Intériorité et réflexion - Étude sur la Logique de l'essence chez Hegel 2747500810


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Intériorité et réflexion - Étude sur la Logique de l'essence chez Hegel
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Intériorité

et réflexion

Étude sur la Logique de l'essence chez Hegel

Licence accordée à Samuel Davanture [email protected] - ip:78.109.86.68

@ L'Harmattan,

2000

ISBN: 2-7475-0081-0

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Philippe SOUAL

Intériorité et réflexion Étude sur la Logique de l'essence

chez Hegel

Préface de Jean-François Marquet

L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polytechnique 75005 Paris France

L'Harmattan lm:. 55, rue Saint-Jacques Montréal (Qc) CANADA H2Y IK9

L'Harmattan Hongrie Hargita u. 3 1026 Budapest HONGRIE

L'Harmattan ItaUa Via Bava, 37 I0214 Torino ITALIE

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Collection Ouverture philosophique dirigée par Dominique Chateau et Bruno Péquignot Une collection d'ouvrages qui se propose d'accueillir des travaux originaux sans exclusive d'écoles ou de thématiques. Il s'agit de favoriser la confrontation de recherches et des réflexions qu'elles soient le fait de philosophes "professionnels" ou non. On n'y confondra donc pas la philosophie avec une discipline académique; elle est réputée être le fait de tous ceux qu'habite la passion de penser, qu'ils soient professeurs de philosophie, spécialistes des sciences humaines, sociales ou naturelles, ou... polisseurs de verres de lunettes astronomiques.

Dernières parutions Philippe RIVIALE, Passion d'argent, raison spéculative, 2000. Gildas RICHARD, Nature et formes du don, 2000. Dominique CHATEAU, Qu'est-ce que l'art?, 2000. Dominique CHATEAU, Epistémologie de l'esthétique, 2000. Dominique CHATEAU, La philosophie de l'art, fondation et fondements, 2000. Jean WALCH, Le Temps et la Durée, 2000. Michel COVIN, L 'homme de la rue. Essai sur la poétique baudelairienne, 2000. Tudor VIANU, L'esthétique, 2000.

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Remerciements

Nous voulons témoigner de notre gratitude à Monsieur Jean-François Marquet, pour l'accueil fait à nos travaux et pour ses encouragements, depuis notre thèse de doctorat jusqu'à ce livre. Nous tenons à remercier Monsieur Miklos Veto pour sa relecture du manuscrit, et Monsieur Jean-Louis Vieillard-Baron, directeur du Centre de Recherche sur Hegel et l'Idéalisme Allemand de l'Université de Poitiers, pour la confiance qu'il nous a témoignée.

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PREFACE

Comme le Parménide ou la Grundlage der Wissenschaftslehre, la Science de la logique fait partie de ces œuvres de philosophie non-figuratives qui, pour le lecteur pressé, semblent n'avoir aucun sens dans la mesure où elles ne sont rien d'autre, comme le dit fort bien Philippe Soual, que «sens pur». Les autres parties du système hégélien nous parlent de quelque chose

- de la nature,

ou de l'esprit; la Logique ne parle de rien,

elle se borne à laisser la parole même disposer souverainement l'enchaînement de ses catégories fondamentales ou ce que notre ami appelle «le processus immanent du Logos». Même si les catégories sont les mêmes, on est loin en effet, avec Hegel, de la juxtaposition apparemment gratuite qu'offre la Table kantienne; chez lui, les catégories ne se bornent pas à coexister, elles se lient spontanément en un discours continu dont l'allure générale serait celle d'une preuve ontologique renversée, où on partirait de l'être pour aboutir à l'Idée, comme ce sera le cas dans la dernière philosophie de Schelling, et comme c'était le cas chez le Kant pré-kantien de L'unique fondement possible d'une démonstration de l'existence de Dieu: sauf que pour Kant ou Schelling l'être désigne alors l'existence dans sa pré-donnée impensable et im-possible, au plus loin du cheminement hégélien. L'être dont part la Logique n'a, pour sa part, rien à voir avec l'existence, et le Dieu qu'elle nous démontre (à l'envers) est un Dieu avant la création, avant la nature et l'esprit, avant l'existence en quelque sorte - cette ombre de Dieu dont

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Nietzsche dira plus tard qu'elle est plus tenace et peut-être plus «immortelle» que Dieu même. «Le même est à la fois penser et être», disait Parménide, en inaugurant la philosophie antique; je pense, donc je suis, dira en écho Descartes, inaugurant la philosophie moderne. TIpourrait sembler qu'en donnant pour thème à son livre majeur l'identité de l'être et de la pensée, Hegel ne fasse que répéter ces deux initiateurs, à cette différence près qu'il met l'être en premier et qu'il le fait s'égaler à l'Idée non pas dans l'éclair aphoristique d'une intuition, mais tout au long d'un chemin méthodique dont la Logique se veut la science. Or, c'est là justement où l'originalité de la démarche se répercute sur le contenu même: entre l'être et l'Idée, en effet, une troisième sphère va s'ouvrir, celle de l'essence, qui occupe la place même de la transition, puisque l'être s'y abolit en «pure et simple apparence» (son unique «vestige», précise Hegel) alors que l'Idée ne s'y annonce encore que sur le mode négatif de la pure intériorité

- ces

deux

puretés également vides ne cessant de s'échanger dans une redditio de l'une à l'autre qui est en même temps reditio, pour reprendre l'heureuse formule du commentateur. Nous sommes là - c'est Hegel lui-même qui l'annonce - dans «la partie la plus difficile de la Logique», et deux erreurs symétriques s' y proposent, que M. Soual s'emploie à désamorcer: soit voir dans cette partie médiane, du fait même de sa place, le centre et le pivot de l'ensemble, soit au contraire ne retenir que son aspect purement négatif et dialectique qui en ferait un vertigineux, mais stérile, jeu de miroirs. En fait, et si on nous pennet cette métaphore un peu risquée, c'est seulement le mariage infernal de l'être et de la pensée au niveau de l'essence qui pennet leur union positive et glorieuse dans la «logique subjective»

