traitait (125 : oihw 1tpocwç... x0tl voµlµwç) que nul autre n'en montra jamais autant vis-à-vis des cités alliées. Bref, durant le temps de son commandement, il n'y eut .De là vint le désastre : car «il est inévitable que ceux qui se livrent à des actes de cette sorte tombent aussi dans les infortunes des tyrans et qu'ils subissent ce qu'ils font aux autres>> (91 ). Peut-on douter que telle ait été la raison de l'échec athénien? L'exemple de Sparte, qui répète la même expérience, en est, dit Isocrate, la meilleure preuve ; aussi consacre-t-il l'analyse suivante à décrire l'évolution politique de Sparte (95-101). Comme celle d'Athènes, celle-ci aboutit à la haine et à la défaite. Quoi d'étonnant? dans les deux cas, il est clair que la toute-puissance a corrompu l'État qui avait eu l'imprudence de s'en saisir : (104). Athènes était détestée de ses alliés et n'a dû qu'à Sparte de survivre ; tout le monde, un peu plus tard, voulait la perte de Sparte, et seule Athènes l'a secourue. Enfin, généralisant encore un peu plus, Isocrate joint à cette démonstration tirée de l'histoire internationale une analyse portant sur le régime même que l'on compare toujours à l'empire et dont celui-ci imite si fâcheusement les principes, à savoir la tyrannie. La tyrannie, comme l'empire, ou l'empire, comme la tyrannie, ce sont toujours les haines, la défiance, l'insécurité, et pour finir la catastrophe. Pour éviter cet entraînement si dangereux, quelles sont donc les précautions à prendre? Isocrate en définit surtout l'esprit ; il donne bien, aux paragraphes 133-135, un bref énoncé des règles à suivre ; mais elles sont fort générales. On lit en particulier qu'il faut traiter les alliés en vrais amis, les diriger , tenter de gagner les alliances par des bienfaits 2 et chercher en toutes choses à mériter l'estime des Grecs. Il peut bien varier les mots et les formules, il s'agit toujours d'une seule idée très simple : remplacer l'empire, qui n'est ni juste ni profitable, par une hégémonie amicale et discrète. Pourtant, dans cette variation de mots sur un thème unique, il nous faut relever une absence : Isocrate ne parle pas de douceur et n'emploie aucun des mots appartenant au vocabulaire de la douceur. Ce silence est intéressant, car on a vu qu'il employait à l'occasion le mot de praotès

( 1) Cf. 79 : >(77). Les rois qui le suivirent contre Troie obéissaient à la seule persuasion el les soldats restaient disciplinés «grâce à l'impression qu'il donnait de prendre de meilleures résolutions pour le salut d'autrui que les autres n'en prenaient pour leur propre salut» (82). Les appels à Philippe retrouvent donc la même inspiration qui avait animé les théories centrées sur Athènes ; ils confirment ainsi à quel point celle-ci était essentielle dans la pensée d'lsocrate. D'autre part, avec un souverain, Isocrate n'hésite plus à employer le vocabulaire de la douceur, de la générosité, de la bienveillance : s'il y a parfois renoncé quand il s'agissait de sa patrie, ce n'est donc pas parce qu'il n'y croyait plus ; c'est au contraire parce qu'il exigeait d'elle plus encore. Cette doctrine si ferme, qui a pu varier de destinataire mais n'a jamais changé de teneur, constitue le prolongement et l'épanouissement de ce que l'on avait vu s'esquisser au ve siècle. Les conseils de douceur d'Isocrate répondent exactement à l'analyse de Thucydide. Celui-ci avait montré que l'empire était une tyrannie, en butte aux haines et aux jalousies, que cette situation invitait la cité souveraine à se servir de plus en plus de la force et, partant, à commettre des fautes qui risquaient d'être fatales : Isocrate trouve le remède dans une hégémonie qui ne serait pas détestée mais qui saurait se faire aimer et assurerait ainsi sa propre durée. Pour développer cette idée, il a seulement dégagé avec plus de force l'identité entre empire et tyrannie : il pouvait dès lors appuyer son plaidoyer sur les idées qui étaient alors en vogue par rapport à la tyrannie. Celles-ci, explique-t-il, doivent être transposées sans changement dans un domaine où les Athéniens leur font moins bon accueil : « C'est que vous avez un défaut dû à la plus honteuse paresse : ce que vous voyez chez autrui, vous le méconnaissez chez vous-mêmes. Cependant le caractère essentiel des gens raisonnables est de montrer qu'ils reconnaissent les mêmes actions dans tous les cas absolue, Isocrate identiques >> (Paix, 114). Par cette identification dépassait l'analyse des auteurs du ve siècle : le premier, il rompait l'accord, jusqu'alors conçu comme ne comportant pas de problème, entre la démocratie et l'empire 1 • En même temps, la rigueur de sa condamnation (1) Cléon avait déjà relevé dans Thucydide que la démocratie était peu apte à diriger un empire; mais cette réflexion, d'ordre purement pratique, était fort différente,

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se faisait plus irrévocable : alors que Thucydide avait montré le risque qu'impliquait la politique impérialiste, Isocrate dénonce la loi inévitable qui, à ses yeux, la condamne sans appel. Cette condamnation repose sur une interprétation de l'histoire qui veut voir en elle un développement aussi satisfaisant pour la raison que pour la morale : cette interprétation s'illustre à merveille dans ce que l'on peut appeler l'argument du 'rotyixpoüv. Totyixpoüv (ou -ro[yocp-rot)veut dire . Or la grande idée d'Isocrate, de Xénophon, ou plus tard de Polybe, est que l'on peut expliquer le sort des États ou celui des souverains par les qualités ou les défauts qu'ils ont montrés et que l'opinion publique finit tôt ou tard par récompenser ou par punir. Comme le dit l' Aréopagilique (52), les Athéniens d'autrefois faisaient paraître toutes sortes de vertus ; ils étaient loyaux et sûrs envers les Grecs, redoutables envers les barbares : voilà pourquoi ils vivaient dans la sécurité 1 . De même Timothée agissait envers les cités avec douceur et loyauté : voilà pourquoi (dit Isocrate dans le Sur l'échange, 126) tous lui faisaient bon accueil. Inversement, il manqua de souplesse au-dedans : voilà pourquoi les calomnies eurent raison de lui (ibid., 138). Dans une telle philosophie, la justice et les autres vertus coïncident donc clairement avec la poursuite d'un intérêt bien entendu 2 • De l'histoire analysée et raisonnée, on est donc passé à un système, qui, s'il est beaucoup moins rigoureux, permet en revanche de prodiguer uvis et leçons. Mais Isocrate ne se contente pas de renchérir ainsi sur la critique qu'il pouvait trouver dans l'œuvre de Thucydide : il l'associe avec l'espérance que laissait paraître Aristophane; et cette espérance lui permet de donner à sa pensée sa véritable cohérence en même temps qu'un dynamisme accru. En effet, l'hégémonie douce et généreuse qu'exercera Athènes - ou, à sa place, tel souverain capable de le faire lui permettra de se concilier les bons sentiments de tous les Grecs et de les unir, au sens fort du terme, dans une politique panhellénique. Toutefois, la différence qui sépare le panhellénisme d'lsocrate de celui c.l'Aristophane est plus grande encore que celle qui sépare sa critique de celle de Thucydide. Car ce panhellénisme nouveau n'est plus un pacifisme. L'union des Grecs se fera contre le barbare et sera scellée dans une expédition commune, qui les liera les uns aux autres : > (20-21)1. S'il n'est plus que:;tion de douceur, l'analyse de la fragilité de la tyrannie s'inspire cependant du même esprit que celle d'Isocrate. La seule force solide serait, ici encore, une force fondée sur le consentement. Dans le passage qui vient d'être cité, Démosthène parle d'une puissance reposant sur l'eunoia. Il emploie en d'autres occasions le même mot, qui lui est commun avec Isocrate ; ainsi, en attaquant la loi de Leptine, il indique qu'elle découragera les bonnes volontés de ceux dont les bienfaits peuvent servir Athènes ( 17 : '!'oui:;dSvoui:;).Mais, presque toujours, Démosthène insiste sur la confiance qu'il s'agit d'inspirer 2 , ou sur la gloire qu'il s'agit d'obtenir. Éventuellement, il groupe bonne volonté et confiance, comme dans la fière formule du discours Sur la Chersonèse, 66, où il déclare : « Car la richesse d'une ville, qu'est-ce, sinon ses alliés, la confiance et la sympathie qu'elle inspire? » (1t(a-rw, euvmor.v); de la gloire, il a parlé juste auparavant 8• La confiance des peuples et la gloire ne sont pas le produit d'une certaine politique au sein d'une confédération, mais celui d'une longue tradition. C'est bien pourquoi les qualités qui valent a Athènes ce prestige n'ont rien à voir avec la douceur, ni avec la façon dont elle a pu, pendant un temps, exercer une hégémonie aujourd'hui bien perdue. Ces qualités sont d'une portée plus générale ; ce sont la justice, la générosité, la promptitude à secourir les opprimés 4 ou à défendre les droits des Grecs 6 • Loin d'avoir montré ces qualités en un temps de prospérité ou de puissance, Athènes en a fait preuve au milieu des dangers ; et elles ont pu la mener jusqu'au sacrifice, jusqu'à. l'héroïsme. Telle est la tradition dont se réclame Démosthène dans le Sur la couronne, une fois l'échec d'Athènes consommé : >(208). Pas plus qu'Isocrate, Démosthène n'envisage qu'Athènes puisse ne pas songer, toujours et avant tout, aux intérêts de la Grèce. Mais Isocrate, encore hanté par Je fantôme de l'impérialisme passé, croit encore bon de lui conseiller la douceur : Démosthène, lui, hanté par la menace que représente Philippe, exige d'elle l'héroïsme. Gardant l'illusion de la suprématie athénienne, Isocrate réclame pour Athènes l'exercice

(1) Sur le rapport cnl.re celle argumrntation et les idées d'Isocrate, cf. J. Mesk, Wiener Sludien, 1901 (XXIII), p. 210 sqq. et G. Mathieu, Les idées politiques d'lsocrate, p. 196. (2) Cela vaut même dans le domaine intérieur ou financier : cf. Symmories, 28; Pour Phormion, 44 et 57. (3) Ailleurs la gloire s'accole de la même façon au dévouement; ainsi cf. Sur la couronne, 94 : en ne montrant pas de rancune envers les gens de Byzance, Athènes prouve qu'elle n'abandonne pas les opprimés, mais va jusqu'à les sauver: • ce qui vous valait partout gloire et sympathie• (861;~v, EGvouxv).De même à 311, Démosthène demande à Eschine ce qu'il a acquis à la cité comme eùvolcx,;et B61;l),;. (4) Cf. Mégalopoli!ains, 15; Quatrième Philippique, 46. (5) Cf. Première Philippique, 3; Deuxième Olgnlhienne, 24 ; Deuxième Philippique, 10-12; Troisième Philippique, 45.

LA DOUCEUR ENVERS LES CITÉS

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de l'hégémonie dans la lutte traditionnelle contre la Perse : Démosthène vibrant au souvenir d'un passé lointain, la veut à la tête de la lutt~ contre le nouvel ennemi. Chacun à sa façon veut ressaisir l'éclat généreux des guerres médiques, dans ce qu'elles ont créé, dans ce qu'eUes ont été; et tous deux arrivent trop tard, dans un monde devenu différent. La chance d'Athènes était passée. C'est bien pourquoi l'idée de douceur envers les sujets, qui est déjà absente chez Démosthène, ne devait se retrouver que lorsqu'un nouveau peuple fut à son tour capable d'affirmer sa puissance : ce sera la Rome de Polybe. La douceur est une vertu ù l'usage des peuples forts.

CHAPITRE

XI

LA DOUCEUR COMMEVERTU AUX YEUX DES PHILOSOPHES

En un sens, le plaidoyer d'Isocrate en faveur de la douceur des princes les cités grecques impliquait une véritable philosophie de la douceur. Pour lui, celle-ci se confond en somme avec la civilisation. Si Athènes a droit, de la part des peuples grecs, à tant de reconnaissance, c'est parce que les dons qu'elle leur a prodigués et l'exemple qu'elle leur a donné les a fait progresser dans cette voie. La culture du blé les a empêchés de vivre(Panég., 28) ; les lois qu'elle a la première fixées leur ont permis d'employer > pour régler leurs divers conflits (ibid., 40) ; la culture intellectuelle, ou philosophia, i-1laquelle elle a présidé a, entre autres bienfaits leurs rapports (47 : è1tpocüve:). Or c'est cette vie toute éclairée par la pensée et la parole qui caractérise l'hellénisme, affaire selon lui d'éducation et non de naissance (50). On a la preuve que de telles idées avaient largement pénéLr1; en Grèce : un décret amphictionique de 125 avant J.-C. loue le peuple athénien d'avoir >et le mot est ~µi::p6TI)c:; ; il est développé par l'idée de relations mutuelles fondées sur la bonne foi1. Isocrate n'eût pas dit mieux. L'éducation est donc à ses yeux progrès vers la douceur. L'idée est suggérée a plusieurs reprises par la comparaison entre l'éducation des hommes et l'art de dresser ou q'apprivoiser les animaux. On trouve cette comparaison dans le traité A Nicoclès où l'auteur parle d'améliorer et >envers ceux qui les soignent que certains hommes lions > (366 d) ; l'homme qui a conscience cela, du coup, tÀ.oq>povoüvro. On rapprochera l'affection réciproque des premiers hommes dans le témoignage sur Démocrite: DK II (10), p. 138, l. 7 = B 5). (2) Cf. notre article sur • Les différents aspects de lo concorde dans l'œuvrc de Platon•, Revue de Philologie, 46 (1972), p. 7-20. (3) Cf. ci-dessus, p. 146-147.

LES

PHILOSOPHES

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ou deux sortes d'entraînement éducatif, la gymnastique et la musique : la douceur devient ainsi une des faces de la raison. C'est d'ailleurs ce glissement, dans ce qu'il a de hardi mais d'un peu retors, qui a choqué l'esprit critique et sûr d'Aristote. Aristote avait, à la différence de Platon, le respect de la réalité psychologique 1 ; et cette intrusion de l'intellect dans un domaine si instinctif lui a paru injustifiable. Dans la Politique, 1327 b-1328 a, il traite de ce que doit être le caractère des citoyens, et il oppose les nations asiatiques à la race grecque ; or le mieux serait le mélange - à savoir un peuple à la fois intelligent et résolu. C'est pour lui l'occasion de critiquer Platon et la façon dont celui-ci dit que les gardiens doivent se monLrer bienveillants 2 pour ceux qu'ils connaissent et impitoyables envers les autres : c'est là, selon Aristote une différence d'ordre affectif, et non pas d'ordre intcllccLuel3. Par la même occasion, Aristote corrige aussi l'idée même que les gardifms doivent être implacables envers ceux qu'ils ne connaissent pas : >. Bien au contraire, Aristote pense que la colère, chez les hommes, est toujours plus vive envers leurs proches, à proportion de la déception qu'ils éprouvent à leur sujet. On le voit : la distinction traditionnelle que Platon a reprise dans la République ne convient plus dans une réflexion qui a fait vraiment sa place à la douceur, ni dans une psychologie plus nuancée. Et l'assimilation de la douceur à la connaissance n'y est plus possible. La critique d'Aristote montre bien la gêne que Platon a pu éprouver à introduire la douceur dans la République ; et pourtant il l'y a introduite. Il l'a introduite aussi dans le Politique, et plus nettement encore; mais la même gt~ni>apparaît, en ce sens qu'il a besoin d'elle et ne peut se résoudre à en faire une vertu. Vers la fin du dialogue, il traite de l'amalgame que .constitue le corps social ; et il traite de deux qualités complémentaires qui sont, l'une, le courage, l'autre, la modération, ou sôphrosunè. Et sans doute est-ce déjù beaucoup que d'admettre une telle distinction, alors qu'à ses yeux la vertu est une. Va-t-il aller plus loin et parler, pour la seconde qualité, de une forme nouvelle, qui est et n'est pas la douceur, et qui peut à la fois H'opposer au courage et s'en rapprocher. (1) cr. une criliq1w analogue à propos des sentiments qu'éprouveraient des hommes ne possédant plus ripn PU propre : voir à ce sujet notre livre Problèmes de la démocratie grecque, p. 171-172. (2) Aristote remplace de façon caractéristique 1tpocouçpar > (Àe:î:axocl~apéoc),l'ensemble méritant le nom de « réserve & (xoo-µL6TIJ-roç).Ainsi définit-il, par approches successives, deux types d'activité : «Si les choses dont nous parlons nous apparaissent plus vives, plus rapides, plus rudes qu'il ne convient, nous les appelons violentes, extravagantes; plus graves, plus lentes, plus molles qu'il ne faut, nous les disons lâches, indolentes>> (307 b-c). L'opposition entre ces deux formes d'activité et de tempéraments peut même donner lieu à des conflits ruineux pour les cités. D'un côté, on a la réserve et le goût d'une vie tranquille (x.60-µLoL - -rov ~cruxov ~(ov) ; les tempéraments de cette sorte sont toujours pacifiques ; l'inconvénient en est une totale inaptitude à la guerre, qui mène tout droit à l'esclavage. En fac~, on trouve les adeptes du courage, qui réussissent dans la guerre, mais qui, en l'aimant trop, exposent leur patrie aux haines, ce qui aboulit aussi, en fin de compte, à la servitude. L'idée est donc bien claire ; mais il faut bien reconnaître qu~ ces excès contraires sont plus faciles à évoquer si ce qui s'oppose au courage n'est pas cette vertu de sôphrosunè, qui ne saurait connaître d'excès ni de défaut. Le flottement du vocabulaire montre assez qu'en disant sôphrosunè, Platon pensait à la douceur. Ctpendant les deux types ainsi définis peuvent être conciliés, si l'on évite, précisément, les excès, pour ne garder qu'une juste moyenne entre l'un et l'autre. Il faudra pour cela se débarrasser des caractères à qui l'on ne peut communiquer soit le courage soit la réserve (:308 l' ). Quant aux autres, à ceux qui resteront, >, c'est-à-dire sans récriminer ni se laisser emporter par le sentiment. Cette sérénité avait été louée de tout temps ; mais elle ne se rattachait pas normalement au vocabulaire de la douceur : au ive siècle, le fait devient courant. Démocrite, dans le fragment B 46, donne comme signe de la grandeur d'âme le fait de supporter une faute avec patience (praéôs). L'usage est en ce cas facilité par l'existence d'une offense venant de quelqu'un, contre qui l'on pourrait se montrer violent : il s'agit de rapports humains. De même, quand Démosthène parle de supporter l'inégalité avec sérénité ( Contre M idias, (1) Cf. ci-dessus,

p. ,17.

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183 : praôs), ou de guetter ceux qui violent les lois pour ne pas paraître supporter ces agissements avec sérénité (Contre Théocrinès, 55 : praôs), il s'agit de personnes contre lesquelles on peut sévir. Au contraire Platon emploie le même mot dans des cas plus remarquables : quand il s'agit des rapports de l'homme avec son destin, avec la vieillesse, la pauvreté, la mort. Dans le Ménéxène, il semble s'agir d'un tour banal : les parents el les enfants des morts sont invités à puiser dans la sollicitude de l'État le moyen de supporter leur malheur (249 c : praoleron). Dans le Criton, 43 b, Criton s'adresse à Socrate, qui, dans sa prison, vient de s'éveiller ; et il lui dit : . Dans la République, 387 e, enfin, il s'agit de l'homme de bien. Il n'aura pas peur de la mort et, en général, il se suffira pour être heureux : de tous les hommes il aura le moins besoin d'autrui : (praolata). Ces exemples montrent bien qu'une telle prao/ès implique de résister aux chagrins. Elle implique aussi de résister aux désirs, puisqu'on lit dans le Lysis, 211 e, que, si certains veulent avoir des chevaux, de l'or ou des honneurs, Socrate, lui, reste froid devant tout cela (rcpcf.wc;; ézw), ne souhaitant posséder que des amis. On pourrait penser que cette sérénité n'est pas très loin de l'ataraxie du sage stoïcien ; mais un tel rapprochement est trompeur. L'homme dont parle Platon dans la République n'est pas un vrai sage : c'est simplement un homme de bien, un homme raisonnable, un épieikès 1 ; son caractère, son milieu social, sa formation, tout a contribué à lui donner cette mesure; et sa sagesse ni sa sérénité ne sont encore portées à la limite quasi inhumaine du stoïcisme. Sa bonne tenue dans les épreuves, même quand le vocabulaire de la douceur ne sert pas à l'exprimer, est toujours celle d'un homme épieikès, et elle se situe au niveau, non du philosophe, mais des gens de bien. C'est ainsi que dans la République, 330 a, la définition en est donnée par le vieux Céphale, qui n'a rien du philosophe : «L'homme raisonnable>>, dit-il, en employant le mot épieikès, >.On lui posera donc de~ questions, en le traitant avec gentillesse 1 (République 589 c). De fait, le Phèdre montre clairement que cette patience à l'égard de~ erreurs est la marque des meilleurs esprits. Il s'agit en effet de révéler aux professionnels de la rhétorique que ce qu'ils enseignent n'est nulle· ment la véritable rhétorique ; et Socrate va chercher en des domaineK parallèles des modèles de conduite à imiter ; il imagine que des genK capables de composer des tirades propres à susciter la pitié ou la terreur se croient par là en possession de l'art tragique : Sophocle ou Euripide n'iraient pas invectiver l'homme que tromperait cette illusion en procé· ; ils imiteraient au contraire le musicien dant «comme des rustres >> placé dans un cas analogue et qui, en musicien qu'il est, parlerait avec douceur>> (268 e : praoleron), expliquant à l'ignorant qu'il lui rcst11 beaucoup à apprendre. Les véritables orateurs auraient la même réaction : >. Il ajoute du reste dans ce texte que l'amitié constitue le lien des cités; et ceci peut être rapproché de la formule célèbre du début de la Politique, selon laquelle l'homme est «un animal politique » : cette formule trouvo ici sa résonance affective. Ces diverses raisons expliquent qu'Aristote, tout en reprenant de très près la pensée de Platon, ait cependant franchi le pas, et reconnu aux vertus de douceur une place de plein droit dans son éthique. Il a, en effet, défini le statut que devaient avoir et l'épieikeia et la suggnômè ; en même temps, il a joint aux vertus traditionnelles toutn une série de vertus apparentées à la douceur. Le statut de l'épieikeia est défini à la fin du livre V de l'Élhique à Nicomaque; et les rapports que cette épieikeia entretient avec la justice constituent l'avant-dernier - peut-être même le dernier 1 - des prohlèmea que soulève l'idée de justice. La première phrase le précise bien, à 1137 a 31 : « Nous avons ensuite à traiter de l'équité et de l'équitable, et à montrer leurs relations respectives avec la justice et avec le juste »1 , Il pose que ces deux idées ne sont ni absolument identiques ni absolument. différentes. Par là, il s'inscrit bien dans la tradition du ve siècle, qul avait découvert l'équitable dans le sillage de la justice, mais en le situant. en marge de la stricte justice, comme pour la compléter 8 : ,è1t0t't16p0wµoc 'tloµ(µou ~~xoc(ou. Entre les deux existe une différence spécifique et non générique. Mais, contrairement aux gens du ve siècle, Aristote ne se contente plus du vague sentiment que la. stricte justice n'est pas tout : il analyse la raison de ce malaise, qui se ramène essentiellement au caractère général de la loi : par nature, celle-ci est incapable de prendre en considé• ration tous les cas. De même que le décret reste nécessaire après la loi, l'équitable remplit une fonction également indispensable à côté de cette

( 1) Il est l'avant-dernier

dans l'ordre des manuscrits;

mais beaucoup le déplacent,

et certains en font la conclusion du livre. (2) Tous les textes de l' Éthique à Nicomaque sont cités dans la traduction (3) Cf. ci-dessus, p. 55.

