Kamerun! Une guerre cachée aux origines de la Fraçafrique 9782707159137


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Kamerun! Une guerre cachée aux origines de la Fraçafrique
 9782707159137

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THOMAS DELTOMBE • MANUEL DOMERGUE • JACOB TATSITSA

1 •

UNE GUERRE CACHEE AUX ORIGINES DE LA FRAN~AFRIQUE 1948-1971

Thomas Deltombe, Manuel Domergue, Jacob Tatsitsa

Kamerun! Uneguerre cacheeauxorigines delaFranrafrique (1948-1971)

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rour aller plus loh, Les lecteurs sonl ir1vltesä consulter le slte Web cree p.ir les autcurs pour accompag11er ce livre: www.kamcrun-.lesitc.com. Comportant d'utiles references bibliographiques, cartographiques et chronologiques, ce site est rcgulierement enrichi de documents i.nedits : archives, photographies, extraits video, etc. Les lecteurs sont cordialement invites ä y donner leur avls, ä completer les recherches, ä signaler aux auteurs les temoins ou les documents qu'lls pourraient con.na1tre.

LeCame1ounsous adminl\hatlon fran~aise et sous adml11istratlonbrlta11nlqueau inilieu des annees 1950. ,,,

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lntroduction

LesprlnclpalcsNapcsde la « gucrre cachec » de la Franccau Camcroun Du 22 a11JO 11111i1955,des erneutes eclatent dans tes grandes viUescamerounaiseset sont sevcrcment rcprirnl-cspar le Haut CommissaireRoland Pre, qui dissout l'UPCle 13 juiUet L955et pourchasseses mllitants, contraints d'entrer en clandestinite. Le 18 decembre 1956, l'UPC, qui a cree un Comite national d'organisation (CNO) pour boycotter les elections legislatives, lance Ja lutte armee contre l'occupant coloniai. Supervisecpar le Haut Commissaire Pierre Messmer,Ja repression s'abat sur l'insurrcction, particuliercment active en Sanaga-Maritime,le cceur strategique du pays (entre Yaounde et Douala). Une • Zone de maintien de )'ordre de la Sanaga-Maritime • (ZOE) est constituee pour pres de deux mois, au cours desquels l'armec franr;:aisemene de veritables" operations de guerre • contre les maquis natiooalistes, qui feront des milliers de victimes. Du 9 decembre 1957 au 31 d&embre 1958, le lieutenaot-colonel Jean Lamberton commande Ja Zone de paciflcatlon de la Sanaga-Maritime (ZOPAC).Les populaUons locates, soumises a une lntense guerre psychologique, sont regroupees dans des camps, tandis que l'armee et la pollce colonlales, aidces par les milices tocales, traquent les maquisards. Du 18 janviera1125 mal 1959, lcs autoritcs fran~aisesinstallent un • Dispositlfde protection dans les reglons de l'Ouest-Cameroun » (DIPRO),commande par Lamberton. Mais lcs militaires franr;als,qul souhaltaient reproduire la ZOPACii l'Ouest-Cameroun (rcgion dite • ßarnJJeke•), se montrent de~us par ce dispositlf ii vocatton "defensive•· Facea l'Armec de liberation nationale du Kamerun (ALNK),creee le 31 mai 1959, les gendarmes fran~ais se trouvent en premiere ligne dans un Cameroun devenu • .Etat autonome• en janvler 1959. L'attentisme qui se manifeste al'approchc de la prodamation de 1'«independance • n'empeche pas les forces de l'ordre contrölees par la puissance coloniale de muJtiplier des operations de represslon clandestine, systematisant notamment le rccours ala torture et aux disparitlons forcees. Le20 decembre1959, le general Max Briand prend le Commandemen t interarmees des forces frani;aisesau Cameroun (COMINTERARM). To11ta11long de l'amuie 1960- alors que le pays est desormais reputc • indepcndant » -, il mene dans l'Ouest-Cameroun une guerre intensive vlsant ii « reconqucrir • les zones contrölees par les combattants natlonalistes. Au prix de milliers de morts, la region est ravagee par les bombardements aertens, lcs operatlons de bouclage agrande eche!le et le deplacement progressifde centaines de millte.rsd'habitants dans des« villagesde rcgroupement •· Au 1" janvier 1961, les operatlons passent officiellement sous commandement camerounais. Mais Jes troupes frani;a1sesrestees sur place conservent des « activites operationnellcs • jusqu'au cMbut1962, puis se maintiennent au Cameroun, « en appul • aux forces de l'ordre locales, dans le cadre d'une • misslon mllltaire • qui ne sera dissoute qu'en decembre1964. Au milieu des ar111ees 1960, alors que la France, dans le cadre de la • cooperatlon •, conscrvc toutc son emprlse sur lc rcgimc d' Ahmadou i\hidjo, cclul-ct rnnlinuc il utlliscr lcs tcchniques de la • guerre revolutionnaire • enseignccs par le, ofrlclers frnn~ats,avec un triplc objcclif: di~clpllncr lc~ populotlon~ clvlles; &:ra)er lcs up~chtcs cn cxll qul loncc11tdt•soffensives dcpul~ lc Congo-llrnuovlllc; et cornballl'l' lc~grm1pcsorrn~,qul rt-,l\1c11t~ l'O11c~tJmqu'ou d~hu1dl•, r11111e1'S 11170.

Enquetesuruneguerreoubliee La polltique touche a tout et tout touche ä la polltique. Dlre que l'on ne fait pas de polittque, c'est avouerque l'on n'a pas ie d~slrde vlvre. • RubenUMNvost "· «

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a RocheHe,20 novembre 2008. Une finde matinee ensoleillee,dans un bei appartement rlchement decore de statuettes africaines,de medailles milltaires et de photos jaunies. Nous sommes chez Jean Lamberton. Ce nom n'evoque sans doute rien ä ceux des lecteurs fran~aisqui n'ont pas eu l'occaslon de s'interesser aux epopees coloniales et postcolonialesde leurs armees. Leslecteurscamerounais,du moins ceux qui se sont penches sur l'histoire de leur pays,en ont en revanche certainement entendu parler. 11ssavent que cet officier fran~aisa joue un röle important dans l'ecrasement du mouvement nationaliste camerounais, incarne dans les annees 1950 et 1960 par !'Union des populations du Cameroun (UPC). Le general Jean Lamberton est mort en 2004, sans que jamais personne ne soit venu aLa Rochellepour l'interroger sur sa carriere militaire ou sur son experlence camerounaise. C'est donc aupres de son epouse et de son füs que nous cherchons a comprendre le destin de ce soldat meconnu. La rencontre est chaJeureuse,la discussionanimee et les crevettesoffertesadejeuner excellentes. Mais nous n'apprenons que peu de choses sur l'homme que nous n'avons pu rencontrer. Jean Lamberton, nous dit-on, etait un epoux et un pere strict, devoue, tres discret sur son activite professionnelle.IIetait surtout amoureux de son pays et de ses forcesarmees.Comme beaucoup d'autres.

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/11tr0. Les doctrines fran~aisesde contre-insurrection ont mute en systeme de gouvernement. Quelques mois apres l'independance, tandis que les operations de guerre se poursuivaient dans plusieurs regions du pays, une dictature implacable fut lnstallee. Concentre dans les mains du president Ahmadou Ahidjo et de son entourage, mais appuye par la « cooperation » et I'« assistance technique » fran~aises,le pouvolr carnerounais a recycle les methodes guerrieres utlllseescontre les maquls de l'UPCpour lcsapp.liquerä Lauslcs NU, lc W mnl 1955,por Samuel Dumbc, lc ~ccrNairc de l'UPC de Douala, qul

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K",,,,,,.,,,,, ! conccrt~e de rccour:. ~ la violcnce par l'UPC, les autorlles fran(nl~c~pa,lcnt tres rapidernent de« plusieursdizaincsde paysans assassines» par les natlonalistes, tandis que ces derniers renvoient sur les premieres la responsabilitede "milliers » de victimes 25 • Un des ennemis jures de l'UPC, l'ancien ministre fran~ais Louis-PauJAujouJat, longtemps elu du Cameroun, mentionnera quant ä lui Je chiffre d'« un millier de morts » provoques par la represslon fran~aise,quand J'historien americain VictorT. Le Vine juge credible ceJuide « deux milliers », sans preciser toutefois dans quel camp iJ !es situe 26• Etant donne Jes chiffres precedents, qul concernent des operations ponctuelles, Ja comptabilite fournie par l'armee fran~aise concernant ses propres operatlons militaires en Sanaga-Maritimeentre 1957 et 1958 parait parfaitement fantaisiste. Elle ne fait mention, entre novembre 1957 et novembre 1958, que de« quatre cents rebellestues 27 ». Nous ne connaissons pas Jes bilans chiffres mis en avant par l'UPC,rnais, compte tenu des indications que l'on retrouve dans les textes de Ruben Um Nyobe et de ce que nous savons par aHleursde la nature de la repression, il ne fait aucun doute que les operations militaires dans cette region ont fait des milliers de morts, peutetre plusieurs dizaines, avant comme apres la mort du secretaire general de l'UPC,en septembre 1958, qui compte lui-meme parmi les victimes. On peut signaler ä titre d'exemple que le mercenaire « pro-fran~s » Jacques Bidjoka reconnaitra, en 1961, avoir tue avec sa seule bande dans cette region « plus de six cents personnes, sous la pression des colonialistes», depuis Jedebut des 28 troubles • Mais il faut savoir que l'homme est alors accuse d'avoir tue un sous-prefetet que cet aveu Jui a peut-etre ete extorque, sous Ja torture, par des forcesarmees franco-camerounaisesspecialistesen la matiere... Ledecompte effectuedebut 1961 par le general Max Briand,chef des operations militaires fran~aisesau Cameroun, doi.tegalement etre prls avec des pincettes. II n'evoque, pour la seule J'annee 1960, qu'« un peu plus de 20 000 morts » dans le departement Bamileke,celui ou Ja France concentre alors ses efforts et multiplie les bombardements 29• A la meme periode, la revue fran~aise Realitesparle d'une fourchette de 20 000 ä 100 000 morts entre decembre 1959 et juillet 1961 30• Fin connaisseur du Cameroun et proche des autorites fran~aises, le journaJiste du quotidien Le Monde Andre Blanchet s'essayeä son tour ä un bilan chiffreau cours d'une conference qu'il prononce en octobre 1962 au Centre d'etudes de politique etrangere: « Deja pendant Ies ceremonies [ä l'occasion de Ja proclamation de l'lndependance du Cameroun, le 1~•janvier 1960], je me rappelle qu'un officiel fran~ais, membre du cabinet [d'Ahmadou Ahidjo], m'avait parle de 12 000 morts d'ores et dejä deplores en pays bamileke. Tout recemment quelqu'un, dont je n'ai pas pu parlc de • plu~ de 5 000 Cnmero1111al~ • ru~~. ofoutnnl quc • Jegouvcrne111e11t frn111,ul\ an~anlll I0UI. La lucidite de l'administration franc;aise au Cameroun est pourtant bien tardive. En 1945, eile semble sous-estimer la capaclte de nulsance des« colons de combat », consideres dans un premier temps comme « trente moutons menes par six ou sept agitateurs sans envergure 29 ». Ce sont pourtant ces « trente moutons » qui creent, le 15 avril 1945, I' Associatlon des colons du Cameroun (Ascocam) dans le but de defendre Ja colonlsation franc;aiseet les interets des colons. Ce sont eux egalement qui organlsent, du 2 au 8 septembre aDouala, des« Etats generaux de Ja colonisation franc;aise>>,auxquels ils convient leurs homologues d'Afrique subsaharienne franc;alse. Ce grand raout colonialiste se veut le pendant de la conference de Brazzavllle, consideree dans leur milieu cornme un ~ compose cle fasclsme et de dcmagoglc 30 ».

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dans chacun des terrltolres, les rran~ais appartiennent au college d~s « citoyens de statut civil commun », tand.isque les Africains sont regroupes au sein du college des « citoyens de statut personnel ». Un decret du 7 mai 1945,signe par de Gaulle,fixe le statut des« notables evolues », seuls autorises a voter. Pour en faire partie, il faut avolr un travail, etre titulaire d'un certifkat d'etudes et etre considere comme de« bonne moraJite » - ce qui reste a l'appreciation vigilante du chef de subdivision, habilite a soumettre les candidats a un examen. La premiere Assemblee constituante siege du 6 novembre 1945 au 26 avril 1946. Le contexte politique est plus favorable que jamais a des reformes progressistes.Alors que la droite dure est decredibilisee par Vichy, socialisteset communistes occupent les deux tiers de l'Hemicycle.Et lorsque, le 20 janvier 1946, de Gaulle, furieux de voir que les travaux de la Constituante refusent de lui tailler un regime presidentiel sur mesure, quitte le pouvolr, Javoie est libre pour reformer. En quelques mois, d'importantes lois sont votees, qui accordent plus de droits aux « indigenes » et une plus grande autonomie a leurs territoires. Des Je 22 decembre 1945, l'indigenat avait ete supprime: c'est desormais le code civil fran~ais qui s'appliquera dans les territoires d'outre-mer. Le 11 avril 1946, Ja loi Houphouet-Boigny,votee a la quasl-unanimite, abolit le travail force3 • Le30 avril 1946, un decret instaure Je FIDES.Leslibertes d'association, de reunion et d'expression sont accordeesles unes apres les autres. Enfin, en vertu de la Joi Lamine Gueye, les « indige.nes» deviennent des« Citoyensde !'Union fran~aise». La Constituante va plus loin encore lorsqu'elle institue, pour chaque colonie, une assemblee territoriale. D'apres le projet de constitution qu'elle elabore, ces assemblees territoriales, elues au suffrage universel direct, sans double college, seraient chargees de l'administration du territoire ä la place des gouverneurs habltue.ls.De plus, !'Union fran~alsedevrait etre « librement consentie » par les populations interessees. Mais ces deux dernieres dispositions ne seront jamaisappl1quees: le projet de Constitution, vilipende par les gaullistes et le MRP,est rejete par !es electeurs, a la surprise generale, lors du referendum du 5 mai 1946. Au Cameroun, Je college des Fran~aisa massivemen t vote contre. A Paris,tout est a refaire.

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Contralrl!mcnt aux d(:claratlons de Bra1.zavillcqui pr~voynlcnt 1111d~lal de clnq au~. la lol l louphoul/t•ßolgny pr~volt l'abollUon hnmMlate et san) translt1on du tr~vull fort~. Fn pratlquc, la tr,tfl\lllon prendr,1be.iutoup de tcmps ...

I •., U11/tm/11111~11/"'. 1111 /11(11111,·, /l/11,l11m,/cJ/J1,11111vlll,: ( 1946•1!>47)

Lesbalbutiementsde lll IV" Rlpublique Nouvclle election. Au sein de la seconde Assembleeconstituante, c'est desormais le MRP,fort de Ja victolre du « non », qui devient Je premler parti et fait acceder l'un des siens, Georges Bidault, a Ja presidence du gouvernement provisoire.Le lobby colonial, qui a senti le vent du changement passer tres pres, s'organise. Les deuxiemes etats generaux de Ja colonisation, nouvelle edition du grand raout colonialiste apres ceux de Douala l'annee preceden te (voir chapitre 1), se tiennent a Paris du 30 juillet au 24 aoat 1946. L'Academie des sciences coloniales et le Comite de !'Empire fran~ais, qui regroupe des firmes comme la Compagnie du canal de Suez ou Paribas,donnent le la, relayes par la presse sympathisante de Ja cause coJoniale, comme Marc11es coloniaux. Resultat: alors meme que les responsables polltiques avaient promis de ne pas modifier le titre VIIIdu precedent projet constitutionnel relatif a l'outre-mer, ce lobby vigilant les pousse a passer ä l'action. Lesvelleites liberalesde Ja premiere Constituante seront reduites a neant par la seconde. Du 11 juin au 5 octobre 1946, periode a laquelle siege cette seconde Assemblee, Je compromis de Ja premiere Constituante est donc remis en cause, piece par piece. Le 24 juillet 1946, !es representants « indigenes » de l'outre-mer presentent leur propre texte. Sans aller jusqu'a demander l'independance, ils entendent laisser chaque colonie libre de choisir son statut au sein de !'Union fran~se, dans un horizon de vingt ans. Proposition inacceptable pour les conservateurs. Le 27 aout, c'est Je general de Gaulle en personne qui passe a l'attaque contre ce projet qui « ne pourralt, selon lul, mener les populations qu'ä l'agitation, a la dislocatlon et finalement a Ja domlnat ion etrangere s ». Lememe jour, dans l'Hemlcycle,Je vieux radicaJ-socialiste Edouard Herriot s'insurge contre le projet de college unique. II redoute les consequences de cette assimilation des indigenes : « La France deviendrait ainsi Ja colonie de ses anciennes colonies 6 • » Au-deläde la reaction epiderm iq ue a l'idee de mettre a egalite « la negresse a plateau et l'ouvriere d'us.ine7 », le principe « un homme = Lmevoix » parait difficilement compatible avec le projet colonial. Les quelque 60 millions de « sujets fran~a1s» vont-ils imposer leur volonte aux 40 mill1onsde Fran~ais?La ligne rouge a ete franchie. Bidault, Herriot et de Gaulle se liguent contre le projet des elus africains. Georges Bidault presente son propre texte et assure le 19 septembre que « le gouvernement est pret a aller jusqu'au baut» pour l'imposer. Cette mouture non negociable retablit le double collegeaux elections legislativespour l'AEF, Madagascaret le Cameroun. Quelques jours plus tard, Je double college est mt!megen~raliseä toute 1'Afrique fran~ise pour les assembleesterritoriales, le~quellc~ sc voient ,1t1 pas~agc rctirer tout pouvoir reel au profit des

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gouverneurs nommes par Paris. Ccux qui, comme Edouard Herriot, redoutaient un « federalisme acephale et anarchique » peuvent etre rassures. « Des wagons ont besoin d'une locomotive », rappelle le president du gouvemement provisoire. Un Haut Conseil de !'Union fran>. f1faut rappeler que cette crispation autoritai.re des partis franr;ais s'inscrit dans un contexte particulier : outre !'offensive du lobby coJonial, le gouvernement provisoire subit les pre.mices de la guerre d'lndochine. Au cours de cet ete 1946, pendant qu'a Paris Ja Republique renie ses promesses, a Fontainebleau le leader communiste vietnamien Ho Chi Mlnh et le gouvernement fran'i-1)

cornmun, mals parlc111des langucs dlsllnclcs. l!t lc pouvoil c,I 4S-19S•J)

appeles lamidats et faH la part belle ä l'autorite demesuree des differents « sultans », appeles !es lamibe. Mais l'UPC ne s'y est pas resignee, malgre !es grandes difficultes de communication entce Nord et Sud, et a tente d'y etendre son influence, rencontrant meme parfois quelque succes. A une epoque ou nombre de responsables politiques, sudistes ou nordistes, ont ete tentes de separer ces deux territoires tres differents, les upecistes ont essaye, contre vents et marees, de faire de leur organisation le creuset de Ja nation ä venir. Felix Moumie, mute ä Maroua en 1951 en guise de punition par l'administration, y sejourne comme en terre de mission. Temoignant de son soud d'etendre Je mouvement aupres de chacun de ses « freres », Um Nyobe ecrit ä son camarade : « II faut comprendre que l'espoir des colonialistes ne reste accroche que dans Je Nord. [... ] Ils essayeront d'utiliser le pretexte de Ja religion et des coutumes. Tu as une assez riche argumentation pour leur faire comprendre qu'aucune tribu du Cameroun ne menace une autre, aucune religion ne menace une autre. [... ) Nos freres du Nord ne sont pas impenetrabJes aux questions nationales de notre pays 67• » L'UPC a connu dans ces regions, ä certaines periodes, de reelles victoires. Un rapport de 1949 s'aJarme par exemple du « danger reel, actuel, pressant» constitue par une « offensive massive» de l'UPC au Nord 68 • De meme, ä l'est de la region Bamileke, dans Ja region Bamoun, Je chef de region, dans son rapport annuel de 1951, est bien oblige de constater que « l'UPC forme un parti solidement encadre avec des porte-parole choisis pour leur virulence. La section locale creee en 1947 (sie) a manifeste une grande activite et s'est lancee en 1950-1951 dans une serie de conflits qui ont serieusement ebranle l'edifice 69 administratif ». Dans Ja region de Ja Benoue, le rapport de Ja meme annee du chef de region mentionne, lui, des « tentatives avortees de propagande extremiste » de la part de fonctionnaires « sudiens » (sie) aupres des musulmans 70• La plupart du temps, en effet, !es comites de base nationalistes au Nord sont animes par des fonctionnaires du Sud mutes dans ces regions, ou par l'lntermediaire des commer~ants bamileke. Mais lls peinent Ja plupart du temps ä trouver des relais locaux autochtones solides. Toujours est-il que, avant 1955, l'UPC aurait compte dans Ie Nord« plusieurs centaines d'adherents » d'apres l'armee fran~aise 71• Petit ä petit, l'UPC construit dorre en son sein la nation dont eile reve, unie et independante. La construction d'un mouvement national interethnique s'accompagne aJors de l'invention d'un langage autonome, liberateur, affranchi de la simple reproduction de Ja langue du colonisateur. n est revenu ä l'hlstorien camerounais AchiUe Mbembe de resituer Ja gfoealogie cuJturelle de ce qu'il appelle Je « proces de l'independance » (Nkaa Kunde en langue bassa), en particulier au sein du monde bassa de Ruben Um Nyobe, ä partir des archives, des chants et des temolgnages oraux qu'JI a pu rccueillir dans sa reglon d'origine. L'UPC accordc i11le l111porta11ce prin1or(llnlc 011x 6crlts, cn 0;1

la 1wlssm1ce del'UPC(1947-1948)

coherence profonde avec son choix inltial de la non-violence. Um Nyobe est un auteur prolifique, il est Je secretaire general, au sens du scribe, qui ecrit quantite de circuJaires, argumentaires, tracts et traductions en diverses Langueslocales, jusque dans la brousse de ses derniers jours. Dans un pays plus alphabetise que la moyenne des colonies africaines de l'epoque, le parti, a toutes ses epoques, a multiplie les publications: La Voix du Cameroun,Etoile, Lumiere, Verite... Soucieuse de ne pas se couper des masses, l'UPC developpe egalement une !arge propagande orale, ä base de chants, de contes ou de veillees satiriques 72 • Un langage original et rebeUe se cree, en reactivant des references du passe confrontees aux problematiques actuelles. De nouveaux mots apparaissent, comme « vaJet » (nlimil, « celui qui ne dit rien ») ou « traitre » (dikokon), pour designer ceux qui collaborent avec Ies colons, en allusion aux mercenaires sanguinaices utilises en Sanaga-Maritime durant la Premiere Gueue mondiaJe par les differents belligerants 73• Positivement, Um Nyobe ancre son ideal de democratie dans un mot remis au goOt du jour, bijo, qui renvoie aux pratiques precoloniales de deliberation. Cette communication se deploie ä toutes !es echelles, du coin du feu au meeting de plusieurs milliers de personnes. Cette creativite linguistlque joue un röle evident dans l'influence qu'exercera pendant des annees le parti mythique sur les esprits camerounais: avant meme de prendre les armes contre le coJoniallsme, l'UPC a fait secession dans !es esprits. De la brousse de la Sanaga aux bidonvilles de Douala, ces declarations d'independance quotidiennes se multiplient. Mais au meme mornent, a Paris, certaines elites economiques et politiques theorisent l'impossibilite meme, pour les colonies fran~aises, de parvenir ä une .reelle independance ...

1J>t'f/l/llfl{ I! ., l'llfllfriw/111' • / > est sl revelatrice et d'un cynisme tel qu'elle meriterait d'etre citee integralement 27 • On se contentera icl d'en reveler les principaux enseignements.

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Partant du constat que la France perd du terrain dans ses possessions fran~aises, au Levant comme en Indochine, et se trouve ctonc « brutalement depossedee de tout atout economique » dans ces territoires, J'auteur anonyme de cette note indique l'urgence de s'inspirer de la « politique CQloniale anglaise qui, lorsqu'elle est arnenee aeffectuer des replis politiques (Nigeria),. sait s'assurer des points d'appui economiques places aux positions cles qui lui permettent de rester rna1tresse de la situation generale, et d'assurer dans les meilleures conditions la defense de ses interets ». L'exemple britannique montre en effet que ces « points d'appui » permettent de garder la souverainete de fait sur les territoires (ou, dans le pire des cas, de negocier en situation de force) en cas d'evolution de Jeur stahlt politique et juridique. Au Cameroun, pays strategique mais mal arrime a Ja metropole du fait de sa situation juridique particuliere et de l'influence dissolvante des territoires britanniques lirnitrophes, il est primordial - poursuit la note-de s'assurer que les lnterets prives fran~ais soient defendus efficacement et que les investissements publics recemment effectues sur le territoire dans le cadre du FIDESne tombent pas dans des mains adverses. Or, souligne Je document, « il est a peu pres certain que soit a la fin d'une troisieme guerre mondiale, soit eo 1956, c'est-a-dire dans six ans, le stahlt politique changera. II est peu probable que la France verra son mandat reconduit pour une nouvelle pfoode decennale ». La note identifie donc les differentes installations strategiques que la France doit conserver au Cameroun. Trols points priorltaircs: le port de Douala, la centrale electrique d'Edca, lcs tcrrai11s d'nvlollon de Douala,

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ßertoua et Garoua; et deux polnts secondaires : le rescau ferre, les phares et balises. Pour chacune de ces « positions cles .., il convient de changer le statut juridique de ces equipements et de s'assurer que de tels changements soient rendus « acceptables » aux yeux des responsables politiques et de l'opinion publique. Pour ce faire, l'idee est de mobiliser dlscretement des entreprises privees de confiance ou des organismes publics ou parapublics, fran~.aisdans les deux cas. De cette fa~on, les installations strategiques ne seront pas (-llJ IIJS-1)

/neu/per: l'affaire« UmNyobe-deGelis» Bien avant son interdiction formelle, la strategie de harcelement judiciaire contre l'UPC commence des 1949, alors que le mouvement nationaliste, en pleine expansion, multiplie les tournees d'information autour de Douala. En avril, ces tournees cessent brutalement. Guillaume Bagal, alors secretaire de l'UPC, et Jacques Ngom, secretaire de l'USCC,sont arretes (Je second restera deux mois en detention preventive). Dans la foulee, une information judiciaire est ouverte contre les douze membres du comite directeur de l'UPC23• Lesnationalistes s'efforcent de contester legalement cet arbitraire en formulant des recours juridiques. Mais lorsqu'ils envoient, en avril 19S0, au moment de leur congres, une delegation conduite par Um Nyobe pour presenter au juge de paix de Dschang une lettre de protestation contre ces arrestations arbitraires, les porteurs sont eux-m@mes ... interpelles pour « outrages ä magistrat par ecrit », places sous mandat de depöt et inculpes pour « rebellion » l Et le chef de region refusede les recevoirpour negocierun compromis, au nom d'une soudaine independance de la justice. Certains Fran~aisfont du zele, comme Je chef de subdivision Bernard de Gelis, qui s'est illustre, entre 1953 et 1955, en s'acharnant litteralement sur Um Nyobe, declenchant plusieurs procedures en justice contre lui. Au debut de 1953, de retour de l'ONU, Je secretairegeneral de l'UPC,en toumee triomphale dans tout le territoire, a le vent en poupe. De Gelis, qui vient d'etre nomme ä Babimbi,fief d'Um Nyobe,est un anticommuniste convaincu, mais pas un franc-tireur.11ne passe ä l'action qu'apres reception d'un courrier sans equivoque de son chef de region : « Le succesqu'il vient d'obtenir aDouala, ä Edea,ä Eseka,pourrait l'lnciter ä toutes Ies audaces.Si Oum Nyobe [sicJdonne suite a ses pretendues intentions, II faut qu'il tombe chez vous sur un bec et qu'il soit tourne en ridicule par ses auditeurs eventuels 24.» Pour la France,il s'agit donc de fairederaper cet adversaireencombrant, en ecornant son Image irreprochable. Le feuilleton du « bec » commence Je matin du 7 fevrier 1953 ä Songmbengue (subdivisionde Babimbi),ou lesupecistespreparent la venue de leur leader. De Gelis pretexte le rassemblement non autorise d'une cinquantaine de militants pour saisir leur banderole, interdire la conference du soir et e)C_horter la population ä ne pas y assister. Faute d'avoir convaincu, il fait irruption dans la salle du meeting, accompagne de Ja force armee, et tente de le dissoudre. La troupe tire des coups de feu, procede ades arrestations, sans parvenir ä faire degfoerer le rassemblement 25• L'administrateur ne desarme pas cLporte plainte contre Um Nyobe, pour « violence contre agent public dans l'exerclce de ses fonctions ». Le chef de l'UPC sera condamne a une amcndc pour "cntravc a la bonne marche des services administratifs ». E.nl1ardl,t l11• 1l11tl\ 1·1·11111/11• fr,1111,1/1( / •1.1 \

l/i11,> "" /'UI' De fait, le lamido de Maroua fait des offresde serviceetonnantes au chef de la region de l'epoque, Guy Georgy,qui s'en amuse dans ses Memoires. « Mais, qu'est-ce que tu fabriques ?, m'interpelle Je chef coutumier. Qu'attends-tu pour le supprimer I Ecoute! Envoie-leen tournee de vaccination en brousse.On lui fern manger des oignons crus. On le serrera tres fort sous le diaphragmeet on tele rendra mort de la fa~onla plus naturelle31 .,. L'heure des assasslnats politiques n'ayant pas (encore) sonne au Cameroun, Georgy refuse poliment cette proposition un peu trop genereuse - comme Je confirme en ces termes la note de Spenale : « [l faJJutbeaucoup de diplomatie au chef de la region pour empecher le /amido de regler le probleme upeciste par les moyens "traditionnels" 32• » A la place, Georgy prefere lancer ce qu'il appelle une « guerilla psychologique ». Profitant de l'isolement des upecistesdans Ja region, il met en place un systemed 'espionnage de leurs courriers personnels, via leurs employes de malson. Ainsl tenu au courant des moindres faits et gestes des upecistes par un « servlccde renscignements tres efficace», Georgyjuge" particuilerement scnnd:ilcn~,. le~consells 1 envoycs par les avocatscommunistcs ~ Mournlt (Gcor1,1y nvr11H'l de~cxcmplcs

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aussl banals que: organiscr une manlfcstation en l'honneur de i'ONU, distribuer des badges de la CGT, faire participer des femmes aux corteges pour decourager la repression, etc.) et decide de passer a l'action. « Puisque les convictlons ideologiquesjustifiaient tant de cynisme, pourquoi serais-jereste les bras croises ?, se justifie-t-il. [...J j'accelerai donc la marginalisation de Moumie en l'intimidant. ,. Ces barbouzeries de bas etage lui ont en effet permis de deceler une des faiblessesdu docteur Moumie, qu'il estlme « emotif et, surtout, peu capable, comme lesNoirsen general, de distinguer la frontlere entre la peur et l'imaginaire33 », au point de« douter de l'equilibre mental de l'interesse34 ». Le chef de region organise alors regulierement et ostenstblement des manreuvres de gendarmes devant la maison de Moumie, de fa~on ä lui faire adopter des comportements d'autoprotection exageres, provoquant chez le president de l'UPC une paranoi"aqui ne manque pas d'amuser le chef de region (« il craint d'etre empoisonne », ectit ce dernier au Haut Commissaire3s). Paranoia loin d'etre si irrationnelle d'ailleurs, quand on salt comment mourra Moumie sept annees plus tard (voir chapitre 17)...

Diaboliser: l'Eglisecatholiqueen croisade contrel'« organisationde Satan» La « guerilla psychologique » entamee par Guy Georgy est presque derlsoire en regard de Ja campagne achamee menee par l'Eglisecatholique pour sauver le Cameroun du « peril rouge ». Cet affrontement sans merci entre les forcescatholiques et nationalistes peut etre retenu comme une cause majeure de Ja radicalisatlondes deux camps en presence et de l'antagonisme irreconciliable qui en resuJte. La politisation de l'Eglisecatholique n'est pas propre au Cameroun. En Afrique « fran~aise", celle-ciest alors dirigee par un archeveque qui se rendra celebre quelques annees plus tard en Franceen creant la Fraternite integriste Saint-Pie-X,allant jusqu'a la secession avec le Vatican : Mgr Marcel Lefebvre.De 1948 a 1959, le pape Pie XII nomme l'archeveque au poste de delegue apostolique de l'Afrique noire francophone, resident a Dakar, afin de diffuserses conceptions dans les colonies. En 1949, M. Lefebvre est meme charge de mission du pape au Cameroun. Dans ce pays, i1 a depuis 1935 un disciple zele: Mgr Rene Graffin. Cet impressionnant missionnaire, colosse arme d'une grande barbe carree, est connu pour sa capacite ä reparerIescamions ou atransformer le jus de banane en alcool pour l'höpital d'Efok. Ses pratiques sont caricaturalement retrogrades. Entre autres, iJ interdit la pratique du balafon, Instrument de musique africain traditionnel juge „ pa"ien"· Et propose de priver de communlon les 36 el~vcsde l'ecole publiquc, accuscc de dispenser I'« enseignement du mal» • Lcspostcs a rcsponsabilitcde son clcrge, jusqu'a la fin des annccs 1950, sont 121

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l'UJ>C.: (194H 11>511)

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presque exclusivement reserves aux Blancs. A la cathedrale de Yaounde, le Haut Commissaire Delavignette provoque un scandale lorsqu'il s'assoit deliberement sur les siegesdes Noirs, qu'une barriere separe de ceux reservesaux Blancs... Rien d'etonnant des lors gue le mouvement nationaliste, des sa naissance, devienne l'obsession du v:icaire.L'Egliseexcommunie les upecistes ä tour de bras, et une bonne partie des syndicaJistes dans la foulee, dont !es cartes de la CGTsont regulierement dechirees par !es pretres, qui incitent !es pecheurs ä faire leur autocritique publique. Dans Je diocese de Yaounde, l'interdiction des sacrements s'etend meme aux enfants d'upecistes. Pour l'Eglise,qui ne fait pas dans Ja nuance, il ne s'agit lä que de communistes, des « amis de la Chine populaire », donc des ennemis de la foi, et leur organisation de jeunesseest forcement « dlrigee par la Russiecommuniste » 37• Au Cameroun, la volx de l'Eglise campte. Lesmissions disposent d'un impressionnant reseau au cceur des populatlons, puisqu'elJes y gerent l'acces aux soins et ä I'education. Son poids est d'autant plus important que Ies missionnaJresrestent parfois plusieurs decennies au Cameroun, quand !es administrateurs ou les militaires n'y passent que quelques annees. Depuis la colonisation aUemande,!es mlssions catholiques sont partlculierement bien implantees dans le sud du pays. Toutefois, un partage du terdtoire implicite IaisseJe Nord aux musu1mans,tandis que certaines misslons protestantes ont bien reussi leur implantation en pays Bassaet Bamileke. La hierarchie catholique profite de cette implantation pour developper son activite temporeHe, aussi bien economique que politique. Et ses choix refletent une colonisation ä l'ancienne, retive a tout changement. Ajnsf,pendant longtemps, eile a davantage soutenu !esresponsablesdu travail forceque ses victimes, quand elle n'y a pas eu recours elle-meme. En 1947, lorsque Ie Haut CornmissaireDelavignettealerte sa hierarchie du soutien de l'Eglisea Ia candidature au poste de senateur d'Henri-Paul Satin, partisan declare des tortures policieres et du travail force, Graffin le prefere meme ä l'un de ses propres membres, Ie pere EmileDehon. Lequel presente une tare redhibitoire pour l'Eglise: « [11]manifeste des tendances sodales 38." Lesprotestants, quarrt ä eux, sont plus divisesdans leursrapports au colonialisme. D'une part, leur organisation est moins hierarchisee; d'autre part, leurs structures sont davantage ouvertes aux Camerounais et moins liees ä la France. On y trouve en effet des representants des missions presbyteriennes americaines, des Suisses,des HollandaJs,des Allemands... qui ne reproduisent pas tous l'alliance du sabre et du goupillon alignee sur Paris. Au point parfoisd'etre assimilesades agents communistes, ou ä des sympathJsantsallemands ou anglo-saxons, en fonction des phobies de l'epoque, et combatlus comme tels par l'administration. Cependant, certains protestants 0111pat'licipe de bon creur a la croisildecon1re l'UPC. En avril .1953,pa,·1•\1•11iplt:, Um

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Nyob~sc voit prive du drolt de rccevolr !es salnts sacremcnts par l.epasteur Joseph Tjega,de la mission presbyterienne americaine de New-Bellä Douala, sous pretexte gue la « fidelite au communisme » est incompatible « avec Ja fidelite ä Jesus-Chi:ist» 39 . Mais i'Lnitiativede la lutte contre les independantistes revient plutöt ä l'administration. Ainsi, en fevrier 1955, l'administrateur Jacques Christo!, filsde pasteur protestant, essaied'enröler la foi dans son combat politique. Convoquant trois pasteurs et leurs fideles, il organise une reunion pour mettre en garde ces derniers: « n ne faut pas suivre l'UPCqui est un mouvement communiste, tonne-t-il dans le temple, et qul, si un Jour eile arrivait au pouvolr, menerait votre pays au diable 40 . » Toutefois, ancien eleve des missions presbyteriennes, Um Nyobe ne manque pas d'armes pour repondre ä cette instmmentalisation de Ja religion. II n'heslte pas, Je 10 juio 1949, a donner Ja replique lui-meme ä Mgr Lefebvrevenu ä DouaJa precher la bonne parole anti-RDA.N'ayant pas obtenu de reponse ä sa questlon sur Je soutien ou non de I'Egliseau coJonialisme, Um Nyobe quitte l'eglise suivi d'une bonne partie de l'auditoire 41 • Sa vigiJancen'empeche pas la diabolisation d'operer et de se diffuserlargement. Lavision d'une UPC communiste, sauvage et raciste anti-Blancs devient le poncif de J'epoque. Cinquante ans plus tard, un administrateur fran~ais,chef de subdivisionen pays Bassaau moment de l'insurrection, tres catholique, ne se souvient que de ce cliche mensonger: « Pour Um Nyobe, tout ce que je savais,c'est qu'il avait faJtses etudes en Russie!, insiste-t-il.Um Nyobe n'eta.it pas nationaliste, il etait communiste 42• » L'aneantissement par les armes, ici encore, est precede par Ladiabol.isationdans les ämes.

Monopoliser: Louis-PaulAujoulatala manreuvre L'Eglisecatholique est d'autant plus forte qu'elle a su placer une de ses ouailles les plus fidelesau carrefour de tous les pouvoirs au Cameroun : LouisPaul Aujoulat. Depute du Cameroun de 1945 ä 1956, membre du gouvernement fran~ais presque sans discootinuer de 1949 ä 1955, l'homme fort du Cameroun d'apres-guerre n'en a pas franchement l'allure. Petit, enrobe et atteint d'un fort strabisme derriere ses grosses lunettes rondes, il ressemble davantage a un premier de la classequ'ä un vieux colonial. Cette figure sulfureuse intrigue encore aujourd'hui les Camerounais, qui se renvoient parfois l'etlquette (infamante) d'« aujoulatiste », synonyme de compromission avec le pouvoir... Neen Al.gerie,ce flls de professeur pied-noir debute son engagement ä Lille ou, a partir de ses 18 ans, il suit bril.lamrnentles cours de la Faculte de mMccinc de l'Universite catholique. Protegeclucard!nal progressisteAchille

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Lienart, presidcnt de la Liguc rnlssio11nairedes etudia11tsde Francc,IIsc passionne pour le « lai'catmissionnaire » atravers la fondatlon Ad L11ce111. Une fois marie, il s'embarque en 1936 pour implanter celle-ciau Cameroun. « Voulant ramener au Christ Ja France dechristianisee, analyse son ami Leopold Sedar Senghor, il pensait que la voie de cette rechristianlsation passait par la christianisation de I'Afrique43• » Directeur d'Ad Lucema Efok, pres de Yaounde, zone de predilection des missions catholiques, il s'efforce de developper un reseau medico-socialcatholique, compose d'höpitaux, de leproserieset de dispensaires, avec la benediction des autorites ecclesiastiques et politiques locales. Celles-ci plebiscitent ce « colonialisme humanltaire » qui, dans la pure tradition fran~aise, s'enorgueillit d'ameliorer le sort des colonises et ignore superbement leurs revendications politiques. Pousse par Mgr Graffin, Aujoulat est elu depute du MRPen 1945 avec les voix des colons - lesquels, echaudes par les erneutes, le preferent a son concurrent soutenu par l'administration. Desireux de repandre un mouvement democrate-chretien alternatif au nationalisme « radical » de l'UPC, il aborde d'innombrables jeunes Camerounals susceptibles d'adherer ä ce courant. Ses vecteurs d'influence sont nombreux, que ce soit ä l'ATCAMqu'il preslde de 1952 ä 1954, au sein de ses differentscabinets mlnisteriels, notamment au ministere de la Franced'outremer, ou dans les reseaux catholiques camerounais ou metropolitains (voir chapitre 10). S'appuyant sur ce reseau personnel, Aujoulat mene une carriere politique reussieau sein des gouvernements Bidault, Queuille, Pleven, Faure, Plnay ou Mendes France. Malgre!'extreme instabilite gouvernementale de la rv•Republique,il y conserve un portefeuille en s'appuyant sur la douzaine de deputes africains qu'il a reussi, avec le depute senegalais Sedar Senghor, a regrouper au sein des lndependants d'outre-mer (IOM),un groupe proche des Republicainspopulaires et aux alliances fluctuantes mais en position charniere ä ]'Assemblee.Son action de secretaire d'Etat a Ja France d'outre-mer, marquee par l'adoptlon d'un code du travail d'outre-mer, est denuee de taute avancee poLitiqueen termes d'acces ä l'autonomie des colonies. Son reseau panafricain, qui se veut une alternative au RDA,lui permet egalement de briller au Cameroun. Quand de Gaulle visite le pays, les 25 et 26 mars 1953, pour consolider ses reseaux personnels et raviver le souvenir de la France libre, Aujoulat se presse ases cötes. C'est encore le cas lorsque Je docteur accueille Senghor ä Douala le 3 septembre 1953. Venu apporter sa caution a Aujoulat, le poete de la negritude et depute du Senegalprofitera de l'occasion pour vanter !es merites de !'Union fran~aise et delegitimer les revendications nationalistes sous pretexte, explique-t-il, qu' « acluellement aucun pays du monde ne peut se pretendre lndependant 44 ». lnterpellt par Ernest Ouandie, alors vice-presidentde l'UPC,Senghor prono~tlquc un delal de vingt ans pour accedcra la simple autonomie Interne. 124

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"vendu ä l'administration", certains elements revolutionnalrc~ ,cgardcnt vers J'UPC27 • » Mais Djoumessi n'est pas la seule « prise » de l'administration, qui campte a son tableau de chasse bien d'autres opposants dociles, prets ä jouer de leur enracinement pour contrer le mouvement nationaliste et desamorcer la contestation anticoloniale ...