-

ou

plutôt nous n'avons affaire ici qu'au revers et à l'avers du même événement absolu. Faut-il aller plus loin encore et attribuer à l'essence les attributs qui seront ceux de l'Idée définitive

- la vie,

la liberté, la générosité? M. Soual n'hésite pas à le faire, et c'est là le seul point où nous aurions personnellement quelque mal à le suivre dans sa lecture de Hegel. Mais Hegel est-il seulement Hegel? «Hegel, écrivait Feuerbach, n'est pas l'Aristote allemand ou chrétien: il est le Proclus allemand». Le jugement ne manque pas de pertinence, et nous ne pensons pas que son «sujet» l'aurait désavoué. Un des grands mérites du travail de M. Soual est de montrer cette proximité - parfois polémique, le plus souvent concordante entre Hegel et le néo-platonisme, comme si le crépuscule de la philosophie chrétienne reprenait en écho, à une octave supérieure, 10

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le crépuscule de la philosophie païenne. On méditera longuement son admirable formule de la page 151 : «TIfaut repenser l'Un du point de vue du Je pur de la métaphysique moderne, née avec Descartes et développée chez Kant, Fichte et le premier Schelling». On ne saurait mieux résumer, d'une phrase, le programme de Hegel, et d'une certaine façon ne demeure-t-il pas le nôtre? Comment Hegel l'a réalisé, seule une étude de son Système entier pourrait le déterminer, et l'entreprise peut à bon droit paraître démesurée. Mais c'est le propre d'un organisme vivant que le tout s'y réfléchisse dans chaque partie, voire dans la moindre cellule, et du coup la limitation devient vertu. L'identité, la différence, la contradiction - les trois «déterminations de réflexion» qu'étudie la seconde partie de l'ouvrage de M. Soual - nous apparaissent ainsi comme le retour «en abysse», à un lieu précis du parcours logique, des trois catégories fondamentales qui structurent l'ensemble du discours hégélien - l'universel, le particulier, le singulier. Lire, comme Philippe Soual sait lire, quelques pages de Hegel, c'est lire tout Hegel - à plus forte raison lorsque ces pages sont empruntées à un moment stratégiquement aussi essentiel que celui que nous avons tenté de définir plus haut. fi est temps maintenant de rendre la parole à l'auteur et à son interprète, et d'inviter le lecteur à suivre avec confiance son guide dans cette descente aux premiers cercles de l'enfer de la Science de la logique*

Jean-François Marquet Université de Paris-Sorbonne

Il

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Introduction générale

La Doctrilze de l'essence en sa première partie présente plusieurs enjeux possibles. On peut tout d'abord y lire une critique de la logique formelle et de ses lois fondamentales, à savoir, le principe d'identité, le principe du tiers exclu et le principe de contradiction. On y ajoutera deux autres, relevant de la philosophie et découverts par Leibniz, le principe des indiscernables et le principe de raison. Ce sont bien ces notions qui sont ici exposées et articulées, ce qui souligne d'entrée de jeu l'importance de ce texte pour connaître leur critique par Hegel, ainsi que l'intérêt d'une étude proprement logique du livre, qui interroge le logicien. Mais il faut premièrement saisir leur statut et leur sens hégélien, ce qui demande une compréhension de la Science de la logique en tant que logique spéculative. Celle-ci est originale en son contenu et en sa méthode, en ce qu'elle présente la vie même de l'absolu ou le sens pur et qu'elle cherche à donner la preuve des concepts dans le cours de l'Idée logique, c'est-à-dire à les déduire du penser qui est pensée de la pensée, de la «noèsis noèseôs» 1 vue par Aristote. La Logique est la science du Logos, et «cette science est le penser du penser»2. C'est pourquoi ses concepts ne seront pas des notions rencontrées dans l'exercice de la connaissance et dégagées par abstraction, ou considérées comme premiers principes évidents, mais prendront sens en s'inscrivant dans le processus immanent du Logos. Par conséquent l'identité, la différence et la contradiction seront exposées selon leur lieu logique nécessaire, qui est l'essence. Cela veut dire, non pas selon la place que pourrait leur conférer I

2

W 8, ~ 236, Add., p. 388 (Ene., I, p. 622). OW 20, ~ 19, Rem., p. 62 (Ene., I, p. 284, trad. modifiée).

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la réflexion subjective et extérieure du logicien dans un système de principes, mais selon le sens même de la progression du Concept, depuis sa première position de soi abstraite comme être pur jusqu'à sa forme achevée dans son retour dans soi complet, l'Idée logique concrète, infinie. Ces concepts sont incompréhensibles hors de ce mouvement du Concept qui accomplit la Logique comme science et le système comme cercle de cercles. Or, ces concepts entrent en scène dans l'essence en tant que celle-ci est réflexion et intériorité. De la sorte, identité, différence et contradiction ne seront pas des lois logiques universelles comme dans la logique formelle, mais seront des moments du déploiement de l'essence qui est en elle-même réflexion absolue et intériorité. C'est alors la signification de la réflexion comme intériorité qu'il faut interroger. L'essence n'est pas une instance tout achevée qui serait en outre capable de réflexion et d'intériorité, et qui aurait une identité et une différence en guise de prédicats. Au contraire, l'essence se constitue elle-même, et ceci dans son mouvement propre de paraître dans soi-même ou de réflexion dans soimême, réflexion par laquelle elle est intériorité, c'est-à-dire identité avec soi dans sa différence d'avec soi. C'est l'essence elle-même qui est réflexion dans soi, qui se détennine comme unité de son identité avec soi et de sa différence intérieure. L'intériorité est vie et expression de la liberté de l'essence dans son activité revenant dans soi-même en demeurant dans soimême, c'est-à-dire de l'essence dans sa réflexion. Cela demande de penser le sens hégélien de l'immanence, et celui de la relation du principe à ce qu'il engendre, son principié immanent. Notre tâche consistera à comprendre l'essence comme réflexion absolue et comme apparence, et à comprendre grâce à cela les pures détenninations-de-réflexion, identité, différence, diversité, opposition et contradiction. Là où la conscience commune croit se contenter de représentations qui manquent pourtant de précision et qu'elle maintient en régime de séparation, on notera l'étonnante acribie de la logique spéculative hégélienne dans son effort pour saisir et exprimer la signification de chacun de ces concepts, jusque dans les infimes subtilités de ses moments. Ces essentialités ne sont pas de simples principes formels mais des moments de l'essence elle-même, des unités du sens en tant que cercles pneumatiques de sa vie, et elles jouent un rôle majeur dans le système hégélien et sa méthode puisqu'elles forment les principes du mouvement ou de l'auto-activité du Concept. TI faut donc considérer leur signification en ellesmêmes et en tant qu'elles forment ces principes de sa vitalité et 14