Tricot,

LES PHILOSOPHES

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dernière. Et le caractère de l'homme équitable implique lui aussi ce dépassement de la stricte légalité ; l'homme équitable, en effet, « ne s'en tient pas rigoureusement à ses droits dans le sens du pire, mais a tendance à prendre moins que son dû, bien qu'il ait la loi de son côté» (1138 a). Cette définition rend compte, au plan de la réflexion, du sentiment d'insatisfaction que laissait souvent la stricte justice à ces Grecs pourtant si épris de justice. De plus elle ratifie et recommande dans l'éthique ce que la loi politique ne peut reconnaître. C'est là un progrès considérable. Et ce n'est point le seul. En effet par un double mouvement de justification, Aristote confère à l'épieikei~ ainsi définie une dignité qui est égale et supérieure à celle du juste. D'abord, en admettant que l'équitable n'a avec le juste qu'une différence spécifique, il le reconnaît pour juste. Ensuite, il affirme que, tenant compte de plus de circonstances que le juste légal, l'épieikes lui est supérieur : «Tous deux sont bons, bien que l'équitable soit le meilleur des deux», écrit-il (1137 b 10), ou encore, un peu plus loin : « De là vient que l'équitable est juste, et qu'il est supérieur à une certaine espèce de juste ,>1 , ou enfin : >(249-254) ; plus loin le même Gorgias, le beau-fils, explique à Sostrate les difficultés que crée le caractère de Cnémon ; à Sostrate qui remarque : >, il répond : et précise que le plus grand plaisir du vieillard est de ne voir âme qui vive, de vivre seul 2 • On ne saurait poursuivre l'analyse dans tout le détail. Cnémon est méfiant (427). Il refuse de prêter les ustensiles modestes qu'on lui demande et accueille par des coups ceux qui viennent les lui demander 3 • Une dernière sortie furieuse, aux vers 588 et suivants, montre Cnémon menaçant, incapable de pardonner la maladresse de la vieille servante, et refusant toute aide pour la réparer. La dureté du solitaire est donc aussi fortement mise en relief qu'il était possible. En regard, les jeunes gens, eux, sont de bonne foi et serviables 4 ; et ils le prouvent bien lorsque le vieux, après avoir refusé leur aide, tombe précisément dans le puits. L'aide qu'il reçoit alors change toute la situation. Gorgias indique clairement que Cnémon a ainsi découvert les inconvénients de la solitude, de l'èp7jµ(oc(694). Et Cnémon lui-même reconnaît : >; on se prépare ainsi des aides éventuelles, si l'on vient à en avoir un jour besoin 2 • Gorgias, le futur gendre, a des scrupules ... , qui persuadent son futur beau-père de ses qualités morales ; et celui-ci cède de bon cœur. La notion de solidarité triomphe donc à la fin de la pièce, dans les propos de Gorgias, de Cnémon, et de Sostrate. Certes, elle s'y présente sous une forme un peu limitée et purement utilitaire : on doit être bon pour les autres parce que l'on peut avoir besoin d'eux. Mais cette forme ne doit pas surprendre : c'est celle que l'on a rencontrée chez Isocrate et chez Démosthène; c'est celle que l'on trouve constamment chez Xénophon ; c'est celle que l'on retrouve enfin chez Aristote 3 • La vertu grecque, malgré les efforts de Platon, est toujours défendue par des arguments d'intérêt. Ménandre, cependant, en montrant son Gorgias si parfaitement désintéressé, tend à dépasser ce niveau, qui est celui des arguments, pour faire aimer cette vertu en tant que telle. La courtoisie et la tolérance se mêlent à l'altruisme et le plaidoyer que contient la pièce dans son ensemble dépasse en richesse morale la portée de ceux que formulent les personnages. (!) Les commentateurs signalent que la même idée se retrouve dans un fragment de Démétrios de Phalère, qui était l'ami de Ménandre et, comme lui, disciple de l'école péripatéticienne. On rapproche également Théophraste, fr. 73, Didot, ainsi qu'Aristote, Politique, 1296 b sqq., Éthique à Nicomaque, 1169 b 26 sqq. : ces idées étaient alors en vogue, sans que l'on puisse dire plus. - On peut d'ailleurs ajouter qu'un fragment transmis par Stobée, mais que Koerte juge emprunté à une compilation tardive, dit : « Si nous nous portions secours les uns aux autres, aucun homme n'aurait besoin de la TUX"IJ • (467 = 679 Kock). La pensée conviendrait à Ménandre, comme elle convient à d'autres après lui. Sur la fragilité de la -.UX"IJ voir aussi fr. 417 = 482 Kock). (2) 807-812; cf. déjà 271-288, où les variations du sort invitent à ne pas mépriser les pauvres. On trouve la même idée dans Théophraste, Sur le mariage, selon saint Jérôme, Contre Jovinien, I, 47. Mais ici encore, il s'agit d'une orientation très générale, qui ne permet d'établir aucune filiation directe. (3) Cf. ci-dessus, p. 140, p. 172, et surtout p. 166.

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LA DOUCEUR DANS LA PENSÉEGRECQUE

On pourrait donc considérer que le Dyscolos marque une étape importante dans l'histoire des idées qui nous intéressent, s'il ne subsistait un problème - celui de l'originalité de Ménandre dans cette pièce. Le thème du misanthrope a été traité au théâtre avant Ménandre, tout comme il devait l'être après lui 1 . Un Athénien du ve siècle devait même devenir pour des siècles le symbole de cette misanthropie : c'était Timon d'Athènes. Or, de tout ce qui est antérieur à Ménandre en ce domaine, nous ne possédons plus rien. Dès 420, nous savons que le chœur des Sauvages de Phérécrate était composé de misanthropes 2 • Quelques années après, on trouve des allusions à Timon dans deux comédies d' Aristophane. En même temps que la seconde, en 414, était joué le Solitaire de Phrynichos, décrivant la vie d'un homme comme Timon. À l'époque de la comédie moyenne, on relève un autre Solitaire d' Anaxilas et un Timon d' Antiphane 3 • Enfin Mnésimachos avait, peu avant Ménandre, semble-t-il, écrit lui-même un Dyscolos. Évidemment, Ménandre avait là des modèles nombreux ; et l'on aimerait savoir ce qu'il leur devait. On dispose pour cela, presque uniquement, de textes bien postérieurs. Car la vogue de Timon ne cessa pas pendant des siècles. Un certain Néanthe avait écrit sa biographie, aujourd'hui perdue ; mais nous avons la longue digression que lui consacre Plutarque ainsi que le traité entier de Lucien à son sujet. Alciphron, encore, parle de lui ; et Libanios a fait de lui le sujet d'une de ses Déclamations'. Ces auteurs -- en particulier Lucien - connaissaient probablement la littérature antérieure à Ménandre, et, entre autres, la pièce de Phrynichos. Ils en ont probablement fait usage. Mais l'influence de Ménandre avait joué, elle aussi, et beaucoup de traits prêtés après lui à Timon viennent sans doute de son Dyscolos5 • La piste est donc irrémédiablement brouillée. Du moins peut-on, si l'on se fonde sur les quelques vers significatifs qui nous restent de Phrynichos (fr. 18 Kock), relever deux différences. Le personnage, en effet, se donne lui-même pour 1• Le fait qu'il proclame cela lui-même implique une révolte fièrement revendiquée, une attitude de provocation plutôt que de simple repli. De plus, le personnage est coupé de tout : • sans >> rien de ce qui fait les liens sociaux 2 ; au contraire, le Cnémon de Ménandre s'y montre seulement inapte : il a une femme et une fille, qu'il traite mal, une servante, qu'il terrifie, un beau-fils, qu'il veut ignorer 3 : ces divers personnages représentent des liens qui lui pèsent, mais aussi, à la fin, des soutiens dont la fidélité le sauve - et cette idée importante ne pouvait donc pas intervenir à propos de Timon 4 • Autant que l'on puisse juger, le misanthrope du ve siècle dev'ait être un individu rompant avec la cité et la civilisation, tandis que celui de Ménandre est un simple , qui ne sait pas le prix de la solidarité humaine. Cette différence semble avoir pour elle la vraisemblance générale. À l'époque où, dans le sillage d'Aristote, les gens découvraient l'importance de cette solidarité, à l'époque où la vertu de douceur s'épanouissait enfin, il est satisfaisant de penser que toutes deux pénètrent le thème ancien pour le renouveler, au moins en partie. Comme l'écrit W. Schmid, le Cnémon de Ménandre est en relation étroite avec le développement des sentiments d'humanité qui a lieu à cette date 6 • Au reste, on a une confirmation indirecte de l'importance générale qu'avaient ces idées chez Ménandre, puisque le reste de son œuvre offre des témoignages attestant la présence de ces mêmes thèmes : il s'agit donc bien, non pas d'emprunts de circonstance, mais d'une inspiration qui est ou celle du poète ou celle de son époque, et plus vraisemblablement des deux .

... Une des pièces de Ménandre où cette inspiration se fait jour de la façon la plus nette est L'arbitrage. Cette comédie est assez bien conservée, puisque l'on en possède un peu plus de sept cents vers. À la différence du Dyscolos, elle semble de date plutôt tardive. Or, ce que le Dyscolos est pour la philanlhrôpia, L'arbitrage l'est pour la suggnômè 6 • Le thème de la pièce porte en effet sur des fautes supposées qui se trouvent séparer deux époux. Avant leur mariage, le jeune homme avait, au cours d'une fête, violé une jeune fille, sans la connaître ; puis il l'a épousée, sans la reconnaître ; or il apprend bientôt que sa femme a donné le jour à un enfant, après cinq mois de mariage. Furieux, il la (1) Nous traduisons par• sans ... • les cinq adjectifs commençant, dans ces deux vers, par un alpha privatif. (2) Le personnage de Phrynichos poussait sans doute, comme le Timon de Lucien, 1a révolte jusqu'aux dieux, ce qui implique la même outrance par rapport à Cnémon (cf. ci-dessus, n. 5, p. 206). (3) Sur ces dilTérences, cf. d'ailleurs J. M. Jacques, Notice à l'édition des Belles Lettres du Dyscolos, p. 35. (4) Cf. W. Schmid, op. cil., p. 179. (5) Op. cil., p. 178 : • Die Entwicklung der Menschlichkeit •· (6) On y relèverait une mention de la philanlhrôpia, si l'on rattachait à la pièce le papyrus Didot, v. 41, faussement attribué à Euripide (cf. ci-dessus, p. 47). Mais à cette suggestion de Robertson et Jensen s'opposent des arguments très forts.

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LA DOUCEUR DANS LA PENSÉE GRECQUE

quitte et va vivre chez un ami, chez qui il s'affiche avec une joueuse de flûte. Le père de la jeune femme s'indigne alors, comme lui-même s'était indigné. En plusieurs temps successifs, on découvre que le jeune mari est le père du fameux enfant, puis que sa femme en est la mère. D'où remords, réconciliation, et triomphe des bons sentiments. Ce jeune ménage a donc failli être ruiné par des réactions de colère portant sur des faits insuffisamment contrôlés ; et il y a là une nouvelle leçon de douceur et de patience. Qui plus est, l'expression de cet idéal moral est tout aussi vive et aussi lucide que dans le Dyscolos. De même que Cnémon, dans le Dyscolos, en venait à reconnaître ses erreurs, le jeune mari de L'arbitrage, Charisios, quand il comprend, grâce à une bague abandonnée lors du viol, qu'il est le père d'un enfant que l'on a retrouvé, exprime les plus vifs remords pour la sévérité qu'il a montrée envers sa femme. L'esclave Onésimos décrit ces remords exaltés, qui lui paraissent une vraie folie. Charisios a en effet entendu une conversation entre sa femme et son beau-père. Il a su qu'elle lui était fidèle. Alors, changeant de couleur, il s'est répandu en exclamations : . Puis il s'accuse lui-même, se traitant de monstre : À cc vocabulaire si caractéristique de l'idéal que Charisios regrette d'avoir trahi -- idéal de douceur et d'indulgence - se joint un mot que le résumé donné ici a omis, parce que son interprétation est sujette à discussion. Pourtant ce mot n'est pas indifférent, dans un texte de Ménandre : il rappelle la qualité d'homme de Charisios : «étant un homme>> (&v0pw1toç ~v). Certains groupent l'expression avec le verbe qui précède : dans ce cas, le texte veut dire que Charisios s'est révélé n'être qu'un homme, plein de faiblesse et capable d'erreur. D'autres en font le début de l'apostrophe qui suit, apostrophe prêtée à la divinité : >tu te laisses aller à une telle conduite. Sans entrer ici dans le détail de la discussion, ni des raisons pour lesquelles nous optons résolument en faveur de la première solution, il est clair qu'une fois de plus, et quelle que soit l'interprétation adoptée, la condition humaine, avec son lot de communes faiblesses, constitue une raison majeure pour laquelle on devrait se montrer indulgent. Ou bien Charisios découvre cette faiblesse à présent ; ou bien il a eu le tort de ne pas en tenir compte plus tôt : de toute manière l'indulgence devient un devoir humain, parce que tous les hommes risquent de faillir; et c'est là un lien de plus entre eux, qui leur commande d'être ,c'est-à-dire non seulement sociables, mais compréhensifs et tolérants. Comme dans le Dyscolos, enfin, la conclusion de la pièce illustre la victoire charmante des bons sentiments. La jeune femme était prête à pardonner à son mari; tout s'arrange ; son père est ravi; et la joueuse de flûte elle-même sera traitée avec égards à cause des services qu'elle se trouve avoir rendus à tous. La courtoisie et la bonne entente sont rétablies ; d'ailleurs, à la différence de ce qui se passait dans le Dyscolos, seule une série de mauvais hasards avait pu les obnubiler de façon provis01re. On retrouverait les mêmes traits, plus ou moins nets, dans d'autres comédies de Ménandre.On y trouve aussi des réflexions diverses où sont prônées la douceur et l'indulgence. Elles tressent comme une couronne à ces deux notions. Dans la Perikeiroménè (la femme aux cheveux coupés), il s'agit, comme dans L'arbitrage,d'une colère trop hâtive, à laquelle une reconnaissance tardive vient ôter toute justification. Le résultat est une réconciliation (1020: )et un pardon que l'on accorde enfin(1023 : suggnômè) 3 • Le plus souvent, cependant, il s'agit de philanlhrôpia. (1) :Exoc1bc; désignela gaucherie intellectuelle, et par suite le manque de • compréhension•· Chez les Grecs,l'indulgence est affaire d'intelligence et de culture. 'Ayvwµwv qui suit illuste aussi celte parenté. (2) La tirade représenteles vers 908-930 de l 'édilion Sandbach. (3) Ce sont les vers 442et 445 de Kock ; le dernier de ces vers est attribué, selon les éditeurs, à la jeune filleou à son père ; pour ) 'importance de la notion, le résultat est le même.

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Ainsi dans Le bouclier, il est bien question de pardon au vers 164; mais il est aussi question de prendre les choses (260 : &.v0pc,m(vwç)et l'on oppose la poursuite de son intérêt à une action menée selon la générosité (395 : cpLÀ,xv0pw1twç). De même, dans les fragments isolés, pour un ou deux qui parlent de pardon (693 = 867 Kock ; 266 = 321 Kock)1, plusieurs parlent de philanthrôpia. Ainsi dans le fragment 19, il est dit que la richesse peut rendre les gens généreux (philanlhrôpous) et dans le fragment 398 (= 463 Kock) que l'absence d'injustice a le même effet 2 • Dans le fragment 361 ( = 428 Kock) un père parle de sa fille en disant que sa nature est des plus aimables (philanlhrôpon) 3 ; on notera même que le mot est précédé d'une lacune, pour laquelle Cobet, qui n'était point, comme on l'est ici, en quête de la douceur et de son vocabulaire, proposait de restituer (praon philanlhrôpon le). Praos n'est en effet nullement étranger au vocabulaire de Ménandre. On rencontre même chez lui, groupés de façon révélatrice, les deux aspects de la douceur : gentillesse et agrément. Un père > et jeune est chose bien (fr. 608 = 749 Kock) ; les riches dorment sans doute d'un sommeil > De même certains fragments évoquent cette philanthrôpia au sens fort du terme qu'était pour Ménandre la solidarité humaine. Sans revenir

y joindre le vers 41 du Phasma. (21 Le texte, cependant, est ici controversé, en fonction du fragment 790 ( = 568 Kock), où qnÀotv6pw1touc; est remplacé par xocÀoÙç~µiic;. (3) Dover dit ( Greek Popular Morality, p. 20) que l'on ne peul rien tirer de cc fragment, faute de posséder le contexte: celui-ci atteste du moins la vogue du mot, elle fait que la vertu de philanlhrôpia était, pour les personnages de Ménandre, l'objet d'un éloge tout naturel. Même le fragment 548 ( = 579 Kock) où un personnage se plaint qu'aucune faute ne soit plus punie, et que cette soi-disant vertu amène les gens à mal agir, atteste, par une plainte semblable à celles des orateurs (cf. ci-dessus, p. 121-122), que l'indulgence était devenue assez répandue pour offrir parfois un sujet d'inquiétude. (4) T. B. L. Webster (Studies in Menander, p. 206 sqq.) signale l'emploi de la même idée dans l'Heaulontimorouménos, 796 (où elle sert à soutirer de l'argent 1); c'est la formule fameuse : • summum jus summa est malitia •· (1) Il faudrait

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sur le fragment 484, cité à propos du Dyscolos 1 , on peut recueillir nombre de remarques qui suggèrent la même idée. Le fragment 465 ( = 602 Kock) énonce avec noblesse la fraternité des bons : >(V, 23, 65) 6• De fait c'est grâce à cette solidarité que se joignent à la justice des vertus de douceur : >. On le voit : l'enchaînement qui mène d'Aristote aux stoïciens, puis à ces beaux textes de Cicéron se fait de façon insensible et continue. On en a du reste la preuve dans un texte de Stobée (II, p. 120-121 W). Ce texLc a déjà été mentionné plus haut 6 ; il résume les doctrines > (cpLÀapyr11sforsschung,VI (1913), p. 9-23. li s'agit d'O.G.J., 116, I. 6-7. (4) Contre Midias, 4!>. (5) U.P.Z., 144. Wilcken (ad loc.) déclare ne rien trouver dans cette lettre qui appartienne à la culture égyptienne ; elle représente à ses yeux un mode de pensée purement grec. Pour cette praotès, cf. encore Schubart, op. cil., p. 21. (6) La différence peut tenir au nombre des documents conservéR : l'évolution reflétée par les textes littéraires ôte toutefois à cette objection tout caractère décisif.

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tendresse. On ne saurait trop fonder là-dessus, car ce peut être seulement affaire de goût artistique. Mais il reste qu'à partir du ive siècle les inscriptions parlent de philanthrôpia pour des comportements, non seulement publics, mais privés, et pour des traits de caractère concernant non le gouvernement mais la vie quotidienne. Elles parlent de l'entourage du personnage, dans le petit milieu du dème (Sylloge 3 , 1094), de l'accueil aimable, ou hospitalier, qu'offre le roi de Thrace (Sylloge 3 , 438), des rapports qu'un personnage entretient avec tous (Sylloge 3 , 368 : il s'agit d'un stratège de Lysimaque en Ionie). Bientôt, au ne siècle, des textes louent la générosité et les bons sentiments des gens d'une manière générale. C'est ce que relève J. Festugière, dans La Révélation d'Hermès Trismégiste (11, p. 308 sqq.). Tel est le cas pour Cléon, stratège d'Attale II, à Égine : il fut alors la meilleure des armes qui les fit maîtres du monde. Cette «clémence >>n'est pas tout à fait la « douceur» chère à la tradition grecque. Elle a tout à la fois plus de majesté et une parenté plus étroite avec l'exercice même de la justice. Mais les premiers grands historiens de Rome furent des Grecs ; et ils se plurent à saluer dans le comportement romain les vertus dont Isocrate et Xénophon avaient montré l'utilité dans les rapports entre les peuples. C'est pourquoi on voit Polybe, ainsi que ses successeurs grecs, insister sur le rôle que joua, dans la formation de l'empire romain, ce qu'ils appellent la philanlhrôpia, l'épieikeia et même, dans certains cas, la praolès. Tous ces mots peuvent correspo~dre à l'occasion au latin clemenlia. Ils s'emploient pour la clémence des chefs envers leurs troupes ou des Romains envers les vaincus. De sorte que Ja politique romaine s'est trouvée interprétée en termes de douceur grecque.

.. *

Polybe est pour nous le premier témoin à reconnaître cette douceur dans la politique romaine et à en faire l'éloge. II a pu, bien entendu, subir à cet égard des influences et grecques et romaines. Mais il est vain d'en situer l'origine dans des œuvres entièrement perdues et dont rien n'autorise à penser qu'elles parlaient de la douceur ou qu'elles étaient connues de Polybe. Même le philosophe Panétius, à qui l'on a beaucoup prêté, ne saurait être raisonnablement invoqué ici2 • De toute façon, tel auteur qui aurait, avant Polybe, formulé de telles idées, se situerait dans la tradition même d'lsocrate et de Xénophon. De toute façon, encore, la doctrine est, chez Polybe, lucidement assimilée et résolument défendue. II est un de ceux qui ont protesté avec force contre les excès de cruauté ; et les règles de la guerre, dont on a suivi les traces dans Je premier chapitre, ont trouvé dans son œuvre une formulation particulièrement éclatante. Il invoque ainsi les ou les « habitudes >> communes à tous les hommes chaque fois que ce que nous appellerions le droit des gens se trouve foulé aux pieds : ainsi à I, 70, 6, à propos des mercenaires de Carthage, à II, 8, 12, à propos de l'assassinat d'ambas(1) cr. Je dernier chapitre de notre livre • The Rise and Fall of States according to Greek Authors, Mich. Un. Press, 1977.

(2) On trouvera l'hypothèse dans W. Capelle, • Griechische Ethik und rômischer Imperialismus •• Klio, 25 (1932), p. 86-113, et sa critique dans H. Strasburger, c Poseidonios on Problems of the Roman Empire•• J.R.S., 55 (1965), p. 40-53. Panétius était contemporain de Polybe; Posidonius était postérieur : cf. ci-dessous, p. 249.

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sadeurs romains, à II, 58, 4-5, à propos du massacre des Achéens à Mantinée, à V, 11, 3 et VII, 14, 3 à propos des pillages et des destructions de Philippe V, à IX, 33, 4, a propos du pillage de Delphes, ou à XXIII, 15, 1, a propos des destructions commises contre un ennemi de même race. Beaucoup de ces passages sont longs et éloquents. Plusieurs comportent des jugements à la première personne. À la suite de Platon, qui, au livre V de la République, dressait une telle liste à propos des guerres entre Grecs, ces textes de Polybe offrent parfois de véritables listes des actes prohibés. Ainsi au livre V, 11, 4, après avoir énuméré les actes autorisés pa.r la guerre, il écrit : >.Et, de même qu'il enchaînait pour Antigone : (ToLycxpouv) Antigone fut loué, de même il enchaîne pour Philippe II : (Tmycxpouv)grâr,e à ses bienfaits, . L'optimisme, ici, se double d'une forte tendance à dégager la leçon - qui est, très exactement, la leçon d'lsocrate. Sans doute Polybe force-t-il d'autant plus qu'il polémique contre Théopompe, à qui il ne pardonne pas d'avoir dit du mal de Philippe II et de sa cour (VIII, 8-11); mais il tient visiblement à son idée. Dans le passage que l'on vient de voir, il associe à Philippe II Alexandre ; il rappelle que celui-ci a toujours - même à Thèbes ! respecté les lieux et objets sacrés. De même au livre XVIII, 3, il reproduira le discours d'un Étolien rappelant, contre Philippe V, la générosité des rois de Macédoine, et plus particulièrement d'Alexandre. Ceci montre bien que déjà une tendance se dessinait, qui cherchait des précédents à la clémence romaine et les trouvait en Macédoine 1• Quoi qu'il en soit, Polybe ne cesse de revenir à Philippe Il. Mêrne lorsque Philippe II est attaqué - comme dans le discours de l'Étolien qui parle à IX, 28-31 - sa magnanimité est reconnue et seuls les mobiles qui l'inspirent semblent suspects : >,la situation d'Athènes aurait tourné au désastre (14, 14). On retrouve des indications comparables \ 1) Cf. ci-dessous,

p. 250.