Diviser: Jacarteethnique et les « oppositionsafri-caines » Toute agglomeration d'individus, race, peuple, tribu ou famille, represente une somme d'interets cornmuns ou opposes. S'il y a des mceurs et des coutumes a respecter, il y a aussi des haines et des rivalites qu'il faut savoir demeler et utiliser a notre profit, en les opposant les unes aux autres, en nous appuyant sur les unes pour mieux vaincre les secondes. » Ainsi parlait le marechaJ Joseph Gallieni en 1898, ceuvrant a la « pacification » de Madagascar. Cette « politique des races » a ete renouvelee dans toute l'Afrique coloniaJe sous domination fran91ise.Elle est activement utilisee dans le Cameroun des annees 1950. Lorsque, en avril 1955, ils decouvrent une lettre adressee par Jacques Hubert, chef de region du Dja et Lobo, a un subordonne, les dirigeants de l'UPC tiennent enfin Ja preuve irrefutable que l'adrninistration monte de toutes pieces des mouvements fantoches pour discrediter le mouvement nationaJiste. La lettre d'Hubert est ainsi formulee : « La meilleure action que nous puissions avoir, c'est de susciter des oppositions africaines et de rendre Ja vie impossible aux meneurs upecistes, en leur opposant des Africains decides et energiques. Je sais que cela n'est pas facile en pays BouJou, mais il n'est quand meme pas impossible de trouver quelques personnes qui ne soient pas d'accord avec l'UPC et acceptent de bien vouloir le manifester ouvertement 28• » « Tout est Ja 1», constateront !es upecistes, qui diffuseront Iargement cet extrait pour mettre en garde les populations contre la politique des « oppositions afrlcaines ». La ligne directrice de l'adrninistration envers les organisations politiques camerounaises est simple: avec nous ou contre nous. Organiser Ja propagande contre l'UPC demeure le seul critere pour beneficier du soutien de la France. Georges Becquey,directeur des Affairespolitiques du Cameroun, dans un courrier confidentiel de 1955, n'y va pas par quatre chemins lorsqu'il est consuJte sur un responsable poiitique camerounais : « L'intcressc poursuit, par la voic d'un groupcment politique, unc actlon de propagandc et de lutte contre l'UPC,ccrit-il. Acc titrc, l'appul de l'ndrninl~trotlon locolc pc11thrl Nrc «

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apporte 29• » Si cette strategle a ete cxplicitce et rcveleeen 1955, eile a en realite ete mise en application bien avant. En effet, si le Cameroun n'offre pas a la puissance coloniale son Houphou~t local, si les leaders de l'UPC, hormis Djoumessi, refusent de se preter au Jeu du « repli strategique », il ne reste plus ä i'adrninistration qu'a tenter de creer des dizaines de petits Djoumessi, c'est-a-dire des representants de chaque groupe ethnique, en esperant emporter ainsi l'adhesion ou Ja soumission des Camerounais morceau par morceau. La fraude electorale et les differentes tentatives d'intimldation ne suffisant pas a faire taire l'UPC, l'administration tente de lui creer des adversaires. Face i\ la tentative difficile mais reelle de l'UPC de creer un parti au-dela des affinites regionales, l'administration amorce deliberement une veritable tribalisation de la scene polltique locale. La strategie frarn;aise porte ainsi une vision « ethniste », qui essentialise des groupes sociaux en leur attribuant des caracteristiques precises ou en propageant ces perceptions pour opposer ces groupes les uns aux autres. La vision du colonisateur vient ici contredire la propagande officielle selon laquelle la France cherche a liberer Ies indigenes de leurs appartenances identitaires pour les elever a 11« universel ». En reaJite, pour affaiblir la contestation, tout ce qui ramene al'autorltarisme traditlonnel est au contraire encourage par l'administration. Celle-ci instrumentaJise une pseudo-autochtonie de ses affides pour l'opposer a une UPC systematiquement accusee d'obeir aux ordres de I'« etranger », ce terme designant selon les cas les autres ethnies camerounaises ou le communisme international (Paris, Moscou, Pekin). Une evolution equivalente a celle du Kumzse se produit dans d'autres regions. Chez les Douala, dont les grandes familles sont reunies au sein de l'assemblee traditionnelle Ngondo, le chef Betote Akwase detourne vite de ses sympathies envers l'UPC pour se rapprocher de DouaJa Manga BelJ.Chez les Boulou, au sud du Cameroun, Charles Assale,en qui Je militant communiste Gaston Donnat avait place tant d'espoirs, amorce son virage politique en meme temps que Djoumessi. En mai 1950, il delaisse le camp independantiste et raUie ä l'administration coloniale son association « traditionnelle », intltulee Efoula-Meyongou « Union tribale Ntem-Kribi», s'ouvrant ainsi la voie d'une election facile a l' ATCAMdeux ans plus tard, en se presentant comme un « nationaliste modere». Bamoun, Eton, Ewondo, Fulani, Beti... : presque tous les groupes ethniques sont ainsi regroupes en d'inoffensives associations regionales, minimisant les risques d'alliance entre jeunes upecistes et notables communautaires. Forte de ces premiers succes, l'administration cherche ä passer a l'echelon supcricur, avec la crcation de veritabl.espartis censes contrecarrer l'influence upecistc, reglon par reglon, cthnlc par ethnie. Le 20 juin 1949, ies administ.ratcur~ fran,ais d'Escka, cn Sanoga-Maritimc, crecnt l'Essor camerounais

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« K111111:n111 -,,,11111,! /Jt1~llw,l11m,.,..,,,,,,,,.fr,m1,11\1,.,.,~ IVS•I)

(Esocam) et en confient la presldence ä un ßassa de Yaounde, Pierre Dimalla, ex-upeciste, plus connu pour son goOt de la boisson, des femmes et de l'argent que pour ses engagements politiques. L'objectif est de rassembler des notables bassa pour faire piece ä I'ascension d'Um Nyobe, bassa lui-meme, en s'appuyant sur les divergences entre les clans. Mais, dans une soclete locale dont les hierarchies traditionnelles sont en plein bouleversement, Ies chefs bassa sont en perte d'influence. Et, plutöt que d'unlr Ies « opposants africains » contre l'UPC, l'Esocam se desagrege eo multiples petites factions rivales. Si bien que, ä pelne trois ans apres sa creation, le chef de region constate l'echec d'un mouvement qui « n'existe [... ] plus guere que dans les archives 30 ». A sa place, l'administration tente une manreuvre similaire en 1952, eo lan~ant dans l'arene l'Indecam, ou coordination des Independants camerounais, pour, de l'aveu meme des Fran~ais, « combattre l'UPC plus efficacement que ne l'avait fait l'Esocam 31 ». Le nouveau parti-croupion s'embourbe egatement dans une concurrence entre chefs pour l'acces aux prebendes du pouvoir, notamment !es sommes d'argent en liquide re~ues de la main meme du Haut Commissaire Andre Soucadaux, « avec la consigne formelle de conserver le secret Je plus absotu sur ce don 32 ». Le succes populaire n'est pas au rendez-vous. Un rapport de pollce qualifie son activite politique en 1953 de « faible » - et, litote, de « fantaisistes » les effectifs revendiques par l'Indecam aupres de l'ONU quand elle annonce sans rire « 183 216 adherents » 33 alors que Ja police eo 1955 estime plutöt a deux cents Je nombre de militants de ce « parti » 34. En parallele, a Abong Mbang, a l'est du pays, est creee sur Je modele de l'Esocam la Renaissance camerounaise (Renaicam), parti des Ewondo-Maka, avec Je meme programme et avec un effectif militant taut aussi derisoire. La encore, l'administration est a la manreuvre, avec les methodes habitueIJes. Pour motiver l'anti-upeclsme de ces troupes, un dirlgeant gaulJlste local preconise ainsi : « Il sera Indispensable d'aHmenter leur ferveur par des distributions de vin et en constituant une peUte caisse electorale ä chaque delegue de subdivision, de maniere qu'il puisse travailler utilement Ja masse fluctuante et versatile des electeurs des villages places sous sa direction. [... ] La fete n'est jamais complete si on ne "paye pas a boire" et si les chefs n'entretiennent pas l'ardeur creee par !es libations 35... » Pour monter les Ewondo contre l'UPC, meme l'Eglise s'en mele. Selon le temoignage d'un ancien upeciste, les missionnaires europeens ,) emigres dans d'autres regions et accuses, entre autres, d'y semer le desordre et d'y vampiriser les richesses. L'echec des partis instrumentalises tant bien que mal par la France ferait sourire, s'ils ne cont:ribuaient pas a attiser des rivalites ethniques qui seront reactivees avec bien plus de violence quelques annees plus tard. De plus, ces petits soldats noirs du colonialisme fran~is quadrillant Je territoire diffusent une pensee procoloniale extremement conservatrice, propageant l'idee d'une hierarchie stricte entre les peuples et entre Ies inctividus comme antidote aux idees egalitaires de l'UPC. Un exemple parmi tant d'autres : au cours d'une tournee de propagande ä l'ete 1952 dans Je Mungo, au sud-ouest du Cameroun, un conferencier de l'Esocam, Joseph Kamdem, stigmatise dans l'UPC un « parti de l'egalite 38 ». « L'UPC est un mouvement des hommes de Ia classe inferieure », rend1erit un intervenant de l'Esocam au cours d'un meeting, offrant a la vindicte populaire ces « condamnes » et ces « chömeurs qui troublent !'ordre public », bref « ce parti [qui] enseigne Ja desobeissance aux populations ». Outre Ja soumission aux chefs traditionnels, les partis « francophiles » prönent leur propre soumission a la civilisation occidentale, pour mieux delegitimer la revendication de l'independance. Joseph Kamdem reproche ainsi a l'UPC de demander le « depart des Europeens pour nous laisser libres alors que nous ne sommes [pas] dignes 39 ». En bref, l'Esocam relaie l'idee colonialiste d'une lente evolution, naturelle et progressive, de chaque peuple vers une « autonomie daos !'Union fran~aise », qui s'oppose a Ja lutte pour l'independance. Dans cette Ideologie, les Camerounais sont systematiquernent compares a des femmes ou a des enfants proteges par Ja France. n ne s'agit plus des lors de revendiquer l'independance, mais ,< humblement, poliment, comme un fils ä son pere, de supplier l'administration de parfaire son reuvre dejä commencee 40 », pour etre conduit a « evotuer » progressivement, de degre en degre, vers une lointaine maturite politi.que. Tels sont les Camerounais dont revent leurs tuteurs coloniaux: des hommes et des femmes prets atoutes .les servilites contre quelques minimes faveurs ou quelques honneurs factices. Dans toute J'Afrlque, la France accueille avec soulagement la politisation des appartenances ethni.ques, capable selon elle de canaliser !es protestalions. « Un morcellement profond se fit, falsant ressortir d'une fai;:onnette la

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survivance des partlcularlsmes ett,nlques. Ce rnorccllement· const ltue un gage certain de securite », se rejoult meme un offlcler auteur d'un rappo.rt de 1954, deja cite, consacre ä la vie politique en Afrique « fran\'.aise » 41 • A cette politique des « oppositions africaines », l'UPC repond par un nationalisme sans faille. Mais Um Nyobe n'oublie pourtant nullement d'ancrer son mouvement dans !es differents terroirs du pays. « Le tribalisme est l'un des champs les plus fertiles des oppositions africaines », previent-iL Avant de preciser: « Nous ne sommes pas des "detribaliseurs", comme d'aucuns le pretendent. Nous reconnaissons la valeur historique des ethnies de notre peuple. C'est la source meme d'ou jaillira la modemisation de la culture nationale 42 • » Cette dialectique habile parvient adesamorcer certaines de ces « oppositions africaines ». Si bien que, au final, Esocam, Lndecam, Renalcam et autres sigles imagines par l'administration n'entament pas reellement l'implantation de l'UPC.

Moderer:le recrutementd'elites« moderees» et d'« interlocuteursvalables» On le voit, ces responsables politiques sans envergure, ne vivotant qu'avec le soutien de l'administration, ne sont pas ä la hauteur. Utfüses contre l'UPC dans chacun de ses fiefs regionaux, ils ne peuvent incarner une alternative proprement nationale. Consciente de ce probleme, l'administration doit entretenir des « interlocuteurs valables• », c'est-a-dire des opposants moderes a la colonlsation, mais de stature nationale. Comme on l'a deja evoque, avant de mettre sur orblte Ahmadou Ahidjo en 1958 (voir chapitre 17), la France a ainsi beaucoup mise sur deux personnages emblematiques de la periode coloniale, !es « moderes » Alexandre Douala Manga Bell (depute MRP de 1945 ä 1958) et Paul Soppo Priso (president de l'ATCAMde 1954 a 1956 et proche de laSFIO). Taut semble, a priori, opposer le prince excentrique cornaque par Aujoulat et le « socialiste millionnaire » affilie ä la SFJO de Soucadaux. Ces deux « francophiles », chacun « filleul » d'un des deux parrains politiques du Territoire, se detestent cordialement. Toutefois, en plus d'etre tous deux originaires de Douala, ville strategique pour !es interets fran\'.ajs mais dont les popuJations miserables et frondeuses sont tres sensibles aux discours upecistes, ils se rejoignent dans leur docilite a l'egard de la metropole. Laque.lle dispose ä leur egard d'une ressource qui se revele plus efficace encore que les appartenances ethniques : l'argent. a

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Alexandre Douala Manga Bell (1897-1966), fils du prince Rudolf pendu par !es Allemands en 1914 pour avoir resiste ä la spoliation fonciere, est issu de l'aristocratie douala. C'est un petit homme maigre et energique, ) de ce « Terri toire pilote », la France sait pourtant que la « breche>) camerounaise se creuse. Car l'UPC resiste. Aucun des pions que Ja France avance sur l'echiquier politique local ne dispose d'un ancrage comparable ä celui de l'UPC. Aucune mesure ne degonfle la popuJarite du mouvement nationaliste. « Rien de bien reeJ ne se fait au social et au politique en faveur du Noir, se desole un missionnaire des 1953. On entoure de prevenances, on comble de prebendes, on pounit quelques privilegies qui font de Ja politique et qui ne voient que leur avantage personnel. On ne fait rien ou presque pour les autres, !'immense masse 57... >>Le relig:ieux voit juste. Quelques annees plus tard, un rapport constate que l'USC, malgre les efforts de Soucadaux, a totalement echoue, « en raison de l'indiscipline et peut-etre de Ja corruption de certains de ses dirigeants ss ». Dans ce contexte, l'UPC falt mieux., en reallte, quc rCslslcr.Gr§ce ä la force de ses argumcnts et ä la dctcrminatlon de scs mllllo11ts 1 L'llt• 11c ccssc de

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« Le nationallsme est a la mode chez les peuples "attardes" », reconnait benottement le chef de region du nord du Cameroun, Bertrand Lembezat. MaJgre ses ennemis de clrconstance, maJgre Ja sourde repression administrative, malgre tes caJomnies fabriquees et Jes scrutins truques, eUe continue, comme l'adrnet bientöt l'administration fran~aise, ,, ä faire "tache d'huile", ä intensifier le recrutement de ses adherents, ä.developper la mise en place de ses organismes de base [et] ä discrediter par sa propagande tres orientee [communiste] l'ensemble de l'ceuvre fran~aise au Cameroun 59 ». Sur le bureau du Haut Commissaire, les rapports inquletants s'accumulent en 1954. L'UPC, apprend-on, poursuit sa percee ä DouaJa. Son influence grossit en region Bamileke. Eo Sanaga, l'ascendant d'Um Nyobe n'est plus a demontrer. A Yaounde, le medecin Mathieu Tagny, chef tocal du parti, federe un nombre croissant de militants. « Son inteUigence, son reel courage moral, sa vie ascetique et ses betles qualites professionneUes [... ] lul donnent un tres grand rayonnement >), s'inquietent les autorites 60• Coince dans le Nord, Felix Moumie s'ag:ite egalement. II multiplie les contacts dans la population locale et envoie des tombereaux de lettres aNew York ou aParis pour se plaindre de Lachasse a l'homme dont il est victime 61 • Malheureusement pour l'administration, Je dossier de Moumie, medecin comme Tagny, « contient des appreciations elogieuses sur sa valeur professionnelle 62 >>.Faut-il alors muter Tagny et Mournie hors du Cameroun, pour les isoler encore davantage 63 ? Al'etranger, justement, la credibilite de l'UPC ne cesse de s'affirmer. Non seulement Um Nyobe est devenu un invite regulier de Ja quatrieme commission de l'ONU, mais U etoffe son carnet d'adresses international. De passage aParis fin 1954, sur le chemin de New York, il multiplie Jes rencontres avec Jes journalistes et les syndicalistes fran~ais, ainsi que les conferences avec !es intellectuels et les etudiants africains (voir chapitre 10). 11a meme, croit savoir le Service de documentation exterieure et de contre-espionnage (SDECE),pris des contacts avec des « nationalistes nord-africains )>64 • Pour tes services de renseignement, le doute n'est plus permis: l'UPC est definltivement tombee dans l'orbite communiste. Le PCF n'a-t-il pas invite les leaders upecistes ason congres de juin 1954? Ernest Ouandje ne s'est-il pas rendu a Pekin, en aout, pour assister au conseil de la Federatioo democratique de la jeunesse mondiale? L'enthousiasme pour le communisme est pourtant loin d'etre unanime parmi les upecistes, comme en temoignent leurs correspondances privees, que Ja police surveille. Mais l'UPC se situe, affirment les autorites avec aplomb, « dans la ligne marxiste 65 ». Fin 1954, les autorites fran~alses paraissent plus inquietes que jamais. A Eseka, le chef de subdivision constate l'impuissance de l'administration. Meme les monlteurs de la Mission protestante americaine (MPA), s'alarmet-11,emmencnt leurs eteves aux confcrences d'Vm Nyobe 66 ! En region Bamllcke, tes esprlts s'cchauffcnt entre lcs upccistes locaux et leurs ennemis

se renforcer.

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proadministration. A Douala,les « rafles» effectueesdans les milleux natlonallstes se revelent improductlves. A la tribune de !'Assemblee nationale, le ministre Louis-PaulAujoulat lui-meme avoue son desarroi, en juin 1954 : « Les moyens dont on use pour faire obstacle ä ce parti ne sont pas toujours des plus efficaces67••• » Partout, l'UPCsemble avoir le vent en poupe. Assuresd'un soutien populaire de plus en plus massif, confiants dans la justesse de leur combat et de moins en moins intimides par les manceuvresde l'administration colonlaJe, dirigeants et milltants de l'UPC,de l'Udefecet de la JDC, creee en 1954, multiplient les actions de revendication. Lesadministrateurs locaux sont depasses par ce qu'ils appellent une « campagne d'agitation ». Fin 1954, Ja greve organisee conjointement par l'UPCet l'USCCcontre les conditions de travail dans les plantations de Dizangue n'a-t-elle pas degenere en bataille rangee entre grevistes et non-grevistes ? Pour l'admJnistration, il y a urgence. D'autant qu'un vent de panique commence a baJayer les milieux coloniaux. Un vent qui vient de loln : de Dien Bien Phu, d'abord, qui tombe le 6 mai 1954; et bientöt d' Algerie,secouee par les bombes le 1er novembre 1954... Comment des Iors sauver le Cameroun frarn;aisde l'UPC? « II serait bon de prevoir dans les plus brefs delais la dissolutlon du parti UPC », reclame des novembre 1954 l'administrateur de Bafang (Quest). L'idee, il est vrai, fait son chemin. Meme au ministere de la France d'outremer, ou l'on evoque deja une vieille loi de 1936 permettant d'interdire Ies mouvements faisant usagede « milices privees » et de « groupes de combat ». « Je crois cependant utile de preciser que, la dissolution ne pouvant intervenir que dans des formes assez complexes, il convlendrait, avant d'en venir a cette extremlte, de lutter contre de telles formations », indique un des conseillersdu ministre de la Franced'outre-mer, le MRPRobert Buron, debut janvier 1955 68• A cette date, ce dernier, decide ä en decoudre, a deja rappele le Haut Commissaire Andre Soucadaux, juge trop inefficace. Et nomme a sa place un homme ä poigne, Roland Pre, arme de toutes nouveUesmethodes...

II

Peusurl UPC 1

(1955-1958)

8 RolandPrelancela « contre-subversion »

(1954-1955) • De toute fai;:011, il est bon de ne pas oublier la lei;:on de guene revolutionnaire qul vient de nous etre donnee en lndochlne pour le cas ou une autre du meme genre nous serait imposee ailleurs dans le monde ou meme sur le territoire metropolitain. Si les democraties ne trouvent pas la replique efficace acette technlque totalitaire, elles contlnueront il jouer perdant, aussi bien dans le cas d'une guerre du meme type que celle d'lndochine que dans la lutte pacifique sm le plan electoral • Colonel Charles

LACliEROY,1954 '.

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ue s'est-il passe au Cameroun en 1955 ? Plus de cinquante ans apres les faits, les raisons exactes des erneutes qui ensanglanterent le pays pendant les Jours tragiques de mai font toujours l'objet de speculations chez les commentateurs et les historiens. La version officielle, reprise ä l'epoque par la tres grande majorite de la presse fran~aise-et toujours vivace aujourd'hui -, rejette l'entiere responsabilite des affrontements et du sang verse sur l'UPC. A !'inverse, la these des nationalistes evoque un « complot coloniallste » parfaitement huile, visant a faire disparaitre I'UPC de la scene politlque camerounaise. Si les theses divergent, il apparait generalement que Ja responsabilite des evenements tragiques repose sur un homme : Roland Pre. Plus que le deroulement des erneutes elles-memes (voir chapitre 9), ce sont surtout les manreuvres de Roland Pre dans les quatre mois qui ont precede qu'll convient, en effet, d'examiner en detail. L'ancien gouverneur du Gabon et de la Guinee, dont on a vu qu'il joue un röle central dans la mise en interdependance « eurafricajne » du Cameroun ä I'instant meme ou il est nomme Haut Commissaire de la France au Cameroun, ä la finde l'annee 1954, est en effet le maitre d'reuvre de ce qui se trame. « On a incrimine par la suite, ä juste titre, la maJadresse du nouveau Haut Cornmissaire, plus apte a concevoir des plans qu'ä !es mettre en reuvre et, comme M. Eirik Labonne au Maroc, plus ä son aise dans les fresques d'anticipation que dans Ja frequentation de la realite politique quotidienne, ecrira quelques annees plus tard le journaliste Georges Chaffard. M. Pre est un de ces esprits prospectifs qui entrevoient, tres lo.in en

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avant, ce que pourralt ~tre Je dcstln d'un Camcroun trait~ par.les m6ll1odes modernes de developpement. Devant les rlantes perspectives qui attenclent l'Afrique ä l'äge du progres technologique et cle la mise en valeur des sols et des sous-sols, combien derisoires lui apparaissaient les antagonismes politiques locaux 2• »

La « leron» du colonelLacheroy Cette explication est pourtant incomplete. Plus que sur la « maladresse » politique de Roland Pre, c'est surtout sur la doctrine dont il est porteur ason arrivee a Yaounde qu'il faut porter l'analyse: une doctrine politico-militaire que l'on commence, ä. l'epoque, a reswner sous Je terme de « guerre revolutionnaire » (ou DGR, pour « doctrine de la guerre revolutionnaire »). L'historien llichard Joseph a eu la chance de realiser un long entretien avec Roland Pre, qui l'a amene ä cette intuition : « L'un des aspects les plus frappants de la conception que Pre avait de la täche pour laquelle il avait ete appele au Cameroun etait Ja sorte de croisade qu'il entendait mener contre le communisme mondial et pour Ja defense de Ja "civilisatlon". Vn ancien administrateur au Cameroun a meme emis l'hypothese que Pre etait un partisan du Rearmement moral•. » RichardJoseph ajoute: « L'autre aspect particulier de l'attitude de Pre pour remplir sa mission au Cameroun, qui s'ajoutalt ä l'idee de croisade morale contre la subversion communiste, etait le caractere de campagne militaire qu'il donnaH ä son action. II dlsait par exemple volontiers qu'il etait arrive dans le territoire "pour prendre en charge la lutte contre les elements subversifs"3• » Derriere cette attitude aJa fois ant1communiste, moralisatrice et militariste, Roland Pre fut un precurseur dans l'application des theories, alors balbutiantes, de la « guerre revolutionnaire ». Esprit « prospectlf » en matiere economique, Roland Pre l'etait aussl, quoi qu'en dise apres coup Georges Chaffard, en matiere politique et militaire. Si l'on met de cöte les experimentations en lndochine, le nouveau Haut Commissaire est, a notre connaissance, le premier responsable fran~s a avoir tente d'appliquer !es methodes de « guerre revolutionnaire » selon un plan systematique et coordonne. Elles lui serviront en tout cas de feuille de route pour realiser son unique objectif : eradiquer l'UPC. En un sens, !esaffrontements de mai 1955 au Cameroun sont une consequence directe de la defaite fran) et placer dans l'orbite socialiste les territoires jusque-la soudes au monde capitaliste. Pour les Frani;ais,qui supportent mal d'avoir ete defaits par les va-nu-pieds du Vietminh, l'lndochine apparait comme une preuve irrefutable de ce processus. Le plus emblematique d'entre ces officiersspecialistesde la « guerre revolutionnaire » s'appelle Charles Lacheroy. Affecteen Cöte-d'Tvoireeo 1946, ou il participe ä l'ecrasement du mouvement de revolte Iance par Je RDA d'Houphouet, Lacheroy sera ensulte envoye en Indocbine en 1951. C'est la que, trouvant sur un ennemi le livre de Mao Zedong sur la « guerre l51

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rholulionnaire », IInuralt compri~lc sccret du Vl~t-rnlnll.L,H.hl1oy n'c,t pas le prernier officlcrfran~aisä faire ctat de cette nouvelle forme de 1:tucrrc"psychologique .,._Majs, indiquent les specialistes Gabriel Perles et David Servenay, il est « le seul ä elaborer ä partir de ses decouvertes su,.·le terrain indochinois un vral discours doctrinal, construit et argumente 4 ». Son Innovation consiste ä decrire le fonctionnernent de l'endoctrlnernent des masses par le Viet-minh ä travers ce qu'il appelle les « hierarchies paralleles». Celles-cipermettent la prise en charge de l'individu « du berceau ä la tombe » par une pyrarnide d'associations, dans lesquelles il est integre d'office selon sa categorie d'äge, son sexe, son activite, etc. Parallelement ä cette premiere structure, est mise en place une seconde hierarchie permettant d'enserrer les populations territorialement: ä chaque echelon territorial - village, province, territoire -, correspond un comite politico-militaire qui contröle l'ensemble de la vie des populations. Et c'est le parti communiste qui, selon Lacheroy, coiffe ce « dispositlf totalitaire "· Lequel permet, par la propagande et la terreur, de se substituer ä !'ordre legalet de constituer un Etat clandestin 5 • Fort de ces decouverteset de leur theorisation, Lacheroyva connattre une ascension fulgurante au milieu des annees 1950. De retour ä Parisen 1953, il est nomme directeur du Centre des etudes africaines et asiatiques (CEAA),ou il est charge de la formation des officiers frarn;ais en partance pour l'lndochine. ApresDien BienPhu, sa renommee explose et ses theories se propagent rap!dement. Grace ä l'entremise du journaliste Andre Blanchet,spedaJiste de l'Afriqueau Mondeet intervenant occasionnel au CEAA,Charles Lacheroyest invite ä exposer - anonymement - ses idees au grand public dans les editions des 3 et 4 aot1t 1954 du quotidien du soir, dans un article reprenant de ]arges extraits d'une de ses conferenceset titre: « Lacarnpagne d'lndochine, ou une l~on de "guerre revolutionnaire" 6• • lnvlte ä donner une conference devant !es plus hauts grades des officiersfran~ajsrassemblesä l'IHEDNen mai 1955, il fait si forte Impressionqu'il est nomrne au cabinet du ministre de la Defense qu1nzejours plus tard. C'est alnsi que, trois ans durant, ä partir de mai 1955, comme l'indiquent Gabriel Perieset David Servenay,« il va incarner le renouveau doctrinal de l'armee fran~ise 7 ». Les theories de Lacheroy ne se veulent pas seulement descriptives, mais egalement prescriptives.C'est lä leur aspect Je plus troublant quand on songe a l'accueil enthousiaste que re~oit Lacheroy en cette fin d'annee 1954; car, pour lui, la seule maniere de vaincre l'ennemi consiste ä ... adopter ses « methodes totalitaires ». 11 le dit sans fausse pudeur en concluslon de sa « le~on de "guerre revolutionnaire" »: « Ce n'est pas la premiere foisque nous voyons dans une guerre l'un des adversaires mettre en ccuvrc une nr111c nouvelle plus ou moins dHendue par la reglementatlon intcmallon,11(•,volre revoltantc pour la consclcncc humalne. Dans un pass~rfrt111, O•l ,1 ,~po11du 1

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aux gaz de combat par les gaz de combat, aux bombardements reputes strategiques par des bombardements analogucs... Demain, on repondra ala bombe atomique par la bombe atomique et, si l'on s'y refuse, IIsemble bien qu'il n'y ait d'autre solution que de s'avouer valncu et de rentrer chez soi, si le vainqueur accepte que le vaincu ait encore un "chez soi". Or, dans la guerre qu! se deroule en lndochine, le Viet-minh a mis au point une organisation populo-politico-policiere,sans doute revoltante pour la conscience humaine, mais qui est une arme dont l'efficacite militaire est maJheureusement lnde8 niable et, sans doute, deterrninante. Ne pas s'en servir,c'est jouer perdant • »

Leplan de bataillede RolandPre Autoritaire, feru d'innovations, anticommuniste fervent, passionne de theories prospectives et verse dans !es affaires militaires et strategiques, comme on l'a vu dans ses projets de « combinats » rnilitaro-industriels, Roland Pre pouvait difficilement passera cöte des Innovations doctrinales de Charles Lacheroy. D'autant qu'il se passionne lui aussi, depuis longtemps deja, pour les techniques d'orientation « psychologique » des populatlons coloniseeset pour les combats « ideologiques.,.qui traversent Je monde. En bon planificateur, Roland Pre etudie en effet, depuls Ja fln des annees 1940, les meilleursmoyens de« diriger • lesesprits des Africainsen vue de leur faire accepter ce qu'II estime etre conforme aux interets communs de l'Europe et de l' Afrique. Aussi se passionne-t-il pour 1'« education de Ja masse », domame d'intervention prioritaire, selon lui, pour qui entend reformer en profondeur les relations franco-africaines.En 1950, il preconise,dans son travail sur L'Avenirde JaGuineefranraise,l'implantation de« centres d'enseignement de la masse" et l'organisation de seances de « cinema educatif », de fa~on ä rendre le cultivateur africain plus efficacedans la « mise en vaJeurdu pays »et« apte adevenir un citoyen de l'Union fran~aise"· Devenu president de la commission d'etudes et de coordination des plans de modemisation et d'equipement des territoires d'outre-mer en 1954, II fera de 1'« education de la masse » un axe central de sa reflexion, consacrant meme un opuscule de cinquante pages ä la fa~on d'amener les Africains ä se conformer aux directives du Plan. « L'experience politique, peut-on y lire, prouve que, sauf en regime dictatorial et pour un temps seulement, l'on ne peut developper et faire progresser un pays si la popuJation n'adhere pas de cceurä cet effort; si l'on n'a pas au moins pour soi l'appui de ceux qui la representent. Taut doit donc etre fait pour s'assurer la collaboration des masseset de la classedirlgeantc autochtone ä l'reuvre du Plan 9 • » Lorsqu'ilest nomme Haut Commissaireau Cameroun, le plan de Roland Pr~ n'cst pas pl'ioritnlrcmc11td'ordre economiquc. II est taut entier oriente 1s:

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vers un but poli1ique1 la luttc contrc l'UPC. Trols scmolncs sculemcnt apr•mobilisee « spontanement » pour mener des operations coup de poing. Qualifiees d'actions de « resistance » et de« self-defense» par l'administration, qui en reconnait pourtant ouvertement le caractere « violent 41 », ces operations offrent aux forces cle !'ordre, en cas de « debordements » trop visibles, J'occasion d'intervenir directement (falsant parfois des blesses, comme ä Meiganga, dans le NordEst, ou ä ßafoussam, dans l'Ouest 42). Et de se presenter, au passage, comme un Indispensable« arbitre » entre les factions rivales...

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Ce genre d'optrations, comme d'alllcurs le harcclcment judlclairc des leadersupecistes,s'appuie sur une surveillancerenforceedes milieux nationalistes. Pratiques courantes avant l'arrivee de Roland Pre, l'implantatlon de « mouchards » et le contröle des correspondances privees deviennent systematiques, permettant a l'administration de se faire une idee extremement precise .du fonctionnement des organisations nationalistes 43• Forts de ces connaissanceset conformement aux directivesde Roland Pre,qui recommandait dans sa circulaire du 4 fevrier une « action individuelle sur certains leaders [upecistes]», les commissariatsconvoquent ceux des nationalistes que les servicesde renseignements considerent comme les moins radicaux et Jes plus susceptibles d'etre « orientes » vers de plus sages revendications. « En avril 1955, je reponds aux multiples convocations que m'adressait Je directeur de Ja police, Je commissaire Collier, temoigne par exemple Je medecin Mathieu Tagny, alors principal animateur de l'UPC a Yaounde. JI m'invite pour me prevenir du rouleau compresseur qui s'apprete a "broyer" I'UPC et son chef. Sans detour, il me fait comprendre qu'il est temps pour l'UPC de Stopper toute action de quelque nature que ce soit, car il a ordre d'ecraser le parti, par la violence s'il le faut, et qu'il dispose des moyens pour le faire. "L'UPCest condamnee", conclut-iJ44 • » Pour impressionner un peu plus Ies upecistes, l'administration muJtiplie les demonstrations de force, perquisitionnant de fa~on systematique leurs domicileset les siegesde leurs organisations. Mais, derriere les upecistes,c'est toute la population qul est ciblee par ce deploiement inedit des « forces de !'ordre». Estimant que les nationalistes recrutent principalement parmi les « elements les plus douteux de la population 4~ », des descentes de police sont organiseesaux mois de mars et avril dans les quartiers popuJairesdes grandes villes, sous pretexte de « lutte contre Je vol et contre le crime ~6 ». De meme, lorsque les travailleursse mettent en greve, la capitale economique prend des allures de viJJeassiegee,au grand etonnement des journaux colonialisteseuxmemes. « A Douala, des mesures de precaution, peut-etre excessives,avaient ete prises, constate par exemple Je tres reactionnaire et gaulliste Camero1m /ihre au moment de la greve des fonctionnaires staglaires, en mars 1955. H y avait ala poste centrale des tirailleurs, l'arme aJa bretelle, ce qui donnait une petite impression d'etat de siege 47 ... » Et c'est la meme impression qui domlne lorsque Um Nyobe rentre au Territoire, le 5 mars, apres son voyage aux Etats-Uniset en France: « L'aeroport etait en effet encercle par les troupes et les routes principales barrees par la police, afln d'empecher un accueil popuJaireau dirigeant 48• ,.

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Dans ce contexte de tension croissante, les responsables de l'UPC n'entendent passe laisser impressionner et cherchent adesserrer Je piege qui se referme sur eux. Non sans lucidite, c'est d'abord par !es mots qu'ils tentent de reagir. Selon Jeur habitude, ils multiplient les telegrammes a l'ONU pour protester contre la surveiJJancede leur courrier et la repression policiere et judiciaire qui !es accablent. En depit du harcelement continuel de l'administration, ils organjsent partout ou ils le peuvent des reunions publiques pour denoncer les manreuvres de Roland Pre. Dans les tracts ou dans les joumaux du parti, La Voi.xd11Cameroun,Üoile et, le dernier-ne, Lumiere,ils multiplient les textes contre le « danger Aujoulat », contre Je« colonialisme » des eveques ou encore contre les « reformes » de Roland Pre. La promessed'une partidpation prochaine des populations a l'adrninlstration du Territoire n'est qu'une « entreprise demagoglque, [...] qui n'est destinee qu'a endormir le peuple », ecrit Ruben Um Nyobe49 • Ce qu'il y ade frappant dans les textes des responsablesde l'UPCa cette pfoode, c'est la parfaite conscience qu'ils ont des objectifs poursuivis par le Haut Commissaireet des dangers qui s'annoncent. AvertissantRoland Pre de 50 l'impasse dans Jaquelle il se mettrait a vouloir « mettre hors la loi l'UPC », ils ne cessent de mettre en garde leurs compatriotes contre les provocations organisees par l'administration. « La violence ne resout aucun probleme », insiste meme Felix Moumie51 . Sur le plan politique aussi, les dirigeants upecistes comprennent Je guet-apens qu'on leur tend. Parfaitement conscients que la propagande autour de l'« autonomie progressive„ vise a leur couper l'herbe sous le pied, 11srefusent de se laisser prendre de vitesse. Maintenant que Je mot « independance » est lance - meme par les tres reactionnaires eveques-, ils la reclament immediatement. C'est l'objet de la « Proclamation commune » signee par l'UPC et toutes ses organisations somrs (Udefec,USCC,JDC), Je 22 avril 1955. Abandonnant l'idee d'accorder a la metropole un « delai » pour mener le pays a l'lndependance (un point crucial qui manquait dans les accords de tutelle et qui permettait a la France de reculer l'echeance indefiniment), les responsables nationalistes reclament des« elections generales avant Je1" decembre1955 », I'« institution immediate d'un comlte executif sous forme d'un gouvernement provisoire» et I'« installation immediate au Territoire d'une commission des Nations unies pour veiller a la mise en place des organes du nouvel Etat» 52 • Letemps de 1'« ind~pendance immediate„ est venu, indique ce document solenne!. Conscients des reactions que pourraient susciterde tellesdeclarations, les up6cislcsinsistent: « La pr~scnte proclamation n'est donc pas un mot d'ordre insurrcctlonnel, mab l'cxprcssion normale d'u11caspiration dont personne

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ne doute plus ni de l'actualite ni de la vltallt~. » Pour marquer t'evolutlon de leurs revendications, les upecistes reclament de traiter de leurs problemcs avec le ministre franfais des Affaires etrangeres et non plus avec le ministere de la France d'outre-mer. Et, pow bien signifier que « l'independance du Cameroun est desormais une realite vivante », ils confectionnent un drapeau national, qui sera devoile un mois jour pour jour apres la « Procl.amation 53 commune » • Le drapeau represente un crabe noir sur fond rouge, en reference aux crevettes de la cöte qui avaient inspire aux Portugais le nom de « Ca.maroes », devenu « Cameroun » •. Pour les autorites fran~aises, les pretentions de l'UPC ne sont pas seulement inacceptables. Obnubilees par leur nouvelle matrice ideologique, celle de Ja« guerre revolutionnaire », elles interpretent chacune des initiatives upecistes comme autant de preuves de la pertinence de 1eur analyse. Un an apres la bataille de Dien Bien Phu, visiblement pani.quee par Je « peril communiste », Ja menace de perte de !'Empire et Lapremiere conference des pays « non alignes » - qui se tient au meme moment a Bandung, en Jndonesie, du 18 au 24 avril, et a laquelle Um Nyobe ne manque pas de faire reference -, l'administration de Roland Pre semble s'etre totalement auto-intoxiquee par les theories du colonel Lacheroy. Si !es foules camerounaises se pressent pour entendre les leaders de l'UPC, ce n'est pas que leur discours repond a une quelconque aspiration populaire, estime-t-on au Haut Commissariat. C'est au contraire Ja« confirmation >>qu'ils ont mis en place une « organisation totalitaire » d'encadrement des masses et qu'ils ont lance une vaste « offensive psychologique »... L'UPC se defend d'etre communiste et muJtiplie !es appels au calme? Double langage typique de la Strategie «subversive» pilotee par Moscou et Pekin ! La « Proclamation commune » ? Une « veritable dedaration de guerre », affirment les responsables franfais, prouvant que l'UPC « ne reconnait plus l'administration fran~aise » et est « decidee ä s'en debarrasser par tous les moyens » 54 ! Une initiative persuade un peu plus Roland Pre que l'UPC a declenche un processus insurrectionnel: la creation par l'UPC d'une « ecole des cadres » a Douala, en mars 1955. Cette ecole est en fait une vieille idee de l'UPC. Um Nyobe et ses camarades, qui en avaient le projet des 1950 et en avaient deja cree une premjere version en 1953, entendalent former des militants solides capables de resister tant a la corruption qu'ä la repression de l'administration, de diffuser leurs connaissances dans tout le pays. Avec la repression accrue de Roland Pre et avec la « Proclamation commune », cette ecole apparaissaH aux yeux des upecistes comme une « universite de l'independance 55 », permettant de former des militants capables de la conquerir et de jeter les bases d'un

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nouvel .Etat. Alnsi unc trcntalne de cours, portant sur des themes aussi divers que l'« instruction judlcialre » ou 1'«histoire de l'entre-deux-guerres », en passant par la « guerre d'lndochine » et le « regime forestier », sont dispenses par les principaux leaders a vingt-six auditeurs pendant six semaines, a partir du 18 mars. Roland Pre ne tardera pas a analyser cette formation comme la preuve incontestable que l'UPC est en train de mettre en place un «Etatclandestin }>et de lancer un « processus insurrectionnel ». « Les cours qui y sont donnes sont de veritables cours de formation revolutionnaire », note-t-il, ou se forment « les principaux chefs et les principales troupes de choc du parti » 56 • Le Haut Commissaire entreprend des lors, dans Ja plus grande discretlon, une reforme d'ensemble du dispositif securitaire du Territoire. La Garde camerounaise est completement remaniee : quatre pelotons supplementaires sont crees et leur encadrement par les gendarmes franfais est renforce. Tandis que les vehicules de toutes les forces de !'ordre sont remis en etat, les effectifs de Ja pollce urbaine de Douala sont consolides. Pour coordonner ces moyens securitaires (Garde camerounaise, gendarmerie, police), un reseau radio de commandement est mis au point, permettant, le cas echeant, au Haut Commissaire de diriger depuis Douala l'ensemble des operations de maintien de l'ordre. De plus, comme l'indiquera a posterioriun rapport secret redige par le chef du cabinet militalre du Haut Commissariat, Roland Pre est « intervenu ä plusieurs reprises », avant les evenements de mai, « pour que les moyens soient donnes au commandant militaire d'etoffer serieusement !es effectifs d'interveotion dont pouvait disposer le bataiUon du Cameroun (creation d'une seconde compagnie a Douala) >} 57 • Present « par hasard » a Douala le jou.r du declenchement des erneutes, Je directeur des Affaires politiques du Haut Commissariat, Leon Pignon, avouera a l'historien Richard Joseph son « grand etonnement » Iorsqu'll a decouvert I'« etendue de la campagne militaire prevue par Pre pour lutter contre l'UPC ». Et, comme s'il faJlait se dedouan.er de quelque chose, iJ ajoutera: « Roland Pre, de toute evidence, n'aimait pas l'UPC et ne voulait ecouter personne. Je decidai donc de me laver les mains de toute cette histoire 58• »

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terrltolre en plein essor 3 ». La presse coJoniale reclame, quant en finisse » avec l'UPC.