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de son mouvement de retour dans soi-même. La Science de la logique présente en effet le retour dans soi du concept par le jeu des essentialités, de l'identité et de la différence, et notamment de la contradiction, en ce qu'un concept se meut soi-même par autocontradiction interne, laquelle montre sa [mité, par conséquent son effondrement, et son passage de soi-même dans une unité supérieure qui est son fondement. C'est ainsi la forme pure de l'auto-mouvement du Concept logique qui est donnée dans l'essence comme réflexion absolue. Si la pensée spéculative, rationnelle, consiste à saisir l'unité des détenninations dans leur opposition, le jeu de l'identité et de la différence, c'est alors bien son sens qui est en question dans ce livre et qui doit être explicité. On a pu reprocher à Hegel d'abolir ou d'oublier la différence, l'altérité, et de faire l'apologie de la domination du Même, de l'identité. Pourtant la Logique, d'une part, présente le concept d'identité absolue en montrant que la différence absolue y est présente, en ce que l'identité est réflexion, conversion dans soi-même par la médiation de l'Autre, et, d'autre part, elle demande de penser le concept de la différence absolue, de soi par rapport à soi, en tant que réflexion, concept qui est souvent méconnu ou ignoré par l'entendement au profit de la seule diversité ou différence extérieure. Si Hegel a pu nommer son système philosophie de l'identité et le récapituler sous la forme de la célèbre identité de l'identité et de la différence, on voit que l'étude de ce texte engage une interrogation portant sur le sens même de ce système. Notre regard se portera premièrement sur la Science de la logique de 1812-1816, qui est l'exposé le plus complet et le plus développé de la Logique, en l'accompagnant des autres œuvres de la maturité de l'auteur, notamment de la Science de la logique de l'Encyclopédie. Notre commentaire devra ainsi séjourner d'abord dans la logique elle-même, en s'efforçant d'en restituer la pensée ou de saisir pour ainsi dire l'esprit de l'essence dans sa lettre. TIs'agira pour nous, en prenant au sérieux le texte, de penser avec Hegel la Chose même qu'il s'est efforcé de saisir et d'exposer, en sachant que la tâche première du lecteur d'un philosophe est de comprendre ce que l'auteur a effectivement dit et écrit de neuf et de vrai, dans son articulation et sa cohérence propres. Notre étude éclairera le texte logique par des références aux philosophes de la tradition lus et repensés par Hegel, depuis les Grecs 'jusqu'aux post-kantiens, notamment ceux avec lesquels l'auteur manifestement dialogue dans tel ou tel chapitre, 15

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quoique ce soit le plus souvent sans les nommer. Ces lectures sont sans doute utiles pour l'exégèse de la pensée de Hegel, en en montrant la genèse ou les sources. Mais nous convoquerons aussi des philosophes qui se sont attachés aux mêmes concepts pour faire ressortir l'originalité de la pensée de Hegel et mieux faire voir, dans ce dialogue des philosophes, ce que chacun cherche à penser et comment chacun envisage la Chose même, à savoir, la réflexion, l'identité et la différence. TInous semble que dans ce livre HeFeI dialogue autant avec ses contemporains qu'avec les Grecs. De la sorte, le concept de réflexion doit être pensé dans un dialogue avec Plotin et Proclus, et ceux d'identité et de différence notamment avec le Platon du Sophiste et du Parménide. Ce nouveau combat de géants au sujet de l'essence permettra d'examiner quelques grandes figures philosophiques de la réflexion, de l'identité ou de la différence, dans une lecture philosophique, spéculative, de la Science de la logique. Notre commentaire cherchera par ces remarques spéculatives à penser l'essence dont la vie se constitue comme intériorité par sa réflexion dans soi. S'il faut plonger dans la Chose même, celui qui connaît la difficulté, voire l'obscurité du texte hégélien, qui est sans doute d'abord pour nous celle de ce qui est à penser, sait que la patience est nécessaire.

1

Cf. D. Janicaud, Hegel et le destin de la Grèce, Paris, Vrin, 1975, et J.L. Vieillard-Baron, Platon et l'Idéalisme Allemand, Paris, Beauchesne, 1979.

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Introduction à la Doctrine de l'essence

La Doctrine de l'essence commence par une proposition spéculative qui articule l'être et l'essence: «La vérité de l'être est l' essence»l. Elle est suivie d'un discours préalable visant à écarter les représentations communes relatives à l'essence dans les sciences et selon la métaphysique d'entendement, afin de dégager une première vue de l'essence spéculativement comprise2. TI importe de reconnaître la portée critique de ces premières pages, faute de quoi l'on prendra pour pensée hégélienne ce qui est pourtant refusé par l'auteur. Ainsi une certaine vue de l'essence fait d'elle ce que la conscience réfléchissante, en quête de l'être vrai selon sa volonté de savoir, trouve en outrepassant l'être immédiat, «avec la présupposition que derrière [hinter] cet être est encore quelque chose d'autre que l'être lui-même, ~ue cet arrière-fond [Hintergrund] constitue la vérité de l'être»

. On

croira alors que

Hegel pense l'essence comme arrière-fond et la relation de l'être à l'essence comme relation de la surface avec la profondeur, de l'écorce avec le noyau, du voile avec l'intérieur caché comme pur en soi, ou encore comme profondeur qui vient finalement à se révéler. De la sorte, on fait de l'essence le fondement en guise d'arrière-fond de l'être, de fond caché et secret de l'être ou des choses, alors que Hegel veut précisément montrer l'erreur de toute métaphysique qui représente de la sorte leur lien. L'essence I

GW Il, p. 241. Nous désignerons la Science de la Logique par l'expression la Logique. 2 Hegel note: «Cette partie (la plus difficile) de la Logique contient principalement les catégories de la métaphysique et des sciences en général» (GW 20, ~ 114, Rem., p. 145; Enc., I, p. 374). 3 GW Il, p. 241.