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à propos des affaires d'Égypte, au livre XXII (16) : Polybe y montre tous les griefs que Philippe avait contre Athènes, et toutes les bontés qu'il lui prodigua au lieu de se venger d'elle. À la surprise du lecteur habitué à Démosthène, celui-ci découvre donc que l'empire de Macédoine, comme plus tard l'empire romain, était fondé sur la clémence. On comprend, à cause de ce parallélisme, l'insistance de Polybe. Il passe plus vite sur d'autres. Ainsi pour Hiéron II, qui, à Syracuse, «régla la situation avec tant de modération ( praôs) et de générosité que les Syracusains ... l'adoptèrent comme stratège>> (1, 8, 4). Rien d'étonnant à ce que le même Hiéron se place plus tard sous la protection des Romains, régnant en toute sécurité sur Syracuse, et se montrant soucieux de sa réputation en Grèce : sécurité et réputation sont pour lui et pour tous la récompense de la douceur. Parfois on y gagne surtout de l'estime, comme Antigone Doson qui, après Sellasie, se montra envers Sparte magnanime et généreux (Il, 70 : philanthrôpôs) : Polybe explique que telle fut la raison des honneurs qu'il reçut (V, 9, 10 : -rotyocpoüv).Ou bien l'on y gagne des amis : ainsi Aratos, qui savait mieux que personne supporter avec sérénité ( praôs) les dissentiments politiques, nouer des amitiés, et acquérir de nouveaux alliés (IV, 8, 2); tant que Philippe V écouta ses avis, personne n'eut a se plaindre de lui : il bénéficia de l'eunoia de toute la Grèce (VII, 14, 4), alors qu'ensuite, conseillé par Dém,;trios, il s'aliéna l'eunoia de ses alliés et la confiance des autres Grecs (ibid., 5). - Il en est de même pour Ptolémée Philomètôr, qui «était un homme doux (praos) et affable, comme aucun roi ne l'avait été avant lui. La meilleure preuve en est que jamais il ne fit périr aucun de ses ,quelles que fussent les accusations portées contre eux, et que jamais, a ma connaissance >>,écrit Polybe, « aucune autre personne à Alexandrie ne trouva la mort par sa volonté>> (XXXIX, 7). Il pardonna ,\ son frère, malgré les torts de ce dernier. S'il n'avait pas eu des périodes de mollesse et de laisser-aller, il ne mériterait que des éloges. Enfin, a Rome même, c'est par de telles vertus que Tarquin était devenu roi, se faisant d'abord apprécier de Marcius, puis de la foule : > (X, 35). Du coup, Polybe saisit cette occasion pour présenter un commentaire d'ordre général : «Cette sorte de mésaventure est déjà arrivée à bien des gens» (X, :!6). Il explique que, se croyant sûrs de leur situation en Espagne, les Carthaginois« s'étaient comportés de façon abusive avec les habitants du pays. Voilà pourquoi (-roLycxpoüv) les peuples qui se trouvaient sous leur autorité, au lieu d'être pour eux des alliés et des amis, nourrissaient à leur égard des sentiments hostiles>>. Ils n'avaient pas compris que «lcRhommes assurent leur avantage en obligeant les autres et en éveillant en eux d'agréables espérances, mais que si, une fois leurs ambitions saLÏi:;faitcs,ils maltraitent et tyrannisent ceux qui se sont soumis à leur autorité, ce changement de conduite de la part des dirigeants entraîne tout naturellement un changement dans les dispositions de leurs sujets». Un tel tableau et une telle analyse ont évidemment pour effet de donner tout son sens à la description de la conduite inverse, qui fut celle de Rom,\ et s'incarna en la personne de Scipion. Déjà Cneius Scipion, son oncle, avait suivi une politique de clémence : il assiégeait les places qui refusaient de se rendre, mais se comportait en ami (È:(()tÀcxv6pwm:L) avec celles qui lui faisaient bon accueil (III, 76, 2) : ainsi établit-il solidement son autorité sur les populations côtières de l'Espagne. Le père de l'Africain, toujours en Espagne, adopte une politique semblable. II y est même aidé par le plus malhonnête des Ibères, qui joue du désir de popularité existant dans les deux camps : il va trouver Bostar, un chef carthaginois - un homme doux (praon) et sans malice et il lui suggère de rendre les otages afin de déjouer les beaux projets de (1) Cf., dans la suite:• Quiconque persistait à miser sur la philanlhrôpia de l'adversaire ne pouvait être considéré comme un allié véritable• (91, 2). De même les soldats veulent épargner Giscon à cause de ses bienfaits antérieurs mais ceux qui parlent pour la clémence sont lapidés. (2) La même leçon se lire de l'exemple des villes rebelles à Carthage: celles qui ont été trop loin ne peuvent plus traiter. • On voit par cet exemple 1, écrit Polybe, « que même lorsqu'on s'engage dans une entreprise condamnable de ce genre, il est de la plus grande importance de ne pas dépasser certaines limites et de n'accomplir de propos délibéré aucun acte irrémédiable • ( I, 88, 3). Diodore reprend la même idée à XXV, 5, 3, en en tirant un éloge de la (U't'pt6Tl)c;.

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Scipion à leur égard : ainsi Bostar s'assurerait-il l 'eunoia des Ibères. Le personnage évoque donc le succès qu'aura auprès des populations la magnanimité des Carthaginois... et il se fait remettre les otages. Mais alors il va trouver les Scipions, dont il prévoit la victoire; et il leur offre de leur livrer les otages pour qu'ils puissent, eux, les libérer. Cela se fait, et notre Ibère va de cité en cité, restituant les otages, et soulignant «la bonté ( praotèta) et la générosité des Romains, bien différentes, dit-il, de la déloyauté et de la brutalité des Carthaginois» : il incita ainsi, dit Polybe, «un grand nombre d'ibères à rechercher l'amitié romaine» ( III, 98-99). L'épisode atteste à la fois ce qu'il entre de rouerie dans cette praotès de propagande et la façon dont les Scipions entendent l'imposer. Cela est vrai surtout du fils, de Scipion l'Africain. D'après Polybe, il s'agissait chez lui d'un trait de caractère. Il venait de se faire élire à l'édilité et avait compté, pour se faire élire, sur sa générosité, sa munificence et son abord affable, qui lui attiraient l'eunoia du peuple (X, 5, 6). Il n'est donc pas étonnant qu'il ait repris, en Espagne, une politique qui semblait s'imposer. On le voit avec éclat lors de la prise de la Nouvelle Carthage (X, 8-15), dans la façon dont il veille à ce que le partage du butin se fasse avec ordre (16-17), et dans le long développement que Polybe consacre à sa conduite après la victoire. S'adressant aux prisonniers, il exhorte les citoyens à se montrer loyaux envers Rome et il les renvoie chez eux, éperdus de reconnaissance. Quant aux travailleurs manuels, il leur dit qu'ils appartiennent à l'État romain, mais que, s'ils montrent de l'eunoia et du zèle, ils seront libérés une fois la guerre finie ; et il les incorpore à ses propres forces. Il promet de même la liberté à ceux qui servent sur la flotte, s'ils font montre d'eu11oia et de zèle. , écrit Polybe, (17, 6-16). Les prisonniers carthaginois sont à leur tour traités avec égards. Quant aux otages, il les rassure et les engage à faire savoir aux leurs qu'ils pourront rentrer chez eux sans être inquiétés, pourvu que leurs familles fassent alliance avec Rome. En une scène qui rappelle à la fois la mansuétude de Cyrus pour Panthée dans la Cyropédie et le respect montré par Alexandre à la mère et à la femme de Darius1, il se montre particulièrement plein de délicatesse envers les femmes de haut rang tombées en son pouvoir : touché aux larmes par l'attitude -ie la femme de Mandonios (frère d'Indibilis), il s'engage à veiller sur les filles d'Indibilis comme si elles étaient ses filles ou ses sœurs. Le résultat ne se fait pas attendre : Scipion gagne l'amitié et la confiance des Espagnols en renvoyant les otages dans leurs cités respectives. Il y est aidé par un chef, Édécon, dont la femme et les fils se trouvent parmi les otages, et qui croit adroit d'être le premier à rallier ( 1) Cf., pour ce dernier point, p. 250.

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les Romains (X, 34). L'homme suggère à Scipion que, s'il est bien accueilli, si on lui rend sa femme et ses enfants, d'autres l'imiteront et même aideront Rome dans les campagnes à venir : Scipion, «qui avait antérieurement déjà conçu des desseins dans ce sens et dont les vues coïncidaient avec les propositions de l'ibère>> (35, 1), fait ce que celui-ci propose ; et bientôt et non la poursuite de 1'eunoia 1• On dirait que la politique de la douceur est plus accessible à l'historien grec qu'au Romain. - À plus forte raison est-on loin >(XV, 4)1. Puis, ayant arrêté trois espions carthaginois, loin de les châtier, il leur fit montrer tout ce qu'ils désiraient voir. Cette attitude poussa Hasdrubal à vouloir rencontrer Scipion. Celui-ci ne se laissa pas fléchir ; la bataille de Zama s'engagea; et Scipion eut la victoire. Recevant alors les plénipotentiaires carthaginois, il leur rappela que rien n'obligeait les Romains à être philanthrôpoi envers Carthage, qui était dans son tort (17, 3) : > (XVIII, 37); les Lieux derniers mots sont des formes de praos et philanthrôpos. Ensuite Flamininus incarne la générosité de Rome à cause de sa proclamation aux jeux isthmiques de la Grèce, lui annonçant sa liberté. La reconnais1arn·c eperdue des Grecs est longuement décrite par Polybe, qui la 1iéclare minime au regard de la grandeur même du bienfait (XVIII, 44-46). Puis, dans la période qui suit, la générosité romaine se poursuit auprès de chacun. S'ugit-il des Étoliens? Au livre XXI, Scipion accueille d'abord une 1mbassade athénienne chargée de s'entremettre pour eux : sa façon de ,a traiter est décrite par le verbe Èitié des malheureux, mais sont sensibles à la justice (XXIV, 8). Surtout l en profite pour expliquer que Rome s'est alors laissé tromper : Nourrissant de nobles pensées et des intentions généreuses1, les Romains irennent en pitié tous ceux qui sont tombés dans le malheur et s'efforcent le faire du bien à tous ceux qui cherchent protection auprès d'eux. ( 1) La phrasr commence par le mot d!v8pc.moLt étant des hommes •• obscur et ouvent écarté. Combien il serait satisfaisant de voir dans ce mot le reste d'une expresion désignant. I'• humanité• des Romains 1

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Pourtant lorsqu'un ami, qui leur est toujours resté fidèle, leur rappellC' où est le bon droit, ils reconsidèrent généralement la question et font tout. ce qu'ils peuvent pour corriger leurs erreurs>> (XXIV, 10) : ainsi s'exprime Polybe lui-même, lui qui devait si souvent discuter de!! intérêts achéens avec les Romains et qui connaissait, pour l'avoir vue i1 l'œuvre, leur façon d'en user en ce domaine. Plus tard encore, il rappelle de même que les Romains acceptèrenL de maintenir les statues de Philopoemen et aidèrent à réorganiser !'Achaïe, laissant à leur départ > (XXXIX, 5, 1). Mais l'attitude des Romains ne concerne pas seulement les deux grandes ligues. En 170, au moment de la guerre contre Persée, on voit des envoyés romains aller à Thèbes pour encourager les Thébains à maintenir leur eunoia envers Rome (XXVIII, 3, 2), puis parcourir le Péloponnèse pour s'efforcer>.Puis, évoquant l'instabilité des choses humaines, Diodore montre qu'elle justifie le fait de traiter des vaincus avec épieikeia ; cela nous vaut des louanges, et cela sème la gratitude : « même le pire ennemi, s'il rencontre la. pitié, est transformé par le bienfait et devient vite un ami, en se faisant à lui-même des reproches » (XXVII, 14-15). La tendance à généraliser et à tirer des événements une grande leçon morale est donc, ici encore, beaucoup plus nette chez Diodore que chez Polybe. Et la confiance en la clémence l'est également. À cet égard, Diodore est plus près d'Isocrate que de Polybe. Encore n'est-ce pas tout, ni pour Scipion, ni pour Rome. Diodore rapporte, comme Polybe, le rôle joué par Scipion dans la négociation avec Antiochus (XXIX, 10, 1 : cf. Polybe XXI, 17) ; mais il ajoute que l'attitude de Scipion était en l'occurrence conforme « à la traditionnelle épieikeia de Rome ». Car Scipion n'est pas seul à suivre de telles maximes. Comme chez Polybe, Flamininus rappelle la tradition romaine (XXVIII, 13). Comme chez Polybe, Paul-Émile traite avec égards Persée lorsqu'il est vaincu ; et il invite le conseil à voir dans le sort du roi une leçon de modération (XXX, 23, cf. Polybe XXIX, 20). Lepidus impose au Sénat de rester fidèle, en ce qui concerne Persée, désormais captif, au caractère épieikes de Rome (XXXI, 9, 4-5). Ou encore Scipion Émilien obtient d'autant plus de redditions qu'il traite les vaincus avec épieikeia (XXXII, 7). Mais, si ces notations diverses contribuent à donner une image d'ensemble de la clémence de Rome, il est surtout manifeste que, chaque fois qu'il le peut, Diodore s'emploie à mettre en relief cette clémence, grâce à une formulation générale ou à un rappel indirect de principes. On pourrait mentionner le fait qu'à XXVIII, 13, lors de la paix avec Nabis, Flamininus évoque les grands principes de la politique romaine et les bienfaits de Rome, si Tite-Live n'avait, sur ce thème, tout un discours (XXXIV, 22-41). Mais au livre XXIX, 31, à propos du traitement généreux accordé à Thoas, un commentaire de Diodore rappelle que la modération envers les vaincus est plus efficace que les succès militaires. Au livre XXX, le Sénat s'inspire de cette maxime pour contrebalancer les intrigues de Persée, et, multipliant les actes de philanlhrôpia, s'efforce d'obtenir l'eunoia des masses : Diodore, ici encore, commente : tÀoa-c-opy(oc. R.E., col. 670); mais il avait été lui-même en Égypte (ci-dessus, p. 226). (5) cr. ci-dessus, chapitre XIII, p. 226.

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à propos de la Sicile, et de façon assez insistante

1•

L'on a même l'impression, à voir la différence entre ces parties et les autres, qu'il a pu suivre en cela quelque historien de la Sicile sensible à ces idées de douceur ; déjà l'on a vu que le plaidoyer de Nicolaos en faveur de l'indulgence se plaçait précisément à Syracuse. Pour les autres cas, il y a bien des mentions isolées ; et il n'est que juste de préciser, puisque nous lui avons emprunté, au chapitre précédent, les exemples illustrant la cruauté de l'époque hellénistique, qu'il signale également, pour cette période et pour les mêmes personnages, des exceptions heureuses 2 • Mais il ne fait de théorie qu'à propos de Rome - de Rome qui apparaît ainsi comme étant à cet égard l'héritière de la Grèce, ou plutôt comme ayant appliqué dans la pratique certains aspects de l'enseignement plus moralisant qu'avaient mis en honneur les Grecs. Cette insistance peut s'expliquer par une réalité objective, à laquelle il serait fidèle. Elle peut aussi s'expliquer par l'influence de ses sources : Polybe en était une ; mais nous ne connaissons pas les autres ; et Posidonius a fort bien pu ici jouer un rôle assez important. Cependant les domaines sur lesquels Diodore insiste le plus volontiers orienteraient plutôt vers des historiens antérieurs, qui auraient traité d'histoire universelle, ou bien d'histoire de la Sicile. Les noms d'Éphore et de Timée ne peuvent être évoqués que comme des relais hypothétiques, qui tous deux renverraient à Isocrate. Il se peut aussi que l'éducation grecque de Diodore, et son tempérament personnel aient compté plus qu'on ne croit. Diodore, après tout, n'est pas un copiste, il s'en faut. Si l'on compare avec Tite-Live, on a le sentiment que ce dernier insiste plus sur la Fides romaine que sur la clémence, ou à plus forte raison sur la douceur : on a vu, au chapitre précédent, par quel léger gauchissement ce que Polybe attribuait à la philanthrôpia devenait, chez Tite-Live, preuve de justice et de loyauté 3 • Là où, par rapport à

(1) A l'affaire des prisonniers athéniens de Sicile (XIII, 19 sqq.), on ajoutera X, 'l8, 3 (sur Théron d'Agrigente et sa philanthrôpia), XI, 23-26 (sur Gélon), XI, 67,3 (sur Hiéron et sa praotès), XIII, 75 (sur Hermocrate), XIV, 45 et 105 (sur la douceur de Denys après son changement), XVI, 20, 2 et 6 (sur la douceur de Dion). Il faudrait aussi y joindre les idées exprimées à propos de la révolte des esclaves en Sicile, selon lesquelles l'humanité est récompensée et la cruauté suscite la vengeance (XXXIVXXXV, 2, 34, avec le mot cimxv6pc,mlcx) Diodore ajoute, encore une fois, un petit développement général sur l'avantage qu'il y a, dans tous les domaines, à agir épieikôs et avec philanthr6pia. (2) Ainsi pour Antigone : XIX, 20, 1 ; pour Cassandre, 50, 2; pour Agathoclès, 6, 3 et 9, 6 ; Démétrius avait, comme il sied à un jeune roi, • une certaine praotès qui lui attirait tous les cœurs (81, 4; voir d'ailleurs 100, I et XXI, 9, où il remarque que , te pardon vaut mieux que la vengeance;). A plus forte raison trouve-t-on des traits tle douceur chez Eumène (XVIII, 42, 5; XIX, 24, I et 5), chez Ptolémée (XVIII, 14,l ; XIX, 62, I et 2; 86, 2-3), chez Séleucos (91, 2 et 5; 92, 5). On trouve d'ailleurs chez Diodore certaines appréciations correspondant à celles de Polybe : ainsi pour Ptolémée Philomètor, que Polybe déclarait praos (XXXIX, 7) et dont Diodore loue l'épieikeia (XXXIII, 12). (3) Cf. p. 243, p. 244, et n. 2, p. 247. Quand Tite-Live parle de clémence, il dit tl'ailleurs souvent, par une combinaison révélatrice : {Idem clementiamque (ainsi XLIV, Il; XLV, 4, 7).

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oucEUR DANS LA PENSEE GRECQUE

. Tite-Live et1 dit 1noins sur la douceur, il se trouve l ,' Diodore en dit plus. . ~ . que le Grec d x il y· a progrès\ épanouissement, rencl1er1ssement.Et ce 1es eu E11tre · · t , se f on t d'. un Grec à un rès cet épo.nouisseinent,ce renc h'er1ssemel"l: prog a' _ quelles qu'aient pu être les influences 1nler1né.diaires atttre rec 1·é . l 1 ,. . ~ Certes, cette douceur reste encore assez 1 e a~x ca eu s d intérêt que l'on o.vait.t.rouvés chez Isocrate et Xénop~on, pu~s chez Pol~be. Il devait appartenir à un autre Grec, contemporain de Diodore de \ en dégager : c1esl ce que l1 on trouvera chez Plutarque. Avant d'en venir à lui, une autre forme de la clémence romaine est à considérer. Elle a moins o~cupé les a~te~rs grecs ; 1m~is elle a pu leur devoir beaucoup ; et son role fut cons1derable. Il s agit de la clémence individuelle - celle de César, puis celle des empereurs .. Diodore lui-même invite à la considérer, puisque son œuvre, qui descend plus bas dans le t.emps que celle de Polybe, n:ais moi~s loin qu~ celle de Plutarque, cite comme dernier exemple de cle111encel acte de Cesar relevant Corinthe de ses ruines, et méritant ainsi qu,on loue le caractère extrême de son épieikeia. Cela au point qu'il fut, déclare Diodore, le plus grand des Romains. Tout se passe donc comme si la clétnence des conquérants romains avait subi une éclipse au 1noment de la destruction de Corinthe, pour reparaître, sous une forme nouvelle, en ln. personne de César.

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CHAPITRE C~NCE

XV

ET DOUCEUR DANS L'EMPIRE ROMAIN

En la personne de César reparaît un modèle qui est celui qu'avaient tracé Isocrate et Xénophon, puis les auteurs de traités relatifs à la monarchie. Sa clémence, en effet, est d'abord celle d'un conquérant, comme pouvait l'être tel général de l'époque antérieure; mais très vite elle devient une arme dans la guerre civile, et une vertu destinée à faire accepter un pouvoir personnel, qu'allait prolonger celui des empereurs. Au reste, si l'on veut comprendre le sens de cette «clémence de César» il importe de tenir compte, comme pour la clémence de Rome, des désordres auxquels elle répondait. Car, si l'époque hellénistique avait connu de rares violences dans le domaine des relations entre pays, violences entretenues par la rivalité entre les souverains désireux d'assurer ou d'accroître leur pouvoir, Rome devait entrer, un peu plus d'un demi-siècle après les derniers événements que raconte Polybe, dans la période des guerres civiles, où les atrocités furent plus terribles encore. Avec les Gracques, avec Sylla, avec le conflit entre César et Pompée, ni la douceur ni la clémence n'étaient plus exercées par personne. Les massacres étaient la règle. Et la lecture des Guerres Civiles d'Appien ne laisse aucun doute à ce sujet. On pourrait en tirer des exemples propres à faire pâlir ceux du chapitre précédent. Or ce que fit la puissance de Rome dans le domaine des relations entre pays, la puissance de César le fit, pour un temps bref, dans l'État romain. Et surtout, pour acquérir cette puissance, il sut utiliser la clémence comme un mot d'ordre et un programme. A une époque où il fallait se gagner des partisans, il comptait sans doute sur son efficacité. En outre nlle lui permettait de s'opposer à Sylla et de faire espérer une pacification A.laquelle tous aspiraient1. À vrai dire, le rival de César, Pompée, pouvait se réclamer de la même (1) Voir par exemple, pour une période légèrement postérieure, des demandes comme aelle qu'on lit dans Appien, Civ., 111, 84 : tous les soldats de Lépidus lui demandent , la paix et la pitié pour les citoyens malheureux •· D'autres que César se réclament du mêmeidéal à la même époque: ainsi Cicéron dans le Pro Sulla, 1, parle de sa /enitas et de sa misericordia; il se vante encore, à 87, d'être aussi miséricordieux que les juges à 11uiil s'adresse, et 1am milis quam qui lenissimus 1

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vertu. Plutarque la lui reconnaît volontiers 1 , et Posidonius, qui fut lié avec Pompée et qui avait écrit sa Vie, devait lui en faire aussi un mérite (en particulier pour son rôle envers les pirates). Mais Pompée ne suivit pas une politique systématique. Et surtout il fut vaincu. C'est donc de la clémence de César que l'on parla. Ses contemporains ont en effet admis l'existence de cette clémence, même lorsqu'ils n'étaient pas de ses amis. Salluste, par exemple, a dit que sa réputation de grandeur venait «de sa douceur et sa pitié »1 • Cicéron lui-même a parlé de sa nature «douce et clémente »3 • Sans doute y avait-il là une bonne part de calcul. Les contemporains l'ont dit; ainsi Curion (cité par Cicéron) ou Cicéron lui-même qui parle à son sujet d'une insidiosa clementia'. Beaucoup de modernes ont épousé, non sans raisons, cette façon de voir 6• Mais l'interprétation n'est pas à considérer comme une objection : cette clémence délibérée et intéressée correspond à la tradition qu'avait inaugurée Isocrate; et elle correspond plus encore à l'aspect tout pragmatique qu'avaient toujours privilégié les Romains. Enfin, du point de vue de l'histoire des idées, le choix des mots d'ordre est ce qui compte, même si ces mots d'ordre correspondent plus à un désir de propagande qu'à un idéal personnel. Car, dans ce cas, ils renvoient à une aspiration collective. On a eu l'occasion de le voir à propos de la monarchie hellénistique. Toujours est-il que cette clémence est constamment mise en avant par César, et qu'elle prend, avec lui, un caractère nouveau 8• Quand il s'agit de conquêtes et de l'extension du pouvoir romain, César reprend la tradition décrite par Polybe. Bien qu'il agisse en chef énergique (comme Scipion, au demeurant), les récits de ses exploits insistent sur la réputation bien établie, qu'il a auprès de tous, d'accueillir avec indulgence ceux qui se rallient à lui, avant ou après une bataille. On le voit essentiellement dans la Guerre des Gaules. Pour qui en connaît le déroulement, avec les massacres et les répressions qu'elle entraîna, les populations détruites ou vendues en esclavage, les dévastations, les morts, la notion a de quoi surprendre. II n'empêche que César, lui, insiste toujours sur la clémence. Il en est ainsi quand les vaincus font appel à «sa clémence et sa douceur>> (II, 14), ou déclarent qu'ils entendent partout vanter > (II, 31, 4)1. N'accepte-t-il pas, dans ce dernier cas, d'être indulgent «à cause de son habitude plus que de leur mérite» (32)? La formule évoque ce que Scipion disait à Carthage•. Ne prend-il pas soin d'éviter les violences auxquelles les soldats pourraient se livrer (33, 1)3? Quand il se montre dur, c'est «pour qu'à l'avenir les ennemis soient plus attentifs à respecter les droits des ambassadeurs» (III, 16, 4) ; ou bien c'est pour rassurer les autres, en agissant «malgré sa naturelle clémence>> (VIII, 38); cela peut être aussi pour faire un exemple, en sachant que «sa bonté (lenilalem) était connue de tous et qu'il n'avait pas à craindre qu'on expliquât par la cruauté de son caractère un acte de rigueur>> (VIII, 44), César, naturellement, tire de cette clémence de larges avantages ; et le texte ne manque pas de le dire (ainsi à VIII, 49). Mais la différence avec la clémence de Rome apparaît bientôt. Déjà il s'agit de la clémence d'un homme, de son caractère à lui, de ses traditions à lui. Ainsi s'annonce l'opposition entre les chefs, qui va se déchaîner dans la guerre civile. En ce nouveau domaine, la clémence de César vise à défendre sa propre autorité ; elle tend à établir ou à maintenir son pouvoir personnel. De plus, dans une guerre civile, où, comme cela s'était vu à Athènes, les passions rivales entretiennent un acharnement exceptionnel, cette clémence devient celle de quelqu'un qui veut rétablir l'ordre, à son profit mais pour tous. Dans la Guerre Civile, il est continuellement répété que César offrait de négocier. On parle de sa palientia ( 1, 32, 4), de sa justifia et aequilas (ibid., 9), de sa misericordia civium (72, 3), de sa misericordia (1, 8, 5), de ses bienfaits (Il, 32), de sa liberalitas (III, 10). On le montre épargnant ses soldats, restituant les trésors sacrés, épargnant les villes, intégrant dans sa propre armée, avec un rang au moins égal, les prisonniers de l'autre camp. Cela lui vaut les sympathies de la province et la fidélité de ses hommes. De même, dans la Guerre d'Afrique, les actes de répression les plus cruels sont accompagnés de mentions rappelant «sa douceur (lenilas), sa modération, sa patience>> (54, 2) 4 • Et l'on voit cette attitude porter ses fruits. On le voit, entre autres, à Utique : on veut lui livrer Utique parce que l'on espère beaucoup de sa clémence (88) ; de fait, il laisse la vie à L. César : (89, 4-5) 5 • Il accorde aussi la vie à divers autres personnages «selon son habitude>> (89, 5) et se montre très indulgent envers les Romains d'Utique (92). On retrouve les mêmes traits à propos des troupes de Juba : la clémence de César envers elles fait que tous le rejoignent à l'envi, attiré par sa lenilas et sa clemenlia (92).