L'UPCinterdite(mai 1955)

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L'embrasementde Mai: le sangcoule • Pres de 4 000 kilometres separent, d'une extremlte a J'autre de la "France africalne", l'Algerle du Cameroun. Peut-on parler de hasard sl, quelques rnois apres Ja guerre d'lndochlne, des troubles graves eclateot presque slmultanemeot aux deux extremites de cet ensembJe africaln? Les Fram;aJs suive.nt avec angoisse, et ils ont ralson, l'evolutlon des evenements eo Afrique du Nord. Mais ont-ils prete Ja meme attention au drame gue vlent de connaitre ce territoire du Sud, Je Cameroun, verrou comme l'Algerle de !'immense pays noir de l'Union fran~aise ? • SnmediSolr, 27 fufüet 1955

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assemblee le long de Ja chaussee en ce dimanche 15 mai 1955, Ja foule communie dans un rneme entbousiasme. Des « Noirs » endimanches, d'un cöte, portant avec fierte un lourd costume trols pieces saus leur chapeau colonial ; des « Blancs gorges de sueur, de l'autre, faisant crepiter leurs appareils photo en s'epongeant Je front. De belles images ! Des tirailleurs en costume d'apparat marchant en cadence au son du tambour. Et des mHIJers d'enfants, en habit blanc, chantant a tue-tete des rengaines d'ecoliers : « La Madelon », « Cadet Rousselle », « II etait un petit navire »... Le speaker de Ja RTFcommente ces images avec l'allegresse d'un conquerant: « La visite que vient de faire en Afrique noire M. Pierre-Henri Teitgen, mjnistre de Ja France d'outre-mer, a ete marquee a Douala par d'importantes manifestations a l'occasion de l'inauguration d'un ouvrage d'art unique en son genre : Je pont du Wouri ! Jadis separes par les deux bras du fleuve, les ports de Douala et de Bonaberi sont maintenant relies par une route et par une voie fem~e qui empruntent !es 1 830 metres de ce pont gigantesque, appele ajouer un röle de premier plan dans Ja vie economique du Cameroun i ! » Al'ombre de sa tribune, Je ministre a pourtant l'air preoccupe. S'il a prepare un discours plein d'optimisme sur l'avenir de Ja France au Cameroun, il sait aussi combien l'atmosphere est electrique a Douala, comme du reste dans tout Ie Territoire. Lui-meme n'a d'ailleurs pas hesite ajeter un peu d'huile sur le feu que ne cesse d'attiser Roland Pre depuis qu'il est Haut Commissairr. La veille, le ministre a rnis en garde les Camcrounais contre ., Felix Mournit, Ruben Um Nyob~ et leurs acolytcs, jqui/ precipltcnr dr11Hl 111n11rchle un )>

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Face aces provocations, les upecistes ont appele leurs compatriotes a boycotter les ceremonies en l'honneur du ministre. Au moment meme ou l'on defile sur le port, Felix Moumie et Ernest Ouandie tiennent un contre-meeting devant 1 500 partisans. Le ton est rageur et certalns orateurs se montrent moins flegmatiques que naguere. « Si les po!Jciers viennent troubler cette reunion, aurait Iance Ouandie, nous leur reservons un accuell qu'ils n'oublieront jamais 4 ! » Depuis le matin, les militaires fran~ais procedent a la « fouille des quartiers indigenes » de Douala. Et une femme a ete tuee aquelques pas de la, ecrasee par un camion de gendarmerie. Pour l'adminlstration, un « malh.eureux mais banal accident mortel de la circulation 5 ». Selon la version officielle, les erneutes ont debute une semalne plus tard, le 22 mai, lorsqu'un groupe d'upecistes est venu interrompre le meeting fondateur du Front national. Ce nouveau parti avait pour ambition, conformement ala strategie des « oppositions africaines » chere aRoland Pre, de federer !es partis favorables al'administration fran~aise sous la banniere d'un « nationalisme » bien tempere et d'un « anticommunisme » virulent. La man55 I 115H)

fran~alses subissent un "repli acc~l6r6 • aussl bien en Extr~mc-Orlent qu'cn Afrique, Je commandant superieur de la zone de defense AEF-Cameroun affirme que cette zone est « redevenue en 1955 un avant-poste de l'Union fran~aise : fait essentiel qui determine la place nouvelle qu'elle doit prendre dans les preoccupation de Ja defense nationale 54 ». Sans que Je lien avec les evenements du Cameroun soit explicitement mentionne, il convient de signaler eo outre que c'est eo aout 1955, moins d'un mois apres la dissolution de l'UPC, que parait Je rapport du « Comlte technique d'etude pour Ja defense de 1'Afrique », plus connu sous le nom de « Plan Lanninat » (du nom de son inspirateur et coordinateur, le general Edgard de Larminat). 11s'agit d'un plan de« defense Interieure» elargi a l'ensemble des possessions fran~aises en Afrique et devant etre mis en place graduellement dans les trois a quatre annees suivantes. Estimant que la menace d'une « subversion interne» se precise « de jour en jour », Je plan indique entre autres qu'il faut, partout, « prevenlr Je desordre » eo « etouff[ant] dans l'reuf ses premieres manlfestations » 55• Face au« desordre » upeciste, la grille de lecture manicheenne des autorites fran~aises appliquee a la guerre d' Algerle est peu a peu importee et plaquee sur Ja situation camerounaise par l'etat-major militaire. C'est a cette meme periode, debut 1956, que le commandement superieur des forces armees de la zone de defense AEFCameroun, par exemple, soumet atous ses subordonnes Ja Iecture d'un texte signe par le tres martial Jacques Soustelle, gouvemeur general de l' Algerie mals presente ici comme un simple et meme parfois « independance » commencent a faire leur apparitlon dans le Jexique du colonisateur lui-meme. La « generosite >) de Ja France ainsi affichee sert a camoufler Ja repression sanglante. Roland Pre clame partout qu'il souhaite faire participer un nombre croissant d'« autochtones » aux responsabilites. Certes, Je processus doit se faire en douceur, dans Je calme, en bonne entente. Mais les temps ont cbange, assure-t-on. La« camerounisatlon des cadres » est plus que jamals l'expression aLamode.

Camerounisationdescadres: Jeparcours« exemplaire» du jeune Paul Biya Alors que leurs aines savaient qu'ils resteraient cantonnes a des etudes rnediocres debouchant sur des emplois subalternes, Ies enfants et les jeunes scolarises au milieu des annees 1950 - on en compte 180 000 en 1954 sur les 460 000 en äge de l'etre 3 - peuvent dorenavant rever d'un plus glorieux destin. Fait rarissime jusque-la - on envoyait generalemeot les elements les plus brillants a Dakar-, la France s'est meme ctecidee, a partir de 1947, a envoyer chaque ann~c des 1cunesctudlcr en metropole aux tcrrnes de leur

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scolarite. Au depart, lcs ~tudlants camerounals en Francc nc seront quc quelques dizaines. Puls, ä mesure que lc regime colonial cherchera ä mettre en avant des elites locales et ä les integrer dans l'admlnlstration coloniale, 11s seront de plus en plus nombreux : environ trois cents en 1953, sept cents en 1955, huit cents en 1956 ... Cette politique de« camerounisati.ondes cadres », que les evenements de mai 1955 et les projets d'otautonomie interne» rendent plus imperieuse encore, bouleverse bien des destins dans Ja jeunesse camerounaise. Pour s'en convaincre, on peut s'arreter un Instant sur un cas emblematique : celui du president Paul Biya,ä la tete de !'Etat depuis 1982. Ne en 1933, fils d'un catechiste catholique, le jeune Paul Biyaetait au depart destine ä devenir pretre. Pour ce faire,ses parents l'avalent inscrit des son plus jeune §ge dans les institutions missionnaires. Mais, alors qu'il poursuit ses etudes aux petits seminaires d'Edea et d' Akono,dans Je sud du Cameroun, un evenement important vient devier sa trajectoire scolaire : Ja creation du premier etablissement secondaire au Cameroun. lnaugure en 1952 par Louis-PaulAujoulat, alors president de !'Assembleeterritoriale, Je lycee General-Ledereaccueille immediatement tous les enfants que l'admJnistratlon juge suffisamment prornetteurs ou dont les parents ont suffisamment d'entregent. Paul Biyaentre au lycee Leclercä la rentree 1954, ä l'äge de 21 ans. Le jeune homme n'est pas particulierement brillant. Mais i1a beaucoup d'autres qualites. « Au terme d'une jeunesse studieuse, sans militantisme ni revolte, c'etait un gar~on tres police, tres wbain, tres respectueux de !'ordre et des hierarchies. ParfaU,trop parfait, sans asperite », dit de lui le journaliste Pbilippe Gaillard4 • Le profil ideal, en somme, pour une administration coloniale qul ne deteste rien tant, chez lescolonises,que l'originalite, l'inventivite et le sens critique, qui font trop souvent le lit de Ja contestation. Efface,travailleur et eduque dans le respectde !'ordre etabli et des institutlons coloniales,Paul Biya obtient une bourse pour aller etudier ä Parisen 1956. A Paris, il reste sage. lrucrit dans !es classes reserveesaux ressortissants d'outre-mer au lycee Louis-le-Grand, en faculte de droit puis ä l'lnstitut d'etudes politiques, c'est assez logiquement qu'il entrera en 1961 ä !'Institut des hautes etudes d'outre-mer (nouvelle appellation, depuis 1959, de l'Ecole nationale de la France d'outre-mer), ou ont ete formees avant lui beaucoup de grandes figuresde l'administration coloniale et ou l'on a commence depuis quelques annees ä accepter quelques elements qu'on n'ose plus appeler « indigeoes ». Ce qu'il y a de remarquable dans le parcours scolaire et universitaire de Paul Biya, c'est qu'il illustre presque jusqu'ä la caricature la politique fran~se de promotion des elites africainesdans tes annees qui precedent les lnde• pendances. Certes, raresseront ceux qui connaitront un dcstln ulterieur aussl glorieux que Je futur president ßiya. Mals la pl11par1des Jcunc~Corncrounal~

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envoyesen rrance dans les annees 1950 auront le memc profil et le meme parcours, lisseset sans eclat.

Louis-Paul Aujoulat,leparrain Pour comprendre le parcoursde Paul Biyaet de ses contemporains, il faut revenir un moment sur la trajectoire de Louis-PaulAujoulat.Depute du Territoire ä partir de 1946 et secretaire d'Etat a la France d'outre-mer entre 1949 et 1953, il peut etre considere comme la cheviUeouvriere de la politique educative de Ja Franceet de promotion des elites autochtones au Cameroun. Son poids est immense dans les annees 1950. lncarnation d'un paternalisme colonial qui pretend reconcilier les Africainsavec leurs maitres europeens, chantre de 1'«evolution » pacifique de l'Afriquevers la « civilisation » et la « modernite », catholique ostentatoire, Louis-PaulAujoulatest un fervent partisan de Ja scolarisation des colonises et de l'emergence en douceur d'une eilte profran~ise. Un pied dans l'administtation coloniale et l'autre dans l'Eglise catholique, Louis-PaulAujoulat garde la haute main sur ce dossier qui Interesse aussi bien la premiere que Ja seconde. Il offre des bourses aux eleves camerounais meritants et desireux de venir etudier en metropole. II beberge ä l'occasion les heureux elus ä leur arrivee ä Paris. Et il reunit regulierement cette jeunesse en formation dans son grand appartement parisien. Beaucoup de jeunes Camerounais viennent le voir, lui demandent des conseils, sollicitent ses faveurs. II met en relation les lyceenset etudiants camerounais, dont nul n'ignore qu'ils seront appeles ä d'importaotes fonctions dans les annees a venir, avec les elus et autres responsables du Territoire de passage en metropote. A Parisse constitue ainsi une cour, un intime cenacle, un village africain dont il est l'epicentre. Beaucoupd'eminents responsablesafricains lui seront redevables a un titre ou a un autre". Parmi les Camerounais, on peut citer Andre-MarieMbida, Ahmadou Ahidjo, Paul Biya et bien d'autres, dont !es noms sont aujourd'hui moins connus. Nombreux sont lesetudiants qul nourrissent al'epoque un veritable amour - le mot n'est pas trop fort- pour LouisPaul Aujoulatb. Rendant hommage au maitre, un etudiant camerounais ---

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Lcs amitll!s afrlcalnes de Louis-Paul Aujoulat depassent en effet largemcnt le strlct cadre camerounais. A la fln des annees 1970, lors de !'Inauguration d'une stele en son honncur au ßurklna Faso, il recevra des hommages de la plupart des chefs d'Etats afrlcains du moment : Felix Houphoui!t-Bolgny (Cöte-d'lvolre), Omar Bongo (Gabon), Mathlcu Kl'.!rekou(llenln), Gna~~lngh~ Eyndcma (Togo), Mous~a Traore (Mall), etc. Au Comcroun, 11ncnimcu1 111\l~tnnh.'vcut quc Löuh-Paul /\ujoulot alt cu des penchants homo~e~uch. Ce q11t nöu~ 11(,1(, rn11th111(,p,11 tlc nombn:u,c~ pcrsonnolltb qul l'ont

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choisira ses mots pour Jui dedicacer, quetqucs annees plus tard, son m~moire de these : « Au docteur Aujoulat qul a su si b.ien penetrer l'äme africaine, /usqu'a ses meandres, lui dont les "avls" toujours eclaJres m'ont guide, comme un phare, taut au lang de rna vie d'etudiant, taute ma profonde reconnaissance 5 ! » S'il sait etre genereuxavec la jeunessecamerounaisede France,Louis-Paul Aujoulat n'en est pas moins vigilant. Pour lui, comme du reste pour taute l'administration coloniale,les etudiants africainsne sont pas en Francepour se divertiret se disperser.Ilssont lä pour etudier, se fonner et obtenir des diplömes. En un mat, pour « preparerl'avenir de leur pays». fl le dit et Je repete: lesjeunes Africainsne sont pas venus en metropole pour perdre leur temps ä faire de Ja politique.Beaucaupd'« aujoulatistes)>, ainsi qu'on !essurnomme, appliqueront le mot d'ordre ä la lettre : pas de politique. Lerefrainest repetesi souvent par !es autorites et par Ja presse coloniales qu'on en retrouvera Ja marque un demisiecleplus tard dans l'hagiographleofficiellede Paul Biya,redigeeen 2009 par Je « journaliste» Fran~aisMattei, dans le passage consacre aux etudes parisiennes du futur president. « Pour Paul Biya,surtout preoccupe de reussirson parcoursuniversitaire,qui va durer six annees d'un travail lntense, il s'agit surtout, et encore,de ne passe laisserdistraire»,ecrit l'auteur admiratifdevant tant 6 d'abnegation • Un autre biographecamerounaisexpUqueen des termes voisins le dedain qu'entretenait Biyapour Ja !>llt lc, (·1udlants camerounais des annees 19SO,OLileurs orlentatlons politiques sont S> au Cameroun. Avec Ja disparition officielle de l'UPC et avec les nouveaux projets du gouvernement Mallet, le « nationalisme », longtemps considere comrne le masque du communisme et le fait d'une minorite d'excites, devient comme par magie un fait nature!, evident, acceptable. Et accepte tant par l'adminlstration que par Ja presse fran~aises. «]'ai [ ...] parle avec un grand nombre de Camerounais de Douala, de Yaounde et meme de brousse, se targue un reporter du Figarodebut 1956. Tous, a un degre plus ou moins avoue, sont nationalistes. J'ai detecte sans peine quelques cryptocommunistes un peu voyants, mais la majorite des hommes que j'ai rencontres n'avaient rien de communistes. La bourgeoisie, generalement chretienne, plus protestante d'ailleurs que catholique, relativement al'aise economiquement et assez evoluee intellectuellement, est resolument nationaliste 9• » En apparence, ce « consensus nationaliste 10 » n'est pas pow-arranger les affaires du nouveau Haut Commissaire. La campagne pour les elections legislatives du 2 janvier 1956 - celles qui, en metropole, ont amene Guy Mollet et Gaston Defferre au pouvoir - avait montre, au Cameroun, que le « vide politique » cree par le bannissement de l'UPC avait fait naitre une sorte de course al'echalote, une « surenchere demagogique », dit Ja presse fran~se, entre des formations politiques camerounaises devenues subitement plus revendicatlves. Mais cette evolution est en realite une banne nouvelle pour Messmer, qui cherche precisement, dans la droite Ugnede Roland Pre, a promouvoir un « nationalisme modere» capable de couper !'herbe sous le pied de l'UPC et de reduire son « nationalisme integral». De fait, cette fievre pseudo-nationaliste masque mal l'incroyable opportunisme des nouveaux convertis. Opportunisme que les « joujoux » et « sucettes » prevus par la loi-cadre sont precisement venus encourager ... En matiere d'opportunisme, la palme revient sans conteste a AndreMarie Mbida. Ce jeune politicien arnbltieux, eduque dans les rnilieux catholiques et veritable creature de Louis-PaulAujoulat, s'est brusquement fait un nom lorsque fin 1954 il a quitte le parti de son maitre, le ßDC, pour cr6cr son propre mouvement, le COCOCAM.Dans lcs mois qul ~ulw11t l'lntcrcliction de l'UPC, lcs deux anclcns amls s'offrontent dlrcctcm.cnl ,111,,;~h•ctlütH du .O•I,

2 janvier 1956. Et, fait surprenant campte tenu de la fraude electorale genera-

lisee au Cameroun mais explicable si l'on etudie l'instrumentallsation que Mbida fait des themes nationalistes au cours de sa campagne electorale, c'est le « filleul » qui l'emporte sur son ancien « parrain » franc;:ais.Le « coq vigilant et comageux » (slogan de Mbida) remplac;:antainsi celui qui aime se pre• senter comme un « Noir a la peau blanche » (slogan d'Aujoulat) sur les bancs du Palais-Bourbon,devient pour certains le nouveau heros national. Mais, comme H fallait s'y attendre, Je « nationalisme » opportunement affiche s'ernousse rapidement. Au Iendemain de son election, Mbida celebre dans la presse l' « amltie loyale qui unit le Cameroun et la France ». « Je campte sincerement et fermement sur Ia solide et fidele collaboration de notre genereuse, bienfaisante tutrice, la France, pour la realisation des aspirations legitimes des populations du Cameroun vers l'autonomie, vers l'emancipation totale, conformement aux textes en vigueur », ajoute-t-il 11• Pour mettre toutes les chances de son cöte alors que la nouvelle politique africaine des sociaJistesGuy Mollet et Gaston Defferresemble lui ouvrir d'interessantes perspectives, Je nouveau depute rejoint le groupe SFIOde !'Assembleenationale franc;:aise,evacue prestement de son discours taute reference a l'« emancipation totale » de son pays et promet a Pierre Messmer, fraichement arrive a Yaounde, de I'aider « atout remettre en ordre [et] aregagner a l'administration fran~ise au Cameroun la confiance et l'estime des peuples que nous representons 12 ,>.Tant de banne volonte ne peut que seduire !es autorites franc;:aises . Les choses sont plus compliquees avec Paul Soppo Priso. L'homme d'affaires, president de l'ATCAMet conseiller a !'Assembleede !'Union franc;:aise,tente egalement de prosperer sur les depouilles de l'UPC. Abandonnant Je « röle moderateur qu'il avait joue dans Ja politique camerounalse depuis 1947 13 », il prend, comme les autres, une posture nationaliste. Mais, pour se distinguer de Mbida, iJ campe sur sa position d'« opposant )). II s'insurge contre la loi-cadre, se declare favorable a l'independance pure et simple et va jusqu'a reciamer l'amnistie des« agitateurs » de mal 1955. Eo somme, i1 se rallie au programme de l'UPC dont U se fait Je porte-parole officieux. C'est a cette fin qu'il lance, au moment du vote de la loi-cadre a Paris, un nouveau mouvement politique, !'Union nationale. Cherchant a federer tous les « nationalistes >> autour d'un programme minimum - dont les polnts saillants sont l'abandon de la lol-cadre dans le contexte camerounals, J'amnistie pleine et entiere pour tous les faits relatifs aux evenements de mai 1955 et l'election d'une nouvelle Assemblee territoriale chargee de dlscuter et de defin.irle futur statut du pays-, Soppo Priso rencontre un certain succes. Preuve qu'un « consensus nationaliste » s'est installe au Camer:oun, ou que l'opportunisme est bien partage, des responsables de tous 1,orlzons pollliquc.~ rejoignent son Initiative : Charles Assale

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(ex-upeciste), Charles Okala (de l'USC), ßenoit ßindzl (du ßOC), Mnrtln Abega (chef traditlonnel), etc. Mais, derriere ces quelques personnalites versatiles et opportunistes, la force de !'Union nationale vient du soutien de plusieurs representants de poids de l'UPC dissoute. Parmi ces upedstes consideres comme « moderes », on retrouve notamment : Mathieu Tagny (membre du bureau du comite directeur et principal animateur de l'UPC aYaounde), lsaac Tchoumba (president d'un important comite local du parti ä Yaounde), Ousmane Muisse, Samuel Ekwe ou Anatole Kameni. C'est egalement dans cette galaxie upeciste qu'il faut relever Ja presence active, au sein de !'Union nationale, du jeune chef baham Pierre Kamdem Ninyim. Rentre precipitamment de France l'annee precedente, celui-ci n'a cesse, depuis, de se rapprocher des rnilieux nationalistes, au polnt d'accueillir au sein meme de son palais les reunions clandestines du mouvement nationaliste et d'encourager ses « sujets » ä la desobeissance civiJe. Tres populaire dans !es populations dites « Bamileke », bientöt rejoint par d'autres jeunes chefs traditionnels de la region (en particulier le chef Marcel Feze de Badenkop et le chef Jean-Rameau Sokoudjou de Bamendjou), Kamdem Ninyim apparait comme un allie de poids pour Soppo 14 Priso • Lequel parvient des lors, en s'appuyant sur l'aura et la solide Implantation de ses allies, a rassembler des foules immenses chaque fois que !'Union nationale organise un meeting 15• Teile est Ja configuration politique a Jaquelle est confronte Pierre Messmer dans !es mois qui suivent son arrivee au Cameroun. D'un cöte, Andre-Marie Mbida, qui soutient fermement !es reformes du nouveau gouvernement fran~ais mais que son opportunisme grossier discredite des Je lendemain de son election en janvier 1956. De l'autre, Paul Soppo Priso, qui rejette Ja loi-cadre et qui, « generaJ deftlant avec les troupes des autres », parvient a rassembler derriere son nom une opinion camerounaise decidee a obtenir rapidement son emancipation totale. Adoptant Ja posture de I'« arbitre » rt,eutre et objectif, Messmer va manceuvrer habilement : H va partiellement recuperer Je programme de Soppo ... pour permettre a Mbida de remporter la mise. Sans oubJier, bien sur, l'objectif essentiel de la France au Cameroun : Je maintien de l'UPC llors du jeu politique.

Lepokerde PierreMess,ner Al'ete 1956, aJors que Mbida et Soppo se chamaillent en vitrlne, c'est en realite une partie de poker qui s'engage, en coulisses, entre Pierre Messmer et Ruben Um Nyobe, qui a pris le maquis dans sa region de la Sanaga-Maritime. Pendant que le Haut Comrnissaire tcnte de mettre discretemcnt sur orbltc le nouvel allie de la France, Andre-Marie Mbida, Um Nyobc chcrchc :\ 11.t lllscr, cn ••0(1

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sous-main, le couranl d'Union nationale de Soppo Priso pour faire sortir l'UPC de sa ciandestinite imposee. Son objectif est double. D'une part, reintegrer l'UPC dans le Jeu politique, gräce a l'amnistie, pour la faire triompher democratiquement ä l'occasion de nouvelles elections ä l'ATCAM.Et, d'autre part, eviter le piege de l'action armee qui seduit de plus en plus Je president Moumie et !es vice-presidents Kingue et Ouandie refugies au Cameroun britannique. Misant donc sur Je courant d'Union nationale, il missionne Ies « upecistes moderes » pour orienter ce mouvement dans un sens favorable. Les calculs d'Um Nyobe paraissent d'autant plus judicieux que l'administration semble, dans un premier temps, vouloir repondre favorablemeot aux exigences de !'Union nationale. Si Je Conseil d'Etat valide la decision du 13 juillet 1955 d'interdire et de dissoudre l'UPC, Je principe d'une amnistie pour !es faits relatifs aux evenements de mai 1955 semble pour sa part acquis. Une loi dans ce sens est meme deposee a 1'Assemblee nationale fran~aise Je 2 aotlt 1956. L'election d'une nouvelle Assemblee territoriale est egalement acceptee : Messmer annonce, debut aofit, la dissolution de 1'ATCAM et la tenue pour la fin de l'annee de nouvelles elections, au suffrage universeJ et au college unique conformement aux dispositions de la loi-cadre. Ces deux decisions ne sont pourtant qu'un coup de bluff, destine ä montrer la bonne volonte de l'administration fran~aise. En realite, Messmer reste le maitre d'un jeu dont il contröle et Je calendrier et les regles. Un calendrier piege, puisque !es dates des elections et du vote effectif de l'amnistie ne sont pas dairement fixees. Et une regle du jeu viciee, puisque personne ne connait les attributions exactes de Ja future Assemblee. En jouant sur le calendrier, Pierre Messmer veut, sans rien leur promettre formellement, laisser esperer aux cadres de l'UPC une reintegration dans le jeu legal. Ecrivant au ministere de Ja France d'outre-mer en mai 1956, il expllque tres clairement comment il cherche a duper l'UPC : « Un projet [d'amnistie] depose avant Ja finde l'actuelle session de l'Assemblee nationale ne sera d'ailleurs pas examine avant un certain nombre de mois, et la loi oe serait donc probablement pas votee avant Ja fin de l'annee. Nous aurons d'id laä notre disposition un moyen d'action sur !es upecistes, qui sauront qu'une agitation dans l'illegalite ne pourra que compromettre leur amnistie et leur retour 16. » En ce qui concerne les attributions exactes de Ja future Assemblee, le flou entretenu par Je Haut Coinmissaire a pour objectif de faire oubller que la loi-cadre est particulierement restrictive. Selon son article 9, 1'Assemblee camerounaise n'a le dcoit que de donner un « aVis» sur le decret que lui presen tera - quand il le souhaite - Je gouvernement fran~ais, et devra donc de facto accepter les principes de la loi-cadre sans pouvoir les remettre en cause•. o

L'r,rllclc 9 de lo lol-cadrc stlpulc cn cffet : • Compte tenu des accords de tuteUe, le gouverncmc,11llOurm,pr1rdarn:t,prh npr~, nvls de l'As,cinblCetcrrltorlalc et de !'Assemblee de

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n 1.).'i!'/U~R) 1

Sachant perttnemment qu'Urn Nyob~ ne se lalsscrn pn, ,1 1,1dlcmcn1 duper, l'admlnistratlon mlse sur l'abstention de l'UPC oux proch,ilncs 6tcctions territoriales, cherchant ainsi a reediter ce qu'elle vient de faireau Togo, Oll !es nationalistes avaient decide, sans resultats, de ne pas participer aux elections du 12 juin 1955. Au Cameroun, Ja Franceentend donc gagner sur !es deux tableaux : d'une part, faire «valider» par Je suffrage universel l'exclusion de l'UPCde la scene politique; et, d'autre part, integrer, par decret et avec l'assentiment de Janouvelle Assembleeterritoriale,le Cameroun dans l'Union franr;aise.En novembre 1956, c'est-a-dire a la veute des elections de la nouvelle Assemblee territoriale annoncees - a la derniere minute - pour Je 23 decembre, leschoses sont donc parfaitement claires: l'administration franr;aisecherche ä amener les Camerounais ä des elections sans enjeu veritable, en pointant un fusil sur la tempe du seul reel parti d'opposltion. Voulant retourner l'arme qui le vise, Um Nyobe va donc chercher a reussir la Oll les nationalistes togolais ont echoue : provoquer l'abstention « totale » des Camerounais pour discrecliterle scrutln organise par la France et I'Assembleefantoche qui en sortira. « Il suffit pour [celalde savoir s'unir et agir pour imposer la volonte du peuple et nous avons toutes les raisons de croire qu'il en sera ainsi, ecrit-il. [...] En decembre prochain, les Kamerunais s'abstiendront ä. 100 % pour clireau monde entler que notre peuple ne veut pas se livrer a une dominatlon etrangere. » Par ce commentaire, Um Nyobe devoile pou.rtant ses faiblesses.U confirme qu'il n'envisage pas d'autre strategie qu'une union nationale aboutissant a l'abstention totale des Camerounais et avoue, ce faisant, qu'il a « place taute sa mise 17 » sur Soppo Priso. Pour Um Nyobe, l'abstentlon totale est donc devenue une « question de vie ou de mort pour notre peuple 18 i.. Mais Pierre Messmer comprend vite les faiblesses de son adversai.re. Constatant que !'Union nationale est davantage l'instrument d'Um que celui de Soppo, il va taut faire pour la mettre en pieces•. Invitees ä. prendre leurs

a

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l'Un1on fran~lse, procedcr pour le Cameroun il des rHormes lnstltut1onnelles • [nous souUgnons]. Le disposlttI se.ra a nouveau verrouJUe apres l'electton, comme le sou.llgne l'analyse de Paul-Marle GAUOEMET, • L'autonomie camerounaise •, Revue franraise de sdence polltiq11t, 1958, vol. 8, n° 1, p. 42-72. Dans Ja partlc de poker menteur quese llvrent Messmer et Um Nyobe, il semble que l'un et l'autre regardent dans le 1eu de l'adversalre. Alors que Messmer, blen servi par ses scrvices de rensclgnements, su.rvellle de tres pres les up&:istes, J'UPC • devoile • quant il eile une lettre qu'auralt envoy& Gaston Defferrc a Pierre Mcssmer pour deftnlr avec lul Ja positlon ä adopter vls-a-vis de l'UPC : • L'Unlon nationale de Soppo n'cst autre chose que J'UPC sous un autre jour. II faul des maintenant chercher par tous !es moyens ä semer lc desarrol en son sein pour creer une scissl.on entre !es mouvcments et les pcrsonnalllcs qui y ont adhere. C'cs1 un courant fort qul nc doll pas exlster et nous ne pouvom nhmlr ~ r~allser nos protets que sl nou!I pouvons OfK'rCrunc dlvtslon entre lcs per,onnolllh nu mouvemenlS qul )1 font bloc • (Clt~ ,,, i\brnham SIGIIOKO Fos~,, l)lst011rf polltlqur\, 0(1 c/1.,

l c /1n/l }111 lu t1'lllf'LJ( 11>.St,19.'il)

cllstnnces,!es pcrsonnallt~s les plus fragilesde cctte alliance heterocltte s'en cletachenlsans broncher. Et une forte pression est mise sur les alliesde Soppo. Ainsi en va-t-il pour Pierre Kamdem Ninyim, arrete mam, militari, le 24 novembre 1956, et inculpe pour - entre autres motifs- possessiond'armes, incltation a la desobeissance et « reconstitution de ligue dissoute » (l'UPC). Pour que le messagesoit bien clair, ce ne sont pas moins de trois pelotons de gardes camerounais qui sont envoyes a Baham pour effectuer cette arrestation 19...

UmNyobeentredeux feux Misant sur un « boycottage total» pour faire derailler pacifiquement les elections, ta voie devient de plus en plus etroite pour le secretaire general de l'UPC. Car Um Nyobe n'est pas seulement accule par le jeu de poker de Messmer,il est aussi tiraille entre les deux tendances de son parti. Depuis les evenements de mai 1955 et l'interdictlon du mouvement nationaliste, lesdissensions ne cessent en effet de s'affirmerä.l'interieur de l'UPC. Malgreles tentatives de reorganisation et les incessants appels a l'unite, les divergencesideologiques,les desaccordsstrategiqueset personnels se multi plient. Et cela d'autant plus que les conditions precaires lmposees par la clandestinite, la dispersion geographique et la suspicion generalisee due a la surve!Uancepoliciere n'arrangent rien. Entre les « moderes », qui participent avec enthousiasme ä !'Union nationale, et les « radicaux » de Kumba, qui se mefient de l'opportunisme de Soppo Priso et comprennent mal que l'UPC cherche encore a composer avec Ja lol coloniale, c'est une guerre larvee qui s'installe, au cours de l'annee 1956, al'interieu.rdu mouvement nationaliste. Cette guerre interne est d'ailleurs attisee par l'admlnistration. So.ltdirectement, en jouant sur les appetits financiers ou les rivalites ethniques. Solt indirectement, en lächant la bride des upecistes qu'elle juge les plus conciliants. Liberede prison en mars 1956, Math.ieuTagny sera ainsi autorise des le mois suivant as'adresser publlquement ä une commission d'enqu@teparlementaire venue de Paris. Quant au responsable syndicaJJacques Ngom, sorti de prison ä. la meme periode, il lance un nouveau journal, Liberte,qui s'en prend avec virulence au " trio de Kumba ,,, provoquant la replique cinglante des Interesses.

p. 306-307). N'ayant pas rclrouve cette lcttre dans les archives fran~alscs, nous ne pouvons dl!termlncr steile est vC:rldlque ou non. F.lle rcsscmblc cependant, dans le ton et sur le fond, ,\ cl'nuircs lcttrcs cnvoy&s par lc mlnlslre au Haut Commlssalre. Et correspond assez cx,1ctcmcn1~ la str,11(:11lc mlw l.'11 pl,1cc.i l'~poque par l'icrre Memncr ...

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Dans ce concert d'lnsultes, ou l'on s'accusc mutuellcment de scctarisme, de tribalisme, de trahison ou cie detournemeots de foncis 20, Ruben Um Nyobc apparait comme Je seul capable de ramener un peu de serenite. S'appuyant systematiquement sur Ies textes qui regissent Je fonctionnement du partl et rappelant sans cesse que Ja divisjon est un danger mortel pour Je mouvement national, il soutient publiquement la tendance de Moumie, Ouandie et Kingue, representants legitimes de la direction du parti depuis le congres d'Eseka de 1952. « n n'y a pas un nationallsme mode Um, ni un nationalisrne mode Moumie: il n'y a que le probleme kamerunais ä la solution duquel nous essayons de conttibuer ensemble », ecrit-il dans le journal Lumiere21• Voilä pour Ia position officielle, que commandent Ja discipline du parti et Je respect des regles democratiques. Mais, en prive, Um Nyobe se montre beaucoup plus critique ä l'egard de Moumie, Kingue et Ouandie, dont il connait la fascination croissante pour la revolution armee. La lettre qu'il leur envoie Je 4 novembre 1956 montre meme que la tension devient extremement vive. Se defendant d'avoü ete « absorbe » par la politique reactionnaire et policiere de Messmer, s'interrogeant sur leur « gauchisme » et leur « egoi'sme ideologique », il tente de mettre les points sur Ies i pour sauvegarder l'unite. « Si nous devons classer toute critique ou tout desaccord sur des questions donnees comme etant le resultat d'une operation de poiice, previent-il, je serai porte ä croire que l'UPC ne peut pas etre ce qu'elle pretend etre, c'esta-dire un grand mouvement de masse 22• » Soutenant publiquement Moumie, Kingue et Ouandie, qui ont pour eux la legitimite, mais s'appuyant en pratique sur les « moderes » qui participent activement au mouvement de Soppo Priso, Um Nyobe reussira jusqu'au mois de novembre 1956 ä eviter l'impJosion et a convaincre, tant bien que mal, le parti de Je suivre dans sa strategie de « front anti-irnperialiste » avec l'Union nationale. La seule Strategie possible, selon lui, pour faire echouer les elections sans recourir a la violence. Pourtant, ä mesure qu'approchent les elections du 23 decembre, a mesure que s'evaporent !es espoirs d'amnistie 3 et que s'echauffent les esprits a l'interieur de l'UPC, la position d'Um Nyobe devient subitement intenable ... Car le piege se referme : le 28 novembre, Soppo Priso, president sortant de l'ATCAM, decide contre taute attente d'emmener son courant d'Union nationale aux elections, trahissant ainsi, a la derniere minute, son pacte avec J'UPC. S'il est difficile d'expliquer ce revirement spectaculaire, sinon en rappelant !'extreme ambigui'te de Soppo et ses irrepressibles ambitions personneUes, on peut irnaginer que l'administration n'y est pas etrangere. Dans une lettre adressee au commandant superieur de la zone de defense de

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l'AEF-Cameroun au lendemain de la trahison de Soppo, le colonel Jean Whitehouse ne cache pas sa satisfaction : « Le Haut Commissaire se propose de donner une grande publicite a cet evenement avec ou sans l'assentiment de Soppo Priso, qul est venu ce matin faire amende honorable aupres du Haut Commissaire 2.1_» Ce coup de theatre ruine en tout cas !es demiers espoirs d'Um Nyobe de trouver une solution pacifique au probleme national camerounais. L'appel solenne! a une abstention massive mais pacifique est balaye du jour au lendemain. Suite a la sldenced'Abel Kln&11.1e et en

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l'U/1{; ( l 9S!, I '>,',H)

Au moment de passer ä l'actlon violente, chacun a conscience qu'etant donne Jes circonstances, le manque de preparatlon et la brievete des delais, l'action directe doit avoir pour objectif prlncipaJ la pertutbation des elections. Mais tout le monde sait aussi que Ja repression obligera l'organisation militaire de l'UPC a se transformer eo veritable armee, susceptible de mener la resistance sur la longue dutee. Le CNO est donc conr;u selon les norrnes d'une armee hierarchisee, avec un « etat-major » charge de coordonner les operations, un « grand quartier » par region administrative, un « secteut » par departement, et des « sections » correspondant aux comites centraux de l'UPC et cornposees d'une vingtaine ou d'une trentaine de personnes. Cette architecture militaire est censee perrnettre de paralyser le processus electoral gräce au sabotage des communications, de decourager les electeurs d'aller au vote par des actes de violence et de supprimer physiquement les « vaJets » notoires qui trahissent la cause nationaliste en collaborant avec les « colonlalistes ». En realite, cette feuille de route ne semble etre suivie, dans ses grandes lignes, qu'en Sanaga-Maritime. C'est dans cette region quese concentrent la plupart des actions de« boycott actif », le 18 decembre. Ala tombee de la mnt, des charges explosives artisanales - tres artisanales, constatera par la suite J'adrninistration - sont deposees sur les ponts. D'innombrables arbres sont abattus sur les routes, isolant des dizaines de localites. Les poteaux electriques sont sabotes et decores avec le drapeau rouge au crabe noir, symbole de l'UPC. Et l'action se poursuit le lendemain: un train de marchandises deraille sur Ja ligne Douala-Yaounde, faisant plusieurs blesses. Les cases des« valets », les dikokonen langue locale, sont incendiees ä Bilangue, Kikot, Boumnyebel, Eseka, Makak, etc. On denombre plusieurs morts dans le secteur d'EtonDibono, quatre ä Nyasseng, deux aBilangue, deux ä Ndeme 26... L'action qui laissera !es traces les plus durables est sans conteste l'assasslnat de Charles Delangue, medecin-chef de l'höpital d'Edea et candidat aux elections du 23 decernbre, et de son colistier Samuel Mpourna. On retrouvera

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nationaliste camerounaise•, iJ convient de revenir sur leur genese meconnue, pour comprendre qu'il s'agit en reallte de mouvements paralleles,appeles initialement par l'UPC « maquis-Est » en Sanaga et « maquis-Ouest » en Bamileke. Alors que les autorites fran~ises laissent croire, en ayant fait elire lems allies locaux aux elections de decembre 1956, qu'ils ont reussi a integrer definitivement Je Cameroun dans l'Union frarn;aise, la Situation s'envenime : debordant rapidement leur foyer regional respectif, Je CNO et Je SDNKsont en passe d'embraser le « Kamerun tout entier. >)

L'etincellede Baham Le 24 novembre 1956, Je jeune chef de Baham, Pierre Kamdem Ninyim, sympathisant de l'UPC depuis sa formation en France, est donc anete dans sa chefferie, dans le cadre de l'offensive lancee par Pierre Messmer contre !'Union nationale de Soppo Priso ä la veille des elections (voir chapitre 11). Trois mois plus tard, le 23 fevrier 195 7, i1 est officiellement destltue par la puissance coloniale, au profit de son frere Jean-Marie Teguia, qui devient la cible des partisans du chef dechu. La destitution du jeune chef baham unit dans la contestation les nationaUstes et certains segments conservateurs, attaches au respect des traditions. Pour ces derniers, le chefbamiJeke l'est pour Ja vie et ne peut en aucune fa~on etre dernis. Les interventions de la puissance coloniale dans !es conflits de chefferie, recurrentes a cette epoque, constituent donc ä chaque fois une prise de risque importante. Rien d'etonnant des lors que, le 12 mars 1957, quand le chef destitue est condamne ä deux ans de prison ferme et eing ans d'lnterdiction de sejour dans sa chefferie par Je tribunat de Dschang, te soir meme des vioJences eclatent ä Baham entre les partisans du chef dechu et ceux de son rempla~ant. On compte trois morts du cöte des partisans de Teguia, un parmi ceux de Ninyim 2 • Ce dernier est place en residence survellJee loin de chez lui, aYokadouma, aJ'est du pays. L'affaire Baham n'est que l'etlncelle qui fait exploser la poudriere bamiJeke. Depuis 1945, les conflits fonciers, 1'autoritarisme des chefs locaux, l'ingerence de l'administration dans les chefferies, !es arrachages de plants de cafe indigenes au profit des pJantations coloniales, la persistance du travail force avaient transforme cette region agricole densement peuplee en base arriere du nationalisme. Le brusque ralliement a l'administration en 1950 du chef de Foreke-Dschang Mathias Djoume·ssi, teader du Kumzse, n'avait fait a

~22

Le l'ays bamllek~ s'embrase au momcnt mi!me oi1,en Sonaga-Maclllme, l'on sort des "maquls" •, ~cclt par cxcrnple Achlllc Mbcmbe (postfäcede Richard JosPr11, Lc Mo11ve11w111 11r11/011nllsl1• n11Cn11irro1111, 011.clt„ p. 170). «

que l'etarder l'embrasement. Du Mungo aDouala, toute ta diaspora baham est travers~e par ce conflit local qui finit par divJser de nombreuses communautes a travers le pays, creant une deflagration politique tous azimuts, bien au-dela de ce village de 15 000 ä.mes3. De plus, la designation d'un nouveau chef (fon) implique, selon les coutumes de la region, de demander l'avis des chefferies alliees, plongeant ainsi toute Ja zone dans Je trouble en cas de contestation. Ninyim, t'ancien chef baham, trouve des soutiens aupres de deux autres jew1es chefs sensibles aux theses nationalistes, Marcel Feze (26 ans) a Badenkop et Jean Rameau Sokoudjou (20 ans) ä Bamendjou, qui cherchent tant bien que mal a aider les insurges upecistes sans s'attirer les foudres du pouvoir. Querelles locales et combats ideologigues s'entremelent. Certains sous-chefs se rallient a l'UPC au gre de conflits de clocher. C'est ainsi que Ja sous-chefferie de Balatchi, s'estimant marginaJisee depuis des annees par la chefferie de Bangang et l'administration fran~aise, passe ä l'UPC en 1957 4. Par une sorte d'« hybridation » mutuelle, ta Iutte pour l'independaoce d'une sous-chefferie vis-a-vis de sa chefferie de tutelle se confond, ä cet endroit comme dans beaucoup d'autres, avec celle pour l'independance du« Kamerun» vis-ä-vis de Ja France 5• Les partisans de Ninyim se regroupent ponctuellement, te temps d'un coup de main. Rapidemeot, leurs actions de represailles depassent Baham, et s'etendent aux « villages » voisins dont les chefs collaborent avec l'administration. Dans le groupement de Bayangam par exemple, un certain Domin.ique Tawa, 37 ans, originaire de Baham, condamne quelques annees auparavant pour vol et evasion 6 , organise une bande, qui rejoint bientöt celles de Ninyim. Les relations entre !es partisans de Ninyim et l'appareil upeciste sont complexes. Le chef est sympathisant du mouvement nationaliste, mais il n'est pas pour autant soumis a la hierarchie du parti. A la finde l'annee 1956, on aurait meme pu s'attendre aun affrontement direct entre Ninyim et l'UPC, en raison de Lavolonte du jeune chef, proche de Paul Soppo Priso, de se presenter ades elections,formellement boycottees par I'UPC. Mais l'Jnterdiction de la candidature de Ninyim par l'administration raffermit ses liens avec l'UPC. Au point que, en 1957-1958, ces deux foyers de contestation agissent de concert. Derriere ce conflit locaJ, l'appareil de l'UPC est en embuscade, par le biais de son organe de jeunesse, la JDC, qui coiffe un embryon de structure mililai re, intitule Sinistre de Ja defense nationale (SDN), sous ta houlette de Martin Singap. Depuis decembre 1956, c'est ce jeune homme grand et mince de 23 ans, directeur du journal upeciste Lumiere,arborant une figure de lyceen rnr Jcs fiches de police, qui est charge par l'UPC d'organiser ta sedition. Ancien vcndeur chez un commer~ant de Maroua, ou il avait milite avec Felix Mou111l61 Singap cst origlnairc clc ßadenkop, en region ßamileke. II a

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l•'e11 Mlf l'UI'>.Derriere cette decision arbitraire, on trouve a Ja manreuvre le Premier ministre Andre-MarieMbida et Je procureur general Marcel Sammarcelli (un ancien d'Lndochine, qui deviendra depute gaulliste de la Corse en 1958 et president de la commission des lois de I'Assembleenationale fran~aise). Le chef de Ja region Bamileke, Maurice Delauney, rapporte meme que l'affaire remonte jusqu'au president Rene Coty, qui envoie une rnission du Conseil superieur de la magistrature pour annuler Ja Liberationde Ninyim et enrayer ce « scandale considerable8 ». Ce cafouillagejuridique a eu le temps de semer la panique a Baham parmi les partisans de Teguia, qui ont deja commence aprendre la fuite.