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serait aussi le lieu d'un rapport entre le manifeste et le caché, entre le substrat permanent et l'agitation superficielle des phénomènes, une intériorité secrète et jalouse se tenant dans un au-delà ou plutôt un arrière-fond caché, un abîme. En outre ce dualisme (qui affecte alors les déterminités de l'essence) est souvent vu, à cause de la comparaison de la réflexion avec un miroir, comme une relation spéculaire, où chacun trouve dans l'autre son reflet. Ces deux erreurs sont souvent liées: si l'on pose l'essence comme arrière-fond, on risque d'interpréter la réflexion comme jeu de miroir. Cependant, il est étrange de voir attribuer à Hegel une doctrine qui est précisément celle qu'il réfute. Le caractère critique du début de ce texte introductif se voit à ceci qu'il y est question de l'activité du connaître subjectif (et ensuite de la réflexion abstrayante), comme d'un mouvement qui peut être «représenté comme chemin du savoir», une activité «qui serait extérieure à l'être et ne concernerait en rien sa nature propre»l et qui, de plus, est de l'ordre d'un trouver ffinden]. C'est là le point de vue de la conscience finie mais aussi de l'intelligence qui veut connaître le vrai et réfléchit sur l'être immédiat. Mais ce n'est pas celui de la Logique, et cette conscience énonce une fausse présupposition, à savoir que derrière l'être lui-même se tiendrait quelque chose d'autre, l'essence comme son arrière-fond. Cette présupposition se voit sans doute dans la conscience naïve mais définit d'abord un trait capital des sciences et de la recherche philosophique. «L'homme ne se satisfait pas de la simple familiarité qui rend bien connu, du phénomène seulement sensible, mais il veut aller voir derrière [dahinterkommen] celui-ci, il veut savoir ce qu'il est, il veut le concevoir. C'est pourquoi on réfléchit, on veut savoir la cause, comme quelque chose qui diffère du phénomène en tant que tel, l'intérieur dans sa différence d'avec ce qui est simplement extérieur. On redouble ainsi le phénomène, on le brise en deux [entzweibricht] en intérieur et extérieur, force et extériorisation, cause et effet. L'intérieur -la force - est ici à nouveau l'universel, ce qui dure, non pas tel ou tel éclair, telle ou telle plante, mais ce qui demeure le même en toute chose. (...) La réflexion (nachdenken] est toujours à la recherche de ce qui est fixe, permanent, déterminé en soi-même. Cet universel ne peut être

1

Ibid.

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saisi avec les sens et il vaut comme ce qui est essentiel et vrai»1. Ce texte est intéressant en ce qu'il montre la genèse de la représentation de l'essence, tout à fait distincte de celle de son sens dans la Logique, et en ce que les catégories mises en œuvre par la conscience - essence et phénomène, intérieur et extérieur, force et extériorisation, cause et effet, etc. - seront bien celles qui seront exposées dans la Logique, mais selon une tout autre signification. Ce texte montre clairement ce que Hegel critique, la représentation de l'essence comme arrière-fond fixe et permanent, clos et achevé, censé rendre raison des apparences changeantes, sauver les phénomènes dont elle diffère d'une façon inexplicable. L'essence est obtenue en scindant en deux le phénomène pour supposer derrière lui un substrat pennanent sous-jacent au changetnent, la profondeur cachée. Mais il s'agit pour Hegel de penser]' essence comme activité et vie, comme paraître ou réflexion, et comme mouvement qui vient de soimême à l'apparition phénoménale et à l'effectivité. Et il faut pour cela sunnonter le dualisme d'entendement qui sépare être et essence, apparence et essence (ou universel et particulier pour le concept), et penser l'essence comme paraître et négativité, donc non comme arrière-fond mais comme mouvement de se manifester. L'essence n'est pas l'au-delà du phénomène mais son apparition même. «L'essence n'est pas derrière l'apparition ou au-delà d'elle [hinter oder jenseits der Erscheinung] mais du fait que c'est l'essence qui existe, l'existence est apparition»2. L'essence constitue la phénoménalité du phénomène et n'est pas un en soi hors monde, hors apparition phénoménale. Dans la Psychologie de l'Encyclopédie sera critiquée pareillement la pneumatologie d'entendement qui fait de l'âme et de l'esprit une chose, une essence close sur soi en guise d'arrière-fond des phénomènes psychiques. Or l'esprit n'est pas «une essence déjà achevée avant son apparaître, se dissimulant derrière les phénomènes, mais il n'est, en vérité, effectif qu'à travers les formes déterminées de sa nécessaire révélation de soi [Sichoffenbarens]»3. L'esprit est manifestation de soi, mais ce concept papital de la philosophie hégélienne est présent dans la Logique et se dit en un sens propre pour l'essence, précisément 1

2

W 8, ~ 21, Add., p. 77-78 (Enc., I, p. 472).

GW 20, ~ 131, p. 157 (Enc., I, p. 386). Cf. GW Il, p. 326. Le

phénomène est «manifestation de l'essence» (GW 12, p. 24). 3 W 10, ~ 378, Add., p. 12 (EIlC., III, p. 381).