(1) Cf. des cas semblables à VIII, 3, 5 (les Gaulois comptent sur la clementi::J de César) et 21, 2 (ils font appel à sa clementia atque humanitate). (2) Cf. chapitre précédent, p. 244 et n. I. On relève que Diodore cite ta même lormule à propos de Ducétius, un chef sicilien (XI, 92). (3) Cf. encore IV, 27 ; V, 27. (4) Cf. encore 86, 2 : lenitatem et clemenliam. (5) li le fait malgré les torts du personnage; cf. Suétone, César, 75. II existait 1I'autres traditions.

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LA DOUCEUR DANS LA PENSÉE GRECQUE

Tous ces traits, qui sont de bonne politique, ont aussi, on le voit, de quoi contrebalancer dans les esprits l'effet du suicide de Caton. César, la chose est claire, se veut le pacificateur. La lettre de Balbus et Oppius à Cicéron, qui constitue évidemment un document de propagande, le dit bien : César s'est fixé pour règle de se montrer quam lenissimum, de se réconcilier avec Pompée, et, trait conforme à son humanilas, d'inventer une nouvelle sorte de victoire fondée sur la pitié et la libéralité (Ad Ail. IX, 7 A). Une autre lettre fournit des indications similaires (IX, 16) : rien n'est plus étranger à César que la cruauté. Ce souci affiché de clémence trouve naturellement un écho dans les écrits historiques de l'époque qui suit. Suétone parle des égards de César envers tous1, et finit par dire que César était 2 • Surtout, il lui fait une gloire particulière d'avoir su mettre fin à la guerre civile et obtenir un apaisement général. De même Appien cite les discours de César mettant en avant sa clémence envers les Pompéiens (11, 43) ou bien envers ses propres troupes qu'il ramène à leurs devoirs (II, 47 ; II, 93). Il cite aussi les éloges d'Antoine après sa mort (Il, 130; 144; 146). Et, tout comme la clémence d'Alexandre servait de modèle à Rome, elle inspire maintenant des parallèles entre lui et César : tous deux n'étaient-ils pas prompts à combattre leurs adversaires, mais aussi à se réconcilier avec eux, à pardonner, à se montrer généreux ? 3 Enfin, Dion Cassius prête a César un long discours au Sénat, dans lequel le vainqueur d'Utique se réclame de la clémence : il veut être aimé dans sa vie et loué après sa mort, diriger mais non régner, et se conduire, dit-il, comme un père pour ses enfants 4. De fait, on sait qu'après la victoire de César sur Pompée, le dictateur reçut des honneurs multiples, et fut, entre autres, proclamé > (57) ; car la sévérité s'alliait chez lui à «la clémence et la douceur>> (67 : facilis el clemens). - De même Dion Cassius montre Auguste parlant de son épieikeia et de sa praolès (Lill, 6), ou plus loin de son humanité 6 • Dion insiste sur la clémence montrée à l'égard des conjurés, et développe longuement le discours de Livie à Auguste sur les avantages de la clémence. L'épisode était déjà dans Sénèque et beaucoup d'arguments sont empruntés soit au De clemenlia 6 , soit à une source commune. En tout cas, on a ainsi un véritable petit traité des avantages de la clémence. Livie y rappelle que l'on réussit mieux par la philanthrôpia que par la cruauté, qu'il faut faire comme les médecins et tenter de guérir les âmes, que même les animaux se laissent apprivoiser ; et elle précise : 7;(vw,;.Il est plaisant, pour qui a suivi l'histoire de la notion en grec, de voir les commentateurs traiter l'expression de latinisme. (6) cr. Adler, dans les Wiener Studien de 1905 et Préchac, Introduction à l'édition de la C.U.F., p. LVI-LXIII. L'épisode occupe, dans Dion Cassius, les § 14 à 21 du livre LV. (7) On arrive ainsi à l'idée d'un régime tempéré, dans lequel la clémence corrige l'absolutisme; cf. Dion Cassius, LVI, 43 : ~amÀe:uoµÉvouç cl!ve:uôouÀE:f.otc; xal 071µ0xpa'!'ouµÉvou,;&ve:u8tl(Oa-rtX> (I, 3, 3). De fait, elle se définit par la possibilité que l'on aurait eu de sévir ou de détruire, sans avoir de comptes à rendre à personne ; et celte circonstance en fait tout le prix ( I, 5, 4). >. Mais cette 3 est plus romaine que coloration, qui évoque le >, comme l'était la praolès (ibid., 408, 8). Mais on trouve l'équivalent à Pergame (Peek 1700 ; Kaibel 333) ou à Mantinée ( IG V2 , 268 ; Syllogè 3 783, 12)2 • Comme on pouvait s'y attendre, l'épieikeia se combine aussi avec la justice - ce qui ne veut pas dire qu'elle lui soit identique 3 • Mais le trait le plus remarquable est à coup sûr la soudaine diffusion, dans le langage des inscriptions, des mots les plus affectifs pour désigner la douceur. À côté des trois termes quasiment officiels d0nt on a ici suivi l'histoire, le langage des inscriptions retrouve par exemple le vieux mot homérique èpios, qui avait longtemps semblé abandonné dans les textes athéniens. À l'époque romaine, il redevient apparemment du langage courant ; et on le rencontre, soit sous sa forme simple, soit sous la forme de composés jusqu'alors fort rares. Il figure ainsi dans une épigramme de Gortyne que commente L. Robert, dans Hellenica IV, p. 14-16 et où il s'agit d'un préfet >6 • Il figure aussi dans une inscription de Philippopolis, dans l'actuelle Bulgarie 6 • Il se retrouve en Égypte, où le jeune Sarapion, mort à vingt-deux ans, est doublement décrit comme doux, puisqu'il est µ1:û,(xLov1tocv-re:O'O'L (ou mivTe:aL)xcxl 7. Bien loin de là dans l'espace, une inscription funéraire ~mov &.v6pw1r0Lo-L trouvée à Rome célèbre un jeune mort également doux et charmant (IG XIV, 1549, 10 : ~moç, fo0Mç t8e:îv, e:/Svooç,&.rxtvooç). Il arrive même

(1) La restitution parallèle d'lG XII, 3, 874 est des plus incertaines. (2) Fin du 1er siècle avant ou début du 1er siècle après. (3) Mihailov III, 2, 1689; Syllogè• 880, 35. Il s'agit d'un fonctionnaire impérial et du fait que les habitants soient administrés non avec insolence et violence, mais avea [8LKCX]LO>(I, 5) ; ou bien Cléomène, qui ne pratique aucun faste royal, écoute les gens d'un air affable (philanlhrôpos), de telle sorte que l'on est (13, 3 : xcx't'e:Ôî)µocywyoüv't'O) Cimon était contrairement à celle de Lucullus, (Cimon-Lucullus, I, f, : philanlhrôpos). De même, la jeune Cléoboulinè-Eumètis, du Banquet des Sept Sages (148 d), parce qu'elle est adroite et généreuse, sait rendre son père : cette fois, le mot dèmotikos est lié à praos. Inversement, un homme rude et violent comme Coriolan apparaît «insupportable, grossier et hautain>> : or le mot rend ici le grec (I, 3-4) 3 • Cette alliance de mots est d'autant moins surprenante qu'en fait Plutarque a retenu l'autre équivalence chère aux orateurs, et admis l'existence d'une douceur athénienne, ou, plus généralement grecque. Cette idée, que l'on retrouvera au chapitre suivant 4 , se traduit elle aussi en des groupements de mots révélateurs, qui associent l'adjectif «hellénique>> aux adjectifs praos ou philanthrôpos 5 • Ce statut exceptionnel de la douceur chez Plutarque explique le rôle que joue la notion, aussi bien dans les exposés historiques que dans la réflexion morale. (1) Ainsi Caton l'ancien, 24, 10; De tranq. an., 468 a. (2) Ainsi De aud. poet., 35 d ; De adul., 57 e ; De frai. am., 484 ab ; Périclès, 34, 1 ; Caton l'anc., 24, 10; Pompée, 60, 8; l'expression alterne avec e:ÙK6Àwçou µe:'l'p(wç > (Flamininus, 5, 4, cf. 6, 2) 2 • De fait, la Grèce n'aurait pas si bien admis la domination de Rome si elle n'avait trouvé en Flamininus un chef bon et pacifique, sachant montrer aux gens de la douceur (2, 5 : praotès). Il en est de même, un peu plus tard, pour Lucullus : > (24, 8) 1• En tout cas, le calcul existe seul et ne se lie à aucune douceur réelle quand Suréna envoie dans le camp ennemi des prisonniers libérés, chargés de vanter sa clémence à venir et do désorganiser ainsi les troupes de son adversaire (Crassus, 30, 2), ou encore quand Antigone promet d'agir philanthrôpôs avec les Argyraspides, si on lui livre Eumène (Eumène, 17, 2). Mais c'est surtout dans le domaine intérieur que la douceur calculée était fréquente ; et elle n'avait plus l'excuse d'un intérêt collectif à défendre. Or Plutarque a, de façon parfaitement lucide, dénoncé cette tendance. Athènes, à l'époque classique, avait connu le danger d'une politique cherchant à plaire : l'existence à Rome de la brigue, avec le rôle presque officiel des ,et l'aggravation qu'y apportèrent les guerres civiles, ouvraient la voie au même phénomène ; la praolès et la philanlhrôpia y devenaient des armes toutes désignées. Quelquefois, sans doute, aucun calcul n'intervenait. La générosité de Caton le jeune, qui, la justice une fois sauve, ( philanlhrôpôs) finit par le sauver en lui conciliant Muréna (Caton le jeune, 21, 10 et 28, 3). De même, l'estime que valent à Cimon ses actes de mansuétude (praolès) ou à Numa ses vertus, contribuent à leur élévation sans qu'aucun soupçon de calcul les entache 2 • Mais ces circonstances heureuses ne sont pas toujours réalisées. Bien des gens de mérite échouent faute d'un peu de démagogie - comme Nicias, qui n'est pas assez sociable, ou Caton, qui n'a pas assez de propos aimables ou philanlhrôpoi. De lui, Plutarque dit bien qu' Cicéron fut, dit Plutarque, le premier qui se défia de ces sourires de César, comparables à ceux de la mer, et qui ►, qui se traduit en marques d'honneurs. Dans !.out cela, on le voit, Plutarque songe plus au rayonnement de la vertu 11u'àson rôle dans le succès pratique. De toute évidence, son évocation Insistante de la douceur dans les Vies est inspirée par la pensée qu'il a lui-même exprimée dans la vie de Périclès : le spectacle des actions 1lictées par la vertu (Périclès, 1, 4). C'est bien pour cette raison qu'il se plaît à relever la douceur des horos chaque fois que cela est possible, et quelles que soient les formes 11u'elleait affectées.

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*4

(1) Caton sait à l'occasion jouer de la douceur calculée, mais c'est pour le bien ainsi pour la distribution des céréales qui évite une sédition (Caton le /111ne,26, I ).

1lnl'État;

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Cela ne signifie pas que Plutarque déforme les données de l'histoire, pour en tirer des contes édifiants et peu autorisés. On a vu, à l'occasion qu'il savait se défier de la fausse clémence ; et souvent des épisode• illustrant cette vertu sont mis en scène chez lui avec moins de complai• sance qu'ils ne le sont chez beaucoup d'historiens (la clémence d'Alexandre envers la femme et la mère de Darius pourrait en servir de preuve). En fait, il se contente de relever les traits de douceur lorsqu'il les trouv11 dans ses sources 1 . C'est tout juste si l'on peut remarquer que, parfois, il semble s'attacher à une version plus qu'à une autre pour la raison qu'elh1 contient quelque bel exemple de douceur. Un ou deux exemples suffisent à donner une idée de cette partialitt\ du cœur. Périclès, qui flattait si peu le peuple et s'opposait si bien à lui qui l'on avait trouvé pour lui le surnom d'Olympien, qui d'autre part vivait à l'écart, et qui a lié son nom aux répressions qui précédèrent de peu I• guerre du Péloponnèse, n'était pas, apparemment, ce que l'on appelle un homme doux et bon. De plus, Plutarque n'a pas hésité à recueillir danl ses sources des indications fort peu favorables au personnage, et qui expliquent de façon hostile et sévère son rôle dans le déclenchement dt la guerre - alors que Thucydide lui offrait une interprétation qui ni l'était pas. Mais, malgré cela, le Périclès de Plutarque est doux. II ea, doux, juste et patient pour supporter les sottises de son peuple (2, 5) 1 il l'est dans sa démarche même (5) ; il le devient envers Cimon à cam11 d'Elpinice (10, 6); il l'est envers les villes grecques (20, 1); il l'est en ni se laissant pas ébranler par les attaques (34, 1). Jusque-là, la différenoe avec Thucydide est surtout dans la forme. Mais, lorsque l'on arrive à mort de Périclès et au jugement final, tout change. Périclès, en effet1 au moment de mourir, prononce de nobles paroles, s'étonnant que l'on compte ses exploits, mais que l'on passe sous silence le plus beau et Il plus grand : (38, 4). Or, ce mot, qui n'est naturellemen, pas dans Thucydide, et qui, a plus forte raison, n'est dans aucun dCII auteurs qui écrivirent contre Périclès, devient, pour Plutarque, l'élémen, essentiel du jugement à porter sur l'homme d'État 2 • Là où Thucydidt louait la lucidité du stratège, Plutarque ne voit plus que la bonté foncièrt 1 dont ce mot est la preuve : ! La tendance est donc nette, et l'intention bien claire. Or il ne s'agit pas là, tant s'en faut, de cas exceptionnels. On peut, en fait, prendre dans l'ordre les couples de vies parallèles - au moins les premiers - et l'on constate aisément la richesse de la palette et la permanence de l'orientation. Thésée et Romulus représentaient des héros fort anciens, dont les façons courantes étaient peu connues. Mais Thésée se signalait déjà chez Isocrate par une modération destinée à lui valoir l'attachement de tous et à se prolonger dans la > d'Athènes (Hélène, 37) : PluLarque, bien entendu, en a fait un trait essentiel du personnage; et, évoquant son tombeau, devenu lieu d'asile pour les esclaves et pour les La raison en est que Thésée s'était conduit en humbles, il a écrit : >(36, 4 : philanlhrôpôs). Et Romulus? Plutarque avoue clairement qu'il s'opposait à Thésée, puisqu'il changea la royauté, non pas en démocratie, comme Thésée, mais en tyrannie 1 • Pourtant ne croyons pas que son cas soit entièrement négatif : les deux frères, Romulus et Rémus, ont eu dès leur jeunesse le souci de défendre les opprimés contre la (!) Dans la comparaison entre eux, Plutarque admet que, dans les deux cas, il y a défaut : il convient en e!Tet de sauvegarder l'autorité sans pour autant la durcir. Mais le défaut de Thésée procède • de la mansuétude et de l'humanité , ( épieikeia et philanlhrôpia) tandis que le défaut inverse vient de l'égoïsme et de la dureté.

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violence (Romulus, 6, 5) ; et c'est seulement l'expérience du pouvoir qui, inspirant de l'orgueil à Romulus, lui donna les manières d'un souverain absolu (26)1. L'intention bonne et généreuse existait donc chez lui comme chez Thésée, à défaut de douceur dans les manières et de fidélité à cet idéal. On peut passer plus vite sur Lycurgue et Numa : il a déjà été question du premier ; pour le second, il sait persuader le peuple par sa bienveillance et son prestige ; quant à son inspiration, elle fut, en général, « douce et humaine » (Lycurgue-Numa, I, 8-9). Solon et Publicola sont aussi des héros fort anciens. Mais, pour Solon, les choses étaient faciles. Plutarque peut rappeler la façon dont il diminua son patrimoine par ses bienfaits (Solon, 2, 1), la façon dont, sans tomber dans les excès d'une trop grande douceur, il sut unir la force et la justice (15, 1), la façon, aussi, dont il refusa la tyrannie et dont, se défiant de Pisistrate, il tenta de > (Publicola, 10, 9, cf. 1, 1). Plutarque, signifie >(4, 5); or ces vertus de Publicola sont ajoutées par Plutarque dans une phrase qui, pour le reste, suit très exactement Denys d'Halicarnasse 2 • Sa vie devient, en somme une imitation de l'idéal de Solon : ne rendit-il pas le consulat ? (Solon-Publicola, 2, 1). Il finit pleuré de tous, et ayant eu une vie heureuse au sens où Solon le dit de Tellos (1, 5). Thémistocle et Camille offraient des cas plus difficiles. La douceur était plutôt le fait d'Aristide que de Thémistocle : Plutarque le reconnaît, mais ce rapprochement est encore une façon d'évoquer la douceur ( Thémistocle, 3, 3) 3 • Camille lui aussi brille par d'autres vertus: Plutarque trouve cependant le moyen de dire que sa modération lui permettait d'exercer le pouvoir sans exciter l'envie (1, 4), ou qu'il pleurait de voir les maux causés par la victoire (5, cf. 10). Comme Romulus, il ne devient orgueilleux qu'avec le succès (7, 1) ; et, s'il supporte mal son deuil, ou s'il s'irrite, Plutarque en convient et l'en blâme, mais en rappelant qu'il était pourtant>(11, 3). Alcibiade et Coriolan étaient plus suspects encore : la Vie d' Alcibiade évoque plutôt la douceur des autres à son égard, que ce soit celle de Socrate (1, 3) ou celle des Athéniens (16, 4). Quant à Coriolan, Plutarque (1) La douceur intervient, au reste, dans cette Vie; mais c'est celle de Numitol' (7, 5). (2) Cf. R. Flacelière, dans la Notice de l'édition de la C.U.F., p. 55 et ad loc.; Il s'agit de Denys d'Halicarnasse V, 7. (3) La Vie signale aussi que le prestige de Thémistocle lui valut, même après mort, la philanthrôpia du roi de Perse, bien qu'il n'ait pas voulu le servir. Encorll une fois, la douceur des autres n'est pas absente, si celle du héros s'impose peu.

s•

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avoue que son caractère était arrogant (1, 3-4) et qu'il se laissait aller à la passion (15, 4). Même lorsqu'il reste ferme dans le malheur, Plutarque précise que >. Enfin il précise plus loin qu'en s'habituant à être doux et clément envers des esclaves, on s'entraîne à la pratique de l'humanité 1• Cet exemple, qui illustre si bien la présence de la douceur dans les Vies des héros qui en manquaient, a été introduit à propos de Coriolan, rompant ainsi l'ordre jusqu'ici suivi. Il pourrait d'ailleurs sans inconvénient mettre un terme à cet examen, puisque déjà les procédés apparaissent bien, de même que la présence constante de la douceur. Mais ce serait donner une idée bien fausse de cette présence que de terminer avec les deux exemples pour lesquels Plutarque avait le moins à dire. Il vaut donc la peine d'ajouter un dernier couple de Vies, pour rétablir le ton le plus courant dans l'œuvre. Timoléon et Paul-Émile peuvent, en effet, être par eux-mêmes des (1) 5, 2 et 5 :

cr.ci-dessous, p.

