La Belgique coupable: Une réponse à Mr professeur Waxweiler [Reprint 2019 ed.] 9783111459943, 9783111092768


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French Pages 99 [108] Year 1915

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Table of contents :
Tables des Matières
Avant-propos
I. La Neutralité
II. La Presse belge
III. Les Atrocités belges
IV. La Commission d'enquête belge
V. La garde civique et la tenue civile des soldats belges
VI. La Guerre nationale
VII. Le Gouvernement belge et ses proclamations
VIII. Le Gouvernement belge et ses proclamations
Annexes
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La Belgique coupable: Une réponse à Mr professeur Waxweiler [Reprint 2019 ed.]
 9783111459943, 9783111092768

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LA

BELGIQUE COUPABLE. UNE RÉPONSE À MR LE PROFESSEUR WAXWEILER PAR

RICHARD GRASSHOFF DOCTEUR EN DROIT ET EN PHILOSOPHIE AVOCAT X LA COUR D'APPEL

TRADUIT DE L'ALLEMAND PAR

B. DE LA MÉROTERIE

BERLIN 1915 GEORG REIMER IMPRIMEUR-ÉDITEUR

Tous droits réservés, principalement celui de traduction en langues étrangères.

Tables des Matières. Pages

Avant-Propos 1. La neutralité 2. La presse belge 3. Les atrocités belges 4. La Commission d'enquête belge 5. La garde civique et la tenue civile des soldats belges 6. La guerre nationale 7. Le Gouvernement belge et ses proclamations 8. La conduite de l'armée allemande en Belgique

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Avant-propos. La vérité est une ooqnette, dont il iant solliciter longuement les fareors.

! torrent des calomnies déversées jusqu'à présent sur l'Allemagne par ses ennemis à propos des événements militaires en Belgique, s'est abattu de deux côtés. La presse ennemie et une certaine presse neutre se sont tout d'abord mutuellement surpassées dans l'art de couvrir d'ignominie l'honneur allemand. Par une délicatesse de conscience un peu trop flatteuse peut-être pour d'aussi infâmes accusations, le Gouvernement impérial a voulu opposer son démenti à ces odieuses altérations de la vérité. Chaque assertion offrant des points de repaire saisissables ayant fait l'objet d'une enquête, nous sommes maintenant en possession de preuves qui réduisent à néant tous ces récits imaginaires d'horreurs. La matière est abondante; j'en choisis pourtant quelques échantillons, et non les plus marquants. Le Gosche Courant du 26 novembre 1914 délectait ses lecteurs de la narration d'une visite que M* Terlinden, procureur général à la Cour de Cassation de Bruxelles, sur une plainte personnelle auprès du feldmaréchal allemand et d'après l'indication de celui-ci, avait faite à un dépôt de butin, sous la conduite d'une officier. M* Terlinden, cité le 21 décembre 1914, a déclaré que jamais il n'a parlé au feldmaréchal et qu'il n'a jamais vu davantage un dépôt renfermant des G r a B h o f l , La Belgique coupable.

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caisses remplies d'objets volés. Cette déclaration, consignée dans un procès-verbal, détruit en termes catégoriques toute cette belle légende ainsi que les prétendus commentaires du procureur général. Le Journal du 2 janvier 1915 racontait qu'un général allemand, dans une ville belge, avait volé les tableaux et la collection d'antiquités du consul de Siam, Monsieur Robert Ramlo, malgré les protestations de ce dernier. Or, le sieur Théophile Gillard, domestique, depuis 11 ans au service de Monsieur Ramlo, atteste le 19 janvier 1915 que tous les tableaux et antiquités de son maître sont demeurés intacts sous sa garde. D'après le Petit Niçois (Nice) du 26 janvier 1915, un état-major allemand avait gardé sans aucun droit légitime la caution extorquée à un marchand de vins, à Gand. Le premier bourgmestre de la ville de Gand, Mr Braun, affirme sous serment, le 13 avril 1915, avoir reçu entre les mains, sans aucune réclamation de sa part, la caution que lui-même avait déposée pour M1 Huye de Crome, marchand de vins, soupçonné d'avoir fourni du vin de mauvaise qualité et nuisible à la santé. Aux yeux du premier bourgmestre, cette affaire est considérée comme réglée dans des conditions irréprochables. Le Secolo du 31 janvier 1915 élabore, sans doute pour les gens très crédules, un récit d'après lequel le commandant d'Ostende aurait exigé du bourgmestre le paiement des frais d'un dtner s'élevant à la modeste somme de 37 500 francs, sous menace de faire fusiller en cas de refus dix citoyens notables. Le bourgmestre d'Ostende, Mr Liebaert, et Mr Thoné, secrétaire municipal, cités comme témoins, ont déclaré sous la foi du serment, le 18 février 1915, que le récit en question est forgé de toutes pièces, et que jamais un commandant de la place ne leur a demandé chose semblable.

Le Nouvelliste de Lyon du 9 février 1915 tient aussi à inventer sa fable: elle consiste à accuser des soldats allemands d'avoir enfermé dans l'église de Steenhuffel (Brabant), pendant trois jours et trois nuits, après avoir emmené tous les hommes, les femmes et les filles afin d'abuser de ces malheureuses. Le curé du village, Jan Frans Somers, sa sœur Aurélie Somers, et le bourgmestre Asche, déclarent sous serment que toute cette histoire est controuvée d'un bout à l'autre. On remplirait des volumes entiers des résultats des enquêtes ainsi consciencieusement menées par les autorités allemandes. Une seconde officine de mensonges s'ouvrit avec la formation de la Commission belge d'enquête. Un chapitre de la présente brochure est spécialement consacré à l'importance qu'il convient d'attribuer en réalité à ce pur instrument de la politique, et à la véritable valeur de ses élucubrations. Mais la fantaisie, même à la recherche des plus monstrueuses horreurs, est condamnée à s'épuiser à la longue, et, chose plus triste encore pour les inventeurs d'atrocités à jet continu, les nerfs de leurs lecteurs finissent aussi par s'émousser, ce qui n'est pas sans résultat fâcheux pour la vente de leurs ouvrages. Si maintenant les récits des ignominies allemandes revêtent un caractère de plus en plus uniforme, si l'imagination s'est appauvrie au point de n'avoir pas mieux à servir que les 400 femmes »réquisitionnées « à la municipalité d'Anvers par des officiers allemands, afin d'assouvir leur passion, si l'on en est réduit à de pareilles inepties, il faut y voir l'aveu d'une décrépitude mentale dont Casanova et le marquis de Sade eux-mêmes devinrent victimes sur leurs vieux jours. On a en plus récemment l'idée d'un truc nouveau avec 1*

l'intervention des »intellectuels«. On met en avant des autorités scientifiques qui, grâce à des extraits du journal de guerre de simples prisonniers et à des coupures de journaux choisies avec un soin méthodique, sont chargés d'en tirer de leur cerveau cultivé la conclusion que les Allemands sont pires que les Huns. La France ouvrit la série avec Mr Bédier. Les lecteurs sérieux trouveront dans la brochure de Kuttner ce qu'il convient de penser de l'auteur et de la valeur de ses manuscrits. Le champion de la Belgique est Monsieur Waxweiler. Celui-ci, dans un ouvrage récemment publié, se réclamant de la parole de Gœthe, d'après laquelle il faut sans cesse répéter le vrai, tente d'appliquer cette maxime à la question de la culpabilité ou non-culpabilité de la Belgique. Le livre, d'une verbosité abondante, lutte point par point, et peut aisément séduire quiconque glisse superficiellement sur les faits. J'ai uniquement ici l'intention de rapprocher ces faits entre eux — seule méthode efficace dans le sens exprimé par Goethe. Leur éloquence est trop évidente pour que l'art de la parole humaine puisse la réduire au silence. Après avoir lu les propres aveux des Belges et les dépositions faites sous la foi du serment par nos soldats, depuis le grade le plus élevé jusqu'à l'échelon le plus bas de la hiérarchie militaire, il suffira au lecteur, non pas d'être allemand, mais d'être loyal, pour juger la question de la culpabilité ou de la non-culpabilité de la Belgique en ce qui concerne le renversement de ce royaume. Je n'ai pu utiliser qu'une faible, très faible partie des documents mis à ma disposition. Grâce aux efforts infatigables du Gouvernement allemand, nous possédons des centaines, que dis-je, des milliers de pièces à l'appui sur la méthode, véritable' défi à toutes les lois de l'humanité, adoptée en Belgique par la population pour faire la guerre contre nos

troupes. Des témoins assermentés, non-seulement soldats allemands, mais encore citoyens de pays neutres ou même ennemis, ont fourni les plus précieuses dépositions. La vérité n'est point une place forte qu'on emporte d'assaut. Monsieur Waxweiler et consorts s'étonnent du long silence, — silence qui se prolongera peut-être encore — de l'Allemagne officielle en face d'un océan d'accusations. Ces Messieurs oublient sans doute que si le monde entier stigmatise le militarisme des Allemands, il leur reproche en même temps leur profondeur et leur sérieux. Laissons maintenant parler les faits.

I. La Neutralité. La question si disputée de la violation de la neutralité belge ne joue qu'un rôle secondaire dans la recherche des responsabilités concernant le sort funeste dont la guerre a frappé la Belgique. La destruction de villages et la ruine partielle de villes, des morts nombreuses, les reproches mutuellement lancés contre la manière belge ou allemande de faire la guerre, tout cela n'a aucun rapport immédiat avec la neutralité. Si cette question revêt encore quand même aux yeux de beaucoup de personnes, parmi lesquelles M* Waxweiler, une importance absolument hors de saison, il faut l'attribuer à ces deux motifs plausibles: on croit pouvoir, par de longues dissertations sur un sujet accessoire, détourner l'attention publique des objets principaux, et par d'incessants haros sur la félonie de l'Allemagne, on espère éveiller la commisération universelle, gagner la sympathie des autres peuples dont la neutralité est garantie. En réalité, les faits, ici comme ailleurs, et uniquement les faits, accusent la Belgique et innocentent l'Allemagne. La preuve en est tellement simple que toutes les phrases et toutes les subtilités perdent leur valeur. La Belgique avait violé sa neutralité bien longtemps avant qu'un seul soldat allemand n'eût foulé du pied son territoire. Laissons de côté tous les incidents susceptibles d'une interprétation multiple, (saisie de cargaison d'un bateau allemand,, cartes très exactes, déclarées confidentielles, trouvées en

possession d'officiers anglais). Contenions-nous des deux faits suivants, d'une importance qui défie toute casuistique. 1. En 1907, le général Ducarne, chef d'état-major de l'armée belge, dans une série de conversations avec l'attaché militaire anglais à Bruxelles, le lieutenant-colonel Barnardiston, traite la question technique d'un débarquement de troupes anglaises et d'une opération commune d'une armée anglo-belge, pour le cas d'une attaque allemande sur Anvers et du passage possible de l'armée allemande par la Belgique en vue de gagner les Ardennes françaises. Le Belge élabore un plan, qu'il soumet à l'Anglais et qui reçoit l'approbation du chef de l'état-major général britannique. Le Belge adresse un rapport complet à son Ministre de la guerre. Aucune communication officielle n'est adressée à l'Allemagne. 2. Avant l'entrée obligée des troupes allemandes en Belgique le 4 août 1914, ce pays avait ouvert déjà sa frontière aux Français. En ce qui concerne le premier fait, nous ne tiendrons aucun compte des suppositions instinctives qu'il suggère immédiatement chez chaque esprit raisonnable. Nous admettons le silence officiel gardé à Londres par le Foreign Office sur l'approbation donnée par son état-major général; il découle en effet tout naturellement, d'après la Constitution anglaise, de l'incapacité théorique d'alliance résultant du système parlementaire. Nous admettons aussi que le Gouvernement belge ait fermé les deux yeux devant ces conversations. En notre qualité d'Allemand doué d'un jugement médiocre, — concession la plus haute que fasse à notre intelligence la magnanimité de Mr Waxweiler — nous poussons même la naïveté jusqu'à regarder les conversations de 1906 comme ne s'étant pas renouvelées; nous supposons que le Ministère de la guerre belge, en se transportant de Bruxelles

à Anvers, a, dans son désarroi, abandonné aux Allemands tous les documents concernant militairement et politiquement cette question. La conversation secrète ci-dessus n'en suffit pas moins à justifier pleinement le reproche de violation de neutralité. Avoir sa neutralité signifie : avoir une existence politique également sincère envers tous les garants. Personne n'a su mauvais gré à la Belgique d'augmenter son armée et de renforcer ses forteresses. C'était son droit absolu. C'eût été également son droit, devant la tension croissante d'année en année entre les grandes puissances, de solliciter de tous les garants une assurance commune plus formelle de garantie de sa neutralité, assurance stipulée dans une convention unique. Nous autres Allemands eussions même généreusement accordé au Gouvernement belge, s'il lui convenait, de s'entendre avec chaque garant au sujet de la défense commune de sa neutralité pour le cas où son territoire serait violé par l'un ou par l'autre. Mais nous nous trouvons en présence d'une tout autre situation: les militaires belges concertent les détails techniques d'opérations communes avec l'un des garantB, dans la prévision hypothétique d'un manquement de l'autre aux obligations du traité de garantie. Que devient alors le droit de réciprocité pour le cas où il plairait à l'Angleterre de débarquer des troupes pour son propre compte ? Son assurance qu'elle ne le ferait jamais avait-elle donc plus de valeur que celle également donnée par l'Allemagne, mais justement exploitée après coup contre celle-ci, et devenue le prétexte des plus durs reproches ? La félonie allemande, aujourd'hui à la mode dans la bouche des Belges, n'était point encore un mot inventé, et il est assez difficile d'imputer à l'administration militaire belge — qui fait partie après tout du Gou-

9 vernement responsable du maintien de la neutralité — une ignorance absolue de l'histoire d'Angleterre moderne. Ce n'est donc point pour la Belgique une excuse valable d'avoir cru que l'innocent Royaume insulaire — avec son Souverain d'alors, Edouard VII, patron de l'encerclement, à sa tête — était incapable d'un pareil forfait, mais que la méchante Allemagne (dont la science et la technique formaient alors, au dire de Mr Waxweiler, l'objet de la convoitise générale en ce temps de parfaite amitié) ne rêvait en revanche rien moins que la ruine de la Belgique. On devait se poser avant tout les questions suivantes: Que dira l'Allemagne? Dans des conditions assurant à l'Angleterre — à qui l'on communiquait ouvertement les effectifs belges — un pareil monopole, l'Allemagne se regardera-t-elle toujours comme liée par un traité de garantie où l'un des contractants menace de s'assurer la part du lion ? Croit-on en Allemagne à la loyauté d'Albion ? La réponse à ces questions s'imposait d'elle-même. On insinue que peut-être et vraisemblablement, les attachés militaires allemands à Bruxelles n'ont pas été sans avoir vent de la fameuse conversation, et qu'ils se contentaient de sourire, appréciation d'ailleurs exquise de la part des chefs supérieurs de l'armée belge. Puis, ajoute-t-on, le prétendu système d'espionnage organisé en Belgique par toutes les Puissances garantes, permettait à l'Allemagne comme aux autres d'en savoir aussi long qu'il était désirable. De pareils arguments s'écroulent d'eux-mêmes. Mais vouloir faire passer ces conversations' pour d'innocentes causeries, c'est supposer au jugement humain une dose un peu forte d'ingénuité. Certes les conférences sont de mise dans les cercles militaires et diplomatiques; mais les cambrioleurs confèrent, eux aussi, avant d'exécuter un bon coup. On tente d'établir ici entre le mot conversation et le mot convention une diffé-

10 rence subtile qui me remet en mémoire une audience du tribunal à laquelle j'assistai il y a quelques années. Un cambrioleur s'était introduit dans un appartement en l'absence des locataires; mais en entendant ceux-ci rentrer peu après, notre homme, sans hésiter, s'était précipité dans la salle de bains, en avait verrouillé la porte, s'était déshabillé et installé ensuite dans la baignoire hâtivement remplie d'eau, ses outils déposés à côté de lui. On avait enfoncé la porte, et l'on s'était trouvé en présence d'un innocent baigneur, qui balbutiait des excuses en prétextant les soins de sa propreté corporelle. Les juges allemands, — gens au jugement médiocre — condamnèrent ce malfaiteur, et n'en déplaise à M1 Waxweiler, des juges belges, je le crains fort, eussent agi de même en ce temps-là. Entre une conversation et une convention, il y a place souvent pour une conspiration, à moins que celle-ci ne fasse partie intégrante de l'une et de l'autre, ce qui arrive souvent. Mr Waxweiler, qui possède à fond son Gœthe, sait que nous autres Allemands, nous mentons quand nous sommes polis. Pourquoi donc alors la Gazette de l'Allemagne du Nord devait-elle s'en tenir si étroitement à la traduction littérale du mot conversation, et ne pas conclure immédiatement, d'après la phrase précédente, à une conspiration mutuelle ? Dans sa brochure, (page 113) Mr Waxweiler impute à l'Allemagne seule le criminel projet de détruire la Belgique. Il croit en trouver la preuve dans des conversations surprises lors de réceptions à la cour, dans l'enchaînement de lambeaux de notes diplomatiques, dans des annotations superficielles sur certaines impressions, et dans des articles épars de journaux. Mais il s'inquiète fort peu des contradictions surprenantes qu'on y rencontre : ici, le Chancelier allemand est dépeint comme une âme scélérate qui prémédite