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comme réflexion. Le paraître de l'essence ne laisse pas celle-ci derrière lui mais est à penser comme mouvement par lequel l'essence est manifestation de soi-même. Dans la Logique l'essence n'est pas achevée, close et immobile avant ou indépendamment de son paraître, de sa réflexion dans soi. Elle n'est pas comme l'Un plotinien parfait et tout-puissant, demeurant en soi-même dans son être en acte éternel, sans relation aucune avec son émanation, indépendamment de la procession et de la conversion des autres après lui, Seul dans sa transcendance. Au contraire, le concept d'essence donne à penser le processus de sa manifestation de soi comme celui de son autodéternrination et auto-constitution. Ses formes ne sont pas des réalités étrangères qui la trahiraient, des images ou des traces d'ordre inférieur d311Sune hiérarchie hénologique, ou des apparitions coupées de leur substrat, mais les moments siens du déploiement de son activité, de sa vie. Ses formes (identité, différence, etc.) sont l'expression d'elle-même, elle n'est essence qu'en tant qu'elle s'exprime dans et par ses formes. Elle n'est pas achevée avant sa manifestation mais précisément dans et par sa manifestation libre, de soi-même. Elle ne transcende pas ses formes à la manière de l'Un comme leur Principe pur demeurant en lui-même, elle leur est immanente, les constitue et se manifeste par elles. Elle est vie, liberté et activité en tant qu'elle est manifestation de soi, réflexion dans l'immanence. Que se soit l'essence ou l'Idée, Hegel refuse de les voir comme ce qui serait caché derrière un voile ou comme un au-delà et demande de penser leur immanence dans la Chose même, constitutive d'elle. TIreprend le vers de Gœthe contre le poème de A. von Haller: «La nature n'a ni noyau ni écorce»l. Représenter l'essence des choses finies selon le dualisme de l'écorce et du noyau, de la surface et de la profondeur est source d'erreur et d'aveuglement à l'endroit de ce qui est. Hegel ne commence pas par ce rapport ou ce dualisme pour le surmonter au cours de l'exposé de la Doctril'le de l'essence en montrant 1

GW 20, ~ 140,Rem.,p. 163(Ene.,I, p. 392).Dans leur traductionœ

l'essence,P.-J. Labarrièreet G. Jarczyk interprètent le passage de l'être à l'essence comme changement d'économie: dans l'être, «le passer accompagne le regard à la surface des choses» mais dans l'essence vient «la profondeur», par l'intériorisation de l'être «qui dessine, sous le miroitement de moments apparemment disjoints, l'arrière-fond, ou encore le passé intemporel de cela même qui est» (op. cit., Présentation des traducteurs, p. XIX). Mais cela maintient une séparation. 20

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que le fond remonte à la surface, que le caché se manifeste, mais au contraire il le refuse et demande dès le commencement d'abandonner ce point de vue afin de penser l'essence comme réflexion dans soi-même1. L'essence est définie par la réflexion mais en un sens qui n'a rien à voir avec celle du moi fini. «Le point de vue de l'essence est d'une façon générale le point de vue de la réflexion [Reflexion]. L'expression réflexion est employée tout d'abord à propos de la lumière, en tant qu'elle rencontre dans sa progression rectiligne une surface reflétante [spiegelnde] et qu'elle est rejetée par celle-ci. Nous avons donc ici un double élément [Gedoppeltes], une fois [einmal] un immédiat, un étant, et ensuite en second lieu [zweitens] le même en tant qu'un médiatisé ou posé. (",) On a bien coutume aussi d'appréhender la tâche ou le but de la philosophie d'une manière telle que c'est l'essence des choses qui doit être connue, et l'on n'entend par là précisément rien d'autre si ce n'est que les choses ne doivent pas être laissées en leur immédiateté, mais être démontrées comme médiatisées par un autre ou fondées [begründet). L'être immédiat des choses est ici représenté en quelque sorte comme une écorce otl comme un rideau derrière lequel est cachée l'essence»2. La réflexion subjective, le Nachdenken, emprunte quelques traits à la réflexion logique (qui l'expliquera), notamment en envisageant la question du fondement des choses. Le fondement désigne pour elle leur essence mais est pour Hegel une déternrination de l'essence. Cette réflexion présuppose que la donation immédiate de l'étant ne l'épuise pas et que celui-ci ne se laisse expliquer qu'en référence à un fond, à un principe 1

M. Veto interprète le mouvement de l'essence comme un progrès vers la révélation, selon une dualité de l'être et de l'essence: «Il y a une relation œ surface-profondeur entre ces deux notions. Par conséquent, la logique œ l'essence est l'entreprise de poursuivre le concept dans son mouvement œ remontée des profondeurs ténébreuses vers la clarté du jour. (...) Il s'agit œ l'entrée en une véritable différenciation avec elle-même qui revient à l'instauration de la profondeur, d'un véritable «atrière-fond de l'être». (...) Ce n'est qu'au terme du parcours que la réflexion devient révélation plénière: la vérité des profondeurs

lumière

- avec

aura complété

son ascension

la surface» (De Kant à Schelling,

pour se réunir

II, Grenoble,

- dans

la

J. Millon,

2000 p. 90). Il nous semble au contraire que l'essence est entièrement mouvement de manifestation, en tant que réflexion, et sans dualité d'une surface avec une profondeur. 2 W 8, ~ 112, Add., p. 232 (Ene., I, p. 547, trad. modifiée). 21

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fondateur, en vertu de l'usage qu'elle fait du principe de raison affmnant: nihil sine ratione. Hegel souligne déjà l'insuffisance de cette démarche dès lors que l'essai de fondation en reste à un dédoublement du même, autrement dit se solde en une tautologie vide. On a le même avant et après, le même étant ou contenu, la première fois tel qu'il est là pour le moi immédiatement, à savoir l'extérieur, l'effet, etc., et la seconde fois tel qu'il est posé par le moi sous un autre nom, à savoir l'intérieur, la force, la cause, etc. L'autre fondateur qui est trouvé est en vérité le même sous un autre nom, ou une autre forme, médiatisée, réfléchie. La Logique présente apparemment les mêmes catégories mais en montrant l'inanité de ces dédoublements subjectifs, et en tâchant de donner leur sens vrai car le processus de l'essence lui-même se fera comme un redoublement ou une différence, une réflexion de l'essence au-dedans d'elle-même comme retour dans soi. Le fondement sera ainsi l'unité de soi et de son fondé. L'essence est elle-même seulement comme activité revenant dans soi en se déterminant, elle ne va pas de la profondeur à la surface, du caché au manifeste, mais elle est le mouvement circulaire de la réflexion qui se détermine librement dans ses formes. Hegel remarque dans l'usage de la langue une rencontre avec le sens logique dans les locutions qui désignent un organisme ou une structure et qui sont construites avec le tenne Wesen, comme Zeitungswesen [la presse], Postwesen [la poste], Steuerwesen [les impôts], etc. Dans ses Principes de la philosophie du droit par exemple il utilisera l'expression > 76 2