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modèles. Dès la présentation de Timoléon, nous apprenons qu'il était (3, 6), il devient un véritable modèle de douceur envers les Grecs, cherchant dans la visite de leur pays une récréation glorieuse et bienfaisante (28, 1 : philanlhrôpos), soulageant les gens, leur faisant des dons de blé et d'huile. Son humanité se marque aussi envers Persée (37, 2). Et ses divers actes de générosité se traduisent, à sa mort, dans l'émotion qui accompagne ses funérailles (39, 9). Enfin la façon dont il supporta la perte de ses enfants correspond au même mélange de courage et de maîtrise de soi qui fait le prix de sa douceur et le rend que Timoléon ( Timoléon-Paul-Émile, 2, 10). Naturellement, on pourrait ,poursuivre cet examen 1 . Nous l'avions d'abord fait. Mais la persistance même qu'apporte Plutarque à poursuivre partout la douceur donne à un tel exposé un caractère quelque peu lassant. En plus, il risque de suggérer une monotonie de jugement, qui, en fait, n'est pas à porter au compte de Plutarque. Les formes de douceur qu'il loue sont en réalité aussi différentes que les procédés par lesquels il réussit à les mettre en lumière ou à les faire valoir. Pour le suggérer, on se contentera ici d'ajouter quelques exemples moins anciens que les précédents, et qui montrent que, lorsque Plutarque a pu se renseigner à de bonnes sources sur le caractère et les façons de ses héros, la douceur qu'il décrit devient aussi plus concrète, plus proche, plus vivante. On a ainsi envie d'évoquer les Gracques : Tibérius Gracchus, avec son aspect doux et posé, son caractère mesuré et doux, ses paroles pleines de bonté, ou bien Caïus Gracchus, au caractère amène, mais peu porté au calme, lui qu'un esclave était chargé, avec une flûte, de rappeler à la douceur 2 • On a aussi envie d'évoquer Crassus et ses manières courtoises : il n'était pas de Romain, si obscur ou si humble qu'il ne le saluât par son nom (3, 5) ; et sa disposition à rendre service compensait bien des erreurs 3 • On a envie d'évoquer Brutus, et sa philanthrôpia envers les (1) Voir pour la suite des Vies dans l'ordre: Pélopidas, 26, 2 et 8; Marcellus l, 2-3; JO, 3-7 ; Pélopidas-Marcellus, 1, 3; 3, 2. - Aristide, 23, 1 ; Caton l'ancien 20, 3; 24, 10 et ci-dessus, p. 289. Cimon 3, J ; 3, 3 ; 6, 6; Lucullus 18, 9 ; 29, 6; 32, 6 ; CimonLucullus 1, 6. - Voir encore Agésilas 2, 2 et 14, 1 ; Agis 20, 6 et 21, 4; Cléomène, 1, 4; 2, 6; 13, 3; 32, 6, etc. (2) Voir, pour Tiberius, 2, 2; 2, 5; li, 6. Pour Caius : 5, 4. L'anecdote de la flûte est dans Tiberius Gracchus, 2, 6 ; elle est très connue ; elle figure dans les Œuvrlll Morales, mais aussi chez Cicéron ou Valère Maxime. - La vie de Tiberius Gracchul comporte aussi la douceur d'un consul, en fait Mucius Scaevola (19, 4). (3) Dans sa biographie apparaissent aussi la douceur de son collègue, Lutatiul Catu lus (13, 1) et celle, à 8, 2, de ... Spartacus 1

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vaincus (26, 2 ; 30, 6), lui dont on nous dit qu'il n'était détesté par personne, même parmi ses ennemis, car il était exceptionnellement doux ... (30, 6). Mais le meilleur exemple de cette douceur vivante et proche est sans doute Pompée ; car on a le sentiment de le voir en chair et en os, et sa douceur n'est que rarement la clémence de l'homme d'État ou du chef militaire. Elle l'est parfois. Et de même que Cicéron dans le Pro lege Manilia célèbre l'humanité de Pompée comme chef militaire, allant jusqu'à dire que l'on ne savait si les ennemis craignaient plus ses mérites quand ils le combattaient ou appréciaient plus sa douceur quand ils étaient vaincus (42), de même Plutarque rapporte que sa réputation de douceur et de clémence lui valut le ralliement de Tigrane (33, 2) ; et il ne manque pas d'évoquer Pompée respectant les concubines de Mithridate (36, 3) - ce qui rappelle la vertu montrée, dans des cas analogues, par Alexandre puis par Scipion. Mais le portrait qu'il trace de Pompée ne se contente nullement d'offrir ainsi l'illustration édifiante d'un lieu commun traditionnel. D'abord, Plutarque sait introduire des réserves, quand l'humanité de Pompée n'est pas à la hauteur de l'idéal prôné dans les Vies. Au chapitre 10, on découvre que le traitement humain accordé aux villes connaît des exceptions ; on découvre aussi que Pompée insulta de façon «inhumaine)> aux malheurs de Carbon, du moins à ce qu'il parut. Enfin, citant sa source, qui est Oppius, l'ami de César, et indiquant toutes les raisons que l'on peut avoir de s'en méfier, Plutarque relève un autre trait d' dans le traitement imposé à Quintus Valerius. L'honnêteté de ces mentions 1 donne confiance dans les éloges qui figurent ailleurs. Elle montre aussi que Pompée reste en-deçà de ce que Plutarque attend de ses héros. Mais la personne de Pompée est ailleurs revêtue de caractères bien vivants, que Plutarque entend faire aimer. On voit la loyauté de son tempérament et l'affabilité de son abord (1, 4): «Personne n'était capable de solliciter avec moins d'importunité, ni de rendre service à qui l'en priait avec plus de grâce)). Déjà son physique était avenant : il prévenait en sa faveur avant même qu'il parlât, car son air aimable s'accompagnait d'une dignité tempérée par la bonté (2, 1 : philanlhrôpôs). Et cette gentillesse se traduit à tous moments dans la biographie. S'il est oublié dans un testament et déçu de l'être, il sait le supporter avec modération et sagesse politique (15, 4). Ce n'est pas un homme rancunier, chercha~t les histoires ; car si sa puissance était en renom, «sa vertu et sa mansuétude (praolès) ne l'étaient pas moins. C'est ce qui lui faisait tenir cachées la plupart des fautes commises à son égard par ses amis et ses familiers : il n'était pas naturellement porté à empêcher ou à punir les mauvaises nctions, et ceux à qui il avait affaire le trouvaient disposé à supporter de bonne grâce (eukolôs) leur rapacité ou leur dureté)) (39, 6). II sait, pour éviter que l'on ne soit jaloux des façons trop libres de son favori, (1) Il y a encore bien d'autres réserves relatives à la conduite de Pompée, ainsi 16, 5-7; 23, 1-6; 30, 6, 8; 38, 4 et surtout pour la fin : 52, et suivants.

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se laisser traiter par lui avec désinvolture sans se fâcher>> (40, 6). Il sait aussi (60, 8) une raillerie intempestive ; et s'il s'est trompé sur César, c'est parce que son amitié lui a fait confiance. Pour tous ces traits, on comprend que Pompée soit aimé ; et Plutarque en fait la remarque au moment où éclate la guerre civile : >; cette tendance s'appelle plus loin, comme dans la Vie dtJ 1. Périclès, le > la plus naturelle des affections naturelles. De plus elle fait la joie même des parents. Aussi doit-elle être préservée par l'indulgence réciproque, ( 1) cp1À6cr-ropyoç est déjà dans Xénophon, où il est le signe distinctif des princea doux: ainsi Agésilas (Agés., 8, l) ou Cyrus (Cyrop., I, 3, 2). Sur sa présence chez Épictète et Marc-Aurèle, cf. nos p. 214 et 306. Cf. aussi p. 229. Il est à noter que saint Paul fait de cette tendresse la vertu chrétienne consistant à aimer nos prochains commo nos frères (Romains, XII, 10). (2) Ce trailé considère surtout l'amour des animaux pour leurs petits; mais la démonstration vise aussi les hommes. II faudrait joindre à la liste la Consola/ion a Apollonius, bien qu'on la tienne souvent pour apocryphe; cf. toutefois la défenso de J. Bani, dans son édition du traité, Paris, Klincksieck, 1972. (3) Traduction Amyot, légèrement modernisée. Sénèque, bien qu'il célèbre aussi, dans la Consolation écrite pour Marcia, les douces joies de l'affection (5), n'a dan1 aucune Consolation de passage équivalent à celui-ci. (4) Cf. Consolation à Apollonios, 120 a, où le jeune mort aimait son père, sa mère, ses proches, la sagesse, et était, en un mot, philanthriJpos. (5) Cf. 609 c : cp1Àcxv0pc.mlcx,;. (6) De l'amour fraternel, 479 c. La notion de t solitaire • est exprimée par le mot _µovo-rpo1tou,;: cr. chapitre XVI, p. 278.

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c'est-à-dire par la douceur. On cède à un frère avec douceur (praôs) et de gaieté de cœur (484 a-b); on montre à un frère une sollicitude pleine d'humanité (487 b : philanlhrôpos); on s'efface devant lui de bonne grâce; on a pour lui des égards comme ceux que Caton avait pour son par sa docilité, sa douceur (praolès), son frère et qu'il lui montrait > (487 c). En cas de mésentente, il faut aussitôt se réconcilier; car la nature nous aurait donné en vain > si nous n'en usions pas entre proches (489 c). Il faudra donc demander et accorder le pardon. De même le frère devra apaiser les colères de sa belle-sœur (491 d). Il faudra surtout se méfier des propos pernicieux, savoir compenser sa propre supériorité, accepter celle de l'autre, et supporter les imperfections qu'il laissera paraître. La douceur fraternelle est présentée comme exigeante ; elle est aussi peinte sous les traits les plus concrets. Peut-être n'est-il pas indifférent de rappeler que Plutarque, dans ce traité, cite deux fois Théophraste, ce qui nous renvoie à cette école péripatéticienne dont le rôle nous a paru grand ; mais le thème rend aussi le son le plus personnel : il prolonge manifestement ce qui était chez Plutarque une expérience vivante. Une tendresse équivalente vaut pour les époux ; et l'on sait combien Plutarque a mis de délicatesse et d'estime dans ses évocations de l'amour conjugal. Un sentiment non moins précieux impose la douceur entre les amis : on ne leur fera jamais de reproches, même s'ils sont en faute (Du flatteur el de l'ami, 69 b-c). De proche en proche, l'affection que l'on a pour les siens devient affection pour son prochain : le jeune homme qu'évoque la Consolation à Apollonios aime d'abord son père et sa mère, puis ses proches et ses amis, et en un mot les hommes 1 . C'est là l'élargissement que l'on a rencontré chez les stoïciens, mais tout pénétré de tendresse. Les relations avec autrui en général doivent refléter la même tendresse ; et elle doit pénétrer jusque dans la politique 2 , puisque l'homme>; encore une fois, le souci d'autrui vient modifier la règle austère du stoïcien qu'est Sénèque 1• Aussi bien ni Sénèque ni les stoïciens ne sont-ils la seule source de Plutarque, tant s'en faut. Et il n'est pas indifférent de relever que Théophraste avait écrit sur la colère 2 , et que Plutarque cite parmi ses sources Hiéronymus de Rhodes, qui avait appartenu à l'école péripatéticienne 3 • Quant au traité Sur la tranquillité de l'ame, il décrit le résultat que représente pour l'homme cette maîtrise de la colère; et il expose, par conséquent les mêmes idées. Il parle d'accepter avec douceur ce que nous offre la fortune (467 a), s'élève contre les >. Ne parle-t-il pas un peu plus loin des passions comme d'un instrument pour l'action, que la vertu ne détruit pas, ne ( 1) De constantia sapientis, 1.

(2) Il emploie à l'occasion des équivalents - mais chacun est rare. Ainsi mansuetudo De i~a, III, 22, 1); hu~anilas (De clementia (De clementia, _II, 1), lenitas (ibid. II,~; III, 3), palienlla, etc., ou encore les adJectifs bemgnus (De clementza, II, 3), mitis (De ira II, 34, 2), dulcis (De tranq., 7, I), facilis (ibid., 14, 1). On a même à l'occasion humani et du/ces (De ira, Ill, 8, 5). (3) Cf. ci-dessous, p. 303-304. (4) 83 e : èva6cm 8é 'l'M xocl rrpoi6't"Yj'l'I rrcx6wv.D. Babut (p. 322, n. 1) signale le rapprochement avec Publicola, 6, 5, où Plutarque dit que ~ette vertu achevée, qui mène à l'apatheia, n'est pas dans la nature de l'homme, mats serait vraiment divine. Pour l'expression rrpcx6nii;ncx6wv, cf. Sur la manière de lire les poètes, 37 b. (5) Préceptes politiques, 800 b; Bahut, p. 322 rapproche Philopoemen, 9, 6-7, plus net encore ; • Il n'était pas possible de supprimer radicalement ... Il commença p~r détourner ... •·

c!.

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supprime pas, se contentant de mettre de l'ordre et d'organiser? (44 d) 1• Cette attitude, qui peut se rattacher à des traditions comme celle de Philon 2 , est bien distincte de celle de Sénèque. Il n'est que de voir l'obstination avec laquelle celui-ci soutient, dans le De ira, qu'il faut extirper la colère et non l'assagir, pour mesurer la différence ; ou bien il suffit de voir le mépris qu'il marque, au début du De conslanlia, pour les philosophies non stoïciennes qui choisissent des voies capables d'être agréées. Plutarque, au contraire, croit que la raison et les passions ne se présentent jamais isolément. Aussi procède-t-il de façon moins brutale et fait-il aux choses du cœur une place plus grande. Au lieu d'admettre avec les stoïciens que les relations humaines doivent s'expliquer en termes de calcul utilitaire, il reconnaît le rôle de l'affectivité - ce qui est tout à la fois un argument pour l'emploi de la douceur envers les autres et une preuve de son caractère naturel chez l'homme. Les divergences doctrinales rejoignent donc les tendances naturelles de l'homme qu'était Plutarque et leur fournissent le support d'une réflexion lucide. Ainsi s'explique l'exceptionnelle promotion dont bénéficie la douceur dans les Œuvres morales - promotion qui concerne tout ensemble ses domaines d'application et son statut théorique. Ses domaines d'application couvrent toute notre vie; et elle y joue souvent un rôle décisif. Par exemple, le traité De l'utilité des ennemis tend à montrer que nos ennemis nous entraînent a nous mieux contrôler. C'est là l'utilité que trouvait Socrate à la compagnie de Xanthippe. Et les hostilités que nous rencontrons sont en général l'occasion de montrer notre praotès (90 ef). Le traité Sur les progrès dans la vertu recommande, lui aussi, l'épieikeia et la praolès (80 b-c ; cf. 78 b ). De même les Préceptes politiques sont une autre invitation a montrer douceur et sensibilité : l'homme de bien sera d'abord facile, accueillant à tous ; il tiendra maison ouverte pour ceux qui auront besoin de lui, et il traduira son souci d'autrui non seulement dans ses actes, mais en partageant les peines et les joies, en traitant chacun avec égards, et en 8• De plus, il conseillera les gens avec bienveillance et les réconciliera entre eux (823 a sqq.). Même le traité Sur les délais de la justice divine devient une occasion de rappeler qu'il ne faut pas sévir sous le coup de la colère, et que la praotès est au nombre des vertus divines (551 c)4 • Enfin le devoir de douceur s'étend, selon Plutarque, jusqu'à nos (1) cr. D. Babut, édition commentée de ce traité aux Belles Lettres, ad loc. Nous lui empruntons la traduction citée ici. (2) cr. Arnaldez, Introduction générale à l'édition de Philon aux éditions du Cerf, p. 10 : • Le but final n'est pas l'annihilation des passions, mais plutôt un équilibre, µe:-rpLomi6e:ux) •. un heureux mélange de toutes les puissances de l'âme (e:ôn-&8e:ux, (3) Plutarque dit cruvocv8pd'un roi (Numa, 20, 4), on a le sentiment de deux vertus comparables et qui se complètent. De même, lorsqu'il dit que les Romains honorèrent Cicéron pour >(Cicéron, 6, 1), on pense que l'équité (c'est-à-dire, ici, la justice) est une vertu donton peut normalement rapprocher la douceur. Quelquefois même la douceursemble passer avant la justice, comme lorsqu'on lit dans le traité ContreColotès (1108 b-c) que >. Enfin, on ne sauraitnégliger le rôle que joue la douceur parmi les vertus dans le traité Sur la fortune ou La vertu d'Alexandre, 332 c : Plutarque se

(1) Sur la polémiqueà ce sujet, cf. D. Bahut, op. cit., p. 54-67. (2) Sur la raisonchezles animauz, 984 c ; cf. les animaux sacrés qui sont cptÀa.vOpwitœ xixlcrwniptet (983!). (3) Cf. ci-dessus, p. 289. (4) Cf. ci-dessus, p. 278.

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demande si les succès d'Alexandre sont dus à la chance ou bien s'ils révèlent . Le courage, la justice, la sagesse (ou sôphrosunè) ont été les trois vertus les plus stables dans la liste traditionnelle des quatre vertus : que la douceur leur soit adjointe et qu'elle figure sur le même plan, est donc une promotion remarquable. Aussi bien Plutarque dit-il aussitôt après que l'on ne saurait attribuer chaque action à telle vertu particulière, considérée isolément, et dire que ceci est courage, cela générosité (philanthrôpia), ou cela maîtrise de soi : chacun des actes apparaît comme le résultat d'un mélange entre les vertus, selon la doctrine stoïcienne affirmant l'unité de la vertu. De fait, Alexandre alliait les qualités guerrières au philanthrôpon et la douceur (praon) au courage : sa libéralité était soucieuse d'organisation, son ardeur aisément apaisée, ses amours mêlées de sagesse, son esprit détendu dénué de paresse, son goût de l'effort jamais inflexible. Ainsi, non seulement la douceur est une des vertus majeures : elle se mêle encore à toutes les autres pour les équilibrer, les combiner, les rendre humaines. Comme traduit joliment Amyot, Alexandre, en agissant ainsi, s'est conduit en roi - ou mieux encore en philosophe, .La douceur est devenue le contrepoids nécessaire des autres vertus et leur donne seule leur perfection harmonieuse. Cette douceur - qui est évidemment en bien des cas liée à l'absence de peine, ou alupia - a donc conquis chez Plutarque ses lettres de noblesse ; et son statut est défini sans ambiguïté possible. On peut d'ailleurs constater qu'il en a regroupé les thèmes autour de tout ce qui lui est cher. On l'a vu pour les grands hommes. On l'a vu pour les aspects divers de la vie des simples humains. Mais il est caractéristique de voir qu'il a tenu à rattacher ces thèmes à un double idéal, moral et politique. Dans l'ordre moral, c'est ce que l'on constate à propos de Socrate. Platon avait montré un Socrate plein de douceur dans l'entretien philosophique : le Socrate de Plutarque, lui, montre cette douceur dans toute sa vie. Il a de la bienveillance et de la bonté ( philanthrôpia) pour Alcibiade (Alcibiade, 1, 3) ; il sait dissimuler, étouffer sa colère (Du contrôle de la colère, 455 a) ; il supporte Xanthippe (De l'utilité des ennemis, 90 e) et répond avec patience à toutes les mésaventures dont elle est cause (Du contrôle ... , 461 d) ; il ne se fâche pas contre les insolents plus qu'il ne ferait contre un âne qui lui aurait donné un coup de pied (Éducation des enfants, 10 c) ; sa façon d'interroger les gens les associait (1) riµepw-repoç. (2) eùyvwµovfo-repoç.

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à la recherche (Questions platoniciennes, 999 f). Il a bu le poison avec gaieté et douceur, sans frémir ni changer de visage (Si la méchanceté explique le malheur, 499 b ). Et il est cité dans lè Contre Cololès comme le premier exemple de la douceur et de la grâce dont peuvent faire preuve les philosophes (1108 b)1. Aussi bien Socrate est-il le plus grand nom dont puisse se réclamer la douceur : témoin cette belle opposition du traité Du contrôle de la colère, 458 c, où, s'adressant à la colère, Plutarque dit : >2 • Il s'agissait de politique : l'idée même de douceur fait surgir le nom de Socrate. pas étrangère au Cetle douceur de Socrate n'est certainement groupement de mots que l'on rencontre chez Plutarque quand il dit que quelqu'un est >3 • De même dans l'ordre politique, la douceur caractérise ce qui est athénien. Plutarque reprenait là la vieille tradition du ve et du ive siècles. Il a aussi laissé une description du caractère des Athéniens qui les présente, un peu à la manière d'Aristophane, comme prompts à la colère mais aisément touchés pa.r la pitié ; et il a ajouté l'idée, qui renchérit sur le ve siècle, que ce peuple était >4 • Aussi s'est-il plu à rappeler, exactement dans la manière d'Isocrate, comment celle philanlhrôpia se traduisit par le don à tous les peuples des biens qu'Athènes avait reçus ou découverts : la ville, écrit Plutarque, . Athènes a ouvert la voie à la civilisation dans le monde grec et la Grèce l'a fait dans le monde au sens large. C'est en ce sens que les Athéniens du ve siècle disaient ou bien qu'Athènes était une vivante leçon pour la Grèce, ou bien qu'elle était apparaît bien dans Appien, quand Sylla évoque les diverses violences dont s'abstiennent les Romains et qui sont façons de barbares (XII, 62). Mais l'opposé de cette barbarie reste, aux yeux de Plutarque, avant ( l) Un des traités cités ici n'est sans doute pas authentique; mais tous sont en tout cas dans l'esprit de Plutarque. (2) Traduction de la C.U.F., légèrement modifiée. (3) Cf. chapitre précédent, p. 279. (4) Préceptes politiques, 799 d. (6) Cimon, 10, 7 : ces derniers dons prouvent que la source n'est pas Isocrate.

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tout la Grèce et l'hellénisme. Et il semble avoir été très pénétré de cette idée. Si Aratos développe l'Achaïe et en fait un centre rayonnant, c'est parce qu'il a adopté une politique «hellénique et philanlhrôpos t (Philopoemen, 8, 1). Si les Thébains prennent des mesures généreuses en faveur d'Athènes à la fin de la guerre du Péloponnèse, Plutarque helléniques et philanlhrôpoi >>(Lysandre, 27, 7). appelle ces mesures > (Marcellus, 3, 6)1. La vérité est que la douceur grecque se répand au-dehors grâce à la culture grecque ; et, si Marcellus est doux, cette qualité est liée par Plutarque à son goût des lettres grecques (Marcellus, 1, 3). Marcellus doit peut-être à cette culture d'avoir, selon Plutarque, changé l'idée que l'on se faisait alors de Rome : «Aux yeux des étrangers, les Romains passaient pour des gens habiles à la guerre et redoutables dans les combats, mais qui n'avaient jamais donné d'exemples de bonté, d'humanité et en général de vertu politique. Marcellus paraît avoir été le premier qui montra aux Grecs que les Romains étaient plus justes qu'ils ne croyaient>> (20, 1). Ce n'était là, bien sûr qu'un jugement sommaire qu'avaient porté les Grecs : les Romains n'avaient pas attendu Marcellus pour pratiquer les vertus dont il est ici question ; et les Vies écrites par Plutarque sont là pour l'attester. Mais Plutarque lui-même les tenait pour plus grecques que romaines. En effet, après avoir montré que l'inspiration de Numa était et après avoir précisé que c'était et l'importance de savoir se mettre à la place d'autrui. Tout ce qui avait été tenté, inventé, découvert avant lui se retrouve ainsi dans son œuvre; et celle-ci constitue de la sorte comme l'aboutissement de cet idéal grec de douceur, dont on a ici suivi l'éclosion, et qu'il se plaisait lui-même à juger caractéristique de la Grèce. Ce trait justifie que l'on ne poursuive pas l'étude au-delà de Plutarque. Peut-être seulement convient-il de rappeler que, dans les deux domaines distingués ici, Plutarque n'était point le seul à célébrer l'idéal de douceur à cette époque, et qu'il ne devait pas non plus être le dernier à le faire. Deux noms d'inégale importance suffiront à le prouver. Avec l'un, la tradition grecque est reprise sous sa forme la plus stéréotypée et sous son aspect le plus exclusivement politique ; avec l'autre, elle aboutit à l'expression la plus personnelle et la plus hautement désintéressée. Le premier est Dion de Pruse, ou Dion Chrysostome, contemporain de Plutarque, et auteur de divers discours Sur la royauté. Ces traités utilisent beaucoup Homère et prônent la clémence du prince. Dion y demande que le roi soit doux (~µ.e:poc;)et philanlhrôpos, qu'il se montre bienveillant et praos, qu'il considère tous les hommes comme ses amis

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LA DOUCEUR DANS LA PENSÉE GRECQUE

