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French Pages 157 [156] Year 2014
Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière James Lequeux
17, avenue du Hoggar Parc d’Activité de Courtabœuf, BP 112 91944 Les Ulis Cedex A, France
« Sciences & Histoire » La collection Sciences & Histoire s’adresse à un public curieux de sciences. Sous la forme d’un récit ou d’une biographie, chaque volume propose un bilan des progrès d’un champ scientifique, durant une période donnée. Les sciences sont mises en perspective, à travers l’histoire des avancées théoriques et techniques et l’histoire des personnages qui en sont les initiateurs.
Imprimé en France ISBN EDP Sciences : 978-2-7598-1196-0 Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal. © EDP Sciences 2014
Table des matières
Introduction
iii
Chapitre 1. Les débuts d’une vie scientifique 1.1. Le daguerréotype 1.2. Une rencontre décisive
1 3 9
Chapitre 2. Une collaboration fructueuse 2.1. L’interférométrie et la nature de la lumière 2.2. La nature du rayonnement infrarouge
17 18 24
Chapitre 3. L’effet Doppler-Fizeau 3.1. Christian Doppler 3.2. Christophorus Buijs-Ballot 3.3. Hippolyte Fizeau 3.4. L’avenir de l’effet Doppler-Fizeau
29 30 36 38 42
Chapitre 4. La vitesse de la lumière et de l’électricité 4.1. Une période féconde 4.2. La première mesure directe de la vitesse de la lumière 4.3. Les mesures de la vitesse de la lumière après Fizeau 4.4. La vitesse de l’électricité Chapitre 5. L’« expérience cruciale » : la vitesse de la lumière dans l’air et dans l’eau 5.1. Le projet d’Arago 5.2. Fizeau et Foucault reprennent l’expérience d’Arago 5.3. La compétition Chapitre 6. L’entraînement de l’éther 6.1. Acte 1 : Michell, Arago et Fresnel 6.2. Acte 2 : Fizeau et Michelson 6.3. Acte 3 : encore Fizeau et Michelson 6.4. Acte 4 : Lorentz, Einstein et von Laue Chapitre 7. Le diamètre des étoiles 7.1. Une idée géniale 7.2. Les premiers essais
49 50 53 60 63 69 70 72 75 79 80 85 94 98 103 104 110
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Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
7.3. Encore Michelson ! 7.4. Stagnation et renouveau de l’interférométrie astronomique
114
Chapitre 8. Un savant considéré 8.1. Une vie familiale écourtée 8.2. Des travaux secondaires mais novateurs 8.3. Un pilier de la physique française 8.4. Une fin de vie studieuse
121 122 124 126 130
Appendice 1. Généalogie de Fizeau et de son épouse
133
Appendice 2. Chronologie
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Appendice 3. Correspondance Fizeau-Foucault
137
Bibliographie
143
Index
147
118
Introduction La première moitié du XIXe siècle a vu émerger, en France, des physiciens et des astronomes d’une extraordinaire qualité, qui ont véritablement fondé la physique classique et même l’astrophysique. Certes, le siècle précédent avait connu de grands précurseurs comme Lagrange, Laplace, Lavoisier ou Monge, tandis que des institutions prestigieuses promouvaient déjà la science et son enseignement ; mais la promotion sociale permise par la Révolution, la création de l’École polytechnique par la Convention et la campagne d’Égypte ont sorti de l’ombre de nouveaux talents de tout premier ordre. L’enthousiasme révolutionnaire, puis celui romantique, leur ont permis toutes les audaces. Les physiciens et astronomes français les plus marquants de cette génération sont incontestablement Ampère, Arago, Carnot, Fourier, Fresnel et Malus. Des biographies scientifiques ont été publiées sur chacun d’entre eux1. Une deuxième génération non moins brillante comprend Fizeau, Foucault et Le Verrier. Les deux derniers ont fait l’objet, eux aussi, de biographies scientifiques récentes2. Seul Fizeau reste peu étudié, c’est pourquoi nous lui consacrons le présent ouvrage. Ensuite, dans la seconde moitié du XIXe siècle, la science française s’est en quelque sorte étiolée, et on serait en peine de citer des physiciens et des astronomes ayant autant de génie que les précédents jusqu’à Poincaré, Langevin et les Curie. Les raisons de cette dégradation, au moment même où la science fleurissait en Allemagne, en Grande-Bretagne et déjà aux États-Unis, restent à étudier en détail. La vie de Fizeau est celle d’un bourgeois aisé, à l’abri des soucis matériels, qui a pu se consacrer entièrement et sans entraves à la science. Il est généralement qualifié de « propriétaire » ou de « rentier » dans les documents officiels. La partie privée de cette vie n’offre aucun intérêt particulier et n’est certainement pas le thème central de ce livre. Quant à sa carrière scientifique, elle se confond jusqu’en 1849 avec celle de Léon Foucault, avec lequel il a presque constamment collaboré jusque-là. Les deux hommes avaient d’ailleurs beaucoup de points communs : le même âge, des études de médecine, 1 Sur Ampère : Blondel, C. (1982) A.-M. Ampère et la création de l’électrodynamique (1820– 1827), Éditions du CTHS, Paris ; Locqueneux, R. (2008) Ampère, encyclopédiste et métaphysicien, EDP Sciences, Les Ulis. Sur Arago : Lequeux, J. (2008) François Arago, un savant généreux, EDP Sciences et Observatoire de Paris, Les Ulis et Paris. Sur Carnot : Collectif (1998) Sadi Carnot et l’essor de la thermodynamique, CNRS Éditions, Paris ; Brodiansky, V. (2006) Sadi Carnot 1796–1832. Réflexions sur sa vie et la portée de son œuvre, Presses universitaires de Perpignan. Sur Fourier : Dhombres, J. & Robert, J.-B. (1998) Fourier, créateur de la physique mathématique, Belin, Paris. Sur Fresnel : Rosmorduc, J. & V., Dutour, F. (2004) Les révolutions de l’optique et l’œuvre de Fresnel, Vuibert, Paris ; Brezinski, C. (2008) Ampère, Arago et Fresnel : trois hommes, trois savants, trois amis, 1775–1853, Hermann, Paris. Sur Malus : Chappert, A. (1977) E.L. Malus et la théorie corpusculaire de la lumière, Vrin, Paris. 2
Sur Foucault : Tobin, W. (2002) Léon Foucault, le miroir et le pendule, EDP Sciences, Les Ulis. Sur Le Verrier : Lequeux, J. (2009) Le Verrier, savant magnifique et détesté, EDP Sciences et Observatoire de Paris, Les Ulis et Paris.
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Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
une habileté manuelle considérable et une inventivité hors pair. En 1849, Fizeau réalise seul sa célèbre mesure de la vitesse de la lumière, puis l’année suivante les deux hommes se brouillent définitivement, à la suite de leur compétition pour mesurer la différence de la vitesse de la lumière dans l’air et dans l’eau. Ils suivront désormais des chemins divergents, souvent rudes et inattendus pour Foucault qui mourra jeune, en 1868, de ce qui était vraisemblablement la sclérose en plaques. De son côté, Fizeau deviendra un savant établi et considéré, bien intégré dans son siècle, ce qui ne l’empêchera pas d’avoir de temps à autre des idées brillantes et novatrices. Il décèdera en 1896, après une carrière bien remplie et une longévité particulièrement grande en tant que membre de l’Académie des sciences où il était entré le 2 janvier 1860. Les archives de l’Académie des sciences conservent un important fonds Fizeau donné en 1935 par Georges Ramond-Gontaud, et des documents et objets ont été offerts en 1966 par son fils Bernard au Musée d’histoire urbaine et sociale de Suresnes, où se trouvait une maison appartenant aux parents de Fizeau, devenue mairie et maintenant disparue. Nous avons extrait beaucoup d’informations de ces collections uniques, qui permettent de retracer toute l’évolution des projets de Fizeau. Par ailleurs, la bibliothèque du Muséum national d’histoire naturelle de Paris possède un ensemble très complet de documents relatifs à la vie de Fizeau et de sa famille. La bibliothèque de l’université Yale aux ÉtatsUnis contient des manuscrits et imprimés provenant d’une vente de livres et de papiers de Fizeau réalisée en 1937, juste après la mort de Georges Ramond-Gontaud mentionné ci-dessus. Quant aux écrits imprimés de Fizeau et beaucoup d’autres qui le concernent, ils sont presque tous accessibles sur Internet sur le site gallica.bnf.fr de la Bibliothèque nationale de France et sur d’autres sites comme ceux de google books et de l’Astrophysical Data System (ADS) de la NASA3. Je suis très reconnaissant à tous ces pourvoyeurs d’information gratuite, qui rendent le travail de l’historien bien plus aisé qu’autrefois. Les différents chapitres de ce livre peuvent être lus indépendamment. Des détails que le lecteur peut éventuellement sauter sont donnés dans des encadrés ou dans la légende de certaines figures. Je tiens à remercier mon épouse Geneviève et mon ami William Tobin pour leur lecture attentive du texte et leurs nombreuses suggestions pour le corriger et l’améliorer. William Tobin m’a aussi communiqué ou indiqué des documents inédits. Je remercie Florence Greffe pour son accueil chaleureux aux Archives de l’Académie des sciences, et pour m’avoir permis de reproduire et de publier de nombreux documents autographes du fonds Fizeau. De même, la mairie de Suresnes et Marie-Pierre Deguillaume, directrice du Musée d’histoire urbaine et sociale de Suresnes, m’ont autorisé à publier d’autres documents autographes et des photographies d’instruments ayant appartenu à Fizeau : merci à eux et au personnel du musée. Marie-Christine Thooris m’a aimablement communiqué des photographies de la réplique de l’appareil de Fizeau qui se trouve au musée de l’École polytechnique. Je remercie enfin mes collègues de la bibliothèque de l’Observatoire de Paris, toujours prêts à se mettre à la disposition des utilisateurs et à fournir des images de leur photothèque.
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Les documents accessibles sur gallica sont indiqués par *, ceux qui sont accessibles sur google books par °, et ceux qui sont accessibles par ADS par +.
Chapitre 1 Les débuts
Le 19 août 1839, Arago décrit à l’Académie des sciences et à l’Académie des beaux-arts le procédé photographique de Daguerre. Bibliothèque de l’Observatoire de Paris.
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Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
Armand Hippolyte Louis Fizeau, sixième d’une famille de neuf enfants dont plusieurs sont morts en bas âge, est né à Paris, 7 rue Thibautodé dans le quartier du Louvre, le 23 septembre 1819. Il est baptisé le 29 septembre à l’église Saint-Germain-l’Auxerrois. Il restera l’aîné des garçons. Sa sœur Marie Gabrielle, religieuse, décède en 1862. Deux autres sœurs et les deux frères cadets qui lui restent mourront respectivement en 1854, 1880, 1880 et 1885 (voir l’appendice 1). On sait peu de choses sur sa mère, Beatrix (ou Béatrice) Marie Petel, que son père, LouisAimé Fizeau (1776–1864), avait épousée le 20 juin 1809. Quelques années après la naissance d’Hippolyte, en 1823, son père est nommé professeur à la Faculté de médecine de Paris, lors de la réorganisation de cette faculté qui s’est traduite par l’expulsion de plusieurs de ses membres pour raisons politiques (certains des exclus sont célèbres : Pelletan, Pinel, Vauquelin). Il sera lui-même révoqué pour des raisons analogues en 1830, lors de la révolution de juillet4. Lié à Laënnec (1781–1826), il occupe la chaire de pathologie interne ; c’est l’un des premiers adeptes de l’auscultation des patients. Hippolyte étudie en tant qu’externe au collège Stanislas et se destine à la médecine pour succéder à son père. Mais sa santé, affectée par de violents maux de tête, l’oblige à interrompre ses études médicales. Bientôt, il est suffisamment rétabli pour pouvoir suivre ses goûts scientifiques. Un feuillet autographe5, malheureusement peu lisible, indique le déroulement de ses études et le nom de ses professeurs (les encadrés sont dans l’original) : 1835 : rhétorique 1836 : également philosophie 1837 : chimie (Dumas, Boussingault, Orfila), physique (Dulong) 1838 : voyage ; [illisible] 1839 : [illisible] maladie ; cours de géologie, études physiques, dissections, hôpitaux, chimie, M. Magendie ; Bon travail ; idées sur un mémoire sur la forme des gouttes
4 Corlieu, A. (1896) Centenaire de la Faculté de Médecine de Paris, Paris, Imprimerie nationale. 5
Académie des sciences/Institut de France, fonds 64 J, Hippolyte Fizeau, dossier 9.28.
Les débuts d’une vie scientifique
1840 : voyage au Havre ; sels d’or ; cours de M. Élie de Beaumont ; [illisible] ; cours du Dr Blainville. Daguerréotype 1841 : voyage en Anjou ; brome ; galvanoplastie ; cours de MM. de Blainville, Regnault, Élie de Beaumont 1842 : voyage ; note sur le brome ; cours de Regnault ; mathématiques. Les professeurs6, dont presque tous sont encore célèbres, sont les meilleurs de l’époque. Alfred Cornu (1841–1902), un disciple de Fizeau dont nous aurons l’occasion de reparler, affirme7 que Fizeau a également assisté aux cours d’Astronomie populaire de François Arago (1786–1853). Bien que nous n’en ayons pas trouvé trace ailleurs, cela n’est pas surprenant car toute l’intelligentsia de l’époque se presse à ces cours dont le succès est énorme. Ils sont donnés au Collège de France, puis à partir de février 1841 dans l’amphithéâtre de 800 places qu’Arago a fait construire à l’Observatoire. Toujours généreux avec les jeunes, Arago va remarquer Fizeau dont il suivra attentivement les premiers travaux, qu’il mentionnera souvent de façon élogieuse devant l’Académie des sciences. Cependant, le cours qui a dû le plus marquer Fizeau est celui de Regnault, qui enseigne l’optique au Collège de France. C’est sans doute alors que s’est décidée sa carrière de chercheur.
1.1. Le daguerréotype Nous venons de voir que dès 1839, alors qu’il poursuit ses études, notre jeune homme commence à penser à la recherche. Un premier mémoire sur la forme des gouttes d’eau n’a pas abouti, mais il va maintenant se lancer dans un domaine complètement nouveau : la photographie. 6
Jean-Baptiste Dumas (1800–1884) et Jean-Baptiste Boussingault (1802–1887), chimistes célèbres ; Mathieu Joseph Bonaventure Orfila (1787–1853), chimiste, toxicologiste et médecin légiste ; Pierre Louis Dulong (1785–1838), physicien ; François Magendie (1783–1855), physiologiste ; Léonce Élie de Beaumont (1798–1874), chimiste et géologue ; Henri-Marie Ducrotay de Blainville (1777– 1850), zoologiste et anatomiste ; Victor Regnault (1810–1878), chimiste et physicien.
7
Cornu (1897), p. C2. Voir la référence dans la bibliographie p. 143.
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Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
Le 7 janvier 1839, Arago, qui est secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, présente à l’Académie l’invention de Louis-Mandé Daguerre (1787–1851), qui sera bientôt appelée le daguerréotype8. Collaborant avec Nicéphore Niepce (1765–1833) jusqu’à la mort de ce dernier, Daguerre soumet une plaque de cuivre recouverte d’une mince couche d’argent polie à des vapeurs d’iode, formant ainsi de l’iodure d’argent à la surface de la plaque. Lors de l’exposition à la lumière, dans la chambre noire, l’iodure d’argent est plus ou moins réduit en argent métallique aux endroits exposés. La plaque est développée dans la vapeur de mercure à 60–80 °C. L’iodure d’argent en excès est dissous dans une solution de thiosulfate de sodium, puis la plaque est lavée et séchée. L’image positive est formée de grains d’amalgame argent-mercure qui diffusent la lumière dans les régions les plus exposées, donnant les blancs et gris, tandis que la réflexion spéculaire sur l’argent nu poli donne les noirs. Lors de sa présentation, Arago, qui vient d’énumérer les immenses possibilités de la photographie, propose qu’elle tombe dans le domaine public. Sa demande est entendue : le 9 juillet 1839, la Chambre des députés vote une pension annuelle de 8 000 francs à Daguerre et de 4 000 francs aux héritiers de Niepce, et le 19 août les détails du procédé sont divulgués par Arago lors d’une séance conjointe de l’Académie des sciences et de l’Académie des beaux-arts. Aussitôt, les savants, les ingénieurs et les amateurs vont s’activer à faire des daguerréotypes dans le monde entier. Daguerre en profite pour commercialiser le matériel nécessaire, tandis que l’opticien Charles Chevalier (1808–1895) fabrique des objectifs pour les chambres noires. Cependant, les résultats sont un peu décevants : si les images sont magnifiques, elles sont très fragiles et les temps de pose sont si longs qu’il n’est guère question de photographier des personnages vivants. C’est alors qu’intervient notre jeune Fizeau, qui a tout juste vingt ans. Il va apporter des perfectionnements décisifs au daguerréotype. Pour fixer l’image et la rendre plus brillante, il prépare une solution d’hyposulfite mixte de sodium et d’or, qu’il prépare en mélangeant une 8
*Arago, F. (1839) Fixation des images qui se forment au foyer d’une chambre obscure, CRAS 8, p. 4–7. Voir détails dans Lequeux (2008), p. 419–426.
Les débuts d’une vie scientifique
solution de chlorure d’or et une solution d’hyposulfite de sodium. Il en enduit la plaque et la chauffe : l’or remplace l’argent dans les grains d’amalgame et l’argent nu qui forme le fond de la plaque est recouvert d’une mince couche d’or qui le brunit et rend les noirs plus profonds. La plupart des daguerréotypes qui subsistent aujourd’hui ont été traités par ce procédé, que Fizeau publie en 1840 dans les Comptes rendus de l’Académie des sciences9. Un peu plus tard, il imagine exposer pendant quelques instants, avant exposition, la plaque iodée aux vapeurs provenant d’une solution de brome très diluée10. L’iodure d’argent est remplacé par du bromure d’argent, bien plus sensible à la lumière : le temps d’exposition est alors réduit à une vingtaine de secondes en pleine lumière, ce qui permet de réaliser des portraits de personnes vivantes. Il remarque aussi que l’on peut réduire davantage encore le temps de pose en augmentant le rapport d’ouverture des chambres photographiques, qui n’est que de F/15 dans les chambres commercialisées par Daguerre ; les objectifs à plusieurs lentilles construits par divers opticiens atteindront effectivement bientôt un rapport d’ouverture plus grand. Fizeau collabore avec Noël Paymal Lerebours (1807– 1873), l’opticien de l’Observatoire de Paris, qui est aussi un grand photographe : on lui doit de très nombreux daguerréotypes et il est l’auteur d’un Traité de photographie qui a connu au moins cinq éditions. La cinquième édition11 a pour coauteur son collaborateur Marc Secrétan (1804–1867), qui deviendra lui aussi un opticien célèbre et lui succèdera. Ils y insèrent des notes de Fizeau (figure 1.1). Grâce au procédé de bromuration de Fizeau et à des objectifs très ouverts, Lerebours affirme avoir réussi à faire des poses de moins d’une seconde. 9
*Fizeau, H. (1840) Note sur un moyen de fixer les images photographiques, CRAS 11, p. 237–238. Peu après, Arago présente à l’Académie des sciences un daguerréotype ainsi obtenu « qui se distingue de tout ce qui avait été tenté en ce genre, par son étonnante perfection et, aussi, par la circonstance, non moins remarquable, que dans l’opération l’épreuve daguerrienne n’a éprouvé aucune altération ». 10
*Fizeau, H. (1841) Note sur l’emploi du brome dans la photographie sur plaque, CRAS 12, p. 1189–1190.
11
Lerebours & Secrétan (1846).
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Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
Figure 1.1. Lettre de Lerebours à Fizeau concernant l’insertion de l’article de ce dernier sur l’emploi du brome pour sensibiliser les daguerréotypes dans son Traité de photographie. Académie des sciences/ Institut de France, fonds 64 J, Hippolyte Fizeau, dossier 8.02.
Comme il y a beaucoup d’argent à gagner avec les daguerréotypes, la compétition est acharnée, en particulier entre Lerebours et son concurrent Chevalier, qui publie lui aussi un traité de photographie en 184112. Ils ne manquent pas de s’invectiver par écrits interposés, notamment à propos d’un nouveau développement qui semble prometteur : la reproduction des images photographiques. En effet, le daguerréotype est une épreuve unique et il serait très intéressant de pouvoir le reproduire. Fizeau met au point un procédé par galvanoplastie, qui 12
Chevalier (1841).
Les débuts d’une vie scientifique
consiste à déposer par électrolyse une couche de cuivre sur le daguerréotype13. Les contemporains disent qu’elle se décolle assez facilement. Puis Fizeau réalise par le même procédé, à partir de la plaque négative ainsi obtenue, une nouvelle épreuve, qui est la copie de l’original14. Fizeau n’est pas le seul à avoir cette idée et à la réaliser : un certain Krasner revendique la priorité dès le 2 novembre 184015 et Chevalier affirme dans son traité (1841, p. 60–66) avoir obtenu en janvier 1841 des résultats concluants ; l’hebdomadaire L’Artiste du 7 février mentionne d’ailleurs son succès16. Quant à Fizeau, il fait ses présentations à l’Académie des sciences dès le mois de mars 1841. En 1843–1844, Fizeau utilise un autre procédé pour reproduire les daguerréotypes, un travail entrepris à l’occasion d’un concours ouvert par la Société d’encouragement pour l’industrie nationale pour un prix de 2 000 francs17 : il attaque avec des acides la plaque daguerrienne, qui est ainsi sacrifiée puis suffisamment creusée. Un traitement assez complexe lui permet de « se prêter à un tirage considérable »18. Trois des planches d’un important ouvrage intitulé Excursions daguerriennes19 ont été
13
*CRAS 12 (1841), p. 401–402.
14
*CRAS 12 (1841), p. 509.
15
*CRAS 11 (1840), p. 712.
16
*L’Artiste (1841), 2e série, t. 7, 6e livraison, p. 94. On y lit : « L’instrument galvano-plastique est confectionné avec beaucoup de soin par deux ingénieurs-opticiens, MM. Chevalier et Lerebours, qui luttent de talent et d’habileté […]. M. Charles Chevalier a obtenu, dès ses premiers essais, un résultat […] l’application du métal fut si exacte, qu’une planche de Daguerréotype fut reproduite avec ses traits légers et si peu creusés. »
17
Fizeau n’a pas obtenu le prix, et 1 000 francs ont été attribués à MM. Choiselat et Ratel : Bulletin de la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale, 52e année (1853) p. 297, accessible sur http://cnum.cnam.fr/fSER/BSPI.html
18
*CRAS 16 (1843), p. 408 ; *Fizeau, H. (1844) Note sur un procédé de gravure photographique, CRAS 19, p. 119–121.
19
*Anonyme (1840–1843) Excursions daguerriennes : vues et monuments les plus remarquables du globe, t. 2, Paris, Rittner et Goupil.
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Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
Figure 1.2. Brevet délivré à Fizeau pour la reproduction des daguerréotypes par galvanoplastie (recto et verso). Académie des sciences/Institut de France, fonds 64 J, Hippolyte Fizeau, dossier 8.02.
réalisées par ce procédé à partir de daguerréotypes de Lerebours. Face à la concurrence, Fizeau dépose un brevet qui sera enregistré le 2 février 1844 (figure 1.2). Il est donc probable qu’on lui a reconnu une certaine priorité, car il est le seul à avoir publié dans les Comptes rendus ; Arago, qui le tient en haute estime, n’est peut-être pas étranger à cela. Prendre un brevet se révèlera une précaution inutile, car le procédé est complexe et risqué, d’autant plus que « le plus souvent, la pièce originale est en relief ; il faut donc faire une contre-épreuve en creux et la soumettre aux mêmes opérations [de galvanoplastie] pour produire une épreuve en relief » (Chevalier, 1841, p. 66). Il sera vite
Les débuts d’une vie scientifique
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délaissé : d’après William Henry Fox Talbot (1800–1877), « son usage a été abandonné en raison des grandes incertitudes qu’il comportait, qui usaient la patience des expérimentateurs »20. L’avenir est au procédé négatif-positif par contact sur papier inventé par Fox Talbot qu’il brevètera en 1841 sous le nom de calotype. Fizeau lui-même félicite Fox Talbot pour ce progrès21. Le daguerréotype n’a plus que dix années à vivre22.
1.2. Une rencontre décisive Le jeune Fizeau est maintenant célèbre et beaucoup d’amateurs de photographie viennent lui demander des conseils. C’est le cas d’un jeune homme de son âge, Léon Foucault (encadré 1.1 et figure 1.3), qui fait de son côté des expériences sur le daguerréotype. Les deux jeunes gens se sont probablement connus au collège Stanislas ou à l’École de médecine. Tout les rapproche : milieu social de bonne bourgeoisie, études de médecine parallèles et surtout amour des sciences.
Encadré 1.1. Léon Foucault (1819–1868) Léon Foucault est en quelque sorte le double de Fizeau : ils sont nés à cinq jours d’intervalle, se destinent initialement tous deux à la médecine puis dévient vers la physique, ont tous les deux beaucoup d’imagination et une grande habileté expérimentale. Cependant, Foucault a plus l’âme d’un mécanicien,
20
Article de Fox Talbot dans l’Athenaeum, daté du 4 avril 1853 reproduit par http://foxtalbot.dmu.ac.uk/letters/transcriptFreetext.php ?keystring=Fizeau&keystring2=&keystring3=&year1= 1800&year2=1877&pageNumber=13&pageTotal=15&referringP age=0
21
Lettre de Fizeau à Fox Talbot datée du 7 août 1844, reproduite par http://foxtalbot.dmu.ac.uk/letters/transcriptFreetext. php ?keystring=Fizeau&keystring2=&keystring3=&year1=1800 &year2=1877&pageNumber=5&pageTotal=15&referringPage=0
22
Pour une histoire de la reproduction photographique, voir Daniel (1995).
Figure 1.3. Léon Foucault vers 1862. Bibliothèque de l’Observatoire de Paris.
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tandis que Fizeau a plus de goût et de compétences pour les mathématiques. Tous deux commencent seuls et à leurs frais leurs premières expériences scientifiques, mais les moyens de Foucault sont plus limités si bien qu’il doit gagner sa vie en rédigeant, à partir de 1842, des « feuilletons scientifiques » pour le Journal des débats, ce qu’il fait d’ailleurs avec beaucoup d’érudition et de sens critique. Rendu célèbre par les travaux qu’il réalise en commun avec Fizeau et surtout par la fameuse expérience du pendule, qui date de 1851, Foucault devient le protégé de Napoléon III qui impose à Le Verrier sa nomination comme « physicien de l’Observatoire » en 1855. Il s’est alors brouillé avec Fizeau et continue seul une œuvre scientifique de premier plan : conception et construction des premiers télescopes modernes à miroir de verre argenté à partir de 1857, puis en 1862 première mesure précise de la vitesse de la lumière avec son miroir tournant. Rapidement affaibli par une maladie, probablement la sclérose en plaques, il meurt en 1868. Foucault prend probablement contact avec Fizeau pour avoir des détails sur sa méthode de bromuration des plaques. Il la perfectionne et décrit son procédé dans une brochure de dix pages, aussitôt publiée dans le guide pratique de Charles Chevalier23. Cette note se termine par un compliment envers Fizeau : « Mais, je dois le redire en terminant, c’est à M. Fizeau qu’appartient l’idée importante, l’idée capitale, celle de renouveler la dissolution [de brome dans l’eau] pour chaque épreuve. » Les deux hommes travaillent alors chacun de leur côté jusqu’à la seconde moitié de 1843, où ils décident de collaborer. Leur première collaboration concerne l’application du daguerréotype à la photométrie, c’est-à-dire à la mesure de l’intensité de la lumière. Ce projet avait déjà été imaginé par Arago en 1839, lorsqu’il présentait devant
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Chevalier (1841).
Les débuts d’une vie scientifique
l’Académie des sciences ce que l’on pouvait attendre de la photographie24 : « Le physicien arrive assez bien à déterminer les intensités comparatives de deux lumières voisines l’une de l’autre et qu’il perçoit simultanément ; mais, on n’a que des moyens imparfaits d’effectuer cette comparaison, quand la condition de simultanéité n’existe pas. […] N’hésitons pas à le dire, les réactifs [sic] découverts par M. Daguerre hâteront les progrès d’une des sciences qui honorent le plus l’esprit humain. Avec leur secours, le physicien pourra procéder désormais par voie d’intensités absolues ; il comparera les lumières par leurs effets. S’il y trouve de l’utilité, le même tableau lui donnera les empreintes des rayons éblouissants du soleil, des rayons trois cent mille fois plus faibles de la lune, des rayons des étoiles. Ces empreintes, il les égalisera, soit en affaiblissant les plus fortes lumières, à l’aide des moyens excellents, résultat des découvertes récentes25, soit en ne laissant agir les rayons les plus brillants que pendant une seconde, par exemple, et en continuant au besoin l’action des autres jusqu’à une demi-heure. » Fizeau et Foucault s’attachent à comparer l’intensité de la lumière solaire avec celle de deux autres sources de lumière. Le but est utilitaire : savoir quelle est la meilleure source de lumière exploitable pour les expériences de laboratoire. Est-ce le Soleil, l’arc électrique, inventé par Humphry Davy (1778–1829) en 1801, ou la lumière oxhydrique de Thomas Drummond (1797–1840)26, en réalité inventée par Goldsworthy Gurney (1793–1875), qui date de 1820 environ (figure 1.4) ? Pour ce faire, ils produisent successivement avec une lentille achromatique l’image des trois sources sur des plaques daguerréotypes. Afin que ces images soient juste au seuil de sensibilité de la plaque au développement à la vapeur de mercure, ils jouent sur différents paramètres : la distance de la source à la lentille, la distance focale de la lentille, des 24
*Arago, F. (1839) Le Daguerréotype, La France littéraire 35, p. 404–420.
25
Il s’agit visiblement pour Arago de l’affaiblissement obtenu en tournant l’un par rapport à l’autre deux polariseurs traversés successivement par la lumière.
26
Pour la lumière de Drummond, voir Lauginie, P. (2013) Drummond’s Light, Limelight : a Device in its Time, accessible sur http://archive.ihpst.net/2013/Procs/Lauginie.pdf
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Figure 1.4. Le chalumeau de Drummond. La lumière est produite par un morceau de craie chauffé par un chalumeau où brûle un mélange d’hydrogène et d’oxygène. Cette source lumineuse était encore très utilisée à la fin du XIXe siècle : l’image est extraite d’un catalogue d’instruments scientifiques datant de 1891. Conservatoire numérique des arts et métiers.
Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
diaphragmes limitant le diamètre utile de cette lentille et même le temps de pose. Le résultat27 est que la luminance de la craie incandescente de Drummond est moindre que celle du charbon du pôle positif de l’arc électrique, qui est elle-même inférieure à celle du Soleil. Si celle du Soleil dans de bonnes conditions, prise comme référence, est de 1 000, celle de l’arc va de 136 à 385 selon la différence de potentiel appliquée aux électrodes et celle de la lumière de Drummond s’étend de 0,5 à 6,85 selon la pression des gaz dans le chalumeau. Il s’agit de luminances aux longueurs d’ondes bleues à ultraviolettes, auxquelles est sensible le daguerréotype : c’est ce que Fizeau et Foucault appellent intensité chimique, car ce sont ces longueurs d’onde qui produisent la réaction chimique de réduction des sels d’argent qui est à la base de la photographie. Ils réalisent que les rapports entre les luminances pourraient être différents pour la lumière à laquelle l’œil est sensible et décident de mesurer visuellement le rapport entre la luminance de la craie de Drummond et celle de l’arc, en égalisant les images formées sur un écran par des lentilles diaphragmées différemment. Ils trouvent que ce rapport est peu différent de celui obtenu avec le daguerréotype. Ils en déduisent, à tort, que « les mesures d’intensité chimique […] qui se rapportent à la lumière solaire, à celle des charbons de la pile [c’est-àdire des charbons de l’arc], et à celle du gaz oxygène et hydrogène projeté sur de la chaux, seraient également les mesures des intensités optiques de ces sources lumineuses. » C’est à peu près le cas pour l’arc électrique et la craie de Drummond, mais pas pour le Soleil dont la température est beaucoup plus élevée. À la fin de la communication de Fizeau et Foucault, Arago rappelle « des expériences, déjà très-anciennes, à l’aide desquelles il compara, par des moyens photométriques directs, la lumière du soleil et celle des charbons de la pile28 ». 27
*Fizeau, H. & Foucault, L. (1844) Recherches sur l’intensité de la lumière émise par le charbon dans l’expérience de Davy, CRAS 18, p. 746–755 et p. 860–862.
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Nous n’avons pas trouvé dans les mémoires d’Arago sur la photométrie de référence à ces expériences, qui pourraient dater de 1815, date à laquelle Arago dit avoir fait diverses expériences photométriques.
Les débuts d’une vie scientifique
Cette mesure ne nous paraît pas bien remarquable aujourd’hui, mais c’est une première et elle a nécessité d’importants moyens financiers pour produire l’oxygène du chalumeau et surtout l’électricité de l’arc : pas moins de 138 piles de Bunsen ont été acquises à cet effet. Est-ce à cette occasion qu’Arago leur a parlé d’un problème qui le préoccupait : l’assombrissement du bord du disque solaire ? En effet, il écrit qu’il a obtenu un daguerréotype du Soleil sur lesquels il a constaté « que les rayons qui proviennent de la partie centrale du disque du Soleil ont une plus forte action photogénique que ceux qui partent des bords »29. Il s’agit peut-être de la toute première photographie astronomique réussie, celle de l’éclipse partielle de Soleil du 15 mars 1839, qui a longtemps subsisté à l’Observatoire de Paris mais est aujourd’hui perdue. La question est d’importance, car un tel assombrissement impliquerait nécessairement que la lumière du Soleil provient d’un gaz incandescent et non d’un liquide ou d’un solide : la luminance d’un solide ou liquide incandescent dépend très peu de l’angle d’incidence, principalement de la polarisation de la lumière émise ; tandis que celle d’un gaz dont la température varie avec l’épaisseur, comme c’est le cas pour l’atmosphère du Soleil, dépend de l’incidence alors qu’il n’y a pas de polarisation. Arago avait déjà conclu à l’existence d’un gaz incandescent en constatant, en 1811, l’absence de polarisation de la lumière des bords du disque solaire. Or l’existence même de l’assombrissement des bords est controversée, les observations donnant apparemment des résultats contradictoires. Quoi qu’il en soit, Fizeau et Foucault vont s’employer à obtenir des daguerréotypes du Soleil. Pour ce faire, la lumière solaire est renvoyée horizontalement par un héliostat vers une lentille au foyer de laquelle on place le daguerréotype. Mais le Soleil est si brillant que le temps de pose doit être compris entre 1/60 et 1/100 de seconde : il n’est pas possible de se servir comme à l’ordinaire d’un simple couvre-objectif enlevé et replacé manuellement. Fizeau et Foucault vont donc imaginer un obturateur « assez original » constitué d’une planche présentant une fente horizontale de largeur appropriée, 29
*Arago, F. (1854–1862) Œuvres complètes de François Arago, éd. par J.A. Barral, Paris, Gide et Leipzig, T.O. Weigel, vol. 10, p. 231–250.
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que l’on laisse tomber devant l’objectif : c’est l’ancêtre de notre obturateur à rideau. De nombreux clichés ont été ainsi obtenus. Tous montrent un assombrissement du bord solaire. Le seul de grand format qui soit conservé se trouve dans les réserves du musée des Arts et Métiers/CNAM. L’image, qui montre de belles taches, a 91,5 mm de diamètre et a donc été obtenue au foyer d’une lentille achromatique de 9,88 m de focale. C’est probablement la première belle photographie du Soleil. Une reproduction en a été gravée plus tard dans l’Astronomie populaire d’Arago, des contours dessinés autour des taches renforçant leur contraste (figure 1.5).
Figure 1.5. Daguerréotype du Soleil pris par Fizeau et Foucault le 2 avril 1845 à 9 h 45, reproduction dans l’Astronomie populaire d’Arago, t. 2. Les taches solaires ont été soulignées par un trait ajouté par le graveur. L’assombrissement du bord est fidèlement reproduit. Collection de l’auteur.