CNO: unearmeedans la brousse de Sa11aga~Maritime Pendant ce temps, la vie s'organise au sein du CNO. Lespremieresoperations mUitaires fran~aises a'ont pas suffi a decourager les resistants. Misen place de fa~onprecipitee en decembre 1956 pour saboter les elections,le CNO se structure au cours de l'annee 1957, en premier Heuen Sanaga-Maritime, autour de Ruben Um Nyobe, toujours refugiepres des slens, autour de Boumnyebel. Pour la premiere fois, un rapport de la SQrete estime que de reels « maquis », au sens strict, sont implantes 9• La vegetation luxuriante de la regton est assez dlfferenl'edes maquis du sucld.eJa Prance,mals lc princlpc derncure d'utlliser lc:scamouflngcsnat11rcls

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administratif et bureau de llaison » (SA/BL),placesous l'autorlte d'Um Nyobe. A l'aide de machines a ecrire acheminees en pieces detachees, les nationalistes enregistrent minutieusement naissances,mariages et transactlons foncieres.Symbolesde 1'attacbement au droit ecrit et a la propagande par Je texte, pas moins de deux cents kilos de documents sont entreposes au SA/BL13 • L'objectif de ceux que !es autorites fran~aisesqualifient de « HLL» (hors-laloi) n'est en effet pas tant de battre mllitairement l'armee officielle que de s'imposer peu a peu cornme l'administration de fait d'une region en etat de secession. « Les revolutionnaires aiment tellement ecrire que, dans les maquis, !es machines a ecrire leur sont aussi necessairesque les fusils, notera avec dedain Pierre Messmer dans ses Memoires. Nous savions donc qu'une administration parallelea[vait]ete organisee par l'UPC 14• » De fait, deux autorites concurrentes s'affrontent sur un meme territoire. Hautement symbolique, quand on connait le röle central qu'a joue l'impöt dans Ja domination coloniale, Ja levee d'une « souscription nationale ,, marque cette volonte des maquisards non seulement de se doter des moyens financiers necessairesa Ja lutte, mais de faire entrer l'ensemble de la population dans Ja dissidence. Elle ne se fait d'ailleurs pas sans contrainte, et provoque certaines convoitises a l'interieur du mouvement nationaliste. Une justice parallele est egalement mise sur pied. Des « tribunaux » infllgent amendes et coups de chicotte aux partisans de l'administration coloniale 15, voire prononcent des peines de mort contre ceux que les guermeros appellent les dikokon(traitres),ou les « valets ». Dessentences executeessouvent de nult, au cours desquelles les bandes armees n 1hesitent pas a faire passer les condamnes « de Ja liberte a la Joi-cadre», autrernent dit, dans le vocabulaire image des independantistes, de la vie ä la mort, en referencea Ja loi-cadre Defferre tant combattue. Le CNO constitue donc une guerilla politique, structuree, capable de mobiliser en meme temps sa base nationaListeet !es savo.irsancestraux de la region contre des cibles precises.Toutes les amities nouees depuls la creation de l'UPC sont mises ä profit et accentuees via des« groupes d'intensification du mouvement » (GJM).Camoufles derriere des assoclations diverses, ces groupes rnilitants itinerants crees le 22 avril 1957 aLimentent les maquis en hommes et en ressources.La ligne de chemin de fer, axe economique Vitalde la region, sert aussi de colonne vertebrale au CNO. Les cheminots sympatWsants alertent sur la presence de patroumes ennemies, transmettent messages et colis... La rebellion est donc profondement enractnee dans Ja societe bassa. Et, maJgre leur dedain, les autorites fran~aises ne tarderont pas ä dresser un tableau saisissantde cette « revolte upeciste » et de ses « quelques centaines de combattants mal armes agissant au sein d'une population contaminee d'un chiffre voisin de 100 000 habitants, sur un territoire de quatre-vingts kilometres du nord au sud et cent kllometresd'est en ouest 16• )t

SDNK:laguerillade l'Ouests'organise LeCNO en Sanaga, en 1957, est bien plus performant que le SDN bamileke.Mi-septembre,une bande de rebellesencore relativement amateurs, qui vient d'assassiner un proche de Jean-Marie Teguia ä Nkongsamba, est vite demantelee par la police 17• A peine sorti des limbes, Je SDNest dejä aux abois. La fragilitede l'organisation amene Martin Singap ä en fonder une nouvelle, a partir de la precedente et de l'appareil de laJDC, qu'iJ maitrise parfaitement. Le 10 octobre 1957 nait donc le Sinistre de la defense nationale du Kamerun (SDNK)dans le quartier de Nka de Baham. Le volet politique de la nouvelle organisatlon est prls en charge par Martin Singap. Son organisation militalre est coordonnee par un de ses proches, Plerre Simo, entre a l'UPCen 1956, qui devient « capitaine general ». Paul Momo, originaire de Baham, dont on reparlera plus tard, est nornrne secretaire.SelonJoseph Noumbi (dit aussi « Nownbissi »), elu conseillerdu SDNKce jour-la, cette reunion rassemblait « dans !es 1 500 ä 2 000 » personnes, « des individus de races differentes : Bassa, Mungo, Bamileke, Yaounde et Haoussa », bien au-dela d.es Baham 18 • Si l'epicentre de la contestation se trouve bien a Baham, « Lieureve pour la constitution et l'entrainement des maquis 19 », comme l'ecrit le cbef de la region, Mamice Delauney, celle-ci depasse largement cette chefferie. Comme le reconnait du reste l'administrateur Bernard Monnier le 5 feVTier 1958, « est-il besoin de rappeler que si l'UPC a utilise le "corps malade" de Baham, ses chefs locaux sont un Badenkop (Singap Martin) et un Bayangam (S!moPierre) et que l'"affaire Baham" est un element d'une action terroriste qui se situe ä l'echelle du Cameroun et de l'UPC et non d'une simp.leaffaire locale 20 ». Le SDNKs'organise et atteint b.ientöt une taille critique. Le maquis de Nka abrite un « camp de gymnastique », baptise « ONU » en hommage ä l'organisation internationale, qui peut accueillirjusqu'a quatre cents combattants a la fois21• Comme en Sanaga, les unites de Ja guerilla sont camouflees en equipes de football ou de volley-baJI22 • Durant !es entrainements et !es matchs, se deroule en realite l'education politique des mllitants. Les maquis sont rudimentaires. Composes d'une quinzaine d'hommes, ils se resument a quelques ·cabanes en bois a l'abri d'une foret. Les combattants, souvent recrutes pa.rJe chef du maquis dans son entourage, y dorment sur des feuilles et des branchages, et se nourrissent de bananes ou de ma1sselon la vegetation alentour. Armesde machettes, de matraques ou de fusilsde chasse, !es guerilleros manquent de pistolets, reservesaux chefs de rnaquis. Comme en Sanaga, les combattants prennent appul sur la population. A tel point que, aux yeux des Franc;ais,« l'adversaire peut etre compose de foulesde femmess'(!lev:inta plusleursmilliers,en particuliersur les marches », commc s'cn alormc lc Plonde d(!fcnsclnt(!rlcurcdu Cameroun de l'epoque 23.

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Petit ä petit, une fols que tous les membres potentiels ont rejoint lc SDNK,lc recrutementse complique et s'opere de plus en plus par la contrainte. Souvent de nuit, les jeunes recruessont capturees puis, une fois au maquis, forceesde commettre des exactionscontre des « traitres " (qu'on appelle ici fingo11011g, litteralement « vendeursdu pays »), afin d'empecher tout retour ä la vie legale. Racontant son entree au maquis ä cette epoque, Etienne Tchinda, aujourd'hui septuagenalre, se souvient d'un melange de sympathie ancienne pour l'UPC et de reticence ä entrer pleinement dans l'illegalite. Agent d'etat civil, il est sollicite en 1957 par Jeremie Ndelene, chef du maquis de sa zone, qui, ne sachant ni lire ni ecrire, a besoin d'un lettre. Un rendez-vous lui est donc fixe, avec ce messagemenai;ant : « Si tu ne viens pas, tu es un traitre. " Febrile,il se rend donc au rendez-vous. « Arrivedans Ja foret, je ne savais pas quoi faire, se souvient le vieil homme. Je vois des gens, dans la foret, avec des chapeaux formidables! Ils me demandent si je suis pour la lutte pour l'independance et pour l'unification du Cameroun. Je dis que je suis d'accord, mais je ne savais pas quoi faire24• » Forcede signer un papler attestant son ralliement a la lutte, il est bombarde « secretaire » de Jeremie Ndelene. Etienne Tchinda sera un militant nationaliste devoue, pousse ä l'exil de longues annees. Mais, comme pour beaucoup d'autres, c'est bien Ja menace qui l'a amene a sauter Je pas de la lutte armee. La formation des recrues ne va pas ensuite sans rites de passage,visant a renforcer la discipline de groupe, au cours de ceremonies d'immunisation du nouveau combattant, dote d'un nom de guerre et parfois scarifie,apres avoir prete serment au cours d'une seance mystique. Lespunitions en cas de desobeissance sont implacables (pendaison par les mains, chicotte, etc.). Dans Ja clandestinite, la contre-societe upeciste se forme dans la douleur. Contrairement a la Sanaga-Maritime,ou Ja structuration de la rebeUion est particulierement poussee, la gueriJla bamileke prend des formes plus souples. A Ja hierarchie stricte du CNO chez les Bassa,repond une Organisation plus fluide, composee de petites equipes jouissant d'une plus grande autonomie, chez les Bamilekede l'Ouest et du Mungoa. « Ces groupes ne se connaissent pas entre eux, constate Je Haut Commissaire Pierre Messmeren octobre 1957. Mais,sur des mots d'ordre dont on ignore encore la source, ils se rendent separement en un point determine, souvent fort eloigne de leur base, Usy sont concentres, instruits de leur mission et lances sur le point aattaquer. Une fois l'attentat accompli, Jes equipes se separent et, sans que leur faible importance puisseattirer l'attention, elles rentrent ala base ou chaque voJontaire reprend ses activites habituelles 25• " La petite taille de ces bandes rend plus difficileleur apprehension par !es forcesde !'ordre. Reversde Ja rnedaille, a

II faul rappeler ä ce sujct que, contralrcmcnt au~ • ßassa •, lcs ~ocl~t~s• ßamll~k~• ne sont

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ccuc structuration horizontale rcnd la disclpllne de groupe plus aleatoire. Pour ne prcndre qu'un cxcrnple, lcs butlns issus des attaques sont rarement mls cn commun entre les insurges, poussant ainsi parfois quelques groupes a rnl!lcrrebellion politique et banditisme. La creation du SDNKest le prelude ä une serie d'attaques de grande nmpleur. La cible principale : les chefferiesqul collaborent avec l'administrat ion. Dans la nuit du 13 au 14 octobre 1957, c'est naturellement celle de 13ahamqui est attaquee par une centaine d'assaillants. Son chef conteste, le /imJean-Marie Teguia, echappe ä l'attentat, rnais son palais est mis a sac. Le syrnboie est frappant car l'integrite physique du chef bamileke, investi de pouvoirs ä la fois politiques et religieux, est censee etre inviolable 26 • Les maquisards ne s'en tiennent pas Ja. Cinq nuits plus tard, c'est la chefferie ßahouang, dont le chef avait soutenu Teguia, qui est attaquee 27 : soixante cases partent en fumee. Le30 octobre, c'est au tour de la chefferie Batcham d'etre prise pour cible. Son chef, Je depute Etienne Djuatio, est un partisan farouche de !'ordre coloniaJ et de la maniere forte ä l'egard des upecistes. Sa fcmme et deux de ses proches sont assassines.Ces deux dernieres operations !>0ntrnenees par « une bande tres nombreuse (cent a trois cents) ", s'inquiete l'administration 28 • Lelendemain, c'est l'administrateur colonial camerounais Snmuel Kame, accuse de tirer !es ficelles de Ja crise de succession, qui essuie des coups de feu 29 • Originaire de ßaham lui aussi, ancien « parrain » de Pierre KamdemNinyim du temps ou ils etudiaient tous les deux a Paris, l'homme ~altdesocmaisqu'il n'est plus Je bienvenu chez lui. ll deviendra bientöt l'un des principaux acteurs de Ja repression. La premiere semaine de novembre, trois nouvelles attaques font quatre morts supplementaires 30• Lesauteurs de ces attaques ne sont pas clairement ldcntifies. Partisans de Ninyim ? Upecistes? Simplesbrigands? Les autorltes !>Ollt desan;onnees par cette nouvelle organisation de l'adversaire, qu'elles 31 11'ldentifieront que deux mois apres sa naissance • Les « valets » du colonialisme, chefs traditionnels en tete, ne restent pas les bras croisesface aune telle offensive. Et ils ont deja prouve, au cours des erneutes de mal 1955 en particuller, qu'lls savent se montrer « efficaces ». Les represailles initiees par Je dcpute Etienne Djuatio, par exemple, causent la mort de dix-sept per\onnes u;dont certaines auraient ete enterrees vivantes dans le bois de la chcfferie33 • Le depute, « connu cependant pour sa douceur et sa moderatIon», selon l'appreciation du chef de region Maurice Delauney34,est accuse d'avoir assassine lui-meme un homme soupSli)

d'admettre que le but est attelnt. « Une peur panlque s'cmpara de 1·ous,Africains comme Europeens,ecrit-il au Haut Cornmissaire.II s'en fallut alors de peu que l'opinion ne se retourne completement. Terrorises, la masse de la population, !es notables et les chefs eux-memesetaient sur le point de penser que les bandits etaient !es plus forts. Les visages se fermaient, nous manquions totalement de renseignements pour engager des poursuites efficaces. II devenait necessaire, par des mesures exceptionnelles d'autorite, par des exemplespublics, de retablir la confiance, de ramener le caJmeet de retablir !'ordre rnenace 37• » Face aux premieres attaques du SDNK,en octobre 1957, des mesures exceptionnelles sont prlses par les autorites coloniales : la police regionale et !es milices des chefs ratissent Ja region, appuyees pour Ja premiere fois par deux compagnies mllitairesenvoyeesde la base de Koutaba.Comme l'ecrit un Maurice Delauoey Japidaire,« de nombreuses arrestations furent operees,des exemplesfurent faits 38 » et un couvre-feudecrete. En novembre, la repression ramene un calme precaire. Mais il ne suffit pas • de frapper d'une fa,gronde-t-iJzz_ Daniel Kemajouest un homme cie de la Francedans cette zone troublee. Fideleaux colonisateurs, proche du Rearmement moral 23, il a servi au sein du cabinet du Haut Comm1ssaireet est devenu, en recompense de ses etats de service, president de l' Assemblee legislative du Cameroun (ALCAM)en octobre 1957. II a meme jumele sa commune avec Bordeaux 24, Ja ville de Jacques Chaban-Delmas, ministre de Ja Defense franc;ais(novembre 1957mai 1958) et ardent partisan - lui aussi - de la maniere forte au Cameroun. Fln politicien, quand de Gaulle reviendra au pouvoir a Paris en mai 1958, Kcmajou donnera du« mon eher ami » quand il ecrira au conseiller du general,Jacques Foccart25 • Bref,quand il demande la severite, sa voix porte. eile est relayee, en octobre 1958, quand Je procureur general de Bafoussam rc~olt une lettre signee de« Nous vos serviteurs, les notables et les conseillers de la subdivision de Bafoussam», qui l'enjolnt de sevir contre les rebelles : « Tant que tous ces gens ne seront pas condamnes amort pour avoir assassine tant d'ämes, peut-on y lire, vous, le procureur general, pousseztoute la region Aamilekeadevenirdes bandits 26• » Pour obtenir la confiance des chefs, l'admlnistration leur donne des gages. Elle multiplie arrestations et detentions, en evitant desormais de reläcl1er lcs suspects. Maurice Delauney est Je premier a reclamer qu'on ne s'embarrasse pas d'un respect trop scrupuleux du droit. « Les subtilites du C'Odelpenall ne sont pas adaptees au pays, ecrit-il en juin 1958. Ayons le courogc, trnc fois pour toutes, de le reconnaitre. Sinon, nous le paierons tres cl1cr i 7 _ » Apparatt alors dans le jargon administratif l'expression de • co11domn6spolitlques ts >1. Dans Ja seule prison de Dschang, trois cents

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« terroristes » attendent leur jugement. Autre encombrante « subtilite uu dioit »: la presence d'avocats. Defenseur des upecistes, l'avocat martiniquais Yves Louisia est expulse du territoire le 2 novembre 1957, sur ordre de Pierre Messmer29 • Reprenant les mots de Maurice Delauney, le Haut Commissaire juge celui-ci « extremement dangereux pour l'ordre public 30 » ••• En janvier 1958, c'est le ministre de la France d'outre-mer lui-meme, le sociaListe Gerard Jaquet (qul a remplace Gaston Defferre en juin 1957), qui prend la plume pour justifier cette mesure aupres du president de l'Association nationale des avocats de France, reprochant a Me Louisia de s'etre « indubitablement solidarise avec les anciens membres d'un partl dissous •, qu'il avait la charge de defendre en justice 31 • En aoOt 1958, Me Pierre Kaldor, un autre avocat de l'UPC, subit le meme sort. Bref, les autorites fran~lses essaient de serrer la vis. Le 1e, octobre 1958, le chef de subdivision Bernard Monnier demande ä sa hierarchie que les rebelles soient « severement chäties 32 ». Quelques mois auparavant, ce meme administrateur avait juge « indispensable qu'un jugement soit rendu dans les premiers mols de 19S8 et se traduise par un nombre suffisant de peines tres severes, y compris des peines capitaJes33 ». Au cours de ces deux premieres annees d'insurrection bamileke, l'affrontement entre upecistes et administration fran~aise est donc en grande partie dependant du filtre de la politique locale. Ce qui contribue aobscurcir grandement la situation. Lesautorites fran~ises instrumentaJisent les chefferies... et vice versa, au point de« conduire de-ci de-la aquelques injustices », cornme le reconnait l'admlnlstrateur Jean Sablayrolles. Par exemple, detaille le chef de subdivision de Mbouda, agace par des « querelles » « insolubles » a ses yeux, « les chefs et leurs entourages n'hesitent pas a depeindre comme des fauteurs de troubles des gens avec qui ils entretiennent une querelle personnelle » 34. Meme dans des zones ou la rebellion est peu presente, de simples reglements de comptes locaux sont deguises en attentats politiques pour detourner l'attention. Par exempJe, Je 16 mars 1958, Je notable Miaffo-Kalla, frere du chef de Fondjomekwet, est assassine. Selon l'enquete, ce serait sur ordre du village rivaJ Fondant! qu'aurait ete perpetre Je crime. "Cet attentat, lit-on dans le rapport de Sfuete, que l'on pouvait considerer au debut comme un acte de terrorisme, n'est en fait que l'assouvissement d'une vengeance du chef Fondant! contre Miaffo-Kalla 35• » D'apres Je chef de subdlvision de Bafang, Roland Barachette, « les gens de Fondanti [... j pensaient peut-etre pouvoir faire passeece crime pour un attentat upeciste 36 ». Complaisant avec les chefs soumis, Delauney se montre impitoyable avec ceux qui lui resistent. Parmi ces demiers, beaucoup plus rares, se dJstingue le chef nationaliste de Bamendjou, Jean Rameau Sokoudjou. Pendant deux annees, celui-ci est successlvcment assignc A resldcncc puls emprlsonne dans

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lll'/•rr•\\loll 1•11• /1111111/l'ktl • ( J•>'il-l'>Stl) plu\lcurs prlsons ä travers le pays, pcndant quc sa cheffcrie est occupce par les solcJat.s,entre novernbrc 1957et juln 1958J7• Cinquante ans plus tard, il n'a toujours pa:i digere les exactions dont il a ete vlctime et dont l'une des plus tragtques est lc viol de certaines de ses femmes par des soldats camerounai.s, devant lui, tandis qu'il etait ligote dans son palais 38•

Coupstordusen zonebritannique Dependante a J'egard des chefs bamileke, la polltique repressive de Oelauney l'est aussi ä l'egard des autorites britanniques. En effet, le Cameroun sous tutelle britannique constitue, a l'ouest du Mungo et du Bamileke, une zone de repli pour ies combattants nationalistes. Ceux-ci, on l'a vu, ne clisposent pas de" sanctuaire » al'interieur du Cameroun "fran~ais », hormis chcz de rares chefs sympathisants nationalistes. Apres un coup de main spectaculaire ou suite ä un coup de filet policier, les nationaJistes peuvent ainsi se 111ettrea l'abri de l'autre cöte de la frontiere pendant quelques semaines, Je tcmps de reorganiser les maquis. La zone britannique sert de refuge mais egalement de nouvel espace d'action politique, avec la creation d'un partl proupeciste en juin 1957, le « One Kamerun Party» (OKP, branche locale de l'UPC), par Wilson Ndeh Ntumazah, aBamenda. Ce nouveau parti parvient a attirer plusieurs centaines de sympathisants a ses reunions, puis jusqu'a l 200 lc l l novembre 1957 39 et 2 000 a deux reprises un mois plus tard ~0 . Pour les autorites fran~aises, il y a donc urgence ä intervenir. Mais, comme souvent dans les colonies, la cooperation franco-britannique est difficile. Lesdeux grandes nations coloniaJes,recemment defaites lors de l'expedition de Suez fin 1956, sont certes unies contre le peril communiste. Mais, sur lc terrain africain, la competition n'a jamais cesse. Et le "complexe de Fachoda » se lit toujours dans les rapports agaces des autorites fran~aises a l'egard du manque de zele de leurs homologues. ns « ne voyaient pas ou ne voulaient pas voir ce qu'ils pouvaient faire pour nous aider », ecrit depite le jcune chef de subdivision de Nkongsamba Jacques Germain, qui arpentait de nuit les cent kilometres de frontiere britannique, la mitraillette en bandouliere 41• Au debut de 1957 toutefois, sur l'insistance de la France, les Brltan11lquesdurcissent le ton ä l'egard de l'UPC. Et livrent aux Fran~ais le leader upeciste Isaac Tchoumba, candidat malheureux d'une recente legislative partielle, arrete cn zone britannjque 42 • Le 25 fevrier, avec 1'«assistance offidcuse 43 » de la police fran~aise, les Britanniques lancent meme une vague de pcrqulsitions dans les sicgcs locaux de l'UPC, dans le but d'« apporter des prcuvcs 1... J quc l'UPC cst un partl communlstcH >•.Les trois cents kilos de docurn~nt~rccuperes, ccmcs avolr confirme l'as~crtlon, permettent de mettre

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a l'etude l'interdlction de l'UPC en zonc britannlque. Laquelle survient le 4 juin 1957, pour cause de « menace ä l'ordre public et a la loi 45 ». Ses treizc leaders sont places en residence surveillee puis expulses vers le lieu de leur choix. Ce sera Khartoum, au Soudan, en raison de la sympathie supposee du regime d'Abdela Ben Ali. L'offensive contre les nationalistes en zone britannique destabllise les troupes en zone fran~aise : « Les principaux animateurs locaux de ce mouvement [ä Bafoussam]ont la trouille », se felicite un agent de la SCirete46 • L'expulslon est un coup dur pour l'UPC, definitivement coupee en deux entre leaders en ex.Uet militants restes au pays. Voila pour Ja chronologie officieJle d'une collaboration difficile, mais finalement effective. L'histoire officieuse est bien plus trouble, mais explique mieux que tout par quels moyens detournes la France a exerce une pression maximale sur son voisin. En realite, c'est Delauney lui-meme qui, plusieurs decennies plus tard, se vantera d'avoir organise dans le plus grand secret une operatlon coup de poing au Cameroun britannique pour demembrer le siege de l'UPC a Bamenda. Le « coup » a, semble-t-il, eu lieu en avril 1957 47 • La France, ä ce moment-la, n'a pas confiance en son voisin, « des bruits circulent en zone fran~aise que l'UPC beneficierait de la complaisance sinon de l'aide des autorites britanniques », peut-on lire dans une oote de renseignements de 1956 48• « Decide ä tout mettre en reuvre » pour porter un coup fatal ä l'UPC, et inspire par les « enseignements de Lyautey et de Gallieni au nord du Tonkin, ecrit-il dans ses Memoires, je resolus de detruire entierement le siege de l'UPC au Cameroun britannique, ä Bamenda, ä quelques kilometres de notre frontiere. J'avisai Je Haut Commissaire [Messmer]de mon Intention, detallle-t-il. Il approuva. Mais il me precisa que, si j'echouais et, surtout, s'il se produisait quelque bavure, il ne pourrait en aucun cas me couvrir. C'etait normal. .. [... ] Par une belle nuit donc, quelques hommes decides et surs, Fran~is barbouilles au charbon et Camerounais, tous volontaires, arriverent ä Bamenda, penetrerent au siege de I'UPC, incendierent l'ensemble des batiments et mirent definitivement hors d'etat de nuire quelques-uns des principaux responsables du parti. Son "coup" execute avec precision et efficacite, le petit "commando" vint rejoindre, sans probleme, la frontiere du Cameroun fran~ais49 ». Lorsque nous lui reparlons cinquante ans plus tard de cette escapade nocturne, Maurice Delauney rit de bon creur 50• TIrechigne ä en parler en details, mais confirme ce que les archives laissent supposer: il s'agit bien de l'attaque de la nuit du 3 au 4 avril 1957 du siege de l'UPC signalee par Delauney luimeme a Messmer, dans un telegramme date du 7 avril, en ces termes : « ]'apprends de source britannique qu'une a&rression a eu lieu », mais helas, poursuit le texte, « il n'a pas ete possible d'identifier lcs agresseurs ». « C'est normal d'ccrire c;adans ces cas-la ", se ju~tifie-t-11.Un rapport de la SOrcte conclura „ vralsemblablemcnt „ ä un „ r~glc,ncnt de comptc, entre

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upcclstcs ' 1 "··· Un epi~O(lcqui leralt sourirc s'II n'avaH abouti, entre autres, ä l'assassinat dans leur lit « ä coups de revolver » d'un upeciste et de sa femme ., alors qu'ils dorrnaient » 52 . Un modele de coup tordu peu glorieux, dont per~onne n'entendra parler. Et pour cause, c'est Delauney qui a organise la censurc. «J'avais, en ce qui me concernait, et en accord avec le Haut Cornmissaire, interdit l-•.j J'accesde la region aux journalistes » ala SH)

les chefs de la minorite du Nigeriaet de la Gold Coast. Monsieur Lcnnox Boyd m'a repondu qu'il ne pouvait rien faire.Je lui al alors declare que j'allais agir de mon cöte pour susciterdans les territoires britanniques les memes troubles que ceux que les Anglaisprovoquaient chez nous. A mon retour a Paris, j'ai annonce que j'allais inviter les minoritaires du Nigeriaet de la Gold Coast qui combattaient les Anglais. Puls j'ai attendu quelques jours et, moins d'une semaine apres, j'ai eu Ja visite d'un des dirigeants de !'Unilever, qui m'a annonce qu'il avait rei;u !'ordre de Londres de couper tous credits aux hommes qu'il avait jusque-la finances au Cameroun. Je n'ai, a l'epoque, pas parle de cette demarche au ministre des Affairesetrangeres, car il aurait certainement tente de m'empecher de l'accomplir. »

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CommeenAlgerie»:

torture,infUtration,internement Delauney utilise egalement une autre methode pour parvenir a ses fins, encore moins avouable que les precedentes. Un homme en a ete temoin, mais souhaite rester anonyme. Chef de subdivision en region Bamilekeen 1957, son temoignage est difficile a contester. « Delauney, sa methode, c'etait Ja repression a tout va, explique-t-il. Vous arretez les gens, vous les faites parler, et c'est interminable, comme en Algerie57••• » Comme en Algerie? Nous demandons des precisions.«J'ai rei;uquantite de Camerounais qui venaient se plaindre aupres de moi. Ds avaient ete tortures,ala balani;oireet al'eau. » Aforce,l'adrninistrateur,choque, a eu le temps d'analyser les techniques employees. « La balan~oire, c'etait utiJe parce que l'interrogateur n'avait rien a faire : on attache le type la tete a l'envers, on le balance et c'est vraiment tres douloureux. La torture al'eau, Ja baignoire,c'est aussi tres efficace,parce que ~afait peur, et les types parlent tout de suite.Je me souviens d'un Camerounais qui avait vecu cette epreuve et m'avait dit : "J'ai cru que j'etais mort". »Apropos de l'identite des tortionnaires, ce vieil homme respectable,qui a depuis mene une longuecarrlereau sein d'organisationsonusiennes, est formet : « C'etaient des gendarmes, les gendarmes fran~ais de Dschang, les gendarmesde Delauney.Ce sont eu.xqui torturaient. » En effet. lnterroge al'occasion d'un documentaire en 2005, Delauney se defend d'accusations excessives,mais ne nie toutefois pas l'existence d'exactions. « II y a eu des arrestations, il y a eu certainement des gens qui ont ete descendus, c'est certain, mais il n'y a pas eu de genocide de Ia population. uivants,Je lieutenant-colonel Jean Lamberton, tire un bilan gla~ant de l'lnsurrection en « pays Bamileke»:«Elle a ete chätiee en 1958 et la region a Nedepeuplee a50 % 76 • » Le commandant du tristement celebre escadron de gcndarmerie de Dschang, Georges Maitrier, re~oit de chaleureuses felicital'lons de sa hierarchie pour sa mise hors d'etat de nuire de « plusieurs cen1ainesde hors-la-loi » et pour avoir « dirige une lutte sans merci contre !es ~lementssubversifsqui etaient passesa l'action )> 77. Cöte politique, Delauney est persuade que son action conjointe avec Plerre Messmera permis d'eviter une « deuxieme Sanaga-Maritime78 ». 11en tlrc dans ses Memoiresune conclusion presomptueuse : « Lorsqueje partis de Oschang, en decembre 1958, je laissaisderriere moi une Situation detendue. Nous avions fait la demonstration qu'avec une volonte politique sans defaillnnce et des techniques adaptees il etait possiblede dominer et de reduire une rcbcllion cependant bien organisee et qu'il n'existait aucune fatalite dans l'nhandon et dans la res.ignationde la defaite 79• » Lorsques'acheve sa « grande )

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Laissee dans un premier temps aux civils, Ja guerre psychologique est ,,tors reprise en main par les miJitaires. Et pas n'importe Jesque1s: c'est Laml>crtonen personne qui pilote dorenavant les operations psychologiques1 • Les prlncipes de son action sont parfaitement explicites dans l'expose qu'il avait l,111en 1955, en tant qu'instructeur a l'E.SG.Evoquant la « gravited'un phenomcne qui affecte de Ja maniere Ja plus redoutable la fameuse "liberte des pcuples a dlsposer d'eux-memes" », Je lieutenant-colonel en tirait alors cet l'nscignement redoutable: « Jusqu'a present, les conclusions auxquelles nous ~ornmes parvenus sont un aveu d'impuissance ou bien recommandent - et rnmment pourrait-11en etre autrement - une reforme radicale de notre sysl~me liberal. II est bien evident que l'action psychologique n'est fructueuse quc dans un regime totalitaire, c'est-ä-dire antidemocratJque et pollcier 59 • » Oh~cde cornme tant d'autres par Je« peril rouge ,., les faits montrent que Lamhcrton a choisi, par crainte de perir sous Jesassauts de la guerre psychologique jlclverse,de tourner Je dos au « systeme liberal ». J\u sein de l'organigramme milltaire fran~ais en Afrique, la focmalisatlon de l'action psychologique s'opere au meme moment. Des« 5' bureaux » u

n•t tnfl~hl~~c1ncnt contrC). De 111onlere generale, Jes ralliesdoivent faire leurs preuves et, apres une phase de d6sintoxication20 », dixit Lamberton, « donner des gages de leur sinceilt~ " 21 • De maniere ales \H)

c'est-ä-dire,en 1958, aux hommes du commlssalrede police d'Eseka Georges Conan, que Lamberton, dans ses notcs personnelles, decrit comme « un pauvre type qui etait, en effet, si brutal que j'ai d0 intervcnir ». Cette appreciation retrospective n'a pourtant pas empeche Conan de diriger les operations de police en ZOPAC,durant toute la periode, ni d'etre charge de la traque d'Um Nyobe. NId'etre transfere ensuite en region Bamilekepour s'y occuper, a nouveau, du renseignement (voir chapitre 20). Pour obtenir des « confidences », les coJJecteursde renseignements disposent en fait de moyens assez peu « festüs », et plus efficaces. « II faut une tactique », s'emporte un certain Bonassies, « representant de l'inscription maritime», au cours d'une reunion strategique. « La seule chose a faire, poursuit-il,c'est ce qu'on a fait trop tard en Algerieet qu'on auralt du faireen Indochine : pourrir !es villages et avoir des Informations. » Pour obtenir des renseignements, l'homme conseille d'aller interroger les villages etrangers, c'est-a-dire non bassa, « installes dans des conditions irregulieres ,._« C'est facile, sous menace d'expulsion, les habitants parleront 36 », prescrit l'energique fonctionnaire. Au chapltre des menaces et des exactions qui peuvent inciter !es suspects a parler, un bulletin de renseignements d'aout 1958 signale egalement que deux prisonoiers ont ete « abattus au cours d'une tentative d'evasion 37 ». Dlfficiled'en tirer une conclusion, mais il faut se souvenir qu'en Algerie,a la meme epoque, ce motlf sert ä maquiller les « corvees de bois », c'est-a-dire les executions extrajudiciaires des prlsonnlers, que ceux-ci aient parle ou non 38• Un temoignage, en revanche, permet d'etre plus affirmatif.L'usagede la « question », denonce si souvent par !es militants nationallstes, est aujourd'hui atteste par un offidel fran~s, qui confirme que l'annee fran~ise, comme en Algerie,a torture. Roland Barachette n'est pas un temoin anodin. Fin 1958, alors que !es operations de la ZOPACsont sur Je point de s'achever, l'exadjoint de Maurice Delauney en region Bamileke est devenu le chef de la region de Ja Sanaga-Marit!me.IIest horrifie par ce qui vient de s'y passer.« La lutte fut tres dure, et !es pertes severes a-t-il ecrit dans ses Memoiresprives. Quand on lui demande des precisions, l'ex-prefet denonce « une section qui revenalt d' Algerie», avec a sa tete un « lieutenant parachutiste fran\als ». « Je les ai fait partir, explique-t-il, parce qu'lls interrogeaient comme en Algerie, avec la methode de Ja baignolre. fls avaient pris de mauvaiseshabitudes 39 ••• » Peu festifsegalement sont les moyens de pression dont se souvient Je chef de camp Alphonse Boog,requisitionne pour traduire !es declarations des prisonniers des forcesde l'ordre. II rapporte que !'alternative etait simple: parler ou mourir. La personne interrogee,se souvient Boog,etait ensevclie dans une tombe : « Lessoldats y enfouissaient le suspect, couche ou debout, et l'enterra.ientjusqu'au cou, pour qu'il se decide ä parler. On falsnllccltiHux hornmes et aux fcmmes.Jc crois qu'ä Ntouleng c'esl arrive ä unc lll1>La non plus, nulle sommation. Au contraire, tout cela est parfaitement routinise. « Lesrebellessurpris en marche par une patrouille arretee sont voues a la destruction sulvant les regles classiques, prevues par !es manuels militaires», precisele lieutenant auteur du rapport. Cesconsignes d'ouverture du feu, qui vont largement au-dela des Situations de legitime defense, sont propres aune situation de guerre, non de maintien de !'ordre. Elles aboutissent taut naturellement a la mort des rebellesqui ont Ja malchance de croiser la route des patrouilles franco-camerounaises.A partir du moment au Ruben Um Nyobe persistait a tenir le maquis, sa fin tragigue etait previsible et

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Si le deroule des falt:sn'est pas entlerement connu, u semble (>vldcntqu'II ne correspond pas aux affirmatlons de Plcrre Pean quand cclul-cl ecrlt quc l'ordre de ruer Um Nyobe auralt etedonne par Maurice Dclauncy,qul n'etalt 111~mc pns l'l1 ch11rgcde ccnc r>.Et Doustin de conclure : « De toute maniere, quelle que soit la solution choisie, il faudra parler rapidement d'independance a terme. » Ce virage modifie radicalement les termes du probleme. La politique anti-upeciste est reformulee en simple politique antiterroriste. « 11faut bien specifier que nous ne nous battons pas contre un parti qui demande l'independance, rnais bien contre un parti qu.iassassine, incendie et sabote », repete Doustin depuis 1957 7• En depolitisant le combat de J'UPC, une tel.le reecriture des evenements donne un nouveau souffle a la propagande franr;aise : une fois Je principe de l'« independance » acquis, au moins implicitement, les autorites pourront plus facilement stigmatiser la « strategie de violence » des nationaJistes. Et cela alors meme que Je delegue du Haut Commissaire reconnait que c'est l'intransigeance franr;aise qui !es y a acculesa.

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Le parti intei:dit pclnc d~s lors ä faire comprendre ä ses partisans que le confllt porte moins sur le prlnclpe de l'independance que sur la forme que eclle-ci doit prendre. Comme l'ecrit un chef de subdivision, !es attentats dcvlennent incomprehensibles aux yeux de la popuJation : « Les habitants de ßafoussam, voyant se dessiner une independance acquise dans le calme, udrnettent difficilement que l'on puisse justifier par un "ideaJ" polltique des erimes dont la sauvagerie les revolte 8• » Le piege se referme sur les partisans d'Um Nyobe. « Toutes ces mesures ont pour fondement une idee directrice : lsoler par tous les moyens l'UPC terroriste, lui couper !'herbe sous le pied 4uant ä ses revendlcations essentielles>>,resume Doustin 9 • Pour cela, le Haut Commissaire a besoin d'« obtenir du gouvernement franr;ais Ja promesse de l'lndependance ». Par consequent, ecrit-il, « c'est ä Yaounde, et en partie a Paris, que peuvent etre prises !es decisions de principe qui permettront aux cxecutants de conduire au mieux une vraie politique d'action 10 ». Abandonnons donc un instant la vegetation luxuriante de Ja Sanaga pour lt1s palais des capitales fran~aise et camerounaise. La lettre de Doustin est en cffet ecrite ä un moment charniere, quelques semaines apres un bref imbroglio politique franco-camerounais qui, sous la houlette d'un ephemere Haut Commissaire, aboutlt au remplacement au poste de Premier ministre de !'Etat ~ous tutelle du Cameroun d'Andre-Marie Mbida par Ahmadou Ahldjo, et 4uelques semaines avant Je tremblement de terre politique fraoco-aJgerlen que constitue Ja chute de Ja 1ve Republique et le retour de De Gaulle au pouvoir. Dans ces semaines ou tout peut basculer, Doustin est sans doute le ~eul ä developper une doctrine stable au Cameroun. II voit l.oin et anticipe la ~trategie fondamentale du neocolonialisme frarn;:ais : contröler l'independance pour mieux eca1ter Jes independantistes. Ce que Pierre Messmer, dont l)oustln fut le maitre a penser alors qu'il etait Haut Commissaire a Yaounde, r~sumera ai.nsi dans ses Memoires : « La France accordera l'independance ä ccux qui la reclamaient le moins, apres avoir elimine politiquement et militaircment ceux qui Ja reclamaient avec Je plus d'intransigeance 11• »

L'interludeJeanRamadier: revolutiondepalais a Yaounde Le premier responsable ä avoir mis en application !es principes de l)oustin s'appelle Jean Ramadier, successeur du Haut Commissaire Pierre Mcssmer. Ex-prisonnier de guerre desJaponais en Indochine, classe proche de

A propos du bras de fer de 1956 entre

Messmer et l'UPC (volr chapltre I J), Doustln ec:rlt qu'il et-alt• alors partlsan d'une amnlstic n('gocl>proches de lul, comme Soppo Prisoou le ministre des Finances Arouna Njoya, c'est finalcrncnt Ahmadou Ah.idjoqui, nomme Premier ministre le 18 fevrier, re~oit l'I nvestiture de l' Assemblee puis constitue un gouvemement compose de 111embres de chaque groupe politique. Court-circuite, le ministre de la France 1l'outre-merGerardJaquet revient sur la pro messed'independance. Le 5 mars, 1•11 conferencede presse,il affirmeque « l'independance totale est une illusion 17 ll1111gcreuse », avant de promettre un simple « elargissement de l'auto11oinieinterne 18 ». Huit jours plus tard, c'est XavierTorre, Haut Commlssaire Nn11s reliefde J'AOFdepuis eing ans, marque plutöt adroite, qui est envoye a Vnoundepour remplacer Ramadier.Mais le plan d'action imagine par Daniel l)oustin reste d'actualite. Pour reussir,ecrit-il alors, le nouveau representant de la France devra, d'une part, « sous une forme nuancee, affianer qu'une polllique liberalesera poursuivie et que les aspirations du peuple camerounais ,l•ront satisfaites» et, d'autre part, obtenir la « promesseformellede la part du Hm1vernementfran~aisd'une declaration d'intention sur le probleme majeur de l'independance » 19•

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Derrlereces jeux d'appareil, c'est toujours la rebellion upeciste qui struc\ 11rc la vie politique du Terrltoire. Le 28 fevrier, juste apres l'investiture d'Ahlcljo, Dani.elDoustin, s'adrcssant au directeur de cabinet du nouveau 111,utCommissalre,Jul cxpliquc quc, "dnns la polltique camerounatse, l'UPC r'l'~Lt! au cccur du probl~mc .., car eile nc lulte pas uniquement pour

En 1955, au lendemain des ~ections legislatives boycottees par les natlonallstes du Comite d'unite togolals (CUT), la nouvelle Assemblee leglslatlve, composee de profranc;als, avatt vote une resolution prevoyant la levee de tu teile de l'ONU et un Statut cl't!.tatautonome nu seln de l'Union franc;atse (Richard JosEPH, Le Mouvement r1ot:/011nllstc1, op.rlt., pp. J 18-32 l; • Comparatson entre Je statut du Togo et le sta1ut pr~vu pour lc Co111\.!roun •, 011011y111c, s.d.; CAOM, Aff-Pol 3322).