(1, 20). Il reprend la comparaison du roi avec le père, ainsi que l'idée du modèle divin : il dit à I, 40 que Zeus est appelé père à cause du soin qu'il a des hommes et à cause de sa douceur (praon) 1 • Le modèle d'Héraclès est aussi repris ; et Héraclès ne choisit plus seulement entre le Vice et la Vertu, mais entre la Royauté et la Tyrannie (1, 58-fin). Tout cela est banal, assurément, mais témoigne d'une tradition qui ne faiblit pas, tout au contraire 2 • Synésios devait suivre Dion de Pruse ; et il ne fut pas le dernier. On pourrait ajouter qu'à la même époque la même tradition se perpétue également dans la façon dont Aelius Aristide présente l'empire romain, et la paix qu'il procure, un peu dans l'esprit d'lsocrate. Inversement, la pensée de Marc-Aurèle est celle d'une âme qui se parle à elle-même et cherche passionnément à accéder au bien. Marc-Aurèle est né quand mourait Plutarque ; et il a, plus que Plutarque, accepté le stoïcisme. Mais son stoïcisme est aussi pénétré de douceur qu'il est possible. Cette vertu pour les souverains aura donc été, vers la fin du paganisme, célébrée par un souverain ; mais ce souverain était un philosophe et un sage, soucieux surtout de son âme. Son goût pour la douceur le distingue sans doute de son entourage romain, peu porté à ce genre de sentiments. Marc-Aurèle écrit en efTet que son maître Fronton lui a appris à reconnaître la duplicité des patriciens, qui sont en quelque sorte incapables d'affection, ou de tendresse humaine (1, 11). De fait, une lettre de Fronton à Lucius Verus hésite à qualifier de romaines les dispositions affectueuses : (VII, 63)1. Cette sérénité du sage rejoint le sens que déjà Platon prêtait au mot. Mais elle s'est enrichie dans la méditation sur soi : en une sorte d'examen à dominer de conscience, Marc-Aurèle s'encourage continuellement l'irritation ; et ce qui aurait été ailleurs simple plaidoyer en faveur de la douceur devient effort conscient pour y parvenir. Il faut, écrit-il, instruire les gens de leur méprise et, si on ne réussit pas à les convaincre, se (IX, 11). souvenir Les dieux eux-mêmes sont tolérants : ne peut-on l'être à son tour? Et d'ailleurs > (De Opificio, 81). II visite la création > (De Cherubim, 99). II fait le bien sans réserve (De Opificio, 23). II veille sur tous, donnant aux coupables l'occasion de se corriger; et >vaut pour tous, pour nos proches, cet amour pour notre > (III, 43, 3)1. Mais c'est surtout au rve siècle que la douceur grecque semble remplir l'église chrétienne. On peut s'en assurer en considérant trois œuvres particulièrement riches à cet égard : celles de saint Basile, de saint Grégoire de Nysse et de saint Jean Chrysostome, tous trois nés entre 320 et 3452 • On constate par là-même que l'insistance sur la douceur, qui a été révélée, dans un chapitre précédent, par le témoignage des inscriptions, se retrouve, à la même époque, dans les œuvres littéraires, tant chrétiennes que païennes. De saint Basile, on retiendra surtout les lettres : elles ont l'avantage de nous mettre en présence d'une morale vécue au fil du quotidien. Même un simple sondage 8 permet de mesurer le regain des idées anciennes de philanlhrôpia et de douceur. Déjà de l'extérieur, on peut constater que la douceur grecque est une vertu bien reconnue, puisque c'est précisément dans ces lettres que l'on a relevé des formules comme , D'autre part, on trouve dans les lettres un mélange constant entre les valeurs les plus hautes du christianisme et les vertus les plus modestes de la douceur. L'amour de Dieu pour les hommes y est présent, dans toute sa force. Et, si Basile invite les fidèles à renouveler l'ancienne charité, ou agapè 6 , s'il leur prêche avant tout >>(lettre 46, 6). Mais en même temps, à côté de l'exaltation de ce pardon total et totalement chrétien, Basile sait aussi apprécier la douceur plus humaine de ses correspondants, dans la manière traditionnelle de la douceur grecque. Parfois, il peut s'agir de relations officielles, où le côté chrétien compte peu. Ainsi, désirant apaiser Callisthène, Basile le flatte : « Ceux qui ont manqué quelque peu aux convenances, ayant ressenti les effets de ta praotès, se reprochent d'avoir péché contre un homme tel que toi>>; et il lui demande de confirmer ses espérances, ainsi que (lettre 73, 1 et 3). comte des largesses privées >>,il lui dit : >. Il parle encore, un peu plus loin, de sa praolès et de son épieikeia (lettre 51, 1 et 2). Enfin cette douceur est la qualité que l'on attend des défenseurs de la foi. Il s'agit là, comme pour saint Paul, mais plus nettement encore, de la douceur propre à celui qui enseigne, et qui doit, par son seul exemple, faire aimer l'idéal qu'il incarne. Elle apparaît, liée à la fermeté, dans la lettre 69 (ligne 39). Et la lettre 81 recommande à l'évêque un prêtre «qui est l'élu de Dieu, bien fait pour cette tâche, objet de vénération pour ceux qui le rencontrent et qui instruit avec praolès les adversaires » (ligne 39)2. On n'est donc pas surpris que ce soient avant tout des exemples de douceur et de réserve que Basile retienne de la littérature païenne (Aua: jeunes gens, 7). Il reconnaît en effet dans ces textesç et d'èpa.a-nic;.La philanthr6pia est donc bien redevenue amour de Dieu pour l'homme; mais sa coloration affective n'a plus rien à voir avec les mobiles prêtés jadis à Prométhée ou à Zeus. D'autre part, avec Grégoire de Nysse, la praotès est elle aussi revendiquée, puisque, dans la deuxième Béatitude, que commente Grégoire, elle est une vertu essentielle. Justifiant le texte de Matthieu, il tente de définir cette praotès, capable de mener au bonheur éternel. Il y reconnaît un refus des sentiments mauvais qui entraînent l'homme vers la colère, l'aveuglement et l'envie; au contraire, la praotès mène à une disposition «d'amour et de paix• (Migne, 1213 c). En ignorant les offenses, elle se confond avec l'humilité (1217 d) : Grégoire explicite ainsi la relation que la traduction de l'hébreu en grec avait révélée ; mais il retrouve la part de vertu qu'impliquait l'usage du mot en grec2. C'est seulement, une fois de plus, une praotès aux racines plus profondes et aux aspirations plus hautes. Saint Jean Chrysostome lui aussi témoigne de cette double tendance, aussi bien pour la philanlhrôpia que pour la praolès. Il exalte l'amour de Dieu pour les hommes, en partant de l'amour paternel, et en invitant à imaginer le même amour en infiniment plus puissant 3 ( Sur la Providence de Dieu). Il exalte la pitié et le pardon. Mais ses homélies se réfèrent aussi, et constamment, à la praotès. C'est à ses yeux une vertu particulièrement agréable à Dieu (hom. in Joan. 61, 1 = Migne 59, col. 395, où elle est liée à l'épieikeia). Elle est enseignée par le Christ (hom. in Math. VII, 14 (De angusla Porta)= Migne 51, col. 47). Elle établit la paix de l'âme (hom. in Gen. 34, 1 = Migne 53, col. 313).

cr.l'article de GI. Downey, p. 205 sqq. (2) La relation se traduisait dans le Nouveau Testament par le rapprochement fréquent des deux séries de mots (Matthieu, 11, 29 ; ~ph., 4, 2; Colossiens, 3, 12). Grégoire justifie ce rapprochement, sans pour autant opérer de confusion entre les deux - confusion qu'autorisait le sens donné à praos dans l'Ancien Testament. (3) li l'appelle lui aussi lp(,lç ; cf. VI, 1 : acp68p« èp&n1lpc.>-rœ-rtvœ IX!L7JX«vov. (1)

320

LA DOUCEUR DANS LA PENSÉE

GRECQUE

On ne saurait donc être surpris de lui voir attribuer, même à tort, le petit traité Sur la praolès. Ce texte pourrait en fait servir de couronnement à l'étude de cette notion, puisqu'il ne place rien plus haut que la praotès, avec ses voisines, la bonté ou la mansuétude (xplJa-r6nic; ~µe:p6nic;). Selon l'auteur (qui cite souvent saint Paul), le soin des pauvre~ découle de la douceur et la douceur conduit à la philanthrôpia. Cette douceur vient de Dieu, sans doute; mais elle est aussi comme dans le monde profane, l'absence de colère et d'envie; et elle constitue en fait, de toutes les vertus qui conviennent à un chrétien, la plus grande (Migne 63, col. 553). Il est, on le voit, inutile de multiplier les exemples et les citations : elles rempliraient un autre livre. D'ores et déjà on peut tenir pour incontestable que, du 1er au ive siècle, les Pères grecs ont peu à peu retrouvé les mots et les valeurs qu'avait mis à la mode l'humanisme païen, se contentant de les charger d'un sens nouveau, infiniment plus fort et plus exigeant. À vrai dire, cette sorte d'envolée ne saurait surprendre. Indépendamment même du mouvement qui, désormais, suspend toute la morale au seul amour de Dieu, le christianisme avait sur la morale païenne une supériorité et un avantage de principe : il ne s'enfermait pas dans les critères où celle-ci était enclose ; il ne valait pas pour la cité, ni même pour la vie d'ici-bas. Et de même que la rupture de la cité avait, au ive siècle avant J.-C., favorisé l'essor d'une morale plus souple, plus humaine et plus affective, valant pour des individus et non plus pour des citoyens, de même la rupture plus résolue encore que consomme, avec les États en tant que tels, cette religion sans frontières qu'est le christianisme permet l'éclosion d'un idéal que ne retient plus ni le sens pratique, ni l'intérêt public, ni la stricte justice. Le christianisme, à ses débuts au moins, est en marge de l'État; et sa visée peut de ce fait tourner le dos à toutes les sagesses, à toutes les prudences.

Il. LA

RÉPONSE

PAÏENNE

En apparence, cette confrontation avec le vrai amour, le vrai pardon, la vraie patience, nourrie d'humilité et de tendresse, devrait donc marquer les limites de la douceur grecque. Elle le fait en un sens. Et il ne serait pas déraisonnable d'arrêter sur cette constatation l'examen de la longue aventure par laquelle les Grecs avaient mené cette douceur aussi loin que le leur permettaient leurs cadres de vie et de pensée. Pourtant, ce n'est que par une simplification assez grossière que l'on fait se succéder le paganisme, puis le christianisme, comme si le changement s'était fait en un jour. En réalité, Plutarque, dont il était question au chapitre précédent, écrit après Philon, après saint Paul. Le courant de pensée qui aboutit à lui explique en grande partie l'accent que mettent sur la philanthrôpia

CHRÉTIENS ET PAÏENS

321

et sur la douceur les Pères grecs que l'on a ici rapidement évoqués. Mais Plutarque n'est pas non plus le dernier des auteurs païens - il s'en faut! On a signalé déjà que son contemporain Dion de Pruse, dans ses Discours sur la Royauté, reprenait l'idée du roi qui est comme un père, qui veut le bien de ses sujets, et qui imite Zeus. Et une revue complète du thème de la douceur devrait parler de Lucien et des historiens grecs tardifs. Bien qu'une telle revue ne soit pas à envisager ici, il paraît au moins difficile, après avoir évoqué certains des auteurs chrétiens du ive siècle, de passer sous silence les voix qui leur répondaient. Car ce ive siècle qui vit saint Basile, saint Grégoire de Nysse et saint Jean Chrysostome louer la philanlhrôpia et la douceur chrétiennes est aussi le siècle où Thémistius, Libanios et l'empereur Julien louent encore passionément la philanlhrôpia et la douceur païennes. Il est même impossible de douter qu'il y ait eu à cet égard, entre païens et chrétiens, une véritable compétition. Julien, aussi bien, ne s'en cache pas. Dans la lettre 89 b (305 b), il recommande que l'on s'assure du caractère «philanthrope>> des prêtres (païens), et de leur promptitude à donner aux indigents ; car le défaut de certains d'entre eux en ce domaine >, écrit-il dans la même lettre (291 d) ; et il conclut, dans un vocabulaire qui se ressent de l'influence chrétienne, que nous ne saurions refuser de partager avec notre prochain (292 d : 1tpàç 't"OUt;7tÀ~O"LOV}2 • Ce mélange de traditions païennes et d'influences chrétiennes se retrouve dans le contenu même de la philanthropie qu'il préconise. Comme dans la tradition païenne et comme chez Thémistius, la philanthrôpia représente pour Julien une vertu essentiellement royale. En tout cas, c'est chez des rois qu'il se plaît à en reconnaître, ou à en souhaiter, la présence. Il le fait avec insistance pour Constance, dans les éloges qu'il consacre à ce prince (ainsi I, 7, 11, 15, 26, 31, 32, 34; III, 1, 7, 19, 28, etc.); il apporte pourtant des réserves graves plus tard (V, 3). En revanche, point de réserves quand il s'agit de sa protectrice l'impératrice Eusébie (11, 2, 5, 8, etc.). De plus, dans ces divers traités, il cite les traits de douceur ou de bonté des souverains du temps passé, évoquant tour à tour Ulysse, Cyrus, Alexandre, ou encore les Romains vainqueurs de Carthage. Et il fait de cette bonté royale son programme de gouvernement 3• C'est la vertu à cultiver ; et il déclare, Ainsi nous tenons pour mérite d'associer, dans le Misopogon, 38 (365 d) : >.Déjà dans le discours III, dont le sous-titre était Sur la royauté, il écrivait qu'à ses yeux >(37). Le contexte dans lequel est évoquée cette philanthrôpia du prince renvoie souvent, comme en ce dernier exemple, à la vieille idée de (1) Par exemple, l'analyse de la douceur royale, dans l'éloge de Constance, parle d'• imiter la nature divine chez les hommes• (39) ; de même Ill, 38 : • Le bon roi, imitant de son mieux la Divinité ... 1. (2) Malgré l'analogie des idées et des termes, cette o parenté• humaine diffère naturellement de la fraternité chrétienne, entièrement religieuse dans son principe. (3) Que ce soit la qualité prisée entre toutes par Julien apparaît dans un faux, la prétendue lettre de Julien à Basile (lettres de Basile, 40), qui commence par ces mots : • C'est en montrant la sérénité et l'humanité qui me sont naturelles depuis l'enfance, que jusqu'à présent j'ai réduit en mon pouvoir ceux qui habitent sous le soleil•·

CHRÉTIENS

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ET PAÏENS

clémence. Et quand Julien, dans la lettre 89 b distingue les différentes formes que peut revêtir cette vertu, il place en premier la modération dans les châtiments, c'est-à-dire justement la clémence 1 • Les éloges de Julien portent le plus souvent sur cette clémence. Elle est pour lui, comme elle l'était à l'origine, un adoucissement de la justice 2 • Et la fidélité à la tradition classique se traduit par le fait que, pour l'évoquer, Julien retrouve les mots habituels - plus modestes que ceux qu'employaient les chrétiens, et plus directement liés à la vie politique : il parle à chaque instant de praotès, d'épieikeia, de suggnômè 8 • Il suffit d'un coup d'œil sur les deux premiers traités pour reconnaître cette tradition, qui s'inscrit jusque dans le choix des mots. C'est ainsi que, contrairement à Cyrus, le père de Constance eut un fils meilleur que lui : un fils praoteron (1, 7); Constance sut obéir à son père avec réserve, mais commander aux autres avec «douceur et humanité>> (11). Il se comportait «avec humanité >>pour ceux qui arrivaient et agissait «avec douceur» pour les exilés de retour. Il avait de la magnanimité dans la victoire (31) ; il savait «ôter aux châtiments ce qu'ils ont de rigueur et traiter avec clémence, avec générosité, un ennemi terrassé >>' (39). Enfin Julien s'émeut en voyant, écrit-il, «avec quelle douceur (praos), avec quelle clémence ( philanthrôpos) tu traitas ceux de ses amis (les amis de Silvain) qui ne purent être convaincus d'aucune complicité >>; et il déclare que c'était là agir avec épieikeia, avec justice, avec sagesse 5• Clémence envers les sujets, clémence envers les vaincus, la philanthrôpia décrite ici se confond avec la praotès, à laquelle le vocabulaire ne cesse de l'unir. L'on constate, du reste, dans l'éloge d'Eusébie, que cette clémence prend sa source dans une douceur plus générale. Car Eusébie avait de la douceur en tout. Même sa voix était« douce et suave comme le miel>>(14). Quant à sa «tendresse pour son époux, son noble désintéressement », ils traduisent son caractère. Pour ce caractère, Julien multiplie les éloges, parlant de «sa sagesse, sa douceur, sa prudence, son humanité, son équité, sa libéralité et ses autres vertus» (8). Autour d'elle règne ainsi une atmosphère exquise. Jusqu'à l'empereur qui aurait été, pour son neveu, de cette douceur toute familiale que désigne le vieux mot homérique èpios (12). Plus tard, Eusébie sut >étaient une institution bien connue du paganisme. Mais faire du bien aux pauvres est une idée qui se ressent des influences chrétiennes. Or c'est bien ce qu'entend Julien, qui parle de secourir les besoins (lettre 89 b, 289 c) ou d'aider les faibles (III, 31); et c'est aussi ce dont ses contemporains lui faisaient un mérite 2 • Jamais la tradition païenne n'eût présenté les choses sous ce jour. En revanche, on a souvent relevé que Julien n'allait pas tout à fait jusqu'à la charité chrétienne : il subsiste chez lui une idée de justice, éminemment grecque et païenne. Il ne dit pas de donner aux pauvres en tant que tels 3 • Il dit bien qu'il faut donner même à ses ennemis, même à des gens en prison, et donner à l'être humain plus qu'à la personnalité de tel être en particulier. Mais il dit aussi qu'il faut donner plus libéralement aux gens de bien, aux hommes qui sont épieikeis 4 - ce qui est une idée grecque, mais non pas, dans son essence au m·oins, une idée chrétienne. Le jeu des rapprochements et des distinctions est ici fascinant. Et l'on comprend qu'un important domaine d'investigation s'ouvre ainsi aux chercheurs, que n'ont pas fini de retenir ces échanges entre chrétiens et païens au cours du ive siècle après J.-C. Dans l'esquisse qui en a été ébauchée ici, deux idées essentielles sont à retenir. La première est (1) Julien lui-même avoue ne pas posséder cet art de l'affabilité : il parle dans le Misopogon de sa gaucherie, de son ignorance, de sa hargne (18 = 349 a); et il dit qu'on les lui reproche:• Tu ne sais pas vivre en société, me dites vous ... • (20 = 349 d). (2) Cf. Ammien Marcellin, XXV, 4, 15. (3) Cf. Kabiersch, op. cit., p. 67. On relève que Julien fait passer les hôtes avant les pauvres. (4) Lettre 89 b, 290 d sqq.

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l'importance même de la philanthrôpia et de la praolès pour les deux séries d'auteurs - importance qui consacre son triomphe et confirme la portée de l'évolution ayant mené jusque-là. La seconde est la constitution, à travers les combats et les polémiques, d'une sorte de zone franche de la morale, dans laquelle chrétiens et païens exercent les uns sur les autres une influence, dont le résultat devait être de léguer à notre civilisation occidentale une image revue et transposée de l'ancien idéal grec .

. ... Cette image garde encore une certaine réalité dans l'histoire des siècles qui suivirent : malgré des éclipses, la tradition de la douceur grecque, ainsi revue et transposée, ne cesse de reparaître, de place en place, dans les textes byzantins. Autour de l'empereur, une double tradition l'imposait : l'empereur était tout ensemble l'héritier de la clémence romaine, si bien associée à la puissance du souverain, et l'héritier de la douceur chrétienne, puisqu'il devait imiter Dieu. Aussi n'est-on pas surpris de voir la tradition de la philanlhrôpia continuer à remplir les textes officiels. Une importante étude de M. Hunger a montré que cette vertu, commune à Dieu et à l'empereur, est constamment évoquée dans les textes 1 • L'auteur cite entre autres le Livre des Cérémonies 2 , les discours «royaux>> comme ceux de Théodore Métochite, et les textes officiels constitués par les Novelles des empereurs, à partir de Justinien. La praolès est plus discrète ; on la voit pourtant se manifester. On la rencontre, même tard, dans les discours à l'empereur. Ainsi Théodore de Nicée, s'adressant à 3• 8écmo-rcx Romain II (959-963), l'appelle : 1tpoc6-rcx-re: La même douceur, associée aux vertus de persuasion et de bonté, est un des mérites que loue Jean Mauropous, en 10474 • Psellos, à la même époque, traite d'idées équivalentes. En même temps, la praolès survit dans les textes religieux. Son éloge constitue un thème habituel de toute la littérature monastique byzantine. Par exemple, elle est le sujet du vingt-quatrième de !'Échelle de Jean Climaque 5 • Ou encore elle figure dans la littérature de spiritualité : Syméon le nouveau Théologien l'évoque à maintes reprises 8 • Elle fait désormais partie intégrante de la mystique byzantine.

(!) « Philanthrôpia, eine griechische Wortpragung ... •• Anzeiger Oster. Akad. d. Wissenschaften (phil.-hist.), 100 (1963), p. 1 sqq. (2) L'acclamation officielle parlait d't imiter la philanthrlJpia de Dieu•; l'auteur renvoie à II, 78; II, 123, 28; II, 85; Il, 173, 7 Vogt. (3) Nous devons ces renseignements, comme ceux qui suivent à l'amitié de notre collègue Gilbert Dagron. Pour ce texte, cf. éd. Darrouzès, Épistoliers byzantin, du dixiéme siècle, p. 302 (n• 35). (4) Cf. éd. Lagarde, n• 186, § 8. (5) Ile:pl à.'lt'1.6ni-ro,;)(CXI'1t'pcx6ni-ro,; xcxl â)(cx)((cx,;)(cxl'lt'OVl'Jplcx,;. (6) Hymnes, 41, v. 78-79; cf. 2, v. 50; 22, 184; 46, 18; 47, 16.

328

LA DOUCEUR DANS LA PENSÉE GRECQUE

Ces divers textes attestent avec force une survie - qui fera d'ailleurs conserver ces deux mots dans le grec moderne. Mais ils témoignent aussi, par contraste, que les sommets atteints avec Plutarque marquaient bien la fin du voyage. La douceur grecque avait été essentiellement une vertu de sociabilité, de tolérance et d'indulgence. L'enfermer dans la personne d'un souverain autocratique ou dans le secret des monastères lui ôtait ce qui avait fait sa force et son originalité, lui ôtait son . S'il est vrai, en effet, que c'était une des forces du christianisme que de promettre amour et douceur dans un monde tout spirituel, cela demeure aussi une des forces de l'hellénisme classique que d'avoir cru à ce peu de douceur et de gentillesse dont l'homme est capable ici-bas, par le seul effort de sa civilisation et de sa culture morale. Les Grecs - on ne saurait trop le répéter - n'ont pas toujours pratiqué ces vertus : ils y ont du moins toujours aspiré. Et la continuité que nous avons tenté de faire apparaître dans l'histoire de cette notion montre combien l'aspiration à la douceur, avec ses hésitations, ses avatars, et sa constante obstination, était, dans son principe même, essentielle à l'héllénisme. En un sens, elle en définit l'esprit, par opposition à la barbarie. Et elle en fait, par suite, apprécier mieux encore le prix.

INDEX

DES

TEXTES

GRECS

MENTIONNÉS

DANS LE LIVRE

Les chiffres en italiques renvoient aux divisions des œuvres grecques, les chiffres en romain aux pages du livre, les chiffres en caractères gras aux pages du livre où toute une série de références se trouvent groupées. L'index donne parfois des références plus précises que le texte même, en remplaçant une allusion par une indication chiffrée ; inversement, des références à des phrases consécutives ont parfois été groupées pour l'index en une référence unique. Une mention comme 75 et n. 1 signifie ou bien que le document en question est mentionné dans un passage du texte et dans une note se rapportant à un autre passage, ou bien qu'une note le rattache à un passage du texte où il n'est pas directement mentionné. Le fait qu'une œuvre soit citée sous le nom d'un auteur n'implique pas que son authenticité soit admise sans réserves. Pour alléger un Index déjà long, on a renoncé à reproduire toutes les références d'abord relevées: on a donné sous une forme séparée, et très simplifiée, les indications relatives aux documents qui, à cause de leur nature ou de leur date, avaient fait l'objet d'une étude moins approfondie et se trouvaient, en fait, plus groupés : documents épigraphiques ou papyrologiques, textes palens tardifs, textes chrétiens, textes latins. À plus forte raison a-t-on pratiquement renoncé à donner un Index des mots grecs (mais cf. p. 346). La répartition des auteurs du ne siècle après J.-C. entre un Index et l'autre étant arbitraire, il sera prudent, pour ces cas tangents, de vérifier dans les deux listes. I.

AUTEURS

GRECS

JUSQU'AU

Aloiphron : 206.

Ananias Solitaire ; 206. Andocide: 41, n. I. 1, 57: 86. J, 96; 81, n. 2. JI, 6: 86.

[Andocide] IV, 22: 285, n. 1.

Antipbane Timon: 206. Antipbon:35; 41, n. 1 ; 55, n. 1. Jre Telral. ~ 18 : 56. 3• Telral. et 6 : 67, n. 3. 3• Tetral. ~ 2 : 35, n. 2. Sur le meurtre d'Hérode, 92: 67, n. 3, Antisthène: 143.

ue

SIÈCLE

APRÈS

J.-C.

Apollodore Il, 8, 1; Ill,

7, 1 : 104, n. 2.

Appien Hiat. Rom. VI, 4, 23: 243. 'l, 36 : 243, n. 2. 15, 95-98 : 248. VII, 5, 28: 276, n. 2 et 4. VIII, 8, 52: 277, n. 12. 33 : 233, n. 3. 136 : 260, n. 3. XII, 62 : 303. 107; 112: 234, n. 2. G. civiles II, 43; 47; 93: 260. 106: 260 et n. 6. 130; 144; 146: 260. 150 et 151 : 260 et n. 3.

330

INDEXDES TEXTESGRECS III, 84 : 257, n. 1 IV, 8: 262. V, 4; 16; 41; 45; 47; 131: 262.

«Aristée• (lettre de): 309, 310. 187-300 : 217-221. Aristide(Aelius) 306. Aristophane Babyloniens : 155. Ass. des Femmes 411 : 107, n. 1. Ca11aliers 427 : 66, n. 1. 1114 : 155 et n. 2. Grenouilles 856: 42. 952: 107, n. 1. Guipes 568-574 : 78 et n. 1. 715: 155 et n. 1. 878-884: 153. 879 : 18, n. 4. 975-984: 78 et n. 1. 999 sqq. : 67. Lysislra!a : 111. 574-586: 155. 1116-1118 : 154. Nutes 212: 155 et n. 1. 1078-1082 : 71. 1437-1438 : 55-56; 57, n. 4; 60. 1478 sqq. : 68. Pai:,; 392-394 : 45. 507 : 154. 611 : 154, n. 1. 665-667 : 154. 668-669 : 68 ; 80, n. 2. 934-936 : 18 ; 42; 155. 996-999 : 42 ; 154; 155. fragm. 192, 9: 107, n. 1. 50 Dem. : 59, n. 2.