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en connaissance de cause l'annexion de la Belgique; quelques pages plus loin, quand il s'agit de l'éloge de l'ambassadeur anglais à Berlin, Mr Goschen, le Chancelier et lui nous sont présentés comme deux hommes d'une parfaite loyauté, à qui le crépuscule tombant sur le monde cause un légitime effroi, et qui épanchent mutuellement leur tristesse à la pensée de la catastrophe menaçante. Nous nous en tiendrons simplement au fait de la conversation, avec le regret de n'y avoir point pris part. Car alors nos troupes eussent traversé la Belgique beaucoup plus vite, notre seule chance de salut en face de la trahison belge étant de prévenir l'Angleterre, bien plus longue à mobiliser ses forces que nous. Passons maintenant au second point, c'est-à-dire à l'entrée des Français en Belgique avant le 3 août 1914. Les preuves à cet égard sont concluantes. Nous ne les tirerons pas des comptes-rendus de journaux allemands, auxquels le lecteur allemand lui-même n'attache d'ailleurs aucune créance sérieuse, s'il faut en croire l'affirmation de Mr Waxweiler, mais nous les puiserons dans les dépositions faites sous la foi du serment. Écoutons d'abord un soldat allemand: »Avant le commencement de la guerre, j'ai séjourné en tout près de six années en Belgique comme marchand et comme ouvrier. Pendant cette période, je suis allé en France, environ 6 mois au total, mais à plusieurs reprises différentes. J'ai également été une fois un mois en Angleterre pour affaires. J'ai fait les observations ci-dessous dans la semaine qui a précédé la déclaration de guerre. 1. Le dimanche 26 juillet 1914, j'allai entendre l'office religieux à Bruxelles, distant de 5 & 6 kilomètres environ de Boitsforts, où j'habitais. Après avoir quitté l'église, je vis sur le boulevard d'Anspach trois officiers étrangers qui descendaient ensemble la rue. Il y avait, j'en suis absolument sûr, deux Français et un Anglais. Les Français, autant que je pus m'en convaincre en passant et en les voyant ensuite de dos, étaient des officiers d'artillerie. Leur uniforme consistait en une tunique et un pantalon noirs, le pantalon avec double bande

12 rouge et un passepoil bleu entre les bandes. Les képis étaient rouges avec deux galons d'or. Ces képis correspondaient au tableau XII du«. Court aperçu sur l'armée française« qu'on m'a présenté, seulement ils étaient un peu rabattus en arrière. La tunique et le pantalon étaient bien comme sur le tableau X, mais d'après moi, ils étaient noirs, et non pas bleu foncé. Je reconnus l'ofûcier anglais à sa haute casquette et aux galons sur l'avant-bras. Son uniforme était gris-vert, comme l'image du tableau 33 du »Court aperçu sur l'armée anglaise«. Quant au corps de troupe auquel l'Anglais appartenait, je n'en puis rien dire, pas plus que je ne sais de quels régiments étaient ces trois officiers. Tous les trois portaient des molletières et des éperons. Aucun doute n'est possible, car je connais les uniformes des armées en question ici. 2. Le mercredi 29 juillet, j'ai vu sur le Boulevard militaire des soldats français isolés et en groupes, qui se rendaient au dépôt d'artillerie. J'en ai compté huit en tout. Comme ils se dirigeaient vers le dépôt d'artillerie et que j'entendis les Belges autour de moi dire que c'était des artilleurs français, je supposai qu'ils appartenaient à cette arme. Ils n'avaient pas d'officiers avec eux. J'ignore le numéro de leur régiment. Ils portaient une tunique bleu foncé, des pantalons rouges, un képi rouge avec turban bleu, des guêtres, pas d'éperons ni de sabrebaïonnette, mais avaient un sac sur le dos. Après qu'on m'a mis sous les yeux le »Court aperçu«, je déclare que l'uniforme du tableau III correspondait au paragraphe 1 de ma déposition, mais non celui du tableau X au paragraphe 2. 3. Du 29 juillet au 2 août, j'ai vu chaque jour au-dessus de Boitsfort un aéroplane qui volait dans la direction d'Anvers. C'était des biplans, français, d'après mon idée. Je le crois parce qu'en 1910, j'ai vu beaucoup d'appareils français au concours d'aviation à Bruxelles, car à ce moment-là, les machines belges ne volèrent pas en général et venaient de la direction de Charleroi par dessus la forêt. Je ne puis donner d'autres indices. Mais comme je connais exactement aujourd'hui la différence entre les appareils français et les allemands, je sais pertinemment en tout cas que ce n'était pas des machines allemandes. Les aéroplanes volaient à 2000 mètres de hauteur environ.«

Voilà un témoin sous les yeux de qui l'on a eu soin de mettre les tableaux représentant les divers uniformes; luimême a pesé chacune de ses paroles: l'accusera-t-on, selon la méthode préférée, d'avoir confondu les uniformes en question? La chose semble assez difficile. Mais ce témoin est après tout un »Barbare«, et on ne le croira sans doute pas. Le témoignage de neutres aura-t-il

13 plus de poids ? Il en est deux, dont les dépositions ont été faites sous la foi du serment: s'ils désirent que leurs noms soient passés sous silence, ces noms n'en restent pas moins à chaque instant à la disposition de la diplomatie. Tous deux déclarent que d'après l'affirmation des habitants de trois localités belges de la région au nord de Lille, la mobilisation de l'armée belge a été proclamée dans les villages dès le 30 juillet 1914, et que des patrouilles françaises ont franchi la frontière le 1er août pour se réunir aux patrouilles belges. Les témoins ajoutent même à propos d'un de leurs répondants: »Les patronnes d'auberge se rappelaient exactement les dates en question; car à ce moment-là, le 2 août 1914, leurs hommes (des Français) avaient été rejoindre l'armée.« Si ces preuves ne suffisent pas encore, il en est d'autres. Ce sont les renseignements fournis par les prisonniers français appartenant aux régiments qui franchirent la frontière du Nord de la France; ces renseignements ne peuvent manquer d'embarrasser quelque peu même des gens se piquant de savoir juger les choses et habiles à infirmer les témoignages les plus véridiques. Citons quelques-uns des nombreux procèsverbaux de comparution: Julien Requet — faussement dénommé Louis Bellard — cavalier de 1èr® classe au 8ème régiment de hussards français, dépose en ces termes: »J'étais en patrouille avec deux autres hussards. Ceux-ci ont sans doute péri tous les deux, tandis que je m'en suis tiré en perdant mon cheval. Je courus alors au village le plus proche, et je changeai d'habits dans une maison. Ayant été seul fait prisonnier, je ne puis donner aucun renseignement sur le séjour de mes autres camarades.« Interrogé sur d'autres faits, le témoin a déclaré que la mobilisation de son régiment avait eu lieu le 30 juillet. Le régiment quitta sa garnison le 31 juillet et débarqua à minuit à Hirson. Puis, dans la même nuit, le régiment se rendit par étape à Laneuville-aux-Tourneurs où il séjourna deux jours. De là, il fut dirigé sur Donchery, et le 2 août sur Bouillon, après avoir franchi par conséquent la frontière

14 belge, le 2 août 1914 vers 5 heures du soir. A Bouillon, le régiment trouva les 23ème et 27ème dragons, ainsi que le 3e hussards, qui avaient dû franchir également la frontière en môme temps.«

Autre témoin ayant prêté serment: le nommé Gaston Omer Eugène Sailly, de son état coiffeur à S4 Omer, cavalier au 21ème régiment de dragons français depuis le mois de mars 1913: »De Noyon, sa garnison, le 21ème dragons fut transporté en une journée par chemin de fer à Hirson et cantonné le même jour dans les villages environnants. Le 2 ime escadron, auquel j'appartenais, était cantonné à Bossus et y séjourna quelques jours. Le soir du dernier jour, entre six et sept heures, je me trouvais à Bossus chez un coiffeur, en même marchand de tabac et débitant de boissons. Pendant que j'étais là, la sonnerie du téléphone retentit. Le coiffeur alla à l'appareil, où on lui parla. En raccrochant le récepteur, il me cria qu'on l'informait que la mobilisation venait d'être ordonnée en France. Je sais très exactement que le lendemain matin, le deuxième escadron quitta Bossus, et rallia au bout de quelque temps les autres escadrons. Le régiment se rendit en une étape à Bouillon, ville de Belgique près de laquelle la frontière franco-belge fut franchie. En même temps que la 21ime dragons, le 5e dragons français la franchissait également, ainsi qu'un ou plusieurs régiments de cuirassiers; je les ai bien vus, mais je ne connais pas leurs numéros; il y avait aussi de l'artillerie, mais j'ignore de quel régiment. Tout cela passa la frontière francobelge dans la direction de Bouillon. Cette ville fut donc atteinte le même jour où le 21ème dragons avait quitté le matin Bossus et les villages avoisinants. Le 21ime dragons traversa Bouillon, cantonna la nuit dans les environs immédiats, le 2ème escadron dans un petit village avec une église, distant de quelques kilomètres. Le lendemain matin, notre brigade, composée des 21ème et 5ème dragons, continua à marcher en Belgique dans la direction du nord. Il y avait encore d'autres régiments de cavalerie français, surtout des cuirassiers avec de l'artillerie, mais je ne saurais pas en dire davantage sur leur compte.«

Déposition de Gustave Lochard, né à Rimogne, cavalier au 284me régiment de dragons français depuis l'automne de 1913; après avoir prêté serment, le témoin déclare: »Le 31 juillet 1914, vers 10 heures du matin, les deux régiments de dragons en garnison à Sedan, le 28ime et le 30ime, entrèrent en campagne. Ils suivirent d'abord ensemble la route nationale de Mouzon, où ils arrivèrent vers midi. Dans l'après-midi, entre 2 et 2 heures et demie environ, arrivèrent à Mouzon quatre pièces du 40e d'artillerie,

15 en garnison à Mézières-Charle ville avec leurs caissons de munitions. La brigade se remit alors en marche de nouveau dans la direction de Sedan, le 28e dragons en tête, les pièces au milieu, et le 30ème dragons derrière. Nous marchions par quatre, sans mesures de sûreté en marche. Mon peloton, le 3ème du 3èra® escadron, formait la tôte de colonne, et comme j'étais au quatrième rang, je pouvais donc bien voir tout ce qui se passait en avant de la brigade. Arrivée au village de Bazeilles, sur la route de Mouzon à Sedan, la colonne tourna subitement au nord et se dirigea sur la frontière belge par le chemin de la Chapelle. La frontière belge fut franchie le 31 juillet 1914 vers 9 heures du soir ou quelques quarts d'heure plus tard, sur la route de la Chapelle & Bouillon, par les deux régiments de dragons français et par la batterie. Notre officier, le lieutenant Malespieux, marchait en tête de mon peloton. A l'endroit où la route coupe la frontière belge, un brigadier de gendarmerie belge avec quatre gendarmes à cheval, faciles à reconnaître à leurs uniformes, et qui nous attendaient déjà à cet endroit, se présentèrent à l'officier. Ces cinq gendarmes prirent alors la tête de la colonne et conduisirent celle-ci à Bouillon, ville située en territoire belge à trois kilomètres de la frontière française. Un peu avant d'arriver à Bouillon, le 306me dragons se sépara de nous pour aller cantonner en Belgique aux environs de la ville. Le 28ime dragons seul avec la batterie entrèrent donc à Bouillon le 31 juillet 1914 vers 10 heures du soir. La tête du régiment fit halte devant la mairie, et mon capitainecommandant, le capitaine Lainez, y entra. Au bout d'une heure à peu près, un employé de la mairie apporta les billets de logement pour le 28ème dragons et pour la batterie ; nous avions attendu pendant tout ce temps-là devant l'hôtel-de-ville. Je me rendis immédiatement à mon logement, une grange dans la ville, avec 30 autres dragons environ. Le 28ème dragons français et la batterie passèrent donc dans la ville belge de Bouillon la nuit du 31 juillet au 1 er août 1914, pendant que le 30ème dragons cantonnait à proximité, mais également en Belgique. La population belge, loin de nous manifester la moindre hostilité, nous fit au contraire un accueil très amical. Après l'appel, à 6 heures du matin, le lieutenant Malespieux partit en patrouille dans la direction de l'est, avec 25 dragons, dont je faisais partie. Nous alternâmes le pas et le trot en suivant la grand' route de Bouillon à Arlon, en avançant toujours vers l'est en territoire belge. De Bouillon, la patrouille passa par les villages belges de S* Cécile, Chassepierre, Florenville, Pin, S 1 Vincent, Belle Fontaine, S te Marie, pour arriver à S' Laurent, non loin d'Arlon, et à plus de quarante kilomètres de Bouillon. Nous avions donc parcouru le 1 er août

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1914 plus de quarante kilomètres vers l'est, exclusivement en territoire belge. La patrouille avec ses 25 hommes entra à S' Laurent après 9 heures du soir. Le lieutenant Malespieux se dirigeait d'après la carte, et n'envoya pas de petites patrouilles en chemin. Environ une heure plus tard, tout le 28ème dragons et la batterie arrivaient à S4 Laurent. Les hommes nous dirent qu'Us avaient suivi exactement le même chemin que notre patrouille. La batterie et le 30ème dragons avaient marché avec le 28è,ne jusqu'à une courte distance de S'Laurent; un peu avant d'arriver, le 30 ème dragons s'était séparé de la colonne pour aller cantonner dans un village belge situé à quelques kilomètres de là. Les deux régiments de dragons et la batterie ont donc pénétré le 1 er août à plus de quarante kilomètres à l'intérieur de la Belgique. Lorsque, le 1 er août, la reconnaissance d'officier dont je faisais partie avec 25 cavaliers marchait sur la route de Bouillon à Arlon, nous passâmes entre Bouillon et Florenville près de la route qui croise cette dernière route en pleine campagne. Je me rappelle qu'à 500 mètres environ plus loin que le croisement des routes, se trouvait un village que nous traversâmes à plus de 5 kilomètres avant Florenville. A main droite de la grand' route, quand nous passâmes là où les deux routes se croisent, il y avait trois régiments de cavalerie français. Les hommes nous crièrent que c'était les 3 ème et 6 ème régiments de cuirassiers et le 4 ème régiment de hussards. Quand nous les eûmes dépassés, les trois régiments se mirent en marche derrière notre patrouille, qu'ils suivirent pendant plusieurs heures. Au bout d'une dizaine de kilomètres environ, et après avoir traversé Florenville, les trois régiments, rencontrés dans la matinée du 1 er août 1914 en territoire belge au croisement des routes et qui nous avaient suivis ainsi pendant plusieurs heures, tournèrent à gauche et par conséquent s'enfoncèrent encore plus avant en Belgique. En affirmant que les deux régiments de dragons et la batterie ont franchi la frontière belge le soir du 31 juillet 1914 et sont demeurés exclusivement sur le territoire de la Belgique au moins pendant toute la semaine suivante, une erreur de ma part est impossible, et voici pourquoi : J'avais demandé et obtenu vers le 20 juillet une permission de 15 jours pour aller dans mon pays à Rimogne, et cette permission devait commencer le 1 er août 1914. Le soir du 30 juillet, il n'était nullement question de mobilisation, et j'étais persuadé que le 1 er août 1914, je pourrais partir pour 15 jours chez mes parents. Le 31 juillet 1914 au matin, je devais même passer la visite de santé obligatoire pour chaque soldat français avant d'aller en permission. Mais ce jourlà, au lieu de me présenter au médecin et de jouir de ma permission le 1 er août, je dus partir subitement en campagne. Ce sont là des détails que je n'oublierai jamais. Aussi, je le répété, toute erreur de dates de ma part est impossible.«

17 Mais nous possédons encore les précieux aveux de la presse belge elle-même au sujet de la violation de la neutralité. La Gazette de Charleroi du 30 juillet 1914 publie une dépêche de Dinant, datée du 29, annonçant d'importants mouvements de troupes françaises ce jour-là à la frontière septentrionale de Belgique ainsi que le départ de sept trains militaires spéciaux partis le 28 juillet de Charleville à destination de la frontière. Le même numéro rapporte également que depuis deux nuits, un dirigeable venu de Maubeuge croise au-dessus de la région de Mons. En faisant envahir la Belgique par ses troupes le 4 août 1914 seulement, VAllemagne usait purement et simplement du droit de légitime défense, aussi envers la Belgique. Quel motif a donc pu jeter ce pays dans les bras des autres ennemis de l'Allemagne? L'adversaire lui-même va nous l'apprendre. Ainsi qu'il arrive souvent à quiconque veut trop prouver, Mr Waxweiler a eu la malechance de laisser percer de secrètes pensées, perceptibles cependant, même pour des êtres de jugement médiocre. Dans son ardeur à vouloir peindre sous les plus tendres couleurs les relations des deux pays avant la guerre — ce qui justifie d'ailleurs le reproche de duplicité envers l'Allemagne adressé à la Belgique — sa germanophobie laisse échapper pourtant un aveu: »L'organisation, la coordination allemande, on la trouvait dans ces puissants groupements industriels qui débordaient les frontières et réunissaient périodiquement les représentants d'établissements métallurgique, de glaceries, d'usines de produits chimiques ou textiles de Belgique; d'Allemagne et d'autres pays. Depuis de nombreuses années déjà, il était permis de dire qu'un jeune savant belge n'avait guère de titre à la considération s'il n'avait pas fréquenté une université allemande. G r a l h o f f , La Belgique coupable.