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critique hégélienne repose sur une conception originale de l'essence comme réflexion en même temps que de la vérité de la pensée. Penser, c'est penser ce qui est, mais sans que l'esprit fini n'épuise jamais la richesse du réel. L'idéalisme subjectif moderne n'est pas allé plus loin que le scepticisme antique quant à la question métaphysique du concept de phénomène. Chaque fois le phénomène est traité comme un étant immédiat et non comme une essence, tout en recevant un nom qui dit la médiation interne et l'être pour un autre, le sujetI. Le scepticisme «se laisse donner»2 son phénomène dont le contenu n'est pas médiatisé, est reçu passivement et pris comme apparence. En revanche la monade leibnizienne est indépendante et activité spontanée, elle est une substance détenninée, une notion complète qui se suffit à ellemême en vertu de l'inhérence des prédicats au sujet. Sa perception est acte d'unification, la monade est représentation et expression du monde. Pourtant cette activité n'est pas celle du moi lui-même, libre, ses représentations «montent en elle comme des bulles» 3. Ses actions proviennent de son essence mais «elle n'est pas la force qui engendre et qui lie»4. En vertu de sa notion complète ou de sa loi interne le sujet contient analytiquement ses prédicats, et toutes ses pensées et actions sont la suite nécessaire de sa notion individuelle. Mais la monade n'est pas libre d'ellemême, se posant elle-même. Pareillement, le yhénomène kantien est «un contenu donné de la perception», qui présuppose l'affection du sujet et les formes a priori de ce sujet, lequel n'est donc pas activité libre, esprit qui se pose dans ses catégories, ses formes. Chez Fichte il y a une intériorisation du problème, comme chez Leibniz par rapport au scepticisme. Le Je fichtéen est activité, il se pose et son être n'est que son acte. Le Moi est sa (Leçons I, op. cit., p. 126); en effet, la chose en soi nécessite de faire usage de la catégorie de causalité (car elle est cause réelle du phénomène) au-delà œ l'expérience, ce qui est interdit par la Critique. 1Comme le note A. Lécrivain : il y a là «une confusion persistante entre le plan de l'être et celui de l'essence, un oubli ou une méconnaissance de la processuaIité au sein de laquelle ces catégories s'engendrent, s'enchaînent et s'exposent dialectiquement» (Introduction à la lecture, II, op. cir., p. 30). 2 GW Il, p. 247. 3 GW Il, p. 247. 4 GW Il, p. 247. S GW Il, p. 247. 77

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propre origine et tout ce qui est en lui est posé par lui, y compris son contraire, le Non-Moi. Les catégories ne sont pas présupposées ni immédiates mais posées par le Moi comme les moments de son objectivation de soi, et par là elles sont déduites. Cependant Hegel note que le Moi n'est pas vraiment activité libre et spontanée dans la mesure où, en se posant, il pose dans soi son autre immanent, le Non-Moi qui est sa négation immédiate et s'oppose à lui en le limitant. «Ce qui chez Kant s'appelle la chose en soi, c'est chez Fichte le choc [Anstoj3]du dehors, cette abstraction d'un Autre que le Moi, qui n'a aucune autre détermination que celle du négatif ou du Non-Moi» I. Le choc est certes «dans le Moi»2 mais à la manière d'un non-être, d'une négation immédiate du Moi, non médiatisée par le Moi. Certes il n'y a plus de chose en soi mais l'autre du Moi reste immédiat en lui. Ce que Hegel refuse ce n'est pas la conservation de l'Autre à l'intérieur du Moi (ou dans l'essence) mais le caractère immédiat de sa position. Dans la Logique l'autre est posé par l'essence comme réflexion et négativité absolue, il n'est pas un autre qui la limite ou la conditionne

en s'opposant

à elle

-

elle est

indifférence à l'égard de la limite. En outre l'essence ne subit pas un choc du dehors mais est mouvement libre, par elle-même, parce qu'elle revient à soi de par son propre choc en retour, son Gegenstoj3, notion qui répond à l'Anstoj3 fichtéen. L'essence absolue se repousse de soi et fait retour à soi dans son autre. 2. Après cette remarque le cours logique reprend par un rappel de l'enjeu. L'apparence est le vestige de l'être et elle semble d'abord avoir un côté indépendant de l'essence, étant sa présupposition. Mais elle n'est pas un vestige matériel, ni non plus une image inférieure dans une hiérarchie, une chute ou un éloignement par rapport au Premier comme dans la procession plotinienne. Elle est une détermination transfigurée et conservée comme telle, en recevant un sens nouveau. Sa différence d'avec l'essence, sa néantité, s'est montrée comme interne à l'essence en ce que celle-ci est l'être sursumé qui, «dans sa totalité, est revenu [zurückgegangen] dans l'essence»3. Le processus de l'être a montré sa négation de soi et son devenir essence, celle-ci était alors un être-provenll de lui. Maintenant, du point de vue de sa vérité, ce mouvement signifie qu'il est revenu 1

W S, ~ 60, Add., p. 147 (Ene., I, p. 50S).

