213 99 11MB
French Pages [429] Year 1997
HOMMAGE À MILMAN PARRY
HOMMAGEÀ MILMAN PARRY LE STYLE FORMULAIRE DE L'ÉPOPÉE HOMÉRIQUE ET LA THÉORIE DE L'ORALITÉ POÉTIQUE
B>l'Œ PAR
FRANÇOISE LÉTOUBLON
AVEC LA COLLABORATION DE
HELMA DIK
J.C. GIEBEN,
ÉDITEUR
AM STER DAM 1 997
No part of this book may be translated or reproduced in any form, by print, photoprint, microfilm, or any other means, without written permission from the publisher. Printed in The Netherlands / ISBN 90 5063 227 0
' TABLE DES MATIERES Introduction: Mi/man Parry, L'épopéehomérique,le styleformulaire et /'oralité..... l Claude CALAME(Université de Lausanne) - André BURST (Université de Genève) - Françoise LÉTOUBLON (Université Stendhal, Grenoble 3)
1. MILMAN PARRY ET LES ÉTUDESHOMÉRIQUES Mi/man Parry et AntoineMeil/et............................................................. 9 Charles de LAMBERTERIE (Ecole Pratique des Hautes Etudes, Paris) Homer, Parry and the Meaning of Tradition............................................. 23 John PERAooTro (University of New York at Buffalo) Les originesproto-mycéniennesde la traditionépique ................................. 33 Comelis J. RUIJGH(Université d'Amsterdam) L'Q!ll'Vre de Mi/man Parry et l'analysede la langue épique ............................ 41 Paul W ATHEi.Ei' (Université de Liège) L'épopée homériqueet la.fixationdu texte............................................... 57 Gregory NAGY(Harvard University) Mémoireet répétitionsdans la poésiehomérique........................................ 79 David BOlMER (Université de Lausanne) ClusteringofWords and Other LinguisticFeaturesin Homeric Epic................. 93 J. Bryan HAINSWORTH (New College, Oxford) Regularitiilund KomplexitiJtim homerischenEpos.................................... 105 Tilman KRISCHER (Freie Universitlit, Berlin) Ordre des mots et formules homériques................................................. 117 JoseLuis GARCIA-RAMON (UAM, Madrid/ Kôln) L'ordre de préférence des éléments linguistiquesde l'épopée .................. ...... 129 Emilio CREsPO(UAM, Madrid) Lejour et la nuit. Formulaireépique et problèmesde namuologie homérique...... 137 Françoise LÉTOUBLON (Université Stendhal, Grenoble 3, Institut Universitaire de France) TheAlienationof Achilles: On TheArtistic Controlof the TraditionalPoet ........ 147 Leonard MlJELLNBR (Brandeis University)
Table des matières
vi
Il. L'ANALYSE DES FORMULES ET DE LA MÉTRIQUE HOMÉRIQUES ~
Formel ais Resultatfrühepischer Versifikationstechnik. Generative Versbildung 159 und die Gestaltung von Katalogversen.................................................. EÇ // µuxcp w Apyeoç imtoJ}o-roto eu6ov 6' EÜ1CTIM>t, // aax:emv ei).uµtvot c.oµouç
C'est dire que dans trois exemples sur quatre, il est situé à la césure penthémimère. b) La forme ♦p:il ne compte pas pour une consonne puisque la syllabe finale de µEÀ.lllaéoçn'est pas allongée. Cette expression ne remonte donc pas à une phase antérieure et doit être une création d'aèdes ioniens. Sous ce rapport, il importe de tenir compte des chiffres statistiques.Chez Homère, les exemples où l'ancien digamma doit ou peut encore compter sont beaucoup plus nombreux que ceux où il ne peut pas compter (Chantraine 1948: 116-157).Ainsi, on ne otvov. En trouve que deux exemples de µû.1.116toçoivo\>vis-à-vis de sept de µEÀ.l116éa revanche, les hiatus et les allongementsque Parry ( 1928b) a expliqués, dans le cadre de la versificationorale, par la modificationou la juxtapositionde formules, sont nettement minoritaires vis-à-vis des expressions prosodiquement irréprochables. Ainsi, Homère présente un seul exemple de a4)8l-ca aiei (hiatus) vis-à-vis de trois exemples de CÏ4>81,-cov aiei, un seul exemple de µépo,œç av8proJtOl(allongementirrégulier) vis-à-vis de neuf de µep6mov âv8pCJl7toov, un seul exemple d'hiatus devant 'O6\>aai\oç 4>i).oç \>1.ÔÇ vis-à-visde quatre sans hiatus.
1 Le digamma initial est encore présent devant voyelle dans les inscriptions béotiennes et thessaliennes, tandis qu'en lesbien, il doit avoir disparu peu avant l'époque de Sapho el d'Alcée (environ 600 av. J.-C.; Thumb-Scherer 1959: 29, 59, 92-93). Noter qu'Alcée emploie encore la fonne ÔfÔ'tli (graphie àuô'tav) à digamma intervocalique, sans doute un archalsrne qui provient de la poésie lesbienne plus ancienne (Terpandre?). La pene du digamma dans le lesbien de la fin du vues. est probablement due à l'influence de l'ionien voisin.
Les originesproto-mycéniennesde la traditionépique
35
§3. Le fait que la valeur prosodiquedu digamma initial est intacte dans la majorité des exemples hommques, nous invite à supposer qu'Homère a été en contact avec les aèdes éoliem 2 • Un autre argument est fourni par la fréquence de la particule modale éolienne 1ee(v), qui est presque le quadruple de celle de la forme ionienne dv3. Il est tentant de conclure que c'est grâce à la qualité extraordinaire de l'épopée ionienne d'Homère que l'ionien épique a supplanté l'éolien épique comme dialecte 'standard' de la poésie dactylique4. C'est sans doute également cette qualité qui a amené à mettre par écrit les deux grandes épopées d'Homère (Ruijgh 1985: 146, 171-172). Si l'on accepte l'authenticité des fragments de la poésie épique d'Eumélos de Corinthe, poète situé dans la seconde moitié du VIIIe siècle et qui montre l'influence profonde de l'épopée homérique, il est impossible d'accepter l'opinion courante de nos jours et de placer Homère dans le même demi-siècle5. C'est pourquoi nous préférons accepter la date suggérée par Hérodote (2.53.2), qui situe l'épopée homérique dans la seconde moitié du IXe siècle. §4. Certains traits dialectaux prouvent que le dialecte éolien des prédécesseurs immédiats d'Homère était spécifiquement le lesbien, c.-à-d. l'éolien oriental de Lesbos et du nord-ouest de l'Asie Mineure. Ainsi, la désinence -µevat des infinitifs athématiques du type lµµevœ est caractéristique du lesbien. Or, -µevat s'explique comme amalgame de la désinence éolienne originelle -µev avec ionien -vat (Ruijgh 19()2b: 450). En effet, comme l'a montré Risch (1955: 71), le lesbien a subi l'influence de l'ionien oriental, son voisin en Asie Mineure. L'éolien continental de la Thessalie et de la Béolie a conservé la forme originelle -µev, désinence qu'il a également introduite dans les infinitifs thématiques du type èx-é-µev, vis-à-vis de lesbien lX'flV< lx-e-ev. Comme le type txéµev figure aussi chez Homère, on peut conclure que les colons éoliens, partis du nord-est de la péninsule grecque au début du premier millénaire, ont apporté la tradition épique en Asie Mineure. L'existence d'une phase éolienne continentale n'étonne pas. Vers la fin du second millénaire, les Achéens du Péloponnèse étaient bouleversés par des troubles aboutissant aux invasions des Doriens, qui ont fini par y supplanter les Achéens, sauf en Arcadie. En Béotie et en Thessalie, en revanche, les &>liens ont tenu bon, du moins jusqu'à un certain degré, contre la pression dorienne. Ce sont eux qui ont conservé et développé la tradition épique héritée de l'époque mycénienne.
2 D'aplà Janko ( 1982: 47), lc poun:emage desexemples à digamma œgligé est environ 17,5 chez Homàc vis-à-vis de 35,5 chez Haiodc. 3 Voir Chantraine 1953: 345-346; Ruijgb 1992a: 77-78. C.ommcune s&(ucncc telle que oùK av peut recouvrir ~icn oü 1C2v, il multe que le pourcentage desexemples comportant la forme ioaicooc imductiblc est infaicur à 20. 4 Pour la notion de 'dialecte qiique standard', c.-à-d. de dialecte du courant primoill de la traditiœ q,iquc, vis-à-vis des dialectes des branches locales et secondaires, attesta dans Ica q,igrammcs q,ichoriqucs, voir Ruijgb 1985: 167-168. s Enacfmdtaat que l'épopœ bomaiquc date de la IICCODdc moiti~ du vmes .• Janko (1982: 231-233) ac voit oblie6 de rejeter l'autheolici~ des fragmmts q,iques d'Eumaos.