Aristote Conslilution d'Athènes 22, 4: 107. 23, 2: 161, n. 3. 28, 1: 62. 40, 2-3: 111. Éthique à Eudème : 195, n. 4. Éthique à Nicomaque: 194-195. III, 9- VI: 194.

1, 1109 b sqq. : 69 i 192-198. 1120 b 32; 1121 b 24 : 195, n. 1. 1125 b: 38, n. 2. 1125 b 33-11211 a 2 : 195. IV, 11, 1126 a 2 : 92. 11211 b 21; 1127 b 3: 195, n. I. 1128 a 18; 1128 b 28-33: 195, n. 1. V, 10, 1136 a 5-10: 69, n. 2; 193, n. 5 V, 1137 a 31 sqq. : 190-191. 1143 a 21 : 191 ; 194. 1143 a 23: 66, n. 2; 193, n. 2 1143 a 31: 194. 1146 a 2-3; 1149 b 4: 193. 1150 b 3: 194, n. 2. 1155 a 16 sqq. : 190; 202. 1155 a 30: 194, n. 5. 1159 b 25 sqq.: 205, n. I.

III,

Histoire des animaw: 619 b 24 : 18, n. 5. Politique 1131 a sqq. : 110. 1261 b-1262 b : 189, n. 2 1295 b sqq. : 205, n. l. V, 1308 b : 62, n. I. V, 1315 b: 110, n. 4. 1327 b - 1328 a : 181. Rhétorique I, 1372 b 19- 1373 a 18: 192, n. 2 I, 1374 a 26- 1374 b 23: 191-192. 11, 1384 b: 194, n. 2 III, 1404 a 13: 34. Sur la royauté: 216.

[Aristote] Vices el 11ertus: 199. 1251 b 3 : 278, n. 1. 1251 b 33: 194, n. 3. Vie d' Ari8lote fr. 646 Rose : 266, n. 2.

Arrien Anab. 11, 11, 9 : 250, n. 3. Entretiens I, 11, 17; III, 13, 5; IV, 5, 10: 214, n. I. Manuel d' l?piclèle 42 : 212.

Bacchylide I, 150 Snell : 46, n. 2.

Callimaq_ue : 222, n. 3. à Artémis 236: 176, n. 2 fr. 21 Schn. : 103.

331

INDEX DES TEXTES GRECS

Cléanthe: 216; 222; 309. S. V.F.

557; 212.

Cbrysippe: 216.

Cratès: 212, n. 1.

Démétriosde Phalère: 31, n. 2; 205, n. 1; 216.

Couronne

D6mocharèa

fr.

2 (F.H.G.)

: 101, n. 2.

Démocrite: 41. B 5 (p. 138, l. 7) : 180, n. 1. 46 : 42-43; 184. 103 : 108, n. 2. JO'/ a: 87. 252: 60. 253 : 73, n. 1. 255: 87. 291: 60.

Démosthène Harangues. Chersonèse 32-34 : 44, n. 1 ; 147. 42; 171, Il, 1. 66 : 172.

Mtgalopolitaina 9; 146, Il, 4, 15: 172, n. 4. 16 : 145.

Olynthienne II 9 sqq. : 171. 24:

172,n.5.

Organisation flnancitre 16-17 : 44, n. 1 ; 146-147. Philippique 1 3: 172, n. 5. Philippique Il 1 : 146. 10-12: 172, n. 5.

Philippique III 37-39 : 114-115; 120 et n. 3. 45; 172, Il, 5,

Philippique IV 46: 172, n. 4. Rhodiens 21: 87.

Symmories 28 : 172, n. 2. Plaidoyers poliliques, Ambassade 32: 60, n. 3.

146. 50; 146. 50. : 101 ; 120. 140: 146,

39 : 95: 99; 104

163, n. 1 : 30. 182 : 120 et n. 3; 123. 220 : 50 ; 146. 223 : 60, n. 3. 239: 116-117. 283: 122-123. 316: 50; 146. 5: 49 et n. 4. 94: 172, n. 3.

112 : 49, n. 2 et 4. 132-133 : 108, n. 3; 120, n. 3. 207 : 66, n. 5. 208:172. 209 : 49 et n. 4. 231 : 50; 146. 252 : 66, n. 5. 268 ; 49; 50. 275 : 113, n. 2. 298: 50. 311: 172, n. 3. 316 : 49 et n. 4.

Contre Androtion 51 : 107. 52-55: 108.

53-56 : 107, n. 2. 57: 107.

Conlre Aristocrate 13 : 146.

42: 87. 65: 67. 70: 87; 101. 83: 87, n. 2. 131: 52, n. 1; 118. 156 : 101 ; 120. 165: 50.

Contre Aristogilon 1 18: 60, n. 3. 63 : 113, n. 2. 81: 105. 81-84 : 118-119. 86 : 52, n. 1 ; 60, n. 3; 62. 87-89: 101-103; 104-105; 124. 91: 114.

Contre Lepline 11: lll. 17:172. 128 : 50.

Contre Midias 38: 73. 48-49 : 108-109; 229 et 57 : 49 et n. 5, 69; 123-124. 75: 49, n. 4.

n. 4,

332

INDEX DES TEXTES GRECS 87: 114. 90: 63, 100: 119. 148: 119. 183 : 74; 118; 184-185. 181 : 101. 184-186: 51-52; 119. 186-188: 116.

20'1: 61. 209: 74. 209-210: 119, 212 : 146, n. 2. 218: 123.

Contre Timocrate 24: 107. 51 : 101. 61-52 : 114. 52: 120. 163: 107. 165-168: 107, n. 2. 170-1?1: 118. 171 : 101. 1'15: ll7-118. 190-194: 124-125. 191 : 146, n. 3. 193 : 18. 196: 118. 218 : 122.

Plaidoyers XXIII, XXVll, XXIX, XXXlll, XXXVI,

privés 72: 77, n. 3.

26; 65; 68: 113, n. 2 et 3. 2-3: 57. 34: ll8, n. 2. 44; 5'1: 172, n. 2. 69: 62-63. XXXVll, 59 : 33 et n. 1; 77, n. 3; 179,n.2. XXXV Ill, 22: 77, n. 3. XL, 32: 101. XLV, 67: 74. 68: 49, n. 2. LI, 11 : 74, n. l. 12:118,n.l. LVI, 48: 122, n. 2. LVIII, 55: 122, n. 2; 185. LIX, 83 : 68, n. 1.

Dicéarque fr. 24: 199, n. 1. Diodorede Sicile I: 226. 43;

Denys d'Halicarnasse Ant. Romaines V, 7 : 288, n. 2. VI, 81: 276, n. 2.

71, 4; 90, 2; 95, 8

81, 4; 86, 2-3; 91, 2 et 6; 92, 5; 100, 1: 255, n. 2. 102, 5; 105, 2; 107, 4 : 233.

[Démo,thène] Halonnèse 31 : 146, n. 4.

65; 70;

et 5 : 254, n. 4. 11, 28 : 254, n. 1. IV, 30, 2 : 138, n. 2. IX, 11, 1: 80-81. 12, 3; 13, 1: 81; 254, n. 2. X, 28, 3 : 255, n. 1. XI, 23-26 : 255, n. I. 6'1, 3: 255. 6'1, 6 : 156 et n. 4. 92, 3 : 259, n. 2. XIII, 19-27 : 156-1158;255, n. l. 21: 30. 22: 104. 23: 254. 26: 30. 30 : 103; 157. '16 : 255, n. I. 83: 156. 90, 5 : 248, n. 2. XIV, 46: 255, n. l; 286, n. 3. 106: 255, n. l. XVI, 20, 2 et 6: 255, n. I. 96, 2-4 : 250. XVII, 38, 4: 250. 69, 3 : 232, n. 1. 8,3, 9 : 232, n. l. XVIII, 14, 1: 255, n. 2. 42, 5 : 255, n. 2. 47: 233. XIX, 6, 3; 9, 6: 255, n. 2. 20, 1; 24, let 6: 255, n. 2. 34, 6 : 234, n. 3, 44: 233. 60, 2 : 255, n. 2. 61-62: 233. 62, 1-2 : 255, n. 2. 63, 5: 254. 65, 6: 233. 68, 1 : 232, n. 3.

XX:

233. 28 : 234,

n. 1.

37: 233. 39 ; 44 : 232, n. 3. 66 : 232, n. 2.

333

INDEX DES TEXTES GRECS

3, 3: 233, n. 1. 9: 81, n. 1; 255, n. 2. 21, 6 et 8 : 81, n. 1. XXIII, 12 : 253, n. 2. XXIV, 10, 2: 81, n. 1. 12, 3 : 253, n. 2. XXV, 3 et 5: 233. 5, 3 ; 241, n. 2. XXVI, 17: 253, n. 2. 21-22 : 251. XXVII, I, 1 et 7: 253, n. 2. 6, 1; 8, 1 : 251. 9-10: 233. 12-15: 251-252. 13 : 156 et n. 5. 15, 1 : 81, n. 1 XXVIII, 13: 252. 14 : 234, n. l. XXIX, 10, 1 : 252. 31: 252. XXX, 8:252. 13: 233; 234, n. 3. 18, 2 : 31 et n. 2; 254. 23: 252. XXXI, 3: 81, n. 1; 252-253. 9, 4-5: 252. 13, 1 : 232, n. 2. XXXII, 4: 248; 250-251; 253. 7: 252. 27, 3 : 81, n. 1. XXXIII, 4, 2; 6; 233. 12 : 255, n. 2. 14, 3: 233. XXXIV-XXXV, 2: 234, n. 1; 255, n. 1. 3, 1: 233. 14: 234. 23 : 253, n. 2. 29, 1 : 253, n. 1. 31: 233. 33, 4 : 247, n. 3. 39: 233. XXXVII, 10: 253, n. 2. 29, 5 : 253, n. 1. XXXVIII-XXXIX, 8 sqq. : 234, n. 5; 253, n. 1. 17 : 253, n. 1. XL, 2 : 253, n. 2.

XXI,

DionChrysostome

Sur la royauté : 221 ; 305-306; 321. Diotodnès : 217 ; 221. Diphilos: 206, n. I.

Eophantos: 217; 221.

l!ilien Var. hist., III, 17;:Ix, 216, n. 5.

26; XII,

l!ipicharme B 29 et 31 : 48 et n. 6.

l!ipictète(voir Arrien). l!:picure : 217.

Eschine Ambassade, 39 : 50, n. 4. C. Timarque, 17: 109.

Eschyle Agamemnon 175 sqq. : 35. 341-343; 475; 627-528;

Euménides : 33 ; 82-83. 280 sqq. : 32. 566 sqq. : 34. 690-692 : 35. 885-88'1 : 34-35. Perses 190: 38. 809-814 : 28. 837: 38. Prométhée : 82, n. 1. 28: 45. 48Z : 16, n. 3. Suppliantes 140; 144: 150: 79. 215-216 : 66. 359: 79. 362: 29.

Euboulos

fr. 72 (Kock) : 107, n. Euripide

I.

Alceste 139: 66. 310 : 18, n. 2. Andromaque 309 sqq. : 29. 840 : 89, n. 1. 955-956 : 75, n. 1. 971-973: 89, n. I. 1164-1165 : 88. Bacchantes 361: 80. 436: 42. 861 : 18, n. 2; 41-42. Électre 294-295 : 79 ; 88. 1024-1026 : 73. 1327-1330: 79.

783: 28.

Z6:

334

INDEX DES TEXTES GRECS

Hécube: 88. 1107-1108 : 73.

Hélène 80-82: 73. 1642 : 88.

Héraclès 299 sqq. : 88-89. 536: 73. 1116: 79, n. 2. 1314 sqq. : 71, n. 1. 1324-1326: 31-32. Héraclides: 88. 46 8-460 : 79 ; 88-89. 966: 30. 1009-1011 : 30.

Hippolyte 117-120: 73; 80. 443 sqq. : 70, n. 3. 616 : 73. 1013 sqq. : 128, n. 3. 1296-1452: 89. 1326: 70. 1336-1337: 68. 1396; 1441 : 79 et n. 1.

Ion 621 sqq. : 128. 1440: 80.

Iphigénie en Tauride 1400-1402 : 75. Médée: 88. 490-491 : 73. 703: 66. 870 : 74; 85 et n. 2.

Oreste 607-511 : 35, n. 1. 1626; 1679: 88. Phéniciennes: 88; 111. 549: 128. 995: 73.

Suppliantes 198-21'1: 45. 250-261 : 73. 269 : 87. 446 : 128.

Troyennes 63: 18, n. 2. 83'1: 79 et n. 1. 948-966 : 70. 950: 69. 1042-1043 : 69 ; 70. Fragments (Nauck 1) 130: 87. 297 : 74, n. 1. 339, 3-4: 71, n. 1.

362, 645 822 950 953

: : : :

6 : 18, 2. 56; 73; 80; 85 et n. 2. 38, n. 2. 18, n. 2. 47; 207, n. 6.

Gorgias

B 6, 10 sqq. : 56-57; 62; 63. B 11: 71.

Hérodote I, 35: 31. 39, 1 : 67-68. 66 : 322, n. 7. 86: 82. 116-119: 81. 123: 138. 165 : 69-70. 169 : 29; 81, n. 2. 160 : 29, n. 2. II, 30: 176. 65: 67, n. 2. 121 8 : 38. 129: 17; 128. 181: 38. Ill, 53, 4: 55. 80 : 128; 131. 89: 138. 89, 3: 17; 128. 119: 82. 130, 3: 16, n. 3. V, 83 : 66, n. 5. 92 : 17 ; 82; 128. 102: 28. VI, 19, 3: 28. 78: 28, n. 3. 86 y: 81. 96: 28. 101, 3 : 28. VII, 12, 2; 13, 2: 68. 106 : 18 et n. 1 ; 82. 136: 29; 31, n. 1. 23'1: 82. Vlll, 33: 28. 60, 1 : 18 et n. 1. 1'43: 28, n. 1. IX, 58: 68. 7 8-79 : 31 ; 81-82.

Wsiode Théogonie 235-236: 17. 254: 38. 406 : 39, n. 1.

335

INDEX DES TEXTES GRECS

Travaw; 207 sqq. : 25. 217-218 : 26. 249-267 : 26. 797: 38.

XIII,

202 : 14. 314: 16. 405; 17. XIV, 139: 17. XV, 39-: 17. 63 : 19,

Homère Iliade I, 334 : 29, n. 3. 340: 20. II, 164; 180; 189: 19, n. 3. III, 162: 16. IV, 218 : 16, n. 3. 256 : 14, n. 3. 361: 17. VI, 14-16: 21. 224-231 : 15. VIII, 40: 16. 431 : 53, n. 3. 617: 29. IX, 113: 14, n. 2; 19, n. 3. X, 288 : 14, n. 2. XI, 137: 14, n. 2. 615 : 16, n. 3. 830: 16, n. 3. XII, 267: 14, n. 3. XV, 711 : 20, n. 1. XVI, 33-35: 19. XVII, 204: 19. 670-671 : 19. XIX, 295-300: 20. XX, 467: 13, n. l; 19, n. 4. XXII, 184: 16. XXIII, 176: 30, n. 2. 252 : 19. 281 : 16, n. 3. 493: 53. 534 sqq. : 54. 648: 19. XXIV, 759: 19, n. 2. 772 : 13, n. 1 ; 17 ; 19, n. 3. Odyssée Il, 47: 17. 230-234 : 20-21. 234: 17. 280: 19, n. 2. V, 8-12 : 20-21. 12: 17. 124: 19, n. 2. VI, 121: 14. 207: 14. VIII, 546: 15. 576: 14. IX, 176: 14. XI, 203 : 13, n. 1 ; 19, n. 3.

n. 3.

152: 16. 411 : 19, n. 2. 490: 17. 557: 17. XVII, 394-395: 20.

XVIII, 381: 20. XIX, 329-334 : 21.

[Homère) Hymnes à Hermès, I, 411 : 38.

à Arès: 39.

Ja6e II, 30: 57, n. 3.

Isocrate Aréopagitique 20: 106. 21 : 123. 33: 115. 41 : 61 et n. 4 ; 122. S2: 169. 67 : 100 ; 106. 68; 57; 106. 68-69 : 101 ; 11 I. Sur l' Attelage 27 : 161, n. 3, 44: 117. C. Callimachos 34: 62, n. 3. À Démonicos 38 : 57, n. 4 ; 60. Sur l' Échange 20: 100. 35: 61. 40: 129, n. 1. 70: 130, n. 1. 1S'J-Ie8 : 184-165. 126: 169, 131-132: 49 et n. 6; 133-134; 137. 138: 169. 164: 61.

U0-214: 105; 175-176. 253-257 : 32, n. J. 254: 105.

276: 50. 299-300: 100-101.

11vagoras 24-67 : 131-132.

336

INDEX DES TEXTES GRECS 37 : 141.

Sacrifices 6: 45, n. 1. Timon: 206; 207. 35; H: 202, n. 3.

43 : 49 et n. 6. 50 : 304, n. 3. li8: 141, n. 2.

Hélène 37 : 100 ; 133; 287.

Nicoclès li-9 : 32, n. 1. 6: 105. 16-li5 :

180-131.

À Nicoclès 8-23 : 129-180. 12: 105, n. 3; 175. 15 : 49 et n. 6. Sur la Paia; : 135, n. 2; 185-166. 61 : 61. 76 : 161, n. 3. 111-115: 129. 114: 168. Panathénalque : 164. 56: 101. 67: 161, n. 3. 77; 82 : 168. Panégyrique

21-100 :

160-162.

28 : 175. 29 : 49; 50, 40-50 : 175.

n. 1 ; 100.

41 : 106. 46 : 106, n. 1. 63: 62, n. 3. 100-132 : 162-164. 101 : 285, n. 4. 136 : 169, n. 1. 173: 169.

Philippe : 167-188. 80 : 101, n. 2. 114; 116 : 46 et n. 4; 50, n. 1. 164 : 133, n. I. Leltres 4, l : 62 et n. 4. 5, 2: 49. 7, 5-12 : 132-133.

Fl.1osèpbe Guerre des Juifs I, 27, 28 : 267. VI, 324: 267. 1uba: 249, n. 5.

Lucien Démonax 9-11; 21 : 212, 57:

104.

n. 1.

Lycurgue C. Léocrate 33: 100, n. 3; 117. Lysias I (Sur le meurtre d'Ératosthène) 34-36: 122. II ( Epilaphios) 15 : 100 et n 1. 33 : 162, n. 2. 40: 79, n. 2. III (C. Simon) 4 et 6 : 113, n. 1. 19: 73, n. 6. 30 : 113, n. 1. 43: 73. IV ( Accusation pour blessure) 9: 113-114. VI (C. Andocide): 114 et n. 2 34: 100. VII ( S. l'olivier) 1; 41 : 113, n. 1 IX (Pour le soldat) 4: 113, n. 1. 7: 60. X et XI (C. Théomnestos): 114 et n. 2. X, 30 : 73, n. 5. XI, 9: 117. XII (C. Ératosthène) 20: ll3, n. 1. 31: 73. 79; 90: 120. 100: 120, n. 4. XIII (C. Agoratos) 53: ll8. 97 : 120, n. 4. XIV (C. Alcibiade I) : 114 et n. 1. H:ll7. 12-13: 122 et n. 1. 41 : ll3, n. 1. XV (C. Alcibiade Il) : 114 et n. 1. 1: 101, n. 2. 9 : 122 et n. 1. XVI (Pour Mantithéos) 11 : 60-61. 13 : 114 et n. 1. 18 et 19: 113, n. 1. XVIII (S. confiscation) 19: 117.

337

INDEX DES TEXTES GRECS

XIX ( S. les biens d' Aristophane) 13: 62. 16: 113, n. 1. XX (Pour Polyslratos) 34: 78, n. 2; 116. XXI (Défense d'un anonyme) 19: 113, n. 1. XXII (Marchands de bit) 19 : 121. XXIV ( Invalide) 7: 100. 17: 73, n. 2. XXVI (Examen d'Évandros) 3;5:113,n.I. XXVII (C. Épicratès) 6-7 : 113, n. l ; 121. XXVIII (C. Ergoclès) 2 : 121. 3: 117. 17: 121, n. 1. XXIX (C. Philocrale) 5: 117. XXXI (C. Philon) 11: 73-74.

Ménandre Arbitrage : 201-209. 878 sqq. : 105, n. 1. Bouclier : 210. Dyscolos : 201-201. Perikeiroménè 1020-1023 ; 209. Phasma 41 : 210, n. l.

fragments (Koerle} 19; 198; 231; 266; 361 : 210. 417 : 205, n. I. 466: 211.

467: 205, n. 1. 484 : 203 ; 211. 548: 115; 210, n. 3. 608: 210. 646: 211. 693: 210. 790 : 210, n. 2.

l'lnésimachOS Dyscolos : 206.

Réanthe:206. NicolasdeDamas: 249, n. 5.

Philodème Sur le bon roi : 217 ; 221 ; 261.

Philon : 300 ; 811-812. PbrJnichOB Solitaire : 206-207.

Pindare Olympiques

VI, 42: 38. XIII, 85: 40, n. 1. • Pythiques J, 62-70 : 128, 71: 176.

6: 176, n. 2. 70-71: 40; 127. IV, 128: 40, n. 3. 136: 40. 271 sqq.: 127-128. 293 sqq. : 128, n. 1. VIII, 1 sqq.: 128, n. 1. fragm. (Snell) 215 b 4 : 40, n. 1. 236 : 46, n. 2.

III,

Pittacos : 254, n. 3. Platon Apologie 34 d-35 c: 78; 116. Banquet 189 d: 45-46. 197 d : 38, n. 2. 218 b: 178, n. 2. Critias 120 e: 186. Criton 43 b : 185. Euthydème 302 c; 306 C: 187. Euthyphron 3 d: 47. Gorgias 472 e: 177. 47 8 a, d : 36, n. 1.

480 b; 489 b: 186. 509 e : 177 et n. 1. 521 e sqq. : 183. 525 a b: 36. Lois 67 8 e : 180 el 684 C; 183.

Sauvages : 206.

n. l.

142. 695 a: 142. 697 d: 142, n. 3; 156 et n. 4. 71a d: 46. 694 ab:

Panétius: 216 ; 222 ; 235 ; 249 ; 298. Phérkrate

n. 1.

338

INDEXDES TEXTES GRECS 717 d : 178, n. 2. 720 a - 723 a : 188. 731 b-d: 177 et n. 1; 187, n. 2.

7S7d:63; 177. e : 188, n. 2. d : 49, n. 2. d : 177 et n. 1. C : 36, n. 1. a - 871 a: 178-179; 192-193. d; 921 a: 178, n. 1. C: 178, n. 2.

76S 791 860 862 863 906 966

LysiB 211 e : 185. Méné:eène 238 e - 239 a : 106. 239 de: 142. 243 e: 111. 244 a : 100, n. 3; 106. 244 b : 178, n. 2. 244 e: 100, n. 3. 249 C: 185. Ménon 71 e: 43. 7S d: 187. Phédon 89 a: 189. Phèdre 268 C - 269 C : 188. Philèbe 6S c: 178, n. 2. Polilique 306

a - 310 a : 181-182.

Protagoras 324 ab: 36-36; 177. 327 d : 206 et n. 2. 34S e : 177 et n. 1. U9 d sqq. : 182. République 330 a: 186. 331 b : 186, n. 2. 332 d; 33S d : 43. 336 b: 187. 3S4 a : 187. 364 b- 36S e: 178. 366 d: 178. 370 b : 142, n. 2. 372 b : 180 et n. 1. 37/i a• 376 C : 180-181. 37S ce: 44, n. 1 ; 147. 380 b : 36, n. 1. 387 e: 186-186. 426 d : 178, n. 2 ; 187-188. 467 a : 142, n. 2. 469 b sqq. : 31 et n. 2; 44; 236.

499 d qq. : 183. so3 cd: 182. 537 e: 188. S38 c: 61 et n. 4. S57 e aqq.: 76 ; 109-110.

562 b sqq. : 109. 572 a b: 142, n. 2. li89 C : 188. 603 e : 186. Sophiste 222 b: 176, n. I. Théétète 144 a b: 183. 167 b c: 36, n. 3. Timée 18 a : 44, n. 1. Lettre I 309 b: 202.

Plutarque Vies : Aguilas

1,

5: 279. 2, 2 : 290, n. 1. 14, 1 : 290, n. 1. 20, 6: 282.