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18 Dans les sciences sociales, le grand dégel dont a parlé Charles Gide, s'était produit en Belgique au souffle de la science allemande. Toutes ces choses n'étaient en aucune manière surprenantes, la Belgique devant subir la forte influence de l'Allemagne: mais elles étaient nouvelles.« Nouvelles ? Rien de plus ? L'admiration est sœur de l'envie. L'expulsion ignominieuse des Allemands hors de la Belgique, la chasse à l'espion, dont chaque Allemand sans distinction est le type accompli et qui remplit les colonnes de la presse belge du mois d'août, nous en disent plus long sur la clé de l'énigme que le discours après boire que Mr Waxweiler joint à son panégyrique de l'Allemagne ; l'Angleterre, elle aussi, nous avait donné avant la guerre de nombreux spécimens de cette éloquence des banquets. C'est pourquoi la Belgique — depuis longtemps préparée et résolue intérieurement — se rangea ouvertement parmi les ennemis de l'Allemagne aussitôt que l'incendie éclata qui allait dévorer le monde. Laissons à l'histoire le soin de porter son jugement sur cette guerre, qu'aucun des adversaires de l'Allemagne ne voulait, mais que chacun d'eux souhaitait ardemment en secret, en abandonnant de préférence au voisin la mission d'écraser le concurrent incommode, jusqu'au jour où tous se retrouvèrent avec effroi dans un entraînement commun au milieu du tonnerre de l'artillerie. Mais la question de la neutralité n'est qu'un prologue; »Belgique« est un drame en plusieurs actes, qui vont maintenant se jouer devant nous.

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II. La Presse belge. Le mois d'août voit fonctionner pour la première fois le système des francs-tireurs, marionnettes dont la presse belge manie les fils sous l'œil paternel du Gouvernement. Qu'on prenne seulement la peine de lire les journaux de cette époque, et l'on ne tardera pas à se convaincre de l'effroyable responsabilité encourue par les publicistes de la Belgique. Les rugissements du lion de Flandre se mêlent dans chaque numéro aux accents de la Brabançonne; les auteurs d'articles de fond puisent dans leurs souvenirs classiques de la quatrième pour rappeler que César — de bello gallico — proclame les Belges les plus braves parmi tous les Gaulois. En tant que ces patriotiques élans avaient pour but de stimuler l'enthousiasme de l'armée et d'assurer à celle-ci la confiance de la population, on ne saurait en toute justice y trouver matière à une incitation quelconque. Il est seulement permis de s'étonner de la monotonie désespérante des élucubrations servies journellement aux lecteurs de ces feuilles avares d'arguments nouveaux. Mais, à côté de ces articles schématiques, il est publiéenmêmetempsunesérienombreuse de compte-rendus élogieux sur les agressions perfides de la population contre les troupes allemandes, dépeintes aux bourgeois et aux paysans crédules comme une horde lâche et méprisable de Barbares. Les documents à cet égard sont si abondants, qu'aucun doute, qu'aucune hésitation, ne sauraient subsister ici concernant l'apparition d'un symptôme typique. Monsieur Waxweiler ne veut avoir connaissance que d'un seul article — la relation fameuse de l'aiTaire des francs-tireurs d'Herstal —; encore l'attribue-t-il modestement à un journaliste hollandais. Pourquoi défigurer ainsi la vérité ? Mr Waxweiler, qui connaît si bien le talent d'organisation de 2»

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l'Allemand, croit-il donc vraiment que nous n'avons jamais lu les journaux belges? Nous en avons lu des centaines, des milliers 1 N'est-ce pas plutôt bénévolement que Mr Waxweiler cache à ses lecteurs le ravissement de la presse belge, avide d'apprendre par le Telegraph les détails de 1'»héroïque« résistance de la population, les coups de fusil tirés, l'huile bouillante versée par des femmes et par des enfants? M1 Waxweiler désire-t-il des noms? Nous lui citerons le Burgerwelzijn (Bruges) du 14 août, le Matin (Anvers) du 13 août, le Pays wallon du 13 août, et les troia feuilles de Charleroi (Gazette, Journal et le Rappel), toutes les trois du 13 août. Il est absolument indifférent ici pour notre enquête si le tableau est exagéré ou non, nous ne voulons pas nous en occuper à cette place, mais nous nous contenterons de citer la déposition d'un témoin ayant prêté serment, le sergentmajor August Zieten. Ceci en vue de ne pas éveiller l'opinion d'un manque de concordance entre le jugement du journaliste hollandais et les expériences des soldats allemands avec les habitants d'Herstal: »Nous traversâmes entre 7 ou 8 heures du matin le village d'Herstal, plusieurs hommes en habits civils tirèrent sur nous du toit et des. fenêtres du clocher avec des pistolets et des fusils. Tiraient-ils à balle ou à plomb, avec des fusils de chasse ou de guerre, je n'en sais rien, car de ma compagnie, personne ne fut atteint. Nous opérâmes une perquisition dans une maison près de l'église pour rechercher les armes; dans la chambre du rez-de-chaussée à gauche, nous ne trouvâmes d'abord qu'un vieillard, qui nous fit dire en flamand par interprète qu'il n'y avait personne autre dans la maison. Mais dans la cave, nous découvrîmes encore un jeune homme, puis deux femmes, une jeune et une vieille, blottis dans un coin; à notre vue, ils levèrent les mains, en l'air. Il y avait en outre deux ou trois enfants d'environ 5 à 10 ans. Sur le sol de la cave, nous ramassâmes une quantité de revolvers incomplets, auxquels il manquait la crosse; nous en remplîmes quatre à cinq corbeilles à pommes de terre.«

Mais la fantaisie imaginative des journalistes belges n'est

21 nullement à court de productions spontanées; il y a même pléthore. Qu'on en juge: Gazette de Charleroi du 11 août: »L'esprit des temps de la Révolution s'est réveillé dans nos campagnes. Un souffle d'héroïsme a passé sur les âmes. Sur les routes, on rencontre des jeunes gens et des hommes adultes, les uns armés de vieux fusils, les autres d'armes de chasse, beaucoup avec des révolvers. « Het Handelsblad, d'Anvers, 6 août: »Lutte furieuse et sans merci qui suscita chez une partie de la population civile du bas pays, troublée dans son travail pacifique des champs, une véritable rage à défendre le sol natal contre les traîtres prussiens . . . . . Des soupiraux des caves, des lucarnes pratiquées dans les toits en enlevant les tuiles, des fermes et des cabanes, un feu terrible est dirigé sur les ulans et les Schleswigeois assaillants.« Un correspondant âu Journal de Charleroi du 10 août raconte: »En revenant de Bruxelles par Waterloo, j'ai trouvé toute la population en armes, les uns portant des fusils de tous modèles, les autres des pistolets, des révolvers ou simplement des bâtons et des fourches. Les femmes mêmes étaient armées.« De Nieuwe Gazet du 8 août, avec le titre: »Les citoyens tirent aussi sur les envahisseurs«: »A Bernot, les avant-postes ont eu à combattre contre les citoyens, qui tiraient comme des enragés sur les assaillants, des maisons, des toits et des fenêtres. Des femmes ont même pris part à la lutte. Une jeune fille de dix-huit ans tira avec un révolver sur un officier Les paysans et les habitants entretinrent une fusillade en règle contre les Allemands.« Journal de Charleroi du 8 août: »La résistance contre l'ennemi parmi la population de nos campagnes témoigne d'un sentiment patriotique. L'indignation soulevée dans tous les cœurs en présence de l'invasion du territoire belge a saisi la population de notre région actuellement réunie avec nos troupes pour veiller à la défense du pays. Nos paysans sont résolus aux plus grands sacrifices.«

Ces citations, nous insistons sur ce point, ne sont que quelques exemples tirés d'une volumineuse collection. Les appels généraux de tous les citoyens aux armes durent jusqu'en octobre 1914. Tel un article de la Métropole d'Anvers, 7 octobre 1914: »Aux Armes!« — »Que chaque homme valide saisisse un fusil!« — »Pas de service aux Barbares!« »Sus à l'ennemi!«

22 Mais les héros de derrière la haie ne détiennent pas le monopole exclusif des hymnes élogieux; il en reste aussi pour la garde civique non active, dont la participation aux combats, ouvertement avouée, fournit un sujet non moins favori de glorification.

On l'assaisonne de commentaires injurieux à

l'adresse des troupes allemandes.

En voici quelques spéci-

mens qui permettront au lecteur de juger du degré de raffinement apporté dans l'art de tromper la population: Het Vlaamsche Heelal du 29 août 1914: »Les Prussiens ne peuvent triompher que par la supériorité du nombre. Comme combattants, ce sont des lâches. Les ulans s'enfuient dès qu'ils rencontrent de la résistance.« Journal de Charleroi du 10 août 1914: »On annonce partout des ulans. Mourant de faim, ils se rendent à la première sommation d'un garde-chasse, d'un garde-champêtre ou même d'un paysan.« Le Pays Wallon du 18 août 1914: »Quatre blessés belges ont sauté de leurs lits et chassé les ulans de Jodoigne.« Le Patriote du 14 août met les paroles suivantes dans la bouche d'un officier belge: »Montrez aux soldats du Kaiser un pain et une cafetière, et ils se rendront.« La faim qui torture les lâches soldats allemands est un thème exploité de préférence, sans doute afin de mieux voiler les plaintes des soldats belges, qui eux, ont déjà à souffrir du manque de subsistances immédiatement après la mobilisation, dans leur propre pays, et loin de l'ennemi I Voici la lettre que le soldat Joseph Bosmans, du 2 ème régiment de grenadiers, 6 e division, écrit à ses parents: »Chers parents, j'ai déjà pas mal souffert de la faim, car là où nous sommes, on ne trouve rien. Nous restons ici en plein champ et dans la forêt, alors vous pouvez bien penser que la faim et la soif m'ont tourmenté tout le temps. J'ai dû manger des navets qui poussaient dans un champ, et sans quelques pommes et quelques poires que j'ai pu me procurer, je serais mort de faim. Avec les navets pour toute nourriture, nous sommes arrivés le soir entre 11 heures et minuit à notre place, où nous nous sommes allongés pour dormir. Vous vous

23 effrayerez, chers parents, si je vous raconte qu'à 2 heures du matin, on nous fit déjà partir, et que nous marchâmes jusqu'au soir très tard, tout cela avec un peu de pain sec dans le ventre, rien de plus. Nous n'avons encore pas vu beaucoup de la guerre; une seule fois jusqu'à présent nous avons tiré, et encore sur un aéroplane allemand.«

A cette excitation systématique de la population par la presse, il fallait un complément nécessaire. Nous le trouvons dans les récits des cruautés allemandes, dont la Commission gouvernementale d'enquête donna le signal, en étouffant l'écho timide des quelques voix favorables à la conduite des troupes allemandes. Des images où la bassesse morale le dispute à l'indigence artistique, qui furent saisies à Anvers par l'autorité allemande dans les bureaux de la Société d'éditions Patria et à la maison d'éditions De Vlaamsche Volksuitgaven (18 000 feuilles coloriées et 3000 en noir rien qu'à la Société Patria) couronnent cette débauche satanique organisée par la presse et qui ne pouvait absolument pas manquer son effet sur la population. Et le Gouvernement belge? demandera-t-on. Il fit publier, à côté des articles séditieux, de savantes explications sur les formes légalement autorisées de la guerre nationale; quant aux récits de cruautés munis de Vestampille officielle, sa Commission se chargea d'en entretenir la presse.

III. Les Atrocités belges. Qui sème le vent, récolte la tempête. La guerre nationale n'est pas le seul fruit de cette criminelle semence. Aussi les monstruosités commises par une population en délire contre des soldats égarés ou blessés, ne peuvent s'expliquer sans un appel aux plus abominables passions. Le peuple allemand a une trop haute opinion du peuple belge pour lui imputer les crimes de bêtes humaines systématiquement excitées par des

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meneurs se qualifiant d'intellectuels. Sur ces derniers seuls retombe une honte indélébile. La rage du bas peuple échauffée jusqu'à la folie devait nécessairement enfanter d'effroyables excès. Cette triste vérité s'est confirmée malheureusement. Prouvez-le! — Il nous est impossible en effet de satisfaire les personnes avides de sensations en leur exhibant un cabinet des horreurs; l'armée allemande avait négligé de se pourvoir dans cette campagne des bocaux destinés à conserver dans l'esprit-de-vin les membres coupés pour les envoyer au musée de la guerre. On ne transporte pas les morts à Vambulance. Mais si jamais l'Allemagne doit recommencer un jour une guerre contre les peuples soi-disant civilisés de l'Europe occidentale, son organisation militaire n'oubliera pas cette fois de penser à tout le matériel que nécessite une lutte contre de pareils adversaires. La terre recouvre les ossements des victimes de ces lâches assassinats. Mais terrible s'élève l'accusation de ceux qui, de leurs yeux bien ouverts, durent assister à l'agonie des victimes entre les mains sauvages de leurs bourreaux I Les dépositions de témoins ayant prêté serment sont si nombreuses, que nous nous bornerons à celles qu'on va lire; elles ont été choisies absolument au hasard au milieu de la masse. Ont comparu: Le soldat Koch, réserviste au régiment d'infanterie no. 25. »J'ai fait partie jusqu'au 16 août dernier de la l è r e compagnie du bataillon de dépôt du régiment d'infanterie n° 25. Nous fûmes commandés pour escorter et protéger des autos du service de santé. Ces autos du service de santé appartenaient à la Société des ambulanciers volontaires et circulaient entre Liège et Aix-la-Chapelle. Un certain jour, entre le 10 et le 16 août, je fus désigné pour escorter un de ces autos. Nous allâmes sur le champ de bataille aux environs de Visé. Les hommes de la Société des ambulanciers volontaires étaient

25 dispersés devant nous et nous suivions lentement. D'une hauteur, je pouvais bien embrasser du regard tout le champ de bataille en face de moi. A 500 mètres de distance environ, j'aperçus deux femmes penchées sur un soldat allemand blessé. Ma première idée fut que ces femmes priaient auprès du soldat. Trois ou quatre hommes se tenaient à côté, et l'un d'eux tira tout à coup sur moi. Je ripostai par un coup de feu, sur quoi les hommes et les deux femmes prirent la fuite. Je courus au soldat; il avait à la poitrine une blessure d'où le sang coulait. Son pantalon avait été ouvert par devant et rabattu en partie. En m'approchant, je constatai qu'il avait le membre viril coupé à la racine et qu'on le lui avait enfoncé dans la bouche. Il ne donnait plus signe de vie, mais le corps était encore chaud. Cet épouvantable spectacle m'émut à tel point que les larmes jaillirent de mes yeux. J'arrachai le membre de la bouche et l'enterrai. Quant à l'homme, je le laissai, car il était bien mort.«

Le témoin est catholique, détail nécessaire à mentionner, non pour faire ressortir la véracité de sa déposition, mais afin de détruire une légende insensée, mise en circulation par nos ennemis, d'après laquelle la Prusse protestante veut préparer la ruine de la Belgique catholique et lui attribue toutes sortes de vilains actes. Déposition du réserviste Baumann, habituellement domicilié à Leipzig-Gohlis, äussere Halleschestraße 96, au premier étage, porte à droite: »J'appartiens à la 4e Compagnie du régiment d'infanterie no. 106. Nous débarquâmes à Prüm dans l'Eifel et nous dirigeâmes par étapes sur Fosse en passant par Lichtenborn, Bourcy, Ourthe, Dinant, Onhay. Dans les derniers jours du mois d'août 1914, vers le 26 environ, j'étais en patrouille sous la conduite du lieutenant Schmitt avec un autre soldat de ma compagnie, jeune recrue dont j'ignore le nom. Dans un petit village d'une quinzaine de maisons, distant d'un quart d'heure à peu près de Fosse, derrière la troisième maison à gauche de la route venant de ce dernier endroit, le lieutenant Schmitt découvrit un soldat pendu la tête en bas. Le lieutenant Schmitt nous appela, mon jeune camarade et moi. Le soldat était pendu la tête en bas à un vieux saule, épais de 30 cm et haut de 15 m environ, près d'une fosse à fumier. Le lieutenant Schmitt examina le cadavre et constata que c'était celui d'un hussard du régiment n° 10. Il était suspendu à une branche par les pieds avec une courroie de lance; il avait encore ses bottes et des parties d'uniforme sur lui. La coiffure manquait, et nos recherches pour la retrouver dans les alentours demeurèrent infructueuses. La

26 lance était piquée en terre à gauche du saule. Le hussard avait le nez et les deux oreilles coupés ras. Le lieutenant Schmitt nous fit dépendre le corps et chercha à le reconnaître; mais il ne trouva sur lui ni papiers ni plaque d'identité. Le cadavre portait une plaie allant de l'oreille droite au côté gauche du cou, et semblant provenir d'un coup de lance; je n'ai observé aucune blessure d'arme à feu.«

Déposition du réserviste Ernst Baldeweg, habituellement domicilié à Berlin, Rathenowerstrasse, 37: »Le dimanche 9 août ou le lundi 10 août 1914, dans une localité dépendant de Herve en Belgique, j'ai vu un hussard allemand attaché par les mains et par les pieds à un arbre. Deux longs clous enfoncés dans les deux yeux fixaient sa tête à l'arbre. Il était mort.«

Déposition du soldat de landwehr Alwin Chaton, teneur de livres à Emmerstedt, près Helmstedt: »Pendant le combat de rues à Charleroi, alors que nous traversions la rue principale pour atteindre une rue latérale y aboutissant, je vis, en atteignant le coin de la rue et en pénétrant dans la rue latérale, à 50 ou 60 mètres de moi, un dragon allemand gisant à terre. Trois civils se trouvaient auprès de lui, et l'un d'eux s'était penché pour maintenir les jambes du soldat allemand, qui se débattaient encore. Je fis feu sur ce groupe et atteignit le dernier des trois civils, pendant que les autres prenaient la fuite. En m'approchant, je m'aperçus que le civil, que j'avais tué, tenait dans la main un long couteau ensanglanté. Le dragon allemand avait les deux yeux crevés, et l'oeil gauche pendait encore sur le côté de la tête. La nature de cette blessure laissait reconnaître en toute assurance que les yeux n'avaient pas été percés dans le combat, mais bien crevés volontairement. Une forte odeur de roussi se dégageait du cadavre. Il avait été sans doute arrosé avec un liquide combustible auquel on avait mis le feu. J'ai vu plus tard encore d'autres cadavres qui brûlaient, sans qu'il y eût aucun feu dans le voisinage; ils avaient dû par conséquent être allumés.«

Déposition du réserviste Arthur Schôneborn, habituellement domicilié à Hamm, Mittelstrasse, 25: »Lors de la retraite de Liège sur Verviers, près de Herve, la compagnie dut creuser des tranchées-abris; avec huit hommes environ, sous mon commandement, je reçus l'ordre de protéger les travaux contre des surprises de l'ennemi, à 5 ou 600 mètres en avant de la compagnie. A un certain moment, mes camarades me dirent qu'en haut du pigeonnier d'une maison, des mains se montraient et semblaient faire des appels. Je me rendis avec 4 hommes dans la maison et y trouvai au grenier deux civils que je fis arrêter et conduire à la compagnie. Les femmes de ces individus vinrent à moi pour me supplier d'empêcher qu'on

27 fusillât leurs hommes, car ils n'avaient rien fait. En reconduisant ces femmes, j'aperçus dans un fossé de la route deux bottes de cavalier dans lesquelles se trouvaient encore les jambes coupées. Comme les sections étaient parfaitement unies, il me sembla impossible d'y voir l'effet d'un projectile, soit d'infanterie, soit d'artillerie. J'interrogeai les femmes, qui parlaient flamand; elles me répondirent que plusieurs cruautés avaient été commises par des gens qui habitaient des maisons situées à 700 mètres de là à peu près.« Qu'en semble de cette lecture à Mr Waxweiler, dont le nom sent d'une lieue son terroir germano-rhénan ? Pour nous, elle nous a mis plus d'une fois les larmes aux yeux en pensant aux mères allemandes qui ont enfanté les victimes de ces atrocités monstrueuses. Et nos poings se sont convulsivement serrés, non pas contre les pauvres êtres qu'une fureur aveugle a poussés à ces crimes, mais contre les misérables qui, à l'abri dans leur cabinet de rédaction, ont fait entendre les rugissements du lion de Flandre,

sur le papier I

Nous ne sommes point hostiles d'ailleurs à des tableaux moins sombres.