36
Comelis J. RUIJGH
§5. Nous avons vu que des mots comme ataa, figurant tant chez Homère qu'en arcadien ou en chypriote, ont servi d'amorce à la théorie de la phase achéenne et que plusieurs mots de cette classe sont effectivementattestés dans lex textes mycéniens (§ 1). Cependant, ils ne sont pas entièrement probants. A priori, on ne peut pas exclure la possibilité CJ..U'ils aient également fait panic du vocabulaire éolien de la fin du second millénaire. A notre avis, il y a deux arguments probants pour la présence d'éléments spécifiquementachéens, arcado-chypriotes,dans le langage d'Homère. L'un est fourni par le vocalisme des adjectifs du type 'ŒÀ.TtEvt< *-œUa-fevt-, dérivé du nom neutre 'tÉÂ.oç;cf. ainftev't-: atnoç, 8uftev't-: 8uoç. On le trouve notamment dans la vieille formule ttÂ.TIÉ1.) ou encore e fermé. Le second argument est fourni par l'expression homérique à1tôvaû4>1. 'venant des nefs'. En mycénien, -4>1. fonctionne encore comme désinence de l'instrumentai pluriel, forme distincte de celle du datif-locatif pluriel. Dans l'emploi local, la forme de l'instrumentai semble avoir eu une valeur 'adessive' ('auprès de', 'avec'; cf. *bhey > all. bei, angl. by) vis-à-vis de la valeur 'inessive' ('dans') de la forme du locatif. Dans les textes mycéniens, l'instrumentai s'emploie tantôt sans préposition tantôt avec une préposition. Exemples: PY Ta 642.3 to-pe-za ... e-re-pa-te-jo po-pi 'tOpneÇa ... èÂ.e4>t 'au dehors', originellement 'à la porte'. En grec 6 Le suffixe subsiste dans la formation de noms g6ographiques comme l:a;Uvoiiç < culinairescomme011Gaµ{)ç < •O'llG~Evç 'painde sésame'.
•l:cl,ï:vofEVÇ et de iennes
Les originesproto-mycéniennesde la traditionépilJ.ue
37
postmycénieo, le rôle de l'ancien insbumental a été adopté par la forme du datif-locatif, mais les aèdes ont maintenu la forme en -+i pour la commodité métrique. Il s'agit d'un élément nettement artificiel. En effet, Homère emploie -♦t non seulement pour le datif (surtout dans l'emploi comilalif, instrumental ou locatiO mais aussi pour le génitif (surtout dans l'emploi ablatif avec des prépositions), et non seulement pour le pluriel mais aussi pour le singulier (Chantraine 1948: 234-241). Ainsi, àm vaû♦t(----) équivaut à l'expression au génitif àm vrimv (---). Or, tandis que tous les autres dialectes emploient le génitif (emploi ablatif) après cu6/mru, l'arcado-chypriote s'y sert du datif, successeur de l'ancien instrumental. Par conséquent, on peut reconstruire une expression achéenne de date mycénienne *à~ va'IJ♦i. litt. 'venant d'auprès des nefs', où n'est pas attesté dans les textes mycéniens8. §6. Nous allons maintenant examiner quelques expressions homériques prœodiquement irrégulières qui comportent des mots à h initial9 • L'on sait que dans les mots d'origine indo-européenne, h initial est le plus souvent l'aboutissement phonétique des-, moins souvent celui de y- (Ruijgb 19'J2b: 434-435). En linéaire B, le h n'est pas noté explicitement, sauf dans le cas de la syllabe ha, exprimée par le syllabogramme qu'on appelle ai; exemple: ai-te-ro a-œpoc;'l'un des deux' (a- < *srp-). Des graphies
7 Dans la cœsttuaioo arcado-cbypriote de è~ > èç '90r1antde' avec le datif, il faut partir du locatif à valeurorigindlement inasive. Comparer la gloae chypriote d'H6eycbius èc; m8' lp,œc;· m8Ev-q1C2ic; 'd'oà viens-tu?', ooèc;est suivi de l'adverbe locatif ff68'..L'adverbe homérique àJtov6cs♦1 (ou â,ro voo+t) 'à l'~'. 'loin de' a chance de remonter à une expression~ *àri voa+i'loin de chez
latin nllf). L'emploi homérique de voa+tcomme synonyme de àKovoa+t est sans doute aecœdaire: il s'explique sur le mocWede ii-œp& = àmtep8e, iive\l& = Ô1mvl!u8e,synonymes de
DOUS' (cf.
àmwa+t. 8 L'emploi de .. \ pour le datif singulier s'explique iplement par des r6intcrpritations des Kdcs. Ainsi, ~l 'à la porte' itait originellement une forme du pluriel (cf. attique 8\ipacn, latin j}rls). En y voyant une forme du singulier, les aèdes ont pu créer des formes comme cl>8i1J♦1 (--),équivalent pœtiquede cl>8i11 (-; valeur locative). De même, il itait facile de rânterpréter t+i (barytooàe
lesbienne; mye. fî♦l 'avec toutes les forces') comme une forme du singulier et de créer des formes comme Pi11♦ 1 (---),équivalent pœtique de Pin (--). Noter qu'au pluriel, -1l♦ t n'aurait pas eu d'utili~ mârique comme équivalent de •'flC'l. 9 Du moins, le texte transmis de l'épopœ homérique comporte des graphies à esprit rude. L'on sait quel'additiondehinitial estattribœe àla 'J61action attique'. En effet, des graphies comme oiw,c;(: att. h6ÀC>c; 'Clllier')monlmlt que l'ionien d'Homère, c.-à-d. l'ionien mental, itait ~jà psilotique.
38
Cornelis J. RUUGH
montrent que des graphies comme me-zo-edoivent représenter µtÇohec;(ion. µtçouc;). La graphie te-o représente donc 8eh6ç ( -v6p-, cf. a-re-ka-sa-da-ra'AAEZ;av6pcï),si bien que la syllabe initiale était désormais longue. Les aèdes de cette époque y ont remédié en prononçant -o.> av- avec synalèphe et en remplaçant àv6po- par *àv6pEht- sur le modèle de *âpyehtxwov't, (6 ex.). D'autrepart, ils ont pu la modifieren remplaçant vieilleformulesimpleµtvoc;TJU µtvoc;te par icai i\P11v pour soulignerdavantagel'idée de la mort prématurée16. Homère a donc utilisé quelques expressions qui doivent remonter à l'époque proto-mycénienne,parce qu'ellesprésupposentle maintiender syllabique.D'autre pan, (1---; T358, X9, 0460, C1>445) ne peuvent des expressions comme Oeôc;èiµl}po-coc; pas y remonter: la syllabe initiale de èiµl}po-coc; est longue, tandis que celle de la fonne proto-mycénienne*èiµrroc;était brève. De telles expressionsont donc été créées par les aèdes de l'époque mycéniennehistorique(XJVe-xrr1es.) ou de la phase éolienne. Pour (§8), une des fonnules comme (1}0CÏ>1t1.c;) 1t6-cv1.a PHp11(§7) et ~1.t µi\nv à-caÀav-coc; origine proto-mycénienneest bien possible,mais il n'y a pas de preuvedécisive.Voici la chronologieapproximativedes cinq stadesde la traditionépiqueque nous avons établis: la proto-mycénien(mycénienpréhistorique),1550-1400:Péloponnèse. b mycénienhistorique,1400-1200:Péloponnèse,Béotie,Thessalie. Ila éolien continental,1200-1000:Béotie,Thessalie. b éolien oriental, 1000-850:Lesbos,Éolideen Asie Mineure. III ionien oriental,850- (Homère):Ionie en Asie Mineure17. Bibliographie Hoekstra,A. 1969The Sub-EpicStage of the FormulaicTradition.Amsterdam (North-HollandPubl.). 1981Epic Versebe/ore Homer. Amsterdam(North-HollandPubl.). Meier, M. 1975 -i.ô-.Zur Geschichteeines griechischenNominalsujfixes.Gôttingen (Vandenhoeck& Ruprecht). Mühlestein,H. 1958 "EinigemykenischeWôrter",Mus.Helv. 15, 222-226. Risch, E. 1955 "Die Gliederungder griechischenDialektein neuer Sicht",Mus. Helv. 12,61-76. Ruijgh, C.J. 1957L'élémentachéendans la langue épique.Assen (van Gorcum). 1967Étudessur la grammaireet le vocabulairedu grec mycénien. Amsterdam(Hakkert). 16On pourrait aussi songer à une formule proto-mycénienne*âv,râta ywüiv icwe;cf. '1'578 âpufj u: Piîl tt:, etc. Noier la ressemblance phonétique et sémantique entre •ywia> PlTJ'grande force' et *YTT7wêi > iîlhl'.jeunesse,qualité du jeune adulte'. 7 Pour plusieurs questions traitées dans la présente contribution, on trouvera une discussion plus détaillée dans Ruijgh 1995.
Les originesproto-mycéniennesde la traditionépique 45 1985 ''Le mycénienet Homère",dans: Uneair B: a 1984survey (Louvain-laNeuve,Cabay). 1992a"L'emploile plus ancienet les emploisplus récentsde la particule KE/av",dans: La langueet les textesen grec ancien (Amsterdam,Gieben),75-
84. 1992b ''L'emploimycéniende-h- intervocaliquecommeconsonnede liaison entre deux morphèmes",Mnemosyne45, 433-472. Thumb, A. - 2Scherer,A. 1959Handbuchder griechischenDialekteII. Heidelberg (Winter). Wathelet, P. 1966''La coupe syllabiqueet les liquidesvoyellesdans la tradition fonnulairede l'épopée grecque",dans: Rechercheslinguistiquesen Belgique (Wetteren,Universa),145-173.