Fizeau et Foucault n’ont pas présenté à l’Académie leur résultat sur l’assombrissement du bord solaire. Les contemporains, en particulier le Père Angelo Secchi30 (1818–1878), ont conclu de cet assombrissement que la couche lumineuse du Soleil, qu’Arago nomme la photosphère, est entourée d’une couche absorbante qui absorbe davantage le rayonnement solaire au bord qu’au centre puisqu’une plus grande épaisseur doit être traversée au bord par la lumière. Cette conception a subsisté pendant un siècle, jusqu’à ce que des modèles réalistes de l’atmosphère du Soleil soient élaborés par l’Allemand
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*Secchi, A. (1875 et 1878) Le Soleil, 2 tomes, Paris, GauthierVillars : voir t. 1, p. 199.
Les débuts d’une vie scientifique
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Karl Schwarzschild (1873–1916) et ses successeurs à partir de 1906. Foucault et Fizeau vont continuer pendant quelque temps à faire des daguerréotypes et des reproductions par photogravure31 (figure 1.6) et maintenant collaborer activement sur différents projets.
Figure 1.6. Vue de l’église Saint Sulpice à Paris, prise près du domicile de Fizeau. Il s’agit d’une photogravure obtenue par lui à partir d’un daguerréotype. Metropolitan Museum of Art, New York, Wikimédia Commons.
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Un ensemble de daguerréotypes de Fizeau a été vendu à l’hôtel Drouot le 12 décembre 1997. On peut voir des reproductions d’autres de ses daguerréotypes et photogravures sur http://gallica.bnf.fr et sur http://www.arcadja.com/auctions/fr/ private/fizeau_hippolyte_louis_ar_/oeuvres/9911/0/. Le « portrait de Léon Foucault » sur ce dernier site ne représente probablement pas Foucault.
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Chapitre 2 Une collaboration fructueuse
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Un héliostat de Silbermann ayant appartenu à Fizeau, probablement utilisé pour ses expériences d’optique avec Foucault. Le miroir plan est mû par le mouvement d’horlogerie situé dans la boîte cylindrique, de sorte que la lumière reçue du Soleil est renvoyée horizontalement dans une direction fixe en compensant le mouvement diurne de l’astre. On règle l’instrument chaque jour en fonction de la hauteur que doit atteindre le Soleil à midi. Les héliostats étaient très utilisés au XIXe siècle car ils fournissaient la source de lumière la plus puissante pour les expériences d’optique et les agrandissements photographiques. Musée d’histoire urbaine et sociale de Suresnes, inv. 997.00.1568.
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Ce chapitre doit beaucoup à William Tobin : il a étudié en profondeur cette collaboration dans son ouvrage sur Léon Foucault (Tobin, 2003), que j’ai traduit et adapté en français.
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Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
2.1. L’interférométrie et la nature de la lumière En 1845, la controverse qui fait rage depuis le début du siècle sur la nature de la lumière commence à s’apaiser. Newton avait proposé que la lumière soit faite de corpuscules ayant une masse et avait expliqué la réfraction par une accélération de ces corpuscules lorsque la lumière pénètre dans un milieu plus réfringent. À la suite de leurs expériences sur la diffraction et les interférences, Thomas Young (1773–1829) et Augustin Fresnel (1788–1827) ont sérieusement mis à mal cette théorie et proposé de la remplacer par la théorie ondulatoire, qui remonte en fait à Christiaan Huygens (1620–1695). Cependant, la réputation de Newton est si grande qu’il est difficile d’admettre qu’il ait pu avoir tort, si bien que les physiciens français sont encore divisés entre les partisans de l’hypothèse corpusculaire, comme JeanBaptiste Biot (1774–1862), et ceux de l’hypothèse ondulatoire dont André-Marie Ampère (1775–1836) et Arago sont les chefs de file. C’est dans ce contexte que Fizeau et Foucault, qui sont tous deux très familiers des expériences d’interférence (trous ou fentes d’Young, miroirs de Fresnel), se posent la question suivante : jusqu’à quelle différence de marche entre deux rayons lumineux issus d’une même source, comme dans ces expériences, peut-on observer le phénomène d’interférence ? Dans l’expérience des fentes d’Young, deux fentes parallèles étroites pratiquées dans une feuille opaque sont éclairées par une source ponctuelle de lumière. Des franges d’interférence entre les deux faisceaux issus de ces fentes sont observées sur un écran. En lumière blanche, on observe une frange centrale brillante qui correspond à l’égalité des trajets optiques (différence de marche nulle entre les deux rayons), et de chaque côté une ou deux franges moins contrastées. Puis tout se brouille, avec des couleurs variées, et loin de la frange centrale on ne voit plus qu’un éclairement uniforme. Si l’on limite l’intervalle spectral de la lumière, on voit davantage de franges. Certes, cette expérience « avait mis hors de doute l’existence [d’une] constitution périodique […] à l’origine du mouvement ondulatoire ; mais l’effacement progressif des franges lorsque la
Une collaboration fructueuse
différence de marche des faisceaux interférents dépasse quelques dizaines de longueurs d’onde, faisait penser que la régularité s’évanouissait après quelques dizaines d’oscillations ; l’extinction rapide de ce régime régulier des sources lumineuses enlevait l’analogie précieuse qu’elles offraient avec les sources sonores et devenait même inquiétante pour l’explication correcte de certains phénomènes de diffraction »33. Telle est la motivation de nos deux jeunes savants. Mais pour répondre à la question, il faudrait travailler en lumière monochromatique : alors on pourrait espérer voir de nombreuses franges équidistantes, de part et d’autre de la frange centrale, jusqu’à ce qu’elles disparaissent éventuellement pour une grande différence de marche. Le problème à l’époque est qu’il n’existe pas de source de lumière suffisamment monochromatique pour permettre de voir ces franges non brouillées jusqu’à de grandes différences de marche. Du moins, c’est ce que pensent nos deux jeunes savants, qui n’ont pas encore réalisé que de la vapeur de sodium produirait des raies d’émission propices à leur expérience, et ne savent pas qu’en Écosse David Brewster (1781–1868) avait construit, dès 1823, une lampe donnant ces raies avec une forte intensité. Ils résolvent le problème d’une manière extrêmement ingénieuse. L’astuce consiste à sélectionner, dans une expérience d’interférométrie en lumière blanche, la lumière qui tombe sur l’écran loin de la frange centrale et à l’analyser avec un prisme. Ce principe est illustré figure 2.1. La figure 2.2 représente le dispositif expérimental, qui utilise les miroirs de Fresnel pour réaliser les interférences. Ces miroirs produisent des images virtuelles d’une fente et jouent donc le même rôle que les fentes d’Young, mais avec beaucoup plus de luminosité.
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Cornu (1897), p. C.6.
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Figure 2.1. Principe de l’expérience de Fizeau et Foucault. La source de lumière émet dans une large gamme de longueurs d’onde. Un dispositif d’interférence, comme les fentes d’Young ou les miroirs de Fresnel, produit à chaque longueur d’onde de cette lumière des franges d’interférence dont le pas est proportionnel à cette longueur d’onde (quelquesunes sont schématisées par les sinusoïdes). Leur superposition produit la figure du bas, où l’on ne voit plus que la frange centrale et quelques franges latérales : c’est ce que l’on observe sur un écran dans une expérience d’interférences. En découpant dans cet écran une fente comme indiqué et en analysant avec un spectroscope la lumière qu’elle transmet, on obtient un spectre modulé par les interférences, dit spectre cannelé (à droite). D’après Tobin (2002), Figure 5.8.
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Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
Figure 2.2. Montage de l’expérience de Fizeau et Foucault. La source de lumière est le Soleil, dont l’image linéaire obtenue par une lentille cylindrique tient lieu de fente d’entrée. Les miroirs de Fresnel m’ et m’’ produisent des franges d’interférences sur l’écran, où une fente O, déplaçable comme indiqué, est disposée parallèlement à la frange centrale. Le spectroscope formé par un prisme et les deux lentilles L’ et L’’ forment un spectre cannelé dont l’aspect est montré Figure 2.1 ou 2.3. Les dimensions ne sont pas respectées : il y avait environ 2 mètres entre les miroirs et l’écran, l’écran et le prisme, et le prisme et le spectre. D’après Tobin (2002), Figure 5.9.
La figure 2.3 montre l’aspect réel du spectre obtenu avec cet appareil. Les cannelures modulent le spectre du Soleil, ce qui permet de connaître la différence de marche. En effet, dans ce spectre, chaque cannelure brillante à une longueur d’onde correspond à un ordre d’interférence entier n tel que = constante ( est alors la différence de marche des rayons qui interfèrent au niveau de la fente). Si l’on considère par exemple des cannelures situées à peu près aux longueurs d’onde E et F des raies E et F du spectre solaire, la différence de marche des faisceaux incidents correspond à EnE ou à FnF. Si l’on connaît les deux longueurs d’onde E et F, il suffit de compter le nombre de cannelures entre les raies E et F pour déterminer la différence de marche. Inversement, une fois connu , on peut déterminer une longueur d’onde en comptant le nombre de cannelures qui la sépare d’une raie de longueur d’onde connue.
Figure 2.3. Le spectre visible du rayonnement solaire avec ses principales raies d’absorption (image négative, en haut), observé dans le dispositif de la Figure 2.2, est modulé par les cannelures (en bas). D’après Tobin (2002), Figure 5.10.
Une collaboration fructueuse
Fizeau et Foucault montent également une variante de cette expérience, où le spectre cannelé est produit cette fois en utilisant la polarisation rotatoire dans une lame cristalline, un phénomène découvert par Arago en 1811. On polarise linéairement la lumière provenant du Soleil avec un prisme de Nicol, puis on la fait passer dans une lame de gypse biréfringente, qui la décompose en deux rayons, ordinaire et extraordinaire, à l’intérieur de la lame (figure 2.4). Ces rayons interfèrent à la sortie de la lame. Comme l’indice de réfraction est différent pour ces deux rayons, leur recomposition donne une polarisation elliptique d’aspect variable selon la différence de phase entre les rayons (figure 2.5). Cette différence de phase dépend elle-même de la différence entre le nombre de longueurs d’onde du rayon ordinaire et celui du rayon extraordinaire dans l’épaisseur de la lame. Le phénomène dépend donc de la longueur d’onde de façon périodique, se reproduisant identiquement à lui-même chaque fois que cette différence de marche à travers la lame augmente d’une longueur d’onde. L’épaisseur de la lame est choisie suffisamment grande pour que cela se produise de nombreuses fois dans le domaine spectral exploré. On place ensuite dans le faisceau un analyseur qui ne laisse passer qu’une composante polarisée linéairement. Le spectre de la lumière après cet analyseur est alors modulé par des cannelures exactement comme dans l’expérience précédente, cannelures que l’on peut voir avec un spectroscope. En tournant l’analyseur de 90°, on obtient des cannelures brillantes à la place des cannelures sombres. Le montage est bien plus facile à réaliser que celui de la figure 2.2 et beaucoup plus lumineux.
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Figure 2.4. Montage de l’autre expérience de Fizeau et Foucault. Comme dans l’expérience précédente (Figure 2.2), on forme avec une lentille cylindrique une image linéaire du Soleil. Puis, on place successivement dans la lumière parallèle formée par une lentille un prisme de Nicol formant polariseur, une lame de gypse biréfringente, puis un autre prisme de Nicol formant analyseur. La lumière transmise tombe sur un prisme en faisant le spectre, qui est cannelé comme sur la Figure 2.3. Dessin de l’auteur.
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Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
Figure 2.5. Un cycle de polarisation en fonction de la longueur d’onde dans le montage de la Figure 2.4, dessin de Fizeau34. En L, la longueur des lignes perpendiculaires figure la variation avec la longueur d’onde de l’intensité lumineuse lorsque l’analyseur de la Figure 2.4 est soit parallèle, soit perpendiculaire au polariseur. Les lignes M et N expliquent ce qui se passe pour deux positions perpendiculaires de la lame cristalline biréfringente schématisée à gauche. En M, le plan de symétrie aa’ de la lame est parallèle au polariseur, si bien que seul le rayon ordinaire pénètre dans la lame ; la polarisation rotatoire fait tourner son plan de polarisation en fonction de la longueur d’onde comme indiqué sur la figure. En N, la même chose lorsque le plan de symétrie est perpendiculaire au polariseur et que seul le rayon extraordinaire entre dans la lame. En P, on a placé le polariseur à 45° du plan aa’ de la lame ; les dessins montrent le résultat de l’interférence entre les rayons ordinaire et extraordinaire, qui se propagent tous les deux dans la lame : lorsque le déphasage entre les rayons ordinaire et extraordinaire varie entre 0° et 180°, on passe d’une polarisation linéaire à une polarisation elliptique, puis à une polarisation linéaire perpendiculaire à la première ; puis on observe une nouvelle polarisation elliptique en sens inverse si le déphasage varie entre 180° et 360°. L’analyseur ne laisse passer qu’une composante polarisée linéairement de la lumière sortant de la lame, dont l’état complet de polarisation est décrit en P ; l’intensité de cette composante en fonction de la longueur d’onde est maximale en début et en fin de cycle, et nulle au milieu si l’analyseur laisse passer la composante dessinée horizontalement, la répétition de ce cycle produisant un spectre cannelé. C’est l’inverse si l’analyseur laisse passer la composante dessinée verticalement. Remarquez le dessin d’une tête en haut à gauche : on en trouve souvent dans les premières notes de Fizeau. Académie des sciences/Institut de France, fonds 64.1, Hippolyte Fizeau, dossier 8.07.
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Ce schéma sera reproduit dans la planche accompagnant le mémoire de 1850 dont la référence est donnée dans la note suivante, et aussi dans Foucault (1878) p. 118.
Une collaboration fructueuse
Le 24 novembre 1845, Fizeau et Foucault présentent leurs résultats à l’Académie des sciences. Ils affirment avoir obtenu des interférences avec des différences de marche de 813, puis de 1 737 fois la longueur d’onde de la raie F, soit respectivement 0,4 et 1,4 millimètre. Au printemps 1846, ils obtiennent des franges avec une différence de marche de 3,2 millimètres en utilisant la polarisation rotatoire. Tous ces résultats s’expliquent sans difficulté dans le cadre de la théorie ondulatoire, ce qui jette un doute croissant sur la théorie corpusculaire, déjà bien affaiblie. Nos deux savants concluent : « L’existence de ces phénomènes d’influence mutuelle entre deux rayons, dans le cas de grande différence de marche, est intéressante pour la théorie de la lumière, en ce qu’elle révèle dans l’émission des ondes successives une régularité persistante qu’aucun phénomène n’indiquait jusqu’ici. » C’est ce que nous appelons aujourd’hui la cohérence de la lumière. Malgré le grand intérêt de ces expériences, qui n’échappa pas aux contemporains, le travail de Fizeau et Foucault ne sera pas publié dans les Comptes rendus de l’Académie des sciences, mais seulement quatre ans plus tard dans les Annales de chimie et de physique, un journal dont Arago était l’un des rédacteurs35. Nous verrons plus loin que nos deux hommes reviendront sur la nature de la lumière d’une façon complètement différente, et que cela sera le point de départ de leur brouille définitive car leur collaboration se sera transformée en compétition.
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*Fizeau, H. & Foucault, L. (1849) Sur le phénomène des interférences entre deux rayons de lumière dans le cas de grandes différences de marche, Annales de chimie et de physique 26, p. 138– 148 ; *Fizeau, H. & Foucault, L. (1850) Mémoire sur le phénomène des interférences entre deux rayons de lumière dans le cas de grandes différences de marche et sur la polarisation chromatique produite par les lames épaisses cristallisées, Annales de chimie et de physique 30, p. 146–159.
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Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
2.2. La nature du rayonnement infrarouge En 1800, William Herschel (1738–1822) découvre la « chaleur radiante » du Soleil, en plaçant dans le spectre solaire formé par un prisme des petits thermomètres à réservoir noirci36. Il constate que ces thermomètres s’échauffent plus du côté rouge du spectre que du côté bleu, et encore davantage au-delà du rouge, là où il n’y a plus rien de visible. Il fait par la suite des expériences qui lui montrent que ce rayonnement, qu’il provienne du Soleil ou d’autres sources comme un morceau de fer porté au rouge ou même un four (the invisible culinary heat), est réfléchi par un miroir, comme la lumière, et plus ou moins diffusé ou absorbé par diverses substances. Cependant est-ce suffisant pour assurer que ce rayonnement est de même nature que la lumière ? Herschel le soupçonne mais est incapable de le démontrer. Il est vrai que son essai37 pour montrer la distribution énergétique spectrale de la lumière et de la chaleur radiante (figure 2.6) n’encourage pas à croire en cette identité de nature.
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Herschel, W. (1800a) Investigations of the Powers of the Prismatic Colours to Heat and Illuminate Objects…, Philosophical Transactions of the Royal Society of London 90, p. 255–283, accessible sur http://www.jstor.org/stable/107056
37
Herschel, W. (1800b) Experiments on the Solar, and on the Terrestrial Rays that Occasion Heat…, Philosophical Transactions of the Royal Society of London 90, p. 437–538, accessible sur http:// www.jstor.org/stable/107062
Une collaboration fructueuse
Figure 2.6. La tentative de William Herschel pour montrer la distribution spectrale énergétique de la lumière (R) et de la « chaleur radiante » (S) du Soleil. La distribution de la lumière R, qui est dessinée schématiquement par Herschel, reflète surtout la sensibilité de l’œil. Celle de la chaleur radiante S est directement issue de l’échauffement d’un thermomètre déplacé dans le spectre. Dans une échelle linéaire de longueurs d’onde comme la donnerait un réseau de diffraction, la distribution de la chaleur radiante aurait son maximum dans le jaune. Cependant, l’échelle est loin d’être linéaire ici, car c’est celle de la dispersion du prisme qui varie en 1/2 avec la longueur d’onde : elle est très dilatée du côté violet et contractée du côté rouge et infrarouge par rapport à une échelle linéaire. En conséquence, le réservoir noirci du thermomètre reçoit l’énergie dans un domaine de longueurs d’onde de plus en plus étendu lorsqu’on le déplace du violet à l’infrarouge, ce qui déporte le maximum observé du jaune au rouge profond. Bibliothèque de l’Observatoire de Paris.
À l’exception de Thomas Young, dont l’influence est malheureusement assez faible38, aucun des contemporains et des successeurs immédiats de Herschel ne croit à cette identité. Par exemple, dans son éloge de Herschel devant l’Académie des sciences, Joseph Fourier (1768– 1830) parle encore en 1823 de « rayons de chaleur invisible, mêlée à la lumière du Soleil ». Pour compliquer encore le problème, Johannes Wilhelm Ritter (1776–1810) 38
°Young, T. (1807) A course of lectures on natural philosophy and the mechanical arts, Vol. 1 : nouvelle édition (1845), Taylor & Walton, p. 501–504.
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Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
en Allemagne et William Francis Wollaston (1731–1815) en Grande-Bretagne découvrent indépendamment en 1801–1802, au-delà du côté violet du spectre solaire, des « rayons invisibles » ou « rayons chimiques » qui noircissent un papier imprégné de chlorure d’argent. En 1835, André-Marie Ampère, fervent défenseur de la théorie ondulatoire de la lumière, propose avec sa pénétration habituelle une nouvelle idée, qui est citée au début d’un article39 de Macedonio Melloni (1798–1854) : « Elle consiste à considérer la chaleur rayonnante comme une série d’ondulations excitées dans l’éther par les vibrations des corps chauds. Ces ondulations seraient plus longues que les ondes qui constituent la lumière, si la source calorifique est obscure : mais dans le cas des sources qui sont en même temps calorifiques et lumineuses, il y aurait toujours un groupe d’ondes possédant simultanément les deux propriétés de chauffer et d’illuminer. Ainsi, dans cette manière de voir, aucune différence essentielle n’existerait entre le calorique rayonnant et la lumière. Une série très étendue d’ondulations éthérées donnerait la sensation de la chaleur en tombant sur les diverses parties de notre corps : un nombre plus restreint de ces mêmes ondulations calorifiques, seraient douées de la faculté d’imprimer à la rétine un mouvement vibratoire propre à exciter la sensation de la lumière. » Il est encore trop tôt pour que cette idée soit adoptée : elle ne convainc pas Melloni, le grand spécialiste de l’infrarouge à cette époque, qu’un autre spécialiste, Samuel P. Langley (1834–1906), qualifiera en 1880 de « Newton de la chaleur ». Pour Melloni, comme pour la plupart de ses contemporains, la chaleur rayonnante est de même nature que le « calorique », ce fluide qui se propagerait lentement dans les corps et qu’étudiait Fourier. Pour d’autres, minoritaires, la chaleur consiste en une agitation interne plus ou moins grande des corps, ce qui correspond à nos connaissances actuelles et s’imposera progressivement, notamment à Melloni. Celui-ci finit, en 1842, par accepter l’identité de nature de la lumière et de la chaleur rayonnante, et même des « rayons
39
*Melloni, M. (1835) Observations et expériences relatives à la théorie de l’identité des agents qui produisent la lumière et la chaleur rayonnante, CRAS 1, p. 503–509.
Une collaboration fructueuse
chimiques », c’est-à-dire de l’ultraviolet40. Il comprend pourquoi le spectre de la lumière visible schématisé par Herschel et celui de la chaleur rayonnante, que ce dernier a mesuré, sont si différents l’un de l’autre. Il met en évidence l’intérêt de mesurer la distribution spectrale d’énergie du rayonnement avec un instrument sensible seulement à l’énergie, comme l’était d’ailleurs plus ou moins le thermomètre d’Herschel, c’est-à-dire avec ce que nous appelons aujourd’hui un bolomètre. Il devait revenir à Fizeau et à Foucault de confirmer définitivement la nature ondulatoire du rayonnement infrarouge par des expériences d’interférence. Dans l’article de 1847 qui détaille ces expériences41, ils écrivent : « Les analogies nombreuses révélées par l’expérience entre les propriétés des rayons calorifiques et celles des rayons lumineux, ont amené à étendre l’idée des mouvements ondulatoires aux rayons calorifiques. Cette manière de voir est généralement admise aujourd’hui, et cependant elle n’est fondée que sur des analogies, car aucune des propriétés observées jusqu’ici dans les rayons calorifiques ne révèle en eux une nature ondulatoire. L’existence de phénomènes d’interférence serait décisive. » Ils produisent d’abord des franges avec des miroirs de Fresnel en isolant la radiation infrarouge par un filtre rouge foncé, puis déplacent dans ces franges un thermomètre très fin au réservoir noirci, fabriqué par Fizeau lui-même : ils observent la frange centrale et les deux franges latérales, puis les franges se brouillent plus loin en raison de la grande largeur de la bande de longueurs d’onde qui est présente. Puis ils réalisent à nouveau l’expérience d’Herschel, avec cette fois une bonne sensibilité et une résolution spectrale bien meilleure. Le résultat de cette exploration du spectre solaire avec un thermomètre est montré figure 2.7. Leur dispositif permet aussi, comme celui de la figure 2.4, d’obtenir un spectre 40
*Melloni, M. (1842) Sur l’identité des diverses radiations lumineuses, calorifiques et chimiques, CRAS 15, p. 454–460.
41
*Fizeau, H. & Foucault, L. (1847) Recherches sur les interférences des rayons calorifiques, CRAS 25, p. 447–450 et 485. On constatera que les auteurs utilisent un procédé de permutation entre la source plus son environnement et cet environnement lui-même, procédé qui deviendra plus tard la règle dans l’étude de l’infrarouge.
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cannelé grâce auquel ils peuvent pour la première fois mesurer des longueurs d’onde dans l’infrarouge, comme nous l’avons expliqué plus haut42. Seul Fizeau présente le calcul43, car ce n’est pas le fort de Foucault. Figure 2.7. Le spectre du Soleil obtenu par Fizeau et Foucault. En haut, le spectre tel qu’il est obtenu en déplaçant dans le spectre un thermomètre dont la taille est indiquée en T. Les principales raies de Fraunhofer sont indiquées par des lettres majuscules, mais la résolution du spectre en longueur d’onde est insuffisante pour les voir. En revanche, les bandes d’absorption de la vapeur d’eau atmosphérique, dans l’infrarouge à droite, sont bien visibles. Elles avaient déjà été repérées par John Herschel (1792–1871), le fils de William, lui-même astronome et physicien de grande qualité. En S’, les lettres minuscules signalent la position des cannelures spectrales fournies par un dispositif analogue à celui de la Figure 2.4. En S’’, on a tourné l’analyseur de 90° et les cannelures sont inversées, les brillantes étant à la place des sombres de S’ et vice versa (voir la légende de la Figure 2.5). Ces cannelures permettent pour la première fois de mesurer les longueurs d’onde dans l’infrarouge. D’après Foucault (1878), bibliothèque de l’Observatoire de Paris.
Fizeau et Foucault observent également la diffraction des rayons calorifiques par le bord d’un écran. Le texte qui présente leurs travaux est d’une grande modestie, malgré l’inventivité et la qualité de leurs expériences. Cette modestie est probablement la cause pour laquelle elles paraissent avoir été quelque peu oubliées par la suite : dans la deuxième édition de 1868 de son célèbre Cours de physique de l’École polytechnique44, Jules-Célestin Jamin (1818–1886), qui en est toujours à Melloni, ne les mentionne pas et parle encore de « l’identité probable de la chaleur et de la lumière ». Pourtant, plus personne ne pouvait contester cette identité après ces magnifiques expériences. Fizeau et Foucault vont maintenant se séparer et travailler chacun de leur côté, jusqu’à ce qu’une malheureuse compétition les réunisse à nouveau et cause leur brouille définitive. 42
Avec ce montage, il faut cependant supposer que les indices de réfraction des ondes ordinaire et extraordinaire dans le cristal biréfringent utilisé ne varient pas avec la longueur d’onde ; le montage de la figure 2.2 n’a pas cet inconvénient.
43
°Fizeau, H. (1847) Longueurs d’onde des rayons calorifiques, Procès-verbaux de la Société philomatique de Paris, p. 108–109.
44
°Jamin, J. (1868) Cours de physique de l’École polytechnique, 2e éd., Paris, Gauthier-Villars, p. 263.
Chapitre 3
La première vérification expérimentale de l’effet Doppler-Fizeau a eu lieu en 1844 à partir d’un train circulant entre Utrecht et Maarsen aux Pays-Bas, dont la locomotive devait ressembler à celle-ci, une réplique de la machine Arend construite par Longridge & Co en Grande-Bretagne. L’écartement de la voie était de 1,945 m, plus large que l’écartement standard actuel de 1,435 m. Musée des chemins de fer, Utrecht, Wikimedia Commons, Quistnix.
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3.1. Christian Doppler En 1842, Christian Doppler (figure 3.1, encadré 3.1), professeur de mathématiques et de géométrie pratique à l’École polytechnique (appelée aussi Institut technique) de Prague, publie dans les Comptes rendus de la Société royale des sciences de Bohème le texte d’une conférence donnée devant cette société le 25 mai45. La traduction du titre complet en est : Sur la lumière colorée des étoiles doubles et de quelques autres astres du ciel ; essai d’une théorie générale qui incorpore le théorème de Bradley sur l’aberration comme partie intégrale46. Ce titre n’indique pas explicitement ce qui fait pour nous tout l’intérêt de l’article : la démonstration que la longueur d’onde du son, ou celle de la lumière, varie en fonction de la vitesse relative de la source et de l’observateur. Figure 3.1. Christian Doppler (1803–1853), vers 1836, par un artiste inconnu. Académie autrichienne des sciences, Vienne. Wikimedia Commons, Kelson.
Encadré 3.1 Christian Doppler (1803–1853) Christian Doppler est né à Salzburg le 29 novembre 1803, dans une famille de marbriers. Ses dons en mathématiques lui permettent d’entrer à l’Institut polytechnique de Vienne où il étudie de 1822 à 1825. En 1829, il devient assistant dans cette institution et
45 Doppler, C. (1842) Ueber das farbige Licht der Doppelsterne und einiger anderer Gestirne des Himmels ; Versuch einer das Bradley’sche Aberrations–Theorem als integrirenden Theil in sich schliessenden allgemeineren Theorie, Abhandlungen der königliche böhmischen Gesellschaft des Wissenschaften 2, p. 465–482. Le texte original en allemand est accessible sur http://de.wikisource. org/wiki/Über_das_farbige_Licht_der_Doppelsterne_und_einiger_anderer_Gestirne_des_Himmels. Un résumé commenté en anglais est disponible sur http://en.wikipedia.org/wiki/Über_das_ farbige_Licht_der_Doppelsterne_und_einiger_anderer_Gestirne_ des_Himmels. On trouvera la reproduction en fac-similé du texte et une traduction intégrale en anglais dans Eden (1992). Une traduction française assez libre et un peu incomplète, parfois inexacte mais néanmoins suffisante pour la compréhension des idées de Doppler, se trouve dans °Moigno (1850), p. 1165–1181. 46
En réalité, le travail de Doppler n’a pas grand-chose à voir avec l’aberration découverte par Bradley.
L’effet Doppler-Fizeau
s’emploie à chercher un poste permanent, qu’il finit par obtenir en 1835, après quelques années difficiles à l’École technique secondaire de Prague. Son enseignement est très lourd et ne lui laisse que peu de temps pour des recherches personnelles. En 1841, il est nommé professeur à l’École polytechnique de Prague. En butte à des calomnies, il démissionne en 1844. Soutenu par le philosophe et mathématicien Bernard Bolzano, il peut reprendre son poste en 1846, puis obtient l’année suivante un poste de professeur de mathématiques, physique et mécanique à l’Académie des mines et des forêts de Banská Štiavnica, aujourd’hui en République slovaque. La consécration de Doppler vient en 1848 par son élection à l’Académie impériale des sciences de Vienne et sa nomination en 1850 comme directeur de l’Institut de physique de l’université de cette ville. Mais il est malade depuis 1844, probablement atteint de la tuberculose qui l’emporte le 17 mars 1853 à Venise, où il s’est rendu en espérant une amélioration. L’œuvre scientifique de Doppler est très variée, allant des mathématiques pures et appliquées à l’astronomie, en passant par l’optique. C’est son article de 1842 qui a assuré sa gloire posthume.
Après une introduction qui rappelle que la nature ondulatoire de la lumière n’est pas encore complètement adoptée par tous, et encore moins la nature transversale de ses vibrations, Doppler fait remarquer (traduction de Moigno, 1850, p. 1166) : « On s’est comme obstiné à ne regarder les ondulations lumineuses ou sonores, en tant que cause de la sensation de la lumière et du son, que comme des phénomènes objectifs : on étudiait après quel intervalle de temps et avec quelle intensité se produisaient en elles-mêmes ces ondulations, sans penser à se demander après quel intervalle et avec quelle intensité subjective ces mêmes ondulations étaient perçues par l’œil ou par l’oreille de l’observateur. C’est cependant de cette impression subjective [son ou lumière reçu(e) par l’observateur], et non de la nature objective des ondulations [son ou lumière émis(e) par la source], que dépendent la couleur et son intensité, le ton et la force du son. […]
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Ainsi, par exemple, tant que l’observateur et l’origine des ondulations conserveront leurs positions relatives premières, on ne peut pas douter que, rien d’ailleurs [par ailleurs] n’étant changé, les estimations subjectives s’accorderont numériquement avec les conditions objectives. Si, au contraire, l’observateur et l’origine des ondes changent de place individuellement, ou ensemble, s’ils s’éloignent ou se rapprochent avec une vitesse qui soit de même ordre que la vitesse de propagation des ondes, qu’arrivera-t-il ? […] Ne semble-t-il pas évident que l’intervalle de temps qui sépare deux ondes se raccourcira, si l’observateur s’approche de l’origine du mouvement ondulatoire ; qu’il s’allongera, s’il s’en éloigne ? Dans le premier cas, le ton et l’intensité de l’impulsion ondulatoire doivent augmenter ; ils doivent diminuer dans le second. Le mouvement de la source des ondes doit produire des modifications semblables. L’expérience de tous les jours ne montre-t-elle pas qu’un navire ayant un assez grand tirant d’eau est battu par un plus grand nombre de vagues et beaucoup plus ébranlé, s’il gouverne contre les flots, que s’il se laissait entraîner par eux, ou que s’il était en repos ? Pourquoi ne retrouverait-on pas dans les ondes sonores et lumineuses ce qui se produit dans les ondes fluides ? Quelques formules simples éclairciront cette question. » Doppler va donc s’employer à mettre en équations le phénomène qu’il vient de décrire, en utilisant de petits schémas. Il se contente de traiter le cas plus simple où le mouvement est colinéaire avec la propagation de l’onde.
Encadré 3.2. L’effet Doppler-Fizeau Considérons la source d’une onde sonore ou lumineuse sinusoïdale de période T (ou, ce qui revient au même, de fréquence = 1/T) et de longueur d’onde = cT = c/, c étant la vitesse de propagation de l’onde. Supposons que la source se rapproche de l’observateur avec une vitesse u et examinons l’onde reçue en un point A situé dans la direction du mouvement. Un maximum de l’onde est reçu en A au bout d’un temps de propagation t. Le maximum suivant serait reçu au bout du temps t + T si la source n’avait pas bougé. Mais comme elle s’est déplacée de la distance uT entre
L’effet Doppler-Fizeau
les deux maxima d’émission, ce second maximum est reçu en A au bout d’un temps t + T – uT/c = t + (1 – u/c)T. La période apparente de l’onde perçue par l’observateur en A n’est donc pas T, mais est réduite à (1 – u/c)T. À l’inverse, la période apparente de l’onde augmenterait comme (1 + u/c)T si la source s’éloignait de l’observateur avec la vitesse u. Si maintenant on considère une source fixe et un observateur qui s’en rapproche ou s’en éloigne, il faut distinguer le cas du son de celui de la lumière. Dans le cas du son, il n’y a pas symétrie entre les deux situations : source mobile ou observateur mobile. En effet, si la source s’éloigne d’un observateur fixe, celui-ci recevra toujours une onde même si sa vitesse u est supérieure à c, tandis que si l’observateur s’éloigne d’une source fixe avec une vitesse supérieure à c, il ne reçoit rien. Dans le cas d’un observateur mobile se rapprochant d’une source fixe, plaçons-nous dans le référentiel du milieu où se propage le son : pendant le temps T’ qui sépare la réception de deux maxima successifs, l’onde a avancé de cT’ et l’observateur de uT’ ; la somme (u + c)T’ est égale à la longueur d’onde , soit (u + c)T’ = = cT. La période apparente de l’onde est donc T(1 + u/c)–1. Dans le cas de la lumière, on aboutit au même résultat que la source ou que l’observateur soit fixe, car, d’après le principe de relativité, seul le mouvement relatif compte. Dans le cas de la lumière, on a donc, quand la source et l’observateur se rapprochent l’un de l’autre avec la vitesse u : période diminuée T’ = (1 – u/c)T ; fréquence augmentée = (1 – u/c)–1 ; longueur d’onde diminuée ’ = (1 – u/c) (décalage vers le bleu). Si la source et l’observateur s’éloignent l’un de l’autre avec la vitesse u : période augmentée T’ = (1 + u/c)T ; fréquence diminuée = (1 + u/c)–1 ; longueur d’onde augmentée ’ = (1 + u/c) (décalage vers le rouge). Si la vitesse u est proche de la vitesse c de la lumière, la période et la longueur d’onde données par les expressions ci-dessus doivent être divisées par (1 – u2/c2)1/2, la fréquence étant multipliée par la même quantité. Dans le cas du son, les expressions ci-dessus sont valables si c’est la source qui se déplace par rapport
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au milieu où s’effectue la propagation, où se trouve l’observateur immobile. Mais si c’est l’observateur qui se déplace par rapport à la source et à ce milieu, la fréquence qu’il observe est ’ = (1 + u/c) dans le cas du rapprochement et ’ = (1 – u/c) dans celui de l’éloignement.