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AhmadouAhidjo,le « moinsmauvais deshommes politiques»

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l'indcpendance „ mais seulcment pour la prise du pouvolr ». "En falt, conclut-il, nous nous battons pour une questlon de regime 20.,. De fait, la quest:lonn'est plus la nationalite ou la couleur de peau du chef de gouvernement. Au contraire, au moment de la ZOPAC,Doustin regrettait d'etre « desservi» par le fait que, "dans une region ou l'on parle plus que partout allleurs d'independance, on n'a jamais vu autant de visages blancs » 21 • Blancs ou Noirs, l'anticommunisme et l'antinationalisme surpassent desormais la question formelle de l'accesa l'independance. Dans cet objectif, l'omnipresence des Blancs, militaires ou administrateurs, est plutöt un obstacle ä une repression efficace, c'est-a-dire relayee Jocalement. D'ou l'idee d'installer, au Cameroun comme arneurs, des « gouverneurs a la peau noire » suffisamment dociles pour obeir aux dirigeants fran~ais, sur le modele d'Ahmadou Ahidjo. A 35 ans, le nouveau Premier ministre camerounais est un quasiinconnu. Al'epoque, Jeconsul general de Grande-Bretagnele decrit, dans une note interne, comrne « dote d'une personnalite prononcee et d'opinions tres ancrees, teintees de cynisme ». N'accordant que « peu d'estime envers les femmes », il se montre „ tres susceptibleapropos de ses origines modestes» 22 , qu'il a tente de surmonter en epousant l'une des filles du puissant /amido de Garoua. « Fulbe d'origine modeste», comme l'indique une note de Ja Surete fran~aiseau Cameroun, Ahmadou Ahjdjo etait un simple operateur de radio quand il a ete elu conseiller territorial de Ja Benoue, en 1947, pousse par Je depute fran~aisJules Ninine et l'industriel du Nord-Cameroun Pierre Rocaglia 23 • « Rocaglia devait trouver un Africain pour l' Assemblee territoriale, raconte Andre Bovar. II avait sympathise avec Ahidjo, qui etait alors telegraphiste, ce qui a fait dire a Rocaglia: "II est pas mal, il sait lire et ecrire, c'est pas mal pour Je Nord." EnsuJteAujoulat l'a trouve sympathique lui aussi 24• » .. Ahidjo avait Ja reputation de resumer les telegrammes du chef de region, ajoute son ex-conseiller fran~ais,Jacques Rousseau.11etait assez intelligent pour ne pas denaturer le sens des telegrammes et faire Je moins de mots possible. C'etait le debut de sa reputation d'homme lntelJigent25 • ,. Envoye en France pour sieger a partir de 1952 a )'Assembleede !'Union fran~aise,il s'y revelecomme le « parlementafre camerounais Je plus jeune et le plus paresseux», pour reprendre les mots d'un de ses collegues26 • Conseiller docile couve par le secretaire d'Etat a la France d'outre-mer Louis-Paul Aujoulat, Ahidjo n'a pas besoin de recevoirles consignes fran~aises,puisqu'il les a parfaitement integreesde lui-meme.Quelques annees plus tard, l'ambassadeur de France au Cameroun Francis Hure (de 1965 a 1968) decrira retrospectivement l'importance de cette formation initiale, qui delimite presque inconsciemment Je champ des possibles du nouveau Premier ministre. "'L'interet qu'il porte aux choses fran~alsesest solidemc11tfix~,frrlro-t-11~ sa hierarchie, parcc que ccs choses font parlic de son ct1c N de ,on p.,~,e. II lit

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nm journaux, nos revucs, et rlen ne le passionne plus que 110sdebats inteh.·11rs.1 ... 1Enverite, M. Ahidjoest devenu, plus vite qu'on le pensait, ce qu'on ~avaltqu'll deviendrait 27• » Dans ce contexte, les dirigeants fran~aisne sont guere surpris de voir le nouveau Premier ministre debarquer a Paris au Jendemain de son investiture pnr !'Assembleecamerounaise, a la mi-fevrier 1958. Ni de l'entendre declarer, ,ur le perron de !'Elysee,que le Cameroun "n'envisage pas de sortir du sil1,,gcclela France28 ». Comme Je resume fort bien l'envoye speciaJdu New York 1/eraldTribune au Cameroun a la fin des annees 1950, il existe un lien invl,lble et indefectible entre Ahidjo et ses tuteurs : "The Frenchlike Mr Ahidjo, 11111/Mr Ahidjo likes them29. » Quand le general de Gaulle arrive au pouvolr, en 111ai 1958, l'arrutie se transforme rapidement en passion. « Ahidjo portait un ,iniour fou a de Gaulle», confesse son conseiller fran~ais de l'epoque, Paul J\udat30. En plus de ces qualites de caractere, le jeune Premier ministre jouit d'une rcrtainc assiseparlementaüe. Au sein de )'Assembleelegislativeelue fin 1956 ,ous l'egide de Pierre Messmer,il beneftcie de I'unite de son groupe politique du Nord et de Foumban (trente deputes sur soixante-sept), qui le place loin tlcvant ses rivaux du Sud, beaucoup plus dJvises.Ahidjo se montre suffisammcnt rassurant envers l'Eglise et les aristocraties nordistes, Bamileke ou ll,1rnoun, pour constituer et incarner l'union des forces conservatrices lnquietesdes courants contestataires qui traversent la societe. Si, pour diriger un pays plutöt chretien, sa religion musulmane a pu faire peur a la France tldns un premier temps, elle a ensulte constitue un atout pour lui au beau milieu de la guerre d'Algerie et deux ans apres la calamiteuse expedition de ~ucz,afin de donner des gagesaux leadersmusulmans emergeant dans le tiers monde. De ce point de vue, Ahidjo profite d'un certain malentendu. Rempla\t1nt Mbida, disqualifie pour ses outrances anti-Bassa et ses iucontrölables cxaltations verbales, Je nouveau Prerruermlnistre lnstalJe par un jeune Haut C:ommlssaireSFIOpasserait presque pour un «modere». Pourtant, des son dhcours d'investiture, il annonce qu'il ne s'en tiendra pas a une « concep1Ion trop rigidede Ja democratie 31 ».Forceest de constater qu'il tiendra, helas, ,,mplement parole. Enftn, erreur de calcul de ses adversaires,sa modestie a pu l,1lrccroire qu'il ne constituerait qu'un Premier ministre de transition, alors q11cce mois de fevrier 1958 marque Je debut pour lui d'un quart de sieclede rtgnc sur le pays. En effet, Ahidjo s'organise pour durer. LePremierministre, qui fut adhe1l'll l du ßDC, le parti d'Aujoulat jusqu'ä sa chute, s'attache en mal 1958 ä 11.111sformcr son groupe parlcmentaire, l'Union camerounaise (UC), en verltahlc parll polltiq11e.Composcc de chefs norrustes, l'UC ne mentionne pas ,on ULtnchcr~glonnlcnfl1)de russurcrses tutcurs fran,als, lnquiets d'un risque ill' ,~CC\Slon du Nord, Cl de plon•1 /\hldlo cn chef du Cameroun toul cntier, lul 1

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gui, comrne l'ecrit le dlrecteur de cablnet du Haut Commlssafrc,a pourtant « un degoüt qu'il n'arrive pas toujours ä cacher » ä l'egard des hommes du Sud 32• Ahidjo prend ainsi subtilement l'ascendant sur les sultans du Nord, effrayestout ala fois par l'agitation interne ä.leurs chefferieset par l'influence des elites du Sud, christianisees et plus eduquees. N'entendant pas grandchose au jeu parlementaire de Yaounde, les « seigneurs» du Nord deleguent ä. Ahidjo, pourtant fils de roturier, le soin de scellerä.son profit l'alliance entre differentes elites conservatrices locales33• En echange, le nouvel homme fort du Cameroun exige « tact >), « pructence» et « discretion » des adrninistrateurs frans:aistentes de s'immiscer dans les affaires Interieures des autocratiques chefferiesde la region 34. Ce gui nel'empechera pas de faireemerger,au fur et a mesure, des lamibe incapables de lu1faire de l'ombre 35 • Souple d'echine mais fin manuvres de Jean Ramadier.C'est alors que deux person11,llites de poids, ex-nationalistes de premier plan, mettent leur notoriete au ~c,vicedu nouveau regime et scellent une reconciliation bien opportune ä l'ilpproche de l'independance : le Boulou Charles Assaleet le BassaTheodore MaylMatip. Pour comprendre le chemlnement de Charles Assale,il faut revenir un lmtant sur Je Rearmement moral (RM), cet etonnant lobby anticommuniste, linseaux Etats-Uniset en Suisse,dont les responsablesse sont mis en tete dans k•\ annees 1950 de sortir l'Afrique des griffes de l'agitation « rouge » en ame11c11H les leaders africains ä. communier ensemble dans l'alliance avec le monde libre » (voir chapitre 10). S'etant Interessesde pres aux etudiants afri,.1111sinstalles en Europe, qu'ils invitent regulierement dans leur centre de C,1ux-sur-Montreuxles animateurs du RMont pris en parallele!'initiative de ,c rcndre eux-memesen Afriquepour aller ä.la rencontre des leadersafricains. JJ1,1bordimplantes en Afriqueanglophone, ils s'interessent bientöt ä.la partie l1\1ncophone. Det1xrepresentants du RM, Pierre Spoerri et Maurice Nosley, sont ainsl Mvoyes sur Je continent au debut 195 7. La France, explique alors Pierre ~pocrri dans ses notes de voyage, n'a que « deux ou trois annees » pour • donner une soJution ä l'Afrique noire. Sans cela, la revolution sera inevit11hle» 39. Pour eviter un tel desastre, Spoerriet Nosleysillonnent les colonies lr11rn;aises, du Dahomey ä la Haute-Voltaen passant par le Togo, le Niger, le l cliad, le Gabon ou le Congo-Brazzaville,et rencontrent ä chaque etape un 11ombreimpressionnant d'administrateurs coloniaux et de responsablespoli11t1ues locaux. Le Cameroun, pays ä la fois anglophone et francophone « sur IL•quclles communistes se concentrent pour le moment », comme l'explique ,pocrri, constitue la cible principale des deux voyageurs. Par chance, ils y 1,ouvent une « alliee sincere » en la personne de l'epouse de Pierre Messmer, ll1quclle,« epatante de bout en bout », leur prete son boy, leur envoie son du1uffeur et leur fait rencontrer ses amis. Du cöte camerounais, Spoerri et Noslcytrouvent des oreilles tout aussi attentives aupres de multiples person1111ll t~s. parmi lesquelles Anclr~Fo11da, Je malre de Yaounde, ou Ahmadou Ahltl]o,nlors pr~siclcntcle l'ALCAM,qul III• Hvccinter~t » les publications du 1

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RM • Suite ä cette vfslte, des dizaines de responsables ca111crou11ais seront invites a Macklnacet a Caux-sur-Montreuxpour venir se farnillariseravec les principes politico-rellgieux du mouvement et ses methodes de conversion mentale. Apres avoir en vain essaye de « reconci]jer» Mbida et Soppo Priso,aJors en pleine rivalite, !es responsables du RM jettent leur devolu sur le Mouvement d'action nationale de Paul Soppo Priso et Charles Assale (le MANC, implante dans le sud du pays),qu'ils considerent alors comme un foyer d'irreductibles opposants au systeme colonial fran~ais. Ils obtiendront un succes inespere aupres d'Assale, qui deviendra leur meilleur element au Cameroun. 11faut dire que, syndicaliste et rnembre fondateur de l'UPC (dont Us'est rapidement eloigne), Assaleest un homme influen~ablequi ne dedaigne pas les faveurs. Etemel candidat au ralliement, il etait deja passe de la CGT a FO, au prix d'un dispendieux sejour a l'hötel Lutetia de Paris. Jnvite aMackinac a l'automne 1957, il se laisse seduire par l'accueil chaleureux qui Iui est offert. Pour son quarante-sixieme anniversaire, on lui offre un somptueux gäteau en forme d'Afrique. Puis, souffrant, il est pris en charge par Je docteur William Close, qui devient pour lui, le temps d'une convalescence, un precieux conselller (il deviendra quelques annees plus tard Je medecin personnel de Mobutu). Ainsi remis sur pied et sur Je chemin de Dieu, reconcilie avec luimeme, sa famille et ses adversairespolitiques, Charles AssaJepeut se rendre a New Yorkpour une session de l'ONU consacree a Ja tutelle sur le Cameroun. Et,comme par miracle,si l'on en croit Jerecit des membres du RM,il s'y reconcilie bruyamment avec Je representant de la France a l'ONU, Jacques Kosciusko-Morizet,et applaudit des deux mains !es projets de Ja puissance tutrice dont i1se voulait pourtant, quelques mois plus töt, un redoutable adversaire. Adepte zele du RM, auquel il convertira taute sa famille et un certain nombre de ses « freres et sreurs » boulou, partisan opiniätre d'une position conciliante ä l'egard de la France, Charles Assaledevient rapidement un aJiie strategique pour Ahidjo, en quete de soutien politique dans le sud du Cameroun. Acceptant desormais un « systeme jusqu'alors honni 41 », comme Je releve un administrateur fran\'.aiS,il integre en fevrier 1958 Je gouvememeot du nouveau Premier ministre. « Si j'ai aujourd'hui la responsabilite du rninistere des Finances, ecrit-il ases nouveaux amis du RMen rnai 1958, je le dois entierement a mon propre changement d'attitude envers mon adversaire politi.que,M.Ahidjo. [...]Je lui ai demande pardon 42• >>Le 19 septernbre 1958, rnoins d'une semaine apres la mort de son ancien camarade UmNyobe, Assale oppose, dans une nouvelle lettre a ses mentors americains, « les divisions et la haine entre Camerounais » semees par Mpodol a « cette fleur,qui embaume dejä l'univers de son odeur celeste - le MRA [Je RM,en ;inglaisl », dont il espere la « victolre finale» 43.

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lnflucnt au gouverncmcnt por l'lntcrmecllalre de Charles Assale,le RM tull tlu Cameroun une de scs prlnclpales terres d'election en Afrique fran\'111~!.'. Quclquessemalnes apres la mort d'Um Nyobe, un nouveau responsable 1111111ouvement, Jean-Jacques Odier, est envoye a Yaounde. Loge en partage 1w lr1familleAssaleet par le commissairede police de la ville, i1distribue les ll1ochures,les livreset les films du mouvement. Et fait, anouveau, le tour des p1·1 ~on11alitesinfluentes du pays : religieux, syndkalistes, joumalistes, respomables politiques, homme d'affaires, etc. Gräce au soutien financier d'un lll•~hommes forts de l'industrie forestierecamerounaise, Robert Coron, l'idee •'11icrge bientöt de creer une antenne Jocale du RM a Yaounde pour pouvoir tlllfuser plus largement son « ideologie ». Laquelle a dejä trouve un relais l111portant dans La Pressedu Cameroun,le principal journal du Territoire,dont plmlcurs responsablessont des adeptes resolus du RM44 • Racontant a sa h1ernrcl1lechacune de ses rencontres, chacun de ses succes,Jean-JacquesOdier "" pcut quese rejouir du vaste reseau d'influence qu'il est en train de const!1\1!.'r. « L'action du Rearmement moral va repondre au Cameroun ä une tres wunde attente, s'enthousiasme-t-il.Quand on prononce le mot "Rearmement PHlrnl",c'est presque comme une decharge electrique 45. » Une des experiences qui interessent le plus les responsables du RM est lCllcqui a cours dans la region Bassa.Dans !es semaines qui suivent la mort d'Um Nyobe,les responsablesmilitaires frarn;aischerchent en effet aprofiter lll' cette « victoire » pour raUier les upecistes au regime en s'appuyant sur diverses associations locaJesde Ja Sanaga-Maritime.C'est dans ce cadre par t•xernpleque Jean-JacquesOdier rencontre Guillaume Bagal,ancien upeciste dl•vcnufervent partisan du regimecolo:nial.« Sousl'inspiration » des publicallom du RM, se rejouit Odier, Bagal a lance avec une association dont i1 est 1111des responsables, l'Unite des Bassa,un « mouvernent de reconciliation » 111~slde par MgrMango, vicaire apostolique de Douala. « Bagalnous a dit que ks chefs de la tribu avaient envoye un telegramme a Franck [Buchman, responsable mondial du RM]le remerciant pour ce qu'il avait fait pour le peuple lmssa·10• » Une initiative q ue La Pressedu Camerouns'empresseevidemment de ~nluer.Dans une tribune d'Iwiye Kala-Lobe,intitulee « Pour un veritable rear111cment moral du peuple bassa», le journal appelle ä rompre avec !es« haines lrntr!cides» et la « psychose de vendetta » 47• S'il est difficilede mesurer l'influence reelle du RM,force est de constater unc tr~s grande proximite de vues entre les activistes du mouvement para1l'llglcuxanglo-saxon et les autorites politico-militairesfran~ises qui multlpllcnt les actions de « reconciliation » pour pacifier la region Bassa. Cette rnmpagne d'action psychologique, lancee des le lendemain de la mort d'Um Nyob~,connait son apogee en decembre 1958, au cours d'une grande cere111onlcrasscmblant 1 500 pcrsonncs pr~sd'Eseka,chef-lieu de la region, sous 111 pr~sldcnccd'Antolnc Log1110 1 sccl'Nnlrcd'~tat ä !'Interieur et depute de Ja

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justice coloniale. Les nombreux condamnes a mort votcnt alnsi leur peine commuee en vingt annees de travaux forces... Dans les faits, la mesure ne concerne donc que Ies « rebelles » qui acceptent de faire publiquement allegeance au regime. En « recuperant » Mayi Matip et ses semblables, !es autorites coloniales cherchent surtout a instrumentaliser le souvenir d'Um Nyobe. C'est dans cet esprit que les upecistes raJlies sont invltes ä faire parler le mort. « Avant sa mort, explique par exemple ä qui veut l'entendre Benjamin Boum, exnumero deux du CNO et proche de Mayi, Um avait relate dans certains papiers qu'un jour ceux qui vivent en brousse pourront se rallier 57• » Georges Soult, charge de l'action psychologique, notera sans deplaisir qu'une teile assertion n'est rien d'autre qu'un mensonge flagrant ayant pour unique vocation d'inciter les irreductibles ä sortir du maquis•. Dans le meme ordre d'idees, !'Assembleelegislativedu Cameroun, qui ne compte pourtant aucun upeciste et qui est au contraire peuplee par ses ennemis les plus determines, rend hommage, quelques jours apres son assassinat, au secretaire du parti nationaliste. Par un etrange retoumement du sort, Um Nyobe, assassine par l'armee fran~alse, est transforme en allie objectif de la Strategie imperiale. Quant a Mayi Matip, maintenant conciliant, il est decrit par le pouvoir colonia.1comme son plus« fidele heritier ». Amrustie et porte aux nues par les autorites franr;aises,Mayi Matip proflte bien entendu de sa nouvelle position pour faire carriere. II unit derriere lui une partie des dissldents upeclstes bassa et des cegetistes non upecistes, conduits par Jacques Ngom. L'admioistration Jul offre sur un plateau une election legislativepartielle, qu'iJ emporte sans embOchesen avril 1959, lä ou les upecistes authentiques s'etaient jusque-Iatoujours casse Iesdents face aux cornbines de l'administration. Roland Barachette, le prefet d'Eseka de I'epoque, est aujourd'hui encore tres fier d'avoir aide l'ex-rebelle a I'emporter « en tricbant un peu». « Mais on avait tellement triche dans l'autre sens ! », s'excJame-t-ildans un eclat de rire 58... Ahidjo refusant de lui offrir un poste minlsteriel, l'ascension de May1 Matip s'arrete cependant au milieu du gue. Comme Ia plupart de ceux qui ont fait le pari de jouer le jeu du pouvoir de l'epoque, il reste Je spectateur impulssant et la caution inoffensive de la strategie fran~aise. La scene politique locale, qui dispose deja d'un Premier ministre de fa~ade, compte des lors un opposant a sa mesure. Un opposant qui, "malgre sa mediocrite, [... ] et en raison de la mediocrite plus grande encore des autres parlementaires came• rounais », comme l'ecrit un haut grade militaire, represente apres Ahidjo la a

On peut parler tel de• propagandc noire • post-111orte111, dans lc langngc rnlllt'alrc, pul~qu'ellc • prctend cmancr d'une autrc sourcc quc la vcrll,1blc • bC'IOnlo dHtnltlt>n lssuc de la 11'A l 17).

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.\/1/il/o1•1dt!Ga11/lt1: fJt'tf'\ (ldOJJII/~ tlc /'httlfpe11dm1ce

• scconde pcrsonnalit~ offlciclledu pays legal>>59 • S'lls lui offrent maintenant une place au soleil, celle de 1'«opposant » adoube, les Franr;aisont pour Mayi Malip ä peu pres le meme mepris que pour Ahidjo. Ce n'est qu'« un semil11tellcctuelde second plan, palabreur et revendicateur, d'un orgueil outrecui60 danl », indique par exemple un rapport des services de renseignement • Un „ esprit confus, de culture et de formation mediocres », confirmera bientöt un ,,utre officiel fran~ais61. Quanta Jean Lamberton, qui annote ses livres pour occuper sa retraite, il lache cette phrase definitive : "j'ai TRt5bien connu le 1lgoto: il beneflcia1tde sa "noblesse" d'origine; mais c'etait un bien pauvre type... sympathique d'allleurs, mais... con ! » Dans Ia partie d'echecs mise en scene par la France au Cameroun, Ahidjo l'I Mayi ne sont rien d'autre que des pions. L'un representant Je « pouvoir •, l'autre 1'«opposition », mais avec pour mission commune de maintenir hors du jeu ceux qui refusent les regles v:icieesd'une independance contrölee : les • terroristes „ de l'UPC clandestine qui, en exil ou en brousse, se refusent toujoursaabdiquer.

De Gaulleadoptel'« independance » Dans un premier temps, l'arrivee au pouvoir du general de Gaulle, le 13 mai 1958, ne bouleverse pas la donne au Cameroun. Comme en Algerie, c'est plutöt le courant le plus äprement colonialiste qui se rejouit. Regardant 1'~homme du 18 Juin » comme un militaire ä poigne, les colons esperent que lcur heros saura faire taire les « bradeurs d'Emplre „ de la 1ve Republique, 111ettraun terme ä Ja chienlit upeciste et enrayera Ja marche en avant vers l'independance du Territoire. Les partisans locau.xdu generaJ, dont Ie journal, Le Camerounllbre,diff11se depuis des annees les textes des barons gaullistes,connaissent en effet les positions conservatrices des nouveaux dlrigeants fran~ais : de Gaulle lui1ncme1Michel Debre,Jacques Foccart, etc. Abonnes pour beaucoup ala Lettre ,) /'Union franraise dirigee par Foccart, ils dlsposent gräce au « Monsieur /\frique » _dugaullisme, qui sillonne le continent depuis dix ans pour entretenir la flamme et eogranger les cotisations, de la meilleure courroie de transinlssion qui soit pour faire passer leur messageau general. Tandis qu'ä Paris se preparent des echeances importantes pour modifier lcs institutlons frans;aiseset alors qu'a Yaounde !'Assembleelegislativevote, lc 12 juin 1958, un texte reconnaissant la « vocation du Cameroun a l'indepcnclance02 », i\rmancl Anzlani, flgure emblematique du gaulllsme local et pa1ro11de la Soclctc immobill~re du Camcroun, prend la plume. « 11n'y a prallqucmcnl plus quc de.'~Hllltlllfü.•,lci 1... 1,cxpliquc-t-il ä Foccart. Nous pourtlon~ constltuer tel un noy.111 )- selon Anziani - elus par des« negres de brousse ». « [Ce vote) est une reactJon de peur et, par sulte, d'etroit egoi'sme, corrige le militant gaulliste. Cela n'a pas d'assise profonde dans Je pays et ne prenez aucune decision avant deux rnois de reflexion et une enquete serieuse sur place. » En depit de ces suppliques, de Gaulle, plus reaJiste que ses partisans d'outre-mer, comprend rapidement qu'il lui sera difficile de faire oublier Jes promesses faites quelques semaines plus tot par Jean Ramadier et de rayer d'un tra.it de plume les engagements que vient de prendre !'Assemblee camerounaise. Ne pouvant plus faire machine arrlere, il decide d'aller de l'avant et de s'approprier Ies idees developpees avant Jul par Roland Pre ou Daniel Doustin. II s'agit, en d'autres termes, d'avaliser le principe de I'« independance » tout en entretenant soigneusement l'ambigui'te autour de sa portee reelle: s'agira-t-il d'accorder au Cameroun une entiere souverainete ou d'integrer le Territoire dans un grand ensemble franco-africain pilote par la France? C'est pour clarifier !es choses qu'Ahidjo passe une banne partie de son ete 1958 en France, du 22 juin au 18 aout. Le 12 juUlet, il rencontre de Gaulle, qui assure que la France est « prete i'iaider les Camerounals arealiser leurs aspirations dans la franchise, Ja Ioyaute et l'amitie des deux peuples 64 ». Ahidjo, en retour, lui exprime « Je desir du peuple camerounais de s'acherniner vers l'independance, avec l'aide de la France, et son espoir d'obtenir sa souverainete afin de s'associer librement i'i elle 65 ». « Independance » du Cameroun et « association » i'i la France deviennent des lors Jes maitres-mots•. Satisfait d'avoir trouve une solution aussi raisonnable au probleme camerounais, le general va chercher i'i faire accepter un « compromis » similaire, quoique plus restrictif encore, par ses autres « partenaires » africains. Trois jours apres le retour d'Ahidjo a Yaounde, il embarque pour une tournee africaine qui restera dans Ies memoires : Fort-Lamy (N'Djamena), Tananarive, Brazzaville, Abidjan, Conakry, Dakar. De GauUe propose aux pays colonises d'adherer i'i la nouvelle « Communaute fran~aise ,, que prevoient les projets de Constitution de la v• Republique. S'etant fait Ja main sur le dossier a

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Mals, mi-juillet 1958, l'lndependance pure et simple est cncorc vuc pur le gen~r;il Lc Puloch, comrnandant militalre de In zone AEP-Camoroun, co1n111cunc h)•pot'h~sc « extr~me •·

\hl,l/11j•/ tlt•(;1111//1•:11l>r1'S r11/op///~ d1•l'l11d~p1•11tlm1ca

llllllCfOtinals,il reitere sa proposition: Ja liberte contre la dependance. Mais, tln ~tratege, il inverse subtilement l'ordre des priorites et joue habilement sur lcs mots. « Cette Communaute, declare-t-il i'i Brazzaville le 24 aout 1958, je vals la proposer ä tous et ä toutes ensemble ou qu'ils soieot. On dit : "Nous 11vonsle droit ä l'independance." Mais certainement oui l D'ailleurs, l'indepcodance, quiconque la voudra pourra la prendre aussitöt. La metropole ne ,•y opposera pas. [... JA!'Interieur de la Communaute, si quelque territoire, au fur et ä mesure des jours, se sent, au bout d'un certain temps que je ne preclse pas, en mesure d'exercer tous !es devoirs de l'independance, eh bieo !, il nppa.rtiendra d'en decider par son Assemblee elue et, si c'est necessaire, par le r~ferendum de ses babitants 66 • » Pour I'heure, le referendum propose par de Uaulle aux Africains porte uniquement sur la Communaute, qu'il campte blen inscrire rapidement dans !es faits, et non sur cette independance hypot.hetique, dont il ne parle qu'au futur et au conditioonel. Face ä la proposition gaullienne, les dirigeaots africains soot partages. L'lvoirien Houphouet-Boigny, ardeot partisan de I'« amitie franco-africaine », ..,ccepte evidemment sans difficulte, suivi dans cette attitude conciliante par In majorite des leaders africains francophones : Leon M'Ba (Gabon), Fulbert Youlou (Congo-Brazzaville), etc. Le Senegalais Senghor, plus sceptique, finira par se rallier sous Ja pression gauJliste. Mais il existe aussi des reticences plus oplniätres. Le Nigerien Djibo Bakary, membre du Rassemblement socialiste afrlcain, et le Guineen Sekou Toure, du RDA, attires par Ja solution preconlsee par leur homologue ghaneen Nkrumah d'une independance immediate et reelle, rejettent Je carcan que veut leur imposer de Gaulle. Loin d'etre opposes ä une cooperaUon franco-africaine, ils souhaitent seulement que cclle-ci soit egalitaire et reclament donc l'independance avant d'integrer un quelconque Commonwealth ä Ja fran~aise.

Le Cameroun, poisson-pilote

des independances franfafricaines Rapidement, ä l'automne 1958, la Situation se decante en Afrique « franvlentun « ~tot ou10,1ornc„ regl pnr In

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1/1/,t/1111 ,t,•c,,111/le: pcrr)111/upti/s 1tcl'/111liff1('11tlm1c11

co11vcntio11 franco-carncrounobcdu 30 decembrc 1958, qui laissela politique Nra11g~rc entre lcs mains fran~aiscsmais transfere par exemple la responsabillte de l'ordre Interieur au gouvernement camerounais (voir chapitres 20 et 25). Cette architecture juridique complexe inquiete le Haut Commissaire XavierTorre, qui craint que l'armee fran~ise se trouve dessaisiede ses preroHalivesface aune subversion upecistequi n'a pas dit son dernier mot 72• Mais l'essentiel est d'afficher un maximum de transferts de competences ,111pouvoir camerounais. Le calcul des officielsfran\ais, une fois prise Ja deci,1011d'accorder l'independance, est en effet d'aller le plus vite possible.Deux raisons expliquent cette precipitation. Tout d'abord, ecrit le directeur de rabinet du ministre de la France d'outre-mer Jean Cedile, « creer, dans l'opi11loninterieure au Cameroun comme dans l'opinion internationale, le choc p~ychoJogiquedont Je gouvernement camerounais a besoin pour consolider ,es assises populaires », autrement dit assoir sa nouvelle Image independanti~te. Et ensuite « ne pas nous laisser distancer par le gouvernement britannlque, ceci afin d'eviter de nous retrouver au Cameroun dans une Situation .,nalogueä celle qui nous a coute nos amis au Togo 73 », en referenceala perte du Togo britannique, qui s'est rallieen 1956 ala Gold Coast de Nkrumah pour rnnstituer le Ghana independant en 1957. Ce camouflet resonne encore dans lc~esprits fran~ais,qui craignent que le Cameroun britannique suive la vole de son homologue togolais et prefere rejoindre le grand voisin nigerian, sous administration britannique jusqu'ä l'independance du 1" octobre 1960. 1'independance de Ja Guinee ayant ete arrachee contre la volonte de Pariset rcllc du Togo, decidee avant l'arrivee au pouvoir d.ugeneral de Gaulle, ayant (•te reportee, le Cameroun fait figure d'Etat-pilote a la finde l'annee 1958. Pour la premiere fois, la France va amener un pays d'Afrique subsaharlcnne ä une independance dont eile a elle-memedessine les contours. Un tel l hcminement prefigure ce qui se passera dans les mois et les annees a venir : l'accession de chacun des territoires fran~aisd'Afrique ä une independance formelleconfiee ä des Ieadersdociles maintenus dans une relation de depentlc1nce, asymetrique et clienteliste. L'evolution politique du Cameroun, polsson-pilote de cette « Fran~afrique» embryonnaire, fait egal.ementnattre un double mythe. Au Cameroun, celui d'un Ahmadou Ahidjo pere paisible de l'inde'}Jendanceet de Ja nation. En France, celui d'un general de Gaulle lltcolonisateur, digne d.eJa vocation genereuse d'une France emancipatrice de, peuples et reste fidele quinze ans plus tard ä ses grandes envolees libera1,lccs de la conference de Brazzavillede 1944. Dcrriereles apparences trompeuses de cette reconciliation generalisee,Ja gucrre se poursuit. Dans les brousses camerounaises, Oll l'on se bat encore uvtitJJ 111•11,l,,111

rcstent modestes d'un cöte comme de l'autrc, la gucrre froldc impregne les mcntalitcs des deux camps. Ellestructure les representations et du reit les mots d'ordre, rendant chaque Jour plus improbable la perspective d'une negoclation politique.

Lestribulations du « trio deKumba » Depuis leur expuJsion du Cameroun britannique ä l'ete 1957, ou ils s'etaient refugies pour fuir Ja repression fran~aise,les upecistes en exil ne cessent de fuir, d'un « pays frere „ ä l'autre, du Soudan au Ghana, en passant par J'Egypte et la Guinee. Leurs peregrinations s'inscrivent dans les reseaux du panafricanisme en construction : elles refletent les espoirs et les contradictions de ce mouvement heterodlte, qui cherche tant blen que mal aechapper a l'affrontement Est-Ouest. Au gre de Ja tolerance de leurs hötes, Felix Moumie, Ernest Ouandie, Abel Kingue et Ieurs camarades poursuivent Jeur effort de propagande, recherchent de l'aide militalre ou diplomatique, ou tout simplement un abri avant de repartir au combat. A travers leurs errances, Je conflit camerounais tend ainsl a se mondialiser. De Pekin ä Damas, en passant par Geneve ou Stockholm, Felix Moumie, president de l'UPC, parcourt le globe ä la recherche d'une oreille attentive. Um Nyobe Jui-meme n'avait-il pas prophetise que « l'eloignement des dirigeants de nos mouvements aura[itj comme premiere consequence la popularisation du probleme kamerunais ä travers Je monde 2 » ? A Paris, les etudiants camerounais nationalistes s'organisent ä partir de la fin 1957 au sein de J'Vnlon nationale des etudiants kamerunais (UNEK), l'ancienne Association des etudiants du Cameroun (AEC), qui rejoint la celebre Federation des etudiants d'Afrique noire en France (FEANF).Cherchant ä alerter l'opinion publique sur les evenements en cours dans leur pays, ils se heurtent ä la censure de leurs publications, ä la suppression de Jeurs bourses d'etudes 3 et, surtout, al'indifference generale, comme lorsqu'Uscherchent acommemorer Jadisparition d'Um Nyobe. Lesplus motives d'entre eux firussent par rejoindre clandestinement Jadirection du parti dans ses deplacements 4. C'est ainsi que, debut 1958, le jeune economiste Castor Osende Afana, vice-president de la FEANFet directeur du joumal L'Etudiantd'A(rique noire - « marxiste-Ienlniste convalncu » et « stratege politique de premier ordre„ selon la sarete 5 -, prive de financement en France, rallie Le Caire clandestlnement. II y retrouve !es membres du bureau du comite directeur (BCD) qui, contournant la censure fran~aise,tentent de propager sur la scene Internationale leur conception du~ probleme national kamcrunals "· F.xpulsesde Khartoum en julllet 1957, sous la prcssion conjolntc de~ Frtrn,ais et des

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( ,11hl/ladlplo111{1(/q11t• (1958-1959) III ltanniques c,, les leaders upccl~lc~se sont en cffet refugies dans la capitale

(•gypticnne.Plaque tournante des rnouvements de Liberationafricains depuis ld crisc de Suez et la mise en deroute des forces fran~aises, britanniques et hraclicnnes, Le Caire devient pour les exiles camerounais un inestimable trc111plin.Le president Gamal Abdel Nasser, auteur d'un coup d'Etat militaire wntre le rol Farouk 1e•,soutient leurs medias, comme le journal La Voix d11 8 K1111Ie1w17 et une emission de radio quotidienne ä destination du Cameroun , l'I flnance leur « bureau » au sein du secretariat permanent du Conseil de sollllarite afro-asiatique, qui siege dans sa capitaJe9• Apportant dejä une aide predcuse au FLNalgerien, le rais egyptien, qui s'est rapproche du bloc de l'Est, cnvisageegalement de soutenir militairement les ~ Kamerunais „ 10• Lahantise du gouvernement frarn;:aisde voir des liens reels s'etablir entre lc FLNet l'VPC semble en passe de se concretiser. Des mars 1957, un attacM mllltaire du ministere de la France d'outre-mer croit savoir que de jeunes ( amerounais ont ete envoyes en stage en Algerie,via Khartoum 11• Quelques mois plus tard, une poignee de maquisards camerounais sont signales a Rabat, cn partance vers un camp d'entrainement de !'Armeede liberation nationale nlgerienne (ALN)12• A partir de decembre 1957, l'organe de presse du FLN,EI Mu11rljahid,s'interesse ii la rebellion camerounaise. Sous l'impulsion d'un jcune revolutionnaire, le mededn antil1a1sFrantz Fanon 13,il appelle les Afric:itns ä prendre les armes 14 et pJaide contre tout compromis avec le colonial15mefran~ais.Puisque « nulle diplomatie, nul genie politique, nulle habilete 11epourront en venir ii bout », ecrit Fanon en avril 1958, il faut 1'« abattre par la force » 15• Pour les Algeriens,l'alde aux mouvements africains est un enjeu qui depasse le simple devoir de solidarite, puisque celle-ci est censee susciter de nouveaux fronts sur le continent et dessener l'etau des troupes frani;:aises ,ur leur pays 16• Lesdivisions entre leaders africains, partages entre « moderes » et « radi,aux », offrent aux upecistes des points d'ancrage « anti-imperialiste •· L'UPC ,t)ianteconduit les diverses tentatives de reconciliation avec Ja tendance prolran~aise du RDA17, le parti camerounais se retrouve naturellement dans le c,imp des pays africains « anticoloniaJistes ». En quelques mois, l'UPC s'est nlnsl cmanclpee des cadres de la politique franco-africaine ou se debattent llcpuis des annees Senghor, d'Arboussier ou Houphouet. Les anciennes barrlcrcs entre mouvements anglophones et francophones s'estompent. Le cllv:igc passe desormais entre ceux qui pröneot l'emancipation des « jeunes nations „ dans la perspective des« Etats-Unis d'Afrique „ et ceux, souvent francophoncs, qui conseillent Ja « prudence » a l'egard des anciennes puis,.111ccs coloniales, dans une perspectivedavantage « eurafricaine ». En Afrique 11olrc,Nkrumah afflrme son leadcrship au cours de la premiere « conference de~ ~tats afrlcains lndcpcndant ~" d'nvrll 1958 aAccra(qui rassemble les huit pnys du contlncnt ny:int ncqu1sll'11rlnd~pcnclnnce: Maroc, Tunisie, Libyc,

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~gypte, Soudan, ftthlople, Ghana, Libc'.!rla), en pron1ctta111 une alde aux mouvements nationalistes des pays cncore sous Je joug colonlal et un front diplomatique africain uni ä l'ONU 18• Non sans mal, tes representants de l'UPC et du FLN ont ete admis a la tabJe des chefs d'.Etats dejaindependants de ce 19 « rnini-Bandung » africain . Ajnsi encourage, Felix Moumie, present a la conference, se lance dans une diatrlbe enflammee contre les autorites fran~aises. La presse hexagonale s'en offusque et se gausse. « L'agressivite et les affirmations incontrölees de M. Moumie ont desservi sa cause aupres de Ja presse locale et internationale», commente Le Monde.n a « atteint le comble du grotesque », fustige Le Figaro. Et L'Aurore de vilipender les « habituelles et grossieres accusations d'atrocites dont se rendraient coupables !es troupes fran~aises 20 ». Moques par la presse frarn;aise, les activistes camerounais ä la recherche de soutiens exterieurs rencontrent sans surprise un echo nettement plus favorables du cöte des revolutionnaires africains qui, cherchant de 1eur cöte a internatlonaUser les conflits coloniaux, voient dans l'UPC un mouvement d'avant-garde. « Tout le peuple aJgerien sait qu'apres I' Algerle, ce sera a l'Afrique noire de mener son cornbat », previent Fanon en avril 1958 - qui sympathise ä cette periode avec le president de l'UPC - dans les colonnes d'EI 21 Moudjahid • Quelques rnois plus tard, au lendemain de la Conference generale des peuples africains qui se tient en decembre 1958 ä Accra, l'infatigable Fanon se felicite qu'ait ete decidee la creation d'une « legion africaine », qui prendrait la forme d'un « corps de volontaires » preleves dans chaque territoire, « exprimant ainsi que Ja liberation nationale est liee a la liberation du continent », « dans Ja perspective lointaine des Etats-Unis d' Afrique » 22• Mais, dans !es faits, cette perspective demeure bien lointaine et les leglons bien illusoires. La (< solidarite concrete en hommes, en materiel, en argent 23 » que reclarne avec ardeur l'auteur de Peaunoire,masquesblancs24 peine ase materialiser. Contrairement aux craintes fran~aises, rares sont les armes qu.i, cornme ces quelques dizaines de pistolets tcheques signales en 1959, ont pu etre acheminees, via la Guinee, jusqu'aux maquis de Martin Slngap 25• Ne recevant qu'un faible soutien rnateriel, les nationalistes au crabe noir doivent le plus souvent se contenter d'un soutien rnoral. Le 20 fevrier 1959 est ainsi decrete « journee du Kamerun », eo appHcation d'une decision de Ja conference d'Accra. Maigre reconfort sans doute, mais qui permet tout de meme d'entretenir l'espoir au moment ou les pays « non alignes » marquent des points sur trois continents. Dans les premiers jours de 1959, Je vent souffle depuis La Havane, ou les barbudosde Fidel Castro prouvent aux guerilleros du monde entier qu'il est possible, avec quelques hommes motlves, de renverser une dictature soutenue par une grande puissance. Felix Moumie reprend confiance : « La lutte peut durer deux c111s,nials In vlctoire nous appartlendra 26 • »

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c;,,,,,111,1 illf1lr1111111/q1w ( l 958-19SY)

Lesreprdse11ta11ts de l'ONU eux aussisont descolonialistes» , le quotidien du soir se rejouit de cette inattendue (< caution internationale» et vilipende les « JeadersextremJstes» de l'UPC « qui menent [...] une action terroriste a vrai dire assez limitee », en particulier sa « tendance nihüiste » refugiee au 28 Caire • II y a de quoi desesperer les nationalistes. Quelques jours plus tard, celui qui fut sans doute le leader africain Je plus fascine par l'organisation de New York, Um Nyobe, terre au fond de la brousse de Sanaga, traque par J'armee coloniale, avoue avoir perdu toute confiance en l'ONU. « Les representants de l'ONU eux aussi sont des colonialistes », ecrit-il dans son carnet intime, Je 20 avriJ 1958 29• Le scenario auraH pourtant pu etre tres different. Une semaine apres Ja desillusion de Mpodol, un autre evenement intervient, qul ne sera pas sans consequence pour Jes nationaJistescamerounais : Jes eJectionslegislativesdu 27 avril au Togo (voiI chapitre 17). 11s'agit a priori d'un signe encourageant pour !es progressistes d'Afrique francophone, puisque Je scrutin consacre Ja victoire ecrasante du Comite de l'unite togolaise (CUT)et I'accessionau pouvoir du leader nationaliste Sylvanus Olympio, a la surprise generale. La vigilance des observateurs onusiens a en effet eu raison des fraudes et de la corruption mises en ~uvre par J'administration fran~aise(representee par le Haut Commlssaire GeorgesSpenale, bien connu de l'UPC pour avoir ete un pilier de J'administration colonlaJeau Cameroun de 1951 a 1955 3°). Le CUT realise donc a sa maniere Je reve impossible de l'UPC : acceder au pouvoiI pacifiquement, par Jesurnes. Maisle succesinespere des nationaUstestogolais se retourne rapidement contre leurs homologues camerounais. Les Fran~ais surveillent en effet avec la plus grande attention ce qui se passe au Togo. La sincerite du vote » togolais, expUque par exemple un rapport de Ia Surete franraise au Cameroun, aura une tres grande influence sur le compo1tement (
s1>-11>ou)

Ndelene nc suffisait pas, voici d6sor111ais que les femmcs passcnt ä l'action. Certainessont devenues maquisardes,initiees al'action dans les camps de formation de la guerilla, ä l'lnstar de Pauline Rebeug,alias« Noumbissi », entree au SDNKavant sa quinzieme annee, ou elle achemlne le courrier « cache dans les plis de (sa] jupe », raconte-t-elle s4 • D'autres activites feminines sont plus inattendues, si bien que les autorites peinent a trouver les mots pour !es decrire. Apres les « garces de I'Udefec » stigmatisees par Lamberton, voici desormaisles « meutes » de femmes bamileke.« On assisteä une nouvelle tactique de la part de la subversion : l'utilisatlon de meutes feminines s'opposant par Je nombre aux forces de !'ordre», peut-on Liredans un bulletin de renseignementsss_Les officiersfrani;aissignalent un ,, lnquietant rassemblement" de femmes le 23 octobre 1959. Quelques jours plus tard, ils doivent en affronter eing cents autres le long d'une route a Mbouda. Puls huit cents le lendemain sur le terrain d'aviation de Bafoussam: submerge, le chef de Ja brigade de gendarmerie tire sur les femmes et en tue trois pour degager sa jeep 56 ... Un ancien maquisard devenu instituteur, Jean Donfack, se souvient aujourd'hui de ces episodes : quand !es hommes n'abattaient pas des arbres pour couper les routes, explique-t-il,c'etaient les femmes, « surtout les vieilles mamans », qui venaient entraver la progression des convois militaires. « Parfois meme, poursuit le vieil homme, quand c'etait serre, eUes se mettaient torse nu. "Voilä, ecrasez-noussi vous voulez", disaient-eUesaux militaires. Parfolsmeme elles attaquaient, acoups de jets de bouteilles pleines de piment sur les militaires, ce qui les faisait tousser s,. » Ces developpements inattendus amenent le Haut Commissaire a prendre la plume pour preciser Ja« conduite ä tenir vis-a-visdes femmes », prescrivant l'emploi d'« armes d'efficacite progressive: grenades lacrymogenes, grenades offensives, armes individuelles». Le mot d'ordre est clair : « II ne peut etre question de faire aneantir un petit detachement de nos forces par une de ces bandes ss.» Aux cötes des fernmes, les adolescents servent egalement d'agents de liaison entre les maquis, au point d'etre per~s de maniere generale comme « profondement hostiles ä !'ordre etabli 59 » par les militaires fran~ais,qul commencent a desespererde convaincre un jour cette population consideree de plus en plus comme uniformement « rebeUe». « Les rebellesgagnent du terrain et etendent leur zone d'action, s'alarme un rapport militaire fran~aisen decembre 1959. r...] La situation, precedemment signalee comme sans cesse s'aggravant, devient inquietante. Lesforces de maintieo de !'ordre sont insuffisantes et, malgre les efforts du personnel, inefficaces pour parer a une teile situatlon 60• » En effet, la progrcssion des troupes de Moumie, Singap et Momo est autant due ~ lc11rorganisatlon et~ leur motivatlon qu'a l'inefficacitc de la reprcsslon fran,ohe, lncapable de reprodulrc scs succ~sobtenus cn Sonagoou ~ l'011t'~Il1lt~tlt ucux ann~cs 1

~5

,

precedcntcs. Dans un contcxtc polltlquc nouveau, marque par 1'«autonomie » interne de !'Etat du Cameroun au cours de l'annee 1959, les autorites fran~aisessont donc amenees a imaglner elles aussi de nouvelles formes de lutte.