L'ŒUVRE DE MILMAN PARRY ET L'ANALYSE DE LA LANGUE ÉPIQUE PaulW ATHFl.Ef
Un des grandsmérites de l'œuvre de Milman Pany aura été de pennettre enfin une explication acceptable de l'apparente bigarrure de la langue épique. L'hypothèse d'une longue tradition transmise pendant plusieurs siècles par des générations d'aèdes jusqu'à Homère et Hésiode pennet de justifier la présence dans l'épopée, à la fois de traits linguistiques qui relèvent d'époques différentes et aussi d'apports dialectaux divers et successifs. Ainsi s'est construite la théorie selon laquelle la première langue de l'épos avait été l'achéen. Le trésor fonnulaire originel a ensuite été repris, adapté et enrichi par des aèdes éoliens, auxquels ont succédé des aèdes ioniens d'Asie, dont Homère lui-même. Il s'agit bien là de trois phases de compositions successives au cours desquelles les aèdes ont créé de nouvelles expressions fonnulaires dans leur dialecte et ont éventuellement adapté, autant que faire se pouvait, des fonnules plus anciennes à leur propre parler, afin d'être mieux cootpris de leur auditoire 0 • Une phase de composition est évidemment très différente d'emprunts isolés, faits à un idiome particulier, pour des raisons diverses qui pourraient aller jusqu'à la recherche de couleur locale. Un nombre très réduit d'éléments récents qui avaient parfois été attribués à l'attique constituent sans doute des apports de l'ionien d'Eubée 1. Chalcis d'Eubée sembleavoir connu un certain développement littéraire à l'époque d'Homère et d'Hésiode. Il y a peu, la suggestion a été faite que la langue épique contenait quelques traits doriens2 , mais l'examen de ceux-ci montre qu'ils sont susceptibles de venir d'une autre provenance. Je n'aborderai pas ce problème ici, mais je me réserve d'y revenir dans un article qui paraîtra prochainement Il s'en faut de beaucoup que la théorie des trois phases dialecrales successives de la tradition épique fasse l'unanimité des spécialistes. Même après le déchiffrement du linéaire B, qui avait confinné l'importance de l'achéen à la fin du Ile millénaire, des
O Afm de limiter la longueur de la présente communication, on se bornera à donner ici les rff&eocesiodispemables.- Pour tout ce préambule, cf., dans cc même volume, la communication de CJ. RUOOH. 1 P. WAn-lB.EI', La langue homérique et le rayonnement littlraire ~ l'Eubie, dans AC, 50
(1981), p. 819-833. 2 M.L WESr, The Rue of the Greek Epic, dans JHS, 1œ (1988), p. 151-172.
47
48
PaulWATHELET
homérologues ont mis en doute l'apport achéen à la langue épique, favorisant les "siècles obscurs". D'autres, en revanche, ont tenté ou tentent encore d'éliminer la phase éolienne, ne laissant subsisterqu'un nombreréduit d'éolismesqu'ils attribuentà la période récente de la composition. Comme la tradition mythique rapporte que les Néléides de Pylos se sont installés à Athènes, puis que, de là, ils ont dirigé la migration ionienne vers l'Asie mineure, certains homérologues en ont conclu que la langue épique ne contenait que de l'ionien à divers stades de son évolution. De telles hésitationss'expliquentnotammentpar le caractère lacuneuxet parfois incertain de nos connaissances en matière de dialectologie grecque. La graphie du linéaire B est très imparfaite et nos sources sur les dialectes du Ier millénaire sont de valeuret de date variables. En outre, la matière homérique est immense et elle est étudiée par des spécialistes de domaines nombreux. Certains ont parfois tendance à se limiter à leur seul domaine, voire même à un seul sujet, sans assez se soucier de le situer dans un ensemble cohérent qui tienne compte des divers aspects d'une problématique complexe. Ainsi une recherche sur les traits dialectaux de l'épopée doit tenir compte de son mode de composition très particulier, il convient de procéder à l'analyse formulaire des traits étudiés. De voir s'ils sont attachés à des mots rares ou bien connus dans l'ensemble du grec, s'ils entrent dans des expressions traditionnelles, si ces dernières contiennent d'autres caractères propres au même dialecte ou au moins des indices datables dans l'évolution de la langue, si ces expressions traditionnelles sont ou non susceptiblesd'en recouvrirde plus anciennes,si enfin, au point de vue du sens, elles sont liées à un contexte donné. C'est seulement après une telle démarche appliquée à tous les éléments propres à un dialecte que l'on pourra se faire une image plus claire de l'apport d'un dialecte à la langue épique, de la date de cet apport et de son importance. Deux précautionsdoivent être prises: • éviter d'attribuer à un dialecte déterminé un archaïsme qu'il est seul à avoir conservé dans les attestations que nous possédons, mais que d'autres parlers ont connu à date ancienne. Ainsi, on a pu croire pendant un temps que la prépositionl;w 3 constituait un trait attique, dans la mesure où l'attique est, au premier (pour c:ruv) millénaire, le seul dialecte à attester cette forme, mais la préposition ku-su du mycénienindique qu'il s'agit simplementd'un archaïsme; • distinguer parmi les traits propres à un seul dialecte,ceux qui sont susceptibles, au point de vue métrique,d'en recouvrirde plus ancienset ceux qui sont irréductibles. Dans un article de synthèse au demeurant tout à fait remarquable,M.L. West suggère qu'Homère et ses prédécesseurs immédiats n'ont pas vécu en Ionie d'Asie, vu qu'ils ignorent les formes 1eoû,KÇ, 1e6-œ., 1eotoc;, etc.respectivementpour no'Û,nêi>c;, n6-œ., 4 no'ioc;,etc. , alors que les premières sont bien connues en ionien d'Asie. L'argument 3 P. WATHELET, Etudes de linguistique homirique: les formes (1977). p. 158-164. 4 M.L. WEST,op. cit., p. 166.
çvvet uvv,dans AC,
46
L'œuvre de MilmanParry et l'analysede la langue lpique
49
ne peut être retenu dans la mesure où le texte homérique a reçu tardivement un vernis attique et où des fonnes telles Koû, KCÔÇ, etc. ont pu être remplacées par ,roû, 1téi>ç. etc.,sans aucunealtération métrique. Comme ils continuent d'être au centre de beaucoup de débats, je voudrais ici m'attarder aux éolismes et évoquer rapidement deux traits éoliens, les infinitifs athématiques en -µevai et les datifs analogiques en -eocn. Ces deux traits présentent un triple avantage: ce sont des innovations et non des archaïsmes conservés, ils sont fréquents dans l'épopée et, au point de vue métrique, ils ne peuvent recouvrir des formes plus anciennes. Dans le temps qui m'est imparti, je ne puis entrer dans le détail d'une analyse formulaire qui serait trop longue. Je me borneraià évoquer ici quelques traits, en vous renvoyant à des articles qui envisagent l'ensemble du dossier5. La langue épique atteste des infinitifs athématiques en -µev que l'on retrouve notamment en béotien et en thessalien. Dans les deux dialectes, la désinence -µev a été étendue aux verbes thématiques: on y lit des formes telles ypa+éµev. L'épopée connaît la même extension. Plusieurs infinitifs épiques en -Eµev ont le -µev au temps fort, allongé par position. De telles formes sont susceptibles de recouvrir des infinitifs en -EhEv< *-e-sen, comme ils se présentaient avant la chute de l'aspiration intervocalique et la contraction des deux e (Cf. A 323 XElpoc; tMvt' àytµev Bpurrjî&x KaUutaP'tlOV où àyéµev peut recouvrir àyEhEv). En lesbien, la désinence -µev est devenue -µevai par adjonction de la finale -m. qui apparaît dans plusieurs infinitifs. La langue épique connaît également des infinitifs en -µeval, et. comme pour -µev, la caractéristique -µeval a été étendue aux verbes thématiques; type ypa~vat. Le lesbien étant seul à attester des infinitifs en -µeval, ceux de l'épopée sont considérés comme des traits éoliens. Même si les formes en -Eµeval n'ont pas de correspondant dialectal attesté, elles procèdent manifestement des premières. Voyons d'abmd les formes elles-mêmes. Les infinitifs athématiques en -µev et -µeval de l'épopée sont attestés au présent [n&liµevat, ~Euyvuµev(al), iµev(al), à11µEval, etc.], à l'aoriste second [66µev(ai), Ktaµev(al), pfiµEv Et p11µt:val,yvroµevai, etc.], au parfait [l}Epaµev, tqeyaµev, É:ataµt:V Et É:ataµt:Vat, -œ8vaµevai, etc.]. Plusieurs de ces infinitifs sont archaïques: àru,œval, de Ol'lJ.ll,dont C.J. Ruijgh6 a montré que c'était un élément achéen, aµEval "repaître" ou "se repaître", uniquement épique et très défectif, éaµevai "manger", avec une flexion athématique qui se retrouve ailleurs. éµµEvat, du verbe "être", vient de *êaµEval, avec la gémination de la sonante qui est attestée en lesbien et en thessalien, même si c'était un archaïsme conservé. Les formes àvO'tiuœvai et Ka'tOéµev attestent une apocope de la préposition phénomène connu dans la plupart des dialectes, sauf en ionien. 5 L'étude sur les infinitifs en -µevm doit toujours paraître. - Les datifs analogiquesen -eacn dansla tradition épique,dansREG, 104 (1991), p. 1-14. 6 CJ. RUIJOH,l'élément achéen ... , p. 68-71. - P. CHANTRAINE,Dict. ét., p. 26, s.v. ffllll.