Doppler donne les formules pour la fréquence observée ’, la fréquence émise étant , soit en notations modernes : ’ = (1 – u/c)–1 dans le cas où la source s’approche de l’observateur avec la vitesse u ; ’ = (1 + u/c) dans le cas où c’est l’observateur qui s’approche de la source avec cette même vitesse. Doppler calcule explicitement la vitesse à laquelle l’observateur doit se rapprocher d’une source sonore émettant la note ut3 pour l’entendre comme un ré3 et trouve 128 pieds parisiens (de 32,48 cm) par seconde ; alors que si c’est la source qui se rapproche, cette valeur est de 114 pieds par seconde47. Cependant, le but de Doppler est d’expliquer la couleur des étoiles par leur vitesse radiale, c’est-à-dire la vitesse avec laquelle elles s’éloignent ou se rapprochent de nous48. Il prétend qu’une vitesse relativement faible, de l’ordre de la centaine de kilomètres par seconde (en unités modernes), suffit pour amener un changement de couleur perceptible par l’œil humain. Par ailleurs, comme il paraît ignorer que le spectre des étoiles s’étend au-delà des limites de sensibilité de l’œil, il pense que les étoiles disparaissent complètement de la vue si leur vitesse d’éloignement ou de rapprochement dépasse 136 000 km/s. Il applique ces idées pour rendre compte de la diversité de couleur des étoiles doubles : selon lui, les étoiles isolées sont blanches, mais les composantes des étoiles doubles, qui tournent l’une autour de l’autre avec une vitesse qu’il pense très grande, pourraient être rouges si elles 47 Ces résultats sont exacts si la vitesse du son est de 340 m/s, avec un accord en tempérament égal. 48
Le terme de vitesse radiale paraît avoir été employé pour la première fois par Deslandres : voir *Deslandres, H. (1891) Recherches sur le mouvement radial des astres avec le sidérostat de l’Observatoire de Paris, CRAS 113, p. 737.
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s’éloignent ou bleues si elles s’approchent. Il explique également ainsi la variabilité de certaines étoiles, qui seraient des composantes d’étoiles doubles apparaissant lorsque leur vitesse radiale est appropriée. En particulier, il explique par des variations de leur vitesse l’apparition puis la disparition progressive des supernovæ de Tycho Brahe (1572) et de Kepler (1604), ainsi que le changement possible de couleur de Sirius, qui aurait été rouge dans l’Antiquité et qui est maintenant « d’une blancheur éblouissante »49. Doppler conclut (traduction de Moigno, 1850, p. 1177) : « Le but du présent mémoire était de mettre en évidence, non pas la possibilité accidentelle de cette liaison [entre la couleur et la vitesse des étoiles], mais sa nécessité essentielle ; et ce n’est pas une légère satisfaction pour l’auteur que de pouvoir affirmer le plein accord de sa théorie avec les observations. » Inutile de dire qu’il ne reste rien de ces conclusions : les vitesses orbitales des composantes des étoiles doubles sont bien trop faibles, au maximum quelques centaines de kilomètres par seconde, pour affecter leur couleur, qui est une propriété intrinsèque liée à leur température. Néanmoins, il existe des galaxies très éloignées, dont la vitesse d’éloignement est énorme et dont le décalage spectral est tel que leur émission dans l’ultraviolet lointain se trouve observée dans le rouge et même l’infrarouge. Doppler n’a donné aucune vérification expérimentale de sa théorie, qui n’a d’ailleurs pas suscité beaucoup d’engouement en dehors d’un cercle restreint. Un collègue de Doppler à Prague, Karl Kreil (1796–1862), semble avoir été le premier à en discuter, accepter le principe et à suggérer que l’on pourrait vérifier les changements de couleur des étoiles prédits par Doppler en dispersant leur lumière avec un prisme. Mais il ne mentionne pas les raies d’absorption décrites en 1814 par Fraunhofer dans le spectre du Soleil et de Sirius, raies qui devraient être déplacées comme les couleurs. Un célèbre mathématicien et philosophe pragois, Bernard Bolzano (1781–1848), admirateur de Doppler, s’est également intéressé à son principe tout 49
Pour le changement de couleur de Sirius et des explications possibles, voir +Bonnet-Bidaud, J.-M. & Gry, C. (1991) The stellar field in the vicinity of Sirius and the color enigma, Astronomy & Astrophysics 252, p. 193–197.
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en émettant quelques doutes sur l’explication qu’il donne de la couleur des étoiles doubles, estimant avec raison que si c’était vrai on devrait observer des changements de couleur au cours de leur mouvement orbital50. Mais surtout, un physicien hollandais, Christophorus Hendrik Buijs-Ballot (figure 3.2), aussi orthographié Buys-Ballot (1817–1890), plus connu comme fondateur de la météorologie hollandaise, a pris dès 1844 comme sujet de thèse les conclusions de Doppler.
3.2. Christophorus Buijs-Ballot Figure 3.2. Christophorus BuijsBallot (1817–1890). Wikimedia Commons.
Un résumé en allemand de la thèse de Buijs-Ballot51, dont le titre peut être traduit par Expériences acoustiques faites sur le chemin de fer des Pays-Bas, avec quelques remarques relatives à la théorie du professeur Doppler, contient en première page une phrase en latin que Cornu traduit ainsi52 : « La théorie de M. Doppler a besoin d’être vérifiée : mais je dis qu’elle ne suffit pas pour expliquer les couleurs des étoiles doubles. » Il nous faut réaliser que si l’effet Doppler acoustique est aujourd’hui d’observation courante grâce aux sirènes des voitures de pompiers ou de police et des ambulances, les seuls véhicules suffisamment rapides à l’époque pour l’observer étaient les trains. C’est donc sur les trains que Buijs-Ballot va réaliser ses expériences, décrites par Moigno comme suit53 : « Sur le chemin de fer UM, qui unit Utrecht à Maarsen, on plaça, à des distances à peu près égales à mille mètres, trois groupes d’observateurs musiciens qui restaient immobiles le plus près possible de la route. Un musicien, placé 50
°Bolzano, B. (1843) Ein Paar Bemerkung über die neue Theorie in Herrn Professor Chr. Doppler’s Schrift…, Annalen der Physik und Chemie, 2e série, 60, p. 83–88. Une traduction abrégée est donnée par °Moigno (1850), p. 1182–1184. 51
°Buijs-Ballot, C.H. (1845) Akustische Versuche auf der Niederländischen Eisenbahn, nebst gelegentlichen Bemerkungen zur Theorie des Hrn. Prof. Doppler, Annalen der Physik und Chemie, 2e série, 66, p. 321–351. On en trouvera une traduction abrégée commentée dans °Moigno (1850), p. 1185–1189.
52
Cornu (1890), p. D.8.
53
Moigno (1850), p. 1185.
L’effet Doppler-Fizeau
sur la locomotive, sonnait de la trompette, d’abord en partant d’Utrecht, puis, entre A et B, entre B et C, entre C et Maarsen. M. Buijs-Ballot a publié, dans deux tableaux, les estimations des sons perçus, faites dans deux séries d’expériences, le 3 et le 5 juin 1845, et il en conclut que les nombres obtenus vérifiaient généralement la théorie. » Puis Moigno ajoute : « Après avoir rendu compte de ses expériences, les premières en ce genre, M. Buijs-Ballot se propose les cinq questions suivantes et les discute : 1° A-t-on le droit d’étendre à la lumière les résultats obtenus pour le son ? 2° Les étoiles ont-elles en quelque point de leur orbite une vitesse suffisante pour amener une coloration sensible ou un changement visible de couleur ? 3° Les étoiles doubles ont-elles de fait les couleurs ou subissent-elles de fait les changements de couleurs assignés par M. Doppler ? 4° N’aurait-on pas, sous la main, une explication plus facile de la coloration des étoiles ? 5° N’existe-t-il pas des faits qui rendent impossible l’application à la coloration des astres de la théorie de M. Doppler ? » Buijs-Ballot répond positivement à la première question et négativement à la deuxième, en s’appuyant sur diverses autorités. Il est moins sûr de lui en ce qui concerne la troisième question, tout en reprenant les objections de Bolzano. Et finalement, en réponse à la quatrième, il affirme que « les différences de couleurs des étoiles proviennent de la nature même de la lumière de ces astres, et non de leurs mouvements. […] Les expériences de Fraunhofer mettent en évidence cette différence essentielle de lumière, en montrant que les raies des spectres obtenus avec la lumière des diverses étoiles sont réellement différentes par leurs positions, leur étendue [largeur], leur éclat, etc. ». De fait, Fraunhofer a réussi à obtenir en 1814, non seulement le spectre du Soleil où il a vu les nombreuses raies d’absorption auxquelles on a donné son nom, mais le spectre de l’étoile la plus brillante du ciel, Sirius. Il y a
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remarqué des raies très différentes de celles du Soleil et une bande d’absorption à 430 nm qu’il a appelée G, d’où le nom donné au type spectral de cette étoile. Neuf années plus tard, il observait le spectre d’autres étoiles, spectres encore différents des précédents, et reconnaissait dans le spectre de Sirius l’une des principales raies solaires (elle est due à l’hydrogène, mais Fraunhofer ne pouvait pas le savoir). C’est cette situation confuse qui a fait que Doppler n’a pas pensé à utiliser les raies spectrales pour mesurer la vitesse des étoiles, mais seulement leur couleur, ce qui fut un échec total. Doppler ne pouvait pas laisser sans réponse les critiques de Buijs-Ballot. Le titre de son nouvel article54 de 1846 peut être traduit comme Remarques sur ma théorie de la lumière colorée des étoiles doubles, avec quelques observations sur les objections de M. Buijs-Ballot, etc. Il exprime d’abord sa satisfaction au vu du résultat des expériences acoustiques de ce dernier, qui confirment sa théorie, puis s’enferre dans des explications faibles et confuses dont il serait trop long de donner le détail. Il reste convaincu « que les objections soulevées ne renverseront en aucune manière sa théorie, que le temps la vengera des attaques prématurées dont elle a été l’objet, et qu’elle est un moyen excellent pour pénétrer plus avant dans les profondeurs des cieux ». S’il a raison sur le dernier point, il ne convaincra personne de la validité de son explication de la couleur des étoiles.
3.3. Hippolyte Fizeau Fizeau ignore certainement le travail de Doppler et les discussions auxquelles il a donné lieu. La proximité de la date de la communication55 qu’il donne devant la Société 54
*Doppler, C. (1846) Bemerkungen zu meiner Theorie des farbigen Lichtes der Doppelsterne etc. mit vorzüglicher Rücksicht auf die von Herrn Dr. Ballot zu Utrecht dagegen erhobenen Bedenken, Annalen der Physik und Chemie, 2e série, 68, p. 1–35. Résumé en français dans °Moigno (1850), p. 1189–1195.
55
°Fizeau, H. (1848) Particularités que présente le son lorsque le corps sonore ou l’observateur sont animés d’un mouvement de translation rapide, Procès-verbaux de la Société philomathique de Paris, p. 81–83. Il s’agit d’un résumé. Cet article est reproduit dans °Moigno (1850), p. 1197–1199, qui donne en plus la
L’effet Doppler-Fizeau
philomathique, le 23 décembre 1848, avec celle des controverses publiées en langue allemande dans les Annalen der Physik und Chemie de Poggendorf, est pure coïncidence. Il ne cite ni Doppler, ni Buijs-Ballot et son approche est toute différente. D’ailleurs, il ne pense pas à une expérience sonore à partir d’un train, mais se demande « ce que percevrait un homme [marchant] au pas accéléré des soldats »56. Il discute d’abord les ondes sonores, et écrit : « Si un corps sonore émettant un son continu et toujours identique se meut avec une vitesse comparable à celle du son, les ondes sonores ne seront pas symétriquement disposées autour du corps sonore, comme cela a lieu lorsqu’il est au repos ; mais elles seront plus rapprochées les unes des autres dans la région vers laquelle aura lieu le mouvement et plus éloignées dans la région opposée ; pour un observateur placé en avant ou en arrière du corps sonore le son sera donc différent, plus aigu dans la première position, plus grave dans la seconde. Si l’observateur à son tour est supposé en mouvement, le corps sonore restant immobile, le résultat sera semblable ; mais la loi du phénomène est différente. En calculant les vitesses qui correspondent aux intervalles de la gamme on trouve les nombres suivants : pour produire une élévation d’un demi-ton, le corps sonore doit avoir une vitesse par seconde de 21,25 [m], pour un ton majeur 37,8, pour la tierce 68, et pour l’octave 170 [ceci implique une vitesse du son de 340 m/s]. Dans le cas du corps sonore immobile, et pour obtenir les mêmes notes l’observateur doit avoir les vitesses : 22,6 ; 42,5 ; 85 ; et 340. Les sons émis ou reçus dans des directions différentes de celles du mouvement se calculent en projetant la vitesse sur la même direction. » Pour illustrer son principe, Fizeau apporte, le 23 décembre 1848, à la Société philomathique un appareil
figure de l’appareil de démonstration de Fizeau et y ajoute ses commentaires. La communication complète n’a été publiée qu’en 1870 : °Fizeau, H. (1870) Des effets du mouvement sur le ton des vibrations sonores et sur la longueur d’onde des rayons de lumière, Annales de chimie et de physique, 4e série, 19, p. 211– 221. Les citations dans notre texte proviennent du résumé. 56
Académie des sciences/Institut de France, fonds 64 J, Hippolyte Fizeau, dossier 8.10.
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de démonstration simple et fort astucieux, qui est représenté figure 3.3. Il le décrit ainsi : « Cet appareil est fondé sur le principe des roues dentées de M. Savart, mais la disposition est inverse. Au lieu de dents mobiles rencontrant dans leur mouvement un corps élastique fixe, c’est le corps élastique [une lame flexible] qui est placé sur la circonférence d’une roue et qui rencontre dans son mouvement des dents fixes placées sur la concavité d’un arc extérieur immobile. L’on a ainsi un appareil fixe qui jouit de la propriété d’émettre des sons différents dans chaque direction particulière. » Figure 3.3. L’appareil de Fizeau pour démontrer l’effet Doppler-Fizeau acoustique. En haut, dessin de Fizeau en 1848 (archives de l’Académie des sciences, fonds 64.1, dossier 8.10), En bas, d’après Fizeau, Annales de chimie et de physique, 4e série, 19, p. 213 (bibliothèque de l’Observatoire de Paris). Le bras, mis en rotation par une manivelle, porte en son extrémité une lame flexible qui rencontre dans son mouvement les crémaillères fixes et qui produit un son semblable à une crécelle. La roue a un diamètre de 1 m. En supposant que le bras tourne dans le sens des aiguilles d’une montre, le son ainsi produit par cette source mobile paraît plus grave pour un observateur situé à gauche, qui n’entendrait que le son produit par la lame frottant sur la crémaillère supérieure et s’éloignant de lui, que pour un observateur situé à droite. C’est l’inverse lorsque la lame rencontre la crémaillère inférieure. Pour un observateur éloigné situé à gauche ou à droite et qui entend le son des deux lames, ce son paraît dédoublé.
On trouve ici l’intérêt de Fizeau pour les roues dentées, qui aboutira bientôt à l’appareil qui lui servira à mesurer la vitesse de la lumière.
L’effet Doppler-Fizeau
La Société philomathique, antichambre de l’Académie des sciences, a certainement apprécié la démonstration de Fizeau car il y sera élu le 27 janvier suivant. Mais voici le point essentiel de l’article de Fizeau, où réside sa véritable nouveauté par rapport à Doppler : il y franchit le grand pas qui sépare l’assimilation vague de la lumière avec le son et l’indication précise du phénomène créé par le mouvement d’une source lumineuse : « Un mouvement très rapide et comparable à la vitesse de la lumière, attribué au corps lumineux ou à l’observateur, aura pour effet d’altérer la longueur d’ondulation de tous les rayons simples qui composent la lumière reçue dans la direction du mouvement. Cette longueur sera augmentée ou diminuée suivant le sens du mouvement. Considéré dans le spectre, cet effet se traduira par un déplacement des raies [souligné par Fizeau] correspondant au changement de la longueur d’ondulation. » Puis Fizeau pense à observer ainsi la vitesse radiale de Vénus au cours de son mouvement orbital : il calcule la valeur du changement de déviation, pour la raie D du sodium, de la lumière ayant traversé un prisme de flint (verre au plomb très réfringent) d’angle 60°, lorsque Vénus s’éloigne ou se rapproche avec sa vitesse maximum, soit 35 km/s : il trouve 2,65’’. Pour la vitesse orbitale de la Terre (30 km/s), il obtient 2,25’’. Il estime cette valeur détectable, surtout en plaçant deux prismes en tandem et en réalisant des observations successives à des époques où les mouvements sont en sens contraire. Il pense que « les difficultés ne sont pas telles qu’on ne puisse espérer de les surmonter ». Mais il ne semble pas qu’il ait réalisé cette expérience. Prenant connaissance en 1850 du travail de Fizeau57, Doppler se félicite de la confirmation de sa théorie par l’appareil de démonstration acoustique de celui-ci et estime qu’« au point de vue acoustique, ma théorie pourrait donc maintenant être considérée comme à peu près mise hors de doute, mais pas au même degré au point de vue optique ». En effet, il ne voit pas comment on pourrait la confirmer par l’expérience dans le cas de la lumière. Et 57
*Doppler, C. (1850) Einige weitere Mittheilungen und Bemerkungen, meine Theorie des farbigen Lichtes der Doppelsterne, etc. betreffend, Annalen der Physik und Chemie, 2e série, 81, p. 270–275.
41
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Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
il ne semble pas avoir saisi la portée de l’idée du déplacement des raies spectrales introduit par Fizeau. Il n’en dit pas un mot et retourne à ses étoiles colorées, sur lesquelles il reviendra une fois de plus deux ans plus tard58. On ne saurait s’étonner de son attitude, car la considération des raies spectrales était encore peu répandue et la diversité des spectres stellaires constatée par Fraunhofer ne faisait qu’embrouiller les esprits. C’est grâce à la connaissance profonde de l’analyse spectrale, acquise dans ses travaux avec Foucault, que Fizeau a dû parvenir d’emblée à l’interprétation correcte de l’influence du mouvement d’une source lumineuse et d’éviter la voie stérile dans laquelle Doppler s’était engagé. Ainsi, Doppler a montré comment le mouvement relatif d’une source de vibrations sonores et de l’observateur modifie la période apparente de ces vibrations qu’il perçoit. Mais c’est Fizeau qui a le premier vu clairement comment on peut appliquer ce principe à la propagation des ondes lumineuses, et comment on peut mesurer dans ce cas la vitesse relative de la source et de l’observateur en utilisant les raies spectrales. Il est donc légitime d’associer leurs deux noms en considérant l’effet Doppler-Fizeau. Cependant, à la fin du XIXe siècle, on ne parlait déjà plus guère à l’étranger que d’effet Doppler59.
3.4. L’avenir de l’effet Doppler-Fizeau Même si l’effet découvert indépendamment par Doppler et Fizeau ne paraît guère, à l’époque, susceptible d’applications pratiques et si la mesure du déplacement des raies spectrales stellaires paraissait bien difficile, les scientifiques n’ont rien oublié les années qui suivent : on en trouve de nombreuses mentions dans leurs publications. La découverte par Gustav Kirchhoff et Robert Bunsen de la présence d’éléments terrestres dans le Soleil, faite en 1860 grâce à la spectroscopie, relance l’intérêt des physiciens et des astronomes pour l’analyse spectrale. À la même époque, le Père Angelo Secchi examine au Vatican 58
*Doppler, C. (1852) Weitere Mittheilungen, meine Theorie des farbigen Lichtes der Doppelsterne betreffend, Annalen der Physik und Chemie, 2e série, 85, p. 371–378.
59
Voir *Faye, H. (1891) CRAS 112, p. 281.
L’effet Doppler-Fizeau
le spectre de plus de 4 000 étoiles et autres objets, et pose, avec d’autres, les bases de la classification stellaire. Il espère voir le déplacement spectral lié à la vitesse radiale de diverses étoiles, mais sans succès. En 1863, Sir William Huggins (1824–1910, figure 3.4) obtient des spectres d’étoiles et de nébuleuses et essaye pour la première fois de mesurer la vitesse d’éloignement ou de rapprochement, que les astronomes appellent vitesse radiale, de Sirius et d’Aldébaran : sans succès, car son spectroscope n’a pas une dispersion suffisante. Huggins s’emploie donc à construire un spectroscope plus performant représenté figure 3.5 et parvient pour la première fois, en 1868, à voir le déplacement d’une raie spectrale de Sirius (figure 3.6) et à en déduire la vitesse radiale de l’étoile. Il trouve que Sirius s’éloigne de la Terre avec une vitesse de 66 km/s. Après correction du mouvement orbital de la Terre, ceci donne une vitesse radiale relative au Soleil de 47 km/s60. La valeur actuelle est de –7,6 km/s, soit une vitesse relative à la Terre de 11 km/s à l’époque de l’observation ! Donc la mesure est fausse. Huggins est bien conscient de l’incertitude de son résultat, qui provient des difficultés d’alignement du spectre de l’étoile avec les spectres de comparaison, et plus généralement de l’observation visuelle. De son côté, Secchi ne trouve pas de déplacement des raies de Sirius61.
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Huggins, W. (1868) Further Observations on the Spectra of Some of the Stars and Nebulae, with an Attempt to Determine Therefrom Whether These Bodies are Moving towards or from the Earth…, Philosophical Transactions of the Royal Society of London 158, p. 529–564, accessible sur http://www.jstor.org/ stable/108925. Huggins écrit par erreur p. 549 que la vitesse radiale de Sirius de 29,4 miles par seconde (47 km/s) qu’il déduit de ses observations est relative à la Terre ; en fait, c’est la vitesse relative au Soleil, ce qui est clair d’après le contexte. Cette erreur se retrouve dans Cornu (1890).
61
*Secchi, le P. (1868) Troisième note sur les spectres stellaires, CRAS 66, p. 398–403.
43
Figure 3.4. Sir William Huggins (1824–1910). Bibliothèque de l’Observatoire de Paris.
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Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
Figure 3.5. Le spectroscope d’Huggins (1868). La lumière arrive sur la fente a ; la lentille b en forme un faisceau parallèle qui traverse le train de prismes d – dont la déviation moyenne est nulle mais qui dispersent néanmoins fortement la lumière –, puis les prismes f, g et h, et enfin le deuxième train de prismes e. Le spectre résultant est examiné avec la petite lunette c. Les prismes en grisé sont en flint, verre à fort pouvoir dispersif, les autres en verre crown. Bibliothèque de l’Observatoire de Paris.
Figure 3.6. La raie F de l’hydrogène de Sirius à 487 nm, observée visuellement par Huggins dans Sirius. Huggins a également observé les spectres de comparaison du Soleil et de l’hydrogène à différentes pressions. Bibliothèque de l’Observatoire de Paris.
Il est remarquable que l’effet Doppler-Fizeau ne soit ni bien connu ni, lorsqu’il l’est, accepté par tout le monde à l’époque de la mesure de Huggins, du moins en ce qui concerne la lumière. Huggins fait appel à l’autorité de John Clerk Maxwell pour appuyer ses dires, citant dans son article des Philosophical Transactions une longue lettre de ce dernier. Maxwell y retrouve une fois de plus la formule de l’effet Doppler-Fizeau62. Apparemment Maxwell 62
Néanmoins, Maxwell considère une petite correction dont l’origine est peu claire, qui doit correspondre à la composition de la vitesse de la lumière avec celle de la Terre. De toute façon, ce terme n’existe pas puisque la vitesse de la lumière est une constante.
L’effet Doppler-Fizeau
n’a pas connaissance de l’article de 1848 de Fizeau : il cite bien ce dernier mais à propos de deux autres de ses articles. Poincaré lui-même se pose des questions à propos de l’effet Doppler-Fizeau et incite les astronomes à en tenter des vérifications. L’une d’elles consiste à prendre un spectre du Soleil avec une longue fente placée le long de son équateur : la rotation de l’astre doit engendrer une différence de vitesse de 4 km/s entre les deux extrémités. La première mesure convaincante de cet effet paraît être celle d’un astronome américain, Charles Augustus Young (1834–1908), qui a obtenu en 1876 un spectre à très haute dispersion en utilisant un réseau de diffraction63. Une autre mesure est faite en 1880 par Louis Thollon (1829–1887), qui dispose à l’observatoire de Nice d’un spectroscope à haute dispersion muni d’un prisme de sulfure de carbone : il compare aux deux extrémités du Soleil les raies solaires avec les raies telluriques (dues à l’absorption par les constituants de l’atmosphère terrestre et dont la longueur d’onde est fixe) et voit la différence de vitesse radiale entre ces deux bords64. Thollon mesure aussi avec son spectroscope la vitesse radiale de protubérances au bord du Soleil, un résultat qui peine à convaincre certains contemporains. Une autre observation est souhaitée par Henri Poincaré pour résoudre un problème que pose l’effet Doppler-Fizeau : la vitesse radiale observée pour une source lumineuse qui n’émet pas par elle-même, mais est éclairée par réflexion ou par diffusion, est-elle bien celle de cette source ? Poincaré démontre en 1895 qu’une planète éclairée par le Soleil renvoie sur la Terre la lumière solaire par diffusion, avec une vitesse radiale apparente qui est la somme algébrique de la vitesse de cette planète par rapport au Soleil et de sa vitesse par rapport à la Terre65. Mais il aimerait en avoir confirmation par l’observation. Deslandres réalise le vœu de Poincaré en 63
+
64
Voir Cornu (1890), p. D.25.
Young, C.A. (1876) Observations of the displacement of lines in the Solar spectrum caused by the Sun’s rotation, Memorie della Societa Degli Spettroscopisti Italiani 5, p. A143–A151. 65
*Poincaré, H. (1895) Observations sur la Communication précédente de M. Deslandres, CRAS 120, p. 420–421. Le résultat avait déjà été démontré par +Niven, C. (1874) On a method of finding the parallax of double stars and on the displacement of the lines in the spectrum of a planet, Monthly Notices of the Royal Astronomical Society 34, p. 339–347.
45
46
Figure 3.7. Forme d’une raie du spectre de Saturne observé avec une longue fente par Keeler. En haut, position de la fente sur l’image de Saturne et de ses anneaux. En bas, aspect de la raie déformée par l’effet Doppler-Fizeau : la planète tourne comme un corps solide, tandis que les particules formant les anneaux tournent autour de la planète non pas comme un corps solide, mais en obéissant aux lois de Kepler (la courbe en pointillé correspond à la prédiction théorique). Remerciements à l’American Astronomical Society.
Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
plaçant le long de l’équateur de Jupiter la fente d’un spectrographe (Deslandres utilise la photographie pour enregistrer ses spectres) : il observe le déplacement global du spectre prévu par Poincaré et l’inclinaison des raies due à la rotation de la planète66. Un cas plus simple, qui nous est familier, est celui de la mesure de la vitesse d’une voiture par écho radar : dans ce cas, la source du rayonnement est fixe par rapport au récepteur et le déplacement du spectre donne directement le double de la vitesse du véhicule réflecteur. Deslandres confirme aussi en 1895 une observation de James Keeler qui avait mesuré par spectroscopie la rotation des anneaux de Saturne67 (figure 3.7), montrant qu’ils ne tournent pas comme des corps solides, ce que Maxwell avait prédit par la théorie. L’intérêt de Poincaré pour l’effet Doppler-Fizeau est clairement en relation avec les problèmes de propagation de la lumière et de systèmes de référence sur lesquels une réflexion active a alors lieu, réflexion qui devait aboutir en 1905 à la relativité restreinte d’Einstein. Il n’est pas surprenant que l’on ait essayé de vérifier au laboratoire l’effet Doppler-Fizeau sur la lumière, comme Buijs-Ballot l’avait fait pour le son. Deux tentatives sont réalisées à Saint-Pétersbourg avec des dispositifs assez complexes et des résultats marginaux68. En 1914, Charles Fabry (1867–1945) et Henri Buisson (1873–1944) en donnent une démonstration parfaitement concluante avec un dispositif très simple, qui est l’équivalent de celui utilisé
66
*Deslandres, H. (1895) Recherches spectrales sur la rotation et les mouvements des planètes, CRAS 120, p. 417–420.
67
*Deslandres, H. (1895) Recherches spectrales sur les anneaux de Saturne, CRAS 120, p. 1155–1158 ; +Keeler, J. (1895) A spectroscopic proof of the meteoritic constitution of Saturn’s rings, Astrophysical Journal 1, p. 416–427, plate VIII.
68
+ Belopolsky, A. (1901) On an apparatus for the Laboratory Demonstration of the Doppler-Fizeau Principle, Astrophysical Journal 13, p. 15–24 ; +Galitzin, B. & Wilip, J. (1907) Experimental test of Doppler’s Principle for Light-Rays, Astrophysical Journal 26, p. 46–58. L’insertion de ces articles dans ce journal américain montre l’intérêt que l’on portait alors à la vérification de l’effet Doppler-Fizeau pour la lumière. Belopolsky avait reçu 300 dollars de l’Elizabeth Thompson Science Fund pour réaliser son expérience.
L’effet Doppler-Fizeau
par Fizeau pour les ondes sonores (voir la figure 3.3)69. Un disque de papier blanc fixé horizontalement sur une centrifugeuse manuelle tourne à grande vitesse. Il est éclairé par une lampe monochromatique au mercure et l’on observe presque tangentiellement l’un ou l’autre des côtés du disque avec un interféromètre de Fabry-Pérot : on voit les anneaux d’interférence se contracter ou se dilater lorsque le disque tourne, en raison de la variation de la longueur d’onde, et l’effet est mesuré à 2 % près sans précaution particulière. Les auteurs affirment d’ailleurs qu’en prenant davantage de précautions, on aurait ainsi une bonne méthode de mesure de la vitesse de la lumière. Pour en revenir aux étoiles, plusieurs observatoires avaient engagé un programme systématique d’observation de leur vitesse radiale : à Greenwich dès 1875, à Potsdam en 1888, à Paris en 1891, etc. La comparaison des résultats obtenus sur les mêmes étoiles montre que les erreurs sont encore très grandes, atteignant souvent plusieurs dizaines de kilomètres par seconde. L’utilisation de spectrographes photographique améliore la précision, notamment en donnant accès à la partie bleue et ultraviolette du spectre. Mais le nombre d’étoiles observées restera longtemps faible, si bien que les vitesses radiales ne seront réellement utilisées dans les études de cinématique stellaire que dans la seconde moitié du XXe siècle. Que fait Fizeau pendant que se développent les mesures de vitesse radiale ? Pas grand-chose, car ses recherches portent sur d’autres sujets et il est surchargé de tâches par l’Académie des sciences. Néanmoins, le fait qu’il se décide à publier en 1870 son ancienne communication à la Société philomatique est une manière de rappeler sa priorité après la publication de l’article de Huggins70, et surtout du P. Secchi qui pense cette année-là avoir vu l’effet DopplerFizeau dû à la rotation du Soleil71. 69
*Fabry, Ch. & Buisson, H. (1914) Vérification expérimentale du principe de Doppler-Fizeau, CRAS 158, p. 1498–1499.
70
On trouve en couverture du manuscrit publié en 1870 la note anonyme suivante : « Il est important de réserver une place dans le plus prochain numéro des annales pour le mémoire ci-joint de Mr Fizeau, qui est d’un intérêt considérable. » (Académie des sciences/Institut de France, fonds 64 J, dossier 8.10).
71
*Secchi, le P. (1870) Résultat de quelques observations spectrales du Soleil, CRAS 70, p. 903–906 ; voir aussi CRAS 70, p. 1013, 1062–1066 et 1213–1214.
47
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Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
Les premières mesures systématiques de la vitesse radiale de galaxies sont obtenues en 1912 par Vesto M. Slipher72. Elles demandent 20 à 40 heures de pose avec la lunette de 61 cm de diamètre de l’observatoire Lowell à Flagstaff (Arizona). Ces vitesses paraissent extraordinairement élevées. On sait qu’en 1927–1929, Georges Lemaître et Edwin Hubble, qui disposent de nombreuses mesures de vitesses radiales des galaxies, interprèteront indépendamment l’un de l’autre par l’expansion de l’Univers la proportionnalité entre ces vitesses radiales et la distance des galaxies73. Il serait vain d’essayer d’énumérer les innombrables applications actuelles de l’effet Doppler-Fizeau, qui vont de l’astronomie à la physique, la médecine, en passant par la vie quotidienne. Parmi les plus intéressantes figurent la détection de planètes autour d’étoiles par mesure des faibles variations périodiques de vitesse radiale qu’elles engendrent, la mesure par radar de la vitesse des véhicules et la mesure de la vitesse du flux sanguin dans les artères, qui utilise des ondes ultrasonores. Ni Doppler, ni Fizeau n’avaient imaginé à quel point leur trouvaille aurait une telle importance pratique.
72
Voir par exemple +Slipher, V.M. (1915) Spectrographic Observations of Nebulae, Popular Astronomy 23, p. 21–24. 73
+
Lemaître, G. (1927) Un Univers homogène de masse constante et de rayon croissant rendant compte de la vitesse radiale des nébuleuses extra-galactiques, Annales de la Société Scientifique de Bruxelles, série A, 47, p. 49–59. Hubble, E. (1929) A relation between distance and radial velocity among extragalactic nebulae, Proceedings of the National Academy of Sciences of the USA 15, p. 168–173, accessible sur http://www.pnas.org/ content/15/3/168.full.pdf+html.
Chapitre 4 La vitesse de la lumière et de l’électricité
Appareil pour la mesure de la vitesse de la lumière par Fizeau en 1849. Le dispositif original est perdu, et d’ailleurs Fizeau a réutilisé les lunettes pour d’autres expériences. On voit ici une réplique due à Froment, probablement commandée par Jules-Célestin Jamin (1818–1886) pour ses démonstrations à l’École polytechnique, où il enseigna à partir de 1852 ; il pourrait peutêtre aussi s’agir du « grand appareil qui a été construit sous la direction des commissaires de l’Académie [des sciences], [lequel] permettra de répéter les belles expériences de M. Fizeau avec toute l’exactitude que commande l’intérêt des sciences » : cet appareil est mentionné par Arago73. À gauche, le mécanisme d’entraînement de la roue dentée que l’on voit au premier plan ; une partie de la lunette émettrice à l’arrière ; la lunette de renvoi de la lumière à l’avant. Comparer aux figures 4.6 et 4.7. Lebée, inventaire général/École polytechnique, Palaiseau. 74
74
*Arago (1854–1857) Astronomie populaire, t. 4, p. 425. Nous n’avons pas d’information sur le destin de cet appareil.
50
Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
4.1. Une période féconde Fizeau a une activité scientifique débordante pendant les premiers mois de 1849. Nous sommes bien renseignés sur cette activité grâce aux brouillons et notes d’expériences conservés au Musée d’histoire urbaine et sociale de Suresnes. À cette époque, Fizeau est en quelque sorte obsédé par les applications possibles d’un objet très simple : une roue régulièrement dentée tournant très rapidement. Il n’est sans doute pas le premier à imaginer qu’un tel objet pourrait servir à mesurer la vitesse de la lumière. Moigno écrit qu’un certain abbé Laborde, professeur de physique au petit séminaire de Corbigny (Nièvre), avait écrit à Arago « il y a cinq ou six ans » une lettre qui s’est perdue « dans l’immense portefeuille de l’Observatoire »75. Moigno la reproduit en partie et on constate qu’elle donne le principe de l’expérience de Fizeau que nous allons bientôt décrire en détail : un rayon lumineux est intercepté par une roue percée de trous disposés régulièrement, qui tourne rapidement. Il est donc haché par ce dispositif. On le réfléchit sur un miroir éloigné de telle façon qu’il revienne sur lui-même. Si la roue tourne lentement, le faisceau a le temps de repasser par le trou qu’il a traversé à l’aller. Si la vitesse de rotation augmente suffisamment, l’intervalle entre deux trous se substitue à un trou lorsque le rayon réfléchi frappe la roue, et il est donc occulté. Si la roue tourne encore plus rapidement, le rayon réfléchi passe par le trou suivant et redevient visible, etc. C’est le principe que va reprendre Fizeau, à la différence que sa roue est munie de dents rectangulaires régulières à sa périphérie, qui sont plus faciles à réaliser que les trous de l’abbé Laborde. Fizeau connaissait-il le dispositif de celuici ? Il n’en dit rien. Son élève Cornu explique par quel cheminement, qu’il a reconstitué d’après des conversations qu’il a eues avec Fizeau, ce dernier a eu l’idée d’utiliser une roue dentée76 :
75
°Moigno (1850), p. 1162–1165.
76
Cornu (1897), p. C13–C14.