Uni' r11prt•~~lonc11111{)11/16u

20 Unerepression camouflee ~ L'armee fran~aise, que ce solt dans le Mungo, dans lc Bamileke ou ä Douala, ne fait pas la guerre. » Lieutenant-colonel Andre LAUR1tRE, 7 novembre 1959 1•

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e 12 septembre 1959, le joumal de marche et des operations QMO) de la gendarmerie du Cameroun signale la mort du gendanne Andre Houtarde,2 « disparu dans la riviere Metchie a O h 30 au cours d'un service de nuit ». Le campte rendu de renseignements de Ja periode n'est pas moins elliptique : « Nuit du 11 au 12 septembre 1959 : a Bafoussam, un gendarme europeen est noye accidentellement 3 • » Dröles de gendarmes que ces Fran~ais qui se baignent vers minuit dans une riviere bamileke en pleine periode de troubles et parviennent a y perdre un homme ... Si l'on recoupe Jes temoignages, cet incident aquatique rapporte en catimJni dans ces deux documents internes de l'armee fran~aise aurait-iJ un lien avec certains recits terrifiants d'ex-maquisards, hantant Ja memoire collective de la region, sur des atrocites commises par Jes Fran~ais ? C'est effectivement ce que nous avons pu etablir. D'apres ces temoignages, !es forces de l'ordre auraient pris pour habitude de ... precipiter des prisonnlers du haut des chutes de la Metchie. D'ailleurs, !es populations locales, encore aujourd'hui, ont pris J'habitude de deposer des offrandes et ont meme accroche un drapeau de l'UPC a cet endroit symboHque.

Disparitionsforcees Un journaliste protestant a la retraite, Daniel Maugtre, nous avait deja alertes sur ces pratiques. « Toutes Ies nuits, expllqualt-il, un carnlon allait deverser les gens dans les chutes. » Une nult, au cour:, d'unc sc~nede cc t.ypc,

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un de ces prisonniers, « se saclw11tconclamnc », s'est approche de l'offlcier de gcndannerie fran~ais en cl1arge ctc l'etrange expedition pour lui parler et l'a soudain emporte avec lui dans le vide. « On a cherche pendant des jours le corps du gendarme, sans succes, explique cet ex-correspondant de Reuters. On a mobilise les villageois environnants, on Ies a obliges ä plonger pour ehereher le corps du gendarme. En sortant de J'eau, ils ont dit qu'ils avaient trouve tellement de cränes, tellement de corps qu'ils ne pouvaient pas reconnaitre celui du gendarme 4.» Ces pratiques auraient dure tout au longde laguerre. Le conditionnel est de rigueur, car ce joumaliste n'est pas un temoin direct de ce qu'il ctenonce. Que dire alors du temoignage de Michel Clerget, arrive spontanement sur notre messagerie eJectronique fin 2009, quand ce paisible retraite a appris, par hasard, que des journalistes s'interessaient aJa repression fran~ise au Cameroun? «J'avais 12 ans, j'ai vu des choses »,nous ecrit-il mysterieusement. Son pere, Jean Clerget, etait gendarme, marechal-des-logis, commandant de brigade aBafoussam en 1959. Rendez-vous telephonique est pris avec ce temoin tombe du ciel. Les souvenirs du jeune gar~on d'alors, qui trainait l'ete dans Je camp de Bafoussam, sont graves a jamais dans la memoire de cet homme aujourd'hui äge de 63 ans. Mais ils reviennent avec douleur. « Ils avaient l'habitude de jeter les gens dans la riviere, du haut d'une chute d'eau, lance-t-il. Une fois, un prisonnier, en tombant, s'est accroche ala mitraillette d'un gendarme qui s'appelait Houtarde". On l'a cherche taute Ja nuit, mais en bas de la cbute il y avait des corps partout au fand de J'eau, sans compter les crocodiles 5 • » Cette histoire traumatisante, le fils Clerget la tient des collegues de son pere. Il ne peut evidemment ni inventer ces noms et dates bien reels, ni avoir eu connaissance de temoignages d'anciens resistants camerounais, puisqu'il n'en connait aucun. Ecceure par cette periode, le retraite se souvient de l'atmosphere de detresse morale qui regnait dans Lecamp de son pere : « Houtarde, c'etait son superieur. Avant cet incident, je !es entendais parler le soir, quand ils prenaient le whisky ensemble. Les gendarmes etaient tous au baut du rouleau. Avant de mourir, Houtarde avait perdu les pedales, il devenait fou, iJ s'etait mis atuer !es rebelles a la machette. Un grand gaillard comme lui, gentil, il avait perdu la boule ! » Ces deux temoignages, inedits, revelent plusieurs choses 6 • D'une part, I'ALNKcompte des militants prets a mettre leur vie en jeu pour empecher Ahidjo de mener son pays aune « independance » profran~ise; symboliquemen t, la fin brutale d' Andre Houtarde dit taut : face ä la determination des rebelles, la repressi?n s'enlise. O'autre part, en 1959, l'armee fran~aise est

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profondement ctesempareeface ä la persistanccde la rebellio11,au polnt de sc livrer a des exactions crimlnelles, comme les disparitions forcees. Cette pratique, courante eo Algerieä la meme epoque, si l'on se souvient de ce qui est entre dans l'histoire sous le terme de« crevettesBigeard» pour designer le largage en mer des opposants, est caracteristiquede la guerre contre-revolutionnaire. Avecles disparitions d'opposants, disparaissent aussi !es preuves de Ja repression,empechant d'honorer les martyrs de Ja cause, de porter leur deuil, de mediatiserleur sort et d'ecrire l'histoire de la periode. Le recours ä ce type de pratiques est deja une defaite pour le pouvoir. En l959, les cris de victoire de Maurice Delauney en region Bamileke(voir chapitre 13) et de Jean Lamberton en Sanaga (voir chapitre 16), qui croyaient avoir definitivement mate la contestation, sont deja loin. Daniel Doustin, lui, etait moins optimiste. Des la mi-1958, il ecrivait : « il serait vain de penser qu'un succes en Sanaga-Maritimeresoudra le probleme camerouna1s.Il permettra simplement de circonscrire la rebellion, d'empecher une action d'ensemble avec Douala, Yaounde, Oll Je terrorisme urbain est toujours possible, et Ie pays bamileke 7 ». n avait vu juste. Car, pendant que les regardsse focaJisaientsur Boumnyebel et Ie cadavre exhibe d'Um Nyobe, le feu couvait sous les cendres de l'insurrection kamerunaise. « Depuis longtemps, la Situation dans les pays Bamilekeet Mungo n'est pas claire, constatait l'energique general Le Puloch des janvier 1959. Lafin des affairesde Sanaga ne semble pas devoir marquer la finde nos ennuis au Cameroun 8 • »

L'impossiblereproductionde la ZOPAC Afin de pousser son avantage militaire, le general commandant la ZOM o0 2 (AEF-Cameroun)envisageun schema simple : reproduire a l'Ouest ce qui a fait le (]()) I. ·111dl'f1C'll1l11111 ,. ,1,,m/1•""'S ( / !JS!J-1

couvre-feu, interdlction pour les partis et syndicats de lancer des souscrip. tions ... Ces Jois instaurent en outre des "cours criminelles speciales » aux competences tres etendues, capables de juger taute personne susceptible de « compromettre la securite publique ». En vertu de ces procedures "speciales », !es accusessont prlves d'avocat au cours d'lnstructions expeditiveset n'ont plus aucune possibilite de recours une fois condamnes. A I'ete 1959, les premieres audiences - presidees par des magistrats fran~ais- confirment !es pires crajntes 12• Alorsque les « suspects » defilent a la barre, le visage tumefle et debitant des aveux stereotypes manifestement extorques avec violence 23, les condamnations !es plus brutales pleuvent, des travaux forcesaperpetuite ä la peine capitale (Ja loi prevoyant meme que !es executions aient lieu "en public, sur les lieux du forfait ») 24 • Au meme moment, !'« etat d'alerte » entre en vigueur dans Je Bamileke, Je Wouri, Je Nyong-et-Sanaga, puis dans Je Mungo, Je Kribi,le Nyong-et•Kelle,Je Ntem, le Dja et Lobo. Ahidjo avaH promis a New Yorkde respecter Ies institutions democratiques•. Mais ces flagrantes atteintes aux libertes - qui, rappelons-le, sont decidees alors que Je Cameroun est encore sous Ja dependance juridique de la Franceet de l'ONU - ne semblent guere emouvoir les observateurs intemationaux. Pour la fa~ade,Ahidjo continue d'ailleurs de se presenter cornme un grand democrate, sans etre place devant ses contradictions. II va meme jusqu'a s'offusquer, en mai 1959, dans une interview, que SekouToure puisse lui donner des le~onsde democratie, alors, argue-t-il,que le president gulneen a mis en place un " parti unique totalitaire » 25 • Un argument que Je president Ahidjon'utilisera plus dans !esannees suivantes, au moment d'imposer... son propre parti unique (voir quatrieme partle). Ahidjo a Ies rnains libreset rejette avec hauteur !esoffresde mediation internationales. En mai 1959, i1 repousse ce!Jed'Ahmed Sekou Toure et KwameNkrumah; en aoat, celle de Ja Conference des Etats independants d'Afrique. Quanta la proposition, formulee conjointement par le president de l'UPCen exil, FelixMoumie, et par l'ex-Pre• mier ministre Andre-MarieMbida (qui a temporairement rallie les nationallstes de Conakry), d'organiser une « table ronde » autour de laquelle se retrouvera.ienttoutes !es formations politiques camerounaises, l'apprenti dictateur de Yaoundela balaye d'un reversde main. « C'est trop tard », expliquet-11au Figaro : Mournie "n'est plus qu'un chef de bande qui a du sang sur !es mains » 26•

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Devant l'ONU, en mars 19S9, Ahidjo a garantl que chaque groupe politlquc seralt autorlsc « ä conditlon toutefois de rester dans la legalit() et de se soumettrc aux regle.~dcmocratiques •· • Lc pouvolr est ä la portee de tous lcs Camcrounah, mals cn dchors des volc~ democratiques et l()gales,aucunc vole d'acccs n'y cst. et n'y ~cro fornats nuvcrtc 1111C"~mc• roun •, assuralt-11 ~galemcnt ä Oscha11g ie 22 fanvicr 1959 (eil~ /1111' /101111/eV, n° 117, mars 19S9).

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Yaoundeen 2007 ArreteaSang111elima ä l'c1e 1959et cnvoy~a Yaoundeega. lernent, un proche de Tamo, le secretairegeneraJde l'etat-major du Terrilolre militairedu Centre (fMC) SamuelZeze,a connu pire encore, lors de la repression qui a SLtivi l'attentat contre Je bar L'Anerougedu 5 juillet 1959, auquel Zezc n'etait pas mele. « Us ont boucle la ville de Yaounde, se souvient-il. lls ont envoye beaucoup d'innocents dans la tombe. Parceque quand on t'arretait. .. On t'emmenait au camp Yayap,ou AlfredRenard, un gendarme fran~aisqul revenaitd'Algerie,etait speciaHstedes interrogatoiresmuscles72.,. Zeze nous a raconte une scene tant de fois entendue : « On vous attache comme ~a, un baton icl. c;a fait extremement maJ. Et, en meme temps, on branche un fil electrique, on te dit : "Si tu avoues, on te fait descendre, sinon tu vas mourir la."J'ai connu deux personnes au camp Yayap,qui n'etaient meme pas des upecistes, mais qui sont dans Ja tombe aujourd'hui. » Arrete ä Sangmelima,ramene ä Yaounde, Zezerefuse de collaborer: «Je me souviens d'un colonel qui venait de ßrazzaville,qui m'a dit: "Tuvois, on a essayed'etre gentils avec toi, mais on va te laisser entre de mauvaisesmains. M. Renard, lui, ne s'amuse pas. Tu as eu le temps de sauver ta tete, c'est trop tard." Et il a dit vrai, parce que j'ai encore subi la torture et deux jours sans manger. Jene pouvais plus tenir debout. Quand des gardiens ont place un seau de nourriture aterre, j'ai dOavancer sur les fessespour l'atteindre, quand Renarda tape dedans. J'etais deja comme un animaL » Au milieu de ce cauchemar,Zezen'aura Ja vie sauveque gräceä I'aided'un geöüer blanc compatissant,quJ lui procure du pain et des cigarettes.Surtout, ce gardien comprehensif, passe par la Resistanceen France, met Zeze en garde contre un eventueljugement expediUf.Surses conseils,Zezerefusede signerdes aveux, ce qui Jui evite ainsi miracuJeusement la cour crlminelle speciale. « Renardvoulait absolument me fairesigner, mais j'ai refuse.lls m'ont tape une fois de plus, mais, finalement, comme le procureur etait presse, 11sont condamne les autres. » Gräce a cela, Zezen'a finalement pas participe au triste spectacle de ces parodies de proces qui voient defiler a la barre des suspects tenant apeine debout, portant encore lesstigmatesde leur interrogatoire73•

Restructurationdu renseignement: au Cameroun... Manifestement, la hierarchie ferme les yeux et empeche meme quiconque de temoigner. Voire pire. Quand on lit que Je gfoeral Le Puloch recommande un chef de poste de gendarmerie de Mbanga• pour diriger la

• rechereile opcratlon ncllc " eh.·rc11,t•l811t•111t111, ,111molif quc cc marechalucs-logls-chef"et alt dam unc brlgadc de ,echcrche en Algerie", on s'aper~olt quc les methodes de Ja gucrre d'Algclic,connues pour leur brutalite, ont valeur de reference... De m~nie, en janvier 1959, alors que la gendarmerie lranc;aiseen ßamilcke s'est livree ä des tortures sous I'autorite politique de MauriceDelauney et militairede GeorgesMaitrier,le lieutenant-colonel Lam1,erton demande de « valoriser l'organisation de la gendarmerie en l orien1antvers la recherche du renseignement » et de« renforcer, voire augmenter lcs postes de gendarmerie, ou, comme il a ete procede en Sanaga, de renlorcer chaque poste par un element mobile» 74• Lamberton s'avance meme plus Ioin, lorsqu'il recommande, au cours de la meme reunlon, de constituer des« groupes action » dont l'objectif affiche serait « de detruire une organisation terroriste ou de faire pression sur certains lndlvidus ». Le plus dramatique, c'est que !es subalternes autochtones de la gendarmerie, a savoir les gardes camerounais et les gardes auxiliaires, reproduisent les methodes de leurs superieurs fran~ais. L'appele du contingent Michel ßoulet, dejä horrifie par la torture en Sanaga en 1958, la rencontre ä nouveau l'annee suivante en Bamileke.« Un jour, on avait coince des types, que l'on a remis ä la gendarmede. Des gendarmes fran~aiso'osaient pas me dire que les prisonniers avaient ete interroges par des gars qui savaient les faire parler, des gendarmes camerounais, qui etaient pires que les gendarmes fran~is. » Un militaire fran~s a confie ä Boulet que, apres etre passes entre les mains des gendarmes, « les prisonniers n'etaient pas beaux ä voir 75 "· Quelques semaines avant l'independance, les Fran~aislaissent en heritage ä la jeune nation les structures qui permettent la routinisation de Ia tortu re. C'est le general Le Puloch, apres ce qu'il appelle une « violente intervention 76 „ au cours d'une inspection en ao0t 1959, qui se charge de rationalisercette machine ä faireparler, aIaquelleil reproche son inefflcacite. Le Renseignementest totalement reorganise. II est d'abord centralise par un Comite centra1de coordination (CCC)regroupant tous les servlcesde renseignements, fran\ais comme camerounais : Bureaude documentation du Haut Commissariat (BEDOC),Surete (police), gendarmerie, Renseignement militaire, etc.•. Cette structure est ensuite declinee, dans les zones de guerilla, en « comites de coordination et d'orientation ,. (CCO)regionaux du Renseignernent, saus l'autorite des prefets. Ces organes nationaux et regionaux sont secondes par des corps mixtes specialises dans la recherche de renseignernen ts. A savoir, respectivement : la brigade mJxte mobile de recherche et 1

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IIs'aglt apparcrnmcnt du mar&:11111-dcs-Jogls-chcf Andr6Jc.111 l'frc,.

Ce CCC Initial comp,cno pannl (C, mcmbrcs, en tant que represent.int de Ja SOrete du Camcroun, Maurice OdNH, lc ,~rc de lo future pollcc pollttquc camcrounalsc, lc BEDOC )

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Voila cequi nousattend»

D6M par l'ALNK,pous~~pnr les (lran~alsqui durcissent la repression et consolldcnt dlscr~lem(!nltc-u1'~ 1•~~eo11x de rcnselgnements, Ahidjo confirme

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son virage autoritaire Je 29 octobre 1959 au matin, deux mois avant l'ind~pendance. Ce jou1-la,il demande a !'Assembleelegislative rien moins que ... les pleins pouvolrs ! Certes, il ne les reclame" que „ pour six mois, le temps de retablir !'ordre, negocier des accords de cooperation avec ses tuteurs fran~als, ecrire la Constitution et organiser sa ratification, sans aucun contröle parlementaire. Mais la demarche est brutale. On retiendra de cette triste seance a l'ALCAMle plaidoyer courageux du depute Daniel Kemajou, chef traditionnel de Bazou pourtant anti-upecistc bon teint, mais marginaJlsedepuis quelques mois. Dans un dernier swsaut, II defend, non sans panache ni une certaine prescience, les droits de ce Parlemeot qu'il a un temps preslde:" Lesplelns pouvoirs, tonne-t-il en seance, permettraient [...] de concentrer, entre les mains d'une seule et meme personne, les pouvoirs legislatifs,executifset judlciaires,c'est-ä-dired'instaurer une dictature, Je pouvoir personnel ou, en d'autres termes, le regne du bon plaisir, de l'omnlpotence policlere, des camps de concentratlon, des deportations, des arrestations et emprisonnements arbitraires, des executions sommaires, [... 1 de la mlsere noire, des injusticessur injustices, [...) etc. 94 • » « Voiläce qui nous attend », conclut I'ancien camarade de classe d'Ahidjo, qui tombera en effet quelques mois plus tard pow « coUusionavec l'ennemi » et echappera de peu ä l'elimination physique (voir chapitre 30). Lesamis d'Ahidjo ne savent que repondre. Flnalement, c'est Mohaman Lamine, un proche du Premier minlstre, qul decocbe la saillie Ja plus juste a l'encontre du depute frondeur : "Vous avez attendu le 29 octobre pour denoncer cela ? » II est en effet bien tard pour arreter l'ascension d' Ahidjo, qui obtient les pleins pouvoirs par cinquante voix pour, onze contre et deux abstentions. Ces nouvelles mesures, qui ne surprennent que les responsables politiques camerounals « moderes » ayant cru pouvoir peser de !'Interieur du regime, ne changent pas Ja donne sur le terrain. En l'absence de proclamation de l'« etat d'exception », conjointement par le gouvernement camerounais et le Haut Commissaire, l'armee fran(;:aisene peut toujours pas intervenir directement'. Le general Le Puloch, qui surveiJleattentivement Ja situation depuis Brazzaville,s'alarme de la « confusion actuelle des responsabilites95 » qui regne entre civils et militaires, fran(;:aiset camerounais. « De sa propre initiative», souligne-t-il lui-meme, il envole, debut octobre, cinq compagnies et cinq pelotons de gendarmerie supplementaires au Cameroun. Mais ces nouvelles forcesdoivent s'en tenir a une « aide indirecte » au maintien de !'ordre, precise le generaJ, « en evitant d'etre melees directement aux actions de repression, qui [sont] du ressort du seul gouvernement a

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L'artlcle 25 de J'ordonnancc n• 58-1375 du 30 deccmbrc 1958 ~Jctant Je nuuvcau )latut de l'• l'.;tat sous tutellc •· precJse, rappelons-Jc, qu'cn ca.s de d(l~acrord c'C)l Je gouvcrnement fran,als qul n Je pouvolrdc procJa111crJ'~tnt d'CXll'pllon.

c;imcrounals,._Lnnunnce n•c~,pn, 1ou1011" (l,1lrc,rnals la consigne est de sc c:a11Lo1111cr ~ des misslo11sdNcnslvc~, pou1 d~lcndre les centres urbains, les 17000 Fran~ls du Camcrou11et lcur~blc11~,et appuyer les operations de la pollcc franco-camerounalsc.Avec interdi.ctlonde veritables operations mill1,tlrcsau grand jour. Enliseedans ce conflit sans pouvoir y deployer sa puissance librement, l'armee fran~aisedeprime. En octobre 1959, le rapport annuel sur le moraJdes Jroupes du 17~ batalllon d'infanterie de marine (BIMA)fait etat d'une « cer1,lincamertume [...] devant les actes de terrorisme 96 ». Lespectre de la defaite lndochinoise et du retrait d'Algerie qui se profile, hante les soldats. « Beaucoup pensent qu'une fois de plus la Franceva etre evincee d'un pays ou eile a pourtant consacre la meilleure part de ses richesses morales et materielles», 1clcve le rapport. Soumis ä des injonctions contradictoires, les officlers lran\'.aissont deboussoles par une Strategie que Je prefet du Mungo Louis DomissyappeUe I'« effacement partiel 97 », lequel repond ä des motivatlons plus politiques que proprement militaires. D'un cöte, le Ueutenant-colonel Lauriereinsiste sur le fait que « l'armee franr;aiseque ce soit dans le Mungo, dans le Bamilekeou a DouaJane fait pas la guerre 98 ». De l'autre, la progression de I'ALNKl'amene de plus en plus, dans les derniers mois de 1959, a mener « des operations a caractere milil'nlrc99 ». Quitte a faire mitrailler les bandes rebelles par !es « T6 » de I'avia100 tlon de combat pres de Mbouda en decembre, tuant cinq maquisards . Et l!ncore,Le Puloch precisequ'il a du freiner !es ardeurs du prefet Ter Sarkissof qui, en plein « desarroi intellectuel et moral 101 », s'etant aliene chefs et populatlons, etait pret a mener des raids aeriens sur la region dans « des circonstances hasardeuses102 » pour retabLirl'ordre. L'etat des lieux que dresse Marcel Cl1aumicn,agent « 001 » du reseauJimbo, au cours de son passage au Cameroun fin 1959 n'est pas plus optimiste. Particulierement frappe par les recits q11clui font ses interlocuteurs dans ce pays, a commencer par son agent A Yaounde, le docteur Gonzales (008), Je transporteur Suarez (009) et son nouvel HC recrute a la compagnie aerienne UAT(010), il dresse a l'intention de ses superieurs,le 7 decembre 1959, ce tableau alarmant: « Notre corresponllnnt laYaounde]craint le pire ä breve echeance. C'est aussi l'opinion de beaucoup d'Europeens a Douala : le gouvernement actuel n'a pas les moyens de l.ilrc face a un soulevement eventuel, il n'existe pas grand-chose en profondcur et le recrutcment que la nouvelle armee effectue en pays Bamilekeest nul, ce qul est significatif.Je vous signale que la situation dans le Nord-Cameroun est tres differente, les Foulbes et Kirdis voient arriver l'echeance de l'lnd~pendance d'un' tres rnnuvais cril et seraient partisans d'un rattache11H:ntnvcc lc Tellad. SIInsit uat Ion e~t·t n~scalme dans le Nord, il n'en reste pas n1oln~vral que toutes lcs ttlhu, sont cn alerte, etant trcs hostiles a celles du Sud 1111."

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Le journalistc Roger Faligot, qul a revele ccs documcnts, commenlc : C'est ä. la suite de ce type de rapports que Jacques Foccart, qul a touH• confiance dans son ami Chaumlen, ainsi que le general Grossin conseillcront d'intensifier la repression contre les Bamileke et de liquider les chefs comme Fellx-RoJandMoumie 104• » Si.Foccartet Grossin sont loln d'etre seuls aux manettes, tel est en effet le programme: alors que !es avanceesde I'ALNK risquent fort de gächer la « fete » prevue a l'occasion de la proclamation d(' l'independance du Cameroun (voir chapitre 21), la decision est prise a Parisd) : le mot est issu d'un rapport militaire 21 • « 16 decembre 1959.S heures: merne operation dans Je quartier congolo-senegalaisen vue tlc refouler sur leur pays d'origine toute personne ne se Livranta aucun travnll ou n'ayant aucune attache a Douala - soixante-quinze personnes sont 1cfouleessur leur departement d'origine », peut-on y lire.Trois jours plus tard, tJ la m~me heure, ce sont « 384 Africains dont 315 Bamileke » qui sont « rcfoules)>le soir meme « sur leur pays d'origine ». Cette operation nocturne rnobilisedeux pelotons de la Garde camerounaise, !es brigadesde Douala, la 1Joliccet deux compagniesdu 17• BfMA22• Ce sont « presd'un millier de Bamilckc43 » - « ce petit millier de parasites24 », ecrit un officier - qui sont ainsi 1111s au ban de Ia capitale economique. Drölede fa,;onde creer une nation que ucrcjcter certains de ses membres, sans autre raison que leur appartenance ,,1hnlque, vers une region tellement crainte et detestee par !es officiels du rcglmc qu'elle est d~signee comme un « pays » etranger... Annotation rare, tlons le journal de marche et des operations OMO) qui relate ces lugubresagisM!ll1Cnl'S, l'auteur c1p.ref6rcprcciscr que « toutes ces opecations ont ete effecttrccs rt la demnndc de Mo11~1('ur l'lt1~pccteurgeneral de l'administration 25 », 1~11ocll Kwayeu,un Conwm11nnl~lormc, cornmc Samuel Kc1me 1 a l'ecole des

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administrateurs coloniaux ä Paris et devoue de longue date au röle de relais local « bamileke » de l'administration franc;:aise. Plus que la serenite vantee par Le Monde,c'est donc plut6t la parano"raqul domine. Calfeutre dans l'ancien palais du Haut Commissaire, ou il s'est lnstalle, Ahidjo est sur !esdents. Il commence par faire« couper tous les arbresdu parc et installer des postes de garde et des miradors aux quatre coins 26 », relate Jacques Germain, le directeur du Plan de l'epoque. Lequel evoque egalement l'anecdote d'un voyageur inattentif et curieux qui, pour s'etre approche trop pres du paJais, a ete abattu sans sommation par une sentinelle un peu trop zelee27 . « Cela en dit sur long sur Je climat d'insecurite et de peur regnant dans !es spheres gouvernementales ä ce moment-Iä », conclut l'administrateur 28 •

UneConstitutionsur mesure Protege par l'armee franc;:aise,enferme dans son palais, Ahidjo a pour priorlte de cimenter son pouvoir personnel. Fin 1959, lors de la tragique seance du vote des pleins pouvoirs, I'ALCAMa confere des pouvoirs speciaux au Premier ministre pour ecrire la Constitution. Pour habiller ses prises de decision sans passer par l'election d'une Assembleeconstituante, Ahidjo a reuni un « comite constitutionnel », compose de fonctionnaires, responsables religieux et politiques, chefs traditionnels ... Des Je 17 janvier 1960, pourtant, une lettre d'un Franc;:aisinconnu mais visiblement bien informe lui aussi, retrouvee lä encore dans !es archives Foccart, annonce le scenario constitutionnel qui se realisera, en instrumentalisant !es sommites du comite. « On souhaiterait par ce biais !es integrer dans le gouvernement actuel, en tout cas decourager leur bostilite ä forcede sourires et de prevenances... D'autant plus que leurs avis n'auront d'ores et deja aucune influence sur le vrai resultat final, qui doit etre de confier un pouvoir quasi dictatorial a l'homme de confiance d'une certaine France 29 ••• » Mais, cette commission n'ayant pas Je moindre pouvoir, certains de ses membres flaues en demissionnent. Et pour cause, les vraisauteurs de Ja premiere Constitution du Cameroun ne siegeaientpas dans cette commission. Cinquante ans apres, les deux conseillers franc;:ais,Paul Audat,secretairegeneral du comite, et Jacques Rousseau,secretairegeneral du gouvernement, s'en amusent encore. « Samuel Kame [un des principaux dirigeants de !'Union camerounaise] voulait que Je president dispose de tous les pouvoirs », se souvient le premie:r coauteur, Jacques Rousseau30• Intarissable sur la periode, celui-ci a relate ces evenements dans ses Memoiresprives. Lars d'une reunion de ce petit comite, en presence d' Ahidjo, peut-on y lire, le jeune conseiller fran~ais interpellc Samuel Kame : « Pour tol, Samuel, la Constttut1on devrait se reduire a trols articles : 1) Je president de la Rcpubllquc s'appcllt! Ahmndou Ahldjo; 2) II

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d~lle11ttous les pouvolr, de In ll6publtq11c;J) 11lcs exercesa vle d.urant. » Les quclques convlves rlent de l)on cceur de ccttc conception de la presidence "proche de la chefferte IJamlleke » que defend Kame, et meme « Ahidjo voulut blen rire de cette boutade •>.Le malaise,dans les Memoiresde Jacques Rousseau,surgit ä la lecture de la phrase suivante : « En reallte, je n'etais pas loln de penser comme Kame, mais je croyais souhaitable d'habiller convenahlcment un texte aussi abrupt 31• » lnvite au Conseil des ministres pour evoquer le sujet delicat qu'il convient d'« habiller » au mieux, le jeune enarque decouvre tous les minl\t res retranches derriere des piles de Livresde droit constitutionnel franc;:ais. • lls vouJaienttous LaConstitution de De Gaulle ! Et surtout, !es ministres souilattalent l'existence, ä cöte du president de la Republique,d'un Premierminl\tre, dans le r61e duquel chacun se voyait dejä. Alors, pour ne froisser pcrsonne, Abidjo m'a commande une Constitution pour Je lendemain, avec Llll Premier ministre. » Et voila les deux collegues, Rousseauet Audat, censes l•n une nuit rediger la loi fondamentale du nouvel Etat. öO

Offlclclle111ent, lo Co11/llll11\!011 1:~t :idopttc ä pres de 60 % des votants, 11wls,dans les faits, le tes1 de ,,opul.1111~ s'cst trnnsforme en desaveu cinglant. Da11sla foulee et a.vec lcs memcs methodes, une nouvelle Assemblee nationnle est elue le 10 avril L960". Laquelle assemblee s'empresse, le 5 mai 1960, de cholsir Ahmadou Ahidjo, seul candidat, au nouveau poste de president de In Republique. Quarante-huit heures plus tard, Je nouveau president publie 1'., orctonnance n° 60-52 du 7 mai 1960 portant loi organique sur l'etat d'urgence » et p.roclame le lendemain par decret l'etat d'urgence dans onze clepartements troubles du pays, pour une duree de quatre mois renouvelable lndefiniment, rempla\'.ant ainsi l'etat d'alerte definj par les dispositions de inai 1959. Les Iibertes publiques (Uberte de la presse, de reunion, de maniieslntion, de circulation) sont alors soumises au bon vouloir du mJnistere de 11111terieur1 qui peut en outre assigner aresidence des individus « qui s'avereralent dangereux pour Ja securite publique ». Les competences des juridic1Ions militairesb, enfin, sont elargies « aux crimes contre la paix publique, les pcrsonnes ou les blens, commis avec port d'arme ou usage de violence », c'est~-clireä presque toutes !es actions de la guerilla qui relevaient jusqu'ici des cours criminelles speciaJes instaurees en mai 1959 38•

La tutelledesconseillers franfais Les conseillers fran\'.ais ne font pas seulement Ja pluie et le beau temps tians le domaine constitutionnel. Leur influence en cette annee 1960 est ex tr~mement etendue. Ce n'est pas une surprise : Daniel Doustin, encore lui, nvait prophetise trois annees plus töt l'avenement des eminences grises. « Le r~gne des galons est termine », mettait-il en garde face aux pretentions un peu Lrop voyantes de ceux qui en etaient restes aux formes autoritaires de la colon lsa tlon a I'ancienne. « Mais il peut y avoir des arbitres, et meme des conseillers, precisait-il, dont l'autorite plus discrete n'en sera pas pour cela 111oinsgrande, au contraire 39• »

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du Nord furent "fabriques" apr~s que ceux du Sud furent connus de l'adminlstratlon » Ocan-Fran~ols BAYART, L'Etat au Camero,m,op. dt., p. 76). Avec 45 '¾1des suffrages, l'Unlon camerounaise, partl d'Abidjo, obtlent clnquante-deux des ccnl si~ges parlementalres (dont quarante-quatre au Nord et en pays Bamoun, oii ses cnnclldats s'etalc.nt retrouves seuls en lice). Le~ trtlJunaux mllltatres tcn,poralres ont ete crees par l'ordonnance 11° 59/91 du 3:r dC:ccmbre 1959, pour lt1,t1ct lc~• attclntes a la silrete de l'Etat ». L'ordonnance du 7 mal .1960preclscrn qu'lls pcuv('nt (ltrl' crl'!(lscn lemps de palx dans lcs reglons soumlses ä l'etat cl'urgc,ncc, ovcc de~ l'OlllJ~tcm·c~ ~~Julvolcntc~ou trlbunal m.llltalre permanenten temps llc iiucrro.

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L,1/111lfp,,m1t111u d1111s II.'$uns( 19~•>. / ''o

Novembre1959: le coloneldu Crestrefuse le « camagedepaysansbamileke» En quelques minutes, trois eJements viennent donc interroger la version officielle d'une decolonisation pacifique. D'une part, « c'etait la guerre ». D'autre part, celle-ci etait pilotee depuis la celluJe africaine de !'Elysee,dans un pays pourtant independant. Enfin, dernier element, les instigateurs de cette guerre secrete ne tiennent pas aen parler... Nous retrouvons cette m~me reticencc dnns la reponse lapldalre de CaucteLngane,dirigca111 d'unc amlcnle

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d'anciens combattants sollicile ä propos du Cameroun. «J'en ai parle ä quelques camarades. 11sne souhaitent pas s'exprimer. Desole3• » II est difficile,on le voit, de faire parler des acteurs fran~aisen responsabilite au cours de J'annee 1960. Lapremiere annee d'independance du Cameroun voit en effet se dechainer Larepression militaire contre !es membres de l'ALNK.On touche ici au c~ur de Ja polemique sur le röle de Ja France au Cameroun. C'est en effet apropos de Ja campagne declenchee dans la region ßamJlekepour aneantir l'UPC,ä partir de janvier 1960, que les pamphletalres les plus virulents parlent de « genocide » et de villages aneantis au napalm. C'est par exemple en pensant ä cet episode que, dans son ouvrage La Fran{:nfrique, Fran~ois-XavierVerschave intitule son chapitre « Massacresen pays bamileke >>1 declenchant chez son lecteur le plus critique,Jean Lamberton, un deluge d'annotations et de points d'exclarnation dans Ia marge. Le titre du chapitre est d'ailleurs barre d'un virulent « scandaleux l ». Ce mornent constitue bien, en tout cas, une charniere dans l'histoiie de la guerre d'independance du Cameroun. Dans les coulisses des ceremonies officielles(voir chapitre 21) se discute le declenchernent d'une repression sans precedent pou1 mater definitivement une rebellion qui a montre sa vltalite ä la fin de 1959 en lan~nt des vagues d'attaques coordonnees (voir chapitre 19). Lesforcesde !'ordre, un temps entravees par des institutions transitoires et une strategie attentiste (voir chapitre 20), s'appretent, avec l'independance, ä franchir un nouveau palier dans Ja Lutte. Cette perspective effraie un homme de premier plan, qui s'est tenu jusque-Jäen retrait par rapport aux plus va-t-en-guerre de ses collegues. Cet homme est le commandant miJitairedu Cameroun, le colonel du Crest de Villeneuve.Marginalisepar les initiatives martia.lesde son subordonne, le lieutenant-coloneJ Lamberton, ou de son superieur, Je general Le Puloch, tous deux revenus d'lndochine avec des idees bien arretees sur Ja contre-subversion,du Crest n'a jamaisose claquer la porte. Mais,ce 20 novembre 1959, c'en est trop. II adresse une lettre personnelle ä son ami le general Louis Dio, predecesseur de Le Puloch ä BrazzavilJedevenu ä Paris l'adjoint du chef d'etat-major de l'armee fran~aise,en charge de J'outre-mer. Du Crest y exprime ses inquietudes a propos des initiatives du prefet du BamilekeAlexandreTee Sarkissof, pret ä s'appuyer sur les foules pour combattre la rebellion « avec une certaine violence4 ». Su1tout,il s'alarme de la demande du Haut CommissaireXavierTorre de faire appuyer les actions de la police camerounaise par les militaires fran~ais. Cela, ecrit solennellement du Crest, « je m'y refuse». S'il avoue avoiI jusqu'ici « outrepasse sans remords les conventions etablies avec le gouvernement camcrounais pour l'annee 1959 », en engageant ses troupes au-dela de ce qu'autorisaienl les tcxtcs, IIrefusedesormatsd'aller plus loin. D'apres lui, une lntcrvenllon mllllolr·cII n11~ein de la populal'ion bamileke » conduirait ses ,9~J

Ja11iiler/960; l'llrlllfC /rt1llffllSCe1,xt1Je Ja « reco11q11~te »

L 1/11ddpe,ult111ce rlr111s Jesa11s (1l/59-1960)

fl'an~aisune couverture politique et un conseil, et non l'origl.ned'actions trublioncs et de recriminations » 7 • Preuve que Djoumessi n'est la que pour relayer les demandes fran~aises, ce sont les anciens colonisateurs qui ont ltnpose cette « personnalite attachante », qui a le bon gout d'etre catholique, converti a Ja monogamie et d'avoir fait ses preuves a la tete d'une « autodetcnse particulierement active » l'annee precedente 8 • En haut du rapport de Cogny envoye au minlstece des Armees, en octobre, un lecteur a annote ä. la main !'ordre suivant: « Attendre. » Mais la degradation de la situation, avec les offensivesde l' ALNKä.la veille de l'independance, accelere Ia prise de decision. Le ministre des Armees Pierre Gulilaumat partage de plus en plus les analyses les plus alarmistes. Prenant Je contre-pied de du Crest, qui oe voyait dans les troubles qu'une « jacquerie » ~ laquelle il convenait de oe pas se meler, il ecrit Je 10 decembre 1959 que l'insurrection camerounaise est en train de « nettement deborder Je cadre d'une jacquerielocale et menacer l'avenir 9 ». Si bien que lui aussi, comme Le Puloch et Cogny, aimerait voir Ahidjo monter en premiere ligne. Du cöte des colons, la pression monte egalement. Leursrepresentaots se relaient aupres de Jacques Foccartet de Charles de Gaulle pour dramatiser la Situation. Le 11 decembre 1959, ceux de Dschang ecrivent au generaJ : « La vie des Europeens est directement menacee >), soutiennent-ils, evoquant la progression des insurges nationalistes et Leursdernlers raids meurtriers. Regrettantde ne pas avoir le droit d'etre armes en consequence, les pharmaclens, magistrats, professeurset missionnaires demandent « que l'emploi des forces armees fran~aises soit reserve strictement ä. Ja protection du centre urbain de Dschang, Oll sont regroupes les ressortissants fran~ais et Leurs lamilles 10 ». Une semaine plus tard, ce sont les colons de Douala qui s'adressent au president de Ja Republique pour lui faire part de leur angoisse, decrivant la « sauvagerie innommable » des treize assassinats d'Europeens en six mois, ies lettres de menaces qu'ils re~oivent,Ja maniere dont !es famillesfran\•aises,armees de grenades, se regroupent entre elles pour se proteger Ja nuit. Dans une economie paralysee par Je couvre-feu, ou « les producteurs de bananes ne peuvent plus exporter qu'au peril de l.eurvie », les signataires agiten t Je spectre de l'etablissement d'une « republique du style oriental » 11, c'est-a-dire communiste. La psychose n'est d'ailleurs pas feinte. Alors prefet d'Eseka, Roland Barachette confirme : « le 31 decembre 1959, les Europeens de ma region etaient convaincus qu'ils allaient se faire egorger12 » ... Signe que ce lobbying est eotendu, de Gaulle sort de sa reserve quelques jours plus tard. Le (?residentprend sa plume pour promettre au president de lo Chambre d'agriculture que •0V: /'111111, en condut le chef du GTN. lllusion ! Car, au fur et a mesure que le commandant de l'operation descend vers Je sud, les maqulsards, « tenus au courant de sa progression par leurs vigies, remontent, eux, vers le nord, recoupent !es pistes derriere les unites 62 » et poussent deux colonnes de deux cents hommes chacune 63 sur la ville de Dschang, capitale administrative du departement, qu'ils attaquent dans Ja nu.it du 18 au 19, tandis que le batai11onen est encore a degager la raute du retour. Le raid sur Dschang fait plus de quatrevingts victimes avant d'€!tre disperse par l'intervention de la gendarmerie. Au m€!memoment, sachant les troupes fran~aises accaparees par l'operation Charlie, d'autres groupes insurges, plus au nord, en profitent pour

du ßamileke, le pr~fet Ter Sarkhsof expose que « des actions de represailles out ete menees ~ur lc grouperneut clc llaleveng pa.rles Bafous, sous le contröle administrat1.f penclant que l'nrrn(\e protögenlt tc,~ltO\IOll,~de r~paratlon de routc. Cesactlons sont ä poursuivre ,, (p. 4, SHAT,6H261I), l o r6ponllhrn etc~rOlc~cn1-rcFrancats et Cameronnals, clvlls et mJlltalres, scmlJlt;> tel porf,1lien1t•1ll 1wn1111/11•.