50
PaulWATIŒLET
Plusieurs infinitifs en -µeva1. appanienent à la catégorie des verbes dits "contractes". Ces formes sont athématiques comme dans âpi\µeva1..1tt:1.vi\µeva1.. y01iµeva1.. 1eaÀ.i\µeva1..1tev&.;µeva1.. 1to&.;µeva1.. 4>1.À.i\µeva1.. Les verbes "contractes" ont des origines diverses. mais la tendance de l'éolien. comme d'autres dialectes.est de les faire passer à la flexion athématique.alors que l'ionien-attiquefait l'inverse. L'accentuation des formes dialectales est une matière spécialement délicate, mais il est possible que le recul généraliséde l'accent propre au lesbien ait laissé des traces dans l'épopée. À l'inverse des infinitifs en -vm de l'ionien, tous les infinitifs en -µeva1.font remonter l'accent au maximum. À côté d'infinitifs constitués sur des aoristes en -TIV (µ1.'YT\µeva1.. 'Œf)OT\J.l,EVa1.. 601\µeva1., etc.), on trouve des infinitifs d'aoristes passifs en -8T1v. comme à e1.1e1.a81\ µeva1.. à oÀ.À.1.081\ µeva1., à p1.8µT181\ µeva1.. 61.a1ep1. v81\ µeva1.. oµo1.ro8fuœvai.Or, l'apparitionde formes spéciales pour la voix passive constitue en grec un phénomènerelativementtardif. En somme, d'un examen, même rapide, de la forme des infinitifs athématiques en -µeva1.de l'épopée, il ressort qu'outre leur caractère lesbien lié à la finale ellemême ils constituent des archaïsmes proches parfois de la phase de composition achéenne de l'épopée, qu'ils attestent d'autres traits connus en lesbien ou, dans le cas des aoristes premiers passifs, qu'ils représentent un développementassez récent dans l'histoirede la langue. Si l'on procède à une analyse formulaire des infinitifs en -µeva1.,leur caractère traditionnel est évident. Ils apparaissent dans des expressions formulaires ou, au moins, ils sont liés à une place de l'hexamètre,sans que leur structuremétriqueoblige à les y cantonner.Dans un vaste ensemble,épinglons quelques faits: • Il n'est pas rare que des infinitifs en -µeva1.alternent avec des infinitifs en -µev au sein d'expressionstraditionnelles. • De nombreux hexamètres commencent par l'élément formulaire Pfi 6' 'iµev, au singulier, ou au pluriel pàv 6' iµev. à côté desquels on trouve ailleurs ~ 6' iµeva1.ou pàv 6' iµevat. Le pluriel pàv (pour *bant) est la forme originelle que l'ionien attique remplacera par Pfiaav. • 'Aiiµevai, dont on a déjà parlé, apparaît dans deux vers où il est lié à la forme
rop-co:
'I' 214 at'lfa 6è 1t6v-rov'i1eavovàiiµeva1.,rop-co 6è 1eûµa et y 176 rop-co 6' É1tlÀ.iy~ oupoc;àl\µEva1.·ai 6è µcU.'(OICQ Le premier vers intervientdans le récit de l'incinérationde Patrocle. • La formule plusieurs fois répétée 1ea-ra1e-râµeva1. µeveaivCJ>V connaît divers remplois, µevroivro est un verbe uniquementépique. • L'élément 1epta ë6µevai devant la diérèse bucolique est susceptible de recouvrir 1epéa(a)ë6µevat. • Dans ÉptÇéµeva1. PamÀ.ilt (Paa1.À.Eû01.) qui termine trois vers, on notera l'emploi de pa495), 1ClXT1µEva1. aimµov f\EV (ou tan), où l'adjectif ai.mµoç est dérivé de a\oa, élément achéen. • Un des traits les plus remarquables de l'emploi des infinitifs en -µevai (ou -eµ.evai) est leur apparition devant la diérèse bucoliqueque le contexte soit le même ('I' 198, 210), dans la description de la ou non. Cest notamment le cas de 1Caiiµeva1. crémationdu corps de Patrocle. • Les verbes qui attestent des infinitifs en -µev et -µevm ne sont pas liés à un domaine sémantique particulier. Toutefois un indice assez mince peut être relevé: ic:at\µevai décrit la crémation du corps de Patrocle, or on sait que l'époque mycéniennepratiquaitl'inhumation. Tant dans la constitution des formes que dans leur emploi traditionnel l'étude des infinitifs en -µevat fait apparaîtreles constatationssuivantes: • quelques éléments attestent d'autres traits susceptibles d'être éoliens et qui, en tout cas, sont étrangers à l'ionien. De plus, des infinitifs en -µevai sont étroitement liés à des infinitifs en -µev. • des fonnes sont archaïqueset proches encore de traits qui caractérisentla phase achéennede la compositionépique, mais d'autres évoquentune époque plus tardive. • les infinitifs en -µevai relèvent du style traditionnel. Même quand ils apparaissentdans des contextes différents,ils semblentfigés par la tradition au même endroit de l'hexamètre. Cette dernière remarque vaut spécialementpour les infinitifs thématiquesen -eµevai, moins souvent insérés dans des expressions formulaires. En somme l'étude des infinitifs en -µevat de l'épopée révèle que ces infinitifs appartiennent à une époque de la composition qui est encore proche de la phase achéenne,mais qui lui en est postérieure. rajouterai ici une hypothèse difficilement démontrable, mais qui me paraît vraisemblable.Je suis frappé depuis longtempspar le fait que les fonnules anciennes occupent en général un demi-vers, un hémistiche avant ou après les césures trochaïqueou penthémimère.Après d'autres7, je me demande si, à un moment donné, les aèdes n'ont pas assoupli l'hexamètre dactylique, comme Victor Hugo se vantait d'avoir "disloqué ce grand niais d'alexandrin". En d'autres termes, les aèdes éoliens n'ont-ils pas favorisé des césures non médianes comme la diérèse bucolique, contribuant aussi à un certain renouvellementde la scansion, renouvellementqui ira de pair avec un renouvellementdes thèmestraités,comme on va le voir dans l'examen des datifs athématiquesen -eom, auquel nous passons à présent Sans poser ici le problèmede l'origine des datifs en -rom, on notera qu'ils sont attestésdans les trois dialectes éoliens. Ils le sont aussi dans quelques parlers nordoccidentaux,mais ces derniers ne sont pas susceptiblesd'avoir exercé une influence durablesur la langue homérique.
7 A. SEVERYNS,Homère.Le poète et son œuvre,Bruxelles, Coll. Lebègue, 1946, p. 5~1.
PaulWATHELET
52
L'analyse formulaire des datifs éoliens en -eam révèle des traits analogues à ceux qu'on a décelés pour les infinitifsathématiquesen -µevm..Dans l'ensemble,ces datifs sont d'emploi traditionnel, ils entrent dans des formules, des éléments ou des schémas formulaires ou, au moins, ils se trouvent figés au même endroit de l'hexamètresans que le mètre y contraigne. En voici quelquesexemples: • en fin de vers: - (,couµoç 6') av6peaEaatv àv~t (èivaJC-ra) - 1tcivream 6' àvaaœ1.v A 288 )..349 - Cl>atlllCEaat♦tÀ.T1pé-rµo1.mv àvciaaw 4>188 - avaaawv Mupµ1.66veaat - àvaaaE 6è Mupµ1.66vEaat O 536
-etc. Dans tous ces emplois, le -v éphelcystique devant àvaaaw peut masquer la disparition du wau initial. Les peuples mentionnés dans ces expressions traditionnelles sont situés en bordure du monde grec, dans le nord de la Grèce ou aussi en Asie Mineure: les Céphalléniens, les Dolopes, les Myrmidons, les Troyens, les Ulèges, les Ciliciens. On y ajoutera les Thraces dans l'expression iv\. 8pT11CEaat"Œ'tUIC'tO (Z 7) et les Cicones dans l'élément formulaire K1.1C6VEaatJté)..aaaev (1. 39), qui alterne avec Ai8iKEaat JtÉÀ.aaœv (B 744). Ces derniers sont un peuple inconnu, qui n'apparaît que dans le récit de la guene entre les Centaures et les Lapithes. Autre notation qui va dans le même sens: la formule i.6uium 1tpamœam "aux savants pensers" (A 608; I: 380, 482; Tl92) qui contient le féminin du participe de ol6a, au degré zéro, un archaïsme, et un mot très rare 1tp01ti6eç. Or cette formule n'est appliquée qu'à Héphaïstos, dont le culte était spécialement important à Lemnos. On reste dans le nord de l'Egée. Dernier trait que l'on mentionnera, il s'agit du domaine sémantique couvert par les mots qui attestent le datif pluriel en -Eaat. Un nombre non négligeable de ces mots évoquent le monde de l'élevage, de l'agriculture, de la vie à la campagne: èipveam (TI 352), 1CT1♦llvEaat (Hes. Tr. 304); 1Cûveaa1. (M 41, P 725, etc.), OICUMJICEOOl (u 14; Hes., Th., 834), aµ' àypoµtvotat O'UEOOl(!; 25, 1t 3), œaat (o 13 Â.t8ci6eaa1. (!; 36, 'I' 193), 397, v 410, etc.), âa-raxueam (B 148), 1tu1Cvija1.v
12 P. WATHELET, Myclnien et grec d'Homère. 3) dvaç et fJaa,ûvç dans la tradition formuJ.airede l'lpople grecque, dansZA, 29 (1979), p. 25-40. 13 Le -v éphelcystique de ,rulCvflawest apparemment indispensable à la scansion, mais le -l bref pourrait peut-être être allongé devant la liquide. L'étymologie de Àl8ciç est inconnue (P. CHANTRAINE,Dict. lt., p. 640, s.v. ll8oç), mais l'hypothèse d'une initiale *si- n'est pas exclue, de
54
Paul W A THELET