2 GW Il, p. 247. 3 GW Il, p. 247.

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(intemporellement) dans l'essence comme dans son intériorité. L'essence embrasse l'être tout entier et par là il revient en elle, posé comme sien, néantité. L'essence est elle-même en tant que retour dans soi de l'être. TIest établi que l'apparence est son autre intérieur, une immédiateté réfléchie au-dedans de soi. Reste à établir qu'elle est une forme de l'essence elle-même, sans indépendance aucune ni immédiateté, que l'essence se donne et nie, reprend ou sursume dans soi. Autrement dit, l'apparence n'est pas une présupposition de l'essence ou un autre indépendant qui serait après coup réintégré en elle. L'essence n'a pas à triompher d'elle comme d'un étranger, car elle n'est rien que l'acte de se poser soi-même et l'apparence est le premier fruit ou contenu de sa négativité absolue, l'être revenu dans l'essence ou l'apparerlce sursumée dans l'essence. C'est par là que le Schein s'avère Scheinen immanent, la lueur acte' de luire, et que la néantité s'avère négativité, auto-différenciation de soi. Les moments de l'apparence sont à la fois ce que l'être est devenu et ce que l'essence a posé, ou encore ils sont ce qui paraît la distinguer de l'essence, en guise d'autre, et qui n'est pourtant que détennination sienne immanente, posée et sursumée. L'essence est auto-détennination, liberté. TIs'agit de penser l'apparence comme premier contenu de l'essence, donc comme parution de soi dans soi. Son concept, comme tout concept logique, ne consiste pas en un terme simple mais en une unité de détenninités différentes, qui sont ici les deux moments de la néantité et de l'être. L'apparence a pour sens d'être l'immédiateté du non-être réfléchi, néantité posée par la négativité de l'essence. «L'être est non-être dans l'essence. Sa néantité en soi est la nature négative de l'essence elle-même» 1. Dans la sphère de l'être en général l'être pur est affirmatif, mais par sa propre dialectique il s'est montré négation de soi et négatif. Ainsi dans l'essence l'être même est devenu ou est posé comme non-être, comme son autre. Sa vérité est sa position comme non-être, néant réfléchi, médiatisé. Vestige comme néantité, il est devenu négativité infinie. Revenu dans l'essence, posé en elle et par elle comme son non-être, il ne lui est rien d'étranger mais constitue sa puissance négative même. Vérité de l'être sursumé, l'essence est énergie de la négativité. Pris dans son immédiateté l'être sursumé a un côté indépendant et paraît indifférent à l'égard de l'essence. Mais l'immédiateté qu'a ce non-être essentiel est «l'être-en-soi absolu, propre, de 1 GW Il, p. 247.

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l'essence» 1 en ce qu'il est l'essence en soi, comme totalité immédiate et absolue. La négativité constitue l'identité simple de l'essence elle-même avec soi et son indifférence à l'égard de soi, c'est-à-dire à l'égard de ses déterminations sursumées. Tout ce qui doit être dit de l'être sursumé ou de l'apparence, c'est de l'essence d'abord qu'il faut le dire. «L'être s'est conservé dans l'essence, dans la mesure où celle-ci en sa négativité infinie a cette égalité avec soi-même; par là l'essence elle-même est l'être»2. L'être est défini comme relation simple à soi-même. L'essence comme degré plus concret du logique contient bien dans soi ce moment abstrait de la relation à soi. Elle n'est pas être pur et simple mais elle a dans soi précisément «l'être comme moment»3. Elle est relation à soi, identité avec soi de la l1égativité.Celle-ci est infinie, non comme le mauvais infini où le fini toujollrs renaît, mais en ce qu'elle est acte de se jqindre avec soi dans son autre, de venir à soi dans son autre, processus par lequel le fini est sursumé et l'infini paraît dans lui. L'essence est négativité infinie, différenciation de soi libre qui revient dans soi, relation négative à soi dans son autre. En tant que totalité absolue, en soi, l'essence est immédiateté et elle a de même en l'apparence son immédiateté posée, médiatisée. Son immédiateté n'est plus celle de l'être, étante, mais celle de l'essence, immédiateté médiatisée, réfléchie: l'apparence ou l'être en tant que moment essentiel. Les deux n101nentsde l'essence ici sont bien la néantité et l'être comme moment, l'être réfléchi. La néantité n'est pas un éclat éphémère ou instable, au contraire elle a sa consistance dans l'essence et persiste en elle. Autrement dit, «La négativité étant en soi et l'immédiateté réfléchie, qui constituent les moments de l'apparence, sont ainsi les moments de l'essence elle-même»4. On retrouve dans l'essence les déterminités de l'être mais sous une fOffi1eréfléchie et non plus immédiate. Dans la sphère de l'être, être et néant étaient itnmédiatement le même et autres, des opposés tels que chacun se renversait dans son autre absolu. Chaque un est la même indétermination et abstraction que l'autre mais est en même temps absolument différent par rapport à l'autre. Tous deux sont ineffables et leur différence dans cette immédiateté première est aussi indéterminée, donc «ineffable 1 OW 2 OW 3 OW 4 OW

Il, Il, Il, Il,

p. p. p. p.

247. 247. 248. 248. 80

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[Unsagbare]»l. Le devenir est leur unité inquiète et négative, contradictoire. Or dans l'essence ces déterminations se présentent de telle sorte que l'identité, la différence et la contradiction vont être posées, et par là pensées. Les premiers moments de l'essence ne sont plus l'être et le néant mais la néantité et l'être réfléchi, tous deux en tant que moments posés, relatifs et médiatisés par l'auto-position de l'essence. Ils ne se renversent ni ne passent dans leur autre mais constituent ensemble la détermination de l'apparence, c'est-à-dire de l'essence elle-même dans cette première forme sienne. L'essence est une avec son apparence. L'essence n'est pas un substrat ou un réceptacle en lequel l'apparence de l'être aurait son lieu ou son suppôt, et inversement l'être n'est pas un étant à même lequel l'apparence de l'essence surgirait. L'apparence, vérité de l'être comme posé par l'essence, n'est pas un quelque-chose présent ou donné dans un autre. «L'apparence dans l'essence n'est pas l'apparence d'un autre; mais elle est ['apparence en soi, ['apparence de ['essence elle-même»2. TIn'y a aucune dualité ou étrangèreté entre être et essence mais la différence de l'essence même. L'être est apparence, néantité et être réfléchi, et c'est comme tel que l'essence se le donne. L'apparence dans l'essence n'est pas l'éclat ou la parution d'un autre, c'est-à-dire de l'être, qui serait indépendant d'elle et paraîtrait en elle ou s'y réfléchirait comme en un miroir. L'apparence est de et dans l'essence, l'esserlce en tant que clarté ou parution au-dedans de soi. L'essence ne reste pas en arrière de son apparence, mais se donne tout entière en elle, paraît en elle, et par là elle va s'avérer réflexion. L'essence est apparence intérieure, lumière venant de soi demeurant dans son intériorité et la constituant comme intériorité vivante. Son éclat n'est pas un être immobile mais un acte inquiet, négatif, et il est entièrement diaphane, transparent à son énergie transparaissant en lui. Le Schein n'est pas illusion, apparence trompeuse mais, aussi selon le sens du mot allemand, parence diaphane de l'essence dans soi, sans retrait ni opacité. Ce n'est pourtant pas la transparence du concept, identité avec l'autre dans le développement de soi, mais celle que requiert la différence intérieure, le paraître dans l'autre. L'apparence est unité contradictoire de l'être et du néant réfléchis, par là elle est négativité et immédiateté médiatisée. Elle n'est pas une sortie de soi comme l'apparition et n'est pas 1