Nous nous plaisons à reconnaître — pour

l'honneur de l'humanité — que la haine des étrangleurs belges n'a pas entièrement éteint tout amour du prochain en Belgique.

Citons à l'appui la déposition du dragon Wilhelm

Kritzel, du régiment n°. 17; le témoin, après avoir prêté le serment, a déclaré: »Le 5 août 1914, entre 6 et 7 heures du soir, deux reconnaissances d'officier du régiment de dragons n° 17, d'un effectif d'une cinquantaine d'hommes en tout, traversèrent un champ de blé en se rendant au terrain de manœuvres de Neer Hailissen, près de Tirlemont. Je faisais partie d'une de ces patrouilles. Nous nous disposions à mettre pied à terre dans le champ de blé pour faire la soupe, lorsque des individus (civils), occupés à lier des gerbes, nous aperçurent pendant que nous étions encore à cheval. Immédiatement des coups de feu partirent des gerbes contre nous. Nous nous éloignâmes alors de toute la vitesse de nos chevaux, mais le mien, épuisé de fatigue, s'abattit. Au moment où j'essayais de me relever pour remonter à cheval, je reçus un coup de feu à la poitrine. J'eus encore le temps de voir plusieurs chevaux sans cavalier qui gisaient à terre. Dans ma chute, j'étais tombé la face en avant et je

28 perdis connaissance. Un peu plus tard, me trouvant dans la demiconscience de ce qui se passait, je vis les gens autour de moi; ils me prirent toutes mes affaires, mon casque, ma cravate, mon ceinturon et ma bourse, suspendue à mon cou et contenant 15 à 16 marks, puis ils se retirèrent. Je m'évanouis de nouveau, et ne repris connaissance que le lendemain matin. J'étais seul; je portais une plaie à la gorge et une autre au-dessus de l'artère de la main gauche; un tendon avait été coupé. Ces blessures devaient provenir des individus qui m'avaient dévalisé. Je me cachai dans un fossé où je suis resté du 5 au 14 août, vivant de betteraves et de pommes de terre crues. Le 14 août, ne pouvant plus résister à la soif qui me torturait, je me rendis dans le village et me tirai de l'eau à un puits. Un vieillard me donna du café à boire et un morceau de pain. Craignant d'ôtre fait prisonnier, je m'éloignai du village et je gagnai un petit bois. Mais la faim et la soif m'accablèrent et me firent revenir au village. Dans la première maison, on me donna un peu à manger, puis le maître du logis me conduisit au médecin, chez qui était soigné un autre dragon de notre patrouille, également blessé le 5 août. Je fus très bien traité et nourri jusqu'au 24 août. Nos troupes étant arrivées alors, je fus transporté le 25 août à l'ambulance de Tirlemont.«

IV. La Commission d'enquête belge. Le 4 août 1914, l'armée allemande entre en Belgique. C'est l'armée d'une nation à laquelle on s'était accordé jusque là de tous les points du globe à décerner la palme de la civilisation.

Le monde entier frémit à la lecture des combats

livrés autour de Liège et près de Metz. Le 7 août, M1 Carton de Wiart, Ministre belge de la justice, constitue une Commission d'enquête, dont les journaux du matin annoncent la formation le 8 août: M. Carton de Wiart, ministre de la justice, vient de constituer un Comité des griefs de la Belgique au point de vue du droit des gens. Il siégera au ministère de la justice. Ce comité, dont M. Carton de Wiart a pris la présidence, est composé de MM. Van Iseghem, président à la cour de cassation; Nys et Verhaegen, conseillers à la cour d'appel; Cattier et Wodon, professeurs à l'Université de Bruxelles. Ce comité est chargé de recueillir les faits et renseignements

29 relatifs aux violations du droit des gens qui seraient commises sur notre territoire ou vis-à-vis de nos nationaux pendant la durée du temps de guerre. Il se réserve le droit de porter ces faits à la connaissance de l'opinion publique par la voie de la presse ou par tout autre moyen. II tiendra procès-verbal de ses travaux afin de pouvoir s'en servir en temps et lieu dans l'intérêt de l'Etat. Le public est invité à faire connaître immédiatement au ministère de la justice tous les faits de violation du droit des gens commis par les Allemands.

Comme Pallas-Athéna, sortie tout armée du cerveau de Jupiter, la Commission naissait du cerveau — d'un politicien. L'invitation à rapporter des cruautés allemandes précédait la possibilité matérielle de leur exécution. Répondre à cet appel, c'était donc faire œuvre de patriote ! Le résultat ne se fit pas attendre. De toutes parts, les sombres récits affluèrent vers le grand bassin collecteur de la Commission; celle-ci, prompte à les admettre sans examen, en inonda par le canal de la presse, des brochures, des procèsverbaux, les champs fertiles de l'opinion publique, où devait lever la semence d'horreur. Les procès-verbaux, envoyés de Londres, prirent leur vol à travers le monde, par centaines de milliers d'exemplaires traduits dans toutes les langues et vendus à bas prix — 20 Centesimi en Italie, 20 Ore dans les Pays scandinaves —. La Commission lança ses agents dans toutes les directions. La Belgique porta ses plaintes contre l'Allemagne jusqu'aux pieds du trône américain. Nous nous permettrons ici une supposition — la seule d'ailleurs qu'on trouvera dans ce livre. Le grand philosophe Descartes a dit que la saine raison est ce qu'il y a de mieux réparti dans le monde, car chacun pense en être si bien pourvu, que même les personnes difficiles à contenter sur toutes les autres choses ne désirent habituellement pas plus de raison qu'elles n'en possèdent. Les hommes diffèrent entre eux seulement par l'usage qu'ils font de ce don divin. Nous

30 voulons en ce moment faire usage de la nôtre, avec le ferme espoir de nous trouver dans la bonne et nombreuse compagnie de gens obligés d'user et usant de leur raison dans des conditions analogues, puisque nous ne connaissons pas malheureusement les conversations, qui ont précédé et suivi la formation de la Commission. Notre raisonnement est le suivant: L'Angleterre se fie militairement à la Belgique. Mais comme elle est maîtresse des câbles, il entre dans ses moyens de combat de les utiliser surtout pour inonder la surface du globe de relations de toutes sortes, ignominieuses pour l'Allemagne, entachant son honneur. Un vaste et merveilleux champ d'action s'ouvrait ici au politicien. Il est même superflu de se donner la peine de supposer la guerre nationale ou du moins la participation de toute la garde civique comme prévues dans le plan d'opérations du général Ducarne. Les horreurs de la guerre à elles seules, combinées avec les récits probables des fugitifs, devaient suffire pour »cuisiner« la réputation de l'armée allemande en lui imputant toutes les fautes aux yeux du monde entier. L'Angleterre est le repaire central de propagande des résultats de la Commission, propagande devenue un instrument de la politique de guerre britannique. Mais passons. Laissons à la Belgique l'honneur peu enviable d'avoir imaginé l'exploitation de cet instrument dans le pays et à l'étranger: dans ce cas, la responsabilité du Gouvernement belge n'en apparaît que plus flagrante. Et cette responsabilité est effroyable. Déjà la seule existence de la Commission et ses publications dès le commencement de la campagne devaient épouvanter, sur la manière dont les Allemands faisaient la guerre, une population qui, ne l'oublions pas surtout, compte 13 % d'illettrés parmi les habitants audessus de 8 ans. La Commission travaille vite. Elle surpasse de beaucoup

31 par la promptitude toutes les Commissions d'enquête instituées beaucoup plus tard par les autres puissances belligérantes; quant à sa véracité, c'est différent. Plus les procèsverbaux hâtivement dressés se pressent sous nos yeux, plus la comparaison s'impose avec les enfants à la recherche des œufs cachés le jour de Pâques. Aussitôt que la Commission a découvert un œuf, elle le montre triomphalement à John Bull, le grand frère, et à l'oncle Sam. Si dans cette recherche précipitée* on trouve seulement des œufs pourris, qu'importe I Ne sont-ils pas assez bons encore pour être lancés contre un ennemi détesté et pour l'empester de leur mauvaise odeur? On peut répartir les produits de la Commission en deux groupes: relations générales

des méfaits des Allemands

(destructions de villes, proclamations sanguinaires, enlèvement d'otages, emploi de balles Dum-Dum), et cas d'atrocités isolés.

Ces derniers sont relativement peu nombreux; on a

préféré laisser à dca particuliers le soin de développer les procès-verbaux recueillis d'après des racontars.

Sous ce

rapport, Monsieur Pierre Nothomb s'est particulièrement distingué dans son ouvrage: »La Belgique martyre«, reproduit sans honte par la »Revue des deux Mondes« dans sa livraison de Janvier 1915. Le Gouvernement allemand a vérifié ces faits, en tant que des données effectives permettaient de les constater: la constatation a fourni les mêmes résultats que pour les atrocités racontées dans la presse. La plupart du temps, il s'agit d'une pure invention; plus rarement, d'une dénaturation de faits sans importance ou découlant de la nature même de la guerre.

Examinons quelques exemples pris absolument au

hasard parmi un grand nombre: 1. D'abord un clou sensational, que Mr Carton de Wiart se fait raconter et qu'il s'empresse de répandre lui-même

32 immédiatement dans la presse : l'épouvantable récit du charretier David Jordens, de Sempst. David Jordens, dans sa maison envahie par 30 à 35 soldats allemands, et ligotté par ceux-ci, dut assister d'abord au viol, dans un coin de la même chambre, de sa petite fille âgée de 13 ans, par 5 ou 6 des Barbares, après quoi la malheureuse enfant fut embrochée sur une baïonnette; ce crime atroce fut suivi du massacre du fils de David Jordens, tué à coups de baïonnette, et de la femme Jordens, fusillée. David Jordens termine son récit en célébrant la gloire des soldats belges, accourus du moins à temps pour arracher le chef de cette infortunée famille aux baïonnettes menaçantes, et les autres petites filles de Sempst au sort affreux qui certainement leur était réservé. Voilà certes un beau sujet de complainte pour les chanteurs forainsI Mais le 4 avril 1915, comparaissent le Secrétaire de la mairie de Sempt, M. Paul van Boeckhourt, le bourgmestre, M. Pierre van Asbroek et le fils de ce dernier, Louis van Asbroek, lesquels, après avoir prêté le serment prescrit, déclarent unaniment de pas connaître le nommé David Jordens, charretier, qu'aucun individu de ce nom n'a habité à Sempt avant la guerre, que le nom de Jordens leur est d'ailleurs complètement inconnu, que pendant la guerre, pas une seule femme ni un seul enfant au-dessous de 14 ans n'ont été tués; les témoins ajoutent qu'un pareil fait n'aurait certainement pu se passer sans qu'ils en apprissent quelque chose. 2. Emprunté à Monsieur Nothomb: A Ternath, les Allemands auraient demandé à un petit garçon la route de Gand, et l'enfant n'ayant pas compris la question, ils lui avaient coupé les deux mains. — Le docteur Poodt, bourgmestre de Ternath, prête serment le 11 février 1915 et dépose en ces termes: »Je déclare qu'il n'y a pas un mot de vrai dans tout

33 ceci; je n'ai pas quitté Ternath depuis le commencement de la guerre. Il est impossible que chose pareille soit arrivée sans parvenir à ma connaissance. Ce récit est inventé. « Le témoin termine sa déposition par cette réflexion caractéristique: »J'en tombe des nues!« 3. A Beyghem, des soldats déjà d'un certain âge, conduits par le lieutenant Kurner avaient, prétendait-on, entraîné une jeune fille au presbytère et là, avaient abusé d'elles. Mademoiselle Joséphine de Coninck, en visite alors dans la maison du curé Heremans, à Beyghem, fut citée à comparaître et à déposer sur cette accusation, le 19 février 1915. Le témoin, en présence du curé Heremans et de sa sœur, invités tous deux à prêter également le serment prescrit, déclare: »J'étais dans la cuisine du presbytère et je causais avec la sœur du curé, quand survint un soldat allemand — l'ordonnance du lieutenant Kurner —. 11 passa son bras autour de mes épaules et me demanda si je voulais me fiancer avec lui. Je lui répondis »Après la guerre«. Je n'ai pas eu l'idée de voir un acte de violence dans cet incident, et je n'ai jamais eu à subir autrement aucun tort de la part de soldats allemands. « La vérification des divers récits d'actes infâmes a donné les mêmes résultats. Veut-on maintenant un témoignage au sujet de l'emploi de balles Dum-Dum, reproché aux Allemands ? Voici une attestation du médecin attaché au service municipal de la ville d'Anvers, le docteur Paul Dietz, en date du 23 décembre 1914: Dr. Paul Dietz, Médecin, Anvers. Attestation médicale. Le soussigné, docteur en médecine, en chirurgie et en art d'accouchement, ci-devant médecin de la Croix rouge belge à l'ambulance de G r t f l h o i f , La Belgique ooupable.