La vitesse de la lumière et de l’électricité
« C’est en réfléchissant à la Théorie des accès de Newton77 que lui vint l’idée de cette méthode ; l’hypothèse des molécules lumineuses allongées et tournant à la manière des rayons d’une roue qui expliquent d’une manière un peu enfantine, mais fort claire, la réflexion, la réfraction et les anneaux colorés, lui apparut comme un symbole mécanique réalisable. Il se représenta ces longues molécules tournant autour de leur centre, arrivant tantôt par la pointe pour traverser la surface d’un nouveau milieu, tantôt de front pour s’y réfléchir. De même, inversement, un bâtonnet, en rotation autour de son centre, recevant une série de projectiles lancés en ligne droite, pourrait tantôt les intercepter, tantôt les laisser passer, suivant la phase de son mouvement. De là à la conception de la méthode de la roue dentée, il n’y avait qu’un pas, et ce pas fut vite franchi. » Bel exemple de la façon souvent inattendue dont surgissent les idées scientifiques. De toute façon, la méthode n’est autre que l’extension d’une idée que Galilée avait eue bien avant et que Fizeau connaissait probablement. Galilée se plaçait de nuit à une assez grande distance d’un autre observateur. Chacun disposait d’une lanterne allumée qu’il pouvait obturer. Galilée découvrait sa lanterne et, au moment où il la voyait, l’observateur éloigné découvrait la sienne. Galilée estimait le temps écoulé entre le moment où il avait découvert sa lanterne et celui où il percevait celle de son aide. Si la vitesse de la lumière n’avait pas été aussi grande, il aurait pu ainsi la mesurer. L’utilisation d’une roue dentée a des avantages évidents par rapport à cette expérience simple, mais l’idée est la même. En janvier et février 1849, Fizeau envisage d’emblée plusieurs applications de la roue dentée : la mesure de la vitesse de la lumière, la mesure de la vitesse de l’électricité dans un conducteur et la comparaison de la vitesse de la lumière dans l’air et dans l’eau. Le 20 janvier, il dépose à l’Académie des sciences un pli cacheté qui contient le principe de sa mesure de la vitesse de la lumière78. Il travaille
77
Voir Newton, I. (1730) Opticks, 4th Edition, London, Innis ; 2 Book, Part IV, Prop. XII, sqq. Accessible sur http://www. gutenberg.org/ebooks/33504. nd
78
Voir une reproduction du schéma qui figure dans le pli cacheté dans Frercks (2000), p. 254.
51
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Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
si vite à la conception et la réalisation de ces expériences qu’il peut écrire le 17 juillet 1849 à Arago, qui est alors le représentant tout-puissant de la physique en France grâce à son statut de secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, la lettre suivante, dont le brouillon est conservé au musée de Suresnes : « Monsieur, Retenu chez moi par une indisposition, je vous prie de m’excuser si je ne vous présente pas moi-même la note ci jointe relative à une nouvelle expérience que je suis parvenu à réaliser ces jours derniers, dans laquelle j’ai pu manifester et mesurer la vitesse de propagation de la lumière entre deux stations aussi peu éloignées que Suresnes et Montmartre. Aussitôt que je pourrai me rendre à l’Observatoire, j’espère avoir l’honneur de vous entretenir sur ce sujet et suppléer au défaut de clarté que peut avoir la note, où j’ai tâché de me passer de figures dans la pensée qu’elle pourrait être insérée dans les comptes rendus. Je m’occupe en même temps avec la collaboration d’un inspecteur des Télégraphes, Mr Gounelle [nom exact mais barré], d’appliquer la même méthode à la mesure de la vitesse de l’électricité dans les conducteurs et j’espère ainsi parvenir à résoudre cette question d’une manière bien plus exacte et moins sujette aux objections que celle de Mr Weathstone [sic, pour Wheatstone]. Les mêmes principes un peu modifiés fournissent un nouveau moyen de résoudre le problème de la vitesse de la lumière dans les corps réfringents, problème que vous avez posé comme devant décider entre les deux théories de la lumière et devant être accessible à l’expérience au moyen des miroirs tournants. La disposition à laquelle j’arrive est plus compliquée mais exigerait des mouvements de rotation moins extraordinaires [elle utiliserait une ou deux roues dentées]. Je n’ai fait toutefois aucun essai dans ce sens et je ne m’en occuperais que sur votre invitation formelle. Veuillez agréer, Monsieur l’expression de mon profond respect. » Les trois expériences dont parle Fizeau ont été menées presque simultanément ; l’appendice 2 en donne une
La vitesse de la lumière et de l’électricité
53
chronologie assez détaillée. Nous allons dans ce chapitre examiner les deux premières.
4.2. La première mesure directe de la vitesse de la lumière Si le principe de la mesure est simple, sa réalisation ne l’est pas. Il faut hacher la lumière par les dents périphériques d’une roue tournant rapidement à vitesse variable et observer le faisceau de retour. Fizeau arrive rapidement au montage représenté dans son schéma de la figure 4.1. Assez curieusement, il pense pendant quelque temps utiliser deux roues dentées tournant en sens inverse, ce que l’on voit dans plusieurs de ses schémas, mais n’explique pas pourquoi ni comment fonctionne alors le dispositif, ce qui n’a rien d’évident.
La plus grande difficulté est de faire revenir exactement sur lui-même le faisceau lumineux qui a traversé la roue. Aujourd’hui, nous disposons d’un élément très simple pour ce faire, qui facilite considérablement la reproduction de l’expérience de Fizeau : le coin cube, un ensemble de trois miroirs plans disposés selon trois plans perpendiculaires. Ce dispositif n’existait pas à l’époque de Fizeau, lequel va tâtonner en plaçant derrière le foyer d’une lunette un miroir concave ou, ce qui revient au même, un ensemble lentille convergente/miroir plan (figure 4.2).
Figure 4.1. Schémas autographes, réalisés à la plume, de la lunette émettrice de l’expérience de la mesure de la vitesse de la lumière. La lumière d’une lampe ou du Soleil arrive par le bas, est renvoyée dans l’axe de la lunette par une glace semi-transparente à 45°, puis est hachée par le disque denté situé au foyer de l’objectif (celui-ci, à droite, n’est pas représenté). Le faisceau de retour est vu par l’observateur à travers la glace semi-transparente. Musée de Suresnes.
54
Figure 4.2. Deux dessins autographes au crayon montrant comment la lumière est renvoyée dans sa direction d’arrivée par la lunette de droite. Fizeau a visiblement hésité sur ce problème crucial. C’est le « 1er moyen » (en haut), qui consiste en une lentille convergente, dont le foyer se trouve au foyer de l’objectif de la lunette et qui est suivie d’un miroir plan, qui sera retenu avec une simplification : le miroir plan est directement placé au foyer de l’objectif (Figure 4.3). On peut lui substituer un réticule pour faire les alignements. Musée de Suresnes.
Figure 4.3. La solution définitive utilisée par Fizeau pour renvoyer la lumière est un simple miroir plan placé exactement au foyer de l’objectif achromatique de la lunette. Ce schéma montre que le faisceau incident est renvoyé dans la direction d’arrivée même si le miroir est un peu incliné : le faisceau réfléchi est simplement déplacé latéralement, sans changer de direction. Schéma de l’auteur.
Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
Le 9 février 1849, Fizeau teste son principe avec succès, avec une distance de 34 mètres entre la lunette qui contient la roue dentée et celle qui renvoie la lumière. Mais cette distance est très insuffisante pour obtenir un résultat scientifique. Fizeau, qui habite alors 5 rue Palatine à Paris, va donc placer la lunette émettrice dans le belvédère de la maison de ses parents à Suresnes (figure 4.4) et la lunette de renvoi à Montmartre, dans un lieu que nous ne connaissons pas exactement mais dont on dit qu’il était la lucarne du télégraphe79. La distance qui les sépare, 8 633 mètres, est estimée d’après un plan détaillé de la région qu’il consulte chez Auguste Félix Bruzard (1796–1855), architecte en chef de la préfecture de Police de Paris. Fizeau fait de nombreux calculs pour estimer la luminosité de l’expérience et teste diverses sources lumineuses : lampe à huile, lampe à éther, lumière de Drummond, qui consiste en un morceau de craie chauffé à blanc par un chalumeau oxhydrique (voir la figure 1.4) et lumière du Soleil réfléchie par un héliostat, qui est probablement celui qui est conservé au musée de Suresnes (voir le frontispice du chapitre 2). Il profite de ses calculs
79
D’après °Anonyme (1849) Sur une expérience relative à la vitesse de propagation de la lumière, Revue scientifique et industrielle 36, p. 393–397. Serait-ce le télégraphe Chappe, qui était placé sur le clocher de l’église Saint-Pierre de Montmartre ? La distance entre la mairie de Suresnes et cet endroit est 100 m plus longue que ce que donne Fizeau, mais cela est probablement inclus dans les erreurs.
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et de ses mesures pour concevoir un photomètre stellaire, qui ne verra jamais le jour80. Figure 4.4. La maison des parents de Fizeau à Suresnes, état dans les années 1880. Une grande partie de la maison, comportant notamment le belvédère où Fizeau avait installé sa roue dentée, avait été démolie et le reste est devenu la mairie de Suresnes de 1855 à 1886. Elle a elle-même été détruite en 1889. Musée de Suresnes, inv. 997.00.364.
Seule la lumière de Drummond, de nuit, et celle du Soleil, de jour, sont assez intenses pour le succès de l’expérience. Le 12 avril, Fizeau voit enfin de Suresnes le faisceau lumineux réfléchi par la lunette qu’il a placée à Montmartre et, après quelques améliorations, le 25 avril « on voit à l’œil nu avec les lumières de Montmartre le point lumineux très brillant. Je crois qu’on le verra avec une loupe [c’est-à-dire avec l’oculaire de la lunette] ; par quelques essais tentés en éclairant le champ je m’assure que l’expérience réussira avec le disque ». Il est vraisemblable qu’il avait déjà commandé à Paul Gustave Froment (1815–1865), l’un des meilleurs constructeurs d’instruments de l’époque (figure 4.5), la réalisation complète de son appareil, car celui-ci lui écrit le 18 mai qu’il sera entièrement terminé le soir même. Il en coûtera 450 francs à Fizeau. La figure 4.6 est un schéma de cet appareil et une gravure de l’Astronomie populaire d’Arago en donne une représentation détaillée (figure 4.7). Une description et un schéma en sont également donnés par Jamin81. 80 Ce photomètre aurait utilisé, lui aussi, un disque tournant, mais celui-ci aurait porté des dentelures triangulaires très profondes. On aurait diminué la lumière de référence en rapprochant le faisceau qui en proviendrait de l’axe de rotation du disque, afin d’égaler son intensité à celle du faisceau reçu de l’étoile. 81
Jamin (1885), p. 292–294 et pl. III.
Figure 4.5. Paul Gustave Froment (1815–1865). Collection de l’auteur.
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Figure 4.6. Schéma de principe de l’appareil de Fizeau. Il a utilisé des lunettes existantes qu’il a modifiées. À droite, la lunette contient un miroir plan situé à son foyer, ce qui lui donne la propriété de renvoyer la lumière dans la direction d’arrivée. Pour le placer exactement au foyer, Fizeau observait dans une partie non argentée du miroir l’image d’objets éloignés et le déplaçait jusqu’à ce que la mise au point soit parfaite. L’alignement des deux lunettes se faisait en substituant un réticule avec deux fils croisés à la roue dentée d’une part, et au miroir d’autre part. Schéma de l’auteur.
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L’expérience a lieu d’abord les 26 et 30 juin et le 3 juillet, avec un disque de carton portant 997 dents. Fizeau déduit de ses mesures une vitesse de la lumière de 331 400 kilomètres par seconde, mais les résultats sont assez dispersés et il décide de recommencer avec un disque de cuivre portant 720 dents, qui a dû être fabriqué par Froment sur une machine à diviser les cercles. Les 8 et 9 juillet, une occultation se produit lorsque le disque tourne à environ 12,6 tours par seconde et la lumière réapparaît pleinement pour une vitesse double, pour laquelle la lumière passe au retour dans l’intervalle entre les dents qui suit celui où elle est passée au départ ; puis elle disparaît à nouveau pour une vitesse triple (figure 4.8). Fizeau en déduit une vitesse de la lumière de 315 300 km/s (figure 4.9). Il sait que cette valeur n’est pas très précise, mais il a obtenu un résultat remarquable : la première mise en évidence par une expérience de la vitesse finie de la lumière, pour laquelle il retrouve l’ordre de grandeur estimé par les observations astronomiques. L’expérience et son résultat sont décrits assez succinctement dans une note aux Comptes rendus de l’Académie des sciences82 : c’est celle qui accompagne la lettre à Arago datée du 17 juillet, que nous avons citée plus haut. On y lit que les lunettes qu’il utilise ont une ouverture de 6 cm. Pour avoir tous les détails sur l’expérience, il faut se reporter à Arago83 et surtout à Verdet84.
82
*Fizeau (1849) Sur une expérience relative à la vitesse de propagation de la lumière, CRAS 29, p. 90–93 et p. 132.
83
*Arago (1854–1857) Astronomie populaire, t. 4, p. 417–425.
84
*Verdet (1872), p. 658–663.
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Figure 4.7. L’appareil de Fizeau pour mesurer la vitesse de la lumière. Le faisceau lumineux provenant de la lampe (en réalité la lumière de Drummond ou celle du Soleil renvoyée par un héliostat) est haché par la roue dentée. Celle-ci est entraînée par un mouvement d’horlogerie à poids, dont une vue de dessus est présentée en haut à gauche. La lunette envoie le faisceau de Suresnes à Montmartre, où une autre lunette munie d’un miroir la renvoie vers la première. Le faisceau repasse dans la roue dentée et on l’examine à travers l’oculaire. Un compte-tours et un chronomètre permettent de connaître la vitesse de rotation de la roue. D’après l’Astronomie populaire d’Arago, collection de l’auteur.
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Figure 4.8. Ce que Fizeau voit dans l’oculaire de sa lunette (la lumière réfléchie depuis Montmartre est symbolisée par une étoile). 1. La roue dentée est immobile et le faisceau retour passe entre deux dents, la lumière apparaît pleinement. 2. La roue tourne à faible vitesse, on ne voit plus les dents séparément et le faisceau retour est toujours visible, quoique atténué. 3. La vitesse est telle que le faisceau retour frappe l’intervalle entre deux dents et n’est plus visible. 4. La vitesse est encore plus grande et le faisceau retour est à nouveau visible. D’après Arago, Astronomie populaire, collection de l’auteur.
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Figure 4.9. Manuscrit autographe montrant les résultats de l’expérience de mesure de la vitesse de la lumière des 8 et 9 juillet 1849. Ce sont des observations de nuit. Fizeau mesure le nombre de tours de la roue par seconde lorsque le faisceau disparaît (colonne de gauche), puis lorsqu’il est de nouveau pleinement visible (colonne du milieu), enfin lorsqu’il disparaît à nouveau puis réapparaît pour une vitesse double (colonnes de droite en haut). Sa seconde réapparition n’est guère observable. Le résultat final donné en bas à droite pour la vitesse de la lumière, 315,3 milliers de kilomètres par seconde, est la moyenne entre ces différentes mesures. Musée de Suresnes.
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4.3. Les mesures de la vitesse de la lumière après Fizeau L’expérience de Fizeau a immédiatement un grand retentissement dans les milieux scientifiques, et même auprès du public. Elle a les honneurs des journaux, notamment du Journal des débats où le feuilletoniste scientifique habituel, qui n’est autre que Foucault, publie le 20 décembre un article remarquablement bien écrit85. Foucault rappelle que la vitesse de la lumière était déjà assez bien connue par des observations astronomiques, mais que c’est sa première mesure directe. Il termine ainsi : « Le travail de M. Fizeau, communiqué sous sa forme la plus simple, n’en a pas moins été accueilli avec une immense faveur ; ce n’est que justice ; et le ruban rouge qui étincelle depuis peu à sa boutonnière témoigne que l’esprit scientifique a survécu aux vicissitudes de notre époque. C’est merveille que d’entendre M. Fizeau exposer lui-même les avantages de sa méthode et de raconter comme quoi il a eu du bonheur. Qu’il en ait quelquefois, j’en conviens, mais c’est le même bonheur qui fournit la rime au poëte et les découvertes aux hommes de génie. » Fizeau a donc obtenu la Légion d’honneur pour sa mesure, de même d’ailleurs que Froment. Il reçoit en outre en 1856 un prix triennal décerné par les cinq académies de l’Institut pour récompenser « la découverte […] qui honore ou sert le mieux le pays », prix très important puisque son montant est de 30 000 francs86. Néanmoins, il reste modeste et admet que cette mesure n’est pas très précise. Nous avons mentionné qu’un appareil qui devait être plus performant a été construit à la demande de l’Académie des sciences, mais nous ne savons pas s’il a servi et ce qu’il est devenu. Il devait revenir aux successeurs de Fizeau d’améliorer sa mesure. En 1862, nous retrouvons Foucault qui effectue une nouvelle mesure, cette fois avec un miroir tournant87. C’est Le Verrier, l’irascible directeur de l’Observatoire 85
*Foucault, L. (1849) in Journal des débats du 20 décembre, p. 1–2.
86
Delaunay, C.E. (s.d., 1864) Notice sur la vitesse de la lumière, Annuaire du Bureau des longitudes pour 1865, Paris, Gauthier-Villars.
87
Voir Tobin (2002), chapitre 14.
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de Paris, qui la lui demande. Il estime en effet que si l’on parvient à mesurer avec précision la vitesse de la lumière, on pourrait, en la combinant avec le temps relativement bien connu que met la lumière à traverser l’orbite terrestre, obtenir une meilleure valeur des dimensions de cette orbite. Sur un trajet de 40 m, Foucault trouve une vitesse de 298 000 km/s, beaucoup plus proche de la valeur actuelle (299 792,458 km/s dans le vide) que celle de Fizeau. Cependant, Cornu, élève chéri de Fizeau qui tend à sous-estimer Foucault à cause de la querelle entre les deux hommes (voir le chapitre suivant), croit que la méthode du miroir tournant est moins précise que celle de la roue dentée. Il va reprendre cette dernière avec un matériel nouveau, qui est conservé à l’Observatoire de Paris : en 1872, il fait des mesures à travers Paris sur une distance de 2,5 km, puis de 10 km et trouve 298 500 km/s, une valeur si proche de celle de Foucault que ses réserves tombent. En 1878, une nouvelle mesure entre l’Observatoire et la tour de Montlhéry lui donne 300 400 km/s, avec une incertitude qu’il estime à 300 km/s. Ce n’est guère mieux que Foucault. C’est la fin de l’exclusivité française quant à la mesure de la vitesse de la lumière, bien que quelques essais aient été faits après Cornu88. Albert A. Michelson (1852-1931) et Simon Newcomb (1835-1909) prennent le relai aux États-Unis de 1878 à 1883 et obtiennent, avec un miroir tournant, une valeur de 299 860 km/s avec une précision qu’ils estiment à 30 km/s89. Ceci paraît incompatible avec la mesure de Cornu. C’est dans ce cadre que le directeur de l’observatoire de Nice, Henri Perrotin (1845–1904), décide en 1897 d’y réinstaller l’appareil de Cornu, d’ailleurs avec l’aide de ce dernier90. La mesure est effectuée en 1898, la station de renvoi de la lumière étant à La Gaude, à environ 15 km de l’observatoire de Nice. On utilise des lunettes bien plus puissantes que celles de Fizeau et de Cornu à Paris. La valeur trouvée, ramenée au vide, 299 900 ± 80 km/s, est en accord avec celle des Américains, ce qui suscite le mécontentement de Cornu : elle ne sera 88
*Wolf, C. (1885) Sur une disposition nouvelle de l’appareil du miroir tournant pour la mesure de la vitesse de la lumière, CRAS 100, p. 303–309.
89 Newcomb, S. (1883) Publications of the United States Naval Observatory, 1re série, 2, p. 107–230, 7 pl. 90
Voir Bogaert, G. & Blanc, W. (2011) Reflets de la physique 26, p. 20–22.
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publiée qu’en 190091. Ce résultat provoque des remous, si bien que de nouvelles mesures sont entreprises entre Nice et le mont Vinaigre, le sommet de l’Esterel, situé à 46 km. La nouvelle valeur est de 299 880 ± 50 km/s, encore en accord avec Michelson et Newcomb. Elle est publiée en novembre 1902, après la mort de Cornu, ce qui fait qu’il n’y aura pas d’autres controverses92. Perrotin envisage de nouvelles mesures entre le mont Mounier (2 817 m) dans le massif du Mercantour et un sommet de Corse, mais sa mort prématurée le 29 février 1904 empêchera leur réalisation. Ainsi les deux méthodes pour mesurer la vitesse de la lumière, lorsqu’elles sont bien conduites, peuvent donner des résultats de précision comparable. Dans un ultime effort, Michelson va les combiner pour des mesures encore plus précises93. La figure 4.10 est un schéma de son appareil, avec lequel il obtient une vitesse de la lumière rapportée au vide de 299 796 ± 4 km/s, très proche de la vitesse actuelle de 299 792,458 km/s. Michelson programme ensuite, en 1930, une mesure dans le vide, qu’il ne pourra mener à bien lui-même car il mourra l’année suivante ; elle donnera 299 774 ± 11 km/s. Ce seront les dernières mesures utilisant des procédés mécaniques. Plusieurs laboratoires, dont le Laboratoire primaire du temps et des fréquences de l’Observatoire de Paris, réussissent dans les années 1970 à mesurer simultanément la longueur d’onde et la fréquence d’une source lumineuse, en l’occurrence un laser dans l’infrarouge. La vitesse de la lumière n’est autre que le produit de ces deux quantités et peut être mesurée ainsi avec une précision extraordinaire, atteignant 0,2 m/s. Comme le temps peut être aussi mesuré avec une précision extrêmement grande, la 17e Conférence générale des poids et mesures décide en 1983 de fixer la vitesse de la lumière à 299 792 458 m/s
91
*Perrotin, H. (1900) Sur la vitesse de la lumière, CRAS 131, p. 731–734.
92
*Perrotin, H. (1902) Vitesse de la lumière ; parallaxe solaire, CRAS 135, p. 881–884.
93 + Michelson, A.A. (1924) Preliminary Experiments on the Velocity of Light, Astrophysical Journal 60, p. 256–261 ; (1927) Measurement of the Velocity of Light Between Mount Wilson and Mount San Antonio, Astrophysical Journal 65, p. 1–13.
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exactement et d’en déduire la définition du mètre, qui n’est donc plus une unité fondamentale94.
4.4. La vitesse de l’électricité Dès le XVIIIe siècle, on a cherché à mesurer la vitesse de l’électricité. Par ce terme, on entend la vitesse à laquelle une perturbation électrique se déplace le long d’un conducteur, et non la vitesse qu’ont les électrons dans un conducteur lorsque le courant passe, vitesse qui est très faible95. Parmi les premières expériences, la plus complète est sans doute celle que William Watson (1715–1787) fit en Grande-Bretagne en 1747. Il s’est proposé de mesurer la vitesse de propagation de la décharge d’une bouteille de Leyde le long d’une chaîne de 3,5 km formée d’observateurs connectés entre eux par des fils de fer et munis de chronomètres, le retour du courant se faisant par le sol. Il constata que le choc était ressenti en même temps par tous les observateurs et en conclut que la vitesse de l’électricité était trop grande pour être mesurée ainsi. Au siècle suivant, l’intérêt pour ce problème renaît en raison de l’avènement du télégraphe électrique. Il est important de mesurer la vitesse de l’électricité afin de savoir si le télégraphe est utilisable sur de longues distances. Ce à quoi va s’attaquer Charles Wheatstone (1802–1875) en 1834, époque où il songe déjà à installer un télégraphe électrique en Grande-Bretagne, ce qu’il fera 94
La définition officielle de l’unité internationale de longueur est la suivante : « le mètre est la longueur du trajet parcouru dans le vide par la lumière pendant une durée de 1/299 782 458 seconde ».
95
Fizeau écrit (note du 14 septembre 1849, Muséum national d’histoire naturelle, Ms3603-102) : « Si l’électricité n’est autre chose que l’éther en mouvement, il paraît nécessaire d’induire qu’elle se meut librement dans les métaux sans que la matière elle-même soit modifiée comme dans les liquides acides où la propagation ne se fait qu’au moyen d’une décomposition. »
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Figure 4.10. L’appareil de Michelson pour mesurer la vitesse de la lumière en 1926. La lumière d’un arc électrique arrive sur la fente S, est réfléchie sur la face d’un miroir tournant octogonal, qui la renvoie en b puis en c, où se trouve un miroir plan de renvoi, au foyer du miroir de télescope D : celui-ci l’envoie vers la station éloignée E. La lumière réfléchie revient sur D qui la concentre en c, où un petit miroir la renvoie en b1. Elle retombe sur le miroir tournant octogonal en , où on l’observe avec l’oculaire 0. La vitesse de rotation du miroir octogonal est réglée par stroboscopie à partir d’un diapason, de façon à ce que l’image observée paraisse immobile, le miroir ayant tourné de 1/8 de tour pendant le trajet aller-retour de la lumière. D’autres miroirs tournants à 12 et 16 faces ont aussi été utilisés par Michelson. B et B1 sont des bornes géodésiques servant à la mesure de la distance entre les deux montagnes (35 km). D’après +Michelson (1927), Astrophysical Journal 65, p. 1–13, avec l’autorisation de l’American Astronomical Society.
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Figure 4.11. Le miroir tournant de Wheatstone. Le miroir en acier poli est en E. Il est entraîné avec l’axe FF par une petite poulie située à droite du cylindre T. Ce dernier est une boîte creuse sur laquelle on souffle un jet d’air latéral : lorsque le trou U passe en face du jet, un son est émis dont la fréquence donne la vitesse de rotation du miroir. Cependant, ce son étant trop faible, le dispositif a été abandonné au profit d’une bande de carton (non représentée ici) attachée à l’axe, qui frappe un obstacle à chaque tour (voir une descendance possible chez Fizeau, Figure 3.3). La petite boule Q passe à chaque tour en face d’une boule fixe (non représentée) alimentée par le générateur haute tension ; l’étincelle correspondante, canalisée par une fine fente horizontale dans la lame de mica S, ouvre le circuit électrique à chaque tour, l’axe de rotation étant connecté au reste du circuit par un contact tournant non représenté. Bibliothèque de l’Observatoire de Paris.
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en 1838 entre Londres et Birmingham. Pour sa mesure, Wheatstone envoie une impulsion électrique à haute tension, résultant de la décharge d’une bouteille de Leyde, dans un circuit de 400 m de long présentant trois coupures, une près de chaque borne de la bouteille et une au milieu du circuit. Ces trois coupures sont alignées sur une platine isolante, si bien que les trois étincelles qui s’y produisent à chaque impulsion sont visibles par un seul observateur. En raison du temps de propagation, l’étincelle du milieu du circuit se produit avec un petit retard par rapport aux deux autres, qui sont pratiquement simultanées. Ce retard étant visiblement très court, Wheatstone imagine regarder les trois étincelles par réflexion sur un miroir d’acier poli tournant à environ 800 tours par seconde (figure 4.11), qui est entraîné par une poulie actionnée par une courroie passant sur une roue de rouet. Comme le miroir tourne légèrement entre l’instant où se produisent les deux étincelles proches du générateur et celui où éclate l’étincelle du milieu du circuit, on peut s’attendre à voir un léger déplacement de l’image de cette dernière par rapport à celles des deux autres. Les impulsions sont synchronisées avec la rotation du miroir grâce à un interrupteur tournant avec lui, de façon que les étincelles successives apparaissent toutes à la même position et semblent ne constituer qu’une seule image en raison de la persistance des impressions lumineuses. Wheatstone constate que les étincelles ne sont pas instantanées, ce qui entraîne une certaine élongation de
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l’image vue par réflexion sur le miroir tournant. Il observe le petit retard de l’étincelle du milieu du circuit par rapport aux deux autres et trouve une vitesse de l’électricité supérieure à la vitesse de la lumière, sans qu’il puisse en donner la valeur. C’est un peu décevant, mais au moins il est clair que le télégraphe électrique pourra fonctionner sur de grandes distances et on peut se lancer dans sa construction. L’article de Wheatstone96 est très intéressant, car il décrit non seulement l’invention de la méthode du miroir tournant, mais aussi son application à l’observation de phénomènes rapides tels que les vibrations sonores, qu’il a lui-même observées ainsi. Nous verrons plus loin qu’Arago a imaginé qu’il puisse être utilisé pour mesurer la vitesse de la lumière. Wheatstone a également envisagé de construire des miroirs tournants polygonaux, ce dont Michelson se souviendra peut-être près d’un siècle plus tard. Enfin, on lui doit la préfiguration de la stroboscopie, mise en œuvre pour la première fois, au moins en France, par Foucault pour contrôler la vitesse de son miroir tournant en 1862. Fizeau connaît très bien l’expérience de Wheatstone, dont Arago lui a certainement parlé : ce dernier se trouvait en effet à Édimbourg, peu après cette expérience, pour assister à une réunion de l’Association britannique pour l’avancement des sciences et a été très impressionné par la méthode du miroir tournant et ses possibilités. Il avait envisagé la possibilité de l’appliquer à un test décisif sur la nature de la lumière, dont nous parlerons au chapitre suivant. Mais Fizeau, qui critique le travail de Wheatstone de façon d’ailleurs plus ou moins fondée, va le reprendre en utilisant sa roue dentée plutôt qu’un miroir tournant. Des notes datées du 1er mars 1849, conservées au musée de Suresnes, montrent qu’il pense à trois expériences différentes : une mesure de la durée d’une étincelle électrique, dont la lumière traverserait les dents d’un disque en rotation rapide ; une mesure de la vitesse de l’électricité utilisant une disque plein en rotation dont les étincelles des extrémités du circuit marqueraient la surface ; 96
Wheatstone, Ch. (1834) An Account of Some Experiments to Measure the Velocity of Electricity and the Duration of Electric Light, Philosophical Transactions of the Royal Society of London 124, p. 583–591, accessible sur http://www.jstor.org/stable/108080.
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enfin, la même mesure utilisant la roue dentée dont les dents feraient contact.
Figure 4.12. Dessin autographe à l’encre de Fizeau, daté du 2 mai 1849, illustrant le principe de sa mesure de la vitesse de l’électricité. Voici les explications qui accompagnent ce schéma : « RR est une roue dentée en métal, les espaces vides étant remplis avec une substance non métallique (stuc, ivoire, bois) ; cette roue tourne autour de l’axe AA et peut faire un grand nombre de tours dans une seconde (50, 100) ; l l et l’ l’ sont de petites languettes métalliques formant ressort et destinées à fermer le circuit lorsqu’elles touchent les dents. Lorsque l l touchent le métal, le circuit est P l l P [court-circuit] ; lorsque l l quittent le métal, le courant est envoyé dans le conducteur c c G c c et traverse le système l’ l’ [puis le circuit c’ c’ c’ c’] si ces languettes touchent le métal ; les 2 systèmes de languettes peuvent être réglés de façon que le circuit total soit complet [fermé] pendant tout le temps que l l ne touchera pas le métal. Si les conducteurs sont assez longs, et la vitesse de la roue telle que la vitesse de l’électricité soit sensible, le circuit total ne sera pas complet [fermé] pendant le même temps. Si l’électricité arrive en l’ l’ après un temps égal au passage d’une dent il ne se passera rien, le courant sera nul. » Musée de Suresnes.
Seul le dernier projet aboutira. Une note du 2 mai 1849 le décrit plus en détail et contient le schéma de principe reproduit figure 4.12. Pour le réaliser, Fizeau s’associe à Eugène Gounelle (1821–1864) qui, avec Breguet, a construit les premières lignes de télégraphe électrique en France. Les expériences utilisent les fils des télégraphes. Après quelques essais de Paris à Meulan, distantes de 47 km, et entre Calais et Lille, distantes de 106 km, les expériences vraiment sérieuses utilisent, entre août et octobre 1849, les conducteurs du télégraphe de Paris à Rouen et de Paris à Amiens. Ces fils sont doubles car il n’y a pas encore de retour par la terre et sont réunis entre eux à Rouen ou à Amiens. On dispose ainsi d’un conducteur de 288 km de long au total pour la ligne de Rouen, en fer et en cuivre, et d’un conducteur en fer de 314 km pour la ligne d’Amiens97. Plusieurs montages sont utilisés ; le meilleur (figure 4.13) est légèrement différent du montage initial représenté figure 4.12. Fizeau et Gounelle trouvent une vitesse de l’électricité d’environ 180 000 km/s sur la ligne de Rouen et de 100 000 km/s sur la ligne d’Amiens, ce qui est plus raisonnable que le résultat de Wheatstone ; ils attribuent la différence à la nature du conducteur. Fizeau critique les expériences des Américains S.-C. Walker et O.-M. Mitchel qui trouvent des valeurs de la vitesse de l’électricité bien plus petites que les siennes98.
97
*Fizeau, H. & Gounelle, E. (1850) Recherches sur la vitesse de propagation de l’électricité, CRAS 30, p. 437–440.
98
*Fizeau, H. (1851) Remarques sur les expériences faites en 1848 et 1849 aux États-Unis par M. S. Walker et M. O.-M. Mitchel pout déterminer la vitesse de propagation de l’électricité, CRAS 32, p. 47–48.
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Mais finalement, tout le monde a raison : Michael Faraday (1791–1867) fait des mesures avec toutes sortes de conducteurs, en particulier des câbles sous-marins, et trouve les valeurs les plus variées, sans pouvoir réellement expliquer pourquoi99. Il est vrai que s’il a découvert l’induction électromagnétique, il n’a pas encore pensé à l’auto-induction qui, avec la capacité et la résistance du câble, détermine en fait la vitesse de propagation d’une perturbation. Ce n’est que bien plus tard, à la fin du XIXe siècle, qu’on le comprendra et que l’on sera à même de réaliser les calculs correspondants. Fizeau entreprendra de nouvelles mesures de la vitesse de l’électricité dont nous ne connaissons pas le résultat. Ce faisant, il découvrira en 1853 le moyen d’éviter les extra-courants de rupture provenant de la coupure d’un circuit dans une machine à induction, lesquels produisent des étincelles destructrices : il suffit de placer un condensateur entre les deux extrémités de ce circuit, lequel emmagasine provisoirement l’énergie électrique provenant de l’auto-induction de la machine100. Cette invention simple et astucieuse est toujours utilisée ! Figure 4.13. Le montage final de Fizeau et Gounelle pour mesurer la vitesse de l’électricité. La roue, de 50 mm de diamètre, est en buis avec 36 divisions de bois, donc isolantes, et 36 de platine. Elle est entraînée par un dispositif dû à Froment, muni d’un compteur permettant de mesurer la vitesse de rotation. Il y a cette fois trois ensembles de deux languettes formant contact : a b, a’ b’ et a’’ b’’. Le circuit télégraphique (en réalité très long) est entre la languette b et les languettes b’ et b’’ qui sont connectées. La disposition est telle que lorsque les languettes a b sont en contact avec une dent conductrice, il en est de même pour a’ b’ tandis que a’’ b’’ sont sur un intervalle isolant. Le pôle négatif de la pile P est relié à la terre, l’autre communique avec le circuit télégraphique en passant par a b : le courant est donc haché par la rotation de la roue. Au repos ou pour une faible vitesse de rotation de la roue, le courant qui passe en a b passe aussi en a’ b’, actionnant le galvanomètre G ; tandis qu’il ne passe pas en a’’ b’’, le galvanomètre G’ n’indiquant aucun courant. Pour une certaine vitesse de rotation, plus grande, qui dépend du temps de propagation dans le circuit télégraphique, le courant ne passe plus en a’ b’ et passe maintenant en a’’ b’’, G étant au repos et G’ actionné comme sur la figure. C’est l’inverse pour une vitesse de rotation double ; puis G’ est de nouveau actionné pour une vitesse de rotation triple, mais le signal est alors plus faible. D’après Verdet (1872), bibliothèque de l’Observatoire de Paris.
99
*Faraday, M. (1854) Résumé d’une Leçon de M. Faraday à l’Institution royale de Londres, Annales de chimie et de physique 41, p. 123–128.
100
*Fizeau, H. (1853) Note sur les machines électriques inductives et sur un moyen facile d’accroître leurs effets, CRAS 36, p. 418–421.
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Chapitre 5 L’« expérience cruciale » : la vitesse de la lumière dans l’air et dans l’eau
Miroir tournant de Breguet, construit en 1844 pour l’« expérience cruciale » d’Arago. Bibliothèque de l’Observatoire de Paris.