o♦i\1eeo' èaUtoû ôttovica\ üotepov 'Apiotapxoç ôtcop8oooavto). 36 Pfeiffer résume ainsi son interprétation des données: Zénodote "a véritablement été le premier diorthôtê 's des poèmes homériques et d'autres poèmes, révisant et amendant le texte, et [le mot diorthoô] était le terme technique propre. "37 La référence à Aristarque, continue-t-il, "prouve de manière concluante que c'est ce que signifient les Prolegomena. "38 Une telle mise en parallèle de Zénodote et Aristarque nous ramène au problème de déterminer dans quelle mesure nous pouvons interpréter une diorthôsis d'Homère par quelque critique que ce soit comme une 'édition'. Il y a aussi d'autres problèmes connexes. Le critique responsable d'une diorthôsis donnée est-il fiable? Ou du moins peut-on se fier en sa méthode de diorthôsis? Les fondements théoriques de ses méthodes sont-ils sains? Même si les réponses sont positives dans le cas, par exemple, d'Aristarque, peut-on étendre un tel jugement positif rétrospectivement à Zénodote? La dernière question peut même remonter plus haut encore. à Aristote. On a montré qu'Aristote était très engagé dans la recherche sur les problèmes de la transmission du texte d'Homère. 39 Bien plus, il existe de fortes preuves de sa relation avec le concept même de di6rthôsis. Aristote utilise de manière cohérente le verbe diorthoô 'corriger' et son dérivé abstrait di6rthôsis dans le sens de fournir la bonne interprétation d'un texte difficile, ou fournir la réponse adéquate à une question (erôtêma); comme dans les Réfutations sophistiques (chapitres 18 and 19). 40 Dans le même ouvrage, on trouve même l'expression tôv "Oµripov Ëvt0t Biop8oüvmt 'certaines personnes corrigent [diorthoô] Homère' (Réfutations 33
Pfeiffer 1968.98. Blum 1991.101 considère 291 av. J.C. comme une date possible pour la prise de fonction Unodotc. Sur ce point, j'attends Je travail à parai"trede John Morgan. 35 Sur une évaluation objective de la référence de la Suda, voir Blum p. 10 l. 36 Pfeiffer 1968.105-106. 37 Pfeiffer p. 106. 31 /bid. 39 Blum 1991.22. 40 Laum 1928.105. l'
œ
L'épopée homérique et la fixation du texte
63
sophistiques 166b3), avec référence à un problème d'exégèse à lliade xxm 328: certains critiques interprètentle OY dans le texte reçu comme où au lieu de où (cf. aussi Aristote Poétique 146la21).41 Il est clair que de telles "corrections" étaient envisagées comme des appels de notes en marge ou des signes dans le texte luimême.42Pour la tradition sophistique en général et pour Aristote en particulier, la di6rthôsis était de manièreclaire une affairede marginalia.43 La mention par Aristote du pardsêmon 'signe marginal' dans les Réfutations sophistiques 177b, à nouveau dans un contexte de discussions de variantes accentuelles,44 en constitue un indice pertinent La technique éditoriale ou di6rthôsis de Zénodote et de ceux qui comme Aristarquevinrent après lui était vraisemblablementaussi une affairede marginalia. Il y a en fait une remarquablecontinuitéd'Aristote à Aristarquenon seulement dans la techniquede di6rthôsis mais aussi dans la forme de discours qui lui est associée, prouvée le plus clairementdans l'exemple d'Aristarque lui-même, dont les critères montrent parfois une ressemblance frappante avec ceux que représente l'école d'Aristote. Si par exemple nous prenons le critère d'Aristarque khariésterai 'plus élégant',qui comme nous l'avons w était appliquéavec référence aux textes "édités" d'Homère,nous rencontronsle même terme critique dans un contexte plus ancien au quatrième siècle. L'orateur est Isocrate, et nous sommes sur le point de le voir renvoyernégativementà certains de ceux que l'on appelle "sophistesdu Lycée." Ces sophistes sont dits pratiquer l'art des rhapsodes 1) puisqu'ils déclament (perform) les poèmes d'Homère et d'Hésiode et 2) puisqu'ils sont eux-mêmes mnêmoneûontes 'en train de commenter' les khariéstata ou 'choses les plus élégantes' dans ces poèmes: Tiept µèv oùv -ccôv1œmnôeuµtvrov nryxâvro -cairta ytyvcocncrov.Tiepi ôè "l'i;çVµ,jpov Kai f"1k 'Hmooov 1eai fflÇ-ccôvaÂ.Â.(J)v 1t0tT1creroç tm8uµcô µèv ebœîv, otµat yàp âv Jtaûaat rot)ç év rqj AvKeiq, pay,üvmçrç ~iUTwv Kai 1tv 1t001t0'Œ yevoµévcov ëaxev ei,œîv oihœ ,ro,Uàç Kai KaÀ.àç 6iavoiaç ,œpi 'Oµ,jpov oaaç èyro 530c-d).47 Bien que la technique de diorthôsis fOt plutôt une affaire de marginalia aussi bien pour Aristarque que pour Aristote, nous pouvons nous attendre à rencontrer d'importants changements ou progrès dans le système des critiques alexandrins. La manière dont Aristote et Aristarque traitent les particularités accentuelles chez Homère est l'exemple d'un tel changement. Pour Aristote, comme nous l'avons vu, les questions d'accent chez Homère étaient simplement un problème de diorthôsis. Pour Aristarque, en revanche, de telles questions devaient être traitées non dans la diorthôsis - maintenant à interpréter dans une valeur plus restrictive d' 'édition' mais dans les hupomnêmata ou 'commentaires'. Les accents ne faisaient pas partie du texte, au sens où Aristarque comprenait le concept de texte. L'hypothèse de Karl Lehrs et d'autres 48 suivant laquelle l'édition d'Homère par Aristarque comprenait une accentuation systématique a été contestée - de manière probante, je pense - par Bernhard Laum.49 Il semble plutôt que l'information apportéepar Aristarque sur les variations accentuelles chez Homère était contenue d'abord dans ses hupomnêmata 'commentaires', et que c'est seulement dans une période plus récente qu'une partie de cette infonnation s'est introduite dans les marginalia des textes ultérieurs d'Homère. 50 Bref, l'information donnée par Aristarque sur l'accentuation homérique, si précieuse qu'elle ait dQ être, n'a pas été systematiquement appliquée dans les textes des éditions alexandrines d'Homère. 51
o
o
45
Voir Rengakos1993.14. Le verbe utilisé dans Platon, Ion 530a pour la performancedu rhapsode est diatrib{j, qui renvoieau nom diatribê 'rencontré dans le passaged1socratc. 47 Chez Platon, Ion 53la-b, le discours du rhapsode est exprimé au moyen d'exlglomai - tcnnc plus approprié à l'idéede "commentaire." 41 Lchrs 1882.248-249. ol6
Laum p. 60. Sur l' invention,par le critique alexandrinAristophanede Byzance,du système œ notation pour accentuerle grec ancien, voir Laum p. 62. 50 Laum p. 62. 1 ' Laum p. 327. 49
L'épopée homériqueet la fixation du texte
65
Malgré les difficultés rencontrées dans la recherche de l'infonnation rassemblée par Aristarque et ses prédécesseurs sur les particularités de l'accentuation homérique, j'insiste sur l'importance capitale de cette infonnation pour montrer que 1) il y a un continuum entre Aristote et Aristarque dans les procédures d'édition et de commentaires sur le texte homérique, et 2) il y a un continuum entre les traditions de peiformance homérique reflétées indirectement par ces procédures. Les particularités de l'accentuation homérique rapportées par les critiques sont un exemple-test idéal, en ce que même Aristarque, comme nous l'avons vu, traitait les accents comme s'ils ne faisaient nullement partie de la transmission textuelle homérique, nous donnant ainsi raison de penser que les accents faisaient en revanche partie de la tradition de peiformance homérique héritée par les rhapsodes. Bien plus, nous avons vu qu'Aristote et des contemporains étaient intéressés de manière claire par 1) les questions de diorthôsis homérique impliquant les accents et 2) les traditions de peiformance homérique des rhapsodes, témoin l'image péjorative chez Isocrate des "sophistes" jouant comme des rhapsodes à représenter les poèmes homériques et hésiodiques et à donner des commentaires érudits à leur propos. 52 A titre d'exemple des particularités accentuelles chez Homère, je commencerai par l'accentuation de àyut'fldans l'Odyssée xv 441. Le modèle que nous pourrions attendre sur la base du grec classique est àyuiu, qui en l'occurrence est aussi attesté comme variante textuelle pour le même vers. Dans un article de 1914, Jacob Wackemagel proposait que des anomalies prosodiques attestées sporadiquement telles que àyutû révèlent d'authentiques modèles traditionnels. 53 Ici, la preuve linguistiqueapportéepar Wackernagel,est décisive. Sur la base de la linguistique comparative indo-européenne, nous pouvons être sClrsque l'accentuation anomale de la syllabe finale de àyutfl est un archaïsme et que l'accentuation recessive de àyuiil constitue une innovation. 54 W ackemagel allait plus loin, proposant pour l'authenticité d'anomalies prosodiques comme àymfl le soutien du fait même qu'elles posaient problème pour les critiques anciens d'Homère et même conduisaient à de fausses analogies dans la diction des poètes ultérieurs. 55 La thèse fonnulée par Wackemagel et plus récemment reformulée par moimême et par d'autres, est donc que de tels modèles accentuels transmis furent conservés par les critiques alexandrins non sur la base de la conjecture grammaticale mais sur celle de la prononciation réellement perpétuée par les rhapsodes dans leur peiformance des poèmes homériques. 56 A cette thèse j'ajoute maintenant deux propositions supplémentaires: l) les témoignages des critiques alexandrins sur de telles anomalies prosodiques viennent des hupomnêmata 'commentaires' homériques d' Aristarque. 52 3
Isocrate,; Panathinarque(12) 18-19 et 33, cité ci-dessus.