3

34 la Rue du Cajneinc où il a soigné des soldats belges blessés, certifie par la présente attestation qu'en aucun cas il n'a eu à constater de blessure occasionnée par des balles Dum-Dum. Signé: Paul Dietz Médecin du service sanitaire de la police des mœurs. Aux terrifiantes relations d'hystériques affolés par la peur au sujet de Liège, d'Andenne, d'Aerschot et de Dinant, il suffira d'opposer les témoignages suivants, donnés sous le sceau du serment par des hommes que les incidents de la guerre ne doivent pas arracher de leur calme et qui surent le conserver. Pour

Louvain:

Déposition du capitaine von Esmarch, propriétaire, habituellement domicilié au château de Schônheim, par Rinkenes, cercle d'Apenrade: »Le 25 août 1914, j'arrivai à Louvain, avec le IX e corps de réserve, en ma qualité de commandant du quartier-général. Il était environ 6 heures du soir quand notre train entra en gare. Nous débarquâmes les chevaux et le premier échelon. Nous devions nous rendre ensuite à une caserne de hussards belges, distribuer le fourrage et gagner nos logements. Pendant le trajet de la gare à la caserne, l'officier d'ordonnance m'apporta l'ordre de rebrousser chemin, car on avait sonné la générale, nos troupes étant engagées dans un combat à 10 kilomètres en avant de la ville. Les chevaux et le premier échelon devaient en conséquence rester dans Louvain sur la Place du Peuple; on donnerait à manger aux chevaux, puis les chevaux de selle attendraient de nouveaux ordres pour rejoindre les troupes. Nous nous dirigeâmes vers la place désignée, où nous nous plaçâmes. Il y avait aussi là une colonne du train, de sorte que la place se trouvait passablement encombrée des quatre côtés par des voitures et des chevaux. La nuit tombait peu & peu. Nous vîmes passer devant nous des régiments d'infanterie se dirigeant sur l'hôtel-de-ville au côté sud-occidental de la place. Comme je n'avais avec moi qu'un très petit nombre de gardes d'étatmajor, je priai un des régiments qui passaient de mettre & ma disposition une compagnie de renfort. Une observation m'avait inspiré quelque crainte relativement à notre sécurité: les rues, pleines d'habitants, et même très remplies au commencement, s'étaient subitement vidées vers le soir et tous les habitants avaient disparu. Les rues produisaient

35 maintenant l'impression d'un désert; puis, chose qui me frappa encore, les devantures des magasins se fermaient presque toutes. Je reçus une compagnie, que j'établis au côté nord-ouest de la place; ensuite, je me rendis à cheval vers le côté opposé (sud-est) pour presser le sousofflcier chargé des fourrages, qui se trouvait à cet endroit. Je venais de rejoindre ce sous-officier, lorsque j'entendis une horloge sonner. Je n'ai pas compté les coups, mais ce pouvait ótre huit ou neuf heures. L'obscurité était complète. Au mdme moment où j'entendais l'horloge sonner, je vis une fusée verte s'élever au-dessus des maisons situées au sud-ouest de la place. En même temps, ou tout au plus quelques minutes plus tard, une fusillade éclata de cette direction sud-ouest. Ce fut comme le signal d'un feu général partant de toutes les maisons entourant la place ; les coups étaient dirigés contre les troupes allemandes qui s'y trouvaient. Je voulus alors retourner au galop vers la compagnie afin de prendre des dispositions; mais comme il m'était impossible de passer entre les voitures de tout le parc, je dus les contourner pour gagner la partie nord-est de la place. Arrivé là, je reçus un coup de feu qui me désarçonna. J'entendais distinctement le crépitement de mitrailleuses et les balles volaient en grand nombre autour de moi. J'en reçus cinq qui m'atteignirent fortement, sans compter une quantité d'éraflures; mon dolman était en pièces. Après ma chute de cheval, un fourgon du train dont les chevaux, effrayés par les coups de feu, s'étaient emballés, passa sur moi, et je fus traîné vers le coin de la place qui forme la séparation entre le côté nord-est et le côté nord-ouest. Je restai sous le fourgon environ une demi-heure. Mais je ne perdis pas un seul instant connaissance et observai exactement ce qui se passait autour de moi. Les balles ne cessaient de rebondir sur le pavé, et je pus remarquer distinctement de nombreux ricochets. J'entendis en outre à plusieurs reprises non loin de moi l'explosion de projectiles paraissant être de gros calibre; je crus que l'artillerie tirait, mais comme il n'y en avait pas là, la seule explication plausible est que les habitants des maisons de la place, en nous attaquant ainsi par surprise, nous lançaient des grenades portatives. Nos troupes ne ripostèrent à cette tiraillerie qu'au bout de quelque temps seulement. La fusillade engagée de part et d'autre dura un quart d'heure environ, pendant lequel je restai sous le fourgon du train, dont la chaîne de sabot d'enrayage s'était prise dans ma ceinture, de sorte que je ne pouvais me dégager tout seul. Le feu s'étant un peu ralenti, mon ordonnance vint me délivrer de ma situation. IL.me conduisit au côté nord-ouest de la place, où se trouvait ma compagnie, et m'installa au bord de la place le dos appuyé contre la roue d'un fourgon. Je pouvais observer de là toutes les maisons du côté nord-ouest de la place ainsi que les premières maisons sur les deux côtés contigiies à ce côté. Voici ce que fai vu:

3*

36 La compagnie continuait à tirer dans les maisons. Le feu des habitants s'éteignit peu à peu. Les soldats allemands enfoncèrent alors les portes et mirent le feu aux maisons en y renversant des lampes à pétrole allumées ou en brisant les robinets à gaz pour enflammer le gaz et en diriger les flammes vers le plafond et les rideaux; quelques-uns se servirent çà et là également de benzine. L'ordre d'incendier les maisons venait du colonel v. Stubenrauch, dont je reconnus la voix. Aussitôt que la fumée commença à devenir plus forte, les francstireurs descendirent les escaliers pour sortir des maisons. Ils avaient encore leurs armes à la main: fusils de chasse, revolvers, fusils de guerre et autres, que j'ai vus tris distinctement. Je fus frappé surtout de la grande quantité de revolvers. Ces francs-tireurs étaient des figures sinistres, telles que je n'en ai jamais vu de ma vie. Les postes allemands placés en bas les fusillèrent. Mais nos hommes se firent un scrupuleux devoir d'épargner les femmes et les enfants, qu'ils laissaient sortir sains et saufs des maisons en flammes. Je n'ai pas vu un seul cas où une femme ou un enfant aient été blessés. Les femmes et les enfants se réunirent même en partie autour de nous sur la place, et y furent très bien traités par nos soldats. Près de moi se trouvait une femme ayant avec elle un enfant dans une petite voiture. Cette femme pleurait; les soldats placés auprès cherchèrent à la consoler. Ces scènes d'incendie et de capture des francs-tireurs durèrent sous mes yeux pendant environ une demi-heure. Mon ordonnance s'étant procuré un auto, je fus conduis avec d'autres blessés à l'hôpital.«

Déposition de Richard Gruner, négociant, domicilié à Hambourg-GroBborstel, Holunderweg, 12: »A la mobilisation, ja me suis présenté comme volontaire et suis entré en campagne en qualité de chauffeur d'automobile attaché à l'état-major du 9«m" corps de réserve. Nous arrivâmes à Louvain le 25 août 1914 au soir. Comme on avait annoncé une sortie d'Anvers, les troupes allemandes furent retirées de Louvain et dirigées vers l'attaque, du moins je le suppose. Les bagages y compris les automobiles s'arrêtèrent sur la place ; tout près de là se trouve l'Hôtel Métropole. Il était 9 heures, lorsque je vis une fusée verte s'élever au-dessus de la ville. Au même moment, on commença à tirer sur nous de toutes les maisons environnant la place. Je perçus distinctement aussi le tac tac régulier des mitrailleuses. Un certain nombre d'hommes furent grièvement blessés. Les soldats allemands ripostèrent et parvinrent à éteindre le feu des agresseurs, les maisons d'où l'on avait tiré furent incendiées. J'eus l'impression que c'était un guet-apens préparé en règle. Jusque là, la population s'était montrée extrêmement prévenante et aimable envers nous. L'attaque dans l'intérieur de la ville une fois terminée, les troupes

37 allemandes qui s'y trouvaient furent dirigées vers la gare. Moi-même je pris une autre rue derrière les voitures qui me précédaient. Arrivé à la gare, j'appris que là également une attaque de la population civile avait eu lieu des maisons environnantes contre nos soldats et avait été repoussée. Les maisons de la place de la gare brûlaient comme les autres dans toute la ville. On amena sur la place de la gare tous les civils arrêtés ; ils subissaient un interrogatoire, et, leur culpabilité établie, étaient fusillés conformément aux lois de la guerre. Je remplis les fonctions d'interprète pour une partie de ces interrogatoires, qui durèrent toute la nuit et se prolongèrent jusque dans la matinée du lendemain. Il est faux qu'une désignation arbitraire des personnes inculpées ait réglé le sort de celles qui furent fusillées. Une rigoureuse légalité présidait au contraire aux interrogatoires. Je fus chargé de fouiller les gens pour réassurer s'ils étaient porteurs d'armes, et fen trouvai beaucoup dans ce cas. J e fus chargé en outre de voir si les personnes inculpées étaient des soldats belges déguisés, chose facile à constater au moyen de la plaque d'identité individuelle. Sur un grand nombre des inculpés, je trouvai la plaque d'ijdentàê militaire dans la poche ou dans le portemonnaie. Le capitaine Albrecht, qui dirigeait l'enquête, procéda de telle sorte qu'il ordonna de fusiller les inculpés trouvés porteurs d'une arme ou d'une plaque d'identité militaire, ou ceux contre lesquels il é t a i t attesté par au moins deux témoins, soit qu'ils avaient tiré euxmêmes sur les troupes allemandes, soit qu'ils avaient été pris dans une maison d'où l'on avait fait feu contre elles. D'après ma ferme conviction, il est absolument impossible que des gens complètement innocents aient perdu la vie ainsi. Le capitaine Albrecht en particulier mit tout en œuvre, en t a n t que la situation d'alors le rendait possible, pour déterminer les soldats à ne dire que la vérité. Un inculpé n'était-il porteur ni d'une arme, ni d'une plaque d'identité, le capitaine interrogeait alors lui-même les témoins pour leur demander s'ils maintenaient encore leur déposition, en les prévenant que de ce qu'ils diraient dépendait la vie ou la mort d'un homme. L'ordre d'exécution n'était donné que si malgré cet avertissement, les soldats persistaient dans leur déclaration. Un grand nombre des civils inculpés, remarquant que je parlais français, m'appelèrent pour protester de leur innocence, en ajoutant que l'attaque contre les Allemands leur avait été représentée en h a u t lieu comme un acte méritoire. Je restai à Louvain jusqu'au 26 août 1914 à 4 heures du soir. Dans la journée du 26 août, j'ai encore vu et entendu çà et là tirer sans cesse des maisons; plusieurs de mes camarades furent blessés à mes côtés, comme par exemple Wuppermann, un volontaire engagé pour la durée de la guerre. J'eus occasion ce même jour, dans la matinée, sur la place de la gare, où se trouvaient beaucoup de femmes prison-

88 nières, de parler avec deux dames appartenant évidemment à la bonne société. L'une était une Américaine de S' Louis, qui me supplia en anglais de lui faire rendre la liberté ainsi qu'à l'autre dame, qui était une de ses amies. Voici ce qu'elle me raconta: Le soir, des soldats belges en civil étaient entrés dans les maisons où les habitants les avaient reçus et les avaient laissés se poster aux fenêtres. Je tiens & faire remarquer encore que même pendant les interrogatoires sur la place de la gare, on tira des maisons de cette place. Je me rappelle particulièrement une dizaine ou une douzaine de jeunes gens coiffés d'une casquette de sport, insigne fréquent des soldats belges en civil ; ils avaient été amenés à la gare et je devais les fouiller ; pendant que j'accourais à cet effet d'une maison située en face, on tira sur moi. Les inculpés en profitèrent pour s'enfuir, non sans nous avoir encore salués par derrière de plusieurs coups de feu.« Pour

Andenne:

Déposition du major Frédéric Polentz, de Berlin, chef de bataillon au 3 i m e régiment de la Garde à pied: »En passant par la Belgique pendant la deuxième moitié du mois d'août comme chef de bataillon au 2 èœe régiment de réserve de la Garde, j'ai constaté à plusieurs reprises que la population civile a participé effectivement aux hostilités contre nos troupes, et principalement a tiré sur nous. Le fait s'est produit en particulier à Birdontîge près Stavelot, et & Evelette au sud d'Andenne. Mais le cas le plus grave est celui d'Andenne (entre Liège et Namur). A notre arrivée dans cette localité, un signal fut donné par la cloche de l'église, à 6 heures et demie du soir, et au même instant les persiennes en fer de toutes les maisons s'abaissèrent; les habitants, stationnant jusque là dans la rue, disparurent, et l'on tira sur mes troupes de tous les côtés, mais surtout des soupiraux des caves et d'ouvertures pratiquées dans les toits en enlevant des tuiles. En outre, d'un grand, nombre de maisons, on versa de reau bouillante sur nos soldats. A la suite de ce guet-apens que la conduite de mes hommes ne justifiait en rien, un combat acharné de rues s'engagea entre eux et la population civile. La preuve qu'il s'agissait bien d'un plan concerté à l'avance, auquel prit part presque toute la population d'Andenne et de la banlieue, c'est que 100 — cent — de mes hommes furent blessés rien que par les brûlures provenant de l'eau bouillante. Les colonnes qui me suivaient ont été également attaquées par la population civile d'Andenne. Les fractions précédant mon bataillon avaient déjà reçu elles-mêmes des coups de feu.«

Pour mieux faire comprendre les incidents de Tamines, nous donnerons une déposition suggestive, celle d'un ouvrier

39 nommé Graf, habitant la localité; il déclare après avoir prêté le serment prescrit: »J'habite ici à Tamines depuis 13 ans. Le vendredi matin vers 6 heures % cinq ulans allemands passèrent devant l'hôtel-de-ville. A Tamines, on nous avait toujours raconté que les Allemands avaient été battus à Liège. On avait bien entendu dire aussi que des ulans avaient été vus dans les environs, mais c'étaient des déserteurs, croyaiton. Je les avais vus passer devant ma maison; au bout de quelque temps ils revinrent au galop, seulement ils n'étaient plus que quatre. On m'a raconté qu'on avait tiré sur ces ulans soit de l'hôtel-de-ville, soit d'autres maisons. On me raconta tout d'abord qu'un gendarme de Tamines, qui était en civil, était sorti de l'hôtel-de-ville et avait fait prisonnier le ulan, dont le cheval avait été tué. Il y avait alors aussi à Tamines de la garde civique active, armée et en uniforme, de l'effectif d'une compagnie peut-être. Le commandant logeait chez le bourgmestre Guyot. Un quart d'heure environ après le départ des ulans, il arriva de l'infanterie dans la partie de la ville où j'habite. C'est à Braille dans la direction de Velaine, sur la rive gauche de la Sambre. Les fantassins ordonnèrent que tout le monde devait sortir des maisons. Us me prirent avec trois autres pour aller chercher un bicycliste blessé devant l'hôtel-de-ville. Car aussitôt après le départ des ulans, une section cycliste, comme on me l'a rapporté, était arrivée devant l'hôtel-de-ville; on avait tiré sur elle et atteint un des cyclistes. Le coup semblait être parti de la direction de l'hôtelde-ville. Je m'y rendis avec les autres, et je relevai le cycliste blessé. Pendant que nous le relevions devant l'hôtel-de-ville, une fusillade éclata de tous les côtés; les fantassins, une douzaine environ, nous avaient en effet escortés jusque là. On ne tirait pas seulement dans la direction de la rue, mais de quatre côtés. Les Allemands ripostèrent. Voilà pour un côté. Mais les coups de feu partirent de la direction de la rue opposée, de la direction de l'hôtel-de-ville, et des maisons situées en face de ce dernier. Je n'ai pas vu de soldats français ou autres en uniforme, mais seulement des civils. Nous autres, qui transportions le blessé, nous étions donc exposés au feu de quatre côtés, et une balle me passa près de l'oreille droite. Les jours suivants, j'ai entendu des habitants se vanter de leur habileté à tirer sur les Allemands sans être vus. Dans une maison située près du pont de la Sambre, à gauche en venant de Namur, une mitrailleuse française pour balles Dum-Dum aurait été cachée derrière un petit trou pratiqué dans le mur, de façon à être invisible, mais & balayer cependant le pont de la Sambre. Lorsque les Allemands voulurent franchir le pont, on avait tiré aussitôt sur eux de cette maison.«

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En voilà assez; en voilà même plus que suffisamment. Nous pourrions prolonger à l'infini cette suite de dépositions. Mais pour ne pas abuser de la patience du lecteur, nous passerons plus rapidement sur les incidents d'Aerschot et de Dinant. A Aerschot, l'affaire débuta par le lâche assassinat du commandant des troupes allemandes, le colonel Stenger, tué dans la maison du bourgmestre, où il logeait, par les balles parties de la maison en face. N'ayant aucun soupçon d'après l'accueil amical des habitants, le colonel était assis dans sa chambre, les portes du balcon ouvertes. Les témoins observèrent distinctement l'éclair de la première salve tirée du toit sur le colonel. Une inspection minutieuse des lieux, dont la description remplit des pages, eut pour résultat la constatation suivante, absolument indubitable: plusieurs balles envoyées du dehors avaient pénétré dans la chambre du colonel et déterminé sa mort. Celle-ci fut le signal d'un combat de rues auquel prit part le fils du bourgmestre. Parmi les civils faits prisonniers se trouvait un professeur au séminaire, qui avoua au capitaine Karge que les habitants d'Aerschot avaient accueilli chez eux des soldats belges fugitifs, et les avaient cachés sous un déguisement civil ; ces soldats, ajouta le professeur, s'étaient certainement réunis à la garde civique, avec le consentement de la population, pour attaquer les Allemands. La lecture des dépositions sur les événements de Dinant, faites par 200 témoins environ ayant tous prêté serment, est propre à donner le frisson. Les soldats allemands durent descendre les hauteurs qui entourent la ville sous le feu des civils tirant des maisons, dans l'espoir, d'après leurs propres aveux, de descendre un par un les soldats suspendus entre ciel et terre. La lutte entre les habitants et les troupes

41 se poursuivit dans les rues de Dinant et sur les hauteurs audelà de la Meuse; des parents, au dire d'un bourgeois de la ville, mirent entre les mains d'enfants de 10 à 12 ans des revolvers pour tirer sur les troupes allemandes. Un petit garçon, arrêté, puis relâché en raison de son jeune âge, se vantait lui-même d'avoir abattu cinq Allemands. La palme des cruautés échoit aux mauvais garnements de Leffe — Dinant — nom donné à ces individus dans la bouche des enfants au dire de la presse elle-même. (De Amstelbode, Amsterdam, numéro du 3 mars 1915.) Des soldats allemands furent mutilés; on trouva un chasseur saxon, les pieds attachés au sol et brûlés vifs. Les gorges autour de Dinant mériteraient d'être appelées la vallée de la mort ; les horreurs commises par cette population ne dépareraient point l'enfer de Dante, et le crayon d'un Goya pourrait seul représenter ces monstres à figure humaine. Les témoignages de nos soldats, en s'accumulant par centaines, donnent le tableau d'ensemble des scènes effroyables que la population des villes détruites a appelées ellemême sur sa tête. Les témoins appartiennent à toutes les classes sociales, aux plus élevées comme aux plus humbles, à toutes les professions, à toutes les confessions. Mais tous ont une caractéristique commune: la perception très nette de la situation. Beaucoup, appelés plu3 tard des tranchées pour faire leur déposition, en présence d'une mort prochaine peut-être après celle de tant d'autres camarades tombés sous leurs yeux, ont fait connaître tout ce qu'ils savaient des événements. Plus d'un de ces témoins a aussi quitté la vie, en s'écriant avec Valentin, dans Faust: »En brave et vaillant soldat, Vers Dieu la mort me porte«. Ils avaient la conscience pure.