GW 20, ~ 88, Rem., p. 125 (Ene., I, p. 351).

2 GW Il, p. 248.

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l'effectivité mais elle constitue le premier degré de l'autodétermination de l'essence, le plus abstrait, où la clarté que manifeste l'essence ne lui correspond pas, n'est pas pleinement elle-même. L'apparence est l'essence elle-même en tant qu'immédiateté réfléchie. L'essence l'a dans soi et ne l'est plus en tant qu'elle se la donne en se déterminant et la sursume. Par là l'essence contient dans soi sa différence sienne et n'est plus unité absolue, seulement en soi. Or, étant négativité absolue, elle nie sa propre détermination de soi et la sursume. «Car l'essence est le subsistant-par-soi [Selbstéil1dige], qui est en tant que se médiatisant avec soi par sa négation, négation qu'elle est ellemême»l. L'essence n'est pas le produit d'une négation ou aphérèse étrangère à elle. Elle est négativité, néant en acte. Elle est liberté absolue parce qu'elle est négativité absolue et infinie, elle n'est pas affectée par un autre indépendant et hétérogène qu'elle devrait nier toujours de nouveau et qui la limiterait (comme le Moi fichtéen) mais elle est énergie pure du néant, du néant qui se nie lui-même, se différencie de soi et se détermine, par là s'affirme dans ses formes originaires. «La forme suprême du néant pour soi serait la liberté, mais elle est la négativité en tant qu'elle s'approfondit dans soi jusqu'à l'intensité suprême et qu'elle est elle-même affirmation et, à la vérité, affirmation absolue» 2.Certes, cette liberté parfaite sera celle du concept mais l'essence présente déjà la figure de la liberté, sous la forme de la néantité ou négativité et de la réflexion. L'essence a dans soi les deux moments siens de son apparence, elle est donc leur unité et identité de telle sorte que chacun de ses moments, en tant que réfléchi, paraît dans son autre, le constitue. La néantité est immédiateté en tant que relation à soi, négation de soi (ce que sera le négatif dans l'op-position). L'essence est immédiateté en tant que totalité de la négativité, sans aucun autre hors de soi. La négativité de l'essence est absolue, de soi envers soi, «relation à soi négative, nier d'ellemême se repoussant [abstofJendes]»3.Elle est libre d'elle-même, indifférente à l'égard de soi, non liée à un autre et est puissance de se poser soi-même en se donnant ses déterminations, ainsi la première, l'immédiateté. Or celle-ci n'est pas un étant présent en elle mais son négatif posé par elle dans soi, sa déterminité 1

GW Il, p. 248.

2

OW 20, ~ 87, Rem., p. 124 (Enc., I, p. 351, trad. modifiée).

3 OW Il, p. 248.

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négative, partant acte de sa propre négativité. Son acte de se déterminer, de se nier soi-même n'est pas dispersion devant attendre un choc extérieur pour retourner dans soi mais est comme négation de soi (= l' être même) suppression, sursomption de soi, aller dans soi ou retour à soi. L'essence n'a pas affaire dans son immanence à un choc du dehors mais elle se repousse d'elle-même et se recueille en elle-même, comme «retour dans soi [Rückkehr in sich]»l, parce qu'elle sursume ses déterminations. Elle est Abstoj3en, acte de se détacher de soi ou pour ainsi dire de se mettre à distance de soi parce qu'elle est liberté en tant que négativité originaire. Elle ne subit pas un choc étranger, ni n'est divisée ou scindée par une force externe, mais elle est liberté de se détacher de soi et de faire retour à soi de par son propre contrecoup, son Gegenstoj3 intérieur. Elle n'est pas mue de l'extérieur mais se meut elle-même en tant que négativité. En se donnant une forme intérieure qu'elle nie et sursume dans soi, conserve dans soi, elle opère sa rejlexio sui, fait retour à soi. Le retour n'est pas un mOUVemeJltpostérieur mais l'acte même de la négativité à l'égard de soi, ce que la réflexion va montrer. En outre ce retour ne signife pas paisible clôture sur soi après son Odyssée car elle est retour dans soi de la négativité, destinée par soi à de nouvelles formes. L'apparence n'est pas par soi, reposant sur soi, mais moment de l'essence, le moment de son néant. Par définition elle est unité sursumée de l'immédiateté et du néant réfléchis, elle est donc «l'inautareie [Unselbstiindigkeit]»2,ce qui n'est qu'à être posé par un autre qui lui donne son être relatif, négatif. C'est 1

GW Il, p. 248. GW Il, p. 248. Nous traduisons Selbstiindigkeit par autarcie, au sens étymologique grec de ce qui se suffit à soi-même, ce qui se tient par soimême, et non au sens trivial seulement économique. Ce mot dira alors le se tenir par soi et comme un soi, où l'autre est constitutif de soi. Cela donnera les mots autarcie et autarcique, et inautarcie et inautarcique pour la négation (ou non-autarcie). On sait que l' autosuffisance, l'autarcie, est le trait œ l'absolu. Chez Plotin l'Un, étant simple et premier, n'a nul besoin des autres (