Wackemagel1953 [1914) 1175. 1970.121. "Wackemagel p. 1176. "Wackemagel 1953 (1893) 1103. Cf. also Lehrs 1882.258, cité par Nagy 1970.121, où la '
S4 Nagy
discussion est
~
plus loin.
66
Gregory NAGY
2) ces témoignages sur les accents se fondaient non sur les expériences directes des critiques alexandrins avec des rhapsodes mais sur les écrits de critiques antérieurs liés à l'école d'Aristote. Pour la première hypothèse, regardons l'accentuation de m,ïonrn en 1/iade III 20. Dans ce cas, les scholies attribuent explicitement cette accentuation anomale à l'autorité d'Aristarque. Comme Wackemagel le fait remarquer, l'accent de m,ïonic; 57 est anomal si nous comparons les mots grecs courants 1emc6tT1c;, vE6tT\Ç, 4>tMtT\c;. Et pourtant, l'archaïsme de l'accent de m,ïonic; peut être prouvé en termes de linguistique comparative ind~uropéenne sur la base de formations apparentées, particulièrement en sanskrit védique. 58 Ce qui frappe à propos de cet exemple aussi bien que de beaucoup d'autres, est que le témoin en faveur de la forme anomale est spécifiquement nommé dans la tradition scholiastique comme étant Aristarque. Il y a là une ironie, puisqu'Aristarque avait la réputation, à son époque et ensuite, d'Analogiste au plus haut degré, c'est-à-dire, de chercher constamment à remplacer dans les textes qu'il éditait, des formes anomales par des formes analogiques. 59 Pour la seconde hypothèse, je renvoie à mon propre ouvrage de 1970, où j'ai accepté la thèse de Wackemagel d'une tradition rhapsodique de performance comme le dernier témoin en faveur des anomalies prosodiques archaïques préservées dans le texte homérique transmis, et où j'ajoutais aussi le travail de Karl Lehrs, qui, avant même Wackemagel, avait mentionné les rhapsodes comme une source possible de la préservation d'anomalies prosodiques dans le texte homérique. 60 Suivant l'argumentation de Lehrs, le fait même qu'un commentateur tardif comme Hérodien, qui vécut autour de la deuxième moitié du deuxième siècle après J.C., était tout à fait au courant des modèles prosodiques dont témoigne le commentateur plus ancien Aristarque, mais semblait n'avoir aucune idée des moyens ni des endroits où Aristarque a puisé son information, suggère que le critique le plus ancien disposait de preuves qui vont au-delà du simple niveau du texte. 61 Lehrs en concluait que cette preuve pouvait être constituée par le témoignage des rhapsodes. Une conclusion comparable était tirée par Martin West dans son article de 1970 sur les rhisodes dans l'OxfordClassicalDictionary,où il cite les arguments de Wackemagel. 2 Mais je suggère désormais que le témoignage des rhapsodes n'est pas direct, mais médiatisé par des écrits antérieurs émanant de l'école d'Aristote: comme nous l'avons vu par les références d'Isocrate, une documentation explicite manifeste les contacts intellectuels des philosophes de cette époque avec les rhapsodes. Nous avons maintenant plusieurs raisons pour justifier l'idée que les études homériques des critiques alexandrins, en particulier quand ils touchent la question de la performance, continuaient les traditions instaurées par l'école d'Aristote. Une question fondamentale subsiste pourtant: où se trouve le point de contact historique ,., Wackemagel19S3 [1893) 1103. 51 Wackemagel19S3 [1909) 1119-1120. "A cet 6gard, je trouve ~s convaincante la discussion de Ludwich 188S.92, 97, 109, 114. Nagy 1970.121, suivant Lchrs 1882.2S8. 61 Lchrs ibid. 62 West 1970; voir aussi West 1981.114. 60
L'épopée homérique et la.fixation du texte
61
entre la recherche homérique d'Aristote et celle des critiques alexandrins? Dans les Gray Lectures, j'ai présenté une argumentation détaillée suivant laquelle le chaînon manquant était Démétrius de Phalère. 63 Actuellement, pourtant, il nous faut affronter le problème plus fondamental d'évaluer la qualité du jugement éditorial des critiques alexandrins. Leur fiabilité, comme nous l'avons vu, doit être mise à l'épreuve sur des cas où ils rapportent des leçons différentes. Sur la question de variations dans l'accentuation, j'ai déjà conclu que le témoignage d'Aristarque est vraiment fiable. Mais il nous reste encore à examiner de réelles variantes morphologiques. Pour évaluer l'authenticité de variantes telles qu'elles sont rapportées par les critiques alexandrins, les critères de la philologie comparative et de l'analyse formulaire peuvent être utilisés, comme Janko l'a fait pour évaluer l'authenticité de leçons rencontrées dans les textes homériques appelés koina( par Aristarque. La différence est que je n'utiliserai ces critères que pourle jugement d'authenticité, non celui de correction. Je répète le point précédent, suivant lequel les méthodes empiriques de la philologie comparative et l'étude de la tradition orale ne peuvent être utilisées que pour défendre une variante manuscrite comme traditionnelle, non pour l'établir comme une leçon de qualité supérieure sinon comme la leçon correcte. Pour rester dans les limites de cet exposé, je ne citerai qu'un exemple, du plus anciendes trois grands homéristes alexandrins, Zénodote. Pour l'objectif visé par mon argumentation, nous avons ici un exemple instructif d'une variante soutenue par l'autorité de Zénodote et qui appara1"t justifiée par l'application de la philologie comparative et l'étude du système formulaire de la diction homérique. L'expression ËÂ.ffoµat ei,x6µevoç 'j'espère, priant..' en lliade VIII 526, s'oppose à eüxoµat éÂ.1t6µevoç'.je prie, en espérant. ..', leçon rencontrée dans la majorité des manuscrits et soutenue par l'autorité d'Aristarque lui-même. 64 Dans sa monographie de 1976 sur le comportement formulaire du verbe eüxoµai, Leonard Muellner montre de manière convaincante qu'en fait, les deux variantes manuscrites, ËÂJtoµat eùx6µevoç aussi bien que eüxoµat éÂ.1t6µevoç, peuvent être engendrées syntaxiquement d'après des modèles formulaires parallèles attestés ailleurs dans le texte homérique tel qu'il nous a été transmis. 65 Dans cet exemple, nous rencontrons une preuve interne plus forte que précédemment pour la leçon donnée par Zénodote, mais il y a des indices montrant clairement que la leçon de la "Vulgate" -ou, comme je &,réfère l'appeler, de la Koinè- représente elle aussi une "diction épique authentique". Je propose de poursuivre l'argumentation en insistant sur le fait qu'aucune des variantes n'a prétention dans ce cas à être la leçon originale ou, pour présenter la chose d'une manière positive, que les deux variantes représentent une tradition multifonne. Après avoir pris en compte les deux formules, on peut développer la question de savoir laquelle des deux variantes était la mieux adaptée à un contexte 63
Un passage-clef, Athén6e, Deipnosophistes 14.620b, relie Démétrius à une organisation appelée les Homlristai. Voir l'argumentation détaillée dans Nagy 1996, ch.6, avec la riférence à Husson1993. 64 Van der Valk 1964.76 relève les faits; je ne partage pas son interprétation. " Muellner 1976.58-62; ainsi que p. 24 avec n.18. 16 Muellner ibid.