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V. La garde civique et la tenue civile des soldats belges. A côté de l'armée régulière et de ses nombreux volontaires, la Belgique, en vertu de sa constitution, disposait au début de la guerre d'une troupe de police d'une nature spéciale: la garde civique. On distinguait une garde civique active et une garde civique inactive. La première, constituée dès le temps de paix, était limitée aux grandes villes avec mission de seconder la police ordinaire pour le maintien de l'ordre en cas de troubles ou autrement. Les membres de la garde civique active, quand ils étaient appelés en service, portaient des uniformes, avec faculté de les échanger en tout temps contre des effets civils, une fois chez eux; ils étaient organisés et obéissaient à un commandement régulier. Cette garde, appelée garde comique dans le langage populaire, a fait plus d'une fois, lors de ses exercices du dimanche, nonseulement la joie des concitoyens, mais encore celle de maint étranger de passage. La garde civique inactive n'existait que sur le papier, et pouvait être appelée en tout temps par l'Etat au service public. Dans toutes les petites villes et dans les campagnes, elle comprenait tous les hommes de 20 à 40 ans. Sa première destination était de seconder la police régulière du pays, c'est-à-dire la gendarmerie. En temps de paix, jamais l'idée n'était venue de s'en servir. Comme toutes les créations théoriques, elle était complètement inconnue au peuple. Son équipement n'existait nulle part, et elle ne possédait ni organisation, ni armemejit, ni commandement. Quand la guerre éclata, le Gouvernement belge se rappeja le droit qu'il avait d'»appeler« la garde civique inactive. L'appel est conçu en ces termes:

43 Vu les articles 4 et 82 de la loi du 9 septembre 1897: Revu nos arrêtés déterminant les villes ou communes du pays où la garde civique est active. Revu nos arrêtés déterminant les différents uniformes de la garde civique. Considérant qu'il y a lieu, dans l'intérêt de la défense nationale comme dans l'intérêt de l'ordre public, d'appeler à l'activité toutes les gardes civiques non actives. Sur la proposition de Notre Ministre de l'intérieur. Nous avons arrêté et arrêtons: Art. V. — La garde civique non active de toutes les communes du Royaume est appelée & l'activité. Art. 2. — Les hommes composant les gardes civiques appelées à l'activité par le présent arrêté, porteront d'une manière apparente, comme signes distinctifs: 1* Au bras gauche: un brassard aux couleurs nationales; 2° A la coiffure: une cocarde aux mêmes couleurs. Art. 3. — Notre Ministre de l'intérieur est chargé de l'exécution du présent arrêté. Le Ministre de l'intérieur adressa en conséquence aux Gouverneurs des provinces la circulaire suivante: J'ai l'honneur de porter à votre connaissance que, dans l'intérêt de la défense nationale comme de l'ordre et de la sûreté publics, un arrêté royal du 5 août 1914 appelle à l'activité toutes les gardes civiques non actives du royaume. Les milices-citoyennes dont il s'agit auront à pourvoir provisoirement elles-mêmes à leur armement. D'autre part, les hommes appelés n'étant point pourvus d'uniformes, ils porteront de préférence la blouse bleue et, comme signes distinctifs: 1* Au bras gauche, un brassard aux couleurs nationales: 2° A la coiffure une cocarde aux mêmes couleurs. Le port de ces insignes est absolument obligatoire pour que les intéressés puissent bénéficier, le cas échéant, des lois et des droits de la guerre. Décret et circulaire parurent tous deux dans les journaux du 7 août 1914. Ainsi on laissait à la population

inconsciente des cam-

pagnes le soin de pourvoir elle-même à son armement, à son équipement et à ses chefs, à une population absolument in-

44 capable de savoir comment se procurer les armes nécessaires, comment se donner des chefs instruits. Des armes ? chaque paysan en possédait bien; dans la province de Liège, terre classique de la fabrication des armes, tous — femmes et enfants compris — en connaissaient le maniement, et justement Liège allait avoir à supporter le premier choc des Allemands. Mais deux conditions allaient faire défaut: les insignes et un commandement régulier. Le télégramme ci-dessous, adressé le 5 août 1914 de Laeken, sans doute parmi beaucoup d'autres du même genre, donne la note au sujet de l'existence purement fictive d'une garde civique non active déjà armée précédemment: »Commandant de gendarmerie du district de Londerzeel. Réquisitionnez et envoyez arsenal central Anvers tous les pistolets, brownings, fusils, Mausers, carabines avec munitions, existant dans le canton — sauf armement garde civique. Commandant Roch. «

Donc en réalité l'armement de la garde civique se confond avec le nombre des armes existant dans la population et nécessaires pour armer tous les hommes de 20 à 40 ans. Or, d'après un vieux proverbe qui dit qu'un »Tiens« vaut mieux que deux: »Tu l'auras 1«, on se figure sans peine quel pouvait bien être le genre et la diversité d'armement de cette fameuse garde civique inactive. La remise des armes ordonnée était une pure charlatanerie. C'est bien ainsi d'ailleurs que l'ont comprise les autorités subalternes; un commissaire de police de Bruxelles refusa de recevoir les armes qu'on venait déposer, en prétextant qu'il ne faut pas croire tout ce que disent les journaux. Un négociant allemand de Bruxelles et son employé belge ont attesté le fait par serment. La pénurie de blouses bleues dans les campagnes s'affirme

45 par un télégramme officiel du 14 août, que le Gouverneur belge Beco adresse au bourgmestre de Tilly: »Faites connaître télégraphiquement au Ministre intérieur nombre de blouses bleues encore nécessaires pour gardes civiques.«

Ce télégramme n'est que le corollaire d'une circulaire de M Conne, lieutenant-général et commandant supérieur de toutes les gardes civiques des provinces d'Anvers et de Brabant, circulaire en date du 12 août, envoyée aux bourgmestres, et où on lit: r

J'ai l'honneur de vous faire savoir que le port de la blouse bleue est strictement obligatoire pour les gardes civiques rurales appelées à l'activité. Je rappelle que l'achat de ces blouses est à charge de la garde civique. Les brassards et les cocardes sont fournis par le Ministère de l'Intérieur, auquel il faut vous adresser directement pour cette fourniture.

Point n'est besoin d'une imagination féconde pour se représenter l'effet de cet incroyable procédé du Gouvernement belge. Le moindre paysan se vit appeler par son roi à la défense de la patrie; il pouvait conserver ses armes chez lui et en faire ce qu'il voudrait; il devenait un garde civique, reconnu par l'Etat, et quant à son équipement, le Ciel y pourvoirait sans doute à la prochaine occasion. L'essentiel pour le moment était d'avoir une arme et de la cacher. Des Belges avisés, au jugement presque aussi médiocre que celui d'un Allemand, ont reconnu le danger. Mises 'en éveil par les dépositions d'officiers allemands, les autorités allemandes ont voulu recueillir les témoignages véridiques de ces Belges. Déposition du lieutenant de réserve Neide, du 6èm0 régiment de hussards, après prestation du serment prescrit: »Sur l'ordre de la I2 ème brigade de cavalerie, j'ai été chargé d'entendre Monsieur Fernand du Bus de Warnasse, juge au tribunal de

46



Tournai, et propriétaire du château de Gérimont, près de Tillet, en Belgique. Ce Monsieur m'a dit que sur l'ordre du Gouvernement belge, tous les habitants du village voisin avaient été armés. Lui-même avait conseillé à ceux de ces habitants qu'il connaissait de mettre les armes de côté afin d'éviter des difficultés inutiles.«

Monsieur Fernand du Bus de Warnasse a ajouté à cette déclaration, sous la foi du serment: »Au début de la guerre, le Gouvernement be!ge a donné l'ordre d'organiser la garde civique dans toutes les petites villes et dans les villages, en ordonnant en même temps d'armer tous les hommes en faisant partie. Lorsque Mr Latour, bourgmestre de Tillet, me donna connaissance de cet ordre, je lui ai déconseillé de la façon la plus énergique de s'y conformer. Il me dit que toutes les communes le faisaient, et je lui déclarai alors que s'il envoyait des patrouilles, celles-ci ne devaient pas être armées. Des patrouilles non-armées circulèrent donc pendant la nuit afin de prévenir les habitants de l'arrivée possible des Allemands, dont ils avaient grand' peur.«

Déposition du lieutenant de réserve Gustav Petersen: »Lors de notre séjour, du 21 au 22 août, au château du comte de Villegas, à Ganshoven près Bruxelles, je m'entretins avec lui des conditions en Belgique, et surtout de l'attitude hostile des habitants. Le comte me raconta alors ce qui suit: »11 est heureux pour vous que vous ne soyez pas arrivés chez moi il y a deux jours, car j'aurais été obligé de tirer aussi sur vous.« Comme je lui en demandais la raison, le comte me déclara: En cas de guerre, il existe en Belgique une prescription ordonnant de mobiliser la garde civique, laquelle comprend toute la population masculine, à qui il s'agit de donner des uniformes, des armes et une instruction militaire. Je suis moi-même officier de la garde civique pour ma commune (capitaine, autant que je puis me rappeler), mais j'en ai été informé seulement à la déclaration de guerre. L'équipement, l'armement, l'habillement de cette garde civique ne sont prévus dans une certaine mesure que pour les grandes villes, alors que pour les campagnes, rien de tout cela n'existe bien entendu. Pour obéir à Vordre donné, la population s'est simplement munie de toutes les armes possibles et fait la guerre de son propre chef. Voilà pourquoi l'on a tiré constamment sur cous. Il y a quelques jours seulement, le Gouvernement s'est aperçu des malheurs que son ordre a causés, et il a prescrit de ne plus tirer sur les troupes allemandes, et même d'employer uniquement la garde

47 civique à un rôle de police; aussi, depuis deux jours, on ne tire plus. La population croyait bien faire. »Moi-même, ajouta le comte, j'ai demandé au Gouverneur de Bruxelles de rapporter son ordre, ce qui a eu lieu il y a deux jours.« J'ai vu de mes propres yeux au ch&teau du papier 'à lettre avec l'en-tête »Garde civique«, dont le comte se servait pour sa correspondance sur ce sujet.«

M1 le comte de Villegas, invité à prêter serment, a déposé ainsi après rempli cette formalité: »J'habite ordinairement en Espagne et me trouvais par hasard à notre château quand la guerre a éclaté. Le 21 et le 22 aoftt, le lieutenant Petersen a logé chez nous, et j'ai effectivement eu avec lui la conversation rapportée dans sa déposition du 24 septembre 1914. Mes déclarations au lieutenant Petersen concernent ma commune et sa province; j'ignore ce qui en était dans les autres. Le 5 août 1914, un décret royal ordonnait la mobilisation de toute la garde civique — active et inactive. Je rappelle que la garde civique active est celle existant dans les grandes villes à partir de 5000 habitants environ; son armement et son habillement sont prévus dès le temps de paix, et elle est de même convoquée de temps à autre pour des exercices. La garde civique non-active est celle des communes rurales; pour elle, rien n'est prévu, et jamais personne ne Va prise au sérieux. J'ignorais par exemple que depuis des années, f avais déjà été nommé capitaine dans ma commune. On n'a jamais pensé non plus 'à une guerre qui pourrait nécessiter l'emploi militaire de la garde civique — surtout de la garde civique inactive. Après le décret du 5 août, je m'adressai au Gouvernement à Bruxelles en demandant des armes et des uniformes pour la garde civique. On me fit savoir qu'on n'avait pas d'armes pour nous. J'ai alors protesté contre l'obligation de faire un service militaire sans armes, et j'ai dit à mes hommes de s'en procurer là où ils en trouveraient. Je suppose qu'il en a été de même dans les autres communes rurales, car le Gouvernement n'a en réalité absolument rien faù. Plus tard, le Gouvernement ordonna comme insignes pour la garde civique des cocardes, des brassards, et en partie également, des blouses. Quelques jours après le 5 août, arriva la réponse qu'il n'y avait pas d'armes pour la garde civique. Autre avis du Gouvernement, encore quelques jours plus tard, prescrivant le port de brassards et de blouses. Au bout d'un certain temps, ordre à la garde civique de borner son concours militaire à l'escorte de colonnes et de transports; puis, finalement encore, nouvel ordre interdisant toute action militaire à la garde civique, ramenée à son simple rôle de police comme en temps de paix.«

Effectivement, ainsi qu'il ressort de cette déposition,

48 le Gouvernement belge a tenté,

à partir du 18 août,

ramener à la raison la garde civique rurale.

de

Le »Soir« du

20 août 1914 publie la circulaire ci-dessous du Gouverneur Beco: Le rôle des gardes civique.

Circulaire du gouverneur du Brabant aux bourgmestres des communes rurales de la province: A la demande de M. le lieutenant-général, gouverneur militaire du Brabant, j'ai l'honneur de vous rappeler que les gardes civiques non actives rappelées à l'activité constituent exclusivement une police pour maintenir l'ordre et la sécurité dans leur commune, pour renforcer, par conséquent, le service des agents communaux; ces hommes peuvent être armés de même que les gardes-champêtres, ou désarmés selon les décisions du bourgmestre au même titre que celui-ci peut armer ou désarmer le garde-champêtre. Les gardes civiques ruraux n'ont donc pas & faire le coup de feu et ne peuvent être employés à un service militaire; toutes les instructions contraires sont abrogées. Je vous prie, messieurs, de bien vouloir donner toutes les instructions nécessaires pour que personne n"ignore encore dans quelles conditions se trouvent les gardes civiques non actives rappelées à l'activité. Vous voudrez donc bien, au reçu de la présente, non seulement en informer tous vos administrés et particulièrement les gardes civiques de votre commune, mais, de plus, faire donner connaissance de la présente par le garde-champêtre à tous les habitants sur la place publique et aux différents endroits qui peuvent convenir pour semblable information. Le gouverneur. ' E. Beco. C'est là une retraite dont les motifs peuvent donner lieu à des divergences d'opinion. Le témoin ci-dessus attribue l'acte rétractatoire du gouvernement à l'impossibilité manifeste pour lui d'organiser la levée des gardes civiques rurales. Nous autres Allemands nous permettons d'en voir la cause ailleurs: d'abord, les mesures énergiques des troupes allemandes réveillèrent chez les gouvernants belges un reste de conscience avec la conviction de l'inutilité de sacrifices nouveaux parmi la population trompée; puis, le sang belge déjà

49 répandu fournissait à la Commisson une matière jugée suffisante. Une autre funeste conception marchant de pair avec celle de la garde civique non active est la transformation en civils des soldats belges, cachés par les habitants des villages et des villes, et lâchés au moment favorable sur les colonnes allemandes en marche sans soupçon. Les dépositions sous serment des soldats allemands sont remplies de descriptions d'effets d'uniforme trouvés après avoir été jetés. Inutile d'en fatiguer le lecteur. Il a pu s'en faire une idée générale par les dépositions reproduites au chapitre 4 de cette brochure. Mais il est intéressant de relater les aveux des Belges à ce sujet et leur façon d'envisager cette transformation des militaires en civils. Un article du National Bruxellois, Bruxelles, 20 août 1914, fit le tour de la presse belge; on y lit: Un débrouillard. On cite le cas d'un soldat, fils d'un avocat bruxellois, le jeune Jones, qui, se trouvant au combat de Liège, perdit, à un moment donné, les camarades de sa compagnie: il fut pris dans une échauffourée et allait être fait prisonnier, quand il réussit & se sauver. Il entra précipitamment chez un habitant où il abandonna ses vêtements de soldat.

Le Journal de Charleroi du 18 août raconte l'aventure d'un caporal belge fait prisonnier par les Allemands, aventure reproduite par »l'Avenir«, d'Arlon: le caporal s'échappa du transport de prisonniers et parvint à se mettre en .civil à Clermont-Thimister; ainsi transformé, il continua sa route. Dans le même Journal du 10 août, un correspondant reçoit les confidences de soldats belges ayant combattu à Liège; il raconte à propos de l'un d'eux: »Le troisième était un civil. Il avait été fait prisonnier; conduit dans un village dont il ne sait pas le nom, il s'échappe au coin d'une rue. On tire sur lui, on le manque; un habitant O r a l h o t f , La Belgique eonplble.

4

- 50 lui a ouvert sa porte. En deux temps et trois mouvements, le voilà débarrassé de son uniforme; il passe un veston, un pantalon, et le même soir, il traverse les lignes prussiennes. « Le lion de Flandre est décidément un animal savant, habile à changer de peau avec prestesse. Ces faits se trouvent d'ailleurs confirmés par les dires de Belges internés dans des camps de concentration allemands pour les civils, et qui un beau jour se révélèrent comme des soldats belges déguisés. Ils s'excusèrent en prétendant qu'ils n'avaient fait qu'obéir à la recommandation suivante de leurs officiers: »1Sauve qui peu\ mettez-vous en bourgeois aussitôt que possible.« La population se fit complice de cet abus. Les soldats et les gardes civiques actifs qui n'avaient pas eu la précaution d'emporter des effets civils dans leur sac, les trouvaient chez le paysan et chez le bourgeois.