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5.1. Le projet d’Arago Le 3 décembre 1838, Arago présente devant l’Académie des sciences un projet d’expérience qui, selon lui, devrait décider définitivement de la nature de la lumière101 : « Je me propose de montrer dans cette Note, comment il est possible de décider, sans équivoque, si la lumière se compose de petites particules émanant des corps rayonnants, ainsi que le voulait Newton, ainsi que l’ont admis la plupart des géomètres modernes ; ou bien si elle est simplement le résultat des ondulations d’un milieu très rare et très élastique, que les physiciens sont convenus d’appeler l’Éther102. » En effet, la controverse entre les deux théories de la lumière à cette époque est encore vive, bien que la théorie ondulatoire imaginée dès le XVIIe siècle par Christiaan Huygens (1629–1695) et considérablement développée au début du XIXe siècle par Thomas Young (1773–1829), puis par Augustin Fresnel (1788–1827) avec l’appui d’Arago, commence nettement à prendre le dessus malgré la réputation de Newton. Ce dernier imaginait donc que la lumière est formée de petites particules ayant une masse et expliquait la réfraction lorsque la lumière passe dans un milieu d’indice plus élevé par une attirance de ces particules par ce milieu (figure 5.1). Figure 5.1. La réfraction. En haut : pour expliquer la réfraction, la théorie newtonienne de l’émission supposait que la vitesse de la lumière augmentait perpendiculairement à la surface de séparation à l’entrée dans le milieu dense (par exemple dans l’eau), en raison de l’attirance des particules de lumière par ce milieu, tandis que la composante de la vitesse parallèle à cette surface ne changeait pas ; la vitesse de la lumière était donc plus grande dans le milieu dense. Dans ce cas, la relation entre l’angle d’incidence i et l’angle de réfraction r s’écrivait sin i/sin r = n = v2/v1, où n est l’indice de réfraction, et v1 et v2 respectivement les vitesses de la lumière dans l’air et dans l’eau. En bas : la théorie ondulatoire, qui est celle que nous connaissons aujourd’hui, suppose la continuité des plans d’onde, perpendiculaires à la direction de propagation de la lumière, lorsque l’on passe d’un milieu à l’autre. On voit que dans ce cas, la vitesse de la lumière est plus petite dans le milieu le plus dense, où les plans d’onde sont plus serrés. On a alors sin i/sin r = n = v1/v2. Schéma de l’auteur.
101
*Arago, F. (1838) Sur un système d’expériences à l’aide duquel la théorie de l’émission et celle des ondes seront soumises à des épreuves décisives, CRAS 7, p. 954–965.
102
Il était inconcevable à l’époque qu’une onde lumineuse puisse se propager sans support matériel, d’où l’introduction de l’éther. Newton n’en avait pas besoin, mais il a malgré tout postulé son existence.
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Arago se propose de déterminer si la vitesse de la lumière est plus grande dans l’eau que dans l’air, ce qui vérifierait la théorie de Newton, ou si au contraire elle diminue lorsque le rayon lumineux pénètre dans l’eau. Pour cela, il envisage d’utiliser la méthode du miroir tournant de Wheatstone, que nous avons décrite au chapitre précédent. Deux faisceaux parallèles issus d’une étincelle électrique seraient envoyés sur un miroir tournant ; l’un des faisceaux se propagerait dans l’air tandis que l’autre pénètrerait dans un tube plein d’eau. Ils tomberaient ensuite sur le miroir tournant, lequel les réfléchirait vers l’observateur muni d’une lunette. L’un des faisceaux s’étant propagé plus lentement que l’autre, il rencontrerait plus tard ce miroir qui aurait eu le temps de tourner davantage, si bien que l’observateur verrait le faisceau réfléchi correspondant plus dévié que l’autre. Arago fait de petits calculs qui tiennent compte de l’absorption de la lumière dans l’eau, ce qui limite la longueur du tube plein d’eau à une dizaine de mètres. Il montre qu’un miroir tournant à 1 000 tours par seconde devrait permettre de savoir sans ambiguïté quel est le faisceau le plus lent. Cependant, l’étincelle peut se produire à n’importe quel stade de la rotation du miroir, si bien que les chances qu’a l’observateur d’observer la lumière réfléchie sont très faibles.
Figure 5.2. Le projet d’Arago pour comparer la vitesse de la lumière dans l’air et dans l’eau. Explications dans le texte. Schéma de l’auteur.
Pour réaliser son projet, Arago avait fait construire par Antoine-Louis Breguet (1776–1858) plusieurs dispositifs à miroirs tournants. L’un d’eux ne comportait pas moins de trois miroirs tournant à la même vitesse : le faisceau réfléchi sur le premier miroir aboutissait après une autre réflexion sur le second, qui le réfléchissait de même sur le
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troisième : on triplait ainsi la déviation pour une même vitesse de rotation. Mais la lumière était affaiblie par ces réflexions successives. Breguet construisit également l’instrument qui subsiste à l’Observatoire de Paris (image du frontispice de ce chapitre), dont le miroir pouvait tourner à 2 000 ou 3 000 tours par seconde. Les essais durèrent longtemps et finalement Arago, qui ressentait déjà fortement les atteintes du diabète et dont la vue diminuait, abandonna cette recherche. C’est pourquoi il publie en 1850 le principe de la mesure, pour marquer sa priorité et en espérant que quelqu’un la reprendra103. Arago n’avait apparemment pas compris l’astuce de Wheatstone consistant à synchroniser l’étincelle électrique avec la rotation du miroir. S’il l’avait fait, la lumière aurait toujours été renvoyée dans la même direction par le miroir tournant et il aurait suffi de s’y placer pour observer le phénomène. Cependant, il aurait peut-être été difficile d’obtenir une synchronisation parfaite. Quoi qu’il en soit, pour augmenter les chances de voir l’étincelle dans la lunette, Arago proposait de disposer des observateurs tout autour du miroir tournant et de mettre 8 à 10 miroirs au lieu d’un seul sur le support rotatif. Il imagina aussi utiliser au lieu d’eau du disulfure de carbone CS2, qui a un indice de réfraction très élevé.
5.2. Fizeau et Foucault reprennent l’expérience d’Arago Fizeau était un familier d’Arago et il n’est pas surprenant qu’il ait envisagé de reprendre son expérience. À la fin de son article de 1850 cité précédemment, Arago fait allusion à la lettre que Fizeau lui avait adressée le 17 juillet 1849, lettre que nous avons reproduite au chapitre précédent et où il l’informe qu’il a réfléchi à cette expérience, mais en ajoutant : « Je n’ai fait toutefois aucun essai dans ce sens et je ne m’en occuperais que sur votre invitation formelle. » Arago écrit aussi dans cet article : « Cette réserve loyale ne pouvait qu’ajouter à l’estime que le caractère 103
*Arago, F. (1850) Note sur le système d’expériences, proposé en 1838, pour prononcer définitivement entre la théorie des ondes et la théorie de l’émission, CRAS 30, p. 489–495. Cet article contient un historique détaillé du projet d’Arago.
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et les travaux de M. Fizeau m’ont inspirée, et je me suis empressé d’autoriser M. Breguet à lui prêter un ou plusieurs de mes miroirs rotatifs. » En réalité, Fizeau avait d’abord envisagé d’utiliser sa roue dentée pour faire l’expérience, comme le montre un manuscrit daté du 11 février 1849, conservé au musée de Suresnes (figure 5.3). Cependant, il a dû se rendre compte que la distance entre les deux lunettes et la longueur du tube contenant de l’eau que l’on y interpose éventuellement doivent être grandes pour que l’effet soit appréciable, et que le projet est en fait irréalisable. En revanche, la méthode du miroir tournant ne nécessite pas de grandes distances et c’est elle qu’il va utiliser en reprenant les essais d’Arago sous une forme différente, que montre un schéma non daté conservé aux archives de l’Académie des sciences (figure 5.4).
Figure 5.3. Une idée de Fizeau pour comparer la vitesse de la lumière dans l’air et dans l’eau. Un trou i dans un écran placé au foyer de la lunette n° 1 est éclairé par une source lumineuse. Le faisceau qui en est issu est envoyé vers la lunette n° 2, qui a à son foyer un miroir de renvoi. Le faisceau réfléchi aboutit au point i’ de l’écran. Si la lumière provenait de i’, elle serait réfléchie en i, d’où le nom d’« images conjuguées » que Fizeau donne à i et i’. Si maintenant l’écran est le bord d’une roue dentée, on peut s’arranger pour que i et i’ soient dans l’intervalle entre deux dents. Si les deux lunettes sont suffisamment éloignées et si la roue tourne suffisamment vite, la lumière de i revient en i’ avec retard, et réciproquement, si bien qu’il peut y avoir occultation. En plaçant sur le trajet optique un tube plein d’eau, le retard serait différent et on pourrait voir dans quel cas il est le plus grand. Musée de Suresnes.
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Figure 5.4. Schéma de Fizeau, non daté mais certainement postérieur à celui de la figure. 5.3, montrant un autre montage possible pour comparer la vitesse de la lumière dans l’air et dans l’eau, proche du montage définitif. Cette fois, c’est un miroir tournant qui est utilisé, schématisé en haut à gauche. Une lentille ferait en c l’image d’une source ponctuelle de lumière L, après réflexion sur une lame semi-transparente à 45°. La lumière tomberait ensuite sur le miroir tournant et, selon sa position, traverserait de l’air ou de l’eau, serait réfléchie par un miroir plan et reviendrait en c, où on l’observerait à travers la lame semi-transparente à 45°. Fizeau observerait le déplacement de l’image par rapport à un repère (pointe d’une aiguille), lorsque le miroir tourne très rapidement. Le déplacement serait plus grand lorsque la lumière a traversé l’eau que l’air, d’où le dédoublement de cette image. Académie des sciences/Institut de France, fonds 64.1, dossier 8.14.
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Mais un concurrent se présente, qui n’est autre que Foucault. Celui-ci est venu voir Arago pour lui demander la permission de faire l’expérience : Arago écrit dans sa note de 1850 à l’Académie des sciences, qui date du 29 avril : « M. Foucault, dont l’Académie connaît l’esprit inventif, est venu lui-même me faire part du désir qu’il avait de soumettre à l’épreuve de l’expérience une modification qu’il voulait apporter à mes appareils. » Il ne doit guère apprécier l’intervention de Foucault, mais que faire ? Finalement, il renonce à intervenir et termine par la phrase suivante : « Je ne puis, dans l’état actuel de ma vue, qu’accompagner de mes vœux les expérimentateurs qui veulent suivre mes idées. » À dire vrai, nos deux expérimentateurs avaient précédemment décidé de collaborer. Ils s’étaient alors trouvés face à une grande difficulté. La lumière de l’étincelle électrique est certainement insuffisante pour faire l’expérience et il faut renoncer à une synchronisation de la source de lumière avec la rotation du miroir, au cas où on l’aurait envisagée. L’idée d’Arago était, nous l’avons vu, de disposer en cercle autour du miroir tournant un grand nombre d’observateurs dans l’espoir que l’un d’eux aurait la chance de voir quelque chose. L’astronome allemand Friedrich Wilhelm Bessel (1784–1846), qui était au courant du projet d’Arago, lui avait proposé de renvoyer sur le miroir tournant la lumière que celui-ci avait réfléchie, grâce à un miroir plan : ceci aurait permis de se passer de la couronne d’observateurs.
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Autre avantage de l’idée de Bessel, que l’on attribue quelquefois à tort à Foucault ou à Fizeau : pendant l’allerretour du faisceau, le miroir aurait légèrement tourné et le faisceau réfléchi une deuxième fois par ce miroir tournant serait un peu dévié ; la mesure de cette déviation permettrait d’obtenir la vitesse de la lumière. On reconnaît là le principe qui sera invariablement utilisé pour les mesures de la vitesse de la lumière avec un miroir tournant et que l’on voit déjà en application dans le schéma de la figure 5.4. On remarque cependant que les miroirs plans de la figure 5.4 n’auraient renvoyé la lumière sur le miroir tournant que pendant le très court instant où le faisceau serait tombé perpendiculairement à leur surface, la lumière étant perdue le reste du temps. C’est alors que Fizeau a une idée géniale104 : il réalise que si l’on remplace le miroir plan de Bessel par un miroir concave, le faisceau reviendra sur le miroir tournant pendant tout le temps où il balaiera le miroir concave, et l’on gagnera beaucoup en luminosité.
5.3. La compétition C’est alors que Foucault, qui veut maintenant réaliser seul l’expérience, se dispute avec Fizeau comme le montrent les lettres datées des 22 au 24 avril 1850 reproduites dans l’annexe 3. Fizeau est ulcéré et les deux hommes se séparent ; leur brouille sera définitive. Foucault s’associe à Gustave Froment pour réaliser son appareil, tandis que Fizeau travaille avec Louis Breguet (1804–1883), dont le père avait construit pour Arago le miroir tournant qu’il va utiliser. Il est probable que ces appareils étaient déjà prêts avant leur querelle. Selon les termes de Cornu, « ce fut entre les deux rivaux un véritable steeple-chase [course au
104
D’après Cornu, A. (1900) Sur la vitesse de la lumière, rapport présenté au Congrès international de physique réuni à Paris en 1900 sous les auspices de la Société française de physique, Paris, Gauthier-Villars ; in Recueil des travaux et discours d’A. Cornu…, vol. 5, accessible sur http://jubilotheque.upmc.fr : voir la note en bas des pages 6 à 8.
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Figure 5.5. La salle de la méridienne de l’Observatoire de Paris, aujourd’hui nommée salle Cassini, où Fizeau et Breguet ont fait leur expérience. La méridienne est la ligne de bronze tracée au milieu de la salle. Elle matérialise le méridien de Paris et l’image du Soleil s’y projette à midi. La mesure de la vitesse de la lumière par Foucault en 1862 a également été faite dans cette salle. Bibliothèque de l’Observatoire de Paris.
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clocher]105 pour atteindre le but proposé par Arago ; tous deux arrivèrent à la même séance de l’Académie (6 mai 1850) présentant des appareils pratiquement identiques, preuve de leur féconde collaboration passée106 ; mais, plus heureux que son rival, qui n’avait réussi qu’à vérifier l’efficacité de son appareil, Foucault annonçait qu’il avait réussi l’expérience : il avait vu la déviation du rayon lumineux traversant la colonne d’eau, et elle était plus grande que la déviation traversant une égale longueur d’air ; la théorie de l’émission était donc condamnée, celle des ondes démontrée par une expérience directe, conformément au plan d’Arago. Foucault arrivait donc incontestablement le premier au but si désiré. » Les détails de cette compétition sont narrés par Tobin (2002). Le retard de Fizeau et Breguet, qui travaillaient dans l’immense salle de la méridienne de l’Observatoire de Paris (aujourd’hui salle Cassini, figure 5.5), est dû au fait que l’eau, contenue dans un tube en zinc, se troublait et n’était plus transparente, si bien qu’ils ont été obligés de faire construire un autre tube en cristal. Ils n’annoncèrent leur réussite, qui confirmait ce qu’avait fait Foucault, que le 17 juin 1850, sept semaines après lui107. La théorie de Newton avait vécu. Le dispositif expérimental final de Fizeau et Breguet (figure 5.6) ressemblait beaucoup, nous l’avons dit, à celui de Foucault qui est reproduit dans Tobin (2002). La vitesse de rotation du miroir de Breguet pouvait atteindre 1 500 tours par seconde, grâce à des engrenages hélicoïdaux, une nouveauté à l’époque. Fizeau et Foucault utilisaient tous deux la lumière du Soleil renvoyée par un héliostat, ce qui leur a causé bien des ennuis en raison d’une météorologie peu favorable.
105
Terme anglais très utilisé autrefois pour désigner à l’origine une course de chevaux de village à village et ensuite, plus généralement, une course d’obstacles.
106
*Foucault, L. (1850) Méthode générale pour mesurer la vitesse de la lumière… Vitesses relatives de la lumière dans l’air et dans l’eau, CRAS 30, p. 551–560 ; *Fizeau, H. & Breguet, L. (1850) Note sur l’expérience relative à la vitesse comparative de la lumière dans l’air et dans l’eau, CRAS 30, p. 562–563.
107
*Fizeau, H. & Breguet, L. (1850) Sur l’expérience relative à la vitesse comparative de la lumière dans l’air et dans l’eau, CRAS 30, p. 771–774.
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Figure 5.6. Le dispositif de Fizeau pour comparer la vitesse de la lumière dans l’air et dans l’eau (comparer à la Figure 5.4). La lumière du Soleil éclaire le prisme à réflexion totale p, puis tombe sur le miroir tournant situé en O. Celui-ci l’envoie en M1, qui est une lentille plan convexe argentée sur sa face arrière plane et qui est équivalente à un miroir concave, laquelle renvoie la lumière sur le miroir tournant O. Pour une autre position de ce miroir tournant, la lumière est envoyée dans le tube plein d’eau A qu’elle traverse, est réfléchie par M2 et revient sur le miroir tournant après une seconde traversée du tube A. Si le miroir tourne lentement, la lumière réfléchie retombe exactement sur le prisme p et on ne voit dans l’oculaire c que sa face arrière sombre P. S’il tourne vite, la lumière est déviée et tombe en partie en dehors du prisme, en P1 pour celle qui a été réfléchie en M1 et en P2 pour celle réfléchie en M2. On voit donc P1 et P2 dans l’oculaire, comme représenté dans le petit schéma de droite. Fizeau a aussi utilisé une réflexion sur M3 avec une longueur optique du trajet égale à celle dans la branche M2, si bien que les deux images du prisme sont alors confondues quelle que soit la vitesse du miroir : ceci supposait évidemment d’avoir prévu le résultat. D’après Mascart (1893, Figure 325 p. 90).
7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
Chapitre 6 L’entraînement de l’éther
Les protagonistes de l’histoire racontée dans ce chapitre. La date de leurs travaux est indiquée. Manque le premier, John Michell (1784), dont nous ne possédons pas de portrait. Bibliothèque de l’Observatoire de Paris pour Arago et Fresnel, collection de l’auteur pour Fizeau, photographies officielles du prix Nobel (Wikimedia Commons) pour Michelson, Einstein et von Laue.
Ce chapitre requiert une lecture attentive, car les notions anciennes sur la lumière et sa propagation sont très différentes de celles qui ont cours aujourd’hui et ne nous sont souvent pas familières.
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6.1. Acte 1 : Michell, Arago et Fresnel En 1784, le Britannique John Michell (1724–1793) écrit108 que, dans la théorie newtonienne de la lumière qui était universellement admise en Grande-Bretagne à cette époque, les corpuscules de lumière émis par une étoile peuvent être ralentis par l’attraction gravitationnelle de cette étoile : la vitesse de la lumière serait donc plus ou moins grande selon la masse et le rayon de l’étoile109. Michell envisage aussi ce qui se passe lorsque la lumière ainsi ralentie pénètre dans un milieu transparent dense. Nous avons vu au chapitre précédent que l’explication de la réfraction dans l’hypothèse corpusculaire de Newton implique que la vitesse de la lumière augmente lorsqu’elle pénètre dans un tel milieu. Michell fait l’hypothèse arbitraire, mais logique, que cette augmentation, due à quelque attraction du milieu dense, ne dépend pas de la vitesse initiale de la lumière mais seulement de la nature de ce milieu. Il fait alors un petit calcul (encadré 6.1) qui montre que l’angle de réfraction doit dépendre de la vitesse initiale de la lumière.
Encadré 6.1. Le calcul de Michell, transposé en notations modernes Soient v1 la vitesse incidente de la lumière et v2 la vitesse dans le corps dense. La relation entre l’angle d’incidence i sur la surface de séparation et l’angle de réfraction r s’écrit, dans la théorie newtonienne (voir la figure 5.1 et sa légende) : sin i / sin r = v2 /v1.
108
Michell, J. (1784) On the Means of Discovering the Distance, Magnitude, &c. of the Fixed Stars, in Consequence of the Diminution of the Velocity of Their Light…, Philosophical Transactions of the Royal Society of London 74, p. 35–57. Accessible sur http://www.jstor.org/stable/info/106576.
109
Michell prévoit que si la masse et les dimensions de l’étoile sont assez grandes, la lumière peut ne pas en sortir, ce qui préfigure l’idée des trous noirs.
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Par ailleurs, la relation entre v2 et v1 s’écrit : 1/2 m v22 = 1/2 m v12 + A où m est la masse de la particule de lumière et A une constante caractéristique du corps dense, qui représente l’augmentation de l’énergie cinétique des particules de lumière. On peut aussi écrire cette équation : v2 = (v12 + 2A/m)1/2. Cette relation n’est pas linéaire, si bien que v2 n’est pas proportionnelle à v1 et que le rapport v2/v1, donc l’angle de réfraction, varie si la vitesse d’arrivée des particules de lumière change. On peut donc, dans cette théorie, rechercher si la vitesse de la lumière émise par les différentes étoiles varie en observant les changements correspondants dans la réfraction, par exemple en mesurant la déviation de cette lumière par un prisme. Michell ne semble pas avoir mis cette idée à exécution, mais le jeune Arago, qui en a entendu parler, la reprend en 1805–1806. Il utilise un prisme d’angle 45’, dont la dispersion est suffisamment petite pour lui permettre de travailler en lumière blanche. Il observe avec et sans prisme des sources terrestres de lumière, des étoiles, le Soleil, la Lune, les planètes, et constate que la déviation de leur lumière par le prisme est toujours égale à 25’, avec des écarts de 5 secondes de degré au plus qu’il considère à raison comme dus aux erreurs de mesure : il en déduit que la vitesse de la lumière provenant de ces différents objets est la même à 1/480 près. En 1810, il reprend encore ces mesures avec un prisme achromatique donnant une déviation de 10° (figure 6.1), puis avec deux tels prismes en tandem donnant une déviation totale de 22° 25’. Ces prismes sont placés devant la moitié de l’objectif d’un cercle répétiteur, très probablement celui de Fortin qui se trouve actuellement dans les collections de l’Observatoire de Paris (figure 6.2). Cette fois encore, la déviation est la même pour toutes les étoiles !
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Figure 6.1. Le prisme achromatique d’Arago. La lumière entre dans un prisme de verre flint, où elle est dispersée de façon différente selon sa couleur ; elle entre alors dans un prisme de crown collé au précédent, qui corrige la dispersion du flint ; finalement, la lumière est déviée du même angle quelle que soit sa couleur, ce qui permet d’observer la déviation en lumière blanche. Arago plaçait un prisme achromatique devant la moitié de l’objectif de la lunette, comme indiqué à droite, afin de mesurer la déviation en observant successivement l’étoile avec et sans prisme. Dessin de l’auteur.
Figure 6.2. Cercle répétiteur de Fortin, vers 1806. Bibliothèque de l’Observatoire de Paris.
Arago a alors une autre idée : il observe les mêmes étoiles à différentes époques de l’année. Même si la lumière émise par les étoiles a toujours la même vitesse, il espère ainsi mettre en évidence des variations de vitesse de la lumière qu’il reçoit : il pense en effet que la vitesse orbitale de la Terre doit s’ajouter ou se retrancher à la vitesse initiale de la lumière. Il devrait pouvoir détecter facilement ces variations, mais il ne voit toujours rien110. Ce résultat négatif met en émoi la communauté des physiciens, qui est absolument persuadée de la véracité de la théorie de Newton. Pour garder la face, Laplace, suivi par le jeune Arago qu’il influence alors très fortement, décide que l’œil n’est sensible qu’à des grains de lumière ayant une vitesse donnée, une explication ad hoc destinée à sauver les apparences. Mais Arago ne restera pas longtemps newtonien. En 1818, il travaille avec Augustin Fresnel (1788–1827), qu’il a invité à l’Observatoire, et il est de plus en plus persuadé de la validité de la théorie ondulatoire de la lumière. Repensant à ses mesures de 1810, il demande à Fresnel s’il peut les interpréter dans le 110
Bien que lu devant l’Académie le 10 décembre 1810, le manuscrit d’Arago, égaré, n’a été publié qu’en 1853 « sans y changer un seul mot » : *Arago, F. (1853) Mémoire sur la vitesse de la lumière…, CRAS 36, p. 38–49.
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cadre de cette théorie. Nous avons vu au chapitre précédent que l’on concevait alors la propagation de la lumière « comme le résultat des ondulations d’un milieu très rare et très élastique, que les physiciens sont convenus d’appeler l’éther » (Arago en 1838). C’est donc dans ce cadre que Fresnel va raisonner. Malheureusement, le prisme d’Arago ne permet pas de mesurer la vitesse de la lumière si la théorie ondulatoire est correcte, si bien que l’on ne peut pas, à l’époque, interpréter de façon évidente l’absence de déviation qui est observée111. Fresnel trouve néanmoins une interprétation, qu’il publie sous la forme d’une lettre à Arago, aussitôt imprimée dans les Annales de chimie et de physique dont Arago est justement l’un des deux rédacteurs en chef112. Sa démonstration est plutôt alambiquée et la figure est fausse, mais d’autres auteurs après lui l’ont refaite avec le même résultat. L’encadré donne une analyse du raisonnement de Fresnel due à Costabel (1989). L’explication implique qu’au lieu d’être entraîné avec la vitesse u de la Terre, auquel cas cette vitesse se serait simplement ajoutée à celle de la lumière, l’éther n’est entraîné qu’avec la vitesse u(1 – 1/n2), n étant l’indice de réfraction du verre. Dans ce cas, la vitesse de la lumière dans le verre du prisme serait vverre = v/n ± u(1 – 1/n2), selon le sens du déplacement de la Terre par rapport à celui de la lumière (on suppose ici ces déplacements colinéaires pour simplifier).
111
Dans l’interprétation moderne, quel que soit le mouvement de la Terre, la lumière entre dans le prisme avec la vitesse invariable c, qui ne dépend pas de u, et sa vitesse dans le prisme est toujours c/n. En toute rigueur, la lumière arrive avec une vitesse très légèrement inférieure puisque le prisme est dans l’air ; mais cette vitesse ne dépend toujours pas de la source et du mouvement du prisme.
112
°Fresnel, A. (1818) Lettre à François Arago sur l’influence du mouvement terrestre dans quelques phénomènes d’optique, Annales de chimie et de physique 9, p. 57–66 ; reproduit dans les °Œuvres complètes de Fresnel, publiées par H. de Sénarmont, E. Verdet & L. Fresnel, Paris, Imprimerie impériale, t. 2 (1868), p. 627–636.
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Encadré 6.2. L’interprétation par Fresnel de l’observation d’Arago
Figure 6.3. Schéma de l’auteur, d’après Costabel.
Rappelons qu’au XIXe siècle, la lumière est censée se propager dans un éther qui remplit tout l’Univers et qui constitue le référentiel absolu proposé par Newton avait proposé, par rapport auquel se déplace la Terre. Voici le raisonnement de Fresnel : supposons (figure 6.3) que la lumière arrive de la gauche en provenance d’un astre dont la Terre, et donc le prisme d’Arago, s’éloignent avec la vitesse u. La lumière entre dans le prisme perpendiculairement à une face avec la vitesse v. À l’intérieur du prisme, la lumière se propagerait à une vitesse v/n, n étant l’indice de réfraction du verre, si le prisme était immobile par rapport à l’éther ; mais cette vitesse pourrait être un peu différente en raison du mouvement du prisme (c’est ce que Fresnel cherche à connaître). À la sortie, le faisceau est dévié par le prisme dans la direction H et se propage à nouveau dans l’éther immobile. Comme la lunette qui sert à observer ce faisceau se déplace par rapport à l’éther avec la vitesse u pendant le temps de trajet depuis la sortie du prisme, on ne voit pas le faisceau exactement dans la direction H, mais dans une direction voisine H’ : c’est l’aberration (qui ne dépend pas de la distance du prisme à la lunette). Puisque Arago observe toujours la même déviation par le prisme quelle que soit la vitesse u, c’est que la lumière ne se propage pas à l’intérieur avec la vitesse v/n, mais avec une vitesse vverre légèrement différente de v, ce qui modifie la déviation de la lumière par ce prisme de façon à compenser l’aberration. Fresnel interprète ceci par un « entraînement partiel » de
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l’éther à l’intérieur du prisme à une vitesse plus lente que u. Le calcul donne : vverre = v/n ± u(1 – 1/n2), selon le sens du déplacement de la Terre par rapport à celui de la lumière.
Lorsqu’il reçoit la lettre de Fresnel, Arago a déjà cessé de s’intéresser au problème, du moins provisoirement, car il est engagé dans des travaux avec Ampère concernant l’électromagnétisme. D’ailleurs ni lui, ni Fresnel ne semblent vraiment croire à l’explication, dont ils ne reparleront jamais. On se serait attendu notamment à ce qu’Arago en ait touché quelques mots en présentant en 1853 son article de 1810, mais il n’en est rien. Les choses en sont donc restées là jusqu’à l’intervention de Fizeau.
6.2. Acte 2 : Fizeau et Michelson En 1816–1818, Arago et Fresnel avaient fait des mesures interférométriques remarquables de l’indice de réfraction de l’air sec et humide, avec un appareil (figure 6.5) dont le principe est représenté figure 6.4. Le but était de savoir si l’humidité de l’air affecte la réfraction par l’atmosphère, un problème essentiel pour la mesure précise de la position des astres113. Le résultat fut que l’effet de l’humidité importait très peu dans la pratique.
Figure 6.4. Schéma de l’appareil interférentiel d’Arago pour la mesure des réfractions. La source de lumière à droite illumine une fente ; la lumière transmise forme un faisceau parallèle après traversée de la lentille L. Ce faisceau est séparé par des fentes en deux faisceaux parallèles que la lentille L’ fera se réunir en R, où l’on observe les franges d’interférence avec l’oculaire l (il n’y a pas besoin de fentes d’Young dans ce dispositif car on est en lumière parallèle, à condition que les fenêtres GG soient d’excellente qualité optique). Le faisceau du dessus passe dans l’air libre chargé de brouillard, l’autre dans un tube carré T long de 1 mètre, où l’air est desséché. Les lames obliques k peuvent être tournées pour compenser le déplacement des franges et la mesure s’effectue en repérant l’angle de leur rotation. Bibliothèque de l’Observatoire de Paris. 113
Voir Lequeux (2008), chapitre 10.
86
Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
Figure 6.5. L’appareil interférentiel d’Arago pour la mesure des réfractions. Bibliothèque de l’Observatoire de Paris.
Une autre version de cet appareil que celle qui est représentée figure 6.4, mise en service dès 1816, possédait deux tubes identiques, l’un contenant de l’air sec et l’autre de l’air humide. En 1852, Arago décide de reprendre ces mesures avec plus de précision et fait construire à cet effet un appareil semblable, dont les deux tubes font 10 mètres de long, qu’il fait installer dans la salle de la méridienne de l’Observatoire114. Mais il est maintenant presque aveugle et charge Fizeau de réaliser les mesures, ce dont il s’acquitte « avec l’exactitude si remarquable qu’il apporte à tous ces travaux »115. Si Arago fait appel à Fizeau, c’est qu’il sait que ce dernier a utilisé l’année précédente, et peut-être même avant, un appareil tout à fait semblable pour étudier la variation de la vitesse de la lumière dans un corps en mouvement. En réalité, il faut remonter à une époque antérieure pour connaître la genèse de cette expérience, sans doute la plus difficile et la plus remarquable de toutes celles que Fizeau a réalisées. En effet, un pli cacheté déposé par Foucault à l’Académie des sciences le 27 mai 1850 affirme que lui et Fizeau ont essayé de mesurer l’entraînement de l’éther par l’air en mouvement, mais sans succès116. Foucault y écrit :
114
Une image de cet appareil se trouve dans le Cosmos de Moigno (1854) et est reproduite par *Costabel (1984) La vie des sciences 1, p. 235–249, mais elle est de mauvaise qualité et nous n’avons pas jugé utile de l’insérer ici.
115 116
*Arago (1854–1862), t. 11, p. 702–732, voir p. 723–732.
Ce pli est reproduit par *Costabel (1984), qui y a ajouté d’intéressants commentaires.
L’entraînement de l’éther
« L’impossibilité de constater autrement que sur les étoiles aucun phénomène d’aberration du au mouvement de translation de la terre dans l’espace117 nous a fait adopter à M. Fizeau et à moi cette idée que l’éther est entraîné avec la matière pondérable ; et pour la vérifier nous avons institué une expérience qui consiste à produire les franges d’interférence avec deux faisceaux passant isolément par deux canaux juxtaposés et traversés en sens inverse par deux courants d’air. L’expérience tentée par nous dans mon laboratoire n’a pas encore fourni de résultat satisfaisant. » Une note de Fizeau datée du 21 octobre 1850, conservée aux archives de l’Académie des sciences118, montre qu’il s’était déjà intéressé au problème pendant l’hiver 1848–1849 ; mais il ne s’agissait pas alors d’interférométrie. Quoi qu’il en soit, il décide en 1851, visiblement inspiré par la lettre de Fresnel à Arago dont nous avons longuement parlé plus haut, d’entreprendre une expérience destinée à voir quelle modification subit la vitesse de la lumière dans un milieu en mouvement. Il écrit, dans l’introduction de l’article qui la décrit119 : « Plusieurs théories ont été proposées pour rendre compte du phénomène de l’aberration dans le système des ondulations. Fresnel d’abord, et plus récemment MM. Doppler, Stokes, Challis, et plusieurs autres, ont publié des travaux importants sur ce sujet. Mais il ne paraît pas qu’aucune des théories proposées ait reçu l’assentiment complet des physiciens. »
117
Il y a ici une allusion au fait qu’Arago n’avait pas pu montrer de variation de la vitesse de la lumière qui serait liée au mouvement orbital de la Terre, et au fait que la démonstration de Fresnel en 1818 fait intervenir l’aberration (voir encadré 6.2).
118
Académie des sciences/Institut de France, fonds 64.1, Hippolyte Fizeau, dossier 9.26.
119
*Fizeau, H. (1851) Sur les hypothèses relatives à l’éther lumineux, et sur une expérience qui paraît démontrer que le mouvement des corps change la vitesse avec laquelle la lumière se propage dans leur intérieur, CRAS 33, p. 349–355. Il s’agit du long résumé d’un mémoire daté du 29 septembre 1851, qui n’a été publié intégralement qu’en 1859 : voir *Fizeau, H. (1859) Annales de chimie et de physique 57, p. 385–404.
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88
Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
Il ajoute : « On doit à M. Arago une méthode d’observation, fondée sur les interférences, et qui est propre à mettre en évidence les plus petites variations dans les indices de réfraction des corps. MM. Arago et Fresnel ont montré la sensibilité extraordinaire de ce procédé, par plusieurs observations très-délicates, telles que celle de la différence de réfraction qui existe entre l’air sec et l’air humide. Un mode d’observation fondé sur ce principe, m’a paru le seul qui permit de mettre en évidence les changements de vitesse [de la lumière] dus au mouvement. » Fizeau n’a jamais fait allusion à un travail préliminaire qu’il aurait effectué avec Foucault. On n’en a aucune trace non plus dans ses notes, au point que l’on peut se demander si Foucault, qui venait de se quereller avec lui un mois avant de déposer son pli cacheté, n’avait pas inventé toute l’histoire pour réclamer plus tard une priorité partielle, ce qu’il n’a d’ailleurs jamais fait. Cependant, le principe de la mesure s’y trouve bien. Quoi qu’il en soit, Fizeau indique dans une note datée du 9 avril 1851, conservée aux Archives de l’Académie des sciences, qu’il a fait les premiers essais d’un nouvel appareil muni de deux tubes en cuivre de 1,5 m de long et de 1 cm de diamètre (figure 6.6). Aucun déplacement de franges n’est observé lorsque l’air est mis en mouvement à grande vitesse dans les tubes.
Figure 6.6. Schéma de l’appareil de Fizeau pour mesurer la variation de la vitesse de la lumière dans l’air en mouvement. Entraîné par un soufflet, l’air circule de R à R’ dans le tube inférieur, puis en sens inverse de R’’’ à R’’ dans le tube supérieur. S est la source de lumière et les interférences entre les rayons ayant parcouru l’un et l’autre des tubes sont observées à droite. Académie des sciences/Institut de France, fonds 64.1, Hippolyte Fizeau, dossier 9.02.