68
Gregory NAGY
doMé. L'exemple idéal est la leçon de Zénodote oicovoloi. œ &Jîm en lliade I 5 (rapportée dans Athénée 12t), opposée à la leçon attestée dans tous les manuscrits, oicovoloi. œ rrâm. 61 Certains indices montrent que la leçon de Zénodote suit des traditions attiques de performance homérique courantes au cinquième siècle, l'époque des trois auteurs canoniques de tragédies: en témoigne l'expression utilisée dans Eschyle, Suppliantes 800-801: 1eooiv 6' ë1œt8' ëÀO>paicâmxcopiotç opvten 6e"i1tvov.68 Pourtant, il existe aussi des preuves en faveur de l'authenticité de la leçon manuscrite oi.covoloi. œ rrâm, apparemment défendue par Aristarque contre Zénodote: nous avons non seulement le témoignage externe des manuscrits mais aussi le témoignage interne des expressions formulaires, rencontrées tout au long des poèmes homériques, avec la même idée d' "excès absolu" que nous rencontrons dans l'idée que les cadavres des héros étaient la proie de "tous" les oiseaux. 69 Poursuivons l'enquête sur le problème central de savoir si toute variante rapportée sous l'autorité de Zénodote ou même d'Aristarque, par exemple, peut être traitée comme telle, à savoir comme variante, ou s'il ne s'agit que d'une conjecture. La crédibilité de tous les éditeurs alexandrins, Aristarque compris, comme témoins de leçons authentiques a été en général sérieusement mise en doute au dix-huitième siècle par Friedrich August Wolf. 70 Récemment, l'œuvre de Marchinus van der Valle est éminemment citée pour sa critique constante de la crédibilité de tous les savants alexandrins. 71 Il y a eu de nombreuses variations dans l'histoire de telles polémiques. Les premiers savants pouvaient se permettre une sélection dans leur approche, concentrant leurs attaques sur la fiabilité de certains critiques alexandrins tout en en défendant d'autres. Ainsi par exemple Ulrich von Wilamowitz-Moellendorff et Giorgio Pasquali tendaient à favoriser Zénodote aux dépens d' Aristarque, tandis que Karl Lehrs et Arthur Ludwich se faisaient les champions d'Aristarque, souvent aux dépens de Zénodote. 72 T. W. Allen faisait fonds principalement sur Aristarque, 73 et
67
2.énodote a~tize /limk I 4-5 selon Athenœ l 2f, ce qui signifie qu'il considérait le passage comme non hommque. 61 Voir par ex. Pfeiffer1968.111 sur la conception d'Eschyle, avec d'autres exemples tirés des tragiques; voir aussi Pasquali 1952.236-237, Janko 1992.23. Kirk 1985.53 décrit la leçon œ 2.énodote comme "a fussy change of the vulgate." 11'.lVoir Ludwich 1885.89 n55. 70 Wolf 1795. Une analyse indispensable de la position de Wolf se trouve chez Pfeiffer 1968.215-218. Apthorp 1980.xiii, dans la lignée des arguments de Bolling 1925, utilise le terme œ "Wolfian vulgate" dans un sens négatif pour caractériser les éditions postérieures à Wolf qui tendent àdisqualifierlesAlexandrins, comme Monro-Allen 1920. Pfeiffer pp. 214-215 met en lumi~re les efforts de Lehrs 1882 et Ludwich 1884/1885 pour réhabiliter l'autorité d'Aristarque. Voir aussi les arguments d'Erbse 1959 contre cette réhabilitation. Dans sa réaction à la position d'Erbse, Pfeiffer commence par dire (p. 215): "it looks tome as if by a son of unconscious counter-revolution Wolf has now been put back on the throne from which Lehrs had driven him." 71 Van der Valk 1949, 1963/1964. n Pour 2.énodote: Wilamowitz 1916 (e.g. pp. 120-121, 26ln2, 262n2; cf. van der Valk 1964.10) et Pasquali 1952 (e.g. pp. 207, 235-236; cf. van der Valk p. 15). Pour Aristarque: Lehrs 1882, Ludwich 1884 / 1885. 73 Allen 1924.302-327.
L'épopée homérique et la.fixation du texte
69
la fiabilité d'Aristarque était aussi une pierre angulaire dans l'essai magistral de Rudolf Pfeiffer History of Classical Scholarship.14 Plus récemment, l'affirmation négative de Van der Valle semble avoir dominé plusieurs œuvres importantes sur Homère. En faisant référence aux critiques alexandrins et aux éditions appelées politika( ou 'éditions des cités' ('city books') d'Homère, considérées comme des sources textuelles indépendantes aussi bien par 2.énodote que par Aristarque, Geoffrey Kirk dans son introduction au Commentaire de l'Iliade publié sous sa direction s'exprime de la manière suivante sur les
polémiquesde VanderVaile: Moreover the city and individual texts, when their readings are taken as a whole, seem to be very erratic and to possess no special ancient authority; indeed the 'common' or 'worse' ones often appear, by modem criteria, more reliable than the 'ancient' or 'more refined' ones! Obviously this is a large and difficult topic; most scholars from Nauck and Wilamowitz on have held that Aristarchus sometimes made conjectures and on other occasions relied on earlier texts. 1bat seems like a reasonable view on a priori grounds, but on the whole I side with van der Valk, who in Researches [on the text and Scholia of the Riad] II, 86 records bis opinion reached after astute if sometimes arcane studies, that 'Aristarchus' readings are nearly always subjective and personal conjectures', and that the cited texts, whatever their description, are comparatively recent products of Hellenistic and especially Alexandrian criticism. 1bat applies a fortiori to Zenodotus also, whose distinctly shorter text, in particular, is clearly the result of bis applying stringent and sometimes foolish standards of 1tpé1tov, 'what is appropriate' in Homer, rather than being due to any authoritative special sources which modem criticism can discem. 75
to
Une position similaire, bien que beaucoup plus modérée, est prise par Richard Janko dans son introduction à son commentaire des chants Xill-XVI de l'Iliade, qui fait partie du commentaire d'ensemble publié sous la direction de Kirk. 76 Bien que j'aie tiré profit pour une grande part de la discussion de Janko, et bien que je sois d'accord avec une grande partie de ce qu'il dit, je m'oppose à ceci: "I agree with van der Valle and Kirk (vol. I, 43) that most readings where the Alexandrians lack support in the papyri and other codices are conjectures ...n Janko parle à propos de Van der Valle de sa "ré-évaluation radicale" de la philologie alexandrine, "qu'Allen avait évaluée trop positivement. "78
"Pfeiffer 1968.210-219. "' Kirk 1985.43. Éditions de l'Iliade/ Odyssie par Nauck, 1877/ 1875. 76 Janko 1992.22-29. 77 Janko pp. 2-25. Il renvoie au commentaire de Kirk, 1985.43. 71 Janko p. 21 n6.
70
Gregory NAGY
Je ne suis pas d'accord avec ce jugement. Je crois que les efforts de Van der Valk pour discréditer globalement la fiabilité des critiques alexandrins et en particulier la valeur des variantes qu'ils rapportent doivent être systématiquement confrontée aux efforts des savants antérieurs comme Arthur Ludwich, et même encore avant comme Karl Lehrs, savants dont les œuvres me convainquent que des variantes présentées par des éditeurs tels qu'Aristarque ne sont pas en règle générale des conjectures mais d'authentiques leçons alternatives. 79 En ce qui concerne 2.énodote, une étude récente faite par Klaus Nickau conclut au tenne d'une analyse serrée que, même si ce critique peut avoir fait des conjectures, il est impossible de le prouver, dans quelque exemple que ce soit. 80 Bien plus, en utilisant l'évidence textuelle des poèmes réellement subsistant d'Apollonius de Rhodes, Callimaque, et d'autres auteurs hellénistiques, Antonios Rengakos montre de manière convaincante que ces poètes "citent" Homère -d'autres spécialistes préféreraient dire "font allusion" à Homère- d'après des textes homériques différents qu'ils possédaient en privé, soit dérivant du texte homérique de Zénodote, contemporain d'Apollonius et de Callimaque, soit au moins dépendant étroitement de lui; il va plus loin dans l'argumentation, disant que les variantes contenues dans ces textes antérieurs à Aristarque sont exactement cela, des variantes et non des conjectures. 81 Une défense supplémentaire de la thèse suivant laquelle les éditeurs alexandrins d'Homère ont conservé des variantes authentiques vient de l'œuvre de M.J. Apthorp, pour lequel l'édition d'Aristarque, prise comme un tout, contenait pratiquement l'ensemble de tous les vers authentiquement homériques. 82 Selon Apthorp, et sur ce point, il suit la position de George M. Bolling, le numerus versuum de l'édition d'Homère par Aristarque est une norme fonctionnelle, reflétant les conventions de la transmission du texte à une époque plus ancienne. 83 Janko est en fait implicitement d'accord avec la conclusion d'Apthorp, que les vers supplémentaires (plus-verses), c'est-à-dire ceux dont tout indique qu'ils ne faisaient pas partie de l'édition d'Aristarque, sont des "interpolations," à supprimer des éditions modernes d'Homère. 84 Bien que je ne sois pas d'accord avec Apthorp sur le fait que seuls les vers inclus dans l'édition d'Aristarque soient "authentiques", j'approuve son jugement suivant lequel ces vers sont vraiment authentiques dans la mesure où cela ne peut pas être simplement le résultat cumulatif de sélections conjecturales (" to the extent that il cannot be simply the cumulative result of conjectural selections. "). 85 J'accepte même 79
l..chrs 1882; Ludwich 1884/1885, 1898. Le principe est affirmé fortement, comme "l..chrs' Law," par Ludwich 1884.86. Je suis d'accœi avec la critique des méthodes de van der Valk par Nickau 1977.3lnl. 10 Nickau p. 48; cf. Slater 1989.42nl7. 11 Rengakos 1993 (particulèrement pp. 11, 23, 31). 12 Apthorp 1980. 13 Apthorp élabore les découvertes de Bolling 1925, qu'il résume ainsi (p. xiv): "where a Jine is weakly attested by the medieval manuscripts and papyrus evidence was available, then that line was almost invariably absent from the papyrus or papyri." 14 Janko p. 21n6: "interpolations." 15 En d'autres termes, l'omission ou non d'un vers est une question de variation, non de conjecture. Ce conservatisme d'Aristarque, note Apthorp (p. xv), était apprécié par Ludwich et
L'épopée homérique et la fixation du texte
71
son idée que les vers supplémentaires soient des "interpolations" dans les traditions manuscrites médiévales - bien qu'elles ne le soient que rétrospectivement, du point de vue d'une tradition éditoriale aristarquéenne. 86 Mais je trouve difficile, sinon impossible, d'admettre que Janlco approuve le privilège donné par Apthorp à l'édition d'Aristarque, quand il s'agit de variations dans le nombre des vers -le numerus versuum de Bolling- et qu'en même temps il accepte le discrédit jeté par Van der Valle sur la même édition quand il s'agit de variations dans la forme littérale des vers. 87 Je suggère que les variations, à la fois dans la forme et dans le numerus versuum, soient traitées comme des phénomènes parallèles, en reconsidérant le travail éditorial auquel furent confrontés les critiques alexandrins d'Homère. Avec l'établissement d'un texte définitif d'Homère par Aristarque, si fidèle qu'ait pu être la collecte par ce critique des faits connus à partir de toutes les preuves manuscrites disponibles, nous pourrions supposer qu'il lui restait une grande masse de variantes qui devaient être éliminées dans le texte qu'il éditait. Si un tel texte devient une édition définitive, à partir de là. le retour de n'importe laquelle de ces variantes peut vraiment être considéré rétrospectivementcomme une interpolation. Appliquons le même raisonnement au problème du numerus versuum. Nous ne pouvons ici perdre de vue le mécanisme de fluctuation par expansion et compression dans la poétique orale, phénomène que je discute ailleurs en détail. 88 Ce phénomène produit des fluctuations dans la quantité de vers, et le fait même de la fluctuation doit être, au moins dans certains cas, une affaire de variantes. Si une version courte est acceptée dans une édition canonique établie par Aristarque, une version plus longue a pu revenir dans la tradition représentée par cette édition seulement sous la forme d'interpolation -même si cette version plus longue est diachroniquement une variante de la version courte. Pour l'approbation donnée par Kirk à la position de Van der Valle, elle est bien plus extrémiste que celle de Janko: Kirk va encore plus loin qu'August Nauck- sans parler de Wilamowitz - car l'insistance, dans le passage cité ci-dessus, sur l'idée que les éditeurs alexandrins ont inventé et imposé leur propres leçons, revient à ignorer les arguments développés spécialement par Arthur Ludwich pour contrer ceux de Nauck et Wilamowitz sur les "conjectures" des critiques alexandrins. D'autre part, je suis en désaccord avec certains aspects des conclusions que tirent Ludwich et d'autres du fait que les arguments rassemblés montreraient que Bolling- mais pas du tout par van der Valk. 16 Apthorp (p. xvi) continue: "the numerous lines absent from ail our manuscripts which we ltnow to have been pre-Aristarchean but absent from Aristarchus' edition - some cited by the scholia, some present in extant Ptolemaic papyri, some included in ancient quotations or discussions of Homer - stand condemned as interpolations alongside the weakly-attested lines of the mediaeval manuscripts." Je m'oppose à cette condamnation, comme à la remarque suivante d'Apthorp (p. xxvn2): ''Thus the attempt by A. di Luzio (1969) to defend numerous plus-verses of the Ptolemaic papyri on Sro 111
Van der Valk p. 267. Ibid.