VI. La Guerre nationale. Comme un fléau dévorant, la participation traîtresse de la population à une lutte loyale s'étendit sur tout le pays. Ni l'âge, ni le sexe, ni la profession ne furent à l'abri de la contagion. Les avertissements des gens sensés se perdirent comme la voix dans le désert. Ecoutons à ce propos les doléan ces d'un prêtre, consignées dans la déposition du généralmajor Kühne, témoin ayant prêté serment: »Le 19 août, je fus logé à Hollange chez le curé du pays. Dans une conversation sur l'attitude hostile des Belges, il m'avoua sans détour ne pas douter un instant que des paysans eussent tiré sur nous. Il s'efforçait continuellement, dit-il, tant en chaire que dans les conversations privées, de calmer les gens et de les détourner de pareils actes, faits pour leur attirer les plus déplorables conséquences. Mais il existait dans la commune des individus sur lesquels il n'avait aucune influence, et qu'il jugeait capables d'actes d'hostilité contre nos soldats. «Pai entendu dire depuis que peu de temps après, des habitants du village d'Hollange avaient en effet tiré sur nos hommes.«

-

51

L'adjoint de la commune de Dolhain, en l'absence du bourgmestre, Mr J. Defossés, lance un éloquent appel a u x habitants, le 9 août 1914: Les faits monstreux qui ont ont été commis la nuit dernière ne sont pas dignes de notre population. Ils révoltent toute conscience droite, car c'est traître de la part de l'élément civil de tirer contre l'élément militaire; c'est odieux et une nation civilisée ne doit pas user de tels moyens. Le résultat de cette lâche agression s'est fait sentir immédiatement et nous avons à déplorer l'anéantissement de constructions et la ruine des habitants. Dans mes proclamations précédentes et notamment dans celle de samedi soir 8 août, je vous avais fait entrevoir les ruines que nous pleurons aujourd'hui. Chers concitoyens, je vous supplie de reprendre votre sang-froid et votre calme, que chacun reste chez soi, qu'à 6 heures du soir, cafés, magasins et maisons soient fermés et que les rues de Dolhain soient désertes, que si des troupes passent le jour et la nuit, pas un habitant sur leur passage, ni sur la porte ni aux fenêtres, et surtout pas un coup de feu, pas un cri, pas une manifestation. Que chacun fasse la police et c'est à ces seules conditions que nous pouvons espérer ne pas voir le retour des tristes choses de la nuit et de ce matin. Après avoir mentionné les sévères mesures des troupes allemandes, la proclamation se termine par ces mots : Chers concitoyens, dans ces moments tragiques, je fais un appel désespéré à votre cœur pour sauver ce qui reste de notre chère commune. De toutes parts, les maisons se transformaient en repaires de francs-tireurs.

D'après l'opinion de Mr Waxweiler,

les meurtrières observées par les lourdauds des troupes allemandes étaient tout bonnement les trous — toujours percés dans le mur extérieur — qui servent à fixer les échafaudages des badigeonneurs ou autres ouvriers que n o n !

du bâtiment.

Ah

Les ouvertures décrites par les soldats allemands

dans leurs dépositions n'ont rien de commun avec ces paisibles tableaux. Nous sommes justement à même d'apporter ici le témoignage d'un neutre, toujours sous la foi du ser4*

52 ment. Cette déposition d'une personne parfaitement au courant du pays jette un jour singulier sur le caractère des francs-tireurs. Voici donc le récit d'un grand négociant hollandais, Mr André Albert Jean Bos, catholique, habitant Amsterdam: »Le 9 septembre 1914, je me rendis en auto de Maëstricht par Tongern et Tirlemont à Louvain, où j'arrivai vers 1 heure de l'aprèsmidi. Dans une auberge, des Belges racontèrent qu'une bombe avait été lancée contre un auto allemand, mais je ne pus rien apprendre de bien précis à ce moment-là. Louvain avait été déjà occupé alors par les Allemands; je ne pus y séjourner que jusqu'à 3 heures du soir, le commandant de la place m'ayant invité à partir parce qu'on S'attendait à une attaque des Belges. Je passai la nuit à Maëstricht et voulus revenir à Louvain le jour suivant; mais je ne dépassai guère Tirlemont dû l'on me fit rebrousser chemin. Le lendemain, je me rendis en bateau de Maëstricht à Liège. Je descendis à Visé et à Lixhé, où je pus constater à plusieurs maisons, et à différentes hauteurs d'étages, des trous carrés formant meurtrières, d'où les Belges m'avouèrent qu'ils avaient tiré. Ils prétendirent d'abord que les Allemands avaient tiré les premiers; mais je leur fis voir les trous, travaillés à la scie et disposés de manière à permettre à plusieurs personnes, soit couchées, soit debout sur une table, soit assises sur une chaise, de faire feu de la chambre. A Lixhé, on me refusa l'accès d'une maison, bien que j'offrisse de l'argent. Les trous y étaient encore quand je repassai le 20 novembre 1914 avec mon frère pour me rendre à Liège. A Liège, je ne constatai alors rien de particulier. Le 22 septembre, je me rendis par Aix-la-Chapelle, Mafistricht, Tirlemont, à Bruxelles, et de là à Charleroi, par Nivelles. A Charleroi, un Monsieur d'un certain âge, paraissant appartenir à la meilleure société, m'a raconté qu'un civil belge avait déjà mis en joue pour tirer sur les soldats allemands, mais qu'il avait tué un Belge par erreur. L'auteur de cette méprise m'a confirmé lui-même l'authenticité de ce récit. J'avais accompli d'abord le voyage de Charleroi en tramway électrique et à vapeur, puis dans une voiture de louage. Mon retour à Bruxelles s'est effectué de la même façon, et sur le parcours d'Esplinettes à Bruxelles, dans le tramway électrique, j'entendis un voyageur qui, en flamand, je crois, langue que je comprends parfaitement en ma qualité de Hollandais (je parle aussi français couramment), disait à un autre: »Si la bombe n'était pas tombée juste dans une voiture pleine d'officiers allemands, Louvain n'en aurait

53 pas vu d'aussi cruelles.« L'autre répondit: »J'ai du mal à le croire.« Sur quoi le premier riposta: »J'y étais moi-même.« J'ajoute encore qu'à mon premier retour de Liège à Maêstricht, sur le vapeur »L'hirondelle«, un Monsieur m'a raconté, sans que je le lui demandasse, qu'il était obligé de porter un vieux costume, car il avait donné volontairement ses cinq autres & des soldats belges qui s'étaient enfuis de chez lui par une issue de derrière, après avoir tiré des fenêtres sur les Allemands pendant plusieurs heures. Lui-même, pendant tout ce temps-là, était resté caché dans sa cave. Notre conversation avait lieu en français.« On barricadait les rues ; dans tous les villages, les sinistres tirailleurs faisaient le coup de feu. Les documents recueillis à ce propos sont innombrables; citons la déposition d'un major allemand, entendu après la prestation du serment prescrit.

Elle est typique:

»Le 4 août, à 10 heures du matin, la 27 i o e brigade d'infanterie renforcée, où j'étais chef de bataillon, franchissait la frontière belge près d'Henri-Chapelle. Juste après la frontière, la route était barrée par de grands arbres, fraîchement abattus et jetés les uns sur les autres. En poursuivant notre marche sur Liège, nous rencontrâmes encore un grand nombre de barricades semblables, ainsi que des tranchées creusées en travers de la route pour nous arrêter. Tous ces obstacles étaient de construction récente, quelques-uns même encore inachevés. Comme en deçà de Liège, aucun militaire belge ne se montrait nulle part, nous eûmes déjà l'impression que ces ouvrages étaient le fait des habitants. Cette supposition nous fut confirmée par des habitants que nous interrogeâmes et qui nous dirent y avoir été engagés par le Gouvernement (c'est-à-dire par le bourgmestre et le gendarme). Dans les villages de la frontière — surtout à Aubel — l'attitude des habitants avait été particulièrement amicale. Le 4 août dans l'après-midi nous fûmes arrêtés assez longtemps par suite de la destruction d'un pont traversant un ruisseau à l'est de Julémont. J'avais le commandement de l'avant-garde, et je fis reconnaître un autre passage situé à proximité du pont détruit. C'est alors qu'un premier coup de feu partit d'une ferme attenant à ce passage. Ma patrouille me rendit compte qu'il avait été tiré par un jeune paysan de la ferme. Nous franchîmes le passage et marchâmes jusqu'à Julémont; là, à l'entrée du village, une fusillade assez vive, mais sans effet, nous accueillit des maisons et des jardins. D'après le bruit des coups, ce devait être un feu de pistolets et de revolvers. Nous ripostâmes, et un civil fut tué, autant que je me rappelle. Nous passâmes la nuit à Julémont, et, si mes souvenirs ne me trompent pas, nous arrêtâmes quelques indi-

54 vidus trouvés porteurs d'armes. Je crois également que le lendemain, le bourgmestre de la localité fut emmené prisonnier; toutefois je ne saurais rien affirmer de précis à cet égard. Le 5 août de grand matin, nous nous dirigeâmes sur Liège (Fort Barchon). En approchant du village de Blegny, nous observâmes plusieurs civils à une barricade qui se trouvait là; ces gens, d'allure suspecte, disparurent à notre approche. Peu après, le fort Barchon, d'où nous ne pouvions pas avoir été aperçus, ouvrit le feu sur nous; plus de doute, une communication existait entre le village et le fort. Dans l'après-midi du 5, un combat très vif s'engagea avec la garnison du fort Barchon. C'est alors que les habitants commencèrent à tirer sur la 4 ème compagnie de notre régiment. Ce fut bientôt dans Blegny une fusillade générale. On tirait des maisons, des jardins, des haies, de partout. Vers le soir, à la tombée de la nuit, ce feu prit une telle intensité qu'il fallut aviser à des mesures énergiques. Le matin du 6 août, le régiment se trouvait rassemblé, lorsqu'une nouvelle fusillade partit du village ainsi que des maisons et des haies sur la route à l'ouest de celui-ci. Les tireurs dans Blegny et à côté ne pouvaient être que des civils, car aucun soldat ennemi en uniforme ne se trouvait plus sur ce terrain, que nous occupions. Le 7 août dans l'après-midi, notre régiment (moins un bataillon) bivouaqua avec une batterie de mortiers à l'ouest de Battice. Nous fûmes encore fusillés sans interruption des fermes, des jardins, et surtout d'une fosse de mine. Ici encore le feu ne pouvait provenir que de civils, aucune troupe belge n'existant par là à une grande distance. Dans la soirée, Bettice fut incendié par d'autres corps de troupe.«

La déposition du chauffeur d'automobile Franz Sonnenschein, de la 19e division de réserve, nous fournit un tableau pittoresque, non seulement des agissements des francs-tireurs, mais aussi de la conduite de leurs familles. Le témoin, pris pour un Anglais, eut le loisir d'examiner de près ces prétendus »combats homériques«. Il prête le serment prescrit et dépose en ces termes: »Au début de la campagne, j'étais attaché comme motocycliste au régiment de réserve d'infanterie n° 78. Le jour où la division passa à Charleroi, je me trouvais à la pointe de cavalerie formée par le régiment de réserve de dragons n° 6. Vers 8 heures du matin, nous arrivâmes à Jumet. Les rues étaient pleines de gens qui disparurent dans leurs maisons à notre approche. A un embranchement de rues, la pointe de cavalerie se divisa. Soudain, d'une rue latérale à gauche, une patrouille de cavalerie française, forte d'environ 12 hommes et conduite par un officier, déboucha dans la rue où je me trouvais et

passa près de moi au trot en longeant cette rue. J'arrêtai mon motocycle et descendis de ma machine. Lorsque la patrouille reparut dans ma rue, je me trouvais alors à 50 m environ de la rue adjacente d'où venait cette patrouille. Plusieurs cavaliers ennemis se retournèrent sur leurs chevaux et tirèrent sur moi avec leurs revolvers, mais sans m'atteindre. Prenant alors ma carabine, j'étendis du premier coup un des ennemis, et du second coup, je blessai l'officier et son cheval, qui Rabattit, en entraînant son cavalier dans sa chute. Le reste de la patrouille s'enfuit vers la gauche et tourna le coin de la rue. Pendant ce temps, notre pointe de cavalerie était revenue. L'officier français blessé, gisant à terre, tira sur nous Allemands avec son revolver, et un coup de crosse le cloua sur le sol. Lorsqu'une assez grande partie du régiment de dragons était déjà passée, une violente fusillade éclata soudain de tous les côtés. Un coup de feu mit ma machine hors de service, et je dus enfiler à pied une rue latérale pour chercher à rejoindre ma troupe. J'aperçus dans une autre rue deux fantassins français (capotes bleues, pantalons rouges), de sorte que je m'esquivai à travers haies et prairies, de manière à regagner la grande route par où mon régiment devait passer. Mais je m'égarai et arrivai sur une route où se trouvaient des civils, hommes jeunes et vieux, ainsi que des femmes. Les hommes étaient pour la plupart munis d'armes'à jeu (fusils, fusils de chasse, pistolets). Quelques femmes tenaient à la main de grands couteaux de cuisine. Comme je portais une casquette à visière, ces gens me prirent pour un Anglais. Quand j'approchai plus près, ils me crièrent: »Anglais, Anglais«, m'offrirent toutes sortes de rafraîchissements, et me mirent aussi de l'argent dans la poche. Je les laissai dans leur erreur, car autrement, j'étais perdu sans ressource. Je baragouinai un mauvais allemand, et cherchai à m'entendre avec ceux qui parlaient flamand. Je dis que j'étais une patrouille anglaise et m'informai où se trouvaient les Allemands, mais personne ne put me renseigner. On m'offrit un refuge dans une cave pour le cas où les Allemands arriveraient. Pendant que j'étais en conversation avec ces gens, je m'aperçus qu'ils voulaient me conduire auprès d'une jeune fille qui savait l'anglais; je fis alors semblant de ne pas comprendre leur proposition, je dis que je n'avais plus le temps et me dirigeai à pied vers un ravin couvert de buissons, au pied d'un puits de mine. Je pouvais voir de là sur une autre route, où se tenaient également des civils armés. Je voulais attendre là, quand les troupes allemandes se montrèrent, et alors je cherchai à me joindre à elles. Les gens rentrèrent çà et là dans leurs maisons, puis reparurent de nouveau au bout de quelque temps. Une partie d'entre eux, en s'enfuyant, passa près de l'endroit où j'étais blotti, mais sans me voir. Un gros civil belge, d'une cinquantaine d'années environ, vint se cacher tout pris de moi', U tenait à la main un énorme revolver. Je vis également une femme faire

06 un signe de la route, sur quoi un fantassin français sans fusil et sans sac accourut en descendant la route et disparut avec la femme dans une maison. En voyant arriver de l'artillerie allemande, je bousculai le civil belge et me fis reconnaître comme Allemand à l'officier en tête de la colonne. J'indiquai la maison où était entré le fantassin français. Je le trouvai dans la cave, caché dans un renfoncement. Il n'avait que son sabre-baïonnette et pas d'autre arme. Les artilleurs l'emmenèrent après l'avoir fait asseoir sur un avant-train.«

Nous venons d'assister à des scènes de guerre nationale quasi idylliques; mais il en est d'autres où la plus infâme perfidie joua un rôle terrible. Les troupes allemandes font partout les mêmes expériences: accueil cordial pendant le jour, rafraîchissements offerts, eau gracieusement puisée, générosités octroyées presque de force aux soldats, tel est le tableau aussi longtemps que le soleil n'est point encore arrivé au terme de sa course. La nuit étend-elle son voile, un signal est donné: coup de feu, son de cloche ou fusée. C'est le signal de l'attaque. Colonnes en marche, bivouacs, postes de secours aux blessés, rien n'est à l'abri de ces héros nocturnes. Les blessures des soldats allemands prouvent l'emploi de toutes les armes possibles. Il ne manque aucun des modèles énumérés avec complaisance dans le télégramme du commandant Rock reproduit plus haut. On observe principalement les blessures par chevrotines; mais les fusils de chasse tiraient également des balles avec leur terrible effet de Dum-Dum. Les ambulances de la frontière en savent quelque chose. Le docteur Molly, chef du service chirurgical de l'hôpital St. Nicolas, à Eupen, dépose comme il suit, après avoir prêté serment: »Presque tous les soldats blessés pendant les premiers jours de la campagne sur le parcours d'Eupen à Liège, ont été traités ici. Il s'en trouvait un grand nombre dont les blessures provenaient de coups tirés avec des chevrotines. D'autres blessures avaient été causées par des balles n'appartenant ni1 à un fusil militaire belge, ni à un fusil militaire allemand, car l'orifice d'entrée de la plaie était beaucoup plus large que ne le produisent les projectiles d'infanterie.