Fizeau monte maintenant une nouvelle expérience adaptée à la mesure de la variation de la vitesse de la lumière dans un courant d’eau. La figure 6.7 est un
L’entraînement de l’éther
schéma autographe daté du 18 juillet 1851 et représentant cet appareil. Faisant circuler l’eau dans les tubes avec une vitesse de 7 mètres par seconde, Fizeau observe un déplacement des franges de 0,23 ± 0,04 frange. Or l’application de la formule de Fresnel sur l’entraînement partiel de l’éther,
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Figure 6.7. Schéma de l’appareil de Fizeau pour la mesure de la variation de la vitesse de la lumière dans un courant d’eau. La lumière d’une lampe en bas à droite est concentrée sur une fente par une lentille. Une lunette coudée comportant une lame semi-réfléchissante à 45° en forme ensuite un faisceau parallèle. Ce faisceau est élargi par deux lames inclinées épaisses, puis est limité par deux fentes centrées sur la face d’entrée de chacun des deux tubes. La lumière ayant parcouru l’un des deux tubes est renvoyée dans l’autre par la lunette du haut, qui est munie en son foyer d’un miroir plan (c’est le montage employé par Fizeau à Montmartre pour sa mesure de la vitesse de la lumière en 1849, voir la Figure 4.3). Les franges d’interférence entre les deux faisceaux, qui ont ainsi chacun parcouru successivement les deux tubes, mais en sens opposés, sont observées par l’oculaire en bas, à travers la lame à 45°. Le déplacement de la frange centrale (on est en lumière blanche), lorsque l’eau est mise en mouvement selon les flèches, est ainsi doublé. Académie des sciences/Institut de France, fonds 64.1, Hippolyte Fizeau, dossier 9.02.
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donc de la lumière, par un corps en mouvement prévoit un déplacement de 0,20 frange, au lieu de 0,40 frange s’il y avait entraînement total, c’est-à-dire si la vitesse de l’eau s’ajoutait simplement à celle de la lumière. Fizeau conclut que cette formule est correcte. Pour l’expérience dans l’air, le calcul d’après Fresnel prévoit un déplacement non mesurable de 0,000 23 frange, contre 0,41 frange si l’entraînement est total. Ici encore, la formule de Fresnel s’accorde avec l’expérience : la vitesse v de la lumière dans l’eau en mouvement avec la vitesse u est bien : v = c/n ± u(1 – 1/n2), le signe de la seconde partie dépendant du sens du déplacement par rapport à la direction d’arrivée de la lumière. c est la vitesse de la lumière dans le vide (ou à peu de chose près dans l’air qui entoure l’expérience) et n est l’indice de réfraction de l’eau. Mais Fizeau n’est pas convaincu par l’explication de Fresnel. Il écrit en conclusion de son article : « Le succès de cette expérience me semble devoir entraîner l’adoption de l’hypothèse de Fresnel, ou du moins de la loi qu’il a trouvée, pour exprimer le changement de la vitesse de la lumière par l’effet du mouvement des corps ; car bien que cette loi se trouvant véritable [lire : vérifiée], cela soit une preuve très-forte en faveur de l’hypothèse dont elle n’est qu’une conséquence, peut-être la conception de Fresnel paraîtra si extraordinaire et sous quelques rapports si difficile à admettre, que l’on exigera d’autres preuves encore, et un examen approfondi de la part des géomètres [lire : théoriciens], avant de l’adopter comme expression de la réalité des choses. » Il a bien raison d’être sceptique, comme on le verra au quatrième acte ! Évidemment, l’expérience de Fizeau ne passe pas inaperçue. Malgré ses mauvais rapports avec ce dernier, Foucault en fait un compte-rendu honnête de son expérience, quoique succinct, dans le Journal des débats120 du 10 octobre 1851, qui commence par : « M. Fizeau communique à l’Académie les résultats d’un travail que nous avions entrepris en commun et qu’il a pris sur lui de terminer tout seul. » Mais les problèmes que suscitent l’interprétation du résultat vont subsister pendant plus d’un demi-siècle.
120
Accessible via gallica.bnf.fr.
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De plus, bien que Fizeau ait pris toutes les précautions possibles pour s’assurer de son résultat, il faut bien admettre que l’effet est faible et que l’on n’est pas complètement à l’abri d’erreurs systématiques. C’est pourquoi, en 1886, Michelson, aidé de son fidèle collaborateur Edward W. Morley (1838–1923), estime qu’il est nécessaire de refaire l’expérience. Il écrit121 (notre traduction) : « En dépit de l’ingéniosité de cette remarquable expérience, qui est apparemment si admirablement adaptée pour éliminer tout déplacement accidentel des franges par des causes extérieures, il semble qu’il y ait un doute général concernant les résultats obtenus, ou en tout cas l’interprétation qu’en donne Fizeau. Ceci, et aussi l’importance fondamentale de ce travail, nous a motivé pour le refaire. » Figure 6.8. Schéma du « réfractomètre » de Michelson et Morley (1886). La source de lumière est en a et le faisceau parallèle formé par une lentille est séparé en deux par la lame b. Une moitié suit le chemin b c d e f b g et l’autre le chemin b f e d c b g. La lunette g permet d’observer les franges. Le courant d’eau parcourt les deux tubes en sens opposés, comme pour Fizeau. Wikisource.
Ils construisent donc un « réfractomètre » dont le schéma est donné figure 6.8. Leur expérience confirme complètement le résultat de Fizeau, cette fois avec une erreur probable plus faible, qu’ils estiment à 5 %. Ils observent aussi l’effet d’un courant d’air, qu’il trouvent imperceptible. Ils en concluent que « le résultat annoncé par Fizeau est entièrement correct, et que l’éther luminifère n’est pas affecté du tout par le mouvement de la 121
Michelson, A.A. & Morley, E.W. (1886) Influence of motion of the medium on the velocity of light, American Journal of Science 31, p. 377–386, accessible sur http://en.wikisource.org/wiki/ Influence_of_Motion_of_the_Medium_on_the_Velocity_of_Light.
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matière où il se trouve », ce qui est une conclusion un peu rapide puisqu’il y a quand même un effet, mais plus faible que si l’éther était entièrement entraîné. Pieter Zeeman (1865–1943) a repris en 1914 avec une précision considérablement accrue l’expérience de Fizeau, qu’il considère comme l’« une des expériences les plus ingénieuses de toute la physique », en utilisant des lumières monochromatiques de différentes couleurs122. Chandrashekhara Ventaka Raman (1888–1970) et son collaborateur Nihal Karan Sethi (1893–1969) l’ont aussi refaite en 1922 dans l’air en mouvement, détectant marginalement le très faible effet attendu123. La remarquable expérience de Fizeau n’est pas la seule qu’il ait réalisée pour étudier l’entraînement de l’éther par un corps en mouvement. Après l’air et l’eau, il considère un corps solide : « Pour compléter et étendre les résultats des recherches que je viens de rappeler, il était important d’étudier sous le même rapport un corps solide comme le verre, afin de constater si la lumière s’y propage aussi avec des vitesses différentes, lorsqu’il est au repos ou en mouvement. […] Quant au mode d’observation, celui qui avait été précédemment employé pour l’air et pour l’eau […] ne permettait pas l’emploi des corps solides124. Il a donc fallu recourir à d’autres principes et employer une méthode différente. » Cette nouvelle méthode est basée sur le fait que le plan de polarisation d’une lumière polarisée qui traverse une lame transparente inclinée, ou mieux une pile de lames parallèles inclinées (ce que l’on appelle à l’époque une pile de glaces), tourne d’un angle qui dépend de l’indice de réfraction du milieu de la ou des lame(s). Fizeau estime que si la lame se déplace, la vitesse de la lumière à l’intérieur du verre devrait être légèrement différente, ce qui affecterait 122
Zeeman, P. (1914–1915) Fresnel’s coefficient for light of different colours, Proceedings of the Royal Netherlands Academy of Arts and Sciences 17, p. 445–451 & 18, p. 398–408, accessible sur http://www.dwc.knaw.nl.
123
Raman, C.V. & Sethi, N.K. (1922) On the convection of light (Fizeau effect) in moving gases, Philosophical Magazine 43, p. 447–455, accessible sur http://archive.org/details/ londonedinburg6431922lond.
124
Évidemment, il n’est pas question de refaire l’expérience avec des cylindres de verre lancés à grande vitesse !
L’entraînement de l’éther
la rotation du plan de polarisation. Le seul déplacement utilisable pour cette mesure n’est autre que le mouvement orbital de la Terre. Fizeau illumine donc la lame par la lumière du Soleil renvoyée par un héliostat et tente de voir si la rotation du plan de polarisation varie avec la direction du mouvement de la Terre, donc selon l’heure et la saison. Ce n’est pas sans mal car l’effet, s’il existe, est très petit. Le 6 juin 1859, il écrit, plein d’optimisme125 : « Je crois que Dieu veut bien me récompenser de la persévérance que j’ai mise dans la recherche de ce phénomène important. Les résultats obtenus aujourd’hui ne permettent pas de conserver un doute sérieux sur la réalité du phénomène cherché ; l’effet maximum est bien maximum vers midi et plus faible vers 4 heures comme cela doit être vers le solstice pour la position particulière de l’appareil. » Fizeau est très croyant. Le 9 juillet, il dit : « Grâces à Dieu, la démonstration est complète. » Cependant, le 2 septembre, il déchante : ce n’est plus si concluant. Les notes se terminent sans conclusion le 17 octobre. L’article qu’il publie sur ce sujet126 se termine par une remarque prudente mais encore optimiste, tout en indiquant que les expériences seront poursuivies « au moyen d’un appareil qui sera prochainement terminé ». Nous n’avons pas trouvé trace de ces nouvelles mesures, si elles ont jamais été faites. L’expérience, si elle avait réellement donné un résultat positif, aurait permis de déceler le mouvement de la Terre par rapport à l’éther supposé immobile. Nous savons aujourd’hui que c’est impossible et nous allons voir que Fizeau lui-même a contribué à le montrer. Mais déjà des doutes se font sentir. Après avoir refait avec le plus grand soin les diverses expériences qui avaient tenté de détecter le mouvement de la Terre, le physicien Éleuthère Mascart (1837–1908) conclut en 1874127 : 125
Académie des sciences/Institut de France, fonds 64.1, Hippolyte Fizeau, dossier 1 : « expériences 1859 ».
126
*Fizeau, H. (1859) Sur une méthode propre à rechercher si l’azimut de polarisation du rayon réfracté est influencé par le mouvement du corps réfringent, CRAS 49, p. 717–723. L’article complet est dans *Fizeau, H. (1860) Annales de chimie et de physique 58, p. 129–163.
127
Mascart, E. (1874) Sur les modifications qu’éprouve la lumière par suite du mouvement de la source lumineuse et du mouvement de l’observateur (deuxième partie), Annales scientifiques
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« La conclusion générale de ce Mémoire serait donc (si l’on fait abstraction de l’expérience de M. Fizeau sur la rotation du plan de polarisation par des séries de piles de glaces) que le mouvement de translation de la Terre n’a aucune influence appréciable sur les phénomènes d’optique produits avec une source terrestre ou avec la lumière solaire, que ces phénomènes ne nous donnent pas le moyen d’apprécier le mouvement absolu d’un corps et que les mouvements relatifs sont les seuls que nous puissions atteindre. » L’expérience de Fizeau se distinguerait-elle des autres ? Mascart a sûrement des doutes, mais Fizeau est vivant et respecté, et il faut rester prudent. Quoi qu’il en soit, Paul Langevin (1872–1946) écrira à propos du texte de Mascart128 : « C’était là, énoncé pour la première fois, sous forme définitive pour les phénomènes optiques, ce qu’on nomme aujourd’hui le principe de relativité, dont les expériences ultérieures ont, dans tous les domaines, établi la parfaite exactitude […]. »
6.3. Acte 3 : encore Fizeau et Michelson Fizeau et Mascart ne sont pas les seuls à essayer de mettre en évidence le mouvement de la Terre par rapport à l’éther. C’est ce qui motive la célèbre expérience de 1887 de Michelson et Morley. Il est moins connu que Fizeau a tenté dans ce but, dès 1852, une expérience dont il expose l’idée dans un pli cacheté daté du 9 juin de cette année-là, dont le titre est : « Sur la possibilité de constater par l’expérience l’existence d’un déplacement relatif de l’Éther dû au mouvement de la Terre »129. En voici le début : « Le mouvement de translation de la Terre dans l’espace doit être accompagné selon toutes les probabilités d’un
de l’É. N. S., 2e série, 3, p. 363–420, voir p. 420. Accessible sur http://archive.numdam.org. 128
Langevin, P. (s.d.) Annales des Mines, voir http://www. annales.org/archives/x/mascart.html : une excellente biographie scientifique de Mascart.
129
Le texte et le fac-similé du pli cacheté sont reproduits par *Acloque (1984), avec d’importants commentaires. L’article du Cosmos de 1852 est également reproduit par Paul Acloque.
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courant de l’Éther lumineux qui existe dans l’intérieur des corps ; ce courant considéré dans l’atmosphère, doit se produire avec une vitesse sensiblement égale à la vitesse de la Terre, mais dans une direction opposée à celle de ce dernier mouvement. Une source de lumière étant placée dans l’atmosphère, les ondes lumineuses qui s’en échappent, se propagent donc dans un milieu en mouvement. La vitesse de ce milieu est 1/10 000 de la vitesse de propagation de la lumière. Les ondes seront donc transportées par le milieu éthéré de sorte que dans la direction du courant de l’Éther, la vitesse relative de propagation sera plus grande que dans la direction opposée. Il paraît certain qu’il doit résulter de là que l’intensité de la lumière reçue à des distances égales de la source de lumière, ne doit pas être la même dans les diverses directions. » Une lettre de Fizeau au rédacteur de la revue Cosmos, l’abbé Moigno (voir la note 17), précise : « Lorsque la lumière émanée d’un corps incandescent est reçue sur un écran placé à une certaine distance : l’intensité de la lumière reçue est, comme on sait, en raison inverse du carré de la distance, l’intensité augmente si le corps se rapproche, elle diminue s’il s’éloigne. Si le corps lumineux et l’écran sont supposés en mouvement tout en conservant la même distance, l’effet du mouvement doit être le même que si la distance changeait ; parce que la lumière emploie un certain temps pour franchir cette distance, et parce que l’éther dans lequel la lumière se propage ne participe pas au mouvement. » Ce raisonnement est discutable, et les contemporains et successeurs de Fizeau proposeront différentes formules pour cette variation d’intensité, mais ceci a assez peu d’importance s’il s’agit simplement de détecter le phénomène. Fizeau conçoit donc une expérience photométrique délicate où il place deux récepteurs photoélectriques dos à dos à la même distance de sources de lumière identiques situées de part et d’autre, le tout étant aligné dans la direction du mouvement de la Terre. D’après son raisonnement, l’intensité reçue de la lampe située dans le sens opposé à ce mouvement serait plus
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Figure 6.9. L’un des montages de Fizeau pour mesurer, en 1852, le déplacement de l’éther par rapport à la Terre. Deux lampes identiques, probablement des lampes Carcel à réflecteur parabolique, sont disposées de part et d’autre d’une cloche à vide où se trouvent deux récepteurs photoélectriques situés aux extrémités du cylindre central. Ils sont montés en opposition et connectés à un galvanomètre non représenté. L’ensemble est placé dans la direction de la vitesse orbitale de la Terre et peut tourner de 180° autour d’un axe vertical. Une version primitive de ce montage est dessinée dans le pli cacheté déposé par Fizeau à l’Académie des sciences le 14 juin 1852. Académie des sciences/Institut de France, fonds 64.1, Hippolyte Fizeau, dossier 9.06.
Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
grande de 1/2 500 que celle reçue de l’autre lampe. Il devrait y avoir aussi un petit changement de longueur d’onde, et il est curieux que Fizeau ne le mentionne pas, mais il importe peu pour le détecteur utilisé qui serait à très large bande passante. Un galvanomètre mesurerait la différence d’intensité, puis on retournerait l’appareil pour obtenir l’effet en sens inverse. Il s’attelle à l’expérience en juin–juillet 1852 avec deux montages différents, qui présentent chacun leurs avantages et leurs inconvénients, l’un avec deux sources de lumière et deux récepteurs photoélectriques (figure 6.9), l’autre avec une seule source et deux récepteurs de part et d’autre (figure 6.10).
Figure 6.10. Un autre montage de Fizeau en 1852, cette fois avec une seule source S de lumière et deux détecteurs placés symétriquement. Ces détecteurs p et p’ sont montés en opposition électrique et le courant résultant est mesuré par le galvanomètre G. Source et détecteurs sont alignés dans la direction de la vitesse orbitale de la Terre et le plateau KK’ qui les porte peut tourner de 180° autour d’un axe vertical. Ce dessin est le brouillon de la gravure qui illustre l’article de Cosmos. Académie des sciences/ Institut de France, fonds 64.1, Hippolyte Fizeau, dossier 9.06.
L’entraînement de l’éther
Les récepteurs photoélectriques, que Fizeau appelle des piles, sont des thermocouples. Ce sont les seuls détecteurs de rayonnement dont on dispose à l’époque en dehors de l’œil humain, de la photographie et du thermomètre. L’un d’eux, qui est utilisé par Fizeau, est le thermomultiplicateur de Leopoldo Nobili (1784– 1835) perfectionné par Macedonio Melloni (1798-1854) (figure 6.11). Il subsiste par ailleurs au musée de Suresnes deux galvanomètres ayant appartenu à Fizeau et qui ont probablement servi à son expérience ; le mieux conservé est représenté figure 6.12. Bien entendu, Fizeau n’observe aucun effet, mais l’expérience est très difficile étant donné la faiblesse de l’effet recherché. Il va l’abandonner, puis la reprendre de 1881 à 1884 au château de Venteuil où il réside alors. Les notes conservées aux archives de l’Académie des sciences témoignent d’un véritable acharnement à aboutir à un résultat. Dans l’une d’elles, datée du 30 mai 1883, il écrit : « Il résulte des nouvelles expériences très nombreuses et très sûres que j’ai faites sur ce sujet dans ces derniers temps que l’intensité, qui dans la direction la plus favorable devrait varier de 1/5 000, ne varie certainement pas de 1/20 000. On doit conclure de là qu’il y a nécessairement une cause de compensation qui annule l’effet prévu. L’hypothèse qui me paraît la plus plausible est celle d’un accroissement d’intensité à l’émission dans la direction où la flamme choque l’éther et d’une diminution dans la direction opposée […], compensant exactement l’aberration d’intensité qui doit avoir lieu. » Il n’a donc encore rien détecté malgré un soin extrême (on imagine la difficulté de mesurer des différences d’intensité lumineuse à 1/20 000 près) ; et comme il croit toujours à la théorie, il pense qu’un autre effet compense la différence d’intensité à laquelle il s’attend. Il modifie son montage pour vérifier cette idée : il tourne la lampe, ou les lampes, de 90° et envoie leur lumière sur le détecteur par un miroir à 45°, si bien que l’effet présumé du vent d’éther sur leur flamme devrait disparaître. Il pense voir quelque chose et prépare une publication le 19 février 1884, mais elle ne paraîtra jamais : en effet, il continue de nouveaux tests avec diverses modifications et obtient des résultats variés, si bien qu’il est de moins en moins persuadé par ces derniers : « Les effets des causes accidentelles sont beaucoup trop grands… » Désespéré, il
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Figure 6.11. Le thermomultiplicateur de Nobili et Melloni, vers 1835. Il est constitué de 36 couples thermoélectriques antimoinebismuth montés en série et séparés par de fines feuilles isolantes. Les deux pôles sont connectés à un galvanomètre. La face avant est noircie, si bien que ce détecteur est un bolomètre, sensible à toutes les longueurs d’onde. Le nom de « multiplicateur » provient du fait que le détecteur utilise plusieurs thermocouples au lieu d’un seul, augmentant ainsi sa sensibilité. Bibliothèque de l’Observatoire de Paris.
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Figure 6.12. Un galvanomètre « multiplicateur » de Nobili, version de 1835, ayant appartenu à Fizeau. Une double aiguille est suspendue par un fil de torsion. L’aiguille inférieure se trouve à l’intérieur d’une bobine plate alimentée par le courant à mesurer. L’aiguille supérieure est magnétisée en sens inverse, ce qui annule l'effet du champ magnétique terrestre, et permet de lire la déviation sur le cadran circulaire. L’ensemble est protégé par une cloche de verre. Le nom de « multiplicateur » provient du fait que la bobine est formée de nombreux tours de fil, au lieu d’une simple boucle dans les premiers appareils. Musée de Suresnes, inv. 997.00.1567.
Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
abandonne le sujet en juin 1884 ; toutefois l’idée le préoccupera jusqu’à sa mort. On n’en parlera plus guère, à l’exception d’un Allemand nommé Paul Nordmeyer qui, dans sa thèse de 1903 (voir *Acloque, 1984), discute les premières expériences de Fizeau (il ignore celles de 1881–1884 puisque Fizeau n’en avait rien publié) et tente de les refaire. Il a peu de succès, tant les difficultés sont grandes : certes le résultat est négatif, mais la dispersion de ses mesures est très importante. La célèbre expérience de Michelson et Morley130, réalisée peu après les seconds essais de Fizeau, a le même but : tenter de déceler le mouvement relatif de la Terre et de l’éther. Leur méthode interférométrique est très différente de celle de Fizeau et, contrairement à cette dernière, du second ordre : elle est sensible au carré du rapport de la vitesse de la Terre à celle de la lumière, tandis que celle de Fizeau est directement sensible à ce rapport, donc de premier ordre. Mais l’avantage de Fizeau n’est qu’apparent, tant les mesures sont difficiles, tandis que l’interférométrie est si sensible que le résultat de Michelson et Morley est assuré. C’est d’eux que l’on se souviendra, mais on ne peut qu’admirer l’imagination et la persévérance de Fizeau. Quoi qu’il en soit, les expériences ont toutes deux donné un résultat négatif, ce qui va susciter bien des débats parmi les physiciens.
6.4. Acte 4 : Lorentz, Einstein et von Laue L’impossibilité de mettre en évidence le mouvement de la Terre par rapport à l’éther, qui résulte des expériences précédentes, est l’une des bases de la théorie de la relativité. L’histoire de la genèse de cette théorie est trop complexe pour être développée ici131. L’une de ses étapes est la théorie 130
Michelson, A.A. & Morley, E.W. (1887) On the relative motion of the Earth and the luminiferous ether, American Journal of Science 34, p. 333–345, accessible sur http://www.aip.org/history/gap/PDF/michelson.pdf.
131
Voir en particulier Darrigol, O. (2004) Faut-il réviser l’histoire de la relativité ? ; accessible sur http://www.academie-sciences. fr/activite/archive/dossiers/Einstein/Einstein_pdf/Darrigol%20_ amp.pdf.
L’entraînement de l’éther
de l’éther de Hendrik Antoon Lorentz (1853–1928), que l’on connaît aussi sous le nom d’électrodynamique de Lorentz, ou de théorie des électrons132. Elle date de 1892–1895. Lorentz (figure 6.13) considère un éther immobile, qui représente le référentiel absolu de Newton et qui est le support des champs électromagnétiques créés par le mouvement des électrons ; ces champs ne peuvent se propager qu’à une vitesse inférieure ou égale à celle de la lumière, supposée invariable. Lorentz explique alors l’expérience de 1887 de Michelson et Morley par une contraction du bras de l’interféromètre, qui est en mouvement avec la vitesse u par rapport à cet éther, par un facteur (1 – u2/c2)1/2, c étant la vitesse de la lumière. Comme tous les étalons seraient affectés par cet effet, cette contraction est impossible à déceler. Avec son formalisme, Lorentz peut aussi expliquer l’aberration de la lumière des étoiles, l’effet Doppler-Fizeau et enfin la variation de la vitesse de la lumière dans les fluides en mouvement, sans avoir recours à l’entraînement partiel de l’éther invoqué par Fresnel. L’explication définitive n’est cependant devenue possible qu’après qu’Albert Einstein ait publié en 1905 son article « Sur l’électrodynamique des corps en mouvement »133. Il y donne la formule relativiste de composition des vitesses : v = (u + w)(1 + uw/c2)–1, où u et w sont les deux vitesses qui se composent, v est la vitesse résultante et c la vitesse de la lumière. Si l’une de ces vitesses est la vitesse de la lumière, cette équation devient : v = (u + c)(1 + u/c)–1 = c, ce qui montre que la vitesse de la lumière ne peut être dépassée et qu’il n’est pas possible de mesurer la vitesse
132
Lorentz, H.A. (1895) Versuch einer Theorie der electrischen und optischen Erscheinungen in bewegten Körpen, Leiden, E.J. Brill, accessible sur http://de.wikisource.org ; Lorentz, H.A. (1916) The theory of electrons and its applications to the phenomena of light and radiant heat, Leipzig, Teubner, accessible sur http://archive. org/details/electronstheory00lorerich, cf. p. 190–191.
133
Einstein, A. (1905) Zur Elektrodynamik bewegter Körper, Annalen der Physik 17, p. 891–921, traduction anglaise « On the electrodynamics of moving bodies » accessible sur http://www. fourmilab.ch/etexts/einstein/specrel/www/.
99
Figure 6.13. H.A. Lorentz en 1902. Photographie officielle du prix Nobel, Wikimedia Commons.
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Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
de la Terre en observant la lumière provenant d’une source extérieure, comme Arago, Fizeau, Michelson et bien d’autres l’avaient espéré. Deux ans après la publication d’Einstein, Max von Laue (1879–1960) publie un article134 où il utilise la composition relativiste des vitesses pour retrouver la formule de Fresnel. L’encadré 6.3 reproduit sa démonstration.
Encadré 6.3. Démonstration relativiste de la formule de Fresnel Considérons encore l’expérience de Fizeau. La vitesse de la lumière dans l’eau en mouvement par rapport à cette eau est c/n, n étant l’indice de réfraction de l’eau. Par rapport à l’observateur fixe, la vitesse v de la lumière dans l’eau qui se déplace avec la vitesse u est obtenue par l’équation d’Einstein de composition des vitesses : v = (c/n + u)(1 + u/nc)–1. Comme u/nc est petit devant 1, on peut faire un développement limité du dénominateur ; l’équation devient, en se limitant aux termes du premier ordre en u : v = (c/n + u)(1 – u/nc + …) = c/n + u(1 – 1/n2) + … ce qui est bien l’équation de Fresnel.
Von Laue fait remarquer que le problème est résolu beaucoup plus simplement à partir de la théorie de la relativité qu’à partir de celle de Lorentz. Ceci met fin à près d’un siècle d’interrogations et d’incertitudes. Et il conclut : de cette façon, nous sommes dispensés de la nécessité d’introduire dans l’optique un « éther » qui pénètre le corps sans partager son mouvement. C’est le début de la mort de l’éther, qui aura cependant la vie dure
134
Von Laue, M. (1907) Die Mitführung des Lichtes durch bewegte Körper nach dem Relativitätsprinzip, Annalen der Physik 23, p. 989–990. Traduction française « L’entraînement de la lumière par les corps mouvants selon le principe de relativité », dans Samueli, J.-J. & Moatti, A., http://www.bibnum.education.fr/files/Von-Laue-analyse.pdf.
L’entraînement de l’éther
puisque Einstein ne l’abandonnera que quand il formulera, en 1915, sa théorie de la relativité générale, et qu’il subsistera encore de nombreuses années dans l’esprit de maints physiciens.
101
7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
Chapitre 7 Le diamètre des étoiles
" des télescopes de 8 m de diamètre du Very Large Telescope (VLT) de l’Observatoire européen austral, en optique adaptative (correction en temps réel de l’effet de la turbulence atmosphérique par un miroir déformable). L’étoile n’est pas résolue, mais on observe le gaz qu’elle a éjecté. À droite, image infrarouge obtenue par interférométrie avec l’Infrared Optical Telescope Array (IOTA) en Arizona, avec une résolution angulaire de 0,009 seconde de degré. C’est la première image existante d’une étoile autre que le Soleil (d’après Haubois, X. et al. (2009), Astronomy & Astrophysics 508, p. 923–932, avec l’autorisation de l’ESO). En bas, l’interféromètre du Very Large Telescope de l’ESO (VLTI) avec ses quatre télescopes de 1,8 m de diamètre, déplaçables sur les aires blanches, que l’on peut combiner avec les quatre télescopes fixes de 8 m. L’ensemble peut fonctionner comme un interféromètre multiéléments en infrarouge avec des bases atteignant 200 m, pour produire des images d’objets célestes avec une résolution angulaire de l’ordre de la milliseconde de degré. C’est le développement ultime de l’idée de Fizeau. Cliché ESO.
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Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
7.1. Une idée géniale Parmi les manuscrits de Fizeau conservés aux Archives de l’Académie des sciences, se trouve un dossier de 1851 intitulé « Sur un moyen de déduire les diamètres des étoiles de certains phénomènes d’interférence »135. C’est une idée tout à fait nouvelle qui, longtemps après, connaîtra un développement éclatant. Et pourtant, Fizeau ne l’a jamais publiée, sauf en 1868 sous la forme d’une simple remarque dans un rapport à l’Académie des sciences136 : « Il existe […] pour la plupart des phénomènes d’interférence, tels que les franges d’Young, celles des miroirs de Fresnel et celles qui donnent lieu à la scintillation des étoiles d’après Arago, une relation remarquable et nécessaire entre la dimension des franges et celle de la source lumineuse, en sorte que les franges d’une ténuité extrême ne peuvent prendre naissance que lorsque la source de lumière n’a plus que des dimensions angulaires presque insensibles ; d’où, pour le dire en passant, il est peut-être permis d’espérer qu’en s’appuyant sur ce principe et en formant par exemple, au moyen de deux larges fentes très-écartées, des franges d’interférence au foyer des grands instruments destinés à observer les étoiles, il deviendra possible d’obtenir quelques données nouvelles sur les diamètres angulaires de ces astres. » En effet, on ne savait rien à l’époque sur les dimensions des étoiles et seules quelques distances stellaires étaient connues ; faute de mieux, on supposait les étoiles semblables au Soleil quand on voulait estimer par exemple les dimensions de la Voie lactée, comme l’avait fait William Herschel dès 1785. Il aurait été essentiel de pouvoir mesurer au moins leur diamètre angulaire, et c’est ce que propose Fizeau en 1851. Nous reproduisons intégralement son manuscrit ci-dessous, en raison de son importance : « 22 juin 1851 (important) Application des phénomènes d’interférence à la mesure des angles très petits tels que les angles soutendus [sic] par les
135
Académie des sciences/Institut de France, fonds 64 J, Hippolyte Fizeau, dossier 9.01.
136
*Fizeau, H. (1868) Prix Bordin, Rapport sur le Concours de l’année 1867, CRAS 66, p. 932–934.
Le diamètre des étoiles
rayons partis des deux bords opposés des étoiles – (diamètre des étoiles) – Dans les télescopes et les lunettes les images des étoiles ont toujours un diamètre sensible tout à fait accidentel et qui est dû à l’imperfection des miroirs et des lentilles qui ne réunissent pas exactement au même point les rayons parallèles137 ; cette circonstance s’oppose à ce que l’on puisse apprécier et mesurer les diamètres très petits que doivent présenter les images des étoiles. Car si le diamètre réel est notablement plus petit que le diamètre apparent accidentel [souligné par Fizeau], dû à l’imperfection de l’instrument, ce diamètre réel pourrait décroître indéfiniment sans que le diamètre apparent subisse le moindre changement. Les diamètres des étoiles paraissent être dans ce cas, leur grandeur réelle est tout à fait insensible dans les meilleurs instruments. Il me semble que les phénomènes d’interférence peuvent conduire à quelque chose de nouveau sur ce sujet en permettant d’apprécier des angles beaucoup plus petits que ceux que l’on observe au foyer des lunettes. Dans la plus part [sic] des circonstances où l’on met en évidence l’influence mutuelle des rayons, telles que la disposition des miroirs de Fresnel, celle des fentes d’Young soit seules soit jointes à une lentille convergente comme je l’ai indiqué il y a plusieurs années, on remarque que la source de lumière doit avoir des dimensions très petites pour que les franges se produisent. La dimension de la source de lumière est en rapport avec la largeur des franges que l’on produit et pour chaque largeur particulière il y a une grandeur limite de la source que l’on ne peut pas dépasser sans troubler et détruire les franges ; ce phénomène s’explique très bien par la superposition des différents systèmes de franges produits par chaque point de la source lumineuse. Je ne fais que rappeler ici la présence de cette explication sans essayer de la donner d’une manière complète. Il m’a toujours paru très frappant de reconnaître par l’inspection des franges si la source de lumière avait un 137
En réalité, l’étalement des images stellaires est surtout dû à l’effet de la turbulence atmosphérique, car il existe aussi avec des lunettes et télescopes de haute qualité optique. Fizeau, qui n’était pas astronome, paraît l’ignorer.
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Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
diamètre de 1/20, de 1/50 ou de 1/100 de millimètre et d’apprécier ainsi les angles très petits soutendus par les rayons partis des deux bords opposés. Ces angles sont souvent de 20’’, 10’’ et même 1’’. » Fizeau fait ailleurs le calcul, très simple, de la distance angulaire entre les franges dans une expérience de fentes d’Young écartées de d : c’est simplement /d. Si la source de lumière, une étoile par exemple, a un diamètre apparent de cet ordre, les franges produites par les différents points de cette source sont décalées et leur superposition fait que le contraste des franges observées devient très faible : on ne les voit plus. La figure 7.1 reproduit une page manuscrite de Fizeau, non datée, où il effectue les calculs correspondants.
Figure 7.1. Manuscrit de Fizeau, non daté mais certainement postérieur au 22 juin 1851, contenant le calcul des dimensions des franges d’interférence produites par les deux lunules représentées en haut à gauche. Académie des sciences/Institut de France, fonds 64 J, Hippolyte Fizeau, dossier 9.01.
Le diamètre des étoiles
Voici la suite du texte : « En plaçant deux fentes devant l’objectif d’une lunette de 80 cm de foyer et en regardant l’image de la ligne lumineuse formée au foyer d’une lentille cylindrique je pourrais distinguer à l’inspection des franges si la source lumineuse soutendait un angle supérieur à 2’’ ou même 1’’, tandis qu’en observant avec la lunette elle-même l’image de la source des angles 10 fois plus grands se confondaient sensiblement avec ces petits angles, l’image conservant sensiblement le même diamètre malgré la variation de la grandeur de la source. Cette remarque conduit à penser que l’on peut produire des franges d’interférence avec la lumière des étoiles dans des conditions telles que la source lumineuse ne devrait soutendre qu’un angle inférieur à 1’’ ou à 1/10’’ pour que les franges soient sensibles. On pourrait décider si une étoile donnée a réellement un diamètre de cet ordre de grandeur bien qu’une lunette ne puisse pas permettre d’apprécier d’aussi petits diamètres qui tous donnent lieu à des images de même grandeur. Je suppose que le diamètre angulaire de la source étant égal à celui d’une frange (frange centrale) les franges doivent être invisibles pour tous les diamètres plus grands et les franges nettes pour les diamètres plus petits. [En marge : il doit être double d’après l’expérience.] Je suppose donc une lunette suivie d’un appareil destiné à produire des franges dans les conditions où ces franges devraient disparaître pour un diamètre de la source supérieur à 1’’. En dirigeant l’instrument sur les différentes étoiles on pourrait décider immédiatement quelles sont celles dont le diamètre angulaire est supérieur à 1’’ et s’il en existe de semblables. Pour celles-là en effet les franges ne se produiraient pas, pour toutes les autres au contraire quelque petit que soit leur diamètre les franges seraient visibles. L’appareil étant disposé de manière à cesser d’obtenir des franges pour un diamètre de 1/10’’ on pourrait reconnaître toutes les étoiles dont le diamètre serait supérieur ou inférieur à cette nouvelle limite. En variant ainsi la limite on pourrait apprécier avec une certaine exactitude ces petits angles qu’il ne paraît pas possible de mesurer avec les instruments connus.