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attaquer BaJengtrois nuits de suite. Grlbelin, defait, tlre so11 chnpcau ä Singap devant ces offensives « concertees par un commandement valable, bien rcnseigne et resolu a jouer son va-tout face aux forcesde !'ordre». « L'adversalre auquel va s'opposer le GTN n'est donc pas a mepriser ", conclut-il, impressionne par ces « rebelles » disposant d'un « recrutement facile et pratiquement illimite ». « LeurmoraJ[... j eJeveet leur ferocitesans limite » font douter un Gribelin lnquiet devant ces combattants « sOrsde leur force, courageux parfois jusqu'a l'inconscience, animes d'une foi aveugle en Ieurs sorciers» 64• ABatcham le 1" fevrier,contre la mission catholique de Bametele lendemaln, aBafoudans la nuit du 4 au 5 fevrier,a Kafengoumles 10 et 14 fevrier,contre la chefferie de Bangwale 11 fevrier,a Bafoussamdans la nuit du 13 au 14, a BaJengles 17 et 21 fevrier, a Dschang dans Ja nuit du 18 au 19, a Bangangte dans la nuit du 27 au 28 : le mois de fevrierest une longue litanie de coups portes aux forces franco-camerounaisespar l'armee de llberation 65• La lutte entre !es deux camps est meurtriere. Si !es joumaJistes n'ont pas acces au theätre des operations, une voix, modestement, se fait entendre. Daniel Galland, pasteur de Dschang, a pu faire parvenir une lettre au journal protestant Reforme,pour relater ce qu'il vit en ces premiers jours de fevrier. GaJJandn'a rien d'un crypto-upeciste.En 1959, il avait cosigne une lettre des Europeens de Dschang demandant Ja possibillte d'armer !es civiJs contre l'ALNKet l'envoi de forces armees. Mais, aujourd'hui, il est scandalise par l'action des troupes de Max Briand : « Depuis trois jours, les forcesde !'ordre ont attaque Je maquis. Je ne sais pas ce qui restera de certains villages,car Je gouvernement camerounais est decide a frapper un grand coup, avec l'aide (helas !) de J'armee fran~aise66 • » Le pasteur Galland s'aJarmede la muJtiplication de centalnes, des « milliers" « peut-etre ", de victimes, guerilleros ou non, des actions des forces de !'ordre. « Les cadavres ne sont meme plus enterres, il y en a trop. Quand les maquisardssont surpris en traln de faire des tranchees dans les routes, ils sont tues a Ja mitraHleuse et ensevelis avec la terre ramassee par !es buUdozerspour boucher les trous. A certains endroits, ce sont les cochons qui font les fossoyeurs.» La repression s'abat sans falre de details. « C'est horrible. Plus de prisonniers, poursuit Galland. Plus meme de pitie pour les femmes et les enfants. Lesfemmes ne sont en effet pas les moins farouches dans la guerre." Mais ce qui horrifie le plus notre temoin, c'est le sentiment general qu'un seuil de violence a ete franchi dans Ja tete des belligerants. « Lesgendarmes entendus a Dschang, rapporte-t-il, racontent ces massacresavec un ton tout naturel. La vie humaine ne campte plus. » La lutte est sans pitie. Confrontea un ennerni plus coriace que prevu, Gribelin se fixeun objectif llminaire asa portee: etablir une perceeentre Bafang et Penka Michel, de maniere a separer la zone de Martin Singap de cclle de Paul Momo. Prcmleres de ce type sont lcs opcratlons " ~cho » a Unmcnclou (quarante-huit morts 67 ) lc I" mars puis .. ~tinccllc „ unc \Cmo111cplus tard ~ (

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ß.msoa. La mell1odcesl nchaquc fois la mfüne: sur une zone precise, l'avlatlon larguc des tracts appclant les combattants et les populations a fuir ou se rcnclre,avant de boucler le perimetreau petit jour et de le « ratisser » methodlqucment. La perceestrategiqueest veritablement reussieJe 15 mars 1960, avec l'operation « Avant-Propos» centree sur Bafang. En moins de quarante11ui t heures, la "raute de Singap » est remise en etat et contrölee par les Franyiis, qui signent la leur premier « succes psychologique incontestable .,._ Le commandant du GTN jubile : « La preuve est falte que Ja zone de Singap n'est plus inviolable68• »

Troublesjeux : le ralliement de Paul Momo Si les premieres victoires fran~aisessur le terraln traduisent avant tout le triomphe de Ja force, elles sont aussi facilitees par des tractations plus polltiques qui se trament en coulissesau meme moment. Officiellement,il n'est pas question de negocier quoi que ce soit, mais en realite les elements de l'ALNKles moins lies a Ladirection upeciste en exil sont regulierement solllcites pour se rallier au regime, en echange d'avantages divers. En resultent taute une serie de rencontres, en plein creur des combats, qui brouillent les cartes de l'affrontement binaire en y melant des considerations de rivalitesde villageset de marchandages politiciens. L'enjeu de la percee de Gribelin est d'ailleurs d'enfoncer un coin entre les zones d'influence des differentes factions insurgeesde la region BamiJeke,c'est-a-direcelle de Singap, le bras mJlltaire de Moumie en exil, d'une part, celle de Paul Momo, toujours tres lie a PierreKamdemNinyim, d'autre part. Personnage central de ce double jeu permanent, Ninyim, a cette periode, est officiellementdevenu partisan du regimedepuis sa sortie de prison l'annec precedente, mais il adopte en realite une attitude plus qu'ambigu~. Appelant i\ l'apaisernent le jour, il continue la nuit aencourager les maquis de son am! Paul Momo (voir chapitre 19). Un bulletin de renseignements emanant de la SGreteindique par exemple que le chefbaham destitue n'a pas craint, la veille de l'independance, de reconstituer le « Comite revolutionnaire de Douala », dans la case de New-Bellayant appartenu aFelixMoumie lui-meme. Ninyim y est decrit comme le chef des operations de destabilisation de Douala, falsant et defaisant les chaines de commandement au sein de la guerilla urbaine. Schizophrenie? En realite, le jeune homme joue sur les deux tableaux, assurant avoir ses entre~s dans les deux camps ala fois, precisant lors de cette reunion "revolutionnaire » qu'il avait « l'entiere confiance de MM. Ahidjo et Soppo Priso et quc le double jeu qu'il menait etait conforme aux directives !du lcadcr upecistcl Tchou1nb11 haue, qul a toujours pense qu'un membre de 69 l'organlsatlon dcvall t1vnlitl,•,contucts oHlcielsavcc le gouvcrnement ». Au O'l

l/lmlt1pe11d1111< . Ce petit jeu aurait peut-etre meme commence bien avant, des 1958, si l'on en croit Je temoignage de Daniel Maugue. Alors journaliste dans Ia presse protestante locale, celui-ci se souvient d'avoir accompagne son patron, JeanClaude Doucet, une nuit dans le cortege secmise du chef de Ia region Bamileke, Maurice Delauney. Arrives a Bamougoum, pres de Bafoussam, « nous avons entendu des bruits de caissesque l'on dechargeait derriere nous, se souvient Maugue. On projetait ~a en brousse 90 ». Entoure de camions militaires, Delauney prononce devant lui des mots etonnants, a l'i.ntention de son patron qui cherche ä comprendre: « Ne vous preoccupez pas de ce qui se passe dehors. JJ faut bien aider Momo Paul. .. » Maugue est forme! : « C'etaient des muniti.onset du ravitaillement, des caissesde sardines pour Momo Paul et ses hommes. C'est a ce moment-la qu'on a compris que Delauney, par-derriere, finan~ait le maquis de Momo! » Une autre co'incidence vient a l'appui de cette supposition : en octobre 1958, alors que l'UPC tente une offensive ä l'Ouest a l'occasion de Ia derniere mission de visite de l'ONU (voir chapitre 18), Momo est arrete par Ia police britannique a Kumba, qui. .. le reläche sous caution 91 . Pourquoi ce traitement de faveur, alors que son superieur direct, Pierre Simo, arrete peu de temps apres 92 , sera condamne a mort? Dans ces obscurs jeux d'acteurs, entre trahisons, compromis et tractations secretes, le sous-prefet du departement Jean Keutcha nous apprend dans ses Memoires que Ie sous-prefet de Dschang, Fran~oisCalisti, un vieux colo• nial en poste au Cameroun de 1944 ä 1960, repetait a qui voulait l'entendro sa maxime prefe.ree : « Quand on ne peut pas semer l'ordre, on seme lt• desordre 93 • » Semer le desordre? Reprenant une these qui rencontrera un ccr• tain succes dans les milieux dirigeants carnerounais quelques decennies pl11~ t·ard, le meme Jean Keutcha laissera entendre que certains Fran~aisaurale111 sciemment instrumentalise les'maquis : pas seulement pour les diviser, rnah egalement pour mieux mettre en valeur leur propre action individuelle m1 collective. Le lieutenant-colonel Gribelin, note-t-il par exemple, « se mo11 1 trait plus soucieux de son avenir personnel que de Jafinde la rebelllon, q11II ne souhaitait pas rapide 94 ». Si les sous-entendus de Jean Keutcha sont loin d'etre confirmes, II l''-l 1lld1111u• 1/um /1•\clllS ( / ')59 1•>,,

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Feu aerien: «Napalm» ... Pour decrire cette periode trouble, une image est souvent employee par les observateurs de l'epoque: celle de l'incendie. L'incendie generallse d'une region en proie aux flammes, sans que l'on comprenne precisement qui est a J'origine des feux, sinon une vague « ivresse de destruction 19 ». Envoye en reportage par Le Figaro,Max Olivier-Lacamp, du haut d'un avion rnilitaire, survolant des « insectes humains » qui « gesticulent », decrit en mars 1960 « un rideau d'epaisse fumee [quij ferme l'horizon », « des vagues de flammes [qui] ourlent les champs, [... ] devorant tout ce qui pousse ». «Je compte les maisons en feu, raconte Lacamp au-dessus des Monts Bamboutos ; a cinq uan te je m'arrete : ä quoi bon, tout bn'.ile le long d'une vallee de vingt kilometres. » S'il decrit bien une realite, Je reporter brouille Jes cartes dans l'interpretation qu'il en fait. Hypnotise par « ce spectacle f...J horrible et fascinant et par l'« odeur chaude de la chafr brCilee», le valeureux tituJaire du prix Albert Londres en rend en effet responsables !es nihilistes " terroristes qui "dansent une ronde sauvage autour des brasiers », sans revendication prccise, exploitant un „ melange de bandltismc, de guerrc lribolc, de rclour i\ la )>

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!'offensive militaire franco-camerounaise de 1960. Tous ccux qui, rares il est vrai, en ont cherche des traces formelles - l'evocation, par exemple, de ces « bidons speciaux » qui designaient Je napalm dans les archives de la guerre d' Algerie-sont, jusqu'ä present, rentres bredouilles. Et certaines pistes se sont reveJees des culs-de-sac. Exemple : Ja « source » de Mongo Beti, le docteur Elle Tchokokam, que nous avons retrouve eo 2008 dans Je dispensaire de Yaounde ou il travaiUe. Apres plusieurs tentatives, c'est uniquement gräce a l'intervention en notre faveur d'Odile Tobner, la veuve du romancier decede en 2001, qu'iJ a finalement accepte de oous parler, entre deux consultations medicales : « Est-ce que je dois vous dire Ja verite? En toute sincerite, je dois vous dire Ja verite. » Un peu gene, Je medecin a fini par admettre n'avoir jamais recueilli aucune preuve de l'utilisation de napalm au Cameroun, mais avoir simplement rapporte ades etudiaots parisiens, au retour d'un bref sejour en 1960 a Bafang, qu'il avait soigne un homme brule au visage. « Je pense, avoue-t-il, que c'est ä partir de c;aque Mongo Beti a ... romance 25 • ,.

... ou « cartouchesincendiaires» ? Cette persistante odeur de napalm qui impregne l'histoire de la guerre du Cameroun ne peut pour autant etre evacuee et reduite a une simple vue de l'esprit. Surtout si l'on se souvient que l'armee fran~aise avait bien fait usage de ce type de bombes incendiaires ä base d'essence en Indochine puis en 26 Aigerie • Car, si nous ne possedons aucune preuve de l'utilisation de napalm au Cameroun, nous n'en avons pas non plus de sa ... non-utilisation. L'accusation sans preuve ne doit pas, des lors, amener a prendre pour argent comptant les denegations systematiques des militaires fran~ais. Exemple parfait de ce deni, l'ex-commandant de compagnie au Cameroun Claude Capdeville, Ie peu bavard ancien lieutenant se disant censure par le ministre de la Defense, retrouve sa langue au telephone pour jurer que « le napalm, mais c'est n'importe quoi 27 ». « On avait quelques avions pour faire de la reconnaissance, c'est tout >>,s'empresse-t-il d'ajouter. De Ja « reconnaissance » ? Le mensonge est total. En effet, ]'eventuelle confusion autour du napalm pourrait provenir du fait que l'armee de I'air franc;aiseau Cameroun a bei et bien joue avec Je feu. Elle a utilise, selon ses propres rapports, « des cartouches de 7,5 incendiaires » (pour 7,5 mm). Les archives militaües permettent meme de dater du 25 fevrier 1960 Ja premiere commande de ce type 28 de munitions • Et, comme signe que l'usage du feu aerlen est une Strategie planifiee, I'operation declenchee le 9 mars 1960 ä Bansoa est astucleusement 29 baptisee « Etlncelle » par l'etat-major - Appellation ddfä utilisee (au pluriel)

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pour une operation du "' plan Challe » de 1'6te 1959 en Aigerie, au cours de laquelle il fut procccte ä des bombardements au napalm 30. Nous avons d'ailleurs retrouve un temoin, Etienne Tchinda, Je bras droit du chef maquisard Jeremle Ndelene, q ui, pour avoir subi des raids aerlens au Cameroun tout au Iong de l'annee 1960 et avoir servi en Algerie avec l'ALN dans les mois suivants, est assez bien place pour faire la difference entre balles incendiaires et napalm. II est categorique: « Les avions, ici, n'avaient que des balles : les balles pour tuer les gens et les balles incendiaires pour incendier les maisons, surtout les maisons en paille 31 . » Et, apres avoir spontanement evoque le « napalm », sans que nous ayons prononce le mot, il affüme n'en avoir decouvert I'existence et !es effets qu'une fois eo Algerie. E.tablir cette distinction ne revient pas du tout ä relativiser les consequences de telles armes. Ces balles sont evidemment taut sauf anodlnes, d'autant plus que l'armee en a utilise plusieurs dizaines de milliers, chaque mois, pour incendier les cases en paille et les forets ou auraient pu trouver refuge les maquisards 32 . A titre d'exemple, un rapport militaire chiffre a 43 363 le nombre de« cartouches 7,5 » utilisees contre l'enneml au cours du seul mois de mars 1960 33. En plus des degäts causes au so!, de tels raids aeriens suscitent un effroi generalise dans !es populations. Veritables armes de destruction physique et psychologique, ces operations ont pour effet de demontrer aux. Camerounais qui en doutaient que l'anclenne puissance coloniale est prete a tout pour conserver l'ex-Territoire dans son orbite. Preuve de la marque indelebile laissee dans les mentalites collectives, tres nombreux sont aujourd'hui encore les habitants de la region qui peuvent mimer !es attaques des avions et helicopteres fran~ais de I'epoque. Un jeune maquisard d'alors, aujourd'hui enseignant ä la retraite, nous raconte ces moments de terreur graves dans sa memoire. « Quand on voyait J'helicoptere arrlver, murmure-t-il, on se cachait saus les rochers pour voir comment ils faisalent. n y avait deux avions, toujours deux avions. » Mirnant les appareils capables de voler « dans toutes les positions », Jean Don.fack poursuit sa description : « Le premier envoie de l'essence sur !es toitures. Et le second descend et envoie une balle rouge au meme endroit, ~a prend feu. C'etait toujours ainsi que ~a se passait 34• » Les flammes adrnirees par le reporter du Figaro sont donc parfois provoquees par certains maquisards, au cours de leurs raids contre les villages loyalistes, certes, mais aussi, de fa~on bien plus massive, par l'armee fran~aise qui joue moins le röte de pornpier que celui de pyromane. Dans les afrs ou au sol, le feu devient une arme de guerre, une redoutable arme de represaiUes, fatalement collectives et indlscriminees, entre les mains des militaires fran~ais. « Quand nous, lcs maquisards, nous brGlions quelque chose, la riposte des militaires, apled ou cn hclicoptere, c'etait de brater toutes les maisons qui se trouvalent dans In ,-,ooc. N'lmporte quelle maison. » Donfa.ck n'en revient 1

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toujour:spas, evoquant son grancl-pere,mori-calclne cJa11s tle tcllcs circonstances ä Bansoa. Assis dans sa maison en terre pres de la route DschangBafoussarn,il cherche ii nous faire revivre la periode. « Peut-etre que vous ne pouvez pas imaginer, s'inqui.ete Je vieil homme. Les militaires incendiaient sur renseignement, ils bn1laient les concessions. Que tu sois innocent ou pas. On met le feu et on passe. » Lesbombardements, on le constate, ne sont pas precisementciblessur Ies seuls « combattants », par principe difficilesä isolerdu reste de la population, puisque des dizainesde milliersde personnes vivent, ä l'epoque, « au maquis». Les « dommages collateraux >>- comme on les appellerait de nos jours - sont aJorsinevitables, si tant est qu'on ait cherche a Jes eviter. Temoin d'un de ces raids aeriens, Djumo Youmbi,21 ans eo fevrier1960, n'avait rejoint le maquis « Accra» - maquis de l'Ouest-Camerounbaptise ainsi en hornmage ä la capltale ghaneenne qui accueillait les dirigeants upecistes en exil - que depuis quelques mois quand il a subi ses premleresattaques aeriennes.« 11ssont venus bombarderlesgens aBamena.ny avait des blesses.On a pu en transporter queJques-uns en ville, se souvient-il. D'autres sont morts entre mes mains ... fls etaient tellement brfiles... Je n'avais pas assez de produits pour les traiter 35• » Ayantsecouru huit personnesdans ce cas,Youmbise rappelle« ce genre de brulures »: « C'etait comme si on les avait enfoncesdans un grand feu. ). Mals, alors qu'II est indique que !es • tran.scrlpts • de ces conventlons • sont disponibles sur le site du mlnlsterc des Affn'lrcs ctTang~rcs •, nous n'avons rlen trouvc de tel sur le sllc lndlq11c (). Mi!mc il un deml-sl~clc de dlstance, In • tramparence • o dos ll1111l.:~ ..

/ ef10l.,u11 d1·/11l•1a11111/1lq111• qu'Ahmadou Allidjo promctrnlt, la rnain sur le creur, qu'« aucune convention ne serait passee avcc la France avant flal date [du 1" janvier 1960] 4 » et adressait des « dementis formels » a ceux qui l'accusajent « malhonneternent de conclure, dans le secret, des traites destines a regir les rapports du Cameroun independant dans Je domaine international » 5, il depechait ses representants pour « negocier » secretement avec ses pauains fran~ais. Et pas n'importe quels « representants >>,pulsqu'il s'agissait de ses conseillers ... fran~ajs ! Ce sont en effet Jacques Rousseau, alors conseiller juridique du Premier ruinistre camerounajs, et Georges Becquey, ancien directeur des Affaires politiques et administratives du Haut Commissaire Pierre Messmer, qui « negocient » avec le representant de la France: leur collegue administrateur colonial et proche coHaborateur de Messmer lul aussi, Xavier Deniau. « : « Eviter que Je Cameroun devienne un pöle d'attraction comrnuniste », « pouvoiI utiliser librement en cas de conflit les axes Douala-Tchad » et stationner les troupes fran~aises aDouala et Koutaba. Voila pourquoi, d'apres Benard, les nouvelles conventions pourraient, dans un premier ternps, etre limitees a trois ou cinq ans, ce qui pourrait « suffire aasseoir au Cameroun un regime oriente vers l'Occident »; puis, dans un second temps, etre reconduites avec l'accord des deux parties. Pour s'eviter taute mauvaise surprise, ajoute Benard, « iJ serait particulierement interessant» que « l'etat-major [de l'armee camerounaise) soit dirige par un officier fran~ais ». Sans surprise, les exigences fran~aises sont applaudies par Je fragile pouvoir camerounais, peut-etre plus convaincu encore que !es Fran~ais eux-memes que leur ingerence et la presence de leur armee garantiront sa longevite. AJors que le president Ahidjo s'envole a l'ete 1960 pour Paris dans le but de « discuter » avec de Gaulle d'accords definitifs avec la France, son Premier ministre Charles Assale s'occupe de justifier la procedure devant l'opinion camerounaise: « Nous ne voyons pas la ralson pour laquelle nous devrions rejeter du pied la p.lrogue qui nous a aldcs Otrnve„scr la rl.vlcrc11• » )>

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Le 13 novembre 1960,sont alnsl sl.gnes pas moins de douze conventions et accords bilateraux qul encadrent severement Ja souverainete camerounaise et inscrivent clans le marbre, en le contractualisant, Je lien de dependance qui unit depuis des decennies le Cameroun a la France•. Ainsi en va-t-il par exemple dans le domaine monetaire : par l'accord qu'il signe avec la France, le Cameroun est maintenu dans la zone franc, conserve le franc CFAet confie a son ancienne puissance tutrice sa politlque monetaire, ce qui limüe drastiquement son autonomie ... Comme en 1958 et en 1959, les aspects securitaires et militaires de Ja cooperation franco-camerounaise sont les plus sensibles. Pour ne pas alerter les upecistes qui condamnent avec virulence !es pourparlers « franco-Ahidjo », l'accord de defense du 13 novembre 1960, comme !es precedents, restera secret 13• On sait seulement qu'il prevoit une concertation reguliere entre !es deux pays sur les questions de defense et qu'il permet au pouvoir camerounais de faire appel a la France en cas de danger ou de crise graves. Une interrogation subsiste concernant la possibiUte - ou l'obligatioo - juridique pour Ja France d'intervenir dans le cadre du maintien ou du retablissement de 1'«ordre interieur » au Cameroun. Moins sensibles, Ja« convention sur le röle et le statut de Ja Mission militaire franc;aise au Cameroun » et l' « accord concemant l'assistance militaire technique aux forces armees camerounaises », signes Je meme jour, sont rendus publics 14. La premiere prevoit qu'une « Mission militaire fran~aise » stationnera au Cameroun, sous Ja tutelle de l'ambassadeur de France et sous le commandement d'un officier franc;ais - en l'occurrence le general Briand -, afin d'y assurer « toutes les etudes et mesures d'execution relatives al'assistance militaire ». Le second stipule que la France « s'engage a apporter a Ja Republique du Cameroun

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• Convention n° 2285 relative au concours apporte par l'organlsme speclaUse de la Repu• blique fran~aise au fonctionnement et au developpement de la radiodiffuslon de Ja Republique federale du Cameroun •, • Accord de defense entre la Republique fran~aise et la Republique du Cameroun •• « Convention judlciaire entre Ja Republique fram;:aise et la Republlque du Cameroun ., « Convention coosulaire entre la Republique frant;:aiseet la Republique du Cameroun •, « Convention sur le röte et le statut de Ja Mission militalre fran~alse au Cameroun •, • Accord de cooperation en matiere d'aviatlon civlle (navlgat1on afalenne, bases aerlennes, meteorologie) entre la Republique fran~aise et la Republique du Cameroun ., • Accord concernant l'assistance militaire tecllnique allX Forces armees camerounaises ", • Accord de cooperatlon technique en mattere de personnel entre lo Republlque franc;aise et la Republique du Cameroun, ensemble trois protocoles •• • Convention culturelle entre la Republique fran~aise et la Republique du Came.roun •• « Conventlon organisant !es relations entre le Tresor carnerounais et le Tresor franc;ais », • Accord de cooperatlon en mattere ecoaomlque, monetalre et flnanclere entre la Republlque fr,m~Lse et 10 R6pul>llquc du Camcroun •• • Tralte de cooperatton entre la Republ lquc fro11c;olsei,t ti, Höp11bllquc du Camcroun •· Lc r~capltulatif de ces accords frn11co-cfl1rn:,rou11nl~ tl~•111iv1•111hr,.. 1960 cst disponible sur lc sile Web de l'ambassaclc de 11rnnct·011 C":til1C'!"l1\ltl(.. Wl~IY,,111ll11fr~ll('('-Crf1,(Jrp).

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l'asslstance de personnels rnilitaires franr;:aischarges de proc6c.lcrä.l'organisation, ä l'encadrement et ä l'instructlon des Forces armees carnerounaises », tandis que le Cameroun est tenu de se fournir en materiel mllitalre prioritairement aupres de son ex-tutrice.

Accordssecretsfranco-camerounais et conflitsau seinde l'etat-majorfranrais Ayant ainsi fait signer des accords definitifs au gouvernement camerounais, les dirigeants franfais doivent pouvoir faiTe face au probleme de !'heure : J'insurrection upeciste qui, bien qu'ayant subl de graves revers ä Ja fin de l'annee 1960, est encore loin d'avoir rendu les armes. Seul probJeme, les autorites franr;:aises sont divisees sur l'attitude ä adopter apres le 31 decembre 1960, date a laquelle, avec Lafln des accords provisoires prevus pour cette seule annee, les troupes franr;:aisesne sont plus censees participer a des activites acaractere operationnel, c'est-a-dire aux combats. Toute cette periode de transition s'inscrlt dans une Iutte d'influence au sein de l'etat-major franr;:ais entre Jes va-t-en-guerre qui refusent d'abandonner leur mission militaire avant d'avoir definitivement ecrase 1'ALNK, comme Max Briand, et les responsables qui prefereraient un desengagement rapide, cornme Je general commandant superieur de la Zone d'outre-mer n° 2, anive a Brazzaville en juin 1960, Robert Sizaire. On a vu (voir chapitre 23) comment Briand a reussi, au milleu de 1960, a doubler une premiere fois SizaiTeen conservant contre l'avis de ce demier l'integralHe des troupes dont il disposait en region Bamileke. A la fin de l'annee, Je general de Yaounde confirme l'ascendant qu'il a pris sur son rival - mais superieur hierarchique de Brazzaville. La lettre envoyee par Sizaire au ministre des Armees, Pierre Messmer, Je 14 decembre 1960, atteste de cette situatlon stupefiante : « J'ai l'honneur de vous rendre compte des inquietudes que j'eprouve devant I'attitude des autorites franr;:aisesdu Cameroun et devant Jeur volonte chaque jour mieux affirmee de maintenir au Cameroun apres Je 1"' janvier 1961 certaines de nos unites dans un cadre operationnel 15• » Selon Sizaire, rester plus longtemps en action au Cameroun serait pour I'armee franc;:aiseun « non-sens », susceptible de l'amener a s'engager plus avant dans des « actions de repression quJ sont du ressort du seul gouvernement camerounais ». On comprend vite que Ja missive vise essentiellement Max Briand, qui « prön[e] Je reengagement » et chez qui « se manifeste de plus en plus [... ) une tendance a transgresser les instructlons du ministre des Armees ». « Devant cet etat de choses contraire aux intercts essentlels de nos forces », SizaJre, « contraint de s01tir de [s)a reserve », foll nlluslon ä des reunlons au sommet, tenues dans son dos, « au cours do~q11l•llcs ~ont traitees

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unllateralement des quc~tlons cngageant l'avenlr et aussi lmportantes que celle 1... 1 du rna.fntlen des unites franc;:aises en operation apres le desengagement » 16• Sizaire cite les dates precises de ces reunions secretes. Nous avons retrouve le proces-verbal de l'une d'elles: un « comite militaire mixte permanent>>qui reunit, le 29 novembre 1960, Ahidjo et les principaux dignitaires du regime camerounais autour du general Briand•. Au cours de cette rencontre, Je president camerounais formule des demandes de fournitures d'armes et de troupes franc;:aises, le maintien de Gribelin et l'envoi de conselllers techniques supplementaires pour encadrer !es gardes civiques ... Briand lui repond mysterieusement que « cette demande ne pourrait ~tre accueillie que dans Ie cadre d'un accord special prevu par la convention secrete de defense du 13 novembre 1960 17 ». Un (< accord speclal » ? D'apres certains documents retrouves dans !es arcbives, l'artlcle 1er de la convention secrete de defense du 13 novembre 1960 prevoit en effet que Ia Republique du Cameroun « peut demander a la Republi.que franc;:aise de Jui apporter, dans des circonstances definies par des accords speciaux, l'assistance de ses forces armees 18». Le 12 janvier 1961, I'« accord special » en question est signe pour six mois 19 et, apres avoir ete renouvele en juin, court tout au long de l'annee 1961 20• Ses principales dispositions - secretes elles aussi- consistent amaintenir sur la base de Koutaba un groupement de l'armee franc;:aisecomprenant un bataillon compose de trois compagnies, un escadron de reconnaissance et des elements de commandernent qui « ont pris part aux operations de pacification du pays bamileke 21 ». Resumons : c'est eo vertu d'une convention provisoire (31 decembre 1959) renouvelee six mois plus tard (juin 1960), puis d'un accord de defense definitif (13 novembre 1960) et, enfin, d'un « accord special » (12 janvier 1961) renouvele pour six mois supplementaires (12 juin 1961), tous signes dans le plus grand secret, que !es troupes franr;:aises commandees par le general Briand font directement, pendant deux annees completes, la guerre aux nationalistes camerounais. Ce singulier echeveau juridique n'empecbera pas Je colonel Pierre Aufeuvre, qui succede debut 1962 au general Briand au poste de cbef de la Mission militaire franr;:aiseau Cameroun, de decrire l'experience militaire franc;:aise dans ce pays independant » depuis deux ans comme une sorte de laboratoire. Ne doutant visiblement pas que la France sera a nouveau amenee a intervenir directement en Afrique, il decrit, dans !'« action menee par les forces franfaises et camerounaises contre la rebellion », le « premier exemple d'une assistance militaire a caractere operatlonnel fournie ä un Etat africain et d'une cooperation entre ces forces dans le (
I « guerrepsychologique » et « reannementmoral»

La torture et les disparitions forcees ne sont pas les seules methodes a se repandre alors dans !es profondeurs de la societe camerounaise. Toutes les techniques de guerre et d'action psychologique s'y normaJisent et se generaliseot. Le but de l'administration et de l'armee n'est pas seulement d'eloigner physiquement et d'effrayer psychologiquement les individus ou les populations qui seraient tentes de rejoindre ou d'aider le maquis. II s'agit egalement de !es remettre « dans le droit cbemin >>en les obligeant a prendre une part active dans la Jutte pour Je regime et contre ses ennemis. Le regroupement des populations constitue une arme particulierement efficace dans cet effort d'« education » permanente des populations de l'Ouest-Cameroun. Les gardes civiques, charges de la protection interieure et exterieure des camps et de la surveillance des populations regroupees, voient se renforcer de jour en jour leur röle d'agent educatif. « La Garde civique remplissait a Ja fois une fonction militaire et operationnelle et une fonction civile, resumera eo 2001 l'ancien ministre des Forces armees Sadou Daoudou. Sur le plan militaire et operationnel, eile participalt a l'interieur du territoire a Ja lutte contre la rebellion, au meme titre que !es forces armees sous l'autorite du commandement militaire. Elle etait cbargee de Ja protection des autorites, des populations et des biens. Au titre de sa fonction civile, eile participait, sous le contröle des autorites administratives, a l'education et a l'instruction civique des populations 28 • » Alors qu'un nombre cro.issant de maquisards, vivant dans des conditions toujours plus precaires et soumls au feu ininterrompu des forces gouvernementales, se rallient, cette seconde fonction se developpe au cours des annees 1960. Au point, poursuit l'ancien minlstre, qu'une partie des gardes civlques abandonnent !es armes, au sens strict, pour ne plus utiliser que !es armes psychologiques : « rt y avait des gardcs civiques non armes qul etaient charges de la propagande, de l'education 29 civique pour le campte du gouvernement. Ils etaient formes dans ce sens • 11 C'est sans doute cette seconde categoric de gardcs clviques que Marc Tchinda t1ppclle les "maitrcs d'actlon clvlque e1 psychotogique )1, Ceux-cl,

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n1•1lh ,,, , 11111'u.1t-, ,1111//1•11c11 /,1n • ( J1)(,l 11), dans la voie edictee par l'administration. ll faut dire qu'elle s'y connait en matiere d'action psychologlque : depuis 1960, eile est une des plus ferventes adeptes et la representante la plus en vue du Rearmement moral au Cameroun 363• Armee des methodes apprises au siege europeen du RM, aCaux-sur-Montreux, a savoir l'abjuration publique de ses fautes, l'accueil bienveillant de l'adversaire, la dociUte envers les dominants ou encore J'exaltation collective et permanente de Ja « paix », de Ja« concorde » et de Ja « reconciliation entre les hommes », Julienne Keutcha sillonne sa region d'origlne pour « changer

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Julienne Keutcha n'est pas la seule femrne politlque membre du RM : Delphine Tsanga, presidentedu Conseil des femmes du Cameroun en 1964, depu1·~ apartlrde 196S et mlnlstre de la Sante en 1970, alnsl que l'epouse deJenn-Plerre WnndJI-Nkulmy, mlnlstrc du Travull, cn sont ~gulement cle flcl~lesmilitantes (nrchlvcs du llM).

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\1111111/11/1111 ,In ,·,111//\ t•I,, uol\,1d1'\ ,111tltc11m/\t,•\ • ( 19sur les populations paysannes. La personne concernee doit alors, avant de passer aux aveux, jurer sur LaBible, enterrer des haricots piles ou toucher un chien noir a l'aide d'un bäton. Cette derni.ere pratlque, appelee « cadi chien noir », fut intensement utilisee; car nombreux etaient ceux qui croya:ient qu'ils seraient mauclits, au qu'ils mourraient sur place, s'ils mentaient apres avoir touche le chien. Avant d'abjurer, la personne soumise au cadi prete donc serment en touchant le chien : « Je dois etre maudit a jamais avec toute ma descendance si : je porte aide ou assistance de quelque maniere que ce soit, d.irectement ou inclirectement a un terroriste dont j'ai la connaissance; je renseigne !es rebeUes dont j'ai Ja reconnaissance directement, inclirectement ou par personne interposee ; je refuse de denoncer un terrorlste de ma connaissance ; je donne asile a un rebelle de ma connaissance ; je refuse ou neglige de denoncer par haine ou par complicite, d'aller au secours des personnes attaquees par !es terroristes; je favorise ou couvre Ja fuite d'un terroriste depiste; j'exploite !es 1roubles pour m'enrichü, je me cache derriere !es troubles pour m'emparer des biens d'autrui; j'entretiens la haine et encourage les troubles de quelque maniere que ce soit 43 • » Exploitant les peurs suscitees par les croyances traditionnelles, l'administration peut ainsi « depister les subversifs )► qui refusent de se soumettre al'epreuve du serment. Les pratiques mystiques sont egalement utilisees dans le cadre des « confessions publiques ». Dans chaque village, les habitants sont rassembles pour venir tour atour denoncer en public leurs propres crimes devant un president civil, une poignee de militaires et les autres habitaots de la locallte. Dans le camp de regroupement de Balessing, c'est Marc Tchinda, president du « comite antiterroriste » local, qui a ete charge par l'administration de presider les « confessions publiques ». II raconte: « On appelait !es gens par quartier. Car chaque habitant d'un quartier est comme le membre d'une famille. On voyait alors quelqu'un dire des choses. Un autre venait confirmer ce qu'avait dit le precedent, et encore completer : qu'il a fait comme ~a, qu'il a nssassine soo frere, qu'il a tue sa femme, qu'il a tue son enfant, que son enfant l'a tue, et ainsi de suite. C'etait un debaUage tres contradictoire. Qa faisait rire les,gens. Vous voyez un grand type comme ~a: "C'est toi qui as tue ta 11 lcmme ?11 Et H t1cccp1c: M11femme, ou mon voisin, filche je l'ai tue. Fäche j'ai fall cecl, fOcll~l'nlvlol(I lu lcmme de ... " C'etalt une rn~lee confuse ! /J

eux aussi s'engager avec le regime », dklare Ahidjo Je 26 noOt 1965 devant tes responsables du maintien de !'ordre au Cameroun, au cours d'une reunion organisee aJa presidence 12• Avant d'ajouter: « Jusqu'a present, le parti n'a pas participe autant qu'il l'aurait pu et du a Lalutte contre Ja rebelllon.11 convient maintenant d'engager veritablement l'UC dans l'action. » De fa~on significative, Ahidjo justifie Ja jonction des forces en renvoyant ses subordonnes ... a l'organisation de I' ALNK:« n y a, dans Ja rebellion, des organisations politicoadministratives quJ sont a la fois, comme Ieur nom l'indique, l'organisation politique et administrative de la rebellion. Ces organisations obeissent toutes aun meme chef, Ouanctie Emest. Ce que Ies Camerounais de la rebellion ont realise doit aussi etre possible dans Ie pays legal. Administration et parti doi• vent collaborer et non passe concurrencer 13• >>Cette collaboration passe, d'une part, par la participation active des militaües aux activites du parti, auquel les fonctionnaires sont desormais obliges d'adherer; et, d'autre part, par la transformation du parti lui-meme en organisation paramilitaire. La structure qui permet d'impliquer plus fermement le parti dans la lutte contre Ja subversion est celle des « comites de vigilance », mis en place fia aout 1965 14 • Constitues ii chacun des echelons du parti - du comite de base, au niveau local, jusqu'a la direction, au niveau national-, ces nouveaux orga• nismes supervisent et contrölent deux autres nouveiles structures, l'une de « renseignements >>et l'autre « de protection et d'action », egalement placees ii tous les niveaux hierarchiques, selon une organisation pyramidale. Les structures de « vigilance-renseignements » sont, selon les instructions donnees par Ja direction du parti, des organismes secrets qui fonctionnent comme !es services de renseignements etatiques ou militaires. Les elements de chaque cellule de renseignements se connaissent entre eux, mais ignorent l'existence des autres cellules. Ils collectent les renseignements aupres des populations et aupres des militants, qui ont « pour devoir de renseigner Je parti ». Ces renseignements sont ensuite transmis a travers Ja hierarcWe du parti, gui dispose ii differents echelons de bureaux de renseignement, lesquels « agissent comme de veritables "2e bureaux" au sens militaire de l'expression >> et,< sont charges de recevoir, analyser, recouper, exploiter les renseignements, manipuler et instruire les agents ». Un « bureau de renseignement » central pilote cette Werarchie parallele et invisible. Les structures « de protection et d'action » sont plus visibles. n s'agit - toujours selon les termes de Ja direction - de « formations paramilitaires chargees de participer au nom du parti aux missions de defense interieure et exterieure du pays ainsi gu'aux missions de defense du regime ». En d'autres termes : des milices chargees de l'autodefense et des actions de choc. Ces milices, est-il specifie, doivent participer « comme auxfllalres des forces de I'ordre » ii la lutte contre la rebellion dans les « zoncs troublecs )1 et proceder ä Ja chasse de tout ce qui apparait comrnc « subvcrstf • Clon~lcs Autrcs reglons.