57 Je citerai entre autres le soldat Félix Hohmann, de la 8 ème compagnie du régiment n° 13. Il avait reçu une blessure d'environ 20 cm de profondeur, avec une arme blanche ayant pénétré dans les reins par le côté droit du ventre. Le coup doit avoir été porté avec une canne à épée ou avec un stylet, vu que malgré la profondeur du canal de la plaie, l'orifice d'entrée ne présentait qu'une fente très mince d'un demi à un cent, de longueur tout au plus. Hohmann a été guéri. Une femme, blessée dans la même circonstance, avait dans sa plaie un projectile court et gros, de 9 mm environ, avec enveloppe en laiton, ne répondant à aucun modèle d'arme à feu allemand officiellement adopté. Le fusilier Karl Grandisch, de la 2éme compagnie du régiment n° 35, raconta, lors de son admission à l'ambulance, qu'en passant près d'une haie, un coup de feu en était parti tout à coup presque à bout portant, et l'avait atteint au bras droit. Le coup n'a pu d'après mon opinion être tiré qu'avec des chevrotines, car le bras était complètement arraché et ne tenait plus que par un filet de chair de la grosseur du doigt ; les livres de la blessure étaient très fortement déchiquetées. Une amputation immédiate était inévitable.«

Ce témoin nous apprend encore quelles difficultés présentait le transport des blessés au milieu des tirailleries aveugles et désordonnées de la population. Le docteur Molly, d'accord en ceci avec les nombreuses dépositions d'autres témoins dignes de foi et ayant prêté serment, raconte d'après sa propre expérience qu'en allant relever les blessés avec des automobiles à trois endroits différents, le jeudi, le vendredi et le samedi de la première semaine de la guerre, il reçut chaque fois des coups de feu. Le jeudi, quelques coups furent dirigés contre l'automobile, des dernières maisons de Pepinster. Le docteur Molly ajoute: »Outre le son, la fumée et l'éclair du coup de feu entre les persiennes des fenêtres permettaient d'établir qu'il ne s'agissait pas d'armes de guerre. De plus, nous aperçûmes une fois, à une assez grande distance, des individus qui, à l'approche de l'auto du service de santé, rentrèrent en courant dans une maison d'où un certain nombre de coups de feu partirent alors contre l'auto.« Mais les coups d'estoc et de taille, le tir avec les armes

58 à feu, ne suffisaient pas à cette tourbe. Nous avons vu qu'à Andenne, les forcenés avaient jeté de l'eau bouillante sur les colonnes allemandes; des témoignages faits sous la foi du serment nous certifient qu'à Louvain, on lança du goudron des fenêtres, et des pierres à Dinant. Pour avoir une idée de l'extension énorme de ce fléau des francs-tireurs, il faut prendre la peine de compulser les noms de localités dans lesquelles, d'après des milliers de témoignages prêtés sous serment, les troupes allemandes furent assaillies par des civils armés. On trouvera aux annexes une liste dressée à l'aide des documents parvenus jusqu'à présent: ce ne sont pas moins de 235 localités dont la position géographique est facile à trouver; à celles-ci s'en ajoutent 46 autres dont nous n'avons pas pu déterminer l'emplacement sur les cartes à notre disposition, en général à cause de l'écriture défectueuse. Le passage de Varmée allemande en Belgique a été un véritable calvaire, dont pouvait seule triompher une discipline à toute épreuve. Des Belges dignes de considération, comme le comte de Villegas et Monsieur Fernand du Bus de Warnasse, dont on a lu plus haut les dépositions, ne cherchent pas à nier les effroyables excès de la population. Mais la presse belge se trahit elle-même; à côté des articles habituels d'excitation acharnée, nous y trouvons des détails sur les exploits des francs-tireurs dans plusieurs endroits: Liège, Visé, Orsmael, Bernot et Berneau. On lit par exemple dans le Nouveau Précurseur d'Anvers (jeudi 6 août 1914): »Incendie et meurtre à Visé. Hier un détachement allemand s'est emparé de Visé, bourg important sur la rive droite de la Meuse, et comme des coups de feu tirés des maisons les accueillaient, ils ont mis le feu aux maisons et ont tiré sur des habitants inoffensifs. •

59 Et dans le Matin, d'Anvers (13 août): »A Dormael, les trois frères Sevenans qui avaient tiré sur les Allemands, furent tués à coups de carabines, leurs corps criblés de coups de lance, leur maison incendiée.«

Les divergences de vues entre les partisans de Monsieur Warweiler, toujours généreux d'ailleurs, car il nous concède deux braconniers, et nous, n'existent, à tout bien prendre, que dans la qualification. Nous autres Allemands nommons un misérable coquin celui qui fait ainsi traîtreusement le coup de feu ; pour ceux d'avis contraire, le même individu devient un membre de la garde civique non active ou son ami (quelquefois peut-être aussi, son amie); ou bien c'est un inoffensif soldat belge, transformé en civil de son propre chef, qui désire satisfaire la curiosité de son hôte sur l'emploi des armes à feu; et si l'hôte lui-même se livre à un petit exercice pratique, comment pourrait-on décemment lui en savoir mauvais gré? La guerre nationale est-elle ou non permise ? C'est là une question vraiment oiseuse. La Convention de la Haye est pourtant bien formelle à cet égard, car elle prescrit: des insignes visibles, des armes apparentes et des chefs. Le Gouvernement allemand, toujours consciencieux, a fait constater à plusieurs reprises par les troupes, sous la foi du serment, qu'aucune de ces conditions n'existait. Un major allemand, ainsi assermenté, détruit d'un seul coup tous les misérables faux-fuyants de la partie adverse: »1. Dans les environs de Liège, la population civile se livra à des actes d'hostilité, même après l'occupation par nos troupes des localités en question; tel a été le cas principalement pour les localités situées sur nos communications en arrière, mais complètement en notre pouvoir. 2. Je n'ai jamais observé que les civils se livrant à des hostilités portassent leurs armes apparentes. Les attaques se produisaient en général sournoisement et traîtreusement des maisons, des jardins, de derrière les haies, après que la troupe, les colonnes ou les convois

60 avaient fait halte pendant quelque temps dans la localité ou à côté, sans recevoir de coups de feu. 3. Je n'ai jamais observé que les civils ayant pris part à des hostilités contre nous fussent revêtus d'un insigne certain, ni surtout d'un insigne visible de loin. En particulier, les civils tués ou faits prisonniers dans les combats de rues, et que j'ai eu occasion de voir, n'en portaient aucun. Je n'ai vu d'insignes qu'une seule fois. C'était à la garde civique active de Liège; elle les portait en venant déposer ses armes après la prise de la ville. Ces insignes consistaient en une espèce d'uniforme. J'ignore si cette garde civique a pris part au combat. 4. Je n'ai jamais observé ni entendu dire qu'à la tôte des civils s'étant livrés & des hostilités contre nous, se trouvât un chef responsable. J'ai toujours eu l'impression que les attaques étaient exécutées en bandes ou isolément.«

Où sont donc les noms des chefs héroïques qui dirigeaient le feu, de la chambre, du grenier, des toits, de l'étable, et de derrière la haie ? Aucun d'eux ne s'est jamais fait connaître, pas plus auprès des troupes que dans les camps de concentration pour les civils, alors que plusieurs soldats belges déguisés ont demandé à rejoindre leurs camarades prisonniers de guerre. On cherche de même en vain dans le fouillis des brochures ou publications belges une seule ligne qui livre à l'admiration des générations à venir les noms et les exploits de ces héros discrets. Aucun Allemand n'a jamais eu devant les yeux le moindre insigne »visible« — brassard et cocarde; à quoi bon des insignes d'ailleurs dans l'obscurité de la nuit! Quant aux armes »appaVentes«, les soldats allemands durent les chercher derrière le fourneau, les descendre du grenier, les remonter de la cave. Pendant la journée, alors qu'il s'agissait de montrer »patte blanche« aux Barbares, couteaux et revolvers reposaient dans leurs cachettes; la nuit venue, l'arsenal se mettait en branle. Le lion de Flandre, comme celui de l'Atlas, aimait à profiter des ténèbres; mais ce lion devenait un lièvre timide

61 et fuyant, dès que le chant du coq annonçait les premièreslueurs du jour. Monsieur Waxweiler met son espoir dans l'intelligence de la nation suisse. Le peuple montagnard et libre, dont nous autres Allemands admirons et apprécions si hautement le courage viril, sera-t-il très flatté de cette marque de confiance ? Erni Winkelried ne donna point une traîtresse hospitalité aux chevaliers autrichiens, avant de faire un faisceau de leurs lances contre sa poitrine, à Sempach; les Suisses soulevés se conduisirent en ennemis loyaux envers Varmée ennemie complètement défaite à Morgarten. L'armée allemande dut se frayer un chemin à travers la Belgique sous le feu de tireurs cachés à droite et à gauche pour décimer ses soldats en marche.

VIL Le Gouvernement belge et ses proclamations. La guerre nationale était un programme. Le Gouvernement a tout fait pour allumer l'incendie dans la cabane du paysan comme dans la maison du citadin. L'enchaînement de notre matière en fournit la preuve. La presse se chargea de séduire les petites gens en exaltant à leurs yeux le mérite immortel d'un acte accompli pour le salut du pays. La Commission d'enquête au moyen de ses récits de cruautés, sema l'horreur et l'effroi à l'approche des colonnes allemandes; avec le fanatisme réveillé, naquit la conviction de faire œuvre méritoire envers la patrie en exterminant secrètement les Barbares, et, le fatalisme aidant, chacun de se dire: plutôt toi que moi! D'ailleurs, ces Huna de la Germanie, aussi lâches que cruels, ne demandaient-ils

62 pas grâce, dès que la griffe du lion de Flandre se faisait sentir ? Chaque paysan pourrait facilement en abattre dix — à condition toutefois d'user de la prudence nécessaire. Le Gouvernement ne fit absolument rien pour s'opposer aux indignes traitements infligés aux Allemands expulsés au commencement de la guerre. Pour nous, qui avons laissé pendant longtemps les nationaux ennemis — en tant qu'exempts de toute obligation militaire —vaquer tranquillement à leurs occupations, et qui n'avons procédé à leur arrestation que plusieurs mois après par mesure de représailles pour la captivité ignominieuse de nos femmes et de nos enfants en pays ennemi, nous ne comprendrons jamais les tristes scènes dont la Belgique donna le spectacle lors de l'expulsion des civils allemands. Certes le Gouvernement belge n'en porte pas la responsabilité immédiate, bien qu'il n'ait pris aucune mesure pour assurer des moyens de transport suffisants, obligeant par là les malheureux fugitifs à errer de gare en gare au milieu des insultes et des huées de la foule, et à parcourir à pied, en abandonnant tout leur avoir, la dernière partie du chemin jusqu'à la frontière. Des centaines de témoins oculaires de ce long martyre confirment sous la foi du serment les humiliations qui furent infligées à nos compatriotes par les Belges, tant en paroles qu'en actions. Mais le Gouvernement belge a contribué indirectement à soulever les plus bas instincts, par sa peur des espions poussée jusqu'au grotesque, et grossie encore par la presse. On peut mesurer les conséquences de cette tactique de la peur auprès des autorités, en lisant les proclamations dans lesquelles, longtemps après la sortie des Allemands de ce pays inhospitalier, on ne craint pas de jeter le soupçon sur des étrangers et même sur des compatriotes, à cause de leurs relations d'affaires ou de famille avec un Allemand. Qu'on relise les

63 proclamations du Matin, d'Anvers, des 13, 25 et 28 août 1914. N'est pas déclaré espion seulement celui qui cache des armes dans sa maison ou quiconque ne se conforme pas aux prescriptions relatives aux signaux lumineux, mais sont encore considérées comme tel toute personne qui ayant reçu depuis le 9 août des correspondances de sujets allemands, ne les aura pas livrées jusqu'au 26 août, et toute personne chargée soit d'intérêts allemands, commerciaux ou civils, soit des intérêts d'une famille d'expulsés, qui n'aura pas fait sa déclaration au Procureur du Roi ou au bourgmestre jusqu'au 27 août! On se figure sans peine la puissance de contagion de cette fièvre officielle jusqu'aux citoyens, finalement enclins à voir dans chaque Allemand un infâme criminel, digne de la mort par tous les moyens pour le plus grand bien de la patrie. La conduite odieuse des militaires et des autorités civiles belges envers les soldats allemands tombés en leur pouvoir contribuait encore à renforcer les sentiments de haine des civils témoins de ces traitements. Un document dont les Allemands se sont emparés nous apprend comment le meurtre des parlementaires, violation monstrueuse du droit des gens, fut ordonné aux soldats belges. Une circulaire de l'étatmajor belge aux commandants des forts et des redoutes, circulaire trouvée à la Redoute du chemin de fer, à Anvers, se termine ainsi : »11 sera tiré sans exception sur tout parlementaire ennemi qui s'approcherait d'un point quelconque des alentours de l'ouvrage permanent.« La circulaire est datée de Dùffel, 28 septembre 1914. Elle n'était d'ailleurs qu'un fidèle écho de la manière de voir constamment adoptée par l'armée belge. En veut-on la preuve? Nous la fournissons en reproduisant la déposition, faite après prestation du ser-

64 ment, de l'étudiant Hans Grabowsky, envoyé en parlementaire auprès des Belges: »Le 25 août, des pourparlers devaient être entamés avec le Gouvernement belge sur l'ordre de Son Excellence le général-lieutenant v. Bertrab. Sachant parler le français, je m'offris volontairement pour aller à Anvers et pour mener ces négociations avec le baron de Brockeville, Président du Conseil. Il s'agissait d'obtenir du Gouvernement belge de laisser sortir d'Anvers du matériel roulant, afin de faciliter le ravitaillement de la ville de Bruxelles, l'administration militaire allemande ne disposant pas d'un nombre de wagons et de locomotives suffisant pour transporter à Bruxelles les vivres en dépôt à S' Trond. Je fus présenté à Son Excellence le général-lieutenant v. Bertrab et je reçus mission de me rendre à Anvers et d'obtenir le nécessaire du Gouvernement belge. Le bourgmestre de Bruxelles, Monsieur Max, d'accord sur les démarches entreprises, me remit une légitimation ainsi qu'une lettre de recommandation pour le Président du Conseil belge, expliquant le but de ma mission et certifiant l'authenticité de sa teneur. La lettre portait la signature manuscrite du bourgmestre, Mr Max. Je reçus une autre lettre du commandant en chef du 3 êmo corps d'armée de réserve, opérant devant Anvers. Je me rendis immédiatement à Dieghem, siège du quartier-général de ce corps d'armée. Le général en chef, à qui je fus présenté, m'observa que la soirée était déjà trop avancée pour que je pusse remplir ma mission ce jour-là. Il me conseilla de revenir le lendemain matin. Je me présentai donc de nouveau le 26 août au quartier général du 3 i m e corps de réserve. Un officier me conduisit en automobile jusqu'aux avant-postes allemands; de là, je continuai seul ma route. Un mouchoir blanc me servait de drapeau parlementaire. Quelque temps après, j'arrivais aux avant-postes de la cavalerie belge. Je montrai mes papiers au lieutenant auprès duquel on m'avait conduit; celui-ci m'envoya sous escorte au major. L'escorte était composée comme il suit: devant mon automobile, et à gauche, un cavalier, tenant un Browning dont il menaçait mon chauffeur; à droite, un autre cavalier avec la carabine. Près du chauffeur et près de moi, deux soldats avec les armes chargées, prêtes à faire feu. Nous reçûmes l'ordre d'aller à l'allure du pas, autrement les soldats devaient tirer immédiatement sur nous. C'est avec ce cortège que nous arrivâmes devant un major. Celui-ci me fit subir un court interrogatoire dans des termes très corrects, puis on me banda les yeux, pour me conduire à un colonel. A partir de ee moment-là, j'ai iti traité comme un espion et un prisonnier. On m'emmena & Malines. En route, je dus descendre deux fois, d'abord pour me présenter devant un colonel, qui ne me dit pas un mot, puis devant un officier de gendarmerie; ce

65 dernier examina mes papiers et chercha à obtenir de moi quelques renseignements militaires que je me gardai naturellement de lui donner. Le voyage continua. A Malines, je devais comparaître devant un général. Je dus descendre de voiture et l'on me mena dans un local que je supposai être une grande salle. J'entendis quelqu'un demander à haute voix qui j'étais, sans doute aux hommes de mon escorte. On répondit que j'étais un espion allemand, et qu'on m'avait arrêté un peu en avant de Malines, sur quoi la voix reprit: »Dans ce cas, collez-le au mur et faites venir 6 hommes.« Les paroles furent accompagnées d'expressions offensantes et d'injures dont je ne me rappelle plus maintenant les termes. Je dis alors qu'il n'était nullement question d'espionnage, que j'étais envoyé comme parlementaire et que je désirais parler à celui qui avait le commandement. Là-dessus, les soldats qui me gardaient me bousculèrent en me donnant des coups dans les côtes et en me frappant dans le dos. On me fit subir un court interrogatoire, puis on me mit les menottes, et j'entendis qu'on demandait en flamand s'il fallait aussi m'attacher les pieds. Tout à coup, un autre officier vint m'interroger; il me fit enlever mon bandeau des yeux et ôter les menottes, en me disant qu'on allait me conduire à Anvers. A quelques pas de mois se tenait un général. Je le reconnus à sa voix comme celui qui m'avait déjà insulté d'une façon grossière et avait voulu me faire fusiller. Il tint de nouveau des propos insultants contre rAllemagne et contre moi personnellement. Il accusa l'Allemagne d'être tombée sur la Belgique et raconta de prétendues atrocités de nos soldats. Puis i) s'emporta contre les Allemands résidant en Belgique, en leur reprochant leur ingratitude de dévaster un pays grâce auquel ils s'étaient enrichis. Je lui répondis et lui exprimai mon étonnement d'entendre des propos aussi ordinaires dans la bouche d'un général. Je ne saurais plus reproduire le texte exact des injures en question. On me banda de nouveau les yeux et je fus emmené à Anvers par le chemin de fer, entre deux gendarmes. On me fit traverser Anvers à pied, toujours avec les yeux bandés. Le public ne cessa de me lancer des insultes et des menaces: »11 'faut Vassommer — il faut le pendre 1« Des curieux questionnaient les gendarmes pour savoir qui j'étais, et eux de répondre que j'étais un espion, et se vantant de m'avoir arrêté. Les menaces prirent des proportions telles que je pensai devenir victime de la fureur de la populace. On me conduisit dans un grand bâtiment où je dus fournir des explications à un àfficier. A ma déclaration que j'étais un parlementaire, il éclata de rire en me traitant d'espion. Je lui montrai mes papiers. »Ils sont faux, objecta-t-il, ou bien le bourgmestre a écrit sa lettre sous la menace des Allemands, le revolver au poing.« Je lui répondis que je n'avais plus rien à ajouter devant de pareilles suppositions. On m'emmena alors dans un autre bâtiment, à pied et les yeux bandés.. »Mettez-le dans un chenil, c'est assez bon G r a l l h o f f , La Belgique coupable.

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66 pour un chien