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Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
Pour des points lumineux placés à la surface de la terre ou à une faible distance le succès de cette méthode n’est pas douteux ; pour les étoiles il est bien à craindre que les changements de densité, de température, d’humidité que la scintillation révèle dans les couches d’air même les voisines ne s’opposent à la production de franges assez nettes et invariables pour ce genre d’observations, cependant il faut faire des essais, la chose en vaut la peine. 1° Faire une expérience avec deux ouvertures circulaires placées devant l’objectif d’une lunette. » Fizeau accompagne cette phrase d’un petit dessin en marge, qui est le même que celui en haut à gauche de la figure 7.1 mais sans les cotes, avec l’indication « forme la plus avantageuse ». « Si les franges sont assez fixes dans les nuits calmes ou si il y a peu de scintillations on pourra employer la disposition suivante qui donnerait une sensibilité bien plus grande [elle est représentée figure 7.2]. 2° 4 miroirs m m’ m’’ m’’’ situés parallèlement 2 à deux, les deux du centre faisant un angle de 90°. On aurait ainsi en O des franges dont la grandeur correspondrait à la distance des fentes des ouvertures f f’ ; ainsi elles seraient aussi larges qu’on voudrait. L’angle limite [c’est-à-dire la résolution] dépendrait de la distance m m’’’ ou plus exactement mm’ + m’’m’’’. Il serait sensiblement égal à l’angle soutendu par la frange centrale supposée formée en O par la lumière directement arrivée de m et de m’’’. Ainsi il serait aussi petit que l’on voudrait. Nota : pour les [biffé, illisible] on pourrait employer des prismes à réflexion totale car on n’aura jamais assez de lumière [dessin figure 7.3]. »
Le diamètre des étoiles
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Figure 7.2. Voir le texte. Académie des sciences/ Institut de France, fonds 64 J, Hippolyte Fizeau, dossier 9.01.
Figure 7.3. Voir le texte. Académie des sciences/ Institut de France, fonds 64 J, Hippolyte Fizeau, dossier 9.01.
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Sur la page de titre du dossier, on trouve le dessin reproduit figure 7.4 avec l’annotation suivante, visiblement ajoutée plus tard : « La disposition la plus praticable serait la suivante : deux lentilles et deux prismes achromatiques. »
Figure 7.4. Voir le texte. Académie des sciences/ Institut de France, fonds 64 J, Hippolyte Fizeau, dossier 9.01.
Bien que le texte de Fizeau soit quelque peu alambiqué, il est clair qu’il a parfaitement compris que l’on peut estimer le diamètre des étoiles par interférométrie et que le pouvoir de résolution est d’autant plus fort que la distance entre les deux ouvertures qui produisent les franges est plus grande. Il ne semble pas qu’il ait mis son idée à exécution lui-même, ce qui est bien dommage car, même sans disposer d’un grand instrument astronomique, il aurait pu utiliser le montage de la figure 7.4 placé sur une bonne monture équatoriale. La disposition de la figure 7.1 sera utilisée en 1873–1874, comme nous allons le voir, et on reconnaît sur la figure 7.2 le principe du dispositif de Michelson et Pease en 1921.
7.2. Les premiers essais
Figure 7.5. Édouard Stephan. Wikimedia Commons.
L’idée de Fizeau n’est pas passée inaperçue, bien qu’il ne l’ait pas publiée avant 1868. On ne sait pas comment Édouard Stephan (figure 7.5), qui dirige depuis 1866 l’observatoire de Marseille où il dispose du plus grand télescope de l’époque, le télescope de Foucault de 80 cm de diamètre (figure 7.6), en a appris l’existence et est entré en contact avec Fizeau. En tout cas, c’est très probablement Fizeau qui lui a suggéré de mesurer le diamètre apparent des étoiles par interférométrie.
Le diamètre des étoiles
111
Encadré 7.1. Édouard Stephan (1837–1923) Normalien, agrégé de mathématiques, Stephan est remarqué par Le Verrier qui le nomme en 1866 directeur de l’observatoire de Marseille, qu’il vient de créer comme « succursale de l’Observatoire de Paris ». Il le dirigera jusqu’en 1907, y menant une brillante carrière d’observateur avec le télescope de 80 cm de diamètre que Foucault y avait installé en 1864 et qui sera longtemps le plus grand du monde. En 1866, il participe à une expédition au Siam pour observer une éclipse totale de Soleil, où il découvre avec Georges Rayet (1839–1906) une nouvelle raie dans le spectre d’une protubérance : elle sera plus tard identifiée comme une raie de l’hélium, ainsi mis en évidence dans le Soleil avant de l’être sur Terre. En 1873–1874, il essaye de mesurer le diamètre apparent de nombreuses étoiles par interférométrie, et constate qu’il est toujours inférieur à 0,16 seconde de degré. Il découvrira pas moins de 800 « nébuleuses » qui se sont révélées être presque toutes des galaxies.
Dans une lettre à Fizeau138, Stephan décrit ses observations. Nous la reproduisons intégralement : « Marseille, le 1 février 1874 Monsieur, La longueur du silence, que j’ai gardé envers vous, a pu vous paraître excessive ; vous ne l’avez pas attribué, je l’espère, à ma négligence ; car, j’aurais été vraiment coupable de délaisser ou de ne poursuivre qu’avec indifférence l’étude si intéressante du diamètre des étoiles fixes. Tout au contraire, malgré des occupations fort multiples, malgré le temps considérable absorbé par mes observations de nébuleuses nouvelles dont je viens de compléter la première centaine, je n’ai pas cessé un seul jour, depuis l’époque où j’ai eu l’honneur de vous voir pour la dernière fois, de me préoccuper de la question importante et toute nouvelle que j’ai abordée
138
Académie des sciences/Institut de France, fonds 64 J, Hippolyte Fizeau, dossier 11.40.
Figure 7.6. Le télescope de 80 cm de l’observatoire de Marseille, photographie ancienne. Construit par Foucault et installé à l’observatoire de Marseille en 1864 dans une belle coupole dessinée également par Foucault, ce télescope est resté jusqu’en 1895 le plus grand du monde. Il a été utilisé pendant un siècle et il est encore visible à Marseille, mais la coupole a été détruite. Bibliothèque de l’Observatoire de Paris.
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Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
sous vos auspices, en mettant à profit, autant que je l’ai pu, les conseils que vous m’avez prodigués avec une si parfaite obligeance. J’attendais pour vous écrire, de rencontrer enfin une étoile ne fournissant point de franges et, poursuivant patiemment mes explorations, j’ai ainsi différé de semaine en semaine, sans arriver finalement au résultat que nous espérions l’un et l’autre. Après mon retour de Paris, j’ai cherché à régulariser et à améliorer les conditions expérimentales. À la suite de divers essais, je me suis arrêté à un écran lunnulaire [sic] placé sur le miroir même. C’est avec cette disposition que les flexions du télescope ont le moins d’influence. Or, cela est capital ; car, pour obtenir de belles franges, il faut que les deux faisceaux reçus dans le microscope oculaire conservent à peu près la même intensité et il est assez malaisé de régler les positions relatives du miroir, de l’écran et du prisme à réflexion totale [qui renvoie le faisceau sur le côté en montage Newton] de façon que l’un des faisceaux n’acquière pas une prépondérance plus ou moins grande quand on incline l’instrument. L’écran dont je me sers aujourd’hui, est percé de deux ouvertures lunnulaires limitées par des cercles égaux de 80 centimètres de diamètre ; les grands axes des lunules sont parallèles et leur distance est de 0m,65 [dessin reproduit figure 7.7].
Figure 7.7. Dessin du diaphragme placé par Stephan sur le miroir du télescope de 80 cm pour obtenir des franges. Comparez à la Figure 7.1. Académie des sciences/ Institut de France, fonds 64 J, Hippolyte Fizeau, dossier 11.40.
On ne peut guère dépasser cet écartement : au delà, les images s’affaiblissent d’une manière exagérée et perdent trop de leur netteté. Ce dernier inconvénient tient à ce que, dans tous les miroirs de télescopes, quelque soit le fini du travail, la zône marginale est un peu moins parfaite que le reste de la surface. Les oculaires sont au nombre de neuf dont les grossissements respectifs sont de 150, 200, 300, 400, 500, 600, 900, 1 200, 1 500 fois. Depuis neuf mois, j’ai passé en revue la plupart des étoiles visibles, y compris celles de la 3e grandeur et quelques unes de la 4e. Toutes m’ont fourni des franges. Vous imaginez avec quelle impatience j’attendais l’époque où Sirius pourrait être vu au méridien dans des circonstances
Le diamètre des étoiles
favorables, car un premier examen exécuté dans des conditions tout à fait défectueuses m’avait conduit, l’année dernière, à soupçonner une exception en faveur de cet astre. Depuis un mois et demi j’ai pu le considérer tout à mon aise ; or Sirius, comme les autres étoiles, donne des franges très nettes. Dans le premier moment, je l’avoue, j’ai éprouvé une vive déception, sentiment contre lequel je me suis hâté de réagir, car il ne faut pas avoir de mauvaise humeur contre les faits pour les bien étudier. D’ailleurs, le résultat présente-t-il moins d’intérêt que n’eut présenté le résultat opposé ? Je ne le crois pas. Il se dégage au contraire de ces observations une conséquence importante. En effet, il est fort remarquable que l’apparition des franges commence à se manifester sensiblement de la même manière pour toutes les étoiles, j’entends avec le même grossissement. La différence peut être grande pour divers observateurs, mais, quant à moi, l’ai toujours commencé à discerner les franges avec le grossissement de 600 fois, quand les ondulations des images n’étaient pas trop fortes. Il faut en conclure que l’empiètement mutuel des systèmes de franges produites par les ondes extrêmes est fort peu de chose par rapport à l’écartement des bandes de chaque système ; en d’autres termes, le diamètre apparent des étoiles semble insignifiant par rapport au diamètre apparent des franges vues du centre de l’objectif. Ainsi, le diamètre apparent de toutes les étoiles observées est considérablement inférieur à 1/6 de seconde d’arc. Si je ne me trompe, c’est là une notion bien acquise et la première qui ait encore été obtenue sur la matière. Un tel résultat n’est pas sans importance. D’ailleurs, il n’infirme nullement l’espoir que nous avions conçu de mettre en évidence le diamètre de certaines étoiles. Le principe de la méthode subsiste, l’instrument est encore trop petit, voilà tout. Il sera bien intéressant de voir ce que donnera le télescope de 1m,20 actuellement en construction à Paris. Je me borne pour aujourd’hui, Monsieur, à quelques réflexions ; si vous pensez qu’il y ait quelque utilité à la faire, je vous adresserai prochainement une note plus technique
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Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
que celle-ci, avec le développement analytique du problème suivant la méthode de Monsieur Kochenhauer. Veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de ma plus respectueuse sympathie. E. Stephan » Pourquoi Sirius ? Parce qu’étant l’étoile la plus brillante du ciel, on pense (à tort) que c’est elle qui doit avoir le plus grand diamètre apparent. Au cours d’une première étape, Stephan a cru avoir résolu Sirius, qui semblait ne pas donner de franges139. Mais, finalement, il constate que toutes les étoiles qu’il a observées donnent des franges, y compris Sirius, si bien que leur diamètre apparent doit être notablement inférieur à 0,16 seconde de degré140. C’est un résultat très important, même si aucune étoile n’est résolue. Stephan espère que le télescope de 120 cm de diamètre alors en construction à l’Observatoire de Paris pourra résoudre quelques étoiles par interférométrie, mais sa qualité optique sera si mauvaise qu’il ne sera pas utilisable à cette fin.
7.3. Encore Michelson ! En 1890 et 1891, Michelson publie deux articles141,142 où il explique que l’on peut mesurer avec précision le diamètre apparent des astres en plaçant deux fentes devant
139
*Stephan, É. (1873) Sur les franges d’interférence observées avec de grands instruments dirigés sur Sirius et sur plusieurs autres étoiles ; conséquences qui peuvent en résulter, relativement au diamètre angulaire de ces astres, CRAS 76, p. 1008–1010.
140
*Stephan, É. (1874) Sur l’extrême petitesse du diamètre apparent des étoiles fixes, CRAS 78, p. 1008–1012.
141
Michelson, A.A. (1890) On the Application of Interference Methods to Astronomical Measurements, Philosophical Magazine, 5th series, 30, p. 1–20, accessible sur http://www.biodiversitylibrary.org/item/122067.
142
Michelson, A.A. (1891) Visibility of Interference-Fringes in the Focus of a Telescope, Philosophical Magazine, 5th series, 31, p. 256–259, accessible sur http://www.biodiversitylibrary.org/ item/122067 ; voir aussi °Publications of the Astronomical Society of the Pacific 4, p. 217–220.
Le diamètre des étoiles
115
l’objectif d’une lunette et en examinant les franges d’interférence ainsi produites. C’est la même idée que celle de Fizeau, mais il ne le cite nulle part. Comme Michelson avait beaucoup admiré Fizeau à propos de son expérience sur la vitesse de la lumière dans l’eau en mouvement, il est possible que ce soit par ignorance de sa remarque de 1868 et des résultats de Stephan qu’il ne le cite pas. Quoi qu’il en soit, ces articles indiquent le principe et contiennent des calculs très complets, introduisant la fonction de visibilité des franges, qui donne leur intensité en fonction de l’écartement des fentes lors de l’observation d’une source donnée, par exemple circulaire et uniforme comme une étoile : on y voit une série décroissante de maxima séparés par des points où les franges disparaissent complètement (figure 7.8). Le premier zéro apparaît lorsque le diamètre apparent de l’étoile est de 1,22 /d radians, étant la longueur d’onde et d l’écartement des fentes.
À titre d’essai, Michelson applique sa méthode à la mesure du diamètre des satellites de Jupiter, qui est assez bien connu par des mesures au micromètre oculaire143. Il se sert de la lunette de 30 cm de diamètre de l’observatoire Lick, en Californie, et obtient les résultats indiqués dans le tableau 7.1. Un peu plus tard, en 1895, Karl Schwarzschild (1873– 1916) mesure à Munich, par une méthode analogue, l’écartement entre les composantes d’étoiles doubles144. En 1898, Maurice Hamy (1861–1936), qui précise les calculs de Michelson, reprend ses mesures sur les satellites de Jupiter avec le grand équatorial coudé de l’Observatoire 143 +
Michelson, A.A. (1891) Measurements of Jupiter’s Satellites by Interference, Publications of the Astronomical Society of the Pacific 4, p. 274–278. 144 +
Schwarzschild, K. (1896) Ueber Messung von Doppelsternen durch Interferenzen, Astronomische Nachtrichten 139, p. 353–360.
Figure 7.8. La fonction de visibilité des franges d’interférence produites par deux fentes. Leur intensité est donnée en ordonnées en fonction de l’écartement des fentes, pour une source qui est un disque circulaire uniforme. En abscisses, le rapport entre le rayon angulaire de l’objet (en radians) et /d, où est la longueur d’onde et d la distance entre les fentes. D’après Michelson (1891).
116
Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
de Paris, dont le diamètre est de 60 cm145. Ses résultats sont comparés à ceux de Michelson dans le tableau 7.1. En réalité, aucun des résultats ne vaut, pour ces astres dont le diamètre apparent est de l’ordre de la seconde de degré, ceux donnés par les mesures directes avec de bons micromètres oculaires. Tableau 7.1. Diamètres des satellites de Jupiter et de l’astéroïde Vesta mesurés par Michelson et Hamy. I : Io
II : Europe
III : Ganymède IV : Callisto
Vesta
Michelson (1891)
3 850 km
3 550 km
5 170 km
4 940 km
–
Hamy (1899)
3 550 km
3 150 km
4 640 km
5 100 km
392 km
Valeur moderne
3 630 km
3 138 km
5 268 km
4 800 km
576 km (non sphérique)
Plus rien ne se passe jusqu’à ce qu’en 1919, Michelson et son associé Francis G. Pease (1881–1938) reçoivent des fonds pour mesurer par interférométrie le diamètre # étoiles s’est considérablement améliorée depuis le siècle précédent. En 1900, Max Planck (1858–1947) avait publié sa théorie du rayonnement du corps noir, bientôt vérifiée par l’expérience. Si l’on parvient à déterminer la température de surface d’une étoile et si on l’assimile à un corps noir, cette théorie permet de calculer sa luminance par unité de surface en lumière visible, puis, connaissant son éclat, d’estimer son diamètre apparent. Cependant, seules quelques températures stellaires sont déterminées ainsi en 1919, mais pas celle de Bételgeuse146. En 1914, William W. Coblentz (1873–1962) avait mesuré le rayonnement infrarouge d’un certain nombre d’étoiles, dont des étoiles froides de type M (comme Bételgeuse), et constaté que l’essentiel de leur rayonnement était dans l’infrarouge147. Faute de mesures en infrarouge, il est 145 + Hamy, M. (1899) Sur la mesure interférentielle des petits diamètres. Application aux satellites de Jupiter et à Vesta, Bulletin astronomique 16, p. 257–273. 146
Voir +Lequeux, J. (2010) Charles Nordmann and multicolour stellar photometry, Journal of Astronomical History and Heritage 13, p. 207–219. 147 +
Coblentz, W.W. (1914) Note on the radiation from stars, Publications of the Astronomical Society of the Pacific 26, p. 169–178.
Le diamètre des étoiles
donc difficile de prédire ce que pourrait être le diamètre apparent de Bételgeuse, même s’il est évident qu’il doit être considérablement plus grand que celui de Sirius, qui est une étoile chaude. Motivés par leur possible réussite, Michelson et Pease réalisent la mesure interférométrique réussie en 1920 au télescope de 2,50 m du mont Wilson en Californie148 (figure 7.9) : ils trouvent, en observant la première annulation des franges, un diamètre de 0,047 seconde de degré. La distance de Bételgeuse est encore mal connue, mais il est déjà évident que c’est une étoile énorme, une supergéante, son diamètre étant comparable à celui de l’orbite de Mars. Pease détermine avec le même appareillage le diamètre apparent d’Arcturus $ mètre est toujours insuffisante pour résoudre d’autres étoiles149. Le télescope de 2,50 m est aussi utilisé par John A. Anderson (1876–1959) pour étudier des étoiles doubles avec deux fentes d’écartement variable, prolongeant ainsi les mesures de Schwarzschild150.
148 + Michelson, A.A. & Pease, F.G. (1921) Measurement of the @\^`{^| $} interferometer, Publications of the Astronomical Society of the Pacific 33, p. 171–173. 150 +
Anderson, J.A. (1920) The Michelson interferometer method for measuring close double stars, Publications of the Astronomical Society of the Pacific 32, p. 58–59.
117
118
Figure 7.9. Schéma de l’appareillage utilisé au télescope de 2,50 m de diamètre du mont Wilson pour mesurer le diamètre de Bételgeuse. Les miroirs à 45° M1 et M4, dont l’écartement est réglable, définissent la base de l’interféromètre. Ils renvoient la lumière de l’étoile vers les miroirs M2 et M3, lesquels l’envoient sur le miroir primaire a du télescope. Les faisceaux sont alors renvoyés sur le miroir secondaire convexe b, puis sur le miroir à 45° c qui les dirige le long de l’axe polaire du télescope. Les franges sont observées en d. Comparez à la Figure 7.2. D’après Michelson et Pease (1921), avec l’autorisation de l’American Astronomical Society.
Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
7.4. Stagnation et renouveau de l’interférométrie astronomique Après le succès de la mesure du diamètre de Bételgeuse, Pease construit un interféromètre à plus grande base dans le but de mesurer le diamètre d’étoiles plus petites. Michelson est mort en 1931, l’année de l’achèvement de cet interféromètre. Pease n’obtiendra aucun résultat valable avec cet instrument, qu’il abandonnera en 1938. Ceci va décourager les astronomes qui espéraient continuer ce travail, jusqu’à ce qu’une nouvelle technique interférométrique apparaisse en 1956. Entre-temps, l’interférométrie a fait d’énormes progrès, mais pour l’étude de la structure des sources célestes d’ondes radio, c’est-à-dire en radioastronomie. Des techniques interférométriques très élaborées permettent maintenant d’utiliser de nombreuses antennes et d’obtenir de véritables images avec une haute résolution angulaire. C’est un radioastronome britannique, Robert Hanbury Brown (1916–2002) qui, avec son compatriote, le génial physicien amateur Richard Q. Twiss (1925–2005), reprend le flambeau de l’interférométrie optique en utilisant une technique développée par les
Le diamètre des étoiles
radioastronomes : l’interférométrie d’intensité. Cette fois, on se contente de détecter le signal de l’étoile avec deux télescopes et de corréler entre eux les signaux issus des deux détecteurs (des cellules photoélectriques à photomultiplicateurs d’électrons). Bien que les physiciens aient initialement du mal à comprendre ce qui se passe (ce que l’on expliquera par la corrélation Bose-Einstein des photons, qui sont des bosons151), cela fonctionne et nos deux scientifiques réussissent ainsi à mesurer le diamètre apparent de Sirius152. Ceci va les encourager à construire en Australie un grand interféromètre d’intensité (figure 7.10) à l’aide duquel ils mesureront avec une très bonne précision le diamètre apparent de 32 étoiles153. Cependant, cette technique est très peu sensible et ses auteurs eux-mêmes considèrent qu’elle n’a pas d’avenir. Il faudra encore attendre 1974 pour qu’Antoine Labeyrie reprenne la technique interférentielle de Michelson, cette fois avec deux petits télescopes (figure 7.11) entre lesquels on fait des franges d’interférence, les chemins optiques étant égalisés en déplaçant la table où se forment les franges154. Plus tard, cette égalisation se fera par des lignes à retard.
151
Voir par exemple http://en.wikipedia.org/wiki/Hanbury_ Brown_and_Twiss_effect.
152 +
Hanbury Brown, R. & Twiss, R.Q. (1956) A Test of a New Type of Stellar Interferometer on Sirius, Nature 178, p. 1046–1048. 153 +
Hanbury Brown, R., Davis, J. & Allen, L.R. (1974) The Angular Diameters of 32 Stars, Monthly Notices of the Royal Astronomical Society 167, p. 121–136. 154 +
Labeyrie, A. (1975) Interference fringes obtained on Vega with two optical telescopes, Astrophysical Journal 196, p. L71–L75.
119
Figure 7.10. L’interféromètre d’intensité de Narrabri, en Australie. Il était formé de deux télescopes à miroir parabolique composite de 6,5 m de diamètre, mobiles sur une voie ferrée circulaire de 188 m de diamètre. La lumière de l’étoile était concentrée sur une cellule photoélectrique (photomultiplicateur) portée par le long mât. Photographie du professeur John Davis (1932–2010), University of Sydney.
Figure 7.11. Le premier interféromètre d’Antoine Labeyrie, à l’Observatoire de Meudon en 1975. Les deux petits télescopes étaient espacés de 12 m sur une base nord-sud fixe et envoyaient la lumière de l’étoile observée dans l’abri central où les franges d’interférence se formaient sur les pupilles superposées des deux faisceaux. L’observation se faisait au moment du passage de l’étoile au méridien. D’après Labeyrie (1975), avec l’autorisation de l’American Astronomical Society.
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Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
Depuis cette date, les techniques interférométriques en optique se sont prodigieusement développées et de nombreux interféromètres à plusieurs télescopes mobiles ont été construits155. Ils fonctionnent généralement dans l’infrarouge proche ou moyen, où les difficultés techniques sont moins grandes qu’en lumière visible et où la turbulence atmosphérique est moins gênante. L’un d’eux est le Very Large Telescope Interferometer (VLTI) de l’Observatoire européen austral, représenté sur le frontispice de ce chapitre. L’idée de Fizeau reprise par son successeur intellectuel Michelson a porté ses fruits de manière incomparable !
155
Pour une étude assez complète jusqu’à 2006, voir Lawson (2006). L’histoire de l’interférométrie en France jusqu’à 2005 est résumée dans Lequeux (2005), appendice 1.
Chapitre 8 Un savant considéré
Photographie et signature d’Hippolyte Fizeau. Académie des sciences/Institut de France.
122
Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
8.1. Une vie familiale écourtée
Figure 8.1. Le château de Venteuil à Jouarre (Seineet-Marne), vue aérienne depuis le nord. Construit vers 1760 par l’architecte Anne-Alexandre Saget des Louvières, qui a réalisé de nombreux bâtiments dans la région, il est entouré d’un parc, avec une terrasse qui ouvre au nord la vue sur la vallée de la Marne. Acquis en 1810 par Antoine Laurent de Jussieu, grand-père de l’épouse de Fizeau, il sera la résidence principale de ce dernier à partir des années 1860, jusqu’à sa mort en 1896. Collection de l’auteur.
La 1er septembre 1853, Fizeau épouse, sous le régime de la communauté de biens, Thérèse Valentine de Jussieu. Elle descend des célèbres naturalistes Antoine Laurent de Jussieu (1748–1836) et Bernard Pierre de Jussieu (1751– 1836) (voir l’arbre généalogique de Fizeau et de son épouse dans l’appendice 1). Avant son mariage, Thérèse Valentine logeait chez sa grand-mère, Thérèse Adrienne de Jussieu, 61 rue Cuvier, au Muséum national d’histoire naturelle. Quant à Fizeau, il habitait alors 4 rue Garancière à Paris. À partir de 1860, Fizeau passe de plus en plus de temps dans la demeure des Jussieu, le château de Venteuil, un bel édifice du XVIIIe siècle situé à Jouarre (Seine-et-Marne) (figure 8.1). Il est facile de s’y rendre car le chemin de fer relie depuis 1849 Paris à la Ferté-sous-Jouarre, à proximité du château et, en 1862, il est considéré comme sa résidence principale. Fizeau y fait désormais toutes ses expériences ; une grande partie du matériel qu’il a utilisé a été donnée au Musée d’histoire urbaine et sociale de Suresnes par un descendant de la sœur de l’épouse de Fizeau, Bernard Ramond Gontaud (1903–1967). Fizeau conserve cependant un pied-à-terre au 3 rue Vieille-Estrapade, baptisée ensuite rue de l’Estrapade, sur la montagne Sainte-Geneviève, en plein Quartier latin. En effet, il se rend chaque semaine à Paris pour assister à la séance de l’Académie des sciences, dont il est l’un des membres les plus actifs, et aussi, après 1878, aux réunions du Bureau des longitudes.
Un savant considéré
En 1881, il achète pour 100 000 francs une maison sise 21 quai de l’Horloge à Paris156. À sa mort en 1896, sa fortune est estimée à 1 167 814,90 francs, plus la moitié du château de Venteuil (estimé quant à lui à 521 840 francs en 1934 avec les terres attenantes). Les Fizeau ont eu quatre enfants, un fils puis trois filles (voir l’appendice 1). Les trois premiers enfants sont nés à Paris et le dernier à Jouarre. La première des filles, Thérèse Zoé, meurt à l’âge de 7 ans en 1866, ce qui cause un grand chagrin à Hippolyte, qui avait déjà perdu son épouse le 3 septembre 1863. Il se consacrera désormais entièrement dans la science. Ses malheurs familiaux influeront sur son caractère et sur son mode de vie, que son élève Cornu dépeint ainsi dans une notice scientifique parue juste après sa mort (Cornu, 1897) : « Fizeau était d’un caractère réservé, circonspect, un peu ombrageux : il ne se livrait que rarement et à bon escient. Il laissait alors entrevoir une nature portée à l’enthousiasme, et sa parole, ordinairement si calme, s’animait d’une vivacité singulière lorsqu’il exprimait son admiration un peu mystique pour les grandes choses ou pour les grands génies qui les ont accomplies. [Depuis la mort de son épouse,] il vécut retiré avec ses trois enfants157, ne sortant de sa retraite que pour assister aux séances de l’Académie et du Bureau des Longitudes : c’était la seule distraction qu’il se permit. Il eut encore la douleur de voir mourir sa fille aînée : pour supporter cette nouvelle épreuve il entreprit une longue et difficile recherche qu’il ne put malheureusement pas terminer. » La « longue et difficile recherche » à laquelle Cornu fait allusion est bien entendu ses essais de mise en évidence d’un déplacement de la Terre par rapport à l’éther utilisant la photométrie, essais auxquels nous avons consacré une partie du chapitre 6. Ils semblent s’être achevés en 1884, donc huit ans avant la mort de Fizeau. Mais celuici, qui leur avait consacré tant de temps en vain, devait y penser sans cesse et avait peut-être fait part à Cornu de son intention de les reprendre un jour…
156
On peut estimer à un peu plus de 3 euros la valeur du franc au XIXe siècle.
157
En fait quatre. Cornu, et à sa suite les autres biographes, semblent avoir oublié la dernière fille, Marie Béatrix Antoinette, née à Jouarre le 5 août 1862.
123
124
Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
8.2. Des travaux secondaires mais novateurs
Figure 8.2. Montages utilisés par Fizeau pour mesurer la variation avec la température de l’indice de réfraction d’un solide transparent (en haut) et pour mesurer la dilatation d’un solide (en bas). En haut, on observe en lumière monochromatique les interférences entre la lumière réfléchie par la face avant et celle qui est réfléchie par la face arrière du solide. En bas, on observe les anneaux de Newton formés par interférence de la lumière réfléchie par la face supérieure du solide et celle qui est réfléchie par la face inférieure d’une lame très légèrement convexe, dont la position est réglée par des vis.
Après un foisonnement peu commun, la veine créatrice de Fizeau semble s’être en grande partie tarie après 1851. Néanmoins, comme l’écrit Cornu (1897, p. C.33), « avec moins d’éclat, ses études secondaires ont cependant une importance considérable, car le trait caractéristique de ce grand physicien c’est d’avoir signalé, longtemps avant que l’on en ait soupçonné la valeur, des résultats et des méthodes dont on reconnaît maintenant de plus en plus la puissance ou la précision ». L’essentiel de l’activité de Fizeau, en dehors de ses expériences sur la recherche du mouvement relatif de la Terre et de l’éther, est maintenant consacré à l’application de l’interférométrie à la métrologie, domaine dans lequel il est passé maître. Ce sont essentiellement des travaux de routine, mais qui ont des applications pratiques importantes ; on y reconnaît l’habileté de Fizeau et sa maîtrise de l’interférométrie, qui en font l’un des fondateurs de la brillante école française de métrologie. Il s’agit initialement de mesurer par interférométrie la variation avec la température de l’indice de réfraction du verre et de divers autres solides, cristallins ou non158. Fizeau utilise comme source la lumière monochromatique de la vapeur de sodium, qu’il obtient avec une lampe de Brewster où l’on chauffe du sel marin dans une flamme d’alcool. Fizeau connaît bien les propriétés de la vapeur de sodium, qui donne les raies du fameux doublet D en émission ou en absorption selon les circonstances, ce qu’avaient déjà remarqué Foucault, puis Kirchhoff et Bunsen159. Il éclaire avec ces raies une lame du produit à étudier et observe les interférences entre la lumière réfléchie par la face supérieure et celle qui a traversé deux fois la lame en se réfléchissant sur la face inférieure (figure 8.2). Si la lame était parfaite, on ne verrait qu’une teinte plate, mais ses imperfections font 158
*Fizeau, H. (1862) Recherches sur les modifications que subit la vitesse de la lumière dans le verre et plusieurs autres corps solides sous l’influence de la chaleur, CRAS 54, p. 1237–1239 et Annales de chimie et de physique 66, p. 429–482.
159
*Fizeau, H. (1862) Note sur la lumière émise par le sodium brûlant dans l’air, CRAS 54, p. 493–495.
Un savant considéré
que l’on observe des franges irrégulières d’interférence d’égale épaisseur. Si maintenant on chauffe le matériau dans un four, que Fizeau appelle étuve (figure 8.3), ces franges se déplacent et il suffit de compter le nombre de ces franges passant en un point donné pour savoir, connaissant la longueur d’onde de la lumière, de combien le trajet optique dans la lame a augmenté. Bien évidemment, les franges données par les deux composantes du doublet D se superposent, ce qui complique le phénomène. Pour contrôler les résultats, Fizeau utilise aussi à l’occasion une lampe au lithium qui ne donne qu’une raie unique, mais elle est moins lumineuse que la lampe au sodium et sa lumière est moins pure car il y a du sodium mélangé au lithium. Bien entendu, la variation avec la température de l’épaisseur optique de la lame est due à la fois à la dilatation et à la variation de l’indice de réfraction. Le coefficient de dilatation étant mesuré par des moyens mécaniques par Fizeau lui-même ou par d’autres, il peut accéder à la seconde quantité. Cependant, l’incertitude sur le coefficient de dilatation étant assez grande, Fizeau décide ensuite de le mesurer séparément par interférences160. Pour cela, une lame du corps à étudier est posée sur une platine en acier (qu’il nomme « trépied ») portant trois vis sur lesquelles on pose une lame de verre amenée à proximité de la surface plane de ce corps161. Ce trépied sera remplacé en 1865 par un nouveau, en platine iridié162 (figures 8.2 et 8.4). En éclairant l’ensemble par une lampe au sodium, on voit des anneaux de Newton provenant des interférences entre la surface supérieure du cristal et
160
*Fizeau, H. (1864) Recherches sur la dilatation et la double réfraction du cristal de roche échauffé, CRAS 58, p. 923–932 et Annales de chimie et de physique, 4e sér., 2, p. 143–185.
161
Les cristaux mesurés par Fizeau ont généralement été « habilement » taillés par Henri Soleil, fils de Jean-Baptiste Soleil (1798–1878) et qui lui a succédé en 1849. Dirigée ensuite par son neveu Léon Laurent, sa firme a été rachetée en 1893 par Amédée Jobin et est devenue une partie de Jobin Yvon, actuellement Horiba Jobin Yvon.
162
Voir *Fizeau, H. (1866) Mémoire sur la dilatation des corps solides par la chaleur, 2e partie, CRAS 62, p. 1133–1148, et Procèsverbaux de la Commission internationale du mètre, Annales du Conservatoire des Arts et Métiers 10 (1873–1877) p. 45, accessibles sur http://cnum.cnam.fr.
125
Figure 8.3. « Étuve » utilisée par Fizeau pour ses expériences sur la variation de l’indice de réfraction avec la température et la dilatation des corps. Le corps à étudier, puis plus tard le « trépied » de la figure 8.4, était placé dans l’étuve, sa température étant mesurée par deux thermomètres dont le réservoir se trouvait à l’intérieur en contact avec ce corps, et l’observation se faisait par un système de lentilles et un miroir à 45° visible au-dessus. Les dimensions sont de l’ordre de 10 cm. L’étuve était fixée par sa base sur une enveloppe de plomb laminé qui l’entourait de toute part à l’exception d’une fenêtre permettant l’introduction de la lumière et l’observation. Cette enveloppe a été remplacée en 1865 par une double enceinte de cuivre. Le tout était chauffé par une lampe à alcool, puis par deux lampes. Les thermomètres sont de Henri Soleil. Musée de Suresnes, inv. 997.00.3132.
126
Figure 8.4. Le « trépied » de Fizeau pour mesurer le coefficient de dilatation des corps par interférences. Il s’agit de son second trépied (1865) en platine iridié à 10 %. L’échantillon, taillé de façon à présenter deux faces parallèles, était posé sur les petits plots disposés en triangle sur la platine et une plaque de verre de qualité optique était posée sur les pointes mousses des trois grosses vis, réglées de façon à ce qu’elle soit parallèle à la surface de l’échantillon et très proche de cette surface. Des vis de blocage sont visibles latéralement. Le diamètre du disque est de 3,2 cm. Des anneaux de Newton étaient observés si l’échantillon était éclairé en lumière monochromatique. L’ensemble était placé dans l’étuve de la figure 8.3 et donc chauffé à température connue. Il a probablement été réalisé comme le premier trépied « avec un soin minutieux » par Émile Brunner (1834– 1895) et son frère Léon (1840– 1894). Musée de Suresnes, inv. 997.00.3134.
Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
la surface inférieure de la lame de verre, qui est un peu convexe. Fizeau place le tout dans l’étuve représentée figure 8.3 et observe le déplacement radial des anneaux lorsque la température varie. Ce déplacement est maintenant dû à l’effet combiné de la dilatation du corps et des vis d’acier, dont le coefficient de dilatation doit être mesuré par ailleurs pour obtenir celui de l’échantillon. Le dispositif permet de mesurer le coefficient de dilatation d’échantillons très petits, un diamant par exemple, pourvu qu’ils aient deux faces parallèles. Muni de ces instruments dont l’amélioration peut être suivie dans ses publications successives, Fizeau va mesurer le coefficient de dilatation de très nombreuses substances, tout en abandonnant les mesures sur les variations de l’indice de réfraction, qui paraissent d’un moindre intérêt. Il utilisera éventuellement une lampe à vapeur de sodium excitée électriquement (figure 8.5) et une lampe à vapeur de mercure (figure 8.6). Ses collègues chimistes et minéralogistes Henri Sainte-Claire Deville (1818–1881) et Alfred Des Cloizeaux (1817–1897) sont mis à contribution pour fournir les échantillons. En 1869, Fizeau présente à l’Académie des sciences le coefficient de dilatation de 40 corps purs ou composés différents, cristallins ou non163. On trouve aux Archives de l’Académie des sciences des registres d’expérience manuscrits, datés de 1865 à 1870, qui contiennent le résultat de mesures sur 103 substances différentes. Sans doute Fizeau a-t-il jugé que seule une partie méritait d’être publiée. Le programme paraît s’être arrêté en 1870, à l’exception des mesures sur le platine, l’iridium et leurs alliages qui seront évoquées plus loin.