112 113
Van der Valk p. 269. Labarbe 1949.423-425. 115 Labarbe p. 425. 116 L'examen cas par cas de Ludwich 1884 / l 895 reste pour moi une aide précieuse. 117 Citti 1966 (cf. Rengakos 1993.74n5). Voir aussi Apthorp 1980.116nl 12. 114
76
Gregory NAGY
opposé à la leçon 6oupaatv àµ4>içdes manuscrits. Pourtant, je précise que 6oiJpaatv àµcl>içpeut aussi être archaïque dans la mesure où les termes d'un système formulaire pouvaient engendrer les deux formes. 118 Voici un exemple d'un archaïsme indiscutable dans une variante qui s'avère encore plus frappant: en //iode XXI 351, où les manuscrits donnent t16è KÛ7tetpov, les politikaf lisaient tl6è icintatpov (scholia AT: ai ÈK tcôv 1t0>.eoovt16è 1eintatpov elxov). Citti pense que kupairos est un "dorisme" distinct de l'ionien kupeiros,119 tandis que Van der Valk dit que kupairos "est, à mon sens, une corruption ou un exemple d'orthographe locale." 120 Je propose pour ma part d'interpréter kupairoscomme un archaïsme, attesté aussi dans des contextes de culture dorienne, et qui peut remonter au deuxième millénaire av. J. C.: dans les documents en Linéaire B, on trouve la fonne ku-pa-ro2 reflétant kupairos- la mêmefonnequecellequiestattestéedans les "éditions des cités". Même dans ce cas, cependant, je soutiendrais que kupeirosest une variante authentique. Dans le contexte de cette discussion, il est intéressant d'examiner l'opinion de Van der Vallesur un couple de variantes déjà citées, le cas de l'expression ËÀ7toµat eùX6µevoç en //iode VIII 526, leçon attribuée à Zénodote et rencontrée dans une minorité de manuscrits, opposée à eüxoµat ÈÂJtOµevoç,leçon attribuée à Aristarque et rencontrée dans une majorité de manuscrits. Dans ce cas, Van der Valk conclut du sens du contexte que "la leçon de Zénodote semble la meilleure. " 121 Zénodote est ainsi exceptionnellement sauvé ici de l'accusation de conjecture. Mais le blâme est alors jeté en compensation sur Aristarque: selon Van der Valk, si Zénodote n'a pas commis de conjecture dans cet exemple, c'est alors Aristarque qui l'a sOrement fait 122 Si nous suivons ce mode de raisonnement, celui qui présente la "meilleure" leçon, doit utiliser le véritable texte, et celui qui a la "moins bonne" doit faire une conjecture. Comme les découvertes de Muellner le montrent, le problème d'une leçon de "meilleure" ou "moins bonne" qualité disparai"t, pour peu que l'on réexamine la question du point de vue de l'analyse formulaire: les leçons peuvent en faits' avérer toutes deux authentiques. Je réaffirme ainsi ma position: il est nécessaire de prendre en compte toutes les variantes authentifiées pour établir un texte multiforme pour l'édition d'Homère. Ce n'est que dans le cadre d'une telle édition pluraliste que nous pouvons nous tourner vers les questions d'adaptation d'une variante à tel ou tel contexte dans le temps et l'espace. Mais il est important de réaffirmer aussi qu' Aristarque et ses prédécesseurs, bien qu'ils aient rassemblé une grande quantité de variantes, avaient à l'esprit un objectif éditorial très différent de celui que j'évoque. Ils traitaient les traditions textuelles d' Homère comme une évidence primordiale et les traditions de performance, encore vivantes à leur époque comme nous l'avons vu, comme sans aucune pertinence pour leur objectif de retrouver l' Homère originel. 123 111
lliadt V 723 et XIV 123 sonl des exemples comparables de àµ♦iç en fin de vers.
119
Citti p. 27. der Valk 1964.7n33. Van der Valk 1964 .76.
llll Van 121 121
Ibid.
m Discussion lumineuse: Ri106k 1987.17.
L'épopée homérique et la fixation du texte
11
En avançant dans le temps jusqu'à Aristarque et ses successeurs, j'insiste à nouveau sur leur intérêt presque exclusif pour les dimensions textuelles de la transmission plutôt que pour celles de la performance. Ils n'étaient pas en cela différents de beaucoup des spécialistes contemporains, qui considèrent que leur ttavail est de retrouver la composition d'origine malgré la réalité historique de la polymorphie dans le texte - réalité qui reflète, suivant ma thèse, une polymorphie dans la performance. Le cadre intellectuel de cette quête du véritable Homère fut donc inauguré par des pionniers tels qu'Aristarque. Il semble clair qu'ils croyaient en un véritable Homère, un Homère originel. Et cette croyance n'a rien de nouveau. Selon les thèses soutenues dans Pindar's Homer, cc ne furent pas seulement les éditeurs des textes homériques qui supposèrent un tel auteur véritable: ce fut le cas du mythe, qui suppose aussi l'existence d'une personne, un auteur du nom d'Homère.124Plus nous remontons dans le temps, plus grand est le répenoire attribué à cet Homère, y compris dans les époques les plus anciennes l'ensemble appelé le Cycle, toutes les épopées thébaines, et la liste va plus loin; en fait, la notion même de "Cycle" a jadis servide métaphore pour l'ensembledes poèmes homériques.125 En revanche, plus nous descendons dans le temps, moins nombreuses sont les œuvres d'Homère lui-même. Non seulement son répenoire se restreint progressivement à l'Iliade et l'Odyssée, mais de nombreuses panics de ces épopées elles-mêmes deviennent suspectes: par exemple, Homère ne peut assurément pas avoir composé le Bouclier d'Achille dans lliade XVIII 483-608, suivant l'opinion de Zénodote(scholie A à XVIII 483a). Et l'Homèreoriginel de cette époque plus critique et soupçonneusedevient tout à fait spécifique,reflétantde plus en plus l'interprétation de sa création archétypale par les critiques, son texte. Pour Aristarque, Homère était un Athénien vivant autour de 1000 av. J.C., à l'époque des migrations athéniennes (Proclus Fa 58-62 Sc!veryns;cf. Vie d'Homère p. 244.13, p. 247.8 Allen);126 bien plus, la tradition scholiastiqueremontant en dernière instance à Aristarque implique qu'Homère a écrit ses poèmes (scholie A à l liade XVII 719) et qu'Hésiode a réellementeu la possibilitéde les lire (scholie A à lliade XII 22a).127 Même si Aristarque, suivant les modèles de pensée du mythe, supposait un véritableHomère originel,il acceptaitnéanmoinsla réalité de variantestextuelles,et en 124Nagy 1990a.52-81.
125 Ibid. Je suggèreque la métaphorede kuldoscommel'ensemblede la poésie épiqueremonte
au sens homerique de k.uklos 'roue de char' (lliade XXIII340, pluriel k.ukla,V 722). Voir la discussiondéveloppée de la tradition poéùque indo-européennede comparaison d'une roue de char bien faite à un R