Agis 14, 3 : 281, n. 1. 20, S : 290, n. 1. 21, 5 : 277 ; 290,

n. 1.

Alcibiade 1, 3 : 288; 302. 8, 6 : 276, n. 3. 16, 4 : 288. 16, 6 : 285, n. 1.

Alexandre 21 : 260, n. 3. SB, 7-8 : 278, n. 2 ; 281.

Antoine 10: 206. 83, 6 : 276, n. 7.

Aristide 23, 1 : 280; 290, n. 1. zs, 10: 61.

Artaxerxès 1, 1; 2, 1; 4 : 286, n. 2. 1 : 278, n. 2 ; 286, n. 2. r; : 286, n. 2.

ao, ao,

Brutus 26, 2; 30, 6 : 290-291. Camille: 288. 11, 3 : 277, n. 6. Caton l'ancien : 289. li, 5: 276. 20, 3 : 290, n. 1.

INDEX DES TEXTES

24, 10 : 279 et n. I, 2; 290, n. 1. 21, 2-5 : 247, n. 3.

Calon le jeune 5, 3 : 276, n. 3. 21, 10 : 282. 22-23 : 283. 26, 1 : 283, n. 1. 28, 3: 282. 29, 4 : 279 ; 283. 49, 6; 50, 2: 282. César 4, 4 et 8 : 277 et n. 1, 9; 283. 34, 6-8; 46, 4; 48, 3-4 : 282. 55, 3-4 : 277, n. 11. 51 : 61 ; 260 et n. 6. Cicéron 6, 1 : 283 ; 301. Cimon 3, 1 et 3; 5, 5 : 290, n. I. 5, 5-6 : 282 et n. 2. 6, 2 : 280-281. 10, 1 : 303 et n. 5. Cimon-Lucullus 1, 5 : 279 ; 290, n. 1. Cléomène : 290, n. 1. 13, 3 : 279; 283. 24, 4-5 : 281. 24, 8 : 277 et n. 7; 281-282. Coriolan : 288-289. 1, 3-4 : 279. Crassus 3, 6: 290. 30, 2 : 277 et n. 9 ; 278, n. 2 ; 282. Démétrios 5, 4; 11, 1: 277 et n. 7. Démosthène 22, 4 : 284, n. I. Dion 1, 6: 276. Eumène 9, 11-12 : 282, n. 1. 11, 2: 282. Fabius Maximus : 288-287. 17, 1 : 278, n. 2. Flamininus : 2815. 2, 5: 281. r,, 4: 281. 5, 6 : 274, n. 1. 6, 2: 281. 21, 1-6 : 283; 284, n. 1. 24 : voir Philopoemen-FlamininuB 3, 4. Galba 3, 2 : 276, n. 6.

GRECS

339

C. Gracchus 5, 4 : 290 et n. 2. T. Gracchus : 290et n. 2. Lucullus 18, 9: 290, n. 1. 29, 6 : 281 ; 290, n. 1. 32, 6 : 290, n. 1. Lycurgue 28, 13: 286; 322, n. 7. Lycurgue-Numa 1, 8-10: 277; 282 et n. 2; 286, n. 1 ; 288 ; 304 et n. 2. Lysandre 27, 7 : 279 et n. 5; 304. Lysandre-Sylla 2, 1; 5, 5 el 6 : 280. Marcellus 1, 2-3 : 290, n. 1 ; 304. 3, 6 : 279 et n. 5 ; 304. 10-11: 281 et n. 3; 290, n. 1. 20, 1-2 : 277 et n. 7 ; 285 ; 304. Nicias 11, 2: 282. Numa 6;3: 284, n. 1. 20, 4: 301. Othon 3, 1: 280. Paul-Émile : 290. 39 : 276 ; 283. Pélopidas 26, 2 et 8 : 290, n. 1. Pélopidas-Marcellus 1, 3 : 285, n. 5; 290, n. 1. 3, 2 : 290, n. 1. Périclès : 284. 1: 293. 1, 1 : 277 et n. 10. 1, 4: 283. 2, 6: 286. 7, 8 : 155, n. 1. la: 149. 30, 3 : 277 et n. 7. 34, 1 : 279 et n. 2. 36: 35. 39: 62; 283.

Philopoemen 8, 1 : 279, n. 6 ; 281 ; 304. 9, 6-7 : 299, n. 5. Philopoemen-FlamininuB : 28'7. 1, 4: 285, n. 5. 3, 4: 63.

340

INDEXDES TEXTES GRECS

Phocion

s, 1 : 277, n. 4. 10, 'l' : 49, n. 1 ; 276, n. 7; 277, n. 2. Pompée : 291-292. 1, 4 : 277, n. 11. 10, 4 : 276, n. 3. IS, 4 : 279, n. 2. 31, 'l' : 277 et n. 7 et 9. 33, : : 277 ; 281. 60, & : 279 et n. 2. 65, J : 277 et n. 8. Public,ta : 288. 6, 5 : 299, n. 4. 15: 48, n. 5. Pyrrhus 16, r : 274, n. 1. 23, a : 286, n. 3. Romulus : 287-288. Sertorius 6, 7-8; 14, 1 : 281. Solon: 288. 7,3 : 277 et n. 10; 293. 29, 3: 279. Solon-Publicola 2, 1 : 288. Sylla 30, 6 : 276, n. 3. Thémistocle : 288. Thésée 36, 4: 287. Thésée-Romulus: 287, n. 1. Timoléon : 290. Timoléon-Paul-Émile 2, 10: 290. Œuvru morales : De puer. educ.

lOc:302. 18 d : 276, n. 6 ; 279, n. 2; 295, n. 2.

De aud. poetis 27c: 276, n. 4. 36 d : 279 et n. 2; 301. 37 a : 277 et n. 13. 37 b : 299, Il. 4. De audiendo 44e: 276, n. 7. De adulatore 54e: 276, n. 4. 67 e : 277 et n. 13 ; 279 et n. 2. 69a: 276, n. 7; 285, n. l. 69 b c: 295. De profectibus ... 77 b : 279. 78 b; 80 b c : 300. 83e:299.

De capienda eœ inim. utilitate 86 C ; 277 1 n. 13. 90 e-f: 277, n. 13; 300; 302. Cons. ad. Apoll. : 294, n. 2. 120 a: 277, n. 3; 278, n. 2; 294, n. 4 ; 295. De Sanilale ... 125 C: 276, n. 7. 131 C: 301. 132 d: 276, n. 7. Conjugalia praec. 138 b c: 277, n. 11; 301. Septem sapientium ... 148 d : 279. 162 e : 277 et n. 6. Regum apopht. 1'12 b: 279, n. 3. 182a: 276. De Al. M. fortuna aut virtute 329 b: 213. 330a: 222. 332 c-d: 277 et n. 6; 278, n. 2; 301302. De Pythiae oraculis 39.5 a: 296. De virtute morali 441 a: 212, n. 2. 443 c - 444 d : 299-300. 451 e : 277 et n. 10. De cohib. ira : 296-298. 453 b: 277, n. 11. 45:; a: 302. 45'1 C : 276,

458 459 461 462 464

Il. 1. 277, n. 13 i 303. C; 277, Il. 13. d: 302. a. 463 d : 276, n. 6. d : 276, n. 7 ; 278, n. 2.

C:

De tranq. animi : 298. 468 a : 279 et n. 1. 468 c et e : 276, n. 1 et 6. 473 e: 277, n. 4. De (rat. amore : 294. 479 c-491 : 294-295. 479 C: 278. 484 ab: 277, n. l ; 279 et n. 2. 48'1 C: 277, D. 11. 489 C; 277, Il. 13.

De amore prolis : 294. An viliositas ... 499 b : 276, n. 7. De garrulilate 510c: 48, n. 5.

INDEX DES TEXTES GRECS

De curiosilate 52Z d : 296, n. 1. De cupid. divifiarum 525 C : 276, D. 4. De vitioso pudore 529 a : 296, n. 1. De se ipsum ... 543 C : 284, n. 2. De sera numinis .•• 551 C: 300. Cons. ad ua:orem : 294; 298. 608 d : 276, n. 6. 608 d - 610 a : 294. 609 e : 277 et n. 10. Quaest. conviv. 712 d : 301. 745 d; 276, n. 4. 746 e: 276, n. 4. An seni... 796 e : 277 ; 295. Pracepla gerendae r.p. 799 d : 303 et n. 4. 800 b : 299, n. 5. 810 C sqq : 301. 816 d: 301. 823 a sqq. : 277, n. 3; 300. 823 b : 276, n. 5. De comparatione Arisloph. 854 b sqq. : 211, n. 3. De Herodoti malignilale 855 b: 301. De sollerlia animalium 959 f: 278, n. 2; 301. 964 a : 277, n. 5. 972 d : 276, n. 4. 983 f; 984 c: 301 et n. 2. Quaesl. plat. 999 f: 303. Non posse ... 1098 d : 278 et n. l. Adversus Cololem 1108 b c : 301 ; 303. 1119 C : 277, n. 3.

Polybe 1, 8, 4: 239. 70, 6: 235. 72 sqq. : 240-241. 80-81 : 233, n. 2. 81, 5-9: 237; 240, n. 2. 88, 3: 241, n. 2. li, 8, 12 : 235. 48, 2 : 237. 58 : 31 et n. 2; 236. 61, 4 : 281, n. 5.

341

60, 6 : 51 et n. 2. 70: 239.

Ill,

6, 13: 237. '16, 2: 241. 98-99 : 241-242.

IV, 8, 2: 239. 26, 8 : 51 et n. 2. V, 9, 10 : 237-238; 239. 11: 31 etn. 2; 236. 66, 2 : 51 et n. 2. VI, 11 a: 239. 15, 11: 236. 56, 13 et 14 : 234, n. 6. VII, 11, 4-11: 239. 14, 2-5: 237, n. 1; 240, n. 1. 14, 3: 236.

14, 4-5: 239. VIII, 8-11: 238. IX, 10: 247. 11 : 241. 23-24: 236-237. 28-31: 238. 33, 4: 236. 33, 'I: 238. X, 5-1'1: 242, 26, 1: 240. 34-10 : 242-24335-36: 241. 38, 3 : 51 et n. 2. XI, 30 : 243, n. 2. XII, 5, 3; 17, 5: 51 et n. 2. 14, 3 : 244, n 1 XIII, 4, 8: 240. XV, 4-17 : 243-244; 251. 33: 240. XV Ill, 3: 238. 14, 14: 238. 37: 245. 44-46: 245. XXI, 4 sqq.: 245. 11-1'1: 244 et n. 3. 17: 246, n. 2; 252. XXII, 16 : 239. XXIII, 10: 240. 15, 1: 236. XXIV, 8-10: 245-246. XXV, 3, 9-10: 240. XXVII, 8, 8: 246, n. 2. XXVIII, 3, 2: 246. 1'1, 12 : 237; 246. XXIX, 20: 252. XXX, 3, 6: 237. XXXI, 24, 4: 237. XXXIII, 13, 6: 237.

342

INDEX DES TEXTES GRECS XXXVI, XXXVIII, XXXIX,

9, 6-8: 248 et n. 3. 16, 9: 248. 6, 1 : 246, 7 : 229 ; 239 ; 266, n. 2.

Poaidonbu:212; 216; 247; 249-250; 258 108 c (Jacoby) : 222.

P,tbagore D 4: 48.

Solon 1 D, 60: 16, n. 3 3 D, 37: 38. DK 10 , 10 [73 a], 19: 40; 42.

Sophocle: Aja:,;, 79 : 83. 121-126: 44; 85. 651; 680 : 83. 839 sqq. : 83. 1031: 22. 1319: 85-86. 1336 sqq. : 86. 1361; 1366 : 44.

Antigone 65 sqq. : 68-69; 84. 454: 30-31. Électre 400 : 69, n. l ; 84. Œdipe à Colone 562-569: 58. 1125-1127 : 58. 1130-1136 : 32. 1189-1194: 84. 1202-1203 : 74, n. 2. Œdipe Roi, 584 sqq. : 128, n. 4. 1414-1415: 32. Philoctète : 88. 502-505 : 85. 698 : 16, n. 3. '13'1: 18, n. 2. 1319-1320: 69. Trachiniennes 279: 79. 328 : 70, n. 2. 438-447 : 84. 443-444 : 70. 472-473: 84-85. 1133 sqq, : 83. 1265-1266: 66, n. 5; 86. fragments (Nauck) 326: 72. 618: 75, 703 : 56; 191, n. 1. 916 : 202, n. 2.

Sthénidaa: 217 ; 221. Stoïciens ( S. V.F.J III, 342-344: 213, n. 5. Strabon: 249, n. 5. Stratonde Lampsaque: 216.

Théocrit.e : 222, n.

3.

'l'héognis: 21, n. 3. 'l'h6ophraste Caractères : 199-200. S. le mariage : 205, n. 2. S. la royauté: 216. fr. 73 Wimmer (Didot) : 205, n. 1.

'l'huCJdide 1, 32, 6: 68. '16, 2 : 161 et n. 2. '15, 3-4: 149. 75, 6 : 72. 76, 4 : 58-59 ; 150. 86, 1 : 7-4. 96, 1 : 161 et n. 2. 126, 6: 27. 126, 11: 28, n. 3. 134, 2: 29. 136 sqq. : 32. Il, 37 : 97-98; 102; 103; 106; 107108; lll ; 124-125. 38-41 : 98-99. 38, 2: 160. 39, 1 : 49, n. 1 ; 99. 40, 5 : 108, n. 1. 53, 2 et 5 : 149. 59, 3 : 18 ; 42. 60, 4: 65. 67, 2-4 : 30, n. I. Ill, 4, 2 : 59; 151. 9, 2 : 59, n. I. 12, 1: 151. 3'1-40: 149-160. 37, 2: 98, n. 2. 39, 2 : 68. 46, 3: 72. 47, 2-4: 151-152. 48, 1 : 59; 151 et n. 1. 53-67 : 71, n. 3. 65: 70. 66, 5: 74. 65, 2: 70. 66, 2 : 30; 59, n. 2. 67, 2: 74. 67, 6 : 30. 81: 29. 82, 2 : 72, n. 1.

343

INDEX DES TEXTES GRECS 19, 2: 59; 148. 61, 6: 72. 86: 152. 90, 1: 28. 97, 2-4: 28. 98, 6-6: 68. 105: 152. 108, 3 ; 41; 42; 152. 114, r, : 68 ; 70. V, 86: 59; 152. 90: 59; 153. 98 : 153. 105, 4: 145. VII, 16, 2: 74. 18, 2: 30. 29, 4: 105 et n. l. 69, 2 : 98, n. 2. 73, 2: 66. 77, 4 : 18; 42. VIII, 24, 5: 66, n. l. 50: 72. 93, 2: 62. 93, 3 : 18; 42. 97: ll 1.

IV,

Simonide 37 b

=

13 D: 78-79.

Xénophon Agésilas : 13'7. 1, 21: 87. 22 : 49 et n. 6. VIII, 1: 294, n. l. XI, 10: 44; 147. Anabase 11, 6, 1-30 : 186-187. 6, 11 : 285, n. l. 6, 13 : 169, n. 2. Apologie 20: 91, n. 2. Art de la Chasse 6, 25 : 46, n. 5. Cyropédie : 141-144. 1, 2, 1 : 49 et n. 6; 138. 3, 2 : 294, n. 1. 3, 18: 138.

4, 1 : 49 et n. 6 ; 138. 6, 19-26 : 139. 11, 1, 21 : 142, n. 2. 1, 29: 139. 3, 11 : 139, n. 2. 3, 21: 139. Il I, 1, 1-41 : 90-92, 1, 22-30: 140. 1, 28 : 139, n. 1. 2, 12: 140. 3, 4: 140. IV, 2, 10 et 11: 139, n. 1. 3, 1-2 : 142, n. 2. 4, 8 : 140, n. 1. 6, 8: 140. V, 1, 9-17 : 71. 1, 19 : 139, n. 1. 3, 18-19 : 140. 4, 11 sqq. : 140. VI et VII: 242. VI, 1, 31 sqq.: 140. 1, 36 : 71. 1, 45: 145 V 11, 2, 26 : 140. 3, 8 el 11 : 140. 4, 14 : 139, n. I.

VIII:

188-139. 2, 4 : 142, n. 2. 2, 22: 140. 7, 21 : 142, n. 2.

Économique : 185-136. 15, 4: 46. 19, 1'1 : 46, n. 3. Équitation 2, 3 : 46, n. 5. Hiéron : 110, n. 4 ; 184-185. Mémorables 1, 2, 60: 46-47. 3, 8 : 71, n. 2. IV, 3: 46. 6, 12 : 135, n. 1.

[Xénophon] Cons!. Ath. 1, 10: 109.

Zénon: 216.

344

INDEX DES TEXTES GRECS

li.

AUTRES

RÉFÉRENCES

A. Inscriptions,

Les références à des inscriptions

papyrus

ou papyrus

sont toutes groupées aux pages

223-224 227-230 268-274 Seules figurent ailleurs les références suivantes : IG II', 1298: 41, n. 4. V II, 600 : 41, n. 4. 3101 : 39, n. 1. F. Delphes III, 2, 69: 175. Sylloge• 368 : 51, n. 1. 438 : 51, n. 1. 457 : 51 et n. 2. 5 3 7 : 51 et n. 2. 1094: 51. 1149: 104, n. 1. P. Cairo Zenon III, 59.428, 51, n. 3. P. Tebt. I, 31, 21: 51, n. 3.

(Les abréviations employées pour ces divers traditionnelles, qui figurent dans le Liddell-Scott.)

B. Auteurs

1. 14

documents

tardifs et auteurs

sont les abréviations

chrétiens

Les auteurs chrétiens, ainsi que les auteurs paiens postérieurs à Plutarque et Lucien sont considérés aux pages

l309-329j.Les références

qui les concernent ailleurs :dans le

livre sont :

Anthologie palatine V II, 592 : 268. 606: 269.

Anthologie planudéenne XVI,

65: 268.

Athénée 505 a : 142, n. 1. 648 d : 48.

S. Basile lettres 15 et

7 3:

34 : 142, n. 1. 98 : 50, n. 2; 184. V, 12-16; 17; 21: 189. 59 : 216, n. 3. VI, 63: 213. VII, 4 et 131: 216, n. 4. 176 : 216.

III,

Dion Cassius XLIII,

15-18: 260 et n. 4. 20 : 260, n. 4 ; 26~, n. 3.

XLIV,

6, 4: 260, n. 6. 46-46 : 260, n. 4.

273, n. 2.

Diogène Laërce I, 4, 3 : 81. 76 : 254, n. 3. 97 : 81.

LIII, 6: 262, n. 3; 263. LV, 17: 262, n. 3.

INDEX DES TEXTES GRECS

LVI,

or. 18,200; 20, 16; ao,2; 45, 1: 267. lettre 100, 1 : 273, n. 2.

6; 40 : 263 et n. 5. 39 : 264.

42 : 264, n. 5. 43 : 263, n. 7.

LVIII, LXVI,

345

Barc-Aurèle: 306-307.

2: 103. 18: 266, n. 2.

S. Paul : 294, n. I. Pausanias I, 17, 1 : 104.

Eusèbe Vie de Constantin I, 7; II, 13; IV, 54: 267.

Philostrate

S. Grégoirede Nazianze lettres 14; 43; 146; 156 : 273, n. 2.

· Bimérius: 221; 267.

Vies des sophistes Il, 17: 272, n. 4. Porphyre De Abslinentia 11-111: 213.

Stobée

or. 7, 15 : 267, n. 2.

II, 120-121 : 213-214. III, 1, 52: 104. 1, 172 : 40. IV, 7, 24: 39. 7, 25: 113. 7, 27 : 216. 7, 82-66 : 217, n. 2. VIII, 20: 50, n. 4.

lamblique Vie de Pythagore 196 sqq. : 39 el n. 2.

S. lean Chrysostome hom. 21 : 267-268.

lulien: 267. Il ( Eusébie), 18: 284, n. 2. III (Constance), 1: 81. VI ( A Thémistius), 5 : 46. lettre 89 b, 291 d : 214, n. 1.

Synésios S. la Royauté: 144; 221 ; 306.

Zonaras X/1,

Libanios

29: 267.

Zosime

Déci. 12: 206. or. 15, 39 : 104.

Il, 29: 313, n. 2.

C. Auteurs latins Un relevé complet des auteurs

contenté d'indiquer en note:

latins eùt alourdi inutilement l'index : on s'est les pages où il est question de chacun, soit dans le texte, soit

Ammien Marcellin : 267 ; 326. S. Augustin : 214. Aulu-Gelle : 142. Aurelius Victor : 267. César : 258-259. Cicéron: 143; 144; 199; 212; 213; 222; 227; 249; 253; 257; 258; 260; 291 ; 293; 300. Fronton : 306.

Histoire Auguste : 267. Octavie : 264. Ovide: 263.

Pline le jeune : 267 ; 309. Quinte-Curce : 250. Salluste : 244 ; 249 ; 258. Sénèque : 263 ; 264-286 ; 297-298; 299 ; 300. Stace : 104; 148. Suétone : 75 ; 260 ; 263 ; 264 ; 266. Tite-Live : 234; 243; 244; 247; 249; 252 ; 253 ; 255 ; 262 ; 285. Virgile: 30.

346

INDEX DES TEXTES GRECS

D. Principauz

mots grecs

Un relevé des différents mots désignant éventuellement la douceur aurait été fort long ; nous renvoyons seulement aux indications les plus importantes : 101 ; ci.v6pwrclvwi;- cbta.v6pc,moi; 87; - 202; 210 ; 255, n. 1 ; 274 ; 276 ; 325, n. 3.

KOLV6Ç - KOL\lc.>VI.X6Ç

~µi.poc; : 37; 176; 188; 229 ; 261 ; 271272; 277; 281 ; 305; 306; 312; 316; 318; 320. ~'IUOÇ : 16-19; 221; 261; 270-271; 276; 297, n. 1; 298, n. 4; 312, n. 2; 314; 315; 325.

271 ; 276 ; 306.

-214;

:

49;

101 ; 277;

277.

[J,e:LÀ()(OÇ, µe:LÀl)(LOÇ

:

19-20; 269;

270;

cptÀ6a't'opyoç: 137 ; 214, n. 1 ; 229; 254, n. 1; 272; 277; 293-294; 306; 317.

TABLE

INTRODUCTION

..••..••••••..

DES MATIÈRES

Prologue : La douceur dans Homère.... Première partie. -

I

· • - · • • · · · · · · · · • •• . • . • • . . . . . . . . . . .

À la découverte

. . . . . . . . . . .. . ... ... . . .

13

de la douceur : l'essor des mots au

ve siècle avant J.-C. I. II. III. IV. V.

Principes d'humanité dans la religion et dans le droit. . . Nouveaux mots pour la douceur : praos et philanlhrôpos. . Un mot qui s'ouvre à la douceur: épieikès............. La suggnômè et les fautes excusables...... . . . .. . .. . . . L'aptitude à pardonner• • • • • . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

25 37 53 65 77

Doctrines et problèmes, de la fin du ve siècle à Aristote . VI. La douceur d'Athènes ... • .......................... 97 VII. Les limites de l'indulgence.••.... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113 VIII. La douceur des princes ............................. . 127 IX. La politique à l'égard des cités : les dangers du manque . 145 de douceur ........................................ X. Douceur et générosité envers les cités grecques ...... . 159 XI. La douceur comme vertu aux yeux des philosophes ... . 175

Deuxième partie. -

Troisième partie. - D'Aristote à Plutarque : la douceur à l'honneur XII. Ménandre et la morale hellénistique. . . . . . . . . . . . . . . . . . 199 XIII. La monarchie à l'époque hellénistique......... . . . . . . . . 216 XIV. La clémence des conquérants romains, de Polybe à •••····••••. Diodore .............. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231

XV. Clémence et douceur dans l'empire romain ........ ·.... XVI. Plutarque et la douceur des héros......... .... ....... XVII. Plutarque et la douceur des sages. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ltPILOGUE

:

Douceur païenne et bonté chrétienne........

INDEX •..••.....•.•....

····················,·...............

.......

257 275 293 309 329

D 1 1MPRIIIIER

ACHEVÉ BN SUR

1979

JUIN LES

PRESSES DB

L 1 111PRUIERIE LIMOGES

A,

BONTEMPS

(PRANCE)

2• 26,067

Dil:PÔT LÉGAL! IMPR,

N,

TRIMESTRE ÉDIT,

N,

1979 2.101