8.3. Un pilier de la physique française Depuis son élection à l’Académie des sciences en 1860, Fizeau fait preuve d’une grande assiduité et montre beaucoup d’intérêt pour les travaux de ses collègues. Il aura d’ailleurs une longévité exceptionnelle en tant que
163
*Fizeau, H. (1869) Tableau des dilatations par la chaleur de divers corps simples métalliques ou non métalliques, et de quelques composés hydrogénés du carbone, CRAS 68, p. 1125–1131.
Un savant considéré
127
Figure 8.5. Lampe à vapeur de sodium ayant appartenu à Fizeau. Les électrodes excitent la vapeur renfermée dans le tube en U. On voit dans ce tube des cristaux blancs qui doivent être du chlorure de sodium. Musée de Suresnes, inv. 997.00.2641. Figure 8.6. Lampe à vapeur de mercure ayant appartenu à Fizeau. On voit ici les deux extrémités du tube long de 70 cm, qui contient encore du mercure. Musée de Suresnes, inv. 997.00.2720.
membre de l’Académie – 36 ans – et en sera le président pour l’année 1878. Il est élu cette même année membre du Bureau des longitudes, organisme créé en 1795 qui joue toujours un rôle important pour l’astronomie et la navigation, bien qu’ayant perdu en 1854 une grande partie de son prestige et de ses prérogatives initiales : il couvrait auparavant toute l’astronomie française. Fizeau est très assidu aux séances du Bureau. À toutes ces réunions, dit Cornu (1897), « il apportait, avec ce jugement impeccable sur les conditions à réunir pour obtenir des résultats corrects et précis, non seulement la critique, souvent aisée, des projets proposés, mais la solution et la solution simple des difficultés soulevées par la discussion ». Effectivement, il a un jugement très sûr : lorsque l’on discute le 15 janvier 1874 au Conseil scientifique de l’Observatoire de Paris, dont il est membre, un nouvel instrument astronomique présenté par Maurice Loewy (1833–1907), l’équatorial coudé, il en voit tout de suite le point faible : dans cette lunette équatoriale conçue pour le confort de l’observateur au prix de deux grands miroirs plans de renvoi, il craint que les déformations thermiques de ces miroirs ne dégradent les images164. L’avenir montrera qu’il avait entièrement raison. Dans le cadre de l’Académie des sciences, Fizeau s’intéresse particulièrement à la métrologie, dont il est avec Michelson l’un des meilleurs spécialistes de l’époque. Il 164
Lequeux (2009), p. 222.
128
Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
est nommé en 1872 à la Commission internationale du mètre, qui est chargée de construire et de distribuer les fameux mètres étalons en platine iridié (il y en aura une trentaine). Cette commission va créer en 1875 le Bureau international des poids et mesures au pavillon de Breteuil à Sèvres, organisme qui est toujours très actif. La France est évidemment très impliquée dans ces opérations qui paraissent d’une grande importance sur le plan politique, au point que le président de la République vient assister en personne à la fonte du métal des mètres le 6 mai 1873, puis le 1er mai 1874. La construction de ces mètres étalons est supervisée par Henri Tresca (1814–1885). Fizeau y tient un rôle technique important, par exemple en mesurant avec grande précision le coefficient de dilatation des divers matériaux et alliages qui sont envisagés pour la réalisation des mètres. Il conçoit aussi des méthodes et des appareils relatifs à l’utilisation, à la mesure et à la comparaison de ces barreaux165. Fizeau, qui s’intéresse à l’astronomie vers la fin de sa vie, joue aussi un rôle actif dans la Commission du passage de Vénus de 1874. Les passages de Vénus devant le Soleil, qui sont très rares, offrent une occasion de déterminer les dimensions du système solaire : en effet, le moment de l’entrée de Vénus sur le disque solaire, de même que celui de sa sortie, et l’endroit du disque où se produisent ces phénomènes sont fonction de la position de l’observateur sur la Terre : c’est un effet de parallaxe qui dépend à la fois de la distance de Vénus et de celle du Soleil. En comparant les observations faites en divers endroits, on peut calculer ces distances par une méthode explicitée dès 1716 par Edmond Halley166. Le passage de 1874 est le premier où l’on pourra utiliser la photographie pour observer l’événement. Fizeau donne des instructions précises pour obtenir ces photographies et forme les astronomes français qui seront envoyés en
165
Voir *(1873 et 1874) Commission internationale du mètre, réunion des membres français, 1872–1873 et 1873–74, procès-verbaux, Paris, Imprimerie nationale et le rapport par Fizeau de la sixième Commission internationale du mètre, Annales du Conservatoire des Arts et Métiers 10 (1873–1877), p. 86–88, accessible sur .
166
Halley, E. (1716) A New Method of Determining the Parallax of the Sun, or His Distance from the Earth, Philosophical Transactions 29, p. 454–464. En latin, pour une traduction anglaise voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Transit_de_Vénus, note 9.
Un savant considéré
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mission167. Il recommande l’usage du daguerréotype qui donne une meilleure définition des images. De très nombreuses expéditions sont organisées en différents points du globe où le phénomène sera visible : 20 britanniques, 8 américaines, 7 australiennes, 5 allemandes, etc. Quant à la France, elle en envoie 7 168 : en particulier, Félix Tisserand (1845–1896) et Jules Janssen (1824–1907) se rendent à Nagasaki au Japon, où Janssen utilise pour la première fois son revolver photographique, ancêtre du cinéma qui lui permet de prendre une trentaine d’images successives du passage169 (figure 8.7) ; l’amiral Ernest Mouchez (1821–1892), futur directeur de l’Observatoire de Paris, d’ailleurs comme Tisserand qui lui succèdera Figure 8.7. Janssen observe le passage de Vénus devant le Soleil à Nagasaki avec son revolver photographique. La lumière est renvoyée vers l’appareil par un héliostat de Silbermann semblable à celui représenté au frontispice du chapitre 2. Bibliothèque de l’Observatoire de Paris.
167
Fizeau, H. (1873) Rapport sur la photographie par images directes, Rapport sur l’appareil photographique, Programme des opérations photographiques…, Notes pratiques sur les opérations de photographie pendant le prochain passage de Vénus… publiés en 1876, Paris, bibliothèque de l’Institut : in 4°.
168
À Nouméa, à Nagasaki, en Inde, à Saigon, à l’île Saint-Paul, à l’île Campbell au sud de la Nouvelle-Zélande, et à Pékin.
169
Pour quelques observations du passage de Vénus, voir Flammarion, C. (1875) Le passage de Vénus, résultats des expéditions françaises, La Nature, 1er semestre 1875, p. 356–358 et 390–394, accessible sur http://cnum.cnam.fr. Tous les textes relatifs aux passages de Vénus sont rassemblés dans un CD, Les rendez-vous de Vénus, distribué par l’Institut de mécanique céleste et de calculs des éphémérides (IMCCE).
130
Figure 8.8. Photographies du passage de Vénus devant le Soleil en 1874 prises par Mouchez à l’île Saint-Paul. On voit en haut la planète se détachant sur le disque solaire. Bibliothèque de l’Observatoire de Paris.
Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
dans cette fonction, dirige une autre expédition à l’île Saint-Paul, une île minuscule des Terres australes et antarctiques françaises, située à 1 300 km au NNE des îles Kerguelen. Les observations photographiques, le plus souvent sur plaques daguerréotypes, sont réussies (figure 8.8). Est-ce grâce aux instructions de Fizeau ? Cornu (1897, p. C.37) affirme « C’est à ses soins persévérants, que la mission française [laquelle ?170] a dû de réussir dans l’observation photographique du phénomène : et le succès eût été plus remarquable encore si ses conseils avaient été complètement suivis. »
8.4. Une fin de vie studieuse Nous avons maintenant couvert l’essentiel de l’activité scientifique de Fizeau. Il ne nous paraît pas nécessaire d’énumérer les nombreux rapports qu’il a faits à l’Académie des sciences, rapports auxquels on pourra accéder grâce à la bibliographie très complète d’Émile Picard (1924). Celui-ci dépeint fort bien la fin de la vie de Fizeau : « Ceux, rares maintenant parmi nous, qui l’ont connu ici dans ses dernières années, peuvent se rappeler le vieillard à la forte chevelure et à la barbe épaisse, dont l’abord imposant était un peu froid. Le souci des intérêts de la Science le faisait seul sortir de sa réserve habituelle ; quoique ennemi de la controverse, il devenait alors dans la discussion un contradicteur, avec lequel il fallait compter. […] D’une critique très sévère pour lui-même, il se méfiait de certaines nouveautés, et il aimait à témoigner de son respect pour ceux qu’il appelait les anciens, c’est-à-dire pour les grands géomètres et les grands physiciens de la première moitié du siècle dernier, surtout pour Arago, qui lui avait montré tant de bienveillance à ses débuts, et pour Fresnel dont l’œuvre avait été sans cesse l’objet de ses méditations. Fizeau ne cessait de travailler, et peu de temps avant sa mort, il faisait 170
Mouchez mentionne dans son rapport qu’il a obtenu « 489 épreuves utilisables qui pourront subir l’opération des mesures micrométriques auxquelles on va très-prochainement procéder sous la direction spéciale de M. Fizeau » : Mouchez (1875), CRAS 80, p. 612–618. André, qui était à Nouméa, dit avoir reçu les conseils de Fizeau : *André (1875), CRAS 80, p. 1281–1286. Les autres observateurs ne parlent pas de Fizeau.
Un savant considéré
encore une Communication de nature historique sur la constance moyenne d’éclat des principales étoiles. Une cruelle maladie [un cancer de la mâchoire] l’enleva en quelques semaines à l’affection des siens et à l’estime du monde scientifique, le 18 septembre 1896. » Dans un monde où la science devenait une profession à part entière, Fizeau fut l’un des derniers amateurs : sa fortune personnelle lui permettait de mener ses recherches comme il l’entendait. Il était très célèbre à son époque, comme en témoignent les distinctions et prix qu’il a reçus et de nombreuses nominations comme membre d’académies étrangères171. S’il est aujourd’hui moins connu, c’est qu’il n’a pas toujours réalisé lui-même ses projets, laissant à d’autres le soin de le faire. Le plus célèbre de ces continuateurs est Michelson, qui a été constamment inspiré par les idées de Fizeau. En France, sa postérité scientifique se trouve dans les grands physiciens de l’école d’optique que furent Cornu, son disciple direct, et surtout Fabry, ainsi que d’autres plus récents. Les travaux d’optique de Fizeau lui assurent donc une place d’honneur dans l’histoire de cette science et ses idées fécondes sont encore aujourd’hui des sources d’inspiration pour les physiciens.
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Distinctions : chevalier de la Légion d’honneur, 1850 ; puis officier, 1875. Commandeur de l’ordre de la Rose du Brésil, 1872. Prix : Société d’encouragement pour l’industrie nationale, 1848 (1 000 francs) ; prix triennal des cinq académies, 1856 (30 000 francs) ; médaille Rumford de la Société royale de Londres pour 1866 (environ 1 900 francs). Élection à des sociétés savantes étrangères : Académie de Berlin, 1863 ; Académie pontificale des Nuovi Lincei, 1866 ; Société scientifique royale d’Uppsala, 1870 ; Société royale de Londres, 1875 ; Académie royale des sciences de Suède, 1877 ; Académie des sciences de New York, 1879 ; Société de physique de Londres, 1880 ; Académie des sciences de Bologne, 1885 ; Société des naturalistes de Moscou, 1887 ; Société hollandaise des sciences, 1888 ; Société impériale des amis des sciences de Moscou, 1888 ; Académie royale de Belgique, 1890 ; Société royale d’Édimbourg, 1892. Aussi Société impériale des sciences naturelles de Cherbourg, 1865.
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Appendice 1 Généalogie de Fizeau et de son épouse
Les sept frères et sœurs d’Hippolyte Fizeau ne sont pas portés sur l’arbre généalogique. Ce sont : Marie-Rosalie (1811–1854), épouse Auguste Félix Bruzard (1796–1855) Pierre Joseph Louis (1812– ?) Marie Pauline Béatrix (1813– ?) Jeanne-Marie (1818–1880), épouse en 1839 Jean Marie Jules Picque (1813–1863) Marie Gabrielle (1820–1862) Jules Jean Marie (1822–1880) Marie François Xavier (1824–1885)
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Appendice 2 Chronologie 1819, 23 septembre : naissance à Paris. 1835–1842 : études au collège Stanislas et à la Faculté de médecine. 1843–1844 : travaux sur le daguerréotype, rencontre avec Léon Foucault. 1845, 2 avril : daguerréotype du Soleil, avec Foucault. 1845–1846, 24 novembre : interférences à grande différence de marche, avec Foucault. 1847 : mesures de longueurs d’onde dans l’infrarouge, avec Foucault. 1848, 23 décembre : présentation de l’effet Doppler-Fizeau à la Société philomathique, à laquelle il est élu le 27 janvier suivant. 1849, février–juillet : mesure de la vitesse de la lumière avec la roue dentée ; mai–octobre : mesure de la vitesse de l’électricité. 1850, 29 avril : note d’Arago à l’Académie des sciences sur la comparaison de la vitesse de la lumière dans l’air et dans l’eau ; 22–25 avril : brouille définitive entre Fizeau et Foucault ; 27 mai : dépôt par Foucault d’un pli cacheté affirmant que Fizeau et lui avaient essayé sans succès de mesurer l’entraînement de l’éther par l’air en mouvement ; 17 juillet : Fizeau réussit la comparaison de la vitesse de la lumière dans l’air et dans l’eau, mais seulement sept semaines après Foucault.
1851, 9 avril : premiers essais de l’appareil pour l’entraînement de l’éther par un courant d’air ; 22 juin : Fizeau montre que l’on peut mesurer par interférométrie le diamètre des étoiles ; 18 juillet : l’appareil définitif pour l’entraînement de l’éther est prêt, adapté à un courant d’eau ; 29 septembre : Fizeau décrit à l’Académie son expérience réussie mettant en évidence « l’entraînement partiel de l’éther par un courant d’eau ». 1852 : mesures interférométriques sur l’indice de réfraction de l’air sec et humide, avec le grand appareil d’Arago ; 14 juin : dépôt par Fizeau d’un pli cacheté décrivant un projet de mise en évidence par photométrie du mouvement relatif de la Terre et de l’éther ; juillet–août : expériences correspondantes, résultat négatif. 1853, 3 septembre : mariage avec Thérèse Valentine de Jussieu. Il séjournera de plus en plus souvent au château des Jussieu, Venteuil, à Jouarre (Seine-et-Marne), tout en conservant un pied-à-terre à Paris. 1859 : expériences sur « l’entraînement partiel de l’éther » par un solide transparent entraîné par la Terre, résultat très douteux. 1860, 2 janvier : élu à l’Académie des sciences. 1862–1870 : travaux sur la variation thermique de l’indice de réfraction et la dilatation des solides.
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Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
1863 : mort de l’épouse de Fizeau, dont il a eu quatre enfants.
1873 : Stephan tente de mesurer le diamètre des étoiles selon les indications de Fizeau.
1864-7 : examinateur à l’École polytechnique.
1875 : élu associé étranger de la Royal Society of London.
1866 : mort de sa fille Thérèse Zoé à l’âge de 7 ans ; Fizeau reçoit la médaille Rumford de la Royal Society of London. 1868 : Fizeau publie son idée de 1851 pour mesurer le diamètre apparent des étoiles comme une simple remarque dans un rapport. 1872–1874 : travaux pour la Commission internationale du mètre et pour le passage de Vénus.
1878 : élu au Bureau des longitudes. 1881–1884 : reprise des expériences destinées à mettre en évidence par photométrie le mouvement relatif de la Terre et de l’éther, résultat négatif. 1896, 18 septembre : mort de Fizeau au château de Venteuil.
Appendice 3 Correspondance Fizeau-Foucault Ces lettres, qui sont relatives à l’expérience de la mesure de la vitesse de la lumière dans l’air et dans l’eau, se trouvent à la bibliothèque du Muséum national d’histoire naturelle à Paris, Ms Jus 108, pièces 60, 60a, 61, 61a et 61b. Celles de Fizeau sont des brouillons écrits au crayon et difficilement lisibles, alors que celles de Foucault sont écrites à l’encre et sont très faciles à lire. Mon ami William Tobin les a déchiffrées et transcrites et a bien voulu m’autoriser à les publier. « 22 avril 1850 Mon cher Foucault, Plus je réfléchis au sujet de notre conversation d’hier, plus je suis propre. J’ai la conviction profonde qu’en voyant les choses comme vous les voyez, vous vous exposez à blesser des droits sacrés. Rappelez-vous donc légèrement [?] la suite de cette affaire. Sous l’inspiration des Leçons de Mr Arago nous réalisions [?] l’un et l’autre l’importance et la beauté d’une expérience. Après en avoir causé plusieurs fois ensemble, il nous vient à l’un et à l’autre des idées sur ce sujet. Vers le mois de juillet [1849] vous me communiquez vos idées. Je vous fait part des miennes. Les vôtres étaient fondées sur l’emploi d’un miroir tournant d’après un procédé nouveau et sur une disposition optique nouvelle aussi. Les miennes comprenaient deux méthodes, l’une consistant dans l’emploi d’un disque denté, l’autre dans l’emploi d’un miroir tournant, avec une disposition optique qui exigeait deux lunettes. Je présente mon mémoire à Mr Arago. Je lui fais part de nos idées sur ce sujet et je lui dis que je n’y donnerais suite que sur son invitation formelle. Il me paraissait certain que cette expérience ne saurait être faite sans lui. Plusieurs fois depuis ce
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Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
temps, il m’a consigné le désir que je m’occupasse de cette question avec lui. Mais il ne s’agissait que de moi. Je craignais qu’il ne lui convint pas d’avoir un second collaborateur et je considérais que vous aviez autant de droits que moi à prendre part à ce travail. Vous étiez malade172. J’ai cherché à gagner du temps. Je vous ai dit cela il y a plus de 5 mois. Je vous ai proposé alors d’offrir à Mr Arago notre double collaboration dans le cas où il insisterait d’avantage. Vous avez accepté mais en me demandant de ne rien hâter. C’est ce que j’ai fait comme vous le voyez bien. C’est vers la même époque que nous avons parlé à plusieurs reprises de la manière dont on ferait l’expérience, nous en avons discuté comme des collaborateurs toute la disposition optique. Cependant vous faites exécuter votre machine. Depuis 8 ans que nous travaillons ensemble, je n’ai pas l’habitude de la défiance. J’ai cru que vous aviez l’intention d’étudier ce mécanisme nouveau, de réaliser une pensée favorite et de nous préparer à l’expérience en question. Serait-il possible maintenant que vous eussiez la pensée d’aller seul jusqu’au but, de n’en pas parler à Mr Arago et de me laisser là victime, je pourrais le dire, de ma confiance et de mes bons procédés ? Mais Mr Arago n’a pas renoncé à faire l’expérience. Son droit est sacré, mais moi, quel rôle aurais-je ? Sans parler de mes droits que vous ne contestez pas et de mes procédés dont vous ne vous plaindrez pas ; comment me disculper auprès de Mr A. du reproche d’avoir laissé aller les choses sans l’en prévenir, d’avoir éludé ses propositions ? Je ne pourrai le faire qu’en avouant que j’ai été joué, et ni vous ni moi ne doutons que cela soit vrai. Il y aurait là une chose qui me semble si contraire à l’équité, je ne parle pas de l’amitié, au goût que je vous connais pour la vraie gloire scientifique pure et franche, que je ne peux pas croire que ce projet soit arrêté dans votre esprit. [deux mots illisibles] et n’en doute pas, vous avez le désir de faire les choses à l’amiable. Nous pouvons aller de suite chez Mr Arago. [H. Fizeau] 172
Effectivement, Foucault était déprimé et peu actif pendant le second semestre de l’année 1849.
Correspondance Fizeau-Foucault
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Paris 23 avril 1850 Mon bien cher ami, Calmez-vous, je vous en prie ; j’ai vu Mr Arago et il m’a écouté sans colère. Il m’est absolument impossible aujourd’hui d’en causer ensemble ; j’ai trop à m’occuper du Journal [des débats] et de vous173. Plus je relis votre lettre et plus je la trouve extraordinaire, incompréhensible ; je la garde pour vous la reproduire et vous la rendre dès que vous aurez repris votre assiette ordinaire ; peut-être alors en aurez-vous quelque regret. En attendant croyez-moi invariablement votre ami, bien moins envieux des honneurs que jaloux de vivre en paix avec sa conscience et vous. L. Foucault Mardi 24 avril 1850 [mais le 24 avril 1850 était un mercredi] Mon cher Foucault Je viens de voir Mr Arago qui a paru sensible à la démarche que vous avez faite et à laquelle je croyais que vous aviez renoncé en n’entendant plus parler de vous. Il paraît disposé à faire lundi prochain à l’Académie une déclaration qui laissera le champ libre. Mais il a paru très étonné quand je lui ai demandé son avis sur les faits que je crus avoués. Il m’a dit qu’ils ne lui paraissaient pas douteux et que je ne pouvais pas les abandonner. Ma position dans ce travail serait évidente. Il ne s’agit que de l’expérience sur la différence de vitesse dans l'air et dans 173
L’article de Foucault, publié dans le Journal des débats du 24 avril, concerne la mesure de la vitesse de l’électricité par Fizeau et Gounelle, présentée le 15 avril à l’Académie. Foucault y est élogieux, mais écrit : « Tout jeune qu’il est encore, M. Fizeau nous a habitués à accepter sans réserve les faits qu’il annonce ; il est à lui-même son plus sévère critique, et quand il se décide à publier ses travaux, il ne reste plus qu’à les louer, comme ils le méritent. » Faut-il voir là un éloge sincère ou y a-t-il une pointe d’ironie ?
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l’eau dont nous avons parlé à plusieurs reprises comme des collaborateurs et que je suis en état de faire de mon côté en quelques jours. Mais vous comprenez combien une pareille course au clocher serait désagréable et pénible pour tous les deux. Je ferai tout au monde pour l’éviter sauf le sacrifice de ce que je regarde comme mon droit. Je connais assez votre esprit de justice pour être certain qu’en voyant les choses tranquillement vous reconnaîtrez la légitimité de mes prétentions et que nous finirons par être d’accord comme nous l’avons toujours été jusqu’ici. Votre tout dévoué [H. Fizeau] Paris 25 avril 1850 Mon cher ami, Je dois vous l’avouer, puisque vous me le demandez, mes réflexions ne vous sont pas favorables ; j’ai beau m’argumenter et me reproduire sous toutes les formes vos raisonnements spécieux, je sens que je me prépare d’éternels regrets. Je ne viens pourtant pas, enchaîné par vos artifices, retirer l’espèce de parole que je vous ai donnée, ce serait à vous à me délier. Mais comme je sens qu’au jour de ma communication j’aurai peine à dissimuler l’état de mon âme, je vais essayer de fixer les termes dont je devrai me servir. Peut-être encore trouverez-vous ma plume bien rétive. « Ainsi, Messieurs, vous le voyez j’étais absolument tout prêt ; et sur la généreuse déclaration de Mr Arago de laisser désormais sur ce point le champ libre, j’allais trancher tout seul et sans scrupule cette magnifique question, lorsque Mr Fizeau vint suspendre mon bras et me prier instamment de ne pas agir sans lui. La nature des ses travaux l’avait conduit à réfléchir mûrement sur ce sujet et à combiner diverses expériences propres à lever les difficultés qu’on [n’] avait pas encore surmontées jusqu’ici. Mr Fizeau avait moralement quelques titres à mes yeux, l’amitié faisant le reste nous avons décidé que nous aborderions ensemble la première et la plus pressante application de ma méthode et qu’avant de procéder à aucune mesure nous partagerions le plaisir et l’honneur de constater directement le sens de la différence probable des vitesses de la lumière dans l’air et dans l’eau. »
Correspondance Fizeau-Foucault
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Je puis craindre encore, mon ami, que vous ne trouviez tout cela trop vrai. En ce cas allons prochainement chez Mr Arago et soumettons-lui cette querelle d’intérieur. Toutefois ne vous dérangez pas ce matin174, je vais de ce pas secouer dans un déjeuner d’amis les tourments que vous me causez. Je vous serre affectueusement la main. L. Foucault
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Ceci semble indiquer que la lettre de Fizeau lui était parvenue le matin même où elle avait été postée, à moins qu’elle ne soit arrivée par porteur.
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Bibliographie * : désigne les articles ou ouvrages accessibles sur http://gallica. bnf.fr. ° : désigne les articles ou ouvrages accessibles sur http://books. google.fr/. +
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Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
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Index A Académie des sciences 1, 3, 4, 5, 41, 47, 60, 126-127 Acloque, Paul 94, 144 Ampère, André-Marie (1775-1836) III, 18, 26, 85 Anderson, John A. (1876-1959) 117 André, Charles (1842-1912) 130 Arago, François (1786-1853) III, 2, 3, 4, 8, 10-12, 21, 41, 52, 65, 70-73, 75, 79, 81-85, 86, 88, 130, 135, 137-141, 143 Arc électrique 11-12, 63
B Belopolsky, Aristarkh (1854-1934) 46 Bessel, Friedrich Wilhelm (1784-1846) 74-75 Biot, Jean-Baptiste (1774-1862) 18 Blanc, Wilfrid 61 Blondel, Christine III Bogaert, Gilles 61 Bolzano, Bernard (1781-1848) 31, 35, 37 Bonnet-Bidaud, Jean-Marc 35 Boussingault, Jean-Baptiste (1802-1887) 2, 3 Breguet, Antoine Louis (1776-1858) 66, 69, 71-73 Breguet, Louis (1804-1883) 75-76 Brewster, David (1781-1868) 19, 124 Brezinski, Claude III Brodiansky, Victor III Brunner, Émile (1834-1895) 126 Brunner, Léon (1840-1894) 126 Buijs-Ballot, Christophorus Hendrik (1817-1890) 36-38
Buisson, Henri (1873-1944) 46 Bunsen, Robert Wilhelm (1811-1899) 42, 124 Bureau des longitudes 122, 127
C Carnot, Nicolas Léonard Sadi (1796-1832) III Cercle répétiteur 91-92 Challis, James (1803-1882) 87 Chevalier, Charles (1808-1895) 4, 6, 10, 143 Coblentz, William W. (1873-1962) 116 Commission internationale du mètre 128 Cornu, Alfred (1841-1902) 3, 61, 62, 75, 103, 123, 131, 143 Costabel, Pierre (1912-1989) 83, 84, 86, 144
D Daguerre, Louis-Mandé (1787-1851) 1, 4, 5 Daguerréotype 3-15, 129-130 Daniel, Malcolm 9, 144 Darrigol, Olivier 98 Davy, Humphry (1778-1829) 11 Des Cloiseaux, Alfred (1817-1897) 126 Deslandres, Henri (1853-1948) 34, 45-46 Dhombres, Jean III Diffraction 28 Dilatation (mesures par Fizeau) 125-126, 128 Distinctions, prix, nominations de Fizeau 131 Doppler, Christian (1803-1853) 30-35, 36, 38, 41-42, 87 Doppler-Fizeau (effet) 29-48 Drummond, Thomas (1797-1840) 11 Lumière de 11-12, 4 Ducrotay de Blainville, Henrie-Marie (1777-1850) 3
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Dulong, Pierre-Louis (1785-1838) 3 Dutour, Françoise III Dumas, Jean-Baptiste (1800-1884) 2, 3
E Eden, Alec 30, 144 Einstein, Albert (18879-1955) 79, 99 Élie de Beaumont, Léonce (1798-1874) 3 Étoile 34-35, 37, 41, 43, 44, 47 Arcturus 117 Bételgeuse 103, 116, 117-118 diamètre apparent 103-119 double 35, 36, 37, 117 Sirius 35, 37, 38, 43, 44, 112-114, 117, 119 supernova 35 Véga 119 Éther 70, 79-101 Études de Fizeau, 2-3, 9
F Fabry, Charles (1867-1945) 46, 131 Faraday, Michael (1791-1867) 67 Faye, Hervé (1814-1902) 42 Fizeau, Marie Gabrielle (1820-1862) 2, 134 Fizeau, Louis-Aimé (1776-1864) 2 Fizeau, Thérèse Zoé (1858-1866) 123, 133, 136 Flammarion, Camille (1842-1925) 129 Fourier, Joseph (1768-1830) III, 25, 26 Foucault, Léon (1819-1868) III, IV, 9-10, 11-15, 18-28, 42, 60, 61, 65, 75-76, 86, 88, 90, 124, 135, 137-141, 143 Fox Talbot, William Henry (1800-1877) 9 Fraunhofer, Joseph von (1787-1826) 35, 37, 38, 42 Frercks, Jan 51, 144 Fresnel, Augustin (1788-1827) III, 18, 70, 79, 82-85, 87, 88, 89, 130 Froment, Paul Gustave (1815-1865) 49, 55, 56, 60, 67, 75
Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
Galitzin, Boris B. (1862-1916) 46 Galvanomètre 97, 98 Gough, J.B. 144 Gounelle, Eugène (1821-1864) 52, 66-67, 139 Gry, Cécile 35 Gurney, Goldsworthy (1793-1875) 11
H Halley, Edmond (1656-1742) 128 Hamy, Maurice (1861-1936) 115, 116 Hanbury Brown, Robert (1916-2002) 118 Héliostat 17, 20, 54, 93, 129 Herschel, John (1792-1871) 28 Herschel, William (1738-1822) 24, 25, 27, 104 Hubble, Edwin (1889-1953) 48 Huggins, William (1824-1910) 43-44, 47 Huygens, Christiaan (1620-1695) 18, 70
I Induction électrique 67 Infrarouge 24-28, 116, 120 Interférométrie 18-23, 27, 85, 88-92, 98, 103117, 124-126 d’intensité 119 fonction de visibilité 115
J Jamin, Jules-Célestin (1818-1886) 28, 49, 55, 143 Janssen, Jules (1824-1907) 129 Jupiter 46 satellites de 115-116 Jussieu, Antoine Laurent de (1748-1836) 122, 133 Jussieu, Bernard Pierre de (1751-1836) 122, 133 Jussieu, Thérèse Adrienne de (1766)1957) 122, 133 Jussieu, Thérèse Valentine de (1831-1863) 122, 133, 135
G
K
Galaxies 48 Galilée (Galileo Galilei, 1564-1642) 51
Keeler, James Edward (1857-1900) 46 Kirchhoff, Gustav (1824-1887) 42, 124
Index
Kochenhauer 114 Kreil, Karl (1796-1862) 35
L Labeyrie, Antoine 119 Laborde (abbé) 42 Laënnec, Théophile-René-Hyacinthe (17811826) 2 Langevin, Paul (1872-1946) 94 Langley, Samuel P. (1834-1906) 26 Laplace, Pierre-Simon (1749-1827) 82 Laue, Max von (1879-1960) 79, 100 Lauginie Pierre, 11 Lawson, P. 145 Le Gars, Stéphane 145 Lemaître, Georges (1894-1966) 48 Lequeux, James III, 85, 116, 127, 145 Lerebours, Noël Paymal (1807-1873) 5, 6, 143 Le Verrier, Urbain (1811-1877) III, 10, 60, 61 Locqueneux, Robert III Loewy, Maurice (1833-1907) 127 Lorentz, Hendrik Antoon (1853-1928) 99, 100
M Magendie, François (1783-1855) 2, 3 Malus, Étienne Louis (1775-1812) III Mascart, Éleuthère (1837-1908) 93-94, 143 Maxwell, John Clerk (1831-1879) 44, 45 Melloni, Macedonio (1798-1854) 26, 97 Métrologie 127-128 Michell, John (1724-1793) 79 Michelson, Albert A. (1852-1931) 61-63, 65, 79, 91-92, 94, 98, 99, 110, 114-118, 120, 127, 131 Miroir tournant 60-63, 64, 69, 71-72, 74, 75-77 Mitchel, O.-M. 66 Moigno, abbé (1804-1844) 30, 31, 35-38, 50, 52, 86, 95, 144 Montmartre 54, 55 Morley, Edward W. (1838-1923) 91-92, 94, 98, 99 Mouchez, Amiral Ernest (1821-1892) 129-130
149
N Napoléon III (1808-1873) 10 Nature et théories de la lumière 70-77, 80-83 Newcomb, Simon (1835-1909) 61, 62 Newton, Isaac (1642-1727) 18, 43, 51, 70, 80, 84, 99 Niepce, Nicéphore (1765-1833) 4 Niven, C. 45 Nobili, Leopoldo (1784-1935) 97, 98 Nordmeyer, Paul 98
O Observatoire européen austral (ESO) 103, 120 Observatoire de Nice 61-62 Observatoire de Paris 47, 62, 69, 76, 81, 86, 115-116, 119, 127, 129 Orfila, Mathieu Joseph Bonaventure (17871853) 2, 3
P Pease, Francis G. (1881-1938) 110, 116-118 Pelletan, Philippe-Jean (1747-1829) 2 Perrotin, Henri (1845-1904) 61-62 Petel, Béatrix Marie (?-?), mère de Fizeau 2, 133 Photographie 1, 3-15, 128-130 Photométrie 11-13 Picard, Émile (1856-1941) 130, 144 Pinel, Philippe (1745-1826) 2 Planck, Max (1858-1947) 116 Poincaré, Henri (1854-1912) 45, 46 Polarisation de la lumière 13, 21-23, 92-93
R Radioastronomie 118 Raie spectrale 20, 28, 35, 37, 41-42 Raman, Chandrashekhara Ventaka (18881970) 92 Ramond Gontaud, Bernard (1903-1967) 122, 133 Ranc, A. 144 Rayet, Georges (1839-1906) 111
150
Réfraction 70, 80-81, 85 mesures par Fizeau 124, 126 Regnault, Victor (1810-1878) 3 Relativité 46, 94, 98-101 Robert, Jean-Baptiste III Rosmorduc, Jean III Roue dentée 40, 50-51, 54-62, 65, 66 Ritter, Johannes Wilhelm (1776-1810) 25
S Sainte-Claire Deville, Henri (1818-1881) 126 Saturne 46 Schwarzschild, Karl (1873-1916) 15, 115 Secchi, P. Angelo (1818-1878) 14, 42, 47 Secrétan, Marc (1804-1867) 5, 143 Sethi, Nihal Karan (1893-1969) 92 Slipher, Vesto M. (1875-1969) 48 Société philomathique 39, 41 Soleil 11-15, 38, 42, 44, 45, 47 Soleil, Jean-Baptiste (1798-1878) 125 Soleil, Henri (?-1879) 125 Spectroscopie 19-21, 25, 35, 38, 42-48 Stephan, Édouard (1837-1923) 111-114, 136 Stokes, George Gabriel (1819-1903) 87 Suresnes IV, 50, 54, 55, 122
T Thermomultiplicateur 97 Thollon, Louis (1829-1887) 45 Tisserand, Félix (1845-1896) 129 Tobin, William III, 17, 19, 20, 137, 145 Tresca, Henri (1814-1885) 128 Twiss, Richard Q. (1925-2005) 118
Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière
U Ultraviolet 26, 27
V Vauquelin, Louis-Nicolas (1763-1829) 2 Venteuil (château de) 97, 122-123 Verdet, Émile (1824-1866) 56, 144 Vénus 41 passages de Vénus devant le Soleil 128-130 Vitesse de la lumière 41-63 dans l’air et dans l’eau 70-77, 137-141 Vitesse de l’électricité 63-67, 139 Vitesse radiale 34, 41-48
W Walker, S.-C. 66 Watson, William (1715-1787) 63 Wheatstone, Charles (1802-1875) 52, 63-65, 71, 72 Wilip, Josef P. 46 Wolf, Charles (1927-1918) 61 Wollaston, William Francis (1731-1815) 26
Y Young, Charles Augustus (1834-1908) 45 Young, Thomas (1773-1829) 18, 25, 70
Z Zeeman, Pieter (1865-1943) 92