Ces groupe:, tt de pmlrt l hHI et d'uctlon » ont « unc structure et une formal Ion de type mllltdlrc • et ~ont conseilles par « une autorite militaire specialement design~c ä cct cffe~ (officier ou sous-officier du sous-quartier, du quartier, du sccteur, du commandement de l'armee ou du ministere) >>.Orga• nlses en « escouades » et en « sections » (et en « compagnies » dans les grandes localltes), lls se voient fournir, « en fonction des disponibilites, un equJpe• ment et un arrnement », rer;:olventLeursord.res « du responsable "vigilance" de l'echelon auxquels ils sont constitues et suivent « uo programme d'instruction [... ] sous la direction de leur conseiller militaire ». Ainsi se deploient ces nouveaux organismes de« vigilance » du parti, fonctionnant sur un mode ultracentralise et sur Je schema classique de la defense en surface, selon lequel des groupes, plus ou moins dormants, peuvent emerger de partout et de nulle part pour « retablir !'ordre». Ces organes de « vigilance » ne visent pas seulement les ennemis exterieurs au parti et au regime. lls ont aussi, et surtout, pour vocation de surveiller leurs ennemis Interieurs. Cette mission de surveillance interne est d'ailleu.rs specifiee noir sur blanc dans les instructions transmises aux « comite de vigilance ». Les cellules de « vigilance-renseignements » du parti ne sont pas seulement chargees du « contröle de l'activite des militants », est-il explique, elles doivent aussi depister les ) pour ecarter les jeunes chömeurs de la « contamination revolutionnaire » en les eloignant des villes et en Jes assignant aun travail obligatoire et rigoureusement encadre 26• Mais le projet, irrealiste, fut rapidement abandonne : Je budget qu'il devait absorber etait incompatible avec les imperatifs securitaires plus immediats 27 . En 1965, pres d'un quart du budget total du Cameroun - auquel il faut ajouter une part importante de l'aide de la France 28 - reste consacre aux depenses strictement militaires 29 ... C'est dans ce contexte, alors que la resistance d'Ernest Ouandie est de plus en plus isolee et qu'il devient urgent de penser au reclassement d'une partie du dispositif securitaire, que fusionnent progressivement !es imperatifs securitaire et economique, dans une sorte de militarisation de l'econornie. Le colonel Jean-Victor Blanc, convaincu de l'importance de la dimension « socioeconomique » de la pacification, semble avoir ete un des principaux artisans de cette politique•. Le Genie militaire, constitue a partir d'aoO.t 1962, voit son röte se renforcer: les ponts, les routes, les pistes qu'il amenage servent simultanement a faciliter la penetration des « zones troublees » par les forces de !'ordre et a faciliter la circulation des marchandises, pour la plupart destinees a l'exportation 30 • La Garde civique, dont une part croissante doit etre reconvertie, commence egalement ä voir son röle s'orienter vers la production economique, dans le cadre notamment de la perennisation des « camps de regroupement » (voir chapitre 29). Impossible d'evoquer la militarisation de l'economie camerounaise et le reclassement des forces de !'ordre dans le processus productif sans mentionner le röle de la cooperation israelienne. Depuis le debut des annees 1960,

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Selon le general Semengue, le coJooel Blanc aurait ete reverse (sans deute en l 966) du ministere des Forces annees camerounaises au mln.lstere (camerotu1als) de 1'('.conomie et du Plan, Information que nous n'avons pu verlfler (entretlen des autcurs avec lc gfofrul Sernengue, Yaounde, 21 döccrnbre 2007}.

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Je gouvcrncrucot lsrncllcn developpe en effet d'ambilieux programmes d'aide militaire, agrlcole et eclucative, les trols domaines etant con~us comme complementaires, en direction des pays d'Afrique subsaharienne. Au Niger, par exemple, les lsraeliens s'occupent de la reconversion des soldats liberes de l'armee fran~aise et revenant d' Algerie 31• En Cöte-d'fvoire, apartir de 1961, les memes lsraeliens installent un cen tre de formation de cadres et des fermespilotes, et supervisent la mise en place d'un « service civique national » 32 • En Republique centrafricaine, des organisations de jeunesse et, au Ghana, des chantiers de pionniers sont mis sur pied sous supervision israelienne 33 . Dans tous !es cas, c'est le modele israelien d'organisation de la jeuoesse qui s'impose, en s'inspirant de deux structures: les Gadna, d'une part, « bataillons de jeunesse » qui permettent l'encadrement des jeunes des deux sexes, de 14 a 18 ans, en leur proposant des marches, des discussions, des actlvites culturelles et des travaux physiques dans un esprit paramilitaire; et les Nahal, d'autre part, qui regroupent !es jeunes adultes, hornmes et femmes toujours, pour des formations militaires et la creation de communautes agricoles pionnieres dans des regions encore sous-exploitees 34 • Pour les Israeliens, comme le releve en 1971 un article sur la cooperation militaire israelienne en Afrique, « l'armee peut jouer un röte constructif dans la sphere non militaire, par exemple pour l'amenagement agricole, Ja sante publique, Ja construction de routes et differents aspects de la formation de la jeunesse, dans le but notarrunent de soulager Je chömage urbain 35 ». Dans les deux cas, israelien et camerounais, l'armee constitue donc une Institution centrale de construction de la nation par la repression d'un ennemi interieur anticoloniaUste. Lorsque le colonel israelien J. Amihai, conseiller technique itinerant pour les questions de formation des cadres et de la jeunesse, rend visite au ministere des Forces armees camerounaises en juin 1962, les autorites de Yaounde, constatant que les programmes qu'il propose correspondent en taut point a leurs attentes, tombent sous 1e charme. Les militaires de la Mission militaire fran~aise au Cameroun voient egalement beaucoup d'avantages dans les projets israeliens et trop de desavantages a ne pas y participer: « II parait certain que Je gouvernement camerounais songe a creer un service civique avec ou sans la participatlon de la France, note le colonel Blanc. L'absence de la France dans ce domaine nuirait a notre prestige 3 6a. »

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Sur cette thematique, on lira avec interet l'lnterventlon de Mehdl ßen Backalors d'un colloque sur la Palestine organise au Caire en avrll 196S. Le leader rnarocain y revela par exemplc cet.te analyse, fonnulee en 1962 par l'anciea Haut Commissaire de la France au Cameroun Roland rre, alors president du Bureau de recherches geologi.que et minleres (RRGM) et por1lsan lncondltionnel du soutlen de Ja France ä lsrai!l : • Nous devons conslderer lsro!!Icommu lc rcmpln,ant de l'Occldent dans les reglons qui s'en sont detournees. Nous dcvQM volr 1111l~wi:1un outll de pfoetrallon de l'influencc de i'Occldent dans h!S poy, so11~ c.J~y111111'(II', d'Al1lql1C~, cl'A~tc.c·e~l prccts6mcnt pour ccla quc nous dcvons

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Ainsise nouent !es relalions israelo-camerounalscs.EH~~scront lntenscs. Des le mois suivant, des experts israellens arrivent ä Yaound~et jcttent des plans pour la creation d'organisations - des« bataillons de jeunesse„ pour les 12-18 ans et des « mouvements de jeunesse pionniere » pour les plus de 18 ans - permettant, selon !es cooperants militaires fran\'.ais,1'«orientation des jeunes gens vers une vie de travail createur dans le cadre des activites du gouvernement camerounais (creation de villagescooperatifs et introduction de Ja cooperation dans le travail) 37 ». Quelques mois apres la signature des premiers accords de cooperation israelo-camerounais, en octobre 1962, et quelques semaines apres la vlsite d'Ahidjo en Israel, en mai 1963, le ministre de l'Agriculture israelien, Moshe Dayan, en tournee en Afrique, fait un passage par Yaounde. En aout 1963, Ahidjo publie un decret creant des mouvements « de jeunesse nationale et pionniere » et « de jeunesse et d'education populaire » 38 • Des Camerounais commencent a etre envoyes en Israel. C'est le cas, en aout 1964, de l'inspecteur de la Garde civique Gregoire Momo (voir chapitre 29), qui part en formation a l'lnstitut afro-asiatiquedes etudes cooperatives et du travail, a Tel-Aviv39". Et blentöt des projets se concretisent : en 1966, des « villagespionniers » sont lnstalles a Minkama (Obala),au nord de Yaounde, et a Pitoa (Garoua),dans la partie septentrionaJe du pays. Le discours d'Ahidjo a l'occasion de l'inauguration, en janvier 1967, de ce second vilJageresume, dans un condense fulgurant, la philosophle de son regime. Apresavoir chaleureusement remercle !es experts israeliens, qui font profiter le Cameroun des experiences des kibboutz et de leur savoir-faireen matiere de colonisation agricole, il explique : « Nous voulons que nos villages pionniers, symboles prospectifs des villages camerounais de demain, soient !es centres ou les jeunes, ou, par-dela !es jeunes, !es ruraux, se forment a la mystique du developpement, Ollse preparent I'evolution de la psychoJogieet de Ja mentalite de l'agricuJteur,celle des structures sociales et des habitudes familiaJesparfois peu propices au progres, Oll Je circuit d'autosubsistance est depasse, Oll on se situe resolument dans une perspective de rendement, de rentabilite, de productivite et ou Je desir, d'aiUeurs fort louable, du profit n'ecarte pas Ja cooperation, le sens communautalre, le sens du servicecivique et de la solidarite. j ... ]Jeunesse engagee, jeunesse encadree, jeunessetrempee ä l'ideologiedu parti pJa~nt le developpement, la constructlon nationale au creur de son programme,c'est eile qui doit etre l'apOtrede cette mutation psychologique du retour a la terre, de J'amour du travail; c'est eile qui doit la

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demander l'adheslon d'lsralH au Marchc commu.n • (• Lc röle d'lsral'l en Afrlquc •, /11 Mehdl BENBARKA, &rlts polltlq111'S 1957-1965, Syllepse, Paris, 1999, p. 205). En 1970, la rcvuc culturellc marocalnc So11fl7('s consld~re cet lnslltut comme unc succursalc lndlrcctc de la CIA, via lc wndlcal AH..-CIO>, « cooperatives » et autres « assodations » (de football, de couture, de parents d'eleves, de danse folklorique, etc.). Autant de structures auxquelles s'ajoutent les inevitables hierarchies de l'UNC et de ses organisations de jeunesse OesJUNC) et de femmes (l'OFUNC). Le tout etant anime par d'actifs « responsables de Ja propagande )) derriere lesquels !es pionniers defilent au pas militaire en entonnant machinalement les refrains a Ja gloire d'Ahidjo: « Vive, vive Je president Ahmadou Ahidjo l/Cameroun mon pays/Nous voulons que tu deviennes plus grand/C'est pourquoi nous voulons travailler/Pour que tu deviennes plus developpe 47 • » Ces « villages pionniers », comme du reste l'ensemble de la politique de « developpement » du regime Ahidjo, aboutiront a de pletres resultats -Jean-Fran~ois Medard parle de« succes en trampe l'reil 48 »b. S'appuyant

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Jean-Claude Barbier donne la composition • ethnique » des colons, rres majorltairement • bamileke»: 96 %en 1965-1966, 93% en 1966-1967, 90,5 %en 1967-1968, 81 %en 1968-1969, 75%en 1969-1970.

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Meme en termes securttalres, les resultats de J'operation Yabassi-ßafang sont mediocres. Pou.r preuve, ce • BlLlletln de renseignements » du colonel franr;ais Guy Vamey, le 23 juln 1969: "Les forces de !'ordre, mettant en ligne [en novembre 1968] plus de 3 000 hommes dans Ja reglon sud de Bafang, daas le but d'assainir !es abords de Ja future route YabasslBafang et de tenter la destruction du Comlte Revolutionnaire d'Ernest Ouandle, n'ont obtenu aucun resultat positif • (SHAT 10T636). Clnq mols plus tard, cet ex-lnstructeur ä l'Ecole superteure de guerre s'inqulete du manque d'cnergie du gouvernement carnerounais ä l'egard de I'• expansion bami.leke •: « L'ouverture de nouvelles terres de colonisation dans la zone Yabassl-Bafang est certes un essal pour canallser cette expansion, mais cette operatlon n'est que marginale au regard du flux ä absorber. En Falt, les ßamileke semblent avoir vocatlon de se repandre partout. Pour J1 lns1:a,1t,la conquetc lslcldes grandes vllles constltue la poussee la plus spectaculaire et en parllcullcr Om.rnlu et Ynounde, outerrains, lmmeubles, petits commerces, moyens de trnnsporl pu,~1:nt p11uö peu dons leurs malns. Mals cl~läleur pr€lsence est sens.lble clans quolqtic, \/tll1•,lhl l'/\\1.lllHIOUII t'l du Nord, nvcc 111 mOmc pr&lllcctlo11 Cl'(tCt1vlt6.I-I 9(,1))

n'apparllcut b personne, cxpllque aujourd'hul Massaga.lls lle MPLAIne peuvent pas m'lntcrdire de m'instaJlerla, ce n'est pas leur territoire.Ce n'est pas le territoire congolals non plus. Evidemment, Je Congo peut nous bloquer. Mais c'est pour cette raison que je dis: plutöt que d'envoyer des gens s'installer aux frontieres lcamerounaises], je vais me mettre la, creer d'abord une force, et seulement ensuite monter aux frontieres. [...] L'activite est restee tres secrete, jusque vers Ja periode de retour au pays39• » C'est donc dans la clandestinlte que Ja petite centaine de combattants de Massagas'entrainent a la frontiere du Cabinda (au sud de Loubomo), dans cette zone lnstable que se disputent les Portugais, d'une part, et les Angolais du MPLAet Ieu.rsallies cubaJns, d'autre part. Dans Je camp d'entra1nement, l'ambiance est d'abord mauvaise, les combattants se pJaignant de l'autoritarisme de leur chef et de l'amateu.rismede Jeurs instructeurs 40• Mais la situation s'ameliore lorsque les formateurs cubains du MPLAacceptent de prendre les Carnerounais sous leur aile. Ils structu.rent!es petites troupes de Massaga et leur fournlssent unsolide equipement militaire, sans doute le meilleur dont ait jamais beneficie l'insurrection carnerounaise, interieure Oll exterieu.re,en dix ans d'activite. Armee de kalachnikovs et de bazookas,Ja troupe de Massaga se baptise « colonne Ruben Um Nyobe ». L'espoir renait. « La colonne, ainsi bien entra1nee, restructuree et bien equipee, est en pleine forme, se souviennent deux combattants. Les troupes sont mises en etat d'alerte. Les combattants attendent avec nervosite le mot d'ordre de depart. Tous revent les premiers affrontements 41 • » La colonne Ruben Um Nyobe se dJrigedonc vers Je nord du Congo a Ja fin de J'annee 1967. Escortee par Jes Cubains, cette traversee se heurte en revanche a Ja determination des autorites congolaises, qui tiennent a eviter toute frictlon avec Yaounde. Arrivesa Ouesso, les rebelles karnerunais re~oivent merne Ja visite d'un gouverneur congolais, venu d'urgence en helicoptere, qui exige qu'ils rebroussent chemin. La troupe de Massaga,refusant de se soumettre, poursuit son chemin et penetre en territoire camerounais. Mals, rapidement reperee par les services d'Ahidjo, elle doit essuyer, debut decembre 1967, Ja contre-offensivede l'armee camerounaise. Laquelle ne se contente pas de les refouler hors du pays mais penetre en territoire congolais pour prendre Jesrebellesa revers et mettre la pression sur les autorites congoJaises,accuseesde soutenir la subversion kamerunaise. Bienqu'une poignee de ses partisans parvlennent as'infilt.rerun peu plus en territoire camerounais, en direction de Djoum, Lasituation de Massagase deteriore rapidement. Non seulement Legros de sa troupe doit se replier sur Brazzaville,mais les autorites congolaJses acceptent d'ouvrir des negociations avec le gouvernement d'Ahidjo pour regler Je probleme de la rebeHion kamerunoi~c.Pour ne rien arranger, MassambaDebat est renverse pa.run coup d'Etat mlllWll'C, cn no0t 1968, et remplace par un nouveau regime dirige par

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Marien Ngouabl. S'il se dlt .lui aussi « revolutionnaire ">11 cc dernlcr se montrc encore plus hostile que son predecesseur a l'egard cles avcnturiers kamerunais. Alors que le detachement du deuxieme front reste en territoire camerounais tente une ultime offensive, ä Djoum en juillet 1969, le nouveau gouvernement de BrazzaviUe signe avec celui de Yaounde un accord destine ä mettre fin aux agissements des upecistes sur son sol. Conformement ä la Charte de l'OUA, U s'engage ä interdire toute activite des « subversifs » au Conga, a expulser tous ceux d'entre eux qui ont participe ä des« agressions » contre le Cameroun et ä renforcer les operations de « ratissage » ä la frontiere entre les deux pays 42 . Pour les combattants du deuxieme front, c'est le coup de gräce. « Une guerilla qui n'a pas d'arriere, pas de logistique, pas de ravitaillement en armes, c'est une guerilla qui est etouffee, conclut aujourd'hui Samuel Zeze. C'est ce qui nous a reellement brises: le parti congolais n'a pas tenu ses engagements. 11snous ont läches 43 • » Pendant que le detachement reste au Cameroun sous la direction de Samson Monjengue, isole de sa base arriere congolaise, est balaye aDjoum par les militaires camerounais, les upecistes replies sur Brazzaville sont expulses un ä un par les autorites congolalses. Woungly-Massaga s'envole pour Cuba, Samuel Zeze se retrouve bientöt en France, d'autres rejoignent l'Allemagne ou l'Algerie. C'est la dispersion finale. Et l'abandon definitif de toute tentative de renversement militaire d' Ahidjo.

Ahidjo,mal-ai-tne de1aFranfafrique? S'il triomphe assez aisement des upecistes exiles, Je regime de Yaounde s'inquiete de plus en plus de la politique de la France en Afrique centrale. EbranJe par Ja passivite de Paris a I'egard de Fulbert Youlou en 1963, Ahidjo ne semble pas pour autant rassure par Je retablissement de Leon M'Ba apres Je coup d'Etat manque des milltaires gabonais en 1964. Certes, Ja France soutient fermement son regime et l'encadre toujours dans sa Jutte contre la subversion interieure. Mais Je dictateur camerounais se sent mal a l'aise, de plus en plus suspicieux a l'egard de ses parrains franr;ais, et jalouse ceux de ses homologues africalns qul rer;olvent plus de publicite que lui dans la presse franr;aise et plus d'attention de la part de Paris. De plus en plus paranoi'aque, Ahidjo s'interroge : la France serait-elle en train de Je Iächer ? De retour d'un voyage en Afrique de l'Ouest debut 1967, Ahidjo se confie a l'ambassadeur de France ä Yaounde, Francis Hure. « On me dit que son entourage aurait ete surpris du silence de Ja presse franr;aise a l'egard de son voyage, rapporte alors l'ambassadeur il sa hlerarchie. On ne manque pas d'ajouter qu'en contrepartie les deplacements de M. Senghor, ou d'autres chefs d'Etat africains, donnent normalement lieu il de nombreux

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comrnc11tal1'c~.Je nc suls pas etonne de ces remarques. On a toujours tendance ici ä sc crolre mal aime. Je sais d'ailleurs, et je ferai constater, que le service Afrique de l'AFPa ete genereux. Mais peut-etre le departement pourrait-11 suggerer a quelques journaux de rediger un editorial retrospectif sur Je sujet, s'ils veulent bien s'y preter 44.» Si Ah.ldjo se sent mal alme, c'est que la France, en ces annees 1966-1967, semble jouer systematiquement contre Ies interets de Yaounde. S'ajoutant ä l'affaire congolaise, vecue comme un coup de poignard dans Je dos, la guerre du Biafra sonne comme un nouvel affront pour Ahidjo. A partir de 1966, Jacques Foccart encourage en effet le lieutenant-colonel Ojukwu, responsable militaire de Ja region orientale du Nigeria, frontaliere du Cameroun, il faire secession avec le regime de Lagos. Objectif : affaiblir Je Nigeria, puissance anglophone et poids lourd de la zone•, et placer les immenses ressources petrolieres de la region sous influence franr;aise 45• En secret, il envole au Nigeria le responsable du SDECE pour I' Afrique, Maurice Robert, pour prendre contact avec Ojukwu. Il mobilise Je nouvel ambassadeur de France au Gabon, Maurice Delauoey, oomme par ses soins quelques mois plus töt, et une serie de barbouzes et de mercenaires revenus des guerres coloniaJes et des operations secretes au Katanga 46 • Et il organise, des les mois precedant Ja prodamation de l'independance de la « Republique du Biafra», un pont aerien entre le Gabon et le Nigeria pour livrer des armes aux secessionnistesb. L'aide de Foccart et de ses hommes aux rebelles biafrais a tout pour indisposer Ahidjo. Sur Je plan exterieur, Yaounde pourrait certes tiier queJque profit de I'aventure biafraise et du morcellement de son puissant voisin nigerian. On se prend par exemple a rever de l'eventuel retour de I'ex-Cameroon septentrional dans le giron camerounais. Mais, sur le plan Interieur et en matiere de propagande, l'engagement de la France en faveur d'Ojukwu prend Ahidjo ä contre-pied. Alo.rsqu'il ne cesse de vanter l'unite nationale et Ja stabilite politique du Cameroun, alors qu'il s'est fait le champion de l'intangibilite des frontieres coloniales en Afrique et qu'il mene une h1tte obsessionnelle

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Le mlnistre des Armees de J'epoque, Pierre Messmer, toujours en premiere ligne, revendlquera son röte et ajoutera une justlficatton a cette sanglante operation fran~alse : la vengeance. • Je ne pardonnerai pas [au Nigeria] son attitude apres nos tirs n uclealres ä Regga.ne.>,a la domination des nordistes musulmans incamee par le general Gowon, chef de !'Etat nigerian. En somme, Foccart suscite et soutient de l'autre cöte de Ja frontiere ce qu'Ahldjo denonce et combat sur son propre territoire. Hostile a la secession biafraise pour des raisons Interieures, mais totaJement dependant de Paris sur le plan exterieur, le president camerounais menage Ja chevre et Je chou. S'il suit officiellement la majorite des membres de l'OUA, favorables au gouvernement federaJ de Lagos, il observera en fait pendant les trois annees que durera Je conflit une neutralite bienveillante a l'egard des independantistes biafrais. « Les grandes entites sont vouees au morceHement, explique-t-il, conciliant, a l'ambassadeur Hure. Lorsque !es limites sont trop vastes et le peuplement trop dense, l'autorite centrale ne s'exerce plus. Les interets sont trop diversifies, les ethnies trop lointaines et les mouvements centrifuges sont irreversibles 47 • » Toutefois, coince par Ja situation geographique et par l'histoire politique de son pays, Ahidjo ne s'engagera pas dans un soutien actif, militaire et financier, aux Biafrais, contrairement a Felix Houphouet-Boigny, indeboulonnable president ivoirien et acteur central du drame biafrais, et au jeune Albert-Bernard Bongo, qui succede aLeon M'Ba a Lapresldence gabonaise eo decembre 1967. II acceptera cependant sans broncher de voir les mercenaires de Foccart survoler illegalement son territoire 48 pour livrer quotidiennement armes et assistance aux forces d'Ojukwu, sous couvert d'une aide humanitaire, et attiser ainsi a sa frontiere une des guerres les plus cyniques et les plus meurtrieres qu'ait connues le contlnent africain au cours des annees 1960 49• Se sentant snobe par Ja presse fran~aise, inqu1et de l'ambiance revolutionnaire qui regne aBrazzaville et destabilise par le soutien fran~ais aux Biafrais, Ahidjo commence aregarder ses parrains fran~ais avec suspicion•. Et va a

Bien des annees plus tard, observant retrospectlvement la politlque africalne de la France ä cette periode, en particulier au Congo-Brazzaville et au Nigeria, certains dignitaires du regime camerounals, gagnes par la paranoYa regnant dans les mllleux polltiques locaux, verseront dans la theor.ie du complot. Dans une interview non datee et publiee apres sa dernission en 1982, Ahidjo lui-merne accusera la France d'avolr soutenu, ä certains moments, la rebelllon ä l'lnte.rieur du Cameroun (Henrl BANDOLO, La Flammeet la F11mee, op. dt., p. 403-404). La meme accusatlon sera plus tard reprise par le mlnlstre des forces armees Sadou Daoudou, qul reproche.ra nommement ä un mllltalre franr;als d'avolr alde les hommes de Woungly-Massaga lors de l'attaque de ces dernlers a la frontt~re su>

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Cette declaratlon privee dolt bteo etre lnterpretec comme un avertlssement. L'annee suivante, le 8 mal 1969, lors d'une conference de presse, Ahldjo rapporte longuement cette di.scussion qu'il a eue avec un • ambassa•mis en place par le pouvoir ne rencontrent que Je mepris des populations. Au risque d'etre severement reprimes, les plus temeraires inscrivent des slogans hostiles au pouvoir sur les murs des grandes villes 4 • Assujettis, !es Camerounais refusent J'aneantissement. Une attitude d'autant plus lntolerable pour Ahidjo que se preparent les elections presidentielle et legislatives qui se tiendront respectivement les 28 mars et 7 juin 1970. La revolte prend des formes inedites. Conscient de l'importance que le regime accorde aux « elections », l'intelJectuel Abel Eylnga, refugie en France, lance sa candidature a Ja presidentielle de mars 1970 pour bien montrer ä l'opinion internationale Ja mascarade que constituent les « triomphes electoraux » systematiques du dictateur camerounais. Cette candidature symbolique luj attirera de multiples tracasseries causees par Paris, une campagne de calomnie orchestree par Yaounde et une condamnation par contumace acinq ans de prison 5•..

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Preuve de la cralnte que cette rebellion, meme affalblie, conönue d'insplrer au pouvolr, la famille d'Emest Ouandie est harceiee par le commissaire de police et chef des BMM de Bc1foussam,qui soumet Je frerc, lc neveu et la belie-sowr d'Ouandle i\ un • interrogatolre approfondi ~ (Leltrc du chcf ucin llMM de 0afoussam au chef de la ßMM de Bnfang, 8 mal i.968;APO IM71l).

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LtJc1111/) fltwl: l 'alfi1l1t.: Nd(J11SIII0•011w1,IM ( 1970-1!J7L)

Plus ~tonnonLeencore, quoique de nature fort differente, est l'agitation organisee par un ancien gendarme, Bou.kar Batinda, dans le nord du Cameroun, au ca!ur du fief d'Ahmadou Ahidjo, dans les mois qui precedent les echeances electorales. Ulcere par le nepotisme et l'autoritarisme du regime, Boukar prend les armes. A la tete d'une petite bande de desperados, il attaque la gendarmerie de Maroua, qu'il connait parfaitement pour y avoir travaille dans les annees precedentes, et derobe armes et munitions. Ainsi equipe, il ranr;onne les hommes d'affaires de la region et partage son butin ... avec les personnes ägees ! « Longtemps introuvable, arrete puls evade, aureole de prestige et de mystere, ayant a son actif quelques operations dignes de la meilleure tradition du brigandage 6 », Boukar est arrete en juin 1970 et execute trols mois plus tard 7• Rarement aussi spectaculaire, la fronde passe le plus souvent par une strategie de fuite. C'est ainsi que l'on peut expliquer Je succes des mouvements religieux ou parareligieux. Alors que le parti et ses organismes paralleles peinent ä susciter une adhesion sincere, les mouvements religieux attirent un nombre croissa.nt de Camerounais, qui y trouvent un refuge contre les agressions du pouvoir. C'est dans ce contexte que les autorites engagent un bras de fer contre les Temoins de Jehovah. Le mouvement, qui compte quelque 50 000 adeptes dans le pays ä la fin des annees 1960 et connait alors une forte expansion, deplatt fortement au regime 8 . Outre qu'lls offrent un cadre de socialisation et de croyance alternatif a celui qu'impose l'UNC, !es Temoins de Jehovah ont cette autre particularite de pröner l'abstention aux elections. Pour ces deux ralsons, ils sont decrits comme hautement subversils par !es autorites. « [Cette secte] est devenue, ä l'interieur de nos frontieres, le refuge de tous ceux qui s'opposent anos institutions », expLique-t-on en haut lieu 9• Dejä tres surveilles du temps du Haut Cornmissaire Roland Pre, qui !es considerait comme des crypto-upecistes 10, les Temoins de Jehovah sont soumis aune tres forte pression au moment des elections de 1970. Ayant pour beaucoup refuse, maigre la brutalite dont ils sont la cible, de se rendre aux urnes, Ahidjo fa.it interdire le mouvement sous pretexte qu'il est « utilise comme couverture pa.r les mouvements subversifs diriges par l'etranger » et qu'il rnene des « campagnes organisees de diffamation et de denigrement contre !es institutions que Je peuple du Cameroun a librement adoptees >) u. Un nombre indetermine de Temoins de Jehovah sont arretes, sauvagement. « Des femmes ont ete tratnees nues sur le ciment apres avoir ete battues jusqu'au sang, temoigne l'organe mondial de l'organisation publie a New York. En l'absence de toilettes et en attendant d'etre entassees dans des camions pour etre expediees aSangmelima, elles ont ete forcees, pendant huit jours, de faire leurs besoins sur le ciment des cellules ou elles etaient enfcrm(c~ L'Ith.•vlvrc ainsi ä cöte de leurs matieres fecales 12• »

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Les organisations chretiennes, protestantes et catl101Jques, connaissent elles aussi un succes croissant. EJJesrepresentent un refuge d'autant plus precieux pour les popuJations qu'elles sont en quelque sorte protegees par leur stahlt transnationaJ. AJors que Ja gauche frarn;aise a abandonne ses allies camerounais au debut des annees 1960 et a laisse la gauche liberale camerounaise se faire absorber - et reprimer - par Je parti unique (voir chapitre 27), Ahidjo sait qu'une operation similaire est plus delicate avec les milieux chretiens. La politique du president, musuJman Jui-meme et affichant haut sa « larcite », est observee de tres pres par les organisations chretiennes d'Europe qui tiennent a sauvegarder 1'«reuvre d'evangelisation realisee au Cameroun dans Ja periode coloniale. En 1968, le regime a ainsi engage une batame contre les Eglises a propos de l'enseignement prive, domaine particulierement sensible quand on connait les efforts du pouvoir pour diriger !es consciences de ses administres, jeunes et moins jeunes. Considerant la persistance d'ecoles privees religieuses comme une dangereuse concurrence, l'aile dure du parti, Moussa Yaya et Samuel Kame en tete, fait pression pour nationaliser l'enseignement chretien. Malgre les fortes tensions creees entre !'Etat et les Eglises, la bataille scolaire se regle finalement par un compromis 13• Dans ce contexte de rivalite, explique Jean-Fran~ois Bayart, !es EgJises deviennent des« zones d'autonomie, voire de liberte » pour une part grandissante de la popuJation. « Le confüt Eglises-Etat, poursuit le chercheur, a souvent servi de Jangage a un antagonisme purement politique et, a bien des egards, Je christianisme est J'heritier de l'ancienne gauche liberale, ecartelee et dissoute. La defense des libertes religieuses et clericaJes a toujours ete significativement associee (ffit-ce d'une maniere latente) a celle des autres libertes fondamentales 14.» >)

L'etomiantMgrAlbertNdongmo Si Jes protestants continuent d'irriter le pouvoir, notamment les editions du Centre de litterature evangelique (CLE)accusees de diffuser de la Htterature «subversive» (voir chapitre 30), c'est du cöte des catholiques que semble emaner Ja principale menace depuis Je milleu des annees 1960. La haute hierarchie catholique camerounaise est en fait divisee. L'archeveque de Yaounde, Mgr Jean Zoa, qui s'etait eleve contre le regime au moment de l'affaire du « train de Ja mort » en 1962 (voir chapitre 26), semble revenu ade meilleurs sentiments a l'egard du pouvoir. Affirmant que l'Eglise n'a pas a interferer dans la vie politique, il est le principal a(tisan du compromls trouve avec le pouvoir sur la questlon scolaire. Mais,ou momcnt men,cot)Mgr Zoas'assaglt,

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un autrc pr~lot ,cn1blcvoulolr prendre la releve de la contestation: Mgr Albert Ndongmo. 15 « Hornme multiple, tentaculaire et enthousiaste », Albert Ndongmo est un personnage enigrnatique, dont le positionnement poUtique et religieux n'est pas toujours tadle a cerner. Originaire de l'Ouest, Ndongrno est ordonne pretre en 1955. 11est d'abord affecte a Baham (Ouest), puis a Nkongsamba (Mungo) en 1959. Charge de la jeunesse par !'Action catholique, il cree dans cette derniere locaJite un journal, L'Essordes jeunes, qui prend, autant que faire se peut dans Je climat de censure et d'intimidation permanentes, des accents protestataires. Ndongmo n'hesite pas, dans des tribunes enflammees, a prendre vertement a parti Ahidjo et son entourage (voir chapitre 26). « L'Etat croit que nous devons precher un christianisme desincarne, pader du Ciel, des anges, sans toucher !es reaUtesvitales de chaque jour, justifle-t-U par exemple dans le quotidien catholique fran~ais La Croixen 1963. Or l'Evangile du Christ n'est pas une theorie, mais une vie. II s'insere dans taute la vie de 16 l'homme, engage dans la farnille, Ja politique, Ja profession et Je syndicat • Genant pour le pouvoir, ce pretre contestataire est pourtant nomme en aofit 1964 eveque de Nkongsamba, au creur d'une des regions les plus troublees du pays. Ndongmo ne tarde pas a ti rer parti de la nouvelle tribune qui Jul est offerte. Ses preches, qui attirent chaque dimanche une foule considerable dans la cathedraJe de Nkongsamba, sonnent chaque fois comme un defi lance aux apparatchiks du regime Ahidjo. S'il prend garde de ne pas attaquer frontalement le president, il ne se gene pas pour denoncer Ja corruption, Ja brutallte et l'incompetence de ses collaborateurs. « Au Cameroun, expJique-t-il par exemple, tout le monde est unanime pour reconnaitre que Je president Abidjo est bon et que c'est son entourage qui est mauvais. 11suffit qu'il nettoie son entourage 17• Confronte aux ambigu"ites dialectiques du nouvel eveque, le pouvoir cherche dans un premier temps atirer profit de Ja situation et a utiliser Je prelat pour pacifier Ja region. N'a-t-il pas affirme lui-meme, haut et fort, lorsqu'il a ete ordonne eveque, sa volonte d'amener la « paix » dans la region? Felix SabaJ Lecco, nomme prefot du Mungo en juin 1964 et fervent catholique, tente donc, sur les injonctions d' Ahidjo, de fraterniser avec l'eveque. « II etait admirable, admire et craint par les popuJations, surtout Jes Bamileke, nous explique J'ancien prefet. Voila pourquoi j'avais tout fait pour avoir de bons rapports avec lui, dans Ja mesure ou il pouvait m'aider alutter contre Ja rebellion. Mgr Ndongmo et moi nous sommes donc entendus. On a commence a vivre en banne intelligence. Je lui faisais confiance, parce que je 18 sentais qu'il se rapprochait de moi et qu'il pouvait m'etre utile • » Emerge alors l'idee d'utlliser Mgr Ndongmo comme intermediaire avec Erhest Ouandie. En d'autres termes: de reediter ce qu'avait fait Pierre Messmer en 1957, lorsqu'II nvait tente d'utiliser Mgr Thomas Mongo comme intermediairc iwt•cll11l>1•11 Um Nyobe (voir chapitre 1.4). Bamileke et contestataire, )>

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Ndongmo apparait en effet comme un Instrument cr~dlblc pour appätcr lc president du Comite revolutionnaire. L'operation, longtemps restee secrctc, est semble-t-iJorganisee au cours de l'annee 1965 M_ Ndongmo se voit confier un laissez-passer,qui lui perrnet de circuler librement dans la region, et part a la rencontre d'Ouandie 20• Mais le stratageme imaglne par le gouvernement tourne au fiasco. Non seulement les negociations entre l'eveque et le chef revolutionnaire echouent, malgre la rencontre entre les deux hommes en 1966, mais i1 semble que le premier, pourtant missionne par les autorites, se soit en fait mis au servicedu second". Parallelement a cette tentative de negociation, connue slmplement a l'epoque par les plus hautes spheres de !'Etat camerounais et par les services de renseignements franc;ais,Ndongmo poursuit sa croisade contre le reglme. Au moment meme ou il est cense jouer Jes intermediaires avec le « camarade Emile », i1 multiplie les critiques contre le gouvernement. « Mgr Ndongmo s'est eleve en chaire contre la politique du gouvemement, note ainsi Je conseiller militaire de l'ambassade de Francefin juillet 1965. II est semble-t-il revenu sur ses declarations quelques jours apres. Mais cette affalrea provoque une certaine sensation dans la region [du Mungo] Oll le peuplement bamileke, etbnie a laqueUeappartiennent les prlncipaux chefs de la rebeUion et Mgr Ndongmo lui-meme, est tres largement implante. Le gouvemement etudie les mesures qu'il pourrait prendre a l'egard de l'eveque de Nkongsamba : ceUes-cis'averent evidemrnent tres delicates21• » Mgr Ndongmo, profitant de la protection que lui confere son statut d'eveque et de la mission secrete que lui a confiee la presidence, joue donc avec les nerfs des autorites. II n'hesite pas par exemple adenoncer publiquement les rnethodes de repressionet les techniques d'action psychologiqueutilisees par !es forces de !'ordre contre les populatlons. n va meme jusqu'a interdire atous !es catholiques de son diocesede pratiquer le rituel du« cadi » (voir chapitre 29) : « Si les autodtes administratives tiennent absolument a ce qu'un catbolique affirme solennellement sa non-appartenance au maquis, lance-t-ildans une directive distribuee a toute la hierarchie catholique de son diocese, voici la procedure a suivre : qu'en presence de son eure ce catholique prete serrnent sur l'Evangileou sur le crucifix.22 • "Ndongmo, en termes volles, ordonne donc purement et simplement la desobeissancecivile.

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Selon la version de Sabal Lecco recueilUe en 2007 (mais non averee), Ndongmo auralt meme donne son laissez-passer a Ouandle, permettant alnsl Ace demler de drculer llbrcment dans la zone, degu1se en prelat cathollque, en delouant la vlgllance des forccs de l'ordre (entretlcn des auteurs avec Felix Sabal Lecco, 6 deccmbre 2007). O'apres l'intcrrogatoire d'Ouandie apres son arrestatlon, celul-cl auralt eu des• contoct~ • avec Ndongmo en 1962, puls :'\deux reprlses en 1966, puls ä nouveau dcu"' loh cn 1970 (dnnexe III, 111 Paul-Valentin ~.MOG, Lt Portr11rrle comes,OfJ.clt., p. l 52).

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llamll~k~,l ,11llollquc intransigcant, lnstalle au creur de la region la plus troubl6c du Cnmcroun, 1'«eveque du tonnerre », comme on le sumomme, devient la nouvclle bete noire du reglme lorsque ce dernier comprend que Ndongrno n'a aucunement l'intentlon de ramener son "frere „ bamileke Ernest Ouandie dans le giron du regime. L'eveque subit alors une pression croissante de la part des autorites a la fln des annees 1960. Des arrestations sont tentees ä Nkongsamba par les services de securite, mais echouent en raison du soutien dont beneficie le prelat au Vatican et dans les populations locales 23 • De mauvaises langues font alors circuler la fausse rumeur selon laquelle le prelat, fort de sa popularite, voudrait se presenter al'election presidentielle de 1970. Outrage impensable dans un pays Oll personne n'est plus autorise acontester le chef de l'Etat ! L 'Essordesjeunes,l'un des seuls journaux se permettant encore de crttiquer le regime et devenu, pour cette raison, tres populaire dans l'ensemble du pays, est egalement la cible de multiples menaces. C'est en particulier une rubrique intitulee « Jean-Pierre et Lucas ont a dire » qui, mettant regulierement ä l'index le regime sous le couvert d'un dialogue imaginaire et apparemment nail entre deux anonymes, provoque l'ire des djgnitaires du regime 24• « Nous ecrivions avec beaucoup de difficultes, se souvient Celestin Lingo, alors redacteur en chef du joumaJ et proche collaborateur de Ndongmo. II fallait enrober de chocolat les critiques que nous devions faire 2s. » A la censure prealable, draconienne, qui frappe toute Ja presse, s'ajoute la saisie reguliere du joumal. Les manreuvres d'intimidation se font parfois plus directes encore. « Un jour, aJorsque je marchais dans la rue, raconte Celestin Lingo, une volture s'arrete acöte de moi : "C'est vous M. Llngo ? Je veux vous voir !" On m'embarque dans la voiture et on m'emmene ala BMM.» Dans les locaux de la police politique, le journaliste apprend l'objet du delit qui lui est impute: l'utilisation du verbe « tousser » dans un des dialogues entre« JeanPierre » et « Lucas». Ce terme etant interprete par la poUcepolitique comme un affront contre le chef de l'Etat dont les discours sont, de notoriete publique, ponctues par de legers raclements de gorge, Llngo passe vingtquatre heures en detention. « Mais c'etait vraiment parce que le journal etait lie a l'Eglise,precise-t-il.Autrement, [ils]auraient tout rnis afeu et ä sang. » A l'approche des elections de 1970, il existe donc du cöte de la presidence des hommes de l'ombre qui cherchent a convaincre Ahidjo d'en finir avec le geneur de Nkongsamba. Alorsque toutes les tentatives de destabilisation ont echoue, un bruit circule dans les milieux « bien informes » de Yaounde selon lequel le prelat cbercherait cette fois-ci nj plus ni moins ... ä faire assassiner le president ! On ignore dans quelles circonstances exactes emerge cette fumeuse rumeur. II semble cependant qu'il fallle Ja mettre en parallele avec l'arrestation, fin 1969, des principaux responsables d'une ctrangc n111111,1111 ( 11110 1!Jl 1)

bapll~öc MunHol'lu~tlqucet creee e11fevrier l969, ne fait pas appel ä Solicla-

rltc; clle cst d'nbord gercc par l'eveque lui-meme, grace ä des fonds camerounais et avcc une assistance technique tran~aise taut ce qu'il y a de plus officielle 37 • Soucieux de developper le tissu economique de son diocese, Ndongmo sollicite Solidarite,qui suggere un homme de son entourage. A la mi-mars 1969, YvesVerbeek, mBitant beige du reseau, engage dans l'action de soutien aux mouvements de liberation depuis la guerre d' Algerle, est charge par l'eveque des affalreseconomiques du diocese,et ace titre de la gestion de Mungo Plastique38. Disposantd'un homme sur place, le reseau Curiel peut ainsi evaluer avec plus de discernement l'evolution de la Situation et mieux apprecier la nature des liens Ndongmo/UPC. La deuxieme initiative est nettement moins officielle. II s'agit d'aider Ni.canor Njawue, maintenant que le contact est retabli avec Je maquls d'Ouandie, a convaincre le gouvernement algerien d'aider l'UPC. En collaboration avec Njawue, un voyage de Mgr Ndongmo a Algerest donc organise en 1968, pour qu'il introduise sa requete aupres des autorites algeriennes. Devant les reticences des Algeriens,sceptiques, !es militants fran~aisde Solidarite se lancent dans une operation hasardeuse : ils suggerent aNdongmo et Njawue, pour credibiliser la demarche et convaincre le gouvemement algerien, de fabriquer un faux mandat au nom d'Ernest Ouandie. « C'etait un faux grossier,reconnait aujourd'hui Michel Rogalski.On avait pris les documents d'Ouandie sous maquis et on a betement fait un calque de son tampon. C'etait fait avec les moyens du bord, c'etait de l'amateurisme 39 . » Les Algeriens comprennent rapidement la supercherie et econduisent l'eveque. «